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Full text of "Le Ménestrel"

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JOUENAL 


MONDE    MUSICAL 


MUSIQUE     ET     THÉATEES 


67"=  ANNÉE  —  1901 


BUREAUX   DU   MENESTREL  :   2   bis,  RUE    VIVIENNE,    PARIS 


HEUGEL  et  C'^  Editeurs 


TABLE 

JOUENAL    LE    MS]Î^E8TKEL 


67<=  ANNÉE  —  1901 


TEXTE     ET     MUSIQUE 


IV"  1.  —  6  janvier  1901.  —  Pages  1  à  8. 
1.  Peintres  mélomanes  (9"  ai-licle)  :  Vapothéose  de  .Mozart  et 
le  violon  d'Ingres,  Raymond  Bouyer,  —  II.  Le  théâtre  et 
les  spectacles  à  l'Exposition  {13"  article)  :  la  rue  de  Paris, 
Arthur  Pougin.  —  III.  Ethnographie  musicale,  notes  prises 
à  l'Exposition  (13*  article)  :  la  musique  chinoise  et  indo- 
chinoise,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Re\'ue  des  grands  concerls. 

—  Y.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  E<ack. 
Valse  pimpante. 

X"  2.  —13  janvier  1901.  —  Pages  9  à  16. 
I.  Peintres  mélomanes  (10"  article)  :   la  musique  peinte, 
Raymokd  Bouyer.   —  II.  Semaine  théâtrale  :    premières 
représentations  du  Bon  Juge  au  Vaudeville  et  du  Covp 
de  fouet  aux  Nouveautés,  Maurice  Froyez  ;  première  repré- 
sentation du  Bon  Pasteuj-au  Théâtre-Cluny,  H.  JI.;  reprise 
de  (a  Mascotte  à  la  Gaité,  0.  Bn.  —  111.  Ethnographie 
musicale,  notes  prises  à  FExpoaition  (14»  article)  :  la  mu- 
sique chinoise  et  indo-chinoise,  Julien  Tiersot.  —IV.  Le 
théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (14°  article)  :  la  rue 
de  Paris,  Arthur  Pougin.  —  V.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  VI.  Nouvelles  diverses,  concei-ts  et  nécrologie. 
Chant.  —  J.  Massenet. 
Ce  que  disenl  les  cloches. 

M»  3.  —  20  janvier  1901.  —  Pages  17  à  24. 

1.  Peintres  mélomanes  (11"  article)  :  Lithographies  musicales, 

Raymond  Bouyer.  — II.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  VEx- 

position  (15'  article)  :  la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin. 

—  III.  Ethnographie  musicale,  notes  prises  à  TExposi- 
tion  (15*=  article)  :  la  musique  chinoise  et  indo-chinoise, 
Julien  Tiersot.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

PfANO.  —  Théodore  Dubois. 
Prcludio  paletico. 

1^"  4.  —  27  janvier  1901.  —  Pages  25  à  32. 
I.  Verdi,  par  Arthur  Pougin.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  3r«mo(/rau  Palais-Royal  et 
d'jErnfêieàrAthénée,PAUL-EMiLE  Chevalier.  — III.  Ethno- 
graphie musicale,  notes  prises  à  TExposition  (18°  article): 
la  musique  chinoise  et  indo-chinoise,  Julien  Tiersot.  — 

IV.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (16"  article)  : 
la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin.  —  V.  La  reine  Victoria 
et  Félix  Mendelssohn,  J.  T.  —  VI.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  VII.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Chant.  —  Théodore  Dubois. 
Au  bord  de  l'eau  fn"  3  des  Vaines  tendresses). 

]%"  5,-3  février  1901.  —  Pages  33  à  40. 
I.  Peintres  mélomanes  (12"  article)  :  d'après  Beethoven, 
Raymond  Bouyer.  —  ÏI.  Semaine  théâtrale  :  première 
représentation  de  les  Bouges  et  les  Blancs  k  la  Porte-Saint- 
Martin,  0.  Berggroen;  première  représentation  de  la 
Cavalière  au  théâtre  Sarah-Bernhardt,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  Verdi,  sa  mort,  ses  funérailles,  Arthur 
Pougin.  —  IV.  La  reine  Victoria  et  les  musiciens  allemands, 
0.  Berggruen.  —  Y.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  L<ack. 
La  Romaïlca. 

%o  6.  —  10  lévrier  1901.  —  Pages  41  à  48. 
1.  Peintres  mélomanes  (13°  article)  :  Autour  de  Bayreulh,' 
Raymond  Bouyer.  —  II.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à 
l'Exposition  (^17' article)  :  la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin. 
—  III.  Verdi,  notes  et  souvenirs,  A.  P.  —  IV.  Revue  des 
grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerls  et 
nécrologie. 

Chant.  —  A.  Périlhou. 
Complainte  de  saint  Nicolas  (n"  4  des  Chants  de  France), 

W  ■?.  —  17  février  1901.  —  Pages  49  à  56. 
I.  Peintres  mélomanes  (14"  article)  :  Silhouettes  contem- 
poraines, Raymond  Bouyer.  —  H.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  d'Astarlé  à  l'Opéra,  Arthur  Pou- 
gin; première  représentation  du  Domaine  au  Gymnase, 
Maurice  Froyez.  —  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  : 
Chansons  tourangelles,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerls.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois. 
Preludio  Saltarello. 

W  8.  —  24  février  1901 .  —  Pages  57  à  Gî. 
I.  Peintres  mélomanes  (15"  et  dernier  article)  :  Musique  des- 
criptive   et    peinture    musicale,    Raymond    Bouyer.    — 

II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  la 
Fille  de  Tabarin  à  l'Opéra-Comiquc,  Arthur  Pougin.  — 

III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  1  Exposition  (18"  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 

V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  tï.  Massenet* 
On  dit. 


X"  9.-3  mars  1901.  —  Pages  65  à  72. 

I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (1""^  ar- 
ticle), P.YUL  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première 
représentation  de  Pour  être  aimé  à  l'Athénée,  Paul-Émile 
Chevalier  ;  première  représentation  du  Liseronk  la  Renais- 
sance, 0.  Bn.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Expo- 
sition (19°  article),  Arthur  Pougin.  —  I V .  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  J.  Alasseuet, 

Simple  phrase. 

i\»  10.  —  10  mars  1901.  —  Pages  73  à  80. 

I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(2''  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  Charlotte  Corday  à  l'Opéra- 
Populaire,  Arthur  Pougin  ;  première  représentation  des 
Travaux  d'Hercute  aux  Bouffbs-Parisiens,  Paul-Émile 
Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposi- 
tion (20"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  Tour  de  France 
en  musique;  Bourgogne  :  les  temps  héroïques,  Edmond 
Neukomm.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  ThOodore  Dubois. 

Enfantillage  (n"  4  des  Vaines  tendresses}. 

X°  11.  —  17  mars  1901.  —  Pages  81  à  88. 

I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(3°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  tliéâtrale  : 
reprise  de  Mireille  à  l'Opéra-Comique,  Arthur  Pougin; 
reprise  de  Patrie  à  la  Comédie- Française,  H.  Moreno; 
première  représentation  des  Aînants  de  Sasy  au  Gymnase, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles 
à  l'Exposition  (21=  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Liack. 
Danse  galicienne. 


JV»  12.  —24  mars  1901. 


Pag 


ï.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(4"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  Quo  Vadis?  à  la  Porte-Saint- 
Martin,  de  ta  Pente  douce  au  Vaudeville  et  de  l'Écriteau 
au  théâtre  Cluny,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâ- 
tre et  les  spectacles  à  l'Exposition  (22'  article),  Arthur 
Pougin,  —  IV.  Revue  des  grands  concerls.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  A.  Périlhon. 

Pastorale  du  XVII"  siècle  (n"  5  des  Chants  de  France). 


I\"  13.  —  31 


1901. 


ges  97  à  104. 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(5"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Le  théâtre  et  les  ppec- 
tacles  ù  l'Exposition  (23°  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Le 
Tour  de  France  en  musique;  Bourgogne  :  les  temps  héroï- 
ques (suite),  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Piano.  —  A.  Périlhou. 
Pastorale  du  XVIP  siècle. 


!%"  14. 


7  avril  1901.  —  Pages  105  à  112 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(6*^  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premiére^.rÇpoê^eE"(nt!r>iis  ti'^iCnpHaihs  ThétèSê'A'^aG^'ïlé, 
delà  reinC.'aûx'.VaïMél '^  v\  Oc  S'in-p'LX'ontie-TîiM  liilâ's- 
Royal,  PAUl-EstitE  Cii  ^  \i.n n,  lil.  •l.'.i^nlir'i'itr^e*  et  les 
spectacles  à  l'Exposiiioa 'liV  ;niMli';.. Arthur  Pougin.  — 
IV.  Revue  des  grands  o^inccds.; —  V.-51'^uVelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie.  "  ■  '  '  ""' 

'•'  :  -.•Aifirii^çsi*<i4i^uteux','*J    \     :  ;  ■  '" 

IV"  15.  —  14  avril  1901.  —  Pages  113  à  120. 

I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(7°  article),  Paul  d'Estrées.  —  11.  Bulletin  théâtral  :  pre- 
mière représeniation  de  Ghetto  et  de  Modem  style  aux 
Escholiers,  Paul-Emile  Chevalier;  reprise  de  Durand  et 
Durand  et  première  représentiition  des  Idées  de  M.  Coton 
à  la  Renaissance,  0.  Bn.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spec- 
tacles à  l'Exposition  {25« article),  Arthur  Pougin.  — IV.  Le 
four  de  France  en  musique  :  Les  Noëls  de  La  Monnoye, 
Edmond  Neukomm.  —  V.  Petites  notes  sans  portée  :  Résur- 
rection de  la  musique,  Raymond  Bouyer.  —  VI.  Revue 
des  grands  concerts.  —  Vil.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Piano.  —  Louis  liacombe. 

Menuet  m"  10  des  Na'ives). 


1%"  16.  —  21  avril  1901.  —  Pages  121  à  128. 
I.    L'Art   musical   et   ses  interprètes  depuis  deux   siècles 
(8"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.   Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  Pour  l'amour/  â  l'Odéon, 
de  la  Course  du  flambeau  au  Vaudeville,  de  la  Joie  du 
talion  et  de  SO.OOO  dmes  au  Gymnase,  Paul-Emile  Cheva- 
lier. —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  TExposition 
(26"  et  dernier  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  Tour 
de  France  en  musique  :  la  Suehe,  Edmond  Neukomm.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  Reyuaido  Ilahn. 
Quand  la  nuit  n'est  pas  etoilce. 

]\"  17.  —  28  avril  1901.  —  Pages  129  à  136. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(9"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  du  Boi  de  Paris  à  POpéra,  Ar- 
thur Pougin;  premières  représentations  du  VÉrtige  à 
l'Athénée,  de  la  Petite  fonctionnaire  aux  Nouveautés,  de 
la  Dame  du  commissaire  au  Théâtre-Cluny,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons 
du  Grand-Palais  (1"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV,  Re- 
vue des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  con- 
certs. 

Piano.  —  Paul  'W^achs. 
Le  Baptême  d'Yvonnettc. 

I¥-  1 8.  —  5  mai  1901.  —  Pages  137  à  144. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(10"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  l'Ouragan  à  l'Opéra-Comi- 
que, Arthur  Pougin;  reprise  du  Tour  du  Monde  au  Chfi- 
telet,  P.-E.  C.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons 
du  Grand-Palais  (2°  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrobgie. 

Chant.  —  A.  Périlhou. 
Brunette  (1703)  (n"  7  des  Chants  de  France), 

]\'-  19.  —  12  mai  1901.  —  Pages  145  à  152. 

I.   L'Art   musical   et   ses   interprètes  depuis  deux  siècles 

(11°  article),  Paul  d'Estrées.  —  IL  Bulletin  théâtral  : 

première  représentation  de  Ma  fée!  à  l'Odéon,  Paul-Emile 

Chevalier.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du 

Grand-Palais  (3"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le 

nouveau   Conservatoire  de  Moscou,   Ch.-M.   Widor.   — 

V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  ILouis  I^acombe. 

Souvenir  m"  9  des  Naives\. 

li"  20.  —  19  mai  1901.  —  Pages  153  à  160. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(12*'  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  La  musique  et  le  théâ- 
tre aux  Salons  du  Grand-Palais  (4''  article),  Camille  Le 
Senne.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  les  enseigne- 
ments de  la  saison,  Raymond  Bouyer. —  IV.  Nouvelles  di- 
verses, concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  «I.  Hlassenet. 
Au  très  aimé. 

iX"  21 .  —  26  mai  1901.  —  Pages  161  à  168. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles 
(13"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  du  Presse  au  Gymnase  et  de 
la  Pipe  à  la  Renaissance,  Paul-Emile  Chevalier.  —  llI.La 
musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  {b'  ar- 
ticle), Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en 
musique:  le  parrain  Biaise,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Krnest  niorct. 
Impression  de  Neige  i  tirée  du  Poèmv  du  silence), 

X"  22.  —  2  juin  ISOl.  —  Pages  169  à  176. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
114"»  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
première  représentation  tle  Pour  le  monde,  ù  l'Athénée, 
Paul-Emile  Chevalier.  —  111.  La  musique  et  le  théâtre 
aux  Suions  du  Grand-Palaîs  (6"  article),  Camille  Le  Senne. 
—  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  musique  d'église 
et  de  ville,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diversesj 
concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Eruest  Xloret. 
Rêverie  m"  3  du  Poème  du  silence). 

:\-  33.  —  9  juin  1901.  —  Pages  177  à  184. 
I,  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(15"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  La  musique  et  le 
théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (7"  article),  Camille 
Le  Senne.  — m.  Le  Tour  de  France  en  musique:  musique 
d'église  et  de  ville,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Pensées  et 
Aphorismes  d'Antoine  Rubinstein.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerls  et  nécrologie. 

Piano.  —  A.  Périlhou. 
Promena  le. 


X'  24.  —  10  juin  19Û1.  —  Pages  185  à  192. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  Jeux  siècles 
(IB"  article),  I'acl  d'Esthées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  Conte  de  fée  et  de  l'Ile  heu- 
reuse, au  théâtre  des  Escholiers,  Paul-Emile  Chevalier. 
—  III.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand- 
Palais  (8°  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Petites  noies 
sans  portée  :  Bourses  de  voyages  wagnériennes,  Ravmond 
BouYEB.  —  V.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  la  fête  de 
l'une,  Edmond  Neuromm.  —  VI.  Nouvelles  diverses  et  con- 
certs. 

Chant.  —  Kejiialdo  Ilahu. 
La  Chère  blessure. 
K'  25.  —  23  juin  1901.  -  Pages  193  à  200. 
I.   L'Art  musical   et  ses   interprèles    depuis    deux   siècles 
(17'  article),  Paul  n'EsTnÉES.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
l'Auierge  du  Tohu-Bohu  à  la  Gaité,  P.-E.  C.  —  III.  La 
musique  et  le  tliéiUi-e  aux  Salons  du  Grand-Palais  (9"  et 
dernier  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Petites  notes 
sans  portée  :  Méditation  devant  Thah,  au  musée  Guimet, 
Raymond  BouvEn.  —  V.  Pensées  et  Aphorjsmcs  d'Antoine 
Rubinslein.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  Théodore  Lack. 
Menuel  rococo. 

X'  20,  —  30  juin  1901.  —  Pages  201  à  208. 
I    L'Art  musical  et   ses   interprètes  depuis  deux   siècles 
(18"  article),  Paul  d'Estoles.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
reprise  du  Papa  de  Franeine  à  Parisiana,  P.-E.  C.  — 

III.  Petites  notes  sans  portée  :  Mozart  inconnu,  Raymond 
BouYER.  —  IV.  Le  Tour  de  l'i'ance  eu  musique  :  Eho! 
Eho!  Eho!  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Ernest  Moret. 
Soir  d'été  in"  2  du  Poème  du  silence). 

IV"  2ff.  —  7  juillet  1901.  —  Pages  209  à  216. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(19°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Schumann  révolu- 
tionnaire, O.  Bercgruen.  —  III.  Le  Tour  de  France  en 
musique  :  Bonum  vinum,  Edmond  Neuromm.  —  IV.  Pen- 
sées et  Aphorismes  d'Antoine  Rubinslein.—  V. Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  .V.  l*érilliou. 
Sons  bois. 

%•  3S.  —  14  juillet  1901.  —  Pages  217  à  224. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(20"  article),  Paul  d'Estrées.  —  H.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  du  Légataire  uniuersel  et  de 
ta  Saïur  de  Jocrisse,  à  l'Opéra-Coinique,  Anuiuii  Pougin  ; 
reprises  de  la  Case  de  l'oncle  Tom,  à  la  Porte-Saint-Mar- 
lin,  et  des  Provinciales  à  Paris,  à  Cluny,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  111.  Petites  notes  sans  portée  :  Mozart  et 
Wagner,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en 
musique  ;  En  justes  nopces,  Edmond  Neurom^l  —  V.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Ch.\nt.  —  A.  Périlhou. 
hchia. 

X'  29.  —  21  juillet  1900.  —  Pages  225  à  232. 
I.    L'Art  musical  et  ses  interprètes   depuis    deux  siècles 
(21"  article),  IPaul  d'Estrées.  —  II.  Les  Concours  du  Con- 
servatoire, Arthur  Pougin.  —  III.  Le  Tour  de  France  en 
musique  :    Chansons   bressanes,    Edmond   Neuko.mm.    — 

IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Charles  Slalherbe. 
Landler  alsaciens  iV'-'  Suite). 

X"  30.  —  28  juillet  1901.  —  Pages  233  à  240. 
I.   L'Art    musical    et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(22"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Les  Concours  du  Con- 
servatoire, Arthur  Pougin.  —  111.  Nouvelles  direrses  et 
nécrologie. 

Chant.  —  l'aiil  l*uget. 
Mes  vœux. 

1«"  31 .  —  4  août  1901.  —  Pages  241  à  248. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  sièc'es 
(23"  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  La  distribution  des 
prix  au  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Le  Tour  de 
France  en  musique  :  Chansons  bressanes  ('swife^,  Edmond 
Neukomm.  —  IV.  Pensées  et  Aphorismes  d'Antoine  Ru- 
binslein. —  V.  Nouvelles  diverses. 

Piano.  —  Charles  Alalherbc. 
Landler  ahaciens  i2"  Suite). 

X'  32.  —  11  ?oùt  1901.  —  Pages  249  à  256. 

I.    L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 

(24"  article),  Paul  d'Estrées.  ^  H.' Notes  d'ethnographie 

musicale:  la  Musique  dans  l'Inde  (1"' article),  Julien  Tier- 

soT.  —  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  le  Canut, 

Edmond  Neuromm. —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  •loauui  Perronnct. 

Les  Portraits. 

X'  33.  —  18  aoiit  1901.—  Pages  257  à  264. 

I.   L'Art  musical  et   ses   interprèles  depuis  deux   siècles 

(25e  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  jîulletin  théâtral  : 

reprises  de  Prête-moi  ta  femme!  et  de  Joies  du  foyer,  à 

Cluny,  P.-E.  C.  —  111.  Notes  d'ethnographie  musicale  : 

la  Musique  dans  l'Inde  (2"  article),  Julien  Tiersot.  — 

IV.  Petites  notes  sans  portée  :  Une  reprise  qui  s'impose, 

Ray.mond  Bouyer.   —  V.  .Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  \.  Périlhou. 

La  Fliite  et  le  Luth. 

X'  34.  —  23  août  1901.  —  Pages  26:-  à  272. 
I.  L'.Art  musical  et  ses  interpixtes  depuis  deux  siècles 
(26"  article),  Paul  d'Estrées.  —  11.  Notes  d'ethnographie 
musicale:  la  Alusiquedans  l'Inde  (3i=article),  Julien  Tier- 
sot. —  111.  Petites  notes  sans  portée  :  une  Musicienne, 
Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  Fi-ance  en  musique  : 
la  «  Vogue  «  du  Cheval  fol,  Edmond  Neukomm.  —  V.  L'i- 
nauguration du  Théâtre  wagnérien  de  Munich,  R.  T.  — 
VI,  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chart.  —  I.  Phlllpp. 
Seule  l 


X'  33.  —  1"  septembre  1901.  —  Pages  273  à  280. 
I.  L'Art  musical  et  ses  inlcrprèles  depuis  deux  siècles 
(27«  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Courte  monographie 
delà  Sonate  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Notes 
d'ethnographie  musicale  ;  la  Musique  dans  Flnde  (4"  ar- 
ticle), Julien  Tiehsot.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  mu- 
sique ;  Guignol,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  di- 
verses, concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Paul  liVacbs. 
La  Fête  des  Vignerons. 
X'  3G.  —  8  septembre  1901.  —   Pages  281  à  288. 
I.   L'Art  musical    et  ses   interprètes  depuis  deux   siècles 
(28'  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Courte  monographie 
de  la  Sonate  (2°  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Notes 
d'ethnographie  Musicale  :  la  musique  dans  l'Inde  (5"  ar- 
ticle), Julien  Tiehsot.  —  IV.  Petites  notes  sans  portée  : 
La  statue  de  Mozart,  Raymond  Bouyer.  —  V.  JNouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Kcynalilo  Ilahu. 
.1  une  étoile. 

X'  3Î.  —  15  septembre  1901.  —  Pages  289  à  296. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(29"  article),  Paul  d'Estrées..—  II.  Bulletin  théâtral  :  pre- 
mière repi'ésenlation  de  l'Elude  Tocasson  aux  Folies- 
Dramatiques,  A.  P.  —  m.  Petites  notes  sans  portée  : 
Mozart  a  Paris,  Raymono  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de 
France  en  musique  :  un  Concours  académique,  Edmond 
Neuromm.  —  V.  Courte  monographie  de  la  Sonate  (3"  et 
dernier  article),  Arthur  Pougin.  —  VI.  Nouvelles  divei-ses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  A.  Périlhou. 
'Valse  en  sourdine. 

X'  38.  —  22  septembre  1901 .  —  Pages  297  à  304. 
I.    L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis   deux  siècles 
(30°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
Sada  Yacco  à  la  Renaissance,  A.  P.  —  III.  Notes  d'ethno 
graphie  musicale  :  Quelques  mois  sur  les  musiques  de 
l'Asie  centrale  ;  les  chants  de  FArménie  (6°  article),  Ju- 
lien Tiersot.  —  IV.  Pelites  notes  sans  portée  :  Mozart 
et  la  musique  française,  R.vymond  Bouyer.  —  V.  Le  Tour 
de  France  en  musique  :  le  Paysan  lyonnais,  Edmond  Neu- 
ROM.M.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  iV'ocl  Ocsjoj'eauv. 
Cloches  d'automne. 

X'  39.  —  29  septembre  1901.  —  Pages  305  à  312. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(31° article), Paul  d'Estrées.—  II.  Bulletin  théâtral  :  pre- 
mière représentation  de  BichetJe  au  Palais-Royal,  A.  P.  ; 
première  représentation  du  Fils  surnaturel  au  Théâtre- 
Cluny,  H.  M.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Berlioz  et 
Delacroix  à  propos  de  Mozart,  Raymond  Bouyer  — IV.  No- 
tes d'ethnographie  musicale  :  Quelques  mots  sur  les  mu- 
siques de  FAsie  centrale;  les  chants  de  l'Arménie  (1°  ar- 
ticle), Julien  Tiersot.  —  V.  Pensées  et  Aphorismes 
d'Antoine  Rubinslein.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Piano.  —  .1.  Périlhou. 
Chanson  à  danser. 

X'  40.  —  6  octobre  1901.  -  Pages  313  à  320. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(32°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premièi*es  représentations  de  Manoune  et  à^Bermance  a 
de  la  vertu  au  Gymnase,  premières  représentations  des 
Maugars  et  de  Faille  route  à  FOdéon,  Maurice  Fboyez; 
premières  représentations  de  la  Vie  en  voyage  iu  Vaude- 
ville et  de  l'Instantané  aux  Bouffes-Parisiens,  H.  M.  — 

III.  Notes  d'ethnographie  musicale  :  Quelques  mots  sur 
les  musiques  de  l'Asie  centrale,  les  chants  de  l'Arménie 
{8°  article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en 
musique  :  les  Jasseries  du  Forez,  Edmond  Neuromm.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Liéopold  Dauphin. 
Le  récit  de  l'Aurore  in"  2  des  Chansons  couleur  du  temps). 

X'  41.-13  octobre  1901.  —  Pages  321  à  328. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(33°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Petites  notes  sans 
portée;  La  statue  de  Gluck,  musicien  franjais,  R.iïmond 
Bouyer.-  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  En  pays 
noir,  Edmond  Neukojih.  —  IV.  Richard  Wagner  révolu- 
tionnaire, 0.  BEnacRUEN.  —  V.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 

Piano.  —  lleinrîch  Slrohl. 
Le  Diable  au  corps,  polka. 

X"  42.  —  20  octobre  1901.  —  Pages  329  à  336. 
I.   L'Art   musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(34°  article),  Paul  d'Estrées.  —  H.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  du  Roi,  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, et  du  Soghun,  à  l'Athénée,  Paul-Emile  Chevalier: 
g'  remière  représentation  du  Billet  de  logement,  aux  Folies- 
ramatiques,  A.  P.;  première  représentation  de  l'Amour 
du  prochain,  aux  Bouffes-Parisiens,  0.  Bn.  —  III.  Petites 
notes  sans  portée  :  Schumann  critique  musical,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  la  Reboule, 
Edmond  Neuromm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 
Chant.  —  André  Messager. 
Chanson  d'automne. 

X'  43.  —  27  octobre  1901.  —  Pages  337  à  344. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(35°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale: 
première  représentation  des  Barbares  à  l'Opéra,  Arthur 
Pougin;  premières  représentations  de  Brignol  et  sa  fille 
et  de  Point  de  Lendemain  à  l'Odéon,  et  du  Curé  Vincent  à 
la  Gaité,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Petites  notes 
sans  portée  :  L'art  des  programmes,  Raymond  Bouyeh.  — 

IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  Y.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Eiaek. 
ValiC  capricnnte. 


X'  44.  ■ 


3  novo 


1901,  —  Pages  3'i5  à  352 


I.    L'Art   musinil    n   -,-    ,„( ,  ',  .    .;,  ,,:,  ,    -.tI^-s 

(36"  article],   I'm  l.  l.l.-iiui-  :.      -  ,      ii;ilo  : 

première  rf|iri -tiii.iiiMn    .1  )  -        ,,   \  ,.,  ,     ■  iniso 

du  Voi/ar/e  ilr  .Sf/,-<v/r  ,mi  (:l,.ihl,i,  iv|,ii.r,l.  ,■  l]„ijie 
auThéâtre-Déjazet,  première  rci»n:senLal)nii  do  lu  Bascule 
au  Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Petites  notes 
sans  portée  :  Le  renouvellement  des  concci-ts,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Pensées  et  Aphorismes  d'Anloine  Rubins- 
lein. —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Gabriel  Verilalle. 
Le  Marquis  à  la  Marquise. 

X'  4S.  —  10  novembre  1901.  —  Pages  353  â  360. 
1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(37"  article),  Paul  d'Estrées.  —.11.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  l'Enigme,  à  la  Comédie- 
Française,  de  le  Nez  gui  remue,  aux  Bouffes-Parisiens,  et 
de  A  nous  lu  reine,  à  la  Cigale,  Paul-Emile  Chevalier. 
—  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Souvenirs  et  évocations, 
Raymono  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  ; 
Cliansons  de  vignes,  Ed:mond  Neuromm.  —  V.  Revue  des 
grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Lack. 
Scaraniovche,  caprice. 

X"  46.  —  17  novembre  1901.  —  Pages  361  à  368, 
I.  L'Art  musical  et  ses  interpi-ctes  depuis  deux  siècles 
(38"  article),  Paul  d'Estrées.  —  H.  Semaine  théâtrale.; 
premièi'es  représentations  du  Bon.  moyen  !  aux  Nouveautés, 
et  de  la  Pompadour,  à  la  Porte-Saint-Martin,  Paul-Emile- 
Chevalier.  — 111.  Les  Chansons  populaires  des  Alpes  fran- 
çaises (l"""  article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  Petites  notes 
sans  portée  :  Où  les  Parisiens  réclament  un  Gevvandhaus, 
RAY.MOND  Bouyer.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Camille  Erlangc-r. 
Berciwe. 

X'  4Î  .  —  24  novembre  1901.  —  Pages  369  à  376. 
1.   L'Art   musical    et  ses    interprètes  depuis   deux  siècles 
(39°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  Grisétidis  à  l'Opéra-Comîque, 
Arthur  Pougin  ;  première  i-eprésentation  de  l'Auréole  à 
l'Athénée,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.   Les  Chansons 
populaires  des  Alpes  françaises  (2°  article),  Julien  Tier- 
sot. —  IV.  Petites  notes  sans  portée  ;  Berlioz  vengé  par 
Flaubert,  Raymond  Bouyer.  —  V.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Piano.  —  «ï.  Massenet. 
Enlr'acle-hlylle  (extrait  de  Grisétidis). 

X'  48.  —  1°'  décembre  1901.  —  Pages  377  à  384. 

I.  L'Art  musical   et  ses  interprèles   depuis  deux    siècles 

(40°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale: 

premières  représentations  de  la  Maison  et  de  Hors  la  loi  à 

l'Odéon,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Peliles  notes  sans 

portée  :  le  Diable  â  Paris,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Les 

Chansons  populaires  des  Alpes  françaises  (3"  et  dernier 

article),  Julien  Tiersot.  —  V.  Revue  des  grands  concerts. 

—  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  J.  Massenet, 

Il  partit  au  printemps  (extrait  de  Grisétidis). 

X'  49.-8  décembre  1901.  —  Pages  385  ù  392. 

1.    L'.4rt  musical  et    ses   interprèles  depuis  deux  siècles 

(41°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 

première  représentation  de  Sainte-Galette  au  Vaudeville, 

P.-É.  C. —  IH.  Petites  notes  sans  Dortée:  l'Enfer  musical, 

Raymond  Bouyer.  —  IV.  Richard  Wagner,  Liszt  et  Cosima, 

0.   Bercgruen.   —  V.    Revue  des  grands  concerts.   — 

VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  •!,  Massenel, 

Valse  des  Esprits  (extraite  de  Griséli-lis'. 

iV"  50,  —  15  décembre  1901.  —  Pages  393  à  400. 

1.  L'Art  musical  et    ses  interprètes  depuis  deux  siècles 

(42°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâlrale  : 

premières  représentations  de  Nelly  /îosieraux  Nouveautés 

et  de  la  Revue  des  Variétés,  Paul-É»ile  Chevalier;  reprise 

du  Maître  de  Forges  à  la  Porte-Saint-Martin,  0.  En.  — 

111.   Pelites  notes  sans   portée  :    Pourquoi   .Mendelssohn 

a-t-il  vieilli?  R»ï.mond  Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands 

concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Chant.  —  J,  Massenet, 

Rappelle-toi  (extrait  de  Grisélidis). 

i\°  51.  —  22  décembre  1901.  —  Pages  401  à  4C8. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles 
(43°  article),  Paul  d'Estrées.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  du  Nuage,  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, et  de  l'Inconnue,  au  Palais-Royal,  Paul-Emile  Che- 
valier; reprise  de  Bébé,  lu  Vaudeville,  0.  Bv.  —  III.  Pe- 
tites notes  sans  portée  :  une  Exposition  musicale,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  les  Chaiils 
populaires  du  Vivarais,  Edmond  Neuromm.  —  V.  Revue 
des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  J,  Massenet. 
'Jhanson  d^Avigion  (extraite  de  Grisélidis), 

X'  52.  —  S9décembre  '.9n.  —  Pages  403  à  416. 
I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  d.;:ix  siècles 
(44°  article!,  Paul  d'Estrées.  —11.  Semaine  iheàtrale;: 
première  représentation  de  Madame  flirt  à  l'Athénée  el 
du  Puits  d'amour  à  Cluny,  Paul-Emile  Chevalier. —  III. 
Petites  rotes  sans  portée  :  les  «  Noéls  français  »  au  théâ- 
tre Raymono  Bouyer.—  IV.  I.e  Concours  international  de 
Milan.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  •!.  .Massenet. 
L'oiselet  est  tombé  du  nid  (Grisélidis). 


Solxante-liialtième    anné©    cl©    publication 


PRIMES   1902  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"^   DÉCEMBRE    1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d"eslhélique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CBBA^'T  ou  pour  le  PIAIVW  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  cnA\T  et  l'IAXO. 


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Recueil  chant  et  piano  in-S». 


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PASTORALE  DE  NOËL 

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G.  CHARPENTIER 

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LE  PETIT  FAUST 


ROIWAN     MUSICAL     EN     4     ACTES     TRANSFORMÉ     EN     PAIVJTGMIME 
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à  l'un  des  volumes  in-5'  des  CLASSIQUES-MaRMONTEL  :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE -LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes -compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  du  répertoire  des 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBAGH,  STROBL  et  KAUL.ICH,  de  Vienne,  ou  OLIVIER  MÉTRA  et  STRAUSS,  de  Paris. 

REPRÉSEKTAST  A  ELLE  SEULE  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET  DE  CUAM  RÉUNIES,  POUR  LES  SEULS  ABOIES  A  L'ABONIMEÎIT  COMPLET  (3° 


O^^ 


>^4^ 


THEATRE  CJorxte    XyriciTxe    eax   S   actes   et  txxi.  i^rolog;^»-^  InfcAiKb 


POEME    DE 


Ii'GPÉHR-GOIVIIQDE 


ARMAND  SILVESTRE  à  EU&ÈNE  MORAND 

MUSIQUE    DE 

J.   MASSENET 


Ii'OPÉI^fl-CO]VIIQaE 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  Z  bh.  l'ue  Vivicune,  à  partir  du  20  Oéecnibre  1901,  à  tout  ancien 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  .MÉi^'KSTREIj  pour  l'année  1903.  doindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'Ul«  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  dans  les  départements  de  la  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Étranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  iut  Clianl  pciivcnl  prendre  la  prime  Piano  el  viceversa.  -  Cenx  an  Piano  el  au  Chanl  rénnis  on!  scnls  tlroil  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  an  lesle  seul  n'onl  droil  àaiicuneprime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNE,fiENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PXANO 


1"  Modo  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  nE  chant  ; 
Scènes,  Mélodies,  Eomances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


2' Mode  d'abonnement:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano 
Fantaisies ,  Transcriptions ,  Danses ,  de  quinzaine  en  quinzaine  ;  1  Recueil 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3"  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

et  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus. 

4°  Mode.  Te.xte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  V^  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  cliaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  hon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  diiecteur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


:  30  francs,  Paris 


—  (Eacre  LoriileiJi). 


m\.  -  67-  A^^ÉE  -  iV"  1.  PARAIT  TOOS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  6  Janvier  1901. 


(Les  Bureaux,  2"'",  me  Yivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


LE 


Lk>j^^'-Ci_t' 


MENESTREL 


lie  Hamépo  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HuméFO  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bà,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr..  Pans  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  -  Pour  l'Etranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Peintres  mélomanes  (9°  article)  :  l'apothéose  de  Mozart  et  le  violon  d'Ingres,  Raïmoxd 
BouvER.  —  H.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (13»  article)  :  la  rue  de  Paris, 
Arthur  Pougin.  —  III.  Ethnographie  musicale,  notes  prises  à  l'Exposition  (13°  article)  ■. 
la  musique  chinoise  et  indo-chinoise,  Julien  Tiersot.  — IV.  Revue  des  grands  concerls. 
—  V.  ^'ouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  "à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  cejour  : 
VALSE   PIMPANTE 

de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Preludio-patetico  de  Théodore 
Dubois.  

MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Ce  que  disent  les  cloches,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jean  de 
LA  Vinotrie.  —Suivra  immédiatement  :  Au  bord  de  l'eau,  n"  3  des  Vaines  ten- 
dresses, nouvelles  mélodies  de  Théodore  Dubois,  poésies  de  Sdlly-Prudhojime. 

PRIMES  GRATUITES  DU   MÉNESTREL 

pour  l'année  1901 

Voir   à  la  S=  page    du  journal. 


"b. 


Dans  l' impossibilité  de  répondre  à  l'obligeant  envoi  de  toutes  les  cartes 
de  nouvelle  année  qui  nous  parviennent  au  Ménestrel,  de  France  et  de 
l'Étranger,  nous  venons  prier  nos  lecteurs,  amis  et  correspondants,  de 
vouloir  bien  considérer  cet  avis  comme  la  carte  du  Directeur  et  des  Colla- 
borateurs semainiers  du  Ménestrel. 


PEINTRES   MÉLOMANES 


IX 

l'apothéosp::  de  mozart  et  le  violon  d'ingres 

Une  après-midi  d'avril  1849,  en  voiture,  à  la  barrière,  avec 
Chopin  très  affaissé  dont  il  adorait  la  musique  et  qui  détestait 
sa  peinture,  Eugène  Delacroix  devise  du  monde  musical,  cause 
harmonie  et  conlre-poinl,  et  conclut  :  «  Berlioz  plaque  des  accords 
et  remplit  comme  il  peut  les  intervalles.  »  Puis,  sans  transition  : 
«  Ces  hommes  épris  à  toute  force  du  style,  qui  aiment  mieu.x 
être  bêtes  que  ne  pas  avoir  l'fwV  grave!  Appliquer  ceci  à  Ingres 
et  à  son  école...  »  Afin  de  punir  le  peintre  mélomane  de  son 


rapprochement  aussi  cruel  qu'inattendu,  nous  Talions  comparer 
lui-même  à  M.  Ingres  en  personne!  Ne  se  sont-ils  pas  réconciliés 
à  leur  insu  dans  la  religion  de  Mozart?  Ces  deux  tempéraments 
si  contradictoires,  l'un,  réservé  dans  son  œuvre  et  passionné  dans 
sa  vie,  l'autre,  d'inspiration  tumultueuse  et  d'allure  hautaine, 
Ingres  et  Delacroix  pouvant  fraterniser  I  Le  beau  paradoxe  et  la 
véridique  leçon! 

Oublions  que  le  Salon  de  1824  opposait  le  Vœu  de  Louis  XIII 
au  Massacre  de  Scio;  ne  considérons  que  deux  âmes.  Delacroix 
vieilli  dira,  plus  tard  :  «  Quelle  vie  que  la  mienne!...  Au  lieu 
de  penser  à  des  affaires,  je  ne  pense  qu'à  Rubens  ou  à  Mozart  : 
ma  grande  affaire  pendant  huit  jours,  c'est  le  souvenir  d'un  air 
ou  d'un  tableau.  »  M.  Ingres,  il  est  vrai,  nomme  Rubens  «  le 
Génie  du  mal  »  et  jamais  ne  mariera  dans  son  cœur  la  perfec- 
tion quelque  peu  fluette  avec  ce  mauvais  riche  !  Mais  écoutez 
notre  jeune  Delacroix,  dès  le  12  octobre  1822  :  «  Je  rentre  des 
Nosze,  tout  plein  de  divines  impressions!  »  En  1824  :  «  J'ai  acheté 
Don  Juan,  j'ai  repris  mon  violon  »  (lui  aussi!).  Puis,  ce  défi  : 
«  Qu'est-ce  que  les  modernes  ont  à  mettre  à  côté  des  Mozart  et 
des  Cimarosa?  »  Comment?  Cimarosa  près  de  Mozart?  Sans  doute, 
et  le  «  divin  »  Mariage  secret  lui  semble  «  la  perfection  même  » 
et  «  plus  dramatique  que  Mozart...  »  On  se  sent  moins  embarrassé 
quand  le  peintre  s'enivre  de  la  reprise  de  Don  Giovanni,  en  1847  : 
Itfozart  lui  devient  comme  une  cime  sereine  d'où  il  mesure  toute 
la  perspective  musicale;  auprès  de  Mozart,  Rossini  le  délecte 
encore,  surtout  après  les  Baigneuses  rougeaudes  de  Courbet,  mais, 
chez  l'Italien  déjà,  «  l'ornement  domine  l'expression  »  ;  malgré 
sa  sublime  vieillesse,  auprès  de  Mozart  Gluck  sent  un  peu  le 
«  plain-chant  »  ;  Mendelssohn  et  Berlioz  «  manquent  d'idées  »  ; 
Weber,  fantastique,  est  le  plus  digne  héritier  de  Mozart.  Son  cher 
petit  Chopin  lui-même  a  des  «  faiblesses  »  à  côté  du  maître  divin. 
Déjà  Meyerbeer  est  condamné.  Quant  à  Schubert,  le  rêveur,  il 
l'a  pris  en  grippe  :  c'est  «  l'école  de  l'amour  malade  »  ;  et  vivent 
les  Chasses  de  Rubens!  «  Je  les  adore  de  tout  mon  mépris  pour 
les  sucrées  et  les  poupées  qui  se  pâment  aux  peintures  à  la  mode 
et  à  la  musique  de  M.  Verdi...  »  La  musique  «  mince  »  de  M.  Gou- 
nod  ne  convient  guère  non  plus  aux  temps  héroïques,  et  quand 
un  compositeur  fait  un  Faust,  «  il  n'oublie  que  Y  enfer...  Don  Juan 
est  compris  autrement;  je  vois  toujours  au-dessus  du  libertin  la 
griffe  du  diable  qui  l'attend  »  (1863).  Depuis  la  byronienne 
jeunesse  jusqu'aux  derniers  jours  plus  purs,  c'est  l'apothéose  de 
Mozart. 

Le  peintre  didactique  de  VAfolhéose  d'Homère  serait  contraint 
d'approuver  son  rival.  «  Il  n'y  a  que  les  Grecs!  »,  c'est  entendu; 
mais,  par  amour  de  la  contradiction,  faudrait-il  ajouter  que 
Mozart,  comme  Raphaël,  n'est  qu'un  âne  auprès  des  anciens? 
Quand  Poussin  disait  cela  de  Raphaël,  il  plaisantait  profondément. 
Selon  la  doctrine  classique,  qui  n'admet  point  les  variations  du 
Beau,  ces  génies  modernes  sont  des  demi-dieux  en  regard  de 


Lli  IHÉNESTREL 


la  décadence  contemporaine  :  «  Le  style  moderne  est  mauvais  »  ; 
c'est  rhorrLble  emphase  des  Barbares,  c'est  l'invasion  des  Huns 
dans  les  lettres  et  les  arts.  Et  c'est  encore  Delacroix  qui  parle! 
M.  Ingres,  décidément,  est  vaincu  dans  son  temple  même  ;  et 
l'air  grave  est  contagieux... 

Ceux  qu'attire  à  Montauban  le  Vœu  de  Louis  'X//  ont  tous 
visité  le  «  petit  musée  »  où  l'on  viendra,  disait-il,  «  parler  de 
moi  et  de  mes  ouvrages  »  :  là,  dans  une  vitrine  d'honneur,  fut 
déposé,  par  son  expresse  volonté,  le  violon  d'Ingres.  Ces  deux 
mots  sont  tout  un  art  poétique.  Le  violon  d'Ingres,  c'est-à-dire 
la  cuisine  de  Beethoven,  ajouteront  les  méchantes  langues  dont 
l'enfer  est  encore  mieux  pavé  que  de  bonnes  intentions.  C'est-à- 
dire  aussi  le  réconfort  du  vieux  peintre,  le  discours  abstrait  et 
vibrant  qui  plane  sur  les  créations  des  arts  silencieux  :  telle  sera 
la  réplique  des  bonnes  âmes  qui  divinisent  la  musique.  Un  dis- 
ciple des  Grecs  devait  adorer  les  deux  profils  de  Polymnie;  dès 
son  enfance,  la  forme  plastique  et  la  forme  aérienne  avaient 
partagé  son  culte  :  «  J'ai  été  élevé  dans  le  crayon  rouge  »,  a  dit 
M.  Ingres;  «  mon  père,  musicien  et  peintre,  me  destinait  à  la 
peinture,  tout  en  m'enseignant  la  musique  comme  un  passe- 
temps...  Elève  de  M.  Roques,  à  Toulouse,  j'exécutai  sur  le 
théâtre  de  cette  ville  un  concerto  de  violon  de  Viotti,  en  1793, 
année  de  la  mort  du  Roi.  »  L'enfant  avait  douze  ans.  A  Paris  le 
futur  prix  de  Rome  jouera  du  violon,  le  soir,  au  théâtre  de 
Doyen,  car,  d'abord,  il  faut  vivre:  aussitôt  libre,  il  court  accom- 
pagner une  jeune  pianiste  et  songe  au  mariage  :  mais  la  donzelle 
contrarie  sa  doctrine,  et  le  peintre  s'exile  à  Rome.  Le  méridional 
répète,  avec  un  accent  :  «  Les  miens  soutiennent  que  je  suis 
aussi  fort  pour  la  couleur  que  pour  le  dessin.  Je  fais  aussi  bien 
que  le  premier  venu  des  tons' rouges,  verts,  bruns,  oUvàtres,  et 
je  les  dispose  dans  une  juste  relation;  mais  ce  qui  me  préoccupe 
le  plus,  c'est  la  forme.  »  Cette  fwme  éternelle,  son  inspiratrice, 
il  l'invoquera  toujours  en  prenant  son  violon;  son  orgueil  ne 
délaisse  le  pinceau  que  pour  l'archet;  dans  son  atelier  froid  se 
réunissent  des  quatuors;  le  peintre  y  fait  sa  partie,  sans  trêve,  et 
,ne  s'arrête  soudain  que  pour  exalter  sentencieusement  les  maî- 
tres... Ary  Scheffer,  Berlin,  Jean  Gigoux,  Amaury  Duval,  et 
vous,  Alard,  Maurin,  Ghevillard,  Batta,  Franchomme,  —  auditeurs 
bienveillants  ou  disciples  émus,  —  amateurs  ou  virtuoses,  — 
vous  n'êtes  plus  pour  nous  ressusciter  les  ardeurs  de  ce  violon 
solennel  et  de  cette  «  manie  musicante  »  !  Votre  art  fugitif  ne 
vit  plus  que  sous  quelques  fronts  blanchis,  dans  un  souvenir  ;  et 
les  paroles  plus  brèves  se  sont  dispersées  comme  des  feuilles 
d'automne  !  Mais  si  le  violon  s'est  tu  pour  toujours,  nous  avons 
les  lettres,  cataloguées  pour  ainsi  dire  comme  de  rares  estampes 
ou  de  purs  crayons,  par  la  savante  piété  d'un  admirateur  (1); 
nous  avons  les  portraits,  qui  parlent. 

Réalité  touchante  ou  comique,  ce  violon  d'Ingres  est  un  sym- 
bole :  c'est  l'àme  à  J3,mais  envolée  de  l'artiste  à  qui  ses  détrac- 
teurs ont  refusé  l'âme,  c'est  sa  conviction  tenace  et  robuste  qui 
veillait  son  œuvre  et  chantait  sa  foi  ;  à  Rome,  vers  1810,  en  cette 
Ville  Eternelle  dont  il  faisait  sa  patrie,  quand  il  avait  élu  pour 
atelier  l'église  ruinée  de  la  Trinita  del  monte  afin  d'y  brosser  sa 
vaste  fresque  homérique  Aq  Ronmlus  vainqueur  d'Acron,  il  se  repré- 
senta dans  une  petite  aquarelle  où  son  fidèle  violon  voisine  avec 
sa  palette  :  «  On  évoque  ainsi  »,  dit  l'humoriste  (2),  «  les  jour- 
nées solitaires  du  jeune  peintre  grignotant  sa  grande  page,  et  de 
temps', en  temps,  par  manière  de  distraction,  prenant  son  archet 
pour  régaler  d'un  filet  de  vinaigre  les  échos  de  la  Trinité...  » 
Mais  cette  distraction  même  est  majestueuse;  le  classique  peut 
gasconner  :  «  Ingres  est,  aujourd'hui,  ce  que  le  petit  Ingres  était 
à  douze  ans  !»  Et  le  doctrinaire  est  conséquent  avec  ses  principes  : 
dès  qu'il  prend  la  plume,  c'est  pour  exprimer  ce  qui  doit  être, 
pour  confesser  l'idéal,  pour  vanter  une  musique  sœur  de  la  ligne 
et  qui  soit  elle-même  «  une  probité  de  l'art  ».  Plus  de  contra- 
dictions, ni  de  jolies  palinodies  1  Oui,  Mozart  est  encensé  comme 
Raphaël,  et  ces  anges  terrestres  ont  trouvé  leur  prêtre  :  mais 
«  l'abus  de  la  grâce  »  est  honni  chez  ce  brillant  Rossini  qui 

(1)  Inches,  sa  Vie,  ses  Travaux,  sa  Doctrine,  par  le  comte  Henri  Delaborde. 

(2)  Francis  Wey,  Roue,  desoriplion  et  souvenirs,  page  475. 


disait  continuer  le  chevalier  Gluck  «  à  sa  manière  »  ;  et,  malgré 
ses  révoltes  et  ses  flammes,  l'àme  prométhéenne  de  Beethoven 
est  intelligible  à  la  raison  passionnée  du  peintre  :  M.  Ingres  parle 
volontiers  de  ses  «  admirables  »  symphonies  et,  particulièrement, 
de  la  symphonie  en  ut  mineur,  qui  est  «  peut-être  »  son  chef- 
d'œuvre...  Vous  entendez,  Eugène  Delacroix?  Les  romantiques 
violoneux  d'Hoffmann,  le  conseiller  Krespel  ou  le  musicien 
Kreisler,  ne  renieraient  plus  M.  Ingres,  un  beethovénien. 

Et  pendant  six  années,  depuis  1834,  le  directeur  de  l'Académie 
de  France  unit  le  précepte  à  l'exemple  ;  ses  crayons  sont  des 
camées  bourgeois;  et  les  musiciens  apparaissent.  Voici  Gounod, 
le  jeune  lauréat,  immortalisé  dès  lors  en  un  pur  contour  daté  de 
1841  (1),  et  qui  spirituellement  se  dit  «  élève  d'Ingres  »  :  un 
méplat  puissant  de  la  joue  osseuse  traduit  à  souhait  cette  aus- 
térité première.  Voici  Louise  Berlin  romanesque,  Liszt  juvénile, 
Paganini  décharné,  «  le  bon  Thomas  »,  «  le  jeune  Thomas  », 
dont  le  talent  fait  de  loyauté  plait  au  maître  :  «  Courage,  Tho- 
mas! Les  Mozart  ne  commencent  point  par  Don  Juan!  »  Et  la  Villa 
Médicis  retentissait  du  piano  discret  qui  est  à  l'orchestre  ce  que 
la  gravure  est  à  la  toile  :  un  critérium  infaillible.  «  C'est  par  les 
gravures  qu'on  juge  des  tableaux  et  de  leur  mérite...  En  vérité, 
je  crois  que,  pour  bien  connaître  un  chef-d'œuvre,  c'est  au  piano 
qu'il  faut  l'entendre!  »  Tel  fut  le  credo  de  M.  Ingres.  Son  chef- 
d'œuvre  parmi  ces  portraits  de  musiciens,  vous  l'avez  nommé  : 
c'est  Cherubini  couvé  par  la  Muse  (Paris,  1842).  Un  symbole  encore, 
cette  étrange  Muse  au  sourire  craquelé,  repeint  sur  le  fond  neu- 
tre, auprès  de  ce  vieillard  enfoui  dans  son  carrick,  ame  chagrine 
et  magistrale,  confiante  en  l'avenir  et  désabusée  de  la  vie,  talent 
qu'avait  respecté  le  génie  de  Beethoven.  Est-ce  son  Requiem  qui 
faisait  d'Ingres  un  prophète,  quand  le  peintre  voulait  «  qu'on  ne 
vît  point  les  musiciens  pour  que  rien  ne  vint  distraire  des  effets 
mêmes  de  la  musique  dans  un  sujet  si  terrible  et  si  solen- 
nel »?  (2).  En  tout  cas,  le  vieillard  vulgaire  qui  peignait  con  amore 
la  Source  virginale  pouvait  reprendre  son  violon  pour  se  dire  à 
soi-même  :  «  C'est  comme  du  Mozart!  » 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A.   L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE    19O0 

(Suite.) 


LA    RUE   DE   PARIS 

Le  Grand  Guignol.  —  Encore  un  café-concert,  celui-ci  agrémenté  d'un 
cinématographe  ;  c'est  le  seul  détail  qui  le  distingue  de  ses  congénères. 

Salle  et  scène  suffisamment  grandes,  celle-cî  avec  un  rideau  qui,  je 
crois,  a  la  prétention  de  reproduire  le  Gilles  de  Watteau.  La  salle  elle- 
même  a  une  décoration  Pompadour  d'un  agréable  ton  pâle  :  feuillages 
verts  SUT  fond  crème.  Elle  offre  un  assez  vaste  parterre  d'environ 
250  places,  qui  s'étend  jusqu'au  fond,  où  se  trouvent  six  petites  loges. 
Au-dessus  de  ces  loges,  un  promenoir.  Dans  le  vestibule,  cet  écriteau  : 
«  On  trouve  en  vente  ici  toutes  les  chansons  de  IMM.  les  chansonniers 
montmartrois.  »  Merci!  je  n'y  ferai  pas  de  tort.  Mais  ceci  indique  la 
note  de  l'établissement:  d'une  part,  la  «  rosserie  »;  de  l'autre,  la... 
disons  grivoiserie. 

De  fait,  un  de  mes  confrères  rendait  compte  en  ces  termes  de  l'inau- 
guration de  ce  temple  de  l'art,  inauguration  qui  avait  lieu  en  présence 
de  M.  le  Directeur  des  Beaux-Arts,  placé  dans  une  loge  d'honneur  : 

«  Le  répertoire   du  Grand  Guignol  comprend  des  parades  et  des 

farces  accommodées  au  goût  du  jour.  On  nous  donna  hier  soir  /'Éternel 
Cocu,  le  Petit  Champ  et  la  Marchande  de  pommes,  qui  furent  applaudies. 
La  censure  avait  été  cette  fois  tout  à  fait  maternelle,  et  les  étrangers 
sévères  qui  visiteront  ce  théâtre  en  entendraient  de  raides  s'ils  parve- 
naient, à  comprendre  le  langage  imagé  de  ces  nouveau.x  Léandre, 
Sganarelle  et  Cassandre.  Le  dictionnaire  qu'ils  pourront  ouvrir  les  ren- 
seignera mal  sans  doute  sur  la  valeur  de  certaines  expressions  dont  le 
sens  pourra  leur  échapper.  »  C'est  ça  qui  devait  donner  aux  étrangers 
une  crâne  idée  de  l'esprit  français  ! 


(1)  Centennale  de  1900,  dessins;  n°  1089. 

(2)  Voir  le  Ménesirel  du  31  janvier  1897,  page  36, 


LE  MENESTREL 


Pour  moi,  je  n'ai  pas  eu  la  chauce  de  voir  et  d'entendre  ces  mer- 
veilles. Je  suis  tombé  sur  un  spectacle  simplement  idiot,  mais  idiot  k 
faire  pleurer,  et  tel  que  l'envie  ne  m'a  pas  pris  de  recommencer.  C'était 
d'abord  un  bonhomme  qui  faisait  des  transformations,  mais  qui,  il 
faut  l'avouer,  aurait  été  vaincu  dans  une  lutte  avec  Fregoli.  Puis,  une 
demoiselle  paraissant  très  cgntente  d'elle,  ce  qui  prouve  son  bon  carac- 
tère et  son  peu  d'exigence,  qui  venait  débiter  deux  chansons  dont  il 
était  impossible  de  saisir  un  traître  mot.  Après  ces  deux  exliibitions, 
séance  de  cinématographe,  je  veu-x  dire  à'Ameiican  Biograph,  ce  qui  a 
beaucoup  plus  de  chic  tout  en  disant  la  même  chose.  Et  enfin,  pour 
terminer,  deux  messieurs  montmartrois  qui,  l'un  après  l'autre,  toujours 
les  mains  dans  les  poches  et  avec  leur  incommensurable  sang-froid, 
viennent  nous  régaler  de  leurs  petites  rosseries. 

Il  parait  qu'on  a  joué  encore  au  Grand  Guignol  quelques  autres 
petites  pièces,  la  Peur  des  coups,  de  M.  Georges  Courteline,  Fleur  d'an- 
tichambre, de  M.  Maurice  Magnier,  etc.,  avec,  comme  interprètes, 
MM.  G.  Barbier,  Casa,  Milcamps,  M"'*  G.  Moreau,  L.  Faury  et  quelques 
autres.  Je  ne  sais  ce  que  cela  pouvait  être,  mais  ce  que  je  sais  bien, 
c'est  que  ce  que  j'ai  vu  était  inénarrable,  lamentable  et  pitoyable. 

Théâtî'e  des  Auteurs  gais.  —  Celui-ci  n'a  pas  été  l'un  des  plus  heureux 
de  cette  rue  de  Paris  si  pimpante,  si  bruyante,  si  grouillante  et  si 
animée,  car  il  mourut  avant  l'heure  et  disparut  prématurément.  Ses 
débuts  pourtant  avaient  été  brillants,  si  l'on  se  rapporte  à  cette  note 
d'un  journal  qui  applaudissait  de  la  sorte  à  ses  commencements  :  — 

« Il  faut  louer  M.  Pierre  Woliî.  l'auteur  si  applaudi  du  Béguin. 

d!avoir  eu  l'heureuse  conception  du  Théâtre  des  Auteurs  gais.-  Ce 
joyeux  établissement  vient  à  peine  d'ouvrir  ses  portes  en  pleine  rue  de 
Paris  qu'il  a  déjà  son  public  et  sa  célébrité.  C'est  plaisir  de  retrouver 
en  cette  coquette  salle,  l'une  des  mieux  comprises  de  l'Exposition,  la 
foule  élégante  du  Paris  des  premières  à  côté  des  provinciaux  et  des 
étrangers  qui  viennent  goûter  les  mets  de  l'esprit  spécialement  salés 
par  les  Allais,  les  Pierre  Wolff,  les  Donnay,  les  Courteline,  les  Redels- 
perger  et  les  Capus.  Mais  ce  spectacle  n'est  pas  seulement  piquant  par 
lui-même,  il  est  précédé  d'une  parade  qui  est  "un  modèle  du  genre.  Sur 
l'estrade,  entre  des  musiciens  superbes  en  soldats  de  l'Empire  et  des 
animaux  savamment  empaillés,  défilent  pierrettes  et  clownesses, 
Auguste  et  Arlecjîuin.  Dans  celte  parade  merveilleuse,  les  femmes  sont 
jolies  et  les  hommes  ont  de  l'esprit.  Et  la  rue  de  Paris  s'emplit,  et  la 
coquette  salle  déborde,  pendant  que  les  spectateurs  applaudissent  à 
tout  rompre  les  auteurs  gais.  C'eût  été  vraiment  dommage  que  ne  fût 
pas  instituée  cette  fête  continuelle  du  rire  et  de  l'esprit.  » 

C'était,  à  la  vérité,  une  gentille  baraque  que  celle  des  Auteurs  gais, 
tout  plein  souriante,  avenante  au  possible,  et  d'un  luxe  remarquable 
en  son  genre.  Les  gentils  panneaux  qui  l'entouraient  étaient  peints  par 
Bellery-Desfontaines,  et  le  théâtre  était  le  seul  de  tous  ceux  de  la  rue 
de  Paris  qui  fût  à  ciel  ouvert  avec  la  facilité  de  se  fermer  en  cas  de  pluie. 
Seulement,  voilà  :  si  le  plumage  était  séduisant,  le  ramage  était  un  peu 
trop  cru,  et  l'on  peut  croire  que  les  auteurs,  pimentant  à  l'excès  leur 
gaité,  avaient  un  peu  trop  négligé  de  se  censurer  eux-mêmes.  Or,  le 
public  de  l'Exposition  n'était  pas  celui  des  hauteurs  de  Montmartre,  et 
lorsqu'on  lui  faisait  entendre  des  choses  trop vives,  ou  il  ne  com- 
prenait pas  ou  il  comprenait  trop,  si  bien  qu'à  la  fin  il  finit  par  déserter. 
Il  arriva  un  moment  où  cette  désertion  du  public  fit  réfléchir  les 
directeurs,  MM.  Pierre  Wolff  et  Tiribillot,  qui  ne  partageaient  plus  la 
gaité  de  leur  répertoire.  Us  résolurent  alors  d'abandonner  la  partie  et 
se  décidèrent  à  louer  leur  théâtre,  partie  au  fameux  jeûneur  Succi,  qui 
ne  demandait  qu'à  épater  les  spectateurs  cosmopolites  de  l'Exposition, 
partie  à  la  ménagerie  Corvi,  dont  les  singes  et  les  chiens  savants 
devaient  faire  la  joie  des  amateurs.  Mais  on  sait  le  différend  qui  s'éleva 
alors  entre  certains  exploitants  malheureux  de  la  rue  de  Paris  et  la 
direction  de  l'Exposition.  Bref,  le  théâtre  des  Auteurs  gais  dut  se 
résigner  à  fermer  ses  portes,  en  se  réservant  de  réclamer  au  commis- 
sariat général  une  indemnité  qu'il  n'estimepas  à  moins  de  300:000  francs. 
L'affaire  est  encore  pendante. 
Pauvres  Auteurs  gais  ! 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 

Notes  prises  à  l'Exposition  Universelle  de  ,19O0  (Siiiic) 


IV.  —  MUSIQUE  CfflNOISE  ET  INDO-CHINOISE 
Un  missionnaire  français  qui  passa  de  longues  années  à  Pékin  dans 
le  milieu  du  XVIII''  siècle,  le  Père  Amiot,  a  consacré  à  la  musique  des 
Chinois  un  livre  important,  qui  certainement  est  ce  qu'on  a  écrit  de 


mieux  sur  la  matière  (1).  Ayant  la  compétence  très  suffisante  d'un 
amateur  éclairé  et  passionné  pour  la  musique,  observateur  patient  et 
consciencieux,  il  a  pénétré  bien  plus  au  fond  du  sujet  qu'aucun  de  ceux, 
très  rares,  et  en  tout  cas  très  superficiels,  qui  sont  venus  après  lui. 
Aussi  bien,  la  date  déjà  ancienne  à  laquelle  remonte  son  ouvrage,  loiu 
de  le  rendre  moins  digne  de  notre  estime,  ne  fait  qu'en  rehausser  l'in- 
térêt. A  l'époque  où  l'auteur  vivait  en  Chine,  aucune  influence  étrangère 
n'avait  encore  pénétré  dans  ce  grand  Empire.  Depuis  lors,  si  rebelles 
qu'y  soient  les  Chinois,  ils  ont  reçu  des  peuples  européens  quelques 
visites  qui,  sans  leur  avoir  été  sans  doute  fort  agréables,  les  ont  con- 
traints à  voir  d'autres  visages,  entendre  d'autres  langues  et  d'autres 
sons,  et  rien  ne  dit  ipe  la  pureté  de  leurs  principes  n'en  ait  été  déjà 
quelque  peu  contaminée.  Au  contraire,  le  XVIIP  siècle  dut  être  une 
époque  très  favorable  pour  l'étude  de  ces  traditions  que,  depuis  les 
temps  antiques,  les  artistes  chinois  avaient  maintenues  dans  une  im- 
mobilité complète.  Loin  donc  de  mériter  le  reproche  de  n'être  pas  à  la 
hauteur  des  investigations  modernes,  on  peut  dire  que  le  P.  Amiot  est 
venu  au  meilleur  moment  :  le  seul  grief  que  nous  pourrions  lui  adresser 
serait  de  n'avoir  pas  été  encore  assez  complet,  en  nous  privant  presque 
entièrement  de  notations  musicales.  Mais  les  livres  et  écrits  théoriqaes 
des  musiciens  chinois  sont  étudiés  et  commentés  avec  soin  dans  son 
livre,  et  ce  résumé  d'une  littérature  musicale  très  importante  nous  est 
précieux  pour  la  connaissance  de  l'art  chinois. 

Dès  le  début  de  son  Discours  préliminaire,  l'auteui'  rapporte  une  anec- 
dote où  se  peint  au  naturel  l'état  d'esprit  habitué!  des  gens  qui,  mis  en 
présence  de  formes  d'art  inaccoutumées,  y  restent  complètement  insen- 
sibles. Il  raconte  qu'à  son  arrivée  en  Chine,  ayant  été  admis  à  la  Cour 
et  dans  la  société  des  Lettrés,  il  pensa  faire  leur  conquête  en  les  char- 
mant par  les  sons  de  la  musique  française  : 

«  Je  savois  passablement  la  musique,  dit-il;  je  jouois  de  la  flûte  tra- 
versière  et  du  clavecin;  j'employai  tous  ces  petits  talens  pour  me  faire 
accueillir. 

»  Dans  les  diverses  occasions  que  j'eus  d'en  faire  usage  pendant  les 
premières  années  de  mon  séjour  à  Péking,  je  n'oubliai  rien  pour  tâcher 
de  convaincre  ceux  qui  m'écoutoient  que  notre  musique  l'emportoit  de 
beaucoup  sur  celle  du  pays.  Au  surplus,  c'étoient  des  personnes  ins- 
truites, en  état  de  comparer  et  de  juger;  des  personnes  du  premier  rang 
qui,  honorant  les  Missionnaires  François  de  leur  bienveillance,  ve- 
noient  souvent  dans  leur  maison  pour  s'entretenir  avec  eux  de  quelques 
objets  concernant  les  sciences  ou  les  arts  cultivés  en  Chine. 

»  Lrs  Sauvages,  les  Cyctopes  (2),  les  plus  belles  sonates,  les  airs  de 
flûte  les  plus  mélodieux  et  les  plus  brillans  du  recueil  de  Blavet,  rien 
de  tout  cela  ne  faisoit  impression  sur  les  Chinois.  Je  ne  voyois  sur  leur 
physionomie  qu'un  air  froid  et  distrait  qui  m'annoncoit  que  je  ne  les 
avais  rien  moins  qu'émus.  Je  leur  demandai  un  jour  comment  ils 
trouvaient  notre  musique,  et  les  priai  de  me  dire  naturellement  ce 
qu'ils  en  pensoient.  Ils  me  répondirent  le  plus  poliment  qu'il  leur  fut 
possible  que  Nos  airs  n'étant  point  faits  pour  leurs  oreilles,  ni  leurs  oreilles 
pour  nos  airs,  il  n'étoit  pas  surprenant  qu'ils  n'en  sentissent  pas  les  beautés 
comme  ils  sentaient  celle  des  leurs.  Les  airs  de  noire  musique,  ajouta  un 
Docteur,  de  ceux  qu'on  appelle  Han-lin,  et  qui  étoit  pour  lors  de  ser- 
vice auprès  de  Sa  Majesté,  les  airs  de.  notre  musique  passent  de  l'oreille 
jusqu'au  cœur,  et  du  cœur  jusqu'à  l'âme.  NoUs  les  sentons,  nous  les  cowr- 
prenons  :  ceu£c  que  vous  venez  de  jouer  ne  font  pas  sur  nous  cet  effet.  Les 
airs  de  notre  ancienne  musique  étaient  bien  autre  chose  encore,  il  suffisait  de 
les  entendre  pour  être  ravi.  Tous  nos  livres  en  font  un  éloge  des  plus  pom- 
peux; mais  ils  nous  apprennent  en  même  tems  que  nous  avons  beaucoup 
perdu  de  l'excellente  métliode  qu'employaient  nos  Anciens  pour  opérer  de  si 
merveilleux  effets,  etc.  » 

D'esprit  moins  obtus  que  ses  interlocuteurs,  l'abbé  se  dit  qu'il  lui 
fallait  connaître  cette  musique  chinoise  qui  avait  tant  de  charmes  pour 
les  amateurs  du  Céleste  Empire,  et  il  s'efforça  d'en  pénétrer  les  ai'canes. 
C'est  â  cette  heureuse  et  intelligente  curiosité  que  nous  devons  son 
livre.  Que,  comme  tous  les  auteurs  épris  de  leur  sujet,  il  en  soit  venu 
à  déclarer  que  la  musique  chinoise  est  la  plus  antique,  la  plus  précieuse, 
la  plus  savante  et  lapins  belle,  cela  ne  peut  nous  étonner.  C'est  ainsi 
que  nous  fûmes  toujours,  nous  autres  Français  :  tandis  que  les  autres 
peuples  se  tiennent  renfermés  dans  leurs  petites  habitudes  locales  et 
séculaires,  nous,  dès  qu'une  chose  arrive  de  loin,  nous  l'admirons 
de  confiance  et  lui  sacrifions  volontiers  ce  qui  se  produit  de  meilleur 
autour  de  nous.  Ne  prenons  donc  des  appréciations  du  P.  Amiot  que 
ce  qu'il  en  faut  prendre,  et  contentons-nous  de  résumer  d'après  lui  les 
notions  essentielles  que  les  Chinois  ont  de  l'art  musical. 


(1)  Mémoire  sur  la  musique  des  Chinois  tant  anciens  f/tte  moUeriies,  par  M.  A.mioï,  Mis- 
sionnaire à  Példn.  Tome  VI  des  Mémoires  eoncernantles  Chinois.  Paris,  1779. 

(2)  Célèbres  pièces  de  clavecin  de  Rameau. 


LE  MÉNESTREL 


C'est  d'abord,  au  début  du  livre,  une  longue  étude  du  son,  le  sou  en 
général,  le  son  «  en  soi  ».  Et  cela  est  très  bien.  Nous,  dans  nos  traités  de 
musique,  sitôt  que  nous  avons  défini  le  son,  —  effet  produit  par  les 
vibrations  des  corps  sonores,  —  nous  passons  cà  d'autres  sujets  :  intona- 
tion, durée,  etc.  Et  pourtant  le  son  est  la  base  de  toute  musique  et  sa 
raison  d'être  essentielle  :  n'est-il  donc  pas  naturel  que  le  premier  soin 
du  théoricien  musical  soit  d'en  étudier  en  détail  le  principe  et  l'eîFet, 
et  d'en  considérer  les  manifestations  les  plus  diverses  ?  Ainsi  font  les 
Chinois,  et  ici  je  suis  bien  près  de  partager  l'admiration  du  P.  Amiot 
pour  l'e-xcellence  de  leur  méthode.  Avec  une  rare  acuité  de  perception, 
d'ailleurs  en  mêlant  à  des  observations  pénétrantes  des  naïvetés  parfois 
comiques  ainsi  que  des  considérations  d'un  symbolisme  déconcertant, 
lears  théoriciens  distinguent  les  diverses  qualités  du  son,  qu'ils  clas- 
sent suivant  les  phénomènes  principaux  de  sa  production,  traitant  tour 
à  tour  du  son  de  la  peau,  du  son  de  la  pierre,  du  son  du  métal,  du  sou 
de  la  terre  cuite,  du  son  de  la  soie,  du  son  du  bois,  du  son  du  bambou, 
du  son  de  la  calebasse.  C'est,  en  somme,  la  connaissance  des  sonorités 
(conséquemment  des  instruments  destinés  à  les  produire)  proposée 
antérieurement  à  l'étude  des  autres  éléments  de  l'art.  Cela  est-il  donc 
si  maladroit?  Le  timbre  n'est-il  pas,  de  toutes  les  qualités  du  son,  la 
plus  apparente"?  Celui  qui  entend  pour  la  première  fois  une  symphonie 
n'est-il  pas  plus  frappé  par  les  effets  multiples  des  instruments  que  par 
la  hauteur  ou  la  durée  des  sons?  Cette  espèce  de  prééminence  est  très 
légitime,  et  les  soi.xante  pages  que  le  P.  Amiot  consacre  à  cette  partie 
du  sujet  sont,  ce  me  semble,  les  plus  intéressantes  et  les  plus  originales 
de  son  livre. 

Dans  la  seconde  partie,  il  considère  la  théorie  des  Lu  :  étude  aride  et 
abstraite,  d'où  se  dégage  la  vérité  scientifique  de  la  génération  do  la 
gamme  par  quintes  successives,  produisant  la  division  de  l'octave  en 
douze  demi-tons.  Car,  on  a  beau  faire  et  beau  dire,  les  principes  natu- 
rels sont  les  mêmes  toujours  :  qu'il  s'agisse  ou  des  antiques  théoriciens 
chinois,  ou  de  Pythagore,  ou  de  nos  modernes  savants,  la  base  reste 
immuable. 

Et  de  même,  la  pratique  nous  offre  partout  les  mêmes  particularités. 
A  la  gamme  théorique  complexe  elle  substitue  une  gamme  simplifiée. 
Celle  qui  forme  la  base  de  toute  la  musique  d'Extrême-Orient,  et  que 
les  Chinais  ont  pratiquée  depuis  la  plus  haute  antiquité,  est  la  gamme 
de  cinq  notes,  sans  demi-tons  :  fa  sol  la  do  ré-fa.  Ce  n'est  pas  que  le  si 
et  le  mi  soient  inconnus  ni  proscrits  :  ces  deux  notes  sont  au  contraire 
désignées  sous  un  nom  particulier,  pien,  et  la  réunion  des  cinq  Ions  et 
des  deux  pieu  forme  ce  que  les  Chinois  appellent  les  Sept  principes,  — 
en  leur  langue  :  Tsi-clié.  La  réunion  de  ces  sept  notes  n'est  autre  que 
l'échelle  naturelle,  et  la  gamme  de  cinq  tons  qu'une  simplification  de 
notre  majeur'. 

«  Si  les  Cliiiwii  connaissent,  ou  ont  connu  antérieiirentent,  ce  que  nous 
appelons  contrepoint  ?  »  Cette  question  forme  le  titre  d'un  chapitre. 
L'auteur  y  répond  par  les  considérations  les  plus  vaporeuses  :  la  con- 
clusion en  donnera  une  suffisante  idée.  Faisant  parler  les  Chinois  eux- 
mêmes,  il  écrit:  «  Lorsque  nous  voulons  exprimer  ce  que  nous  sen- 
tons, nous  employons,  dans  nos  paroles,  des  tons  hauts  ou  bas,  graves 
ou  aigus,  forts  ou  faibles,  lents  ou  précipités,  courts  ou  de  quelque  durée. 
Si  ces  tons  sont  régies  par  les  lu,  si  les  instruments  soutiennent  la  voix  et 
ne  font  entendre  ces  tons  ni  plus  fort,  ni  plus  tut,  ni  plus  tard  qu'elle..., 
si  les  danseurs,  par  leurs  attitudes  et  toutes  leurs  évolutions,  disent 
aux  yeux  ce  que  les  instruments  et  les  voix  disent  à  l'oreille,  si  celui 
qui  fait"  les  cérémonies  en  l'honneur  du  .Ciel,  ou  pour  honorer  les 
Ancêtres,  montre,  par  la  gravité  de  sa  contenance  et  par  tout  son 
maintien,  qu'il  est  véritablement  pénétré  des  sentiments  qu'expriment 
et  le  chant  et  les  danses  :  voilà  l'accord  le  plus  parfait  ;  voilà  la  véritable 
harmonie.  Nous  n'en  connaissons  point  et  n'en  avons  jamais  connu  d'autre.  » 
Cela  est  un  peu  long,  mais  parfaitement  net,  pom-  répondre  que  les 
Chinois  ne  connaissent  aucunement  «  ce  que  nous  appelons  contre- 
point. ))  Quant  à  l'harmonie,  purement  esthétique,  des  sons  et  de  la 
danse,  c'est  aussi  la  seule  harmonie  qu'aient  connue  les  Grecs,  et  l'on 
sait  avec  quelle  supériorité  ils  l'ont  pi-atiquêe  :  il  est  intéressant  d'en 
retrouver  une  définition  aussi  conforme  dans  un  livre  consacré  cà  la 
musique  des  Chinois. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  Une  nouvelle  audition  de  la  Sijmplionie  pastorale 
me  fournit  l'occasion  de  montrer,  comme  suite  à  mon  article  du  23  décembre, 
de  quelle  manière  Beethoven  comprenait  la  musique  à  programme.  Voici  d'abord 
quelques  annotations  significatives  des  carnets  du  maître:  «  Sinfonia  caracle- 


Tislica  ou  bien  souvenir  de  la  vie  des  cliamps.  —  On  laissera  à  l'auditeur  le  soin  de 
découvrir  les  situations.  —  Toute  peinture,  poussée  trop  loin  dans  la  musique  instru- 
mentale, s'évanouit.  —  Sinfonia  pastorella.  Qui  a  la  7noindre  idée  de  la  vie  des 
champs  peut  se  représenter,  sans  avoir  besoin  de  longs  commentaires,  ce  que  fauteur 
a  voulu  faire  ».  Un  exemple  maintenant  :  Beethoven  a  noté  sons  ce  titre  :  Mur- 
mure du  ruisseau,  six  mesures  à  douze-huit  comprenant  douze  croches  chacune. 
Les  trois  premières  renferment  la  note  do  répétée  trente-trois  fois  et  les  trois 
dernières  la  note  fa  répétée  autant  de  fois.  Une  remarque  suit:  Plus  le  ruisseau 
devient  grand,  plus  le  son  devient  grave.  Or,  d'après  la  relation  scientifique  de 
Schaffhouse,  près  des  chutes  du  Rhin,  des  savants  experts,  chargés  de  déter- 
miner les  sons  que  produit  l'eau  projetée  en  cascades,  sont  arrivés  à  ce  résultat: 
L'eau,  en  tombant,  fait  entendre  les  trois  notes  de  l'accord  do  misol  accompa- 
gnées du  son  plus  grave  fa,  étranger  à  cet  accord.  On  perçoit  ce  fa  même 
derrière  des  parois  de  montagne  ou  derrière  d'épaisses  forêts  quand  les  autres 
sons  ne  parviennent  plus  à  l'oreille.  Le  do,  le  sol  et  le  fa  sont  très  saisissables: 
le  ni!  est  faible  et  disparait  quand  la  cascade  est  petite.  Les  quatre  sons  em- 
brassent plusieurs  octaves  dans  les  chutes  considérables.  On  n'a  pas  décou- 
vert d'autres  notes.  (Remarquons  ici  que  l'accord  do  mi  sol,  placé  sur  un  fa 
forme  une  agglomération  contraire  aux  règles  do  l'harmonie;  que  cette 
agglomération  existe  dans  la  nature  ;  que  Beethoven  l'a  employée  au  début 
du  dernier  morceau  de  la  Symphonie  pastorale,  mesures  S,  6,  7  et  8).  D'autre 
part,  la  Scène  au  bord  du  ruisseau  n'est  écrite  ni  en  do,  ni  en  fa,  mais  en  si 
bémol:  la  note  fa  y  est  prépondérante  à  titre  de  dominante  du  ton  et  à  titre 
de  tonique  passagère  dans  les  modulations  à  la  dominante,  lesquelles  sont 
amenées  par  l'accord  majeur  de  do  :  mais  ni  l'accord  de  do,  ni  la  note  fa  ne 
jouent  ici  un  rôle  descriptif  spécial.  «  S'attacher  davantage  au  sentiment  qu'à  la 
peinture  »  a  écrit  Beethoven.  En  effet,  ce  morceau  vaut  par  le  sentiment.  Tou- 
tefois, et  ceci  est  capital,  le  sentiment  n'aurait  pu  naître  dans  l'âme  de 
Beethoven  ni  passer  dans  la  nôtre,  s'il  n'existait  ni  sources,  ni  ruisseaux,  ni 
cascades.  C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  comprendre  la  communication  de  l'âme 
humaine  avec  la  nature  et,  par  conséquent,  la  musique  à  programme.  M.  Che- 
villard  nous  a  donné  une  exécution  de  la  Symphonie  pastorale  en  réel  progrès 
sur  la  précédente,  plus  fine  et  plus  assouplie.  L'ouverture  d'Egmont  a  sonné 
magistralement.  Dans  la  partie  wagnérienne  du  concert,  onasurtout  acclamé 
Prélude  et  mort  d'Vseult  et  aussi  le  solo  de  cor  anglais,  formant  entr'acte,  très 
bien  joué  par  M.  Gundstoëtt.  Amédke  Boutarel. 

—  Dimanche  dernier,  M.  Colonne  donnait  au  Châtelet  une  troisième 
audition  du  Fami  de  Schumann.  Nous  n'avons  pas  à  y  revenir,  nos  collabo- 
rateurs Barhedette  et  Boutarel  ayant  déjà  rendu  compte  des  deux  premières 
auditions. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  ;  ttelàclie. 

Châtelet,  concert  Colonne  ;  La  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  soli  par  JMM.  Cazeneuve, 
llallard,  Challet  et  M""  Marcetla  Pregi. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Luraoureux  :  Ouverture  d'Euryanthe  (Weber).  —  Concerto 
pour  piano  en  sol  majeur,  n°  4  (Beethoven),  par  M.  Alfred  Cortot.  —  Deux  airs  d'Alceste 
(Gluck),  par  M""  Blanche  Jlarchesi.  —  Deuxième  concerto  pour  violoncelle  (Hollmann), 
par  l'auteur.  —  Deux  Nocturnes  (Debussy).  —  Lorelei  (Liszt),  par  Jl""  Blanche  Marches!. 
—  Introduction  du  3"'  acte  de  Lohengrin  (Wagner). 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (3  janvier  1901).  —  La  première  repré- 
sentation de  laMaladetta,  conduite  par  l'auteur,  M.  Paul  Vidal,  a  obtenu  à  la 
Monnaie  un  véritable  succès,  non  moins  à  cause  de  l'agrément  de  la 
musique  qu'à  cause  du  luxe  et  du  pittoresque  de  la  mise  en  scène  et  de 
l'excellence  de  l'interprétation.  M.  Saracco  y  a  déployé  toutes  les  ingéniosités 
de  son  talent  chorégraphique,  et  décorateurs  et  costumiers  se  sont  surpassés. 
Ajoutez  à  cela  l'intérêt  que  présentait  la  lutte  (plus  ou  moins  pacifique)  de 
deux  étoiles  rivales,  M"<=  Sarcy  et  M"'=Dethul,  qui  remplissaient  les  rôles  prin- 
cipaux et  entre  lesquelles  s'est  livré  un  véritable  match,  extrêmement  émou- 
vant. La  victoire  est  restée  indécise;  ou  plutôt  elle  s'est  partagée  également 
entre  les  deux  rivales,  toutes  deux  acclamées,  toutes  deux  triomphantes.  On 
a  pu  éviter  ainsi  de  graves  événements.  —  Le  même  soir  on  a  écouté  avec 
curiosité  le  joli  petit  acte,  un  peu  mince  pour  le  cadre  de  la  ÎNIonnaie,  du 
jeune  Mozart,  Bastien  et  Bastienne,  chanté  par  M"«  Friche,  MM.  Forgeur  et 
Danse.  —  Puis,  nous  avons  eu  une  bonne  reprise  de  Mignon,  avec  M°"=* 
Thiéry  et  Leclercq  (celle-ci  engagée  spécialement  pour  le  rôle  de  Philine), 
MM.  David,  Pierre  d'Assy,  etc.  Succès  pour  M""<:  Thiéry  et  M.  David.  — '  Enfin, 
ce  soir  même  je  sors  de  la  représentation  de  Don  Juan,  dont  le  résultat  le 
plus  intéressant  a  été  de  révéler  au  public  bru.xellois  une  jeune  artiste,  parais- 
sant pour  la  première  fois  sur  la  scène  et  déjà  en  possession  d'un  remar- 
quable talent  de  cantatrice  lyrique,  M"»Paquot.  Lors  de  son  dernier  concours 
au  Conservatoire,  je  vous  l'avais  signalée,  pour  sa  voix  merveilleuse  et  son 
instinct  dramatique.  Ses  débuts,  ce  soir,  dans  le  rôle  de  donna  Anna,  ont 
montré  tout  ce  qu'on  peut  attendre  de  ces  dons  naturels  et  de  cette  intelli- 
gence, doublés  d'une  rare  sûreté  et  d'un  remarquable  acquis.  M""  Maubourg 
a  été  aussi  très  applaudie  dans  le  rôle  de  Zerline,  qu'elle  a  dit  d'une  façon 
charmante.  M.  Mondaud  a  des  qualités  un  peu  ternes  dans  celui  de  Don 
Juan.  Le  reste  est  assez  médiocre.  Je  ne  parle  pas  de  l'orchestre,   qui  a  été 


I.E  MÉNESTREL 


délicieux.  Les  récitatifs  étaient  accompagnés  au  clavecin,  et  cela  a  beaucoup 
contribué  à  alléger  l'exécution  de  cette  partition,  étrangement  coupée  et  trop 
souvent  alourdie  et  transfigurée  par  d'incompréhensibles  défroques.  MM.  Kuf- 
ferath  et  Guidé  se  sont  appliqués  à  nous  rendre  l'œuvre  —  qui  n'avait  plus 
été  jouée  à  la  Monnaie  depuis  1891  —  dans  sa  presque  absolue  intégrité  :  et  là 
n'a  pas  été  le  moindre  intérêt  de  cette  reprise,  sinon  très  brillante,  à  cause 
de  l'inégalité  de  la  distribution,  du  moins  très  soignée  dans  son  ensemble. 

Au  Concert  Ysaye,  dimanche  dernier,  M.  Arthur  De  Greef  a  joué  avec  un 
mécanisme  étourdissant  et  un  charme  exquis  un  concerto  de  Mozart,  le  con- 
certo pour  piano  en  ut  mineur,  qui  n'avait,  je  crois,  jamais  été  joué:  —  ou 
du  moins,  cela  doit  se  perdre  dans  la  nuit  des  temps  ;  —  et  ce  concerto,  terri- 
blement difficile  sans  qu'il  y  paraisse,  est  délicieux.  M.  De  Greef  l'a  fait  vivre 
dans  son  esprit,  sa  grâce  et  sa  fraîcheur.  Puis,  comme  contraste,  il  a  exécuté 
le  concerto  en  sol  mineur  de  M.  Saint-Saëns  ;  et  autant  il  avait  mis,  dans  le 
premier,  de  délicatesse  et  de  raflinement,  autant  il  a  mis,  dans  le  second,  de 
chaleur  et  d'entrain.  Le  public  enthousiasmé  lui  a  fait  d'interminables  ova- 
tions. LIne  symphonie,  très  fantaisiste  et  très  colorée,  de  M.  Glazounow,  et 
des  variations  dans  le  style  ancien,  très  françaises,  de  M.  Grieg,  et  l'exécu- 
tion d'une  cantate  enfantine  de  M.  Emile  Agniez,  chantée  par  deux  cents 
enfants  des  écoles  communales,  complétaient  le  programme.  —  Il  devait  y 
avoir  aussi,  la  semaine  dernière,  à  l'Association  artistique,  un  concert  dirigé 
par  M.  Ghevillard;  mais  au  dernier  moment,  M.  Ghevillard  n'est  pas  venu. 
C'a  été  une  grosse  déception.  L.  S. 

—  Depuis  le  jour  de  l'an  l'armée  prussienne  compte  un  musicien  de  cou- 
leur, un  nègre  superbe,  qui  est  né  dans  une  colonie  allemande  de  l'Afrique. 
L'empereur  Guillaume  II  s'est  intéressé  à  ce  sujet  exotique  et  a  ordonné  de  lui 
donner  l'éducation  nécessaire  pour  qu'il  pût  remplir  les  fonctions  assez  diffi- 
ciles de  tambour  de  la  garde  à  cheval.  Le  brave  nègre  est  arrivé  bien  vite  à 
traiter  son  instrument  selon  les  règles  de  l'art  et  avec  un  sentiment  du  rythme 
que  maint  de  ses  collègues  blancs  pourrait  lui  envier,  mais  il  lui  a  fallu  une 
longue  éducation  pour  qu'il  pût  guider  son  cheval  uniquement  avec  ses  jam- 
bes, ses  mains  étant  occupées  d'autre  part.  Actuellement  il  est  irréprochable 
comme  tambour  et  comme  cavalier;  on  lui  a  donné  l'uniforme  voyant  des 
hussards  de  la  garde  et  on  l'a  placé  sur  un  cheval  blanc  magnifique:  à  la 
revue  du  l'''  janvier  il  s'est  montré  pour  la  première  fois  et  a  réuni  tous  les 
sufi'rages. 

—  La  «  Société  d'essai  d'opéras  »  de  Berlin  (Opern-Probebûhne-  Verein),  société 
qui  a  pour  but  l'exécution  d'ouvrages  de  compositeurs  allemands  qui  n'ont 
encore  jamais  été  représentés,  a  commencé,  sous  la  direction  de  son  fonda- 
teur et  directeur,  M.  Widowski,  les  répétitions  d'un  opéra  en  deux  actes  inti- 
tulé Wahntmd,  dont  l'auteur  est  M.  Ferdinand  Rudolph.  La  représentation  de 
cet  ouvrage  doit  avoir  lieu  vers  la  fin  du  présent  mois  de  janvier  sur  le 
Thalia-Théàtre  de  Berlin. 

—  Le  concours  pour  un  monument  à  Richard  Wagner  vient  d'être  ouvert. 
En  même  temps,  le  comité  a  institué  un  jury  international  dans  lequel  nous 
trouvons  les  noms  de  M.  Antonin  Mercié,  le  grand  sculpteur  français,  et  de 
son  cîlèbre  confrère  belge,  M.  Van  derStappen.  On  espère  pouvoir  inaugurer 
le  monument  au  printemps  de  1903,  à  l'occasion  du  90=  anniversaire  de  la 
naissance  de  Richard  Wagner. 

—  La  nouvelle  partition  de  M.  Siegfried  Wagner  est  déjà  terminée.  Elle 
est  intitulée,  comme  nous  l'avons  annoncé,  le  Jeune  duc  étourdi  (Herzog  Wild- 
faiig).  Il  parait  que  l'éditeur,  M.  Max  Brockhaus,  de  Leipzig,  qui  a  aussi 
publié  le  Baerenhaeuter,  possède  déjà  des  exemplaires  de  la  partition  gravée  et 
du  livret,  mais  qu'il  tient  toute  l'édition  soigneusement  enfermée.  Un  jour- 
naliste de  Dresde  a  cependant  réussi  à  se  procurer  un  exemplaire  du  poème 
et  en  a  reproduit  l'argument.  Impossible  de  trouver  la  moindre  ressemblance 
entre  le  livret  de  M.  Siegfried  Wagner  et  celui  des  Mailres  chanteurs,  unique 
opéra-comique  de  son  père;  il  est  plutôt  dans  le  genre  de  ceux  que  Lortziug 
et  Nicolaï  ont  mis  en  musique.  L'action  se  passe  vers  1760  dans  la  rési- 
dence d'un  principicule  allemand,  où  le  jeune  duc  régnant  se  conduit  comme 
un  Louis  XV  au  petit  pied.  Sa  Dubarry  à  lui  est  également  bien  exigeante, 
et  le  jeune  duc,  après  avoir  fait  flèche  de  tout  bois,  eu  arrive  à  vendre 
ses  fidèles  sujets  à  l'Angleterre,  qui  a  besoin  de  soldats  pour  l'Amérique, 
absolument  comme  jadis  le  fameux  électeur  de  Hesse.  Ce  petit  commerce 
finit  par  exaspérer  les  fidèles  sujets,  qui  se  révoltent  et  chassent  le  petit  duc. 
Deux  conseillers  du  prince,  un  mauvais  et  un  bon,  entrent  en  action;  le  der- 
nier possède  une  fort  jolie  fille  à  laquelle  tout  le  monde  fait  la  cour  pour  le 
bon  motif,  même  le  duc.  Mais  la  petite  a  déjà  promis  sa  main  à  un  jeune 
voisin  qu'elle  aime  et  qui  est  absent  pour  le  moment.  Il  revient  à  temps  pour 
battre  ses  concunents  et  gagner  la  main  de  la  bien-aimée.  Le  peuple  trouve 
que  le  jeune  duc  a  du  bon  quand  il  n'est  plus  eu  puissance  de  son  mauvais 
conseiller  et  rappelle  le  père  de  la  petite  patrie.  Ce  livret  rentre  légèrement 
dans  le  domaine  de  l'opérette,  et  nous  sommes  curieux  de  voir  comment 
M.  Siegfried  Wagner  l'aura  traité  musicalement. 

—  Le  prix  annuel  de  2.000  couronnes  ofi'ert  par  la  Société  des  philharmo- 
niques de  Vienne  à  l'auteur  de  la  meilleure  œuvre  symphonique  présentée 
au  concours,  a  élé  attribué  à  M.  Franz  Schmidt,  artiste  appartenant  à  l'or- 
chestre de  l'Opéra  impérial.  Les  concurrents  étaient  au  nombre  de  sept. 

—  .tohann  Strauss  III  a  été  chargé  de  la  musique  de  danse  aux  bals  de  la 
cour  de  Vienne  pendant  ce  carnaval.  Il  a  ainsi  beaucoup  de  chance   de   suc- 


céder à  son  oncle  Johann  Strauss  II  dans  la  charge  de  directeur  de  la  mu- 
sique de  danse  à  la  Cour  d'Autriche,  charge  dont  l'auteur  du  Beau  Danube 
bleu  avait  jadis  hérité  de  son  père. 

—  L'intendant  des  théâtres  royaux  de  Munich,  M.  de  Possart,  vient  de 
faire  une  conférence  sur  le  nouveau  théâtre  du  prince-régent,  construit, 
comme  on  sait,  selon  le  plan  du  théâtre  de  Bayreuth.  Ce  nouveau  théâtre 
sera  inauguré  le  20  août  1901;  il  donnera  en  été  une  vingtaine  de  représen- 
tations modèles  du  répertoire  de  Richard  Wagaer.  Dans  les  années  où  l'on 
jouera  à  Bayreuth,  le  théâtre  du  prince  régent  s'abstiendra  de  représenter  les 
œuvres  choisies  par  la  ville  franconienne,  afin  de  ne  pas  faire  une  concur- 
rence déloyale  à  celui  du  maitre.  En  dehors  de  cette  exception,  le  théâtre  du 
prince  régent  jouera  toutes  les  œuvres  de  Wagner,  hormis  Parsifàl. 

—  Encore  un  opéra  en  un  acte  en  Allemagne  I  Le  théâtre  royal  de  Munich 
vient  de  jouer  Noël,  drame  lyrique,  paroles  d'après  M.  Righetti,  musique  de 
M.  Alberto  Gentili.  Le  public  a  fait  un  assez  bon  accueil  à  cette  petite 
œuvre,  mais  la  critique  la  traite  fort  mal  et  dit  qu'elle  ne  serait  jamais 
arrivée  à  l'honneur  d'être  j  ,uée  à  l'opéra  de  Munich  si  elle  n'était  dédiée  au 
prince  Louis-Ferdinand  de  Bavière,  lui-même  grand  dilettante  et  composi- 
teur à  ses  heures.  M.  Gentili  est  italien  de  nationalité  et  n'a  que  2G  ans;  il  a 
été  élève  de  M.  Martucci. 

—  Le  conseil  municipal  de  Nuremberg  vient  de  décliner  la  proposition 
que  lui  faisait  la  communauté  catholique  de  cette  ville  d'acheter  l'église 
Sainte- Catherine  pour  la  rendre  au  culte.  Actuellement,  cette  église, 
devenue  célèbre  dans  le  monde  entier  par  le  premier  acte  des  Maîtres  Chan- 
teurs et  que  les  peintres  décorateurs  ont  partout  reproduite  avec  une  exacti- 
tude remarquable,  ne  sert  plus  au  culte  depuis  longlemps.  Récemment,  le 
conseil  municipal  de  Nuremberg  a  fait  restiurer  cette  jolie  église  et  a  décidé 
d'y  conserver  les  objets  d'art  que  la  ville  possède;  elle  deviendra  ainsi  un 
musée  comme  la  chapelle  Saint-Maurice,  qui  abrite  la  petite  mais  fort  inté- 
ressante collection  de  tableaux  qui  appartiennent  à  la  ville.  On  a  aussi  l'in- 
tention à  Nuremberg  d'ériger  dans  l'église  Sainte-Catherine  un  monument  à 
Hans  Sachs,  et  le  conseil  municipal  est  déjà  saisi  du  projet. 

—  Grand  succès  au  théâtre  grand-ducal  de  Darmstadt  pour  Mignon  avec 
Mme  Arnoldson  comme  protagoniste.  On  lui  a  bissé  le  duo  des  Hirondelles, 
la  romance  :  Connais-tu  ?...  et  la  Styrienne.  Après  la  représentation,  le  grand- 
duc  a  remis  en  personne  à  l'artiste  le  diplôme  lui  conférant  le  titre  de  can- 
tatrice de  chambre,  distinction  excessivement  rare. 

—  Une  revue  de  Hambourg  raconte  une  jolie  histoire  sur  Brahms.  Vers 
1870  l'artiste  avait  l'habitude  de  prendre  son  souper  à  la  viennoise  avec 
quelques  amis  au  petit  restaurant  de  «  la  belle  Lanterne  »  ;  une  table  lui 
était  toujours  réservée.  En  arrivant  un  soir  à  son  restaurant,  l'artiste  y  trouva 
un  giand  remue-ménage;  une  chanteuse  de  café-concert  qui  jouissait  à  cette 
époque  d'une  vogue  énorme,  la  belle  Fiaker-Milli,  donnait  une  soirée  à  ses 
amis.  Brahms,  de  fort  méchante  humeur,  faisait  déjà  mine  de  partir,  lorsque 
le  propriétaire  de  l'établissement  s'approcha  pour  lui  dire  que  la  Fiaker-Milli 
avait  ordonné  de  respecter  sa  table  et  qu'elle  lui  était  réservée  comme  à 
l'ordinaire.  Cette  attention  fut  loin  de  déplaire  à  l'artiste,  qui  observait  avec 
plaisir  la  gaieté  exubérante  de  la  Fiaker-Milli  et  de  ses  invités,  modistes, 
blanchisseuses,  cochers  de  fiacre  et  autres  dames  et  seigneurs  de  même 
importance.  Le  souper  de  la  société  était  terminé  et  on  attendait  le  pianiste 
ordinaire  de  la  chanteuse  pour  danser  la  première  valse,  lorsqu'un  messager 
arriva  annonçant  que  ledit  pianiste  était  tombé  malade  et  ne  pouvait  pas  venir. 
Impossible  de  trouver  un  remplaçant  parmi  les  invités,  et  la  tristesse  était 
grande.  La  Fiaker-Milli  se  risqua  d'aller  demander  à  Brahms  l'exécution 
d'une  valse  et  s'approcha  de  l'artiste  à  la  tète  d'une  théorie  déjeunes  et  jolies 
filles.  Sans  proférer  un  mot,  Brahms  ouvrit  le  piano  et  se  mit  à  jouer  une 
danse  de  son  ami  Johann  Strauss  avec  un  brio  extraordinaire.  Pendant  trois 
heures  les  valses,  polkas,  mazurkas  et  quadrilles  se  succédèrent  rapidement; 
Brahms  jouait  avec  un  entrain  admirable.  Mais  il  faut  dire  qu'après  la  pre- 
mière valse  la  Fiaker-Milli  Tavait  récompensé  en  l'embrassant  trois  fois,  et 
qu'après  chacune  des  danses  suivantes,  l'une  des  jolies  filles  s'était  approchée 
pour  lui  rendre  le  même  hommage.  Brahms  était  ravi  et  déclarait  qu'il 
s'était  amusé  comme  un  roi. 

—  Télégramme  de  Turin  :  «  Véritable  triomphe  pour  Cendrillon  au  théâtre 
royal.  L'œuvre  de  Massenet,  que  nous  venons  d'entendre  pour  la  première 
fois,  a  enthousiasmé  l'auditoire  tout  entier  :  rappels  innombrables  après 
chaque  acte  et  plusieurs  bis.  M°"=  Bel  Sorel  et  Toresella  ont  été  couvertes 
d'applaudissements  et  fleuries  à  souhait.  Excellente  direction  par  le  vaillant 
chef  d'orchestre  Ferrari  ;  mise  en  scène  ravissante  et  somptueuse  (sfarzosa).  s> 

—  M.  Antoine  Smaregha  est  en  train  de  terminer  un  opéra  intitulé  Océana, 
qui  doit  être  joué  à  Venise  au  printemps.  Le  compositeur  souffre  toujours 
d'une  grave  maladie  d'yeux  et  est  obligé  de  dicter  sa  partition,  ce  qui  lui 
cause  naturellement  une  grande  perte  de  temps. 

—  On  signale  à  Naples  l'apparition  d'un  nouveau  recueil  artistique,  la 
Rivista  teatrale  itatiana  d'arte  lirica  e  drammatica,  qui  vient  de  lancer  son  pre- 
mier numéro.  Ce  journal  est  publié  par  les  soins  d'une  Société  en  comman- 
dite formée  par  les  amateurs  de  l'art  théâtral. 

—  Grand  succès  à  Mantoue  pour  la  Manon  de  Massenet.  Los  protagonistes, 
M"*  Trapani  et  M.  AUemani,  ont  été  acclamés  et  ont  dû  bisser  le  duo  à 
Saint-Sulpice. 


LE  MENESTREL 


—  Nouvelles  zarzuelas  à  Madrid.  Au  théâtre  Eslava,  Sandias  y  iiKlones, 
paroles  de  il.  Arniches,  musique  de  M.  Eladio  Montero,  à  qui  l'on  reproche 
trop  de  modestie,  parce  qu'il  se  refuse  toujours  à  paraître  sur  la  scène  lors- 
qu'on l'applaudit  ;  les  compositeurs  italiens  devraient  bien  suivre  cet  exemple. 
—  Los  Estudiantes,  ■paroles  de  M.  MichelEchegaray,  musique  de  M.  Fernandez 
Gàballero,  dont  le  succès  a  été  mince,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  ces  paroles  de 
la  Espana  artislka,  qui  déclare  qu'elle  n'en  parlera  pas  «  par  respect  pour 
réminent  et  vétéran  Gàballero  et  par  considération  pour  D.  Miguel  Echega- 
ray.  »  —  La  Motinera,  livret  «  en  prose  et  trivial  à  l'extrême  »,  de  MM.  Mo- 
rales del  Campo  et  Soriano,  musique  de  M.  Ghalons.  —  Enfin,  la  Ditmmita, 
qui  n'est  que  la  refonte  en  un  acte  d'un  ouvrage  précédemment  représenté 
sous  le  titre  de  El  Grito  del  pueblo,  paroles  de  M.  Salvador  Maria  Granés, 
musique  de  M.  Cereceda. 

—  Une  vente  assez  importante  d'instruments  des  anciennes  écoles  ita- 
liennes a  eu  lieu  récemment  à  Londres  et  avait  attiré  un  certain  nombre 
d'amateurs.  Deux  violons  de  Gian-Battista  Guadagnini  ont  été  vendus  res- 
pectivement 1  i.o  et  13b  livres  sterling  (3.623  et  3.873  francs).  Gian-Battista 
Guadagnini,  fils  et  élève  de  son  père,  qui  avait  été  lui-même  élève  de  Stradi- 
varius, était  un  luthier  de  talent,  qui  fît  honneur  à  l'école  de  Grémone.  On  a 
payé  400  livres  (10000  francs)  un  violoncelle  de  Ferdinando  Gagliano,  petit - 
fils  d'Alessandro  Gagliano,  qui  fut  le  fondateur  de  l'école  de  Naples.  Enfin, 
un  violoncelle  de  Giovanni  Battista  Rugeri  a  trouvé  acquéreur  à  36  livres, 
soit  1.400  francs.  Rugeri,  qui  travailla  à  Grémone  depuis  1670  jusqu'au  com- 
mencement du  dix-huitième  siècle,  avait  été  l'un  des  bons  élèves  de  Nicolas 
Amati. 

—  Nous  apprenons  de  Londres  que  M"^  Patti  serait  sur  le  point  de  vendre 
sa  magnifique  propriété  de  Craig^y-Nos  au  prix  de  quatre  millions  de 
francs  environ,  pour  aller  se  fixer  en  Suède,  la  patrie  de  son  troisième  mari, 
le  baron  de  Cederstroem.  Nous  enregistrons  cette  nouvelle  sous  toutes 
réserves,  car  le  climat  de  la  Suède  est  bien  rigoureux  pour  un  rossignol  qui 
n'a  pas  encore  renoncé  à  l'exploitation  de  «es  vocalises. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Quelques  promotions  et  mutations  dans  le  haut  personnel  du  service  des 
théâtres  au  ministère  des  beaux-arts  : 

M.  Adrien  Bernheim,  commissaire  du  gouvernement  près  les  théâtres 
subventionnés,  prend  rang  d'inspecteur  général,  tout  eu  conservant  les  impor- 
tantes fonctions  où  il  s'est  signalé  jusqu'ici. 

L'aimable  chef  du  bureau  des  théâtres,  M.  Des  Ghapelles,  a  demandé  à 
prendre  sa  retraite  après  trente-cinq  années  de  remarquables  services.  C'est 
une  perte  qui  sera  vivement  ressentie  par  tous  ceux  qui  eurent  affaire  avec 
ce  fonctionnaire  gentilhomme,  si  plein  de  tact  et  d'obligeance,  et  comme  on 
en  rencontre  peu  par  les  temps  démocratiques  où  nous  vivons.  Il  aura  pour 
successeur  M.  d'Estournelles,  qui  était  chef  du  bureau  de  la  comptabilité. 

Enfin  M.  Oudinot,  sous-chef  des  théâtres,  étant  nommé  inspecteur  général 
des  palais  nationaux,  est  remplacé  dans  ses  premières  fonctions  par  M.  Du- 
montier. 

—  A  l'Opéra,  on  a  commencé  les  premières  lectures  à  l'orchestre  de  la 
partition  à'Astarlé  de  M.  Xavier  Leroux,  dont  la  direction  voudrait  donner  la 
première  représentation  vers  la  fin  du  mois. 

—  A  rOpéra-Gomique,  on  va  reprendre  dès  cette  semaine  Fidelio  avec 
M">°  Raunay.  Au  tableau  des  études  figure 'également  l'/p/ugénie  de  Gluck, 
toujours  pour  la  belle  artiste. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  les  Dragons  de 
Villars,  le  Maître  de  Chapelle  ;  en  soirée,  la  Vie  de  Bohème,  Phœbé. 

—  M.  Gustave  Charpentier  a  quitté  Paris  vendredi  pour  se  rendre  à  Alger, 
où  il  va  surveiller  les  dernières  études  de  Louise,  qu'on  compte  donner  le 
14  de-ce  mois.  Alger  sera  donc  la  première  ville,  après  Pai'is,  à  monter 
l'œuvre  nouvelle.  Après  Alger,  l'heureux  auteur  traversera  hâtivement  Paris 
pour  se  rendre  à  Bruxelles,  où  on  l'attend  également  pour  ioîfise,  et  delà,  tou- 
jours dans  le  même  but,  il  ira  successivement  à  Lille,  Marseille  et  Nice,  où 
il  a  promis  de  se  rendre  à  des  dates  déjà  fixées,  et  tout  cela  sans  compter 
Milan,  Nîmes,  Budapest  et  d'autres  villes  qui  n'ont  point  encore  absolument 
arrêté  les  dates  auxquelles  elles  joueront. 

—  Spectacles  de  la  semaine  prochaine,  à  l'Opéra-Populaire  :  lundi,  Paul  et 
Virginie;  mardi,  Zampa;  mercredi,  la  Traviata;  jeudi,  Paul  et  Virginie; 
vendredi,  la  Traviata  ;  samedi,  la  Reine  de  Saba  ;  dimanche  ;  matinée,  Paul  et 
Virginie;  soirée,  la  Traviata. 

—  Le  vaillant  petit  cercle  des  Escholiers,  cette  poignée  d'amateurs  de 
théâtre  qui  pourrait  en  remontrer  à  plus  d'mi  de  nos  directeurs  de  grandes 
scènes  régulières,  vient  de  faire  représenter  dans  la  salle  du  Nouveau- 
Théâtre,  et  très  bien  représenter,  une  pièce  inédite  de  M.  Romain  Rolland, 
dont  le  titre  seul,  Danton,  dit  suffisamment  le  sujet.  Si  l'oeuvre  nous  apparaît 
dans  son  ensemble  de  tendances  mauvaises,  en  ce  qu'elle  est  susceptible  de 
déchaîner,  parmi  des  spectateurs  populaires,  des  discussions  malsaines  et 
haineuses,  —  encore  qu'il  soit  assez  difficile  de  dire  exactement  de  quel  côté 
se  porte  l'auteur  —  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  sauf  peut-être  en  son 
deuxième  acte  un  peu  traînant,  elle  s'affirme  de  très  grand  intérêt,  de  faire 
tout  à  fait  adroit  et  de  belle  ardeur  juvénile.  Et  il  ne  faut  pas  seulement  féli- 
citer les  Escholiers  du  souci  avec  lequel  ils  cherchent  le  «  nouveau  »,  mais 
encore  des  efforts  très  grands  qu'ils  dépensent  sans  compter  pour  mener  à' 


bien  ce  qu'ils  entreprennent.  Danton  a  été  donné  avec  un  soin  de  mise  eu 
scène  et  une  recherche  de  distribution  tout  à  fait  louables.  M.  Henry  Perrin 
absolument  étonnant  de  masque,  d'allure  et  d'organe  en  Danton,  M.  Burguet 
excellent  eu  Robespierre,  M.  iPaul  Capellani  ^passant  avec  justesse  de  la 
fougue  ardente  à  l'abattement  pusillanime  de  Gamille  Desmoulins,  M.  Sé- 
ruzier  un  Yadier  cauteleux  et  fielleux,  sont  à, la  tète  d'une  très  bonne  inter- 
prétation où  se  font  encore  remarquer  U"'^  Marie  Marcilly,  Fontaine, 
MM.  Baner-Valin,  Carlo.  Lamothe  et  Schneider.  —  Le  spectacle  avait  com- 
mencé par  un  petit  acte  de  psychologie  amoureuse  dû  à  M"»  Paule  Evian, 
une  gentille  artiste  et  une  femme  charmante,  qui  n'a  point  hésité  à  être  sa 
séduisante  interprète  en  cette  menue  histoire,  plutôt  aimable,  d'une  rupture 
pour  rire.  M.  VaUières  donne  agréablement  la  réplique  à  M"''  Paule  Evian 
dans  cette  Indécision,  que  l'auteur  aura  vraisemblablement  souvent  l'occasion 
de  jouer  dans  les  salons.  Pall-Émiie  Chev/Vlier. 

—  M.  Charles  Malherbe,  bibliothécaire  de  l'Opéra,  qui  vient  de  doter  notre 
Académie  nationale  de  musique  d'une  collection  d'autographes  musicaux 
unique  au  monde,  tout  simplement  en  demandant  ces  autographes  aux  com- 
positeurs célèbres  —  et  plus  de  huit  cents  se  sont  empressés  de  répondre  à 
cet  appel  —  ouvre  aujourd'hui  une  nouvelle  série  de  documents.  C'est  aux 
artistes  lyriques  cette  fois  qu'il  s'adresse.  On  sollicite  leur  photographie  ;  ils 
sont  libres  d'y  joindre  quelque  pensée,  et  même  une  notice  sur  leur  carrière 
théâtrale.  Ces  envois  d'artistes  français  et  étrangers  seront  exposés  à  la 
bibliothèque  de  l'Opéra,  dans  les  mêmes  vitrines  où  l'on  voit  aujourd'hui  les 
autographes  musicaux. 

—  La  question  des  chapeaux  féminins  au  théâtre,  qui  a  pris  depuis  quelques 
années  un  caractère  si  aigu,  n'est  pas  aussi  nouvelle  qu'on  pourrait  le  croire, 
non  plus  que  celle  des  marchands  de  billets,  qui,  elle  aussi,  préoccupe. le 
public.  On  n'a,  pour  s'en  rendre  compte,  qu'à  lire  cette  lettre  que  le  lieutenant 
de  police  Lenoir  adressait  sur  ce  double  sujet,  il  y  a  juste  cent  dix-sept  ans, 
aux  artistes  sociétaires  de  la  Comédie-Italienne.  On  y  verra  que  les  choses 
n'ont  guère  changé  depuis  lors: 

A  Paris,  le  6«  janvier  1784. 

Malgré  l'avertissement  porté  dans  le  Journal  de  Paris  au  moment  de  l'ouverture  du 
Théâtre-Italien,  messieurs,  et  même  des  delfenses  qui  ont  été  faites  depuis,  on  voit  jour- 
nellement à  Forohestre  des  femmes  dont  les  coefîures  et  chapeaux,  chargés  de  plumes,  de 
rubans  et  de  fleurs,  et  d'une  étendue  considérable,  interceptent  la  vue  des  spectateurs  au 
parterre  et  donnent  lieu  à  des  plaintes  qu'il  importe  de  faire  cesser  promptement.  Vous 
voudrés  donc  bien  dorénavant  faire  refuser  l'entrée  de  l'orchestre  à  toutes  celles  qui  contre- 
viendront aux  deffenses  qu'elles  ne  peuvent  méconnaître  et  dont  plusieurs  ont  reçu  nouvel 
avertissement  il  y  a  plus  de  quinze  Jours,  Pour  éviter  tout  éclat,  vous  aurés  soin  de  les 
faire  prévenir  encore;  mais  dés  à  présent,  bien  informés  que  la  consigne  a  été  donnée  à 
la  garde  française,  et  que  j'ai.  <l6  mon  côté,  donné  des  ordres  à  l'offii'i'T  do  police,  vous 
voudrés  liien  y  l'aire  tenir  la  main  et  ordonner  aux  personnes  chargées  d'ouvrir  les  portes 
de  n'y  laisser  entrer  dans  l'orehesti-e  que  les  femmes  dont  les  coelTiires  ne  gêneront 
aucunemenl  la  vue  des  spectateurs,  autrement  qu'elles  seront  renvoyées  à  se  placer  de 
manière  qu'elles  ne  puissent  nuire  au  coup  d'œil  du  spectacle.  Vous  devés  sçavoir  qu'à 
l'Opéra  on  ne  souffre  dans  l'amphitéâtre  aucuns  chapeaux  ni  grands  bonnets,  et  qu'à  la 
Comédie-Françoise  il  n'entre  aucune  femme  dans  l'orchestre.  II  faudra  recourir  à  un 
pareil  moyen  si  on  ne  parvient  -pas  autrement  à  faire  cesser  un  abus  dont  le  public  se 
plaint  avec  raison. 

Je  suis  instruit  que,  par  suite  des  billets  qui  se  distribuent  aux  acteurs  et  actrices,  dan- 
seurs et  danseuses,  il  s'ensuit  un  trafic  par  les  mains  de  domestiques  savoyards  et  par 
l'entremise  des  garçons  de  cafTés,  à  qui  on  les  donne  en  paiement  et  qui  les  revendent.  Ces 
manœuvres  sont  honteuses  et  sûrement  désapprouvées.  Peut-être,  pour  y  mettre  ordre, 
serait-il  nécessaire  de  faire  cesser  l'usage  de  donner  chaque  jour  des  billels  aux  acteurs, 
actrices,  etc,  Mais  auparavant  d'employer  les  moyens  que  je  croirai  nécessaires,  je  désire 
que  vous  me  proposiez  très  incessamment  ceux  que  vous  croirez  plus  capables  de  réprimer 
un  pareil  désordre. 

Je  suis,  messieurs,  entièrement  à  vous, 

I.EN0IB, 

î\Iessieurs  les  comédiens  du  Théâtre-Italien, 

—  Il  ne  faudrait  pas  croire  que  les- musiciens  sont  tellement  absorbés  par 
le  culte  de  leur  art  qu'ils  se  désintéi'essent  des  progrès  scientifiques.  Témoin 
la  double  nouvelle  qui  nous  est  transmise  par  un  de  nos  confrères,  le  Musical 
News.  Celui-ci  nous  apprend,  d'une  part,  que  le  violoniste  Hofmann  vient 
d'imaginer  une  automobile  à  moteur  électrique  qu'il  a  fait  construire  à  ses 
frais  et  dont  on  dit  merveille,  et-,  d'autre  part,  que  le  fameux  pianiste  Sieve- 
kinga  inventé  une  machine  volante  qu'il  a  l'intention  de  soumettre  prochai- 
nement à  l'examen  d'un  jury  d'ingénieurs. 

—  Connaissez-vous  les  Mille  et  une  Nuits?  connaissez-vous  les  Contes  fantas- 
tiques d'Hoffmann?  connaissez-vous  les  Histoires  extraordinaires  d'Edgar  Poê? 
connaissez-vous  les  Soirées  de  l'orchestre  d'Hector  Berhoz?  Il  y  a  un  peu  de 
tout  cela  dans  le  gentil  petit  volume  que  M.  Laurent  de  RiUé,  qui  est  un 
malin,  vient  de  publier  sous  ce  titre  h  l'apparence  énigro atique  :  la  Nuit  de 
Zumarraga,  pour  piquer  par  avance  la  curiosité  du  lecteur  (Paris,  OllendorlT, 
in-12).  Ce  petit  livre  forme  un  recueil  d'une  quinzaine  de  contes,  les  uns 
fantastiques,  d'autres  humoristiques,  ceux-ci  naïfs  (oh!  non,  pas  naïfs,  ceux 
qui  connaissent  l'auteur  ne  me  croiraient  pas),  ceux-là  presque  politiques, 
tous  aimables,  rapides,  écrits  d'une  plume  alerte  et  vive,  et  se  faisant  lire 
avec  intérêt  et  curiosité.  Comme  j'ai  été  naguère  le  parrain  de  l'un  d'eux, 
je  les  recommande  tous  à  l'attention  de  ceux  qui  voudront  passer  en  leur 
compagnie  une  soirée  agréable.  Il  va  sans  dire  qu'il  y  en  a  là-dedans 
quelques-uns  dont  la  musique  fait  les  frais  :  tels  la  Harpe  de  David,  la  Flûte 
de  Pan,  le  Piano  de  Mab,  etc.,  et  il  serait  beau  de  voir  un  compositeur  qui 
ne  s'occuperait  pas  de  musique  même  en  faisant  de  la  littérature  !  Il  y  en  a 
d'autres  qui  sont  de  simples  contes  de  fées,  comme  l'Ane,  la  Pioche  d'argent, 


LE  MENESTREL 


Hamreh....  D'ailleurs  point  de  symboles,  point  d'obscurités,  point  d'études 
psychiques,  physiologiques,  psychologiques  ou  autres  choses  en  iques.  IMais 
des  récits  lestes,  pimpants,  vivaces,  qui  n'ont  d'autre  prétention  que  de 
distraire,  de  charmer,  et  d'amuser  —  et  qui  y  réussissent.  C'est  assurément 
tout  ce  que  l'auteur  et  le  lecteur  peuvent  désirer.  A.  P. 

—  Je  suis  un  peu  en  retard  pour  annoncer  la  publication  du  2=  Supplément 
au  Catalogue  du  Musée  du  Conservatoire  national  de  musique,  qui  a  paru  à  la 
librairie  Fischbacher,  mais  il  n'est  jamais  trop  tard  pour  bien  faire,  surtout 
quand  il  s'agit  de  choses  utiles.  Ce  2«  Supplément  est  rédigé,  comme  le  i", 
publié  eu  1894,  par  M.  Léon  Pillant,  l'excellent  conservateur  du  Musée.  Nous 
apprenons  par  lui  que  celui-ci  se  maintient  en  excellent  état,  et  qu'Une  cesse 
de  s'enrichir,  puisque  l'ensemble  du  Catalogue  comprend  aujourd'hui  près  de 
1.500  numéros,  exactement  1.463.  Le  Musée  instrumental  du  Conservatoire 
reste  donc  l'un  des  premiers  de  son  genre  en  Europe.  Le  malheur  est  que 
comme  la  Bibliothèque,  comme  le  Conservatoire  lui-même,  il  est  trop  à  l'étroit, 
trop  resserré,  que  ses  richesses  y  sont  trop  entassées,  sans  qu'on  leur  puisse 
donner  l'air  et  l'espace  nécessaires.  Quand  donc  nos  ministères  consentiront- 
ils  enfin  à  s'entendre  pour  le  transfert  et  la  réédification  du  Conservatoire, 
ce  Conservatoire  digne  d'Augias  et  qui  est  une  honte  pour  la  France  ? 

A.  P. 

—  M.  Albert  Soubies  vient  de  publier,  à  la  librairie  Flammarion,  le 
28«  volume  de  son  Almanach  des  Spectacles.  Ce  joli  volume,  à  l'aspect  pim- 
pant et  plein  d'élégance,  comme  les  précédents,  est,  comme  eux  aussi,  orné 
d'une  charmante  eau-forte  de  Ml  Lalauze.  L'éloge  n'est  plus  à  faire  de  cette 
utile  publication,  devenue  en  quelque  sorte  classique,  si  fertile  en  renseigne- 
ments, et  qui  nous  donne  chaque  année  le  résumé  exact  et  fidèle  des  travaux 
de  tous  nos  théâtres. 

—  Vient  de  paraître,  à  la  librairie  OUendorff,  la  vinfçt-cinquième  année 
des  Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musique  de  notre  distingué  confrère  Edmond 
StouUig.  Ou  connaît  la  réelle  valeur  de  cette  très  intéressante  publication, 
et  on  sait  la  considération  dont  elle  jouit  si  justement  dans  le  monde  qui 
s'occupe  des  choses  du  théâtre.  Le  nouveau  volume  s'ouvre  par  une  spirituelle 
et  mordante  préface,  le  Prix  Monbinne,  signée  de  M'.  Albert  Carré,  directeur 
de  rOpéra-Comique. 

—  Les  meilleurs  artistes  de  l'Opéra,  de  la  Comédie-Française,  de  l'Opéra- 
Comique,  de  l'Odéon,  etc.,  et  des  principaux  cabarets  parisiens  donneront 
le  1"'  février,  à  la  Renaissance,  une  représentation  extraordinaire  au  bénéfice 
de  M°"=  Camille  Bias,  la  doyenne  de  nos  nouvellistes  et  de  nos  romancières. 
M"=  Florence  Gromier,  3b,  rue  de  Bellefond,  et  M.  Alfred-H'eni7  Rossi,  26, 
rue  Washington,  organisent  cette  œuvre  de  solidarité  littéraire  et  artistique. 

—  L'aimable  ville  d'Arbois  (Jura),  célèbre  par  son  joli  petit  vin  blanc,  aussi 
traître  qu'il  est  e.xcellent,  est  en  train  d'acquérir  un  autre  genre  de  notoriété. 
Parmi  les  récents  décrets  promulgués  le  !>"'  jauvier  et  autorisant  diverses 
villes  à  percevoir  des  taxes  en  remplacement  des  droits  d'octroi  sur  les  bois- 
sons hygiéniques,  nous  remarquons'  ladite  ville  d'Arbois,  qui  remplace  ces 
droits  par...  une  taxe  de  10  francs  sur  les  pianos.  MM.  les  conseillers  muni- 
cipaux d'Arbois  n'ont  donc  point  de  filles?  ou,  s'ils  en  ont,  elles  ne  jouent 
donc  pas  de  piano  ?  car  en  ce  cas.  ils  ne  se  seraient  certainement  pas  taxés 
eux-mêmes;  on  ne  tire  pas  comme  ça  sur  ses  troupes.  De  toute  façon,  on 
peut  dire  de  ces  braves  conseillers  qu'ils  ne  sont  que  médiocrement  mélo- 
manes. 

—  Dimanche  dernier,  dans  la  chapelle  du  château  de  Versailles,  nous  avons 
entendu  un  charmant  noël  de  M.  Derivis;  les  chœurs  étaient  chantés  par  les 
élèves  du  distingué  professeur,  les  soli  par  M"«*  Genicoud  et  Caron.  \Ja  Panis 
angelicus  de  M.  Th.  Dubois,  largement  interprété  par  M"»  Louise  Genicoud, 
belle  voix  et  beau  style,, a  produit  le  meilleur  effet. 


—  De  Nimes  :  Très  grand  succès  remporté  par  Cendrillon,  dont  on  vient  de 
donner  la  première  représentation;  succès  dû  d'abord  à  l'admirable  musique 
dont  M.  Massenet  a  enveloppé  le  poème  de  M.  Henri  Cain,  et  ensuite  aux 
soins  minutieux  apportés  par  le  directeur,  M.  Valcourt,  aidé  de  son  régisseur, 
M.  Plain,  par  tous  les  artistes.  M"™  Frémont,  Faure,  Darloff,  Privât, 
MM.  Gaspard,  Rouard,  et  par  l'excellent  chef  d'orchestre,  M.  Tartanac,  pour 
conduire  l'œuvre  charmante  à.  la  victoire.  —  On  va  s'occuper  maintenant  de 
la  Louise  de  M.  Gustave  Charpentier,  qui  sera  l'autre  nouveauté  sensation- 
nelle de  la  saison., 

—  De  Chàlons-sur-Màrne  :  La  Société  amicale  des  Alsaciens-Lorrains  vient 
de  donner,  pour  sa  tête  de  l'Arbre  de.  Noël,  une  très  bonne  audition  de  la 
Terre  promise,  le  nouveau  drame  biblique  de  M.  J.  Massenet.  Très  bonne 
exécution  sous  la  vaillante  direction  de  M.  Félix  Huet  et  si  gros  succès  qu'il 
est  question  de  redonner  tout  prochainement  une  seconde  audition. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Le  sympathique  professeur  et  compositeur  M.  Charles 
René  a.  consacré  une  des  séances  du  cours  supérieur  d3  piano  qu'il  dirige  à  la  salle  Rudy 
à  l'audition,  par  ses  brillantes  élèves,  de  la  collection  complète  des  Études  de  Théodore 
Lack.  Professeur  et  élèves  ont'  été  très  chaleureusement  compfimentés  par  l'auteur,  pré- 
sent à  cette  intéressante  et  très  pianistique  séance.  —  Une  intéressante  audition  d'élèves 
consacrée  à  Schumann  vient  diavoir  lieu  au  cours  Sauvi-ezis.  On  y  a  applaudi  les  tout 
petits  et  aussi  des  élèves  doués  déjà  de  qualités  de  style.  Une  brèie  notice  sur  Schumann 
complétait  cette  séance  liistoriqne;  —  Ctiez  M"'  Huet,  bonne  audition  d'élèveS'  de  la 
Société  de  musique  d'ensemble;  on  applaudit  celle-ci  dans  les  Norvégiennes  de  Delîbes  et 
dans  des  fragments  de  Marie  Magdeleine  de  Massenet;  le  solo  confié  à,  JP'"  Rousseau.  On 
remarqua  aussi  justement  M.  Simon  dans  l'air  à^Hérodiade  de  Massenet,  M"""  Musy  et 
M.  Simon  dans  le  duo  d'Bamlet  d'Ambroise  Tiiomas,  M'""  Musy  dans  un  air  de  Manon  et 
dans  un  air  d'Héi-odicule  de  Massenet,  M™^  de  Kaaz  dans  Élégie  et  Noël  pdien  de  Massenet 
et  M.  d'Einbrodt  dans  une  pièce  pour  violoncelle,  également  de  Massenet.  —  Jeudi  der- 
nier brillante  matinée  chez  M""  Marie  Roze,  qui  faisait  entendre  ses  élèves.  La  célèbre 
artiste,  qui  doit  donner  prochainement  en  Ecosse  une  série  de  18  concerts,  n'abandonnera 
que  très  momentanément  ses  cours.  Parmi  les  nombreuses  élèves  qui  se  sont  fait  entendre, 
nous  citerons  W"  iMac  Kaye,  qui  a  chanté  les  Stances  de  Sapho  de  Gounod  avec  un  senti- 
ment profond  et  une  diction  parfaite,  ainsi  qu'une  charmante  berceuse  de  M.  Rosen,  qui 
l'accompagnait  au  piano;  M""  de  Laforcade,  qui  a  dit  avec  un  charme  infini  le  duo  de 
Xavière  de  Théodore  Dubois  avec  le  ténor  Ducot;  Miss  Taber,  qui  a  fort  bien  chanté  l'air 
de  Guillaume  Tell  «  Sombres  forets  »;  cette  jeune  fiUe  fait  de  grands  progrès.  M.  Martin, 
qui  a  chanté  Pair  du  Roi  Jean  de  Saint-Saëns,  a  une  voix  de  basse  superbe.  A  côté  de 
lui  JL  Xavier  de  Laforcade,  jeune  baryton  de  17  ans,  s'est  fait  applaudir  en  chantant 
a  le  Veau  d'or  »  de  Faust.  M"'^^  Breu  et  Amanry,  toutes  deux  douées  de  belles  voix  de 
contralto,  ont  obtenu  un  grand  succès,  l'une  dans  des  mélodies  de  Schumann  et  l'autre 
dans  l'air  de  Méala  de  Paul  et  Virginie.  M"^*Gregory,  Picot  Gueiyesse,  d'Aoglas,  Cartaux, 
ont  fait  apprécier  des  qualités  et  une  méthode  parfaite.  Le  ténor  Ducot,  très  en'  progrès, 
a  chanté  l'air  de  la  Walkyrie.  Pour  finir,  M"^'  Lyon  a  produit  une  profonde  impression 
en  disant  la  Fille  du  timbalier  de  Victor  Hugo . 

—  Cours  et  Leçons.  —  Au  cours  Sauvrezis,  44,  rue  de  la  Pompe,  étude  historique  de 
la  sonate,  du  XVIP  siècle  à  nos  jours.  Une  série  de  six  séances  par  abonnement  commen- 
cera le  19  janviei"  à  4  h.  1/4  :  sonates  pour  piano  et  violon  par  M""  Alice  Sauvrezis  et 
M.  Armand  Parent;  notices  analytiques.  Intermèdes  de  musique  vocale  par  M""*  Marie 
Mockel,  M""  Yvonne  Borghez,  Joly  de laMare,Raulin,  Sandre,  GaëtaneV'icq,  MM.Challet, 
Dantu,  Mazalbert. 

'nécrologie 

Nous  annonçons  avec  regret  la  mort,  à  l'âge  de  bO  ans  environ,  d'un  aimable 
écrivain,  M.  Auguste  Baluffe,  qui  avait  compté  accidentellement  au  nombre 
des  collaborateurs  du  Ménestrel.  Il  avait  dirigé  pendant  plusieurs  années 
l'Artiste,  fondé  naguère  par  Arsène  Houssaye,  mais  s'était  surtout  fait 
connaître  par  un  certain  nombre  de  travaux  sur  Molière,  dont  plusieurs 
avaient  été  réunis  par  lui  en  un  volume  intitulé  Autour  de  Molière  (Paris,  Pion, 
1889,  in-12).  M.  Baluffe  est  mort  ces  jours  derniers  à  Montpellier. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Pour  paraître  prochainement  AU   MÉNESTREL  (tirage  limité) 

LE  CONSERVATOIRE  NATIONAL  DE  MUSIQUE  ET  DE  DÉCLAMATION 

—  DOCUMENTS  HISTORIQUES  &  ADMINISTRATIFS  — 

Recueillis ,   établis   ou  rédigés 

P.VR 

Sous-chef  du  Secrétariat,  lauréat  de  l'Imlitut. 
Un   fort   volume   în.-4'>   carré   de    1060    pages,   iJut>né   par*  l'Impr-imene   nationale. 


DOCUMENTS    HISTORIQUES 

I.  L'Ecole   royale   de  chant,   1784-1793;  —  II.   L'École   royale   dramatique,  1786-1789;  —  III.  La  musique  et   l'École  de  la  garde  nationale,  1789-1790; 
IV.  L'Institut  national  de  musique,  1793-1793;  —  V.  Le  Conservatoire,  179b-lS15;  —  VI.  L'Ecole  royale  de  musique,  1816-1822. 

DOCUMENTS  ADMINISTRATIFS 
VII.  Actes  organiques  :  règlements,  arrêtés,  rapports  concernant  l'enseignement;  projets  de  réorganisation;  — VIII.  Conseils  d'enseignement  et  comités  d'examens, 
arrêtés,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  IX.  Personnel  administratif  et  enseignant,  179S-1900,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  X.  Exercices  des 
élèves  :  notice  historique,  programmes  1802-1900;  —  XI.  Palmarès  des  concours,  liste  des  professeurs  et  lauréats  par  branches  d'études,  morceaux  de  concours; 
dictionnaire  des  lauréats  (6.090  notices  biographiques);  statistiques,   élèves,  aspirants,   classes,   concours,   repartition  des  lauréats   par  lieux  d'origine; 
—  XII.  Distributions  des  prix;  discours  1797-1864;  programmes  des  concerts  1797-1900;  —  XIII.  Budgets  :  crédits,  dépenses ;  — XIV.  Legs  et  donations  en 
faveur  des  élèves;  —  XV.  Écoles  de  musique  des  départements.  —  Tables  chronologique,  analytique  et  des  noms. 
Prix  en   souscription,  jusqu'au  25   janvier  :   ao  francs,  net. 
Adresser  tes  demandes  AU  MÉNESTREL,   HEUGEL   ET   C'",   2  bis,  rue   Vivienne,  à  Paris. 


LE  MENESTREL 


Soixante-septième     année     de     publication 


PRIMES  1901  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1=^   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHAXT  ou  pour  le  PIAIVO  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAKT  et  PIA^'O. 


O  -HL  A.  JN   T    d"  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  MÀSSENET 

LA  TERRE  PROMISE 

ORATORIO  BIBLIQUE  EN  3  PAhTIES 
Paititicn  chant  et  piano  in-S", 


G.  CHARPENTIER 

POÈMES  CHANTÉS 

16  D"'  (2  tons  à  choisir). 

Vol,   in-So  avec  portrait  de  l'auteur. 


LEO  DELIRES 

SEIZE  MÉLODIES 

ET   UN   CHŒUR 
2"  Recueil,  nouvellement  publié. 


RETNÀLDO  HÂHN 

Études    latines   (10   numéros)  et 

AUGUSTA  HOLMES 

Les  Heures  (4  numéros) 


Ou  à  l'un  des  quatre  Recueils  de  Mélodies  de  /.  Massmet 
ou  à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc-ei  L.  Dauphin  (20  n"),  un  volume  relié  in-8°,  avec  illustrations  en  couleur  d'ADRIEN  IIIARIE 

-P  JL  A.  JN   O    &  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  MASSENET 

PHÈDRE 

OUVERTURE,   ENTR'aCTES,   MUSIQUE  DE   SCÈNE 
Partition  piano  Eolo 


GEORGES  RIZET 

LES  CHANTS  DU  RHIN 

SIX    I.IEDER   POUfï  PIANO 
en   DEUX    SUITES   A   4   MAINS 


A.  DE  CÀSmLON 

PENSÉES  FUGITIVES 

Vingt-quatre  numéros. 
Un    recueil    grand    in-4''. 


THEODORE  DUBOIS 

SONATE 

dédiée  à  MM.  YSAYE  et  FDGNO. 


OU  à  l'un  des  volumes  in-S-  des  CLASSIQ0ES-MARMONTEL.  :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN,  ou  à  lun  des 
recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes- compositeurs,  ou  à  Tun  des  volumes  du  répertoire  de 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne,  ou  OLIVIER  MÉTRA  et  STRAUSS,  de  Paris. 


OI^^^Nr>E     F»FtI]\J:E 


k 


A  L'ABONilMEJ 


THÉÂTRE 


liOUlSB 


Loxnsixi   x]a.-u.sîc£il   exi  4   a,ctes    et  S  t£i,lDleei.ix3c  THEATRE 


L'OPÉRR-GOIUIQUE 


G.   CHJIÎ^PEATIEÎt 


PARTITION  CHANT  &  PIANO 


li'GPÉI^B-GGIWIQUE 


'^^^ 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délÎTrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  2  bh,  rue  Viïienne,  à  partir  du  15  Décembre  1900,  à  tout  ancien 
ou  nouTel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  iUÉKES>TREI>  pour  l'année  1901.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'U.ll  ou  de  DEIL\  francs  pour  l'envoi  franco  flans  les  départements  de  la  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Étraugcr,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

les  abonnés  au  Clianl  peuvent  prendre  la  prime  Piano  el  viceversa.  -  Ceux  au  Piano  el  au  Cbant  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  les  abonnés  au  leile  seul  n'oni  droil  àaucuucprime. 


1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  chant  ; 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine  ;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


CONDITIONS  D'ABDNNEIHENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANu 

2'  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  dl  piano 
Fantaisies ,  Transcriptions ,  Danses ,  de  quinzaine  en  quinzaine  ;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :   20  francs  ;  Étranger  ;   Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

;  d'abomiement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

et  Pi'ovince;  Étranger  :  Poste  en  sus. 

4°  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  ;  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  hon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


3642.  -  67-  mu  -  îi"  2.  pj^R^IT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  13  Janvier  1901. 


(Les  Bureaux,  S"'",  rue  Tivienue,  Paris) 
(Les  mamiscrils  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux 


MÉNESTR 


le  Haméfo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  lïaméFo  :  0  iv.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bi»,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  C!hant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIEE-TESTE 


.  Peintres  mélomanes  (10°  article)  :  la  musique  peinte,  Raymond  Bouïer.  —  H.  Semaine 
théâtrale  ;  premières  représentations  du  Bon  Juge  au  Vaudeville  et  du  Coup  de  fouet 
aux  Nouveautés,  Maurice  Froïez  ;  première  représentation  du  Bon  Pasteur  au  Théâtre- 
Cluny,  H.  Jl.;  reprise  de  la  Mascotte  à  la  Gaité,  0.  Bn.  —  111.  Ethnographie  musicale, 
notes  prises  à  rExposition  (H"  article)  :  la  musique  chinoise  et  indo-chinoise,  Julien 
TiERSOT.  —  IV.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (14"  article)  :  la  rue  de  Paris, 
Arthur  Pougin.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  né 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CE   QUE   DISENT   LES  CLOCHES 

nouvelle  mélodie  de  ,T.  Massenet,  poésie  de  Jean  de  la  Vingtrie.  —  Suivra 
immédiatement  :  Au  bord  de  l'eau,  n"  3  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélo- 
dies de  Théodore  Dubois,  poésie  de  Sully-Prudhomme. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Preludio-patetico  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  la  Romaïka, 
souvenir  de  Smyrne,  de  Théodore  Lack. 


PRIMES  GRATUITES  DU   MENESTREL 

pour  l'année  1901 

Voir  à  la  S'  page  des  précédents  numéros. 


PEINTRES   MÉLOMANES 


LA  MUSIQUE  PEINTE 

—  Je  redemande  la  Fée  des  Alpes,  dit  une  voix  Jeune. 

—  Et  moi,  je  réclame  le  Balletdes  Sylphes... 

. . .  Autour  du  piano,  du  monumental  Erard  qui  accentuait  sa 
double  rangée  d'ivoire  et  d'ébène  dans  l'enveloppante  intimité 
des  lumières,  nous  étions,  l'autre  soir,  un  petit  cercle  recueilli 
d'amateurs,  jouant,  applaudissant,  discutant  tour  à  tour,  fami- 
lièrement Beethoven,  Schumann,  Brahms,  Berlioz  et  Wagner  ; 
un  compositeur  original,  excellent  pianiste  et  qui  ne  chante  pas 
en  public,  nous  ravissait  par  une  interprétation  chaleureuse, 
variée,  spirituelle,  vivante  :  c'est  un  original,  en  effet,  puisqu'il 
aime  assez  la  musique  pour  savourer  jusqu'aux  larmes  les  par- 
titions des  autres! 

—  Sans  le  secours  du  téléphone  ni  du  rusé  phonographe,  nous 
revoici  donc  à  nos  bien-aimés  concerts... 


—  Sans  doute.  Madame,  mais  depuis  quelques  minutes,  dit  un 
fervent  collectionneur,  je  crois  être  à  l'ancienne  exposition  des 
Champs-Elysées  :  le  tableau  que  nous  formons  à  notre  insu,  je 
l'ai  vu  jadis  au  Salon.  Et  n'était  votre  présence,  ajouta-t-il  en 
s'inclinant  gaiement  vers  le  groupe  rieur  des  pâles  toilettes,  je 
préférerais  l'art  à  la  nature,  car  ce  vrai  chef-d'œuvre,  si 
simple . . . 

—  De  Fantin-Latour,  n'est-ce  pasV  interrompit  la  jolie  voix 
friande  de  Schumann.  Un  grand  portraitiste. . . 

—  Vous  l'avez  deux  fois  nommé,  Madame. 

—  Autour  du  piano...  Je  me  souviens  !  C'était  au  Salon  de  188S. 
Ne  peut-on  pas  manifester  quelque  mémoire  des  dates,  quand  il 
s'agit  de  belles  choses  qui  ne  sauraient  vieillir?...  Et  j'entends 
encore  la  glose  murmurée  d'un  amoureux  d'art  :  «  11  y  a  prise 
de  possession  par  le  musicien  ;  on  écoute  comme  on  écouterait 
la  Bible,  dans  le  silence  profond  et  l'immobilité  absolue.  »  J'en- 
tends encore  ou  plutôt  je  revois  la  silencieuse  harmonie  qui 
flottait  dans  cette  atmosphère  puritaine,  je  revois  la  bonne  face 
rubiconde  d'Emmanuel  Ghabrier  se  retournant  vers  l'ami  le  plus 
proche  de  son  austère  auditoire.  Le  jeune  Vincent  d'Indy  se 
tenait  droit,  tout  pâle.  Mais  l'artiste  s'est-il  représenté  dans  ce 
groupe  cordial  de  portraits  masculins? 

—  Nullement.  Ce  grand  portraitiste,  qui  est  en  même  temps 
le  plus  poétique  de  nos  peintres,  est  un  original,  lui  aussi,  un 
artiste  de  la  vieille  roche,  un  artiste,  tout  court  et  sans  phrases, 
dont  la  belle  âme  modeste  a  toujours  pratiqué  jusqu'à  l'ascétisme 
le  conseil  du  poète  au  poète  : 

Ami,  cache  ta  vie,  et  répands  ton  esprit... 

L'avez-vous  jamais  rencontré  dans  une  soirée  oflBcielle?  Ètes- 
vous  poursuivie  par  sa  photographie  dans  les  vitrines  éblouis- 
santes, entre  deux  divettes  de  café-concert?  Lisez-vous  quelque 
interview  fraîchement  prise  à  sa  personne  ?  Au  monde  où  l'on 
s'ennuie,  l'artiste  préfère  les  placides  joies  du  home.  «  Il  est 
sincère,  quelles  délices  !  »  a  dit  joliment  M.  Jean  Dolent,  qui  tra- 
duisait si  bien  votre  impression  sereine  autour  du  piano.  Mais 
vous.  Mesdames,  à  qui  M.  Octave  Feuillet  lui-même  a  prêté 
volontiers  une  indulgence  comme  attendrie  pour  les  mauvais 
sujets,  ne  serez- vous  pas  fort  désappointées  en  apprenant  par 
son  exemple  que  l'on  peut  être  un  maître  indépendant  sans  rien 
garder  de  la  bohème  aventureuse  ? 

—  Vous  me  navrez,  Monsieur,  lança  la  voix  chaude  qui  avait 
réclamé  le  Ballet  des  Sylphes.  Il  me  semble  toujours  mieux  aimer 
l'œuvre  lorsque  j'ai  vu  son  auteur. 

—  Plus  d'un  philosophe  partagerait  gravement  votre  badine 
opinion.  Madame.  Mais  M.  Fantin-Latour,  sur  ce  point,  ne  satis- 
fera jamais  la  curiosité  des  psychologues  ni  la  vôtre.  Depuis 
plus  de  trente  ans  Adèle  à  sa  rue  morose,  à  sa  chère  rive  gauche, 
la  rive  des  penseurs,  il  vit  seulement  dans  ses  œuvres  et  pour 
elles.  Il  n'existe  que  pour  les  intimes.  Combien  ne  l'ont  aperçu 


10 


LE  MÉNESTREL 


que  dans  son  Hommage  à  Delacroix,  régal  des  musées  futurs? 
L'auteur  s'est  représenté  là,  tel  quel,  de  profil,  en  tenue  d'ate- 
lier, petit  avec  de  grands  cheveux,  plutôt  blond  et  pâle,  avec  sa 
bonhomie  quasi  narquoise,  avec  la  discrétion  de  l'affectueuse 
ironie  qu'il  a  toujours,  quajid  il  dit,  par  exemple,  l'excellent 
peintre,  après  avoir  effleuré  quelques  virtuoses  anonymes  :  «  Oh! 
les  pianistes  qwi  n'ont  pas  de  doigts!  » 

—  En  ce  groupe  d'artistes  autour  d'un  portrait  du  maître, 
n'est-ce  pas  le  poète  Théophile  Gautier  qui  s'étonnait  de  ren- 
contrer l'image,  au  reste  admirable,  d'un  Baudelaire  à  la  fois 
sarcastique  et  rêveur,  du  plus  romantique  des  poètes  parmi  les 
néophytes  du  réalisme? 

—  Oui,  dans  sa  merveilleuse  Préface  des  Pleurs  du  Mal,  où  le 
magicien-ès-lettres  nous  accordait  par  avance  que  les  idées  de 
Baudelaire  l'avaient  qrielque  temps  orienté  «  vers  l'école  réaliste 
dont  Courbet  est  le  dieu  et  Manet  le  grand-prêtre  »  ;  mais  il 
ajoutait  souverainement  (je  retrouve  la  page)  que  «  Delacroix 
avec  sa  passion  fébrile,  sa  couleur  orageuse,  sa  mélancolie  poé- 
tique, sa  palette  de  soleil  couchant  et  sa  savante  pratique  d'ar- 
tiste de  la  décadence  fut  et  demeura  son  maître  d'élection  ». 
Delacroix,  voyez-vous,  c'était  le  dieu  de  Baudelaire,  et  c'était, 
dès  lors  aussi,  le  dieu  de  Fantin-Latour.  Le  jeune  réaliste  de  1864 
était  un  poète  en  puissance,  puisqu'il  chérissait  déjà  la  musique. 
Mais  à  cette  heure  transitoire,  tous  les  novateurs  n'étaient-ils 
point  dits  réalistes,  même  «  M.  "Wagner  »,  le  compositeur  »  hyper- 
romajitique  »  ? 

—  Le  mot  est  de  Gautier? 

—  Non,  de  Champfleury,  le  railleur  qui  fait  partie  de  l'Hom- 
mage. Et  ses  Grandes  figures  d'hier  et  d'aujourdliui  ne  craignaient 
point  de  confronter  Gérard  de  Nerval  et  Balzac,  M.  Wagner  et 
M.  Courbet.  L'avocat  du  Réalisme  se  passionnait  pour  le  Prélude 
de  Lohengrin  aux  trois  concerts  des  Italiens,  et  l'année  suivante, 
au  printemps,  pour  Tannhauser.  Ce  Tannliàuser  sifflé,  notre  jeune 
peintre  ne  devait  l'entendre  au  Grand  Opéra  que  trente-quatre 
ans  plus  tard,  car  il  avait  pris  son  billet  pour  la  «  quatrième  », 
qui  fut  interdite  :  mais  déjà  la  poétique  volupté  du  Venusberg 
hantait  ses  rêves.  Son  crayon  gras  vibrait  sur  la  pierre... 

—  Un  réaliste,  un  admirateur  de  Courbet,  de  Millet,  d'Hervier, 
traduire  de  prime  abord,  et  si  poétiquement,  ses  adorations 
musicales,  n'est-ce  pas  un  prodige? 

—  Pas  du  tout!  Pour  saisir  le  talent  subtil  de  Fantin-Latour. 
talent  nourri  de  réel  et  de  songe,  il  faut  revivre  le  milieu  com- 
plexe où  se  forma  sa  jeunesse.  L'âme  a  des  saisons,  comme  la 
nature  :  il  y  a  quelque  trente  ans,  chaque  dimanche  d'hiver,  les 
premiers  concerts  Pasdeloup  attiraient  la  foule  tapageuse  et  les 
amateurs  pensifs;  Schumann  et  Beethoven,  Wagner  et  Berlioz, 
—  chaque  programme  était  une  révélation!  Ce  qui  nous  charme 
ce  soir  était  sifflé  par  les  uns,  applaudi  par  les  autres,  comme  un 
miracle  du  Saint-Graal.  La  date  du  27  octobre  1861,  l'année  de 
Tannhauser,  semblait  lumineuse,  à  l'égal  des  Phares  que  Baude- 
laire avait  chantés.  Et,  déjà,  Fantin-Latour  était  un  fanatique  de 
symphonies.  Le  coloriste  qui  germait  en  lui  ne  se  contentait 
point  d'avoir  copié  plusieurs  fois  les  Noces  de  Cana  dans  le  Salon 
Carré  du  Louvre,  ni  d'exalter  son  cher  Delacroix,  que  sa  hautaine 
Immortalité  célébrait  naguère  encore  :  il  puisait  sans  trêve  des  ins- 
pirations inédites  en  écuutant  la  poésie  du  Romantisme  à  travers 
le  prisme  merveilleux  des  accords  et  des  timbres.  Et  vers  le 
même  temps,  le  jeune  homme  indépendant  pressentait  l'impres- 
sionnisme aux  premiers  entretiens  du  café  Guerbois  ;  mais  à 
Londres,  avec  James  Whistler,  il  avait  étucUé  sur  place  la  flore 
si  curieusement  locale  du  Préraphaélitisme  anglais.  Telles  sont 
ses  origines  intellectuelles.  Toutefois,  son  penchant  pour  la 
musique  a  des  racines  profondes  en  son  caractère  même.  Intel- 
lectuellement, Schumann  est  l'un  des  siens.  Le  peintre  estime 
sa  tendresse  ûère  et  sa  discrète  exaltation.  Son  atmosphère  est 
saturée  de  cette  àme.  Il  adore  les  fleurs.  Il  comprend  mieux  que 
personne  »  le  langage  des  fjeurs  et  des  choses  muettes  »,  l'artiste 
qui  chérit  surtout  dans  la  musique  le  souvenir  d'un  passé  lumi- 
neux qui  pleure  en  souriant.  Ce  mélancolique  sourire  est  tout 
son  œuvre.  Et  vous  paraissiez  regretter,  Madame,  de  ne  le  point 


connaître,  vous  m'en  vouliez  un  peu  de  partager  sa  délicatesse 
et  ses  scrupules,  en  restant  muet  sur  l'homme.  Mais  l'œlivre  est 
là,  tout  près  de  vous,  dans  votre  souvenir,  dans  vos  yeux, 
miroir  brillant  où  persiste  la  grâce  évanouie  de  la  Brodeuse  de 
la  CenteBitale  :  déjà  tel  portrait  plein  d'àme  est  une  mélodie; 
ces  roses  blondes,  entrevues  dans  la  pénombre  ou  sous  la  voi- 
lette, n'évoquent-elles  pas  les  Charlottes  idéalisées  par  les  cahiers 
des  Werthers?  Un  mélomane  seul  pouvait  deviner  ces  reines  de 
l'intimité.  Ce  n'est  pas  tout.  Le  peintre  des  portraits  pensifs  est 
en  même  temps  le  créateur  des  songeries  vaporeuses;  or,  il 
travaille  d'après  Schumann  et  Brahms,  d'après  Wagner  et  Berlioz  : 
telle  est  son  originalité  propre  ! 

—  Enfin,  le  voilà  donc,  le  vrai  peintre  mélomane! 

—  Patience,  Mesdames!  Il  y  a,  certes,  plusieurs  façons  de  se 
montrer  peintre  mélomane  ;  on  peut  être  musicien,  comme  l'im- 
mortel interrogateur  de  la  Joconde;  ami  de  la  musique,  eoua'iae 
Delacroix;  amoureux  de  l'orchestre,  la  plus  prestigieuse  des 
palettes,  comme  Franz  Liszt,  qui  voyait  tant  de  choses  dans  les 
timbres  ;  inspiré  soudainement,  touché  de  la  grâce  au  théâtre, 
comme  notre  Corot  rentrant  cVOrphée.  Eh  bien,  cette  inspiration, 
passagère  chez  l'admirateur  de  M'"'  Viardot,  devient  une  seconde 
nature  chez  Fantin-Latour  :  à  ses  yeux,  la  musique  devient 
femme  et  revêt  des  formes.  Le  peintre  la  voit  et  l'exprime.  Elle 
est  sa  Muse.  Ce  n'est  pas  lui  qui,  musicien,  défendrait  la  mau- 
vaise humeur  de  Berlioz  pré  fendant  que  le  Jugement  dernier  de  la 
Sixtine  était  resté  sans  influence  sur  le  colossal  émoi  de  son 
Requiem;  peintre,  il  a  trouvé  de  bonne  heure,  dans  la  commotion 
musicale,  un  noble  prétexte  de  rêverie,  le  renouvellement  sou- 
haité des  plus  poétiques  légendes  : 

Sur  des  sujets  anciens,  faisons  des  vers  nouveaux... 

N'est-ce  point  la  tradition  même  de  Schumann,  qui,  féru  des 
maîtres,  mais  jaloux  de  son  libre  arbitre,  a  rajeuni  les  formes 
classiques  en  les  drapant  de  son  rêve?  Et  la  troisième  partie 
mystique  de  son  Faust  n'est-elle  pas  un  oratorio  transfiguré  ? 
Les  allégories  de  M.  Fantin  sont  des  âmes  sœurs,  dans  le  décor 
des  trompettes  et  des  palmes.  Illustrons  musicalement  notre  idée 
en  rejouant  la  Rédemption  de  Faust. 
(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre  du  Vaudeville.  Le  Bon  Juge,  comédie  en  trois  actes,  de  M.  Alexandre 
Bisson.  —  Théâtre  des  Nouveautés.  Le  Coup  de  fouet,  comédie  en  3  actes, 
de  MM.  Henneijuin  et  Duval. 

Le  théâtre  du  Vaudeville  vient  de  nous  donner  une  pièce  des  plus 
amusantes.  M.  Porel  semblait  avoir  abandonné  la  comédie  légère  pour 
nous  offrir  une  série  d'œuvres  plus  ou  moins  psychologiques  et  plus  ou 
moins  heureuses.  Avec  le  Bon  Juge,  le  bon  et  sympathique  directeur 
est  revenu  à  la  joyeuse  tradition  qui  assura  à  son  théâtre  les  succès 
centenaires  des  Surprises  du  divorce,  du  Conseil  judiciaire,  de  Tête  de 
linotte,  j'en  passe  et  des  meilleurs.  De  pareils  spectacles,  quoi  qu'on  en 
dise,  délassent  l'esprit  des  tracas  de  la  vie  journalière,  le  reposent  des 
comédies  trop  subtiles  et  d'une  analyse  trop  énervante,  qu'une  certaine 
école  voudrait  exclusivement  nous  imposer,  en  bannissant,  de  tout 
théâtre  d'ordre,  le  rire,  qui  est  le  propre  de  l'homme  et  surtout  le 
propre  du  Parisien. 

Le  nouveau  succès  de  M.  Bisson  est  une  sath'e  ou  une  charge, 
comme  vous  le  voudrez,  de  nos  excellents  magistrats.  Sans  vouloir 
comparer  en  rien  cette  pièce  à  la  Robe  rouge,  il  est  assez  piquant  de 
voh-  la  magistrature  portée  sur  la  même  scène  par  deux  maîtres  de 
talent  et  de  genre  si  différents,  et  de  rapprocher  le  tableau  plein  de  vé- 
rité de  M.  Brieux  de  la  pochade  pleine  de  fantaisie  de  M.  Bisson. 

Le  Plantin  est  le  bon  juge  d'instruction  qui  use  et  abuse  de  son 
pouvoir  discrétionnaire  de  la  façon  la  plus  étonnante  ;  il  fait  arrêter 
tout  le  monde  et  il  est  incapable  de  rendre  une  ordonnance  de  non-lieu 
en  faveur  de  ses  victimes,  puisqu'il  ignore,  la  plupart  du  temps,  la  cause 
de  leur  arrestation. 

Après  mille  péripéties  plus  réjouissantes  les  unes  que  les  autres, 
après  des  évasions  inénarrables,  nous  voyons  les  victimes  du  bon  juge 
former  un  syndicat  avec  la  propre  femme  du  volage  Le  Plantin  et  avec 


LE  MÉNESTREL 


11 


sa  belle -mère,  aân  de  lui  rendre  la  monnaie  de  sa  pièce.  Ils  le  font 
arrêter  à  son  tour,  et  lui  font  subir  toutes  les  tracasseries  dont  il  se 
montrait  si  prodigue  envers  les  prévenus;  notre  homme  est  donc  puni 
par  où  il  a  péché  (c'est  là  l'idée  tout  à  fait  plaisante  de  cette  comédie)  ; 
il  reconnaît  ses  fautes  et  il  donne  sa  démission  de  magistrat. 

On  pourra  peut-être  reprocher  au  dernier  acte  quelques  analogies 
avec  le  troisième  acte  du  Contrôleur  des  wagons-lits;  la  situation  évi- 
demment offre  quelques  ressemlîlances  ;  mais  l'auteur  de  ces  deux 
pièces  nous  a  montré  qu'un  homme  d'esprit  peut,  d'une  situation  iden- 
tique, tirer  deux  actes  absolument  différents  l'un  de  l'autre  et  pleins  de 
cette  force  comique  qui  a  placée  M.  Bisson  au  premier  rang  de  nos 
-auteurs  gais. 

Le  Bon  Juge  est  monté  avec  le  goût  et  le  soin  que  M.  Porel,  un  maître 
de  la  mise  en  scène,  apporte  à  toutes  les  œuvres  qu'il  nous  donne.  La 
pièce  est  jouée  par  MM.  Huguenet,  Numès,  Numa,  Barou  fils,  Gildès 
et  M'"''*  Daynies-Grassot,  Thomassin  et  Bernin.  11  suffit  de  les  nommer, 
leur  éloge  n'est  plus  à  faire. 

Le  Coup  de  fouet  sera  certainement  un  des  plus  grands  succès  du 
théâtre  des  Nouveautés  ;  ce  n'est  pas  là  un  éloge  banal,  chacun  sait  le 
sort  heureux  de  la  plupart  des  comédies  montées  par  M.  Micheau, 
l'enfant  chéri  de  la  victoire. 

Dans  cette  pièce  l'on  parle  souvent  de  M.  Scribe  ;  et  du  haut  du  ciel, 
sa  demeure  dernière,  le  vieux  maître  doit  être  content  de  l'habileté  scé- 
nique  vraiment  merveilleuse  dont  MM.  Hennequin  et  Duval  ont  fait 
preuve  en  écrivant  leur  vaudeville.  Il  n'est  encore  rien  de  tel  poui-  di- 
vertir le  public  qu'une  pièce  bien  faite,  et  celle-ci  l'est  de  main  de 
maître. 

Le  point  de  départ  du  Coup  de  fouet  est  tout  à  fait  ingénieux.  Un 
certain  Baricart  a  trouvé  un  truc  infaillible  pour  tromper  sa  femme  sans 
qu'elle  puisse  s'en  douter.  Il  s'est  inventé  un  sosie!  Et  voici  comment  : 
il  a  commencé  par  envoyer  à  son  épouse  des  lettres  anonymes  le  dénon- 
çant comme  se  livrant  à  la  noce  la  plus  folle  justement  aux  jours  et 
aux  heures  où,  mari  vertueux,  il  n'avait  pas  quitté  M"'  Baricart.  Celle- 
ci,  étonnée  d'abord,  s'imagine  avoir  la  clé  de  ces  dénonciations  calom- 
nieuses le  jour  où  son  époux  lui  raconte  qu'il  a  été  pris  dans  la  rue 
pour  un  marseillais  auquel  il  ressemble,  paraît-il,  d'une  façon  étonnante. 
Plus  de  doute  possible  ;  l'auteur  des  lettres  anonymes  a  confondu  Baricart 
avec  le  marseillais  !  On  pourra  désormais  affirmer  à  M°"^  Baricart  que 
son  mari  lui  est  infidèle,  elle  pourra  même  le  rencontrer  avec  une 
femme,  elle  demeurera  persuadée  que  le  coupable  est  le  fameux  sosie  de 
son  époux. 

Malheureusement  une  de  ses  amies,  très  ferrée  sur  les  ruses  des 
maris ,  —  elle  est  la  nièce  de  Scribe  et  connaît  tout  son  répertoire,  —  flaire 
quelque  manigance  et  met  en  doute  l'existence  même  du  commode 
marseillais. 

Pour  sauver  la  situation,  Baricart  paye  d'audace  et  se  présente  chez 
lui  sous  le  nom  et  avec  l'accent  de  son  sosie.  Après  mille  vicissitudes 
et  après  avoir  assumé  sa  réelle  existence,  il  s'apprête  à  se  retirer  pour 
pouvoir  rentrer  ensuite  sous  son  véritable  nom,  lorsqu'il  est  subitement 
pris  d'un  coup  de  fouet  à  la  jambe  et  dans  l'impossibilité  de  faire  un 
pas.  Vous  jugez  quelles  scènes  imprévues  peuvent  naître  de  cette  si- 
tuation réellement  nouvelle  ;  les  quiproquos  les  plus  étourdissants  dé- 
coulent les  uns  des  autres  avec  cette  logique  implacable  qu'exige  le 
vaudeville  pour  pouvoir  réellement  nous  divertir. 

A  la  fin  tout  s'arrange,  bien  entendu  selon  les  lois  de  la  morale  et 
pour  la  plus  grande  joie  des  spectateurs. 

La  troupe  des  Nouveautés  a  enlevé  ces  trois  actes  avec  un  brio  et  un 
mouvement  remarquables,  on  sentait  qu'elle  marchait  à  une  victoire 
certaine.  M.  Germain  a  trouvé  dans  la  double  incarnation  de  Baricart 
un  de  ses  meilleurs  rôles,  il  peut  y  déployer  ses  réelles  qualités  de 
comédien  sans  avoh-  recours  à  des  grimaces  souvent  trop  faciles  ; 
M.  Torin  est  un  commandant  plein  d'entrain  et  d'autorité.  M'""  Manuel 
une  veuve  de  colonel  bien  moderne.  M"'  Chevilly  une  maîtresse  de 
piano  comme  on  en  souhaiterait.  M"'*'  Lender  et  Burty  sont  plus  que 
jamais  les  jolies  femmes  et  les  charmantes  comédiennes  que  l'on  sait, 
M""'  .Tenny  Rose  est  l'artiste  sure  et  consciencieuse  que  nous  aimerions 
à  retrouver  souvent  dans  des  rôles  moins  sacrifiés.  J'aurai  porté  tout  le 
monde  à  l'ordre  du  jour  quand  j'aurai  félicité  comme  il  convient 
MM.  Colombey  et  Marcel  Simon. 

Maurice  Froyez. 
*  * 

Cluny.  Le  Boi.  Pasteur,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.  Maurice  Ordonneau 
et  Broadhurst. 

C'est  une  fantaisie  épileptique  et  clownesque  comme  on  les  aime  sur 
les  bords  de  la  Tamise;  car  nous  imaginons,  sans  en  être  bien  certain, 
que  M.  Broadhurst  doit  être  un  de  ces  «  humouresques  »  anglais,  dont 


l'esprit  est  quelquefois  très  tin  et  le  plus  souvent  très  fou.  Comme 
M.  Ordonneau  avait  déjà  trouve  là-bas  une  certaine  Marraine  de  Cliarley, 
dontil  avait  tiré  une  adaptation  française  qui  eut  du  succès  (pourquoi?) 
à  ce  même  théâtre  de  Cluny,  il  a  pensé  sans  doute  qu'il  devait  de 
nouveau  tenter  la  chance  du  même  côté  avec  une  pièce  de  même  nature. 

Mais,  cette  fois,  il  avait  beaucoup  neigé  et  la  route  était  difficile  pour 
gagner  ces  parages  éloignés;  le  public  et  les  journalistes  sont  arrivés 
de  mauvaise  humeur  et  ils  n'ont  point  voulu  trouver  drôle  une  farce 
ouLrancière  qui  les  aurait  peut-être  amusés  dans  d'autres  circonstances 
atmosphériques.  Et  voilà  à  quoi  tient  le  sort  de  ce  genre  de  pièces,  qui 
ne  reposent  pas  sur  un  fond  solide  :  à  une  simple  disposition  du  spec- 
tateur, à  quelques  flocons  de  neige  qui  l'ont  fouetté  au  visage,  à  un 
mauvais  verglas  qui  l'a  fait  glisser  sur  le  trottoir.  Et  le  dégel  est  arrivé 
trop  tard!  H.  M. 

f  '* 
Théâtre  de  la  Gaîté.  Reprise  de  la  Mascotte. 

Malgré  son  existence  déjà  longue,  la  partition  de  la  Mascotte,  que  le 
théâtre  de  la  Gaîté  vient  de  repreudi-e,  ne  montre  encore  que  peu  de 
rides,  qui  d'ailleurs  nous  gênent  aussi  peu  que  les  fines  craquelures 
dans  les  tableaux  des  vieux  maîtres.  Grâce  à  cette  fraîcheur  relative, 
à  la  splendeur  de  la  mise  en  scène  qui  rend  la  cour  de  Laurent  XVII 
digne  de  celle  de  Laurent  de  Médicis,  et  à  l'excellente  distribution,  la 
Mascotte  des  auteurs  pom-rait  bien  en  devenir  une  pour  le  directeur  de 
la  Gaîté.  C'est  surtout  la  distribution  qui  a  mis  le  public  en  belle  hu- 
meur et  la  partie  était  gagnée  dès  le  joli  duo  d'amour  du  premier  acte  que 
M'""  Germaine  Gallois,  l'accorte  gardienne  de  dindons,  détaillait  d'une 
façon  charmante  avec  M.  Lucien  Nocl,  le  berger  de  son  cœur.  Le  prix 
dechant  leur  était  d'ailleurs  disputé  avec  succès  par  M.  Soums,  qui,  dans 
le  rôle  du  prince,  conduit  son  agréable  voix  de  ténorino  avec  une  habi- 
leté dont  les  chanteurs  d'opérettes  modernes  ne  sont  guère  coutumiers. 
M.  Paul  Fugère,  le  roi  Laurent,  a  fait  la  joie  de  l'assistance  par  le  na- 
turel et  la  vis  comica  de  son  jeu  et  par  quelques  improvisations  destinées 
à  donner  à  la  pièce  un  vernis  moderne;  on  s'esclaffait  lorsque  ce  roi 
d' Yvetot  i  talien  annonçait  gravement  qu'il  allait  décréter  une  surtaxe  sur 
l'alcool  pour  doter  sa  fille,  et  lorsqu'il  se  nommait  un  «  Chamberlain  » 
en  la  personne  amusante  de  M.  Vavasseur.  Un  agréable  divertissement, 
avec  l'agile  M'"  Julia  Duval  comme  étoile,  a  contribué  au  grand  succès 
de  la  reprise,  qui  prouve  que  le  genre  de  l'opérette  n'est  pas  aussi  mort 
que  d'aucuns  prétendent,  mais  bien  plutôt  que  le  genre  des  paroliers 
et  des  compositeurs  spéciaux  tend  à  disparaître.  O.  Bn. 


ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 

Notes  prises  à  l'Exposition  Universelle    de    1900 

(Suite.) 


IV 

MUSIQUE  CHINOISE  ET  INDO-CHINOISE 
Dans  un  chapitre  postérieur,  l'auteur  ajoute  pourtant  cette  indication 
plus  précise,  que,  dans  l'accompagnement  de  la  voix  par  le  kin  (instru- 
ment à  cordes),  on  pince  toujours  deux  cordes  en  même  temps,  tantôt 
par  intervalle  de  quarte,  tantôt  par  celui  de  quinte.  Les  notations  de 
musique  japonaise  nous  ont  déjà  donné  de  nombreux  exemples  de  ces 
sons  simultanés,  dont  la  pratique  ne  saurait  être  considérée  comme 
représentant  rien  qui  puisse  être  comparé  à  notre  harmonie  occi- 
dentale. 

Pour  appuyer  ses  dires  d'un  exemple,  le  P.  Amiot  a  donné  la  nota- 
tion d'un  chant  religieux  célèbre,  l'Hymne  en  l'honneur  des  Ancêtres.  Ce 
morceau,  accompagné  de  danses  sacrées,  se  chante  avec  une  grande 
solennité,  dans  un  temple  approprié,  en  présence  de  l'Empereur.  «  En 
entrant  dans  la  salle,  on  voit,  à  droite  et  à  gauche,  les  joueurs  du  cheng 
(instrument  à  vent  composé  principalement  de  tuyaux  accolés  circulai- 
rement),  du  king  (instrument  composé  de  pierres  sonores),  et  autres 
joueurs  d'instruments,  rangés  par  ordre.  Vers  le  milieu  de  la  salle 
sont  les  danseurs,  habillés  en  uniforme  et  tenant  à  la  main  les  mstru- 
ments  qui  doivent  leur  servir  dans  leurs  évolutions.  Plus  près  du  tond 
sont  placés  les  joueurs  du  kin  et  du  chê  (instruments  à  cordes  de  la 
nature  du  koto  japonais,  le  premier  à  sept  cordes,  le  second  a  vmgt-cmq), 
ceux  oui  touchent  sur  le  tambour  po-fou,  et  les  chanteurs.  »  Dans  le 
fond  dé  la  salle  sont  les  représentations  des  Ancêtres,  devant  lesquelles 
s'élève  un  autel  :  la  cérémonie  est  célébrée  par  l'Empereur  en  personne, 
au  son  de  l'Hymne  chanté  et  dansé. 
En  passant,  notons  que  le  Temple  des  Ancêtres  de  la  dynastie  tut, 


d2 


LE  MÉNESTREL 


lors  des  événements  du  mois  d'août  1900,  une  des  premières  positions 
que  les  troupes  françaises  aient  occupées,  à  Pékin,  dans  l'enceinte  de 
la  ville  impériale.  Elles  y  pénétrèrent,  sous  le  commandement  de  leur 
général  qu'accompagnait  le  ministre  de  France,  l'honorable  M.  Piclion, 
après  avoir  passé  un  premier  pont  de  marbre  jeté  sur  un  lac  que  cou- 
vraient des  nénuphars  eu  fleurs,  puis  deux  autres  ponts  de  marbre, 
après  lesquels  commençait  la  citée  sacrée.  Aussitôt  le  drapeau  français 
fut  dresse  sur  le  temple,  qui,  choisi  pour  quartier  général,  a  retenti 
depuis  lors  de  musiques  un  peu  différentes,  et  plus  modernes,  que  l'hymne 
coutumier  dont  une  tradition  vénérable  fait  remonter  l'origine  jusqu'à 
Confucius  ! 

Cet  hymne  a  trois  strophes,  chacune  de  huit  vers  de  quatre  syllabes. 
La  première  est  entonnée  au  moment  où  l'Empereur  arrive  devant 
l'autel  :  la  seconde  est  chantée  pendant  l'offrande  ;  la  troisième  pendant 
la  sortie  du  souverain.  Trois  coups  frappés  sur  un  tambour,  suivis  d'un 
coup  de  cloche,  donnent  le  signal  de  l'attaque.  Les  voix  chantent  très 
lentement  :  pendant  la  durée  de  chaque  note  tenue,  les  instruments 
exécutent  une  espèce  de  battement  formé  d'un  coup  de  cloche  suivi  de 
trois  coups  de  tambour,  d'une  note  pincée  par  les  instruments  à  cordes 
(à  l'unisson  ou  l'octave  aiguë  du  chant),  puis  encore  trois  coups  de  tam- 
bour, enfin  une  dernière  note  des  instruments  à  cordes.  —  Il  me  semble, 
d'après  cette  description,  que  la  sonorité  de  cet  hymne  ne  doit  pas  être 
sans  analogie  avec  celle  du  ^o»jetoji(/  javanais.  —  A  la  fin  de  chaque  vers, 
Tin  coup  frappé  sur  un  tambour  donne  le  signal  du  tacet  général  ;  après 
Tin  silence,  les  tambours  recommencent,  puis  la  cloche,  enfin  les  voix  et 
instruments  unis,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fm. 

Voici  la  notation  de  cet  Hymne  en  l'honneur  des  Ancêtres,  telle  que  la 
donne  le  Mémoire  du  P.  Amiot.  La  mélodie  est  entièrement  écrite  dans 
l'échelle  de  cinq  notes  :  fa  sol  la  do  ré.  Les  ré  à  l'octave  que  l'on  trouve 
par  deux  fois  sont  destinés,  le  plus  aigu  aux  instruments,  le  plus  grave 
à  la  voix. 

HYMNE   EN  L'HONNEUR   DES   ANCETRES 

Première  partie. 


Hioen  hUD  cbeon  ming.TchoDi  yuen  ki  sien,  Ming  yû    cbé  IsouDg,  Y  ouan  see 

Seconde  partie. 


Jou  kien  bi  bing,   Jou  oueo  ki  cbeng,  Ngaieulb  kingtché,  Fn  bou  Icbonog  ts 
Troisième  partie. 


beouBaogkoue,  Yupaoki  tè,  H30  Tien  oujng  ki .  Y.ililu  sao  hien.Ouo  hiD  yué  j. 


Nous  avons  cru  nécessaire  de  donner,  dans  ces  études  d'ethnographie 
musicale,  cette  analyse  et  cet  extrait  du  livre  du  savant  missionnaire. 
Ils  n'ont  pourtant,  il  faut  en  convenir,  aucun  rapport  avec  l'Exposition 
de  4900  ;  mais  la  musique  chinoise  a  une  importance  tellement  primor- 
diale parmi  l'ensemble  des  musiques  d'Extrême-Orient  que,  bien 
qu'aucun  Chinois  ne  soit  venu  nous  en  faire  entendre  cette  année,  il 
fallait  bien  pourtant  essayer  d'en  donner  une  idée,  si  fugitive  fût-elle. 

Mais  un  des  spectacles  exotiques  de  l'E.vposition  coloniale  nous  a 
offert  un  très  intéressant  spécimen  d'une  musique  de  danse  qui  découle 
en  droite  ligne  des  principes  de  la  musique  chinoise.  C'était  dans  un 
certain  Théâtre  indo-chinois,  où  le  spectacle  était  vraiment  bien  hété- 
rogène, mais  où  figurait  une  troupe  de  musiciens  venus  de  notre  colo- 
nie de  Cochinchine,  avec  non  seulement  leur  costume.  —  sans  parler 
du  type,  qui  ne  trompe  pas,  —  mais  encore  tous  leurs  instruments  et 
lem-  répertoire  musical.  Ils  formaient  un  petit  orchestre  d'une  quin- 
zaine de  musiciens,  accompagnant  des  danses  dont,  maintenant  que 
l'Exposition  est  finie,  il  vaut  mieux  ne  pas  évoquer  l'inutile  souvenir  : 
eux,  du  moins,  donnaient  dans  le  concert  infiniment  varié  des  musiques 
exotiques  une  note  très  particulière. 


Dans  une  visite  que,  fidèle  à  mes  habitudes  d'enquête  directe  et  per.- 
sonnelle,  je  fis  un  matin  au  domicile  particulier  des  musiciens  du 
Théâtre  Indo-Chinois,  j'eus  l'occasion  d'admirer  combien  l'homme  est 
ingénieux  à  se  créer  des  difiicultés  vaines  et  à  compliquer  les  choses  les 
plus  simples.  Déjà,  au  Théâtre  Annamite  de  89,  j'avais  remarqué  l'exis- 
tence d'un  certain  violon  à  deux  cordes  très  rapprochées,  où  l'archet,  au 
lieu  d'être  manœuvré  librement,  était  emprisonné  entre  les  deux 
cordes,  de  sorte  que,  pour  faire  vibrer  soit  l'une,  soit  l'autre,  l'instru- 
mentiste était  obligé  de  faire  des  efforts  d'adresse,  pour  ne  produire 
d'ailleurs  que  le  résultat  le  moins  agréable  à  l'oreille.  J'ai  retrouvé  ce 
même  violon  au  Théâtre  Indo-Chinois.  Mais  j'y  ai  vu  quelque  chose  de 
bien  plus  remarquable  encore.  C'est  un  instrument  composé  d'une  lame 
vibrante  dont  le  son  change  de  hauteur  suivant  qu'on  y  appuie  plus 
ou  moins  fort.  Là,  pas  de  division  exacte  du  corps  sonore  :  c'est  au 
jugé  que  l'exécutant  produit  la  note  requise;  aussi  l'on  devine  quelle 
précision  il  obtient,  quelle  glissade  de  notes  on  entend  quand  le  métal 
se  distend,  au  lieu  d'ini  son  franc  et  défini!  Cela  d'ailleurs  est  peut-être 
une  beauté  pour  la  musique  d'Extrême-Orient;  et  qui  sait  si  ce  n'est 
pas  dans  des  systèmes  instrumentaux  de  ce  genre  qu'il  faut  chercher  le 
véritable  sens  du  fameux  quart  de  ton,  renouvelé  des  Grecs,  qui  a  fait 
couler  tant  d'encre  depuis  le  divin  Olympes  jusques  à  nos  jours! 

Les  autres  instruments  de  ce  théâtre  étaient,  outre  les  violons  à  deux 
cordes  déjà  décrits  (dénommés  Co  dans  la  langue  du  pays),  des -flûtes 
(Téou),  puis  des  instruments  à  cordes  pincées.  L'un,  de  la  nature  du 
Koto  japonais  (cordes  tendues  sur  une  table  d'harmonie  et  accordées 
suivant  la  gamme  de  cinq  tons),  est  appelé  ici  Tranh  (il  est  à  remarquer 
que  cet  instrument,  répandu  dans  tout  l'Extrême-Orient,  n'est  jamais, 
dans  les  divers  pays,  désigné  par  le  même  nom  :  déjà  en  Chine  nous 
en  avons  trouvé  deux  variétés,  différentes  seulement  par  leurs  dimen- 
sions, sous  les  noms  respectifs  de  Kin  et  de  Clié).  Deux  autres  rentrent 
dans  la  catégorie  des  luths,  l'un  grand  (Kimj,  l'autre  petit  (Tan);  puis 
c'est  une  sorte  de  harpe  à  une  seule  corde  (Houyen)  ;  enfin  quelques  ins- 
truments à  percussion,  petits  tambours,  sortes  de  crotales,  clochettes 
et  petites  cymbales,  groupe  moins  tapageur  et  de  sonorité  plus  délicate 
que  les  terribles  tambours  du  Théâtre  Annamite. 

Ces  instruments  réunis  accompagnent  les  danses  en  une. espèce 
d'unisson,  non  d'ailleurs  sans  laisser  à  certaines  parties  quelque  indé- 
pendance. Le  chef  des  musiciens,  M.  Viang,  venu,  comme  toute  la 
troupe,  de  Saigon,  et  parlant  fort  bien  le  français,  m'a  fait  ;i  ce  sujet 
une  observation  qui  dénote  une  parfaite  intelligence  des  combinaisons 
musicales.  «  Tous  mes  musiciens,  me  dit-il,  ne  jouent  pas  identique- 
ment la  même  chose  :  pourvu  que,  dans  chaque  dessin,  tout  le  monde 
commence  de  même  et  retombe  sur  la  même  note  à  la  cadence,  tout 
est  pour  le  mieux;  dans  l'intervalle  chacmi  est  libre  de  varier  le  thème 
à  sa  guise.  »  Il  y  a  donc,  dans  ces  sortes  d'exécutions  collectives,  une 
certaine  part  d'improvisation  individuelle,  quelque  chose  d'analogue  au 
procédé  des  «  Chanteurs  au  livre  »  italiens  d'avant  la  Renaissance.  Ajou- 
tons que  les  instruments  ne  donnent  pas  toujours  tous  à  la  fois,  qu'ils 
entrent  à  tour  de  rôle.  Les  instruments  à  percussion,  notamment,  n'inter- 
viennent qu'après  le  développement  commencé,  et  déjà  assez  avancé;  ils 
procèdent  volontiers  par  rythme  dactylique,  la  première  note  (longue), 
piquée  surtout  par  les  sons  cristallins  des  petites  cymbales,  étant  plus 
accentuée  que  les  deux  brèves.  Les  instruments  graves  à  cordes  pincées 
se  détachent  volontiers  du  chant  pour  faire  des  dessous  formés  d'une 
tonique  et  d'une  dominante  alternant,  dans  le  même  rythme  que  la 
partie  supérieure;  quant  à  celle-ci,  elle  est  exécutée  principalement  par 
les  instruments  aigus,  notamment  par  les  Co  (violons  à  deux  cordes), 
dont  la  sonorité  un  peu  aigre,  mais  pénétrante,  donne  au  chant  une 
vibration  toute  particulière.  A  la  fin  des  danses,  les  voix  des  femmes 
s'unissent  parfois  aux  instruments  pour  doubler  le  chant.  Au  reste,  le 
même  morceau  est  susceptible  d'interprétations  diverses  :  quelques 
instruments  supprimés  ou  ajoutés,  le  mouvement  plus  ou  moins  rapide, 
et  voilà  la  physionomie  musicale  complètement  changée.  L'ensemble 
est  de  ton  clair  et  de  sonorité  délicate  et  fine. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    XJNIVEB  SELLE i  DE     1900 

(Suite.) 


LA    BUE   DE   PARIS 

Théâtre  des  Bonshommes  Guillaume.  —  Celui-ci  du  moins  était  original 
et  nous  faisait  sortir  de  l'écœurante  banalité  des  cafés-concerts  de  bas 
étage.  Il  était  l'œuvre  des  deux  frères  Guillaume,  dont  l'un,  architecte 


LE  MENESTREL 


13 


de  beaucoup  de  talent,  avait  élevé  le  théâtre  tout  en  construisant,  à  deui 
pas  de  là  le  superbe  Aquarium  de  Paris,  l'une  des  vraies  merveilles  de 
l'Exposition,  et  dont  l'autre,  Albert,  est  le  dessinateur  comique  bien 
connu,  à  la  verve  si  savoureuse  et  à  l'humour  si  amusant. 

Le  théâtre,  véritablement  charmant  et  d'une  forme  originale,  était 
l'un  des  joyaux  delà  rue  de  Paris.  Sa  façade,  pimpante,  bariolée,  très 
curieuse,  était  décorée  de  jolis  panneaux  de  M.  Georges  Picard,  au-dessus 
desquels  courait  une  interminable  frise  de  marionnettes  dont  le  senti- 
ment comique  et  l'étonnante  variété  révélaient  le  talent  de  M.  Albert 
Guillaume,  le  tout  entrelacé  de  festons,  de  guirlandes  de  l'effet  le  plus 
heureu.x.  L'entrée,  d'une  exquise  fantaisie  architecturale,  était  flanquée 
de  deux  superbes  cariatides  de  M.  Gauquiô  et  ornée  de  masques  amu- 
sants. Quant  à  la  petite  salle,  mignonne  et  élégante,  contenant  168  fau- 
teuils, elle  était  décorée  dans  un  style  Louis  XV  plein  de  grâce, 
d'élégance  et  de  coquetterie,  avec,  au  plafond,  des  fleurs  lumineuses 
qui  complétaient  cette  décoration  subtile  et  attrayante. 

Et  tout  cela  pour...  des  marionnettes.  Mais  quelles  marionnettes! 
D'abord  elles  étaient,  dit-on,  au  nombre  do  vingt  mille,  ni  plus  ni  moins, 
toutes  animées,  marchantes,  agissantes,  dansantes,  parfois  parlantes  et 
chantantes,  et  véritablement  curieuses  au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut 
imaginer.  «  Chacune  de  ces  marionnettes,  disait  un  de  mes  confrères, 
a  été  constituée,  peinte,  habillée,  coilîée,  en  un  mot  exécutée  fidèlement 
d'après  les  dessins  qui  ornent  les  albums  d'Albert  Guillaume  ;  c'est  dire 
que  chacune  est  un  pur  chef-d'œuvre  d'élégance,  de  mouvement  et  de 
vérité.  Toutes  sont  articulées  d'après  des  procédés  inédits  qui  leur  per- 
mettent d'avancer,  de  reculer,  de  s'asseoir,  de  se  lever  et  de  faire  tous 
les  gestes  naturels  de  la  tête  et  des  bras.  Mais  certaines  sont  d'une  per- 
fection déconcertante  :  tel  ce  pianiste  chevelu  qui  s'agite  fiévreusement 
devant  son  clavier;  tels  ce  ténor,  cette  cantatrice,  dont  la  poitrine  se 
soulève,  dont  les  paupières  frémissent  et  dont  la  bouche  s'ouvre  pour 
laisser  passer  les  sons  qui  doivent  enchanter  ceux  qui  les  écoutent...  » 

Ces  gentilles  marionnettes,  dont  la  plus  grande  mesurait  cinquante  cen  - 
timétres,  et  qui  évoluaient  sur  une  scène  de  trois  mètres  d'ouverture 
sur  trois  mètres  de  profondeur,  se  montraient  à  nous  soit  dans  des 
tableaux  purement  plastiques,  comme  le  Cortège  présidentiel  ou  le  Défilé 
du  régiment,  soit  dans  des  saynètes  dialoguées  et  chantées,  comme  la 
Soirée  mondaim  et  les  Ballons  automobiles.  Il  va  sans  dire  que  pour  ces 
dernières,  des  interprètes  placés  à  la  cantonade  parlaient  et  chantaient 
à  la  place  des  petits  bonshommes  mécaniques,  lesquelsrestaient  en  proie 
à  une  aphonie  complète;  mais  la  concordance  de  la  parole  et  du  geste 
était  absolue.  (En  historien  consciencieux,  j'enregistre  les  noms  de  ces 
interprètes  invisibles  :  MM.  Dessarnaux,  Chapini,  M'""*^  Beaumont, 
Marie  Laclautre,  etc.)  Par  e.xemple,  je  déclare  que  les  pièces  représentées 
manquaient  absolument  de  saveur  et  de  montant,  et  que  sans  se  fouler 
on  eût  pu  trouver  mieux.  La  Soirée  mondaine,  surtout,  était  d'une  plati- 
tude rare;  on  sentait  un  peu  trop  que  le  dialogue  n'était  qu'un  prétexte 
au  jeu  des  petits  personnages,  et  nul  ne  se  serait  plaint  que  ce  dialogue 
eiit  un  peu  de  piquant  et  d'entrain. 

Mais  les  tableaux  muets  étaient  vraiment  surprenants,  et  le  Dé/ilé  du, 
régiment,  entre  autres,  était  une  petite  merveille.  Je  ne  saurais  mieux  faire, 
pour  en  donner  l'idée  la  plus  exacte,  que  de  reproduire  la  description  du 
programme,  qui  n'exagère  en  rien  l'effet  et  dont  la  fidélité  est  scrupuleuse . 

Nous  sommes  en  pleine  campagne.  Au  premier  plan  une  route  longeant  un 
village  bâti  sur  le  flanc  d'une  colline  abrupte,  au  sommet  de  laquelle  pointe 
le  clocher  de  l'église.  Le  jour  se  lève  :  les  premières  lueurs  de  l'aube  des- 
cendent sur  les  champs  à  peine  éveillés;  seul  un  cri  d'alouette  monte  dans 
l'azur.  Et  voilà  que,  de  très  loin,  des  sonneries  militaires  arrivent  jusqu'à 
nous.  D'autres  fanfares  y  répondent,  puis  de  nouveau  tout  se  tait.  Peu  à  peu 
le  jour  s'est  fait,  splendide.  Et  tout  à  coup,  là-haut,  tout  semble  s'agiter  :  les 
sonneries  des  clairons,  lourdement  scandées  par  les  roulements  des  tambours, 
nous  arrivent,  plus  vibrantes  et  plus  nourries;  le  régiment  parait  —  régiment 
microscopique  —  et  s'engage  dans  le  chemin  creux  qui  descend  en  lacet  la 
pente  raide  du  coteau.  Il  marche,  il  va;  le  bruit  se  rapproche:  voici  que  nous 
entendons  presque  le  roulement  assourdi  des  pas.  Et  soudain,  au  milieu  des 
notes  claironnantes  qui  déchirent  l'air,  retentissent  les  trois  coups  de  grosse 
caisse  traditionnels.  La  musique  attaque  un  vigoureux  pas  redoublé  :  c'est 
Sambre-et-Meuse,  la  marche  préférée  de  nos  soldats,  celle  qui  évoque  en  eux 
le  souvenir  d'une  épopée  d'héroïsme  et  de  gloire.  Et  le  régiment  débouche  à 
l'avant-scène;  voici  les  sapeurs,  puis  le  tambour-major,  superbe  et  majes- 
tueux, qui  pivote,  marche  à  reculons  et  brandit  sa  canne  avec  une  mâle  élé- 
gance; puis  les  tambours,  les  clairons,  les  musiciens.  Enfin  l'élat-major  entre 
en  scène  :  colonel,  lieutenant-colonel,  commandant,  capitaines  passent,  l'air 
martial  et  grave,  au  pas  de  leurs  chevaux  placides.  Et  derrière  s'allongent  les 
files  interminables  de  nos  petits  troupiers  alertes  et  pleins  d'entrain.  Et  tout 
ce  défilé  est  d'une  étonnante  exactitude  et  d'un  superbe  effet. 

Oui,  tout  cela  est  absolument  charmant,  et  ces  centaines,  ces  milliers 
de  petits  bonshommes  de  bois  ont  l'indépendance,  le  mouvement,  la 
souplesse  et  toute  l'apparence  de  la  vie. 


Il  y  avait  encore  d'autres  tableaux  :  le  Bal  des  Qaat-z'arts,  la  Place  de 
l'Opéra,  etc.;  mais  j'en  ai  dit  assez,  je  pense,  pour  faire  connaître  ce 
qu'étaient  les  gentils  Bonshommes  Guillaume,  un  spectacle  vraiment 
neuf  en  son  genre,  amusant  et  curieux.  Ils  furent,  du  reste,  et  fort  jus- 
tement, l'un  des  préférés  de  la  rue  de  Paris,  en  môme  temps  qu'un  des 
plus  originaux  de  toute  l'E.xposition.  Et  pourtant,  ceux-là  aussi  se  sont 
plaints  du  résultat,  et  ils  ont  réclamé  auprès  du  commissariat  général, 
et  ils  n'ont  pas  demandé  moins  d'un  million  d'indemnité.  Diantre  !  on 
peut  dire  de  nos  petits  Bonshommes  qu'ils  ne  se  mouchent  pas  du  pied. 

Toujours  est-il  que,  grâce  à  leur  succès,  ils  ont  entrepris,  à  l'issue  de 
l'Exposition,  une  vaste  tournée  à  travers  l'Europe,  tout  comme  de 
grands  artistes.  Ils  ont  dû  débuter  pour  les  fêtes  de  Noël  au  Crystal- 
Palace  de  Londres,  où  ils  sont  engagés  pour  plusieurs  mois,  et  de  là 
continueront  leurs  pérégrinations. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  M.  Debussy  a  réuni,  sous  ce  titre  :  Nocturnes, 
deux  pièces  orchestrales  vraiment  très  intéressantes  et  d'un  coloris  particu- 
lier. La  première.  Nuages,  fait  passer,  comme  une  broderie,  sur  un  tissu  ins- 
trumental changeant  par  intermittences,  quelques  embryons  mélodiques, 
seules  marques  de  la  vie  et  de  la  pensée,  phrases  rêveuses  et  plaintives  con- 
fiées le  plus  souvent  au  cor  anglais,  si  je  me  souviens  bien.  La  seconde, 
Fêtes,  aurait  moins  d'attrait  si  elle  n'était  rehaussée  par  un  petit  tableau  fan- 
tastique où  les  trompettes  sonnant  pianissimo  sur  une  sorte  de  sombre  glas 
formant  accompagnement  évoquent  à  l'instant  même  tout  un  monde  de 
visions.  Weber  n'aurait  pas  désapprouvé  cette  jolie  incursion  dans  son 
domaine  familier  de  lutins  et  de  gnomes.  L'ouverture  d'Euryanthe  n'offre- 
t-elle  pas  un  épisode  visant  au  même  but  par  d'autres  moyens?  L'orchestre  en 
a  très  bien  compris  le  sentiment  à  la  fois  chevaleresque  et  sentimental. 
M.  Cortot  a  très  bien  rendu  le  concerto  en  sol  de  Beethoven.  Son  jeu  de 
pianiste  est  alerte  et  délié  ;  sa  sonorité  charmante  quand  il  ne  raidit  pas 
l'attaque.  La  force  ne  lui  est  pas  naturelle;  il  ne  doit  pas  essayer  d'en  donner 
artificiellement  l'illusion.  M.  HoUmann  a  vu  son  talent  de  violoncelliste  fort 
apprécié  dans  un  concerto  dont  il  est  l'auteur.  M""*^  Blanche  Marchesi  a 
chanté  deux  airs  i'Alceste  et  Lorelei,  de  Liszt.  Le  sujet  de  ce  dernier  ouvrage 
est  emprunté  à  uu  vieux  conte  rhénan.  Lorelei  (Lore  ou  Laurc,  nom  propre, 
et  Leie,  écueil,  rocher,  mot  de  bas-allemand)  est  une  jeune  fille  qui  fut 
trompée  et  qui  se  venge  sur  tous  les  jeunes  hommes  qu'elle  peut  enivrer  de 
ses  séductions.  Le  poète  Brentano  a  recueilli  cette  légende  vers  1797,  mais 
sa  version  a  été  supplantée  par  celle  de  Heine,  datée  de  1822,  et  que  Silcher 
a  mise  en  couplets  dès  1837.  Liszt  a  écrit  sa  musique  avant  1843.  Il  a  eu  de 
tout  autres  visées  que  son  prédécesseur.  Chaque  épisode  poétique,  considéré 
isolément  comme  un  petit  tableau,  a  été  traité  par  lui  selon  le  sentiment 
qu'il  exprime,  et  cela  avec  une  sincérité,  une  fluidité  très  captivantes.  D'abord 
se  déroule,  en  longue  arabesque,  un  accord  de  septième  diminuée,  puis,  à 
l'entrée  du  récitatif  mesuré,  deux  arpèges,  si  majeur  et  mi  mineur,  prêtent 
leurs  notes  à  la  partie  vocale,  très  remarquable  par  l'impression  de  tristesse 
étrange  qui  s'en  dégage.  Une  phrase  eu  mi  majeur  peint  le  paysage  avec  ses 
fraîches  brises,  le  Rhin,  les  montagnes  et  le  soleil  couchant.  L'endroit  est 
connu  des  touristes  :  Lurley,  près  de  Saint-Goar.  Quand  Lorelei  parait,  la 
clarinette  chante  délicieusement  en  si  bémol.  Ensuite,  de  gracieuses  modu- 
lations conduisent  au  passage  où  est  exprimé  le  vertige  d'amour  du  batelier. 
C'est  un  frisson  rendu  musicalement  par  des  altérations  et  des  suites  chroma- 
tiques. Les  premiers  thèmes  reviennent  alors  et  terminent  l'œuvre  sur  le  ton 
de  l'élégie.  La  traduction  suivante  de  Heine,  très  fidèlement  littérale,  fera 
bien  comprendre,  si  on  la  rapproche  de  f  analyse  sommaire  que  nous  venons 
d'esquisser,  le  plan  musical  de  Liszt  : 

Je  ne  sais  pas  ce  que  veut  signifier  ma  grande  trislesse.  C'est  un  récit  du  vieux  temps  qui  ne  me 
sort  pas  de  l'esprit.  —  L'air  est  frais,  la  nuit  tombe  et  le  Rliin  coule  en  paix  et  avec  calme.  Le  sommet 
des  montagnes  brille  dans  la  lueur  du  soleil  couchant.  La  plus  belle  vierge  est  assise  lâ-haul,  merveil- 
leusem  ent.  Ses  joyaux  d'or  resplendissent,  elle  peigne  sa  chevelure  or,  elle  la  peigne  avec  un  peigne 
d'or,  tout  en  chantant  un  chant  d'une  mélodie  étrangement  puissante.  —Le  jjatelier  dans  son  petit 
bateau  en  est  saisi  d'une  douleur  violente  ;  il  ne  voit  plus  les  récifs  des  rochers,  il  ne  fixe  ses  regards 
qu'en  haut.  Je  crois  que  les  ondes  engloutiront  à  la  fin  le  batelier  et  son  bateau.  Et  c'est  ce  qu'a  fait  la 
Ixirelei  avec  son  chant. 

Amédée  Boutarel. 

—  M.  Colonne  a  donné  dimanche  dernier  une  nouvelle  audition  de  la 
Damnation  de  Fausl  qui  n'a  pas  été  inférieure  à  toutes  celles  qu'il  nous  a  déjà 
servies  précédemment. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  ut  (Schumann).  —  L'An  Mil,  poème  symphonique  (Pierné). 
—  Symphonie  inédite  (Haydn). 

Cliâtelet,  Concert  Colonne  :  Ouverture  du  flot  d'Ys  (Lalo).  —  Concerto  en  mi  majeur 
pour  violon  (Bach),  par  M.  'WiUy  Burmester.  —  Di.ertissement  sur  des  chansons  russes 
(Kabaud).—  Concerto  à  deux  pianos  (Mozart),  par  5BL  Diémer  et  Georges  de  Lausnay.  — 
Aria  (Bach)  et  Net  cor  pii  non  mi  se?!(o  (Paganini-Burmester).  —  Impressions  d'Italie 
(Charpentier). 

Nouveau-ïiiéatre,  Concert  Lamoureux  sous  la  direclion  de  M.  Clievillard  :  l'Or  du  Rhin 
(Richard  "Wagner),  interprété  par  MM.  Challet,  Bagis,  Vallobra,  Dantu,  Albérs,  Lubet, 
Guiod,  Sigwalt,  M""  Hayot,  O'Rorke,  Labatut,  Lormont,  Vicq,  Melno. 


14 


LE  MÉNESTREL 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  janvier).  —  M'"''  de  Nuovina  a 
commencé  hier,  par  la  Navairaise,  les  représentations  qu'elle  vient  donner,  à 
la  Monnaie.  L'œuvre,  si  pathétique  dans  sa  violente  concision,  de  MM.  Gain 
et  Massenet,  n'avait  plus  été  représentée  à  Bruxelles  depuis  le  départ  de 
M™'  Georgelte  Leblanc,  qui  la  créa  ici  d'une  façon  si  remarquable.  Le  public 
a  éprouvé  un  vif  plaisir  à  la  réentendre,  et  le  succès  de  cette  reprise  a  été 
très  grand.  Très  grand  aussi  le  succès  de  M""'  de  Nuovina  dans  le  rôle 
d'Anita,  qu'elle  joue  avec  son  tempérament  dramatique  très  personnel,  très 
en  dehors,  et  qu'elle  chante  avec  éclat.  M.  Dalmorès  est  tout  à  fait  excellent 
dans  celui  d'Araquil,  et  M.  Seguin  superbe  dans  celui  de  Garrido.  Orchestre  et 
mise  en  scène  ne  laissent  rien  à  désirer.  —  Bientôt  nous  aurons  une  reprise 
de  Manon,  avec  M""^  Thierry,  et  une  autre  de  Werther,  avec  M"'  Doria.  Et 
tout  le  monde  espère  que  M.  Massenet,  que  l'on  voudrait  fêter  comme  on  a 
fêté  récemment  M.  Saiut-Saëns,  viendra  diriger  lui-même  une  de  ces  œuvres. 

L.  S. 

—  Le  comité  pour  l'érection  d'un  monument  à  Richard  Wagner  dans  le 
Thiergarten  de  Berlin,  sur  l'emplacement  accordé  par  Guillaume  II,  vient 
d'ouvrir  à  ce  sujet  un  concours  parmi  les  artistes  de  nationalités  allemande  et 
autrichienne.  Les  projets  et  maquettes  doivent  être  présentés  avant  le 
1"  juillet  1901  et  les  frais  du  monument  ne  doivent  pas  dépasser  la  somme 
de  100.000  marcs,  soit  123.000  francs. 

—  On  a  souvent  reproché  à  Richard  Wagner  son  prétendu  égoïsme,  mais 
voici  un  document  inédit  qui  semble  prouver  le  contraire.  C'est  une  lettre 
adressée  de  Rome  le  23  novembre  1876  à  M.  Strecker,  chef  de  la  maison 
Schott  de  Mayence,  qui  publiait  à  cette  époque  l'Anneau  du  Nibelung.  Après 
aTOir  indiqué  quelques  corrections  à  faire  dans  la  partition  du  Crépuscule  des 
Dieux,  le  maître  continue  ainsi  : 

A  parler  franchement,  ma  lettre  d'aujourd'hui  a  un  autre  but.  Je  désire  recommander 
le  pins  sérieusement  à  votre  maison  d'édition  deux  quintettes  (piano  et  quatuor  à  cordes) 
de  M.  Sgambati  (Romain).  Liszt  avait  déjà  attiré  mon  attention  sur  ce  compositeur  et 
pianiste  excellent  dans  le  sens  important  du  mot,  et  actuellement  j'ai  eu  la  joie  réellement 
grande  de  taire  la  connaissance  d'un  talent  véritable  et  original  qui  n'est  pas  trop  à  sa 
place  à  Rome  (?  !)  et  que  je  voudrais  bien  présenter  au  grand  monde  musical.  Il  doit, 
selon  mon  conseil,  faire  un  voyage  de  Vienne  à  travers  l'Allemagne  pour  y  exécuter  ses 
compositions,  et  j'en  augure  un  succès  excellent  après  les  choses  ennuyeuses  (LcmgujeUig- 
keitenj  de  la  nouvelle  musique  de  chambre  allemande.  Pour  le  moment  je  vous  recom- 
mande, comme  je  l'ai  dit,  les  deux  quintettes,  que  je  me  suis  fait  jouer  déjà  plusieurs 
fois.  Saisissez  vite  l'occasion,  je  vous  prie,  et  encouragez  ce  musicien  très  important  par 
l'offre  d'honoraires  modérés.  S'il  ne  vous  arrive  pas  à  propos,  je  continuerai  à  l'aider;  je 
désire  seulement  une  prompte  réponse,  car  je  ne  reste  plus  ici  que  huit  jours. 

Avec  les  salutations  les  plus  dévouées. 

Votre 
RicH-\RD  "Wagner 

Via  Babuino  (Hôtel  America). 

Nous  prions  nos  lecteurs  de  bien  remarquer  la  date  de  celte  lettre,  qui  a 
d'ailleurs  produit  l'effet  désiré.  Elle  a  été  écrite  en  novembre  1876,  c'est-à- 
dire  quelques  mois  après  la  première  représentation  de  l'Anneau  du  Nibelung 
à  Bayreuth.  Or,  on  sait  quel  déficit  avait  donné  cette  première  année  de  son 
théâtre,  et  combien  Wagner  a  dû  soufl'rir  et  travailler  pour  le  combler.  Jus- 
tement pendant  son  séjour  à  Rome  en  1876  il  pensait  sans  cesse  à  l'état  dé- 
plorable de  sa  grande  entreprise,  et  il  a  cependant  trouvé  le  temps  et  le  cou- 
rage de  s'occuper  avec  bienveillance  d'un  jeune  artiste  auquel  il  ne  devait 
rien  et  qui  n'était  même  pas  son  compatriote.  Il  est  vraiment  dommage  que 
tous  les  artistes  arrivés  ne  pratiquent  pas  ce  genre  d'égoïsme  !  Bm.    ■ 

—  Le  théâtre  de  l'Ouest  de  Berlin  a  joué  avec  un  succès  fort  médiocre  un 
nouvel  opéra  en  un  acte  intitulé  iîenofa,  paroles  deM.  Menotti  Buja,  musique 
de  M.  Scarano. 

—  De  Berlin  nous  arrivent  les  éclats  retentissants  du  succès  de  M.  Pugno 
dans  ses  concerts.  Il  a  joué  avec  l'orchestre  de  la  Société  philharmonique  et 
soulevé  l'enthousiasme  en  exécutant  successivement  trois  concertos  de 
Beethoven,  Grieg  et  Saint-Saëns.  On  lui  a  fait  de  triomphales  ovations. 

—  Dans  un  des  derniers  concerts  de  la  Société  Wagner,  de  Berlin,  on  a 
exécuté  un  nouveau  poème  symphonique  intitulé  Barberousse,  qui  a  excité 
dans  le  public  un  véritable  enthousiasme  et  qui  a  valu  à  l'auteur,  dirigeant 
lui-même  son  œuvre,  une  dizaine  de  rappels.  Celui-ci  est  un  jeune  compo- 
siteur encore  peu  connu,  M.  Siegmund  von  Hausegger,  qui  est  un  des  chefs 
d'orchestre  des  concerts  Kaim,  à  Munich.  11  est  le  fils  de  Frédéric  von  Hau- 
segger, mort  en  1899,  professeur  d'histoire  et  d'esthétique  de  la  musique  à 
l'Université  de  Graz,  qui  s'est  fait  un  nom  par  la  publication  de  plusieurs 
ouvrages  fort  intéressants. 

—  Le  conseil  municipal  de  "Vienne  a  décidé  de  donner  le  nom  du  compo- 
siteur Antoine  Bruckner  à  une  belle  rue  récemment  percée  autour  de  l'église 
Saint-Charles  Borromée,  dans  ce  faubourg  Wieden  que  tant  de  musiciens 
célèbres  ont  "nahité. 

—  En  raison  du  grand  froid  qui  sévit  actuellement  à  Vienne,  la  musique 
militaire  qui  donne  tous  les  jours,  à  midi,  un  concert  dans  la  cour  François  II 
du  château  impérial,  a  été  invitée,  la  semaine  passée,  à  imiter  M.  Choulleury 
et  à  rester  chez  elle.  Déception  énorme  des  amateurs  nombreux,  que  la  tempé- 


rature plutôt  fraîche  de  2(i  degrés  Réaumur  au-dessuus  de  zéro,  équivalente 
à  23  degrés  centigrades,  n'avait  pas  empêchés  de  se  rendre  à  leur  salle  de 
concerts  favorite.  Il  est  vrai  que  la  grande  majorité  de  ces  amateurs  est  for- 
mée de  ces  gens  qu'on  nomme  à  Vienne  «  pèlerins  »  ^en  patois  Pûtclter) 
et  qui  seraient  fort  embarrassés  de  présenter  leur  carte  de  visite  pourvue  d'une 
adresse  quelconque;  mais  on  y  trouve  aussi  de  bons  bourgeois,  et  même  des 
musiciens.  Hans  de  Bûlovv.  par  exemple,  adorait  la  musique  militaire  autri- 
chienne ;  quand  il  était  à  Vienne  il  manquait  rarement  le  concert  du  château 
impérial  et  se  plaçait  parmi  les  pèlerins  les  plus  dépenaillés,  tout  près  des 
tambours,  dont  la  précision  rythmique  l'étonnait  et  le  charmait. 

—  La  popularité  légendaire  de  Lanner  et  de  Johann  Strauss  le  père,  aux-  ■ 
quels  on  doit  la  valse  viennoise,  se  manifeste  encore  un  demi-siècle  après  leur 
mort.  Le  comité  qui  a  ouvert  un  concours  pour  le  monument  qu'on  doit  éri- 
ger à  ces  deux  compositeurs  dans  un  faubourg  de  Vienne,  a  reçu  la  quantité 
respectable  de  cinquante  projets  et  maquettes.  Le  jury  aura  donc  fort  à  faire 
pour  arriver  aune  décision;  en  attendant,  tous  ces  projets  seront  exposés  pour 
qu'on  puisse  entendre  cette  fameuse  vox  populi  qui  chante  souvent  assez  juste. 

—  Grand  succès  au  Carlthéâtre  de  Vienne  pour  une  nouvelle  opérette  inti- 
tulée la  Princesse  enchantée,  paroles  de  M.  Victor  Léon,'musique  de  M.  Edouard 
Gaertner.  Ajoutons  que  le  succès  est  uniquement  dû  à  la  partition,  dont  on 
loue  la  fraîcheur  et  la  bonne  facture. 

—  Nous  avons  déjà  parlé  du  nouveau  théâtre  du  Prince  Régent  à  Munich 
et  des  conditions  de  son  exploitation.  Ce  théâtre  est  destiné  à  donner  chaque 
été  une  vingtaine  de  représentations  d'œuvres  wagnériennes,  plus  cinquante 
représentations  de  drame  ou  comédie.  De  plus,  il  servira  non  seulement  pour 
ses  propres  répétitions,  mais  aussi  pour  celles  du  «  Hoftheater  ».  Mais  voici 
le  fait  particulièrement  noiiveau  :  c'est  que  les  spectacles  devront  commencer 
de  bonne  heure.  Les  représentations  wagnériennes  commenceront  à  cinq 
heures  du  soir,  et  les  autres,  qui  pourraient  passer  pour  des  matinées,  devront 
être  rigoureusement  terminées  à  six  heures.  L'inauguration  du  nouveau 
théâtre  est  fixée  au  20  août  prochain. 

—  Voici  la  liste  des  ouvrages  lyriques  nouveaux  qui  ont  vu  le  jour  en 
Italie  au  cours  de  l'année  1900.  —  1.  Il  Cicérone  agli  scavi  di  Campa  Vaccina, 
opérette  en  3  actes,  de  M.  Giovanni  Mascetti,  Rome,  th.  Métastase;  —  2.  Tosca, 
opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Giacomo  Puccini,  Rome,  th.  Gostanzi;  — 

3.  7i>an,  id.  en  3  actes,  de  M.  Pasquale  La  Rotella,  Bari,  th.  Piccinni  ;   — 

4.  Vanilas  et  Amor,  «  nouvelle  mimique  »  en  S  actes,  de  M.  Emilio  Pizzi, 
Milan,  th.  Dal  Verme;  —  3.  La  Coppa  d'oro,  «  action  lyrico-gymnastique  » 
en  2  actes,  de  M.  Alfredo  Soffredini  (paroles  et  musique),  Milan;  —  6.  Gli 
Eroi  del  secolo,  opérette  en  un  acte,  de  M.  Gioachino  Morra,  Messine,  th.  Um- 
berto I;  —  1.  La  Sultana  di  piazza  Guglieimo  Pepe,  opérette  en  3  actes,  de 
M.  Luigi  Filanci,  Rome,  th.  Nuovo;  —  S.  Numa  Pompilio,  Re  di  Roma,  id.  en 
3  actes,  de  M.  Giovanni  Mascetti,  Rome,  th.  Métastase;  —  9.  //  Proscritto, 
opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Eugénie  Brenna,  Pietra  Ligure;  —  10.  Vittime, 
id.  en  2  actes  (nouvelle  édition  de  Colpa  e  Pena,  en  un  acte,  représenté  en  1897), 
de  M.  Ettore  Lucatello,  Venise,  th.  Rossini;  — 11.  La  Moretta,  id.  en  2  actes, 
de  M.  Alfredo  Fimiani,  Naples,  th.  Mercadante:  —  12,  Anton,  id.  en  i  actes, 
de  M.  Cesare  Galeotti,  Milan,  Scala;  —  13.  Il  Carbonaro,  id.  en  un  acte,  de 
M.  Vincenzo  Ferroni,  Milan,  th.  Lyrique;  —  l't.  La  Fiera  di  Gratta  ferrata, 
opérette  en  3  actes,  deM.  Giovanni  Mascetti.  Rome,  th.  Métastase;  — 13.  Cene- 
rentola,   «  fable  »  en  3  actes,  de  M.  Ermanno  Wolf-Ferrari,  Venise,  Fenice; 

—  16.  Ormesinda,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Annibale  Pellizzone,  Casal- 
monferrato;  —  il.  Il  Medico  del  villaggio,  opérette,  de  M.  Raflaele  Grana- 
Malgrado,  Modica;  —  18.  La  Caserma  dei  pompieri,  id.,  de  M.  Giulio  Lami, 
Rome,  th.  Métastase;  —  19.  Jarba,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Gaetano 
Rummo,  Bénévent;  —  20.  Zingari,  id.  en  un  acte,  de  M.  Andréa  Ferretto, 
Modène,  th.  Stnrchi;  —  21.  L'Osteria  délia  Posta,  opéra-comique  en  3  actes, 
de  M.  Pietro  Duffan,  Malte,  th.  Royal;  —  22.  Pasquino,  opérette  en  3  actes, 
de  M.  F.  Balderi,  Rome,  th.  Métastase;  —  23.  Vn  Viaggio  di  nosze  al  Polo 
Nord,  féerie  en  4  actes,  de  M.  Alfredo  Grandi,  Gênes,  Politeama;  —  24.  Zer- 
lina,  opéra  sérieux  en  2  actes,  de  M.  Edoardo  Caser,  Venise,  th.  Silvio  Pel- 
lico:  —  23  Bartolomeo  Pinelii,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Giovanni  Mascetti, 
Rome,  th.  Nuovo  ;  —  26.  Una  Slratlagemma,  id.,  de  M.  Cosimo  Leoncini,  Pise; 

—  27.  /gea, hymne,  de  M.  DanieleNapoletano,  Naples,  Auditorium:  —28. Les 
Petites  Mignon,  opérette  en  3  actes,  de  MM.  Giuseppe  et  Abele  Gessi,  San 
Remo,  th.  du  prince  Amédée;  —  29.  Carrado,  opéra  sérieux  eu  4  actes,  de 
M.  Alessandro  Marracino,  Rome,  th.  Adriano;  —  30.  Sordello,  id.  en  3  actes, 
de  M.  Ernesto  Vallini,  Florence,  th.  Pagliano;  —  31.  Le  Nozze  di  Cana,  can- 
tate, de  M.  Adolfo  Alvisi,  Bologne,  Lycée  musical;  —  32.  Fornarina,  idylle 
en  un  acte,  de  M.  Carlo  Corner,  Padoue,  Cercle  philharmonique;  —  33.  Gli 
Zingari,  «  esquisse  musicale  »,  de  M.  Zenobio  Navarini,  (paroles  et  musique); 

—  34.  Un'  Avvcnlura  galante,  opérette  en  3  actes,  de  M.  A.  Pestalozza,  Turin, 
th.  Balbo;  —  3b.  La  Tempesta.  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Raffaele  Del 
Frate,  Livourne,  Pnliteama;  —  36.  La  Spagnoletta,  opérette  en  3  actes,  de 
M.  Alfredo  Grandi,  Naples,  th.  Nuovo;  —  37.  Lucidea,  idylle  en  3  actes,  de 
M.  Augusto  Ferrari,  Milan,  th.  Philodramatique;  —  38. /nrioa  ai  mare,  esquisse 
musicale  en  un  acte,  de  M.  Giuseppe  Lanaro;  —  39.  Absalon,  drame  biblique 
en  4  actes,  de  M.  Luigi  Taccheo,  Chioggia;  —  tO.  El  Colomb  imbalsamaa,  vau- 
deville en  dialecte  milanais,  en  un  acte,  de  M.  Michèle  Noli,  Milan  ;  —  il.  Le 
Avvenlure  di  Peristillo,  opérette  en  3  actes,  de  MM.  Giuseppe  et  Abele  Gessi, 
San  Remo,  th.  du  Prince  Amédée  ;  —  42.  Don  Cirillo,  id.  en  3  actes,  de  M.  Gio- 
vanni Ercolani,  Piove  di  Sacco;  —  43.  Zaza,  comédie  lyrique  en  4  actes,  do 


LE  MENESTREL 


d5 


W.  Ruggero  Leoncavallo  (paroles  et  musique),  Miian,  th.  Lyrique;  —  U.  / 
Bersaglier  in  China,  zarzuela  eu  dialecte  milanais,  en  un  acte,  Milan,  Olympia; 
—  45.  Medio  Evo  Latino,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Ettore  Panizza.  Gènes, 
Politeama;  —  46.  In  Egitt,  vaudeville  en  dialecte  milanais,  en  un  acte,  de 
M.  Michèle  Noli,  Milan;  —  47.  La  Badia  di  Pomposa,  «  mélologue  »,  de 
M.  Viltore  Veueziani,  Ferrare;  —  48.  Le  Vergini,  comédie  lyrique  en  3  actes, 
de  M.  Antonio  Lozzi.  Rome,  th.  Quirino;  —  49.  Pompeiani,  vaudeville  en  dia- 
lecte milanais,  en  2  actes,  de  M.  Michèle  Noli,  Milan;  —  SO.  Atal-Kar,  opéra 
sérieux  en  4  actes,  de  M.  Cesare  Dall'Olio,  Turin,  th.  Balbo;  —  bl.  Varsavia, 
ià.  en  un  acte,  Roms,  th.  Quirino.  —  Nous  n'avons  pas  compris  dans  cette 
liste  un  certain  nombre  de  petits  ouvrages  exécutés  soi!  par  des  amateurs, 
soit  par  des  enfants  de  diverses  écoles.  Mais  il  y  faut  ajouter  plusieurs  ora- 
torios, dont  le  nombre  augmente  chaque  jour  en  Italie  depuis  les  exploits  de 
don  Lorenzo  Perosi.  Voici  ceux  qui  ont  été  exécutés  pubUquement  :  i.  Sanc- 
tus  Petrus,  du  P.  Ludovico  Hartmann,  Rome,  église  de  San  Carlo  al  Corso  ;  — 
2.  Maria  desolala,  de  M.  Nardelli,  Naples,  th.  Bellini;  —  3.  L'Enlrata  di  Crislo 
in  Gerusalemme,  de  don  Lorenzo  Perosi,  Milan,  salon  Perosi;  -■  4.  Im  Strage 
degli  Innocenli,  de  don  Lorenzo  Perosi,  id.,  id.;  —  3.  Il  Cantico  dei  Cantici,  de 
M.  Italo  Montemezzi,  Milan,  Conservatoire;  —  6.  La  Samaritana,  de  M.  R. 
Leporetli,  Empoli,  th.  Salvini. 

—  Le  Cyrano  de  Bergerac  de  M.  Edmond  Rostand  est-il  destiné  à  se  trans- 
former au  profit  de  la  scone  lyrique?  Voici  qu'on  annonce  d'Italie  que 
M.  Giacomo  Puccini,  l'auteur  de  la  Bohème  et  de  la  Tosca,  travaille  à  un  opéra 
dont  le  livret  est  tiré  de  ce  joli  chef-d'œuvre,  sans  qu'on  nous  fasse  d'ailleurs 
connaître  encore  le  nom  de  l'auteur  de  ce  livret.  Mais  on  ajoute  déjà,  ce  qui 
est  peut-être  prématuré,  que  l'ouvrage  sera  représenté  au  théâtre  San  Carlo 
de  Naples  pendant  la  saison  de  1901-1902,  et  que  le  rôle  de  Cyrano  sera  tenu 
par  le  fameux  ténor  De  Lucia. 

—  Tandis  que  Milan  regorge  de  théâtres  lyriques,  Rome,  la  capitale  du 
royaume,  n'en  a  pas  un  seul  en  cette  saison  de  carnaval,  si  fameuse  tradition- 
nellement sous  ce  rapport  par  toute  l'Italie.  Le  théâtre  Argentina  reste  fermé  : 
au  théâtre  Gostanzi  agit  une  compagnie  d'opérette;  au  théâtre  Adriano  la 
compagnie  dramatique  de  Giovanni  Emanuel;  le  théâtre  Valle  est  occupé  par 
la  troupe  dite  «  Maison  de  Goldoni  »,  récemment  organisée  par  M.  Novelli  : 
au  théâtre  dramatique  national  on  trouve  une  compagnie  d'opérettes-féeries; 
au  théâtre  Quifino,  encore  opérette,  avec  ballet;  au  théâtre  Nuovo,  toujours 
opérette,  cette  fois  en  dialecte  romanesque.  Cependant  le  public  romain  ne 
sera  pas  complètement  privé  d'opéra  pendant  toute  cette  saison,  et  une  troupe 
lyrique  va  venir  le  17  janvier  remplacer  au  théâtre  Gostanzi  la  troupe  d'opé- 
rette qui  semblerait  devoir  se  perdre  sur  cette  vaste  scène.  La  nouvelle  troupe 
est  composée  des  artistes  dont  voici  les  noms  :  MM.  Luigi  Alvarez,  Amedeo 
Bassi,  Alessandro  Bonci.  Giuseppe  Cremona,  Ferruccio  Corradetti,  Francesco 
Daddi,  Gostantino  Nicolay,  Arturo  Pessima,  Luigi  Poggi,  et  M™^  Bice  Adami, 
Maria  Barrientos,  Gemma  Bellincioni  et  Gelestina  Boninsegna.  Le  cartellone 
annonce  deux  œuvres  inédites.  D'abord  le  Maschere,  de  M.  Mascagni,  dont. 
on  le  sait  aujourd'hui,  la  première  représentation  aura  lieu  le  même  soir  sur 
Tieu/' théâtres  à  la  fois,  l'auteur  faisant  au  public  romain  l'inappréciable  hon- 
neur de  venir  diriger  en  personne  celle  du  Gostanzi.  Le  second  ouvrage  nou- 
veau est  Lorensa,  dont  M.  Mascheroni  a  écrit  la  musique  sur  un  livret  de 
M.  Luigi  lUica,  et  qui  sera  aussi  dirigée  par  l'auteur.  Ou  compte  sur  un 
double  succès.  Souhaitons-le.  La  saison,  commencée  le  17  janvier,  durera  un 
peu  moins  de  trois  mois,  jusqu'au  10  avril. 

—  Le  métier  do  chanteur  n'est  décidément  pas  désagréable,  au  moins  pour 
quelques-uns,  et  sous  ce  rapport  le  vingtième  siècle  ne  parait  pas  devoir 
s'éloigner  des  traditions  du  dix-neuvième.  Veut-on  savoir  ce  que  gagnent 
quelques-uns  des  artistes  engagés  par  M.  Maurice  Grau  pour  la  saison  du 
Metropolitan  Opéra  House  de  New-York?  Un  de  nos  confrères  de  l'étranger 
va  nous  l'apprendre.  M.  Jean  deReszké,  l'étoile  lumineuse  de  la  compagnie, 
recevra  par  soirée  2.450  dollars,  soit  12.500  francs,  quarante  représentations 
lui  étant  assurées,  de  sorte  que  cette  campagne  de  deux  mois  lui  rapportera 
tout  juste  un  demi-million.  A  ce  prix-là  on  peut  affronter  pendant  quelques 
jours  le  mal  de  mer,  si  tant  est  qu'on  y  soit  sensible.  M""'  Nellie  Melba,  qui 
sera  la  Juliette  de  ce  Roméo,  recevra  1.200  dollars  par  soirée,  M"":  Teruina 
1.000  dollars;  quant  à  M'""  Lillian  Nordica,  elle  aura  60.000  dollars,  c'est-à- 
dire  300.000  francs  pour  la  saison  entière.  Côté  des  hommes,  M.  Van  Dyck 
1.000  dollars  par  soirée,  M.  Edouard  de  Reszké  700  dollars,  M.  Scotli,  bary- 
ton, 500  dollars.  Nous  ne  parlerons  pas  du  menu  fretin,  qui  devra  se  con- 
tenter de  quelques  malheureux  milliers  de  dollars  pour  la  saison.  Par  com- 
pensation en  faveur  de  M.  Grau,  il  faut  remarquer  que  la  moindre  loge  pour 
le  Metropolitan  se  paie  100  dollars  par  représentation.  A  ce  prix-là,  on  peut 
faire  les  choses  convenablement. 

—  Un  télégramme  de  New-York  annonce  que  M.  Edouard  Strauss,  de 
Vienne,  qui  était  en  train  de  faire  avec  son  orchestre  une  tournée  â  travers 
les  Etats-Unis,  est  tombé  malade  à  Albuquerque  (Nouveau  Mexique)  et  que 
son  état  inspire  de  vives  inquiétudes.  Le  dernier  des  fils  du  premier  Johann 
Strauss  est  âgé  de  70  ans. 

—  Un  tournoi  artistique  va  avoir  lieu  prochainement  à  Chicago,  que  les 
Américains  nomment  Porcopolis  et  qui  est  en  elfet  plus  connu  par  la  bête 
chère  à  saint  Antoine  de  Padoue  que  par  ses  artistes.  L'aldermanCoughlan,  de 
Chicago,  et  l'aldermau  Bridges,  de  New- York,  se  sont  provoqués  mutuellement  ; 
ils  doivent  chacun  composer  une  ballade,  paroles  et  musique,  et  la  chanter 
en  personne  devant  un  jury  fort  nombreux  convoqué  dans  un  rausic  hall  de 


Chicago.  Les  deux  ballades  sont  prêtes  ;  le  trouvère  de  Chicago  a  intitulé  la 
sienne  «  Chère  lune  d'amour  »,  et  celui  de  New-York  nomme  sa  ballade 
«  Doux  soleil  d'amour  ».  La  Wartbourg,  autrement  ditlemusic  hall,  "est  déjà 
louée  :  les  invitations  ont  été  adressées  au  landgrave,  c'est-à-dire  au  président 
du  jury  et  à  sa  cour  ;  on  n'attend  plus  à  Chicago  que  le  ménestrel  de  New- 
York  pour  prononcer  les  mots  sacramentels:  n  Wolfram  von  Eschenbach,  à 
toi  de  commencer  !  »  Et  nous  allons  voir  qui  l'emportera  de  la  lune  ou  du 
soleil. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

En  présence  do  la  déchéance  encourue  par  la  société  concessionnaire  du 
Cirque  des  Champs-Elysées,  le  conseil  municipal  va,  dans  une  de  ses  pro- 
chaines séances,  s'occuper  de  la  question  de  savoir  s'il  y  a  lieu  de  rendre  à 
la  promenade  publique  l'emplacement  enlaidi  par  les  constructions  inachevées 
ou  d'accepter  une  des  nombreuses  demandes  de  concession  nouvelle  présen- 
tées par  des  impresarii  se  déclarant  prêts  à  achever  les  travaux.  Voici  les 
principales  demandes  en  concession  : 

M.  Leoncavallo  donnerait  un  théâtre  d'opéra  international  avec  le  concours 
d'éditeurs  allemands  et  italiens. 

M.  de  Meyréna  donnerait  en  été  des  ballets  avec  attractions,  les  dimanches 
d'hiver  des  concerts,  et  pendant  la  mauvaise  saison  des  représentations  avec 
troupes  d'opéra  étrangères  et  ballets. 

M.  Aimeras  désire  réédifier  le  palais  des  Illusions  qu'il  a  organisé  à  l'Ex- 
position de  1900,  avec  salles  annexes  pour  auditions  musicales,  conféren- 
ces, etc. 

M.  Artigues  construirait  un  théâtre  international  avec  promenoir,  établis- 
sement de  thé,  concert  et  causerie-conférence. 

M.  le  comte  de  Dion  maintiendrait  la  destination  du  cirque,  concert,  spec- 
tacle. 

M.  Perret  et  ses  fils  édifieraient  une  maison  des  artistes.  M.  Georges  Bois 
a  également  l'intention  d'édifier  une  maison  des  artistes. 

MM.  Dorval  et  Auhert  donneraient  aux  bâtiments  la  destination  de  cirque- 
théâtre,  concert-spectacle  équestre. 

M.  Fouquiau  ferait  un  cirque-théâtre. 

M.  Maurice  Magnier  créerait  un  cirque  spectacle-concert. 

La  troisième  commission  a  pris  les  décisions  ci-après,  que  M.  René  Piault 
soutiendra  à  la  tribune  : 

Afin  d'obtenir  des  garanties  financières,  il  sera  demandé  à  tous  les  candidats  s'ils  accep- 
teraient de  verser  à  titre  de  dépôt  100.000  francs  à  la  première  réquisition,  une  somme 
complémentaire  de  200.000  francs  avant  la  signature  de  l'acte  de  concession,  étant  entendu 
que  250.000  francs  seront  restitués  aussitôt  après  la  réception  des  travaux,  et  que  le  surplus 
constituerait  le  cautionnement  de  50.000  francs  prévu  par  le  cahier  des  charges. 

Il  sera  procédé  en  l'étude  de  M"  Delorme,  notaire,  à  l'adjudication  au  bail  du  cirque 
des  Champs-Elysées  sur  les  bases  du  cahier  des  charges  précité,  entre  les  concurrents  qui 
en  auront  accepté  les  conditions  et  versé,  au  préalable,  le  cautionnement  de  300.000  francs 
stipulé. 

Cette  adjudication  aura  lieu  sur  la  mise  à  pi'ix  de  50.000  francs  de  loyer  annuel. 

Dans  le  cas  où  l'adjudication,  qui  aura  lieu  an  mois  de  janvier  1901,  ne  donnerait  pas 
de  résultat,  l'administration  est  invitée  à  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  obtenir  la 
démohtion  immédiate  des  constructions  existantes. 

—  Du  Gaulois:  «  Il  est  inexact  que  M.  Malherbe,  comme  il  avait  été  dit, 
songe  à  réunir  une  collection  de  photographies  et  d'autographes  d'artistes 
lyriques.  L'aimable  bibliothécaire  de  l'Opéra  caresse  d'autres  projets  beau- 
coup plus  intéressants.  Il  se  propose  d'organiser,  dans  la  galerie  de  la 
bibliothèque,  une  série  d'expositions  d'actualité  rétrospective.  Quand  on 
fêtera,  par  e.xemple,  la  millième  représentation  d'un  opéra,  quand  on  remon- 
tera quelque  œuvre  très  ancienne  et  très  oubliée;  ou  encore  quand  on  aura 
à  déplorer  la  mort  d'un  artiste  ayant,  de  son  vivant,  jeté  un  certain  éclat  sur 
l'Académie  nationale  de  musique,  M.  Malherbe  recherchera  tous  les  docu- 
ments relatifs  à  ces  pièces  ou  à  cet  artiste,  et  en  formera  une  exposition  qui 
ne  manquera  pas  d'intérêt.  Ce  n'est  pas  tout:  bientôt  la  galerie  de  la  biblio- 
thèque sera  ouverte  le  soir  et  accessible  aux  spectateurs  de  l'Opéra,  qui  pour- 
ront ainsi,  pendant  les  entr'actes,  venir  se  documenter  sur  l'histoire  du 
théâtre  et  faire  connaissance  avec  cette  partie  de  l'Académie  de  musique  que 
le  public  connaît  si  peu.  M.  Malherbe  espère,  par  ce  moyen,  attirer  quelques 
legs  à  la  bibliothèque  de  l'Opéra.  Pourquoi  pas,  après  tout,  puis  qu'elle  vient 
déjà  d'en  recevoir  un?  Le  fils  de  Tamburini  lui  a  légué  récemment,  en  ell'et, 
une  pendule  et  une  médaille  qu'il  tenait  de  son  père,  lequel  eut  l'occasion 
de  chanter  à  l'Opéra  dans  quelques  soirées  de  bienfaisance.  Ce  premier  legs 
est  un  commencement.  » 

—  Voilà  bien  des  mois  que  le  Ménestrel  a  trahi  le  secret  du  traité  passé 
par  M.  Gailhard  avec  les  héritiers  de  Wagner  pour  les  représentations  de 
la  tétralogie.  Le  trop  méridional  directeur  fulmina  alors  et  jura  ses  grands 
dieux  qu'il  n'en  était  rien  —  on  n'a  jamais  bien  su  pourquoi.  Mais  aujour- 
d'hui tous  les  journaux  exposent  complaisamment  son  programme  wagné>- 
rien,  et  il  ne  proteste  plus.  Ls  Ménestrel,  une  fois  de  plus,  avait  donc  dit  toute 
la  vérité. 

—  A  l'Opéra  nous  avons  eu  mercredi,  dans  les  Huguenots,  les  débiits  très 
remarqués  de  M.  Grosse,  qui  tenait  le  rôle  de  Saint-Bris.  M.  Grosse  est  le  fils 
de  l'ancienne  basse  de  l'Opéra,  qui  mourut  subitement  il  y  a  quelques  mois. 
Le  débutant  a  beaucoup  des  belles  qualités  qui  distinguaient  son  père  et  le 
public  lui  a  fait  un  accueil  chaleureux. 

—  Après  quelques  jours  de  repos  passés  dans  le  Midi,  M.  Albert  Carré  est 
de  retour  à  Paris.  Il  s'était  arrêté  à  Arles  pour  B'yilD"CTnni5fffSÏ"siJf'~ilffraVfe'"et 
aller  saluer  à  Maillaume  le  grand  poète  Mistral,  qui  a  fait  espérer  à  M.  Carré 


46 


LE  MÉNESTREL 


sa  venue  à  Paris  pour  la  reprise  de  cette  œuvre.  Eaûn,  pour  ses  élrennes, 
M.  Albert  Carré  a  trouvé  eu  rentrant  à  Paris  sa  nomination  au  grade  de  chef 
de  bataillon  dans  l'armée  territoriale,  et  l'excellent  patriote  a  déclaré  que 
rien  ne  pouvait  lui  faire  plus  de  plaisir. 

—  Heureux  débuts  à  l'Clpéra-Comique  du  jeune  ténor  Gautier,  qui  appar- 
tenait il  y  a  quelques  années  à  l'Académie  toulousaine  de  musique,  où  il 
chanta  Sigurd.  Sa  voix  est  jeune  et  généreuse  et  il  pourra  évidemment  rendre 
à  M.  Albert  Carré  les  meilleurs  services.  C'est  dans  Lakmé  qu'il  a  paru,  avec 
d'excellents  partenaires  comme  M""  Landouzy  et  M.  Vieuille.  Très  bonne 
soirée. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  FOpéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Basoche,  les  ^'oces  de  Jeannette  :  le  soir,  Manon. 

—  La  matinée  annuelle  que  l'Opéra-Comique  donne  au  bénéfice  de  la 
caisse  des  retraites  du  personnel  du  théâtre  aura  lieu  cette  année  le  jeudi 
31  janvier  et  comprendra  la  première  et  unique  audition  de  l'Intermezso,  de 
Henri  Heine,  avec  musique  de  M.  Gaston  Lemaire,  interprété  par  les  artistes, 
les  chœurs  et  l'orchestre  de  l'Opéra-Comique.  Le  prix  des  places  pour  les 
baignoires,  les  loges  de  balcon,  les  fauteuils  d'orchestre  et  de  balcon,  a  été 
fixé  à  '20  francs.  Les  autres  places  sont  au  même  tarif  que  d'habitude.  Le 
bureau  de  location  est  dès  aujourd'hui  ouvert  à  l'Opéra-Comique  (entrée  rue 
Marivaux). 

—  M.  Maurice  Grau,  l'habile  manager,  que  ses  grandes  affaires  d'Amérique 
occupent  suffisamment,  a  résolu  de  prendre  désormais  un  peu  de  repos  pen- 
dant la  saison  d'été.  Il  a  donc  résigné  ses  fonctions  de  directeur  du  théâtre 
Covent-Garden  de  Londres.  La  commandite,  fort  embarrassée,  s'est  aussitôt 
tournée  du  coté  de  M.  Galabrési,  le  directeur  si  expérimenté  qui  donna  tant 
de  lustre  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  Il  en  fut  fort  flatté,  mais, 
après  quelques  hésitations,  il  objecta  son  grand  âge  et  mit  en  avant  son  désir 
de  jouir  en  paix  d'une  retraite  bien  méritée.  C'est  alors  qu'on  eut  l'idée  de 
s'adresser  à  M.  André  Messager,  l'artiste  ardent  et  jeune  qui  semblait  devoir 
donner  le  mieux  une  nouvelle  impulsion  à  la  vieille  entreprise  anglaise.  Avec 
l'autorisation  de  M.  Albert  Carré,  qui  lui  accorde  pour  cela  le  congé  néces- 
saire, M.  Messager  a  accepté  de  se  dévouer  à  l'œuvre  qu'on  lui  proposait. 
Espérons  donc  voir  revenir  avec  lui  en  Angleterre  les  beaux  jours  de  la  musi- 
que française  qu'on  y  a  vraiment  trop  négligée  depuis  quelques  années. 

—  Mardi  prochain,  à  8  heures  et  demie  du  soir,  salle  Pleyel,  reprise  des 
séances  de  l'excellent  quatuor  Edouard  Nadaud.  Programme  entièrement 
consacré  aux  œuvres  de  M.  Théodore  Dubois  :  Suite  miniature  (petit  or- 
chestre); Sonate  piano  et  violon  (MM.  Diémer  et  Nadaud);  Deux  pièces  eu 
forme  canonique  ;  2=  concerto  de  piano  (M.  Diémer);  2«  suite  pour  instruments 
à  vent. 

—  Yvette  Guilbert,  qu'une  maladie  cruelle  éloigna  longtemps  de  la  scène, 
y  va  reparaître  avec  tout  un  nouveau  programme  d'art.  Elle  abandonne  ses 
anciennes  chansons,  d'un  goût  si  contestable,  pour  devenir  la  prêtresse  des 
œuvres  de  Baudelaire,  mises  en  musique  par  RoUinat.  Elle  a  dû  commencer 
vendredi  dernier  sa  nouvelle  entreprise  à  la  Bodinière.  Cette  première 
séance  sera  suivie  de  cinq  autres,  avec  conférences  de  M.  Arsène  Alexandre 
qui  parlera  des  «  Chansons  joyeuses  et  macabres  ».  M.  RoUinat  a  quitté  sa 
retraite  de  la  Creuse  pour  venir  assister  à  ces  séances. 

—  De  Marseille  on  nous  télégraphie  l'immense  succès  remporté  par  la  Cen- 
drillon  de  Massenet  et  Henri  Gain.  Quatre  à  ciuq  rappels  après  chaque  acte. 
Mise  en  scène  merveilleuse  ;  interprétation  de  premier  ordre  avec  M°"^=  Da- 
vray  (Cendrillon),  Marie  Boyer  (prince  Charmant),  Wanda  (la  Fée),  Gérald 
(Mme  de  la  Haltière),  MM.  Desmet  (Pandolfe)  et  P.ossel  (le  Roi).  Les  direc- 
teurs Lan  et  Dalbert  sont  félicités  par  la  presse  entière. 


—  M"'°  Dory  Burmeister-Petersen,  la  distinguée  pianiste,  donnera  le  lundi 
21  janvier  un  concert  à  la  Salle  Erard. 

NÉCROLOGIE 

En  la  personne  du  grand-duc  Charles-Alexandre  de  Saxe-Weimar,  qui 
vient  de  succomber  dans  sa  83'=  année,  l'art  musical  allemand  a  perdu  un  de 
ses  plus  grands  protecteurs.  Né  en  1818,  le  grand-duc  avait  pu,  dans  sa 
prime  jeunesse,  admirer  les  derniers  reflets  de  la  grande  époque  de  son  petit 
pays,  qui  s'était  terminée  avec  la  mort  de  Gœthe,  en  1832.  Il  était  un  des 
derniers  survivants  qui  avaient  connu  le  grand  poète  allemand,  et  il  pouvait 
se  vanter  qu'à  sa  naissance  Gœthe  lui  ait  dédié  un  poème  intitulé  les  Arts. 
Le  vers  du  poète  :  «  Son  premier  regard  tombe  sur  notre  cercle  »,  que  les 
muses  adressent  au  prince  nouveau-né,  était  comme  une  vaticination;  dès 
qu'il  eut  atteint  l'âge  d'homme,  le  prince  devint  en  ell'et  l'ami  et  le  protecteur 
de  tous  les  arts.  Favorisé  par  l'indépendance,  le  bien-être,  la  vie  et  l'admi- 
nistration économiques  dont  jouissaient  jusqu'en  1870  les  petits  états  alle- 
mands, le  grand-duc  a  pu  largement  cultiver  la  littérature  et  les  arts  et  leur 
donner  dans  sa  petite  capitale  un  asile  qu'ils  n'ont  pas  trouvé  à  cette  époque 
dans  mainte  grande  ville  d'Allemagne.  Nous  devons  nous  borner  ici  à  une 
brève  mention  des  mérites  qui  assurent  au  prince  disparu  une  place  marquée 
dans  l'histoire  de  l'art  musical.  C'est  lui  qui  a  su,  en  184'ï,  attacher  Liszt  à 
sa  cour  et  à  son  théâtre;  pendant  les  deux  lustres  où  ce  grand  artiste,  alors 
à  son  apogée  comme  compositeur  et  comme  exécutant,  se  trouva  à  la  tête 
des  concerts  et  des  représentations  lyriques  de  Weimar,  la  petite  ville  des 
bords  do  l'Ilm  fut  en  efl'et  un  grand  centre  pour  l'art  musical  allemand. 
Hector  Berlioz,  Peter  Cornélius,  Joachim  Rafl',  Hans  de  Bûlow,  Charles 
Tausig,  Joseph  .Joachim  et  beaucoup  d'autres  musiciens  se  sont  alors  rendus 
à  Weimar  et  y  ont  même  séjourné.  C'est  aussi  à  V/eimar  que  Liszt  a  pu 
arriver,  en  I8S0,  à  la  première  représentation  de  Lohengrin,  dont  l'auteur 
était  alors  un  pauvre  exilé  politique,  et,  ce  qui  est  vraiment  caractéristique, 
exilé  par  un  cousin  même  du  grand-duc,  par  le  roi  de  Saxe,  chef  de  la  ligne 
cadette  de  cette  maison  de  Saxe  à  laquelle  le  grand-duc  appartenait  lui-même 
comme  chef  de  la  ligue  aînée.  Richard  Wagner  a  royalement  payé  cette 
hospitalité;  grâce  à  son  Tannhiimer,  la  fam.euse  Wartbourg,  dont  l'admirable 
restauration  avait  préoccupé  le  grand-duc  dès  sa  dix-septième  année,  est 
aujourd'hui  familière  au  monde  entier.  Et  Liszt  a  remercié  le  prince  en  cé- 
lébrant dans  sa  Sainte-Elisabeth  une  princesse  qui  a  illustré  le  pays  du  grand- 
duc  et  dont  le  souvenir  s'impose  aux  visiteurs  de  la  Wartbourg.  Après  le 
départ  de  Liszt  toute  cette  splendeur  artistique  s'est  vite  évanouie;  mais 
après  la  mort  de  l'artiste,  son  protecteur  lui  a  une  fois  de  plus  témoigné  sa 
reconnaissance;  le  Musée-Liszt  est  aujourd'hui  installé  dans  la  maison  même 
où  le  souverain  avait  offert  l'hospitalité  au  musicien  hongrois.  Le  grand-duc 
Charles-Alexandre  semble  donc  s'être  vraiment  rendu  digne  d'une  statue, 
qu'on  pourra  placer  à  coté  de  celle  de  son  grand-père  Charles-Auguste,  l'ami 
de  Gœthe.  Bn. 

—  Cette  semaine  est  mort,  à  l'âge  de  62  ans,  un  excellent  artiste,  le  dan- 
seur Alfred  de  Soria,  mime  très  intelligent,  qui  appartenait  à  l'Opéra  depuis 
environ  vingt-cinq  ans.  Soria,  arrivant  d'Italie,  avait  commencé  sa  carrière 
parisienne  en  1874,  au  Chàtelet,  pendant  la  courte  campagne  d'Opéra- 
Populaire  qui  se  fit  alors  à  ce  théâtre.  Il  se  montra  avec  succès  dans  les  di- 
vertissements de  la  Belle  au  bois  dormant  de  Litolff,  des  Parias  d'Edmond 
Membrée,  et  de  la  reprise  des  Amours  du  Diable  de  Grisar.  C'est  après  la  dé- 
bâcle de  rOpéra-Populaire  qu'il  fut  engagé  à  l'Opéra,  qu'il  ne  quitta  plus 
depuis  lors. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Pour  paraître  prochainement  AU  MÉNESTREL  (tirage   limité) 

LE  CONSERVATOIRE  NATIONAL  DE  MUSIQUE  ET  DE  DÉCLAMATION 

—  DOCUMENTS   HISTORIQUES  &,  ADMINISTRATIFS  — 

Recueillis ,   établis   ou   rédigés 

PAR 

c:  or^r^TT-A-ivr     of»  i  e:  i=t  rt  e: 

Sous-chef  du  Secrétariat,  lauréat  de  l'Institut. 
Un  fort  volume   1x1-4:''   carré   de    106  0   pages,   pnlblié  par  l'Imprimerie   nationale. 

DOCUMENTS    HISTORIQUES 

I    L'École   royale   de  chant,   1784-1798;  —  II.    L'École   royale   dramatique,  1780-1789;  —  III.  La  musique  et  l'Ecole  de  la  garde  nationale,  1789-1790; 
IV.  L'Institut  national  de  musique,  1793-1795;  —  V.  Le  Conservatoire,  1793-1815;  —  VL  L'Ecole  royale  de  musique,  1816-1822. 

DOCUMENTS  ADMINISTRATIFS 
YII.  Actes  organiques  :  règlements,  arrêtés,  rapports  concernant  l'enseignement;  projets  de  réorganisation;— VIII.  Conseils  d'enseignement  et  comités  d'e.xamens, 
arrêtés,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  IX.  Personnel  administratif  et  enseignant,  1795-1900,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —X.  Exercices  des 
élèves  :  notice  historique,  programmes  1802-1900;  —  XI.  Palmarès  des  concours,  liste  des  professeurs  et  lauréats  par  branches  d'études,  morceaux  de  concours; 
dictionnaire  des  lauréats  (6.090  notices  biographiques);  statistiques,   élèves,   aspirants,   classes,   concours,   répartition   des  lauréats  par  lieux  d  origine  ; 
—  XII.  Distributions  des  prix;  discours  1797-1804;  programmes  des  concerts  1797-1900;  —  XIII.  Budgets  :  crédits,  dépenses;  —  XIV.  Legs  et  donations  en 
faveur  des  élèves;  —  XV.  Écoles  de  musique  des  départements.  —  Tables  chronologique,  analytique  et  des  noms. 
Prix   en    souscription,  jusqu'au  25   janvier  :    30  francs,  net. 
Adresser  les  demandes  AU  MÉNESTREL,   HEUGEL   ET   C'-,   i  bis,   rue   Vivienne,  à  Paris. 


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3643.  -  67-  mM  —  Ri"  3. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  20  Janvier  1901. 


VU. 


(Les  Bureaux,  a"",  rue  Vivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

MÉNESTRE 


lie  llaméfo  :  0  ff.  30 


MUSIQUE    ET    THE^TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Hamépo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6w,  me  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMÎIIIEE-TESTE 


1.  Peintres  mi^lomanes  (11"  article)  :  Lithographies  musicales,  Raymond  Bouyeu.  —  11.  Le 
théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (15"  article)  :  la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin. 
—  111.  Ethnographie  musicale,  notes  prises  à  l'Exposition  (li°  article)  ;  la  musique 
chinoise  et  indo- chinoise,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PRELUDIO   PATETICO 

de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  la  Romdika,  souvenir  de 
Smyrne,  de  Théodore  Lack. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  procliain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Au  bord  de  l'eau,  n°  3  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélodies  de  Théodore 
Dubois,  poésies  de  Sully- Prudhomme.  —  Suivra  immédiatement  :  Complainte 
de  saint  Nicolas,  harmonisée  par  A.  Périlhoc. 


PEINTRES   MÉLOMANES 


XI 

LITHOGRAPHIES  MUSICALES 

à  M.  Germain  Hédiard. 

—  Et  la  Fée  des  Alpes?  insista  la  voi.x  jeune,  quand  le  Faust  de 
Goethe,  idéalement  traduit  par  Schumann,  eut  déployé  son  intime 
et  haute  éloquence,  si  différente  du  pittoresque  poignant  de 
Berlioz!  Notre  ami  s'exécuta,  de  par  sa  bonne  grâce  habituelle. 
Et  pendant  quelques  minutes  trop  brèves,  dans  le  sourire  om- 
breux des  lumières,  les  Ans  staccati  subtils  et  les  courbes  ondu- 
leuses  de  Schumann  firent  passer  devant  les  yeux  songeurs 
l'arc-en-ciel  alpestre  oîi  glisse  une  blancheur  divine...  Sous  les 
doigts  précis  et  veloutés  de  l'interprète,  le  froid  piano  semblait 
se  colorer  des  suggestives  harmonies  de  la  harpe,  de  la  clari- 
nette et  des  violons  purs.  C'était  évocateur  et  charmant.  Schu- 
mann devenait  entre  nous  tous  comme  le  fil  invisible  d'une 
chaîne  magique,  et  «  autour  du  piano  »  nous  étions  penchés 
attentifs  avec  le  sourire  silencieux  des  enfants  jouant  au  furet. 
On  applaudit  Schumann  et  l'interprète  :  et  sur  l'accompagne- 
ment de  la  grêle  capiteuse  des  bravos,  le  docte  amateur,  avocat 
improvisé  de  Fantin-Latour,  se  tournant  vers  l'une  des  plus  fer- 
ventes, ajouta  : 

—  Quelle  grâce  dans  cet  art!  Quand  vous  alliez  au  vernissage 
des  Champs-Elysées,  accordiez-vous  une  pause  à  la  section  de 
lithographie? 


...  Pour  toute  réponse,  un  rire  interrogateur  semblait  récla- 
mer la  transition... 

—  Moi,  jamais!  dit  un  jeune  homme  très  correct.  Ma  devise,  à 
ce  propos,  est  celle  d'un  salonnier  bien  parisien  :  «.  Ici  l'on  gravi; 
filons!  » 

— 11  n'y  a  personne  dans  ces  salles,  donc  il  n'y  a  rien  d'inté- 
ressant à  voir,  conclut  malicieusement  la  blonde  admiratrice  de 
Schumann.  Et  puis,  dans  ce  désert,  on  craint  de  se  compromettre... 

—  Si  j'osais.  Madame,  je  vous  dirais  que  vous  semblez  donner 
raison  à  l'exclamation  de  Jacques-Louis  David,  mal  à  son  aise 
parmi  les  révolutions  artistiques,  et  déclarant  du  haut  de  son  exil 
que  le  goût  des  arts  est,  en  France,  «  un  goût  factice...  »  Dans 
ces  retraites  méprisées  gisent  des  trésors.  Et  combien  de  plai- 
sirs permis  qui  nous  échappent  par  notre  faute!  La  vie  est 
courte...  Bref,  un  artiste  se  mire  surtout  dans  son  œuvre  :  et 
pour  compléter  le  portrait  du  peintre  qui  nous  occupe  ce  soir, 
une  pareille  visite  était  nécessaire  quand  il  exposait  encore!  Chez 
Fantin-Latour,  le  pastelliste  et  le  lithographe  complètent  le 
peintre.  Ce  portraitiste  est  un  poète.  De  la  pénombre  idéale  ou 
familière,  toujours  poétique,  s'exhale  tout  le  parfum,  tout  le 
secret  d'un  moi;  quelle  meilleure  Égérie  que  la  Sincérité?  Vous 
remarquiez,  chaque  printemps,  ses  toiles,  qui  sont  des  rêves 
délicieux  :  l'exécution  même,  légère  et  poudroyante,  est  le  lan- 
gage naturel  du  songe;  Fantin-Latour  a  réalisé  le  vrai  pkin- 
air  des  scènes  magiques.  Ses  tableaux  retiennent  la  fleur  mysté- 
rieusement veloutée  de  ses  pastels;  ses  pastels  annoncent 
l'enveloppe  savamment  mystérieuse  de  ses  lithographies.  C'est 
toujours  la  «  musique  peinte  ».  Et  Gustave  Moreau  n'est  pas  le 
seul  héritier  direct  d'Eugène  Delacroix,  dont  les  Faust  outrepas- 
saient l'image  que  le  penseur  allemand  s'était  formée  de-  son 
œuvre!  Avant  de  poursuivre,  je  vais'prier  notre  hôte  d'ouvrir, 
sous  vos  yeux  ce  grand  carton  vert  où  le  catalogue  modèle, 
dressé  par  M.  Hédiard,  permet  de  rétablir  la  filiation  de  ces 
pièces  magiques. 

—  Les  lithographies  musicales  !  Plaise  aux  dieux  du  ciel  de  l'Art 
que  M.  Bracquemond  ne  puisse  nous  entendre,  car,  s'il  admire 
l'œuvre  en  connaisseur,  il  ne  peut  souffrir  cette  alliance  de  mots 
qui  la  désigne  ! 

—  Les  mots  sont  peu  de  chose  ;  mais,  en  art,  nulle  description 
ne  prévaut  sur  une  impression  fraîche.  L'œuvre  est  comme  une 
physionomie  :  il  faut  la  voir.  Rien  qu'en  regardant  les  «  images  », 
Mesdames,  votre  jugement  sera  fixé  sur  le  collaborateur  des 
musiciens!  Tenez:  N"  L  — Tannhàuser,  i''  acte,  Fantin,  IS62.  Le 
rêve  obsédant,  loin  du  théâtre.  Est-ce  assez  frappant,  ce  début? 
Et  quelle  plus  sûre  critique  d'art  que  la  remarque  de  cette 
marge  ?  Auprès  des  mélodieux  tourments  du  Vénusberg,  l'Amour 
désarmé,  l'Education  de  l'Amour,  les  Brodeuses,  les  mythologies  d'un 
Fragonard  sentimental  et  la  discrète  intimité  :  c'est-à-dire,  en 
germe,  toute  l'inspiration  du  peintre-lithographe.  Je  continue. 


18 


LE  MÉNESTREL 


Cinquième  planche  ;  -4  la  mémoire  de  Mobeii  Schumann,  Il ,  18,  i9 
août  1873  :  à  cent  vingt  lieues  du  Festival  de  Bonn  en  l'honneur 
de  son  poète  favori,  le  peinlre  mélomane  par  excellence  rêve 
cette  composition  virginale  et  qui  est  le  premier  de  ses  Ifom- 
mages  :  sur  un  tombeau,  des  fleurs  qu'apporte  une  ombre  fémi- 
nine, debout,  demi-nue,  si  chaste  !  Jamais  le  peintre,  qui  a  été 
«  fou  de  Tassaert  »,  ne  verse  dans  l'élégie  «  qui  nous  inonde  »  ; 
mais  Schumann,  son  inspirateur,  lui  suggère  le  sentiment  loyal 
qui  dévêt  pudiquement  sa  Muse.  N'est-ce  pas  le  musicien  qui 
soutenait  qu'à  certaines  époques  une  famille  d'esprits  parents 
domine?  Et  la  Fée  des  Alpes  de  Fantin-Tiatour  apparaît,  preuve 
flottante  de  ces  royautés  tacites...  Septième  planche  :  L'Anni- 
versaire: en  marge,  Souvenir  du  S  décembre  4815.  La  voilà,  cette 
omnipotence  du  souvenir  qui  est  le  plus  e.xquis  des  bienfaits  de 
l'art  et  de  l'amour  !  Cette  simple  date  évoque  le  dimanche  d'au- 
tomne où  les  bravos  vengeurs  du  concert  Colonne  accueillaient 
le  Roméo  et  Julietle  d'un  Hector  Berlioz  mort  sans  gloire.  Et 
aussitôt,  transition  délicate  entre  les  figures  de  rêve  et  les  por- 
traits groupés,  cet  hommage  plastique  se  composait  sous  le  front 
du  peintre  :  les  créations  féminines  du  musicien  se  donnant 
rendez-vous  sur  sa  dalle  funèbre... 

—  Quelle  délicieuse  idée .'  , 

—  Songez  que  c'était  en  1876,  à  une  époque  où  son  charme 
était  un  act-e  de  courage.  Le  compatriote  de  Berlioz  et  de  Sten- 
dhal l'exposait  l'année  suivante.  Et  ce  n'est  pas  toutl  Huitième 
planche  :  voici  la  Scène  première  de  Rheingold  ;  en  bas,  une  dédi- 
cace :  A  Monsieur  A.  Lascoiuc,  Souvenir  de  Bayreuth.  Cette  fois,  le 
peintre  a  fait,  comme  Ulysse,  un  beau  voyage  :  du  13  au  17 
août  1876,  sur  la  colline  sainte,  la  féerie  épique  de  l'Anneau  du 
Niebelung  enthousiasma  ses  oreilles  et  ses  yeux.  Journées  inou- 
bliables pour  l'heureux  pèlerin  de  l'intelligence.,  découvrant  un 
art  nouveau  dans  son  cadre,  une  prestigieuse  synthèse  renou- 
velée des  anciens  jours,  —  poésie,  chant  et  lumière  I  C'est  un 
assez  brillant  cours  d'esthétique.  Mais  comparez  vite,  par  la 
pensée,  le  Rheingold  de  Fantin-Latour  avec  le  décor  où  les  belles 
moqueuses  glissent  leur  blancheur  bleue  dans  l'eau  profonde, 
afin  de  comprendre  la  différence  essentielle  qui  sépare  le  théâtre 
agissant  de  la  planche  immuable.  Point  d'illustration  banale,  ni 
de  peinture  littéraire  !  Où  la  musique  finit,  la  peinture  com- 
mence ...  Et  la  Scène  finale  de  Rheingold  est  si  fortement  pensée  qu'elle 
semble  aux  amateurs  une  esquisse  de  îiubens.  L'œuvre  entier 
compte  aujourd'hui  près  de  140  planches,  où  l'inspiration  musi- 
cale est  prépondérante  :  «  esquisses  de  peintre  »,  ces  lithographies 
ont  tout  l'attrait  d'un  dessin  tiré  à  plusieurs  exemplaires.  Où  la 
peinture  finit,  la  musique  recommence  :  je  veux  dire  maintenant 
que  l'hiver,  dans  le  désespoir  des  jours  courts,  le  peintre  aban- 
donne tôt  sa  riche  palette  pour  dessiner  sur  la  pierre  d'après  les 
mélodieux  souvenirs  de  ses  quatre  maîtres  aimés.  Rossini  même 
ne  l'effraie  point,  car  il  est  libre.  Qu'il  traduise  les  Mélodies  syl- 
phides de  Robert  Schumann  ou  la  virgilienne  tendresse  des 
Troyens,  les  sombres  douleurs  de  Manfred  ou  l'essor  angélique 
de  Lohengrin,  ses  négligences  mêmes  deviennent  un  témoignage 
hautain  de  sa  volonté.  Feuilletons  encore:  l'épisode  païen  d'Hélène 
est  une  «  scène  de  Gœthe  »  que  Schumann  n'a  point  musiquée 
dans  son  Faust.  Et  quel  joli  romantisme  dans  ce  Poème  d'amour 
de  Johannès  Brahms,  où  le  couple  fervent  s'enivre  d'omljrage  I 
L'Etoile  du  Soir  pointe,  mélancolique.  Regardez,  voici  Béatrice  et 
Bénédicl  :  et  comme,  à  cette  vue,  nous  sommes  encore  sous  le 
baiser  mystérieux  de  ce  divin  duo-nocturne  où  les  jeunes  filles 
murmurent  enlacées  leurs  confidences  pures  à  la  nuit  qui  trem- 
ble !  Décor  et  mélodie  se  commentent  et  se  pénètrent.;  le  ros- 
signol ou  la  flûte  jette  sa  note  «  diamantée  »  ;  le  peintre  ajoute 
à  notre  amour  pour  le  musicien,  en  formulant  notre  vision  fris- 
sonnante. 

Et  lu  luoe  glissait  sur  la  cime  des  tormus, 

soupire,  avec  un  poète  mort  jeune  (1),  votre  rêve  qui  se  réalise. 
Parmi  nos  mélomanes  du  crayon,  nul  autre  ne  suggère  cette  poésie 
toute  personnelle.  Petit-flls  de  Prud'hon,  VAriel  de  Schumann 

(1 1  Emmanuel  Signoret,  qui  vient  de  moarir  subitement  à  vingt-huit  ans. 


s'incarne  vaporeusement  dans  une  lueur.  Oui,  Fantin-Latour 
excelle  dans  les  gris  profonds.  Sa  main  est  légère,  comme  son 
rêve.  Elle  chante... 

—  L'admiration  vous  rend  hardi  ! 

—  L'admiration  est  sœur  de  l'amour.  Madame  !  —  Wagner  ou 
Berlioz,  Tannhàuser  ou  Sara^la-Baigneuse.  —  toujours  la  même  ro- 
mantique impression  complexe,  un  peu  trouble  parfois,  de  cré- 
puscule musical  et  pittoresque.  Fantin  nous  fait  mieux  aimer  les 
compositeurs  qu'il  adore.  Ses  admirations  rappellent  les  amours 
éloquentes  des  adolescents  qui  nous  tracent  un  idéal  et  vague 
portrait  de  leur  idole.  Le  peintre  mélomane  illustre  les  magna- 
nimes et  passionnés  artisans  des  sonorités,  comme  son  initiateur 
Eugène  Delacroix  illustrait  Shakespeare  et  Gœthe,  Hamlet  et 
Faust.  L'amour  naît  inventif.  Et  les  deux  plus  beaux  minnesinger 
du  siècle  de  Victor  Hugo  trouvent  en  lui  leur  commentateur  d'au- 
tant plus  inspiré  qu'il  n'est  pas  musicien  lui-même,  qu'au  fond 
de  sa  pensée  toute  chaude  des  vivants  souvenirs  rien  ne  vient 
refroidir  l'illusion  de  la  imémoire.  Mais  lorsque  l'enchantement 
musical  se  déclare  ainsi,  le  peintre  est  frère  du  musicien  ;  et  si 
comprendre  c'est  égaler,  l'artiste  qui  a  voué  tout  son  cœur  à  la 
traduction  visible  des  divines  sonorités  fugaces  est  deux  fois  nn 
enviable  artiste.  Écrire  un  pareO  journal  de  concert  n'est  pas  le- 
fait  du  profane... 

Sur  ce  mot,  qui  traduisait  à  souhait  notre  émotion,  ne  fallait-il 
pas  songer  au  départ  ?  Tout  passe,  musique  et  compagnie  douce  ;, 
et,  ce  soir-là,  les  oreilles  charmées  non  moins  que  les  yeux,  nous 
nous  séparâmes  lentement,  sous  la  neige. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVBB  SELLE    DE     1900 

(Suite.) 


LA    RUE    DE    PARIS 

Le  Théâtre  Lo'ie  Fulkret  M'"'  Soda  Yacco.  —  Parlons  im  pou  de  cette 
étoanante  Sada  Yacco,  qui  a  surpris,  ému  et  charmé  les  Parisiens 
pendant  plusieurs  mois,  et  dont  le  succès  a  été  le  plus  éclatant  et  le 
plus  soutenu  qu'on  ait  pu  constater  parmi  tous  les  spectacles  de  l'Expo- 
sition. 

La  venue  de  plusieurs  artistes  étrangères  nous  avait  déjà  prouvé  qu'on 
pouvait  rencontrer,  ailleurs  qu'en  France  et  en  Italie,  de  grandes  comé- 
diennes, et  que  M""'  Sarah  Bernhardt  et  M""=  Éleonora  Duse  avaient, 
dans  d'autres  pays,  des  rivales  et  des  émules  dignes  de  se  mesurer  avec 
elles.  Les  représentations  dounées  successivement  à  Paris  par  l'Espa- 
gnole M™^  Maria  Guerrero,  par  l'Allemande  M""'  Agnès  Sonna,  par  la 
Hongroise  M""^  Marie  Barkany,  par  la  Danoise  M""  Charlotte  Viehe, 
nous  ont  édifiés  à  cet  égard.  Mais  ce  dont  nul  ne  se  doutait  assurément, 
c'est  qu'il  existait  là-bas,  tout  là-bas,  au  fond  de  cet  Extrême-Orient 
encore  si  peu  connu  quoique  déjà  bien  e.Tploré,  une  actrice  capable  de 
rivaliser  en  son  genre  avec  ce  que  nous  connaissons  de  plus  parfait, 
capable  de  nous  procm'er,  dans  une  langue  absolument  ignorée  de  tous, 
avec  un  art  différent  du  nôtre,  des  émotions  aussi  intenses,  aussi  puis- 
santes, aussi  poignantes,  que  celles  que  nos  plus  grandes  artistes,  et  les  ' 
plus  célèbres,  pouvaient  nous  communiquer. 

Cette  artiste,  cette  comédienne  si  curieuse,  si  originale,  si  foncière- 
ment intéressante,  c'était  la  Japonaise  M""=  Sada  Yacco.  Et  ce  qu'il  y  a 
de  plus  extraordinaire,  c'est  que  cette  actrice  n'avait  eu  aucun  modèle, 
c'est  que  forcément  elle  s'était  formée  elle-même,  puisque  jusqu'à  elle 
aucune  femme  ne  s'était  montrée  sm'  les  scènes  du  Japon,  où,  comme 
dans  la  Grèce  antique,  les  rôles  féminins  étaient  toujours  tenus  par  de 
jeunes  hommes,  et  que  c'est  grâce  à  son  talent  qu'une  révolution  s'était 
opérée  dans  les  moiurs  théâtrales  de  ce  pays,  l'élément  féminin  étant 
admis  désormais  à  se  produire  en  public  et  à  prendre  dans  l'action 
scénique  la  part  qui  lui  revient  naturellement  et  légitimement. 

Je  ne  répéterai  pas,  à  propos  du  théâtre  japonais,  les  détails  circons- 
tanciés que  j'ai  donnés  à  cette  place  il  y  a  onze  ans,  lors  de  l'Exposition 
de  1889,  détails  que  mon  confrère  M.  Tiersot  a  reproduits  d'ailleurs 
récemment,  d'après  les  mêmes  sources  et  précisément  à  l'aide  des  mêmes 
citations.  Je  ne  veux  m'occuper  que  de  ce  que  j'ai  vu  cette  fois,  et  qui 
me  semble  assez  intéressant. 


LE  MÉNESTREL 


■19 


On  se  rappelle  que  le  théâtre  où  se  montrait  M'""  Sada  Yacco  était 
celui  que  s'était  fait  construire,  à  l'extrémité  de  la  rue  de  Paris,  miss 
Lole  FuUer.  la  célèbre  danseuse  lumineuse  américaine,  rjui  avait  voulu 
lui  donner  en  quelque  sorte  des  «  armes  parlantes  ».  Les  murs  de  sa 
façade,  d'aspect  bizarre,  représentaient  en  effet  comme  d'étranges  vagues 
de  flammes,  et  partout  on  voyait  des  mascai-ons,  des  cabochons,  des 
cariatides  représentant  sous  toutes  ses  formes,  dans  toutes  ses  évolutions, 
l'image  de  la  déesse  du  lieu.  Du  dehors  on  entrait  tout  di^  go  dans  la 
salle,  salle  en  longueur  et  en  amphithéâtre,  assez  étroite,  pas  très  vaste, 
avec  une  galerie  circulaire,  et  dans  laquelle  les  spectateurs  étaient 
entassés  en  des  fauteuils  d'une  largeur  à  peine  suffisante,  qui  ne  leur 
laissaient  guère  la  faculté  d'opérer  aucun  mouvement.  C'est  qu'aussi  il 
n'y  avait  jamais  assez  de  places  pour  les  amateurs  qui  se  pressaient  à 
l'entrée,  et  cpi'il  faisait  bon  les  retenir  d'avance  en  location,  bien  que 
leur  prix  fût  assez  élevé,  car  il  variait  de  deux  à  six  francs,  pour  monter 
jusqu'à  huit  francs  le  vendredi,  jour  sélect  et  de  gala. 

La  troupe  japonaise,  dont  les  acteurs  secondaires  eux-mêmes  ne 
paraissent  pas  sans  mérite,  nous  a  joué  deux  pièces.  L'une,  la  Kesa,  en 
deux  actes  et  plusieurs  tableaux,  me  fait  l'effet  de  ce  que  devaient  être 
il  y  a  un  siècle,  sur  nos  théâtres  de  boulevard,  ce  qu'on  appelait  alors 
des  mimodrames,  car  l'action  de  celle-ci  est  peut-être  plus  mimée  encore 
que  dialoguée.  L'autre,  la  Ghesa  et  le  chevalier,  est  aussi  un  drame  san- 
glant, dont  M"'"  Judith  Gautier  nous  a  donné  une  traduction  dans  l'in- 
téressante publication  qu'elle  a  faite  avec  le  concours  de  M.  Benedictus 
sous  ce  titre  :  Les  musiques  bizarres  à  l'Exposition  dé  1900  (1).  M°"  Judith 
Gautier  nous  apprend  que  le  scénario  de  ce  drame,  tel  qu'il  nous  a  été 
offert,  n'est  que  «  la  réduction  d'un  grand  dranie  historique  qui  a  trois 
cents  ans  de  date  »,  et  que,  dans  l'origine,  «  la  représentation  de  cette 
pièce  durait  deux  journées  ».  De  celle-ci  nous  n'avons  donc  guère 
qu'une  sorte  de  squelette,  d'ossature  même  incomplète;  il  en  reste 
assez  toutefois,  et  les  épisodes  en  sont  assez  bien  choisis  pour  mettre 
en  relief  et  nous  permettre  d'admirer  le  talent  étonnamment  souple, 
essentielliîment  varié,  mais  surtout  pathétique  jusqu'à  la  terreur  de 
M°"  Sada  Yacco. 

La  Kesa  me  parait  un  simple  «  mélo  »  qui  n'a  rien  à  envier  à  ceux 
■qu'on  voyait  florir  chez  nous  naguère,  sur  le  boulevard  du  Crime.  Une 
bande  de  brigands,  l'enlèvement  d'une  femme  à  main  armée,  un  combat 
entré  les  ravisseurs  et  le  défenseur  de  la  vertu,  combat  dont,  naturel- 
lement, celui-ci  reste  vainquem',  rien  n'y  manque.  L'action  se  complique 
ensuite  jusqu'à  nous  montrer,  par  une  suite  d'événements,  le  meurtre 
involontaire  de  la  femme  qu'il  aime  par  le  héros,  qui,  dans  l'obscurité, 

(1)  Paris,  OUendorff,  in-8°.  —  A  ceux  qui  voudraient  se  renseigner  d'une  façon  précise 
sur  le  théâtre  japonais,  je  signale  un  curieux  et  excellent  travail  publié  sur  ce  sujet  dans 
la  Revue  des  Revues  du  15  octobre  1900,  par  M.  J.  Hitomi,  délégué  spécial  du  gouvernement 
de  Formose  à  Paris.  Sans  en  avoir  les  développements,  cela  est  aussi  intéressant  et  plus 
curieux  que  le  livre  publié  il  y  a  une  quinzaine  d'années  par  le  fameux  général  Tcheng- 
Ki-Tong,  sur  le  Théâtre  des  Chinois. 


la  frappe  croyant  frapper  son  rival,  et  qui,  quand  son  erreui'  lui  est 
révélée,  se  tue  sur  le  corps  de  celle  qui  n'est  plus. 

Ce  drame  est  le  triomphe  non  pas  de  M'"'  Sada  Yacco,  dont  le  rôle 
n'y  est  que  secondaire  bien  quelle  y  soit  charmante,  mais  de  son  mari, 
M.  Âlojiro  Kawakami,  qui  ne  me  semble  pas  inférieur  à  elle-même  et 
qui  y  développe  une  incontestable  puissance  dramatique.  Presque  tout 
un  acte  est  occupé  par  cette  scène  du  meurtre  suivi  de  suicide,  scène 
entièrement  mimée  et  d'un  effet  singulièrement  émouvant,  dont  la  mise 
en  œuvre  n'est  pas  sans  quelque  analogie  avec  la  scène  finale  d'Othello. 
Morito  —  c'est  le  nom  du  héros  —  pénétre,  la  nuit,  dans  la  chambre  où, 
il  croit  couché  celui  qui  lui  a  ravi  sa  bien-aimée,  tandis  que  le  lit  est 
occupé  précisément  par  celle-ci.  Il  entre,  et  ici,  avant  d'accomplir  son 
crime,  une  sorte  de  combat  avec  lui-même,  des  alternatives  d'indécision 
et  de  volonté,  une  anxiété  terrible.  Il  se  décide  enfin,  s'approche  lente- 
ment du  lit  et,  aprt'S  une  dernière  hésitation,  plonge  son  poignard  dans 
la  gorge  de  la  victime.  Il  exprime  alors  sa  joie  de  l'acte  accompli,  essuie 
le  sang  dont  ses  mains  sont  rougies...  Mais  voici  qu'on  entre,  la  chambre 
s'éclaire,  Morito  découvre  sa  terrible  méprise,  et  sa  joie  féroce  se  change 
en  désespoir.  Bientôt,  ne  pouvant  supporter  l'horreur  de  sa  situation, 
il  résout  de  se  tuer;  il  arrache  ses  vêtements,  et  du  même  poignard 
qui  l'a  fait  assassin,  il  s'ouvre  le  ventre,  puis,  la  mort  ne  venant  pas 
assez  vite,  il  se  coupe  la  veine  jugulaire.  On  assiste  alors  à  son  effroyable 
agonie,  jusqu'à  ce  que,  dans  un  spasme  suprême,  il  tombe  enfin  mort 
les  yeux  grands  ouverts,  effrayant  de  vérité. 

On  ne  peut  s'imaginer  la  puissance  terrifiante  que  l'action  donne  à 
cette  longue  scène  mimée,  non  avec  des  gestes,  car  il  n'en  fait  aucun 
qui  ne  soit  indispensable  à  l'action  proprement  dite,  mais  simplement 
avec  les  jeux  étonnants  de  sa  physionomie,  avec  ses  regards,  avec  la 
contraction  de  ses  lèvres,  qui  expriment  toute  la  garame  des  sentiments 
divers  dont  il  est  successivement  agité.  Il  y  a  là  tous  les  éléments  d'un 
art  nouveau  pour  nous,  d'un  art  dont  nous  ne  connaissions  ni  la  puis- 
sance ni  la  grandeur.  Comme  «  rendu  »,  cet  art  réaUste  est  simplement 
superbe,  et  celui  qui  le  pratique  de  la  sorte  mérite  la  plus  profonde 
estime.  Il  m'est  avis  même  qu'on  n'a  pas  été  complètement  juste  pour 
M.  Kawokami,  et  qu'il  a  été  un  peu  trop  éclipsé  par  sa  femme,  dont  je 
ne  veux  certes  pas  rabaisser  l'incomparable  talent,  mais  qui  a  bénéficié 
peut-être  un  peu  trop  exclusivement  de  la  sympathie  qui  s'attache  tout 
naturellement  à  son  sexe.  J'ajoute,  pour  le  reste,  que  la  mise  en  scène 
de  ce  drame  de  Kesa  est  réglée  avec  une  précision  et  un  soin  étonnam- 
ment scrupuleux,  qui  pourraient  faire  envie  â  quelques-uns  de  nos 
théâtres.  L'épisode  du  combat  de  Morito  contre  les  brigands  est  sous  ce 
rapport  bien  curieux,,  et  l'on,  dirait  que  leurs  acteurs  se  trouvent  tout 
â  coup  transformés  en  clo'wns,  tellement  leurs  évolutions  sont  rapides 
et  surprenantes,  étant  donnée  surtout  l'exiguïté  de  leur  scène  et  l'espace 
singulièrement  restreint  dans  lequel  ils  doivent  agir. 

(A  suivre.)  Arthur  Podgin. 


ETHNOGRAPHIE  MUSICALE,  NOTES  PRISES  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1900  (^^itc-) 


IV.  —  MUSIQUE  CHINOISE  ET  INDO-CHINOISE 

J'ai  pu  noter  sous  la  dictée  de  M.  Viang la  ligne  mélodique  entière  du 
m.orceau  qui  forma  la  base  essentielle  du  répertoire  musical  au  Théâtre 


Indo-Chinois.  Beaucoup  plus  net  d'intonation,  il  fut  infiniment  plus 
facile  à  transcrire  que  les  airs  des  danses  japonaises;  et  s'il  diffère  par 
la  forme  extérieure,  il  est  également  caractéristique  du  style  de  la  mu- 
sique d'Extrême-Orient. 


Ce  morceau  est  écrit  très  purement  dans  l'échelle  de  la  gamme  de 
cinq  notes  sans  demi-tons  :  Do  ré  mi  sol  la-do.  Pas  un  si  ni  un  fa  n'y 
parait  une  seule  fois.  L'hymne  chinois  des  Ancêtres,  dans  son  style 
mélodique  si  différent,  était  déjà  construit  d'après  le  même  principe 
(gamme  ci-dessus  transposée  à  la  quinte  grave,  fa,  etc.).  L'un  et  l'autre 
donnent  l'impression  du  mode  majeur  (ut  ou  fa)  malgré  leurs  cadences 
finales  sur  des  degrés  autres  que  la  tonique. 


Il  est  cependant  des  cas  où,  sans  cesser  d'être  basées  sur  celte  échelle 
de  cinq  notes,  des  mélodies  d'Extrême-Orient  donnent  l'impression  de 
modes  différents  du  majeur.  C'est  qu'alors  la  tonique  est  placùe  sur  un 
degré  autre  que  la  première  note  de  l'échelle.  Déjà  la  précédente  mélo- 
die, bien  qu'établie  d'une  façon  générale  dans  le  ton  d'ut  (avec  l'emploi 
constant  de  l'arpège  de  l'accord  parfait  do  mi  sol)  semblait  par  endroits 
donner  une  impression  plus  ou  moins  vague  de  ré  mineur,  et,  en  défi- 


20 


LE  MÉNKSTREL 


ailive,  sa  cadence  finale  et  lit  formée  par  les  deux  notes  fondamentales 

de  ce  ton  :  la  ce. Voici  maintenant  la  mélodie  d'une  chanson  populaire 

-Xhinoise  que  je  trouve  notée  dans  un  livre  anglais  imprimé  en  188i  (  1  ). 

Celle-ci  est  basée  sur  la  gamme  de  ciuq  notes  :  Sol  la  si  ré  mi-sol:  mais 


les  notes  tonales  sont  manifestement  la  mi  (tonique  et  dominante):  et, 
chose  curieuse,  bien  que  les  deux  principales  notes  modales,  do  et  fa 
(la  tierce  et  la  sixte)  ne  soient  pas  articulées  une  seule  fois,  l'on  n'en  a 
pas  moins  impérieusement  l'impression  de  la  mineur. 


De  six  mélodies  chinoises  notées  dans  le  livre  qui  vient  d'être  cité 
d'une  est  une  marche  funèbre  instrumentale),  quatre  présentent  les 
mêmes  particularités,  la  Ionique  étant  prise  sur  le  second  degré  de 
l'échelle  naturelle  incomplète.  Une  cinquième  est  également  mineure, 
la  tonique  étant  prise  sur  le  sixième  degré  (échelle  naturelle  :  fa  sol  la 
(lo  ré- fa,  tonique  ré,  relatif  mineur  de  la  fondamentale).  Une  seule  est 
franchement  majeure. 

Ces  considérations  théoriques,  pour  arides  qu'elles  puissent  être, 
n'en  sont  pas  moins  fort  à  leur  place  dans  cette  étude,  et  leur  impor- 
tance est  notable.  C'est,  en  effet,  eu  multipliant  les  observations  de  cette 
sorte,  que  l'on  pourra  parvenir  à  dégager  définitivement,  et  d'une  ma- 
nière solide  et  stable,  les  principes  généraux  de  la  modalité.  Nous  ne 
connaissons  guère  encore  que  les  modes  européens  :  ceux  des  anciens 
grecs,  ceux  du  moyen  âge,  ceux  qui  constituent  la  tonalité  moderne.  Il 
est  bon  que  nous  nous  familiarisions  de  môme  avec  les  pratiques  usi- 
tées à  l'autre  bout  du  monde. 

Résumons  donc  aussi  brièvement  qu'il  sera  possible  les  principales 
données  que  cette  étude  nous  a  fait  connaître. 

Les  peuples  d'Extrême-Orient  (et  par  là  nous  entendons  ceux  dont 
nous  avons  étudié  la  musique  en  1889,  Javanais  et  Annamites,  comme 
ceux  qui  ont  fait  l'objet  du  présent  travail.  Japonais,  Chinois  et  peuples 
de  nos  colonies  d'Indo-Chine)  ont  un  système  musical  qui  leur  est 
projire,  et  dont  la  base  fondamentale  est  une  gamme  de  cinq  notes, 
simplification  de  la  gamme  de  sept  notes  en  usage  en  Occident  (2). 

Théoriquement,  ils  reconnaissent  l'existence  des  deux  notes  complé- 
mentaires, ainsi  que  de  tous  les  demi-tons  intermédiaires,  portant  ainsi 
à  douze  degrés  la  division  de  l'octave,  —  exactement  comme  nous  -mêmes  ; 
mais  tandis  que  nous  employons  sans  scrupules  tous  ces  degrés,  eux, 
dans  la  pratique  de  l'art,  s'en  tiennent  à  ceux  de  la  gamme  simple, 
n'usant  des  autres  notes  que  dans  des  circonstances  très  exceptionnelles, 
que  nous  définirons  tout  â  l'heure. 

Cette  gamme  de  cinq  notes  présente  tous  les  caractères  du  majeur  : 
preuve  nouvelle  que  le  majeur  est  le  mode  fondamental  de  toute  musi- 
que, —  LE  Mode. 

Cependant  elle  se  prête  à  recevoir  des  mélodies  conçues  dans  d'autres 
modalités,  la  tonique  pouvant  être  prise  sur  un  degré  de  l'échelle  autre 
que  la  fondamentale.  Vu  le  caractère  rigoureusement  diatonique  do 
cette  musique,  ces  autres  modes  ue  peuvent  être  mieux  désignés  que 
par  les  noms  des  modes  grecs.  C'est  ainsi  que  la  dernière  mélodie  notée, 
avec  sa  tonique  la  que  précède  à  la  première  cadence  un  sol  naturel, 
nous  donne  d'abord  une  impression  très  vive  d'hypodorien  ou  èolien, 
tandis  qu'à  la  cadence  finale,  avec  la  conclusion  sur  mi,  elle  se  dessine 
définitivement  en  dorien. 

A  vrai  dire,  les  finales  des  mélodies  d'Extrême-Orient  ne  sauraient 
être  prises  en  considération  pour  servir  de  base  tonale.  Presque  jamais 
il  n'arrive  que  la  note  qui,  pour  notre  sentiment,  est  tonique,  soit  celle 
sur  laquelle  s'achève  le  morceau.  Le  cas  n'est  guère  plus  fréquent  pour 
la  dominante.  Ces  finales  semblent  choisies  de  façon  tout  à  fait  arbi- 
traire :  tout  au  moins  n'ai-je  pas  encore  pu  comprendre  les  causes  qui, 
la  plupart  du  temps,  ont  pu  les  faire  adopter. 

Nous  avons  dit  que  la  gamme  de  cimj  notes  avec  tierce  majeure  était 
l'échelle  fondamentale  de  la  musique  d'Extrémc-Orient,  mais  que  par- 
fois les  autres  degrés  de  la  gamme  chromatique  n'étaient  pas  exclus. 
Cela  peut  être  vrai  pour  des  chants  exécutés  sur  des  instruments  sus- 
ceptibles de  faire  entendre  tous  ces  degrés,  et  surtout  pour  les  chants 
vocaux.  Rappelons-nous  la  musique  javanaise  :  les  instruments  dont  se 
compose  le  gamelang  sont  tous  accordés  suivant  l'échelle  de  cinq  tons; 
mais  parfois,  tandis  que  le  développement  musical  dont  l'interprétation 
leur  est  conliée  se  déroule  exclusivement  sur  ces  cinq  notes,  du  milieu 

(I)  Chinese  Simic,  by  J.  A.  Van  Aalst,  publiilied  by  ordi;r  of  llji'  Inspeclor  General  of 
Customs.  SImi.gliaï,  188/|. 

|2)  Cerlaines  mélodies  populaires  écossaises  et  irlandaises  sont  consli'uiles  dans  unr 
gamme  analogue; 


de  l'orchestre  sortent  les  sons  d'un  instrument  à  archet,  beaucoup  plus 
variés  et  comprenant  une  échelle  plus  riche. 

De  même  au  Japon,  où  le  Koto  est  pourtant  encore  accordé  par  cinq 
tons  ;  mais  le  Sliamissen,  admettant  la  division  de  la  corde  eu  aussi  petits 
intervalles  que  possible  fait  à  l'occasion  entendre  des  demi-tons,  aussi 
bien  qu'il  introduit  des  altérations  qui  produisent  des  modulations 
absolument  semblables  à  celles  de  la  musique  européenne.  C'est  ainsi 
que,  dans  uu  des  derniers  exemples  notés  de  musique  japonaise,  nous 
avons  pu  constater  l'emploi  significatif  du  fa  dièse  et  du  si  bémol,  les 
doux  premiers  accidents  employés  chez  nous.  Les  Japonais  ne  vont  pas 
plus  loin  :  du  moins  commencent- ils  exactement  comme  nous  avons 
commencé  nous-mêmes. 

Observation  importante  au  sujet  de  la  gamme  des  Japonais  :  ils  ont. 
avons-nous  dit,  la  gamme  de  cinq  tons,  mais  non  pas  majeure  :  mineure, 
étant  basée  non  sur  la  fondamentale  fa  (ou  do)  mais  STxrré  (ou  la).  Cela 
seul  suffit  à  modifier  considérablement  le  caractère  de  leur  musique  et 
à  lui  donner,  parmi  les  autres  musiques  d'Extrême-Orient,  une  physio- 
nomie toute  particulière. 

Si  bien  d'accord  avec  nous  sur  tous  les  principes  essentiels,  les  musi- 
ciens de  ces  régions  lointaines  ne  le  sont  pas  moins  en  ce  que,  connais- 
sant à  peine  le  genre  chromatique,  ils  pratiquent  bien  moins  encore 
l'enharmonique,  et  notamment  ignorent  de  la  façon  la  plus  complète  le 
quart  de  ton,  ce  mythique  intervalle,  cet  intervalle  fantôme,  dont  tout 
le  monde  parle,  mais  que  personne  n'a  jamais  vu  ni  entendu.  On  aura 
beau  aller  en  Chine,  on  ne  le  rencontrera  pas.  C'est  déjà  un  résultat! 

Il  est  bien  vrai  que  d'aucuns  nous  disent  y  avoir  oui  chanter  des 
intervalles  qui  ne  sont  ni  des  tons  ni  des  demi-tons.  C'est  bien  possible, 
fit  je  me  garderai  d'y  contredire.  Car  je  suis  bien  convaincu  que  l'on 
chante  faux  en  Chine  et  au  Japon  tout  aussi  bien  qu'en  France. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


REVUE   DES   GRANDS   CONCERTS 


Le  programme  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  s'ouvrait, 
dimanche  dernier,  par  la  symphonie  en  ut  de  Schumann,  œuvre  intéressante 
sans  doute  en  certaines  parties,  mais  singulièrement  inégale.  L'allégro  initial 
est  lourd,  pâteux,  sans  grâce,  d'une  invention  qu'on  dirait  volontiers  banale, 
avec  un  orchestre  sans  cohésion  et  sans  unité:  puis  tout  à  coup,  dans  l'an- 
dante,  on  retrouve  le  poète  qu'était  Schumann  à  ses  heures,  inspiré,  plein  de 
tendresse,  avec  des  phrases  et  des  périodes  d'une  expression  pénéti'ante,  le 
poète  rêveur  de  la  Vie  d'une  rose  et  de  certains  lieder  pathétiques  et  d'un  sen- 
timent si  délicieux;  le  scherzo,  très  agréable,  est  conçu  dans  l'esprit  de  Men- 
delssohn.  moins  sa  légèreté  fluide  et  aérienne;  c'est  un  badinage  délicat,  dont 
les  violons  sont  l'àme  et  dans  lequel  ceux-ci  ont  triomphé,  aux  applaudis- 
sements du  public.  Etavec  le  finale,  nous  retombons  dans  la  lourdeur  et  dans 
la  presque  vulgarité  du  premier  morceau.  Après  la  symphonie,  le  Conserva- 
toire nous  ott'rait  pour  la  première  t'ois  une  œuvre,  déjà  connue  ailleurs,  de 
M.  Gabriel  Pierné,  l'An  Mil,  œuvre  curieuse,  dans  le  genre  descriptif,  assez 
inégale  aussi,  mais  non  sans  valeur  et  sans  couleur.  La  première  partie  nous 
reporto  aux  craintes  religieuses  éprouvées  par  nos  pères  en  ce  symbolique 
An  Mil,  où  ils  croyaient  assister  à  la  destruction  île  la  terre  et  à  la  disparition 
de  l'humanité.  Le  caractère  en  est  dramatique,  avec  les  interventions  du 
chœur,  que  l'on  entend  chanter  au  loin  le  Miserere,  mais  aussi  un  peu  trop 
bruyant  et  compliqué  plus  que  de  raison.  La  seconde  partie,  qui  nous  décrit 
musicalement  la  fameuse  fête  de  l'Ane,  si  étrange  et  si  antireligieuse,  est 
vive,  amusante,  piquante,  réaliste,  avec  ses  sonorités  cocasses  et  son  entrain 
endiablé.  Elle  me  parait  la  meilleure  des  trois,  et  c'est  pourtant  celle  qui  a 
produit  peut-être  le  moins  d'efl'et.  Le  public  est  parfois,  en  vérité,  un  sin- 
gulier animal.  Le  programme  se  complétait  avec  la  délicieuse  symphonie 
d'Haydn,  dont  je  n'ai  plus  rien  à  dire,  sinon  que  le  hautbois  de  M.  Bas  s'y 
est  distingué  d'une  façon  toute  particulière  et  qu'il  a  valu  à  sou  propriétaire, 
avec  Je  chaleureux  applaudissements,  deux  rappels  amplement  mérité-. 

A.  i'. 

—  Concerts  Colonne.  —  Comme  pièces  symphoniques  de  résistance,  nous 
avons  eu  l'ouverture  du  Roi  d'Ys,  œuvre  de  grande  sincérité,  d'une  belle  fac- 


LE  MENESTREL 


21 


ture  et  d'un  coloris  chaleureux,  d'ailleurs  riche  d'invention  mélodique  et  d'un 
plan  clair  et  lumineux;  nous  avons  eu  encore  les  Impressions  d'Italie,  dont  la 
troisième  partie  supprimée  aurait  été  utile  pour  donner  sa  valeur  à  l'admi- 
rable «  contemplation  »,  Sur  les  cimes,  un  des  morceaux  les  plus  émouvants 
au  point  de  vue  passionnel,  car  l'auteur  a  su  y  décrire  avec  une  vérité  poi- 
gnante l'impression  qu'éprouve  l'être  humain,  brisé,  anéanti  et  vibrant  de 
bonheur,  au  spectacle  de  la  nature  vue  à  deux  ou  trois  mille  mètres  de  hau- 
teur. Le  Divertissement  sur  des  thèmes  russes,  de  M.  Rabaud,  est  une  adaptation 
adroite  do  chansons  qui  ne  méritaient  pas  toutes  une  parure  orchestrale. 
MM.  Diémer  et  de  Lausnay  ont  joué  avec  un  ensemble  parfait  le  concerto 
en  mi  bémol  de  Mozart.  Certains  passages  agrémentés  de  trilles  ont  été  très 
remarqués.  —  Une  revue  de  Berlin  nous  apprend  que  M.  'Willy  Burmester  a 
étésuriiommé  le  Paganini  allemand  «à  cause  de  sa  technique  stupéfiante  n.  Cet 
artiste  a  obtenu  un  très  grand  succès  au  Chàtelet.  Il  possède  une  aisance  ab- 
solue et  un  jeu  simple  et  naturel  quand  il  interprète  des  œuvres  dépourvues 
de  pose  et  de  charlatanisme.  Dans  le  concerto  en  mi  majeur  et  dans  un  pré- 
lude de  Bach,  sa  manière  n'a  pas  été  personnelle;  il  n'a  eu  ni  l'originalité  ni 
la  puissance,  et  n'aurait  pu  rivaliser  avec  Joachim  ou  avec  Ysaye  pour  la 
vigueur  entraînante  de  l'accentuation  rythmique.  H  a  rendu  avec  un  beau 
son  Varia  de  la  suite  en  ré,  adoptant  la  version  transposée  qui  n'est  pas 
exempte  d'une  certaine  emphase.  Bach  comprenait  cette  aria  tout  autrement 
qu'on  ne  le  joue.  Quant  au  thème  varié  de  Paganini,  aucune  hyperbole  ne 
sera  déplacée  pour  dire  ce  que  la  virtuosité  de  M.  Burmester  a  de  déconcer- 
tant, d'inouï,  d'excentrique,  de  ridicule  même.  Le  virtuose  se  risque  au 
milieu  des  harmoniques  suraiguës  avec  une  audace  sans  pareille,  et  sa  justesse 
est  absolue  comme  sa  solidité;  on  a  envie  de  rire  en  voyant  avec  quel  sérieux 
il  se  comporte  à  travers  des  variations  crépitantes  qui  agissent  sur  l'auditeur 
à  peu  près  comme  une  giboulée  de  gréions  qui  viendrait  lui  meurtrir  la  tète, 
de  haut  en  bas,  de  bas  en  haut,  à  droite,  à  gauche,  devant,  derrière,  sans  fin 
ni  relâche.  Oh!  la  musique  est  bien  parfois  le  plus  désagréable  de  tous  les 
bruits  I  Lorsque  Paganini  fit  sensation  à  Paris,  en  1831,  il  eut  de  ces  témé- 
rités folles,  mais  elles  produisirent  une  impression  que  le  tempérament  do- 
minateur du  célèbre  virtuose  sut  eft'acer  pour  laisser  subsister  principalement 
celle  d'un  art  sérieux  et  puissant.  On  disait,  en  parlant  de  son  exécution  : 
«  Cela  sonne,  ironique  et  moqueur  comme  Don  Juan  de  Byron,  fantastique 
comme  un  conte  d'Hoffmann,  mélancolique  et  rêveur  comme  une  poésie  de 
Lamartine,  sauvage  et  foudroyant  comme  une  malédiction  de  Dante,  et  doux 
et  délicat  pourtant  comme  une  mélodie  de  Schubert.   » 

Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  C'était  une  tâche  difficile  qu'avait  assumée 
M.  Chevillard  que  de  donner  l'Or  du  Rhin,  de  Richard  Wagner,  dans  son  inté- 
grité. Comme  la  musique  de  Wagner  ne  comporte  pas  de  chœurs,  il  fallait 
trouver  quatorze  solistes  capables  d'affronter  toutes  les  difficultés  que  com- 
porte cette  œuvre  :  quatre  dieux,  trois  déesses,  deux  nains,  trois  ondines  et 
deux  géants;  nous  ne  parlons  pas  de  l'orchestre  incomparable  dont  dispose 
M.  Chevillard.  Mais  c'était  aussi  une  épreuve  redoutable  pour  le  public  sélect 
des  Concerts  Lamoureux  que  d'entendre  sans  interruption  trois  heures  de 
musique,  sans  les  distractions  que  donne  l'exécution  scénique;  l'œil  devrait 
voir  le  merveilleux  tableau  du  Rhin  précipitant  ses  ondes,  les  monts  autour 
desquels  évoluent  les  nuées,  les  sombres  cavernes  et  les  personnages  extraor- 
dinaires entre  lesquels  se  joue  le  drame.  Au  lieu  de  cela,  le  dos  de  M.  Che- 
villard, des  pupitres  avec  leurs  accessoires,  des  messieurs  et  des  dames 
habillés  au  goût  du  jour.  Les  paroles,  il  n'est  pas  facile  de  les  entendre;  le 
sujet,  du  resie,  est  peu  intéressant  et  la  prose  de  M.  Ernst  n'est  pas  attrayante. 
Malgré  cela,  le  succès  a  été  grand.  M.  Chevillard  avait  divisé  l'œuvre  en  deux 
parties  à  peu  près  égales,  entre  lesquelles  il  a  permis  un  repos  de  quinze  mi- 
nutes. C'est  la  seconde  partie  qui  a  produit  le  plus  d'effet;  il  y  a  là  des  pas- 
sages très  mélodiques,  bien  rythmés,  clairs  et  souvent  d'une  orchestration 
assez  sobre.  Mais,  noui  persistons  à  le  dire,  Ijs  conceptions  de  Wagner, 
surtout  dans  sa  tétralogie,  ont  un  caractère  féerique  et  elles  ont  besoin  d'une 
riche  figuration,  sans  laquelle  les  personnages  sont  loin  de  nous  intéresser: 
il  faut  laisser  à  la  scène  ce  qui  est  fait  pour  la  scène,  et  ne  donner  au  concert 
que  ce  qui  est  la  musique  de  concert.  —  Il  faut  louer  néanmoins  M.  Chevil- 
lard, sou  merveilleux  orchestre  et  ses  vaillants  solistes  d'avoir  mené  à  bien 
une  entreprise  redoutable,  mais  qu'il  ne  faudrait  pas  trop  souvent  renouveler. 

H.  Barbedette. 

.  —  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire:  Symphonieen  «/(Schumann).  —  L'An  MU, poterne  symphonique(Plerné). 
—  Symphonie  inédite  (Haydn). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  héroïque,  n°  3  (Beethoven). — Judas  Macchabée 
(Haeadel;,  air  et  récit  par  W"  Hatto.  —  CancertstUclc  (Pugno),  par  l'auteur.  —  Deux  Poè- 
mes (Kœi.hlin),  par  M""  Hatto.  —  Les  Djinns  (César  Franck),  par  M.  Raoul  Pugno.  — 
Divertissement  sur  des  chansons  russes  (Rabaud). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  sous  la  direction  de  M.Che/iUard  :  L'Or  duRhin 
(Richard  "Wagner),  interprété  par  MM.  Challet,  Bagés,  Vallobra,  Dantu,  Albers,  Luhet, 
Guiod,  Sigwalt,  M°*'  Hayot,  O'Rorke,  Labatut,  Lormont,  Vicq,  Meino. 

—  La  reprise  des  intéressantes  séances  de  musique  de  chambre  de 
M.  ÉJouard  Nadaud  a  eu  lieu  mardi  dernier,  dans  la  salle  Pleyel,  de  la  façon 
la  plus  brillante,  avec  un  programme  entièrement  consacré  aux  œuvres  de 
M.  Théodore  Dubois.  Ce  programme  comprenait  l'élégante  Suite  miniature 
pour  petit  orchestre,  qui  a  produit  son  effet  ordinaire,  la  sonate  pour  piano 
et  violon,  qui  a  valu  de  vifs  applaudissements  à  MM.  Diémer  et  Nadaud, 
deux  pièces  en  forme  canonique  pour  hautbois  et  violoncelle,  fort  bien  jouées 


par  MM.  Bas  et  Cros-Saint-Ange,  le  second  concerto  de  piano,  qui  a  été  un 
véritable  triomphe  pour  l'auteur  et  pour  M.  Diémer,  qui  l'a  exécuté  d'une 
façon  magistrale,  enfin  la  deuxième  suite  pour  instruments,  qui  a  clos  cette 
soirée  d'une  façon  charmante. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Les  premières  nouvelles  qui  nous  arrivent  par  le  télégraphe  sur  la  repré- 
sentation, le  même  soir,  de  l'opéra  de  Mascagni,  Imaschere,  dans  les  sept  villes 
que  nous  avons  déjà  désignées,  ne  sont  pas  très  favorables.  Il  semble  qu'en 
diverses  de  ces  villes,  notamment  à  Milan  et  à  Venise,  quelques  cabales  aient 
été  organisées  contre  l'œuvre  et  son  aute  jr.  Toutefois,  nous  attendrons,  pour 
en  parler  plus  amplement,  les  correspondances  détaillées  qui  vont  nous 
arriver. 

—  Deux  des  compositeurs  les  mieux  cotés  de  la  jeune  école  musicale  ita- 
lienne, MM.  Umberto  Giordano,  l'auteur  à'André  Chénier,  et  Alberto  Fran- 
chetti,  l'auteur  d'.4sraèV,  viennent,  parait-il,  d'unir  leur  inspiration  et  d'écrire 
ensemble,  sur  un  livret  de  M.  Luigi  Illica,  la  partition  d'une  opérette-bouffe 
en  trois  actes  intitulée  Jupiter. 

—  On  a  exécuté  récemment,  à  Reggio  d'Emilie,  une  grande  cantate  nou- 
velle intitulée  la  Natte  dei  fiori,  dont  les  auteurs  sont  M.  Telemaco  Dablara 
pour  les  paroles  et  M.  Nestore  Morini  pour  la  musique.  Nestor  etTélémaque, 
c'est  une  association  toute  naturelle,  étant  donnée  l'amitié  qui,  aux  temps 
fabuleux,  unissait  le  premier  au  père  du  second. 

—  Il  paraît  que  la  municipalité  romaine  est  en  négociations  pour  acheter 
le  théâtre  Costauzi,  qui  est  aujourd'hui  une  propriété  particulière,  et  qu'elle 
en  offre  un  million  et  demi.  Une  fois  entrée  ainsi  en  possession  d'un  théâtre 
communal,  elle  démolirait  celui  qui  lui  appartient  à  l'heure  présente,  l'Ar- 
gentina,  qui  doit  disparaître  pour  les  nécessités  d'un  .plan  édilitaire,  et  elle 
en  vendrait  le  terrain. 

—  On  prépare  à  Rome,  pour  le  commencement  de  mars,  un  grand  festival 
de  musique  française,  au  profit  d'une  œuvre  de  bienfaisance.  Le  marquis 
J.  Marchetti  Ferranle  est  en  ce  moment  à  Paris  pour  assurer  la  réussite  de 
l'entreprise  et  s'est  déjà  entendu  avec  M.  d'Harcourt  pour  la  direction  de 
l'orchestre.  Au  programme,  trois  œuvres  seulemen  figureront  :  l'ouverture  du 
Tasse,  de  M.  d'Harcourt,  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns,  et  l'ora- 
torio biblique  de  Massenet,  te  Terre  promise,  qui  fut  exécuté  avec  tant  de  suc- 
cès l'hiver  dernier  à  Saint-Eustache.  M.  le  marquis  Ferrante,  qui  est  un  let- 
tré et  un  excellent  musicien  tout  à  la  fois,  s'est  chargé  lui-même,  avec  beaucoup 
de  bonne  grâce  de  la  traduction  italienne. 

—  A  Lisbonne  également,  la  Société  artistique  des  concerts  de  chant  pré- 
pare une  belle  exécution  de  la  même  Terre  promise. 

—  On  a  inauguré  la  semaine  passée  une  exposition  Cimarosa  à  Vienne, 
exposition  qui  est  justifiée  par  le  fait  que  le  musicien,  en  sa  qualité  de 
kapellmeister  de  la  cour  impériale  de  1791  à  1793,  a  fait  jouer  à  Vienne  pour 
la  première  fois,  le  7  février  1792,  son  chef-d'œuvre,  il  Matrimonio  segreto. 
Dans  cette  exposition,  les  manuscrits  du  vieux  maître  et  les  objets  qui  se 
rattachent  directement  à  lui  sont  assez  rares:  on  y  admire  cependant,  à  côté 
d'une  foule  de  gravures  contemporaines  et  posthumes,  un  magnifique  por- 
trait à  l'huile  de  Cimarosa  attribué  au  peintre  vénitien  Alexandre  Longhi, 
qui  appartient  au  prince  souverain  Jean  de  Liechtenstein.  Une  autre  relique 
intéressante  est  la  simple  affiche  d'un  concert  qui  eut  lieu  à  Vienne  le  30 jan- 
vier 1801  et  dans  lequel  Joseph  Haydn  conduisit  deux  de  ses  symphonies, 
tandis  que  Beethoven  accompagna  au  célèbre  virtuose  corniste  Punto  (qui 
s'appelait  de  son  vrai  nom  Johann  Stich)  sa  sonate  encore  inédite  pour  cor 
et  piano.  Le  programme  fut  complété  par  un  acte  de  l'opéra  Gli  Orazi  e 
Curiazi  de  «  feu  Cimarosa  »;  le  maître  était  en  effet  mort  quelques  jours 
avant  le  concert,  le  11  janvier  1801.  L'excellent  catalogue  dû  à  M.  Mantuani, 
conservateur-adjoint  de  la  Bibliothèque  impériale,  contient  une  revue  com- 
plète des  représentations  des  œuvres  de  Cimarosa  à  Vienne  par  M.  A.-J. 
Weltuer,  le  savant  archiviste  de  la  surintendance  générale  des  théâtres 
impériaux. 

—  Le  jury  du  concours  pour  le  monument  de  Johaun  Strauss  et  de  Lanner 
à  Vienne,  qui  avait,  comme  nous  l'avons  dit,  51  projets  à  examiner,  vient 
de  publier  sa  décision  ;  le  premier  prix,  de  2.000  couronnes,  a  été  attribué 
au  projet  du  sculpteur  Franz  Seifert  et  de  l'architecte  Robert  Oerley,  qui 
montre  les  créateurs  de  la  valse  viennoise  debout  sur  un  socle  orné  d'un 
bas-relief  représentant  plusieurs  jeunes  couples  en  train  de  valser. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  :  «  M""!  Glotilde  Kleeberg  s'est  fait  entendre 
d'abord  avec  le  quatuor  tchèque  et  ensuite  avec  le  quatuor  Prill,  dans  les 
œuvres  de  Saint-Sacns  et  de  Fauré.  Mais  où  son  succès  a  pris  les  plus  grandes 
proportions,  c'est  à  son  premier  récital  (dont  le  programme  ne  contenait  que 
des  œuvres  de  Schumann  et  de  Chopin).  Des  rappels  sans  nombre  ont  prouvé 
à  la  sympathique  artiste  en  quelle  estime  elle  est  tenue  ici  ». 

—  Le  gouvernement  prussien  se  sert  habilement  de  l'art  théâtral  pour 
germaniser  ses  provinces  polonaises.  Nous  trouvons  en  effet,  dans  le  nouveau 


22 


LE  MENESTREL 


budget  prussien,  un  crédit  de  880.000  marcs  pour  la  construction  à  Posen  d'un 
nouveau  théâtre  municipal  —  de  langue  allemande,  bien  entendu.  —  Or, 
comme  cette  ville  a  déjà  été  obligée  par  le  gouvernement  de  voter  à  cet  ett'et 
la  somme  de  440.000  marcs,  les  habitants  de  Posen,  qui  sont  en  très  grande 
majorité  Polonais,  seront  gratifiés  d'un  théâtre  allemand  qui  n'aura  pas  coûté 
moins  de  1.320.000  marcs,  soit  1.6S0.000  francs,  sans  compter  le  terrain  qui 
y  est  affecté  depuis  longtemps. 

—  L'orchestre  philharmonique  de  Berlin,  sous  la  direction  de  M.  Arthur 
Nikiscb,  fera  aux  mois  d'avril  et  mai  prochains  une  grande  tournée  à  travers 
l'Europe,  qui  comprendra  l'Autriche,  l'Italie,  l'Espagne  et  la  France.  Provi- 
soirement, des  concerts  sont  projetés  dans  les  villes  suivantes  :  Prague, 
Brûnn,  Vienne,  Graz,  Trieste,  Venise,  Florence,  Bologne,  Milan,  Turin. 
Gênes,  Nice,  Marseille,  Barcelone,  Madrid,  Lisbonne,  Bilbao,  Bordeaux, 
Toulouse,  Lyon  et  Paris. 

—  Le  Taijblatt  de  Berlin  annonce  que  la  direction  de  l'Opéra  royal  «  a 
pris  en  considération  la  représentation  de  Louise  et  médite  à  l'heure  qu'il  est 
sur  les  scènes  de  l'œuvre  qui  lui  paraissent  trop  essentiellement  pari- 
siennes et  trop  risquées  pour  l'Allemagne  ».  Espérons  qu'on  trouvera  à 
Berlin  une  solution  qu'il  sera  possible  à  l'auteur  de  Louise  d'accepter. 

—  Le  célèbre  ténor  Niemann,  dont  le  nom  reste  à  jamais  attaché  à  la  pre- 
mière représentation  de  Tannhiiuser  à  l'Académie  nationale  de  musique  de 
Paris,  vient  de  célébrer  le  70'=  anniversaire  de  sa  naissance.  Il  s'est,  retiré  de 
la  scène  depuis  longtemps,  mais  les  amis  de  l'artiste  et  ses  vieux  admirateurs 
ont  voulu  néanmoins  célébrer  son  Jubilé.  Pour  se  soustraire  à  toutes  les  ovations, 
Niemann  s'était  sauvé  prudemment  et  les  visiteurs  ont  trouvé  porte  close. 

—  Un  opéra  intitulé  Eros  et  PsycJié,  musique  de  M.  Max  Zenger,  ^dent  d'être 
joué  avec  succès  au  théâtre  royal  de  Munich. 

—  Succès  exti-aordinaire  pour  Werther,  de  Massenet,.  au  théâtre  national  de 
Prague,  en  langue  tchèque.  Interprétation  excellente  et  mise  en  scène  très 

soignée  par  le  nouveau  directeur  de  ce  théâtre,  M.  Schmoranz.  Le  total  des 
rappels  au  cours  de  la  soirée  a  monté  au  chiffre  de  trente-cinq,  chiffre  abso- 
lument sans  précédent  à  ce  théâtre. 

—  On  a  inauguré  à  Saint-Pétersbourg  un  nouveau  théâtre,  le  théâtre  du 
Peuple,  construit  dans  le  Parc  Alexandre  par  les  soins  du  prince  Alexandre 
d'Oldenbourg.  Il  contient  1.200  places,  et  l'édifice  renferme  un  magnifique 
restaurant  pour  l.uOO  personnes.  Plusieurs  princes  de  la  famille  impériale 
assistaient  à  l'inauguration,  et  le  czar  a  envoyé  au  prince  d'Oldenbourg  une 
dépêche  par   laquelle    il   l'autorise  à  donner  son  nom  au  théâtre.  L'acteur 

Sazonow  a  prononcé  un  discours  dans  lequel  il  constatait  que  la  Russie  devan- 
çait tous  les  autres  pays  en  fondant  une  institution  comme  le  théâtre  du 
Peuple.  C'est,  ajouta-t-il,  le  don  de  la  Russie  au  nouveau  siècle;  en  d'autres 
temps  ce  fut  une  grande  entreprise  que  de  donner  la  liberté  à  vingt  millions 
de  serfs;  aujourd'hui  le  grand  objet  est  de  pourvoir  aux  besoins  intellec- 
tuels du  peuple;  et  ce  fut  une  fortune  pour  Saint-Pétersbourg  de  trouver  un 
homme  comme  le  prince  Alexandre  d'Oldenbourg,  qui,  avec  une  indomptable 
énergie,  a  réussi  à  fonder  une  si  grande  institution  pour  l'usage  du  peuple... 
Après  ce  discours  le  prince  d'Oldenbourg  embrassa  l'acteur,  et  la  représen- 
tation d'inauguration  eut  lieu  en  présence  des  ouvriers  et  de  leurs  familles. 

—  A  la  suite  d'une  campagne  ouverte  à  ce  sujet  par  l'un  des  principaux 
journaux  de  Londres,  le  Morning  Post,  on  a  décidé  d'ouvrir,  entre  les  compo- 
siteurs anglais,  un  concours  auquel  sont  attachés  douze  prix  d'une  valeur 
totale  de  150.000  francs.  Le  sujet  est  un  hymne  de  grâce  au  Très-Haut  pour 
tous  les  bienfaits  dont  l'Angleterre  a  été  comblée  durant  le  dix-neuvième 
siècle  (il  n'est  pas  question  des  afl'aires  du  Transvaal).  «  Les  compositions 
doivent  être  conformes  aux  sentiments  religieux  de  tous  les  sujets  de  Sa 
Majesté  Britannique.  »  Les  Psaumes  103,  107  et  loO  ont  été  choisis  comme 
ceux  qui  expriment  le  mieux  le  sentiment  en  question. 

—  On  télégraphie  de  New-York  le  très  grand  succès  que  vient  de  remporter 
au  Metropolitan-Théâtre  le  Cid  de  Massenet,  avec  M"'  Bréval  (de  l'Opéra) 
pour  Ghimène,  M.  Jean  de  Reszké  pour  Rodrigue  etM™  Melba  dans  l'Infante. 
Après  le  premier  acte  il  y  a  eu  des  rappels  nombreux  ;  on  a  crié  :  «  Bréval  ! 
Bréval!  »,  et  lorsque  M,  Jean  de  Reszké  l'a  accompagnée  sur  le  devant  de  la 
scène,  des  applaudissements  enthousiastes  ont  éclaté.  Il  était  minuit  lorsque 
le  rideau  est  tombé  sur  le  dernier  acte;  mais,  malgré  l'habitude  de  la  société 
américaine  d'aller  souper  immédiatement  après  la  représentation  de  l'Opéra, 
la  brillante  assistance  du  Metropolitan  est  restée  en  place  jusqu'à  ce  que 
M'i' Bréval  eut  répondu  à  six  rappels  successifs. 

—  M.  Edouard  Strauss  vient  de  télégraphier  de  Denver  (Colorado)  qu'il 
est  rétabli  et  qu'il  a  pu  quitter  Albuquerque  en  assez  bonne  santé.  Il 
continue  sa  tournée  et  espère  revenir  à  Vienne  au  mois  de  mai. 

—  Toujours  excentriques,  les  Américains.  Dans  une  des  plus  grandes 
salles  de  New-York,  le  31  décembre,  au  dernier  coup  de  minuit,  une  armée 
vocale  et  instrumentale  de  mille  exécutants  a  entonné,  sous  la  direction  du 
conductOT  Franz  Damrosch,  une  cantate  solennelle  écrite  en  l'honneur  et 
pour  célébrer  la  venue  du  nouveau  siècle. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS' 

M.  Massenet,  comme  tous  les  ans,  est  allé  prendre  ses  quartiers  d'hiver 
dans  le  Midi.  Avant  son  départ,  tous  ses  anciens  élèves  du  Conservatoire 
s'étaient  réunis  pour  lui  offrir  une  superbe  plaque  de  Grand-Officier,  laquelle 


portait  au  dos  cette  inscription  :  A  Massenet,  ses  élèves,  IS7S-1S96.  Ils 
avaient  choisi  parmi  eux  le  plus  ancien  et  le  plus  nouveau  o  prix  de  Rome  » 
dn  maître,  MM.  Lucien  Hillemacher  et  Henri  Rabaud,  pour  lui  remettre  le 
précieux  écrin  et  lui  porter  en  même  temps  tous  leurs  vœux  avec  leurs 
signatures  autographes  réunies  sous  une  riche  reliure  des  plus  artistiques. 
Cette  petite  cérémonie  tout  intime  a  été  des  plus  touchantes.  M.  Massenet, 
fort  ému,  a  répondu  à  ses  élèves  par  la  lettre  qui  suit  : 
Mes  amis, 

Vous  venez  de  me  doaner  le  plus  touchant  léoioignage  qu'un  ai'tiste  ait  jamais  reçu. 

Il  n'est  point  seulement  ici  question  du  présent  si  beau  que  vous  m'offrez,  mais  bien  de 
la  pensée  qui  réunit,  dans  un  même  élan  affectueux,  les  souvenirs  de  dix-huit  années 
passées  avec  vous,  qui  êtes  la  gloire  présente  de  la  musique  française. 

Je  vous  embrasse  dans  une  même  étreinte,  avec  la  plus  vive  et  la  plus  reconnaissante 
émotion. 

Votre  vieil  ami  et  camarade, 

J.  Massenet. 

Et  sans  doute,  beaucoup  de  ces  jeunes  gens  sont  bien  déjà  l'honneur  de  la 
musique  française,  comme  le  dit  si  bien  le  maître,  si  l'on  veut  considérer 
que  parmi  eux  se  trouvent  des  artistes  comme  MM.  Lucien  Hillemacher,  le 
compositeur  du  Drak  et  de  Claudie,  Alfred  Brunean,  le  distingué  critique  du 
Figaro,  Paul  Vidal,  qui  est  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  et  professeur  au  Con- 
servatoire, Georges  Marty,  également  professeur  au  Conservatoire  et  chef 
d'orchestre  à  l'Opéra-Comique,  auteur  du  Duc  de  Ferrare,  Xavier  Leroux,  dont 
on  applaudira  bientôt  Astarté  à  l'Académie  nationale  de  musique,  Gabriel 
Pierné,  qui  fit  l'An  mil  et  va  nous  donner  la  Fille  de  Tabarin,  Gustave  Char- 
pentier, le  musicien  de  la  Vie  du  poète,  des  impressions  d'Italie,  des  Poèmes 
chantés  et  de  Louise,  Henri  Rabaud,  qui  écrivit  Job  et  cette  belle  symphonie, 
en  si  mineur  si  remarquée  aux  Concerts-Colonne,  Emile  Ratez,  directeur  du 
Conservatoire  de  Lille,  Reynaldo  Hahn,  le  musicien  subtil  et  coloré  des 
Chansons  grises,  des  Études  latines  et  de  l'Ile  du  Rêve,  Moret,  dont  certaines 
mélodies  prouvent  déjà  le  beau  tempérament.  Ed.  Missa,  Kaiser,  etc.  etc. 

—  L'Académie  des  heaux-arts  a  dû  procéder,  dans  sa  séance  d'hier,  à  la 
formation  des  listes  des  jurés-adjoints  pour  les  prochains  concours  de  Rome. 
Elle  avait  été  appelée,  dans  sa  séance  précédente,  à  juger  le  concours  Ros- 
sini.  Vu  l'insufSsance  des  partitions  envoyées  à  ce  concours,  elle  n'a  pas  cru 
devoir  décerner  le  prix  ;  une  mention  honorable  a  été  seulement  accordée  au 
manuscrit  portant  pour  devise  :  Age  quod  agis.  Mais  le  pli  cacheté  accompa- 
gnant cette  composition  ne  sera  ouvert  que  si  l'auteur  se  fait  connaître.  Par 
suite  de  ce  résultat,  l'Académie  proroge  le  concours  à  l'année  1902  et  décide 
qu'il  aura  lieu  sur  un  nouveau  livret  qui  sera  choisi  dans  un  concours  de 
poésie  ouvert  dès  aujourd'hui  et  qui  sera  clos  le  31  décembre  1001. 

—  La  note  suivante,  affichée  au  Conservatoire,  donne  le  programme  du 
prochain  concours  de  Rome  : 

GRAiND   PRIX   DE   ROME 

Concours  d'essai  au  palais  de  Compiègne  : 

Entrée  en  loge  samedi  4  mai,  à  dix  heures  du  mat'n;  sortie,  vendredi  10  mai,  à  dix 
heures  du  matin.  Jugement  (au  Conservatoire),  le  samedi  11  mai,  à  neuf  heures  du  matin.. 

Concours  définitif  au  palais  de  Compiègne  : 

Entrée  en  loge  le  samedi  18  mai,  à  dix  heures  du  matin;  sortie,  lundi  17  juin,  à  neuf 
heures  du  matin.  Audition  (au  Conservatoire),  vendredi  28  juin,  à  midi.  Jugement  (à 
l'Institut),  samedi  29  juin,  à  midi. 

Les  candidats  devront  se  faire  inscrire  au  secrétariat  du  Conservatoire  avant  le  mev- 
credi  24  avril,  ils  doivent  être  porteurs  de  leur  acte  de  naissance  et  d'un  certificat  d'études 
musicales.  , — '^ 

Les  concurrents  devront  se  munir  de  draps,  taies  d'oreiller  et  linge  de  toilette. 

Terme  de  rigueur  pour  le  dépôt  des  poèmes  :  mardi  14  mai. 

—  Puisque  nous  sommes  au  Conservatoire,  annonçons  que  les  cours  de 
la  classe  d'orchestre  recommenceront  demain  lundi  24  janvier,  à  neuf  heures 
et  demie,  et  continueront  les  lundis  suivants  à  la  même  heure.  Ou  sait  que 
cette  classe  est  obligatoire  pour  tous  les  élèves  des  classes  instrumentales 
spécialement  désignés.  La  reprise  de  la  classe  d'ensemble  vocal  aura  lieu  iB 
mardi  25  janvier,  à  quatre  heures  et  demie,  et  la  classe  se  continuera  tous 
les  mardis  et  vendredis. 

—  Enfin,  voici  les  noms  des  élèves  des  classes  de  chant,  opéra  et  opéra- 
comique  auxquels,  à  la  suite  des  récents  examens  semestriels,  le  jury  a 
accordé  des  pensions  d'études  et  des  encouragements  de  diverses  sommes  : 
Hommes  :  MM.  Ananian,  Aumônier,  Billot,  Cèbe,  de  Clyusen,  Gaston  Dubois, 
Ferrand,  Geyre,  Gilly,  Granier,  Guillamot,  Morati,  Rechencq,  Sayetta, 
Sigwalt;  Femmes  :  M"«  Cesbron,  Billa,  Carré,  Cornes,  Cortez,  Demougeot, 
Dorigny,  Durîf,  Féart,  Gonzalez,  Grazide,  Gril,  Huchet,  JuUian,  Lassara, 
MejTiard,  Revel,  Ruper,  Van  Gelder,  Vergonnet,  'Weyrich. 

—  Raoul  Pugno  jouera  aujourd'hui  aux  Concerts-Colonne  le  concertstuck 
de  sa  composition  qui  eut  tant  de  succès  le  4  octobre  dernier  aux  auditions 
du  Trocadéro.  Il  l'a  exécuté  depuis,  toujours  au  milieu  des  mêmes  accla- 
mations, à  Saint-Pétershonrg,  sous  la  direction  de  M.  Zumpé,  et  à  Berlin, 
sous  la  direction  de  M.  Rebicek.  Le  soir  même  du  Concert-Colonne,  Raoul 
Pugno  repartira  pckur  Berlin,  Leipzig,  Amsterdam,  Monte-Carlo  (7  et 
10  février).  Milan,  Bologne  et  Florence,  où  l'appellent  de  nouveaux  enga- 
gements. 

—  Devant  cette  afQuence  de  demandes  à  l'étranger,  le  grand  artiste  a  dû 
prendre  la  détermination  de  donner  sa  démission  de  professeur  au  Conser- 
vatoire. .11  l'a   fait   dans  les  termes  qui  suivent,  en  une  lettre  adressée  à 

I     M.  Théodore  Dubois  : 


LE  MENESTREL 


23 


Mon  cher  directeur  et  ami, 

La  dennière  série  de  concerts  que  je  viens  de  donner  à  l'étranger  (Russieet  Allemagne) 
mia  valu  de  tels  témoignages  d'approbation,  aussi  précieux  pour  moi  qu'intéressants, 
j'ose  le  dire,  pour  le  renom  de  l'art  français,  que  j'ai  résolu  d'entreprendre  à  bref  délai  de 
jiouveaux  voyages. 

Dans  ces  conditions,  je  suis  le  premier  à  penser  qu'il  ne  m'estpas  possible  de  conserver 
ma  chaire  au  Conservatoire. 

Quel  que  soit  mon  attachement  à  cette  grande  maison,  à  laquelle  je  dois  tant,  je  ne 
voudrais  pas  continuer  à  lui  appartenir  sans  me  consacrer  tout  entier  à  mes  élèves. 
Veuillez  demander  à  IVI.  le  llinistre  de  vouloir  bien  accepter  ma  démission  de  professeur. 
De  près  ou  de  loin,  vous  savez  de  quel  cœur  je  reste  des  vôlres. 

Croyez  à. mes  sentiments  de  reconnaissance  et  d'aiTectueiix  dévouement. 

Raoul  Pugno 

C'est  assurément  une  grande  perte  pour  le  Conservatoire.  M.  Raoul  Pugno 
était  de  ces  rares  professeurs-artistes  qui  donnent  à  une  maison  d'ensei- 
gnement le  lustre  qui  lui  est  nécessaire.  On  ne  peut  toutefois  que  s'incliner 
devant  le  scrupule  d'honnête  homme  qui  a  dicté  son  devoir  au  célèbre 
artiste. 

— Cette  place  de  professeur  à  une  classe  de  piano  du  Conservatoire  est  à 
peine  vacante  que  déjà  elle  est  naturellement  très  convoitée.  Mais  elle  parait 
déjà  acquise  à  M.  Antonin  Marmontel,  et  il  y  a  vraiment  tous  les  droits. 
Indépendamment  du  grand  nom  qu'il  représente  dans  l'enseignement,  il  a 
fait  les  «  intérim  »  de  la  classe  de  M.  Pngno,  pendant  ses  nombreuses 
absences,  avec  un  dévouement  sans  bornes  et,  il  faut  le  dire  aussi,  avec 
un  succès  indéniable.  C'est  à  lui  que  vont  tous  les  vœux,  et  tout  dépendra 
de  sa  propre  décision. 

—  L'Opéra-Gomique  ayant  monté  spécialement  pour  ses  abonnés  l'opéra 
ig-fidelio,  dans  lequel  M""  Jeanne  Raunay  a  fait  sa  rentrée  avec  un  si  beau 
succès,  la  direction,  afin  de  permettre  au  public  de  louer  d'avance  les 
places  laissées  libres  par  l'abonnement,  a  décidé  que  les  représentations  de 
Fidelio  seraient  données  aux  dates  suivantes  :  mardi  22,  jeudi  24,  mardi  29. 
On  peut  louer  dès  maintenant  au  bureau  de  la  location,  rue  Marivaux. 

—  A  rOpéra-Gomique  :  La  Caisse  des  pensions  viagères  de  l'orcbeslre,  des 
chœurs  et  du  personnel  de  la  scène,  que  M.  Albert  Carré  a  fondée,  vient 
d'obtenir  la  consécration  ofQcielIe.  Grâce  au  précieu-x:  concours  et  aux  efforts 
dévoués  du  président  de  la  commission  de  gestion,  elle  vient  d'obtenir  des 
pouvoirs  publics  sa  reconnaissance  comme  établissement  d'utilité  publique, 
ce  qui  va  lui  permettre  d'accepter  les  dons  et  legs  qui  pourront  lui  être  faits, 
et  notamment  celui  qui  lui  a  été  fait  par  M"""  Samson,  née  Boieldieu,  et  un 
autre  dont  le  président  a  été  informé,  et  qui  est  des  plus  importants.  A  ce 
propos,  on  sait  que  la  représentation  annuelle  donnée  par  M.  Albert  Carré 
au  prolit  de  la  Caisse,  est  en  préparation.  Elle  devait  avoir  lieu  le  31  janvier, 
mais  la  première  représentation  de  la  Fille  de  Tabarin  devant  être  donnée  du 
2b  au  30  janvier,  la  direction  de  l'Opéra-Comique  préfère  reculer  cette  ma- 
tinée au  jeudi  7  février.  Le  programme,  outre  l'Intermezzo  de  M.  Gaston  Le- 
maire,  comprendra  le  3"  acte  de  Werther  chanté  par  M""  Delna  et  M.  Maréchal. 

—  Spéciales  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Basoche;  le  soir,  iouise  (92'  représentation). 

—  A  l'Opéra,  la  première  répétition  d'ensemble,  artistes  et  chœurs, 
i'Astarté,  a  eu  Heu  cette  semaine.  L'ouvrage  de  MM.  Louis  de  Gramont  et 
Xavier  Leroux  est  su  maintenant,  et  les  répétitions  générales  vont  commencer- 

—  C'est  mercredi  prochain  que  sera  donnée,  au  Théâtre-Français,  la  repré- 
sentation de  retraite  de  l'excellent  comédien  Gustave  Worms.  En  voici  le 
très  beau  programme  : 

1.  —  L'Étincelle,  comédie  en  un  acte,  d'Edouard  Pailleron  : 

Raoul  M.  Le  Rargy 

Léonie  M""  Brandès 

Antoinette  Bertiny 

2.  —  Le  Misanthrope  (1"  acte)  : 

Alceste  MM.  Worms 
Oronte  Prud'hon 

Philinte  Baillet 

3.  —  Intermède  ; 

M.  HoUmann,  violoncelliste  :  oj  Andante  (Hollmann)  ;  b)  le  Cygne  (Saint-Saëns)  ;  c)  Mazurka 
(Hollmann). 
M.  Mounet-Sullj  ;  poésie. 
M"°  Louise  Grandjean  :  la  Charité  (Faure). 
M.  Fugère  :  le  Vieux  Ruban  (Paul  Henrion). 

M.  Noté,  première  audition  :  le  Géant  (poésie  de  Victor  Hugo,  musique  de  Litolff). 
M""  Sybil  Sanderson  ;  mélodies. 

M.  Coquelin  cadet  ;  le  Lait  de  la  Marquise,  poème  (Grenet-Dancourt). 
La  Forza  del  deitino,  de  Verdi  (fragment  du  4''  acte)  : 
MM.  Tamagno, 
iieltrami, 

4.  —  L'ami  des  femmes  ('i«  acte),  d'Alexandre  Dumas  : 

De  Ryons  MM.  Worms 

De  Montègre  Duflos 

.Un  domestique  Falconnier 

•lane  M»"'  Bartet 

.M""  Leverdet  Blanclie  Pierson 

M"»  Ackendorff  Henriette  Fouquier 

5.  —  Le  Nouveau  Jeu,  comédie  de  M.  Henri  Lavedan,  deuxième  acte  (La  Rupture)  : 

"Bobette  Langlois  M"°  Jeanne  Granier 

Paul  Costard  M.  Brasseur 


—  Parmi  les  projets  de  M.  Colonne  pour  les  concerts  de  cet  hiver,  figure 
un  Festival-Massenet  d'ores  et  déjà  fixé  au  10  mars  prochain,  avec  le  concours 
de  M"'"  Sibyl  Sanderson  et  de  M.  Jean  Lassalle.  Au  programme,  l'ouverture  de 
Brumaire  {1"  audition),  la  nouvelle  Suite  d'orchestre  sur  Phèdre  (ouverture, 
entr'acte  d'Hippolyte  et  Aricie,  Implorations  à  Neptune,  Sacrifice,  Offrande 
et  Marche  athénienne),  un  acte  d.'Esclarmonde  et  la  troisième  partie  de  la 
Terre  promise. 

—  L'Opéra-Populaire  donnera  dans  les  premiers  jours  du  mois  prochain 
la  première  représentation  de  Charlotte  Corday,  drame  lyrique  en  trois  actes 
avec  prologue  et  six  tableaux,  poème  d'Armand  Silvestre,  musique  d'Alexandre 
Georges.  M"»"  Georgette  Leblanc  a  été  engagée  tout  spécialement  par 
M.  Duret  pour  créer  le  rôle  de  Charlotte.  Voici  d'ailleurs  la  distribution  de 
cet  ouvrage  : 


Charlotte  Corday 

M""  de  Bretteville 

Simone  Evrard 

Barbaroux 

Marat 

Le  comte  de  Lux 


Georgette  Leblanc 


M" 


Dulac. 
MM.  'Emile  Cazeneuve. 
Dangès. 
Gorîn. 


Les  études  musicales  sont  très  avancées  et  ont  lieu  sous  la  direction  de 
l'auteur,  secondé  par  MM.  Bûsser  eft  Archaimbault. 

—  Dimanche  dernier  les  présidents  ou  directeurs  des  sociétés  musicales 
françaises  et  étrangères  qui  ont  pris  part  aux  festivals  et  aiLX  concours  de 
l'Exposition  de  1900  se  sont  réunis  chez  M.  Laurent  de  Rillé,  .président  de 
la  Commission  qui  avait  été  chargée  d'organiser  ces  fêtes,  pour  lui  offrir  un 
magnifique  objet  d'art  dû  au  ciseau  du  sculpteur  Krémiet.  M.  Deromby,  direc- 
teur des  Orphéonistes  valenciennois,  a  prononcé  un  remarquable  discours  au 
nom  des  sociétés  chorales.  MM.  Eymond,  représentant  les  sociétés  instru- 
mentales, et  Victor  Lory  la  presse  orphéonique,  ont  parlé  après  lui;  et 
M.  Berger,  député  du  ix=  arrondissement  et  ancien  directeur  des  E.xpositioiis 
de  1878  et  de  1889,  a  résumé  les  pensées  de  tous  dans  un  langage  extrême- 
ment élevé.  Cette  fête  orphéonique  s'est  joyeusement  terminée  autour  d'un 
buffet  somptueusement  servi. 

—  Derniers  vestiges  de  l'Exposition  et  des  splendeurs  de  la  fameuse  rue 
de  Paris.  On  a  vendu  cette  semaine,  à  l'hôtel  Drouot,  les  costumes  des  ballets 
de  Terpsichore  et  de  l'Heure  du  Berger,  représentés  avec  tant  de  succès  au 
gentil  Palais  de  la  Danse,  et  ces  costumes,  naguère  si  pimpants  et  si  élégants, 
ont  été  vendus  en  lots  pour  une  somme  totale  de  1.300  francs,  alors  qu'ils 
avaient  coûté  60.000  francs  à  établir.  Contrairement  à  ce  qui  se  passe  d'or- 
dinaire dans  les  ventes  à  l'hôtel  Drouot,  où  les  commissionnaires  sont  les 
auxiliaires  des  commissaires  présents,  c'étaient,  l'autre  jour,  les  anciennes 
ouvreuses  du  palais  de  la  Danse  qui  assistaient  M=  Sanahoer.  C'étaient  elles 
qui,  secondées  par  le  crieur,  annonçaient  au  public  la  nature  des  lots  mis 
aux  enchères.  L'introduction  de  cet  élément  féminin  dans  la  vente  a  laissé 
froids  les  amateurs  qui,  moyermant  des  sommes  variant  entre  10  et  20  francs, 
se  sont  fait  adjuger  des  lots  suffisants  pour  travestir  tous  les  figurants  d'une 
des  prochaines  cavalcades  de  la  Mi-Carême. 

—  Aux  Vai-iétés  on  va  cesser  les  représentations  de  il/"'  George  pour  donner 
une  suite  de  soirées  avec  M""-'  Judic,  qui  fut  si  longtemps  !'«  étoile  »  applaudie 
et  fêtée  de  ce  théâtre.  On  commencera  par  Niniche,  dont  la  première 
leprésentation  remonte  déjà  à  l'année  1878.  Bonne  chance  et  bon  succès 
à  la  charmante  artiste. 

—  Louise  vient  pour  la  première  fois  d'affronter  le  feu  en  province  après 
Paris,  et  son  premier  pas  en  dehors  de  la  capitale  a  été  salué  d'acclamations 
de  bon  augure  pour  la  suite  de  sa  carrière.  Voici  eu  effet  la  dépêche  que 
nous  recevons  d'Alger  :  «  Triomphe.  Plusieurs  rappels  après  le  1"  et  le  2« 
actes.  Au  3=,  Charpentier,  aperçu  dans  la  loge  du  gouverneur,  est  obligé  de 
saluer  deux  fois  le  public  enthousiaste.  Après  le  4=,  il  est  trainé  sur  la  scène. 
Ovations  bruyantes  prolongées.  Remise  de  palmes  et  de  couronnes  de  fleurs. 
Belle  interprétation  avec  Lataste  (le  père).  M"»  Gervaix  (Louise),  M"»»  Poude 
(la  mère),  M.  Flachat  (Julien).  Tous  autres  rôles  fort  bien  tenus.  Pennequin, 
excellent  chef  d'orchestre.  Très  belle  et  inoubliable  soirée  pour  tous.  Le 
directeur  Saugey  remporte  un  succès  personnel  avec  mise  en  scène  parfaite. 
On  le  félicite  justement  du  grand  effort  accompli  et  d'avoir  été  le  premier 
après  Paris  à  ouvrir  si  brillamment  à  Louise  la  voie  des  succès  certains  en  pro- 
vince et  à  l'étranger.  »  M.  Charpentier  fort  grippé  (ô  ciel  d'Algérie  tant  vanté  !) 
ne  sera  de  retour  à  Paris  que  demain  lundi,  tout  prêt  àrepartir  pour  Bruxelles 
où  on  l'attend  pour  les  dernières  études  de  sa  belle  œuvre. 

—  Un  concours  aura  lieu  à  Caen,  le  jeudi  31  janvier,  pour  l'obtention  de 
la  place  de  professeur  de  hautbois  à  l'Ecole  nationale  de  musique  et  de 
Is'  hautbois  à  l'orchestre  du  Théâtre  municipal.  Traitement  :  1.600  francs, 
susceptible  d'augmentation.  Trois  mois  de  vacances.  Adresser  les  demandes 
d'inscription,  avant  le  2S  janvier,  au  Directeur  de  l'École,  en  justifiant  de  la 
qualité  de  Français. 

—  Charmante  matinée  chez  M"'^  Laminy  pour  l'audition  des  œuvres  de 
Périlhou.  M"=  Faucher  a  chanté  Margoton  et  Netl,  qu'on  lui  a  bissées,  M.  G., 
excellent  baryton,  Vitrail  et  Au-dessous.  Des  élèves  ont  dit  le  Nocturne  et  la 
Chanson  à  danser,  et  enfin  vingt  petits  enfants  ont  chanté  avec  entrain  la 
Complainte  de  Saint-Nicolas,  qu'on  leur  a  bissée  d'enthousiasme.  M'^"  C.  Larronde 
a  remarquablement  exécuté  fflermzfcsurte  violoncelle,  et  le  tout  s'est  termiiié 
par  le  joyeux  chœur  de  Trirriousette. 


24 


LE  MÉNESTREL 


—  Jeudi  prochain,  à  la  salle  Érard,  concert  avec  orchestre  donné  par 
M"^  Solange  de  Croze,  avec  le  concours  de  M"«  Yvonne  de  Tréville  et 
de  M.  Hardy- Thé.  C'est  M.  Colonne  qui  conduira  l'orchestre. 

—  Couns  El  Leçons.  —  .M—  Savinie  Lherba.y-Fiorenlino,  de  la  Comédie-Française, 
a  repris  ses  cours  el  leçons  de  déclamation  et  lilléralure  chez  elle,  13,  rue  de  Tocqueville. 
—  M""  L.  Isnardon-Pnget,  élève-lauréat  du  Conservatoire  de  Rome,  a  ouvert  un  cours 
de  chant,  1.54,  avenue  de  Wagram. 

NÉCROLOGIE 
Un  écrivain  de  talent,  un  g.ilanti homme,  un  bon  Français,  le  poète  Jules 
Barbier,  est  mort  mercredi  dernier  à  Paris,  à  la  suite  d'une  longue  et  cruelle 
maladie,  et  c'est  avec  un  regret  sincère  et  alTectueux  que  nous  enregistrons 
cette  douloureuse  nouvelle.  Jules  Barbier,  que  nos  confrères  font  naitre  en  1823 
(Vapereau  dit  1823),  s'était  fait  une  place  à  part  dans  le  théâtre  contemporain 
comme  collaborateur,  pendant  quarante  ans,  de  tous  nos  compositeurs,  en 
leur  fournissant  des  livrets  écrits  la  plupart  du  temps  avec  son  ami  Michel 
Carré,  mort  longtemps  avant  lui.  Il  s'était  attaché  ainsi  à  la  fortune  de  tous 
nos  musiciens,  les  plus  grands  comme  les  plus  obscurs  :  Gounod,  Ambroise 
Thomas,  Halévy,  Victor  Massé,  Meyerbeer,  Léo  Delibes,  Saint-Saéns,  Reyer, 
Théodore  Dubois,  Joncières,  Ernest  Boulanger,  Ûfîenbach,  Edmond  Mem- 
brée,  Hector  Salomon,  Prosper  Pascal,  Jules  Béer,  Th.  Semet,  Deffès,  Erlan- 
ger, Henri  Maréchal,  etc.  Elle  est  longue,  la  liste  des  ouvrages  donnés  par 
lui  à  l'Opéra,  à  l'Opéra-Comique  et  à  l'ancien  Théâtre-Lyrique:  Hamlet, 
Françoise  de  Rimini,  la  Reine  de  Saba,  Faust,  Polyeucte,  Roméo  et  Juliette,  le 
Médecin  malgré  lui,  Philémon  el  Baucis,  les  Noces  de  Jeannette,  Galathée,  Paul 
et  Virginie,  Psyché,  une  Nuit  de  Cléopâtre,  les  Saisons.  Gil  Bios,  les  Sabots  de  la 
marquise,  la  Guzla  de  l'émir,  le  Pardon  de  Ploërmel,  la  Colombe,  les  Amoureun; 
de  Catherine,  le  Roman  de  la  Rose,  l'Esclave,  le  Timbre  d'argent,  la  Reine  Berthe,  la 
Tempête,  Sylvia,  les  Contes  d'Hoffmann,  sans  compter  les  adaptations  des  Noces 
de  Figaro,  de  Fidelio,  de  la  Flûte  enchantée...  Mais  Barbier  ne  s'était  pas  con- 
finé dans  cette  tache  relativement  secondaire  de  librettiste,  dans  laquelle, 
outre  Carré,  il  eut  parfois  pour  collaborateurs  Adrien  Decourcelle,  A.  de 
Beauplan,  Labiche,  Th.  Barrière,  Edouard  Poussier.  Charles  Nuitter,  Meslé- 
pès,  MM.  Philippe  Gille,  Beaumout,  etc.  Il  avait  écrit  des  drames,  des  comé- 
dies en  prose  ou  en  vers,  montrant  une  inépuisable  verve  et  se  faisant  jouer 
un  peu  partout  :  à  la  Comédie-Française  (un  Poète),  à  l'Odéon  (les  Contes  d' Hoff- 
mann, le  Maître  de  la  maison),  à  la  Porte-Saint-Martin  (André  Chénier,  Jenny 
l'ouvrière),  à  la  (îaité  (Jeanne  d'Arc),  à  l'Ambigu  (Cora,  un  Drame  de  famille. 
Princesse  et  favorite),  etc.  Déplus,  il  avait  publié  que'lques  recueils  de  poésies. 
En  ces  dernières  années  il  avait  donné,  en  deux  volumes,  un  choix  de  son 
théâtre.  Jules  Barbier  laissera,  pour  tous  ceux  qui  l'ont  connu,  avec  de  vifs 
regrets,  le  souvenir  d'un  honnête  homme,  d'un  grand  cœur  et  d'un  travailleur 
plein  de  vaillance.  A.  P. 

—  Nous  annonçons  avec  regret  la  mort  de  M.  Jules  Cohen,  qui  a  succombé 
dimanche  dernier,  à  l'âge  de  70  ans,  à  la  maladie  qui  depuis  de  longues  an- 
nées lui  avait  interdit  toute  espèce  de  travail  et  même  d'occupation.  Né  à 
Marseille  le  2  novembre  1830  il  était  venu  de  bonne  heure  à  Paris  et  avait  fait 
de  brillantes  études  au  Conservatoire,  où  il  fut  élève  deMarmontel,  deBenoist 
et  d'Halévy.  Premier  prix  de  solfège  en  1847,  premier  prix  de  piano  en  1830, 


premier  prix  d'orgue  en  1832,  il  obtint  encore  le  second  prix  de  fugue  en 
18S3  et  le  premier  en  1834,  puis  il  .se  livra  avec  activité  à  la  composition.  Il 
écrivit  deux  symphonies,  plusieurs  ouvertures,  des  messes,  des  motets,  des 
études  et  de  nombreux  morceaux  de  piano,  des  mélodies,  des  pièces  pour 
harmonium.  Mais  il  visait  surtout  le  théâtre,  où  il  ne  fut  que  médiocrement 
heureux.  Après  avoir  écrit  de  nouveaux  chœurs  pour  Alhalie,  pour  Eslher  et 
pour  Psyché  à  l'occasion  de  reprises  de  ces  chefs-d'œuvre  faites  à  la  Comédie- 
Française,  il  ût  représenter  les  ouvrages  suivants  ;  Maître  Claude,  un  acte, 
Opéra-Comique,  1861;  José-Maria,  3  actes,  id.,  186(3;  les  Bleuets,  i  actes,  Théâ- 
tre-Lyrique, 1867;  Béa,  2  actes,  Opéra-Comique,  1870;  plus  deux  cantates  : 
l'A.nnexion  et  Vive  l'Empereur,  exécutées  toutes  deux  en  1860,  la  première  à 
l'Opéra,  la  seconde  à  l'Opéra-Comique.  Jules  Cohen,  qui  remplissait  alors 
les  fonctions  d'accompagnateur  à  )a  chapelle  impériale,  avait  été  nommé, 
en  1870,  professeur  de  la  classe  d'ensemble  vocal  au  Conservatoire,  et,  un 
peu  plus  tard,  fut  pendant  quelques  années  chef  des  chœurs  à  l'Opéra. 

—  Le  second  fils  du  grand  violoncelliste  Servais,  François-Mathieu  (dit 
Franz)  Servais,  est  mort  lundi  dernier  dans  la  petite  maison  qu'il  occupait 
depuis  assez  longtemps  i  Asnières,  âgé  d'un  peu  moins  de  cinquante  ans.  Né 
à  Hal  comme  Joseph,  son  frère  aîné,  mort  depuis  ISS.'J,  il  fit  ses  études  au 
Conservatoire  de  Bruxelles,  où  il  obtint  en  1873  le  grand  prix  de  Rome,  avec 
une  cantate  intitulée  la  Mort  du  Tasse.  Il  avait  fondé  et  dirigé  pendant  plu- 
sieurs années,  à  Bruxelles,  une  société  de  concerts  symphoniques,  et  il  avait 
même  rempli  durant  une  saison  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  au  théâtre 
de  la  Monnaie.  Il  produisit  peu  et  se  fit  connaître  d'abord  par  quelques  mélo- 
dies et  des  pièces  d'orchestre.  Puis  il  consacra  plusieurs  années  à  écrire  la 
musique  d'un  grand  drame  Ij'rique,  VApollonide  de  Leconte  de  Liste,  qu'il 
eût  souhaité  ardemment  voir  représenter  à  Paris.  N'y  pouvant  réussir,  il 
accepta  de  faire  jouer  cet  ouvrage  à  Carlsruhe,  où  il  parut  avec  succès  il  y  a 
trois  ans,  sous  la  direction  musicale  de  M.  Féhx  Mottl.  Il  avait  entrepris  la 
composition  d'un  nouvel  opéra,  lorsque  la  mort  est  venue  le  surprendre  dans 
toute  la  force  de  l'âge. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  veille  AU  MÉNESrREL,  2  bis,  rue  ïiïienne,  HEUGEL  &  G'',  éditcnrs-propiiélaires. 


RAOUL     PUGNQ 


PIANO    ET   ORCHESTRE 

exécuté  par  l'auteur  aux  Concerts  officiels  du  Trocadéro 

et  aux   Concerts   Colonne 

Réduction  pour  deux  pianos,  par  l'auteur,  prix  net  :  9  francs. 


Pour   paraître   prochainement    AU    MÉNESTREL,    2    bis,    rue    Vivienne. 


GRAND  SUCCÈS  B.^LLET-F./^iTT03yciDycE  ^   GK.^3srr)    spectacle  g^^^^^  SUCCÈS 

Tiré  du 

PETIT  FAUST 

Ii'OLYlVIPm-THÉflTRE  ^'  "'  ^^°™^  ''^^^^^^^  '*  ^^^^^^^  ^^™^  ^''  ^'  *^^^^^-™^^  It'OItY]VlPIfl-T}lÉaTHE 

*  *  '  MUSIQUEDE 

,,^  HERVÉ  ,,^ 

Pris  net  :  5  ir.  —  PARTITION  transcrite  pour  piano  solo  par  E.  DOMERGUE  —  Prix  net  :  5  l'r. 


HHRHrlGElVIEl>lTS    DIVEI^S   POOt?   PIH]>10 

HERVÉ.  Valse-ouverture,  à  2  mains 6  » 

—  —  à  4  mains 7  50 

HOFFMANN.  Idylle  des  4  saisons  variée 5  « 

MÉTRA.  Suite  de  valses  à  2  mains 6  » 

—  —  ai  mains 7  50 

A.  MEÏ.  Polka  du  jardin 4  50 

RUMMEL.  Fantaisie  mignonne  à  4  mains  ....  7  50 

STRAUSS.  Quadrille  à  2  mains 5  » 

—  —        à  4  mains 6  >< 


ARBAN.  Quadrille  brillant 5     » 

BATTMANN.  Transcription  facile 5     » 

BERNARDIN.  Idylle  pour  violon  et  piano.   ...  5     » 

G.  BILL.  Fantaisie,  transcription  très  facile  .   .  5     » 

BRISSLER.  Pot-pourri 7  50 

CROISEZ.  Fantaisie  mignonne 6     ,, 

DOMERGUE.  Variation-Pizzicati 5     >, 

ETTIIIJG.  Méphisto,  polka-mazurka 4  50 

Pour  la  location  des  parties  d'orchestre,  la  mise  en  scène  et  les  dessins  des  costumes  et  décors,  s'adresser  AU  MÉNESTREL,  2'"^,  rue  Vlolenne 


STUTZ.  Polka-enlr'acte 6    » 

VALIQUET.  Quadrille  facile  sans  octaves.   ...  4     » 

—        Valse-ouverture  facilitée 5    » 

F.  WACHS.  Petites  transcriptions  très  faciles  : 

1.  Couplets  du  guerrier  Valentin.  2  50 

2.  Tyrolienne  de  Marguerite.   .    .  2  50 

3.  Couplets  du  jardin 2  50 

4.  Rondo-valse  de  Méphisto  ...  2  50 

5.  Polka  des  trois  chœurs  ....  2  50 
fi.  Chanson  du  satrape    ....  2  50 


s.  —  (Ëacre  Luj'illcuxf, 


U¥i.  -  67-  mM  -  i\°  1 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


DimaDche  27  Janvier 


(Les  Bureaux,  2"",  me  Vivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

LE 


MENESTREL 


lie  HaméFo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  HuméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


ï.  Verdi,  par  Authi  u  Polgin.  —  il.  Semaine  théâtrale  ;  premières  représentations  de 
.iramuii/' au  Palais-Royal  etd'/in  Fêle  à  l'Athénée,  Pai]l-É>mle  Chevalier.  —  III.  Ethno- 
graphie musicale,  notes  prises  à  l'Exposition  (IS-  article)  :  la  musique  clùnoise  et 
indo-ciiinoise,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Le  tliéâtre  et  les  spectacles  ii  l'Exposition 
(16"  article)  :  la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin.  —  V.  La  reine  Victoria  et  Félix 
ilenUelasohn,  J.  T.  —  VI.  Revue  des  grands  concerts.  —  Vil.  Nouvelles  diverses 
et  concerts . 


MUSIQUE  DE  CHANT 

iSos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AU   BORD  DE   L'EAU 

n°  3  des  Famés  tendresses,  nouvelles  mélodies  de  Théodore  Dubois,  poésies  de 

ScLLY-PnuDUO.MME.  —  Suivra  immédiatement  :   Complainte  de  saint  Nicolas, 

n"  i  des  Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Périlhol'. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
la  Romàika,  souvenir  de  Smyrne,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  : 
Preludio-sattarello,  de  Théodore  Dubois. 


"ST-HItTyi 


Au  moment  où  nous  mettons  sous  presse  une  noble  intelli- 
gence va  s'éteindre,  un  grand  artiste  va  disparaître.  Verdi  a  été 
terrassé  tout  à  coup,  au  milieu  d'une  vieillesse  si  brillante 
qu'on  pouvait  lui  croire  encore  un  long  avenir,  par  la  paralysie, 
ce  mal  qui  ne  pardonne  pas.  Peut-être  le  vieux  et  glorieux 
maître  avait-il  commis  une  imprudence  ;  peut-être  avait-il  eu  le 
tort  de  quitter  Gênes,  la  ville  ensoleillée,  où  il  s'était  installé 
depuis  le  commencement  de  l'hiver,  pour  revenir  à  Milan,  dont 
le  climat  est  l'un  des  plus  fâcheux  de  l'Italie  en  la  saison  rigou- 
reuse. Quoi  qu'il  en  soit,  l'Italie,  stupéfaite,  a  été  frappée  au  cœur 
par  cet  événement  imprévu.  Verdi  n'était  pas  seulement  pour 
elle  un  grand  artiste,  un  grand  homme,  c'était  comme  une  sorte 
de  symbole,  c'était  sa  gloire  vivante  et  rayonnante,  c'était,  on 
peut  le  dire,  le  plus  beau  fleuron  de  sa  couronne  intellectuelle. 
Depuis  plus  d'un  demi-siècle  la  renommée  du  maître  avait 
rayonné  sur  le  monde  entier,  lui  seul  avait  soutenu  le  vieux 
renom  de  l'Italie  musicale,  elle  en  était  justement  flère,  et  elle 
lui  rendait  en  affection  filiale,  en  respect  plein  d'amour,  en  une 
sorte  d'adoration,  ce  qu'il  lui  donnait  en  éclat  artistique,  en 
lustre  et  en  gloire. 

Lui  seul,  ai-je  dit,  et  peut-être  est-ce  là  l'originalité  de  l'exis- 
tence de  Verdi,  de  la  suprématie  incontestée  qu'il  a  exercée  sur 
l'art  pendant  un  si  long  temps.  L'auteur  de  fUgoletio  n'a  pas  eu 
à  lutter,  au  cours  de  sa  longue  carrière,   contre  un  seul  rival. 


contre  un  émule  ijui  aurait  pu  lui  disputer  la  prééminence. 
Rossini  s'était  volontairement  effacé,  Bellini  était  mort,  Doni- 
zetti  était  déjà  au  déclin  d'une  vie  qui  devait  être  brisée  par  fa 
folie.  La  scène  n'était  occupée  que  par  des  artistes  de  second  ou 
de  troisième  ordre,  plus  ou  moins  imitateurs  de  ceux-ci,  non 
sans  talent,  mais  sans  originalité,  et  d'ailleurs  plus  vieux  que 
le  jeune  maître  qui  allait  entrer  triomphalement  dans  la  lice  : 
Mercadante,  né  en  1795,  Pacini,  en  1796,  les  deux  frères  Ricci... 
Verdi,  avec  son  génie  ardent  et  tumultueux,  son  tempérament 
pathétique,  son  sentiment  inné  de  la  scène,  ne  pouvait  tarder 
à  les  éclipser  tous.  Mais  ce  n'est  pas  amoindrir  sa  valeur  que 
de  croire  qu'il  n'aurait  pas  exercé  une  telle  royauté  s'il  avait  dû 
coudoyer  un  rival  doué  de  qualités  égales,  sinon  semblables. 
Qu'on  se  rappelle  la  lutte  qui  s'engagea,  vers  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle,  entre  ces  trois  artistes  admirables,  si  bien 
doués  tous  trois  et  qui  couraient  de  chef-d'œuvre  en  chef- 
d'œuvre  :  Guglielmi,  l'auteur  de  la  PastoreHa  nobile,  Paisiello, 
l'auteur  de  la  Molinara,  et  Cimarosa,  l'auteur  de  (7  Malrimonio 
segreto.  Tous  trois  étaient  hommes  de  génie,  aucun  n'eut  l'auto- 
rité absolue  que  connut  Verdi. 

Aussi,  l'Italie  le  regrettera  d'autant  plus  vivement,  d'autant 
plus  sincèrement,  qu'elle  sait  bien  et  qu'elle  sent  bien  qu'il  n'a 
point  de  successeur.  Ce  ne  sont  ni  les  Mascagni,  ni  lesFranchetti, 
ni  les  Puccini  qui,  à  eux  tous,  pourront  lui  tenir  lieu  de  celui 
qu'elle  perd.  Sans  vouloir  méconnaître  leur  talent,  lequel 
d'entre  eux  lui  donnera  un  Trovatore,  un  Rigoletto,  une  Aida?  Je 
sais  bien  quels  étaient,  musicalement,  les  défauts  de  Verdi,  mais 
je  connais  bien  aussi  ses  qualités,  et  je  ne  les  vois  pas,  au  moins 
jusqu'ici,  chez  ceux  qui  voudraient  aspirer  à  le  remplacer. 


Ces  réflexions  ne  sauraient  m'entraîner  à  tracer  en  ce  moment 
une  caractéristique  du  génie  de  Verdi.  J'ai  publié  ici-même,  à 
cette  place,  il  y  a  quinze  ans,  une  longue  étude  sur  le  maître  et 
sur  sa  carrière,  étude  qui  a  paru  ensuite  sous  forme  de  volume, 
et  je  ne  saurais  la  recommencer  et  la  résumer  dans  l'espace 
d'un  seul  article.  J'aime  mieux,  pour  rendre  hommage  à  sa 
mémoire,  rappeler  ce  qu'il  fut  au  point  de  vue  moral.  Discret  et 
sobre  dans  ses  relations,  d'un  abord  difficile,  d'un  aspect  froid, 
sévère,  nrm  exempt  de  raideur  et  de  sécheresse,  piais,  pour  qui 
le  connaissait,  affectueux,  dévoué,  et  surtout  bon,  bienfaisant  et 
charitable.  C'est  sous  ce  dernier  rapport  surtout  que  je  voudrais 
le  révéler. 

On  sait  déjà  que  voici  plusieurs  années  qu'il  a  résolu,  n'ayant 
point  d'enfants,  de  consacrer  la  plus  grande  partie  de  sa  fortune 
à  la  fondation  d'un  lieu  de  refuge  pour  les  vieux  musiciens.  Dans 
la  haute  situation  qu'il  occupait  sous  tous  les  rapports,  on  con- 
çoit facilement  que  Verdi  était  toujours  assiégé  de  demandes  de 
secours  d'artistes  malheureux,  parfois  sans  gîte,  sans  pain,  qui, 


26 


LE  MÉNESTREL 


dans  leur  détresse,  avaient  recours  à  son  bon  cœur  et  à  sa  bien- 
faisance. Il  était  attristé  du  spectacle  de  tant  d'infortunes,  sou- 
vent inaméritées,  et  de  la  pensée  de  voir  finir  à  l'hôpital  jusqu'à 
des' chanteurs  qui  naguère  avaient  ému  le  public  par  leurs 
accents  toucliants  et  dramatiques,  et  que  le  sort  avait  néanmoins 
poursuivi  de  ses  rigueurs.  De  là  naquit  le  projet  qu'il  voulut 
mettre  à  exécution,  sans  en  charger  d'autres  après  sa  mort. 

Cette  exécution  fut  entourée  d'abord  du  plus  grand  mystère  — 
car  Yerdi  n'aimait  guère  qu'on  s'occupât  et  qu'on  parlât  de  lui; 
nul  n'a  fui  davantage  la  publicité  et  la  réclame.  C'est  Milan  que 
le  maître  avait  choisi  pour  le  théâtre  de  cet  exploit,  Milan,  où 
précisément  M.  Camille  Boito,  architecte,  frère  de  son  collabora- 
teur M.  Arrigo  Boito,  était  en  train  de  construire  un  vaste  édifice 
destiné  aux  écoles  élémentaires.  11  le  chargea  de  choisir  et 
d'acquérir  un  terrain  de  4.000  mètres  carrés,  sur  lequel  s'élève- 
rait l'hospice  qu'il  voulait  fonder.  Ce  n'est  qu'au  dernier  moment, 
lorsqu'il  s'agit  de  la  signature  des  actes,  où  le  secret  n'était  plus 
possible,  que  le  nom  de  Verdi  fut  divulgué.  J'ignore  le  prix  de 
ce  terrain,  mais  la  construction,  que  je  crois  achevée  aujour- 
d'hui, n'a  pas  coûté  moins  de  SOO.OOO  francs,  et  le  maître  a 
consacré  une  somme  nette  de  deux  millions  pour  former  le  fonds 
dotal  de  l'établissement,  où  cent  artistes,  soixante  hommes  et 
quarante  femmes,  pourront  être  admis  et  où  ils  jouiront  non  seu- 
lement d'un  bon  gîte,  d'une  bonne  nourriture,  mais  de  tout  le 
confortable  possible.  Yerdi  était  même  si  préoccupé  de  leur  bien- 
être  qu'il  se  demanda  pendant  quelque  temps  s'il  faudrait  les 
laisser  coucher  seuls  dans  leur  chambre,  ce  qui  pouvait  offrir  un 
réel  danger  pour  des  vieillards,  en  cas  d'indisposition,  ou  établir 
des  dortoirs  de  douze  lits,  ce  qui  pouvait  les  blesser  en  leur 
donnant  la  pensée  qu'ils  étaient  dans  un  hôpital.  Finalement, 
il  fut  décidé  que  quelques  chambres  seraient  à  deux  lits.  Il  y  a 
huit  jours  encore.  Verdi  signait  un  acte  qui  constituait  de  nou- 
velles rentes  et  augmentait  le  revenu  de  cette  fondation. 

Voici  d'ailleurs  les  renseignements  qu'un  journal  italien  don- 
nait récemment  à  ce  sujet  :  —  «  Dans  l'établissement  pourront 
prendre  place  cent  musiciens.  Par  la  volonté  de  Verdi,  l'archi- 
tecte Boito  a  construit  un  édifice  dont  la  somptuosité  extérieure 
est  bannie  pour  faire  place  à  une  élégance  simple,  au  bon  goût 
harmonieux  des  lignes,  d'autant  qu'une  première  impression  de 
la  façade  ne  fait  pas  soupçonner  le  grandiose  de  l'intérieur. 
L'étendue  totale  du  terrain  est  d'environ  4.200  mètres  carrés  et 
comprend  un  vaste  jardin  pour  les  hommes,  un  jardin  un  peu 
moins  vaste  pour  les  femmes,  la  cour  centrale,  qui  comporte  à 
peu  près  500  mètres  carrés,  et  une  cour  de  service  dans  l'angle 
le  plus  éloigné.  Au  premier  étage  sont  les  locaux  de  l'adminis- 
tration, les  salles  pour  le  parloir  avec  les  étrangers,  etc.  En 
montant  l'escalier  de  marbre,  on  accède  aux  réfectoires  séparés 
pour  chaque  service,  à  une  salle  centrale  pour  réunions  et 
concerts,  longue  de  20  mètres  sur  10  de  large,  à  d'autres  salles 
communes  et  à  deux  terrasses  découvertes,  où  les  résidents 
prendront  le  frais  l'été  en  admirant  les  crêtes  des  montagnes 
lointaines.  Les  chambres,  cinquante  à  un  seul  lit,  vingt-cinq  à 
deux  lits,  sont  distribuées  dans  les  ailes  du  bâtiment,  et,  toutes 
situées  entre  le  levant  et  le  midi,  occupent  trois  étages  en  y 
comprenant  le  rez-de-chaussée,  élevé  d'un  mètre  au-dessus  du 
sol.  Dans  la  cour  centrale  se  trouve  l'oratoire,  voisin  de  l'infir- 
merie. Le  souterrain,  abondamment  aéré  et  éclairé,  contient  les 
bains,  les  salles  de  douches,  les  cuisines  et  tous  les  autres  ser- 
vices, pendant  que  la  blanchisserie  à  vapeur,  la  lingerie  et  les 
chambres  de  la  domesticité  occupent  un  corps  de  logis  à  part 
dans  la  dernière  cour.  Outre  les  deux  escaliers  principaux,  il  y  a 
six  escaliers  de  service,  qui  mettent  en  communication  les  divers 
étages  de  chaque  département.  Enfin  l'édifice,  dans  toutes  ses 
parties,  jusque  dans  les  corridors,  dans  les  vestibules,  dans  les 
escaliers,  sera  chauffé  l'hiver  par  des  calorifères  à  vapeur  à 
basse  pression.  » 

Mais  ce  n'est  pas  là  le  seul  établissement  de  ce  genre  que 
l'Italie  devra  au  maître  à  qui  elle  a  donné  la  gloire.  Près  de  son 
superbe  domaine  de  Sant'Agata,  où  il  se  livrait  à  l'agriculture 
avec  une  véritable  passion,  se  trouve  la  petite  ville  de  Villa- 


nova,  qui,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  nommait  ce  sénateur 
du  royaume  membre  de  son  conseil  municipal.  Verdi  déclina  cet 
«  honneur  »  en  déclarant  qu'il  ne  pourrait  trouver  le  loisir  de 
s'occuper  des  affaires  de  la  commune,  et  qu'il  priait  qu'on  voulût 
bien  l'en  dispenser.  Il  donna  donc  purement  et  simplement  sa 
démission.  Mais  il  fut  réélu,  les  gens  de  Villanova  étant  obstinés 
de  leur  nature.  Que  fit-il  alors  ?  Il  laissa  vide  son  siège  de 
conseiller,  mais  il  fît  cadeau  à  la  commune  d'un  hôpital  qui  lui 
coûta  60.000  francs  et  dans  lequel  il  fonda  un  certain  nombre 
de  lits.  Et  ce  citoyen,  qui  n'avait  pas  le  temps  d'être  conseiller 
et  qui  laissait  toujours  son  siège  vide  aux  séances,  employa 
tout  un  hiver  à  préparer  les  plans  de  son  hôpital,  et  pendant  tout 
un  été  donna  tous  ses  soins  à  sa  construction.  Car  on  assure  que 
Verdi,  tout  en  se  faisant  aider,  pour  les  détails,  par  un  de  ses 
amis  de  Busseto,  M.  Frignani,  en  établit  et  en  dessina  lui-même 
tous  les  plans  et  fut  son  propre  ingénieur.  Il  consacra  à  cette 
étude  tout  un  hiver  à  Gênes,  où  il  passait  régulièrement  cette 
saison.  Puis,  aussitôt  de  retour,  avec  les  beaux  jours,  à  son 
domaine  de  Sant'Agata,  il  fit  commencer  les  travaux,  dont  il  prit 
en  quelque  sorte  la  direction  et  qu'il  surveilla  avec  la  conscience 
et  l'activité  qu'il  apportait  en  toutes  choses.  «  Assidu  et  métho- 
dique avant  tout,  disait  alors  un  journal,  le  maître  est  chaque 
matin,  dès  l'aube,  à  son  hôpital,  où  il  se  rend  en  bon  campa- 
gnard, la  tête  couverte  d'un  énorme  chapeau  de  paille  de  Panama. 
Il  visite  avec  soin  les  travaux,  se  rend  compte  de  tout,  puis, 
quand  il  a  bien  donné  son  coup  d'œil  de  tous  côtés,  il  lui  arrive 
de  sauter  en  voiture  et  de  se  rendre  jusqu'à  Crémone,  qui  est 
peu  éloignée.  Là,  il  se  rend  invariablement  à  VAlbergo  Capello, 
où  il  déjeune,  s'asseyant,  invariablement  aussi,  à  la  même  petite 
table,  que  tout  le  monde  dans  la  maison  a  baptisée  pour  ce  fait 
du  nom  de  tavolina  Verdi.  » 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore,  et  là  ne  s'arrête  pas  la  généro- 
sité de  l'auteur  d'Aïda  et  de  Rigolelto  envers  ses  concitoyens, 
justement  fiers  de  lui  et  de  son  génie.  A  Fiorenzola,  petite  ville 
aussi  jolie  que  son  nom  et  située  non  loin  de  Plaisance,  Verdi  a 
fait  construire  encore  à  ses  frais  un  autre  hôpital,  dont  les  dé- 
penses de  construction  ne  se  sont  pas  élevées  à  moins  de 
200.000  francs,  et  qu'il  a  largement  doté  d'un  revenu  annuel  de 
50.000  francs.  N'est-ce  pas  là,  vraiment,  un  emploi  merveilleux 
d'une  fortune  gagnée  à  l'aide  de  son  génie  et  de  son  travail,  et 
le  fils  de  l'humble  albergatore  de  Roncole  n'avait-il  pas  lieu  d'être 
fier  de  lui  et  de  sa  destinée? 

-  Il  n'est  que  juste  de  constater  que  les  deux  derniers  grands- 
musiciens  italiens  se  seront  particulièrement  distingués  par  leur 
munificence  et  leur  bienfaisance  artistiques.  Verdi  de  son  vivant, 
Rossini  de  façon  posthume.  Ce  dernier  a  partagé  les  effets  de  sa 
générosité  entre  l'Italie,  sa  patrie  réelle  et,  quoi  qu'on  en  ait  pu 
dire,  toujours  chérie  par  lui,  et  la  France,  sa  patrie  d'adoption, 
pour  laquelle  aussi  son  affection  était  sincère  et  profonde.  A 
Pesaro,  sa  ville  natale,  il  a  légué  les  fonds  nécessaires  pour  la 
création  et  l'entretien  d'un  Conservatoire  de  musique  qui,  placé 
sous  la  direction  d'un  artiste  remarquable,  Carlo  Pedrotti,  auquel 
a  succédé  depuis  M.  Mascagni,  devint  en  peu  d'années  l'un  des 
premiers  de  l'Italie.  A  Paris,  ou,  pour  mieux  dire,  à  Passy,  on 
sait  qu'il  a  fondé  une  vaste  maison  de  refuge  pour  de  vieux 
musiciens.  Il  avait  légué  la  jouissance  de  sa  fortune  à  sa  veuve,, 
à  la  condition  que,  à  la  mort  de  celle-ci,  cette  fortune  fût  con- 
sacrée à  cet  usage.  C'est  ce  qui  a  été  fait,  et  l'on  sait  que  depuis, 
plusieurs  années  déjà  la  maison  Rossini  est  en  plein  fonctionne- 
ment. De  plus,  Rossini  a  légué  à  l'Académie  des  beaux-arts,  dont 
il  était  membre  correspondant,  la  somme  nécessaire  à  la  fonda- 
tion d'un  prix  de  6.000  francs  à  partager  entre  les  deux  auteurs, 
poète  et  musicien,  d'une  cantate  ou  scène  lyrique  qui  doit  être 
mise  au  concours  tous  les  deux  ans.  C'est  ce  prix  qui  est  connu 
sous  le  nom  de  «  prix  Rossini  ».  On  aimerait  à  voir  nos  artistes 
illustres  suivre  des  exemples  si  honorables. 


Verdi  a  bien  employé  sa  vie,  et  —  qui  sait?  —  peut-être  ses- 
derniers  jours,  dans  lesquels  il  a  surtout  exercé  sa  bienfaisance,. 


LE  MÉNESTREL 


ont-ils  été  plus  cbers  encore  à  son  cœur  que  ceux  où  il  lui  a  été 
donné  de  manifester  son  génie  avec  tant  de  magnificence.  Ses 
compatriotes,  qui  le  connaissaient  bien,  qui  l'entouraient  d'une 
si  tendre  et  si  légitime  affection,  qui  l'aimaient  et  le  vénéraient 
autant  qu'ils  l'honoraient  et  l'admiraient,  ont  une  double  raison 
de  le  pleurer  et  de  chérir  sa  mémoire.  Ils  vont  perdre  en  lui,  en 
même  temps  qu'un  noble  et  illustre  artiste,  un  grand  homme 
de  bien,  à  l'âme  généreuse  et  à  l'esprit  plein  de  charité. 

Par  malheur  ils  sont  rares,  ceux  qui  peuvent  inspirer  ce  dou- 
ble regret. 

Arthur  Pougin. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Palais-Royal.  M'amour,  comédie  en  3  actes,  de  MM.  Paul  Bilhaud  et  Maurice 
Hennequin.  —  Athénée.  En  Fête,  comédie  en  5  actes,  de  M.  A.  Germain. 

L'  «  autre  »  ne  doit  jamais  être  l'ami  du  mari.  C'est  la  théorie  du 
sémillant  Hubert  Grisolles.  Mais  Antoinette  Montureu.x,  que  son  époux 
emmène  passer  l'été  à  Gabourg  et  qui  se  rend  parfaitement  compte  com- 
bien deviendront  difficiles  les  discrets  entretiens  en  une  plage  où  les 
baigneurs  n'ont  d'autres  plus  grandes  distractions  que  celle  d'épier  mali- 
cieusement leurs  voisins,  Antoinette  Montureux  exige  qu'Hubert,  pour 
expliquer  les  entrevues,  se  lie  avec  M.  Montureux.  Ce  qui  devait  arri- 
ver arrive.  Les  deux  compères  se  prennent  naturellement  d'une  affec- 
tion fébrile  :  Montureux  ne  veut  pas  lâcher  Hubert  une  seule  seconde; 
Hubert  est  en  proie  aux  remords.  Et  Antoinette,presque  toujours  seule 
aux  galants  rendez -vous,  linit  par  s'apercevoir  que  c'était  la  théorie 
de  son  ami  qui  était  la  bonne.  Après  avoir  tout  tenté  pour  essayer  de 
brouiller  ceux  dont  elle  fit  des  inséparables,  elle  abandonne  le  piteux 
Hubert  à  son  cher  Montureux  et  lui  donne,  comme  successeur,  le  jeune 
Maxime  de  Torcy,  qu'elle  a  pris  soin  de  mettre  en  telle  posture  que 
jamais  il  ne  pourra  devenir  des  familiers  de  son  home. 

M'amour,  dont  le  premier  acte  de  légère  comédie  est  tout  à  fait  exquis, 
de  détails  charmants  et  d'observation  amusante,  et  dont  les  deux  autres 
empruntent  surtout  leur  drôlerie  aux  procédés  usuels  au  vaudeville,  a 
heureusement  réussi.  La  pièce  de  MM.  P.  Bilhaud  et  M.  Hennequin 
est  délicieusement  jouée  par  M"'-'  Cheirel ,  la  plus  primesautièrement 
charmante  de  nos  comédiennes,  sinon  la  plus  élégante  —  oh!  ses  robes, 
presque  aussi  désagréables  à  l'œil  que  les  décors  hurleurs  que  le  théâtre 
a  fait  brosser  pour  la  circonstance.  M.  Boisselot  et  M.  Raimond  sont, 
l'un  comique,  l'autre  fm,  à  leur  habitude;  M""  M.  Aubry,  lauréate  du 
Conservatoire,  débute  agréablement  sur  cette  scène  du  Palais-Royal,  fort 
éloignée,  de  toutes  façons,  de  celle  de  l'Odéon,  où  la  jeune  comédienne 
devait  s'attendre  à  faire  ses  premiers  pas,  et  MM.  Louis  Maurel,  Gorby 
et  M"'  G.  Barrot  s'acquittent  honnêtement  de  leurs  tâches  modestes. 

A  l'Athénée,  suivant  le  cliché  consacré,  «  pièce  essentiellement  pari- 
sienne »,  c'est-à-dire  espèce  de  grand  kaléidoscope  dans  lequel,  sur  un 
fond  simulant  les  endroits  chiquement  fréquentés,  gesticulent  et  se 
bousculent  des  pantins  qu'on  a  tout  fait  pour  habiller  à  la  dernière 
mode.  La  petite  histoire  qui  essaie  de  lier  très  fragilement  ces  sortes  de 
productions  est  toujours  à  peu  près  la  môme  :  une  jeune  femme  que  son 
mari  abandonne  pour  faire  la  fête  et  qui,  au  baisser  du  rideau,  finira 
par  le  reconquérir.  Quelquefois  la  banalité  de  l'action  est  sauvée  par 
des  détails  d'invention  heureuse  ou  la  silhouette  de  types  amusants;  il 
n'en  est  cette  fois  malheureusement  pas  ainsi.  Et  puis  M.  Auguste 
Germain  semble  avoir  par  trop  oublié  que  la  condition  indispensable 
pour  intéresser  le  public  est  de  lui  présenter  des  personnages  suscep- 
tibles d'éveiller  cet  intérêt.  Des  quarante  et  quelques  bonshommes  que 
l'auteur  a  glanés  dans  le  vaste  champ  de  la  vie  de  noces,  pas  un  ne  se 
détache  en  couleurs  vives,  pas  un  n'accuse  la  moindre  originalité,  sauf 
peut-être  le  slave  Silvany,  auquel  le  très  adroit  M.  Tréville  a  prêté  la 
tête  d'un  littérateur  russe,  homme  charmant,  très  répandu  à  Paris. 

En  f'ete,  qui  demandait  une  interprétation  formidable  par  le  nombre, 
exigeait  de  plus  l'appoint  de  jolies  femmes  et  le  concours  de  couturiers 
en  vogue.  Si,  parmi  ces  derniers,  la  lutte  fut  ardente,  il  n'y  parait  guère, 
ou  bien  alors  le  goût  parisien  subit  une  crise  fâcheuse.  M"'"''  Yahne,  Val- 
dey,  Demarsy,  Bignon,  Demay,  Aliex,  Derval,  avec  des  qualités  d'ordre 
divers,  MM.  Tarride,  Hirsch,  Tréville,  Deval,  et  énormément  d'autres, 
parmi  lesquels  un  vrai  maître  d'hôtel  dans  le  train  se  taille  un  petit 
succès  en  saluant,  dans  la  salle,  les  clients  et  les  clientes  qu'il  a  l'habi- 
tude de  servir  au  bois,  s'emploient,  les  uns  avec  talent,  les  autres 
avec  bonne  volonté,  à  rendre  vivante  la  pièce  de  M.  Germain. 

Paul-Émile  Chevalier, 


ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 

Notes   prises   à.  l'Exposition   Universelle  de    1900 

(Suite.) 


LA  MUSIQUE  CHINOISE  ET  INDQ-GIiINOISE 

A  l'égard  de  l'harmonie,  l'on  ne  saurait  dire  que  les  peuples  d'Kxtrème- 
Orient  ignorent  tout  art  des  sons  simultanés.  Mais  il  faut  constater  que 
cet  art  est  chez  eux  des  plus  rudimentaires.  Ce  que  nous  connaissons 
de  mieux  en  ce  genre,  ce  sont  les  espèces  de  symphonies  du  (jamelang 
javanais;  mais  si  les  rythmes  et  agrégations  sonores  y  sont  curieux 
à  observer,  il  faut  avouer  que  ce  qui  constitue  le  principe  même  de 
l'harmonie,  c'est-à-dire  la  superposition  des  sons  suivant  des  intervalles 
définis,  est  complètement  abandonné  au  hasard.  Ce  hasard,  il  est  vrai, 
ne  peut  guère  aboutir  à  former  des  discordances  bien  pénibles  à  l'oreille, 
puisque  les  sons  employés  ne  sont  qu'au  nombre  de  cinq  par  octave.  J'ai 
déjà  comparé  cette  sorte  d'harmonie  à  celle  dœ  cloches  sonnant  à  la 
volée.  L'effet  qui  résulte  de  cette  production  de  sons  simultanés,  si  les 
cloches  sont  bien  accordées,  peut  être  harmonieux;  cela  n'est  pour- 
tant pas  de  l'harmonie,  dans  le  sens  que  ce  mot  a  dans  l'art  musical  de 
l'Occident. 

Ajoutons  que  nous  n'avons  pu  parvenir  à  dégager  aucun  principe 
harmonique  de  certaines  combinaisons  hétérogènes  dont  la  musique 
annamite  nous  a  fourni  quelques  bizarres  exemples.  Quant  à  la  musique 
japonaise,  des  chants  vocaux,  vagues,  suivis  par  l'accompagnement 
instrumental  en  des  variations  plus  ou  moins  imprécises,  ne  constituent 
de  même  qu'une  harmonie  plus  que  primitive.  Certains  accords  en  double 
corde,  donnant  une  dominante  et  une  tonique,  semblent  indiquer 
quelque  sentiment  tonal;  mais  que  dire  lorsque,  tout  à  côté,  nous 
observons  des  frottements  de  seconde  mineure  ou  majeure,  que  rien 
absolument,  au  point  de  vue  harmonique,  ne  peut  expliquer? 
.  Rappelons-nous  enfin  qu'il  résulte  des  explications  du  P.  Amiot  que 
jamais  les  Chinois  n'ont  connu  l'art  du  contrepoint,  —  art  essentielle- 
ment européen  et  moderne,  inconnu  de  toute  l'antiquité,  et  qui,  devenu 
aujourd'hui  la  base  nécessaire  de  toute  musique,  s'est  répandu  dans 
tout  l'univers  civilisé,  mais  a  continué  de  rester  ignoré  partout  ailleurs. 

Tels  sont  les  principaux  rapports  et  les  principales  différences  que  la 
musique  d'Extrême-Orient  présente  avec  la  nôtre.  Il  est  d'autres  dis- 
semblances encore,  peut-être  plus  fondamentales,  mais  qui  se  prêtent 
difficilement  à  l'analyse,  car,  procédant  essentiellement  de  la  diversité 
du  génie  des  peuples,  elles  sont  plutôt  latentes  qu'extérieures.  C'est  à 
dessein  que  j'ai  cité  naguère  le  récit  du  P.  Amiot  racontant  l'accueil 
que  les  auditeurs  chinois  firent  à  la  musique  française.  «  Vos  airs, 
disaient  ceux-ci,  ne  sont  pas  faits  pour  nos  oreilles,  ni  nos  oreilles  poiir 
vos  airs.»  (1)  11  y  avait  en  ell'et  de  très  bonnes  raisons  pour  que  les  airs 
de  Rameau  ne  séduisissent  pas  du  premier  coup  les  Chinois;  d'abord 
les  mêmes  raisons  pour  lesquelles  ces  airs  n'avaient  pas  conquis  les 
Français  eux-mêmes  sans  effort  ni  sans  peine;  et,  puisque  l'abbé  était 
si  bien  au  courant  des  choses  de  la  musique  européenne,  il  aurait  pu 
se  souvenir  des  cris  d'indignation  qui  partirent  des  rangs  des  amateurs 
quand  les  opéras  de  Rameau  vinrent  prendre  sur  la  scène  la  place  qui, 
jusqu'alors,  avait  appartenu  sans  conteste  à  Lulli.  Et  il  en  fut  de  même 
plus  tard  quand  vint  le  tour  de  Gluck,  puis  de  Rossini,  et  encore  de 
Berlioz,  enfin  de  Wagner.  Pourquoi  donc  tant  de  protestations  quand 
des  formes  nouvelles  viennent  s'imposer  de  force?  La  cause  est  en  cette 
nouveauté  même,  qui  oblige  l'auditeur  à  changer  ses  habitudes  ;  rien, 
au  premier  moment,  ne  lui  semble  aussi  fâcheux  ! 

Voilà  qui  déjà  explique  cette  première  résistance  que  font  presque 
toujours  les  habitants  des  pays  lointains,  quand,  croyant  les  éblouir 
par  les  richesses  de  notre  art,  nous  les  introduisons  d'emblée  dans  nos 
théâtres  d'opéra.  Qu'y  peuvent-ils  comprendre,  plongés  ainsi  sans  prépa- 
ration dans  un  milieu  si  nouveau,  et  mis  en  contact  avec  des  formes 
d'art  dont,  avant  d'entrer,  ils  n'avaient  pas  le  moindre  soupçon  ?  Com- 

(1)  Nous  avons  plus  récemment  retrouvé  une  impression  identique  dans  l'écrit  d'un 
européen,  le  D'  ISrauns,  professeur  à  l'Université  de  Halle  :  Tradilions  japonaises  sur  la 
chanson,  la  musique  et  la  danse,  livre  paru  en  1890,  et  dont  nous  avons  rendu  compte  en 
son  temps  dans  le  Ménestrel.  L'auteur  y  dit  vertement  son  l'ait  à  un  auditoire  japonais 
coupable  d'avoir  écouté  sans  enthousiasme  une  marche  funèbrt  de  Haendel,  ainsi  qu'à  des 
étudiants  de  Toldo,  que,  dans  une  lête,  il  vit  se  délecter  à  l'audition  d'un  corps  de  musi- 
ciens faisant  «  un  bruit  si  détestable  que  l'on  croyait  être  en  enfer,  i  Quant  à  lui  il  ne 
chercha  point  à  approfondir  l'étude  de  la  musique  japonaise,  dont  il  parle  comme  d'une 
chose  tout  il  fait  inférieure  et  barbare:  en  quoi  je  pense  que  ce  savant  a  fait  preuve  d'une 
précipitation  peu  digne  de  la  science,  car,  si  différente  que  la  musique  japonaise  et  chi- 
noise soit  de  la  nôtre,  dès  que  des  peuples  d'une  telle  culture  l'ont  pratiquée  depuis  ta  nt 
de  siècles,  c'est  apparemment  qu'elle  a,  à  quelque  point  de  vue  que  ce  soit,  sa  raison  d'être. 


28 


LE  MÉNESTREL 


mencez  par  faire  leur  éducation,  peut-i'treûniront-ils  par  obtenir  l'assi- 
milation suffisante;  mais  ne  vous  étonnez  pas  s'ils  n'ont  pas  tout 
entendu  du  premier  coup.  C'est  le  contraire  qui  serait  étonnant. 

Mais  le  dissentiment  a  des  causes  plus  profondes.  Il  ne  réside  pas 
uniquement  dans  une  diversité  d'éducation,  il  est,  bien  plus  encore, 
dans  une  différence  de  nature.  Les  races  dont  se  compose  l'humanité 
sont  dissemblables  par  le  type,  par  les  mœurs,  par  la  langue.  Pourquoi 
donc  n'admettrait-on  pas  que  leurs  musiques  se  distinguassent  entre 
elles  par  des  traits  également  divers?  Rien  que  ce  que  nous  avons 
entendu  cet  été  suffit  à  mettre  eu  relief  certaines  correspondances.  Nous 
trouvons  quelque  chose  de  grimaçant  dans  les  physionomies  des  Chi- 
nois, des  Japonais,  des  Annamites  ;  or,  cette  grimace,  nous  la  retrouvons 
parfois  dans  les  inflexions  de  leur  musique  étrange  et  contournée.  Cotte 
musique  leur  appartient  bien  en  propre;  et,  c'est  pour  ce  motif  qu'il 
doit  leur  être  si  difficile  de  comprendre  la  raison  d'être  de  la  nôtre, 
émanant  d'un  génie  si  étranger  au  leur. 

Quant  à  établir  une  échelle  des  mérites  comparés,  je  pense  que  ce 
soin  serait  assez  superflu.  Je  ne  suppose  pas  qu'il  vienne  à  l'idée  de 
personne  de  contester  (jue  la  musique  européenne  constitue  une  forme 
d'art  immensément  au-dessus  de  la  musique  d'Extrême-Orient,  —  de 
même  qu'il  faut  être  Chinois  jusqu'aux  moelles  pour  ne  pas  reconnaître 
la  supériorité  de  la  civilisation  de  nos  races  occidentales,  encore  que 
celle-ci  soit,  loin  delà  perfection.  Restant  sur  le  terrain  purement  musi- 
cal, je  demanderai  au  lecteur  la  permission  de  terminer  en  lui  faisant 
part  d'une  impression  personnelle  dont  l'analyse  résumera,  ce  me  sem- 
ble, de  façon  assez  exacte,  la  nature  des  deux  arts,  et  précisera  leurs 
rapports  et  leurs  différences  essentielles. 

Après  avoir,  tout  l'été  dernier,  vécu  dans  la  fréquentation  presque 
exclusive  de  ces  musiques  exotiques,  je  rentrai  dans  le  courant  de  la  vie 
parisienne  en  assistant  au  premier  concert  Colonne,  dont  le  programme 
était  entièrement  composé  de  musique  de  M.  Saint-Saëns.  Au  moment 
oii  j'entrai  dans  la  salle,  l'orchestre  attaquait  les  premières  notes  du 
o''  concerto  pour  piano.  Il  me  sembla  d'abord  qu'après  un  lointain  voyage 
je  revenais  vers  un  rivage  familier,  et  je  ressentis  cette  même  sen- 
sation d'aise  que  nous  éprouvons  lorsqu'aprés  une  longue  absence  noys 
voyons  la  terre  de  France.  Les  harmonies,  les  sonorités  me  paraissaient 
d'une  plénitude  admirable:  nul  doute  que  ces  qualités  soient  inhérentes 
à  l'œuvre,  mais  j'avoue  que  je  ne  les  avais  pas  senties  au  môme  degré 
lors  des  auditions  précédentes. 

"Vint  le  second  morceau  :  les  archets  attaquèrent  des  accords  graves 
et  sonores,  d'un  rythme  onduleux  comme  de  larges  flots,  et  le  piano  ré- 
pondit par  uu  trait  où  se  retrouvèrent  dès  l'abord  les  caractères  de  la 
musique  orientale.  Par  une  coïncidence  singulière,  je  n'avais  quitté  les 
musiques  de  là-bas  que  pour  les  retrouver  ici  dans  l'œuvre  du  maître 
français.  L'on  sait  en  effet  que  cette  partie  du  S"  concerto  de  M.  Saint- 
Saëns  est  basée  sur  des  thèmes  que  l'auteur  a  recueillis  au  cours  de  ses 
promenades  lointaines;  c'est,  a-t-il  écrit,  «  une  façon  de  voyage  en 
Orient  qui  va  même,  dans  l'épisode  en  fa  dièse,  jusqu'en  Extrême- 
Orient.  »  Mais  si  certaines  formes  extérieures  sont  en  effet  celles  des 
musiques  étrangères,  combien,  par  sa  tendance  et  sa  tenue  générale, 
le  morceau  est  resté  l'expression  intime  du  sentiment  de  l'auteur  I 
Les  thèmes  ne  sont  qu'un  prétexte,  ce  sont  les  impressions  personnelles 
qu'il  évoque  dans  cette  sorte  de  paysage  musical.  L'œuvre  est  française, 
tout  aussi  bien  que  le  tableau  d'un  peintre  qui  aurait  été  prendre  ses 
modèles  au  Japon  ne  serait  pas  pour  cela  de  la  peinture  japonaise. 

M.  Saint- SaOns,  si  curieux  de  ces  formes  étrangères,  avait  déjà  dans 
une  œuvre  de  jeunesse,  la  Princesse  jaune,  utilisé  avec  esprit  des  thèmes 
iasés  sur  la  fameuse  gamme  de  cinq  notes  :  dans  l'un  comme  dans 
l'autre  cas  il  est  resté  lui-même. 

Il  en  esL  encore  ainsi  de  M.  Bourgault-Ducoudray  qui,  dans  sa  7iapso- 
die  cambodyienne,  a  employé  deux  thèmes,  d'une  haute  valeur  musicale: 
encore,  en  les  développant  et  les  traitant  avec  un  éclat  de  coloris  mer- 
veilleux, se  les  est-il  si  bien  assimilés  que  l'on  a  peine  à  y  reconnaître 
le  trait  distinctif  de  la  musique  d'Extrême-Orient.  La  légende  à  laquelle 
ces  thèmes  sont  associes  est  pourtant  essentiellement  locale.  La  voici, 
telle  que  la  résument  des  notes  qui  me  furent  communiquées  par  l'au- 
teur, lors  de  la  première  audition,  ■çQ\iv\ai  Revue  des  traditions  populaires: 

«  Le  territoire  du  Cambodge  est  soumis  chaque  année  à  des  inonda- 
tions qui  durent  plusieurs  mois.  .\  l'époque  où  les  eaux  se  retirent,  la 
population  célèbre  pompeusement  et  joyeusement  cet  événement  qui  lui 
rend  l'usage  de  la  terre  et  les  sources  de  la  vie.  Le  roi,  représentant  de 
la  majesté  divine,  préside  à  cette  fête.  Vers  l'instant  où  les  flots  repren- 
nent leur  cours  régulier,  il  coupe  de  sa  main  un  fil  symbolique  tendu 
au-dessus  du  fleuve,  manifestant  par  là  sa  volonté  de  voir  les  eaux 
débordées  abandonner  son  royaume.  Pendant  ce  temps  le  peuple  chante 
des  chants  religieux.  C'est  un  de  ces  derniers  qui  sert  de  thème  au  pre- 
mier morceau...  » 


Mais,  bien  que  le  Cambodge  ait  fourni  au  compositeur  ses  éléments 
primitifs,  l'œuvre  n'en  appartient  pas  moins  essentiellement  à  la  mo- 
derne école  symphonique  française,  à  laquelle  elle  fait  grand  honneur. 

De  fait,  la  pénétration  absolue  de  deux  arts  de  tendances  si  différentes 
est  un  rêve  irréalisable.  La  musique  européenne  peut  emprunter  à  ces 
musiques  exotiques  quelque  chose  de  leur  vitalité  particulière  :  elles 
n'en  seront  pas  moins  absorbées  à  son  contact. 

C'est  à  l'Extrême-Orient  seul  qu'il  faut  demander  la  musique 
d'Extrême-Orient. 

En  résumé,  des  observations  qu'il  nous  a  été  donné  de  faire,  il  nous 
parait  manifestement  résulter  la  constatation  suivante  :  que,  de  part 
et  d'autre,  la  musique  est  basée  sur  les  mêmes  principes  physiques, 
immuables;  qu'en  outre  ces  principes  peuvent,  dans  leur  application, 
donner  lieu  à  certaines  agrégations,  produire  certaines  inflexions  égale- 
ment intelligibles  et  parlant  de  façon  à  peu  prés  semblable  à  l'oreille  et 
à  l'esprit,  —  quelques  rythmes  caractéristiques,  quelques  thèmes  de 
forme  ou  d'expression  clairement  saisissable,  se  dégageant  de  loin  en 
loin  d'une  trame  plus  ou  moins  complexe. 

Mais,  ce  point  de  départ  établi,  les  deux  arts  se  séparent  franchement, 
poursuivent  chacun  un  but  distinct,  et  bientôt  la  divergence  entre  eux 
est  complète. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE    iQOO 

(Suite.) 


LA    RUE   DE   PARIS 

Passons  à  la  révolutionnaire  M""  Sada  Yacco,  la  rénovatrice  du 
théâtre  au  Japon.  Car  ce  n'est  autre  chose  qu'une  révolution  que  cette 
femme  charmante  vient  d'introduire  dans  les  mœurs  de  son  pays,  en 
imposant  à  ses  compatriotes  et  en  leur  faisant  accepter  la  présence  des 
femmes  sur  la  scène.  Si  ce  que  l'on  m'a  dit  est  vrai,  M""=  Sada  Yacco, 
jeune  femme  douée  d'une  sensibilité  excessive,  d'un  sens  artistique 
d'une  finesse  exquise,  particulièrement  accessible  au  charme  de  la 
poésie,  prenait  surtout  un  plaisir  infini  aux  jeux  du  théâtre  jusqu'au 
jour  où,  d'instinct,  elle  sentit  l'inconvenance  et  la  grossièreté  qu'il  y 
avait  à  voir  des  adolescents  remplir  des  rôles  de  jeunes  fdles  et  de 
jeunes  femmes,  et  inspirer  ou  exprimer  des  passions  qui  prenaient  alors 
un  sens  en  quelque  sorte  monstrueux.  Dès  lors,  pour  elle,  non  seule- 
ment plus  d'illusion,  mais  un  véritable  dégoût  pour  la  production  d'un 
art  qui,  jusque-là,  avait  charmé  son  cœur  et  son  esprit. 

C'est  alors  qu'elle  en  vint  à  se  demander  pourquoi  les  femmes 
étaient  exclues  du  théâtre,  et  pourquoi  elles  n'y  pourraient  monter. 
Comme  elle  ne  trouvait  point  de  réponse  à  cette  question,  elle  conçut 
la  pensée  de  s'attaquer  courageusement  à  un  préjugé  ridicule,  et,  forte 
de  son  honnêteté,  résolut  de  le  combattre  en  personne  et  de  monter  elle- 
même  sur  la  scène.  Ce  fut,  paraît-il,  un  beau  scandale,  et  la  surprise 
excita  des  récriminations  bruyantes.  Mais  sa  grâce  charmante,  le  talent 
qu'elle  déploya  et,  par-dessus  tout,  son  inattaquable  honnêteté,  eurent 
raison  de  la  sottise  des  uns,  de  la  timidité  des  autres  et  de  l'étonnement 
de  tous.  Le  préjugé  était  vaincu,  des  coutumes  séculaires  s'en  allaient 
en  poussière,  et  les  applaudissements  qui  accueillaient  l'actrice  assu- 
raient l'avenir  de  l'heureuse  réforme  si  hardiment  opérée  par  elle  dans 
un  art  dont,  c'est  bien  ici  qu'on  peut  le  dire,  la  femme  est  le  plus  bel 
ornement. 

Et  il  est  probable  que  le  succès  remporté  ici  par  M""'  Sada  Yacco  ne 
pourra  que  confirmer  et  rendre  plus  complet  encore  celui  de  la  révolu- 
lion  opérée  par  elle.  Les  Japonais,  qui  se  sont  européanisés  avec  une 
si  prodigieuse  rapidité,  ne  peuvent  qu'être  flattés  en  effet  de  l'accueil 
chaleureux  fait  en  France  à  leur  admirable  artiste.  Môme  c'est  à  ce 
point  —  et  peut-être  est-ce  un  tort  —  qu'ils  rêvent  maintenant  d'intro- 
duire chez  eux  notre  tliéàtre,  ce  qui  pourrait  bien  détruire  l'originalité 
du  leur.  On  assure  que  l'impératrice  du  Japon,  férue  de  cette  idée,  a 
déjà  chargé  plusieurs  écrivains  de  traduire  à  l'usage  de  la  scène  nationale 
un  certain  nombre  de  chefs-d'œuvre  du  théâtre  européen,  antique  ou 
moderne,  et  l'on  cite  entre  autres  OEdipe  roi,  Phèdre,  Hamiet,  le  Roi 
Lear,  la  Fiancée  de  Messine  et  jusqu'à  la  Dame  aux  Camélias. 

Il  serait  assurément  curieux  et  singulièrement  intéressant  pour  nous 
de  voir  M"'=  Sada  Yacco  en  Phèdre  ou  en  Marguerite  Gautier,  et  il  est 
certain  qu'elle  nous  y  ferait  éprouver  des  sensations  neuves  et  inconnues, 
qui  donneraient  lieu  â  des  comparaisons  imprévues.  Pour  le  moment, 
contentons-nous  d'avoir  pu  l'admirer  en  Katsouraghi   (la  Ghesa),  et 


LE  MENESTREL 


29 


constatons  tout  d'abord  à  ce  propos  qu'elle  est  plus  complètement  comé- 
dienne, c'est-à-dire  comédienne  plus  variée,  que  ne  le  sont  aujourd'hui 
les  nôtres;  car  non  seulement  elle  parle,  elle  chante  (en  de  certains 
moments  sa  diction,  ryhtmée  et  scandée  par  les  instruments,  est  une 
véritable  musique),  mais  elle  mime  et  elle  danse.  Or,  la  danse  est 
aujourd'hui  parfaitement  dédaignée  de  nos  actrices,  qui  se  privent  par 
là  d'un  élément  particulier  de  succès,  et  il  n'en  fut  pas  toujours  ainsi. 
Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  M""'  Favart  était  une  danseuse  accomplie, 
et  elle  le  prouva  surlout  dans  les  Trois  Sultanes,  où  elle  dansait  de 
véritables  pas,  très  compliqués,  sans  se  borner  à  des  passes  et  à  des  atti- 
tudes, comme  nos  comédiennes  actuelles  se  bornent  forcément  à  le  faire 
à  l'occasion.  M"'°  Sada  Yacco,  elle,  danse  réellement,  et  d'une  façon 
charmante,  avec  une  vivacité,  un  entrain,  et  aussi  une  harmonie,  une 
souplesse  de  mouvements  et  une  grâce  adorables. 

Telle  qu'elle  nous  a  été  présentée,  la  pièce  intitulée  la  Ghesa  et  le 
Chevalier  se  réduit  à  ceci.  Le  chevalier  Bauzaest  ardemment  épris  delà 
ghesa  (courtisane)  Katsouraghi,  qui  le  repousse  parce  qu'elle  aime  un 
autre  chevalier,  Nagoya.  Il  va  sans  dire  que  Banza  prend  en  haine  son 
rival,  qu'il  songe  à  le  perdre  et  qu'enfin  il  le  provoque,  l'attaque  et  le 
tuerait  sans  doute  si  Katsouraghi,  s'élançant  entre  eux,  ne  leur  arrachait 
les  armes  des  mains. 

Ce  premier  acte,  jusqu'à  la  scène  finale,  ne  nous  montre  en  M'"°  Sada 
Yacco  qu'une  fine  comédienne.  C'est  merveille  de  voir  entrer  en  scène 
cette  mignonne  jeune  femme,  élégante,  distinguée,  au  visage  expressif, 
au  sourire  plein  de  grâce,  à  la  voix  douce  et  flexible,  à  la  démarche  et 
aux  gestes  souverainement  harmonieux.  Elle  n'a  en  effet  à  déployer  ici 
que  de  la  grâce  et  de  la  tendresse,  et  elle  y  réussit  à  souhait. 

Au  second  acte  nous  la  verrons  transformée,  et  c'est  à  la  grande  tra- 
gédienne que  nous  allons  avoir  affaire. 

Le  chevalier  Nagoya  était  fiancé  à  la  jeune  Orihimé,  qu'il  avait  un 
instant  trahie  pour  Katsouraghi  —  ce  qui  prouve  qu'au  Japon  les  choses 
se  passent  comme  en  Europe,  par  cette  simple  raison  que  l'humanité 
est  la  même  sous  toutes  les  latitudes.  Mais,  pour  la  même  raison, 
Katsouraghi  est  dévoré  par  la  jalousie,  et  elle  ne  songe  qu'à  se  venger  de 
son  abandon,  dût-elle  pour  cela  aller  jusqu'au  meurtre.  Nagoya,  pour 
échapper  aux  poursuites  de  sa  maîtresse,  s'est  réfugié  avec  sa  fiancée 
dans  le  temple  de  Dojoji,  s'y  croyant  en  sûreté,  l'entrée  de  ce  temple 
étant  interdite  aux  ghesas.  Celle-ci  pourtant  a  découvert  sa  retraite.  Mais 
elle  n'y  peut  pénétrer,  le  temple  étant  gardé  par  des  prêtres  qui  lui  en 
défendent  l'approche.  Que  fait-elle  alors?  Elle  entreprend  de  les 
séduire  par  ses  chants  et  par  ses  danses.  Sa  voix  se  fait  insinuante  et 
caressante,  ses  danses  sont  ardentes  et  éperdues;  mais  sous  ces  chants, 
sous  ces  danses  (et  c'est  là  son  étonnante  habileté),  elle  nous  laisse 
voir  la  jalousie  dont  elle  est  dévorée,  elle  nous  fait  deviner  les  senti- 
ments qui  l'animent,  la  passion,  la  colère,  le  désir,  la  haine,  et  vraiment, 
dans  toute  cette  scène,  sa  mimique  est  extraordinaire. 

Elle  réussit  enfin  à  forcer  l'entrée  du  sanctuaire.  Mais  ce  n'est  pas 
tout.  Il  lui  faut  pénétrer  dans  le  réduit  sacré  où  elle  compte  trouver  sa 
rivale.  Par  trois  fois  elle  s'élance  sur  la  porte  ;  par  trois  fois  on  la 
repousse  et  on  l'en  arrache.  Elle  triomphe  enfin,  elle  entre,  et  bientôt 
elle  ressort,  traînant  après  elle  sa  rivale  mourante,  sa  rivale  tuée  par 
elle.  Mais  elle-même  va  mourir,  tuée  sans  doute  par  l'émotion,  par  la 
fureur,  par  le  remords  et  la  pensée  du  crime  qu'elle  vient  de  commettre, 
et  nous  allons  assister  à  son  agonie  terrible. 

Terrible  en  effet,  et  c'est  sans  dire  un  mot,  sans  prononcer  une 
parole,  qu'elle  va  nous  donner  le  spectacle  le  plus  profondément  tragi- 
que qu'il  nous  soit  donné  de  contempler.  Les  yeux  hagards,  les  cheveux 
hérissés,  on  voit  la  mort  descendre  peu  à  peu  sur  ce  joli  visage.  Les 
joues  se  creusent,  les  narines  se  pincent,  la  bouche  se  contracte,  le  teint 
blêmit,  le  regard  semble  se  fixer  et  se  figer  sur  quelque  image  horrible 
et  invisible,  une  douleur  épouvantable  se  peint  sur  tous  les  traits,  les 
lèvres  s'écartent,  semblent  se  décolorer,  puis  bientôt,  lentement,  la 
tête  se  penche,  le  corps  s'affaisse,  et  la  malheureuse  tombe  inanimée. 
Tout  est  fini  !  C'est  effrayant  —  et  admirable. 

Voilà  ce  qui,  pendant  quatre  mois,  a  fait  accourir  la  foule  à  la  rue 
de  Paris;  voilà  ce  qui  fait  qu3,  huit  jours  avant  la  fermeture  de  l'Exposi- 
tion, M°"  Sada  Yacco  donnait  sur  le  théâtricule  de  miss  Lole  FuUer  sa 
millième  représentation,  devant  une  salle  toujours  comble.  Et  c'était 
justice,  parce  que  le  spectacle  était  suprêmement  émouvant  et  qu'il  nous 
mettait  en  présence  d'une  des  plus  grandes  artistes,  et  des  plus  impres- 
sionnantes, qu'on  puisse  imaginer.  Évidemment  M'"'  Sada  Yacco  est  née 
pour  le  théâtre,  et  ce  qu'il  y  a  do  plus  prodigieux,  c'est  que,  comme  je 
le  disais  en  commençant,  elle  doit  tout  à  elle-même  et  qu'elle  n'a  pu 
avoir  de  modèle. 

En  quittant  Paris  elle  a  été  donner  une  représentation  au  Cercle 
artistique  de  Bruxelles,  où  son  succès  n'a  pas  été  moins  grand.  En 
repartant  pour  le  Japon,  elle  a  promis  de  revenir  à  Bruxelles,  où  elle 


se  produira,  au  printemps,  sur  la  scène  du  Parc,  pour  aller  ensuite  au 
Residenzthoater  de  Berlin.  Souhaitons  qu'elle  revienne  aussi  à  Paris, 
dont  elle  n'a  pas  à  se  plaindre,  et  où  nous  serons  heureux  de  l'applaur 
dir  encore. 


(A  suivre.) 


Arthur  Pougin. 


LA.  REINE  VICTORIA  ET  FÉLIX  MENDELSSOHN 


On  lit  dans  les  lettres  de  Mendelssohn  un  amusant  récit  d'une  entre- 
vue que,  en  1842,  le  jeune  maître  allemand  eut  avec  la  plus  jeune  encore 
reine  Victoria  d'Angleterre.  Le  temps  a  passé,  depuis,  sur  d'innombra- 
bles événements,  et  la  lettre,  datée  du  9  juillet  ISi'i,  nous  parait  être  de 
l'histoire  ancienne  :  elle  n'en  a  pas  moins  conservé  toute  sa  vivacité,  et, 
aujourd'hui  particulièrement,  son  à-propos;  elle  nous  montre,  en  un 
mouvement  pittoresque,  la  façon  toute  originale  dont  la  souveraine  cul- 
tivait et  goûtait  la  musique.  Nous  en  empruntons  la  traduction  à 
M.  Ernest  David  (I). 

«  Laisse-moi  te  raconter  ma  dernière  visite  à  Bucliingham-Palace;  cela 
t'amusera  et  moi  aussi.  Comme  l'a  dit  Grahl  :  c'est  la  seule  maison  où  l'on 
soit  à  son  aise  (sic).  Le  prince  Albert  m'avait  invité  à  venir  le  samedi  à  deux 
heures  et  demie  essayer  son  orgue.  Je  le  trouvai  seul.  Pendant  notre  entre- 
tien, entra  la  reine  en  robe  de  chambre.  Elle  devait  partir  pour  Glaremont  i 
a  Bon  Dieu  !  s'écria-t-elle,  comme  tout  est  en  désordre  ici  !  >•  Il  faut  te  dire 
que  le  vent  avait  dispersé  dans  tous  les  coins  les  feuillets  d'un  gros  cahier 
de  musique.  La  voilà  qui  s'accroupit  pour  les  ramasser,  le  prince  Albert  fait 
de  même  et  moi  aussi,  comme  bien  tu  penses.  Le  mal  réparé,  le  prince  m'ex- 
pliqua le  mécanisme  des  registres  de  son  instrument.  Je  le  priai  de  me  faire 
entendre  quelque  chose,  et  aussitôt  il  me  joua  par  cœur  et  fort  bien,  ma 
foi,  un  choral  avec  pédales;  un  organiste  de  profession  n'aurait  pas  fait 
mieux.  La  reine  assise  écoutait  et  ses  traits  rayonnaient  de  plaisir.  Quand 
le  prince  eut  uni,  je  jouai  mon  choral  du  Paiilus  :  Wie  lieblich  sind  die- 
Bolen,  et,  avant  que  j'eusse  terminé  le  premier  verset,  tous  deux  chantèrent 
le  choeur  avec  moi.  \,&  duc  de  Gotha  entra  en  ce  moment,  et  l'on  se  mit  à 
causer.  Sa  Majesté  me  demanda  si  j'avais  composé  de  nouveaux  lieder,  en 
ajoutant  qu'elle  connaissait  tous  les  miens  qui  ont  été  gravés  :  «  Tu  devrais 
bien  lui  en  chanter  un  »,  dit  le  prince  Albert.  Après  s'être  (ait  un  peu  prier, 
elle  voulut  bien  essayer  le  Friihlings  lied  (Chanson  du  printemps)  en  si  bémol 
majeur.  «  Mais  ce  lied  n'est  pas  ici  »,  s'écria-t-elle;  »  toute  ma  musique  est 
»  déjà  empaquetée  pour  Claremont.  »  Le  prince  Albert  sortit  pour  la  cher- 
cher et  rentra  au  bout  de  quelque.?  instants  en  disant  qu'elle  était  embal- 
lée :  «  On  pourrait  peut-être  la  déballer  »,  me  permis-je  de  faire  observer  r 
«  Envoyez  chez  Lady  N***  »,  reprit  Sa  Majesté.  On  sonna.  Les  domestiques 
accoururent,  se  donnèrent  beaucoup  de  mouvement  sans  arriver  à  rien.  La 
reine,  impatientée,  sortit  pour  la  chercher.  Alors  le  prince  Albert  me  dit  : 
«  Elle  vous  prie  d'accepter  cette  bagatelle  en  souvenir  d'elle.  »  Et  il  me  donna 
un  écrin  contenant  une  très  jolie  bague,  sur  le  chaton  de  laquelle  était  gravé  : 
V.  R.  1842.  —  La  reine  rentra  et  reprit  :  «  Lady  N***  est  partie  en  empor- 
»  tant  mes  affaires  ;  c'est  bien  maladroit  !  »  Tu  ne  te  figures  pas  combien  tout 
cela  m'amusait.  Je  la  priai  de  chanter  autre  chose;  elle  consulta  son  mari, 
et  me  dit  qu'elle  chanterait  du  Gluck.  Au  même  instant  arriva  la  duchesse 
de  Gotha,  et  nous  passâmes  tous  les  cinq  dans  le  boudoir  de  Sa  Majesté, 
où  j'aperçus  à  côté  du  piano  un  grand  cheval  à  bascule,  deux  énormes  cages, 
des  portraits  accrochés  au  mur,  sur  les  tables  des  livres  magnifiquement 
reliés  et  de  la  musique  sur  le  pupitre.  Pendant  que  l'on  causait,  la  duchesse 
de  Kent  entra.  Moi,  j'avais  feuilleté  la  musique  et  trouvé  mon  premier  cahier 
de  lieder.  Je  demandai  à  la  reine  de  vouloir  bien  en  choisir  un  au  lieu  de 
l'air  de  Gluck,  ce  qu'elle  fît  de  la  meilleure  grâce;  et  sais-tu  sur  lequel 
tomba  son  choix?  Devine!  sur  Scliœner  und  sckœner  (2),  qu'elle  dit  très 
purement  et  avec  goût.  Il  me  fallut  (bien  malgré  moi,  je  le  reconnais)  avouer 
que  ce  Ued  est  de  Fanny,  et  je  la  suppliai  d'en  dire  un  autre  de  moi  : 
«  Volontiers  »,  dit-elle;  «  mais  vous  m'aiderez  ».  Et  elle  chanta  :  Lass  dieh 
nur  nichls  nicht  dauern,  vraiment  fort  bien  et  avec  une  grande  expression. 
Je  ne  voulus  pas  faire  le  complimenteur  ni  le  courtisan,  et  je  la  remerciai 
tout  simplement  :  «  Oh  !  ht-elle,  j'aurais  mieux  chanté  si  j'avais  eu  moins 
»  peur.  Habituellement  j'ai  la  respiration  longue.  »  Et  comme  je  la  louai 
cette,  fois  en  toute  conscience,  elle  reprit  d'elle-même  le  dernier  passage, 
quelle  dit  tout  d'une  haleine  et  comme  je  l'ai  rarement  entendu.  Le  prince 
à  son  tour  chanta  :  Es  ist  fin  Schnitlcr,  der  heisst  Tod,  puis  me  dit  qu'avant 
de  partir  je  devais  lui  jouer  encore  quelque  chose.  Il  me  donna  pour  thème  , 
le  choral  qu'il  avait  d'abord  exécuté  sur  l'orgue  et  le  Faucheur  (Schnitler) 
qu'il  venait  de  chanter.  Par  bonheur,  j'étais  bien  disposé;  à  ces  deux  thèmes 
j'ajoutai  les  deux  lieder  chantés  par  la  reine.  Tout  alla  comme  sur  des  rou- 
lettes et  ils  me  suivirent  avec  tant  d'intelligence  et  d'attention  que  j'impro- 
visai mieux  que  jamais.  Quand  j'eus  fini,  la  reine  me  dit  :  «  J'espère  que  nous 
»  vous  reverrons  bientôt  en  Angleterre  ».  Je  pris  congé  et,  arrivé  en  bas, 
je  vis  deux  belles  chaises  de   poste  attelées  qui  attendaient  les  voyageurs 

(1)  E.  David,  Les  Mendelssohn-Bartlioldij  et  Robert  Schumann,  1886. 

(2)  Un  des  lieder  composé  par  M"°  Hensel,  el  que  Félix  a  fait  graver  dans  un  de  ses 
recueils. 


30 


LE  MENESTREL 


royaux.  Un  quart  d'heure  après,  on  abaissa  le  drapeau  du  palais,  et  les  jour- 
naux purent  dire  :  Sa  Majesté  a  quitté  Londres  à  trois  heures  trente  minutes. 
Jb  dois  ajouter  que  je  demandai  à  Sa  Majesté  la  permission  de  lui  dédier  ma 
symphonie  en  la  mineur;  elle  avait  été  l'occasion  de  mon  voyagea  Londres, 
et  le  nom  de  la  reine  sur  ce  morceau  écossais  en  double  la  valeur.  Autre 
chose  encore  que  j'oubliais.  Au  moment  où  elle  allait  chanter,  elle  se 
retourna  et  dit  :  «  Il  faut  d'abord  sortir  le  perroquet  ;  sans  cela,  il  criera 
9  plus  fort  que  moi.  »  Le  prince  Albert  sonna,  mais  le  duc  de  Gotha  vou- 
lut emporter  l'oiseau;  je  m'avançai  alors  en  disant  :  «  Permettez  que  je 
»  m'en  charge  »,  et  je  m'emparai  de  la  cage  que  je  portai  dehors  à  l'ébahis- 
sement  des  domeslioues  qui  n'y  comprenaient  rien,  etc.  »  J.  T. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Charmant  concert,  léger  et  peu  encombrant,  que  celui  de  dimanche  der- 
nier au  Châtelet,  où  nous  eûmes  le  plaisir  de  voir  et  d'entendre  la  belle 
JM"^  Hatto,  superbement  costumée,  dans  l'air  de  Judas  Macchabée  et  dans 
deux  expressives  mélodies  de  M.  Kcechlin  auxquelles  elle  donne  bien  de  la 
valeur.  C'est  une  artiste  très  intéressante,  une  «  figure  »  attachante  que 
W^'  Hatto.  Quant  à  Pugno,  il  a  joué  comme  un  lion  son  très  beau  concert- 
slûck,  si  ingénieusement  bâti  sur  un  seul  thème  de  trois  notes,  mais  avec 
quelles  ressources  variées  de  musicien  subtil  et  profond  tout  à  la  fois!  C'est 
vraiment  une  «  œuvre  ».  H  a  exécuté  ensuite  les  Djinns  si  curieux  dé  César 
Franck  et  cela  a  été  du  délire  dans  toute  la  salle.  Jamais  ne  s'est  vu  si  beau 
triomphe.  Et  tout  aussitôt,  encore  tout  suintant  de  gloire,  Pugno  s'est  mis 
en  wagon  eu  route  pour  l'Allemagne  pour  courir  au-devant  de  nouveaux 
lauriers.  Quelle  existence  que  celle  d'un  artiste  en  vogue  !  —  Le  concert  de 
M.  Colonne  avait  commencé  noblement  par  l'Héroïque  de  Beethoven  et  s'est 
terminé  délicieusement  par  le  très  amusant  Divertissement  sur  des  chansons 
russes  de  M.  Rabaud.  H.  M. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  l'Or  du  Rhin  ne 
produit  pas  une  impression  aussi  puissante  que  chacun  des  trois  finales 
des  autres  drames  composant  la  tétralogie.  Wagner  était  trop  habile 
pour  ne  pas  avoir  ménagé  systématiquement  ses  efforts  djns  un  prologue. 
L'Or  du  Rhin  n'est  que  cela.  On  y  rencontre  des  explications  ennuyeuses,  mais 
jugées  nécessaires  pour  l'intelligence  des  situations  qui  vont  succéder,  de  la 
Walkyrie  au  Crépuscule  des  dieux.  Il  y  a  du  reste,  pour  qui  peut  suivre  les 
paroles  et  en  saisir  le  sens  avec  ses  nuances,  de  larges  compensations.  Le 
constraste  des  caractères  chez  les  deux  brigands  antédiluviens  est  tout  ce  que 
l'on  peut  souhaiter  de  plus  amusant  et  de  plus  nature.  La  lourde  plaisan- 
terie de  Wagner  fait  merveille  ici...  mais  c'est  presque  un  blasphème 
d'écrire  cela,  car  notre  pseudo-Aristophane  germanique  n'avait  aucune  envie 
d'être  plaisant.  Les  deux  butors  qu'il  nous  présente,  ces  deux  brutes  préhis- 
toriques dont  l'une  a  déjà  entrevu  quelques  lueurs  de  justice,  tandis  que 
l'autre  conserve  entière  son  incurable  bestialité,  Fasolt  et  Fafner,  architectes 
du  Wallhalla,  devaient  conserver  dans  son  œuvre  le  rôle  symbolique  à  eux 
dévolu  dans  la  légende  germanique,  et  ce  n'est  pas  de  safaute  si  les  épieux  et 
le  sac  colossal  de  ces  hercules  de  féerie  font  rire  de  ce  côté-ci  duEhin.  Il  y  a 
d'ailleurs  dans  tout  cela  une  bonhomie  populaire  qui  intéresse  ;  c'est  du 
Rabelais  grossier,  avec  l'idée  philosophique.  La  part  est  belle  pour  Wagner. 
Musicîdement,  le  motif  du  Rhin  qui,  .pendant  136  mesures,  ne  quitte  pas 
l'accord  de  mi  héraol  majeur,  est  une  des  plus  étonnantes  applications  de 
Vemhryonnaire  et  du  malléable  dans  le  domaine  des  triturations  sonores.  Le 
thème  des  pommes  d'or  est  ravissant:  tout  grâce  et  caresse;  celui  de  la  fasci- 
nation d'amour  exquis  avec  ses  intervalles  de  septième  descendante  et  d'octave 
montante,  surtout  quand  Wagner  y  place  un  triolet.  Les  autres  sont  plus 
connus  et  plus  fréquemment  employés.  L'interprétation  orchestrale  a  beau- 
coup de  relief;  celle  des  voix  est  bonne  avec  MM.  Challet,  Bagès,  Albers  et 
M""'"  O'Rorke,  Hayot  et  Labatut.  Ahédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  ;  Symphonie  ea  si  bémol  (Beethoven).  —  Troisième  nctei'Ànnide  (Gluck), 
par  M""  Jeanne  Raunay  et  Chrétien-Yaguet.  —  Fragments  de  la  suite  en  si  mineur  (J.-S. 
Bach).  — A.  Tenebrœ  (actcr  stmt  (Michel  Haydn),  et  B.  le  Chanteur  des  bois  (Mendelssohn), 
chœurs  sans  accompagnement.  —  Ouverture  d'Euryanlhe  (Weber). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven).  —  Concerto  pour  piano 
(César  Geloso),  par  l'auteur.  —  Tristan  et  Yseult  (Wagner),  deuxième  scène  du  deuxième 
acte,  par  M.  Kalisch,  M""  Adiny  et  Planés.  —  Symphonie  espagnole,  op.  21  (Lalo),  par 
M.  Enesco.  —  Marche  militaire  française  de  la  Suite  algérienne  (Saint-Saêns). 

Nouvean-Thèàtre,  concert  Lamoureux  sous  la  direction  de  M.  Ciievillard  :  L'Or  du  Rhin 
(Richard  Wagner),  interprété  par  MM.  Ciiallet,  Bagès,  Vallobra,  Dantu,  Albers,  Lubet, 
Guiod,  Sigwalt,  M""  Hayot,  O'Rorke,  Labatut,  Lormont,  Vicq,  Melno. 

—  Très  intéressante,  la  matinée  Colonne  de  jeudi  dernier  au  Nouveau- 
Théâtre  de  la  rue  Blanche.  Le  programme,  divisé  comme  d'ordinaire  en  deux 
parties,  était  consacré  pour  la  première  à  M.  Edouard  Grieg,  pour  la  seconde 
à  Schumann,  avec  un  intermède  dont  M.  Théodore  Dubois  faisait  les  frais. 
Il  s'ouvrait  par  la  suite  d'orchestre  que  M.  Grieg  a  lormée  avec  la  musique 
écrite  pour  le  drame  de  Peer  Gijnt,  musique  toujours  un  peu  embrumée, 
mais  d'un  réel  intérêt,  et  qui  donne  une  idée  très  exacte  du  talent  de  l'au- 
tour et  de  sa  nature  artistique.  La  sonate  piano  et  violon,  suffisamment  con- 
nue depuis  longtemps  pour  que  je  n'aie  pas  à  m'étendre  à  son  sujet,  a  valu, 
pour  son  interprétation,  des  applaudissements  mérités  à  MM.  Armand  Ferté 


et  Oliveira.  Les  jolies  Scènes  d'onl'ance  de  Schumann,  joliment  orchestrées 
par  Benjamin  Godard,  ont  fait  un  vif  plaisir,  mais  surtout  le  superbe  quin- 
tette pour  piano  et  cordes,  op.  i-i,  magistralement  exécuté  par  M'"  Cécile 
Boutet  de  Monvel,  MM.  Armand  Parent,  Lammers,  Denayer  et  Baretti,  a  été 
accueilli  par  toute  la  salle  avec  une  chaleur  enthousiaste.  Ça  été  le  véritable 
succès  de  la  séance,  avec  les  trois  mélodies  de  M.  Théodore  Dubois  :  Prière, 
la  Voie  lactée,  Malin,  d'une  heureuse  inspiration  et  d'un  joli  sentiment,  que 
M""  Aïno  Ackté,  accompagnée  par  l'auteur,  a  chantées  d'une  façon  exquise, 
de  sa  voix  pure  et  fraîche  comme  le  cristal.  A.  P. 


NOXJ"V"ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Une  nouvelle  imprévue  est  venue,  mardi  dernier,  émouvoir  non  seule- 
ment l'Italie,  mais  l'Europe  entière,  Une  dépêche  de  Milan  faisait  connaîtra 
que  "Verdi,  dont  la  santé  jusqu'alors  était  demeurée  excellente,  avait  été  frappé 
lundi  matin,  à  neuf  heures,  d'une  congestion;  il  était  resté  pendant  six  heures 
sans  connaissance,  et  n'avait  repris  ses  sens  que  vers  trois  heures.  Un  bulletin 
publié  par  les  médecins  le  même  jour,  ;'i  neuf  heures  du  soir,  constatait,  avec 
la  gravité  de  la  situation,  des  troubles  aigus  dans  les  lobes  du  cerveau,  et  un 
engourdissement  de  la  sensibilité.  Le  lendemain  2"2,  une  dépêche  de  Milan 
était  ainsi  conçue  : 

a  La  paralysie  de  Verdi  poursuit  rapidement  son  cours.  L'usage  de  la  parole  est  complè- 
tement perdu.  La  maison  royale  demande  continuellement  des  nouvelles.  Les  médecins  ont 
déclaré  que  tout  espoir  est  perdu,  cependant,  le  docteur  Grocco  dit  que  l'état  du  compo- 
siteur est  moins  grave  que  la  nuit  passée.  Une  grande  émotion  règne  dans  toute  l'Italie. 
Des  dépèches  continuent  à  arriver  de  tous  les  côtés  du  monde.  » 

Une  autre  dépêche,  de  Rome,  donnait  une  preuve  de  l'émotion  qui  enva- 
hissait le  pays  tout  entier  : 

■x  Le  président  du  Sénat  a  annoncé,  hier,  que  le  compositeur  Verdi  était  gravement 
malade.  11  a  exprimé  le  regret  d'avoir  à  annoncer  que  les  nouvelles  demandées  par  la  pré- 
sidence laissaient  peu  d'espoir  de  guérison.  Cependant  il  a  formé  des  souhaits  chaleureux 
pour  que  cet  homme  illustre  fût  conservé  à  l'Italie.  M.  Boccardo  a  proposé  au  Sénat  d'en- 
voyer ses  souhaits  au  malade.  M.  Finali,  au  nom  du  gouvernement,  s'associe  à  cette  pro- 
position, qui  a  été  adoptée.  » 

Le  23,  la  situation  resta  la  même,  et  le  24  on  crut  prudent  d'administrer  au 
maître  l'extréme-onction;  la  cérémonie,  très  émouvante,  eut  lieu  en  présence 
de  ses  parents  et  des  quelques  amis  intimes  qui  étaient  à  son  chevet.  Les 
médecins  attendaient  alors  d'heure  en  heure  l'issue  des  crises  caractéristiques 
de  la  maladie.  Elles  ont  ordinairement  une  période  de  trois  jours,  mais 
l'espoir  en  une  issue  favorable  était  de  plus  en  plus  faible. 

—  Au  moment  même  où  l'on  apprenait  la  maladie  de  Verdi,  on  avait  con- 
naissance d'une  délibération  du  municipe  de  Rome  où,  par  une  singulière 
coïncidence,  il  avait  été  question  du  vieux  maître.  Dans  cette  séance  l'un  des 
conseillers,  M.  le  duc  Torlonia,  avait  proposé  que  le  JMngoteverc,  sorte  dévoie 
publique  où  était  le  théâtre  ApoUo,  fût  nommé  désormais  Lungotevere  Verdi, 
et  la  proposition  avait  été  acceptée  par  le  syndic. 

—  Pour  les  Maschere,  la  nouvelle  œuvre  de  Mascagni,  il  en  a  bien  été  ainsi 
que  nous  l'avaient  dit  nos  premières  dépêches.  A  Rome,  où  le  compositeur 
conduisait  lui-même,  il  y  a  bien  eu  tout  au  moins  un  succès  de  courtoisie. 
Mais  dans  les  autres  villes  qui  donnaient  l'œuvre  le  même  soir,  il  n'y  a  pas- 
eu  de  réussite,  bien  que  partout,  disent  nos  correspondances,  o  plusieurs 
pièces  aient  été  hissées  ».  Le  premier  acte  a  paru  long  et  monotone  et  a 
découragé  du  second,  qui  cependant  paraît  fort  joli.  —  M.  Mascagni,  qui  est 
«  un  fort  »,  ne  s'est  pas  découragé  pour  cela.  Il  a  remis  immédiatement  sa 
partition  sur  le  métier  et  l'a  remaniée,  taillant  de-ci  et  de-là,  avec  l'espérance 
d'une  revanche  prochaine. 

—  Voici,  à  titre  de  curiosité,  le  détail  du  prix  des  places  établi  à  Rome, 
par  la  direction  du  théâtre  Gostauzi,  pour  la  première  représentation  des 
Maschere,  de  M.  Mascagni.  Loges  du  premier  rang  (ce  sont  nos  baignoires), 
300  francs;  du  second  rang  (ce  sont  nos  premières  loges),  350;  du  troisièmo 
rang,  l.'iO.  Fauteuils,  4S  francs;  stalles,  20  francs;  amphithéâtre,  10  francs. 
Le  tout  sans  préjudice  du  prix  d'entrée  pour  chaque  place  (ingrcsso),  porté  à 
S  francs.  Enfin,  la  galerie  (poulailler),  5  francs.  Il  faudrait  voir  la  tête  des 
spectateurs  parisiens  si  un  théâtre  se  permettait  de  semblables  folichonneries 
un  jour  de  première. 

—  Milan,  qui  n'avait  pas  assez  d'une  douzaine  de  théâtres,  va  en  posséder 
un  nouveau.  L'ingénieur  Facchinetti,  déjà  directeur  du  Carcano,  vient  d'ache- 
ter dans  le  quartier  populeux  de  la  porta  Ticinese,  dans  la  via  Vetere,  un 
vaste  terrain  sur  lequel  s'élevait  jadis  le  nouveau  théâtre  Re,  et  où  il  compte 
ériger  le  nouvel  édifice.  Son  projet,  prêt  dès  aujourd'hui,  a  été  présenté  par 
lui  à  l'office  technique,  qui  l'a  approuvé. 

—  Un  décret  royal  vient  d'instituer  dans  la  ville  de  liari  une  école  d'orgue 
et  de  chant  grégorien,  qui  dépendra  de  l'église  palatine  de  Saint-Nicolas. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (2t  janvier).  — Nous  ne  nous  souve- 
nons pas  avoir  assisté  à  des  débuts,  dans  la  carrière  lyrique,  aussi  heureux 
que  ceux  de  M"'  Paquet,  dont  une  première  apparition  dans  le  rôle  de  Donna 
Anna,  de  Don  Juan,  avait  produit  déjà,  il  y  a  quelques  semaines,  une  vive 


LE  MENESTREL 


31 


sensation.  M"»  Paquot  a  débuté,  vraiment,  cette  semaine,  dans  Faiisl.  Et 
toutes  les  espérances  qu'avait  données  cette  jeune  fille,  à  peine  sortie  du 
Conservatoire  et  tout  de  suite  fêtée  comme  une  artiste,  ont  été  dépassées.  Je 
ne  pense  pas  qu'il  soit  possible  de  réunir  à  un  tel  degré  les  qualités  les  plus 
diverses  et  les  plus  précieuses  que  puisse  souhaiter  une  cantatrice  di-amati- 
que  :  une  voix  merveilleuse,  d'un  timbre  pénétrant  et  superbe,  d'une  étendue 
peu  ordinaire,  tout  à  la  fois  légère  et  puissante,  un  rare  instinct  scénique,  du  . 
sentiment,  et  tout  ce  qu'il  faut  pour  réaliser  le  rôle  ei  complexe  de  Margue- 
rite aussi  parfaitement  dans  sa  grâce  que  dans  sa  force  et  son  éclat.  Telle 
qu'elle  est,  M"^  Paquot  est  certainement,  sinon  la  plus  parfaite  en  tous  points, 
du  moins  la  plus  complète  héroïne  de  Gounod  que  nous  ayons  entendue.  Si 
de  pareilles  promesses  apportent  tous  leurs  fruits,  il  est  permis  d'attendre 
beaucoup  de  l'avenir.  —  M""  de  Nuovina  a  remporté,  dans  CavaUeria  nisticana, 
autant  de  succès  qu'elle  en  avait  remporté  dans  la  Navarraise.  On  l'attend 
maintenant  dans  Carmen.  —  Les  études  de  Louise  sont  poussées  activement, 
de  façon  que  l'ouvrage  puisse  passer  d'ici  au  S  février.  M.  Charpentier 
doit  venir  surveiller  les  dernières  répétitions.  —  Entre  temps,  le  corps  de 
ballet  répète  les  Deux  pigeons,  de  M.  Messager,  auxquels  succédera  un  ballet- 
pantomime  inédit,  la  Captive,  dont  la  musique  —  que  l'on  assure  être  d'un 
caractère  et  d'une  couleur  absolument  remarquables  —  est  de  M.  Paul  Gilson, 
le  compositeur  de  la  Mer,  de  Françoise  de  Rimini,  etc. 

Le  dernier  concert  populaire,  dirigé  par  son  nouveau  chef,  M.  Sylvain 
Dupuis,  nous  a  fait  entendre  les  Impressions  d'Italie  de  M.  Charpentier,  dont 
on  ne  connaissait  à  Bruxelles  qu'un  court  fragment;  cette  œuvre,  si  pétillante 
et  si  lumineuse,  a  eu  le  seul  tort  d'être  venue  à  la  fin  d'un  programme  trop 
long,  quand  l'attention  du  public  était  fatiguée  déjà  par  l'audition  d'un  violo- 
niste italien,  de  grande  virtuosité  d'ailleurs,  M.  Serato,  compliquée  de  nom- 
breux morceaux  symphoniques.  parmi  lesquels  avaient  voisiné  assez  étran- 
gement une  délicate  symphonie  de  Haydn  et  une  Ouverture  dramatique,  de 
couleur  somptueuse  et  superbe,  de  M.  Paul  Gilson,  déjà  nommé. 

C'est  M.  Johan  Svendsen,  un  des  chefs  de  l'école  Scandinave,  qui  est  venu 
diriger  le  concert  Ysaye  dimanche  dernier,  et  c'est  à  ses  œuvres  que  le  pro- 
gramme était  en  grande  partie  consacré.  Chef  habile  et  expérimenté,  œuvres 
charmantes,  d'une  distinction  et  d'une  inspiration  souvent  exquises,  parfumées 
de  chants  populaires  et,  avec  cela,  d'une  forme  impeccable,  même  très  clas- 
sique. Sa  symphonie,  pleine  de  trouvailles  spirituelles,  sa  Rapsodie  norvé- 
gienne, et  surtout  l'adorable  légende  Zorohaydu,  et  le  Carnaval  de  Paris,  qui 
date  de  trente-cinq  ans,  ont  obtenu  un  très  vif  succès.  Comme  intermède,  un 
ténor  de  Bayreuth,  M.  Burgstaller,  a  chanté  d'une  voix  défraîchie,  mais  avec 
un  beau  sentiment,  du  Beethoven  et  du  Wagner. 

Au  Conservatoire,  pour  nous  reposer  des  émotions  i'Armide,  M.  Gevaert 
nous  fera  entendre  dimanche  prochain  le  maitre  violoniste  M.  Thomson. 

L.  S. 

—  Le  budget  de  l'État  prussien  pour  1901  qui  vient  d'être  soumis  au  Landtag 
est  particulièrement  intéressant  pour  les  musiciens.  Nous  y  trouvons  d'abord 
un  crédit  de  30.000  marcs,  soit  37.S00  francs,  comme  première  annuité  d'un 
crédit  de  360.000  marcs,  soit  450.000  francs,  destiné  à  la  publication,  en  onze 
années,  d'une  collection  intitulée  Monuments  de  la  musique  allemande  qui  doit 
contenir,  en  partition,  les  chefs-d'œuvre  de  la  musique  allemande  du  XV"* 
au  XVHI"  siècle.  Nos  lecteurs  se  rappellent  que  des  collections  analogues 
sont  en  train  d'être  publiées  en  Autriche  et  en  Bavière.  Un  autre  crédit  de 
200.000  marcs,  soit  230.000  francs,  est  demandé  par  le  ministre  de  l'instruction 
publique  pour  acheter  la  célèbre  collection  d'autographes  de  la  maison  Arta- 
ria  de  Vienne.  Cette  collection  a  été  achetée  en  bloc,  il  y  a  quelques  années, 
par  M.  Erich  Prieger,  de  Bonn,  qui  la  cède  au  prix  de  revient  à  la  Bibliothèque 
royale  de  Berlin.  Le  ministre  expose  que  cette  collection  est  la  plus  grande  et 
la  plus  précieuse  parmi  toutes  les  collections  particulières  d'autographes 
musicaux  qui  existent.  On  y  trouve  entre  autres  cent  quarante  compositions 
inédites  et  complètement  inconnues  de  Joseph  Haydn,  et  deux  mille  pages 
écrites  de  la  main  de  Beethoven,  parmi  lesquelles  des  fragments  de  la  Messe 
solennelle  et  de  la  Symphonie  avec  chœurs  qui  compléteraient  heureusement 
les  fragments  de  ces  deux  œuvres  capitales  que  la  Bibliothèque  royale  de 
Berlin  possède  déjà.  Les  efforts  du  gouvernement  de  Prusse  d'assurer  à  la 
bibliothèque  de  Berlin  ces  monuments  d'art  musical  méritent  tous  les  suf- 
frages, et  on  ne  comprend  vraiment  pas  comment  le  gouvernement  autrichien 
ait  pu  se  désintéresser  de  cette  alfaire,  qui  le  concernait  au  premier  chef  et 
qui,  en  somme,  ne  demandait  qu'une  bagatelle  largement  compensée  par  la 
simple  valeur  marchande  des  autographes.  Mais  nous  devons  remarquer  que 
le  gouvernement  prussien  fait  erreur  s'il  croit  que  la  hibliothèque  de  Berlin 
possédera  la  symphonie  avec  chœurs  au  grand  complet  quand  il  aura  acheté 
les  feuilles  de  la  collection  Artaria.  Car  notre  collaborateur  et  ami  Charles 
Malherbe  possède  dans  sa  fameuse  collection  d'autographes  musicaux,  qui 
peut  bien  rivaliser  avec  celle  d'Artaria,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  diver- 
sité des  compositeurs,  justement  quelques  feuilles  de  la  dernière  partie  de  la 
Symphonie  avec  chœurs. 

—  Les  mélodies  de  Massenet  commencent  à  faire  leur  chemin  en  Autriche. 
Nous  avons  parlé  récemment  du  concert  de  M"'»  Alice  Barbi  à  Vienne,  où 
elle  en  a  chanté  deux:  et  voici  que  M.  Raimund  de  Zur-Muhlen,  qui  jouit 
d'une  grande  réputation  comme  chanteur  de  lieder,  vient  de  chanter  dans  un 
concert  donné  la  semaine  passée  à  Vienne  quatre  mélodies  de  Massenet  :  Pensée 
d'automne.  Nuit  d'Espagne,  Si  tu  veux  Mignonne  et  Sérénade  d'automne.  Schubert 
et  Schumann  complétaient  le  programme  ;  on  ne  saurait  être  en  meilleure 
compagnie. 


—  Une  opérette  inédite  intitulée  les  Chemineaux,  musique  de  M.  C.-M. 
Ziehrer,  de  Vienne,  vient  d'être  jouée  avec  beaucoup,  de  succès,  à  Leipzig. 

—  Eros  et  Psyché,  l'opéra  dont  nous  avons  annoncé  la  première  représenta- 
tion à  Munich,  a  obtenu  un  très  vif  succès.  L'auteur,  M.  Maximilien  Zenger, 
qui  est  né  à  Munich  même  en  1837  et  qui  fut  pendant  de  longues  années  pro- 
fesseur au  Conservatoire  de  cette  ville  tout  en  exerçant  les  fonctions  de  cri- 
tique musical  à  VAllgemeine  Zeituncj,  après  avoir  dirigé  l'école  de  musique  de 
Ratisbonne,  avait  envoyé  sa  partition  en  1896  au  concours  Luitpold  et  avait 
obtenu,  à  la  suite  des  prix  décernés  à  celles  de  MM.  Zemlinsky,  Thuille  et 
Kœrmeman,  une  mention  avec  éloges  qui  lui  donnait  droit  à  la  représentation 
de  son  œuvre.  M.  Zenger  était  déjà  connu  par  de  nombreuses  compositions, 
entre  autres  un  oratorio.  Gain,  trois  opéras  :  les  Foscari,  Ruys  Blas  et  Wieland 
le  Forgeron,  des  mélodies  vocales  et  des  morceaux  de  piano.  Son  nouvel 
ouvrage,  qui  est  en  trois  actes,  a  été  écrit  par  lui  sur  un  livret  de  M.  Wilhelm 
Schriefer,  écrivain  viennois.  On  lui  a  fait  grande  fête,  et  le  compositeur  a 
été  rappelé  plusieurs  fois,  ainsi  que  ses  deux  principaux  interprètes, 
M.  Fremstod  et  M°"=  Koboth,  victime  d'un  accident  douloureux,  (elle  s'était 
cassé  le  bras)  qui  avait  retardé  la  représentation. 

—  Le  théâtre  royal  de  la  Place  des  Jardiniers  à  Munich  vient  de  jouer  avec 
beaucoup  de  succès  une  opérette  inédite  en  trois  actes  intilsilée  la  Débutante, 
musique  de  M.  Alfred  Zamara,  de  Vienne.  La  pièce  nous  est  connue  ;  c'est  le 
Mari  de  la  débutante  de  MM.  Meilhac  et  Halévy. 

—  Le  Conservatoire  national  de  musique  de  Budapest  vient  de  célébrer  le 
21=  anniversaire  de  l'entrée  en  fonctions  de  son  président,  le  comte  Géza 
Zichy,  compositeur  et  pianiste.  Les  élèves  du  Conservatoire,  les  professeurs 
et  le  président  lui-même  ont  donné  un  brillant  concert  dans  lequel  le  comte 
Zichy  qui,  comme  on  sait,  ne  dispose  que  du  bras  gauche,  a  joué  avec  une 
maestria  étourdissante  son  nouveau  concerto  en  trois  parties  pour  la  main 
gauche  seule  avec  accompagnement  d'orchestre.  Le  concerto  a  été  vivement 
applaudi,  surtout  la  deuxième  partie,  que  le  compositeur  a  dû  répéter. 
L'orchestre,  composé  d'élèves,  a  joué  sous  la  direction  de  l'auteur  le  prélude 
d'un  ballet  inédit  du  comte  Zichy,  qu'on  a  également  applaudi  avec  enthou- 
siasme. 

—  Le  théâtre  magyar  de  Budapest  vient  de  jouer  avec  succès  une  opérette 
inédite  intitulée  le  Prime  donne,  musique  de  M.  Raoul  Mader,  chef  d'or- 
chestre à  l'Opéra  royal  de  cette  ville. 

—  Sylvia,  le  ballet  de  Léo  Delibes,  vient  d'être  joué  pour  la  première  fois 
à  l'Opéra  royal  de  Dresde  avec  un  succès  marqué.  Mise  en  scène  brillante  et 
interprétation  hors  ligne,  surtout  de  la  part  de  l'orchestre. 

—  Le  projet  d'un  «  asile  pour  musiciens  »  qu'un  comité  présidé  par  M.  Henri 
Zoellner,  auteur  de  la  Cloche  engloutie,  désire  construire  à  léna,  est  en  bonne 
voie.  M.  Oscar  de  Hase,  chef  de  la  maison  Breitkopf  et  Haertel,  de  Leipzig, 
lui  a  ofi'ert  un  vaste  terrain,  et  les  dons  commencent  à  affluer.  Un  bienfaiteur 
qui  a  désiré  rester  inconnu  a  envoyé  vers  la  Noël,  à  M.  Zoellner,  la  somme 
de  15.000  marcs;  il  est  mort  quelques  jours  après.  Le  comité  a  l'intention 
de  donner  des  concerts  et  des  représentations  lyriques  au  profit  de  son  œuvre. 

—  Depuis  que  le  Rhin  et  le  Danube  ont  été  célébrés  par  la  poésie  et  la 
musique,  chaque  petite  rivière  allemande  semble  demander  à  son  tour  un 
hymne  particulier.  C'est  ainsi  qu'un  comité  s'est  formé  en  1900  pour  demander 
au  concours  la  meilleure  chanson  célébrant  la  rivière  Lahn.  Le  prix,  de  mille 
marcs,  vient  d'être  décerné  au  poète  Hermann  Steckel  et  au  compositeur 
Wohlgemuth,  tous  deux  de  Leipzig. 

—  Carlsruhe  a  suivi  l'exemple  donné  déjà  par  plusieurs  villes  d'Allemagne 
et  a  inauguré  une  série  de  concerts  symphoniques  populaires.  L'orchestre 
du  théâtre  grand-ducal  donne  ces  concerts  avec  le  concours  de  solistes 
remarquables,  et  M.  Félix  Mottl  les  dirige  en  personne.  Le  prL\  unique  est 
fixé  à  60  centimes.  Malheureusement,  beaucoup  d'amateurs  aisés  profitent  de 
cette  occasion  pour  se  glisser  parmi  l'assistance  populaire  et  pour  participer 
à  un  bienfait  qui  ne  leur  est  pas  destiné. 

—  A  Darmstadt,  grand  succès  pour  Louis  Lacombe  avec  sa  grande  œuvra 
chorale  Cimbres  et  Teutons,  qui  fut  exécutée  en  ISbb,  à  Paris,  au  Palais  de 
l'Industrie  par  cinq  mille  orphéonistes,  et  ensuite  au  Palais  de  Cristal,  ,  à 
Londres.  Ici  et  là  cette  composition  avait  valu  à  Louis  Lacombe  un  prix 
d'honneur.  Depuis,  on  n'en  entendit  plus  parler.  En  Allemagne,  donc,  Cimbres 
et  Teutons  ont  soulevé  un  grand  enthousiasme.  A  quand  le  tour  de  Paris  ? 

— ■  Succès  éclatant  à  Odessa  pour  Werther,  dont  on  donnait  le  13  janvier  la 
première  représentation.  Triomphe  pour  les  deux  principaux  interprètes, 
M""!  Degli  Abbatti  et  le  ténor  Apostolu.  Plusieurs  morceaux  bissés,  innom- 
brables rappels,  dit  la  dépêche. 

—  Très  vif  succès  à  Monte-Carlo  pour  Léon  Delafosse  et  son  originale  et 
brillante  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre,  si  bien  faite,  en  dehors  de  son 
mérite  musical  certain,  pour  faire  valoir  sous  leurs  différents  jours  toutes 
ses  merveilleuses  qualités  de  virtuose. 

—  Le  compositeur  sir  Arthur  Sullivan  a  laissé  une  fortune  nette  de 
32.200  livres,  soit  80,>.000  francs,  c'est-à-dire  moins  qu'on  ne  croyait  générale- 
ment. Son  légataire  universel  est  son  neveu,  M.  Herbert  Thomas  Sullivan; 
plusieurs  legs  ne  sont  pas  sans  intérêt.  Ainsi  le  prince  de  Galles,  le  nouveau 
roi  d'Angleterre,  qui  était  un  ami  personnel  .du  défunt  compositeur,  reçoit 
une  boîte  à  cartes  de  visite  en  écaille  et  en  argent;  le  duc  d'York,  le  nouvel 


32 


LE  MENESTREL 


héritier  du  trône,  une  noix  de  coco  gravée  et  montée  en  argent.  L"Académie 
royale  de  musique  liérite  des  partitions  d'orchestre  autographes  du  Mikado  et 
des  Martyrs  d'Antioche,  le  Collège  royal  de  musique  de  celles  de  la  Légende 
dorée  et  des  Yeomen  de  la  Garde.  Le  portrait  du  musicien,  un  chef-d'œuvre  du 
célèbre  peintre  John  E.  Millais,  est  Mgué  à  la  Galerie  nationale  des  portraits, 
où  il  fera  une  excellente  figurr  3  'es  peintures,  pour  la  plupart  médiocres, 
qui  y  sont  accumulées. 

—  Une  messe  du  plus  haut  intérêt  historique  vient  d'être  exécutée  à  l'ora- 
toire de  Brompton,  à  Londres.  Elle  a  été  composée  par  Thomas  Tallys,  l'orga- 
niste dé  la  cour  royale  sous  Henry  VIII  et  ses  successeurs  Edouard  VI, 
Marie  Tudor  et  Elisabeth,  et  n'était  plus  connue  que  par  un  manuscrit  con- 
servé au  British  Muséum.  La  messe  du  vieux  compositeur  anglais  a  remporté 
un  grand  succès. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Au  moment  où  le  conseil  municipal  allait  décider  sur  les  destinées  futu- 
res du  Cirque  des  Champs-Elysées,  dont,  comme  on  sait,  les  constructions 
sont  restées  inachevées  par  suite  de  la  déconfiture  de  la  société  qui  devait 
l'exploiter,  au  moment  où  on  allait  mettre  en  adjudication  le  nouveau  cahier 
des  charges  de  l'entreprise,  voici  qu'un  projet  des  plus  intéressants  a  été 
présenté  tout  à  coup  par  MM.  Détaille,  Gérôme,  Fiameng  et  Robert  Fleury, 
au  nom  des  Artistes  français.  Ils  proposent  de  bâtir,  conformément  au  projet 
dressé  par  M.  Giraud,  l'architecte  du  Petit-Palais,  un  «  palais  des  artistes  » 
en  vue  d'expositions  périodiques  do  peinture,  de  sculpture  et  de  gravure 
avec  une  belle  salle  de  concert  centrale.  Ce  projet  séduisant  et  patronné  par 
des  artistes  de  si  haut  rang  a  été  immédiatement  renvoyé  à  l'examen  des 
troisième  et  quatrième  commissions,  et  il  aboutira  probablement.  En  dehors 
'  d'expositions  d'art  raffinées  et  s  triées  sur  le  volet  »,  comme  on  dit,  Paris  se 
trouverait  donc  doté  de  la  salle  de  concerts  spéciale  tant  désirée  et  tant 
attendue  par  tous  les  musiciens.  Souhaitons  la  réussite  de  cette  belle  entre- 
prise. 

—  Nous  avons  déjà  dit  qu'on  avait  scellé,  sous  le  péristyle  du  Théàtre- 
Francais,  quatre  grands  cadres  de  marbre  blanc  destinés  i  recevoir  les  mé- 
daillons de  Corneille,  Racine,  Molière  et  Victor  Hugo,  avec  leurs  dates  de 
naissance  et  de  mort.  Le  sculpteur  Barrias  est  chargé  des  médaillons  de 
Racine  et  de  Victor  Hugo.  Le  sculpteur  Denys  Puech  fera  ceux  de  Corneille 
et  de  Miilière.  Au-dessus  de»  cadres  prendront  place  deux  plaques  de  marbre 
blanc.  On  gravera  sur  l'une  l'inscription  suivante  : 

«  La  nouvelle  salle  a  été  inaugurée  le  29  décembre  1900,  M.  Loubet  étant  président  de 
la  République,  -M.  Waldeck-Rousseau,  président  du  coDBeil,  M.  Georges  Leygues,  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  M.  Henry  Roujon,  directeur  des 
beaux-arts,  II.  Jules  Claretie,  administrateur  général.  » 

L'inscription  de  la  seconde  sera  ainsi  conçue  : 

Il  La  salle  de  l'architecte  Louis,  réparée  par  Moreau  en  1798,  restaurée  par  Fontaine  en 
1822,  agrandie  et  achevée  par  P.  Prosper  Chabrol  en  lÉ6i,  a  été  réédifiée  par  J.  Guadet 
en  1900.  « 

...  Et  on  pourrait  ajouter,  pour  être  juste  :  «  avec  quelques  fâcheuses  mo- 
difications ». 

—  La  classe  d'orchestre  du  Conservatoire  a  repris  lundi  le  cours  de  ses 
études  sous  la  direction  de  M.Georges  Marty.  Bien  qu'elle  ait,  comme  toutes 
les  autres  classes,  eu  lieu  rigoureusement  à  huis  clos,  il  nous  sera  permis 
sans  doute  sans  trop  d'indiscrétion  de  révéler  qu'il  y  a  été  fait  une  lecture 
tout  particulièrement  intéressante  :  celle  d'une  symphonie  de  Méhul.  L'on 
sait  que  l'illustre  maître  français,  non  content  de  ses  succès  de  théâtre,  a 
composé  plusieurs  symphonies,  dont  une  au  moins  date  de  sa  jeunesse,  et 
quelques  autres  de  l'âge  de  sa  maturité,  lS08à  18lU.  Notons  que  cette  dernière 
époque  est  celle  où  Beethoven  produisait  quelques-uns  de  ses  plus  purs  chefs- 
d'œuvre  :  la  Symphonie  en  ut  mineur,  la  Pastorale,  etc.  Assurément  il  ne  s'agit 
pas  ici  d'opérer  un  rapprochement  qui  serait  imprudent  :  Méhul  n'est  pas 
Beethoven;  il  l'ignorait  d'ailleurs  complètement,  cela  est  certain;  son  seul 
objectif  était  de  suivre  la  trace  d'Haydn  :  cela  transparait  jusque  dans  le  style 
de  la  symphonie  qu'on  aluel'autre  jour.  Pourtant,  une  nature  plus  vigoureuse 
et  plus  mâle  s'y  révèle,  et,  si  l'influence  d'Haydn  est  manifeste,  la  symphonie 
de  Méhul  est  tout  au  moins  de  l'Haydn  très  agrandi.  Le  premier  morceau 
s'achève  par  une  de  ces  péroraisons  chaleureuses  dont  certaines  ouvertures 
du  même  auteur  nous  ont  donné  déjà  d'admirables  modèles.  L'andante,  en 
forme  de  thème  varié,  est  de  style  particulièrement  brillant.  Le  menuet  est 
un  bijou  d'ingéniosité  et  de  pittoresque  :  un  vrai  petit  chef-d'œuvre  de  musique 
française.  Quant  au  finale,  on  y  a  remarqué  avec  une  vive  surprise  que  son 
rythme  fondamental  était  identiquement  le  même  que  celui  du  premier  mor- 
ceau de  la  Symphonie  en  ut  mineur,  que  Beethoven  produisait  au  même 
moment  a  Vienne  :  singulier  exemple  de  ces  rencontres  d'idées,  de  ces  «  idées 
dans  l'air  »  qu'on  a  constatées  maintes  fois  sans  avoir  jamais  bien  pu  les 
expliquer.  —  Nous  nous  sommes  étendus  sur  cette  lecture  parce  qu'elle  nous 
a  fourni  une  occasion  unique  de  faire  connaissance  avec  une  œuvre  oubliée 
dès  longtemps  et  de  hauts  valeur.  Il  ne  semble  pas  en  effet  que  les  sympho- 
nies de  Méhul  aient  jamais  été  exécutées  depuis  leurs  premières  auditions, 
où  elles  n'obtinrent  que  des  succès  modérés.  L'heure  do  la  réhabilitation  a 
sonné  pour  elles,  car  nous  pouvons  espérer  que  cette  première  épreuve  sera 
suivie  d'autres,  sur  lesquelles  le  public  sera  appelé  à  donner  son  sentiment. 

J.  T. 


—  Un  journal  étranger  nous  apprend  que  Jacques  Rubinstein,  l'unique 
fils  vivant  du  célèbre  compositeur,  est  devenu  complètement  fou.  Jusqu'au 
milieu  de  l'année  dernière  il  était  chargé  de  la  critique  musicale  au  journal 
Russia,  mais  dans  le  courant  de  l'été  il  fut  atteint  d'une  paralysie  progressive 
du  cerveau,  et  aujourd'hui,  dit  notre  confrère,  il  a  du  être  enfermé  dans  une 
maison  de  santé  près  de  Paris.  —  En  ce  qui  concerne  ce  dernier  détail,  nous 
avouons  notre  ignorance  absolue. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-C.omique  :  en  matinée,  la 
Basoche;  le  soir,  Carmen. 

—  On  répète  activement  à  l'Opéra-Populairp,  pour  passer  à  la  fin  de  la 
semaine,  Gille  et  Gillotin.  le  gentil  petit  acte  d'Ambroisc  Thomas  qui  fut  re- 
présenté pour  la  première  fois  à  Paris,  à  l'Opéra-Comique,  le  22  avril  1874. 

—  A  l'Opéra -Populaire  aussi  on  presse  beaucoup  les  répétitions  de 
Charlotte  Corday,  le  nouvel  opéra  de  MM.  Armand  Silveslre  et  Alexandre 
Georges;  la  pièce  est  descendue  en  scène.  M.  Duret  s'occu)ie  activement  des 
décors,  dont  voici  la  nomenclature  :  Prologue,  la  Taverne  du  Paon;  premier 
acte.  Chez  M'"' de  Bretteville  ;  deuxième  acte,  le  Palais- Royal  ;  troisième  acte, 
Chez  Marat;  quatrième  acte,  la  Conciergerie  ;  cinq-jiome  acte,  la  Place  de  la 
Liberté, 

—  La  représenlalion  de  retraite  de  M.  ■VVorms  a  été,  comme  on  pouvait 
supposer,  fort  brillante  et  fort  émouvante  aussi.  On  a  fait  au  sympathique 
comédien  des  adieux  magnifiques.  Dans  l'intermède  musical,  il  faut  citer 
surtout  le  ténor  Tamagno,  qui  a  chanté  d'une  vui.v  formidable  le  bel  air 
d'^l ndré  Chénier,  la  charmante  M'"=Sanderson  dans  des  mélodies  de  Massenet, 
Pensée  d'automne  et  Amoureuxc^  appel,  toujours  jolie  et  en  voix  fraichc>,  M"°  Grand- 
jean,  très  fêtée  dans  la  Charité  de  Faure,  l'excellert  Fugère  dans  le  Vieiur 
ruban  d'Henrion  et  Noté  dans  le  Géant  de  Litolff. 

—  Tout  comme  la  saison  précédente,  l'exquise  Cendrillon  marche  de  succès 
en  succès  et  chaque  semaine  nous  apporte  un  brillant  bulletin  de  victoire. 
C'est  de  Montpellier,  cette  fois,  qu'on  nous  téli'grafhie  :  «  Très  belle  première 
Cendrillon.  Gros  succès  pour  auteurs,  artistes,  ballet,  mise  en  scène,  chef  d'ir- 
chestre,  régisseur.  La  salle  entière  applaudit  frénétiquement  baisser  du  rideau 
et  réclame  frénétiquement  maiire  Massenet  dont  tous  regrettent  absence.  » 

—  D'Alger  :  Le  vrai  triomphe  remporté  le  soir  de  la  première  par  Louise 
se  répète  à  chaque  nouvelle  représentation  devant  des  salles  archibondées, 
qui  applaudissent  frénétiquement  l'œuvie  prenante  et  vivante  de  Charpentier 
ainsi  que  ses  excellents  interprètes.  Aux  noms  cités  par  le  Ménestrel  U  semaine 
dernière,  il  est  de  toute  justice  d'ajouter  ceux  de  M""  Pratt,  Bury,  Faber,  de 
jyjme  Poyard,  de  MM.  Pérens,  Gaillard,  qui  tiennent  avec  talent  les  rôles  de 
second  plan,  et  celui  du  régisseur  général,  M.  Poyard,  qui  a  aidé  puissam- 
ment son  si  actif  directeur,  M.  Saugey,  pour  mettre  l'ouvrage  sur  pied.  La 
cinquième  représentation  est  déjà  affichée.  Voilà  un  gros  succès  provincial 
qui  donnera  sans  doute  à  réfléchir  à  ceux  qui  prétendaient  que  Louise  était 
une  pièce  exclusivement  parisienne. 

—  Le  comité  d'administration  de  la  Société  Je  Sainte-Cécile  de  Bordeaux, 
ayant  décidé  de  réunir  et  de  confier  à  une  même  personne  les  fonctions  de 
chef  d'orchestre  et  celles  de  directeur  du  Conservatoire,  fait  appel  aux  per- 
sonnalités artistiques  qui  auraient  l'intention  de  poser  leur  candidature  à 
cette  situation.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au  secrétaire  général  de 
la  Société  de  Sainte-Cécile,  15,  rue  Boudet. 

—  Réunion  charmante  chez  M'"  MagJeleine  Godard,  la  renommée  violo- 
niste, à  sa  soirée  musicale  de  vendredi  dernier  et  programme  des  plus 
attrayants.  Une  jeune  cantatrice  grecque,  M"«  de  Saint-André,  a  été  fort 
appréciée  dans  des  chansons  de  son  pays  et  dans  l'air  d'Hérodiade.  M"°  Debil- 
lemont.  M""  Godard,  MM.  Marthe,  Delacroix  et  Parent  ont  superbement 
interprété  le  quintette  de  Schumann;  le  ténor  BarsonkofI'  a  chanté  remar- 
quablement l'air  du  Mage  de  Massenet  et  un  lied  de  Rimsky-Korsakofl'. 
M.  Brémond,  de  la  Comédie-Française,  a  eu  son  succès  accoutumé,  et  la 
maîtresse  de  la  maison  a  vaillamment  et  victorieusement  payé  de  sa  personne 
dans  six  délicieux  duettini  pour  deux  violons  de  Benjamin  Godard  avec 
M"«  Dantin  comme  digne  partenaire. 

—  Concerts  annoncés.  —  Société  des  matinées  artistiques  populaires,  mercredi  pro- 
chain à  4  h.  1/2  très  précises  au  théâtre  de  la  Renaissance,  sous  la  direction  de  M.  Jules 
Danbé  ;  Conférence  par  M.  George  Vanor,  quintette  (Schumann,  1810-1856),  M""  Hoger- 
Miclos  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  M.  Migard  et  P.  Destomfaes.  Pur  Dicesti  (Lolti,  16(i7- 
1740),  M"  Lovano.  Lied,  pour  violoncelle  (Vincent  d'indy),  M.  Destouibes  et  l'auteur. 
Polonaise  en  mi  bémol  (Chopin,  1809-1849),  M-  Roger-.Miclos.  La  fête  d'Alexandre,  air, 
(Haendel,  1685-1759),  M.  L.-Cli.  Battaille,  accompagné  par  M""  Uoger-Miclos.  Ballade  du 
Quatuor,  op.  7  (Vincent  d'indy),  MM.  V.  d'indy,  Soudant,  Migard  et  Destombes.  lieux 
chansons  populaires  du  Vivarais  (X.'"),  transcrites  par  Vincent  d'indy.  «  Rossignolet  du 
bois  »  et  «  Sont  trois  jeunes  garçons,  tous  trois  allaient  en  guerre  »,  M"°  Lovano  cl 
M.  V.  d'indy.  Quatuor  Mozart,  17561791),  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  1'.  Iles- 
tombes.  Prix  des  pinces  :  2  fr.,  1  fr.  et  0  fr.  50. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


.  —  (Encre  LorjJlcu\, 


3645.  -  67" 


—  fi"  5. 


Dimanche  3  Février  !90i,         '^' 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  S*"*,  me  Yivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 

LE 


MENESTRED 


lie  IlaméPo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


lie  NaméFo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs, Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIEE-TEITE 


1.  Peintres  mélomanes  (12'  article)  ;  d'après  Beethoven,  Raymond  Bouyer.  —  II.  Semaine 
théâtrale  ;  première  représentation  de  les  Bouges  et  les  Blancs  à  la  Porte-Saint-Martin, 
0.  Berggruen;  première  représentation  de  la  Cavalière  au  théâtre  Sarah-Bernhardt, 
Paul-Kseile  Chevalieh.  —  III.  Verdi,  sa  mort,  ses  funérailles,  Arthur  Pougin.  — 
IV.  La  reine  Victoria  et  les  musiciens  allemands,  0.  Berggruen.  —  V.  Revue  des  grands 
concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LA   ROMAJKA 

souvenir  de  Smyrne,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Preludio- 
saltarello,  de  Théodore  Dubois. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dlmancbe  procliain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Complainte  de  saint  Nicolas,  n"  4  des  Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Péri- 
LHOu.  —  Suivra  immédiatement  :  On  dit,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet, 
poésie  de  Jean  Roux. 


PEINTRES   MÉLOMANES 


XII 

D'APRÈS  BEETHOYEN 

Beethoven!  syllabes  profondes,  au  prolongement  grave,  dont 
le  mystère  seul  évoque  l'image  léonine  du  dieu  I  En  prononçant 
le  nom  comme  en  écoutant  l'œuvre  dans  les  abimes  du  souve- 
nir, nous  frissonnons  toujours  à  l'apparition  de  ce  vaste  front. 
Cordial  et  farouche,  le  lion  surgit  de  l'ombre,  il  parcourt  solitaire 
le  désert  hautain  d'une  Apocalypse, 

Où  l'éclair  gronde,  oii  luit  la  mer,  oit  l'astre  rit... 

Puisque  «  le  génie  parle  au  génie  »,  le  même  poète  français  qui 
s'écria  :  «L'âme  allemande,  c'est  Beethoven  »,  pourrait  conclure 
l'ébauche  éloquente  avec  cette  shakespearienne  réminiscence  de 
son  Eschyle  : 

Et  c^est,  ô  noir  poète  à  la  lèvre  irritée, 

Sur  ton  crdne  géant  qu'est  cloué  Proméihéel  (1) 

Toute-puissante  évocation  des  rimes!  Mais  le  nom  seul  est  plus 
imposant  encore;  je  frémis  de  la  tête  aux  pieds  quand  je  répète 
avec  la  simple  prose  d'un  autre  poète  plus  recueilli  :  «  Beetho- 
ven sourd  errant  dans  la  campagne...»  (2)  Qui  peindra  ce  tableau? 
Qui  l'immortaliserait  péremptoirement  sur 'la  toile?  Quel  Dela- 

(1)  Victor  Hugo,  William  Shakespeare  et  Contemplations. 

(2)  Alfred  de  Vigny,  Journal  d'un  poète  (posthume),  1864. 


croix  invoquerait,  pour  le  fixer  par  un  matin  d'automne,  la 
«  silencieuse  puissance  de  la  peinture,  qui  ne  parle  qu'aux  yeux 
et  qui  s'empare  de  toutes  les  facultés  de  l'àme  »?  Mais  aucune 
rhétorique  de  la  plume  ou  du  pinceau  n'égalera  ce  frisson  :  Bee- 
thoven !  Et  le  peintre  mélomane  qui  pastellise  ou  crayonne  d'après 
Wagner  et  Berlioz,  d'aprè.t  Schumann  et  Brahms,  n'a  rien  demandé 
jamais  au  souvenir  souverain  de  celui  que  ses  inspirateurs 
reconnaissent  tous,  en  dépit  de  leurs  petites  querelles  confrater- 
nelles ou  posthumes,  pour  le  grand  ancêtre  ;  M.  Fantin-Latour 
l'avoue  lui-même  :  il  n'a  point  osé.  De  bonne  heure  pourtant, 
avant  Pasdeloup,  les  premières  auditions  des  derniers  quatuors 
avaient  exalté  ses  pensées  du  soir.  Mais  comment  les  incarner 
sur  la  pierre?  Dans  une  lithographie  musicale,  le  sujet  n'est  rien, 
la  lueur  est  tout;  mais,  sans  parler  des  scènes  plus  concrètes 
des  drames  lyriques,  telle  Mélodie,  silvestre  de  Robert  Schumann, 
tel  Poème  amoureux  de  Johannès  Brahms  réponj  à  un  idéal  par- 
ticulier dans  son  vague.  Avec  Beethoven,  c'est  l'infini,  l'immen- 
sité, le  vol  de  l'aigle...  Gomment  peindre  une  âme,  cette  âme, 
la  plus  malheureuse  et  la  plus  belle  qui  ait  fleuri  dans  la  prison 
de  la  chair?  Gomment  illustrer  cette  vie  de  silence  et  de  gloire 
sonore?  Peintres,  aurez-vous  atteint  son  but  et  le  vôtre,  quand 
vous  aurez  inventorié  son  feutre  hirsute,  son  vieil  habit  à  la 
française  et  son  jabot  fané?  Sans  doute,  le  compositeur  taciturne 
et  sourd  se  faisait  un  «  plan  »  de  quatuor  ou  de  symphonie, 
lorsqu'il  murmurait  :  «  G'est  ainsi  que  le  destin  frappe  à  notre 
porte  1  »  ou  qu'il  inscrivait  le  nom  fulgurant  de  Bonaparte  au 
seuil  de  VEroica  :  mais  comment  dessiner  d'après  ces  mélodieux 
hiéroglyphes?  Quel  spirite  assez  clairvoyant  pour  matérialiser 
l'invisible?  Aussi  bien,  tous  les  mélomanes  sont-ils  vaincus,  qu'ils 
évoquent  le  Beethoven  réel  ou  le  Beethoven  idéal,  qu'ils  inter- 
rogent ses  traits  ou  son  œuvre. 

Les  érudits  seuls  ont  approfondi  l'iconographie  beethové- 
nienne,  ses  portraits  vulgaires  ou  déclamatoires,  depuis  la  mi- 
niature bourgeoise  de  1802,  contemporaine  des  origines  de  la 
«  bienheureuse  surdité  »  qui  se  devine  plus  profonde  dans  le 
beau  testament  d'Heiligenstadt  que  dans  la  traditionnelle  sym- 
phonie en  ré,  —  jusqu'à  la  toile  de  Schimon,  vingt  ans  après,  à 
l'heure  où  le  maître  ne  pouvait  plus  entendre  les  bravos  mêmes 
qui  saluaient  la  jeune  Schrœder-Devrient  illuminant  une 
reprise  de  son  Fidelio,  sublime  confident  de  ses  solitudes  :  effigie 
byronienne,  morose  et  fatale,  enjolivée,  type  classique  du  ro- 
mantique génie.  Le  maître,  il  est  vrai,  posait  si  mal,  une  seconde, 
entre  deux  boutades!...  En  son  imaginaire  Visite  à  Beethoven,  le 
jeune  Richard  Wagner  ne  l'a  point  fait  plus  ressemblant,  puis- 
qu'il lui  prête  ses  propres  éclairs.  Le  bon  M.  Gatteaux  frappe  une 
médaille.  Colossal,  un  buste  domine  le  foyer  des  artistes,  au 
Conservatoire,  dans  ce  cadre  cherubinesque  oii,  le  9  mars  1828, 
V Héroïque  a  vibré  sous  l'archet  d'Habeneck.  Mais  l'imagination 
semble  écrasée  par  l'image  invisible   et  présente  :  en  1858,  un 


LE  MÉNESTREL 


croquis  de  Gustave  Doré  sert  d'accompagnement  à  cette  note  de 
TaiiiV  en  voyage  :  «  Qu'est-ce  que  Beethoven?  —  Un  pauvre 
gr'ah'd  homme,  sourd,  amoureux,  méconnu  et  philosophe,  dont 

■  ■la  musiijue  est  pleine  de  rêves  gigantesques  ou  douloureux...  » 
"En  18(53; le  burin  de  Lemud,  Beethoven,  la  tète  appuyée  sur  son 
.'jiityio  ,pt  voyant  en  rêve  l'apothéose  de  ses  compositions  (sic], 

n'est 'aux  yeux  des  amateurs  qu'une  «  gravure  de  commerce  ». 

■  Mieu  le  grain  mystérieux  des  lithographies  qui  semblaient  dé- 
passer la   fantaisie  d'Hoffmann  ! 

Les  années  se  pressent.  Et  voici  Beethoven  obtenant  un 
regain  d'honneur  :  n'est-ce  pas  un  bon  signe  des  temps?  Un  bois 
teinté  de  Maurice  Baud  l'introduit  parmi  les  Mages  :  mais  est-ce 
bien  là  l'idéal  portrait  de  celui  qu'Haydn  appelait  le  grand  Mogol, 
que  Wagner  définira  le  Mage  divin?  (1)  Plus  poignant  est  le  Bee- 
thoven que  le  peintre  munichois  Franz  Stock  ranime  dans  son 
intérieur  de  misère;  plus  étrange  le  Beethoven  dont  une  vaste 
lithographie  d'Henri  Héran  fait  un  visionnaire  avec  je  ne  sais 
quoi  d'astral  au  fond  du  regard... 

Si  jamais  portrait  fut  «  un  modèle  compliqué  d'un  artiste  », 
c'est  bien  celui  de  Beethoven,  incomplet  toujours.  Rapetissé 
dans  les  nuances,  géant  soudain  dans  les  crescendos,  le  chef  d'or- 
chestre fantasque  et  sombre  qu'il  était  n'a  rencontré  ni  son 
Eodin,  ni  son  Puget,  ni  son  Michel-Ange,  pour  nous  transmettre 
les  plans  prométhéens  de  son  front  ;  mais  sa  grande  voix  règne, 
immortelle.  Au  Salon  de  1890,  la  Sonate  au  clair  de  lune,  de 
M.  Benjamin-Constant,  ne  triomphait  qu'à  demi  de  ce  nocturne 
andante  initial,  qui  faisait  pleurer  Berlioz  quand  Liszt  assagi  le 
disait  simplement  dans  l'obscurité...  L'année  suivante,  au  Champ- 
de-Mars,  la  piété  naïve  du  peintre  flamand  Léon  Frédéric  dédiait 
à  Beethoven  son  Muisseau  pastoral,  joyeuse  cascade  d'enfants 
nus.  Vers  le  même  temps,  un  albunr  de  Songes  :  un  Hommage 
encore.  Six  planches  lithographiées  d'Odilon  Redon.  L'auteur 
est  un  voyant.  Bordelais  pourtant,  il  n'est  pas  de  l'école  fran- 
çaise qui  met  la  bouche  sous  le  nez  :  «  Odilon  Redon  tend  à 
s'afi'ranchir  du  connu  de  la  figure  humaine  :  toujours  deux  yeux, 
un  nez,  une  bouche...  ah!  »  M.  Jean  Dolent,  l'amoureux  d'art 
qui  lui  prête  ce  noble  dédain,  pouvait  le  rapprocher  de  Sté- 
phane Mallarmé,  dilettante  charmant  et  troublant  ami  «  du 
plaisir  sacré  »  qui,  prenant  un  crayon,  n'aurait  pas  manqué  de 
confier  ce  néant  à  la  magie  des  beaux  noirs...  C'est  plus  que  de 
la  musique  peinte  ;  c'est  de  la  suggestion  qui  s'estompe.  Hoff- 
mann et  Goya,  vous  n'êtes  plus  que  des  classiques  I  Et  Beethoven 
en  tout  cela?  J'y  reviens. 

A  travers  la  «  forêt  de  symboles  »  où  le  siècle  défunt  entraî- 
nait le  modem  style,  j'ai  découvert  à  nos  Salons  de  crépuscule  un 
architecte  mélomane,  un  sculpteur  mélomane,  et,  qui  plus  est, 
beelhovéniens.  C'était  en  1897,  et  que  c'est  loin!  L'architecte  se 
nommait  François  Garas.  Il  exposait  :  Temples  pour  les  religions 
futures,  t  A  la  musique  pure,  à  Beethoven  »  (trois  châssis  :  plan, 
coupe,  élévation)  :  projet  qui  semblait  faire  suite  à  celui  de 
Charles  Bischoff  (1896)  :  Temple  pour  l'exécution  de  l'opéra  Parsifal 
(sic).  Que  les  utilitaires  se  détournent  !  Le  sculpteur,  c'est  Jean 
Ringel  d'Illzach.  Son  envoi?  Neuf  bustes  (en  cire  polychrome 
inaltérable)  que  l'auteur  intitule  bravement  :  les  Symphonies  de 
Beethoven.  Neuf  têtes  de  femmes,  riantes  ou  tragiques,  qui  veulent 
incarner  les  impressions  reçues  par  un  fervent  :  attirant  pro- 
blème a  d'audition  colorée  »,  qui  résume  dans  une  physionomie 
l'état  d'âme  que  réveille  au  fond  du  souvenir  chacune  des  neuf 
immortelles.  L'artiste  est  un  peintre  mélomane  aussi,  puisqu'il 
s'adjoint  la  couleur  !  Architecte  et  statuaire,  ne  semblent-ils  pas 
tous  deux  inspirés  par  Schumann,  que  le  nom  seul  de  Beethoven 
étonnait?  L'architecte  méridional  a-t-il  lu,  dans  les  Écrits,  les 
quatre  opinions  humoristiques  sur  un  projet  de  Monument  à  la 
gloire  de  Beethoven?  Le  statuaire  alsacien  connait-il  la  respec- 
tueuse fantaisie  du  compositeur  attribuant  à  chacune  des  neuf 
Symphonies  le  nom  d'une  Muse,  depuis  Erato  virginale  jusqu'à 
la  gigantesque  Galliope  ?  A  son  tour,  a-t-il  rêvé  ce  chœur  élo- 
quent?  Toujours   est-il  que  chacune    des   neuf  glorieuses   lui 

(1)  Dans  son  élude  sur  Beethoven  (Triebsclien,  1870). 


apparaît  comme  une  «  beauté  »  nouvelle  dont  la  douce  tyrannie 
transforme,  hélas  !  fugitivement,  l'âme  de  son  adorateur  à  sa 
chère  image.  Et  quel  magnétisme  en  ce  crescendo  de  style 
pathétique  I  Mais  la  cire  positive  pieut-elle  le  traduire,  en 
modeler  la  fièvre  ?  Là  encore,  là  surtout,  le  portraitiste  est  fata- 
lement inférieur  à  son  modèle  !  Des  neuf  Muses  modernes,  c'est 
toujours  la  dernière  entendue  qui  paraît  l'amie  la  plus  per- 
suasive. Et  comme  ce  Faust  que  le  génie  de  Beethoven  rêvait  de 
transposer  dans  son  art,  l'amant  voudrait  crier  à  l'œuvre  éphé- 
mère :  c(  Arrête!  Tu  es  si  belle  ainsi...  »  En  dernière  analyse, 
l'Art  est  un  combat  contre  le  néant.  Mais  que  reste-t-il  de  la 
multiple  émotion  dans  le  buste  immuable  ?  Une  pointe  de  fard, 
un  pli  d'azur,  un  voile  de  crêpe  peuvent-ils  corroborer  suffi- 
samment la  chétive  intention  d'un  regard  tendre  ou  farouche  ? 
Comment  exprimer  aux  yeux  amoureux  l'âge  d'or  vocal  de  la 
Neuvième,  ou  le  robuste  arôme  de  la  Pastorale,  ou  l'aube  ven- 
geresse de  VUt  mineur  qui  transfigurait  M.  Ingres?  Un  seul  buste 
pourra-t-il  synthétiser  jamais  le  drame  noir  de  l'allégro,  la 
longue  méditation  de  l'andante,  la  nuit  magique  du  scherzo  qui 
module  en  consolante  aurore  ?  Et,  téméraire,  l'œuvre  plastique 
est  surtout  captivante  par  les  problèmes  qu'elle  ranime. 

A  défaut  d'un  Michel-Ange,  et  pour  nous  consoler  de  n'avoir 
point  connu  le  père  sourcilleux  des  Muses,  quelle  meilleure  visite  à 
Beethoven  qu'un  long  temps  d'arrêt  devant  la  vitrine  du  Champ- 
de-Mars  où  le  masque  moulé  sur  son  front  à  peine  veuf  de  sa 
pensée  se  dissimulait  entre  deux  défroques  de  théâtre,  outra- 
geusement, tout  comme  s'il  ne  s'agissait  que  de  M.  Louis  Van 
Beethoven,  pianiste? 

(A  suivre.  )  Raymond  Bouyer. 


SEMAINE   THEATRALE 


Théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin.  Les  Rouges  et  les  Blancs,  pièce  en  cinq  actes, 
de  M.  Georges  Ohnet. 

Dans  sa  nouvelle  pièce  l'auteur  du  Maître  de  forges  a,  une  fois  de  plus, 
fait  preuve  de  son  habileté  dans  la  recherche  d'effets  dramatiques,  mal- 
heureusement pas  toujours  très  nouveaux.  Les  Rouges  et  les  Blancs  ne 
sont,  en  effet,  qu'un  mélodrame  de  marque  supérieure,  magistralement 
enchâssé  dans  un  cadre  historique  qui  lui  donne  une  importance  factice 
et  hors  de  proportion  avec  sa  valeur  intrinsèque.  L'épisode  de  la  guerre 
civile  entre  les  Rouges  (les  Philippistes)  et  les  Blancs  (les  Légitimistes) 
qui  éclata  en  1832  dans  la  Vendée,  n'a  d'autre  but  que  de  servir  de 
milieu  à  la  véritable  action,  et  la  duchesse  de  Berry,  ses  partisans  et  ses 
adversaires  ne  servent  qu'à  la  distribution  de  la  force  motrice  du  drame. 

En  réalité  il  s'agit  de  Yan  Tréadec,  gentilhomme  fermier  breton  et 
bretonnant,  qui  a  épousé  sur  le  tard  la  jeune  et  belle  Hélène,  ex-fiancée 
du  chevalier  de  Kerléan,  garde  du  corps  du  roi.  Le  comte  de  Kerléan, 
chef  de  la  famille,  qui  s'était  opposé  à  cette  mésalliance,  ayant  appris 
que  son  frère  cadet  avait  été  tué  au  combat  des  Tuileries  en  juillet  1830, 
annonça  sa  mort  à  sa  fiancée,  qui  n'hésita  plus  à  accorder  sa  main  à 
son  vieil  adorateur.  On  devine  que  le  chevalier  de  Kerléan  u'est  pas 
mort  et  qu'il  revient  en  1832  comme  l'un  des  défenseurs  de  la  duchesse 
de  Berry,  qui  précisément  est  cachée  dans  la  maison  de  Tréadec.  On 
devine  aussi  que  le  mari  grisonnant  n'a  pas  pu  faire  oublier  en  quel- 
ques mois  le  bien-aimé  fiancé  qui  reparait  rayonnant  de  jeunesse  et  de 
beauté.  Or,  il  arrive  (ju'un  agent  de  Vidocq,  envoyé  pour  espionner  la 
duchesse  de  Berry  et  ses  partisans,  découvre  l'amour  passionné  mais 
encore  pur  des  deux  jeunes  gens  et  s'en  sert  pour  tenter  de  détourner 
Tréadec  du  parti  de  la  duchesse,  en  lui  faisant  accroire  que  la  romanes- 
que et  frivole  duchesse  favorise  ces  amours.  Tréadec  rentre  inopinément 
chez  lui,  comme  un  chasseur  de  vaudeville,  et  trouve  le  galant  chevalier 
chez  sa  femme,  mais  nullement  en  conversation  galante,  comme  disent 
les  Anglais.  Une  explication  loyale  s'ensuit  entre  le  mari,  la  femme  et 
l'ex-fiancé;  le  méchant  espion  est  tué  par  le  mari  non  outragé,  à  la 
grande  joie  des  galeries,  et  cet  excellent  mari  décide  de  quitter  ce  bas 
monde  pour  ne  pas  plus  longtemps  former  un  obstacle  au  bonheur  de 
'sa  femme  bien-aimée.  Cette  solution  est  loin  d'être  neuve,  mais  elle  est 
amenée  par  un  assaut  de  générosité  entre  le  mari  et  l'amant  qui  ne  man- 
que pas  d'intérêt. 

La  pièce  est  assez  bien  interprétée.  Rien  à  signaler  dans  la  mise  en 
scène,  hormis  un  ravissant  salon  Louis  XV,  que  maint  collectionneur 


LE  MÉNESTREL 


35 


voudrait  bien  posséder  en  pièces  autlientiques.  Les  deux  rôles  princi- 
paux, celui  d'Hélène  et  de  son  mari,  sont  excellemment  tenus  par 
M"""  Mathilde  Deschamps  et  par  M.  Duquesne;  les  autres  figures,  plus 
ou  moins  accessoires,  ont  également  trouvé  des  représentants  de  marque. 
M"'=  Bertlie  Cerny  a  dessiné  une  charmante  duchesse  deBerry,  l'auteur 
n'ayant  mis  en  valeur  que  la  grâce  frivole  de  la  princesse  ;  une  contre- 
danse intercalée  lui  a  fourni  l'occasion  de  montrer  des  jambes  aimables 
dans  des  bas  de  soie  blancs  de  l'époque  1830,  où  la  démocratique  Valse 
des  bas  noirs  était  encore  inconnue.  Dans  le  même  intermède  on  a 
entendu  avec  plaisir  la  fameuse  chanson  de  M.  de  Charette,  finement 
détaillée  par  M.  Marié  de  l'Isle,  qui  dispose  d'un  joli  baryton  Martin. 
M.  Jean  Coquelin  s'est  taillé  un  franc  succès  en  claironnant,  dans  les 
meilleures  traditions  de  la  Porte-Saint-Martin  et  avec  l'organe  de  son 
père,  le  rôle  de  l'espion.  M.  Rozemberg  dans  le  rôle  de  Berryer,  et 
M.  Person-Dumaine  dans  celui  du  maréchal  de  Bourmont,  ont  fait 
mieux  que  l'auteur,  qui  a  aussi  complètement  dénaturé  la  figure  histo- 
rique du  traître  Deutz.En  voulant  faire  la  part  aux  nationalistes  et  aux 
républicains,  aux  <?  blancs  »  et  aux  «  rouges  »  de  notre  temps,  par  des 
mots  qui  sentent  plus  le  commencement  du  vingtième  siècle  que  celui 
du  dix-neuvième,  l'auteur  ne  s'est  pas  précisément  concilié  les  applau- 
dissements de  tous  les  partis.  0.  Bn. 


Théâtre    Sabah-Bernh.4RDT.  —  La   Cavalière,  pièce  eu  S  actes,  en  vers,  de 
M.  Jacques  Richepin. 

M.  Jacques  Richepin  a  à  peine  vingt  ans...  Voilà,  certes,  beaucoup 
plus  qu'il  n'en  faut  pour  excuser  quelques  maladresses,  quelques  incer- 
titudes, et  le  peu  d'originalité  d'une  œuvre  de  longue  haleine,  cinq 
actes  en  vers,  qui  n'est  point,  par  ailleurs,  sans  laisser  pressentir  pour 
l'avenir  un  auteur  dramatique  capable  de  se  faire  un  nom  à  côté  de 
celui  de  son  père,  M.  Jean  Richepin.  Et  puis,  vraiment,  un  tel  effort  à 
cet  âge,  cela  est  moins  que  banal. 

Vingt  ans!  Toute  la  fougueuse  poussée  du  romantisme  pour  les  rimeurs 
que  ne  travaille  pas  le  funeste  bacille  des  formules  outrancièrement 
nouvelles  !  Et  il  aurait  aussi  fait  beau  voir  le  fils  de  l'auteur  des  Blas- 
phèmes s'attardani  aux  coupes  inusitées,  aux  mètres  boiteux,  aux  asso- 
nances plus  que  douteuses,  sinon  totalement  absentes.  Si  donc  le  vers 
de  M.  Jacques  Richepin  est  plein  et  enclin  aux  grasses  sonorités,  son 
romantisme  n'est  pas  moins  juvénilement  caractéristique  :  romantisme 
de  décor,  l'Espagne  au  commencement  du  XVIP  siècle,  romantisme 
d'action,  une  femme  qui  s'habille  en  homme  et  tire  l'épée,  et  roman- 
tisme de  langue. 

La  pièce  est  fort  simple.  Mira  de  Amescua  a  été  élevée  en  garçon  par 
un  tuteur  qui  par  ainsi  a  voulu  la  défendre  des  pièges  tendus  autour 
des  filles  jolies  et  riches.  Et  Mira  «  la  Cavalière  »  se  félicite  de  son 
état  d'entière  liberté,  d'indépendance  totale,  d'ailleurs  permetteuses  de 
toutes  les  excentricités,  jusqu'au  jour  où  elle  aime.  Elle  aime;  mais  elle 
n'est  pas  assez  femme  pour  enchaîner  celui  qui  retourne,  blessé,  désa- 
busé, vers  une  autre,  Lorenza,  vraiment  femme  celle-là.  Mira,  de  rageuse 
j  alousie  va  faire  tuer  le  traître,  lorsqu'elle  s'avise  que  c'est  elle  qui  a 
t  ort  et,  bravement,  va  se  livrer  aux  coups  meurtriers  des  reîtres  qu'elle 
a  embauchés. 

C'est  donc  que  l'idée  maîtresse  des  cinq  actes  de  M.  Jacques  Riche- 
pin est  que  la  femme  a  été  créée  pour  l'amour,  pour  aimer  et  pour  être 
aimée.  Et  pour  le  démontrer,  le  tout  jeune  auteur  n'a  eu  garde  d'omettre 
le  procédé  des  contrastes,  opposant  très  classiquement  Mira  la  Cavalière 
à  Lorenza  l'amoureuse.  Le  malheur,  c'est  que  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces 
deuxhéroines  n'est  capable  d'arracher  la  sympathiedu  spectateur,  celle-ci 
trop  nonchalante,  celle-là  trop  fantasque  ;  et  l'homme  mis  entre  elles 
deux  n'a  rien,  lui  non  plus,  pour  masquer  l'habituel  ridicule  d'une 
désobligeante  situation. 

La  Cavalière,  qui  a  été  montée  avec  un  grand  luxe  de  costumes  et  de 
décors,  —  ce  qui  est  tout  à  l'honneur  de  ceux  qui  risquèrent  si  gros 
pour  aider  les  premiers  pas  d'un  débutant,  —  La  Cavalière  est  jouée 
d'inégale  façon  par  une  troupe  recrutée  forcément  de  droite  et  de  gauche. 
C'est  M""  Gora  Laparcerie  qui  tient  le  personnage  principal  avec  ses 
réelles  qualités  de  vie  et  ses  habituels  défauts  de  vulgarité  ;  elle  a,  entre 
autres,  fort  joliment  joué  la  scène  heureuse  dans  laquelle  elle  veut  lais- 
ser deviner  son  amour  et  mis  en  charmante  valeur  tout  le  côté  «  ga- 
min 1)  du  rôle.  M"«Page  est  une  Lorenza  blondement  indolente,  M"' M. 
Gautier  une  espiègle  servante  d'auberge  et  M""  Chapelas  un  gentil  tra- 
vesti. Parmileshommes,  il  faut  signaler  M.  Clerget,  bien  vivant  sous  le 
manteau  du  matamore  obligatoire,  M.  Castillan,  de  physique  avanta- 
geux, en  homme  doublement  a'iré.  et  M.  Dieudonné  en  vieux  raison- 
neur à  la  voix  sépulcrale. 

Paul-Émile  Chevalier, 


VERDI 


LA    MORT    -    LES    FUNÉRAILLES 


«  Titan  en  vie;  Titan  mort!  Giuseppe  Verdi,  frappé  d'apoplexie  dans 
la  matinée  du  21  courant,  victime  d'un  second  assaut  le  jour  suivant, 
entré  en  agonie  vendredi,  lutta  longtemps,  fort,  tenace,  à  la  stupeur  de 
la  science  médicale  désormais  impuissante,  contre  la  grande  Ennemie, 
et  passa  enfin  de  cette  vie  dans  l'autre  à  deux  heures  cinquante  du 
matin,  le  27  de  ce  fatal  mois  de  janvier.  » 

C'est  en  ces  termes  qu'un  journal  qui  depuis  quarante-huit  ans  porte 
le  titre  d'un  des  ouvrages  les  plus  populaires  du  maître,  il  Trovatore, 
annonçait  à  ses  lecteurs  la  mort  de  Verdi.  Le  Titan,  comme  il  l'appelle, 
a  lutté  en  effet  contre  la  mort,  inconsciemment,  avec  une  étonnante 
énergie.  La  vie  avait  peine  à  s'arracher  de  ce  corps  robuste,  qui  pendant 
deux  journées  entières  ne  voulait  pas  la  laisser  échapper.  Dès  le  pre- 
mier moment  le  docteur  Caporali,  médecin  ordinaire  du  maître,  avait 
souhaité  le  concours  d'un  de  ses  confrères,  ne  voulant  pas  assumer  seul 
une  lourde  responsabilité.  On  télégraphia  au  docteur  Grocco,  qui  voyait 
chaque  année  Verdi  à  Montecatini.  Celui-ci  arriva  aussitôt,  mais  ne 
put  qu'approuver  pleinement  ce  qui  avait  été  fait  par  son  confrère  et 
l'assistant  de  celui-ci,  le  docteur  Odescalchi.  Tous  trois  ne  quittèrent 
plus  un  instant  le  malade,  voyant  le  mal  s'accentuer  de  plus  en  plus  et 
restant  impuissants  à  le  combattre.  Auprès  d'eux  demeuraient,  avec  la 
nièce  du  maître,  M""=  Maria  Carrara,  ses  deux  plus  intimes  amis, 
MM.  Giulio  Ricordi  et  Arrigo  Boito. 

Dés  que  la  maladie  fut  coonue  ce  fut,  dans  tout  Milan,  une  émotion 
que  l'on  peut  facilement  comprendre,  émotion  qui  se  répandit  dans 
toute  l'Italie.  De  Rome  la  maison  royale,  la  reine  Marguerite,  le  duc 
d'Aoste  faisaient  demander  des  nouvelles  d'heure  en  heure.  Mardi 
matin,  au  Sénat,  le  président  annonçait  la  maladie  de  Verdi,  faisant 
des  vœux  pour  son  rétablissement.  Le  soir,  à  Milan,  le  syndic,  M.  Mussi, 
faisait  de  même  au  conseil  municipal.  De  toutes  parts  la  foule  accourait 
aux  portes  de  l'hôtel  de  Milan  pour  avoir  des  nouvelles  et  lire  les  bul- 
letins des  médecins. 

Lorsqu'enfln,  après  cinq  jours  d'angoisses,  ou  sut  que  tout  était  fini, 
lorsqu'on  apprit  que  le  maître  s'était  éteint,  entouré,  à  son  lit  de  mort, 
de  M°"'  Carrara  et  Stolz,  de  MM.  Arrigo  et  Gamillo  Boito,  Ricordi, 
marquis  Terzia,  Giacosa,  Giordano,  Franchetti,  les  trois  médecins 
Grocco,  Caporali  et  Odescalchi,  don  Adalberto  Catena,  le  vénérable 
prêtre  octogénaire  qui  administra  à  Verdi  les  derniers  sacrements,  enfin 
Teresa,  la  gouvernante  du  glorieux  vieillard,  la  stupeur  fut  complète  à 
Milan.  La  nouvelle  était  annoncée  par  une  afliche  placardée  dans  les 
rues,  et  la  municipalité  publiait  une  proclamation  faisant  l'éloge  de 
l'illustre  compositeur.  Presque  toutes  les  maisons  arborèrent  des  dra- 
peaux cravatés  de  deuil.  Beaucoup  de  magasins  fermèrent  leurs  portes, 
les  écoles  furent  fermées,  de  même  que  les  théâtres  et  tous  les  lieux  de 
plaisir.  Le  conseil  communal  fut  convoqué  pour  prendre  une  décision 
au  sujet  des  funérailles,  et  il  délibéra  aussitôt  de  donner  le  nom  de 
Verdi  à  la  rue  San  Giuseppe,  qui  côtoie  la  Scala,  théâtre  des  triomphes 
du  maître.  On  s'arrachait  les  journaux  qui  donnaient  la  nouvelle  de  la 
mort,  tous  encadrés  de  noir,  et  la  consternation  se  lisait  sur  tous  les 
visages.  C'était  un  véritable  deuil  public. 

L'émotion  n'était  pas  moins  grande  à  Rome.  Le  roi,  en  son  nom  et 
au  nom  de  la  reine,  envoyait  à  la  famille  de  Verdi  un  télégramme  de 
condoléances  dans  lequel  il  s'associait  aux  hommages  de  regrets  et 
d'admiration  rendus  par  l'Italie  et  le  monde  civilisé  à  la  mémoire  de 
Verdi,  en  qui  la  nation  et  l'art  glorieux  du  pays  faisaient  une  perte 
irréparable.  Le  ministre  de  l'instruction  publique  adressait  également 
un  télégramme  de  condoléances. 

Au  Sénat,  la  séance  était  consacrée  tout  entière  à- Verdi.  Bn  voici  le 
rapide  compte  rendu  : 

Le  président  a  pris  la  parole  le  premier.  Après  lui  M.  Saracco,  c-hef  du  cabinet,  a  dit 
que  cette  mort  causait  une  douleur  universelle,  douleur  ressentie  du  palais  royal  à  la 
cliaumière,  de  Rome  au  plus  humble  hameau.  Le  gouvernement  s'y  associe.  Le  discours 
de  M.  Saracco  a  été  vivement  applaudi. 

M  Saracco  a  ensuite  annoncé  que,  à  moins  que  des  dispositions  testamentaires  ne  s  y 
opposassent,  les  obsèques  de  Verdi  auront  lieu  auK  frais  de  riîlat.  . 

Après  un  discours  très  applaudi  de  M.  Foga.zaro,  le  Sénat  a  décide  a  1  unanimité  de 
rendre  à  Verdi  les  mêmes  honneurs  lunèbres  qu'à  Manzoni,  et  de  placer  le  buste  en 
marbre  de  Verdi  dans  une  salle  du  Sénat.  Il  a  décidé  également  d'envoyer  une  délégation 
aux  funérailles  et  de  communiquer  la  délibération  de  l'assemblée  à  la  famille  de  Verdi, 
ainsi  qu'aux  municipalités  de  Milan  et  de  Busseto. 

La  séance  est  ensuite  levée. 

Quant  à  la  Chambre,  elle  a  voté  à  l'unanimité  les  propositions  sui- 
vantes pour  honorer  Verdi  : 

1"  Arborer  un  pavois  de  deuil  pendant  sept  jours  à  la  Chambre  ;  2-  envoyer  des  condo- 
léances aux  municipalités  de  Busseto  et  de  Milan;  3'  envoyer  une  commission  de  cinq 


36 


LE  MÉNESTREL 


membres  avec  le  président  pour  assister  à  la  cérémonie  commémorative  célébrée  à  Milan 
trente  jours  après  la  mort  de  Verdi,  les  funérailles  étant  privées  ;  4*  lever  la  séance  en 
signe  de  deuil. 

De  son  côté,  le  conseil  municipal  de  Rome  décidait  de  donner  à  une 
rue  de  la  capitale  le  nom  de  Verdi,  de  placer  son  buste  au  Capitole  et 
sur  la  promenade  du  Pincio,  et  enfin  d'apposer  une  inscription  sur  la 
façade  de  la  maison  habitée  par  le  maître  en  1859.  La  séance  du 
conseil  fut  levée  ensuite  en  signe  de  deuil. 

Parmi  les  innombrables  dépêches  parvenues  à  la  famille  de  tous  les 
points  de  l'étranger,  on  signale  celles  des  musiciens  français,  entre 
autres  MM.  Massenet  et  Saint-Saëns,  puis  M""^'*  Gounod  et  Ambroise 
Thomas,  et  on  remarque  l'abstention  des  artistes  allemands,  entre 
autres  M .  Siegfried  Wagner. 

Dés  la  première  nouvelle  parvenue  à  Paris  de  l'événement,  M.  Georges 
Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beau.x-arts,  adressait 
à  son  collègue  de  Rome  le  télégramme  suivant  : 

'■  La  mort  de  Verdi  met  en  deuil  tout  le  monde  de  l'art.  La  France  partage  la  douleur 
de  l'Italie  et  déplore  avec  elle  la  lin  du  maître  glorieux  qu'elle  acclama  tant  do  fois.  Je 
prie  Votre  Excellence  d'agréer  l'hommage  de  mes  sentiments  personnels  de  regret  et 
d'admiration.  Le  directeur  des  beaux-arts  se  rendra  à  Milan  pour  me  représenter  oinciel- 
lement  aux  funérailles. 

y  G.  Leygues.  » 

Le  ministre  italien  répondait  aussitôt  par  la  dépêche  que  voici  : 

Rome,  29  janvier. 
La  France  prenant  part  à  la  douleur  de  l'Italie  pour  la  mort  de  Giuseppe  Verdi  atQrme 
hautement  la  puissance  universelle  de  l'art  et  la  fraternité  des  peuples  dans  l'hommage 
qu'ils  rendent  à  ses  manifestations. 

Les  expressions  affectueuses  qu'elle  nous  envoie  en  ce  moment  d'angoisse  nous  touchent 
profondément.  Je  remercie  de  tout  mon  cœur  Votre  Excellence  pour  Fattestalion  de  vif 
regret  à  l'oecasiOD  de  la  mort  du  grand  maitre  et  pour  la  décision  prise  de  vous  faire 
représenter  otïiciellement  aux  funérailles. 

Le  ministre:  G.\llo. 

Le  gouvernement  italien  voulait  faire  en  effet  à  Verdi  des  funérailles 
nationales.  Mais  l'ouverture  du  testament  du  maître  a  dti  faire  aban- 
donner ce  projet.  Verdi,  en  effet,  demandait  que  ses  funérailles  soient 
très  modestes,  qu'elles  aient  lieu  au  lever  du  jour  ou  à  la  tombée  de  la 
nuit,  sans  musique,  sans  fleurs,  sans  discours,  sans  apparat  militaire. 
«  Deux  prêtres,  deux  cierges  et  une  croix  suffiront  »,  disait-il.  On  dut 
respecter  ses  volontés,  et  il  fut  décidé  que  la  cérémonie  funèbre  aurait 
lieu  mercredi,  à  sept  heures  du  matin,  dans  la  modeste  église  Saint- 
François-de-Paule,  pour  aller  de  là  au  cimetière  monumental.  Elle  fut, 
malgré  tout,  imposante,  ainsi  que  le  prouve  le  récit  d'un  de  nos 
confrères,  riïc/io rfe /"orà,  à  qui  nous  empruntons  les  détails  qui  suivent: 

Jamais  aucun  souverain,  jamais  aucun  vainqueur  n'a  eu  de  funérailles  plus  belles  que 
celles  de  Verdi.  Je  n'ai  jamais  rien  vu  de  plus  simple,  ni  de  plus  grandiose,  et  on  peut  le 
dire,  bien  que  le  mot  puisse  sembler  ici  paradoxal,  rien  de  plus  familial  malgré  l'énorme 
aOluence.  Les  funérailles  ont  été  vraiment  ce  que  Verdi  les  a  voulues,  sans  pompe,  sans 
démonstration  officielle  d'aucune  sorte. 

Et  cependant  toute  la  population  milanaise  est  venue  en  foule.  Elle  est  sortie  tout 
entière  de  chez  elle  avant  l'aube,  et  sans  crainte  d'employer  une  expression  banale  et  fausse, 
je  puis  dire  qu'elle  s'est  montrée  recueillie.  Ce  fut  un  coup  d'œil  étrange,  ce  matin  avant 
sept  heures,  lorsque,  au  milieu  d'un  public  silencieux,  un  cercueil  enveloppé  d'un  drap 
noir  parut  sur  les  épaules  de  quatre  porteurs  au  sommet  de  l'escalier  de  l'hùtel  où  est 
mort  Verdi.  11  n'y  avait  dans  le  vestibule  que  les  voyageurs,  les  membres  de  la  famille 
quelques  amis  et  les  personnes  appelées  là  par  leur  devoir  professionnel.  Chacun,  muet, 
restait  debout  et  découvert,  tandis  que  la  somlire  caisse  descendait,  entourée  de  prêtres 
en  surplis  blanc  qui  tenaient  un  cierge  en  main.  Sur  le  drap  noir  pas  d'inscription,  pas 
même  un  chiffre.  On  aurait  pu  croire  que  la  dépouille  enfermée  là  était  celle  du  plus 
inconnu  des  hommes,  et  du  plus  indifférent. 

Quand  nous  sortîmes  à  la  suite  du  cercueil,  la  rue  était  plongée  dans  l'obscurité  d'une 
nuit  d'hiver  que  perçait  çà  et  là  la  lueur  de  quelques  lampes  électriques.  Je  distinguai  un 
corbillard  petit  et  extrêmement  simple,  sur  leiiuel  on  hissa  la  bière  sans  y  ajouter  aucun 
ornement  d'aucun  genre,  ni  croix,  ni  fleurs,  ni  couronne,  ni  tentures,  ni  initiales. 

A.  quelques  pas  derrière,  j'aperçus  une  masse  noirâtre  qui  occupait  toute  la  largeur  et 
toute  la  profondeur  de  la  rue. 

Ni  mouvement  ni  bruit. 

C'était  imposant  à  force  de  silence  et  de  mystère;  car  on  sentait  bien  que  quelque  chose 
devait  sortir  de  là,  mais  il  était  impossible  de  deviner  quoi.  Seulement,  il  y  avait  par    ■ 
instants  sur  cette  masse  un  frémissement  léger  comme  celui  d'une  brise  à  travers  le 
feuillage  des  trembles,  et  1  on  pressentait  qu'il  y  avait  là  une  foule,  mais  une  foule  qui  se 
faisait  violence  pour  se  contenir, 

Je  n'entendis  point  de  signal,  pourtant  le  corbillard  s'ébranla  et  partit;  nous  suivîmes. 

En  avançant,  je  remarquai  que  tout  Milan  était  levé,  que  les  fcnêlres  étaient  éclairées, 
que  les  gens  étaient  debout  à  leurs  balcons,  leurs  silhouettes  noires  se  délachant  devant 
les  lampes  suspendues  au  plafond . 

La  distance  est  1res  courte  de  l'hôtel  à  l'église  Saint-François  do  Paule,  où  nous  nous 
arrêtâmes.  Le  corps  y  fut  introduit  et  déposé  au  centre,  sur  un  petit  socle.  Il  n'y  eut  point 
de  messe,  mais  les  prêtres  recitèrent  quelques  litanies.  Je  ne  crois  pas  que  le  service  ait 
duré  en  tout  plus  de  cinq  minutes. 

Nous  nous  remîmes  en  marche.  Cette  fois,  la  foule  qui  s'était  d'abord  tenue  à  distance 
entourait  le  corbillard  de  tous  cotés  et  cheminait  avec  lui,  formant  la  plus  confuse  mais 
aussi  la  plus  volontaire,  et  par  suite  la  plus  belle  de  toutes  les  escortes.  A  mesure  que 
nous  avancions  l'aurore  se  levait,  les  luinières  des  rues  et  des  fenêtres  s'éteignaient,  les 
hornmesetleschoses  reprenaient  peu  à  peu  leur  aspect  réel  et  l'on  éprouvait  mieux  le 
sentiment  de  la  vie  universelle  —  et  quelle  vie  !  —  toute  une  ville  de  cinq  cent  raille 


âmes  sortant  paisible  et  sereine  pour  accompagner  un  mort.  Dans  toutes  les  rues,  dans 
les  artères  principales,  dans  les  voies  latérales,  si  loin  que  la  vue  pouvait  s'étendre,  ou 
apercevait  la  foule,  et  encore  la  foule,  toujours  compacte.  Les  rues,  comme  des  cuves,  déver- 
saient incessamment  ;  toutes  les  classes  de  la  société  y  étaient  représentées  ;  il  y  avait  des 
bourgeois,  des  petits  marchands,  des  ouvriers,  des  dames  bien  mises,  des  grisettfs  gen- 
tilles, des  pauvresses,  la  tête  serrée  dans  un  6chu,  des  gamins  lestes  comine  les  nôti-esdont 
beaucoup  étaient  perchés  sur  les  arbres  et  dégringolaient  à  mesure  que  nous  passions. 

Au  cimetière,  il  y  avait  une  barrière  d'agents,  et  la  foule  n'entra  que  peu  à  peu.  La 
tombe  de  Verdi  est  située  vers  l'entrée  du  cimetière,  à  gauche;  c'est  en  ce  moment  un 
caveau  provisoire,  sans  ornement  d'aucune  sorte.  On  sait  que  Verdi  a  demandé  à  reposer 
définitivement  dans  la  maison  de  retraite  qu'il  a  fait  construire  pour  abriter  sur  leurs 
vieux  jours,  les  musiciens  pauvres. ,. 

Ces  funérailles  ont  été  simples,  comme  le  maitre  voulait  qu'elles 
fussent  ;  on  voit  qu'elles  n'en  ont  pas  moins  été  grandioses,  par  le 
concours  immense  d'une  population  pieusement  recueillie,  qui  témoi- 
gnait de  son  admiration,  de  son  respect  et  de  son  affection  pour  l'artiste 
illustre  dont  la  gloire  universelle  a  rejailli  sur'  la  nation  et  sur  le  pays 
entiers.  Mais  cette  gloire  même  ne  perdra  pas  ses  droits,  et  dans  un 
mois  on  doit  célébrer  à  Milan,  en  l'honneur  de  Verdi,  une  cérémonie 
commémorative  dont  la  solennité  promet  de  défier  toute  description  et 
qui  sera  vraiment  l'apothéose  du  grand  homme.  Cette  fois  l'hommage 
sera  éclatant,  et  l'on  peut  dire  que  l'Italie  entière  y  prendra  part. 


LA  REINE  VICTORIA  ET  LES  MUSICIENS  ALLEMANDS 


Les  relations  entre  la  reine  Victoria  etMendeIssohn  sont  fort  connues, 
et  notre  collaborateur  et  ami  Tiersot  en  a  encore  parlé  récemment  dans 
le  Ménestrel.  Mais  on  sait  peu  que  la  défunte  reine  avait  eu  aussi  quel- 
ques rapports  plus  ou  moins  éloignés  avec  Beethoven  et  Richard 
Wagner.  Il  est  vrai  que  ses  relations  avec  l'auteur  de  Fidelio  offrent 
plutôt  un  côté  comique. 

En  1845,  la  reine  avait  entrepris  avec  son  mari  le  prince  Albert  un 
voyage  sur  les  bords  du  Rhin  et,  sur  l'invitation  du  roi  Frédéric 
Guillaume  IV  de  Prusse,  était  allée  à  Bonn  pour  assister,  le  12  aoilt,  à 
l'inauguration  du  monument  de  Beethoven.  Le  maréchal  de  la  cour, 
chargé  des  arrangements  nécessaires,  avait  retenu  le  grand  balcon  du 
palais  du  comte  de  Furstenberg  pour  y  placer  le  roi  et  ses  invités,  parmi 
lesquels  se  trouvait  aussi  l'archiduc  Frédéric  d'Autriche. 

Au  moment  oii  on  retira  la  toile  qui  cachait  le  monument,  la  cour 
s'aperçut  que  Beethoven  tournait  le  dos  aux  Majestés.  Les  dames 
d'atour  de  la  reine  se  mirent  à  rire  tellement  que  la  reine  dut,  elle  aussi, 
se  détourner  portr  qu'on  ne  la  vit  pas  éclater.  Le  roi  de  Prusse  était  fort 
mécontent  et  s'écria  tout  haut  :  «  Mais  le  bonhomme  nous  tourne  le 
dos!  »  Alexandre  de  Humboldt,  qui  était  non  seulement  un  grand  savant 
mais  aussi  un  grand  courtisan,  et  avait  son  franc  parler  à  la  cour,  ré- 
pondit alors  au  roi  :  «  Majesté,  de  son  vivant  Beethoven  a  toujours  été 
un  malotru  (grober  Keii);  pourquoi  aurait- il  changé  après  sa  mort?  » 
L'idée  ne  vint  â  personne  que  le  maréchal  de  la  cour  aurait  dû  s'infor- 
mer d'abord  de  la  position  du  monument  pour  éviter  à  Beethoven  cette 
impolitesse  posthume. 

Trois  jours  plus  tard,  le  IS  aoiit,  le  roi  de  Prusse  dédommagea  la 
reine  Victoria  en  lui  offrant  au  célèbre  château  de  Stoizenfels  un  con- 
cert plus  que  royal  et  dont  une  artiste  survivante,  la  seule,  pourrait 
raconter  les  détails  amusants  :  M°"^  Viardot-Garcia.  En  sa  qualité  de 
directeur  général  de  la  musique,  Meyerbeer  dirigeait  personnellement 
ce  concert,  au  programme  duquel  figuraient  des  artistes  comme  Liszt, 
Vieuxlemps,  Jenny  Lind,  M'"'=  Viardot-Garcia,  Tichatschek,  le  célèbre 
ténor  wagnérien  de  Dresde,  Staudigl,  la  non  moins  célèbre  basse  chan- 
tante de  Vienne.  Ajoutons  que  les  cachets  offerts  par  Meyerbeer,  au 
nom  de  sa  Majesté,  étaient  fort  peu  élevés.  C'est  ce  qu'on  appelait  alors 
«  chanter  pour  le  roi  de  Prusse  ». 

Dix  ans  plus  tard,  la  reine  Victoria  fit  la  connaissance  de  Richard 
Wagner,  qui  était  allé  à  Londres  en  1833  pour  y  diriger  quelques  con- 
certs. Les  musiciens  et  la  critique  de  Londres  n'étaient  guère  favorables 
au  futur  maitre  de  Bayreuth,  et  Davison,  qui  exerçait  alors  une  influence 
énorme  comme  critique  musical  du  Times,  avait  même  fait  des  allusions 
fort  méchantes  à  la  situation  de  Wagner  en  tant  qu'exilé  politique.  Dans 
ces  circonstances,  le  musicien  fut  doublement  heureux  d'être  protégé 
par  la  reine  Victoria  et  par  le  prince  Albert.  Nous  trouvons  un  joli  récit 
de  l'entrevue  du  musicien  avec  ses  protecteurs  dans  la  Correspondance 
de  Wagner  et  de  Liszt  (traduction  de  L.  Schmitt,  Leipzig,  Breitliopf  et 
Haertel,  1900,  tome  II,  p.  92).  C'est  Wagner  lui-même  qui  écrit  à  Liszt 
ce  qui  suit  : 

Zurich,  le  5  juillet  1855. 

Je  suis  de  retour  à  Zurich  depuis  le  30  juin;  je  suis  revenu  après  avoir  dirigé,  le  25, 
mon  dernier  concert  à  Londres.  Tu  as  sans  doute  appris  que  la  reine  Victoria  s'est  très 


LE  MÉNESTREL 


37 


bien  conduite  à  mon  égard.  Elle  est  venue  avec  le  prince  Albert  assister  au  septième  con- 
cert, et  comme  ils  désiraient  entendre  un  morceau  de  ma  facture,  j'ai  fait  répéter  l'ouver- 
ture de  Tannhauser,  ce  qui  m'a  procuré  une  petite  satisfaction  extérieure.  Mais  il  paraît 
réellement  que  j'ai  beaucoup  plu  à  la  reine;  elle  s'est  montrée  si  cordialement  aimable 
dans  une  conversation  qu'elle  a  voulu  avoir  avec  moi  après  la  première  partie  du  concert, 
que  j'en  ai  été  vraiment  touclié.  Ce  sont,  ma  foi,  les  premières  personnes  en  Angleterre  qui 
aient  osé  se  prononcer  franchement,  ouvertement  pour  moi.  Si  l'on  songe  qu'elles  avaient 
afTaire  à  un  individu  discrédité  pour  crime  de  haute  trahison,  décrié  au  point  de  vue  poli- 
tique et  sous  le  coup  d'un  mandat  d'amener,  on  m'approuvera  certainement  d'en  être  infi- 
niment reconnaissant  à  tous  deux.. . 


Ce  qui  rend  la  protection  du  prince  Albert  particulièremeat  piquante, 
c'est  que  le  mari  de  la  reine  Victoria  appartenait  à  cette  même  maison 
princière  dont  le  chef,  le  roi  de  Saxe,  ne  pouvait  pardonner  à  son  ancien 
kapellmeister  l'affaire  «  politique  »  de  1849.  Ainsi  donc  un  prince  de 
Saxe-Cobourg,  devenu  le  mari  de  la  reine  Victoria,  voulait  qu'on  jouât 
Tannhâuser  à  Londres,  comme  le  grand-duc  de  Saxe-Weimar  avait 
voulu  qu'on  jouât  Lohengrin  â  Weimar. 

Dans  sa  lettre  à  Liszt  que  nous  venons  de  citer,Wagner  n'a  d'ailleurs 
pas  communiqué  à  son  ami  tout  ce  qui  s'était  passé,  car  nous  savons 
que  la  reine  avait  dit  au  musicien  que  sa  composition  l'avait  enchantée, 
qu'elle  s'était  informée  au  sujet  de  ses  autres  œuvres  et  avait  demandé 
s'il  n'était  pas  possible  de  les  faire  traduire  en  italien  pour  les  jouer  à 
Londres.  (Voir  la  Biographie  de  Wagner,  par  Glasenapp,3'  édit.,  tome  IL 
p.  92.)  Wagner,  qui  était  â  cette  époque  encore  fort  intransigeant,  décla- 
rait cette  traduction  impossible  et  laissait  ainsi  échapper  une  excellente 
occasion  de  produire  son  Tavnh'àuser.  qu'il  fit  cependant  représenter 
plus  tard  en  langue  française.  Le  maître  a  d'ailleurs  vécu  assez  long- 
temps pour  voir  que  la  traduction  de  ses  œuvres  en  italien  n'avait 
rien  d'impossible. 

O.  Berggruen. 


REVUE   DES   GRANDS    CONCERTS 


Le  programme  du  dernier  concert  du  Conservatoire,  absolument  admirable 
et  dont  l'exécution  était  au-dessus  de  tout  éloge,  s'ouvrait  par  la  symphonie 
en  Si  f)  de  Beelhoveen,  la  quatrième,  celle  qui  précède  la  Symphonie  héroï- 
que et  la  Symphonie  en  ui  mineur.  Moins  majestueuse  que  celles-ci,  d'une 
ampleur  moindre  dans  ses  développements,  elle  n'en  est  pas  moins  d'une 
beauté  achevée,  et  son  adagio  surtout  est  une  merveille  de  poésie  mélanco- 
lique et  pénétrante,  dont  les  accents  vont  jusqu'au  plus  profond  de  l'àme. 
Berlioz  avait  raison  de  dire  que  o  ce  morceau  semble  avoir  été  soupiré  par 
l'archange  Michel,  un  jour  où,  saisi  d'un  accès  de  mélancolie,  il  contemplait 
les  mondes,  debout  sur  le  seuil  de  l'empyrée  ».  Il  a  été  dit  par  l'orcbestre 
avec  le  sentiment  le  plus  exquis,  de  façon  à  en  faire  ressortir  tout  le  charme, 
toute  la  grâce  et  toute  la  beauté.  Quant  à  l'allégro  et  au  finale,  ils  ont  été 
rendus  avec  une  verve,  une  ardeur,  une  chaleur  communicative  vraiment 
incomparables.  Nous  avions  ensuite,  chef-d'œuvre  dans  un  chef-d'œuvre,  le 
troisième  acte  de  l'Armide  de  Gluck,  cette  Armide  que  l'Opéra,  hypnotisé  par 
Wagner,  se  refuse  absolument  à  nous  donner,  et  qui  n'eiit  jamais  du  quitter 
son  répertoire,  pas  plus  que  le  Cid  et  Horace  ne  doivent  quitter  le  répertoire 
de  la  Comédie-Française.  Les  airs  d'Armide,  celui  delà  Haine,  les  récitatifs, 
les  chœurs  et  les  danses  des  démons,  tout  cela  est  d'une  grandeur  et  d'une 
splendeur  dont  il  est  difficile  de  se  faire  une  idée,  tout  cela  est  du  théâtre  le 
plus  vigoureux,  le  plus  dramatique  et  le  plus  émouvant.  C'est  M™  Jeanne 
Raunay  qui  nous  représentait  Armide,  et  il  serait  difficile  de  joindre  à  une 
voix  plus  mordante  et  plus  saine  un  sentiment  pathétique  plus  puissant  et 
un  style  à  la  fois  plus  pur,  plus  noble  et  plus  irréprochable.  Il  n'est  pas  besoin 
de  dire  si  son  succès  a  été  complet  et  mérité.  Elle  était  d'ailleurs  fort  bien 
secondée  par  M'°s  Chrétien-Vaguet,  dont  la  belle  voix  et  l'excellente  décla- 
mation ont  brillé  dans  le  rôle  de  la  Haine.  Un  triple  rappel  a  prouvé  aux 
deux  cantatrices  la  complète  satisfaction  de  leurs  auditeurs.  Après  Armide 
venait  l'adorable  Suite  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach,  où,  seule,  une  flûte  se 
mêle  à  l'orchestre  des  instruments  à  cordes,  et  qui  a  valu  à  M.  Hennebains 
une  ovation  bien  méritée.  Les  chœurs  nous  ont  chanté  ensuite,  avec  leur 
ensemble  et  leur  soin  habituels,  un  motet  très  harmonieux,  Tencbrœ  factœ 
suni,  de  Michel  Haydn,  le  frère  du  grand  Haydn,  et  le  délicieux  lied  de  Men- 
delssohn,  le  Chanteur  des  bois,  dont  ils  ont  su  faire  ressortir  toute  la  grâce 
juvénile  et  toute  la  fraîcheur.  Et  le  concert  se  terminait  par  l'étincelante  et 
chevaleresque  ouverture  à'Euryanthe,  page  épique  et  digne  du  grand  nom  de 
Weber,  à  qui,  quoi  qu'on  en  dise,  le  génie  de  Wagner  est  bien  redevable  de 
quelque  chose.  A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  L'ouverture  de  Coriolan  a  été  composée  sur  la 
demande  d'un  jurisconsulte  nommé  Henri  de  Gollin,  auteur  d'une  tragédie 
probablement  médiocre.  Il  utilisait  ses  loisirs  en  écrivant  des  œuvres  poé- 
tiques, et  ses  bonnes  relations  avec  Beethoven  lui  valurent  une  gracieuseté 
musicale  dont  nous  profitons  largement  aujourd'hui.  On  a  dit  de  celte 
ouverture,  non  sans  un  peu  d'emphase  :  Elle  ajoute  à  l'idée  de  la  grandeur 
romaine.  —  J'aimerais  à  placer  sous  l'égide  de  Beethoven  un  lout  jeune 
artiste  que  ses  tendances  sérieuses  et  une  sorte  de  dédain  grave  et  fier  de  ce 
que  l'on  recherche  habituellement  pour   produire  de  l'ellèt   recommandent 


très  hautement  à  notre  sympathie.  M.  Georges  Enesco,  compositeur  et  vio- 
loniste, se  présentait  à  nous  sous  ce  dernier  aspect.  Il  a  des  qualités  très 
spéciales  ;  une  sonorité  toute  particulière,  voilée  et  parlante.  Chaque  note 
porte,  et  pourtant  la  simplicité  de  style  est  grande;  mais  un  phrasé  très  per- 
sonnel prête  à  l'ensemble  de  l'œuvre  exécutée  un  caractère  de  mélancolie  et 
de  sincérité.  Cette  œuvre  était  la  Symphonie  espagnole  de  Lalo.  Rarement  cette 
suite  pour  violon  et  orchestre,  si  intéressante  et  si  ingénieuse,  a  été  rendue  avec 
un  sentiment  aussi  pénétrant.  — Le  concerto  pour  piano,  composé  et  exécuté 
par  M.  Cesare  Geloso  forme  avec  elle  un  brillant  contraste.  Les  deux  inter- 
prètes ne  se  ressemblent  guère  non  plus.  Il  s'agit  maintenant  d'un  morceau 
plein  de  chaleur,  de  vie  à  outrance,  peu  original,  mais  très  entraînant,  ren- 
fermant des  idées,  mais  n'importe  lesquelles,  et  très  bien  écrit  pour  le  piano 
sous  le  rapport  des  combinaisons  de  sonorité  de  l'instrument-solo  avec  l'or- 
chestre. Les  deux  virtuoses,  M.  Enesco  et  M.  Geloso,  ont  été  fort  appréciés, 
le  premier  à  cause  de  son  jeu  net,  lin,  alerte  et  délicat,  le  second  à  cause  de 
sa  bravoure.  On  a  fêté  aussi  M.  Kalisch,  qui  a  dît  avec  une  voix  extrême- 
ment bien  posée  et  slire  le  duo  de  Tristan  et  Isolde,  où  M™  Adiny  et  M"|=  Louise 
Planés  lui  ont  donné  vaillamment  la  réplique.  —  Pour  finir,  la  marche  militaire 
française  de  Saint-Saëns,  extraite  de  la  Suite  algérienne,  a  sonné  joyeuse- 
ment. Amédée  Bo'jtarel. 

—  Aux  concerts  Lamoureux  on  donnait  une  troisième  audition  de  l'Or  du 
Rhin.  Nous  n'avons  pas  à  y  revenir,  notre  regretté  collaborateur  Barbedette 
(voir  la  nécrologie)  et  M.  Boutarel  s'étant  déjà  exprimés  librement  à  ce  sujet. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche; 

Conservatoire  ;  Symphonie  en  si  bémol  (Beethoven).  —  Troisième  acte  d'Armide  (Gluck), 
par  M""  Jeanne  Raunay  et  Chrétien-Vaguet.  —  Fragments  de  la  suite  en  si  mineur 
(J.-S.  Bach).  —  A.  Tenetirai  factœ  sunt  (Michel  Haydn),  et  B.  le  Cliantmr  des  bois  (Men- 
delssohn),  chœurs  sans  accompagnement.  —  Ouverture  (VEuryanthe  (Weber). 

Châtelet,  concert  Colonne:  Symphonie  écossaise,  n"  3  (Mendeissohn).  — Air  de  concert, 
op.  9/1  (Mendeissohn),  par  M'""  Adiny.  —  Concerto  en  so/ mineur  pour  piano  (Mendeis- 
sohn), par  M"«  Seguel.  —  Air  à^Oihcllo  (Verdi),  par  M.  Kalisch.  —  Deuxième  scène  du 
2'  acte  de  Tristan  et  Yseult  (Wagner,,  par  M.  Kalisch,  M""'  Adiny  et  Planés.  —  Le  Songe 
d'une  nuit  d'été  (Mendeissohn). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Symphonie 
inacfieive  (Schubert).  —  Peltéas  et  Mélisande  (Fanré).  —  Concerto  en  mi  bémol  (Beetho- 
ven), par  M.  Lamond.  —  Schéhérazade  (Rimsky-Korsakow).  —  Concerto  pour  deux  violons 
(Bach),  par  MM.  Séchiari  et  Soudant,  —  Marche  héroïque  (Saint-Sacns). 


NOUA^ELLES    DIA^ERSES 


ÉTRANGER 

Voici,  sinon  le  teslamenl,  du  moins  la  lettre  que  Verdi  a  laissée  à  sa 
nièce,  M'"^  Carrara,  et  qui  fait  connaître  ses  dernières  volontés  ; 

25  avril  1898. 
A  ma  DÎèce  Maria  Carrara, 

Il  est  bon  de  t'avertir  que  lu  trouveras  dans  mes  coffres-forts  et  dans  plusieurs  meubles 
assez  d'argent  pour  la  fidèle  exécution  de  mes  dernières  volontés;  pour  ce,  je  t'autorise 
aussi  à  employer  le  surplus  des  actions  de  ciiemins  de  fer  destinées  k  l'hospice  que  je 
fais  construire  actuellement  en  dehors  de  la  porte  Magenta. 

Mes  funérailles  seront  très  simples  ;  on  les  fera  soit  au  point  du  Jour,  soit  le  soir,  à 
VAngelus^  sans  musique  ni  chant. 

Deux  prêtres,  deux  cierges  et  une  croix  suffiront. 

Le  lendemain  de  ma  mort,  on  distribuera  mille  francs  aux  pauvres  de  Sant'Agata. 

Je  ne  désire  aucun  honneur. 

G.  Verdi. 

Comme  je  l'ai  déjà  dit,  je  laisse  à  l'hospice  que  Ton  est  en  train  de  bâtir  cinquante 
mille  francs  de  rentes,  cinq  cents  actions  des  chemins  de  fer  méditerranéens,  mes  droits 
d'auteur,  enfin,  deux  cent  mille  francs  qui  me  reviennent  de  la  maison  Ricordi. 

Pour  les  autres  legs,  s'élevant  à  95.000  francs,  tu  emploieras  les  340  actions  méditer- 
ranéennes et  les  100  actions  méridionales  qui  restent. 

Dans  les  rolfres-forts  de  Sant'Agata,  tu  prendras  quatre  lettres  cachetées  que  tu 
remettras  pieusement  à  leurs  destinataires. 

G.  Verdi. 

Les  exécuteurs  testamentaires  sont  Arrigo  Boito  et  l'éditeur  Ricordi. 
Et  voici  la  transcription  exacte  de  l'acte  de  décès  de  Verdi  : 

a  L'an  1901,  le  27  janvier,  à  dix  heures  vingt  minutes  du  matin,  dans  la  «  Casa  com- 
munale s  et  par  devant  moi,  commandeur  Joseph  Mussi,  maire  et  officier  de  l'état  civil  de 
la  commune  de  Milan,  ont  comparu  Campanari  Humbert,  Agé  de  trente-cinq  ans,  avocat, 
et  Beltrami  Luca,  âgé  de  quarante  ans,  architecte  ;  lesquels  ont  déclaré  que,  aujourd'hui, 
à  deux  heures  cinquante  du  matin,  dans  la  maison  située  rue  Manzoni,  n"  29,  est  décédé 
Verdi  (Giuseppe),  âgé  de  quatre-vingt-sept  ans,  maître  de  musique,  résidant  à  Sant'- 
Agata (Busseto),  né  à  Roncole  (Bussetoi,  de  feu  Charles,  commerçant,  autrefois  domicilié 
à  Busseto,  veuf  en  premières  noces  de  Marguerite  Barezzi  et,  en  secondes  noces,  de 
Giuseppina  Strepponi. 

»  Sont  également  présents  à  cet  acte  les  témoins  Misa  Francesco,  âgé  de  trente-neuf 
ans,  et  Picozzi  Modesto,  âgé  de  quarante-huit  ans,  avocat,  tous  deux  demeurant  dans  cette 
commune.  »  Suivent  les  signatures. 

Quelques  détails  encore  : 

Le  Pape,  qui  avait  envoyé  sa  bénédiction  à  Verdi,  a  ordonné  de  célébrer, 
en  sa  mémoire,  un  service  de  Requiem  à  la  chapelle  Sixtine.  —  Le  sculpteur 
Secchi,  ami  de  Verdi,  a  moulé  son  masque  sur  son  lit  de  mort,  et  le  peintre 
Hohenstein  a  reproduit  pour  la  dernière  fois  les  traits  du  maître.  —  Le  coa- 


38 


LE  MÉNESTREL 


seil  municipal  ileBusseto,  réum  à  l'occasion  de  la  mort  de  Verdi,  a  approuvé 
diverses  propositions  pour  honorer  sa  mémoire,  entre  autres  celle  tendant  à 
ouvrir  une  souscription  pour  lui  élever  un  monument  à  Busseto.  Le  conseil 
a  souscrit  20.(KX)  lire.  —  C'est  M.  Giacosa,  l'écrivain  dramatique  et  le  libret- 
tiste bien  connu,  qui  prononcera  l'éloge  funèbre  de  Verdi  dans  la  solennité 
qui  aura  lieu  dans  im  mois,  à  Milan,  en  son  honneur. 

—  Dernière  heure  :  On  vient  d'ouvrir  le  testament  de  Verdi,  qui  était  dans 
l'étude  du  notaire  Carrara.  Il  est  composé  de  six  pages  couvertes  d'une  écri- 
ture large,  mais  fine.  Il  a  été  écrit  à  Milan  le  14  mai  1900,  et  contient  de 
nombreuses  dispositions  dont  voici  les  plus  importantes. 

Verdi  a  institué  sa  nièce  Maria  Verdi,  mariée  au  docteur  Carrara,  héritière 
universelle.  Comme  nous  l'avons  dit,  l'auteur  de  Rigoletto  laisse  une  rente 
annuelle  de  SO.OOO  francs  à  la  maison  de  retraite  pour  les  musiciens.  Le 
domaine  de  Castellazzo  est  laissé  à  l'hôpital  de  Villanova  avec  une  rente 
annuelle  de  -20.000  francs,  mais  à  charge  pour  cet  établissement  d'un  dou 
annuel  de  1.000  francs  à  l'asile  d'enfants  de  Cortemagginre.  Trois  propriétés 
reviennent  au  Mont-de-Piété  de  Busseto  avec  obligation  pour  ce  dernier 
d'instituer  une  pension  de  1.000  francs  par  au  à  l'asile  infantile  de  cette  loca- 
lité et,  en  outre,  de  distribuer  annuellement  une  somme  de  "20  francs  à  cin- 
quante familles  pauvres  de  la  localité.  La  ville  de  Gênes  est  favorisée  de 
plusieurs  legs,  notamment  d'une  somme  de  20.000  francs  aux  asiles  d'enfants, 
et  une  autre  somme  de  30.000  francs  aux  asiles  pour  les  rachitiques,  sourds- 
.  muets  et  aveugles. 

Le  domaine  de  Piantadoro,  d'une  contenance  de  plus  de  200  hectares,  est 
laissé  à  quelques  parents  éloignés  du  maitre.  Enfin,  tous  les  amis  et  servi- 
teurs de  Verdi  reçoivent  des  legs  plus  ou  moins  importants.  Le  docteur 
Carrara,  mari  de  M»'"  Verdi-Carrara,  hérite  de  la  montre  et  de  la  chaîne  d'or 
que  Verdi  portait  depuis  cinquante  ans. 

La  fortune  laissée  par  Verdi  dépasse  la  somme  de  6  millions  de  francs.  Le 
grand  compositeur  touchait  environ  200.000  francs  par  an  de  droits  d'auteur. 
La  plus  grande  partie  de  ces  droits  ira  à  la  maison  de  retraite  de  Milan  ;  le 
reste  reviendra  à  M°"=  Verdi-Garrara,  héritière  universelle  de  l'illustre  défunt. 

Verdi  a  fait  suivre  son  testament  de  quelques  conseils  aux  jeunes  compo- 
siteurs. C'est  une  page  que  l'on  pourrait  appeler  le  testament  artistique  de 
Verdi. 

J'aurais  voulu,  écrit  Verdi,  mettre  pour  ainsi  dire  un  pied  sur  le  passé  et  l'autre  sur 
le  présent  et  l'avenir,  parce  que  la  musique  de  l'avenir  ne  me  fait  pas  peur.  J'aurais  dit 
aux  jeunes  disciples  :  Exercez-vous  à  la  fugue  d'une  manière  constante,  obstinément, 
jusqu'à  ce  que  votre  main  soit  devenue  suttisamment  libre  et  forte  pour  plier  la  note  à 
votre  volonté. 

Appliquez-vous  aussi  à  composer  avec  confiance,  i  bien  disposer  les  parties  et  à  moduler 
sans  alfectation  ;  étudiez  Palestrina  et  quelques-uns  de  ses  contemporain?,  ensuite  passez 
à  Marcello  et  portez  spécialement  votre  attention  au  récitatif  ;  assistez  à  quelques  repré- 
sentations d'œuvres  modernes  sans  vous  laisser  éblouir  par  les  nombreuses  beautés  har- 
moniques et  instrumentales,  ni  par  l'accord  de  «  la  septième  diminuée  »,  écueil  et  réfutée 
de  ceux  qui  ne  savent  pas  écrire  quatre  mesures  sans  employer  une  demi-donzaine  de  ces 
septièmes. 

Faites  ces  études  jointes  à  une  forte  culture  littéraire,  et  j'ajouterai  finalement  :  Et 
maintenant,  mettez  une  main  sur  votre  cœur,  écrivez,  et  —  en  admettant  un  tempérament 
artistique  —  vous  serez  compositeur. 

Le  Sénat  italien  a  approuvé,  dans  sa  séance  d'hier,  un  projet  du  ministre 
de  l'instruction  publique  déclarant  monument  national  la  maison  où  naquit 
Verdi,  à  Roncole,  et  autorisant  l'inhumation  des  restes  du  grand  compositeur 
et  de  ceux  de  sa  femme  dans  la  maison  de  retraite  pour  les  musiciens  fondée 
par  Verdi  à  Milan. 

— L'Académe  de  Sainte-Cécile,  dont  le  directeur  est  M.  Sgambati,  a  souscrit 
une  somme  de  2.000  francs  pour  le  monument  à  élever  à  Verdi  dans  la  Ville 
Éternelle.  En  outre,  elle  a  demandé  que  des  inscriptions  soient  gravées  au 
palais  Varelli  et  à  l'hôtel  du  Quirinal,  que  Verdi  habita  en  1839  et  en  1S93, 
lorsque  furent  représentés  à  Rome  an  Ballo  in  masckera  et  Falstaff. 

—  Une  belle  solennité  commémorative  vient  d'avoir  lieu  au  théâtre  de  la 
Scala  au  profit  du  monument  de  Verdi  qu'on  se  propose  d'ériger  à  Milan. 
L'orchestre  et  plusieurs  artistes  de  marque,  parmi  lesquels  Tamagno,  venu 
exprès  de  Monte-Carlo,  ont  interprété  des  fragments  de  tous  les  opéras  de 
Verdi,  en  dehors  des  quatre  derniers  (Don  Carlos,  Aida,  Otello  et  Falstaff),  et 
le  poète  Giuseppe  Giacosa  a  prononcé  l'éloge  du  défunt  maitre.  La  recette  a 
été  des  plus  brillantes. 

—  Les  deux  derniers  oratorios  de  don  Lorenzo  Perosi,  il  Natale  et  la  Strage 
degli  Innocenli,  seront  exécutés  pour  la  première  fois,  en  carême,  au  théâtre 
Royal  de  Turin,  par  un  ensemble  de  3S0  exécutants,  sous  la  direction  de 
l'auteur.  Ce  sera  l'orchestre  municipal,  composé  de  100  artistes,  avec  r.4.ca- 
démie  chorale  Stefano  Tempia.  Au  nombre  des  solistes  se  trouvera,  au  pre- 
mier rang,  le  célèbre  chanteur  Kaschmann.  C'est  le  Natale  qui  sera  e.xécuté 
le  premier,  le  23  février. 

—  Au  service  qui  a  eu  lieu  dans  l'abbaye  de  Westminster  à  l'occasion  des 
obsèques  de  la  reine  Victoria,  la  musique  a  joué  un  grand  rôle.  L'orgue  et 
un  orchestre  d'instruments  à  vent  avec  une  batterie  complète  ont  exécuté  un 
programme  approuvé  par  la  nouvelle  reine  Alexandra  et  qui  ne  manque  pas 
d'intérêt.  Il  ofl'rait  d'abord  la  Marclw  funèbre  écrite  en  1844  par  le  composi- 
teur danois  Hartmann  père  à  l'occasion  des  obsèques  du  sculpteur  Thorvald- 
sen,  une  Élégie  arrangée  par  Sir  Frederick  Bridge  d'après  le  Requiem  de 
Verdi,  la  Marche  funèbre  de  Beethoven,  le  cantique  les  chemins  de  Sion  sont  en 
Deuil,  de  Haendel,  écrit  en  1727  pour  les  obsèques  de  la  reine  Caroline,  et  les 
Marelles  funèbres  de  Chopin  et  de  Saiil,  de  Haendel. 


—  La  mort  de  la  reine  Victoria  n'entravera  pas  la  saison  lyrique  de  Covent- 
Garden,  comme  on  l'avait  redouté  d'abord,  car  le  roi  Edouard  VII  vient  de 
limiter  au  7  avril  le  demi-deuil  à  porter.  Les  précédents  sont  d'accord  avec 
cette  décision  du  nouveau  roi.  En  juin  1837,  à  la  mort  du  roi  Guillaume  IV, 
prédécesseur  de  la  reine  Victoria,  la  saison  de  Londres  battait  son  plein; 
mais  les  théâtres  ne  furent  fermés  que  le  jour  des  obsèques.  La  Pasta  au 
«  théâtre  de  Sa  Majesté  »  et  la  Schroeder-Devrieut  à  Drurj'-Lane  continuèrent 
leurs  représentations,  et  trois  semaines  après  la  mort  du  roi  la  «  Société 
d'harmonie  sacrée  »  fit  exécuter  une  cantate  rapidement  composée  en  l'hon- 
neur de  la  jeune  reine  Victoria. 

—  Des  goûts  et  des  couleurs  on  ne  peut  discuter,  même  —  ou  plutôt  surtout 
—  en  matière  musicale.  Dans  une  récente  interview,  le  grand  écrivain  anglais 
Ruydard  Kipling  a  déclaré  à  son  interlocuteur  qu'il  n'aime  pas  Wagner,  un 
peu  Bach,  Gounod  tout  entier,  qu'il  abomine  Beethoven,  mais  qu'il  a  une 
véritable  adoration  pour  Offenbach.  Voilà  un  ensemble  d'impressions  qui  ne 
manque  pas  de  quelque  originalité. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  :  o  La  mort  de  Verdi  a  produit  ici  une  profonde 
impression,  car  ses  œuvres  tiennent  encore  une  place  assez  considérable  au 
répertoire  de  l'Opéra  impérial  et  le  maitre  était  personnellement  connu  de 
deux  générations.  Il  était  venu  à  Vienne  pour  la  première  fois  en  1843,  à 
une  époque  où  l'opéra  italien  tenait  encore  le  haut  du  pavé,  pour  diriger 
Nabucco,  son  premier  opéra  à  succès;  trente  ans  plus  tard  le  maître  sexagé- 
naire revint,  après  le  succès  énorme  de  son  Aïda,  pour  faire  entendre  aux 
Viennois  son  Requiem  en  l'honneur  de  Manzoni.  Dans  le  quatuor  célèbre  des 
solistes  qui  interprétaient  cette  œuvre  et  qui  étaient  arrivés  avec  le  maitre 
se  trouvait  une  Viennoise,  le  contralto  M"""  Waldmann.  Le  succès  du 
Requiem  ne  fut  pas  plus  grand  que  le  succès  personnel  de  son  auteur;  Verdi 
fut  reçu  avec  autant  d'honneurs  que  Richard  Wagner  en  1871.  Dans  ces 
conditions  il  ne  faut  guère  s'étonner  qu'on  s'empresse  en  Autriche  d'hono- 
rer la  mémoire  du  maitre  qui,  né  sous  la  domination  française  et  après  avoir 
vécu  plus  d'un  demi-siècle  sous  la  domination  autrichienne,  a  fini  son  exis- 
tence comme  sénateur  de  la  nouvelle  Italie.  Un  comité  sous  la  présidence  du 
comte  de  Furstenberg  s'est  donc  formé  à  Vienne  pour  faire  exécuter  le 
Requiem  de  Verdi  et  offrir  le  produit  de  cette  solennité  musicale  au  fonds  de  la 
souscription  italienne  pour  la  statue  du  maître.  A  Trieste  le  conseil  muni- 
cipal a  donné,  selon  la  mode  italienne,  le  nom  de  Verdi  au  théâtre  muni- 
cipal; une  belle  rue  de  la  ville  va  également  recevoir  le  même  nom.  » 

—  La  censure  de  Vienne  est  devenue  tellement  pudibonde  qu'elle  vient 
d'interdire  la  représentation  d'une  nouvelle  opérette  intitulée  te  Paradis  des 
dames,  musique  du  baron  Victor  Erlanger,  qui  devait  passer  au  Theater  an 
der  Wien.  La  censure  a  trouvé  le  livret  trop  égrillard.  On  peut  se  demander 
jusqu'à  quel  point  l'auteur  du  livret  a  pu  donner  carrière  à  sa  fantaisie,  car 
la  censure  viennoise  a  toujours  été  très  paterne  lorsque  la  politique  n'était 
pas  enjeu.  Après  des  pourparlers  laborieux  avec  les  auteurs  et  après  quelques 
modifications,  la  censure  a  finalement  permis  la  représentation  de  cette  opé- 
rette, qui  a  passé  avec  une  semaine  de  retard. 

—  A  Francfort  s'est  ouvert  récemment  une  Exposition-Berlioz,  dont  la  col- 
lection d'un  citoyen  de  -cette  ville,  celle  de  M.  Manskopf,  a  fourni  les  princi- 
paux numéros.  Peu  d'autographes  et  de  documents  originaux  dans  cette 
Exposition,  mais  une  réunion  assez  complète  de  pièces  imprimées,  de  jour- 
naux, programmes  de  concert,  partitions,  reproductions  de  portraits  du  maî- 
tre, de  sa  femme  et  de  quelques  contemporains,  ainsi  que  beaucoup  de  pièces 
ayant  trait  aux  artistes  qui  ont  propagé  l'œuvre  de  Berlioz,  surtout  en  Alle- 
magne. On  y  trouve  même  les  belles  compositions  lithographiées  que  M.  Fan- 
tin-Latour  a  consacrées  à  l'œuvre  de  l'auteur  des  Troyens. 

—  De  Tournai  :  Nous  venons  d'avoir  la  première  représentation  de  Saplio, 
de  MM.  Henri  Gain  et  Massenet.  L'œuvre  vivante  et  émue  du  maitre  français 
a  remporté  un  succès  d'enthousiasme,  succès  comme  nous  en  vîmes  rare 
ment.  La  salle,  archibondée  a  été,  toute  la  soirée,  empoignée  et  ravie.  Dans 
l'interprétation  il  faut  mettre  hors  de  pair  M"«  H.  Hetner,  qui  s'est  révélée, 
toute  jeune,  artiste  de  tempérament  dans  le  rôle  de  Sapho,  et  complimenter 
M"'  Durand,  MM.  Gazette  et  Dumas,  ainsi  que  le  directeur,  M.  Gréteaux, 
pour  les  soins  qu'il  a  employés  à  bien  monter  cette  œuvre  d'un  sentiment  si 
moderne.  —  En  mars  prochain  notre  célèbre  Société  de  musique  donnera  la 
première  audition,  ici,  de  la  Terre  promise,  le  nouvel  oratorio  de  M.  Massenet. 
L'illustre  auteur  a  promis  de  venir  à  Tournai  à  cette  occasion. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Ou  a  vu  plus  haut  que  dès  l'annonce  de  la  mort  de  Verdi,  M.  Leygues, 
ministre  de  l'instruction  publique,  avait  délégué  pour  le  représenter  aux 
funérailles  M.  Henri  Roujon,  directeur  des  beaux-arts.  En  même  temps  il 
télégraphiait  à  M.  Guillaume,  directeur  de  l'Académie  de  France  à  Rome, 
de  se  rendre  lui-même  à  la  cérémonie  et  d'y  assister  avec  une  délégation  des 
élèves  de  l'Académie.  De  son  côté,  l'Académie  des  beaux-arts,  dont  Verdi 
était  membre  correspondant,  avait  délégué,  pour  la  représentera  Milan,  deux 
de  ses  membres,  MM.  Gustave  Larroumet  et  Théodore  Dubois.  Toutes  ces 
mesares  ont  été  rendues  inutiles  par  la  volonté  de  Verdi,  d'être  inhumé  sans 
cérémonial. 

—  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  quelle  a  été,  à  Paris,  la  carrière  des 
ouvrages  de  Verdi.  Nous  ne  pouvons  malheureusement  parler  de  feu  notre 
Théâtre-Italien,  au  sujet  duquel  les  renseignements  quelque  peu  précis  nous 


LE  MENESTREL 


39 


feraient  absolument  défaut.  Mais  voici  quelle  est  la  situation  en  ce  qui  con- 
cerne les  autres  théâtres  : 

Opéra.  —  Jérusalem  (l'=  représentation  le  26  novembre  1847),  33  représen- 
tations; —  Louise  Miller  (2  février  18S3),  8;  ■ —  Les  Vêpres  siciliennes  (13  juin 
ISoS),  81;  —  Le  Trouvère  (12  janvier  18S7),  219;  —  Dm  Carlos  (11  mars  1867), 
43;  —  Aïda  (22  mars  1880),  212;  —  Rigoletlo  (27  février  188S),  133;  —  Othello 
(12  octobre  1894),  38. 

Opéra-Comique.— La  Traviata  (12juinl886),  12S ;  — Fa/s(a;f  (18 avril  1894), b7. 

Théatrk-Lyrique.  —  Rigoletlo  (24  décembre  1863),  243  ;  —  Violetta  [la  Tra- 
viata] (27  octobre  1864),  102;  —  Macbeth  (21  avril  186b),  14;  —  ie  Bal  masqué 
(17  novembre  1869),  63. 

Opéra-Populaire.  —  Im  Traviata  (décembre  1900),  14. 

L'n  autre  ouvrage  de  Verdi,  les  Brigands  (i  Masnadieri),  a  été  représenté  au 
théâtre,  aujourd'hui  disparu,  de  l'Athénée,  le  3  février  1870,  mais  nous  avouons 
manquer  de  détails  à  son  sujet.  Du  relevé  ci-dessus  il  résuite  que  le  nombre 
des  représentations  françaises  des  ouvrages  de  Verdi  à  Paris  atteint  le  chiffre 
de  13Si,  que  le  nombre  de  ces  ouvrages  s'élève  à  12,  et  que  ceux  qui  ont  été 
joués  le  plus  souvent  sont  Rigoletlo,  qui  donne  un  total  de  37G  représentations, 
la  Traviata,  qui  en  compte  241,  le  Trouvère  219  et  Aïda  212.  Par  contre,  celui 
qui  a  été  le  moins  joué  est  Louise  Miller,  qui  n'a  réuni  que  8  représentations. 
Les  plus  grands  artistes  ont  été  mis  au  service  des  oeuvres  de  Verdi  dans  nos 
divers  théâtres.  Il  suffira  de  citer  les  noms  de  Duprez,  Faure,  Obin,  Bon- 
nehée,  Ismaël,  Maurel,  et  de  M™*  Sophie  Cruvelli,  Angiolina  Bosio,  Guey- 
mard,  Marie  Sasse,  Christine  Nilsson,  Gabrielle  Krauss,  Rose  Caron  et  Deina. 

—  Rien  de  bien  saillant  dans  les  croix  de  janvier  du  ministère  des  beaux- 
arts,  si  ce  n'est  celle  accordée  au  vaillant  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique, 
M.  Luigini,  qui  la  méritait  à  tous  égards.  On  a  récompensé  aussi  les  longs 
services  de  M.  Levéque,  le  distingué  directeur  du  Conservatoire  de  Dijon. 
Mais  combien  toujours  d'artistes  méritants,  musiciens  ou  écrivains,  semblent 
écartés  systématiquement,  sans  que  jamais  leur  tour  arrive.  Combien  voient 
passer  devant  eux,  qui  sont  blanchis  sous  le  harnais,  de  jeunes  concurrents 
qui  n'ont  pour  eux  que  leur  belle  audace  ou  l'amitié...  des  Dieux.  C'est  bien 
décourageant. 

—  Dans  son  avant-dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  entendu 
la  lecture  de  M.  Gustave  Larroumet,  secrétaire  perpétuel,  sur  les  envois  de 
Rome,  et  dans  la  dernière  elle  a  procédé  à  l'élection  des  jurés  adjoints  pour 
les  concours  des  prix  de  Rome.  En  ce  qui  concerne  la  musique  elle  a  nommé 
jurés,  MM.  A.  Duvernoy,  Paul  Hillemacher  et  Charles  Jjefebvre;  jurés  sup- 
pléants, MM.  Gabriel  Fauré  et  Ch.-M.  Widor. 

—  Les  Petites  Affiches  publient  un  extrait  de  l'acte  de  société  ayant  pour 
objet  Cl  l'exploitation  du  privilège  du  théâtre  national  de  l'Opéra  ».  La  raison 
sociale  est:  P.  Gailhard.  La  durée  de  la  société  sera  égale  à  celle  du  privi- 
lège, c'est-à-dire  de  six  années,  qui  prendront  fin  le  31  décembre  1906.  Le 
capital  social  est  de  SOO.OOO  francs  en  espèces,  versé  aux  mains  de  M.  Gailhard. 
M.  Gailhard  apporte  à  la  société  une  somme  de  100.600  francs,  faisant  partie 
des  SOO.OOO  francs,  son  industrie,  ses  soins  et  la  jouissance  du  privilège,  tel 
qu'il  lui  a  été  concédé  par  arrêté  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des 
beaux-arts.  La  société  sera  gérée  et  administrée  par  M.  Gailhard,  qui  aura 
seul  la  signature  sociale,  et  qui  ne  pourra  céder  sa  gérance.  En  cas  de  perte 
de  300.000  francs  sur  le  capital  social,  défalcation  faite  des  bénéfices  acquis, 
la  société  pourra  être  dissoute  si  M.  Gailhard  le  juge  convenable.  En  cas  de 
décès  de  M.  Gailhard,  la  société  sera  dissoute. 

—  A  l'Opéra,  on  espère  pouvoir  donner  la  première  représentation  i'Astarté 
vers  le  milieu  du  mois.  M.  Gailhard  s'est  donné  pour  cela,  toute  cette  semaine, 
un  mal  énorme.  On  ne  compte  plus  les  gilets  de  flanelle  que  l'ardent  direc- 
teur a  mouillés  pour  la  circonstance.  Espérons  qu'il  sera  récompensé  de  ses 
efforts  et  qu'il  lui  arrivera  au  moins  une  fois,  en  quinze  années  de  direction, 
de  décrocher  une  véritable  timbale  d'argent  avec  une  partition  française  de 
son  choix  et  non  encore  éprouvée  sur  une  scène  étrangère.  Cela  est  bien  dû 
à  sa  constance  digne,  d'un  meilleur  sort,  et  aussi  d'ailleurs  à  sa  haute  compé- 
tence. 

—  L'Opéra-Comique  annonce  pour  vendredi  prochain  la  première  repré- 
sentation de  la  Fille  de  Tabarin,  la  nouvelle  comédie  lyrique  de  MM.  Victo- 
rien Sardou,  Paul  Ferrier  et  Gabriel  Pierné.  —  M'"  Mastio  a  fait,  jeudi,  sa 
gracieuse  apparition  dans  Manon,  M.  Maréchal  chantant  Des  Grieux.  Agréable 
soirée.  —  On  a  entendu  dans  Fidelio  un  nouveau  ténor,  M.  Garet,  qui  a  été 
accueilli  avec  sympathie  par  les  abonnés. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Basoche,  le  Chalet;  le  soir.  Mignon. 

—  M.  Albert  Carré  vient  d'arrêter  ainsi  le  programme  de  la  matinée  qui 
sera  donnée  le  jeudi  7  février,  à  l'Opéra-Comique,  au  bénéfice  de  la  Caisse 
des  pensions  viagères  des  artistes  de  l'orchestre,  des  chœurs  et  du  personnel 
de  scène  du  théâtre  : 

1°  I^remière  audition  de  l'Intermezzo  de  Henri  Heine,  visions  lyriques  en  dix  scènes, 
ua  prologue  et  un  épilogue,  musique  de  M.  Gaston  Lemaire.  Interprété  par  M""  Marié 
de  î'Isle,  MM.  Carbonne,  Allard,  l'orchestre  et  les  cliœurs  de  l'Opéra-Comique,  sous  la 
direction  de  M.  Luigini.  Le  récitant  :  M.  Brémoot. 

2"  tJne  partie  de  concert  ; 

Mélodies  de  Massenet,  par  M"'  Sybil  Sanderson;  l'Absence,  de  Berlioz,  par  M""  Jeanne 
Raunay  ;  chansons,  par  M""  Anna  Judic  ;  Ave  Maria  de  Gounod,  chanté  par  toutes  les 
premières  chanteuses  de  l'Opéra-Comique. 


3°  Duo  de  Richard  Cœur-de-Lion  (Grétry),  chanté  par  MM.  Maréchal  et  Iinfrane. 
4°  La  Main,  mimodrame  en  un  acte,  de  M.  H.  Bérény,  interprété  par  M"»  Charlotte 
Wiehe  et  M.  Séverin-Mars. 

On  commencera  par  la  Chercheuse  d'esprit,  opéra-comique  en  un  acte,  de 
Favart.  joué  par  les  artistes  de  l'Opéra-Comique.  Enfin,  le  célèbre  ténor 
allemand  M.  Kalisch  a  également  promis  son  concours  pour  cette  magnifique 
matinée. 

—  A  peine  rentré  d'Alger  M.  Gustave  Charpentier  a  dû,  dès  lundi  dernier, 
requitter  Paris,  partageant  son  temps  entre  Lille  et  Bruxelles,  où  il  surveille 
les  dernières  répétitions  de  sa  Louise.  La  première  représentation  est,  en 
effet,  annoncée  à  Lille  pour  mardi  prochain,  et  à  Bruxelles  pour  jeudi. 

—  La  commission  de  surveillance  de  la  loterie  des  artistes  dramatiques, 
réunie  sous  la  présidence  de  M.  Georges  Berger,  député,  a  décidé  de  deman- 
der à  M.  le  ministre  de  l'intérieur  de  fixer  irrévocablement  au  31  mai 
prochain  le  seul  et  unique  tirage  de  la  loterie,  pour  lequel  la  date  du 
2  février  avait  été  arrêtée.  M.  le  ministre  de  l'intérieur  a  donné  son  autorisa- 
tion. 

—  Du  courrier  de  M.  Alfred  Delilia  au  Figaro  :  Un  vol  singulier  vient  d'être 
commis  à  l'exposition  des  autographes  musicaux  qui  se  tient  dans  la  biblio- 
thèque de  l'Opéra.  On  a  forcé  une  vitrine  et  enlevé  les  photographies  des  com- 
positeurs suivants  :  Jenii  Hubay,  Hans  Kœssler,  Raoul  Mader,  Joseph  Suk, 
Th.  Leschetizky,  Napravnik,  Rozkosny,  L.  de  Wenzel  et  Spiro  Samara.  La 
célébrité  de  ces  musiciens  étrangers  (Autrichiens  presque  tous)  ne  semblait 
pas  telle  qu'elle  dût  tenter  des  voleurs;  il  faut  croire  cependant  qu'il  y  aura 

toujours  des  gens  pour  se  payer  à  bon  marché la  tête  des  compositeurs, 

même  obscurs. 

—  La  Conférence  des  avocats  vient  de  donner  une  petite  leçon  aux  épouses 
légitimes  que  pique  la  tarentule  de  la  scène.  A  sa  dernière  séance  hebdoma- 
daire, le  thème  en  discussion  était  le  suivant  :  «  Les  tribunaux  peuvent-ils 
contre  le  refus  du  mari,  autoriser  une  femme  mariée  à  contracter  un  enga- 
gement théâtral?  »  La  Conférence  a  répondu  résolument  par  la  négative. 

—  Il  s'est  trouvé  un  brave  pour  prendre  aux  Bouffes-Parisiens  la  succession 
de  la  direction  défunte,  c'est  M.  Tarride,  l'excellent  comédien  qu'on  sait. 
Il  commencera  par  un  opéra-bouffe  en  trois  actes  et  quatre  tableaux  de 
MM.  G.  A.  de  Gaillavet  et  Robert  de  Fiers,  les  Travaux  d'Hercule,  musique 
de  M.  Claude  Terrasse. 

—  Au  Cercle  philharmonique  de  Bordeaux,  concert  sensationnel  avec  le 
concours  de  Francis  Planté,  de  V«'idor  et  de  M"""  Rose  Caron,  un  trio  d'ar- 
tistes comme  on  n'eu  rencontre  guère.  Planté  a  été  merveilleux  et  éblouis- 
sant, plus  en  doigts  et  plus  en  talent  que  jamais,  dans  la  fantaisie  pour 
piano  et  orchestre  de  Widor  et  dans  celle  de  Périlhou.  Il  a  joué  aussi  le 
Wedding  cake  de  Saint-Saêns,  et,  avec  MM.  Widor  et  Joseph  Thibaud,  le 
concerto  de  Bach  pour  trois  pianos  et  orchestre  à  cordes.  M""  Caron  a  dit 
d'admirable  façon  un  air  de  la  Damnation  de  Faust,  le  Songe  d'Iphigénie  en 
Tauride,  une  mélodie  de  Widor  et  Myrto,  de  Delibes.  M.  Domergue  de  la 
Chaussée  conduisait  l'orchestre. 


—  Fort  beau  programme  au  dernier  concert  classique  de  Marseille,  sous  la 
direction  de  M.  Paul  Viardot.  Il  y  a  eu,  entre  autres  numéros,  tout  un  gros 
succès  pour  un  concerto  de  M.  Noël  Desjoyeaux,  pour  violoncelle,  dans  l'exé- 
cution duquel  M.  Holmann  s'est  couvert  de  gloire,  le  compositeur  lui-même 
dirigeant  la  partie  orchestrale.  M.  Holmann  a,  de  plus,  exécuté  un  Adagio  de 
Molique  et  une  Mazurka  de  sa  composition,  qui  lui  a  été  bissée.  La  basse 
Lorrain  a  chanté  noblement  les  Adieux  de  Wotan,  et  M.  Viardot  a  fait  en- 
tendre une  symphonie  de  Haydn  et  la  suite  en  ré  de  Bach. 

—  De  Nice  :  Les  grandes  représentations  données  par  M"»  Delna  et 
M.  Gibert,  à  l'Opéra  de  Nice,  obtiennent  auprès  du  public  un  très  grand 
succès.  Jeudi,  Werther  a  remporté  un  véritable  triomphe. 

—  De  Lyon  :Au  troisième  concert  de  l'Association  symphonique,  dirigé 
par  MM.  Jemain  et  Mirande,  le  jeune  violoncelliste  Richet  a  remporté  un 
très  beau  succès  dans  le  concerto  de  Lalo  et  Varia  de  Bach,  qui  a  été  bissée. 
Une  jeune  cantatrice  suédoise.  M™  Tia  Kretma,  a  également  fait  apprécier 
une  voix  souple  et  une  excellente  méthode  dans  deux  airs  d'Haydn  et  de 
Wagner.  La  partie  symphonique  comprenait  la  symphonie  Jupiter  de  Mozart 
les  Eolides  de  César  Franck  et  l'ouverture  de  Paulus,  de  Mendelssohn. 

—  On  nous  apprend  de  Toulouse  que  la  société  la  Tolosa  prépare,  pour  son 
grand  concert  annuel,  une  exécution  du  Baptême  de  Clovis,  de  M.  Théodore 
Dubois,  que  l'auteur  viendra  diriger  lui-même.  Dans  la  même  séance  M.  Francis 
Planté  exécutera  le  premier  concerto  de  piano  de  M.  Théodore  Dubois,  qui 
lui  a  été  dédié  par  le  compositeur. 

—  L'amusante  opérette  de  MM.  Maurice  Hennequin,  Mars  et  Victor  Roger, 
les  Fêtards,  qu'on  vit  trop  peu  au  Palais-Royal  et  qui  depuis  remporta  de  si 
retentissants  succès  à  l'étranger,  commence  à  revenir  en  France  et  s'y  signale 
par  de  véritables  triomphes  de  fou  rire,  comme  il  vient  d'arriver  à  Toulouse. 
Avant  qu'il  soit  longtemps,  gageons  que  nous  reverrons  cette  spirituelle  fan- 
taisie à  Paris,  au  théâtre  des  Variétés,  où  le  llair  bien  connu  de  M.  Samuel 
ne  peut  tarder  à  la  ramener. 


40 


LE  MÉNESTREL 


v 


—  Voici  le  programme  de  la  9'  séance  que  donnera  la  «  Société  des  Mati- 
nées artistiques  Populaires  »,  mercredi  prochain,  à  4  heures  1/2 précises,  au 
théâtre  de  la  Renaissance,  sous  la  direction  de  M.  Jules  Danbé  :  5''  quatuor, 
(Beethoven,  1770-1827),  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes.  — 
A.  Au  désir,  poésie  de  SuUy-Prudhomme.  B.  Dormir  et  rêver,  poésie  de  Geor- 
ges Boyer.  G.  L'Oubliée,  poésie  de  Grandmougin  (Théodore  Dubois),  M"'  Su- 
zanne Cesbron.  —  Sérénade  du  5»  quatuor  (Haydn,  1732-1809),  MM.  Soudant, 
de  Bruyne,  Migard  et  Destombes.  —  L'Étoile  du  soir  d'Alfred  de  Musset,  Incan- 
tation, de  Victor  Hugo,  adaptations  musicales  (Francis  Thomé).  Poésies  : 
M.  Rrémont  (de  l'Odéon),  M"=  Pauline  Linder  (harpe),  MM.  Soudant,  Des- 
tombes et  l'auteur.  —  A.  Villanelle,  poésie  de  Turquety.  B.  Mélancolie,  de 
Camille  Bruno,  C.  Chanson,  de  Victor  Hugo,  mélodies  (BourgauU-Ducoudray), 
M"=  Cesbron  et  l'auteur.  —  Quatuor  (Henri  Rabaud),  MM.  Soudant,  de  Bruyne, 
Migard  et  Destombes.  —  Suite  de  thèmes  Gallois  (***)  harmonisés  pour  qua- 
tuor et  flûte  par  BourgauU-Ducoudray  et  sous  sa  direction;  MM.  Hennebains, 
Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Dastombes.  —  Accompagnateur,  M.  Catherine. 

CoxGERTS  ANNO.NXKS.  —  Demain  lundi,  4  février,  à  9  heures  du  soir,  Salle  Pleyel,  con- 
cert donné  par  M"'  Jane  Darnaud,  avec  le  concours  de  M""  Juliette  ïoutain  et  de 
MM.  Oumiroff,  A.  Baelimann  et  Marcel  Migard. 

NÉCROLOGIE 

Nous  ne  pouvons  nous  dispenser  d'enregistrer  avec  regret  la  perte  que 
viennent  de  faire  les  lettres  et  l'Académie  française  en  la  personne  de 
M.  Henri  de  Bornier,  mort  subitement  cette  semaine,  à  l'âge  de  75  ans. 
M.  de  Bornier,  qui  avait  succédé  à  Edouard  Thierry  comme  administrateur 
de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  était  né  à.  Liinel  (Hérault),  le  23  décem- 
ire  1825.  Nous  ne  saurions  entreprendre  ici  le  récit  de  sa  vie  littéraire,  très 
laborieuse  et  très  active,  mais  nous  devons  du  moins  rappeler  les  succès  qu'il 
obtint  au  théâtre,  surtout  avec  deux  drames  superbes,  tout  empreints  de 
poésie  et  d'un  sentiment  patriotique  plein  de  noblesse  et  de  chaleur  :  la  Fille 
de  Roland  et  France  d'abord.  A  citer  encore  les  Noces  d'Attila,  la  Moabite,  l'Apô- 
tre, l'Arétin  et  le  livret  de  Dimitri.  drame  lyrique  de  M.  Victorin  Joncières, 
représenté  avec  succès  au  Théâtre-Lyrique  de  la  Gaité.  sous  la  direction  de 
M.  Vizentini,  il  y  a  quelque  vingt-cinq  ans.  Ajoutons  qu'un  livret  vient  éga- 
lement d'être  tiré  de  la  Fille  de  Roland  pour  être  mis  en  musique  par 
M.  Henri  Rabaud. 

—  I^n  artiste  fort  distingué,  M.  Eugène  Sauzay,  est  mort  à  Paris  le  26  jan- 
vier,<S  l'âge  de  91  ans.  Fils  d'un  préfet  du  premier  empire,  il  était  né  à 
Paris  le  li  juillet  1809.  Élève  de  Baillot  et  de  Reicha  au  Conservatoire,  il 
obtenait  le  second  prix  de  violon  en  1823,  et  en  1827,  à  peine  âgé  de  18  ans, 
le  premier  prix  de  violon  et  le  second  prix  de  fugue.  Quelques  années  plus 
tard  il  devenait  le  gendre  de  Baillot,  qui  l'avait  en  très  grande  affection.  Sau- 
zay se  fit  connaître  avantageusement  dans  des  concerts,  puis  organisa,  d'a- 
bord avec  Norblin  et  Boëly,  ensuite  avec  Franchomme  et  M™^  Sauzay,  des 
séances  de  musique  de  chambre  qui  obtinrent  un  grand  succès.  Eu  même 
temps  il  se  produisait  comme  compositeur,  d'abord  avec  des  fantaisies  de 
violon,  des  romances  et  quelques  pièces  de  piano,  puis  avec  des  oeuvres  plus 
importantes  :  une  Symphonie  rustique,  les  chœurs  d'Esther  et  d'Athalie  remis 
en  musique,  la  musique  charmante  du  Sicilien  et  celle  des  intermèdes  de 
George  Dandin,  enfin,  ses  intéressantes  Études  harmoniques  pour  violon.  En 
1860,  à  la  mort  de  Girard,  Sauzay  était  nommé  professeur  au  Conservatoire, 
où  il  forma  de  nombreux  et  e.xcellents  élèves.  C'est  à  partir  de  ce  moment 
qu'il  commença  à  se  révéler  sous  un  autre  aspect,  celui  d'un  lettré  très  fin, 
très  délicat,  doublé  d'un  excellent  didacticien.  Il  publia  successivement  trois 
ouvrages  importants,  d'un  caractère  neuf,  et  qui,  écrits  dans  une  langue  à  la 
fois  élégante  et  facile,  contenaient  sur  l'art  des  vues  aussi  utiles  qu'élevées  : 
Haydn,  Mozart,  Beethoven,  étude  sur  le  quatuor  (1861,  in-8°),  l'École  de  l'ac- 
compagnement, ouvrage  faisant  suite  à  l'étude  sur  le  quatuor  (1809,  in-8''),  et 
le  Violon  harmonique,  ses  ressources,  son  emploi  dans  les  écoles  anciennes  et 
modernes  (1889,  in-8").  On  remarquera  que  Sauzay  avait  80  ans  lorsqu'il  fit 
paraître  ce  dernier.  Mais  il  faut  le  compter  aussi  parmi  les  meilleurs  molié- 
ristes,  pour  le  livre  charmant  qu'il  publia  sur  le  Sicilien  ou  l'Amour  peintre, 
livre  dans  lequel  il  fait  un  historique  aimable  et  complet  de  ce  petit  chef- 
d'œuvre,  donne  une  réduction  de  la  partition  de  LuUy  et  la  fait  suivre  de  la 
musique  écrite  par  lui-même  sur  le  Sicilien.  On  voit  que  S.iuzay  était  loin 
d'être  le  premier  venu,  qu'il  ne  se  bornait  pas,  ce  qui  est  déjà  beaucoup, 
à  être  un  excellent  artiste,  et  qu'il  a  exercé  son  esprit  avec  un  bonheur  égal 
dans  des  voies  différentes.  A.  P. 

Le  Ménestrel  vient  de  perdre  un  de  ses  plus    anciens   collaborateurs, 

M.  H.  Barbedette,  qui  publia  ici-mème,  il  y  a  bien  longtemps,  de  substan- 
tielles études,  qui  furent  fort  remarquées  et  qui  font  encore  autorité,  sur 
Beethoven,  Chopin,  Gluck,  Haydn,  Mendelssohn,  Schubert  et  W^eber.  Nous 
devions  aussi  à  M.  Barbedette  les  petits  comptes  rendus  semainiers  sur  les 
grands  concerts  symphoniques  du  dimanche,  où  il  y  avait  souvent  bien  de  la 
bonhomie  maliciei:se,  qui  ne  fut  pas  toujours  au  goût  de  nos  musiciens 
du  jour,  si  fort  avancés.  C'est  que,  comme  toutes  les  personnes  d'âge  et 
presque  d'une  autre  génération,  Barbedette  était  resté  avec  des  idées  très 
arrêtées  sur  ce  qui  avait  charmé  ses  jeunes  années  et  qu'il  n'admettait  guère 
les  innovations  dans  ce  qu'il  appelait  les  «  formes  classiques  ».  On  pouvait 
peut-être  le  lui  reprocher,  mais  on  ne  peut  nier   qu'il  se   défendait  d'un 


esprit  toujours  très  fin  et  toujours  courtois  II  prêchait  d'exemple  d'ailleurs  : 
dans  la  musique  de  chambre  qu'il  a  publiée  —  car  il  était  compositeur  aussi  — 
il  a  suivi  rigoureusement  les  principes  qu'il  respectait.  Un  autre  côté  de  sa 
vie  appartenait  à  la  politique.  Depuis  près  de  trente  ans  Barbedette  repré- 
sentait la  Charente-Inférieure  dans  nos  assemblées  parlementaires,  d'abord 
comme  député,  puis  comme  sénateur.  Nous  envoyons  à  la  digne  fille  qu'il 
laisse  après  lui  tous  nos  tristes  compliments  de  condoléances.  M.  Barbedette 
était  né  en  1828. 

—  Cette  semaine  est  morte  à  Paris,  dans  un  âge  très  avancé,  une  femme 
aussi  distinguée  par  son  talent  que  par  l'aménité  de  son  caractère,  M'"'=  Char- 
lotte Dreylus-Ale.xandre,  qui  eut  naguère  son  heure  de  grand  succès.  Elle 
était  veuve  du  fameux  facteur  d'harmoniums  Ale.\andre,  et  elle  avait  beau- 
coup contribué,  par  son  habileté  sur  cet  instrument,  à  sa  grande  propaga- 
tion. 

—  On  a  annoncé  aussi,  cette  semaine,  la  mort  d'un  vieil  artiste,  Louis 
Hurand,  qui  fut  maitre  de  chapelle  à  Saint-Eustache  et  chef  des  chœurs  à 
l'ancien  Théâtre-Italien. 

—  Le  pianiste  Jean-Joseph-Lucien  Vieuxtemps,  frère  du  grand  violoniste 
Henry  Vieuxtemps,  vient  de  mourir  à  Bruxelles,  où  il  était  longtemps  fixé 
comme  professeur  de  piano.  Il  était  né  à  Verviers  le  5  juillet  1828  et  fut,  à 
Paris,  élève  d'Edouard  Wolff.  Le  dernier  des  trois  frères  (ils  n'étaient  que 
trois,  et  non  quatre,  comme  le  dit  un  de  nos  confrères),  Ernest,  était  violon- 
celliste distingué.  Tous  trois  donnèrent  à  Liège,  en  1835,  un  concert  dans 
lequel  Henry  exécuta  un  Rondo  giocoso  de  sa  composilion.  Ernest  la  Fantaisie 
sur  Leslocq  de  Servais,  Lucien  sa  Fantaisie  militaire,  et  tous  trois  la  Aléditation 
de  Gounod  sur  un  prélude  de  Bach. 

—  De  Naples  on  annonce  la  mort  du  compositeur  Francesco  Ruggi,  qui 
était  né  dans  cette  ville  en  1826.  Il  avait  été  élève  de  Capotorti  et  de  Fran- 
cesco Lanzilli,  et  avait  étudié  l'harmonie  et  le  contrepoint  avec  Pietro 
Casella.  Il  avait  fait  représenter  à  Naples  plusieurs  opéras  :  una  Festa  di  paese 
(3  actes,  th.  Nuovo,  1830);  i  Dua  Ciabattini  (1  acte,  id.,  1860);  Loretta  l'indo- 
wma  (4  actes,  th.  Bellini,  1862);  Nadilla,  o  la  Statua  di  carne  (3  actes,  id.,  1868); 
Don  Gavino.  Il  a  publié  aussi  des  mélodies  vocales  et  de  nombreuses  compo- 
sitions religieuses.  Depuis  qu'il  n'écrivait  plus  pour  le  théâtre,  il  s'était  con- 
sacré à  l'enseignement  du  piano  et  du  chant. 

—  De  Milan  on  annonce  la  mort,  à  72  ans,  de  l'ex-ténor  Francesco  Fuma- 
galli,  membre  d'une  famille  très  nombreuse  de  musiciens  qui  se  sont  tous 
distingués  comme  pianistes.  Il  avait  joui  naguère  de  quelque  renom  au 
théâtre,  et  passa  de  la  scène  à  la  chapelle  métropolitaine  du  dôme  de  Milan. 

—  A  Bologne  est  mort,  en  ces  derniers  temps,  l'ex-chanteur  Giuseppe 
Musiani,  ténor  qui  ne  fut  pas  sans  quelque  réputation  et  qui  obtint  jadis  des 
succès  non  seulement  en  Italie,  mais  aussi  en  Amérique,  où  il  se  fit  vivement 
applaudir.  Il  était  âgé  de  83  ans.  Une  de  ses  filles.  M"":  Giuseppina  Rizzoni, 
qui  fut  aussi  une  chanteuse  distinguée,  est  retirée  de  la  scène  depuis  quel- 
ques années. 

—  A  Lucques  est  mort  le  13  janvier,  à  l'âge  de  66  ans,  un  artiste  distingué, 
Carlo  Angeloni,  compositeur  de  talent  en  même  temps  que  professeur  à  l'en- 
seignement très  recherché.  On  cite  parmi  ses  meilleurs  élèves  Alfredo  Cata- 
lani,  mort  avant  lui,  MM.  Gaetano  Luporini,  Giacomo  Puccini,  Carlo  Cari- 
gnani,  Graziani,  Spiuelli,  Tramanti,  etc.  Maitre  de  la  chapelle  de  l'Institut 
de  musique  de  Lucques,  il  s'était  fait  connaître  comme  compositeur  par 
plusieurs  opéras  :  Carlo  di  Viuna,  il  Popolano  di  Londra,  Asrai'le  degli  Abencer- 
ragi,  puis,  dans  le  genre  sacré,  par  cinq  messes,  un  Requiem  primé  au  con- 
cours de  l'Académie  de, Sainte-Cécile  et  un  Stabat  Mater  exécuté  à  Florence. 
Il  venait  de  terminer  la  partition  d'un  opéra  eu  quatre  actes,  un  Dramma  in 
montagna,  qui  devait  être  représenté  prochainement. 

—  Un  écrivain  musical  anglais,  M.  William  Pôle,  est  mort  à  Londres  au 
commencement  de  ce  mois.  Il  était  né  à  Birmingham  en  1814,  était  devenu 
ingénieur  civil,  puis  s'était  consacré  à  la  musique.  D'abord  organiste  dans 
une  église  de  Londres,  il  s'était  fait  recevoir  bachelier,  puis  docteur  en  mu- 
sique à  l'université  d'Oxford.  Il  a  publié  une  Histoire  du  Requiem  de  Mozart, 
un  ouvrage  intitulé  la  Philosophie  de  la  musique  et  quelques  autres  écrits  de 
moindre  importance.  On  connaît  aussi  de  lui  quelques  compositions  reli- 
gieuses. 

—  Une  cantatrice  portugaise  distinguée.  M""  Augusta  Cruz,  qui  s'était  fait 
applaudir  aussi  en  Italie,  est  morte  récemment  à  Lisbonne.  Elle  avait  épousé 
en  1899  M.  Manuel  Da  Costa  Carneiro. 

—  A  Montevideo,  dans  un  salon  du  restaurant  Severi,  contigu  au  théâtre 
Solis,  une  jeune  harpiste  autrichienne.  M'"  Isabelle  La  Praz,  s'est  suicidée 
en  se  tirant  un  coup  de  revolver  au  cœur,  au  moment  où  elle  venait  de  jouer 
un  morceau  de  piano. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


-  67- 


-  1\°  6. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  10  Février  1901. 


(les  Bureaux,  2*^,  me  Vivienne,  Paris) 
(L€S  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


LE 


MENESTREL 


lie  llamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉATKES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Hbnhi  HKUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6m,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Peintres  mélomanes  (13°  article)  :  Autour  de  Bayreulh,  Raymond  Bouter.  —  II.  Le 
thédtre  et  les  spectacles  à  rExposition  (17«  article)  :  la  rue  de  Paris,  Arthur  Pougin. 
—  III.  Verdi,  notes  et  souvenirs,  A.  P.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musiquî  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

COMPLAINTE   DE   SAINT   NICOLAS 

n°  4  des  Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  On  dit,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jean  Roux. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Preludio - saltarello ,  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Simple 
phrase,  transcription  de  J.  Massenet. 


PEINTRES    MÉLOMANES 


XIII 
AUTOUR  DE  BAYREUTH 

En  vérité,  je  vous  le  dis  ;  Richard  Wagner  fut  un  grand  clas- 
sique. Son  influence,  aujourd'hui  victorieuse,  n'a-t-elle  pas  épuré 
notre  goût  musical  en  le  ramenant  vers  les  maîtres  ?  Je  n'en 
veux  pour  preuve  que  les  triomphes  successifs  d'Orphée,  de  Don 
Juan,  de  Fidelio,  àVphigénie  en  Tauride,  librement  acclamés,  et 
que  les  snobs  eux-mêmes  ne  dédaignent  plus  d'applaudir  aux 
premiers  rangs  des  «  premières  »...  Et  n'est-ce  point  Wagner, 
après  Schumann,  qui  a  déûnitivement  consacré  la  Symphonie  avec 
chœurs  (n°  9),  en  la  saluant  comme  la  source  homérique  du 
Drame  sonore?  N'est-ce  pas  sa  verte  vieillesse  qui  ne  laissait 
point  échapper  un  seul  jour  sans  se  pencher  sur  quelques  pages 
de  Beethoven,  encore  frémissante  à  chaque  «  révélation  »  du 
«  Mage  divin  »?  Son  admirable  Étude,  datée  de  1870,  est  le  mieux 
pensé  de  ses  Écrits  ;  et  le  meilleur  «  portrait  »  de  Beethoven  est 
signé  par  Wagner. 

De  son  vivant,  toutefois,  les  doctrinaires  à  lunettes  ne  man- 
quaient jamais  d'opposer  Brahms,  l'austère  continuateur  de 
Beethoven,  à  ce  magicien  des  sonorités,  ameutant  sur  les  pas  du 
blanc  Parsifal  l'essaim  plantureux  des  Filles-Fleurs... Et  les  fidèles 
du  Gewandhaus  ou  de  la  Ïhomas-Schule  auraient  bien  ri,  s'ils 
avaient  aperçu  le  comte  Léon  Tolstoï  jeter  naïvement  dans  le 
même  sac  «  les  Ibsen,  les  itfœterlinck,  les  Verlaine,  les  Mallar- 
mé, les  Puvis  de  Chavannes,  les  Klinger,  les  Bœcklin,  les  Stock, 


les  Liszt,  les  Berlioz,  les  Wagner,  les  Brahms,  les  Richard 
Strauss,  etc.  (!)  »,  qui  ne  sont  devenus  «  possibles  »  que  par  l'in- 
flrmité  des  critiques...  Le  beau  fci(-mofe'u  d'allégorie  wagnérienne 
pour  un  Kaulbach,  dans  la  note  violente,  un  peu  rébarbative  à 
nos  yeux,  de  la  peinture  d'outre-Rhin  !  La  Providence  veillait  : 
et  les  deux  rivaux  ont  trouvé  chacun  leurs  peintres  mélo- 
manes... 

Il  y  a  trois  ou  quatre  ans  paraissait  un  album  de  grand  luxe 
en  son  format  à  l'italienne,  associant  la  musique  et  l'image  :  les 
Lieder  de  Johannès  Brahms,  illustrés  par  Max  Klinger.  Très 
moderne  et  très  allemand  tout  ensemble,  l'accent  de  l'œuvre 
était  plutôt  étrange  :  un  burin  ferme,  évoquant  à  la  fois,  dans  le 
lointain  des  traditions,  les  vignettes  ligneuses  de  Hans  Holbein 
et  les  estampes  métalliques  d'Albrecht  Diirer,  avec  des  souvenirs 
tendus  de  Michel-Ange. . .  Des  hallucinations  qui  mariaient  l'énigme 
à  l'étude.  Oîi  l'enveloppe  affectueuse  du  Poème  d'amour  de  nos 
lithographies  musicales?...  Deux  climats,  deux  âmes.  Peintre, 
statuaire  et  graveur,  l'artiste  est  saxon  d'origine.  Passionné  de 
musique,  il  débuta  par  des  Métamorphoses  d'Ovide,  déjà  singuliè- 
ment  dédiées  «  à  la  mémoire  de  Schumann  ».  Un  Lucifer  de  son 
cru  doit  faire  tressaillir  dans  son  tombeau  William  Blake,  le 
mystique  émule  des  terreurs  michelangesques  de  Fuessli.  Que 
devient  son  projet  d'un  Monument  à  Beethoven,  colossal,  poly- 
chrome et  complexe?  Scrupuleux  toujours  et  «  cauchemaresque  », 
un  Enlèvement  de  Prométhée  (op.  XII,  20),  d'après  Brahms,  offre 
un  spécimen  de  sa  manière  teutonne  en  une  monographie  ré- 
cente (2). 

Le  Silène  de  cette  vigne  essentiellement  germanique,  je  veux 
dire  l'instigateur  de  cet  art  naturel  dans  son  maniérisme,  fut 
précisément  cet  Arnold  Bœcklin  que  terrasse  l'apoplexie  sous 
l'azur  de  sa  chère  Fiesole  :  génie  qui  repousse  d'abord,  et  con- 
quiert. Féru  des  primitifs  de  Nuremberg  et  de  Bâle,  et  jetant  sur 
le  rude  dessin  national  le  manteau  vénitien  de  la  couleur,  il 
aurait  pu  dire  à  son  tour,  avec  le  Hans  Sachs  des  Meistersinger  : 
«  Honorez  vos  maîtres  allemands  1  »  et  conclure  avec  le  Wagner 
des  agapes  de  Bayreuth  :  «  Maintenant,  vous  avez  un  art!  »  De 
lui,  de  ses  enluminures  mythologiques  et  puissantes,  relève 
toute  la  jeunesse  allemande,  la  jeune  peinture  tout  entière  à 
l'accent  tudesque.  De  Bœcklin  ont  hérité  les  Max  Klinger,  bizarre 
et  profond,  les  Franz  Stuck,  bachique  et  robuste,  les  Hans 
Thoma,  sauvage  et  champêtre,  et  Sandreuter,  et  Sattler,  l'un 
plus  féminin,  dans  le  Bois  sacré,  l'autre  plus  moyen-àgeux,  sous 
l'averse  des  lances;  et  les  utopies  de  Karl  de  Pidoll,  et  les  syn- 
thèses de  Ludvig  de  Hoiïmann,  celui-ci  maître-décorateur  à 
Bayreuth  :  nous  revoici  donc  en  plein  wagnérisme!  Mais  là-bas, 
en  la  sombre  atmosphère  de  l'orchestre  invisible,  —  ce  rêve 
réalisé  de  notre  Grétry,  —  le  grand  peintre  mélomane  n'est-il 

(1)  Qu'est-ce  qui  l'Art?  (traduction  Wjzewa,  page  152.  —  Paris,  Pcrrin,  1898.) 

(2)  Mnx  Klinger,  par  Max  Schmid.  —  Ct.  fran:  Stuck,  par  Julius-Otto  Bierbaum  ;  etc. 


42 


LE  MÉNESTREL 


pas  Richard  Wagner  lui-même,  âme  immense  et  sensuelle  qui, 
la  première,  s'est  baignée  voluptueusement  dans  ces  ondes  où 
l'Or  s'allume,  dans  ce  rayon  mélodieux  qui  ouvre  les  portes  au 
printemps,  dans  la  nuit  verte  et  rougissante  du  sang  des  monstres? 
Le  rêve  chanteur  avait,  de- p^ime  saut,  dépassé  la  réalité.  Le  goût 
germanique  aidant,  le  jardin  magique  de  Klingsor  nous  est 
apparu  très  inférieur  à  la  moindre  féerie  du  boulevard  ;  et  Bhein- 
gold  au  concert  nous  laisse  rêver...  La  peinture  wagnérienne! 
Impossible  d'émonder  ce  chapitre -touffu,  peut-être  moins  luxu- 
riant qu'on  ne  l'imagine...  Les  0?irfM)e«deBœcldin  ou  lès  violences 
de  Thoma  nous  dévoileraient  un  modem  style  d'outre-Rhin,  qui 
ne  retient  rien  de  l'idéalisme  timoré  de  la  renaissance  allemande, 
ni  du  grimoire  plus  élégant  de  l'école  anglaise  :  adieu  les  beaux 
cygnes  anémiques  que  le  Lohengrin  de  Schnorr  interpellait  il  y 
quarante  ans!  Adieu  les  Fliegetide  ffollander  à  la  pose  sentimen- 
tale, et  les  frontispices  romantiques  !  Le  paroxysme  est  de  bon 
ton.  Ne  faut-il  pas  toujours  être  plus  royaliste  que  le  Roi?  Quand 
ce  prince  se  nomme  Louis  II  de  Bavière  il  est  malaisé,  pourtant, 
de  s'engager  à  sa  suite...  Le  voici  qui  revit  dans  une  publication 
luxueuse  encore  :  Ein  Konigslraum  (1). 

Un  Songe  royal,  en  effet,  cette  épopée  moderne,  intérieure- 
ment vécue  en  plein.  XIX"  siècle  bourgeois!  Je  feuillette,  je 
regarde,  je  devine.  Et  Delacroix  disait  justement  que  la  peinture 
est  sœur  de  la  musique,  car,  en  dehors  du  texte  précis,  le  sujet 
figuré  produit  l'effet  de  la  musique  à  programme,  qui  remue  des 
sentiments  sans  définir  des  idées  :  l'image  ou  la  mélodie  n'e.st 
que  suggestion.  D'abord,  le  site  romanesque,  le  h>irg  altier  dans 
le  frisson  des  grands  arbres,  que  reflète  l'étang  cher  aux  cygnes. 
Puis,  le  «  Roi  vierge  »  en  personne,  svelte  et  pommadé  dans  sa 
pelisse  moderne,  avec  son  air  dur;  un  croissant  de  lune  a  poé- 
tisé les  monts.  Plus  loin,  sont-ce  des  femmes  ou  des  fées?  Mais 
voici  Venise,  où  mourut  Richard  Wagner,  et  le  palais  Vendramin, 
la  lagune  morte,  et  la  noire  gondole  illuminée  d'une  apparition. 
Un  coin  de  page  accueille  l'italienne  prière  de  Rienzi.  C'est 
Tannhàuser  au  Venusberg,  ce  joli  troubadour,  avec  son  luth, 
aux  pieds  d'une  danseuse?  Oui,  puisque  la  germanique  prière 
d'Elisabeth  obtient  toute  la  page  suivante.  Ortrude  et  Frédéric 
complotent  dans  un  pan  d'ombre  ;  et  l'écharpe  d'Yseult  se  fait 
théâtrale  sur  un  fond  de  pierre.  Plus  émouvante,  la  plainte  de 
Tristan  malade  devant  le  trait  d'encre  de  l'océan  vide...  Le 
poète-cordonnier  cause  avec  la  blonde  Evchen,  avant  que  le 
veilleur  ne  projette  son  ombre  dans  la  ruelle  moyen-àgeuse  et 
fleurie  de  lune.  Les  trois  ondines  serpentent  et  glissent  entre  les 
doigts  velus  d'Alberich;  le  dragon  Fafner  mord  le  texte  et 
croque  les  notes;  la  Walkyrie  chevauche  dans  une  frise;  le  Rhin 
se.  déroule  entre  les  rocs,  et  les  destins  s'accomplissent  :  la 
Tramrmarsch  passe,  nocturne  et  lugubre.  Parsifal  sauveur  élève 
le  Graal.  Une  allégorie  finale  luit  au  front  du  Roi.  Le  beau 
sujet!  Ce  qui  manque  trop  souvent  à  ces  illustrations  reposantes, 
c'est  le  style,  le  charme  secret,  ce  vague  lunaire  et  cette  géné- 
ralité poétique  qui  nous  rend  vite  amoureux  de  la  petite  Isolde 
échevelée  d'un  Fantin-Latour.  M.  Ferdinand  Leeke  traduit  les 
Drames  de  Wagner  comme  feu  Gustave  Doré  les  Idylles  de 
Tennyson  :  en  enjolivant  la  légende.  L'ombre  de  Bœcklin  ne 
rudoie  point  ses  veilles  !  Les  vignettes  sont  très  supérieures  aux 
photogravures,  et  les  petits  paysages  aux  grands  décors. 

Pareil  tour  de  main,  tout  extérieur,  dans  les  quatre  scènes 
illustrant  les  Quatre  poèmes  d'opéras,  traduits  en  prose  fran<;aise  et  ■ 
précédés  d'une  Lettre  sur  la  musique  par  Richard  Wagner  (2)  :  petites 
pages  d'histoire,  où  manque  le  rêve.  LeChevalier  aux  fleurs  (1894), 
du  même  Georges  Rochegrosse,  n'est  qu'un  exercice  brillant  de 
virtuosité.  Même  si  le  christianisme  de  Wagner  «  n'est  qu'un 
décor  »,  je  sens  autre  chose  que  de  la  difficulté  vaincue,  dans 
Parsifal.  Et  la  haute  légende  wagnérienne  ne  semble  pas  avoir 
chaleureusement  inspiré  les  peintres  :  sur  aucune  toile  juvénile 
ne  passe  le  grand  frisson  qui  ravit  le  chevalier-poète  aux  amers 

(Ij  Un  Sonr/e  royal,  texte  et  musique  par  le  iy  Victoi-  Hitter  de  Fritsch;  illustrations 
de  Ferdinand  Leelte  (Munich,  Franz  Hanfstaengl,  19U(I  ;  en  dépôt  cliez  Fjscljbacher,  à 
Paris). 

(3)  NouTClle  édition  (Paris,  Calmann  Lévy  et  A.  IJurand,  1893). 


délices  du  Yenusberg,  qui  transfigure  les  amants  dans  le  sourire 
du  songe  matinal  ou  dans  le  suaire  ancien  des  crépuscules  (i). 
Je  soupçonne  ces  messieurs  d'aller  rarement  au  concert.  Plus 
tumultueuses  apparaissent  des  eaux-fortes  originales  signées  par 
un  nom  chevaleresque  :  et  l'auteur  vient  en  droite  ligne  de 
Montsalvat.  Espagnol  de  naissance,  M.  Rogelio  de  Egusquiza  est 
un  habitué  des  concerts  Lamoureux,  seconde  patrie  de  Richard 
Wagner,  un  fidèle  du  Biihnenfestspielehaus  de  Bayreuth  que  les 
snobs  assiègent.  Parsifal  le  hante  :  après  le  Graal  mystérieux,  où 
l'ombre  s'éclaire  d'un  frémissement  d'ailes,  c'est  Amf'ortas  et 
Kundry  (1896).  Mais,  dans  les  arts  plastiques,  l'intensité  même  ne 
s'obtient  que  par  de  nobles  lignes;  et  si  le  rythme  ne  vaut  que 
pour  l'idée,  l'âme  ne  se  traduit  que  par  la  forme.  Voilà  pourquoi 
je  préfère  aux  mysticités  indécises  un  grand  Portrait  de  Richard 
fVagner  fouillé  par  l'aquafortiste.  La  physionomie  est  la  clef  de 
l'inspiration.  Miroir  involontaire,  le  visage  trahit  l'idéal  qui  le 
grave  insensiblement,  avec  les  années,  comme  la  goutte  d'eau 
creuse  le  roc  :  à  comparer  ce  regard  dominateur  aux  efQgies  suc- 
cessives du  maître  (2),  au  fastueux  portrait  de  Lenbach  (1874),  à 
l'étonnante  pochade  de  Renoir,  datée  de  Palerme,  488i,  à  la  petite 
eau-forte  posthume  de  J.-L.  Raab,  on  comprend  mieux,  aussi- 
tôt, cet  art  «  despotique  »  comme  ce  profil  :  profil  de  sorcier, 
sous  le  béret  de  velours. 

Tel  était  celui  qui  fut  abominé,  puis  adoré  comme  pas  un,  le 
révolutionnaire  dont  la  fougueuse  vieillesse  trônait  dans  sa 
royauté  de  Wahnfried.  Klingsor  devait  avoir  ce  front  lumineux, 
ce  nez  aquilin,  ce  menton  saillant,  quand  il  préparait  solennel- 
lement ses  ruses  enchanteresses.  N'en  voulons  qu'à  moitié  aux 
artistes  allemands  eux-mêmes  de  n'avoir  pu  déchiffrer  cette 
sensualité  magnanime,  le  blason  troublant  de  cette  musique, 
«  qui  n'est  que  mélodie  »  pour  qui  sait  l'entendre.  Et,  selon  les 
sages,  notre  passion  pour  Yseult  ne  doit-elle  pas  infliger  une 
date  au  plus  pur  trésor  de  nos  cœurs? 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UISTIVERSELLE    DE    1900 

(Suite.) 

LA    RDE   DE   PARIS 

Le  Manoir  à  l'envers.  —  Voilà  qui  pouvait  passer  pour  une  jolie  fumis- 
terie. Quand  je  dis  jolie...  Cela  devait  s'appeler  d'abord  «  la  Tour  du 
merveilleux  »,  et  c'est  sous  ce  nom  que  cela  était  inscrit  sur  les  premiers 
plans  de  l'Exposition.  Certains  guides  (et  il  y  en  avait,  des  guides  de 
l'Exposition!)  faisaient  à  cet  établissement  inepte  une  réclame  bien 
sentie.  L'mi  deux  s'exprimait  ainsi  à  son  sujet  :  —  «  Il  est  digne  d'tm 
conte  d'Hoffmann,  ce  vieux  castel  gol  hique,  fiché  eu  terre  par  ses  chemi- 
nées et  dressant  en  l'air  ses  fondations  qui  semblent  arrachées  du  sol, 
avec  ses  fenêtres  renversées,  ses  escaliers  où  l'on  parait  monter  la  tète 
en  bas.  Grâce  à  d'ingénieux  jeux  de  glaces  tout  y  est  à  l'envers,  comme 
dans  un  pays  merveilleux  où  l'attraction  terrestre  n'existerait  pas.  A 
chaque  étage  des  intérieurs  meublés  dans  le  style  moyen  âge,  que  le 
spectateur  visite  comme  s'il  était  accroché  au  plafond...  »  En  voilà  assez, 
et  il  est  inutile  de  s'arrêter  davantage  sur  ce  manoir  mystificateur,  qui 
terminait  la  série  des  «  attractions  »  du  côté  droit  de  la  rue  de  Paris. 

Traversons  donc  cette  rue  joyeuse,  et  voyons  ce  qui  se  passe  de 
l'autre  côté. 

Le  Palais  de  la  danse.  —  A  la  bonne  heure!  Ici,  nous  sommes  en  pays 
artiste.  Un  vrai  petit  théâtre,  avec  un  vrai  orchestre  (sous  ce  rapport, 
c'est  le  seul).  Salle  égayante  et  aimable,  bien  comprise,  bien  aménagée, 
joliment  ornementée  dans  les  tons  clairs,  sobrement  et  avec  goût.  Point 
d'orchestre  proprement  dit,  mais  un  amphithéâtre  spacieux,  pouvant 
contenir  environ  300  places,  partant  de  l'orchestre  des  musiciens  pour 
s'étagcr  jusqu'au  fond,  de  sorte  qu'on  voit  à  merveille  de  toutes  les  places. 

(1)  J.  Wagrez,  Tannhii user  ait  Venusbern:  G.  Uochegrosse,  Le  qtdnletle  des  Mailres-. 
Chaideurs  (Salon  de  1S9G);  G.  Bussiôre,  Vers  la  Mort  (Tristan  et  Yseult),  et  Bruneliilde.  — 
Cf.  le  Sieijfrieil  allemand  de  Zimmermann  et  l'YseuH  américaine  de  John  Sargent. 

(2)  Voir  le  Richard  Warjner  de  H.-St.  Chamberlain  (Munich,  1896),  si  pauvrement  illus- 
tré, —  les  portraits  à  parti 


LE  MÉNESTREL 


43 


DerriOre  cet  amphithéâtre,  un  promenoir.  Sur  chaque  côté,  une  rangée 
de  petites  loges.  Au-dessus,  deux  galeries  faisant  le  tour  de  la  salle. 
Prix  des  places  :  de  un  à  sept  francs.  Cinq  représentations  quotidiennes, 
trois  en  matinée,  deux  le  soir. 

Le  programme  était  ainsi  exposé  par  un  chroniqueur  :  —  «  C'est  une 
histoire  vivante,  une  revue  animée  de  la  danse  à  travers  tous  les  âges  et 
tous  les  pays,  se  déroulant  sur  la  scène  d'un  théâtre  coquet,  dont  la  dis- 
position rappelle  celle  du  théâtre  Wagner  à  Bayreuth  (\).  On  y  voit  les 
.danses  religieuses  orientales,  le  Piny  Von  cliinois,  la  danse  hindoue  des 
Bayadères  de  Sivah,  la  danse  égyptienne  de  l'Abeille,  les  danses  reli- 
gieuses ou  guerrières  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  antiques,  la  danse  d'Isis, 
la  danse  Pyrrhique,  la  Bacchanale  romaine,  les  danses  du  moyen  dge  : 
danses  des  Glaives  et  des  Jongleurs;  enfin  les  danses  modernes  avec 
toutes  leurs  charmantes  variations,  du  passe-pied  de  la  Renaissance  en 
passant  par  le  Menuet  et  la  Gavotte  Louis  XIII,  la  contredanse  de 
Vestris,  la  gigue  anglaise  et  la  valse  allemande,  les  danses  locale,  de 
nos  vieilles  provinces,  jusqu'au  cancan  de  Mabille  et  aux  danses  lumi- 
neuses de  la  Loïe  FuUer.  >; 

Très  vaste,  le  programme,  comme  on  voit,  et  très  ambitieux.  En  fait, 
la  saison  de  ce  gentil  Palais  de  la  Danse  a  compris  trois  ballets  :  Terp- 
sichore,  l'Heure  du  Berger  et  Au  foyer  de  la  danse.  Elle  s'est  ouverte 
avec  Terpsichore,  «hallet  international  »  en  huit  tableaux,  de  M.  Adolphe 
Thalasso,  musique  de  M.  Léo  Pouget.  C'était  une  espèce  de  revue  sym- 
bolique de  la  danse  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays  ;  idée  ingénieuse 
sans  doute,  mais  forcément  incomplète  dans  sa  réalisation,  qui  eût  exigé 
cent  tableaux  au  lieu  de  huit.  Cette  espèce  de  panorama  chorégraphique 
nous  faisait  voir  la  danse  en  Angleterre,  en  Grèce,  en  Ruçgie,  en 
Espagne,  en  Italie,  en  France,  le  tout  couronné  par  l'apothéose  de  Terp- 
sichore. Deux  excellentes  premières  danseuses,  l'une  italienne,  M"'=  Ma- 
ria Giuri,  l'autre  russe.  M"'  Christine  Kerf,  toutes  deux  aussi  habiles 
que  jolies;  un  danseur  solide,  M.  Viscusi;  un  corps  de  ballet  d'une 
quarantaine  de  danseuses  dont  les  pas  étaient  réglés  par  M""'  Mariquita, 
ce  qui  est  tout  dire  ;  une  petite  troupe  de  danseurs  russes  (quatre  hommes 
et  trois  femmes),  absolument  étonnants  et  désopilants,  et  d'une  origi- 
nalité saisissante  ;  enfin  une  mise  en  scène  bien  réglée  par  M.  Georges 
Bourdon,  des  décors  charmants  signés  Orazi  et  Moisson,  des  costumes 
frais,  pimpants  et  pleins  d'élégance  dessinés  par  Landolff,  tout  cela 
constituait  un  spectacle  aimable  et  séduisant. 

Après  Terpsichore  est  venue  UHeure  du  Berger,  en  six  tableaux,  de 
MM.  de  Caillavet  et  Robert  de  Fiers,  musique  de  M.  Louis  Ganne, 
jouée  et  dansée  par  M"''  Aida  Boni,  que  nous  avions  vue  dans  le  Cygne 
à  l'Opéra-Comique,  M""  Amélia  Costa  et  Marthe  Brugeau  et  M.  Fer- 
renbach.  Je  n'ai  pas  eu  le  loisir  de  contempler  l'Heure  du  Berger,  qni 
promenait  le  spectateur  dans  nos  diverses  provinces,  en  Flandre,  en 
Provence,  en  Bretagne,  etc.,  puis  à  Paris,  ce  qui  était  un  moyen  de 
produire  certaines  danses  de  pays,  mais  je  me  suis  laissé  dire  qu'elle 
avait  été  fort  bien  accueillie.  En  revanclie.  j'ai  vu  Au  foyer  de  la  danse, 
qui  ne  manquait  pas  de  gaité,  mais  un  peu  de  substance  scénique  et 
d'originalité,  et  qui  semblait  surtout  avoir  pour  but  de  montrer  ces 
demoiselles  en  léger  costume  de  répétition.  C'est  un  petit  ballet  en 
trois  petits  tableaux,  de  MM.  Jean  Bernac  et  Abel  Mercklein,  musique 
de  M.  Félix  Desgranges,  le  chef  d'orchestre  du  lieu,  où  nous  avons 
retrouvé  la  belle  M"°  Kerf,  en  compagnie  de  M"'^'  Mochino,  Gabrielle 
Bertrand  et  Marthe  Brugeau  et  de  M.  Viscusi. 

Eu  résumé,  le  Palais  de  la  Danse  a  accaparé,  avec  le  Théâtre  Loie 
FuUer  et  M"'  Sada  Yacco,  le  gros  succès  de  la  rue  de  Paris.  C'était  jus- 
tice, d'ailleurs,  car  ses  spectacles  étaient  vraiment  pleins  de  grCice  et 
montés  avec  un  luxe  du  meilleur  goût.  Il  y  avait  là  une  véritable  petite 
note  d'art  avec  une  pointe  d'originalité,  et  l'effort  était  intelHgent.  Le 
public  ne  s'y  est  pas  trompé,  et  il  est  accouru  de  tous  côtés,  si  bien  que 
■chaque  jour  on  refusait  du  monde.  Mais  hèlas  !  il  eût  fallu  qu'il  pût 
être  plus  nombreux  encore.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que,  malgré  le  succès, 
les  frais  étaient  tels  (o. 000  francs  parjour!  m'a-t-ondit)  que  la  campagne, 
en  fin  de  compte,  s'est  terminée  par  un  désastre,  et  c'est  dommage. 

Quoi  qu'il  en  soit,  des  trois  ballets  qui  ont  fourni  la  saison  de  l'Expo- 
sition, le  plus  fructueux  a  sans  doute  été  Terpsichore,  dont,  le  20  Octobre , 
avait  lieu  la  yOO=  représentation.  On  ne  se  refusait  rien,  à  la  rue  de 
Paris  !  Et  j'allais  oublier  de  mentionner  M""  Valentine  Petit,  qui  s'est 
fait  grandement  applaudir  dans  une  série  de  danses  lumineuses  à  l'imi- 
tation de  miss  Loîe  FuUer,  auxquelles  elle  donnait  le  titre  de  «  Visions 
nocturnes  ». 

Le  Phono-Cinéma-Théàtre.  —  Un  nom  fâcheux  et  désagréable  pour 
qualifier  un  spectacle  curieux,  ingénieux  et  amusant.  Curieux  surtout, 
car  Cl'  spectacle  est  basé  sur  une  intelligente  combinaison  du  cinémato- 
graphe et  du  phonographe,  combinaison  qui  permet  de  reproduire, 
dans  leur  ensemble  vocal  et  mimique,  c'est-à-dire  dans  leur  exactitude 


absolue  et  complète,  telle  ou  telle  scène  de  tel  ou  tel  ouvrage,  où,  en 
même  temps  qu'on  entend  le  dialogue  des  personnages  avec  la  voix 
même  des  acteurs  qui  les  représentent  et  que  nous  connaissons  bien,  on 
voit  reproduits  tous  leurs  mouvements,  les  passades,  les  jeurde  scène, 
etc.  Je  sais  bien  que  si  le  cinématographe  est  parfait,  il  n'en  est  pas 
tout  à  fait  de  même  du  phonographe,  qui  laisse  encore  à  désirer,  et  que 
celui-ci  conserve  encore  un  côté  canard  qui  altère  un  peu  trop  les  voix 
que  nous  sommes  accoutumés  d'entendre  ;  cependant  ces  voix  restent 
reconnaissables  et,  en  somme,  le  résultat  obtenu  est  vraiment  intéressant. 

Pour  ne  parler  que  du  cinématographe  proprement  dit,  on  voyait  là, 
au  naturel,  des  choses  étonnantes  :  M"°  Zambelli  et  M.  Vasquez  dan- 
sant un  pas  du  ballet  du  Cid  à  l'Opéra;  M"«  Rosita  Mauri  dans  la  ftor- 
W(/a?ie;  M"' Chasles  dans  te  Cygne,  de  l'Opéra-Comique;  M"'  Cleo  de 
Mérode  dansant  la  gavotte;  mieux  encore.  M""  Félicia  Mallet,  M"'  Ma- 
rie Magnier  et  M.  Duquesne  dans  trois  scènes  de  l'Enfant  prodigue. 
Mais  le  comble,  c'était  de  voir  et  d'entendre,  par  l'alliance  des  deux  pro- 
cédés, M""  Sarah  Bernhardt  dans  la  scène  du  duel  d'/fomte;,  M"°°  Réjane 
dans  Ma  cousine,  M"^  Mariette  Sully  dans  la  Poupée,  M.  Coquelin  dans 
les  Précieuses  ridicules  et  dans  Cyrano  de  Bergerac,  M.  Polin  dans  ses 
chansons  de  tourlourou,  M"'  Milly  Meyer  dans  ses  chansons  en  crino- 
line... Et,  comme  couronnement,  une  scène  désopilante,  Chez  le  photo- 
graphe, pai'  deux  clowns  excentriques,  Mason  et  Forbes,  avec  le  bruit 
des  gifles  qui  retentissent,  des  chaises  qui  se  cassent,  des  meubles 
qu'on  culbute,  etc.  Ceci  est  inénarrable. 

La  directrice  de  ce  gentil  spectacle  était  M'»"  Marguerite  Vrignault,  et 
il  n'est  que  juste  de  faire  connaître  les  noms  des  deux  ingénieurs  qui 
l'avaient  rendu  possible,  MM.  Clément-Maurice  et  Lioret. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


VERDI 

NOTES    ET    SOUVENIRS 


Oq  lit  dans  le  Trovatore  :  —  «  Nous  ne  verrons  plus  jamais,  on  ne  verra  sur 
aucun  théâtre  du  monde  un  spectacle  aussi  solennel,  aussi  émouvant  que 
celui  de  la  commémoratiou  de  Giuseppe  Verdi  au  théâtre  de  la  Scala.  La 
décoration  sévèrement  artistique  de  la  scène,  où  était  placé  le  buste  du 
«  Grand  ».  le  noble  maintien  des  vaillants  exécutants,  l'orchestre,  l'attitude 
du  public,  tout  concourait  au  plus  digne  témoignage  d'une  douleur  qui  se 
reportait  vers  celui  que  nous  avons  perdu,  admirant,  renouvelant  les  enthou- 
siasmes passés.  Cette  spleudide  solennité  n'est  point  de  celles  auxquelles 
s'adapte  la  critique  ordinaire;  du  reste,  l'exécution  du  programme  fut  superbe, 
comme  le  montrent  les  nombreux  bis  demandés.  Et  les  morceaux  étaient  bien 
choisis,  de  l'ouverture  de  Nabucco  au  finale  du  second  acte  de  laForza  del  Des- 
tina, du  chœur  des  croisés  dans  i  Lombardi  au  duo  du  quatrième  acte  de  la 
même  Forza,  du  quatuor  de  Rigoletto  à  l'ouverture  des  Vêpres  Siciliennes,  àa 
prélude  du  troisième  acte  de  la  Traviata  au  duo  du  troisième  acte  du  Ballo  in 
Mmclwra.  Et,  entre  une  partie  et  l'autre  de  ces  mélodies  merveilleuses,  la 
parole  émue,  poétique,  vraiment  digne  du  sujet,  de  Giuseppe  Giacosa.  Ont 
coopéré  à  cette  grande  et  inoubliable  cérémonie  le  maestro  Toscanini, 
M"™  Carelli,  Pinto,  Ghibaudo  et  Brambilla,  puis  Tamagno,  Borgatti,  Garuso, 
Magini-Coletti,  Arcangeli  et  Luppi.  Honneur  à  eux  et  la  plus  vive  reconnais- 
sance. La  recette,  au  profit  du  fonds  pour  le  monument  à  Verdi,  s'est  élevée 
à  15.O0Û  francs.  »  

Le  roi  d'Italie  a  signé  un  décret  portant  que  le  Conservatoire  de  Milan 
prendra  désormais  le  nom  de  Conservatoire  Verdi. 

Le  ministre  de  la  guerre  du  royaume  d'Italie  a  adressé  à  tous  les  chefs  de 
corps  un  ordre  portant  que  toutes  les  musiques  militaires  devront  prendre  le 
deuil  pendant  dix  jours  à  l'occasion  de  la  mort  de  Verdi. 

Il  est  certain  que  Verdi  aura  des  obsèques  plus  pompeuses  que  celles  qui, 
sur  sa  volonté  formellement  exprimée,  ont  eu  lieu  avec  une  si  grande  sim- 
plicité. Le  gouvernement  a  décidé  que  le  transfert  des  restes  mortels  de  fil- 
lustre  artiste,  du  cimetière  où  il  a  été  inhumé  provisoirement  à  la  maison 
de  retraite  fondée  par  lui  pour  les  musiciens  pauvres,  sera  fait  avec  une 
grande  solennité.  Ce  transfert  aura  lieu  prochainement,  et  l'on  croit  que  le 
roi  Victor-Emmanuel  en  personne  assistera  à  la  cérémonie  l'uuèbro. 


C'est  dans  la  chambre  qui  porte  le  numéro  5,  au  premier  étage  de  l'hôtel 
de  Milan,  que  Verdi  est  mort  dans  la  nuit  du  2!î  au  "27  janvier  1901,  et  c'est 
cette  chambre  qu'il  occupait  toujours  chaque  fois  qu'il  venait  à  Milan  depuis 
1867,  époque  où  il  s'y  rendit  pour  mettre  en  scène  à  la  Scala  la  Forza  del  Des- 
lino.  Ou  annonce  qu'elle  ne  sera  plus  louée  ni  occupée  désormais.  Le  proprié- 
taire do  l'hôtel,  qui  est  le  beau-père  du  compositeur  Umberto  Giordano,  l'au- 
teur à' André  Ckénier,  a  formé  le  projet  d'y  réunir  tous  les  souvenirs  qu'il  possède 
du  vieux  mailre  et  d'en  l'aire  comme  une  sorte  do  musée  qui  deviendra  un 
lieu  de  pèlerinage  pour  les  Italiens  et  les  étrangers. 


LE  MENESTREL 


Voici  de  quelle  façna  a  été  constitué,  à  Milan,  le  comité  pour  le  monument 
à  ériger  à  la  mémoire  de  Verdi  :  MM.  Giuseppe  Mussi.  syndic  de  Milan. 
président;  duc  Visconti  di  Modrone  et  Arrigo  Boito.  vice- présidents:  avocat 
Pietro  Suzzi  et  avocat  Claudio  Trêves,  secrétaires:  Gaspare  Brugnatelli,  Gor- 
rado  Carabelli,  Giuseppe  Gallignani,  directeur  du  Conservatoire,  comte  Leo- 
poldo  PuUè,  Giulio  Ricordi,  Edoardo  Sonzogno.  commissaires.  Le  siège  du 
comité  est  à  la  secrétairerie  générale  du  municipe. 


Le  dernier  portrait  de  Verdi  vivant  fut  fait,  à  ses  derniers  moments ,  par 
le  peintre  Arnaldo  Ferraguti.  La  vue  du  cadavre  fut  prise  par  les  peintres 
Stragliati,  Pogliaghi  et  Hohenstein  et  par  les  photographes  Guigoni-Bossi  et 
Rossi. 

Dans  la  vitrine  d'un  négociant  artistique  de  la  galerie  Victor-Emmanuel  à 
Milan,  on  vient  d'exposer  un  tableau  du  peintre  Mantegazza,  représentant 
l'apothéose  de  Verdi.  Le  maître  est  assis  au  piano  et  semble  sous  l'influence 
de  son  génie  inspirateur,  qui,  en  une  danse  symbolique,  lui  fait  apparaître 
les  héros  et  les  héroïnes  de  ses  oeuvres. 

Un  journal  italien  rappelle  ainsi  les  ouvrages  les  plus  importants  qui  ont 
été  publiés  sur  Verdi  :  Schizzi  sulla  vila  e  le  opère  dcl  maestro  Giuseppe  Verdi, 
par  B.  Bermani  (Milan,  Ricordi);  —  Cenni  biografici  su  Giuseppe  Verdi,  seguiti 
da  una  brève  analisi  deW  «  Aida  »  e  délia  o  Messa  da  Requiem  »,  par  G.  Perosio 
(Milan,  Ricordi);  —  Studio  sulle  opère  di  Giuseppe  Verdi,  par  Abramo  Basevi 
(Florence,  Tofaui)  ;  —  Viia  aneddotica  di  Giuseppe  Verdi,  par  Arthur  Pougin 
(,Milan.  Ricordi)  [publié  en  français,  chez  Calmann  Lévy]  ;  —  Giuseppe  Verdi,  il 
genio  e  le  opère,  par  E.  Checchi  (Florence,  Barbera);  —  Giuseppe  Verdi,  vita  e 
opère,  par  A.  G.  Barrili  (Gènes);  —  Verdi,  par  G.  Monaldi  (Turin,  Bocca). 


LE  SECOND   MARIAGE   DE  VERDI 

Après  son  premier  V3uvage,  l'illustre  maître  s'était  épris  de  la  fille  d'un 
compositeur  de  musique,  Joséphine  Strepponi,  qui  vint  demeurer  avec  lui  à 
Bussetto.  pays  natal  de  l'auteur  du  Trouvère;  cette  liaison  ne  tarda  pas  à 
susciter  des  difficultés;  pour  les  éviter,  les  deux  amis  s'enfuirent  à  Genève. 

Le  curé  de  l'une  des  paroisses  de  cette  ville,  le  futur  cardinal  Mermillod, 
songea  à  régulariser  cette  union.  Verdi,  sans  se  montrer  hostile  à  ce  projet, 
laissa  entrevoir  les  craintes  des  formalités  civiles  qu'entraînerait  un  mariage 
civil.  L'abbé  Mermillod  lui  démontra  qu'on  pouvait  les  éviter  en  se  rendant 
auprès  d'un  prêtre  qui  fût  en  même  temps  officier  d'état  civil,  par  exemple 
dans  un  village  savoyard  des  environs  de  Genève.  A  cette  époque,  la  Savoie 
faisait  encore  partie  du  royaume  de  Sardaigne,  et  les  curie.»,  au  point  de  vue 
de  la  validité  des  actes  de  l'état  civil,  remplissaient  précisément  cette  condition. 

Verdi  ne  fit  plus  d'objections  :  l'abbé  Mermillod  se  chargea  de  rassembler 
tous  les  renseignements  nécessaires  et,  le  29  août  1839,  il  emmena  dans  un 
petit  village  de  600  habitiints,  à  CoUonges-sous-Saléve,  situé  à  deux  heures 
de  Genève,  le  grand  musicien,  qui  eut  comme  témoins  de  son  mariage  un  ami 
de  Genève  et  un  habitant  de  Collonges,  loin  de  se  douter  de  la  célébrité  du 
nouvel  époux.  La  cérémonie,  qui  fut  des  plus  simples,  n'a  pas  laissé  de 
souvenirs  dans  le  pays  :  le  document  ci-dessous,  conservé  à  la  cure  de  Col- 
longes-sous-Salèvc,  permet  de  fixer  ce  point  mystérieux  de  la  vie  de  Verdi  : 

L  an  mil  huit  cent  cinquanle-neat  et  le  29  du  mois  d'août,  en  la  paroisse  de  Saint- 
Martin,  commune  de  Collonges,  par-devant  moi,  soussigné,  délégué  par  qui  de  droit, 
l'abbè  Mermillod,  recteur  de  Notre-Dame  de  Genève,  avec  dispense  de  toutes  les  publi- 
cations, a  été  célébré  mariage  suivant  les  lois  de  l'église  : 

Entre  Joseph  Verdi,  âgé  de  quarante-cinq  ans,  natif  de  Roncole  di  Busseto,  fds  de 
Charles  Verdi  et  de  feue  Louise  '^etini. 

Et  .Joséphine  Strepponi,  âgée  de  quarante-trois  ans.  native  de  Lodi.  demeurant  à  Busseto, 
fille  de  défunt  Félicien  Strepponi  et  de  Rose  Cornalba,  demeurant  à  Locale. 

Présents  à  la  célébration:  Meroudon  Louis,  âgé  de  quarante-cinq  ans,  demeurante 
Genève,  et  Jean-Pierre  Gros,  de  cinquante-quatre  ans,  demeurant  à  Collonges,  et  avec  le 
consentement  des  parents  des  deux  époux,  au  témoignage  de  M.  le  curé  de  Notre-Dame  de 
iienève. 

Signature  des  époux  :    J.  Verdi, 

Joséphine  Strepponi, 
Ténwins:    L.  JIeroudon. 
Gjios. 
L'abbé  Mermillod, 

JIaistke,  curé  de  Collonges. 

IjCs  journaux  italiens  évoquent  quelques  souvenirs  de  la  vie  «  politique» 
de  Verdi. 

Lorsque,  à  la  suite  des  événements  de  1839,  la  duchesse  régente  de  Parme 
se  fut  éloignée,  on  procéda  à  l'élection  d'une  Assemblée  constituante.  Verdi 
fut  élu  représentant  par  le  district  de  Busseto,  et  le  choix  n'avait  rien  que  de 
naturel,  chacun  sachant  qu'en  toute  occasion  il  avait  manifesté  son  aversion 
pour  la  domination  étrangère,  et  que,  de  plus,  i)  avait  toujours  décliné  les 
invitations  de  se  présenter  à  la  cour  de  Parme.  A  l'Assemblée  il  vola,  natu- 
rellement, pour  la  déchéance,  et  le  l.'i  septembre  il  fut  chargé,  avec  le 
marquis  Mischi,  le  comte  Sanvitale,  le  professeur  Floruzzi  et  le  marquis  Dosi, 
(l'aller  présenter   à  Turin,  au  roi  Victor-Emmanuel,  le  vole  de  l'Assemblée. 

Aux  élections  générales  qui  se  firent  le  27  janvier  1861,  Verdi,  porté  candidat 
dans  le  collège  de  Borgo  San  Donnino,  fut  mis  en  ballottage  avec  Minghelli- 
Vaini,  et  fut  élu  au  second  scrutin  par  339  voix  contre  228  données  à  son 
compétiteur.  Mais  il  parut  peu  à  la  Chambre,  et  lorsqu'il  s'y  montrait  il  sié- 
geait à  droite,  auprès  de  M.  Quinlino  Sella,  depuis  lors  minisire,  dont  il 
devint  l'ami.  Aux  élections  de  1864  il  refusa  absolument  de  laisser  poser  de 
nouveau  sa  candidature,  ses  longues  absences  d'Italie,  disait-il,  ne  lui  laissant 
pas  la  possibilité  de  remplir  son  mandat.  En  1874,  il  fut  nommé  sénateur. 


Si  étrange  que  paraisse  la  nouvelle  que  voici,  il  faut  bien  la  reproduire 
d'après  divers  journaux  italiens,  qui  annoncent  que  Verdi  a  laissé  une  fille, 
qui  est  fixée  à  Rio-.Taneiro,  où  elle  tient  un  grand  établissement  de  comes- 
tibles et  de  primeurs.  Le  correspondant  du  Seco/oA7A'de  Gênes  prétend  même 
avoir  eu  une  longue  conversation  avec  cette  personne,  qui  s'appelle  Maria  et 
qui  a  déclaré  s'être  rendue  en  1898  en  Italie,  chez  Verdi,  qui  l'aurait  reçue 
avec  beaucoup  d'affection.  Mais  ce  qui  met  le  comble  à  l'étrangeté  de  cette 
nouvelle,  c'est  que  cette  fille  de  Verdi  serait  en  même  temps  celle  de...  la 
Malibran  ! 

Or.  la  Malibran  quitta  l'Italie  en  1833,  pour  venir  épouser  Bériot  à  Paris. 
Et  Verdi,  alors  âgé  de  22  ans,  parfaitement  inconnu  et  résidant  encore  à 
Busseto,  venait  précisément  d'épouser  la  fille  de  son  protecteur  Barezzi  !  ! 
Tout  cela  paraît  donc  plus  qu'invraisemblable.  A.  P. 


REVUE   DES   GRANDS   CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  La  mort  de  la  reine  Victoria  et  la  date  du  3  février, 
quatre-vingt-douzième  anniversaire  de  la  naissance  de  Mendelssohn ,  ont 
fourni  les  prétextes  d'actualité  jugés  nécessaires  pour  motiver  l'inscription 
au  programme  de  quatre  morceaux  de  ce  maître.  Quelle  que  soit  la  froideur 
avec  laquelle  on  puisse  juger  l'œuvre  de  Mendelssohn,  aujourd'hui  dépassée, 
ce  résultat  est  triste,  et  ce  crépuscule  si  rapide  d'un  homme  dont  le  talent 
confinait  au  génie,  a  quelque  chose  de  profondément  troublant.  Avant  le 
déclin  toutefois  il  y  eut  la  gloire  :  Mendelssohn  en  connut  les  joies  dès  sa 
jeunesse,  et  si  l'on  considère  qu'il  mourut  à  trente-huit  ans,  il  faudra  bien 
admettre  que  sa  vie  fut  laborieuse  malgré  la  facilité  des  succès.  La  reine 
Victoria,  qui  agréa  la  dédicace  de  la  Symphonie  écossaise,  en  immortalisa  l'au- 
teur à  sa  manière,  ainsi  que  nous  l'apprend  Ferdinand  Hiller  dans  l'hommage 
placé  en  tète  d'un  recueil  de  souvenirs  et  de  lettres  : 

Meodelssohn  mérita  Ihooneur  qui  lui  a  cti:  accorde  de  prendre  place  parmi  cette 
pléiade  d'hommes  iltusires  dont  t'elTigie,  en  bas-relief,  orne  le  monument  que  Votre 
Majesté,  en  sa  qualité  d'Épouse  et  de  Reine,  a  fait  ériger  en  l'honneur  d'un  prince  qui 
occupa  de  son  vivant  un  ran^  si  élevé  parmi  les  plus  noble;  pionniers  de  la  civi- 

A  côté  de  la  Symphonie  écossaise  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  il  a  été  intéres- 
sant d'entendre  un  Air  de  concert,  chanté  par  M"'  -'^dîny,  et  le  concerto  en 
sot  exécuté  par  M"=  Seguel.  Une  jolie  scène  eut  lieu  à  propos  de  ce  dernier 

ouvrage  : 

Je  viens  d'être  témoin  d'un  miracle,  d'un  vrai  miracle,  dit  un  jour  Mendelssohn  à 
son  ami  Hitler.  —  Eh!  quoi  donc  J  fit  Hiller.  —  N'est-ce  pas  un  miracle?  j'étais  avec 
Liszt  chez  Érard  ;  je  lui  montrai  le  manuscrit  de  mon  concerto  ;  il  le  joua,  bien  qu'il 
soit  à  peine  lisible,  à  livre  ouvert,  avec  la  plus  grande  perfection  ;  on  ne  peut  pas 
absolument  mieux  jouer  qu'il  ne  l'a  fait;  c'est  merveilleux. 

Au  concert  de  dimanche  dernier,  un  hasard  funèbre  a  rapproché  le  nom 
de  Verdi  de  celui  de  Mendelssohn.  Un  autre  nom,  celui  de  Wagner  était  plus 
disparate.  "Wagner,  a  frappé  Mendelssohn  de  traits  d'une  justesse  perfide.  On 
l'en  a  souvent  blâmé.  Outre  qu'il  y  a,  dans  l'opinion  de  "Wagner  une  énorme 
part  de  vérité,  les  génies  créateurs  ont  presque  toujours  professé  un  mépris 
souverain  (souvent  plus  discret,  j'en  conviens)  pour  les  talents  d'assimilation 
sage  et  pondérée  qui  réussissent  presque  sans  efforts,  parce  qu'ils  n'ont  aucun 
rempart  à  renverser,  aucune  routine  à  combattre.  Mendelssohn  jouissait  d'une 
réputation  incontestée;  cela  seul  explique  l'acharnement  de  "Wagner,  alors, 
incompris;  mais,  je  le  répète,  "Wagner  avait  raison  sur  le  fond;  on  est  bien 
obligé  de  s'en  apercevoir  à  cette  heure.  Au  surplus,  l'enthousiasme  pour  Men- 
delssohn dépassait  toute  mesure;  on  l'opposait  à  Schumann  et  celui-ci, 
sachant  rendre  justice  à  ce  rival,  partageait  l'admiration  que  tous  lui  témoi- 
gnaient et  resta  son  ami.  En  vérité,  Mendelssohn  doit  être  placé  résolument 
au  second  rang.  Il  n'appartient  pas  à  la  lignée  des  créateurs  originaux.  Son 
œuvre  est  le  triomphe  du  goût,  de  la  distinction,  de  la  convenance  en  musique; 
toujours  élégante,  saine  et  d'excellente  tenue. 

—  Concert  Lamoureux. —  Le  programme  n'était  pas  particulièrement  heu- 
reux. La  symphonie  inachevée  de  Schubert,  dans  sa  grâce  tant  soit  peu 
vieillotte,  pourrait  être  'remplacée  avantageusement  par  un  autre  ouvrage  du 
maître  ayant  moins  les  allures  des  vieux  airs  de  danse  d'autrefois.  —  Le 
poème  symphonique  de  Rimsky-Korsaicow,  Schéhéra^ade,  renferme  une  partie 
charmante,  la  troisième  :  Le  jeune  prince  et  la  jeune  princesse.  Il  y  a  là  toute  la 
tendresse  un  peu  maniérée,  d'amours  elUeurées  qui  ne  doivent  pas  durer;  on 
se  sent  dans  un  pays  où  l'on  risque  joyeusement  sa  tête  pour  se  livrer  aux 
joies  éphémères  du  jeu  d'aimer.  Mais  le  reste  de  l'œuvre  a  plus  de  verve  et 
d'humour  que  d'inspiration  vraie;  il  s'y  rencontre  de  fastidieuses  redîtes,  des 
longueurs,  des  recherches  d'harmonie  dont  la  bizarrerie  est  sans  attrait  pour 
nous;  par  exemple  la  septième  la-sol  suivie  de  fa  dièse  formant  sixte,  suite 
mélodique  probablement  familière  dans  la  musique  moscovite,  mais  qui  nous 
paraît  à  nous  excessivement  peu  naturelle  et  factice.  —  Trois  petits  fragments 
mélodramatiques  pour  le  drame  de  Maeterlinck  :  Pelléas  et  Mélisande,  ciselés 
ou  brodés,  je  ne  sais  comment  dire,  par  le  musicien  archidélicat  Gabriel 
Fauré,  ont  obtenu  un  grand  succès.  L'un,  Piteuse,  a  été  bissé  :  une  gentille 
merveille  d'orchestration.  —  Le  concerto  pour  deux  violons  de  Bach  a  été 
rendu  avec  entrain,  avec  chaleur,  par  MM.  Séchiari  et  Soudant.  M.  Lamond  a 
donné  une  bonne  interprétation  du  concerto  en  mi  h  de  Beethoven.  Ce  n'est 
pas  un  exécutant  soucieux  au  même  degré  que  beaucoup  de  pianistes  contem- 
porains de  l'art  des  nuances  du  toucher;  mais  cet  art,  poussé  si  loin  aujour- 
d'hui, a  aussi  son  écueil  vers  lequel  il  conduit  les  plus  réels  talents.  A  force 


LE  MENESTREL 


43 


de  chercher  à  subliUser  dans  l'émission  des  sons,  on  en  arrive  à  devenir  si 
difficile  que  l'on  n'est  plus  entièrement  à  son  aise  que  dans  un  petit  nombre 
de  compositions  qui  se  prêtent  particulièrement  aux  jeux,  aux  souplesses, 
aux  veloutés  des  sonorités.  Alors  on  exécute  toujours  les  mêmes  œuvres,  du 
reste  avec  une  perfection  technique  absolue.  Tel  pianiste  laisse  son  réper- 
toire vieillir  avec  lui;  c'est  comme  un  vieil  habit  dont  il  connaît  tous  les  plis, 
auquel  il  est  fait  de  longue  date;  il  ne  peut  plus  se  résoudre  à  s'en  séparer. 
M.  Lamond  n'a  pas  ce  défaut.  Il  a  joué  avec  force  et  véhémence,  avec  brio 
l'œuvre  colossale  de  Beethoven.  Il  s'y  est  fait  beaucoup  applaudir.  —  Le 
concert  se  terminait  par  la  marche  hérdique  de  Saint-Saëns.  L'épithète  est  de 
trop.  Il  s'agit  d'une  marche  quelconque,  agrémentée  de  très  artificiels  con- 
trepoints. AmÉDÉE  BoUTAilEL. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la  (Beethoven).  —  Chœur  des  Pileuses  du  Vaisseau-Fan- 
Lôme  (Wagner).  —  Concerto  pour  violon  (Th.  Dubois),  par  M.  Marteau.  —  Pater  noster 
(Verdi).  —  Ouverture  de  lienvenvio  Ccltini  (H.  Berlioz). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  héroïque  (Beethoven^.  —  Concerto  en  la  mineur 
pour  piano  (Sciiumannj,  par  M""  Martlie  Girod.  —  Nocturne  pour  ilùte  (Georges  Hue;, 
par  M.  Gaubert.  —  Roméo  et  Juliette  (Berlioz),  —  1"'  Concerto  (op.  26i  (Max  Brucli),  par 
M.  Oliveira.  —  Ouverture  de  Hienzi  (Wagner). 

Nouveau -Théâtre,  concert  Lamoureux  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  ;  Ouverture 
d^lphigénîe  en  AttUde  (Gluck).  —  Lénore  (Duparc).  —  Concerto  pour  violoncelle  (Schu- 
niano  I,  par  JI.  Joseph  Salmon.  —  La  Fiancée  du  Timbalier  (Saint-Saëns),  par  M"»  Gerville- 
Réache.  —  Prélude  du  2"  acte  de  Gwendoline  (Chabrier).  — Symphonie  en  fa  (Beethoven). 

—  La  première  partie  du  concert  Colonne  de  jeudi,  au  Nouveau-Théâtre, 
était  consacrée  à  Mendelssohn,  la  seconde  à  M.Svendsen  (et  non  Swendsen, 
comme  le  disait  le  programme),  avec,  comme  intermède  vocal,  la  première 
audition  des  intéressants  Chants  de  France,  si  joliment  arrangés  par  M.  Péril- 
hou.  Après  deux  morceaux  de  la  Réformation-Symphonie  de  Mendelssohn,  un 
tout  jeune  pianiste,  M.  Fernaud  Lemaire,  qui  a  obtenu  naguère  un  brillant 
premier  prix  dans  la  classe  de  M.  de  Bériot,  est  venu,  au  grand  plaisir  du 
public,  exécuter  le  beau  concerto  en  sol  mineur  de  ce  maître.  Il  l'a  joué  non 
seulement  avec  goût  et  avec  style,  mais  en  joignant,  à  l'occasion,  le  brillant 
et  la  vigueur  à  la  grâce,  à  l'élégance  et  à  la  délicatesse  charmantes  qui 
caractérisent  son  jeu.  Son  succès  a  été  complet  et  mérité.  Le  jeune  artiste 
s'est  fait  encore  applaudir,  cette  fois  avec  M.  Baretti,  qui  lui  servait  d'excel- 
lent partenaire,  dans  la  sonate  pour  piano  et  violoncelle.  On  a  accueilli  en- 
suite avec  faveur  les  jolis  Chants  de  France,  fort  bien  interprétés,  les  deux 
premiers  (Vitrail,  Complainte  df  Saint-Nicolas),  avec  orchestre,  par  M.  Daraux, 
les  autres  par  M'"'  Planés,  Mathieu  d'Ancy  et  Odette  Le  Roy.  La  Complainte 
de  Saint- \ icotas,  dont  l'accompagnement  d'orchestre  est  délicieux,  avec  la 
jolie  intervention  de  la  harpe,  a  valu  surtout  un  grand  succès  à  M.Paul 
Daraux.  On  a  remarqué  surtout,  parmiJes  autres,  l'Hermite  et  la  gentille 
Chamon  à  danser  de  1613.  La  séance  se  terminait  par  le  Carnaval  à  Paris,  de 
M.  Svendsen,  épisode  symphonique  très  curieux,  plein  de  fougue  et  d'une 
vigueur  qui  n'est  pas  coutumière  aux  musiciens  Scandinaves,  et  par  un 
quintette  du  même  pour  deux  violons,  deux  altos  et  violoncelle,  œuvre  d'un 
intérêt  très  vif,  exécutée  avec  une  rare  perfection  par  .\IM.  Hayot,  Touche, 
Baillv,  Monteux  et  Salmon. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

La  mort  de  la  relue  Victoria  va  faire  revivre  le  théâtre  du  roi  (Sing's 
Théâtre).  Ce  nom  fut  d'abord  donné  à  l'ancien  Opéra  situé  dans  Haymarket, 
sur  1  emplacement  duquel  on  a  construit' récemment  l'hôtel  Garlton,  et  qui  fut 
pendant  plus  de  deux  siècles  le  quartier  général  de  l'Opéra  italien  à  Londres. 
A  l'avènement  de  la  reine  Victoria  cet  Opéra  fut  baptisé  Her  Majesty's  (Théâtre). 
Un  des  plus  curieux  incidents  qu'on  puisse  rappeler  à  propos  de  ce  théâtre, 
fut  la  fameuse  échaufl'ourée  contre  Tamhurini  à  laquelle  fut  mêlé  un  prince 
du  sang.  L'ancien  édifice  a  disparu,  mais  deux  directeurs  de  théâtres  londo- 
niens se  proposent  déjà  de  donner  le  nom  du  roi  à  leur  salle. 

—  La  reine  Victoria  a  connu  presque  toutes  les  célébrités  de  l'art  musical 
du  dix-neuvième  siècle,  surtout  les  virtuoses  et  les  chanteurs,  et  elle  a 
survécu  â  beaucoup  d'entre  eux  qui  étaient  plus  jeunes  qu'elle.  Parmi  ceux- 
ci  il  faut  compter  Rubinstein,  auquel  s'attache  un  souvenir  amusant.  En  1837 
le  grand  artiste  était  venu  pour  la  première  fois  en  Angleterre  et  avait 
apporté  au  prince  Albert  une  chaleureuse  lettre  de  recommandation  de  la 
grande-duchesse  Hélène,  une  fervente  de  l'art  musical.  Mais  immédiatement 
après  son  arrivée,  le  bruit  se  répandit  à  Londres,  on  n'a  jamais  su  pourquoi, 
que  le  prétendu  artiste  russe  n'était  en  réalité  qu'un  espion  envoyé  en  Angle- 
terre par  le  gouvernement  russe  et  un  pianiste  d'occasion.  En  1837  le  sou- 
venir de  la  guerre  de  Crimée  était  encore  très  vif,  et  les  Anglais  n'étaient 
que  trop  disposés  à  %oir  des  espions  dans  tous  les  Russes  qui  débarquaient 
chez  eux  autrement  qu'à  titre  de  réfugiés  politiques  échappés  aux  griffes  de 
leur  gouvernement.  Le  prince  Albert  reçut  néanmoins  l'artiste,  qui  n'avait 
alors  que  vingt-huit  ans,  et  l'invita  à  lui  donner  une  preuve  de  son  talent 
en  présence  de  la  reine,  qui  demanda,  en  allemand,  un  morceau  de  Mozart. 
Rubinstein  joua  alors  le  Rondo  en  la  mineur,  qui  est  resté  un  de  ses  morceaux 
favoris  jusque  dans  les  dernières  années  de  su  vie, et  qu'il  interprétait  avec 


une  poésie  restée  inoubliable.  Dès  les  premières  mesures,  le  prince  Albert 
regarda  la  reine  en  souriant;  le  jeune  homme  ne  jouait  vraiment  pas  comme 
un  espion  et  la  grande-duchesse  n'avait  pas  trop  vanté  le  talent  de  son  protégé. 

—  Les  journaux  artistiques  italiens  marquent  leur  mécontentement,  et  ils 
n'ont  pas  tout  à  fait  tort,  de  la  façon  piteuse  dont  on  a  célébré  en  Italie  le 
centenaire  de  Cimarosa.  Tandis  qu'à  Vienne  on  a  organisé  tout  d'abord  urie 
très  intéressante  exposition  cimarosienne,  on  a  eu  simplement  â  Venise  une 
soirée  musicale  avec  conférence  de  M.  L.-A.  Villanis,  et  à  Toscanella  une 
autre  conférence  de  M.  Cerasa.  «  A  Milan,  dit  en  raillant  un  journal,  la 
commémoration  a  été  faite  au  Conservatoire,  c'est-à-dire  non...  au  café  Biffi, 
par  le  petit  orchestre  dirigé  par  le  maestro  Stefani,  qui  a  exécuté  les  ouver- 
tures des  Horaces  et  du  Matrimonio  segreto.  »  Un  autre  écrit,  dans  le  même 
sentiment:  «  Nos  informations  ne  nous  avaient  pas  trompé  quand  elles  nous 
faisaient  entrevoir  la  possibilité  d'une  agréable  surprise  relative  au  centenaire 
de  Cimarosa.  En  fait,  nous  lisons  dans  les  journaux  que  la  vigilante  direction 
du  théâtre  de  la  Scala  mettra  en  scène,  en  plus  de  son  programme...  i'Elisir 
d'amore.  »  Un  troisième,  de  Bologne,  constatant  que  l'Autriche,  l'Allemagne 
et  la  Russie  o^t  dignement  commémoré  le  centenaire  de  l'illustre  artiste,  se 
plaint  aussi  qu'on  n'ait  rien  fait  en  Italie,  et  il  ajoute  :  «  Et  Bologne,  qui 
élève  tant  la  voix  quand  on  parle  de  musique?  Le  Lycée  musical  et  l'Académie 
philharmonique  ont  gardé  en  cette  circonstance  un  silence  honteux.  » 

—  Au  Regio  de  Turin,  où  Cendrillon  a  été  si  bellement  accueillie,  très  vif 
succès  encore  pour  la  Manon  de  Massenet.  On  a  bissé  «  le  rêve  »,  «  la  petite 
table  »,  le  menuet  et  la  gavotte  chantée.  Après  Saint-Sulpice  il  y  a  eu  huit 
rappels,  et  on  voulait  le  his  du  tableau  tout  entier. 

—  «  Celle-ci  est  à  raconter  »,  dit  un  de  nos  confrères  italiens,  l'Arpa,  et  il 
a  raison.  Or  donc,  l'administration  du  théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  se  vit 
obligée  dernièrement  de  suspendre  les  représentations  de  la  Tosca,  et  elle  en 
donna  pour  cause  une  indisposition  de  M'"=  Pandolfini.  Mais  voici  qu'on 
apprit  ensuite  que  M"'  Pandolfini  jouissait  d'une  santé  florissante,  et  que  le 
véritable  malade  était  l'incomparable  ténor  De  Lucia.  Seulement  «  celui-ci, 
dans  sa  divinité,  ne  voulait  pas.  comme  un  mortel  quelconque,  paraître  sou- 
mis à  la  moindre  infirmité.  »  Le  fait  est  qu'on  n'avait  pas  encore  inventé 
celle-là. 

—  On  a  représenté  ces  jours  derniers,  au  théâtre  civique  de  Guneo,  un 
opéra  en  deux  actes,  Nozze,  dont  un  jeune  compositeur,  M.  Maurizio  Cattaneo, 
a  écrit  la  musique  sur  un  livret  de  M.  Fulgonio.  C'est  une  œuvre  de  débu- 
tant, qui,  si  elle  ne  manque  pas  absolument  de  qualités,  manque  essentiel- 
lementd'originalité.  Elle  avait  pour  interprètes  M^Garci-Mugnoz,  MM.Quarti, 
Moreo  et  Corà. 

—  Une  notice  que  M.  A.  J.  'Weltner,  le  savant  archiviste  de  l'intendance 
générale  des  théâtres  impériaux  de  Vienne,  a  publié  à  l'occasion  de  la  mort 
de  Verdi,  fait  croire  que  le  maître  italien  n'a  été  nulle  part  joué  aussi  sou- 
vent qu'à  Vienne,  en  dehors  de  l'Italie  bien  entendu.  Gela  s'explique  en  partie 
par  le  fait  que  l'Opéra  impérial  avait  jusqu'en  ces  dernières  années  régulière-, 
ment  une  saison  italienne.  Verdi  a  débuté  à  l'Opéra  impérial  le  4  avril  1843; 
il  dirigeait  en  personne  Nabucodonosor,  et  cette  œuvre  est  arrivée  en  tout  à 
17  représentations.  Ernania.  eu  208  représentations;  les  deux  Foscari  8,  /  Lom- 
bardi  21,  Attila  6,  /  Masnadieri  S,  Macbeth  24,  Luisa  Miller  3,  Rigolelto  139,  le 
Trouvère  318,  la  Traviata  100,  Jeanne  d'Arc  3,  les  Vêpres  Siciliennes  23,  Aroldo  2, 
un  liallo  in  maschera  107,  la  Forza  del  Destina  3,  Aida  233,  Simone  Boccanegra  7, 
Otello  6o  et  Falstaffi.  Le  Requiem  a  été  exécuté  13  fois  à  l'Opéra  impérial; 
Verdi  a  conduit  en  personne  la  première  exécution,  en  juin  1893.  Le  nombre 
de  représentations  que  nous  venons  d'indiquer  comporte  aussi  bien  les  soirées 
italiennes  que  les  représentations  en  allemand.  On  voit  que  presque  toutes 
les  œuvres  de  Verdi  ont  été  jouées  à  Vienne,  et  le  nombre  de  leurs  représen- 
tations correspond  assez  fidèlement  au  succès  qu'elles  ont  obtenu  ailleurs. 
Le  total  des  soirées  consacrées  à  Vienne  aux  œuvres  de  Verdi  s'élève  à  1338, 
chiffre  arrêté  le  jour  de  la  mort  du  maître;  c'est  énorme  pour  uu  composi- 
teur étranger. 

—  L'association  Gœthe,qui  a  son  siège  central  à  Berlin  mais  qui  possède 
déjà  des  succursales  dans  toutes  les  grandes  villes  de  l'Allemagne,  a  présenté 
au  Reichstag  une  pétition  demandant  l'abolition  complète  de  la  censure  en 
matière  théâtrale.  La  pétition,  qui  e,xpUque  longuement  les  inconvénients  de 
la  censure  et  les  torts  qu'elle  cause  journellement  à  l'art  et  à  la  civihsation, 
est  signée  par  le  président  de  l'association  Gœthe,  M.  Franz  Liszt,  petit 
cousin  et  filleul  du  grand  compositeur,  qui  est  professeur  de  droit  criminel 
à  l'Université  de  Berlin  et  jouit  d'une  grande  réputation  comme  jurisconsulte. 

—  La  j  Nouvelle  Société  Bach  »  annonce  que  le  premier  de  ses  festivals 
aura  lieu  à  Berlin  les  21,  22  et  23  mars.  Le  premier  programme  comportera 
cinq  cantates  ;  le  deuxième  un  prélude  pour  orgue,  le  motet  Jésus,  ma  joie,  une 
sonate  pour  piano  et  violon,  un  air  et  le  concerto  brandenbourgeois  en  fa 
pour  deux  cors,  trois  hautbois  et  instruments  à  cordes;  le  troisième  la  Messe 
en  la  majeur,  le  concerto  en  ré  pour  piano,  violon  et  lîlùte  avec  orchestre  à 
cordes,  la  cantate  profane  Eole  satisfait  et  le  Gloria  de  la  Messe  eu  fa.  —  Le 
21  mars  sera  inaugurée  par  le  bourgmestre  de  Berlin  une  exposition  Bach  pour 
laquelle  beaucoup  de  bibliothèques  et  de  collections  publiques  et  particùliè-  ■ 
res  ont  envoyé  des  objets  rarissimes  et  fort  intéressants.  A  la  même  occasion, 
le  musée  royal  expose  une  collection  complète  de  tous  les  instruments  musi- 
caux dont  Bach  s'est  servi  dans  ses  œuvres. 


m 


LE  MENESTREL 


—  Une  opérette  posthume  de  ililloecker.  iutitulée  Taillottr  pour  dames,  vient 
d'être  jouée  avec  un  très  grand  succès  au  théâtre  Frédéric-Wilhelm  de 
Berlin.  II  parait  que  le  compositeur  y  a  utilisé  plusieurs  morceaux  d'une 
opérette  antérieure  qu'il  avait  fait  jouer  sans  succès  à  Vienne. 

—  On  nous  écrit  de  Munich  :  Samedi  26  janvier,  la.grande  Société  de  l'Or- 
chester-'Verein  de  notre  ville  donnait  au  Kaim-Saal  une  remarquable  repré- 
sentation de  P/ofée  ou  JimoH  ja/ouse,  comédie-ballet  de  Rameau.  —  Cette  œuvre 
presque  inconnue  aujourd'hui  du  maître  français  a  été  tirée  de  l'oubli, 
remise  sur  pied  et  réorchestrée  pour  la  circonstance  par  quelques  musiciens 
de  rOrchester-Verein.  Il  n'existe  en  effet  aucune  partition  d'orchestre  de 
cette  œuvre.  L'exécution,  très  soignée  au  point  de  vue  musical,  a  été  char- 
mante aussi  au  point  de  vue  plastique  et  décoratif.  On  avait  ressuscité  la 
scène  antique  avec  «  podium  ».  Les  costumes,  mi-partie  grecs,  mi-partie 
Louis  XIV,  comme  ils  l'étaient  en  1749,  époque  de  la  première  représenta- 
tion, étaient  très  réussis.  La  jolie  musique  de  Rameau,  si  jeune  encore  et  si 
fraîche,  a  obtenu  auprès  du  public  venu  en  foule  tout  le  succès  qu'elle  méri- 
tait. L'orchestre,  les  solistes  et  les  chœurs  se  sont  acquittés  de  leur  tâche,  sou- 
vent difQcile,  avec  un  soin  qui  fait  grand  honneur  à  la  Société  de  l'Orchester- 
Verein. 

'  —  Un  ballet  nouveau  intitulé  le  Carnaval  de  Venise,  musique  de  M.  H.  Berté, 
vient  d'être  joué  avec  succès  à  l'Opéra  royal  de  Munich. 

—  A  l'Opéra  royal  de  Munich,  un  petit  opéra  (Singspid)  intitulé  Jery  et 
Baetely,  paroles.de  Gœthe,  musique  de  M^Ingeborg  de  Bronsart  vient  d'être 
représenté  pour  la  première  fois  à  ce  théâtre  et  a  obtenu  un  joli  succès. 

—  M.  Richard  Strauss  vient  de  terminer  un  nouvel  opéra  intitulé  le  Feu 
(Die  Feuersnoth),  qui  sera  joué  à  l'Opéra  royal  de  Berlin  en  octobre  prochain. 

—  L'Opéra  de  Prague,  dirigé  par  M.  Angelo  Neumann,  vient  d'accomplir 
un  véritable  tour  de  force.  Il  a  donné  en  une  semaine  un  cycle  Gluck,  qui 
a  commencé  avec  ses  œuvres  de  jeunesse  :  le  Cadi  dupé  et  la  Reine  du  Printemps 
(Die  Maienkoenigin],  pour  continuer  avec  Orphée,  les  deux  Iphigénies,  Armide 
et  Alcesteet  pour  se  terminer  avec  Paris  et  Hélène,  qui  est  une  nouveauté  pour 
les  amateurs  vivants.  Les  solistes  qui  ont  porté  le  fardeau  de  ce  cycle  sans 
fléchir  sont  d'aussi  bonne  composition  que  la  musique  de  Gluck. 

—  Le  théâtre  de  Brème  vient  d'exhumer  non  sans  succès  une  œuvre  de 
jeunesse  de  Lortzing  intitulée  le  Polonais  et  son  enfant,  qu'on  avait  jouée  une 
seule  fois  en  1833  et  qui  était  complètement  oubliée  depuis.  La  partition  s'est 
retrouvée  par  hasard  à  la  bibliothèque  de  Brème. 

—  Le  théâtre  grand-ducal  de  Schwerin  a  joué  avec  beaucoup  de  succès  une 
«  tragédie  mystique  »  intitulée  Thanatos,  paroles  de  M.  Hugues  Revel,  musi- 
que de  M   Richard  Francke. 

—  Au  théâtre  populaire  de  Budapest,  Niiouche  \ieul  de  célébrer  sa  centième 
représentation. 

—  Les  dieux  s'en  vont  !  Voici  qu'en  Allemagne  on  commence  à  critiquer 
vivement  le  grand  violoniste  Joachim,  qui  a  eu  le  tort,  parait-il,  de  se  pré- 
sent, r  encore  récemment  en  public  malgré  ses  soixante-dix  ans  bientôt 
sonnés.  Le  résultat,  dit  un  journal,  justifie  ceux  qui  considèrent  comme  une 
grave  erreur  de  la  part  de  l'insigne  violoniste  d'accepter,  et  de  la  part  des 
directeurs  de  lui  offrir  de  se  présenter  au  public,  aujourd'hui  que  sa  valeur 
n'est  plus  qu'un  pâle  souvenir  de  ce  qu'elle  fut  dans  le  passé.  Mieux  vaudrait 
s'abstenir  et  se  tenir  coi. 

—  Le  théâtre  de  Nuremberg  va  donner  au  profit  du  monument  de  la  mort 
de  Gœthe,  qu'on  doit  ériger  à  Francfort,  un  à-propos  intitulé  Une  Soirée  à  l'é- 
poque de  Werther,  espèce  de  «  soirée  Choufleury  o  où  l'on  jouera  des  fran-ments 
scéniques  de  Gœthe  et  où  l'on  chantera  de  ses  lieder.  Le  décor  représentera  le 
salon  de  la  maison  de  Gœthe  à  Francfort  vers  1770,  et  tous  les  artistes  porte- 
ront le  costume  de  l'époque. 

-■  On  a  joué  avec  succès  à  LInz  (Haute-Aulricbe)  un  opéra  intitulé  la 
Demande  en  mariage,  musique  de  M.  Franz  Neumann. 

—  M.  César  Thompson,  l'excellent  violoniste  belge,  vient  d'entreprendre 
une  grande  tournée  artistique  qui  ne  comprendra  pas  moins  de  trente  concerts. 
Le  premier  de  ces  concerts  a  dû  avoir  lieu  à  Prague  le  4  février,  le  second  à 
Vienne.  L'artiste  parcourra  ensuite  les  princijiales  villes  de  l'Autriche,  de  la 
Bohême  et  de  la  Hongrie. 

—  Un  nouvel  orchestre  philharmonique,  comprenant  soixante  exécutants, 
vient  de  se  former  à  Hanovre,  sous  la  direction  de  M.  Joseph  Frischen.  Il 
annonce  une  série  de  douze  concerts  symphoniques. 

—  Le  pianiste-compositeur  Bernard  Scholz,  assisté  de  MM.  Heermaun 
(violon),  J.  Hegar  (alto)  et  Hugo  Becker  (violoncelle),  a  fait  entendre  avec 
succès  à  Hanovre,  dans  un  concert  du  Conservatoire,  plusieurs  de  ses  nou- 
velles compositions  de  musique  de  chambre:  une  sonate  en  la  mineur  pour 
piano  et  violoncelle,  un  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle  et  des  Variations 
sur  un  thème  de  Haendel  pour  piano  et  alto.  Ce  derniermorceau  surtout  a  été 
fort  applaudi. 

—  Au  Cercle  artistique  de  Namur,  très  intéressante  soirée  musicale  avec 
.   le  concours  de  toute  la  famille  Ballhasar-Florence  La  petite  pianiste  a  été 

étonnante,  comme  toujours;  elle  a  joué  l'Eau  courante  et  la  Valse  folle  de  Mas- 
senet  d'une  manière  étourdissante.  La  violoniste,  d'un  talent  si  élevé,  a,  comme 
toujours,  aussi  remporté  tous  les  suffrages,  et  la  violoncelliste  ne  lui  a  cédé 


en  rien.  EnUn  une  cantatrice.  M'""  Raquet-Delmée,  a  remarquablement  chanté 
diverses  pièces,  entre  autres  la  charmante  mélodie  de  M.  Balthasar-Florence  : 
Si  l'amour  prenait  racine,  et  ce  beau  morceau  de  grande  allure  du  même  maî- 
tre :  Aimer,  pour  chant,  violon,  violoncelle,  orgue  et  piano.  Gela  a  été  un 
bis  formidable.  Il  y  en  avait  eu  d'autres  d'ailleurs  au  cours  do  la  soirée. 

—  Les  citoyens  de  Bâle  ont  réuni  entre  eux  la  somme  de  iS. 000  francs  pour 
l'offrir  comme  cadeau  rie  jubilé  àM.  Volckland,  qui  dirige  depuis  25  ans  leurs 
concerts  symphoniques  et  leur  orphéon.  En  Angleterre  ces  teslimonials  sub- 
stantiels ne  sont  pas  rares,  mais  en  Suisse  personne  n'en  avait  encore  reçu. 

—  De  Monte-Carlo  :  Fort  beau  succès  pour  Pugno  au  dernier  concert  clas- 
sique. Le  grand  virtuose  y  a  exécuté  le  concerto  de  Beethoven  et  son  propre 
concertstuck  au  milieu  d'un  véritable  enthousiasme.  Huit  rappels  et  deux  bis. 
Orchestre  superbe  sous  la  direction  de  Léon  Jehin. 

—  A  Monte-Carlo  également,  l'excellent  violoncelliste  Holmann  vient 
d'obtenir  un  éclatant  succès  avec  le  beau  concerto  en  ut  mineur  de  Noël 
Desjoyeaux  et  la  délicieuse  Sérénade  de  Milenka  de  Jan  Blockx. 

—  Le  théâtre  Parish,  de  Madrid,  a  donné  la  première  représentation  d'un 
opéra  en  trois  actes,  Couadonga,  dont  le  livret  est  du  à  MM.  Zapata  et  Sierra 
et  la  musique  au  compositeur  Thomas  Breton,  connu  jusqu'ici  par  de  grands 
succès.  Il  ne  paraît  pas  en  avoir  été  de  même  cette  fois.  Le  poème  de  Cova- 
donga  a  paru  fâcheux,  et  la  musique,  malgré  quelques  morceaux  bien  venus, 
n'a  trouvé  qu'un  accueil  assez  sévère.  On  critique  assez  vivement  la  pièce, 
la  musique,  et  même  les  décors.  —  Par  contre,  une  zarzuela  iutitulée  el  Juicio 
oral,  a  obtenu  un  très  vif  succès  au  théâtre  Comique.  Les  paroles  sont  de 
MM.  Perrin  et  Palacios,  la  musique  de  M.  Angel  Rubio. 

—  xV  Madrid  encore,  apparition  d'une  autre  zarzuela,  intitulée  Polvorilla.  Au- 
teurs :  MM.  Fernandez  Shaw  et  Fiacro  Irayzoz  pour  les  paroles,  M.  Vives 
pour  la  musique. 

—  Se  mettre  cinq  pour  une  pauvre  petite  zarzuela,  deux  auteurs  et  trois 
compositeurs,  c'est  peut-être  beaucoup.  C'est  pourtant  ce  qu'on  vient  de  voir 
au  théâtre  Eslava,  de  Madrid,  pour  une  pièce  de  ce  genre  intitulée  la  Maestra, 
dont  les  paroles  sont  dues  à  MM.  Navarro  Gonzaloo  et  Pio  Silven,  et  la  mu- 
sique à  MM.  Calleja,  Lleo  et  Barrera.  La  pièce,  de  genre  aristophanesque, 
est,  parait-il,  une  sorte  de  satire  politique,  et  les  acteurs  n'ont  pas  craint 
de  portraicturer  et  de  caricaturer  en  scène  certains  personnages  bien  connus 
de  ce  monde  spécial. 

—  Le  grand  triomphateur  du  jour,  l'enfant  gâté  du  public  en  ce  moment 
dans  toutes  les  villes  des  États-Unis  et  du  Canada,  est  un  petit  phénomène 
qui  s'appelle  Cari  Gulick,  Dans  les  soirées  particulières  ou  dans  les  concerts 
publics,  à  l'église  ou  ailleurs,  on  se  le  dispute  avec  chaleur,  et  chaque  fois 
qu'il  se  présente  le  public  reste  fasciné  et  comme  étourdi.  Cet  enfant  est  un 
bambin  d'une  dizaine  d'années  à  peine,  qui  possède  une  voix  de  soprano 
telle  qu'on  en  entend  rarement.  Cette  voix  est  d'un  timbre  merveilleux,  d'une 
grande  étendue  et  d'une  justesse  absolue.  Mais,  si  prodigieuse  qu'elle  soit,  ce 
qui  est  plus  surprenant  encore,  c'est  le  tempérament  musical,  le  sentiment 
exquis  et  l'art  avec  lequel  cet  enfant  sait  employer  les  dons  précieux  qu'il  a 
reçus  de  la  nature.  Il  chante  de  préférence  des  romances  et  des  chansons 
populaires,  mais  souvent  aussi  il  prend  part  comme  soliste  à  l'exécution  d'ora- 
torios de  Haendel,  d'Haydn  et  de  Mendelssohn  et  se  fait  entendre  dans  des 
églises,  et  toujours  avec  la  même  perfection  et  le  même  succès. 

PARIS    ET   DÉPARTEMENTS 

M.  Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique,  a  reçu  mercredi  le 
comité  de  la  Ligue  franco-italienne.  M.  Paul  Delombre,  député,  a  présenté 
au  ministre  MM.  le  marquis  de  Castrone,  vice-président  de  la  ligue,  P.aqueui, 
secrétaire,  Vasseur,  Jean  Bares,  Picquet,  Penso,  Paul  Vibert,  Gernîgliari- 
Melilli,  de  Beriha,  Durand  et  d'autres  membres  du  comité.  Le  comité  a  oll'ert 
au  ministre  la  présidence  d'honneur  de  la  cérémonie  commémorative  que  la 
ligue  prépare  à  la  Sorbonne  en  l'honneur  de  Verdi.  M.  Leygues  l'a  acceptée, 
disant  qu'il  était  heureux  de  s'associer  à  l'hommage  que  l'on  rendra  à  l'illustre 
compositeur,  gloire  de  l'Italie  et  de  l'humanité,  et  a  promis  tout  son  concours 
afin  que  cette  manifestation  réussisse,  grandiose.  Il  a  saisi  cette  occasion 
pour  féliciter  la  Ligue  franco-italienne  de  ses  efforts  pour  le  rapprochement 
de  la  France  et  de  l'Italie.  M.  Théodore  Dubois,  directeur  du  Conservatoire, 
a  accepté  la  présidence  effective  de  la  cérémonie,  qui  aura  lieu  vers  la  fin  de 
ce  mois.  Le  comte  Turnielli,  ambassadeur  d'Italie,  a  accepté  la  présidence  du 
comité  d'honneur,  dont  font  partie  plusieurs  notabilités  du  monde  artistique 
et  littéraire  de  Paris.  Le  gouvernement  français  se  fera  également  représenter 
à  la  cérémonie,  qui  doit  avoir  lieu  à  Milan. 

—  Nous  pouvons  annoncer  que  le  ministre  de  l'instruction  publique  a 
promis  pour  cette  manifestation  le  plus  large  concours  des  artistes  de  l'Opéra 
et  de  rOpéra-Comique,  et  que  la  conférence  dont  Verdi  sera  l'objet  eu  cette 
soirée  grandiose  sera  faite  par  notre  collaborateur  Arthur  Pougin. 

—  La  musique  a  d'ordinaire  peu  de  rapports  avec  l'Académie  de  médecine, 
à  moins  qu'il  s'agisse  des  soins  que  réclame  la  voix  des  chanteurs.  Pourlant 
elle  a  sa  place  indirecte  et  très  modeste  dans  le  choix  que  ladite  Académie 
vient  de  faire  en  la  personne  du  docteur  Sigismond  Jaccoud,  qui  lui  appar- 
tenait depuis  1877  et  qu'elle  a  élu  à  l'unanimité  secrétaire  perpétuel  en  rem- 
placement de  M.  Bergeron.  Ancien  professeur  de  clinique  médicale  à  l'hôpital 
de  la  Pitié,  clinicien  du  plus  haut  mérite,  connu  du  monde  savant  de  tous 


LE  MENESTREL 


4.7 


les  pays  par  des  travaux  extrêmement  remarquables,  notamment  par  le  grand 
Dictionnaire  de  médecine  qui  porte  son  nom,  M..raccoud  s'est  fait  lui-même. 
Lorsqu'il  vint  à  Paris  en  1850  pour  y  l'aire  ses  études,  il  était  sans  fortune, 
et  comme  il  avait  étudié  la  musique  à  Genève  en  amateur,  et  qu'il  lui  fallait 
vivre,  il  n'hésita  pas  à  accepter,  dans  l'orchestre  du  Gymnase  (qui  possédait 
alors  un  orchestre),  une  place  de  second  violon,  qu'il  remplit  avec  exactitude 
pendant  trois  ou  quatre  ans,  tout  en  prenant  ses  inscriptions.  Et  depuis  cette 
époque,  M.  Jaccoud  continue  de  faire  partie  de  l'Association  des  artistes 
musiciens,  à  laquelle  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  réclamer  la  pension  à 
laquelle  il  aurait  droit.  Voilà  comment,  d'une  façon  assez  originale,  la  musique 
se  trouve  indirectement  mêlée  à  l'élection  du  nouveau  secrétaire  perpétuel 
de  l'Académie  de  médecine. 

—  Jolie  semaine  qui  se  prépare  pour  les  critiques  de  théâtre!  Voici  le 
tableau  des  répétitions  et  des  «  premières  »  annoncées  : 

Lundi  11,  à  l'Opéra-Gomique  (matinée),  répétition  générale  de  la  Fille  de 
Tabarm. 

Mardi  12,  à  l'Opéra  (soirée),  répétition  générale  d'Astarté. 

Mercredi  13,  à  l'Opéra-Comique,  première  représentation  de  la  Fille  de 
Taharin. 

Jeudi  14,  au  Gymnase,  première  représentation  du  Domaine. 

Vendredi  IS,  à  l'Opéra,  première  représentation  A'Astarté. 

Théâtre  Antoine,  première  représentation  des  Remplaçantes. 

Et,  en  suspens  encore,  les  Variétés  avec  les  Médicis  de  M.  Henri  Lavedan. 

—  La  matinée  organisée  à  l'Opéra-Comique  par  M.  Albert  Carré,  au 
bénéfice  de  la  caisse  (fondée  en  18!)8)  de  pensions  viagères  des  artistes  de 
l'orchestre,  des  chœurs  et  du  personnel  de  la  scène,  a  eu  lieu  jeudi  avec  le 
plus  grand  succès,  puisque  la  recette  a  dépassé  douze  mille  francs  !  On  y  a 
beaucoup  fêté  M°"=  Sanderson,  qui  a  chanté  délicieusement  Pensée  d'automne 
et  une  nouvelle  mélodie  de  Massenet,  Amoureaic  appel,  qui  a  été  aux  étoiles. 
Devant  l'insistance  du  public,  la  charmante  artiste  a  dû  ajouter  un  morceau 
au  programme,  ia  valse  de  Roméo  et  Juliette,  qui  lui  a  été  bissée.  Gros  effet 
encore  pour  l'Ave  Maria  de  Gounod,  chanté  à  l'unisson  par  toutes  les  dames 
artistes  du  théâtre.  N'oublions  pas  M"«  Raunay,  la  piquante  Judic,  Coquelin 
cadet  toujours  inénarrable,  M"=  Charlotte  Wiehe,  puissante  tragédienne.  On 
avait  commencé  par  l'Intermezzo  de  Henri  Heine,  musique  fort  adroitement 
par  M.  Gaston  Lemaire. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
la  Basoche  et  les  Noces  de  Jeannette;  le  soir,  Manon. 

—  En  finira-t-on  quelque  jour  avec  cette  idée  fausse  que  la  composition 
musicale  de  la  Marseillaise  n'appartient  pas  à  Rouget  de  Lisle  ?  Voici  qu'un 
important  organe  musical  allemand,  le  Zeitschrift  der  Internalionalen  Musik- 
Gescllschaft,  vient  encore  de  rééditer  l'attribution  à  Grisons,  de  Saint-Omer, 
de  la  mélodie  de  notre  chant  national.  Heureusement  notre  collaborateur 
Julien  Tiersot,  qui,  il  y  a  plusieurs  années,  a  rétabli  la  vérité  dans  une  étude 
dont  le  Ménestrel  a  eu  la  primeur,  a  relevé  de  nouveau  cette  assertion  dans  un 
article  qui  vient  de  paraître  à  la  première  page  du  Zeitschrift.  Il  faut  donc 
espérer  que  maintenant,  en  Allemagne  comme  en  France,  on  n'aura  plus  de 
doutes  sur  un  fait  qui  n'est  peut-être  pas  de  première  importance,  mais  à 
propos  duquel  on  se  demande  eu  vertu  de  quelle  préoccupation  il  y  a  tant 
de  gens  si  empressés  à  travestir  la  vérité. 

—  M.  Ch.-M.  Widor  partira  dans  les  premiers  jours  de  mars  pour  Moscou, 
où  il  doit  assister  à  la  cérémonie  d'inauguration  du  nouveau  Conservatoire 
de  cette  ville. 

—  Les  Signale,  de  Leipzig,  nous  apprennent  que  M.  Edouard  Colonne  doit 
entreprendre  avec  sou  orchestre,  au  printemps  prochain,  une  tournée  de  con- 
certs au  cours  de  laquelle  il  visitera  les  principales  villes  de  l'Allemagne,  y 
compris  Berlin  et  Wiesbaden. 

—  C'est  un  livre  très  important  et  fort  intéressant  que  celui  que  M.  Lau- 
rent Grillet  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Les  ancêtres  du  violon  et  du  violoncelle, 
les  luthiers  et  les  faiseurs  d'arehet  (Paris.  Charles  Schmid,  2  vol.  in-S»).  Nous 
avions  déjà  sur  ce  sujet  l'ouvrage  volumineux  et  précieux  d'Antoine  Vidal  : 
Les  instrument.^  à  archet,  qui,  lui  aussi,  l'avait  bien  étudié.  Mais  on  n'aura 
jamais  trop  de  détails  et  de  renseignements  pouvant  servir  à  établir  d'une 
façon  certaine  l'histoire  complète  et  définitive  de  ce  roi  de  l'orchestre,  de  cet 
instrument  pathétique  et  admirable  qui  s'appelle  le  violon.  Pour  ma  part 
j'ai,  en  ma  qualité  de  violoniste,  été  hanté  pendant  quinze  ans  du  désir 
d'écrire  cette  histoire.  J'y  ai  renonce  en  présence  de  l'incertitude  des  rensei- 
gnements, du  peu  de  précision  qu'oU'rent  les  détails  de  sa  naissance  et  de 
ses  transformations.  Féiis  assure  que  l'excellent  violoniste  Cartier,  qui  s'en 
était  occupé  longtemps,  avait  rédigé  une  Histoire  du  violon,  mais  qu'il  ne 
put  jamais  trouver  d'éditeur.  Étant  donnée  la  personnalité  de  Cartier,  le  fait 
est  doublement  fâcheux.  Qu'est  devenu  son  manuscrit?...  Nul  ne  le  sait. 
Nous  connaissons  aujourd'hui  ce  qu'étaient  les  instruments  que  M.  Laurent 
Grillet  appelle  fort  justement  «  les  ancêtres  du  violon  ».  Nous  n'ignorons 
plus  que  les  premiers  instruments  barbares  à  cordes,  tels  que  le  ravanastron, 
étaient  en  usage  dans  l'Inde  il  y  a  plus  de  cinq  mille  ans  ;  nous  savons  que 
le  rebab  existait  en  Arabie  dès  le  septième  siècle,  et  qu'à  cette  époque  aussi 
les  bardes  gaéliques  se  servaient  du  grossier  crouth  à  trois  cordes  ;  de  même 
nous  avons  appris  que  la  rubèbe  ou  rebelle  à  une  ou  deux  cordes  était  connue 
chez  nous  au  neuvième  siècle,  qu'elle  fit  place,  trois  cents  ana-après,  au  rebec 
à  trois  cordes,  dont  les  ménétriers  se  servaient  au   dix-huitième  siècle.  En 


même  temps  on  avait  la  vielle  à  archet,  instrument  cher  aux  ménestrels  et 
aux  trouvères.  Puis  enfin  on  eut  les  gigues  allemandes,  les  violes  italiennes 
(da  braccio  et  da  gamba),  et  l'on  sait  que  de  tout  cela  sortit  le -violon  moderne. 
Mais  quand,  où,  par  qui?...  Il  n'importe.  M.  Laurent  Grillet,  s'il  n'a  pu,  pas 
plus  que  d'autres,  préciser  à  ce  sujet,  a  du  moins  retracé  avec  soin  et  avec 
toute  l'exactitude  possible  l'historique  de  ces  prédécesseurs,  de  ces  ancêtres 
du  violon  moderne.  Le  plan  de  son  livre  est  clair,  bien  disposé,  les  documents 
y  sont  nombreux,  les  citations  heureusement  choisies.  Et  comme  l'auteur  a 
voulu  joindre  l'agréable  à  l'utile,  il  a  orné  son  ouvrage  d'un  grand  nombre 
d'illustrations  prises  surtout  d'après  les  monuments.  Et.  plus  heureux  que 
Cartier,  il  a  trouvé  un  éditem-,  et  cet  éditeur,  qui  est  assurément  un  homme 
de  goût,  a  publié  le  livre  dans  des  conditions  rares  de  luxe, et  de  confortable. 
Heureux  auteur,  heureux  lecteurs  !  a   P. 

—  L'écrivain  consciencieux  et  distingué  qui  signe  du  nom  de  Michel  Brenet 
vient  de  doter  la  littérature  musicale  d'un  livre  dont  le  sujet  n'avait  été  jus- 
qu'ici qu'effleuré,  traité  çà  et  là  par  parties,  et  qui  vient,  on  peut  le  dire, 
combler  une  véritable  lacune.  Ce  livre  a  pour  titre  les  Concerts  en  France  sous 
l'ancien  régime  (Fischbacher,  in-12),  et  la  matière  y  est  traitée  avec  toute 
l'ampleur  et  toute  l'abondance  désirables.  Il  est  divisé  on  deux  parties,  dont 
la  ijremière  nous  mène  de  la  fin  du  moyen  âge  au  commencement  du  dix- 
huitième  siècle,  tandis  que  la  seconde  part  de  la  fondation  du  Concert  spiri- 
tuel pour  aboutir  à  la  Révolution.  Peut-être  l'auteur  eùt-il  pu  s'étendre  un 
peu  plus,  dans  sa  première  partie,  sur  la  si  intéressante  et  si  peu  connue 
Académie  de  poésie  et  de  musique  de  Baïf  et  de  ses  amis,  et  ce  chapitre  est 
sans  doute  un  peu  étriqué,  d'autant  que  les  renseignements  sont  loin  de 
manquer  à  ce  sujet.  Mais  le  livre,  en  son  ensemble,  est  bien  venu,  sérieuse- 
ment documenté,  écrit  d'une  langue  claire  et  lucide,  et  l'on  peut  dire  que  la 
matière  y  est  à  peu  près  épuisée.  On  y  retrouve  d'ailleurs  les  qualités  de  goût 
et  de  sincérité  qui  distinguent  les  travaux  de  l'écrivain.  Je  lui  reprocherai 
seulement  un  véritable  abus  de  notes  marginales,  qui  sont  fatigantes  en  Tenant 
interrompre  le  récit  deux  ou  trois  fois  à  chaque  page:  Un  livre  de  ce  genre 
n'est  point  fait  pour  les  ignorants  en  musique.  Alors,  à  quoi  bon  ce  déluge 
de  petites  notices  sur  des  artistes  que  souvent  l'on  connaît  et  pour  lesquels, 
si  on  ne  les  connaît  pas,  on  n'a  qu'à  consulter  Fétis  pour  être  renseigné.  En 
principe,  la  note  de  bas  de  page  doit  être  absolument  indispensable.  Autre- 
ment, elle  lasse  et  décourage  le  lecteur.  A.  P. 

—  La  charmante  M"»  Kleeberg  parcourt  la  Suisse  en  ce  moment,  s'arrétant 
ici  et  là  pour  donner  des  récitals  de  piano  qui  ont  toujours  le  plus  grand 
succès.  Sur  tous  ses  programmes  on  voit  figurer,  à  côté  des  grands  classiques, 
quelques  œuvres  de  maîtres  français  qui  y  font  très  bonne  figure.  C'est  ainsi 
que  les  Abeilles  de  Théodore  Dubois  et  Les  ailes  de  Benjamin  Godard  lui  sont 
presque  partout  redemandés. 

—  Au  dernier  «  Mercredi-Danbé  »  M"'  Cesbron,  la  brillante  lauréate  du 
Conservatoire,  a  remporté  un  vif  succès  avec  les  adorables  mélodies  de 
Théodore  Dubois,  Au  désir.  Dormir  et  rêver  et  l'Oubliée,  auxquelles  le  public  a 
fait  fête.  —  M.  Brémont,  de  l'Odéon,  a  dit,  comme  il  sait  dire,  l'Étoile  du  soir 
et  l'Incantation  de  Victor  Hugo,  sur  la  musique  de  Francis  Thomé,  qui  a  eu 
les  honn .urs  du  bis.  —  Enfin  les  Chants  populaires  gallois,  reconstitués  par 
Bourgault-Ducoudray,  ont  valu  àMM.Hennebains,  Soudant,  deBruyne,  Mar- 
cel Migard,  Destombes  et  à  l'auteur,  qui  les  dirigeait,  un  très  réel  et  légitime 
succès.  —  Nous  remarquons  au  programme  de  mercredi  prochain  plusieurs 
œuvres  de  Théodore  Dubois,  l'émiuent  directeur  du  Conservatoire,  entre  autres 
l'andante  et  cavatine  pour  violoncelle  et  ses  jolies  pièces  en  forme  de  canon 
qu'il  exécutera  lui-même  avec  MM.  Destombes  et  Bleuzet.  Puis  encore  trois 
mélodies  du  même  maître  (Poème  de  mai,  Au  désir,  A  Douarnenez),  interprétées 
par  M.  Delmas,  de  l'Opéra.  A  cette  matinée  encore  on.  entendra,  Mfl»'  Adiny 
dans  le  Rêve,  de  Richard  Wagner;  on  sait  avec  quel  art  elle  interprète  les 
œuvres  du  maître,  et  deux  mélodies  d'Emile  Trépard.  Enfin,  le  quatuor 
Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes,  exécutera  plusieurs  œuvres  de 
Mozart,  Beethoven  et  Mendelssohn. 

—  M™  Anne  de  Vergniol.  avec  le  concours  des  auteurs,  de  M""  Henriette 
Menjaud  et  de  MM.  Enesco,  Sechiaoi,  Casais  et  Englebert,  donnera  à  la  salle 
Hoche,  les  11  février,  21  février  et  11  mars,  trois  intéressantes  séances  de 
musique  de  chambre  consacrées  la  première  à  M.  G.  Pauré,  la  seconde  à 
M.  Léon  Delafosse,  la  troisième  à  M.  Vincent  d'Indy. 

—  Comme  à  Alger,  la  Louise  de  Charpentier  vient  d'être  accueillie  triom- 
phalement au  Grand-Théâtre  de  Lille.  Mais  ce  n'est  pas  la  faute  du  direc- 
teur, qui  avait  refusé  tout  simplement  au  compositeur  la  répétition  supplé- 
mentaire qui  eut  été  indispensable.  On  est  arrivé  devant  le  public  sans  avoir 
répété  une  fois  dans  les  décors  au  complet  et  sans  avoir  réglé  l'éclairan-e. 
Aussi,  que  d'accrocs  dans  la  mise  en  scène  à  la  première  représentation  ! 
Malgré  cela,  le  public  a  fait  à  l'œuvre  un  accueil  émouvant  et  a  réclamé  à 
grands  cris  M.  Charpeniier,  qui,  justement  froissé,  n'était  pas  venu  au  théâtre. 
L'œuvre  a  été  fort  bien  interprétée  par  M.  et  M™»  Mikaelly,  rappelés  trois  fois 
après  le  duo  du  3«  acte,  et  par  M.  Ramieux  (le  père)  et  M"'"  Lefort  (la  mère). 
L'orchestre  excellent  sous  la  conduite  de  M.  Brunet.  Toute  la  presse  lilloise 
constate  unanimement  cette  grande  réussite.  M.  Charpentier  est  à  présent  à 
Bruxelles,  où  la  «  première  »  de  Louise  a  du  être  donnée  hier  soir  samedi. 

—  De  Marseille  :  Les  directeurs  du  Grand-Théâtre  veulent  laisser  de,  bons 
souvenirs  de  .leur  passage  en  attendant  la  mise  en  régie  par  la  Ville,  mesur* 
dont  le  maire  parait  fort  soucieux.  Malgré  le  vif  succès  iB-Gend/riUon.i\ûi-Be- 
poursuit  toujours,    on    presse  les  études  à'Aniré  Chénier,    du    compositeur 


LE  MENESTREL 


italien  Giordatio,  et  de  Louise,  du  maître  français  Charpentier;  ces  deux  ou- 
vrages sont  annoncés  pour  le  courant  de  février.  On  vient  de  distribuer,  au 
Gymnase,  les  Fêtards  de  Victor  Roger,  dont  le  succès  est  si  vif  à  Toulouse. 

—  De  Pau  :  La  saison  du  Palais  d'hiver  se  continue  brillante  sous  la  di- 
rection artistique  de  M.  Bouvet.  Grand  succès  pour  la  Vie  de  Bohème  de 
Puccini  et  Cavalleria  rusticana  de  Mascagni.    On  répète  à  présent  la  Sapho  de 

•  Massenet  avec  le  ténor  Leprestre  et  M"*' Demours.  Les  concerts  classiques 
de  Brunel  font  fureur  le  vendredi.  On  y  prépare  un  festival  en  Thonneur  de 
M.  Théodore  Dubois,  qui  doit  venir  prochainement  dans  nos  parages. 

—  Saint-Etienne  :  La  messe  brève  en  sol  de  Niedermeyer  vient  d'être  exé- 
cutée trois  fois  sous  l'habile  direction  de  M.  J.  Vincent,  et  le  succès  a  été  très 
grand.  Brillante  recette  ponr  les  pauvres. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  La  Société  instrumentale  d'amateurs  «  la  Tarentelle  '>  a 
donné  son  23»  concert  à  la  Salle  Erard.  L'orchestre,  très  bien  dirigé  par  M.  Ed  Tourey,  a 
fait  merveille  notamment  dans  la  Symphonie  en  tet  majeur  de  Beethoven  et  dans  le  Der- 
nier Sommeil  de  la  Vierge  de  J.  Massenet.  Il  a  accompagné  avec  soin,  à  M.  Alph.  Hassel- 
mans,  qui  l'a  interprété  en  grand  artiste,  le  Choral  et  variations  pour  harpe  et  orchestre 
de  Ch.-M.  AVidor,  dont  les  mélodies  chantées  d'une  manière  exquise  par  M""  Charlotte 
Lormont  ont  eu  les  honneurs  du  bis.  M.  Bartet,  de  l'Opéra,  a  eu  également  un  grand 
succès.  N'oublions  pas  le  violoncelliste  G.  Loeb  qui  a  enthousiasmé  l'assistance.  — 
A  la  Salle  d'Horticulture,  très  exquise  soirée  musicale  organisée  par  le  parfait  ténor 
fflondain  M.  Robert  Le  Lubez  qui  s'est  fait  grandement  applaudir  dans  d'importants  frag- 
ments de  Cosi  fan  tutte  de  Mozart,  en  compagnie  de  M"'  Jane  Leclerc,  Louis  Château, 
MM.  Morel,  Dubois  et  Maton  qui  dirigeait  un  petit  orchestre  à  cordes.  11  y  a  eu  aussi, 
dans  la  première  partie,  d'unanimes  bravos  pour  M°"'  la  vicomtesse  de  Trédern  et 
M"=  Louis  Château  dans  le  duo  du  Roi  d'Ys,  de  Lalo,  pour  M""  de  Trédern  dans  le  Che- 
valier Belle- Étoile,  d'Augusta  Holmes,  et  pour  le  comte  de  Gabriac  et  M"""  de  Trédern 
dans  le  duo  de  Sigurd,  de  Reyer.  —  Charmante  matinée  Berny,  à  la  Bodinière,  causerie 
avec  œuvres  de  Périlhou.  M.  Berny  qui  a  joué  la  Pastorale  du  XYIII"  siècle  et  la  Chan- 
son de  Guillot  Martin,  et  M""  Mathieu  d'Ancy  et  M.  Daraux,  accompagnés  par  Fauteur, 
ont  charmé  l'auditoire  nombreux  avec  la  Vie7-ge  à  la  Crèche,  Nell,  M'amye,  Villanctle, 
Vitrail,  l'Hermite,  Au-dessous,  la  Complainte  de  Saint-Nicolas,  Musette,  Margoton  et  Chan- 
son à  danser.  —  La  <c  Société  de  musique  classique  et  moderne  «,  dirigée  par  M.  AVil- 
laume,  vient  de  donner  un  concert  où  on  a  surtout  applaudi  Source  Capricieuse  de 
L.  Filliaux-Tiger  jouée  par  l'auleur  et  les  Enfants  de  Massenet,  chantés  par  M"*  Mouillot. 
—  A  son  concert,  salle  Pleyel,  M™°  Louise  Vaillant  était  entourée  d'artistes  forts  distin- 
gués. Citons  la  violoniste  Henriette  Vedrenne,  la  violoncelliste  Edmée  de  Buffon,  M"''yva 
Moresia  qui  a  dit  avec  un  charme  très  expressif  la  nouvelle  mélodie  de  Massenet,  Xrnou- 
reuse,  M"=  Poncin,  très  applaudie  dans  la  Valse  printanière,  de  M,  Léon  Schlesinger,  ac- 
compagnée par  Tauteur,  M""*  Savinie  Lherbay  qui  a  récité  dans  la  perfection  la  poésie 
d'Auguste  Dorchain,  Sans  lendemain,  avec  musique  d'accompagnement  de  M.  Léon  Schle- 
singer exécutée  sur  l'orgue  célesta,  par  M'*"  Denyse  Taine;  enfin  M""*  Forges  de  Montagnac 
qui  a  fait  a-lmirer  un  superbe  organe  dans  le  Nil  de  Xavier  Loroux,  avec  accompagnement 
de  violoncelle  par  M""  de  Buffon.  —  Très  intén^ssante  audition  des  élèves  de  la  classe  de 
piano  au  Conservatoire  de  M.  Louis  Diémer.  On  a  surtout  remarqué  MM.  Lortat-Jacob  et 
A-  Turcat  dans  une  jolie  suite  pour  deux  pianos  de  M.  Louis  Aubert,  puis  MM.  René  Billa, 
Ad.  Borchard,  enfin  MM.  G.  Déré  {Les  Abeilles^  de  Th.  Dubois),  G.  Arcouet  tt  Garés  qui 
font  honneur  au  merveilleux  enseignement  de  leur  célèbre  maître.  —  A  la  Bodinière,  aux 
matinées  Berny,  très  grand  succès  pour  des  fragments  du  Noël  de  Paul  Vidal  et  Mau- 
rice Bouchor.  Ces  exquis  fragments  ont  été  chantés  de  façon  exquise  par  M""^  Hatlo  et  les 
chœurs  de  M""  J.  Lyon.  La  flûte  de  M.  Lernatte,  le  hautbois  de  M.  Ch.  Brun,  le  violon  de 
M.  A.  Brun,  l'alto  de  M.  Monteux,  le  violoncelle  de  M.  Destombes  et  le  piano,  tenu  par 
l'auteur,  ont  merveilleusement  accompagné.  —  Bonne  séance  d'élèves  chez  M""  et  M""  Lafais- 
Gontié.  On  remarque  surtout  M"'  Hélène  H.  {Aubade  du  Cid,  Massenet),  M.  Maurice  M. 
{Andfdousc du  Cid,  Massenet),  M"'  L.  T.  et  M.  A.  B.  {dao de Saplio,  Massenet)  et  M^'L.  T. 
(air  de  la  Flûte  enchantée,  Mozart).  —  Mi'"  Hélène  CoUin  a  donné  une  séance  d'élèves 
très  réussie,  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Georges  Falkenberg,  parmi  lesquelles  le  Scher- 
sando  a  été  particulièrement  goûté.  On  a  vivement  apprécié  l'excellente  école  de  piano 
de  M""  Collin,  qui  s'est,  à  la  fin,  fait  chaudement  applaudir.  —  Salle  de  Géographie, 
brillante  matinée  de  bienfaisance,  organisée  par  M""  Fagnant-Lmnay,  violoniste.  M.  Ma- 
noury  a  chanté  avec  un  talent  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire  Pensée  d'automne  de  Massenet. 
La  Charité  de  Faure,  que  le  public  a  fait  bisser,  a  été  chantée  par  M.  et  M"»  Manoury, 
M"*  Hiriberry  et  M.  Furstenberg,  avec  accompagnement  de  violon  et  violoncelle  par 
M"*  Fagnant-Launay  et  M"'  Bande;  le  trio  de  Godard  pour  violon,  violoncelle  et  piano  a 
été  brillamment  exécuté  par  M""^  Fagnant-Launay,  M"'  Baude  et  M™"  Gilbert-Thouvenel. 
M.  Voisin  a  été  applaudi  dans  la  scène  de  Lemercier  de  Neuville  :  En  province.  M"''*  Aël 
Brick  et  Tugot;  MM.  Villemin,  Auge,  AUéon  et  J.  Fagnant  ont  interprété  avec  succès  des 
pages  littéraires.  —  Superbe  matinée  chez  M.  Maxime  Thomas,  le  violoncelliste  distingué. 
Une  sonalé  de  Beethoven  et  la  Méditation  de  Thaïs  jouées  par  le  maître  de  maison  et 
M"'=  Madeleine  Mauduit,  une  jeune  pianiste  d'avenir,  ont  eu  un  grand  succès.  M""  Mau- 
duit  a  fini  la  séance  avec  un  nocturne  de  Chopin  merveilleusement  interprété.  —  Matinée 
des  plus  intéressantes  chez  M"°  Millet  de  Marcilly,  M""  Van  Parys  de  l'Opéra  a  obtenu  le 
plu?  grand  succès  avec  l'air  d^Hamlet,  et  les  Variations  de  Proch,  Miss  Daisy  Glenne, 
M"'  Frémerey,  M.  Billaudot,  M""  la  comtesse  Mikorska,M"'"Baudeet  Salomon,  M™'  Millet 
de  Marcilly,  M  de  Léry  se  sont  fait  également  entendre  et  applaudir.  —  Samedi  dernier, 
à  la  Société  d'Enseignement  îloderne,  conférence-concert  sur  Beethoven.  L  interprétation 
du  concerto  en  ut  mineur  et  de  la  sonate  en  ut  dièse  a  valu  beaucoup  de  succès  à  M"»  Gi- 
rardin-Marchal.  —  A  lu  soirée  qui  a  suivi  le  Banquet  annuel  de  FAssociation  amicale  de 
Condorcet,  après  la  note  gaie  fournie  par  M"'^  Germaine  Riva,  de  la  Renaissance,  et  par 
le  chansonnier  Maurice  Brébant,  M""  Mathieu  d'Ancy,  des  Concerts-Colonne,  a  détaillé 
l'air  du  Mysoli,  de  Félicien  David,  avec  un  talent  exquis  de  vocalise  et  d'expnssion  qui  a 
ravi  l'auditoire.—  Salle  Krard,  le  violoniste  M.  D.  Lederer  a  donné  un  intéressant  concert, 
avec  le  concour8  du  pianiste  M.  Jean  Canivet.  Les  deux  artistes  ont  d'abord  joué  dans 
un  style  pariait  la  belle  sonate  pour  piano  et  violon  en  ut  mineur  de  Beethoven  ;  M.  Lede- 
rer a  ensuite  détaillé  avec  beaucoup  de  virtuosité  le  4=  concerto  de  Vieuxlemps  et 
M.  Canivet  a  offert  une  interprétation  poétique  et  impeccable  de  la  sonate  du  Clair  de 
tune,  de  Beethoven.  N'oublions  pas  M"*  Lovano,  fort  applaudie  dans  plusieurs  mélo- 
dies, dont  la  jolie  chanson  Par  le  sentier,  de  M.  Th.  Dubois.  — La  dernière  soirée  musicale 


de  M"°  Magdeleine  Godard  était  consacrée  aux  œuvres  de  M""  Augusta  Holmes  qui  pré- 
sidait elle-même  aux  exécutions.  Succès  d'enthousiasme  pour  Au  pays  hleu  interprété  par 
l'auteur  et  M"»  Delillemont  (piano  4  mains),  M""  M.  Godard  (violon),  M.  Marthe  fviolon- 
celle).  —  Très  brillante  soirée  salle  Krard  pour  applaudir  M""  Solange  de  Croze,  fille  et 
élève  du  distingué  compositeur  Ferdinand  de  Croze.  La  jeune  pianiste  a  exécuté,  avec 
une  remarquable  virtuosité  et  une  grande  diversité  de  talent,  plusieurs  morceaux  de 
maîtres.  Puis  l'oi-chestrede  Colonne  a  interprété,  avec  s:i  mai's tria  habituelle,  du  Schumann, 
et  M.  Hardy-Thé  et  M""  Yvonne  de  Tréville  se  sont  fait  applaudir  chaudement.  —  Chez 
M™"  René  Fâche,  intéressante  audition  de  mélodies  d'Ernest  Moret  interprétées  très  joli- 
ment par  M""  Bressolles.  A  vous  ombre  légère,  Teiulressc ,  Tubéreuse  et  les  originales 
Chansons  tristes  ont  eu  les  honneurs  de  la  séance.  —  Assistance  des  plus  sélect  au  con- 
cert de  charité  dimanche  à  Rambouillet  :  vif  succès  |  our  l'exquis  chanteur  Hardy-Thé, 
bissé  dans  l'Adieu  au  Foyer  de  L.  Filliaux-Tiger,  la  brillante  pianiste  Jeanne  d'Herbé- 
court  dans  Source  Capricieuse  du  même  auteur;  Myrto  (Delibesi  par  M""  Lundh,  Psyché 
(Ambroise  Thomas),  Ère  (Massenet),  par  M'""  Colombel  complétaient  un  programme  en 
tous  points  réussi.  —  Audition  très  réussie  des  œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger  chez  l'excellent 
violoncelliste  M.  Thomas  :  succès  accentué  pour  Pluie  en  mer,  interprétée  avec  un  grand 
style  par  M"'"  Paul  Diey,  et  pour  Source  Capricieuse,  par  l'auteur.  —  Hier,  la  charmante 
cantatrice  M"''  Mouillot,  élève  de  M-"  Ducasse,a  obtenu  le  plus  vif  succès  dans  les  Enfants 
et  Crépuscule  (Massenet);  bravos  chaleureux  a  l'excellent  violoniste  de  la  Haulle  dans 
Méditation  de  Thaïs  (Massenet),  à  L.  Filliaux-Tiger  et  M""  Saillard  dans  Boman  d'Ar^ 
lequin  (Massenet-Filliaux-Tiger).  L.  Filliaux-Tiger  interprétant  sa  Source  Capricieuse  a 
retrouvé  le  succès  déjà  remporté  avec  cette  poétique  composition  au  concert  de  M.  Wil- 
laume.  —  Les  séances  artistiques  mensue'les  de  M""^  du  "Wast-Duprez  ont  repris  brillam- 
ment leur  cours  dans  l'élégante  salle  du  Journal.  On  a  applaudi,  dans  la  dernière,  M""*  Le 
Garabier,  Campagna,  Ménière,  Diébold  et  MM.  de  Poumayrac,  Lafont  et  P.  du  Wast  dans 
des  fragments  de  Mignon^  de  Mireille  et  des  Dragons  de  Vilkirs,  ainsi  que  M""  Marguerite 
Achard,  Jeanne  du  Wast  et  M.  Gabriel  Willaume  dans  la  partie  instrumentale  ou  décla- 
mée. —  La  dernière  séance  de  FÉcole  de  musique  classique,  dirigée  par  M.  Gustave 
Lefèvre,  a  été  particulièrement  intéressante.  Les  divers  élèves  de  l'école,  MM.  Nibelle, 
Chabanier,  Le  Boucher,  Defosse,  Hœflich,  Bruxer,  ont  fait  ressortir  son  excellent  ensei- 
gnement en  exécutant,  avec  le  concours  de  MM.  Deliay  et  Guidé,  un  programme  superbe 
qui  réunissait  les  n^^ms  de  Bach,  Gluck,  Mendelssohn,  Niedermeyer,  Schumann  et  Saint- 
Saëns.  —  Très  intéressante  séance  donnée  à  la  salle  Pleyel  par  la  charmante  pianiste, 
M""  Suzanne  Percheron,  qui  s'y  est  montrée  pleine  de  brio.  A  signaler  surtout  sa  bril- 
lante interprétation  de  la  Toccata  de  Massenet.  M.  Dantu  a  très  bien  chanté  un  air 
d'Hérodiade,  et,  avec  M*''^  Melno,  le  duo  de  Marie-Magdeleine .  —  Chez  Pleyel,  très  atta- 
chante «  séance  de  sonates  »  donnée  par  M.  et  M'"''  Carembat.  Très  remarquée  et  très 
applaudie  la  belle  sonate  pour  violon  et  piano  de  Théodore  Dubois. 

NÉCROLOGIE 

De  Yalta  (Grimée),  à  la  date  du  10  janvier,  on  annonce  la  mort  d'un 
jeune  artiste  qui  donnait  les  plus  brillantes  promesses,  le  compositeur  Basile 
Serguevitch  Kalinnikof,  dont  nous  avons  entendu  l'an  dernier,  aux  concerts 
de  l'Exposition,  une  symphonie  fort  remarquable.  D'une  famille  modeste, 
Kalinnikof,  fils  d'un  employé  du  gouvernement  d'Orel,  était  né  en  18G6.  Au 
sortir  de  ses  études  au  séminaire  d'Orel,  il  entra  à  l'école  de  la  Société  phil- 
harmonique de  Moscou.  Son  éducation  musicale  fut  dirigée  par  Tschaïkowsky, 
qui  le  confia  à  deux  excellents  maîtres,  MM.  Hûnski  et  Blaremberg.  C'est 
en  1892  qu'il  débuta  brillamment  avec  sa  symphonie,  qui  fut  fort  bien  ac- 
cueillie et  qui  fit  concevoir  en  lui  de  grandes  espérances.  Il  écrivit  depuis 
lors  une  seconde  symphonie,  une  cantate,  une  Suite  d'orchestre,  une  musique 
pour  un  drame  d'Alexis  Tolstoï  :  Tsar  Boris,  deux  <c  Tableaux  symphoniques» 
intitulés  l'un  les  Nymphes,  l'autre  te  Cèdre  et  le  Palmier,  des  mélodies  vocales 
et  quelques  morceaux  de  piano.  Il  avait  même  entrepris  la  composition  d'un 
opéra,  l'Année  iSI2.  Malheureusement,  le  jeune  artiste  était  depuis  longtemps 
dévoré  par  la  phtisie,  qui  finit  par  avoir  raison  de  son  courage  et  de  sa 
volonté.  Il  s'est  éteint  avant  d'avoir  accompli  sa  trente-cinquième  année. 

—  De  Varsovie  on  annonce,  à  la  date  du  19  janvier,  la  mort  du  ténor  Otta- 
vio  Nouvelli,  qui  était  âgé  seulement  de  46  ans.  C'est  à  notre  Théâtre-Italien 
de  la  salle  Ventadour  que  cet  excellent  artiste  vint  débuter,  le  27  avril  1877, 
dans  Marta.  Il  y  fut  fort  bien  accueilli,  et  particulièrement  lorsqu'il  reprit 
dansiiida  le  rôle  de  Radamès,  qu'il  fut  même  le  premier,  après  l'avoir  chante 
en  italien,  à  chanter  à  Paris  en  français,  sur  ce  même  théâtre.  Nouvelli  four- 
nit ensuite  une  brillante  carrière  en  Italie,  entre  autres  à  la  Scala  de  Milan, 
où  il  se  montra  dans  la  Reine  de  Saba  de  Goldmark  et  dans  les  Maîtres  Chan- 
teurs, et  au  Communal  de  Bologne,  où  il  chanta  Roméo  et  Juliette  de  Gounod, 
Héroiiade  de  Massenet,  Lohengrin,  Carmen,  Mefistofele,  Tristan  et  Yseult,  etc. 
Il  avait  abandonné  la  carrière  active  en  1897  pour  accepter  les  fonctions  de 
professeur  au  Conservatoire  de  Varsovie.  Il  a  publié  un  manuel  estimé  de 
l'enseignement  du  chant. 

—  Ces  jours  derniers  est  mort  à  Milan,  à  l'âge  de  58  ans,  Alessandro  Fano, 
directeur  du  journal  le  Mondo  artislico,  l'une  des  meilleures  feuilles  musicales 
de  cette  ville,  où  elles  sont  si  nombreuses.  Il  avait  été  d'abord  collaborateur 
du  Cosmorama  et  du  Trovatore,  puis  avait  pris  la  direction  du  Mondo  artistico 
avec  l'appui  d'un  excellent  critique,  mort  il  y  a  quelques  années,  Filippo 
Filippi,  qui  était  aussi  feuilletonniste  musical  d'un  grand  journal  politique, 
la  Perseveranza. 

—  Un  renseignement  inexact  nous  a  fait  dire  que  M"'»  Charlotte  Dreyfus, 
l'artiste  distinguée  dont  nous  avons  annoncé  la  mort,  était  la  veuve  du  fac- 
teur Edouard  Ale.xandre.  Le  l'ait  est  controuvé. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


.  —  (Encre  LoiJleu) 


3647.  -  67-  mm  -  Pi"  7.  PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanelie  17  Février  1901. 


-^M 


(Les  Bureaux,  2"'",  rue  Vivieme,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

MÉNESTREL 


lie  Hamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉA^TKES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


— f—Jo  1901 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement.  \ 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  gns. 


B.P.^- 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  Peinli'es  mélomanes  (IV  articlei  ;  Silhouettes  contemporaines,  Raymond  Bouyer.  — 
—  H.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  (VAstartc  à  l'Opéra,  Arthur  Poogin; 
première  représentation  du  Domnine  an  Gymnase,  Maurice  Froyez.  —  HL  Le  Tour  de 
France  en  musique  :  Chansons  tourangelles,  Edmond  Neuko:^tsi.  — IV.  Revue  des  grands 
eoncerls.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PRELUDIO-SALTARELLO 

de  TiiKODORE  Duuois.  —  Suivra  immédiatement  :  Simple  phrase,  de  J.  Mas- 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
On  dit,  nouvelle  mélodie  de  J.  Masseket,  poésie  de  Jean  Roox.  — Suivra 
immédiatement  :  Enfantillage,  n°  i  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélodies 
de  Théodore  Dubois,  poésies  de  Sully-Prudhomme. 


PEINTRES    MÉLOMANES 


XIY 

SILHOUETTES  CONTEMPORAINES 

Qui  ne  sait  se  borner  ne  sut  jamais  écrire...  aimer  non  plus: 
par  amour  de  la  peinture  et  de  la  musique  réconciliées,  s'il  fal- 
lait énumérer  tous  les  cadres  qui,  depuis  qu'il  y  a  des  peintres, 
ont  protégé  dans  l'or  un  sujet  musical,  ou  le  portrait  surtout 
d'un  musicien,  le  catalogue  de  Leporello  serait  dépassé.  Pour- 
quoi tout  dire?  Aux  érudits  de  profession  qui,  toujours,  ont  des 
loisirs,  puisque  leur  curiosité  rassise  ignore  la  paresse  amou- 
reuse, aux  savants  de  dénombrer  homériquement  toutes  les  pages 
plus  ou  moins  mal  inspirées  par  Wagner  ou  par  Beethoven,  de 
classer  chronologiquement  toutes  leurs  images  plus  ou  moins 
ressemblantes.  Et  Bach,  et  Gluck,  les  deux  géants  de  l'intimité 
croyante  ou  de  la  tragédie  plaintive  ?  Et  Mozart,  ce  Watteau  cé- 
leste, et  notre  Berlioz? 

Si  vous  y  tenez,  pour  Mozart,  n'oubliez  point  le  grand  dessin 
de  Garmontelle  qui  le  représente  en  famille,  ni  le  tableautin 
d'Ollivier  (salon  de  1777)  que  le  catalogue  du  Louvre  intitule  : 
Le  Thé  à  Fanylaise  dans  le  salon  des  quatre  glaces  au  Temple,  avec  toute 
la  cour  du  prince  de  Conti  :  Mozart  enfant  touche  du  clavecin  ; 
Jélyotte,  debout,  chante  en  s'accompagnant  de  la  guitare.  Le 
prince  se  dérobe  discrètement  parmi  ses  nombreux  invités.  Docu- 
ment que  je  recommande  aux  promoteurs  de  la  Société  Mozart 
([ui  vient  de  consacrer  sa  première  soirée  à  la  revanche  tardive 


du  «  maître  inconnu  ».  Les  dates  s'opposent  à  ce  que  le  déli- 
cieux claveciniste  de  Prud'hon  soit  le  novateur  futur  de  la 
Zauberflole  ;  mais  tout  Mozarleum  serait  incomplet  sans  le  petit 
Mozart  enfant  de  Barrias.  Quant  à  Berlioz,  son  iconographie  réu- 
nirait son  portrait  par'Courbet,  que  l'amoureux  d'art  (1)  trouve 
robuste,  mais  «  peint  avec  de  la  boue  »,  la  charge  de  Daumier, 
le  médaillon  de  Claudet,  qui  figurait  à  la  Centennale,  un  bois 
vigoureusement  encré  par  Valloton  ;  mais  rien  n'évoque  mieux 
la  ressemblance  que  le  bronze  morose  d'Alfred  Lenoir  sur  la 
pelouse  nocturne  du  Square  Vintimille.  La  liste  se  déroule:  il 
faudrait  rappeler  le  Mèhul  pâle  du  baron  Gros  (2),  citer  VOssian 
de  Girodet,  étiqueter  le  Verdi  profilé  rudement  sous  son  feutre  par 
G.  Masi,  vanter  le  superbe  et  romantique  Barroilhet  de  Thomas 
Couture,  qui  resplendissait  à  la  toute  récente  Exposition  des  por- 
traits d'artistes... 

Ce  serait,  toutefois,  une  illusion  que  de  croire  que  tout  por- 
traitiste de  musicien,  compositeur  ou  chanteur,  est  un  mélomane. 
Et,  réciproquement,  plus  d'un  maitre-peintre  n'a  jamais  épanché 
dans  l'or  l'aveu  silencieux  de  sa  passion  musicale  :  témoin  Dela- 
croix qui,  pourtant,  savait  comparer  si  profondément  l'idéalisation 
de  l'art  il  la  magie  du  souvenir  ;  témoin  son  libre  admirateur, 
Théodore  Chassériau,  qui  s'adressait  directement  à  Shakespeare  ; 
témoin  leur  disciple  éblouissant  dont  l'idéal  a  toujours  dédaigné 
la  réalité  contemporaine  et  l'esclavage  du  portrait,  mais  dont  les 
visions  mélodieuses  se  sont  évanouies  pour  jamais  dans  la  fumée 
des  songes,  faute  du  riche  vêtement  de  la  palette.  Le  10  octobre 
4836,  Eugène  Delacroix  notait  dans  son  Journal:  «  Convoi  du 
pauvre  Chassériau.  J'y  trouve  Dauzats,  Diaz  et  le  jeune  Moreau, 
le  peintre.  Il  me  plaît  assez...  »  Ce  jeune  peintre  n'est  autre  que 
celui  dont  les  Concourt  distinguaient  le  début  au  Salon  de  1852, 
dans  les  galeries  du  Palais-Royal,  avant  de  le  sacrer  «  l'orfèvre - 
poète  »  de  l'aquarelle  ;  et  les  critiques  improvisés  décrivaient 
sa  Pietà  «  sur  un  fond  de  montagnes  verdàtres  que  le  peintre  a 
fait  bondir  à  l'horizon,  sur  un  ciel  blafard  et  voilé  de  deuil...  » 
Ce  jeune  peintre  est  celui  qui  s'écriait,  devant  les  fresques  riantes 
de  Chassériau  précurseur  :  «  Je  rêve  un  art  épique  qui  ne  soit 
plus  un  art  d'école  !  »  Gustave  Moreau  tint  parole:  et  le  sno- 
bisme s'est  emparé  de  ses  aquarelles  patiemment  orfévries  com- 
me des  sonnets,  somptueusement  orchestrées  comme  des  sym- 
phonies, rivales  opulentes  des  Trophées  d'un  Hérédia,  des  Poèmes 
symphoniques  d'un  Saint-Saëns.  Plus  discrets  dans  leurs  effusions, 
les  amoureux  d'art  vont  les  interroger  au  Luxembourg,  grâce 
aux  joyaux  du  don  Hayem,  au  Musée  même  oii  l'homme  encore 
mystérieux  et  l'artiste  longtemps  inconnu  se  devinent  :  ah  !  les 
longues  heures  instructives,  rue  de  la  Rochefoucauld,  parmi  les 
projets  indéfinis,  tous  inachevés,  dans  le  demi-jour  de  l'atelier 

(1)  Jean  Dolent,  Amoureux  d'art  (F.Tris,  LeDierre,  1888). 

(2)  Cf.  le  Mriieslrel  du  23  septembre  1900.  —  Il  existe,  de  même,  un  dessin  de  BoiUy, 
mais  qui  ne  ligurait  pas  à  ir-xposiLien  CenLennalc. 


50 


Ll'  MÉNESTREL 


qui  participe  de  lu  discrétion  du  home .'  Ce  palais  a  des  lueurs  de 
nécropole  :  le  regard  s'imagine  exhumer  des  songes  très  anciens, 
presque  babyloniens,  dans  l'or  des  soirs  fauves  épandus  sur  la 
Chimère  :  et  le  peintre  vieilli  répétait  :  «  Je  ne  vis  plus  qu'avec 
les  morts  !  » 

Mais  les  vivants,  qui  sont  aussi  des  fantômes,  avaient  attiré  sa 
brillante  jeunesse;  exemplaire  idéal,  sa  vie  s'est  harmonieuse- 
ment partagée  entre  le  monde,  l'amour  et  l'amitié  :  trois 
lumières  successives  qui  se  disputent  le  vol  de  l'àme.  D'abord, 
le  jeune  vertige  des  soirées  mondaines,  à  l'époque  des  shakes- 
peariennes eaux-fortes:  Hamlet  et  le  Bot  Lear  frémissent  sur  le 
cuivre,  avant  l'heure  désirée  des  paroles  frivoles  :  Delacroix  l'ini- 
tiateur, au  beau  temps  de  la  jeunesse  et  du  gilet  vert,  ne  tra- 
vaillait-il pas  avec  plus  de  furia  francese  quand  il  avait  la  pro- 
messe d'une  invitation  pour  le  soir?  Gustave  Moreau  juvénile 
ne  dédaignait  point  le  séjour  de  Compiègne,  mais  il  préférait  les 
soirées  de  M""'  Viardot  :  et  c'est  ainsi  que  sa  passion  musicale  se 
réveille.  Sa  voix  est  juste.  Le  peintre  aime  à  chanter  du  Gluck 
et  du  Mozart.  Gomme  Méhul,  l'ami  discret  des  roses,  et  qui  fut 
très  mondain  tant  que  la  consomption  l'épargna,  Gustave  Moreau 
ne  jurait  que  par  les  symphonies  de  Haydn.  Dirigée  par  Seghers, 
la  Société  de  Sainte-Cécile  offrait  ce  régal.  On  se  croyait  de 
retour  aux  heures  attiques  de  l'époque  Louis  XVI,  toutes  par- 
fumées de  la  douceur  de  vivre.  On  n'entendait  point  gronder 
un  nouveau  déluge...  Naturellement  recueilli,  profond,  le 
jeune  Moreau  disparut  le  premier  de  la  fête  :  l'amour,  puis 
l'amitié  l'accaparèrent.  Et  le  plus  minutieux  labeur  ne  cessa  de 
l'absorber  tout  entier.  Chacune  de  ses  aquarelles  est  un  long 
poème,  non  pas  sans  défauts,  assurément,  mais  tout  vibrant 
d'une  science  et  d'une  conscience  byzantines.  Plus  tard,  cédant 
non  pas  à  l'ambition  vaine,  mais  au  désir  plus  pur  de  propager 
la  bonne  parole,  membre  de  l'Institut,  puis  chef  d'atelier  en 
pleine  Ecole  des  Beaux-Arts,  il  laissa  toute  une  génération  sous 
le  charme.  Sa  phrase  était  musicale  comme  son  àme.  Au  Louvre , 
devant  un  maître,  il  devenait  merveilleux.  Mais  lui,  si  libéral, 
si  largement  ouvert  aux  curiosités  littéraires  ou  plastiques  de 
nos  soirs,  et  qui  fut  jusqu'au  dernier  jour  un  jeune  parmi  les 
jeunes,  demeurait  absolument  clos  à  l'évolution  de  la  musi- 
que ;  il  semblait  ignorer  qu'au  delà  du  Rhin  le  génie  d'un 
Richard  Wagner  réalisait  en  un  décor  immense  le  symbole  qu'il 
méditait  dans  un  petit  cadre.  Élève  d'une  mère  admirable,  il 
avait  gardé  sa  religion  musicale.  Certes,  le  17  mars  1860,  le 
nouveau  Faust  de  Gounod  le  trouvait  indifférent  ;  mais  sa 
fiévreuse  contemporaine  Yiieult,  fleur  d'amour  éclose  dans  les 
nuits  de  Venise,  n'aurait  pas  su  le  retenir.  Et,  plus  tard,  le 
bariolage  tudesque  des  Filles-Fleurs  eût  choqué  son  goût.  Un 
trait,  qu'il  rapportait  volontiers  lui-même,  atteste  son  érudition 
luxueuse:  lors  de  la  reprise  de  1869,  il  avait  projeté  de  mer- 
veilleux costumes  pour  son  chef-d'œuvre  favori,  le  Don  Juan  de 
Mozart;  mais  le  directeur  du  Grand-Opéra  refusait  avec  amer- 
tume :  «  Il  faudrait  plus  de  cent  mille  francs  pour  exécuter 
votre  rêve  !  »  On  ne  prête  qu'aux  riches,  et  les  poètes  ont  beau 
jeu  pour  commenter  l'énigme  du  peintre  :  mais  quelle  glose 
vaudrait  les  notes  mélodieuses  de  ces  carnets  qui  ne  verront 
jamais  le  jour,  de  ces  pages  secrètes  où  le  chantre  d'Orphée  répé- 
tait pour  lui  seul  ce  qu'il  murmurait  à  l'oreille  d'un  ami  :  «  La 
solitude  est  une  offrande  au  souvenir...  Dieu  agit  envers  les 
hommes  comme  les  hommes  envers  les  oiseaux  :  il  leur  crève 
les  yeux  pour  les  faire  mieux  chanter.  » 

Plus  d'une  àme  délicate  a  senti  la  rosée  bienfaisante  des  pleurs 
qu'épanche  un  invisible  Orphée  :  et  sans  parler  de  l'enthou- 
siaste Henri  Regnault,  l'artiste  par  excellence,  dont  la  Correspon- 
dance posthume  atteste  des  amitiés  très  musicales,  —  le  Nord  et 
l'Orient  m'en  procurent  la  preuve.  L'orientaliste  se  nommait 
Léon  Belly.  Ce  fut  un  maître.  Un  original  :  à  ses  heures  élève  de 
Troyon.  Un  courageux,  qui  choisit  une  route  nouvelle,  hardi- 
ment lumineuse,  au  sortir  d'une  oasis  où  beaucoup  d'indolents 
seraient  demeurés...  Riche  et  lettré,  longtemps  dilettante, 
amoureux  de  musique  classique  et  de  beaux  livres,  choyé, 
cultivé  par  l'affection  d'une  mère  savante  mais  fantasque,  impro- 


visant à  ravir,  jouant  avec  une  séduction  prime-sautière  des 
fugues  de  Bach  ou  la  Pastorale.  La  symphonie  de  Beethoven  n'est- 
elle  point  l'apogée  du  paysage?  Et  la  Scène  au  bord  du  ruisseau 
ne  sera-t-elle  pas  toujours  le  désespoir  des  peintres? 

Antithèse  imprévue,  le  mélomane  du  Nord  fut  un  casanier 
que  jamais  les  voyages  n'accaparèrent;  sa  Hollande  natale  lui 
parut  d'abord  le  cadre  souhaité  de  ses  rêves  ;  son  art  et  sa  vie 
semblent  le  panégyrique  même  de  l'intimité.  Trop  méconnu 
parmi  nous,  Anton  Mauve  était  un  grand  poète  des  petites  choses  ; 
ce  n'est  point  la  Caravane  radieuse,  ivresse  de  Belly,  que  dési- 
raient ses  regards,  mais  les  harmonies  familières  de  sa  patrie 
froide  et  verte  :  et  l'hiver,  à  La  Haye,  dans  la  tiédeur  rembra- 
nesque  des  soirs  silencieux,  loin  de  la  vaste  mer  qui  se  plaint 
obscurément,  le  goût  de  la  bonne  musique  réconfortait  le  paysa- 
giste ;  un  quatuor  lui  soufilait  l'inspiration;  Bach,  Mozart,  (Vluck 
et  Schubert  étaient  ses  dieux.  Et  lorsque  le  souvenir  paie  son 
tribut  à  ces  peintres  contemporains  que  l'incompréhensible 
nature  a  frappés  trop  tôt,  n'est-ce  pas  à  la  patronne  des  âmes 
artistes  qu'il  s'adresse  irrésistiblement,  à  cette  exquise  et  géniale 
Marie  Bashkirtsetî  aux  sombres  yeux  ardents  sous  ses  cheveux 
clairs?  Dans  son  atelier,  des  livres  grecs  auprès  des  toiles  com- 
mencées; et  le  piano  s'entr'ouvrait  pour  délasser  les  frêles  doigts 
engourdis  par  la  palette  :  à  seize  ans,  la  jeune  Russe  se  croyait 
cantatrice,  plus  fière  de  sa  voix  que  de  sa  beauté.  Peu  de  mois 
avant  de  mourir  à  vingt-quatre  ans,  «  au  seuil  de  tout  »,  elle 
modelait  une  figure  douloureuse  qu'elle  intitulait  :  La  Musique. 

(A  suivre.  )  Raymond  Bouyer. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra.  Astarté,  opéra  en  quatre  actes,  poème  de  M.  Louis  de  Gramont. 
musique  de  M.  Xavier  Lerou.t.  (Première  représentation  le  IS  février  1901.) 

Dans  sa  rédaction  bon  enfant  et  sans  prétention,  la  Cuisinière  bour- 
geoise vous  dit  tout  simplement  :  «  Pour  faire  un  civet,  prenez  un  lièvre  » , 
ce  qui  semble  en  effet  la  première  précaution  à  prendre.  De  même  on 
pourrait  dire  à  uos  musiciens  :  «  Pour  faire  un  opéra,  prenez  un  livret  n . 

On  croyait  jusqu'ici  qu'un  bon  livret  d'opéra  exigeait  avant  tout  la 
passion,  le  mouvement  et  l'action.  Mais  aujourd'hui  on  remplace  vo- 
lonlier  la  passion  par  l'impudicité,  le  mouvement  par  le  piétinement  et 
l'action  par  un  tournoiemeut  qui  s'exerce  toujours  dans  le  même  cercle. 
II  y  a  bien  peu  de  chose,  en  vérité,  dans  ce  «  poème  »  d'.Ularld,  un 
poème  d'une  singulière  allure.  On  se  rappelle  les  vers  do  Boileau  par- 
lant de  l'épouse  à  son  époux  et  daubant  sur  Quinault  : 

Par  toi-même  bientôt  conduite  à  l'Opéra, 
De  quel  air  penses-tu  que  ta  sainte  verra 


Qu'on  ne  saurait  trop  tôt  se  laisser  enflammer, 
Qu'on  n'a  reçu  du  ciel  un  cœur  que  pour  aimer, 
Et  tous  ces  lieux  communs  de  morale  lubrique 
Que  Lully  réchauffa  des  sons  de  sa  musique. 

Mais  Quinault  peignait  l'amour,  et  il  le  peignait  en  vers  harmonieux 
et  souvent  adorables,  et  ces  vers  peuvent  être  lus  par  tous  les  yeux.  Or, 
ce  n'est  pas  l'amour  que  peint  l'auteur  d'Astarlé,  c'est...  toute  autre 
chose.  Et  tout  ce  que  j'en  puis  dire  sous  ce  rapport,  c'est  que  je  n'aurais 
garde  de  laisser  traîner  le  livret  de  ce  chef-d'œuvre  sur  ma  table  de  tra- 
vail, alin  que  mes  filles  n'y  puissent  fourrer  le  nez.  Ah  !  on  entend  de 
jolies  choses  à  l'Opéra,  par  le  temps  qui  court  ! 

Pour  ce  qui  est  de  la  pièce,  voici. 

Hercule,  duc  d'Argos,  va  entreprendre  une  nouvelle  campagne  pour 
détruire  le  culte  infâme  de  la  déesse  Astarté.  Il  va  se  rendre  en  Lydie,  dans 
le  but  d'exterminer  la  reine  Omphale,  sectatrice  cruelle  et  impudique 
de  cette  déesse.  Rien  ne  peut  le  retenir,  pas  même  l'amour  do  Déjanire, 
son  épouse.  Celle-ci  du  moins  veut  user  d'un  talisman  pour  le  mettre 
en  garde  contre  les  séductions  d'Omphale,  qu'elle  redoute.  Ce  talisman, 
c'est  la  fameuse  tunique  du  centaure  Nessus,  que  ce  dernier  lui  a  remise, 
on  le  sait,  en  lui  disant  que  lorsque  Hercule  la  vêtirait  il  reviendrait 
infailliblement  à  elle.  Elle  charge  donc  lole,  sa  pupille,  de  suivre  les 
traces  de  son  époux  et  de  lui  remetti'e  le  coffret  contenant  la  tunique 
ensanglantée.  Peu  de  mouvement  dans  cet  acte,  comme  on  voit. 

Au  second.  Hercule  est  arrivé  avec  les  siens  en  Lydie,  sous  les  murs 
de  Sardes.  Ici,  un  décor  délicieux  et  de  toute  beauté,  mais  avec  un 


LE  MÉNESTREL 


54 


anachronisme  singulier  :  ce  décor  nous  fait  voir  au  loin  la  mer.  Or,  la 
ville  de  Sardes  n'est  nullement  un  port  de  mer.  Capitale  de  l'ancienne 
Lydie,  elle  est  située  au  pied  du  mont  Tmolus,  sur  une  rivière  dont  le 
nom  est  assez  connu,  car  elle  s'appelle  le  Pactole.  —  Passons. 

Hercule  et  ses  guerriers  sont  devant  les  portes  de  la  ville.  Hercule 
s'absente  un  instant,  je  ne  saurais  dire  pourquoi,  ni  lui  non  plus,  sans 
doute.  Toujours  est-il  que  pendant  celte  courte  absence  les  femmes  de 
Sardes  —  les  «  sardines  »,  disait  un  mauvais  plaisant  —  mettent  le 
temps  à  profit,  viennent  enjôler  ses  soldats,  se  font  suivre  docilement 
par  eux  et  les  entraînent  dans  la  ville  en  chantant  et  en  dansant,  si  bien 
que  quand  Hercule  revient  il  ne  trouve  plus  personne,  personne  que  le 
grand-prétre  Phur,  qui  l'invite  à  entrer  lui-même,  ce  qu'il  fait  incon- 
tinent. 

Le  troisième  nous  montre  Hercule  dans  le  palais  d'Omphale,  oii  il 
vient  pour  tout  casser,  à  commencer  par  la  propriétaire  de  l'établisse- 
ment. Seulement,  dès  qu'il  a  vu  la  jeune  personne  ses  idées  changent, 
et  il  est  tellement  frappé  de  sa  beauté  qu'il  en  devient  follement  épris 
et  consent  aussitôt  à  filer  sa  quenouille  à  ses  pieds  devant  tout  le  monde 
—  et  il  y  a  beaucoup  de  monde!  Mais  Omphale,  qui  n'est  pas  la  pre- 
mière venue  et  qui  veut  ctre  siu'e  de  son  fait,  lui  donne  à  boire  une 
liqueur  qui  lui  fera  oublier  Déjanire.  Ici.  nous  tombons  dans  l'histoire 
de  Tristan  et  Yseult,  et  Hercule  n'est  plus  qu'un  intoxiqué.  Aussi,  il 
faut  voir  ce  qu'il  entend  par  l'amour.  Saprelotte,  c'est  féroce! 

Le  quatrième  acte  n'est  qu'un  immense  duo  —  oh  !  combien  immense! 
et  encore,  on  en  a  coupé  la  moitié!  —  entre  Hercule  et  Omphale,  un 
duo  vraiment  frénéticpie,  où  Hercule  semble  un  taureau  furieux.  Ce 
duo  ne  finirait  peut-être  jamais,  s'il  n'était  interrompu  par  l'arrivée 
d'Iole  avec  son  coffret  et  la  tunique  y  incluse.  Comment  se  fait-il  qu'Om- 
phale,  qui  a  l'air  d'être  folle  d'Hercule  et  que  lole  a  mise  au  courant, 
l'eDgage  elle-même  à  revêtir  cette  tunique?  c'est  une  question  à  laquelle 
je  ne  saurais  répondre.  Toujours  est-il  qu'à  peine  Hercule  s'est- il 
entuniqué,  il  se  met  à  crier  encore  plus  fort  qu'à  l'ordinaire,  et  je  vous 
assure  que  ce  n'est  pas  peu  dire.  Il  sent  qu'il  va  mourir  et  il  veut  du 
moins  se  venger  en  incendiant  le  palais  d'Omphale.  Mais,  voyant  le 
danger,  le  grand-prêtre  Phur,  qui  est  un  malin,  entraine  Oniphale 
pendant  que  le  palais  s'écroule,  la  fait  monter  avec  lui  sur  une  galère  et 
fait  route  avec  elle  pour  Lesbos.  On  les  voit  arriver  sin-  les  rives  de  l'ile 
enchantée,  séjour  d'Astarté,  dont  le  temple  et  la  statue  colossale  s'élè- 
vent au  loin,  et  on  assiste  à  l'apothéose  de  la  déesse  impudique. 

Telle  est  cette  pièce  étrange,  qui  a,  comme  je  le  disais,  bien  peu  de 
qualités  scéniques  ou  dramatiques,  et  dont  on  s'étonne  qu'un  composi- 
teur ait  pu  se  charger  pour  en  écrire  la  musique. 

M.  Xavier  Leroux  est  un  «  jeune  »  (un  vrai,  il  a  trente-cinq  ans  à 
peiue),  et  cependant  pas  tout  à  fait  im  «  nouveau  ».  Grand  prix  de 
Rome  à  vingt  ans,  en  188.5,  il  n'a  cessé  depuis  lors  de  produire  et  de  se 
produire.  S'il  n'avait  pas  encore  abordé  sérieusemeat  le  théâtre  à  Paris, 
il  en  avait  tâté  à  Bruxelles  en  donnant  au  théâtre  de  la  Monnaie,  il  y  a 
cinq  ans,  une  ÉvangéUne  en  quatre  actes  qui  avait  été  bien  accueillie.  Ici, 
il  ne  s'était  encore  fait  connaître  sous  ce  rapport  que  par  la  musique  de 
scène  écrite  pour  la  Cléopâtre  de  MM.  Sardou  et  Moreau,  représentée  à 
la  Porte-Saint-Martin  en  1890,  celle  des  Perses,  d'Eschyle,  traduits  par 
M.  Ferdinand  Herold  et  donnés  â  l'Odéon  en  189B,  et  celle  (pour  moitié, 
l'autre  étant  de  M.  Messager)  de  la  Montagne  enchantée,  féerie  de 
MM.  Albert  Carré  et  Moreau,  jouée  à  la  Porte-Saint-Martin  en  1897. 
En  dehors  de  la  scène,  on  sait  qu'il  a  donné  aux  concerts  île  l'Opéra  une 
scène  lyrique  intitulée  Vénus  et  Adonis,  qui  était  chantée  par  M'""  Hégion, 
M""  Loventz  et  Carrère,  et  aux  concerts  Lamoureux  un  vigoureux 
poème  symphonique,  Harald.  Et  ce  n'est  pas  tout,  car  M.  Leroux,  qui 
depuis  quatre  ans  est  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire,  a  publié 
encore,  avec  un  certain  nombre  de  morceaux  religieux,  plusieurs  recueils 
de  mélodies  :  /es  Roses  d'octobre,  Poèmes  de  Bretagne,  tes  Estampes,  et  beau- 
coup de  mélodies  détachées,  dont  certaines  surtout  :  /e  Silence,  Rêve  bleu. 
Chrysanthème,  le  Nil,  ont  obtenu  un  grand  succès. 

On  attendait  donc  avec  une  certaine  curiosité  le  véritable  début 
scénique  du  jeune  artiste.  Dirai-je  que  ce  début  a  été  un  coup  de  maitre? 
Non,  car  je  ne  le  crois  pas.  Mais  d'ailleurs,  quand  est-ce  qu'on  com- 
mence au  théâtre  par  un  chef-d'œuvre?  Et  puis,  j'ai  déjà  dit  ce  que  je 
pensais  du  livret  à'Astarté  et  du  peu  de  ressources  qu'il  offrait  au  com- 
positeur. Au  premier  acte.  Hercule  est  avec  Déjanire;  au  second,  il  ne 
fait  que  paraître;  au  troisième  et  au  quatrième,  il  est  sans  cesse  avec 
Omphale.  On  comprend  le  peu  de  variétés  des  situations  et  le  peu  d'élé- 
ments qu'elles  offrent  au  musicien .  Je  sais  bien  qu'il  y  a,  au  premier 
acte,  l'appel  d'Hercide  à  ses  guerriers,  et,  au  second,  la  scène  de  séduc- 
tion exercée  sur  ceux-ci  par  les  femmes  de  Sardes.  Mais  ce  sont  là  des 
épisodes  scéniques,  et  non  des  situations  dramatiques. 

Toutefois,  M.  Leroux  a  su  profiter  du  premier.  Toute  cette  scène 
d'Hercule  et  de  ses  guerriers  ne  mauque  ni  d'éclat  ni  de  gramleur, 


mais,  grands  dieux!  qu'elle  est  bruyante,  et  que  les  oreilles  en  sont 
endolories  !  De  même,  il  a  apporté  tous  ses  soins  à  celle  de  l'eujolement 
des  soldats  d'Hercule,  et  ses  chœurs  mêlés  de  danses  sont  d'un  heureux 
effet. 

L'œuvre  est  conçue  d'ailleurs  dans  le  pur  système  wagnérien,  avec 
récits  interminables,  dialogues  éternels  sans  que  les  voix  jamais  se 
marient,  et  accompagnements  de  leitmotil's.  Il  y  en  a  même  un  terrible, 
c'est  celui  d'Hercule,  qui  a  visiblement  hanté  l'esprit  du  compositem', 
et  qui  fait  frémir  quand  il  revient  périodiquement,  attaqué  par  les  trom- 
pettes dans  leurs  notes  les  plus  aiguës.  Il  va  sans  dire  que  l'auteur  s'est 
gardé  comme  du  feu  d'écrire  quelque  chose  qui  ait  l'apparence  d'un 
«  morceau  ».  Et  cependant,  voyez  l'ironie,  il  a  placé  au  premier  acte 
dans  la  bouche  d'Hercule,  sur  ces  paroles  adressées  à  Déjanire  :  Voici 
l'instant  des  suprêmes  adieux,  un  cantabile  d'un  sentiment  pénétrant, 
avec,  ô  surprise!  retour  du  motif  servant  de  conclusion,  et  le  public  en 
a  été  tellement  charmé  que  toute  la  salle  a  fait  entendre  un  murmure 
de  satisfaction  et  de  plaisir. 

Mais  ceci  n'était  qu'un  accident,  et  tout  le  reste  de  la  partition  s'est 
développé  dans  les  conditions  que  j'ai  indiquées.  Et  le  malheur,  c'est 
que  M.  Leroux,  qui  ne  donne  de  mouvement  qu'à  l'orchestre  (orchestre 
très  riche,  trop  riche,  pourrait-on  dire),  emploie  une  déclamation  telle- 
ment lente,  tellement  étirée,  que  ces  quatre  actes  d'Astarté,  commencés 
à  sept  heures  et  demie  sonnant,  ne  se  sont  terminés  qu'après  minuit, 
bien  que  chaque  entr'acte  fut  à  peine  de  dix  minutes. 

Il  n'a  pas  à  se  plaindre  de  ses  interprètes.  M.  Alvarez  est  un  Hercule 
superbe,  qui  y  va  bon  jeu  bon  argent,  et  qui  se  donne  tout  entier  sans 
compter.  Mais,  saprelotte!  faut-il  qu'il  ait  un  coffre  pour  venir  â  bout 
d'un  rôle  écrit  de  cette  façon  et  pour  lutter  contre  un  tel  orchestre  ! 
M""  Grandjean  est  tout  à  fait  charmante,  comme  femme,  comme  actrice 
et  comme  cantatrice,  dans  le  rôle  de  Déjanire,  qui  n'a  qu'un  acte,  mais 
extrêmement  important.  Elle  est  la  grâce  en  personne.  C'est  M°"'  Hégion 
qui  joue  Omphale,  où  elle  fait  preuve  de  son  talent  ordinaire.  Pour  être 
moins  écrasant  que  celui  d'Hercule,  ce  rôle  n'en  est  pas  moins  lourd  à 
porter,  et  exige  une  artiste  sûre  d'elle  et  expérimentée.  Elle  y  a  pu 
déployer  à  loisir  toutes  ses  qualités.  M.  Delmas  représente  le  grand- 
prêtre  Phur,  où  font  merveille  sa  belle  voix,  son  articulation  superbe 
et  son  style  irréprochable.  Le  rôle  secondaire  d'Iole  est  tenu  avec  grâce 
et  avec  goût  par  M""  Hatto,  et  M.  Laffitte  mérite  des  éloges  dans  celui 
d'Hylas,  page  d'Hercule.  Orchestre  et  choeurs  ont  fait  preuve  de  solidité. 
Mais,  pour  ces  derniers,  on  devrait  bien  tâcher  de  leur  donner  un  peu 
de  mouvement,  un  peu  d'action,  et  surtout  s'efforcer  de  ne  pas  les  placer 
toujours  en  rang  d'oignons,  les  bras  ballants,  comme  de  simples  pantins. 

A  part  cette  réflexion,  la  mise  en  scène  est  remarquable  et  tout  à  fait 
digne  de  l'Opéra.  Le  décor  du  second  acte,  de  MM.  Jambon  et  Bailly, 
est  absolument  délicieux,  et  celui  du  troisième,  dû  à  M.  Amable,  est 
simplement  admirable.  Quant  aux  costumes  du  ballet,  —  lequel  est 
joliment  réglé,  —  c'est  un  enchantement  pour  les  yeux,  et  il  ne  se  peut 
rien  de  plus  chatoyant,  de  plus  voluptueux  et  du  goût  le  plus  pur  que 
ce  mélange  de  couleurs  qui  se  fondent  dans  une  harmonie  exquise. 

Arthur  Pougin. 


Théâtre  du  Gymn.\se  :  Le  Domaine,  pièce  en  3  actes,  de  M.  Lucien  Besnard. 
Le  Gymnase  vient  de  nous  donner  une  œuvre  d'un  puissant  intérêt  ; 
l'auteur,  M.  Lucien  Besnard,  est  presque  un  débutant.  Au  printemps 
dernier,  le  théâtre  des  Escholiers  nous  avait  appris  son  nom  en  repré- 
sentant la  Fronde;  cette  remarquable  comédie  affirmait  déjà  chez  son 
auteur  un  tempérament  dramatique  et  un  sens  véritable  des  choses  du 
théâtre.  Le  Domaine  a  pleinement  confirmé  les  espérances  que  la  Fronde 
nous  avait  fait  concevoir.  Les  Escholiers,  qui  avaient  été  les  premiers  â 
nous  révéler  Brieux,  Dévore,  Coolus  et  tant  d'autres,  peuvent  se  mon- 
trer fiers  une  fois  de  plus  d'avoir  indiqué  à  un  théâtre  régulier  un 
auteur  inconnu  hier,  applaudi  aujourd'hui  et  (lui  sera  demain  un  de 
nos  jeunes  maîtres  les  plus  en  vue. 

Les  Marbois-Grandchamps  sont  une  vieille  famille  imbue  de  tous  les 
préjugés  d'une  aristocratie  surannée  et  d'une  politique  rétrograde  ;  race 
dégénérée  à  moitié  ruinée,  blason  mésallié  et  mal  redoré,  sang  d'un 
bleu  douteux,  appauvri  par  le  vice.  Ces  nobles  descendants  de  croises 
qui  ne  se  sont  donné  que  la  peine  de  naître  essaient  de  lutter  et  de 
défendre  leur  domaine  contre  le  flot  montant  des  idées  nouvelles  de 
ceux  qui  se  sont  donné  la  peine  de  travailler  et  de  comprendre.  La 
lutte  est  trop  inégale  ;  et  après  la  mort  du  vieux  duc,  dernier  représen- 
tant de  la  véritable  noblesse,  ses  enfants  sont  obligés  d'abandonner  le 
domaine. 

L'idée  est  fort  belle  en  elle-même  et  les  deux  premiers  actes  sont 
remarquables  ;  peut-être  auraient-ils  gagné  encore,  si  l'auteur  avait 


52 


LE  MÉNESTREL 


partagé  avec  un  peu  plus  d'égalité  les  vertus  et  les  vices  entre  les  diffé- 
rents personnages  de  la  pièce,  le  public  se  serait  intéressé  davantage  ;i 
la  lutte  des  passions  et  au  choc  des  idées,  mais  les  uns.  bien  que  dégé- 
nérés, sont  réellement  trop  vicieux,  et  les  autres  sont  d'une  vertu  un  peu 
trop  envahissante,  pour  ne  pas  dire  plus.  Ce  défaut  s'accuse  encore  au 
troisième  acte  ;  quelques  violences  inutiles,  grossies  par  l'optique  théfi- 
trale,  ont  trahi,  j'en  suis  sûr,  la  pensée  raùme  de  l'auteur.  Malgré  ces 
quelques  critiques,  le  Domaine  n'en  reste  pas  moins  l'œuvre  intéressante 
que  nous  attendions  de  M.  Lucien  Besnard.  M.  Besnard  possède  la 
qualité,  trop  rare  même  chez  les  meilleurs,  de  savoir  créer,  autour  de 
chacune  de  ses  œuvres,  l'atmosphère  nécessaire  pour  nous  faire  saisir 
le  miheu  exact  qu'il  a  choisi  et  le  jour  dont  il  a  voulu  l'éclairer. 

La  pièce,  qui  ne  comporte  pas  moins  de  quarante  rôles,  est  bien  jouée. 
M.  Gémier  a  su  irnprimer  au  vieu.f  duc  un  caractère  tout  à  fait  per- 
sonnel; M.  Frédal  manque  peut-être  de  l'autorité  nécessaire  dans  le 
rôle  du  marquis  ;  M.  Dubosc  a  rendu  à  souhait  l'épaisse  silhouette  d'un 
gentilhomme  abruti  par  la  chasse.  MM.  Seruzier,  Liser  et  Beaudouin 
ont  su  donner  du  relief  à  des  rôles  épisodiques.  Si  M"''  Mégard  le  vou- 
lait, elle  deviendrait  une  de  nos  premières  comédiennes  ;  quelle  belle  et 
intelligente  artiste  !  M"'  Rolly  s'affirme  tous  les  jours  davantage  et 
M™'  Andral  est  charmante  en  un  rôle  trop  court. 

M.  Besnard  est  déjà  reparti  à  la  campagne  pour  se  remettre  au  travail  ; 
succès  oblige. 

Malrice  Froyez. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.  I 


IV 
CHANSONS    TOURANGELLES 


J'ai  un  grand  voyage  à  faire. 
Je  ne  sais  qui  le  fera; 
J'ai  un  grand  voyage  à  faire, 
.le  ne  sais  qui  le  fera  ; 
Ce  sera  Rossignolette, 
Qui  pour  moi  fera  oela. 

La  violette  double,  double, 

La  violette 

Doubler.'i  ; 
La  violette  double,  double. 

La  violette 

Doublera. 

Rossignol  prend  sa  volée, 
Au  palais  d'amour  s'en  va; 
Rossignol  prend  sa  volée, 
Au  palais  d'ainour  s'en  va  ; 
Trouve  la  porte  fermée, 
Par  la  fenêtre  il  entra. 

La  violette  double,  double, 

La  vioîette 

Doublera  ; 
La  violette  double,  double, 

La  violette 

Doublera. 


de 


BoDjoui'  l'une,  bonjour  l'autre. 
Bonjour,  belle  que  voilà; 
Bonjour  l'une,  bonjour  l'autre, 
Bonjour,  belle  que  voilà; 
C'est  votre  amant  qui  dem 
Que  vous  ne  l'oubliez  pas. 

La  -vinlette  double, double, 

La  violette 

Doublera: 
La  violette  double,  double, 

La  violette 

Doublera. 

Quoi  !  mon  amant  demande 
Que  je  ne  l'oublie  pas  ! 
Quoi!  mon  amant  demande 
Que  je  ne  l'oublie  pas  ! 
J'en  ai  oublié  tantd'autres, 
J'ouljlierai  bien  celui-là. 

La  violette  double,  double, 

La  1 iolette 

Doul)lera. 
La  violette  double,  double, 

La  violelli' 

Doublera. 


Cette  chanson  ne  se  fait  pas  remarquer  par  l'éclat  de  ses  syllabes,  par 
le  cliquetis  de  son  refrain.  Elle  est  simple,  et  c'est  ce  qui  fait  son  charme. 
Elle  respire  la  sérénité  du  beau  pays  de  Touraine  qui  la  vit  éclore. 
■Weckerlin  l'a  consignée,  avec  la  joie  d'un  collectionneur  qui  découvre 
une  pièce  rare,  dans  ses  Chansons  populaires  des  provinces  de  France,  et 
Catulle  Mendès  lui  a  donné  place  dans  ses  Chansons  tendres.  Entourée 
là  de  figurines  Louis  XV,  de  marquis  et  de  marquises  poudrés  et  de 
bergers  et  de  bergères  à  houlettes,  elle  est  dans  le  vrai  cadre  qui  lui 
convient. 

Mais  toutes  les  chansons  tourangelles  ne  sont  pas  d'une  grâce  idyl- 
lique comme  la  Violette  double.  Le  peuple,  en  Touraine,  a,  comme  autre 
part,  ses  couplets  d'e.xpansiou,  sentant  le  terroir  et  donnant  le  la  de  l'en- 
train public.  Telle  la  ronde  la  Verdi,  la  Verdun,  qui  se  chante  et  se 
danse  partout  en  pays  tourangeau.  Weckerlin  l'a  opposée  :i  la  Violette. 
En  voici  les  principaux  traits  : 

Ali!  si  j'avais  un  sou  tout  rond, 
Ah  !  si  j'avais  un  sou  tout  rond. 
J'achèterais  un  blanc  mouton, 

La  Verdi,  la  Verdon, 
Et  ioupe,  saute  donc,  la  Vordon. 


Si  elle  avait  son  mouton,  son  blanc  mouton,  que  ferait  la  belle?  Elle 
\&  tondrait  à  la  .mison;  elle  Yégaillerait  (le  sécherait)  sur  un  buisson,  la 
Verdi,  la  Verdon...  Et  sans  doute  elle  l'a,  son  mouton;  car  trois  grands 
fripons,  passant  prés  d'elle,  z'yont  emporté  sa  toison.  Elle  a  couru  après 
eux  jusqu'à  Lyon  : 

Messieurs,  rendez  m'y  ma  toison. 

C'est  pour  m'y  faire  un  cotillon. 

C'est  pour  m'y  faire  un  cotillon, 

Z'à  mon  mari  un  caneçon, 

Z'à  mon  mari  un  caneçon, 

Z'ù  mes  filles  des  bonnets  ronds. 

J'en  revendrai  les  retaillons, 

Ça  s'ra  pour  payer  les  façons, 
La  Verdi,  la  Verdon, 

Et  ioupe,  saute  donc,  la  Verdon. 

Après  la  note  gaie,  la  note  tragique.  La  Touraine  est  loin  pourtant 
de  la  Bretagne,  mais  il  semble  que  les  anciens  lais  de  l'.Vrmorique  aient 
poussé  leur  pensée  sombre  jusqu'au  point  de  la  Iioire  oit  est  le  jardin  de 
la  France.  N'y  a-t-il  pas  un  reflet  de  Gwenc'hlau  et  d'Owen  Glendour, 
le  héros  du  la  Ceinture  de  noces,  dans  cette  chanson  notée,  selon  Champ- 
lleury,  par  Weckerlin,  un  soir  que  des  petites  filles  la  chantaient  : 

Su  l'pont  du  Nord  un  bal  y  est  donné,     (iiis) 
Adèl'  demande  à  sa  mèr'  d'y  allei'. 

—  Non,  non.  ma  fiU'.  tu  n'iras  pas  danser. 
Eli'  monte  en  haut  et  se  mit  à  pleurer. 
Son  frère  arriv'  dans  un  joli  bateau. 

—  Ma  sœur,  ma  sœur,  qu'as-tu  donc  à  pleurer  '? 

—  Maman  n'veut  pas  que  j'aille  voir  danser. 

—  Mets  ta  rob'  blanche  et  ta  ceintur'  dorée. 
Les  v'ia  partis  dans  un  joli  bateau. 

EU'  fit  deux  pas,  et  la  voilà  noyée. 

Il  fit  quat'  pas,  et  le  voila  noyé. 

La  mèr'  demande  pourquoi  la  cloche  tinle. 

—  C'est  pour  Adèle  et  votre  fils  aîné. 
Voilà  le  sort  des  enfants  ostinés. 

Sur  cette  morale  il  ne  reste  rien  à  dire.  De  peur  do  nous  noyer,  éloi- 
gnons-nous de  la  Touraine. 
(A  suivre.)  '  Edmond  Neuicomm. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


C'est  par  la  symphonie  en  la  de  Beethoven  que  s'ouvrait  le  programme  du 
dernier  concert  du  Conservatoire.  Que  dire  encore  de  ce  chef-d'œuvre  rayon- 
nant d'une  immortelle  beauté?  Que  dire  de  cet  allegretto  sublime,  dont  la 
grandeur  épique  semble  faite  pour  exaspérer  l'émotion  de  l'auditeur?  Que 
dire  de  ce  finale  inouï,  dont,  à  elle  seule,  l'attaque  est  foudroyante,  et  qui  s'en 
va  toujours  plus  chaleureux,  plus  ardent,  plus  mouvementé,  nous  emportant, 
dans  un  tourbillon  de  sonorités,  jusqu'à  sa  conclusion  formidable?  C'est  la 
merveille  des  merveilles.  Eh  bien,  le  croiriez-vous?  ce  public  du  Conserva- 
toire, si  plein  de  scrupules  et  de  préjugés,  si  hostile  la  plupart  du  temps  aux 
idées  et  aux  tentatives  nouvelles,  ce  public  qui  ne  jure  que  par  le  classique 
et  n'admet  que  les  œuvres  consacrées  par  le  temps,  est  resté  manifestement 
froid  devant  cette  œuvre  lumineuse  et  entraînante,  dont  jamais  peut-être 
l'exécution,  dirigée  avec  une  verve  superbe  par  M.  Thibault,  en  l'absence  de 
M.  Tall'anel,  n'avait  été  plus  splondide,  et  ne  l'a  applaudie  que  du  bout  des 
doigts.  Alors,  que  lui  faut-il,  à  ce  hon  public?  car,  je  le  répète,  l'orchestre  et 
son  chef  avaient  été  superbes.  Bravo,  Thibault!  Le  joli  chœur  des  Fileuses 
du  Vaisseau-Fantôme  n'a  pas  été  accueilli  plus  chaleureusement,  et  il  a  fallu, 
pour  dégeler  ces  auditeurs  impassibles,  l'arrivée  de  M.  Henri  Marteau,  venant 
jouer  l'intéressant  concerto  de  violon  de  M.  Théodore  Dubois.  Il  est  vrai 
qu'il  joue  joliment  du  violon,  M.  Henri  Marteau,  et  que  c'est  une  joie  sans 
mélange  d'entendre  un  pareil  virtuose.  Son  limpide  et  pur,  archet  facile  et 
plein  d'élégance,  mécanisme  impeccable  et  justesse  parfaite  dans  l'exécution 
des  plus  grandes  dilïïcultés,  du  goût,  du  style,  il  réunit  toutes  les  qualités. 
Aussi,  son  succès  a-t-il  été  éclatant,  formidable,  avec  applaudissements, 
acclamations  et  trois  rappels  qui  ne  suffisaient  pas  encore  à  satisfaire  l'en- 
thousiasme des  spectateurs.  Brave  public!  Excellent  public!  public  sensible  et 
délicat,  tu  as  bien  fait  d'applaudir  M.  Marteau  comme  il  le  méritait,  et  ce 
n'était  que  justice;  mais,  Irancbement,  tu  aurais  bien  pu  claquer  aussi  un 
peu  des  mains  à  l'admirable  exécution  de  la  symphonie  en  la,  et  tu  as  perdu 
une  belle  occasion  de  donner  une  preuve  de  ton  goût  et  de  ton  intelligence 
artistiques.  Comme  hommage  discret  et  modeste  à  la  mémoire  de  Verdi,  le 
programme  portait  ensuite  le  Paler  noster  sans  accompagnement  du  vieux 
maître,  choeur  d'un  joli  sentiment  et  d'une  sonorité  très  harmonieuse.  Et  le 
concert  se  terminait  par  l'ouverture  si  colorée  et  si  mouvementée  de  Benve- 
nuto  Ccltini,  de  Berlioz.  A.  P. 

—  Concerts  Colonne.  —  L'exécution  de  la  Symphonie  liéroïque  a  laissé  beau- 
coup plus  l'impression  d'une  ébauche  dessinée  à  grands  traits  que  celle  d'une 


LE  MENESTREL 


53 


inlerprétatioa  soignée  minutieusement  dans  ses  détails.  Il  y  a  eu  des  passages 
excellents,  par  exemple  l'épisode  pathétique  de  la  marche  funèbre,  immédia- 
tement avant  la  reprise  du  thème  principal  qui  sert  de  conclusion  ;  d'autres 
ont  manqué  leur  effet  par  suite  du  défaut  d'équilibre  des  sonorités  ou  d'un 
peu  de  raideur.  La  fausse  entrée  du  cor  faisant  entendre  les  notes  de  l'accord 
de  tonique  pendant  que  les  violons  jouent  eu  trcinololes  notes  la  h  et  si  n  de 
celui  de  dominante  a  été  bien  présentée  et  n'a  choqué  l'oreille  de  personne. 
A  une  répétition  dirigée  par  Beethoven,  Ries  s'écria,  en  entendant  cette  dis- 
cordance: «  Damnécor,  ne  pouvait-il  compter  ses  pauses,  celasonne  faux  d'une 
façon  infâme  ".  Aujourd'hui  on  peut  justifier  cette  bizarrerie  en  considérant 
les  notes  de  cor  comme  une  anticipation  d'un  genre  singulier  sans  doute, 
mais  qui  atteint  son  but  en  forçant  violemment  l'attention  pour  ajouter  un 
redoublement  d'intérêt  au  retour  imminent  du  thème  dans  sa  tonalité  primi- 
tive. Berlioz  lui-même  n'a  pas  défendu  cette  hardiesse.  Ses  audaces,  à  lui,  ne 
portaient  guère  que  sur  la  forme  des  morceaux.  Il  en  est  ainsi  du  moins 
dans  Roméo  et  Juliette,  qu'il  a  mal  défini  en  ces  termes:  «  Ce  n'est  ni  un  opéra 
de  concert,  ni  une  cantate,  ni  une  symphonie  avec  choeurs».  Berlioz  était 
empêché  de  dire  ce  qu'il  pensait,  car,  s'il  eut  été  sincère,  sa  déclaration  aurait 
produit,  parmi  les  contemporains,  le  même  effet  désastreux  qu'une  pierre 
jetée  au  milieu  de  l'intéressant  peuple  amphibie  qui  demandait  un  roi  ;  elle 
aurait  eff'arouchë  amis  et  ennemis.  Aujourd'hui  nous  pouvons  substituer  au 
dernier  membre  de  la  phrase  de  Berlioz  celui-ci  :  c'est  du  Shakespeare  en 
musique.  Roméo  et  Juliette  est  cela  et  n'est  que  cela:  un  monde  de  sentiments 
et  de  sensations.  Il  est  donc  inadmissible  d'en  interpoler  les  différentes  par- 
ties et  de  jouer  la  Scène  d'amour  avant  liFêteche:  Capulet.  Le  moindre  incon- 
vénient de  ce  non-sens  dramatique  a  été  de  compromettre  le  début  de  l'adagio, 
qui  arrivait  ainsi  sans  préparation.  Heureusement  l'orchestre  s'est  relevé 
après  ce  commencement  médiocre,  et  le  reste,  bien  rendu,  a  été  couvert 
d'applaudissements.  —  Une  pastorale  pour  flûte,  très  distinguée  dans  son 
élégance  un  peu  bucolique,  a  fait  honneur  à  M.  Gaubert  et  à  l'auteur, 
M.  G-eorges  Hue.  —  M"'  Marthe  Girod  a  convenablement  rendu  le  concerto 
pour  piano  de  Schumann.  —  M.  Valerio  Oliveira  s'est  montré  virtuose  hors 
ligne  dans  le  concerto  pour  violon,  op.  26,  de  Max  Bruch.  —  L'ouverture  de 
Rienzi  terminait  le  concert.  On  se  demande  ce  que  Wagner  pensait  de  son 
public  lorsqu'il  en  a  écrit  l'allégro.  Cette  chose  musicale  mériterait  d'être  exé- 
cutée par  des  trombones  à  pistons  en  ut  sur  des  trSteaux  de  foire,  tant  elle  est 
remplie  de  joviale  impudence  et  de  plate  vulgarité .  L'audition  en  serait 
follement  amusante  dans  un  finale  d'Offenbacb. 

Amédée  Bout.irel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  La  dernière  séance  nous  a  offert  plusieurs 
œuvres  non  encore  entendues  à  ces  conc_erts.  On  a  été  surpris  de  rencontrer 
parmi  ces  nouveautés  d'occasion  l'ouverture  à'Iphigénie  en  Aulide  avec  la 
courte  terminaison  ajoutée  par  Kichard  Wagner  qui  prouve,  par  sa  conti- 
nence musicale  et  sa  subordination  à  l'idée  maîtresse  de  l'œuvre,  de  quelle 
profonde  intelligence  musicale  et  de  quel  respect  envers  le  génie  de  son 
musicien  lyrique  favori  le  futur  maître  de  Bayreuth  était  rempli.  Il  y  avait 
aussi  lieu  de  s'étonner  que  l'unique  concerto  pour  violoncelle  de  Schumann 
(op.  129)  n'ait  encore  jamais  été  exécuté  aux  concerts  Lamoureux,  car  la 
littérature  de  cet  instrument  n'est  pas  assez  riche  pour  qu'on  puisse  passer 
sous  silence  ce  concerto,  bien  qu'il  ne  compte  pas  précisément  parmi  les 
meilleures  œuvres  de  son  auteur.  Le  biographe  amical  de  Schumann,  W.-I.  de 
Wasîelewski,  fait  remarquer  avec  raison  que  le  maître  ne  s'était  pas  assez 
lamiliarisé  avec  le  mécanisme  du  violoncelle  pour  savoir  en  tirer  complète- 
ment parti  au  point  de  vue  de  la  virtuosité  ;  l'œuvre  a  cependant  une  phy- 
sionomie musicale  assez  attrayante  pour  qu'on  puisse  l'entendre  avec  intérêt. 
M.  Joseph  Salmon  l'a  exécutée  en  musicien  et  en  virtuose;  la  belle  cantilène 
surtout  a  vraiment  chanté  sous  son  archet  et  exhalé  tout  son  charme  poéti- 
que. —  La  grande  communauté  franckiste  a  eu  la  satisfaction  d'entendre 
iénore  le  poème  symphonique  de  M.  Henri  Uuparc,  écrit  en  1876  et  exécuté  à 
Paris  pour  la  dernière  fois  en  IS78,  à  l'occasion  des  concerts  officiels  de  l'Ex- 
position. L'œuvre  est  un  spécimen  typique  du  genre  que  les  Allemands  nom- 
ment musique  à  programme  ;  son  auteur  a  même  extrait  de  la  fameuse 
ballade  de  Bûrger  l'argument,  pour  noter  dans  sa  partition  les  phases 
dramatiques  de  l'action  qu'il  s'eff'orce  d'illustrer  musicalement  au  fur  et  à 
mesure  qu'elles  se  déroulent.  Ces  instantanés  musicaux  frappent  par  leur 
clarté  et  leur  concision  ;  il  ne  serait  cependant  pas  possible  de  savoir  ce  que 
la  musique  veut  décrire  si  on  ne  connaissait  pas  d'abord  la  vieille  poésie. 
Rien  à  faire  contre  cette  difficulté  inhérente  à  l'art  musical,  parqué  dans  des 
limites  infranchissables;  le  meilleur  programme  reste  toujours  l'appoint  de 
la  parole  chantée.  Abstraction  faite  de  l'inconvénient  de  toute  musique  à 
programme,  on  ne  peut  que  rendre  justice  aux  ressources  et  aux  beautés 
musicales  et  orchestrales  de  l'œuvre,  surtout  quand  on  pense  que  Lénore  date 
d'une  époque  où  son  auteur  n'avait  pas  pu  connaître  la  partition  de  l'Anneau 
du  Nibelung,  à  moins  d'avoir  été  du  premier  bateau  de  Bayreuth  et  de  n'a- 
voir écrit  son  œuvre  qu'au  retour,  ce  qui  ne  parait  pas  vraisemblable.  Gomme 
de  juste,  Lénore  a  trouvé  un  accueil  fort  chaleureux  et  nous  a  laissé  le  désir 
de  la  réentendre.  —  Grand  succès  aussi  pour  une  autre  ballade  :  La  Fiancée 
du  Timbalier,  dans  laquelle  M. Saint-Saëns  a  saupoudré  les  rimes  chatoyantes 
de  Victor  Hugo  de  multicolores  pierres  précieuses  qui  brillent  magiquement 
à  maint  endroit  de  la  partition.  M"'  GerviUe-Réache,  qu'on  a  entrevue  jadis  à 
rOpéra-Gomique,  était  chargée  de  la  partie  vocale  et  a  eu  l'honneur  d'un  rap- 
pel. —  Le  programme  de  la  séance  était  complété  par  le  prélude  du  deuxième 
acte  de  Gwendoline,  de  Cbabrier,  et  par  la  symphonie  en  la  de  Beethoven, 
-Nous  avons  applaudi  la  précision  rythmique  et  la  gradation  dynamique  du 


vioace  à  la  fin  de  la  première  partie;  le  public  a,  comme  toujours,  fait  fête  à 
l'allégretto.  Les  succès  traditionnels  sont  toujours  les  plus  sûrs. 

0.  Berggruen. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservaluire:  Symphonie  en  lu  i  Beethoven).  —  Chœur  des  Pileuses  du  Vaisseau-Fan- 
tôme (Wagnerj.  —  Concerto  pour  violon  (Th.  Duboisi,  par  M.  Marteau.  —  Pater  noster 
(Verdi).  —  Ouverture  de  Bcneenuto  Cetlini  (U.  Berliozi. 

Chûtelet:  Relâche. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Félix  Weiagartner:  Ou- 
verture de  la  Flûte  enchantée  (Mozart).  —  Concerto  en  ré  mineur  (Haendel).  —  Ouverture 
de  Léonore  (Beethoven).  —  Symphonie  en  ///.  majeur  (Schubert). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  février)  : 

La  «  première  »  de  Louise,  à  la  Monnaie,  a  été  mieux  qu'un  grand  succès  : 
elle  a  été  presque  une  bataille.  M.  Gustave  Charpentier  a  eu  non  seulement 
la  gloire  d'être  fliscuté  ou  admiré  par  des  gens  très  sérieux,  mais  aussi  celle 
de  n'être  pas  immédiatement  compris  par  des  imbéciles.  On  a  trouvé  que  les 
costumes  de  Louise  étaient  bien  négligés  pour  des  personnages  se  présentant 
sur  la  première  scène  lyrique  du  pays,  devant  des  dames  en  décolleté  et  des 
messieurs  en  frac;  on  a  trouvé  aussi  l'atelier  de  couture  bien  gai  pour  un 
théâtre  ordinairement  si  grave.  Mais  je  me  hâte  de  dire  que  ces  opinions, 
quelquefois  bizarres,  n'ont  pas  empêché  le  public  d'accueillir  l'œuvre  de 
M.  Charpentier  de  la  façon  la  plus  enthousiaste.  Il  y  a  eu  un  double  rappel 
après  les  2=  et  3'  tableaux,  il  y  en  a  eu  trois  après  le  4',  et  il  y  en  a  eu 
encore  davantage  après  le  premier  et  le  dernier,  qui  s'est  terminé  par  les  cla- 
meurs persistantes  (et  vraies)  du  public  réclamant  l'auteur...  obstinément 
invisible,  quoique  présent.  Si  cette  première  a  été  une  victoire,  avec  tout 
l'intérêt  de  la  lutte  qui  l'a  accompagnée,  les  représentations  suivantes  ont 
été  et  seront  de  plus  en  plus  et  de  toutes  façons  un  succès. 

Disons  bien  vite  que  l'interprétation  y  aide  considérablement.  Le  person- 
nage de  l'héroïne  a  trouvé  dans  M""  Friche  (en  quelque  sorte  une  débutante) 
une  incarnation  très  intelligente,  avec  une  voix  étendue  et  solide,  tour  à  tour 
charmante  et  puissante,  quand  il  faut.  M.  Seguin  est  un  père  de  Louise 
admirable  et  tragique,  tendre,  superbe  et  terrifiant.  M.  Dalmorès  joue  et 
chante  à  ravir  le  rôle  de  Julien;  M""=  Dhasty  met,  dans  celui  de  la  mère,  son 
style,  son  autorité,  son  émouvante  diction;  voilà  un  quatuor  incomparable. 
MM.  [''orgeur  et  d'Assy,  M"*^  Montmain  et  Mauhourg,  et  la  plupart  de  tous 
les  autres,  dans  les  petits  rôles,  sont  très  bien,  composant  un  ensemble  irré- 
prochable d'accent,  d'animation  et  de  couleur;  quant  à  l'orchestre,  sous  la 
direction  de  M.  Dupuis,  il  a  été  merveilleux.  La  mise  en  scène,  conforme  à 
celle  de  Paris,  ne  laisserait  rien  à  désirer  si  l'éclairage  n'avait,  le  premier 
soir,  manqué  de  certitude.  Et  les  chœurs  ont  donné  à  la  fête  des  Muses  un 
éclat  et  une  «  plénitude  »  de  sonorité  inattendus.  Il  y  avait,  dans  tout  cela, 
d'innombrables  difficultés  à  surmonter;  à  Bruxelles  il  était  à  craindre  que 
la  pièce,  avec  son  esprit  si  essentiellement  parisien  et  «  faubourien  »,  n'eût 
pas  toute  son  allure  et  perdit  de  son  coloris.  Les  craintes  ont  été  vaines.  Le 
personnel  de  la  Monnaie  est  rompu  d'ailleurs  aux  taches  difficiles.  Après  tant 
d'autres  travaux,  jugés  impossibles,  et  qu'il  réalisa,  Louise  est  arrivée  bien 
à  point,  pour  consacrer  à  cet  égard  sa  réputation.  L.  S. 

—  Toutes  les  nouvelles  musicales  qui  nous  parviennent  d'Italie  continuent 
à  n'avoir  d'autre  objet  que  la  personne  de  Verdi,  son  souvenir  et  tout  ce  qui 
se  rattache  à  lui.  Un  comité  s'est  formé  à  Milan  pour  l'érection  en  cette 
ville  d'un  monument  «  international  »  à  l'illustre  artiste;  ce  comité  vient  de 
publier  dans  toute  l'Italie  le  manifeste  suivant,  qui  a  été  rédigé  par  MM.  Arrigo 
Boito  et  Giuseppe  Pisa  : 

Italiens  ! 

Avec  le  présent  manifeste  nous  dét:larons  ouverte  une  souscription  destinée  à  recueillir 
les  fonds  pour  un  monument  international  à  ériger  à  Milan  à  Giuseppe  Verdi.  Le  premier 
appel,  nous  l'adressons  aux  Italiens,  qui  tous  reconnaissent  en  lui  une  des  plus  pures, 
des  plus  bienfaisantes  et  des  plus  grandes  gloires  delà  Patrie. 

Jlllan  réclame  l'honneur  de  posséder  ce  monument,  parce  qu'elle  se  sent  intimement 
liée  à  toute  l'existence  du  grand  maestro.  Dans  notre  ville  Giuseppe  Verdi  accomplissait 
ses  études  musicales;  du  tliéâtre  de  la  Scala  se  répandait  sur  le  monde  l'annonce  de  sa 
gloire  ;  à  ce  lliéâtre  il  conlia  le  sort  de  ses  derniers  chefs-d'œuvre  ;  en  cette  ville  d'élec- 
tion il  voulut  ouvrir  aux  vétérans  de  l'art  musical  un  asile  qui  fut  en  même  temps  celui 
de  son  dernier  repos. 

Italiens!  unissons-nous  tous  pour  rendre  à  Giuseppe  Verdi  ce  supi^ème  hommage  de 
notre  affectueuse  vénération,  et  c|u'en  son  nom  soit  de  nouveau  scellée  notre  concorde. 

—  Le  Sénat  et  la  Chambre  des  députés  d'Italie  ont  voté,  sur  la  proposition 
du  ministre  de  l'instruction  publique  (qui  depuis  huit  jours  n'est  plus  ministre), 
la  loi  par  laquelle  :  1''  la  maisonnette  de  Roncole,  où  naquit  Giuseppe  Verdi, 
est  déclarée  monument  national  :  2"  est  autorisée  l'inhumation  de  Verdi  et  de 
sa  femme,  Giuseppina  Strepponi,  dans  la  crypte  de  la  o  Maison  de  repos  pour 
les  musiciens  »,  à  Milan. 

— ■  Le  roi  ayant  promulgué  cette  loi,  la  commission  chargée  d'organiser  la 
céi'émonie  de  la  translation  des  restes  de  Verdi  et  de  sa  femme  s'est  réunie 
à  Milan,  sous  la  présidence  du  syndic,  et  en  a  fixé  le  jour  au  27  février  à 


M- 


LE  MÉNESTREL 


une  heure  après-midi.  Le  cercueil  de  Verdi  sera  placé  avec  celui  de  sa 
femme  sur  un  magnifique  char  traîné  par  six  chevaux  splendidement  capara- 
çonnés de  noir  et  de  broderies  d'argent.  Au  moment  oii  le  cortège  quittera 
le  cimetière  monumental,  un  choeur  de  cent  musiciens  chantera  l'air  de 
ffabucco:  Va,  pensiero,  sull'ali  dorate,  plusieurs  musiques  escorteront  le  char 
funèbre,  derrière  lequel  marcheront  les  représentants  de  tous  les  grands 
corps  de  l'Etat,  des  corps  scientifiques  et  des  corps  artistiques.  Plusieurs 
délégations  étrangères  participeront  à  cette  imposante  manifestation,  qui 
revêtira  un  caractère  national.  Le  cortège  suivra  l'intinéraire  suivant  :  Via 
Ceresio,  bastion  Porta  Volta,  rue  Legnano,  forum  Bonaparte,  rue  San  Gio- 
vanni sul  Muro,  cours  Magenta,  cours  Vercelli,  place  Michel-. Ange.  Aucun 
discours  ne  sera  prononcé.  A  la  maison  de  retraite  pour  les  vieux  musiciens 
les  deux  cercueils  seront  reçus  par  le  syndic  de  Milan,  qui  en  fera  la  remise  au 
conseil  d'administration  de  la  maison.  Puis,  ceux-ci  seront  descendus  dans 
la  crypte  de  la  chapelle  et  placés  dans  un  caveau.  Les  magasins  de  Milan  fer- 
meront pendant  toute  la  durée  de  la  cérémonie  funèbre.  Le  soir,  les  théâtres 
feront  relâche.  Ou  a  calculé  que  le  cortège  officiel  comprendra  cinq  mille 
personnes.  Le  parcours  sera  de  7  kilomètres  environ. 

—  A  Gênes,  la  junte  municipale,  approuvée  à  l'unanimité  par  le  conseil 
communal,  a  décidé  de  placer  le  buste  de  Verdi  dans  le  vestibule  du  théâtre 
Carlo  Felice,  de  sceller  une  pierre  commémorative  sur  la  façade  du  palais 
Doria.  séjour  hivernal  du  maître,  et  de  donner  le  nom  de  Verdi  à  la  grande 
esplanade  au  nord  du  Bisagno.  Le  trentième  jour  de  la  mort  du  maître,  une 
commémoration  aura  lieu  par  un  concert  exécuté  par  les  élèves  de  l'Institut 
municipal  de  musique,  et  une  conférence  de  M.  Anton  Giulio  Barrili.  —  A 
Florence,  le  conseil  communal  ne  pouvant  obtenir,  on  sait  pourquoi,  que  les 
restes  mortels  de  Verdi  soient  transportés  dans  l'église  de  Santa  Croce,  le 
Panthéon  italien  a  décidé  de  placer  dans  cette  église  une  plaque  de  bronze 
commémorative;  une  autre  inscription  sera  gravée  sur  la  porte  du  théâtre  de 
la  Pergola,  où  Verdi  dirigea,  le  14  mars  1847,  la  première  représentation  de 
son  Macbeth,  et  une  autre  encore  sur  la  maison  de  la  rue  Tornabuoni  qu'il 
habita  à  cette  époque  ;  le  nom  de  Verdi  sera  donné  à  une  des  principales 
places  ou  rues  de  la  ville;  enfin,  dans  le  Salon  des  SOO  du  Palasso  Vecchio  on 
exécutera  la  Messe  de  Requiem  de  Verdi,  avec  entrée  libre  pour  le  public.  — 
Dans  la  plupart  des  villes,  à  Naples,  à  Bologne,  à  Livourne,  à  Bimini,  à 
Sienne,  à  Brescia,  à  Mantoue,  à  Raguse,  etc.,  ont  eu  lieu,  au  théâtre  ou 
ailleurs,  des  soirées  commémoratives,  la  plupart  du  temps  avec  conférences 
(à  Livourne  M.  Taddei,  à  Sienne  M.  Ferruccio  Mercanti,  à  Gasalmonferrat  le 
député  Cottafavi),  qui  ont  provoqué  des  incidents  émouvants.  Ainsi  à  Brescia, 
où  la  direction  du  Grand-Théâtre  fit  précéder  la  représentation  de  Rigoletto 
de  l'ouverture  de  Nabucco  :  «  Lorsque  le  maestro  Falconi,  dit  un  journal, 
donna  le  signal  de  l'attaque,  tous  les  spectateurs  qui  remplissaient  le  théâtre 
se  levèrent  aussitôt  et  écoutèrent  debout,  dans  un  silence  religieux,  la 
superbe  page  de  musique,  manifestation  juvénile  du  génie,  et  ne  se  rassirent 
qu'à  la  fin,  après  avoir  fait,  par  un  immense  tonnerre  d'applaudissements, 
avec  des  cris  puissants  de  Viva  Ferdj.' une  interminable  et  émouvante  ovation. 
On  réclama  le  bis  de  l'ouverture.  » 

—  La  dernière  lettre  de  Verdi.  Le  journal  de  Rome  le  Cronache  mœicali,  qui 
consacre  à  Verdi  tout  un  numéro  fort  intéressant,  texte  et  dessins,  publie  la 
dernière  lettre  qui  ait  été  écrite  par  le  maître.  Datée  du  30  décembre  dernier, 
elle  est  adressée  au  grand  écrivain  De  Amicis,  et  l'on  verra  que  Verdi  s'y 
plaint  déjà  de  l'état  de  sa  santé,  qui  ne  le  satisfait  pas  : 

30  décembre  1900. 
Cher  [le  Amicis, 

En  vous  remen:iant  et  eu  vous  faisant  mes  excuses  pour  tous  les  ennuis  que  je  vous 
cause  continuellement,  je  vous  fais  savoir  que  je  pense  me  rendre  à  Gênes  dans  les  pre- 
miers jours  de  février.  Eu  ce  qui  concerne  ma  santé,  quoique  les  médecins  me  disent  que 
je  ne  suis  pas  malade,  je  sens  que  tout  me  fatigue  ;  je  ne  puis  lire  ni  écrire  ;  j'y  vois 
peu  ;  j'entends  moins  bien,  et  surtout  les  jambes  ne  me  soutiennent  plus.  Je  ne  vis  pas, 
je  végète...  Qu'ai-je  encore  à  faire  dans  ce  monde? 

Votre  affectionné 

G.  Verdi. 

—  De  Mantoue  on  nous  télégraphie  le  succès  d'enthousiasme  qui  a  accueilli 
la  première  représentation,  dans  cette  ville,  du  Werther  de  Massenet. 

—  Les  élèves  du  collège  Filippi,  à  Arona,  ont  représenté  un  petit  opéra 
inédit,  f/joeBamèa/do,  paroles  de  M.  Antonio  Forcina,  musique  de  M.  Alessio 
Alessi. 

—  M.  Edvard  Grieg,  dont  la  santé  laissait  tant  à  désirer  et  qui  avait  dû 
passer  trois  ans  dans  un  sanatorium  norvégien,  est  de  retour  à  Copenhague, 
en  meilleure  .santé. 

—  M.  Auguste  Enna,  auteur  delà  Sorcière  et  de  ia  Petite  marchande  d'allumettes, 
qui  obtient  actuellement  beaucoup  de  succès  sur  les  scènes  allemandes,  vient 
de  terminer  un  nouvel  opéra  en  un  acte,  intitulé  le  Berger  et  le  Ramoneur,  dont 
le  livret  est  tiré  d'un  conte  d'Andersen. 

—  De  Vienne:  M"»»  Sybil  Sanderson  donnera  le  ^ii  de  ce  mois,  dans  la 
grande  salle  du  Musikverein  et  avec  le  concours  du  nouvel  orchestre  phil- 
harmonique, un  concert  dont  voici  le  programme  : 

1.  Charpentier;  kir  it  Louise. 

2.  Massenet  :  Passionnément,  Pensée  d'automne,  Amoureux  appel,  mélodies. 

3.  Gounod  :  Valse  de  Roméo  et  Juliette. 

4.  Massenet  :  Air  d'Esclarmonde. 

C'est  la  première  fois  que  M™«  Sybil  Sanderson  se  présente  devant  le  public 
viennois. 


—  Le  Conservatoire  de  Vienne  a  célébré  le  centième  anniversaire  de  la 
mort  de  Gimarosa  par  une  représentation  de  son  chef-d'œuvre,  Il  matri- 
monio  segrelu.  L'orchestre,  composé  d'élèves  du  Conservatoire,  a  été  excellent 
sous  la  direction  de  M.  de  Perger;  de  leur  côté  les  solistes,  tous  également 
élèves,  se  sont  fort  bien  tirés  d'affaire,  et  il  parait  que  le  premier  ténor  ii 
déjà  reçu  une  offre  d'engagement.  L'œuvre  a  cependant  paru  assez  vieillie, 
et  la  direction  de  l'Opéra  impérial  était  certainement  dans  le  vrai  en  refusant 
de  reprendre  sur  sa  vaste  scène  cet  opéra-comique  centenaire. 

—  La  première  représentation  du  nouvel  opéra-comique  de  M.  Siegfried 
Wagner,  intitulé  Le  jeune  dur  étourdi  (Herzog  Wildfang),  est  fixée  à  Munich  au 
26  février.  Beaucoup  d'intendants  et  de  directeurs  de  théâtres  d'outre-Rhin  ont 
annoncé  leur  arrivée  pour  la  première. 

—  De  Cologne  :  M.  Diémer  a  remporté  un  succès  énorme  à  la  dernière 
séance  de  la  Société  de  musique  de  chambre.  L'éminent  virtuose  a  joué  des 
œuvres  de  Rameau,  Daquin,  Mozart,  Liszt,  Massenet  (Eau  dormante.  Eau 
courante),  Boellmann,  et  aussi  une  Valse  de  concert  de  sa  composition  que  la 
salle  entière  lui  a  redemandée. 

—  On  constate  partout  en  Allemagne  une  réaction  contre  la  liberté  de  l'art 
dramatique,  et  la  «  Société  Gœthe  »  aura  fort  à  faire  pour  réduire  l'action  de 
la  censure  à  la  portion  congrue.  Ce  qui  vient  de  se  passer  à  Munich  est  une 
manifestation  plutôt  comique  du  nouvel  esprit  qui  souille  de  l'autre  côté  du 
Rhin.  Dans  le  nouveau  ballet  fe  Carnaval  de  Venise,  dont  nous  avons  annoncé 
dernièrement  le  succès  à  l'Opérai  royal,  un  tableau  a  plu  spécialement,  celui 
des  Pigeons  de  Saint-Marc.  Inutile  de  dire  que  les  femmes  pigeons  s'exhibaient 
en  maillots  blancs  avec  des  chaussons  roses  aux  pieds.  Or,  la  nudité  apparente 
des  jambes  semble  avoir  déplu  enhautlîeu,  car  à  la  deuxième  représentation 
du  ballet  mentionné  tous  les  pigeons  de  Saint-Marc  se  sont  trouvés  gratifiés 
de  pantalons  de  satin  couvrant  les  mollets.  Les  premières  danseuses  ont 
protesté  contre  cette  mesure,  mais  sans  résultat. 

—  L'Ecole  chorale  de  Munich  vient  de  donner  un  concert  historique  fort 
intéressant  dans  la  salle  Kaim  ;  les  élèves  n'ont  chanté  que  des  œuvres  de 
compositeurs  bavarois  du  XVI«  au  XYIII"  siècle.  Senfl,  qui  était  Musicus 
intonator  du  duc  de  Bavière  (1323-1555),  était  représenté  par  un  ravissant 
hymne  à  cinq  voix,  Ave,  rosa  sine  spinis,  et  par  trois  chansons  à  quatre  et  à  six 
voix.  De  Roland  de  Lassus  on  exécutait  le  psaume  Laudate  Dominum  à  douze 
voix  et  un  ravisant  madrigal  à  cinq  voix.  Un  dubbio  verno,  ainsi  que  l'amusante 
villanelle  Olù,  o  che  bon  eccho.  Le  psaume  à  huit  voix  in  exilu  Israël,  d'Agostino 
Steli'anî,  qui  vivait  à  Munich  de  1677  à  1688,  a  produit  un  grand  etl'et.  La 
partie  instrumentale  du  concert  offrait  la  Toccata  cromatica,  une  Canzone  et 
une  Toccata  de  Gaspard  Kerl  (1656-1673),  la  sonate  pour  violon  et  cembalo 
en  «oi  mineur  de  Felice  DaU'Abaco  (1675-1742).  Ce  concert  a  largement 
prouvé  l'utilité  de  l'édition  de  l'ancienne  musique  bavaroise  dont  nous  avons 
déjà  parlé. 

—  Le  nouveau  théâtre  wagnérien  de  Munich,  le  «  Théâtre  du  prince- 
régent  »,  annonce  qu'il  jouera  en  août  et  septembre  de  cette  année  Lohengrin, 
Tannhiiuser,  Tristan  et  Yseidt  et  les  Maîtres  chanteurs.  Les  autres  œuvres  de 
Richard  Wagner,  à  l'exception  de  Parsifal,  bien  entendu,  ne  seront  jouées 
qu'après  les  représentations  de  Bayreuth.  La  direction  musicale  du  nouveau 
théâtre  est  confiée  à  MM.  Zumpe,  Fischer,  Roehn  et  Stavenhagen,  qui  appar- 
tiennent tous  à  l'Opéra  royal  de  Munich.  Pour  corser  les  soirées  de  la  nou- 
velle scène  wagnérienne,  on  a  invité  un  assez  grand  nombre  d'artistes  à  y 
chanter  en  représentation.  Pour  que  rien  ne  manque  au  triomphe  de  l'art 
wagnérien,  un  comité  s'est  formé,  qui  se  propose  d'ériger  une  statue  de 
Louis  II  sur  une  place  publique  de  Munich.  Ce  comité  a  déjà  réuni  une 
somme  assez  considérable,  sans  que  la  famille  royale  et  les  autorités  bava- 
roises y  aient  jusqu'à  présent  contribué  pour  un  liard. 

—  Le  théâtre  grand-ducal  de  Carlsruhe  vient  de  jouer  avec  un  succès  mo- 
deste un  opéra  intitulé  Fantasio,  paroles  d'après  Alfred  de  Musset,  musique 
de  M""'E.-M.  Smyth.  Cette  jeune  femme,  de  nationalité  anglaise,  était  l'élève 
du  compositeur  Henri  de  Herzogenberg,  qui  est  mort  l'année  passée. 

—  Le  théâtre  de  la  ville  de  Plauen  (Saxe),  qui  compte  à  peine  50.000 habi- 
tants, vient  déjouer  avec  succès  un  opéraintitulé  /ngojîiar,  paroles  d'après  Fr. 
Halm,  musique  de  M.  Théodore  Erler. 

—  Le  concours  national  et  international  de  musique  de  Genève  est  une 
chose  décidée.  La  date  en  a  été  fixée  aux  10,  11  et  12  août  1901  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Albert  Dunant,  ancien  président  du  Conseil  d'État.  Le  règle- 
ment élaboré  par  la  commission  musicale,  composée  de  MM.  les  professeurs 
Léopold  Ketten,  président,  Bergalonne,  Kling,  Délaye,  Missol,  Bonade, 
Mebhng,  Roch,  Ramel,  Plomb,  est  sous  presse  et  dans  quelques  jours  il  sera 
adressé  aux  Sociétés. 

—  De  Madrid  :  Très  grand  succès  pour  le  Werther  de  Massenet,  avec  le 
ténor  Delmas  pour  principal  interprète. 

—  Le  célèbre  pianiste  Paderewski  doit  faire,  le  printemps  prochain,  une 
tournée  en  Espagne  et  en  Portugal.  Il  commencera  à  la  fin  de  mars  par  Bil- 
bao,  pour  se  rendre  ensuite  successivement  à  Madrid,  Lisbonne,  Séville,  Va- 
lence et  Barcelone. 

—  Du  Caire  on  signale  les  belles  représentations  A'Hamlet  données  par 
l'excellent  baryton  Renaud  (de  l'Opéra)  et  M""  Lucette  Korsoff.  Très  vif 
succès  pour  les  deux  protagonistes. 


LE  MENESTREL 


55 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Comme  il  fallait  s'y  attendre,  puisque  les  petites  mesures  sont  le  propre 
des  petits  esprits,  la  direction  de  l'Opéra  a  jugé  bon  de  supprimer  le  service 
du  Màieslrel  aux  répétitions  générales  et  aux  premières  représentations  des 
œuvres  qu'elle  offre  à  la  population  parisienne.  Notre  indépendance  et  nos 
avertissements  précieux,  dont  M.  Gaiîhard  aurait  dû  comprendre  l'utilité, 
n'ont  servi  qu'à  exaspérer  son  orgueil  de  directeur  parvenu.  A  son  aise.  Nos 
lecteurs  peuvent  être  assurés  qu'ils  n'y  perdront  rien  et  seront  toujours  par- 
faitement et  impartialement  renseignés  sur  les  manifestations  de  la  maison 
musicale  qui  n'est  pas  au  coin  du  quai.  Nous  appuyons  sur  le  mot  impartia- 
lement, car  nous  n'en  voulons  nullement  à  ce  brave  garçon  qui  a  tant  d'in- 
times qualités  et  dont  la  verve  gasconne  nous  a  si  souvent  réjoui.  Nous  lui 
devons  quelques-unes  des  bonnes  beures  de  notre  existence  et  nous  ne  l'ou- 
blierons pas.  Mais  pourquoi  est-il  directeur  d'une  scène  comme  celle  de 
l'Opéra?  Voilà  ce  qu'il  serait  curieux  de  rechercher.  Et  nous  en  voudrons 
toujours  aux  divers  ministères  qui  l'ont  promu  à  un  emploi  difficile  et  déli- 
cat, assurément  fort  au-dessus  de  ses  moyens,  quand  il  eut  par  e.xemple  fait 
un  excellent  «  régisseur  »  sur  la  scène  même  qu'il  dirige  si  vulgairement  et 
avec  un  sentimentd'art  si  rudimentaire.  C'est  que  nous  sommes  à  une  époque 
où  le  Midi  est  prépondérant,  où  tous  les  «  cadets  »  se  poussent  les  uns  les 
autres  avec  un  entrain  vraiment  admirable  et  sans  aucune  pudeur,  c'est  que 
nous  vivons  sous  un  régime  où  personne  n'est  à  sa  place.  Sans  doute  la 
musique  n'est  qu'un  point  bien  secondaire  dans  les  préoccupations  gouver- 
nementales. Mais  comme  c'est  notre  rôle  de  la  défendre,  nous  montrerons 
prochainement  quel  mal  a  pu  faire  à  cette  branche  après  tout  intéressante 
de  l'art  français  une  direction  de  seize  années  presque  continue  en  des 
mains  lourdes  et  maladroites,  et  cela  par  une  simple  comparaison  avec  les 
directions  précédentes.  On  y  verra  la  différence  des  résultats,  nous  ne  parlons 
pas  au  point  de  vue  des  intérêts  financiers,  ce  qui  importe  peu,  mais  simple- 
ment au  point  de  vue  artistique.  Le  tableau  sera  intéressant.  H.  M. 

—  Tout  le  monde,  d'ailleurs,  ne  partage  pas  notre  manière  de  voir  sur  la 
gestion  de  M.  Gaiîhard.  C'est  ainsi  que  nous  cueillons,  dans  plusieurs  «  cour- 
riers des  théâtres  »  de  nos  grands  confrères,  cette  note  préventive  (avant  la 
représentation  i'Aslarté)  dont  les  termes  partout  pareils,  à  défaut  du  style 
même,  suffiraient  à  indiquer  la  source  administrative  : 

L'œuvre  de  MM.  Xavier  Leroux  et  Louis  de  Gramont  a  été  mise  en  scène  avec  une 
splendeur  modernisée  (?f  par  des  éléments  tout  nouveaux  à  rAcadémie  nationale  de  mu- 
sique. Les  décors,  d'une  richesse  inouïe,  les  costumes,  nuancés  et  tramés  d'or  et  de  bro- 
deries (trames  t/e  brodcfœs  est  audacieux),  sont  rehaussés  encore  par  les  évolutions  ryth- 
miques (des  costumes  rehaussés  par  des  évolutions,  oh  !)  du  ballet  et  de  la  figuration, 
inspirées  aux  sources  {inspirt'/>s  nu r  sources  est  joli!)  artistiques  les  plus  expre>sives  et 
les  plus  sensuelles  de  l'antiquité  uîfs  sources  scmueilcs,  c'est  Ijien  risquéi. 

Quel  galimatias,  grands  dieux!  Et  que  d'offenses  à  la  langue  française!  Si 
M.  Gaiîhard  est  directeur  d'une  académie,  ce  n'est  pas  assurément  de  celle 
qui  est  au  bout  du  pont  des  Arts. 

—  Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  parler  de  la  piteuse  figure  que  faisait  au 
Parc  Monceau  le  monument  élevé  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas,  et  cela 
en  grande  partie  par  suite  du  mauvais  emplacement  choisi.  Après  en  avoir 
conféré  avec  M. Gaiîhard,  qui  a  bien  voulu  y  donner  son  adhésion  avec  une  grâce 
charmante,  ce  monument  va  être  porté  en  un  endroit  du  parc  mieux  disposé 
pour  le  mettre  en  lumière.  Est-ce  que  l'Institut,  se  souvenant  qu'Ambroise 
Thomas  fut  longtemps  son  doyen  vénéré,  ne  va  pas  en  profiter  pour  pro- 
tester contre  le  sans-façon  avec  lequel  on  a  procédé  à  l'installation  du  mar- 
bre et  demander  qu'un  petit  bout  de  cérémonie  en  suive  le  transfert? 
M.  Gaiîhard,  qui  doit  tant  à  l'ancien  directeur  du  Conservatoire,  appuierait 
certainement  le  mouvement  de  tout  le  poids  de  son  autorité  et  de  ses  grandes 
relations.  Il  n'a  pas  oublié  sans  doute  que  c'est  Thomas  qui  est  allé  le  chercher 
tout  jeune  dans  une  des  écoles  musicales  de  Toulouse  pour  le  faire  entrer 
comme  pensionnaire  au  Conservatoire  de  Paris,  que  c'est  lui  qui  l'a  couronné 
comme  élève  chanteur,  qui  l'a  poussé  à  l'Opéra  et  qui,  se  mêlant  même  avec 
bienveillance  à  sa  vie  intime,  lui  servit  de  témoin  lors  de  son  mariage.  Tout 
cela,  Gaiîhard  ne  l'a  pas  oublié,  car,  nous  le  reconnaissons  sans  aucune  diffi- 
culté, ce  n'est  pas  du  côté  du  cœur  qu'on  peut  le  prendre  en  défaut,  —  du 
moins  tous  ses  amis  l'affirment. 

—  A  l'Opéra-Gomique,  les  spectacles  des  jours  gras  sont  ainsi  fixés  (Mignon 
ayant  été  donnée  hier  samedi)  :  Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée  :  la 
Basoche,  le  Chalet;  le  soir  :  la  Vie  de  bohème  et  les  Noces  de  Jeannette.  —  Lundi  IS, 
matinée  :  Lakmé,  les  Rendez-vous  bourgeois;  soirée  :  Louise.  —  Mardi  19,  mati- 
née :  Manon;  soirée  :  Carmen. 

—  Gomme  on  le  voit,  l'Opéra-Comique  se  prépare  à  fêter  dans  quelques 
jours  la  centième  représentation  de  Louise.  Si  on  se  rappelle  que  c'est  le 
3  février  1900  que  fut  donnée  la  première  représentation  de  l'œuvre  de 
Charpentier,  on  voit  que  c'est  presque  en  une  seule  année  que  la  partition 
a  parcouru  cette  route  glorieuse  des  cent  stations,  qui  n'ont  pas  été  celles  du 
Calvaire.  —  Dernière  heure  :  la  «  lOO''  »  est  fixée  à  vendredi  prochain. 

—  Souhaitons  la  même  bonne  fortune  à  l'Ouragan  de  M.  Alfred  Bruneau, 
dont  les  répétitions  vont  commencer  immédiatement  après  la  «  première  » 
de  la  Fille  de  Tabarin,  avec  cette  très  belle  distribution,  qui  devra  certaine- 
ment aider  au  succès,  s'il  est  possible: 

Landry  JIM.  .Maréchal 

Gervais  Dufranc. 

Hiilianl  liourbon 


Jlarianne  M""-  Marie  Oelna 

Jeannine  Jeanne  Raunay 

Lucie  Guiraudon. 

Le  jeune  baryton  Bourbon  est  le  jeune  lauréat  des  derniers  concours  du 
Conservatoire  qui  fut  très  remarqué  et  qui  fera  son  premier  début  dans  cet 
ouvrage.  L'Ouragan  comporte  une  partie  chorale  très  importante,  mais  seule- 
ment de  coulisse.  Le  premier  acte  se  passe  sur  la  terrasse  de  la  maison  de 
Marianne,  dominant  la  vue  de  la  mer.  Le  décor  du  second  acte  représente 
une  vallée  descendant  à  la  mer.  Le  troisième  acte  se  passe  à  l'intérieur  de  la 
maison  de  Marianne. 

—  Toutefois,  avant  l'Ouragan  nous  aurons  la  reprise  de  Mireille,  qui  sera 
particulièrement  brillante,  M.  Albert  Carré  s'appliquant  à  donner  de  la  jolie 
œuvre  de  Gounod  une  reconstitution  toute  nouvelle  et  particulièrement 
colorée. 

—  Nous  devions  avoir  mercredi  dernier  la  première  représentation  de  la 
fille  de  Tabarin  à  l'Opéra-Comique ,  mais  l'enrouement  dont  souffrait  déjà 
M"»  Garden  à  la  répétition  générale,  ayant  persisté,  il  a  fallu  reculer  cette 
«  première  «  jusqu'après  les  jours  gras. 

—  M""'  Sibyl  Sanderson  a  signé  avec  FOpéra-Comique  un  contrat  pour  un 
nombre  de  représentations  qui  commenceront  au  li"'  avril  prochain.  Nous 
reverrons  d'abord  la  séduisante  artiste  dans  Manon. 

—  An  courant  de  cette  semaine  nous  aurons,  dit-on,  la  première  repré- 
sentation à  l'Opéra-Populaire  de  la  Charlotte  Corday  de  M.  Alexandre  Georges, 
avec  M"=  Georgette  Leblanc  comme  principale  interprète. 

—  Un  érudit  lyonnais,  M.  Bleton,  vient  de  publier  quelques  pages  inté- 
ressantes sur  les  séjours  que  Molière  et  sa  troupe  ont  faits  à  Lyon,  de  16S2  à 
1638.  C'est  dans  cette  ville  que  Molière  a  recruté  une  actrice  célèbre,  Mar- 
quise de  Gorle,  qui  épousa  en  1633  René  Berthelot,  dit  Duparc  ;  les  biographes 
de  Molière  l'appellent  couramment  la  Duparc.  «  Ce  prénom  de  Marquise,  dit 
le  biographe,  était  assez  répandu  à  Lyon,  où  les  chercheurs  l'ont  trouvé 
nombre  de  fois  dans  les  registres  de  baptême  de  l'époque.  »  Le  grand  Cor- 
neille a  adressé  à  cette  actrice  de  beaux  vers  souvent  cités  : 

Marquise,  si  mon  visage 

A  quelques  traits  un  peu  vieux 

C'est  qu'en  effet  Corneille,  à  soixante  ans,  devint  amoureux  de  la  Duparc, 
comme  un  instant  l'avait  été  aussi  Molière,  à  l'époque  où  l'inconduite  de  sa 
femme,  cette  coquette  et  séduisante  Armande  "Béjart,  lui  faisait  chercher 
ailleurs  des  consolations.  Mais  la  Duparc,  fière  et  hautaine,  —  nous  dirions 
aujourd'hui  «  poseuse  »  —  tint  la  dragée  haute  à  Molière,  qui  n'insista  pas. 
Plus  tard  elle  voulut  s'humaniser  et  revint  d'elle-même  au  grand  homme; 
mais  celui-ci  avait  trouvé  en  M"'  de  Brie  l'àme  tendre  et  aimable  qu'il  cher- 
chait, et  à  son  tour  il  demeura  insensible  à  ses  avances.  C'est  à  la  Duparc 
que  Racine  confia  le  rôle  d'Andromaque.  Son  père,  Giacomo  de  Gorle,  était 
natif  de  Rozel,  au  pays  des  Grisons.  En  1633,  établi  à  Lyon  depuis  quelque 
temps  déjà,  il  avait  demandé  à  être  inscrit  au  livre  des  habitants.  Dans  un 
acte  de  baptême,  en  1644,  ce  Jacques  de  Gorle  se  qualifie  «  seigneur  dudit 
lieu  ».  Un  peu  plus  tard,  en  1631,  il  se  qualifie  «  premier  opérateur  du  roi  ». 
11  était  en  effet  opérateur  de  son  métier,  ce  qui  comportait  à  la  fois  l'art  du 
dentiste  et  la  vente  des  drogues  ou  vulnéraires.  Marquise  Duparc  serait  ainsi 
d'origine  suisse.  Le  fait  est  que  Gorle  est  le  nom  d'un  village  du  canton  du 
Tessin.  près  de  Mendrisio,  sur  la  route  de  Côme.  Mais  le  nom  de  Rozel  est 
difficile  à  trouver  dans  le  pays  des  Grisons,  a  Je  l'ai  cherché  inutilement,  dit 
un  journaliste  suisse  qui  rend  compte  du  livre  de  M.  Bleton,  dans  les  atlas 
et  les  dictionnaires  topographiques.  Il  faudra  retrouver  ce  nom  de  Rozel,  ou 
l'identifier  avec  celui  de  quelque  localité  grisonne,  si  l'on  veut  pouvoir  avec 
sûreté  revendiquer  Marquise  Duparc  comme  une  de  nos  célébrités  suisses.  » 

—  Au  dernier  «  Mercredi-Danbé  »,  à  la  Renaissance,  M.  Théodore  Dubois 
a  triomphé  sur  toute  la  ligne.  D'abord  avec  ses  très  originales  pièces  en  forme 
canonique,  fort  bien  interprétées  par  MM.  Bleuzet  et  Destombes;  ensuite 
dans  ses  mélodies  :  Par  le  sentier  et  Prés  d'un  ruisseau,  que  M.  Mauguière  a  dites 
à  ravir;  et  enfin  avec  son  Andante  et  l'adorable  entr'acte  de  Xavière,  qu'il 
a  accompagnés  au  violoncelliste  Destombes.  —  M™  Adiny  a  eu  également 
un  grand  succès  dans  les  Rêves  de  Wagner  et  dans  deux  jolies  mélodies  de 
M.  Emile  Trépard.  M.  Soudant  a  charmé  l'auditoire  avec  la  romance  en  fa  de 
Beethoven,  et  M'"!  Richez,  le  brillant  premier  prix  d'il  y  a  deux  ans,  a  remar- 
quablement joué,  avec  MM.  Soudant  et  Destombes,  le  magnifique  trio,  à  l'Ar- 
chiduc, de  Beethoven. 

—  D'ailleurs  le  succès  des  matinées  organisées  par  M.  Danbé  à  la  Renaissance 
s'affirme  de  plus  en  plus,  A  l'une  des  dernières  séances,  on  avait  beaucoup 
applaudi  déjàM"=  Suzanne  Cesbron,  qui  a  détaillé  avec  un  charme  infini  des 
mélodies  de  Théodore  Dubois  et  de  Bourgault-Ducoudray.  Très  vif  succès 
également  pour  la  «  Suite  de  Thèmes  populaires  gallois  »  de  Bourgault-Ducoudray 
po"UT  quatuor  à  cordes  et  flûte. 

—  La  Société  simplement  entre-bàillée  la  Sourdine  a  donné  récemment, 
40.  rue  des  Mathurins,  la  première  de  ses  intéressantes  séances  :  la  musique 
d'ensemble,  sous  la  direction  de  M.  Lederer,  a  fait  applaudir  la  symphonie 
en  la  mineur  de  Saint-Saêns,  où  M™  Henri  Beraldi  tenait  brillamment  la 
première  partie  de  piano  ;  le  succès  vocal  a  été,  cette  fois,  pour  W"  Y.  de 
Saint-André  dans  des  Mélodies  de  M.  Léon  Schlesinger  et  dans  deux  délicieuses 
Chansons  populaires  grecques,  harmonisées  par  M.  Bourgault-Ducoudray. 


36 


LE  MENESTREL 


—  De  Nice  on  nous  télégraphie  le  très  grand  succès  remporté  \im- Cendrillon 
au  Grand-Théâtre.  Il  parait  que  l'interprétation  est  »  remarquable  >',  la  mise 
en  scène  «  merveilleuse  »  et  que  le  public  »  enthousiaste  »  a  beaucoup  regretté 
l'absence  du  compositeur.  Bref,  l'œuvre  est  «  lancée  à  ce  point  qu'on  compte 
avec  elle  aller  jusqu'à  la  fin  de  la  saison  i). 

—  De  même  à  Marseille,  où  l'on  en  est  à  la  2-2=  représentation,  le  succès 
■de  CendriUon,  ic  au  lieu  de  s'épuiser,  va  toujours  en  s'accentuant  »,  nous 
disent  les  journaux  de  là-bas,  et  le  public  ne  se  lasse  pas  de  fêter  l'œuvre  et 
ses  vaillants  interprètes,  M""s  Davray.  Marie  Boyer  et  Stajewska.  Cette  très 
belle  réussite  permet  à  la  direction  de  préparer  tout  doucement  ses  prochaines 
Cl  premières  »,  celle  iïAndré  Chénier  et  celle  de  Louise.  Pour  l'an  prochain  le 
système  de  la  <t  régie  »  est  adopté  par  la  municipalité  et  ce  sera  M.  Albert 
Vizentini  qui  sera  l'adminislrateur  délégué  du  théâtre.  Il  a  obtenu  pour  cela 
la  gracieuse  autorisation  de  son  directeur,  M.  Albert  Carré,  qui  lui  accorde 
un  congé. 

—  La  direction  de  la  musique  du  Grand  Casino  municipal  de  Biarritz  vient 
d'être  confiée  à  M.  .Alexandre  Luigini,  l'excellent  chef  d'orchestre  de  l'Opéra- 
Comique.  La  saison  s'ouvrira  du  10  au  -20  août,  et  se  terminera  le  30  octobre. 
Les  grandes  exécutions  symphoniques  auront  lieu  à  partir  de  l'ouverture 
jusqu'à  fin  septembre.  Un  orchestre  de  choix,  mais  réduit,  se  fera  entendre 
pendant  tout  le  mois  d'octobre.  Les  artistes  musiciens  qui  désireraient  faire 
la  saison  de  Biarritz  devront  adresser  leur  demande  à  M.  A.  Luigini,  à 
l'Opéra-Comique. 

—  Opinion  du  Petit  Niçois  sur  le  Cotirertstûck  de  Raoul  Pugno  :  o  ...Dans  la 
seconde  partie  du  concert,  cet  incomparable  maître  du  clavier  a  joué  un 
Concerisli'œk  pour  piano  et  orchestre,  dont  il  est  l'auteur  :  l'œuvre  est  des 
plus  remarquables.  Bâtie  sur  un  thème  de  trois  notes,  elle  est  d'une  richesse 
de  développement  extraordinaire.  Le  thème  initial  se  pose,  se  précise,  se 
répète,  s'altère,  se  transforme,  avec  une  variété  rare  dans  le  premier  mouve- 
ment, que  suit  un  fugato  très  brillant,  de  belle  fougue,  toujours  en  dévelop- 
pements variés  du  thème  essentiel.  Puis  le  thème  se  transforme  de  nouveau 
en  un  finale  éclatant  de  sonorité,  avec,  çà  et  là,  d'exquis  babillages  de  spiri- 
tuelle légèreté,  pour  s'achever  largement  en  un  rythme  très  marqué  et  d'allure 
puissante.  La  polyphonie  en  ce  Coiicerlstûck  est  d'une  «  trituration  »  remar- 
quable. L'orchestre  en  est  traité  avec  une  variété  de  timbres  et  un  coloris 
qui  font  de  cette  œuvre  une  des  plus  admirables  et  des  plus  robustes  compo- 
sitions pour  piano  et  orchestre.  » 

^  Le  Conservatoire  de  Lille  vient  de  voir  renouveler  quelques-unes  de  ses 
classes.  Sont  nommés  :  professeur  de  clarinette,  M.  Nyvert,  sous-chef  de 
musique  au  72=  de  ligne,  à  Amiens;  professeur  de  flûte  et  de  hautbois, 
M.  Verroust,  flûte-solo  à  l'orchestre  du  théâtre;  professeur  de  saxophone, 
M.  Lecuy,  soliste  à  l'orchestre  du  théâtre. 

—  Concours  orphéoniques.  La  ville  de  Saint  Brieuc  ouvre  un  grand  con- 
cours d'orphéons,  de  musiques  d'harmonie,  de  fanfares  et  de  quatuors  à  cordes, 
qui  aura  lieu  les  2tt  et  2'7  mai.  S'adresser  pour  renseignements  à  M.  Maga- 
dur,  secrétaire,  à  la  mairie  de  Saint-Brieuc.  —  A  l'occasion  de  sa  fête  com- 
munale, la  ville  de  Douai  ouvre  un  concours  de  musiques  d'harmonie,  de 
fanfares,  d'orphéons  et  d'orchestres  symphoniques,  qui  aura  lieu  les  1  et 
8  juillet.  S'adresser  au  secrétaire  général  du  concours,  à  la  mairie  de  Douai. 

—  On  nous  écrit  de  Perpignan  :  La  dernière  séance  donnée  par  la  Société 
de  musique  classique  a  été  fort  brillante.  L'excellent  orchestre  dirigé  avec 
tant  de  zèle  et  de  talent  par  M.  Gabriel  Baille  s'est  surpassé  dans  l'interpré- 
tation de  plusieurs  pièces  symphoniques,  dont  quelques-unes  n'avaient  jamais 
été  exécutées  à  Perpignan.  Citons  l'Enterrement  d'Ophclie  de  Bourgault-Du- 
coudray,  très  applaudi,  et  qui  figurera  de  nouveau  sur  le  programme  du  pro- 
chain concert. 

—  De  Roubaix  :  Au  concert  donné  par  la  Grande  Harmonie,  très  grand 
succès  pour  M"«  Jeanne  Leclerc  et  M.  Carbonne,  de  l'Opéra-Comique,  dans  le 
duo  de  Lakmé.  M.  tlarbonne  s'est  aussi  fait  très  vivement  applaudir  dans  l'air 
de  Suzanne,  de  Paladilhe,  ainsi  que  M.  l.'estombes  dans  la  Cavaline  pour  vio- 
loncelle de  Théodore  Dubois. 

—  De  Niort  :  L'orphéon  de  Niort  vient  de  donner  son  concert  annuel  dans 
la  salle  du  Manège,  devant  un  public  des  plus  nombreux.  Les  chœurs  ont  bien 
exécuté  divers  morceaux,  entre  autres  des  valses  viennoises  de  Fahrbach  ar- 
rangées par  Laurent  de  Rillé.  Mais  le  triomphe  de  la  séance  a  été  pour 
M'"^  Oswaid,  de  l'Opéra-Comique,  qui  a  délicieusement  chanté  la  gavotte  de 
Manon,  de  Massenet,  la  polonaise  de  Mignon,  d'Ambroise  Thomas,  et  Ça  fait 
peur  aux  oiseaux,  de  Paul  Bernard. 

—  SoiBÉES  ET  CONCERTS.  —  A  l'intèressaiit  concert  donné,  salle  lirard,  par  le  violoniste 
Ondricek  très  grand  succès  pour  M"°  Palasara  qui  a  fort  Lien  chanté  Lamenta  et  La 
Fille  aux  cheveux  de  lin  de  Paladilhe,  A  Douumenez,  de  Théodore  Dubois,  UAme  des 
oiseaux  et  Avril  est  amoureux  de  Massenet.  —  Salle  Érard,  les  élèves  de  11"°  Renée  Vorle 
se  sont  fait  applaudir  en  démontrant  une  fois  de  plus  l'excellent  enseignement  de  leur 
professeur.  On  a  remarqué parliculièrement  le  talent  de  M^'iMarie-Valentine  Arnold.  Une 
toute  jeune  élève,  M"°  Germaine  Thubert,  a  remporté  aussi  un  véritable  succès  dans  le 
finale  du  concerto  en  soi  mineur  de  Mendelssohn.  L'assistance  a  aussi  chaleureusement 
applaudi  les  excellents  artistes  qui  prêtaient  leur  gracieux  concours:  M""  Sanderson- 
Lemaitre;  M'"  Berthe  Loëwy  et  M.  Raymond  Lafarge,  le  distinguo  violoncelliste.  —  A  la 
Bodinière,  M.  S.  de  Stojowski  vient  de  donner  un  brillant  concert  auquel  assistait  un 
puldic  aussi  nombreux  que  choisi.  Le  jeune  compositeur  a  fait  entendre  plusieurs  de  ses 


nouvelles  mélidies  qu'il  a  délicatement  accompagnées  à  cette  impeccable  et  poétique 
interprète  de  lieder  qui  a  nom  Jlarcella  Pregi.  On  a  fait  l'ète  à  cette  charmante  artiste, 
surtout  après  la  ravissante  mélodie  Poun/uoi  le  cueillir...  M.  de  Stojowski  a  joué  en  vir- 
tuose trois  de  ses  morceaux  pour  ])iano,  dont  la  Valse  déjà  assez  connue,  et  a  accompagné 
sa  sonate  pour  piano  et  violoncelle,  œuvre  de  grande  envergure  qui  n'a  pas  produit  tout 
son  effet,  à  cause  de  l'insullisante  exécution  de  la  partie  de  violoncelle.  Grand  succès  pour 
le  concerto  de  violon  que  51.  Gorski  a  admirablement  interprété.  —  Salle  Erard,  très  joli 
concert  donné  par  M"'  Renié  qui  s'est  fait  applaudir  couime  virtuose  et  comme  composi- 
teur dans  un  intéressant  Concerto  pour  harpe  et  orchestre  de  sa  composition.  Très  gros 
succès  pour  la  transcription  faite  par  la  jeune  artiste  de  VAdar/io  du  i'  concerto  de  Théo- 
dore Dubois.  —  Charmante  matinée  des  élèves  de  Mi''  E.  Gignoux,  entièrement  consacrée 
aux  œuvres  de  Théodore  Dubois.  Quatre  bis  :  le  Bain  (M-  Y.  Englcberl),  A  Douamenez 
(M"-  de  Jerlin),  duo  de  Xariére  (M"'  Englebert  et  JU.  d'Hariscamp)  et  Sallarelle  pour  vio- 
lon tM"'  Laval).  Et,  bien  entendu,  de  nombreux  bravos  encore  pour  le  compositeur,  les 
élèves  et  le  professeur.  —  Une  intéressante  série  de  Poésies  galantes  d'auteurs  anciens  mises 
en  musique  par  M.  Léon  Schlesingcr  vient  de  faire  son  apparition  et  deux  auditions  en 
ont  été  données  au  théâtre  d'.\ntin  et  à  l'Institut  Rudy,  accompagnées  d'une  charmante 
causerie  de  M.  Ch.  Fuster.  Les  chansons  do  M.  Léon  Schlesinger  avaient  pour  interprètes 
M""  Mary  Garnier  et  y.  de  Saint-André,  MM.  Mauguière,  G.  Danlu  et  Paul  Pecquery. 
Chacun  d'eux  a  mis  en  lumière  de  la  façon  la  plus  heureuse  les  idées  du  compositeur, 
lequel  accompagnait  au  piano.  Signalons  aussi  le  succès  de  M""  Lherbay  qui  a  récité  un 
préambule  en  vers  de  Noi-l  Bazan  intitulé  les  Airs  de  jadis,  avec  musique  d'accompagne- 
ment de  M.  Léon  Schlesinger. 

—  CoNCEBTS  ANNONCÉS.—  -MM.  Ricardo  Vines,  Henri  Saïller  et  Louis  .\bbiate  donneront 
trois  séances  de  musique  de  chambre,  les  jeudis  21  iévricr,  7  et  21  mars,  à  9  heures  du 
soir,  dans  la  Salle  des  Fêtes  du  Journal,  100,  rue  de  Richelieu,  avec  le  concours  de 
M""  lîléonore  Blanc  et  de  Joly  de  la  Mare,  MM.  Maurice  Bagès,  L.  -\ubert,  Denayer  et 
Ad.  Soyer.  —  M.  Georges  Enesco,  le  jeune  violoniste  et  compositeur,  donnera  le  samedi 
23  février,  à  9  heures  du  soir,  un  concert  à  la  salle  Érard,  avec  le  concours  de  M""  Jeanne 
Hatto,  de  l'Opéra.  Au  piano  d'accompagnement,  M.  A.  Catherine. 

NÉCROLOGIE 
On  annonce  de  Rome,  où  il  était  né,  la  mort,  à  l'âge  de  plus  de  60  ans, 
du  compositeur  Filippo  Sangiorgi,  qui  fut  successivement  chef  de  la  musi- 
que de  la  garde  nationale  en  cette  ville,  directeur  pendant  neuf  ans  du  Lycée 
musical  de  Ferrare,  et  enfin  professeur  de  chant  et  de  composition  à  Milan, 
jusqu'au  jour  où  l'état  de  sa  santé  l'obligea  de  se  retirer  à  Rome.  Il  avait 
fait  représenter  un  certain  nombre  d'ouvrages  :  la  Mendicante,  Rome,  1861  ; 
Jçjinia  d'Asli,  Rome,  1862:  Guisemberga  da  Spolelo,  Spoleto,  iSGi;  Giuseppr 
Balsamo,  Milan,  théâtre  Dal  Verme,  1873  ;  Diana  di  Chaverny,  Rome,  théâtre 
Argeutina,  1875;  Amazilia,  Milan,  théâtre  Carcano.  Il  venait  de  terminer 
un  dernier  opéra,  Orlando  Furioso. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

La  partition  d'Astarté,  de  Xavier  Leraux,  poème  de  Louis  de  Gramont,  vient 
de  paraître  chez  Alphonse  Leduc. 

Viennent  de  paraître  : 

Cliez  Tretse  et  Stock,  Astarté,  opéra  en  4  actes  de  Louis  de  tiramont  (musique  de 
Xavier  Leroux),  représenté  à  l'Opéra  (1  fr.). 

Chez  Fasqueile,  Lu'u,  roman  clownesque  de  Félicien  Champsaur ,  avec  200  illustra- 
lions  (3  fr.  60  c). 

A  Bruxelles,  imprimerie  Vanbuggenhoudt,  la  Louise  de  Gustave  Charpentier,  notes  et 
impressions  recueillies  par  Jules  Nordi,  avec  illustrations  (0  fr.  50  c). 


En    vente    A.XJ    lHlOT^ESTItJJL.     \î  l)i 

Projn'ii'li'  pour  tous  /'«,iys. 


Vivionnc 


J.  MASSENET 


5'=  et  nouveau  volume 


JWÉIiODlES 


Le  petit  Jésus. 

Amoureuse. 

Première  danse. 

Regard  d'enfant. 

Petite  Mireille. 

Pour  Antoinette. 

Les  Mains. 

Ce  sont  les  petits. 

Les  Ames. 

La  Dernière  chanson. 

Un  volume  in-8° net 

[Deux  tous.) 


11.  Premiers  fils  d'argent. 

12.  Coupe  d'ivresse. 

13.  Vieilles  lettres. 
11.   '\'ous  qui  passez. 
15.   Amours  bénis. 
Iti.  Pitchounette. 

17.  .\  deux  pleurer. 

18.  Chanson  pour  elle. 

19.  Le  Nid. 

20.  Avril  est  là. 
10  francs. 


rlOUVElillES   JWEIlOlDIES 

Avril  est  amoureux  (3  tons) G  » 

Sœur  d'élection  (2  tons) 5  « 

Au  très  aimé 5  » 

La  Rivière  (2  tons) 7  50 

Amoureux  appel  (2  tons) 5  » 

Mon  Page  |2  tons) 6  » 

Ce  que  disent  les  cloches  (3  tons) 3  " 

On  dit! 5  » 

—     avec  accom)iag.  de  piano  et  violoncelle  obligé.  6  » 


3648.  -  67-  AWm  -  I\l°  8.  PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimaoche  24  Février  1901. 


(Les  Bureaux,  2'''*,  rue  Vivieime,  Paris) 
(Les  riinnuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs./ 

LE 


MENESTREL 


Le  lïaméFo  :  0  ff.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEA^TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  IlaméFo  :  0  ff.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bti,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


1.  Peintres  mélomanes  (15'  et  dernier  arlicle)  i  Musique  descriptive  et  peinture  musicale, 
Raymond  Bouyer.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  la  Fille  de 
Tabarin  à  rOpéra-Comique.  Arthur  Pougin.  —  HL  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Expo- 
sition (18'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Reine  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
<liverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ON   DIT 
nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jean  Roux.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Enfantillage,  n°  4  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélodies  de  Théo- 
dore Dubois,  poésies  de  Sully-Prudhomme. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Simple  phrase,  de  J.  Massenet. —  Suivra  immédiatement  :  Dame  galicienne,  de 
Théodore  Lack. 


PEINTRES   MÉLOMANES 


XV 
MUSIQUE  DESCRIPTIVE  ET  PEINTURE  MUSICALE 

Pour  Adolphe  Boschot  et  les  amis  de  Mozart. 

Le  philosophe  convient  lui-même  qu'il  faut  vivre,  d'abord, 
puis  philosopher.  L'instinct  de  l'art  a  toujours  précédé  la  criti- 
que. Depuis  Athènes,  peut-être,  depuis  les  ancêtres  noblement 
souriants  de  nos  fresques  blêmes,  il  y  a  toujours  eu  des  pein- 
tres intelligents  (qu'on  se  le  dise)  et  qui  goûtaient  la  musique  ; 
et  cela,  donc,  bien  avant  que  l'obscur  amoureux  d'art  ne  se 
demandât  un  beau  matin,  platoniquement  :  Quels  furent  ces 
peintres?  Et  qu'est-ce  qu'un  peintre  mrloinane  ? 

Ces  peintres  ont  répondu,  d'eux-mêmes,  à  l'appel,  apportant 
les  différents  termes  de  la  définition  demandée  :  musiciens,  dans 
les  profondeurs  sereines  ou  tragiques  du  clair-obscur,  depuis  le 
sourire  de  Léonard  jusqu'au  rictus  d'Hoffmann  ;  passionnés 
seulement  de  mélodie,  comme  Delacroix  ou  Watteau,  dans  l'u- 
nivers empourpré  de  la  couleur;  directement  inspirés  par  les 
fugitives  métamorphoses  du  poème  sonore  :  —  petits  maîtres  de 

la  lithographie  romantique,   Célestin   Nanteuil  ou  Lemud  ;  

maîtres  sourcilleux  ou  suaves  de  la  peinture  contemporaine, 
Max  Klinger  ou  Fantin-Latour,  visions  étranges  ou  virginales, 
sans  parler  ci  de  tant  de  pièces  d'un  métier  admirable,  si  profon- 
dément wagnériennes  par  l'harmonieuse  sensualité   de   lignes  à 


la  fois  indécises  et  pures  1  »  Ainsi  parlait  un  wagnérien  d'hier  (1), 
converti  désormais  à  la  religion  de  Mozart,  ce  frère  aîné  du 
divin  Corot  que  le  désespoir  harmonieux  d'Orphée  créa,  pour  un 
soir,  le  plus  pénétrant  des  peintres  mélomanes.  Remarquez-le 
tout  de  suite  :  tous,  sauf  un  autre  ami  de  Mozart,  M.  Ingres, 
sont  des  coloristes  ;  tous  s'enveloppent  naturellement  dans  une 
atmosphère,  sans  même  redouter  «  le  nuage  de  l'ébauche  »,  — 
«  baignant  et  noyant  leur  création  dans  la  pâte  molle,  n'osant 
qu'une  esquisse  des  matinales  amours  et  du  balcon  de  Vérone, 
leur  laissant  le  manteau  de  la  demi-nuit...  »  (2)  Yseult  ou 
Juliette,  Eurydice  ou  Sieglinde,  vos  noms  mélodieux  s'incar- 
nent dans  une  brume  d'aurore  !  Et  Delacroix,  «  nourri  des 
poètes  »,  verrait  là  déjà  le  secret  de  cette  réconciliation  char- 
mante entre  deux  arts  qui,  d'abord,  paraissent  «  diamétralement 
opposés  y>  (3)  :  oui,  le  sentiment  fait  des  miracles,  dirait-il  ;  une 
poignée  d'inspiration  naïve  est  préférable  à  tout.  La  peinture, 
comme  la  musique,  est  au-dessus  de  la  pensée.  Elles  enchantent, 
toutes  deux,  par  le  vague. . .  Et  le  plus  intelligent  de  ses  adora- 
teurs, le  poète  artiste  des  Fleurs  du  Mal,  observe  à  son  tour  que, 
«  malgré  sa  forme  arrêtée  pour  nos  yeux  »,  toute  peinture  est 
musicale,  parce  qu'elle  est  essentiellement  suggestive. 

Voilà  pourquoi,  sans  doute,  en  notre  société  compliquée  où 
la  culture  intensive  et  diffuse  a  remplacé  l'invention,  les  pein- 
tres amoureux  de  musique  apparaissent  de  plus  en  plus  nom- 
breux. Le  soir  ou  l'après-midi,  aux  promenoirs  grouillants  ou 
dans  la  mondaine  intimité  de  la  Bodinière,  —  tout  comme  ces 
Davidsbitndler  célébrés  dans  les  Ecrits  de  Schumann  et  chantés 
par  son  piano  romanesque,  —  sous  le  ciel  constellé  d'Orange 
ou  dans  la  nuit  de  Bayreuth  oîi  l'avenir  sourit  au  passé  comme 
l'amour  au  printemps,  dans  la  fièvre  des  grands  concerts  et  sous 
le  charme  des  petites  séances  où  le  Cycle  du  Lied,  inauguré  par 
M""  Mockel,  dispute  ses  mardis  à  l'heureuse  innovation  de  la 
Société  Mozart,  partout,  les  peintres  se  montrent  ;  on  en  déni- 
cherait jusqu'aux  Folies-Bergère,  à  l'heure  où  tourbillonne  amou- 
reusement la  NapoH  du  jeune  Alfano...  Nommerai-je  Anquetin, 
le  fougueux  décorateur,  Valloton,  le  néo-xylographe  des  Intimités 
farouches,  Jean  Veber,  trop  spirituel  pour  être  seulement  pein- 
tre, le  portraitiste  Jacques  Blanche,  qui  a  si  profondément  com- 
pris la  modeste  fierté  de  Vincent  d'Indy,  Milcendeau,  le  rustique 
élève  de  Gustave  Moreau,  Georges  Lavergne,  le  confident  de  la 
Sirène,  le  paysagiste  Morlot,  le  peintre-graveur  Henry  Paillard, 
et  tant  d'autres?  Epris  de  Fervaal  et  du  Vaisseau- Fantôme,  Henri 
Martin  demande  à  son  orgue  les  voix  de  VInspiration.  Charles 
Cottet,  wagnérien  mais  beethovénien,  n'oublie  pas  ses  parentés 
musicales.  Je  glisse  sur  M.  Carolus-Duran,  qui  ne  devient  orga- 

(1)  ïeodor  de  Wyzewa,  Btvthoven  et  Wagner  (Paris,  Perrin,  1898),  page  130;  à  propos 
des  tilliographies  musicales  de  Fantin-Lalour. 
(5)  Les  Concourt,  La  Peinture  à  l'Exposition  Universelle  de  ISSU. 
(3)  Mot  d'Hoflmann,  dans  son  article  sur  la  Musique  instrumentale  de  Beethoven. 


LE  MÉNESTREL 


niste  que  pour  orner  le  repos  du  modèle...  Il  faudrait  question- 
ner encore  la  Préraphaélite  Brotherhood  ou  la  Rose-Croix.  Et  voici, 
parmi  nous,  un  jeune  ouvrant  sa  voile  à  tous  les  souffles  rajeu- 
nis de  l'idéalisme  :  depuis  sept  ans,  Bellery-Desfontaines  expose 
aux  deux  Salons  des  Compositions  pour  Sif/urd  ou  des  Esquisses  sur 
la  partition  de  la  Walkyrie;  la  germanique  légende  fleurit  ses 
pastels  ;   Wolan  borgne  et  majestueux  renaît  sur  la  pierre. 

D'autres,  comme  Ghatinière,  pour  l'affiche  lithographiée  de 
Manon,  Grasset,  pour  les  ornements  byzantins  à'Esclarmonde, 
Steinlen  et  Lucien  Métivet,  pour  tant  de  Mélodies  gauloises  ou 
précieuses,  ont  repris  la  tradition  de  nos  petits-romantiques. 

Mais  une  œuvre  juvénile  fut  significative  entre  toutes.  G'était 
au  Salon  de  1898.  Le  catalogue  la  désignait:  Symphonie.  Clair  de 
lune  (mélodie)  :  Clair  de  lampe  (harmonie);  Clair  de  rampe  (rythme). 
Et  nous  pensions  :  Que  le  spectateur  ne  se  laisse  point  rebuter 
par  la  complication  du  titre  ;  elle  montre,  simplement,  le  désa- 
vantage de  la  parole  sur  la  peinture  et  la  musique,  ces  sœurs 
vagues.  Qu'il  s'arrête  bien, en  face  des  trois  panneaux  pâles, 
reliés  dans  l'or,  qu'il  converse  du  regard  avec  le  fantôme  cen- 
tral, avec  cette  féminine  blancheur  émanée  de  la  nuit  bleue, 
qui  pâlit  encore  dans  son  ombre,  entre  la  demi-teinte  plus 
chaleureuse  de  la  harpiste  sous  l'abat-jour  glauque  et  l'éclat 
amorti  des  reflets  mordorés  qui  tremblent  aux  plis  d'une  Loïe 
FuUer  impalpable  :  une  musique,  un  murmure  plutôt,  va  sour- 
dre insensiblement  de  ces  harmonies  timides,  comme  d'une 
fenêtre  de  fête  illuminée  dans  la  nuit.  La  stylisation  volontaire 
simplifie  les  contours,  estompe  les  teintes.  Le  réalisme  est 
vaincu.  N'est-ce  pas  un  invisible  orchestre  qui  monte  du  jeu  mé- 
lancolique des  nuances,  transposant  sur  la  toile  grise  la  poétique 
de  Richard  Wagner  aux  répétitions  de  Munich  :  «  Eteignez,  mes- 
sieurs, éteignez!  Gomme  si  les  sons  venaient  de  l'autre  monde...» 
Wagner  put)jsjs(e,  voilà  de  l'inédit,  semble-t-il  !  Et  l'auteur  de  ce 
Triptyque  décoratif  est  le  poète  mystique  du  Tendre  automne  :  Paul 
Steck  est  l'avocat  du  mystérieux  développement  des  sonorités. 

Songe  et  symbole,  —  pour  raconter  cette  œuvre  complexe,  le 
critique  d'art  se  voit  forcé  de  recourir  à  la  confusion  des  lan- 
gues, de  franchir  à  son  tour  la  Babel  contemporaine,  de  conti- 
nuer, bon  gré,  mal  gré,  le  poétique  imbroglio  du  bon  Kreisler  : 
la  «  symphonie  »  se  peint  sur  la  toile,  et  les  «  sonorités  »  s'é- 
lèvent du  ragoût  discret  delà  palette...  Echanges  perpétuels,  qui 
favorisent  la  déclamation  des  docteurs  pessimistes  pour  tonner 
contre  nos  «  dégénérescences  I  »  Phraséologie  nouvelle,  issue 
dti  romantisme,  qui  détaille  la  couleur  des  sons  et  le  chant  des 
couleurs:  de  là,  l'écriture  artiste.  Dans  «  l'abîme  mystique  »  du 
Prélude  de  Lohengrin,  un  mélomane  aperçoit  l'ogive.  Compa- 
rant les  Lieder  aux  Romances  sans  paroles ,  le  critique  musical 
préfère  les  «  camées  »  de  Schumann  aux  «  aquarelles  »  de  Men- 
delssohn  ;  tandis  que  le  salonnier,  depuis  Gautier,  décrit  des 
symphonies  en  blanc  majeur,  et  que  le  peintre,  depuis  Whistler, 
effleure  des  Nocturnes  qui  sont  des  Harmonies  en  noir  et  en  or...  Et 
le  snobisme  béat  se  fait  gloire  de  renchérir  I  Cependant,  toute 
exagération  masque  une  vérité.  Toute  préciosité  marque  une 
évolution.  La  note  présente,  c'est  la  tendance  à  l'expression. 
L'arabesque  et  l'art  pour  l'art  sont  en  défaveur.  La  musique 
incline  vers  la  peinture,  et  la  peinture  vers  la  musique.  Mas- 
senet  s'écrie  :  «  J'aurais  voulu  être  peintre  !  »  Et  le  roi  des  pein- 
tres, c'est  le  Wagner  de  Bayreuth,  quand  il  réconcilie  les  trois 
arts  en  versant  un  rayon  de  lune  mélodieuse  sur  le  couple 
incestueux  qui  tremble... 

D'ailleurs,  aujourd'hui  plus  que  jamais,  le  peintre  qui  s'ins- 
pire de  la  musique  ne  reprend-il  pas  son  bien?  Descriptive  ou 
littéraire,  —  couleur  locale  ou  leit-motive,  —  la  musique  du  siècle 
évoque  ou  souligne  un  décor  visuel,  un  drame  humain.  L'hu- 
maine expression  a  dominé  la  fugue.  Le  contre-point  n'est  plus 
le  seul  maître  de  l'architecture  éphémère  et  vague.  Après  Schu- 
mann et  Brahms,  après  les  symphonies  dernières,  c'en  est  fait 
presque  de  la  musique  absolue.  Le  théâtre  hypnotise.  Le  drame 
triomphe.  Rubinstein  a  jeté  le  cri  :  Finis  musicœ!  (1).  La  géniale 

(1)  Entretien  sur  la  limUjue,  par  Antoine  Rubinstein  (Ménestrel,  1891-1892j. 


«  audition  colorée  »  d'un  Hector  Berlioz  ou  d'un  Franz  Liszt  met 
un  tableau  sous  la  note,  un  cœur  sous  l'accord;  Richard  Wagner 
définit  un  être,  une  idée,  dans  une  période.  Tout  n'est  que  rêve 
—  et  tout  peut  être  symbole.  Et  le  peintre  n'est-il  pas  mieux 
fondé  à  fixer  dans  une  image  à  la  fois  précise  et  vaporeuse  le 
rêve  issu  du  chant,  comme  un  dessinateur  illustre  un  poète? 
Donc,  le  peintre  de  la  vie  s'est  fait  d'instinct  peintre  du  songe. 
Telle  fut  l'évolution  d'un  Fantin-Latour.  Le  portraitiste  adore  la 
musique;  il  chérit  les  fleurs;  et  n'est-ce  point  la  même  ivresse 
ineffable  qui  naît  du  double  parfum  ? 

Maniée  par  un  peintre,  cette  peinture  musicale  ne  sue  pas  l'en- 
nui pédant  de  la  peinture  littéraire  :  de  même  que,  sous  la  plume 
d'un  musicien,  la  musique  pittoresque  sait  rester  musicale. 
Le  partisan  résolu  des  Poèmes  sijmphoniques  de  Liszt  conclut  : 
«  Pour  beaucoup  de  personnes,  la  musique  à  programme  est  un 
genre  nécessairement  inférieur.  On  a  écrit  sur  ce  sujet  une  foule 
de  choses,  qu'il  m'est  impossible  de  comprendre.  La  musique 
est-elle,  en  elle-même,  bonne  ou  mauvaise?  Tout  est  là.  Qu'en- 
suite elle  soit,  ou  non,  à  programme,  elle  n'en  sera  ni  meilleure  ni 
pire.  C'est  exactement  comme  en  peinture,  où  le  sujet  d'un  ta- 
bleau, qui  est  tout  pour  le  vulgaire,  n'est  rien,  ou  est  peu  de 
chose  pour  l'amateur.  Il  y  a  plus  :  le  reproche  que  l'on  fait  à  la 
musique  de  ne  rien  exprimer  par  elle-même,  sans  le  secours  de 
la  parole,  s'applique  également  à  la  peinture.  Un  tableau  ne 
représentera  jamais  Adam  et  Eve  à  un  spectateur  qui  ne  con- 
naîtrait pas  la  Bible;  il  ne  saurait  représenter  autre  chose  qu'un 
homme  et  une  femme  nus  au  milieu  d'un  jardin »  (1).  Pein- 
ture et  musique,  vous  voilà  donc  réconciliées,  sœurs  ennemies! 

Comment  le  peintre  mélomane  voit-il,  pour  ainsi  dire,  la 
musique,  quand  la  musique  «  le  prend  comme  une  mer  »  ?  Toute 
vivante  et  toute  peinte,  dans  une  atmosphère  sui  generis  émanée  de 
son  émotion.  Sinon,  l'œuvre  est  un  rébus  informe  ou  de  l'illus- 
tration sans  échos.  M.  Ingres,  qui  fut  plus  et  mieux  qu'un  Chinois 
égaré  dans  les  ruines  d'Athènes,  donne  le  la  :  «  Nous  sommes 
tous    fils  d'Apollon  !  » 

(Fin.)  R.\YMO!ND    BOUYER. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra-Comique.  La  Fille  de  Tabarin,  comédie  lyrique  en  trois  actes,  paroles 
de  MM.  Victorien  Sardou  et  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  Gabriel  Pierné. 
(Première  représentation  le  20  Janvier.) 

Tout  n'est  pas  invention,  comme  on  pourrait  le  croire,  dans  la  pièce 
que  MM.  Victorien  Sardou  et  Paul  Ferrier  viennent  de  présenter  au 
public  sous  le  titre  de  la  Fille  de  Tabarin.  Tout  d'abord,  Tabarin  avait 
véritablement  une  fille  (je  ne  sais  si  elle  s'appellait  Diane,  comme  l'ont 
baptisée  ces  messieurs,  mais  elle  exista  réellement).  Ensuite,  il  est  par- 
faitement vrai  que  ce  pitre,  qui  avait  d'ailleurs  de  l'instruction  et  des 
lettres,  se  retira,  après  fortune  faite  dans  son  métier  de  jiateleur,  en  un 
beau  domaine  qu'il  avait  acheté  aux  environs  de  Paris,  et  où  il  vivait 
quasiment  en  grand  seigneur.  Enfin,  il  n'est  pas  moins  très  exact  qu'il 
mourut  d'une  façon  tragique,  quoique  pas  tout  à  fait  comme  le  font 
mourir  nos  librettistes. 

Lorsqu'on  1619  Tabarin  vint  rejoindre  au  Pont-Neuf,  sur  la  place 
Dauphine,  le  charlatan  Mondor,  opérateur  et  marchand  d'onguents,  qui 
y  avait  installé  ses  tréteaux  l'année  précédente,  ce  fut  comme  une  révo- 
lution dans  tout  Paris,  et  de  tous  les  points  de  la  grand'ville  on  accou- 
rait pour  entendre  ses  propos  largement  épicés  et  suprêmement  diver- 
tissants. La  place  Dauphine  devenait  chaque  jour  le  rendez- vous  non 
seulement  des  badauds,  des  valets,  des  sergents,  des  filous  et  des  cham- 
brières, mais  parfois  des  gens  du  beau  monde,  qui  ne  craignaient  pas 
de  se  commettre  avec  la  populace  pour  jouir  d'un  spectacle  dont  la 
grossièreté  n'excluait  point  l'esprit  et  dont  la  drôlerie,  d'ailleurs,  aurait 
fait  naître  le  rire  sur  les  lèvres  d'un  hypocondre. 

La  renommée  de  Tabarin  devint  telle  que  bientôt  on  eut  l'idée  d'im- 
primer ses  facéties  graveleuses,  et  que  cette  publication  obtint  un  succès 
fou.  Le  Recueil  général  des  rencontres  et  questions  tabarinigues,  mis  en 
vente  par  le  libraire  Sommaville  en  1622,  fut  bientôt  dans  toutes  les 
mains  et  se  débita  à  des  milliers  d'exemplaires,  si  bien  qu'il  donna  lieu 

(1)  Saint-Saëns,  Harmonie  et  Mélodie  (1885);  pages  160-161. 


LE  MÉNESTREL 


o9 


â  des  contrefaçons  et  à  des  imitations  nomljreuses.  Entre  pitres  on  se 
connaît.  II  va  donc  sans  dire  que  Tabarin  fréquentait  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne et  les  trois  farceurs  héroïques  qui  avaient  nomGaultier-Garguille, 
Gros-Guillaume  et  Turlupin,  lesquels,  sans  doute,  ne  se  faisaient  pas 
faute  de  venir  applaudir  et  admirer  leur  confrère  sur  la  place  Dauphine. 
Ce  qui  le  prouverait,  c'est  le  petit  document  suivant,  placé  justement 
en  tète  du  «  Recueil  »  que  je  viens  de  citer  et  pour  lui  servir  d'intro- 
duction auprès  du  public. 

APPROBATION 
de  messieurs  de  l'Hostel  de  Bourgogne. 

Nous,  soubsiguez,  docteurs  régens  en  l'Université  de  l'Hoitel  da  Bourgogne, 
certifions  avoir  veu  et  leu  ce  présent  livre  intitulé:  Recueil  général  des  Questions 
tabariniques,  avec  leurs  responses,  etc.,  etc.,  auquel  n'avons  rien  trouvé  qui  soit 
contraire  aux  peuples  ordinaires  de  notre  escolle,  ains  digne  de  paroistre  et 
d'estre  engravé  au  dos  de  la  postérité,  comme  une  pièce  rare  et  antique,  et 
des  mieux  basties  de  nostre  temps.  Enjoignant  de  plus  à  tous  nos  escoliers 
jurez,  gens  tenant  nos  cours  de  plaisanteries,  de  ne  venir  désormais  en  nostre 
dicte  escolle,  sans  au  préalable  s'estre  garny  d'une  de  ces  copies. 

Fait  le  jour  de  Mardy-Gras,  au  collège  de  Bontemps,  au  susdit. 
Signé  :    G.  Garguille, 
Gros  Guillaume. 

Et  ce  qui  prouve  encore  plus  les  relations  de  Tabarin  avec  ses  cama- 
rades de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  c'est  que  précisément  sa  fille  épousa  l'un 
de  ceux-ci,  le  joyeux  Gaultier-Garguille,  celui  dont  un  chroniqueur 
disait,  peu  après  sa  mort  :  —  «  Il  ne  jouoit  jamais  sans  masque,  avec 
une  grande  barbe  pointue,  une  calotte  noire  et  plate,  des  escarpins 
noirs,  des  manches  de  frise  rouge,  un  pourpoint  et  des  chausses  de  frise 
noire.  Il  représentoit  toujours  le  vieillard  de  la  farce,  chantoit  ordinaire- 
ment une  chanson,  et  quoique  mauvaise  le  plus  souvent,  plusieurs  ne 
venoient  au  spectacle  que  pour  l'entendre.  Cet  homme,  si  ridicule  à  la 
farce,  ne  laissait  pas  quelquefois  de  faire  le  roi,  et  assez  bien,  dans  les 
pièces  sérieuses,  à  l'aide  du  masque  et  de  la  robe  de  chambre  que  por- 
toient  alors  tous  les  rois  de  théâtre.  » 

Tabarin  donc,  sa  fille  mariée,  alla  se  retirer  dans  ses  terres  —  et  c'est 
ici  que  les  auteurs,  usant  de  leur  droit,  se  sont  écartés  de  la  vérité  des 
faits,  aussi  bien  qu'en  ce  qui  concerne  la  mort  de  Tabarin.  On  sait  au- 
jourd'hui que  celui-ci,  victime  d'un  guet-apens,  fut  lâchement  assassiné 
au  milieu  d'une  chasse,  par  de  prétendus  grands  seigneurs  qu'offusquait 
le  voisinage  de  cet  ancien  baladin  parvenu  â  la  fortune. 

Les  auteurs  de  la  Fille  de  Tabarin  nous  le  montrent  précisément  dans 
son  rôle  de  châtelain  campagnard,  cachant  soigneusement  à  tous  son 
ancienne  profession,  se  faisant  appeler  le  sire  de  Beauval  et  ayant  auprès 
de  lui  sa  fille  Diane,  qui,  chose  plus  difficile  à  croire,  ignore  ce  qu'a  été 
son  père.  M.  de  Beauval  reçoit  chez  lui  les  gentilshommes  du  voisinage, 
et  le  fils  d'un  de  ceux-ci,  le  jeune  Roger  de  la  Brède,  s'est  épris  de  la 
jolie  Diane,  qui  n'est  pas  insensible  à  son  amour.  Beauval-Tabarin 
surprend  le  secret  de  sa  fille,  et  se  met  en  devoir  de  chercher  â  assurer 
son  bonheur  en  l'unissant  à  celui  qu'elle  aime.  Après  quelques  difficul- 
tés soulevées  par  le  comte  de  la  Brède,  le  père  de  Roger,  tout  finit  par 
s'arranger,  et  le  mariage  est  annoncé  dans  le  repas  qui  précède  une 
partie  de  chasse.  Voici  qu'au  milieu  de  ce  repas,  on  entend  du  bruit, 
des  cris.  C'est  une  troupe  de  baladins  qui  vient  d'arriver  dans  le  village, 
conduite  par...  Mondor.  En  entendant  le  nom  de  son  ancien  compagnon, 
Tabarin  est  atterré,  craignant  aussitôt  la  divulgation  de  son  secret  ;  il 
pâlit,  tombe  en  faiblesse,  et  c'est  à  grand'peine  qu'on  le  fait  revenir  àlui. 

Le  second  acte  nous  amène  précisément  sur  la  place  du  village,  dont 
c'est  la  fête.  Mondor  a  monté  sa  baraque,  il  rassemble  ses  «  artistes  », 
fait  son  boniment  à  la  foule,  vante  ses  onguents  et  son  élixir,  mais  le 
tout  en  vain.  Les  villageois  songent  à  toute  autre  chose  qu'à  monter  sur 
ses  tréteaux,  la  recette  est  absente,  et  Mondor,  resté  seul,  se  lamente  à 
la  pensée  que  lui  et  les  siens  n'auront  pas  ce  soir  de  quoi  diner.  Sur- 
vient Tabarin,  dans  son  plus  beau  costume  de  châtelain.  En  apercevant 
Mondor  il  veut  s'échapper,  mais  celui-ci  s'approche,  l'aborde,  lui  conte 
sa  misère  et  le  supplie  de  lui  permettre  d'installer  sa  baraque  dans 
l'orangerie  du  château,  où  le  public  ne  pourra  manquer  d'accourir. 
Tabarin  refuse  et  tend  sa  bourse  â  Mondor  qui,  fièrement,  lui  dit  qu'il 
ne  mendie  pas.  Mais,  quoique  Tabarin  tourne  sans  cesse  la  tête  pour  ne 
point  se  laisser  voir,  Mondor  croit  le  reconnaître,  Tabarin  le  prend  de 
haut  en  lui  disant  qu'il  se  trompe,  l'autre  insiste,  et  enfin  Tabarin, 
vaincu  par  sa  vieille  amitié,  lui  ouvre  les  bras,  dans  lesquels  Mondor  se 
précipite. 

Nous  sommes  maintenant  dans  l'orangerie,  où,  bien  entendu,  Mondor 
a  eu  l'autorisation  de  s'instaUer.  Il  fait  procéder  à  la  répétition,  à 
laquelle  Tabarin  vient  assister,  heureux  sans  doute  de  se  retrouver 
pour  un  instant  dans  son  ancien  milieu.  Mais  celui  qui  le  remplace 
dans  son  personnage  ne  le  satisfait  en  aucune  façon.  Après  quelques 


mouvements  d'impatience,  il  hasarde  discrètement  une  observation, 
que  l'autre  reçoit  avec  un  haussement  d'épaules.  Une  seconde  remarque 
n'est  pas  mieux  reçue.  A  la  fin,  bouillonnant,  n'y  tenant  plus,  Tabarin 
s'élance  sur  l'estrade,  qu'il  escalade,  s'empare  du  loqueton  et  du  chapeau 
de  ce  pitre  indigne,  —  le  fameux  chapeau  de  Tabarin,  —  et  là,  emporté 
par  l'amour  de  l'art,  par  ses  souvenirs,  par  ses  succès,  il  lui  donne  une 
leçon  de  parade  avec  une  ardeur,  un  mouvement,  une  chaleur,  qui  font 
pousser  des  cris  de  joie  à  Mondor  et  à  ses  acolytes.  Mais  hélas  !  voici 
que  les  portes  s'ouvrent  et  qu'arrivent  tous  les  seigneurs  qui,  en  voyant 
le  «  sire  de  Beauval  »  sous  les  haillons  de  Tabarin,  se  retirent  plus 
indignés  encore  que  surpris. 

Bientôt  revient  le  comte  de  la  Brède,  qui  signifie  à  Tabarin  que  le 
mariage  projeté  est  devenu  impossible  et  qu'il  reprend  sa  parole.  Ta- 
barin, désespéré  pour  sa  fille,  le  prie  et  le  supplie  en  vain,  lui  propose 
de  se  cacher,  de  disparaitre,  de  quitter  la  France  s'il  le  faut,  de  telle 
sorte  qu'on  n'entende  plus  jamais  parler  de  lui.  Le  vieillard  reste  in- 
flexible et  s'éloigne.  Pourtant,  si  je  mourais  !  se  dit  Tabarin  une  fois 
seul.  Et,  saisissant  le  fusil  de  chasse  qui  est  auprès  de  lui,  il  se  dirige 
vers  les  jardins.  A  ce  moment,  Roger  vient  trouver  Diane  pour  lui  jurer 
que  son  amour  résiste  aux  volontés  de  son  père,  et  qu'il  ne  cessera 
jamais  de  l'aimer.  C'est  alors  que  retentit  un  coup  de  feu,  qu'on  entend 
des  cris  et  des  lamentations,  et  que  Diane,  bouleversée,  se  précipite  vers 
la  porte,  qui  s'ouvre  justement  devant  des  serviteurs  rapportant  le  corps 
de  Tabarin  mourant.  Tout  le  monde  entoure  le  moribond  à  qui  le  comte 
de  la  Brède  déclare  alors  que  leurs  enfants  seront  unis,  et  Tabarin, 
consolé  sans  doute  par  cette  parole,  rend  son  âme  au  ciel. 

M.  Gabriel  Piernê,  grand  prix  de  Rome,  très  avantageusement  connu 
par  plusieurs  compositions  symphoniques  importantes  et  par  des  mélo- 
dies d'un  tour  élégant  et  délicat,  n'a  jusqu'ici  abordé  la  scène  qu'avec 
un  grand  opéra,  Vendée,  représenté  à  Lyon  sous  la  direction  de  M.  Albert 
Vizentini,  et  par  deux  ou  trois  ballets  joués  au  Nouveau-Théâtre,  entre 
autres  Bouton  d'or,  qui  fut  fort  bien  accueilli.  La  Fille  de  Tabarin  est  son 
véritable  début  de  compositeur  dramatique  devant  le  public  parisien. 

Gomme  tous  ses  jeunes  confrères,  M.  Pierné  a  voulu  tout  d'abord 
montrer  là-dedans  ce  qu'il  savait  faire  et  de  quoi  il  était  capable.  Il  a 
entassé  Pélion  sur  Ossa,  leitmotif  sur  leitmotif,  modulations  sur  modu- 
lations, effets  d'orchestre  sur  effets  d'orchestre,  se  souciant  peu  de  faire 
chanter  ses  chanteurs,  ce  qui  n'est  plus  de  mode,  et  étouffant  les  paroles 
sous  de  formidables  dessins  symphoniques,  de  telle  façon  qu'on  n'en 
puisse  saisir  un  traître  mot.  Il  a  pourtant  du  talent,  M.  Pierné,  et  il  l'a 
prouvé  en  plus  d'une  occasion.  Mais  pourquoi  sacrifier  toujours  le  fond 
à  la  forme,  traiter  la  mélodie,  le  chant  proprement  dit,  comme  une 
quantité  négligeable,  et  ne  s'occuper  que  de  l'effet  matériel?  Ayant  â 
écrire  une  «  comédie  lyrique,  s,  une  pièce  de  genre  aimable  et  léger,  le 
compositeur  traite  son  sujet  avec  les  éléments  qu'il  pourrait  employer 
pour  écrire  le  drame  le  plus  sombre  et  le  plus  violent,  et  il  semble, 
même  quand  il  a  à  faire  parler  deux  amoureux,  que  toutes  les  puis- 
sances de  l'orchestre  lui  soient  encore  insuffisantes.  C'est  proprement 
prendre  un  merlin  pour  écraser  une  fourmi.  Et  puis,  comme  M.  Pierné 
veut  être  «  dans  le  mouvement  »,  il  se  garderait  comme  du  feu  d'écrire 
une  phrase  qui  ait  une  tournure  naturelle  et  aisée,  qui  se  poursuive 
pendant  huit  mesures  avec  un  sens  mélodique,  qui  ait  un  commence- 
ment, un  milieu  et  une  fin,  et  quand  il  parait  en  vouloir  commencer 
une.  vite,  il  l'interrompt  et  la  dénature  par  une  modulation  ;  tout  est  chez 
lui  tourmenté  et  tortillé  comme  â  plaisir.  Il  va  sans  dire  que  tout  se  passe 
chez  lui  en  récits  éternels,  en  dialogues  interminables,  selon  la  formule 
adoptée,  et  qu'il  se  ferait  pendre  plutôt  que  de  perpétrer  un  simple 
ensemble  â  deux  voix.  Notez  qu'il  a  de  l'inspiration,  M.  Pierné,  et  qu'il 
la  dédaigne.  "Volontairement,  arbitrairement,  il  l'étouffé  comme  s'il  en 
rougissait. 

Et  si  je  dis  cela,  c'est  qu'il  m'en  donne  la  preuve.  Voyez  le  troisième 
acte,  et  la  scène  de  la  parade.  Le  compositeur  a  voulu  faire  là  un  petit 
pastiche  de  musique  ancienne,  à  la  manière  de  Grétry  ou  de  Monsigny  ; 
il  l'a  fait  avec  grâce,  avec  délicatesse,  en  traitant  les  voix  comme  elles 
doivent  l'être,  en  les  faisant  véritablement  chanter,  et  en  consentant  à 
en  réunir  plusieurs  ensemble.  Il  y  a  là  un  petit  trio  de  femmes  d'une 
forme  charmante,  vraiment  musicale,  et  un  sextuor  excellent,  le  tout 
accompagné  par  un  orchestre  allègre,  pimpant,  chatoyant,  un  petit 
orchestre  fleuri,  plein  de  couleur  et  d'élégance.  Enfin  nous  avions  de  la 
musique,  et  il  fallait  voir  la  surprise  et  la  joie  du  public  â  cette  nou- 
veauté inattendue!  Hélas!  pourquoi  n'a-t-il  pas  traité  toute  la  pièce  de 
cette  façon?  Nous  aurions  peut-être  un  petit  chef-d'œuvre  de  plus.  Et 
il  a  aussi  le  sentiment  de  la  scène,  M.  Pierné.  Il  l'a  prouvé  au  second 
acte,  dans  la  rencontre  de  Mondor  et  de  Tabarin.  L'épisode  était  inté- 
ressant à  traiter,  il  y  a  mis  tous  ses  soins,  et  la  scène  est  bien  menée  et 
bien  venue,  quoique,  malheureusement,  elle  manque  essentiellement 


60 


LE  MÉNESTREL 


d'émotion,  là  justement  où  l'émotion  était  indispensable.  J'en  dirai 
autant  de  la  scène  de  Diane  et  de  Roger  au  premier  acte,  qui  est  sèche, 
sans  chaleur,  et  complètement  dépourvue  de  passion. 

Mais  enfin,  M.  Pierné  nous  a  prouvé,  avec  ce  second  et  ce  troisième 
acte  (il  y  a  encore,  au  second,  la  scène  comique  du  boniment  de  Mondor, 
qui  est  e.xcellente).  qu'il  aurait,  quand  il  le  voudrait,  les  qualités  du 
compositeur  dramatique.  Qu'il  les  acquière  donc  complètement,  qu'il  se 
laisse  aller  à  sa  nature,  qu'il  rompe  avec  les  idées  fausses,  avec  les  doc- 
trines délétères,  avec  les  tendances  funestes  qui  tueraient  la  musique 
française  si  elle  n'était  pas  si  bien  constituée.  Qu'il  se  souvienne  que  les 
grands  artistes  qui  s'appelaient  Méhul,  Cherubini,  Catel,  Boieldieu, 
Herold.  ne  méprisaient  ni  le  chant,  ni  le  rythme,  ni  la  tonalité,  et  que 
c'est,  au  contraire,  par  l'usage  qu'ils  en  faisaient  qu'ils  ont  conquis  la 
fortune  et  la  gloire.  Quoi  qu'en  puissent  dire  les  poseurs  ou  les  impuis- 
sants, c'est  avec  ces  trois  éléments  qu'on  fait  de  véritable  musique, 
c'est  de  leur  réunion  que  sont  sortis  ces  chefs-d'oeuvre  qui  s'appellent 
Joseph,  Lodoïska,  la  Dame  blanche,  le  Pré  aux  clercs...  Et  je  voudrais  bien 
savoir  quel  musicien  oserait  rougir  aujom'd'hui  d'avoir  fait  Joseph,  pour 
ue  parler  que  de  celui-là? 

~Les  deux  rôles  principaux  de  la  Fille  de  Tabarin,  ceux  de  Tabarin  et 
de  Mondor,  sont  tenus  avec  une  supériorité  éclatante  par  MM.  Fugère 
et  Périer.  à  qui  reviennent  les  honneurs  de  la  soirée.  Très  en  dehors  et 
très  amusant  dans  son  boniment  aux  paysans,  M.  Périer  a  joué  en  vi-ai 
grand  artiste  la  scène  de  la  reconnaissance  avec  Tabarin,  avec  un  senti- 
ment, une  émotion,  et  en  même  temps  une  simplicité  et  un  naturel  qui 
montrent  tout  le  fonds  qu'on  peut  faire  sur  son  talent  et  qui  lui  ont  valu 
un  succès  aussi  bruyant  que  mérité.  Quant  à  M.  Fugére.  plein  de  grâce 
au  premier  acte  dans  la  scène  avec  sa  fille,  il  a  montré  au  troisième, 
dans  celle  de  la  répétition,  un  entrain,  une  verve,  une  chaleur  et  un 
sentiment  comique  absolument  irrésistibles  et  qui  ont  réjoui  la  salle 
entière. 

Tous  les  autres  rôles  ne  font,  eu  somme,  que  graviter  autour  de 
ceux-là,  bien  que  celui  de  la  servante  Nicole,  la  confidente  de  Tabarin, 
fort  bien  tenu  par  M"''  Tiphaine,  ait  son  importance.  Il  faut  louer 
néanmoins  comme  ils  le  méritent  M"'=  Garden  (Diane),  M"""  Landouzy 
(Clorinde),  MM.  Beyle  (Roger),  Delvoye  (frère  Éloi),  Boudouresque 
(la  Brède),  Cazeneuve  (la  Roche- Posay),  et  nommer  au  moins  MM"'''  Daf- 
fetye,  Chevalier,  de  Craponne,  et  MM.  Mesmaecker  et  Viannenc,  l'en- 
semble étant  excellent  de  la  part  de  tous.  Il  faut  louer  l'orchestre  et  les 
chœurs  de  leur  solidité,  et  ailresser  à  la  mise  en  scène  tous  les  compli- 
ments qu'elle  mérite. 

Arthur  Pougin. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVBB  SELLE    DE     19CO 

(Suite.) 


En  dehors  de  la  rue  de  Paris,  qui  en  avait  accaparé  le  plus  grand 
nombre,  il  n'y  avait,  dans  l'enceinte  de  l'Exposition,  que  peu  de  théâtres 
proprement  dits.  Au  Champ-de-Mars,  le  théâtre  exotique  du  Tour  du 
Monde,  qui  ne  laissait  pas  d'être  curieux  et  original,  et  le  théâtre  com- 
pris dans  le  Palais  de  la  Femme,  qui  n'offrait  rien  d'absolument  singu- 
lier. Au  Trocadéro  ou  daus  ses  entours,  le  théâtre  Indo-Chinois,  dont 
l'originalité  résidait  surtout  dans  ce  fait  que  ses  principaux  sujets  étaient 
européens;  le  théâtre  Hindou,  qui,  dans  ses  commencements  au  moins, 
possédait  un  personnel  plus  authentique,  et  le  Grand  Théâtre  Égyptien, 
qui  méritait  son  titre,  car  il  était  eu  effet  le  plus  vaste  de  l'B.xposition. 
A  cela  il  faut  ajouter  les  théâtres  qu'on  trouvait,  d'une  part  au  Vieux 
Paris,  reconstitution  si  cmieuse  et  si  intéressante,  d'autre  part  au  spec- 
tacle qui  prenait  le  titre  de  l'Andalousie  au  temps  des  Maures,  dont  le 
principe  était  le  même  et  aussi  ingénieux,  mais  qui  fut  moins  heureux 
et  dont  l'existence  fut  courte. 

En  quittant  la  rue  de  Paris  et  en  franchissant  la  passerelle  du  pont 
de  l'Aima  on  arrivait  au  Vieux  Paris,  on  longeait  la  Seine  et  on  débou- 
chait sur  le  Trocadéro.  Là,  on  suivait,  en  remontant  à  gauche,  la  ligne 
des  Colonies  françaises,  et  on  atteignait,  près  de  la  porte  de  Passy, 
l'admirable  exposition  de  ITndo-Chine,  qui  était  une  merveilleuse  leçon 
de  choses.  C'est  là  qu'on  rencontrait,  en  quelque  sorte  enclavé  dans 
cette  superbe  exposition, 

Le  Théâtre  hido-Chinok.  —  Ce  théâtre  avait  été  concédé,  dit-on,  à  un 
colon  de  Saigon.  Pénétrons  dans  la  salle,  non  sans  avoir  contemplé 
d'abord  l'extérieur  de  l'édifice,  qui  mérite  un  coup  d'œil  attentif.  La 


construction  fait  honneur  à  l'architecte.  M.  de  Brossard.  L'ensemble 
est  harmonieux,  la  façade  est  ornée  de  motifs  heureusement  fouillés,  la 
grande  porte  d'entrée,  somptueuse,  est  surmontée  d'un  frontispice 
luxueusement  sculpté,  et  la  toiture  est  originale,  avec  le  haut  et  gentil 
clocheton  qui  la  domine.  La  salle,  assez  vaste  et  décorée  avec  profusion, 
est  garnie  d'armes,  d'instruments  de  musique,  de  bronzes,  de  bibelots, 
d'objets  curieux  de  toute  sorte,  qui  donnent  une  note  d'exotisme  exact 
et  original.  Elle  peut  contenir  environ  deux  cent  cinquante  spectateurs 
très  confortablement  assis  dans  de  larges  fauteuils  de  jonc,  sans  compter 
ceux  qui  peuvent  prendre  place,  debout,  dans  un  large  promenoir  for- 
mant balcon  tout  au  fond. 

On  a  fait  beaucoup  de  bruit  autour  de  ce  théâtre  Indo-Chinois.  As  - 
sûrement  je  n'en  veux  point  médire,  et  le  spectacle  qu'il  offrait  au 
public  ne  manquait  pas  d'une  certaine  saveur.  Mais  enfin,  le  prix  des 
places  était  assez  élevé  (il  y  en  avait  jusqu'à  cinq  francs)  pour  qu'on  prit 
montrer  quelque  exigence  â  l'égard  de  représentations  qui  ne  duraient 
guère  plus  d'une  bonne  demi-heure.  Je  sais  bien  qu'en  fait  d'Indo- 
Chinoises  il  y  avait  là  surtout  M""  Cleo  de  Mérode,  retour  d'Amérique, 
—  à  qui  l'on  faisait  son  entrée,  s'il  vous  plait,  comme  sur  un  vrai 
théâtre.  Elle  est  toujours  fort  jolie.  M"''  Cleo  de  Mérode.  avec  son  corps 
svelte,  ses  membres  graciles,  âla  fois  souple,  voluptueuse  et  séduisante, 
et.  cela  va  sans  dire,  portant  fort  bien  le  costume.  Mais  â  tout  prendre, 
malgré  sa  beauté,  ce  n'était  qu'une  Annamite  faux  teint,  une  Annamite 
de  contrebande,  dont  l'exotisme  ne  pouvait  donner  qu'une  illusion  rela- 
tive. Et  puis,  même  en  dehors  d'elle,  j'ai  des  scrupules  sur  la  nationalité 
de  certains  autres  sujets  encore.  Je  me  suis  laissé  dire  que  les  danseuses 
annamites  ou  cambodgiennes  faisant  partie  du  corps  de  ballet  du  roi  No- 
rodom,  que  l'administration  du  théâtre  Indo-Chinois  avait  engagées,  se 
sont  trouvées  involontairement  en  retard  de  plusieurs  semaines,  et  qu'on 
lésa  remplacées  au  dernier  moment  par  de  simples  ballerines  italiennes 
du  théâtre  Columbia,  alors  en  déconfiture,  qu'on  a  dressées  d'une  façon 
spéciale  en  les  faisant  étudier  devant  le  cinématographe  de  la  pagode 
voisine,  qui  reproduisait  toutes  les  scènes  d'un  ballet  â  la  cour  d'Annam. 
Aurait-on  donc  abusé  de  ma  candeur  en  offrant  a  mes  yeux  abusés  des 
Indo-Chinoises  compatriotes  de  M.  Fregoli?  Horreur  et  profanation  ! 
Pénétrons,  malgré  tout,  dans  le  sanctuaire. 

La  toile  est  levée,  et  le  décor,  tout  rutilant,  d'une  couleur  violente  et 
d'un  aspect  farouche,  avec  les  animaux  étranges  qu'il  représente,  est 
tout  à  fait  «  couleur  locale  ».  Pour  commencer  le  spectacle,  nous  avons 
une  symphonie  avec  chœurs  qui,  j'en  atteste  les  dieux,  n'offre  aucun  lien 
de  parenté  avec  celle  de  Beethoven.  Ala  rigueur,  je  préférerais  même  celle- 
ci.  Six  jeunes  filles  et  dix  jeunes  gens  viennent  tranquillement  s'asseoir 
par  terre,  face  au  public,  formant  deux  rangées,  les  fillettes  devant,  les 
garçons  derrière.  Tous  ont  leurs  instruments,  dont  ils  jouent  tout  en 
chantant,  et  exécutent  ainsi  leur  symphonie  chorale.  Bien  que  cette 
musique  soit  étrange  à  nos  oreilles,  qu'elle  dépayse  complètement,  on 
ne  saurait  la  dire  absolument  désagréable.  Elle  se  tient  dans  une  gamme 
empreinte  de  douceur  et  affecte  un  certain  caractère  mélancolique  qui 
n'est  pas  sans  une  sorte  de  charme  berceur. 

Lorsque  ceux-là  ont  fini,  ils  vont  se  ranger  sur  les  deux  côtés  du 
théâtre,  où  leur  musique  va  accompagner  les  danses  cambodgiennes. 
C'est  ici  que  je  me  demande  si  l'on  se  joue  véritablement  de  ma  crédu- 
lité, et  si  les  quatre  danseuses  qui  se  présentent  sont  natives  d'un 
Cambodge  situé  sur  les  rives  du  Pô  ou  du  Tessin.  Ma  foi,  tant  pis  !  à 
tout  prendre  elles  sont  curieuses,  ces  danses,  qui  ne  sont  d'ailleurs  guère 
autre  chose  que  des  attitudes  et  qui  ressemblent  de  bien  près  à  celles 
que  nous  offraient,  en  1889,  les  adorables  petites  créatures  du  Kampong 
javanais.  Ce  sont  des  exercices  de  grâce  et  do  souplesse,  des  fléchisse- 
ments de  reins,  des  poses  sans  cesse  changeantes,  accompagnés  de 
lents  tournoiements  de  mains  en  dedans  et  en  dehors  d'un  effet  vrai- 
ment curieux. 

Beintôt  elles  cèdent  la  place  â  des  danses  d'un  tout  autre  genre,  celles 
des  Parsis,  «  adorateurs  du  feu  »  nous  dit  le  programme.  Ces  Parsis 
ont.  pour  les  accompagner,  un  orchestre  â  eux,  orchestre  absolument 
rudimentaire,  comprenant  seulement  deux  ou  trois  tambours  de  formes 
diverses  et  deux  ou  trois  paires  de  crotales.  Quatre  femmes  d'un  noir 
assez  présentable  viennent  d'abord  nous  offrir  la  «  danse  des  vases  d'or  », 
c'est-à-dire  que  chacune  d'elles  tient  en  mains  un  petit  vase  de  métal 
avec  lequel  elle  jongle  tout  en  dansant.  Deux  grotesques  chantants  et 
dansants  leur  succèdent  et  nous  donnent  un  intermède  original  et  amu- 
sant. Puis,  toute  la  troupe  exécute  la  «  danse  des  bambous  »,  très 
caractéristique,  avec  les  tournoiements  et  les  enchevêtrements  des  dan- 
seurs frappant  sans  cesse  les  uns  contre  les  autres  de  courts  bâtons  dont 
ils  sont  armés  et  qui  donnent  avec  ensemble  un  bruit  rythmique  très 
étrange  et  très  curieux.  Ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  ces  diverses 
danses,  c'est  qu'elles  commencent  dans  un  mouvement  lent  et  tranquille, 
s'animent  peu  â  peu,  progressivement,  jusqu'à  devenir  vertigineuses. 


LE  MENESTREL 


61 


comme  celles  des  derviches,  puis  s'arrêtent  net  tout  à  coup,  chaque 
danseur  se  trouvant  immobile  à  sa  place. 

Enfin  —  enfin  !  parait  la  reine  du  lieu,  M""  Cleo  de  Mérode  (  «  de 
l'Académie  nationale  de  musique  »,  ne  manque  pas  de  direl'  «  aboyeur  » 
chargé  de  faire  le  boniment  à  la  porte  du  théâtre).  Et  M""  Cleo  nous 
reproduit,  seule,  la  danse  que  les  quatre  cambodgiennes  vraies  ou  fausses 
nous  ont  offerte  au  commencement  de  la  séance.  Elle  y  met,  je  ne  le 
nie  pas,  un  certain  charme,  une  grâce  réelle,  se  souciant  d'ailleurs  fort 
peu  de  faire  concorder  ses  pas  et  ses  attitudes  avec  le  rythme  de  l'or- 
chestre qui  l'accompagne  comme  il  a  accompagné  ses  devancières.  Elle 
se  déhanche  ainsi  pendant  quelques  minutes,  se  tord  les  bras,  fait 
tourner  ses  mains  dans  tous  les  sens,  puis  remonte  lentement  la  scène 
sans  cesser  ses  tournoiements,  salue  gracieusement  et  disparait.  On 
applaudit,  on  la  rappelle,  elle  se  présente  de  nouveau  à  la  foule  enivrée, 
dont  elle  reçoit  l'hommage,  resalue,  redisparaît  —  et  c'est  fini  ! 

Il  parait  cependant  que  le  spectacle  du  théâtre  Indo-Chinois  a  été  par 
fois  un  peu  plus  corsé  et  qu'on  y  a  joué,  dans  les  commencements,  un 
agréable  ballet- pantomime  intitulé  la  Bague  enchantée,  dont  le  sujet 
était  tiré  d'une  légende  orientale. 

TImHre  Hindou.  —  Le  théâtre  Indo-Chinois  n'était  pas  le  seul  de 
son  genre.  Tout  auprès  de  l'exposition  des  Indes  Françaises  (qu'il  ne 
faut  pas  confondre  avec  l'Indo-Chine),  on  avait  élevé,  à  beaucoup  moins 
de  frais,  un  autre  théâtre,  dit  Théâtre  Hindou,  construction  vaste,  mais 
banale,  sans  ornements  extérieurs  ni  intérieurs,  et  qui  n'était  autre 
chose  qu'une  sorte  de  grande  halle  à  peu  près  nue,  de  forme  carrée, 
dont  le  sol  était  couvert  de  stalles.  Une  galerie  en  simples  planches 
contournait  cette  salle.  C'est  là  qu'on  avait  amené  de  Pondichéry  une 
troupe  indienne  de  83  sujets  :  danseurs,  danseuses,  musiciens,  prestidi- 
gitateurs, «  sorciers  »,  charmeurs  de  serpents,  etc.  On  avait  fait  de 
grands  frais  (à  telles  enseignes  qu'on  m'a  signalé  quatre  bayadéres  en- 
gagées à  raison  de  l.SOO  francs  par  mois,  logées  et  nourries),  mais  le 
public  resta  rebelle  à  ce  spectacle,  malgré  sa  richesse  et  une  authenti- 
cité qu'eût  pu  lui  envier  son  voisin,  le  tliéàtre  Indo-Chinois.  Bref,  et 
comme  tout  n'est  qu'heur  et  malheur  en  ce  monde  la  débâcle  ne  tarda 
pas  à  se  produire,  et  la  troupe  indienne  dut  se  disloquer.  La  salle  fut 
occupée,  quelques  semaines  après,  par  un  groupe  d'une  dizaine  d'Indiens 
de  couleur,  dont  deux  femmes,  qui  y  restèrent  jusqu'à  la  fermeture  de 
l'Exposition.  J'ai  vu  là  un  spectacle  qui  n'était  rien  moins  que  somp- 
tueux. Quelques  danses  plus  ou  moins  pittoresques,  j'allais  dire  plus 
ou  moins  banales,  parfois  accompagnées  de  chant  par  les  danseurs 
eux-mêmes.  La  plus  intéressante  était  une  danse  grotesque  qu'exécutait 
une  sorte  de  sauvage  affublé  d'un  masque  hideux,  et  qui  n'était  pas 
sans  un  certain  caractère  original.  Il  vaut  mieux  ne  pas  parler  du 
reste. 

(A  suivre. j  Abthur  Pougin. 


BEVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  M.  Félix  Weingartner  pousse  aussi  loin  qu'on 
peut  l'imaginer  la  virtuosité  orchestrale;  sous  le  rapport  de  la  technique,  il 
est  parmi  les  trois  ou  quatre  artistes  de  l'Allemagne  tout  à  fait  incomparables 
dans  la  hranche  de  l'art  qu'ils  ont  adoptée,  branche  très  différente  de  celle  où 
ont  excellé,  où  excellent  encore  les  chefs  formés  à  l'école  des  Richter  et  des 
Hermann  Levi,  ces  admirables  initiateurs  wagnériens  moins  jaloux  des  suc- 
cès personnels  qu'on  ne  l'est  généralement  aujourd'hui.  Ses  interprétations 
le  dépeignent  entièrement;  c'est  un  seusitif  de  la  musique.  Toutes  ses  impres- 
sions d'àme  lui  viennent  par  son  entremise,  et  si  parfois  il  se  laisse  bercer 
par  elle  dans  une  mimique  dont  le  caractère  peut-être  excentrique,  dans  tous 
les  cas  exceptionnel,  n'exclut  ni  la  grâce  ni  l'élégance,  plus  souvent  il  lui 
commande  en  maître,  lui  impose  violemment  sa  loi  et  la  tient  sous  sa  domi- 
nation passionnée  et  frémissante.  Là  est  le  coté  sublime  et  génial  d'une  exé- 
cution musicale  ainsi  présentée;  là  aussi  en  est  le  danger,  si  le  sceptre  tombe 
en  des  mains  inhabiles.  Ce  n'a  pas  été  le  cas  pour  M.  Weingartner.  Bien 
qu'il  ait  atteint,  dans  l'ouverture  de  Léonore,  la  limite  extrême  de  ce  qu'on 
pouvait  oser  comme  véhémence,  comme  vélocité  et  comme  puissance  d'en- 
traînement, aucune  confusion  n'a  troublé  dans  son  orageuse  harmonie  l'or- 
chestre déchaîné.  Il  a  montré  que  son  audacieux  chef  n'avait  pas  eu  tort  de 
compter  sur  sa  solidité,  sur  son  ardeur  et  sur  son  aplomb  rythmique.  La  salle 
était  électrisée;  elle  a  rappelé  à  deux  reprises  le  jeuue  directeur,  qui  asso- 
ciait à  son  succès  son  admirable  phalange  instrumentale.  Il  fallait  applaudir 
à  outrance  parce  que  c'était  plein  d'élan,  et  que  l'élan  et  la  foi,  l'enthou- 
siasme, sont  ici-bas  parmi  les  choses  les  plus  rares  et  les  plus  précieuses. 
Venant  après  ces  ovations  triomphantes,  dont  Beethoven  a  eu  sa  part,  la  plus 
large  au  fond,  la  symphonie  en  ut  majeur  de  Schubert  n'a  pu  maintenir  l'as- 
sistance au  même  diapason.  L'œuvre  est  pourtant  d'une  exubérance  inouïe; 
le  maître  a  jeté  là  ses  richesses  avec  une  prodigalité  merveilleuse,  mais  les 
thèmes  principaux  du  premier  morceau  et  de  l'andante  sont  ou  de  peu  de 


valeur,  ou  d'un  goût  vieilli.  Le  scherzo,  par  contre,  est  ravissant;  c'est  la 
poésie  champêtre  dans  sa  simplicité,  une  églogue.  On  est  délicieusement 
impressionné  par  le  trio  en  la  majeur,  chef-d'œuvre  en  seize  mesures,  dont 
Louis  Ehlert  a  pu  dire  :  «  C'est  si  ensoleillé,  si  chaud  et  d'une  sève  si  plan- 
tureuse que  l'on  croit  respirer,  vers  l'heure  de  midi,  le  parfum  des  jeunes 
sapins  élevant  leurs  jeunes  pousses  au  milieu  de  la  forêt.  »  Le  finale  a  beau- 
coup d'allure,  de  force  et  de  brio  ;  M.  Weingartner  l'a  mis  en  relief  avec  une 
conviction  ardente  et  chaleureuse,  mais  on  aurait  voulu  de  lui  un  ouvrage 
d'un  autre  caractère,  par  exemple  une  vaste  composition  de  Berlioz,  de  Raff 
ou  de  Liszt,  afin  que  sa  fantaisie  pût  se  donner  carrière  dans  une  forme  d'art 
plus  originale  que  celle  de  la  symphonie  de  Schubert.  Le  programme  com- 
prenait encore  l'ouverture  de  la  Flûte  enchantée  et  le  concerto  en  ré  mineur  de 
Haendel,  pour  deux  violons,  violoncelle  et  instruments  à  cordes. 

Amédée  Boutarel. 

—  La  seconde  exécution  du  concerto  pour  violon  de  M.  Théodore  Dubois 
au  Conservatoire  n'a  pas  été  moins  brillante  que  la  première.  L'œuvre,  d'une 
si  belle  tenue  et  d'un  si  haut  intérêt,  a  rencontré  le  même  public  enthousiaste, 
en  compagnie  de  son  prestigieux  interprète,  M.  Henri  Marteau. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  ; 
Conservatoire  :  Relâche. 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  d'Euryanthe  (Weber).  —  Fragments  deiîojnco  et 
Juliette  (Berlioz).  —  Concerto  pour  violon  (llendelssohn),  par  M.  Jacques  Thibaud.  — 
Fragments  de  Fervmd  (V.  d'Indy),  par  M.  Vaguet  et  les  chœurs.  —  Inlroduction  et  Jîomto 
capriccioso  (Saint-Saëns),  par  M.  Jacques  Thibaud.  —  Marche  de  Lohengrin  (Wagner). 

Nouveau -Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Weingartner  :  Ouverture 
de  Benvenuto  Cellini  (Berlioz).  —  Ouverture  de  Rob-Roy  (Berlioz).  —  Symphonie  n-  2 
(Weingartner).  —  Le  Venusberg  de  Tannhiiuser  (Wagner).  —  Siegfried-ldyll  (Wagner). 
—  Ouverture  des  Maitrei •Chanteurs  (Wagner). 

—  M'"''  Anne  de  Vergnol  nous  a  donné  jeudi  dernier,  à  la  salle  Hoche, 
une  bien  intéressante  audition  de  quelques-unes  des  œuvres  de  M.  Léon 
Delafosse.  C'était  d'abord  la  sonate  pour  violon  et  piano  exécutée  par  l'au- 
teur et  M.  Sechiari,  puis  ce  délicieux  quintette  de  fleurs,  un  véritable  bouquet 
de  mélodies  parfumées  que  M""=  de  Vergnol  a  dites  à  ravir.  Venait  ensuite  un 
lot  de  pièces  pour  piano,  des  Préludes,  des  Etudes,  des  Ballades  écrites  dans 
la  manière  de  Chopin,  où,  à  côté  du  talent  peu  banal  du  compositeur,  s'est 
révélé  une  fois  de  plus  toute  la  maîtrise  de  l'exécutant  délicat  et  verveux 
qu'est  M.  Léon  Dglafosse,  —  une  figure  d'artiste  fort  attachante. 

—  Un  pianiste  et  compositeur  brésilien,  M.  Henri  Oswald,  connu  déjà  et 
apprécié  en  Italie  et  en  France,  où  il  a  longtemps  résidé,  vient  de  donner  à 
la  salle  Pleyel  deux  concerts  pour  l'audition  de  ses  œuvres.  M.  Os-wald  a  fait 
entendre  plusieurs  compositions  importantes  et  dignes  d'intérêt  :  un  quin- 
tette, un  quatuor  et  deux  trios  pour  piano  et  cordes,  exécutés  par  lui  et 
MM.  Bron,  Bertagne,  de  Villers  et  R.  Schidenhelm,  l'andante  d'un  concerto 
de  violon  qui  a  valu  de  vifs  applaudissements  à  M.  Edouard  Bron,  enfin 
diverses  pièces  pour  piano,  pour  violon  ou  pour  violoncelle,  qui  ont  produit 
la  meilleure  impression.  Le  double  succès  de  M.  Oswald  a  été  complet. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (22  février).  —  Comme  je  l'avais  prévu, 
le  succès  de  Louise  s'est  considérablement  confirmé  aux  représentations  sui- 
vantes, et  il  est  bien  certain  que  le  bel  ouvrage  de  M.  Charpentier  va  tenir 
l'affiche  plusieurs  fois  par  semaine,  jusqu'à  la  fin  de  la  saison,  renouvelant 
les  triomphales  et  innombrables  soirées  de  Cendrillon,  l'an  dernier.  On  s'est 
mis  maintenant  aux  répétitions  de  ta  Walkyrie,  qui  sera  la  prochaine  reprise 
importante,  avec  M"»*  Litvinne  et  Paquot,  M°"=  Bastien,  MM.  Seguin  et 
Imbart  de  La  Tour.  Celui-ci  rentre  à  la  Monnaie,  après  une  tournée  victo- 
rieuse en  Amérique  ;  c'est  lui  qui  reprendra  le  rôle  de  Siegmund  dans  l'œu- 
vre de  Wagner  ;  c'est  lui  aussi  qui  reprendra  celui  de  Pylade  dans  Ivhigénie 
en  Tauride,  au  mois  d'avril  ;  et  l'an  prochain  il  nous  restera,  en  remplace- 
ment de  M.  Henderson,  dont  l'accent  anglais  a  décidément  cessé  de  plaire. 
La  semaine  prochaine,  reprise  de  Manon,  avec  M""=  Thierry  et  M.  David,  et 
première  des  Deux  Pigeons,  le  joli  ballet  de  M.  Messager.  Puis  viendra  l'En- 
léuement  au  Sérail  de  Mozart.  —  La  colonie  française  à  Bruxelles  a  été  l'objet, 
tout  récemment,  de  distinctions  flatteuses  de  la  part  du  gouvernement  belge, 
qui  a  octroyé  à  plusieurs  de  ses  membres  les  plus  distingués  la  croix  de 
chevalier  de  l'Ordre  de  Léopold.  Parmi  eux,  j'ai  plaisir  à  noter  spéciale- 
ment M.  Béon,  l'intelligent  et  sympathique  représentant  de  la  maison  Erard, 
estimé  de  tous  les  artistes  non  seulement  pour  ses  relations  charmantes  dans 
les  afl'aires,  mais  aussi  pour  ses  compositions  aimables  et  très  méritantes,  et 
l'accueil  empressé  et  encourageant  que  ne  manquent  jamais  de  trouver  chez 
lui  les  jeunes  auteurs  et  les  jeunes  virtuoses.  L.  S. 

—  Les  Anglais  ont  toujours  des  idées  bizarres.  Le  Sunday  Times,  de  Lon- 
dres, en  lance  une  au  moins  singulière,  celle  de  commémorer  à  la  fois  la 
reine  Victoria  et  Verdi,  en  unissant  dans  une  môme  manifestation  artistique 
les  noms  des  deux  illustres  défunts.  Il  s'agirait  d'une  exécution  du  Requiem 
de  Verdi,  qui  serait  donnée  en  l'honneur  de  la  souveraine  et  du  compositeur 
à  l'Albert  Hall,  lequel,  on  le  sait,  est  ainsi  nommé  en  souvenir  du.feu  prince 


62 


LE  MENESTREL 


Alhert,  époux  de  la  reine  Victoria.  De  cette  façon  les  trois  noms  se  trouve- 
praient  réunis. 

—  On  croit  que  la  season  du  théâtre  Corent  Garden  s'ouvrira,  en  une  sorte 
d'hommage  à  Verdi,  par  une  représentation  i'Otello,  chanté  par  des  artistes 
italiens. 

—  Voici  une  lettre  très  curieuse  de  Giuseppina  Strepponi ,  la  seconde 
femme  de  Verdi.  On  sait  qu'elle  fut  une  cantatrice  de  renom  et  que  c'est  elle 
gui  créa  à  la  Scala,  en  1842,  le  rôle  d'Abigail  dans  le  Nabucco  du  maître  dont 
elle  ne  se  doutait  guère  alors  qu'elle  deviendrait  un  jour  la  femme.  Malgré 
son  très  beau  talent  elle  quitta  de  bonne  heure  le  théâtre  et  vint  se  fixer 
comme  professeur  de  chant  à  Paris,  où  elle  se  trouvait  en  1848.  C'est  alors 
qu'elle  adressait  la  lettre  suivante  au  compositeur  Pietro  Romani,  le  condis- 
ciple et  l'ami  de  Rossini,  celui  qui,  sur  la  demande  de  ce  dernier,  écrivit  l'air 
fameux  de  Bartolo  :  Manca  un  focjlio,  que  depuis  lors  tous  les  bouffes  ont  subs- 
titué, dans  le  Barbier,  à  l'air  original  : 

Paris,  3  juin  184S. 
Cher  Romaai, 
Tu  m'as  procuré  une  bien  douce  émotion,  et  je  t'en  remercie.  Ton  amitié  pour  moi  n'a 
été  changée  ni  par  le  temps  ni  par  l'éloignement.  Les  cordiales  et  affectueuses  expressions 
contenues  dans  la  lettre  que  j'ai  reçue  ce  matin  me  le  prouvent  sufQsamment. 

Je  me  serais  étendue  volontiers  sur  la  recommandation  que  tu  m'as  donnée  pour 
M.  Hermann-Léon;  mais  le  connaissant  très  peu,  et  l'écrit  devant  passer  par  ses  mains, 
j'ai  cru  bon  de  m'en  tenir  aux  phrases  de  rigueur  en  semblables  circonstances.  D'ailleurs 
(que  ton  amilié  ne  s'en  offense  pas  !),  j'étais  incertaine  de  la  façon  dont  j'aurais  trouvé  mon 
ancien  maître  et  ami.  Tant  de  choses  que  je  croyais  impossibles  sont  arrivées,  que  j'en 
suis  venue  à  douter  de  tout  et  de  tous  ! 

Pnisque  tu  es  toujours  le  même,  je  t'écrirai  de  grand  cœur  une  lettre  longue  jusqu'à 
l'ennui.  Et  avant  tout,  pour  finir  en  ce  qui  concerne  M.  Hermann,  je  te  dirai  qu'il  me 
fut  recommandé  par  la  mère  d'une  de  mes  élèves,  il  y  a  environ  deux  mois,  afin  que  je 
lui  donne  quelques  lettres  et  quelques  instructions  pour  l'Italie.  Il  veut  se  faire  entendre 
dans  quelque  morceau  italien,  et  prononce  assez  bien  pour  un  Français.  Il  a  beaucoup 
d'intelligence  et  un  grand  amour  de  l'art,  mais  tous  les  défauts  de  l'école  française.  11  lui 
faut  une  préparation  énorme  pour  tirer  la  voix,  et  malgré  cela  elle  sort  souvent  sombre 
et  nasale.  Il  chante  en  dedans  (pour  me  servir  d'une  expression  françîiise)  et  se  fait  vilain. 
Je  lui  ai  fait  quelques  compliments  et  lui  ai  dit  quelques  vérités,  te  laissant  le  soin  de 
les  lui  dire  toutes  s'il  va  en  Italie,  persuadée  que  tu  pourras  en  tirer  parti.  Amen  sur  cet 
article. 

Je  comprends  très  bien  que  les  croches  et  les  doubles  croches  ne  peuvent  faire  d'effet 
contre  les  coups  de  fusil  et  de  canon,  toujours  d'après  l'antique  vérité  du  plus  fort  !  Mais 
aillent  au  diable  toutes  les  notes,  si  l'on  pouvait  espérer  que  l'itjilie  devienne  grande, 
unie,  forte...,  libre  !  Jlais  trop  de  têtes  couronnées  l'oppriment  encore  !  J'ai  eu  un  moment 
de  grand  espoir,  quand  les  Milanais  ont  chassé  de  leur  ville  il  tedeaco  ;  mais  maintenant 
les  choses  vont  au  pire,  et  les  Italiens  ne  peuvent  renoncer  à  leur  esprit  de  parti  ;  ils 
discutent,  parlent  trop  et  n'agissent  pas  assez.  Le  sang  court  en  révolutions  impétueuses, 
généreuses,  mais  les  hommes  n'ont  pas  assez  de  fermeté  pour  conserver  le  fruit  de  leurs 
sacrifices  !  Ils  oublient  ce  que  leur  coûte  le  renversement  d'un  trône  et  ils  en  élèvent  un 
autre,  comme  si  l'on  ne  pouvait  vivre  sans  roi  I  II  est  vrai  que  nous  serons  gouvernés 
par  un  roi  italien,  Charles-Albert...  Dieu  veuille  qu'il  n'imite  pas  le  tartuffe  qui  règne  à 
Naples  ! 

Je  ne  connais  pas  personnellement  Vatel,  mais  je  sais  qu'il  n'est  plus  directeur  du 
Théâtre-Italien.  Ici,  comme  en  Italie,  on  ne  pense  qu'aux  affaires  politiques.  Plusieurs 
théâtres  sont  ou  ont  été  fermés.  Les  artistes  engagés  à  l'année,  sans  en  excepter  ceux  du 
Grand-Opéra,  sont  réduits  à  demi-appointements  ou  à  de  grandes  diminutions.  Je  ne  te 
parle  pas  des  professeurs  de  chant,  de  piano,  etc.,  ils  ont  le  temps  de  se  promener  autant 
qu'ils  veulent.  J'avais  commencé  l'hiver  plutôt  bien,  mais  la  révolution  de  Février  est 
venue  enlever  toute  ressource  musicale.  Je  n'ai  pas  quitté  Paris  parce  que,  m'étanl  établie 
ici,  j'aurais  perdu  énormément  en  vendant  mes  meubles  dans  un  moment  où  l'argent  se 
fait  rare,  et  j'aurais  lait  en  voyages  des  dépenses  inutiles...  Et  puis,  où  serais-je  allée 
pour  faire  de  bonnes  affaires?  En  Italie?...  Il  est  certain  que  Lanari  (fameux  imprésario) 
doit  faire  de  grosses  pertes,  et  je  m'étonne  qu'il  ne  mette  pas  ses  artistes  à  demi-appoin- 
tements, prenant  texte  de  cas  extraordinaires  non  prévus  dans  les  engagements,  guerre, 
guerre  guerroyante,  etc.  Tu  m'envies  par  ce  que  je  suis  hors  d'Italie  ?  Tu  as  tort,  parce 
qu'ici  les  artistes  sont  aussi  mal  qu'en  Italie,  et  par  suite  des  agitations  politiques  on  n'est 
jamais  sûr  de  passer  la  nuit  tranquillement...  Conserve-moi  ta  chère  amilié,  et  accepte 
une  poignée  de  main  de 

Ton  afi'ectionnée, 

G.  Strepponi. 

—  Nous  avons  parlé  de  cette  délicate  affaire  de  partitions  d'orchestre  volées 
et  copiées  chez  le  grand  éditeur  de  IMilan  Edouard  Sonzogno.  On  se  souvient 
qu'une  sorte  d'agent  marron,  de  connivence  avec  un  employé  de  cette  mai- 
son d'édition,  se  procurait  des  exemplaires  des  principaux  opéras  publiés 
chez  M.  Sonzogno  et  ensuite,  au  moyen  de  copies  frauduleuses,  passait  des 
traités  avantageux  avec  nombre  de  théâtres  étrangers.  L'affaire  vient  de  venir 
devant  les  tribunaux  italiens,  et  après  trois  jours  de  débats  les  sieurs  Peroni 
et  Magnani  ont  été  condamnés  à  trois  ans  et  quatre  mois  de  prison.  La  femme 
de  ce  dernier  en  a  eu  aussi  pour  un  an  et  quatre  mois.  Cela  servira-t-il  de 
salutaire  exemple? 

—  M.  Ippolito  Valetta  (M.  le  comte  Franchi-Verney)  a  publié  récemment 
dans  la  Nuova  Antologia,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Cimarosa,  une  excel- 
lente notice  sur  le  vieux  maitre,  ornée  d'un  portrait,  dont  il  a  été  fait  un  tiré 
à  part.  Ce  n'est  pas  là  une  notice  banale,  se  bornant  à  reproduire  toutes  les 
anecdotes,  tous  les  anas  plus  ou  moins  connus,  mais  un  travail  substantiel 
dans  sa  rapidité,  dont  les  détails  sont  puisés  aux  sources  mêmes,  c'est-à-dire 
dans  les  journaux  et  les  écrits  contemporains.  Entre  autres  faits  particulière- 
ment intéressants,  l'auteur  nous  apprend  qu'on  ignore  aujourd'hui  où  se 
trouvent  les  restes  de  Cimarosa,  parce  qu'ils  turent  confondus  avec  ceux 
d'autres  personnages  lors  de  la  destruction,  en  1837,  de  l'église  de  Sant'An- 
gelo,  où  ils  avaient  été  inhumés.  D'autre  part,  il  dément  de  façon  absolue  la 


légende  qui  attribuait  à  la  cruelle  reine  Caroline  de  Naples  (qui  avait  d'autres 
méfaits  sur  la  conscience)  la  mort  de  Cimarosa,  qu'elle  aurait  fait  empoi- 
sonner, tandis  que  le  vieux  maitre  mourut  plus  simplement  d'une  tumeur 
cancéreuse.  Cette  notice  est  un  document  fort  intéressant  sur  le  glorieux 
auteur  des  Horaces  et  du  Matrimonio  segreto.  A.  P. 

—  La  Reine  de  Saba,  l'opéra  de  Cari  Goldmark,  qui  n'avait  obtenu  à  Milan, 
il  y  a  seize  ou  dix-huit  ans,  qu'un  simple  succès  d'estime,  vient  d'être  joué 
de  nouveau  à  la  Scala,  cette  fois  avec  un  insuccès  complet. 

—  L'éditeur  Barbera,  de  Florence,  vient  de  mettre  en  vente  un  volume  de 
M.  Eugénie  Checchi,  publié  sous  ce  simple  titre  :  G.  Verdi,  1813-1901. 

—  M.  Lorenzo  Parodi,  auteur  déjàd'un  oratorio,  Joantie  Baplisla,  qui  a  été 
exécuté  avec  succès  au  théâtre  Carlo  Felice  de  Gènes,  vient  d'en  terminer  un 
second,  sous  le  titre  de  Calvarium.  Celui-ci  sera  de  nouveau  exécuté  à  Gênes 
prochainement. 

—  Au  théâtre  social  de  Bergame  on  a  joué  un  nouvel  ouvrage  dramatique, 
il  Genio  del  dolore,  i  légende  biblique  en  deux  actes  »,  paroles  de  M.  Tito 
Mammeli,  musique  de  M.  Barcone.  Le  succès  a  été  absolument  négatif.  — 
Au  contraire,  un  petit  opéra  en  un  acte,  A  Posillip,  paroles  de  M.  Arturo 
Bellotti,  musique  de  M.  Silvio  Negrini,  a  été  très  favorablement  accueilli  au 
Cercle  mandoliniste  de  Trieste. 

—  Le  comité  qui  s'est  formé  à  Milan  pour  y  ériger  un  «  monument  inter- 
national »  à  Verdi,  a  réussi  à  former  à  Berlin  un  comité  qui  doit  recueillir  en 
Allemagne  les  souscriptions  pour  ce  monument.  Le  comité  de  Berlin  est 
présidé  par  le  compositeur  comte  de  Hochberg,  surintendant  des  théâtres 
royaux:  parmi  ses  membres  se  trouvent  les  musiciens  Max  Bruch,  Auguste 
Bungert,  Gernsheim,  Joachim,  Humperdinck  et  Richard  Strauss.  Le  comité 
berlinois  a  l'intention  d'organiser  un  grand  «  festival  Verdi  »  dont  le  produit 
sera  destiné  au  monument  milanais  du  maître. 

—  De  Vienne  :  Très  grand  succès  pour  Sibyl  Sanderson  à  son  premier 
concert.  La  valse  de  Roméo  lui  a  été  trissée.  Ce  n'étaient  que  rappels  et  fleurs, 
lorsque  la  charmante  actrice  a  dû  tout  d'un  coup,  par  suite  d'un  malaise  su- 
bit, s'interrompre  au  milieu  d'une  mélodie  de  Reynaldo  Hahn.  Mais  elle  put 
reparaître  au  bout  d'un  quart  d'heure  et  le  public  lui  fit  une  indescriptible 
ovation. 

—  On  nous  écrit  devienne:  Une  représentation  singulière  du  CosifantuUe,àè 
Mozart,  vient  d'être  donnée  à  l'Opéra  impérial.  L'orchestre  n'y  prenait  pas  part 
et  les  solistes  étaient  représentés  par  des  figurants  qui  restaient  muets;  quant 
au  public,  il  consistait  en  un  juge  du  tribunal  de  première  instance,  sou  gref- 
fier et  quelques  experts.  La  représentation  était  d'ailleurs  absolument  con- 
forme à  celle  dont  le  Ménestrel  a  parlé  il  y  a  quelques  semaines,  y  mention- 
nant les  avantages  de  la  nouvelle  scène  tournante  inventée  par  M.  Bennier, 
machiniste  en  chef  de  l'Opéra.  Il  s'agissait  en  effet  de  cette  scène  tournante, 
M.  Lautenschlaeger,  le  célèbre  machiniste  en  chef  de  l'Opéra  royal  de  Mu- 
nich ayant  déposé  une  plainte  pour  affirmer  que  la  scène  tournante  de 
M.  Bennier  n'était  qu'une  contrefaçon  de  celle  que  lui-même  a  inventée  il  y 
a  longtemps  et  au  sujet  de  laquelle  il  a  obtenu  un  brevet  allemand  qui  le 
protège  aussi  en  Autriche.  M.  Bennier,  de  son  côté,  prétend  qu'il  n'a  jamais 
vu  la  scène  tournante  de  M.  Lautenschlaeger,  qui  ne  ressemblerait  d'ailleurs 
pas  à  celle  inventée  par  lui.  Pour  pouvoir  juger  ce  différend  on  a  joué  Cosi 
fan  lutte  devant  le  tribunal  et  les  experts,  au  point  de  vue  scénique  seule- 
ment; sous  ce  rapport,  rien  ne  manquait,  pas  même  le  moindre  changement 
à  vue.  L'affaire  en  est  là  et  on  attend,  non  sans  curiosité,  la  décision  des  auto- 
rités compétentes. 

—  Le  Conservatoire  de  Budapest  a  célébré  récemment  le  vingtième  anni- 
versaire de  l'entrée  en  fonctions  de  son  président,  le  comte  Géza  Zichy,  com- 
positeur et  pianiste  fort  remarquable,  comme  on  sait,  bien  qu'il  soit  manchot 
du  bras  droit.  Les  élèves  et  les  professeurs  du  Conservatoire  ont  donné  à 
cette  occasion  un  concert  très  brillant,  auquel  le  comte  Zichy  a  pris  part 
personnellement  en  exécutant,  avec  une  maestria  superbe,  son  nouveau  con- 
certo en  trois  parties  pour  la  main  gauche  seule,  avec  accompagnement  d'or- 
chestre. Ce  concerto  a  obtenu  un  grand  succès,  surtout  la  seconde  partie, 
que  l'auteur  a  dû  redire,  aux  applaudissements  de  ses  auditeurs.  Ij'orchestre 
a  exécuté  ensuite,  sous  la  direction  de  l'auteur,  le  prélude  d'un  ballet  du 
comte  Zichy,  qui  a  été  aussi  applaudi  vigoureusement. 

Le  Théâtre  municipal  de  Francfort  vient  de  jouer  avec  peu  de  succès 

une  nouvelle  opérette  intitulée  la  Bouche  de  la  vérité,  musique  de  M.  Henri 
Platzbecker.  Livret  et  musique  rappellent  tous  les  spécimens  d'opérette  dont 
on  a  fait  la  connaissance  depuis  trente  ans. 

—  Au  treizième  concert  d'abonnement  du  Gewandhaus  de  Leipzig,  on  a 
exécuté  deux  compositions  nouvelles  :  une  Cantate  funèbre  pour  baryton, 
chœur  et  orchestre,  de  M.  Cari  Gramman,  et  des  Danses  athéniennes  dans 
les  fêtes  dyonisiaques,  de  M.  J.  Frischen.  Ces  Danses  surtout  ont  été  bien 
accueillies.  —  Au  septième  concert  philharmonique  de  Berlin,  M.  Arthur 
Nikisch  a  offert  à  sou  public  une  œuvre  inédite,  une  symphonie  (la  b«)  de 
M.  Klughardt,  dirigée  par  l'auteur  et  qui  a  obtenu  un  grand  succès.  A  ce 
même  concert,  la  fameuse  violoniste  M™  Norman-Neruda,  qui  va  accomplir 
sa  soixante-deuxième  année,  s'est  encore  fait  entendre  en  jouant  avec  vigueur 
le  concerto  de  Beethoven. 


LE  MENESTREL 


63 


—  Le  théâtre  royal  de  Cassel  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès  un 
opéra  inédit  en  quatre  actes  intitulé  Cceur  de  jeune  fdle,  paroles  de  M.  Luigi 
lUica,  musique  de  M.  C.  Buongiorno.  Les  auteurs,  qui  assistaient  à  la  pre- 
mière, ont  été  rappelés  à  plusieurs  reprises. 

—  La  construction  du  nouveau  théâtre  royal  d'Athènes,  commencée  en  1892, 
puis  interrompue  par  la  malheureuse  guerre  contre  les  Turcs,  vient  enfin  d'être 
terminée.  Le  nouveau  théâtre  contient  1.100  places  à  l'orchestre  et  aux  deux 
galeries;  aucune  loge  n'est  réservée  au  public.  Les  deux  avant-scènes  coté 
cour  sont  destinées  au  roi  et  au  prince  héritier,  les  deux  autres,  côté  jardin, 
au  corps  diplomatique  et  à  la  direction  du  théâtre.  Au  rez-de-chaussée  se 
trouve  un  élégant  café  et  au  premier  un  vaste  foyer  qui  servira  aussi  de  salle 
de  concert.  La  scène  a  une  profondeur  de  18  mètres  et  est  pourvue  de  ma- 
chines superbes  qu'on  a  fait  venir  de  Vienne.  Le  théâtre  est  en  général  admi- 
rablement outillé.  Le  jour  de  son  inauguration  n'est  pas  encore  fixé;  il  paraît 
qu'il  n'est  pas  facile  de  recruter  le  personnel  artistique. 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Pétersbourg  :  —  «  M™=  Gorlenko-Dolina,  notre 
grande  cantatrice,  vient  de  donner  une  superbe  série  de  concerts  de  bienfai- 
sance dont  le  succès  a  été  éclatant,  et  qui  comptent  parmi  les  plus  brillants 
de  la  saison.  Le  premier,  dirigé  par  M.  Hermann  Zumpe,  le  hotkapellmeister 
de  Schwerin,  avait  lieu  avec  le  concours  de  votre  célèbre  pianiste  Raoul 
Pugno  et  de  l'éminent  violoniste  Ondricek,  qui  ont  excité  l'enthousiasme  du 
public.  Le  second,  consacré  à  la  musique  tchèque,  était  dirigé  par  _M.  Ned- 
bal,  et  on  y  entendit  le  fameux  quatuor  bohème,  dont  le  succès  fut  énorme. 
La  recette  de  chacune  de  ces  séances,  destinée  à  une  œuvre  de  charité,  fut  do 
20.000  francs.  La  dernière  fut  un  concert  spirituel  dans  lequel,  sous  la  direction 
de  l'auteur,  l'abbé  Hartmann,  de  Rome,  eut  lieu  la  première  exécution  de  son 
oratorio  Saint-François,  dont  les  soli  étaient  chantés  par  M""*  Bolska  et  Gor- 
lenko-Dolina, do  l'Opéra  impérial,  avec  MM.  Senius  et  Kastorski.  Plusieurs 
hauts  personnages  assistaient  à  cette  soirée,  dont  le  triomphe  a  été  complet, 
tant  pour  l'œuvre  et  l'auteur  que  pour  ses  interprètes,  et  qui  a  rapporté 
33.000  francs  pour  l'œuvre  des  crèches.  A  la  suite  de  ces  séances,  M""'  Gor- 
lenko-Dolina a  obtenu  lapins  haute  récompense  qu'elle  pût  ambitionner: 
elle  a  été  nommée  soliste  de  Sa  Majesté  l'empereur.  » 

—  On  nous  écrit  encore  do  Saint-Pétersbourg  que  M""'  Sigrid  Arnoldson 
vient  de  chanter  au  Théâtre-Impérial  le  rôle  d'Ophélie  dans  VHamlet  d'Ambroise 
Thomas.  Son  succès  a  été  des  plus  brillants.  M""^  Arnoldson  s'est  montrée 
vraiment  touchante,  et  son  interprétation  de  la  scène  de  la  folie  a  produit  un 
effet  énorme.  La  diva  a  été  rappelée  plus  d'une  douzaine  de  fois,  et  sa  loge 
ressemblait  à  une  véritable  serre.  Le  succès  artistique  à'Uamkt  a  dépassé 
toute  attente;  la  recette  a  été  exactement  de  14.331  roubles.  C'est  joli,  Inéme 
pour  Saint-Pétersbourg. 

—  A  rOpéra  impérial  de  Moscou  a  eu  lieu  la  première  représentation 
à'Angelo,  l'opéra  de  M.  César  Cui.  Le  livret  est  une  adaptation  du  drame  de 
"Victor  Hugo.  Les  deuxième  et  troisième  actes  surtout  ontjeu  untrès  vif  succès 
et  le  compositeur  a  dû  se  montrer  au  public  à  plusieurs  reprises. 

—  On  a  donné  cette  semaine  à  Saint-Sébastien,  sur  le  théâtre  des  Bellas 
Artes,  la  première  représentation  d'un  opéra  en  trois  actes  intitulé  Marcel 
Dmand,  dont  le  sujet  est  tiré  d'un  épisode  de  la  révolution  française.  Le 
livret  est  de  M.  Manuel  Mugica,  la  musique  de  M.  Alfredo  Larrocha,  direc- 
teur de  l'Ecole  de  musique  de  Saint-Sébastien.  Le  succès  a  été  très  vif. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  déplacement  du  monument  d'Ambroise  Thomas  au  Parc  Monceau 
est  maintenant  accompli.  Il  n'est  plus  sur  la  rive  en  contre-bas  du  petit  lac 
noir  et  boueux,  d'où  on  ne  pouvait  nullement  l'apercevoir,  mais  dans  un  coin 
ombreux  du  Parc,  près  de  la  grotte  artificielle  qu'on  connaît.  Attendons 
maintenant  que  les  «  autorités  »  veuillent  bien  se  mettre  eu  mouvement  pour 
organiser  un  brin  de  cérémonie.  Un  de  nos  confrères  fait  remarquer  qu'on 
a  gravé  sur  le  socle  cette  inscription  : 

A  Ambroise  Thomas 
Les  directeurs,  les  artistes  et  les  abonnés  de  l'Opéra 

et  se  demande  s'il  n'y  a  pas  eu  d'autres  souscripteurs  en  dehors  des  trois 
catégories  désignées  sur  le  marbre.  Il  y  en  a  eu  en  effet,  nous  en  connais- 
sons. Il  eut  donc  été  plus  juste  d'écrire  simplement  :  Ses  admirafeurs  e(  ses 
amis.  Mais  cela  eût  gêné  M.  Gailhard,  qui  voulait  faire  de  ce  monument  la 
chose  exclusive  de  l'Opéra.  C'est  même  pour  cela  qu'on  n'y  voit  pas  figurer 
Mignon  à  côté  d'Ophélie, 

—  Le  monument  de  César  Franck  est  aujourd'hui  presque  achevé  et  on 
l'inaugurera  vraisemblablement  cet  été,  dans  le  square  de  l'église  Sainte- 
Clotilde.  L'œuvre  du  sculpteur  Alfred  Lenoir,  traitée  en  haut  relief  ajouré 
d'architecture  ogivale,  représente  César  Franck  assis  devant  un  orgue,  les 
mains  sur  le  clavier,  et  écoutant  les  chants  que  lui  inspire  le  Génie  de  la 
musique.  Le  jour  de  la  cérémonie  d'inauguration  de  ce  monument,  les  élèves 
de  César  Franck  iront  fleurir  sa  tombe  au  cimetière  Montparnasse.  Cette 
tombe,  très  simple,  est  ornée,  comme  on  sait,  d'un  médaillon  sculpté  par 
Rodin. 

—  Les  membres  de  la  commission  supérieure  de  l'enseignement  au  Conser- 
vatoire  se  sont  réunis  jeudi  dernier,  à  la  direction  des  Beaux- Arts,  rue  de 


Valois,  sous  la  présidence  de  M.  Henry  Roujon,  à  l'effet  de  dresser  une  liste 
de  candidats  à  présenter  au  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-, 
arts  pour  nommer  un  successeur  à  M.  Raoul  Pugno.  Les  candidats  à  présenter 
au  ministre  ont  été  désignés  dans  l'ordre  suivant:  MM.  Antonin  Marmontel, 
Philipp  et  M""  Georges  Hainl. 

—  C'est  le  jeudi  7  mars,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  qu'aura  lieu  dans 
la  grande  salle  de  la  Sorhonne,  sous  les  auspices  de  M.  Georges  Leygues, 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  la  cérémonie  comme- 
morative  en  l'honneur  de  Verdi. 

—  La  centième  représentation  de  Louise,  vendredi  dernier,  s'est  passée  le 
plus  simplement  du  monde  : 

Nous  n'avons  pas  donné  de  bal,  ' 

Cela  nous  aurait  causé  trop  de  mal, 

comme  on  chante  dans  Geneviève  de  Brabant.  Le  compositeur,  M.  Charpentier, 
avait  même  quitté  Paris,  appelé  à  Nimes  pour  y  diriger  les  dernières  répéti- 
tions de  son  œuvre,  ainsi  qu'il  a  fait  déjà  pour  Alger,  Lille  et  Bruxelles. 
Mais  on  attend  le  printemps  pour  fêter  Louise  et  son  auteur  sous  quelque 
tonnelle  en  fleurs. 

—  Savez-vous  qu'elles  sont  rares,  les  «  centièmes  »  à  l'Opéra-Comique. 
Voici  les  seules  que  nous  relevons  depuis  l'année  1880  (les  années  indiquées 
sont  celles  de  la  naissance  de  ces  œuvres  privilégiées  et  non  celles  de  leur 
apothéose  centenale)  : 

1880.  Jean  de  Nivelle  (Léo  Delibes),  100'  atteinte  en  une  seule  année; 

1880.  V Amour  médecin  (F.  Poise)  ; 

1881.  Les  Contes  d'Hoffmann  (Ofl'enbach); 

1883.  Lakmé  (Léo  Delibes,  déjà  nommé); 

1884.  Ma)wn  (J.  Massenet); 

1888.  Le  Roi  d'Vs  (E.  Lalo),  100«  atteinte  en  une  seule  année  ; 

1889.  Esclarmonde  (J.  Massenet,  déjà  nommé),  I0(y  atteinte  en  une  année; 

1890.  Cavalleria  Rusticana  (Mascagni); 

1900.  Louise  (Charpentier),  100»  atteinte  en  une  seule  année. 
Voilà  de  beaux  exemples  et  des  encouragements  pour  le  célèbre  M.  Bru- 
neau,  dont  on  va  représenter  prochainement  l'Ouragan. 

—  Il  nous  faut  signaler  les  excellentes  représentations  de  Mignon  que 
donne  en  ce  moment  l'Opéra-Comique  avec  M"' Guiraudon,  qui  a  pris  posses- 
sion du  rôle  et  s'y  montre  des  plus  remarquables.  L'œuvre,  ainsi  mise  en 
plein^e  lumière,  a  tout  aussitôt  repris  son  intérêt  des  anciens  temps  et  retrouvé 
sa  grâce  et  son  émotion.  Elle  vit  parce  qu'elle  a  rencontré  une  interprète 
vivante,  ce  qui  ne  lui  était  pas  arrivé  depuis  longtemps.  A  côté  de  M"»  Guirau- 
don  il  faut  aussi  donner  beaucoup  d'éloges  à  M"""  Landouzy,  une  Philine 
tout  à  fait  charmante  et  de  haute  virtuosité. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée  : 
Carmen;  le  soir.  Mignon. 

—  Voici  la  dédicace  incandescente  que  M.  Xavier  Leroux  a  inscrite  en 
lettres  de  feu  sur  une  partition  à'Astarté  adressée  au  directeur  de  l'Opéra  : 

A  P.  Gailhard,  mon  cher  directeur,  en  hommage  de  reconnaissance  profonde.  En  sou- 
venir de  son  incomparable  collaboration,  qui  fit  d'Astarté  l'œuvre  qu'il  présente  aujour- 
d'hui au  public.  Au  merveilleux  metteur  en  scène  de  la  pièce,  à  celui  qui  lui  a  donné 
la  vie. 

Son  éternellement  dévoué, 

Xavier  Leboux. 

Ce  sont  de  ces  dédicaces  que  l'on  ne  tarde  pas  à  regretter,  quand  les  en- 
thousiasmes du  premier  moment  sont  passés.  Lorsque  M.  Leroux  verra  son 
œuvre  abandonnée  peut-être  et  écartée  de  l'affiche  pour  quelques  médiocres 
recettes  passagères,  comme  il  est  arrivé  pour  Gwendoline,  Thamara  et  la  Cloche 
du  Rhin,  qui  cependant  étaient  aussi  des  ouvrages  artistiques  fort  méritoires, 
il  envisagera  sans  doute  sous  un  autre  angle,  qui  sera  le  vrai,  la  directio-fl  de' 
M.  Gailhard  et  ses  pompes  toulousaines. 

—  Et  déjà,  dans  les  notes  envoyées  aux  journaux,  M.  Gailhard  semble  cher- 
cher à  tirer  personnellement  son  épingle  du  jeu  :  «  Quoi  qu'on  pense  et  quoi 
qu'on  écrive  du  nouvel  ouvrage  donné  à  l'Opéra,  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
qu'en  montant  VAstarté  de  M.  Xavier  Leroux,  la  direction  de  l'Opéra  a  réalisé 

un  effort  artistique  considérable M.  Leroux  méritait  d'être  encouragé  et 

soumis  à  une  épreuve  définitive.  C'est  ce  qu'a  pensé  M.  Gailhard,  qui  a  monté 
l'ouvrage  de  ce  jeune  musicien  tout  comme  s'il  eût  été  signé  d'un  nom  connu 
qui  lui  assurait  à  l'avance  la  curiosité  et  le  succès.  »  Voilà  qui  va  bien  pour 
M.  Gailbard.  Mais  M.  Leroux  ne  semble-t-il  pas  déjà  un  peu  sacrifié?  Après 
quoi  la  note  insiste  sur  les  merveilles  de  la  mise  en  scène  (les  méchantes 
langues  prétendent  que  le  directeur  croit  s'être  livré  là  à  une  «  étonnante 
reconstitution  du  moyen  âge  »),  que  d'aucuns,  tout  en  la  reconnaissant 
somptueuse,  trouvent  cependant  entachée  de  quelque  vulgarité,  mais  tout  le 
monde  est  d'accord  pour  en  apprécier  les  gailhardises,  qui  font  la  joie  des 
abonnés  de  l'orchestre. 

—  Peut-être  y  aura-t-il  encore  de  beaux  jours  à  l'Opéra  pour  Donizetti.  On 
raconte  en  effet  —  mais  qu'y  a-t-il  de  vrai  dans  cet  ana  ?  —  que  peu  de  jours 
avant  la  première  représentation  à'Astarté,  M.  Gaillhard,  fortement  emballé 
comme  il  l'est  toujours  sur  les  œuvres  qu'il  va  livrer  au  public  —  c'est  son 
droit  et  c'est  son  devoir  —  se  serait  écrié  :  «  Ab  !  si  celle-là  ne  réussit  pas, 
je  leur  f...  lanque  tout  de  suite  une  reprise  de  la  Favorite  l  »  Prenez  garde, 
monsieur  Gailhard;  si,  le  cas  échéant,  vous  ne  teniez  pas  votre  promesse, 


64 


LE  MÉNESTREL 


l'ombre  de  Donizetti  viendrait,  la  nuit,  vous  tirer  par  les  pieds  durant  votre 
innocent  sommeil. 

—  Le  Herald  annonce  que  M""îAdelina  Patti  se  fera  entendre  au  printemps 
à  Paris.  La  grande  cantatrice  aurait  promis  de  chanter  (pour  la  première  fois 
eu  public  depuis  son  dernier  mariage)  à  la  Comédie-Française,  pour  la  repré- 
sentation de  retraite  de  M.  Boucher,  qui  est  fixée  au  mois  de  mai. 

—  M.  Théodore  Dubois  quittera  Paris  jeudi  prochain  pour  aller  passer  un 
mois  dans  le  Midi.  Il  sera  le  10  mars  à  Toulouse,  où  il  sera  donné  un  grand 
festival  de  ses  œuvres,  avec  le  concours  de  Francis  Planté.  Au  programme 
l'ouvertupe  de  Fri'hiof,  le  concerto-capriccioso  pour  piano,  les  Pièces  en 
forme  canonique  pour  hautbois,  violoncelle  et  orchestre,  les  Abeilles  et  un 
Impromptu  inédit  exécutés  par  Francis  Planté,  puis  des  mélodies  interprétées 
par  M"'  Saint-Germier,  et,  pour  finir,  le  Baptême  de  Clovis.  —  M.  Théodore 
Dubois  passera  aussi  par  Pau,  où  on  organise  un  festival  en  son  honneur. 

—  Des  Petites  affiches  : 

MM.  les  actionnaires  de  la  société  en  commandite  par  actions  dite  Société  des  théâtres 
populaires  (Comédie-Populaire.  Opéra-Populaire),  existant  sous  la  raison  et  la  signature 
sociales  :  Emile  Duret  et  C'',  dont  le  siège  est  à  Paris,  rue  de  Malte,  50,  sont  convoqués 
en  assemblée  générale  extraordinaire  pour  le  15  mars  1901,  à  quatre  heures  du  soir,  à 
Paris,  40,  rue  de  Bondy  (théâtre  de  la  Comédie-Populaire). 
Ordre  du  jour  : 

Dissolution  anticipée  de  la  société. 

Nomination  d'un  ou  plusieurs  liquidateurs. 

Détermination  des  pouvoirs  du  ou  des  liquidateurs. 

Constitution  d'une  société  anonyme  pour  l'exploitation  de  l'Opéra-Populaire. 

—  Demain  lundi  25  février,  à  la  Sorbonne,  à  trois  heures  et  demie,  notre 
collaborateur  Arthur  Pougin  reprendra  son  cours  d'histoire  et  d'esthétique 
de  la  musique  à  l'Association  pour  l'enseignement  secondaire  des  jeunes 
filles.  Il  a  pris  pour  sujet  cette  année  :  L'opéra-comique  et  l'école  musicale  fran- 
çaise depuis  la  Révolution  jusqu'en  182S.  Après  avoir  retracé  l'état  de  la  musi- 
que en  France  pendant  la  période  révolutionnaire,  il  retracera  la  vie  et 
analysera  les  œuvres  des  maîtres  de  cette  époque  si  féconde  en  grands 
artistes:  Méhul,  Cherubini,  Berton,  Lesueur,  Boieldieu,  Nicolo,  etc. 

—  M.  Julien  Tiersot  fait  aujourd'hui  dimanche,  à  Lyon,  une  conférence 
sur  la  chanson  populaire,  à  la  Société  des  Amis  de  l'Université.  Il  la  répétera 
à  Grenoble  et  à  Roanne,  où  elle  sera  accompagnée  d'auditions  musicales, 
particulièrement  d'exécutions  de  ses  Danses  populaires  françaises  entendues 
pour  la  première  fois  l'hiver  dernier  aux  Concerts  Colonne. 

—  La  chambre  correctionnelle  du  tribunal  de  Montpellier  vient  de  statuer 
sur  une  affaire  qui  intéresse  la  presse  théâtrale.  De  temps  immémorial  il 
existait  à  Montpellier  de  petits  journaux  particuliers  au  théâtre,  qui,  vendus 
dans  la  salle,  donnaient  chaque  soir,  avec  la  distribution  des  rôles  aux 
artistes,  une  analyse  succinte  de  la  pièce  représentée.  Or,  ces  temps  derniers, 
une  maison  d'édition  de  Paris  ayant  cédé,  pour  la  ville  de  Montpellier,  ses 
droits  â  l'un  des  propriétaires  de  ces  journaux,  il  fut  fait  par  lui  défense  à 
un  autre  journal  de  reproduire,  à  l'avenir,  n'importe  quelle  analyse  des  pièces 
appartenant  à  cette  maison.  Sur  relus  parle  directeur  du  journal  en  question 
de  se  soumettre  à  l'ultimatum,  une  action  judiciaire  lui  fut  intentée  pour 
atteinte  à  la  propriété  littéraire,  et  le  différend  a  été  porté  devant  le  tribunal 
correctionnel.  Le  tribunal  vient  de  faire  droit  aux  conclusions  de  la  maison 
d'édition  de  Paris  et  a  condamné  le  directeur  du  journal  poursuivi  à  seize 
francs  d'amende  et  vingt  francs  de  dommages-intérêts. 

—  Le  Conservatoire  de  Toulouse,  dont  la  direction  était  restée  vacante 
depuis  la  mort  du  regretté  Louis  Deffès,  a  enfin  un  directeur.  Le  choix  du 
ministre  s'est  porté  sur  un  artiste  fort  distingué  et  très  honorablement 
connu,  M.  Léon  Karren,  chef  de  la  musique  des  équipages  de  la  flotte  à 
Toulon.  Un  comité  se  forme  en  ce  moment,  sous  la  présidence  d'honneur  de 
l'archevêque  et  du  maire  de  Toulon,  pour  ériger  un  monument  sur  la  tombe 
de  Louis  Deffès,  ancien  grand  prix  de  Rome,  ancien  directeur  du  Conserva- 
toire, connu  par  de  nombreux  ouvrages  et  auteur  de  la  Toulousaine,  qui  est 
devenue  comme  une  sorte  de  chant  national  du  Midi.  Enfin  on  annonce 
encore  de  Toulouse  que  le  théâtre  du  Gapitole  doit  donner,  dans  le  courant 
du  mois  de  mars,  une  série  de  dix  représentations  de  Déjanire,  le  drame 
lyrique  de  Louis  Gallet  et  de  M.  Saiht-Saëns. 

—  De  Rouen  :  Nous  avons  eu,  la  semaine  dernière,  la  première  représen- 
tation au  Théâtre  des  Arts  de  la  CendriUon  de  MM.  Henri  Gain  et  Massenet. 
Mise  en  scène  exquise  et  luxueuse  tout  à  la  fois,  qui  fait  le  plus  grand  hon- 
neur à  la  direction,  et  interprétation  musicale  supérieure  de  la  part  de  l'or- 
chestre de  M.  Amalou.  On  fête  tout  particulièrement  M"»  Marguerite  Giraud, 
engagée  spécialement,  et  qui  est  une  adorable  CendriUon.  —  Un  très  gros 
succès  pour  le  théâtre  et,  en  perspective,  une  longue  et  fructueuse  suite  de 
belles  représentations. 

—  Au  grand  théâtre  de  Marseille  l'André  Chénier  de  Giordano  a  remporté 
un  très  vif  succès.  Les  deux  derniers  actes,  si  émouvants  et  si  passionnés, 
ont  soulevé  l'enthousiasme  du  public.  —  Au  théâtre  du  Gymnase,  réussite 
complète  des  Fêtards,  l'amusante  opérette  de  Victor  Roger,  Hennequin  et  Mars. 

—  Très  hon  accueil  a  été  fait  aux  concerts  de  l'Association  artistique  de 
Marseille -à  une  nouvelle  Suite  pittoresque  en  trois  tableaux  de  M.  Jules  Gou- 
dareau. 


—  On  nous  signale  de  Nice  de  superbes  représentations  de  Manon  données 
au  Casino  avec  le  concours  d'un  trio  d'artistes  parisiens  de  grand  choix  : 
M"'-'  Bréjean-Silver,  MM.  Clément  et  Isnardon. 

—  Du  Nouvelliste  de  Bordeaux  :  «  ...  Le  puissant  attrait  du  septième  concert 
donné  dimanche  par  la  Société  Sainte-Cécile  était  d'entendre  le  grand  maître 
harpiste  Hasselmans,  dans  un  clioral  et  variations  pour  harpe  et  orchestre, 
écrit  spécialement  pour  lui  par  M.  Widor.  Le  merveilleux  artiste  a  été  éblouis- 
sant de  virtuosité,  de  grâce  et  d'autorité.  Celte  belle  œuvre,  si  bien  écrite 
pour  l'instrument  et  l'orchestre,  qui  se  répondent  d'une  manière  des  plus 
heureuses,  a  été  fort  bien  comprise  et  appréciée...  M.  Widor,  qui  était  venu 
conduire  ses  œuvres,  nous  a  fait  entendre  toute  sa  jolie  suite  d'orchestre  Conte 
d'Avril.  L'ouverture  contient  de  belles  phrases  bien  chantantes;  ensuite,  une 
Sérénade  illyrienne  d'un  grand  cachet.  "L'Aubade,  adorable  duo  de  violon  et 
harpe,  accompagné  par  un  murmure  indiqué  par  les  instruments  à  cordes,  a 
été  redemandée.  Ce  joli  fragment  a  valu  un  grand  succès  à  MM.  Capet  et  Jan- 
delle,  qui  l'ont  remarquablement  bien  dit.  D'autres  parties  de  l'œuvre,  Agitato 
et  Marche  nuptiale,  remplies  d'inspirations  fines  et  charmantes,  sont  également 
d'un  très  grand  intérêt.  »  — Au  précédent  concert,  le  3  février,  on  avait  entendu 
la  belle  symphonie  en  sol  mineur  de  Lalo,  une  œuvre  des  plus  remarquables 
que  nos  chefs  d'orchestre  parisiens  négligent  trop.  On  doit  savoir  gré  à 
M.  Gabriel  Marie  de  toutes  ces  intéressantes  manifestations  d'art.  La  musique 
à  Bordeaux  lui  doit  vraiment  beaucoup  et  ou  fera  bien  de  l'y  retenir  par  tous 
les  moyens  possibles. 

—  De  Pau  :  Grande  réussite  pour  la  Sapho  de  Massenet,  Henri  Cain  et 
Bernéde,  très  remarquablement  interprétée  par  le  ténor  Leprestre  et  la  char- 
mante M"'=  Demours,  applaudis  très  chaleureusement. 

—  A  Châlons-sur-Marne,  très  brillante  exécution  de  la  Terre  promise,  le 
nouvel  oratorio  de  Massenet,  par  cent  cinquante  e.xécutants  sous  la  direction  de 
M.  Félix  Huet.  Les  soli  étaient  chantés  par  MM.  Bailly.  des  Concerts  Colonne, 
et  Moreau.  M"=s  Cécile  et  Thérèse  Hùet,  Putman,  Chantreuil,  Paul  Kraus,  la 
musique  du  106'  de  ligne,  prêtaient  leur  concours  ;i  cette  belle  soirée,  donnée 
au  profit  des  pauvres  de  la  ville.  Le  succès  a  été  si  vif  que  deux  nouvelles 
exécutions  de  l'œuvre  ont  été  décidées  tout  aussitôt. 

—  Le  jeudi  7  février  avait  lieu  à  Saint-Lambert  de  Vaugirard  l'inaugura- 
tion des  grandes  orgues  construites  par  M.  L.  Debierre.  Les  ressources  de  ce 
bel  instrument  ont  été  mises  en  relief  par  MM.  Daëne,  Ad.  Deslandres,  Mar- 
son,  Maquaire  et  Berçot,  maître  de  chapelle  de  la  paroisse.  M.  J.  Faure,  le 
célèbre  baryton  de  l'Opéra,  chanta  magistralement  le  Pater  noster  de  Nieder- 
meyer  et  l'O  fons  pietatù  d'Haydn. 

—  Voici  le  programme  de  la  11''  et  avant-dernière  séance  que  donnera  la  a  Société  des 
Matinées  populaires  ",  mercredi  prochain  à  4  h.  1/2  très  précises,  à  la  Renaissance,  sous 
la  direction  de  M.  Jules  Danbé.  —  Trio  en  si  bémol  (C.-M.  Widor),  MM.  Soudant,  Des- 
tombes et  l'auteur.  —  A.  La  Vaslate  (Sponlini,  1774-1851).  B.  JUilranr,  air  (TKossi,  1645), 
M"*^  Yvonne  Saint-André.  —  Cantablle  pour  alto  (Ch.  Lefebvre),  M.  fliarcel  Migard  et  l'au- 
teur. —  A.  Arietta  (Caldara,  1B78-1763).  B.  Les  Noces  de  Fiçiaro  (Mozart,  1756-1791), 
M.  A.  Baldelli.  —  Quatuor  (Tschaïkowsliy,  la40-1893),  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard 
et  Destorabes.  —  A.  Nuit  d'étoiles.  B.  Le  Soir  et  ta  Douleur  (Widor),  M""  Charlotte  Lor- 
mont  et  l'auteur.  —  Polonaise,  pour  violoncelle  et  piano  (Chopin,  1809-1849),  M.  Destom- 
bes et  M""  Hélène  Loeb.  —  A.  Vogue  léger  zéphir.  B.  Le  Bal  des  fleurs  (Mendelssohn, 
1809-1847).  Duos,  M""  Lormont  et  Saint-André.  —  1"  Quatuor  (Beethoven,  1770-1827), 
MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes. 

kn  piano,  MM.  Casella,  Callamand. 

Prix  des  places  :  2  fr.,  1  fr.  et  50  centimes. 

—  CoNCEUTS  ANNONCÉS.  —  MM.  Cbevillard,  Hayot  et  Salmon  donneront  trois  séances  de 
musique  de  chambre,  salle  Pleyel,  les  mardis  5  et  26  mars  et  16  avril,  à  9  heures  du  soir. 
Au  programme  :  des  œuvres  de  Mozart,  Mendelssohn,  Beetlioven,  Schumann,  Grieg, 
Brahms  et  Cbevillard. 

NÉCROLOGIE 

Armand  Silvestre  s'est  éteint  cette  semaine  â  Toulouse,  où  il  s'était  fait 
transporter  de  Menton,  n'ayant  plus  d'illusions  sur  sa  fin  prochaine  et  dési- 
rant mourir  «  au  milieu  des  violettes  »  de  sa  ville  natale,  qu'il  avait  tant 
aimées  et  tant  chantées.  Car  c'était  un  hon  poète,  bien  connu  des  musiciens, 
qui  ont  beaucoup  puisé  dans  ses  volumes  de  vers  pour  leurs  mélodies.  Sil- 
vestre fut  aussi  librettiste;  il  a  signé,  entre  autres,  les  poèmes  de  Galante 
aventure,  de  Dimitri  et  d'Henry  VIIJ.  Enfin,  une  de  ses  dernières  œuvres  dans 
ce  sens  fut  l'adaptation  musicale,  en  collaboration  avec  Morand,  de  Grisélidis, 
qu'il  avait  confiée  à  son  grand  ami  Massenet.  Jusqu'à  ses  derniers  moments, 
il  s'est  inquiété  du  sort  de  cet  opéra.  Et  la  dernière  lettre  que  nous  avons 
reçue  de  lui  en  parlait  encore,  inclinant  pour  qu'on  donnât  l'ouvrage  d'abord 
à  l'étranger  et  faisant  remarquer  qu'Hérodiade,  Sigurd  et  Werther  ne  s'en 
étaient  pas  mal  trouvés.  En  dehors  de  tous  ses  mérites  d'écrivain,  Silvestre 
fut  encore  un  brave  homme  dans  toute  l'acception  du  mot,  droit,  loyal  et 
dévoué  comme  pas  un. 

—  De  Reggio  d'Emilie  on  annonce  la  mort,  à  la  date  du  10  février,  du 
compositeur  Magnanini,  qui  avait  fait  ses  études  au  Conservatoire  de  Milan. 
Il  a  écrit  beaucoup  de  musique  religieuse  et  aussi  quelques  opéras,  dont 
deux,  Giovanna  di  Casliglia  et  Giorgione  da  Castefranco,  obtinrent  du  succès. 
Il  était  âgé  de  59  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


CnALV.  RUE 


3649.  -  67-  mm  -  i\°  9.  PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  3  Mm  i90i. 


(les  Bureaux,  2"*,  rue  Vmeime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


lie  paméFo  :  0  ff.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  liumépo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.jTe.ile  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  eus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  ^1^^  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  Lhéâtrale  :  première  représeota'ion  de  Pow  être  aimé  à  l'Athénée,  Paul- 
Émile  Chevalier  ;  première  représentation  du  Liseron  à  la  Renaissance,  0.  Bn.  —  III.  Le 
théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (19'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des 
grands  concerts.  —  V,  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  pianç  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SIMPLE  PHRASE 

de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiatement  :  Danse  galicieniie,  de  Théodore  Lack. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  ms  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Enfantillage,  n"  4  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélodies  de  Théodore  Dubois, 
poésies  deSuLLY-PBUDHO.MME.  — Suivra  immédiatement:  Pastorale  da  XVII»  siè- 
cle, n°  b  des  Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Périlhou. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  lémoires  les  plus  récenls  et  fles  docnmenls  iDéflits 


J'ignore  si  je  suis  seul  à  éprouver  cette  impression  ;  mais  il  me  semble 
que  VBistoire  de  notre  pays  se  soit  brusquement  arrêtée  en  1870  et 
qu'après  les  lugubres  événements  dont  ce  chiffre  fatal  évoque  l' inoubliable 
souvenir,  elle  n'ait  repris  sa  marche  qu  incertaiite  de  ses  destinées,  in- 
consciente de  son  but,  traînant  derrière  soi  une  cohue,  non  moins  igno- 
rante et  non  moins  affolée,  dans  une  voie  sans  lumière  et  sans  horizon. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  cette  date  de  1870  a  creusé  comme  un 
fossé  entre  le  passé  et  le  présent.  Sans  doute,  l'abime  est  moins  profond, 
quoique  plus  sanglant,  que  ne  fut  la  séparation  entre  l'ancien  et  le  nou- 
veau régime  au  lendemain  de  la  Révolution.  Mais  cette  distinction  existe 
et  la  langue  courante  Va  définitivement  adoptée.  Ne  dit-on  pas  tous  les 
jours  :  Avant  la  guerre  ou  après  la  guerre,  comme  pour  mieux 
accentuer  le  contraste  entre  deux  époques  différentes  ? 

Or,  à  cette  course  depuis  plus  de  trente  ans  vers  l'inconnu,  correspond 
une  poussée  fiévreuse  de  production  scientifique,  littéraire  et  artistique. 
Est-ce  le  renouveau  qui  se  prépare  ?  Est-ce  la  décadence  qui  se  précipite  ? 
Le  courant  est  si  rapide  et  l'aUm'e  si  vertigineuse  que  les  meilleurs  esprits 
ont  peine  à  s'y  reconnaître  et,  partant,  à  se  prononcer.  Toujours  est-il  que, 
dans  ce  débordement  désordonné  d'œuvres  les  plus  diverses,  les  Mémoires, 
les  Souvenirs,  les  Correspondances  occupent  une  large  place.  Le  grand 
public  parait  s'y  passionner  :  parfois  le  passé  console  du  présent. 


En  lotis  cas,  on  ne  saurait  imaginer  plus  vaste  champ  d'exploration 
pour  la  pensée  humaine.  Des  faits  ignorés  et  des  aperçus  nouveaux  s'y 
rencontrent  à  chaque  sillon.  C  est  à  ce  point  de  vue  que  nous  y  avons 
observé  le  développement  de  l'art  musical  depuis  deux  siècles,  examiné 
ses  oeuvres,  étudié  ses  interprètes.  Aussi  avons-nous  7'apporté  de  ce 
voyage  à  travers  livres  une  abondante  moisson;  mais  nous  n'avons  voulu 
en  conserver  que  les  pièces  les  plus  originales  ou  les  plus  caractéristiques; 
et  nous  avons  joint  à  cette  sélection  des  documents  inédits. 

A  des  époques  différentes,  les  hommes  et  les  œuvres  dont  nous  allons 
rappeler  les  noms  et  les  titres  ont  trouvé  ici-même,  pour  les  présenter 
au  lecteur,  des  plumes  autrement  autorisées  que  la  nôtr-e...  Mais  toutes 
ces  études,  consacrées  aux  mêmes  sujets,  n'ont-elles  pas  abouti  à  la  même 
conclusion,  qui  sera  en  quelque  sorte  notre  mot  de  la  fin? 

On  s'est  plu  à  répéter  —  et  la  tradition  s'en  est  perpétuée  jusqu'à  nos 
jours  —  que  les  Français  étaient  le  peuple  le  plus  antimusical  de  la 
terre.  Et  cependant  c'est  encore  dans  notre  cher  pays,  ouvert  à  toutes  les 
écoles  et  à  tous  les  artistes,  que  la  Musique  reçoit  l'hospitalité  la  plus 
large,  l'accueil  le  plus  empressé,  les  encouragements  les  plus  flatteurs. 
C'est  là  surtout  quelle  veut  chanter  et...  vivre. 


AU    DIX-HUITIEME    SIECLE 

PREMIÈRE    PARTIE 

COMPOSITEURS     ET     ARTISTES 

I 

La  musique  de  LulU  :  Grandeur  et  décadence.  —  Au  clair  de  la  lune  et  M.  Delaunay. 

—  Lulli  enchâssé  dans  Gluck.  —  Passiom  archaïques.  —  Le  père  Ingres  converti 

à  Lulli.  —  Un  triomphe  voilé  de  deuil. 

Il  semble  qu'après  les  ingénieuses  reconstitutions  de  M.  "Wec- 
kerlin  et  les  savantes  éludes  de  M.  Arthur  Pougin  ('!)  il  ne  reste 
plus  rien  à  dire  sur  l'œuvre  de  Lulli.  Aussi  bien  nous  ne  sau- 
rions avoir  la  prétention  de  recommencer  une  tâche  faite  et 
parfaite.  Si,  pour  justifier  la  lettre  et  l'esprit  de  notre  pro- 
gramme, nous  glanons  dans  des  livres  nouveaux  les  impressions 
de  leurs  auteurs  sur  le  plus  ancien  de  nos  compositeurs  de  mu- 
sique dramatique,  c'est  surtout  parce  qu'elles  caractérisent  la 
mobilité  de  l'àme  française  en  matière  d'art. 

Il  est  certain  qu'après  la  mort  de  Lulli  ses  élèves  ou  ses  suc- 
cesseurs se  tinrent,  sauf  d'honorables  exceptions,  fort  au-dessous 
de  leur  impérissable  modèle.  Ceux  qui  tentèrent  de  se  dérober 
à  ces  traditions  ne  se  distinguèrent  ni  par  leur  science,  ni  par 
leur  originalité.  Rameau  était  donc  devenu  le  musicien  néces- 
saire, mais  au  prix  de  quels  efforts  et  de  qu^les  luttes  1  Comme 
le  constatent  des  Gazettes  à  la  Main  (2)  publiées  par  M.  Edouard 

(1)  Nous  rappellerons  que  les  consciencieux  et  remarquables  travaux  de  M.  Arthur 
Pougin  sur  Auber,  Bellini,  Rosslni,  Méhul,  Boieldieu,  .Vdam,  Violti ,  Rode,  Verdi,  etc., 
etc..  ont  paru,  pour  la  plupart,  dans  h  Ménestrel. 

(2)  Nouvelles  de  ta  Cour  et  de  la  Ville.  Rouveyie,  1880. 


66 


Œ  MÉNESTREL 


de  Barthélémy  sous  ce  titre  :  Nouvelles  de  la  Cour  et  de  la  Ville, 
Rameau  avait  délmitivement  coiifuis  les  bonnes  grâces  eu 
public  en  1737:  et  cependant  ses  adversaires  lui  opposaient 
encore  à  l'Opéra  le  répertoire  de  Lulli.  Ce  fut  d'abord  la  reprise 
de  Persée  avec  des  costumes  nouveaux  et  une  décoration  su- 
perbe. Chassé  y  jouait  le  rôle  de  Méduse.  Le  succès  ne  répondit 
pas  à  l'attente  des  metteurs  en  scène.  Atys,  que  notre  gazetier 
appelle  emphatiquement  «  le  chef-d'œuvre  de  la  poésie  et  de  la 
musique  françaises  »,  ne  fut  guère  mieux  accueilli  tout  d'abord. 

Les  jeunes  femmes  le  trouvaient  «  triste  et  vieux  »  et  les 
petits-maitres  baillaient  «  aux  endroits  les  plus  intéressants  ». 
L'interprétation  laissait  fort  à  désirer;  et  cependant  —  retour 
imprévu  des  choses  d'ici-bas  !  —  à  la  quatrième  représentation, 
Atys  avait  repris  faveur. 

M.  Delaunay,  l'ancien  jeune  premier  de  la  Comédie-Française, 
est  du  même  avis,  parait-il,  que  les  abonnés  de  l'Opéra  en... 
1737. 

—  La  musique  de  Lulli,  c'est  toujours  «  au  clair  de  la  lune  », 
disait-il  à  son  directeur  d'alors,  Arsène  Houssaye  (1). 

Et  celui-ci  qui,  fort  heureusement,  ne  fît  jamais  autorité 
comme  critique  d'art,  commente  en  ces  termes  le  mot  de  son 
pensionnaire  : 

—  Oui,  c'est  une  musique  nocturne  et  silencieuse  que  sym- 
bolise à  merveille  la  chanson. 

Ce  qui  ne  l'empêcha  pas,  grâce  à  l'obligeance  de  Roqueplan, 
directeur  de  l'Opéra,  et  à  la  science  d'Offenbach,  chef  d'or- 
chestre de  la  Comédie-Française,  de  remonter  le  Bourgeois  gen- 
tilhomme avec  les  soli,  chœurs,  divertissements  et  entrées  de 
ballet,  tels  que  la  comportait  la  partition  de  Lulli  en  octobre 
1670.  Les  spectateurs  furent  ravis  d'une  telle  surprise  ;  les  seuls 
musiciens  de  l'orchestre,  qu'avait  effarouchés  ce  supplément  de 
travail,  protestèrent  contre  une  innovation  aussi  intempestive 
que  préjudiciable  à  leur  tranquillité. 

Arsène  Houssaye  devait  se  retrouver  une  fois  encore  en  pré- 
sence de  la  musique  «  au  clair  de  la  lune  ».  Ce  fut  pendant  le 
cours  de  l'année  187.5,  lorsqu'il  fut  nommé  directeur  du  Théâtre- 
Lyrique  par  M.  Wallon,  alors  ministre  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts.  Une  tragédie  lyrique  composée  avec  les  deux 
Armides,  «  Lulli  enchâssé  dans  Gluck  »,  aurait  inauguré  le  nou- 
veau règne  d'Arsène  Houssaye.  Etait-ce  lui  qui  avait  eu  cette 
triomphante  idée?  Et  ce  singulier  amalgame  musical  a-t-il  été 
conservé  pour  l'édification  des  races  futures  ?  On  prétendit,  dans 
le  moment,  qu'une  illustre  virtuose  l'avait  exigé  pour  ses  débuts 
sur  la  nouvelle  scène.  Arsène  Houssaye  affirme,  pour  sa  part, 
qu'il  vit  «  les  plus  belles  cantatrices  du  monde  »  s'essayer  à  l'in- 
terprétation de  ce  pot  pourri  génial.  Toujours  est-il  que  les 
répétitions  ne  dépassèrent  pas  six  semaines  et  que  «  le  rideau 
ne  se  leva  pas  ». 

La  direction  Arsène  Houssaye  avait  fait  long  feu. 

En  s'efîorçant  de  faire  revivre  sur  la  scène  du  Théâtre-Fran- 
çais la  musique  de  Lulli,  l'auteur  du  4i""  Fauteuil  répondait, 
inconsciemment  peut-être,  au  vœu  d'un  dilettantisme  qui  sem- 
blait vouloir  s'imposer  alors  à  divers  salons  parisiens.  Eugène 
Delacroix  remarque,  dans  son  Journal  (2),  qu'en  18oS  des  ama- 
teurs éclairés  et  tnéme  de  distingués  compositeurs  s'étaient  épris 
d'une  belle  passion  pour  la  musique  archaïque.  Le  professeur 
Uelsarte  entre  autres  mettait  Lulli  au-dessus  de  tous  les  maîtres 
passés,  présents  et  futurs,  même  de  Gluck,  qui  l'enthousiasmait. 
L'illustre  peintre  ne  partageait  nullement  ces  préférences  exclu- 
sives pour  la  vieille  musique  ;  et  s'autorisant  de  certaines 
excentricités  particulières  à  uelsarte,  il  plaçait  malicieusement 
cet  ami  des  mauvais  jours  à  côté  de  son  ennemi  professionnel, 
le  père  Ingres,  dont  les  goûts  et  les  antipathies  étaient  égale- 
ment marqués,  prétendait-il,  au  coin  de  la  sottise. 

Or,  le  père  Ingres,  qui  avait,  comme  Eugène  Delacroix,  la 
passion  de  la  musqué,  ne  tint  fort  longtemps  celle  de  Lulli 
qu'en  très  médiocre  estime.  Ce  fut  Gounod  (3)  qui  le  fit  revenir 

(î)  Arsine  Boussuye.  —  Confessions.  Souvenirs  d'un  demi-siècle.  Dentu,  18S5. 

(2)  E.  Delacroix.  —  Journal  (Notes  par  MM.  Paul  Fiat  et  René  Piot).  E.  Pion,  1893. 

'3)  GouNOD.  —  Mémoires  d'un  artiste.  C.  Lévy,  1896. 


de  sa  prévention,  alors  qu'il  séjournait  en  1840  dans  la  Ville 
Éternelle,  comme  grand-prix  de  Rome.  Ingres,  directeur  à  cette 
époque  de  l'Ecole  Française,  avait  très  affectueusement  accueilli 
le  jeune  musicien,  qui  flattait  la  passion  favorite  .  du  vieux 
peintre  en  lui  donnant  de  fréquentes  auditions,  en  accompa- 
gnant même  sa  partie  de  violon,  bien  que  l'aviteur  du  Saint- 
Sébastien  ne  fût  pas  un  «  exécutant  et  encore  moins  un  virtuose  ». 
Un  jour  que  Gounod  lui  faisait  entendre  la  scène  de  Caron  et 
des  Ombres  dans  VAlceste  de  Lulli,  Ingres  grommela  à  sa 
manière  : 

—  Mais  ce  morceau-là,  ce  n'est  pas  de  la  musique,  c'est 
du  fer. 

Cependant  il  ne  recula  pas  devant  une  seconde  audition  ;  et 
cette  fois  il  revint  de  l'impression  de  raideur,  de  sécheresse  et 
de  dureté  farouche  qui  l'avait  si  péniblement  affecté.  S'il  fut 
frappé  de  l'àpreté  mordante  qui  caractérise  l'air  de  l'immortel 
nautonnier,  comme  d'une  réminiscence  des  dialogues  de  Lucien, 
il  s'émut  des  plaintes  touchantes  exhalées  par  les  Ombres  ;  et  ce 
fragment  de  Lulli  devint  un  morceau  favori  de  l'artiste. 

Au  reste,  Gounod  témoigne  à  maintes  reprises  sa  profonde 
admiration  pour  l'illustre  auteur  des  premiers  opéras  français. 
Il  reconnaît  qu'il  a  voulu  s'inspirer  de  son  style  dans  la  partition 
de  ce  Médecin  malgré  lui  qui  lui  donna  tout  à  la  fois  une  si  grande 
joie  et  une  si  cruelle  douleur.  Ce  fut  en  effet  son  «  premier 
succès  de  public  au  théâtre  »  ;  mais,  le  lendemain  de  son 
triomphe,  il  perdait  cette  mère  adorée  qui  avait  si  puissamment 
contribué  au  développement  moral  et  artistique  du  célèbre 
compositeur. 

Lulli  fut,  de  tout  temps,  l'objet  du  culte  de  Gounod.  Il  nous 
souvient  d'avoir  entendu  le  maître,  à  la  fin  d'une  répétition  au 
Cirque  d'Hiver,  insister  très  vivement  auprès  de  Pasdeloup  pour 
qu'il  donnât  un  concert  exclusivement  composé  d'œuvres  de 
Lulli.  Lui,  Gounod,  s'engageait  à  pratiquer  cette  sélection;  mais, 
malgré  sa  grande  amitié  pour  le  compositeur,  Pasdeloup,  qui, 
personne  ne  l'ignore,  était  formidablement  entêté,  ne  voulut  pas 
se  laisser  convaincre. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Athénée.  Pour  être  aimé,  comédie  fantaisiste  en  3  actes,  de  MM.  Xanrof 
et  Michel  Carré. 

Bile  est  charmante,  d'un  charme  reposant,  cette  nouvelle  comédie 
<i  fantaisiste  »  que  MM.  Xanrof  et  Michel  Carré  viennent  de  faire  jouer 
à  l'Athénée.  Elle  est  charmante  d'idée  et  de  forme,  et  elle  est  surtout 
charmante  de  fraîche  simplicité  sans  banalité,  de  gentille  fantaisie  sans 
excentricités  maladives  et  de  doucereux  sentimentalisme  sans  niaiserie. 
Vraiment,  l'on  peut  domc  passer,  au  théâtre,  une  tout  agréable  soirée 
en  compagnie  d'auteurs  dont  la  psychologie  n'est  point  qu'amertume 
décourageante  et  dont  l'esprit  n'est  point  que  rosserie  blessante  ou 
cabrioles  charentonesques?  Que  d'aucuns  en  seront  heureusement  éton- 
nés! 

C'est  tout  simple,  presque  naïf,  cette  histoire  moderne,  parisienne  et 
idyllique  du  jeune  roi  et  de  la  jeune  reine  de  Stamanie.  —  un  royaume 
de  féerie  qui  doit  mirer  sa  polychrome  gracilité  dans  les  flots  sombres 
d'une  presque  orientale  mer  Noire.  Ils  viennent  de  se  marier,  encore 
tout  gamins;  ils  s'aiment  énormément  l'un  et  l'autre;  mais  ni  l'un  ni 
l'autre  ne  sait  faire  comprendre  son  amour,  elle,  la  trop  chaste  Nialka, 
ne  connaissant  rien  de  la  vie  qu'on  lui  a  stupidement  cachée  au  couvent, 
lui.  le  frustrement  ardent  Sergius,  n'ayant  retenu  d'une  existence  étroi- 
tement bridée  que  des  l)aisers  cantharidés  et  clandestins  payés  fort  cher 
à  Paris,  voilà  deux  ans. 

Paris  !  Pourquoi  n'essaierait-il  pas,  le  roitelet,  d'y  emmener  la  femme- 
enfant?  Loin  de  l'étiquette  pudiquement  barbare  de  la  cour  de  Stamanie, 
dans  cette  atmosphère  nouvelle  de  joie,  de  plaisir  et  de  vie  libre,  peut- 
être  éveillera-t-il  en  l'aimée  ce  qu'il  y  soidiaite  trouver?  Et  là,  c'est 
une  magiste,  la  renommée  madame  Babylone,  qui  soufflera  à  Nialka 
comment  on  s'afiirme  femme,  c'est-à-dire  coquette,  et  c'est  la  demi- 
mondaine  haut  cotée,  Fleurange,  qui,  inconsciemment,  fera  comprendre 
à  Sergius.  qu'elle  a  dégourdi  lors  de  son  premier  séjour  dans  la  capitale, 
qu'il  ne  sied  pas  toujours  d'être  trop  brusque.  Les  scènes  d'initiation 


LE  MÉNESTREL 


67 


des  deux  jouvenceaux  sont  charmantes, —  encore  ce  mot  sous  la  plume, 
tant  il  dit  seul  et  bien  ce  qu'il  faut  dire  —  ainsi  que  celles  où  se  retrou- 
vant, éduqués,  ils  s'étonnent,  lui,  des  hardiesses  de  sa  mignonne  com- 
pagne, elle,  des  délicatesses  pusillanimes  de  son  petit  seigneur.  Peureux 
exquisement,  chétives  fleurs  exotiques  privées  jusque-là  de  lumière  et 
d'air,  .ensemble  ils  s'épanouissent  délicieusement  à,  l'amour,  se  compre- 
nant enfin  parce  qu'ils  savent  gazouiller  la  chanson  divine. 

Nialka  et  Sergius.  deux  êtres  de  réalité  nuageusement  nimbés  de 
juvénile  poésie,  ont  rencontré,  à  l'Athénée,  deux  interprètes  charmants, 
—  le  même  mot,  toujours  —  M"°  Yahne  aux  prises,  enfin,  avec  un  rôle 
dans  ses  moyens,  où  elle  peut  se  montrer  gentiment  enfantine  et  pudi- 
quement coquette,  et  M.  Séverin,  de  jeunesse  agréable  et  distinguée.  Il 
y  a,  bien  entendu,  dans  Pour  être  aimé,  nombre  d'autres  rôles,  dont 
quelques-uns  de  gaie  caricature,  le  grand  chambellan  Riotor,  la  magiste 
Babylone  et  la  dame  d'atours  Malgine,  sont  joués  bien  en  dehors  par 
M.  Hirsch,  JSI""'^  Leriche  et  Marthe  Alex,  dont  quelques  autres,  de  plan 
plus  effacé,  sont  silhouettés  à  souhait,  notamment  par  M.  Tréville  et 
par  M"=  Bignon.  Paul-Émile  Chev.vlier. 


Théâtre  de  la  Renaissance.  Le  Liseron,  pièce  en  3  actes 
de  M.  Daniel  I-tiche. 

Une  vieille  famille  noble  a  pour  devise  une  branche  de  lierre  avec 
l'exergue  :  «  Je  meurs  où  je  m'attache  ».  Cette  devise  renferme  toute  la 
thèse  du  Liseron.  Deux  jeunes  peintres,  l'un  de  famille  riche,  ancien 
pensionnaire  de  la  villa  Médicis,  titulaire  d'une  grande  médaille  au 
Salon  et  levant  déjà  les  yeux  vers  la  coupole  de  l'Institut,  l'autre,  pauvre 
bohème,  Chardin  avorté  et  «  peintre  de  citrouilles  ».  comme  on  le  lui  dit 
cruellement,  ont  vécu  pendant  quelques  années  à  Montmartre,  filant  le 
libre  et  parfait  amour.  Le  peintre  heureux,  pressé  par  une  tante  à  héri- 
tage de  se  marier,  ne  trouve  rien  de  mieux  pour  cela  que  de  passer  con- 
trat avec  le  beau  modèle  qui  a  passivement  collaboré  à  la  fameuse 
médaille;  son  confrère  et  ami  ne  tarde  pas  à  l'imiter  et  épouse  la  bonne 
fille  qui  est  allée  lui  chercher  chez  le  fruitier  les  modèles  de  ses  natures 
mortes. 

Voilà  nos  liserons  transplantés  dans  un  nouveau  terroir,  celui  de  la 
correcte  et  normale  vie  bourgeoise.  Les  conséquences  de  ce  changement 
doivent  prouver  la  thèse  de  l'auteur  et  la  pièce  à  faire  parait  devoir 
commencer,  mais  l'auteur  se  dérobe  tout  aussitôt  à  sa  tâche  en  condui- 
sant les  deux  jeunes  ménages  dans  un  milieu  fantaisiste  et  parmi  des 
snobs  de  bas  vaudeville.  Il  est  joli,  le  prétendu  monde  bourgeois  :  une 
aimable  farceuse  qui  fait  des  victimes  parmi  les  jeunes  peintres  suscep- 
tibles de  devenu-  des  «  chers  maitres  »  et  les  quitte  après  avoir  reçu  d'eux 
comme  hommage  in-espectueux un  tableau  dûment  signé;  son  mari,  qui 
raconte  naïvement  que  sa  femme  possède  déjà  une  nombreuse  collection 
de  toiles;  un  prétendu  prince  Scandinave,  qui  se  conduit  comme  un 
polisson  et  parle  français  comme  la  proverbiale  «  vache  espagnole  ». 

On  de^dne  ce  qui  arrive  :  les  jeunes  artistes  courtisent  les  séduisantes 
mondaines  qui  ne  demandent  pas  mieux,  la  situation  se  gâte  et  finale- 
ment les  liserons  légitimes  «  cassent  les  vitres  »,  selon  l'expression 
populaire  d'une  d'entre  elles.  Le  divorce  est  prononcé  et  les  artistes 
réintégrent  tristement  leui'S  anciens  ateliers,  d'où  les  compagnes  aimées 
ont  disparu.  Heureusement,  elles  y  ont  laissé  des  effets  personnels  qu'il 
faut  aller  chercher.  Cet  oubli  amène  un  retour  d'attendrissement  mutuel 
et  la  réconciliation.  Les  liserons  se  trouvent  de  nouveau  sur  leur  ancien 
terrain  et  se  garderont  bien  de  repasser  â  la  caisse  conjugale  où  elles 
ont  été  payées  en  monnaie  de  singe. 

La  pièce  est  correctement  écrite  ;  on  y  trouve  même  cette  jolie  maxime  : 
Il  Les  dettes,  c'est  comme  l'enfant  :  plus  c'est  petit,  plus  ça  crie.  »  Schau- 
nard,  doublé  du  duc  de  La  Rochefoucauld,  n'aurait  pas  dit  mieux.  Les 
rôles  principaux  sont  confiés  à  M""  Biana  Duhamel  en  rupture  d'opé- 
rette, à  M"»  Janney  et  â  MM.  Louis  Gauthier  et  Guyon  fils.  Ce  quatuor 
bien  accordé  a  joué  la  pièce  avec  talent  et  dévouement,  mais  sans 
chaleui'  communicative.  O.  Bn. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE    19CO 

(Suite.) 

AU   TROCADÉRO 

Sur  le  quai  de  Billy,  à  l'extrémité  ouest  des  jardins  du  Trocadéro, 
derrière  l'exposition,  de  l'Inde  française,  se  trouvait,  occupant, un  vaste 
emplacement  de  plus  de  5.000  mètres  : 


L'Andalousie  au  temps  des  Maures,  qui  ofi'rait  un  spectacle  très  varié, 
très  curieux,  et  qui  sans  doute  méritait  mieux  que  le  triste  sort  sous 
les  coups  duquel  il  a  succombé.  Il  y  avait  là  une  reconstitution  vraiment 
intéressante,  à  laquelle  le  public  ne  paraissait  pas  indifférent,  car  le 
succès  sembla  tout  d'abord  l'accueillir.  Par  malheur,  les  dépenses  d'éta- 
blissement avaient  été  énormes,  les  frais  journaliers  étaient  de  leur 
côté  très  considérables,  de  sorte  que  bien  avant  la  fin  de  l'Exposition  la 
pauvre  Andalousie  subissait  les  lois  cruelles  de  la  faillite.  Et  c'était 
dommage,  car  l'idée,  cfui  lui  avait  donné  naissance  était  vraiment  ingé- 
nieuse, et  elle  avait  été  heureusement  mise  â  exécution. 

En  franchissant  la  porte  de  l'Alcazar  de  Séville,  qui  servait  d'entrée 
à  cette  Andalousie  rutilante  et  curieuse,  on  se  trouvait  dans  le  «  patio  » 
de  l'Alhambra  de  Grenade,  qui  reproduisait  la  fameuse  cour  des  Lions, 
avec  sa  fontaine,  ses  galeries  superposées,  dont  les  colonnes  légères,  les 
ogives  serties  dans  un  fouillis  élégant  de  losanges  et  d'arabescpies  de 
pierres  rehaussées  d'or  et  de  bleu  pâle,  produisaient  le  meilleur  effet. 
L'aspect  était  grandiose.  De  cette  cour  superbe  on  pénétrait  directement 
dans  une  vaste  arène,  sorte  d'hippodrome  d'une  étendue  de  1.000  mètres 
carrés,  pouvant  contenir  4.000  spectateurs.  C'est  là  qu'avaient  lieu  non 
seulement  des  corridas,  mais  des  exercices  équestres  de  toute  sorte: 
fantasias,  tournois,  scènes  de  la  vie  maure  et  espagnole,  aux  person- 
nages couverts  d'armures  et  vêtus  de  costumes  somptueux.  La  direction 
de  ce  spectacle  spécial  avait  été  confiée  à  M.  Mollier. 

A  droite  de  la  cour  s'élevait,  à  une  hauteur  de  soixante-dix  mètres, 
la  fameuse  tour  de  la  Giralda,  au  sommet  de  laqueDe  on  montait  par  un 
large  escaher  hélicoïdal.  Puis,  en  poussant  plus  à  droite,  on  entrait 
dans  un  gourbi,  un  village  arabe  tel  qu'il  en  existait  au  moyen  âge  en 
plein  cœur  de  l'Andalousie,  au  temps- des  rois  Maures.  On  trouvait  là 
une  scène  mauresque,  où  se  donnaient  divers  spectacles  :  danses  des 
juives  de  Tunis  et  de  Tanger,  chanteuses  kabyles,  exercices  des  sabreurs 
du  Liban,  des  Aissaouas  de  Kairouan,  etc. 

Et  en  tournant  â  gauche,  après  avoir  franchi  la  Porte  de  la  Justice  de 
Grenade,  auprès  de  laquelle  les  rois  Maures  rendaient  leurs  arrêts,  on 
entrait  dans  une  vieille  rue  pittoresque  de  village  espagnol  de  la  pro- 
vince de  Tolède,  avec  ses  maisons  romanes  et  renaissance,  aux  façades 
bizarres,  dont  les  boutiques  étaient  occupées  par  des  ouvriers  travaillant 
en  vue  du  public.  Dans  le  fond,  un  âpre  coin  de  «  sierra  »,  qui  complétait 
l'illusion.  Puis,  ca  et  là,  des  chanteurs  ambulants,  des  guitaristes,  des 
gitanes,  des  montreurs  de  marionnettes,  des  diseuses  de  bonne  aventure. .. 
C'est  dans  ce  village,  à  droite,  que  se  trouvait  l'entrée  du  vrai  théâtre, 
un  vaste  théâtre  à  ciel  ouvert,  à  la  décoration  mauresque,  brillamment 
éclairé  le  soir,  et  consacré  aux  danses  espagnoles,  qui  s'exécutaient  sur 
une  scène  très  suffisamment  étendue.  Le  programme  nous  apprenait 
que  le  directeur  de  la  musique  était  M.  Paul  Lacome,  le  chef  d'orchestre 
M.  Tavan,  le  décoratem-  M.  Abel  Truchet,  enfin  la  directrice  des  danses 
de  Madrid,  la  sefiora  Maria  Fuensenta,  et  le  directeur  de  celles  de 
Séville,  M.  José  Segura.  Je  ne  crois  pas  utile  de  reproduire  ici  les 
titres  de  toutes  ces  danses,  qui  étaient  au  nombre  de  soixante-quatre, 
danses  d'Aragon,  de  Biscaye,  de  Castille,  de  Catalogne,  de  Galice,  de 
Valence,  de  Salamanque,  et  je  me  bornerai  à  citer  la  Garbosa,  le 
Jarabe,  la  Serrana,  la  Juerga  (danse  chantée),  la  Fiesta  Sevillana  (id.), 
la  Macarena,  le  Jaleo,  le  Zapateado,  la  Gaditana,  la  Manola,  la  Ter- 
tulia,  etc.,  en  e.xprimant  le  regret  que  cette  Andalousie  au  temps  des 
Maures,  qui  méritait  la  sympathie  du  pubhc,,  n'ait  pas  eu  tout  le  succès 
qu'elle  était  en  di-oit  d'attendre  et  d'espérer. 

Le  Théâtre  Égyptien.  —  Celui-ci,  dont  on  fit  grand  bruit  un  instant, 
était  assurément  moins  curieux,  et  cependant  eut  la  chance  de  pouvoir 
durer  jusqu'à  la  fin  de  l'Exposition.  Il  parut  avoir,  dans  ses  commen- 
cements, comme  une  sorte  de  splendem-,  mais  il  faut  avouer  qu'ensuite 
il  se  laissa  déchoir  considérablement. 

En  tant  que  théâtre,  on  doit  déclarer  qu'il  était  superbe,  et  le  plus 
vaste  certainement  de  tous  ceux  de  l'Exposition.  <3n  s'en  rendra  compte 
en  songeant  que  sa  scène  occupait  une  superficie  qui  n'était  pas  moindre 
de  247  mètres  carrés.  Compris  dans  la  section  égyptienne,  qui  prenait 
place  à  l'entrée  de  la  porte  de  l'avenue  d'Iéna  et  à  l'angle  de  la  rue  de 
Magdebourg,  en  bas  du  Trocadéro,  il  était,  â  l'intérieur  comme  à  l'exté- 
rieur, de  pur  style  antique,  comme  le  Temple  auprès  duquel  il  était 
siué.  Un  portique  étroit  à  hautes  colonnes,  rappelant  celles  du  temple 
de  Medineh-Abou,  précédait  l'entrée.  La  façade  était  ornée  de  bas-reliefs 
empruntés  aux  plus  beaux  monuments  de  la.  vieille  Egypte,  dont  les 
motifs  reproduisaient  diverses  épisodes  de  la  vie  d'Arneuophis  ou  des 
Ramsés.  La  salle,  richement  décorée  de  dessins  polychromes,  de  vastes 
fresques  évoquant  les  grands  événements  de  l'existence  des  anciens 
Egyptiens  :  triomphes  de  rois,  fêtes  publiques  sur  le  Nil  ou  dans  les 
temples,  etc..  pouvait  contenir  sept  à  huit  cents  spectateurs.  Le  parquet, 
garni  de  fauteuils,  tenait  toute  la  longueur  de  cette  salle.  Sur  les  côtés 


68 


LE  MÉNESTREL 


de  ce  parquet,  uu  double  couloir-promeuoir,  surélevé  de  façon  à  atteindre 
la  hauteur  de  la  scène,  avec  tablas  pour  les  consommateurs.  Au  fond, 
une  galerie  en  amphithéâtre  avec  quelques  loges.  Un  théâlre  égyptien 
où  Fou  ne  fumerait  pas  serait  uu  non- sens:  on  s'en  apercevait  facile- 
ment à  celui-là. 

La  section  égyptienne  faisait  son  inauguration  officielle  le  16  juin 
seulement.  Dix  jours  après,  le  théâtre  donnait  la  première  représentation 
de  Ramsès,  pièce  en  un  acte,  en  vers,  de  M.  .Joseph  de  Pesquidou.\.  avec 
musique  de  M.  Paul  Vidal,  jouée  par  M""  Nau,  du  théâtre  Antoine, 
MM.  de  Mas,  de  l'Odéon,  Charlier,  de  l'Ambigu,  Béliéres,  Livoot,  Col- 
lin,  M'"'*  Roulleau,  Litty  Bossa,  etc.  Plus  tard  on  y  joua  un  ballet 
somptueux  intitulé  une  Xiiit  à  Bagdad.  C'était  l'époque  de  la  courte 
splendeur  de  ce  théâtre,  oii  le  public  elait  attiré  par  les  fameuses 
«  danses  nerveuses  »  que  les  amateurs  vantèrent  avec  enthousiasme 
durant  quelques  semaines.  La  troupe  comprenait  alors  jusqu'à  200  ar- 
tistes des  deus  sexes  :  Égyptiens,  Soudanais,  Abyssins,  Syriens  et 
.\rabes,  et  toute  la  série  des  danses  orientales  défilait  devant  le  public, 
accompagnées  par  le  singulier  orchestre  égj'ptien. 

Mais  il  faut  dire  qu'à  la  tin,  et  surtout  dans  les  représentations  de 
jour,  le  spectacle  perdait  beaucoup  de  sa  splendeur  première  et  touchait 
à  une  honnête  banalité.  Je  me  rappelle  y  avoir  vu,  dans  une  seule 
séance,  deux  de  ces  immondes  danses  du  ventre,  rappel  fâcheux  de 
l'Exposition  de  1889,  accompagnées  de  chœurs  (!!)  et  de  claquements  de 
main,  ainsi  que  d'un  trio  instrumental  qui  comprenait  un  tympanon, 
un  tambour  de  basque  et  un  tambour  arabe.  Puis  des  danses  de  femmes 
chantées,  puis  un  combat  au  sabre,  puis  des  tours  de  bâton  assez  extra- 
ordinaires par  un  jeune  garçon  très  agile  et  très  adroit,  puis  —  et  ceci 
était  le  plus  curieux,  si  ce  n'était  pas  absolument  joli  —  l'e-xercice  sin- 
gulier d'une  jeune  femme  qui  s'étendait  à  terre,  tenant-  dans  chaque 
main  une  bouteille  armée  d'une  bougie  allumée,  avec  une  autre  en 
équihbre  sur  la  tète,  et  qui,  se  roulant  sur  elle-même,  se  retournait  sur 
elle-même  sans  éteindre  ses  lumières. 

En  réalité,  le  théâtre  égyptien  n'était  plus  alors  qu'un  spectacle 
de  curiosités,  une  sorte  de  succursale,  maigre  d'ailleurs,  des  Folies-Bor- 
gère  ou  de  l'Olympia.  Le  prix  des  places  était  de  soixante-quinze  cen- 
times, un  franc  et  deux  francs,. avec  consommation. 

(A  suivre.'/  .Arthur  Pougin. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  M.  Jacques  Thibaud  a  obtenu  un  succès  presque 
triomphal.  Ce  jeune  violoniste  est  doué  de  jolies  qualités  de  mécanisme,  de 
justesse  et  de  sonorité.  Le  concerto  de  Mendelssohn  et  l'Introduction  el  Rondo 
capriccioso  de  Saint-Saëns  étaient  habilement  choisis  pour  mettre  en  relief  les 
qualités  du  charmant  virtuose.  A  côté  de  cette  gentille  voix  de  délicat  instru- 
mentiste, M.  Colonne  a  enflé  celle  de  son  orchestre  dans  l'ouverture  à'Eu- 
ryanthe,  qui  exige  une  ferveur  musicale  intense  et  profonde,  et  dans  le  prélude 
du  troisième  acte  de  Lohengrin.  Les  extraits  de  Roméo  et  Juliette,  interpolés  en 
dépit  de  leur  magnifique  programme  shaliespearien,  ont  été  mieux  rendus  et 
longuement  acclamés.  La  beauté  de  cette  musique  est  telle  que,  même  privée 
du  prestige  de  la  pensée  littéraire  qui  l'a  inspirée,  elle  élève  et  transporte, 
l'adagio  surtout.  Il  est  à  remarquer  que,  parmi  les  compositeurs,  trois  seu- 
lement, Bach,  Beethoven  et  Berlioz,  ont  écrit,  avec  une  originalité  de  forme 
dédaigneuse  de  toute  convention,  ces  contemplations  dans  l'infini  de  la  nature 
et  de  l'àme  que  nous  appelons  des  adagios.  Mais  ce  n'est  pas  le  moment  d'en- 
tamer une  digression  qui  nous  retiendrait  plus  qu'il  ne  couvient;  déjà  des 
raotifo  d'un  caractère  dramatique  nous  frappent  et  nous  impressionnent.  Il 
s'agit  de  deux  préludes  et  de  la  scène  finale  de  Fermai,  par  M.  Vincent 
d'Indy.  Cet  ensemble,  ainsi  présenté,  produit  un  effet  considérable;  c'est  un 
effort  d'art  vraiment  digne  de  toute  admiration.  Un  chef-d'œuvre?  Non. 
M.  d'Indy  a  des  façons  de  sentir  et  d'exprimer  qui  ne  sont  ni  assez  simples, 
ni  assez  naturelles  pour  subjuguer  par  le  seul  empire  du  Beau  noble  et  grand; 
mais,  dans  le  genre  oxtraordinairement  tendu  qu'il  a  choisi,  rarement  chose 
aussi  vibrante  et  d'un  coloris  aussi  vigoureux  a  sollicité  nos  suffrages.  Au 
milieu  des  splendeurs  d'une  décoration  d'apothéose,  cela  constitue  un  spec- 
tacle inoubliable;  ceux  qui  l'ont  vu  à  Bruxelles,  en  mars  1897,  et  qui  surent 
y  apporter  une  attention  suffisante  et  un  esprit  impartial,  ont  constaté  qu'il 
provoque  de  vastes  pensées  et  que  la  fierté  d'une  semblable  tentative  doit  en 
imposer  même  aux  adversaires.  L'aspiration  vers  les  hauteurs,  figurée  par 
l'orchestre  autant  que  par  le  chant  de  M.  Vaguet,  captive  irrésistiblement. 
La  gradation  des  effets  ne  laisse  rien  à  désirer,  l'inspiration  est  forte,  la  sin- 
cérité absolue.  Les  œuvres  d'une  telle  envergure  sont  rares  dans  tous  les 
*^™P^-  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Tandis  que  M.  Chevillard,  à  la  tète  de  l'orches- 
tre Kaim,  récoltait  des  lauriers  à  Munich,  le  chef  ordinaire  de  cet  orchestre, 
M.  Félix  Weingartner,  a  dirigé  avec  un  vif  succès  deux  concerts  à  la  salle 
de  la  rue  Blanche.  Le  programme  du  dernier  de  ces  concerts  était  particuliè- 
rement intéressant.  Berlioz  marchait  à  la  tête,  Wagner  le  clôturait,  et  entre 


ces  deux  prophètes  d'un  art  nouv^'au  M.  ^Yeiugarlner  avait  placé  une  sym- 
phonie inédite  de  sa  façon.  Nous  devons  à  cet  artiste,  qui  rédige  avec  notre 
collaborateur  et  ami  Charles  Malherbe  1'  «  édition  monumentale  »  des  œuvres 
de  Berlioz,  le  plaisir  d'avoir  entendu  cette  ouverture  de  Itob  Roy,  qui  n'a  été 
exécutée  à  Paris  qu'une  seule  fois, en  1833.  comme  «  envoi  de  Borne  ».  L'ou- 
verture avait  déplu  au  public  du  Conservatoire  de  cette  époque,  ce  qui  ne 
nous  surprend  guère,  et  Berlioz  en  avait  détruit  le  matériel  d'orchestre  confié 
à  Habeneck.  Heureusement,  la  partition  autographe  en  fut  conservée,  et 
M.  Malherbe  l'a  tirée  de  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  pour  la  publier.  Si 
l'ouverture  de  Rob-Roy  ne  porte  pas  encore  la  grille  du  lion,  on  peut  y  dé- 
couvrir tout  de  même  une  patte  de  lionceau.  Presque  tous  les  effets  d'orches- 
tre qui  distinguent  les  partitions  postérieures  du  maître  s'y  trouvent  en  germe, 
quoique  souvent  étouffés  sous  des  formules  vieillies;  une  mélodie  d'un  roman- 
tisme délicieux,  exposée  par  le  cor  anglais  et  accompagnée  par  les  harpes, 
nous  sourit  au  passage,  car  elle  nous  est  devenue  familière  par  Harold  en 
Italie,  où  elle  était  destinée  à  l'alto  enchanteur  de  Paganini.  L'ouverture  n'a 
eu  d'ailleurs  qu'un  «  succès  d'estime  »;  à  l'heure  qu'il  est  elle  arrive  trop 
tard,  comme  elle  arrivait  trop  tôt  en  1833.  Mais  Berlioz  a  eu  sa  revanche 
dans  ce  concert  même  avec  l'ouverture  de  Renvenuto  Cellini,  que  M.  Wein- 
gartner a  ciselée  d'une  manière  prodigieuse  et  qui  a  été  couverte  d'applau- 
dissements interminables,  —  Avec  une  coquetterie  bien  pardonnable  chez 
un  virtuose  de  la  baguette,  M.  Weingartner  a  fait  jouer  trois  œuvres  de 
Bichard  Wagner  absolument  disparates.  Nous  avons  entendu  d'abord  la  bac- 
chanale de  'fanji/iimser  écrite  pour  les  représentations  parisiennes  à  l'intention 
des  II  jockeys  »,  comme  disait  Wagner,  qui  cependant  ne  se  laissèrent  pas 
griser  par  les  aphrodisiaques  de  la  pharmacopée  orchestrale  prodigués  dans 
ce  morceau:  ensuite  l'Idylle  de  Siegfried,  dont  le  début  exprime  la  satisfaction 
d'un  vieux  lutteur  arrivé,  vers  le  déclin  de  la  force  de  fàge.  à  tous  les  bon- 
heurs intimes  de  la  vie  de  famille,  et  finalement  l'ouverture  des  Maîtres  Chan- 
teurs, une  des  plus  remarquables  compositions  du  maître  au  point  de  vue 
purement  musical.  M.  Weingartner  a  rendu  pleinement  justice  à  ces  trois 
morceaux;  l'ampleur,  la  souplesse  et  la  verve  de  sa  direction  furent  vraiment 
étonnantes, —  La  deuxième  symphonie,  en  mi  bémol  majeur,  que  M.  Wein- 
gartner a  fait  enteudre  pour  la  première  fois,  nous  paraît  supérieure  à  la 
première  qu'il  a  fait  exécuter  autrefois.  La  première  partie  a  été  froide- 
ment accueillie,  malgré  sa  grande  allure  et  ses  développements  intéressants; 
la  deuxième  partie,  un  Allegro  giocoso,  où  un  thème  robuste  et  plaisant,  bril- 
lamment traité,  rappelle  les  kermesses  flamandes,  a  été  saluée  par  une  triple 
salve  d'applaudissements;  l'adagio  modéré,  un  bel  et  noble  cantabile  plein 
d'un  émouvant  sentiment  pathétique  qui  est  la  perle  de  cette  symphonie,  a 
réuni  tous  les  suffrages,  tandis  que  le  finale,  malgré  son  brio  et  sa  facture,  a 
rencontré  une  opposition  timide,  rapidement  étouffée  par  les  applaudisse- 
ments de  la  grande  majorité  du  public.  Comme  compositeur,  M.  Weingart- 
ner a  triomphé  presque  autant  que  comme  chef  d'orchestre:  c'est  tout  dire. 

O.  Berggruen. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  ré  mineur  (Césfir  Franck).  —  Ecce  sacerdos  magnus 
{P.  Vidal). —  Coiicerlutiick  (Weber),  par  M.  Léon  Belafosse. —  Je  reste  avec  toi  (J.-S.  Bach). 
—  Symphonie  en  mi  bémol  (Haydn). 

Chàtelet,  concert  Colonne  ;  Symphonie  écossaise  (Mendelssohn).  —  Variations  sympho- 
niques  (César  Franck),  par  M.  Cortot.  —  ie  Tîowcf  rf'Orop/iote  (Saint-Saéns).  —  Marche 
funèbre  (Chopin).  —  Deux  pièces  pour  piano  (Chopin),  par  M.  Cortot.  —  Fragments  de 
Fervaal  (V.  d'Indy),  par  M.  Vaguet  et  les  chœurs.  —  Ouverture  ilLËuryanltie  (Weber). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  (sous  la  direction  de  M.  Chevillard)  :  Ouvei'ture 
du  Freyschiitz  (Weber).  —  Concertsiiick  pour  violon  (Saint-Saëns),  exécuté  par  M.  Se- 
chiari.  —  A.  Marine  (Lato)  et  B.  La  Cloche  (Saint-Saëns),  par  M""  GerviUe-Réache.  — 
Faust-Symphonie  (Liszt).  —  Air  de  Didon  des  Troyens  (Berlioz),  p,ir  M""  GerviUe-Réa- 
che. —  Uuhiigungs-Marsch  (Wagner). 

—  Une  société  de  musique  de  chambre,  dite  «  Société  Mozart  »,  s'est 
fondée  récemment  sur  l'initiative  de  M.  Adolphe  Boschot,  avec  le  concnurs 
du  Quatuor  Parent-Lammers-Denayer-Barettî.  Elle  est,  comme  l'indique  sou 
titre,  entièrement  consacrée  à  Mozart,  et  elle  a  de  quoi  faire  avec  les  huit  ou 
neuf  cents  œuvres  laissées  par  le  maître  immortel,  pour  se  constituer  un 
répertoire  suffisamment  varié  et  fertile  en  chefs-d'œuvre.  Chacune  des  six 
séances  par  lesquelles  elle  inaugure  son  existence  est  précédée  d'une  confé- 
rence se  rapportant  à  l'œuvre  ou  à  la  vie  de  Mozart;  les  conférenciers  s'ap- 
pellent Ad.  Boschot,  Charles  Malherbe,  Pierre  Lalo  et  T.  de  Wyzewa.  Les 
deux  premières  séances  ont  obtenu  un  plein  succès.  On  y  a  entendu  les  deux 
premiers  des  six  quatuors  dédiés  à  Haydn,  un  air  italien  :  Alit  lo  previdi, 
chanté  par  M"«  Suzanne  Cesbron,  une  sonate  à  quatre  mains  exécutée  par 
M"»'  Condette  et  Céliny  Bichez,  un  délicieux  duo  pour  violon  et  alto,  par 
MM.  Parent  et  Denayer,  etc. 

—  M.  ,\ndré  Tracol  a  repris,  pour  la  sixième  année,  ses  séances  d'histo- 
rique du  violon  et  de  musique  de  chambre,  dont  le  succès  ne  s'est  pas  démenti 
un  instant.  Le  programme  de  la  séance  de  réouverture  était  particulièrement 
intéressant  et  comprenait  :  quatuor  à  cordes  de  M.  Debussy  (MM.  Tracol, 
Dulauvens,  Monteux  et  Schneklud),  romance  du  2"  concerto  d'IIaheneck  et 
la  Babillarde,  étude  de  Mazas  (M.  Tracol),  air  à'Iphigénie  en  Aulide  de  Gluck 
(M^'^Auguez  de  Montalant),  li^f  concerto  de  Paganini  (M.  Tracol),  Nocturne 
et  la  Jeune  Captive  de  M.  Ch.  Lenepveu  (M"»"  Auguez  de  Montalant),  enfin, 
l^'  trio  avec  piano  de  M.  IL  Dallier  (l'auteur,  MM.  Tracol  et  Schneklud).  Ce 
programme,  très  riche  et  remarquablement  exécuté,  a  valu  de  vifs  et  légitimes- 
applaudissements  aux  artistes  qui  y  ont  pris  part. 


LR  MliNESTUEL 


69 


NOU^^BLLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


La  translation  du  corps  de  Verdi  dans  la  crypte  de  la  maison  de  refuge 
créée  par  lui  pour  les  musiciens  pauvres  a  eu  lieu  à  Milan  le  27  février,  un 
mois,  jour  pour  jour,  après  la  mort  de  l'illustre  artiste.  Voici  la  dépêche  de 
Milan  en  date  de  ce  jour,  27  février,  qui  faisait  connaître  les  détails  de  la 
cérémonie,  au  caractère  très  imposant  : 

Le  corps  de  Verdi  et  celui  de  sa  seconde  femme,  Giuseppina  Strepponi, 
ont  été  transférés  aujourd'hui  en  grande  pompe,  du  cimetière  monumental 
où  ils  reposaient  provisoirement,  à  l'asile  des  musiciens  fondé  par  le  grand 
compositeur.  Un  chœur  de  900  personnes,  sous  la  direction  de  Toscanini  et 
groupé  sur  les  marches  du  Famedio,  a  chanté  l'air  célèbre  de  Nabuchodonosor  : 
«  Pars,  pensée  aux  ailes  d'or.  » 

L'effet  de  cet  adieu  musical  a  été  imposant. 

Le  cortège  s'est  déroulé  sur  7  kilomètres,  dans  l'ordre  suivant  :  un  escadron 
de  cavalerie  et  un  de  gendarmerie,  la  musique  municipale,  les  élèves  du 
Conservatoire,  qui  porte  désormais  le  nom  dj  Verdi,  les  étudiants,  les  asso- 
ciations. Puis  venaient  les  chars,  couverts  de  nombreuses  et  magnifiques 
couronnes,  les  pompiers,  un  bataillon  d'infanterie  avec  musique  et  drapeau 
(honneurs  militaires  rendus  au  sénateur),  enfin  le  char  funèbre,  traîné  par 
six  chevaux,  surmonté  d'un  catafalque  portant  les  deux  cercueils.  Les  prin- 
cipaux personnages  suivant  le  char  funèbre  étaient  :  le  comte  de  Turin, 
représentant  le  roi  Victor-Emmanuel  III,  le  consul  général  allemand,  repré- 
sentant Guillaume  II,  M.  Henry  Roujon,  représentant  le  gouvernement  fran- 
çais, le  maire  de  Milan,  les  ministres,  les  présidents  du  Sénat  et  de  la 
Chambre  avec  de  nombreux  sénateurs  et  députés,  le  préfet,  le  conseil  muni- 
cipal, des  centaines  de  maires  et  de  délégations  venues  des  différentes  parties 
de  l'Italie,  parmi  lesquelles  celle  de  la  colonie  française.  Au  total,  plus  de 
cent  mille  personnes. 

A  la  remise  olBcielle  du  corps  au  directeur  de  l'asile  Verdi,  aucun  discours 
n'a  été  prononcé.  Une  animation  extraordinaire  règne  en  ville  en  raison  de 
l'énorme  aflluence  attirée  par  les  solennelles  funérailles. 

—  Sous  ce  titre  :  Notizie  suUa  vila  e  suile  opère  di  Domenico  Cimarosa,  M.  Pom- 
pée Cambiasi  vient  de  terminer,  dans  la  Gazzetta  musicale  de  Milan,  une  série 
d'articles  intéressants  et  très  documentés,  qui  forment  surtout  un  catalogue 
annoté  et  fort  utile  de  l'œuvre  si  considérable  de  l'illustre  maître  napolitain. 
Il  est  à  souhaiter  que  ce  travail  consciencieux  ne  reste  pas  enfoui  dans  les 
colonnes  d'un  journal  et  qu'il  soit  offert  au  public  sous  une  forme  plus  pra- 
tique. Pour  le  terminer,  M.  Cambiasi  reproduit  le  texte  authentique  de  l'acte 
de  baptême  et  de  l'acte  mortuaire  de  Cimarosa.  Ce  dernier,  daté  de  Venise, 
le  11  janvier  1801,  est  ainsi  conçu  : 

//  signor  Domenico  Cimarosa,  napolitain,  maestro  di  musica,  d'environ  45  ans,  lequel, 
après  une  maladie  de  huit  jours,  fut  attaqué  de  colique  bilieuse,  a  fini  de  vivre  ce  malin 
à  deux  heures  après  midi,  et  cela  sur  la  foi  du  médecin  Marco  Franco.  Il  sera  inhumé 
demain  à  quatre  heures  du  soir  en  notre  église,  avec  chapitre. 

Cimarosa  n'avait  point  4b  ans  environ,  comme  il  est  dit  ici,  mais  SI  ans, 
ainsi  qu'il  résulte  de  l'acte  de  baptême  dressé  à  Aversa,  qui  constate  qu'il 
naquit  en  cette  ville  le  17  décembre  1749.  Dans  ce  dernier,  le  nom  du  com- 
positeur est  ainsi  orthographié  :  Cimmarosa,  et  c'est  ce  qui  fait  que  le  muni- 
cipe  d'Aversa  en  donnant,  en  1866,  son  nom  à  une  rue  de  la  ville,  l'appela 
via  Cimmarosa.  Mais  l'usage  est  resté  d'écrire  le  nom  du  vieux  maître  avec 
une  seule  m,  d'autant  qu'il  est  constant  que  lui-même  ne  l'a  jamais  autre- 
ment écrit,  et  qu'il  a  toujours  signé  Cimarosa.  Cimarosa  mourut  à  Venise, 
dans  le  palais  Duodo,  au  Gampo  Sant'Angelo,  qui  servait  alors  d'hôtellerie, 
à  l'enseigne  des  Trois  Étoiles.  Comme  nous  l'avons  dit  dernièrement,  il  fut 
inhumé  dans  l'église  Sant'Angelo,  et  ses  restes  furent  dispersés  et  disparu- 
rent lors  de  la  destruction  de  cette  église  en  1837.  Ajoutons  enfin  que  la  ville 
d'Airersa  érigera  incessamment  à  sou  enfant  le  plus  illustre  un  monument 
superbe,  dû  au  sculpteur  Francesco  Jerace,et  qu'elle  fondera  pour  les  enfants 
pauvres  un  institut  auquel  elle  donnera  le  nom  de  Cimarosa. 

—  Les  élèves  des  écoles  communales  de  Bologne,  où  l'étude  du  solfège  est 
en  grand  honneur,  viennent  de  représenter  une  opérette  intitulée  i  Biscoltini 
di  Clara,  dont  la  musique,  «  un  joyau  qui  mérite  d'être  connu  »,  dit  un  cri- 
tique, est  due  à  leur  professeur,  le  jeune  maestro  Giambattista  Alberani. 

—  Une  société  musicale  de  Pesaro,  la  Terpsychore,  avait  ouvert  un  con- 
cours pour  la  composition  d'un  hymne,  concours  dont  le  vainqueur  a  été 
M.  Arnoldo  Bonazzi,  directeur  de  la  musique  municipale  de  Camerino.  Il  y 
avait  sans  doute  quelque  mérite,  si  l'on  en  juge  par  le  nombre  des  concur- 
rents, qui  n'était  pas  moins  de  cent  quatre-vingt-onze,  —  ce  qui  prouve  d'ail- 
leurs que  l'Italie  n'est  pas  encore  en  peine  de  compositeurs. 

■  —  L'histoire  est  assez  piquante.  L'Opéra  néerlandais  d'Amsterdam  vient 
de  représenter  avec  succès  le  Samson  et  Dalila  de  M.  Saint-Saëns,  et  tout 
aussitôt  le  compositeur  enchanté  adresse,  selon  la  coutume,  ses  félicitations 
au  directeur  et  aux  interprètes.  Le  directeur  s'empresse  d'envoyer  aux  jour- 
naux la  dépèche  de  l'ilfustre  maître  —  excellente  réclame.  Mais  dans  l'inter- 
valle M.  Saint-Saèns  apprend  qu'on  joue  sur  des  parties  d'orchestre  contre- 
faites et  qu'il  est  entièrement  frustré  de  ses  droits  d'auteur.  Aussitôt  le  ton 
change  et  il  envoie  à  son  tour  aux  journaux  du  pays  la  très  juste  réclamation 
que  voici  : 


«  Lorsque  j'ai  adressé  à  M.  van  der  Linden,  directeur  du  tliéàtre  communal  d'Amster- 
dam, une  dépêche  que  vous  avez  pubhée  et  dans  laquelle  je  le  remerciais  d'avoir  mis 
Samson  el  Dalila  au  répertoire  de  l'Opéra  néerlandais,  j'ignorais  que  mon  ouvrage  avait 
été  exécuté  non  sur  la  musique  fournie  par  mon  éditeur,  mais  sur  une  copie  venue  je  ne 
sais  d'où,  qui  peut  être  pleine  d'incorrections,  et  qui  a  été  certainement  obtenue  par  des 
moyens  frauduleux.  Permettez-moi  donc  de  m'adreaser  à  la  publicité  de  votre  journal 
pour  protester  contre  le  préjudice  artistique  et  matériel  qui  m'est  causé  et  contre  un  état 
de  choses  qui  permet  en  Hollande  qu'une  œuvre  d'art  soit  représentée  sans  l'autorisation 
des  ayants  droit.  Si  mes  remerciements  à  M.  van  der  Linden  doivent  être  considérés 
comme  non  avenus,  il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux  qui  s'adressaient  aux  interprètes, 
bien  innocents  en  pareil  cas  ». 

Cela  fait  naturellement  grand  bruit  dans  le  landerneau  hollandais.  M.  van 
der  Linden,  qui  est  coutumier  du  fait  et  joue  toutes  les  partitions  françaises 
au  moyen  du  même  procédé,  balbutie  que  c'est  bien  une  orchestration  authen- 
tique de  M.  Saint-Saëns  qu'il  se  serait  procuré  à  Vienne  (où  l'ouvrage  n'a 
cependant  jamais  été  joué)  !  Mais  comment  et  par  quel  moyen?  Il  aura  beau 
se  démener,  l'intention  frauduleuse  n'en  existe  pas  moins,  et  d'autant  plus 
qu'il  s'était  mis  tout  d'abord  d'accord  avec  l'éditeur  de  Paris,  M,  Durand, 
et  qu'il  s'était  fait  envoyer  un  traité  en  règle;  mais  au  dernier  moment,  pris 
comme  d'un  remords  de  son  acte  inaccoutumé  d'honnêteté,  il  avait  négligé 
de  retourner  signé  le  contrat  cependant  sollicité  par  lui  et  avait  préféré  en 
revenir  à  ses  anciennes  habitudes  de  piraterie.  Qui  pourra  donc  mettre  à  la 
raison  tous  ces  forbans  d'art  ? 

—  M.  Iiustave  Mahler,  directeur  de  l'Opéra  impérial,  vient  de  faire  exé- 
cuter une  œuvre  inédite  intitulée  la  Chanson  plaintive,  pour  soli,  chœurs  et 
orchestre,  qu'il  a  écrite  dans  sa  vingtième  année.  C'est  une  ballade  qui  se 
prête  fort  bien  à  la  composition  musicale,  mais  M.  Mahler  a  vraiment  abusé 
des  moyens  d'expression.  Il  lui  faut  quatre  solistes  di  primo  cartello,  trois 
cents  voix  de  chœur,  un  grand  orchestre  et  un  petit  orchestre  à  la  cantonade 
pour  illustrer  musicalement  sa  ballade  tirée  d'un  conte  populaire.  L'exécution 
de  cette  œuvre  sous  la  direction  de  l'auteur  était  admirable,  mais  le  succès 
n'a  pas  correspondu  tout  à  fait  à  cette  mobilisation  extraordinaire  de  forces 
musicales. 

—  On  annonce  de  Munich  que  M.  Siegfried  Wagner  a  été  invité  officiel- 
lement par  M.  de  Possart,  intendant  des  théâtres  royaux,  à  écrire  une  ouver- 
ture solennelle  pour  l'inauguration  du  nouveau  théâtre  du  Prince-régent, 
construit  selon  les  principes  de  Richard  Wagner  et  de  son  architecte  Semper. 
Le  jeune  maître  n'a  pas  encore  accepté  formellement;  pour  le  moment  il  est 
eu  froid  avec  le  théâtre  royal,  qui  n'a  pas  monté  avec  toute  la  diligence  voulue 
son  nouvel  opéra  intitulé  le  Petit  duc  Étourdi,  dont  la  première  représentation 
avait  été  fixée  au  26  février  dernier. 

—  L'orchestre  Kaim,  de  Munich,  vient  d'exécuter,  avec  un  succès  marqué, 
une  nouvelle  symphonie  que  son  jeune  auteur,  M.  Gustave  Brecher,  a  inti- 
tulé Symphonie  sociale.  Ce  titre  bizarre  n'a  pas  porté  préjudice  à  l'œuvre  vrai- 
ment intéressante.  M.  Brecher  est  actuellement  chef  d'orchestre  à  Vienne,  où 
M.  Mahler  l'a  fait  venir. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Hambourg  a  joué  avec  succès  un  opéra  pos- 
thume de  Cari  Gramman,  intitulé  Sur  terrain  neutre. 

—  Un  festival  musical  aura  lieu  en  juin  prochain  à  Zwickau,  ville  natale 
de  Robert  Schumann,  à  l'occasion  de  l'inauguration  du  monument  de  ce 
grand  artiste.  On  se  propose  d'exécuter  le  Paradis  et  la  Péri,  l'une  de  ses  œuvres 
les  plus  exquises. 

—  Une  grève  originale  bat  actuellement  son  plein  au  théâtre  national  de 
Prague.  Le  directeur,  M.  Kovarovic,  ayant  renvoyé  arbitrairement  un  mem- 
bre de  l'orchestre,  tous  les  camarades  de  celui-ci  ont  cessé  leur  service  et  se 
sont  mis  en  grève.  Le  directeur  ayant  alors  congédié  tout  son  orchestre,  les 
choristes  hommes  et  les  machinistes  ont  déclaré  la  grève  à  leur  tour.  L'affaire 
en  est  là,  et  le  théâtre  ne  peut  plus  jouer,  le  personnel  du  théâtre  allemand 
de  Prague,  que  M.  Kovarovic  a  voulu  embaucher,  ayant  décliné  la  proposi- 
tion, par  esprit  de  solidarité. 

—  On  vient  d'inaugurer  au  foyer  du  Grand-Théâtre  de  Varsovie  une  statue 
du  célèbre  compositeur  polonais  Stanislas  Moniuszko,  statue  qui  est  l'œuvre 
du  sculpteur  Marczewski. 

—  Le  compositeur  russe  Kosatchenko,  qui  s'occupe  depuis  plusieurs 
années  de  réunir  et  de  publier  les  mélodies  populaires  d'Arménie,  dont  le 
caractère  oriental  est  si  piquant,  a  donné  à  Saint-Pétersbourg  plusieurs 
concerts  arméniens  avec  un  succès  marqué. 

—  Les  jolies  admiratrices  russes  du  fameux  ténor  Masini,  les  Masinitska, 
comme  elles  s'intitulent,  sont  frappées  d'un  coup  terrible.  Le  a  divo  Masini  », 
qui  a  dépassé  la  soixantaine,  n'est  plus  en  mesure  de  supporter  le  climat  de 
Saint-Pétersbourg  et  a  quitté  l'Opéra  impérial  pour  aller  se  réchauffer  dans 
sa  patrie,  qui  d'ailleurs  est  affligée  de  trombes  de  neige  depuis  plusieurs 
semaines.  Pendant  toute  la  saison  courante  on  n'entendra  plus  cette  voix  qui 
grise,  et  peut-être  même  Masini  ne  reviendra-t-il  plus  jamais  sur  les  bords 
de  la  Neva,  où  il  a  récolté  pendant  le  dernier  quart  du  dix-neuvième  siècle 
des  applaudissements  et  des  roubles  innombrables.  Nous  ne  voyons  pas  trop 
quel  ténor  italien  pourrait  prendre  sa  succession  en  Russie  avec  le  bonheur 
qu'il  eut  lui-même  lorsqu'il  succéda  au  ténor  Calzolari,  jadis  si  célèbre  et 
aujourd'hui  si  totalement  oublié. 

—  Nous  avons  déjà  dit  que  M""-'  Adeliua  Patli  avait  pris  la  résolution  de 
vendre  son  superbe  domaine  de  Graig-y-Nos,  avec  le  magnifique  château 


70 


LE  MENESTREL 


qu  elle  y  a  fait  construire.il  est  aujourd'hui  décidé  que  la  vente  aux  enchères 
publiques  aura  lieu  à  Londres,  le  18  juin  prochain,  à  deux  heures  de  relevée, 
si  d'ici  là  il  ne  se  présente  pas  un  acquéreur.  On  parle  déjà  de  ducs  anglais, 
de  millionnaires  américains  et  de  princes  russes  qui  se  préparent  à  se  dispu- 
ter les  enchères.  Ce  qui  peut  paraître  singulier,  c'est  que  la  diva,  en  char- 
geant une  agence  de  la  vente,  l'a  en  même  temps  chargée  de  lui  acheter  un 
autre  château  en  Angleterre.  M™"^  Patti,  après  son  séjour  en  Suéde  avec  son 
nouvel  époux,  se  retirerait,  dit-on,  dans  cette  nouvelle  propriété.  Quoi  qu'il 
en  soit,  il  parait  que  les  habitants  du  village  voisin  de  Craig-y-Nos  sont  dé- 
solés du  départ  de  la  châtelaine,  qui  s'est  toujours  montrée  très  bienfaisante 
et  très  charitable  envers  les  pauvres. 

—  Un  nouveau  théâtre  vient  de  s'ouvrir  à  Londres,  l'ApoUo-Theàtre,  qui 
contient  environ  1.200  places,  et  dont  la  salle  charmante,  pleine  d'élégance, 
est  là  plus  confortable  des  salles  de  cette  dimension  qui  existent  dans  la 
capitale  anglaise.  L'ouverture  s'est  faite  par  une  bouiïonnerie  musicale  amé- 
ricaine, la  Belle  of  Bohemia,  paroles  de  M.  Harry  Smith,  musique  de  M.  L. 
Englander,  jouée  par  des  acteurs  américains,  MM.  Dave  Lewis,  Don  et 
Richard  Carie,  et  M"°^  Marie  George,  Laughiin,  Thorne  et  Marie  Dainton, 
cette  dernière  se  révélant,  dit-on,  comme  une  étoile  d'opérette  de  première 
grandeur.  Pièce,  acteurs  et  théâtre  ont  obtenu  un  véritable  succès. 

—  La  Gazzella  fonografica  italiana  nous  apprend  que  la  plus  vieille  chanteuse 
qui  ait  fait  graver  un  cylindre  de  phonographe  est  M"'^  Peggy  0.  Lean,  de 
Crotthaven  (L'iande).  Cette  très  vénérable  cantatrice,  qui  court  le  risque  d'être 
la  doyenne  de  la  corporation,  n'est  pas  âgée  de  moins  de  1 12  ans.  Elle  a  fait 
graver  un  cylindre  qui  a  parfaitement  réussi  et  qui  a  été  aussitôt  envoyé  à 
Londres,  à  la  compagnie  Edison. 

—  Deux  écrivains  et  deux  musiciens  espagnols  ont  eu  l'idée  au  moins 
originale  de  refaire  le  Barbier  de  Séville  et  de  le  faire  représenter  au  théâtre 
de  la  Zarzuela  de  Madrid,  où  leur  Barbero  de  Sevilla  parait  avoir  obtenu  un 
grand  succès.  Les  deux  auteurs  sont  MM.  Perrin  et  Palacios,  les  deux  com- 
positeurs MM.  Nieto  et  Jimenez,  et  l'ouvrage  a  pour  interprètes  M'i^=  Arana, 
Arrieta  et  Gonzalez  et  MM.  Romea,  Moncayo  et  Sigler. 

—  A  Madrid  aussi,  au  Théâtre-Comique,  on  a  donné,  avec  un  très  vit 
succès,  une  nouvelle  zarzuela,  la  Tia  Cirila,  paroles  de  M.  Jackson  Veyan, 
musique  de  M.  Nieto.  —  Par  contre,  une  revue  de  MM.  Delgado,  Arniches 
et  Lopez  Silva,  accompagnée  de  musique  de  M.  Montesinos,  el  Siglo  XIX,  a 
subi  une  chute  complète,  à  cause  de  son  «  incongruité  »  satirique. 

—  Nous  disions  récemment,  en  annonçant  l'apparition  d'un  nouveau  jour- 
nal, Cuba  musical,  que  la  grande  Antille  se  reprenait,  après  tant  d'événements, 
à  la  vie  artistique.  Ce  journal  précisément  nous  en  apporte  une  nouvelle 
preuve.  11  nous  apprend  en  effet  qu'un  opéra-comique  espagnol  inédit  en  deux 
actes,  los  SaUimbanquis,  dû  pour  les  paroles  à  M.  Cathos  Ciano,  pour  la  musi- 
que à  M.  Ignacio  Cervantes,  vient  d'être  représenté  à  la  Havane.  La  partition, 
il  est  vrai,  ne  parait  pas  meilleure  que  le  livret,  et  l'une  et  l'autre  accusent 
de  la  part  des  auteurs  une  inexpérience  un  peu  excessive.  II  y  a  là,  néanmoins, 
un  effort  intéressant  à  signaler. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Donc  l'Opéra  nous  a  rendu  Thaïs,  vendredi  dernier,  sans  même  s'in- 
quiéter s'il  en  avait  une  sortable  distribution,  sans  même  attendre  le  très 
prochain  retour  à  Paris  de  M.  Massenet.  C'est  que  M.  Gailhard  est  fort  pressé 
et  cela  se  conçoit.  Nous  avons  rapporté  jadis  que  les  auteurs  de  ce  charmant 
ouvrage,  mécontents  de  le  voir  toujours  tenu  à  l'écart,  avaient  fait  mine  d'en 
reprendre  possession,  s'armant  du  texte  même  du  traité  signé  par  la  direction 
de  l'Opéra  avec  la-Société  des  auteurs  et  qui  dit  que  le  compositeur  d'un  opéra 
pourra  toujours  le  retirer  du  théâtre  quand  il  n'aura  pas  été  représenté  au 
moins  dix  fois  eu  l'espace  de  trois  ans.  C'était  le  cas.  Mais  M.  Gailhard,  qui 
veut  bien  ne  pas  jouer  Thaïs  mais  qui  n'entend  pas  qu'on  puisse  jouer  ailleurs 
cette  œuvre  délicieuse  (toujours  l'éternelle  histoire  du  chien  du  jardinier  !), 
imagina  cet  étonnant  subterfuge  :  «  Les  auteurs  oublient  qu'en  avril  1898  ils 
ont  ajouté  un  tableau  à  leur  partition.  Gela  constitue  une  œuvre  nouvelle,  et 
les  délais  ne  doivent  partir  que  de  cette  époque  !  »  Les  auteurs,  timides,  s'in- 
clinèrent tout  en  protestant.  Or,  même  en  admettant  la  thèse  soutenue  par 
M.  Gailhard,  en  faisant  dater  Thaïs  seulement  du  13  avril  1898,  date  de  la 
reprise  avec  le  nouveau  tableau,  il  se  trouve  que  le  délai  fatal  des  trois  années 
expirera  le  13  avril  prochain,  et  que  comme  six  représentations  seulement  de 
la  nouvelle  version  ont  été  données  (13,  18,  22,  30  avril,  27  mai  et  14  juil- 
let 1898),  il  faut  d'ici  là  en  avoir  donné  quatre  encore.  De  là  la  hâte  de 
M.  Gailhard.  Mais  a-t-il  bien  réfléchi  que,  s'il  s'en  tient  à  ces  quatre  repré- 
sentations, dès  le  lendemain  du  i'i  avril,  il  ne  sera  plus  dans  les  délais,  que 
s'il  en  donne  une  cinquième,  il  n'y  sera  pas  davantage  après  le  18  avril,  et 
ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Il  ne  pourra  sortir  de  là  qu'en  main- 
tenant éternellement  Thais  sur  l'alBche.  Thais  assurément  est  une  œuvre  char- 
mante ;  mais  toujours  du  pâté  d'anguilles  !  Qu'en  penseront  les  abonnés  ? 

—  Toutes  les  foudres  de  M.  Gailhard  ne  nous  ont  pas  empêché  d'aller  voir 
samedi  \a.  nouvelle  Aslarté  de  M.  Xavier  Leroux.  Une  paire  de  lunettes 
bleues  ajustée  sur  un  faux  nez  nous  a  permis  de  passer  inaperçu  sous  l'œil 
attentif  du  contrôleur.  Aslarté  n'est  certes  pas  une  œuvre  indifférente.  Dans 
ces  excès  de  sonorité  mêmes  elle  dénote  un  tempérament  musical  vigoureux 
et  non  dépourvu  de  grandeur,  qui  pourra  donner  de  beaux  résultats,  quand 
il  aura  perdu  toutes  les  exubérances  de  jeunesse  qui  l'entrainent  trop  loin. 


A  remarquer  souvent  d'excellents  effets  de  coloris.  C'est,  en  somme,  une 
musique  fort  décorative.  De  la  mise  en  scène  dans  son  ensemble  nous  ne 
pouvons  rien  dire.  Placé  dans  une  avant-scène  du  rez-de-chaussée,  pas  bien 
loin  de  votre  propre  loge,  ô  Gailhard,  nous  n'avonspu  apercevoir  que  des  pro- 
fils. Mais  quels  profils!  Un  autre  soir  nous  irons  juger  du  coté  face.  Souhaitons 
en  attendant  que  M.  Béranger  n'aille  pas  faire  un  tour  dans  ces  parages 
effrontés.  Du  train  où  vont  les  choses,  attendons-nous,  d'ici  quelques  années, 
à  y  voir  tomber  les  derniers  voiles. 

—  C'est  bien  décidément  jeudi  prochain  7  mars,  a  deux  heures,  qu'aura 
lieu,  dans  la  grande  salle  de  la  Sorbonne,  la  cérémonie  consacrée  à  la  mé- 
moire de  Verdi.  Après  un  discours  de  M.  Georges  Leygues,  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  parlant  au  nom  du  gouvernement, 
un  discours  de  M.  Jean-Paul  Laurens,  au  nom  de  l'Institut,  et  la  lecture,  par 
M.  Clovis  Hugues,  d'une  poésie  écrite  pour  la  circonstance,  le  programme 
suivant  sera  exécuté  :  la  Marseillaise,  Jane  Foscari  (fantaisie),  et  la  Marche 
royale  italienne,  par  l'orchestre  de  la  garde  républicaine  ;  Ouverture  des  Vêpres 
siciliennes,  par  l'orchestre  de  l'Opéra.  Prière  à  la  Vierge  (paraphrase  de  Dante), 
dernière  œuvre  de  Verdi,  quatuor  vocal  par  M"""^»  Ackté.  Grandjean,  Héglon 
et  Flahaut  de  l'Opéra.  Marche  à' Aida,  par  l'orchestre  et  la  fanfare  de  l'Opéra. 

—  On  sait  qu'un  comité  s'est  constitué  à  Milan  sous  la  présidence  de 
M.  Mussi,  maire  de  cette  ville,  pour  y  élever  un  monument  international  à 
la  gloire  de  Verdi.  A  ce  comité  général  vont  s'adjoindre  d'autres  comités 
particuliers  institués  dans  chaque  pays.  Celui  de  Paris  sera  sous  la  prési- 
dence de  M.  Sardou  et  comprend  déjà  les  noms  de  MM.  Théodore  Dubois, 
Gailhard,  Carré,  Camille  Beilaigue,  Alfred  Bruneau,  Henri  Heugel  etCaponi. 
On  attend  les  adhésions  de  MM.  Massenet,  Ludovic  Halévy,  comte  Isaac  de 
Camondo  et  d'autres  encore. 

—  A  l'occasion  de  l'Exposition  universelle,  ont  été  nommés  :  Officiers  de 
l'instruction  publique  ;  MM.  Cuq,  directeur  de  la  Société  chorale  «  Clémence 
Isaure  »,  à  Toulouse;  O'Kelly,  attaché  à  la  maison  Pleyel-"Wo!ff-Lyon  (hors 
concours);  Meister,  chef  de  musique  du  1'=''  régiment  du  génie;  Papaïx,  sous- 
chef  de  musique  de  la  garde  républicaine;  Suzanne,  chef  de  musique  au 
89'  d'infanterie,  à  Paris.  —  Officiers  d'Académie:  MM.  Blin,  chef  de  musique 
de  1"  classe,  à  l'école  d'artillerie  de  Vincennes;  Bonnelle,  chef  de  musique 
du  24"  d'infanterie,  à  Paris;  Goldebœuf,  ancien  président  des  Sociétés  musi- 
cales du  Bon  Marché,  à  Paris  ;  Guignard,  chef  de  musique  du  46"  d'infanterie, 
à  Paris;  d'Haëne,  directeur  de  l'usine  Pleyel-Wolff-Lyon,  à  Saint-Denis; 
Heymès,  secrétaire  du  Congrès  international  de  musique,  à  Paris;  M""  Jérôme, 
professeur  de  musique,  à  Paris;  Schmidt,  chef  de  musique  au  76''  d'infan- 
terie, à  Paris;  Veluard,  fabricant  d'instruments  de  musique,  à  Paris  (maison 
Couesnon  et  C'«,  hors  concours);  Vialelle,  chef  orphéoniste  de  la  Société 
«  Clémence  Isaure  »,  à  Toulouse. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra-Gomique  :  en  matinée. 
Mignon;  le  soir,  Manon. 

—  L'Opéra-Comique  donnera,  le  mardi  12  février,  une  matinée  extraordi- 
naire au  bénéfice  de  M""»  Fanny-Génat  qui,  pendant  cinquante  ans,  a  appar- 
tenu successivement  à  l'Opéra,  au  Vaudeville  et  tout  dernièrement  à  l'Opéra- 
Gomique.  Les  organisateurs  de  cette  matinée,  MM.  Adrien  Bernheim,  Louis 
Varney,  Léon  Gandillot  et  M.  Albert  Carré,  directeur  de  l'Opéra-Comique, 
ont  obtenu,  dès  maintenant,  le  concours  de  M">'  Bartet  et  de  M.  Le  Bargy, 
qui  joueront  un  acte  d'Alfred  de  Musset,  ainsi  que  de  M""  Jeanne  Granier  et 
de  M.  Brasseur,  qui  joueront  un  acte  du  répertoire  des  Variétés.  Le  programme 
comprendra  en  outre  un  acte  de  Louise.  Le  public  de  ce  genre  de  spectacles 
est  grand  amateur  d'inédit.  Il  veut  voir  ce  que  les  autres  publics  ne  verront 
pas.  Il  sera  servi  à  souhait,  car  une  représentation  unique  lui  sera  donnée 
des  Refrains  d'Ojfenbach,  la  charmante  fantaisie  improvisée  par  MM.  Louis 
Varney  et  Léon  Gandillot  pour  une  fête  oflîcielle  de  l'Exposition,  et  dont  le 
matériel,  décors,  costumes,  etc.,  a  été  mis  à  la  disposition  de  M.  Albert  Carré 
par  M.  Samuel.  L'interprétation  réunira  sur  l'affiche,  en  plus  de  M'""'  Judic, 
Si  mon-Girard,  Lavallière,  de  M.  Noblet,  qui  appartiennent  aux  Variétés,  les 
noms  de  Coquelin  cadet,  des  sœurs  Mante,  de  l'Opéra,  de  M""*  Guiraudou, 
Craponne,  de  M.  Jean  Périer,  de  l'Opéra-Comique,  de  M"»'  Burty  et  Debeyre, 
de  M.  Vauthier.  Malgré  l'attrait  exceptionnel  de  cette  matinée,  le  prix  des 
places  sera  celui  du  tarif  ordinaire  de  l'Opéra-Comique,  sauf  pour  les  pre- 
miers rangs  de  fauteuils  d'orchestre  et  les  deux  premiers  rangs  de  fauteuils 
de  balcon,  dont  le  prix  est  porté  à  vingt  francs  la  place. 

—  On  annonce  pour  mardi  prochain  à  l'Opéra-Populaire,  la  première  repré- 
sentation de  Charlotte  Corday,  le  nouvel  opéra  de  MM.  Alexandre  Georges  et 
Armand  Silvestre. 

—  Maurel,  vous  savez  bien,  le  grand  Victor  Maurel,  Eh  !  bien,  il  va  s'es- 
sayer dans  la  comédie.  Il  jouera  au  théâtre  des  Capucines,  à  côté  de 
M""=  Charlotte  "Wiehe,  un  rôle  dans  une  pièce  eu  trois  actes  de  MM.  de  Croisset 
et  de  Waleffe  :  Le  je  ne  sais  quoi!  Pourquoi  cette  subite  détermination?  Est- 
ce  parce  qu'il  sent  sa  voix  défaillir  et  qu'il  songe  à  trouver  de  nouveaux 
débouchés  pour  son  talent?  Pas  du  tout!  Si  vous  l'interrogiez,  il  vous  dirait 
qu'il  est  plus  en  voix  que  jamais  et  qu'on  s'en  apercevra  prochainement  à 
l'Opéra-Comique,  lors  Se  la  reprise  de  Falstaff  déjà  annoncée.  Quoi,  alors? 
Une  interwiew  prise  par  le  Figaro  va  nous  l'apprendre  : 

. . .  Maurel  ne  rit  pins.  11  parle  d'une  voix  sourde,  mais  d'une  vois  où  l'on  devine  un 
élan  contenu,  une  ardeur  qui  se  retient.  Ses  jeux  s'enllamment  et  son  geste  s'élargit  :  J'ai 
trouvé,  dit-il,  qu'il  était  de  mon  devoir  d'élucider  une  question  qui  a  préoccupé,  de  tout 
temps,  ceux  qui  s'intéressent  à  l'art  de  la  déclaniation  pailée  et  cliantée.  Cette  question, 


LE  MENESTREL 


71 


la  voici  :  «  l>eut-oa  parier  et  chanter  en  même  temps,  sans  que  la  voix  cliantée  ait  à  souf- 
Irir  d'une  manière  sensible  de  ce  douille  emploi  de  l'organe?  «  La  voix  est  une.  Les 
modes  d'emploi  seuls  varient.  11  est  donc  de  toute  importance  de  se  rendre  compte,  par 
la  pratique,  de  la  mesure  exacte  dans  laquelle  on  peut  chanter  et  parler  dans  une  œuvre 
de  larjîe  envergure.  J'ai  fait  un  ouvrage,  que  voici.  C'est  ma  contribution  à  l'édification 
de  la  science  de  la  voix.  Des  amis  éminents  me  pressent  de  le  publier.  Je  n'ai  pu  m'y 
résoudre,  car  si  je  connais  à  tond  toutes  les  difficultés  qui  se  peuvent  présenter  dans  l'in- 
terprétation d'un  grand  drame  musical,  il  reste  pour  moi  bien  des  points  obscurs  dans  la 
pratique  de  la  voix  parlée.  11  manquait  donc  à  mon  ouvrage  ce  chapitre.  Ce  chapitre,  je 
l'écrirai  lorsque,  pendant  quelque  temps,  j'aurai  joué  la  comédie.  » 

Il  l'écrirai  C'est  simple,  c'est  beau,  c'est  grand.  Gomme  son  ami  G-ailhard, 
Victor  Maurel  ne  cessera  de  nous  étonner  par  ses  merveilleuses  inventions. 

—  Et  puisque  nous  parlons  par  hasard  du  directeur  de  l'Opéra,  ne  manquons 
pas  de  ramasser  cette  jolie  perle  trouvée  dans  une  réclame  d'un  «  écho  de 
théâtre  ».  Il  s'agit  ici  de  l'heureux  début  d'une  basse  chantante  dans  le  per- 
sonnage de  Méphistophélès  de  Faust,  et  l'échotier  constate  que  l'artiste  y  a 
déployé  beaucoup  des  qualités  qu'y  montrait  lui-même  autrefois  M.  Gailhard, 
«  le  prototype  du  roie  ».  Qui?  Quoi?  Gailhard  le  prototype  du  rôle?  ce  gros 
garçon  court  et  replet,  cette  voix  bourdonnante  et  empâtée!  Eh!  bien,  et 
M.  Faure? 

—  C'est  dimanche  prochain  que  sera  donné  aux  Concerts-Colonne  le  fes- 
tival Massenet,  dont  le  programme  comprendra  l'ouverture  de  Brumaire 
(i"  audition),  la  suite  d'orchestre  sur  Phèdre  (1"  audition),  l'arioso  du  Roi  de 
Lahore  et  le  Chant  provençal  chantés  par  M.  Lassalle  de  l'Opéra,  l'air  d'Eve  et 
l'extase  de  la  Vierge  chantés  par  M"''  Mathieu  d'Ancy,  la  Méditation  de 
Thaïs,  exécutée  par  M.  Jacques  Thibaud,  et  la  suite  à'Esclarmonde. 

—  L'Association  des  jurés  orphéoniques  a  tenu  sa  quatrième  assemblée 
générale  samedi  dernier,  salle  Pleyel,  sous  la  présidence  de  M.  Emile  Pessard. 
Après  avoir  constaté  l'importance  prise  par  l'Association  des  jurés  depuis 
quatre  ans  à  peine  qu'elle  est  fondée,  le  président  annonce  que  de  nouveaux 
concours  de  composition  musicale  vont  être  ouverts  par  l'Association . 
M.  Pessard  fait  savoir  aussi  que  la  cantate  Fraternité,  qui  a  obtenu  le  prix  de 
mille  francs  au  dernier  concours,  va  être  exécutée  à  la  fête  de  jour  donnée 
au  palais  des  Champs-Elysées  par  le  conseil  général  de  la  Seine  et  le  conseil 
municipal  de  Paris.  L'exécution  sera  digne  de  l'œuvre  de  MM.  Th.  Botrel  et 
Ernest  Lefèvre,  car  Froterraifé  aura  pour  interprètes  les  chanteurs  de  la  société 
«  l'Euterpe  »,  l'orchestre  des  concerts  Lamoureux  et  la  musique  de  la  garde 
républicaine.  En  tout,  plus  de  300  exécutants. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  la  chapelle  des  Dames  Bernardines,  à  Cambrai, 
un  orgue  réparti  sur  deux  claviers  à  main  et  pédalier,  instrument  sortant 
des  ateliers  de  la  maison  Merklin  et  C'"  de  Paris.  La  cérémonie  était  présidée 
par  Mgr  Sonnois,  archevêque,  et  l'orgue  était  tenu  par  M.  Paul  Devred,  orga- 
niste de  la  basilique  métropolitaine.  M.  Devred  a  fait  valoir  dans  des  pièces 
de  MM.  Théodore  Dubois,  Rousseau,  Guilmant,  etc.,  et  quelques-unes  de  ses 
compositions,  les  différents  jeux  de  ce  charmant  modèle.  Le  hautbois,  la  flûte, 
la  voix  céleste,  ont  ravi  l'auditoire  par  leurs  jolis  timbres,  et  la  belle  sonorité 
de  l'orgue  a  rallié  tous  les  suffrages.  Grand  succès  pour  l'excellent  organiste, 
et  aussi  pour  les  intelligents  facteurs,  qui  ont  reçu,  avec  les  remerciements  de 
tous,  les  sincères  félicitations  des  experts  pour  le  beau  résultat  obtenu. 

—  M.  Emile  Labussière,  maire  de  Limoges,  n'est  sans  doute  pas  un  dilet- 
tante forcené,  à  en  juger  par  l'arrêté  suivant,  qu'il  vient  de  prendre  pour 
réglementer  (on  ne  saurait  trop  réglementer,  dans  notre  beau  pays  de  France) 
l'usage  de  la  musique  et  des  cloches  dans  sa  commune: 

Le  maire  de  la  commune  de  Limoges  ; 

Vu  la  loi  du  5  avril  1884, 

Vu  le  règlement  général  de  police  de  Limoges  : 

Considérant  que  certaines  difficultés  se  sont  élevées  sur  l'application  et  l'interprétatio  n 
de  l'article  245  du  règlement  général  de  police,  notamment  sur  le  point  de  savoir  si  les 
prescriptions  dudit  article  étaient  bien  applicables  aux  sonneries  de  cloches  ; 

Qu'il  importe,  afin  de  faire  disparaître   toute  difficulté,  d'adopter  un  texte  précis  ne 
permettant  aucun  doute  :. 
Arrête  : 

Article  premier.  —  L'article  245  du  règlement  général  de  police  est  modifié  de  la  ma- 
nière suivante  ; 

«  Art.  245.  De  huit  heures  du  soir  à  six  heures  du  matin,  depuis  le  l"'  octobre  jusqu'au 
31  mars,  et  de  dix  heures  du  soir  à  cinq  heures  du  matin  en  tout  autre  temps,  il  est 
défendu  de  jouer  de  tout  instrument  bruyant  et  de  nature  à  incommoder  les  voisins. 

»  Les  sonneries  de  cloches  dans  les  éghses  et  chapelles  des  particuliers  ou  des  commu- 
nautés religieuses  sont  soumises  aux  susdites  prescriptions.  » 

Art.  2.  —  JI.  le  commissaire  central  de  police  est  chargé  de  l'exécution  du  présent 
arrêté. 

Fait  à  Limoges,  hôtel  de  ville,  le  19  février  1901. 

Le  maire,  Emile  Labussière. 

L'arrêté  en  question  ne  nous  semble  pas  de  nature  à  satisfaire  tout  le 
monde.  Bon  pour  ceux  qui  se  couchent  de  bonne  heure,  et  qui  seront  sûrs 
d'être  tranquilles  à  partir  de  huit  ou  dix  heures  du  soir,  selon  la  saison  ;  mais 
fâcheux  pour  ceux  qui  se  lèvent  tard  et  qui,  dès  cinq  heures  du  matin  en  été 
et  six  heures  en  hiver,  pourront  être  impitoyablement  réveillés  par  un  ama- 
teur de  trombone  ou  de  contrebasse  désireux  de  s'instruire  et  de  ne  pas  perdre 
de  temps  pour  profiter  delà  liberté  qui  lui  est  octroyée  par  l'arrêté  munici- 
pal. C'est  égal,  on  peut  croire  que  M.  le  maire  de  Limoges  n'aime  ni  là 
musique  ni  les  carillons. 

—  De  Lyon  :  Le  Grand-Thèàtre  vient  de  donner  le  Siegfried  de  Wagner. 
Si  l'on  tient  compte  de      difficulté  de  l'œuvre,  tant  au  point  de  vue  des  chan- 


teurs qu'à  celui  de  l'orchestre,  on  peut  considérer  que  l'effort  a  été  énorme 
et  le  résultat  des  plus  artistiques,  en  dépit  des  comparaisons  oiseuses  avec  les 
exécutions  d'Allemagne,  ou  des  plaintes  formulées  par  les  snobs  intransigeants 
à  l'égard  de  coupures,  nombreuses  il  est  vrai  et  pas  toujours  très  adroites,  mais 
indispensables  en  raison  de  la  durée  inusitée  de  la  partition.  Si  le  sujet  lui  a 
paru  obscur  (ainsi  détaché  de  l'Or  dw  Rhin  et  de  la  Walkyrie  qui  le  préparent 
et  l'expliquent)  et  l'affabulation  parfois  puérile,  le  public  a  souligné  par  des 
applaudissements  nombreux  les  pages  maîtresses  telles  que  la  scène  de  la 
forge,  les  murmures  de  la  forêt  déjà  popularisés  ici  par  les  concerts  sympho- 
niques,  la  magnifique  scène  entre  Wotan  et  Erda  et  tout  l'admirable  duo 
d'amour  qui  termine  l'œuvre.  L'interprétation  est  fort  convenable.  Il  faut 
citer  M.  Hyacinthe,  qui  a  fait  de  Mime  une  création  remarquable  :  voix, 
scène,  mimique,  tout  est  à  louer  chez  cet  excellent  et  consciencieux  artiste. 
M.  Scaramberg  supporte  sans  faiblir  le  terrible  rôle  de  Siegfried,  qu'il  chante 
avec  une  ardeur  juvénile  et  une  diction  excellente.  MM.  Artus  (Albérich),  de 
Cléry  CWotan),  Sylvain  (Tafuer),  M^'s  Eva  Romain  (Erda),  Laffargue  (Bru- 
nehilde),  de  Gamilli  (l'Oiseau),  ont  droit  à  des  louanges  méritées.  Mais,  par- 
dessus tout,  il  faut  féliciter  l'orchestre  et  son  chef,  M.  Miratme,  qui  ont  donné 
de  cette  partition,  redoutable  entre  toutes,  une  exécution  sinon  parfaite,  du 
moins  telle  qu'avec  les  éléments  dont  on  peut  disposer  ici,  et  le  travail  et  la 
fatigue  du  répertoire  quotidien,  on  n'en  saurait  désirer  de  meilleure.  On 
s'occupe  à  présent  de  Princesse  d'A.uberge,  de  Jan  Blockx,  qui  passera  bientôt, 
et  d'une  reprise  A'Esclarmonde,  de  Massenet.  J.  J. 

—  M.  Julien  Tiersot  a  fait  dimanche,  à  Lyon,  à  la  Société  des  Amis  de 
l'Université  et  devant  un  auditoire  exceptionnellement  nombreux  et  brillant, 
une  conférence  sur  la  chanson  populaire  qui  a  obtenu  un  très  grand  succès. 
Étudiant  l'histoire  de  la  chanson  à  travers  les  âges,  il  a  montré  quel  inépui- 
sable fonds  offre  aux  compositeurs  de  tous  les  temps  le  folk-lore  de  tous  les 
pays,  et  parlé  des  emprunts  que  n'ont  pas  dédaigné  d'y  faire  les  plus  grands 
maîtres,  depuis  Bach  et  Beethoven  jusqu'à  Lalo  et  Saint-Saëns.  M.  Tiersot 
avait  très  judicieusement  choisi  des  exemples  qu'il  a  chantés  lui-même  d'une 
fort  agréable  voix  et  avec  une  expression  intense  :  le  Retour  du  Marin,  Passant 
par  la  Lorraine,  Pierre  et  sa  Mie,  la  Maumariée,  le  Pauvre  Laboureur,  les  Noces 
de  l'Alouette  et  du  Moineau,  etc.  —  M.  Jemain  accompagnait  au  piano  ces  mé- 
lodies harmonisées  par  le  conférencier. 

—  M.  J.  Tiersot  a  continué  cette  série  de  conférences  et  d'auditions  à  Gre- 
noble et  à  Roanne,  où  a  été  également  exécutée,  sous  sa  direction,  sa  suite 
d'orchestre  ;  Danses  populaires  françaises.  —  A  Grenoble,  ayant  été  amené  à 
parler  incidemment  de  Berlioz,  il  a  rappelé  que  l'illustre  musicien  dauphi- 
nois est  né  en  1803,  et  qu'ainsi  dans  deux  ans  sera  l'année  de  son  centenaire, 
et  il  a  exprimé  le  vœu  que  cette  fête  de  l'art  fût  célébrée  dignement  dans  le 
pays  natal  du  maître  comme  à  Paris. 

—  La  série  continue.  Encore  de  très  vifs  succès  pour  Cendrillon  à  Toulon 
et  à  Dijon:  «  L'interprétation  de  Cendr/Won,  dit  un  des  principaux  journaux 
de  cette  dernière  ville,  est  tout  à  fait  remarquable  ;  c'est  M"»  Caux  qui  per- 
sonnifie Cendrillon,  elle  y  est  tout  aimable  et  charmante,  émue  et  gracieuse, 
prodiguant  avec  vaillance  sa  jolie  voix  si  fraîche,  si  richement  timbrée. 
M"=  Caux  a  été  applaudie  et  rappelée  avec  enthousiasme  à  chaque  acte  ;  elle 
va  conduire  la  pièce  à  un  nombre  de  représentations  inconnu  jusqu'alors  à 
Dijon  ». 

—  D'autre  part  on  nous  écrit  de  Brest  que  la  première  de  cette  même 
Cendrillon  a  été  l'événement  capital  de  la  saison.  L'œuvre,  montée  avec  «  une 
intelligente  appropriation  des  moyens  dont  peut  disposer  le  théâtre,  a  obtenu 
le  même  grand  succès  que  partout  où  elle  est  représentée  avec  soins.  »  Une 
innovation  :  le  rôle  du  Prince  Charmant  avait  été  confié  au  ténor  léger, 
M.  Gueury,  qui  y  a  énormément  plu,  grâce  à  sa  jolie  voix  et  à  son  physique 
agréable.  Orchestre  à  féliciter.  La  belle  réussite  de  l'œuvre  exquise  de 
M.  Massenet  a  valu  au  directeur,  M.  Péronnet,  sa  renomination  pour  la 
saison  prochaine. 

—  De  Nantes  :  Massenet,  qui  a  déjà,  cette  saison,  vu  le  succès  de  sa  Cen- 
drillon sni  aotre  théâtre  Graslîn,  vient  d'en  remporter  un  nouveau  avec  Thaïs, 
qui  n'avait  pas  encore  été  donnée  ici.  L'œuvre,  montée  avec  soin  par  M.  'Vil- 
lefranck  et  très  bien  chantée  surtout  par  M""  Cbolain,  a  su  rallier  tous  les 
suffrages.  La  salle  entière  a  bissé  d'acclamation  la  célèbre  Méditation  jouée 
en  perfection  par  M.  Piédeleu.  —  Ces  jours-ci  on  a  fait  une  très  excellente 
reprise  de  Manon  avec  M'™  Cholain,  MM.  Codou,  Edwy  et  Féraud  de  Saint- 
Pol,  ce  qui  donne  un  ensemble  comme  rarement  nous  en  avions  eu  un.  Et, 
entre  temps,  Cendrillon  est  arrivée  à  sa  quinzième  représentation.  Voilà  un 
chiffre  qui  se  passe  aisément  de  tout  commentaire  et  doit  bien  étonner  quel- 
ques niais  prétentieux  de  notre  presse  locale. 

—  C'est  de  Nîmes,  cette  fois,  que  nous  avons  à  enregistrer  une  nouvelle 
belle  victoire  pour  la  toujours  triomphante  Louise.  Et  la  réussite  complète  est 
aujourd'hui  significative,  Nimes-la-protestante  n'étant  ni  un  centre  artistique 
des  plus  cultivés,  ni  une  ville  susceptible  de  gratifier  son  théâtre  de  bien 
larges  ressources.  Mais  l'ouvrage  avait  été  monté  par  un  directeur  croyant, 
M.  Valcourt.  qui  n'a  pas  ménagé  ses  efforts,  et  par  un  chef  d'orchestre  très 
convaincu,  M.  Tarlanac,  et  dès  le  premier  acte  le  public,  si  peu  habitué 
pourtant  aux  manifestations  artistiques  nouvelles,  était  conquis  par  l'œuvre 
de  Gustave  Charpentier.  L'enthousiasme  fut  tel,  au  cours  de  toute  la  soirée, 

■  que  l'auteur  dut  venir  sur  la  scène  plusieurs  fois.  A  son  triomphe  personnel, 
Charpentier  associa  ses  vaillants  interprètes,  M.  Rouard,  le  Père,  M"»  Fré- 
mont  Louise,  M-"»  Darloff,  la  Mère  et  M.  Zocchi,  Julien,  avec  lesquels  il  est 


LE  MÉNESTREL 


juste  de  citer  encore  M"=s  Dupont,  Dancourt,  Faure,  MM.  Malzac,  Cormetty,  etc. 
Louise  vient  donc  de  recevoir  le  baptême  des  «  petites  villes  »  ;  l'expérience, 
si  pleinement  concluante,  était  curieuse  à  tenter. 

—  De  Toulouse  :  Le  théâtre  du  Capitole  vient  de  nous  donner  la  première 
représentation,  ici,  A'Àndré  Ckénier,  drame  historique  de  M.  Umberto  Gior- 
dano,  qui  n'a  encore  été  joué  en  France  qu'à  Lyon  et  à  Marseille.  C'était  donc 
une  grande  nouveauté.  Le  don  de  faire  vivre  les  masses,  d'animer  les  tableaux, 
de  donner  le  mouvement,  que  possède  à  un  haut  degré  le  jeune  compositeur 
italien,  a  conquis  le  public  toulousain.  L'interprétation  à'André  Ckénier  était 
d'ailleurs  très  louable  avec  M""^  de  Meyrianne,  une  dramatique  Madeleine, 
M.  Beyle,  un  farouche  et  vibrant  Gérard,  et  M.  Soubeyran,  un  Chénier  de  bel 
organe.  Orchestre  excellent  sous  la  direction  de  M.  Tapponier,  et  mise  en 
scène  curieuse.  C'est  un  succès  de  plus  à  l'actif  do  nos  directeurs. 

—  On  vient  de  représenter  à  Alger  un  drame  lyrique  inédit  intitulé  la  Ven- 
detta, dont  un  jeune  compositeur  débutant,  M.  Charles  Berlandier,  a  écrit  la 
musique  sur  un  poème  de  M.  Eugène  Lefebvre.  L'ouvrage,  dont  l'action  se 
passe  en  Corse,  est  d'un  caractère  très  dramatique  qui  a  été  très  bien  saisi, 
dit-on,  par  le  musicien,  dont  la  partition  est  remarquable.  La  Vendetta  a  pour 
principaux  interprètes  M°«^  Gervaix,  MM.  Perrens,  Gaillard  et  Lafont. 

—  La  ville  de  Pau  vient  d'acquérir,  avec  le  concours  de  l'Etat,  pour  orner 
un  de  ses  nouveaux  jardins,  la  statue  de  Jélyotte,  le  célèbre  ténor  du  dix- 
huitième  siècle,  qui  fut  professeur  de  chant  à  la  cour  de  Louis  XV,  et  qui 
obtint  à  l'Opéra  des  succès  très  retentissants  dans  les  œuvres  de  Rameau.  La 
statue  est  l'œuvre  du  sculpteur  Ducuing.  Elle  sera  élevée  sur  un  socle  qui 
est  dû  à  l'architecte  Bertrand.  Jélyotte  était  un  enfant  du  Béarn  (comme  les 
chanteurs  Saléza,  Fournets  et  Bartet).  Il  vit  le  jour  à  Lasseube,  dans  l'arron- 
dissement d'Oloron.  Le  maire  de  Pau  et  le  préfet  des  Basses-Pyrénées  ont 
convié  M.  Leygues  à  l'inauguration  de  la  statue  de  Jélyotte,  et  l'Opéra  a  fait 
espérer  son  concours  aux  fêtes  organisées  à  cette  intention  au  palais  d'Hiver. 

—  Nous  lisons  dans  le  Courrier  de  la  Rochelle  :  Le  dernier  concert  de  la  Société 
philharmonique  a  été  très  brillant.  Le  succès  de  M"«  Albertine  Magnien,  la 
remarquable  violoniste,  a  été  très  grand.  Elle  a  joué  avec  une  autorité  incon- 
testable le  concerto  en  mi  de  Vieuxtemps,  la  romance  en  fa  de  Beethoven,  et 
le  beau  Nocturne-Méditation  de  Ch.  Dancla,  qui  fait  si  bien  valoir  sa  belle 
qualité  de  son. 

—  La  ville  de  Saint-Quentin  (Aisne)  demande  un  chef  de  musique  qui  serait 
directeur  de  l'École  municipale  de  musique  et  chef  de  l'Harmonie  municipale 
en  formation.  Ce  directeur  serait  aussi  professeur  d'harmonie.  Les  candidats 
devront  connaître  l'orchestration  symphonique  et  militaire.  Le  choix  du 
candidat  pourra  se  faire  au  concours,  si  l'administration  le  juge  utile.  Les 
demandes  devront  être  adressées  au  maire  de  la  ville  deSaint-Queniin  avant 
le  31  mars  prochain,  dernier  délai.  Elles  seront  accompagnées  des  références. 
Les  appointements  seront  de  3.bOO  francs  par  an. 

—  Beaucoup  de  monde  salle  Charras  pour  M.  Paul  Seguy,  le  distingué  pro- 
fesseur de  chant,  dans  sa  causerie-concert  sur  :  c  Les  moyens  de  suppléer  à 
l'orchestre  dans  l'intimité.  »  La  thèse,  très  bien  présentée,  est  celle-ci  :  la 
musique  moderne,  dont  la  polyphonie  est  si  complexe  et  souvent  si  compli- 
quée, ne  trouve  pas  dans  le  piano  seul  un  interprète  suffisant;  il  faut  abso- 
lument s'adjoindre  d'autres  instruments;  le  plus  indiqué  est  l'harmonium 
employé  avec  adresse  et  discrétion,  qui  joint  à  ses  timbres  variés  le  rare 
mérite  d'être  expressif  et  de  tenir  les  sons.  —  Un  très  beau  concert  a  permis 
de  juger  de  la  vérité  de  ces  théories.  Au  programme,  les  plus  belles  œuvres 
de  Gluck,  Massenet,  Franck,  Méhul,  Th.  Dubois,  Saint-Saëns,  etc.,  etc.  — 
Parmi  les  interprètes  les  plus  fêtés,  U'"'  Blanche  Huguet,  M""  Laval,  MM.  P. 
Seguy,  Letocart,  Jullien,  Garas,  etc.,  etc. 

—  MM.  Ballard,  de  l'Opéra,  et  GouUet,  de  la  Société  des  concerts,  viennent 
d'ouvrir  à  l'Athénée-Saint-Germain,  sous  le  titre  d'Institut  Saint-Germain, 
des  cours  d'instruction  musicale  pour  lesquels  ils  se  sont  assuré  la  coopé- 
ration d'artistes  et  de  professeurs  les  plus  distingués.    • 

—  Voici  le  programme  de  la  douzième  et  dernière  séance  que  donnera  la  «  Société  des 
matinées  ai-lisliques  Populaires  a  mercredi  prochain  à  quatre  heures  et  demie ^rés  pré- 
cises, au  théâtre  de  la  Renaissance,  sous  la  direction  de  M.  .Jules  Danbé.  —  Quatuor 
(llendelssohn,  180J-1847|,  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  DestonriD;s.  —  .\.  Appas- 
sionato  (V.  Jonciéres).  B.  VOndine  (id.j,  .M""  Bertha  Sylvain.  —  Romance  pour  violon 
<Svendsen),  M.  Soudant.  —  Sainle-Agjtès,  drame  sacré,  de  Louis  Gallet  (C.  deGrandval), 
duo  extrait  de  la  1"  partie,  M"°  Menjaud,  JI.  Paul  Dareaux  et  l'auteur.  —  A.  Andante, 
B.  Scherzo,  pour  instruments  à  vent  (A.  Dislandres),  MM.  Barrêre,  Gaudoi'd,  Guyot, 
Volaire  et  Fiament.  —  A.  Nocturne  (scène  d'Hernani,  V°  acte,  Viclor  Hugo).  —  B.  La 
Jeune  captioe,  d'André  Chénier  (Ch.  Lenepveu),  M"»  Auguez  de  Montalant  et  l'auteur. 
—  Scherzo  du  1"  Quatuor  (Schumann,  1810-1856),  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  .Migard  et 
Destombes.  —  Septuor,  thème  ei  variations  (Beethoven,  1170-182'),  MM.  Soudant,  de 
Bruyne,  Migari,  Destombes,  Delahègue,  Guyot,  Volaire  et  Flaiiient. 

Au  piano  M.  Estyle. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Très  élégante  matinée  cliez  Jl'""  Tootain  pour  l'audition 
d'œuvres  de  M.  Périlhou.  Très  applaudis  M"'"  Jlalhieu  d'Ancy,  Cahen,  M'""  Vicrne  et 
de  jolis  ensembles  dans  Trimou^ett'  et  Bonde,  M.  Dareiux  dans  Vitrait  et  Complainte  de 
Saint  Nicutas  et  M""  Juliette  Toulain  dans  deux  pièi'es  de  piano  absolument  exquises  : 
Chanson  de  Guittot  Martin  et  Pastorale.  L'auteur,  très'fèté,  a  félicité  ses  interprètes.  — 
Salle  Erard,  bonne  audition  drs  élèves  de  M™^  Girardin-ilarchal.  Parmi  les  élèves  les  plus 
applaudies,  citons  M""  Jeanne  P.,  Louise  M.,  Yvonne  B.  {VaUe  caprice,  Rubinstein),  Ger- 


maine G.  [Bonjour,  CoUneUe,  Wachs),  Juliette  P.  et  Marie  V.  {Valse  mineure,  Pugno).  — 
Salle  Erard,  très  intéressant  concert  par  M"«  M.-L.  Blanchard,  avec  le  concours  de  JI.  Wi- 
dor  cl  d'un  orchestre  merveilleusement  conduit  par  M.  Jules  Danbé.  L'excellente  pianiste 
s'est  fait  vivement  applaudir  dans  des  œuvres  de  Widor,  Chopin  et  Bach.—  Très  brillant 
succès  pour  les  œuvres  de  SI—  de  Grandval  à  la  matinée  Berny  avec  M'  "  Menjaud  et 
.M.  Dareaux,  qui  ont  fait  acclamer  le  duo  de  Sainte  Agnès,  M.Mauguière  auquel  on  a  bissé 
le  Vase  brisé,  M.  Bleuzet  avec  les  Pièces  pour  cor  anglais  et  séance,  conférence  Fuster,  où 
le  Grattas  agimus  de  la  Messe  avec  M""  Smitli  et  Ador,  les  pièces  pour  violon,  avec 
M.  Lederer,  ont  été  chaudement  applaudis  ainsi  que  tous  les  excellents  interprètes;  les 
deux  séances  étaient  à  la  Bodinière.  —  Très  joli  succès  pour  le  concert  du  jeune  vio- 
loncelliste Schidenhelni  donné  à  la  salle  Pleyel.  On  a  beaucoup  applaudi  au  style  et 
à  la  virtuosité  de  cet  artiste  distingué.  —  Au  concert  de  M""  Panthès,  la  remar- 
quable pianiste,  très  grand  succès  pour  le  Tlicmc  varié  de  Théodore  Dubois,  dont  c'était 
la  première  audition.  —  Aux  matinées  Berny  (Biidinière),  charmante  séance  consacrée 
aux  œuvres  de  Théodore  Dubois.  .\u  programme  d'abord  la  belle  sonate  pour  violon  et 
piano,  des  mélodies  (Par  le  itentier.  Prés  d'un  ruisseau,  Matin,  à  Douwnenez)  très  joli- 
ment interprétées  par  M.  Mauguière  et  M""^  de  Jerlin,  les  Poèmes  s'jlo:Stres  exécutés  par 
M.  Berny,  et  enfin  des  fragments  du  Paradis  perdu  et  de  l'Enlèvement  de  Proscrpine.  — 
La  Société  chorale  d'Amateurs  G.  de  Sainbris  nous  a  donné  un  concert  très  remarquable. 
Il  faut  la  louer  surtout  d'accueillir  les  œuvres  des  jeunes  compositeurs,  choisis  naturel- 
lement parmi  les  meilleurs,  et  de  nous  offr'ir  ainsi  ce  qu'on  n'a  pas  entendu  déjà  partout. 
Bien  des  ouvrages  qui  sont  nés  chez  elle  depuis  une  trentaine  d'années  ont  fait  ensuite 
brillamment  leur  chemin.  Il  en  sera  de  même  sans  doute  des  pages  que  nous  avons 
applaudies,  l'autre  soir  :  la  Bataille  de  Taillebourg,  de  M.  W.  Cliaumet;  la  Vision  de 
i>a/Jfe  de  M.  Max  d'Ollone,  d'un  intérêt  puissant;  le  Psaume  IV  de  M.  Henri  Rabaud, 
d'une  noble  inspiration,  dont  une  partie  a  été  bissée  d'entliousiasme;  un  chœur  char- 
mant de  M.  Th.  Bellenot,  Brises  de  mai:  et  un  autre  très  dramatique  de  M.  Florent 
Schmitt,  les  Funérailles  d'un  soldat.  Avec  les  auteurs,  il  convient  de  féliciter  les  exécu- 
tants, choristes  èmérites,  orchestre  impeccable,  solistes  parfaits.  Comme  hommage  à 
Verdi,  le  quatuor  de  Eigoletto  a  été  merveilleusement  chanté  par  M""  A.  Duvernoy, 
Terrier-Vicini;  MM.  Félix  Lévy  et  Villard.  Mentionnons  encore  M""  Fournie)',  MM.  Bou- 
crel,  Vallade,  etc.  Cette  belle  exécution  était  dirigée  par  M.  Jules  Griset,  un  «  amateur  » 
comme  il  n'y  en  a  pas  beaucoup,  qui  a  mérité  tous  les  61oge>.  Rémi  Doré.  —  Très  jolie 
matinée  donnée  par  M"'  Lemay-Samson  et  M.  Samson.  M""*  Lemay-Samson  s'est  fait 
vivement  applaudir  dans  O'iyre  ies  yetic  bleus  de  Massenet  et,  avec  M"*"  Rabîer,  dans  le 
Voyayeur  de  Rubinstein  ;  on  a  eu  aussi  des  bravos  pour  M""'  Souligoux  dans  l'air  de  Tlui'is 
de  Massenet,  M"'  Marialys  dans  Pholoé  de  Hahn,  M""  Rabier  dans  Avril  est  amoureux 
de  Massenet  et  M""  de  Agreda  dans  Pensée  d'automne  de  Massenet.  —  Intéressante  audi- 
tion des  élèves  de  M""  Cubain  parmi  lesquelles  on  remarque  surtout  M.  Ed.  R.  {Rigaudon, . 
Dedieu-Peters),  M""  Juliette  M.  {Gavotte  de  la  Poupée,  Mathias),  iMarcelle  A.  (Entr'acte 
de  Manon,  Massenet),  Renée  R.  et  Laurence  M.  {.Mlegro  symphonique  à  2  pianos,  Ma- 
thias). —  A  l'Athénée-Saint-Germain,  audition  des  élèves  de  chant -de  MM.  Ballard  et 
Goullet,  avec  le  gracieux  concours  de  M'""  Laparcerie,  Charpentier,  Bosio  et  BronvlIIe- 
Ballard,  très  applaudies.  Succès  également  pour  le  ténor  Gonguet,  le  violoncelliste  Ber- 
thelier  et  M.  Th.  Laforge.  Au  programme,  les  airs  de  Xavière,  de  Th.  Dubois,  du  Roi  de 
Lahore,  de  Massenet,  de  Jean  de  Nivelle,  de  Delibes,  etc.,  etc.  —  Bien  intéressante  la  der- 
nière séance  de  la  Trompette.  Elle  était  presque  entièrement  consacrée  à  l'audition  des 
Chants  de  France,  si  délicatement  et  si  curieusement  harmonisés  par  M.  Périlhou.  Cela  a 
été  un  véritable  enchantement.  —  De  même  à  la  matinée  donnée  par  M""  Crabos,  où  la 
même  charmante  collection  a  fait  florès;  à  côté  de  la  Musette  du  XVII'  siècle,  de  MargoUm, 
de  la  Complainte  de  Saint-Nicolas,  de  la  Pastorale,  les  petits  chœurs  de  Trinmusett'  et 
de  la  Ronde  populaire  ont  mis  tout  le  monde  en  belle  humeur.  Au  même  programme 
encore  d'autres  mélodies  de  Périlhou,  Au-dessous,  Vitrail,  hCamyc,  et  une  ravissante 
Barcaro/fc  encore  inédite  ;  puis  VHeute  rfiuifte  de  Campana,  les  Enfanls  et  le  duo  de 
Werther  de  Massenet,  le  Voyageur  dans  la  nuit  de  Rubinstein,  l'air  de  Lakmé,  etc.,  etc. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce,  de  la  Nouvelle-Orléans,  la  mort  de  M™'  Vianesi,  née  Marie 
Belval,  femme  de  l'ancien  chef  d'orchestre  du  Théâtre-Italien  et  de  l'Opéra. 
Elle  était  la  fille  de  Belval,  l'excellente  basse  qui  avait  pris  i  l'Opéra  la  suc- 
cession d'Obin  et  elle  débuta  elle-même  à  ce  théâtre,  dans  l'emploi  des  chan- 
teuses légères,  le  22  mai  1874,  en  jouant  le  rôle  de  Marguerite  des  Huguenots. 
Elle  se  montra  ensuite  dans  Robert  le  Diable  et  dans  Guillaume  Tell,  et  prit 
part  au  spectacle  d'inauguration  du  nouvel  Opéra  en  tenant  le  rôle  d'Eudo.xie 
dans  un  acte  de  la  Juive.  Elle  ne  resta  pourtant  qu'une  année  à  ce  théâtre  et 
adopta  ensuite,  croyons-nous,  la  carrière  italienne.  M'"''  Vianesi  était  âgée  de 
48  ans. 

—  A  Milan  est  mort  ces  jours  derniers,  à  l'âge  de  12  ans,  l'ex-chanteur 
Giuseppe  Tonelli,  qui  avait  fourni  comme  baryton  une  carrière  brillante  sous 
le  nom  de  Cima,  qui  était  celui  de  sa  mère.  Il  s'était  retiré  depuis  longtemps 
du  théâtre  et  avait  ouvert  à  Milan  une  école  de  chant  d'où  sont  sortis  plu- 
sieurs artistes  qui  depuis  lors  se  sont  fait  un  nom  distingué,  entre  autres  les 
ténors  Gremonini,  Dimitresco,  Gabrielesco,  Apostolu  et  les  barytons  Fuma- 
galli  et  Ancona. 

—  A  Tliorn  (Prusse)  est  mort,  à  l'âge  de  86  ans,  le  compositeur  Wilhelm 
Hirsch,  qui  s'est  surtout  fait  connaître  par  des  compositions  pour  chœurs 
d'hommes.  Il  a  aussi  publié  plusieurs  écrits  sur  la  musique,  entre  autres  un 
livre  intitulé  Arisloxénos  et  ses  principes  du  rythme. 


Eenri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  à  la  librairie  Montgrédien  et  C-,  Ad  alla  |.ar  le  chevalier  des  Touclies 
(3  francs). 

Vient  de  paraître  chez  Calmann  Lévy  lî  livret  de  Lola,  scène  dramatique  de  Stéphane 
Bordèse  ;  la  musique,  par  C.  Saint-Saëns,  est  en  vente  chez  A.  Durand  et  fils.  Ce  petit 
acte,  très  facile  à  monter  dans  les  salons,  necomporte  qu'un  rôle  de  chant  et  danse,  celui 
de  Lola.  Le  rôle  de  son  partenaire  est  tout  de  diction. 


Dimanche  10  Mari 


3650.  -  67-  kME  -  N°  iO.        PARAIT  TOOS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2"^,  rue  ViTienne,  Paris) 
(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  autei 

MÉNESTREL 


lie  Ilaméro  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEATI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  ïlaméFo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEtJGEL,  directeur  du  Mbmesthel,  2  bit,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Ciiant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  SUB. 


SOMMAIEE-TEITE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (2^  article) ,  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  Charlotte  Cordai/ à  l'Opéra-Populaire, 
Artbur  Pougin;  première  représentation  des  Travaux  d'Berculeaux  Bouffes-Parisiens, 
Paul-Émile  Chevauer.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (20'  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  ;  Bourgogne  :  les  temps  héroï- 
ques, EnuoND  Neukomsi.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ENFANTILLAGE 

n°  4  des  Vaines  tendresses,  nouvelles  mélodies  de  Théodore  Dubois,  poésies  de 
Sully-Prudhomme.  —  Suivra  immédiatement;  Pastorale  du XVII" siècle,  n°  3  des 
Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Périliiou. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Danse  galicienne,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Pastorale  du 
XVIP  siècle,  transcription  pour  piano  de  A.  Périlhou. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  plus  récents  et  des  documents  inédits 

(Suite.) 


II 

Premières  influences  allemandes.  —  Une  lettre  de  la  duchesse  d'Orléans.  —  Déca- 
dence  de  l'Académie  royale  de  musique.  —  L'Opéra  de  Londres  viendra-t-il  à 
Paris  ?  —  La  troupe  de  Haendel.  —  Un  idiome  anti-musical. 

De  mémoire  d'homme,  en  France,  les  diverses  écoles  du 
même  art  n'ont  jamais  pu  vivre  pacifiquement  à  côté  l'une  de 
l'autre.  Leurs  rivales  sont  leurs  ennemies.  Elles  en  taisent  les 
qualités,  mais  elles  en  exagèrent  les  défauts.  L'éclectisme,  qui 
les  protège  toutes  contre  un  injuste  abandon,  n'est,  pour  celles 
qui  triomphent,  qu'un  scepticisme  de  bonne  compagnie  ou 
qu'une  ignorance  d'amateur,  comme  si  les  proscriptions  exces- 
sives n'appelaient  pas  tôt  ou  tard  les  excessives  réactions. 

Nous  avons  rappelé,  d'après  un  contemporain,  le  regain  de 
succès  qu'avait  obtenu  la  musique  de  Lulli,  en  un  temps  où 
celle  de  Rameau  semblait  l'avoir  à  jamais  détrônée.  Nous  ne 
reviendrons  pas  sur  les  péripéties  d'une  lutte  qui  partageait 
encore  en  deux  camps  le  dilettantisme  parisien,  alors  que  Gluck 
et  Piccinni  sollicitaient  ses  suffrages.  Et  nous  ne  retiendrons  de 
cette  longue  histoire  des  conflits  musicaux  pendant  le  XVIIP  siè- 


cle  qu'un  seul   fait,  passé  inaperçu,   mais  suffisamment  signi- 
ficatif. 

Trente  ans  après  la  mort  de  Lulli,  avant  même  que  le  nom 
de  Rameau  fût  connu,  l'école  française  avait  dans  bien  des 
milieux  cessé  de  plaire.  Cette  défaveur  n'était  pas  absolument 
justifiée.  Si  l'insuffisance  de  Cotasse  et  de  Destouches  faisait 
regretter  le  maître,  Campra  le  rappelait  souvent  par  le  senti- 
ment dramatique.  Mais  le  style  italien  commençait  à  pâlir  devant 
l'inspiration  allemande.  Haendel  et  Sébastien  Bach,  presque  du 
même  âge  et  déjà  célèbres,  ne  pouvaient  être  ignorés  en 
France,  où  fréquentaient  volontiers  les  peuples  de  l'autre  côte 
du  Rhin.  Une  des  grandes  dames  de  la  cour,  la  duchesse  d'Or- 
léans, mère  du  Régent,  ne  se  faisait  pas  faute  d'encourager  ces 
relations  par  une  correspondance  des  plus  assidues  avec  sa 
nombreuse  famille,  comme  elle  d'origine  allemande.  Or,  cette 
princesse,  que  son  mariage  n'avait  pas  rendue  française,  du 
moins  de  cœur,  ne  l'était  pas  davantage  par  ses  goiits  et  par  ses 
habitudes.  Rendant  compte  du  ballet  des  Ages,  écrit  par  Campra 
en  1718,  elle  concluait  (1)  :  «  C'est  bien  maniéré  à  l'italienne; 
je  n'aime  pas  la  musique  italienne.  » 

Elle  ne  devait  pas  être  seule  à  penser  ainsi.  Car  à  cette 
époque,  et  pendant  plusieurs  années  encore,  l'Académie  royale 
de  musique  ne  fit  pas  ses  frais.  Les  directeurs  s'y  succédaient 
pour  s'y  ruiner.  Ce  n'était  pas  qu'on  ne  s'ingéniât  à  chercher  des 
combinaisons  pour  ramener  un  public  récalcitrant  ;  mais  la 
plupart  du  temps,  elles  échouaient  devant  l'indifférence  des 
spectateurs  ou  l'apathie  de  l'imprésario,  .\insi,  en  1723,  cette 
nouvelle,  rapportée  par  la  correspondance  de  la  marquise  de 
Balleroy,  avait  couru  dans  tout  Paris  : 

«  26  mars  1723. 

«  L'Opéra  de  Londres  doit  arriver  incessamment  à  Paris  pour 
jouer  12  représentations.  Les  acteurs  sont  au  nombre  de  cinq: 
deux  femmes,  deux  castrats  et  un  concordant.  Le  Roi  leur 
donne  à  chacun  un  habit  de  théâtre  neuf  et  35.000  livres  de 
gratifications.  Ils  ont  la  permission  de  prendre  à  leur  choix 
douze  violons  dans  l'orchestre  et  tels  acteurs  qu'ils  voudront 
choisir  dans  le  chœur,  et  parmi  les  danseurs.  Sa  Majesté  accorde 
aussi  23.000  livres  de  dédommagement  à  l'Opéra  de  Paris,  dont 
elle  sera  remboursée  ainsi  que  des  33.000  livres  ci-dessus  sur  la 
recette.  L'entrée  à  ce  spectacle  sera  augmenté  d'un  tiers  pour 
toutes  les  places  ;  personne  ne  sera  exempt  de  payer,  pas  même 
les  seigneurs  et  les  dames  qui  sont  à  l'année  ;  et  le  droit  des 
pauvres  ne  sera  pris  que  du  tiers  en  sus  (2).  » 

Cette  troupe  était  celle  qu'avait  réunie  Haendel  à  Londres  ;  et 

(1)  Correspondance  de  Madame,  duchesse  d'Orléans.  (Traduction  et  notes  de  Jœglé.) 
Quantin,  1880. 

(2)  Edouard  de  Barthélémy.  —  Les  correspondants  de  la  Marquise  de  Ballcroij. 
Hachette,  1883. 


là 


LE  MÉNESTREL 


c'était  sur  les  propositions  du  financier  Crozat,  intéressé  dans 
Tentreprise  anglaise,  que  Francine,  directeur  de  l'Académie 
royale  de  musique,  avait  accepté  cette  série  de  représentations. 
Crozat  et  lui  avaient  donc  signé,  le  19  mars  1723,  chez  le  ministre 
Maurepas.  Mais  le  traité  ne  reçut  même  pas  un  commencement 
d'exécution.  Francine  trouva  le  moyen  d'en  décliner  la  respon- 
sabilité, malgré  qu'il  eût  reçu  Fallocation  et  les  habits  neufs  : 
la  protection  du  Régent  le  mettait  à  l'abri  de  toutes  revendi- 
cations. 

Il  va  sans  dire  que  la  troupe  de  Haendel  était  italienne  :  car. 
à  cette  époque,  les  Anglais  ne  savaient  guère  mieux  chanter 
qu'aujourd'hui  :  «  Est-ce  possible  d'ailleurs  en  une  langue  où 
il  faut  serrer  les  lèvres  ?  »  observe  le  baron  de  Trémont  dans 
ses  Notes  et  autographes  (1)  et  il  ajoute  :  «  Je  ne  connais  pas 
d'idiome  plus  anti-musical.  »  Cependant,  Haendel  dut  passer  à 
Londres  la  majeure  partie  de  son  existence.  Et  qui  sait?  C'était 
peut-être  pour  cette  raison  que  Fillustre  compositeur,  qui,  tout 
en  possédant  l'œuvre  de  Lulli  et  des  maîtres  italiens,  avait  un 
style  très  personnel  et  presque  de  terroir,  se  livrait  à  des  empor- 
tements restés  légendaires. 

III 

Prouesses  artistiques  et  galantes  de  Ctiassé.  —  Portrait  d'actriee.  —  Tribou  et 
Pélissier.  —  La  véritable  biographie  de  Jélyotte.  —  Un  commis  manqué.  —  Mé- 
nages de  grands  seigneurs  et  d'artistes.  —  Jélyotte  ambassadeur  matrimonial.  — 
Collections  et  travaux  d'un  ténor  aux  champs.  —  Dernières  heures  de  Jélyotte. 

Les  principaux  interprètes  de  Lulli,  de  Campra  et  de  Rameau 
pendant  les  deux  tiers  du  XTIIP  siècle  (2)  sont  assez  nombreux  ; 
et  leur  biographie  n'est  pas  chose  nouvelle.  Aussi  n'en  voulons- 
nous  donner  que  des  faits  ignorés  ou  inédits,  recueillis  dans  des 
mémoires  du  temps  récemment  parus  ou  dans  des  manuscrits 
qui  attendent  encore  les  honneurs  de  l'impression. 

Les  reprises  de  Persée  et  (TAttjs,  dont  nous  avons  déjà  signalé 
les  fortunes  diverses,  subissaient  également  des  chances  d'inter- 
prétation très  variables.  Chassé,  ce  virtuose-gentilhomme,  qui, 
contrairement  à  Rodrigue,  attendit  beaucoup  trop  le  nombre 
des  années  pour  se  retirer  de  la  scène,  avait  pris  dans  Persée  le 
rôle  de  Méduse,  «  écrit  pour  haute-taille  ».  Or,  Chassé  avait  une 
voix  de  basse-taille,  mais  d'un  timbre  si  chaud  et  si  vibrant 
qu'il  étonna  et  charma  toute  la  salle  par  ses  «  sons  d'éclat  )>. 
Le  maréchal  de  Luxembourg  avait  parié  que  le  chanteur  ne 
saurait  exécuter  ce  tour  de  force  (la  passion  du  jeu  était  telle- 
ment intense  à  cette  époque  qu'elle  tirait  parti  de  toutes  les 
occasions)  :  le  grand  seigneur  perdit  haut  la  main  sa  gageure. 

En  dépit  de  son  âge  Chassé  jouait  au  petit  Sultan,  et  les 
actrices  qu'il  honorait  de  ses  bonnes  grâces  étaient  assurées 
d'engagements  avantageux.  Ce  fut  ainsi  qu'il  obtint  du  prévôt  des 
Marchands,  alors  administrateur  de  l'Opéra,  des  appointements 
annuels  de  quinze  cents  livres  pour  une  de  ses  favorites  qui 
n'avait  pas  le  moindre  talent  et  dont  Finspecteur  Meusnier  (3) 
esquisse  l'amusante  silhouette  : 

26  août  IToS.  «  La  D""  Betfort,  chanteuse  à  l'Opéra,  est  la  fllle 
du  nommé  Dubourg,  musicien  dans  la  musique  du  Roi  à  Ver- 
sailles. Elle  est  âgée  de  17  à  18  ans,  petite,  assez  bien  faite,  les 
cheveux  bruns,  la  peau  extrêmement  blanche,  la  gorge  et  la 
main  jolies;  les  yeux  noirs,  petits,  mais  vifs  et  fort  éveillés,  pour 
ne  pas  dire  effrontés;  la  bouche  grande,  le  nez  épaté,  l'air  déli- 
béré, point  jolie;  les  poings  toujours  sur  les  roignons  et  alfec- 
tant  de  passer  continuellement  la  main  de. gauche  à  droite  et  de 
droite  à  gauche  sur  la  bouche,  comme  un  grenadier  qui  voudrait 
relever  ses  moustaches;  cela,  joint  à  l'attitude  qui  lui  est  natu- 
relle. Fa  fait  surnommer  le  Suisse  de  l'Opéra.  » 

Atys  fut  inférieur,  comme  interprétation,  à  Persée  :  «  Tribou  a 
chanté  en  pulmonique  »  dit  le  Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville, 
et  la  Pélissier  en  «  actrice  d'opéra  »;  Tribou  était  cependant  un 
artiste  estimé.  Quant  à  M""  Pélissier,  elle  devait  surtout  sa  répu- 

(1)  Bahon  Dt  TnÉMONT.  —  Noicx  et  autographes.  Manuscrit  de  la  BibliothÈqueNationale. 

(2)  En  1880,  M.  de  Lyden  a  fait  paraître  dans  te  Ménestrel  une  série  d'études  très  docu- 
nientée3  sur  les  XVH'  et  XVIII*  siècles  sous  ce  titre  :  Chanteurs  et  cantatrices  d'autrefois. 

(3)  Notes  de  police  de  l'Inspecteur  Meusnier.  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal. 


tation  à  ses  magniflques  costumes  et  à  la  condamnation  capitale- 
prononcée  par  contumace  contre  son  ancien  amant,  le  juif  Dulys,. 
qui  avait  tenté  de  la  faire  vitrioler.  Une  notoriété  aussi  tapa- 
geuse ne  pouvait  prévaloir  contre  le  souvenir  toujours  présent 
de  Factrice  incomparable  qu'avait  remplacée  M''"-'  Pélissier;  et 
chacun  regrettait  cette  capricieuse  Lemaure,  dont  le  jeu  était  si 
émouvant  dans  sa  noble  simplicité,  la  voix  si  égale  et  si  belle 
dans  toutes  les  parties  d'un  registre  qui  dépassait  deux  octaves. 
(A  suivre.)  Paul  d'Estréis. 


SEMAINE    THEATRALE 


OpÉR.t-PopuLAiRE.  Charlotte  Corday,  drame  musical  en  trois  actes  et  un  pro- 
logue, poème  d'Armand  Silvestre,  musique  de  M.  Alexandre  Georges. 
(Première  représentation  le  6  mars  1901.) 

Yoici  la  première  œuvre  nouvelle  que  nous  offre  l'Opéra-Populaire, 
qui  jusqu'ici  n'a  vécu  que  de  reprises.  Elle  est  d'importance  et,  par 
malheur,  un  de  ses  autem's,  le  pauvre  Armand  Silvestre,  n'aura  pas  eu 
la  joie  de  la  voir  naître  à  la  scène.  Son  livret,  d'ailleurs,  qui  manque 
d'élément  théâtral,  n'est  guère  autre  chose  qu'une  tranche  d'histoire 
dans  laquelle  il  a  vainement  essayé  d'introduire  l'élément  passionnel 
qui  ne  se  trouvait  pas  dans  le  sujet. 

Prologue.  A  Paris,  à  la  taverne  du  Paon.  —  Marat,  assis  au  milieu 
de  ses  compagnons  et  partisans,  pérore  et  leur  développe  ses  idées.  Il 
leur  déclare  que  l'avenir  est  dans  l'écrasement  de  la  noblesse  et  de  la 
bourgeoisie,  dont  le  sang  fécondera  les  moissons  futures.  Ses  paroles 
sont  acclamées,  et  bientôt  il  est  porté  en  triomphe  par  ses  amis,  aux 
acclamations  de  la  foule,  qui  applaudit  à  ses  discours. 

Premier  acte.  A  Caen,  chez  M"^  de  Bretteville,  tante  de  Charlotte 
Corday.  —  Des  invités  sont  réunis.  Tandis  que  quelques-uns  déplorent 
le  malheur  des  temps,  que  d'autres  jouent,  Charlotte,  :\  l'écart,  relit  le 
Comte  d'Essex  de  Thomas  Corneille  (on  sait  que  sa  famille  descendait 
des  Corneille)  et  répète,  d'un  air  inspiré,  le  vers  fameux  : 
Le  crime faitla  honte,  et  non  pas  l'échafaud. 

Un  jeune  noble,  le  comte  de  Lux,  en  s'entretenant  avec  elle  des 
graves  événements  de  l'heure  présente,  lui  en  fait  ressortir  les  dangers 
et  lui  offre  sa  protection  en  même  temps  que  son  amour.  Charlotte 
décline  cette  offre,  en  alléguant  que  la  situation  est  trop  cruelle  pour 
qu'on  puisse  et  tpi'on  ose  songer  à  autre  chose.  Bientôt,  les  invités 
étant  partis,  Charlotte,  restée  seule,  entend  de  la  rue  retentir  des  cris 
furieux.  C'est  une  bande  de  maratistes  qui  poursuit  un  malheureux. 
«  Les  lâches!  »  s'écrie-t-elle. 

A  ce  moment  la  porte  s'ouvre,  et  un  homme  fait  irruption.  C'est 
Barbaroux.  (Que  diable  allait-il  faire  à  Caen?)  C'est  lui  qui  était  pour- 
suivi. Charlotte  l'interroge  avec  anxiété  sur  ce  qui  se  passe  à  Paris. 
Barbaroux  lui  décrit  l'état  troublé  de  la  capitale,  lui  fait  connaître  la 
dictature  de  Danton,  de  Robespierre  et  de  Marat. 

—  Quel  est  le  plus  cruel  des  trois?  lui  demande-t-elle. 

—  C'est  Marat. 

Dès  ce  moment,  la  résolution  de  Charlotte  parait  prise  de  délivrer  la 
France  du  monstre  infâme.  Pendant  tout  cet  entretien,  les  paroles  de 
Barbaroux  inspirent  à  Charlotte  un  enthousiasme  qui  semble  faire  naître 
en  elle  une  sorte  d'intérêt  passionné  pour  le  Girondin.  Ils  se  quittent, 
et  quand  Barbaroux  s'éloigne  : 

—  Au  revoir,  lui  dit-elle;  au  revoir,  à  Paris! 

Deuxième  acte.  A  Paris,  au  Palais-Royal.  —  Un  coin  du  jardin.  Des 
enfants  jouent,  sous  la  surveillance  de  leurs  mères.  Entre  Charlotte,  qui 
s'assied  sur  une  chaise  et  caresse  un  de  ces  enfants.  Des  vendeurs  de 
journaux  arrivent,  criant  le  dernier  numéro  de  l'Ami  du  Peuple,  le 
journal  de  Marat,  que  les  promeneurs  s'arrachent  aussitôt.  Charlotte  en 
prend  un  et  le  parcourt,  frémissante.  L'enfant  qu'elle  caressait  la  quitte 
et  s'échappe  pour  courir  sous  les  galeries,  ofi  il  entre  dans  la  boutique 
d'un  coutelier,  son  père.  «  C'est  l'innocence  montrant  le  chemin  à  la 
justice!  1)  s'écrie-t-eUe. 

Elle  entre  â  son  tour  chez  le  marchand,  et  en  sort  avec  un  couteau. 
Elle  se  trouve  alors  face  à  face  avec  Barbaroux,  et  cache  précipitam- 
ment son  arme.  Longue  scène  entre  tous  deux,  où  parait  l'amour  en 
quelque  sorte  mystique  qui  semble  les  rapprocher  el  les  unir.  Puis  la 
nuit  vient.  Des  garçons  des  cabarets  avoisinants  accrochent  aux  arbres 
des  lanternes  de  couleur.  Des  muscadins  et  des  muscadines,  sortant  de 
ces  cabarets,  pénètrent  dans  le  jardin,  où  bientôt  la  foule  accourt  et  se 
presse  de  tous  côtés,  foule  bariolée,  diverse,  bruyante,  et  l'acte  se  ter- 
mine par  la  ronde  de  la  Carmagnole,  chantée  et  dansée  par  la  populace. 


LE  MÉNESTREL 


75 


Troisième  acte,  promier  tableau.  Chez  Marat.  —  La  cliambre  de 
r  «  ami  du  peuple  ».  A  droite,  le  coin  servant  d'atelier  d'imprimerie. 
Au  fond,  à  travers  une  baie,  on  aperçoit  Marat  dans  sa  baignoire.  Char- 
lotte se  présente,  demandant  avec  instance  à  être  introduite  auprès  de 
lui.  Il  consent  à  la  recevoir,  et  tandis  qu'il  jette  les  yeux  sur  la  lettre 
qu'elle  vient  de  lui  remettre,  elle  s'approche  vivement  de  lui  et  lui 
plonge  son  couteau  dans  le  cœur.  Elle  est  aussitôt  entourée  par  la  foule 
de  tous  ceux  qui  attendaient  et  dont  les  cris  furieux  attirent  des  soldats 
qui  s'emparent  d'elle  et  l'emmènent  en  la  protégeant  contre  les  insultes 
et  les  violences  de  tous. 

Deuxième  tableau.  La  Conciergerie.  —  Charlotte  est  dans  son  cachot, 
attendant  la  mort.  Bile  écrit  aux  siens  une  lettre  d'adieux,  et  voit 
repasser  devant  ses  yeux  la  figure  au  moins  sympathique  de  Barbaroux. 
La  porte  s'ouvre.  On  vient  la  chercher  pour  la  mener  au  supplice.  On 
■entend  au  dehors  les  cris  funèbres  :  «  A  mort!  A  mort!...  » 

Troisième  tableau.  La  place  de  la  Liberté.  —  L'échafaud  est  dressé 
sur  la  place.  Voici  que  Charlotte  apparaît,  debout,  dans  la  charrette  des 
•condamnés.  Elle  en  descend,  pour  gravir  les  degrés  de  la  guillotine.  A 
ce  moment  parait  Barbaroux.  Il  crie  son  mépris  et  sa  rage  à  la  foule, 
qui  le  maintient.  Charlotte  lui  dit  adieu  d'un  regard,  et  le  bourreau  la 
saisit...  La  toile  tombe. 


Y  a-t-il  un  sujet  d'opéra  dans  l'histoire  de  Charlotte  Corday  ?  J'en 
doute  fort,  pour  ma  part.  Le  fond  est  dramatique,  assurément;  scé- 
nique,  peu;  musical,  absolument  pas.  Charlotte  est  une  solitaire,  une 
renfermée,  une  sorte  d'hallucinée,  intéressante  au  point  de  vue  psycho- 
logique; mais  la  psychologie  n'est  pas  du  domaine  du  théâtre.  Pour  lui 
prêter  un  peu  d'expansion,  Silvestre  a  été  obligé  d'imaginer  cette  espèce 
d'amour  cérébral  pour  Barbaroux,  qu'il  fait  naître  d'ailleurs  d'une  façon 
assez  singulière.  Mais  de  passion,  de  passion  véritable,  il  ne  peut  y  en 
avoir  en  un  tel  sujet,  et  sans  la  passion  il  n'est  point  de  théâtre,  surtout 
de  thé:itre  musical. 

Aussi  M.  Alexandre  Georges,  qui  n'est  point  le  premier  venu,  n'a-t-il 
tiré  qu'un  parti  médiocre  du  livret  qui  lui  avait  été  confié.  Organiste  de 
l'église  Saint-Vincent-de-Paul,  ancien  élève  de  l'excellente  école  de 
musique  classique,  où  je  crois  qu'il  est  aujourd'hui  professeur, 
M.  Alexandre  Georges  a  déjà  beaucoup  écrit:  Axel,  musique  pour  le 
drame  de  Villiers  de  l'Isle-Adam,  représenté  à  la  Gaité  ;  le  Printemps, 
opéra-comique  en  un  acte,  joué  à  la  Bodiniére;  Notre-Dame  de  Lourdes, 
oratorio  en  trois  parties  ;  te  Chemin  de  ta  Croix,  drame  sacré  ;  Myrrlia, 
saynète  romaine  en  un  acte;  les  Chansons  de  Uiarka;  les  Chansons  de 
Leilah;  et  un  autre  recueil  de  mélodies  publié  il  y  a  quelque  vingt  ans, 
en  société  avec  le  comte  d'Osmoy.  M.  Alexandre  Georges  a  de  la  grâce, 
de  la  teodresse,  il  parait  manquer  de  force  et  de  puissance,  et  son  or- 
chestre marque  encore  une  -  certaine  inexpérience  dans  l'art  d'employer 
l'ensemble  instrumental.  Possède-t-il  les  qualités  de  vigueur  néces- 
saires au  grand  drame  lyrique  ?  Ne  serait-il  pas  plus  apte  à  traiter  cer- 
tains sujets  d'opéra-comique?  Diverses  pages  de  sa  partition  sembleraient 
le  donner  à  croire,  surtout  les  scènes  entre  Charlotte  et  Barbaroux. 
Chez  lui  le  mouvement  n'est  pas  toujours  sincèi'e,  et  semble  déceler 
l'effort,  comme  dans  le  tableau  du  Palais-Royal.  Au  reste,  si  son  œuvre 
est  inégale,  la  faute  en  est  beaucoup  au  poème  dont  il  s'est  chargé.  Elle 
n'en  reste  pas  moins  celle  d'un  artiste  instruit,  distingué,  qui  sera  sans 
doute  plus  complètement  heureux  le  jour  où  il  i-encontrera  un  sujet 
convenant  à  ses  facultés. 

L'interprétation  de  Charlotte  Corday  fait  honneur  au  théâtre.  Char- 
lotte, c'est  M"'  Georgette  Leblanc,  artiste  dont  on  connaît  le  remar- 
quable talent,  cantatrice  qui  ne  redoute  aucune  comparaison,  actrice 
intelligente,  chercheuse,  trouveuse,  qui  complète  ses  rares  qualités  par 
un  louable  sentiment  de  la  plastique  et  des  attitudes.  Son  succès  a  été 
complet  et  complètement  justifié.  M.  Cazeneuve  est  un  Barbaroux  bien 
portant  et  d'une  santé  vraiment  florissante  ;  ce  qui  vaut  mieux  pour  le 
rôle,  c'est  qu'il  le  chante  fort  bien,  avec  une  science  et  une  conscience 
-auxquelles  il  n'y  a  rien  à  redire.  M.  Dangés  (Marat)  montre  de  la 
vigueur,  M""^  Sylvain  (M""  de  Bretteville)  de  la  sensibilité,  et  l'ensemble 
est  bien  complété  par  M"""  Dulac  (Simonne  Evrard),  et  M.  Benedict  (le 
comte  de  Lux).  Enfin  les  chœurs  ont  fait  de  leur  mieux,  de  même  que 
l'orchestre,  dirigé  avec  habileté  par  M.  Henri  Bùsser. 

Arthur  Pougin. 


Bouffes-Parisiens.  Les  Travaux d' Hercule,  opéra-bouffe  en  3  actes,  de  MM.  G.-A. 
de  Caillavet  et  R.  de  Fiers,  musique  de  M.  Claude  Terrasse. 

Hercule  est  de  mode.  Après  l'Héraclès  de  la  Comédie-Française,  après 
le  duc  d'Argos  de  l'Opéra,  voici  venir,  aux  Bouffes,  un  bon  petit  .Her- 
cule, Hercule  tout  court.  Hercule  tout  simple,  et  qui,  certes,  n'est  point 


le  moins  gai  compagnon  des  trois.  L'originalité  de  celui-ci  est  que  les 
auteurs  en  ont  fait  le  plus  parfait  des  pleutres  —  «  il  a  la  flôme  »,  dit 
son  écuyer-valet  de  chambre,  Palémon  —  et  qu'il  laisse  accomplir  ses 
terribles  travaux  par  Augias,  le  fameux  roi  ans  écuries,  se  contentant 
de  récolter  les  lauriers  glanés  par  l'autre.  Le  point  de  départ  est  amu- 
sant et  de  cette  jolie  fantaisie  toute  spéciale  à  laquelle  nous  devons 
l'immortelle  Belle  Hélène.  Malheureusement  la  situation  se  repète  iden- 
tique à  elle-même  à  chacun  des  trois  actes,  et  tout  l'esprit,  l'ingéniosité 
môme,  qu'ont  pu  dépenser  MM.  de  Caillavet  etR.de  Fiers  ne  suffit  pas 
à  rompre  l'espèce  de  monotonie  pesant  sur  une  pièce  qui,  plus  courte, 
eût  été,  peut-être,  parfaite. 

Quelle  prodigalité  d'esprit,  messieurs!  Vraiment  on  est  tenté  de  vous 
reprocher  d'en  avoir  exagérément  et,  sm-tout,  de  l'avoir,  fort  souvent, 
beaucoup  trop  facile,  et  on  vous  en  veut,  très  sérieusement,  de  l'abus 
incompréhensible  d'une  grossière  trivialité  qui  ne  rime  à  rien  et  ne  porte 
pas  sur  le  public. 

La  plume  du  musicien  Claude  Terrasse,  nouveau  venu  aux  théâtres 
des  boulevards,  n'est  pas  moins  souple  que  celle  de  ses  librettistes.  De 
faire  un  peu  lâché,  sa  partitionnette,  sans  encore  dégager  de  personna- 
lité, est  du  moins,  en  plus  d'une  page,  de  rythme  amusant  et  vif,  rap- 
pelant d'assez  loin  Offenbach  et  Hervé;  les  finales  des  premier  et 
deuxième  actes,  avec  quelques  couplets  adroitement  troussés,  permettent 
d'espérer  en  l'avenir. 

Hercule,  c'est  M.  Tarride,  qui,  séduit  très  justement  par  le  rôle,  s'est 
improvisé  directeur  pour  monter,  avec  de  grands  soins  matériels,  ces 
Travaux  d'Hercule;  une  fois  de  plus  il  s'affirme  comédien  très  sûr,  très 
séduisant,  plein  dé  bonhomie  et  de  finesse,  et  preste  débiteur  de  ritour- 
nelles. A  ses  côtés  on  a  fait  grand  et  mérité  succès  à  M.  Victor  Henry, 
dont  la  divertissante  fantaisie  et  l'étonnante  adresse,  en  Palémon,  ont 
surpris  plus  d'un  spectateur  ignorant  qu'il  fut,  ces  dernières  années,  le 
meilleur  des  pensionnaires  de  Cluny.  De  la  distribution  il  faut  encore 
sortir  M'"  Diéterle,  petite  Omphale  de  grand  luxe  et  d'exquise  fragilité 
et,  par-dessus  tout,  adorable  bibelot  parisien,  et  M.  Colas,  qui  a  joué 
Augias  avec  beaucoup  de  rondeur  et  de  bon  naturel. 

P.4UL-BMILE  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVEE.SELLE    DE     19CO 

(Suite.) 


AU  champ-de-mars 

Nous  avons  visité  les  divers  théâtres  de  la  rue  de  Paris,  ainsi  que 
ceux  du  Trocadéro.  Passons  maintenant  au  Champ-de-Mars,  où  nous 
n'en  trouvons  que  deux  :  le  théâtre  exotique  du  Tour  du  Monde,  et  le 
théâtre  du  Palais  de  la  Femme. 

Le  Tour  du  Monde.  —  On  se  rappelle  ce  monument  superbe  et  gigan- 
tesque appelé  le  Tour  du  Monde,  qui  s'élevait  majestueusement  à  l'angle 
du  quai  d'Orsay  et  de  l'avenue  de  La  Bourdonnais.  OEuvre  très  remar- 
quable de  l'architecte  Alexandre  Marcel,  il  contenait  à  la  fois  un  pano- 
rama merveilleux,  trois  dioramas  distincts  et  un  théâtre  fort  original, 
et  son  établissement  n'avait  pas  coûté,  dit-on,  moins  de  deux  millions. 
Le  panorama,  de  la  plus  grande  beauté,  dont  l'auteur  était  M.  Louis 
Dumoulin,  peintre  du  ministère  de  la  marine,  se  composait  d'une  suite 
de  huit  immenses  tableaux  formant  un  ensemble  vraiment  admirable 
et  d'une  harmonie  délicieuse.  Par  une  ingénieuse  combinaison,  toute 
la  côte  de  la  Méditerranée  se  déroulait  d'abord  devant  les  yeux  du  spec- 
tateur immobile,  et  tous  les  pays  desservis  par  les  paquebots  des  Mes- 
sac'eries  Maritimes  paraissaient  successivement  à  ses  regards  :  l'Espagne, 
la  Grèce  avec  l'Acropole  et  le  Parthénon,  la  Turquie,  Stamboul,  le 
Bosphore  et  la  Corne  d'Or,  la  Syrie,  l'Egypte,  Port-Saïd  et  le  canal  de 
Suez  les  Indes,  Geylan,  le  Cambodge,  la  Chine,  le  Japon,  l'Australie, 
avec  leurs  sites  les  plus  caractéristiques,  pour  arriver  enfin  aux  rivages 
de  France.  C'était  une  vision  vraiment  exquise,  dont  l'illusion  était 
encore  augmentée  par  la  figuration  animée  des  premiers  plans,  où  l'on 
voyait  des  indigènes  de  chaque  pays  se  livrer  à  leurs  occupations,  à 
leurs  exercices  ou  à  leurs  distractions  :  potiers  égyptiens  fabriquant 
leurs  n-argoulettes.  Indiens  fumant  leurs  longues  pipes.  Chinois  travail- 
lant en  silence.  Japonaises  préparant  leur  thé...  Pour  être  moins  majes- 
tueux, les  dioramas  n'étaient  ni  moins  intéressants,  ni  moins  curieux, 
surtout  le  charmant  diorama  mouvant  qui  représentait  un  voyage  de 
Marseille  à  la  Ciotat,  avec  retour  par  le  château  d'If.  Les  autres  nous 
offraient  des  vues  de  Moscou,  de  Londres,  de  Rome,  d'Amsterdam,  de 
Sidney.  de  New-York,  d'un  relief  superbe  et  d'une  exactitude  absolue. 


76 


LE  MENESTREL 


C'est  au  rez-de-chaussée  de  cet  édifice  monumental  que  se  trouvait  le 
théâtre  qui  avait  pris  le  nom  de  Théâtre  exotique  et  qui  fut,  comme  le 
panorama  lui-même,  un  des  succès  de  l'Exposition.  Les  bureaux  étant 
situés  à  l'extérieur,  on  y  pénétrait  immédiatement  par  une  large  por- 
tière et  L'on  se  trouvait  aussitôt  dans  la  salle,  salle  carrée,  très  heureu- 
sement décorée  à  l'indo-chinoise  et  joliment  ornée  de  figures  en  relief. 
Le  rideau,  rigide  et  peint  dans  le  même  style,  ne  se  relevait  pas,  mais  se 
séparait  latéralement,  comme  à  Bayreuth.  L'orchestre  pouvait  contenir 
environ  loO  fauteuils  ;  derrière,  un  parterre  debout  ;  au  premier,  une 
galerie  contournant  la  salle.  La  musique  était  représentée  par  un  piano, 
tenu  par  M.  R.  Pompilio,  aidé  d'un  quatuor  à  cordes. 

Le  théâtre  exotique  avait  la  prétention  de  réunir  six  troupes  diffé- 
rentes :  troupe  espagnole,  troupe  hindoue,  troupe  cinghalaise,  troupe 
javanaise,  troupe  chinoise  et  troupe  japonaise.  C'était  beaucoup.  La 
troupe  espagnole  comprenait  simplement  deux  danseuses,  les  sœurs 
Lola  Moreno  et  Maria  Moreno,  l'une  brune,  l'autre  blonde,  d'une  beauté 
radieuse,  mais,  je  dois  l'avouer,  d'un  talent  moins  radieux.  La  troupe 
hindoue  se  composait  d'un  prestidigitateur  d'une  rare  habileté  et  d'un 
prétendu  charmeur  de  serpents  qui  ne  charmait  rien  du  tout  et  qui  se 
bornait  à  exhiber  un  demi- douzaine  de  vilaines  botes  qu'il  enfermait 
ensuite  dans  un  sac,  après  quoi  il  se  mettait  à  cracher  du  feu  tant 
qu'on  en  voulait,  spéciale  curieux  peut-être,  mais  d'un  agrément  tout  à 
fait  relatif. 

J'avoue  n'avoir  pas  vu  la  troupe  cinghalaise,  qualifiée  de  «  danseurs 
du  diable  ».  Quant  â  la  troupe  javanaise,  elle  était  formée  de  cinq 
petites  danseuses,  fort  vilaines  pour  la  plupart,  et  qui  étaient  loin  de 
nous  rendre  l'impression  délicieuse  de  celles  du  Kampong  javanais  de 
1889.  Celles-ci  appartenaient,  parait-il,  au  personnel  dansant  du  rajah 
de  Socroebaya.  Elles  exécutaient  d'ailleurs  les  mêmes  danses  hiératiques, 
accompagnées  par  un  petit  orchestre  de  dix  musiciens  accroupis  der- 
rière elles. 

Par  exemple,  il  y  avait  dans  la  troupe  chinoise,  composée  de  deux 
seuls  personnages,  un  jongleur  d'une  adresse  absolument  prodigieuse, 
et  dont  un  exercice  surtout  était  à  donner  le  frisson.  Après  avoir  pré- 
paré, sur  un  côté  de  la  scène,  un  cercle  tout  hérissé  de  poignards  dont 
les  lames  aiguôs  laissaient  bien  juste  l'espace  nécessaire  pour  le  passage 
d'un  corps,  il  se  plaçait  du  côté  opposé,  puis,  prenant  son  élan,  il  se 
lançait  la  tête  la  première  à  travers  ce  cercle,  sans  en  rien  déranger, 
bien  entendu,  et  allait  retomber  dans  la  coulisse. 

La  grâce  de  ce  spectacle  était  dans  la  troupe  japonaise,  douze  gen- 
tilles petites  danseuses  japonaises,  dirigées  par  l'une  d'elles,  dont  le 
programme  nous  faisait  connaître  les  noms,  avec  leur  signification  par- 
fois un  peu  étrange.  La  directrice  s'appelait  M"'"  Iwama  Koumi  (Mon- 
tagne rocheuse)  ;  les  autres  :  Yoshiûkié  Man  (Bienheureuse  Longévité). 
Maeda  Ei  (Grande  Prospérité),  Kôno  Tchô  (Papillon),  Arai  Tsouné 
(Habituelle),  Souzouki  Tama  (Boule  d'épingle),  Uesougui  Kimi  (Excel- 
lence), Saito  Riou  (Saule  Pleureur),  Saito  Kikou  (Chrysanthème), 
Abayashi  Ito  (Fil),  Nakachima  Haron  (Printemps),  et  Idjima  Hideno 
(Soleil).  Elles  étaient  charmantes,  ces  petites  ballerines,  dans  leurs 
danses  chastes  et  pleines  de  grâces,  que  deux  de  leurs  compagnes, 
assises  par  terre  derrière  elles  rythmaient  en  jouant  du  siamisen.  Après 
leurs  danses  d'ensemble  l'une  d'elles  exécutait,  d'une  façon  très  aimable, 
une  sorte  de  scène  pantomime  burlesque  oii  elle  rappelait  un  peu,  par 
sa  grâce  comique,  celle  de  notre  Pierrot. 

Le  spectacle  était  toujours  complété,  au  théâtre  exotique,  par  une 
série  de  vues  cinématographiques  de  l'Extrême-Orient,  dues  à  M.  The- 
venon. 

Le  Palais  de  la  Femme.  —  Je  n'ai  â  m'occuper  du  gentil  Palais  de  la 
Femme,  construit  par  M.  Pontremoli,  qu'en  ce  qui  concerne  son  théâtre, 
qui  était  dirigé  par  M.  Paul  Franck.  Très  aimable,  très  coquet,  ce 
théâtre,  où  l'on  jouait  la  comédie,  où  l'on  faisait  voir  des  ombres,  où 
l'on  donnait  des  concerts.  Il  va  sans  dire  que  les  pièces  étaient  jouées 
uniquement  par  des  femmes  et  que,  seules,  des  femmes  prenaient  part 
aux  concerts.  J'ai  vu  là  deux  petites  comédies  qui,  je  dois  l'avouer,  ne 
m'ont  pas  paru  des  chefs-d'œuvre  :  Marie-Antoinette  et  son  cercle,  de 
M°"'  Jenny  Thénard,  jouée  par  M"""  Suzanne  Aumont,  Paule  Dartigny, 
Marval,  Jeanne  Berge,  G.  Baral,  Muraour,  Enid  Eade,  Cécile  Walbin, 
Marcillet  et  Rosine  Ruault,  et  Frégolili,  de  M.  Max  Maurey,  prétexte  â 
danses  diverses  exécutées  par  M'"'*  Aumont,  Irma  Perroi,  Baral,  Mu- 
raour, etc. 

Le  répertoire  de  ces  piécettes  se  renouvela  très  souvent  au  Palais  de 
la  Femme,  et  j'avoue  qu'il  me  serait  impossible  d'en  donner  la  liste. 
Mais  la  musique  y  fut  aussi  cultivée  avec  assez  de  soin.  On  y  eut  des 
festivals  de  musique  moderne,  où  furent  entendues  des  œuvres  de  com- 
positeurs féminins  :  M"""  Cécile  Chatninade,  Gabrielle  Ferrari,  Cécile 
d'Orni,  etc.,  exécutées  par  M""™  Ritter-Ciampi,  Magdeleine  Godard, 


Louise  Marquet,  Darlott,  Labatoux  et  la  Société  chorale  des  femmes  du 
monde,  dirigée  par  M.  Ciampi.  On  y  eut  aussi  les  séances  de  la  Caméra 
musicale,  où  se  firent  entendre  M"'*  Gillard,  Richez,  Lucile  Delcourt, 
Éléonore  Blanc,  Jeanne  Ediot,  Martin  de  la  Rouvière,  Marguerite  Del- 
court, qui  chantaient  ou  exécutaient  des  fragments  d'œuvres  classiques 
de  Rameau,  Scarlatti,  Gluck,  Chopin,  Schumann,  etc. 

En  résumé,  le  Palais  de  la  Femme  avait  son  originalité  et  n'eut  pas 
à  se  plaindre  de  son  succès. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 

(Suite.) 


^3  otX3r@og;xi.^ 


TEMPS  Héroïques 

Rassurez- vous,  lecteur;  nous  ne  remonterons  ni  aux  Éduens  ni  aux 
Mondubiens,  premiers  peuples  connus  du  riche  pays  qu'arrosent 
l'Yonne  et  la  Saône,  ni  aux  Burgondes,  dont  le  premier  roi,  Goadi- 
caire,  n'était,  dit  l'histoire,  qu'un  clerc  d'assez  piètre  renommée,  ni 
même  aux  Bourguignons  du  temps  de  Boson  et  de  Robert  le  Vieux; 
nous  nous  tiendrons  aux  contemporains  de  la  période  fastueuse  et  guer- 
rière illustrée  par  les  souverains,  aux  noms  sonores  et  populaires,  de 
la  noble  maison  de  Valois  qui,  pendant  un  siècle,  balança  le  pouvoir 
des  rois  de  France. 

Philippe  le  Hardi  fut  le  premier  de  ces  superbes  ducs  de  Bourgogne. 
Quand  il  fit  sou  entrée  â  Dijon,  ce  fut  un  émerveillement.  Les  maisons 
disparaissaient  sous  les  tentures  d'or  et  les  fleurs.  De  tous  côtés  des 
échafauds  étaient  dressés  pour  la  représentation  de  mystères  et  de 
tableaux  parlants.  Au  son  de  la  musique  qui,  de  tous  côtés,  «  s'esbattoit 
comme  gresle  en  joye  »,  le  duc  s'avançait,  «  désespérément  bel  et 
galand  ».I1  était  revêtu  d'une  houppelande  de  velours  cramoisi,  brodée 
de  chaque  côté,  d'un  grand  ours  d'argent,  dont  le  collier,  la  muselière 
et  la  laisse  étaient  en  saphirs.  Sur  la  manche  gauche  étincelait  une 
branche  de  rosier  dont  les  fleurs,  au  nombre  de  vingt-deux,  étaient 
composées  de  rubis  entourés  de  perles.  Le  collet  avait  le  même  orne- 
ment et  les  boutonnières  étaient  faites  en  genêt,  dont  les  cosses,  de  perles 
et  de  saphirs,  remémoraient  l'ancien  ordre  de  la  cosse  de  genêt,  institué 
par  les  rois  de  France  et  donné  par  eux  en  de  rares  occasions  à  leurs 
loyaux  serviteurs.  Il  y  avait  dans  cette  robe  trente-un  marcs  pesant  d'or, 
et  la  façon  avait  coûté  2.977  livres.  , 

A  la  cathédrale,  où  il  se  rendit  tout  d'abord,  le  duc  fit  lire  à  haute 
voix  devant  le  grand  autel,  par  Philibert  Paillai't,  chancelier  de  Bour- 
gogne, la  donation  du  roi  son  père  et  les  lettres  du  roi  régnant  qui  la 
confirmaient.  Puis  éclatèrent  chants  joyeux  et  fanfares,  auxquels  succé- 
dèrent les  intonations  solennelles  du  Te  Dcum. 

De  Jean  sans  Peur,  le  héros  de  la  bataille  de  Tongres,  qui  lui  valut 
son  surnom,  la  postérité  n'a  guère  conserve  que  le  souvenir  de  sa  fin 
tragique.  Jamais  traîtrise  ne  fut  aussi  perfidement  combinée.  Le  sire 
de  Barbazan  avait  pris  soin,  pour  attirer  le  duc  dans  le  piège  qui  lui 
était  tendu,  d'aller  lui  dire  qu'après  le  roi,  son  père,  il  n'était  personne 
que  le  Dauphin  aimât  davantage  que  lui,  et  qu'il  souhaitait  bien  fort  le 
voir  et  l'embrasser.  Il  le  pressait  en  même  temps  d'accepter  une  entrevue 
sur  le  pont  de  Montereau.  Instances  et  avertissements  ne  manquèrent 
pas  au  prince.  Un  juif  qu'il  avait  dans  sa  maison  et  qui  se  mêlait  de 
deviner  l'avenir,  lui  prédit  que  s'il  allait  à  Montereau  il  n'en  reviendrait 
jamais.  Rien  ne  put  l'arrêter.  Il  partit  avec  environ  quatre  cents  hommes 
d'armes  et  arriva  le  10  septembre  1419,  vers  deux  heures,  dans  une 
prairie  proche  la  rivière  d'Yonne. 

Là,  le  seigneur  Tanneguy  du  Chastel  vint  le  trouver  et  l'inviter  à  se 
rendre  avec  lui  dans  un  cabinet  en  charpente  dressé  au  milieu  du  pont, 
où  était  déjà  le  Dauphin.  Le  duc,  sans  défiance,  l'accompagna,  suivi  de 
quelques  seigneurs  qui  n'avaient  que  leur  cotte  et  leur  épée.  Il  s'avance 
vers  l'héritier  du  trône  de  France,  qui  le  reçoit  souriant.  Il  met  genou 
â  terre  devant  lui.  Mais,  à  ce  moment,  un  cri  sombre  surgit  :  «  Alarme! 
alarme!  tue!  tue!  »  D'un  coup  de  hache,  Tanneguy  du  Chastel  a  étendu 
le  trop  confiant  duc  à  terre  :  —  Monseigneur,  voici  le  traître  qui  vous 
retient  votre  héritage,  dit-il...  Et,  comme  il  respire  encore,  deux  hommes 
s'agenouillent,  soulèvent  sa  cotte  d'armes  et  le  percent  par- dessous 
d'un  coup  d'êpée  dans  le  corps. 

Les  assassins  voului-ent  compléter  leur  œuvre  en  jetant  le  cadavre  de 
leur  victime  dans  la  rivière,  après  l'avoir  dépouillé;  mais  le  curé  de 


LE  MENESTREL 


77 


Montereau  s'y  opposa  et  le  fit  porter  dans  un  moulin,  près  du  pont.  Le 
lendemain,  il  faisait  conduire  dans  son  église  par  quelques  mendiants 
de  la  ville  le  corps  du  duc  Jean,  renfermé  dans  la  bière  des  pauvres, 
encore  tout  souillé  de  sang  et  vêtu  seulement  de  ses  houzeaulx  et  de  son 
pourpoint. 

M.  de  BaranLe  cite,  dans  son  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne,  les  sires 
Olivier  Layet  et  Pierre  Frottier  comme  ayant  porté  le  coup  de  grâce  à 
l'infortuné  Jean  sans  Peur.  Tel  n'est  pas  l'avis  général,  et  comme  une 
autre  version  nous  touche  plus  particulièrement,  nous  lui  donnons  la 
préférence  : 

«  Un  nommé  Gillet  Bataille,  est-il  dit  dans  une  lettre  publiée  par  La 
Barre,  frappa  le  second  coup  après  Tanneguy  du  Ghastel;  et  s'en  est 
Chariot  Bataille,  son  frère,  vanté  par  plusieurs  fois.  Et  aussy  en  avoient 
faict  une  canchon  les  faux  traytres,  et  y  avoit  comment  Regnauldin 
l'enferma,  Tanneguy  le  frappa,  et  Bataille  sy  l'assomma.  » 

Cette  complainte,  nous  apprend  Leroux  de  Lincy,  n'a  pas  été  retrou- 
vée ;  mais  l'auteur  des  Chants  du  temps  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI  nous 
en  fait  connaitre  une,  conçue  dans  un  sons  différent,  car  elle  est  une 
véritable  déploration  à  la  mémoire  de  l'illustre  défunt  : 

Chi  s'ensuit 
la  Canchon  du  trépas  du  duc  Jehan  de  Bourgongne  : 

Tous  seigneurs,  prinches  terriens, 
En  sont  en  tribulacion; 
Il  n'est  grans,  petis,  ne  moyens 
Qui  n'en  soit  en  confusion. 
Moult  doublent  la  pugnission 
Du  mal  qui  en  porrait  yssir; 
Se  Dieu  n'y  met  provision, 
Grant  mesquief  en  poeult  advenir. 

Las  !  que  les  gens  du  plat  poys 
En  sont  attendans  de  gueste; 
Trestous  communs,  grans  et  petis, 
En  sont  grandement  destourbé. 
Las!  ilz  ont  été  desrobé, 
Perdu  le  leur  en  trestous  cas; 
Uz  se  cuidoient  reposer, 
Mais  fortune  les  met  en  bas. 

La  dame  qui  cœur  a  vaillant, 
Qui  fut  femme  au  duc  bourguignon, 
Ses  bons  amis  va  requérant 
Disant:  Henuyer,  Brabançon, 
Souviengne  vous  du  bon  baron  ; 
Et  aussy  entre  vous,  Flamens, 
Que  sa  mort  venhiés  de  cœur  bon 
Contre  ces  Erraignalz  pulens. 

Le  bon  conte  de  CharoUois 
Se  complaint  moult  piteusement 
De  la  paix  que  on  fist  l'autre  fols 
Au  jour  que  on  tint  le  parscnant. 
Ensemble  allèrent  au  Moustier 
Et  rechurent  leur  sacrement. 
Et  promirent  paix  sans  tricquier, 
Et  puis  l'ont  mierdry  faussement. 

Oncques  mais  seigneur  si  puissant 
Ne  fust  par  tel  parti  fine; 
Quant  par  ceux  on  s'alait  fiant 
Il  a  été  persécuté. 
Chieux  Dieu  qui  en  croix  fut  percé 
Lui  fâche  à  son  àme  pardon, 
Et  tous  ceux  qui  sont  trépassé 
Ayent  aussi  de  Dieu  le  don  ! 


Dieu  qui  est  vray  i 

Voeulle  ceulx  en  santé  tenir 

Qui  voirront  oyr  nos  recors 

Et  de  voUenté  retenir 

Dont  cliy  orés  au  Dieu  plaisir 

Pitié  recorder  playnement 

Du  bon  duc  que  on  a  fait  moryr, 

Dieu  mesche  s'ame  à  sauvement. 

Sancq  et  nature  vœultfîner. 
On  s'en  peult  bien  apperchevoir, 
Amys  font  l'un  Taulre  miner 
Et  déchéir  par  noncaloir; 
Plainement  on  voit  apparoir 
Les  signes  de  mortalité, 
Ihésus  par  son  digne  pooir 
Ayt  du  povre  poeupple  pitié. 

Que  le  comte  de  ChoroUoix 
A  moult  tristesse  et  doleur! 
Madame  sa  mère,  c'est  droix. 
En  aprenent  dolent  le  cœur, 
Et  aussy  a  bonne  seur 
Qui  d'Autrisse  tient  le  pays 
Et  la  dame  de  gi-ant  valeur 
Qui  Haynaut  tint  au  temps  jadis. 

Celle  de  Savoie  ensement 
S'en  doit  grandement  doloser, 
Le  duc  de  Brabant  proprement 
En  doit  aussi  grand  doeul  mener; 
Et  Saint-Pol  en  doit  bien  plourer. 
Et  aussi  doit  plourer  Nevers. 
Ihésus-Christ  lui  voeulle  ottrier 
Vrai  pardon  de  tous  ses  meffais  ! 

Et  lehan  de  Bavière  aussy 
En  doit  être  de  cœur  dolant; 
Perdu  y  a  un  grand  ami 
Et  qui  de  cœur  lui  fut  aidant; 
Aussi  à  la  dame  plaisant 
De  Guienne  qui  fille  estoit 
Au  duc  qui  a  fine  son  temps. 
Ihésus  miséricors  luy  soit! 


S'y  prion  Dieu  dévoilement 
Qu'il  vœuille  notre  duc  garder 
Et  aussi  ceux  semblablement 
Qui  Franche  doibvent  gouverner, 
Et  vœulle  les  seigneurs  garder 
Qui  sont  au  noble  prinche  amys, 
Et  paix  et  paradis  donner 
Au  seigneur  dont  sommes  jubges. 

Le  successeur  de  Jean  sans  Peur,  Philippe  le  Bon,  eut  aussi  les  hon- 
neurs de  l'oraison  funèbre  en  musique.  Mais  sa  complainte  est  coulée 
dans  un  moule  assez  ordinaire. 

Plus  intéressant  est  l'adieu  suprême,  qui  semble  un  chant  de  trou- 
badour, adressé  à  sa  seconde  femme.  Bonne  d'Artois. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


REVUE   DES   GRANDS    CONCERTS 


Le  dernier  concert  du  Conservatoire  s'ouvrait  par  la  sympiionie  en  ré 
mineur  de  César  Franck,  qui,  à  mon  sens,  n'est  pas  faite  pour  passionner.  Je 
n'ai  "lias  à  dire  que  c'est  le  talent  qui  y  manque  ;   on   ne  me  croirait  assuré- 


ment pas  :  c'est  l'inspiration,  c'est  le  génie,  c'est  ce  qui  fait  les  œuvres 
grandes  et  fortes  et  les  conduit  à  la  postérité.  La  symphonie  est  inégale.  Les 
thèmes  du  premier  allegro  sont  sans  grande  valeur,  même  le  dessin  initial, 
qui  se  fait  pressentir  dans  le  lento  d'inirodaction,  et  le  travail  symphoniqiie 
ne  saurait  donner  le  change  sur  la  faiblesse  de  l'inspiration.  Il  y  a  d'agréables 
parties  dans  l'allégretto,  notamment  dans  le  dernier  épisode,  con  sordlni,  qui 
rst  d'un  joli  sentiment.  Mais  le  finale  est  bien  vide,  quoique  l'orchestre  y  soit 
particulièrement  soigné  et  produise  certains  efl'ets  qui  ne  manquent  pas  de 
grandeur.  En  résumé,  je  crois  que  ce  n'est  pas  sur  cette  œuvre  qu'il  faudrait 
juger  la  personnalité  musicale  de  César  Franck.  Le  motet  de  M.  Vidal  :  Ecce 
sacerdos  rrmgnus  est  un  morceau  agréable,  sans  développements,  accompagné 
seulement  par  l'orgue  et  le  quatuor  à  cordes.  Le  succès  de  la  journée  a  été 
pour  l'admirable  concerlsliick  de  Weber,  magistralement  exécuté  par  M.  Léon 
Delafosse  dont  le  triomphe  a  été  complet  et  caractérisé  par  trois  rappels. 
M.  Delafosse  a  fait  preuve,  dans  l'interprétation  de  ce  chef-d'œuvre,  de 
qualités  éminentes  :  un  joli  son,  une  excellente  attaque  de  la  touche,  de  la 
grâce  et  de  l'élégance,  de  la  vigueur  et  de  la  puissance,  enGn  du  goût  et  du 
style.  Le  public  lui  a  prouvé  bruyamment  sa  sympathie  et  le  plaisir  qu'il 
lui  avait  procuré.  Ce  succès  s'est  renouvelé,  dans  des  conditions  différentes, 
avec  un  motet  de  Jean-Sébastien  Bach  :  Je  reste  avec  toi,  qui  est  une  pure 
merveille.  C'est  un  double  chœur  à  huit  voix,  sans  accompagnement,  qui  se 
termine  par  un  épisode  superbe,  un  choral  d'un  accent  plein  de  grandeur 
qui  réunit  les  huit  voix  en  un  seul  chœur  à  quatre  parties,  d'une  couleur  et 
d'un  éclat  prodigieux.  L'exécution  de  cette  page  splendide  était  à  la  hauteur 
de  l'œuvre.  Le  concert  se  terminait  par  la  symphonie  en  mi  bémol  d'Haydn 
(n"  oi  du  Conservatoire),  dite  par  l'orchestre  d'une  façon  délicieuse.  A.  P. 

—  Concerts  Colonne.  —  C'est  sans  doute  la  mort  de  la  reine  Victoria,  à 
laquelle  la  Symphonie  écossaise  de  Mendelssohn  est  dédiée,  qui  a  paru  donner 
un  regain  d'actualité  à  cette  œuvre.  Nous  ne  regrettons  pas  d'ailleurs  de 
l'avoir  réentendue,  car  elle  reste  une  des  compositions  les  plus  accomplies  de 
son  auteur  et  offre  tout  ce  que  le  talent  uni  au  goût,  à  la  science  et  à  la  pon- 
déralion  artistique  peut  produire,  sans  atteindre  aux  sommets  qui  sont  du 
domaine  du  génie.  —  L'anniversaire  contesté  de  la  naissance  en  1810  de 
Chopin,  qui  n'est  certainement  pas  né  le  2  mars,  comme  le  programme  offi- 
ciel le  prétend,  a  servi  de  prétexte  pour  régaler  le  public  de  la  transcription 
bien  connue  faite  pour  orchestre,  par  Prosper  Pascal,  de  la  fameuse  Marche 
funèbre  qui  fait  partie  de  la  sonate  en  si  b  mineur.  Nous  avouons  franchement 
que  nous  préférons  à  cette  transcription  la  version  primitive  pour  piano.  Un 
Nocturne  et  une  Polonaise  de  Chopin,  que  M.  Cortot  a  joués  après  la  marche, 
semblaient  quelque  peu  déplacés  dans  la  salle  immense  du  Châielet:  on  ne 
pouvait  en  saisir  que  les  forte  et  les  fortissimo,  et  encore  I  M.  Cortot  a  cepen- 
dant eu  l'occasion  de  se  distinguer  par  son  interprétation  brillante  et  impec- 
cable, quoique  peu  personnelle,  des  Variations  sijmphoniques  de  César  Franck, 
œuvre  d'un  tour  aussi  ingénieux  que  captivant  et  d'une  alliance  parfaite  entre 
l'instrument  concertant  et  l'orchestre.  —  C'est  aussi  avec  un  véritable  plaisir 
qu'on  a  entendu  le  Rouet  d'Omphale,  cette  fraîche  et  ravissante  œuvre  de  jeu- 
nesse de  M.  Saint-Saëns,  qui,  pour  l'écrire,  n'a  pas  hésité  à  commettre  un 
anachronisme  formidable,  malgré  son  érudition  bien  connue.  Le  jeune 
maître  de  1872  n'ignorait  certes  pas  que  l'invention  du  rouet  date  seulement 
du  XVI«  siècle  et  que  la  belle  reine  de  Lydie  n'avait  à  sa  disposition  que  de 
simples  fuseaux;  il  n'ignorait  pas  non  plus  que  le  fils  de  Jupiter,  extrême- 
ment doué  pour  filer  le  parfait  amour,  l'était  bieu  moins  pouj  filer  de  la  laine 
au  fuseau,  car  déjà  Boileau  l'avait  dit  : 

...Hercule  filant  rompait  tous  les  fuseaux. 
Mais  le  fuseau  est  silencieux,  tandis  que  le  susurrement  du  rouet  se  prête  si 
bien  à  la  musique  imitative  qui  hantait  l'imagination  de  l'artiste  !  Remercions- 
le  donc  du  courage  avec  lequel  il  s'est  moqué  de  tous  les  Beckmesser  de 
l'archéologie.  —  Le  programme  ofl'rait  encore  la  dramatique  ouverture  d'Eu- 
ryanthe,  de  V.'eber.  et  des  fragments  de  Fervaal,  de  M.  Vincent  d'InJy.  Il  a 
été  parlé  de  ces  œuvres  ici  même  la  semaine  passée;  il  ne  nous  reste  donc 
qu'à  constater  leur  beau  succès  renouvelé.  0.  Berggruen. 

—  Concerts  Lamoureux. —  Les  premières  esquisses  de  la  Faust-Symphonie 
remontent  à  4840-1843;  elles  furent  coordonnées  de  18S4  à  18o7  et  l'exécution 
publique  eut  lieu  pendant  cette  dernière  annnée,  aux  fêtes  en  l'honneur  de 
Gœthe  et  de  Schiller.  Les  chefs  d'orchestre  les  plus  célèbres,  Hans  de  Bûlow, 
Bronsart,  Max  Seifriz,  Damrosch,  Kliudworth,  Nikisch,  etc..  et  aussi 
Pasdeloup  ont  fait  de  louables  tentatives  pour  initier  le  public  aux  beautés 
de  l'œuvre  de  Liszt.  M.  Saint-Saëns  avait  convié  les  admirateurs  du  maître  à 
une  audition  de  ses  grands  ouvrages  symphoniques  au  printemps  de  1878, 
dans  la  salle  Ventadour.  A  propos  de  la  seconde  partie  de  la  Faust-Symphonie^ 
délicieux  fragment  dont  le  charme  nous  remplit  d'une  si  douce  ferveur 
musicale,  un  des  représentants  les  plus  autorisés  de  la  critique  parisienne 
écrivit  cette  phras3  :  «  Avec  Marguerite,  andante  de  la  symphonie,  nous 
retournons  dans  les  brouillards  de  la  musique  descriptive;  l'auteur  ne  paraît 
pas  avoir  voulu  raconter  l'histoire  de  Marguerite,  mais  faire  son  portrait; 
cependant,  je  n'ose  rien  affirmer  positivement,  après  une  seule  audition.  » 
Que  Liszt  n'ait  pas  voulu  écrire  symphoniquement  l'histoire  de  Marguerite, 
cela  pouvait  s'aflirmer  avant  l'audition;  quant  aux  brouillards,  ou  serait  biea 
en  peine  d'en  découvrir  aujourd'hui  dans  le  morceau  alors  si  peu  compris,  et 
qui  nous  paraît  aujourd'hui  d'une  transparence  extrême.  Pasdeloup  donna 
l'œuvre  en  janvier  1883,  au  Cirque  d'hiver.  M.  Edouard  Risler,  secondé  par 
M.  Alfred  Cortot,  l'a  interprêtée,  salle  Pleyel,  en  1897.  L'orchestre  était 
remplacé  par  deux  pianos,  mais  en  revanche,  le  chœur  mystique  n'était  pas 


78 


LE  MENKSTREL 


sDpprimé.  Cette  tentative  mérite  d'être  rappelée  à  l'iionneur  de  ceux  qui  l'ont 
tentée.  L'analyse  psychologique  de  la  Faust-Symphonie  serait  d'un  grand 
intérêt,  mais  elle  demanderait  une  place  dont  je  ne  dispose  pas  ici.  De  Liszt 
à  Berlioz,  on  peut  passer  sans  transition.  L'air  de  Didon,  des  Troyens  à  Car- 
thage,  était  jeté  dans  ce  concert,  n'ayant  rien  pour  le  préparer,  rien  pour  lui 
donner  du  prestige,  si  ce  n'est  le  talent  de  M"<^  Gerville-Réache.  Or,  cette 
jenne  fille,  chez  laquelle  des  qualités  précieuses  d'organe,  de  l'intelligence  et 
un  sentiment  juste,  cachent  encore  imparfaitement  les  lacunes  d'un  travail 
hàtif,  a  su  mettre  en  relief  cet  air,  et  l'impression  qu'il  a  produite  a  été 
profonde,  irrésistible.  Elle  avait  été  un  peu  moins  heureuse  avec  la  délicieuse 
Marine  de  Lalo  et  la  Cloche  de  Saint-Saons.  L'assurance  et  une  diction  aisée 
et  naturelle  lui  avaient  m.anqué  dans  ces  deux  morceaux.  L'orchestre  a  bien 
rendu  l'ouverture  du  Freischûiz  et  Huldir/ungsmarsch  de  'Wagner,  dans  laquelle 
OB  retrouve  des  thèmes  de  Rienzi,  de  Tristan,  des  Maîtres  Chanteurs,  et  où  l'on 
remarque  un  fragment  utilisé  plus  tard  dans  la  Marche  de  fête;  M.  Sechiari 
s'est  distingué  en  exécutant  avec  une  belle  virtuosité  le  Concertstûck  de  Saint- 
Saëns.  Aîiédée  Bol'tarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  ré  mineur  (César  Franck).  —  Ecce  sa^erdos  magnvs  (P. 
Vidal).  —  Concertsiiick  iWeberj,  par  M.  L.  Delafosse.  —  Je  reste  avec  toi  (J.-S.  Bach).  — 
Symphonie  en  mi  bémol  iHaydni. 

Châtelel,  concert  Colonne,  consacré  aux  œuvres  de  M,  Massenet  :  Brumaire.  —  Arioso 
du  Moi  de  Lahore.  par  M.  Jean  Lassalle.  —  Phèdre.  —  A.  Air  d'Ère  et  B.  Extase  de  la 
Vierge,  chantés  par  M""  Auguez  de  Montalant.  —  Méditation  de  Tlum,  par  M.  Oliveira. 
—  Chant  provençal,  par  M.  Jean  Lassalle.  —  Suite  d'orchestre  à'Esclannonde. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  dirigé  par  M.  Chevillard  :  Ouverture  du  Fre!/.sc/HV; 
(W'eber).  —  Deuxième  concerto  pour  piano  iTh.  Dubois),  par  31""  Kleeberg,  —  Troisième 
acte  de  Siegfried  (Wagner),  par  M"">"  Chrétien-Vaguet  et  Gerville-Réache,  MM.  Imbart  do 
La  Tour  et  Challet,  —  Marclic  Iwngroise  de  la  Damnation  de  Faust  (Berliozj. 

—  Mardi  12  mars,  à  8  heures  et  demie,  salle  Pleyel,  musique  de  chambre, 
troisième  séance  Ed.  Nadaud.  avec  le  concours  de  M"""  G.  Hainl,  de  IVfM.  Cros- 
Saint-Ange,  Duttenhofer.  JMigard  et  Nannv. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


La  commission  du  Reichstag  allemand,  qui  est  en  train  d'élaborer  une 
nouvelle  loi  sur  les  droits  d'auteur,  vient  de  prendre  une  décision  fort  impor- 
tante; elle  propose,  eu  effet,  de  prolonger  à  cinquante  ans,  comme  en  France, 
la  durée  des  droits  d'auteur,  qui  est  actuellement  fixée  en  Allemagne  à  trente 
ans  seulement.  On  sait  que  la  famille  de  Richard  'Wagner  a  fait  de  grands 
efforts  et  a  mis  eu  mouvement  des  influences  extraordinaires  pour  arriver  à 
ce  résultat,  qui  l'intéresse  énormément.  Car  si  la  nouvelle  loi  ne  modifiait  pas 
la  durée  des  droits  d'auteur,  l'œuvre  de  Richard  Wagner  tomberait  dans  le 
domaine  public  en  1913,  juste  cent  ans  après  la  naissance  du  maitre.  Or, 
l'œuvre  de  "Wagner  est  encore  en  plein  rapport  et  les  douze  années  qui  s'é- 
couleront d'ici  à  1913  ne  modifieront  pas  sensiblement  les  résultats  de  son 
exploitation.  Il  faut  aussi  considérer  que  le  théâtre  de  Bayreuth  serait  à  peu 
près  perdu  si  tous  les  théâtres  d'.\llemagne  pouvaient  jouer  Parsifal. 

—  A  l'Opéra  royal  de  Berlin  Faust  vient  d'arriver  à  sa  300'  représentation. 
C'est  un  fait  fort  rare  de  l'autre  côté  du  Rhin,  oii  le  répertoire  doit  changer 
beaucoup  plus  souvent  que  chez  nous. 

—  Les  amis  et  les  admirateurs  du  fameux  pianiste  Jules  Schulholï,  qui 
habita  longtemps  la  France  et  qui  mourut  à  Berlin  en  189S,  se  sont  formés 
en  comité  dans  le  but  d'instituer  un  prix  en  argent  consacré  à  sa  mémoire, 
qui  portera  son  nom  et  qui  devra  être  décerné  annuellement  au  meilleur 
élève  de  piano  sortant  du  Conservatoire  Stern,  de  Berlin. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  a  célébré  la  semaine  passée  le  centième 
anniversaire  de  la  première  représentation  de  la  Flûte  enchantée  à  ce  théâtre. 
Jouée  d'abord  au  théâtre  an  der  "Wien  sous  la  direction  même  de  Mozart,  le 
30  septembre  1791,  cet  ouvrage  a  en  eiîet  été  représenté  pour  la  première  fois 
à  l'Opéra  impérial  le  24  février  1801,  avec  la  célèbre  M™'  Rosenbaum  dans  le 
rôle  de  la  Reine  de  la  nuit.  A  l'occasion  de  ce  jubilé,  M.  "Weltner,  l'érudit 
archiviste  de  l'Intendance  générale  des  théâtres  impériaux,  a  publié  un  tra- 
vail curieux  sur  les  représentations  de  la  Flâle  enchantée  à  l'Opéra  de  "Vienne. 
L'ouvrage  n'a  pas  fait  rapidement  son  chemin.  Ce  n'est  qu'en  1821  qu'il  a  été 
joué  pour  la  centième  fois:  il  a  fallu  encore  25  ans  pour  qu'il  arrivât,  en 
1846,  à  la  200=  représentation  ;  la  .300"  n'a  eu  lieu  qu'en  1870  et  la  400'^  en  1893. 
C'est  maigre  pour  tout  un  siècle  et  pour  une  œuvre  pareille!  Parmi  les  artis- 
tes qui  ont  successivement  prêté  leur  concours  aux  représentations  de  l'Opéra 
impérial  nous  rencontrons  plusieurs  noms  célèbres  et  inattendus.  C'est  ainsi 
que  Johann  Nestroy,  le  fameux  comique  et  auteur  dramatique,  a  chanté  Sa- 
rastro  en  1821  ;  les  célèbres  basses  chantantes  Staudigl  et  Karl  Formes  ont 
également  abordé  ce  rôle.  Dans  celui  de  Tamino  nous  rencontrons  les  célè- 
bres ténors  Franz  "WUd,  Erl  et  Ander,  auquel  Richard  "Wagner  avait  attribué 
pour  Vienne  le  rôle  de  Tristan,  mais  qui  mourut  avant  d'avoir  pu  l'aborder. 
La  Reine  de  la  nuit  a  été  confiée,  en  dehors  de  M""-  Rosenbaum,  déjà  citée, 
à  M™™  Hasselt-Barth,  Tietjens,  lima  de  Murska  et  Marie  "Wilt.  Le  rôle  de 
Paniina  peut  se  vanter  d'illustrations  comme  "Wilhelmine  Schrœder,  Hen- 
riette Sontag,  Sophie  Lœwe,  plus  tard  princesse  Frédéric  Liechtenstein,  Tiet- 


jens, déjà  nommée,  Meyer-Dustmann  et  Gabrielle  Krauss.  Dans  les  rôles  des 
trois  fées  de  la  reine  ont  paru  M™*  Cngher-Sabatier.  Bettelheim,  Materna 
et  Marie  Wilt.  Papagena  a  été  jouée  par  M""*  Henriette  Treffss,  qui 
épousa  plus  tard  l'auteur  du  Beau  Danube  bleu.  Tagliana,  Blanchi.  Renard  et 
Standhartner-Mottl.  En  1839  M"!^  Pauline  Lucca,  qui  devait  faire  plus  tard 
une  carrière  si  brillante,  a  débuté  modestement  dans  le  rôle  d'un  des  trois 
petits  génies,  après  avoir  été  simple  choriste. 

—  L'Opéra  populaire  projeté  Vienne,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  vient  de 
faire  un  grand  pas  vers  la  réalisation.  A  une  réunion  des  adhérents  qui  a  eu 
lieu  la  semaine  passée,  on  est  tombé  d'accord  sur  l'emplacement  du  nouveau 
théâtre,  qui  est  admirablement  bien  choisi,  et  sur  les  moyens  d'action.  L'ar- 
chitecte qui  est  désigné  pour  la  construction  de  l'Opéra  assure  qu'on  pourra 
l'inaugurer  en  octobre  1902.  Quant  au  répertoire,  le  nombre  de  partitions 
déjà  jouées  ailleurs  avec  succès  et  qui  cependant  ne  peuvent  arriver  à  forcer 
les  portes  de  l'Opéra  impérial,  est  énorme.  11  y  a  là  de  quoi  alimenter  dix 
saisons  consécutives. 

—  L'Opéra  royal  de  Munich  annonce  pour  le  19  de  ce  mois  la  première 
représentation  du  Petit  duc  étourdi,  l'opéra-comique  de  M.  Siegfried  "Wagner. 

—  La  question  tchèque,  qui  donne  tant  de  fil  à  retordre  aux  ministères 
autrichiens,  a  trouvé  une  solution  inattendue  au  théâtre  de  Prague.  Le  théâtre 
allemand  de  cette  ville  a,  en  effet,  joué  un  opéra  écrit  sur  des  paroles  tchè- 
ques par  M.  Karl  Weiss  et  intitulé  le  Juif  polonais,  avec  un  succès  marqué. 
Les  tchèques  se  sont  rendus  en  masse  au  théâtre  allemand,  ce  qui  ne  s'était 
encore  jamais  vu,  et  ont  applaudi  à  tout  rompre;  le  compositeur  a  reçu  des 
couronnes  aux  couleurs  tchèques  et  aussi  aux  couleurs  allemandes. 

—  Un  opéra  inédit  intitulé  Durer  à  Venise,  paroles  de  M,  Adolphe  Bartels. 
musique  de  M.  "W.  de  Baussnern,  a  été  joué  avec  beaucoup  de  succès  à 
l'Opéra  grand-ducal  de  "Weimar.  Grand  succès  aussi.au  théâtre  municipal  de 
Brème,  pour  un  opéra  intitulé  Gougaeline,  paroles  de  M.  O.-J.  Bierbaum, 
musique  de  M.  Louis  Thuille. 

—  On  a  célébré  récemment  à  Stockholm  le  centenaire  de  la  naissance  du 
compositeur  Adolphe-Frédéric  Lindblad,  qui  naquit  le  l"  février  1801  et 
mourut  le  23  août  1878.  Lindblad  n'écrivit  point  pour  le  théâtre,  mais  il  se  fit 
une  grande  renommée  par  quantité  de  chants  suédois,  dont  il  écrivait  sou  - 
vent  aussi  les  paroles  et  qui  se  faisaient  remarquer  par  leur  mélodie  d'une 
expression  pénétrante,  par  leur  harmonie  savoureuse  et  par  leur  caractère 
sincèrement  national.  Ces  chants,  que  la  célèbre  cantatrice  Jenny  Lind,  qui 
fut  son  élève,  interprétait  d'une  façon  délicieuse,  valurent  à  Lindblad  le  sur- 
nom de  «  Schubert  du  Nord  ».Le  programme  de  la  soirée  donnée  àsamémoire 
était  entièrement  consacré  à  ses  œuvres. 

—  Les  publications  sur  Verdi  commencent  à  se  multiplier  en  Italie.  Deux 
ouvrages  viennent  de  paraître  :  le  Opère  di  Verdi,  un  gros  volume  qui  a  pour 
auteur  le  compositeur  Alfredo  Soll'redini,  ancien  rédacteur  de  la  Gaszetia 
musicale  de  Milan,  et  Verdi,  l'uomo,  le  opère,  l'artisia,  de  M.  Oreste  Boni.  Et 
on  annonce  la  prochaine  apparition  d'un  livre  de  M.  Italo  Pizzi,  professeur 
de  langues  orientales  à  l'université  de  Turin.  Celui-ci  contiendra,  parait-il, 
des  appréciations  intéressantes  de  Verdi  sur  la  musique  allemande  et  le  récit 
de  son  ensommeillement  ( addormentarsi )  à  la  première  représentation  de 
Lohengrin. 

—  On  lit  dans  le  Carrière  dei  Teatri  :  «  Adelina  Patti,  après  s'être  présentée 
au  public  génois  en  décembre  1877,  en  jouant /a  Traviata  et  le  Barbier  de  Séville 
successivement  au  théâtre  Paganini  et  au  théâtre  Doria,  retourna  plus  tard  à 
Gênes  pour  se  produire  dans  Aida  au  Politeama.  A  cette  occasion  elle  insista 
vivement  auprès  de  Verdi  pour  qu'il  voulût  bien  l'entendre  dans  cet  ouvrage, 
qui  était  alors  le  dernier  de  l'illustre  mailre.  Verdi  s'en  excusa,  surtout  en 
raison  de  son  âge,  qui  dès  cette  époque  était  pour  lui  une  ressource  com- 
mode. De  fait,  il  était  tout  autre  qu'indifférent  à  ce  nouvel  essai  de  la  grande 
artiste,  et  il  déclara  à  ses  intimes  qu'il  était  assez  curieux  de  savoir  si  la  Patti 
exécuterait  véritablement  une  Aida...  de  Verdi.  Il  ne  se  rendit  point  à  la 
représentation,  mais  il  y  envoya  son  secrétaire  Corticelli,  en  le  chargeant 
de  l'informer.  Et  Corticelli  rendit  compte  ensuite  au  maitre  que  l'Aida  donnée 
par  la  Patti  était  proprement  de  Verdi...  avec  quelques  petites  variantes,  tin 
sait,  du  reste,  que  la  Patti,  incomparable  dans  la  Traviata,  son  grand  cheval 
de  bataille,  n'insista  pas  pour  maintenir  Aida  dans  son  répertoire,  et  que  dans 
celle-ci  eut  lieu  de  se  distinguer  plus  qu'elle  son  compagnon  Nicolini,  qui 
fut  un  Radamès  exceptionnel.  » 

—  Un  baryton  qui  jouait  ces  jours  derniers,  à  Sienne,  le  rôle  de  Charles- 
Quint  dans  Ernani,  a  trouvé  un  singulier  moyen  de  rendre  hommage  à  la 
mémoire  de  Verdi.  Dans  la  grande  scène  où  il  doit  s'écrier  :  0  summo  Carlo! 
il  a  changé  le  nom  et  a  chanté  :  0  sommo  Verdi!... 

—  Les  Anglais  et  les  Américains  n'ont  pas,  paraît-il,  le  privilège  des  idées 
excentriques.  Un  Italien,  M.  F.  Tonolla,  directeur  du  journal  il  Teatro, 
annonce  qu'il  ouvre  un  concours  entre  tous  les  compositeurs  italiens  et 
étrangers,  pour  compléter  un  quatuor  de  Rossini  dont  il  possède  l'autographe. 
Le  concours  sera  clos  le  30  juin  prochain  et  comportera  trois  prix,  consis- 
tant en  médailles  d'or,  d'argent  et  de  bronze,  avec  diplômes,  -Avis  aux  ama- 
teurs. 

—  On  a  donné  à  Rome,  sur  le  petit  théâtre  particulier  du  palais  Altaemps, 
trois  exécutions  d'un  oratorio  en  deux  parties  du  maestro  Lucchesi,  il  Triotifo 
di  Giuseppein  Egitto.  Mais  il  paraît  que  l'interprétation,  entièrement  confiée  à 
des  amateurs,  a  laissé  considérablement  à  désirer. 


LE  MÉNESTREL 


79. 


—  A  Vercelli,  les  élèves  de  l'Institut  hospitalier  (les  pauvres  ont  exécuté 
une  petite  pièce  musicale  en  deux  actes,  il  Natale  d'Airiguccio,  écrite  à,  leur 
intention  par  M.  G.  Piazzano,  et  qui  a  été  bien  accueillie,  ainsi  que  ses 
mignons  interprètes. 

—  De  Mnnte-Cario  :  Très  vif  succès  pour  Louis  Diémer  et  le  Concertstïick 
dont  il  est  l'auteur.  On  l'a  acclamé  aussi  dans  diverses  pièces  de  Chopin. 
Daquin,  Haendel,  Liszt  et  Massenet  (Eau  dormante  et  Eau  courante). 

—  On  nous  écrit  également  de  Monte-Carlo  que  M"<=  Inez  Jolivet,  la  bril- 
lante violoniste,  vient  de  se  produire  avec  succès  aux  concerts  du  Casino. 
Dans  le  3=  concerto  de  "Wienia\Yski  elle  tut  fort  applaudie  par  le  public. 

—  Au  Savoy-Théâtre  de  Londres  ont  commencé  les  répétitions  de  l'opéra 
posthume  de  sir  Arthur  Sullivan,  qui  est  intitulé  l'Ile  d'émeraude  et  dont  l'action 
se  passe  en  Irlande.  L'œuvre  passera  après  Pâques.  La  partition  a  été  termi- 
née par  M.  Edward  German. 

—  Un  ingénieur  de  Chicago,  dont  la  femme  est  médecin,  s'est  trouvé  sou- 
vent dans  l'obligatinn  de  s'occuper  lui-même  de  son  Gis,  âgé  de  quelques  mois, 
pendant  les  absences  professionnelles  du  docteur-mère.  Comme  le  petit  ne 
se  tenait  tranquille  qu'autant  qu'il  était  bercé  et  qu'on  lui  chantait  certaine 
berceuse,  le  père  ingénieu.x  inventa  un  appareil  qui,  accroché  à  un  commuta- 
teur, mettait  en  mouvement  le  berceau  et  faisait  marcher  en  même, temps  un 
phonographe  qui  chantait  la  berceuse  favorite  de  son  rejeton.  Non  content 
d'avoir  ainsi  réduit  réleclricité  au  rùle  de  nourrice  sèche,  l'ingénieur  a  aussi 
pensé  à  ses  enfants  à  venir  en  faisant  construire  un  nouvel  appareil  électrique 
qui  fait  sortir  le  lait  d'un  biberon  et  approche  un  petit  récipient  destiné  aux 
fréquentes  éliminations  physiologiques  d'un  petit  enfant.  Une  difficulté  cepen- 
dant existe  encore:  l'enfaut  devrait  savoir  presser  le  bouton  en  temps  utile.  Ce 
problè-me,  qui  n'est  plus  du  ressort  de  l'ingénieur,  est  actuellement  étudié  par 
sa  femme;  il  est  cependant  peu  probable  qu'elle  en  trouve  la  solution. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Sur  la  proposition  qui  lui  en  avait  été  faite  par  la  commission  supé- 
rieure de  l'enseignement  au  Conservatoire,  M.  le  ministre  de  l'instruction 
publique  et  des  beaux-arts  a  nommé  M.  Antonin  Marmontel  titulaire  d'une 
classe  de  piano  dans  ladite  école,  en  remplacement  de  M,  Raoul  Pugno, 
démissionnaire.  Peu  de  nominations  ont  été  plus  sympathiquement  accueillies 
que  celle  de  M.  Marmontel,  qui  fait  figurer  à  nouveau  dans  l'enseignement 
du  Conservatoire  un  nom  justement  célèbre.  Où  le  père  a  passé  passera  bien 
etdignement  le  fils,  dont  les  preuves  d'ailleurs  sontdéjà  faites  depuis  longtemps. 

—  La  cérémonie  commémorative  en  l'honneur  de  Yerdi  a  eu  lieu  à  la  date 
annoncée,  jeudi  dernier,  à  la  Sorhonne.  Dès  deux  heures,  le  grand  amphi- 
théâtre était  tellement  rempli,  enceinte  et  tribunes,  qu'il  eût  été  impossible 
d'y  trouver  la  moindre  place.  L'orchestre  était  placé  sur  une  estrade,  au-dessus 
de  laquelle,  environné  de  palmes,  s'élevait  un  buste  colossal  de  Verdi,  œuvre 
de  M.  CernigUari-Melilli.  A  deux  heures  un  quart,  le  cortège  officiel  fait  son 
entrée  aux  sons  de  la  Marseillaise,  exécutée  par  la  musique  de  la  Garde  répu- 
blicaine et  écoutée  debout  par  les  assistants,  ainsi  que  la  Marcia  reale.  Puis,  l'or- 
chestre de  l'Opéra  fait  entendre  l'ouverture  des  Vêpres  Siciliennes,  et  M.  Georges 
Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique,  parlant  au  nom  du  gouverne- 
ment français,  lit  un  discours  bref,  solide,  dans  lequel  il  fait  l'éloge  du 
maître  illustre  auquel  cette  cérémonie  est  consacrée.  M.  Delmas,  dont  le 
succès  a  été  très  grand,  vient  chanter  ensuite,  de  sa  voix  et  avec  son  style 
superbes,  l'air  d'Iago  dans  Olello.  C'est  alors  le  tour  de  M.  Gustave  Larroumet, 
représentant  l'Académie  des  beaux-arts,  qui  lit  un  nouveau  discours,  un 
nouvel  éloge  de  Verdi,  qu'il  termine,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  par  un  double 
hosannah  à  Verdi  et  à...  Wagner.  Peut-être,  en  ce  cas,  eùt-il  été  de  bon 
goût  au  moins  de  ne  pas  oublier  si  complètement  la  France  et  de  prononcer 
le  nom  de  Gounod.  Mais  c'est  égal,  qu'est-ce  que  Wagner  allait  faire  dans 
cette  galère?...  On  a  entendu  ensuite  la  Prière  à  la  Vierge  (paraphrase  de 
Dante),  dernière  composition  de  Verdi,  quatuor  pour  voix  de  femmes,  sans 
accompagnement,  chanté  par  M"'^  Ackté,  Grandjean,  Héglon  et  Flahaut,  et 
qui  peut-être  eût  eu  besoin  d'une  répétition  supplémentaire.  Il  n'importe, 
l'œuvre  est  d'un  style  très  pur,  et  l'auditoire  l'a  redemandée  avec  insistance, 
en  applaudissant  vigoureusement  ses  interprètes.  M.  Clovis  Hugues  est  venu 
ensuite  lire  une  poésie  ;  Hommage  à  Verdi,  dont  les  vers  sonores  et  pleins 
d'enthousiasme  ont  produit  sur  l'assistance  une  impression  qui  s'est  traduite 
en  applaudissements  vigoureux  et  prolongés  à  l'adresse  du  député-poète. 
Puis  l'orchestre  de  l'Opéra  a  joué  la  superbe  Marche  A'Aida,  la  Garde  répu- 
blicaine a  exécuté  deux  fantaisies  sur  i  Due  Foscari  et  sur  le  Trouvère,  après 
quoi  M.  Raqueni,  vice-président  du  comité  de  la  ligue  franco-italienne,  est 
venu  remercier  la  France  du  bel  hommage  qu'elle  venait  de  rendre  à  Verdi, 
et  donner  lecture  de  la  dépêche  adressée  au  ministre  des  beaux-arts  italien 
pour  lui  rendre  compte  de  cette  mémorable  séance.  Celle-ci  a  pris  fin  sur  une 
nouvelle  exécution  de  la  Marseillaise. 

—  Revu  Astarté  à  l'Opéra,  cette  fois  de  face.  Mais  ne  voilà-t-il  pas  qu'on  a 
doublé  les  jupes  de  ces  dames  et  qu'on  y  a  multiplié  les  nœuds  pudiques  et 
protecteurs.  Et  du  coup  l'œuvre  a  perdu  sa  principale  attraction  auprès  d'un 
certain  public.  La  présence  de  M.  Affre,  qui  a  succédé  à  M.  Alvarez  dans  le 
rôle  d'Hercule,  suffira-t-elle  pour  relever  les  choses  ?  Remarqué  un  nombre 
incalculable  d'escaliers  au  milieu  des  décors.  On  en  a  mis  dans  tous  les 
taileaux,  et  ils  montent  toujours  plus  haut  à  mesure  que  l'action  progresse. 
C'est  un  opéra  en  cinq  étages.  Et  pas  d'ascenseur  ! 


—  A  l'Opéra,  toujours,  on  poursuit  activement  les  études  du  Roi  de  Paris, 
de  M.  Georges  Hue,  sur  le  Livret  de  Louis  Gallet  et  Henri  Bouchut.  Cet 
ouvrage,  qui  ne  compte  qne  quatre  personnages,  est  d'une  action  très  rapide 
et  ne  durera  gnère  que  deux  heures  ;  le  spectacle  sera  donc  complété  avec 
un  des  ballets  du  répertoire.  Gageons  que  ce  sera  la  Maladetla.  Le  seul  rôle 
féminin,  primitivement  destiné  à  M"=  Bréval,  actuellement  en  villégiature 
américaine,  aura  pour  interprète  M™"  Bosman. 

—  Les  décors  ayant  été  rapidement  réparés  et  remis  à  neuf,  l'Opéra- 
Comique  a  pu  reprendre  dès  cette  semaine  les  représentations  de  la  triom- 
phante Louise,  qui  a  retrouvé  de  suite  ses  fidèles  et  chaleureux  partisans. 
Vendredi,  c'était  la  101",  et  aujourd'hui  dimanche  on  donne  la  102=. 

—  L'Opéra-Coraique  fixe  au  mercredi  13  mars  la  première  représentation 
(reprise)  de  Mireille,  opéra  en  sept  tableaux,  tiré  du  poème  de  Mistral  par 
Michel  Carré,  musique  de  Ch.  Gounod.  La  répétition  générale  aura  lieu  le 
lundi  11.  dans  l'après-midi.  —  On  commence  â  s'occuper  de  la  distribution 
de  la  Troupe  Jolicœur  de  MM.  Henri  Cain  et  Arthur  Goquard. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Basoche,  le  Chalet;  le  soir,  Louise  (102»  représentation). 

—  M.  Massenet  a  fait  jeudi  une  très  courte  réapparition  à  Paris,  venant  du 
ilidi,  mais  pour  se  diriger  de  suite  sur  Tournai,  où  on  doit  exécuter  son 
nouvel  oratorio  la  Terre  promise.  Il  ne  pourra  donc  assister  aujourd'hui  au 
concert  que  donne  M.  Colonne  en  l'honneur  de  ses  œuvres. 

—  C'est  le  IS  mars  que  l'orchestre  des  concerts  Colonne  donnera,  sous  la 
direction  de  son  chef,  son  premier  concert  à  Berlin. 

—  Nos  nouvelles  colonies  no  veulent  pas  se  priver  du  plaisir  du  théâtre.  On 
sait  que  depuis  longtemps  déjà  il  en  existe  un  à  Saigon.  Hanoï  se  prépare  à 
avoir  le  sien,  et  la  municipalité  de  cette  ville  va  commencer  incessamment 
l'édification  d'une  salle  de  spectacle  dont  le  prix  atteindra  bien  près  d'un  mil- 
lion. Les  plans  sont  terminés  et  approuvés.  Ce  théâtre,  qui  pourra  contenir 
huit  cents  spectateurs,  aura  une  installation  conçue  d'après  les  agencements 
les  plus  modernes  en  matière  do  machinerie.  Les  plus  sérieux  efforts  vont 
être  tentés  pour  que  la  construction  puisse  être  achevée  au  moment  de  la 
grande  Exposition  d'Hanoi,  c'est-à-dire  â  la  fin  de  1902.  Peut-être  est-ce  là 
l'un  des  meilleurs  moyens  de  répandre  la  langue  française  parmi  nos  nou- 
veaux sujets. 

—  M.  Albert  Soubies  continue,  à  l'aide  de  ses  élégants  petits  volumes,  son 
voyage  musical  historique  â  travers  les  diverses  contrées  de  l'Europe.  Le 
dernier  est  consacré  à  la  Hollande,  et  vient  faire  suite  à  ceux  que  l'auteur 
nous  a  donnés  déjà  sur  le  Portugal,  la  Hongrie,  la  Bohême,  la  Suisse, 
l'Espagne  et  la  Belgique.  Celui-ci  mérite  le  même  sort  que  ses  aînés,  et  il 
sera  certainement  aussi  bien  accueilli  par  le  public. 

—  Mme  Andrée-Louis  Lacombe  a  quitté  Paris  cette  semaine,  se  rendant 
à  Sondershausen  pour  assister  aux  dernières  répétitions  de  Die  Wasser  Kœni- 
gin  (ta  Reine  des  Eaux),  un  des  opéras  posthumes  de  Louis  Lacombe.  dont  la 
jolie  capitale  de  la  principauté  de  Schwarzburg-Sondershausen  va  avoir  la 
primeur.  On  se  rappelle  que  Wtnkelried  fut  joué  également,  et  avec  succès, 
dans  plusieurs  villes  de  cette  Allemagne,  décidément  plus  hospitalière  aux 
œuvres  du  maître  disparu  que  sou  pays  d'origine. 

—  La  matinée  donnée  mardi  dernier  par  M'"'^  Marchesi,  pour  l'audition 
des  œuvres  de  MM.  Charles  Lenepveu  et  Paul  Vidal,  a  été  extrêmement  inté- 
ressante. On  y  a  entendu  de  jeunes  et  charmantes  artistes,  M"'^  Ada  Adams 
(Chicago),  Lou  Ormsby  (Omaha),  Elisabeth  Parkinson  (Kansas-City),  EUen 
Beach  Yarv  (San  Francisco),  ainsi  que  M™^  Florence  Rivington  et  Maggie 
Sterling,  toutes  deux  de  Melbourne,  qui  font  le  plus  grand  honneur,  comme 
voix  et  comme  style,  à  leur  éminent  professeur,  et  qui  ont  obtenu  de  vifs 
applaudissements.  Parmi  les  morceaux  qui  ont  valu  à  leurs  auteurs  le  plus 
grand  succès,  il  faut  signaler  la  charmante  Chanson  de  l'arquebusier,  de 
M.  Paul  Vidal,  dite  à  ravir  par  M"=  Yarv,  «  l'arioso  et  extase  »  de  Jeanne 
d'Arc,  belle  composition  de  M.  Lenepveu,  chantée  en  perfection  par  M"'=  Par- 
kinson, une  future  étoile,  dont  l'adorable  voix  de  soprano  est  soutenue  par 
un  style  d'une  rare  pureté.  Son  succès  a  été  éclatant.  M.  LalEtte,  de  l'Opéra, 
a  contribué  par  son  beau  talent,  â  l'éclat  de  cette  matinée,  dont  le  public 
très  choisi  a  fait  une  ovation  aux  deux  auteurs,  qui  accompagnaient  eux- 
mêmes  leurs  œuvres. 

—  De  Lyon  :  Au  o"  concert  de  l'Association  symphonique,  le  maître  pia- 
niste Raoul  Pugno  a  interprété  de  magistrale  façon  le  3'=  concerte  de 
Beethoven  et  son  Concertslûck,  d'une  si  originale  facture.  Rappelé  d'.acclama- 
tion,  l'éminent  artiste  a  ajouté  au  programme  la  13'  rapsodie  Je  Liszt,  enlevée 
avec  une  verve  prestigieuse.  L'orchestre  a  interprété,  sous  la  direction  de 
M.  Jemain,  la  Forêt  enchantée  de  Vincent  d'Indy.  qui  a  beacoup  plu,  avec  ses 
rythmes  énergiques  et  ses  curieuses  recherches  instrumentales,  —  et  sous 
celle  de  M.  Mirande  l'ouverture  de  la  Flûte  enchantée  de  Mozart  et  le  cortège 
de  Bacchus  de  Sylvia.  M.  F.  de  la  Xombelle  a  dirigé  lui-même  sa  Suite 
d'orchestre  Livre  d'images,  œuvre  aimable  et  de  mélodies  fraîches  et  bien 
venues.  M.  Faudray,  violon  solo  de  l'orchestre,  a  l'ait  applaudir  un  style 
sobre  et  une  grande  pureté  de  son  dans  le  prélude  du  Déluge  de  Saint-Saëns. 

-—  Le  festival  organisé  à  Toulouse  pour  les  œuvres  de  Théodore  Dubois  a 
eu  le  plus  grand  succès  :  «  Planté,  nous  écrit-on,  a  été  plus  prestigieux, 
plus  merveilleux,  plus  étourdissant  que  jamais  I  II  a  eu  des  trouvailles  de 
sonorités,  de  finesses,  de  charme,  étonnantes,  géniales!...  »  Il  a  exécuté  le 
premier  concerto  de  Dubois,  qui  lui  est  dédié,  «  si  classique   de  style  et  si 


80 


LE  MENESTREL 


moderne  de  senti.nent  ».  Puis  ce  furent  tes  Abeilles  et  V Impromptu  encore  inédit 
et  des  pièces  de  Chopin,  de  Brahms,  de  Liszt,  qui  ont  achevé  de  mettre  la 
salle  en  délire.  On  a  fini  par  le  Baptême  de  Clovis,  dont  l'exécution  a  été 
superbe.  Bref,  le  succès  a  été  tel  que  dès  le  lendemain  il  a  fallu  donner  une 
deuxième  audition  du  programme  tout  entier. 

—  M.  I.  Philipp  vient  de  prendre  part  à  un  des  concerts  populaires  de  Lille. 
Son  succès  a  été  très  grand.  Des  deux  œuvres  nouvelles  interprétées  par  lui, 
concerto  de  Rimsky-Korsakow  et  Suite  pour  piano  et  orchestre  de  Paul 
Lacombe.  c'est  cette  dernière  que  le  public  a  semblé  goûter  tout  particuliè- 
rement. Rappelé  plusieurs  fois,  M.  Philipp  a  joué,  avec  une  étincelante  vir- 
tuosité, les  Feux  follets  tirés  de  ses  Pastels.  L'orchestre  a  fait  entendre,  sous 
la  direction  habite  de  M,  Ratez,  l'ouverture  à'Egmont,  la  marche  de  fiançailles 
de  Lohengrin  et  Deux  pièces  de  I.  Philipp,  orchestrées  par  Charles  Malherbe. 

—  De  Cannes  :  La  soirée  donnée  en  l'honneur  de  l'archiduc  et  de  l'archidu- 
chesse d'Autriche  par  le  comte  et  la  comtesse  Vitali  a  brillamment  réussi. 
Parmi  les  grandes  attractions  :  les  Bergerettesda  XVIII' siècle  de  Weckerlin,  et 
les  Cftansons  d'aïeutes,  interprétées  en  costume  parl'excellent  baryton  Jean  Ron- 
deau et  la  grtcieuse  M"=  Williams,  et  commentées  avec  esprit  par 'M.  Perge- 
line.  Parmi  les  plus  applaudies  ;  Au  bord  d'une  fontaine,  Bergère  légère,  l'Amour 
au  mois  de  mai,  le  Chant  de  il.  de  Charrette,  Maman,  dites-moi,  l'Amour  est  un 
enfant  trompeur.  On  a  fait  fêle  aussi  à  M""  Telma.  Au  piano  M.  Albert 
Frommer. 

—  La  petite  ville  de  Fougères  vient  de  se  donner  le  luxe  d'un  opéra-comi- 
que inédit  en  un  acte,  les  Dettes  de  Margot,  dont  la  première  représentation  a 
eu  lieu  le  10  février.  Les  paroles  de  ce  pelit  ouvrage,  qui  a  été  très  bien 
accueilli,  sont  de  M.  Lionel  Bonnemère,  la  musique  de  M.  Louis  Nicole,  qui 
dirigeait  en  personne  l'exécution  de  son  œuvre.  Les  interprètes  étaient 
M™  Paul  Diey,  MM.  Gouze  et  André  Dousser. 

—  La  Société  des  «  Matinées  artistiques  populaires  »  dirigée  par  M.  Jules 
Danbé  organise  pour  mercredi  prochain,  à  4  heures,  une  séance  extraordi- 
naire qui  sera  donnée  au  bénéfice  de  l'Association  des  Artistes  musiciens,  avec 
l'obligeant  concours  de  la  vicomtesse  de  Trédern,  M"»  Augusta  Holmes, 
M"°  Caroline  Pierron  (de  l'Opéra-Comique),  M"*"  Lormont  et  Yvonne  de 
Saint-André,  MM.  W.  Chaumet,  le  comte  do  Gabriac,  R.  Le  Lubez,  Morel 
et  Catherine.  Le  prix  des  places  ne  sera  pas  augmenté.  —  S'adresser,  pour 
la  location,  au  bureau  du  théâtre  de  la  Renaissance. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Excellente  matinée  musicale  chez  M""  Toutain,  consacrée  à 
l'audition  d'œuvres  de  Widor.  On  a  applaudi  M"»  Demougeot,  M.  Féline  et  M"°  Juliette 
Toutain  avec  qui  le  maître  a  joué  la  Suite  à  deux  pianos  sur  Conle  d'Avril.  —  Intéressante 
audition  des  élèves  de  M"""  Le  Gris  parmi  lesquelles  on  remarque  M""  R.  L.  [Rigaudon, 
Dedieu-Peters),  C.  R.  (Le  VUrail,  Dubois),  J.  G.  (Alléluia  d'amour,  Faure),  G.  C.  (Paul 
et  Virginie,  Cramer-Massé)  et  A.  S.  [iVoël  païen,  Slassenet).  —  A  la  dernière  séance  de 
«  la  Trompette»,  M""  Bertrand-Hertzog  s'est  fait  vivement  applaudir  dans  l'air  de  la  Flûte 
enchantée  et  dans  des  mélodies  de  Berlioz  et  de  Schubert.  —  Au  concert  donné  par  la 
charmante  harpiste  M""  Ada  Sassoli,  salle  Erard,  on  a  grandement  fêté  M"""  Parkhinson  et 
Ornsby  dans  les  duos  de  Lahné  et  de  Cendrillon.  —  A  la  dernière  matinée  dominicale  de 
la  Bodiniêre  consacrée  à  llussetet  à  Chopin,  11""  J.  Delage-Crat  a  fait  app'audir  son  beau 
talent  de  pianiste  en  exécutant  quatre  œuvres  caractéristiques  de  ce  maître.  —  L'excellent 
violoniste  Ladislas  Gorski  vient  de  donner,  salle  Erard,  un  concert  devant  un  auditoire 
aussi  nombreux  que  choisi.  Le  concert  en  ;j!i  majeur  de  J.-S.  Bach,  la  Romance  de  Richard 
"Wagner  et  plusieurs  autres  morceaux,  parmi  lesquels  les  Variations  de  Paganini,  surchar- 
gées de  difficultés,  et  un  Boléro  de  Moszknvski,  ont  fourni  à  M.  Goraki  l'occasion  de  te 
distinguer  de  nouveau  par  l'ampleur  et  la  pureté  du  son  qu'il  sait  tirer  de  son  instru- 
ment et  par  sa  virtuosité  aussi  hardie  qu'impeccable.  M.  de  Stojowski  a  été  couvert  d'ap- 
plaudissements après  sa  brillante  interprétation  des  Papillons,  de  Schumann  ;  il  a  aussi 
accompagné  sa  belle  mélodie  :  Pleure  mon  dîne,  que  M""  Delna  a  fait  bisser.  —  Samedi 
dernier,  audition  très  réussie  d'œuvres  de  Bourgault-Ducoudray  dans  l'atelier  du  peintre 
Monchablon.  Au  programme  figuraient  des  compositions  vocales  et  instrumentales  du 
coloris  le  plus  varié,  qui  furent  chaleureusement  applaudies  ;  une  berceuse  en  quintette, 
une  K  suite  d'airs  gallois  »  pour  quatuor  à  cordes  et  tlùte;  des  pièces  en  solo  pour  piano, 
violoncelle,  violon  et  flûte,  admirablement  exécutées  par  M""  Gabrielle  Monchablon  et 
Marguerite  Chaigneau  et  MM.  Dultenhofer  et  Blanquart.  La  partie  vocale  était  brillam- 
ment représentée  par  M""  de  Saint-André,  l'interprète  merveilleuse  des  «  mélodies  grec- 
ques »  et  M"*  Deville,  contralto  doué  d'une  fort  belle  voix.  —  M""  Marthe  Girod,  qui  a 
donné  un  récital  à  la  salle  Erard,  est  une  pianiste  qui  unit  à  une  haule  intelligence 
musicale  des  qualités  techniqiies  exceptionnelles  ;  c'est  une  vraie  virtuose.  Ses  interpré- 
tations de  la  sonate  les  Adieux  de  Beethoven  et  des  Papillons  de  Schumann  sont  vérita- 
blement de  captivantes  manifestations  d'art.  L^  public  a  chaleureusement  témoigné  son 
plaisir  à  la  jeune  artiste  dont  le  programme  comprenait  encore  deux  pièces  de  Chopin,  les 
Bûefierons  de  Théodore  Uuboij  et  une  œuvre  nouvelle  de  M.  Léon  Sclilésinger,  Delfl. 

—  Concerts  an.nongés.  —  Le  jeuli  21  mars,  à  3  heures  précises,  salle  Hoche,  matinée- 
concert  donnée  par  Adolphe  Maton,  avec  le  concours  de  M""'  de  Tredern,  Renée  Richard, 
.Chrétien-Vaguet,  Georges  Marty  et  de  MSI.  Vaguet,  Challet,  Francis  ïhomé,  Millot,  Tou- 
che et  Coquelin  cadet. 

NÉCROLOGIE 


I      ps-TEX^   :Bm^oiT      I 

On  nous  télégraphie  d'Anvers  la  nouvelle,  malheureusement  fondée  cette 
fois,  de  la  mort  du  compositeur  Peter  Benoit,  à  laquelle  on  devait  s'atten- 
dre depuis  quelques  semaines  déjà.  Pierre-Léonard-Léopold  Benoit  est  né  à 
Harlebeke  (Flandre  occidentale)  le  17  août  1834.  Ses  parents,  humbles  arti- 
sans, voulaient  en  faire  un  peintre,  mais  la  musique  exerçait  un  attrait  irré- 


sistible sur  l'adolescent.  Il  se  rendit  à  Bruxelles  vers  1830  et  y  suivit  les  cours 
du  Conservatoire.  En  lSo7  il  obtenait  avec  sa  cantate  la  Mort  d'Abel  le  grand 
prix  de  composition,  qui  lui  permit  d'entreprendre,  aux  frais  du  gouver- 
nement et  pendant  quatre  années,  des  voyages  d'éludés.  Il  séjourna  à  P.ome 
et  passa  quelque  temps  en  Allemagne  qui  répondait  à  l'idée  qu'il  avait  déjà 
conçue  d'une  rénovation  de  l'école  musicale  flamande  à  l'aide  des  vieilles 
mélodies  nationales.  C'était,  en  somme,  la  même  doctrine  que  les  musiciens 
néo-russes  ont  pratiquée  avec  le  succès  qu'on  connaît.  Peter  Benoît  l'a  exposée 
dans  une  brochure,  envoyée  d'Allemagne  à  l'Académie  royale  de  Belgique 
sur  r  «  Ecole  de  musique  flamande  et  son  avenir  ».  Mais  cet  avenir  était 
encore  éloigné  et  Peter  Benoit  trouva  si  peu  d'encouragement  dans  sa  patrie 
qu'il  partit  en  1861,  pour  Paris.  Il  emportait  la  partition  du  Roi  des  Aulnes, 
un  opéra  qu'il  voulait  donner  au  Théâtre-Lyrique,  mais  qu'il  ne  put  faire 
recevoir.  Pour  vivre,  Peter  Benoit  dut  accepter  la  direction  de  l'orchestre 
des  Bouffes -Parisiens,  qui  avait  alors  pour  directeur  Jacques  Offenbach. 
Cette  occupation  aussi  peu  en  rapport  avec  son  talent  et  ses  visées  artistiques 
qnejadis  les  fonctions  de  Massenet  et  de  Goldmark,  l'un  timbalier,  l'autre 
violon  d'un  théâtre  d'opérettes,  ne  l'empêchait  cependant  pas  d'écrire  de 
bonne  musique  religieuse,  des  motets,  et  notamment  une  Messe,  un  Te  Deum  et 
un  Requiem.  Après  son  retour  en  Belgique,  en  1863,  il  fit  jouer  des  composi- 
tions terminées  à  Paris  et  attira  sur  lui  l'attention  du  public  par  sa  propa- 
gande tendant  à  fonder  un  art  national  et  aussi  par  ses  œuvres:  plusieurs 
concertos  pour  piano  et  flûte,  l'oratorio  flamand  Lucifer  (1866),  l'opéra  Isa 
et  l'oratorio  l'Escaut  (1867),  le  drame  religieux  l'Église  militante,  souffrante  et 
triomphante  et  la  cantate  la  Guerre  (1873).  Fixé  depuis  1867  à  Anvers,  capitale 
de  la  Belgique  flamande,  Benoit  y  fonda  une  école  de  musique  devenue  vile 
le  centre  du  mouvement  musical  flamand.  Il  ne  cessait  d'ailleurs  pas  de  pro- 
duire. Son  drame  lyrique  Charlotte  Corday,  bien  différent  du  petit  opéra  le  Vil- 
lage dans  les  montagnes  qu'il  avait  fait  jouer  à  Bruxelles  en  1SS6,  sa  cantate 
Rubens  (1877),  ses  cantates  patriotiques  la  Muse  de  l'Histoire,  les  Faucheurs,  les 
Neuf  Provinces  (1880),  la  Colonne  du  Congrès  et  sa  ravissante  Cantate  pour  en- 
fants (Kinierkantat)  exécutée  en  1883  au  parc  de  Bruxelles  par  1400  enfants, 
son  oratorio  le  Rhin  et  une  grande  quantité  de  mélodies,  chants  et  ballades 
que  le  défunt  baryton  Blauwaert  a  fait  en  partie  connaître  à  l'étranger,  notam- 
ment en  Autriche  et  en  Allemagne,  ont  établi  la  grande  réputation  artistique 
de  Peter  Benoît,  même  en  dehors  de  sa  petite  patrie.  A  ce  bagage  considé- 
rable il  faut  ajouter  quelques  écrits  du  domaine  de  la  musicographie  et  ses 
plaidoyers  pour  la  fondation  d'un  Conservatoire  flamand  à  Anvers.  Peter 
Benoît  eut,  il  y  a  deux  ans,  la  grande  satisfaction  de  voir  son  école  de  mu- 
sique transformée  en  Conservatoire  national  par  un  vote  des  Chambres  belges 
et  d'être  placé  à  la  tète  de  ce  Conservatoire.  Malheureusement,  il  ne  devait 
pas  jouir  longtemps  du  triomphe  de  la  cause  à  laquelle  il  avait  voué  sa  vie; 
une  maladie  implacable,  qui  le  minait  depuis  quelque  temps  déjà,  l'a  enlevé 
à  la  tâche  qu'il  poursuivait  avec  une  ardeur  encore  toute  juvénile.  Son  œuvre 
est  cependant  solidement  fondée,  et  il  ne  dépend  que  des  jeunes  talents  fla- 
mands d'en  tirer  partie  en  l'honneur  de  l'art  musical  de  leur  petite  patrie, 
dont  la  grande  gloire  dans  le  domaine  de  la  peinture  reste  impérissable. 

0.  Bn. 

—  Lundi  dernier  est  mort  à  Asnières,  à  l'âge  de  73  ans,  un  auteur  drama- 
tique bien  connu,  Adolphe  Jaime  (de  son  vrai  nom  Gem),  fils  d'un  écrivain 
de  théâtre  lui-même  très  fécond,  Ernest  Jaime.  On  lui  doit  près  d'une  cen- 
taine de  pièces,  écrites  pour  la  plupart  en  collaboration  et  représentées  dan^ 
un  grand  nombre  de  théâtres.  Il  s'est  surtout  prodigué  dans  le  genre  de 
l'opérette,  où  il  obtint  de  grands  succès.  Il  fît  avec  Offenbach  Dragonette, 
Croquefer  ou  le  Dernier  des  Paladins,  Geneviève  de  Brabant,  une  Demoiselle  en 
loterie,  les  Vivandières  de  la  Grande-Armée,  avec  Hervé  le  Petit  Faust,  les  Turcs, 
le  Trône  d'Ecosse,  avec  Léo  Delibes  l'Écossais  de  Chatou,  la  Cour  du  roi  Pétaud, 
avec  M.  Emile  Jonas  les  Petits  Prodiges,  avec  M.  Léon  Vasseur  la  Timbale  d'ar- 
gent, la  Petite  Reine,  avec  M.  Serpette  la  Branche  cassée,  etc. 

—  De  Liège,  où  il  était  né  en  1824,  on  annonce  la  mort  du  baryton  Sébas- 
tien Carman,  l'un  des  membres  et  le  dernier  survivant  du  fameux  trio  belge 
"Wicart-Carman-Depoitier,  qui  durant  dix  années  fit  fureur  au  théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxelles.  Il  avait  quitté  cette  ville  pour  retourner  et  se  retirer 
à  Liège,  sa  ville  natale,  où  il  se  livra  à  l'enseignement  et  où  il  devint  profes- 
seur d'une  classe  de  déclamation  lyrique  au  Conservatoire.  On  cite  parmi  ses 
élèves  quelques-uns  de  nos  artistes  actuels,  M'"  Flahaut,  de  l'Opéra, MM.  Ma- 
réchal et  Delvoye,  de  l'Opéra-Comique.  Sébastien  Carman  était  le  père  du 
compositeur  Marius  Carman. 

—  De  Milan  on  annonce  la  mort,  dans  des  conditions  particulièrement  pé- 
nibles, d'un  jeune  musicien  nommé  Carlo  Cossa,àgé  seulement  de  17  ans.  Le 
pauvre  enfant,  qui  avait  voulu  jouir  pleinement  du  spectacle  du  transport  des 
restes  de  Verdi,  le  27  février,  était  grimpé  sur  un  arbre,  d'où  il  tomba  en  se 
faisant  à  la  tête  une  blessure  terrible.  Le  soir  même  il  cessait  de  vivre. 

Henri   Heucel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  : 

Chez  E.  Fasquelle,  Lettres  à  la  Fiancée  (1820-1822),  œuvre  posthume  de  Victor  Hugo, 
avec  deux  portraits  et  un  autographe  (7  fr.  50). 

Chez  OUendorf,  Claudine  à  Paris,  par  Willy  (3  fr.  50). 

Chez  Calmann  Lévy,  la  35°  édition  de  Acteurs  et  Actrices  de  Paris,  théâtres  nationaux 
subventionnés,  par  Adrien  Laroque  (Emile  Abraham)  (0  fr.  50). 


L^PAIMERIE   ( 


,  20,  1 


.  —  (Encre  LoriUcui). 


Dimaoehe  11  Mm  1991. 


3651.  -  67-  AMEE  -  N°  11.         p^RAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2^,  rue  Vivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


LE 


MENESTREL 


lie  Ilamépo  :  0  fy.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HuméFO  :  0  îr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. — Texte  et  Musique  de  Ohant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  bus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


l.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (3"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  de  A/iVei^ie  à  l'Opéra-Comique,  Arthur  Pougin;  reprise 
de  Patrie  à  la  Comédie-Française,  H.  Moreko;  première  représentation  des  Amants  de 
Sazy  au  Gymnase,  P.aul-Émile  Chev.vlier.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Expo- 
sition (21"  article),  Arthur  Pougis.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANSE   GALICIENNE 

de  Théodore  Lagk.  —  Suivra  immédiatement  :  Pastorale  du  XVIl"  siècle,  trans- 
cription pour  piano  de  A.  Périlhou. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Pastorale  du  XVII'^ siècle,  n"3  des  Chants  de  France  harmonisés  par  A.  Périlhou. 
—  Suivra  immédiatement  :  Avril  est  amoureux,  nouvelle  mélodie  de  J.  Mas- 
SENET,  poésie  de  Jacques  d'Halmont. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  IiNTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  fflémoires  les  plus  récents  et  fles  flocuments  iDéflits 

(Suite.) 


II  (suite) 

La  véritable  biographie  de  Jélyotte.  —  Un  commis  manqué.  —  Ménages  de  grands 
seigneurs  et  d'artistes.  —  Jélyotte  ambassadeur  matrimonial.  —  Collections  et 
travaux  d'un  ténor  aux  champs.  —  Dernières  heures  de  Jélyotte. 

La  biographie,  jusqu'alors  fort  courte  du  premier  chanteur  de 
l'époque  —  j'ai  nommé  Jélyotte —  est  aujourd'hui  mieux  connue 
et  moins  incomplète,  grâce  aux  Souvenirs  (1)  si  curieux  et  si 
piquants  de  Dufort  de  Gheverny,  introducteur  des  Ambassadeurs. 
Ce  personnage  frotté  de  noblesse,  qui  tenait,  de  par  ses  alliances, 
ses  amitiés  et  sa  fortune,  à  tous  les  mondes  d'une  société  aussi 
aimable  que  brillante,  professait  la  plus  vive  affection  et  la  plus 
profonde  estime  pour  Jélyotte.  Déjà  ses  Mémoires  ont  permis  de 
fixer  exactement  des  dates  jusqu'ici  peu  précises  dans  la  vie  du 
célèbre  artiste.  Né  le  13  avril  1713  (2),  Jélyotte  mourut,  non  pas 
en  1783,  comme  le  dit  Fétis,  mais  en  1797. 

Neveu  d'un  chanoine  de  Toulouse,  enfant  de  chœur  et  attaché 


(1)  Dufort  comte  de  Cheveiinï,  Mémoires  sur  les   règnes  de  Louis  XIV  et  Louis  XV 
et  sur  la  Révolution  (introduction  et  notes  par  Robert  de  Crèvecœur).  E.  Pion,  1880. 
(-2)  Nous  reproduisons,  d'après  Dufort,  les   cbilTres  et  les  dates  concernant  Jélyotte. 


aux  archives  du  chapitre,  il  fut  emmené  à  Paris  par  un  grand 
seigneur  que  sa  voix  avait  charmé  et  qui  voulut  faire  la  fortune 
du  jeune  virtuose. 

Jélyotte  débuta  vers  l'âge  de  17  ans  à  l'Opéra;  et  jusqu'en 
1756,  époque  de  sa  retraite,  son  succès  alla  toujours  en  crois- 
sant. 

C'est  du  moins  Dufort  de  Gheverny  qui  l'affirme.  Toutefois,  un 
incident  imprévu  faillit  interrompre  la  carrière  de  l'artiste.  Au 
dire  des  Nouvelles  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  l'intendant  des  finances 
Fagon,  flls  du  premier  médecin  de  Louis  XIV,  avait  proposé  en 
1738  à  Jélyotte  un  emploi  de  quatre  mille  livres  en  province  : 
c'était  une  place  de  commis.  Le  ténor  de  ce  temps-là,  car  notre 
chanteur-  avait  «  le  timbre  d'une  haute-contre  parfaite  »,  ne 
touchait  pas  des  cachets  quotidiens  de  dix  mille  francs  ;  Jélyotte 
avait  débuté  à  2.100  livres  par  an  ;  et  ses  appointements  ne  dépas- 
sèrent jamais  cinq  mille.  Donc  l'offre  de  Fagon  était  séduisante, 
d'autant  qu'à  cette  époque  l'Opéra,  toujours  fort  obéré,  ne  payait 
pas  très  exactement  ses  artistes.  Heureusement  Jélyotte  repoussa 
les  présents  d'Artaxerce. 

Son  éducation  musicale  se  fit  avec  une  certaine  lenteur.  Le 
journaliste  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  qui  ne  paraît  pas  manquer 
de  compétence  en  la  matière,  disait  que  depuis  173S  les 
«  cadences  »  de  Jélyotte  s'étaient  fort  adoucies  et  que  «  sa  voix 
ne  venait  plus  du  nez,  mais  de  la  gorge  ». 

Dufort  de  .Gheverny  le  proclame  «  le  premier  chanteur  de 
l'Europe  »  et  «  les  délices  de  la  Cour  et  de  la  Ville  ».  Quand  il 
paraissait,  s'écrie  cet  ami  enthousiaste,  c'était  un  silence  reli- 
gieux dans  toute  la  salle.  Certaines  notes  chez  lui  avaient  «  le 
son  d'une  cloche  d'argent».  Sa  diction  était  très  nette  et  très 
distincte .  Mais  sa  voix  avait  une  telle  puissance  qu'elle  couvrait 
les  chœurs  du  Zoroaslrede  Rameau.  Tout  Paris  courait  l'entendre 
dans  le  Pygmalion  du  même  auteur,  alors  que  Jélyotte,  au  milieu 
des  grondements  du  tonnerre,  lançait  son  fameux  :  «  Ciel!  Thé- 
mire  expire  dans  mes  bras  !  » 

Ce  n'était  pas  qu'il  eût  toutes  les  séductions.  On  sait  que  les 
ténors  ont  parfois  à  se  plaindre  de  dame  Nature.  Jélyotte,  lui, 
était  petit  et  mal  fait,  mais  ses  yeux  jetaient  des  flammes.  Il 
avait  un  caractère  aimable  et  doux;  et  les  succès  de  tout  genre 
qu'il  rencontrait  dans  les  rangs  de  la  haute  société  ne  le  ren- 
daient ni  aussi  vain,  ni  aussi  fat  que  le  prétendent  ses  contem- 
porains. Il  vivait  dans  l'intimité  de  la  duchesse  de  Luxembourg 
et  du  prince  de  Conti  :  dans  le  fameux  tableau  du  Thé  à  r Anglaise, 
représentant  une  soirée  au  Temple,  c'est  lui  que  le  peintre 
nous  montre,  assis  devant  le  clavecin.  A  Ghantelou,  le  superbe 
château  où  le  duc  de  Ghoiseul  donna  si  longtemps  à  la  France 
le  spectacle  de  sa  fastueuse  disgrâce,  Jélyotte  fut  toujours  traité 
sur  le  pied  de  l'égalité. 

II  était  la  joie  des  soupers  mondains  quand  il  y  chantait  ses 
plus  remarquables  duos  avec  Lagarde,  une  basse  profonde.  On 


&^ 


LE  MES^Mt 


sait  le  mot  pijêté;par  les  Mémoires  du  marquis  d'Argenton  au  duc-' 
de'  la  3'aUière,  le_jour__où  la  femme _de    ce    grand   seigneur  - 
«  renvoya  »  l'amant  qui  avait  cessé  de  plaire  :  —  Quoique  vous._ 
ne  soyez  plus  des  amis  de  ma  femme,  dit  le  duc  à  Jélyotte,  j'en-î^ 
tends  que  vous  ne  cessiez  d"ètre  des  miens  :  nous  vous  aurons 
quelquefois  à  souper. 

L'heureux  mortel  q-ui  avait  su  résoudre  le  problème,  considéré 
toujours  comme  insoluble,  d'être  chéri  des  dames  et  ...  accepté 
des  maris,  eut  le  bon  :sens  fort  rare  chez  les  ténors  de  vouloir 
quitter  le  public'  avant  d'être  quitté  par  lui.  Il  songea  donc  à 
prendr-e  sa  retraite  en  '170.3.  Ce  fut  un  deuil  général  à  la  Cour. 
Pour  que  Jélyotte  restât  encore  deux  ans  à  l'Opéra,  ses  abonnés 
convinrent  de  réunir  entre  eux  un  capital  de  cent  mille -livres 
qui-assurerait  un  revenu  annuel  de  dix  mille,  à  l'artiste.  Nous 
ignorons  si  cette  combinaison  réussît;  ce  qui -est  certain;  c'est 
que  Jélyotte  se  retira  en  iloU.  disent  ses  biographes,  en  1736,* , 
ai'ssureDufort  de  Cheverny.  Le  chiffre  exact  de  sa  pension  de 
retraite  n'est  guère  mieux  connu,  1.200  livres,  prétendent  les 
uns,  2,300  affirment  les  autres.  En  tout  cas,  ce  n'était  pas  sa 
seule  ressource,  comme  le  déclare  l'un  d'entre  eux.  Dufort  de 
Gheverny  réduit  à  néant  ces  allégations  par  les  renseigneœen'ts 
qu'il  tient  de  l'intéressé  même.  Jélyotte,  loin  d'être  dans  la 
misère,  avait  une  très  respectable  fortune,  grâce  à  certaine  part 
que  le  financier  La  Borde,  son  obligé,  parait-il,  lui  avait  déléguée 
sur  l'ensemble  de  ses  opérations.  11  avait  une  belle  propriété  à 
Oloron,  où  il  devait  passer  le  reste  de  ses  jours  et  où  ses  goûts 
éclairés  de  bibliophile  avaient  su  former  une  magnifique 
bibliothèque  composée  de  partitions  et  d'ouvrages  italiens. 

En  quittant  l'Opéra,  il  y  laissait  non  seulement  le  renom  d'ar- 
tiste hors  pair,  mais  encore  la  réputation  fort  enviée,  quoique 
moins  glorieuse,  d'homme  à  bonnes  fortunes. 

Par  respect  sans  doute  pour  la  mémoire  de  son  ami,  Dufort  de 
Cheverny  glisse  légèrement  sur  des  aventures  galantes  qui 
étaient  connues  de  tous.  Il  ne  parle  pas  davantage  d'un  épisode 
de  cette  vie  si  tourmentée,  qui  date  de  1760  et  que  nous  avons 
retrouvé  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Sévigné,  con- 
sacré à  la  biographie  des  fermiers  généraux.  L'un  d'eux,  Le  Riche 
de  la  Pouplinière,  protecteur  des  arts  et  des  artistes,  avait  perdu 
sa  femme,  qu'il  avait  surprise  certain  jour  —  et  l'anecdote  est 
restée  célèbre  —  avec  le  maréchal  de  Richelieu,  pénétrant  dans 
l'appartement  de  la  belle  par  la  plaque  mobile  d'une  cheminée. 
Mais  laissons  notre  auteur  anonyme  raconter  les  services  rendus 
au  fermier  général  par  Jélyotte  qui  chantait  dans  les  concerts  de 
la  Pouplinière. 

«  ...  Le  ciel  venoit  enfin  de  débarrasser  le  sieur  Le  Riche  du 
»  soin  de  payer  la  pension  de  sa  chaste  moitié  dans  un  couvent, 
»  en  la  retirant  de  ce  monde,  bien  repentante,  dit-on,  d'avoir 
»  manqué  à  un  si  bon  mari.  On  s'attendoit  qu'il  goùteroit,  le 
»  reste  de  ses  jours,  les  douceurs  du  veuvage!  Non,  il  n'a  point 
»  senti  le  bonheur  de  son  état,  et,  abusant  de  la  grâce  que  ce 
»  même  ciel  lui  avoit  faite,  il  a  voulu  encore  courir  les  risques 
»  sur  la  mer  orageuse  d'un  second  hymen  avec  mademoiselle  de 
»  Mondran,  fille  d'un  capitoul  de  Toulouse. 

»  Deux  gens  à  talents,  savoir  un  ex-chanteur  (Jélyotte),  et  un 
»  violon  (Mondonville),  de  l'Opéra,  ont  été  les  entremetteurs  de 
»  ce  bizarre  engagement  d'un  homme  de  soixante-dix  ans  avec 
»  une  jeune  et  belle  fille  de  vingt,  pleine  d'esprit,  de  mérite,  de 
»  beauté,  de  grâce  et  douée  de  la  plus  belle  voix  qu'il  y  ait  en 
r  France. 

»  EUe  a  été  aimée  et  fiancée  du  marquis  de  Sallegourde,  con- 
»  seiller  au  parlement  de  Bordeaux. 

»  Ce  mariage  a  été  rompu,  et  celui-ci  noué  en  sa  place  par 
y  ambassadeur. 

»  Les  conjoints  ne  s'étoient  jamais  vus.  Orphée  et  Amphion 
»  ont  tant  vanté  à  Plutus  les  mérites  et  la  voix  de  la  Toulousaine, 
»  que  sur  leur  rapport,  à  l'imitation  des  souverains,  il  l'a 
»  épousée  par  procureur.  Ils  ont  été  ses  ambassadeurs,  ayant 
»  été  par  lui  députés  pour  l'aller  quérir  en  son  pays,  la  lui 
»  amener  pour  consommer  cette  belle  affaire. 

»  Il  n'a  pu  é\iter  le  sort  de  Vulcain  n'étant  point  vieux;  il  doit 


»  regarder    comme  un   miracle-  s'iléchappe    étant  septuagé- 

»  naire .  

,     »  Ce  mariage  a  été  annoncé  dans  les  gazettes  comme  ceux  des 
»  têtes  couronnées  et  grands  seigneurs  »  (1). 

Geitte  historiette  n'est  pas  inventée  à  plaisir.  Jélyotte  connais- 
sait assez  la  famille  de  Mondraai  pour  se  croire  autorisé  à  une 
démarche  qu'avait  pu  réclamer  de  sa  gratitude  le  fermier  général. 
Les  Mémoires  d'un  frère  de  M""'  de  la  Pouplinière,  le  chanoine 
■  tle  Mondran,  que  nous  avons  également  découverts  à  la  Biblio- 
thèque Sévigné,  témoignent  des  relations  amicales  de  Jélyotte 
avec  la  famille  du  capitoul  de  Toulouse.  Le  chanoine  était  lui- 
même  grand  amateur  de  musique  :  il  composait  des  chansons 
qu'il  notait  ou  faisait  noter  par  des  amis.  Il  vint  à  Paris,  où  il 
put  traverser,  en  s'y  laissant  oublier,  les  orages  de  la  Révolution, 
et  dans  l'intimité  'du  grand  musicien  Lesueur,  dont  il  a  écrit  en 
style  dithyrambique  un  panégyrique  enthousiaste.        -     

Un  dernier  mot  sur  la  seconde  M™"  de  la  Pouplinière.  Il  ne 
parait  pas,  malgré  les  sinistres  prédictions  du  pamphlétaire  ano- 
nyme, qu'elle  ait,  comme  la  première,  ...vulcanisé  son  mari. 
Mais  après  la  mort  du  bonhomme,  elle  eut  l'insigne  honneur,  si 
Qu'eus  en  croyons  des  notes  de  police  inédites  (2),  d'être  remar- 
quée par  Louis  XV,  qui  n'eut  bientôt  plus  rien  à  lui  demander. 

Cependant  Jélyotte  vivait  dans  la  solitude  et  dans  l'oubli  à 
Oloron.  Il  avait  marié  une  de  ses  nièces  à  un  Navailles  et  il 
consacrait  ses  derniers  jours  au  culte  d'un  art  qui  avait  fait 
l'occupation  et  le  bonheur  de  sa  vie.  Il  jouait  de  tous  les  instru- 
ments :  il  était  même  devenu  bon  compositeur,  dit  Dufort  de 
Cheverny,  communiquant  ses  chansons  à  Laborde,  amateur  et 
musicien  comme  lui. 

Jusqu'en  mai  1797,  l'ancien  introducteur  des  Ambassadeurs 
échangea  tous  les  mois  les  lettres  les  plus  affectueuses  avec 
Jélyotte.  11  remarqua  cependant  à  cette  époque,  dans  la  corres- 
pondance de  son  ami,  une  sorte  d'ennui,  de  dégoût  de  l'exis- 
tence, qu'il  s'efforça  de  combattre  par  la  plus  concluante  des 
démonstrations.  Dans  une  notice  biographique  qu'il  lui  adressait, 
il  prétendait  lui  prouver  par  l'histoire  même  d'une  vie  aussi 
bien  remplie,  que  le  passé  lui  garantissait  l'avenir.  Or,  Jélyotte 
avait  84  ans  ;  Dufort  de  Cheverny  reçut  avec  un  remerciement 
très  vif  une  réponse  encore  attristée;  puis  les  lettres  se  firent 
plus  rares,  elles  cessèrent  bientôt;  et  le  30  octobre  de  cette 
même  année,  Dufort  apprenait  la  mort  de  Jélyotte. 

(A  suivre. }  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 

OpÉRA-CoMiQtiE.  Reprise  de  Mireille,  opéra  en  cinq  actes  et  sept  tableaux, 
paroles  de  Mictiel  Carré,  musique  de  Charles  Gounod. 

Gounod  était  dans  toute  la  force  de  l'âge,  il  avait  quarante-cinq  ans 
lorsqu'il  écrivit  cette  curieuse  et  intéressante  partition  de  Mireille,  iné- 
gale en  son  ensemble,  mais  dans  laquelle  il  a  donné  une  note  si  exquise 
de  poésie,  de  couleur  et  de  sentiment  pittoresque.  Il  avait  été  enchanté 
par  la  lecture  du  délicieux  poème  de  Mistral,  que  lui a^ait communiqué 
son  ami  Michel  Carré,  et  aussitôt  tous  deux  avaient  eu,  avec  l'assenti- 
ment de  l'auteur,  l'idée  de  transporter  ce  poème  à  la  scène  et  d'en  faire 
le  sujet  d'un  opéra. 

Il  va  sans  dire  que  Gounod  ne  tarda  pas  à  entrer,  à  ce  sujet,  en  cor- 
respondance avec  Mistral,  et  voici  la  partie  la  plus  importante  d'une 
lettre  qu'd  lui  adressait  à  la  date  du  17  février  4863  : 
Monsieur, 

J'ai  tout  d'abord  à  vous  remercier  de  l'adhésion  que  vous  donnez  à  mou  projet  de  tirer 
de  votre  adorable  livre  Afh'eïo  une  œuvre  lyrique.  Maintes  fois  déjà  la  lecture  de  votre 
poème  m'avait  fait  naître  le  désir  d'entrer  en  communication  avec  vous  et  de  vous  dire 
tout  le  bonheur  qu'il  m'avait  fait  éprouver.  Je  me  réjouis  de  l'occasion  qui  s'en  otfre 
aujourd'hui,  et  j'ai  liAte  de  vous  instruire  du  parti  que  nous  en  avons  tiré 

Le  plus  respectueux  scrupule  et  la  plus  consciencieuse  fidélité  ont  présidé  à  notre  tra- 
vail. 11  n'y  a  dans  notre  opéra  que  du  Mistral;  et  si  nous  avons  le  regret  de  ne  point 
étaler  sous  les  yeux  du  public  la  grappe  eiitu''re  dans  toute  sa  splendeur,  du  moins  pas 
un  grain  étranger  ne  vient-il  se  mêler  à  ceux  que  nous  avons  cueillis,  et  nous  avons  tûché 
que  ce  fussent  les  plus  dorés.  Je  le  répète,  cher  Monsieur,  je  vous  remercie  de  l'œuvre 

(1)  Jtevuc  rélrospecliva.  Octobre  1892. 

(2)  Rapports  de  police.  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


LE^MÉrSESTREL 


m 


<ljie.  VOUS' avez  si  profondémenl  senlic  et  des  iSmotions  qup  cette  œuvre  a  provoquées  en 
moi,  Puissè-jc  vous  en  rendre  une  partie  dans  une  interpiélalion  qui,  à  défaut  d'autre 
mérite,  aura  du  moins  celui  d'une  conviction  sincère  et  d'une  ardente  sympatliie. 

Vous  m'offrez  de  mettre  à  ma  disposition  des  renseij^mements  sur  les  sources  auxquelles 
je-pourrais  puiser  les  types  mélodiques  qui  donneraient  à  ma  partition  une  teinte  pMs 
conforme  au  sujet  et  ù  lii  localité  :  J'accepte  votre  offre  avec  grand  plaisir.  Je  vous  dirai 
toutefois  que,  quant  à  la  chanson  de  Magali.  elle  est  déjà  coniposée,  et  que  j'<cn  ai  fait 
une  sorte  de  petit  roman  symbolique  d'amour,  sous  le  voile  duquel  Mireille  et  Vincent 
se  déclarent  l'un  à  l'autre  leurs  vrais  sentiments.  C'est  donc,  sous  le  pseudonyme  d'une 
chanson  à  deux  voix,  un  vrai  petit  duo  d'amour. 

Pour  le  reste,  je  rlemandenii  au.x  aii-s  de  voLi-o  pays  le  conseil  de  leur  coloris  :  ce  me 
sera,  pour  la  fête  des  Arènes  surtout,  où  se  démène  la  farandole,  un  secom-s  puissant,- 
dont  je_n'aurai  garde  de  ne  pas  user.  Donc,  pourriez-vous  me  faire  parvenir  des  faran- 
doles? plusieui-s...  Je  glanerai  dans  tout  cela  et,  sans  copier,  je  m'assimilerai  la  teinte  et 
le  caractère  des  mélodies'.  C'est  ce  qu'a  fait  si  heureusement  notre  illustre  Auber,  dans  sa 
tarentelle  de  toitPuc/'to... 

Mais  cela  ne  suffit  pas  à  Gounod,  et  il  eut  bientôt  l'idée  d'aller  dem^ji- 
der  au  soleil  ilu  Midi  l'inspiration  d'une  œuvre  toute  méridionale,  à  la 
Provence  même  la  couleur  de  cette  œuvre  provençale.  Marseille  l'avait 
sollicité  de  venir  diriger  une  représentation  de  FavM.  Il  se  rendit  à 
cette  invitation  le  il  mars;  de  là  il  se  rendit  à  Nimes,  puis  à  Avignon, 
et  le  lundi  23,  guidé  par  Mistral  en  personne,  il  arrivait  à  Saint-Rémy 
et  s'installait  au  second  étage  de  l'hôtel  Ville- Verte,  dans  un  apparte- 
ment qu'avait  retenu  pour  lui  le  jeune  organiste  du  lieu,  M.  Iltis,  un 
Alsacien,  en  la  compagnie  duquel  il  allait  passer  deux  mois.  Là,  Gou- 
nod se  mit  avec  ardeur  au  travail.  Il  y  consacrait  toutes  ses  matinées, 
descendant  seulement  à  midi  pour  déjeuner.  Après  déjeuner  il  sortait, 
faisait  tme  promenade  jusqu'à  cinq  heures  et  rentrait  travailler  pendant 
deux  heures,  c'est-à-dire  jusqu'au  souper,  comme  on  appelle  là-bas  le 
repas  du  soir.  Une  fois  par  semaine  il  s'en  allait  à  Maillane,  passer 
quelques  heures  avec  Mistral.  Parfois  aussi  il  se  rendait  aux  Baux  ou  à 
Sainte-Marie,  deux  endroits  proches  de  Saint-Rémy  et  qui  lui  procu- 
raient une  promenade  délicieuse. 

Dans  l'espace  de  deux  mois  la  partition  de  Mireille  l'ut  termmée.  Le 
26  mai,  un  banquet  d'adieu  fut  offert  à  Gounod  par  les  habitants  de 
Saint-Rémy,  car  le  maître,,  qui  n'avait  voulu  se  faire  connaître  d'abord 
que  sous  le  nom  de  Monsieur  Charles,  n'avait  pas  tardé  à  voir  déchirer, 
sou  incognito.  Ce  banquet  très  brillant,  où  Mistral  lui  porta  des  santés 
retentissantes,  fut  le  signal  du  départ.  Le  lendemain  ou  le  surlendemain 
Gounod  regagnait  Paris,  sa  partition  dans  sa  valise. 

Des  discussions  ardentes  s'étaient  élevées  au  sujet  du  dénouement  à 
donner  à  l'œuvre.  Carré  aurait  voulu  changer  celui  du  poème,  oii  Mireille 
allant  en  pèlerinage  aux  Saintes  pour  les  prier  de  fléchir  son  père  en 
faveur  de  son  mariage  avec  Vincent,  est  frappée  d'insolation  en  traver- 
sant à  pied  le  désert  de  la  Crau  et  arrive  aux  portes  de  l'église  pour 
tomber  inanimée  et  mourir  dans  les  bras  de  celui  qu'elle  aime.  U  trou- 
vait ce  dénouement  trop  cruel,  fâcheux  à  la  scène,  et  aurait  voulu  lui 
substituer  le  mariage  des  deux  enfants.  Mais  Mistral,  soutenu  par 
Gounod,  tenait  à  la  mort  de  son  héroïne  et  n'en  voulait  pas  démordre. 
Carré  dut  s'exécuter. 

Est-ce  ce  dénouement  qui  porta  tort  à  l'ouvrage  lorsqu'il  parut  pour 
la  première  fois  au  Théâtre-Lyrique,  le  19  mars  1864,  en  cinq  actes  et 
sept  tableaux,  avec  un  dialogue  écrit  en  vers?  Toujours  est-il  (ju'après 
l'effet  prodigieux  produit  par  ce  premier  acie  délicieux,  si  plein  de  cou- 
leur, de  poésie  et  de  lumière,  après  l'heureuse  impression  du  second, 
représentant  les  fêtes  d'Arles  dans  les  arènes,  le  succès,  qui,  avait 
semblé  certain,  déclina  ensuite,  d'abord  avec  l'acte  du  Rhône  et  la  vue 
des  cadavres,  qu'une  mise  en  scène  fâcheuse  rendait  répugnante,  puis 
avec  le  dernier  tableau,  et  se  transforma  en  une  demi-chute. 

Dès  la  seconde  représentation  on  procéda  à  des  coupures,  mais  l'ou- 
vrage ne  se  releva  pas,  et  après  une  quinzaine  de  soirées  on  dut,  y 
renoncer.  Les  auteurs  alors  se  remirent  à  l'œuvre.  On  en  revint  à  la 
première  idée  de  Carré,  au  mariage  final,  on  ht  des  coupes  sombres  dans 
toute  la  pièce  et  l'on  supprima  notamment  tout  le  tableau  du  Rhône. 
Réduite  à  trois  actes  et  ainsi  allégée,  Mireille  reparut  à  la  scène  au  bout 
de  quelques  mois,  le  IS  décembre,  mais,  il  faut  le  dire,  sans  plus  de. 
succès  que  devant.  On  n'y  pensait  plus  lorsqu'eh  1874,  le  Théâtre-Ly- 
rique n'existant  plus,  M.  du  Locle,  qui  avait  pris  la  direction  de  l'Opéra- 
Comique,  eut  l'idée  de  s'emparer  de  Mireille  et  de  lui  rendre  sa  première 
forme  en  cinq  actes.  Mais  ce  fut  alors  une  troisième  version,  car,  malgré 
ce  re  tour  aux  cinq  actes,  on  renonça  à,  la  mort  de  Mireille  et  l'on  con- 
serva le  mariage  de  la  seconde  édition.  Ce  compromis  ne  sauva  pas, 
l'œuvre,  qui  dut  encore,  être  abandonnée  après  quelques  représentations 
dont  la  première  avait  lieu  le  10  novembre.  Bile  jouait  de  malheur  et 
disparut  encore  ainsi  pendant  quinze  ans. 

Enfin,  en  1889,  M.  Paravey,  ;i  son  lour  directeur  de, l'OpérarComique, 
songea,  lui  aussi,  a  Mireille  et  voulut  la  rendre  à  son  public.  Mais  il  en 
revint  à  la  version  en  trois  actes,  quoique  différente  un  peu  de  l'a  pre- 
mière,; car  où  y  retrouvait  le  val- d'Enfer, .supprimé  lors  delà  refonte  de 


1864,  mais  avec  —  toujours  —  le  mariage  final.  C'était  donc  une  qua- 
trième édition,  distincte  de  toutes  les  autres.  Et  cette  fois  enfin  le 
succès  vint,  complet,  éclatant,  si  bien  que  depuis  le  29  novembre  1889, 
date  de  cette  reprise,  le  nombre  des  représentations  de  Mireilie  à  l'Opé- 
ra-Comique  s'est  élevé  à  316  (le  total,  depuis  la  création  au  Théâtre- 
Lyrique,  est  de  380).  ' 

Il  eût  semblé  naturel  de  la  conserver  ainsi,  puisque  ainsi  elle  plaisait 
au  public.  M.  Albert  Carré  ne  l'a  pas  cru,  et  il  vient  de  remonter 
Mireille  dans  sa  version  primitive  en  cinq  actes  et  sept  tableaux,  telle 
exactement  qu'elle  fut  oiTerte  pour  la  première  fois  au  public  du 
Théâtre-Lyrique  dans  la  soirée  du  10  mars  1864.  TJuand  je  dis  exacte- 
ment, ce  n'est  pas  tout  â  fait  cela.  Car  si,  d'une  part,  nous  n'avons  plus 
M""=  Carvalho,  à  laquelle  on  peut  bien  succéder,  mais  que  personne, 
j'imagine,  n'oserait  prétendre  remplacer,  nous  avons,  d'autre  part,  une 
mise  en  scène  vraiment  prodigieuse,  et  qui  laisse  bien  loin  derrière  elle 
ce  qu'on  vit  naguère  à  la  place  du  Chàtelet.  Le  décor  des  magnanarelles 
est  absolument  délicieux,  celui  des  arènes  est  flamboyant  et  la  faran- 
dole est  merveilleusement  réglée,  celui  de  la  Crau  est  charmant  ;  mais 
ce  qui  est  admirable,  c'est  le  tableau  du  Rhône  et  de  la  vision  d'Our- 
rias,  avec  le  courant  du  lleuve  et  la  vue  des  spectres  ijui  se  débattent 
dans  ses  ondes,  en  sortant  et  s'y  replongeant  tour  à  tour,  s'accrochant 
désespérément  aux  épaves,  etdonnant  au  rôve  du  criminel  une  effrayante 
réalité.  Et  ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'est  que,  avec  la  puissance 
intense  de  ce  tableau,  il  n'offre  rien  de  hideux  ni  de  répugnant,  comme 
lorsque  l'ouvrage  fut  joué  pour  la  première  fois.  La  seule  critique  qu'on 
puisse  lui  adresser,  c'est  qu'il  est  tellement  émouvant  que  les  yeux 
font  tort  aux  oreilles,  et  qu'on  oublie  d'écouter  pour  regarder,  la  musi- 
que disparaissant  complètement. 

Cette  musique,  du  reste,,  fait  partie  du  côté  purement  dramatique  de 
la  partition  de  Mireille,  qui,  à  mon  sens,  n'est  pas  le  meilleur.  Tout  ce 
qui  est  poésie,  amour,  soleil,  lumière,  est  délicieux  dans  Mireille:  le 
tableau  enchanteur  de  la  cueillette,  avec  le  chœur  des  magnanarelles 
et  le  duo  dos  amoureux  ;  celui  de  la  fête  des  Arènes,  avec  la  chanson 
de  Magali,  la  farandole,  l'air  de  Mireille;  celui  de  la  Crau,  avec  la 
chanson  d'Andreloun  et  le  rondeau  de  Mireille,  Ueureuœ  jielit  herr/er, 
tout  cela  est  exquis  et  enivrant.  Tout  le  reste,  tout  ce  qui  est  drame 
pur,  me  parait  plutôt  mélodramatique  que  vraiment  pathétique,  plus 
bruyant  que  vraiment  vigoureux  ;  ainsi  l'air  d'Ourrias  au  second 
acte,  le  tableau  du  Val  d'Enter  et  la  scène  des  deux  hommes  ;  ainsi  la 
vision  d'Ourrias  ;  ainsi  môme  le  finale  du  second  acte,  si  délicieuse- 
ment éclairé  pourtant  par  la  phrase  si  expressive  et  si  plaintive  de 
Mireille  tombant  aux  genoux  de  son  père  :  A  vos  ]}ieds,  hélas!  me  voilà  ! 
Il  n'en  reste  pas  moins,  en  tout  cela,  que  la  partition  de  Mireille  est 
l'œuvre  d'un  maitre  et  qu'elle  a,  pour  qui  veut  l'entendre,  des  séduc- 
tions à  nulle  autre  pareilles. 

L'interprétation  actuelle  est  généralement  remarqualDle.  M"«  Rioton, 
qui  a  bien  le  physique  gracile  et  candide  qu'on  rêve  pour  l'héroïne  de 
Mistral,  a  montré  de  solides  qualités  dans  ce  rôle  de  Mireille,  qu'elle 
joue  avec  une  grâce  charmante  et  chante  avec  une  incontestable  habileté. 
Elle  y  a  obtenu  un  succès  complet,.  Son  partenaire,  M.  Maréchal,  nous 
donne  un  Vincent  très  sympathique  et  très  sortable,  le  rôle  n'étant  pas 
d'ailleurs  des  meillem-s  de  l'emploi.  MM.  Dufrane,  VieuUe  et  Jacquin 
sont  excellents  dans  ceux  d'Ourrias,  de  Ramon  et  d'Ambroise,  tandis  que 
Vincenette  et  le  berger  sont  gentiment  représentés  par  M"^'"  de  Cra- 
poniie  et  Eyreams.  Mais  une  mention  ^toute  particulière  est  due  à 
M"''  Marié  de  l'Isle,  qui,  physiquement  et  scéniquement,  a  fait  du  per- 
sonnage de  la  vieille  Taven  iin  type  qu'elle  complète  enle  chantant  de 
la  façon  la  plus  originale  et  la  plus  distinguée. 

Arthur  Pou.gin. 


Comédie-Imunç.aise.   Pairie!  drame  en  cinq  actes  et  huit  tableaux,  de 
M.  Victorien  Sardou. 

Après  toutes  les  vicissitudes  que  Fou  connaît,  Patrie  !  a  pu  enfin 
arriver  jusqu'à  la  rampe  de  la  Comédie-Française  et  passer  même  par 
dessus  pour  aller  frapper  au  cœur,  comme  il  y  a  trente  ans,  tous  les 
gens  de  bonne  foi  qui  se  trouvaient  dans  la  salle. 

J'entends  bien  que  tous  nos  esthètes  modernes  vont  crier  comme  des 
beaux  dialiles  et  reprocher  à  cette  œuvre  puissante  sa  «  psychologie  in- 
térieure »,  son  manque  de  «  style  »,  son  «  métier  »  trop  évident.  Mon 
Dieu!  je  ne  boude  pas  plus  qu'un  autre  devant  une  œuvre  finement 
pensée  et  d'une  écriture  précieuse.  C'est  souvent  un  régal  de  délicat, 
1  même  quand  le  fonds  n'y  est  pas  toujours  très  solide.  Mais  je  trouve' 
I  aussi  que  dans  ce  genre  de  drame  vigoureux  et  emporté,  une  langue 

I  trop  cherchée  et  maniérée,  qui  viendrait  arrêter  l'émotion,  serait  de  grand 
i  inconvénient.  Puisqu'on  veut  nous  y  donner  des  sensations  de  vieréelle 

II  et  tragique,  laissons  lés  personnages  y  pai-lec  simplement  le  langage  de  ■ 


84 


LE  MÉNESTREL 


leurs  passions  et  sans  toutes  les  recherches,  qui  seraient  ici  déplacées, 
de  nos  stylistes  du  dernier  bateau.  La  langue  du  théâtre  n'est  pas  celle 
du  livre. 

Quant  au  «  métier  »  qu'on  reproche  :i  M.  Sardou,  il  n'a  vraiment  rien 
que  de  très  attachant  quand  il  aboutit,  par  une  suite  de  situations  bien 
amenées,  à  nous  émouvoir  violemment.  Le  thi-âtre  est  un  art  comme 
un  autre,  et  c'est  une  critique  singulière  que  de  reprocher  à  un  auteur 
d'en  connaître  toutes  les  ressources  et  même  toutes  les  malices. 

Aussi,  malgré  tout,  quoi  qu'on  dise  et  quoi  qu'on  écrive,  le  public 
donnera  encore  une  fois  raison  à  M.  Sardou  et  Patrie!  va  faire  très 
longtemps  les  beaux  soirs  de  la  Comédie-Française. 

Vous  irez  voir  Patrie!  et  vous  ferez  bien,  car,  outre  la  mise  en  scène 
qui  est  superbe  (;i  signaler  surtout  le  cortège  de  la  marche  au  supplice), 
la  distribution,  malgré  sa  grandeur  un  peu  calme,  est  d'ensemble  excel- 
lent; elle  est  supérieure  même  de  la  part  de  M.  Mounet-SuUy,  un  Rysoor 
de  haute  et  placide  allure,  de  M"'  Leconte,  adorable  Rafaele,  de  M.  Paul 
Mounet,  un  duc  d'Albe  de  farouche  et  artistique  grandeur,  de  M.  Le 
Bargy,  un  La  Trémoille  d'insolente  distinction,  de  M"''  Delvair,  qui  a 
fait  montre  d'un  étonnant  tempérament  dramatique  dans  la  scène  de 
Sarah  Mathison,  et  de  M.  Albert  Lambert,  plein  de  fougue  juvénile, 
avec  de  beaux  cris,  en  Karloo.  Pour  M'"^  Brandès,  on  l'accusait  le  soir  de 
la  première  de  manquer  de  distinction ,  sans  se  rendre  compte  que 
Dolorès  n'est  nullement  une  grande  dame;  Rysoor  le  dit,  insuffi- 
samment peut-être,  il  l'a  presque  ramassée  en  un  quartier  borgne  pour 
en  faire  sa  femme  ;  ce  qu'il  faut  donc  avant  tout  à  la  comédienne 
chargée  de  ce  rôle,  très  lourd  et  très  ingrat,  parce  qu'antipathique,  ce 
sont  des  qualités  de  force,  de  résistance  et  d'emportement  qui  sont  pré- 
cisément le  meilleur  de  la  nature  de  M""  Brandès.  M.  de  Féraudy  a 
joliment  campé  sou  sonneur  Jonas  et  il  faut  mentionner  surtout,  encore, 
MM.  Laugier,  Delaunay  et  Ravet  dans  des  personnages  de  plan  plus  ou 
moins  effacé.  H.  M. 


Gymnase.  —  Les  Amants  de  Saay,  comédie  en  trois  actes,  de  M.  Romain  Goolus. 

Elle  est  extrêmement  bizarre  et  prodigieusement  malpropre  la  pièce 
nouvelle  de  M.  Romain  Coolus  que  le  Gymnase  vient  de  nous  donner. 
Bizarre,  car  il  n'y  a  pas  là  à  proprement  parler  de  pièce,  que  les  per- 
sonnages sont,  tout  au  moins  jusqu'au  dernier  acte,  fantoches  ou  pitres 
Invraisemblables  de  vaudeville  vieillot  voulant  se  hausser  au  ton  de  la 
comédie  ultra-moderne;  malpropre,  car  on  ne  voit  pas  d'autre  mot  pour 
qualifier  la  conduite  de  ce  Santierne  qui  s'est  fait  ruiner  par  Sazy  et  ne 
trouve  d'autre  moyen  pour  vivre  que  d'entrer  à  son  service  comme  ma- 
jordome sans  cesser  de  la  serrer  de  très  près.  Et,  pourtant,  ces  Amants 
de  Sasy  sont  loin  d'être  ennuyeux  :  prestige  d'un  esprit  curieux,  d'une 
langue  vive  et  d'un  dialogue  ingénieusement  amusant. Vous  raconter  la 
chose?  Ma  foi  non.  Si  vous  êtes  amateur  de  polissonnerie  genre  XVIIP 
aggravé  du  très  raide  scepticisme  boulevardier,  faites  la  course,  qui 
n'est  pas  bien  longue. 

M.  Gémier,  à  force  de  talent  et  de  naturel,  sauve  tout  ce  qu'a  de  répu- 
gnant le  personnage  de  Santierne,  et  M'"'  Mégard  tient  très  adroitement 
et  non  sans  cliarme  le  rôle  de  Sazy,  dont  elle  doit  jouer  tout  le  second 
acte  couchée.  M"=  Ryter,  qu'on  voit  trop  peu,  M.  Noizeux,  amusant,  et 
M"'  Yvonne  de  Bray,  une  gamine  très  étonnante,  se  font  remarquer  à 
leur  avantage.  Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A.    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE     19CO 

(Suite.) 


LE    VIEUX    PARIS 


Voici,  qui  était  certainement  l'une  des  curiosités  à  la  fois  les  plus  ingé- 
nieuses et  les  plus  amusantes  de  l'Exposition  :  une  reconstitution  fan- 
taisiste et  arbitraire  dans  son  exactitude  de  l'ancien  Paris  des  XV^  XVI° 
et  XVII' siècles.  Je  m'explique.  En  disant  «  fantaisiste  et  arbitraire 
dans  son  exactitude  »,  je  veux  seulement  expliquer  que  dans  un  espace 
relativement  restreint  (quoiqu'il  fut  de  6.000  mètres  carrés,  avec  260 
mètres  de  façade)  se  trouvait  tout  ce  que  le  Paris  de  ces  temps  éloignés 
offrait  de  curieux  à  l'œil  de  l'oisif  et  du  promeneur.  Cette  reconstitution 
était  due  à  M.  Albert  Robida,  le  maitre  dessinateur  qui  depuis  long- 
temps a  étudié  et  connaît  dans  ses  coins  les  plus  reculés  le  Paris  d'au- 
trefois, qui  n'a  pas  de  secrets  pour  lui. 

Le  Vieux  Paris,  construit  entièrement  sur  pilotis,  s'étendait  au  bas 
du  Cours-la-Reine,  le  long  de  la  berge  droite  de  la  Seine,  à  partir  du 


pont  de  l'Aima  jusqu'à  la  passerelle  qui  le  reliait  au  Palais  des  Armées, 
Il  était  divisé  en  trois  groupes  :  le  quartier  Moyen-âge,  s'étendant  de 
la  porte  Saint-Michel  â  l'église  Saint-Julien-des-Ménétriers,  fameuse 
dans  les  fastes  de  notre  histoire  musicale  ;  le  quartier  des  Halles,  qui 
occupait  le  centre  des  constructions,  et  la  rue  de  la  Foire-Saint-Lau- 
rent. Anciens  monuments,  vieux  hôtels  particuliers,  demeures  histo- 
riques, maisons  curieuses  et  pittoresques,  coins  d'édilices  fameux,  logis 
bourgeois,  vieilles  boutiques  â  auvents  et  à  enseignes,  hôtelleries  somp- 
tueuses, auberges  et  tavernes  populaires,  on  retrouvait  là  tous  les  sou- 
venirs de  la  vieille  capitale,  restitués  jusque  dans  leurs  plus  minces 
détails,  avec  leurs  ornements  les  plus  typiques,  avec  un  soin,  une 
conscience,  une  exactitude,  un  talent  qui  en  faisaient  une  révélation. 

En  franchissant  l'entrée,  gardée  par  des  hallebardiers  en  costume,  on 
se  trouvait  dans  le  quartier  moyen-àge,  où  l'on  pénétrait  en  passant 
sous  la  porte  Saint-Michel,  à  laquelle  était  adossée  la  Tour  du  Louvre. 
Tout  auprès,  la  maison  aux  Piliers,  puis  la  place  et  la  taverne  du  Pré- 
aux-Clercs. On  entrait  alors  dans  la  rue  des  Vieilles-Écoles,  où  l'on 
voyait  la  maison  natale  de  Molière,  celle  de  Nicolas  Flamel,  avec  sa 
façade  ornée  de  grands  bas-reliefs  représentant  Flamel  et  sa  femme 
Pernelle  agenouillés  devant  la  Trinité  entre  deux  files  d'anges,  le  Puits 
d'amour,  la  maison  de  Téophraste  Renaudot,  le  médecin  célèbre  à 
qui  la  France  doit  son  premier  journal,  la  Gazette,  la  Tour  du  collège 
Fortet,  où  s'organisèrent  les  Seize  au  temps  de  la  Ligue,  la  maison  de 
Robert  Estienne,  le  célèbre  imprimeur,  le  cabaret  de  la  Pomme  de  Pin 
et  le  Pilori  de  Saint-Germain-des-Prés,  avec,  en  face,  la  place  et  l'é- 
glise Saint-Julien-des-Ménétriers, 

On  passait  alors  dans  le  quartier  -des  Halles,  en  traversant  le  cabaret 
des  Halles,  au-dessus  duquel  s'élevait  le  Grand  Théâtre.  On  trouvait  â 
droite  le  Grand  Châtelet.  Si  l'on  suivait  à  droite  son  prolongement,  on 
traversait  le  Pont  au  Change,  avec  ses  constructions  voisines,  et  l'on 
accédait  au  bâtiment  du  Palais,  dont  la  grand'salle,  au  premier  étage, 
avait  sa  décoration  du  XVIP  siècle,  avec  sa  voûte  bleue  fleurdelisée 
d'or  et  ses  statues  royales.  Si,  au  contraire,  on  suivait  la  rampe  du 
Châtelet  du  côté  de  la  Seine,  on  pénétrait  dans  la  foire  Saint-Laurent, 
avec  ses  chanteurs  en  plein  vent,  ses  loges  de  saltimbanques,  ses 
diseurs  de  bonne  aventure,  etc.,  et  on  arrivait  à  la  cour  de  la  Sainte- 
Chapelle,  dont  les  degrés  étaient  occupés  par  des  échoppes  de  libraires, 
des  boutiques  de  marchands  de  modes,  d'estampes,  de  gâteaux,  de 
curiosités.  Par  là  se  trouvaient  la  Tour  de  l'Archevêché,  l'Hôtel  d'Har- 
court,  l'Auberge  des  Nations... 

Le  long  de  cet  itinéraire  on  trouvait  d'ailleurs  bien  d'autres  sujets  de 
curiosité:  le  Portail  do  la  Chartreuse  du  Luxembourg,  la  Tour  du 
collège  de  Lisieux,  le  Grenier  des  Poètes,  la  Porte  et  le  clocheton  des 
Jacobins,  le  Cloître  du  collège  de  Cluny,  la  Chambre  des  comptes  de 
Louis  XII,  l'Hôtel  des  Ursins,  l'Hôtel  Coligny,  le  Moulin,  que  sais-je  ? 
sans  compter  une  grille  ornée  de  pampres  et  portant  cette  inscription 

—  moderne  et  fautive  : 

Grille  authentique  de  la  maison  de  Lulli  (payée  par  Molière), 
prêtée  par  M.  Charles  Normand,  de  la  Société  des  amis  des  monuments. 

Or,  jamais  Molière  n'a  payé  la  grille  de  la  maison  de  LuUy.  Il 
s'est  contenté  de  prêter  à  celui-ci,  avec  les  intérêts  ordinaires,  les 
11.000  francs  dont  il  avait  besoin  pour  achever  de  payer  la  construction 
de  sa  maison. 

Mais  partout,  partout  des  échoppes,  des  boutiques,  des  marchands, 
des  étalages,  avec  des  enseignes  volantes  à  sujets  peints,  dont  certaines 
étaient  typiques  :  A  Margot  bon  bec  —  A  la  Guirlande  de  Flo?-e  (modes) 

—  A  la  Toison  d'or  (bijoux)  —  A  la  bonne  heure  (horlogerie)  — A  la  canne 
de  M.  de  Voltaire  —  A  l'Éventail  des  Grâces  —  Aux  Quatre  fis  Aymon  — 
A  la  Coquille  d'or  —  Au  Pavillon  des  Sitiges  —  Les  Trois  Écritoires  —  Au 
Roy  du  Maroc  —  Le  Poteau  rose  —  Au  Grand  Coq  —  La  Croix  de  Lorraine 

—  A  la  Perruque  d'Absalon  (coiffeur)  —  Au  Chat  qui  pêche  —  Au  Cœur 
volant  —  Au  bon  Coing  —  Au  Chef  Saint-Denis  —  A  l'Esquif  Saint- 
Julien,  etc. 

Ce  qu'on  ne  peut  rendre,  c'est  l'effet  produit  par  l'aspect  général  de 
ce  vieux  Paris,  si  pitoresque  et  si  curieux,  qui  nous  reporte  par  la 
pensée  en  des  temps  si  éloignés,  qui  évoque  en  l'esprit  tant  de  souvenirs 
et  qui,  par  les  yeux,  nous  rappelle  les  mœurs,  les  coutumes,  les  usages 
de  nos  pères  ;  c'est,  d'autre  part,  si  de  l'ensemble  on  passe  aux  détails, 
la  multiplicité  de  ceux-ci  et  leur  étonnante  exactitude;  ce  sont  les 
sculptures,  les  ornements  de  toute  sorte  prodigués  sur  tous  ces  édifices, 
sur  toutes  ces  vieilles  maisons  :  tours  et  tourelles,  balcons  et  créneaux, 
frontons  ornementés,  pignons  enguii-landès,  frises  courantes,  images  de 
pierre,  statues  et  statuettes,  bas-reliefs,  écussons,  médaillons,  gar- 
gouilles et  le  reste,  tout  cela  donnant  une  note  d'art  scrupuleuse  et 
d'un  vif  intérêt. 

Puis,  tout  prête  à  l'illusion.  Des  sentinelles  en  casaque  de  buffle,  la 


LE  MENESTREL 


83 


bouguignolte  eu  lête  et  la  vouge  à  l'épaule ,  sont  postés  aux  portes  ; 
d'autres  soudards  se  promènent  de-ci  de-lâ.  A  certains  moments  la 
musique  du  «  prévôt  des  marchands  »,  en  costumes  de  fête,  se  fait 
entendre  en  parcourant  les  rues  et  les  places  de  la  vieille  cité.  Sur  la 
rampe  du  Châtelet  nous  trouvons  une  baraque  où  des  saltimbanques 
font  la  parade;  à  la  foire  Saint-Laurent  nous  rencontrons  deux  chan- 
teurs, homme  et  femme,  lui  en  Jeannot  avec  sa  queue  rouge,  la  gui- 
tare â  la  main,  elle  en  casaquin  de  basin,  coiffée  d'un  gentil  bonnet, 
tous  deux  chantant  et  débitant  de  vieilles  chansons.  Plus  loin  c'est 
un  nécromancien  qui  fait  son  boniment,  puis  un  géant  qui  distribue  des 
prospectus.  Au  cabaret  des  Halles  j'aperçois,  sur  une  estrade,  deux 
jolies  filles  et  un  beau  gars,  en  costume  Louis  XIH,  qui  chantent  aussi 
des  chansons  du  bon  vieux  temps.  Et  si  j'entre  dans  l'église  Saint- 
Julien-des-Ménétriers,  dont  le  portail  est  accosté  des  statues  de  saint 
Julien  et  du  roi  David,  dont  l'intérieur  forme  une  chapelle  d'une  sim- 
plicité élégante,  avec  de  jolies  verrières  de  M.  Richard,  j'entends  non 
plus  des  chansons,  mais  des  motets  et  des  morceaux  de  musique  reli- 
gieuse chantés  par  les  artistes  de  la  Schola  cantorum. 

Il  y  avait  encore  d'autres  distractions  au  Vieux  Paris,  entre  autres 
le  Grand  Théâtre,  qui  pouvait  contenir  quinze  cents  personnes,  où 
chaque  jour  se  donnait  un  concert  Colonne  et  chaque  soir  un  spectacle 
varié,  et  le  théâtre  du  Palais,  où  la  Bodiniére  donnait  quotidiennement 
deux  représentations. 

Et  le  Vieux  Paris  avait  son  journal,  s'il  vous  plaît,  la  Gazettedu  Vieux 
Paris,  qui  s'imprimait  là,  dans  la  maison  de  Téophraste  Renaudot,  et 
qui  paraissait  toutes  les  semaines,  en  faisant  connaître  l'œuvre  et  en  don- 
nant le  programme  de  ses  plaisirs  quotidiens.  La  Galette  du  Vieux  Paris 
avait  une  petite  physionomie  archéologique  très  réjouissante,  et  j'ima- 
gine que  déjà  sa  collection  ne  doit  pas  être  très  facile  â  réunir.  Mais  les 
curieux  pourront  encore  se  procurer  le  Vieux  Paris,  gentil  petit  »  guide 
historique,  pittoresque  et  anecdotique  »,  illustré  par  Robida  et,  je  le 
crois  bien,  rédigé  par  lui,  quoique  ce  petit  livre  soit  resté  anonyme. 
C'est  lui  qui  nous  apprend  que  les  architectes  de  l'entreprise  étaient 
MM.  Benouville,  Beitz,  Vilain,  Gombert,  Klinka  de  Vlastimil  et  Olaf, 
l'architecte  paysagiste  M.  Martinet,  que  les  sculptures  et  les  moulures 
avaient  pour  auteurs  MM.  Cocchi,  Leemans,  Lecourt  etM"°  Emilie  Ro- 
bida, que  les  peintures  étaient  de  M.  Béra,  les  vitraux  et  verrières  de 
M.  Richard,  enfin  les  enseignes  de  MM.  Béra  et  Fournier.  Il  me  semble 
qu'il  n'y  a  que  justice  à  rappeler  les  noms  des  principaux  collaborateurs 
de  cette  œuvre  intéressante. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  CEuvres  de  Massenet.  —  Eve,  la  Vierge,  Thaïs, 
Mireille,  Sita,  Esclarmonde!  Quel  cortège  de  séduisantes  créatures!  Toutes 
sont  délicieusement  «  nouveau  siècle  »,  grâce  au  prestige  d'un  art  subtil  et 
ralfiné;  toutes  semblent  nous  dire  en  souriant  :  Voyez,  suis-je  assez  belle  1 
Toutes  ont  leur  originalité  distinctive;  on  pourrait  presque  dire  leur  parfum 
de  prédilection.  Voici  Mireille,  par  exemple;  quelle  simplicité  bien  proven- 
çale, quel  charme  dans  la  monotonie  d'une  tonalité  peu  variée,  et  quel  trait 
pittoresque  ajoutent  au  tableau  les  indications  du  lointain,  esquissées  par  le 
cor  anglais!  M.  Jean  Lassalle  a  posé  cette  mélodie  avec  un  talent  exquis.  Il 
a  fort  noblement  exprihié  le  sentiment  large  de  l'air  du  Roi  de  Lahcre  :  Attx 

troupes  du  sultan Aurait-on  oublié  que  Massenet  a  écrit  pour  l'Opéra  un 

grand  ouvrage  qui  a  été  son  début  sérieux  au  théâtre  et  qui  reste,  avec 
Sigurd,  l'œuvre  la  plus  caractéristique  de  notre  école  dramatique  française? 
Est-ce  pour  soutenir  les  opéras  qui  se  soutiennent  d'eux-mêmes  par  ce  qui 
n'est,  pas  la  musique,  est-ce  pour  glorifier  la  chorégraphie  sui  geiieris  qui  en 
tempère  l'austérité  que  nous  donnons  chaque  année  un  million,  sans  comp- 
ter le  revenu  des  soixante  millions  et  plus  qu'a  coûtés  notre  splendide  édifice 
du  boulevard?  Mais  passons:  voici  Eve,  voici  la  Vierge,  deux  ravissantes 
figures  créées  d'hier  par  l'adorable  sensualisme  du  compositeur.  Quand  je  dis 
créées  d'hier,  c'est  par  respect  pour  la  haute  antiquité  de  la  mère  de  l'homme 
et  de  la  mère  de  Dieu,  car  l'Eve  remonte  à  1875  et  la  Vierge  à  1880.  M""-'  Au- 
guez  de  Montalant  a  incarné  avec  un  talent  délicat  la  pécheresse  et  l'imma- 
culée; on  lui  a  fait  une  petite  ovation  toute  familière  et  bien  méritée.  De 
même  pour  M.  Oliveira,  qui  a  rendu  avec  une  jolie  sonorité  la  Méditation  de 
Thaïs.  Mais  que  dire  de  Phèdre,  que  je  n'ai  pas  voulu  nommer  encore?  Geof- 
froy écrivait  ceci  pour  caractériser  la  Phèdre  de  Racine  :  »  La  conception  du 
poète  grec  me  parait  plus  forte,  plus  tragique...  mais  le  développement  de  la 
passion  de  Phèdre,  qui  eût  été  pour  les  Grecs  un  défaut,  a  tant  de  charme 
pour  les  Français...  qu'on  ne  peut  se  défendre  d'une  secrète  prédilection 
pour  Racine  :  c'est  le  jugement  du  cœur  plus  que  celui  de  l'esprit.  »  On 
demandait  un  jour  à  Racine  pourquoi,  contrairement  à  l'indication  d'Euri- 
pide, il  n'avait  pas  conservé  à  Hippolyte  son  caractère  de  héros  chaste  : 
«  Qu'en  penseraient  nos  petits-maîtres?  »  répondit-il.  Massenet  non  plus  ne 
se  serait  pas  soucié  d'un  Hippolyte  trop  vertueux  à  l'âge  des  passions;  il  l'eût 


peu  apprécié  comme  favori  d'Artémis;  aussi  s'est-il  empressé  de  profiter  de 
ses  amours  avec  Aricie  pour  composer  le  plus  caressant  de  tous  les  inter- 
mèdes. Ce  petit  duo  de  clarinette  et  de  cor  anglais,  d'une  expression  si  timide 
et  discrète,  semble  se  passer  entre  deux  personnages  qui,  comme  le  Chéru- 
bin de  Beaumarchais  «  n'osent  pas  oser  »,  et  ont  besoin,  pour  risquer  un 
aveu,  que  les  tendres  langueurs  d'un  quatuor  en  sourdine  les  enveloppent  et 
les  avertissent.  L'ouverture  de  Phèdre  est  connue  depuis  près  de  trente  ans 
et  les  entr'actes  entendus  à  l'Odéon  récemment  ont  été  appréciés  par  mon 
confrère  Arthur  Pougin,  dans  le  Ménestrel  du  9  décembre  dernier.  Je  passe 
donc  à  Brumaire  et  je  finis  parla.  Cette  ouverture  d'un  drame  de  M.  Ed.  Noël 
encore  inédit,  sonne  comme  une  réponse  à  ceux  dont  la  prédilection  est  trop 
exclusive  pour  Massenet  féministe.  Certes,  s'il  y  a  une  femme  ici,  ce  n'est 
pas  une  cnnitesse  du  faubourg  Saint-Germain;  c'est  la  Liberté  hurlante  et 
sanguinaire  qu'un  soldat  veut  enchaîner.  Elle  subit  le  joug,  mais  l'avenir  est 
à  elle  et  c'est  le  cri  :  Aux  armes,  de  la  Marseillaise,  qui  finit,  par  une  menace, 
l'ouverture  de  Brumaire.  Musicalement  l'œuvre  est  tumultueuse,  mouvemen- 
tée et  violente;  le  chant  du  Domine  salvum  fac  y  produit  un  effet  superbe, 
malheureusement  passager;  mais  le  plan  général  de  ce  morceau  ne  compor- 
tait pai  un  épisode  trop  long  qui  en  devait  rompre  l'unité.  Le  succès  de  tout 
ce  programme  a  été  très  vif.  On  a  bissé  l'arioso  du  Roi  de  Lahore,  le  Chant 
provençal,  la  méditation  de  Thàis  et  les  Amours  d'Hîppolyte  et  d'Arîcie. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  L'ouverture  du  Freyschûtz  est  une  œuvre  dont 
on  ne  se  lasse  jamais,  surtout  quand  elle  est  aussi  bien  exécutée  qu'elle  le 
fut  par  M.  Chevillard,  qui  s'est  évidemment  inspiré  de  l'analyse  admirable  de 
cette  composition  fournie  par  Richard  Wagner  dans  son  écrit  sur  l'art  de 
conduire  l'orchestre.  —  Grand  succès  aussi  pour  le  deuxième  concerto  pour 
piano  de  M.  Théodore  Dubois,  une  des  meilleures  productions  modernes  du 
genre,  que  M^^^  Kleeberg  a  interprété  avec  charme  et  bravoure;  on  a  fêté 
l'œuvre  et  la  soliste,  surtout  après  le  scherzo  et  le  finale.  —  Après  nous 
avoir  donné  des  auditions  intégrales  ie  l'Or  du  Rhin,  M.  Chevillard  s'est 
attaqué  à  Siegfried.  Malgré  la  beauté  pittoresque  du  finale  de  cette  œuvre  qui 
réclame  impérieusement  l'appareil  scénique,  le  dernier  acte  de  Siegfried  se 
prête  mieux  que  les  deux  précédents  à  l'exécution  en  forme  de  concert.  La 
satisfaction  du  public  aurait  donc  pu  être  assez  complète  si  les  solistes  avaient 
été  tous  à  la  hauteur  de  leur  mission.  Malheureusement  le  pauvre  Wotan 
laissait  à  peu  près  tout  à  désirer  et  M"«  Gerville-Réache  manquait  de  l'autorité 
nécessaire.  Siegfried,  c'était  M.  Imbart  de  la  Tour.  Sa  voix  d'un  timbre  ju- 
vénile et  mordant,  quoique  manquant  un  peu  de  fonds,  sa  diction  claire  et 
correcte,  sa  manière  intelligente  de  faire  ressortir  les  phrases  musicales  et 
sa  compréhension  du  rôle  l'ont  tiré  hors  de  pair.  Il  a  trouvé  une  Brûnnhilde 
quelque  peu  inférieure,  quoique  encore  assez  satisfaisante,  en  M^^  Chrétien- 
Vaguet,  qui  est  arrivée,  somme  toute,  à  une  interprétation  acceptable  de  ce 
rôle  exceptionnel.  Mais  le  véritable  triomphateur  a  été  l'orchestre,  qui  a  joué 
avec  un  éclat  et  une  fusion  que  nous  avons  rarement  rencontrés  depuis  les 
mémorables  premières  représentations  de  l'Anneau  du  Nibelung  à  Bayreuth, 
sous  les  yeux  mêmes  du  maître.  Dans  ces  conditions,  le  grandiose  interlude 
qui  accompage  l'ascension  de  Siegfried  au  sommet  du  rocher  de  BrUnnhilde, 
ce  tissu  orchestral  incomparable  dans  lequel  brillent  presque  tous  les  joyaux 
mélodiques  du  drame  entier,  ne  pouvait  manquer  de  remporter  un  véritable 
triomphe.  Le  public  a  bruyamment  manifesté  son  enthousiasme. 

0.  Berggruen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la  majeur  (Mendelssohn).  —  Nuit  persane  (Saint-Saëns), 
soli  ;  M"'  Héglon,  M.  Vaguet  ;  récits  parlés  :  M"'  R.  Du  Minil,  —  Ouverture  de  Coriolan 
(Beethoven).  —  Alléluia,  chœur  (Massenet).  —  Ouverture  du  Roi  d'Ys  (Lalo). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Faust  (Sclmmann),  chanté  par  MM.  Daraux,  Ballard,  Caze- 
neuve,  Dangès,  Berton,  Barras,  M""  Adiny,  d'Ancy,  Le  Roy,  Cahun,  Planés  et  Vati  Don- 
ghen. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  dirigé  par  M.  Chevillard  :  Ouverture  du  Hoi 
Lear  (Savard).  —  Deuxième  concerto  pour  piano  (Saint-Saëns),  par  M.  de  Greef.  —  Troi- 
sième acte  de  Siegfried  (Wagoer),  par  M""  Chrétien- Vaguet  et  Gerville-Réache,  MM.  Im- 
bart de  la  Tour  et  Challet.  —  Marche  hongroise  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz). 

—  Concert  dé  la  Société  Mozart.  —  La  troisième  séance  de  la  «  Société 
Mozart  »  offrait  un  régal  inattendu.  Après  une  conférence  spirituelle  et  d'une 
rare  compétence  sur  les  «  autographes  musicaux  »  en  général  et  sur  ceux  de 
Mozart  en  particulier,  notre  collaborateur  et  ami  Charles  Malherbe  a  fait 
exécuter  deux  morceaux  absolument  inédits  et  inconnus  même  au  catalogue 
de  Koechel,  dont  il  possède  les  manuscrits  originaux.  L'un  est  un  air  pour 
soprano,  composé  par  Mozart  pour  le  premier  acte  de  l'opéra  Mithridate  qu'il 
avait  fait  jouer  à  Milan  en  1770,  à  l'âge  de  14  ans.  Cet  air  n'a  jamais  été 
exécuté;  il  parait  qu'il  avait  déplu  à  l'artiste  chargé  du  rôle  d'Ismène.  C'est 
un  spécimen  typique  du  style  italien  de  l'époque,  mais  on  y  trouve  déjà  des 
tournures  mélodiques  qui  annoncent  le  futur  maître  des  Noees  de  Figaro. 
M""»  Camille  Fourrier  a  interprété  l'œuvre  dans  un  style  parfait  et  avec  une 
virtuosité  sufEsante.  L'autre  morceau  inédit  nous  parait  encore  plus  intéres- 
sant. C'est  une  courte  Elégie  en  fa  {«  Adagielto  »),  en  fout  32  mesures,  que 
Mozart  a  écrite  en  1767,  à  l'âge  de  onze  ans,  pour  deux  voix  de  soprano,  sur 
des  paroles  naïves  qu'il  avait  probablement  arrangées  lui-même,  pour  dé- 
plorer la  mort  d'une  certaine  Josepha,  une  petite  amie  de  sa  sœur,  sur  la- 
quelle il  n'a  pas  été  possible  de  recueillir  un  renseignement  quelconque.  Le 
manuscrit  porte  une  note  autographe  de  la  sœur  de  Mozart  qui  certifie  que 
son  frère  avait  fait  cette  composition  à  l'âge  de  onze  ans.  Le  morceau  est 


LE  fflmSTJlEL 


d'uae  délicatesse  el  d'uno  omotiou  q.ui  seraient  admirables,  même  si  l'autear 
n'avait  pas  été  un  enfant.  M""  Julie  Gahua  et  M"'"  Camille  Fooi-rier  l'omt  in- 
terprété d'une  façon  absolument  charmante;  elles  ont  du  le  répéter  et  le  pu- 
blic le  demanda  une  troisième  fois,  sans  obtenir  satisfaction.  Le  programme 
offrait  encore  le  3™°  quatuor  à  Haydn,  fort  bien  interprété  par  MM.  Parent, 
Xyammers,  Denayer  et  Baretti,  la  fantaisie  pour  piano  en  ut  mineur,  agréa- 
blement jouée  par  M""  Bleuzet  et  le  trio  dit  «  des  Q)uilles  >'  en  mi  [r  pour 
piano,  clai'inetle  et  alto  dans  lequel  se  sont  distingués  M"">  Bleuzet  et 
iI4[.  Pichard  et  Denayer.  La  légende  raconte  que  Mozart  avait  composé  ce 
trio  'tout  en  faisant  une  partie  de  quilles,  et  l'aspect  du  manuscrit  que 
M.  Malherbe  possède  semble  confirmer  en  effet  cette  légende,  nullement  en 
qoirtradiction  d'ailleurs  avec  la  manière  de  travailler  de  Mozart,  sur  laquelle 
il  a  laissé  lui-même  des  renseignements  précis.  O.  Beuggiu'en. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  mars)  :■ 

La  mort  de  Peter  Benoit,  le  grand  musicien,  l'homme  de  volonté  et  de 
lutte,  l'initiateur  du  mouvement  vraiment  national  en  Belgique,  a  occupé  la 
semaine  de  la  plus  douloureuse  façon.  Le  pays  est  en  deuil,  peut-on  dire,  et 
pleure  très  sincèrement  une  de  ses  plus  pures  gloires  contemporaines,  un 
homme  de  talent,  voire  de  génie,  auquel  l'avenir  rendra  justice  et  dont  la, 
mémoire  sera  vengée,  avant  qu'il  soit  peu,  de  l'oubli  où  l'ont  trop  laissé  (un 
peu  par  sa  faute,,  il  est  vrai)  ses  propres  compatriotes.  Ou  se  préoccupe  dès  i 
présent  de  la  succession  do  Peter  Benoit  comme  directeur  du  Conservatoire 
d'Anvers;  et  tout  porte  à  croire  que  ce  successeur  sera  M.  Jan  Block.x,  le 
plus  digne,  le  plus  méritant  à  tous  égards,  celui  qui,  d'ailleurs,  occupait  au 
Conservatoire  la  première  place  après  le  maître.  Le  mouvement  flamand 
national,  qui  avait  en  Benoit  un  chef  aimé,,  ne  pourrait  trouver  un  meilleur 
représentant  (jue  celui-là,  dont  l'autorité  s'appuie  déjà  sur  des  oeuvres  glo- 
rieuses. 

A  la  Monnaie,  la  marche  du  répertoire  s'est  trouvée  tout  à  coup  contrariée 
par  une  indisposition  de  M™  Thiéry,  tellement  persistante  qu'il  a  fallu  renon- 
cer à  l'espoir  d'une  prompte  guérison  et  se  résoudre  à  remplacer  l'aimable 
artiste.  C'est  M"'  Laisné,  de  l'Opéra-Comique,  qui  viendra  chanter  Manon,  où 
M™  Thiéry  était  à  la  veille  de  paraîtra.  Nous  avons  eu.  en  attendant,  quel- 
ques représentations  de  M.  Albers,  qu'on  a  beaucoup  apprécié  dans  Rigoletto, 
et  un  peu  moins  dans  Bon  Juan  :  mais  il  aura  été  du  moins  l'occasion  impré- 
vue d'un  hommage,  qui  n'avait  pas  encore  été  rendu,  à  la  mémoire  de  Verdi; 
sans  lui,  la  Monnaie  aurait  pu  être  soupçonnée  d'avoir  négligé  intentionnel- 
lement l'ombre  du  grand  mort;  voilà  qui  remet: toutes  choses  en  bon  ordre,; 
le  grand  mort,  dans  sa  tombe,  pourra  dormir  content. 

Deux  concerts  intéressants  :  à  la  Société  Ysaye,  M.  Mottl  est  venu  diriger 
le  jiremier  acte  de  la  Walkyrie  et  le  finale  As  Siecjfciei,  merveilleusement  exé- 
cuté, avec  le  concours  de  M""^  Mottl  et  de  l'excellent  ténor  Schmedes;  —  au 
Conservatoire,  le  troisième  concert  de  la  saison  nous  a  fait  entendre  une 
série  de  «.vieux-neuf  »  extrêmement  curieux,  une  symphonie  et  des  airs  de 
ballet  de  Gluck,  des  petites  pièces  charmantes  de  Haendel  et  de  Bach,  extraites 
de  concertos  et  contenant  toutes  un  solo  conlié  à  quelque  chef  de  pupitre, 
M.  Guidé,  M.  Jacobs,  M.  Anthoni,  et  enfin  une  cantate,  presque  inconnue 
de  Bach,7c/ifto((e  vid  Bekummerniss,  tout  à  fait  curieuse  et  de  grand  caractère 
quoique  datant  de  la  jeunesse  du  maître,  —  une  véritable  révélation.  Au 
Conservatoire  aussi,  quelques  jours  après,  une  exécution  que  l'on  peut  dire 
unique  avait:  lieu  en  petit  comité;  il  s'agit  d'une  œuvre  de  J.-S.  Bach,  un 
concerto  pour  quatre  instruments  (à  savoir  :  ftùte,  hautbois,  violon  et  petite 
tromqiette  en  fa)  avec  accompagnement  d'orchestre  et  d'orgurf.  Gela  paraît 
invraisemblable  au  premier  abord,  mais  rien  n'est  plus  surprenant  que  d'en- 
tendre, se  mariant  au  timbre  du  hautbois  et  même  du  violon  et  de  la  flûte 
le  timbre  éclatant  de  la  trompette.  Il  faut  dire  aussi  qu'il  s'agit  d'un  instru- 
ment spécial,  reconstitué  par  M.  MahiUoQ  sur  les  données  de  M.  Gevaert  et 
qui  a  obtenu,  auprès  des  rares  privilégiés  qui  ont  entendu  ce  morceau  ori- 
ginal, le  plus  grand  et  le  plus  franc  succès.  Cette  audition  a  été  donnée  en 
présence  de  MM.  Félix  Mottl,  Kulïerath,  directeur  du  théâtre  de  la  Monnaie 
et  quelques  amatem's.  Les  exécutants,  MM.  Anthoni  (llùte),  Guidé  (hautbois), 
Colyns  (violon)  et  Goeyens  (trompette),  ont  été  vivement  félicités  par  M.  Ge- 
vaert. La  grande  curiosité,  et  la  grande  difficulté  de  cette  exécution,  c'était 
la  partie  de  trompette  en  fu.  Ce  curieux  instrument  est  encore  plus  aigu  d'une 
tierce  que  la  petite  trompette  eii  ré  qui  a  servi  jusqu'ici  dans  les  œuvres,  de 
J.-S.  Bach;  il  donne  toujours  l'effet,  aux  auditeurs,  d'un  homme  ivre  se  prome- 
nant sur  un  loitt..  M.  Goeyens  en  a  joué  comme  s'il  n'avait  jamais  fait  que 
cela  de  sa  vie.  Et  peut-être  est-il  le  seul  instrumentiste,  dans  le  monde  entier, 
qui  puisse  en  jouer.  Cet  éloge,  proféré  par  M.  Gevaert,  ne  semble  pas  e.xa"éré. 

Enûu,  autres  événements,  à  Tournai  :  l'exécution,  par  la  Société  de  musi- 
que, et  pour  la  première  fois  en  Belgique,  de  ta  Terre  promise  de  M.  Massenet 
précédée  de  fragments  importants  de  son  Roi  de  Laliorc.  Le  succès  a  été 
énorme,  et  M.  Massenet,  qui  assistait  au  concert,  a  été  l'objet  d'enthousiastes 
ovations.  Son  nouvel  oratorio  a  été  admiré  pour  son  beau  caractère,  son 
charme  intense  et  sa  couleur  biblique  si  pénétrante.  Et  l'interprétation 
nptamracnt  par  M"»  Nervil  et  M.  Tlousselîère,  ainsi  que  par  les-,  chœurs. de  laj 
Société  de  .musique,  sous  la  direction  de  M.  de  Loose,,a  été  vraiment  ttèsi  t 
remarquable..   ,  ;..-...  L.',S.    r.-. 


—  Pendant  les  quatre  jours  où  le  public  a  été  admis,  à  Milan,  à  visiter. là 
crypte  d_e  k',  easa^  di  riposo  per  musicisti,  plus  de  40.000.  pei-sonnes.  ont  défilé 
devant  les  tombes  de  Giuseppe  et  de  Giuseppîna  Verdi.  C'est  uni  noble  honsir 
mage  rendu  à  la  mémoire  du  vieux  maitre.  —  De  Gênes  sont  arrivés  à  cette 
maison  de  retraite  les  tableaux,  les  meubles  et  le  piano  qui  sont  destinés  à 
former  le  commencement  du  musée  Verdi.  A  ces  objets  viendront  s'ajouter 
tous  les  autres  souvenirs  personnels  et  artistiques  que  le  maître  a  désignés 
à  sa  légataire  universelle.  M""  Maria  Carrara- Verdi,  laquelle  se  propose,  de 
sa  propre  initiative,  d'en  envoyer  d'autres  encore  qu'elle  juge  dignes  de 
figurer  dans  ce  musée. 

—  Et  voici  que  les  notaires  de  Parmeiet  de  Plaisance  se  trouvent  en  conflit 
au  sujet  du  testament  de  Verdi,  dont  le  dépôt  est  réclamé  dechacuhdes  deu.x 
côtés,  l'arme  soutient  que  Busseto  était  le  domicile  légal  du  maître,  et  q'ùe 
Sant'Agata.  qui  est  dans  la  province  de  Plaisance,  n'était  que  le  lieu  de  sa 
demeure.  Mais  Plaisance  ne  l'entend  pas  de  cette  oreille,  et  sur  un  rapport 
du  notaire  Belli,  le  conseil  des  notaires  de  Plaisance  a  décidé  de  l'éclamer  le 
dépôt  du  testament  chez  le  notaire  de  l'arrondissement  de  Monticelli  di 
Ongina.  Les  choses  en.  sont  là,  une  brochure  a  été  publiée  à  ce  sujet  et  les 
débats  vont  s'ouvrir.  Il  nous  semble  que  par  respect  pour  la  mémoire  du 
maitre,  on  aurait  dû  éviter  de  telles  disputes. 

—  Il  parait  que  Rome  est  loin  dé  s'être  distinguée  comme  Milan  dans 
l'hommage  qu'elle  devait  à  Verdi.  Voici  comment  s'expriment  à  ce  sujet  les' 
Cronaclie  musicati  de  cette  ville  :  —  «  11  est  trop  clair  que  la  manifestation 
pour  honorer  la  mémoire  de  Verdi  n'a  pas  été  digne  de  Rome.  Et  encore,  si 
on  a  mentionné  la  grande  illumination  du  trentième  jour  de  sa  mort;  on  la 
doit  aux  étudiants  qui,  avec  l'enthousiasme  des  jeunes  années,  en  avaient 
pris  la  louable  initiative.  Mais  cette  initiative  eût  dû  être  prise  par  les  prin- 
cipales autorités  administratives  et  artistiques:  elles  auraient  dû  organiser  le 
cortège  et  le  discipliner.  Il  faisait  peine  de  voir  ce  buste  presque  difformo 
être  porté  au  Capitole  —  par  bonheur  provisoirement;  nous  disons  provisoi- 
rement, parce  qu'on  a  réfléchi  que  pour  représenter  l'effigie  d'un  tel  artiste 
il  fallait  au  moins  une  œuvre  artistique!  Mais  à  Rome  tout  s'improvise,  et  il 
en  résulte  d'amères  désillusions!  Où  en  est,  par  exemple,  la  souscription  pour 
un  monument  de  caractère  international  à  élever  à  Rome  à  Verdi?  On  n'en' 
sait  plus  rien,  ni  si  on  a  vu  un  seul  nom  important  figurer  pour  une  obole 
même  modeste.  Il  est  vrai  qu'une  confusion  a  été  engendrée  par  la  fantasti- 
que idée  mise  eu  avant  de  consacrer  à  Verdi  encore  un  autre  monument,... 
un  théâtre  lyrique  à  construire,  comme  s'il  était  possible  de  réunir  des  mil- 
lions et  des  millions  pour  une  œuvre  d'art!  Ces  déplorables  illusions,  enre- 
gistrées sérieusement  et  solennellement,  ont  créé  la  confusion,  et  la  souscrip- 
tion a  avorté  !  Il  ne  reste  autre  chose  à  faire  désormais  que  de  transporter  au 
profit  du  monument  international  de  Busseto  les  quelques  fonds  qui  ont  été 
recueillis  à  Rome.  Et  quant  à  la  commémoration  musicale  projetée  au  théâ- 
tre, bien  plus  significative  pour  un  musicien  que  tous  les  discours  apologé- 
tiques, contentons-nous  de  la  renvoyer  au  premier  centenaire  verdien,  puisque 
les  exigences  avides  de  Vimpresa  du  Costanzi  ne  permettent  point  do  la  faire, 
et  que  l'on  ne  peut  disposer  des  masses  orchestrales  pour  l'organiser  dans  un 
autre  théâtre,  puisque  la  susdite  impresa,  forte  de  son  traité  avec  ces  masses, 
leur  défend  de  se  prêter  à  cette  œuvre  hautement  civique  et  opportune...  » 

—  On  continue  de  parler  à  Tarante,  ville  natale  de  Paisiello,  des  honneurs 
à  rendre  à  l'illustre  auteur  de  ta  Frascatana  et  de  ta  Molinara.  Un  journal  de 
cette  ville  écrit  :  —  «  Pour  Tarante,  honorer  Giovanni  Paisiello  est  vraiment 
un  saint  devoir  de  charité  patriotique  envers  ceux  qui  ont  bien  mérité  de  la 
patrie  en  l'illustrant  avec  leurs  œuvres.  Certes,  parmi  les  maîtres  du  dix- 
huitième  siècle,  Paisiello  occupe  une  place  très  élevée.  Emule  de  Cimarosa 
et  de  Guglielmi,  il  forma  avec  ceux-ci  et  avec  Pergolèse  ce  quadrumvirat  qui 
releva  le  sort  de  la  musique  et  qui,  reprenant  à  Mozart  ce  que  ce  dernier 
avait  pris  à  l'Italie  f?),  constitua  l'école  plus  qu'italienne,  napolitaine,  sans 
laquelle  Rossini  et  Donîzetti,  Bellini  et  Verdi,  les  quatre  géants  du  di,x-neu- 
vième  siècle,  n'auraient  pas  existé.  »  Peut-être  est-ce  aller  un  peu  loin,  et  en 
tout  cas,  les  «  quatre  géants  »  nous  semblent  inégaux  en  valeur.  Qdoî  qu'il' 
en  soit,  une  agitation  s'est  créée  à  Tarante,  où  le  municipe  s'occupe  non 
seulement  d'élever  un  monument  au  vieux  maitre,  mais  surtout  de  faire 
revenir  ses  restes,  qui  sont  inhumés  à  Naples  dans  l'église  de  Donnalbina. 

—  Don  Lorenzo  Perosi,  l'abbé  compositeur,  continue  de  tourner  sa  petite, 
manivelle.  A  peine  a-t-il  termine  son  dernier  oratorio,  Mosè,  dont  la  première' 
exécution  doit  avoir  lieu  à  Milan,  dans  le  salon  de  la  Paix,  au.  mois  de 
novembre  prochain,  sous  la  direction  de  M.  Toscanini,  qu'il  en  commence 
un  nouveau  soùs  le  titre  de  l'Apocatypse.  Palestrina  lui-même  n'allait  pas  si 
vite  en  besogne. 

—  Il  parait  qu'il  circule  dans  les  rues  de  Naples  un  pauvre  diable  de  men- 
diant septuagénaire,  du  nom  d'Ippolito  Cimarosa,  qui  n'est  autre  qu'un  neveu 
en  ligne  directe  du  célèbre  auteur  d'ii  Malrimonio  serjreto  et  que  personne  jus- 
qu'ici n'a  songé  à  secourir.  Le  plus  curieux,  c'est  que  ce  fait  a  été  révêlé  par... 
le  consul  du  Japon,  M.Degoyzueta,  qui  l'a  rendu  public  à  l'aide  d'une  lettre  ■ 
adressée  par  lui  aux  journaux.  La  publication  de  cette  lettre  a  amené  quel- 
ques personnes  à  se  réunir  pour  venir  en  aide  à  l'infortuné  porteur  d'un  si 
grand,  nom. 

. —  Voiei  encore  Molière  en  opéra-comi'q!ne...:en  Italie.  On. annonça.  la;pro- 
cliaine  apparition  à  Parme  d'un  petit  opéra  du  maestro.  rGalliera,  intitulé  /e  . 
Ppesiose  ridicole.     .  "        '  .    :  ■  ■         ,  .    ^  „ 


LE  MENESTREL 


87 


—  Le  célèbre  pianiste  PadëEewski,  qui  s'est  (prodlii't  récemment  à  Rome, 
vient  de  quitter  cette  ville  pour  se  rendre  à  Londres,  où  il  doit  donner  une 
série  de  quatorze  concerts. 

—  Gela  segàte  entre  Bayreuth  et  Munich.  M.  Biegfried  Wagner,  qui  devait 
assister,  le  19  de  ce  mois,  à  la  première  représentation  de  son  opéra-comique 
le  Jeune  duc  étourdi  à  l'Opéra  royal  de  Munich,  a  été  informé  qu'un  nouvel 
ajournement  paraissait  nécessaire.  Le  jeune  compositeur  s'est  fiché  tout 
rouge  et  a  pris  l'express  pour  Leipzig,  où  sa  nouvelle  œuvre  est  complète- 
ment sue  et  prête  à  passer,  car  elle  devait  y  être  jouée  immédiatement  après 
la  première  de  Munich.  Or,  M.  Siegfried  Wagner  avait  autorisé  le  directeur 
à  jouer  le  nouvel  opéra  le  20  de  ce  mois  et  il  a  maintenu  cette  autorisation 
malgré  les  protestations  énergiques  de  l'intendance  des  théâtres  royaux  de 
Munich,  qui  fait  valoir  son  traité.  Cette  affaire  passionne  actuellement  le 
monde  théâtral  d'outre-Rhin. 

—  (3n  annonce  de  Bayreuth  que  les  préparatifs  pour  les  représentations 
de  cette  année  ont  déjà  commencé.  Les  rôles  principaux  ont  trouvé  leurs 
titulaires.  Dans  ceux  de  Siegmund  et  de  Siegfried  on  verra  alterner  les 
ténors  Krauss  (Berlin),  Burgstaller  et  Schmedes  (Vienne);  le  rôlede  Briinne- 
hilde  est  confié  à  M'"<i  Gulbranson  (Berlin),  celui  de  Wotan  àM.  Van  Hooy  et 
celui  d'Albéric  à  M.  Nebo  (Berlin).  Quant  à  Parsifal,  il  sera  de  nouveau  joué 
par  M.  Van  Dyck  et  Gurnemanz  par  M.  Knupfer  (Berlin). 

—  Le  monument  qu'un  comité  se  propose  d'ériger  à  Munich  en  l'honneur 
du  roi  Louis  II,  le  grand  protecteur  de  Richard  Wagner  et  de  l'art  théâtral 
en  général,  est  en  excellente  voie.  Le  Prince-régent  vient  de  souscrire  pour 
25.000  francs  et  les  autres  souscriptions  affluent  de  toute  la  Bavière  et  même 
d-es  autres  pays  allemands. 

—  Nous  apprenons  de  Vienne  que  M.  Edouard  Strauss,  qui  a  été  telle- 
ment blessé  au  bras  droit  pendant  une  collision  entre  deux  trains  sur  la 
route  de  Chicago  à  New-York  qu'il  ne  peut  plus  conduire  son  orchestre,  a  défi- 
nitivement pris  sa  retraite.  Son  orchestre  a  été  congédié  et  est  déjà  dispersé  ; 
M.  Strauss  a  également  obtenu  sa  mise  à  la  retraite  comme  directeur  de  la 
musique  de  danse  à  la  cour  impériale.  Cette  place,  qui  n'existe  qu'à  la  cotir 
de  Vienne,  avait  été  créée  en  1846  sur  la  proposition  du  «  comte  de  la  musi- 
que »  Amadée  en  faveur  de  Johann  Strauss.  Cette  charge  bizarre  de  «  comte 
de  la  musique  »  (Musikgraf)  a  été  abolie  en  1848.  C'est  après  trente  ans  de 
service  qu'Edouard  Strauss  prend  sa  retraite.  Il  sera  probablement  remplacé 
par  son  propre  fils.  Celui-ci  a  déjà,  pendant  le  carnaval  de  cette  année,  sup- 
pléé son  père,   qui  voyageait  avec  son  orchestre  en  Amérique. 

—  L'opérette  viennoise,  qu'on  disait  morts  et  enterrée,  vient  de  faire  un 
retour  offensif.  C'est  en  effet  avec  un  succès  éclatant  que  le  Carltheàtre  de 
Vienne  a  joué  la  semaine  passée  une  opérette  nouvelle,  modèle  du  genre 
viennois,  qui  est  intitulée  les  Trois  désirs  et  dont  la  musique  est  due  à 
M.  C.-M.  Ziehrer. 

—  Le  théâtre  An  der  Wien  de  son  coté,  a  joué,  non  sans  succès,  une  oj)é- 
rette  inédite  intitulée  le  Précepteur,  musique  de  M.  Joseph  Stritzko.  Ce  com- 
positeur est  un  riche  industriel  qui  s'occupe  de  musique  en  dilettante. 

—  L'Opéra  royal  de  Stuttgart  jouera  prochainement  Iphigénie  en  Tauride,  de 
Gluck,  avec  un  nouvel  arrangement  par  M.  Richard  Strauss.  Est-ce  qu'il  était 
bien  nécessaire  de  corriger  Gluck? 

—  Un  journal  allemand  fait  remarquer  que  trois  morceaux  reproduits  dans 
l'édition  monumentale  des  œuvres  de  J.-S.  Bach  sont  par  erreur  attribués  à 
ce  maître.  Il  s'agit  d'un  prélude  et  d'une  fugue  en  mi  qui  sont  l'œuvre  de 
Jean-Christophe  Bach  ,  oncle  de  Jean-Sébastien,  et  expressément  désignés 
comme  tels  dans  un  volume  conservé  à  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Leipzig; 
ensuite  d'une  passacaille  en  ré.  qui  a  été  composée  par  l'organiste  C.-F.  Witt 
à  Altenbourg,  et  qui  est  désignée  comme  œuvre  de  ce  maître  dans  un  manus- 
crit de  la  bibliothèque  de  Cassel;  enfin  d'une  Toccata  en  la  qui  est  l'œuvre  de 
Henry  Purcell  et  dont  le  Musée  britannique  possède  deux  manuscrits.  L'er- 
reur est  explicable  par  ce  fait  que  le  grand  cantor  de  Leipzig  avait  dès  sa 
jeunesse  l'habitude  de  copier  et  de  transcrire  les  compositions  qui  lui  plai- 
saient. En  trouvant  des  morceaux  tombés  dans  l'oubli  et  écrits  par  J.-S.  Bach, 
on  les  lui  a  attribués  tout  naturellement. 

—  Le  conseil  municipal  de  Leipzig  vient  d'allouer  7.500  francs,  le  mon- 
tant d'un  legs  inattendu,  aux  plantes  et  fleurs  du  square  qui  doit  entourer  le 
monument  futur  de  Richard  Wagner,  square  et  monument  qui  ne  sont  encore 
qu'en  projet;  espérons  qu'un  nouveau  legs  fournira  à  la  ville  de  Leipzig  les 
moyens  d'ériger  enfin  un  monument  au  plus  illustre  de  ses  fils. 

—  Le  théâtre  de  cour  d'Altenbourg  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès 
un  opéra  en  un  acte  intitulé  le  Bonlwur,  musique  du  baron  Rodolphe  de  Pro- 
chàzka,  jeune  compositeur  autrichien. 

—  On  nous  télégraphie  de  Sondershausen  le  grand  succès  remporté  par  un 
opéra  de  Louis 'Lacombe,  la  Reine  des  Eaux.  Il  y  avait  eu,  la  veille,  un  con- 
cert consacré  aux  œuvres  du  même  compositeur  qui  avait  suscité,  paraît-il, 
«  un  véritable  enthousiasme  ». 

—  La  société  chorale  d'hommes  de  Berne  vient  de  célébrer  le  centième 
anniversaire  de  son  existence. 

—  On  a  représenté  à  Zurich,  le  27  février,  un  petit  opéra  pour  enfants,  la 
Pùncesse  Amarantlie,  dont  les  auteurs  sont  MM.  Ulrich  Farner  pour  les  paroles 
et  Francesco  Caltabeni  pour  la  musique.  Ce  dernier  est  déjà  connu  par  un 


autre   ouvrage,  intitulé   /«  Dernière  Sose,   qui  a  obtenu  beaucoup  de  succès 
en  1898. 

—  Ou  nous  écrit  de  Montreux  ;  Le  dernier  grand  concert  symphoniqne 
donné  au  Kursaal,  sous  l'habile  direction  de  M.  Oscar  Jtïttner,  a  été  des  plus 
brillants.  Au  programme,  parmi  les  œuvres  exécutées  pour  la  première  fois 
à  Montreux,  figurait  le  Carnaval  d'Athènes  (suite  de  danses  grecques)  de 
Bourgault-Ducoudray,  auquel  le  public  a  fait  un  chaleureux  accueil. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'issue  de  la  solennité  en  faveur  de  Verdi,  à  la  Sorbonne,  un  télé- 
gramme avait  été  envoyé  au  maire  de  Milan  et  au  ministre  de  l'instruction 
publique  à  Rome  par  M.  Beauquier,  député,  président  du  comité  frauco^ita- 
lien,  orgauisateur  de  la  fête. 

Voici  la  réponse   qu'a   faite  à  ce  télégramme  le    ministre  de  l'instruction 

publique  d'Italie  : 

Rome,  10  mars. 

Votre  aim-able  dépêche  annonçunt  l'imposante  cérémonie  qui  a  ei  lieu  en  l'honaeur  de 
Verdi  m'a  causé  la  plus  grande  satisfaclion. 

De  ma  part,  et  au  nom  du  gouvernemenl  que  j'ai  l'honneur  de  représenter,  je  vous 
prie  de  vouloir  bien  agréer,  avec  les  membres  de  la  patriotique  Ligue  franco-italienne  et 
avec  toutes  les  autorités  et  les  illustres  citoyens  qui  se  sont  associés  à  cette  sympathique 
démonstration,  l'expression  de  notre  reconnaissance  la  pins  vive. 

Le  salut  qui  nous  vient  de  Paris  à  eette  occasion,  en  même  tenips  qu'un  hommage  au 
génie  de  l'art,  est  l'expression  des  sentiments  d'amilié  que  l'Italie  vous  envoie  à  son  tour 
et  de  tout  son  cœur.  Nasi. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  le  conseil  municipal  a  renvoyé,  avec  a-vis 
favorable,  à  la  2<=  commission,  une  proposition  de  M.  Labusquière  tendant.à 
donner  le  nom  de  Verdi  à  une  rue  de  Paris.  M.  Dausset,  président,  s'était, 
au  nom  du  conseil  tout  entier,  associé  à  cette  proposition. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra  on  donnera  Tha'is,  en  représentation 
gratuite.  Donc  une  de  plus  à  l'actif  de  M.  Gailhard.  qui  fera  bien  néanmoins 
de  ne  pas  perdre  de,  vue  notre  petit  calcul  de  l'autre  jour. 

Gardez  bien  la  belle  I... 
Qui  vivra  verra  ! 
Votre  tourterelle 
\'ous  échappera... 

Comme  on  chante  dans  un  autre  ouvrage  cher  au  répertoiie  de  l'Opéra. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée; 
Manon;  le  soir,  Carmen. 

—  Que  lisons-nous  dans  la  chronique  musicale  de  M.  André  Gorneau  au 
Matin,  à  propos  de  Mireille?  que  M.  Albert  Carré  serait  le  «  premier  metteur 
en  scène  de  Paris  »!  Mais  alors  M.  Gailhard  ne  serait  donc  que  le  second! 
Qu'en  pensera  Toulouse'? 

—  M.  Albert  Carré  se  propose  de  remettre  à  la  scène  prochainement  le  joli 
ballet  d'Adolphe  Adam  Giselle,  —  charmant  prétexte  à  ces  belles  décorations 
dont  notre  directeur  est  si  friand. 

— •  Des  pourparlers  seraient  engagés  actuellement  entre  M.  Maurice  Grau, 
le  manager  américain  liien  connu,  et  MM.  Jean  de  Reszké,  Tamagno  et 
Emma  Calvé  pour  donner  l'automne  prochain  à  Paris,  au  théâtre  Sarah- 
Bernhardt,  une  série  de  représentations  de  divers  ouvrages. 

—  Les  théâtres  populaires  ont  vécu.  L'un  et  l'autre  —  celui  des  Folies- 
Dramatiques  comme  celui  du  Chàteau-d'Eau  —  ont  fermé  leurs  portes  dès 
mercredi  dernier;  tout  un  personnel  important  d'artistes  et  de  musiciens  aux- 
quels il  est  dû  plusieurs  mensualités  d'appointements  se  trouve,  comme 
on  dit,  sur  le  pavé.  Il  est  vrai  que  diverses  combinaisons  sont  en  projet  et 
qu'on  va  tenter  le  «  repêchage  »  de  cette  entreprise  folle  et  téméraire.  Il  est 
toujours  des  gens  que  tentent  les  aventures. 

—  Les  journaux  italiens  confirment  que  M.  Edmond  Rostand  a  refusé  auîs; 
maestri  Puccini  et  Leoncavallo  l'autorisation  de  faire  de  Cyrano  une  comédie 
musicale  :  «  Reste  à  voir,  ajoute  l'un  de  nos  confrères  transalpins,  si  Puccini 
et  Leoncavallo  s'inclineront.  Il  y  a  des  précédents.  Victor  Hugo  aussi  avait 
interdit  à  Verdi  d'extraire  un  libretto  d'Hernani  et  du  Roi  s'amuse;  le  grand 
compositeur  passa  outre.  »  Mais  les  temps  ne  sont  plus  les  mêmes;  et  il 
faut  croire  qu'on  consentira  à  présent,  de  l'autre  côté  des  Alpes,  à  se  mon- 
trer un  peu  plus  respectueux  de  la  propriété  d'autrui. 

—  Extrait  des  Petites  affiches  : 

Il  y  a  société  pour  l'ciploitation  d'un  Théâtre  Italien  à  Paris. 

La  Société  prend  la  dénomination  de  ;  Théiitre  d'Opéra  Italien. 

Son  siège  social  est  provisoirement  37  et  39,  rUe  Chàteau-Landon.  La  société  commen- 
cera à  partir  du  jour  de  l'enregistrement  du  présent  acte,  pour  finir  le  jour  de  sa  trans- 
formation en  société  anonyme. 

■La  société  apour  but  de  faire  face  aux  trais  et  dépenses  pour:  1»  la  location  d'un'théà- 
tre;  2°  les  engagements  d'artistes,  chanteurs,  musiciens,  clioristeB,  etc. 

Le  fonds  social  se  compose  de  l'apport  fait  parle  fondateui',  promoteur  d'un  traité  passa 
entre  lui  et  le  comte  Alexandre  Onofri,  dans  lequel  celui-ci  s'engage  à  apporter  à  Paris 
une  troupe  complète  d'opéra  italien  de  premier  ordre. 

Paris,  le4  mars  1901. 

(Signé)  :  C.  Berta. 


LE  MENESTREL 


—  Les  trois  premières  séances  du  cours  de  M.  Arthur  Pougia  à  la  Sorbonne 
ont  retrouvé  le  succès  de  leurs  ainées.  Dans  la  première,  le  professeur  a 
constaté  que  la  Révolution  avait  créé  une  ère  nouvelle  et  brillante  pour  la 
musique  française,  grâce  à  quatre  faits  d'une  importance  capitale  :  1°  les 
grandes  fêtes  patriotiques  et  populaires  organisées  par  le  gouvernement  répu- 
blicain, qui  y  associait  la  musique  d'une  façon  considérable  en  faisant  exé- 
cuter avec  éclat  des  œuvres  commandées  expressément  par  lui  aux  artistes 
les  plus  renommés;  2°  l'établissement  de  la  liberté  théâtrale,  qui.  en  offraut 
à  tous  les  théâtres  la  faculté  de  jouer  des  œuvres  lyriques,  donna  à  la  musi- 
que dramatique  une  expansion  jusqu'alors  inconnue  et  permit  à  une  foule  de. 
compositeurs  de  se  produire;  3°  la  création  du  Conservatoire,  qui  fonda  l'en- 
seignement musical  sur  des  bases  solides  et  ouvrit  la  carrière  à  un  nombre 
considérable  de  jeunes  artistes:  4"  enfin,  la  rivalité  si  brillante  des  deux 
théâtres  Favart  et  Feydeau,  rivalité  qui  fit  éclore  tous  les  chefs-d'œuvre  de 
ces  maîtres  qui  s'appelaient  Berton,  Méhul,  Gherubini,  Lesueur,  Gatel,  Boiel- 
dieu,  Nicolo,  etc.  De  l'ensemble  de  ces  faits  et  des  conséquences  qui  en 
découlèrent  résulte  la  formation  de  la  véritable  école  musicale  française.  On 
avait  connu  jusqu'alors  un  certain  nombre  de  grands  artistes,  il  n'y  avait 
pas  d'école,  au  sens  propre  du  mot.  Dans  sa  seconde  et  sa  troisième  leçon, 
M.  Pougin  a  apprécié  la  vie  et  les  œuvres  de  Berton  et  de  Méhul,  en  appuyant, 
comme  d'ordinaire,  sa  démonstration  de  l'exécution  de  plusieurs  morceaux. 
C'est  ainsi  que  M"'î  Blanc  et  M.  et  M""»  Morlet  se  sont  fait  vivement  applaudir 
dans  divers  fragments  à'Aline  et  de  Montana  et  Stéphanie  de  Berton,  de  Stra- 
tonice,  A'Ariodant,  du  Trésor  supposé  et  de  Joseph  de  Méhul. 

—  Au  dernier  «  mercredi-Danbé  »  à  la  Renaissance,  c'est  devant  une  salle 
comble  et  enthousiaste  qu'ont  été  acclamés  la  vicomtesse  de  Trédern, 
MmeE  Augusta  Holmes,  C.  Pierron  (de  l'Opéra-Gomique),  M"'^^  Lormont  et 
Y.  Saint-André,  MM.  Lelubez,  le  comte  Arthur  de  Gabriac,  Ch.  Morel  et 
l'excellent  quatuor  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes.  Quatre  mor- 
ceaux ont  été  bissés,  plus  de  deux  cents  personnes  n'ont  pu  trouver  de 
places.  En  présence  de  ce  succès,  M.  Danbé  continuera  ses  séances  jusqu'à 
Pâques.  —  Mercredi  prochain,  Gustave  Charpentier  viendra  diriger  une  de 
ses  belles  œuvres,  écrite  pour  huit  voix  de  femmes. 

—  La  Société  de  musique  moderne  pour  instruments  à  vent  a  donné  cette 
semaine,  à  la  salle  Erard,  une  séance  entièrement  consacrée  aux  œuvres  de 
M.  André  Caplet.  L'audition  du  quintette  pour  flûte,  hautbois,  clarinette,  bas- 
son et  piano  a  attesté  chez  son  auteur  une  distinction  de  sentiment  et  une 
souplesse  de  facture  remarquables  chez  un  jeune  compositeur.  Une  série  de 
«  feuillets  d'album  »  et  surtout  une  Suite  persane  pour  instruments  à  vent, 
d'un  riche  coloris  et  d'une  variété  de  rythmes  particulièrement  piquante,  ont 
montré  les  ressources  diverses  d'un  tempérament  d'artiste,  joignant  déjà, 
à  une  technique  très  sûre,  des  qualités  personnelles  qui  le  placent  à  un  rang 
distingué  parmi  les  musiciens  sur  lesquels  la  jeune  école  psut  fonder  de 
sérieuses  espérances. 

—  C'est  aujourd'hui,  dimanche  17  mars,  qu'a  lieu  à  Pau,  au  parc  Beau- 
mont,  l'inauguration  officielle  de  la  statue  du  célèbre  chanteur  Jélyotte,  une 
des  anciennes  gloires  de  l'Opéra,  où  il  créa,  entre  autres,  l'opéra  en  patois 
languedocien  de  Mondonville,  Daphnis  et  Alcimadme,  et  le  Devin  du  village 
de  Jean-Jacques  Rousseau.  Cette  inauguration  est  le  prétexte  de  toute  une 
série  de  fêtes  qui  ont  lieu  à  Pau  du  14  au  24  mars  :  concerts,  bals,  fêtes  popu- 
laires et  spectacles  avec  le  concours  d'artistes  de  l'Opéra,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, de  l'Opéra-Gomique  et  d'autres  théâtres  :  M^s  Ackté,  Segond-Weber, 
Anna  Judic,  Tessandier,  Félicia  Mallet,  Demours,  Sandrini,  Jane  Mérey, 
Jeanne  Régnier,  MM.  Fournets,  Leloir,  Leprestre,  Clément,  Bouvet,  Théry, 
etc.  La  ville  de  Pau,  ne  se  contentant  pas  d'une  statue,  procédera,  samedi 
prochain  23,  au  couronnement  du  buste  de  Jélyotte,  qui  aura  lieu  avec  le 
concours  de  la  musique  du  18=  de  ligne  et  de  la  Lyre  Paloise,  une  poésie  : 
A  Jélyotte,  étant  dite  par  M.  Charny. 

—  On  nous  écrit  de  Pau  :  Le  concert  du  8  mars  au  Palais  d'Hiver,  entière- 
ment consacré  aux  œuvres  de  M.  Th.  Dubois,  a  eu  le  plus  grand  succès.  L'au- 
teur a  dirigé  lui-même  quelques  morceaux  du  programme  et  a  été  acclamé 
du  public.  L'ouverture  de  Frithiof,  la  Suite  Miniature,  la  Suite  sur  la  Farandole, 
la  Suite  Villageoise  et  les  airs  de  ballet  de  Xaviére  ont  été  dirigés  supérieure- 
ment par  M.  Brunel,  chef  d'orchestre  de  tout  premier  ordre.  M.  Bouvet  a 
chanté  l'air  d'Aben  Hametnwec  un  talent  et  une  autorité  qui  lui  ont  valu  les 
plus  vifs  applaudissements,  enfin  M.  Béguin,  dans  deux  mélodies  du  maitre, 
a  su  mettre  en  relief  et  faire  apprécier  sa  belle  voix  de  basse  et  son  intelli- 
gente diction.  Bref,  matinée  très  réussie  qui  a  fait  désirer  par  tous  le  retour 
de  M.  Th.  Dubois  l'année  prochaine  au  Palais  d'Hiver. 

De  Bordeaux  :  Le  comité  de  la  société  Sainte-Cécile  ayant  récemment 

décidé  de  confier  désormais  aune  seule  et  même  personne  les  fonctions  de  chef 
d'orchestre  des  concerts  classiques  et  celles  de  directeur  du  Conservatoire, 
M.  Gabriel-Marie,  ne  désirant  pas  prendre  une  retraite  qui  lui  semble  préma- 
turée s'est  vu  contraint  d'abandonner  la  direction  des  concerts  auxquels  il  a 
su  donner,  depuis  sept  ans,  un  si  grand  éclat.  Cette  détermination,  imposée 
par  les  circonstances,  sera  vivement  regrettée  par  tous  ceux  qui  ont  suivi  les 
efforts  du  remarquable  chef  auquel  la  Sainte-Cécile  doit  de  se  trouver  au  pre- 
mier rang  parmi  les  sociétés  de  province. 

—  On  télégraphie  de  Roubaix  que  Louise  vient  de  remporter  un  immense 
succès.  Les  deux  principaux  interprètes  de  l'ouvrage  de  M.  Gustave  Charpen- 


tier, M™  Mikaelly  et  M.'  Ramieux,  ont  été  acclamés.  L'orchestre  était  supé- 
rieurement dirigé  par  M.  Bromet. 

—  On  a  représenté  récemment  avec  succès,  au  théâtre  municipal  de  Calais, 
un  opéra-comique  inédit  en  trois  actes,  dont  l'unique  auteur,  pour  les  paroles 
et  la  musique,  est  M.  Emile  Camys,  directeur  de  l'Académie  (école)  de  mu- 
sique de  cette  ville  et  chef  de  la  rnusique  municipale. 

—  SoïRÉES  ET  Concerts.  —  Salle  Mustel,  la  nombreuse  assistance  réunie  pour  l'audi- 
tion des  élèves  de  M"'  M. -F.  MerliD,  appréciait  l'excellence  de  la  méthode  de  Faure, 
appliquée  par  le  sjnipathique  professeur,  ùlèvc  de  l'illustre  maître.  Parmi  les  chœurs 
exécutés  avec  beaucoup  d'ensemble,  celui  pour  voix  mixtes,  ajouté  spécialement  pour  cette 
audition,  par  Faure,  à  son  hjmne  la  Charité,  dont  lés  solos  étaient  chantés  par  M""  Mer- 
lin et  sa  fille,  répété  sous  la  direction  de  l'auteur,  a  été  lusse  par  une  salle  enthousiaste. 
Parmi  les  œuvres  les  plus  applaudies,  le  Sancta  Maria  de  Faure,  chanté  par  M"°  Char- 
lotte Merlin;  le  Printemps,  Bonjour  Suzon  de  Faure,  l'arioso  d'HamIet,  les  stances  de 
Lakmé,  etc.,  etc.  Grand  succès  aussi  pour  M.  Bourlinski,  M"'Maillefert  et  M""Duchamp. 
—  Au  Théâtre  d'Antin,  grande  matinée  avec  le  concours  de  M.  Mounet-Sully,  M"°  Godard, 
M°"Telstra,  M""  Cl.  Deslandrcs,  J.  Gaigiiière,  MM.  P.  Pccquery,  etc.  Au  programme,  le 
Cittcifix  de  Faure,  Sérénade  de  Thomè,  Au  Printemps  de  Deslandres,  etc.,  qui  eurent  très 
grand  succès.  — Au  concert  donné  par  la  charmante  violoniste  Jeanne  Meyer,  salle  Erard, 
beaucoup  de  bravos  pour  M.  Mauguière  dans  les  Aii&s,  de  Diémer,  et  l'air  de  Susanne,  de 
Paladilhe.  —  Salle  Erard,  M""  Veyron-Lacroix  vient  de  se  faire  entendre  et  comme  can- 
tatrice et  comme  pianiste  et  son  succès  a  été  aussi  complet  dans  les  Chants  de  France 
(Mu-'ette,  Pastorale,  Chanson  à  danser)  de  Périlhou,  accompagnes  par  l'auteur,  que  dans 
les  Abeilles,  de  Théodore  Dubois.  —  M""  Jeanne  Faucher  vient  de  donner,  salle  Erard,  un 
fort  joli  concert  au  cours  duquel  elle  s'est  lait  applaudir  dans  Villanelle  et  Chanson  à 
danser,  de  Périlhou,  accompagnées  par  l'auteur,  l'air  de  Manon,  de  Massenet,  et,  avec 
M.  Guyot,  dans  le  duo  de  la  Flûte  enchantée.  Des  bravos  aussi  pour  M""  Laurent  et 
M.  I.  Philipp  dans  Caprice  et  Valse'Caprice  sur  des  motifs  de  Strauss,  de  Philipp,  pour 
M"'  Laronde  dans  l'Hermite,  pour  M"«  M.-T.  dans  Nell,  deux  mélodies  de  M.  Périlhou, 
et,  enfin,  pour  les  élèves  de  M""  Faucher  qui  ont  délicieusement  chanté,  en  chœur,  Tri- 
mousett^  et  Ponde  populaire,  du  même  compositeur.  —  A  Nevers,  cliez  M.  et  M""^  G.  Mar- 
que!, très  intéressante  audition  de  leurs  élèves  comprenant  une  jolie  exécution  intégrale 
de  la  Vision  de  la  Heine  d' Augusta  Holmes.  M.  Blond  s'est  fait  applaudir  dans  une  fan- 
taisie sur  Coppélia,  de  Delibes,  M""  M.  G.  dans  les  Oiselets,  de  .Massenet,  L.  dans  l'air  de 
Chimène  du  Cid,  de  Massenet,  M"'"  C.  dans  l'air  d'Uta  de  Sigurd,  de  Reyer,  M""  C.  dans 
les  Bretonnes,  de  R.  Uahn,  et  M°«  G.  et  M""  G.  dans  le  duo  de  Jean  de  Nivelle,  de  Delihes. 

—  Cours  et  leçons.  —  M"*  Blanche  Guérin  a  repris,  11,  rue  du  Faubourg- Poissonnière, 
son  cours  artistique  et  élémentaire  de  solfège  et  de  piano.  Examens  sous  la  direction  de 
M.  E..  Pessard. 

NÉCROLOGIE 

La  Belgique  et  la  ville  d'Anvers  ont  fait  à  Peter  Benoit,  le  grand  musicien 
flamand,  des  funérailles  quasi  royales.  Toute  la  population  de  la  métropole  et 
tout  le  monde  artistique  s'y  trouvait.  Le  bourgmestre  d'Anvers  avait  fait  afficher 
une  proclamation  annonçant  la  mort  du  maitre  et  invitant  les  habitants  à  pa- 
voiser de  deuil  leurs  maisons.  Le  corps  avait  été  transporté  au  Conservatoire 
et  exposé  dans  la  grande  salle,  transformée  en  chapelle  ardente.  C'est  là  que 
sept  discours  ont  été  prononcés.  Le  gouverneur  de  la  province,  M.  Coges,  a 
parlé  au  nom  du  gouvernement  et  de  la  province;  le  bourgmestre  van 
Ryswyck,  au  nom  de  la  ville  ;  M.  Kockerels,  au  nom  du  conseil  d'adminis- 
tration du  Conservatoire  :  M.  Marchai,  au  nom  de  l'Académie  royale  de  Bel- 
gique; un  délégué  au  nom  des  Conservatoires  belges;  M.  Jan  Blockx  au 
nom  du  corps  professoral;  un  délégué  au  nom  des  élèves  de  Benoit.  D'autres 
discours  ont  été  prononcés  au  cimetière.  La  levée  du  corps  a  eu  lieu  à  onze 
heures.  Toutes  les  sociétés  anversoises  de  quelque  importance  ont  pris  part, 
avec  leurs  bannières,  au  cortège  funèbre.  Le  conseil  communal  de  Harlebeke, 
le  village  natal  de  Benoit,  y  assistait  en  corps.  A  l'église,  100  musiciens  ont 
exécuté  l'un  des  chants  liturgiques  du  maitre.  Au  cimetière,  les  assistants, 
défilant  devant  la  tombe,  n'ont  pas  jeté  sur  le  cercueil  la  traditionnelle  pel- 
letée de  terre,  mais  un  petit  bouquet  d'immortelles  distribué  par  le  syndicat 
des  fleuristes  anversois,  qui  avait  décidé  de  rendre  cet  hommage  à  la  mémoire 
du  compositeur  national. 

—  On  annonce  de  Nice  la  mort  d'une  artiste  qui  fut  une  cantatrice  fort 
distinguée.  M"""  Lnisa  Bendazzi-Secchi.  Née  à  Ravenne,  en  1833.  élève  de 
Piacenti  et  de  Dallara,  elle  avait  débuté  à  Venise  en  ISoi),  et  ses  qualités 
de  style,  son  sentiment  pathétique,  en  même  temps  que  la  nature  de  sa 
voix,  remarquable  par  un  rare  velouté  et  par  une  puissance  étonnante,  lui 
valurent  aussitôt  de  très  grands  succès,  qui  se  reproduisirent  dans  toutes  les 
villes  oii  elle  se  fit  entendre  par  la  suite,  entre  autres  Trieste,  Naples,  lî'lo- 
rence,  Parme,  Vienne,  Rome,  Milan,  Bergame,  Gênes,  Bologne,  etc.  Pen- 
dant plusieurs  années  cette  cantatrice  fut  l'idole  du  public,  qui  l'accueillait 
toujours  avec  enthousiasme.  Elle  avait  épousé  un  musicien  piémontais, 
Benedetto  Secchi,  dont  elle  resta  veuve. 

—  A  Budapest  est  mort,  à  l'âge  de  63  ans,  le  compositeur  Jules  Kàidy. 
Après  avoir  suivi  les  cours  du  Conservatoire  de  Vienne,  il  était  retourné  à 
Budapest,  sa  ville  natale,  où  il  donnait  des  leçons  de  chant,  et  fonda  avec 
M.  Nikolios  une  école  de  musique  hongroise.  Il  a  aussi  dirigé  l'Opéra  royal 
de  Budapest  de  1895  à  1900.  Kàldy  a  fait  jouer  un  opéra-comique  intitulé 
les  Zouaves  et  s'est  fait  connaître  par  ses  publications  de  mélodies,  chants, 
marches  et  danses  en  Hongrie  des  XVII"  et  XVIII"  siècles. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


36S2.  -  67-  mm  -  îi'  12.         PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  U  Mars  1901, 


(Les  Bureaux,  2''",  rue  Virienne,  Paris) 
(Les  manuscrits  cloivenl  être  adressés  franco  au  jour-iial,  el,  |iLibli6.-.  ou  ihju,  ils  mu  sonl  pns  roihhis  aux  milcur; 


LE 


Le  5améPo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉATP^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  îr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bù,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  el  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  el  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIEE-TEXTE 


I.  L'Art  music<il  et  ses  interprètes  depuis  dtux  siècles  (4"  article),  Paul  d'Estiîées.  — 
IL  Semaine  théâtrale;  premières  représentations  de  Quo  Vadis?  à  la  Porte-Sain  t-JIarlin 
de  ta  Pente  douce  au  Vaudeville  et  de  l'Écriteau  au  théâtre  Cluny,  Paul-Émile  Cheva 
r.iEU.  —  IlL  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  f22"  articlei,  Arthur  I'ougin,  - 
IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  IVouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PASTORALE    DU   XVII°  SIÈCLE 

n"  5  des  Citants  de  France  harmonisés  par  A.  Périluou.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Avril  est  amoureux,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jacques 
d'Halmont. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Pastorale  du  XVII'^  siècle,  transcription  pour  piano  de  A.  Périlhou.  —  Suivra 
immédiatement  :  Menuet,  n"  10  des  Neuves  do  Loois  Lacombe. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRETES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  plus  récenls  el  ûes  ûocumenls  Inédits 

(Suite.) 


IV 

Les  caprices  d'i  U^^'  Lemaure.  —  Les  tablettes  de  For-Lévéque.  —  M"''  Lemaure 
travaille  pour  li  gloire.  —  Estampe  satirique,  —  Un  abbé  de  coulisses.  —  Une 
quête  à  l'Opéra.  —  Le  théâtre  et  le  mariage.  —  La  fin  d'une  étoile. 

La  curiosité  publique,  qui  s'attacha,  dans  le  cours  du 
XVIII"  siècle,  comme  elle  le  fait  encore  aujourd'hui,  aux  gens  de 
théâtre,  ne  séparait  pas,  d'ordinaire,  l'homme  du  comédien,  ni 
surtout  la  femme  de  l'actrice.  L'histoire  de  Jélyotte  en  est  la 
preuve.  Et  cette  confusion  voulue  de  la  vie  privée  de  l'artiste 
avec  sa  vie  professionnelle,  nous  la  retrouverons  encore  dans 
chacune  des  biographies  que  nous  nous  proposons  de  compléter 
à  l'aide  de  renseignements  nouveaux  ou  inconnus. 

Nous  avons  raconté  ici  même,  d'après  des  documents  inédits, 
les  commencements  de  M"'  Lemaure,  cette  actrice  de  petite  taille, 
à  la  figure  noire,  aux  traits  froids  et  durs,  mais  dont  la  voix  était 
«  si  ronde,  si  pleine,  si  moelleuse,  si  bien  sonnante  »  au  dire  du 
Président  De  Brosses,  qu'elle  l'emportait  sur  les  timbres  les 
mieux  étoffés  et  les  plus  vibrants  des  grandes  cantatrices  italien- 
nes. Malheureusement,  l'humeur  fantasque  et  le  caractère  aca- 
riâtre de  M""  Lemaure  firent  le  désespoir  des  directeurs  de 
rO|iéra.   On  peut  dire  qu'elle  passa  une  bonne  partie  de  son 


existence  à  entrer  à  l'Académie  royale  de  musique  et  à  en  sortir. 
Comme  elle  y  était  indispensable,  vu  la  pénurie  de  sujets,  on  se 
résigna  tout  d'abord  à  subir  ses  caprices;  mais  elle  finit  par  lasser 
la  patience  des  directeurs  et  du  public. 

Les  Nouvelles  de  la  Cour  et  de  la  Ville  rapportent,  sur  le  mode 
plaisant,  l'incartade  qui  précéda  une  des  premières  retraites  de 
M"°  Lemaure.  C'était  en  1735.  La  cantatrice,  qui  s'était  toujours 
refusée  à  jouer  dans  Jephté,  s'y  était  enfin  décidée,  par  crainte 
de  la  prison.  Mais  elle  remplit  son  rôle  si  mollement  que  le  par- 
terre la  siffla.  Alors,  ce  fut  une  autre  comédie.  Elle  se  plaignit 
qu'on  la  forçât  de  jouer.  Elle  prétendit  qu'elle  «  se  mourait  »; 
et,  pour  qu'il  fût  impossible  d'en  douter,  elle  s'évanouit.  Mais 
elle  avait  compté  sans  un  sceptique,  depuis  longtemps  bronzé 
sur  de  pareilles  émotions,  le  ministre  Maurepas,  qui  assistait 
précisément  à  cette  représentation  tumultueuse.  Le  secrétaire 
d'État  envoya  sans  hésitation  l'artiste  «  toute  habillée  »  au  For- 
Lévéque.  Elle  y  resta  le  lendemain  pour  étudier  son  rôle,  puis 
elle  fut  ramenée  à  l'Opéra,  oit  elle  chanta  si  merveilleusement 
que  «  sa  punition  fut  aussitôt  levée  » . 

Eh!  ehl  dirent  alors  des  plaisantins,  les  tablettes  de  For- 

Lévêque  sont  excellentes  pour  le  rhume. 

En  tout  cas.  M"'  Lemaure  ne  put  les  digérer  ;  car,  dans  le  cours 
de  cette  même  année,  elle  se  retirait  de  l'Opéra. 

Jusqu'en  1741,  elle  partagea  ses  loisirs  entre  les  divers  con- 
certs où  sa  virtuosité  attirait  la  foule  et  les  salons  des  dilettantes 
qui  se  disputaient  Thonneur  de  l'applaudir. 

Nous  trouvons  dans  les  Nouvelles  à  la  main  de  la  Bibliothèque 
Sévigné  (1)  le  compte  rendu  d'une  de  ces  auditions: 

«  1"  avril  1737.  —  Il  y  eut  hier  chez  M.  Le  Guerchois  la  plus 
belle  et  la  plus  nombreuse  assemblée  de  Paris  au  concert  qu'il 
donne  tous  les  dimanches,  où  chante  M"=  Lemaure.  Il  y  avait 
princesses  du  sang,  cardinaux,  duchesses,  évéques  et  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  brillant  en  hommes  et  femmes. 

»  M"'-  Lemaure  est  fêtée  comme  la  reine  et  reçoit  tous  les 
hommages  avec  beaucoup  de  grâce  et  de  remerciments  plus 
humbles  que  les  gens  à  talent  n'ont  coutume  d'en  faire  quand 
on  les  loue...  » 

Ce  qui  n'empêchait  pas  l'incommensurable  orgueil  de  M""  Le- 
maure de  se  trahir  par  des  manifestations  que  ne  lui  pardonnaient 
pas  ses  contemporains.  Lorsque  M.  Le  Guerchois,  cet  amateur 
éclairé,  voulut  offrir  vingt-sept  louis  en  guise  de  remerciment  à 
M"=  Lemaure,  qui  avait  chanté  sept  fois  chez  lui,  la  cantatrice 
refusa  tout  net  de  les  recevoir.  Ainsi,  soixante  ans  plus  tard, 
Pugnani,  le  maître  de  Viotti,  remettait  au  valet  de  pied  qui  le 
pre^cédait  un  flambeau  à  la  main,  les  trente  louis  qu'il  avait 
reçus,  à  la  fin  d'un  concert,  du  grand-duc  de  Toscane. 
La  retraite  de   M""  Lemaure  avait  pris  les  proportions  d'une 


,1)  Nouvelles  à  la  main.  Bibliothèque  de  la  Ville  de  Paris  (manusciils). 


90 


Lr.  MÉNESTREL 


calamité  publique.  Un  jour  que  la  chanteuse  avait  été  aperçue 
dans  une  loge  de  l'Opéra,  tous  les  spectateurs  s'étaient  levés 
comme  un  seul  homme  et  n'avaient  cessé,  pendant  cinq  mi- 
nutes, de  battre  des  mains.  Deux  ans  de  suite  des  pourparlers 
s'engagèrent  pour  préparer  la  rentrée  de  l'actrice  à  l'Opéra . 
M"""  Lemaure  résistait  aux  propositions  les  plus  séduisantes;  et 
c'étaient  chaque  jour,  dans  les  cafés  ou  dans  les  salons  à  la 
mode,  des  discussions  et  même  des  paris  sur  un  problème  en 
apparence  insoluble.  Roy,  le  poète-librettiste,  affirmait,  chez 
Procope,  qu'en  dépit  de  toutes  les  sollicitations  M"'  Lemaure  ne 
remonterait  jamais  sur  la  scène.  Par  contre,  un  certain  Poquelin, 
qui  se  piquait  d'être  le  confident  de  toutes  les  actrices,  se  fai- 
sait fort  de  ramener  celle-ci  à  l'Opéra  si  le  prince  de  Carignan, 
le  directeur  de  l'Académie  Royale  de  Musique,  l'autorisait  à 
tenter  la  démarche. 

Cet  ami  des  artistes  ne  devait  pas  être  trop  mal  renseigné;  car 
peu  de  temps  après,  un  gazetier  apprenait  à  ses  abonnés  qu'il 
«  courait  dans  le  public  une  estampe  gravée  à  l'occasion  du 
changement  de  M"''  Lemaure.  Le  sieur  abbé  Bizot  (son  confes- 
seur) y  est  représenté.  Il  parait  qu'il  fait  tous  ses  efforts  par  ses 
attitudes  pour  empêcher  que  cette  fille  retourne  sur  le  théâtre. 
D'un  autre  côté,  le  sieur  Thuret  (gérant  du  prince  de  Carignan)  et 
la  Labiée,  qui-  est  dans  les  bonnes  grâces  de  ces  demoiselles, 
s'efforcent  aussi  de  leur  côté  à  lui  faire  connaître  l'avantage  qu'il 
y  a  d'être  applaudi  du  public.  Il  y  a  au  bout  de  cette  estampe  : 
«  infer  duos  litigantes  tertius  gaudet.  »  Autrement  dit  :  c'est  toujours 
le  troisième  larron  qui  profite  de  la  querelle  des  deu.x  autres. 

Ce  troisième  larron  était  l'abbé  Bridard  de  La  Garde,  une  ma- 
nière de  bel  esprit,  gazetier  à  ses  heures,  futur  bibliothécaire 
de  la  Pompadour,  qui  avait  dû  à  sa  mère,  une  dévote  renforcée, 
de  connaître  M"°  Lemaure.  Ce  fut  lui  qui  la  fit  rentrer  à  l'Opéra, 
dans  les  derniers  jours  de  janvier  1741.  L'enthousiasme  des  spec- 
tateurs ne  connut  plus  de  bornes.  Le  rôle  de  Cérès  dans  Proser- 
pine  fut  un  des  triomphes  de  l'artiste:  «  Elle  y  a  donné,  dit  un 
nouvelliste,  des  ports  de  voix  et  des  attitudes,  les  flambeaux  à 
la  main,  qui  n'appartiennent  qu'à  elle.  »  Son  influence  à 
l'Opéra  était  devenue  considérable.  Après  la  mort  du  prince  de 
Carignan  ce  fut  elle  qui  décida,  dans  le  cours  d'un  souper,  son 
ancien  camarade  Chassé  à  reparaître  à  côté  d'elle  sur  le  théâtre 
de  ses  premiers  exploits. 

Cependant  l'abbé  de  La  Garde,  qui  était  fort  jaloux  de  sa  pré- 
cieuse conquête,  ne  la  quittait  pas  plus  que  son  ombre.  Sa  mère 
et  lui  étaient  venus  demeurer  avec  elle  au  Palais  Royal  ;  et  cer- 
tain jour,  il  fit  jeter  à  la  porte  un  respectable  capucin,  qui  s'était 
présenté  chez  l'actrice,  chargé  d'une  mission  matrimoniale.  Du 
reste,  de  La  Garde  ne  laissait  échap[ier  aucune  occasion  d'avouer 
hautement  sa  liaison  avec  M"'  Lemaure.  Il  s'était  institué  son 
cavalier  servant,  son  sigisbée  : 

«  L'opéra  d'/sse  a  été  représenté  avec  tout  le  goût  possible. 
M"'  Lemaure  était  dans  sa  belle  humeur,  et  dans  les  scènes 
tendres  elle  les  a  jouées  si  naturellement  qu'elle  les  a  rendues 
lubriques.  Dès  qu'elle  a  eu  fini  son  rôle,  sans  quitter  la  coiffure 
ni  l'habit  d'/ssf?  elle  est  entrée  dans  les  balcons,  la  bourse  à  la 
main  et  conduite  par  l'abbé  de  La  Garde,  pour  faire  une  quête 
pour  de  pauvres  gens  brûlés  dans  le  cul-de-sac  (de  l'Opéra). 
Elle  a  parcouru  toutes  les  loges  et  l'amphithéâtre  en  disant  à 
tout  le  monde  :  vous  sacrifiez  de  l'argent  pour  vos  plaisirs,  j'en 
demande  pour  ces  malheureux  qui  viennent  d'être  ruinés.  Elle 
a  beaucoup  reçu.  » 

Il  était  sans  doute  écrit  que  M"'  Lemaure  devait  avoir  toutes 
les  prédilections  de  l'église,  car  elle  fut  encore  remarquée  par 
l'abbé  de  Voisenon,  l'oncle  de  M"'"  Favart;  elle  se  montra  sen- 
sible, parait-il,  aux  attentions  du  galant  ecclésiastique,  malgré 
toute  la  vigilance  de  M"'"  Brigard  de  La  Garde  ;  mais  son  carac- 
tère difiBcile  et  quinteux  ne  s'adoucit  pas  au  contact  de  l'aimable 
esprit  qu'était  l'abbé  de  Voisenon. 

La  prima  donna  de  l'Académie  royale  de  musique  devenait 
chaque  jour  plus  fantasque.  Elle  se  refusait  à  chanter  tantôt 
parce  que  la  pièce  ne  lui  plaisait  pas,  tantôt  parce  que  son 
coiffeur  Ricau  était  en  retard. 


Enfin  elle  quitta  l'Opéra,  en  1745,  sur  le  conseil  de  Thiriot. 
Cet  ami  et  correspondant  de  Yoltaire  avait,  paraît-il,  la  spécialité 
de  ces...  déplacements  :  c'était  lui  qui  avait  contribué  jadis  au 
départ  de  M'"  Salle,  la  célèbre  danseuse  ;  et  le  nouvelliste  à  qui 
nous  empruntons  ces  confidences  ne  ménage  pas  les  brocards 
au  conseiller  intime  des  nymphes'  de  l'Opéra.  Si  Thiriot,  dit-il, 
«  a  débusqué  l'abbé  de  la  Garde  »,  c'est  qu'il  veut  épouser 
M"'  Lemaure  pour  «  faire  une  fin  ■».  Il  n'est  pourtant  ni  jeune, 
ni  aimable  ;  il  n'a  pour  lui  que  la  protection  de  Yoltaire  «  dont 
il  est  le  colporteur  depuis  trente  ans,  comme  il  est  le  secrétaire 
balivernier  du  roi  de  Prusse,  à  qui  il  envoie  toutes  les  nouvelles 
du  jour  à  raison  de  l.SOO  livres;  encore  est-il  mal  payé  ». 

Thiriot  n'épousa  pas  M""  Lemaure,  et  celle-ci  vécut  désormais 
loin  du  théâtre.  Elle  ne  devait  plus  y  reparaître  qu'une  seule 
fois,  en  1771,  et  avec  quel  succès!  Ce  fut  pour  l'inauguration  du 
Cotisée,  une  sorte  de  cirque  ou  de  waux-hall,  condamné  à  une 
fin  prochaine.  M"'  Lemaure,  qui  avait  alors  soixante-huit  ans, 
s'y  fit  encore  applaudir.  Puis  elle  retomba  dans  l'oubli. 

Un  fait-divers,  que  nous  avons  retrouvé  dans  les  Mémoires 
raisonnes  de  Lefevre  de  Beauvray  (1),  nous  apprend  la  mort  de 
la  capricieuse  artiste  vers  1786.  Elle  s'était  enfin  mariée  :  elle 
avait  épousé  un  industriel  «  intéressé  dans  les  eaux  filtrées  » 
qui  hérita  des  rentes  de  M"'^  Lemaure  et  de  sa  «  vaisselle  plate  ». 

(A  suivre.  )  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Porte-Saint-Martin.  Quo  Vadis?  drame  en  S  actes  et  10  tableaux,  tiré  du 
romau  de  M.  Henrik  Sienkiewicz,  par  M.  Emile  Moreau.  —  Vaudeville. 
La  Pente  douce,  comédie  en  4  actes,  de  M.  l'ernand  Vandérem.  —  Clunï. 
L'Écriteau,  comédie-boufi'e  en  3  actes,  de  M.  Eugène  Millou. 

On  sait  le  prodigieux  succès  qui  accueillit,  dés  son  apparition  en 
librairie,  la  traduction  française  du  roman  de  M.  Sîenkiewîcz,  Quo 
Vadis?  Très  vite,  très  haut,  on  cria  au  clief-d'œuvre;  les  éditions  s'en- 
levèrent avec  une  rapidité  vertigineuse,  —  en  ce  moment  même  on  h' 
vend  dans  les  rues  en  livraison  populaire  ; — chaque  éditeur  voulani 
avoir  son  «  Sienkie-wicz  »,  tous  les  traducteurs  susceptibles  d'entendre 
quelque  chose  au  polonais  se  ruèrent  sur  ses  autres  volumes,  et,  du 
jour  au  lendemain,  M.  Sienkîewîez  fut  proclamé,  sans  qu'on  ait  même 
le  temps  de  dire  holà  !  le  plus  grand  romancier  des  temps  présenls.  | 

Il  ne  m'appartient  pas  de  dire  si  cette  immense  vogue  qui,  cliez  nous,  ' 
s'affirme  manie  assez  chronique  pour  les  productions  étrangères,  fut  ou 
ne  fut  pas  légitime:  ce  qui  doit  nous  occuper  exclusivement,  ;i  celte 
place,  c'est  la  pièce  que  M.  Emile  Moreau,  signataire,  avec  M.  Sardou, 
de  la  légendaire  Madame  Sans-Gêne,  a  pu  tirer  du  très  compendieux 
volume.  Travail  assez  aride,  plutôt  dîfiicultueux,  hâtif,  car  il  fallait 
profiter  de  l'engouement  qui,  à  Paris,  s'étiole  aussi  facilement  qu'il 
éclôt,  dont  M.  Moreau  s'est,  en  somme,  aussi  adroitement  tiré  qu'il 
semblait  possible. 

Ce  sont,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  les  amours  de  Vînicius  et  de 
Lygie,  avec  la  conversion  au  christianisme  du  soldat  romain,  qui 
forment  l'action  mère,  l'ambiance  étant  empruntée  à  des  épisodes  dont 
les  figures  principales  sont  Pétrone  et  Eunice,  Néron  et  Poppée,  l'apôtre 
Pierre,  le  groc  Chilonidès.  Tout  cela,  du  déjà  vu  et  du  déjà  entendu, 
donne  une  suite  de  tableaux  s'enchainant  tant  bien  que  mal  dont  le 
défaut  le  plus  grand  est  de  ne  nous  apporter  absolument  rien  de  nou- 
veau: nous  savons  de  reste  la  Rome  au  temps  de  Néron,  et  les  drama- 
turges de  tous  les  temps  nous  ont  saturés  d'histoire  de  martyrs  et  de 
convertis.  M.  Emile  Moreau  et  la  Porte-Saint-Martin  ont  évidemment 
compté  qu'une  parcelle  de  la  vogue  du  livre  rejaillirait  sur  la  pièce.  De 
l'ait,  si  tous  ceux  qui  ont  lu,  ou  fait  semblant  de  lire,  Quovadis?  voulaient 
aller  en  voir  la  réalisation  scénique,  cela  promettrait  une  assez  belle 
série  de  représentations.  Mais  le  voudront-ils,  et  les  premiers  curieux 
ne  refroidiront-ils  pas  quelque  peu  la  curiosité  des  moins  pressés? 

Quo  Vadis?  qu'on  a  monté  assez  chèrement,  sans  que  cependant  l'œil 
ait  à  se  réjouir  d'une  note  vraiment  artistique,  Quo  Vadis?  est  joué  de 
bon  ensemble  sans  qu'aucun  des  interprètes  arrive  à  se  mettre  hors 
page.  Les  principaux,  MM.  Dumény,  Marquet,  Jean  Coquelin,  Garnier 
et  M""  Laparcerie  sont  suffisamment  connus  pour  qu'il  ne  soit  pas 
besoin  d'insister  sur  leurs  mérites  respectifs  ;  une  mention  est  due  à 

(1)  Beina;  d'histoin-  lilléndre  de  hi  Fninee.  Juillet  1895. 


LE  MÉNESTREL 


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U"°  s.  Miens,  qui,  délDulante,  a,  dans  le  tendre  nile  de  l'esclave  Bunice, 
fait  montre  de  qualités  de  charme,  de  jeunesse  et  de  gentille  émotion. 
M.  Francis  Thomè  a  souligné  de  musique  lointaine  et  fugitive  les  pas- 
sages plus  spécialement  lyriques. 

La  Pente  douce  sur  laquelle  M.  Fernand  Vandérem  l'ait  glisser  Gene- 
viève Breysson  est  celle  qui,  fatalement,  amènera  la  jeune  femme  dans 
les  bras  grands  ouverts  de  Pierre  Clarence.  Dune,  une  petite  histoire 
d'adultère  de  plus,  toute  simple,  toute  naturelle,  cependant  que  les 
intéressés  font  d'inexplicables  façons  pour  en  arriver  là  où  on  les 
voudrait  voir  de  suite.  Un  premier  acte  absolument  charmant, 
d'agréable  exposition,  encore  que  deux  personnages  dont  l'auteur  croira 
avoir  besoin  par  la  suite,  Savrillon  et  M"""  Djareskinc,  les  confidents 
(pourquoi,  grands  dieux!)  de  Geneviève,  soient  assez  peu  clair-ement 
posés,  un  premier  acte  de  joli  dialogue,  d'élégant  mouvement,  qui 
laissait  prévoir  une  gentille  comédie  parisienne,  do  bon  ton  et  d'allure 
moderne.  Et  puis...,  et  puis  cela  commence  à  se  gâter  dès  la  seconde 
moitié  du  second  acte,  pour  empirer  encore  pai'  la  suite.  La  psychologie 
de  M.  Fernand  Vandérem,  subtile  jusqu'à  en  paraître  indécise,  semble 
s'être  fourvoyée  en  compagnie  de  ses  deux  héros  incertains  :  peut-être 
aussi  les  protagonistes.  M""-'  Réjane  et  M.  Dubosc,  sont-ils  bien  pour 
quelque  chose  dans  l'espèce  de  déroute  qui  s'est  emparée  des  specta- 
teurs; elle,  trop  polissonne  toujours  de  nez,  d'yeux  et  d'attitudes  pour 
nous  faire  croire  à  des  accès  de  pudeur  d'honnête  femme;  lui,  accusant 
le  coté  bêla  du  monsieur  qui  joue  les  âmes  nobles  avec  intermittence 
d'emballements  lourdauds. 

Il  y  a,  cela  s'entend  de  reste,  le  mari  indispensable  à  l'affaire,  et 
celui-là  est  vraiment  mari  plus  qu'il  n'est  raisonnable  de  l'être;  il  y  a, 
en  plus  des  deux  confidents  déjà  nommés,  quelques  types  jetés  là  avec 
une  trop  apparente  inutilité,  que  ce  soit  Je  maniaque  Tassin,  récoltant 
des  documents  pour  faire  un  livre  sur  le  peu  de  fidélité  des  femmes,  ou 
les  jeunes  pécores  qui  meublent  le  salon  des  Breysson.  La  troupe  du 
Vaudeville,  M'"=  Réjane,  SJM.  Huguenet  et  Dubosc  en  léte,  est  excel- 
tente,  mais  encore  faut-il  lui  donner  quelque  chose  d'un  peu  consistant 
à  jouer;  MM.  Lérand,  Maury,  Numa,  M""^^  Avril,  Caron,  Duluc,  Dar- 
court  font  tout  ce  qu'ils  peuvent. 

A  Cluny,  l'Ecriteau  n'est  qu'une  grosse  bouffonnerie  de  M.  Eugène 
Milieu,  très  évidemment  un  nouveau  venu  qui  doit  faire,  avec  ces  trois 
actes,  ses  débuts.  Passable  devoir  de  jeune  écolier  vaudevilliste  :  du 
mouvement,  mais  l'élève  devra  s'appliquer  à  apprendre  par  la  suite 
comment  il  faut  tirer  parti  des  quiproquos  et  qu'on  ne  doit  pas  tout  le 
temps  se  contenter  des  premières  balivernes  qui  vous  traversent  le 
cerveau.  L'Ecriteau,  dont  la  nouveauté  est  plutôt  sujette  à  caution,  ne 
vous  sera  pas  conté,  il  y  faudrait  trop  de  place  et  aussi  trop  de  lucidité. 
Comme  d'usage  à  Cluny,  la  folie  est  assez  gaiment  enlevée:  MM.  Rou- 
vière,  Dorgat,  Gaillard,  Prévost,  La  Renaudie,  Lureau,  M«""  Cuinet, 
Favelli  et  Cardin  mènent  le  train.  Paul-Emile  Chev.^likr. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE 

(Suite.) 


le  VILL.iGE  SUISSE  —  VENISE  A  PARIS  LES  VOYAGES  ANIMES 

Pour  ceux  qui  n'ont  vu  ni  Lucerne  et  le  lac  des  Quatre-Cantons^  ni 
Interlaken  et  la  Jungfrau,  ni  Berne  et  ses  arcades,  ni  Fribourg  et  son 
pont  suspendu,  ni  le  Saint- Gothard,  ni  la  Furka,  ni  le  col  de  Maloja, 
ni  tant  d'autres  choses,  le  curieux  Village  suisse  de  l'avenue  de  Suf- 
fren  a  du  être  une  révélation.  C'était,  établie  avec  une  véritable  ingé- 
niosité et  de  façon  à  donner  une  illusion  complète,  quelque  chose  comme 
une  réduction  Collas  de  certains  aspects  typiques  de  la  Suisse.  Le  Vil- 
lage suisse,  qui  aurait  du  s'appeler  simplement  et  plus  exactement  «  la 
Suisse  »,  car  il  comprenait  trois  parties  distinctes  :  la  ville,  le  village, 
la  montagne,  constituait  la  plus  vaste,  et  de  beaucoup,  des  «  attrac- 
tions h  de  l'Exposition,  puisqu'il  ne  s'étendait  pas  sur  moins  de 
21.000  mètres  carrés.  Le  principe  était  le  même  que  celui  qui  avait  pré- 
sidé à  l'exécution  du  Vieux  Paris  :  réunir  arbitrairement,  dans  un  espace 
restreint,  une  foule  de  choses  qui,  dans  la  réalité,  sont  séparées  et 
occupent  une  vaste  étendue,  mais  de  façon  à  donner  une  impression 
vivante,  exacte  et  vraie,  à  former  comme  une  synthèse  du  pays  dont  ou 
voulait  reproduire  l'image. 

Trois  années  do  travail  et  trois  millions  avaient  été  dépensés  pour 
obtenir  ce  résultat,  dû  au  talent  de  deux  architectes  genevois,  MM.  Char- 
les Henneberg  et  Jules  Allemand.  Mais,  il  faut  le  dire,  ce  résultat  avait 
récompensé  l'effort,  et  le  succès  a  été  éclatant. 


On  entre  d'abord  dans  «  la  ville  »  par  les  grandes  tours  de  Berne,  qui 
sont  proches  de  l'hôtel  de  ville  gothique  de  Zug;  on  circule  devant  les 
maisons  à  tourelles  de  Schafîhouse,  sous  les  arcades  cintrées  de  Thoune, 
garnies  de  boutiques  où  trônent  des  marchandes,  où  travaillent  des 
ouvriers  et  des  ouvrières,  tous  en  costume  national.  On  vend  là  des 
bijoux,  des  dentelles,  des  broderies,  des  étoffes,  de  l'horlogerie,  des 
boites  à  musique,  de  la  vannerie,  et  tous  ces  menus  objets  de  curiosité 
qui  font  la  joie  des  touristes.  Puis,  voici  des  souvenirs  historiques  :  la 
maison  où  Jean-Jacques  Rousseau  naquit  à  Genève,  celle  où  Rachel 
naquit  à  Mumpf,  l'auberge  de  Boing-Saint-Pierre,  où,  eu  mai  1800, 
avant  de  franchir  le  Saint-Bernard,  déjeuna  Napoléon. 

En  quittant  la  ville  nous  entrons  dans  le  village,  que  domine  une 
haute  montagne,  avec  un  torrent  au  bas  et  une  cascade  qui  tombe  de 
34  mètres  de  hauteur.  Dans  le  village,  la  chapelle  de  Guillaume  Tell, 
avec  son  abreuvoir  ombragé  de  tilleuls;  un  peu  plus  loin,  l'auberge  du 
Treib,  se  mirant  dans  l'eau  d'un  petit  lac;  plus  loin  encore,  un  ruis- 
seau qui  fait  tourner  la  roue  d'un  moulin...  Sur  le  flanc  de  la  montagne, 
dans  le  creux  des  vallons  boisés,  des  chalets  espacés,  puis  des  vaches 
qui  montent  en  faisant  entendre  leurs  sonnailles.  Là  une  otable,  plus 
loin  une  laiterie,  que  sais-je?  Et  au  milieu  de  tout  cela  la  ^àe,  le  mou- 
vement, l'animation  que  donnait  le  personnel  nombreux  de  l'entreprise, 
personnel  qui  ne  comprenait  guère  moins  de  300  individus  :  marchands 
et  vendeuses,  ouvriers  et  ouvrières,  bergers,  laitières,  serviteurs  des 
deux  sexes,  etc. 

Sur  la  place  du  village,  un  petit  orchestre  rustique  de  musiciens  fai- 
sant danser  les  beaux  gars  et  les  jeunes  filles  dans  leurs  beaux  habits 
de  fête.  Le  soir,  dans  la  montagne,  on  entend  résonnerlecor  des  Alpes, 
joué  par  un  solide  gaillard,  ou  bien  le  chant  curieux  d'un  tyrolien  qui 
se  répercute  là-bas,  au  loin,  en  écho,  ou  encore  le  Ranz  des  vaches, 
chanté  d'une  voix  superbe  par  un  notaire  dilettante,  M.  Currat,  dont  le 
succès  personnel  a  été  énorme  pendant  tout  le  cours  de  l'Exposition.  Si 
nous  entrons  dans  l'immense  salle  de  la  brasserie-restaurant  où  eut 
lieu,  le  24  octobre,  le  grand  banquet  de  la  presse,  et  dont  les  parois 
sont  illustrées  de  vues  des  principaux  sites  de  la  Suisse,  nous  y  trou- 
vons tantôt  les  concerts  d'un  gentil  orchestre  féminin,  tantôt  les  trios 
excellents  de  trois  chanteurs  mâles  qui  faisaient  entendre  de  jolies 
mélodies  populaires,  pleines  de  saveur  et  de  franchise,  tantôt  le  spec- 
tacle  de  luttes  athlétiques  d'un  caractère  particulièrement  rustique. 

Mais  c'est  le  soir  qu'une  visite  au  Village  suisse  était  vraiment 
attrayante.  Les  fêtes  qui  s'y  donnaient  étaient  charmantes,  pleines  de 
couleur  et  de  caractère.  Je  ne  saurais  mieux  faire  que  d'en  emprunter 
la  description  complète  à  un  de  mes  confrères  : 

Pas  de  mise  en  scène  :  la  vérité,  la  nature  prise  sur  le  fait.  La  promenade 
des  troupeaux  menés  le  soir  à  l'abreuvoir  est  telle  qu'on  la  fait  dans  les  cam- 
pagnes de  Vaud  ou  de  Berne.  Les  luttes  de  bergers  ont  lieu  avec  le  même 
entrain  et  la  même  sincérité  qu'à  la  fête  d'un  village  d'Unterwald  ou  de  Ttiur- 
govie.  Les  danses  et  la  musique  sont  celles  qu'on  exécute  là-bas.  De  ces 
danses,  il  en  est  une  qui,  cliaque  soir  a  un  succès  fou.  Cela  s'appelle  la  valse 
de  Lauterbach.  C'est  une  sorte  de  danse  composite,  sur  une  série  d'airs  de 
valse  entrecoupés  de  mesures  tantôt  plaintives  et  lentes,  tantôt  saccadées, 
brusques  et  joyeuses.  Les  danseurs  exécutent  des  figures,  se  prenant  succes- 
sivement par  la  main  ou  par  la  taille,  la  danseuse  tournant  autour  du  cava- 
lier agenouillé,  pour  venir  à  son  tour  s'asseoir  et  le  faire  évoluer  autour 
d'elle.  Puis  ce  sont  des  voltes,  des  pirouettes,  des  pas  de  bourrée,  des  défi- 
lés... le  tout  se  résolvant  toujours  par  un  tour  de  valse  d'une  perfection  que 
possèdent  seules  les  Allemandes  et  les  Suissesses.  Avec  le  mélange  des  coif- 
fures en  ailes  de  papillon  d'Appenzell,  des  petits  chapeaux  fleuris  de  Berne, 
des  dentelles  blanches  de  Schwitz,  etc.,  c'est  ravissant! 

Et  les  chants  avec  l'écho  dans  le  lointain,  chants  campagnards,  rustiques, 
d'un  caractère  qui  étonne,  et  avec  des  voix  merveilleuses  de  force,  de  fraîcheur 
et  de  pureté  I...  Enfin,  le  clou  qui  touche  au  magique,  à  la  féerie,  c'est  la  Fête 
dans  la  vallée.  Vers  dix  heures  du  soir,  quand  la  fête  du  village  a  battu  son 
plein,  le  joli  vallon  vert  et  fleuri  qui  se  trouve  au  tond,  entre  les  deux  mon- 
tagnes, s'illumine  tout  a  coup.  A  perte  de  vue,  caria  perspective  est  immense, 
on  voit  les  bergers  et  bergères  avec  leurs  troupeaux,  les  faucheurs,  les  fa- 
neuses, les  paysannes  cueillant  des  fleurs.  Et  tandis  que  vaches  et  chèvres 
broutent  à  leur  aise  le  gras  pâturage,  faisant  clocheter  leurs  sonnettes,  le  son 
du  cor  retentit  au  loin  dans  la  montagne.  A  ce  signal,  hommes  et  femmes, 
oarçons  et  jeunes  filles  entonnent  leurs  chants  joyeux,  courent,  se  lutinent, 
s'amusent...  sous  les  rayons  de  la  blanche  lumière  électrique,  savamment 
distribués  de  façon  à  imiter  à  s'y  méprendre  la  clarté  de  la  lunel  C'est  un 
tableau  d'une  étrangeté  et  d'un  charme  dont  on  ne  peut  se  faire  aucune  idée. 
Si  le  Village  suisse  partait  d'une  idée  ingénieuse,  mise  à  exécution 
avec  un  talent  rare  et  un  réel  souci  de  l'exactitude  telle  qu'on  la  pouvait 
concevoir  dans  ces  conditions,  je  n'en  saurais  dire  autant  de  Venise  à 
Paris  dont  le  principe  était  le  même  sans  doute,  mais  iiui  me  parut 
une  aimable  et  joyeuse  fumisterie.  Çà,  Venise?  Çà,  la  Piazzetta?  Çâ, 
l'église  Saint-Marc,  et  le  Pont  des  Soupirs,  et  le  Quai  des  Esclavons.  et 
le  Palais  ducal?...  Laissez-moi  rire. 


92 


LE  MÉNESTREL 


Je  sais  bien  qu'il  y  avait  là,  pour  imiter  le  fameux  vol  des  milliers 
de  pigeons  qui,  chaque  joui',  au  premier  coup  de  midi,  s'abattent  sur  la 
place  Saint-Marc  pour  y  chercher  la  nourriture  qu'on  leur  prodigue 
avec  abondance  en  souvenir  de  je  ne  sais  plus  quel  événement  historique, 
il  y  avait  là  une  demi-douzaine  de  pauvres  petites  tourterelles  efflan- 
quées qui  venaient  se  poser  sur  l'épaule  des  visiteurs  pour  vider  les 
petits  cornets  do  graines  que  ceux-ci  pouvaient  se  procurer  dans  l'éta- 
blifsemenl  ;i  raison  de  deux  sols.  Mais  cette  illusion  était  singulière- 
ment relative,  comme  tout  le  reste.  Cependant,  ceux  qui  avaient  l'avan- 
tage de  connaître  la  vraie  Venise,  celle  qui  n'est  pas  à  Paris,  ne 
devaient  pas  faire  montre  d'un  scepticisme  trop  aigu  à  l'endroit  de  ce 
qu'on  leur  offrait:  autrement,  le  cicérone  qui  avait  mission  de  faire 
parcourir  le  «  palais  »  et  qui  n'entendait  pas  raillerie  sur  ce  sujet,  avait 
bientôt  fait  de  les  remettre  au  pas,  et  à  leur  place.  Pour  un  peu  je  me 
serais  fait,  pour  ma  part,  une  affaire  avec  ce  fonctionnaire  respectable 
et  plutôt  susceptible.  Il  est  vrai  que  le  pauvre  diable  devait  vire  d'assez 
méchante  humeur  en  présence  du  peu  de  succès  de  l'œuvre  à  laquelle 
il  était  attaché  et  du  petit  nombre  do  ses  visiteurs.  Dans  les  derniers 
temps  surtout  elle  était  lamentable,  cette  excursion  à  la  Venise  du 
Champ-de-Mars.  On  se  serait  plutôt  cru  dans  le  Sahara. 

Ce  qui  était  charmant,  et  autrement  intéressant  que  Venise  à  Paris, 
c'était  les  gentils  Voyages  animés,  dans  leur  joli  petit  pavillon  du 
bord  de  la  Seine,  au  pied  du  Trocadéro,  près  du  poiu  d'Iéna.  Aussi 
ceux-là  n'ont  pas  eu  à  se  plaindre  du  succès,  car  dans  le  courant  du 
mois  d'octobre  ils  donnaient  leur  m'Hième  séance.  Ces  séances  étaient 
courtes,  à  la  vérité,  et  ne  duraient  guère  plus  d'une  demi-heure.  La  petite 
salle,  toute  blanche,  sans  aucune  décoration,  était  comme  une  sorte  de 
salon  et  pouvait  contenir  une  centaine  de  personnes  environ.  On  y 
pénétrait  immédiatement  du  dehors,  de  plain-pied,  en  soulevant  une 
simple  portière,  ou  prenait  place,  et  le  spectacle  commençait. 

Ce  spectacle,  qualifié  do  Visions  du  pays  de  France,  faisait  faire  au 
visiteur  un  voyage  dans  une  contrée  choisie,  contrée  qui  changeait  cha- 
que jour  de  la  semaine.  Il  était  donc  ainsi  organisé  :  le  lundi,  la  Savoie  ; 
le  mardi,  l'Auvergne  et  le  Limousin  ;  le  mercredi,  la  Bretagne  ;  le  jeudi, 
la  Champagne  et  les  Vosges;  le  vendredi,  la  Provence  et  la  Cote  d'azur: 
le  samedi,  le  Dauphiné  ;  enfin  le  dimanche,  les  Pyrénées.  Sous  les  yeux 
du  spectateur  se  déroulaient,  soit  en  tableaux  panoramiques,  soit  en 
images  cinématographiques  dues  à  MM.  Lumière  et  projetées  par  les 
appareils  Molteni,  quelques-uns  des  plus  beaux  sites  et  des  plusadmira- 
rables  monuments  dont  la  France  est  si  riche  et  si  justement  fière. 
C'était,  pour  la  Savoie,  les  gentils  lacs  d'Annecy  et  du  Bourget;  pour 
le  Dauphiné  Grenoble,  les  rives  de  l'Isère,  la  Grande  Cliarlreuse;  pour 
la  Champagne  et  les  Vosges  les  souvenirs  de  Jeanne  d'Arc  à  Vaucou- 
leurs,  à  Domrémy  et  à  Reims,  Belfort  et  son  lion  d'airain;  pour  l'Au- 
vergne ses  âpres  paysages  et  ses  danses  pittoresques  ;  pour  les  Pyrénées 
Lourdes,  Cauterets,  le  Cirque  de  Gavarnie  et  ses  montagnes  puissantes  ; 
pour  la  Bretagne  ses  plages,  ses  landes,  ses  men-hirs  :  pour  la  Provence 
et  la  Méditerranée  les  Arènes  d'Arles,  Marseille,  Cannes,  Nice,  Monte- 
Carlo...  Quelques-uns  de  ces  tableaux  étaient  particulièrement  curieux 
par  leur  mouvement.  Tels,  dans  la  série  du  Dauphiné,  l'arrivée  d'un 
train  dans  une  gare  et  une  descente  d'alpinistes  dévalant  de  la  mon- 
tagne, ou,  dans  celles  des  Vosges,  les  très  intéressantes  manœuvres 
militaires.  Chaque  tableau  était  expliqué  et  commenté  en  vers  (quels 
vers,  par  exemple!)  par  une  jeune  Muse  que  représentait  soit 
M"'*  Maryalis,  soit  M"'=  Varly,  de  l'Odéon,  et  accompagné  d'une  musi- 
que invisible  de  M.  Francis  Thomé.  Certaines  séances  se  terminaient 
par  l'audition  de  vieilles  chansons  françaises,  quelquefois  un  peu 
légères,  qui  valaient  à  la  jolie  M"«  Suzanne  Dalbray  un  succès  très 
légitime.  En  somme.  le  spectacle  en  son  ensemble  était  neuf,  original 
et  charmant. 

(A  suivre. J  Arthur  Pougin. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


C'est  la  jolie  symphonie  en  la  majeur  do  MenJelssolin,  dite  Symphonie 
romaine,  qui  ouvrait  le  dernier  programme  du  Conservatoire.  On  assure  que 
cette  symphonie  n'eut,  du  vivant  de  l'auteur,  aucun  succès  en  Allema''ue. 
Je  n'en  fais  pas  mon  compliment  à  ceu.x  qui  eurent  alors  l'occasion  de  l'en- 
tendre et  de  la  juger.  Je  ne  le  fais  pas  davantage  à  ceux  qui,  non  seulement 
en  France,  mais  dans  sa  patrie  même,  nient  la  très  haute  valeur  musicale  de 
Mendelssoha  et  contestent  son  talent  plein  de  grâce,  de  souplesse,  d'élégance, 
et  parfois  de  vigueur  et  d'énergie.  En  ce  qui  concerne  particulièrement  la 
symphonie  en  la  majeur,  je  me  permettrai  de  dire  que  depuis  Beethoven  on 
n'a  pas  écrit  un  morceau  aussi  dramatique,  aussi  impressionnant  que  le 
superbe  andante  conmoto,  avec  son  rythme  puissant  et  singulièrement  obstiné 


des  basses,  qui  lui  donne  une  si  grande  couleur  et  un  caractère  si  pathétique. 
(Juant  au  finale,  si  vivant,  si  lumineux,  c'est  assurément  l'une  des  plus  belles 
pages  de  l'art  moderne.  Qu'on  aille  donc,  après  cela,  comparer  l'art  sympho- 
nique  de  Brahms  à  celui  de  Mendelssohn,  et  l'on  verra  la  diftance  qui  sépare 
les  deux  artistes.  Il  y  a  de  bien  jolies  parties  dans  la  Nuit  persoiic,  composi- 
tion que  M.  Saint-Saéns  a  écrite,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  sur  des  vers 
de  M.  Armand  Renaud.  La  poésie,  la  rêverie,  l'accent,  la  vigueur,  on  y  trouve 
tour  à  tour  les  sentiments  les  plus  divers,  exprimés  parfois  de  la  façon  la 
plus  heureuse  et  la  plus  originale.  Celte  composition  a  été  l'occasion  d'un 
très  beau  succès  non  seulement  pour  l'auleur,  mais  pour  M.  Vaguet,  qui  en  a 
chanté  la  partie  do  ténor  avec  un  goût  exquis  et  un  talent  de  premier  ordre 
et  qui,  après  avoir  fait  bisser  l'un  de  ses  morceaux,  a  été  l'objet  d'un  triple 
rappel  absolument  mérité.  Je  lui  adresse,  pour  ma  part,  mon  très  sincère 
compliment.  La  partie  de  contralto  était  fort  bien  tenue  par  M™  Héglon,  et 
c'est  M"'  Renée  du  Minil  qui  avait  assumé  la  tache,  assez  ingrate,  de  dire  les 
récits  parlés.  L'admirable  ouverture  de  Coriolan,  de  Beethoven,  d'une  puis- 
sance si  prodigieuse  dans  sou  étonnante  conci.-ion,  d'un  sentiment  si  drama- 
tique et  d'une  couleur  si  superbe,  venait  faire  contraste  avec  la  composition 
poétique  de  M.  Saint-Saéns.  li  Alléluia  de  M.  Massenet  est  un  chœur  fans 
accompagnement,  qui  date  du  printemps  de  la  carrière  du  compositeur.  Il 
n'en  est  pas  moins  fort  joli,  très  harmonieux,  d'un  tour  vocal  excellent,  et  sa 
fin  vigoureuse,  sur  le  mot  Alléluia,  est  d'un  grand  effet.  Les  chœurs  ont  dit  ce 
morceau  en  perfection,  et  ils  ont  été  applaudis  avec  justice.  Le  programme  se 
terminait  par  la  sonnante  ouverture  du  Roi  d'Ys,  d'Edouard  Lalo,  suffisam- 
ment connue  pour  que  je  n'aie  plus  rien  à  en  dire  aujourd  hui.  A.  P. 

^  Concerts  Lamoureux.  —  La  manière  de  M.  de  Greef,  en  tant  que  pia- 
niste, n'a  rien  de  commun  avec  la  fantaisie  capricieuse  d'un  artiste  poursui- 
vant son  rêve  idéal;  elle  est  aussi  fort  éloignée  de  la  mièvrerie,  de  l'élégance 
affectée,  del'alanguissement  qui  dominent  chez  les  natures  ultraféminines.  Le 
jeu  mâle  de  l'exfellent  professeur  dans  le  concerto  en  sol  de  Saint- Saëns,  sa 
technique  robuste  et  la  fermeté  qu'il  a  déployée  dans  certains  traits  du  pre- 
mier morceau,  réputé  difficile,  en  posant  les  tierces  .avec  une  égalité  rigou- 
reuse et  en  arrivant  à  la  fin  sans  en  avoir  ébréché  une  seule,  méritent  assu- 
rément une  complète  approbation.  Je  ne  trouve  à  critiquer  que  le  manque 
de  transparence  dans  l'accompagnement  de  piano  au  début  du  second  thème 
du  scherzo;  cette  faute  enlève  à  l'entrée  ravissante  du  violoncelle  sa  fluidité 
poétique,  son  coloris  et  sa  grâce  aimable  et  souriante.  Le  public  s'est  montré 
chaleureux  sans  toutefois  épuiser  sa  réserve  d'enthousiasme,  car  il  ] estait  à 
entendre  le  3°  acte  de  Sirgfried.  L'exécution  instrumentale  et  la  direction 
d'ensemble  ont  présenté  vraiment  un  intérêt  exceptionnel,  et  lorsque,  à  la 
fin,  après  les  premiers  applaudissements,  des  cris  se  sont  élevés,  répétant  de 
plusieurs  cotés  à  la  fois  :  l'orchestre!  l'orchestre!  cette  ovation  peu  banale  n'était 
au  fond  que  justice;  depuis  longtemps  nous  n'avions  entendu  une  aussi 
remarquable  interprétation.  Celles  de  M"'=  Chrélien-Vaguet  et  de  M.  Imbart 
de  la  Tour  n'ont  pas  alTaibii  l'impression;  ces  deux  artistes  ont  chanté  avec 
une  ardeur  et  un  élan  de  conviction  et  de  foi  dignes  des  plus  grands  éloges, 
elle,  plus  fervente  et  plus  convaincue,  lui,  plus  sur  de  ses  moyens  et  en  abu- 
sant parfois,  notamment  dans  le  point  d'orgue  en  tierces  du  réveil.  Assez  do 
Wagner  maintenant;  il  est  temps  d'entrer  dans  la  voie  si  heureusf  meut  inau- 
gurée Sivecla.  Faust-Symplionie.  C'est  à  M.Chevillard  d'oser  poursuivre  les  noliles 
initiatives  de  Pasdeloup.  Osera-t-il,  —  l'audace  serait  peu  dangereuse  —  nous 
offrir  la  Lenore  de  Raff,  une  des  œuvres  modernes  les  plus  fécondes  en  jouis- 
sances poétiques  et  eu  voluptés  musicales,  un  vrai  poème  d'amour  que  ter- 
mine la  célèbre  cavalcade  nuptiale  de  Burger  : 

Hurrah  !  les  morts  vont  vitel  a-t-elle  peur  des  morts,  mon  aiiii/^e?  — 
Ah  !  Dieu  1  laisse  les  morts  en  paix  ! 

Nous  entrerions  avec  cet  ouvrage  dans  le  vrai  genre  symphonique  dos  con- 
certs, et,  la  place  devenant  plus  large  pour  les  trop  rares  essais  en  ce  genre 
des  compositeurs  français,  nous  aurions  à  nous  prononcer  plus  souvent  sur 
des  œuvres  estimables  comme  l'ouverture  du  Boi  Lear  de  M.  A.  Savard,  et 
l'avantage  serait  grand,  ne  fut-ce  que  pour  permettre  à  nos  jeunes  artistes, 
lorsqu'ils  se  laissent  entraîner  sur  une  pente  fatale,  de  s'en  apercevoir  et  de 
se  ressaisir.  Amédée  Boutarel. 

—  Les  concerts  Colonne  ont  donné  une  quatrième  audition  du  Faust  de 
Schumann,  sur  lequel  nous  n'avons  pas  à  revenir,  nos  collaborateurs  tn  ayant 
déjà  donné  leurs  impressions  à  diverses  reprises. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la  niajeur  (Mt ndelssolinl.  —  Nuit  persane  (Saint-Sacns', 
soli  :  M""  Héglon,  M.  Vagutt;  récits  parlés  ;  M""  R.  du  Minil.  —  Ouverture  de  Coriolan 
(Beethoven).  —  Alléluia,  chœur  (Massenet).  —  Ouverture  du  Itoi  d'Ys  (Laloi. 

Chdlelet,  concert  Colonne,  sous  la  direction  de  M  Oskar  Nedbal,  clief  d'orclieslrc  de  la 
Société  philharmonique  de  Prague  :  Symphonie  en  mi  mineur  (Dvorak i.  —  Air  de 
Samson  et  Datila  iSaint-Saënsi,  par  M"»  Emmy  Deslinn.  —  a.  La  Fiancée  de  Messine 
iFibichi,  b.  Yllava  (Smelanai. —  Trois  chansons  Ichùques  :  u.  Chansons  d'amour  i  Dvorak  i, 
6.  Menuet  à  deux  (frochazkai,  c.  Scène  de  l'opéra  in  Baiser  iSmelanai,  chanlces  par 
M""  Destinn,  accompagnée  par  M.  Oskar  Nedbal.  —  Sérénade  pour  instruments  à  cordes 
ijosef  Suki.  —  Air  iie-Marie-Mogdeleine  (Massenet),  par  M"°  Deslinn.  —  Deux  danses 
slaves  (Dvorak). 

Nouveau-Théàlrc,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Ouverture 
de  Manfred  (Schumanni.  -  Symphonie  en  ré  mineur  (César  Francki.  —  Concerto  f  onr 
harpe  (lleniéi,  par  M'"  Henriette  Renié.  —  Chansons  de  Miarka  (Alex.  Georges),  par 
M"'  Gaetane  Vicq.  —  Les  Murmures  de  la  l'orél  de  Siegfried  (Wagner).  —  Diverlissement 
des  Erinnyes  (Massenelj. 


LE  MENESTREL 


93 


—  Sous  le  titre  :  Les  Grands  Concerts  symplioniques  de  Paris,  il  vient  de 
se  fonder  une  nouvelle  société  musicale  qui  donnera  chaque  année  une  série 
de  concerts  d'orchestre,  dont  la  direction  sera  confiée,  à  chaque  audition,  à 
un  chef  d'orchestre  difl'érent,  toujours  choisi  parmi  les  plus  renommés  de  tous 
les  pays.  Ces  concerts  auront  lieu  sur  la  scène  du  théâtre  du  Vaudeville,  tous 
les  jeudis  en  matinée,  à  partir  du  28  mars  prochain.  Exceptionnellement,  il 
sera  donné  un  seul  concert  le  soir  du  Vendredi-Saint,  b  avril.  Voici  la  liste 
des  chefs  d'orchestre  qui  conduiront,  cette  année,  les  Grands  Concerts  sym- 
phoniques  de  Paris  :  F.  Steinbach,  directeur  du  fameux  orchestre  de  Meinin- 
gen,  créé  par  Hans  de  Biilow;  le  docteur  Cari  Muck  (Opéra  royal  de  Berlin); 
Max  Fiedler  (Hambourg);  le  professeur  M.  Erdmannsdœrfer  (Munich);  An- 
dré Messager  (Opéra-Comique  de  Paris).  Parmi  les  solistes  qui  se  feront 
entendre  au  cours  de  cette  même  saison,  on  peut  déjà  citer  le  célèbre  violo- 
niste russe  Alexandre  Petschnikoff  et  le  grand  pianiste  Maurice  Rosenlhal. 
Le  direcleur  des  Grands  Concerts  symphoniques  de  Paris  est  M.  M.  Schiller; 
le  secrétariat  général  a  été  confié  à  M.  A.  Mercklein.  Voici  le  programme  de 
la  première  séance,  qui  aura  lieu  jeudi  prochain.  -28  mars: 

Ouverture  (TEgmoiit Beethoven 

Connerto  n"  3  len  st)/ majturj J.-S.  Bach 

Pour  3  violons,  3  altos,  3  violoncelles,  et  le  continuo  par  tout  l'or- 

cheslre  à  coi-des.  Violon  solo:  M.  Wendling.  Le  concerto  de  Bach  sera 

exécuté  par  21  violons,  18  altos  et  8  violoncelles. 

Deuxième  Symphonie  (en  ré  majeur) Joh.-Bn.\HMS 

Huitième  Symphonie  len /a  majeur) Beethoven 

Rosdtnonde.  Eotr'acle  et  Airs  de  ballet Fr.  Schubert 

Ou\evi}ire  la  Fiancée  vendue  (Prodana  Nevesta.) F.  Smetan.a 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Plusieurs  journaux  allemands  avaient,  en  ces  derniers  temps,  propagé  la 
nouvelle  que  M""'  Cosima  Wagner  désirait  obtenir  des  titres  de  noblesse 
pour  son  fils  et  que  le  prince  régent  de  Bavière,  pressenti  à  ce  sujet,  aurait 
promis  d'anoblir  le  fils  du  maitre  à  l'occasion  de  l'inauguration  du  nouveau 
théâtre  wagnérien  de  Munich.  Or,  cette  nouvelle  est  absolument  controuvée, 
et  à  Bayreuth  on  lui  oppose  un  démenti  formel  ;  ni  M^^  Wagner  ni  son 
fils  ne  songent  à  la  moindre  particule.  Quelle  singulière  idée  que  de  vouloir 
anoblir  le  fils  de  Richard  Wagner,  petit-fils  de  Liszt,  comme  on  aurait  fait 
d'un  banquier  enrichi  ou  d'un  haut  fonctionnaire  mis  à  la  retraite  !  Richard 
Wagner  est  mort  sans  avoir  jamais  accroché  une  décoration  quelconque  sur 
sa  poitrine  ni  ajouté  le  moindre  titre  à  son  nom  ;  il  a  donné  sous  ce  rapport 
à  ses  compatriotes  un  bon  exemple  à  suivre. 

—  Un  autre  démenti  énergique  vient  d'être  lancé  de  Wahnfried  contre  la 
nouvelle  d'une  prétendue  rupture  entre  la  famille  Wagner  et  l'Intendant 
des  théâtres  royaux  de  Munich.  La  première  représentation  de  l'opéra-comi- 
que  le  Jeune  duc  étourdi  (Herzog  Wildfang)  de  M.  Siegfried  Wagner  a  été.  il 
est  vrai,  ajournée  à  plusieurs  reprises  pour  être  enfin  donnée  hier,  samedi, 
annonçait-on,  mais  le  compositeur  se  trouve  à  Munich  depuis  une  semaine  et 
a  dirigé  les  dernières  répétitions.  Quelques  privilégiés  ont  même  déjà  reçu 
la  partilion  gravée,  qui  ne  sera  mise  eu  vente  qu'après  la  première  par  l'édi- 
teur Max  Brockhaus,  de  Leipzig.  Nous  comptons  parmi  eux  et  nous  pouvons 
ainsi,  sans  violer  le  secret  professionnel,  en  ce  qui  concerne  l'œuvre  même, 
raconter  à  nos  lecteurs  qu'elle  est  dédiée  à  M""  la  comtesse  Marie  de  Wol- 
kensteiu-Trostburg,  femme  de  l'ambassadeur  d'Autriche-Hongrie,  plus  connue 
des  wagnériens  sous  le  nom  de  son  premier  mari,  le  baron  de  Schleinitz.  La 
dédicace  est  des  plus  flatteuses  et  des  plus  justifiées  :  «  Au  plus  victorieux  et 
plus  fidèle  champion  (Vorkaenijjferin)  de  l'œuvre  de  Bayreuth.  » 

—  Frédéric  II  de  Prusse  fut,  comme  on  sait,  un  flûtiste  passionné  et  même 
un  compositeur  à  ses  heures  ;  or,  on  n'entend  pas  en  Allemagne  que  les  bonnes 
traditions  se  perdent.  C'est  pourquoi  le  kronpriuz  Guillaume,  quand  il  ira  ter- 
miner ses  études  à  l'université  de  Bonn  en  automne  prochain,  sera  pourvu 
d'un  professeur  de  violon  en  la  personne  de  M.  WiUy  Seibert,  professeur  au 
Conservatoire  de  Cologne.  Le  jeune  prince  sera  alors  dans  sa  vingtième  an- 
née; il  est  donc  à  présumer  qu'il  est  déjà  a'une  certaine  force  sur  son  ins- 
trument de  prédilection. 

—  L'almanach  des  théâtres  allemands  que  la  maison  Breilkopf  et  Haertel 
publie  depuis  quatre  ans,  vient  de  paraître  pour  l'année  190O.  Cette  publica- 
tion nous  fait  voir  que  les  œuvres  françaises  se  maitiennent  fort  bien  sur  les 
scènes  lyriques  d'outre-Rhin.  On  y  a,  eu  effet,  joué  Carmen  247  fois,  Mignon 
241,  Faust  187,  Fra  Diavolo  108,  les  Huguenots  92,  les  Dragons  de  Villars  87,  le 
Postillon  de  Lonjumeau  80,  l'Africaine  80,  la  Fille  du  régiment  79,  la  Dame 
blanche  69,  la  Juive  07,  le  Prophète  38,  la  Poupée  de  Nuremberg  ,'iS,  la  Muette  de 
PoTlici  3o,  Guillaume  Tell  di,  Joseph  27,  Robert  le  Diable  22,  le  Maçon  17,  la  Part 
du  Diable  16,  Manon  16,  Sainson  et  Dalila  14,  le  Domino  noir  11,  Roméo  et  Juliette 
10,  Werther  7,  Djamileh  8,  les  Deux  journées  7,  Zampa  b,  Jean  de  Paris  -t. 
Ipkigcnie  en  Aulide  4,  tes  Troyens  i,  Béatrice  et  Bencdict  3  et  Benvenulo  Cellini 
2  fuis. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  a  joué  avec  un  succès  honorable  l'opéra 
Lobelanz,  musique  de  M.  Thuille,  de  Munich,  qui  avait  remporté  le  premier 
prix  au  concours  organisé  par  le  prince-régent  de  Bavière  «  pour  le  meilleur 


opéra-comique  allemand  ».  L'affiche  était  complétée  par  Syluia,  le  charmant 
•ballet  de  Léo  Delibes,  dont  la  reprise  a  eu  un  grand  succès. 

—  On  a  donné  dernièrement  à  Vienne  un  concert  au  profit  du  monument 
de  Liszt,  avec  le  concours  d'un  des  plus  fidèles  élèves  et  amis  du  maitre.  le 
comle  GézaZichy,  qui  reste  un  des  meilleurs  pianistes  de  nos  jours  quoiqu'il  ne 
dispose  que  d'un  seul  bras.  Il  a  interprété  un  concerto  pour  piano  de  sa  fac- 
ture écrit  pour  la  main  gauche  seule.  Malgré  les  limites  naturelles  d'une  com- 
position de  ce  genre,  le  concerto  du  comte  Zichy  a  produit  un  grand  effet, 

—  Dans  une  vente  importante  d'autographes  qui  a  eu  lieu  la  semaine 
passée  à  Vienne,  les  musiciens  ont  eu  tous  les  honneurs  de  l'enchère;  leurs 
autographes  ont,  en  effet,  été  mieux  payés  que  ceux  des  souverains,  poètes 
ou  peintres  qu'on  a  vendus  en  même  temps.  Une  Cantate  de  mariage  de  J.-S. 
Bach,  qui  est  inédite,  a  été  payée  1.980  couronnes;  on  a  donné  2.110  cou- 
ronnes pour  une  simple  esquisse  do  Beethoven  pour  son  lied  de  Mignon, 
paroles  de  Goethe,  et  620  couronnes  pour  une  Polonaise  pour  musique  mili- 
taire. Une  lettre  de  Beethoven  au  compositeur  K.  Stolz  a  été  payée  432  cou- 
ronnes. Le  manuscrit  de  l'Étude,  op.  10  N"  2,  de  Chopin,  790  couronnes,  et  une 
Va'se  420  couronnes.  Le  chœur  final  d'une  cantate  inédite  de  Joseph  Haydn  a 
atteint  580  couronnes  et  un  air  inédit  de  Gluck  804  couronnes.  La  couronne 
autrichienne  vaut  un  franc  cinq  centimes.  Dans  ces  conditions,  les  mil- 
lionnaires seuls  pourront  bientôt  s'olfrir  le  plaisir  de  posséder  des  échantil- 
lons de  l'écriture  des  grands  compositeurs. 

—  On  annonce  à  Vienne  deux  concerts  dans  lesquels  seront  exécutés  deux 
anciens  oratorios:  Jephte,  de  Carissimi  (1600-1674)  et  les  Sept  Paroles,  de 
Henri  Schûtz  (1383-1672),  ainsi  que  plusieurs  compositions  du  temps  de 
l'empereur  Léopold  1=''  (1640-1703). 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  pour  nous  signaler  le  succès  sans  précédent 
que  vient  d'y  remporter  la  charmante  cantatrice  Marcella  Pregi  aux  récitals 
qu'elle  a  donnés  à  la  salle  Rosé.  On  l'a  justement  couverte  de  fleurs,  et  à  sa 
première  séance,  composée  en  majeure  partie  d'auteurs  français,  Paul  Puget, 
Fauré,  Diémer,  Bizet  et  Massenet,  on  ne  l'a  pas  rappelée  moins  de  vingt-trois 
fois.  M"°  Pregi,  qui  devient  l'idole  du  public  viennois,  chante  alternativement 
eu  français  et  en  allemand. 

—  Décidément,  le  féminisme  envahit  l'art  musical.  Nous  connaissons  depuis 
longtemps  l'orchestre  des  dames  viennoises,  le  premier  de  co  genre;  or,  nous 
allons  avoir  un  quatuor  de  dames  hongroises;  quatre  jeunes  filles  récemment 
sorties  du  Conservatoire  de  Budapest  viennent  en  effet  de  former  un  quatuor 
qui  donnera  prochainement  son  premier  concert.  Ce  quatuor  estainsi  composé  : 
M""  Cornélie  Barlok-Goldmark,  premier  violon;  M"'  E.  Hermann,  second 
violon;  M"°  Eva  Breuer,  alto;  M""  0.  de  Horvàth,  violoncelle.  Le  premier 
violon  a  de  qui  tenir,  c'est  la  propre  nièce  de  Cari  Goldmark. 

—  Httbent  sua  fata  carminal  Une  cantate  de  Weber  qui  n'a  jamais  été  enten- 
due en  public  vient  d'arriver  à  sa  première  exécution.  Le  20  septembre  1818, 
le  roi  de  Saxe  Frédéric-Auguste  célébrait  le  cinquantième  anniversaire  de 
son  avènement,  et  Weber,  en  sa  qualité  de  kapellmeister  royal,  dut  composer 
la  cantate  obligatoire  de  l'époque.-  Frédéric  Kind  ,  l'auteur  du  poème  du 
FreyschiUz,  lui  en  fournit  les  paroles  et  Weber  les  mit  en  musique;  mais 
l'œuvre  n'eût  pas  l'heur  de  plaire  au  vieux  roi,  qui  n'en  autorisa  pas  l'exécu- 
tion. Weber  fut  alors  obligé  d'écrire  en  toute  hâte  la  Jubel- Ouverture,  qui 
est  connue  de  tout  le  monde.  La  cantate,  œuvre  sans  prétention  mais  fort 
agréable,  pour  solo,  chœur  et  orchestre,  resta  dans  les  cartons  du  compo- 
siteur. Or,  l'Académie  royale  de  musique  de  Munich,  vient  d'exhumer  cette 
cantate  à  l'occasion  du  quatre-vingtième  anniversaire  de  la  naissance  du 
prince-régent  de  Bavière,  et  l'eft'et  produit  par  l'œuvre  encouragera  cer- 
tainement son  exécution  parlout  où  l'on  apprécie  Weber  selon  ses  grands 
mérites.  Le  chant  principal  :  «  Décorez  les  portes  »,  pour  soli  et  orchestre,  a 
provoqué  un  véritable  enthousiasme;  c'est  du  reste  la  perle  de  la  cantate. 

—  Les  concerts  en  Allemagne.  Un  nouveau  poème  symphonique  de 
M.  Anton  Dvorak,  Othello,  a  obtenu  un  très  grand  succès  à  l'un  des  derniers 
concerts  philharmoniques  de  Francfort-sur-le-Mein.  —  On  a  accueilli  avec 
une  grande  faveur,  à  Budapest,  une  nouvelle  Symphonie  palhélique  du  compo- 
siteur croate  Edmond  Mihailovich,  qui  a  été  l'objet  d'une  véritable  ova- 
tion. —  Grand  succès  aussi,  au  «  Concert- Verein  »  de  Vienne,  pour  deux 
nouveaux  poèmes  symphoniques,  le  Quatrième  commandement,  de  M.  Cari 
Prohaska,  qui  dirigeait  lui-même  l'exécution  de  son  œuvre,  et  Sacounlala,  de 
M.  J.  de  Wœss. 

—  De  Dresde  au  New-York  Herald:  M.  Gunkel,  le  compositeur  bien  connu, 
auteur  de  l'opéra  Attila,  venait  de  quitter  le  théâtre  et  montait  dans  le  tram- 
way électrique  quand  une  femme  s'approcha,  sortit  un  revolver,  et  avant  que 
les  spectateurs  pussent  s'interposer,  tira  sur  lui  un  coup  de  revolver  qui  le 
blessa  mortellement.  La  criminelle  a  été  aussitôt  arrêtée.  Elle  a  déclaré 
s'appeler  Jahnel.  C'est  la  femme  divorcée  d'un  directeur  de  chemin  de  fer. 
Le  divorce  avait  été  prononcé  contre  elle  précisément  en  raison  de  ses  rela- 
tions avec  l'artiste,  qu'elle  aimait  passionnément. 

—  On  a  exécuté  pour  la  première  fois  à  Teplilz.  au  quatrième  concert 
d'abonnement,  une  symphonie  inédite  en  fa  mineur,  de  M.  Camille  Horn, 
ancien  élève  d'Antoine  Bruckner,  aujourd'hui  professeur  et  critique  musical 
à  Vienne,  connu  jusqu'ici  par  diverses  compositions  pour  le  piano  et  pour  le 
chant.  C'est  une  œuvre  inégale,  mais  qui  ne  manque  pas  d'intérêt  et  qui  a 
été  bien  accueillie. 


94 


LE  MENFSTREL 


—  Lo  théâtre  de  Rostock  i,Mecklembouigi  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de 
succès  un  opéra  en  trois  actes  intitulé  la  Femme  qui  juge,  musique  de  SI.  K. 
T.  Schwab. 

—  M.  Oscar  Fleiscber,  professeur  à  l'Université  de  Berlin,  vient  de  publier 
en  cette  ville  et  sous  ce  simple  titre  :  Mozart,  un  petit  volume  de  200  pages 
qui,  dans  ce  court  espace,  fait  connaître  tout  ce  qu'il  est  indispensable  de 
savoir  sur  ce  maitre  des  maîtres.  Ce  petit  livre,  orné  de  deux  portraits,  n'est, 
croyons-nous,  qu'une  sorte  de  réduction  d'un  ouvrage  plus  important  dû  au 
même  écrivain.  Il  se  termine  d'une  façon  utile  par  une  bibliographie  des 
écrits  publiés  sur  Mozart  tant  en  allemand  qu'en  français,  en  italien,  en 
anglais  et  en  hollandais.  Remarquons  toutefois  qu'en  ce  qui  concerne  la 
France,  cette  iibliographie  aurait  besoin  d'être  complétée. 

—  'Un  journal  étranger  nous  apprend  qu'à  Constantinople  la  censure  a 
interdit  la  représentation  de  deux  drames  de  Shakespeare.  Hamlet  et  Othello. 
Que  diable  le  doux  souverain,  protecteur  des  Arméniens,  qui  porte  le  nom  de 
Commandeur  des  croyants,  peut-il  avoir  à  craindre  des  chefs-d'œuvre  du  poète 
anglais? 

—  Nous  avons  annoncé  qu'on  avait  découvert  à  Naples  un  neveu  de  Cima- 
rosa,  ■vieillard  septuagénaire,  qui  vivait  dans  la  plus  affreuse  misère.  Quel- 
ques  personnes  bien  intentionnées  se  sont  réunies  pour  venir  en  aide  à  cet 
héritier  d'un  grand  norn,  dont  le  pè^'e,  frère  du  glorieux  auteur  du  Mafrimonjo 
segreto,  fut  jadis  professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire  de  Naples. 

—  Justement,  à  l'occasion  du  centenaire  de  Cimarosa,  la  Société  des  auteurs 
et  artistes  dramatiques  et  lyriques  italiens,  à  Rome,  vient  d'ouvrir  un  con- 
cours, auquel  elle  donne  le  nom  de  «  concours  Cimarosa  »,  pour  le  livret  et 
la  musique  d'un  opéra  giocoso,  avec  un  prix  de  mille  francs  pour  la  musique 
et  de  cinq  cents  francs  pour  le  livret.  Si  cela  pouvait  induire  les  jeunes  com- 
positeurs italiens  à  revenir  à  l'opéra  bouffe,  la  rayonnante  et  incontestable 
gloire  de  leurs  ancêtres  ! 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  —  «  M.  Castellani,  commissaire  du  gouverne- 
ment, s'est  rendu  à  Naples  pour  procéder  à  une  enquête  sur  les  actes  admi- 
nistratifs du  Conservatoire  de  musique  de  San  Pietro  a  Majella,  et  voici,  selon 
la  Propaganda,  ce  qu'il  aurait  découvert.  Les  peintures  célèbres  qui  existaient 
dans  l'église  annexée,  parmi  lesquelles  des  tableaux  de  LucaGiordono,  gisent 
à  terre,  abimés  par  l'humidité  et  rongés  par  les  souris;  les  pierres  précieuses 
qui  étaient  inscrutées  au  centre  du  maitre-autel  ont  toutes  disparu  mystérieu- 
sement; le  très  riche  pavement  en  mosaïque  de  la  chapelle  a  été  la  victime 
d'un  véritable  vandalisme,  et  beaucoup  de  ses  fragments  ont  été  vendus  au 
Musée  national  tandis  que  d'autres  allaient  enrichir  la  collection  de  la  maison 
d'une  princesse  napolitaine:  des  tentures  religieuses  et  des  tapisseries  d'une 
inestimable  valeur  ornent  actuellement  les  bureaux  du  gouverneur  et  du 
bibliothécaire,  et  enfla  des  meubles  en  marqueterie  et  des  objets  antiques 
de  grand  prix,  qu'on  savait  être  là,  ont  complètement  disparu.  Le  directeur 
du  Conservatoire,  qui  est  l'illustre  maestro  Pietro  Platania,  ignorant  jusqu'à 
ce  jour  de  tout  ce  carnage,  s'est  mis  à  la  disposition  du  commissaire  du 
gouvernement  pour  l'aider  dans  la  recherche  des  coupables.  » 

—  Le  conseil  communal  de  Florence  a  décidé,  à  l'unanimité,  de  donner  le 
nom  de  Verdi  à  la  rue  del  Fosso,  où  se  trouve  le  théâtre  Pagliano.  Et  celui-ci, 
avec  le  consentement  de  son  propriétaire,  prendra  aussi  le  nom  de  théâtre 
Verdi. 

—  Il  parait  qu'on  vient  de  découvrir  en  Italie  un  nouveau  ténor,  doué 
d'une  voix  phénoménale.  Il  s'appelle  Isaia  Verdiua,  et  l'on  raconte  qu'il  a 
slupéfié  ceux  qui  l'ont  entendu  chanter  récemment  dans  l'église  de  Lonato. 
Non  seulement  sa  voix  est  pure  et  d'une  qualité  superbe,  mais  elle  monte 
sans  difficulté  jusqu'à  \'ut  dièse,  le  fameux  ut  dièse  de  Tamberlick,  que  les 
amateurs  attendaient  à  chaque  représentation  avec  une  véritable  anxiété  et 
qu'ils  couvraient  d'applaudissements,  sans  se  soucier  d'ailleurs  autrement  de 
l'admirable  style  de  l'artiste. 

—  Ou  vient  de  construire  à  Bergame  un  nouveau  théâtre  dont  le  nom  n'est 
pas  encore  définitivement  arrêté,  car  on  ne  sait  s'il  s'appellera  théâtre  Tor- 
quato  Tasso  ou  Humbert  premier.  Ce  nouvel  édifice  est  d'une  grande  élégance, 
d'une  décoration  très  riche,  et  conçu  de  façon  à  satisfaire  les  plus  grandes 
exigences  du  confort  moderne.  Détail  particulier  :  toutes  les  places  de  par- 
terre seront  assises,  fait  nouveau  en  Italie. 

—  On  a  donné  le  26  février,  à  Pérouse,  la  première  représentation  d'un 
opéra  en  trois  actes,  la  Contessa  Clara,  paroles  de  M""  Maria  de  Angolis- 
Bianchi,  musique  de  son  frère.  M.  Arturo  de  Angelis,  jeune  compositeur  de 
vingt-deux  ans.  L'ouvrage,  joué  par  M"«Iaes  Rosalba,  MM.  Pintucci,  Sabbi  et 
Malatesta,  parait  avoir  obtenu  un  plein  succès.  Quatre  morceaux  ont  été  bissés, 
et  l'auteur  a  été  l'objet  d'une  vingtaine  de  rappels. 

—  A  Genève  il  a  été  donné  un  fort  intéressant  concert,  dont  toute  la 
seconde  partie  était  consacrée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois  :  I.  Ouverture 
de  Frithioff.  —  II.  Deux  pièces  en  forme  canonique.  —  III.  Concerto  de  violon, 
exécuté  par  M.  Henri  Marteau. —  IV.  Intermède  symphonique  de  Notre-Dame 
de  la  Mer.  Tout  a  été  applaudi  à  outrance  et  on  a  fait  à  l'auteur,  qui  était 
présent,  de  superbes  ovations.  Vrai  triomphe  aussi  pour  Henri  Marteau,  qui 
a  joué  le  concerto  avec  une  maestria  incomparable. 


—  Nous  croyons  être  agréable  à  nombre  de  nos  lecteurs  en  les  informant 
qu'une  agence  se  chargeant  de  l'organisation  complète  en  Suisse  des  concerts, 
conférences,  tournées,  représentations,  existe  maintenant  à  Genève.  M.  Henn, 
qui  en  est  le  directeur,  se  tient  à  la  disposition  des  artistes  pour  tous  les  ren- 
seignements qu'ils  pourraient  désirer. 

—  Le  théâtre  Eslava  de  Madrid  a  donné  récemment  une  zarzuela  intitulée 
Alertai  qui,  parait-il,  n'est  qu'une  parodie,  assez  fâcheuse  d'ailleurs,  du 
fameux  drame  de  M.  Galdos,  Électra,  qui  passionne  et  impressionne  tonte 
l'Espagne  depuis  quelques  semaines.  Les  auteurs  de  cette  Alerta  sont,  pour 
les  paroles,  de  MM.  Muiloz  et  Escacena,  pour  la  musique  MM.  Corvino  et 
Foglietti. 

—  Autres  nouvelles  zarzuolas  à  Madrid,  qui  fait  décidément  une  étonnante 
consommation  d'ouvrages  de  ce  genre.  Au  théâtre  Apolo,  J(igt(e  a  lu  Reina,  un 
acte,  paroles  de  M.  Sirresio  Delgado,  musique  de  M.  Eladio  Montero.  —  Au 
théâtre  Parisli,  las  Parrandas,  trois  actes,  paroles  de  MM.  Flores  Garcia  et 
Briones,  musique  de  M.  Brull:  interprètes,  MM.  Soler,  Valentin  Gonzalez, 
Gamero,  Hervas  et  Figuerola.  M'"'"  Domingo,  Santés  et  Galan;  grand  succès. 

—  Le  minisire  de  l'intérieur  de  l'Angleterre  vient  de  publier  un  rapport 
sur  les  théâtres  du  pays  à  la  fin  de  1899.  A  cette  époque  Londres  comptait 
S81  théâtres  et  music  hal's  de  tout  genre.  Ces  lieux  de  plaisir  étaient  un 
gagne-pain  pour  loi. 216  personnes,  et  le  nombre  des  visiteurs  dépassait 
généralement  cinq  cent  mille.  Dans  le  Royaume-Uni  et  en  Irlande  on  comp- 
tait à  cette  époque  plus  de  3.000  théâtres  et  music  halls  qui  occupaient 
830.000  personnes  et  étaient  visités  tous  les  seirs  par  plus  de  1.230.000  ama- 
teurs. Le  nombre  serait  de  beaucoup  augmenté  s'il  était  permis  de  jouer  le 
dimanche  ;  le  nouveau  siècle  et  le  nouveau  règne  amèneront  peut-être  cette 
innovation  impatiemment  attendue  par  beaucoup  d'Anglais,  qui  s'ennuient 
ferme  le  «  jour  du  Seigneur  ». 

—  M.  Manuel  Garcia  vient  d'entrer  dans  sa  97"  année.  L'illustre  artiste  se 
porte  admirablement  et  donne  encore  des  leçons  de  chant  à  quelques  élèves 
démarque;  mais  il  a  néanmoins  quitté  Londres  pour  passer  la  mauvaise 
saison  dans  le  Midi.  C'est  la  première  fois  que  l'artiste  ait  cru  devoir  faire 
cette  concession  à  son  grand  âge. 

—  La  Société  philharmonique  de  Londres  a  inauguré  sa  89"  saison  de 
concerts  par  une  séance  dans  laquelle  elle  a  e.xécuté  l'ouverture  de  Macbeth 
d'Arthur  Sullivan,  la  symphonie  en  mi  mineur  de  Beethoven,  la  Tente  du 
soldai,  nouvelle  composition  orchestrale  de  M.  Hubert  Parry.  la  Sérénade  en 
fa  de  Mozart  pour  quatre  orchestres,  et  un  nouveau  concerto  de  violon  de 
M.  Graedmer. 

—  Un  concours  est  ouvert  en  Angleterre,  avec  un  prix  de  SOO  francs,  pour 
la  composition  d'un  trio  pour  hautbois,  cor  et  piano.  La  corapotilion  doit 
être  essentiellement  originale  (c'est-à-dire  ne  pas  être  un  arrangement  d'une 
autre  œuvre)  et  n'avoir  jamais  été  exécutée  en  public.  Les  manuscrits,  avec 
une  lettre  cachetée  contenant  le  nom  et  l'adretse  de  l'auteur  et  sur  l'enve- 
loppe un  mot  ou  un  pseudonyme,  devront  être  adressés  avant  le  18  jan- 
vier 1902  au  docteur  Yorke  Trotter,  22,  Prince's  street,  Cavendish  square, 
London  W.  (Angleterre). 

—  Le  troisième  concert  historique  donné  à  Edimbourg,  dans  la  grande 
salle  de  l'Université,  offrait  un  intérêt  très  vif  et  tout  spécial.  Le  programme 
ne  comprenait  que  des  symphonies  de  compositeurs  antérieurs  à  Haydn, 
exécutées,  sous  la  dirccticm  de  M.  Frédéric  Niecks,  par  un  petit  orchestre 
d'instruments  à  cordes  avec  deux  hautbois  et  deux  cors.  Il  était  ainsi  com- 
posé :  Symphonie  en  mi  h,  de  Johann  Cari  Stamitz  (Bohémien,  1717-1761), 
auteur  de  12  symphonies;  Symphonie  eu  mi  ''^,  d'Anton  Filtz  (Allemand, 
1733-1760),  auteur  de  6  symphonies;  Symphonie  en  sol  majeur,  de  Frédéric 
Sohwindl  (Hollandais,  1740-1786),  auteur  de  18  symphonies;  Symphonie  en 
mi  h,  de  Johann-Chrétien  Bach  (Allemand,  onzième  fils  de  Jean-Sébastien, 
1733-1782),  auteur  de  16  symphonies;  Symphonie  en  ré  majeur,  de  Cari- 
Frédéric  Abel  (Allemand,  1723-1787):  Symphonie  vn  mi  [>,  de  François-Joseph 
Gossec  (Belge,  1734-1829),  auteur  de  26  symphonies. 

—  Le  jour  des  funérailles  de  la  reine  Victoria  a  eu  lieu  à  Liverpool  un 
concert  uniquement  composé  de  marches  funèbres  :  celle  de  Saiil,  oratorio 
de  Haendel,  celle  de  la  sonate  op.  26  de  Beethoven,  celles  de  Mendelssohn, 
de  Chopin  et  de  Wagner,  et  enfin  la  Marche  funèbre  et  Chant  séraphique  de 
M.  Guilmant. 

—  Pour  rendre  hommage  au  pays  qui  lui  avait  donné  l'hospilalité,  la  troupe 
italienne  du  théâtre  Tacon,  à  la  Havane,  a  donné,  à  la  fin  de  son  séjour,  la 
première  représentation  d'un  opéra  en  un  acte,  il  Naufrago,  dû  à  un  compo- 
siteur indigène,  M.  Edouard  Sanclicz  Fuentes.  Il  va  sans  dire  que  ce  petit 
ouvrage  a  excité  l'enthousiasme  des  compatriotes  du  compositeur  et  (|u'il  a 
obtenu  un  succès  éclatant.  Il  avait  pour  interprètes  M""*  Sartori  et  Farelli, 
MM.  Bieletto  et  Bellagamba. 

—  Un  ouvrage  publié  récemment  à  New- York  par  M.  Franklin  Fyles 
constate  que  les  Etats-Unis  possèdent  S.OOO  théâtres,  représentant  un  capital 
de  500  millions  de  francs.  Plus  d'un  million  et  demi  de  spectateurs  se  trou- 
vent tous  les  soirs  dans  ces  théâtres  et  la  dépense  annuelle  s'élève  de  ce  chef 
à  350  millions  de  francs.  Les  appointements  des  artistes  sont  en  général 
élevés.  Dix  acteurs  et  cinq  actrices  gagnent  plus  de  1.200  francs  par  semaine. 
Les  figurants  les  moins  bien  payés  gagnent  encore  60  francs  par  semaine.  Il 
faut  toutefois  tenir  compte  de  ce  fait  que  l'argent  ne  représente  pas  en  Amé- 
rique la  même  valeur  qu'en  Europe. 


LE  ME'NESTllI'L 


95 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  adhésions  parviennent  en  foule  au  comité  verdien  pour  l'érection 
d'un  mouumeut  international  à  Verdi,  à  Busseto.  Ou  a  élu  un  comité  d'hon- 
neur dont  la  reine  Marguerite  a  accepté  laprésidence,  et  qui  est  composé  de 
MU.  Massenet,  Tiiéodore  Dubois,  Garl  Goldmark,  Joachim,  Looncavallo, 
Marchetti  et  Mascagni. 

—  On  sait  qae  la  commission  du  théàlre  antique  d'Orange  avait  organisé, 
pour  les  4  et  S  août  prochain,  une  grande  solennité  lyrique,  qui  eût  été  la 
consécration  définitive  du  «  Bayreuth  français  ».  On  devait  représenter,  en 
cette  solennelle  circonstance,  un  grand  drame  lyrique,  les  Barbares,  dont 
MM.  Victorien  Sardou  et  Gheusi  avaient  fourni  le  texte  et  M.  Saint-Saëns  la 
musique.  Mais  voici  qu'au  dernier  moment,  devant  la  note  à  payer  pré- 
sentée par  M.  Gailhard,  des  dissensions  se  sont  élevées  au  sein  tumultueux 
de  la  commission.  Il  ne  s'agissait  rien  moins  que  d'un  risque  d'une  centaine 
de  mille  francs  :  «  Cela  va  hien  si  le  temps  est  beau,  disaient  les  Cadets: 
mais  s'il  pleut,  que  faire  en  ce  théâtre  à  ciel  ouvert?  »  Et  on  a  reculé,  faute 
de  parapluies.  On  n'en  tient  pas  dans  le  Midi.  Alors  M.  Gailhard  en  sera 
quitte  pour  donner  la  première  représentation  des  Barbares  à  l'Opéra  même 
de  Paris,  au  mois  d'octobre  prochain.  C'était  bien  l'époque  promise  aux 
auteurs  du  Roi  d'Ys.  Mais  puisque  Lilo  est  mort,  on  peut  sans  vergogne  lui 
manquer  de  parole  une  fois  de  plus.  Eu  pays  de  Gascogne,  cela  ne  tire  pas 
à  conséquence. 

—  Ce  n'est  pis  pour  le  vain  plaisir  de  jouer  sur  la  rouge  ou  la  noire  les 
belles  recettes  d'Àstarté  que  M.  Gailhard  s'est  rendu  à  Monte-Carlo.  Que  non 
pas!  Notre  homme  est  bien  trop  pratique  pour  cela.  Du  pays  de  la  roulette 
il  rapporte  en  sa  poche  mieux  que  des  louis  d'or  du  banquier:  un  bel  et  bon 
engagement  du  splendide  ténor  Tamagno  pour  dix  représentations  à  l'Opéra 
de  Paris,  au  mois  de  mai  prochain.  On  nous  rendra  à  cette  occasion  VOtello 
de  Verdi,  que  nous  continuons  d'ailleurs  à  ne  pas  considérer  comme  l'une 
des  œuvres  maîtresses  du  grand  compositeur  italie'n.  Mais  qu'importe!  si  nous 
y  retrouvons  les  fameux  «  coups  de  gueule  »  du  célèbre  virtuose:  Et  puis 
Maurel  n'en  sera  pas!  c'est  déjà  quelque  chose. 

—  C'était  un  canard!  M.  Albert  Carré  ne  songe  nullement  à  représenter 
Giselle,  le  ballet  d'Adolphe  Adam.  Il  n'a  pas  l'intention  d'augmenter  son  per- 
sonnel chorégraphique,  déjà  très  suffisant  pour  les  besoins  de  la  petite  scène 
si  exiguë  que  lui  a  livrée  l'architecte  Beruier. 

—  Si  M.  Albert  Carré  n'a  pas  de  visées  sur  Giselle,  il  en  a  au  contraire  et  de 
très  hautes  sur  le  Tristan  et  Yseult  de  Richard  "VVagner.  Il  est  presque  d'accord 
déjà  avec  le  ténor  Van  Dyck  pour  jouer  l'ouvrage  en  novembre  prochain  et 
se  préoccupe  des  artistes  qui  pourront  tenir  les  rôles  d'Yseult  et  de  Brangaine. 
C'est  le  pangermanisme  partout,  au  théâtre  comme  au  concert.  Voici  mémo 
envahi  le  dernier  refuge  du  fameux  «  genre  national  ». 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra-Coniique  :  en  matinée, 
la  Fille  de  Tabarin  :  le  soir,  Carmen. 

—  On  annonce  un  peu  partout  que  M.  Massenet  écrira  la  musique  de  scène 
pour  la  Belle  au  bois  dormant  de  MM.  Henri  Gain  et  Fernand  Gregh,  qui 
doit  former  l'un  des  premiers  spectacles  offerts  au  public,  lors  du  retour  de 
M""  Sarah  Bernhardt  en  son  théâtre  de  la  place  du  Chàtelet.  Il  n'en  est 
rien.  Malgré  son  vif  désir  de  satisfaire  les  deux  auteurs,  dont  l'un  au  moins 
est  de  ses  grands  amis,  M.  Massenet  ne  peut  oublier  que  l'un  de  ses  élèves, 
M.  Silver,  a  écrit  sur  le  même  sujet  toute  une  partition  d'opéra.  Son  plus 
simple  devoir  est  donc  en  la  circonstance  de  s'abstenir  rigoureusement. 

—  «  Ce  que  c'est  que  la  célébrité,  dit  un  de  nos  confrères,  et,  ilfautbienle 
dire  aussi,  la  curiosité  du  public  !  A  peine  le  théâtre  des  Capucines  avait-il 
annoncé  la  répétition  générale  et  la  première  du  Je  ne  sais  quoi  I  la  pièce 
sensationnelle  qui  doit  servir  de  début,  comms  comédien,  au  célèbre  bary- 
ton Victor  Maurel,  que  tout  ce  qui,  à- Paris,  porte  un  nom  se  précipitait  vers 
la  coquette  salle  du  boulevard  des  Capucines  pour  retenir  des  places  pour  ces 
deux  soirées  exceptionnelles.  »  J'te  crois!  c'est  pas  tous  les  jours  qu'on 
assiste  à  des  spectacles  pareils. 

—  L'Orchestre  philharmonique  de  Berhn  vient  d'arrêter  définitivement  l'iti- 
néraire de  la  grande  tournée  qu'il  va  entreprendre  sous  la  direction  de  son 
chef,  M.  Arthur  Nikisch,  à  travers  l'Autriche,  l'Itahe,  l'Espagne,  le  Portugal 
et  la  France.  En  ce  qui  nous  concerne,  l'orchestre  Nikisch  se  produira  à  Nice 
le  27  avril,  à  Marseille  le  28,  à  Bordeaux  les  14  et  IS  mai,  à  Marseille  de 
nouveau  le  16  mai,  à  Lyon  le  17,  et  à  Paris  du  19  au  26  mai. 

—  C'est  hier,  samedi,  qu'a  dil  avoir  lieu,  à  l'Opéra  royal  de  Budapest,  la 
première  représentation  de  Louise.  Monté,  nous  écrit-on,  avec  des  soins  artis- 
tiques tout  particuliers,  —  l'orchestre  n'aura  pas  répété  moins  de  vingt  fois, 
—  et  un  luxe  et  une  vérité  de  mise  en  scène  étonnaots,  le  roman  musical  de 
Gustave  Charpentier,  dont  la  traduction  hongroise  a  été  faite  supérieurement 
par  l'excellent  baryton  Guillaume  Beck,  celui-là  même  qui  interprète  le  rôle 
du  Père,  s'annonce,  d'après  les  répétitions,  comme  un  succès  sans  précé- 
dent. La  direction  ayant  cru  devoir  faire  une  coupure  au  2=  tableau  dans  la 
scène  du  gavroche  et  de  la  balayeuse,  et  une  autre  dans  le  commencement 
du  grand  duo  du  4°  tableau,  l'auteur  a  du,  à  son  très  vif  regret,  décliner  l'in- 
vitation qui  lui  avait  été  faite  de  se  rendre  à  Budapest  pour  assister  aux  der- 
nières répétitions  et  à  la  première. 


—  Si  Budapest  est  la  première  ville  dans  laquelle  Louise  sera  représentée 
en  langue  étrangère.  Milan  n'aura  été  devancée  que  de  fort  peu  puisqu'on 
annonce  au  Teatro  Lirico,  pour  le  commencement  d'avril,  la  première  de 
l'œuvre  triomphante.  M.  Edouard  Sonzogno  donne  tout  son  temps  et  tous  ses 
soins  à  la  mise  au  point  et  M.  Gustave  Charpentier  doit,  dans  le  courant  de 
cette  semaine,  se  diriger  sur  Milan  pour  surveiller  les  dernières  répétitions. 
La  traduction  italienne  est  due  au  maestro  Amintore  (îalli. 

—  Après  le  renouvellement,  en  assemblée  générale,  du  premier  tiers  sor- 
tant de  ses  membres,  le  comité  de  l'Association  des  jurés  orphéoniques  a 
procédé  a  la  constitution  de  son  bureau  pour  1901.  Ont  été  élus  :  M.  Emile 
Pessard,  président;  MM.  Gastinel  et  Dureau,  vice-présidents;  Guilbaut,  secré- 
taire général;  Mas  et  Simon,  secrétaires;  Turban,  trésorier;  Rougnon,  archi- 
viste; Kaiser,  archiviste-adjoint.  La  date  des  nouveaux  concours  de  compo- 
sition musicale  ouverts  par  l'Association  des  jurés  sera  prochainement  fixée, 
ainsi  que  les  conditions  de  ces  concours.  Nous  les  ferons  connaître. 

—  De  Lyon  :  La  première  représentation  de  Princesse  d'Auberge  de  Jan 
Blockx  a  produit  une  excellente  impression.  L'œuvre  mouvementée  et  colorée 
du  musicien  flamand  a  été  remarquablement  rendue  par  M°='=  Lafargue,  Mil- 
camps,  Eva  Romain,  MM.  Scaramberg,  de  Cléry,  Huguet.  L'auteur  avait  pré- 
sidé lui-même  au.x  dernières  répétitions.  L'ouvrage  a  été  monté  avec  grand 
soin  par  M.  Tournié,  et  l'orchestre  de  M.  Miranne  a  droit  à  des  éloges  pour 
son  exécution  soigneuse  et  nuancée  de  la  partition.  J.  J. 

—  Aujourd'hui  dimanche  M.  Théodore  Dubois  est  à  Lyon,  où  il  dirige  au 
6°  concert  de  l'Association  Symphonique  son  2' Concerto  pour  piano  et  orches- 
tre, interprété  par  M"'"  Clotilde  Kleeberg,  et  sa  suite  d'orchestre  sur  la  Fa- 
randole. 

—  De  Marseille  :  Le  Grand-Théâtre  a  donné,  la  semaine  dernière,  la  pre- 
mière représentatioii  de  Louise.  Le  succès,  qui  s'était  dessiné  très  franc  et  tout 
immédiat  dès  les  premiers  tableaux,  est  devenu  un  vrai  triomphe  après  le 
i'  tableau  —  on  a  dû  relever  le  rideau  six  fois.  —  La  soirée  s'est  terminée  au 
milieu  des  ovations  sans  lin  faites  au  chef  d'orchestre  Michaud,  qui  a  monté 
l'œuvre  magistrale  de  Gustave  Charpentier  avec  une  ardeur  et  une  foi  remar- 
quables, aux  interprètes,  M'i'  Marie  Bayer -Louise,  M.  Desmet-le  Père, 
M"°  Dalcia-la  Mère,  avec  lesquels  ils  convient  de  citer  M.  Audisio-Julien  et, 
en  bloc,  les  artistes  chargés  des  autres  nombreux  rôles.  Mais  on  s'étonne 
grandement  que  les  directeurs,  qui  ont  fait  des  frais,  n'aient,  administrateurs 
assez  mal  avisés,  trouvé  le  moyen  de  monter  Louise  que  tout  à  fait  à  la  fin  de 
leur  saison,  alors  que  leur  théâtre  va  fermer  et  qu'ils  n'ont  matériellement 
plus  le  temps  de  profiter  d'un  très  gros  succès  qui  aurait,  certainement,  renou- 
velé les  belles  et  fructueuses  séries  de  représentations  de  Cendrillon. 

—  Ou  nous  écrit  de  Marseille  ;  V Enterrement  d'Ophélieie  Bourgault-Ducou- 
dray  vient  d'obtenir  un  franc  succès  au  dernier  concert  symphonique.  Il 
est  question  de  donner  l'an  prochain  la  Rapsodie  cambodgienne  du  même 
auteur. 

—  Extrait  d'un  discours  prononcé  par  M.  Adrien  Bernheim,  commissaire 
du  gouvernement,  au  Palais  d'hiver  de  Pau,  à  l'occasion  des  fêtes  de  Jé- 
lyotte  : 

...  Il  y  a  quatre  mois,  j'étais  de  passage  à  Pau;  j'assistai  à  l'iDauguration  de  votre  saison 
théâtrale.  Ou  jouait  ce  chel-d'œuvre  dans  lequel  il  semble  que  Massenet  ait  mis  toute 
son  âme,  Manon.  L'exécution  fut  d'une  perfection  telle  que  le  soir  même  j'adressai  à 
mon  grand  ami  une  dépêche  enthousiaste.  Sa  réponse,  vous  la  connaissez.  Elle  tut  immé- 
diatement afTichée  au  loyer  de  vos  artistes  :  il  n'était  pas  pour  eux  de  plus  précieux 
encouragement.  Il  vous  porta  bonheur,  puisque  par  la  suite  vous  avez  offert  des  repré- 
sentations de  Saplio  qui  ont  égalé  celles  de  Manon  et  puisque  tout  à  l'heure  vous  oiïrirez 
la  jolie  r/t«/s  el  la  troublante  Xauarraisc.  Vous  avez  ainsi.  Messieurs,  donné  à  Masse- 
net  la  large  place  qui  lui  est  due,  car  nul  ne  compiit  mieux  que  lui  que  la  musique, 
loin  d'être  une  science  mathématique  ou  un  problème  d'algèbre,  est  l'art  le  plus  récon- 
fortant et  le  plus  consolant  de  tous  :  l'art  du  rêve,  a  dit  le  poète. 

Il  y  a  quelques  jours,  le  directeur  respecté  de  notre  grande  École  de  nmsique  et  de 
déclamation,  M.  Th.  Dubois,  vous  apportait  un  nouveau  témoignage  d'admiration,  à 
vous,  mon  cher  Bouvet,  aidé  dans  votre  tâche  par  votre  merveilleux  chef  d'orchestre, 
M.  Brunel,  l'organisateur  de  vos  Concerts  symphoniques,  que  M.  le  ministre  des  Beaux- 
Arts  a  si  justement  récompensé  aujourd'hui,  et  par  tous  vos  camarades  chanteurs  et 
comédiens. 

—  M.  Broussan,  directeur  du  théâtre  de  Nancy,,  qui,  l'an  dernier,  a  créé 
en  cette  ville  la  belle  œuvre  de  M.  Samuel  Rousseau  :  Mérowig,  poursuivant 
ses  idées  do  décentralisation  artistique,  ouvre  cette  année  un  concours  auquel 
pourront  prendre  part  les  auteurs  et  compositeurs  français.  Ce  concours  com- 
porte une  comédie  en  trois  actes,  du  genre  gai,  et  un  opéra-cpmique,  égale- 
ment en  trois  actes.  Les  manuscrits  et  partitions  seront  reçus  jusqu'au 
31  juillet  inclus  et  devront  être  accompagnés  de  plis  cachetés  renfermant  les 
noms  et  adresses  des  intéressés.  Les  sujets  primés  seront  représentés  dans  le 
cours  de  la  saison  prochaine.  Pour  tous  renseignements,  écrire  à  la  direction, 
à  Nancy. 

—  De  Toulouse  :  Le  théâtre  du  Gapitole  vient  de  nous  donner  la  première 
représentation,  ici,  de  Sylvia.  Mon  Dieu,  oui  I  le  déhcieux  chef-d'œuvre  de 
Delibes  n'avait  jamais  été  joué  sur  notre  scène.  Il  est  presque  inutile  de  dire 
que  le  public  l'a  accueilli  avec  des  bravos  et  des  bis  sans  nombre  et  qu'on  a 
fait  fête  aux  danseuses,  qui  ont  fait  montre  de  talent  et  de  gentillesse,  et  à 
l'orchestre,  très  bien  conduit  par  M.  Tapponnier. 


96 


!■:  MliNESTilKL 


—  On  nous  écrit  d'Alger  que  la  première  représentation  de  la  Louve,  drame 
lyrique  en  deux  actes,  paroles  de  M.  J.  Jacquin,  musique  de  M.  Gaston  Sar- 
reau,  vient  d'être  donnée  au  théâtre  d'Alger,  que  dirige  M.  Saugey.  L'ou- 
vrage a  été  très  applaudi,  et  la  presse  algérienne  est  unanime  à  en  faire  l'é- 
loge. La  partition,  toute  moderne  et  très  vivante,  écrite  sur  un  livret  très 
dramatique,  a  été  fort  bien  interprétée  par  M"«  Genain  et  Bury  et  MM,  Laf- 
fon  et  Perrens,  M,  Pennequin,  un  excellent  chef,  dirigeait  l'orchestre, 

—  De  Limoges  :  Le  Cercle  ne  l'Cnion  vient  de  donner  une  jolie  soirée 
avec  le  concours  de  M"'  Palassara,  qu'on  a  vivement  applaudie  dans  Psijc}ié 
et  la  Fille  aux  yeux  de  lin,  de  Paladilhe,  cette  dernière  mélodie  bissée,  et 
dans  rAme  des  oiseaux.  Chant  provençal  et  Avril  est  amoureux,  de  Massenet. 

—  Mercredi  prochain,  à  la  salle  Érard.  concert  avec  orchestre  (sous  la 
direction  de  M.  Chevillard),  donné  par  M.  Léon  Delafosse,  qui  y  fera  entendre, 
entre  autres  numéros,  sa  nouvelle  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre,  déjà  si 
applaudie  aux  concerts  Lamoureux. 

—  M""^  Roger-Miclos,  qui  vient  de  remporter  un  fort  beau  succès  à  son 
concert  classique,  donnera  avec  M.  Louis  Gh.  Battùlle  les  lundis  soirs 
2o  mars  et  1"'  avril,  salle  de  la  Schola  Cantorum,  269,  rue  Saint-Jacques, 
deux  séances  de  musique  moderne  :  celle  du  2i3  sera  consacrée  à  Bramhs, 
celle  du  1"  avril  à  la  musique  moderne  française. 

—  Le  prochain  «  Mercredi-Danbé  »  à  la  Renaissance  sera  entièrement  con- 
sacréà  la  musique  française.  G'estainsi  quenous  voyons  figurer  auprogramme 
les  noms  de  Gounod,  César  Franck,  G.  Bizet,  Massenet,  Saint-Saëns,  trois 
mélodies  avec  chœurs  de  Gustave  Charpentier,  et  enfin  des  fragments  de 
quatuors  d'Eugène  d'Harcourt  et  d'Alexandre  Luigini. 

—  Soirées  et  Conjebts.  —  La  jeune  et  charmante  pianiste  31""  Lautier,  élève  très 
distinguée  de  Théodore  Lacli.a  offert,  aux  élèves  du  cjurs  qu'elle  a  fondé,  une  intéressante 
séance  de  musique  classique  et  moderne.  L'entraînante  et  originale  Aubade  militaire,  une 
des  nouvelles  œuvres  de  son  maître,  lui  a  particulièrement  valu  un  grand  et  légitime 
succès.  —  Salle  Pleyel,  brillante  matinée  donnée  par  M""  Alliod  pour  l'audition  de  ses 
élèves,  avec  le  concours  de  M.  Pichon,  violoniste.  Au  programme  :  Marche  des  Princesses 
de  CendriUon,  de  Jlassene:;  Air  de  ballet,  de  Roignon;  Pizzicati  de  Sylvia,  de  Delibes; 
S  >uvenir  d'Alsace,  de  Lack  ;  et  pirmi  les  classiques  de  la  collection  Marm  intel  ;  la  Cliasse, 
de  Mendelssohn;  Concerto  en  la  mineur,  de  Humrael,  et  VInvil-ation  à  la  Valse,  de 
Weber.  JI""  Alliod  a  été  très  applaudie  dans  une  mélodie  de  Chavagnat,  à  Grenade,  où 
elle  s'est  révélée  cantatrice  détalent.  — La  quatorzième  matinée  des  «  Concerts  modernes  », 
qui  était  coQïacrée  aux  oeuvres  m  isieales  d'Ambroise  Tliomas  et  aux  œuvres  poétiques 
d'Eugène  Manuel,  a  eu  très  granl  succès.  Des  applaudissements  très  nourris  qui  ont 
accueilli  les  pièces  charmantes  du  musicien  et  du  poète,  une  part  revient  au\  excellents 
interprètes.  M"»  Oswald,  M'""  Evon,  Dauphin,  Kabuleau,  MM.  Delaquerrièrc,  Douaillier, 
Davrigny,  Céalis,  etc.  —  Très  joli  concert  donné,  salle  Erard,  par  M""  Jeanne  Faucher  et 
ses  élèves.  On  a  vivement  applaudi  la  charmante  cantatrice  dans  l'air  de  Manon,  de  Mas- 
senet, et  dans  Ischia,  ViUanelleel  Chanson  à  danser,  de  Périlhou,  que  l'auteur  lui  accom- 
pagnait, et,  à  cuti  d'elle,  M""  Larronde  dans  CUermile,  de  Périlhou,  M'"'  Laurens  et 
M.  I.  Pbilipp  dans  Caprice  et  Valse  Caprici  sur  des  thèmes  de  Johann  Strauss,  de  Pbi- 
lipp,  et  M"'  M.  T.  dans  Nell,  de  Périlhou.  —  Soirée  artistique  et  littéraire  chez  le  peintre 
Osbert;  grand  succès  pour  M""  Girardin-Marcbal  dans  des  pièces  pour  clavecin  de  Haydn 
et  dans  les  Poèmîs  sylvestres  de  Théodore  Dubois.  —  A  la  matinée  donnée  à  Bourges, 
par  les  excellents  professeurs  M.  et  M""  Mar,juet,  M.  .Marquet  a  été  l'objet  des  plus 
flatteuses  ovations  après  l'exécution  du  duo  d'IIamlel,  d'A.  Thomas,  avec  M"»  M.  G.  On  a 
aussi  remarqué  et  applaudi  M"''  R.  iduo  de  Jean  de  NiveVe,  Delibes),  G.-J.  (iVoc7  d'Ir- 
lanie,  Holmèsi,E.  de  G.  lair  de  Mayton,  Masseneti,  M.  A.  lair  de  Werther,  Massenet), 
M"'  E.  de  G.  et  M.  B,  iduo  de  Manon,  Massenet),  JI"'  M.  G.  (air  d'Orphée,  Gluck)  et 
M"'*  de  C.  et  V.  (duo  de  Werther,  Masseneti.  —  Brillant  concert  de  charité  organisé  par 
le  comte  de  Thannberg,  pour  une  œuvre  militaire;  la  Mèdilalion  de  Thais  et  Elégie  de 
Massenet,  Par  le  sentier,  de  Th.  Dubois,  ont  eu  leur  succès  habituel  ;  Pluie  en  mer,  accom- 
pagnée par  l'auteur,  L.  Filliaux-Tiger,  et  interprétée  par  M'""  de  Banville,  a  été  fort  goûtée. 
—  Lh  Société  d'enseignement  moderne  a  organisé  deux  nouvelles  conférences  sur  Mozart 
dans  les  IIP  et  XV'  arrondissements.  Grand  succès  pour  le  conférencier  Villemin  et  son 
interprète  M""  Girardin-Marchal.  —  Très  intéressante  audition,  salle  Pleyel,  des  élèves 
des  suivis  cours  Fabre.  Parmi  les  très  nombreux  élèves  entendus,  on  remarque  M""' J.  A. 
(Clair  de  lune  el  Campanules,  Delafosse),  M. -T.  L.  (flonmnce,  Rubinstein),  B.  et  Y.  L. 
{Prélude,  Th.  Duboisi,  S.-G.  (Werther,  Massenet-Périlhoui,  G.-M.  (Esclarmonde,  Masse- 
net-Périlhou),  M.-B.  (Toccata,  Massenet).  Dans  les  intermèdes,  M.  Carembat  s'est  fait 
vivement  applaudir  en  jouant  la  Jïomance  pour  violon  de  R.  Fischbof.  —  A  la  deuxième 
séance  de  musique  de  chambre  donnée  par  M.  Gaston  Courras,  salle  Erard,  on  a  fêté 
M""  Odette  Leroy  qui  a  chanté  plusieurs  œuvre;  de  Périlhou,  accompagnés  par  l'auteur  : 
Li  Vierge  à  lacréche.  Musette,  Nell,  Villanelle,  Noclurneel  Chanson  àdans"r.  —  Au  concert 
donné  sous'le  patronage  de  la  comtesse  d'Eu,  au  profit  du  patronage  de  ÎS'.-D.  de  la 
Salette,on  a  applaudi  un  bon  orchestre,  très  bien  dirigé  par  M.  J.  Wbite,  dans  le  ballet  de 
Françoise  de  Riniini,  d'-\mbroise  Thomas,  M.  A.  Conte  qui  a  chanté  le  Petit  Jésus,  de  Mas- 
senet, et  la  princesse  Bibosco  qui  a  joué  des  œ  ivres  de  Ch:)pin  et  de  Liszt. 

NÉCROLOGIE 

La  Comédie-Française  a  été  douloureusement  frappée,  cette  semaine,  en  la 
personne  de  deux  de  ses  anciens  artistes,  dont  l'un  laissera  un  nom  célèbre 
dans  les  annales  de  ce  théâtre  et  dont  l'autre  avait  tenu  pendant  quinze  ans 
une  place  des  plus  distinguées.  Edmond  Got  et  Sophie  Croizette  (devenue 
M"'=  Jacques  Stern)  ont  disparu  de  ce  monde  à  vingt-quatre  heures  de  dis- 
tance, le  premier  à  l'âge  de  79  ans,  la  seconde  avant  d'avoir  atteint  sa 
54=  année.  L'espace  nous  manquerait  pour  retracer  ici  la  brillante  carrière  de 


deux  artistes  qui  ont  occupé  une  place  si  importante  dans  le  théâtre  contem- 
porain et  qui  —  remarque  intéressante  —  n'ont  fourni  cette  carrière  qu'à  la 
seule  Comédie-Française.  Rappelons  seulement  que  celle  de  Got  s'est  pro- 
longée pendant  plus  d'un  demi-siècle,  car  son  début  remonte  à  1841,  et  il  ne 
prit  sa  retraite  que  le  2û  avril  1893,  Pendant  ce  temps,  en  dehors  du  réper- 
toire, où  il  continua  glorieusement  les  nobles  traditions  de  la  maison,  com- 
bien établit-il  de  rôles  nouveaux,  qu'il  marqua  àf"  sa  vigoureuse  empreinte, 
du  sceau  de  son  incomparable  talent!  A  peine  pouvons-nous  citer  les  noms 
de  quelques  ouvrages  :  //  ne  faut  jurer  de  rien,  le  Cœur  et  la  Dot,  le  duc  Job, 
Maître  Guérin,  les  Effrontés,  le  Fils  deGiboyer...  Got  était  un  lettré:  c'est  lui  qui 
écrivit  pour  son  ami,  l'excellent  compositeur  Edmond  Membrée,  les  livrets 
des  deux  ouvrages  que  celui-ci  fit  représenter  à  l'Opéra:  François  Villon  et 
l'Esclave.  —  Gomme  Got,  Sophie  Croizette  avait  fait  ses  études  au  Conserva- 
toire, comme  lui  elle  avait  obtenu  un  brillant  premier  prix,  comme  lui  elle 
avait,  en  dehors  du  théâtre,  fait  de  brillantes  études,  car  elle  passa  ses  exa- 
mens d'institutrice.  Elle  avait  22  ans  lorsqu'elle  débuta  en  1869  à  la  Comédie- 
Française,  où  elle  tint  avec  l'éclat  que  l'on  sait  l'emploi  des  grandes  coquettes 
et  des  premiers  rôles.  Elle  a  laissé  les  traces  de  son  talent  peut-être  un  peu 
tapageur,  mais  très  remarquable  et  très  puissant,  dans  de  nombreuses  créa- 
tions, entre  autres  l'Été  de  la  Saint-Martin,  les  Fourchambault,  l'Étrangère,  le 
Sphinx,  la  Princesse  de  Bagdad...  Elle  avait  quitté  le  théâtre  dans  tout  l'épa- 
nouissement de  sa  jeunesse  et  de  sa  beauté,  pour  vivre  la  vie  de  famille  et  se 
consacrer  aux  siens,  leur  faisant  joyeusement  le  sacrifice  de  ses  succès.  Elle 
part  avant  l'heure.  Le  Destin  n'est  pas  juste... 

—  Un  fin  lettré  d'esprit  délicat  vient  de  s'éteindre  en  la  personne  de  Phi- 
lippe Gille,  qui  toucha  un  peu  à  tous  les  genres  avec  un  égal  bonheur.  Après 
avoir  fait  de  la  sculpture  et  même  de  l'administration  à  l'Hotel-de-Ville, 
sous  la  direction  du  baron  Haussmann,  il  s'adonna  plus  particulièrement  à 
la  littérature,  et  mena  de  front,  toujours  avec  succès,  la  chronique  parisienne, 
les  échos,  la  critique  littéraire,  la  critique  artistique,  la  poésie  (on  lui  doit  le 
joli  volume  de  l'Herbier)  et  le  théâtre.  C'est  surtout  sous  ce  dernier  rapport 
qu'il  nous  appartient  ici,  et  il  suffit  de  rappeler  qu'il  collabora  aux  livrets  de 
Jean  de  Nivelle,  de  Lakmé  et  de  Manon  pour  montrer  que  la  musique  lui  doit 
de  la  reconnaissance.  Dans  l'opérette,  il  marqua  surtout  avec  les  Horreurs  de 
la  guerre,  la  Cour  du  roi  Pélaud,  les  Prés  Saint-Gervais,  le  Docleur  Ox,  Bip  et 
l'amusante  fantaisie  des  Charbonniers,  dont  le  succès  dure  encore  après  plus 
de  vingt  ans.  Dans  le  vaudeville,  qui  ne  se  souvient  de  Cent  mille  francs  et 
ma  fille,  des  Trente  millions  de  Gladiator,  de  Ma  Camarade,  etc.,  etc.?  Il  était  un 
ami  très  dévoué  et  de  relations  sûres.  On  l'a  enterré  samedi  en  l'église  Saint- 
François-de-Sales.  Avons-nous  dit  qu'il  était  officier  de  la  Légion  d'honneur 
et  qu'on  l'avait  nommé  membre  libre  à  l'Académie  des  Beaux-Arts,  il  y  a 
quelques  années?  Hélas!  ce  n'est  plus  que  fumée,  mais  son  souvenir  vivra 
durable  dans  le  cœur  de  ses  amis. 

—  Le  11  mars  est  morte  à  Milan  M.''"  Chiara  Gallignani  Bernau,  femme  de 
M,  Gallignani,  directeur  du  Conservatoire.  Grecque  de  naissance,  fort  ins- 
truite, parlant  également  l'italien,  le  français  et  l'anglais,  c'était  une  femme 
remarquable  en  même  temps  qu'une  artiste  fort  distinguée.  Elle  avait  par- 
couru comme  cantatrice  une  brillante  carrière,  s'était  fait  applaudir  surtout 
dans  Aida  et  dans  l'Africaine  et  avait  été,  à  Bologne,  la  première  interprète 
du  Roi  de  ioAore  de  M.  Massenet.  ainsi  qu'à  Milan  celle  à'Atala,  opéra  de  M.  Gal- 
lignani. Elle  laisse  de  grands  regrets  à  tous  ceux  qui  l'ont  connue. 

—  A  Saint  Pétersbourg  est  mort,  à  l'âge  de  40  ans.  le  baron  Basile  de 
Wrangell,  qui  y  comptait  parmi  les  jeunes  compositeurs  d'avenir.  Il  a  laissé 
un  opéra  en  un  acle  intitulé  le  Mariage  interrompu,  un  ballet  et  un  grand 
nombre  de  morceaux  pour  piano  et  des  mélodies  qui  sont  devenues  populaires 
et  ont  surtout  fait  connaître  son  nom. 

—  De  Malaga.  où  il  était  né  le  12  janvier  1831,  on  annonce  la  mort  du 
compositeur  et  organiste  Edouard  Ocon,  directeur  du  Conservatoire  royal 
Marie-Chiistine  de  cette  ville.  Ocon,  qui  avait  fait  son  éducation  musicale  à 
la  cathédrale  de  Malaga,  où  il  fut  enfant  de  chœur,  obtint  au  concours,  à 
l'âge  de  19  ans,  la  place  de  second  organiste  de  cette  église.  Il  se  livra  alors 
à  l'enseignement,  puis,  en  1858.  vint  à  Paris,  où  il  resta  plusieurs  années  et 
où  il  reçut,  dit-on,  des  conseils  de  Gounod.  Il  retourna  ensuite  à  Malaga, 
qu'il  ne  quitta  plus.  Comme  compositeur,  il  a  publié  de  nombreuses  œuvres 
de  musique  religieuse:  messes,  motets,  psaumes,  lilanies,  hymnes,  etc.,  ainsi 
que  quelques  morceaux  de  piano  et  toute  une  série  de  mélodies  espagnoles, 
italiennes  et  françaises.  Le  folklore  lui  est  redevable  d'un  recueil  fort  intéres- 
sant publié  sous  ce  titre  :  Canles  espanoles,  colleccion  de  aires  nacionales  y  po- 
pulare.1  formada  é  iluslrada  con  notas  explicat'was  y  biographicas  (Malaga,  1874). 
Ce  recueil,  le  premier  de  ce  genre  qui  ait  été  fait  en  Espagne,  contient  une 
trentaine  d'airs  populaires  espagnols,  dont  la  plupart  n'avaient  jamais  été 
notés  et  qui  sont  extrêmement  curieux.  Ocon  les  a  donnés  tous  avec  un 
accompagnement  de  piano,  et  quelques-uns  avec  un  accompagnement  de 
guitare. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


.  —  (Encra  Lerllicuxj. 


Dimanche  31  Mais  1901 


3(153.  _  67-  mm  -  N°  13.        PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  S""*,  rue  Vivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

MÉNESTREL 


lie  IluméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEATI^ES 

Henri     liEUGEL,     Directeur 


Le  Hwméro  iiJQ  jF> 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bit,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonneBent. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.— Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Provinè^    ft.îp   [ 


Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Etranger,  les  frais  de  posa 


^U»^ 


SOMMAIEE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (5"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (23"  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Le 
Tour  de  France  en  musique;  Bourgogne  :  les  temps  héroïques l'sMiie^,  Edmond  NEUKOsnr. 
—  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PASTORALE    DU   XVI|-  SIÈCLE 

transcription  pour  piano  de  A.  Périlhoo.  —  Suivra  immédiatement  :  Menuet, 
n"  10  des  Naïves,  de  Louis  Lacojibe. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pournos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Avril  est  amoureux,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jacques  d'Hal- 
MONT.  —  Suivra  Immédiatement  :  Quand  la  nuit  n'est  pas  éloilée,  nouvelle 
mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de  Victor  Hico. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRETES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  lémoires  les  plus  récents  et  des  flocments  inédits 

(Sidle.) 


L'amour  sur  te  théâtre.  —  L'amour  laquais.  —  l'n  scandale  à  Montpellier  et  une 
fêle  à  Saint-Denis.  —  La  nostalgie  des  planches.  —  L'agonie  d'une  comédienne. 
—  Deux  oiseaux  de  proie.  —  fJn  amant  inconsolable. 

La  Petitpas  offrait  un  contraste  saisissant  avec  M'"  Lemaure. 
Elle  avait  reçu  de  la  nature  les  dons  les  plus  séduisants  :  une 
ravissante  flgiire  ;  une  caractère  facile,  aimable,  enjoué  ;  toutes 
les  qualités  du  cœur  et  de  l'esprit.  Si  le  timbre  de  sa  voix 
n'avait  pas  le  volume,  l'ampleur  et  la  sonorité  qui  distinguent 
l'organe  d'une  première  chanteuse,  elle  avait  en  revanche  le 
charme  et  la  grâce  qui  pénètrent  le  cœur  et  font  couler  les 
larmes.  Les  abonnés  de  l'Opéra  se  rappelèrent  longtemps  cette 
délicieuse  soirée  oii  la  Petitpas  et  Jélyotte  doublèrent  à  l'impro- 
viste  M""  Lemaure  et  ïribou,  leurs  chefs  d'emploi,  dans  les  Fêtes 
(jrecqiies  et  romaines.  Les  deux  débutants  tenaient  les  rôles  de 
TibuUe  et  de  Délie.  Ils  s'aimaient  tendrement,  et  leur  passion  se 
donna  libre  carrière  sur  la  scène.  Ils  jouèrent  avec  une  émotion 
si  communicative,  et  leur  étreinte,   au  dénouement,  fut  telle- 


ment ardente,  que  toute  la  salle  se  leva  pour  les  acclamer.  Ce 
chapitre  n'est  pas  un  des  moins  intéressants  de  ce  livre  toujours 
nouveau  qu'on  pourrait  appeler  l'Amour  sur  le  théâtre:  il  en  est, 
hélas!  un  des  plus  courts.  ïibulle  fut  si  souvent  trompé  par 
Délie  qu'il  dut  renoncer  à  l'infidèle. 

Les  aventures  galantes  de  la  Petitpas  sont  en  effet  innombra- 
bles ;  mais,  contrairement  à  M"'  Lemaure,  dont  nous  avons 
signalé  les  attaches  fréquentes  avec  le  monde  du  clergé,  la 
chanteuse  légère...  à  tant  de  titres  se  réservait  pour  le  plumet, 
la  finance  et  l'étranger. 

Jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  si  prématurément  terminée,  la  Pelil- 
pas  fut  une  héroïne  de  roman.  Un  jeune  officier  s'était  épris 
follement  de  la  comédienne  ;  mais  il  n'avait  pas  la  clef  d'or  qui 
sait  trouver  la  porte  de  tous  les  cœurs;  aussi,  pour  jouir  libre- 
ment de  la  contemplation  de  son  idole,  parvint-il  à  s'introduire 
chez  elle  en  qualité  de  laquais.  Il  montait  derrière  son  carrosse 
et  la  servait  à  table,  au  demeurant  humble,  modeste  et  discret. 
Un  de  ses  camarades,  qui  fréquentait  chez  la  belle,  le  reconnut 
et  trahit  son  incognito.  Ce  témoignage  d'un  amour  aussi  délicat 
que  sincère  toucha  profondément  la  Petitpas.  Elle  entendit  que 
ce  modèle  des  serviteurs  vint  prendre  place  auprès  d'elle  dans 
la  salle  à  manger,  puis  au  salon,  et  la  légende  veut  qu'il  allât 
plus  loin  encore. 

L'exquise  comédienne  compta  également  parmi  ses  conquêtes 
lord  Weymouth. 

Mais  la  page  la  plus  intéressante  et  la  mieux  connue  de  la  vie 
amoureuse  de  la  Petitpas,  c'est  l'histoire  de  sa  liaison  si  longue 
et  si  tourmentée  avec  Bonnier  de  la  Mosson,  trésorier  général 
des  États  du  Languedoc.  Ce  personnage,  qui  avait,  parait-il, 
huit  cent  mille  livres  de  rentes,  le  train  d'un  prince  et  le  faste 
insolent  d'un  parvenu,  affichait  non  moins  superbement  sa  niai- 
tresse.  Il  l'emmena  aux  États  du  Languedoc  et  donna  des  fêtes 
magnifiques  dont  elle  était  la  reine,  adulée  par  les  courtisans 
du  maître  et  chantée  par  ses  poètes.  Ce  fut  un  énorme  scandale 
dans  toute  la  contrée.  L'évêque  de  Montpellier,  Colbert,  un  fou- 
gueux janséniste,  qui  avait  échangé  une  correspondance  aigre- 
douce  avec  Bonnier  et  qui  n'en  avait  pu  obtenir  le  renvoi  de 
l'actrice,  fulmina  l'excommunication  majeure  contre  le  financier. 
Abreuvée  de  dégoût  et  d'humiliations,  la  Petitpas  revint  à  Paris, 
suivie  de  près  par  son  amant,  qui  répondit  au  mandement 
exaspéré  de  l'évêque  par  une  protestation  non  moins  furi- 
bonde. 

Ses  rapports  avec  sa  famille,  on  le  comprend  de  reste,  ne 
laissaient  pas  que  d'être  fort  tenxlus.  Les  Nouvelles  de  la  Cour  el 
de  la  Ville  ne  donnent  pas  le  beau  rôle  aux  parents  de  Bonnier  : 

.<  Io-2Û  juin  1735. 

»  Je  ne  sais  si  je  vous  ai  fait  part  d'une  anecdote  touchant 
Bonnier,  le  receveur  général  des  États  du  Languedoc. 


<J8 


LE  MÉNESTREL 


y>  Un  oncle  qu'il  a  président  au  Parlement  de  Provence,  qui 
logeait  chez  lui  ainsi  que  ses  fils,  craignant  la  dissipation  des 
biens  de  son  neveu  qu'on  prétend  lui  être  substitués,  s'était  joint 
à  M.  de  Chaulnes  pour  faire  interdire  M.  Bonnier,  qui,  tout  riche 
qu'il  est,  n'a  passé  ni  pour  généreux,  ni  pour,  dissipateur.  Le 
neveu,  qui  a  été  informé  des  intentions  de  son  oncle,  l'a  mîs 
dehors  de  chez  lui  aussi  bien  que  ses  cousins,  et  on  prétend 
qu'il  travaille  activement  à  son  interdiction. 

»  Pour  se  venger,  M.  Bonnier  épousera  la  Petitpas,  dont  il  est 
extrêmement  amoureux,  surtout  depuis  que  l'on  assure  qu'ils 
ont  été  se  purifier  ensemble  de  foules  les  taches  de  leur 
jeunesse. 

!)  Bonnier  vient  de  faire  un  nouvel  éclat  pour  faire  enrager 
ses  parents  et  la  maison  de  Chaulnes. 

»  Il  a  donné  une  fête  à  la  Petitpas  dans  la  plaine  Saint-Denis 
sous  des  tentes,  à  son  retour  de  chasse,  où  il  y  a  eu  un  ballet  en 
l'honneur  de  l'anniversaire  de  sa  liaison  avec  cette  divinité,  et 
dont  le  dénouement  a  été  un  bracelet  de  pierreries  en  forme  de 
couronne  qu'un  Amour  est  venu  apporter  à  sa  Vénus  :  donc  il 
est  plus  fou  que  jamais.  » 

Que  devenait  l'artiste  dans  cette  atmosphère  surchauffée,  où 
le  plaisir,  le  luxe  et  la  volupté  se  disputaient  seuls  l'emploi  de 
son  temps  ?  Demandez-le  à  la  fable  éternellement  vraie  du  bon 
La  Fontaine  :  Le  Savetier  et  le  Financier.  La  Petitpas  était  riche, 
parée  comme  une  chiisse,  obéie  comme  une  reine,  mais  gardée 
à  vue  et  plus  esclave  qu'une  femme  de  harem.  Avec  sa  liberté 
la  jolie  cigale  perdit  sa  voix,  cette  voix  qu'avait  si  bien  préparée 
l'adorable  Yanloo  et  qui  avait  appris  à  son  école,  avec  la  science 
du  chant,  l'art  de  la  vocalisation.     ■ 

Désormais  la  pauvre  Petitpas  ne  devait  plus  connaître  de  la 
vie  que  les  amertumes  et  les  tristesses.  Après  une  grossesse  pé- 
nible et  une  maternité  doultTureuse,  sa  santé  s'altéra  profon- 
dément. Abandonnée  par  ses  médecins,  elle  ne  put  mourir  en 
paix.  Ses  derniers  jours  furent  troublés  par  le  zèle  trop  ardent 
de  deux  prêtres  qui  se  disputaient  l'honneur  de  sa  conversion. 
Le  curé  de  Saint-Sulpice,  Languet  de  Gergy,  faisait  valoir  l'an- 
cienneté de  ses  droits.  Par  l'entremise  de  la  Petitpas,  qu'il  avait 
enrôlée  comme  bienfaitrice  de  la  communauté  de  l'Enfant-Jésus, 
il  avait  soutiré  à  Bonnier  de  la  Mosson  plus  de  cent  mille  francs 
pour  l'achèvement  de  Saint-Sulpice,  cette  œuvre  si  chère  au 
cœur  de  Languet  de  Gergy.  Cependant,  ce  fut  le  curé  de  Saint- 
Eustache  qui  l'emporta  sur  son  confrère.  Il  vint  catéchiser  la 
mourante,  la  fit  renoncer  au  théâtre  et  lui  demanda,  comme 
dernier  sacrifice,  qu'elle  cessât  de  voir  son  amant.  L'agonie  de 
la  pauvre  fille,  laissée  aux  soins  de  sa  mère  et  de  sa  sœur,  ar- 
rachait des  larmes.  La  Petitpas  avait  conservé  toute  sa  connais- 
sance. Elle  avait  renvoyé  à  Bonnier  les  diamants  qu'il  lui  avait 
prêtés  pour  ses  parures  de  théâtre  ;  et  sa  pensée  se  tournait 
encore  vers  lui  : 

—  Ah  I  disait-elle,  si  j'avais  eu  un  garçon,  il  m'eût  épousée  : 
il  me  l'avait  tant  promis  ! 

L'ouverture  de  son  testament  occupa  tout  Paris.  Petitpas 
laissait  une  fort  belle  fortune  dont  hérita  sa  famille.  Le  roi  y 
gagna  120  actions  qu'elle  avait  sur  la  Tontine,  et  le  curé  de 
Saint-Eustache  dix  mille  livres  pour  l'éducation  de  dix  jeunes 
filles  pauvres. 

La  vente  publique  du  mobilier,  des  effets  et  des  costumes  de 
l'actrice  fut  très  suivie  et  s'éleva,  parait-il,  à  un  chifi're  fort  res- 
pectable. Elle  donna  lieu  à  des  incidents  imprévus.  Bonnier  de 
la  Mosson,  cet  amant  inconsolable,  qui  avait  presque  joué  le  rôle 
d'un  autre  des  Grieux  sur  la  tombe  de  cette  autre  Manon,  fit 
beaucoup  d'emplettes  à  la  vente  de  Petitpas  pour  sa  nouvelle 
maîtresse,  M'"'  Wavre.  Celle-ci  le  remercia  en  décampant  dès 
qu'il  lui  eut  donné  mille  louis. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


LE  THEATRE  ET  LES  SPECTACLES 

A.    L'EXPOSITION    UNIVEB  SELLE    DE     19CO 

(Suite.) 


LE   PALAIS    DU    COSTUME 


Voici  qui  était  assurément,  au  point  de  vue  de  l'ai-t  le  plus  pur,  la 
merveille  de  l'Exposition.  Et  le  Palais  du  Costume  ne  nous  offrait  pas. 
seulement,  de  façon  absolument  exquise,  une  histoire  presque  complète 
du  costume  depuis  l'antiquité  jusqu'à  l'époque  présente,  dans  une  série 
de  tableaux  en  quelque  sorte  vivants  mis  en  scène  avec  le  goût  le  plus 
raffiué,  mais  il  le  faisait  avec  un  tel  scrupule  et  un  tel  souci  de  l'exac- 
titude la  plus  parfaite,  d'après  les  documents  les  plus  sérieux,  les  plus 
précis  et  les  plus  récents,  que  l'archéologue,  comme  l'artiste,  y  trouvait 
la  satisfaction  la  plus  complète,  le  savoir  de  l'un  n'ayant  rien  à  envier 
à  la  jouissance  esthétique  de  l'autre. 

C'est  qu'il  n'y  avait  pas  seulement,  dans  ce  Palais  du  Costume,  des 
reconstitutions  historiques  singulièrement  ingénieuses  et  d'un  intérêt 
très  vif.  Un  élément  d'information  plus  sévère  y  trouvait  sa  place,  le 
document  y  abondait  et  les  témoins  authentiques  du  passé  s'y  trou- 
vaient eu  nombre.  «  Rien  ne  dépasse  en  intérêt,  à  ce  point  de 
vue,  disait  un  critique,  les  collections  de  vêtements  rapportées  par 
M.  Alexandre  Gayet  de  la  double  campagne  de  fouilles  entreprises  par 
lui,  durant  les  deux  hivers  de  1898  et  1899,  en  Egypte,  et  qui  figurent 
dans  les  galeries  du  rez-de-chaussée,  en  vitrines.  On  y  lit,  avec  une 
certitude  absolue,  l'histoire  complète  du  costume  du  troisième  au  trei- 
zième siècle  de  notre  ère,  et  les  renseignements  qu'on  y  trouve  sont 
d'autant  plus  précieux  qu'ils  étaient  jusqu'à  ce  jour  inédits.  C'est  le 
secret  de  la  tombe  qu'elles  nous  livrent.  »  Le  congrès  ethnographique 
international  ne  s'y  est  pas  trompé,  car  après  avoir  visité  la  masse  des 
objets  recueillis  par  M.  Gayet,  il  en  a  constaté  la  valeur  et  l'utilité  en 
exprimant  le  vœu  suivant  :  —  «  Considérant  que  la  collection  d'anciens 
tissus  égyptiens,  coptes,  byzantins  et  arabes  exposée  au  Palais  du 
Costume  est  la  seule  collection  de  ce  genre  qui  soit  classée  dans  un 
ordre  logique,  le  congrès  international  des  sciences  ethnographiques 
émet  le  vœu  que  cette  importante  collection  ne  soit  pas  dispersée  et  soit 
conservée  à  la  France.  >■ 

Mais  je  ne  saurais  entrer  dans  plus  de  détails  sur  cette  partie  spécia- 
lement sérieuse  de  l'exposition  du  Palais  du  Costume.  Ontre  que  ceci 
pourrait  me  mener  plus  loin  que  je  ne  voudrais,  je  ne  dois  pas  oublier 
que  je  fais  surtout  ici  office  de  chroniqueur.  Il  me  faut  essayer  de  fah'e 
connaître  l'œuvre  dans  son  ensemble  séduisant. 

Le  Palais  du  Costume  s'élevait  au  Champ-de-Mars,  à  gauche  de  la 
Tour  Eiffel,  sur  un  vaste  terrain  de  300  mètres  carrés.  Le  monument, 
d'une  architecture  pleine  à  la  fois  d'ampleur  et  d'élégance,  développait 
une  large  façade,  dont  la  décoration  sculpturale  était  d'un  goût  parfait, 
avec  son  ornementation  de  fleurs  et  de  plantes  naturelles  qui  lui  don- 
nait une  grâce  et  une  gaité  charmantes.  C'était  vraiment  le  temple  de 
la  beauté  artistique. 

L'idée  de  cette  admirable  exposition  du  costume  devait  venir  d'un 
spécialiste.  Elle  appartient  à  M.  Félix,  qui  a  eu  l'heur  de  pouvoir  la 
réaliser,  grâce  aux  concours  empressés  qu'il  a  trouvés  de  tous  côtés.  Il 
n'est  pas  indifférent  de  savoir  de  quelle  façon  : 

L'histoire  du  costume  à  travers  les  âges  avait  sa  place  marquée  à  l'Expo- 
sition universelle  de  1900.  La  classe  83  (vêtement  et  ses  accessoires)  devait 
se  charger  de  l'histoire  sommaire  du  siècle  (1)  ;  mais  pour  présenter  au 
monde  l'Apothéose  de  la  femme,  il  était  indispensable  d'aborder  un  pro- 
gramme plus  vaste,  sinon  absolument  complet.  C'est  ce  qu'a  compris  et 
voulu  Félix.  Parcourir  toutes  les  époques  et  reconstituer  pour  chacune  d'elles 
une  scène  originale,  vivante,  plaçant  la  femme  dans  son  véritable  cadre, 
reproduire  avec  une  fidèle  exactitude  non  seulement  le  costume  et  ses  acces- 
soires, mais  l'architecture  et  le  mobilier,  tel  est  le  but  qu  il  s'est  proposé. 

Pour  réaliser  un  projet  aussi  magistral  et  grandiose,  il  fallait  s'assurer  la 
collaboration  de  financiers  et  d'artistes.  Félix  a  fait  appel  aux  uns  et  aux 
autres.  Sur  son  initiative,  les  principales  notabilités  commerciales  et  indus- 
trielles de  Paris  ont  constitué  une  Société  au  capital  de  deux  millions  de 
francs.  Les  actions  fixées  à  23.000  francs  indiquent  bien  qu'il  s'agit  d'une 
manifestation  artistique  sans  préoccupation  intéressée.  D'accord  avec  le 
conseil  d'administration,  Félix  a  chargé  M.  Théophile  Thomas  de  la  compo- 
sition des  sujets  et  des  dessins  des  costumes,  et  M.  Charles  Hisler,  archi- 
tecte, de  la  reconstitution  et  de  l'exécution  de  l'architecture  des  tableaux. 
Tous  les  costumes,  sans  exception,  ont  été  exécutés  dans  les  ateliers  de 
Félix,  sous  sa  direction  personnelle. 

Sitôt  le  projet  connu,  les  personnalités  les  plus  éminentes  ont  spontané- 

(1)  On  se  rappelle  l'exposition  collective  délicieuse  des  grands  magasins  de  Paris,  qui 
chaque  jour  attirait  une  foule  énorme  dans  tes  galeries  du  Champ-de-Mars. 


LE  MÉNESTREL 


99 


ment  offert  leur  gracieux  concours  à  une  œuvre  destinée  à  faire  sensation. 
Toutes  les  perruques  ont  été  exécutées  par  Lenthéric.  Les  tissus  de  robes, 
fabriqués  à  Lyon  et  copiés  exactement  sur  des  types  aullientiques  des  diverses 
époques,  ont  été  fournis  par  la  maison  J.  Rémond  et  G''.  Les  broderies, 
nolamment  celles  du  costume  de  l'impératrice  Joséphine  dans  «  la  Veille  du 
Sacre  »,  sortent  des  ateliers  de  la  maison  Dalsace.  Les  broderies  d'or  et  les 
dentelles  d'or  ont  été  confiées  à  la  maison  A'augeois  et  Binot.  Les  broderies 
religieuses  à  la  maison  Noirot-Biais  et  Biais  aine.  Les  chapeaux  ont  été 
reconstitués  par  Caroline  Reboux,  les  articles  de  bonneterie  par  madame 
Lafont  (Maison  Milon).'rous  les  ameublements  de  la  partie  rétrospective  ont 
été  reproduits  avec  une  fidélité  absolue  par  Jansen.  Les  tissus  d'ameuble- 
ment ont  été  fournis  par  MM.  Cornille  frères.  Les  tapisseries  imitalion  ont  été 
exécutées  par  M.  Stauffacher,  les  bronzes  par  les  maisons  H.  Viau  et 
Denières.  L'ameublement  et  la  décoration  de  la  partie  moderne  sont  dus  à 
MM.  Raymond  et  G'«  (Magasins  de  la  Place  Glichy).  Les  treillages  artistiques 
ont  été  exécutés  par  M.  E.  Bocquet. 

On  voit  quel  ensemble  de  talents  et  de  bonnes  volontés  avait  réuni  le 
projet  si  séduisant  de  M.  Félix.  Avec  de  tels  concours,  sa  réalisation 
était  assurée  dans  les  plus  excellentes  conditions.  On  peut  dire  du 
résultat  qu'il  dépassa  les  plus  grandes  espérances  ;  jamais  en  ce  genre 
spectacle  plus  exquis  ne  fut  offert  au  public.  11  n'y  a  donc  pas  lieu  de 
s'étonner  du  succès  éclatant  qu'obtint  ce  merveilleux  Palais  du  Costume, 
succès  tel  qu'aux  premiers  jours  d'octobre  les  tourniquets  avaient  enre- 
gistré l'entrée  de  plus  de  l.SOO.OOO  visiteurs.  Certaines  journées  en 
comptaient  jusqu'à  16.000.  Le  total  fut  d'environ  2.000.000. 

Les  visiteurs  un  peu  superficiels,  les  femmes  surtout,  se  bornaient 
volontiers  à  contempler  avec  des  yeux  ravis  les  trente-cinq  scènes  déli- 
cieusement animées  qui  leur  montraient  les  transformations  succes- 
sives du  costume  dans  le  monde  moderne  occidental,  c'est-à-dire 
depuis  le  commencement  de  l'ère  chrétienne  jusqu'en  1900.  Les  curieux 
réfléchis  ne  manquaient  pas  de  s'arrêter  longuement,  au  rez-de- 
chaussée,  devant  la  collection  si  bien  classée  de  M.  Albert  Gayet, 
cette  série  si  curieuse,  si  intéressante,  de  modes  gréco-byzantines,  for- 
mant un  ensemble  historique  tel  qu'on  n'en  avait  jamais  vu  et  qui 
arrachait  de  véritables  cris  d'admiration.  On  s'arrêtait  aussi  volontiers, 
au  premier  étage,  devant  uue  reconstitution  amusante  et  ingénieuse, 
celle  des  fameuses  galeriesde  bois  du  Palais-Royal  telles  qu'elles  exis- 
taient à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  avec  leurs  boutiques  et  leurs 
marchandes  revêtues  des  costumes  du  temps  (celles-là  n'étaient  pas  des 
mannequins),  marchandes  de  broderies,  de  rubans,  de  parfumerie, 
d'éventails,  «  marchandes  de  frivolités  »,  comme  dit  M.  Sardou.  Puis, 
à  ce  même  étage,  à  droite,  on  s'extasiait  encore  devant  la  très  jolie 
exposition  historique  de  la  coiffure  de  femmes  organisée  par  1'  «  Acadé- 
mie de  coifTure  (1)  ».  Mais  tout  cela  ne  pouvait  porter  tort  à  la  vérita- 
ble exposition  qui  avait  donné  naissance  au  Palais  et  qui  excitait 
l'admiration  générale. 

C'est  celle-là,  si  vous  le  voulez  bien,  que  nous  allons  enfin  visiter 
ensemble. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


^3  o-u.x*s-o^x3.e 

(Suite.  ) 


II 

TEMPS  HÉROÏQUES 

Bonne  d'Artois  est  peu  connue  dans  l'histoire.  On  sait  seulement 
qu'elle  était  fille  ainée  de  Philippe  d'Artois  et  de  Marie  de  Berry,  et 
que,  veuve  de  Philippe  de  Bourgogne,  comte  de  Nevers,  tué  à  Azin- 

(1)  «  Lorsque  le  projet  de  M.  Félix  l'ut  connu,  l'Académie  de  coiffure  manislésta  le 
désir  de  collaborer  à  cette  conception  artistique  par  une  exposition  collective  reproduisant 
l'histoire  rétrospoclive  de  la  coiffure.  Elle  désigna  deux  de  ses  membres,  JIM.  Camille 
Croisât  et  Auguste  Petit,  pour  s'entendre  avec  M.  Félix.  La  demande  de  l'Académie  ayant 
été  admise  par  le  conseil  d'administration,  une  commission  d'organisation  composée  de 
JIM.  Camille  Croisât,  président,  Doudet  et  Auguste  Petit,  directeurs  artistiques,  Debot, 
secrétaire-trésorier,  et  de  MM.  Bataille,  Boyer,  Noirat,  Garraud,  Francis,  J.  Loisel, 
Maliemont,  Nissy,  Perrin  etRey,  lut  nommée  avec  mission  d'organiser  l'Exposition  de 
l'Histoire  de  la  coiffure,  de  Henri  II  à  nos  jours.  Elle  a  réuni  un  groupe  de  quarante 
exposants  qui  décidèrent  d'organiser  une  galerie  de  60  bustes,  le  tirage  au  sort  désignant 
à  chacun  les  coiffures  qu'il  aurait  à  exécuter.  Le  Palais  du  Costume  a  mis  à  la  disposition 
de  l'Académie  de  coiffure  les  gracieux  salons  faisant  suite  aux  galeries  des  toilettes 
modernes  :  c'est  ainsi  que  le  public  peut,  après  avoir  parcouru  le  cycle  du  costume  à 
travers  les  âges,  comparer  et  admirer  les  moditications  et  les  transformations  de  la 
coiffure  de  la  femme  pendant  ces  trois  derniers  siècles.  » 


court,  dont  elle  avait  eu  deux  fils,  Charles  et  Jean  de  Nevers,  elle  épousa 
Philippe  le  Bon  le  30  novembre  1124,  pour  mourir,  l'année  suivante, 
d'une  fausse  couche,  dans  son  palais  de  Dijon. 

Ses  vertus  étaient  grandes.  C'est  du  moins  ce  que  nous  apprend  cette 
complainte,  œuvre  du  poète-chevalier  Guillaume  Vaudrey,  qui  jouissait 
d'un  grand  renom  de  vaillance  et  de  galant  sçavoir  à  la  cour  de  Bour- 
gogne : 


Hélas,  hélas,  hélas,  Bourgongne, 
Trop  mal  se  porte  ta  besongne 
D'avoir  perdu  Bonne  d'Artois 
Qui  fut  ta  duchesse  neuf  mois. 

Dame  de  grant  deligence. 
Née  de  la  maison  de  France, 
Onques  n'araa  lirannie. 
Larrons,  pillards  ne  roberie. 


Ses  heures  canoniaulx  disoit, 
Pauvres  malades  garir  faisoit. 
Et  se  estoit  grant  aulsmônière 
Et  l'Église  ovoit  moult  chiére. 

.lamais  n'eust  la  croys  avisée 
Que  ne  feust  agenoillée; 
Toujours  fut  bien  en  compagnit 
De  femmes  en  suivant  sa  vie; 

Ne  mettoit  nul  en  son  service 
Quelle  sceut  blasme  ne  vice. 
Tout  son  temps  fut  renômée 
Et  du  menu  peuple  amée. 


Car  ferme  estoit  en  justice 
Et  à  grâce  dulce  et  propice. 
Et  sy  heoit  moult  la  guerre 
Et  paix  norrissoit  en  sa  terre. 


C'étoit  le  mirouer  des  princesses, 
Fussent  roynes  ou  duchesses. 
Piteuse,  fut  dévote  et  saige, 
Gente  de  corps  et  de  visaige. 

Ne  querest  pas  habis  esti-anges, 
Queues,  cornes  ne  longues  manches; 
Humblement  estoit  atournée 
Et  de  robes  bien  ordonéc, 

N'amoit  point  gourmanderic.  Sa  fin  catholique  et  saincte 

Ne  par  nuit  grand  veillerie.  Monstre  quelle  amoit  Dieu  sans  faincte  ; 

Ne  vins  affectez  d'espices.  Or,  lui  prions  que  par  sa  grâce 

Dont  s'ensuivent  plusieurs  bords  vices  ;  En  paradis  son  lieu  ly  face, 

Et  nous  doint  tost  une  nouuelle 

Dame  qui  soit  pareille  à  elle 

Et  nous  fasse  bonne  lignée. 

Dicte  amen,  je  vous  on  prie. 

La  «  nouuelle  dame  »  mit  quatre  ans  à  venir.  Ce  n'est,  en  effet,  qu'en 
1429  que  Philippe  le  Bon  épousa  en  troisièmes  noces  Isabelle,  fille  du 
roi  de  Portugal,  qui  fut  la  mère  de  Charles  le  Téméraire. 

Ce  dernier  a  laissé  des  souvenirs  guerriers  qui  sont  dans  toutes  les 
mémoires.  Son  règne  évoque  la  pensée  d'un  cliquetis  d'armes  perpétuel 
et  l'image  d'un  faste  sans  pareil.  Il  voulut  éclipser  tous  les  souverains 
ses  contemporains,  et  il  y  parvint.  A  Aix-la-Chapelle,  où  il  eut  une 
entrevue  avec  l'empereur  d'Allemagne,  il  déploya  pendant  plusieurs 
jours  un  luxe  inoui.  donnant  le  spectacle  de  splendeurs  inconnues 
juscjue-là. 

(I  C'était  surtout  sa  chapelle,  nous  apprend  M.  de  Barante,  qui  e.xci- 
tait  l'admiration.  Il  en  avait  étalé  toutes  les  richesses  dans  l'église 
Notre-Dame,  sur  quatre  tables  couvertes  de  drap  d'or.  On  y  voyait  les 
douze  apôtres  en  argent  doré,  dix  autres  figures  de  saints  en  or  massif, 
un  nombre  considérable  de  grands  crucifix  d'or  ou  d'argent  embellis  de 
sculptures  ou  enrichis  de  diamants,  six  grands  candélabres,  dont  une 
paire  était  d'or,  une  châsse  couverte  de  diamants  contenant  des  reliques 
de  saint  Pierre  et  saint  Paul,  un  tabernacle  d'or  tout  sculpté.  Ce  qui 
était  le  plus  précieux  était  un  lis  en  diamant  renfermant  un  clou  et  un 
morceau  de  la  vraie  croix  qui  enchâssaient  un  diamant  long  de  deux 
doigts;  enfin,  ime  multitude  de  relicjues...  La  musique  de  sa  chapelle, 
objet  particulier  de  son  gotit  et  de  ses  soins,  chantait  chaque  jour  à 
l'église  des  hymnes  accompagnées  du  son  des  instruments  et  ravissait 
les  habitants  d'Aix-la-Chapelle.  » 

Vu  son  humeur  batailleuse,  les  chansons  guerrières  furent  particu- 
lièrement en  honneur  à  la  cour  du  Téméraire.  Leroux  de  Lincy  en  donne 
quelques-unes  sur  l'expédition  dirigée  contre  les  villes  de  la  Flandre  et 
du  pays  de  la  Somme  par  le  fouguetLX  duc  de  Bourgogne.  L'une  se 
rapporte  aux  diverses  cités  assiégées  ou  sur  le  point  de  l'être,  et  montre 
le  sort  pitoyable  qui  les  a  frappées  ou  qui  les  frappera.  Charles  n'en- 
tendait pas  raillerie  dans  les  choses  de  la  guerre.  Il  les  menait  à  la  façon 
d'Attila,  ou  peu  s'en  faut.  Donc  : 

Dignant  (Dinaiil)  par  sa  follie  Saint-Quentin  la  jolye 

Elle  est  arse  et  bruye  S'est  trop  enorguillye 

En  cendre  et  en  carbon.  D'avoir  pris  garnison  : 

Liège  l'a  ensievye,  II  coustra  mainte  vye 

Car  par  sa  fellonye  D'une  ou  d'autre  p.irtye  : 

Est  à  perdition.  Dieu  doist  au  bon,  le  bon. 

Saintron,  quoy  que  on  dye.  Elles  ont  leur  foy  mentye, 

En  a  eu  sa  partye.  Dont  la  Vierge  Marie 

Et  Tongre,  ce  dist-on.  En  prendra  vengison, 

Tournay  n'y  fourra  mye  :  Se  loésu  preste  vye, 

Par  sa  mauvoise  envye  Au  bon  duc  qui  maislrye 

Ara  son  guerredon.  Picars  et  Bourguignons. 

Picquigny  ne  soit  mye  ;  11  a  en  son  ave 

Quant  elle  fut  assegie,  Gont  de  mainte  partye  : 

Fust  grant  destruxion  ;  Flajnans  et  Brabanchons, 

Amiens  s'est  repentye  Picai-s,  Artisiens, 

Qu'elle  fist  la  foUye  .\Uemans,  Hennuyers, 

De  la  grant  trahyson.  Et  ces  bons  Boui'guignons. 


100 


LE  MÉNESTREL 


Le  duc  a  courtoisie, 
Dnnt  le  doux  fnijx  de  vyt 
Lui  fera  garisoo, 
Et  s'aversc  partve 
Conguistra  une  fie 
La  uiorlel  traïson. 

La  chose  est  bien  taillié 
D'estre  toute  averye, 
Car  le  bon  Bourguignon, 
A  forclie  artillerie 
Et  de  chevallerye, 
Eu  ara  sa  raison. 


On  iist  villennyc 
Quant  par  grant  triquerie 
De  Iraistres  fclon 
Qui  firent  la  follye 
Dont  Ihésus  benoye 
Son  hault  et  digne  nom. 

Pour  tant  a  voix  serye 
A  chascun  je  supplie 
Que  par  atlexioa 
Prient  jour  et  nytye 
Dieu  et  Sainte  llarye 
Pour  le  Duc  noble  et  bon. 


Tournay,  menacée  dans  cet  te  chanson  d'avoir  son  guerredon,  était  dans 
une  situation  particulière.  Située  sur  les  confins  de  la  Flandre  occi- 
dentale et  du  Hainaut,  reconnaissant  les  rois  de  France  pour  seigneurs 
suzerains,  cette  ville  s'efforçait  vainement  de  rester  neutre  entre  ses 
deux  puissants  voisins,  Louis  XI  et  le  duc  do  Bourgogne.  «  Affectionnée 
au  Roy,  dit  Commines,  elle  lui  payait  6.000  livres  parisis,  et  par  là 
vivait  en  toute  liberté;  mais,  par  contre,  les  gens  d'église  et  les  bour- 
geois de  la  ville  ayant  leur  revenu  vaillant  en  Hainaut  et  en  Flandre, 
elle  était  accoutumée  de  donner,  pour  les  anciennes  guerres  de  Char- 
les VII°  l't  du  duc  de  Bourgogne.  10.000  livres  à  chacun.  « 

Tournay,  —  Tournay.  <(  pleine  d'oiitreeuidance  et  de  bonbance  »,  était 
donc  le  point  de  mire  des  menaces  et  des  lazzis  du  parti  bourguignon. 
Dans  une  Ballade  sur  ceux  de  Tournay,  il  est  reproché  aux  Tournaisiens 
d'avoir  laissie  leur  bonne  maîtresse,  la  vierge  Marie,  patronne  de  la  ville, 
pour  l'alyer  au  Roy  de  France.  Aussi  seront-ils  punis.  Les  faucons  hardis 
leur  menglwront  char  el  boiau.r;  ils  seront  trcstous  e/fbndrés.  et  bœufs  qui 
sont  fort  encornés  ne  leur  espargncront  ventre  ni  dos...  Tout  cela  parce  que 
Tournay  est  hostile  aux  lîmjlès  et  à  leur  bon  roi  Edounmrt,  et  iju'elle  a 
faite  une  canchon,  sans  occoiwn.  contre  le  noble  Duc  de  Bourgogne.  Cepen- 
dant, à  la  lin,  l'auteur  s'adoucit.  Après  avoir  fulminé,  il  implore  : 

Tournay,  je  pry  la  Irenîté 

En  unyté, 
Père,  fîlz  et  sains  esperiz, 
Qu'il  vous  ayt  si  enluminé 

De  sa  bonté 
Que  vous  puyssiez  tous  estre  unys 
En  délaissant  les  Heurs  de  lys 

Pour  estre  aniys 
A  ce  noble  lion  sans  per... 

La  petite  pièce  qui  suit  e.xpose  brièvement  quelle  était  la  position  des 
partis  en  1472,  époque  à  laquelle  remonte  la  Ballade  de  ceux  de  Tournay. 
Le  frère  de  Louis  XI,  Charles,  duc  de  Berry,  venait  de  mourir;  Fran- 
çois II,  duc  de  Bretagne,  principal  chef  de  la  fameuse  Ligue  du  Bien 
public,  s'était  empressé  de  faire  la  paix  avec  Louis  XI,  aux  conditions 
les  plus  avantageuses;  Charles  le  Téméraire,  abandonné  do  tous  côtés, 
rongeait  son  frein;  quant  au  roi  de  France,  il  se  recueillait  et,  tran- 
quille pour  un  moment,  ourdissait  les  fils  de  nouvelles  intrigues  : 

Berry  est  mort, 
Bretaigne  dort, 
Bourgongne  hongne. 
Le  Roy  besongne. 

Til  Jar//ues  Bonhomme,  dira-t-ou,  que  devenait-il  dans  tout  cela?... 
Soyez  sans  crainte.  .lacques  Bonhomme  n'était  pas  oublié  et  payait  dur, 
de  ses  écus  et  de  sa  peau,  l'honneur  d'avoir  tel  ou  tel  maître  à  sa  tête. 
La  chanson  des  Chausses  enlevées  eu  fait  foi.  Elle  n'appartient  à  aucun 
événement  particulier  et  montre  comment  les  choses  se  passaient  ordi- 
nairement, même  en  temps  de  paix,  sur  la  grande  route. 

Un  homme  d'arme.s  revenait  de  la  guerre.  Il  avait  méchant  habis,  et 
ses  chausses  étaient  tout  en  guenilles.  Soudain  il  aperçoit  un  bon  com- 
pain,  qui  bonnes  cauches  portait.  Prestement  il  descend  de  cheval  et  dit 
an  bonhomme  :  Mes  habis  sont  desrjuirês;  vos  cauches  certainement  convient 
que  vous  me  prestes. 


De  peur,  le  bon  compaignon 
Contredire  ne  l'osa. 
Et  sans  dire  mot  ne  son 
Bien  envys  se  descaucha. 
Et  ses  cauches  délivra 
Au  gendarme  qui  les  rechupt; 
Très  bien  gaingnier  il  y  cuida, 
Mais  il  s'en  trouva  décbupt. 

Car  le  compaignon  lui  dist, 
En  priant  courtoisement, 
Que  ses  cauches  lui  volsit 
Donner,  pour  tant  que  gravement 
Ne  valoient  ne  prestement. 
L'omme  armé,  sans  panser  mal, 
Lui  ottria  bonnement. 
Disant  :  —  Tenés  mon  cheval. 


A  la  terre  l'omme  armé 
S'asist  pour  soy  descaucher 
Les  cauches  dont  j'ay  parlé  ; 
Commencha  à  rpcaucher. 
Quand  l'autre  lui  vit  muchier 
L'autre  jambe,  il  s'avisa 
Qu'il  faisait  bon  chevauchier  ; 
Lors  sur  le  cheval  monta. 
le  compaignon  s'en  alla 
Sur  le  cheval  bien  montés. 
L'autre  crie  :  holà  I  holàl 
Tenés  vos  cauches,  tenès  ! 
—  Certes,  vous  vous  abusés; 
Mes  cauches  vous  duisent  biei 
Vous  en  estes  bien  parés. 
Mais  ce  cheval  sera  mien. 


—  Vous  ostiés  très  meschamment 

Cauchiés  comme  un  gent  gallant 

Et  le  cheval  vraiment 

Me  duist  très  bien  maintenant. 

Car  je  ne  pooie  avant, 

Or,  5uy-je  très  bien  montés. 

Plus  ne  me  laisseray  tant 

-V  Dieu  soies  commandes. 


Le  gciif  d'arme  ; 

—  Mon  ami,  haul  reventes, 
Et  vos  cauches  reprenés. 


Le  compaignon  : 

—  Se  meshuy  vous  me  tenés. 
Au  courre  le  gaîgnerès. 

Nos  pères  aimaient  ces  petites  pièces  où  ils  se  donnaient  le  beau  rôle. 
Elles  leur  faisaient  oublier  la  dureté  des  temps  et  ne  contribuaient  pas  peu 
à  entretenir  la  bonne  gaieté  française,  sans  laquelle  il  n'y  aurait  pas  de 
France,  —  même  en  musique. 

(A  suivre.)  Eumond  Neukomm. 


REVUE   DES    GRANDS   CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  La  musique  tchèque,  manifestée  en  Bohème,  en 
Hongrie  ou  ailleurs,  car  le  Bohémien  «  a  goûté  l'eau  de  tous  les  fleuves  et  le 
pain  de  tous  les  sillons  »,  a  certainement  une  originalité  très  prononcée. 
Son  caractère,  accusé  dans  les  Lassan  (mot  qui  signiûe  lenteur)  et  dans  les 
Frischka  (vif,  allègre)  des  Tziganes,  tend  naturellement  à  diminuer  à  mesure 
que  la  culture  générale  de  la  musique  se  développe.  On  est  toujours  un  peu 
tributaire  de  ses  maîtres,  et  le  contact  des  conservatoires  polit  les  côtés 
abrupts  du  génie.  En  étudiant  les  œuvres  de  tous  les  pays  on  subit  moins 
exclusivement  l'ascendant  de  celles  de  sa  patrie  ;  mais  ce  que  l'on  perd  en 
verve  primesautière  se  trouve  compensé  par  l'ampleur  des  connaissances. 
D'ailleurs,  il  y  a  des  influences  provenant  du  climat  qui  ne  disparaîtront 
jamais  entièrement.  Le  soleil  n'éclaire  pas  également  toute  la  terre.  Com- 
ment, d'ailleurs,  la  musique  bohémienne  pourrait-elle  rester  exclusivement 
nationale  quand  la  Bohême  n'est  plus  elle-même.  Deux  millions  d'Alle- 
mands et  cent  mille  Juifs  sont  installés  dans  le  pays,  où  il  ne  reste  que  trois 
millions  d'indigènes.  Il  a  fallu  un  vrai  miracle  pour  que  ce  petit  peuple,  qui  est 
encore  fier  de  Jean  Z'zka,  ne  périt  pas  après  la  guerre  de  Trente  ans.  La 
dépopulation  devint  telle  qu'il  fut  «  permis  à  chaque  homme  de  prendre 
deux  femmes  pour  repeupler  la  contrée  ».  La  haine  de  l'envahisseur  est  restée 
vive  :  pour  le  Bohémien,  l'Allemand  est  un  <i  lourdaud  n,  une  «  punaise  »  ; 
pour  l'Allemand,  le  Bohémien  est  un  «  menteur  f,  un  «  reptile  ».  Le  beau 
fleuve  même  de  la  Bohême,  la  "Vltava  (Moldau),  a  été  ravi  par  l'Allemagne, 
qui  en  a  fait  un  aflluent  de  l'Elbe,  bien  que,  à  partir  du  confluent  des  deu.x 
rivières  jusqu'à  leur  source,  la  Moldau  soit,  comme  volume  d'eau  et  super- 
ficie de  bassin,  deux  fois  plus  forte  que  l'Elbe.  Ce  fleuve,  Smétana  l'a  chanté 
dans  un  poème  symphonique  dont  M.  Oskar  Nedbal  a  donné  une  superbe 
interprétation.  Après  un  petit  thème  ondoyant  comme  le  filet  d'eau  qui  sort 
de  terre,  une  mélodie  simple  et  large  se  développe,  pleine  de  fraîcheur  juvé- 
nile. Ensuite  une  polka  ravissante  rappelle  les  ébats  joyeux  d'une  population 
enivrée  du  bonheur  d'aimer  sa  patrie,  son  fleuve,  ses  prairies,  sa  ville  de 
Prague,  une  des  plus  belles  du  monde.  Un  épisode  admirable,  c'est  la  pein- 
ture poétique  des  ondes  argentées  palpitant  doucement  sous  la  clarté  de  la 
lune  et  se  glissant,  apaisées  et  calmes,  le  long  des  rochers  où  de  vieilles 
ruines  dorment  leur  éternel  sommeil.  La  symphonie  en  mi  mineur  de  Dvorak 
offre  un  réel  intérêt  ;  elle  est  dans  le  caractère  des  mélodies  populaires,  sauf 
le  Largo.  La  Marche  funèbre  de  Fibich  m'a  paru  d'une  valeur  secondaire  et 
j'ai  peu  aimé  la  sérénade  de  Josef  Suk.  Trois  chansons  tchèques  ont  été  très 
bien  dites  par  M"°  Emmy  Destinn,  qui  a  voulu  se  montrer  aimable  en  chan- 
tant un  air  de  Samson  et  Datila  et  0  bien-aimé  de  Maiie-Magdeleine.  La  canta- 
trice a  des  moyens,  maïs  elle  en  abuse,  et  son  style  n'est  pas  irréprochable. 
Tous  les  ouvrages  de  ce  programme  tchèque  sont  particulièrement  remar- 
quables par  le  coloris  de  l'instrumentation.  Le  Bohémien  aime  les  choses 
voyantes  ;  il  ne  porte  plus  le  vrai  costume  national,  mais  les  femmes  sont 
restées  fidèles  à  la  couleur  rouge,  qui  les  fait  «  briller  comme  des  fleurs  sur 
la  verdure  de  leurs  champs  ».  M.  Oskar  Nedbal  est  un  chef  très  autoritaire  ; 
du  reste  sans  raideur  ni  brutalité.  Il  semble  guidé,  dans  ses  interprétations, 
plutôt  par  le  raisonnement  que  par  le  sentiment,  mais  il  est  très  bon  musi- 
cien. On  sent  parfaitement  bien,  quand  il  a  commencé  une  phrase,  qu'il  la 
voit  tout  entière  et  saura  jusqu'à  la  fin  lui  donner  tout  son  relief.  Dans  les 
coda,  il  ne  bouleverse  jamais  le  rythme;  il  reste  musical  jusqu'au  dernier 
accord  et  l'effet  en  est  augmenté.  Il  a  encore  le  mérite  d'être,  en  tout,  très 
littéraire  ;  il  comprend  et  saisit  toutes  les  nuances  et  possède,  à  un  degré 
éminent,  l'élégance  et  la  souplesse  de  la  diction  orchestrale. 

AjiÉnÉiî  BouTAUi;!.. 
—  Concerts  Lamoureux.  —  Le  concert  a  débuté  par  une  œuvre  d'une  valeur 
exceptionnelle  :  l'ouverture  de  Manfred,  de  Schumann,  qui  prime  toutes  les 
autres  compositions  symphoniques  du  maître  par  son  unité  classique  et  par 
son  grandiose  effet  tragique  dû  à  des  moyens  relativement  simples,  mais  mis 
en  œuvre  avec  un  esprit  des  plus  subtils  et  des  plus  inventifs.  Cette  ouverture 
forme  en  même  temps  une  synthèse  admirable  du  poème  de  Byron.  Elle 
a  été  exécutée  avec  fougue  et  clarté.  —  Très  grand  succès  aussi  pour  la 
symphonie  en  ré  mineur  de  César  Franck,  dont  le  ravissant  allegretto  a, 
comme  toujours  et  partout,  provoqué  des  applaudissements  interminables.  — 
Entre  cette  œuvre  puissante  et  si  foncièrement  musicale  et  le  merveilleux 
fragment  de  Siegfried  qui  décrit  si  poétiquement  la  vie  de  la  forêt,  on  a  entendu 


LE  MENESTREL 


101 


un  concerto  inédit  pour  harpe  qui  fait  valoir  toutes  les  ressources  de  cet 
instrument  et  que  son  auteur,  M"«  Henriette  Renié,  a  interprété  avec  toute 
la  virtuosité  requise.  —  On  a  aussi  applaudi  trois  des  Chansons  de  Mîarka,  de 
M.  Alexandre  Georges,  fort  bien  dites  par  M"«  Gaetane  Vicq.  —  Le  concert 
a  été  brillamment  clôturé  avec  le  divertissement  des  Erinnyes  de  Massenet, 
fleurs  de  jeunesse  sur  lesquelles  près  de  trente  ans  ont  pu  passer  sans  leur 
enlever  le  moindre  éclat  et  dont  le  suave  parfum  a  réjoui  toute  l'assistance. 

0.  Berggruen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  Re'ftche. 

Châlelet,  concert  Colonne  (festival  Wagner)  :  Ouverture  do  Eien:i.  —  Ballade  de  Sema 
du  Vaisseau-Fantôme,  par  M""  Adîny.  —  Bacchanale  de  Tannltiitiser.  —  Prélude  du  pre- 
mier acte  de  Loliengrin.  —  Tristan  et  Yseult :  Prélude  et  la  Mort  d'YseuU,  par  51""  Adiny. 
—  Prélude  et  fragments  du  troisième  acte  des  Mai'res  Chanteurs.  —  Troisième  tableau  de 
l'Or  du  Rhin,  chanté  par  MM.  Ballard,  Cazeneuve,  M"""*  Adiny,  Planés  et  Bourgeois.  — 
La  Chevauchée  de  ta  Walliyric.  —  Les  Murmures  de  la  Forêt  de  Siegfried.  —  Marche 
funèbre  du  Crépuscitle  des  Diewr.  —  Prélude  du  premier  acte  de  Parsifal. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Dernière 
audition  de  VOr  du  Rhin  (Wagner),  chanté  par  MM.  Cliallet,  Bagès,  BaiUy,  Dantu,  Albers, 
Lubet,  Guiod,  Sigwalt,  M"*'  Hayot,  O'Rorke,  Lorniont,  Vicq  et  Melno. 

—  La  première  séance  des  «  Grands  Concerts  symphoniques  de  Paris  »  a 
eu  lieu  jeudi  dernier  dans  la  salle  du  Vaudeville.  A  trois  heures  précises,  le 
chef  d'orchestre.  M.  Steinbacb,  faisait  son  entrée  et  donnait  immédiatement 
le  signal  de  l'attaque  de  l'ouverture  A'Egmont,  de  Beethoven,  qui  ouvrait  le 
programme.  On  sait  que  M.  Steinbach  a  succédé  à  Hans  de  Bfilow  dans  la 
direction  de  l'orchestre  de  Meiningen,  que  celui-ci  avait  rendu  célèbre.  C'est 
un  homme  de  quarante- cinq  ans,  de  taille  moyenne,  très  replet,  à  la  physio- 
nomie intelligente,  au  geste  nerveux.  Il  a  de  l'expérience  et  de  l'autorité,  et 
sait  se  faire  obéir  de  son  armée  instrumentale.  Sa  façon  de  conduire  m'a  paru 
en  général  un  peu  grosse;  il  a  de  l'ardeur  et  du  feu,  avec  une  gesticulation 
parfois  excessive,  mais  il  manque  volontiers  de  finesse  et  de  grâce.  Nous 
avons  pu  surtout  le  juger,  par  comparaison  avec  les  nôtres,  dans  la  sympho- 
nie en  fa  (N"  S)  de  Beethoven.  Là,  j'ai  trouvé,  pour  ma  part,  que  l'allégretto 
scherzando  manquait  un  peu  d'élégance  et  de  délicatesse,  et  que  le  menuet 
n'était  pas  sans  quelque  apparence  de  banalité;  le  finale  était  beaucoup  meil- 
leur, et  enlevé  avec  chaleur.  J'avais  préféré  l'exécution  de  l'ouverture  d'Eg- 
mont,  dont  le  sentiment  si  profondément  dramatique  avait  été  bien  rendu,  et 
qui  avait  valu  au  kapellmeister  un  succès  personnel  très  accentué.  Le  3"  con- 
certo de  J.-S.  Bach,  joué  par  tout  l'orchestre  à  cordes,  est  une  œuvre  déli- 
cieuse qui  a  produit  la  meilleure  impression,  bien  qu'il  me  semble  qu'on  ait 
eu  tort  d'y  introduire  un  morceau  étranger.  Varia  de  la  Suile  en  ré  mineur  du 
même  maitre,  d'autant  plus  que  le  violon  solo,  M.  'Wendling,  l'a  exécutée 
avec  un  gros  son  et  un  style  qui  manquait  autant  d'élégance  que  de  sentiment 
expressif.  La  seconde  symphonie  de  Brahms  (en  ré  majeur),  la  plus  rarement 
entendue  a  Paris,  est  une  œuvre  profondément  inégale;  les  deux  premières 
parties,  allegro  et  adagio,  en  sont  singulièrement  grises  et  monotones,  d'une 
inspiration  pénible  et  sans  valeur;  par  contre,  l'allégretto  est  gracieux, 
aimable,  souriant,  et  le  finale  est  vivant  et  bien  mouvementé,  bien  que,  là 
encore,  l'inspiration  manque  de  substance  et  de  nouveauté.  Après  la  sympho- 
nie de  Beethoven  nous  avons  entendu  une  chose  exquise,  unentr'acte  et  deux 
airs  de  ballet  de  Rosamonde,  de  Franz  Schubert.  Il  ne  se  peut  rien  imaginer 
de  plus  jeune,  de  plus  frais,  de  plus  poétique,  en  un  mot  de  plus  enchanteur 
que  cette  musique,  si  généreusement  inspirée  et  écrite  de  façon  magisirale. 
Pauvre  Schubert!  m  rt  si  jeune,  sans  avoir  pu  jouir  de  sa  gloire  et  de  ses 
succès,  et  alors  qu'il  eût  eu  tant  de  choses  à  dire  encore!.-.  Le  concert  se 
terminait  par  l'ouverture  très  curieuse,  très  originale  en  son  genre,  de  la  Fian- 
cée vendue,  de  Smetana,  le  triomphe  de  tous  les  instruments  à  cordes,  qui  s'y 
sont  surpassés  et  qui  étaient  d'ailleurs  très  bien  guidés  par  leur  chef.  —  A.  P. 

Voici  le  programme  du  concert  de  jeudi  prochain  i  avril,  qui  aura  lieu, 
à  3  heures,  sous  la  direction  de  M.  Cari  Muck,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra 
royal  de  Berlin  : 

Le  Calme  de  ta  Mer,  ouverlure    .    .  " Mendelssohn. 

5''  Symphonie  {ut  mineur) Beethoven. 

Ouverture  du  Vaisseau-Fantôme Wagner. 

Maseppa,  poème  symphonique Liszt. 

Symphonie  de  Jupiter  [vt  majeur) Mozart. 

Ouvenure  de  Leonore  (N°  3) Beethoven. 

—  Comme  on  pouvait  s'y  attendre,  le  concert  donné  par  M.  Léon  Delafosse 
à  la  salle  Erard  a  été  des  plus  intéressants,  et  malgré  les  rafales  de  neige 
qui  sévissaient  au  dehors,  beaucoup  de  monde  s'y  était  donné  rendez-vous. 
On  peut  mettre  certainement  M.  Delafosse  au  premier  rang  et  à  coté  des  plus 
remarquables  pianistes  de  notre  époque,  tant  son  jeu  est  à  la  fois  souple  et 
vigoureux  et  son  inlelligence  artistique  fine  et  déliée.  Cela  a  été  un  enchan- 
tement que  de  l'entendre  interpréter,  dans  des  styles  dilVérents  et  des  nuances 
si  diverses,  une  romance  sans  paroles  de  Mendelssohn,  un  prélude  de  Bach, 
un  allegro  de  Scarlatli,  un  chant  polonais  de  Chopin,  un  nocturne  de  Liszt  et 
l'amusante  Valse-caprice  de  Strauss-Tau sig.  Il  a  été  élincelant  dans  le  concert- 
stûck  de  Weber  et  son  originale  Fantaisie,  si  bien  écrite  pour  faire  valoir 
tous  ses  dons  prodigieux  de  virtuose.  M.  Chevillard  conduisait  l'orchestre  de 
main  de  mai  Ire. 

—  Nous  avons  eu  le  plaisir  d'assister  à  la  séance  que  donnait,  salle  Pleyel, 
le  maitre  Charles  Dancla.  Les  années  semblent  n'avoir  sur  lui  aucune  prise. 
Le  mécanisme,  la  souplesse  du  bras  droit  et  la  pureté  du  style  sont  restés  les 


mêmes.  Il  était  admirablement  secondé  par  des  artistes  connus  ;  le  remar- 
quable pianiste  Bernhard  Rie,  MM.  Gibier,  Montardon,  Cros-Saint-Ange,  et 
aussi  par  son  fidèle  et  ancien  P.  Thibault,  le  deuxième  chef  de  la  Société  des 
concerts,  qui  conduisait  le  petit  orchestre.  Nous  avons  entendu  de  Dancla 
un  quatuor,  un  trio  et  une  fantaisie  originale.  Charles  Dancla,  dont  on  connaît 
le  grand  cœur  avait  promis  à  notre  très  regretté  collaborateur  Barhedette  de 
jouer  sa  jolie  sonate.  La  mort  de  notre  ami  ne  lui  a  pas  fait  changer  son 
programme.  Enfin,  une  élève  de  Ch.  Dancla  a  joué  avec  une  belle  qualité  de 
son  et  de  justesse  la  vibrante  composition  de  son  maitre.  Nocturne- Méditation. 

—  Fort  intéressant,  le  dernier  concert  de  musique  de  chambre  de  M.  André 
Tracol  à  la  salle  Pleyel.  Il  s'ouvrait  par  le  2'^  quatuor  à  cordes  du  composi- 
teur russe  Borodine.  œuvre  savoureuse  fort  bien  exécutée  par  MM.  Tracol, 
Dulaurens,  Monteux  et  Schneklud ,  et  se  terminait  par  le  3"=  quatuor  de 
Brahms,  où  la  parlie  de  piano  était  fort  bien  tenue  par  M.  Blitz.  M.  Tracol 
nous  a  fait  entendre,  avec  le  talent  et  le  style  qu'on  lui  connaît,  l'adagio  du 
6=  concerto  de  Spohr,  un  caprice  de  Lipinski,  la  jolie  Fantaisie-ballet  de  de 
Bériût,  un  peu  trop  négligée  aujourd'hui,  et.  en  compagnie  de  M.  Blitz,  le 
beau  rondo  de  Schubert,  op.  70.  Et  M"«  Marie  Lasne  a  chanté  avec  beaucoup 
de  goût  l'air  de  Suzanne  des  Noces  de  Figaro,  une  chanson  de  Grieg  et  Dormir 
et  rêver  de  Th.  Dubois.  Grand  succès  pour  tous. 

—  Mardi  2  avril,  à  8  heures  1/2,  salle  Pleyel,  musique  de  chambre,  4"  et 
dernière  séance  Ed.  Nadaud,  avec  le  concours  de  M""  Riss-Arbeau,  de 
MM.  Cros-Saint-Ange,  Duttenhofer,  Bâillon,  Féline,  Migard,  Brun,  Four- 
nier. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (28  mars)  : 

La  Monnaie  a  pu  enfin  nous  donner  la  reprise  de  Manon,  depuis  si  long- 
temps annoncée;  mais  ce  n'est  pas  avec  M""  Thierry,  forcée  à  un  repos  assez 
long,  que  l'œuvre  exquise  de  M.  Massenet  est  réapparue.  Pour  ne  pas 
interrompre  davantage  la  marche  du  répertoire,  les  directeurs  ont  engagé 
M""=  Laisné,  et  c'est  elle  qui  a  chanté  Manon.  Elle  y  a  obtenu  un  aimable 
succès  dans  les  parties  gracieuses  et  délicates  de  l'œuvre,  où  elle  met  une 
virtuosité  et  un  fignolage  d'e.xécution  très  appréciables;  elle  a  été  moins 
goûtée  dans  les  parties  dramatiques,  où  elle  a  forcé  la  note  malencontreu- 
sement, d'accord  du  reste  avec  son  partenaire,  M.  David,  qui,  lui  aussi,  dans 
les  deux  premiers  actes  avait  été  charmant,  de  voix,  de  style  et  de  sentiment. 
M.  Pierre  d'Assy  a  fait,  de  son  côté,  un  père  Des  Grieux  plein  d'autorité. 
Mais  le  reste  de  l'interprétation,  détails  et  ensemble,  l'orchestre  seul  excepté, 
a  été  assez  médiocre.  —  Nous  avions  eu  quelques  jours  auparavant  la  pre- 
mière des  Deux  pigeom,  le  joli  ballet  de  M.  Messager,  fort  bien  dansé  par 
M""*  Dethul  et  Sarcy,  et  remarquablement  réglé  par  M.  Saracco.  La  fine  et 
spirituelle  musique  de  l'auteur  de  Véronique  a  été  très  applaudie,  —  moins  ce- 
pendant encore  qu'elle  ne  le  méritait.  —  Enfin  nous  aurons  samedi  et 
dimanche  deux  représentations  curieuses  de  l' Artésienne  de  Daudet  et  Bizet, 
avec  la  troupe  du  théâtre  du  Parc  et  la  partition  complète,  exécutée  par  les 
chœurs  et  l'orchestre  de  la  Monnaie.  Dans  ces  conditions,  l'interprétation 
sera  un  régal,  où  le  plaisir  du  musicien  aura  une  large  part. 

L'indisposition  de  M'"  Thierry,  la  rentrée  tardive  de  M"''  Litvinno,  et 
d'autres  circonstances  encore,  ont  du  faire  renoncer  la  direction  à  monter 
cette  aunée  plusieurs  ouvrages  annoncés,  tels  que  l'Enlèvement  au  sérail  de 
Mozart,  la  reprise  d'Iphigénie  en  Tauriie  et  le  ballet  inédit  de  M.  Paul  Gilson, 
la  Captive.  Ce  sera  pour  la  saison  prochaine.  On  se  bornera  à  une  reprise  de 
la  Walkijrie,  et  avec  les  ouvrages  courants,  ce  sera  bien  assez  jusqu'à  la  fin 
d'avril. 

La  Sclwla  Cantorum  de  M.  Vincent  d'Indy  et  plusieurs  compositeurs  de  la 
jeune  école  française  ont  fait  les  frais  de  plusieurs  concerts  intéressants.  A 
la  Libre  Esthétique  on  a  exécuté  plusieurs  œuvres  de  M.  Pierre  de  Bréville, 
avec  le  concours  de  l'auteur,  mélodies  et  chœurs  de  Çakounlala,  drame 
indien,  un  quatuor  de  M.  Vincent  d'Indy,  une  sonate  de  A.  de  Castillon,  etc. 
A  la  Grande  Harmonie  on  a  exécuté  des  œuvres  classiques,  et  d'excellents 
interprètes  de  la  Schola  Cantorum  des  œuvres  modernes  de  MM.  Bordes  et 
d'Indy.  Tout  cela  a  obtenu  un  vrai  succès,  sinon  toujours  d'enthousiasme, 
tout  au  moins  de  sincère  intérêt. 

Dimanche,  M.  Gevaert  clôture  la  saison  de  ses  beaux  concerts  du  Conser- 
vatoire par  une  deuxième  audition  de  l'Armide  de  Gluck,  avec  la  même  ad- 
mirable interprétation  qui  a  fait  sensation  il  y  a  quelques  semaines.     L.  S. 

—  I;a  vingt-quatrième  année  de  V Annuaire  du  Conservatoire  royal  de  musique  de 
Bruxelles  vient  de  paraître  en  celte  ville.  Il  contient,  outre  un  portrait  très 
ressemblant  du  regretté  Joseph  Dupont,  qui  était  professeur  d'harmonie  écrite 
au  Conservatoire  (et  à  qui  on  aurait  bien  pu  consacrer  une  notice  nécrolo- 
gique), une  notice  intéressante  de  M.  Alfred  Wotquenne,  bibliothécaire,  sur 
un  manuscrit  précieux  de  la  bibliothèque.  Ce  manuscrit,  acquis  à  Florence  il 
y  a  une  dizaine  d'années,  contient  une  série  de  140  monodies  italiennes  du 
commencement  du  dix-septième  siècle,  de  trois  compositeurs  seulement  : 
Jacopo  Péri,  auteur,  avecCaccini,  de  la  musique  à'Euridice,  l'un  des  premiers 
opéras  connus,  d'Alessandro  Striggio  et  de  Caccini  lui-même.  En  outre,  on 
y  trouve  deux  petits  fragments  de  la  Dafne  de  Péri  et  de  Jacopo  Gorsi,  qui 


lOâ 


LE  MÉNESTREL 


est  bien  le  premier  opéra  écrit  à  Florence  et  qui  fut  représenté  chez  ce  der- 
nier en  lo9i.  Ces  deux  fragments  sont  probablement  tout  ce  qui  subsiste 
aujourd'hui  de  cet  ouvrage  célèbre.  M.  Alfred  Wotquenne  donne  un  cata- 
logue thématique  fait  avec  soin  des  140  monodies  contenues  dans  ce  recueil. 

—  A  Vienne  aussi  on  se  propose  d'élever  un  monument  à  Verdi,  et  un 
comité  s'est  formé  à  cet  etïet,  dont  l'archiduc  Eugène  a  accepté  le  protectorat 
et  le  ministre  de  l'instruction  publique  la  présidence  honoraire.  Le  comte 
Nigra,  ambassadeur  d'Italie,  et  plusieurs  notabilités  font  partie  de  ce  comité, 
qui  s'occupe  de  réunir  les  souscriptions. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne:  «  Le  ravissant  petit  théâtre  qui  est  installé  au 
château  de  Scbœnbrunn,  près  Vienne,  et  qui  n'ouvre  ses  portes  que  fort 
rarement  pour  des  «  galas  »  de  la  Cour  impériale,  a  été  mis  à  la  disposition 
d'un  comité  composé  de  membres  de  la  haute  noblesse,  qui  y  donnera  une 
soirée  de  bienfaisance.  On  y  jouera,  vers  le  13  avril,  le  Domino  noir,  d'Auber, 
et  le  divertissement  de  Ct'nrfnV/oH,  de  Massenet:  tous  les  artistes,  hormis  un 
seul,  appartiennent  à  la  haute  noblesse  de  Vienne.  Voici  la  distribution  du 
Domino  noir  :  Angela,  la  comtesse  Anastasie  de  Kielmannsegg,  une  russe 
fort  élégante,  femme  d'un  ancien  président  du  conseil:  Brigitte,  la  comtesse 
Gall;  le  comte  Juliano,  comte  de  Larisch:  lord  Elford,  comte  de  Geschi.  Le 
rôle  d'Horace  de  Massarena  seul  a  été  confié  à  un  roturier,  à  M.  Rodolphe 
Zinld;  tous  les  ténors  ne  naissent  pas  marquis,  comme  jadis  le  fameux 
Mario,  et  il  arrive  que  plusieurs  centaines  de  jeunes  princes  et  comtes  n'ar- 
rivent pas  â  fournir  un  seul  ut  de  poitrine  utilisable.  Mais  les  chœurs  nagent 
en  pleine  noblesse.  Les  chanoinesses  du  couvent  où  se  passe  le  dernier  acte 
de  l'opéra  seront  représentées  par  six  jeunes  princesses  et  quatorze  jeunes 
comtesses  possédant  chacune  au  moins  les  seize  quartiers  nécessaires  pour 
entrer  dans  certains  couvents  aristocratiques  d'Autriche.  Le  divertissement 
de  Cendrillon  sera  exécuté  exclusivement  par  des  membres  de  la  haute  no- 
blesse et  sera  donné  tel  qu'il  a  été  réglé  à  l'Opéra-Gomique  de  Paris.  » 

—  Liste  d'oeuvres  françaises  jouées  sur  les  théâtres  lyriques  d'outre-Rhin 
pendant  ces  dernières  semaines  :  à  Vienne  :  Carmen,  Faust,  Mignon,  Manon, 
Werther,  Fra  Diavolo,  Robert  le  Diable,  Coppélia:  à  Berlin  :  Mignon,  l'Africaine, 
le  Prophète,  Fra  Diavolo,  Faust;  à  Dresde  :  Sammn  et  Dalila,  l'Africaine,  la  Fille 
du  régiment.  Mignon  ;  à  Munich  :  Carmen,  la  Fille  du  régiment.  Mignon,  Faust: 
à  Stuttgart  :  les  Huguenots,  la  Fille  du  régiment,  les  Dragons  de  Villars;  à  Hanovre: 
Mignon,  le  Prophète;  à  Leipzig:  Carmen,  les  Huguenots,  Mignon;  à  Francfort: 
Mignon,  la  Muette  de  Portici ,  le  Petit  Chaperon  rouge,  les  Dragons  de  Villars,  Faust, 
la  Juive,  les  Huguenots,  la  Fille  du  régiment,  Benvenuto  Cellini,  la  Muette  de  Por- 
tici; à  Cologne:  Carmen,  Faust,  la  Juive,  Samson  et  Dalila;  à  Bonn  :  Samson  et 
Dalila;  à  Carlsruhe  :  le  Val  d'Andorre,  Carmen;  à  Wiescaden:  la  Juive,  le  Pos- 
tillon de  Lonjumeau,  les  Huguenots,  la  Muette  de  Portici;  à  Mannheim:  le  Postillon 
de  Lonjumeau  :  à  Brème  :  Carmen,  Mignon,  la  Dame  blanche,  Samson  et  Dalila;  à 
Brbslau  ;  Carmen,  l'Africaine,  Mignon,  Guillaume  Tell,  le  Maçon,  les  Hugu/inots. 

—  On  télégraphie  de  Berlin  le  grand  succès  remporté  à  l'Opéra  royal  par 
Samson  et  Dalila  de  M.  Saint-Saëns.  L'empereur  et  l'impératrice  assistaient  à 
la  représentation.  —  Au  West-Theater  reprise  du  Chevalier  Jean,  le  si  inté- 
ressant ouvrage  de  M.  Victorin  Joncières.  C'est  le  ténor  Rothmûhl  qui  tenait 
le  rôle  de  Jean,  déjà  créé    par  lui  à  l'Opéra  royal. 

—  La  semaine  passée  a  eu  lieu  le  grand  festival  organisé  par  la  Nouvelle 
Société  Bacb,  qui  se  propose  la  propagation  de  l'œuvre  du  maître.  Avant  le 
l'estival  on  a  inauguré,  dans  la  salle  des  fêtes  de  l'Hùtel  de  Ville,  une  fort 
intéressante  exposition  qui  ne  contient  pas  moins  de  300  pièces  se  rapportant 
à  Bach.  On  y  voit  une  soixantaine  de  porlraits,  statues,  bustes  et  autres  docu- 
ments iconographiques  concernant  le  grand  cantor  de  Leipzig  et  ceux  de  ses 
(ils  qui  ont  acquis  une  notoriété  dans  l'art  musical,  des  autographes  musicaux 
ainsi  que  plusieurs  autres  documents  intéressants,  de  vieilles  copies  et 
éditions  des  œuvres  de  Bach,  des  partitions  gravées  et  des  ouvrages  ayant 
trait  à  l'œurae  du  maître.  Au  fond  de  la  salle  est  placé  un  orchestre  dans  la 
disposition  qui  était  d'usage  au  temps  de  Bach;  les  instruments  de  l'époque 
n'y  manquent  pas.  On  y  voit  d'ailleurs  un  grand  nombre  d'instruments  de 
musique  de  l'époque,  l'orgue  de  la  nouvelle  église  d'Armstadt  qui  a  si  souvent 
servi  à  Bach,  et  le  petit  clavecin  dont  il  ne  se  séparait  jamais.  La  collection 
d'autographes  n'est  pas  aussi  importante  qu'elle  aurait  pu  être  si  Leipzig  et 
Dresde  avaient  pu  envoyer  leurs  trésors;  mais  les  règlements  s'y  opposaient 
formellement.  Les  trois  séances  du  festival  étaient  exclusivement  consacrées 
à  l'œuvre  de  Bach.  Le  premier  concert  a  eu  lieu  dans  une  grande  église  de 
Berlin;  les  chœurs  de  la  Société  philharmonique,  dirigés  par  M.  Siegfried 
Ochs,  exécutèrent  admirablement  cinq  cantates  spirituelles  du  maître.  Au 
deuxième  concert,  l'Ecole  supérieure  de  musique  de  Berlin  exécuta  plusieui's 
œuvres  symphoniques  de  Bach  sous  la  direction  de  M.  Joachim,  qui  reçut  des 
ovations  retentissantes  comme  chef  d'orchestre  et  comme  violoniste.  Les  frais 
du  dernier  concert  furent  faits  par  l'Académie  de  chant,  qui  exécuta,  en  dehors 
de  deux  petites  messes,  une  cantate  profane  fort  intéressante  qui  est  intitulée 
Eole  satisfait.  Tous  ces  concerts  avaient  réuni  un  public  fort  nombreux  et 
enthousiaste  :  le  canior  de  Leipzig  n'a  jamais  été  à  pareille  fête,  surtout  de 
son  vivant. 

—  On  nous  écrit  de  Munich  :  «  La  première  du  nouvel  opéra-comique  le 
Jeune  duc  étourdi  (Herzog  Wildfang)  de  M.  Siegfried  Wagner  a  enfin  eu  lieu. 
Le  «  Tout-Bayreulh  »  se  trouvait  dans  la  salle,  et  la  loge  de  M'""  Gosima 
■Wagner,  qui  était  entourée  de  ses  lilles  et  gendres,  était  le  point  de  mire  de 
toute  la  salle.  Si  l'œuvre  n'a  pas  justifié  les  espérances  des  amis  et  partisans 
de  l'auteur,  il  faut  attribuer  cet  échec  partiel  à  l'insuffisance  du  livret.  L'action 


que  nous  avons  racontée  il  y  a  quelque  temps,  n'a  eu  aucune  prise  sur  le 
public.  La  partition  contient  quelques  belles  pages,  comme  la  grande  scène 
d'amour,  et  bon  nombre  de  traits  spirituels  et  réellement  comiques.  Un  parti 
peu  nombreux  mais  violent  était  venu  pour  manifester  contre  les  partisans  du 
jeune  maître.  C'est  sous  des  coups  de  sifllet  stridents,  répondant  à  des  applau- 
dissements frénétiques,  que  M.  Siegfried  Wagner  s'est  plusieurs  fois  montré 
au  public  après  chacun  des  trois  actes.  Sa  nouvelle  œuvre  sera  très  prochai- 
nement jouée  à  Leipzig  et  à  Hambourg;  peut-être  y  sera-t-elle  plus  heureuse 
qu'à  Munich,  n 

—  M"'»  Cosima  Wagner,  qui  se  trouvait  récemment  à  Berlin  pour  compléter 
ses  engagements,  s'est  assuré  le  concours  de  M.  Muck,  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra  royal,  pour  conduire  les  représentations  de  Parsifal  à  Bayreulh.  C'est 
M.  Siegfried  Wagner  qui  dirigera  l'Anneau  du  Nibelung  elle  Vaisseau-Fantôme. 
M.  Hans  Richter  est  attendu  à  Wahnfried  pour  y  célébrer  en  famille  le  ib" 
anniversaire  de  la  première  représentation  de  l'Anneau  du  Nibelung  (1876),  mais 
il  ne  conduira  pas  une  seule  fois. 

—  M.  Paderewski,  qui  avait  entrepris  une  tournée  en  Espagne  et  devait 
jouer  la  semaine  passée  à  Madrid,  a  interrompu  sa  tournée  et  est  revenu 
subitement  en  Allemagne  pour  assister  aux  obsèques  de  son  fils  unique,  âgé 
de  19  ans.  Ce  jeune  homme,  qui  était  fort  délicat,  se  trouvait  en  traitement 
dans  un  sanatorium  bavarois,  maïs  les  médecins  n'avaient  aucun  espoir  de 
prolonger  sa  vie.  M.  Paderewski  a  fait  transporter  le  corps  de  son  fils  à  Var- 
sovie, où  auront  lieu  les  obsèques. 

—  L'Opéra  royal  de  Dresde  vient  de  jouer  un  opéra  intitulé ]Vn»s/ca«,  paroles 
et  musique  de  M.  Bungert.  Ayant  déjà  fait  jouer  les  deux  opéras  le  Retour 
d'Ulysse  et  Circé,  dont  le  théâtre  de  Dresde  a  également  eu  la  primeur,  M.  Bun- 
gert n'a  plus  qu'à  livrer  son  dernier  ouvrage  pour  terminer  sa  tétralogie  :  le 
Monde  homérique.  La  presse  de  Dresde  dit  que  le  succès  de  Nausicaa  a  été  le 
plus  grand  des  diverses  parties  de  la  tétralogie  qui  ont  été  jusqu'ici  représen- 
tées à  Dresde.  M.  de  Schuch,  directeur  général  de  la  musique,  a  dirigé  en 
personne  les  répétitions  et  la  première;  le  fameux  baryton  Scheidemantel  s'y 
est  taillé  un  grand  succès  comme  chanteur  et  comme  comédien. 

—  M.  Eugène  Hubay  vient  de  terminer  un  opéra-comique  en  trois  actes, 
intitulé  Rose  moussée,  sur  des  paroles  de  M.  Max  Rothauser.  Cet  opéra  sera 
joué  à  Budapest  au  commencement  de  la  saison  prochaine. 

—  De  Coblenz  :  Dimanche,  notre  théâtre  a  fait  une  très  bonne  reprise  du 
Winkelried  de  Louis  Lacombe,  qui  a  retrouvé  un  public  des  plus  chauds. 

—  Sous  le  titre  d'Histoire  du  violon  (Getchichte  des  Violînspiels),  il  vient  de 
paraître  à  Cologne  (Ende,  éditeur)  un  excellent  petit  livre  de  M.  C.  Witting, 
plus  substantiel  et  plus  utile  que  certains  gros  volumes.  Dans  le  cadre  res- 
treint de  150  pages  în-8°,  l'auteur  trace  un  historique  complet  du  répertoire 
de  la  musique  du  violon  dans  les  trois  grandes  écoles,  italienne,  française  et 
allemande.  Il  consacre  un  chapitre  à  la  sonate,  un  autre  aux  études  et  capri- 
ces, depuis  Locatelli  jusqu'à  Paganini,  un  troisième  aux  Méthodes,  un  qua- 
trième aux  concertos,  de  Viottî  à  Spohr.  Le  dernier  chapitre  présente  une 
analyse  du  22°  concerto  de  Viottî,  du  concerto  de  Beethoven  op.  61  et  du 
concerto  en  sol  mineur  de  Spohr,  et  passe  en  revue  les  duos  de  violons  de 
Haydn,  Tomasini,  Viottî,  Kreutzer,  Krommer,  Spohr,  etc.  Ce  petit  volume, 
qui  donne  la  preuve  de  l'érudition  sérieuse  de  l'auteur  et  de  sa  connaissance 
complète  du  sujet  traité,  est  un  guide  précieux  pour  les  violonistes.  —  A.  P. 

—  Le  compositeur  danois  Auguste  Enna,  dont  l'opéra  la  Petite  Marchande 
d'allumettes  fait  actuellement  le  tour  des  scènes  lyriques  d'outre-Rhin,  vient 
de  faire  jouer  un  nouvel  ouvrage  intitulé  l'Amie,  paroles  de  M.  Helge  Rode. 
L'œuvre  de  M.  Enna  a  remporté  un  grand  et  légitime  succès. 

—  Un  de  nos  confrères  étrangers  nous  apprend  qu'il  existe  en  Scandi- 
navie trois  journaux  de  musique,  tous  trois  de  date  récente.  La  naissance  du 
premier  remonte  seulement  à  l'année  1880.  C'est  le  Suensk  Mmik  Tidning,  qui 
paraît  deux  fois  par  semaine  à  Stockholm.  Le  second,  Musik  Tidniugen,  âgé 
de  quelques  années  seulement,  se  publie  hebdomadairement  à  Gothenbourg. 
Enfin,  c'est  seulement  depuis  le  mois  d'octobre  1900  que  paraît  à  Christiania 
un  périodique  mensuel  intitulé  Nordisk  Musik  Revue,  publié  par  le  libraire 
Iver  Holter.  On  voit  que  la  Suède  et  la  Norwège  sont,  en  somme,  assez  bien 
partagées.  Il  n'en  est  pas  de  même  du  Danemark,  où  il  n'existe  pas  une 
feuille  musicale,  ce  qui  peut  paraître  singulier,  le  Danemark  ayant,  avec  ses 
deux  voisins  Scandinaves,  sa  part  d'une  école  musicale  glorieuse  et  digne  du 
plus  vif  intérêt.  Il  suffit  de  citer  les  noms  de  Weyse,  de  Lindblad,  do 
Nordblom,  de  Berggreen,  d'Ole  Bull,  de  Franz  Berwald,  de  Niels  Gade,  des 
deux  Hartmann,  et  aujourd'hui  ceux  de  MM.  Edouard  Grieg,  Svendsen, 
Christian  Sinding,  Ivar  Hallstroem,  Schjelderup,  etc.,  sans  oublier  ces 
grandes  cantatrices  dont  les  noms  sont  dans  la  mémoire  de  tous,  JennyLînd, 
M"'=  Nîssen-Saloman,  Christine  Nilsson 

—  Notre  conbère Rousskyia  Viedomosti,  de  Moscou,  constate  le  succès  énorme 
remporté  au  théâtre  impérial  de  cette  ville  par  VHamlet  d'Ambroise  Thomas, 
que  M'""  Arnoldson  vient  d'y  jouer  au  commencement  de  la  nouvelle  saison. 
Le  duo  avec  Ilamlet  a  été  bissé,  ainsi  que  l'air  du  dernier  acte,  après  lequel 
Mme  Arnoldson  a  été  rappelée  une  vingtaine  de  fois.  La  recette  a  dépassé 
40.000  francs. 

—  Un  prix  de  l.oÛO  fro,ncs,  offert  par  la  Société  de  l'Art  antique  d'Athènes 
pour  une  nouvelle  composition  des  chœurs  A'OEdipe  roi,  a  été  remporlé  par 
le  jeune  compositeur  grec  Petros  Zachariadis,  qui  habite  Constantînople. 


LE  MENESTREL 


103 


—  Quatre  théâlres  ont  déjà  pris  le  nom  de  Verdi  dans  les  pays  do  langue 
italienne  :  le  théâtre  Pagliano  de  Florence,  le  Communal  de  Vicenee,  le 
Communal  de  Trieste  et  le  théâtre  neuf  de  Zara. 

—  On  nous  télégraphie  de  Milan  :  Brillante  reprise  de  Werllier  au  Théâtre- 
Lyrique.  M""^=  Bel  Sorel  (Charlotte)  et  Minolti  (Sophie)  et  MM.  PandolBni 
(Werther)  et  Federici  (Albert)  formaient  une  distribution  de  premier  ordre; 
l'orchestre,  dirigé  par  le  maestro  Polacco.  n'a  rien  laissé  à  désirer.  L'œuvre 
a  triomphé  de  nouveau  sur  toute  la  ligne,  et  les  interprètes  ont  été  rappelés 
une  douzaine  de  fois  après  chaque  acte.  —  Très  honne  reprise  aussi,  sous  la 
direction  même  de  l'auteur,  de  Eedda,  de  M.  F.  Le  Borne,  bien  chantée 
par  M"=^  Relda,  de  Lucca,  MM.  Dani,  Federici.  Frigiotti  et  Negrini.  C'est 
Coppéiia,  toujours  un  des  plus  gros  succès  de  ballets  du  I^yrique,  qui  accom- 
pagne Eedda  sur  l'affiche. 

—  On  a  donné  au  théâtre  royal  de  Parme,  le  19  mars,  la  première  repré- 
sentation d'un  opéra  en  un  acte,  le  Preziose,  œuvre  du  jeune  compositeur 
Arnaldo  Galliera,  élève  du  Conservatoire  de  Milan.  Ce  petit  ouvrage  paraît 
avoir  été  assez  bien  accueilli  pour  lui-même,  mais  non  en  ce  qui  concerne 
l'exécution,  surtout  de  la  part  de  l'orchestre,  dirigé  par  l'auteur,  qui,  dit  un 
journal,  a  montré  un  peu  trop  d'inexpérience  sous  ce  rapport. 

—  Toute  la  presse  suisse  a  constaté,  l'an  dernier,  le  succès  des  fêtes  orga- 
nisées à  Zurich  par  l'Association  des  musiciens  suisses.  Un  comité  s'est  formé 
à  Genève  pour  l'organisation  d'une  seconde  fôte  de  musique  suisse,  qui  aura 
lieu  en  cette  ville  les  22,  23  et  24  juin  prochain.  Le  programme  sera  formé  de 
la  façon  suivante  :  vendredi  21  juin,  à  8  heures  du  soir,  répétition  générale 
du  concert  symphonique;  samedi  22,  à  2  heures  et  demie,  premier  concert  de 
musique  de  chambre,  et,  à  S  heures  du  soir,  concert  symphonique  avec  solis- 
tes; dimanche  23,  à  8  heures  du  matin,  répétition  générale  du  grand  concert 
avec  soie  et  chœurs,  et.  à  2  heures  et  demie,  grand  concert  avec  so/«  et  chœurs; 
lundi  2i,  à  2  heures  et  demie,  second  concert  de  musique  de  chambre.  Les 
matinées  du  samedi  et  du  lundi  seront  réservées  aux  travaux  de  l'Association 
des  musiciens  suisses,  et  les  soirées  du  dimanche  et  du  lundi  seront  consa- 
crées aux  réceptions  et  aux  banquets.  Presque  toutes  les  compositions  seront 
dirigées  par  leurs  auteurs.  Les  compositeurs  et  les  solistes  seront  choisis 
parmi  les  artistes  nationaux  ou  parmi  les  étrangers  établis  dans  le  pays. 

—  Du  Messager  de  Monireux  :  «  Le  concert  symphonique  d'avant-hier  s'est 
glorifié  de  la  présence  de  deux  coryphées  de  la  science  musicale,  MM.  Salo- 
mon  Jadassohn,  professeur  au  Conservatoire  de  Leipzig,  et  Théodore  Dubois, 
directeur  de  celui  de  Paris.  M.  Jadassohn  est  notre  hôte  depuis  plusieurs 
semaines,  et  M.  Dubois,  dont  on  se  rappelle  le  superbe  concert  d'il  y  a  un 
an,  n'a  pas  craint  le  voyage  de  Genève,  où  il  dirigeait  plusieurs  œuvres  impor- 
tantes, pour  assister  à  notre  concert.  Eu  l'honneur  de  ces  deux  éminents 
musiciens,  l'orchestre  a  joué  l'Ouverture  symphonique  de  Dubois  et  la  Séré- 
nade en  la  majeur  de  Jadassohn.  Les  deux  auteurs,  assis  dans  la  même  loge, 
ont  paru  enchantés,  et  de  l'adorable  symphonie  (en  mi  bémol)  de  Mozart  et 
de  l'excellente  interprétation  de  leurs  propres  compositions,  due  au  talent  et 
à  l'amabilité  de  M.  Jïittner.  Le  public,  très  nombreux  et  très  satisfait,  a 
redoublé  d'applaudissements  en  apprenant  la  présence  des  deux  artistes  et 
leur  a  l'ait  une  ovation  chaleureuse  et  enthousiaste.  » 

—  Première  représentation,  à  l'Apolo  de  Madrid,  d'une  zarzuela  nouvelle, 
Blasones  y  talegas,  livret  assez  médiocre  de  M.  Eusebio  Sierra,  musique  char- 
mante, vivace  et  bien  inspirée,  de  M.  Chapi,  l'un  des  enfants  gâtés  du  public 
espagnol.  Interprétation  excellente,  de  la  part  de  M"""*  Mathilde  Pretel  et 
Pino,  de  MM.  Carreras,  Ramiro,  Rodriguez  et  Mesejo. 

—  La  guerre  du  Transvaal  a  eu  une  répercussion  déplorable  sur  la  situation 
des  musiciens  anglais,  surtout  pendant  l'hiver  dernier,  et  comme  Botha  n'a 
pas  la  moindre  intention  de  se  rendre,  la  prochaine  season  ne  sera  guère 
meilleure.  Un  chanteur  très  connu,  qui  gagnait  régulièrement  1.000  livres 
par  an  en  se  produisant  dans  les  salons  du  grand  monde,  a  vu  ses  recettes 
tomber  à  300  livres.  Une  chanteuse  de  mélodies  très  populaire  dans  la  société 
aristocratique,  qui  gagnait  en  moyenne  700  livres  par  an  n'a  même  pas  en- 
caissé la  moitié  de  cette  somme.  Ce  fait  doit  être  attribué  à  la  rareté  des 
grands  dîners  et  des  soirées  dans  le  beau  monde,  dont  les  revenus  ont  été 
singulièrement  amoindris  par  la  guerre  et  qui  s'abstient  de  toute  dépense 
de  luxe. 

—  Le  maire  de  Leeds  a  écrit  au  nouveau  roi  Edouard  VII  pour  le  prier  de 
garder  le  protectorat  du  fameux  festival  musical  de  cette  ville,  que  la  reine 
Victoria  avait  exercé  depuis  le  premier  festival  jusqu'à  sa  mort.  Le  roi  a 
donné  sa  gracieuse  acceptation. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Nous  avons  eu  le  bonheur  d'avoir,  ces  jours-ci.  la  présence  à  Paris  de 
M.  Von  Gross,  le  représentant  des  intérêts  de  M"""  "Wagner.  Il  était  venu 
s'entendre  avec  M.  Gailhard  des  représentations  de  Siegfried,  qui  doivent  être 
données  au  commencement  de  1902,  après  celles  de  Tristan  qu'on  annonce  à 
rOpéra-Comique.  Un  joli  hiver  pour  la  musique  française  1  Quoiqu'il  en  soit, 
la  distribution  de  Siegfried  a  été  ainsi  arrêtée,  et  elle  n'est  certes  pas  à  dédai- 
gner : 

Siegfried  MM.  Jean  de  Reszké 

Le  voyageur  Delmas 

Albéric  Renaud 

Mime  Laffltte 

BriiDDhilde  M""  Ackté 


M.  Jean  de  Reszké,  qu'on  avait  pressenti  â  ce  sujet,  s'est  empressé  de 
répondre  par  le  câble  d'Amérique  qu'il  «  acceptait  avec  joie  ».  Reste  à  dis- 
tribuer les  rôles  d'Erda  et  de  l'Oiseau. 

—  Cette  grande  et  palpitante  nouvelle  n'empêche  pas  de  continuer  les 
répétitions  du  Roi  de  Paris  d'un  pauvre  compositeur  français.  M.  Georges 
Hûe,  qui  fera  de  son  mieux  pour  réussir,  quoique  ayant  la  défaveur  de  n'être 
pas  étranger.  La  première  est,  dit-on,  fixée  au  17  avril. 

—  M.  Gailhard  continue  avec  rage  les  représentations  de  Thais,  et  comme 
il  n'en  possède  pas  l'idéale  distribution,  il  arrive  quelquefois  que  ces  soirées 
sont  légèrement  mouvementées.  Malgré  tout,  l'œuvre  reste  délicieusement 
fraîche  et  délicatement  colorée  comme  un  tauagra.  M.  Gailhard,  s'il  faut  en 
croire  les  feuilles  à  sa  dévotion,  se  berce  du  fol  espoir  de  la  «  conduire  jus- 
qu'à la  centième  ».  C'est  une  illusion. 

—  M"=  Aïno  Ackté,  la  charmante  artiste  de  l'Opéra,  qui  fut  si  délicieuse- 
ment Juliette,  Marguerite,  Alceste  et  Eisa,  épousera  prochainement  M.  Ren- 
wall,  professeur  à  la  Faculté  de  Droit  d'Helsingfors,  son  pays  natal.  On  dit 
qu'à  cette  occasion  et  comme  cadeau  de  noce,  M.  Gailhard  mettra  dans  la 
corbeille  de  mariage  les  deux  rôles  d'Ophélie  et  de  Tha'is,  où  M"°  Ackté 
serait  si  remarquable  et  dont  on  l'avait  écartée  jusqu'ici  pour  de  simples 
raisons  budgétaires.  Car,  malgré  son  mariage,  M""  Ackté,  fort  heureusement, 
n'abandonnera  pas  la  carrière  théâtrale. 

—  M.  Saint-Saëns  revient  à  Paris  avec  le  printemps.  Et  quel  printemps  1 
Il  apporte  toute  terminée  à  M.  Gailhard  la  partition  des  Barbares,  qu'on  doit 
représenter  en  octobre  prochain. 

—  A  l'Opéra-Comique  on  a  commencé  les  répétitions  d'ensemble  de 
l'Ouragan,  dont  M.  Albert  Carré  espère  pouvoir  donner  la  première  représen- 
tation vers  le  13  avril. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  â  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Mireille;  le  soir,  la  Basoche  (avec  M'i=  Rioton)  et  les  Rendez-vous  bourgeois, 

—  C'était  lundi  dernier  le  premier  jour  de  vente  à  l'Hôtel  Drouot  de  la 
bibliothèque  de  feu  M.  Guyot  de  Villeneuve,  président  de  la  Société  des 
bibliophiles  français.  Un  numéro  de  cette  collection  célèbre  intéressait  par- 
ticulièrement l'Opéra.  Voici  la  description  empruntée  au  catalogue  : 

982.  Masi:a.hades  et  iiallets  de  la  cour,  15'ï2-1G71.  In-fol.  mar.  rouge,  dos  orné,  tr. 
dorées  {Traulz-Bauzonnet). 

Recueil  de  73  dessins  de  costumes  exécutés  pour  les  ballets  de  la  cour  depuis  1572 
jusqu'en  1G71.  Il  a  fait  partie  de  la  bibliothèque  de  Lcménie.  Ces  dessins  sont,  tous  colo- 
riés et  très  finement  rehaussés  d'or  et  d'argent.  Ce  recueil  et  celui  de  Leber,  actuellemenl 
dans  la  bibliothèque  Rothschild,  contiennent  les  plus  anciens  dessins  de  costumes  pour 
ballets  connus  jusqu'ici.  Ceux  qui  sont  conservés  au  Cabinet  des  estampes,  fonds  d'Hennin, 
ceux  de  l'Institut,  des  Archives,  de  l'Opéra  et  du  Mobilier  national  vont  de  1651  à  1690. 

M.  Charles  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra,  avait  compris  l'importance  de 
cet  ouvrage  et  tenté  de  l'acquérir  pour  la  Bibliothèque  ;  il  s'était  muni  de 
«  la  forte  somme  »  :  mais  ses  efforts  ont  été  vains  ;  il  a  dû  battre  en  retraite 
devant  M.  Edmond  de  Rothschild,  à  qui  le  recueil  a  été  adjugé  pour  le  prix 
de  3.300  francs. 

—  Nous  n'avions  pas  été  conviés  à  la  première  représentation  du  Je  ne  sais 
quoi  au  petit  théâtre  des  Capucines,  où  M.  Victor  Maurel,  l'étonnant  baryton, 
devait  faire  ses  débuts  de  comédien.  Mais  comme  rien  de  ce  qui  touche  un 
aussi  grand  artiste  ne  saurait  être  indifl'érent,  nous  sommes  bien  obligés  de 
constater,  par  ce  que  nous  lisons  dans  les  journaux,  que  la  tentative  ne  paraît 
pas  avoir  été  brillante.  Voici,  par  exemple,  ce  qu'en  pense  M.  Duquesnel,  du 
Gaulois  : 

«  Je  ne  m'explique  pas  bien,  je  l'avoue,  pourquoi  M.  Maurel  a  eu  la  fantaisie  de  ris- 
quer une  aventure  d'où  il  n'avait  aucun  profit  à  tirer.  Excelleût  acteur  lyrique,  ce  qui 
n'a  rien  de  commun  avec  un  comédien  de  comédie,  au  contraire,  avait-il  donc  besoin  de 
prouver  qu'on  peut,  tout  en  chantant  juste,  parler  faux?  Je  suis  ennuyé  de  ce  que  j'ai  à 
dire,  parce  que  je  fais  grand  cas  de  M.  Maurel,  j'estime  l'homme  et  j'admire  l'artiste,, 
mais  j'ai  une  amie  plus  intime  encore,  à  laquelle  je  ne  saurais  manquer  d'égard,  c'est  la 
vérité.  Or,  celle-ci  m'oblige  à  reconnaître  que  celte  expédition  fut  une  gaffe,  et  que 
JI.  Maurel  a  eu  tort  de  ne  pas  méditer  la  maxime  du  bon  La  Fontaine  : 
Ne  foi'çons  pas  notre  talent. 
Nous  ne  ferions  rien  avec  grâce. .. 

Aussi,  sî  j'ai  un  conseil  à  lui  donner,  c'est  de  retourner  au  plus  vite  à  l'Opéra-Comique, 
où  son  absence  commence  à  être  remarquée.  Ici,  il  n'est  vraiment  pas  à  sa  place  ;  dans  ce 
tout  petit  cadre,  sa  stature  de  grand  premier  rôle  d'opéra  déborde,  il  ne  semble  pas  à 
a  l'échelle  »,  avec  ses  airs  de  Gulliver  à  Lilliput,  à  côté  des  comédiens  qui  l'entourent. 
Il  barytonne  gravement,  et  lourdement,  d'un  accent  bordelais  aux  a  brefs,  un  dialogue 
de  comédie  légère,  dit  prétentieusement  des  choses  simples  et  détonne  comme  un  trom- 
bone au  milieu  des  petites  fiâtes.  » 

Aussitôt  M.  Victor  Maurel  arrache  une  bonne  plume  de  son  chapeau  de 
mousquetaire  et  répond  à  M.  Duquesnel  une  longue  lettre  curieuse,  où  il  y 
aurait  beaucoup  à  glaner,  mais  la  place  nous  manquerait  pour  l'insérer  ici. 
Bornons-nous  plutôt  à  reproduire  celle  adressée  au  Figaro  qui ,  pour  être 
beaucoup  plus  courte,  n'en  a  pas  moins  une  saveur  intense  : 
.Mon  cliei-  Delilia, 

Dans  une  récente  interwiew,  aussi  bienveillante  que  fidèle,  vous  aviez  annoncé  au 
public  le  commencement  d'une  expérience  d'art  dramatique  que  je  m'apprêtais  à  tenter. 
Voulez-vous  bien  pousser  la  complaisance  jusqu'à  reprendre  la  plume  pour  en  annoncer, 
dès  aujourd'hui,  la  fin.  Je  cesserai  dès  demain  de  jouer  au  théâtre  des  Capucines.  Je  me 
retirerai  à  mon  heure  après  expérience  faite.  Je  quitterai  ce  «  champ  clos  »  après  y  avoir 
terminé  ma  lâche.  Je  le  quitterai  content  d'avoir  pu  rendre  service  à  des  amis  qui  me 


104 


LE  MÉNESTREL 


sont  chers,  content  d'avoir  recueilli  de  précieuses  observations  personnelles  sur  l'art  du 
comédien  comparé  ;i  l'art  du  chanteur.  Elles  ne  seront  perdues  ni  pour  moi  ni  pour  le 
public,  qui  s'intéresse  aux  questions  d'esthétique  théâtrale. 

Vous  les  retrouverez  prochainement  résumées  dans  un  cliapitre  nouveau  du  livre  que 
vous  connaissez  «  sur  le  fondement  scientifique  de  l'art  vocal  »,  résultat  sj'nthétique  de 
toute  une  vie  de  praticien  et  de  théoricien  de  cet  art;  mais,  avant  même  la  publication  du 
livre,  je  me  ferai  un  devoir  d'en  donner  la  primeur  aux  lecteurs  du  Figaro. 

Veuillez  agréer,  avec  mes  remerciements  sincères,  l'assurance  de  mes  sentiments  alFcc- 
toeu\  et  dévoués. 

Victor  Maurel. 

Et  voilà  prévenus  les  lecteurs  du  Figaro!  Ils  vont  faire  connaissance  avec 
CI  le  fondement  scientifique  de  l'art  vocal  ». 

—  Cherubini  faisait  les  frais  de  la  quatrième  leçon  de  M.  Arthur  Pougia  à 
la  Sorbonne,  et  la  cinquième  était  consacrée  à  Boieldieu.  Le  professeur  a 
rappelé  la  première  partie  de  la  carrière  de  Cherubini,  entièrement  italienne, 
l'a  montré  ensuite  venant  et  se  fi.xant  à  Paris,  se  liant  avec  sou  compatriote 
le  grand  violoniste  Viotti  et  placé  par  celui-ci  à  la  tète  du  thcàlra  de  Mon- 
sieur ithéâtre  Feydeau),  comme  directeur  de  la  musique,  et  y  donnant  ses 
plus  beaux  ouvrages:  Lodoiska,  Médée,  Étisa .  Il  Ta  montré  ensuite  d'abord 
professeur,  inspecteur,  puis  directeur  du  Conservatoire,  où  il  rendit  d'écla- 
tants services,  sans  oublier  de  faire  connaître  ses  œuvres  admirables  de  musi- 
que religieuse.  Chemin  faisant,  plusieurs  airs  de  Lodoiska  et  à'Anacréon,  supé- 
rieurement chantés  par  M.  Laffitte,  de  l'Opéra,  M"«  Laflitte  et  M.  Morlet,  ont 
obtenu  le  plus  vif  succès.  Avec  Boieldieu,  M.  Pougin  n'avait  pas  à  sortir  du 
pur  domaine  de  l'opéra-comique.  Il  a  tracé  en  raccourci  et  de  la  façon  la  plus 
substantielle  la  vie  artistique  de  ce  compositeur  charmant,  dont  la  carrière  est 
semée  de  délicieux  chefs-d'œuvre.  Là  aussi,  l'audition  de  plusieurs  morceaux 
du  maître  :  airs  de  Beniowski  et  du  Calife  de  Bagdad  par  M""^  Morlet,  air  de 
Jean  de  Paris  par  M.  Morlet,  duo  de  Ma  tante  Aurore  par  tous  deux,  ont  pro- 
duit la  plus  vive  impression  sur  l'auditoire  et  valu  aux  exécutants  de  vifs 


—  Nous  n'avons  pas  à  recommander  longuement  le  livre  sur  Jean  Jacques 
Rousseau  musicien  que  la  librairie  Fischhacher  vient  de  mettre  en  vente  et 
qui  porte  la  signature  de  notre  collaborateur  et  ami  Arthur  Pougin.  Les  lec- 
teurs du  Ménestrel  ont  eu  la  primeur  de  ce  travail  intéressant,  et  ils  n'igno- 
rent pas  que  c'est  là  la  première  étude  importante  et  complète  qui  ail  été 
publiée  sur  Rousseau  considéré  au  seul  point  de  vue  musical,  et  avec  quelle 
impartialité  son  rôle  sous  ce  rapport  a  été  apprécié  dans  cet  écrit  substantiel. 
En  donnant  à  cette  étude  sa  forme  définitive,  l'auteur  l'a  encore  augmentée, 
selon  son  habitude,  de  quelques  renseignements  nouveaux,  et  l'éditeur  l'a 
accompagnée  de  trois  gravures  et  d'un  superbe  portrait  qui  complètent  le 
volume  de  la  façon  la  plus  heureuse. 

—  Le  dernier  o  Mercredi-Danbé  »  à  la  Renaissance  a  été,  pour  Gustave  Char- 
pentier, une  longue  suite  d'ovations.  Le  Jet  d'eau,  admirablement  chanté  par 
M.  P.  Daraux,  les  Chevaux  de  bois,  que  M.  Emile  Cazeneuve  a  dits  à  ravir,  puis 
la  Chanson  du  chemin  par  ces  deux  excellents  artistes,  et  enfin  la  Complainte 
et  les  Trois  Sorcières  qui,  sous  la  direction  de  l'auteur,  ont  été  interprétés  déli- 
cieusement par  M™=  Lormont,  Sylvain,  Lasne,  Pennequin,  Broglia,  Allard, 
Abraudt,  Ménier.  Ces  huit  jolies  voix,  si  bien  stylées  par  le  maître,  ont  pro- 
duit une  très  grande  impression.  Une  causerie  de  M.  Paul  Boncour  sur 
l'œuvre  de  Mimi  Pinson  créée  par  Charpentier  a  vivement  intéressé  l'auditoire 
qui,  malgré  un  temps  épouvantable,  remplissait  la  salle  de  la  Renaissance. 
Le  public  a  fait  aussi  le  meilleur  accueil  à  un  joli  quatuor  d'Alexandre  Lui- 
gini.  M.  Danbé  annonce  sa  16«  et  dernière  séance  pour  mercredi  prochain. 
M""»  C.  Pierron  (de  l'Opéra-Gomique)  «  dira  o  une  lamentation  de  Roger  Miles 
sur  la  Marche  funèbre  de  Chopin,  M""  Lormont  fera  entendre  pour  la  première 
fois  deux  mélodies  de  M,  Louis  de  Serres,  M.  Georges  Dantu  chantera  l'Herbe 
d'oubli  de  notre  collaborateur  Julien  Tiersot,  M">'  Georgette  Leblanc  inter- 
prétera des  fragments  de  Charlotte  Corday  d'Alexandre  Georges,  accompagnée 
par  l'auteur,  et  enfin  le  quatuor  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes 
donnera  une  audition  intégrale  des  Sept  paroles  du  Christ  d'Haydn. 

Vendredi-Saint,  en  l'église  Saint-Denis  du  Saint-Sacrement,   audition 

solennelle  des  Sept  Paroles  du  Christ,  de  Théodore  Dubois,  avec  le  concours 
de  M"=  AUiod  pour  la  partie  de  soprano  solo. 

—  Il  sera  donné  un  concert  très  intéressant  le  l''  avril,  au  Grand-Théâtre 
de  Versailles,  au  profit  d'une  œuvre  de  charité,  avec  le  bienveillant  concours 
de  M""  Mathieu  d'Ancy,  Doby,  M""™  Carré,  H.  Perry,  MM.  Pruneau,  Gack, 
F.  Lesur,  organiste,  Carré,  accompagnateur.  Chœurs,  double  quatuor  et 
musique  du  !='■  génie  sous  la  direction  de  son  chef  M.  Meister,  en  tout 
70  exécutants.  Dans  la  deuxième  partie  on  entendra  pour  la  première  fois 
un  drame  sacré  de  A.  et  H.  Perry,  musique  de  Henri  Perry.  On  trouve  des 
billets  chez  Quinzard,  21-,  rue  des  Capucines. 

—  De  Lyon  :  Le  sixième  et  dernier  concert  de  l'Association  symphonique 
lyonnaise  a  valu  à  M.  Théodore  Dubois  et  à  JA^^'  Kleeborg  de  chaleureuses 
ovations,  le  premier  conduisant  son  2'  Concerto  et  sa  suite  de  la  Farandole,la. 
seconde  interprétant  avec  son  merveilleux  talent  de  pianiste  l'œuvre  du  dis- 
tingué compositeur  et  plusieurs  pièces  en  solo.  Rappelée,  M'"'  Kleeberg  a 
ajouté  au  programme  les  Abeilles  de  M.  Th.  Dubois.  Au  même  concert  M"= 
Janssen  s'est  fait  applaudir  dans  le  Roi  des  Aulnes  de  Schubert,  orchestré  par 
Berlioz,  et  la  scène  finale  à'Armide  de  Gluck.  Le  reste  de  la  séance,  fort 


copieuse,  comprenait  une  sélection  du  Faust  de  Schumann  et  du  Requiem  de 
Mozart  interprétés  par  des  chœurs  d'amateurs  fort  bien  stylés;  les  soli  étaient 
chantés  par  M">«  F.  de  Thermes.  MM.  Maurin,  Jolly,  Milliet  et  W.  L'ou- 
verture à'Egmont  de  Beethoven  et  celle  des  Maîtres  Chanteurs  de  "Wagner  ont 
été  aussi  fort  bien  rendues  par  l'orchestre,  dont  MM.  Jemain  et  Mirande  se 
partageaient  la  direction. 

—  La  Société  lyonnaise  de  musique  classique  a  donné  son  quatrième  con- 
cert avec  le  concours  du  quatuor  Hugo  Ileermann,  de  Francfort,  et  de  M.  Noël 
Desjoyeaux.  Le  programme  comprenait  le  quatuor  en  sol  majeur  de  Haydn, 
le  i'i'  quatuor  de  Beethoven,  et  un  quintette  inédit  de  Noël  Desjoyeaux  exé- 
cuté par  l'auteur  et  le  quatuor  Heermann.  Ce  quintette  est  une  œuvre  de 
grande  valeur,  où  l'originalité  et  la  hauteur  de  l'inspiration  ne  sont  pas  moins 
remarquables  que  la  profondeur  et  l'habileté  de  la  science  harmonique.  Le 
succès  a  été  très  grand  pour  l'auteur  et  les  interprètes.  Le  premier  mou- 
vement et  l'andante  ont  fait  particulièrement  impression  sur  le  public. 

—  Très  gros  succès  à  Marseille,  au  21°  concert  de  l'Association  artistique, 
pour  le  grand  pianiste  Louis  Diémer  et  le  remarquable  violoniste  Jules  Bou- 
chent. On  a  fait  aux  deux  artistes  un  accueil  des  plus  chaleureux. 

—  On  nous  écrit  de  Caen  :  Succès  triomphal,  samedi  dernier,  pour  le  fes- 
tival Holmes,  donné  par  la  Société  des  beaux-arts.  D'importants  fragments 
de  la  Montagne  noire,  supérieurement  interprétés  par  M"'^  de  Saint-André, 
MM.  Bérul  et  O'SuIlivan,  ont  soulevé  la  salle.  Pologne,  Irlande,  Au  Pays  bleu, 
la  Nuit  et  l'Amour  et  plusieurs  mélodies  pour  piano  et  chant,  accompagnées 
par  l'auteur,  complétaient  ce  magnifique  programme.  L'orchestre,  venu  de 
Paris,  a  exécuté  avec  fougue  et  précision,  sous  l'excellente  direction  du  com- 
positeur et  chef  d'orchestre,  M.  Georges  Auvray,  les  œuvres  d'Augusta  Hol- 
mes, dont  la  plupart  ont  été  bissées.  A  la  fin  du  concert  l'auteur,  entouré  de 
ses  interprètes,  a  été  l'objet  d'une  enthousiaste  ovation. 

—  On  nous  écrit  de  Poitiers  qu'un  compositeur  de  cette  ville,  M.  Destenay, 
a  fait  entendre  dimanche  dernier  un  oratorio,  le  Christ,  vaste  trilogie  lyri- 
que dont  il  est  l'auteur  et  qui  a  obtenu  le  succès  le  plus  complet. 

—  L'orchestre  municipal  de  Strasbourg  a  joué  avec  succès  une  nouvelle 
œuvre  symphonique  intitulée  te  Géant  Schtetto,  musique  de  M.  J.  Erb.  Cette 
composition  a  pour  sujet  une  vieille  légende  alsacienne. 

—  Soirées  et  cohcerts.  —  Salle  de  Géographie,  très  intéressante  audition  des  élèves 
des  cours  Sauvrezis.  Programme  consacré  aux  danses  anciennes  et  modernes,  avec  cau- 
serie de  M.  Léo  Claretie.  Parmi  les  nombreux  élèves  entendus,  on  rema' que  Jl""  Alice  B. 
(Mazurk'j,  Trojelli),  Alice  L.  {Souvenir  d'Alsace,  l.ack),  Odette  S.  [Rigaudon  de  Xavière, 
Th.  Duboisi,  Suzanne  C.  (Chaconnc,  Th.  Dubois),  Gabrielle  G.  {f  Gavotte,  Bourganlt- 
Ducoudray),  Germaine  et  Marie-Thérèse  A.  (fe  Roi  s'amuse,  Léo  Delibes)  et  dans  la  série 
des  classiques  empruntés  à  l'édition  Marmontel,  M""  Dolly  S.  (Menuet  du  Bœuf,  Haydn), 
Jeanne  Sainte-C.-D.  [Invitation  à  la  valse,  Weber),  Jeanne  C.  {Pokmaisc,  Chopin).  Grand 
succès  pour  les  chœurs  et  les  jeunes  élèves  des  cours  de  sjlfège.  —  A  la  troisième  séance 
de  musique  de  chambre  donnée,  salle  Erard,  par  M.  Gaston  Courras,  on  a  fêté  SI'"'-'  Dal- 
sème-Ribeyre  qui  a  chanté  plusieurs  mélodies  de  Diémer,  accompagnées  par  l'auteur. 
Menuet,  la  Fauvette,  les  Ailes.  —  Chez  M"«  Marie-Louise  Grenier,  très  jolie  séance  consa- 
crée aux  oeuvres  de  Théodore  Dubois.  Les  élèves  de  l'excellent  profesîseur  se  sont  fait 
apprécier  et  dans  des  mélodies  et  dans  des  morceaux  de  piano  et  ont  été  vivement  félici- 
tées par  le  maître  présent.  Quarante  numéros  d'une  charmante  variété  formaient  un 
pi'û^rainme  qui  a  ra\  i  l'assistance.  —  Intéressante  audition  des  œuvres  de  Ch.  Delioux 
par  les  élèves  de  M""  Marie  Paye;  succès  pour  le  compositeur,  le  professeur  et  les 
élèves,  principalement  pour  M""  Laure  C,  Germaine  "W.  (le  Petit  Berger),  Isabelle  et 
Marie-Thérèse  de  C,  Yvonne  de  B.  (Sérénade,  op.  65),  Anne-Marie  A.  {Motif  varié, 
op.  115).  —  Gland  succès  à  «  la  Trompette  »  pour  les  Pièces  pour  cor  anglais  de  il"  de 
Grandval,  interprétées  par  M.  Bleuzet.  Du  même  auteur,  au  concert  de  la  Société  des 
Compositeurs  de  musique,  M.  Mauguière  a  fait  vivement  applaudir  le  Vase  brisé,  et 
Jl»"  de  Gésanne,  les  Trois  Oiseaux...  et  M°"  Smith,  à  son  concert,  a  charmé  l'auditoire 
dans  les  Stalactites  et  le  Gratias  agimus  de  la  messe  chantée  avec  M"'  Mary  Ador.  — 
Très  réussie  la  charmante  soirée  musicale  organisée  par  M.  Bernaux.  On  a  chaudement 
applaudi  une  série  d'œuvres  de  Massenet  dont  la  Méditation  de  Thaïs,  finement  txéculoe 
par  M.  de  la  HauUe,  Les  Enfants  et  l'air  du  Cid,  rendus  avec  un  joli  sentiment  par 
M""  Blet,  Improvisation,  Saltarello  bissé  et  la  fine  Toccata  ont  été  fêlées  comme  tou- 
jours et,  parmi  diverses  pièces  deL.  Filliaux-Tiger,  citons  encore  Source  capricieme,  exé- 
cutée par  l'auteur. 

NÉCROLOGIE 

Le  malheureux  compositeur  Adolphe  Gunkel,  dont  nous  avons  annoncé 
la  mort  tragique  dans  notre  numéro  précédent,  était  né  à  Vienne  en  1807.  Il 
appartenait  à  l'orchestre  de  l'Opéra  royal  de  Dresde  depuis  1887  et  était  un 
violoniste  fort  distingué;  son  opéra  Attila  a  été  joué  à  Dresde  en  1893  avec 
un  succès  fort  honorable  ;  il  laisse  un  opéra-comique  intitulé  Jean  Barl  et  un 
autre  opéra,  non  terminé,  dont  le  régisseur  de  rOjiéra  de  Dresde  lui  avait 
fourni  le  livret.  Il  parait  que  la  femme  qui  l'a  tué  n'a  jamais  été  sa  maîtresse 
et  que  Gunkel  n'a  jamais  voulu  entrer  en  relations  avec  elle;  mais  elle  le  sui- 
vait partout  pour  s'imposer  à  lui.  Gunkel  n'était  pas  marié  et  vivait  avec  ses 
parents  à  Blasewilz,  près  Dresde.  Dans  la  soirée  qui  devait  lui  être  si  fatale, 
il  avait  occupé  sa  place  à  l'orchestre  de  l'Opéra  pendant  la  première  représen- 
tation de  Nausicaa,  de  Bungert,  et  il  rentrait  tranquillement  chez  lui  en  sor- 
tant du  théâtre. 


Henri  Heucel,  directeur-gérant. 


t 


n/ 


Dimanche  7  Avril  1901. 


3fiî54.  -  (17™»  A^EE  -  Pi°  14.         PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2'"',  rne  Vivieune,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

MÉNESTRE 


lie  HaméFo  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    TH:EATI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Hamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  Ws,  rae  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  inlerprèles  depuis  deux  siècles  (6^  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  du  Capilaine  Thérèse  à  la  Gaîté,  de  la 
Veine  aux  Variétés  et  de  Sacré  Léonce!  au  Palais-Royal,  Paul-Emile  Chevalier.  — 
IIL  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (24^  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AVRIL    EST   AMOUREUX 

nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  de  Jacques  d'Halmont.  —  Suivra 
immédiatement  :  Quand  ta  nuit  n'est  pas  éloilée,  nouvelle  mélodie  de  Eeynaldo 
Hahn,  poésie  de  Victor  Hugo. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Menuet,  u"  10  des  Na:ives,  de  Louis  Lacombe.  —  Suivra  immédiatement  :  le 
Baptême  d'Yvonnette,  de  Paul  Wachs. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  plus  récents  el  d 

; 


VI 

i¥"'  de  Fel  et  le  librettiste  Cahuzac.  —  La  ravissante  Coupée.  —  Comment  se  ven- 
geait tirt  fermier-général.  —  Les  nobles  conquêtes  d'une  actrice.  —  La  fin  d'une 
voix.  —  Un  hôtel  original. 

Ce  fut  M"''  de  Fei  qui  succéda  en  173S  à  la  Petitpas.  Elle  aussi 
était  élève  —  et  l'élève  favorite  —  de  M"'  Carie  Vanloo,  qui 
savait  joindre  aux  grandes  traditions  de  Marthe  Le  Rochois  les 
leçons  de  son  expérience  personnelle.  M'"^  de  Fel  était  parfaite 
comme  chanteuse  légère.  Ses  contemporains  épuisèrent  pour 
son  beau  talent  toutes  les  formules  de  l'admiration.  C'était  «  le 
rossignol  qui  vocalise...  le  ruisseau  qui  murmure...  »  En  no- 
vembre 1736,  les  Nouvelles  de  la  Cour  el  de  la  Ville  constatent  que, 
dans  Médée  el  Jason,  l'opéra  de  Pellegrin  et  Salomon,  M'"^  de  Fel 
chanta  un  air  italien  «  où  il  semble  qu'elle  soit  animée  du  goût 
et  de  l'tune  de  Farinelli  ». 

L'inspecteur  de  police  Meusnier,  qui  lui  consacre  un  de  ses 
rapports  en  1750,  en  fait  un  portrait  peu  flatté.  C'est,  dit-il,  une 
petite  femme  brune,   à  la  peau  noire,  plutôt  laide,  mais  «  qui 


n'en  veut  rien  croire  ».  Par  contre,  sa  voix  est  superbe.  On 
assure,  dit-il  plus  loin,  que  M'"  de  Fel  va  se  marier  avec 
Cahuzac,  le  parolier  de  Rameau,  secrétaire  aux  commandements 
du  comte  de  Clermont,  lui  aussi  un  petit  homme  brun,  du 
même  âge  que  sa  belle,  dont  il  est  le  proche  voisin. 

Sa  passion  fut,  hélas  !  l'illusion  et  le  désespoir  de  sa  vie. 
M"'  de  Fel  refusa  d'unir  ses  destinées  à  celles  de  cet  amoureux 
transi.  Et  le  pauvre  Cahuzac,  désespéré,  affolé,  anéanti,  fut  ren- 
fermé pendant  quelque  temps  à  Charenton,  d'où  il  ne  sortit  que 
pour  revenir  mourir  à  Paris  en  17o9. 

Cette  même  année,  l'ingrate  cédait  le  premier  emploi  à  Sophie 
Arnould. 

La  ravissante  Coupée  était,  comme  M"''  de  Fel,  une  «  actrice 
récitante  »  de  l'Opéra.  Meusnier  rend  justice  aux  charmes  de  la 
femme.  Elle  avait  alors  23  à  24  ans  ;  c'était  une  blonde  aux  yeux 
bleus,  d'une  fraîcheur  éblouissante,  à  la  taille  svelte  et  bien 
prise,  célèbre  dans  les  fastes  de  la  galanterie.  Le  policier,  très 
exactement  renseigné,  passe  en  revue  les  amis  de  l'actrice.  Lord 
Stafîord,  follement  épris  de  la  Coupée,  s'était  presque  ruiné  pour 
elle.  C'est  à  cette  époque  qu'elle  «  allait  prendre  le  lait  »  à  Passy 
chez  la  Pouplinière,  le  five  o'clock  du  jour. 

M'"  Coupée  fut  l'héroïne  en  1745  d'une  romanesque  aventure. 
Elle  honorait  alors  de  ses  bonnes  grâces  le  fermier  général 
d'Ogny,  qui  n'était  pas  autrement  convaincu  de  la  fidélité  de  sa 
belle.  Jamais  soupçons  ne  furent  mieux  justifiés.  Des  espions  du 
financier  lui  apprirent  qu'ils  avaient  vu  maintes  fois  la  comé- 
dienne sortir  en  carrosse  de  sa  petite  maison  de  la  Garenne  avec 
le  conseiller  au  Parlement  Doublet  de  Bauche,  pour  revenir  en- 
semble à  Paris.  Un  jour,  sur  la  route,  la  voiture  est  assaillie  par 
des  hommes  armés  jusqu'aux  dents.  De  Bauche,  quoique  robin, 
ne  manquait  pas  de  vaillance.  11  s'élance,  l'épée  haute,  sur  les 
agresseurs,  qu'il  met  en  déroute.  Une  nouvelle  épreuve,  moins 
périlleuse  mais  plus  humiliante,  attendait  nos  amoureux  à  la 
barrière.  D'Ogny,  en  sa  qualité  de  fermier-général,  avait  donné 
le  mot  aux  gabelous.  Ceux-ci  font  descendre  les  voyageurs  de 
leur  carrosse  et  les  visitent.  On  trouve  sur  la  jeune  femme 
fichus,  mantelets,  jupes  d'indienne  ou  de  perse,  étoffes  impi- 
toyablement confisquées  à  la  barrière.  La  pauvre  Coupée  doit 
payer  quinze  louis  d'amende  ;  et  déshabillée,  presque  nue,  elle 
rentra  toute  grelottante  à  Paris.  De  Bauche  était  sorti  vainqueur 
du  tournoi  dont  Coupée  était  le  prix;  mais  sa  conquête  lui  coûta 
ses  soixante  mille  livres  de  rente. 

La  comédienne  quitta  la  magistrature  pour  la  diplomatie.  Elle 
asservit  successivement  à  ses  charmes  Mocenigo,  l'ambassadeur 
de  la  sérénissime  République  de  Venise,  et  Durazzo,  l'envoyé  de 
la  République  de  Gênes.  Elle  monta  plus  haut  encore.  Elle  cap- 
tiva le  cœur  d'un  prince  du  sang,  le  duc  de  Chartres,  qui  devait 
être  plus  tard  le  père  du  futur  Philippe-Égalité,  mais  «  qui  ne 
payait  pas  en  fermier-général  »  remarque  Meusnier.  Seulement, 


lOG 


LE  MÉNESTREL 


il  arrivait  avec  son  grand  cordon  bleu  chez  la  chanteuse,  «  ce 
qui  la  flattait  infiniment  ». 

Une  vie  aussi...  occupée,  que  venaient  compliquer  encore  de 
fréquentes  grossesses,  n'était  pas  faite  pour  développer  les  res- 
sources vocales  de  l'artiste.  En  1751,  au  milieu  d'une  représen- 
tation de  Tancrède,  M"°  Coupée  fut  prise  subitement  d'une 
extinction  de  voix  :  c'était  la  seconde  fois  que  lui  arrivait  cette 
mésaventure. 

Elle  s'en  consola  de  nouveau  avec  l'Amour. 

Elle  devint  la  maîtresse  du  fermier  général  Roslin  le  jeune, 
qui  menait  souper  chez  elle  tous  les  vendredis  ses  compagnons 
de  plaisir,  leur  recommandant  une  discrétion  absolue,  car  il  était 
marié.  Au  dire  de  Dufort  de  Cheverny,  qui  faisait  partie  de  la 
bande  joyeuse,  la  Coupée,  quoique  n'étant  plus  de  la  première 
jeunesse,  était  toujours  une  bonne  et  aimable  fille.  Sa  maison 
de  la  rue  Saint-Marc,  en  face  l'hôtel  de  Luxembourg,  était  une 
des  plus  singulières  habitations  de  Paris  : 

«  Elle  n'avait  que  deux  croisées  de  façade,  et  cinq  étages.  Au 
rez-de-chaussée,  la  cuisine;  au  premier,  la  salle  à  manger;  au 
second,  le  salon;  au  troisième,  la  chambre  à  coucher;  au  qua- 
trième, le  logement  de  ses  gens;  et  au-dessus,  un  jardin  grand 
comme  le  reste,  et  aussi  haut  que  ceux  de  Sémiramis.  » 

(A  suivre.)  Paul  d'Bstrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Gaité.   Le  Capitaine   Thérèse,   opéra-comique   en  3  actes,   de   M.  A.   Bisson, 
musique  de  M.  R.  Planquelte.  —  Varikiés.  La  Veine,  comédie  en  4  actes,  de 
M.  A.  Gapus.  —  Palais-Royal.  Sacré  Léonce!  comédie  en  3  actes,  de  M.  P. 
.  Wolff. 

OEufs  de  Pâques!  Car  nos  directeurs  ont  aussi,  vers  cette  époque 
chère  à  ceux  qui  peuvent  encore  être  gâtés,  l'habitude  de  nous  offrir, 
sous  forme  de  pièces  inédites,  de  petits  cadeaux.  Tels  des  enfants  curieux 
et  impatients  de  nouveau,  brisons  vite  la  coque  prometteuse  pour  voir 
ce  que  contient  l'intérieur. 

L'œuf  de  la  Gaîté,  confectionné  par  MM.  Bisson  et  Planquelte,  faiseurs 
souvent  mieux  inspirés,  est  plutôt  quelconque.  Ces  messieurs,  qui  sem- 
blent n'avoir  travaillé  que  pour  les  tout  jeunes,  n'ont  très  certainement 
pas  entendu,  cette  fois,  se  mettre  martel  en  tète,  les  heureux  tout  gosses 
se  contentant  de  peu.  Motif  principal  :  une  jeune  fille  se  déguisant  en 
dragon  pour  éviter  toutes  sortes  d'ennuis  à  un  sien  cousin  qu'elle  épou- 
sera au  baisser  du  rideau.  Histoire  naive,  étayée  d'un  tas  d'incidents  et 
de  quiproquos  honnêtement  vieillots,  qui  exclut  toute  prétention  à 
l'originalité  et  toute  surprise;  quelque  chose  de  très  bourgeois,  scénario 
et  musique,  qui,  peut-être,  trouvera  sa  clientèle  dans  le  quartier  des 
Arts-et-Métiers.  Et  pourtant,  crevant  l'ouate  qui  capitonne  lourdement 
l'œuf,  voici  surgir,  au  milieu  de  tant  d'autres  totalement  éclipsés  par 
lui,  un  pantin  courtaud,  de  belle  fantaisie  et  de  comique  débordant;  ce 
turbulent  petit  bonhomme  s'appelle  Paul  Fugère,  et  les  auteurs  du 
Capitaine  Thérèse,  ainsi  que  M.  Debruyère,  lui  sont  entièrement  rede- 
vables de  tous  les  moments  de  gaieté  et  de  joie  de  la  soirée. 

L'œuf  des  Variétés  est  d'or  !  Très  gros  effet  qui  laisse  prévoir  un  succès 
des  plus  durables,  la  comédie  de  M.  Capus  étant  exquise,  mise  en  scène 
de  charmante  mauiêro  et  jouée  d'idéale  façon.  La  pièce?  Ah!  dame, 
vous  savez,  c'est  du  tiiéàtre  moderne  et  il  n'y  en  a  pas  gros;  tout  juste 
une  petite  amourette  de  parisiens,  une  fleuriste  aimante,  Charlotte,  un 
avocat  paresseux,  Julien,  qui,  voisins,  se  prennent  un  beau  jour,  se 
quittent  un  autre,  —  .Julien  est  attiré  ailleurs  et  Chariotte  est  jalouse, 
—  et  se  reprennent  finalement  pour  s'épouser;  à  peine  ce  qu'il  faut  pour 
souder  entre  eux  les  quatre  actes,  et  aider  l'auteur  à  nous  présenter  des 
personnages  absolument  vivants,  bien  de  notre  époque  et  étonnamment 
vrais.  M.  Capus  a  raconté  cette  fragile  historiette  boulevardiêre  si  joli- 
ment, si  spirituellement,  si  naturellement  que,  pas  un  instant,  on  ne 
pense  à  lui  réclamer  quelque  invention  dramatique.  En  somme,  comé- 
die de  caractères,  de  captivante  forme  et  d'aimable  analyse,  avec  une 
psychologie  dont  le  scepticisme  se  garde  finement  de  l'amertume,  de  la 
rosserie  et  de  la  grossièreté;  et.  c'est  peut-être  ici  qu'est  la  plus  grande 
originalité  de  la  chose,  avec  une  pointe  do  bonté,  tout  à  fleur  de  peau 
comme  l'amour  et  les  sentiments  étudiés,  mais  qui,  doucement  tou- 
chante, fait  pardonner  à  l'un  sa  bêtise  prétentieuse,  à  l'autre  sa  perver- 
sion inconsciente,  à  celle-là  sa  confiance  et  à  celui-ci  son  égotsme.  Car     l 


la  comédie  entière  a  été  bâtie  pour  encadrer  une  étude  d'homme  égoïste, 
JuHen,  qui  esl  bien  une  des  choses  les  plus  réussies  que  le  théâtre  nous 
ail  données  depuis  longtemps.  \e  pensant  qu'à  lui,  n'envisageant  la  vie 
qu'autant  qu'elle  pont  être  utile  ou  agréable  à  lui  seul,  et  tout  à  fait  bon 
garçon  quand  même,  c'est  lui  qui  prétend  que  tout  individu  heurte 
fatalement,  à  un  moment  donné,  la  Veine,  force  aveugl(>  et  bizarre, 
qu'on  ne  saurait  même  aider,  et  qu'en  conséquence  il  est  inutile  de 
peiner  pour  arriver  à  se  créer  une  situation  que  le  hasard  fera  naitre 
alors  qu'on  y  comptera  le  moins.  La  veine  pour  Julien,  c'est  le  richis- 
sime nigaud  Tourneur,  poussé  dans  le  cabinet  de  l'avocat  sans  causes, 
au  moment  où  il  va  être  vendu,  par  la  petite  coquette  Joséphine, 
ancienne  ouvrière  dans  le  magasin  de  fleurs  de  Charlotte  et  devenue 
l'amie  diamantée  du  jeune  milliardaire. 

La  Veine  est,  nous  l'avons  dit,  jouée  d'idéale  façon  par  M.  Guitry  qui, 
jamais  encore,  ne  fut  si  surprenant  d'aisance  et  de  vérité,  et  par 
M™'  Jeanne  Granier,  absolument  parfaite;  et  remarquez  que  le  mérite 
de  tels  comédiens  ne  doit  rien,  ici,  à  des  situations  capables  de  les  sou- 
tenir; leur  jeu  doit  être  uniquement  de  nuances  assez  subtiles  et  de 
naturel  simple,  et  ils  y  excellent  complètement  l'un  et  l'autre.  M"''  La- 
vallière, de  spirituelle  fantaisie  en  Joséphine,  et  M.  Albert  Brasseur,  de 
comique  très  large,  méritent  aussi  des  éloges  sans  restrictions,  alors  que 
MM.  Guy,  Prince,  M'"'*  Lender,  Thomsen  et  Delys,  entre  autres,  com- 
plètent un  ensemble  rare. 

L'œuf  du  Palais-Royal  est  en  simUi.  Il  n'en  faudrait  pas  gratter 
beaucoup  l'enveloppe  portant  la  marque  «  comédie  »  pour  ne  découvrir 
qu'un  «  vaudeville  ».  M.  Pierre  Wolff,  que  nous  connûmes  plutôt  rosse, 
s'essaie,  cette  fois,  au  seul  rire  et,  en  plus  d'un  endroit,  il  atteint  très 
agréablement  le  but  poursuivi.  Son  Sacré  Léonce/  est  un  pauvre  bêta  de 
Cahors  qu'on  envoie  à  Paris  pour  épouser  sa  cousine  Cécile.  Comme  il 
est  resté  foncièrement  vertueux  en  sa  petite  ville  de  province,  il  s'agira, 
avant  le  mariage,  de  le  dégourdir  un  peu,  et  c'est  le  futur  beau-père, 
Debienne.  casanier  comme  pas  un,  qui  sera  chargé  de  cette  délicate 
mission.  Un  familier  de  la  maison,  le  vieux  noceur  Seuzy,  donne 
l'adresse  d'une  certaine  Totole,  et  c'est  Debienne,  le  rangé,  qui  sera 
pincé  par  l'émoustillante  personne,  cependant  que  Léonce  ne  tarde  pas 
aussi  à  s'émanciper  par  trop.  Scènes  de  ménage  chez  les  Debienne, 
entre  monsieur  et  madame,  entre  l'oncle-beau-père  et  le  neveu-gendre, 
qui  finissent,  bien  entendu,  par  s'arranger.  ■ 

Sacré  Léonce  !  qui  ne  manque  ni  d'esprit  parisien,  ni  de  drôlerie  fa- 
cile, est  enlevé  de  verve  par  M.  Gh.  Lamy,  un  impayable  Léonce,  et 
par  M"''  Cheirel.  une  Totote  très  en  dehors,  et  bien  défendu  par 
MM.  Boisselot,  Félix  Lagrange,  M"'*  Berthe  Legrand,  A.  Samuel  et 
J.  Derville.  Paul-Emile  CuEVALiEn. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVEB  SELLE    DE    19CO 


LE    PALAIS    DU    COSTUME 

(Suite.) 

C'était  vraiment  une  leçon  d'histoire  au  point  de  vue  plastique,  que 
cette  superbe  e.xposition  du  Palais  du  Costume.  Les  trente-cinq  scènes 
offertes  aux  regards  du  spectateur,  dans  leur  cadre  d'une  exactitude 
absolue,  faisaient  passer  sous  ses  yeux,  dans  leur  ordre  chronologique, 
vingt  siècles  de  modes,  non  seulement  en  ce  qui  concerne  le  costume 
proprement  dit,  mais  aussi  le  mobilier  et  ses  accessoires,  l'aménagement 
et  la  décoration  des  appartements,  l'architecture  intérieure  et  extérieure, 
et  jusqu'aux  moindres  détails  touchant  les  coutumes  familiales  ou  solen- 
nelles des  diverses  classes  de  la  société.  L'illusion  était  rendue  plus  ■ 
complète  par  la  présence  de  tous  ces  personnages  de  grandeur  naturelle,  1 
à  la  physionomie  vivante,  à  la  ressemblance  parfaite  lorsqu'il  s'agissait 
d'une  figure  historique,  dont  les  poses  étaient  si  naturelles,  si  justement 
étudiées,  qu'il  semblait  qu'on  les  voyait  agir  et  se  mouvoir.  | 

Au  rez-de-chaussée,  après  un  «  Intérieur  à  Antinoé  »  (Egypte),  après- 
la  vue  d'un  Atrium  romain  plein  d'élégance  à  l'époque  deTrajan,  après 
celle  d'une  Caverne  gauloise  au  temps  de  l'invasion  romaine,  venait  ua 
tableau  vaste  et  plein  d'opulence  qui  empiétait  sur  le  premier  étage, 
«  l'Hommage  à  l'Impératrice  »,  à  Byzance,  dans  la  salle  immense  d'un 
palais  d'une  splendeur  et  d'une  somptuosité  incomparables.  Passons, 
car  d  faut  être  bref,  sur  les  Thermes  de  Julien  et  sur  sainte  Clotilde- 
faisant  l'aumône  aux  malheureux,  pour  arriver  au  moyen  âge  et  au 
superbe  Intérieur  féodal  du  XIP  siècle,  une  admirable  salle  de  château 
dont  le  décor  et  l'ameublement  pleins  de  richesse  sont  une  simple  mer- 
vedle.  Après  celui-là  nous  nous  trouvons  en  présence  de  Blanche  de 


J 


LE  MÉNESTREL 


107 


Castille  ayant  à  ses  côtés  son  fils  Louis  IX  et  la  fiancée  du  jeuue  roi, 
Marguerite  de  Provence. 

Nous  sommes  maintenaut  en  France,  et  nous  n'en  sortirons  plus 
guère.  La  France  n'a-t-elle  pas,  dans  les  temps  modernes,  exercé,  sou- 
verainement cet  empire  pacifique  de  la  mode,  et  pourrait-on  chercher 
des  modèles  ailleurs  que  chez  elle?  Mais,  jadis  comme  aujourd'hui,  cette 
mode  avait  parfois  ses  ridicules,  et  en  voici  un  exemple  dans  le  tableau 
qui  nous  représente,  accoudées  sur  un  balcon,  tout  un  groupe  de  jeunes 
femmes  coiffées  de  hennins,  cette  coiffure  sans  grâce  et  sans  élégance, 
lourde,  grotesque,  incommode,  douloureuse  même,  et  qui  pourtant 
vécut  tout  un  demi-siècle.  Passons  encore  sur  les  deux  lableaux,  fort 
riches  cependant  au  point  de  vue  du  costume  féminin,  intitulés  Acant 
le  tournoi  et  la  Hccompense  du  tournoi,  et  sur  celui  qui  nous  représente 
Marie  de  Bourgogne,  fille  de  Charles  le  Téméraire,  en  grand  costume 
d'apparat,  pour  nous  arrêter  devant  celui  qui  nous  montre  les  Patri- 
ciennes de  Venise  s'apprélaut  à  descendre  en  gondole.  On  devine  le  luxe 
tout  oriental  qui  caractérise  l'ajustement  de  ces  dames  de  la  haute 
noblesse  vénitienne,  toutes  couvertes  de  brocart  d'or,  de  velours,  de 
satin,  de  broderies,  de  perles,  de  pierreries,  de  bijoux  merveilleux.  Il  y 
a  de  quoi  éblouir  les  yeiLx. 

Nous  touchons  à  l'époque  de  la  Renaissance,  époque  où  le  goût  s'af- 
fine, s'épure,  où  la  recherche  de  la  véritable  élégance  donne  à  toutes 
choses,  particulièrement  au  costume,  le  cachet  de  l'art.  Nous  en  voyons 
l'effet  dans  la  scène  superbe  qui  représente  l'entrevue  du  Camp  du  drap 
d'or,  où  trois  grandes  dames  en  habit  de  cour  assistent,  dans  une  tri- 
bune, au  défilé  qui  se  produit  sous  leurs  yeux.  Plus  intime,  austère 
même,  est  celle  qui  nous  montre  l'infâme  Catherine  de  Médicis,  mère 
de  trois  rois,  l'instigatrice  de  la  Saint-Barthélémy,  en  conférence,  dans 
une  salle  modeste  du  Louvre,  avec  le  fameux  astrologue  Ruggieri,  son 
compatriote  et  son  digne  «  conseil  ».  Tout  auprès  nous  pouvons  con- 
templer une  Rue  de  Paris  sous  Henri  III,  tableau  pittoresque  d'un  jour  de 
procession  de  la  Ligue. 

Avec  le  règne  de  Henri  IV  le  costume  féminin  se  gâte  et  se  pervertit, 
en  dépit  de  sa  richesse.  La  preuve  nous  en  est  donnée  par  les  deux 
tableaux  qui  représentent  l'un  Gabrielle  d'Estrées  jetant,  du  haut  de 
son  balcon,  une  fleur  à  son  royal  amant,  l'autre  Marie  de  Médicis  en 
grande  toilette  de  cour,  couverte  du  manteau  royal,  semé  de  fleurs  de 
lis  et  doublé  d'hermine.  Jupes  énormes,  long  corsage  collant,  grosses 
manches  à  crevés  qui  enlèvent  au  bras  toute  sa  souplesse,  large  fraise 
qui  engonce  les  épaules  et  cachent  le  cou  en  lui  retirant  sa  mobilité  ;  en 
somme  vêtement  raide  et  empesé,  sans  aisance  et  sans  grâce,  qui,  fort 
heureusement,  va  faire  place  au  joli  costume  Louis  XIII,  si  souple,  si 
dégagé,  si  harmonieux,  qui  laisse  aux  mouvements  toute  leur  liberté,  à 
la  femme  toute  son  élégance  et  sa  grâce  naturelle,  et  qui,  avec  sa  coif- 
fure coquette,  aux  cheveux  bouclés  autour  du  front  et  des  oreilles,  est 
certainement  l'un  des  plus  heureux  et  des  plus  aimables  que  nous  pré- 
sente l'histoire  de  la  mode.  Justement  nous  voici  devant  Marion  de 
l'Orme  (ou  Delorme,  selon  Victor  Hugo),  dans  la  cour  de  son  hôtel, 
dont  la  grande  porte  est  ouverte,  donnant  congé  à  un  galant,  tandis  que 
ses  femmes  considèrent  curieusement  celui-ci. 

Puis,  la  raideur  du  costume  reparait  avec  le  siècle  du  «  grand  roi  »  : 
la  taille  longue,  les  devants  de  jupe,  la  traîne,  les  manches  plates  or- 
nées au  coude  de  dentelles  tombantes,  la  coiffure  haute,  dite  â  la  Fon- 
tanges,  véritable  édifice  de  rubans,  de  dentelles  ou  de  cheveux  associés 
en  une  sorte  de  monument;  c'est  ainsi  qu'on  nous  montre  «  les  filles  de 
Louis  XTV  surprises  par  le  Grand-Dauphin  fumant  la  pipe  »,  ce  qui 
:  était,  il  faut  en  convenir,  une  bien  vilaine  occupation  pour  ces  demoi- 
/  selles.  Avec  Louis  XV  parait  la  mode  des  paniers,  ces  ancêtres  de  la 
crinoline,  puis  la  poudre,  puis  les  mouches.  Le  costume  féminin  n'en 
est  pas  moins  coquet,  élégant,  provoquant  et  souriant.  On  nous  le  pré- 
sente dans  sa  grâce  en  deux  tableaux  familiers  :  «  la  Mode  des  paniers  » 
et  8  les  Visites  »,  dans  sa  sévérité  avec  la  figure  de  la  reine  Marie 
Leezinska,  copiée  sur  le  beau  portrait  du  Louvre  qm  porte  la  signature 
de  Carie  Van  Loo.  Il  se  dégage  et  s'assouplit  sous  le  règne  de  Louis  XVI, 
et  devient  tout  à  fait  charmant.  Nous  pouvons  le  contempler  à  notre 
aise  dans  la  scène  délicieuse  intitulée  «  ATrianon  »,  où  nous  voyons  la 
jeune  reine  Marie-Antoinette  faisant  une  promenade  sur  l'eau  en  com- 
pagnie de  la  princesse  de  Lamballe,  le  comte  de  Provence  faisant  office 
de  rameur  et  dirigeant  la  nacelle  qui  les  porte  tous  trois. 

iJeux  jolis  sujets  empruntés  â  Moreau  et  â  Debucourt  et  heureu- 
sement mis  en  action,  «  la  Petite  Loge  â  l'Opéra  »  et  «  les  Deux  Baisers  » , 
nous  conduisent  jusqu'au  Directoire  et  à  la  scène  absolument  exquise 
qui  nous  transporte  dans  la  boutique  d'une  «  Marchande  de  modes  »  en 
179b.  Là,  non  seulement  les  toilettes  des  élégantes,  celles  des  filles  de 
magasin  qui  s'empressent  auprès  d'elles,  celle,  si  ridicule,  du  «  mer- 
veiUeux  »  qui  accompagne  ces  dames  et  qui,  accoudé  â  la  cheminée,  les 
regarde  faire  leurs  essais,  mais  l'aménagement  de  la  boutique,  son  mo- 


bilier, sa  décoration,  tout  est  parfait  d'arrangement,  d'ensemble,  de 
style  et  de  couleur.  Nous  avons  ensuite,  comme  contraste  â  ce  joli 
tableau  de  genre,  «  la  Veille  du  Sacre  »,  Joséphine,  entourée  de  ses 
dames  d'atour,  essayant  devant  une  psyché,  en  présence  de  Napoléon, 
qui  assiste  en  curieux  intéressé  à  cette  importante  répétition,  le  costume 
somptueux  qu'elle  doit  porter  à  la  cérémonie,  avec  le  grand  manteau 
impérial  à  longue  traîne,  semé  d'abeilles  et  fourré  d'hermine.  Deux 
petites  scènes  intimes  tout  aimables,  «  le  Fiancé  (1820)  »  et  <,<  un  Bap- 
tême (1830)  »,  terminent,  avec  le  portrait  imposant  de  la  reine  Marie- 
Amélie  en  183.3,  la  partie  proprement  historique.  Et  la  série  s'achève 
dans  le  mouvement  contemporain  avec  l'exposition  des  robes  de  bal  en 
1867,  1878,  1889  et  1900,  avec  le  portrait  de  M"'"^  Sarah  Bernhardt  dans 
le  costume  de  la  Dame  aux  Camélias  et  celui  de  M'"°  Réjane  dans  le 
costume  de  la  Glu,  sans  compter  la  vue  superbe  de  la  grande  galerie 
chez  Félix  en  1900. 

Tel  était,  tel  les  Parisiens  et  les  étrangers  ont  pu  l'admirer,  ce  Palais 
du  Costume,  l'une  des  merveilles,  sinon  la  plus  grande  des  merveilles 
accumulées  au  Champ-de-Mars.  Il  y  a  ,eu,  non  seulement  dans  la  con- 
ception, mais  dans  l'exécution  si  habile  de  cette  admirable  exposition 
du  costume  féminin,  œuvre  vraiment  grandiose  et  d'une  nouveauté 
absolue,  il  y  a  eu  un  effort  artistique  digne  des  plus  grands  éloges,  et 
une  recherche  de  la  perfection  â  laquelle  on  ne  saurait  trop  applaudir. 
Cela  était  à  la  fois  d'une  exactitude  scrupuleuse,  d'une  richesse  incom- 
parable, en  même  temps  que  du  goût  le  plus  châtié,  le  plus  exquis  et 
le  plus  pur.  Ce  n'était  rien  encore  que  la  splendeur  des  étoffes,  que  la 
beauté  des  costumes,  que  la  pose  et  le  maintien  des  personnages,  mais 
ce  qui  donnait,  dans  leur  ensemble,  tout  leur  prix  à  ces  tableaux  si 
divers,  c'était  leur  composition  élégante  et  ingénieuse,  c'était  la  recons- 
titution curieuse  et  si  intéressante  des  milieux,  c'était  la  recherche  du 
style  propre  à  chacun  d'eux,  c'était  la  «  mise  en  scène  »  avec  tous  ses 
détails,  tous  ses  accessoires,  .toutes  ses  caractéristiques  touchant  soit 
l'architecture,  soit  la  décoration,  soit  l'aménagement,  soit  enfin  ce  qu'on 
est  convenu  d'appeler  la  couleur  locale,  en  un  mot  ce  qui  procure  au 
spectateur  l'illusion  et  le  sentiment  le  plus  complet  de  la  réalité.  Aidé, 
soutenu  par  le  dévouement  et  la  prodigieuse  habileté  de  ses  collabo- 
rateurs, M.  FélLx  peut  se  flatter  d;avoir  créé,  dans  les  conditions  les 
plus  parfaites,  ce  qui  n'avait  jamais  été  tenté,  et  ce  qui  ne  sera  pas 
de  sitôt  renouvelé  —  car  un  tel  effort  ne  se  recommence  guère.  Il  a 
donné  une  preuve  nouvelle  et  éclatante  du  sentiment  artistique  de 
notre  pays,  de  l'incontestable  supériorité  de  la  France  en  matière  de 
goût,  et  pour  éphémère  qu'elle  ait  été  forcément,  l'oeuvre  réalisée 
par  lui  portait  le  témoignage  sans  réserve  de  cette  supériorité.  Il  a 
lieu  d'être  pleinement  satisfait  du  brillant  résultat  obtenu  par  lui. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  Le  dernier  concert,  •<-  festival  Wagner  »,  avait 
attiré  une  foule  énorme  et  enthousiaste,  car  le  programme  était  fort  habile- 
ment composé  et  offrait,  sous  prétexte  de  donner  des  échantillons  de  tous  les 
drames  lyriques  du  maître  dans  leur  ordre  chronologique,  plusieurs  morceaux 
de  tout  repos  que  le  public  pouvait  applaudir  de  conûance.  Inutile  de  dire 
que  ces  échantillons,  véritables  membra  disjecta  poetœ,  ont  paru  moins  satis- 
faisants aux  connaisseurs,  car  il  est  en  effet  impossible  qu'un  fragment  puisse 
représenter,  même  à  peu  près,  fœuvre  à  laquelle  il  est  emprunté.  Abstraction 
faite  des  Fées,  œuvre  réservée  à  l'Opéra  de  Munich,  qui  montre  la  base  clas- 
sique sur  laquelle  le  maître  a  édifié  toute  sa  production,  on  ne  peut  admettre 
par  exemple  que  l'ouverture  de  Rienzi  représente  complètement  le  Wagner 
de  1840.  On  y  recounaît  bien  l'influence  du  «  grand  opéra  »  de  Meyerbeer,  de 
Spontini,  même  deDonizetti,  mais  Rienzi  contient  aussi  des  passages  comme 
Pair  d'Adriano  ou  le  chant  des  messagers  de  la  paix,  qu'aucun  autre  compo- 
siteur de  l'époque  n'aurait  pu  écrire  ainsi. —  La  ballade  de  Senta,  par  contre, 
résume  beaucoup  mieux  le  Vaisseau-Fantôme;  M"'"  Adiny  en  a  brillamment 
fait  valoir  le  caractère  extatique  et  a  été  vivement  applaudie.  —  Tannliàuser 
n'était  représenté  que  par  le  célèbre  «  hors-d'œuvre  »  ajouté  après  coup  :  la 
Bacclianule.  écrite  en  vue  des  représentations  parisiennes.  Ce  superbe  mor- 
ceau orchestral,  agrémenté  du  chant  des  sirènes  fort  bien  exécuté,  a,  comme 
toujours,  enlevé  l'auditoire.  -  Même  succès,  naturehement,  pour  le  prélude 
du  premier  acte  de  Loliengrin,  dans  lequel  l.^s  premiers  violons  ont  cependant 
paru  un  peu  ternes.  -  Le  niveau  de  l'exéculion  s'est  relevé  avec  le  prélude 
de  Tristan  el  Yseult,  qui  était  suivi  de  la  fameuse  «  mort  d'amour  »  (Ltebeslodj 
d'Yseult.  M'""  Adiny  a  interprété  ce  fragment  incomparable  en  tragédienne 
lyrique  di  primo  carlelto  ;  l'eifet  énorme  qu'elle  a  produit  était  d'autant  plus 
remarquable  qu'elle  a  chanté  en  allemand  et  que  la  grande  majorité  du 
public  n'était  pas  à  même  d'apprécier  les  mérites  de  son  style  et  de  sa  dic- 
tion. Plusieurs  rappels  de  la  soliste  et  une  levée  en  masse  de  l'orchestre  ont 
marqué  le  plus  grand  succès  du  concert.  -  Le  prélude  du  premier  acte  des 


108 


LE  MENESTREL 


MaiIres-ChanleuTs.  admirable  synthèse  de  l'opéra  tout  entier,  aurait  certaine- 
ment mieux  représenté  cette  œuvre  que  le  prélude  du  troisième  acte  avec  la 
danse  des  apprends  et  la  marche  des  corporations:  Texécution  de  ces  frag- 
ments fut  assez  bonne.  —  Pour  représenter  l'Anneau  du  Nibelung,  on  a  produit 
d'aboi-d  la  scène  finale  de  l'Or  du  Rhin,  dans  laquelle  la  partie  vocale  n'était 
pas  bien  satisfaisante,  ensuite  trois  des  chevaux  de  bataille  des  concerts 
Colonne  :  la  Chevauchée  des  Valkyries,  les  Murmures  de  la  forêt  de  Siegfried  et 
la  Marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux.  Ces  morceaux  si  connus  ont  trouvé 
l'accueil  habituel;  les  galeries  ont  même  obtenu  la  répétition  do  la  CJwvauchée, 
malgré  l'opposition  des  fauteuils.  —  Le  prélude  de  Parsifal,  grandiose  par  sa 
structure  magistrale  et  par  la  beauté  des  thèmes  qui  y  apparaissant,  a  produit 
une  impression  profonde:  il  nous  a  laissé  le  regret  que  l'Enchantement  du  Ven- 
dredi-Saint, qui  était  cependant  de  saison,  n'ait  pas  fait  partie  du  programme. 

0.  Berggruen. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Trop  de  Wagner,  cette  fois,  vraiment  trop.  La 
quatrième  audition  de  l'Or  du  Rhin  n'a  excité  qu'un  enthousiasme  doucement 
tempéré.  L'interprétation  orchestrale,  très  correcte,  se  classe  parmi  celles  qui, 
étant  tout  à  fait  impersonnelles,  ne  se  discutent  point.  II  n'y  a  rien  à  repren- 
dre dans  l'ensemble,  et  rieu  non  plus  n'est  rendu  avec  le  sentiment  drama- 
tique exigé  par  chaque  scène.  Les  chanteurs  disent  ce  qu'ils  ont  à  dire,  les 
musiciens  jouent  ce  qui  est  écrit,  et  nul  ne  se  préoccupe  de  rechercher  la 
caractéristique  des  choses  pour  les  faire  ressortir  avec  leur  relief  propre, 
avec  leur  nuances  particulières  et  les  dégager  de  leurs  vagues  ambiances. 
Tout  est  bien  rendu,  semble-t-il?  Oui,  mais  pour  sortir  de  la  banalité  supé- 
rieure d'une  excellente  exécution,  il  faut  que  l'individualité  de  chaque  phrase 
mélodique  et  harmonique,  que  celle  de  chaque  groupe  de  phrases  formant 
une  période,  soient  mises  en  valeur  de  façon  à  provoquer  immédiatement 
l'impression  spontanée,  à  déchirer  le  nuage  comme  un  trait  de  feu.  A  ce 
point  de  vue,  l'Or  du  Rhin  est  incomparablement  plus  difficile  à  mettre  au 
point  que  le  3'=  acte  de  Siegfried,  dont  l'allure  en  crescendo  fait  oublier  les 
monotonies  de  la  diction  orchestrale.  La  conscience  ne  suffit  pas  en  art.  il 
faut  encore  l'étincelle.  L'abus  delà  musique  de  Wagner  a  cet  inconvénient 
d'habituer  les  orchestres  à  des  interprétations  dépourvues  de  qualités  idéales. 
Une  page  de  Wagner  jouée  mécaniquement  produit  encore  un  très  grand 
effet;  au  contraire,  une  page  de  Beethoven  soumise  à  cette  épreuve  peut  à 
peine  se  soutenir  et  une  page  de  Berlioz  s'évanouit  entièrement.  La  différence 
est  grande  entre  le  sensualisme  un  peu  épais  de  Wagner,  le  lyrisme  de 
Beethoven  et  le  symbolisme  intellectuel  de  Berlioz.  Sans  reprocher  à  Wagner 
d'exiger  de  ses  auditeurs  une  culture  moins  idéale  que  Beethoven  et  Berlioz, 
je  ne  voudrais  pas  lui  faire  un  mérite  de  cette  tendance  spéciale  de  son  génie 
qui  me  parait  moins  noblo  qua  celle  des  deux  autres  maîtres.  Il  faudrait 
maudire  la  musique  de  Wagner  si  elle  devait  nous  priver  longtemps  dos 
ouvrages  qui  doivent  former  le  répertoire  des  concerts  symphoniques.  Mais 
la  question  d'art  devient  secondaire.  Wagner  avait  souhaité  que  les  repré- 
sentations de  Bayreuth  pussent  être  gratuites  ;  ses  héritiers  sont  en  instance 
auprès  de  leur  empereur,  pour  obtenir  une  loi  d'intérêt  particulier  qui 
augmente  leurs  gains  déjà  énormes  en  prolongeant  leur  droit  exclusif  de 
propriété  musicale.  Quant  à  nous,  puisque  la  question  wagnérienne  n'est  plus 
sur  le  terrain  de  l'art,  nous  détournons  les  yeux,  espérant  bien  que  Paris, 
après  avoir  été  la  ville  où  l'on  ne  jouait  pas  Lohsngrin,  échappera  au  ridicule 
de  devenir  la  capitale  du  monde  où  l'on  entend  le  plus  de  musique  de 
Wagner.  Amédée  Boutarel. 

—  Le  programme  de  la  seconde  séance  des  «  Grands  concerts  symphoni- 
ques »  au  Vaudeville  était  très  chargé,  trop  chargé  peut-être,  car  c'est  vrai- 
ment trop,  avec  trois  ouvertures,  de  deux  symphonies  et  d'un  poème  syni- 
phonique.  Les  trois  ouvertures  étaient  celles  de  la  Mer  calme,  de  Mendelssohn. 
du  Vaisseau-Fantâme,  de  Wagner,  et  de  Léonorj  (n"  3),  de  Beethoven;  avec 
cela  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven,  Jupiter,  de  Mozart,  et  le 
Mazeppa  de  Liszt.  Le  concert  était  dirigé  cette  fois  par  M.  Kirl  Muck  ,  chef 
d'orchestre  de  l'Opéra  de  Berlin.  Le  «  docteur  »  Karl  Muck  (docteur  en  phi- 
losophie), né  en  1839,  fils  d'un  conseiller  ministériel  du  grand-duché  de 
Hesse-Darmstadt,  est  un  homme  maigre,  sec  et  nerveux,  qui  dirige  d'une 
façon  sure,  avec  des  gestes  sobres  et  d'une  rare  précision,  et  qui  sait  se  faire 
obéir  de  son  personnel.  Il  a  certaiuement  du  savoir  et  de  l'acquis,  el  l'on 
doit  croire,  avec  la  haute  situation  qu'il  occupe,  que  c'est  un  excellent  chef 
d'orchestre  d'opéra.  Je  n'en  saurais  dire  tout  à  fait  autant  en  ce  qui  concerne 
la  symphonie.  Il  a  d'abord  des  mouvements  qui  nous  déroutent  complète- 
ment. Je  ne  parlerai  même  pas  de  l'attaque  si  vigoureuse  de  la  symphonie 
on  ut  mineur  :  nous  savons  aujourd'hui  par  expérience  qu'en  Allemagne  ce 
début,  au  rebours  de  ce  qui  se  fait  chez  nous,  est  toujours  exécuté  d'une 
façon  absolument  mesurée,  ce  qui  lui  enlève  sa.  couleur,  sa  vigueur  et  son 
éclat.  Mais  la  façon  dont  tout  ce  premier  morceau  a  été  conduit  m'a  paru 
fâcheuse,  entre  autres  l'enchainement  des  points  d'orgue  avec  le  motif  des 
violons,  qui  manquait  complètement  de  distinction.  Quant  à  l'allégretto,  non 
seulement  il  était  beaucoup  trop  lent,  mais  le  chef  d'orchestre  s'y  permettait 
des  nuances  et  surtout  des  altérations  de  mouvement  qui  sont  trop  étran- 
gères à  nos  habitudes  d'interpréter  Beethoven,  pour  que  nous  ne  nous  en 
sentions  pas  choqués.  De  même,  dans  la  symphonie  de  Mozart,  Jupiter,  le 
premier  allegro  manquait  essentiellement  de  grâce  et  de  délicatesse,  et  le 
menuet,  ce  menuet  délicieux,  dont  le  programme  lui-mémo  constatait  et 
faisait  ressortir  «  le  caractère  joyeux  »,  ce  menuet  était  pris  dans  un  mouve- 
ment à  porter  le  diable  en  terre.  Tout  cela  était  lourd,  sans  air,  sans  saveur 
et  sans  parfum.  C'est  dans  les  choses  de  vigueur  surtout  que  M.  Karl  Muck 


déploie  sa  virtuosité.  Le  Mazeppa  de  Liszt  et  l'ouverture  du  Vaisseau-Fantâme 
ont  été  dits  avec  une  véritable  crànerie,  et  l'ensemble  était  excellent.  Mais 
cela,  je  l'avoue,  ne  saurait  me  faire  passer  condamnation  sur  les  graves 
défauts  que  j'ai  cru  devoir  signaler.  A.  P. 

—  Le  réputé  pianiste  Edouard  Risler,  de  retour  à  Paris  après  une  longue 
et  triomphale  tournée  à  l'étranger,  donnera,  salle  Pleyel,  la  série  des  six  con- 
certs qui  lui  valut  des  succès  si  retentissants  à  Amsterdam,  Vienne,  Munich, 
Berlin.  Leipzig,  etc.  Ces  concerts  auront  lieu  aux  dates  suivantes  :  en  avril, 
le  22  (Couperin  à  Mozart),  le  26  (Beethoven),  le  29  (Schubert,  Weber,  Men- 
delssohn); en  mai,  le  3  (Schumann,  Chopin),  le  6  (Liszt),  le  10  (musique 
moderne  française). 

—  Voici  le  programme  du  -i»  «  grand  concert  symphonique  »,  qui  aura  lieu 
jeudi  prochain,  an  Vaudeville,  sous  la  direction  de  M.  M.  Fiedler  (de  Hambourg)  : 

Ouverture  de  l'Inauguration  (Beethoven)  ;  —  4'  symphoaie,  en  ré  mineur  (Schumann)  ; 
—  Ouverture  de  Benvenuto  Cellini  (Berlioz);  —  Concerto  de  violon  en  ré  majeur  (Tâchaï- 
kowsky),  par  M.  Pelschnikoff; —  Variations  sur  un  thème  de  Haydn  (Brahms);  —  Ouver- 
ture de  Tannhauser  (Wagner). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Uc  notre  correspondant  de  Belgique  (4  avril)  : 

L'heureuse  idée  qu'ont  eue  la  direction  de  la  Monnaie  et  celle  du  théâtre 
du  Parc  de  s'associer  pour  donner,  sur  la  scène  de  la  Monnaie,  des  représen- 
tations de  l'Artésienne  de  Daudet  avec  la  musique  de  Bizet,  a  été  couronnée 
du  plus  grand  succès.  L'oeuvre,  remarquablement  interprétée  par  la  troupe  du 
Parc,  l'orchestre  et  les  chœurs  de  la  Monnaie,  sous  la  direction  de  M.  Dupuis, 
a  produit  une  impression  profonde  et  un  effet  considérable.  Aussi,  les  deux 
directions  ont-elles  décidé  de  poursuivre  leur  association  et  d'organiser,  chaque 
hiver,  deux  spectacles  semblables  qui  pourraient  aisément  fournir  plusieurs 
soirées.  On  donnerait,  l'an  prochain,  le  Songe  d'une  nuit  d'été  avec  la  musique 
de  Mendelssohn,  et  Mara/'rcd  avec  la  musique  de  Schumann:  des  artistes  spé- 
ciaux seront  engagés  pour  remplir  les  rôles  principaux,  et  la  mise  en  scène 
sera  aussi  complète,  aussi  artistique  qu'ellepeut  l'être  sur  une  scène  de  l'im- 
portance de  celle  de  la  Monnaie.  Puis,  viendront  \eConte  d'Avril  de  MM.  l.'or- 
chain  et  Widor,  Pélleas  et  Mélisande  de  M.  Pierre  de  Bréville,  les  Erinnyes  et 
la  Phèdre  de  Massenet,  d'autres  encore;  les  œuvres  ne  manquent  pas. 

Le  Conservatoire  de  Bruxelles  a  terminé  brillamment  sa  saison,  dimanche, 
par  une  nouvelle  audition  de  l'Armide  de  Gluck,  avec  M'a"  Bastien  et  Bour- 
geois, MM.  Seguin  et  Henderson;  succès  énorme,  comme  la  première  fois. — 
Le  même  jour,  le  Conservatoire  de  Liège  e.xécutait  une  œuvre  non  moins 
importante,  non  moins  belle,  la  Messe  en  si  mineur  de  Beethoven.  On  ne 
pourrait  assez  dire  avec  quel  talent  et  quelle  volonté  son  directeur,  M.  Th. 
Radoux,  s'attache  à  réaliser  dans  la  composition  de  ses  concerts  des  tradi- 
tions identiques  à  celles  de  M.  Gevaert  à  Bruxelles.  Ces  concerts  sont,  comme 
ceux  de  M.  Gevaert,  de  véritables  régals  d'art,  et  en  même  temps  K-  plus 
bel  enseignement  et  la  plus  féconde  initiation.  Il  a  fallu  plusieurs  mois  de 
travail  pour  mettre  sur  pied  l'exécution  de  celte  Messe  colossale;  mais  le 
résultat  a  été  la  récompense  de  tant  d'efforts;  cette  exécution  a  été  vraiment 
supérieure,  et  les  chœurs  et  l'orchestre,  dirigés  par  M.  Radoux,  ont  été  non 
moins  remarquables  que  les  principaux  solistes,  M.  Sistermans,  M"'*  Meta 
Geyer,  Tilly  Koenen  et  Joliet. 

On  sait  que  Peter  Benoit,  le  chef  de  l'école  flamande  de  musique  qui  vient 
de  mourir  à  Anvers,  était  membre  de  l'Académie  royale  de  Belgique.  C'est 
M.  Th.  Radoux  qui,  dans  la  séance  d'hier  de  la  classe  des  Beaux-.4rts,  a 
exprimé  l'étendue  de  la  perte  qu'a  faite  l'Académie  et  rendu  un  solennel 
hommage  au  talent  de  l'illustre  défunt.  Cet  hommage  est  d'autant  plus  carac- 
téristique, et  il  a  été  d'autant  plus  touchant  que  Peter  Benoit  ne  professait 
guère,  au  point  de  vue  du  nationalisme  artistique,  les  mêmes  idées  que 
M.  Radoux;  celui-ci  est  Wallon,  l'autre  était  Flamand,  Flamingant  même, 
avec  intransigeance.  Or,  c'est  au  nom  de  la  Wallonie  tout  entière  que 
M.  Radoux  s'est  levé  pour  rendre  à  la  mémoire  du  mort  le  tribut  d'admira- 
tion qu'elle  mérite.  Puisse  ce  généreux  exemple  être  un  signe  d'apaisement 
entre  deux  races,  sœurs  et  trop  souvent  ennemies  !  L.  S. 

—  On  ne  dira  pas  du  théâtre  royal  de  Liège  qu'il  fait  la  mesure  chiche  à  ] 
ses  spectateurs  et  à  ses  abonnés,  et  si  ceux-ci  se  plaignent  de  !a  maigreur  du 
festin,  c'est  que  leurs  exigences  seront  vraiment  excessives.  Voici,  pour  la 
clôture,  lundi  et  mardi  dernier,  la  composition  des  deux  derniers  spectacles 
de  la  saison  :  lundi,  Lakmé  et  Faust;  mardi,  la  Bohème  et  l'Attaque  du  moulin. 
Pauvres  artistes,  pauvre  orchestre,  pauvres  choristes  l 

—  Une  vingtaine  de  députés  au  Keichsrath  d'Autriche  ont  présenté  au  bu- 
reau de  cette  assemblée  parlementaire  un  projet  de  loi  assez  volumineux 
tendant  à  régler  la  situation  des  théâtres  en  Autriche.  La  nouvelle  loi  aboli- 
rait d'abord  la  demande  de  concession  qui  est  encore  nécessaire  en  Autriche 
pour  entreprendre  l'exploitation  d'un  théâtre.  La  loi  supprimerait  ensuite  la 
censure  dans  tous  les  cas  où  une  pièce  ne  contiendrait  pas  de  passages  direc- 
tement attentatoires  aux  lois  existantes.  Enfin,  la  nouvelle  loi  protégerait 
efficacement  les  artistes  do  théâtres  contre  l'exploitation  éhontée  dont  certains 


LE  MÉNESTREL 


409 


directeurs  se  rendent  coupables  au  moyen  de  traités  iniques.  Ces  traités,  que 
les  artistes  allemands  appellent  d'une  façon  pittoresque  mais  significative 
«  traités  de  corsaires  »,  seront  déclarés  nuls  et  non  valables.  La  loi  protège 
aussi  les  artistes  de  théâtres  contre  l'exploitation  par  certaines  agences  théâ- 
trales. Malheureusement,  le  Reichsrath  autrichien  a,  comme  on  dit,  bien 
d'autres  chats  à  fouetter,  et  le  projet  de  loi  en  question  dormira  probablement 
longtemps  dans  les  archives  du  Parlement. 

—  L'affaire  de  la  succession  de  Johannès  Brahms,  devenue  comme  une 
cause  célèbre,  s'est  terminée  la  semaine  passée  par  un  arrêt  de  la  cour  de 
cassation  de  Vienne  qui  a  produit  une  vive  émotion  parmi  les  intéressés.  La 
cour  a  purement  et  simplement  cassé  les  jugements  de  première  et  de 
deuxième  instance  et,  statuant  sur  le  fond,  selon  la  procédure  autrichienne, 
a  attribué  toute  la  succession  à  la  famille  du  défunt  compositeur.  Vingt-deux 
collatéraux  du  côté  du  père  et  de  la  mère  de  Brahms,  tous  parents  au  troi- 
sième degré  seulement  et  presque  tous  petits  cultivateurs  du  Mecklembourg, 
se  partageront  la  fortune  importante  de  Brahms.  Heureusement,  une  conven- 
tion avait  été  conclue,  il  y  a  quelque  temps,  entre  ces  héritiers  et  la  Société 
des  Amis  de  la  Musique  de  Vienne,  en  vertu  de  laquelle  la  splendide  biblio- 
thèque musicale  de  Brahms  et  sa  fameuse  collection  d'autographes  musicaux 
deviennent  la  propriété  de  la  dite  société,  qui  reçoit  en  outre  cinquante  mille 
francs.  Une  autre  sotnme  de  soixante  mille  francs  sera  donnée,  en  vertu  de 
la  même  convention,  à  la  Société  de  bienfaisance  Czerny,  de  Vienne.  Et  dire 
que  Brahms  aurait  pu  si  facilement  éviter  ce  triste  résultat,  si  contraire  à  ses 
véritables  volontés,  s'il  avait  consulté  un  homme  de  loi  au  sujet  des  forma- 
lités à  accomplir  pour  son  testament  ! 

—  Puisque  nous  parlons  de  Brahms,  citons  un  joli  mot  de  ce  pince-sans- 
rire.  Un  musicien  viennois,  devisant  avec  lui,  un  certain  soir,  au  cabaret,  à 
une  époque  où  il  était  déjà  à  l'apogée  de  sa  renommée,  parlait  avec  enthou- 
siasme de  l'immortalité  des  grands  artistes.  «  Oui,  dit  Brahms  en  hochant  la 
tête,  l'immortalité  serait  une  belle  chose,  si  on  savait  seulement  combien  de 
temps  elle  dure!  » 

—  La  décentralisation  d'art  en  Autriche.  Nous  savons  depuis  longtemps 
que  de  l'autre  côté  du  Rhin  des  villes  fort  modestes  se  risquent  à  la  représen- 
tation d'opéras  inédits;  mais  voilà  qu'elles  se  lancent  même  dans  l'art  choré- 
graphique. A  Saint-Poelten,  petite  préfecture  de  la  Basse- Autriche,  le  théâtre 
municipal  vient  de  jouer  avec  succès  un  ballet  inédit  intitulé  Quand  le  chat  est 
absent...,  musique  de  M.  Rodolphe  Gutmannsthal.  Il  est  vrai  que  l'étoile, 
M"«  Weigang,  appartient  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  que  M"<;  Stéphanie 
Vergé,  l'excellente  maîtresse  de  ballet  viennoise,  a  réglé  la  partie  chorégra- 
phique, et  que  M.  Joseph  Bayer,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  impérial,  a 
conduit  l'orchestre.  Il  paraît  que  la  musique  de  ce  nouveau  ballet  a  réuni 
tous  les  suffrages. 

—  A  r  «  exposition  Bach  »  de  Berlin,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  se  trouve 
un  document  fort  curieux  qui  prouve  que  le  grand  cantor  a  été  «  jeune  »  comme 
tout  le  monde.  Ce  document  est  le  procès-verbal  d'une  enquête  disciplinaire 
ordonnée  contre  le  jeune  Bach  par  le  consistoire  de  l'église  d'Arnstadt,  où  il 
était  organiste.  On  lui  reproche  :  1°  D'avoir  prolongé  son  congé  hors  des 
dates  convenues  lors  d'un  voyage  à  Lubeck  pour  y  entendre  le  célèbre  orga- 
niste Buxtehude.  i"  D'avoir  exécuté  «  bien  des  variations  bizarres  (ivun- 
derlich)  »  en  jouant  de  l'orgue  pendant  le  service  divin  et  d'y  avoir  introduit 
«  des  modulations  dans  des  tonalités  étrangères  »  ;  3°  de  ne  pas  avoir  fait 
preuve  d'une  autorité  suffisante  vis-à-vis  de  ses  élèves;  i"  d'avoir  fait  une 
visite  au  cabaret  pendant  le  service;  S"  d'avoir  admis  une  «  demoiselle  étran- 
gère (eine  frembde  .lungfer)  au  chœur  de  son  église  pour  qu'elle  y  fasse  de  la 
musique  o.  L'enquête  a  duré  du  21  février  au  11  novembre  1706,  et  finalement 
Bach  fut  obligé  de  reconnaître  ses  torts.  Il  promit,  dans  un  dernier  procès- 
verbal,  de  se  corriger. 

—  De  Budapest  au  Figaro  :  «  L'Opéra  royal  a  donné  la  première  de  Louise, 
la  belle  et  si  originale  œuvre  de. Gustave  Charpentier.  Malgré  certaines 
réserves,  le  public  hongrois,  quoique  très  difficile  en  matière  d'art  dramati- 
que —  et  aussi  un  peu  routinier  —  a  apprécié  beaucoup  le  grand  talent  de 
notre  jouue  et  célèbre  compatriote.  M"=  Kaczer  (Louise)  a  chanté  et  joué  son 
rôle  avec  une  remarquable  intelligence.  M""'  P.  Bartoluci  (la  mère), 
MM.  Kertesz  (Julien)  et  Beck  (le  père)  méritent  également  des  éloges.  La 
direction  de  l'Opéra  royal  a  monté  Louise  d'une  façon  admirable.  Décors  et 
mise  en  scène  sont  irréprochables.  Quant  à  l'orchestre,  il  a  été,  comme  to  u- 
jours,  à  la  hauteur  de  son  universelle  réputation.  » 

—  Une  correspondance  de  Munich  nous  apporte  des  détails  intéressants 
sur  les  incidents  qui  ont  illustré,  au  théâtre  Royal,  la  première  représentation 
du  nouvel  opéra  du  jeune  Siegfried  Wagner,  le  Jeune  Duc  étourdi.  Depuis 
longtemps  on  n'avait  assisté,  à  Munich,  à  un  pareil  spectacle.  »  Ce  fut,  dit  le 
correspondant,  une  des  plus  scandaleuses  soirées  qu'on  ait  vues  à  notre  grand 
théâtre,  et  il  serait  arrivé  pire  encore  si  le  machiniste  préposé  à  l'éclairage 
n'avait  eu  la  lumineuse  idée  de  faire  cesser  tout  d'un  coup,  en  supprimant  la 
lumière  électrique,  les  cris,  les  hurlements  démoniaques,  les  applaudisse- 
ments, les  sifflets,  les  imprécations  qui,  à  la  fin  de  l'opéra,  éclatèrent  d'une 
façon  formidable.  La  chute  à  Munich  du  nouvel  ouvrage  de  Siegfried  Wagner 
n'aurait  certainement  pas,  malgré  l'insuflisance  du  livret  et  de  la  partition, 
excité  de  démonstrations  si  fâcheuses,  si  les  amis  du  compositeur  n'avaient 
provoqué  le  camp  opposé  par  des  ovations  extravagantes,  si  le  compositeur 
lui-même  n'avait  montré  tant  d'empressement  à  se  présenter  en  scène,  si  à 
la  fin  le  rideau,  tombé  au  bruit  des  sifflets,  ne  s'était  relevépour  laisser  réap- 


paraître Siegfried  Vfagner,  qui  fut  accueilli  par  des  sifflets  plus  stridents 
encore.  Siegfried  Wagner,  cette  fois  encore  poète  et  compositeur  tout  ensem- 
ble, faculté  qu'il  juge  sans  doute  indispensable  en  qualité  de  fils  de  son  père, 
s'est  trouvé  mal  de  ce  double  rôle  assumé  par  lui.  Le  livret  du  Jeune  Duc 
étourdi  montre  la  complète  incapacité  poétique  de  l'auteur,  soit  dans  la  tech- 
nique du  vers,  soit  dans  sa  forme  poétique,  on  ne  peut  plus  fâcheuse.  A  ceux 
qui  connaissent  la  langue  allemande,  je  recommande  la  lecture  de  ce  livret, 
qui  pourra  leur  procurer  un  moment  de  douce  hilarité.  Quant  à  la  partition, 
elle  ne  révèle  point  le  progrès  qu'on  attendait  après  l'épreuve  favorable  du 
Bârenhâuter.  Abandonnant  ici  le  style  de  la  fable,  il  a  voulu  adopter  celui  de 
la  »  comédie  musicale  »,  et  il  s'est  complètement  fourvoyé.  On  peut  signaler 
pourtant,  au  second  acte,  l'air  très  gracieux  de  Reinhardt,  et  même  le  finale, 
qui  est  d'un  heureux  sentiment.  L'œuvre,  qui  réclame  un  grand  nombre  de 
chanteurs  importants,  a  été  bien  étudiée  sous  la  direction  de  M.  Franz  Fischer, 
qui  a  été  acclamé  ainsi  que  les  interprètes,  MM.  Walter,  Sieglitz,  Feinhals, 
Klœpfer,  et  M""^*  Koboth  et  Blank.  » 

—  On  nous  écrit  de  Leipzig  que  ce  même  ouvrage,  le  Petit  duc  étourdi, 
de  M.  Siegfried  Wagner,  qu'on  y  a  joué  quelques  jours  après  la  première 
de  Munich,  a  remporté  un  succès  assez  marqué.  Le  premier  acte  a  été  con- 
testé, mais  le  deuxième,  et  surtout  le  dernier,  ont  été  vivement  applaudis; 
à  la  fin,  l'auteur  a  été  rappelé  plusieurs  fois  et  a  reçu  une  couronne  de  lauriers. 

—  Un  accident  qui  eût  pu  être  terrible  a  troublé,  la  semaine  passée,  une 
représentation  de  Ritnzi  qu'on  donnait  au  théâtre  municipal  de  Hambourg. 
Le  ténor  Birrenkoven  venait  de  faire  son  entrée  à  cheval,  lorsque  le  plan- 
cher de  la  scène  s'ouvrit  tout  à  coup  et  l'on  vit  l'artiste  et  le  cheval  dispa- 
raître par  une  trappe.  Le  ténor  fut  blessé  assez  grièvement  et  devra  garder 
le  lit  quelques  semaines;  quant  au  cheval,  il  resta  debout  sur  ses  jambes  et 
exprima  son  mécontentement  par  des  hennissements  prolongés,  en  réponse 
aux  déchaînements  de  l'orchestre.  La  représentation  fut  interrompue  et  une 
enquête  ouverte  sur  les  causes  de  l'accident. 

—  Nous  ne  sachions  pas  que  jusqu'ici  Naples,  qui  surtout  devrait  avoir  à 
cœur  d'entretenir  la  gloire  de  Cimarosa,  ait  rien  fait  pour  célébrer  son  cen- 
tenaire, malgré  les  projets  dont  on  avait  parlé  naguère.  C'est  à  Milan  que  le 
Conservatoire  a  pris  ce  soin,  dans  une  fête  intime,  mais  intéressante.  Cette 
séance  s'est  ouverte  par  une  conférence  très  substantielle  de  M.  Alberto  Gio- 
vannini  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Cimarosa,  conférence  terminée  par  de 
bons  et  utiles  conseils  adressés  aux  jeunes  musiciens,  qui,  a  dit  l'orateur,  ne 
doivent  rien  ignorer  de  ce  qui  se  passe  ailleurs,  mais  qui  en  même  temps 
doivent  s'efforcer  de  conserver  dans  leurs  œuvres  le  caractère  spécial,  la  cou- 
leur et  la  personnalité  de  l'art  italien.  Venait  ensuite  un  concert,  uniquement 
composé  de  fragments  tirés  du  répertoire  de  l'illustre  maître,  et  dont  voici  le 
programme  :  ouverture  du  Matrimonio  segrelo;  air  :  Tra  mille  amanti  in  core, 
de  l'Olimpiade:  duo  :  Se  contro  me  mugagne  macchinale,  de  Giannina  e  Bernar- 
done;  air  :  Ah!  sereiai,  o  madré,  il  ciglio,  de  Pénélope;  air  :  Un  cor  che  tenero,  de 
gli  Ôrazi  e  i  Curiazi;  et  trio  :  Dickiaro  e  mi  proteste  de  le  Astuzie  femminili; 
plus,  une  sonatine  pour  piano  exécutée  par  M"«  Serafina  Orsi,  et  un  air  de 
violon  par  M.  Scipione  Guidi,  tous  deux  élèves  de  l'école,  ainsi  que  les  jeunes 
chanteurs,  M'is^Zanelli,  Rapp,  Cernuschi,  Valenta  et  Barasa,  et  MM.  Petrina 
et  Gianchetta. 

—  Le  Secolo  de  Milan  nous  apprend  que  le  maestro  Giacomo  Orefice  vient 
de  terminer,  sur  un  livret  de  M.  Angiolo  Orvieto,  la  musique  d'un  opéra 
intitulé  Chopin,  qui  doit  être  représenté  au  Teatro  Lirico  au  cours  de  la  pro- 
chaine saison  d'automne.  Il  va  sans  dire  que  le  héros  de  cet  ouvrage  est 
l'illustre  compositeur  virtuose  dont  les  œuvres  sont  massacrées  sans  pitié  par 
les  jeunes  pianistes  des  deux  sexes  qui  pullulent  en  tous  pays.  Mais  le  plus 
singulier,  pour  ne  pas  dire  le  plus  étrange,  c'est  que  la- partition  est  formée 
uniquement  de  motifs  tirés  des  propres  compositions  de  Chopin!  Et  l'on  dit 
qu'il  n'y  a  rien  de  nouveau  sous  le  soleil!  Voilà  pourtant  un  procédé  que 
jusqu'ici  nul  n'avait  eu  l'idée  de  mettre  en  œuvre. 

—  Il  parait,  et  les  journaux  italiens  expriment  à  ce  sujet  des  regrets  légi- 
times, que  la  pins  grande  partie  des  autographes  de  Donizetti  qui  dépendaient 
de  la  succession  du  notaire  Dolci  sont  destinés  à  passer  à  l'étranger,  et  cela 
parce  que  ni  le  municipe  de  Bergame,  ville  natale  du  compositeur,  ni  la 
congrégation  de  charité  n'ont  consenti  à  faire  l'acquisition  de  ces  papiers, 
qui  "constituent  sans  doute  un  document  précieux  pour  l'histoire  de  l'art  et 
d  un  grand  artiste. 

—  On  a  donné  à  Rome,  au  théâtre  Adriano,  la  première  représentation  de 
Forturella,  opéra  dont  la  musique  a  été  écrite  par  le  baryton  Pignalosa.  La 
dépêche  qui  nous  apporte  cette  nouvelle  se  borne  à  constater  le  succès  de 
l'ouvrage,  sans  entrer  encore  dans  d'autres  détails.  —  Au  théâtre  des  Muses, 
d'Ancône,  on  a  représenté,  dans  un  spectacle  de  bienfaisance,  un  «  tableau 
lyrique  »  intitulé  Quo  vadis?  dont  le  sujet,  bien  entendu,  est  tire  du  fortuné 
roman  de  M.  Sienldewiez.  La  musique  est  l'œuvre  du  compositeur  Giuseppe 
Bezzi,  et  ce  petit  ouvrage  a  pour  interprètes  M"-»  Elisa  Pétri,  le  ténor  Zonghi 
et  le  baryton  Felici. 

—  L'opéra  posthume  d'Arthur  Sullivan,  file  d'émeraude,  joue  de  malheur. 
Sa  représentation  avait  d'abord  été  retardée  par  la  maladie  et  la  mort  du 
nompositeur;  elle  devait  avoir  lieu  au  commencement  de  la  prochame  saison 
de  Londres,  au  mois  de  mai,  mais  voilà  que  M.  D'Oyly  Carte,  lo  directeur  du 
Savoy-Théâtre,  vient  de  mourir  à  son  tour,  et  cet  incident  va  retarder  encore 
la  «  première  ».  ' 


110 


LE  MENESTREL 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  Journal  officiel  du  vendredi  29  mars  a,  enfin,  publié  la  liste  des  offi- 
ciers d'instruction  publique  et  d'académie  nommés,  par  le  ministre,  à  l'occa- 
sion du  I"  janvier.  Parmi  les  noms  des  nombreux  élus,  nous  relevons  les 
suivants  concernant  plus  spécialement  la  musique  et  le  théâtre  : 

Officiers  D'IxsTitucrioN  puiiLiQUE  :  MAI.  Allard,  prol'esseur  au  Conservatoire  de  Paris; 
Bachimont,  dit  Brémont,  membre  du  Coiaité  des  Artistes  di-ama tiques  à  Paris;  M""^Barré- 
Sabatier,  professeur  de  musique  à  Paris;  M.  Bas,  artiste  musicien  à  l'Opéra;  JI"''  Boidîn- 
Puisais,  profc-sseur  de  musique  à  Paris;  MAI.  Bonis-Charancle, auteur dramatiqueàParis; 
Ch.  Bouvet,  professeur  de  musique  à  Paris;  Bouyer,  artiste  dramatique  à  Paris:  G.  Buon- 
sollazi,  compositeur  à  Paris;  Cadillon.  caissier  principal  de  la  maison  KrarJ  à  Paris; 
M"'^  Emma  Calvé,  de  rOpéra-Comique;  MM.  E.  Carbonoe,  de  rOpéra-Comique;  Célor- 
PirkîD,  M"'' M.  Chrétien,  professeurs  de  musique  à  Paris;  MM.  G.  Choisnel,  chef  de 
service  à  la  maison  Durand  et  fils,  à  Paris;  CoUin,  dil  Ciéves,  ancien  directeur  de  théâtre 
à  Paris;  M"'  de  Corteuil,  professeur  de  musique  à  Caen;  MM.  Coustal,  professeur  de 
musique  à  Paris;  Darthu,  compositeur  à  Paria;  Deledieque,  professeur  de  musique  à 
Paris;  M"''  Delna,  de  rOpéra-Comîque;  MM.  Deremet,  dit  Dermez,  régisseur  général  du 
Châtelel;  D'^Dromain,  médecin  en  chef  del'Odéon;  G.  d'Esparbês,  homme  de  lettres  à 
Paris;  H.  Eymieu,  Fontborme,  compositeurs  à  Paris;  L.  Garnier,  auteur  dramatique  au 
Perreux;  M""  Giraud-Latarse,  M.  G.  Girod,  professeurs  de  musique  à  Paris;  M""^  Giry- 
Vachot,  professeur  au  Conservatoire  de  Marseille;  MM,  P.  GravoUet,  professeur  de  décla- 
mation à  Paris;  Herbert,  professeur  de  musique  à  Paris;  Ilaliander,  musicien  à  TOpéra- 
Comique;  A.  Lambert,  P.  Laugier,  sociétaires  de  la  Comédie-Française;  E.  Laurens,  com- 
positeur à  Paris;  M"''  Laurent,  professeur  de  musique  à  Paris;  M.  F.  Lecocq,  professeur 
au  Conservatoire  de  Lille;  M"*^  Lefebvre-Eyre.  M.  Le  Rey,  compositeurs  à  Paris;  M""  E. 
Leroux,  pensionnaire  de  la  Comédie-P'iançaise;  M.  A.  Lévy,  clief  d'orthestie  à  Paris; 
M°*"Marie-Rùze,  MM.  Migeon,  R.  Moatardon,  professeurs  de  musique  à  l'^jris;  MM.  Mul- 
1er,  dit  Monza.  ancien  directeur  de  théâtre  à  Colombes;  G.  Paulin,  compositeur  à  Pai'is; 
PéricaucL,  rapporteur  de  l'Association  des  Artistes  dramatiques  à  Paris;  A.  Pradel,  profes- 
seur à  l'École  de  musique  de  Dijon  ;  Régis-Cornu,  compositeur  à  Cran  ;  E.  Risacher,  direc- 
teur de  rUarmonie  des  artistes  à  Paris;  M°>^'  Ritter-Ciampi,  artiste  lyrique  à  Paris; 
MM.  F.  Rivière,  Ronger,  dit  Gardel-Hervé.  compositeurs  à  Paris;  M"*^  Siiillard-Dietz, 
professeur  de  musique  à  Paris;  MM.  Th.  Tlnirner,  professeur  au  Conservatoire  de  Mar- 
seille; E.  Tréfeu,  auteur  dramatique  à  Paris;  Vieilh  de  Boisjolin,  chef  de  chant  à  TOpéra- 
Comique;  R.  Valladier,  Warnecke,  professeurs  de  musique  à  Paris;  J.  Weingaertner, 
directeur  de  TEcole  de  musique  de  Nantes. 

Officiers  d'Ac.uïémie  :  JI"*^  Ador,  MM.  Adour,  professeurs  de  musique  à  Paris;  Alkan, 
professeur  de  musique  à  Chelles;  Allais,  chef  de  la  Fanfare  de  Sainte-Savine;  Amavet, 
professeur  de  musique  à  Paris;  Ambialet,  directeur  de  sociétés  musicales  à  Moissac; 
Amici,  professeur  au  Conservatoire  de  Marseille;  Anciaux,  président  de  l'Harmonie  de 
Meursault;  M.  André,  premier  Wolon  a  TOpéra;  Anfossi,  dit  Valcourt,  directeur  du 
théâtre  de  Nîmes;  Anger,  directeur  de  THarmonie  à  Méru;  Anjubault,  dit  Maurice  Ca- 
mime,  critique  dramatique  à  Paris;  Aubert,  professeur  à  l'École  de  musique  de  Cette; 
M""  Aubry,  professeur  de  musique  dans  les  écoles  publiques  à  Paris  ;  M.  P.  AuLier,  régis- 
seur de  théâtre  à  Paris;  M"'  Baffet,  professeur  de  musique  à  Paris;  ^JIM.  Bâillon,  dit 
Barrai,  pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  L.  Ballard,  professeur  de  musique  à  Paris; 
J.  Bastien,  professeur  de  musique  à  Bordeaux;  L.  Baiidin,  chef  delà  Musique  de  Chàteau- 
neuf-sur-Loire;  Baylion,  dit  Reschal,  ariisle  dramatique  à  Paris;  lîazoche,  professeur  de 
musique  à  Nantes;  Béjot,  compositeur  à  Pamiers;  Belfort,  violoniste  à  Toulon;  Benoît, 
dit  Bazile,  L.  Benoît,  compositeurs  à  Paris;  Bérard,  pi'ofeijseur  à  l'Ecole  de  musique  de 
Montpellier;  Berges,  M"'-'  Berlin,  professeurs  de  musique  à  Paris;  M.  Bernardin,  compo- 
siteur à  Wassy;  M"''  J.  Berliny,  pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  M.  L.  Berton, 
compositeur  à  Vincennes;  M"''  Beugnon,  dite  Marié  de  Tlsle,  de  TOpéra- Comique; 
MM.  Beyiard,  professeur  de  musique  à  Paris;  L.  Bleuzet,  musicien  à  Paris;  Blin,  dit 
Duberry,  contrôleur  général  delà  Comédie-Française;  E.  Bloch,  chef  de  comptabilité  de 
la  maison  Durand  et  fils  à  Paris;  Bonichon,  auteur  dramatique  à  Nantua  ;  L.  Bonnaud, 
compositeur  à  Limoges;  L.  Bonnet,  professeur  à  TÉcole  de  musique  de  Nîmes;  M""^  Bour- 
ceret,  compositeur  à  Paris;  MM.  Bourdette,  directeur  du  théâtre  de  Lille;  Bovy,  chef  d'or- 
chestre au  théâtre  de  Nantes;  M"*^  de  Bray,  dite  Lauriane,  artiste  lyrique  à  Paris;  MM.  H. 
Bressel,  professeur  de  musique  à  Paris;  Brin,  dit  Dalmorès,  artiste  lyrique  à  Paris; 
L.  Brisset,  F.  Bronner,  compositeurs  à  Paris;  M""^  A,  Brucker,  professeur  de  musique  à 
Paris;  MM.  Bruder,  chef  machiniste  à  rOpéra-Comique;  Ed.  Brunel,  compositeur  à 
Paris;  Ch.  Brunet,  directeur  de  la  Fanfare  de  Chàtellbrault;  M""=  H.  Brunot,  M"'  E.  de 
BuffoD,  professeurs  de  musique  à  Paris;  M.  Bussy,  régisseur  de  la  dansp  à  TOpéra  ; 
M""  Caillât,  professeur  de  musique  à  Vernouillet;  "MM.  Ch.  Callon,  compositeur  à  Paris; 
L.  Capet,  professeur  au  Conservatoire  de  Bordeaux;  A.  Capgrand,  chef  de  l'Union  musi- 
cale de  Condom  ;  G.  Carcassonne,  compositeur  à  Nîmes;  L.  Carpentier,  professeur  au  Con- 
servatoire de  Lille;  J.-B.  Carré,  directeur  de  la  Fanfare  de  Nouzon;  H.  Céard,  homme  de 
lettres  à  Paris;  M"''  A.  Chambon,  artiste  lyrique  à  Paris;  MM  E.  Chaperon,  peintre- 
décorateur  à  Paris;  M"''  J.  Chateauneuf,  professeur  de  musique  à  Pau;  MM.  .V.  Chevalier, 
professeur  de  musique  à  Poitiers;  G.  Cheviiiot,  chef  du  matériel  à  l'Opéra  ;  B.  Civatte, 
président  de  la  Musique  des  Pennes;  E.  Claveau,  facteur  de  pianos  à  Paris;  E.  Clérisse, 
directeur  de  la  Musique  d'Evreux;  M""'  Cognet,  professeur  de  musique  à  Cuurbevoie; 
MM.  L.  Coin,  directeur  de  FHarmonie  gauloise  de  Lyon;  B.  Cuslaud,  prol'esseur  de  musi- 
que à  Revel;  Dahon,  directeur  de  la  chorale  l'Avenir  de  Cannes;  M""^  Darolle,  professeur 
de  musique  à  Bordeaux;  MM.  Daurat,  professeur  de  musique  à  Chartres;  Dauvillier,  de 
rOdéon;  M""  Debarsac,  MM.  Decaudun,  professeurs  de  musique  à  Paris;  Dehelly,  pen- 
sionnaire de  ];i  Cumédie- Française;  M"*^  del  Bernardi,  de  l'Opéra-Comique;  MM.  V.  Del- 
porte,  professeur  au  Conservatoire  de  Montpellier;  Denayer,  Derepas,  professeurs  de  mu- 
sique à  Paris;  DerloD,  clief  de  la  Musique  de  Verneuil;  M""  JJerud,  MM.  Désespringalle, 
professeurs  de  musique  à  Paris;  L.  Dessus,  chef  de  la  Société  Sainte-Cécile  d'Uzcrche; 
C.  Dhorne, de  l'Opéra  ;M"'-deDotezfic,  professeur  de  musique  â  Paris;  M.  Doutrel  au,  éditeur 
demusiqueàParis;M"'Doyen,ditcl)angeville,M.  L.  Dreyfus,  auteurs  dramatiques  à  Paris; 
M°"Dubendorfer,  dite  Dorler, artiste  dramatiqueàParis;  MM.  Dubois,  professeur  à  l'École 
de  musique  du  Mans;  A.  Dubuisson,  professeur  au  Conservatoire  de  Rennes  ;Duchamp,  pro- 
fesseur à  l'École  de  musique  de  Tours;  M"'^  M.  Duchemin,  professeur  de  musique  à  Paris; 
M""^  Biana  Duhamel,  artiste  dramatique  à  Paris  ;  M.  Ed.  Dumas,  critique  dramatique  à 
Paris;  M""^  Dumoulin,  professeur  de  musique  à  Paris;  MM.  E.  Duprè,  imprimeur  de 
musique  à  Paris;  D.Dutrey,  artiste  lyrique  à  Rouen;  i\1""^  Erbeau,  professeur  de  musique 
à  Paris  ;  MM.  Esquier,  pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  A.  Etchecopar,  directeur 
de  la  vente  à  la  maison  Durand  et  fils  à  Paris  ;  M"'  0.  de  Fehl,  de  l'Odéon  ;  MM.  de  Fé- 
licis,  des  Concerts  Lainoureux;  Féret,  dit  Delacour,  directeur  du  théâtre  des  Ternes,  à 


Paris;  C.  Frichet,  directeur  de  la  chorale  Sainte-Cécile  d'Angei-s;  Ci.  Fiévet,  professeur 
à  l'École  de  musii^ue  de  A'alenoiennes;  C.  FilJion,  administrateur  de  théâtre  à  Paris; 
Fonarmes,  au'eur  dramatique  à  Figeac;  L.  Fontaine,  compositeur  à  Nimes;  Fouroot, 
chef  de  l'Harmonie  de  CharuUes  ;  M^'"^  Franquet,  de  l'Odéon  ;  MÎH.  Froment,  professeur  de 
musique  à  Paris;  P.  Gaillard,  employé  à  la  Comédie-Française;  J.-B.  Ganay, compositeur 
à  Paris  ;  Gandoin,  professeur  à  l'École  de  musique  de  Nancy  ;  A.  Gariel,  critique  musical 
à  Paris;  M"-^  B.  Gautier,  professeur  de  musique  à  Paris;  MM.  Gazen,  fondateur  de  la 
société  musicale  les  Patriotes  des  Ternes  à  Paris;  Geay,  compositeur  à  Niort;  M""  F. 
Génat,  de  l'Ûpéra-Comique  ;  MM.  E.  Geoffroy,  professeur  de  musique  à  Paris  ;  R.  Gérard, 
compositeur  de  musique  à  La  Seyne  ;  J.  Géraud,  chef  de  la  Musique  de  Cherbourg; 
L.  Gérin,  professeur  au  Conservatoire  de  Lyon;  F.  Giacobini,  professeur  de  musique  à 
Ajaccio;  Gonfrevillc.  administrateur  de  la  Cécilienne  du  Havre;  Grégoire,  régisseur  des 
Boulfes-Parisiens  ;  Grossin,  chef  de  musique  au  ^9'  d'infanterie  à  Rouen;  L.  Guéleville, 
auteur  dramatique  au  Ferreux;  A.  Guignard,  chef  de  musique  au  46'"  d'infanterie; 
Guilbou,  directeur  de  la  Société  musicale  de  Saint-Jean-de-Bray  ;  M""'  Guillemoteau, 
professeur  de  musique  à  Fiers;  M.  L.  Hambourg,  prolésseur  de  musique  à  Paris; 
M"=  Hatto,  de  FOpéra;  MM.  Heuzé,  inspecteur  principal  à  la  Gaité;  L.  Huber,  directeur 
de  la  Chorale  de  Melun  ;  L.  Idrac,  de  FOpéra  ;  Jacoiilot,  dit  Brunais,  artiste  drama- 
tique à  Paris  ;  Jacquiet,  dit  Jacquier,  professeur  de  musique  à  Arles  ;  Jammes,  directeur 
de  l'Harmonie  à  Vichy;  M"''  Jaraczewska,  dite  Bodin,  ju-ofesseur  de  musique  à  Paris  ; 
MM.  Jombar,  luthier  à  Paris  ;  Ch.  Joseph,  soliste  à  la  Garde  républicaine;  M""^  Jouron- 
Duvernay,  professeur  de  chant  à  Alger;  MM.  G.  Judic,  secrétaire  général  du  Châtelet; 
Kacynski,  chef  de  la  Musique  de  Mortain;  de  Keqhel,  professeur  au  Conservatoire  de 
Bordeaux;  Krever-Krieger,  compositeur  à  Paris;  Kropiî,  ditNertann,  artiste  dramatique 
à  Paris;  Labey,  professeur  de  musique  à  Cany  ;  M"*  Lacout,  compositeur  à  Saint-Mandé; 
M"''  Laemmel,  costumière  en  chef  de  l'Opéra  ;  MM.  J.  Laûtte,  ancien  artiste  de  FOpéra  ; 
L.  Lafl^urance,  de  la  société  des  Concerts  du  Conservatoire  ;  Lajeunesse,  dit  Labruyère, 
administrateur  de  théâtre  à  Paris;  P.  Lan,  directeur  du  Grand-Théâtre  de  Marseille; 
A.  Landry,  compositeur  à  Paris;  M""  Lara,  pensonnaire  de  la  Comédie-Française; 
M.  Larruel,  musicien  à  Paris;  M""^  Lasailly,  dite  Lormont,  artiste  lyrique  à  Paris; 
M™'^'  Laville-Ferminet,  professeur  de  chant  à  Alger;  Lebas-Maindron,  artiste  lyrique 
à  Paris;  M'^'  Georgette  Leblanc,  de  POpéra-Comique ;  MM.  B.  Lebrcton,  auteur  dra- 
matique à  Paris  ;  Lecœur,  chef  de  la  Fanfare  de  La  Fer  té-Saint-Aubin  ;  RF''  M.  Leconte, 
pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  M.  H.  Lefebvre,  de  l'Opéra:  M»"^"  Lefebvre 
de  Grandchamp,  Legru,  dite  Urgel,  professeurs  de  musique  à  Paris  ;  M,  Lejal, 
artiste  lyrique  à  Paris  ;  M""^  Lemay-Samson,  professeur  de  chant  à  Paris  ;  M.  L.  Leplat, 
artiste  à  l'orchestre  de  l'Opéra  ;  M'""^'  Leroux-Crozier,  Lesseline,  Loeper,  M"'  Long, 
professeurs  de  musique  à  Paris;  MM.  Lorant,  directeur  de  la  scène  au  théâtre  de 
Pau;  A.  Loubet,  professeur  à  l'École  de  musique  de  Saint-Etienne;  G.  Lucas,  de 
l'Opéra;  H.  Lutz,  compositeur  à  Paris  ;  0.  Lussiez,  artiste  lyrique  au  théâtre  de 
Montpellier;  M"'=  M.  Lynnès,  pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  M.  A.  Mabille, 
jjmc  jviaincent-Salagnad,  professeurs  de  musique  à  Paris  ;  SI.  Malacant,  secrétaire 
général  du  Vaudeville;  M"'^  L.  Mante,  professeur  de  musique  à  Paris;  MM,  G.  Maquis, 
compositeur  à  Paris;  F.  Marchai,  fondé  de  pouvoirs  de  la  maison  Pleyel,  W'olff  et  C" 
à  Paris;  Margis,  compositeur  à  Paris;  M""  Marioton,  professeur  de  musique  à  Paris; 
Marquât,  professeur  de  chant  à  Bourges;  MM. Martinet,  président  de  la  Fanfare  d'Oui-  s 
lins;  Marx,  professeur  de  musique  à  Paris;  Ch.  Masson,  compositeur  àToul;  F.  Mau- 
zin,  professeur  de  musique  à  Paris;  M""^  Laurent,  dite  Cécile  Max,  critique  musical  à 
Paris;  MM.  Alpiionse  Mayeur,  artiste  de  Forchestre  de  l'Opéra;  J.  Mélodia,  compositeur 
àParis;  A. Melchissédec, artiste  dramatique  à  Paris;  R.  Meunier,  V.  Meyer,  compositeurs 
à  Paris;  M""  Michaud, professeur  de  musique  à  Paris  ;  MM.  P.  Mizon,  professeur  de  mu- 
sique à  Béthune;  A.  Moisson,  artiste  décorateur  à  Paris;  M""  M.  de  MontalantdeNocé,de 
FOpéra;  MM.Morizot,  professeur  de  musique  à  Châtillon-sur-Seine;  Morin,  directeur  de 
la  Musique  de  Bayeux;  P.  Mouren,  compositeur  à  Pau;  Muylaert,  artiste  musicien  à 
Lille;  M""^'  Naudin  du  Teilloy,  professeur  de  musique  à  Paris;  Nicolle. professeur  de  mu- 
sique au  Havre;  Xouteau,  professeur  de  musique  à  Paris;  M.  Ch.  Odion,  professeur  au 
Conservatoire  de  Nantes;  M"''  V.  Page,  de  FOdéon  ;  MM.  Parenteau,  directeur  de  la  Chorale 
de  Saint-Macaire;  Parouty,  professeur  de  musique  àMontargis;  Passcpent,  professeur  de 
musique  à  Paris;  Paty,  de  l'Opéra;  P.  Paulus,  chef  d'orchestre  à  Paris;  A.  Paz,  artiste 
lyrique  à  Paris  ;  A.  Peccatte,  directeur  de  l'harmonie  Paul  Dupont  â  Clichy  ;  Peracchio, 
professeur  à  FÉcole  de  musique  de  Saint-Étienne;  M"'  J.  Pernin,  artiste  lyrique  à  Paris; 
MM.  P.  Perret, artiste  dramatique  à  Lyon;  A.  Petit,  éditeur  de  musique  à  Paris;  L.  Phal, 
violoniste  à  Paris;  M""^  Piallat,  compositeur  à  Paris;  M.  P.  Pierret,  artiste  musicien  à 
Paris;  M""^  Pigelet,  professeur  de  musique  à  Pai-is;  M.  Pion,  président  de  sociétés  mu- 
sicales à  Lezoux;  M"''  Plomb,  dite  Jane  Ediat,  professeur  de  musique  à  Paris;  MM.  Poggi, 
artiste  dramatique  à  Paris;  Presteau,  chef  de  musique  à  Bonnières;  Prunelle,  président 
delà  section  de  musique  à  la  Société  des  Beaux-Arts  à  Alger  ;  Puygauthier,  professeur  de 
musique  à  Bergerac;  M""^  J.  Rabuteau,  de  FOdéon;  MM.  Rambosson,  auteur  dramatique 
à  Paris;  Ravet,  pensionnaire  de  la  Comédie-Française;  Régnier,  dit  Laurel,  artiste  dra- 
maticpie  à  Paris;  E.  Réty,  chef  de  l'Harmonie  de  Liancourt  ;  P.  Reynand,  président  de  la 
Musique  de  Salon;  L.Ribier,  artiste  musicieu  à  l'Opéra-Comique;  Riboulet,  ditMoatîgnac, 
auteur  dramatique  à  Paris;  M™''  Rideau,  professeur  de  musique  à  Tours;  M""  M.Rioton, 
de  l'Opéra-Comique;  MM.  Ristoa,  dit  Scipion,  artiste  dramatique  à  Paris;  J.  Robert, 
professeur  de  musique  à  Béziera;  P.  Roche,  professeur  de  musique  à  Marseille;  Ronsin, 
artiste  décorateur  à  Paris;  P.  Rose,  professeur  de  musique  à  Paris;  Roy,  président  de  la 
Philharmonique  d'Arles;  Saïlcr,  artiste  musicien  à  FOpéra  et  à  la  Société  des  Concerts  du 
Conservatoire;  Salbat,  administrateur  de  la  Gaité;  Samborski,  professeur  de  musique  à 
Lyon;  A.  Sax, artiste  musicien  à  l'Opéra;  Scelbaum,  professeur  de  musique  à  Vincennes; 
A.  Schneider, compositeur  à  Paris;  E.  Schneider,  professeur  de  musique  à  Paris;  G.  Selz, 
compositeur  à  Paris;  Siblot,  de  FOdéon;  M""  Solari,  professeur  de  musique  à  Paris; 
MM.  Soubeyran,  artiste  lyrique  à  Toulouse;  Souplct,  professeur  de  musique  à  Saint- 
Germain;  Spazier, artiste  dramatique  àParis;M"'"  Strold,  professeur  de  musique  à  Paris; 
MM.  Stuardi,  dit  Stuart,  artiste  lyrique  à  Ruucn;  Sujol,  M""^  Sureau-Bcllet,M"' Tantens- 
teio,  M.  Tessarech,  professeurs  de  musique  à  Paris  ;  M""  Thibaudot,  dite  Anna  Thibaad, 
artiste  lyrique  à  l*aris;  Thiéry,  de  FOpéra-Comique;  Torel,  MM.  Touche,  professeurs  de 
musique  à  Paris;  Troly-Tréville,  professeur  de  déclamation  à  Paris  ;  Truc,  prol'esseur  de 
musique  à  Paris;  Trutîaut,  directeur  de  FHarmonie  de  Pontoise;  Turlet,  compositeur  à 
Paris;  C.  Ullmann,  fabricant  d'instruments  de  musique  à  Paris;  F.  Vargues,  compositeur 
à  Paris;  M-""*  Cl.  Vautier,  artiste  lyriqueàBondy  ;  Vôdié,  professeur  de  musique  â  Reims; 
MM.  Védier,  chef  de  la  Musique  de  Vimoutiers;  Viguier,  artiste  lyrique  à  Arcueil-Cachan; 
G.  Vilain,  compositeurà  Paris;  Villoteaux,  chef  de  musique  à  Festigny;  Vinciguerra,chef 
de  comptabilité  à  FOpéra;  P.  Vîzentini,  musicien  à  l'Opéra-Comique;  H.  Vizentini,  musi- 
cien à  Bois-Colombes;  Volpini, ancien  directeur  de  théâtre  à  Paris;  M""^'\Veil, artiste  dra- 
matique à  Paris;  M''"'  Weiss,  Willard,M'"''  Winlzweiller,  professeurs  de  musique  à  Paris. 


LE  MENESTREL 


111 


—  A  l'Opéra,  la  pi-emière  représentation  Jii  Roi.  de  Paris,  de  M.  Georges 
HiJe,  parait  être  fixée  au  mercredi  24  avril. 

—  M.  Alvarez  a  repris  mercredi  à  l'Opéra  le  rôle  d'Hercule  dans  Aslarté. 
Gela  n'empêche  nullement  d'ailleurs  les  pourparlers  de  la  direction  avec 
M.  Tarride,  l'Hercule  des  Boufl'es-Parisiens,  que  M.  Gailhard  désirerait  atta- 
cher à  son  beau  théâtre  pour  apporter  un  peu  de  fantaisie  et  d'amusement  à 
l'œuvre  nouvelle.  Les  abonnés,  qui  n'ont  pas  souvent  l'occasion  de  se  divertir 
dans  l'académique  maison,  attendent  anxieusement  le  résultat  des  démarches 
tentées. 

—  Spectacles  des  fêles  de  Pâques  à  l'Opéra-Gomique  : 

Aujourd'hui  dimanche  :  malinée,  laBasoche,  les  Rendez-vous  bourgeois:  soirée, 
Louise. 
Demain  lundi  :  matinée.  Mignon;  soirée,  Mireille. 
Mardi  :  malinée,  Carmen:  soirée,  Javotte,  Haensel  et  Gretel. 
Mercredi  :  soirée,  Manon. 
Jeudi  :  matinée,  Mireille;  soirée,  Haensel  et  Gretel,  Javotte. 

—  Petites  informations  sur  l'Opéra-Comique:  M""=  Rose  Caron  va  donner 
une  nouvelle  série  de  représentations  à'Iphigénie.  Vers  le  25  avril  sera  repré- 
senté pour  la  première  fois  l'Ouragan,  le  nouveau  drame  lyrique  de  M.  Alfred 
Bruneau.  Puis  viendra  la  reprise  de  Falstaff  avec  M.  Victor  Maurel  et 
M»«  Delna. 

—  M.  Paul  Ginisty  donnera  cette  semaine  à  l'Odéon  une  représentation 
exceptionnelle  iVUlysse,  de  Ponsard,  avec  la  musique  de  Gounod.  L'exécution 
musicale  sera  dirigée  par  M.  Emile  Pessard. 

—  Gustave  Charpentier  a  quitté  Paris,  cette  semaine,  pour  se  rendre  à 
Milan,  où  l'on  doit  donner  prochainement  au  Théâtre-Lyrique  la  première 
représentation  de  Louise. 

—  Le  conseil  municipal  s'est  décidé  à  donner  la  concession  du  Cirque- 
Palace  des  Champs-Elysées  à  M.  Henry  de  Mayrena.  Nous  allons  donc  être 
débarrassés  d'ici  peu  de  cet  amas  de  bâtisses  inachevées  qui  enlaidissent 
depuis  trop  longtemps  ce  coin  si  privilégié  de  Paris,  déjà  surchargé  d'autre 
part  de  tant  de  constructions  plus  hideuses  les  unes  que  les  autres,  toutes 
dues  à  la  gracieuseté  des  divers  conseillers  municipaux  qui  se  sont  succédé  à 
tour  de  rôle  au  palais  de  l'Hôtel-de-Ville.  —  Voilà,  d'autre  pari,  le  noble  jar- 
din des  Tuileries  envahi  lui  aussi,  comme  tous  les  ans,  par  ces  vastes  et 
ignobles  hangars  de  toile  qui  servent  de  refuge  à  un  tas  d'expositions  plus  ou 
moins  florales  ou  légumières.  Quand  donc  nos  maîtres  édiles  auront-ils  un 
peu  plus  le  respect  des  choses  artistiques  de  l'ancien  Paris? 

—  Les  théâtres  «  à  côté  »  continuent  d'être  volontiers  favorables  à  la  mu- 
sique. On  a  donné  cette  semaine  aux  Mathurins  un  acte  intitulé  Jésus  de  Bé- 
ihanie,  paroles  de  M.  Emile  Campocasso,  fils  de  l'ancien  directeur  bien 
connu,  musique  de  M.  Adalbert  Mercié.  Au  théâtre  Maguéra  on  a  joué 
le  Lys,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  Jean  Laury,  avec  musique  de  M.  Henri 
Cieutat.  Enfin  on  a  dû  représenter  pour  la  première  fois  à  l'Olympia,  hier 
samedi,  l'Impératrice,  de  M.  Jean  fiichepin,  musique  de  M.  Paul  Vidal. 

—  Notre  collaborateur  Julien  Tiersot  nous  communique  la  note  suivante  : 

M.  J.  Sérand,  archiviste-adjoint  de  la  Haute-Savoie,  a  publié  réceinment  divers  docu- 
ments concernant  le  séjour  de  Jean-Jacques  Rousseau  à  Annecy.  L'on  sait  qu'à  cette 
époque  de  sa  vie  le  philosophe  était  presque  exclusivement  occupé  de  musique,  étant 
élève  de  la  maîtrise,  faisant  sa  partie  au  chœur  de  la  cathédrale  ainsi  que  dans  les 
concerts  de  M'"=  de  Warens.  Nous  relèverons  de  ces  documents  un  seul  détail,  concer- 
nant son  maître  de  musique,  qu'il  appelle  dans  ses  Confessions  «  Aï.  le  Maître  »,  mot 
dans  lequel  des  écrivains  modernes  ont  voulu  voir  un  titre,  au  lieu  du  nom  du  musicien. 
Ces  écrivains  se  sont  trompés:  celui  que  J.-J.  Rousseau  appelle  51.  Le  Jluître  n'était 
pas  simplement  «  Le  Alaître  à  chanter  »,  mais  s'appelait  parfaitement  Le  Maître.  Cela 
résulte  d'un  acte  notarié  du  16  juin  1728,  où  son  nom  et  celui  de  son  père  est  écrit  sept 
fois.  Le  détail  est  de  peu  d'importance  :  nous  le  signalons  néanmoins,  d'une  part,  pour 
rétablir  la  vérité  sur  un  fait  contesté  de  la  carrière  musicale  de  Rousseau,  d'autre  part, 
parce  qu'il  n'est  point  inopportun,  en  notre. temps  où  sévit  la  manie  de  rectifier  les  écrits 
des  grands  liommes,  de  montrer  une  fois  de  plus  que  ce  sont  souvent  les  rectifîcateurs 
qui  ont  le  plus  besoin  d'être  rectifiées.  —  J.  T. 

On  se  rappelle  que  dans  son  étude  sur  Jean-Jacques  Rousseau  musicien, 
publiée  récemment  ici-même,  notre  collaborateur  Arthur  Pougin,  ayant  pré- 
cisément à  parler  de  Le  Maître,  mentionnait  une  rectification  faite  à  son  sujet 
par  iM.  Henri  Kling,  de  Genève,  et  donnait,  sans  en  prendre  la  responsabilité, 
ce  renseignement,  qu'il  ne  pouvait,  disait-il,  «  que  reproduire  avec  exacti- 
tude »  :  —  «  Celui  qui  se  trouvait  depuis  17-26  à  la  tête  de  la  maîtrise  d'An- 
necy, lorsque  Rousseau  y  fut  admis,  s'appelait  Jacques-Louis  Nîcoloz.  Rous- 
seau ne  connut  jamais  le  véritable  nom  de  son  professeur  de  musique,  qu'il 
appelle  toujours  «  Monsieur  le  Maître  »,  prenant  cette  désignation  pour  un 
nom  de  famille  ».  On  voit  que  les  rectifications  sont  parfois  fâcheuses  et  que 
M.  Kling  s'était  trompé.  Les  documents  mis  au  jour  par  M.  J.  Sérand  nous 
apprennent  d'une  façon  certaine  que  le  professeur  de  Rousseau  à  Annecy 
s'appelait  bien  Le  Maitre,  ainsi  qu'il  est  dit  dans  les  Confessions,  et  qu'il  ne 
peut  subsister  désormais  aucun  doute  à  ce  sujet. 

—  Dimanche  dernier,  31  mars,  a  eu  lieu  à  la  Sorbonne  l'assemblée  géné- 
rale de  la  Société  d'histoire  de  la  Révolution,  sous  la  présidence  de  M.  Jules 
Glaretie.  Parmi  les  lectures  qui  y  ont  été  faites,  signalons  celle  de  M.  Julien 
Tiersot  sur  le  couplet  des  enfants  de  la  Marseillaise.  On  sait  que  ce  couplet, 
qui  n'est  pas  de  Rouget  de  Lisle,  a  été  attribué  à  deux  auteurs,  Louis  du 
Bois,  de  Lisieux,  et  l'abbé  Pessonneaux,  de  Vienne.  Tout  récemment,  une 


nouvelle  brochure,  de  M.  E.-J.  Savigné,  soutenait  l'attribution  du  couplet  à 
ce  dernier,  tandis  que  M,  Anatole  France  et  d'autres  écrivains  s'étaient  pré- 
cédemment prononcés  en  faveur  de  du  Bois.  M.  J.  Tiersot,  résumant  les 
diverses  pièces  du  débat  et  les  rapprochant  des  faits  historiques  connus,  en 
est  arrivé  â  conclure,  avec  ces  derniers,  que  le  couplet  des  enfants  a  bien  pour 
auteur  l'iiistorien-poète  de  Lisieux,  Louis  du  Bois.  —  La  veille,  à  la  réunion 
annuelle  de  la  Société,  a  eu  lieu  un  concert  organisé  par  M.  J.  ïruffier.  de 
la  Comédie -Franç.aise,  au  cours  duquel  M™"  Mole -ïruffier  a  dit  Plaisir 
d'amour  et  trois  chansons  populaires  recueillies  et  harmonisées  par  M.Julien 
Tiersot  :  Mon  père  avait  cinq  cents  moutons,  Rossignolet  du  bois  joli  et  la  Mau- 
mariée;M.  Tiersot  a  fait  entendre  le  Pauvre  laboureur;  enfin  M.  Mouliérat  a 
chanté  des  airs  de  Méhul  et  de  Gluck,  et,  terminant  par  une  note  plus 
moderne,  la  sérénade  du  Roi  d'Ys. 

—  Le  dernier  «  Mercredi-Danbé  »  a  obtenu  un  grand  succès  avec  un  pro- 
gramme des  plus  éclectiques.  Des  fragments  de  Charlotte  Corday  d'Alexandre 
Georges,  chantés  par  M""  Georgette  Leblanc,  ont  été  acclamés.  M™  C.  Pier- 
ron  a  produit  une  grande  impression  en  «  disant  »,  avec  l'émotion  qu'elle  sait 
y  mettre,  les  beaux  vers  de  Roger-Miles  adaptés  sur  la  marche  funèbre  de 
Chopin;  M"»  Ch.  Lormont  a  chanté,  avec  un  style  et  un  goût  parfaits,  deux 
jolies  mélodies  de  M.  L.  de  Serres.  Enfin  M.  Dantu  a  interprété  à  ravir  la 
Berceuse  de  Mozart  et  l'Herbe  d'oubli  de  Julien  Tiersot.  La  séance  était  termi- 
née par  une  remarquable  exécution  des  Sept  paroles  du  Christ  d'Haydn,  par  le 
quatuor  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Destombes. 

—  Brillante  soirée  mercredi  soir  au  théâtre  d'Antin,  où  M"=  Marie  Rôze, 
qui  vient  d'êlre  nommée  officier  de  l'instruction  publique,  faisait  entendre 
ses  élèves.  Programme  des  plus  fournis  :  une  scène  àes  Noces  de  Jeannette, 
très  bien  jouée  par  M""  Cartaut  et  M.  Taber.  Puis  une  scène  du  1"  acte  de 
Mignon,  où  M'i=  Breu,  douée  d'une  belle  voix  de  contralto,  a  été  très  remarquée; 
MM.  Taber  et  Martin  lui  flonnaient  la  réplique.  Nous  avons  été  transportés 
ensuite  en  plein  pays  de  Provence  avec  le  l"  acte  de  Mireille.  Au  lever  du 
rideau  tout  un  essaim  de  charmantes  petites  Arlésienncs  nous  ont  ravi.  Char- 
mante Mireille  que  miss  Taber,  M""  Amaury  très  bien  dans  Taven,  ainsi 
que  M.  Rivière  dans  Vincent.  Le  'i''  acte  du  Trouvères,  trouvé  en  M"«  Amaury 
(Azucena)  une  interprète  de  talent  et  en  M.  Ducot  un  Manrique  doué  d'une 
belle  voix.  L'air  du  Pardon  de  Ploërmel  a  valu  à  M"*  Fish  plusieurs  rappels. 
Une  des  attractions  du  programme  consistait  dans  le  1'"'  acte  de  Paillasse,  de 
Leoncavallo,  où  M"<=  de  Laforcade  a  été  charmante  dans  le  rôle  de  Nedda, 
qu'elle  a  joué  et  chanté  en  véritable  artiste;  M.  Ducot  (Sylvio)  et  M.  Bouillette 
(Tonio)  lui  ont  donné  la  réplique,  Enfin  M.  Rivière  (retour  d'une  saison  bril- 
lante à  Gand  où  il  a  remporté  de  beaux  succès  dans  Lakmé,  Manon,  Mignon, 
Werther,  Princesse  d'auberge,  etc.),  a  fait  du  rôle  de  Paillasse  une  création  très 
remarquée.  Le  piano  était  tenu  par  MM.  Rosen  et  A.  Dodement.  Cette  audi- 
tion a  fait  le  plus  grand  honneur  à  M""=  Marie  Rôze. 

—  M"=  Juliette  Dantiu  est  de  retour  à  Paris,  après  une  tournée  vraiment 
triomphale  en  Scandinavie  où  elle  a  fait  entendre  le  Concerto  romantique  de 
Godard,  ainsi  que  ceux  de  Beethoven  et  de  Mendelssohn. 

—  De  Nice  :  Tout  à  fait  en  fin  de  saison,  l'Opéra  vient  de  nous  donner  la 
première  représentation  de  Louise.  Gomme  partout  où  il  fut  joué,  le  roman 
musical  de  Gustave  Charpentier  a  remporté  un  immense  succès  d'enthou- 
siasme. Il  faut  féliciter  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Rey,  pour  sa  belle 
exécution  instrumentale,  et  M.  Jusseaume,  le  maitre  peintre- décorateur  pari- 
sien, qui  a  brossé  pour  notre  scène  des  toiles  remarquables.  L'interprétation, 
confiée  pour  les  rôles  principaux  à  MM.  Cornubert,  Ghasne,  Paz,  M"i=sMadier 
de  Montjau,  Passama,  de  Véry,  n'est  point  absolument  égale  et  se  ressent 
peut  être  d'études  un  peu  bousculées. 

—  De  Nice  :  Dimanche  à  Notre-Dame,  à  l'occasion  de  la  fête  des  Rameaux, 
très  belle  messe  en  musique,  pendant  laquelle  M"=  Chambellan,  de  l'Opéra- 
Comique,  et  le  baryton  Jean  Rondeau  ont  magnifiquement  interprété 
Crucifix  de  Faure,  des  fragments  des  Sept  Paroles  du  Christ  de  Théodore  Dubois, 
et  Jérusalem  de  Gounod.  Le  lendemain  lundi,  à  l'église  Notre-Dame-de- 
Bon- Voyage  de  Cannes,  toute  la  société  aristocratique  et  élégante  se  trouvait 
réunie  pour  le  concert  spirituel  au  profit  des  écoles.  Au  programme  encore 
les  Sept  paroles  du  Christ  de  Théodore  Dubois.  Les  soli  ont  été  magistrale- 
ment interprétés  par  M"=  Galavielle,  M.  le  comte  de  Ghandon  de  Briailles, 
M.  Jean  Rondeau,  M"=  Houssin,  harpiste,  et  M.  Stiegler,  organiste.  L'exécu- 
tion de  cette  belle  œuvre,  soli  et  chœurs,  a  été  très  habilement  dirigée  par 
M.  Albert  Frommer,  l'excellent  organiste  de  l'église. 

—  Dans  un  concert  donné  à  la  jetée-promenade  de  Nice,  on  a  fort  goûté 
une  Idylle  provençale  pour  orchestre  de  M.  Jules  Goudoreau. 

—  D'Angers  :  Nous  avons  eu  dimanche  dernier,  sous  la  très  artistique  di- 
rection du  comte  Louis  de  Romain,  qui  fut  l'organisateur  de  cette  séance 
peu  commune,  une  superbe  audition  de  la  Marie-Uagdeleine  de  Massenet, 
interprétée  par  la  vicomtesse  de  Trédern,  la  comtesse  de  Maupeou,  M.  Le 
Lubez  et  le  comte  de  Gabriac.  L'enthousiasme  fut  immense  pour  l'œuvre  si 
belle  du  maitre  français,  pour  ses  illustres  interprètes  et  pourM.de  Romain, 
qui,  avec  de  tels  solistes  joints  â  son  bel  orcliestre  et  à  des  chœurs  supérieu- 
rement stylés,  a  obtenu  une  exécution  de  tous  points  merveilleuse. 

—  On  lit  dans  le  Journal  de  Compiègne,  au  sujet  d'un  concert  donné  par 
l'orchestre  symphonique:  «C'est,  tout  d'abord,  l'Orchestre symphonique  qui, 
conduit  de  main  de  maître  par  le  professeur  Desloges,  enlève  avec  une  sûreté 


112 


LE  MENESTREL 


et  un  brio  remarquables,  la  Sérénade  Badine  de  G. -Marie,  la  Sarabande 
Espagnole  de  Massenet,  le  Menuet  de  la  Symphonie  It  Surprise  d'Haydn,  et  la 
marche  héroïque  de  Jeanne  d'Arc  de  Th.  Dubois.  Quant  au  professeur 
Desloges,  l'âme  de  ce  concert,  c'est  toujours  l'habile  artiste  au  jeu  si  fin,  si 
expressit  que  tout  le  monde  connaît  et  apprécie.  Le  Nocturne-Méditation  et 
l'Aubade  de  Gh.  Dancla.  sont  tout  simplement  de  petits  chefs-d'œuvre  de 
grâce.  » 

—  Montauban.  —  Le  concours  international  d'orphéons,  musiques  d'har- 
monie, fanfares,  esludiantinas,  trompes  de  chasse,  trompettes  de  cavalerie, 
fixé  primitivement  aux  23  et  '20  août  prochain,  est  avancé  d'une  semaine,  en 
raison  de  la  convocation  des  réservistes:  il  aura  lieu  les  18  et  19  août. 

—  SoinÉES  ET  Concerts.  —  A  l'Institut  Rudy,  séances  des  plus  attrayantes  et  aussi  des 
plus  intéressantes  donnée  par  II"' Caroline  Pierron  et  51.  Emile  Bourgeois,  pour  l'audition 
des  élèves  de  leur  cours  d'opéra-comique.  Chanteuses  en  même  temps  que  comédiennes, 
les  élèves  ont  prouvé  qu'elles  étaient  à  parfaite  école  et  la  salle  conquise  a  télé  parmi 
celles  qui  sont,  dès  aujourd'hui,  toutes  prêtes  à  aborder  la  scène  avec  succès,  M"' Margue- 
rite Giraud,  celle-ci  même  a  déjà  triomphé  du  grand  public  l'année  dernière  à  Nantes  et 
cette  année  à  Rouen,  oîi  elle  alla  en  représentations  créer  d'exquise  façon  CendiUlon; 
M""  Chapman,  qui  a  dit  a\ec  sentiment  la  scène  de  Saint-Sulpice  de  Manon,  dans  laquelle 
M.  Crémel  lui  donnait  la  réplique;  M"'  Jlénier,  dans  la  scène  du  2'  acte  de  Mignon,  aidée 
de  M.  Bourgeois,  et  M""^  Abrandt,  dans  la  scène  du  3"^  acte  de  Werther,  M"'  Martis  chan- 
tant Sophie.  —  Chez  M""  Biolay,  1res  artistique  soirée  musicîde,  où  les  mélodies  si  per- 
sonnelles de  Moret,  très  bien  chantées  par  M""  Julie  Bressoles,  ont  obtenu  un  énorme  suc- 
cès. Au  programme  aussi,  une  jolie  causerie  de  M'""  Eenée  Fâche  sur  le  jeune  auteur  des 
Chamons  tristes  et  quelques-unes  des  plus  jolies  Bergerettes  de  Wckerlin,  Que  ne  suis-je 
la  fougère?  le  Menuet  d'Exaudet,  Pauvre  Jacques,  accompagnées  au  clavecin  par 
M""  Fâche.  —  M.  Paul  Faguet  vient  de  faire  entendre  ses  élèves  de  chant  dont  quelques- 
uns  ont  été  particulièrement  applaudis.  M"»  G.  {Cecchino,  Badia),  M.  D.  (air  de  Joseph, 
MéhuI),  M""  P.  (air  de  Louise,  Charpentier),  M""  V.  (air  de  la  cabane  de  Laknié,  Delibes) 
et  M.  S.  (air  de  Sigurd,  Reyer).  —  M""  Be.x  a  fait  entendre  à  la  salle  Charras,  avec  le  succès 
accoutumé,  une  première  série  d'élèves  de  ses  cours  de  piano.  Signalons  parmi  les  nom- 
breux morceaux,  tous  joués  avec  une  sûreté  rare  :  sonate  de  démenti,  menuet,  value,  baga- 
telle de  Beethoven,  divertimento  de  Mozart,  concerto  de  Field,  faisant  partie  de  la  Collec- 
tion des  Classiques  Marmontel,  Souvenir  d'Âlaace  de  Lack  et  Chaconne  de  Th.  Dubois.  — 
Chez  M"''  Vieuxtemps,  audition  musicale  des  plus  intéressantes.  Après  l'audition  d'œuvres 
de  Haendel,  Schumann,  Schubert,  Gounod,  Massenet  (airs  de  M<inon  et  du  Cidj  et  Th.  Du- 
bois (air  de  Xavière),  la  seconde  partie  du  programme  était  consacrée  aux  compositions 
pour  chant  de  Louis  Diémer.  L'auteur  accompagnait  lui-même  ses  œuvres  et  a  ajouté  au 
programme  plusieurs  morceaux  de  piano  avec  lesquels  il  a  ravi  l'auditoire.  Parmi  les  nom- 
breuses élèves,  nous  citerons  particulièrement  M"''  Méziane,  Mary  Hella,  Tamisier  et 
d'Oriandal.  —  Matinée  réussie  pour  l'audition  des  élèves  de  M""'  Cadot-Laffite  ;  on  a  surtout 
applaudi  à  l'exécution  de  Entr'aele-batlct  de  Pugno,  Berceuse  de  Diémer,  dans  les  Clas- 
siques Marmontel,  A//e^ro  (/e  ctmceri  et  Po/onaise  de'Chopin,  le  Baptême  d'Yvonnette  et 
Gentil  Berger  de  Wachs,  Chant  d'Avril  de  Lack,  Valse-Caprice  de  Rubinstein  et  ouverture 
du  Roi  d'Ys  de  Lalo.  Comme  intermède,  le  Nil  de  Xavier  Leroux,  chanté  a\ec  succès  par 
M""  A.  —  M""  Rose  Delaunay  a  eu  une  brillante  jéuniun  de  ses  élèves,  qui  ont  chanté  les 
■compositions  de  M.  W'ekerlin..  Les  collections  de  romances  et  d'ariettes  du  siècle  dernier 
ont  eu  un  grand  succès,  les  Bergerettes  et  les  Pastourelles  ont  fait  florès.  De  jeunes  dames, 
entre  autres  M""  David,  Kindberg,  M""  Esquilar,  Chardon,  Bertrand  et  bien  d'autres,  admi- 
rablement stylées  par  leur  maîtresse,  ont  chanté  comme  des  artistes.  MM.  Davanne  et 
Meyer-May,  deux  belles  basses  chant^tntes,  se  sont  vraiment  distingués.  M"'  Sylvain  (qu'on 
appelait  M"'  Cahen  au  Conservatoire)  a  brillé  dans  la  haute  difficulté.  Entre  les  deux  par- 
ties, M.  Trutîier  a  charmé  ce  jeune  auditoire  avec  des  fables  qu'il  a  dîtes  avec  une  grande 
verve.  Enlin,  à  la  lin  des  tins,  M.  Wekerlin  a  chanté  quelques  tyroliennes  dans  le  texte 
original.  Toutes  les  jeunes  fillettes  roucoulaient  des  jodler  en  descendant  l'escalier.  —  A 
l'École  Beethoven,  dirigée  par  M"'  Balutet,  audition  des  œuvres  de  Filliaux-Tiger.  Parmi 
les  transcriptions  d'œuvres  de  Massenet,  on  applaudit  Rigaudon,  Crépuscule,  Sallarello, 
Marelle,  Elégie,  puis  la  transcription  de  la  Danse  russe  d'Armîngaud  et,  enfin,  parmi  les 
compositions  originales,  Source  coywio/euse.  —  Salle  Érai'd,  le  pianiste  M.  Montoriol-Tarrès 
a  donné  un  concert  avec  un  programme  assez  intéressant.  Le  jeune  pianiste  a  d'abord 
brillamment  exécuté  la  sonate  op.  .'>3  de  Beethoven  et  a  ensuite  fort  bien  interprété  avec 
M.  Schwab  la  sonate  op.  69  pour  violoncelle  et  piano.  M.  Montoriol-Tarrès  a  aussi  été 
vivement  applaudi  après  l'exécution  de  la  diCQcîle  fantaisie /s/a^îey,  de  Balakîref.  M"'' Alice 
Deville  s'est  taillé  un  succès  en  interprétant,  accompagnée  par  l'auteur,  trois  expressives 
mélodies  de  M.  Bourgault-Ducoudray.  —  La  3'^  séance  musicale  donnée  le  jeudi  28  mars 
dans  la  salle  des  Fêtes  de  l'Ecole  Niedermeyer  a  obtenu  le  plus  grand  succès.  On  a  beau- 
coup applaudi  M"'  Claude  Ritter,  qui  a  dit  des  poésies  de  Th.  Gautier  et  de  Victor  Hugo. 
MM.  Defûsse  et  Le  Bouclier  ont  exécuté  des  œuvres  de  G.  Pfeiffer,  Saint-Saëns  et  Boéll- 
mann,  à  2  pianos.  L'audition  des  morceaux  a  été  fort  goûtée,  grâce  à  l'incomparable  vir- 
tuosité de  ces  deux  jeunes  élèves.  MM.  Duhamel,  Nîbelle,  HaHich  et  Defosse  ont  inter- 
prété avec  succès  des  œuvres  de  Bach  et  de  Saint-Sacns.  Ce  sont  de  jeunes  organistes 
d'avenir.  M.  Borrel  s'est  surpassé  dans  la  sonate  en  ré  deRalfet  la  chacoimedeB.ich,  pièces 
pour  violon.  La  jolie  voix  de  M.  Chabanier  a  été  mise  en  relief  dans  un  0  Saluiaris  de 
G.  Lefèvre.  directeur  de  l'école.  —  Dimanche  dernier,  soirée  très  i-éussie  chez  M'"^  Mau- 
duit,  de  l'Opéra,  pour  l'audition  des  œuvres  de  Massenet.  Des  airs  d'Bérodiade,  dti  Manon 
et  du  Cid  ont  été  très  bien  chantés  par  les  meilleures  élèves  de  cet  excellent  professeur. 
La  fille  de  la  maîtresse  de  la  maison  a  joué  plusieurs  pièces  de  Chopin  avec  grand  succès. 
—  Séance  d'élèves  de  M""  Isambert:  L'ouverture  de  Mignon  à  8  mains  produit  son  effet 
habituel.  Très  applaudis  aussi  Printemps  revient  de  iïais&nei  et  le  chœur  de  Guilmant: 
Cœur  de  Jésus  enfant.  A  citer  encore  le  Rondo  brillant  pour  deux  pianos  et  une  suîie  de 
petits  morceaux  extraits  delà  nouvelle  méthode  élémentaire  de  piano  de  M""  Isambert.  — 
Charmante  matinée  que  celle  donnée  le  31  mars  par  M"'  Lemay-Samson  et  ses  élèves. 
Excellent  enseignement  qui  s'est  surtout  manifesté  dans  l'interprétation  de  la  mélodie 
A'éére  de  Hahn  (extraite  des  ICtudes  tatine^i,  de  l'air  d._'  Louise,  de  VAve  Maria  de  Gounod, 
de  l'air  de  Laknié,  de  plusieurs  fragments  de  Tluns,  Je  l'aime  (la  belle  mélodie  de  Mas- 
senet), de  l'alleluia  du  Cid,  du  duo  d'JIamlcl,  de  V Elégie  de  Massenet,  etc.,  etc.  —  Superbe 
five  o'clock  chez  M"'  Dolorès  Rigaud,  pour  l'audition  d'œuvres  de  Georges  Boyer  et  de 
Fontenailles.  Les  interprètes  du  programme  étaient  M"'^  .luanita  Marquet,  M""  Jungmann 
Piguet,  Lola  .Marquet,  G.  et  .«.-T.  Lallemao,  .MM.  .Marvil,  de  Poumayraf,  Edy  Toulmouche 


et  Kerrion.  Gros  succès  pour  les  exquises  poésies  de  Georges  Boyer  et  pour  la  charmante 
maîtresse  de  maison  qu'on  a  chaleureusement  acclamée.  A  citer  parmi  les  mélodies:  Fleur 
dans  un  livre,  le  Temps  des  roses,  Sérénade,  etc. 

—  Concerts  annoncés.—  M""  Anna  Laidlaw,  pianiste  remarquable,  qui  vientd'obtenir 
de  grands  succès  en  Allemagne  et  en  Autriche,  donnera  le  mardi  9  avril,  à  9  heures  du 
soir,  un  concert  à  la  salle  Pleyel.  L'éminente  artiste  fera  entendre  des  œuvres  de  Schu- 
mann, Chopin,  Henselt,  Liszt,  Godard  et  Raoul  Pugno.  —  Le  vendredi  12  avril,  à  9  heures 
du  soir,  salle  Erard,  très  intéressant  concert  donné  par  M""  Jlarîe  Lhérie,  harpiste,  avec 
le  concours  de  MM.  Gaston  Lhérie  et  Georges  Enesco.  Accompagnateur  :  JI.  Decreus. 

NÉCROLOGIE 


A  Vérone  est  mort  subitement,  le  31  mars,  le  compositeur  sir  John  Stainer, 
qui  occupa  dans  son  pays,  comme  musicien,  une  situation  des  plus  impor- 
tantes. Né  à  Londres  le  6  juin  1840,  il  entra  à  l'âge  de  sept  ans  dans  la 
maîtrise  de  la  cathédrale  de  Saint-Paul.  A  l'âge  de  dix-neuf  ans  il  prit  ses 
inscriptions  à  l'Université  d'Oxford,  fut  promu,  à  vingt  ans,  bachelier  en 
musique  et  obtint  le  poste,  fort  important,  d'organiste  et  oinformator  choris- 
torum  »  à  l'Université.  Malgré  ses  occupations  multiples,  il  passa  les  examens 
nécessaires  pour  emporter  de  haute  lutte,  en  18CS,  le  litre  de  docteur  en  mu- 
sique, et  un  an  plus  tard  celui  de  Magisler  artium.  Sa  réputation  était  déjà 
grande  à  cette  époque,  et  en  18'72,  à  peine  âgé  de  trente-deux  ans.  il  gagnait 
pour  ainsi  dire  son  bâton  de  maréchal  par  sa  nomination  au  poste  envié 
d'organiste  à  cette  même  cathédrale  de  Saint-Paul,  où  il  avait  commencé  sa 
carrière.  Pendant  seize  ans  Stainer  a  occupé  ce  poste  avec  éclat,  et  la  maî- 
trise de  la  cathédrale  fut  portée  par  lui  à  un  haut  degré  de  perfection.  En 
1888.  le  mauvais  état  de  ses  yeux  le  força  à  donner  sa  démission.  Son  bagage 
comme  compositeur  n'est  pas  fort  important.  Son  oratorio  Gédéon  est  déjà 
oublié  ;  sa  cantate  la  Fille  de  Juïre  (1878)  et  ses  oratorios,  Marie-Magdeleine  (1883) 
et  le  Crucifiement  (1887),  ne  sont  plus  exécutés  que  rarement.  Mais  ses  hymnes, 
ainsi  que  sa  musique  liturgique  en  général,  sont  restées  populaires  et  on  les 
chante  encore  dans  toutes  les  églises  et  chapelles  d'Angleterre;  son  fameux 
Amen,  qui  ne  contient  que  quelques  mesures,  d'une  grande  beauté  il  est  vrai, 
est  probablement  la  composition  moderne  la  plus  populaire  d'Angleterre. 
En  1888,  il  avait  été  créé  chevalier  (Knight)  par  la  reine  Victoria:  il  fut  aussi 
promu  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  lors  de  l'Exposilion  de  1878.  Son 
corps  a  été  ramené  en  Angleterre,  où  on  se  propose  de  lui  faire  des  obsèques 
dignes  de  sa  réputation  et  de  ses  mérites. 

—  Un  artiste  aussi  modeste  qu'intelligent  et  distingué,  Caliste  Borelli,  est 
mort  cette  semaine  à  Paris,  à  l'âge  de  68  ans.  Né  en  Italie,  il  était  venu  fort 
jeune  en  France  (il  ne  parvint  pourtant  jamais  à  se  défaire  de  sou  accent),  et 
fit  partie,  comme  violoniste,  de  l'orchestre  dn  Théâtre-Italien,  en  même  temps 
qu'il  devenait,  au  Conservatoire,  élève  d'Adolphe  Adam  pour  la  composition. 
Il  eut  même  un  instant  le  désir  de  concourir  à  l'Institut  pour  le  prix  de 
Rome,  désir  qu'il  ne  put  satisfaire  parce  qu'il  n'était  pas  naturalisé.  Il  se 
lit  plus  tard  une  situation  comme  chef  d'orchestre,  d'abord  dans  diverses 
villes  d'eaux,  puis  à  Marseille,  où  il  dirigea  avec  succès,  durant  plusieurs 
années,  les  concerts  symphoniques.  Borelli  était  un  galant  homme  et  un 
excellent  artiste. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  : 

A  la  Bibliothè([ue  des  Annales  politiques  et  littéraires  le  4*'  volume  de  Quarante  ans  de 
théâtre  (les  Modernes  :  le  drame  et  le  vaudeville),  par  Francisque  Sarcey  (3  fr.  50). 

Chez  E.  Fasquelle,  l'Aiglon  en  images,  par  John  Grand-Carteret,  avec  140  reproductions 
de  portraits  et  estampes  (3  fr.  50). 

En  veille  Ail  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  ïiviciiiie,  IIEICEL  ET  C'°,  cilileurs-prnpritilnircs  pur  tous  pays. 

CHANTS  DK  FRANCE 


R.  PÉt^mHot) 


1.  musiîtte  du  xvii»  siècle *  .   .  5 

2.  Chanson  a  danser  (1613) 5 

3.  Margoton  (XV  siècle) 4 

4.  Complainte  de  Saint  Nicolas 5 

5.  Pastorale  (XVP  siècle) 4 

6.  Le  premier  jour  de  Mai  (vers  1500) 5 

7.  Brunette  (1703) 4 

8.  Chanson  de  Guillot  Martin  (1o2o) 4 

9.  Ronde  l'OfULAiRE  (pour  3  voix  de  femmes) 9 

10.  Trimousett' (soli  et  chœur,  voix  de  femmes) 6 

—  Chaque  partie  de  chœur,  net 1 

Le  recueil  grand  in-4°,  net    .   .     5  francs. 
.lolie  édition  avec  couverture- aquarelle. 


.  (Encre  LoriUcul). 


SdSS. 


67-  mm  —  i\M5. 


Dimanehe  14  Aviil  1901. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2"",  rne  Vivieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


lie  HaméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATI^ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestobl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bous-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TESTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  [l'^  arliclej,  Paul  d'Kstri-.es.  — 
IL  Bullelin  Ihéâtral  :  première  représealation  de  Ghello  et  de  Modem  style  aux  Esclio- 
liers,  Paul-Émile  Chev.^lier;  reprise  de  Durand  et  Durand  et  première  représentation 
des  Idées  de  M.  Coton  à  la  Renaissance,  0.  Bn.  —  III.  Le  théâtre  et  les  spectacles  à 
l'Exposition  (25°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  tour  de  France  en  musique  :  Les 
Noëls  de  La  Monnoye,  Ed:*iond  Neukoum.  —  V.  Petites  notes  sans  portée  :  Résurrection 
de  la  musique,  Raymond  Boi'yer.  —  VI.  Revue  des  grands  concerts.  —  VII.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  ahrintips  à  la  musique  fie  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MENUET 

n°  10  des  Nàives,  de  Louis  Lacomee.  —  Suivra  immédiatement  :  le  Baph'me 

dH'vonnette,  de  Paul  "Wachs. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pournos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Quand  la  nuit  n'est  pas  étoilée,  nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de 
Victor  Hugo.  —  Suivra  immédiatement  :  Brutiette  (l'ÏOS),  n"  1  des  Chants  de 
France  harmonisés  par  A.  Péhilhou. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  méinoires  les  plus  récents  et  des  flociiments  inédits 

(Suite.) 


VII 

La  doyenne  des  chœurs  de  l'Opéra  et  la  commensale  de  trois  rois.  —  Une  fabrique 
Je  traits  d'esprit.  —  La  peine  et  le  profit.  —  La  dévotion  d'une  comédienne.  — 
Les  erreurs  d'un  joli  garçon  et  la  vieillesse  de  Rhodope.  —  Comment  j1/is  Astraudi 
met  en  pratique  tes  tliéories  de  la  Cartou.  —  Sérénade  de  noctambules.  —  La 
petite  Antheaume,  —  Pourquoi  Louis  XV  s'intéresse  à  la  santé  de  iV"  Du 
Rocher. 

Les  Nouvelles  de  la  cour  et  de  la  ville,  les  Mémoires  de  Dufort  de 
Cheverny,  les  Notes  inédites  de  Meusnier,  ont  accordé  une  notable 
place  aux  petites  étoiles  qui  fourmillaient  alors  au  ciel  de  l'Opéra 
ou  de  la  Comédie-Italienne,  célèbres,  les  unes  par  leur  éclatante 
beauté,  les  autres  par  leur  luxe  tapageur,  certaines  par  leur 
verve  inépuisable. 

Parmi  celles-ci  figure  au  premier  rang  la  fameuse  Cartou, 
qu'on  appelait,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  la  doyenne 
des  chœurs  de  l'Opéra  et  qui,  au  début  de  sa  carrière,  avait 
soupe,  un  soir,  avec  trois  rois.  Elle  s'en  vantait  en  toute  occa- 
sion :  c'était  une  suprême  inconséquence  pour  une  femme  d'es- 
prit,  qui  se  piquait  de   traiter  cavalièrement   les  plus  grands 


seigneurs.  Ses  saillies  sont  restées  classiques  :  quelques-unes 
même  sont  usées  à  force  d'avoir  servi  un  peu  partout.  Aussi 
n'entendons-nous  citer  que  les  moins  connues.  Il  est  vraisem- 
blable qu'elles  ne  sont  pas  toutes  de  son  cru;  mais,  en  vertu  de 
ce  principe  qu'on  ne  prête  qu'aux  riches,  il  suffisait  qu'un  mot, 
une  épigramme,  une  lettre  satirique  circulât  sans  nom  d'auteur, 
pour  que  la  rumeur  publique  l'attribuât  à  la  Cartou.  L'artiste  se 
laissait  volontiers  enrichir  de  cette  façon  ;  elle  avait  compris  que 
la  vivacité  gouailleuse  de  son  esprit  ferait  oublier  la  médiocrité 
de  son  talent. 

La  «  Rhodope  moderne  »,  comme  l'appelaient  les  journalistes 
du  temps,  avait  eu  d'illustres  amitiés,  le  maréchal  de  Saxe, 
milord  Kingston,  et  pour  se  consoler  de  la  trahison  de  cet 
Anglais,  un  «  intéressé  dans  les  vivres  de  l'Allemagne  »,  dont 
elle  disait  : 

—  Je  me  suis  jetée  dans  les  vivres,  mais  je  lui  ferai  manger 
bien  des  rations. 

Elle,  qui,  par  sentiment  de  son  infériorité,  supportait  aisément 
la  concurrence  sur  la  scène,  n'en  voulait  pas  admettre  sur  le 
terrain  de  la  galanterie,  surtout  quand  ses  rivales  appartenaient 
à  l'élite  de  la  société;  de  ce  fait  elle  se  solidarisait  avec  ses 
camarades  de  l'Académie  royale  de  Musique.  Alors  que  le  prince 
de  Conti  était  amoureux  fou  de  la  belle  M"'°  Darty,  la  Cartou 
avise  le  mari  de  cette  dame  qui  passait  devant  l'Opéra  : 

—  Eh  !  Darty,  lui  cria-t-elle,  dis  donc  de  ma  part  à  ta  femme 
et  à  ta  sœur  que,  s'il  leur  plait  de  nous  enlever  nos  pratiques, 
elles  n'ont  qu'à  venir  nous  remplacer  dans  nos  rôles,  car  il  n'est 
pas  juste  que  nous  ayons  la  peine  et  elles  le  profit. 

Mais,  —  contraste  qui  n'est  pas  rare  chez  les  femmes  de 
théâtre,  —  elle  avait,  par  intermittence,  des  élans  de  religiosité 
et  des  accès  de  dévotion  dont  les  prédicateurs  du  temps  savaient 
tirer  parti.  Ainsi  le  Père  Renaud,  cet  oratorien  qui  avait  converti 
M""  de  Mailly,  une  ancienne  maîtresse  de  Louis  XV,  se  plaisait  à 
opposer  la  tenue  de  la  fille  d'Opéra  suivant  ses  sermons,  à  l'atti- 
tude des  grandes  dames  dont  se  composait  son  auditoire  ordi- 
naire. Celles-ci  étalaient  sur  leurs  chaises  leur  éventail  et  leur 
boite  à  mouches,  ajustaient  ou  désajustaient  leur  tour  de  gorge, 
riaient  et  caquetaient  entre  elles.  La  Cartou  était  au  contraire  un 
modèle  de  décence  et  de  modestie  ;  son  maintien,  disait  le 
prêtre,  et  son  attention  auraient  édifié  des  religieuses. 

Elle  poussa  plus  loin  encore  l'esprit  de  sacrifice  :  n'eut-elle  pas 
l'idée  de  «  couronner  la  flamme  »  d'un  jeune  franc-maçon  fort 
épris  de  ses  charmes,  pour  lui  arracher  le  secret  de  la  nouvelle 
secte  ■?  Les  gazettes  à  la  main  afiîrment  très  sérieusement 
qu'en  1738  la  police  dut  à  cette  trahison  bien  féminine  de  péné- 
trer les  «  mômeries  »  des  «  francs-maçons  ». 

Toutefois,  la  conversion  de  l'actrice  ne  fut  jamais  complète. 
Bien  qu'avec  les  premières  rides  et  le  premier  cheveu  blanc  elle 
eût  renoncé  au  théâtre,  elle  n'avait  pas  dit  adieu  au  plaisir.  Elle 


114 


LE  MÉNESTREL 


avait  encore  cette  exubérance  d'esprit  qui  est  une  seconde  jeu- 
nesse et  qui  la  faisait  rechercher  dans  tous  les  soupers  galants. 
C'est  à  l'un  d'eux  que  Dufort  de  Gheverny  la  vit  pour  la  pre- 
mière fois.  Roslin  l'avait  invité  chez  la  Coupé,  avec  le  président 
de  Rosambô,  le  marquis  de  Visé  et  le  fermier  général  Cramayel, 
en  compagnie  de  la  Cartou  et  de  la  Gar\ille,  cette  danseuse  de 
l'Opéra  que  ses  petites  amies  avaient  baptisée  du  nom  de  la 
Dinde.  C'était  en  quelque  sorte  le  repoussoir  de  la  Cartou.  Ce 
soir-là  il  pleuvait  à  torrents.  Roslin  pria  Dufort  de  reconduire 
en  fiacre  les  deux  femmes,  qui  demeuraient  faubourg  Mont- 
martre. Cartou,  qui  avait  fort  amusé  les  soupeurs,  continuait 
dans  la  voiture  ses  joyeuses  histoires  et  surtout  le  récit  de  ses 
exploits  galants.  Carville,  arrivée  à  sa  porte,  descendit.  Sa  com- 
pagne restait  donc  en  téte-à-tête  avec  Dufort,  qui  était  un  jeune 
et  joli  garçon  et  à  qui  déjà  elle  avait  fait  les  yeux  doux.  Malheu- 
reusement la  voisine  était  un  peu  mûre,  et  Dufort,  qui  s'était 
sans  doute  fort  bien  soigné  au  souper,  ronflait  à  poings  fermés. 

Le  fiacre  arrivait  rue  Saint-Lazare,  en  face  delà  rue  de  Clichy, 
c'est-à-dire  au  Château  du  Coq,  où  demeurait  la  Cartou,  que  celle- 
ci  causait  encore.  Mais  dès  qu'elle  s'aperçut  des distractions 

de  son  cavalier,  elle  lui  administra  deux  ou  trois  bonnes  bour- 
rades qui  le  réveillèrent. 

Eh  quoi .'  fit-elle  avec  indignation,  c'est  ainsi  que  tu  traites 

une  femme  qui  a  vu  la  France  à  ses  genoux  et  trois  rois... 

Oui,  oui,  je  sais,  l'auberge  de  Candide!  interrompit  Dufort, 

qui  se  fâcha  pour  tout  de  bon. 

La  pauvre  Cartou  fondit  en  larmes.  Notre  homme  la  conduisit 
jusqu'à  sa  porte  ;  mais  il  se  garda  bien  de  descendre,  et  il  jura 
qu'on  ne  l'y  reprendrait  plus. 

Cartou  passa  ses  derniers  jours  dans  la  retraite,  n'ayant  plus 
pour  serviteur  qu'un  vieux  domestique  ;  et, 

Triste  retour  des  choses  d'ici -bas! 

tout  le  monde  la  criblait  de  lardons,  elle  qui  en  avait  tant  har- 
celé les  autres  I  Au  reste,  son  cynisme  avait  fait  école. 

Mes  pauvres  filles,  disait-elle  à  ses  camarades,  vous  n'en- 
tendez rien  à  votre  bonheur.  Dans  notre  métier,  il  est  bien  plus 
agréable  de  faire  sa  fortune  sou  à  sou  que  tout  d'un  coup... 

M'"  Astraudi,  de  la  Comédie-Italienne,  avait  adopté  cette  règle 
de  conduite;  et  l'inspecteur  Meusnier  en  convient,  lorsqu'il  repré- 
sente la  jolie  chanteuse  «  plutôt  faite  pour  les  conquêtes  rapides 
que  durables...  un  des  principes  de  la  Cartou  ».  Il  semble  toute- 
fois qu  elle  n'y  persista  pas  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours,  puisqu'elle 
se  maria  la  nuit,  dans  l'église  de  la  Madeleine,  sur  la  paroisse 
de  la  Yille-Lévêque,  avec  Pajot  de  Villers. 

Avant  cette  suprême  aventure,  M'""  Astraudi  en  avait  encou- 
ragé de...  plus  extravagantes,  s'il  faut  en  croire  Dufort  de  Cheverny. 
Celui-ci,  avec  plusieurs  jeunes  gens  de  son  âge,  entre  autres  le 
futur  académicien  Chabanon  et  La  Borde,  depuis  premier  valet 
de  chambre  du  roi,  s'était  avisé  d'aller  donner  une  sérénade  à 
M"«  Astraudi,  vis-à-vis  la  Comédie-Italienne  alors  rue  Maucon- 
seil.  Les  musiciens  se  placent  :  Fonlanier,  qui  jouait  de  la  basse, 
monte  sur  une  borne,  et,  comme  chef  d'orchestre,  donne  le 
sioTial.  Le  concert  commence.  Mais,  un  commissaire  survenant  à 
l'improviste,  tous  les  exécutants  déguerpissent,  oubliant  Fon- 
tanier  sur  sa  borne.  Le  magistrat,  pour  l'en  faire  descendre,  le 
tire  par  la  manche. 

Mais  je  suis  en  mesure,  réplique  le  musicien. 

Ébahissement  du  commissaire,  lorsqu'il  apprend  que  cet  intré- 
pide musicien  est  le  fils  d'un  conseiller  d'État.  Aussitôt  il  renvoie 
son  escorte  et  prie  Fontanier  de  vouloir  bien  accepter  l'hospi- 
talité dans  sa  maison.  Précisément  il  y  traitait  quelques  amis. 
Notre  artiste  accepte  de  grand  cœur  :  il  passe  sa  nuit  à  boire  et 
à  rire  en  compagnie  de  ces  braves  gens.  Puis,  à  quatre  heures 
du  matin,  il  reprend  le  chemin  de  sa  demeure,  en  battant  les 
murs  et  sa  basse  sur  le  dos. 

Parfois  un  nom,  inconnu  la  veille,  montait  soudain  jusqu'aux 
nues,  et,  comme  ces  météores  qui  jettent  le  plus  vif  éclat,  retom- 
bait presque  aussitôt  dans  l'obscurité.  La  «  petite  »  Antheaume 
connut  cette  grandeur  et  cette  décadence.  En  septembre  1736 
tout  Paris  ne  parlait  plus  que  de  ce   «  phénomène  ravissant  » 


découvert  dans  les  chœurs  de  rOpéra.  Elle  n'était  pas  belle  sans 
doute;  mais  elle  avait  «  une  voix  qui  ferait  oublier  un  jour  celle 
de  M'"  Lemaure  ».  Aussi  voulut-on  lui  donner  à  doubler  le 
rôle  de  la  Vertu  dans  le  Persée  de  Lulli.  Mais  Jl"°  Antheaume  le 
refusa  sous  le  candide  jjrétexte  qu'il  lui  porterait  malheur.  De- 
puis, le  «  phénomène  »  disparut,  sans  laisser  la  moindre  trace. 

Mais  pour  les  actrices  qui  n'ont  ni  la  chance,  ni  le  talent  de 
se  produire,  il  est  encore  des  grâces  d'État  ! 

En  août  173.5,  Louis  XV  était  descendu  chez  le  duc  de  Vil- 
leroy  à  Petit^Bourg.  Il  s'y  montra  d'une  humeur  charmante  ;  et 
lorsqu'il  entendit  raconter,  à  souper,  qu'une  actrice  de  l'Opéra, 
la  Durocher,  qui  était  à  toute  extrémité,  avait  recouvré  la  santé, 
il  témoigna  toute  sa  satisfaction  en  se  frottant  les  mains. 

Le  duc  de  Charost  s'étonna  et  prit  la  liberté  grande  de  de- 
mander au  roi  pourquoi  le  retour  de  M"'  Durocher  à  la  santé  lui 
donnait  tant  de  joie. 

—  Ne  savez-vous  pas,  lui  dit  le  prince,  que  de  tous  mes  sujets 
c'est  encore  M'"  Durocher  qui  m'aime  le  plus  et  à  qui  j'ai  le  plus 
d'obligation. 

—  Pardonnez-moi  encore  cette  question.  Sire,  réplique  Cha- 
rost absolument  ahuri,  mais  quelle  obligation  pouvez-vous  avoir 
à.  cette  actrice? 

Et  le  roi  lui  apprit  que  la  Durocher,  lors  de  la  convalescence 
de  Louis  XV  et  de  la  naissance  du  dauphin,  avait  témoigné  sa 
joie  toute  patriotique  par  des  largesses  exceptionnelles  pour  ses- 
adorateurs. 

Le  duc  de  Charost,  un  saint  homme,  baissa  les  yeux  en  sou- 
riant du  bout  des  lèvres. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Les  EscHOLiERS.  Ghetto,  pièce  en  3  actes,  de  M.  Heijermanns,  adaptation  fran- 
çaise de  MM.  J.  Lemaire  et  J.  Schurmann;  Modem  style,  comédie  en  1  acte 
de  M.  J.  Crépet.  —  Nouveau-Cirque. 

Les  Bscholiei-s,  marchant  de  plus  en  plus  de  l'avant  sous  l'impulsive 
direction  de  leur  très  actif  et  très  chercheur  président,  M.  Maurice 
Froyez,  en  peuvent  maintenant  remontrer  à  plus  d'un  théâtre  régulier, 
qui  devrait  justement  aller  apprendre,  de  ces  amateurs,  comment  on 
découvre  des  auteurs  nouveaux,  comment  on  peut  faire  valoir  de  jeunes 
artistes  et  comment,  bien  qu'on  ne  soit  pas  du  bâtiment  et  qu'à  chaque 
nouveau  spectacle  il  faille  tout  constituer  d'éléments  pris  à  droite  et  à 
gauche,  on  sait  mettre  en  scène. 

C'est  une  pièce  d'un  autem'  hollandais,  M.  Heijermanns,  adaptée  en 
français  par  MM.  J.  Lemaire  et  J.  Schurmann,  qu'on  nous  a  donnée 
cette  semaine  dans  la  salle  du  Nouveau-Théâtre.  Ghetto  est  œuvre  essen- 
tiellement philosophique,  d'un  intérêt  indéniable,  sinon  d'une  émotion 
très  immédiate.  Comme  tout  ce  qui  nous  tombe  du  Nord,  ces  trois  actes 
sont  plutôt  compendieux,  un  peu  mastocs  et  d'abusives  redites,  mais 
l'idée  en  est  noble  et  le  plaidoyer  très  souvent  juste  et  chaleureu.x,  Il 
s'agit  là  de  l'éternel  antagonisme  entre  race  catholique  et  race  juive  : 
le  jeune  Raphaël,  fils  d'un  Israélite  sordide  et  voleur  dont  il  sait  toute 
l'ignominie  morale,  veut  s'évader  d'un  milieu  qui  répugne  à  sa  nature 
droite,  honnête  et  sociable;  il  a  eu,  d'ailleurs,  trop  à  souffrir  toujours 
de  l'ostracisme  pesant  sur  ceux  de  sa  caste,  ostracisme  qu'il  sent  bien 
n'être  pas  tout  à  fait  immérité,  ostracisme  que  les  siens  ont  tout  fait 
pour  aggraver  en  se  murant,  pour  ainsi  dire  hargneusement,  en  uu 
ghetto  moral,  encore  plus  hermétiquement  clos,  plus  sournoisement 
dissimulé  que  l'ancien  et  infamant  ghetto  dont  la  civilisation  moderne 
a  brisé  les  étroites  limites.  La  pii-'ce,  située  en  un  milieu  de  viles  et 
âpres  brocanteurs  d'Amsterdam,  d'aspect  curieiLx  et  d'analyse  pittores- 
quement  docimientée ,  perd  de  sa  haute  allure  dogmatique  lorsqu'elle 
s'arrête  trop  mièvrement  aux  amours  du  juif  Raphaël  et  de  la  catholique 
Rose,  amours  qui  ne  servent,  par  ailleurs,  qu'assez  faiblemeut  la  gran- 
deur des  rêves  humanitaires  du  jeune  renégat  prédisant,  pour  l'avenir, 
une  ère  d'apaisement  qui  nous  sera  donnée  par  une  Religion  d'exclu- 
sive et  unique  bonté  que  nous  ne  connaissons  pas  encore. 

Ghetto,  monté  avec  un  souci  de  mise  en  scène  très  heureux  et  une 
recherche  de  distribution  absolument  ctirieuse,  est  joué,  d'ensemble,  tout 
à  fait  bien  par  MM.  Albert-Mayer,  Vargas,  Leubas,  remarquable  dans 
un  rôle  de  rabbin  prédicant  et  bon  enfant,  Bouchard,  Gavary,  M"""  Lola- 


LE  MÉNESTREL 


115 


Noyr,  Alice  Bonheur,  qui  s'essaie  gentiment  à  la  pure  comédie,  et 
Claude  Ritter. 

Le  spectacle  était  complété  par  un  petit  acte  de  M.  Jacques  Crépet, 
Modem  style,  bavardage  galant,  boulevardier  et,  surtout,  d'évident  essai, 
que  les  Escholiers  ont  coquettement  installé  en  un  joli  mobilier  XVIII "= 
et  qu'ils  ont  fait  interpréter  par  de  très  jeunes  comédiens,  des  espérances 
encore,  la  toute  captivante  M"°  Del  Bayé  et  M.  R.  Berthelier. 

Les  tableaux  vivants  restant  à  la  mode,  il  appartenait  au  Nouveau- 
Cirque  de  lancer  ceux  avec  cheval.  C'est  miss  Sidi  Nirwana,  avec  son 
arabe  Loky,  qui,  très  adroitement,  nous  présente  plusieurs  scènes  célè- 
bres dont  l'intérêt  principal  réside  dans  le  dressage  de  la  Iiète  à  l'im- 
mobilité. Cela  complète  agréablement  un  programme  où  figurent,  comme 
numéros  sensationnels,  les  gymnastes  Boues,  les  frères  Frediani,  Thé- 
rèze  Renz  et  le  Pont  Alexandre  avec  Foottit  et  son  inséparable  Chocolat. 

PaUL-ÉmILE   CllEVALlEK. 


Théâtre  de  la  Renaissance.  —  Durand  et  Durand,  comédie  en  3   actes,  de 
'    MM.  Ordonneau  et  Yalabrègue.  —  Les  Idées  de  M.  Coton,   comédie  en  un 
acte,  de  MM.  A.  Bernède  et  L.  Mize. 

La  reprise  de  Durand  et  Durand,  la  joyeuse  farce  de  MM.  Ordonneau 
et  Valabrègue,  qui  a  fait,  il  y  a  quelques  années,  les  belles  soirées  du 
Palais-Royal,  a  prouvé  que  la  ris  comica  fantaisiste  de  cette  pièce  n'est 
pas  encore  épuisée.  Assez  bien  interprétée  par  M""-'  Dufay,  Janney  et 
Oromier  et  par  MM.  Charpentier,  Jannin,  Poggi  et  Paul  Jorge,  la  farce 
a  provoqué  beaucoup  d'hilarité  et  d'applaudissements.  BUe  était  pré- 
cédée d'un  joli  lever  de  rideau  intitulé  les  Idées  de  M.  Coton,  de 
MM.  A.  Bernède  et  L.  Mize.  M.  Coton,  le  rempart  de  la  libre  pensée  de 
son  quartier,  un  épicier  retiré  après  fortune  faite,  qui  brigue  les  fonc- 
tions de  conseiller  municipal,  ne  veut  pas  accorder  la  main  de  sa  fille  à 
un  jeune  homme  que  celle-ci  aime,  parce  qu'une  «  tache  noire»  désho- 
nore la  famille  du  soupirant.  Cette  tache,  on  le  devine,  est  la  soutane 
d'un  oncle  qui  est  curé.  La  mère  s'adresse  à  un  vieil  ami  de  la  maison, 
coreligionnaire  politique  de  son  mari,  poui'  qu'il  intervienne  en  faveur 
de  la  fille  désespérée.  L'ami,  vollairien,  vQit  également  rouge  dès  qu'il 
apprend  l'existence  de  la  soutane  noire  et  refuse  tout  d'abord,  mais 
M"'°  Coton  évoque  des  souvenirs  tendres  et  l'ami  se  décide.  Les  deux 
voltairiens  ont  une  discussion  peu  académique  qui  semble  devoir  aller 
jusqu'aux  voies  de  fait,  quand  le  jeune  homme  arrive  pour  annoncer 
que  la  tache  noire  est  devenue  violette.  Son  oncle,  nommé  évéque' répu- 
blicain, aurait  même  assez  de  crédit  pour  procurer  un  reflet  de  sa  sou- 
tane sous  forme  de  palmes  académiques.  Cette  perspective  change  les 
idées  de  M.  Coton  et  il  donne  sa  flUe  au  neveu  du  «  haut  fonctionnaire 
concordataire  de  la  République  ».  Cet  instantané  dramatique,  qu'on 
aurait  facilement  pu  développer  en  trois  actes,  a  été  fort  bien  joué  par 
jyjmes  Dufay  et  Gromier  et  MM.  Paul  Jorge  et  Jannin,  et  a  procuré  aux 
auteurs  et  aux  interprètes  deux  rappels.  O.  Bn. 


LE  THEATRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE    19CO 

(Suite.) 


LES   PANORAMAS,  LES   DI0H.\MAS...  ET  I.E  RESTE 

Il  n'est  si  bonne  compagnie  qui  ne  se  quitte,  dit  fort  sagement  un  de 
nos  vieux  proverbes.  Je  ne  saurais  donc  éterniser  cette  revue  des 
théâtres  et  des  spectacles  de  toute  sorte  et  de  tout  genre  qui  ont  fait  de 
l'Exposition  de  1900  une  immense  foire  aux  curiosités,  et  il  me  faut 
enfin  entamer  aujourd'hui  son  dernier  chapitre  en  y  résumant,  d'une 
façon  rapide,  tout  ce  dont  je  n'ai  pu  parler  encore. 

Tout  d'abord  il  me  faut  signaler  les  panoramas  nombreux  (oh  !  com- 
bien nombreux  !)  qui  étaient  semés  sur  toutes  les  parties  du  Champ-de- 
Mars  et  du  Trocadéro.  Presque  tous,  il  faut  le  constater,  étaient  extrê- 
mement remarquables,  et  le  public,  par  son  affluence,  a  prouvé  tout  le 
plaisir  qu'ils  lui  procuraient.  C'est  d'ailleurs  un  spectacle  non  seulement 
charmant,  mais  aussi  fort  utile,  que  celui  que  donnent  les  panoramas, 
et  si  l'illustre  savant  Alexandre  de  Humboldt,  qui  en  était  alors  forcé- 
ment aux  premiers  perfectionnements  apportés  par  Daguerre  et  Bouton 
â  la  peinture  circulaire  de  Parker,  avait  pu  considérer  les  admirables 
panoi'amas  actuels,  il  en  aurait  reconnu  sans  doute  plus  encore  l'utilité, 
ainsi  qu'il  le  faisait  dans  son  Cosmos  il  y  a  soixante-dix  ans  : 

Les  panoramas  circulaires, disait-il,  rendent  plus  de  services  que  les  décors 
de   théâtre,  parce  que  le  spectateur,  frappé  d'enchantement  au  milieu  d'un 


cercle  magique,  et  à  l'abri  de  distractions  importunes,  se  croit  entouré  de 
tous  cotés  par  une  nature  étrange.  Ds  nous  laissent  des  souvenirs  qui,  après 
quelques  années,  se  confondent  avec  l'impression  des  scènes  de  la  nature  que 
nous  avons  pu  voir  réellement. 

Tous  ces  moyens  sont  très  propres  à  propager  l'étude  de  la  nature,  et  sans 
doute  sa  grandeur  sublime  serait  mieux  connue  et  mieux  sentie  si,  dans  les 
grandes  villes,  auprès  des  musées,  on  ouvrait  librement  à  la  population  des 
panoramas  où  des  tableaux  circulaires  représenteraient,  en  se  succédant,  des 
paysages  empruntés  à  des  degrés  différents  de  longitude  et  de  latitude.  C'est 
en  multipliant  les  moyens  à  l'aide  desquels  on  reproduit,  sous  des  images 
saisissantes,  l'ensemble  des  phénomènes  naturels,  que  l'on  peut  familiariser 
les  hommes  avec  l'unité  du  monde  et  leur  faire  sentir  plus  vivement  le  con- 
cert harmonieux  de  la  nature. 

Ce  concert  harmonieux  de  la  nature,  dont  parle  Humboldt,  on  pou- 
vait le  saisir  et  l'admirer  dans  tous  ces  panoramas  qui  ont  fait  l'étonne- 
ment  et  la  joie  des  visiteurs  de  l'Exposition.  On  ne  savait,  entre  tous, 
lequel  choisir  et  le  mieux  contempler.  Il  y  avait  d'abord  le  Panorama 
de  Madagascar,  si  saisissant,  peint  par  M.  Louis  Tynaire,  qui  suivit  en 
1 89o  le  corps  expéditionnaire.  Toile  superbe  et  gigantesque,  de  i  20  mètres 
de  tour  sur  14  mètres  de  hauteur,  animée  par  250  silhouettes  dont  plu- 
sieurs étaient  les  portraits  frappants  des  officiers  qui  ont  commandé 
là-bas,  les  généraux  Duchesne,Voyron,  Metzinger,  de  Torcy,  Bizot,  etc. 
Et  il  faut  au  moins  signaler  les  douze  dioramas  qui  frappaient  l'œil  du 
spectateur  avant  qu'il  parvienne  à  cette  page  émouvante. 

Après  celui-là  on  ne  pouvait  ne  pas  visiter  celui  de  la  mission  Mar- 
chand, dit  de  Fachoda  —  un  nom  qu'on  ne  peut  ni  prononcer  ni  écrire 
sans  un  serrement  de  cœur!  C'est  le  peintre  Castellani,  qui,  lui  aussi, 
faisait  partie  de  la  mission,  qui  eu  a  retracé  les  glorieuses  étapes,  depuis 
Loango  jusqu'au  retour,  à  travers  le  continent  noir.  Le  tableau  était 
d'un  intérêt  poignant. 

En  parlant  du  théâtre  du  Tour  du  monde,  j'en  ai  décrit  déjà  l'admi- 
rable panorama.  Je  n'ai  donc  pas  à  y  revenir.  Mais  je  m'arrête  devant 
le  très  beau  Panorama  transatlantique  de  M.  Th.  Poilpot,  qui  nous  fait 
faire  un  voyage  à  travers  la  Méditerranée  en  vue  des  côtes  africaines  et 
nous  donne  une  vue  d'Alger  prise  de  je  ne  sais  plus  quelle  mosquée, 
d'où  le  regard  s'étend  sur  toute  la  ville,  ville  européenne  et  ville  arabe, 
et  embrasse  le  port,  avec  les  bateaux  qui  l'animent  dans  toute  son  éten- 
due, puis  les  quais,  les  promenades.  les  monuments...  Tout  autour, 
onze  dioramas  dont  l'intérêt  n'est  pas  moindre,  et  qui  nous  font  visiter 
Bhdah,  Biskra,  Tlemcen,  Constantine,  Tunis,  Bizerte,  etc.  Là  où  l'in- 
térêt fléchissait,  par  exemple,  c'était  devant  une  troupe  de  danseuses 
arabes  qui  évoluaient  dans  une  salle  du  rez-de-chaussée,  et  dans  le 
spectacle  desquelles  j'ai  retrouvé  —  horreur!  —  l'immonde  danse  du 
ventre. 

Nous  n'avons  pas  fini.  Voici  le  Maréorama  —  un  nom  nouveau  pour 
une  chose  nouvelle.  Ceci  est  un  spectacle  particulièrement  curieux.  Il 
ne  s'agit  pas  ici  d'un  simple  tableau  circulaire  et  fixe,  mais  d'une  im- 
mense toile  mobile  qui  se  déroule  non  pas  devant,  mais  autour  de  nous, 
toile  vraiment  colossale,  car  elle  ne  mesure  pas  moins  d'un  kilomètre 
e<  rfe/Ht  de  longueur  sur  quinze  mètres  de  hauteur.  C'est  la  plus  éton- 
nante entreprise  de  peinture  panoramique  qui  ait  jamais  été  exécutée. 
Auteur,  M.  Hugo  d'Alési,  qui  a  dirigé  les  travaux  de  toute  une  escouade 
de  peintres  reproduisant  ses  maquettes  dans  les  proportions  nécessaires. 

Nous  sommes  sur  le  pont  d'un  navire  —  car  il  y  a  ici  toute  une  mise 
en  scène  et  d'un  effet  particulier,  mise  en  scène  comportant  une  partie 
mécanique  très  considérable,  très  délicate  et  toute  nouvelle,  et  qui  exi- 
geait une  précision  minutieuse.  La  machinerie  qui  met  en  mouvement 
ce  faux  steamer,  avec  ses  effets  de  tangage  et  de  roulis,  n'a  pas  coûté  à 
elle  seule,  dit-on,  moins  d'un  demi-million.  Le  public  est  placé  absolu- 
ment comme  sous  la  toile  qui  abrite  le  pont  d'un  paquebot.  Le  pilote 
est  placé  à  la  roue  de  son  gouvernail,  et  autour  des  «  passagers  »  cir- 
culent des  matelots  et  leurs  officiers.  On  part  de  Villcfranche  pour  arriver 
a  Constantinople,  en  faisant  escale  à  Sousse,  à  Napleset  aussi  à  Venise, 
—  ce  qui,  naturellement,  fait  faire  un  crochet.  A  peine  a-t-on  «  pris  le 
large  «  que  le  roulis  se  fait  sentir  (un  roulis  très  doux,  qui  ne  saurait 
avoir  aucune  conséquence  fâcheuse  pour  les  cœurs  même  les  plus  sen- 
sibles). Avec  la  toile  qui  se  déroule,  on  a  vraiment  l'illusion  d'un  voyage 
eu  mer,  illusion  complétée  par  le  vent,  qu'on  entend  par  instants  souf- 
fler en  rafales,  et  par-  la  sirène,  qui  siffle  d'une  façon  stridente.  On  passe 
devant  Capri,  et  l'on  perçoit  les  spns  lointains  d'une  tarentelle.  Puis 
on  arrive  devant  Naples,  où  toute  une  escadre  est  réunie,  cuirassés,  croi- 
seurs, torpilleurs.  Une  volée  de  coups  de  canon  satuo  notre  bâtiment,  et 
la  Marseillaise  se  fait  entendre.  Mais  voici  que  peu  à  peu  la  nuit  vient, 
tout  s'estompe,  tout  se  fond  et  se  perd  dans  ie  brouillard.  Avec  l'obscu- 
rité le  vent  souffle  de  nouveau,  le  roulis  s'accuse,  et  voici  que  l'orao'e 
éclate,  tonnerre,  éclairs,  etc.  Heureusement  les  nuits  sont  courtes  à 
bord  du  Marrorama.  Bientôt  le  jour  reparait,  tout  s'apaise,  le  soleil 


116 


LE  MÉNESTREL 


brille,  et  comme  nous  allons  très  vite,  nous  arrivons  tout  à  coup  devant 
Venise.  Nous  sommes  sur  la  lagune,  entourés  de  gondoles  et  de  bateaux 
de  toute  sorte,  nous  longeons  le  quai  des  Esclavons.  nous  passons  devant 
la  Piazzetta  et  nous  voyons,  en  face,  l'église  de  la  Salute.  Puis  nous 
nous  éloignons  et  atteignons  enfin  Gonstantinople,  terme  de  la  traversée, 
qui  nous  fait  admirer  en  dernier  lieu  le  Bosphore  et  la  Corne  d'Or,  par 
un  radieux  soleil. 

C'était  un  spectacle  vraiment  original  et  neuf  que  celui  qu'offrait  le 
Maréorama.  Après  y  avoir  assisté,  les  esprits  curieux  pouvaient  essayer 
de  se  rendre  compte  des  choses  et,  avant  de  sortir,  descendre  visiter  la 
machinerie,  œuvre  de  deux  ingénieurs  distingués,  MM.  Voirin  et 
Desbrochers  des  Loges.  Dans  les  deux  dessous,  énormes,  comme  ceux  de 
certains  grands  théâtres,  ils  pouvaient  voir  le  puissant  pivot  sphôrique 
sur  lequel  était  placé  le  «navire»,  actionné  à  volonté  par  quatre  im- 
menses pistons  qui  lui  imprimaient  ses  doubles  mouvements  de  roulis 
et  de  tangage.  Un  dessus  non  moins  vaste  était  uniquement  consacré  à 
l'électricité,  pour  les  divers  effets  de  lumière,  de  nuit  et  de  brouillard. 
Quant  au  beau  palais  du  Maréorama,  il  était  dû  àM.  Lacau,  architecte. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 

I^  o  11  r  s;  o  g;  M-  e 

(Suite.) 


m 

LES  NOELS  DE  LA  MONNOYE 

Dans  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle,  il  advint  subitement  que 
la  cour  et  la  ville  s'engouèrent  pour  des  Noéls  à  l'allure  étrano-e  au 
pai-ler  bizarre,  à  l'image  vive  et  colorée.  Le  monde  des  salons  et  des 
chapelles  s'émut;  on  s'informa,  et  l'on  apprit  que  ces  Noéls,  ces  Noei 
comme  ils  s'intitulaient,  étaient  l'œuvre  d'un  enfant  de  la  Bourgoo-ne. 

Aimé  Piron,  père  de  l'auteur  de  la  Mctromanie,  s'était  déjà  distino-ué 
par  la  grâce  et  le  piquant  de  ses  Noéls  en  patois  bourguignon.  Il  les 
avait  mis  à  la  mode  quelques  années  auparavant.  Le  terrain  était  donc 
parfaitement  préparé  pour  l'acclimatation  des  nouveaux  venus  qui 
parurent  bientôt  sous  le  nom  de  Gui  Barôzai. 

Barôzai,  c'était,  et  c'est  encore,  le  surnom  donné  aux  vignerons  de  la 
Bourgogne,  parce  qu'autrefois  ils  portaient  des  bas  couleur  de  rose.  La 
signature  figurant  au  bas  des  Noei  Borguignon  ne  pouvait  donc  être  qu'un 
pseudonyme.  On  sut  bientôt  qu'il  cachait  la  personnalité  d'un  sieur  de 
La  Monnoye,  <(  vseu  de  lai  raice  dé  bon  Barôzai,  n'ayant  jamoi  velu  palai 
autre  langaige  que  stu  de  feu  son  peire  et  de  feu  son  gran-peire,  ai  qui  J)ei 
baille  bone  vie  ».  Alors  on  goûta  doublement  ses  produits,  auxquels  on 
trouvait  un  bon  grain  de  sd.  Et  c'était  la  vérité.  «  Avec  ces  subtils  cou- 
plets, dit  un  auteur  du  temps,  on  est  un  peu  sur  le  tranchant  du  rasoir- 
on  lit,  on  sourit,  on  approuve,  on  interroge...  et  l'on  reste  parfois  moitié 
figue  et  moitié  raisin.  » 

La  Monnoye  avait,  d'ailleurs,  la  conscience  de  sa  valeur.  En  tète  de 
son  Recueil  de  Noei,  il  dit,  dans  son  Evartisseman  : 

Lizé  lé,  Jaque,  Piarre,  Antone; 

Lai  seustance  an  à  belle  el,  bone  ; 

Bé  dé  Prone,  bé  dé  Sarmon 

Ne  lé  vaille  pa  dan  le  fon. 

Paûdan  qu'an  cheire  un  curé  braille 

Lé3  un  dorme,  lés  autre  baille  ; 

I\la  po  lé  Noei  que  veci, 

Ai  n'éténe  pa,  Dieu  marci, 

Vo  peuvé  tôte  lai  jonée 

Chantai  gaimau  le  retonée, 

Seur  (sûr^,  tan  que  vu  lé  chanleré, 

Que  jaimoi  vo  ne  dormiré. 

On  ne  s'admire  pas  mieux  soi-même.  Aussi  cette  belle  confiance 
attira-t-elle  à  La  Monnoye  de  nombreuses  égralignures.  Mais  il  était 
homme  à  se  défendre. 

A  un  personnage  qui  s'était  permis  de  ne  pas  trouver  ses  Noèls  excel- 
lents, il  décochait  ce  trait  : 

C'eto  lai  cas  de  choisi  Beane 
Pour  y  logé  tei  qui  mé  condamnai, 

ce  qui  était  la  plus  grave  insulte  qu'un  Dijonnais  pût  adresser  à  un 
de  ses  compatriotes,  un  vieux  proverbe  de  l'ancienne  capitale  de  la 
Bourgogne  disant  : 

Un  niais  est  de  Beaune,  ou  il  faut  l'y  envoyer. 


Avec  cette  aimable  nature,  La  Monnoye  ne  pouvait  manquer  de  se 
faire  de  nombreux  ennemis.  C'est  ce  qui  advint.  Les  attaques  ne  lui 
manquèrent  pas,  et  à  un  moment  une  véritable  tempête  se  déchaîna 
contre  lui.  Un  vicaire  de  Saint-Etienne  tonna  du  haut  de  sa  chaire  contre 
ses  Noéls.  qu'il  appelait  d'impertinentes  et  sacrilèges  satires.  La  Sor- 
bonne  s'en  mêla  et  ses  œuvres  furent  déférées  à  la  censure.  L'affaire  alla 
devant  les  juges;  mais  ceux-ci  s'abstinrent  de  le  condamner.  Sa  renom- 
mée s'accrut  de  celte  levée  de  boucliers  et  lui  ouvrit  le  chemin  de  la 
capitale.  Il  vint  à  Paris,  s'y  enrichit,  fut  de  l'Académie,  et  finalement  se 
vit  ruiné  de  fond  en  comble  par  la  Banque  de  Law. 

Le  Recueil  des  Noei  de  Gui  Barôzai  débute  par  ce  qu'on  pourrait 
appeler  un  Noël  de  bravoure  : 

Ce  premei  : 

NOEI  A  TO  NOVIÏA 
Sur  un  ai'  de  tromjiaitr. 
Gran  Dei,  riboo  ribène,  ai  fau  qu'anlin  j'éclaite, 
Doussei-je  de  l'essor  en  cliantan  m'évanlai. 
Moi  donc  lai  voi  n'a  faite 
Que  po  le  flaijolai, 
Je  vai  su  lai  trompaite 
Ronflai. 

Viennent  ensuite  des  Noëls  doux,  idylliques,  mais,  comme  dans  toute 
la  Noellerie  de  La  Monnoye,  marqués,  fouettés  d'un  refrain  à  vive  allure. 
Celui  du  Cure  de  Pleu7neire  est  le  modèle  du  genre.  Il  commence  et  finit 
par  ces  couplets  : 

Su  l'ar  du  Viéled  :  Je  suis  la  plus  contente. 

Le  curé  de  Pleumeire  Je  veu  qu'an  mon  Églize, 

Dizô,  lai  tleùte  en  main  :  Depeù  lai  sain  matin 

Chanton  Borgei,  Borgeire,  Jusqu'à;  Noei,  l'on  dize, 

J'airon  Noei  demain  :  Por  Antienne,  au  lutrin  : 
Robeigne  Rabeigoe 

Lubeigne  Lubeigne 

Bereigne  Bereigne 

Ligei  Ligei 

Chanlou  tû  Noei,  Noei...  Clianton  tù  Noei,  Noei. 

Ce  curé  de  Pleumeire  était  un  type  populaire  dans  le  Dijonnais.  C'était 
un  amateur  forcené  de  musique.  Il  jouait  du  flageolet,  de  la  musette, 
du  basson,  de  la  cromorne,  et  à  ses  moments  perdus  enseignait  des  airs 
d'opéra  à  des  linottes,  qui  les  redisaient,  parait-il,  parfaitement. 

De  la  même  allure  que  le  précédent  est  ce  Noei,  bien  scandé,  qui  se 
chante  su  l'ar  :  Ma  mère,  mariés  moi  : 


Guillô,  pran  ton  tambourin, 
Toi,  pran  tai  tleùte,  Robin  ; 
Au  son  de  ces  inslruraan, 
Turelurelu,  patapatapan, 
Au  son  de  ces  inslrunian 
Je  diron  Noei  gaiman. 

C'étô  lai  mode  autrefoî 
De  loiié  le  Roi  dé  Roi 
Au  son  de  ces  instruman, 
Turelurelu,  patapatapan  ; 
Au  son  de  ces  instruman 
Ai  nos  an  fau  faire  autan. 

Un  autre  commence  par  : 


Cejor,  le  Diale  at  ai  eu, 
Randons  an  graice  ai  Jésu, 
Au  son  de  ces  instruman, 
Turelurelu,  patapatapan; 
Au  son  de  ces  instruman, 
Fezon  tai  nique  ai  Satan. 

L'homme  et  Dei  son  pu  d'aicor 
Que  lai  tleùte  el  le  tambor, 
Au  son  de  ces  instruman, 
Turelurelu,  patapatapan  ; 
Au  son  de  ces  instruman, 
Chanlon,  danson,  sautoos-an. 


Ace  ici  le  Moitre 
De  tô  l'univar?' 
Ai  fau  voi  bé  clar 
t  du  premei  cû  requeùnaitir 
Le  Dei  de  Jacu, 
Fai  tù  corne  no. 


Puis,  c'est  un  dialogue  entre  un  borgei,  sai  fanne  et  la  Vierge  . 


Le  Borgei. 

Panne,  couraige, 

Le  Diale  a  mor. 

Aipré  l'oraige 

J'on  lé  bia  jor. 
Dei  pré  d'ici  repôze  ammaillO 

Su  lai  frétille; 
Les  Ainge,  ai  force  de  chantai 

S'an  égôzille  ; 

Tôt  an  fremille. 

Lai  Fanne. 

Cal  mai  gorgeire 

Mon  jazeran 

Mai  carceleire, 

Mon  goudô  blari  ; 
Gai,  marchon  gai,  lûjor  gai,  n( 

Que  je  m'éréte, 
Je  meur  de  voir  ce  gai-cenû 

Don  no  Prôféte 

Fon  tan  de  fête. 


Lr  Bortjei. 

Vé  sai  cabane 

Dreusson  no  pa, 

Antan  tu  l'ane 

Qui  fai  hin,  ha? 
Antron  :  Dei  gar,  bon  jo,  moître  Jôzai, 

Daime  Mairie, 
Je  venon  po  voi,  s'ai  vô  plai, 

Le  Fru  de  vie, 

Note  Messie. 

Lai  Fanne. 

Su  son  visaige 

T6  clar  on  li 

Que  c'a  l'ôvraige 

Du  Saint  Esprit  ; 
C'a,  po  le  seur,  un  vrai  Dei  tô  naquai 

Toù  son  se  gade? 
On  antre  ché  lu  sans  côquai. 

Foin  d'haulebade, 

De  rebufade. 


LE  MENESTREL 


117 


Lp  Borgei. 

Çk  lai  figure 

Du  Cier  ùvar, 

Pu  de  clôture, 

Pu  de  rarapar; 
Je  triSveron  san  senai,  san 

Tôte  ébanée 
Lai  pote  de  ce  graa  Palai, 

Qui  tan  d'année 

Fu  condanfiée. 


T6  dcu  ansanne. 

Vierge  parfaite, 

Je  vous  ofTron 

Quatre  baivaite, 

Deu  culoron, 
Je  ne  serein  faire  que  dé  prezan 

De  trois  ôbôle; 
Ç'ù  dans  lé  main  dé  Graipeignan 

Que  lé  pistôle, 

Les  écu  rôle. 


Lai  Vierge. 

Copie  bénie, 

Le  saint  Anfan 

Vo  remareie, 

El  â  contan. 
Ce  n'ii  ni  l'or  ni  Tarjan,  croyé  i 

Qui  l'éfriande, 
Un  grain  de  moutade  de  foi, 

Vêlai  l'ôfrande 

Qu'ai  vo  demande. 


Maintenaût,  la  note  sarcastique  : 


Su  Var  du  Poulailler  de  Pantoise . 


Lor  qu'an  lai  saizon  qu'ai  jaule 
Au  monde  Jésu  Chri  vin, 
L'âne  et  le  beu  Téchaufin 
De  lo  sôfle  dans  l'étaule. 
Que  d'âne  lit  de  beu  je  sai 
Dan  ce  royaume  de  Gaule, 
Que  d'ane  et  de  beu  je  sai, 
Qui  n'en  ai  rein  pas  tan  fai  ! 


On  dit  que  ce  pôvre  bête 
N'ure  pas  vu  le  pôpoo, 
Qu'elle  se  mire  ai  genon, 
Humbleman  boissan  lai  tète. 
Que  d  ane  et  de  bea  je  sai 
Qui  po  tô  se  l'on  de  fête, 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai 
Qui  n'an  ai  rein  pa  tant  fai! 


Ma  le  pu  béa  de  l'histoire, 
Ce  fu  que  l'âne  et  le  beu 
Ausin  passire  tô  deu 
Lai  neù  san  maingè  ni  boire. 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai 
Qui  n'en  ai  rein  pas  tan  fai  ! 

Souvent,  et  c'est  là  la  cause  des  inimitiés  que  se  cr^a  La  Monnoye, 
des  personnalités  entrent  en  jeu  dans  ses  Noëls.  Comme  exemple,  nous 
citerons  ce  début  d'une  pièce  où  l'auleur,  arborant  le  ruban  vert  d'Al- 
ceste,  voit  tout  en  noir  : 


Tô  les  an,  quan  Noei  s'éprôche, 
Seigneur  i  panse  an  vo  bpntai  ; 
Ma  si  le  sôveni  m'an  tôche, 
Ai  fau  vo  dire,  an  véritai, 
D'autre  coûtai,  d'autre  coûtai. 
Qu'an  moimo  tan  ai  reproche 
L'odon  de  no  niéchaiicetai. 


Ti-aïson  régné  sans  vargogoe, 

Loyautai  n'é  ni  feù  ni  leù. 

Biaise  a  reufîen,  Piarre  at  ivrogne, 

Alizon  passe  dans  le  jeu 

Tôle  lai  neù,  tôte  lai  neù, 

Et  l'on  trôve  dans  lai  Bregogne, 

Dé  Boivau  femelle  aujodeù. 


Biaise,  Piarre  nous  sont  Inconnus;  mais  La  Monnoye  lui-même  nous 
donne,  dans  le  Glossaire  qui  accompagne  son  recueil,  la  clé  des  person- 
nages Alizon  et  Boivau  femelle. 

Alizon,  c'est  le  sieur  Boivault,  président  de  la  Chambre  des  comptes 
de  Dijon,  l'un  des  plus  grands  joueurs  de  son  temps. 

«  Un  jour,  veille  de  Noël,  nous  apprend  La  Monnoye,  s'étant  engagé 
au  jeu,  il  joua  toute  la  nuit  et  même  une  partie  du  lendemain,  en  sorte 
qu'il  ne  rentra  chez  lui  qu'à  deux  heures  après-midi.  Il  avoua  sans 
façon  à  sa  femme  qu'il  venait  de  l'Académie,  où  il  avait  passé  la  nuit  à 
jouer  jusqu'à  l'heure  qu'il  était,  et  qu'il  avait  perdu  cent  pistoles. 

—  Vous  n'avez  donc  pas  ouï  messe,  lui  dit  sa  femme  ? 

—  Non,  lui  répondit-il  froidement; 

—  Ah!  malheureux,  s'écria-t-elle,  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  vous 
avez  perdu! 

—  M'amie,  répliqua  le  président  sans  s'émouvoir,  celui  qui  m'a 
gagné  ne  l'a  pas  ouie  non  plus.  » 

Ces  épigrammes  inoffensives,  ces  familiarités  expansives  méritaient- 
elles  les  foudres  dont  Barôzai  fut  accablé,  nous  ne  saurions  le  croire. 
Mais  n'oublions  pas  qu'il  vivait  dans  un  temps  de  licence  et  de  pruderie. 
Chassé  de  J'Académie  criant  à  l'impiété  et  au  blasphème  pour  ses  Noëls, 
qui  allaient  tout  au  plus  s'épanouissant  en  fantaisie,  La  Monnoye  fut 
obligé,  pour  y  rentrer,  de  faire  comme  Galilée,  c'est-à-dire  de  désavouer 
ses  innocentes  compositions.  Et  pourtant,  d'autres,  en  Bourgogne  même, 
en  faisaient  bien  d'autres,  témoin  ce  bout  de  Noël,  d'un  auteur  inconnu, 
cité  dans  le  Glossaire,  au  mot  Oraille,  pour  Oreille  : 

Si-tôt  qu'eut  parlé  Gabriel 
La  Vierge  conçut  l'Éternel 
Par  une  divine  merveille. 
L'Arcange  ainsi  le  lui  prédit, 
Et  de  là  peut-être  a-t-on  dit  : 
Faire  des  enfants  par  l'oreille. 

Qu'eût  dit  la  docte  assemblée,  si  elle  avait  connu  celui-là? 

Tous  les  malheurs  de  la  terre  devaient  fondre  sur  l'infortuné  La  Mon- 


noye dans  ses  vieux  jours.  Après  avoir  goûté  toutes  les  joies,  il  connut 
toutes  les  amertumes.  Le  dernier  coup  fut  le  plus  rude.  Blaizôte,  sa' 
compagne  depuis  un  quart  de  siècle,  le  quitta  brusquement,  déclarant 
qu'elle  ne  voulait  plus  vivre  dans  le  péché. 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XIV 
RÉSURRECTION  DE  LA  MUSIQUE 

aux  amis  de  Mozart. 

«...  Maintenant,  ce  que  je  vais  vous  dire  vous  fera  bondir  peutrétre, 
mais  je  trouve  qu'avec  la  mort  de  Schumann  et  de  Chopin,  c'en  a  été 
fait  de  la  musique  :  finis  musicœ. 

—  Ha  !  lia!  ha!  quelle  bonne  plaisanterie  ! 

—  Non,  je  parle  très  sérieusement;  et  en  disant  cela,  j'ai  en  vue  la 
création,  la  mélodie,  la  pensée  musicale.  On  écrit,  maintenant,  beaucoup 
de  choses  intéressantes  sans  doute,  même  des  choses  de  valeur  ;  mais 
du  beau,  du  grand,  du  majestueux,  du  profond,  on  n'en  donne  plus.  Et 
cela  se  remarque  sur!;out  dans  la  musique  instrumentale,  qui  reste  pour 
moi  la  vraie  pierre  de  touche. 

—  Comment  justi'flez-vous  votre  jugement  ? 

—  Par  ce  fait  qu'actuellement  le  coloris  prend  le  dessus  sur  le  dessin, 
la  technique  sur  la  pensée,  le  cadre  sur  le  tableau. 

—  Je  réclame  une  explication  plus  précise. 

—  Trois  noms  apparaissent  comme  représentant  l'ère  nouvelle  de  la 
musique,  la  quatrième  époque  de  l'art  musical  :  Berlioz,  Wagner  et 
Liszt...  »  (2). 

Ainsi  dialoguait  avec  une  dame  mélomane  feu  Rubinstein,  ici  môme, 
en  1892,  ajoutant  mélancoliquement,  pour  conclure  :  ,«  N'est-ce  pas 
vraiment  le  Crépuscule  des  Dieux  qui  commence  pour  notre  art?»  Eh 
bien  !  que  ses  mânes  se  rassurent,  la  musique  ressuscite  !  Le  siècle 
s'ouvre  sur  une  espérance.  Si  l'on  ne  crée  plus  de  belles  choses,  on  en 
joue.  Les  jeunes  applaudissent  les  maîtres.  A  défaut  de  créateurs,  des 
interprètes,  du  moins,  rétablissent  le  pont  qui  semblait  écroulé  dans  la 
brume  entre  un  passé  limpide  et  l'avenir.  A  défaut  de  printemps,  un 
peu  de  soleil  luit  sur  noti'e  neige... 

Avant  d'en  interroger  les  causes  constatons  le  fait,  acceptons  l'augure, 
énumérons  les  eflVts  d'une  résurrection  si  désirée  !  Le  fait  est  signiticatif . 
Et  les  effets  se  multiplient.  Ce  ne  sont  plus  seulement  les  classiques, 
les  représentants  du  noble  vieux  jeu,  comme  Rubinstein,  qui  saluent 
leur  étoile  rajeunie  :  la  preuve  serait  trop  facile  et  peu  décisive.  Mais 
voici  les  jeunes,  l'avant-garde,  la  voix  juvénile,  toujours  prête  à  crier: 
«  En  avant  !  »,  qui  semble  prêcher,  non  plus  dans  le  désert,  contre  les 
innovations  et  les  novateurs.  Réaction  ?  Non  pas  ;  mais  résurrection, 
vous  dis-je  !  Ce  beau  mot  de  résurrection  n'est  plus  seulement  l'apanage 
des  âmes  souffrantes  et  du  roman  russe,  mais  il  parait  caractériser, 
désormais,  la  pensée  française  et  l'art  musical  tout  entier.  Si  ce  n'était 
qu'une  réaction,  la  cause  serait  mauvaise  et  vite  entendue;  éphémère, 
elle  serait  défunte  avant  le  plaidoyer  de  ses  défenseurs.  Mais  en  dépit 
des  snobs  versatiles,  n'est-ce  pas  éternellement  la  bonne  cause,  qui  sait 
invoquer  Bach,  Mozart  et  Beethoven?  N'ya-t-il  pas  une  vraie  religion, 
du  moins  en  art  ?  Or,  les  fidèles  reparaissent;  et  la  fausse  honte  ne 
rougit  plus  des  vieux  dieux. 

Jadis,  je  parle  d'hier,  les  jeunes  partaient  en  guerre  pour  glorifier  tout 
semblant  d'innovation  :  nouveauté,  lieauté ,  synonymes  !  Les  écoles 
sans  doute  se  succédaient,  les  théories  se  combattaient,  les  systèmes, 
moins  attrayants,  vivaient  ce  que  vivent  les  roses.  Qu'importe  ?  Il  fallait, 
en  tout,  observer  la  mode,  afin  de  la  dépasser!  On  guettait  le  dernier 
«  train  »  pour  l'envahir...  Dorénavant  on  a  changé  tout  cela.  N'est-il 
point  de  bon  ton,  dans  \&%  jeunes  revues,  de  critiquer  les  caprices  et  les 
dépravations  de  la  mode  ?  Le  réalisme,  le  naturalisme,  il  y  a  beau  temps 
déjà  que  la  jeunesse  les  a  «  débarqués  »  sur  les  rives  moroses  de  l'oubli, 
comme  les  Ulysses  prudents  se  débarrassent  à  propos  des  Philoctètes 
boiteux  et  plaintifs  ;  mais,  en  peinture,  l'impressionnisme  lui-même  est 
fortement  discuté  ;  ce  ne  sont  plus  uniquement  les  bourgeois  qui  s'en 
plaignent.  En  littérature,  après  le  roman  documentaire,  voici  le  vers 
libre  lui-même  et  le  symbole  dont  l'obscurité  dégingandée  dêplait  aux 
jeunes  fervents  de  Racine.  Malgré  l'B.xposition  récente,  qui  mêlait  tant 
de  nouveautés  douteuses  en  un  cadre  classique,  le  modem  style  est  mis 
en  doute,  et  Vari  nouveau  semble  aux  puristes  une  alliance  de  mots  «  plus 

(1)  Cf.  /('  Ménestrel,  année  1900,  passiiii:  du  28  janvier  au  i  novembre. 

i:!)  La  Musique  et  ses  représentants,  enlrelien  sui'  la  musique  [Ménestrel,  1891-1892). 


118 


LE  MENESTREL 


digne  des  tréteaux  de  Tabarin»  que  des  belles  divagations  esthétiques... 
Wagnei-,  mais  Wagner,  ce  dieu  Richard  Wagner,  que  les  outranciers 
d'hier  introduisaient  singulièrement  entre  les  décors  impressionnistes  et 
les  divinités  japonaises,  n'est-il  point  toujours  debout  comme  un  colosse 
illuminé  pour  montrer  l'avenir? 

Hum  !  du  train  dont  va  le  monde  ou  sa  gloire,  je  n'en  jurerais  plus 
aujourd'hui...  Prenez  YErmilage,  oyez  le  jeune  chroniqueur  du  mois 
reprendre  les  arguments  du  Cas  Wagner  :  «  Nous  en  étions  à  Nietzsche, 
dit-il.  parlons  donc  de  Wagner,  posément  et  sans  l'a  prêté,  je  n'ose  dire 
r  in  justice  de  son  ancien  fervent.  »  Or,  a  propos  de  Rheingold  en  habit 
noir,  au  Nouveau- Théâtre,  l'impartial  et  doux  Nietzschéen  s'élève, 
posément  toujours,  «  contre  la  musique  dramatique  »,  rivale  subversive 
de  la  «  musique  pure  ».  Tout  «  poète-musicien  »  lui  parait  monslrueiix, 
et  Richard  Wagner,  l'Initiateur,  le  Maître,  n'est  que  le  monstre  lui- 
même...  Rheingold,  même  au  concert,  au  concert  surtout,  demeure  fas- 
cinant; mais  c'est  un  art  bâtard.  — Qu'il  est  donc  loin  de  nous,  le  soir 
mystérieux  où  le  Wort-ton-drama  de  Bayreuth  semblait  vouloir  absorber 
la  nature  entière,  tel  son  aine,  non  moins  ambitieux,  plus  bourgeois,  le 
roman  naturaliste,  dans  l'exaltation  du  «  tout  à  l'orchestre  »  !  Déjà  le 
byzantin  Stéphane  Mallarmé  n'aimait-il  pas  mieux  le  wagnérismeau  con- 
cert, ajoutant  mystérieusement  :  «  Pourvu  que  Mendés  ne  soit  pas  là 
pourm'entendrel  «Et  même  au  sein  de  Wagner,  la  symphonie  divorçait 
avec  le  drame. 

Aujourd'hui,  qu'est-ce  â  dire?  Les  Musiciens  du  temps  passé  relèYeut 
la  tête;  ces  ganaches  qui  s'appelaient  Weber,  Môhul.'Mozait  et  Schubert  • 
retrouvent  de  jeunes  enthousiasmes  pour  commenter  leurs  divins 
poncifs;  et  noire  juvénile  mentor  a  conclu  :  «  En  un  passé  certain  on  se 
console  d'un  douteux  avenir...  Qui  sait?  Le  goût  de  la  musique  de 
chambre  semble  renaître...  A  l'assirlue  fréquentation  des  vieux  maîtres, 
les  maîtres  neufs  toujours  se  sont  formés.  »  Feu  Rubinstein  n'eût  pas 
mieux  dit.  Et  ce  renouveau,  plus  réel  que  notre  avril,  ne  se  contente 
plus  de  belles  promesses  ou  des  fleurs  sans  conséquence  de  la  rhéto- 
rique: en  dépit  des  «  dilettanti  du  jour  »,  comme  disait  Nodier,  qui 
viendront  se  pâmer  à  l'antiquité  sans  oser  plus  jamais  soutenir  une 
œuvre  nou^^elle,  de  peur  d'acclamer  une  vieillerie  déjà,  —  les  preuves 
se  nomment,  diversement,  la  Société  Mozart,  à  la  salle  Mustel,  le  Cycle 
du  Lied,  au  Journal,  les  matinées  Danbé,  à  la  Renaissance,  les  audaces 
chorales  de  l'Euierpe,  les  trois  séances  de  musique  ancienne  des  XVIP 
et  XVIIP  siècles,  enfin,  les  doctes  soirées  de  la  Schola  Cantorum,  en  cette 
petite  cellule  du  Faubourg  Saint-Jacques  où,  chaque  vendredi,  depuis 
quatre  mois,  il  est  si  bon  de  se  cloîtrer  avec  Bach  et  Beethoven... 

Amis  de  la  «  vraie  musique  »,  réjouissez-vous  ! 
(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Le  concert  spirituel  des  vendredi  et  samedi  saints,  au  Conservatoire,  s'ou- 
vrait par  la  symplionie  en  ré  de  Beethoven,  que  l'orchestre,  chaleureux  et  bien 
en  train,  a  dite  avec  une  ardeur,  une  élégance  et  une  maestria  extraordi- 
naires. Venait  ensuite  la  première  exécution  d'une  œuvre  importante  et  tort 
intéressante,  le  Requiem  de  M.  Gabriel  I<'auré,  composition  d'un  beau  style, 
d'une  jolie  couleur  et  d'une  touchante  inspiration.  Écrit  pour  soli,  chœurs, 
orgue  et  orchestre,  ce  Requiem  comprend  sept  morceaux  :  Introit  et  Kyrie, 
Offertoire,  Sanctus,  Pie  Jesu,  Agnus  Dei,  Libéra  me  et  In  parudisum.  Il  y  man- 
qne,  on  le  voit,  le  Dies  ira,  ce  qui  s'explique  peut-être  par  le  caractère  plutôt 
tendre  et  apaisé  que  l'auteur  semble  avoir  voulu  donner  à  son  œuvre,  et  qu'il 
lai  a  communiqué  en  elTet  de  la  façon  la  plus  heureuse.  L'ensemble  de  la 
composition  présente  un  intérêt  très  vif,  et  se  fait  remarquer  par  la  pureté 
des  lignes  et  son  sentiment  très  harmonieux.  Entre  les  meilleures  pages,  j'y 
ai  distingué  surtout  le  Sanctus,  qui  est  à  la  fois  très  bref,  très  expressif  et 
très  beau,  et  que  le  public  a  voulu  entendre  deux  fois,  et  le  Pie  Jesu,  air  de 
soprano  d'une  grande  simplicité  et  d'un  sentiment  exquis,  chanté  d'une  façon 
délicieuse  par  W"  Torrès,  qui  en  a  fait  ressortir  toute  sa  valeur  par  le  fini" de 
son  exécution.  Au  reste,  l'exécudon  générale  a  été  excellente,  tant  de  la 
part  des  chœurs  que  de  l'orchestre,  sans  oublier  M.  Daraux,  chargé  des  soli 
avec  M"» Torrès,  et  l'œuvre  a  obtenu  tout  le  succès  qu'elle  méritait.  On  a  fait 
ensuite  une  ovation  à  M.  Sarasate,  qui  est  venu  faire  entendre  le  premier 
concerto  de  violon  de  M.  Saint-Saëns,  que  le  compositeur  lui  dédiait  il  y  a 
déjà  plus  de  trente  ans.  et  qui  y  a  déployé  un  style  magistral  et  une  incom- 
paxable  virtuosité.  Trois  rappels  bruyants  lui  ont  prouvé  toute  la  satisfaction 
du  public.  Trois  chœurs  admirables  d'Israi-l  en  Érjypte,  de  Haendel,  ont  été 
justement  applaudis  pour  leur  superbe  exécution,  et  la  séance  s'est  terminée 
par  la  noble  ouverture  de  Ray  Blas,  de  Mandelssobn,  où  l'orchestre  a  l'ait 
preuve  d'une  chaleur  et  d'un  élan  qu'on  ne  saurait  trop  louer.  A.  P. 

—  Concerts  Colonne.  — Vendredi-Saint.- —  Le  «  Morceau  Symphonique  » 
i\&  Rédemption  était  le  seul  de  tout  le  programme  qui  fùl  de  circonstance; 
aussi  l'a-t-on  justement  fêté.  La  grande  àme  mystique  de  César  Franck  se 


montre  là;  on  croit  en  sentir  l'influence  et  l'on  comprend  comment  elle  diri 
gea  la  main  de  ce  grand  artiste  «  travaillant  toute  sa  vie  comme  un  saint 
qui,  de  son  vivant,  ouvragerait  son  reliquaire  ».  Le  procédé  du  maître  a  con- 
sisté ici  à  traiter  l'orchestre  comme  un  orgue  immense  et  chaque  groupe 
d'instrument  comme  représentant  un  registre.  La  mélodie  passe  d'une  famille 
à  l'autre  avec  aisance,  et  un  sentiment  de  piété  fervente  se  dégage,  trans 
formé  bientôt  en  un  acte  de  foi  triomphant.  Pour  Franck,  l'art  était  une] 
autre  religion.  N'en  est-il  pas  de  môme,  dans  une  sphère  plus  modeste,  pour 
M.  Anton  van  Rooy?  Ce  chanteur  possède  une  voix  de  baryton  que  l'on  ne 
peut  comparer,  pour  la  sonorité  pure  et  pour  la  plénitude,  qu'à  un  tuyau  d'or- 
gue; la  netteté  de  la  diction  est  chez  lui  vraiment  merveilleuse;  il  a  de  plus 
la  fraîcheur  d'organe  et  le  naturel,  mais  surtout  un  sentiment  juste  qui  pro- 
duit l'émotion.  Très  beau  dans  l'air  de  Wolfram  de  Tannhuuser  et  dans  les 
Adieux  de  Wotan  de  la  Walkyrie,  il  a  détaillé  avec  plus  d'àme  encore  trois 
mélodies  de  Schubert.  Arrivé  à  ce  degré  de  noblesse  et  de  conviction,  l'an 
éveille  de  chaudes  .sympathies,  quelle  que  soit  sa  nationalité.  On  dit  qu'il  n'a 
pas  de  patrie;  au  contraire,  il  les  a  toutes.  Les  Français  qui  ont  été  impres- 
sionnés par  le  talent  de  M.  Van  Rooy  adressent  à  l'artiste  leur  salut  amical 
en  répétant,  sur  la  musique  de  Schubert,  les  mots  qu'il  a  si  bien  chantés  : 
Sei  mir  gegri'tsst!  —  M.  Ysaye  est,  lui  aussi,  un  convaincu,  et  pourtant  il  ne 
semble  pas  avoir  tenu  beaucoup  à  nous  en  faire  souvenir.  La  Fantaisie  russe 
de  Rirasky-Ivorsakolf  et  l'arrangement  de  l'Étude  en  forme  de  valse  de  Saint- 
Saëns  ne  méritent  guère  de  nous  arrêter;  nous  valons  mieux  que  cela,,  et  le 
célèbre  violoniste  nous  avait  habitués  précédemment  à  tout  autre  chose. 
M.  Raoul  PugQo  a  fait  apprécier  une  fois  de  plus  sa  technique  extraordinai- 
rement  brillante,  ses  qualités  de  musicien  délicat  et  le  charme  exquis,  les 
nuances  ravissantes  de  sa  sonorité.  Le  concerto  en  mi'p  de  Mozart  lui  a  offert 
mille  occasions  de  délecter  son  auditoire.  Je  n'oserais  déclarer  entièrement 
heureux  le  choix  du  concerto  pathétique  de  Liszt  pour  deux  pianos.  J'aurais 
préféré  la  version  avec  orchestre,  ou,  mieux  encore,  à  la  place  de  ce  morceau, 
quelque  fragment  grandiose  des  Harmonies  poétiques  d'après  Lamartine;  un 
grand  artiste  comme  Raoul  Pugno  pouvait  oser  cela.  Le  concerto  patliétique 
a  produit  peu  d'effet;  Liszt  ému,  ^^brant,  n'est  pas  là  tout  entier.  MM.  Pugno 
et  Wurmser  ont  droit,  quoi  qu'il  en  soit,  à  nos  remercîments  pour  avoir  fait 
connaître  cette  œuvre  intéressante.  Le  reste  du  concert  ci'mprenail.  un  con- 
certo de  Bach  pour  deux  flûtes  et  violon  (M.  Cantié,  M.  Blanquart  et  M.  Ysaye), 
ouvrage  plein  de  jeunesse  et  de  verve,  qui  soutient  hardiment  son  âge, 
cent  quatre-vingts  ans,  et  l'ouverture  de  Patrie  de  G-eorges  Bizet. 

AmÉDÉE  BoiilAIlEL. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Dans  sa  curieuse  petite  autobiographie,  qui  ne 
dépasse  malheureusement  pas  l'année  1842,  Richard  Wagner  a  dit  :  «  (Jui 
veut  faire  la  connaissance  complète  de  la  neuvième  symphonie  de  Beethoven 
doit  l'entendre  aux  concerts  du  Conservatoire  de  Paris.  »  C'est  encore  vrai 
aujourd'hui,  et  pourtant  l'exécution  fournie  par  M.  Chevillard  a  été  aussi  des 
plus  remarquables.  Les  trois  premières  parties  de  la  symphonie  ont  passé 
devant  l'auditoire  ravi  dans  leur  beauté  immaculée;  nous  n'avons  jamais 
entendu  ces  merveilles  orchestrales  rendues  avec  plus  d'envergure,  et  bien 
rares  sont  les  exécutions  d'outre-Rhin  qui  puissent  rivaliser,  quant  à  la  déli- 
catesse des  nuances  et  au  iinî  de  l'ensemble,  avec  celle  que  nous  venons  d'en- 
tendre. Pas  le  moindre  accident  aux  cors  dans  le  mo(/o  vivace,  où  ces  accidents 
sont  pour  ainsi  dire  de  tradition,  et  une  poésie  infinie  aux  instruments  à 
cordes  chantant  dans  {'adagio  cantabile.  Mais,  hélas!  la  perfection  n'est  pas  de 
ce  monde,  et  la  dernière  partie  a  laissé  à  désirer  quant  aux  solistes.  La 
célèbre  apostrophe  du  bai^ton  a  manqué  son  effet  à  cause  de  l'insuIEsance 
de  fin  lerprétalion;  le  ténor,  M.  Imbart  de  la  Tour,  a  également  lutté  avec 
plus  de  courage  que  de  succès  contre  les  difficultés  énormes  de  sa  partie  ; 
seul,  le  soprano  clair  et  bien  timbré  de  M""^  Lormont  a  plané  avec  correction 
et  aisance  sur  l'ensemble.  Les  chœurs,  par  contre,  surtout  les  chœurs  de 
femmes,  se  sont  distingués  par  la  justesse  et  la  sûreté  de  leur  intonation  et 
par  leur  puissance,  suftnut  dans  l'hymne  final.  L'enthousiasme  du  public  fut 
très  grand  et  parfaitement  justifié.  La  symphonie  était  précédée  et  suivie  de 
quelques  fragments  wagnériens  qui  n'étaient  vraiment  pas  ici  à  leur  place, 
malgré  leur  beauté  intrinsèque.  Le  chef-d'œuvre  de  Beethoven  ne  demande 
et  ne  tolère  aucun  encadrement.  0.  BEnooRUEN. 

—  Le  troisième  des  «  grands  concerts  symphoniques  de  Paris  »  au  Vaude- 
ville, le  concert  du  vendredi-saint,  était,  comme  le  précédent,  dirigé  par 
M.  Cari  Muck,  de  l'Opéra  royal  de  Berlin.  J'ai  déjà  dit  ce  que  je  pensais  de 
ce  chef  d'orchestre,  et  n'ai  à  m'occuper  aujourd'hui  que  du  programme  de  la 
séance.  Celle-ci  s'ouvrait  par  la  très  beUe  Symphonie  pathétique  de  Tschaï- 
kowsky,  œuvre  de  premier  ordre,  d'une  grande  envergure,  d'une  forme  solide 
et  d'une  belle  inspiration,  tout  empreinte  du  sentiment  qui  justifie  son  litre. 
Cbtte  symphonie  remarquable,  où  l'auteur  ne  s'écarte  guère  des  formes  tra- 
ditiounelles  qu'en  plaçant  l'andante  à  la  fin  et  en  en  faisant  le  finale  de  l'œu- 
vre, est  d'une  rare  valeur  musicale  et  souvent  d'un  intérêt  poignant.  Le 
premier  morceau  surtout  est  superbe,  d'une  ampleur  et  d'un  sentiment 
remarquables,  et  l'orchestre  en  est  d'une  richesse  incomparable;  on  y  distin- 
gue, particulièrement,  une  noble  phrase  de  violons  qui  se  déroule  de  la  façon 
la  plus  heureuse,  avec  un  accent  singulièrement  émouvant.  Ce  qui  caractérise 
l'œuvre  d'une  certaine  manière,  c'est  le  dédain  de  l'auteur  pour  la  recherche 
de  l'elfet  :  sur  quatre  morceaux,  trois  finissent  pianissimo;  le  vivace  seul,  si 
en  dehors,  si  éclatant,  se  termine  d'une  façon  brillante.  Je  n'ai  rien  à  dire  du 
reste  du  programme,  qui  comprenait  Phaéton,  poème  symphonique  de  M.  Saint- 
Sacns,  la  symphonie  en  sol  majeur  d'Haydn  et  quatre  morceaux  de  Wagner: 


i 


LE  MENESTREL 


119 


e  prélude  de  Parsifal,  l'Enchantement  du  Vendredi-Saint  du  même,  Siegfried- 
Idyll  et  l'ouverture  de  Rienzi.  Et  voilà  justement  ce  qu'on  doit  reprocher  aux 
(1  grands  concerts  symphoniques  ».  Alors  que  nous  connaissions  ici  les  grands 
chefs  d'orchestre  de  l'Allemagne,  ceux  dont  la  renommée  est  justement  écla- 
tonte,  les  Hans  Richter,  les  ï'élix  Mottl,  les  Hermann  Lévi,  les  Félix 
"Weingartuer,  voire  les  Arthur  Nikisch,  on  nous  amène  des  artistes  esti- 
mables sans  doute,  mais  d'une  valem-  secondaire,  qui  n'ont  point  lieu  d'ex- 
citer notre  curiosité:  et  ces  artistes,  qui  n'auraient  d'autre  raison  d'être 
que  de  nous  mettre  en  contact  avec  des  œuvres  nouvelles  pour  nous,  ne 
font  au  contraire  que  nous  ressasser  celles  que  nous  savons  par  cœur  et  que 
nous  entendons  chaque  jour.  Alors  que  nous  aurions  intérêt  à  connaître  telle 
symphonie  d'Anton  Bruckner,  telle  page  de  Goldmark,  de  Kichard  Strauss,  ae 
Gernsheim.  de  Max  Bruch,  d'autres  encore,  on  nous  ressert  du  Beethoven  et 
du  Mozart,  du  Mendelssohn  et  du  Schumann....  Il  y  a  là  une  erreur  initiale, 
qui  explique  le  peu  d'empressement  du  public  à  se  rendre  aux  séances  du 
■Vaudeville.  —  La  quatrième  était  dirigée  par  M.  Max  Fiedler,  de  Hambourg, 
un  chef  d'orchestre  ultra-nerveux,  aux  mouvements  désordonnés,  grand  fai- 
seur d'arabesques  avec  sa  baguette,  qui  dirige  avec  une  précision  pleine  de 
sécheresse,  et  qui,  si  l'on  ne  peut  lui  refuser  la  vigueur  et  l'élan,  dont  parfois 
il  abuse,  manque  essentiellement  des  nuances  délicates  et  fines  qu'exigent 
certaines  pages  musicales.  Son  programme,  à  l'exception  d'une  composition 
de  Brahms  peu  connue  chez  nous  (Variations  sur  un  thème  d'Haydn),  était 
aussi  banal  que  les  précédents  :  Ouverture  du  FreischiUz,  4'  symphonie  de 
Schumann  (en  ré  mineur),  ouverture  de  Benvenuto  CcUini  de  Berlioz,  concerto 
de  violon  de  Max  Bruch ,  par  M.  Sarasate,  et  ouverture  de  Tannhduser. 
Quel  diable  d'intérêt  veut-on  que  nous  prenions  à  tout  cela,  que  nous  n'avons 
cessé  d'entendre  depuis  six  mois?  La  seule  chose  qui  pouvait  piquer  notre 
curiosité,  c'était  les  Variations  de  Brahms.  Mais  hélas  !  elles  sont  bien  grises, 
bien  monotones,  et,  par-dessus  tout,  démesui-ément  longues.  L'éclair  et  la 
joie  de  la  séance,  c'a  été  la  présence  de  M.  Sarasate,  exécutant,  comme  il  sait 
le  faire,  le  concerto  de  Max  Bruch.  Aussi  quel  succès,  quelle  ovation  !  Cinq 
rappels.  Si  bien  qu'à  la  fin,  et  comme  remerciement  au  public,  il  est  revenu 
jouer  un  prélude  de  Bach  sans  accompagnement,  morceau  d'une  virtuosité 
prodigieuse  et  hérissé  de  difficultés  dont  il  se  tire  avec  une  inconcevable 
aisance.  A.  P. 

—  Programme  du  seul  concert  d'aujourd'hui  dimanche  ; 
Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  CheviUard  :  Ouverture 

de  Mélusine  (Mendelssohn).  —  Ahlperfidot  (Beethoven),  par  M""  Cesbron.  —  Concerto  en 
ré  mineur  pour  piano  (Brahms),  par  II.  Diémer.  —  a.  Rosées,  h.  Retour  des  Vêpres,  et 
c.  L'Archet  (Bûsser),  par  M"»  Cesbron.  —  Symphonie  avec  chœurs  (Beethoven),  soli  par 
M""  Lormont  et  Melno,  MM.  Danlu  et  Challet. 

—  Programme  du  S"  concert  symphonique  qui  sera  donné  au  théâtre  d  u 
Vaudeville  le  jeudi  18  avril,  à  trois  heures,  sous  la  direction  de  M.  Erd- 
mannsdœrfer,  de  Munich  ; 

1.  Prélude  d'Œdipe  (Max  SchUliogs).  —  2.  Symphonie  inachevée,  en  si  mineur  (Fr. 
Schubert).  —3.  Prélude  de  l'opéra  te  Rubis  (Eugène  d'Albert),  —  4.  Symphonie  héroï- 
que (Beethoven).  —  5.  Carnaval  a  Paris  (J.  Svendsen). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

La  «  première  »  de  Messaline,  à  la  Scala  de  Milan,  comptera  parmi  les 
soirées  mouvementées  de  ce  théâtre.  De  la  lecture  des  journaux  italiens  il 
parait  résulter  que  l'ouvrage  de  M,  Isidore  de  Lara  n'a  pas  réussi  absolument, 
malgré  les  efforts  ardents  d'un  petit  nombre  d'amis  et  de  partisans.  Mais  le 
ténor  Tamagno,  qui  a  eu  personnellement  un  grand  succès,  a  couvert  la 
retraite  et  sauvé  la  situation. 

—  Voici  qu'on  commence  à  s'occuper,  à  Milan,  de  l'apparition,  l'hiver  pro- 
chain, du  nouvel  oratorio  de  don  Lorenzo  Perosi,  Mosè.  L'assemblée  géné- 
rale de  la  société  de  la  salle  Perosi,  dit  l'Arpa,  s'est  tenue  récemment  à  Milan. 
La  salle  sera  terminée  vers  le  mois  de  septembre  prochain.  Elle  s'ouvrira  au 
mois  de  novembre  par  la  première  exécution  de  il/osé,  poème  biblique  en 
trois  actes  et  un  prologue,  de  Pietro  Groci  et  Agostiuo  Cameroni,  musique 
du  maestro  Perosi.  On  annonce  quatre  exécutions  de  l'œuvre  nouvelle  de 
don  Perosi,  qui  seront  dirigées  par  le  maestro  Toscanini.  On  ne  donnera  pas 
d'autre  ouvrage  (de  lui).  La  salle  Perosi  sera  ouverte  ensuite  pour  des  con- 
certs de  musique  de  différents  auteurs,  et  aussi  pour  des  lectures,  confé- 
rences, etc. 

—  Il  parait  que  le  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  l'une  des  quatre  grandes 
scènes  lyriques  de  l'Italie,  ne  peut  pas  se  relever  de  l'état  de  marasme,  pour 
ne  pas  dire  de  décadence,  dans  lequel  il  est  tombé  depuis  quelques  années. 
«  A  Naples,  dit  un  journal  italien,  les  affaires  du  San  Carlo  vont  de  mal  en 
pis.  A  lire  les  journaux  de  cette  ville,  il  semble  proprement  que  ce  théâtre, 
qui  a  de  si  glorieuses  traditions,  est  réduit  au  rang  d'un  misérable  théâtricule 
de  province.  C'est  navrant!  » 

—  On  nous  annonce  de  Vienne  qu'on  a  trouvé  dans  la  succession  d'un 
vieux  maniaque  fort  riche  l'autographe  d'une  composition  inédite  de  Schu- 
bert. Les  détails  manquent;  nous  publions  donc  cette  nouvelle  sous  toutes 
réserves,  mais  avec  le  souhait  qu'elle  se  confirme. 


—  De  Vienne  :  «  L'Opéra  impérial  vient  de  faire  une  très  brillante  reprise 
i'Hamlet,  qui  avait  tous  les  caractères  d'une  première.  L'opéra  d'Ambroise 
Thomas  n'avait  pas  été  joué  en  effet  depuis  quatre  ans  :  on  l'a  revu  et  réeE- 
tendu  avec  beaucoup  de  plaisir.  M.  Reichmaun  a  été  des  plus  remarquables 
et  M""»  Francès-Saville,  une  exquise  Ophélie,  a  délicieusement  chanté;  la 
scène  de  la  folie  lui  a  valu  de  véritables  ovations.  » 

—  Le  théâtre  An  der  Wien,  de  Vienne,  vient  de  suspendre  ses  paiements. 

11  est  fermé.  Après  avoir  essayé  de  tous  les  genres:  du  drame,  de  la  farce  et 
l'opérette,  le  malheureux  directeur  s'est  déclaré  vaincu  par  la  mauvaise 
chance.  Il  paraît  que  Vienne  possède  actuellement  tant  do  théâtres  que  la 
population  ne  peut  pas  les  alimenter  suffisamment  et  qu'en  dehors  des 
théâtres  impériaux  aucune  scène  viennoise  ne  se  trouve  dans  une  situation 
brillante. 

—  La  Société  des  musiciens  de  Berlin  vient  d'exécuter  avec  succès  une 
nouvelle  symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Emile  Liepe,  que  son  auteur  a  inti- 
tulée Symphonie  baltique. 

—  Le  festival  lyrique  de  Wiesbaden,  ordonné  par  l'empereur  Guillaume  II, 
aura  lieu  du  IS  au  20  mai.  Guillaume  II  a  choisi  Othello,  de  Verdi,  et  les 
Joyeuses  commères  de  Windsor,  de  Nicolai,  et  s'est  occupé  des  décors,  que  l'in- 
tendant, M.  de  Htilsen,  a  commandés  à  un  atelier  viennois.  Les  décors  des 
Joyeuses  commères  de  Windsor  seront  strictement  exécutés  dans  le  style  de  la 
reine  Elisabeth;  l'empereur  en  a  désigné  lui-même  les  modèles.  Quant  à 
Othello,  il  a  rejeté  les  décors  employés  ordinairement  et  brossés  d'après  ceux 
de  la  première  représentation  à  Milan,  pour  en  faire  exécuter  de  nouveaux 
selon  ses  propres  esquisses.  GuillSume  II  a  promis  d'assister  aux  festspiele  de 
Wiesbaden,  comme  l'année  passée. 

—  La  viUe  de  Hambourg,  qui  possède  plusieurs  beaux  théâtres,  manquait 
encore  d'une  salle  de  concerts  suffisante  pour  une  population  de  800.000  ha- 
bitants. Cette  lacune  vient  d'être  comblée  grâce  A  un  riche  citoyen,  l'armateur 
Charles  Laeisz,  qui  a  légué  à  la  ville  1.200.000  marcs,  soit  l.SOO.OOO  francs,  à 
charge,  par  elle,  de  construire  avec  cette  somme  une  belle  et  vaste  salle  de 
concerts.  Le  gouvernement  de  la  ville  libre  a  l'intention  de  bien  faire  les 
choses,  et  il  ouvrira  à  cet  effet  un  concours  d'architectes  dès  que  l'emplace- 
ment de  la  salle  aura  été  arrêté. 

—  La  grande  messe  en  ut  mineur  que  Mozart  n'a  malheureusement  pas  pu  ter- 
miner vient  d'être  complétée  par  M.  A.  Schmitt,  directeur  de  la  Société  Mozart 
de  Dresde,  qui  s'est  servi  à  cet  effet  presque  exclusivement  de  diverses  com- 
positions de  Mozart.  La  Messe  a  été  exécutée  à  Dresde,  pendant  la  semaine 
sainte,  et  a  produit  un  effet  immense. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Lubeck  vient  de  jouer  avec  succès  une 
opérette  intitulée  Djellah,  musique  de  M.  Rodolphe  Weys. 

—  L'Opéra  tchèque  de  Prague  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès  un 
nouvel  opéra  de  M.  Anton  Dvorak,  intitulé  Roussalka.  Le  sujet  est  em- 
prunté à  une  vieille  légende  slave.  La  mise  en  scène  et  la  distribution  de  la 
nouvelle  œuvre  ont  été  des  plus  brillantes. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Stettin  a  joué  avec  succès  un  nouvel  opéra  inti- 
tulé le  Juge  de  Zataméa,  musique  de  M.  Georges  Jarno. 

—  Les  hirondelles  du  printemps  de  1901  ne  sont  pas  encore  arrivées,  mais 
nous  avons  déjà  reçu  l'almanach  des  concerts  d'outre-Rhin  pour  la  saison  1901- 
1902  que  M.  Wolff,  de  Berlin,  publie  tous  les  ans.  C'est  ainsi  que  nous 
apprenons  la  série  des  festivals  qui  seront  donnés  en  Allemagne  au  cours  de 
1901  :  festival  et  musique  de  chambre  à  Bonn,  à  la  maison  de  Beetboven,  du 

12  au  15  mai,  avec  le  concours  du  quatuor  Joachim  et  de  M.  Paderewski; 
festival  musical  à  Worms  le  26  et  le  27  mai;  festival  musical  à  Augsbourg  le 
26  et  le  27  mai;  assemblée  générale  de  l'Association  des  musiciens  allemands 
à  Heidelberg  du  i"  au  4  juin;  festival  musical  le  8  juin  à  Zwickau  sous  la 
direction  de  M.  Joachim.  à  l'occasion  de  l'inauguration  de  la  statue  de  Robert 
Schumann.  Les  représentations  de  Bayreuth  auront  lieu  du  22  juillet  au 
20  août.  A  Genève  aussi  aura  lieu  un  grand  festival  musical,  du  22  au 
24  juin. 

—  La  mode  des  oratorios  s'étend  jusqu'en  Allemagne,  M.  Auguste  Klu- 
ghardt,  chef  de  l'orchestre  de  la  cour  à  Dessau,  vient  de  terminer  la  musique 
d'un  ouvrage  de  ce  genre,  Judith,  sur  un  texte  de  M.  L.  Gerlach. 

—  L'Opéra  néerlandais  d'Arhsterdam  a  joué  avec  succès  un  opéra  inédit 
(chose  rare)  intitulé  Adjah,  musique  de  M.  Charles  Dibbern. 

—  De  Kiew  :  M.  A.  Winogradsky,  —  les  Parisiens  ont  certainement  gardé 
le  souvenir  des  concerts  russes  qu'il  donna  à  Paris,  —  vient  de  diriger 
ici,  à  la  Société  impériale  de  musique,  un  grand  festival  exclusivement  con- 
sacré aux  œuvres  françaises.  Au  programme  les  noms  de  Berlioz,  Gounod, 
Godard,  Massenet  {Puisqu'elle  a  pris  ma  vie  et  ouverture  de  Phèdre),  Saint'- 
Saëns,  Bourgault-Ducoudray,  etc.  La  salle  comble  a  fait  grand  succès  au 
distingué  chef  d'orchestre  (presque  la  moitié  des  morceaux  ont  été  bissés)  ainsi 
qu'à  M"»  Illyua,  russe  d'origine,  mais  ayant  fait  ses  études  vocales  à  Paris  ' 
chez  M™"  Marcbesi. 

—  Il  parait  qu'on  est  sévère,  en  Espagne,  eu  ce  qui  concerne  l'heure  de  la 
fermeture  des  théâtres.  Un  acteur  fort  renommé,  M.  Fernando  Diaz  de  Men- 
doza,  vient  d'être  frappé,  à  Murcie,  d'une  amende  de  230  francs  pour  avoir 


120 


LE  MÉNESTREL 


prolongé  le  spectacle  au  delà  de  l'heure  fixée  par  les  règlements  de  police. 

Quoique  le  chiffre  de  cette  amende  puisse  sembler  excessif.  M.  Mendoza  en 
-a  accompagné  le  montant  d'une  somme  supplémentaire  de  1.000  francs,  des- 
■tinée  par  lui  à  être  distribuée  aux  pauvres.  A  ce  compte,  ceux-ci   feront  des 

vœux  pour  quç  ses  spectacles  soient  à  l'avenir  d'une  longueur  démesurée. 

—  Pendant  sa  tournée  actuelle  en  Amérique,  M"''  Sembrich  a  été  prise 
d'an  mal  à  la  gorge  tenace  qui  l'a  mise  dans  l'impossibilité  de  continuer  ses 
représentations.  L'artiste  a  été  obligée  de  congédier  les  artistes  de  sa  troupe 
et  de  retourner  à  Dresde  pour  s'y  faire  soigner  par  des  spécialistes. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Depuis  bien  des  années  on  réclamait  de  M.  Gailhard  la  pose  d'un 
ascenseur  à  l'Opéra,  pour  les  personnes  âgées  qui  ne  peuvent  gravir  qu'avec 
beaucoup  de  peine  les  rigides  escaliers  du  monument  Garnier.  L'impétueux 
directeur  vient  enfin  de  s'y  décider.  C'est  aujourd'hui  chose  faite.  L'ascenseur 
fonctionne  jusqu'au  deuxième  étage;  on  l'a  placé  dans  la  rotonde  du  rez-de- 
chaussée,  à  gauche  en  entrant.  Puisse  cet  élévateur,  en  même  temps  que 
les  spectateurs,  faire  monter  les  actions  d'une  direction  si  fort  en  baisse! 

—  La  première  des  six  représentations  d' Iphigénie  en  Tauride  avecM°"Caron 
annoncées  par  M.  Albert  Carré  a  été  donnée  hier  à  l'Opéra-Gomique.  Gelles 
qui  seront  données  cette  semaine  sont  fixées  aux  mardi  16  et  samedi  20  avril. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Gomique  :  en  matinée,  Haen- 
sel  etOretel,  la  Fille  du  régiment;  le  soir,  Lakmé,  les  Noces  de  Jeannette. 

—  Où  diable  les  journaux  italiens  ont*ils  pris  celle-là?  Les  voici  qui  ra- 
content tous,  les  uns  après  les  autres,  qu'à  la  représentation  de  la  Damnation 
de  Faust,  qui  a  eu  lieu  récemment  à  Monte-Garlo  avec  M"»=Caron,  MM.  Alva- 
rez et  Renaud,  assistait  ..  la  fille  de  Berlioz,  qui  est  âgée  de  83  ans  et  qui 
avait  fait  un  long  voyage  pour  assister  au  triomphe  de  son  père  ».  Ils  ajoutent 
qu'on  dut  «  la  porter  au  théâtre  sur  une  chaise  ».  Si  ladite  fille  de  Berlioz 
est  âgée  de  83  ans,  sa  naissance  doit  être  fixée  à  1816.  Or,  Berlioz  étant  né 
lui-même  le  12  décembre  1803,  autant  presque  dire  en  1804,  il  aurait  eu 
douze  ans  environ  lors  de  la  venue  précoce  de  cet'e  enfant!  La  vérité  est  que 
Berlioz  n'eut  point  de  fille,  mais  seulement  un  fils  nommé  Louis,  qui  fut 
officier  de  marine,  lui  causa  beaucoup  de  chagrins  et  mourut  plusieurs  années 
avant  lui. 

—  Nous  n'avons  pas  eu  encore  assez  de  concerts  cette  année,  parait-il! 
Voici  que  l'orchestre  philharmonique  de  Berlin,  sous  la  direction  de  M.  Ar- 
thur Nikisch,  va  donner  du  19  au  26  mai,  au  Cirque  d'hiver,  une  série  de 
cinq  nouveaux  festivals.  Kappelmeister,  que  nous  veux-tu? 

—  Nous  apprenons  le  mariage  de  M""  Thérèse  Ganne,  une  très  charmante 
artiste  lyrique,  premier  prix  de  chant  et  d'opéra  (Conservatoire,  1893),  qui, 
après  être  demeurée  deux  ans  à  l'Académie  nationale  de  musique  et  trois 
ans  au  théâtre  de  la  Monnaie,  à  Bruxelles,  vient  encore  de  triompher  cette 
saison  au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux.  M"'  Thérèse  Ganne  épousera,  le  7  mai 
prochain,  M.  Albert  Moussoux,  industriel  belge  des  plus  estimés.  Malheu- 
reusement pour  le  public,  elle  quittera  la  carrière  théâtrale. 

—  M.'^'Clotilde  Kleeberg,  après  le  grand  succès  obtenu  à  Lyon  par  son  inter- 
prétation du  2"  concerto  de  Théodore  Dubois,  s'est  rendue  à  Besançon,  où 
l'on  avait  organisé  pour  elle  une  séance  musicale  d'un  intérêt  exceptionnel. 
On  a  fait  fête  à  la  charmante  artiste,  qui  donnera,  au  commencement  du  mois 
prochain,  son  concert  à  Paris. 

—  Un  de  nos  jeunes  et  meilleurs  pianistes,  M.  Edouard  Bernard,  donnera 
salle  Erard,  jeudi  18  avril,  à  9  heures,  un  concert  dans  lequel  il  fera  entendre 
des  œuvres  de  Beethoven,  César  Franck,  Tschaïkowsky,  Brahms,  Chabrier, 
Chopin,  Liszt,  et  le  3'  concerto  de  M.  de  Bériot,  accompagné  au  piano  par 
l'auteur. 

—  Le  concert  spirituel  donné  mardi  dernier  au  théâtre  de  la  Renaissance 
par  M.  Adolphe  Deslandres  pour   l'audition   de  son  Stabat  Mater  pour  soli, 


chœurs  et  orchestre,  a  été  un  véritable  succès  pour  le  compositeur  et  ses 
excellents  interprètes  :  M"«  Cécile  O'Rorke  et  Clémence  Deslandres.  MM .  Emile 
Cazerieuve  et  Péloga. 

—  De  Marseille  :  «  M"*  Wanda  de  Stajewska,  qui  obtint  un  si  brillant 
succès  au  Grand-Théâtre,  vient  de  terminer  la  saison  en  chantant  pour  la 
première  fois  Ùphélie,  à'Hamlel.  avec  un  charme  exquis  et  une  virtuosité 
remarquable.  Le  public  enthousiasmé  l'a  couverte  de  fleurs.  » 

—  L'Association  des  concerts  classiques  de  Marseille  a  donné  dimanche 
dernier  son  dernier  concert  de  la  saison,  saison  particulièrement  brillante 
grâce  à  l'autorité  de  M.  Paul  "Viardot.  Aussi,  public  et  orchestre  se  sont-ils 
associés  pour  témoigner  au  vaillant  chef  leur  reconnaissance  par  des  ova- 
tions répétées  et  des  bouquets. 

—  De  Toulouse  :  «  Un  grand  concert  spirituel  a  été  donné  au  théâtre  du 
Capitole.  Au  programme  :  la  Lyre  et  la  Harpe,  de  Saint-Saëns;  Sainte  Agnès, 
drame  sacré  en  deux  parties  de  G.  de  Grandval.  Les  soli  étaient  chantés  par 
Mii«  de  Méryanne,  Bonfils,  MM.  Gaston  Beyie,  de  l'Opéra,  et  de  Lérick;  les 
chœurs  et  l'orchestre,  composés  de  143  exécutants,  étaient  sous  la  direction 
d'André  Taponnier.  —  Exécution  de  tout  premier  ordre,  qui  a  provoqué  un 
vif  enthousiasme  dans  le  public;  M'»"  de  Grandval,  qui  assistait  au  concert,  a 
du  saluer  de  sa  loge  à  deux  reprises.  » 

—  A  Toulon,  excellente  première  représentation  d'André  Chénier,  l'opéra  si 
vivant  et  si  impressionnant  de  Giordano.  L'opéra  a  beaucoup  porté  sur  le 
public,  qui  l'a  salué  de  chaleureux  applaudissements. 

—  De  Bayonne  :  «  La  Navarraise,  de  Massenet,  vient  d'être  représentée 
aux  Arènes  devant  plus  de  six  mille  spectateurs.  Les  loges  étaient  en  partie 
occupées  par  l'élite  de  la  colonie  étrangère  de  Biarritz,  si  brillante  en  cette 
fin  de  saison  d'hiver.  L'interprétation  a  été  excellente  et  d'enthousiastes  ova- 
tions ont  été  faites  à  M""'  de  Nuovina,  qui  jouait  le  rôle  d'Anita  avec  son 
talent  habituel.  Les  chœurs  et  l'orchestre  étaient  conduits  par  le  maestro 
Brument.  » 

—  D'Alger:  A  l'occasion  de  la  semaine  sainte  notre  actif  directeur, M.  Sau- 
gey,  vient  de  monter  ilarie-Magdeleine.  Le  bel  oratorio  de  Massenet,  qui  n'avait 
jamais  été  entendu  ici,  a  remporté  un  succès  complet,  dont  une  part  revient 
à  l'orchestre,  parfait  sous  la  direction  de  M.  Steck,  et  aux  interprètes,  très 
applaudis,  M"°-  Gervaix.  Pratt,  MM.  Flachat  et  Lataste. 

—  Du  Havre  :  La  Société  Sainte-Cécile  vient  de  nous  donner  la  première 
audition,  ici,  de  Rédemption,  de  César  Franck.  L'exécution  a  été  (  xcellente 
sous  la  direction  de  M.  Cifolelli.  qui  s'était  adjoint  les  chœurs  de  la  Lyre. 
L'effet  sur  le  public  a  été  très  grand  et  une  grande  part  du  succès  revient  et  au 
chef  d'orchestre  et  à  M""  Gogue,  qui  a  fait  preuve  de  talent  dans  les  soli  de 
l'archange.  C'est  W^"  Larue  qui  a  déclamé  les  vers  du  récitant  avec  intelli- 
gence et  chaleur.  Au  même  concert,  M.  Risler  a  été  couvert  de  chaleureux 
applaudissements  après  l'exécution  d'un  concerto  et  de  plusieurs  pièces  de 
piano. 

—  Scola  Cantorum.  —  C'est  par  erreur  qu'on  a  annoncé  pour  le  mercredi 
24  avril  le  concert  que  doit  donner,  à  la  Scola,  M.  Henri  Casadessus;  cette 
intéressante  audition  aura  lieu  le  jeudi  25.  Les  mercredis  17  avril,  1"^''  et 
15  mai,  trois  séances  de  cantates  d'église  de  J.-S.  Bach  :  «  Ach  Gotl  vom  Ilim- 
mel  »;  «  Christus  lag  in  Todesbanden  »;  «  Liebster  Gotl  ». 

—  Soirées  et  concerts.  —  A  la  soirée  donnée  au  bénéfioe  du  patronage  de  Saint-\'in- 
cent-de-Paul  on  a  fait  grand  succès  à  M"'  Palasara,  qui  a  chanté  Inquiétude,  de  Oiéiuer, 
Chant  provençal,  de  IVIassenet,  la  Cigale,  de  Paladilhe,  et,  avec  M.  Commène,  le  duo 
de  Lakmé,  de  Delibes.  M.  Commène  a  eu  également  sa  part  personnelle  de  bravos  dans 
la  Chanson  de  tOiieleur,  de  Delibes. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  chez  Flammarion  Vllistoire  de  la  imtsique  belge  au  XIX"  siècle,  ] 
.Vlbert  Soubies  (2  fr.). 


Paris,    AU    MENESTREL,    2"=,    rue    Vivienne,    HBUOEL    et    O*",    Éditeurs. 


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comprenant  sept  pièces  ou  préludes  et  trois  transcriptions  de  Schumann  etBACH. 
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Ces  pièces,  très  soigneusement  registrées,  sont  assez  faciles  et  jouables,  en  général, 
tur  un  orgue  à  deux  claviers. 

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'  (Eacre  LoriUeuxj. 


~lA/t 


Dimanche  21  Avril  1901. 


3656.  -  67-  mm  -  N"  16.        PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  Z*"*,  rue  Virieune,  Paris) 
(Les  manuscrils  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  nou,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

LE 


MENESTREL 


lie  liuméFO  :  0  îr.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEA.TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


IieHuméPo:  Ofp.  30 


Adresser  hi»nco  à  M.  Hk.nri  UliUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  Ms,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Uu  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;Te.\te  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnemenl  complet  d'un  an.  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  BUB. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (8"  article),  Paui.  d'Estrées.  — 
IL  Semaine  thcAtrale  :  premières  représentations  de  Pour  l'amour!  à  TOdéon,  de  la 
Course  du  flambeau  au  Vaudeville,  de  la  Joie  du  talion  et  de  20.000  âmes  au  Gymnase, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  IIL  Le  théâtre  et  les  spectacles  à  l'Exposition  (26°  et  dernier 
article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  la  Suche,  Edmoxd 
Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
QUAND  LA   NUIT   N'EST  PAS  ÉTOILÉE 

nouvelle  mélodie  de  Reïnaldo  Hahn,  poésie  de  Victor  Hugo.  — Suivra  immé- 
diatement :  Brunette  (1"03),  n°  1  des  Chants  de  France,  harmonisés  par  A.  PÉ- 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
le  Baptême  d'Yvonnette,  de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Souvenir. 
n°  9  des  Nàives,  de  Lodis  Lacombe. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  plus  récents  et  des  documents  inédits 

(Suite.) 


VIII 

Les  éioUes  de  la  danse.  —  Les  scrupules  de  Javilliers.  — ■  Vn  château  branlant.  — 
Les  élévations  de  la  Camargo.  —  Un  portrait  peu  (latte.  —  Carville  la  dinde.  — 
Une  danseuse  sans  soucis.  —  Grandeur  et  décadence  de  la  Rabon.  — Ses  origines. 
Les  deux  sultanes  du  prince  de  Cariynan.  —  La  constitution  de  l'Opéra.  — ■  La 
magnificence  de  la  Rabon.  —  Folles  amours. 

II  en  est,  au  XVIIP  siècle,  pour  les  artistes  de  la  danse  comme 
pour  les  artistes  du  chant.  Leur  vie  privée  est  intimement  con- 
fondue avec  leur  vie  publique ,  et  il  semble  presque  que  leur 
talent  soit  en  raison  directe  des  aventures  plus  ou  moins  sca- 
breuses dont  ils  sont  les  héros.  Du  reste,  pour  la  plupart  des 
contemporains  la  moralité  du  comédien  est  un  mythe  ;  ils  s'éton- 
nent même  quand  les  «  histrions  »  ont  le  sens  de  l'honnêteté  et 
les  «  filles  de  l'Opéra  »  le  souci  de  leur  vertu. 

Nous  trouvons  un  exemple  de  cette  surprise,  peu  llatteuse  pour 
l'humanité,  dans  une  lettre  écrite  au  lieutenant  de  police,  Fey- 
deau  de  Marville,  par  un  directeur  de  l'Académie  royale  de 
Musique,  M.  de  Bombarde.  Le  magistrat  faisait  surveiller  par  des 
agents  un  étranger  d'allures  suspectes  :  il  apprend  que  cet  indi- 
vidu a  pour  maître  de  danse  Javilliers,  l'aîné,  professeur  à  l'Opéra, 


le  frère  sans  doute  de  ce  Javilliers  «  célèbre  violoniste  »,  qui 
donnait  des  leçons  de  musique  à  Dufort  de  Cheverny.  Marville 
invite  donc  M.  de  Bombarde,  le  directeur  de  l'Opéra,  à  réclamer 
de  son  pensionnaire  tous  les  renseignements  que  celui-ci  pour- 
rait tirer  de  son  élève,  en  un  mot  à  proposer  à  Javilliers  d'es- 
pionner pour  le  compte  de  la  police.  M.  de  Bombarde  accepte 
très  volontiers  le  rôle  que  veut  lui  faire  jouer  son  correspondant 
et  lui  donne  en  ces  termes  le  résultat  de  son  entretien  avec  le 
maître  de  danse  : 

«  Je  n'ai  point  réussi.  Monsieur,  dans  la  négociation  que  vous 
m'avez  confiée.  Je  passais  hier  chez  vous  pour  vous  en  rendre 
compte.  Je  vis  le  matin  le  sieur  Javilliers.  Après  beaucoup  de 
propos  sur  ses  écoliers,  parmi  lesquels  il  me  dit  qu'il  y  avait  des 
étrangers,  je  lui  dis  qu'il  devait  en  venir  que  je  comptais  lui 
confier.  Il  me  remercia.  Je  trouvai  le  moment  de  lui  parler  de 
l'homme  en  question,  du  lieu  de  sa  demeure  à  peu  près.  Il  me 
dit  qu'il  ne  le  connaissait  nullement.  Il  en  résulterait,  Monsieur, 
que  ce  ne  serait  pas  ledit  Javilliers  l'ainé  qui  allait  chez  cette  per- 
sonne, ou,  au  cas  que  ce  fût  lui,  sa  façon  de  nier  et  son  espèce 
d'assurance  en  niant  devraient  paraître  suspectes.  Ce  sont  des  ré- 
flexions que  votre  prudence  et  votre  sagacité  vous  feront  faire  et 
qu'il  ne  m'appartient  pas  de  vous  indiquer.  J'ai  l'honneur  de 

«  Ce  27  avril  1741.  Bombarde.  » 

Évidemment  Javilliers  a  voulu  donner  le  change  à  son  interro- 
gateur :  car  c'est  bien  lui  le  maître  de  danse  de  l'étranger  ; 
l'inspecteur  de  police  qui  suit  l'affaire  l'a  parfaitement  reconnu. 
N'importe,  il  fallait  un  certain  courage  et  un  grand  fonds  de 
probité  à  ce  petit  chorégraphe  pour  oser  résister  à  l'homme 
redoutable  qu'était  alors  un  lieutenant  général  de  police. 

Un  autre  danseur  du  XVIIP  siècle,  le  plus  illustre  de  tous,  à 
qui  nous  avons  consacré  ici-méme  une  notice,  Dupré,  était-il  le 
professeur  de  la  Salle,  comme  l'a  prétendu  Dufort  de  Cheverny  ? 
Celui-ci,  qui  vit  à  Fontainebleau  l'ancienne  ballerine  de  l'Opéra, 
affirme  qu'elle  «  imitait  la  danse  majestueuse  de  son  maître 
Dupré  ».  Malheureusement,  c'était  «  un  vrai  chùteau-branlant  »; 
elle  manquait  de  force  et  «  fît  plus  de  peine  que  de  plaisir  dans 
deux  entrées  de  cinq  minutes  seulement  ».  Elle  devait  mourir 
peu  de  temps  après  :  mais  quel  contraste  avec  M"°  Lemaure,  sa 
contemporaine,  qui  était  venue  chanter  le  même  jour  devant  le 
Roi,  à  Fontainebleau,  et  dont  la  voix  était  encore  si  belle  et  si 
puissante  ! 

La  Camargo,  dont  «  les  pirouettes  »  sont  restées  aussi  célèbres 
que  la  «  danse  noble  »  de  sa  rivale  la  Salle,  occupe  une  Certaine 
place  dans  les  Notes  secrètes  de  Meusnier  et  dans  les  Nouvelles  de 
la  Cour  et  de  la  Ville.  Celles-ci  parlent,  à  la  date  du  8  mars  1735, 
de  l'accident  qui  retint  la  Camargo  six  mois  au  lit,  parce  qu'elle 
avait  fait  de  trop  violents  efforts  pour  «  s'élever  ».  En  1736,  c'est 
un  épisode  de  ses  amours  avec  le  comte  de  Glermont  :  elle  avait 


122 


LE  MÉNESTREL 


renoncé  à  paraître  sur  la  scène  tant  (|ue  son  amant  resterait  ù 
Farmée:  et  celui-ci,  l'année  suivante,  ne  voulait  même  plus 
qu'elle  rentrât  au  théâtre. 

Meusnier,  l'inspecteur  de  police,  qui  écrivait  «  Thistoire-anec- 
dote  »  de  la  Camargo  en  1753,  n'embellit  guère  son  héroïne  : 
«  si  elle  descend,  dit-il,  d'illustres  Castillans,  en  tout  cas  la  race 
a  bien  dégénéré  à  Paris,  car  le  sieur  Camargo,  son  père,  n'a 
jamais  été  recommandable  que  dans  les  guinguettes  aux  environs 
de  Paris  où  il  allait  racler  du  violon  pendant  la  belle  saison;  et^ 
depuis  la  fortune  de  sa  ûlle,  il  a  continué  à  exercer  son  talent 
aux  bals  de  l'Opéra  et  même  dans  de  moins  brillantes  assem- 
blées ». 

Cette  mauvaise  langue  de  policier  habille  de  la  belle  façon  la 
silhouette  de  la  danseuse  :  «  elle  a  une  figure  laide  et  ingrate  que 
fait -oublier  son  talent».  Meusnier  n'est  guère  plus  indulgent 
pour  les  amis  de  la  Camargo.  Le  Prince  de  Melun,  dernier  du 
nom,  fut,  parait-il,  le  premier  vainqueur  de  la  belle  ;  puis  le 
comte  de  Clermont,  le  maréchal  de  Richelieu,  le  marquis  de 
Sourdis,  pour  qui  elle  renouvelle  en  1742  le  sacriiice  qu'Adrienne 
Lecouvreur  avait  consenti  à  Maurice  de  Saxe.  La  Camargo 
engagea  ses  bijoux  pour  permettre  à  Sourdis  de  monter  ses  équi- 
pages de  campagne.  Ce  fut  le  6  mars  1751  qu'elle  demanda  sa 
retraite,  à  la  suite  d'un  outrage  que  lui  fit  essuyer  le  public, 
jusqu'alors  idolâtre.  Si  les  calculs  de  Meusnier  sont  exacts,  la 
Camargo  s'était  retirée  avec  douze  mille  livres  de  rente  ;  elle  en 
eût  même  possédé  dix-huit  mille  sans  la  Leduc,  qui  empêcha  le 
comte  de  Clermont  de  lui  continuer  la  pension  de  six  mille  livres 
qu'il  lui  avait  accordée  en  la  quittant. 

La  Camargo  demeurait  alors  rue  et  porte  Saint-Honoré,  près 
du  boulevard;  son  frère  Cupis  à  la  Nouvelle  France,  rue  Belle- 
fonds.  Depuis  il  alla  s'établir  à  Montreuil,  où,  suivant  les 
Mémoires  raisonnes  de  Lefevre  de  Beauvray,  il  gagna  une  jolie 
fortune  à  cultiver  et  à  vendre  des  pêches. 

M""  Carville,  que  nous  avons  vu  partager  avec  la  Carton  les 
soupers  fins  de  sa  camarade  Coupée  de  l'Opéra,  était  désignée, 
nous  l'avons  dit,  sur  cette  scène,  sous  le  surnom  de  la  Dinde. 
Elle  le  méritait  à  plus  d'un  titre.  Elle  n'avait  pas  seulement  ce 
genre  d'esprit  particulier,  auquel  fait  involontairement  penser 
-un  sobriquet  si  fort  à  la  mode  aujourd'hui  ;  elle  rappelait  encore 
par  sa  taille,  sa  démarche,  sa  grasse  et  blanche  carnation  de 
blonde  aux  formes  opulentes,  le  gallinacé  que  les  forains  font 
'parfois  danser  sur  des  plaques  de  tôle  rougies  au  feu.  Carville 
n'avait  pas  quinze  ans  qu'elle  débutait  à  l'Opéra  de  Rouen.  Elle 
s'y  distingua  beaucoup  plus  par.  ses  aventures  galantes  que  par 
son  talent.  A  Lyon,  elle  s'avisa  de  tenir  une  maison  de  jeu  et  dut 
payer  de  ce  fait  une  amende  de  mille  écus.  Meusnier  signale  la 
"présence  de  la  danseuse  à  l'Opéra  en  1755.  C'était  à  peu  près 
l'époque  où  le  grand  Dupré,  l'amant  de  la  Carville,  allait  prendre 
sa  retraite. 

Le  Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville  s'enthousiasme  pour  la  danse 
d'une  iîlle  de  la  Mariette,  comme  il  s'est  engoué  du  chant  de 
M""  Antheaume.  Son  nouveau  petit  prodige  «  réunit  le  feu  de  la 
Mariette,  la  grâce  de  la  Salle  et  la  légèreté  de  la  Camargo  ».  Ce 
fut  une  révélation  quand  elle  dansa  dans  le  Tambourin  de  la 
Provençale.  Nous  ne  voyons  pas  qu'elle  ait  jamais  tenu  les  pro- 
messes de  son  panégj'riste  et  nous  croyons  plus  facilement  avec 
lui  qu'elle  consola  le  prince  de  Conti  des  inlîdélilés  de  la  Rabon, 
une  autre  ballerine  dont  les  exploits  de  toute  nature  termineront 
notre  étude  sur  les  artistes  de  la  première  moitié  du  XYIII"  siècle. 

Mais  avant,  donnons  un  souvenir  à  M"°  Amédée,  la  danseuse  de 
l'Opéra,  en  nous  reportant  aux  croquis  laissés  par  Meusnier  et 
Dufort  de  Cheverny. 

«  On  la  dit  la  meilleure  fille  du  monde,  écrit  le  Crozier  du 
temps,  elle  est  sans  souds...  »  un  jeu  de  mots,  par  parenthèse 
assez  mauvais,  que  se  permet  notre  auteur,  pour  nous  faire 
savoir  que  la  «  ravissante  »  Amédée  avait  perdu  ses  sourcils  et 
qu'elle  s'en  dessinait  de  superbes  avec  un  pinceau.  Meusnier  a 
relevé  également  ce  même  détail  dans  le  portrait  de  «  cette  petite 
brune  aux  grands  yeux  noirs  »,  à  la  bouche  si  joliment  meublée, 
aux  «  sourdis  postiches  » . 


Elle  avait  pour  ami  un  admirateur  bien  gênant...  sur  le 
théâtre  :  c'était  un  maréchal  de  camp,  le  duc  d'Olonne,  grand 
garçon  de  35  ans,  blondasse  et  si  fort  épris  de  sa  belle  qu'il  ne 
manquait  pas  un  opéra  et  ne  quittait  plus  les  coulisses.  Il  avait 
loué  à  l'intention  de  M"'-'  Amédée  une  petite  maison  rue  des 
Amandiers. 

—  «  Voir  le  dossier  des  petites  maisons,  feuille  du 
i"  août  1749  »,  écrit  Berryer,  le  lieutenant  de  police,  qui  raffole 
de  ces  notules  sur  les  rapports  de  ses  inspecteurs. 

Pour  couper  court  au  scandale,  le  Roi  avait  e.xilé,  paraît-il, 
le  duc  d'Olonne  dans  ses  terres,  et  la  famille  avait  fait  enfermer 
la  danseuse  à  Sainte-Pélagie. 

Rigueurs  superflues,  le  duc  était  ruiné,  Amédée  s'éclipsa  dans 
une  pirouette.  Le  chevalier  Clermont  d'Amboise,  le  philosophe 
Helvétius,  lui  rendirent  un  peu  de  lustre.  Puis  elle  courut  le 
monde;  elle  était  à  Londres  en  1752  et  à  Prague  en  1754.  Elle 
sacrifia  au  prince  de  Monaco  le  gros  baron  allemand  qui  l'avait 
emmenée  en  voyage  pendant  que  les  créanciers  de  la  danseuse 
faisaient  apposer  les  scellés  sur  son  appartement.  Dufort  de 
Cheverny  affirrhait  que  le  duc  de  Cumberland  l'avait  enlevée  à 
la  France,  mais  qu'elle  était  restée  définitivement  à  Londres,  où 
elle  vivait  presque  dans  le  luxe. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Odéon.  Pour  l'amour!  drame  en  4  actes,  en  vers,  de  M.  Auguste  Dorcbain.  — 
Vaudeville.  La  Course  du  Flambeau,  pièce  en  4  actes,  de  M.  Paul  Hervieu. 
—  Gymnase.  20.000  âmes,  pièce  en  3  actes,  de  M.  l'ranc-Nohain;  la  Joie  du 
Talion,  comédie  en  1  acte,  de  MM.  F.  Bloch  et  L.  Schneider. 

Comme  par  hasard,  messieurs  nos  directeurs  parisiens  viennent,  une 
fois  de  plus,  de  se  donner  le  mot  pour  changer  lem's  affiches  tous  à  la 
fois.  Tiraillés  de  droite  et  de  gauche,  olîligés  de  sauter  du  drame  au 
vaudeville,  sollicités  par  le  vers  et  par  la  prose,  nous  ferons  en  sorte  de 
ne  point  trop  se  laisser  embrouiller  nos  impressions  fugitivement  variées 
et  de  dissimuler  autant  que  possible  une  lassitude  qui  n'aurait  pour- 
tant rien  que  de  fort  naturel.  Cette  semaine  nous  occupera  suffisamment 
avec  l'Odéon,  le  Vaudeville  et  le  Gymnase,  la  prochaine  se  réservant 
Cluny,  l'Athénée,   les  Nouveautés,  etc.,  et  l'imprévu. 

A  l'Odéon,  drame  en  vers  de  M.  Auguste  Dorchain  qui,  on  le  sait  de 
reste,  compte  parmi  les  tout  premiers  de  nos  parnassiens  modernes, 
drame  d'amour,  de  passion  et  de  vengeance,  dont  l'idée  a  ét('  empruntée 
à  Lope  de  Vega  et  qui  met  aux  prises  un  père  et  un  fils  épris  d'une 
même  femme.  La  donnée  servit,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  pour  le 
Duc  de  Ferrare,  de  MM.  Paul  Milliet  et  Georges  Marty,  et  M.  Dorchain 
s'en  est  assimilé  l'esprit  non  sans  adresse  scénique.  Le  public  du  second 
Théâtre-Français  a  accueilli  Pour  ï amour!  avec  des  bravos  répétés. 
C'est  que  vraiment  elle  est  exquise,  la  langue  du  jeune  poète,  et  que  les 
qualités  de  forme,  d'élégance,  de  correction,  d'émotiou,  qui  firent  le 
succès  de  Conle  d'Avril,  se  retrouvent  toutes  ici.  Oh!  les  jolis  couplets 
qui  émaillent  printanièrement  les  quatre  actes  de  cette  histoire 
plutôt  lugubre.  Oh  !  le  merveilleux  duo  d'amour  du  troisième  acte  ! 
Divine  et  idéale  musique  de  poète  qui  semble  appeler  la  musique  du 
musicien. 

La  troupe  de  l'Odéon  a  joué  Pour  l'amour!  un  peu  trop  honnêtement, 
un  peu  trop  bourgeoisement;  il  manque  là  la  fantaisie  ailée,  la  jeunesse 
ardente  et  la  passion  communicative  qu'il  n'y  avait  pourtant  qu'à  puiser 
largement  dans  des  vers  chantant  tout  seuls.  De  l'interprétation 
nombreuse,  il  n'y  a  guère  à  louer  que  M"'  Franquet,  de  douce  et  liar- 
monieuse  diction,  encore  que  d'organe  bien  faible,  qu'à  signaler  M.  de 
Max,  dont  les  élans  assez  grandiloquents  suffisent  à  peine  à  faire  par- 
donner fhorrîpilant  et  mièvre  maniérisme,  et,  pour  faire  la  part  très 
large,  qu'à  mentionner  M.  Dorival,  de  tenue  correcte,  M"°  Dalti,  de 
silhouette  jolie,  M.  Daumerie  et  M"»  Rabuteau,  d'enfantine  gaminerie. 


Au  Vaudeville,  pièce  «  d'idée  »  de  M.  Paul  Hervieu.  Sont-ce  les 
parents  qui  doivent,  dans  la  vie,  se  sacrifier  pour  leurs  enfants,  ou  sont- 
ce,  au  contraire,  les  enfants  :i  qui  incombe  la  responsabilité  du  bonheur 
pour  ceux  qui  les  firent  naître?  M.  Hervieu  pense  que  les  lois  dénature 
veulent  que  ce  soient  les  vieux  qui  se  dévouent  aux  jeunes  et,  pendant 


LE  MÉNESTREL 


123 


quatre  actes  de  tortui'aiite  et  pénible  analyse,  il  essaie  de  nous  le  prou- 
ver. La  pièce  de  M.  Hervieu  est  loin,  bien  entendu,  d'être  indifférente; 
■mais  les  nerfs  y  sdnt  si  abusivement  soumis  à  une  continuelle  et  excessive 
souffrance,  que  l'intérêt  en  est  sensiblement  diminué;  l'idée  élue, 
M.  Hervieu  la  développe  et  la  pousse  jusqu'en  ses  extrêmes  limites  avec 
une  opiniâtreté,  une  volonté,  une  rigidité  qui  ne  craignent  en  route 
aucun  obstacle  et  qui  n'entendent  s'effaroucher  ni  de  l'horrible,  ni  du 
brutal,  ni  même  de  l'invraisemblable.  Et  c'est  ici  qu'on  pourrait  le 
plus  justement  chicaner  l'auteur,  car  enfin,  les  êtres  qu'il  veut  nous 
imposer  comme  des  généralités  ne  sont  très  certainement  que  des 
exceptions  et  de  monstrueuses  exceptions.  Où  donc  l'auteur  de  la  Course 
du  flambeau,  un  titre  symbolique  et  de  très  documentaire  et  savante 
érudition,  emprunté  à  un  rite  de  l'Athènes  antique,  où  donc  a-t-il  connu 
l'effrayante  famille  qu'il  nous  présente?  Où  donc  a-t-il  rencontré,  sous 
un  même  toit,  une  femme  qui  consent  à  tuer  sa  mère  pour  essayer 
de  guérir  sa  propre  fille,  une  grand'mére  qui  se  refuse  à  sauver  les  siens 
du  déshonneur,  une  fillette  qui,  minute  par  minute,  martyrise  égoïste- 
ment,  froidement  et  systématiquement  une  maman  de  trop  de  dévoue- 
ment? Trois  individus  de  complète  et  outranciére  exception,  vous  dis- 
je,  de  si  complète  exception  même  qu'ils  en  sont  totalement  irréels, 
surtout  groupés  ainsi  ensemble  et  groupés  dans  le  milieu  bourgeois, 
honnête,  aisé,  uni,  où  l'auteur  les  a  murés.  M.  Hervieu  qui,  jusqu'à 
présent,  nous  avait  habitués  à  beaucoup  d'àpreté  et  de  rude  logique  dans 
les  thèses  curieuses  qu'il  porte  au  théâtre,  semble,  cette  fois,  avoir  de 
beaucoup  dépassé  le  but  â  atteindre. 

La  Course  du  Flambeau  est  merveilleusement  jouée  par  M"'  Réjane, 
la  maman,  qui,  au  dernier  acte,  a  trouvé  des  accents  de  déchirante 
émotion  qui  ont  secoué  tous  les  spectateiu-s  malgré  l'angoissant  malaise 
qui  pesait  sur  eux,  et  par  M""  Daynes-Grassot,  la  grand'mére,  qui,  en 
jouant  très  simplement,  très  humainement,  s'est  révélée  comédienne 
supérieure  en  un  rôle  de  comédie  uniquement  dramatique.  MM.  Lô- 
rand,  Dubosc,  s'embarrassant  d'un  inutile  accent  exotique,  Nertann, 
M"°  Bernou,  dans  le  personnage  difficile  et  énervant  de  la  jeune  per- 
sonne cruellement  égoïste,  sont  à  la  tête  d'un  excellent  ensemble. 


Au  Gymnase,  très  grosse  erreur  de  M.  Franc-Nohain  qui  a  voulu, 
sans  doute,  nous  gratifier  d'une  étude  de  mœurs  de  province  et  ne  nous 
a  donné  qu'un  vaudeville  très  quelconque,  d'un  extraordinaire  décousu 
et  d'une  fantaisie  inquiétante,  digne  tout  au  plus  d'un  vague  et  lointain 
Déjazet.  N'attendez  pas  qu'on  vous  raconte  pourquoi  la  nouvelle  sous- 
préfète  de  la  petite  ville,  où  la  folie  sévit,  est  prise  pour  une  horizontale 
parisienne  accourue  afin  de  vitrioler  l'ami  qui  l'a  lâchée  en  vue  d'un 
riche  mariage,  qu'on  essaie  de  vous  analyser  le  personnage  symbolicpie 
et  fumiste  d'un  anarchiste  par  persuasion,  ou  qu'on  vous  dise  les  admi- 
nistratives raisons  poussant  l'inspecteur  de  police  â  aspirer  â  une  giffle 
qui  lui  causera  de  l'avancement.  De  tout  cela,  malgré  l'amputation  du 
dernier  acte  opérée  radicalement  et,  peut-être,  désespérément,  dès  hier, 
vous  n'entendrez  vraisemblablement  plus  parler  d'ici  peu  de  jours;  inu- 
tile donc  d'insistersi  ce  n'est  pour  souhaiter  â  M.  Franc-Nohain  une 
prompte  revanche  de  ses  20.000  âmes  et  â  ses  interprètes,  terriblement 
désorientés,  de  prochains  rôles  dont  ils  pourront  faire  quelque  chose. 

Le  spectacle  commence  par  un  petit  acte  amusant,  la  Joie  du  Talion, 
de  MM.  Ferdinand  Bloch  et  Louis  Schneider.  C'est  l'histoire  d'un  mari 
très  moderne  et  très  rosse  qui,  posément,  cyniquement,  force  celui  qui 
a  détourné  sa  propre  femme  de  ses  devoirs  conjugaux  â  devenir  son 
légitime,  se  réservant  pour  lui-même,  plus  tard,  la  place  de  larron. 
M.  Arquillière,  M""  Jousset  et  M.  Frèdal  animent  agréablement  ce 
tableautin  de  mœurs  ultra-modernes. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  ET  LES  SPECTACLES 

A    L'EXPOSITION    UNIVERSELLE    DE    1900 


LES  rAKORAMAS,  LES  DIORAMAS...  ET  LE  RESTE 

(Suite.) 

Passons  au  Sléréorama  mouvant,  qui  nous  faisait  voyager  aussi  sur 
la  Méditerranée  et  qui,  pour  être  de  moindres  proportions,  n'en  était 
pas  moins  charmant  et  foi't  intéressant.  Il  était  installé  dans  un  beau 
bâtiment  de  style  mauresque  qui  faisait  honneur  au  talent  de  M.  Albert 
Ballu.  C'était  aussi  un  panorama  mouvant  et  d'un  genre  particulier, 
qui,  par  un  ensemble  de  toiles,  de  reliefs  réels,  de  plans  mécaniques  et 


de  trucs  divers,  donnait  au  vrai  l'illusion  de  la  nature  et  du  mouve- 
ment. Parti  de  la  rade  de  Bône,  on  voyait  successivement  le  golfe  gran- 
diose de  Bougie,  le  cap  Carbon,  le  port  d'Alger  avec  l'escadre  de  la 
Méditerranée,  et  après  avoir  longé  toute  la  côté  algérienne,  on  arrivait 
à  Oran  au  coucher  du  soleil.  Ce  panorama  était  l'œuvre  de  MM.  Fran- 
covich  et  Gadan. 

Nous  en  avons  d'autres  encore,  et  d'abord  le  Panorama  Transsibé- 
rien de  l'exposition  russe,  mouvant  aussi,  qui  nous  transporte  aussi, 
confortablement  assis  dans  un  des  admirables  wagons  de  la  Compagnie 
des  'Wagons-Lits,  à  travers  toute  la  Sibérie,  de  Moscou  à  Pékin,  bien 
que  la  dernière  partie  de  la  Hgne,  celle  d'Irkoutsk  à  Pékin,  ne  doive 
être  terminée  qu'en  1903  (?).  Ici  le  diorama,  peint  d'après  nature  par 
MM.  Jambon  et  Bailly,  se  compose  de  trois  toiles  qui  se  déplacent 
parallèlement  au  sens  du  train  avec  des  vitesses  variables,  suivant 
Cfu' apparaissent  à  la  vue  les  premiers,  seconds  ou  derniers  plans  de  la 
contrée  parcourue.  Montée  sur  des  rouleaux  mus  par  l'électricité  (par 
un  système  semblable  à  celui  des  rampes  mobiles  de  l'Exposition),  la 
première  toile,  représentant  le  ballast  et  les  poteaux  télégraphiques,  se 
déroule  â  raison  de  cinq  mètres  par  seconde  ;  la  seconde,  montrant  les 
arbres  à  une  vingtaine  de  mètres  de  la  voie,  marche  un  peu  plus  lente- 
ment et  précède  la  dernière,  de  huit  mètres  de  haut,  qui  ne  se  déplace 
plus  qu'avec  une  vitesse  initiale  presque  imperceptible.  L'illusion 
d'optique  est  absolument  complète,  et  elle  semble  augmentée  encore 
par  le  mouvement  de  trépidation  ingénieusement  imprimé  a,u  wagon. 

Et  le  grand  panorama  du  Mont  Blanc,  au  Club  Alpin,  avec  les  six 
dioramas  qui  lui  faisaient  escorte,  et  le  panorama  grandiose  des  Alpes 
bernoises,  à  l'extrémité  du  Village  Suisse,  œuvre  de  MM.  Baud-Bovy, 
Burnaud  et  Furet,  et  le  joli  Panorama  Saharien  de  MM.  Gilbert  Gal- 
land  et  Maxime  Noire,  et  le  superbe  diorama  du  Palais  des  armées  de 
terre  et  de  mer,  de  M.  Ludovic  Durand,  et  la  très  belle  série  de  diora- 
mas peints  par  M.  Dumoulin  et  placée  dans  les  sous-sols  de  l'exposition 
de  rindo-Chine,  et  encore  —  car  il  y  en  avait  vraiment  partout  —  le 
gentil  diorama  du  pavillon  des  vins  de  Champagne,  peint  par  M. 
Deconchy,  les  deux  jolis  petits  dioramas  qui  faisaient  la  joie  des  visi- 
teurs du  charmant  pavillon  de  la  Suède  (représentant  l'un  une  Nuit 
d'/w'ucr,  l'autre  une  Nuit  delà  Saint- Jean  a  Stockholm  ),i}emls  parM.Tiden, 
celui  du  pavillon  de  la  Bosnie,  qui  offrait  une  fort  belle  vue  de  Sera- 
jewo,  celui  de  Monte-Carlo,  peint  par  M.  Olive,  et  le  diorama  de  Saint- 
Pierre  et  Miquelon,  et  celui  de  Mayotte,  dont  l'auteui-  est  MM.  Marsac, 
et  celui  de  la  côte  des  Somalis,  dû  à  M.  d'Estienne!.. 

Et  les  cinématographes,  si  curieux  généralement,  qui  peut  se  vanter 
de  les  avoir  vus  tous,  bien  que  tous  pourtant  fussent  gratuits?  Le  ciné- 
matographe géant  de  la  salle  des  Fêtes,  le  cinématographe  souterrain 
de  l'exposition  da  Cambodge,  avec  ses  vues  animées  de  l'Indo-Chine, 
celui  de  la  Ville  de  Paris,  avec  ses  scènes  intéressantes  de  la  vie  sco- 
laire, celui  du  pavillon  de  Monaco,  celui  du  Champagne  Mercier,  que 
sais-je? 

Que  de  choses,  que  de  spectacles  de  divers  genres  seraient  à  men- 
tionner et  à  décrire  encore,  si  l'on  voulait  être  complet?  mais  un 
volume  n'y  suffirait  pas.  Analysez  donc  les  merveilles  multiples  que 
prodiguaient  â  vos  yeux  éblouis  cet  étonnant  Palais  de  l'Optique,  et 
dont  la  plus  étonnante  n'était  certes  pas  la  fameuse  «  lune  à  un  mètre», 
enseigne  inférieure  à  tout  ce  qu'elle  couvrait.  Retracez  donc  le  spec- 
tacle si  curieux  qui  vous  attirait  au  Grand  Aquarium,  avec  ses  plon- 
geurs, ses  plongeuses,  ses  scaphandriers  et  ses  sirènes,  et  celui  que  vous 
offrait  le  Monde  souterrain!  Rappelez-vous  les  jeux  lumineux  féeriques 
du  Palais  des  illusions,  les  curiosités  de  l'e.xposition  minière,  avec  la 
descente  dans  la  mine,  la  promenade  des  mineurs  la  lampe  au  chapeau, 
les  chantiers  d'extraction,  les  machines  en  mouvement,  et  les  émotions 
relatives  du  Ballon  Cinéorama,  et  les  élégances  du  joli  Palais  lumineux 
Ponsin... 

Je  ne  saurais  parler  de  ce  que  je  n'ai  pu  voir  :  le  Théâtre  géant 
Columbia  et  ses  centaines  de  ballerins  et  ballerines,  le  Combat  naval  et 
ses  grandes  joutes  nautiques,  Paris  en  1400,  qu'on  appelait  aussi  la  Cour 
des  Miracles  et  qui,  comme  le  Vieux  Paris  du  Cours-la-Reine,  était  une 
reconstitution  moyen-âge,  avec  tournois,  cortèges  royaux,  fêtes  popu- 
laires et  pittoresques,  etc.  Ceux-là,  moins  habiles,  ou  simplement  moins 
heureux  que  d'autres,  éprouvèrent  assez  rapidement  des  malheurs  et 
périrent  avant  le  temps. 

Je  n'ai  fait  que  passer,  ils  n'étaient  déjà  plus. 

D'autres  ne  m'ont  inspiré,  je  l'avoue,  qu'une  médiocre  sympathie. 
Tel  le  Globe  céleste,  que  je  considère  comme  une  immense  mystification 
ou,  si  l'on  aime  mieux,  comme  une  erreur  colossale  ;  telle  encore  la 
Grande  Roue,  dont  la  vue  me  fut  toujours  désagréable,  en  raison  de 
son  horrible  caractère  esthétique,  car  il  était  difBcile  d'imaginer  quel- 
que chose  de  plus  barbare  au  point  de  vue  de  l'art.  Et  puis,  pour  celle-ci 


AM 


LE  MÉNESTREL 


j'étais  méfiant,  parce  qu'on  m'avait  racontL-  l'aventure,  à  Chicago,  d'un 
voyageur  candide  qui,  trompé  par  les  assurances  de  sécurité  qu'on  pro- 
diguait au  public,  avait  failli  être  victime  de  sa  bénévolence.  Il  avait 
pris  place,  sans  arrière-pensée  dans  une  des  ^•oitures  de  ladite  roue  et. 
une  fois  bien  installé,  avait  commencé  son  voyage  circulaire  et  aérien, 
lorsque  tout  à  coup,  comme  il  se  trouvait  juste  au  sommet  du  mobile 
édifice,  c'est-à-dire  à  quelque  cent  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
terre,  celui-ci  perdit  subitement  sa  mobilité.  Un  arrêt  s'était  produit 
dans  le  fonctionnement  de  l'appareil,  qui  refusait  obstinément  de  mar- 
cher, autrement  dit  de  tourner.  On  crut  d'abord  à  peu  de  chose,  mais 
c'était  plus  grave  qu'on  ne  le  pensait,  et  malgré  tous  les  efforts,  ce  ne 
fut  qu'au  bout  de  dix-huit  heures  d'un  travail  opiniâtre  qu'on  put 
retrouver  la  régularité  du  mécanisme  et  remettre  enfm  la  machine  en 
mouvement.  Or,  voyez-vous  d'ici  la  tète  du  monsieur  perché  là-haut 
là-haut,  ne  sachant  ce  qu'il  allait  devenir,  se  demandant  s'il  n'était  pas 
destiné  à  tomber  pile  ou  face  à  un  moment  donné,  n'ayant  pas  l'agilité 
du  gorille  pour  essayer  d'opérer  seul  une  descente  vertigineuse,  avec 
cela  tourmenté  de  naturels  tiraillements  d'estomac  et  réfléchissant,  à 
l'aurore  de  la  dis-huitieme  heure,  qu'il  y  avait  longtemps  déjà  que  ça 
avait  commencé,  et  qu'il  n'y  avait  pas  de  raison  pour  que  ça  finisse  !... 
Rien  que  de  penser  qu'on  peut  se  mettre  dans  une  telle  situation,  j'en 
ai  fi-oid  dans  le  dos.  Et  vous  ? 

Je  n'ai  plus  à  mentionner  maintenant,  et  d'une  façon  sommaire,  que 
quelques  petits  spectacles  d'une  importance  très  secondaire,  qui  com- 
plétaient cependant  l'ensemble  des  c  attractions  »  de  l'Exposition.  L'un . 
des  plus  agréables,  et  qui  ne  fut  pas  l'un  des  moins  fréquentés,  était  le 
gentil  petit  Théâtre  électrique  américain  qu'on  trouvait  à  l'entrée  de 
l'Esplanade  des  Invalides,  tout  près  du  pont  Alexandre  III.  C'était  des 
fantoches,  à  l'imitation  des  bonshommes  Holden,  très  adroits,  très  amu- 
sants et  très  comiques,  qui  faisaient  la  joie  des  enfants  et  qui  n'en- 
nuyaient nullement  les  grandes  personnes.  II  y  avait  aussi,  au  pavillon 
de  la  Perse,  un  certain  Théâtre  asiatique  où  l'on  vous  présentait  une 
«  Fée  aérienne  »  qui  ne  laissait  pas  que  d'être  assez  extraordinaire. 
C'était  une  jeune  femme,  fort  jolie,  hypnotisée  par  son  barnuni,  — 
lequel  donnait  ses  explications  en  anglais — qui  exécutait  d'abord  toutes 
sortes  de  mouvements  de  poupée  à  ressort,  puis  ensuite,  après  avoir 
trottiné  sur  un  escabeau  très  étroit,  s'élevait  tout  doucement  de  terre  et, 
soit  verticalement,  soit  horizontalement,  se  mettait  à  tournoyer  dans  le 
vide,  à  évoluer,  à  voleter  comme  un  oiseau  tout  autour  du  susdit  bar- 
num,  en  des  poses  gracieuses  et  charmantes.  A  l'aide  de  quel  truc  ingé- 
nieux ce  miracle  apparent  s'opérait-il'?  je  ne  saurais  le  dire.  Toujours 
est-il  que  le  spectacle  était  aimable  et  curieux.  J'ignore  d'ailleurs  s'il  a 
fait  fortune. 

Il  y  avait  encore,  au  pavillon  Ottoman,  outre  un  orchestre  d'auto- 
mates vraiment  original,  dont  le  chef,  au  bruit  des  applaudissements 
qui  accueillaient  la  fin  de  chaque  morceau,  se  tournait  vers  le  public  et 
le  saluait  gravement,  un  théâtre  dit  des  Mille  et  une  Nuits,  que  je  n'ai 
pas  vu,  et  011  l'on  prodiguait  aux  spectateurs  de  luxueuses  danses  orien- 
tales (1).  Je  n'ai  pas  vu  non  plus  la  loge  de  «  la  belle  Fatma  »,  qu'on 
trouvait  au  Ghamp-de-Mars,  non  loin  du  Palais  de  l'Optique.  Celle-là, 
j'y  avais  été  pincé  en  1889  et  cela  me  sufiisait,  d'autant  que  onze  années 
nouvellement  accumulées  sur  son  beau  front  n'avaient  pu  que  lui  enle- 
ver une  partie  de  sa  fraîcheur  première.  Je  n'ai  pas  vu  davantage,  au 
Trocadéro,  en  face  le  palais  algérien,  le  spectacle  intitulé  les  Trésors  de 
Bou  Amama,  où  les  amateurs  pouvaient  contempler  «  la  Grotte  mysté- 
rieuse 1)  et  «  la  Cascade  d'or  ».  Mais  je  trouve  que  j'en  ai  assez  admiré 
pour  ma  part,  et  je  confesse  que  cette  abstention  ne  me  laisse  aucun 
regret.  En  fait,  je  puis  me  flatter  —  s'il  y  a  de  quoi  —  d'avoir  visité 
tout  ce  qu'il  y  avait  à  voir,  en  fait  de  spectacles  quelconques,  jusque 
dans  les  coins  les  plus  reculés  de  l'enceinte  de  l'Exposition.  Je  me  suis 
efforcé  de  les  faire  connaître  ici  dans  tous  leurs  détails,  et  à  défaut  d'au- 
tre qualité,  la  petite  promenade  quasi  artistique  dont  je  termine  en  ce 
moment  le  récit,  a  du  moins  celle  d'être  exacte  et  complète. 

FIN 

AnillUlt     PHUGIN'. 


(Ij  Très  curieux,  cet  orcheslied'auLornales,  qui  coiiiprenaii,  avec  le  cher,  un  piano,  ud 
violon,  une  contrebasse,  une  glande  ilùte,  un  piccolu,  une  clarinette,  un  trombone,  une 
cithare,  une  grosse  caisse  avec  cymbales,  une  pelilc  caisse  et  un  triangle.  Placés  sur  une 
estrade,  tous  étaient  vêtus  unil'ormément;  robe  de  soie  jaune,  riclie  et  longue,  recouverte 
d'une  sorte  de  manteaa  de  velours  cramoisi,  turban  or  et  rouge.  Les  mouvements  de 
cbaquc  musicien  étaient  d'une  exactitude  étounanle.  Le  chef,  qui  conduisait  debout,  por- 
tait une  robe  blanclie  avec  le  manteau  bleu.  Après  le  premier  morceau  d'orchestre,  le 
flûtiste  se  levait,  saluait,  exécutait  un  solo,  puis  reprenait  sa  place. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


o  "u.  r  ë;  o 

(Suile.) 


LA  SUCHE 


Le  Bourguignon  est  gai  par  nature  ;  aussi  la  Bourgogne  est-elle  un 
des  pays  où  l'on  fête  le  plus  joyeusement  la  Nocl. 

Dans  plusieurs  villes,  les  hautbois  de  l'A  vent,  les  Aivan,  au.xquels  se 
joignent  d'autres  musiciens,  parcourent  les  rues  en  faisant  grand  va- 
carme les  quatre  dimanches  qui  précèdent  le  saint  jour,  de  neuf  heures 
du  soir  à  minuit.  L'avant-veille  les  enfants  de  chœur  vont,  au  son  des 
crécelles,  appelées,  selon  la  contrée ,  parterelles,  naquelles  ou  craloltcs, 
quêter  à  domicile  et  recueillir  ce  qu'ils  appellent  leur  roulée,  c'est-à-dire 
des  œufs,  des  noix,  des  sous;  on  leur  fait  chanter  un  0  Saluturis,  puis 
ils  donnent  la  croix  à  baiser  aux  gens  du  logis  et  s'éloignent  aux  accents 
de  YO  Crux,  ave.  Enfin,  toute  la  semaine  on  a  chanté  à  la  veillée  des 
Noèls,  de  ces  bons  Noéls  «  pour  chanter  au  foyer  »,  comme  dit  Pierre 
Dupont,  et  l'on  a  coiité  dus  histoires  : 

Dans  les  récits  de  la  plus  vieille 
La  jeune  [net  son  grain  de  sel. 

Les  heures  joyeuses  s'écoulent  ainsi.  Enfin  le  grand  soir  est  venu,  le 
soir  de  la  Suche,  chère  à  tout  bon  Bourguignon. 

La  Suche,  lai  Suche  de  Noei,  c'est  la  bûche  traditionnelle.  Lorsqu'on 
l'allume,  le  père  de  faïuille,  sa  femme,  les  enfants  chantent  solennelle- 
ment un  Noél,  taudis  que  les  plus  petits,  envoyés  dans  un  coin,  prient 
Dieu  pour  que  la  suche  2J....  (,'es  6o«6o«.s. 

Ce  Noèl-là,  c'est  le  Noél  d'invocation,  le  Noél  qu'on  ne  débite  qu'en 
cette  occasion.  Chaque  partie  de  la  Bourgogne  a  le  sien.  Voici,  en  subs- 
tance, celui  qui  se  chante  dans  l'Auxerrois  : 

Joseph,  qui  habite  Nazareth,  apprend,  en  allant  porter  de  l'ouvrage 
de  charpenterie,  qu'il  va  être  procédé  au  dénombrement  de  la  popula- 
tion. Cette  nouvelle  le  chagrine,  car,  étant  de  la  race  de  David,  il  va  lui 
falloir  se  transporter  dans  la  ville  de  ce  roi,  Bethléem,  pour  se  faire  re- 
censer. Mais  il  faut  s'y  résigner:  L'empereur  en  a  fait  une  ordonnance  qui 
fait  peur. 

A  son  retour,  il  annonce  ce  voyage  déplaisant  à  sou  épouse.  On  par- 
tira donc  le  lendemain  au  point  du  jour.  Je  prendrai,  dit  Joseph, 

...  les  instruments 

De  mon  métier, 
Les  outils,  les  ferrements 

De  charpentier 
Pour  y  gagner  notre  vie: 

Car  je  crois 
Qae  nous  y  serons,  Mai'ie, 

Plus  d'un  mois. 

Chemin  faisant,  pour  atténuer  les  fatigues  de  la  route,  nos  voyageurs 
échangent  des  récits  de  la  Bible.  On  ruisseau,  qui  coule  d'une  [ontainc  de 
belle  eau,  leur  inspire  un  cantique  de  louanges  dans  lequel  ils  célèbrent 
les  délices  du  paradis  terrestre,  déplorant  la  faiblesse  qu'ont  eue  nos  pre- 
miers parents  de  goûter  aux  fruits  de  l'arbre  défendu.  Marie,  cependant, 
s'en  console;  car,  dit-elle, 

...  De  ce  malheur 
Dieu  sait  tirer  notre  bonheur, 
Me  faisant  mère  du  Sauveui-, 
Jésus-Clirist,  notre  rédemiiteur. 

A  Bethléem,  les  soucis  du  logement  commencent.  Nous  les  avons 
déjà  vus  en  Anjou.  Dans  l'Auxerrois  ils  s'annoncent  aussi  déconcer- 
tants. Joseph  reçoit  plusieurs  rebuffades,  motivées  par  son  apparence 
misérable.  Désespérant  de  trouver  un  abri,  les  voyageurs  s'en  remettent 
à  la  Providence.  Celle-ci  se  présente  sous  les  traits  d'une  femme,  qui 
prend  le  frais  sur  sa  porte  : 

—  Madame,  a\ant  que  de  l'ei-mir, 
Donnez-nous  de  la  chandelle  : 

Il  nous  en  faut  allumer 
Pour  passer  cette  ruelle. 
Combien  la  vendez-vous  ? 
N'est-ce  pas  cinq  ou  six  sous  ? 

—  C'est  un  prix  fuit  t[ue  six  sous, 
Sans  en  rubaUre  une  obole. 

Je  la  vends  autant  à  tous. 
Je  vous  donne  ma  parole. 
Mais  c|ue  cherchez-vous  ïi  tai-d? 


LE  MENESTREL 


125 


—  Je  cherche  un  bon  logement 
Pour  mettre  à  couvert  ma  femme 
Pour  cette  nuit  seulement. 

N'en  sauriez-vous  point,  madame  ? 

La  brave  femme,  prise  de  compassion,  indique  aux  voyageurs  une 
grotte  oti  ils  pourront  se  reposer.  Elle  leur  fait  même  cadeau  do  la  chan- 
delle et  d'un  petit  fagot,  pour  se  réchauffer.  Ils  arrivent  à  leur  refuge. 
—  C'est  le  lieu  que  nous  cherchons.  Dieu  sera  noire  hôte,  dit  Joseph  ;  mais 
je  crains  que  cet  endroit  pour  la  nuit  ne  soit  trop  froid.  —  //  est  fort  con- 
venable, répond  Marie,  rendons  grâce  à  Dieu.  Et  elle  se  met  en  devoir 
d'accommoder  quelque  pauvre  petit  lieu  pour  mettre  son  fils  coucher,  car 
elle  sent  qu'elle  va  le  mettre  au  monde. 

—  ...Il  faut  donc,  madame, 
Que  je  coure  promptement 
Chercher  une  sage- femme. 
Je  reviens  en  un  moment; 
J'ai  remarqué  tout  exprès 
Une  enseigne  ici  fort  près. 

-  Inutile,  fait  observer  Marie. 

Elle  accouchera  sans  tourment,  sans  tranchées,  sans  douleurs;  on  n'en- 
tendra pas  ses  pleurs.  — Ainsi  dit,  ainsi  fait.  A  peine  le  Messie  est-il  né 
qu'une  troupe  d'anges,  faisant  retentir  les  airs  de  mille  charmants  concerts, 
vient  joindre  son  allégresse  à  celle  de  Joseph  et  de  Marie. 

Puis  arrivent  des  bergers  et  des  bergères.  Les  premiers  offrent  des 
prjsenls  :  un  pot  de  beurre,  un  pot  de  lait,  —  le  beurre  doit  être  admi- 
rable, car  il  ne  vient  que  d'être  fait;  un  panier  d'œufs,  une  poule  et  un 
beau  fromage,  —  les  œufs  marqués  sont  frais  pondus;  un  gros  pain  tendre 
et  un  bel  agneau,  avec  un  petit  pigeonneau.  Quant  aux  bergères,  elles 
montrent  peu  d'enthousiasme.  Elles  sont  incrédules.  Cependant  elles 
manifestent  à  Joseph,  qui  se  lient  â  l'entrée  de  la  grotte,  le  désir  de  faire 
leur  révérence  au  bon  Sauveur,  qui,  leur  a-t-on  dit,  sortant  d'un  humble 
et  chaste  sein,  pour  elles  a  pris  naissance.  Le  charpentier  leur  fait  avec 
empressement  les  honneurs  de  la  grotte  : 

—  Vous  ne  vous  trompez  pas,  mesdames, 

Veïïez,  entrez,  mes  honnes  âmes, 

Vous  pouvez,  avec  liberté, 

Saluer  l'enfant  et  la  mère; 

L'enfant  n'a  que  Dieu  seul  pour  péi-e, 

11  est  de  toute  éternité. 

La  troupe  des  bergères  entre  dans  la  grolte.  Là,  leur  scepticisme  se 
dissipe  peu  à  peu  sous  les  judicieuses  réponses  de  la  Vierge  à  leurs 
questions.  Alors,  pour  ne  rien  perdre  de  leur  temps  et  de  leur  curio- 
sité, elles  font  subir  â  Joseph,  au  sujet  des  perplexités  qu'il  dut  éprouver 
en  voyant  que  sa  femme  allait  devenir  mère,  des  demandes  d'une  indis- 
crétion telle,  que  l'auteur  dont  nous  tenons  ce  Noël,  M.  Charles  Moiset, 
se  refuse,  par  respect  pour  ses  coUi^'gues  de  la  Société  des  sciences  histo- 
riques de  l'Yonne,  à  s'en  faire  l'écho. 

C'est  ensuite  au  tour  de  Maiie  de  subir  un  examen  en  règle.  Sa  pudeur 
est  soumise  à  un  rude  assaut  ;  mais  elle  ne  s'en  montre  point  autrement 
effarouchée.  Nos  pères  avaient  de  ces  audaces  ;  elles  leur  semblaient 
naturelles.  Comme  exemple,  nous  aurions  voulu  parler  d'un  Noël,  éga- 
lement auxerrois,  sur  la  circoncision,  mais  il  est,  parait-il,  d'un  tel 
réalisme,  «  qu'il  est  interdit  do  s'y  arrêter  ». 

Le  Noôl  de  la  Sache  fini,  on  gagne  l'heure  de  minuit  en  mangeant 
des  foisses,  sorte  de  petit  pain  souillé  qu'on  ne  cuit  qu'à  Noèl.  et  en  tour- 
nant des  crêpes,  le  tout  arrosé  de  vin  chauffé  à  mémo  le  choupignot,  ou 
pichet.  Puis,  au  premier  tintement  de  la  cloche  lointaine,  chacun  se 
lève  et  prend  son  falot  : 

Garçons  joufllus,  que  l'on  s'empresse. 
Tout  frais  rasés,  vêtus  de  drap  ; 
Filles  en  blanc,  vile  à  la  messe  ! 
Une  étoile  vous  guidera. 

Autrefois,  dans  toute  la  Bourgogne,  la  messe  de  minuit  constituait  un 
véritable  spectacle.  A  la  pompe  religieuse  venait  se  joindre  le  divertis- 
sement des  Intermèdes.  Le  thème  en  était  généralement  la  présentation, 
à  l'offrande,  d'un  agneau,  qui  restait  la  propriété  du  curé.  Bergers  et 
bergères  s'avançaient  en  deux  groupes,  les  premiers  claquant  du  fouet 
pour  pousser  en  avant  leurs  chiens,  qui,  dépaysés  dans  ce  milieu  de  lu- 
mière et  d'encens,  aboyaient  furieusement  ;  les  jeunes  filles  agitant 
gracieusement  leurs  houlettes  et  leurs  quenouilles  fastueusement  parées 
de  ileurs  et  de  rubans.  Des  joueurs  de  cornemuse  les  accompagnaient, 
faisant  entendre  des  airs  profanes  qui  contrastaient  étrangement  avec  la 
majesté  du  lieu.  A  Seignelay,  à  Thorigny,  à  Sergines,  il  y  avait  mieux. 
La  marche  à  l'autel  s'accomplissait  sur  des  pas  de  danse;  le  premier 
berger,  qui  portait  l'agneau,  le  faisait  bêler  en  lui  pinçant  la  queue;  il 
s'avançait  en  se  dandinant  du  corps  et  des  jambes,  flanqué  de  deux  ber- 


gères, dont  l'une  tenait  à  bras  tendus,  avec  des  gestes  d'aimée,  lo  pain 
bénit,  et  dont  l'autre  agitait  gracieusement  l'arbre  de  Noël  consistant 
en  un  beau  houx  garni  de  ses  baies  rouges  et  illuminé  de  petites  bougies. 

Au  retour,  c'est  le  réveillon,  gai  comme  le  reste.  Au  milieu  du  festin, 
on  souffle  le  charbon.  C'est  une  vieille  coutume,  afférente  à  tout  repas  de 
fête,  et  à  laquelle  le  Bourguignon  ne  renoncerait  pas  facilement.  Au- 
dessus  de  la  table,  le  maître  du  logis  a  suspendu  à  un  fil  de  fer  un 
charbon  embrasé  sur  lequel  les  assistants  soufflent  à  tour  de  rôle,  cha- 
cun s'efforçant  de  l'envoyer  sur  la  figure  de  son  vis-à-vis,  lequel  se 
défend  de  la  belle  façon  en  cherchant  à  en  faire  autant.  Celui  qui  man- 
que de  souffle  est  honni...  Et  de  rire  ! 

Puis,  les  chants  reprennent  de  plus  belle,  et  pour  longtemps  encore, 
car  le  réveillon  dure,  en  général,  jusqu'à  la  Messe  du  point  du  jour.  — 
Des  Noëls  toujours,  car  on  ne  chante  guère  autre  chose  cette  nuit-là, — 
des  Noëls  religieux,  des  Noëls  fantaisistes,  des  Noëls  salés,  comme  ceux 
que  nous  avons  indiqués,  et  surtout  le  plus  populaire  des  Noëls  bour- 
guignons: celui  du  Parrain  Biaise,  qm  fera  l'objet  du  prochain  chapitre. 

(A  suivre.)  '    Edmond  Neukomm. 


NOLT^^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (18  avril)  : 

On  ne  reprochera  inertes  pas  à  MM.  Kafferatli  et  Guidé,  wagnéristes  déler- 
miués,  et  qui  passaient  même  pour  intransigeants,  d'avoir  gorgé  de  Wagner 
le  public  de  la  Monnaie  pendant  le  cours  de  leur  première  année  directo- 
riale !  Tristan  cl  heull  a  été  la  seule  œuvre  du  maître  montée  par  eux  pendant 
les  premiers  mois,  et  voici  seulement,  tout  à  la  fia  de  la  saison,  qu'ils  en 
lancent  une  seconde,  la  Valkyrie...  Si  un  simple  Calabresi,  à  la  tète  du 
théâtre,  eût  agi  ainsi,  on  l'aurait  certainement  voué  aux  dieux  infernaux.  Il 
est  juste  de  dire  que  les  soins  attentifs  et  le  souci  artistique  ont  été  prodigués 
à  ces  deux  liellos  partitions.  On  sait  le  succès  do  la  première,  au  mois 
d'octobre  ;  le  succès  de  la  seconde,  qui  date  d'hier,  a  été  également  fort 
honorable.  M.  Seguin  (Wolan)y  a  été  pour  beaucoup,  grâce  à  son  admirable 
autorité  d'artiste,  et  M""^  Litvinne  et  Paquot,  ainsi  que  M""*^  Bastien,  qui 
débutait  dans  le  rôle  de  Fricka,  ont  été  remarquables  ù  plus  d'un  titre; 
rarement  on  vit  un  phis  bel  ensemble  de  voix;  le  ténor,  M.  Dalmorès,  a  seul 
laissé  â  désirer.  Quant  à  l'orchestre,  s'il  n'a  pas  fait  oublier  la  chaude  et 
enveloppante  interprétation  du  regretté  Joseph  D.ipont,  il  n'en  a  pas  moins 
été,  sous  la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis,  très  satisfaisant.  La  Valkyrie, 
chantée  dans  la  version  macaque  de  feu  Ernst,  aura  été  le  dernier  spectacle 
nouveau  de  la  saison.  Il  est  question  cependant  de  donner  peut-être  aussi 
Carmen,  avec  M"=  Maubourg,  qui  brûle  de  s'y  essayer.  Quoi  qu'il  en  soit, 
à  peine  fermée,  la  Monnaie  se  rouvrira  aussitôt  pour  deux  représentations 
extraordinaires  de  Tristan  et  heull  en  allemand,  qui  seront  conduites  par 
M.  Mottl  et  qui  auront  pour  interprètes  MM.  Van  Dyck,  Van  Rooy  et 
Schwegler,  M""'*  Litvinne  et  Brema,  —  de  vrais  représentations  «  bayreu- 
thieones  ».  Déjà  on  se  dispute  les  places,  portées  naturellement  à  un  [jrix 
aussi  élevé  que  le  Walhale  des  dieux  wagnériens. 

A  propos  de  Wagner,  on  m'apprend  qu'à  Anvers  une  curiosité  tout  à  fait 
originale  se  prépare  pour  l'an  prochain;  c'est  une  version  delà  Valkyrie  en 
flamand,  que  l'on  donnerait  au  Ïhéàtre-Lyrique  néerlandais...  Wagner  en 
flamand  !  voilà  qui  sera  moins  désagréable  à  coup  sûr  que  le  texte  de  Ernst. 
fin  traducteur  y  travaille  actuellement,  et  l'on  croit  bien  que  M'"''  Cosima 
l'approuvera  sans  hésitation.  Et  à  propos  d'Anvers,  d'autre  part,  on  m'ap- 
prend que  la  nominaiion  de  M.  JanBlockx  comme  directeur  du  Conservatoire 
royal,  en  remplacement  de  feu  Peter  Benoit,  e.=t  en  ce  moment  à  la  si£,nature 
royale  et  sera  bientôt  ofTicielle.  Voilà  qui  réjouira  le  monde  artistique  belge 
tout  entier.  L.  S. 

—  Malgré  la  nouveauté  du  genre  qui  l'a  tout  d'abord  un  peu  surpris,'  le 
public  de  Milan  a  fait  en  somme  excellent  accueil  à  la  Louise  Je  Charpentier, 
qui  a  été  représentée  dimanche  dernier  au  Ïhéàtre-Lyrique.  Il  y  a  eu  des 
rappels  après  chaque  acte  pour  les  artistes  et  le  compositeur,  qui  conduisait 
lui-même  l'orchestre.  L'interprétation  a  été  fort  louable  surtout  de  la  part  de 
M"=Balendi,  qui  a  été  superbe  dans  le  rôle  de  Louise,  et  à  laquelle  on  a  bissé 
le  fameux  air  :  Depuis  le  jour  où.  je  me  suis  donnée.  Mise  eu  scène  trèsartistique. 
Le  tableau  de  Paris  illuminé  a  produit  un  très  gros  ell'et.  Malgré  cela,  la  presse 
est  franchement  hostile  ;  elle  continue  sa  campagne  contre  ce  qu'elle  appelle 
le  «  vérisme  »  dans  les  choses  d'art,  campagne  qui  avait  commencé  déjà  lors 
de  la  Xavarraise  et  de  Sapho,  ce  qui  n'a  nullement  empêché  le  succès  de  ces 
deux  œuvres  en  Italie.  Il  en  sera  de  même  pour  Louise.  Le  public  n'a  pas 
l'air  de  vouloir  suivre  l'opiniua  de  la  critique  milanaise.  Nous  avons,  en  elfet, 
les  meilleures  nouvelles  de  la  seconde  représentation,  qui  a  admirablement 
marché  devant  une  salle  comble,  au  milieu  irapplaudissements  nourris  et 
chaleureux.  Tous  les  journaux,  si  hostiles  la  veille,  sont  eux-mêmes  obligés 
de  le  constater,  sans  la  moindre  bonne  giàce  d'ailleurs.  Il  l'a  bien  fallu 
devant  les  ovations  enthousiastes  qui  ont  salué  le  compositeur  :  «Quel  triomphe 


m 


LE  MENESTREL 


pour  le  remarquable  musicien,  écrit  le  Secolo,  et  quelle  satisfactiou  pour  ses 
admirateurs,  qui  sont  ceux  de  l'art  libre,  ainsi  que  doit  être  l'art  vrai  !  » 

—  On  a  organisé  à  Brescia,  dans  la  salle  Apollo,  une  intéressante  exposi- 
lion  d'autographes  et  de  souvenirs  relatifs  a  Verdi,  recueillis  par  un  patient 
collectionneur  qui  n'est  autre  que  le  ténor  Francesco  Pasini  et  réunis  en 
plusieurs  vitrines  dans  un  ordre  logique.  Dans  la  première  se  trouve  tout  ce 
qui  a  rapport  à  la  naissance  de  Verdi,  à  ses  premières  années,  à  ses  amis; 
dans  la  seconde  les  autographes  d'éditeurs,  d'iinprcswi  etàe  chefs  d'orchestre; 
de  la  troisième  à  la  neuvième  tout  ce  qui  a  trait  aux  divers  ouvrages  du 
maître,  comme  portraits  d'interprètes,  autographes  de  librettistes,  etc.;  dans 
la  dixième  les  romances,  les  livrets,  les  opéras,  les  morceaux  religieux,  etc. 
Enfin,  dans  la  onzième,  vingt  lettres  autographes  inédites  de  Verdi  datées  de 
1836,  37,  38.  39.  48,  49.  62,  66,  89.  92,  96,  99,  1900,  trois  portraits  signés  par 
lui,  un  autographe  écrit  dans  le  cabinet  d'attente  de  la  direction  du  théâtre 
impérial  de  Vienne  le  S  juillet  1873.  avec  le  bulletin  des  répétitions  d'Aida 
et  de  la  messe  de  Requiem,  des  annotations  relatives  à  la  messe  de  Requiem 
que  Verdi  avait  proposée  en  l'honneur  de  Kossini,  douze  cartes  de  visite  avec 
souhaits  et  remerciements,  etc.  En  somme,  toute  une  série  de  documents 
intéressants  et  précieux. 

—  La  commission  du  Reichstag  allemand  qui  examine  actuellement  le 
nouveau  projet  de  loi  sur  le  «  droit  d'auteur  »  vient  de  prendre  une  excel- 
lente décision.  Le  projet  du  gouvernement  repoussait  toute  espèce  de  droit 
d'auteur  au  sujet  de  la  reproduction  des  compositions  musicales  par  les 
instruments  mécaniques,  et  cela  en  se  basant  sur  la  convention  de  Berne  et 
sur  la  législation  française  elle-même.  Or,  plusieurs  membres  de  la  commis- 
sion avaient  eu  l'idée  de  faire  placer  dans  la  salle  des  séances  un  piano  muni 
d'un  appareil  américain  récemment  inventé,  le  pianoia,  et  qui  permet  d'exé- 
cuter, à  l'aide  de  bandes  de  papier  sur  lesquelles  sont  gravés  certains  signes 
de  musique,  tous  les  morceaux  qu'on  veut;  la  personne  qui  met  en  mouve- 
ment le  pianoia  peut  même,  au  moyen  d'une  pédale,  varier  l'intensité  du  son 
et  changer  les  mouvements,  de  telle  sorte  que  les  connaisseurs  même  les 
plus  exercés  seraient  bien  en  peine  de  distinguer  cette  reproduction  méca- 
nique d'une  interprétation  artistique  par  un  excellent  pianiste.  Avant  la  séance 
de  la  commission,  le  président  fit  donner  une  audition;  on  entendit  du 
Beethoven,  du  Chopin  et  du  Liszt  avec  une  perfection  telle  que  plusieurs 
membres  de  la  commission,  musiciens  accomplis,  se  crurent  dupes  d'une 
plaisanterie.  C'était  pourtant  bien  le  pianoia  qui  avait  joué  mécaniquement. 
L'e.xpérience  fut  décisive  et  la  commission  décida  de  soumettre  aux  droits 
d'auteur  les  instruments  mécaniques  «qui  permettent  la  reproduction  parfaite 
d'une  composition  musicale.  »  En  même  temps  la  commission  a  adressé  au 
chancelier  de  l'Empire  une  requête  pour  l'engager  à  négocier  avec  tous  les 
Etats  qui  ont  signé  la  convention  de  Berne  de  1886,  afin  d'y  modifier  les 
articles  qui  concernent  les  instruments  mécaniques.  C'est  un  commencement 
de  satisfaction  donné  aux  malheureux  compositeurs  dont  les  œuvres  peuvent 
actuellement  être  défigurées  et  mises  au  pillage  par  les  fabricants  et  les  vir- 
tuoses d'orgues  de  Barbarie.  Spolier  les  compositeurs  pour  nourrir  la  jolie 
industrie  des  fabricants  de  boites  à  musique,  comme  on  en  fabrique  en 
Suisse,  c'est  l'application  moderne  du  procédé  de  saint  Crépin  qui  volait  du 
cuir  aux  riches  pour  pouvoir  donner  des  souliers  aux  pauvres.  Et  les  fabri- 
cants en  question  n'ont  même  pas  l'excuse  d'être  pauvres  ;  ils  entendent 
tout  simplement  s'enrichir  aux  frais  des  compositeurs  de  musique. 

—  La  première  représentation  de  Cendrillon,  le  ballet  posthume  de  Johann 
Strauss,  aura  lieu  après-demain  mardi  à  l'Opéra  royal  de  Berlin.  Ce  ballet 
a  déjà  été  l'objet  d'une  intervention  de  l'empereur  Guillaume.  Le  deuxième 
acte,  qui  représente  un  bal  masqué  à  l'Opéra  de  Vienne,  avait  été  mis  en 
scène  selon  les  principes  du  soi-disant  «  style  moderne  »  qui  sévit  particu- 
lièrement à  Vienne  et  à  Munich.  Or,  Guillaume  n'aime  pas  ce  style.  Il  a 
donné  ordre  de  changer  complètement  la  mise  en  scène.  Gela  coûtera 
fort  cher,  mais,  après  tout,  c'est  Guillaume  II  qui  paie  les  déficits  du 
théâtre. 

—  —  Les  journaux  de  Berlin  racontent  que  M.  Leoncavallo  a  terminé  son  opéra 
Roland  de  Berlin,  dont  il  a  écrit  lui-même  le  livret  en  se  servant  d'un  roman 
de  W.  Alexis.  La  nouvelle  œuvre  sera  représentée  à  l'Opéra  royal  au  com- 
mencement de  la  prochaine  saison.  Guillaume  II  a  ordonné  une  mise  en  scène 
somptueuse,  et  la  distribution  est  confiée  aux  meilleurs  artistes. 

—  On  annonce  de  Berlin  que  le  jeune  kronprinz  d'Allemagne,  qui  est, 
déjà,  parait-il,  un  bon  violoniste  et  qui  va  se  perfectionner  dans  son  art  à 
l'université  de  Bonn,  a  écrit  un  joli  morceau  pour  violon  qu'il  aurait  récem- 
ment joué  avec  succès  devant  Guillaume  II,  son  père.  Les  éditeurs  ne  feront 
certes  pas  défaut  au  jeune  compositeur. 

—  Guillaume  II  vient  de  l'aire  à  son  fidèle  allié  l'empereur  François-Joseph 
un  cadeau  assez  singulier  :  il  s'agit  de  quatre  trompettes  d'une  nouvelle  cons- 
truction; elles  sont  plus  grandes  que  les  trompettes  ordinaires  et  également 
munies  de  pistons,  mais  leur  pavillon  est  rectangulaire,  affectant  la  forme 
d'une  gueule  de  dragon.  Un  hasard  a  voulu  que  ces  trompettes  fussent  son- 
nées pour  la  première  fois  à  l'occasion  de  la  visite  que  le  kronprinz  d'Alle- 
magne, fils  de  Guillaume  II,  a  faite  à  la  cour  de  Vienne  la  semaine  passée. 
Selon  l'usage,  une  soirée  de  gala  devant  un  public  d'invités  eut  lieu  à  l'Opéra 
impérial  et  on  y  jouait  le  premier  acte  de. la  Reine  de  Saba,  de  Goldmark, 
avec  une  nouvelle  mise  en  scène  d'une  richesse  inouïe.  Or,  des  hérauts  arri- 
vent au  premier  acte  pour  annoncer,  par  une  joyeuse  fanfare,  l'arrivée  de  la 


reine  orientale, et  ces  hérauts  étaient  munis  précisément  delà  nouvelle  trom- 
pette berlinoise.  Il  parait  que  l'effet  fut  splendide  et  que  le  sou  surpasse  de 
beaucoup  celui  des  trompettes  ordinaires.  Donc,  les  nouveaux  instruments 
serviront  désormais  à  la  musique  de  scène  de  l'Opéra  de  Vienne. 

—  Le  comité  pour  l'érection  d'un  monument  à  Lanner  et  à  Joseph  Strauss 
vient  de  célébrer  le  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Lanner,  eu 
déposant  une  superbe  couronne  sur  son  tombeau.  M"'"  Catheriue  Lanner,  la 
fille  septuagénaire  du  maîU'e  de  la  valse  viennoise,  assistait  à  celte  manifes- 
tation. M""  Lanner  a  été  première  danseuse  à  l'Opéra  de  Vienne  de  1845  à 
1833;  elle  a  ensuite  déployé  ses  talents  à  Londres  comme  maîtresse  de  ballet. 
Les  scénarios  de  plusieurs  divertissements  chorégraphiques  joués  avec 
succès  dans  cette  dernière  ville  sont  également  dus  à  la  fille  du  compositeur 
viennois. 

—  Anton  Dvorak,  le  célèbre  compositeur  tchèque,  vient  d'être  nommé 
membre  à  vie  de  la  Chambre  dés  Seigneurs  d'Autriche.  C'est  le  premier 
compositeur  qui  ait  jamais  été  gratifié  d'une  dignité  pareille  ;  car  le  Sénat 
italien,  dont  Verdi  fit  partie,  est  beaucoup  moins  fermé,  étant  composé  d'une 
manière  infiniment  plus  démocratique  que  la  Chambre  des  pairs  d'Autriche. 
Cette  nomination,  qui  a  produit  une  vive  sensation  en  Autriche,  a  naturelle- 
ment quelque  fondement  politique  à  l'empereur  François-Joseph  devant  se 
rendre  prochainement  en  Bohème  et  désirant  s'y  concilier  le  cœur  des 
Tchèques.  Pour  cela,il  a  conféré  la  même  dignité  à  un  poète  Tchèque  presque 
inconnu  en  dehors  de  son  propre  pays.  Tel  n'est  pas  le  cas  assurément  de 
M.  Dvorak,  qui  est  le  plus  célèbre  compositeur  vivant  de  l'Autriche,  puisque 
M.  Goldmark  est  de  nationalité  hongroise.  Nous  ne  pouvons  qu'applaudir  à 
cet  acte  qui  honore  si  grandement  le  gouvernement  autrichien;  un  self  made 
man  qui  a  commencé  sa  carrière  comme  apprenti  boucher  et  qui  arrive  à  la 
pairie  par  son  talent  et  son  labeur  artistique,  c'est  vraiment  d'un  exemple 
réconfortant.  Quel  progrès  réalisé,  même  en  Autriche,  depuis  un  siècle!  A  la 
Chambre  des  Seigneurs  le  compositeur  sera  l'égal  du  successeur  de  cet 
archevêque  de  Salzbourg,  qui  avait  la  fâcheuse  habitude  de  traiter  Mozart 
comme  un  simple  valet.  Et  cependant,  malgré  tout  son  mérite,  M.  Dvorak 
n'est  pas  le  pair  de  Mozart. 

—  M.  Cari  Goldmark  s'est  retiré  dans  sa  solitude  de  Gmunden  (Haute- 
Autriche)  pour  y  terminer  son  nouvel  opéra  Goetz  von  Berlichingen,  dont  le 
livret  est  imité  du  célèbre  drame  de  Goethe.  La  nouvelle  œuvre  de  M.  Gold- 
mark sera  représentée  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  au  cours  de  la  prochaine 
saison,  probablement  vers  Noël  1901. 

—  Le  journal  Signale,  de  Leipzig,  qui  a  changé  de  direction  après  la  mort 
de  son  fondateur  si  courtois,  M.  Bartholf  Senff,  adresse  une  véritable  mercu- 
riale à  c(  ces  messieurs  du  Ménestrel  »  au  sujet  d'une  note  anodine  dans  laquelle 
nous  avons  constaté  que  le  répertoire  lyrique  français  se  maintient  toujours 
de  l'autre  côté  du  Rhin.  Cette  constatation  semble  avoir  déplu  à  «  ces  mes- 
sieurs du  Signale  »;  ils  ne  peuvent  nier  pourtant  les  chiffres  officiels  que  nous 
avons  empruntés  à  l'excellent  Annuaire  des  théâtres  allemands  que  la  maison 
Breitkopf  et  Haertel  publie  depuis  quatre  ans,  mais  ils  nous  reprochent 
d'avoir  «  annexé  à  la  France  »  plusieurs  compositeurs  étrangers.  Pour 
Meyerbeer,  ces  «  messieurs  »  ne  font  aucune  objection.  Il  n'en  va  pas  de 
même  pour  Cherubini,  Rossini  et  Douizetti,  Or,  nous  n'avons  jamais  prétendu 
«  annexer  »  ces  compositeurs;  nous  avons  seulement  compté  parmi  les 
œuvres  lyriques  «  françaises  »  les  Deux  Journées,  que  les  Allemands  appellent 
le  Porteur  d'eau  (Der  Wasseriraeger),  Guillaume  Tell  et  la  Fille  du  régiment.  Cela 
s'est  fait  dans  le  Ménestrel  depuis  bon  nombre  d'années  et  jamais  le  Signale  ni 
aucun  autre  journal  d'outre- Rhin  n'ont  protesté  contre  cette  attribution.  Car 
en  cette  matière  la  nationalité  du  compositeur  n'est  pas  décisive,  c'est  bien 
plutôt  le  caractère  de  l'œuvre,  et  il  serait  absurde  de  nier  que  les  trois  opéras 
mentionnés,  écrits  sur  des  paroles  françaises,  présentent  un  caractère  essen- 
tiellement français.  Ces  «  messieurs  de  Leipzig  »  semblent  ignorer  l'impor- 
tance du  livret  dans  un  opéra,  malgré  tout  ce  que  Richard  Wagner,  leur  plus 
illustre  concitoyen,  a  écrit  à  ce  sujet  et  prouvé  par  ses  propres  œuvres.  En 
se  pliant  aux  exigences  de  son  poème,  le  Rossini  de  Guillaume  ITeW  est  devenu 
un  compositeur  bien  différent  de  l'auteur  du  Barbier  de  Sévilte  et  de  Cenerentola  : 
sa  nationalité  italienne  n'apparait  plus  que  fort  rarement  dans  ce  chef-d'œuvre 
franç.iis.  Nous  continuerons  donc,  n'en  déplaise  au  Signale,  de  compter, 
comme  tout  le  monde,  Guillaume  Tell  et  les  deux  autres  opéras  susdits  parmi 
les  œuvres  lyriques  françaises. 

—  L'Opéra  de  Dresde  jouera  prochainement  l'opéra  de  M.  Cari  Weis,  le 
Juif  polonais,  dont  nous  avons  annoncé  récemment  le  grand  succès  au  théâtre 
national  de  Prague,  où  il  a  été  joué  en  langue  tchèque. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Reichenberg  (Bohême)  vient  de  jouer  avec 
succès  un  opéra  intitulé  le  Comte  de  Gleichen,  musique  de  M.  Franz  Mohaupt. 
Le  livret  est  tiré  de  la  vieille  légende  du  chevalier  croisé  revenant  de  la 
Terre-Sainte  avec  une  femme  qu'il  a  épousée  là-bas,  après  l'avoir  fait  baptiser, 
et  auquel  le  pape  permet  de  vivre  tout  à  la  fois  avec  cette  nouvelle  épouse 
orientale  et  avec  l'ancienne,  qu'il  avait  laissée  dans  son  château  avant  de  partir. 

—  M'""  Darlays  a  fait,  tout  cet  hiver,  une  grande  tournée 'à  travers  l'Alle- 
magne, donnant  ici  et  là  d'intéressants  «  récitals  »  sur  les  maîtres  anciens  et 
modernes  parmi  lesquels  elle  a  fait  particulièrement  applaudir  nos  compo- 
siteurs français  :  Massenet,  Reyer  et  Saint-Saûns.  Après  quoi,  M""=  Darlays  a 
donné  à  Cologne  une  représentation  des  Euguenols,  où  elle  a  eu  beaucoup  de 
succès. 


LE  MENESTREL 


127 


—  La  saison  d'opéra  a  brillamment  débuté  à  Lausanne,  les  9  et  12  avril, 
par  deux  des  œuvres  les  plus  goûtées  de  M.  J.  Massenet:  Thah,  Manon.  Dans 
l'une  et  dans  l'autre,  M""  Marguerite  Chambellan  s'est  montrée  artiste  de 
grande  valeur.  Le  public,  nombreux  et  sympathique,  lui  a  fait  grande  fête 
ainsi  qu'à  MM.  Sentein  (basse),  Delmas  (ténor)  et  Gadio  (baryton),  tous 
ai'listes  des  plus  distingués,  comme  on  sait.  A  mentionner  aussi  l'orchestre, 
habilement  dirigé  par  M.  Bruni. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Zurich  était  menacé  dans  son  existence  même 
par  uu  vote  du  peuple  entier,  un  référendum,  qui  lui  avait  retiré  la  subven- 
tion dont  il  bénéficiait  jusqu'à  présent.  Or,  les  bourgeois  de  la  ville  ont 
ouvert  entre  eux  une  souscription  qui  a  déjà  produit  230.000  francs  et  qui 
garantit  pour  longtemps  l'existence  du  théâtre. 

—  De  Monte-Carlo  ;  i  Le  concert-festival  de  M.  André  Messager  avait 
attiré  un  auditoire  très  nombreux  :  c'est  devant  une  salle  comble  que  l'heu- 
reux compositeur  de  la  Basoche  est  monté  au  pupitre,  au  milieu  des  applau- 
dissements. Il  a  conduit  une  sélection  de  ses  œuvres,  avec  la  précision  et  la 
fermeté  qui  font  de  lui  un  chef  d'orchestre  de  premier  ordre.  La  suite 
d'orchestre  d'Hélène,  le  passepied  de  la  Basoche,  les  danses  japonaises  de 
Madame  Chrysanthème,  les  fragments  d'une  Aventure  de  la  Guimard,  les  Impres- 
sions orientales,  la  romance  et  le  duo  d'Isoline  (interprétés  par  M.  Jean  Périer 
et  M""=  Mariani)  et  la  suite  sur  le  ballet  les  Deux  Pigeons,  ont  tour  à  tour 
charmé  le  public,  qui  a  fait  une  chaleureuse  ovation  au  délicat  et  brillant 
musicien  ». 

—  La  prochaine  saison  lyrique  de  Covent-Garden  commencera  le  13  mai 
prochain.  Le  cartellone  est  énorme;  il  promet  :  Roméo  et  Juliette,  Beaucoup  de 
bruit  pour  rien,  le  nouvel  opéra  de  M.  "Villiers-Stanford,  Aida,  Rigoletto,  Ilaensel 
et  Gretel,  Tristan  et  Yseult,  Tannhduser,  Faust,  les  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg, 
Otello,  la  Bohème,  la  Tosca,  Messaline,  Lucie  de  Lammermoor,  le  Barbier  de  Séville. 
Mefistofele,  le  Trouvère  et  enfin  le  Roi  d'Ys.  Le  tableau  de  la  troupe  est  non 
moins  brillant.  Le  voici  : 

Sopranos  :  M"""  Suzanne  Adams,  Bauermeistcr,  Lucienne  Brévai,  Caivé,  Emm.T  Eames 
Gadsk)',  Sobrino,  Strakosch,  Ternina. 

Contraltos  :  M»"  Aldrige,  Marie  Brenia,  Georgina  Delmar,  Maabourg,  Olitzka. 

Ténors  :  MM.  Anselmi,  John  Coates,  Van  Dyck,  Forgeur,  Knote,  Masiero,  Mercier 
Riess,  Saléza,  Simon,  Tamagno. 

Basses  et  Barytons  :  MM.  David  Bispham,  Blass,  Declery,  Dntriche,  Hamilton  Earle, 
Ivor  Poster,  Gillibert,  Isoardon,  Journet,  Klopfer,  Pol  Plançon,  Van  Rooy,  Scotti. 

Chefs  d'orchestre  :  MM.  Flon,  Lohse,  Maocinelli. 

La  vieille  scène  de  Covent-Garden  a  été  complètement  remise  à  neuf;  elle 
est  dotée  aujourd'hui  de  toutes  les  innovations  et  améliorations  modernes. 
On  n'a  pu  pourtant  faire  tout  ce  qu'on  voulait,  car  le  duc  de  Bedibrd,  qui  a 
une  loge  spéciale  héréditaire,  absolument  comme  la  famille  de  Ghoiseul  à 
rOpéra-Gomique  de  Paris,  n'a  pas  voulu  abandonner  l'antichambre  de  sa 
loge.  Mais  les  progrès  réalisés  sont  néanmoins  énormes,  surtout  en  ce  qui 
concerne  l'éclairage  de  la  scène. 

—  La  famille  du  compositeur  John  Stainer  n'a  pas  voulu  accepter  l'hon- 
neur d'une  sépulture  à  la  cathédrale  Saint-Paul  de  Londres,  que  le  doyen  et 
le  chapitre  lui  avaient  offerte.  Les  obsèques  de  l'artiste  ont  eu  lieu  au  cime- 
tière de  la  Sainte-Croix,  à  Oxford.  Ces  obsèques  ont  été  fort  simples;  la  musi- 
que eu  était  complètement  exclue. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

L'Académie  des  Beau.x-Arts  a  été  autorisée,  par  décret,  à  accepter  le 
legs  que  lui  a  fait  M^^Beulé.  Ce  legs,  consistant  eu  unerentede  1..500  francs, 
est  destiné  à  la  fondation  d'un  prix  à  décerner  annuellement  au  pensionnaire 
de  Rome,  musicien,  peintre  ou  sculpteur,  qui,  dans  sa  dernière  année,  aura 
fait  le  meilleur  envoi. — Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  areçu,du  minis- 
tre de  l'Instruction  publique,  l'invitation  de  lui  proposer  une  liste  de  cinq 
candidats  parmi  lesquels  il  choisira  celui  à  qui  sera  confié  la  composition 
d'un  opéra  à  représenter  à  l'Académie  nationale  de  musique.  On  se  rappelle, 
en  effet,  que  le  directeur  de  ce  théâtre  est  tenu,  par  une  clause  de  son  cahier 
des  charges,  à  représenter  tous  les  deux  ans  un  ouvrage  dû  à  un  grand  prix 
de  Rome,  et  que  le  ministre  choisit  le  compositeur  sur  la  liste  qui  lui  est 
présentée  par  l'Académie. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  des  membres  sociétaires  de  la  Société 
des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  aura  lieu  le  samedi  4  mai  1901,  à 
deux  heures  très  précises,  à  la  salle  Charras,  4,  rue  Gharras  (ancienne  salle 
Kriegelstein).  La  Commission  présentera  son  rapport  sur  les  travaux  de 
l'année.  Après  la  lecture  du  rapport,  l'assemblée  générale  examinera  la 
demande  de  modifications  aux  articles  6  et  10  des  statuts,  présentée  par  plus 
de  vingt  membres.  Il  sera  ensuite  procédé  à  la  nomination  de  six  nouveaux 
commissaires,  cinq  auteurs  et  un  compositeur  (art.  lî  des  statuts),  en  rem- 
placement de  MM.  Georges  Feydeau,  Ludovic  Halévy,  Henri  Lavedan,  E  1- 
mond  Rostand,  auteurs,  et  J.  Massenet,  compositeur,  membres  sortants  et 
non  rééligibles  avant  une  année,  et  de  M.  Henri  de  Bornier  décédé.  Le 
dernier  auteur  élu  en  remplacement  de  M.  Henri  de  Bornier,  ne  sera  nommé 
que  pour  deux  années.  La  séance  sera  présidée  par  M.  Victorien  Sardou. 

—  Petites  nouvelles  de  l'Opéra  :  M.  Renaud  a  fait  sa  rentrée,  cette  semaine, 
dans  le  rôle  de  "Wolfram  du  Tannhduser.  Le  public  et  les  abonnés  ont  été 


enchantés  de  retrouver  leur  barj'ton  favori.  La  troupe  de  M.  Gailhard  n'est 
pas  tellement  riche  qu'elle  puisse  se  passer,  même  pour  quelques  mois,  d'ar- 
tistes de  cette  valeur.  —  Les  répétitions  du  Roi  de  Paris  continuent.  La  pre- 
mière représentation  paraît  toujours  fixée  au  vendredi  26  avril.  —  L'excellente 
basse  Fournets  quitte  la  maison. 

—  Petites  nouvelles  de  l'Opéra-Gomique  :  Les  représentations  d'Iphigénieen 
Tauride  avec  M^^Caron  sont  toujours  très  suivies.  On  jouera  encore  le  drame 
de  Gluck  aux  dates  suivantes  :  mardi  23  avril,  jeudi  2  mai  et  jeudi  9  mai.  — 
La  première  de  l'Ouragan  est  reportée  au  lundi  29  avril.  —  Spectacles  d'au- 
jourd'hui dimanche  :  en  matinée  :  Haensel  et  Grelel,  le  CcAd;  le  soir,  Carmen. 

—  A  rOdéon,  les  auditions  de  l'Ulysse  de  Ponsard,  si  admirablement  sou- 
tenu par  la  musique  et  les  chœurs  de  Gounod,  ont  le  plus  grand  succès.  Ce 
soir  dimanche,  à  huit  heures  et  demie,  nouvelle  audition. 

—  Voilà  les  concerts  Lamoureux  qui  annoncent  encore  une  série  de  «  soirées 
de  gala  »  qui  seront  données  le  jeudi  soir. Vraiment,  c'est  beaucoup.  On  nous 
a  positivement  assassinés  de  musique,  cet  hiver.-  Il  serait  temps  de  nous 
laisser  respirer  jusqu'à  l'an  prochain.  Si  encore  c'était  pour  nous  donner  du 
nouveau!  Mais  toujours  le  Crépuscule  des  Dieux l  Nous  commençons  à  le 
connaître. 

—  C'est  M.  Max  Erdmannsdœrfer,  dont  le  nom  est  difficile  à  écrire  et 
même  à  prononcer  pour  nous  autres  latins  (essayez  seulement  de  le  transcrire 
de  mémoire,  vous  verrez),  qui  dirigeait  le  cinquième  concert  du  Vaudeville, 
et,  franchement,  je  crois  que  sans  peine  on  eût  pu  mieux  choisir.  Je  ne  nie 
pas  du  tout  le  savoir  technique  et  les  qualités  musicales  de  M.Erdmanns...etc.; 
quant  à  son  talent  de  chef  d'orchestre,  qui  seul  est  en  cause  ici,  je  suis  bien 
obligé  de  déclarer  que  je  le  trouve  médiocre,  pour  ne  pas  dire  plus.  Jamais 
je  n'ai  vu  diriger  un  orchestre  d'une  façon  plus  lourde,  plus  empâtée,  sans 
l'ombre  ni  l'apparence  d'un  sentiment  artistique  quelconque.  C'est  la  bana- 
lité poussée  à  son  extrême  puissance.  Mais  cette  banalité  devient  criminelle 
quand  elle  s'attaque  à  un  chef-d'œuvre  comme  la  Symphonie  héroïque. 
L'ombre  de  Beethoven  a  dû,  si  elle  a  eu  connaissance  de  cet  épouvantable 
massacre,  frémir  dans  son  tombeau  d'horreur  et  d'indignation.  Ce  n'était  plus 
une  symphonie  héroïque,  c'était  une  symphonie  burlesque.  Cherchez  donc 
l'émotion  avec  une  pareille  exécution,  et  tâchez  de  vous  rappeler  ce  qu'en 
d'autres  temps  un  tel  chef-d'œuvre  vous  a  fait  éprouver  d'enthousiasme  et 
d'admiration...  Inutile  d'insister.  Et  le  prélude  de?  Maîtres  chanteurs,  et  la 
symphonie  inachevée  de  Schubert,  et  le  Carnaval  à  Paris  de  Svendsen!!! 
Pour  ce  dernier,  M.  Erd...  etc.,  l'a  conduit  comme  s'il  dirigeait  un  quadrille 
de  bas  étage.  On  se  serait  cru  à  BuUier  un  grand  jour  de  carnaval.  Par 
extraordinaire,  le  programme  du  concert  comprenait  deux  compositions  en- 
core inconnues  à  Paris  et  qui,  malheureusement,  n'étaient  de  nature,  ni  l'une 
ni  l'autre,  à  exciter  un  vif  intérêt  :  le  prologue  symphonique  écrit  pourQBrfipe, 
la  trao-édie  de  Sophocle,  par  M.  Max  Schillings,  et  le  prélude  du  Rubis,  opéra 
de  M.  Eugène  d'Albert.  Le  prologue  d'OEdipe  est  un  morceau  d'un  seul  mou- 
vement et  d'une  longueur  inusitée,  mais  sans  plan,  sans  conduite,  sans 
Icique,  et  dans  lequel  l'auteur  semble  avoir  voulu  prouver  à  Wagner 
qu'on  peut  faire  encore  plus  de  bruit  que  lui  quand  on  a  un  orchestre  com- 
plet à  sa  disposition.  Oncques  n'entendis  pareil  fracas,  sonorité  plus  effroyable 
pour  obtenir  un  effet  moins  musical.  C'est  à  faire  frémir  un  régiment  de 
sourds-muets.  Le  prélude  du  Ruliis  n'est  guère  plus  intéressant,  et  ce  n'est 
pas  sur  de  tels  échantillons  que  nous  pourrons  apprécier  la  valeur  et  les  apti- 
tudes de  la  jeune  école  musicale  allemande.  Il  faut  l'avouer,  le  résultat  de 
cette  séance  n'est  pas  heureux,  même  et  surtout  avec  la  présence  de  M. Er... fer. 

A.  P. 

Programme  du  concert  du  Conservatoire  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Messe  solennelle  en  ré  (Beethoven),  soli  par  M""  Éléonore  Blanc,  Deriijny,  MM.  Caze- 
neuve  et  Daraux.  —  Symplionie  en  ut  mineur  (Saint-Saiins). 

—  Programme  du  concert  du  Vaudeville,  le  jeudi  23  avril,  à  3  heures,  sous 
la  direction  de  M.  André  Messager  : 

1.  La  Mort  de  Wallenstein V.  d'indy. 

2.  Phaélon,  poème  symphonique Saint-Saêns. 

3.  Prélude  du  4"  acte  de  Messidor Bruneau. 

4.  Fragments  de  P(i/«is  e(  J/e(!sant(e Gab.  Fauré. 

5.  Scènes  hongroises J-  Massenet. 

6.  L'Après-midi  d'un  Faune.  ..........  CI.  Deijussy. 

7.  ics  jBod'des,  poème  symphonique César  Franck. 

8.  3"  Valse  romantique Emm.  Chabrier. 

<1.  Impressims  d'Italie  (Napoli) G.  Charpentier. 

—  Dans  la  sixième  leçon  de  son  cours  de  la  Sorbonne,  M.  .\rthur  Pougin 
a  évoqué  le  souvenir  d'un  musicien  trop  oublié  de  nos  jours,  Nicole,  le  digne 
émule,  sinon  le  rival  de  Boieldieu,  compositeur  charmant  et  plein  de  grâce 
qui,  mort  trop  tôt  sans  doute,  partagea  pendant  dix  années  les  faveui-s  du 
public  avec  le  glorieux  auteur  de  la  Dame  Blanche,  restant  avec  lui  dans  les 
voies  de  l'opéra- comique  tendre,  aimable  et  souriant.  Les  œuvres  de  Nicolo, 
qui  ne  méritent  pas  le  dédain  dans  lequel  on  les  laisse  tomber,  firent  en  leur 
temps  courir  tout  Paris,  et  des  trente  ouvrages  qu'il  lit  représenter  un  seul, 

'  et  des  moins  importants,  reste  aujourd'hui  connu;  c'est  cette  boulVonnerie 
charmante  qui  a  nom  les  Rendez-vous  bourgeois.  Par  l'audition  de  plusieurs 
morceaux  heureusement  choisis  dans  les  deux  partitions  do  Joconde  et  de 
Jeannot  et  Colin,  M.  Pougin  a  fait  ressortir  et  mis  en  relief  toute  la  saveur  et 


128 


LE  MENESTREL 


la  fraîcheur  de  l'inspiralion  de  Nicolo,  et  ces  morceaux,  chantés  avec  autant 
de  goût  que  de  style  par  M.  et  M""!  Morlet,  ont  été  accueillis  avec  de  vifs 
applaudissements. 

—  La  Patli,  ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  s'est  fait  entendre  jeudi  der- 
nier à  la  Gaîté  dans  une  matinée  de  bienfaisance.  Le  fait  mérite  assurément 
d'être  noté  :  »  Lorsque  l'inimitable  artiste,  dit  le  Gauloi;,  a  paru  sur  la  scène, 
une  ovation  enthousiaste  lui  a  été  faite  qui  s'est  prolongée  pendant  plusieurs 
minutes.  Elle  remerciait  du  geste  et  des  veux  avec  une  grâce  inexprimable. 
Puis,  lorsque  sa  voix  merveilleuse  s'est  successivement  manifestée  dans  l'air 
de  Linda  de  Chamounix,  les  Noees  de  Figaro  et  dans  la  Sérénade  de  Tosti, 
l'enthousiasme  s'est  changé  en  délire,  et  l'on  ne  se  lassait  pas  de  la  rappeler 
et  de  l'acclamer.  »  Et  pour  finir,  une  bonne  nouvelle  :  M""  Adelina  Patti  a 
promis  son  concours  à  la  représentation  que  donnera  hientùt  l'Opéra  au  béné- 
fice de  M""''  Marie  Laurent.  Elle  chantera  le  quatrième  acte  de  Roméo  et  Juliette 
avec  MM.  Alvarez  et  Delmas.  —  Enfin,  annonçons  que  la  recette  de  la 
matinée  de  jeudi  s'est  élevée  à  20.000  francs  en  chiffres  ronds;  ce  mot  de  la 
fin  en  vaut  bien  un  autre. 

—  Le  Wor/d  annonce  que  le  Metropolitan- Théâtre,  qui  sert  de  Grand-Opéra 
à  New-York,  va  changer  de  destination.  Tout  millionnaires  qu'ils  sont,  les 
propriétaires  de  l'imaaeuble  ne  se  sentent  pas  de  goût  à  jouer  plus  longtemps 
le  rôle  de  mécènes;  ils  trouvent  onéreux  de  payer  des  frais  généraux  assez 
lourds  pendant  toute  une  année  pour  s'offrir  le  luxe  d'un  «  opéra-season  » 
qui  ne  dure  que  trois  mois.  Dorénavant  la  magnifique  salle  —  l'une  des  plus 
spacieuses  du  monde —  sera  transformée  en  un  vulgaire  music-hall  ;  elle  sera 
louée  ainsi  à  des  troupes  acrobatiques  de  passage.  Mais  pendant  une  période 
annuelle  de  dix  semaines  les  hommes -serpents,  les  avaleurs  de  sabres,  les 
gymnastes  et  autres  attractions  semblables  céderont  la  place  à  une  troupe 
d'opéra  à  bon  marché,  qui  donnera  «  les  meilleures  pièces  de  son  répertoire  >>. 
Ce  qu'il  importe  de  retenir  de  tout  cela,  c'est  que  MM.  Jean  et  Edouard  de 
Reszké,  M"'*  Melba  et  Cilvé  ne  retourneront  plus  à  New- York;  et  c'est 
peut-être  autant  de  gagné  pour  Paris. 

—  Il  n'y  a  pas  comme  les  pays  républicains,  dit  notre  confrère  Nicolet,  du 
Gaulois,  pour  créer  des  titres,  des  décorations  et  des  brevets.  Les  Etats-Unis 
ne  veulent  pas  faire  exception  à  la  règle.  Docteur  en  musique?  C'est  la  der- 
nière invention  de  nos  bons  amis  de  l'autre  côté  de  l'eau.  Des  admirateurs 
passionnés  de  M.  Sousa.  le  chef  d'orchestre,  viennent  d'adresser  une  pétition 
dûment  documentée  au  président  de  l'Université  de  Y'ale,  grande  distributrice 
de  brevets  scientifiques  et  littéraires,  en  l'engageant  à  créer  un  titre  de 
«  Musical  Doctor  »,  dont  le  premier  titulaire  serait  naturellement  le  chef  de 
l'American  Band.  Dans  le  monde  musical  des  Etats-Unis  on  attend  avec 
impatience  la  décision  du  Conseil  de  l'Université,  car  les  candidats  au 
nouveau  doctorat  sont  déjà  légion. 

—  Nous  sommes  heureux  d'annoncer  l'apparition  prochaine  d'un  Traité  de 
Contrepoint  et  de  Fugue  de  M.  Théodore  Dubois,  dir jeteur  du  Conservatoire.  Cet 
ouvrage,  fruit  d'une  longue  expérience  et  d'un  labeur  considérable,  est  des- 
tiné, croyons-nous,  à  marquer  une  date  dans  l'enseignement  supérieur  de  la 
musique.  Depuis  les  Traités  de  Cherubini  et  de  Fétis,  que  nous  n'avons  pas  à 
apprécier  ici,  aucun  ouvrage  réellement  sérieux  n'avait  été  publié  sur  ces 
matières  si  intéressantes,  si  nécessaires,  si  indispensables  même  au  point  de 
vue  technique  et  élevé  de  la  composition.  Les  élèves  trouveront  là  préceptes 
et  exemples  en  grand  nombre,  le  tout  exposé  avec  méthode  et  clarté.  —  Leur 
instruction  musicale  sera  complète,  puisqu'elle  aura  pour  point  de  départ  le  • 
Contrepoint  simple  à  deux  parties  pour  aboutir  à  la  Fugue  à  8  parties.  Ils 
trouveront  dans  cet  ouvrage  une  doctrine  sûre,  inspirée  des  grands  classiques, 
basée  sur  des  principes  sévères,  mais  non  arides,  permettant,  dans  les  exer- 
cices en  apparence  les  plus  scholastiques,  de  rester  toujours  musicalement 
intéressant.  Donc,  le  Traité  de  Contrepoint  et  de  Fugue  de  M.  Théodore  Dubois 
nous  semble  appelé  à  un  grand  et  légitime  succès,  s  emblable  pour  le  moins 
à  celui  des  Notes  et  Études  d'harmonie  du  même  auteur. 

—  Le  voyage  musical  à  travers  l'Europe  que  notre  collaborateur  Soubies 
a  entrepris  depuis  quelques  années  vient  de  s'augmenter  d'un  nouveau 
volume,  le  tome  II  de  l'histoire  de  la  musique  en  Belgique,  qui  comprend  le 
dix-neuvième  siècle.  Il  n'est  pas  besoin  de  faire  ressortir  tout  l'intérél  qui 
s'attache  à  cette  période  si  active  du  mouvement,artistique  chez  nos  voisins. 
Il  suffirait  pour  cela  de  citer  les  noms  de  quelques-uns  seulement  des  artistes 
qui  s'y  sont  illustrés  ou  distingués  :  Fctis,  Grisar,  Limnanier,  Gevaert,  Pierre 
Benoit,  Vieuxtemps,  Ch.  do  Bériot,  Léonard,  Lemmens,  Artot,  Th.  Radoux, 
Ad.  Samuel,  Jan  Blockx,  Tnompson,  et  tant  d'autres.  Ceux  qui  voudront 
se  renseigner  consulteront  le  livre  de  M.  Albert  Soubies. 

—  A  signaler  une  brochure  qui  vient  de  paraître  à  Genève,  il/""-"  Pauline 
Yiardot  Garcia,  sa  biographie,  ses  compositions,  son  enseignement,  confé- 
rence faite  par  M"'  Torrigi-H'irotti,  professeur  à  l'Académie  de  musique  de 
Genève,  à  la  salle  de  l'Athénée,  le  8  février  1901.  (Genève,  imp.  Kundig, 
in-d2  de  29  pp.) 

—  La  Société  Mozart,  récemment  fondée  et  dont  le  litre  est  suffisamment 
significatif,  a  donné,  mardi  dernier,  sa  cinquième  séance,  dont  l'intérêt  ne 
laissait  rien  à  désirer,  non  plus  que  pour  les  précédentes.  Au  programme,  le 


cinquième  des  six  quatuoi's  dédiés  à  Haydn,  merveilleusement  exécuté  par 
MM.  Parent,  Lammers,  Denayer  et  Baretti  ;  Trennung,  lied,  et  air  de  l'Enlè- 
vement  au  iiérail,  gracieusement  chantés  par  M"«  Mathieu  d'Ancy;  variations 
de  piano  sUr  les  Mariages  samnites,  dites  avec  goût  et  délicatesse  par  M"»  Char- 
lotte  Condette  ;  et  pour  finir,  un  bijou  exquis,  le  divertimento  pour  violon, 
alto  et  violoncelle,  qui  a  valu  à  MM.  Parent,  Denayer  et  Baretti  un  succès 
bien  mérité.  Voilà  une  musique  qui  vous  repose  avec  délices  du  fracas,  de  la 
nullité  prétentieuse  et  des  excentricités  ayant  cours.  Elle  est  âgée  de  plus 
d'un  siècle  et  elle  a  tout  le  charme,  la  grâce  et  le  parfum  pénétrant  des 
journées  printanières.  Les  assistants  à  cette  séance  ont  eu  le  privilège  de 
pouvoir  contempler  toute  une  série  d'intéressants  autographes  de  Mozart, 
exposés  par  leur  heureux  possesseur,  notre  ami  Charles  Malherbe.  Il  y  avait 
là,  entres  autres,  une  symphonie,  un  air  (inédit)  de  Mithridate,  une  Élégie  à 
deux  voix,  écrite  par  le  futur  auteur  de  Don  Juan  à  l'âge  de  sept  ans,  une 
feuilles  d'esquisses  montrant  l'écriture  de  Mozart  à  l'état  de  brouillon,  et  un 
trio  vocal  indiquant  la  façon  dont  il  préparait  sa  partition  d'orchestre.  Une 
série  de  trésors.  A.  P. 

—  CoNCEnT  ANNONCÉ.  —  M.  Schelling,  l'élève  de  Paderewski,  donnera  un  deuxième 
concert  à  la  salle  Érard,  le  lundi  22  avril,  à  9  heures  du  soir. 

—  SoinÉES  ET  Concerts.  — M""  Anna  Laidlaw,  dont  le  talent  de  pianiste  est  bien  connu 
à  l'étranger,  vient  de  se  faire  entendre,  pour  la  première  fois  à  Paris,  dans  un  concert 
qu'elle  a  donné  à  la  salle  Pleyel.  Drfns  l'intfrpréiation  d'œuvres  de  Seliumann,  de  Chopin, 
de  Schubert,  etc.,  et,  surtout  dans  la  Sonate  de  Raoul  Pugno,  qu'elle  a  admirablemeot 
joué  ',  M'"*  Laidlaw  a  fait  montre  de  qualités  éminentes  de  virtuose  et  de  musicienne  qui 
lui  ont  valu  un  véritable  succès.  —  A  la  matinée  donnée  par  l'Association  des  Enfants  de 
la  Seine,  beaucoup  d'applaudissements  pour  M"'  .Jane  Belleinin  dans  l'air  de  Manon,  de 
Massenet,  et  dans  celui  de  Louise,  de  Charpentier,  ainsi  que  pour  M"^  Sassoli,  qui  a  joué, 
sur  la  harpe,  Source  capricieuse  de  l'illiaux-Tiger.  —  Matinée  d'élùves  de  M"'=  A.  Manière, 
salle  Pleyel,  parmi  lesquels  on  remarque  M.  M.  Fortitr  (Crépuscule,  Massenet-Filliaux- 
Tiger),  M""  S.  Lozouet  et  J.  Brouillard  (Siflvia,  2  pianos,  Ttelibes-Lacki.  Dans  les  inter- 
mèdes, M""^  Mauzié  se  fait  applaudir  dans  les  larmes  de  Werther,  de  Massenet,  et  dans 
Pluie  en  mer,  de  FiUiaux-Tiger.  —  Matinée  musicale  chez  M"'^  Marie  Rûze  jeudi  dernit-r. 
Au  programme  :  le  concerto  de  Golterman  et  la  Berceuse  de  Ounkler  parfaitement  exé- 
cutés par  M.  Maxime  Thomas;  le  grand  duo  de  Sir/urd  (Reyer)  parfaitement  chanté  par 
M"'  Amaury  et  le  ténor  Ducot;  l'air  de  Louise  (Charpentier)  par  M""  Taber,  dit  avec  le 
plus  grand  charme  et  une  méthode  parfaite;  l'air  de  Philémon  et  Baucis,  très  bien  détaillé 
par  M"=  Cartaux.  On  a  ensuite  applaudi  M.  Gaston  Lemaire  dans  un  fragment  de  son 
intermezzo  le  Sommeil  de  Marie,  la  partie  de  violon  a  été  exécutée  avec  charme  par 
M"'"  Rigaut  Riwinach,  qui  a  également  joué  avec  M.  Thomas  la  gavotte  de  Rousseau.  On 
a  ensuite  applaudi  M"''  de  Laforcade  dans  des  compositions  de  Massenet  et  de  Delibes  et, 
pour  finir,  La  Ballade  du  Désespéré,  de  Bemberg,  par  M"''  Amaury  et  M.  Marion,  le 
récitant.  Au  piano  M.  Rosen.  —  Une  de  nos  jeunes  pianistes.  M"* Flora  "Weiss,  a  remporté 
un  très  grand  succès,  à  l'un  des  derniers  concerts  de  Monte-Carlo,  en  exécutant  d'une 
façon  extrêmement  remarquable  le  concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven,  l'orchestre  étant 
dirigé  par  M.  Léon  Jehin. 

NÉCROLOGIE 
A  Stockholm  est  mort,  après  une  longue  maladie,  le  compositeur  bien 
connu  Ivar-Christian  Hallstrôm.  Il  était  né  dans  cette  ville  le  5  juin  1826  et 
se  destinait  à  la  magistrature,  mais  il  abandonna  cette  carrière  après  quel-  » 
ques  années  pour  se  fixer  en  18S3  dans  sa  ville  natale  comme  professeur  de 
musique.  En  1861  il  devint  président  de  l'Institut  de  musique  fondé  par  le 
compositeur  Lindblad  et  en  1881  il  fut  nommé  professeur  de  chant  pour  les 
solistes  à  l'Opéra  royal.  Il  fut  en  outre  bibliothécaire  du  roi.  Après  avoir 
débuté  par  des  mélodies  et  des  cantates,  Hallstrôm  aborda  la  scène  avec  un 
opéra,  le  Duc  Magnus  (1867).  qui  obtint  peu  de  succès;  mais  la  Montagnarde 
enlevée  (1874),  la  Fiancée  du  gnome  (1875)  et  les  Vikings  (1877),  le  mirent  hors 
de  pair.  Plus  tard  il  écrivit  encore  quelques  autres  opéras,  iVéaja,  sur  un  livret 
de  Carmen  Sylva  (1885),  Per  Svinuherde  (Pierre,  le  gardeur  de  cochons)  et  Hin 
Ondes  snaror  (les  Pièges  du  Diable).  Ses  mélodies,  dont  il  a  publié  un  grand 
nombre,  sont  restées  populaires  dans  son  pays.  Sa  dernière  composi- 
tion, écrite  récemment  au  miUeu  de  terribles  souffrances,  est  intitulée  Valse 
mélancolique.  Comme  professeur,  Hallstrôm  s'est  surtout  occupé  des  artistes 
lyriques  de  son  pays;  l'Opéra  de  Stockholm  lui  doit  depuis  longtemps  ses 
meilleurs  solistes. 

—  De  Nervi  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  58  ans,  du  compositeur  Marco 
Sala,  qui  s'était  fait  un  nom  en  Italie  comme  auteur  de  musique  de  danse. 
Il  avait  publié,  dit-on,  300  morceaux  de  ce  genre,  soit  détachés,  soit  sous 
-forme  de  recueils.  On  connaît  aussi  de  lui  nombre  de  compositions  vocales  : 

mélodies,  romances,  barcaroUes,  canzonnettes,  etc. 

—  Un  chanteur  à  peine  âgé  de  40  ans,  le  ténor  Charles  Humphrey,  bien  j 
connu  en  Amérique,  s'est  suicidé  récemment  à  Saint-Louis  (Etats-Unis),  dans  ' 
des  circonstances  morales  assez  étranges.  Dans  une  lettre  laissée  par  lui,  il 
déclarait  qu'il  renonçait  à  la  vie  pour  trois  motifs  :  premièrement,  par  cha» 
grin  d'amour;  secondement,  par  la  crainte  qu'une  maladie  vint  lui  enlever  la 
voix  (il  aurait  pu  attendre);  enfin,  parce  que  ses  études  sur  le  christianisme 
avaient  apporté  un  trouble  profond  dans  sa  conscience... 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  chez  F.  Fasquellc,  dans  la  Bibliottièque-Charpentier,  Travail,  par 
limite  Zola  (3  fr.  50  c). 


;   CnEHlNS  DE  PER. 


,  20,  Pinis.  —  CEicre  LuiUcaii. 


Dimanche  -28  Avril  1901 


3657.  -  67-  mm  -  1^°  17.        PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2*^,  rue  Tivienne,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


LE 


MENESTREL 


lie  Hamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉATJRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HuméFo  :  0  fi*.  30 


Adresser  franco  à  M.  IIenbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  W»,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

AboDnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (9'  article),  Paul  D'I'^STnÉES.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  du  Roi  de  Paris  à  l'Opéra,  Abthuu 
Pqugin;  premières  représentations  du  Vertige  à  rAlhénée,  de  la  Petite  fonctionnaire 
aux  Nouveautés,  de  la  Dame  du  commmaire  au  Théàtrc-Cluny,  Paul-Émile  Cuevalier. 
—  III.  La  musique  et  le  théîUre  aux  Salons  du  Grand  Palais  (1"  arUele),  Camille  Le 
Sen.ne.  —  IV.  lîevue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE    BAPTÊME   D'YVONNETTE 

de  Paul  "Wachs.   —  Suivra  immédiatement  :  Souvenir,  n°  9  des  Ndives,  de 
Louis  Lacombe. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Brunette  (1703),  u°  7  des  Chants  de  France,  harmonisés  par  A.  Périlhou.  — 
Suivra  immédiatement  :  Au  très  aimé,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie 
d'après  Caroline  Duer. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  pltts  récents  et  îles  dociiments  inéflits 

(Suite.) 


VIII  (suite) 

Grandeur  et  décadence  de  la  Rabon.  —  Ses  origines.  —  Les  deux  sultanes  du  prince 
de  Carignan.  —  La  constitution  de  l'Opéra.  —  La  magnificence  de  la  Rabon.  — 
Folles  amours. 

La  biographie  de  la  Rabon  est  instructive  à  plus  d'un  titre. 
Ce  n'est  pas  que  cette  danseuse  ait  jamais  rien  eu  de  commun 
avec  l'art.  Elle  était  dépourvue  de  tout  talent.  Mais,  pendant  plus 
de  six  ans,  ses  destinées  furent  celles  de  l'Opéra.  Il  en  sera  tou- 
jours ainsi,  tant  que  les  impresarii  de  notre  Académie  de  Musique 
y  dresseront  des  autels  à  la  Vénus  Directrix. 

La  Rabon  était  un  enfant  de  l'amour  et  de  la  misère.  A  neuf 
ans  elle,  débitait,  comme  nos  camelots  fin  de  siècle,  des  gazettes 
à  la  main,  des  chansons  et  des  canards  à  la  foire  Saint-Germain 
et  à  la  foire  Saint-Laurent.  Elle  n'avait  pas  atteint  sa  treizième 
année  qu'elle  était  danseuse  à  l'Opéra-Gomique.  C'est  là  qu'elle 
connut  l'intendant  de  Paris,  Harlay  de  Geli,  dont  elle  resta  la 
maîtresse  pendant  huit  ans.  Ce  fut  peut-être  le  temps  le  plus 
heureux  de  sa  vie.  Son  amant,  que  Saint-Simon  appelle  un  fou 


d'infiniment  d'esprit,  obéissait  à  tous  ses  caprices  et  lui  laissa 
une  fortune  honnête. 

En  173S  la  Rabon  acceptait  les  hommages  du  prince  de  Cari- 
gnan, directeur  de  l'Opéra.  Or,  cette  Altesse  Sérénissime  ne  con- 
nut jamais  de  son  théâtre  que  les  actrices  et  surtout  les  dan- 
seuses :  elle  s'était  composé  un  sérail  des  plus  jolies  et  des  plus 
attirantes.  Rabon  y  fut  «  traitée  à  la  Carignan  »,  c'est-à-dire  avec 
une  générosité  qui  désespérait  les  créanciers  «  toujours  languis- 
sants »  du  prince.  Elle  touchait  cinquante  livres  par  jour. 
D'abord  elle  partagea  les  faveurs  de  son  seigneur  et  maître  avec 
ses  deux  camarades,  la  Richelet  et  la  Breton  :  «  Le  prince,  écrit 
un  contemporain,  soupe  alternativement  avec  elles  ou  toutes  les 
trois  ensemble,  et  ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  qu'il  entretient 
la  Rabon  malgré  elle,  qui  ne  peut  le  souffrir  et  le  lui  dit  tout 
naturellement;  mais  loin  de  s'en  formaliser,  il  l'en  aime  davan- 
tage. Il  est  vrai  qu'il  est  obligé  d'en  venir  quelquefois  à  de  fâ- 
cheuses extrémités  pour  la  forcer  à  venir  souper  avec  lui  ;  et  il 
arrive  qu'il  la  fait  monter  dans  son  carrosse  à  force  de  soufflets  et 
de  coups  de  pied  au  ...  Mais  d'ailleurs  il  paie  bien  exactement 
tous  les  mois.  » 

Ce  ...  dédommagement  se  double  encore  pour  l'intéressée 
d'une  satisfaction  d'amour-propre.  La  sultane  favorite  du  prince 
était  cette  fameuse  Mariette,  qu'on  avait  appelée  successivement 
la  Constitution  de  l'Opéra  et  la  Princesse  et  qui  devait,  à  la  mort  de 
Carignan,  porter  le  deuil  de  son  amant  en  longs  voiles  de  crêpe. 
Or,  la  Rabon  lutta  victorieusement,  dans  le  cœur  du  prince, 
contre  une  rivale  plus  âgée  peut-être,  mais  à  qui  la  force  de 
l'habitude  et  le  prestige  du  talent  donnaient  encore  une  certaine 
autorité. 

Ce  fut  désormais  un  combat  sans  trêve  ni  merci  entre  les  deux 
femmes,  avec  des  alternatives  pour  l'une  comme  pour  l'autre 
de  triomphes  ou  de  défaites,  qui  d'ailleurs  épuisaient  de  plus 
en  plus  les  finances  et  la  santé  de  ce  directeur...  dans  l'em- 
barras. 

A  vrai  dire,  la  Rabon  eût  rendu  des  points  à  Mariette  en  ma- 
tière d'infidélité.  Elle  donnait  des  rendez-vous  secrets  au  comte 
de  Jonzac  chez  sa  mère,  bien  que  le  prince  lui  eût  interdit  ces 
visites  familiales  dont  il  se  méfiait  à  juste  titre.  Il  finit  par  se 
fâcher  et  retourner  chez  la  Mariette,  qui  du  coup  augmenta  sa 
maison  d'un  «  cocher  à  moustaches  »  ;  c'était,  parait-il,  un  signe 
distinctif  pour  les  favorites  du  prince.  Un  mois  après,  celui-ci 
revenait  à  la  Rabon. 

■  Elle  habitait  alors  dans  une  petite  maison  du  Marais,  sous  le 
nom  de  marquise  de  Villemont,  qu'elle  échangeait  deux  ans 
plus  tard,  rue  Meslay,  contre  le  titre  de  comtesse  de  Panne,  (un 
nom  bien  choisi  pour  une  femme  de  théâtre!). 

D'ailleurs,  comme  nous  l'avons  dit,  son  influence  se  fit  sentir 
à  l'Opéra,  moins  pernicieuse  peut-être  que  celle  de  Mariette, 
qui  avait  jalousé  si  longtemps  la  Camargo  et  ridiculisé  si  mala- 


130 


LE  MÉNESTREL 


droitement  ses  caleçons.  En  1738,  Rabon  usa  de  son  ascendant 
sur  le  prince  pour  lui  faire  rétablir  à  l'Opéra  M"'  Vasquin,  bien 
qu'elle  eût  reçu  son  congé  de  réforme. 

Jusqu'à  la  mort  de  son  magnifique  amant,  la  Rabon  vécut  en 
véritable  reine  de  théâtre.  Elle  avait  des  diamants  de  toute 
beauté  et  portait  des  robes  «  à  trente  écus  l'aune  »,  une  étoffe  à 
fleurs  d'or.  C'est  ainsi  qu'une  année,  au  Concert  spirituel,  elle 
effaça  par  sa  toilette  celle  de  la  duchesse  d'Aven,  qui  était 
venue  dans  tout  l'éclat  d'une  jeune  mariée.  Une  autre  fois,  elle 
se  montrait  à  l'Opéra  «  parée  comme  une  chasse  »  et  constel- 
lée de  brillants.  Elle  relevait  de  maladie  :  atteinte  de  la  petite 
vérole,  elle  voulait  [irouver  urbi  et  orbi  que  le  terrible  fléau 
n'avait  pas  «  entamé  ses  appas  »,  comme  disait  sa  respectable 
mère,  une  ancêtre  de  M""  Cardinal . 

Elle  oublia  vite  le  grand  seigneur  qu'elle  n'avait  jamais  aimé 
et  que  regretta  longtemps  Mariette,  restée  avec  ses  trois  enfants, 
appelés  «  les  Princes  ».  La  Rabon  marcha  désormais  de  con- 
quêtes en  conquêtes.  Elle  compta  parmi  les  plus  brillantes  ce 
jeune  marquis  de  Crussol-Montalais  que  sa  délicate  santé  et  ses 
excès  de  toute  nature  condamnaient  à  une  mort  prochaine.  Il 
avait  laissé  par  testament  à  sa  maîtresse  une  bonne  partie  de  sa 
fortune,  quand  sa  plus  proche  parente,  la  duchesse  d'Uzès,  assis- 
tée de  <c  gens  d'église  »,  nous  ditMeusnier,  décida  le  mourant  à 
révoquer  ses  dispositions  premières  et  à  laisser  ses  cinquante 
mille  livres  de  rente  à  son  cousin,  le  duc  d'Uzès. 

Cependant  l'étoile  de  la  Rabon  commençait  à  pâlir.  La  dan- 
seuse avait  conservé  des  goûts  de  lu.x;e  et  de  dépense  que  son 
âge  et  ses  ressources  ne  lui  permettaient  plus  de  satisfaire.  Tou- 
tefois, au  dire  de  Meusnier,  elle  était  encore  très  séduisante, 
malgré  qu'elle  eût  trente-cinq  ans  largement  sonnés.  Elle  était 
grande  et  bien  faite,  quoique  «  extrêmement  maigre  et  plate  »  ; 
mais  elle  avait  «  les  plus  beaux  yeux  et  les  plus  beaux  cheveux 
du  monde  ». 

En  1749  elle  dut  vendre  ses  diamants  contre  une  rente  via- 
gère de  deux  mille  livres  ;  mais  eÛe  eut  la  sottise  de  s'amoura- 
cher du  chorégraphe  Pitrot,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  qui 
lui  «  fricassa  »  le  reste  de  sa  fortune.  Elle  le  suivit  à  Berlin,  où 
il  était  engagé  comme  premier  danseur  du  roi  de  Prusse.  Elle 
passa  l'hiver  de  1751  avec  le  fameux  aventurier  Casanova  de 
Seingalt,  qui  «  vit  actuellement  sur  le  compte  de  Sylvia  (la  cé- 
lèbre actrice  de  la  Comédie-Italienne)  ».  Meusnier  écrivait  ceci 
en  17S2.  Il  ajoute  :  «  La  Rabon  reste  aujourd'hui  avec  Bellecour 
du  Théâtre-Français.  » 

Elle  vécut  encore  cinq  années  et  mourut  dans  l'oubli  et  la 
misère. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra.  Le  Roi  de  Paris,  drame  lyrique  en  trois  actes,  paroles  de  Henry  Bouchut, 
musique  de  M.  Georges  Hile.  (Première  représeutation  le  26  avril  1901.) 

Certains  spectateurs  ont  dû  éprouver  quelque  étonnement  l'U  enten- 
dant prononcer,  à  la  fin  de  la  représentation  du  Roi  de  Paris,  le  nom  de 
Henry  Bouchut  comnn'  aiLteur  du  poème  de  cet  ouvrage.  Ce  nom  était 
en  effet  totalement  inconnu,  particulièrement  au  tliàâtre.  C'est  celui 
d'un  jeune  hommi;  mort  il  y  a  quelques  années  déjà,  en  pleine  jeunesse, 
à  peine  âgé  de  vingt-quatn'  ans,  alors  qu'il  paraissait  donner  de  sérieuses 
espérances.  Mario-Eugéni'-Henry  Bouchut  était  le  tils  d'un  médecin 
distingué,  le  docteur  Eugène  Bouchut,  bien  connu  par  de  nombreux  et 
solides  travaux.  H  s'était  fait  remai'quor  par  une  rare  précocité  et  par 
son  ardeur  au  travail.  A  quinze  ans  il  est  reçu  bachelier  avec  une  dis- 
pense d'âge;  à  dix-huit  il  est  licencié  ès-sciences.  Il  passe  son  pre- 
mier examen  de  médecine  avec  la  mi-ntion  très  bien  et  entre  au  labora- 
toire de  M.  Wûrtz.  Mais  les  li'ttros  l'attiraient  aussi,  et  après  un  voyage 
en  Angleterre  et  en  Allemagne,  il  si'  lance  dans  le  flot  de  la  vie  pari- 
sienne, menant  de  front  le  travail  et  les  plaisirs,  usant,  comme  disaient 
nos  pères,  la  chandelle  parles  deux  bouts.  Il  fait  des  vers,  il  publie  des 
romans,  Herla,  Ames  sœurs,  les  Deux  Pères,  la  Comtesse  de  Nidolle,  il 
fonde  la  Revue  libérale,  il  s'occupe  de  théâtre,  que  sais-je?  Puis,  atteint 


d'une  maladie  grave,  il  disparaît  de  &■  monde,  n'ayant  connu  que  les 
ardeurs  et  les  élans  d'une  jeunesse  infatigable  sous  tous  les  rapports. 
Par  (juel  singulier  hasard  le  livret  du  Roi  de  Paris,  trouvé  dans  ses 
papiers,  est-il  tombé  entre  les  mains  de  M.  Georges  Hûe?  c'est  ce  que 
je  ne  saurais  dir(_'.  Par  quel  hasard,  peut-être  plus  singulier  encore,  ce 
livret  a-t-il  été  accepté  par  la  direction  de  l'Opéra,  alors  que  l'auteur 
n'était  plus  là  pour  le  défendre  et  que  tant  d'autres,  bien  vivants,  assiè- 
gent inutilement  les  portes  de  nos  théâtres  ?  A  cette  question  encore  il 
me  si'rait  impossible  de  répondre.  Toujours  est-il  que  ci'  poète  à  la  fois 
débutant  et  posthume  a  trouvé  un  musicien,  un  théâtre  et  un  public 
pour  accueillir  son  œuvre. 

D'ailleurs,  ce  poème  ne  vaut  ni  plus  ni  moins  que  tant  d'autres  que 
nous  avons  vus  se  dérouler  devant  nos  yeux.  Même  nous  en  avons  con- 
nus de  plus  maladroits  et  moins  empreints  de  sentiment  dramatique. 
Il  va  sans  dire  que  «  le  roi  de  Paris  »  c'est  le  duc  de  Guise,  Henri  le 
Balafré,  et  ceci  indique  aussitôt  la  natiu'e  du  sujet.  De  même  que  Pla- 
nard  s'était  inspiré,  pour  le  Pré  aux  Clercs,  de  la  Clirmiii/ue  du  temps  de 
Châties  IX  de  Mérimée,  l'auteur  du  Roi  de  Paris  s'est  inspiré  de  la  Ligue 
de  Vitet,  et  principalement  di  ■  la  partie  qui  a  pour  titre  les  Etats  de  Rlois. 
Il  a  seulement  transformé  liOignac  en  Longnac.  ce  qui  est  moins  eupho- 
nique, et  de  Charlotte  de  Noirmoutiers,  la  maîtresse  d'Henri  de  Guise, 
il  a  fait  Jeanne  de  Noirmoutii'rs.  Et  il  a  emprunté,  à  son  dénouement, 
la  réflexion  que  Vitet  prête  à  Henri  III  lorsqu'il  voit  étendu  à  ses  pieds 
le  corps  de  son  ennemi,  tombé  sous  le  ter  des  assassins  :  «  Qu'il  est 
grand  !  Il  ne  m'a  jamais  paru  si  grand  !  »  Quand  j'aurai  dit  que  le  livret 
du  Roi  de  Paris  avait  d'abord  pour  titre  les  Deux  Henri,  et  qu'il  est  écrit 
tantôt  en  vers,  tantôt  en  prose  rythmée,  il  ne  me  restera  plus  qu'à  le 
faire  connaître,  ce  qui  n'est  ni  très  long,  ni  très  difficile. 

Li'  premier  acte  se  passe  à  Paris,  dans  un  cabaret  oii  les  Ligueurs 
sont  réunis  et  passent  leur  temps  à  injurier  Henri  III,  après  quoi  ils 
acclament  Henri  de  Guise,  qu'ils  pressent  de  se  mettre  à  leur  tête  pour 
aller  enlever  le  Louvre.  Henri  est  encore  indécis  devant  la  gravité  et  les 
suites  possibles  d'un  tel  projet,  et  malgré  leurs  instances  il  leur  demande 
une  heure  de  répit  et  de  refli'xion,  après  laquelle  il  leur  fera  connaître 
sa  décision.  Les  Ligueurs  S(>  retirent  et  Himri,  resté  seul,  est  bientôt 
rejoint  par  Jeanne  de  Noirmoutiers.  Ici,  scène  de  tendresse  entre  les 
deux  amants,  Jeanne  suppliant  Henri  de  renoncer  à  ses  projets  ambi- 
tieux, dont  les  suites  l'effraient,  pour  être  tout  à  leur  amour,  et  celui-ci 
combattant  ses  terreurs  et  lui  disant  qui-  l'action  dans  laquelle  il  est 
engagé  doit  avoir  son  dénouement.  Cependant  il  semble  près  de  céder 
à  ses  prières  lorsqu'il  est  réveillé  de  son  extasi  ■  par  le  retour  des  Ligueurs, 
qui  viennent  chercher  sa  réponse.  C'en  est  fait,  il  reprendra  son  rôle, 
il  se  mettra  à  leur  tète,  et  tous  ensemble  viendront  à  bout  du  monarque 
détesté  qui  ruine,  opprime  et  déshonon?  la  France  ! 

Deuxième  acte.  Au  Louvre,  le  cabinet  du  roi.  Courtisans,  seigneurs 
et  mignons  se  divertissent  en  jouant  à  divers  jeux,  pendant  que  Lon- 
gnac, nonchalamment  assis,  chante  une  chanson  en  s'accompagnant 
sur  une  mandore.  Entre  le  roi,  qui,  selon  sa  coutume,  a  préparé  un 
guet-apens.  Il  sait  que  Longnac  est  amoureux  fou  de  la  belle  Jeanne  de 
Noirmoutiers,  la  maîtresse  de  Guise  ;  il  l'a  fait  mander,  lui  disant  qu'il 
a  à  lui  parler.  Mais  ce  n'est  pas  lui  qu'elle  trouvera,  c'est  Longnac.  Il 
charge  en  effet  celui-ci  de  la  recevoir,  l'excite  et  lui  recommande  de 
mettre  le  temps  à  profit  tandis  qu'on  le  laissera  soigneusement  seul 
avec  elle.  «  Prends  -  la  »,  dit-il,  de  gré  ou  de  force;  c'est  une  bonne 
farce  à  faire  au  Balafré.  Longnac,  qui,  pas  plus  que  son  maître,  n'est  à 
cela  prés  d'une  infamie,  accepte  et  promet  de  réussir.  On  le  laisse  seul. 
Survient  Jeanne,  un  peu  surprise  de  ne  ne  trouver  que  lui.  Il  entame 
l'entretien  et  lui  déclare  son  amour,  elle  croit  d'abord  qu'il  plaisante  ; 
il  insiste,  elle  lui  répond  avee  hauteur.  Après  avoir  prié,  il  menace.  Elle 
veut  fuir,  toutes  les  portes  sont  fermées.  «  Lâche!  »  s'écrie-t-elle.  Mais  il 
la  poursuit,  veut  s'emparer  d'elle,  et  elle  est  folle  de  colère  et  de  terreur, 
ne  sachant  comment  lui  échapper,  lorsque,  sous  les  fenêtres  du  palais, 
on  entend  tout  à  coup  le  bruit  d'une  fusillade.  Grande  rumeur  aussitôt, 
les  portes  s'ouvrent,  on  accourt  de  tous  côtés,  Jeanne  est  sauvée,  et  elle 
se  retire  après  avoir  souffleté  Longnac,  tandis  que  le  roi,  s'approchant 
d'une  fenêtre,  voit  en  frémissant  les  révoltés  aux  mains  avec  ses 
soldats. 

Troisième  acte.  Le  château  de  Blois.  Les  deiLx  Henri  semblent  au 
mieux.  Le  roi  prodigue  à  Guise  les  témoignages  de  son  amitié,  tandis 
que,  de  son  côté,  Guise  l'assure  de  son  inaltérable  fidélité.  Les  courti- 
sans rient  sous  cape  du  jeu  de  ces  deux  mortels  ennemis.  Le  roi  a 
préparé  une  fête  en  l'honneur  de  Guise,  ce  qui  donne  lieu  à  un  petit 
Iballet  dont  le  besoin  ne  se  faisait  guère  sentir  en  cet  instant.  On  se 
sépare  ensuite,  et  le  roi  rappelle  à  Guise  le  grand  conseil  qui  doit  avoir 
lieu  le  lendemain  au  lever  du  jour.  Quand  celui-ci  est  parti,  Henri  et 
ses  serviteurs  préparent  le  nouveau  guet-apens  dont  il  doit  être  la  vie- 


LE  MÉNESTREL 


J31 


time  avant  même  l'ouverture  du  conseil.  Chacun  sera  à  son  poste,  et 
Guise  ne  saurait  échapper  aux  poignards  de  ses  assassins. 

Deuxième  tableau  (même  décor),  séparé  du  précédent  par  un  entr'acte 
symphonique.  Le  jour  va  paraître.  Les  bourreaux  sont  prêts  pour 
leur  sinistre  besogne,  prennent  leurs  dernières  dispositions  et  bientôt 
disparaissent.  Arrive  Guise,  parcourant  sans  s'émouvoir  divers  messages 
dans  lesquels  on  le  met  en  garde  contre  les  dangers  qui  l'entom'ent. 
Survient  ensuite  .Jeanne,  troublée,  inquiète,  qui  croit  avoir  saisi  des 
.  traces  de  complot,  et  qui  vient  supplier  son  ami  de  ne  point  se  rendre 
au  conseil.  Ses  prières  restent  inutiles.  Guise  ne  croit  pas  au  danger,  et 
quand  il  y  en  aurait,  dit-il,  rien  ne  peut  l'empêcher  d'y  courir.  Son 
honneur  l'engage.  Jeanne  a  beau  insister,  il  l'éloigné  d'un  geste,  il 
s'approche  de  la  salle  du  conseil.  A  peine  a-t-il  disparu  qu'on  entend 
un  grand  tumulte,  des  cris,  puis  il  reparait,  ensanglanté,  chancelant, 
tourne  sur  lui-même  et  tombe  mort.  Et  le  rideau  tombe  sur  ces  paroles 
du  roi,  qui  est  venu  contempler  l'œuvre  de  ses  amis  :  «  Il  ne-m'a  jamais 
paru  si  grand  !  » 

Ce  Uvret,  je  l'ai  dit,  n'est  ni  meilleur  ni  pire  que  bien  d'autres.  Il  a 
une  qualité,  c'est  d'être  rapide  et  bref.  Il  a  un  défaut,  c'est  que  le 
dénouement  est  connu  d'avance,  et  que  ce  dénouement,  d'ailleurs,  s'il 
est  dramatique,  manque  de  pathétique.  Tel  qu'il  est,  il  pouvait,  en 
somme,  inspirer  un  musicien,  si  celui-ci  avait  su  mettre  en  œuvre  ses 
divers  éléments.  La  scène  des  Ligueurs,  au  premier  acte,  pouvait  don- 
ner lieu  à  un  tableau  pittoresque  et  mouvementé  (qu'on  se  rappelle 
celle  des  reitres  au  premier  acte  du  Pré  aux  Clercs),  et  la  rencontre  de 
Guise  et  de  Jeanne  fournissait  au  compositeur  l'occasion  d'un  épisode 
passionné  auquel  il  pouvait  prêter  des  accents  d'une  tendresse  ardente. 
De  même,  au  second  acte,  la  poursuite  de  Jeanne  par  Longnac  ofl'rait 
une  situation  vraiment  dramatique  dont  il  pouvait  tirer  un  utile  parti . 
On  peut  regretter  qu'il  n'en  ait  rien  été. 

J'avoue  que  j'avais  plus  de  confiance  en  M.  Georges  Hile,  et  que  ce 
que  j'avais  entendu  de  lui  jusqu'à  ce  jour  m'avait  fait  espérer  tout  autre 
chose  que  ce  que  nous  a  donné  la  partition  veule  et  flasque  du  Roi  de 
Paris.  Celle-ci  n'est  pas  une  œuvre  de  combat,  et  il  n'y  a  pas  ici  à  partir 
en  guerre  conti-e  certaines  tendances  plus  ou  moins  accentuées,  plus  ou 
moins  audacieuses,  qui  cantonnent  et  classent  un  artiste  dans  un  parti 
et  dans  une  école.  Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que  cette  œuvre  est  insi- 
gnifiante et  morne,  c'est  que,  loin  d'exciter,  soit  la  sympathie,  soit  la 
colère,  elle  n'évoque  que  l'indifférence  par  son  inconsistance,  l'inatten- 
tion par  sa  banalité.  On  voudrait  s'attacher  à  quelque  chose,  découvrir 
chez  l'auteur  une  doctrine,  une  direction  quelconque  de  l'esprit,  trouver 
dans  son  œuvre  une  trace  lumineuse,  et  l'on  se  bute  à  l'insignifiance,  au 
vide,  au  néant.  Rien  n'est  plus  vide,  en  effet,  que  cette  partition,  qui 
manque  à  la  fois  de  couleur  et  d'élan,  et  dont  l'inspiration  est  vraiment 
trop  absente.  Point  de  passion,  point  de  chaleur,  pas  même  de  sentiment 
dramatique,  aucune  trace  apparente  d'émotion.  Même  l'orchestre  est 
sans  vie,  sans  mouvement,  sans  action,  sans  originalité.  J'ai  peine  à 
m'exprimer  ainsi  sur  le  compte  d'un  artiste  que  j'estime.  Mais  à  quoi 
bon  cacher  une  vérité  que  le  public,  tellement  elle  est  éclatante,  ne 
saurait  tarder  à  lui  faire  connaître,  à  quoi  bon,  surtout,  analyser  par  le 
menu  une  partition  dont  rien  ne  ressort,  dont  rien  n'est  mis  en  relief, 
et  dont  les  jours  me  semblent  comptés  d'avance.  Mieux  est  d'exprimer 
l'espoii'  que  l'auteur  soit  misa  même  de  prendre  une  prompte  revanche. 
C'est  ce  que  je  lui  souhaite  de  grand  cœur  pour  ma  part,  parce  que  je  le 
crois  capable  de  faire  plus  et  mieux. 

L'interprétation  se  ressent  un  peu  de  la  mollesse  de  l'œuvre;  elle  est 
parfois  froide  et  languissante,  et  ce  n'est  pas  absolument  la  faute  de 
ceux  qui  y  prennent  part.  M.  Delmas,  qu'on  voit  constamment  sur  la 
brèche,  est  toujours  le  beau  chanteur  et  l'excellent  comédien  que  l'on 
sait  ;  il  donne  au  rôle  de  Guise  la  couleur  et  le  caractère  qui  lui  con- 
viennent. M""'  Bosman,  toujours  estimable,  manque  sans  doute  un  peu 
d'ampleur  dans  celui  de  Jeanne,  comme  M.  Noté  manque  un  peu  de 
désinvolture  dans  celui  de  Longnac  ;  les  sacripants  de  la  cour  de 
Henri  III  étaient  des  sacripants  pleins  d'élégance  et  de  légèreté.  Quant 
à  Henri,  précisément,  qui  est  bien  le  plus  mauvais  rôle  de  la  pièce,  il 
est  tenu  avec  beaucoup  de  soin  et  de  dignité  par  M.  Vaguet.  Je  m'en 
voudrais  de  ne  pas  nommer  M.  Nivette,  le  Ligueur  du  premier  acte, 
qui  fait  preuve  de  solidité. 

Arthur   Podgin. 


Athénée.  Le  Vertige,  comédie  en  4  actes  de  M.  Michel  Provins.—  Nouveautés. 
La  Petite  Fonctionnaire,  pièce  en  3  actes  de  M.  A.  Capus.  —  Cluny.  La  Dame 
du  Commissaire,  vaudeville  en  3  actes  de  MM.  'V.  de  Goltens  et  P.  Veber. 

C'est  à  très  peu  près  un  gros  drame  opaquement  noir  que  ce  Vertige 
dont  on  attend  toujours,  après  l'épisode  de  la  lettre  révélatrice  et  l'enlè- 
vement romantique  au  clair  de  lune,  le  fâcheux  coup  de  poignard  porté 


à  la  femme  infidèle  par  le  mari  outragé.  L'occasion  était  tentante  pour- 
tant en  ce  bal  costumé  du  troisième  acte,oii  loups  et  dominos  sont  plus 
là  pour  étouffer  les  sanglots  que  pour  exciter  les  rires;  M.  Michel  Pro- 
vins n'a  pas  cru  devoir  aller  jusqu'à  cette  brutalité  dont  se  seraient 
sans  doute  offusqués  le  ciel  clair  et  limpide  des  bords  de  la  Méditerra- 
née, l'élégance  des  personnages  mis  en  scène  et  la  recherche  particulière 
d'un  cadre  d'ultra  snobisme,  mais  qui  aurait  vraisemblablement  satisfait 
pas  mal  de  nos  modernes  sceptiques  trouvant  ce  monsieur  de  Roville  — 
c'est  le  mari  —  d'un  amour  trop  sublimement  chevaleresque.  Il  aime, 
cet  homme,  et  il  pardonne;  cela  passe  aujourd'hui  pour  démesurément 
antique!  Maintenant,  aime-t-il  bien?  J'entends  par  là  adroitement;  car 
on  ne  saurait,  au  dernier  acte  tout  au  moins,  suspecter  son  aveugle 
passion.  Le  vertige  jette  très  vilainement,  très  méchamment  même,  sa 
femme  dans  les  bras  du  romancier  à  la  mode,  Mareuilles,  un  fat  cynique 
impertinent  et  antipathique  —  les  femmes  n'aiment  les  hommes  que 
pour  leurs  défauts,  a  dit  un  penseur  —  ;  et,  au  lieu  d'essayer,  comme  il 
sera  obligé  de  le  faire  par  la  suite,  un  peu  tard  de  l'avis  d'aucuns,  de 
ramener  l'affolée  par  la  douceur,  sa  tactique  est  toute  de  brutalité.  Non, 
vraiment,  iln'est  pas  adroit,  ce  taciturne  romantique; pas  plus  d'ailleurs 
que  son  entourage,  à  commencer  par  l'ami  terre-neuve,  Chalelier,  qui, 
afin  de  forcer  la  porte  de  la  fugitive,  a  cependant  assez  d'inventions  pour 
se  faire  annoncer  comme  un  maître  de  clerc  venant  rendre  des  comptes. 
Mélo,  Mélo,  que  nous  veux- tu?  Chatelier  se  bat  avec  Mareuilles,  pour 
madame  de  Roville;  il  a  l'épaule  cassée  et,  par-dessus  son  bandage,  les 
époux  se  réconcilient.  Aucune  des  blessures  ne  sera  mortelle,  et  pour- 
tant... 

Donc,  c'est  une  impression  de  drame  que  nous  gardons  de  ce  Vertige, 
et  la  formule  dramatique  de  l'auteur,  comme  encore  le  choix  d'un 
sujet  rien  moins  que  nouveau,  aggravé  par  l'emploi  de  moyens  plutôt 
vulgaires,  ne  sont  point  pour  atténuer  cette  impression  ;  et,  d'autre  part,  la 
forme,  l'écriture,  la  tournure  d'esprit  de  M.  Michel  Provins  font  d'évi- 
dents efforts  pour  se  garer  d'un  banal  bourgeoisisme  et  nous  amener  à 
croire  que  nous  assistons  à  quelque  chose  d'essentiellement  moderne. 

Et  l'impression  est  rendue,  aussi,  plus  vive,  en  ces  décors  d'exaspéré 
parisianisme,  par  une  distribution  qui  pousse  au  dramatique,  avec 
M""  Jane  Hading,  de  vibrante  physionomie,  avec  M.  Abel  Deval, 
farouche  et  malheureux,  tous  deux  parlant  souvent  trop  bas,  et  qui 
côtoie  même  le  mélodrame  avec  M"°  Suzanne  Munte,  noire  et  fatale. 
Mareuilles,  c'est  M.  Castillan,  adroit  et  de  morgue  prétentieuse,  tandis 
que  Chatelier  n'offre  â  M.  Tréville  qu'un  rôle  quelconque,  deus  ex  ma- 
china pourtant,  dans  lequel  il  ne  peut  utiliser  ses  qualités  plutôt  spéciales 
de  composition.  On  a  fait  un  succès  mérité  à  M.  Levesque,  quia  campé 
plaisamment  la  silhouette  d'un  facteur  rural. 

En  moins  de  six  mois,  M.  Alfred  Capus  aura  fait  représenter  toBowrse 
ou  la  Vie  au  Gymnase,  la  Veine  aux  Variétés  et  la  Petite  Fonctionnaire 
aux  Nouveautés.  Il  est  à  croire  que  le  jeune  et  heureux  auteur  ne 
pense  nullement  à  se  plaindre  des  directeurs  du  boulevard  qui,  par 
ailleurs,  ne  font  qu'obéir  au  goût  du  public,  très  séduit  par  la  verve 
douce  et  facile,  la  philosophie  conciliante  et  la  bonhomie  spirituelle 
d'unécrivainayant  su  deviner  que  la  rosserie  et  la  psychologie  à  outrance 
étaient  en  train  de  finir  leur  temps.  M.  Capus  a  évidemment  et  très  jus- 
tement la  vogue;  mais  ne  craint-il  pas  que  ses  pièces  jetées  ainsi 
l'une  sur  l'autre,  à  intervalles  trop  courts,  nese  nuisent  réciproquement? 
«  Ça  ne  vaut  pas  la  Veim  »,  disait-on  couramment  en  s'abordant  jeudi 
soir  aux  Nouveautés.  Certes  non,  ça  ne  vaut  pas  la  Veine,  avec  son 
observation  si  juste  et  ses  caractères  si  nettement  dessinés,  mais  la 
Veine  fut  écrite  en  vue  de  la  Comédie-Française,  théâtre  de  grande 
tenue,  tandis  que  la  Petite  Fonctionnaire  était  destinée  aux  Nouveautés, 
maison  de  gi-os  rire  et  de  farce  tapageuse.  Ce  n'est  pas,  au  moins,  que 
M.  Capus  ait  voulu  marcher  sur  les  brisées  de  M.  Georges  Feydeau. 
Que  non  pas;  il  s'est  tenu  fort  éloigné  du  vaudeville  à  quiproquos, 
écrivant  une  comédie  gaie,  d'intrigue  très  simple,  comme  toujours, 
d'entière  vraisemblance  et  d'agrément  charmant,  qu'on  écoute  avec 
infiniment  de  calme  plaisir  et  à  laquelle  on  s'égaie  de  toute  décente 
manière. 

La  petite  Suzanne  Borel  est  des  plus  convenables  et  absolument 
honnête,  ce  qui  lui  permettra,  après  avoir  été  courtisée  par  M.  Lebardin, 
un  des  gros  bonnets  du  trou  de  province  où  elle  vient  d'être  nommée 
receveuse  des  postes,  d'épouser  le  jeune  vicomte  de  Samblin,  qu'elle 
aime.  Tout  cela  est  fort  plaisamment  moral  et  se  déroule  en  un  milieu 
de  très  bonnes  gens  qui,  si  par  hasard  ils  veulent  faire  le  mal,  le 
font  toujours  avec  une  entière  bonté,  sans  compter  que,  tout  petits  pro- 
vinciaux qu'ils  sont,  ils  sont  loin  de  manquer  d'esprit  parisien. 

La  Petite  Fonct.ommire,  qui,  naturellement  ne  vaut  pas  la  Veine,  mais 
est  très  supérieure  à  la  Bourse  ou  la  vie,  a  trouvé  aux  Nouveautés  un 
accueil  chaleureux  dont  une  part  revient  à  l'interprétation  excellente. 


132 


LE  MÉNESTREL 


M"''  Thomassin,  qu'on  avait  à  peine  entr'aperçue  au  Vaudeville,  s'est 
révélée,  en  Suzanne  Borel,  comédienne  exquise,  primesautière,  de  rayon- 
nante vivacité  et  d'adorable  émotion,  et  M.  Torin,  le  vicomte  de  Samblin, 
lui  a  donné  la  réplique  avec  une  rondeur  et  une  fantaisie  naturelle  tout 
à  fait  étonnantes.  M.  Germain,  simiesque  et  déhanché  à  son  habitude, 
M.  Golombey,  remuant  et  sautillant.  M""-  R.  Maurelet  M""  Doriel  ne 
méritent,  eus  aussi,  que  des  compliments. 

Cela  devait  s'appeler /e  C/iie/i  du  Commissaire  et ,  sur  une  observation 
de  la  préfecture  de  police,  les  auteurs  baptisèrent  leur  vaudeville  la  Da- 
me du  Commi.ssaire:  c'est  assez  dire  que  ce  chien,  prononcez  secrétaire, 
et  cette  femme  de  commissaire  ont  entre  eux  des  rapports  assez  étroits. 
Comme  la  chose  se  passe  à  Glunj-.  MM.  Y.  de  Cottens  et  P.  Veber  se 
sont  hardiment  lancés  en  pleine  folie  et  ils  l'ont  fait  fort  adroitement 
(le  second  acte  est  étonnant  sous  ce  rapport)  et  de  façon  très  désopilante, 
avec,  en  plus,  de  drolatiques  trouvailles,  tels  tous  ces  gens  déchaussés 
traînés  au  poste  pour  soi-disant  scandale  public  en  un  entresol  dans 
lequel,  par  les  fenêtres  ouvertes,  les  voyageurs  3'impériale  de  Batignolles- 
Clichy-Odéon  jettent,  en  passant,  des  regards  effarés  ou  concupiscents. 

CluDy  doit,  cette  fois,  tenir  un  succès  auquel  il  faut  associer  la  bonne 
troupe  du  petit  théâtre.  Aux  brûleurs  de  planches  habituels,  MM.  Rou- 
vière,  Muffat,  Dorgat,  Gaillard,  Lureau,  Prévost,  M°"='  Cuinet,  Favelli 
et  Cardin,  il  convient  d'ajouter,  cette  fois,  M.  Arnoult,  qui  s'est  montré 
de  très  communicative  gaieté. 

Pal'l-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     GRAND-PALAIS 


(Premier  article.) 

Si  le  Graud-Palais  —  suprême  vestige  de  feue  la  grande  foire  de  1900 — 
se  trouve  à  faible  distance  de  la  place  de  la  Concorde,  il  n'y  est  pas  tout 
à  fait  situé.  Celte  constatation  topographique,  dont  l'évidence  paraîtra 
certainement  aveuglante  et  dont  je  crains  que  mes  lecteurs  n'incrimi- 
nent tout  d'abord  la  superfluité,  résume  la  position  respective  des  deux 
Sociétés  artistiques,  la  S.  B.  A.  et  la  S.  A.  F.,  la  Société  des  Beaux- 
Arts  et  la  Société  des  artistes  français,  qui  vont  se  partager  le  monument 
construit  sur  les  ruines  du  regretté  Palais  de  l'Industrie.  Elles  touchent 
à  la  Concorde  ;  elles  l'approximent,  si  j'ose  parler  ainsi;  elles  restent 
en  marge  et  se  refusent  à  fusionner  comme  dans  l'ancienne  galerie  des 
machines,  où  pour  vingt  sous  on  faisait  le  tour  complet  de  l'art  contem- 
porain, de  Barrias  à  Rodin,  de  Bouguereau  à  Carolus  Duran.  Cette 
fois  il  y  aura  deux  exhibitions  distinctes,  deux  entrées,  deux  tour- 
niquets . 

C'est  la  S.  B.  A.  qui  a  pris  possession  la  première  de  son  lot,  je  veux 
dire  de  la  partie  de  l'édifice  ayant  vue  sur  l'avenue  d'Autin.  Ce  lotisse- 
ment s'imijosait:  la  statuaire  est  représentée  par  un  petit  nombre 
d'envois  dans  la  Sécession  française  ;  ceux-ci  auraient  été  perdus  dans 
l'immense  nef  de  l'autre  moitié  du  palais  dont  la  S.  A.  F.  tirera  beau- 
coup meilleur  parti.  Le  vestibule  placé  sous  la  coupole  de  l'avenue 
d'Antin  est  d'ailleurs  un  abri  suffisant  et  môme  fastueux,  avec  sa  déco- 
ration de  marbres  et  bronzes  qui  rappelle  les  splendeurs  de  Versailles. 
Les  sculpteurs  de  la  jeune  Société  s'y  trouvent  confortablement  hospi- 
talisés. L'architecture,  les  dessins,  les  objets  d'art  occupent  toutes  les 
salles  du  pourtour  ;  leur  installation  est  un  peu  triste  et  ne  réjouit  pas 
l'œil  comme  au  Palais  des  Arts  libéraux.  En  revanche,  M.  Dubufe  a 
tiré  le  meilleur  parti  des  salles  du  premier  étage,  toutes  réservées  à  la 
peinture.  Des  bruits  assez  fâcheux  avaient  couru  sur  l'utilisation  de  ces 
salles,  où  les  écoles  étrangères  s'étaient  offert  l'an  dernier  le  luxe  de 
mises  on  scène  variées  mais  généralement  peu  avantagées  par  une 
lumière  avare.  Eh  bien,  celle  nécropole  â  compartiments,  l'organi- 
sateur du  Salon  delà  S.  B.  A.  l'adiviséeleplus  heureusement  du  monde 
en  dix-huit  travées  très  aérées,  très  claires,  meublées  de  façon  peut-être 
un  peu  trop  bourgeoise  et  cossue,  mais  somptueuse,  garnies  d'épaisse 
moquette  rouge,  de  sièges  et  de  tentures.  Aucun  entassement  :  deux 
rangées  de  toiles  au-dessus  de  la  cimaise;  l'envoi  (limité  à  ciuq  toiles) 
de  chaque  artiste  convenablement  isolé  et  groupé  ;  bref,  une  manifes- 
tation d'ensemble  qui  se  compose  d'un  certain  nombre  de  manifestations 
individuelles  aisément  reconnaissables  et  donnant  â  l'avance  l'impres- 
sion, parfois,  mais  assez  rarement  l'illusion  de  personnalités  bien  dis- 
tinctes. 

C'est  par  un  maître  disparu,  mailre  incomplet,  discuté,  mais  qui  a 
ses  fidèles  et  son  culte,  par  Jean-Charles  Cazin  qu'il  convient  de 
commencer  celte  revue.  Le  peintre  mort  il  y  a  un  mois  —  et  qui  fut 


surtout  un  grand  paysagiste —  s'était  épris,  sur  le  tard,  de  symbolisme 
et  d'allégorie  :  il  évoquait  avec  joie,  avec  passion,  des  figures  mythiques 
en  de  contemporaines  décorations.  Le  tableau  que  la  ville  de  Paris  a 
prêté  â  la  Société  des  Beaux-Arts.  Souvenir  de  fite,  remonte  à  1880. 
C'est  une  commémoration  du  premier  «  quatorze  juillet  »  qui  avait  alors 
l'intérêt  et  la  fraîcheur  d'une  nouveauté.  Pour  en  perpétuer  le  souvenir, 
Cazin  voulut  avec  raison  dégager  la  fête  nationale  de  tout  élément  poli- 
tique :  il  assit  sur  un  échafaudage  —  symbole  de  la  France  à  réédifier — 
trois  figures  de  vertus  civiques  :  le  Courage  militaire,  la  Science,  l'Art,. 
et  les  plaça  sous  le  patronage  de  la  Concorde,  d'ailleurs  indiquée  dans  le 
tableau  par  une  simple  devise 

Beau  rêve,  d'une  àme  ingénument  attendrie,  rêve  de  paix  et  de  fia- 
ternité  qui  nous  aura  valu  du  moins  une  composition  remarquable.  Les 
figures  sont  solides,  sans  être  trop  précisées,  dans  le  goût  du  préraphaé- 
litismo  anglais  ;  une  harmonie  légère  faite  de  bleu  éteint,  de  rose 
flottant,  de  buée  transparente  qui  serait  une  brume  de  lumière,  enve- 
loppe ces  nobles  comparses.  Tout  au  fond,  Paris  illuminé  apparaît,  vu 
d'une  terrasse  du  quartier  du  Luxembourg,  avec  le  dôme  étincelant  du 
Panthéon.  Au  demeurant,  quelque  maniérisme,  mais  corrigé  par  la 
sincérité  de  l'inspiration  et  la  valeur  décorative. 

L'allégorie  et  le  nu  esthétique  ne  sont  guère  le  fait  de  la  plupart  des 
peintres  de  la  Société  des  Beaux-Arts,  généralement  préoccupés  de  nota- 
tions modernistes  et  de  réalité  contemporaine.  Il  y  a  pourtant  d'hono- 
rables et  intéressantes  exceptions.  C'est  ainsi  que  M.  ADjert  Fourié, 
dans  la  grande  toile  qu'il  intitule  Vision  antique,  s'est  efforcé  de  faire 
revivre  les  traditions  des  maîtres  de  la  Renaissance  :  ses  nymphes  et 
ses  faunes  en  païenne  nudité  dans  un  sous-bois  manquent  malheureu- 
sement de  grâce  et  de  souplesse;  le  tableau  est  bien  composé;  les  détails 
sont  médiocrement  écrits.  L'ensemble  vaut  surtout  par  le  mouvement 
endiablé,  la  belle  allégresse  des  demi-dieux  fêtards.  M.  Osberl,  plus 
symboliste,  intitule  Sérénité  une  toile  remarquable  où  la  théorie  des 
vierges  drapées  dans  leurs  blanches  tuniques  s'harmonise  avec  les 
grêles  verdures  d'un  bois  sacré  et  le  ciel  que  la  cendre  du  crépuscule 
engrisaille  de  sa  poussière  lumineusement  tamisée. 

Mentionnons  encore  l'Éclio  de  M.  Koos,  l'Age  d'or  de  M.  Ruppert- 
Bunny,  la  Clairière  et  le  Papillon  bleu  de  M.  Julius  Stewart,  spécialiste 
breveté  des  taches  de  lumière  que  font  sur  les  chairs  nues  les  rayons  de 
soleil  traversant  la  frondaison  des  sous-bois,  le  Châle  rose  indiscret  et 
révélateur  de  M.  Lucas,  et  arrêtons-nous  devant  un  délicat  tableau  de 
M.  Georges  Callot  :  la  Mort  de  la  petite  courtisane.  C'est  une  Thaïs  en 
fleur  qui  repose  sur  le  lit  de  parade;  elle  apparaît  froide  et  décolorée-, 
mais  toujours  menue  et  mignonne  comme  un  Tanagra  d'étagère;  ses 
compagnes  l'entourent  avec  plus  de  mélancolique  douceur  que  de  réelle 
tristesse;  le  sentiment  antique  de  la  mort  considérée  comme  une  simple 
péripétie  du  di'ame  humain,  un  dénouement  naturel  et  simple,  sans 
tragique  au-delà,  sans  menace  de  douloureuse  survie  pour  les  créatures 
de  luxe  et  de  plaisir,  se  dégage  nettement  de  cette  courte  vision  funé- 
raire. 

M.  Louis  Deschamps,  dont  le  bagage  de  peintre  est  si  considérable  et 
qui  avait  bien  le  droit  de  se  permettre  une  erreur,  a  usé  cette  fois,  et 
largement,  voire  abusé  de  la  permission.  Sa  Naissance  de  l'Amour  est  le 
plus  étonnant  déballage  d'articles  de  bazar  qu'on  ait  jamais  réunis  dans 
une  toile.  Tout  un  rayon  â  treize;  un  Eros  en  cire,  aux  contours  som- 
maires, à  la  figure  â  peine  modelée,  et  autour  de  lui  un  amoncellement 
de  jouets  économiques  qui  semblent  dépendus  des  branches  d'un  arbre 
de  Noël.  Le  coloris  reste  fin  et  nuancé  :  l'effet  général  est  irrésistible- 
ment comique. 

On  pourrait  dire  de  M.  Maurice  Desvallières,  d'ailleurs  excellent  artiste 
et  brillamment  doué,  qu'il  est  un  peintre  collectif  malgré  sa  personna- 
lité très  réelle.  Il  résume  dans  ses  envois  non  seulement  son  mailre 
Gustave  Morcau,  mais  Burne-Jones  et  bien  d'autres  peintres  pénétrés 
d'inquiétudes  aussi  littéraires  qu'esthétiques.  Il  fait  songer  à  la  formule 
de  Rembrandt  :  «  il  m'est  impossible  de  peindre  sans  penser  »  ;  il  a  une 
foule  de  pensées  de  derrière  la  tête  et  de  par  delà  le  tableau;  il  aie 
goût  des  mystérieuses  figures  au  sourire  de  Sulamites,  des  beautés  aux 
lèvres  sanglantes,  aux  yeux  glauques,  aux  altitudes  hiératiques,  aux 
formes  précisées  çà  et  là  par  quelques  scintillements  de  pierres  pré- 
cieuses :  il  est  mythique,  érudil,  lyrique  et  parfois  laborieux.  A  la  com- 
position non  sans  mérite  mais  sans  clarté  où  il  a  groupé  des  jeunes  filles, 
des  esclaves  et  une  sorte  de  sultan  ennuyé  assisté  d'un  bourreau  cou- 
peur de  tètes,  on  préférera  les  toiles  délicatement  formulées  qu'il  intitule 
Flore,  Narcissv  et  Fleurs  de  ruines.  Autant  d'admirables  visions  d'art  où 
s'affirme  la  maîtrise  d'un  peintre  qui  serait  en  même  temps  un  poète 
et  qui,  pour  nous  arrêter,  n'ont  aucun  besoin  de  la  fatigante  sollicita- 
tion du  rébus. 

J'arrive  à  l'œuvre  si  personnelle,  mais  si  disculée  et  si  discutable,  que 
M.  Albert  Besnard  intitule    Féerie  intime  —  variation  brillante  mais 


LE  MÉNESTREL 


i33 


inattendue  du  «  Spectacle  dans  un  fauteuil  »  d'Alfred  de  Musset.  Est-ce 
à  elle-même,  est-ce  à  un  groupe  de  privilégiés  ou  à  un  seul  esthète  élu 
entre  les  élus  que  l'héroine  de  cette  petite  débauche  lumineuse  offre 
cette  féerie  intime?  On  ne  le  sait  pas,  on  ne  le  saura  jamais.  En  tous 
cas,  voici  la  scène.  Au  milieu  d'une  pièce  sombre  où  luisent  le  long  des 
murailles  de  vagues  éclairs  de  dorures,  où  les  glaces,  moins  vues  que 
devinées,  piquent  des  notes  aiguës,  un  fauteuil  fort  large  sur  le  dossier 
duquel  a  été  jeté  en  un  désordre  pittoresque  un  grand  manteau  de  den- 
telle aux  paillettes  d'argent,  tout  à  fait  à  la  dernière  mode.  Dans  ce 
fauteuil  et  sur  ce  manteau  s'est  pelotonnée  une  personne  grassouillette 
dont  un  audacieux  raccourci  développe,  si  j'ose  ainsi  parler,  la  surface 
charnelle  et  met  l'épanouissement  en  plein  relief.  C'est  sur  cet  épa- 
nouissement nacré,  dont  le  glacis  rappelle  les  nymphes  de  Henner, 
que  le  peintre  a  concentré  toute  sa  virtuosité;  l'épiderme  du  modèle 
miroite,  scintille,  éclaire,  en  s'harmonisant  avec  les  irisations  dilfuses 
du  manteau.  Pyrotechnie,  ruggiérisme,  feu  d'artifice  en  chambre  :  en 
somme,  une  composition  aussi  troublante  qu'attirante,  où  l'on  retrouve 
les  rares  qualités  avec  quelques-uns  des  défauts  de  M.  Besnard,  peintre 
exquis  et  coloriste  outrancier. 

A  titre  de  contraste,  et  aussi  pour  rendre  Justice  à  un  ensemble  déco- 
ratif de  l'aspect  le  plus  émouvant,  je  signalerai,  aux  dessins,  les  cartons 
des  peintures  exécutées  par  M.  Albert  Besnard  pour  la  «  chapelle  dos 
redressés»  dans  l'église  de  Berck-sur-Mer.  C'est  en  quelque  sorte  un 
ex-voto,  le  témoignage  de  reconnaissance  d'un  père  dont  l'enfant  a 
retrouvé  la  santé  sur  la  plage  de  Berck  et  qui  a  voulu  glorifier  en  quel- 
ques strophes  picturales  le  Christ  des  déshérités.  Voici  la  légende  de  ce 
poème  d'angoisse,  d'une  profonde  et  poignante  émotivité  :  «  Huit  com- 
positions :  le  Christ  en  croix  accompagne  l'humanité  souffrante;  la  dou- 
leur et  les  péchés  le  crucifient.  Résurrectionné,  il  est  présent  et  parti- 
cipe aux  œuvres  de  la  science  et  de  la  charité;  l'humanité  fraternelle, 
heureuse  et  inconsciente,  est  la  véritable  résurrection.  »  L'idée  générale 
ressort  plus  clairement  de  l'exécution  des  cartons  que  de  l'explication 
écrite.  En  fait,  M.  Albert  Besnard  a  voulu  nous  montrer  le  divin  Maitre 
mêlé  et  présent  à  toutes  les  souffrances  de  l'humanité  : 

Vous  qui  pleurez,  venez  à  ce  Dieu,  car  il  pleure. 
Vous  qui  soulTrez,  venez  à  lui,  car  il  guérit... 

L'enfant  qui  naît  à  une  vie  de  souffrances  voué  par  le  père  à  l'éternel 
Crucifié;  le  Christ,  sur  son  gibet,  dominant  la  table  d'opération  où  les 
chirurgiens  sondent  et  dissèquent  la  pauvre  chair  palpitante;  l'éphèbe 
moribond,  pour  qui  la  mère  s'adresse  au  Dieu  de  bonté,  implore  la  faveur 
d'un  miracle,  voilà  les  scènes  principales  de  cette  suite  remarquable; 
il  lui  manque  encore  le  prestige  de  la  couleur,  mais  elle  s'impose  par 
l'entente  de  la  composition,  le  sentiment  de  la  vérité,  la  distribution  de 
l'effet. 

Autre  série,  d'un  caractère  moins  âpre  mais  d'un  beau  style,  la 
suite  des  illustrations  de  M.  James  Tissot  pour  l'Ancien  Testament.  La 
centaine  de  dessins  qui  occupent  deux  salles  réservées,  F  et  G,  et  qui 
comportent  un  catalogue  spécial,  offre  un  intérêt  particulier,  celui 
d'une  restitution  patiente  et  minutieuse.  A  défaut  des  qualités  lyriques 
que  possèdent  la  plupart  de  nos  néo-mystiques,  M.  James  Tissot  a  la 
conscience  et  l'érudition.  Il  dépouille  l'Écriture  sainte  de  toute  conven- 
tion légendaire  et  rend  aux  grandes  scènes  bibliques  non  seulement 
leur  décor  panoramique  immuable,  mais  les  costumes  et  les  accessoires, 
nécessairement  plus  problématiques.  Il  est,  ou  il  croit  être  documenté, 
non  seulement  sur  le  père  Noé,  sur  Jacob,  sur  Joseph,  mais  aussi  sur 
le  Paradis  perdu  et  sur  ses  hôtes.  Il  a  vu  Adam,  Eve  et  leur  perfide 
tentateur  le  Serpent;  peu  s'en  faut  qu'il  n'ait  analysé  la  saveur  de  la 
pomme.  De  là  une  collection  d'images  nettement  précisées,  œuvres  plus 
instructives  qu'édifiantes,  où  fusionnent  l'orientalisme  et  l'archéologie. 
L'ensemble  ne  va  pas  sans  quelque  maniérisme  systématique  et  quelque 
fatigue  pour  le  spectateur,  mais,  prise  isolément,  chacune  de  ces  aqua- 
relles vaut  la  belle  suite  de  l'Evangile  admirée  au  rez-de-chaussée  du 
Palais  des  Arts  libéraux. 

Les  fantaisistes  décorateurs  sont  en  nombre  au  Salon  desBeau.x-Arts. 
Ils  y  forment  un  petit  groupe  bigarré  et  diapré.  M.  de  la  Touche  y 
occupe  une  des  premières  places,  avec  les  cinq  tableaux  où  il  évoque,  à 
l'aide  du  coloris  le  plus  rutilant,  tantôt  l'Or  du  Rhin,  tantôt  la  population 
aux  loques  ensoleillées  d'une  rue  de  Marseille.  Il  y  a  là  des  jaunes,  des 
verts,  des  rouges  de  feu  de  Bengale  qui  surprennent  par  leur  intensité, 
sans  déplaire.  M.  de  la  Touche  ne  se  montre  pas  pyrotechnicien  moins 
fougueux  dans  sa  très  curieuse  suite  de  dessins.  Vous  y  verrez  tour  à 
tour  Puvis  de  Chavannes  et  le  Baiser  de  Judas,  Hamlet  et  le  cinquième 
acte  de  Louise,  Rodin  et  le  Versailles  miraculeusement  doré  de  la  fin  de 
saison  ou  merveilleusement  argenté  des  soirs  de  clair  de  lune,  Venise 
et  Marseille,  une  vision  antique  et  une  moderne  sortie  de  bal.  Album 
un  peu  mêlé,  mais  dont  aucun  feuillet  n'est  négligeable  et  qui  repose, 


-par  ses  outrances  mêmes,  par  son  allégresse  éclatante,  des  banalités  et 
des  sécheresses  de  ce  que  je  définirais  volontiers  la  notation  rosse. 

M.  Jean  Veber  reste  le  peintre  des  héroïnes  de  légende,  des  princesses 
vêtues  de  robes  de  soleil  et  de  lune,  des  défilés  tintamarresques.  des 
buveurs  à  la  Téniers  —  et  à  la  Daumier  —  aux  bedaines  d'outrés,  aux 
trognes  enluminées.  Il  a  mis  un  peu  de  tout  cela  dans  ses  envois  de 
cette  année  ;  il  a  même  ajouté  une  intention  symbolique  au  plus 
caractérisé  de  ces  tableautins  :  la  princesse  Joliemine  :  comprenez  la 
reine  'Wilhelmine.  Pendant  qu'au  fond  de  la  toile  passent  des  lueurs 
d'incendie  et  se  découpent  des  silhouettes  de  fantoches  sanguinaires,  le 
président  Kruger,sous  les  espèces  et  apparences  d'un  géant  barbu,  baise 
la  main  de  la  toute  mignonne  princesse,  un  petit  Saxe  rosé  d'un  rayon 
d'aurore,  dont  chaque  pas  fait  êclore  des  tulipes  et  que  suit  un  lion  de 
formidable  encolure.  L'exécution  est  délicate  et  fine,  traitée  en  fabliau, 
sans  àpreté  de  polémique.  On  ne  Irouvera  pas  moins  de  charme  fantai- 
siste et  goguenard  dans  le  Voyaqe  de  Barbouillote,  le  Récit,  les  Buveurs; 
mais  l'œuvre  maîtresse  pourrait  bien  être  Madame  l'oie.  Cette  Madame 
Oie  est  un  admirable  symbole  de  bêtise  et  de  lourdeur,  un  animal 
magnifique  et  chamarré  qu'un  cortège  pompeux  promène  triomphale- 
ment à  travers  la  ville.  Sur  le  chemin  de  l'idole  la  foule  se  prosterne  ; 
les  balcons  et  les  toits  sont  noirs  de  spectateurs.  On  ne  saurait  donner 
avec  plus  d'humour  une  forme  tangible  à  la  morne  stupidité  des  entraî- 
nements populaires. 

M.  Métivet  a  peint  un  Retour  de  Cythère  qui  est  la  contre-partie  mélo- 
dramatique du  rêve  de  Watteau.  Tous  ces  revenants  ou  tous  ces 
revenus  sont  des  victimes  d'Éros,  des  damnés  de  la  passion;  ceux-ci, 
attachés  à  la  même  corde,  se  disputent  et  se  meurtrissent;  ceux-là 
manient  le  poignard  ou  le  revolver;  d'autres  ont  l'agitation  de  la  neu- 
rasthénie ou  le  regard  fixe  du  gâtisme.  Et  voilà  bien  des  éclopés  pour 
un  seul  tableau!  Plus  reposants,  les  envois  de  M.  'Willette,  encore 
qu'on  y  trouve  une  Assomption  de  Marie-Antoinette,  tête  coupée  au- 
tour de  laquelle  voltigent  de  petits  amours  dont  le  dernier  arbore  le 
bonnet  rouge,  d'une  ironie  inutile  et  troublante.  J'aime  mieux  Bébé 
bourreau,  une  fillette  serrant  à  pleins  bras  un  chat  qu'elle  veut  à  toute 
force  plonger  dans  une  cuvette,  l'allégorie  assez  gracieuse  :  la  France 
désarmée  sera  encore  la  plus  belle,  qui  serait  plus  justement  intitulée  la 
toilette  de  Clorinde,  et  surtout  les  panneaux  des  quatre  saisons,  d'une 
joliesse  montmartraise.  Ces  petites  toiles  fourmillent  d'aimables  détails; 
la  verve  gamine  de  Willette  s'y  donne  libre  carrière.  Quel  dommage 
qu'étant  si  bon  dessinateur  et  notateur  si  personnel,  'Willette  se  cou- 
tente  d'un  coloris  superficiel,  et  qu'il  pastellise  quand  il  devrait 
peindre  1 

Y/1  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Je  ne  saurais,  à  propos  de  sa  nouvelle  exécution  au  Conservatoire,  eiilrer 
dans  de  nouveaux  détails  sur  la  Messe  en  ré  Je  Beethoven.  Cette  œuvre 
colossale,  si  puissante  et  si  émouvante,  a  été  ici-même  l'objet  d'une  analysa 
très  complète,  qu'il  serait  superflu  de  vouloir  recommencer.  Je  me  conten- 
terai d'exprimer  une  fois  de  plus  à  son  sujet  toute  mon  admiration  et  de 
constater  la  très  haute  valeur  de  son  exécution  de  la  part  de  tous  :  l'orchestro, 
toujours  égal  à  lui-même  et  dont  l'ensemble  était  superbe:  les  chœurs,  pleins 
de  vaillance,  sans  aucune  hésitation,  sans  une  faiblesse,  en  dépit  de  la  fatigue 
et  de  la  difficulté  de  leur  tache  (oh!  ces  infortunés  sopranU);  les  solistes 
enfin,  W^"  Eléonore  Blanc,  dont  le  talent  déjà  si  sûr  semble  grandir  chaque 
jour,  M"=  Dorigny,  puis  MU.  Emile  Gazeneuve  et  Paul  Daraux,  excellents  et 
solides  tous  les  deux,  sans  oublier  M.  Edouard  Nadaud,  chargé  du  solo  de 
violon  du  Benedictus.  En  fait,  l'exécution  générale  a  été  superbe,  et  certaines 
pages,  comme  le  Gloria,  dont  la  puissance  et  l'éclat  sont  si  merveilleux,  ont 
produit  fimpression  la  plus  profonde.  L'interprétation  était  digne  du  grand 
nom  de  Beethoven  et  de  son  incomparable  chef-d'œuvre.  Le  programme  se 
complétait  par  la  belle  symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns.  Le  voi- 
sinage eût  été  dangereux  pour  toute  autre  œuvre;  celle-ci  est  si  noble,  si 
pure  de  lignes,  d'une  ordonnance  si  pleine  d'ampleur,  qu'elle  n'en  a  point 
souffert.  Elle  a  même  été  l'occasion  et  le  prétexte  d'une  manifestation  comme 
j'en  ai  vu  bien  rarement  au  Conservatoire,  où  de  sa  nature  le  public,  on  le 
sait,  est  assez  guindé.  La  première  partie  de  la  symphonie  était  à  peiae  ter- 
minée que  des  applaudissements  vigoureux  éclataient  de  toutes  parts,  et  se 
continuaient  avec  une  telle  persistance  que  toute  une  partie  de  la  salle  se 
demandait  ce  que  cela  voulait  dire,  d'autant  qu'à  ces  applaudissements 
venaient  bientôt  se  joindre  de  vives  et  bruyantes  acclamations.  C'est  qu'ua 
certain  nombre  de  spectateurs  avaient  aperçu,  en  quelque  sorte  blotti  dans 
l'angle  d'une  première  loge,  la  personne  même  de  M.  Saint-Saëns,  se  dissi- 
mulant de  son  mieux  aux  regards.  Mais  il  n'y  eut  pas  moyen  de  résister,  et 
les  acclamations  et  les  bravos  ne  voulant  décidément  pas  cesser,  force  fut 
au  compositeur  de  se  lever  et  de  saluer  l'assistance.  Et  ce  n'était  pas  fini.  Le 
concert  terminé,  une  grande  partie  des  spectateurs  se  massa  au  pied  du  grand 


13i 


LE  MENESTREL 


escalier,  et  quand  M.  Saint-Saëns  parut,  ce  fut  une  nouvelle  ovation  mélangée  . 
de  cris  et  de  bravos,  toutes  les  têtes  se  découvrant  et  toutes  les  mains  se 
tendant  vers  lui,  et  la  foule  lui  faisant  escorte  jusqu'à  la  sortie.  «  Bah!  me 
dit  alors  un  ami,  comment"?  il  y  a  donc  encore  de  l'enthousiasme  en  France'? 
et  pour  un  musicien  français"?  Qu'en  vont  dire  les  petits  messieurs,  faiseurs 
de  petite  musique  ou  de  petite  critique,  qui  ne  cessent  d'éreinter  celui-là  et 
quelques  autres  avec?  Voilà  la  vo.r  populi  qui  les  juge  indirectement,  et  dont 
ils  feront  peut-être  bien  de  reteuir  les  accents.  »  .T'en  accepte  l'augure. 

A.  P. 

—  La  sixième  séance  des  «  grands  concerts  symphoniques  de  Paris  », 
dirigée  par  un  chef  d'orchestre  français,  était  entièrement  consacrée  à  des 
œuvres  d'artistes  français.  Elle  a  pris,  pour  cette  double  raison,  une  tout 
autre  allure  que  les  précédentes,  et  je  crois  bien  que  le  public  n'a  pas  songé 
à  s'en  plaindre.  Il  l'a  prouvé  d'ailleurs  par  l'accueil  qu'il  a  tait  aux  œuvres  et 
à  celui  qui  eu  dirigeait  l'exécution.  M.  Messager  a  été  salué  par  d'énergiques 
applaudissements  lorsqu'il  est  venu  prendre  place  au  pupitre.  Le  programme 
qu'il  avait  formé,  uniquement  composé  d'ieuvres  contemporaines,  sinon  de 
musiciens  vivants,  était  très  éclectique  :  les  Éclides  de  César  Franck,  qu'on 
a  bissées,  y  coudoyaient  la  troisième  Valse  romantique  de  Chabrier,  si  joli- 
ment instrumentée  par  M.  Félix  Moltl:  les  Scènes  hongroises  de  M.  Massenet, 
d'une  si  belle  venue  et  d'une  orchestration  si  colorée,  applaudies  avec  vigueur, 
y  voisinaient  avec  l'Après-midi  d'un  faune  de  M.  Claude  Dehussy;  puis  c'était 
le  superbe  Phaéton  de  M.  Saint-Saéns,  les  fragments  de  Péléas  et  Mélisande 
de  M.  Gabriel  Fauré  (dont  l'un,  les  Pileuses,  a  été  bissé),  la  dramatique  Mort  de 
Wallenstein  de  M.Vincent  d  Indy,  le  prélude  du  -i'-'  acte  de  Messidor,  de  M.  Al- 
fred Bruneau,  le  tout  terminé  par  une  page  étincelante,  la  Napali  des  Impres- 
sions d'Italie  de  M.  Gustave  Charpentier,  dont  le  succès  a  été  complet.  En 
résumé,  séance  très  curieuse,  très  vivante,  et  dont  le  public  s'est  montré  très 
satisfait. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

La  nouvelle  loi  sur  «  le  droit  d'auteur  »  que  le  Reichstag  allemand  dis- 
cute actuellement  intéresse  particulièrement  les  compositeurs  de  musique. 
Le  Reichstag  a  décidé  que  dorénavant  l'auteur  d'une  composition  musicale  aura 
le  droit  exclusif  et  absolu  de  faire  exécuter  son  œuvre  et  qu'il  ne  sera  nulle- 
ment obligé  pour  cela  de  se  réserver  ce  droit  par  une  note  expresse  imprimée 
sur  le  titre.  Cet  article  a  été  l'objet  d'uae  lutte  très  vive  dans  laquelle  le 
commissaire  du  gouvernement  a  fait  ressortir  avec  beaucoup  d'à-propos  que 
le  célèbre  compositeur  de  lieder,  Robert  Franz,  a  vécu  dans  une  grande  pau- 
vreté, taudis  que  ses  trois  cents  lieder  rapportaient  des  somaiea  énormes  aux 
chanteurs  et  entrepreneurs  de  concerts.  Une  exception  a  cependant  été  faite 
pour  les  orphéons,  qui  pourront,  comme  par  le  passé,  exécuter  toutes  les 
compositions  musicales  qui  leur  plairont  sans  acquitter  aucun  droit  d'auteur. 
On  sait  quelle  large  place  les  orphéons  occupent  dans  la  vie  allemande  et 
on  comprend  que  la  législation  n'ait  pas  osé  les  soumettre  à  la  règle  générale. 
—  Le  Reichstag  a  d'ailleurs  décrété  encore  une  autre  exception  en  autorisant 
les  compositeurs  à  mettre  en  musique  des  fragments  de  grandes  pièces  de 
vers  et  aussi  toutes  petites  poésies  qui  leur  plairont  sans  se  soucier  autrement 
du  poète.  —  Le  Reichstag  autorise  ensuite  l'usage  éhonté  que  les  fabricants 
d'orgues  de  Barbarie  et  autres  instruments  aussi  barbares  font  actuellement 
des  compositions  musicales,  mais  il  interdit  les  mêmes  licences  quand  l'ins- 
trument mécanique  peut  reproduire  l'œuvre  musicale  dans  sa  puissance,  ses 
nuances  et  son  mouvement  (Zeitmaass),  à  l'instar  d'une  exécution  personnelle 
comme  le  Pianota,  par  exemple.  Voilà  un  article  de  la  loi  qui  va  faire  les 
affaires  de  la  basoche,  car  il  y  a  là  une  question  de  fait  qui  sera  des  plus 
difficiles  à  résoudre.  Un  orateur,  le  célèbre  poète  Traeger,  a  fort  habilement 
fait  ressortir  que  les  cartons  perforés  des  instruments  mécaniques  étaient 
absolument  de  même  nature  et  de  même  but  que  le  papier  imprimé  des 
éditions  de  musique  et  qu'il  était  absurde  d'autoriser  la  mauvaise  reproduc- 
tion mécanique  d'une  composition  tandis  qu'on  en  défendait  l'exécution  par- 
faite. Mais  le  siège  du  gouvernement  et  de  la  majorité  avait  été  fait  par  les 
fabricants  d'instruments  mécaniques  et  le  Reichstag  a  adopté  la  loi  inique 
en  rejetant  la  proposition  contraire  de  sa  propre  commission.  —  Un  vif  débat 
s'est  enfin  eng.igé  autour  de  l'article  tendant  à  prolonger  à  cinquante  ans  la 
durée  des  droits  des  compositeurs,  actuellement  limitée  à  trente  années.  Le 
rapporteur  de  la  commission  a  combattu  pour  cette  extension  de  la  durée  des 
droits;  le  commissaire  du  gouvernement  a  solennellement  déclaré  eutre  temps 
que  la  famille  du  maître  de  Bayreuth  n'avait  fait  aucune  démarche  près  du 
ministère  et  que  la  plaisanterie  des  journaux  qui  parlaient  d'une  lex 
Cosima  n'avait  aucun  fondement.  Mais  le  député  socialiste  Richter  s'est  élevé 
contre  le  projet;  un  autre  a  déclaré  qu'il  ne  voyait  aucun  motif  pour  donner 
à  la  famille  "Wagner  encore  quelques  millions  et  pour  priver  la  nation  alle- 
mande de  Parsifat  jusqu'en  1933.  Une  grande  majorité  a  voté  alors  contre  le 
projet  du  gouvernement.  La  durée  du  droit  d'auteur  pendant  trente  années 
seulement  est  donc  maintenue  en  Allemagne,  et  Parsifai  pourra  être  représenté 
partout  dès  le  23  mai  1913. 

—  La  décision  du  Reichstag,  iixantà  trente  ans  la  durée  du  droit  d'auteur  a 
provoqué  beaucoup  de  commentaires  dans  la  presse  allemande.  Il  parait  que 
plasieurs  députés  auraient  l'inteutiou  de  remettre  la  question  sur  le  tapis  à 


l'occasion  de  la  troisième  lecture  du  projet  de  loi,  ce  qui  serait  d'ailleurs  con- 
traire aux  usages  parlementaires.  Le  Freisinnige  Zeitung  dit  que  M.  Louis 
Strecker.  chef  de  la  maison  Schottde  Mayence,  avait  pris  part  à  l'élaboration 
du  projet  de  loi  au  ministère  de  la  justice  et  qu'il  avait  insisté  sur  la  néces- 
sité de  porter  à  cinquante  ans  la  durée  de  ces  droits  d'auteurs.  Or,  la  mai- 
sou  Schott  étant  l'éditeur  principal  des  œuvres  de  Richard  "Wagner,  les 
journaux  n'avaient  donc  pas  tort  d'atïubler  la  nouvelle  loi  en  projet  du  titre 
de  lex  Cosima.  Ce  même  journal  raconte  que  le  gouvernement  bavarois  défen- 
dait aussi  la  même  cause  dans  l'intérêt  de  la  ville  de  Bayreuth.  La  lex 
Cosima  a.  en  général,  une  mauvaise  presse;  presque  tous  les  grands  journaux 
allemands  désirent  que  les  œuvres  de  Wagner  tombent  en  1013  dans  le 
domaine  public.  Cela  serait,  d'après  leur  manière  de  voir,  d'un  véritable 
intérêt  national.  Il  ne  s'agit  cependant  en  l'espèce  que  des  Fées  et  de  Parsifal, 
puisque  toutes  les  autres  œuvres  de  Wagner  sont  déjà  jouées  partout  en 
Allemagne.  D'autre  part,  les  journaux  allemands  nous  semblent  oublier  un 
peu  l'intérêt  des  auteurs  musiciens,  qui  est  cependant  respectable  tout  autant 
que  n'importe  quel  autre.  Quand  donc  s'habituera-t-on  à  considérer  la  pro- 
priété artistique  comme  toute  autre  propriété  ?  A  ce  titre,  nous  ne  saurions 
trop  approuver  toutes  les  extensions  qu'on  voudra  lui  donner.  Et  il  nous 
semble  encore  qu'on  veut  trop  faire  de  tout  ceci  une  question  regardant 
exclusivement  les  œuvres  de  Wagner.  Il  est  cependant  d'autres  compositeurs, 
et  la  mesure  serait  d'intérêt  général  pour  toute  la  gent  artistique. 

—  Un  jeune  compositeur  suisse,  M.  Frédéric  Niggli,  a  donné  à  Berlin  un 
concert  consacré  à  l'audition  de  ses  œuvres.  Le  programme  comprenait  une 
sonate  pour  piano  et  violon,  une  autre  sonate  pour  piano  et  violoncelle,  plu- 
sieurs romances,  dont  une  sérénade  sur  des  vers  de  LThIand,  deux  fantaisies 
et  un  thème  varié  pour  piano.  Tout  cela  a  été  très  favorablement  accueilli, 
notamment  la  sonate  piano  et  violon,  qui  est,  dit-on,  une  œuvre  fort  remar- 
quable. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne,  50  avril  :  o  Les  représentations  que  la  haute 
noblesse  de  Vienne  organise  au  petit  théâtre  du  château  impérial  de  Schœn- 
brunn  au  prolit  de  quelques  œuvres  de  bienfaisance  ont  commencé.  Mais 
comme  le  kronprinz  d'Allemagne  devait  quitter  Vienne  avant  la  première, 
une  répétition  générale  a  été  donnée  dès  la  semaine  passée  en  sa  présence. 
Lî  petit  théâtre,  construit  sous  Louis  XV,  ne  contient  que  quatre  cents  places, 
mais  c'est  un  véritable  bijou  d'architecture  et  de  décoration.  L'aigle  d'Au- 
triche surmonte  la  scène;  en  face  se  trouvent  deux  aigles  françaises  que 
Napoléon  I"  lit  placer  sur  la  loge  impériale  au  centre  de  la  salle  en  1809  et 
que  son  beau-père,  l'empereur  François  P'',  n'a  pas  voulu  enlever.  Une 
fresque  fort  belle  orne  le  plafond;  cinq  lustres  en  cristal  de  roche,  dont  cha- 
cun ferait  la  joie  des  grands  collectionneurs  parisiens,  et  qui  portent  aujour- 
d'hui des  lampes  électriques,  éclairent  la  salle  a  giorno.  On  a  joué  le  Domino 
noir,  d'Auber,  avec  la  distribution  aristocratique  que  le  .Ménestrel  a  déjà  indi- 
quée, et  on  a  intercalé  dans  la  scène  du  bal  masqué  au  premier  acte  le  diver- 
tissement de  la  Cendritlon  de  Massenet.  M.  Stoll  a  fort  bien  conduit  l'orchestre; 
M.  Godlewski,  de  l'Opéra  impérial,  avait  préparé  une  admirable  mise  en 
scène  et  une  exécution  brillante  du  divertissement.  Ce  n'était  pas  chose  facile, 
car  les  exécutants  appartenaient  presque  tous  à  ces  illustres  familles  dont  le 
nom  ûgure  dans  la  partie  de  l'almanach  de  Gotha  réservée  aux  familles 
autrefois  souveraines  et  qui  ont  été  médiatisées  lors  de  la  dissolution  du 
Saint-Empire.  La  liste  de  ces  seigneurs  et  nobles  dames  est  si  longue  que 
nous  ne  pouvons  citer  toute  la  distribution.  Disons  cependant  qu'on  voyait 
parmi  les  exécutants  des  jeunes  princes  et  princesses  portant  les  noms  de 
Liechtenstein,  Schwarzenberg,  Croy,  Furstenberg,  Hohenlohe,  Auersperg, 
Tour-et-Taxis,  Montenuovo  (Neipperg)  et  Windisch-Graetz.  Voilà  un  corps 
de  ballet  peu  banal.  Le  kronprinz  d'Allemagne  a  donné  le  signal  des  applau- 
dissements après  le  divertissement  et  exprimé  à  l'archiduchesse  Isabelle,  sa 
voisine  dans  la  loge  impériale,  le  grand  plaisir  que  lui  avaient  causé  la  musi- 
que, confiée  aux  meilleurs  musiciens  de  l'Opéra  impérial,  et  la  "virtuosité  des 
danseurs  et  danseuses  improvisés.  Malgré  le  prix  exorbitant  des  places,  le 
comité  a  été  véritablement  assailli  de  demandes;  on  donnera  donc  cette 
semaine  encore  trois  représentations,  dont  une  en  matinée.  » 

—  Les  manuscrits  de  Schubert  trouvés  à  Vienne  dans  la  succession  de 
l'ancien  conseiller  .Jean  Wissiagg,  et  dont  nous  avons  parlé  dernièrement, 
viennent  d'être  examinés  par  des  experts,  et  leur  authenticité  ne  fait  pas 
l'ombre  d'un  doute.  L'un  des  cahiers  n'est  autre  qu'un  autographe  de  la  pre- 
mière partie  du  quatuor  à  cordes  qui  contient  des  variations  sur  la  mélodie  te 
Mort  de  la  jeune  tu  e ;  sur  l'enveloppe  Schubert  a  écrit  le  titre  :  «  ()«arte((o  (sici) 
pour  deux  violons,  alto  et  violonclle.  Franz  Schubert,  mars  1824.  b  M.  Wissiagg 
a  ajouté  une  note  pour  constater  que  le  demi-frère  du  compositeur,  André 
Schubert,  a  reconnu  en  186"2  l'authenticité  de  ce  manuscrit.  Un  autre  cahier 
contient  en  seize  pages  un  fragment  d'un  quatuor  à  cordes  dont  l'identité  n'a 
pu  être  encore  reconstituée  et  qui  paraît  être  inédit.  La  succession  comporte 
d'ailleurs  une  quantité  énorme  de  manuscrits,  livres  et  paperasses  qu'on  est 
en  train  de  classer;  on  y  retrouvera  peut-être  les  trois  autres  parties  du 
quatuor  qui  manquent  encore.  La  petite  ville  de  Radkershurg,  en  Styrie, 
hérite  de  toute  la  succession;  il  faut  espérer  qu'elle  mettra  en  vente  les  auto- 
graphes de  Schubert,  qui,  autrement,  seraient  perdus  et  inutiles. 

—  Le  sculpteur  Johannes  Benk  vient  de  terminer  da  maquette  du  monu- 
ment de  Johann  Strauss.  Comme  soubassement,  un  rocher  sur  lequel  s'élève 
une  ravissante  ligure  de  fem  ne  aux  vêtements  flottants,  des  roseaux  dans  les 
cheveux  dénoués,  le  bras  gauche  appuyé  sur  une  urne  inclinée  d'où   l'eau 


LE  MENESTREL 


435 


coule,  et  la  main  droite  placée  sur  les  cordes  d'une  harpe.  Poétique  person- 
niCcation  de  la  nymphe  du  Daiiuhe,  allégorie  au  titre  d  une  des  plus  belles 
valses  du  compositeur  :  ^  Le  Beau  Danube  bleu.  »  Quatre  «  putti  »  en  relief, 
l'un  avec  son  violon,  l'autre  chantant,  les  deux  autres  dansant  en  cercle.  Puis, 
au-dessus,  un  merveilleux  portrait  de  Strauss  dans  un  médaillon.  Le  monu- 
ment sera  exécuté  tout  en  marbre  et   doit  être  terminé  au  mois  d'octobre 


—  A  Vienne,  pendant  la  semaine  sainte,  les  théâtres  impériaux  restent 
fermés  jusqu'au  lundi  de  Pâques  et  les  artistes  ont  l'habitude  d'aller  se  reposer 
à  la  campagne  pendant  ces  dix  jours,  s'ils  ne  vont  pas  jouer  en  province.  Les 
directeurs  profitent  de  cette  trêve  de  Dieu  pour  procéder  au  grand  nettoyage 
de  leurs  théâtres.  C'est  ainsi  que  le  directeur  du  Burgthéàtre,  M.  Schlenther, 
a  entrepris  pendant  cette  période  la  réfection  du  «  trou  »  du  souflleur,  et 
il  a  fait  poser  sur  le  pupitre  une  plaque  rie  verre  entourée  d'un  beau  cadre 
sur  lequel  se  trouve  gravé  en  caractères  gothiques  le  vers  de  Gœthe  : 

Avec  quelques  murmures,  je  le  sais,  c'est  fait! 

(Faust,  II.) 

Le  souflleur,  en  homme  avisé,  comprit  et,  modérant  son  souffle  puissant, 
ne  produisit  plus  pendant  quelques  soirées  que  les  «  murmures  »  désirés  par 
son  directeur.  Mais  le  Burgthéàtre  compte  parmi  son  personnel  une  vieille 
garde  d'artistes  inamovibles,  grands  favoris  du  public,  dont  Toreille,  déjà 
dure,  n'entendait  rien  des  murmures  du  souflleur.  Aussi,  dans  la  soirée  du 
dimanche  de  Quasimodo,  celui-ci  trouva-t-il  collée  sur  le  vers  de  Gœthe  une 
bande  de  papier  avec  une  autre  inscription  imprimée  en  grands  caractères 
rouges.  C'était  un  vers  de  Schiller  : 

Soufflez,  soufflez  !  Ah,  si  vous  aviez  des  clairons  suédois  ! 

SWaltenstein,  II.) 

Dès  le  premier  entr'acte,  le  souffleur  avertit  aussitôt  le  directeur  de  ce 
méfait:  M.  Schlenther  se  rendit  sur  les  lieux  et  fit  immédiatement  enlever 
levers  de  Schiller.  L'aventure  a  défrayé  pendant  toute  une  semaine  les  salons 
et  les  cafés  littéraires  de  la  capitale  autrichienne. 

—  La  débâcle  du  théâtre  An  der  Wien,  à  Vienne,  qui  est  toujours  fer- 
mé, a  provoqué  des  négociations  entre  les  propriétaires  de  l'immeuble  et 
le  comité  institué  pour  la  fondation  d'un  Opéra  populaire.  Elles  sont  en 
bonne  voie  et  tout  fait  espérer  qu'elles  aboutiront.  En  ce  cas,  le  théâtre  qui 
fut  dirigé  d'abord  par  Schikaneder,  le  librettiste  de  Mozart,  et  qui  eut  alors 
la  primeur  de  la  Flûte  enchantée,  serait  rendu  à  ses  premières  destinées. 
Souhaitons  qu'il  retrouve  un  nouveau  Mozart;  les  Schikaneder  ne  lui  man- 
queront pas. 

—  Les  journaux  allemands  célèbrent  le  25=  anniversaire  de  l'inauguration 
du  théâtre  de  Bayreuth.  On  se  rappelle  qu'on  y  a  joué  en  1876  l'Anneau  du 
Nibeluncj  et  que  le  théâtre  est  ensuite  resté  fermé  jusqu'en  1882,  époque  à 
laquelle  Wagner  fit  représenter  Parsifal.  Après  sa  mort,  en  1883,  M"'=  Cosiraa 
Wagner  prit  la  direction  des  festspiete  de  Bayreuth,  dont  l'existence  était  désor- 
mais assurée.  On  donna  encore  en  1884  et  1883  Parsifal;  en  1886  M™»  Wagner 
se  mit  à  jouer  aussi  les  autres  œuvres  de  son  mari  :  Tristan  et  Yseull,  les 
Maîtres  chanteurs,  Tannhduser  et  Lohengrin.  En  1896,  pour  la  première  fois,  le 
cycle  entier  de  l'Anneau  du  Nibelung  se  déroula  sous  les  yeux  des  fidèles. 

—  Voici,  d'autre  part,  les  dates  définitives  des  représentations  qui  seront 
données,  cet  été,  aux  Festspiele  de  Bayreuth  :  22  juillet,  le  Vaisseau  fantôme  ; 
23  juillet,  Parsifal;  2b,  26, 27  et  28  juillet,  première  représentation  de  Z'^nneau; 
31  juillet,  Parsifal  ;  1"  et  4  août,  le  Vaisseau  fantôme  ;  5,  7,  8  et  11  août,  Par- 
sifal ;  12  août,  le  Vaisseau  fantôme;  14,  IS,  16  et  17  août,  deuxième  représen- 
tation de  t Anneau;  19 août,  le  Vaisseau  fantôme;  20  août,  Parsifal. 

—  Liste  d'œuvres  lyriques  françaises  jouées  de  l'autre  côté  du  Rhin  pen- 
dant les  dernières  semaines  de  la  saison  :  à  Vienne  :  .Manon,  Carmen,  Faust, 
Werther,  Hamlet;  à  Berlin  :  le  Prophète,  Faust,  Mignon,  Carmen,  l'Africaine,  Fra 
Diavolo,  Sainson  et  Dalila  :  à  Dresde  :  Samson  et  Dalila,  Sylvia,  l'Africaine. 
Mifinon,  la  Pari  du  diable,  la  Muette  de  Portici,  le  Postillon  de  Lonjumeau;  à  Munich  : 
la  Juive,  l'Africaine,  la  Fille  du  régiment,  Carmen;  à  Stuttg,\rt  :  Carmen,  les 
Huguenots,  Mignon,  les  Dragons  de  Villars,  la  Fille  du  régiment;  à  WiESB.iOEN  : 
la  Muette  de  Portici,  Faust,  le  Prophète,  Carmen,  Mignon:  a  Cologne  :  Mignon, 
h  .luioe,  le  Prophète,  Carmen,  la  Fille  du  régiment,  les  Huguenots;  à  Bonn  :  Car- 
men, Mignon;  à  Carlsruhe  :  Roméo  et  Juliette,  Fantasio,  Cannen,  Mignon,  les 
Huguenots,  le  Domino  noir,  le  Postillon  de  Lonjumeau  ;  à  Leipzig  :  Mignon,  Carmen, 
Faust;  à  Francfort  :  l'Africaine,  les  Huguenots,  Benvenuto  Cellini,  le  Prophète, 
Guillaume  Tell,  le  Postillon  de  Lonjumeau  ;  à  Breslaij  :  la  Fille  du  régiment,  le 
Postillon  de  Lonjumeau;  à  Brème  :  Carmen,  Faust,  Fra  Diavolo. 

—  On  vient  d'inaugurer,  à  Moscou,  la  grande  salle  nouvelle  da  Conserva- 
toire de  musique,  fondé  par  Nicolas  Rubinstein,  en  présence  de  nombreuses 
délégations  de  Sociétés  musicales.  Des  discours  ont  été  prononcés  à  cette 
occasion  par  le  grand-duc  Constantin  Constantinovitch,  président  de  l'Aca- 
démie des  sciences,  et  par  M.  Safonof,  conseiller  d'État,  directeur  du  Con- 
servatoire, qui  a  été  fait,  à  cette  occasion,  grand-croix  de  l'ordre  de  Saint- 
Stanislas  et  nommé  membre  d'honneur  de  toutes  les  Sociétés  impériales  de 
musique  en  Russie.  M.  Charles  Widor,  professeur  au  Conservatoire  de  Paris, 
qui  assistait  à  la  cérémonie,  a  reçu  également  l'ordre  de  Saint-Stanislas  et  a 
été  nommé  membre  actif  de  la  Société  impériale  de  musique. 

—  C'est  chose  faite  !  Jan  Blockx,  le  compositeur  de  Princesse  d'auberge,  de 
Milenlia,  de  Thyl  Uylenspiegel,  est  nommé  directeur  du  Conservatoire  d'Anvers, 


en  remplacement  de  Peter  Benoit.  Le  choix  est  heureux.  A  un  maître  flamin- 
gant iUustre  succède  un  autre  maître  flamand  dont  la  gloire  promet  de 
n'être  pas  moins  grande,  si  on  en  juge  par  celles  de  ses  œuvres  si  fortement 
conçues  qui  sont  déjà  arrivées  jusqu'à  nous. 

—  Le  succès  des  représentations  de  Louise  a  toujours  été  grandissant  au 
Théâtre-Lyrique  de  Milan  jusqu'à  la  clôture.  M.  Charpentier  a  donc  quitté 
la  ville,  enchanté  de  l'accueil  fait  à  son  œuvre  par  le  public  et  tranquille  sur 
ses  destinées.  Elle  sera  reprise  au  début  de  la  saison  d'automne. 

—  On  sait  que  d'après  les  dernières  volontés  de  Verdi,  deux  grandes  caisses 
dûment  closes,  pleines  de  manuscrits  de  toutes  sortes  et  qui  étaient  dans  les 
combles  de  sa  résidence  de  Sant'Agata,  devaient  être  impitoyablement 
brûlées  après  sa  mort,  avec  défense  de  les  ouvrir  auparavant.  Le  vœu  dû 
maître  a  été  pieusement  respecté,  le  sacrifice  est  aujourd'hui  consommé,  et 
un  journal  italien  nous  donne  à  ce  sujet  les  détails  que  voici  :  —  «  Le  3avril, 
obéissant  rigoureusement  aux  dispositions  testamentaires  du  grand  maître 
défunt,  dans  une  des  prairies  de  Sant'Agata,  en  présence  de  tous  les 
familiers  et  de  quelques  amis,  ou  a  placé  sur  un  haut  bûcher  de  bois  rési- 
neux les  deux  grandes  caisses  qui,  par  sa  volonté  expresse,  devaient  être 
détruites,  et  en  peu  d'instants  cette  volonté  fut  accomplie.  Impossible  d'ima- 
giner la  tristesse  solennelle  de  cette  douloureuse  cérémonie,  qui  a  peut-être 
privé  le  monde  de  nouvelles  œuvres  géniales  de  l'illustre  musicien.  «Le  sort 
en  est  jeté.  Il  n'y  aura  pas  d'œuvres  posthumes  de  Verdi. 

—  Les  affaires  vont  mal  à  Catane  pour  la  préparation  des  fêtes  du  cente- 
naire de  Bellini.  Le  comité  général  s'est  réuni  récemment  pour accepter 

les  démissions  de  plusieurs  de  ses  membres,  et  dans  cette  séance  plusieurs 
autres  membres  se  sont  démis,  entre  autres  le  vice-président  du  comité,  qui 
se  trouve  ainsi  réduit  à  sa  plus  simple  expresion.  Le  Carrière  di  Catania  dit  à 
ce  sujet  :  —  k  Gomme  les  lecteurs  auront  pu  l'observer,  lés  démissions  suc- 
cèdent aux  démissions,  et  c'est  la  meilleure  partie  du  comité  qui  s'en  va,  celle 
qui  aurait  pu  donner  une  sérieuse  impulsion  aux  fêtes,  mais  qui  n'a  pu  rien 
faire  parce  qu'elle  est  entourée  d'éléments  très  hétérogènes,  qui  sont  un 
embarras  au  lieu  d'être  une  aide.  »  On  demande  aujourd'hui  que  le  syndic 
dissolve  ce  comité  pour  en  constituer  un  autre  plus  homogène,  moins  nom- 
breux et  avec  des  éléments  qui  répondent  au  but,  lequel  est  «  de  célébrer 
l'anniversaire  avec  dignité  et  le  sérieux  qui  sont  dus  au  nom  de  Vincenzo 
Bellini.  » 

—  On  a  donné  au  théâtre  Costanzi  de  Rome,  le  13  avril,  la  première  repré- 
sentation de  Lorenza,  opéra  en  trois  actes,  paroles  anonymes  (que  l'on  croit 
être  de  M.  Luigi  lUica),  musique  de  M.  EdoardoMascheroni,  le  chef  d'orches- 
tre renommé.  C'était  le  début  à  la  scène  de  M.  Mascheroni.  qui  ne  s'était 
encore  fait  connaître,  comme  compositeur,  que  par  une  messe  de  Requiem, 
exécutée  en  1899  pour  l'anniversaire  de  la  mort  du  roi  Victor-Emmanuel.  Ce 
début  paraît  avoir  été  très  heureux,  et  le  nouvel  ouvrage  a  reçu  du  public 
romain  un  excellent  accueil.  L'exécution  était  d'ailleurs  au-dessus  de  tout 
éloge.  Les  interprètes  étaient  M""^  Gemma  Bellincioni  et  Giacomini, 
MM.  Bassi,  Pessina  et  Gironi. 

—  L'heureux  auteur  d'André  Chénier,  M.  Umberto  Giordano  —  qui  vient 
d'avoir  la  douleur  de  perdre  sa  mère  —  a  terminé  dernièrement  son  nouvel 
opéra,  Siberia.  Cet  ouvrage  sera  représenté  au  Théâtre  Lyrique  de  Milan  au 
cours  de  la  prochaine  saison  d'automne,  avec,  comme  principaux  interprètes, 
M"'=  Eva  Tetrazzini,  le  ténor  Caruso  et  le  baryton  Sammarco. 

—  Don  Lorenzo  Perosi  a  un  frère,  don  Marziano  Perosi,  qui  semble  vouloir 
marcher  sur  ses  traces.  Tout  en  faisant  ses  études  de  mathématiques  et  de 
philosophie,  celui-ci  s'occupe  aussi  très  activement  de  musique,  et  il  vient 
de  faire  ses  débuts  de  compositeur  avec  une  élégie  sacrée,  l'Addolorata,  qu'il 
a  fait  exécuter  le  vendredi-saint,  sous  sa  direction  personnelle,  dans  l'église 
des  Jésuites  de  Chierî.  Cette  élégie  pour  chaut  et  orchestre,  qui  semble  avoir 
l'importance  d'un  oratorio,  est  divisée  en  trois  parties  :  Scène  du  Calvaire, 
Scène  de  la  nuit.  Scène  du  Limbe.  «  Le  style  de  cette  élégie,  dit  un  journal,  qui 
est  tout  à  la  fois  éminemment  dramatique  et  classique,  a  plu  beaucoup  au 
public,  qui  a  exprimé  le  désir  de  l'entendre  de  nouveau.  » 

—  Au  concert  du  Crystal- Palace  à  Londres,  où  s'est  fait  entendre  M"'-' Clo- 
tilde  Kleeberg,  la  si  remarquable  pianiste,  vif  succès  pour  les  Abeilles  de 
Théodore  Dubois  et  l'étude  artistique  de  Benjamin  Godard  intitulée  iJfisaJ/esf 

—  Moulai  Abdoul-el-Aziz.  le  jeune  sultan  du  Maroc,  est  un  amateur  de 
musique  bien  singulier;  l'instrument  de  musique  qu'il  préfère  à  tous  les 
autres  et  dont  il  joue  d'ailleurs  personnellement  est  la  cornemuse  écossaise 
(bag-pipe).  On  vient  de  lui  en  livrer  une  absolument  unique,  qu'il  avait  com- 
mandée à  Glascow:  elle  est  richement  incrustée  d'or  et  a  coûté  la  bagatelle 
de  7.800  francs.  Sa  Majesté  chérifienne  a  fait  venir  d'Ecosse,  il  y  a  quelques 
années,  le  plus  célèbre  joueur  de  cornemuse,  qu'on  voit  à  présent  se  prome- 
ner à  la  cour  de  Marakech  dans  son  costume  national.  Les  Arabes  ont  été 
longtemps  stupéfiés  de  sa  barbe  rousse,  de  ses  gros  mollets  nus  et  du  tablier 
à  carreaux  qui  lui  sert  de  pantalon;  mais  ils  trouvent  sa  musique  délicieuse. 
Quel  succès  pourrait  bien  avoir  dans  ces  conditions  un  contre-bassoû  1 

—  On  est  en  train  de  construire  à  Chicago  une  nouvelle  salle  de  concerts,' 
dont  les  dimensions  seront  celles  de  l'Albert  H'atrd'ëLondres.Eésîràis'sont 
évalués  à  l.SOO.OOO  francs. 


136 


LE  MÉNESTREL 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
L'Académie  des  Beaux-Arts,  répondant  à  la  ilemande  qui  lui  avait  été 
faite  par  le  Ministre  de  l'instruction  publique  de  lui  désigner  six  anciens 
grands-prix  de  Rome  parmi  lesquels  il  choisirait  celui  dont  le  directeur  de 
l'Opéra  doit,  aux  termes  de  sou  cahier  des  charges,  représenter  soit  un  opéra, 
soit  un  ballet,  a  dressé  la  liste  suivante,  eu  rangeant  les  candidats  par  ordre 
d'aucienneté  :  MM.  Paul  Hillemacher,  grand-prix  de  1870;  Lucien  Ilillema- 
eher,  grand-prix  de  18S0;  Georges  Marty,  grand-prix  de  1882;  Bachelet, 
grand-prix  de  1889  ;  Silver,  grand-prix  de  1891  ;  Henri  Biisser,  grand-prix 
de  1892. 

—  Aujourd'hui,  à  l'Opéra,  représentation  gratuite.  On  donnera  Thais. 
Directeur  superbe  et  généreux,  M.  Gailhard  oilVe  au  peuple  le  meilleur  de 
ses  spectacles  parmi  ceux  qui  tiennent  actuellement  l'alliche. 

—  Petites  nouvelles  de  l'Opéra-Gomique  :  Demain  lundi,  première  repré- 
sentation de  l'Ouragan.  —  Jeudi  2  mai,  matinée  extraordinaire  au  profit  de 
M.  Morlet,  avec  le  concours  des  principaux  artistes  des  théâtres  de  Paris. 
Prix  des  places  au  tarif  habituel  de  l'Opéra-Gomique.  —  M^i^  de  Graponne  a 
pris  possession,  l'autre  soir,  du  rôle  de  Mignon.  L'intelligente  artiste  y  a  eu 
grand  succès,  et  comme  elle  est  fort  bipu  entourée  (Philine,  M""'  Landouzy; 
Wilhem  Meister,  M.  Léon  Beyle;  Lothario,  M.  Boudouresque;  Laerte, 
M.  Cazeneuve),  l'œuvre  a  énormément  porté  sur  le  public.  —  Spectacles 
d'aujourd'hui  dimanche  :  en  matinée,  Mireille,  le  soir,  Mamin. 

—  Demain  lundi,  au  Queen's  Hall  de  Londres,  M.  Edouard  Golonne  diri- 
gera un  grand  concert  symphonique  avec  le  concours  de  M"'"  Blanche 
Marchés!. 

—  Notre  confrère  italien  le  Trovatore  nous  apporte  dessouvenirscurieux  sur 
la  carrière  «  musicale  »  de  la  famille  Poniatowski,  dont  le  membre  le  plus 
en  vue,  le  prince  Joseph,  fut,  on  le  sait,  naturalisé  français  après  avoir  été 
naturalisé  toscan,  et  devint  sénateur  du  second  empire  après  avoir  été 
membre  de  la  Chambre  des  députés  de  Florence  :  «  Après  la  disparition  du 
royaume  de  Pologne,  dit  notre  confrère,  la  famille  Poniatowski  s'éparpilla 
en  diverses  parties  de  l'Europe  et  S->  consacra  à  la  musique.  Ayant  perdu 
tous  ses  droits  au  trône,  elle  voulut  remplacer  la  couronne  royale  par  les 
lauriers  artistiques.  Gelui  qui  déploya  les  plus  grands  talents  fut  le  prince 
Joseph  Poniatowski,  fils  de  Stanislas  et  filleul  du  roi  Stanislas-Auguste.  Né  à 
Rome  en  181G,  mort  à  Londres  en  1873,  c'était  un  compositeur  sui  generis.  Il 
écrivit  Don  Desiderio,  Bonifazio  de'  Geremei  et  plusieurs  autres  opéras. 
Il  assumait  les  diverses  fonctions  à'impresario  et  de  chef  d'orchestre,  il 
chantait  l'emploi  des  ténors,  il  écrivait  des  poésies...  Ses  sœurs  Elena  et 
Costanza  (marquise  Zappi)  devinrent  chanteuses  ;  son  frèro  Garlo  devint 
basse,  et  la  femme  de  celui-ci,  Elisa,  soprano.  Li  prince  Joseph,  fils  naturel 
du  héros  de  L3ipzig,  adopté  par  sa  tante,  la  comtesse  Eyszkiewicz,  chantait 
les  ténors  dans  les  opéras-comiques  français.  Les  directeurs  se  faisaient 
concurrence  pour  engager  les  Poniatowski,  qui  non  seulement  chantaient 
gratis,  mais  payaient  tous  les  frais  du  théâtre.  Le  10  mars  1839,  à  Florence, 
la  princesse  Elena  chantait  le  rôle  de  Desdemona  dans  l'Otello  de  Rossini, 
tandis  que  son  frère,  le  prince  Joseph,  faisait  Otello.  Dans  la  même  année, 
le  prince  Joseph  et  sa  sœur  Gostanza,  marquise  Zappi,  débutèrent  dans 
VElisir  d'amore;  le  prince  Garlo  recueillait  des  applaudissements  dans  G(Ouan?ii 
da  Procida  et  dans  l'Ilaliana  in  Algeri  de  Rossini,  où  la  princesse  Elisa  chan- 
tait le  rôle  d'Isabelle,  le  prince  Garlo  celui  de  Mustafà  et  le  prince  Joseph 
celui  de  Taddeo.  Après  avoir  fait  ces  débuts  sur  diverses  scènes  d'Italie,  les 
joyeux  princes  louèrent,  en  1844,  un  théâtre  de  Florence  pour  y  jouer  Linda 
de  Donizetti,  et  tous  les  billets  étaient  gratuits.  Les  interprètes  de  l'ouvrage 
étaient  la  princesse  Elisa,  le  prince  Garlo  et  le  prince  Joseph.  Le  succès 
devait  être  colossal.  Le  public  délirait  et  hurlait  d'enthousiasme.  La  nouvelle 
de  l'immense  triomphe  des  Poniatowski  se  répandit  en  un  clin  d'œil  dans 
toute  la  Péninsule.  Le  prince  Joseph  profita  de  ce  moment  heureux  et  partit 
pour  Ancône  afin  d'y  mettre  en  scène  son  opéra  de  Bonifazio  de'  Geremei,  qui, 
on  le  comprend,  eut  un  succès  fou,  qui  se  reproduisit  à  Lucques  et  à  Venise. 
C'est  de  cette  façon  que  se  divertissaient  ces  princes  royaux.. .  »  Complétons 
les  détails  relatifs  personnellement  au  prince  Joseph,  qui,  une  fois  arrivé  en 
France,  se  mit  à  envahir  nos  théâtres  d'une  façon  indiscrète  comme  compo- 
siteur, et  se  fit  jouer  partout  :  à  l'Opéra,  Pierre  de  Médias,  1860,  au  Théâtre- 
Lyrique,  Au  travers  du  mur  (qu'il  fit  reprendre  ensuite  à  l'Opéra-Gomique), 
1860,  et  l'Aventurier  (1865),  et  au  Tbéàtre-ltalien,  la  Contessina,  1868.  Sa  fin 
n'en  fut  pas  moins  mélancolique.  Il  avait  obtenu  de  l'empereur  le  privilège 
d'une  entreprise  commerciale  qui  fut  désastreuse;  il  y  avait  engagé  plus  que 
les  ressources  dont  il  pouvait  disposer  et  vit  prendre  contre  lui  des  juge- 
ments qui  amenèrent  la  saisie  de  tous  ses  effets  mobiliers.  Les  événements 
de  1870  l'obligèrent  à  se  réfugier  à  Londres,  où  il  arriva  dans  un  dénue- 
ment complet.  Il  se  mit  alors  à  donner  des  leçons  de  chant  pour  vivre,  écrivit 
un  nouvel  opéra,  Gelmina,  qui  fut  joué  à  Govent-Garden  par  M°"  Adelina 
Patti,  Naudin,  Gotogni,  Bagaggiolo  etTagliafico,  et  se  préparait  à  partir  pour 
l'Amérique  comme  chef  d'orchestre  d'une  compagnie  lyrique  formée  par 
l'entrepreneur  UUmann  lorsqu'il  mourut  presque  subitement  de  la  rupture 
d'un  vaisseau  dans  la  poitrine. 

—  Dimanche  dernier,  à  Saint-Vincent-de-Paul,  M.  Théodore  Dubois  a 
dirigé  lui-même  rexécution  de  sa  nouvelle  Messe  de  Saint-Remi.  Excellente 
impression. 


—  M""  Andrée-Louis  Lacombe  est  rentrée  à  Paris,  cette  semaine,  retour 
d'Allemagne,  où,  après  avoir  assisté  aux  représentations  de  l'œuvre  de  son 
mari,  à  Sondershausen,  elle  a  fait  une  petite  tournée,  semant  partout  la  foi 
en  la  musique  de  Lacombe  et  étant,  partout,  fort  bien  accueillie. 

—  Dimanche  dernier,  dans  les  salons  de  la  maison  Gaveau,  M.  Antonin 
Marmontel  a  présenté  discrètement,  à  un  auditoire  choisi,  ses  nombreuses 
élèves,  aussi  bien  celles  qu'en  m'excusanf  j'appellerai  anciennes,  ne  trouvant 
pas  d'autre  mot,  que  celles  de  la  classe  du  Conservatoire  dont  il  est  titulaire. 
Au  programme,  rien  que  des  œuvres  de  Théodore  Dubois.  L'idée  était  char- 
mante de  faire  exécuter  les  œuvres  exquises  d'un  maître  particulièrement 
fin  et  délicat  par  de  gracieuses  jeunes  filles.  Il  y  avait  mémo  quelque  chose 
d'inattendu  à  voir  la  plupart  d'entre  elles  affirmer  la  diversité  de  leur  talent 
et  les  nuances  de  leur  caractère  dans  une  même  composition  :  ce  Thème  varié 
d'un  beau  sentiment  et  d'une  facture  distinguée,  avec  lequel  des  pièces  tirées 
des  Poèmes  Virgiliens  ont  formé  une  agréable  diversion.  Quelques  mélodies  ont 
servi  d'intermèdes  :  Par  le  sentier.  Chanson  de  mai,  Au  bord  de  l'eau,  et  aussi 
des  fragments  à'Aben-Hnmet.  Après  cette  petite  fête,  quelqu'un  faisant  remar- 
quer que  le  thème  varié  qui  avait  été  entendu  douze  fois,  quinze  fois,  je  ne 
sais  trop,  restait  aussi  frais,  aussi  délicieux  qu'après  la  première  audition, 
M.  Théodore  Dubois  ajouta  aussitôt  :  «  Oh!  interprété  comme  cela!  »  Le  mot 
était  dit  à  propos  de  l'élève  qui  avait  joué  la  dernière,  mais  toutes  doivent  en 
prendre  leur  part.  Le  professeur,  M.  Marmontel,  a  été  hautement  compli- 
menté des  résultats  d'un  enseignement  qui  est  pour  lui  une  tradition  de 
famille  et  dont  il  peut  être  fier  à  bon  droit.  Am.  B. 

—  Au  Nouveau-Théâtre  M.  Anton  Sistermans,  une  basse-chantante  renom- 
mée de  l'autre  côté  du  Rhin  comme  chanteur  de  lieder,  a  obtenu  d'emblée  la 
consécration  parisienne.  M.  Sistermans  dispose  d'une  voix  magnifique,  admi- 
rablement timbrée,  sonore,  flexible  et  malléable,  mais  qui  ne  monte  pas 
facilement  au-dessus  du  mi,  ce  qui  n'est  pas  sans  le  gêner  parfois.  Il  conduit 
sa  voix  avec  habileté  et  dans  les  meilleures  traditions  du  véritable  art  du 
chant;  disons  tout  de  suite  qu'il  est,  deparsonmaitre,unpelit-filsartistiquede 
Manuel  Garcia  et  qu'il  fait  honneur  à  cette  filiation.  M.  Sistermans  a  chanté 
en  allemand  des  mélodies  de  Schubert,  Scbumann  et  Brahms  qu'on  entend 
fort  rarement  chez  nous  et,  en  français.  Oh!  quand  je  dors,  de  Lalo,  l'Heureux 
vagabond,  de  M.  Bruneau,  et  Si  tu  veux,  mignonne,  de  Massenet,  qu'on  a 
acclamé.  Les  Parisiens  assez  rares  dans  la  salle,  remplie  de  compatriotes  de 
M.  Sistermans,  se  regardaient  pourtant  avec  stupéfaction,  car  l'artiste  pro- 
nonce le  français  avec  un  accent  qui  semble  plutôt  venir  des  bords  de  la 
Garonne  que  de  ceux  du  Rhin.  Aurait-il  pris  les  conseils  de  M.  Gailhard, 
avant  d'afl'ronter  le  public  parisien? 

—  Santiago  Riera,  le  déjà  célèbre  virtuose,  a  remporté  un  grand  et  légi- 
time succès  à  la  salle  Erard.  Le  son  est  beau  et  plein,  le  mécanisme  remar- 
quable, le  toucher  plein  de  variété.  Il  a  admirablement  exécuté  la  Fantaisie 
et  Fvgne  sur  1>  thème  B.  A.  G.  H.  de  Liszt,  la  belle  Sonate  (op.  33)  de 
Beethoven,  des  œuvres  de  Schumann,  Brahms,  Chopin,  Ruhinstein,  de 
Bériot,  tes  Abeilles  (poème  virgilien)  et  le  Preludio  Patetico  do  Th.  Dubois 
(première  audition)  ;  ce  dernier  morceau,  dédié  par  le  maitre  à  M.  Riera, 
a  été  très  goûté  du  public  et  lui  a  valu  de  vifs  applaudissements. 

—  Très  beau  succès,  mardi  dernier,  pour  Armand  Ferté  dans  le  concert 
qu'il  donnait  à  la  salle  Erard  avec  le  concours  de  son  éminent  maitre  Louis 
Diémer  et  de  l'orchestre  dirigé  par  Ed.  Colonne.  Après  le  concerto  de 
Beethoven,  Armand  Ferté  a  joué  le  concerto  de  Saint-Saéns  en  sol  mineur 
avec  un  charme,  une  grandeur  et  une  vélocité  incomparables.  Les  Variations 
pour  deux  pianos  de  R.  Fischhof,  exécutées  par  MM.  Louis  Diémer  et  Armand 
Ferté,  ont  été  un  vrai  régal  artistique  et  ont  valu  au  grand  maitre  et  à  son 
brillant  élève  maints  et  maints  rappels.  A  la  fin  du  concert,  le  jeune  artiste 
a  été  acclamé  par  toute  la  salle. 

—  Une  de  nos  grandes  Sociétés  orphéoniques,  «  les  Amis  de  la  gaîté  Gala- 
doise  »,  à  Villefranche,  a  donné,  avec  le  concours  de  l'orchestre  du  Grand- 
Théâtre  de  Lyon,  et  sous  l'habile  direction  de  M.  Walter,  le  Guillaume  le 
Conquérant  de  M.  Emile  Bernard.  L'œuvre  nouvelle  a  fait  grand  effet. 

—  M.  Silver  (prix  de  Rome  de  1891)  vient  de  terminer  la  partition  de  la 
Belle  au  bois  dormant,  féerie  lyrique  en  quatre  actes,  poème  de  MM.  Michel 
Carré  et  Paul  Collin.  Cet  ouvrage  important  sera  créé  l'hiver  prochain  au 
Grand-Théâtre  de  Marseille.  Ce  sera  une  tentative  de  décentralisation  des 
plus  intéressantes. 

—  Concerts  .vnnonxks.  —  La  Société  des  InstrumciUs  anciens-donnera  ses  deux  séances 
annuelles  les  mardis  30  avril  et  7  mai,  ù  'i  heures  de  l'après-midi,  à  la  salle  Érard,  avec 
le  concours  de  M"°  Marcella  Pregi,  de  M"'  Dalseme-Ribeyre  et  de  MM.  G.  Gillet  et  Ph. 
Gaubert.  Les  auditeurs  ne  retrouveront  cette  année  que  trois  des  londateurs  de  cette 
célèbre  Société  ;  MM.  Louis  Diémer,  GriUet  et  Van  Waefelghem.  Le  quatrième,  le  regretté 
Jules  Delsart,  est  remplacé  par  SI.  Papin,  l'érainenl  violoncelle-solo  de  l'Opéra,  qui 
tiendra  la  viole  de  gambe.  —  M""  Jlalliilde  Polack  donnera  le  samedi  'i  mai,  à  la  salle 
Lrard,  un  concert  avec  le  concours  de  M™"  la  comtesse  de  Guerne  et  de  M.  Léon  Delafosse. 
L'orchestre,  dirigé  par  M.  Camille  CheviUard,  accompagnera  la  remarquable  cantatrice 
dans  l'air  A'Alceste  et  celui  du  Cid.  —  C'est  le  jeudi  2  mai  que  M""  Clotilde  Kleeberg,  la 
charmante  et  remarquable  pianiste,  donnera  son  concert  à  la  salle  lirard.  Programme 
classique  exclusivement. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


.  -~  (Encn  Lotilicux}. 


l/l 


DimaDche  S  Mai  1901 


3658.  -  «7-  mm  -  îi"  48.        PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2"*,  me  Tivieniie,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 

LE 


MENESTREL 


Le  Huméro  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEATK.es 

ilENRi     HEUGEL.     Directeur 


lie  Kamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hbnri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  W«,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


i.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (10"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  l'Ouragan  à  l'Opéra -Comique, 
Arthur  Pougin  ;  reprise  du  Tovr  du  Monde  au  Clidtelet,  P.-E.  C.  —  III.  La  musique  et 
le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (2"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  INouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

BRU  NETTE  (1703) 

n"  7  des  Chants  de  France,  harmonisés  par  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédia- 
tement :  Au  très  aimé,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  d'après  Caroline 
DUEB.  _^ 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublieroas  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Souvenir,  n°  9  des  Nàives,  de  Loms  Lacombe.  —  Suivra  immédiatement  : 
Impression  de  neige,  tirée  du  Poème  du  silence,  d'EsNESi  Moret. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

et  (1 


(Suite.) 

DEUXIÈME    PARTIE 
LES    ÉTRANOERS    EN    FRANCE 


I 

Nouveaux  acteurs  et  nouvelles  pièces.  —  Influences  étrangères  :  les  groupes  sympa- 
thiques et  les  indépendan's.  —  Steibelt  et  ses  incohérences.  —  Un  esclandre  qui  finit 
bien.  —  Jeu  diabolique  de  Steibelt  sur  le  piano.  —  Sa  mise  en  scène.  —  Une  in- 
lervenlion  diplomatique.  —  Basses  es  sur  bassesses.  —  Sic  vos  non  vobis... 

Dans  la  seconde  moitié  du  XVIII'  siècle,  l'influence  de  Rameau, 
après  avoir  prédominé  quelque  temps  sur  la  scène  française, 
pâlit,  s'efface  et  disparait.  C'est  à  peine  si  Castor  et  Pollux,  rema- 
nié au  point  de  n'être  plus  reconnaissable,  obtient  de  maigres 
applaudissements  d'un  public  distrait  ou  ennuyé. 

L'œuvre  de  Lulli  jette  encore  quelques  lueurs.  Mais  le  nom 
qui  domine  tous  les  autres  à  cette  période  de  notre  histoire 
m-dsicale  est  celui  de  Gluck,  de  qui  Eugène  Delacroix  a  dit  si 
justement  :  «  Il  a  donné  l'exemple  le  plus  remarquable  de  cette 
force  de  volonté  qui  n'était  autre  que  celle  de  son  génie.  » 

Piccinni,  le  rival,  parfois  heureux,  de  Gluck,  n'était  certes  pas 


indigne  de  lutter  contre  le  maître  allemand.  En  même  temps 
que  lui,  ou  après  lui,  Sacchini  et  Salieri  sont  les  représentants 
les  plus  autorisés  du  génie  musical  italien  dans  ce  qu'il  comporte 
de  passion  et  de  force,  d'élégance  et  d'éclat.  Paisiello  et  Gima- 
rosa  sont  la  grâce,  l'esprit,  la  gaité  de  cette  brillante  école. 

Monsigny,  Philidor  et  Grétry  créent  ou  transforment  l'opéra- 
comique  français.  Dans  les  dernières  années  du  siècle,  les  œuvres 
lyriques  ou  sacrées  de  Gossec,  de  Méhul,  de  Gherubini,  de 
Lesueur,  font  l'éternel  honneur  de  l'école  française. 

Dans  les  concerts  publics  et  particuliers,  le  dilettantisme  pari- 
sien acclamait  les  compositions  d'Haydn,  de  Mozart,  de  Hummel. 

En  dehors  de  ces  groupes,  qui  synthétisaient  des  ressem- 
blances ou  plutôt  des  tendances  communes,  sans  action  cepen- 
dant sur  l'originalité  de  chacun,  marchaient  des  esprits  indé- 
pendants, impatients  de  toute  contrainte,  ne  reconnaissant  ni 
règles,  ni  écoles,  s'abandonnant  à  leur  seule  inspiration,  quel 
qu'en  fiît  l'origine  ou  le  résultat,  capables  de  s'élever  jusqu'aux 
étoiles  quand  ils  ne  s'effondraient  pas  dans  les  abîmes,  en  un 
mot  les  enfants  perdus,  les  irréguliers,  les  incohérents  de  l'art 
musical. 

Parmi  eux  figurait  ce  bizarre  personnage,  né  à  Berlin,  qui 
avait  nom  Steibelt  (1).  Fétis  dans  son  Dictionnaire  et  Norvins 
dans  son  Mémorial  (2)  signalent  la  présence  de  ce  musicien  à 
Paris  vers  1790,  et  constatent  avec  quelle  rapidité  presque  fou- 
droyante cet  inconnu  de  la  veille  devint  une  célébrité  du  lende- 
main, en  dépit  du  plus  détestable  caractère. 

Le  futur  historien  de  Napoléon,  Norvins,  à  qui  sa  fortune  per- 
sonnelle et  ses  relations  familiales  permettaient  de  mener  la  vie 
oisive  des  jeunes  gens  à  la  mode,  avait  rencontré  Steibelt  chez 
M""  de  Brunville,  «  le  plus  fort  amateur  de  Paris  sur  le  piano 
après  M°"  de  Montgeroult  ».  Le  mondain  s'enticha  de  l'artiste  et 
le  mena,  un  soir  d'opéra,  à  la  représentation  du  Démophon  de 
A'ogel.  Steibelt  ne  connaissait  pas  encore  l'Académie  royale  de 
Musique.  L'ouverture  était  à  peine  commencée  que  la  nervosité 
maladive  de  l'Allemand,  mise  en  jeu  et  bientôt  violemment 
surexcitée  par  les  timbres  de  l'orchestre,  éclata  en  applaudisse- 
ments, en  trépignements,  en  exclamations  enthousiastes.  Le  par- 
terre, le  balcon,  les  loges,  toute  la  salle  enfin  murmura,  puis 
protesta  plus  énergiquement  contre  l'interrupteur. 

—  A  la  porte  I  à  la  porte  I  criait-on  de  toutes  parts. 

Il  fallut  que  Norvins  le  présentât  comme  un  des  plus  grands 
maîtres  allemands:  l'art  germain  était  déjà  en  vogue.  Les  spec- 
tateurs se  'laissèrent  convaincre.  Et  Steibelt  sut  si  bien  les  entraî- 
ner par  la  fougue  de  son  admiration  qu'ils  réclamèrent  tous  avec 
lui  une  nouvelle  audition  de  l'ouverture,  qui  leur  fut  immédiate- 
ment accordée. 


(1)  Le  Ménestrel  de  1877  contient  une  étude  du  regretté  Marmontel  sur  Steibelt. 

(2)  Oe  Norvins.  —  Mémorial  publié  par  L.  Laozac  de  Laborie.  Pion,  1896. 


138 


VE  MÉNESTRiEL 


Le  nouveau  venu  se  distinguait  par  un  remarquable  talent  sur 
le  piano-forte.  Il  triompha,  dit  Fétis,  de  son  compatriote  Her- 
mann,  qui  donnait  des  leçons  à  Marie -Antoinette  et  que  proté- 
geait sa  royale  élève.  Norvins  assure  qu"il  «  détrôna  Dussek  par 
sa  charlatanerie  du.jeu  des  pédales  ».  Il  est  certain  que  Steibelt 
dut  une  bonne  partie  de  son  retentissant  succès  au  savoir-faire 
dont  il  appuyait  l'incontestable  autorité  de  son  exécution.  Peut- 
être  fut-il  rinitiateur  de  cette  mise  en  scène,  pratiquée  depuis 
par  tant  de  jpianistes.  En  tout  cas,  il  y  apporta  la  science  oon- 
sommée  d'un  homme  qui  n'ignorait  rien  des  faiblesses  de  ses 
contemporains.  C'était  l'époque  oij  les  meflleurs  esprits  se  pas- 
sionnaient pour  les  expériences  de  Mesmer  et  la  fantasmagorie 
de  Cagliostro  ;  les  francs-maçons  tournaient  à  l'illuminisme  ;  et 
dans  cette  fin  d'un  monde,  où  s'écroulaient,  sous  les  coups  de 
la  philosophie  et  de  l'athéisme,  des  croyances  politiques  et  reli- 
gieuses vieilles  de  quatorze  siècles,  les  libres-penseurs  eu.x- 
mémes  se  laissaient  prendre  aux  illusions  de  la  thaumaturgie. 

Steibelt  s'était  rendu  compte  de  cet  état  d'àme.  S'il  en  parta- 
gea les  inconséquences  et  les  entraînements,  s'il  fut  réellement 
de  bonne  foi  dans  les  manifestations  de  cette  imprégnation 
cérébrale,  ce  fut  du  moins  en  habile  virtuose,  qui  sait  mettre  à 
profit  les  engagements  de  l'heure  présente. 

Norvins  en  fut  témoin  chez  sa  cousine.  M"'"  de  la  Briche,  pa- 
rente des  la  Live,  une  des  grandes  familles  de  la  finance  au 
XVIIP  siècle. 

Dans  ces  magnifiques  salons  où  se  pressait  l'aristocratie  de  la 
naissance  et  de  l'argent,  dans  cette  sorte  d'académie  littéraire 
et  musicale  où  fréquentait  l'élite  de  la  France  intellectuelle, 
poètes,  artistes  et  savants,  se  présenta  Steibelt,  précédé  de  sa 
réputation  de  prestigieux  et  fantasque  virtuose,  l'oeil  sombre  et 
fatal,  le  front  chargé  de  nuages,  l'allure  inspirée.  Il  marcha 
droit  au  piano,  s'y  plaça  en  conquérant  et  préluda  par  une 
improvisation  brillante  qui  lui  valut  un  tonnerre  d'applaudis- 
sements. 

Puis  il  se  recueillit  quelques  secondes,  et  d'une  voix  brève, 
d'un  geste  impérieux,  il  ordonna  qu'on  éteignit  le  lustre,  les 
candélabres  et  jusqu'aux  deux  bougies  fixées  sur  le  piano.  Le 
feu  de  la  cheminée  éclairait  seul  la  pièce,  et  ses  lueurs  rou- 
geàtres  dansaient  sur  les  visages  inquiets  des  dames  assises  au 
premier  rang.  Chacun,  intrigué  de  ces...  préparations  jusqu'alors 
inusitées  dans  le  monde  des  artistes,  échangeait  à  voix  basse 
quelques  mots  avec  ses  voisins.  Une  suite  d'arpèges  vifs  et 
saccadés  commanda  le  silence. 

Puis  une  nouvelle  pause.  Enfin,  quand  il  n'entendit  plus  le 
moindre  murmure,  Steibelt  plaqua  de  formidables  accords  sur 
le  clavier  ;  et  soudain  se  détacha  un  véritable  ouragan  musical, 
avec  force  sifflements  sinistres,  hurlements  lugubres  et  ricane- 
ments sataniques,  qui  fit  courber  toutes  les  têtes  et  serrer  tous  les 
cœurs. 

Une  fois  l'exécution  terminée,  et  pendant  (jue  les  laquais 
rallumaient  les  bougies,  Steibelt,  ce  petit  homme  noir,  vif,  agité, 
aux  traits  d'une  mobilité  excessive,  se  glissait  de  fauteuil  en 
fauteuil,  baragouinant  dans  une  langue  moitié  française  et 
moitié  allemande  des  phrases  inintelligibles,  s'arrêtant  avec 
complaisance  devant  les  plus  jolies  femmes  et  leur  baisant  les 
mains  avec  effusion. 

On  comprend  de  reste  que  cette  séance  suffit  à  la  curiosité  de 
M""^  de  la  Briche.  Cette  dame  laissa  à  de  plus  épris  qu'elle 
d'harmonies  fantastiques  le  privilège  de  recevoir  ce  musicien 
démoniaque. 

A  vrai  dire,  Steibelt  ne  se  livrait  pas  toujours  aussi  facile- 
ment. Invité  chez  la  marquise  de  Brisay,  il  se  défendit  absolu- 
ment de  jouer  malgré  les  instances  et  même  les  prières  de  la 
maîtresse  de  la  maison.  La  situation  devenait  pénible  pour 
tout  le  monde,  quand  un  homme  de  haute  taille  marcha  droit  à 
Steibelt,  et,  lui  touchant  le  bras,  lui  dit,  les  yeux  dans  les  yeux: 

—  Vous  allez  jouer  et  sur-le-champ. 

Steibelt,  comme  médusé  par  cette  apparition,  pâlit  affreuse- 
ment et  se  dirigea,  en  chancelant,  vers  le  piano.  Son  jeu  ne  se 
ressentit  pas  de  cette  subite  terreur.  Jamais  il  n'avait  été  plus 


pathétique  ni  plus  saisissant.  L'artiste  passa  en  revue  tout  son 
répertoire  :  on  crut  un  instant  qu'on  ne  pourrait  plus  l'arrêter. 

Norvins  apprit  plus  tard  le  mot  de  cette  énigme.  Le  person- 
nage dont  l'intervention  avait  eu  si  facilement  raison  de  l'entê- 
tement de  Steibelt  était  le  baron  de  Goltz,  ministre  de  Prusse  à 
la  Cour  de  France.  Il  connaissait,  par  le  menu,  toute  l'histoire  et 
tout  le  passé  de  son  compatriote.  Steibelt,  d'abord  protégé  par 
le  roi  Prédéric-GuiTlaume  II,  s'était  vu  retirer  brusquement  la 
faveur  du  prince.  Il  a^ait  commis  un  vol  qui  l'avait  fait  chasser 
'de  Berlin,  et  le  baron  de  'Goltz  avait  contre  le  coupable  une 
demande  fl'exitradition  qu'il  ne  tenait  qu'à  lui  de  présenter  au 
gouvernement  français. 

L'indélicatesse  du  musicien  peut  seule  excuser  le  procédé  du 
diplomate  prussien  ;  autrement,  ce  serait  une  page  de  plus  pour 
le  martyrologe  de  l'art  :  en  effet,  combien  d'instrumentistes, 
même  au  XVIII'^  siècle,  durent  passer  par  les  exigences  des 
grands,  sous  peine  du  bâton  ou  du  cachot  I 

D'ailleurs,  Steibelt  était  coutumier  du  fait.  Avant  de  venir  à 
Paris  il  avait  vendu  des  sonates  que  Boyer,  le  prédécesseur 
des  frères  Naderman,  lui  acheta  comme  inédites.  Fétis,  qui 
rapporte  le  fait,  ajoute,  sans  autres  explications,  que  Steibelt 
dut  quitter  Paris,  en  1798,  pour  de  «  graves  erreurs  ».  Beaucoup 
plus  explicite,  Norvins  avoue  qu'il  a  été  bel  et  bien  volé  par 
l'artiste  dont  il  avait  entrepris  l'éducation  parisienne.  Que  de 
complaisance  n'avait-il  pas  eues  pour  le  compositeur!  Il  lui 
avait  écrit,  à  sa  demande,  un  opéra  sur  Roméo  et  Juliette.  Et  Stei- 
belt venait  y  travailler  chez  Norvins,  qui  demeurait  alors  place 
Vendôme.  Déjà  l'ouverture,  un  morceau  symphonique  des  plus 
brillants,  était  terminée,  quand  le  librettiste  s'aperçut  que  les 
visites  de  son  ami  coïncidaient  avec  la  disparition  de  menus 
objets  auxquels  il  tenait  fort.  Un  jour,  Norvins  ne  put  même 
plus  douter  :  aussi  consigna-t-il  le  fripon  à  sa  porte.  Mais  Stei- 
belt, qui  emportait  toujours  le  manuscrit  de  Norvins,  se  garda 
bien  de  le  lui  renvoyer  :  il  le  communiqua  depuis  à  Ségur,  qui 
le  mit  au  point  et  qui,  la  partition  une  fois  terminée,  fit  recevoir 
l'opéra  au  théâtre  Feydeau,  où  le  talent  de  M""'  Scio  lui  assura 
un  fort  beau  succès. 

Norvins  apprit  par  la  suite  que  Steibelt  avait  été  pendu  à 
Londres,  mais  il  rectifie  presque  aussitôt  cette  information.  Le 
sacripant,  que»  son  caractère  insociable  »,  dit  Fétis,  avait  obligé 
à  quitter  l'Angleterre,  était  parvenu  à  s'évader  de  la  prison  où 
il  subissait  sa  peine. 

Ce  génie  incomplet,  aussi  fougueux  que  diffus,  incorrect  mais 
émouvant,  devait  mourir  en  1823,  à  Saint-PétersbouTg,  de  misère 
et  d'épuisement. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra-Comiqiie.  L'Ouragan,  drame  lyrique  en  quatre  actes,  paroles  de 
M.  Emile  Zola,  musique  de  M.  Alfred  Bruneau.  (Première  repriSsentation 
le  29  avril  1901.) 

MM.  Emile  Zola  et  Alfred  Bruneau,  les  deux  pontifes  de  l'art  lyrique 
(I  modem  stijle  »  ne  peuvent  rien  faire  comme  le  commun  des  mortels. 
Comme  ils  sentent  tout  naturellement  que  l'univers  entier  ne  cesse 
d'avoir  les  yeux  fixés  sur  eux,  que  rien  de  ce  qui  les  intéresse  ne  peut 
laisser  riaumanité  iodifférente,  qu'ils  ne  peuvent  cracher,  ni  leur  plume 
non  plus,  sans  qu'on  se  demande  aussitôt  de  toutes  parts  quel  événement 
va  se  produire,  ils  éprouvent  un  besoin  aussi  instinctif  qu'impérieux  de 
faire  leurs  confidences  au  public  avant  de  lui  otfrir  un  des  fruits  savou- 
reux de  leur  puissante  collaboration.  On  se  rappelle  le  manifeste  majes- 
tueux par  lequel,  à  la  première  page  d'un  grand  journal,  ils  annoncè- 
rent naguère  la  venue  au  monde  de  leur  Messidor,  que  tous  leurs  soins 
pourtant  n'empêchèrent  pas  de  mourir  de  langueur  avant  l'aurore  de 
son  douzième  jour,  je  veux  dire  avant  sa  douzième  représentation.  Avec 
moins  de  majesté,  mais  non  moins  de  sollicitude,  ils  viennent  de  s'adres- 
ser de  nouveau  aupublicpourlui  faire  connaître  les  sentiments  très  com- 
plexes qui  les  avaient  guidés  dans  l'enfantement  de  leur  dernier  chef- 
d'œuvre,  l'Ouragan .  Cette  fois,  c'est  sous  la  forme  d'un  simple  «  aver- 
tissement »  placé  en  tète  du  programme  de  la  première  représentation 


LE  MÉNESTREL 


1,3,9 


qu'Us  ont  voulu  communiquer  avec  la  foule  de  leurs  admiraleurs,  Le 
morceau  est  tellement  savoureux  que  je  m'en  voudrais  de  ne  point  le 
communiquer  à  mon  tour  à  ceux  de  mes  lecteurs  qui  n'ont  pas  eu  la  joie 
d'assister  à  cette  folle  soirée  —  qui  n'a  rien  de  commun  avec  «  la  foUe 
journée  »  de  Beaumarchais.  Un  tel  moaument  de  psychologie  artistique 
appartient  de  droit  à  l'histoire.  Le  voici  dans  toute  sa  beauté  : 

Les  deux  auteurs,  MM:  Alfred  Bruneau  et  Emile  Zola,  le  muaiaien  et  le 
librettiste,  sont  partis  de  cette  idée  d'une  œuvre  très  simple,  très  une,  très 
grande,  dans  laquelle  ils  mettraient  aux  prises  les  passions  humaines  déchaî- 
nées, poussées  à  leur  paro.xysme.  D'ahord  l'amour,  et  dans  l'amour  les  divers 
amours  :  L'ingénu  et  le  chaste,  le  passionné  et  le  sensuel,  le  dominateur  et  le 
farouche,  et,  avec  l'amour,  naturellement,  les  troubles  de  l'être  qui  l'accom- 
pagnent :  le  désir,  la  volupté,  la  jalousie.  Ensuite,  les  autres  passions,  les 
autres  sentiments:  les  cœurs  qui  se  sacrifient,  les  cœurs  que  rien  ne  dompte, 
la  tendresse,  la  bonté,  l'orgueil,  la  haine,  la  pitié,  l'horreur,  tout  ce  qui  est 
le  meilleur  dans  l'homme  et  qui  peut  en  devenir  le  pire. 

Et  la  pensée  des  auteurs  a  donc  été  de  prendre  ainsi  tous  ces  facteurs  du 
drame  humain,  de  les  pousser  à  leur  expression  la  plus  tragique,  de  les 
exaspérer  (il  ne  faut  jamais  exaspérer  les  facteurs)  et  de  les  heurter  dans  une 
action  la  plus  nette  et  la  plus  décisive  possible.  De  l'essence  d'humanité,  si  l'on 
peut  dire  (rien  que  cal).  C'est  l'ouragan  de  nos  passions  qui,  tout  d'un  coup, 
sans  raison,  souffle  dans  notre  ciel  bleu,  dans  le  train  ordinaire  de  notre  vie, 
qui  saccage  et  emporte  tout,  jusqu'au  retour  du  joyeux  soleil  (emporter  un 
retour,  l'image  est  aussi  belle  que  hardie),  nous  laissant  dévastés,  saignants, 
devant  l'existence  qui  commence.  L'horizon  de  nouveau  se  déroule,  le  voya- 
geur se  remet  en  marche  pour  finfini,  pour  l'inconnu  des  vastes  mers  (il 
marche  donc  sur  la  mer??). 

Cet  ouragan  humain,  la  soudaine  rafale  de  passion,  de  folie  et  de  crime 
qui  parfois  nous  i-avage,  les  auteurs  ont  voulu:  lui  donner  pour  cadre  un 
ouragan  des  éléments  eux-mêmes  (nouvelle  image  :  un<)uragan  qui  est  un 
cadre),  le  ciel  clair  qui  brusquement  devient  noir;  le  vent  qui  hurle  en  tem- 
pête (et  les  chanteurs  aussi,  hélas!),  la  mer  démontée  qui  engloutit  les  barques, 
jusqu'au  moment  où  le  ciel  se  remet  à  resplendù'  sur  la  mer  calmée,  enso- 
leillée. Et  dès  lors,  le  sujet  et  le  milieu  étaient  fixés,  ils  n'ont  plus  eu  qu'à 
créer  deux  frères,  deux  sœurs  (il  n'y  avait  pas  autre  chose  à  faire),  à  les  jeter 
dans  une  situation  qui  les  affole  et  les  brise,  puis  à  dénouer  cette  situation 
sans  issue  par  l'éternel  recommencement  de  la  vie,  l'éternel  voyage. 

L'action  se  passe,  dit  le  poème,  «  dans  l'ile  de  Goël  ».  Il  est  inutile  de 
chercher  cette  ile  sur  la  carte,  on  ne  l'y  trouverait  pas  (on  fait  bien  de  nous 
prévenir).  Elle  est  partout  et  nulle  part;  l'intention  des  auteurs  a  été  delà 
situer  dans  le  temps  et  dans  l'espace  pour  qu'elle  soit  de  toutes  les  nations  et 
de  toutes  les  époques  (une  ile  qui  est  de  toutes  les  nations!...).  Il  leur  a 
semblé  que  leur  drame  humain  gagnerait  en  simplicité,  en  clarté  et  en  force, 
à  rester  de  l'humanité  pure,  qu'aucune  contingence  ne  complique  ni  ne  date 
(c'est  cette  phrase- là,  qui  devrait  gagner  en  simplicité  et  en  clarté).  Leur  ile 
est  là-bas  (?),  où  des  couples  aiment,  souffrent,  pleurent  et  espèrent,  dans  la 
tourmente  de  leurs  cœurs  et  des  éléments.  Cela  ne  suffit-il  pas  à  l'envolée 
lyrique,  cette  continuelle  bataille  où  nous  laissons  tout  notre  sang  et  d'où 
nous  repartons  sans  cesse  avec  un  nouveau  chant  d'espérance? 

Que  de  choses  dans  un  menuet!  disait  le  fameux  danseur  Vestris. 
Que  de  choses  dans  un  opéra!  pourra-t-on  dire  en  lisant  ce  factum  pré- 
tentieux et  obscur.  Et  il  faut  avoir  vraiment  une  jolie  dose  de  vanité 
pour  croire  qu'il  soit  nécessaire  de  donner  tant  d'explications  au  sujet 
d'un  mélodrame  banal,  vulgaire  dans  sa  conception,  dont  l'intérêt  est 
nul,  qui  manque  autant  de  poésie  que  de  chaleur,  et  qui  n'apporte  à  la 
scène,  lyrique  ou  autre,  aucun  élément  de  nouveauté.  Et  je  parle  ici 
autant  pour  le  musicien  que  pour  le  librettiste,  puisque  tous  deux  par- 
lent ensemble  dans  ce  morceau  de  littérature  explicative.  Je  sais  bien 
que  Corneille  avait  coutume  de  faire  précéder  chacune  de  ses  tragédies 
d'un  «  examen  »  dans  lequel  il  exposait  ses  idées  et  indiquait  ce  qu'il 
avait  voulu  faire.  Mais,  quoi  qu'il  en  pense,  M.  Zola  n'est  pas  Corneille 
et  la  prose  de  l'Ouragan  ne  vaut  pas  les  vers  du  Cid.  .Te  sais  bien  aussi 
que  Gluck  a  mis  en  tète  de  sa  partition  à'Alceste  une  admirable  épitre 
dédicatoire,  demeurée  justement  célèbre,  destinée  à  faire  connaître  ses 
sentiments  sur  la  réforme  qu'il  voulait  introduire  dans  l'opéra.  Mais 
Gluck  avait  alors  sohxante  ans,  il  avait  écrit  trente  opéras,  et  il  avait 
affirmé  son  génie  par  d'incomparables  chefs-d'œuvre.  Or,  M.  Bruneau 
non  plus  n'est  pas  Gluck,  et  ce  pygmée  a  tort  de  vouloir  singer  ce 
géant.  Quant  à  comparer  la  musique  de  l'Ouragan  à  celle  d'Alceste... 

L'action  se  déroule  donc  dans  l'ile  de  Goél,  qui  n'est  pas  une  ile  dé- 
serte habitée  par  des  sauvages,  mais  où  l'on  rencontre  des  marins  et  des 
pécheurs.  Parmi  ceus-ci  uu  certain  Landry,  ivrogne,  joueur  et  débau- 
ché, qui  passe  son  temps  moitié  à  s'enivrer,  moitié  à  battre  sa  femme, 
l'infortunée  .Jeannine,  qui  est  bien  la  plus  malheureuse  de  cotte  ile  ima- 
ginaire. .Jeannine  a  une  sœur  ainée,  Marianne,  celle-là  méchante  et 
cupide,  qui  ne  songe  qu'à  s'approprier  entièrement  Goël  et  qui,  au  lieu 
de  venir  en  aide  à  sa  sœur,  ne  cherche  qu'à  exciter  son  mari  contre  elle 
et  à  augmenter  leur  détresse  pour  les  ruiner  tout  à  fait  à  son  profit. 


Survient  un  quatrième  personnage,  Richard,  le  frère  de  Landry,  un 
marin  qu'on  n'attendait  pas,  car  il  était  parti  en  jurant  de  ne  plus  reve- 
nir. Mais  il  se  trouve  que  son  bateau  flânait  sans  doute  autour  de  l'Ile, 
puisque  la  tempête  l'a  poussé  dans  une  baie  voisine.  Il  va  sans  dire  que 
ledit  Richard  se  trouve  aussitôt  face  à  face  avec  Jeannine,  qui  pleure 
comme  une  biche.  Comme  il  lui  demande  la  cause  de  ses  larmes,  elle 
lui  fait  connaître  son  infortune.  Dans  cette  scène  et  dans,  une  autre,, 
nous  apprenons  alors  que  Richard  est  parti  depuis  plusieurs  années 
parce  qu'il  aimait  Jeannine,  dont  il  était  aimé,  mais  que  Marianne 
aussi  était  éprise  de  lui  et  horriblement  jalouse,  que  pour  ce  fait  elle 
s'oppoiait  à  leur  mariage,  de  sorte  que  Richard  n'a  rien  trouvé  de  mieux 
que  de  marier  Jeannine  à  son  frère  Land,ry  et  de  s'éloigner  sans  espoir 
de  retour.  On  se  demande  pourquoi  il  n'a  pas  simplement  envoyé  pro- 
mener Marianne,  et  épousé  la  femme  qu'il  aimait.  Mais  ça,  c'est  l'affaire 
de  M.  Zola. 

Toujours  est-il  que  Richard  et  Jeannine  se  souviennent  naturellement 
de  leur  premières  amours,  que  de  rappel  en  rappel,  de  confidence  en 
confidence,  ils  en  arrivent  à  constater  qu'ils  s'aiment  toujours,  et  que, 
finalement  ils  tombent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Comme  cette  situa- 
tion ne  leur  parait  pas  désagréable,  ils  y  restent  assez  longtemps  non 
seulement  poui-  être  surpris  par  Marianne,  mais  pour  que  celle-ci  ait 
le  temps  d'aller  chercher  Landry  et  de  le  mettre  ainsi  au  courant  des 
événements. 

.—  Je  les  tuerai!  s'écrie  alors  Landry. 

—  Non,  lui  dit  Marianne,  pas  ici  ;  nous  allons  arranger  ça. 

Richard,  voulant  sauver  Jeannine,  lui  propose  simplement  de  l'enle- 
ver à  sou  frère  et  de  l'emmener  avec  lui. 

Jeannine  ne  se  fait  pas  prier,  et  consent  tout  de  suite.  Ça  n'est  peut- 
être  pas  très  honnête  de  la  part  de  l'un  et  de  l'autre,  mais  enfin  ça  se 
passe  comme  ça  dans  l'ile  de  Goél.  Le  plus  singulier,  c'est  qu'ils  vont 
confier  leur  secret  à  Marianne,  et  que  celle-ci  les  réunit  tous  les  deu.x 
sous  son  toit  la  nuit  où  éclate  le  fameux  ouragan.  Mais  il  va  sans  dire 
que  ce  n'est  pas  par  charité  pour  eux  qu'elle  a  fait  ça  ;  bien  au  contraire. 
Elle  les  a  attirés  dans  un  horrible  traquenard,  et  elle  a  donné  rendez- 
vous  à  Landry,  simplement  pour  qu'U  vienne  tuer  Richard  chez  elle.  Ce 
qui  dénote  de  sa  part  un  assez  mauvais  caractère. 

Le  fait  est  que  Landry  arrive  bientôt,  au  moment  où  les  deux  tourte- 
reaux se  préparent  à  prendre  la  fuite.  Il  n'y  va  pas  par  quatre  chemins, 
empoigne  un  couteau  et  dit  à  son  frère  de  se  défendre,  sans  quoi  il  le 
tuera  comme  un  chien.  Richard  refuse  noblement  ce  duel  fraternel.  Et 
alors  pendant  un  quart  d'heure,  montre  en  main,  tandis  que  Richard 
se  défend  de  se  défendre,  l'autre  ne  cesse  de  lui  répéter  en  hurlant  qu'il 
va  le  tuer  sans  pitié.  Je  vous  assure  que  c'est  long,  malgré  ou  à  cause 
de  l'orchestre,  qui  pendant  ce  temps-là  fait  un  tintamarre  à  porter  la 
rage  dans  les  tempéraments  les  plus  placides.  C'est  peut-être  ça  qui 
achève  d'exaspérer  Landry,  lequel  finit  par  se  ruer  sur  son  frère  pour 
le  û-apper  quand  tout  à  coup  Marianne ,  qui  pourtant  jusque-là  n'a 
cessé  de  l'exciter,  prend  elle-même  un  couteau  et  le  lui  plante  dans  le  dos 
si  profondément  qu'il  tombe  pour  ne  plus  se  relever.  Pourquoi  diable 
fait-elle  ça?  me  direz-vous.  C'est  que  Marianne  a  changé  d'avis,  c'est 
qu'elle  aime  toujours  Richard,  et  qu'elle  n'a  plus  voulu  le  laisser  tuer 
par  son  frère. 

Au  dernier  acte,  Jeannine  aussi  a  changé  d'avis.  C'est  bien  ça,  les 
femmes  !  Elles  n'ont  pas  pour  deux  sous  de  tenue  dans  les  idées.  Jean- 
nine ne  veut  plus  du  tout  s'en  aller  avec  Richard,  elle  veut  rester 
auprès  de  sa  bonne  sœur  Marianne,  et  elle  le  laisse  tranquillement 
partir  en  compagnie  d'une  petite  sauvage,  Lulu,  qu'il  a  ramenée  de 
ses  voyages  et  dont  nous  avions  fait  la  connaissance  au  premier 
acte.  Il  doit  vraiment  regretter  d'être  venu  de  si  loin  pour  si  peu  de 
chose. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  M.  Bruneau  n'a  renié,  dans  la  musique 
de  l'Ouragan,  aucun  des  principes  sévères  (oh!  oui,  sévères!),  qui  cons- 
titue sa  brillante  et  bruyante  personnalité  artistique.  Vous  ne  trouverez 
pas  d'ensembles  dans  cette  musique  ;  rien  que  des  récitatifs  succédant 
éternellement  à  d'autres  récitatifs,  sans  une  seule  petite  phrase  de 
chant  qui  vienne  de  temps  en  temps  vous  rafraîchir  l'esprit  et  l'oreille. 
Le  discours  musical  (si  tant  est  qu'on  puisse  appeler  cela  un  discours, 
car  M.  Bruneau,  étant  complètement  dépourvu  d'inspiration,  parle  tout 
le  temps  pour  ne  rien  dire),  le  discours  musical  se  continue  éternelle- 
ment, sans  repos  ni  trêve,  sans  césure  ni  respiration,  et  quand  il  est 
interrompu  par  les  chanteurs,  il  est  poursuivi  par  l'orchestre,  sans, 
pour  la  même  raison,  devenir  plus  intéressant,  le  compositeur  ne 
sachant  pas  plus  faire  chanter  les  instruments  que  les  voix.  Naturelle- 
ment, il  y  a  dans  cette  musique  des  motifs  conducteurs,  la  rengaine  à 
la  mode,  mais  ces  motifs,  pas  plus  que  le  reste,  n'ont  de  saveur,  ou  de 


d40 


LE  MENESTREL 


couleur,  ou  de  relief.  L'orchestre,  dont  je  parlais,  l'orchestre  n'est  même 
pas  symphoai(jue,  car  alors  il  pourrait  offrir  quelque  intérêt.  Il  se 
borne  le  plus  souvent  à  de  lourds  accords  plaqués,  avec  de  pesantes 
tenues  dans  les  basses,  ou,  dans  les  moments  dramatiques,  de  violents 
éclats  de  cuivre,  qui  vont  jusqu'au  déchirement  ;  parfois,  un  accompa- 
gnement fatigant  par  son  obstination,  mais  jamais  un  dessin  curieux, 
ingénieux  ou  piquant.  Tout  est  massif,  pesant,  il  n'y  a  jamais  d'air, 
jamais  une  éclaircie  dans  la  sonorité  générale,  dont  la  caractéristique 
est  surtout  la  brutalité. 

Et  cette  brutalité,  on  la  retrouve  dans  l'harmonie,  qui  est  presque 
toujours  dure  jusqu'à  la  cruauté,  jusqu'à  la  sauvagerie,  avec  des  heurts 
d'accords  et  des  eochainements  de  tonalités  qui  font  frémir.  On  la 
retrouve  aussi  dans  la  façon  de  traiter  les  voix,  que  le  compositeur  fait 
crier  sans  cesse,  ;i  qui  il  inflige  des  difficultés  inouïes,  en  les  obligeant 
à  franchir  des  intervalles  impossibles,  et  en  les  faisant  lutter  de  violence 
avec  l'orchestre. 

En  entendant  l'Ouragan,  je  me  rappelais  l'axiome  célèbre  de  Théo- 
phile Gautier  :  «  La  nmsique  est  un  bruit,  et  de  tous  les  bruits  le 
plus  coûteux  et  le  plus  désagréable.  «Et  je  médisais  que  parfois  Gautier 
pouvait  avoir  raison. 

Et  cependant,  où  M.  Braneau  pourrait-il  trouver  de  meilleurs  inter- 
prètes que  ceux  que  l'Opéra-Gomique  a  mis  à  sa  disposition.  En  tête, 
M""^  Jeanne  Raunay,  qui  a  prêté  l'appui  de  sa  beauté  et  l'autorité  de  son 
talent  au  personnage  de  Jeannine,  où  elle  se  montre  artiste  de  premier 
ordre,  cantatrice  superbe  et  comédienne  singulièrement  intelligente. 
Par  exemple,  elle  n'a  pas  de  chance  à  l'Opéra-Gomique,  M""'  Raunay. 
Tomber  de  Fervaal  en  Ouragan,  c'est  dur!  A  côté  d'elle.  M"'-  Delna,  qui 
a  tiré  du  rôle  antipathique  de  Marianne  tout  ce  qu'on  peut  en  tirer  ;  un 
peu  lourde  parfois,  mais  toujours  avec  sa  belle  voix,  si  pleine  et  si 
sonore.  Richard,  c'est  un  jeune  débutant,  M.  Bourbon,  dont  je  me  rap- 
pelle avoir  fait  ressortir  vivement  les  qualités  lors  des  derniers  concours 
du  Conservatoire.  Bon  physique,  belle  voix  de  baryton,  chaude  et  bien 
timbrée,  conduite  avec  sûreté,  intelligence  scénique.  de  la  chaleur  et  du 
mouvement,  telles  sont  ses  qualités.  Il  a  été  bien  accueilli,  et  méritait 
de  l'être;  c'est  un  artiste  d'avenir.  M.  Maréchal  a  donné  un  aspect 
suffisamment  farouche  au  personnage  de  Landry,  qui  n'est  certainement 
pas  agréable  à  représenter,  et  M.  Dufraue  est  excellent  dans  le  rôle  du 
vieux  Gervais,  le  serviteur  de  Marianne  ;  il  a  dit  avec  largeur,  avec  émo- 
tion, la  phrase  la  meilleure  peut-être  de  toute  la  pièce,  l'invocation  du 
troisième  acte.  Quant  à  M""  Guiraudon,  qui  joue  la  petite  sauvage 
Lulu,  elle  y  apporte  tout  son  charme  et  toute  sa  grâce  aimable  et  sou- 
riante. 

Les  décors  de  M.  Jusseaume  sont  merveilleux.  A  signaler  surtout 
ceux  du  premier  et  du  dernier  acte,  deux  vrais  chefs-d'œuvre. 

Arthur   Pougin. 

CnATEi.ET.  Repri-O  da  Tour  du  monde  en  SO  jours. 

Et  cela  fait  une  reprise  de  plus  de  la  très  fameuse  pièce  de  d'Ennery 
et  Jules  Verne,  et  ce  ne  sera  vraisemblablement  pas  la  dernière,  le  Tour 
du  monde  faisant  partie  du  petit  nombre  des  ouvrages  qu'un  directeur 
pris  de  court  peut  toujours  remonter  avec  la  certitude  défaire  une  assez 
bonne  série  de  représentations.  Cette  fois,  M.  Rochard  a  remis  tout  à 
neuf,  soignant  décors  et  costumes,  qui  sont,  souvent,  de  très  heureux 
effet.  Passepartout,  notre  vieil  et  bon  ami  Passepartout,  c'est  M.  Pou- 
gaud,  brûleur  de  planches  et  gavi'oche  parisien  par  excellence,  et  Cor- 
sican  et  Fog  servent  la  rondeur  de  M.  Decori  et  la  raideur  de  M.  Fon- 
tanes.  Il  faut  encore  signaler  M.  Scipion  dans  le  méchant  Fix  et  la  jolie 
M"'=  Jane  Heller  dans  la  touchante  Aouda.  et  battre  des  mains  au  cha- 
toyant ballet  des  Malaises  avec  des  quadrilles  d'enfants  tout  à  fait  sur- 
prenants. Musique  nouvelle  et  agréable  du  maestro  Marius  Bciggers. 

P.-E.  C. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     O R A N D  -  P A L A  I  S 


(Deuxième  arlicle.) 
Décidément,  ce  qu'il  pourrait  bien  y  avoir  de  plus  amusant  au  Salon 
de  la  Société  des  Beaux-Arts  comme  à  celui  des  Artistes  français,  c'est 
l'en- marge  et  le  hors-série.  La  promenade  régulière  a  son  inévitable 
monotonie  ;  les  écoles  buissonnières  sont  pleines  de  charme  et  d'imprévu . 
Bifurquez,  dans  la  section  de  l'avenue  d'Antin,  au  carrefour  de  plu- 
sieurs travées  des  salles  de  peinture  où  l'expression  «  œuvres  nouvelles  » 
ne  signifie  pas  toujours  inédit  et  pénétrez  dans  le  salon  intime  réservé  à 


la  série  de  dessins  de  M.  Paul  Reuouard  qui  porte  ce  titre  vaguement 
funéraire  :  «  En  commémoration  de  l'Exposition  universelle  ».  Le  titre 
est  trompeur  et  dissimule  la  gaie  surprise  d'allègres,  de  prestigieux 
instantanés. 

Pendant  toute  la  durée  de  la  grande  foire  internationale,  M.  Renouard 
était  partout,  invisible  et  présent,  le  crayon  à  la  main,  en  quête  de  la 
scène  non  pas  à  faire  mais  à  saisir  toute  faite;  il  multipliait  les  installa- 
tions provisoires,  les  affûts;  il  notait  les  aspects  variables  et  successifs, 
les  continuelles  modifications  de  la  prodigieuse  kermesse  et  les  fixait 
sur  le  papier.  Plusieurs  de  ces  instantanés  serviraient  d'illustrations 
suggestives  à  l'Article  330,  et  pourraient  corroborer  devant  le  fantaisiste 
tribunal  d'Antoine  les  doléances  du  héros  de  Courteline,  victime  des 
mauvais  plaisants  et  des  badauds  désœuvrés  du  trottoir  roulant  ;  le 
document  surabonde  dans  ces  croquis  sincères,  joyeux  sans  surcharge 
caricaturale.  Et  voici  de  jolies  scènes  de  revue,  d'excellents  numéros 
pour  les  rares  théâtres  restés  fidèles  à  ce  genre  agonisant  :  une  averse 
au  Trocadéro,  avec  la  débandade  du  public  cosmopolite;  l'escalier  du 
palais  des  Illusions  :  le  grouillement  de  la  foule  au  palais  des  Armées 
devant  les  souvenirs  historiques,  glorieux  mousquets  ou  simples  bou- 
tons de  guêtre,  etc.,  etc.  Et  dans  ce  rendu  fidèle,  exempt  de  toute  tri- 
cherie, une  prestesse  de  crayon,  une  simplification  d'effets  qui  enlèvent 
à  l'œuvre  tout  fâcheux  rapport  avec  l'exactitude  photographique. 

De  M.  Renouard  à  M.  Raffaelli  la  transition  est  facile  :  tous  deux  sont 
des  observateurs  subtils,  des  notateurs  singulièrement  informés.  J'ajou- 
terai que  cette  fois  M.  Raffaelli  s'est  élevé  au  grand  style,  qu'il  a  donné 
la  valeur  et  le  caractère  d'une  étude  â  la  fois  psychologique  et  sociale 
au  remarquable  tableau  intitulé  :  la  Demoiselle  d'honneur.  Il  se  peut  que 
ce  soit  un  portrait;  mais  le  peintre  en  a  fait,  avej  un  art  supérieur,  une 
concentration  d'effets,  une  quintessence  de  détails  évidemment  cueillis 
ici  et  là,  la  représentation  collective  d'une  infinité  de  demoiselles  d'hon- 
neur bourgeoises  passées,  présentes  et  futures.  Cette  ingénue  rose  et 
dodue,  à  l'èpiderme  soufflé,  aux  joues  de  pomme  d'api,  aux  épaules 
rondelettes,  aux  contours  grassouillets,  toute  raide  et  toute  empesée 
sous  l'empois  apparent  de  ses  jupons  qui  bouffent,  cette  jeune  personne 
aux  blancs  atours  dans  la  blanche  nef  d'une  chapelle  modern-style,  est 
installée  sur  un  tabouret,  dans  une  pose  de  poupée  hiératique.  Elle 
n'est  pas  seulement  sérieuse  parce  qu'elle  a  peur  de  froisser  sa  toilette 
et  de  laisser  glisser  son  aumônière;  elle  est  grave  parce  qu'elle  incarne 
plusieurs  générations  de  toutes  semblables  jeunes  personnes,  également 
roses,  également  grasses,  également  confites  en  bons  principes  et  en 
distinction  empruntée  au  code  de  M""'  de  Bassanville.  —  Et  quelle  ado- 
rable page  de  Maupassant,  cette  toile  de  RalTaelli! 

De  cette  symphonie  en  blanc  majeur  passons  au  brouillard  d'étuve 
de  M.  Carrière.  Dessinateur  rare,  poète  des  intimités,  maître  de  ce  qu'on 
pourrait  définir  le  genre  familial,  quel  peintre  serait  M.  Carrière,  quel 
artiste  complet  s'il  consentait  â  peindre  autrement  et  ailleurs  que  der- 
rière ce  paravent,  pas  toujours  diaphane,  de  brumes  épandues.  Ce  qu'on 
devine  de  son  Baiser  du  soir,  réunion  d'enfants  très  aimés  autour  d'une 
mère  très  aimante,  est  exquis  et  d'une  adorable  souplesse  dans  les  con- 
tours fuyants,  dans  le  charme  des  délails  â  peine  entrevus.  Mais  on  se 
prend  à  déplorer,  avec  un  chagrin  qui  n'est  pas  exempt  d'inquiétude, 
qu'une  famille  aussi  tendrement  unie  échange  le  baiser  du  soir  dans 
une  atmosphère  aussi  chargée  de  vapeurs,  une  ambiance  do  réchaud 
et  de  suicide.  On  n'a  pas  le  droit  de  s'exposer  à  mourir,  même  en  grou- 
pement esthétique  et  en  beauté  morale,  quand  on  s'aime  tant  et  si  bien. 
Point  de  brouillard,  pas  la  moindre  buée  dans  le  très  curieux  envoi 
du  président  de  la  Société  nationale  des  Beaux- Arts  :  t'Enseigne  du  maître 
d'armes.  C'est  une  vérilablo  enseigne,  et  qui  a  sa  légende  plus  vraie  que 
beaucoup  d'histoires  :  M.  Carolus  Durau  l'avait  peinte  jadis  pour  un 
célèbre  prévôt,  alors  établi  en  plein  Paris  et  honoré  do  la  clientèle  la 
plus  sélect.  Elle  figurait  dans  la  salle  d'armes,  au  milieu  des  trophées 
de  fleuret.  Mais  il  en  est  des  prévôts  réputés  comme  des  ténors  en  vogue  : 
le  muscle  faiblit  presque  aussi  vite  que  la  voix  s'altère,  et  le  public  se 
tourne  vers  d'autres  favoris.  Donc,  réalisant  son  fonds,  cédant  sou  pas 
de  porte,  le  modèle  de  M.  Carolus  Duran  a  voulu  réaliser  aussi  l'enseigne, 
et  le  peintre  s'est  complaisamment  prêté  â  faciliter  le  transfert.  Le  Maître 
d'armes  va  figurer  dans  une  collection  particulière.  En  attendant,  et  par 
faveur  spéciale,  les  visiteurs  du  Salon  de  la  S.  B.  A.  pourront  le  voir 
et  l'admirer. 

C'est  une  composition  spirituellement  délicieuse.  Sur  le  bouclier  de 
tôle  bombée  —  ohl  ce  gonflement  du  métal  qui  plastronne  lui-même  et 
fait  plastronner  le  prévôt!  —  «  le  maître  »  est  debout,  en  costume  d'as- 
saut. Il  est  grave  (autant  que  la  demoiselle  d'honneur  de  Raffaelli,  mais 
autrement);  il  sent  peser  sur  lui  les  regards  de  toute  une  salle;  il  est, 
dans  tous  les  détails  de  sa  magistrale  personne,  dans  son  regard  fixe  et 
I     presque  méprisant,  dans  sa  poitrine  qui  se  développe  et  respire  sous  le 


LE  MENESTREL 


141 


plastron,  dans  ses  bras  nerveux,  dans  ses  jarrets  tendus,  il  est,  lui  aussi, 
une  entité  symbolico-réaliste,  une  tangible  abstraction;  il  synthétise  le 
prévôt  moderne,  avec  sa  majesté,  tragique  parfois,  plus  souvent  déco- 
rative et  même  d'une  paternelle  bonhomie. 

Le  Maître  d'armes  est  très  entouré  ;  il  provoque  cependant  de  moins 
longs  stationnements,  des  exclamations  moins  vives  que  le  petit  tableau, 
je  n'ose  dire  peint  (car  l'enluminure  est  criarde  et  médiocre),  mais 
plutôt  mis  en  scène  par  M.  Jean  Béraud  :  le  Christ  lié  à  la  colonne.  On 
sait  avec  quel  parti  pris  aussi  tenace  que  discutable  M.  Béraud  s'attache 
à  moderniser  le  drame  de  la  Passion  et  surtout  à  le  socialiser  ;  on  n'a 
pas  oublié  l'épisode  de  la  femme  adultère  réfugiée  dans  une  salle  de 
restaurant  de  nuit  et  qu'un  Christ  en  costume  biblique  absolvait  d'un 
geste  bénisseur,  tandis  qu'un  lot  de  Pharisiens  fin  dix-neuvième  siècle, 
dotés  de  la  plus  frappante  ressemblance  avec  plusieurs  célébrités  artis- 
tiques et  littéraires,  le  regardait  avec  une  curiosité  méchante. 

Le  Christ  à  la  colonne,  figuré  avec  tous  les  attributs  de  la  Passion,  le 
roseau  sanglant  et  la  couronne  d'épines,  et  lié  â  une  maçonnerie  véri- 
table dans  un  authentique  vestibule  de  prétoire,  est  entouré  de  compar- 
ses aussi  actuels,  sinon  aussi  distingués,  que  les  soupeurs  du  Café  Amé- 
ricain. La  meute  qui  l'injurie,  qui  le  frappe,  qui  encourage  ses  bourreaux, 
est  essentiellement  parisienne,  mais  d'un  parisianisme  populacier  : 
garçon  boucher,  au  tablier  maculé,  camelots,  vendeurs  de  journaux  à 
trente  sous  le  cent,  gamin  hargneux  mal  décrassé  par  la  laïque,  voyous, 
souteneurs,  gigolettes  de  boulevard  extérieur.  Comme  note  politique 
dans  cette  évocation  socialiste,  un  député  qui  arbore  le  bonnet  phrygien 
et  un  franc-maçon  à  la  redingote  de  conseiller  municipal.  Le  groupe- 
ment est  adroit,  mais  les  poings  tendus,  les  bouches  ccumantes  donnent 
l'impression  d'une  foule  hurlante  prête  à  lyncher  quelque  cambrioleur 
traqué  au  fond  d'une  impasse  ;  et  plus  le  K-alisme  est  serré,  l'observation 
précisée  dans  ces  détails,  plus  l'œuvre,  malgré  ses  visibles  tendances, 
apparait  irrespectueuse  pour  ledrame  sacré.  Quoi  qu'en  pense  M.  Béraud, 
Montmartre  n'est  pas  le  Golgotha  et  les  stations  du  Calvaire  ne  sauraient 
être  étagées  sur  la  pente  des  Assommoirs. 

Plus  reposante,  mais  d'un  caractère  sacré  non  moins  contestable,  la 
composition  que  M.  Maurice  Denis  appelle  :  Christ  aux  enfants.  Ce 
Christ,  présenté  et  vêtu,  suivant  la  tradition,  de  la  tunique  à  larges 
plis,  est  d'une  sufiisante  onction  et  d'un  heureux  dessin  ;  mais  le  décor 
dans  lequel  il  prononce  le  classique  sinile  'parvulos  venire  ad  me  est  la 
plantation  rectiligne  d'un  square  parisien  ;  mais  les  enfants  qui  vien- 
nent se  courber  sous  la  caresse  du  divin  maitre  portent  des  complets  de 
magasins  de  nouveautés  à  dix-sept  francs  cinquante,  premier  âge;  mais 
les  pères  qui  ont  amené  leur  progéniture  arborent  l'odieuse  redingote.  Et 
voilà  tout  le  charme  rompu,  tout  le  parfum  mystique  évaporé.  Car  enfin, 
nous  le  savons  bien,  nous  le  savons  trop  :  les  gardiens  de  square,  pleins 
d'indulgence  pour  les  possibles  et  parfois  notables  électeurs  que  sont 
les  rôdeurs  de  jardins  publics,  verbaliseraient  sans  merci  contre  le 
troublant  visiteur  qui  viendrait,  en  blanche  tunique  et  tête  nue,  traî- 
nant la  foule  derrière  lui,  porter  la  bonne  parole  aux  enfants.  Décidé- 
ment, cette  transposition  moderne,  ce  travestissement  d'actualité  sontde 
médiocres  subterfuges  pour  dissimuler  un  genre  spécial  d'anecdotisme. 

Un  peu  d'orientalisme  pour  varier.  M.  Dinety  fait  preuve  d'une  réelle 
maîtrise  en  même  temps  que  d'un  merveilleux  talent  de  coloriste.  La 
légende  qu'il  nous  raconte:  Abd-el-Gheram  et  Nouriel-Aln,  esclave 
d'Amour  et  Lumière  des  yeux,  deux  aimables  noms  de  favorites,  est  un 
régal  pour  les  yeux.  Une  autre  composition  très  mouvementée,  le  fils 
d'un  saint  arabe  porte  en  triomphe  par  la  foule,  rappelle  les  meilleurs 
Dehodencq.  Et  voici  encore  deux  intéressantes  maquettes  de  décors 
réduits  aux  proportions  de  tableaux  de  chevalet,  l'Akmar-Kraddon  dont 
l'aimable  traluctioa  est  :  la  montagne  à  la  joue  rose  et  le  panorama 
fuyant  du  lit  desséché  d'une  rivière  saharienne. 

Décors  aussi,  mais  d'une  sobre  intimité  en  même  temps  que  d'un 
grand  style,  les  tableaux  de  M.  Lobre.  Ce  rare  artiste,  dont  la  manière 
rappelle  sans  pastiche  celle  des  maîtres  hollandais  et  qui  fait,  comme 
eux,  revivre  dans  les  appartements  discrets  des  maisons  historiques 
l'âme  errante  des  choses,  est  devenu  le  peintre  attitré  du  noble  et  caduc 
château  de  Versailles;  mais  il  en  néglige  la  majesté  extérieure,  les 
solennelles  architectures  rendues  banales  par  les  photogravures  des 
guides  et  les  simili-instantanés  des  cartes  postales  ;  ce  qu'il  évoque,  en 
des  toiles  d'un  rendu  précieux  sans  sécheresse  et  d'une  réelle  valeuv  de 
sentiment,  c'est  la  sèiie  discrète  des  petits  appartements  dont  le  bagout 
des  cicérones  et  les  bâillements  des  touristes  surmenés  n'ont  pu  altérer 
le  caractère  :  la  bibliothèque  du  Dauphin,  l'OEil  de  bœuf,  le  petit  salon 
Lous  X'V,  le  Salon  de  la  pendule. 

Autre  ville  endormie,  lùen  que  de  néfastes  industriels  s'efforcent  de 
la  moderniser  avec  adjonction  de  bateaux  â  vapeur  et  peut-être  —  qui 
sait  ?  —  de  métropolitain  sous-canalisé  ;  oh  !  la  fuite  de  Bianca  Capello 
s'esquivant  avec  Pietro  Buonaventuri  par  le  train  ouvrier  du  Métro  ! 


—  Venise  continue  â  inspirer  de  nombreux  peintres  aux  facultés 
visuelles  d'ailleurs  tout  à  fait  diverses  pour  ne  pas  dire  contradictoires. 
Ainsi  le  Rio  dei  barcaroi,  le  Rio  San  Severo,  le  Rio  del  Albero,  le  Rio 
San- Antonio,  le  Rio  délia  Verona  apparaissent  à  M.  Smith  tous^bai- 
gnés  d'une  lumière  glauque  et  verdâtre,  et  comme  estompés  d'une  brume 
qui  grossit  les  contours  des  architectures.  Avec  M.  Gabriel,  nous  reve- 
nons à  la  précision  des  Canaletti  :  son  Carnaval  de  Venise  est  le  vrai  car- 
naval chatoyant,  papillotant,  déroulé  dans  le  panorama  des  Procuraties. 

Plusieurs  bretonneries  (il  est  entendu,  n'est-ce-pas,  qu'aujourd'hui 
nous  faisons  une  excursion  en  zig-zag,  à  cimaise  rompue),  et  non  parmi 
les  moindres  tableaux  du  salon  de  l'avenue  d'Antin.  Je  parlais  tout  à 
l'heure  de  décors  :  quel  merveilleux  entourage  de  mise  en  scène  de 
rOpéra-Comique  —  pour  le  deuxième  acte,  le  tableau  pittoresque  par 
essence  et  par  excellence,  d'après  le  Code  du  bon  parolier  —  les  Feux  de 
la  Saint- Jean  de  M.  Cottet!  intitulés  sur  le  livret  :  «  au  pays  de  la  mer; 
nuit  de  la  Saint-Jean  »  d'après  l'étude  qui  a  figuré  à  l'Exposition  uni- 
verselle. —  Cette  étude  promettait  beaucoup  :  l'exécution  définitive  tient 
encore  plus. 

Au  fond  du  tableau,  nettement  mais  discrètement  indiqué,  le  cirque 
des  falaises  basses  dont  les  croupes  se  succèdent  en  s'étageant  et  dont 
chaque  sommet  arbore  un  feu  de  joie  aux  flammes  épandues  et  scintil- 
lantes semblables  à  des  phares  incendiés.  Le  premier  plan  du  rivage 
est  occupé  par  un  petit  bûcher  de  genêts  et  d'ajoncs  aux  braises  presque 
invisibles,  mais  dont  le  reflet  d'un  jaune  éclatant  illumine  tout  un  cercle 
féminin.  A  gauche  de  la  composition,  presque  â  l'écart,  les  vieilles 
femmes  du  village,  les  aïeules,  sont  assises,  les  mains  croisées  sur  leurs 
genoux  ou  sur  leurs  bâtons,  le  regard  perdu  dans  la  nuit,  évoquant  sans 
doute  les  fantômes  des  générations  disparues  qui,  sur  ce  même  sable, 
allumèrent  les  mêmes  flambées  d'une  nuit.  Moins  absorbées,  graves 
cependant  et  comme  pénétrées  d'une  sorte  d'émotion  religieuse,  les 
fillettes  sont  groupées  autour  du  feu,  et  la  lueur  violente  plaque  un  mas- 
que d'or  sur  leurs  fronts  étroits,  leurs  joues  en  fleur,  leurs  mentons  au 
relief  volontaire. 

Une  poésie  mélancolique,  —  celle  des  feux  de  joie  dont  la  joie  est  à 
peine  d'une  heure  et  luit  pour  s'éteindre  presque  aussitôt,  comme  les 
étincelles  balayées  par  le  vent  du  large  vers  les  ténèbres  de  l'Océan,  — 
se  dégage  de  cette  remarquable  conception.  Le  port  de  Camaret  par  temps 
gris,  les  dunes  de  La  Palud  par  temps  de  novembre,  le  cap  Saint-Mathieu 
sous  la  menace  de  l'orage,  sont  des  cadres  plus  sommaires  mais  qui,  un 
jour  ou  rautre,foumiront  au  peintre  l'ambiance  de  vêritablescompositions. 

M.  Lucien  Simon  appartient  au  même  groupe  que  M.  Cottet;  il  a 
scruté  comme  lui  la  rude  écorce  de  la  «  terre  de  granit  recouverte  de 
chênes  »  ;  il  a  passé  de  longs  mois  devant  cette  nature  austère,  parmi 
ces  paysans  aux  âmes  simples,  aux  coutumes  déracinées  par  le  passage 
brutal  de  la  civilisation,  tenaces  cependant  et  aussi  résistantes  que 
l'ajonc.  Mais  il  n'a  pas  rapporté  des  impressions  aussi  uniformément 
graves  que  celles  de  son  confrère  en  bretonneries  bretonnantes;  une 
pointe  d'humour,  voire  d'observation  goguenarde,  caractérise  en  notes 
presque  allègres  les  scènes  qu'il  a  prises  lâ-bas  sur  le  vif.  Rien  de  plus 
frappant,  à  ce  point  de  vue  spécial,  que  la  Procession  de  gens  de  mer 
où  M.  Lucien  Simon  a  visiblement  réuni  une  collection  de  portraits. 
Rudes  faces  de  chantres  aux  pommettes  saillantes,  figures  tannées  de 
marins  entourées  de  colliers  de  barbes  fauves,  bouches  ouvertes  pour 
chanter  les  psaumes,  muscles  tendus  pour  élever  au-dessus  de  la  foule 
la  lourde  armature  des  bannières,  tout  sent  l'effort,  la  violente  et  âpre 
volonté;  mais  il  s'y  joint  une  certaine  joie  de  vivre,  une  saine  expansion 
de  belle  santé,  soulignées  par  quelques  notations  amusantes,  quelques 
détails  d'un  joyeux  réalisme.  Plus  franchement  gaie  —  mais  d'une 
gaieté  toute  bretonne,  sans  éclat  ni  tapage,  —  la  Roulotte  échouée  sur  le 
sol  d'un  champ  de  foire  et  dont  les  forains  font  le  boniment  devant  une 
foule  aussi  méfiante  qu'ébahie,  sans  grande  certitude  de  rentrer  dans 
leurs  frais  d  éloquence  en  nature  ou  en  gros  sous. 

Sur  les  traces  de  M.  Cottet  et  de  SI.  Lucien  Simon  se  pressent  beau- 
coup d'auti'es  artistes  consciencieux  ou  brillants,  réalistes  ou  lyriques, 
et  dont  les  envois  formeraient  un  excellent  album  de  la  terre  celtique; 
M.  Le  Gout-Gérard  nous  montre  un  Retour  de  Pardon,  d'exécution  très 
flue,  les  laveuses  des  Sables-Blancs  et  une  étude  très  suggestive  de 
ville  close  par  les  temps  gris;  M.  Truchet  un  coin  de  port  â  Audierne  ; 
M.  Piet  évoque  le  grouillement  des  marchés  de  Pont-Labbé,  avec  une 
curieuse  peinture  du  Lavoir  de  Lorient;  J).  Dauchez  nous  rend,  avec 
une  exactitude  méritoire  et  un  souci  de  l'impression  d'ensemble  qui 
confine  au  style,  la  lande  et  le  marais;  M.  Ivœnig  détaille  les  splendeurs 
variées  d'une  après-midi  de  fête  dans  l'ile  de  Bréhat,  y  compris  un  bal 
aux  lanternes,  et  des  régates  de  Paimpol;  M.  Waidmann  donne  une 
note  plus  poétiquement  diffusée  avec  une  soirée  d'automne,  un  soir 
d'été  et  le  pittoresque  croquis  de  la  vieille  église  de  Saint-Lunaire. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Sj-nne. 


142 


LE  MENESTREL 


NOXrVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER, 


De  notre  correspondant  de  Belgique  ('2  mai)  : 

La  saison  théâtrale  s'achève  sans  incident  notable  et  se  termine  par  l'es- 
et  adieux  »  traditionnels,  même  d'artistes  qui  ne  s'en  vont  pas.  M"«  Thiéry, 
absente  depuis  deux  mois,  revient  simplement  pour  dire  au  revoir,  dans  une 
représentation  unique  de  Roméo  et  Juliette,  au  public  bruxe-llois.  De  son  côté 
iâP"  Litvinne  nous  dira  adieu,  en  français,  demain,  et  reparaîtra,  en  alie- 
maud,  lundi,  pour  la  représentation  de  Tristan  et  Isolée  avec  MM.  Mottl,  Van 
Dyck,  Van  Rooy,  M"'=  Brema,  etc.  Les  adieux  de  la  Monnaie  ne  sont  pas, 
vous  voyez,,  des  adieux  éternels.  M.  Imbart  de  la  Tour,  rentré  à  la  fin 
de  la  saison  après  avoir  passé  l'hiver  en  Amérique,  prend  sa  part  de  ces 
soirées  cordiales  et  déchirantes;  on  l'a  revu  avec  infiniment  de  plaisir  cette 
semaine,  et  l'on  est  enchanté  de  savoir  qu'il  ne  s'en  ira  plus.  Pour  ce  qui  est 
des  spectacles,  un  fait  à  noter  ici,  c'est  que  Louise  n'aura  pas  un  seul  instant 
quitté  le  répertoire  depuis  son  apparition;  c'a  été  un  succès  sans  précédent; 
celui  de  la  reprise  de  la  Valkyrie  même  ne  l'a  pas  vu  faiblir;  au  bout  de  très 
peu  de  représentations  on  délaissait  la  Valkyrie,  et  Louise,  dont  on  ne  cessait 
de  nous  dire  :  «  C'est  la  dernière!  »,  reparaissait  constamment  sur  l'aiïiche, 
ne  lassant  pas  le  public,  même  avec  des  interprétations  dans  lesquelles  étaient 
pratiquées,  pour  cause  d'indispositions,  des  coupures  de  rôles  tout  entiers, 
celui  du  Noctambule  notamment.  L'année  s'achève,  en  somme,  fort  heureu- 
sement et  fait  espérer  aux  nouveaux  directeurs,  pour  l'an  prochain,  une  sai- 
son plus  heureuse  encore. 

La  saison  des  grands  concerts,  elle,  n'est  pas  encore  terminée  tout  à  fait. 
Nous  avons  eu,  au  dernier  Concert  populaire,  le  Requiem  de  Verdi,  exécuté 
avec  beaucoup  de  soin  par  l'orchestre  de  M.  Dupui3,le  C'/iora/miœte  et,  comme 
solistes,  M"i' Soetens-Flament.  M'^''  Friche,  MM.  Imbart  de  la  Tour  et  Danlee; 
et  le  dernier  Concert  Ysaye  nous  e»t  annoncé  pour  dimanche  en  huit,  avec 
le  concours  de  notre  excellent  pianiste  Arthur  de  Greef  et  sous  la  direction 
de  M.  Vincent  d'Indy.  Entre  temps  M.  Eugène  Ysaye  a  donné  dimanche  xm 
concert  extraordinaire,  que  dirigeait  M.  Dupuis  et  où  il  s'est  fait  entendj-e 
comme  virtuose  dans  un  concerlo  de  Bach  pour  violon  et  deux  flûtes  et 
diverses  compositions,  qui  lui  ont  valu  un  succès  prodigieux. 

Un  hommage  éclatant  sera  rendu  à  la  mémoire  de  Peter  Benoît,  le  2  juin 
prochain,  par  l'Association  de  la  Presse  bruxelloise,  qui  organise  pour  ce 
jour-là  au  Parc  du  Cinquantenaire  une  audition  en  plein  air  de  la  célèbre 
Rubens-Cantate  ivL  maître  flamand,  exécutée  par  un  chœur  formidable  de 
plusieurs  centaines  de  voix  et  un  orchestre  imposant.  L.  S. 

—  On  nous  écrit  de  Milan  :  «  Les  représentations  de  Louise  et  de  Sainson 
et  Dalila  qui  devaient  clôturer  la  saison  au  Théâtre-Lyrique  n'ont  pu  avoir 
lîeu,  la  protagoniste,  M""  Virginie  Guerrini,  s'étant  soustraite  par  la  fuile  à 
ses  obligatious.  On  a  dû  rendre  l'argent  aux  nombreux  spectateurs,  tous  indi- 
gnés de  la  conduite  impardonnable  de  l'artiste,  ii'"'^  Guerrini  était  engagée 
depuis  le  20  mari  et  elle  avait  touché  à  l'avance  les  trois  quarts  de  ses  hono- 
raires, ce  qui  aggrava  sa  situation.  On  dit  qu'elle  avait  contracté  ailleurs  nn 
engagement  qui  commençait  avant  l'expiration  de  celui  qu'elle  avait  signé  à 
Milan;  d'autre  part  on  assure  que  sa  fugue  se  rattache  à  toute  une  suite  de 
sourdes  menées  dirigées  contre  le  Théâtre-Lyrique  par  des  adversaires  bien 
connus  et  implacables,  avant  de  quitter  MUan,  M.  Charpentier  avait  adressé 
à  M.  Sonzogno  une  lettre  affectueuse  de  remerciements  qui  se  termine  par 
les  lignes  suivantes  : 

Merci  surtout  d'avoir  eu  confiance  en  Louise,  de  l'avoir  fait  étudier  avec  amour  et  de 
l'avoir  fait  aimer  du  public  milanais. 

Avec  la  vive  émotion  d'nn  artiste  je  salue  en  vcos,  dans  la  patrie  de  l'art,  un  frère 
généreux... 

La  mésaventure  dernière  survenue  dans  les  destinées  milanaises  de  Louise 
n'influera  d'ailleurs  aucunement  sur  son  avenir  en  Italie.  On  peut  dire  que 
notre  puilic  s'est  familiarisé  de  plus  en  plus  avec  1'  «  art  nouveau  »  de  cette 
œuvre  et  elle  figure  au  premier  rang  du  cartelhiie  déjà  publié  pour  la  prochaine 
saison,  à  côté  de  Sapho  et  de  Werther,  les  deux  belles  partitions  de  Massenet,  » 

—  Il  circule  à  Milan  une  foule  d'  ».  on  dit  »  sur  la  prochaine  saison  du 
théâtre  de  la  Scala.  Ceux  qui  se  prétendent  bien  informés  assurent  que  le 
répertoire  de  cette  saison  est  déjà  établi  en  parlie  et  qu'il  comprendrait, 
entre  autres  ouvrages,  la  Valkyrie,  Haensel  et  Gretel,  Linda  di  Chamounix,  un 
Ballo  in  masehera,  et  un  opéra  inédit,  lolatula,  paroles  de  M.  Giovanni  Borelli, 
critique  musical  du  journal  tAlba,  musique  de  M.  Floridia,  et...  et...  et... 
Néron,  le  fameux  Néron,  l'opéra-fantôme  de  M.  Arrigo  Boitol  Parmi  les 
artistes  réengagés,  on  signale  en  même  temps  les  noms  de  M""»  Pinto  et  de 
MM.  Caruso,  Magini-Coletti  et  Luppi.  On  ajoute  que  rien  n'est  encore  fixé 
en  ce  qui  concerne  le  protagoniste  de  Néron.  Je  le  crois  bien.  Il  faudrait 
d'abord  être  sûr  que  l'opéra  est  fait. 

—  On  assure,  dit  le  Mondo  arlistieo,  que  le  baron  Franchetti  père  prendra 
l'automne  prochain  la  direction  du  théâtre  de  la  Fenice  pour  y  faire  repré- 
senter la  Germania  de  son  fils,  le  maestro  Alberto  Franchetti.  Ce  n'est  pas  la 
première  fois  que  M.  Franchetti  se  fait  imprésario  pour  faire  représenter  les 
œuvres  de  son  fils. 

—  Le  29  juillet  prochain,  triste  anniversaire  de  la  mort  tragique  du  roi 
Humbert,  on  exécutera  à  Rome,  au  Panthéon,  la  messe  funèbre  expressément 
écrite  pour  cette  circonstance  par  M.  Leoncavallo.  Les  artistes  choisis  pour 


chanter  cette  messe  sont  M""«s  Carelli  et,  Guerrini,  le  ténor  Bonci  et  le  bary- 
ton Pacini.  L'exécution  sera  dirigée  par  M.  Alessandxo  Pomè. 

—  Un  journal  italien  pnblie  une  lettre  signée  du  nom  d'un  certain  Carlo 
Donizzetti  (avec  deux  z),  se  disant  fils  de  l'auteur  de  Luàe  êe  Lammermoor  et 
de  Dan  Pasqvale,et  qui  invoque:  à  ce  titre  la  charité  publique.  On  ne  savait  pas 
jusqu'ici  que  Donizetti,.  en  mourant,  ait  laissé  aucun  enl'aut.  En  tout  cas, 
celui-ci  devrait  connaître  au  moins  l'orthographe  de  son  nom. 

—  On  télégraphie  de  Berlin  que  le  Reichstag  a,  en  troisième  lecture,  pu- 
rement: et  simplement  voté  la  loi  sur  le  «  droit  d'auteur  »  telle  qu'elle  avait, 
été  fixée  eu  deu.xième  lecture.  La  durée  du  droit  d'auteur  reste  donc  limitée 
à,  trente  ans  après  la  mort  du  compositeur.  Uu  journal  de  Berlin  dit  cepen- 
dant qu'une  modification  favorable  de  la  loi  pourrait  encore  se  produire  ' 
avant  1913,  époque  à  laquelle  les  œuvres  de  Richard  Wagner  doivent  tomber 
dans  le  domaine  public. 

—  De  Berlin,  par  dépêche,  onnous  annonce  le  suacès  remporté  par  le  ballet 
posthume  de  Johann,  Strauss  :  Cendrillon.  C'est  du  «  meilleur  Strauss  »,  nous 
dit-on. 

—  L'opéra  que  l'empereur  Guillaume  II  a  commandé  au  compositeur  Leonr 
cavallo  est  terminé,  parait-il,  et  la  partition  se  trouverait  déjà  entre  les  mains 
du  comte  Hochberg,  intendant  des  tliéâtres  royaux  de  Berlin.  On  sait  que  le 
sujet  de  l'ouvrage  est  tiré  du  roman  de  Willibald  Alexis,  Roland  de  Berlin, 
dont  il  portera  le  titre.  Le  premier  acte  se  passe  à  Berlin,  devant  le  palais 
du  margrave;  le  second  chez  le  bourgmestre  Rathenow;  le  troisième  à 
l'Hôtel  de  Ville  de  Berlin;  le  quatrième  de  nouveau  chez  Rathenow.  Le 
maestro  a  fait  du  margrave  Frédéric  de  Brandebourg  un  prince  énergique, 
intelligent,  qui  se  consacre  tout  entier  au  bonheur  de  son  peuple.  Contraire- 
ment à  ce  qui  advient  dans  le  roman,  l'opéra  se  termine  par  la  réconciliation 
des  deux  grands  ennemis,  le  margrave  et  le  bourgmestre.  On  dit  qui  la  par- 
tition contient  d'adroites  adaptations  d'anciens  airs  prussiens,  entre  autres 
une  chanson  d'amour  de  1332,  la  «  danse  des  princes  »  de  1.530,  la  «  danse 
des  mendiants  »  de  1514,  la  chanson  du  prince  Joachim-Ernest  d'Anhalt,  etc. 
On  attend  comme  prochaine  la  mise  à  l'étude  du  nouvel  ouvrage. 

—  «  Le  lied  vivant  limited.  »  Uue  société  anonyme  s'est  constituée  sous  ce 
titre  bizarre  à  Berlin;  elle  se  propose  de  faire  chanter  des  lieder,  ballades, 
chansons  burlesques,  etc.,  par  des  artistes  costumés.  La  Société  a  obtenu  du 
nouvel  Opéra  impérial  (ancien  théâtre  KroU)  une  salle  contenant  trois  cents 
places  environ  et  les  représentations  auront  heu  du  13  mai  au  15  septembre. 

—  Un  journaliste  viennois  publie  une  entrevue  qu'il  dit  avoir  eue  avec  le 
compositeur  AntouDvorak,  dont  on  parle  beaucoup  en  ce  moment.  M.  Dvorak, 
parait  il,  se  plaint  amèrement  que  son  dernier  opéra,  Russalka,  soit  négligé 
en  Allemagne  ainsi  que  ses  autres  ouvrages  dramatiques.  Ce  manque  de  popu- 
larité de  ses  œuvres  le  chagrine,  et  il  déplore  de  ne  pouvoir  obtenir  un 
succès  comme  celui  qu'obtinrent  jadis  à  Vienne  Cnn/ien  ei  la  Reine  de  Saba. 
Malgré  ce  tort  que  lui  font  les  théâtres  allemands  en  prenant  si  peu  d'intérêt 
à  ses  opéras,  M.  Dvorak  déclare  que  probablement  il  se  décidera  à  ne  plus 
travailler  désormais  que  pour  la  scène,  s'il  trouve  des  livrets  qui  lui  convien- 
nent, particulièrement  une  fable  ou  un  sujet  mystique,  parce  que  les  sujets 
modernes  qu'on  lui  propose  ne  lui  procurent  aucune  impression  musicale. 
M.  Dvorak  annonce  qu'il  fera  prochainement  un  voyage  en  Italie,  qu'il  ne 
connaît  pas  encore. 

—  Le  journal  Neue  musikalische  Presse,  de  Vienne,  avait  ofl'ert  un  prix  de 
300  couronnes  pour  la  meilleure  composition  symphonique.  Ce  prix  vient 
d'être  attribué  à  M.  Franz  Schreker,  élève  du  Conservatoire  de  Vienne,  pour 
son  Intermezzo.  Le  compositeur  n'est  âgé  que  de  23  ans. 

—  Il  paraît  qu'on  vient  de  former,  pour  le  Carlthéàtre  de  Vienne,  une 
troupe  italienne  d'opéra-comique.  On  cite  les  noms  suivants  d'artistes  enga- 
gés :  M"""*  De'  Spada,  Gisterna,  Almansi,  Giardini  et  Parisotti,  les  ténors 
Armandi,  Giannini  et  Bertini,  les  barytons  Rossini,  Zanini  et  Zara,  et  les 
basses  comiques  Caiacciolo  et  Barocchî.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Dufl'au. 

—  Au  nouveau  théâtre  du  prince-régent  à  Munich,  qui  est,  comme  on  sait, 
construit  d'après  les  principes  de  celui  de  Bayreuth,  les  travaux  ont  fait  des 
progrès  si  considérables  que  l'inauguration  est  d'ores  et  déjà  fixée  au  'il  août 
prochain.  Jusqu'au  28  septembre,  l'œuvre  de  Richard  VVagner  fera  les  frais 
du  répertoire;  on  ne  jouera  cependant  que  Taiinhduser,  Lolwngrin,  Tristctn  et 
Iseult  et  les  Maîtres  chanteurs,  les  autres  œuvres  étant  jouées  cette  année  à 
Bayreuth.  En  dehors  des  artistes  et  de  l'orchestre  de  l'Opéra  royal  de  Mu- 
nich, plusieurs  artistes  étrangers  chanteront  en  représentation,  entre  autres  les 
ténors  Winkelraann  et  Schroedter,  le  baryton  Reichmann,  de  Vienne.  Les 
quatre  chefs  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Munich,  MM.  Fischer,  Zumpe,  Sta- 
venbagen  et  Roehr,  dirigeront  les  représentations. 

—  Le  théâtre  royal  de  Dresde  prépare  une  reprise  du  charmant  opéra- 
comi'iue  de  Delibes,  le  Roi  l'a  dit,  avec  une  nouvelle  distribution  et  une  nou- 
velle mise  en  scène.  Après  celte  reprise  aura  lieu  la  représentation  de  l'opéra 
inédit  de  M.  Paderewski. 

—  A  l'Opéra  municipal  de  Hambourg,  l'opéra-comique  le  Jeune  duc  étourdi 
de  M.  Siegfried  VVaguor  vient  d'être  joué  avec  un  succès  incontesté.  La  dis- 
tribution et  la  mise  en  scène  étaient  excellentes. 

—  A  Francfort  a  été  jouée  par  l'orchestre  du  Palmengarten,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Kaempfen,  une  nouvelle  symphonie  de  M.  Emmanuel  Moor. 


I 


LE  ftffiNESmEL 


143 


—  Un  amateur  de  Kœnigsberg,  le  docteur  Walter  Simon  (qui  n'est 
pas  docteur  en  Allemagne?),  a  annoncé  récemment  qu'il  était  prêt  à 
donner  lO.UOO  marcs  ,(12.S00  francs)  pour  le  meilleur  opéra  populaire  inédit. 
Là-dessus,  il  a  déjà  reçm  cinq  cents  partitions  !  Et  le  délai  fixé  n'expire  que  le 
l"  juillet  prochain,  ceiqui  offre  encore  de  la  marge  pour  les  envois. 

—  Le  théâtre  royal  de  Gassel  a  fjoné  avec  succès  un  nouvel  opéra  en  un 
acte  intitulé  le  Ohef-d'œame  de  Wolfram,  muBitfue  de  M.  Rodolphe  Ibener. 

—  Grand  succès  à  Gratz  pour  M™  Arnoldson  dans  Mignon.  On  lui  a  bissé 
d'enthousiasme  la  romance  Connais-tu  et  la  Styrienne,  ainsi  que  le  duo  des 
hirondelles.  Ajoutons  que  la  charmante  artiste  a  eu  un  triomphe  aussi  grand 
avec  ta  Fille  du  régiment,  qu'elle  vient  d'ajouter  à  son  répertoire  déjà  si  riche 
et  si  varié.* 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Pétprsbourg  :  La  Conjuration  des  Fleurs,  poème 
satirique  pour  orchesti'e  et  chœurs  de  Bourgault-Ducoudray,  vient  d'être  exé- 
cutée avec  un  très  grand  succès  au  dernier  concert  de  la  Cour  imjjériale. 

—  On  annonce  que  M.  Hippolyte  Ivanoff,  qui  est  en  même  temps  un  cri- 
tique distingué,  vient  de  terminer  un  opéra  grandiose  qui  a  pour  titre  le 
19  février.  Cette  date  est  celle  à  laquelle  fut  publié  le  fameux  décret  du  czar 
Alexandre  II  qui  abolissait  le  servage  en  Russie. 

—  Le  prix  rie  SOO  roubles,  soit  2.000  francs,  offert  par  la  Société  de  musi- 
que de  chambre  de  Saint-Pétersbourg  pour  un  quatuor  à  cordes,  a  été  attri- 
bué au  jeune  compositeur  W.  Solotaref.  Le  jury  était  composé  de  MM.  Rimsky- 
Korsakof,  Arensky  et  Napravnik, 

—  La  nouvelle  grande  salle  du  Conservatoire  de  Moscou  vient  d'être  inau- 
gurée musicalement  par  M.  Charles  Widor.  L'excellent  artiste  s'est  fait  en- 
tendre le  premier  sur  l'orgue  superbe  qu'un  riche  citoyen  de  Moscou  a  offert 
au  Conservatoire,  et  son  succès  a  été  extraordinaire.  M.  Widor  a  tenu  l'audi- 
toire pendant  plus  de  deux  heures  sous  le  charme  de  son  exécution  brillante. 
A  la  demande  générale,  il  a  dû  donner  en  plus  une  matinée  populaire  à  la  fin 
de  laquelle  il  a  été  acclamé. 

—  Nous  recevons  de  Londres  les  meilleures  nouvelles  sur  le  grand  ;S.uccès 
remporté  par  M.  Colonne,  au  festival  qu'on  avait  organisé  au  Queen's  Hall  en 
son  honneur.  On  lui  a  fait  une  véritable  ovation.  Au  même  concert,  M.  Bu- 
soni  a  joué  très  brillamment  le  concerto  en  mi  bémol  de  Liszt,  etW"" Blanche 
Marches!  a  chanté  l'air  â.'Akina  de  Haendel  qui  lui  a  valu  deux  rappels. 

—  Le  Savoy-Théâtre  est  arrivé  à  jouer  l'opéra  posthume  de  sir  Arthur 
Sullivan,  l'Ile  d'émcraude,  malgré  la  mort  de  l'auteur  et  celle  de  l'ancien  direc- 
teur du  théâtre,  M.  d'Oyly  Carte.  Sullivan  n'avait  laissé  que  plusieurs  mor- 
ceaux du  premier  acte  emtièrements  écrits  et  orchestrés;  toutefois  d'autres 
morceaux  du  même  acte  et  quelques  passages  du  deuxième  se  trouvaient 
esquissés  par  lui.  C'est  M.  Edward  German  qui  a  comploté  l'œuvre,  dont  la 
majeure  partie  peut  lui  être  attribuée.  La  distribulion  et  la  mise  en  scène  ne 
laissaient  rien  à  désirer.  M.  German,  qui  a  dirigé  la  première  représentation, 
a  été  rappelé,  ainsi  que  les  interprètes,  et  on  prévoit  un  grand  nombre  de 
représentations. 

—  Un  journal  de  Londres,  le  Morning  Post,  exprime  le  désir  qu'un  réunisse 
une  somme  de  ISO. 000  francs  pour  être  distribuée  aux  compositeurs  anglais 
qui  écriront  les  meilleurs  hymnes  de  remerciement  à  la  Providence  pour 
tous  les  bénéfices  que  le  dernier  siècle  a  apportés  à  l'Angleterre.  Cette 
somme  devrait  être  partagée  en  douze  parts  égales.  Il  est  à  regretter  que 
M.  Chamberlain  et  son  acolyte  Jameson  ne  soient  pas  compositeurs!  Quel 
bel  hymne  d'actions  de  grâce  ils  pouri  aient  écrire  sous  ce  simple  titre  :  La 
Guerre  du  Transuaal! 

—  La  direction  du  théâtre  du  Baen  Ketiro,  à  Madrid,  vient  d'ouvrir  un 
concours,  réservé  aux  seuls  musiciens  de  nationalité  espagnole,  pour  la  com- 
position d'un  opéra.  Le  prix  est  de  S. 000  pesetas,  soit  5.000  francs. 

—  C'est,  selon  les  journaux  de  Madrid,  avec  un  succès  d'enthousiasme  qu'a 
été  accueillie,  au  théâtre  de  la  Zarzuela,  une  zarzuela  dramatique  en  trois 
tableaux, /a  Barcaroto,  paroles  de  M.  Eugenio  Sellés,  musique  de  MM.  Cabal- 
lero  et  Lapuerta.  L'œuvre,  dont  l'action  se  passe  à  Venise,  est  très  pathétique, 
et  .a  été  jouée  et  chantée  à  souhait  par  M"°"  Lucrecia  Arana,  MM.  Sigler, 
Pablo  Arana  et  Angoloti.  Elle  est  montée  avec  un  grand  luxe,  et  les  décors 
nouveaux  du  peintre  Muriel  ont  contribué  pour  leur  part  au  succès.  —  Au 
théâtre  Romea  autre  zarzuela,  el  Tio  de  Alcala,  celle-ci  d'un  genre  comique, 
paroles  de  M.  Carlos  Arniches,  musique  de  M.  Montesinos. 

—  Ce  ne  sont  plus  seulement  des  blés,  des  jambons  et  des  oranges  que  les 
Etats-Unis  expédient  en  Europe,  mais  aussi  des  instruments  de  musique, 
surtout  des  pianos.  En  190O  cette  exportation  d'instruments  de  musique  a 
atteint  une  valeur  de  2.1  IS. 516  dollars,  soit  10.577.580  francs.  Ces  dix  millions 
et  demi  représentent  une  concurrence  très  importante  faite  aux  fabricants 
européens.  Malheureusement  il  faut  s'attendre  avoir  le  chiffre  de  cette  expor- 
tation augmenter  encore. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Hier  samedi  a  eu  lieu,  à  la  salle  Charras,  l'assemblée  générale  annuelle 
des  membres  sociétaires  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramati- 
ques. Nous  en  dirons  dimanche  prochain  le  résultat.  Rappelons  que  les  six 
commissaires  sortants,  non  rééligibles  avant  une  année,  étaient  MM.  Georges 
Feydeau,  Ludovic  llalévy,  Henri  Lavedan, Edmond  Rostand,  auteurs,  et  M.  J. 


Masseuet,  compositeur.  Plus  Henri  de  Bornier,  décédé.  Les  candidals  qui  se 
présentaient  pour  les  remplacer  étaient  MM.  Eugène  Brieux,  Alfred  Capus, 
Pierre  Decourcelle,  Paul  Hervieu,  Paul  Ferrier,  lAndré  Sylvane,  auteurs,  et 
M.  Louis  Varney,  compositeur.  Le  j-apport  était  présenté  par  M.  Maurice 
Donnay. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  musiciens, 
fondée  par  le  baron  Taylor,  se  tiendra  dans  la  grande  salle  du  conservatoire 
national  de  musique  et  de  déclamation,  le  mardi  limai,  à  deux  heures  pré- 
cises. Ordre  du  jour  :  1»  Compte  rendu  des  travaux  du  comité  pendant  l'année 
1900,  par  M.  Auge  de  Lassus,  secrétaire  rapporteur;  2°  Election  de  treize 
membres  du  comité. 

—  L'entrée  en  loges,  au  palais  de  Compiégne,  pour  le  concours  d'essai, 
des  aspirants  au  Prix  de  Rome  de  composition  musicale,  siest  faite  hier  à 
dix  heures.  Sortie  le  vendredi  10  mai,  même  heure.  Les  concurrents  qui 
prennent  par  à  ce  concours  d'essai  sont  MM.  Tîuuc,  Crocé-Spinelli,  Gallon, 
Pech,  Domery,  Caplet,  Bertelin,  Biancheri,  Dupont-Germain,  Laparra,  Tré- 
misot,  Revel,  Ducasse,  Ladmirault,  du  Conservatoire,  et  Bérard,  de  l'école 
Niedermeyer. 

—  C'est  jeudi  prochain,  9  mai,  que  doit  avoir  lieu  au  Conservatoire  l'exer- 
cice annuel  des  élèves.  Dès  la  fin  'du  mois  commencera  la  série  des  examens 
à  la  suite  desquels  seront  désignés  les  élèves  qui  prendront  ^art  aux  pro- 
chains concours. 

—  A  la  suite  de  plusieurs  plaintes  relatives  à  la  concurrence  que  faisaient 
à  des  musiciens  civils  les  chefs  de  musique,  soit  en  donnant  des  leçons  en 
ville,  soit  en  dirigeant  des  sociétés  locales ,  le  ministre  vient  de  "décider 
qu'ayant  désormais  la  qualité  d'oflîcier  avec  toutes  ses  prérogatives  et  avan- 
tages, ces  chefs  ne  devront  plus,  à  l'avenir,  exercer  en  dehors  de  l'armée  des 
fonctions  rétrihaées.  L'interdiction  ne  s'étend  pas  aux  droits  d'auteur  dont  ils 
peuvent  être  bénéficiaires  pour  des  morceaux  de  leur  composition,  et  elle 
n'est  pas  applicable  aux  sous-chefs  de  musique. 

—  La  Vision  du  Dante,  la  symphonie  de  M.  Brunel,  primée  au  grand  con- 
cours musical  de  la  Ville  de  Paris  de  1897-1900,  sera  exécutée  dans  le  courant 
du  mois  d'octobre  prochain,  au  Chàtelet,  par  l'orchestre  Chevillard. 

—  M.  Albert  Carré  ne  s'endort  pas  dans  les  délices  de  l'Ouragan  et  il  a 
peut-être  raison.  Deux  nouveaux  spectacles  —  deux  reprises  —  sont  au  ta- 
bleau des  études  :  celle  du  Falsta/f  de  Verdi  pour  la  rentrée  de  l'étonnant 
baryton  Maurel,  le  héros  du  ./e  ne  sais  quoi,  et  celle  du  Domino  noir,  l'œuvre 
charmante  d'Auber,  qu'on  n'a  pas  entendue  depuis  si  longtemps. 

—  Prochainement,  à  l'Opéra-Comique,  nous  aurons  la  bonne  fortune  d'en- 
tendre, dans  une  représentation  au  bénéfice  d'une  bonne  œuvre,  la  grande 
cantatrice  Theodorini,  qui  jouit  en  Italie  d'une  si  belle  réputation.  Elle  chan- 
tera la  Navarraise  de  MM.  Massenet  et  Henri  Gain,  où  elle  est  des  plus  remar- 
quables. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Basoche  et  les  Amoureux  de  Catherine:  le  soir,  Louise. 

—  Le  monument  élevé  à  Auguste  Vitu,  sous  le  patronage  d'un  comité 
composé  de  MM.  Camille  Le  Senne,  Edouard  Noël,  Maurice  Quentin-Bau- 
chard  et  Maxime  Vitu,  a  été  inauguré  dimanche  matin,  au  Père-Lachaise. 
Malgré  l'heure  matinale,  de  nombreux  amis  s'étaient  joints  aux  membres  du 
comité  et  à  la  famille.  MM.  Massenet,  Alexandre  Bisson  et  Paul  Milliet, 
représentaient  la  Société  des  auteurs  dramatiques.  Devant  le  buste  en  bronze, 
œuvre  très  ressemblante  et  très  appréciée  du  statuaire  Ernest  Guilbert, 
M.  Adrien  Bernheim,  commissaire  du  gouvernement,  délégué  parle  ministre 
de  l'instruction  publique  et  le  directeur  des  beaux-arts,  a  prononcé  une 
allocution  rapide,  mais  substantielle  et  amicalement  émue,  dont  le  succès  a 
été  très  vif.  M.  Henry  Fouquier,  représentant  la  Société  des  gens  de  lettres, 
a  résumé  la  carrière  de  son  émineut  prédécesseur  en  le  suivant  à  travers  son 
œuvre  multiple  de  polygraphe,  et  terminé  par  des  considérations  générales 
du  plus  vif  intérêt  sur  les  droits  et  les  devoirs  du  critique.  M.  Camille 
Le  Senne,  qui  parlait  comme  président  du  comité  Vitu  et  comme  délégué  de 
l'Association  de  la  critique,  n'a  pas  été  moins  applaudi  en  analysant  l'œuvre 
littéraire  d'Auguste  Vitu  et  en  rappelant  sur  quels  principes  le  brillant 
critique  avait  établi  une  autorité  qui  s'est  exercée  pendant  vingt  ans. 

—  Nous  empïuntons  de  'M.  Alfred  Delilia  du  Figaro  les  intéressants  rensei- 
gnements qui  suivent  1  «  A  peine  avait-il  terminé  sa  partition  des  Barbares 
que  le  maître  Saiat-Saëns,  qui  est  infatigable,  écrivait  la  musique  de  Bacchus 
mystifié,  ballet-pantomime  inédit  en  un  acte,  sur  le  livret  de  M.  Silva  Sicard. 
Bacchus  mystifié  sera  donné  pour  la  première  fois  aux  arènes  de  Béziers,  les 
23  et  27  août  prochains,  par  les  soins  de  M.  F.  Castelbon  de  Beauxhosles.  un 
organisateur  érudit  auquel  on  doit  les  fêtes  d'art  précédentes.  Ce  divertisse- 
ment est  une  fantaisie-boull'e,  réglée  par  M.  Bucourt,  l'habile  maître  de  ballet 
du  théâtre  de  la  Gaité. 

Il  comprend  trois  personnages  principaux  : 

Bacchus  MM.  Bucourt  (premier  mime) 

Silène  de  Gaspari  (mime  comique) 

Eglé  ÎU""  lirîanza  (première  danseuse) 

'Plus  soixante  danseuses  et  cent  coryphées. 
Bacchus  mystifié  accompagnera  sur  l'affiche  une  nouvelle  représentation  de 
Prométhée,  la  tragédie  lyrique  de  M.  Gabriel  Fauré,  qui  obtint  un  si   brillant 
succès  l'année  dernière  et  qui  sera  ainsi  interprétée  : 


144 


LE  MÉNESTREL 


RÉCITANTS 

Prométhée  M.  de  Max 

Pandore  M""  Laparcerie 

CHANT 

Andros  MM.  Eousselière 

Cralos  Fonics 

Hephaïlos  Vallier 

Gaïa  M»"  Flahaut 

Bia  Fierens 

Aenœ  Armande  Bourgeois 

M.  Gailhard  a  rais  avec  la  plus  grande  amabilité  ses  artistes  à  la  disposi- 
tion de  MM.  Castelbon  et  Fauré  pour  cette  solennité.  M.  Jambon  travaille  à 
certains  détails  de  décoration  et  les  costumes  seront  de  M.  Cousin.  L'orchestre 
se  composera  de  430  exécutants,  ainsi  établis  : 

Instruments  à  cordes 100 

Musique  du  2=  génie 90 

La  Lyre  bitterroise 110 

Musique  du  17"  de  ligne.    ...       80 

Harpes  Erard 20 

Tromp-iltes  d'iiarmonie  ....       30 

Ajoutons  que  les  arènes,  qui  étaient  eu  cours  de  construction,  ont  pu  être 
terminées  grâce  à  un  groupe  d'amateurs  dévoués  et  à  la  ville  de  Béziers,  qui 
ont  réuni  les  80.000  francs  nécessaires  à  l'achèvement  des  travaux.  On  a 
complété  la  salle  en  forme  d'hémicycle  par  des  loges  du  plus  heureux  effet  et 
d'une  réelle  utilité.  Les  représentations  des  2b  et  27  août  auront  lieu  à  trois 
heures.  » 

—  On  a  vendu  récemment,  dans  une  vente  d'autographes,  une  pièce  inté- 
ressante, signée  par  la  célèbre  cantatrice  Henriette  Sontag,  la  rivale  de  la 
Malibran,  et  les  deux  directeurs  des  théâtres  italiens  de  Paris  et  de  Londres, 
Laporte  et  Lament.  Il  s'agit  du  traité  par  lequel  Henriette  Sontag  s'engageait 
à  donner  à  Londres  quatorze  représentations,  pour  chacune  desquelles  elle 
devait  toucher  90  livres  sterling,  soit  2.230  francs.  Elle  avait  droit,  en  outre, 
à  une  représentation  à  son  bénéfice  devant  lui  rapporter  au  moins  1.000  livres , 
c'est-à-dire  2S.000  francs,  minimum  qui  lui  était  garanti  par  se;  directeurs. 
Si  l'on  additionne  ces  chiffres  on  voit  qu'e'le  recevait  en  réalité,  pour  chacune 
de  ces  quinze  représentations,  une  somme  de  4.433  francs,  ce  qui  est  un  assez 
joli  denier  pour  l'époque.  Il  reste  encore  un  certain  nombre  de  chanteurs  qui 
s'en  contenteraient  aujourd'hui. 

—  Derniers  échos  de  l'Exposition  :  S.  M.  le  Roi  de  Suède  vient  de  faire 
remettre  à  M.  Laurent  de  Rillé  les  insignes  de  première  classe  de  l'ordre  des 
chevaliers  de  Saint-Olaf. 

—  La  Société  des  concerts  du  Vaudeville  a  donné  jeudi  sa  dernière  séance 
sous  la  direction  de  M.  Gabriel  Marie,  qui  a  conduit  avec  sa  vailla  nce  accou- 
tumée. Il  y  avait  au  programme  l'ouverture  de  cette  Gweiiloline  de  Gbabricr 
qu'on  ouUie  trop  à  l'Opéra,  la  symphonie  en  la  de  Beethoven,  l'ouverture  du 
Carnaval  romain  de  Berlioz,  des  danses  norvégiennes  de  Grieg,  l'oratorio  de 
Noël  de  Bach,  Musique  sur  l'eau  de  Haendel.  Un  étiucelant  virtuose  a  pris 
aussi  sa  grande  part  da  succès,  le  jeune  violoniste  tchèque  Kubelik,  vrai- 
ment extraordinaire  dans  le  concerto  de  Vieuxtemps  et  les  variations  de 
Paganini.  Le  public  l'a  accueilli  avec  une  véritable  frénésie  et  on  peut 
dire  qu'il  a  été  le  grand  triomphateur  de  cette  série  de  concerts  donnée  au 
Vaudeville. 

—  La  première  séance  annuelle  de  la  «  Société  des  instruments  anciens  », 
donnée  mardi  dernier  à  la  salle  Erard,  a  été  des  plus  brillantes.  C'est  une 
délicieuse  évocation  artistique  que  de  faire  revivre  ainsi  les  œuvres  des  vieux 
maîtres  sur  les  instruments  du  temps,  instruments  pour  lesquels  elle  furent 
écrites.  M.  Louis  Diémer  a,  comme  d'habitude,  émerveillé  sur  le  clavecin, 
dont  il  tire  des  effets  si  variés  :  on  l'a  trissé.  Même  succès  pour  MM.  Laurent 
Grillet,  si  remarquable  sur  sa  vielle,  Van  "Waefelghem,  avec  sa  tendre  et 
poétique  viole  d'amour,  et  G.  Papin,  qui  remplace  le  regretté  J.  Delsart  sur 
la  «  viola  di  gamba  ».  M"'  Marcella  Pregi,  l'éminente  cantatrice,  et  M.  Gau- 
bert  ont  été  également  très  fêtés.  Mardi  7  mai,  à  quatre  heures,  salle  Erard, 
deuxième  et  dernière  séance,  avec  le  concours  de  M"^  Dalsème-Ribeyre  et 
de  M.  G.  Gillet. 

—  Mme  Marchesi  a  donné  jeudi  dernier  une  séance  d'élèves  très  brillante, 
dont  le  programme,  divisé  en  deux. parties,  était  consacré  pour  la  première 
à  Mozart,  pour  la  seconde  à  M.  Théodore  Dubois.  Une  délicieuse  sélection 
de  M(zart,  comprenant  des  fragments  d'il  Rc  paMore,  à'hloineiwo,  Titus,  Don 
Juan,  Cosi  fan  lutte,  lu  Flûte  enchantée  et  les  Noces  de  Figaro,  nous  a  mis  à  même 
d'apprécier  les  belles  voix  et  le  talent  déjà  formé  de  plusieurs  jeunes  artistes 
qui  promettent  un  avenir  brillant,  tels  que  M'"^^  Lucie  Lenoir,  Amélie  Molitor, 
Florence  Rivington,  Maggie  Scirling,  Glacia  Galla,  Elisabeth  Parkinson,  ainsi 
que  M"'s  Ellen  Jaw  et  Gertrude  Conrad.  Le  duo  des  Noces  de  Figaro  par 
M"«s  Lenoir  et  Molitor,  et  le  quintette  l'e  Cosi  fan  lutte  par  M"»*  Parkinson  et 
Rivington,  avec  le  concours  de  MM.  LalBlte,  Allard  et  Huberdeau,  ont  pro- 
duit surtout  un  ell'et  d'enthousiasme.  On  a  entendu  dans  la  seconde  partie, 
consacrée  à  M.  Théodr re  Dubois,  deux  élégantes  mélodies  :  Par  le  sentier  et 
Matin  d'avril,  gracieusement  dites  par  M""»  Suzanne  Portât,  un  beau  duo  de 
Notre-Dame  de  la  Mer,  qui  a  fait  applaudir  M""  Calla  et  M.  Laffitte,  et  plusieurs 
morceaux  d'Aben-Hantet  (chœur  de  femmes,   prière,  arioso,   madrigal),   par 


jfues  Parkinson  et  Claudia  Lasell  et  M.  Allard.  Le  délicieux  duelto  du  pre- 
mier acte,  chanté  par  M"«  Calla  et  Conrad,  a  surtout  été  acclamé  et  a  retrouvé 
tout  le  succès  qu'il  obtint  jadis  au  théâtre.  L'auteur,  qui  accompagnait  lui- 
même  ses  œuvres,  a  été  vigoureusement  applaudi.  C'est  M.  Mangin  qui,  avec 
son  habileté  ordinaire,  accompagnait  la  première  partie  du  programme. 

—  M.  Edouard  Risler  a  fait  entendre,  dans  les  trois  premiers  concerts 
qu'il  a  donnés  cette  année,  salle  Pleyel,  plusieurs  pièces  charmantes  des 
clavecinistes  français  Couperin,  Daquin,  Rameau  et  des  ouvrages  de  Bach, 
Haendpl,  Scarlatti,  Haydn,  Mozart,  Schubert,  Weber  et  Mendelssohn;  puis 
quatre  sonates  de  Beethoven,  op.  26,  33,  106  et  lil.  L'interprétation  a  été 
hautement  i atéressante.  Chez  M.  Risler  la  technique  est  très  ferme,  la  sonorité 
très  cherchée,  très  trouvée,  les  effets  de  pédale  sont  essentiellement  person- 
nels. Le  jeu,  toujour.-î  limpide  et  transparent,  ne  lasse  jamais  l'attention  bien 
que  son  pouvoir  évocateur  demeure  circonscrit;  il  s'en  dégage  un  sentiment 
de  fraîcheur  agreste,  on  oserait  presque  dire  un  caractère  bucolique  après 
avoir  entendu  le  finale  de  la  sonate  l'Aurore.  Dans  le  genre  classique,  c'est  en 
cela,  semble-t-il,  que  s'affirme  le  plus  la  supériorité  de  l'artiste.  D'une  façon 
générale,  nous  pouvons  dire  que  l'interprétation  d'ensemble  ne  fait  pas  saisir 
immédiatement  dans  un  morceau  le  rapport  harmonieux  de  toutes  les  parties 
entre  elles;  le  contpur  chantant,  la  continuité  mélodique  sont  assez  souvent 
subordonnés  à  des  recherches  pianistiques  ayant  pour  résultat  de  mettre  en 
relief  des  motifs  secondaires.  Le  procédé  a  son  charme,  incontestablement. 
Le  succès  de  ces  séances  a  été  très  grand;  succès  musical  et  succès  d'inter- 
prétation. Les  trois  derniers  concerts  sont  consacrés  aux  œuvres  de  Chopin, 
Schumann,  Liszt,  Saint-Saëns,  Théodore  Dubois,  Ghabrier  et  de  quelques 
autres  compositeurs  français.  A.M.  B. 

—  Un  jeune  pianiste  et  un  jeune  vidonisle,  MM.  Gabriel  Jaudoin  et  Louis 
Duttenhofer,  tous  deux  également  distingués,  ont  donné  une  séance  de  musi- 
que de  chambre  extrêmement  intéressante  et  parla  composition  du  programme 
et  par  le  talent  qu'ils  ont  déployé  dans  son  exécution.  Ce  programme  était 
ainsi  formé  :  sonate  en  ré  de  Haendel,  sonate  en  la  mineur  de  Schumann, 
trio  avec  cor  de  Brahms  (avec  le  concours  de  M.  Vialet),  sonate  en  la  de 
M.  Gabriel  Faui  é,  sonate  de  César  Franck.  On  n'a  pas  applaudi  seulement 
la  remarquable  virtuosité  de  nos  artistes,  mais  le  style  qu'ils  ont  su  apporter 
dans  l'interprétation  de  ces  œuvres  diverses,  en  donnant  à  chacune  le  relief 
et  la  couleur  qui  lui  convenaient.  Leur  succès  a  été  très  grand. 

—  C'est  à  Johannès  Brahms,  le  maître  allemand  toujours  discuté,  mais  de 
plus  en  plus  apprécié  parmi  nous,  qu'était  consacrée  la  matinée  musicale  du 
samedi  27  avril,  à  la  Bodinière  :  avec  le  concours  de  M'^"  Marthe  Renesson 
et  du  pur  violoniste  Armand  Parent,  qui  ont  fort  bien  dit  la  profonde  Sonate 
en  sol  majeur,  M'"<^  Camille  Fourrier  s'est  fait  applaudir  dans  une  série 
très  variée  de  lieder  qui  ont  mis  en  valeur  la  personnalité  du  musicien  et  l'art 
très  délicat  de  la  cantatrice.  R.  B. 

—  M.  Pierre  Destombes,  l'excellent  violoncelliste,  rentre  à  Paris  après  une 
série  de  concerts  à  Saint-Quentin,  Noyon,  Arras,  Douai,  Tourcoing  et  Evreux. 
Le  jeune  virtuose  a  remporté  de  brillants  succès,  notamment  dans  l'Andante- 
cantabile  et  la  Cavatine  de  Th.  Dubois. 

—  Les  6,  8,  13  et  IS  mai,  à  la  Salle  Pleyel,  a  séances  de  sonates  classiques 
et  modernes  »  exécutées  par  Ysaye  et  Raoul  Pugno. 

—  Voici  qu'à  peine  nommé  au  poste  de  directeur  du  Conservatoire  de 
Toulouse,  M.  Karren  vient  de  donner  sa  démission.  Ancien  chef  de  musique 
de  l'armée,  il  a  voulu  introduire  dans  l'école  une  discipline  toute  militaire  et 
il  en  est  résulté  avec  le  conseil  municipal,  qui  a  la  prétention  de  s'ingérer 
dans  toutes  les  choses  artistiques  de  la  ville,  des  conflits  et  des  discussions 
qui  ont  abouti  à  ce  regrettable  résultat. 

—  De  Lyon  :  Un  public  nombreux  assistait  vendredi  dernier  à  l'auditiondes 
œuvres  de  César  Franck  organisée  par  M.  Jemain,  à  la  salle  Philharmo- 
nique. Le  programme  permettait  d'étudier  toute  l'évolution  du  talent  du 
maître  français  depuis  la  période  des  tâtonnements,  visible  dans  le  trio  en 
fa  dièse  mineur  op.  ^,  jusqu'à  l'épanouissement  complet  dans  le  quatuor  à 
cordes  et  le  célèbre  Quintette,  fort  bien  rendu  par  MM.  Jemain,  Faudray, 
Péronnet,  Ricou  et  Araldy.  Deux  grandes  œuvres  de  piano.  Prélude,  aria  et 
finale;  Prélude,  Choralet  Fugue,  très  fidèlement  interprétées  parM.  Jemain,  et  les 
pièces  vocales  finement  détaillées  par  M""*  Mauvernay  et  de  Lestang  complé- 
taient la  programme  de  ce  concert,  précédé  d'une  intéressante  conférence  de 
M.  Baldensperger,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres,  sur  la  vie  et  l'œuvre  de 
l'auteur  de  Rédemption. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  de  'Vicence  la  mort  d'un  jeune  ténor  à  peine  âgé  de  30  ans, 
Antonio  Ceppi,  à  qui  ses  premiers  succès  promettaient  une  brillante  carrière. 
De  l'hôtel  qu'il  habitait  on  avait  dû  le  transporter  à  l'hôpital  pour  une  dan- 
gereuse opération,  à  laquelle  il  n'a  pu  survivre.  Il  devait  partir  peu  de  jours 
après,  pour  aller  faire  une  saison  à  Valparaiso  et  à  Santiago  de  Chili. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  céder  pour  cause  de  santé,  grand  magasin  de  pianos,  orgues,  musi(jue, 
et  instruments.  Station  balnéaire,  maison  de  1"''  ordre  fondée  en  1812. 


3659.  —  e?"^  mm  —  1^°  i9. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  12  Mai  1901, 


(Les  Bureaux,  2"^,  rue  Yiyieime,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.; 


lie  Hamépo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  îlamépo  :  0  îf.  30 


Adresser  FRA^•co  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  fris,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musi(^e  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province,  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  bus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  ioterprèles  depuis  deux  siècles  (il"  article),  Paul  d'Esthées.  — 
II.  Bulletin  théâtral  :  première  représentation  de  Ma  féel  à  TOdéon,  Paui.-Emile  Che- 
valier. —  111.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (3"  article),  Camille 
Le  Senne.  —  IV.  Le  nouveau  Conservatoire  de  Moscou,  Ch.-M.  Widor.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 
SOUVENIR 
n°  9  des  Ndives,  de  Louis  Lacombe.  —  Suivra  immédiatement  :  Impression  dt 
neige,  tirée  du  Poème  du  silence,  d'ERNEST  Moret. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Au  très  aimé,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  d'après  Caroline  Duer. 
—  Suivra  immédiatement:  Ricerie,  n"  3  du  Forme  du  sileHce,  d'ERNEST  Moret. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 


(Suite.) 


II 

Voyageur  et  dilettante  étranger.  —  Le  journal  de  M'°^  Cradock.  —  Théâtres  et 
répertoires  de  province.  —  M'"'  Ponteuil  à  Marseille  en  4785.  —  Concerts  à  Mont- 
pellier: un  programme  copieux.  — M'"^  Dugazon  et  les  Trois  Sultanes  au  théâtre 
de  Toulouse.  —  A  Bordeaux  :  la  légende  de  la  loge...  demi-mondaine.  —  Le 
Tableau  parlant  du  PetU-Théàtre . 

La  France  eut  toujours  des  trésors  de  tendresse  pour  l'art 
étranger.  Nous  avons  vu  quelle  place  elle  lui  donnait  sur  ses 
programmes  de  théâtre  et  de  concert.  Il  nous  a  paru  intéressant, 
par  contre,  de  rechercher  si  les  autres  peuples  savaient  recon- 
naître cette  généreuse  hospitalité.  D'ordinaire,  l'étranger  qui 
daigne  vivre  ou  passer  seulement  dans  notre  pays,  ne  lui  pro- 
digue pas  sa  bienveillance.  Nos  lois  et  nos  mœurs,  nos  jeux  et 
nos  spectacles,  nos  hommes  politiques,  nos  soldats,  nos  lettrés, 
nos  artistes  trouvent  rarement  grâce  devant  des  voyageurs 
qu'influencent  déjà  des  idées  préconçues.  Ceux  qui  firent  leur 
tour  de  France  vers  la  fin  du  XVIH''  siècle  étaient  peut-être 
moins  prévenus  contre  une  nation  que  la  philosophie  avait 
transformée  ou  que  la  Révolution  donnait  en  exemple  à  l'Europe. 
Leurs  récits  trahissent  en  effet  l'une  ou  l'autre  de  ces  impres- 
sions, sinon  toutes  les  deux  ;   et  si  le  narrateur  formule  encore 


quelque  critique,  c'est  du  moins  sans  aigreur  et  même  avec  une 
réserve  qui  n'exclut  pas  une  certaine  sympathie. 

A  vrai  dire,  le  dilettantisme  étranger  aurait  eu  mauvaise  grâce 
à  dénigrer  un  art  qui,  somme  toute,  était  le  sien.  Car  c'était 
fort  rarement  au  génie  national  que  les  théâtres  parisiens  de- 
mandaient les  éléments  de  leurs  spectacles  et  la  composition  de 
leur  répertoire. 

Il  en  allait  de  même  des  scènes  provinciales,  dont  l'histoire, 
à  cette  époque,  est  assez  peu  connue  :  elles  jouaient  le  plus  sou- 
vent les  œuvres  des  maîtres  allemands  ou  italiens.  Les  relations 
des  touristes  étrangers  en  témoignent,  sans  préjudice  des 
appréciations,  favorables  ou  malveillantes,  que  nous  nous  étions 
déjà  proposé  de  relever. 

Un  Anglais,  homme  du  monde,  écrivain  à  ses  heures  et  pos- 
sesseur d'une  fortune  indépendante,  M.  Cradock,  était  venu 
dans  le  courant  de  l'année  1784  en  France,  autant  pour  la  visi- 
ter que  pour  permettre  à  sa  femme  de  rétablir  sa  santé  sous  un 
ciel  plus  clément.  Car  nous  ne  saurions  croire  que  les  médecins 
de  Londres  eussent  ordonné  à  cette  dame  les  pérégrinations 
incessantes,  en  tous  pays  et  en  toutes  saisons,  qui  marquèrent 
ce  voyage  de  deux  années.  M.  Cradock  leur  a  consacré  le  second 
volume  de  ses  Mémoires,  mais  sa  femme  en  composa  plus  spécia- 
lement un  .Journal,  dont  M'""  Delphine  Balleyguier  a  donné  une 
fort  élégante  traduction  (1). 

Là  sont  racontés,  au  jour  le  jour,  les  incidents  et  les  surprises, 
les  plaisirs  et  les  désagréments  de  cette  odyssée,  cependant 
sans  naufrage.  Les  théâtres  n'y  sont  pas  oubliés;  évidemment 
ces  deux  Anglais,  avec  leur  scepticisme  de  bonne  compagnie, 
sont  non  seulement  des  amateurs,  mais  encore  des  connais- 
seurs. 

Ils  séjournent  à  Marseille  pendant  les  premiers  mois  de  178S. 
En  janvier  ils  se  rendent  au  théâtre,  et  l'aspect  n'en  est  guère 
attrayant.  La  salle  est  spacieuse,  mais  d'une  vétusté  lamen- 
table et  d'une  propreté  douteuse.  On  n'y  peut  louer  que  quatre 
loges,  et  au  prix  de  quelles  formalités!  Nos  Anglais  assistent  à 
la  représentation  de  Biaise  et  Babet.  La  pièce  est  fort  mal  inter- 
prétée; les  acteurs  sont  détestables,  sauf  la  jolie  M™'  Ponteuil, 
qui  chante  et  joue  à  merveille.  Cette  même  actrice  devait  être, 
quelques  années  plus  tard,  fort  applaudie  à  Paris. 

Elle  faillit  être  brûlée  vive,  peu  de  jours  après  la  représenta- 
tion de  Biaise  et  Babet,  et  sous  les  yeux  mêmes  des  Cradock.  C'était 
au  dernier  acte  de  la  Didon  de  Piccinni.  Tout  jusque  là  s'était 
fort  bien  passé.  Le  public  avait  fait  le  meilleur  accueil  à  la  voix 
pénétrante  de  l'artiste,  au  charme  de  sa  diction,  à  la  noble  sim- 
plicité de  son  attitude.  Mais  au  dénouement,  une  main  maladroite 
renverse  l'autel  éclairé   par  une  lampe  à  alcool;  le  récipient  se 


(1)  Journal  de  Madai. 
•in,  1896. 


Crudadc,   Iraduit   par  M"°  0.  Delpliine    Balleyguier,    Per- 


d46 


LE  MÉNESTREL 


brise,  le  liquide  prend  feu;  l'actrice,  revêtue  d'une  robe  de  gaze 
lamée  d'or,  est  enveloppée  par  les  flammes.  Heureusement, 
elles  sont  étouffées  avant  qu'elles  aient  pu  atteindre  M"'  Pon- 
teuil.  Mais  la  représentation  s'est  trouvée  de  ce  fait  brusque- 
ment interrompue.  Les  spectateurs  ont  cédé  à  un-  sentiment 
irréfléchi  de  terreur  ;  ils  se  sont  précipités  en  désordre  vers  les 
portes;  et  dane  l'afîolement  d'une  telle  panique,  plusieurs  ont 
été  assez  grièvement  blessés. 

Avant  de  quitter  Marseille,  les  Cradock  y  virent  jouer  le  Bar- 
bier de  Séville  de  Paisiello.  C'était  la  première  fois  que  ce  joli 
opéra  bouife  était  représenté  sur  le  théâtre  de  la  ville.  La  troupe 
était  sans  doute  nouvelle  ou  profondément  modifiée,  carie  Journal 
remarque  qu'elle  s'est  tirée  avec  honneur  de  ce  pas  difficile.  Par 
malheur,  la  loge  de  M""  Cradock  était  tellement  bondée  de 
spectateurs  qu'il  fallait  s'y  tenir  debout  et  que  l'atmosphère  en 
était  devenue  irrespirable. 

Pendant  la  durée,  presque  aussi  longue,  de  leur  séjour  à 
Montpellier,  les  touristes  anglais  jouirent  d'un  double  plaisir. 
Ils  eurent  successivement  concert  et  théâtre.  Le  Journal  nous  a 
conservé  le  programme  de  l'une  de  ces  fêtes  musicales  : 


F-^n,    i=ek.m:issioit 


GRAND  mmi  EXTRAORDINAIRE  VOCAL  &  INSTRUMENTAL 

Vendredi    1°'  Arril    1785 

Au  bénéfice  de  M'"^  Julien  et  des  sieurs  Rose  et  Dupuis. 


PREMIER  ACTE 


Un  grand  fragment  à'Iphigénie  en  AuHcle,  du  chevalier  Gluck,  chanté  par 
M"'*  Millet  et  Julien,  et  les  sieurs  Arlabosse,  Dupuis  et  Rose. 

SECOND  ACTE 

Un  concerto  de  violon  exécuté  par  M.  Billon,  premier  violon  de  M.  le  duc 
d'Aiguillon; 

Ariette  de  Grispin  dans  la  Mélomanie,  chantée  par  M.  Gorréard;  M"«  Billon- 
Calvelle  jouera  un  concerto'  de  piano-forte  ;  M.  et  M""  Ducaire  chanteront 
des  ariettes  et  duos;  le  sieur  CafSo,  hautbois  du  prince  de  Monaco,  jouera 
un  concerto  et  plusieurs  petits  airs  en  variations. 

TROISIÈME  ACTE 

Un  fragment  composé  des  morceaux  les  plus  frappants  de  l'Infante  de 
Zamora,  du  célèbre  Paisiello,  chanté  par  M"™  Ducaire  et  Millet,  les  sieurs 
Ducaire,  Rose,  Arlabosse  et  Abadie. 

ON    COMMENCERA    A    6    HEURES    PRÉCISES    DU    SOIR 

On  prendra  24  sous  par  personne 

C'est  à  la  salle  ordinaire  du  Concert^  près  la  vorte  de  Lattes. 

Avec  son  tempérament  d'anglaise  inséparable  de  son  carnet 
et  collectionneuse  de  menus  faits.  M""  Cradock  agrémente  le 
compte  rendu  de  ce  concert  de  notes  topographiques  destinées 
à  lui  en  fixer  le  souvenir.  La  salle  est  moins  vaste  que  celle  de 
Marseille,  mais  mieux  disposée  pour  l'acoustique.  Au  fond,  une 
galerie  fait  face  à  l'orchestre.  Le  prix  des  places  étonne  agréa- 
blement la  narratrice,  habituée  au  tarif  beaucoup  plus  élevé  des 
théâtres  de  Londres.  M""  Cradock  a  compté  trente  exécutants  et 
parmi  eux  M.  Billon,  un  artiste  si  bien  doué  que  le  célèbre 
Giardini  ne  le  dépasse  «  ni  en  sonorité,  ni  en  exécution  ». 
M°"  Billon -Calvelle  possède  un  rare  talent  sur  le  piano -forte. 
M.  Caffio  est  un  excellent  hautboïste,  M.  et  M™'  Ducaire  de  forts 
bons  chanteurs. 

Un  autre  concert,  donné  le  surlendemain  au  bénéfice  des 
époux  Billon,  rencontre  chez  M™  Cradock  les  mêmes  éloges.  Le 
Journal  en  publie  également  le  programme,  et  nous  y  remar- 
quons, entre  autres  morceaux,  le  concerto  exécuté  par  M""'  Billon 
«  sur  des  variations  de  Marlborough  de  quatre  compositeurs  »  et 
le  «  duo  avec  variations  exécutées  sur  le  même  violon  »  par 
MM.  Billon  et  Calvelle. 

Huit  jours  après,  le  théâtre  de  Montpellier  ouvrait  ses  portes 
à  cinq  heures  pour  la  représentation  d'un  «  opéra  tragi-comique  » 
et  d'un  ballet-pantomime  intitulé  Mirza.  La  salle  est  assez 
grande,  dit  M""  Cradock,  mais  mal  éclairée,  et  le  public  s'y 
montre  plus  bruyant  que  partout  ailleurs.  Par  contre,  le  spec- 


tacle satisfait  davantage  notre  auteur.  La  musique  et  les  acteurs 
de  la  tragi-comédie  méritent  leur  succès;  les  costumes  sont 
élégants,  surtout  ceux  des  femmes.  Quant  à  Mirza,  la  décoration 
en  est  nulle,  mais  la  musique  et  la  chorégraphie  ne  manquent 
pas  d'intérêt.  Aussitôt  le  lever  du  rideau  on  voit  une  jeune  fille 
jouer.de  la  harpe  sur  la  soène,  puis  danser  «  le  menuet  de  la 
Cour»  avec  un  premier  sujet  que  rejoignent  bientôt  d'autres 
couples.  Ces  entrées  sont  suivies  de  marches,  de  danses  guer- 
rières françaises  et  africaines,  remarquables  par  leur  couleur 
locale.  Le  pas  du  chef  barbare  est  surtout  applaudi.  Un  combat 
simulé  entre  les  deux  troupes  ennemies  se  termine  par  un  bal- 
labile  général. 

Ce  pot-pourri  devait  être  singulièrement  confus  et  compliqué  ; 
mais  il  eut  le  don  de  plaire  à  la  spectatrice  : 

«  Ce  ballet,  bien  conduit  et  majestueusement  exécuté,  dit- 
elle,  eut  le  plus  grand  succès.  Pour  ma  part,  je  pense  n'avoir 
rien  vu  de  mieux  dans  ce  genre.  » 

Le  théâtre  de  Toulouse  allait  cependant  lui  offrir  un  spectacle 
de  meilleur  goût  et  d'ordre  plus  relevé.  M""'  Dugazon,  venue 
pour  les  fêtes  du  pays,  en  compagnie  d'un  anglais  «  qui  l'entre- 
tenait dans  le  grand  style  »,  daigna  paraître  sur  la  scène  à  raison 
de  10  guinées  (250  francs)  par  soirée.  Pour  le  temps,  le  cachet 
ne  laissait  pas  d'être  coquet.  Le  31  mai,  la  direction  afficha 
l'opéra-comique  des  Trois  Sultanes,  «  musique  de  Creste  (1)  ». 
j\|mc  Dugazon  y  remplit  le  rôle  de  Roxelane.  Le  prix  des  billets 
était  doublé,  —  nos  impresarii  n'ont  rien  inventé.  —  La  chaleur 
était  énervante,  le  public  plus  énervant  encore.  Le  vacarme 
était  indescriptible.  Heureusement  j'avais  une  bonne  loge,  dit 
M""'  Cradock  avec  cette  sérénité  britannique  qui  sait  toujours  se 
mettre  à  son  aise  n'importe  où. 

Le  3  juin,  même  afîluence,  même  tapage,  .même  température 
à  la  Serva  Padrona  de  Pergolèse,  que  la  Dugazon  joue  à  son 
bénéfice. 

Nos  voyageurs  arrivent-^à^Bordeaux  peu  de  jours  après.  Ils 
vont  revoir,  le  12,  Biaise  et  Babel  au  théâtre  de  la  ville,  une  des 
merveilles  de  la  Guienne.  L'extérieur  en  est  gracieux  et  im- 
posant, remarque  le  Journal.  L'intérieur  est  d'un  style  grandiose, 
mais  lourd,  l'orchestre  trop  petit  pour  une  salle  aussi  vaste.  Le 
large  vestibule  qui  sert  d'entrée  est  soutenu  par  d'énormes 
piliers  :  à  droite  s'ouvre  une  salle  de  bal,  à  gauche  une  salle 
de  concert.  «  De  chaque  côté  de  l'amphithéâtre  deux  loges  sont 
réservées  aux  dames  d'un  certain  monde,  qui  ont  toute  liberté 
de  s'y  faire  remarquer  et  ne  s'en  privent  guère.  »  L'histoire  de 
cette  loge  où...  l'on  s'amuse  a  toujours  été  fort  contestée,  mais 
nous  ne  nous  étonnons  pas  autrement  qu'elle  ait  été  mentionnée 
par  notre  touriste.  M'""  Cradock  était  femme  et...  anglaise  : 
.  double  raison  pour  n'être  pas  douce  à  son  sexe.  Elle  n'est  d'ail- 
leurs guère  plus  indulgente  pour  les  acteurs  bordelais.  Elle  les 
trouve  exécrables.  Elle  en  dit  autant  des  chanteurs  ou  des  ins- 
trumentistes qu'elle  a  entendus  au  concert  de  Lolli  le  violo- 
niste ;  lui  seul  a  du  talent.  Elle  parle,  pour  mémoire,  de  la 
représentation  du  13  juillet  au  théâtre,  où  il  lui  fut  donné  de 
contempler  sous  un  dais  le  duc  et  la  duchesse  de  Mouchy,  «  gou- 
verneurs de  la  Guienne  ».  Le  mari  était  «  commandant  pour  le 
Roi  ». 

Quelques  jours  auparavant,  M™°  Cradock  était  entrée  au  Petit- 
Théâtre —  par  opposition  sans  doute  au  Grand-Théâtre — et  là,  elle 
avait  été  fort  en  peine  de  trouver  une  place.  Tout  était  plein. 
On  refusait  peut-être  du  monde.  Il  est  vrai  qu'on  attendait  une 
fameuse  danseuse  de  Paris  qui  ne  vint  pas.  En  revanche, 
M°"=  Cradock  vit  jouer  au  Petit-Théâtre  le  Tableau  parlant  «  ar- 
rangé pour  des  enfants  ».  Ces  acteurs  minuscules  ne  valaient 
rien.  La  danseuse  avait  un  air  modeste  et  sa  démarche  n'était 
pas  dépourvue  de  grâce.  La  représentation  ne  se  termina  pas 
avant  minuit  et  demi.  Nos  Sociétés  protectrices  de  l'Enfance  ne 
toléreraient  pas  aujourd'hui  qu'un  spectacle  ainsi  composé  se 
terminât  à  une  heure  aussi  avancée  de  la  nuit.   Et  le  fait  est 


(1)  Creste,  connue  pourrait  le  laisser  entendre  cette  note  de  l'éditeur,  n'était  pas  un 
contemporain  de  Favarl,  l'auteur  de  la  pièce.  Il  est  de  notre  siôcle.  Lorsque  Lockroy 
remania  les  Trois  Sultanes  en  1853,  Creste  tut  chargé  d'en  écrire  la  musique. 


LE  MÉNESTREL 


147 


d"autaut  plus  digne  de  remarque  qu'au  siècle  dernier  la  ferme- 
ture ordinaire  des  théâtres  ne  dépassait  guère  dix  heures. 

Gomme  a  pu  le  laisser  pressentir  l'itinéraire  jusqu'alors  suivi 
par  les  Cradock,  nos  voyageurs  revinrent  à  Paris  par  la  région 
ouest  de  la  France.  Il  semble  qu'ils  n'y  aient  trouvé  aucun 
théâtre  lyrique  :  car  leur  Journal  reste  muet  à  cet  égard. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Odéon.  Ma  fée!  comédie  en  4  actes  de  MM.  Pierre  Veber  et  Maurice  Soulié. 

M.  Pierre  Veber  accapare  la  rive  gauche  :  en  compagnie  de  M.  de 
Cottens,  il  y  a  quelque  quinze  jours,  il  entra  en  vainqueur  à  Cluny 
avec  la  Dame  du  commissaire,  et  voilà  maintenant  que,  aidé  de  M.  Mau- 
rice Soulié,  il  prend  très  gaiement  d'assaut  le  mastoc  Odéon,  rappro- 
chant tellement  les  distances  morales  entre  les  deux  théâtres  du  quar- 
tier latin  que,  par  moment,  on  se  demandait,  l'autre  samedi,  si  l'on  ne 
s'était  pas,  par  mégarde,  réintroduit  dans  la  salle  du  boulevard  Saint- 
Germain.  Donc  on  s'est  amusé  au  second  Théâtre-Français,  et  on  se 
serait  vraisemblablement  amusé  plus  franchement  encore  si  la  chose 
s'était  passée  en  maison  d'ordinaire  moins  austère;  non  que  le  rire  ne 
soit  partout  à  sa  place,  mais  bien  parce  qu'il  y  a,  suivant  le  milieu, 
manière  de  faire  naître  le  rire  et  parce  qu'aussi  les  comédiens  chargés 
d'exciter  ce  rire  semblèrent  souvent,  au  cours  de  la  soirée,  intimidés  par 
de  grosses  plaisanteries  pour  lesquelles  ils  sont  modestement  entraînés. 
Ces  messieurs  et  ces  dames  sont  tous  en  droit  de  guigner  leur  entrée  à 
la  Comédie,  et  leur  demander  de  s'ébattre  follement  en  simple  vaudeville 
devait  leur  paraître  manquer,  quelque  peu  à  la  solennelle  dignité  dont 
ils  font  profession  par  anticipation. 

Ma  fée!  débute  dans  les  bureaux  du  ministère  des  Aifaires  Intéri- 
maires, direction  du  Provisoire,  c'est  dire  le  genre  d'esprit  de  la  pièce, 
qui  commence  en  honnête  comédie  d'intrigue  et  s'égare,  étant  donné, 
bien  entendu,  que  nous  sommes  à  l'Odéon,  dans  la  farce  facile;  le  voi- 
sin Cluny  doit  surtout  vivement  regretter  l'acte  qui  se  passe  au  musée 
du  Louvre,  dans  la  salle  des  Lesueur.  Le  thème  s'inspire,  sans  essayer 
de  le  nier,  d'Alfred  de  Musset  :  M"°  floqueton  et  M""^  Ancenis,  femmes 
de  gros  manitous  du  ministère,  ont  des  flirts  et,  pour  détourner  les 
soupçons  de  leurs  maris,  choisissent  toutes  deux  le  même  «  chandelier  », 
le  jeune  Champeray,  qui  adore  et  qui  est  adoré  de  Lucy,  la  sœur  de 
M"'"  Hoqueton,  et  qu'elles  se  mettent,  toutes  deux  toujours,  à  aimer 
pour  de  bon.  Imbroglios  sur  imbroglios  qui  sont  loin  d'être  mal  con- 
duits, pièce  à  tiroirs  rappelant  indubitablement  la  manière  ancienne  de 
Scribe.  Et  le  plus  drôle  de  l'aiîaire,  c'est  que  ce  soit  précisément  M.  Pierre 
Veber  qui,  très  naïvement,  nous  ramène  à  un  genre,  ayant  eu  du  bon 
en  son  temps,  pour  lequel,  lorsqu'il  donnait  à  la  Vie  parisienne  de  spi- 
rituelles notes  sur  le  mouvement  théâtral,  il  se  montra  trop  précoce- 
ment d'une  implacable  rosserie  ! 

Sauf  les  réserves  faites  plus  haut  sur  le  manque  de  laisser-aller  des 
interprètes.  Ma  fée!  est  agréablement  jouée  d'ensemble  par  MM.  Albert 
Lambert,  en  un  rôle  épisodique  le  plus  heureusement  trouvé  de  tous, 
Coste,  M""*^  Sorel,  Mitzy  Dalti,  MM.  Darras,  DauviUier,  Achard,  Siblot, 
Laguiche,  M"'*  Rabuteau  et  Bonnet;  elle  l'est  tout  à  fait  bien  même  par 
M"°  Yvonne  Garrick,  qui  s'est  montrée  charmante  d'esprit,  de  vivacité  et 
4e  jeunesse  dans  le  personnage  de  Lucy. 

Paul-Émile  Chevalier, 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     GRAND-PALAIS 


(Troisième  article.) 

Rien  ne  conserve  un  article  de  mode  comme  son  prix  élevé  :  tous  les 
commerçants  de  luxe  vous  confirmeront  cette  grande  vérité  mercantile 
avec  preuves  à  l'appui,  s'ils  consentent  à  vous  ouvrir  en  même  temps 
leur  cœur  et  leur  grand  livre.  Le  rabais  est  le  commencement  de  la 
décadence.  Par  exemple,  le  mobilier  modern-style  serait  depuis  quelque 
temps  beaucoup'  moins  recherché  des  snobs  si  les  fabricants  n'avaient  le 
robuste  parti  pris  d'en  maintenir  la  cote  à  d'invraisemblables  hauteurs. 
Les  amateurs,  qui  déserteraient  à  mi-côte,  dilatent  leurs  poumons  et 
délient  les  cordons  de  leur  bourse  sur  ces  sommets  inaccessibles  aux  vils 
marchandeurs.  J'engagerai  donc  les  sincères  producteurs  de  peinture 


de  même  style  à  ne  pas  baisser  des  prix  généralement  sérieux  et  même 
considérables.  C'est  le  plus  sur  moyen  de  garder  une  clientèle  qui,  sans 
cela,  pourrait  s'égrener.  Car  enfin  le  tableau  de  M.  Edwin-Austin-Abbey  : 
Galabad  le  libérateur  arrive  au  château  des  demoiselles,  épisode  de  la 
légende  du  Saint-Graal  et  portion  d'Une  frise  de  la  Isibliothèque  publique 
de  Boston,  est  certainement  encore  une  œuvre  consciencieuse  et  de  réelle 
valeur.  La  composition  ne  manque  ni  d'intérêt  ni  de  caractère.  Mais' 
après  quelques  minutes  d'attention,  ces  créatures  de  rêve,  en  costumes  à 
longs  plis,  et  dont  la  plastique  presque  insexuelle  accuse  une  invraisem- 
blaljle  uniformité,  deviennent  bien  fatigantes  à  regarder.  On  se  lasse  de 
la  joie  pure,  —  joie  d'esthète  I  —  qu'elles  donnent  à  regarder  ;  et  l'on 
échangerait  volontiers  tout  le  lot  contre  une  représentation  vivante  — 
fût-elle  commune,  populacière  et  mafllue  comme  la  Vénus  de  M.Guérin, 
dont  la  couleur  est  plus  attrayante  que  le  modèle  n'est  heureusement 
choisi. 

M.  Jules  Flandrin  paraîtra  beaucoup  plus  éloigné  que  M.  Abbey  des 
tendances  préraphaélites  ;  il  se  rapprocherait  plut(:)t  de  Paul  Delaroche, 
et  de  l'école  trop  diffamée  de  la  grande  illustration  historique.  C'est  un 
art  sans  profondeur  insondable,  ni  hautes  visées  esthétiques,  ni  docu- 
mentation extraordinaire,  mais  qui  a  son  agrément  et  qui  répond  à 
l'idéal  nécessairement  moyen  de  la  moyenne  du  public  profane.  Qu'il 
consente  ou  non  à  l'avouer,  rien  ne  flatte  plus  le  bourgeois  que  d'être 
chatouillé  dans  son  érudition  superficielle  et  mis  à  même  de  faire  parade 
à  ses  propres  yeux  d'un  fonds  d'humanités  resté  à  peu  près  intact  sous 
la  couche  épaisse  des  préoccupations  du  métier  quotidien.  Les  tableaux 
historiques  «  qui  se  comprennent  à  première  vue  »,  comme  disent  les 
chères  mesdames  des  «  sociétés  »  en  promenade,  ont  toujours  leurs  clients 
empressés  et  reconnaissants.  Et  les  deux  envois  de  M.  Jules  Flandrin 
sont  tout  à  fait  ces  tableaux-là.  Impossible  de  ne  pas  reconnaître  Dante 
reconnaissant  lui-même  Béatrix  au  seuil  du  paradis,  car  si  le  costume 
est  classique,  le  geste  ne  l'est  pas  moins  :  un  enfant  de  douze  ans  devi- 
nerait le  sujet  tant  il  est  formulé  selon  la  formule,  selon  toutes  les  for- 
mules. Et  la  colère  d'Othello  ne  prête  pas  davantage  au  rébus  :  rien 
qu'en  voyant  la  couleur  on  reconnaît  tout  de  suite  le  Maure  aux  gaffes 
macabres,  le  «  bouc  noir  »  de  la  brebis  vénitienne. 

M.  Gustave-Max  Steveus,  exposant  belge,  est-il  modern-style,  est-il  - 
pseudo-romantique  ?  Constatons  qu'il  est  plutôt  à  la  fois  orfèvre  et  cos- 
tumier. Les  Filles  de  rois  arborent  de  fastueux  oi'ipeaux  et  de  notables 
bijouteries.  Dans  le  palais  des  rois  leurs  pères  —  lesquels  apparemment 
sont  des  rois  associés,  une  entreprise  de  souverains,  —  elles  forment  un 
groupe  compact  mais  resplendissant  comme  une  vitrine  de  joaillier  dont 
les  glaces  seraient  garnies  de  brocard.  De  mauvais  plaisants  ont  baptisé 
cette  peinture  millionnaire  :  le  clan  du  drap  d'or  ;  un  â-peu-près  confec- 
tionné pour  l'exportation. 

Non  moins  éclatantes,  les  étoffes  dont  M.  Lesrel  a  vêtu  les  gentils- 
hommes réunis  «  chez  l'argentier  du  roi  ».  On  ne  saurait  rien  imaginer 
de  mieux  fourni,  de  plus  varié,  de  plus  somptueux  en  fait  de  décrochez- 
moi-çâ  historique.  Par  malheur,  les  personnages  qui  portent  cette  garde- 
robe  sont  de  purs  mannequins,  d'anatomie  sommaire,  auxquels  M.  Lesrel, 
artiste  consciencieux  jusqu'à  la  minutie,  exécutant  raffiné  jusqu'au 
trompe-l'osil  quand  il  s'agit  de  rendre  des  accessoires,  n'a  prêté  qu'une 
insuffisante  vitalité.  On  trouvera  plus  d'entente  de  la  composition  dans 
le  Saint-François  prêchant  aux  poissons  de  M.  Eugène  Cadel  et  plus  de 
style  dans  le  projet  de  peinture  murale  oii  M.  Humphreys-Johnston 
évoque  la  vision  de  Saint-Paul  à  Lystra,  plus  de  «  fondant  »  et  de  déli- 
catesse dans  la  Visitation  de  M.  Aublet,  peintre  des  blancheurs  teintées 
ça  et  là  de  nuances  aurorales,  des  dessous  plus  solides  dans  la  Bayadére 
au  repos  de  M.  Courtois  et  plus  de  libre  fantaisie  dans  la  Carmen  de 
M.  Texidor  Y  Terres. 

Un  tableau  militaire,  un  seul  !  au  Salon  de  l'avenue  d'Antin.  On 
n'accusera  pas  les  sociétaires  de  la  S.  B.  A.  de  chauvinisme  outrancier; 
il  est  même  assez  extraordinaire,  en  se  plaçant  au  seul  point  de  vue  de 
la  virtuosité  décorative,  que  l'éclat  des  uniformes,  la  variété  et  le  pitto- 
resque des  coiffures,  le  scintillement  des  armes  paraissent  aussi  négli- 
geables à  des  artistes  généralement  plus  préoccupés  de  l'effet  que  du 
sujet.  Je  me  borne  à  constater  cette  anomalie  sans  lui  trouver  d'expli- 
cation raisonnable,  et  j'ajoute  qu'il  faut  rendre  justice  à  l'elfort  très 
méritoire  de  M.  Emile  Breton  pour  commémorer  un  épisode  tragique 
de  la  bataille  de  Saint-Quentin  (19  janvier  1871).  Il  s'agit  de  l'héroïque 
effort  du  bataillon  des  cantons  de  Carvins-Lons,  légion  de  Béthune, 
brigade  Pauby,  dos  mobilisés  du  Pas-de-Calais,  qui  au  chemin  creux 
de  Fayet  couvrirent  la  retraite  de  l'armée  du  Nord  par  les  routes  de 
Cambrai  et  du  Cateau.  Ce  tableau,  dont  la  composition  est  intéressante, 
sera  l'heureux  complément  du  monument  élevé  à  Hénin-Lîétard  à  la 
mémoire  des  soldats  morts  pour  la  patrie. 

J'arrive  aux  études  modernistes.  C'est  la  véritable  parure  de  ce 
Salon,  et  une  parure   d'un   goût   très  délicat,    d'une   réelle   valeur  de 


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LE  MÉNESTREL 


style,  qui  semble  généralement  destinée  à  survivre  aux  caprices  de  la 
mode.  Elle  affecte  les  formes  les  plus  diverses  et  même  celle  du  pan- 
neau décoratif.  Un  nouveau  venu,  M.  Karbowski,  dont  l'envoi  est  très 
remarqué,  e.xpose  un  des  modèles  du  genre  :  la  Broderie,  composition 
sobre  et  savante,  d'un  coloris  tendre  et  d'un  heureux  groupement  de 
personnages.  Avec  M.  Ignacio  Zuloaga  :  Promenade  après  la  course  de 
taureaux,  l'elfet  est  plus  intense  et  le  relief  plus  énergique.  lie  specta- 
teur français  trouvera  même  quelque  àpreté  aux  contours,  quelque 
brutalité  aux  oppositions  de  teintes  ;  mais,  par  les  défauts  autant  que 
par  les  qualités,  cette  grande  toile  produit  une  durable  impression 
d'ensemble.  La  promenade,  usuelle  en  Espagne  après  les  émotions 
violentes  de  l'arène,  a  lieu  dans  un  paysage  grisâtre,  aux  plans  som- 
mairement indiqués.  Le  personnage  principal  est  une  amazone,  cos- 
tumée de  rouge.  D'autres  femmes,  en  toilettes  voyantes,  animent  la 
perspective  ;  mi  nègre,  vendeur  de  friandises,  donne  la  note  pittoresque. 
Au  denK^urant,  une  œuvre  reposante,  malgré  le  caractère  aigu  de  la 
vision,  car  elle  change  du  déjà-vu  et  des  banalités  convenues. 

Très  personnel  aussi  M.  Hochard,  peintre  Orléanais  et  qui  cherche 
autour  de  lui  les  sujets  de  composition.  A  la  fois  humoriste,  coloriste 
et  metteur  en  scène,  il  fait  preuve  de  la  plus  étincelante  virtuosité  dans 
la  Fête-Dieu  et  les  fêtes  de  Jeanne-d'Arc  (sur  le  parvis  de  la  cathédrale 
d'Orléans,  le  soir  du  7  mai).  Les  fleurs,  les  lumières,  le  papillotement 
de  la  foule,  composent  une  vibrante  harmonie,  curieusement  soulignée 
Iiar  quelques  dissonances  volontaires.  Quant  à  la  file  d'écoliers  conduits 
par  les  Frères,  au  roulement  du  tambour,  c'est  une  vigoureuse  étude, 
à  la  Daumier,  mais  saus  surcharge  caricaturale. 

M.  Muenier,  qui  n'a  pas  pas  moins  de  cinq  envois,  nous  montre 
égalemi.'nt  nos  écoliers,  retour  de  la  laiqui'  ;  mais  il  semble  que 
la  faculté  visuelle  de  cet  artiste  remarquabL^ment  doué  ait  subi 
une  profonde  et  regrettable  transformation.  Il  peignait  jadis  en 
pleine  pâte  et  donnait  à  ses  compositions  un  inlérêt  panoramique  ;  il 
tignole  maintenant,  il  ne  fait  le  sacrifice  d'aucun  détail,  et  cet  excès 
de  rendu  qui  confine  au  maniérisme  réduit  toutes  ses  compositions  à 
l'état  de  miniatures  préciosées,  presque  de  chromos.  Souhaitons  que 
M.  Muenier  renonce  à  cette  velléité  singulière  de  ressusciter  les  Firmin 
Girard  d'antan,  dont  la  seule  vue  blessait  la  rétine,  et  louons,  sous  les 
mêmes  réserves,  l'intéressante  perspective  des  rapides  du  Rhin  à 
Laufenburg  ainsi  que  le  nocturne  on  pays  Badois. 

Vous  souvient-il  encore  de  ce  coin  de  l'Exposition  universelle  qui 
s'appelait  la  Rue  de  Paris?  Oui,  sans  doute,  puisqu'à  cette  même  place 
Arthur  Pougin  eu  a  évoqué  les  splendeurs,  vite  éteintes,  avec  l'intérêt 
soutenu  de  son  érudition  impeccable  et  la  sympathie  communicative 
d'un  esprit  passionné  pour  toutes  les  choses  du  théâlre.  Que  de  décep- 
tions et  de  ruines  dans  cet  étroit  couloir,  ambitieusement  baptisé,  qui 
aurait  été  la  ruelle  de  Montmartre  bien  plutôt  et  bien  plus  que  la  rue 
de  Paris!  En  dépit  des  ballerines  de  tout  ordre  et  de  toute  nationalité, 
le  pas  du  syndic  y  fut  la  danse  la  plus  répétée,  à  la  demande  générale 
des  créanciers  ;  les  enireprises  les  plus  rationnelles  et  qui  pouvaient 
escompter  une  sérieuse  moyenne  de  clientèle  y  trouvèrent  le  même 
lugubre  aboutissement  que  les  improvisations  foraines  et  les  spectacles 
de  rencontre.  Quelque  peintre  symboliste  perpétuera  peut-être  le  souve- 
nir de  cette  longue  agonie  et  nous  montrera  l'Ange  de  la  Guigne  pla- 
nant sur  les  Photo-Cinéma,  les  Auteurs  Gais  (navrante  ironie!),  les 
Bonshommes  Guillaume  et  autres  bâtisses  effondrées  dont  on  peut  dire 
avec  le  poète  que  les  ruines  mômes  ont  péi'i,  etiam.  periere  ruiiiœ... 

M.  Morisset  a  de  moindres  prétentions  ;  il  lui  a  suffi  de  nous  rendre 
le  grouillement  di?  la  foule,  le  chatoiement  des  étoû'es,  les  à-coups  de  la 
lumière  sautillante,  un  soir  de  fête.  L'étude  est  amusante  et  réussie. 
Du  même  peintre  quelques  jolis  tableaux  d'intérieur,  notamment  la 
danse  familiale  de  «  la  Capucine  ».  ronde  de  jeunes  femmes  autour 
d'une  fillette,  une  gracieuse  étude  de  liseuse  et  une  scène  d'intimité. 
L'exposition  de  M.  Biessy  offre  de  curieux  rapports  avec  celle  de 
M.  Morisset  :  elle  se  compose  également  d'un  tableau  de  virtuosité  pure 
et  de  quelques  intérieurs.  La  toile  à  effet  est  un  Quatorze  juillet  popu- 
laire, le  seul  qui  subsiste  —  on  a  cassé  cette  vieille  lune  pour  en  faire 
des  pelils  bouts  d'étoiles —  une  sorte  d'inslanlauô  lumineux  pris  rue 
Brise-Miche,  dans  le  quartier  duCloitre-Sjint-Merri.  Du  même  peintre, 
une  Brodeuse  de  touche  délicate  et  une  Partie  de  daines.  Un  artiste 
espagnol  brillamment  doué,  M.  Saglio,  nous  montre  aussi,  en  une 
spirituellr  esquisse,  un  groupe  de  jeunes  femmes  attablées  devant  le 
même  jeu.  M.  Rixeus  a  représenté,  avec  son  vigoureux  talent,  d'un 
réalisme  sans  vulgarité,  un  lot  de  fillettes  réunies  autour  d'un  piano. 
De  M.  Borglum,  le  Rêve  de  la  harpiste;  de  M.  Clark,  le  Violoniste;  de 
M.  Graner-Arrup,  le  Pinceur  de  guitare.  M.  Armand  Berton  réclame 
une  mention  spéciale  :  de  ses  cinq  envois,  toutes  études  d'intérieurs,  le 
plus  appréciable  est  la  Leçon  de  musique,  d'une  e.xécution  spirituelle  et 
d'un  joli  groupement.   Et  nous    en  aurions  fini    avec  les  peintres 


B  instrumentistes  »,  catégorie  aussi  intéressante  que  l'autre,  s'il  ne 
restait  à  parler  de  M.  Prinet... 

Un  excellent  peintre,  M.  Prinet,  mais  un  terrible  et  hasardeux  com- 
mentateur de  la  musique  de  chambre.  La  Sonate  à  Kreutzer  —  tel  est  le 
titre  de  son  principal  envoi,  ou  du  moins  do  celui  qui  sera  le  plus 
remarqué  —  lui  a  inspiré  une  composition  passionnelle,  toute  pénétrée 
de  la  fougue  la  plus  romantique.  Un  violoniste  fort  chevelu  vient  do 
jouer  la  sonate,  avec,  pour  accompagnatrice  au  piano,  une  jeune  femme 
ou  une  femme  jeune  encore,  et  la  communion  esthétique  a  emporté  si 
loin  le  couple  de  virtuoses  qu'ils  s'étreignent  à  plein  bras  dans  le  salon, 
heureusement  désert.  Apparemment,  assurément,  la  fièvre  artistique 
est  seule  en  jeu,  la  contagion  du  lyrisme  seule  en  cause.  Sans  quoi, 
M.  Prinet  nous  ferait  croire  que  si  la  musique  adoucit  les  mœurs,  elle 
ne  les  améliore  pas  toujours.  Mais  ce  serait  un  blasphème.  Signalons 
d'ailleurs  une  exécution  très  libre,  toute  personnelle,  et  un  sobre  coloris 
qui  fait  penser  aux  intérieurs  de  Stevens.  Même  observation  pour  la 
Femme  au  canapé,  négligemment  étendue,  et  qui  parcourt  un  livre  (un 
roman,  n'en  doutez  pas,  et  de  Bourget,  de  Prévost  ou  d'Hervieu!)  avec 
l'attention  que  réclame  une  cure  psychologique. 

La  vie  rustique  continue  à  inspirer  nombre  d'observateurs  patients  et 
quelques  maîtres.  M.  Lherraitte  garde  la  première  place.  Œuvres  de 
grand  style,  tableaux  de  musée,  je  ne  saurais  trop  le  répéter,  les  pages 
remarquables  qu'il  intitule  Glaneuse,  Jeune  mère,  l'Enfant  et  Dernier 
rayon.  L'observation  contingente,  anecdotique  chez  tant  d'autres  fami- 
liers de  l'existence  champêtre,  y  prend  un  caractère  d'absolue  et  perma- 
nente vérité;  le  peintre  dégage  des  accidents  ou  des  hasards  de  la  ren- 
contre une  série  de  types  fortement  simplifiés,  puissamment  rendus, 
qui  survivront  comme  ont  survécu  les  modèles  de  Millet  et  fixeront 
pour  la  postérité  la  physionomie  du  paysan  français  au  vingtième  siècle. 
Le  chemineau  de  M.  James  Lignier  (à  qui  l'on  doit  aussi  un  intéres- 
sant portrait  de  M.  Duberry,  le  nouveau  et  sympathique  secrétaire  géné- 
ral de  la  Comédie-Française)  est  d'un  réalisme  assez  serré.  La,  Pêcheuse  du 
Morbihan  de  M.  Delécluse,  le  Vieux  pécheur  de  M.  Hagborg,  la  Bretonne 
sur  la  falaise  de  M.  Le  Fournis,  la  Petite  ménar/ère  de  M.  Pelecier,  méri- 
teraient mieux  qu'une  mention. 

Le  paysage  considéré  au  point  de  vue  de  la  grande  décoration  est 
amplement  fourni.  Il  faut  citer  tout  d'abord  le  Fleuve,  de  M.  René  Mé- 
nard,  d'une  profondeur,  d'une  perspective,  d'un  style  également  admi- 
rables. La  Terre  antique  (le  Temple),  du  môme  artiste,  est  encore  une  toile 
merveilleuse.  On  rêve  de  faire  passer  dans  ces  compositions,  où  la 
cendre  fine  du  crépuscule  voile  sans  la  cacher  la  traînée  d'or  du  soleil 
couchant,  les  faunes,  les  dryades,  les  sylvains,  «  tous  les  dieux  sans 
nombre-fuyant  le  jour  »  delà  romance  de  Pohjeucte.  Passons  sans  tran- 
sition au  séduisant  panorama  Saint-Cloud  s'allume,  de  M.  Eugène  d'Ar- 
gence,  pour  revenir  à  l'Acropole  d'Athènes  vue  du  Pnyxde  M.  Paul  Au- 
bin, et  à  l'Estaque,  vue  la  nuit.  M.  Baron  évoque  le  soleil  matinal  sur 
le  vieux  port  de  Marseille  et  M.  Chevalier  le  soleil  couchant  sur  le  vieux 
bassin  de  La  Rochelle.  De  M.  Damoye,  maître  si  pur,  si  hostile  aux 
effets  faciles,  cinq  toiles  d'un  beau  caractère  :  lever  de  lune  on  Sologne, 
dunes  à  Beg-Meil,  l'Ile  fleurie  au  printemps,  effet  gris  et  effet  de  soleil 
sur  Sainte-Marguerite.  Le  Château-Gaillard  des  Andelys,  tant  de  fois 
reproduit,  a  cette  année  pour  portraitiste  M.  Etienne  Moreau  Nélaton, 
tandis  que  M.  Dolance  s'attaque  aux  Pyrénées  avec  la  Route  de  Pierre- 
ftlle  et  Hendaye  sur  la  Bidassoa. 

M.  Montenard  et  M.  Dauphin  restent  fidèles  à  »  l'implacable  azur  » 
de  la  Méditerranée,  et  s'il  leur  est  difficile  de  trouver  des  effets  nou- 
veaux, du  moins  tirent-ils  un  excellent  parti  d'effets  déjà  connus.  Aussi 
bien,  convient-il  de  signaler  une  sorte  d'effort  de  renouvellement  et 
même  quelques  emprunts  aux  marinistes  du  nord  dans  la  composition 
robuste  que  M.  Montenard  intitule  Par  vent  de  mistral  et  qui  représente 
un  groupe  de  matelots  souquant  dur  sur  les  volutes  d'émeraude  d'une 
mer  remuée  jusque  dans  ses  profondeurs.  Le  vieux  pont,  la  route  de 
Villefranche  à  Nice  et  le  coin  de  village  sont  des  feuillets  moins  impré- 
vus d'un  album  qu'on  ne  cessera  de  parcourir  avec  int 'rôt.  Quant  au 
Toulonnais  Dauphin,  il  garde  sa  virtuosité  un  peu  plus  àpro,  son  goût 
plus  marqué  pour  le  relief  et  le  détail  caractéristique  dans  Saint-Tropez, 
le  Fort  Saint-Louis  et  le  Cap  Sicié. 

La  plage  de  Biarritz  de  M.  Lèopold  Stevens  ne  fait  pas  mauvaise 
figure  auprès  de  ces  envois  d'un  lurninisme  intense.  Maison  revient  avec 
plaisir  aux  tonalités  fines,  aux  sobres  harmonies  du  paysage  des  régions 
moins  ensoleillées,  telles  que  la  vue  de  Gennevilliers  de  M.  Ilaffaelli, 
la  fin  du  jour  aux  bords  duLoing  deM.  RenéBiUotte,  lamatinêe  d'orage 
en  Savoie  où  se  complaît  la  fantaisie  vagabonde  de  M.  Carolus  Duran. 
On  est  même  satisfait  de  suivre  M.  Fayet  dans  une  excursion  en  Angle- 
terre et  de  se  plonger  avec  lui  en  plein  brouillard  de  Londres  :  Brouillard 
gris,  Brouillard  rouge,  les  deux  tons  dominants  de  la  suie  britannique. 

(A  suivre.)  C.\milli;  Le  S.':nne. 


LE  MENESTREL 


149 


LE  NOUVEAU  CONSERVATOIRE  DE  MOSCOU 


Un  bâtiment  superbe  encadrant  une  vaste  cour  et  dessinant  les  trois 
côtés  d'un  rectangle;  du  côté  de  la  rue,  une  longue  grille  qui  forme  le 
quatrième  côlé  et  relie  les  deux  aiies  du  monument.  Au  fond,  au  milieu 
de  la  façade  principale,  une  rotonde  en  saillie  supportée  par  des  colonnes 
sous  laquelle  pénètrent  les  voitures  :  c'est  l'entrée  de  la  grande  salle. 
Quarante  ou  cinquante  équipages  évoluent  à  l'aise  dans  la  vaste  cour; 
ils  entrent  par  la  droite  et  sortent  par  la  gauche;  nul  encombrement, 
nulle  incertitude  pour  le  public,  nulle  cohue;  un  seul  homme  de  police 
se  tient  là,  immobile  sur  son  cheval,  simplement  pour  la  forme:  il  regarde 
ou  il  dort... 

On  entre  dans  un  vestibule  entouré  d'un  vestiaire  disposé  pour  rece- 
voir et  restituer  en  moins  de  cinq  minutes  plus  de  deu.x  mille  manteaux, 
pardessus,  chapeaux  et  fourrures  le  plus  commodément  du  monde,  ainsi 
que  cela  se  fait  partout,  d'ailleurs,  en  .Allemagne  et  en  Russie.  Un  esca- 
lier monumeulal  conduit  au  premier  étage  dans  un  autre  vestibule  très 
luxueux  sur  lequel  s'ouvrent  de  vastes  foyers  où  se  promène  le  public 
dans  les  entr'actes.  et  qui  précède  la  salle  de  concert. 

Celle-ci  est  magnifique,  claire,  gaie,  uniformément  peinte  en  blanc 
majeur,  très  confortable,  admirable  de  proportions,  merveilleuse  do 
sonorité  :  18  mètres  de  haut,  22  de  large,  40  de  long  dans  le  bas,  mais 
seprolongeant  de  20  mètres  encore  dans  le  haut,  à  partir  de  la  galerie 
du  1"  étage,  grâce  au  vaste  amphithéâtre  qui  part  de  là  pour  se  perdre 
vers  les  sommets  de  la  construction.  De  toutes  les  salles  de  concert 
connues,  celle-ci  me  parait  la  plus  réussie  comme  acoustique.  La  puis- 
sance et  le  charme  de  l'orchestre,  la  splendeur  de  l'orgue,  la  délicatesse 
et  la  beauté  do  la  voix,  la  plénitude  de  sou  d'un  piano  ou  d'une  harpe 
s'y  manifestent  avec  une  intensité  sans  pareille.  Je  me  suis  amusé  plu- 
sieurs fois,  après  la  répétition,  à  jouer  le  Schrôder  demi-queue  qui  se 
trouvait  sur  l'estrade,  et  pas  un  instant  je  n'éprouvais  le  besoin  de  for- 
cer l'attaque  de  la  touche  pour  en  augmenter  l'effet.  C'était,  dans  cet 
énorme  vaisseau  comme  dans  un  salon  ordinaire,  la  même  clarté,  la 
même  plénitude  sonore. 

On  ne  construit  plus  aujourd'hui,  pour  la  musique,  que  des  salles 
rectangulaires.  Depuis  longtemps  l'e.vpérionce  a  été  faite;  les  résultats 
sont  concluants.  Allez  à  Berlin,  à  Rome,  à  Vienne,  à  Saint-Pétersbourg, 
dans  toutes  ces  villes  d'Allemagne  grandes  et  petites  oiï  fonctionnent 
des  orchestres,  partout  la  môme  formule,  partout  des  surfaces  planes, 
des  plafonds  plats  ou  à  pans  coupés:  cela  ne  trompe  jamais;  mais  nulle 
part  des  courbes,  des  voûtes,  des  parois  circulaires  ou  elliptiques:  cela 
trompe  toujours.  L'architecte  qui,  là-bas,  présenterait  dans  ses  plans  des 
lignes  arrondies  serait  justement  traité  d'imbécile.  J'ai  le  regret  de 
constater  qu'en  France  beaucoup  d'architectes  semblent  ignorer  ces 
vérités  élémentaires,  cette  loi  absolue  que,  chez  nous,  Cavaillé-CoU  a 
passé  sa  vie  à  proclamer  et  à  défendre.  Les  salles  construites  d'après  ses 
indications  sont  toutes  excellentes  :  vides,  elles  restent  claires  pour  la 
parole;  pleines,  elles  ne  deviennent  jamais  sèches,  témoins  la  salle  de 
concert  de  Sheffield  et  celle  du  Conservatoire  de  Bruxelles. 

Le  seul  point  délicat,  encore  un  peu  énigmatique  pour  le  construc- 
teur, réside  dans  la  judicieuse  proportion  des  lignes.  Celles  de  Moscou 
sont  admirablement  équilibrées.  Moins  heureuses  m'ont  semblé  celles 
du  Conservatoire  de  Saint-Pélersbourg,dont  la  salle  est  trop  longue  pour 
la  hauteur  et  la  largeur;  de  là  une  sonorité  plus  mate,  plus  éteinte,  de 
l'orchestre  et  des  voix.  Et  cependant  cotte  dernière  ne  contient  que 
1.800  auditeurs,  alors  qu'il  y  a  2.o00  places  à  Moscou. 

L'orgue  qu'on  vient  d'iuaugurer,  en  même  temps  que  les  bâtiments 
du  Conservatoire  de  Moscou,  est  celui  que  nous  avons  pu  voir  dans  la 
tribune  de  la  salle  des  Fêtes  à  l'Exposition  dernière.  Il  est  d'une  perfec- 
tiou  mécanique,  d'une  sympathie,  d'une  variété  et  d'une  richesse  de 
timbres  qui  l'ont  fait  immédiatement  classer  parmi  les  plus  beaux  de 
l'Europe  :  cinquante  jeux  répartis  sur  trois  claviers  manuels  d'ul  à  sol 
et  un  pédalier  de  deux  octaves  et  une  quinte,  d'ut  à  sol  également.  Son 
effet  a  été  extraordinaire.  Après  un  long  programme  exclusivement  com- 
posé de  pièces  anciennes  ou  modernes  spéciales  à  l'instrument,  sans 
aucun  concours  de  chauteurs  ou  de  virtuoses  étrangers,  il  a  fallu  pour 
ainsi  dire  recommencer  la  séance  et  jouer  encore  et  encore  pour  répon- 
dre aux  appels  d'un  auditoire  insatiable.  Et  de  même  deux  jours  après, 
au  concert  populaire:  la  séance,  qui  devait  durer  une  heure  et  demie, 
s'est  trouvée  prolongée  par  le  fait  jusqu'à  près  de  trois  heures.  On  ne 
connaissait  guère  en  Russie  que  des  instruments  médiocres,  de  méca- 
nisme incertain,  de  sonorité  sans  caractère,  de  justesse  douteuse  :  jugez 
de  la  surprise  et  de  l'émotion  de  ces  deux  mille  cinq  cents  auditeurs  en 
présence  de  l'orgue  construit  par  la  maison  la  plus  célèbre,  la  plus  jus- 
tement admirée  du  monde  entier,  la  maison  CavaiUô-Coll,  que  dirige 


actuellement  M.  Ch.  Mutin  et  qui  ne  déchoit  pas  en  ses  mains;  jamais 
pareil  triomphe  pour  l'industrie  française. 

Orgue  superbe  à  coté  d'un  admirable  orchestre.  Déjà,  il  y  a  quatre 
ans,  j'étais  allé,  sur  l'invitation  de  l'éminent  directeur  M.  Safonoff,  diri- 
ger ma  'i.'  Symijhonie  à  Moscou  :  les  concerts  se  donnaient  alors  salle 
de  la  Noblesse;  l'orchestre  était  bon,  mais  sans  se  distinguer  d'autres 
bons  orchestres  que  je  pourrais  citer  çà  et  là.  Je  ne  le  reconnaissais  pas, 
l'autre  jour,  en  lui  faisant  répéter  ma  3"  Symphonie  :  brillant  quatuor; 
violons,  violoncelles  (école  de  Davidoff)  di  primo  cartello;  puissantes 
contrebasses;  bons  instruments  à  vent,  flûtes,  hautbois,  clarinettes, 
bassons;  cuivres  d'une  sûreté  rare,  d'une  incomparable  douceur  dans  le 
pianissimo;  ensemble  très  discipliné,  obéissant  au  moindre  signe,  ner- 
veux et  enthousiaste.  Est-ce  la  sonorité  de  la  salle,  est-ce  le  résultat  des 
artistiques  efforts  de  Safonoff"?...  Toujours  est-il  que  l'orchestre  du 
Conservatoire  de  Moscou  compte  aujourd'hui  parmi  les  plus  remar- 
quables et  fait  honneur  à  son  chef. 

A  côté  de  la  salle  des  Fêtes,  deux  autres  salles  de  concert  ou  d'exa- 
men, —  la  plus  élégante  contient  plus  de  cinq  cents  places;  elle  a 
douze  mètres  de  haut,  dix-huit  de  long  et  neuf  de  large.  —  Deux  salles 
de  récréation.  Trente-quatre  classes  isolées  les  unes  des  autres  de  façon 
que  les  professeurs  ne  se  gênent  pas  mutuellement  comme  dans  notre 
vieille  maison  vermoulue  du  faubourg  Poissonnière  où  l'on  ne  peut  lire 
une   fugue  sans  entendre  ànonner  sur  sa  tête  une  leçon  de  solfège. 

Quant  aux  programmes  d'études,  ils  sont  assez  semblables  aux  nôtres: 
je  signalerai  toutefois  quelques  intelligentes  idées  mises  en  pratique  là- 
bas  et  qui  donneraient  chez  nous  aussi  d'excellents  résultats:  c'est 
d'abord,  chaque  semaine,  une  soirée  «  fermée  »  où  se  produisent  les 
élèves  ;  ceux  qui  sont  reconnus  les  meilleurs  peuvent  alors  se  produire 
dans  les  huit  ou  dix  soirées  publiques  de  l'année.  Ensuite,  les  élèves 
des  classes  supérieures  de  piano  sont  obligés  de  donner  des  leçons  de 
piano  à  leurs  camarades  étudiant  les  iiistrumenls  d'orchestre.  Ensuite 
encore,  deux  foh par  semaine,  classe  d'orchestre,  dirigée  par  le  directeur 
ou  un  professeur,  ou  un  élève;  —  de  là  cette  habileté  dans  l'art  d'or- 
chestrer qui  caractérise  l'école  russe  contemporaine. 

Pas  de  prix  ici,  pas  plus  qu'en  Allemagne;  mais  seulement  des 
diplômes  constatant  que  l'élève  sait  son  métier;  les  diplômes  sont  décer- 
nés par  un  jury  après  concours  public.  Voulez-vous  savoir  ce  qu'on 
exige  d'un  candidat  au  diplôme  de  pianiste?  Un  concerto  étudié  sous  la 
direction  du  professeur,  puis  une  fugue  et  puis  du  Schumann.  du  Cho- 
pin, du  Liszt,  du  «  Russe  »,  et  enfin  un  morceau  d'ensemble,  trio  ou 
quatuor,  tout  cela  étudié  loin  du  professeur,  en  toute  liberté  —  on  s'en 
rapporte  à  la  parole  du  maître  et  du  disciple,  —  total  :  sept  ou  huit 
pièces  pour  la  plupart  très  importantes.  Moyenne  de  chaque  concur- 
rent: une  heure  environ.  Le  dernier  concours  a  duré  doux  jours;  il  v 
avait  vingt  candidats.  A  la  fin  de  la  saison,  représentation  théâtrale 
donnée  par  les  élèves  :  un  opéra  joué  en  costumes  et  dans  le  décor,  le 
ballet  lui-môme  dansé  par  les  élèves  de  chant  fréquentant  les  classes  de 
mimique.  Voici  la  liste  des  ouvrages  ainsi  représentés  ces  dix  dernières 
années  :  Fidelio,  Cosi  fan  lutte,  IphUjénie  en  Tauride,  Feramors,  le  Chalet 
Frcischûtz,  les  Joyeuses  commères,  deux  opéras  en  un  acte  Musses,  l'Enlè- 
vement au  sérail  (en  préparation  pour  cette  année). 

Ils  sont  très  pratiques,  nos  sympathiques  amis  slaves.  En  visitant,  la 
semaine  dernière,  la  salle  des  concerts  du  Conservatoire  de  Pétersbour"- 
je  trouvais  l'estrade  transformée  en  théâtre,  un  décor  tout  planté,  des 
machinistes  s'exerçant  aux  jeux  de  lumière,  l'orchestre  en  sous-sol  et 
la  musique  sur  les  pupitres:  —  e  Qu'est-ce  cela?  »  demandai-je... 
—  «  Daus  une  heure  nous  avons  la  représentation  à  huis  clos  d'un  opéra 
que  vient  d'écrire  un  jeune  musicien  ;  il  s'entendra  et  pourra  se  juger 
lui-même...  »  N'est-ce  pas  admirable?  N'est-ce  pas  fait  pour  rendre  fous 
de  jalousie  tous  les  compositeurs  français  présents  et  â  venir?  Cela  ne 
coûte  presque  rien,  quelques  centaines  de  francs  pour  la  copie  seule- 
ment ;  et  un  compositeur  de  vingt  ans  devient  en  deux  ou  trois  heures 
un  homme  d'expérience.  La  subvention  accordée  au  Conservatoire  par 
l'État  est  relativement  minime,  vingt-cinq  mille  roubles,  m'a-t-on  dit; 
mais  les  élèves  payent  tous,  et,  de  plus,  les  Conservatoires  ont  la.  per- 
sonnalité cioile,  c'ust-à-divo  le  droit  de  recevoir  des  dons,  des  legs,  des 
cadeaux  importants,  de  pouvoir  devenir  riches.  C'est  ainsi  qu'on  exécute 
immédiatement,  sans  difficulté  aucune,  sans  intervention  des  bureaux 
administratifs,  sans  sollicitations,  sans  mendicité  quelconque,  tout  ce 
que  produit  l'école:  symphonies,  opéras,  oratorios. 

C'est  ainsi  ijue  Safonolf  a  pu  élever  ce  très  vaste  édifice  de  Moscou. 
L'Empereur  a  commencé  par  donner  quatre  cent  mille  roubles  sur  sa 
cassette,  puis  les  dons  particuliers  sont  venus  parfaire  la  somme  néces- 
saire pour  la  construction  d'un  terrain  de  cinq  mille  mètres.  L'orgue  a 
été  offert  par  un  banquier  bien  connu  chez  nous,  M.  Van  derWies,  dont 
le  père  habitait  Nice  où  il  entretenait  un  orchestre  de  soixante  musiciens 
qui,  chaque  jour,  lui  donnait  un  concert.  Aménagements  des  salles  et 


JoO 


LE  MENESTREL 


des  foyers  très  luxueusement  disposés,  mobiliers  des  liureaux  et  du 
cabinet  de  la  direction,  tableaux,  glaces,  tapis,  fauteuils,  tout  provient 
de  l'initiative  privée.  Si  le  directeur  est  sympathique,  s'il  ne  fuit  pas  les 
responsabilités,  s'il  ne  craint  pas  de  s'engager  et  d'aller  de  l'avant,  les 
cadeaux  affluent,  l'argent  abonde.  On  croit  en  lui  ;  l'œuvre  est  d'intérêt 
public,  tout  le  monde  donne. 

En  ne  voyant  dans  la  salle  des  Fêtes  qu'un  seul  médaillon,  celui  du 
fondateur  du  Conservatoire,  Nicolas  Rubinstein,  je  faisais  remarquer 
à  Safonoff  l'injustice  que  sa  modestie  lui  avait  fait  commettre  en  laissant 
à  son  prédécesseur  toute  la  gloire  et  en  s'effaçant  absolument  derrière 
lui.  Il  est  bien  certain  qu'il  ne  pouvait  s'élever  à  lui-même  un  monu- 
ment commémoratif.  Il  est  non  moins  certain  que  sa  vraie  récompense 
consiste  dans  la  satisfaction  d'avoir  heureusement  terminé  l'œuvre 
colossale  qu'il  avait  osé  entreprendre.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  si  Nicolas  Rubinstein  a  été  le  fondateur  du  vieux  Conservatoire, 
Safonoff  a  créé  le  nouveau  de  toutes  pièces,  et  qu'il  restera  à  la  postérité 
le  devoir  de  mettre  les  choses  à  leur  juste  place,  de  réparer  les  oublis 
et  de  dresser  autel  contre  autel. 

Ch.-M.    WlDOR. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Ceiidrillon,  le  ballet  posthume  de  Johann  Strauss,  vient  d'être  joué  pour 
la  première  fois  à  l'Opéra  royal  de  Berlin,  et  les  journaux  de  cette  ville 
insistent,  non  sans  orgueil,  sur  le  fait  que  l'œuvre  de  l'auteur  du  Beau 
Danube  bleu  a  vu  la  lumière  de  la  rampe  sur  les  bords  de  la  Sprée.  On  sait 
que  le  scénario  de  Cendrilkm  accepté  par  Strauss  était  tellement  mauvais  qu'on 
a  dû  le  remplacer  par  un  autre,  mais  le  nouveau  ne  semble  pas  être  bien 
supérieur  à  l'ancien.  Geudrillon  est  letrottin  d'un  grand  magasin  dontle  prince 
Charmant  est  le  jeune  chef:  M'""  de  La  Hallière  est  une  modiste  qui  travaille 
avec  ses  deux  filles  favorites  pour  le  magasin  en  question.  En  dehors  de  cette 
transformation,  tout  se  passe  comme  dans  le  vieux  conte;  c'est  la  pantoufle 
du  trottin  qui  amène  finalement  son  mariage  avec  le  jeune  et  riche  pro- 
priétaire du  grand  magasin.  La  musique  consiste  dans  une  suite  de  danses, 
dont  plusieurs  sont  fort  jolies,  comme  la  Valse  des  PUjeons  et  la  Polka  des 
Amours;  le  côté  dramatique  est  fortement  négligé,  ce  qui  s'explique  par  la 
mauvaise  qualité  du  livret.  M.  Joseph  Bayer,  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  im- 
périal de  Vienne,  a  fort  habilement  complété  et  mis  sur  pied  les  fragments 
de  la  partition  laissée  inachevée  par  Strauss.  Le  succès  a  été  honorable; 
après  le  premier  acte  on  n'a  applaudi  que  tort  modérément,  mais  après  le 
dernier  les  applaudissements  furent  assez  vifs. 

—  M""'  Marcella  Sembrich  organise  une  saison  lyrique  italienne  au  nouvel 
Opéra  royal  (ancien  théâtre  KroU)  de  Berlin;  la  première  représentation  a 
dû  avoir  lieu  hier  samedi. 

—  Une  cantate  profane  (Liederspicl)  intitulée  Printemps  et  Amour,  pour  soli 
et  chœurs,  musique  de  M.  Georges  Hartmann,  vient  d'être  exécutée  pour  la 
première  fois  à  Kœnigsberg.  La  nouvelle  œuvre  a  obtenu  un  grand  succès. 

—  Au  spectacle  de  gala  qui  a  été  donné  récemment  à  l'Opéra  de  Vienne 
en  l'honneur  du  prince  impérial  d'Allemagne,  le  programme  comprenait  un 
acte  de  la  Reine  de  Saba,  l'opéra  de  Garl  Goldmark.  La  direction  du  théâtre 
crut  de  bon  goût,  à  cette  occasion,  d'inviter  le  compositeur  à  la  solennité,  et 
elle  adressa  à  Goldmark...  un  billet  de  cinquième  rang  à  la  troisième  galerie. 
Le  vieux  maître,  quoique  ému  d'un  si  gracieux  hommage,  s'abstint  de  profi- 
ter de  la  faveur  qui  lui  était  faite  et  ne  parut  pas  à  la  représentation. 

—  Le  comité  qui  s'est  formé  à  Vienne  pour  contribuer  au  monument  inter- 
national qu'on  veut  élever  à  Milan  en  l'honneur  de  Verdi  vient  de  faire 
exécuter  le  Bequiem  du  maître.  La  recette  a  été  brillante.  M,  Mascagni  était 
venu  expressément  à  Vienne  pour  diriger  le  concert  et  y  a  eu  son  habituel 
succès  de  curiosité.  L'ambassadeur  d'Italie  à  Vienne,  comte  de  Nigra,  lui  a 
offert  une  canne  dont  Rossini  se  servit,  parait-il,  pendant  les  dernières  an- 
nées de  sa  vie. 

—  On  nous  écrit  de  Budapest  que  M'"''  Arnoldson  a  inauguré  une  série  de 
représentations  à  l'Opéra  royal  par  Mignon.  La  charmante  artiste  a  rem- 
porté un  succès  énorme;  on  lui  a  bissé  la  romance  Connais-tu,  le  duo  des  hi- 
rondelles et  la  Styrienne.  Une  seconde  représentation  de  Mignon  est  d'ores  et 
déjà  annoncée. 

—  L'œuvre  de  Massenet  triomphe  actuellement  en  Italie.  On  nous  annonce 
de  Gênes  que  Cendrillon,  représentée  pour  la  première  fois  dans  cette  ville,  a 
eu  un  succès  éclatant  au  théâtre  Politeama.  Nombreux  rappels  après  chaque 
acte;  le  divertissement  du  deuxième  et  le  finale  du  troisième  acte  ont  provo- 
qué un  véritable  enthousiasme.  Après  le  dernier  acte  on  a  fait  une  véritable 
ovation  à  M"'^  Toresella,  Fabbri,  Pollini  e  Hizzini  et  au  chef  d'orchestre 
maestro  Pomé.  De  Bologne,  on  nous  écrit  d'autre  part  que  Manon  a  obtenu 
un  succès  immense  au  théâtre  communal.  On  a  bissé  d'enthousiasme  tous 
les  morceaux  principaux,  entre  autres  le  duo  de  Saint-Sulpice,  et  on  a 
rappelé  une  dizaine  de  fois  M^^  Storchio,  le  ténor  Pandolflni  et  le  baryton 


Buti.  L'orchestre  n'était  que  sullîsant,  mais  les  solistes  ont  tait  merveille.  Le 
théâtre  était  comble  (a/foltatissimo). 

—  Le  succès  matériel  des  oratorios  de  don  Lorenzo  Perosi  ne  parait  pas 
égaler  en  Italie  leur  succès  artistique.  On  sait  qu'une  société  s'est  formée  à 
Milan  pour  aménager,  sous  le  nom  de  salon  Perosi,  une  salle  destinée  à  l'exé- 
cution de  ces  oratorios.  Or,  la  j  Société  du  Salon  Perosi  »,  constituée  au 
capital  de  230.000  francs,  a  convoqué  récemment  ses  actionnaires  pour  leur 
présenter  le  rapport  relatif  au  dernier  exercice,  et  il  résulte  de  ce  rapport  que 
ledit  exercice  accuse  une  perte  nette  de  34.073  fr.  8S  0.  Les  frais  d'exécu- 
tion ont  été,  pour  l'année,  de  37.428  fr.  34  c.  et  les  recettes  ont  produit  seu- 
lement une  somme  de  28.621  fr.  18  c. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  projetées  à  Gatane  pour  le  centenaire  de  Bellini, 
le  comité  directeur  du  Cercle  Bellini  de  cette  ville  a  ouvert  un  triple  con- 
cours de  composition.  Ce  concours  comprend  :  1"  un  quatuor  pour  instru- 
ments à  cordes  ;  2"  une  «  pièce  vocale  pour  chambre  »  (c'est-à-dire  une 
mélodie)  avec  accompagnement  de  piano  ;  3°  un  solo  de  piano  à  deux  ou 
quatre  mains,  caprice,  nocturne,  fantaisie,  etc.  Pour  chacune  des  branches 
de  ce  concours  il  sera  attribué  un  diplôme  d'honneur,  un  diplôme  de  mé- 
daille d'or  et  deux  de  médailles  d'argent.  Il  pourra  être  décerné  des  mentions 
honorables. 

—  Un  émule  du  P.  Hartmann,  qui  a  fait  exécuter  récemment  avec  succès 
un  oratorio.  Celui-ci,  qui  appartient  comme  lui  à  l'ordre  des  Mineurs  obser- 
vants, s'appelle  Pierbattista  da  Falconara,  et  a  fait  exécuter  le  21  avril  à 
Rome,  dans  l'Eglise  de  Sauf  Antonio,  une  messe  à  trois  chœurs  [Angeli, 
Chiesa  militante  et  Chiesa  sojferente)  de  sa  composition.  Il  dirigeait  lui-même 
l'exécution  de  son  œuvre,  qui  réunissait  130  chanteurs,  dont  60  enfants,,  très 
bien. instruits,  pour  le  chœur  des  Anges.  L'œuvre  est  écrite  en  style  sévère, 
avec  prépondérance  du  genre  fugué.  Elle  a  produit  la  meilleure  impression. 

—  Le  21  avril  1801  on  inaugurait  à  Trieste  le  théâtre  Nuovo,  qui  devint 
plus  tard  le  théâtre  communal  et  qui  s'appelle  aujourd'hui  théâtre  Verdi,  et 
cette  inauguration  se  faisait  avec  la  première  représentation  d'un  opéra  nou- 
veau de  Jean-Simon  Mayr,  Ginevra  di  Scozia.  On  a  célébré  récemment  le 
centième  anniversaire  de  l'existence  de  ce  théâtre,  et  à  cette  occasion  l'édi- 
teur Carlo  Schmidl  a  publié  en  une  élégante  édition  trois  morceaux  de  l'opéra 
en  question,  l'ouverture  et  les  deux  airs  d'Ariodant  et  de  Polynice,  en  les 
faisant  précéder  d'une  biographie  de  Mayr  et  d'une  étude  critique  sur  la  par- 
tition de  Ginevra  di  Sco:ia. 

—  On  vient  d'ouvrir  un  concours  littéraire,  à  Milan,  pour  la  composition 
d'une  Vita  di  Giuseppe  Verdi,  avec  un  prix  de  3.000  francs  pour  le  vainqueur. 
L'ouvrage,  écrit  en  langue  italienne,  doit  être  original;  les  publications  faites 
avant  l'ouverture  du  concours  en  sont  exclues.  La  Vita  di  Verdi,  conçue  dans 
une  forme  populaire,  aura  surtout,  dit  le  programme,  un  but  d'éducation,  de 
telle  sorte  qu'elle  puisse  servir  d'exemple  à  la  jeunesse  studieuse  et  coopérer 
au  raffermissement  des  caractères,  à  l'incitation  au  travail,  à  l'amour  de  la 
patrie,  à  l'exercice  de  la  bienfaisance.  Elle  ne  devra  pas  comprendre  moins 
deSOOpages  d'impression,  type  courant,  format  in-8°.  Le  concours  reste  ouvert 
jusqu'au  27  janvier  1903,  deuxième  anniversaire  de  la  mort  du  maître.  Le 
vainqueur  recevra  la  somme  de  3.000  francs,  en  conservant  la  pleine  et  en- 
tière propriété  de  son  travail.  Le  côté  assez  original  de  ce  concours,  c'est 
qu'il  est  ouvert  par  les  soins  et  aux  trais  de  «  la  Société  de  produits  chi- 
mico-pharmaceutiques  A.  Bertelli  et  C'',  de  Milan  ». 

—  Les  écrivains  italiens  continuent  de  s'occuper  avec  activité  de  l'histoire 
des  théâtres  de  leur  pays.  C'est  ainsi  que  M.  Giuseppe  Radiciotti  vient  de 
publier  coup  sur  coup  deux  brochures  substantielles  et  utiles,  l'une  sous  ce 
titre  :  Teatro,  musica  et  musieisti  in  Sinigaijlia,  l'autre  :  Contributi  alla  storia  del 
teatro  e  délia  musica  in  Urbino.  On  trouve  dans  ces  deux  écrits  nombre  de  ren- 
seignements intéressants  peu  connus  sur  les  compositeurs  et  les  chanteurs. 
M.  Radiciotti,  qui  n'en  est  pas  à  son  coup  d'essai,  prépare  en  ce  moment  un 
Dictionnaire  des  musiciens  marchesans. 

—  C'est  demain  lundi  que  s'ouvrira  la  saison  de  Covent-Garden  à  Londres 
avec  Roméo  et  Juliette  et  sous  la  nouvelle  direction  artistique  de  M.  André 
Messager.  Dès  à  présent  on  s'est  mis  aux  études  du  Roi  d'Ys,  qui  sera  la  «  nou- 
veauté française  »  de  la  campagne  1901. 

—  Les  journaux  anglais  annoncent  que  le  roi  d'Angleterre  est  entré  en 
pourparlers  avec  M™'  Adehna  Patti  pour  l'achat  de  son  château  de  (^-raig- 
y-Nos.  Au  cas  où  les  négociations  aboutiraient,  M"'"  Adelina  Patti  irait 
habiter  définitivement  la  Scandinavie,  la  patrie  de  son  troisième  mari,  M.  le 
baron  de  Cederstroem. 

—  M.  d'OyIy  Carte,  le  défunt  directeur  du  Savoy-Théâtre  de  Londres,  a  laissé 
une  fortune  considérable  qu'on  évalue  à  la  somme  de  2.40.817  livres,  soit  plus 
de  six  millions  de  francs  environ.  C'est  coquet  pour  le  directeur  d'un  théâtre 
d'opérettes,  surtout  quand  on  pense  qu'il  lui  a  fallu  à  peine  un  quart  de  siècle 
pour  amasser  cette  jolie  somme. 

—  Le  chef  d'orchestre  et  compositeur  Luigi  Arditi,  l'auteur  du  Bacio,  la 
valse  vocale  rendue  célèbre  naguère  par  M"«  Piccolimini  et  M™"  Adelina  Patti, 
vient  de  relever  d'une  maladie  dont  la  gravité  était  encore  augmentée  par 
son  âge  avancé,  car  M.  Arditi  compte  aujourd'hui  78  ans.  On  lui  a  conseillé 
d'aller  achever  sa  convalescence  dans  le  Leicestershire,  où  il  passera  sans  doute 
l'été.  On  annonce  qu'un  concert  sera  donné  prochainement  en  son  honneur, 
concert  pour  lequel  M^^  Patti  a  promis  son  concours. 


LE  MENESTREL 


151 


—  On  sait  que  le  23  avril  est  considéré  comme  la  date  probable  de  la  nais- 
sance de  Shakespeare.  A  cette  occasion  on  a  donné  en  Angleterre  toute  une 
série  de  spectacles  consacrés  à  l'illustre  poète.  Le  grand  tragédien  Henri 
Irving,  de  retour  d'une  tournée  en  Amérique,  a  mis  en  scène  Coriolan  au 
Lyceum.  De  son  côté.  M.  Beerbohm  Tree,  l'un  des  acteurs  les  plus  réputés 
du  Royaume-Uni,  a  remis  en  lumière  l'une  des  comédies  les  plus  délicates 
du  vieux  maître,  la  Douzième  Nuit,  et  il  a  voulu  que  cette  histoire  d'amour 
simple  et  poétique  fut  entourée  d'une  mise  en  scène  digne  d'elle  au  Her  Ma- 
jesty's  Théâtre.  Sur  un  autre  théâtre  on  a  donné  Henri  ¥  avec  un  très  grand 
succès.  Mais  la  commémoration  la  plus  intéressante  du  poète  est  colle  qui  a 
eu  lieu  dans  son  pays  natal,  à  Stratford-sur-Avon.  Là,  l'acteur  Benson 
a  donné  le  cycle  entier  de  ses  drames  historiques  :  le  Roi  Jean,  Richard  II, 
Henri  IV,  Henri  Y,  Henri  VI  et  Richard  III.  Un  grand  cortège  a  été  aussi  orga- 
nisé pour  porter  des  fleurs  sur  la  tombe  de  Shakespeare. 

—  La  propriété  du  joli  titre  «  le  rossignol  de  Galles  »  va  devenir  vacante. 
Mme  Mary  Davies,  qui  en  a  hérité  après  la  mort  de  M°"=  Edith  Wynne,  se 
retire  en  effet  après  plus  d'un  quart  de  siècle  d'exercice  pour  se  vouer  à  l'en- 
seignement. Les  Gallois  auront  à  décerner  le  titre  en  question  à  une  nouvelle 
candidate:  le  choix  sera  difficile,  caries  rossignols  sans  plumes  se  font  rares, 
même  au  pays  de  Galles. 

—  M.  Mac-Kinley,  président  de  la  République  américaine,  montre-t-il  un 
goût  particulier  pour  le  théâtre  et  la  musique?  On  annonce  de  Canton  (état 
de  l'Ohio)  qu'il  est  devenu  récemment  propriétaire  du  grand  théâtre  de 
l'Opéra  de  cette  ville,  et  qu'il  vient  d'en  nommer  directeur  son  propre  beau- 
frère,  M.  G.  Barker. 

—  Un  fait  assez  rare  vient  de  se  produire  à  New-York.  La  troupe  d'opéra 
de  M.  Maurice  Grau  a  clôturé  la  saison  lyrique  par  une  représentation  au 
bénéhce  de  son  manager,  en  renonçant  à  ses  cachets.  Le  spectacle  coupé , 
auquel  M""'  Sarah  Bernhardt  et  M.  Coquelin  ont  pris  part  en  jouant  un  frag- 
ment dramatique,  a  produit  la  bagatelle  de  100.000  francs  environ,  qui  ont 
été  rerais  entièrement  à  l'heureux  directeur. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  jeunes  compositeurs  légistes  dé  Compiègne  ont  terminé  leur  cou- 
cours  d'essai  pour  le  grand  prix  de  Rome.  Hier  samedi,  au  Conservatoire,  a 
eu  lieu  l'exécution  de  leurs  œuvres.  Puis  interviendra  le  jugement  et,  dès  le 
samedi  18  mai  ceux  qui  seront  sortis  victorieux  de  ce  premier  concours 
devront  rentrer  en  loges,  toujours  à  Compiègne,  pour  n'en  sortir  que  le  lundi 
17  juin.  Et  ce  sera,  cette  fois,  l'épreuve  définitive. 

—  L'exposition  des  travaux  des  pensionnaires  de  l'Académie  de  France  à 
Rome  s'est  ouverte  au  palais  Médicis,  et  elle  a  été  inaugurée  par  une  séance 
musicale  dontle  programme  comprenait  plusieurs  compositions  symphoniques 
dues  à  trois  de  nos  jeunes  prix  de  Rome  :  Traversée  heureuse  et  Fêle  septentrio- 
nale, de  M,  Florent  Schmitt,  Entrée,  Sarabande  et  Bourrée,  de  M.  Charles 
Levadé,  et  l'Amour  sacré  et  l'amour  profane,  de  M.  Edmond  Malherbe. 

—  M.  Alfred  Capus,  le  spirituel  et  heureux  auteur  de  la  Veine  et.de  la  Petite 
Foiicfionnoire,  vient  d'être  nommé  par  le  ministre  des  beaux-arts  membre' dé 
la  commission  du  Conservatoire.  Voilà   qui  s'appelle   rajeunir  les  cadres. 

—  Le  programme  de  l'exercice' d'élèves  qm  a  eu  lieu  jeudi  dernier  au  Con- 
servatoire était  très  bien  fait  et  tout  particulièrement  intéressant,  en  ce  sens 
qu'à  part  celui  de  Roland  de  Lassus  il  ne  comprenait  absolument  que  des 
noms  de  musiciens  français,  à  commencer  par  ceux  des  trois  directeurs  du 
Conservatoire  :  Gherubini,  Auber  et  Ambroise  Thomas.  Et  en  ce  qui  concerne 
ceux-là  le  choix  n'eût  pu  être  plus  heureux.  Pour  Gherubini,  c'était  deux 
fragments  du  Requiem  en  ut,  dont  un  Aijnus  d'un  caractère  superbe  ;  pour 
Auber,  qui  savait  construire  des  ouvertures,  celle,  délicieuse,  de  Zanetta,  si 
complètement  inconnue  de  la  génération  actuelle;  et  pour  Ambroise  Thomas 
le  prologue  magistral  de  Françoise  de  Rimini,  l'une  des  plus  belles  et  des  plus 
nobles  pages  de  la  musique  dramatique  contemporaine.  Je  me  rappelais  à  ce 
propos  l'un  des  mots  les  plus  expressifs  d'un  de  nos  aimables  et  présomp- 
tueux prix  de  Rome,  de  ceux  pour  qui  la  musique  n'existe  que  du  jour  de 
leur  venue  en  ce  monde  et  qui  se  distinguent  par  leur  remarquable  modestie. 
Celui-là  disait  un  jour  :  «  Il  y  a  trois  sortes  de  musique  :  la  bonne,  la  mau- 
vaise et...  celle  d'Ambroise  Thomas  ».  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  avec  quelle 
nuance  de  dédain  il  prononçait  le  nom  du  grand  artiste  qui  a  signé,  entre 
autres,  les  partitions  de  Mirjiion,  à'IIamlet  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été.  Je  ne  crois 
pas  que  M.  Marty,  qui  a  dirigé  avec  une  rare  vigueur  le  beau  prologue  de 
Françoise,  partage  l'opinion  ainsi  exprimée.  En  tout  cas,  le  public  a  prouvé 
par  ses  applaudissements  que  cette  opinion  n'était  point  la  sienne.  Entre  le 
Requiem  et  Françoise,  nous  avions  l'exquise  suite  d'orchestre  du  Roi  s'amuse,  de 
Léo  Delibes,  si  charmante  qu'on  a  dû  redire  le  Passepied.  Trois  «  pièces  en 
concert  »  de  Rameau,  ta  Livri  et  l'Indiscrète,  pour  piano,  flûte  et  violoncelle, 
ont  été  dites  ensuite  avec  grâce  et  délicatesse  par  M"''  Novello,  MM.  Bau- 
duin  et  Minssart,  et  après  elles  esl  venu  le  premier  allegro  du  trio  en  la 
mineur  de  Théodore  Gouvy,  exécuté  avec  chaleur  par  M.  Edger  (piano), 
M""  Forte  (violon)  et  M.  JuUien  (violoncelle).  Puis  l'orchestre  est  rentré  en 
ligne  avec  l'ouverture  d'Arteveld  d'Ernest  Guiraud,  page  nerveuse,  vivante  et 
colorée,  d'une  allure  superbe  et  d'un  effet  immanquable.  C'a  été  ensuite  le 
tour  des  chœurs,- qui  nous  ont  fait  entendre  une  jolie  chanson  française  à 
quatre  voix  de  Roland  de  Lassus.  Bonjour,  mon  cœur,  et  une  charmante  can- 


tilène,  aussi  à  quatre  voix,  d'Antoine  Boèsset,  Diviuc  AnianjHis,  dont  la  cou- 
leur est  délicieuse.  Mais  où  diable  le  rédacteur  du  programme  a-t-il  pris  la 
fantaisie  d'écrire  Boisset  le  nom  de  ce  compositeur,  que  tous  les  historiens, 
contemporains  ou  autres,  n'ont  jamais  écrit  autrement  que  Boësset?  Le  pro- 
gramme se  terminait  par  la  cinquième  Béatitude  de  César  Franck,  choix  fort 
heureux  fait  dans  l'œuvre  inégal  du  vieux  maître,  car  les  Béatitudes  sont,  à 
mon  sens,  avec  Rulh,  ce  qu'il  a  fait  de  plus  accompli.  Les  soU  en  étaient  fort 
bien  dits  par  M"'  Revel,  MM.  Granier  et  Baêr.  Je  m'aperçois,  en  citant  leurs 
noms,  que  j'ai  oublié  de  mentionner  ceux  de  M"''*  Ceabron  et  Dorigny,  de 
MM.  Rigaux  et  G.  Dubois  pour  les  soli  de  Fraiurtisv  de  Rimini.  Tous  se  sont 
bien  acquittés  de  leur  tâche.  Mais  il  faut  féliciter  aussi  l'orchestre  et  les 
chœurs,  qui  se  sont  distingués  par  leur  soin,  leur  ensemble  et  la  chaleur 
toute  juvénile  dont  ils  ont  fait  preuve.  Quant  à  M.  Marty,  qui  dirigeait  le 
concert,  on  ne  saurait  lui  accorder  trop  d'éloges  pour  sa  fermeté,  sa  précision 
et  sa  solidité.  Celui-là  a  le  tempérament  et  toutes  les  qualités  du  vrai  chef 
d'orchestre.  A.  P. 

—  M.  Paul  Taffanel  vient  de  donner  sa  démission  de  chef  d'orchestre  de  la  . 
Société  des  concerts  du  Conservatoire,  et  malgré  la  démarche  très  pressante 
des  membres  du  comité  de  la  Société,  il  n'a  pas  cru  pouvoir,  en  raison  de  son 
état  de  santé,  revenir  sur  sa  détermination  d'abandonner  ce  haut  poste.  Le 
comité  do  la  Société  des  concerts,,  tout  en  regrettant  vivement  la  perte  de  son 
éminent  chef,  s'est  vu  contraint  d'accepter  cette  démission.  L'élection  du 
successeur  de  M.  Taffanel  aura  lieu  dans  le  courant  de  juin. 

—  On  vient  encore  de  réviser  la  Marseillaise,  s'écrie  VÉ''ho  de  Paris  !  «  Il  y 
a  une  douzaine  d'années,  semblable  travail  avait  été  exécuté  par  quelques 
compositeurs  sous  la  haute  direction  d'Ambroise  Thom"as,  et  la  nouvelle 
orchestration,  qui  s'inspirait  de  celle  de  Berlioz,  avait  été  proclamée  version 
officielle  et  obligatoire  pour  toutes  les  musiques  militaires.  Mais  il  parait' 
qu'elle  a  cessé  de  plaire  en  haut  lieu;  on  la  trouve  maintenant  démodée, 
réactionnaire,  et  il  a  fallu  l'accommoder  au  goût  du  jour.  Jeudi,  la  nouvelle 
Marseillaise  a  été  expérimentée  en  présence  du  général  André  par  la  musique 
de  la  garde  républicaine.  L'innovation  principale  consiste  en  l'adjonction 
d'une  formidable  batterie  de  tambours  et  d'une  colossale  sonnerie  de  quarante- 
cinq  clairons,  soulignant  —  ou  plutôt  étouffant  —  certains  passages.  L'audi- 
tion en  a  eu  lieu  dans  la  cour  de  la  caserne;  et  le  ministre  de  la  guerre  s'est 
déclaré  fort  satisfait  de  ce  qu'un  de  ses  voisins  n'a  pas  craint  de  qualifier  «  un 
horrible  travestissement  ». 

—  La  bibliothèque  de  l'Opéra  va  bientôt  entrer  en  possession  d'un  intéres- 
sant objet  d'art  ;  une  pendule  en  forme  de  lyre  supportant  le  médaillon  de 
Tamburini,  qui  fut  une  des  gloires  du  Théâtre-Italien  de  Paris  :  «  Je  donne 
ma  pendule-lyre  avec  médaillon  au  musée  de  l'Opéra,  en  souvenir  de  mon 
père  qui  a  chanté  à  l'Opéra  (rue  Le  Peletier)  pour  tant  d'teuvres  de  bienfai- 
sance, lit-on  dans  le  testament  du  fils  du  grand  artiste  ». 

—  A  l'Opéra  la  reprise  de  l'Africaine  est  remise  au  début  de  la  saison  pro- 
chaine, en  raison  du  congé  de  M.  Alvarez,  qui  doit  chanter  le  rôle  de  Vasco 
de  Gama.  Le  rôle  de  Selika  sera  chanté  par  M"'''  Jane  Marcy  et  celui  d'Inès 
servira  de  début  à  une  jeune  cantatrice,  M"»  Dereims,  fille  de  l'ancien  ténor 
de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Gomique,  élève  de  son  père.  Les  trois  rôles  de 
Nélusko,  de  l'amiral  Don  Pedro  et  du  grand  inquisiteur  seront  repris  par 
MM.  Renaud,  Ghambon  et  Paty. 

—  M.  Jean  de  Reszké  est  dans  nos  murs  :  «  Un  de  nos  amis,  dit  Nicolet 
du  Gaulois,  qui  a  eu  l'occasion  de  voir  hier  M.  Jean  de  Reszké,  a  trouvé  le 
brillant  artiste  en  parfaite  santé  et  très  heureux  des  grands  succès  que  lui  a 
valus  sa  dernière  saison  en  Amérique.  C'est  pendant  que  M.  Jean  de  Reszké 
était  à  New-York  que  la  direction  de  l'Opéra  traitait  avec  les  représentants 
de  la  succession  de  Richard  Wagner  pour  les  représentations  de  Siegfried.  La 
combinaison  s'est  faite  tout  entière  sur  son  nom.  Et  ce  sera  une  joie,  au  mois 
de  février  prochain,  pour  les  Parisiens,  d'applaudir  le  merveilleux  chanteur 
qui  ne  s'était  pas  fait  entendre  à  Paris  depuis  plusieurs  années  déjà  et  qui 
trouvera  certainement  dans  le  personnage  de  Siegfried  l'occasion  d'un  nou- 
veau et  éclatant  triomphe.  »  N'eùt-il  pas  été  préférable  de  voir  le  glorieux 
artiste,  se  souvenant  de  l'accueil  qui  lui  fut  fait  ici  et  qui  consacra  ses  débuts, 
rentrer  dans  sa  bonne  ville  de  Paris  avec  une  œuvre  française  ?  Il  eût  fait 
ainsi  acte  de  reconnaissance  complète. 

—  Il  ne  faut  rien  perdre  des  grands  actes,  ni  des  grandes  paroles.  Le  mer- 
credi 6  mai  était  célébré  à  Helsingfors,  en  Finlande,  le  mariage  de  W"  Aïno 
Ackté  avec  le  docteur  Renwald,  et,  dans  la  journée  même,  nous  apprend  Le 
Figaro,  le  directeur  de  l'Opéra,  Pedro  Gailhard  en  personne,  recevait  cette 
courte,  mais  expressive  dépêche:  «  Au  seuil  de  l'église,  vous  envoie  tout  mou 
dévouement.  »  Pauvre  enfant  ! 

—  Petites  nouvelles  de  l'Opéra-Comique  :  M'"  Guiraudon,  assez  gravement 
indisposée  (on  parle  d'une  fièvre  muqueuse),  a  dû  laisser  son  gracieux  rôle  de 
Lulu  dans  l'Ouragan  à  M"«  Eyreams.  —  Début  remarqué  de  M"''  Camille 
Borello  dans  Michaela  de  Carmen.  —  Engagements  nouveaux  :  M""=  Lydia 
Nerville,  qui  fera  son  début  au  mois  d'octobre  prochain  dans  Lakmé; 
M'i<=  Marguerite  Giraud,  si  remarquée  à  Rouen  cet  hiver  dans  Cenirillon,  qui 
paraîtra  dans  la  Vie  de  Bohème.  —  Réception  d'un  petit  ouvrage  en  deux  actes 
de  M.  Gustave  Doret,  jeune  compositeur  genevois  ;  sujet  tiré  par  M.  Henri 
Gain  d'une  nouvelle  suisse  :  Le  Vacher  assassin.  —  Spectacles  d'aujourd'hui 
dimanche:  en  matinée,  Louise;  le  soir  :  Mireille. 


152 


LE  MENESTREL 


—  Nous  sortoQS  à  peiae  des  tourmentes  de  l'Ouragan  et  déjà  l'impitoyable 
collaboration  de  MM.  Emile  Zola  et  Alfred  Bruaeau  nous  menace  d'une   nou- 
velle création  symbolico-lyrique  :    L'Enfant    roi.   Et  cependant  vous   verrez 
qu'il  se  trouvera  encore  un  directeur,  non  suffisamment  échaudé,  pour  faire  ' 
risette  au  futur  marmot  de  ces  messieurs.  Mais  gare  la  fausse  couche! 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs 
dramatiques  a  eu  lieu  samedi  4  mai,  comme  nous  l'avions  annoncé,  sous  la 
présidence  de  M.  'Victorien  Sardou.  Le  rapport  de  la  commission,  présenté 
par  M.  Maurice  Donnay,  constate  que  les  droits  perçus  pendant  le  dernier 
exercice  s'élèvent  à  4,369.207  fr.  69  c.  L'Assemblée  a  ensuite  procédé  à 
l'élection  des  six  nouveaux  commissaires.  Ont  été  élus  :  MM.  Paul  Ferrier, 
Pierre  Decourcelle,  Alfred  Capus,  Eugène  Brieux,  Paul  Hervieu.  auteurs, 
M.  Louis  Varney,  compositeur. 

—  Les  deux  premiers  concerts  de  MM.  Raoul  Pugno  et  Eugène  Ysaye  ont 
eu  lieu  les  6  et  8  mai,  salle  Pleyel.  Ils  étaient  consacrés  aux  ouvrages  de 
Bach,  Mozart,  Schubert,  Brahms,  'V.  Vreuls  et  Saint-Saëns.  M.  Ysaye,  avec 
l'ampleur  d'interprétation  qu'on  lui  connaît  et  la  puissance  de  sonorité  qu'il 
voudrait  indéfiniment  augmenter,  en  est  arrivé  à  la  limite  extrême  que  l'ins- 
trument, même  dans  ses  mains,  ne  saurait  dépasser  sans  que  le  son  devienne 
moins  agréable,  le  jeu  moins  naturel  et  moins  pur.  Cette  limite  sera  respectée 
et  notre  admiration  pour  les  deux  artistes  dont  les  talents  s'harmonisent  si 
bien  pourra  rester  la  même.  M.  Raoul  Pugno,  par  le  sentiment  musical,  le 
tact  et  la  distinction  qui  constituent  sa  personnalité  de  pianiste,  donne  en 
quelque  sorte,  à  ces  séances,  leur  style  et  leur  caractère.  La  simplicité  pleine 
de  charme,  le  velouté  du  son,  le  toucher  captivant,  et,  à  l'occasion,  la  force 
imposante  et  grandio'se,  il  réunit  toutes  ces  qualités  en  y  ajoutant  une  intel- 
ligence supérieure  du  côté  idéal  des  œuvres.  Parmi  les  ouvrages  entendus  se 
trouvait  le  rondeau,  op.  70,  de  Schubert.  Il  a  paru  long.  Toutes  les  composi- 
tions instrumentales  du  maitre  ont  ce  défaut.  Schubert  mettait  une  fois  son 
àme  dans  chacune  d'elles,  mais  ne  l'y  mettait  qu'une  fois.  Il  fautlesjouer  eU' 
vue  d'un  passage,  d'un  thème,  d'une  phrase;  on  est  largement  récompensé. 

Am.  B. 

—  Depuis  que  M""=  Marie  Jaëll  a  fait  entendre,  en  janvier,  février,  mars  1892, 
salle  Pleyel,  tout  l'œuvre  original  pour  piano  de  Liszt,  jamais  les  grandes 
compositions  du  maitre  n'ont  trouvé  un  interprète  aussi  pénétré  de  leur  haute 
signification  que  M.  Risler.  Sa  Soirée-Liszt  a  été  une  suite  de  rappels  et  d'o- 
vations. Le  programme  était  des  mieux  compris  :  Pensées  des  morts  et  Bénédic- 
tion de  Disu  dans  la  solitude  (d'après  Lamartine);  sonate  en  si  mineur;  deux 
légendes  :  Saint  François  d'Assise  prècliant  aux  oiseaux  et  Saint  François-de-Paule 
marchant  sur  les  flots;  Étude  en  ré  bémol  (un  sospiro).  Soirée  de  Vienne  et  Rap- 
sodie  n"  19  (?).  Wagner  écrivait  à  Liszt  à  propos  de  la  sonate  : 

La  beauté  de  celle  sonate  dépasse  toute  imagination,.  Elle  est  grande,  affable,  profonde,  noble, 
sublime  comme  toL  Elle  a  remué  toutes  les  profondeurs  de  mon  ùtre. 

Marie  Jaëll  disait  à  propos  de  la  deuxième  légende  : 

On  se  demande  ce  qui  est  le  plus  beau  de  marcher,  par  la  foi,  réellemenl  sur  les  nots,  ou  d'évoquer, 
par  l'art,  cette  vision  avec  l'intensité  que  Liszt  lui  donne?  Ce  sont  lii  deux  miracles. 

M.  Risler  est  véritablement  le  pianiste  de  Liszt:  profond,  intellectuel,  puis- 
sant comme  lui.  Il  réalise  ce  que  beaucoup  d'autres  n'osent  pas  envisager. 
C'est  un  artiste  dans  la  plus  noble  acception  du  mot.  —  Dans  l'interpréta- 
tion des  œuvres  françaises  modernes  auxquelles  son  dernier  concert  était 
consacré,  il  a  su  se  montrer  souple,  varié,  délicat,  intuitif  et  brillant.  Ces 
œuvres  étaient  signées  Saint-Saëns,  Fauré,  Chevillard,  Dukas,  Enesco,  Rey- 
naldo  Hahn,  Chabrier  et  Théodore  Dubois.  De  ce  dernier,  M.  Risler  avait 
choisi  le  Thème  varié  ^i  simple,  si  finement  ouvragé  et  dont  certaines  varia- 
tions sont  d'un  coloris  si  chatoyant.  Le  charmant  Caprice  mélancoiique  de  Hahn 
pour  deux  pianos  a  été  joué  en  perfection  avec  le  concours  de  M.  Cortot. 

Am.  B. 

—;■  A  son  concert  du  4  mai,  M.  E.-M.  Delaborde  a  retrouvé  tous  ses  admi- 
rateurs et  ceux-ci  ont  retrouvé  en  lui  le  virtuose  si  remarquable,  l'artiste  au 
style  noble,  pur  et  sobre.  L'op.  57  de  Beethoven,  six  œuvres  de  Schubert 
(dont  deux  des  belles  marches  transcrites  par  Liszt),  trois  autres  de  "Weber 
ont  été  dites  par  le  maitre  pianiste  avec  une  ampleur  et  une  sensibilité,  une 
émotion  communicative,  une  entente  de  la  sonorité  vraiment  superbes.  Le 
programme  était  complété  par  deux  valses  de  Chopin,  deux  jolis  préludes 
d'Alkan,  deux  des  mazurkas  si  délicatement  ciselées  de  G.  Saint-Saëns,  la 
Valse-impromptu  de  Liszt,  et  la  Valse-caprice  d'après  Strauss,  de  \.  Philipp. 
M.  Delaborde  a  ébloui  ses  auditeurs  par  la  grâce,  l'esprit,  la  finesse  qu'il  a 
su  mettre  dans  l'interprétation  de  ces  courtes  pièces. 

—  Le  concert  donné  à  la  salle  Erard  par  M°'=  Glotilde  Kleeberg  a  été  un 
nouveau  triomphe  pour  la  grande  artiste.  On  lui  a  fait  de  véritables  ovations. 

—  De  Bourges:  Grand  succès  pour  le  festival  A.  Holmes  et  ses  interprèles, 
M"'  'Valdys,  MM.  0.  Sullivan  et  G.  Marqiiet.  On  a  bissé  la  Belle  du  roi  et  le 
Noël  d'Irlande.  L'orchestre  et  les  chœurs  ont  été  remarquables  dans  Au  pays 
bleu.  Deux  superbes  palmes  ont  été  offertes  à  A.  Holmes,  l'une  par  la  Société 
philharmonique,  l'autre  par  la  Patrie  française.  I 

—  SoiHÉES  ET  CosCERTS.  —  lii-illant succès  pour  le  charmant  compositeur  Esleban  Marti, 
dont  un  cerlain  nombre  d'œuvres  ont  été  exécutées  à  la  <i  Bodiniére  ».  On  a  applaudi  avec 
enthousiasme  l'excellent  chanteur  Paul  Pecquerydans  Mieux  que  jolie.  La  toute  gracieuse 
Rachel-Launay  a  détaillé  avec  beaucoup  de  finesse  Tes  yeux,  M.  Georges  lilval  a  chanté 
avec  beaucoup  de  charme  l'Éternel  cantique.  Le  puhlic  a  fort  goûté  également  la  voix 


chaude  de  51"'  Crabos  ainsi  que  les  instrumentistes  ;  M""  Kdmée  de  BulTon,  Juliette 
Coudart,  Lise  Blinoff,  JuUa  Manl'redi  et  M,  Périnot.  L'auteur  lui-même  tenait  l'orgue  et 
a  remporté  un  grand  succès  personnel.  Ce  concert,  des  plus  intéressants,  avait  été  précédé 
d'une  charmante  causerie  de  M.  ,Tean  Bernard,  —  A  l'audition  des  élèves  de  M"""  Le  Grix, 
très  grand  succès  pour  le  si  joli  tableau  du  chêne  des  fées  de  Cendrillon,  de  Massenet, 
que  l'excellent  professeur  était  arrivé  à  mettre  au  point  avec  beaucoup  de  soins;  on  y 
applaudit  >!■"•  Laprie  dans  ia  l'éc.  M'"'  Savaroc  dans  Cend.'illon,  I''i'oraent  dans  le  Prime 
Charmant  et  des  chœurs  charmants.  Applaudissements  mérités  ponrla  scène  des  vendan- 
geuses de  Jean  de  Nivelle,  de  Delibes,  bien  chantée  pur  les  chœurs  et  par  M""'  Schalhar 
chargée  du  solo-de  la  Mandragore,  et  aussi  pour  M"'  Lopisgicle  (|ui  a  joué  Source  capri- 
cieuse, de  Tilliaux-Tiger,  et  le  Cavalier  fantastique,  de  B,  Godard.  —  M"""  Amélie  Sarrut 
et  Adanison- Laudi  viennent  de  l'aire  entendre  leurs  élèves  de  piano  et  de  chant.  On  a 
remarqué  de  fraîches  voix  dans  les  Nijmpltes  du  hois,  de  Delibes,  et  applaudi  M""  M.  0. 
dans  l'air  d'Héroiiade,  de  Massenet,  et  R.  et  A.  G.-T.  dans  le  duo  de  la  grive  de  Xavière, 
de  Théodore  Dubois.  —  A  la  Bodiniére,  oii  les  Matinées-Berny  sont  toujours  fort  suivies, 
la  dernière,  consacrée  aux  œuvres  d'Alph.  Duvernoy  a  valu  grand  succès  à  l'auteur  pré- 
sent et  à  ses  interprèles,  M"«  Aekté,  MM.  Affre,  Berny,  qui  a  très  bien  joué  Barcarolle 
et  Moment  de  caprice,  Baer,  qui  a  chanté  la  Caravane  humaine  et  le  Bateau  rose,  Hcnoe- 
bains.  Van  Waefelghem  et  Griset.  —  La  Société  «  la  Marmite  »  a  donné,  dans  le  hall  du 
Grand-Uôtel,  une  superbe  soirée  artistique  en  l'honneur  de  M.  Doumer  :  succès  pour  la 
virtuosité  de  M"'  Lydia  Nervil  dans  l'air  d'entrée  de  Manon  et  Sevitlana  de  Massenet, 
pour  la  Méditation  de  Tlmis  pir  le  vio'onisle  Soudant  et  pour  M-"  FiUiaux-Tiger  dans 
Source  capricieuse.  — An  théâtre  du  Grand  Guignol,  audition  des  élèves  du  cours  de  diction 
et  de  déclamation  de  M"""  Victor  Roger.  Grand  succès  pour  les  jeunes  gens  et  les  jeunes  filles 
que  l'excellent  professeur  destine  au  Conservatoire  et  au  théàtr  ■,  et  dont  la  plupart  sont 
déjà  prêts  à  débuter.  51'°»  Victor  Roger  s'est  elle-même  fait  vivement  applaudir  dans  H 
faut  qu'une  porte  soit  ouverte  ou  fermée,  de  Musset,  qu'elle  a  délicieusement  jouée  avec 
.5L  Colin,  un  jeune  premier  de  grand  avenir.  Lecloude  la  matinée  était  la  première  repré- 
sentation d'une  pièce  écrite  spécialement  pour  la  circonstance,  les  Passe-temps  de  la  fieine, 
de  51""  Jeanne  Paul-Ferrier,  fille  de  l'auteur  bien  connu,  et  qui  marche  sur  les  traces 
brillantes  de  son  père.  Ce  petit  acte,  d'une  saveur  exquise  et  d'une  grâce  parfaiie,  a  été 
brillamment  enlevé  par  tous  ces  artistes  amateurs,  en  costume  Louis  XVI.  Un  joli  menuet 
de  Victor  Roger,  arrangé  pour  piano  et  instruments  à  corde,  et  très  gracieusement  réglé 
pai-  M*"'  Rat,  a  ravi  toute  l'assistance.  M""  Stella  a  été  couverte  de  bravos  dans  ses  chan- 
sons anciennes;  enfin  gros  succès  pour  le  violoniste  Brice  dans  deux  œuvres  de  Charles 
Dancla,  son  maître,  et  le  violoniste  Casadesus.  Cette  matinée  a  fait  le  plus  grand  honneur 
à  M"""  Victor  Roger  qui  compte  déjà  de  nombreuses  et  brillantes  élèves  dans  les  théâtres 
subventionnés  et  parisiens.  —  M.  Delaquerrière,  de  l' Opéra-Comique,  a  fait  entendre 
dans  son  hôtel  de  la  rue  Ballu  ses  élèves,  ilont  quelques-unes  sont  déjà  de  véritables 
artistes.  Grand  succès  dans  Trimazo,  deTh.  Dubois,  pour  51""  Fcrrand,  Carmen  de  Villers, 
Suzanne  Djlbray,  M'""  Leboucq,  51"*"  Huguet,  Knoth,  Turlo,  5Iarre,  Patey  et  Warley^ 
Très  applaudis,  51.  Casalone  dans  l'air  do  Suzanne,  de  Paladilhe,  M""  Féraud  dans  l'air 
de  Sigurd,  de  Reyer,  51.  Boursier-Montlbrt  dans  Chant  féodal,  de  Delaquerrîère,  51"'  Turlo 
dans  l'air  de  la  folie  d'HamIet,  d'A.  Thomas,  M'"'=  Leboucq  dans  Ouvre  les  yeux  bleus,  de 
Massenet,  M""  Suzanne  DalDray  et  5L  Guiraud  dans  le  duo  de  Cendrillon,  de  Massenet. 
51.  Delaquerrîère  s'est  lui-même  fait  entendre  dans  des  mélodies  de  Gabriel  Fabre,  accom- 
pagné par  l'auteur;  on  lui  a  bissé  d'acclamation  Bouche  close.  En  somme  début  très 
brillant  de  l'école  Delaquerrîère  qui  nous  promet  une  pépinière  d'artistes, —  M"«ThuiHier 
vient  de  donner  une  très  jolie  séance  d'élèves  consacrée  à  l'audition  des  œuvres  de 
Trojelli  dont  le  plus  grand  nombre  ont  été  vigoureusement  applaudies;  citons  Valse  de  la 
Petite  École  élémentaire  à  A  mains  (51"'  Yvonne  R.),  Marche  lirée  du  même  recueil 
(51.  Jules  51.),  Valse  des  poupées  {51"'  Gîselle  B.  de  L.),  Ciel  azuré  (M.  Jean  et  M""  Ger- 
maine!.), Valsedu  /ïé!)edeGastinel(M""  BlancheS.),  ta  Guitaredema  Tante  (M"' Alice D.), 
Aubade prinlanièrc  de  Lacome  (51"°  Jacqueline  N.),  Retraite  aux  flaniheiux  (M"'  Made- 
leine M.),  Brune  et  Blonde  (W"  Slarguerite  0.  et  Jeanne  B.),  Dansons  la  Tarentelle 
(M""  Pauline  M.),  Dans  la  Savane  (M""  Germaine  B.),  Capriee-Tarcntelle  (M"°  Jeanne  B.), 
Pendant  la  Fête  (M""  Giselle  B.),  Fête  des  Fleurs  (M""  Laure  D.),  Menuet  du  Dauphin 
fM"**  Suzanne  R.)  et  Menuet  du  Couromiement  (51""  Marguerite  K.i.  On  a  fait  fête  h 
M.  Talamo  dans  l'exécution  de  ti-anscriptions  pour  mandoline.  — A  Nice,  la  dernière  réu- 
nion d'élèves  donnée  par  l'excellent  professeur  M"'"  Perny  a  été  des  plus  brillantes  ; 
exécution  très  remarquable  de  la  Suite  Villageoise  et  des  Poèmes  Virgiliens  de  Théodore 
Dubois,  de  On  Valsait  de  Philipp,  du  Baptême  d'ïvonette  de  Wachs,  etc.  Très  excellent 
résultat  pour  le  cours  de  musique  d'ensemble  que  M"""  Perny  a  eu  l'excellente  idée  d'or- 
ganiser cette  année. 

NÉCROLOGIE 

De  Milan  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Giovanni  Trisolini, 
directeur  du  Trovatore,  l'un  des  journaux  artistiques  les  plus  intéressants  de 
l'Italie,  Il  a  succombé  à  une  courte  maladie,  en  recommandant  que  son  corps 
soit  incinéré  et  que  sa  famille  seule  assiste  à  ses  obsèques,  qui  devront  avoir 
lieu  sans  fleurs  ni  discours, 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Etude  de  W   Monlargis,   notaire   à  Caen. 
Liquidation  de  la  Société  Antrêas  et  C'=. 

Vente  de  fonds       MITOIAITF     VT     DIAIVAC      e'^P'o't'5  à  tlaen, 

decommercede     iMUulyUIJ     II  1      llArJUlS     rue  St-Pierre,  71, 

avec  succursale  à  Cabourg. 

Adjudication  le  lundi  20  mai  1901,  à  I  heure  du  soir. 

Mise  à  prix  :  50  francs. 

Matériel  et  marchandises  à  dire  d'expert. 

S'adresser  au  notaire  et  à  M.  D,  Bottet,  avocat-agréê  à  Caen,  liquidateur. 

VIOLONCELLE     ancien    italien    authentique    de    Landolfus.à    vendre 
4,.'iu0  francs.  Comte  Blanchi,  6,  rue  Monsieur. 

■yiOLON  Lupot  à  vendre.  S'adresser  30,  faubourg  Saint-Honoré, 


—  niPRIMERlE  CHAIX, 


-  67-  AME  -  1\1°  2i).         PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  19  Mai  i901. 


(Les  Bureaux,  2"'=,  rue  Vivienne,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

LE 


MENESTREL; 


lie  Haméro  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  fnmén  :  0  ff.  30 


Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bà,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  tt.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIEE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  sièi-les  (la'  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  La  musique  et  le  théâtre  aui  Salons  du  Graod-Palais  (4°  article),  Camille  Le  Senne. 
—  m.  Petites  notes  sans  portée  :  les  enseignements  de  la  saison,  Raymond  Bouyeh.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  cmant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AU   TRÈS   AIMÉ 

nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  d'après  Caroline  Uuer.  —  Suivra 
immédiatement:  Rêverie,  n°  3  du  Poème  da  silence,  d'ERNEST  Moret. 

-       iMUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Impression  de  neige,  tirée  du  Poème  du  silence,  d'ERNEST  Moret.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Promenade,  de  A.  Périlhou. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 


(Suite.) 


III 

Karamsine  en  France.  —  A  Lyon  :  vue  de  coulisses  ;  Vestris  en  berger  :  une  apo- 
théose. —  Raoul  Barbe-Bleue  à  Lyon  et  l'Allemand  Halem.  —  Réclamation  du 
parterre  à  Strasbourg.  —  Les  troupes  allemandes  à  Strasbourg.  —  Le  Ça  ira 
obligatoire.  —  Reichardt  et  Edelmann.  —  La  politique  et  la  musique  à  Lyon 
en  1792. 

Si,  dans  certains  milieux  de  l'Europe,  les  premiers  actes  de  la 
Révolution  française  soulevèrent  un  vif  enthousiasme,  l'impres- 
sion générale  à  l'étranger  fut  surtout  la  curiosité.  On  vint  de 
Londres,  de  Madrid,  de  Vienne  à  Paris,  pour  voir  si  le  nouveau 
régime  en  avait  changé  l'aspect.  Les  penseurs  de  l'Allemagne  et 
les  rêveurs  des  pays  septentrionaux  ne  se  déterminèrent  peut- 
être  pas  d'après  les  mêmes  motifs  ;  mais  ils  n'en  notèrent  pas 
moins  fort  attentivement  leurs  sensations  d'artistes,  de  mon- 
dains, de  badauds  même,  et  certes  la  musique  y  contribua  pour 
sa  bonne  part.  Le  russe  Karamsine  (1)  ne  put  se  soustraire  à 
cette  influence.  Celui  qui  devait  enrichir  un  jour  sa  patrie  de  si 
remarquables  travaux  historiques,  complétait  alors,  comme  tant 
d'autres  jeunes  gens  de  famille,  son  voyage  d'éducation. 

(1)  Karamsine.  Voyagé  en  France.  Traduction  Legrelle,  Hachette,  1886. 


11  s'était  arrêté  à  Lyon  le  9  mars  1790,  le  jour  même  où  Ves- 
tris y  donnait  sa  dernière  représentation.  Naturellement  Karam- 
sine, qui  avait,  comme  tous  ses  compatriotes,  un  goût  prononcé 
pour  la  danse,  voulut  connaître  celui  qui  en  était,  par  droit  de 
naissance,  le  second  Diou.  Notre  jeune  étranger  entra  donc  au 
théâtre,  déjà  bondé  et  fort  bruyant.  Dès  qu'une  dame,  pour 
mieux  voir,  se  levait  dans  une  loge  ou  au  parquet,  tout  le  par- 
terre hurlait  en  chœur  : 

—  Assis,  assis  !  à  bas  ! 

Ces  énergumènes  ne  payant  pas  de  mine,  Karamsine  opta 
pour  le  parquet.  Mais,  là  encore,  pas  de  place.  L'étudiant  russe 
dut  se  résigner  à  monter  aux  troisièmes  loges.  Seulement, 
comme  il  s'y  trouvait  gêné  en  même  temps  qu'il  y  gênait  les 
autres,  il  se  décida  définitivement  pour  une  petite  loge  sur  la 
scène.  Et  il  n'eut  pas  à  se  repentir  de  sa  détermination.  Les  cou- 
lisses devaient  lui  réserver  un  spectacle  qui  valait  bien  celui 
promis  par  l'affiche.  Le  lever  de  rideau,  —  les  Plaideurs,  —  était 
terminé  et  la  toile  baissée.  Tous  les  artistes  avaient  envahi  la 
scène  et,  «  se  prenant  par  le  corps  »,  s'étaient  mis  à  danser. 
«  Vestris,  en  costume  de  berger,  bondissait  comme  une  chèvre 
folâtre  ». 

Mais  la  musique  avait  attaqué  l'ouverture.  Aussitôt  toute  la 
bande  joyeuse  de  se  disperser.  Le  ballet  commence. 

Vestris  déploie  un  merveilleux  talent.  «  Il  a  l'àme  dans  ses 
jambes  I  »  s'écrie  Karamsine  enthousiasmé.  Et,  comme  pour 
mieux  lui  donner  raison,  éclate  un  tonnerre  d'applaudissements 
dont  le  fracas  couvre  la  voix  de  l'orchestre.  Après  une  dernière 
pirouette  exprimant,  parait-il,  un  amour  passionné,  Vestris  dis- 
parait embrassant  sa  bergère,  et  dès  qu'il  est  rentré  dans  les 
coulisses,  se  laisse  choir  sur  un  petit  banc  pour  reprendre 
haleine. 

D'ailleurs  la  représentation  d'un  intermède,  une  nouvelle 
comédie  —  on  en  avait  alors  pour  son  argent  —  permet  à  Vestris 
de  se  reposer  plus  longuement. 

Puis  le  virtuose  reparaît  dans  un  autre  ballet,  encore  plus 
chaleureusement  acclamé.  Le  rideau  est  à  peine  tombé  que 
des  loges,  du  parquet,  du  parterre,  de  toute  la  salle  enfin, 
partent  ces  cris  mille  fois  répétés  :  «  Reste  ici,  Vestris!  reste 
ici!  ».  La  toile  se  relève,  et  le  triomphateur,  après  un  profond 
salut  et  le  chapeau  sur  son  cœur,  prononce  un  discours.  Les 
séances  de  l'Assemblée  Nationale  avaient  acclimaté  cette  mode 
un  peu  partout. 

—  Hélas!  dit  en  substance  Vestris,  mon  congé  était  d'un  mois 
seulement,  et  ce  soir  il  expire. 

Sa  voix,  sur  ces  derniers  mots,  se  mouille  de  larmes  ;  il  lève 
les  yeux  au  ciel. 

Applaudissements  effrénés. 

Mais  Vestris  reprend  courage  et,  dans  un  profond  silence 
laisse  tomber  ces  bonnes  paroles  : 


iU 


LE  MÉNESTlltL 


—  Afin  de  vous  témoigne!'  toute  ma  gratitude,  je  danserai 
encore  demain. 

La  joie  des  spectateurs  était  devenue  du  délire,  à  ce  point, 
ajoute  Karamsine,  que  pour  un  peu  «  les  Français  »  — les  Lyon- 
nais, voulait-il  dire  —  eussent  été  capables  de  «  proclamer  Yes- 
tris  dictateur  » . 

Ce  compte  rendu  est  d'autant  plus  intéressant  qu'un  journal 
du  temps,  le  Courrier  de  Lyon,  cité  par  M.  Legrelle,  le  traducteur 
de  Karamsine,  consacre  tout  au  plus  quinze  lignes  au  triom- 
phe de  Yestris .  La  besogne  était  évidemment  indigne  d'un 
génie  tel  que  le  rédacteur  en  chef,  l'avocat  «  Chapagneux  » 
(lisez  Champagneux),  ami  de  Roland,  le  futur  ministre. 

A  «  la  dernière  »  —  et  sans  aucune  remise  —  de  Yestris,  ce 
furent  les  mêmes  bravos,  les  mêmes  trépignements,  Ja  même 
ovation.  Mais  cette  l'ois  le  danseur  resta  court...  comme  orateur, 
s'entend.  Le  public  fut  pris  d'impatience,  et  peut-être  eùt-il 
donné  des  marques  non  équivoques  de  sa  mauvaise  humeur, 
—  tant  il  est  vrai  que  la  roche  Tarpéienne  est  voisine  du  Capi- 
tole  —  si  Yestris  n'avait  recouvré  assez  à  temps  ses  esprits  pour 
crier  à  ses  admirateurs  : 

—  Messieurs,  je  suis  pénétré  de  vos  bontés,  mais  mon  devoir 
m'appelle  à  Paris. 

Son  séjour  à  Lyon  dut  laisser  au  danseur  un  souvenir  inou- 
bliable. L'heureux  mortel  y  trouva  l'honneur  et  l'argent.  Dans 
les  rues  et  dans  les  promenades,  les  citadins  se  disaient  en 
l'apercevant:  «Yestris!  Yestris!  »  Et  chaque  représentation  lui 
rapportait  un  cachet  de  520  livres. 

Quelques  mois  après,  Halem,  le  publiciste  allemand  qui,  lui. 
visitait  la  France,  par...  esprit  philosophique,  s'arrêtait  un  cer- 
tain temps  à  Lyon  (I).  11  y  passa  toutes  ses  soirées  au  théâtre. 
Une  fois  qu'il  était  entré  dans  une  première  loge,  un  domestique 
y  conduisit  un  vieillard  aveugle  de  soixante-dix  ans,  qui  prit 
place  à  côté  de  lui.  Le  voyageur  allemand  n'eut  qu'à  se  féliciter 
de  la  rencontre.  L'inconnu  avail.  cette  aménité  obligeante  parti- 
culière aux  Français  qui  se  savent  en  présence  d'un  étranger. 
C'était  un  habitué  du  théâtre,  car  il  n'avait  pas  d'autres  distrac- 
tions, et  comme  il  reconnaissait  tous  les  acteurs  à  la  voix,  il  les 
Bommait  à  son  voisin  en  agrémentant  cette  énumération  de  telle 
et  telle  anecdote  concernant  l'un  ou  l'autre  des  artistes. 

La  direction  avait  donné  Raoul  Barbe-Bleue,  de  Sedaine  et 
Grétry,  représenté  pour  la  première  fois  à  Paris,  sur  le  théâtre 
de  la  Comédie-Italienne,  le  2  mars  1789.  Halem,  aussi  indul- 
gent que  Karamsine,  bien  qu'il  se  plaigne  co.mme  lui  de  l'éner- 
vement  du  public,,,  est  ravi  de  la  représentation.  La  pièce,  «  la 
meilleure  peut-être  qu'ait  composée  Grétry  (?)  ».  est  fort  bien 
montée.  Si  l'actrice  principale  n'est  pas  belle,  son  jeu  est  du  moins 
excellent.  Et  voilà  notre  journaliste  s'embarquant  dans  un  compte 
rendu  interminable  de  ce  mauvais  mélodrame.  Au  reste,  ces 
analyses  à  perte  de  vue  sont  dans  la  manière  allemande  ;  Halem 
s'y  complaît  plus  que  personne.  Quand  il  arrive  au  dénouement, 
l'entrée  des  frères  et  le  châtiment  de  Barbe-Bleue  «  alors,  dit-il, 
la  musique  éclate  avec  bruit  et  le  son  aigu  des  flûtes  produit 
un  grand  effet.  »  Halem  avoue  ingénument  qu'il  en  a  «  frémi 
de  ciËfinte  et  de  plaisir  »,  pendant  que  l'aveugle,  se  penchant 
vers  lui,  lui  demandait  «  d'un  ton  léger  »  comment  il  avail 
trouvé  le  coup  de  théâtre. 

En  repartant  pour  l'Allemagne,  Halem  s'arrêta  à  Strasbourg. 
Cette  ville  comptait,  en  17^9.,  une  troupe  française  et  une  trtiupe 
allemande.  Celle-ci  devait  donner  à  celle-là  le  sixième  de  ses 
recettes  ;  mais  elle  ne  parvenait  pas  à  faire  ses  fi'ais,  malgré  que 
la  population  atteignit  cinquante  mille  âmes.  Aussi,  (juand 
Halem  passa  par  Strasbourg,  le  théâtre  français  avait-il  seul 
survécu;  et  encore  avait-il  du  plomb  dans  l'aile. 

La  salle  de  spectacle  était  spacieuse,  mais  peu  éléganle.  Notre 
voyageur  la  vit  un  dimanche,  le  seul  jour  où  la  direction  fil 
recette.  Presque  toutes  les  places,  étaient  occupées.  L'affiche  an- 
nonçait deux  comédies  de  Florian  et  Sargines,  l'opéra-comique  de 
Dalayrac.  Mias  le  programme  n'était  pas  du  goiit  des  specta- 

il)  Ualesi.  Paris  en  ITJO      railuction  Cliu<|uel,  Cliaillej,  1896. 


leurs,  car  ils  réclamèrent  à  grands  cris  une  tragédie  de  Yoltaire, 
Brutus,  qui  était  alors  fort  courue  à  Paris.  Le  «  Pantalon  qui  fait 
les  annonces  »  vint,  pendant  un  entr'acte,  parlementer  avec 
le  public;  mais  comme  ses  explications  étaient  aussi  pénibles 
qu'entortillées,  la  salle  se  fâcha.  Et  pour  que  la  représentation 
s'achevât  paisiblement,  la  direction  dut  promettre  la  pièce  dans 
la  quinzaine. 

Dix-huit  mois  après,  en  janvier  1792,  un  nouveau  théâtre 
allemand  s'était  fondé  à  Strasbourg  ;  mais  son  répertoire  et  ses 
artistes  étaient  si  outrageusement  mauvais  que  Reichardt  n'y 
voulut  pas  aller.  Ce  Reichardt  n'était  autre  que  le  compositeur 
né  à  Kœnigsberg,  qui  jouissait  déjà  d'une  certaine  notoriété  et 
commençait  alors  son  troisième  voyage  de  France  (1).  Il  préféra 
donner  foules  ses  soirées  au  théâtre  de  la  ville  ;  et  ce  fut  sans 
arrière-pensée  qu'il  applaudit  au  grand  et  légitime  succès  d'jB»- 
phrosine,  «  début  du  jeune  compositeur  Méhul  ».  lien  admire 
l'inspiration  vigoureuse  et  la  pénétrante  mélodie.  Mais  il  ne 
professe  pas  le  même  enthousiasme  pour  les  interprètes  de  cet 
opéra-comique,  qu'il  appelle  une  «  opérette  ».  Le  tyran  est 
«  une  basse-contre  qu'on  n'entend  pas  »,  et  la  chanteuse,  quoique 
lionne  comédienne,  est  trop  grosse,  et  son  organe  vous  perce  le 
tympan. 

Un  autre  jour,  Reichardt,  littérateur  ingénieux  autant  que 
savant  musicien,  assiste  à  la  représentation  d'une  pièce  de  cir- 
constance, les  Rigueurs  du  Cloître,  dont  les  transparentes  allusions 
sont  accueillies  tantôt  par  des  applaudissements,  tantôt  par  des 
sifflets.  L'effervescence  révolutionnaire  a  gagné  le  théâtre.  Dans 
les  enfr'actes  le  public  ne  cesse  de  réclamer  le  Ça  ira.  D'ailleurs, 
dit  Reichardt,  ce  refrain  populaire  est  joué  à  tout  propos  par 
la  musique  de  la  Garde  Nationale,  il  est  sifflé  du  matin  au  soir 
par  les  gamins,  et  dans  les  bals  il  est  adapté  à  toutes  les  figures 
de  contredanses. 

Le  touriste  prussien  rencontre  à  Strasbourg  un  de  ses  con- 
frères, le  compositeur  Edelmann,  qui,  après  avoir  amassé,  comme 
pianiste,  un  fort  joli  pécule,  était  venu  se  retirer  dans  sa  ville 
natale.  C'est  le  type  des  musiciens  révolutionnaires.  Il  est  un 
des  plus  fougueux  partisans  de  la  Constitution,  et  Reichardt, 
qui  l'a  vu  de  près,  le  croque  en  deux  traits  de  plume  avec  ses 
cheveux  bruns  taillés  court  et  son  frac  marron,  un  montagnard 
de  la  veille.  On  sait  comment  finit  Edelmann.  Après  avoir  dé- 
noncé plusieurs  de  ses  compatriotes,  entre  autres  Dietrich,  le 
maire  de  Strasbourg,  qui  mourut  sur  l'échafaud,  le  délateur  y 
périt  à  son  tour,  avec  son  frère,  en  1794,  comme  complice  de 
Robespierre. 

A  Lyon,  où  Reichardt  se  trouvait  le  20  février  1792,  la  fièvre 
populaire  était  moins  ardente  qu'à  Strasbourg.  11  était  facile  d'y 
pressentir,  même  au  théâtre —  souvent  la  pierre  de  touche  de 
la  politique  ambiante  —  le  courant  de  réaction  qui  devait  un 
peu  plus  tard  mettre  la  ville  en  révolte  contre  la  Convention. 
Reichardt  assista  à  une  représentation,  d'ailleurs  exécrable,  de 
Richard  Cœur  de  Lion.  Les  aristocrates  acclamaient,  bien  entendu, 
l'air  classique  :  «  0  Richard,  etc.  !  »  Par  contre,  le  populaire  ne 
pouvait  obtenir  le  Ça  ira  pendant  les  entr'actes.  La  ville,  con- 
cluait Reichardt,  ne  veut  pas  s'occuper  de  politique,  mais  de 
ses  affaires. 

(.1  s(',«'i.'c. )  Paul  d'Estriies. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     O R A N D  -  P A L A  I  S 


[Quatrième  article.) 

Comme  la  peinture  d'iatimité  avec  laquelle  il  se  confond  pai-fois,  la 
tendance  générale  étant  à  la  représentation  des  entours  familiers,  à 
l'accumulation  des  accessoires,  de  fa  vie  quotidienne,  à  l'évocation  de 
i'ambiance,  fe  Portrait  occupe  une  place  considcrabfe  au  Safoiide  l'ave- 
nue d'Antin.  Les  œuvres  intéressantes  surabondent;  if  en  est  même  de 
remarquables,  au  moins  comme  eiîort  de  renouvelfement.  C'est  ainsi 

ili  Reiciiakdt.  Vn  Prussien  en  France.  Traduction  Laquianle,  PCrrin,  1892. 


LE  MÉNESTREL 


155 


que  M.  Jacques  Blanche  a  fait  un  curieux  essai  de  groupement  dans  la 
toile  où  il  a  réuni  M.  André  t4ide  —  l'auteur  du  symbolique  Roi  Can- 
daule  i-eprésenté  l'autre  soir  au  Nouveau-Théâtre  par  la  troupe  de 
rOEuvre  —  des  écrivains,  des  artistes,  autour  d'une  table  de  café  arabe 
de  l'Exposition  universelle.  L'ordonnance  du  tableau  est  simple,  l'exé- 
cution vigoui-euse,  et  l'ensemble  accuse  une  réelle  maîtrise.  On  n'appré- 
ciera pas  moins  l'exquise  composition  que  M.  Jacques  Blanche  intitule 
Réveil  et  qui  représente  une  fillette,  en  peignoir  de  soie,  s'étirant  dans 
un  fauteuil.  Par  contre,  le  portrait  de  M'"° Jeanne  Raunay, l'inoubliable 
Iphigénie  du  feu  Lyrique  de  la  Renaissance,  d'un  travail  très  poussé, 
d'une  bonne  ressemblance,  manque  un  peu  de  tenue  et  de  style:  il 
n'est  pas  sufQsamment  caractérisé.  Cette  personne  en  robe  sombre, 
debout  devant  un  piano,  serait  bien  plutôt  une  dame  en  visite  dans  un 
salon  bourgeois  que  la  tragédienne  lyrique  et  l'interprète  de  Gluck. 

M.  Anquetin,  faisant  trêve  cette  fois  aux  visées  ambitieuses  des 
grandes  compositions  historiques,  n'expose  que  des  portraits.  Celui  de  . 
M.  Zo  d'Axa  est  consciencieux  et  d'une  notation  juste;  dans  une  autre 
toile  le  peintre  a  réuni  les  deux  auteurs  des  Tronçons  du  Glaive,  Paul  et 
"Victor  Margueritte,  les  Goncourt  du  roman  militaire.  Pour  décor  un 
cabinet  de  travail  tendu  de  tapisseries  à  sujets  belliqueux;  sur  ce  fond 
caractéristique  se  détachent  en  vigueur  les  physionomies  assez  contras- 
tées des  deux  frères,  l'un  plus  Imaginatif  et  rêveur,  l'autre  plus  exécu- 
tant, plus  homme  d'action. 

M.  Edelfelt,  le  linlandais  Edolfelt,  natif  de  Helsingforset  maintenant 
naturalisé  Plaine-Monceau,  expose  une  effigie  olïicielleet  un  portrait  d'ar- 
tiste, sans  doute  pour  montrer  toute  la  souplesse  deson  talent.  L'artiste 
est  M"' Ackté,  l'exquise  cantatrice,  dont  la  physionomie  si  personnelle,  la 
ligne  élégante  et  souple  sont  rendues  avec  autant  de  charme  que  de 
justesse.  L'autre  modèle  ne  se  contente  pas  d'être  ofHciel,  il  est  pos- 
thume :  c'est  feu  le  comte  de  Molkte-Huitfeldt,  ancien  ministre  du 
Danemark  à  Paris.  Le  peintre  a  lutté  sans  trop  de  désavantage  contre 
les  difficultés  presque  insurmontables  qu'offre  le  rendu  d'un  uniforme 
à  collets  et  à  parements  chargés  de  broderies,  matière  peu  esthétique  ! 

Sur  une  frise  de  dimensions  gigantesques,  M.  Delance  a  représenté  le 
père  Didon  et  ses  collaborateurs  (Arcueil  en  J89b)  conversant  dans  le 
parc  de  la  maison  d'Albert-le-Grand.  Le  célèbre  Dominicain  est  debout 
au  milieu  du  groupe;  son  bras  tendu  développe  un  geste  oratoire;  deux 
auti'és  éducateurs  se  tiennent  à  l'écart.  L'œuvre,  bien  comprise,  parait 
de  couleur  un  peu  grisâtre,  mais  il  y  a  là  sans  aucun  doute  une  har- 
monie voulue,  un  sacrifice  aux  exigences  architecturales.  De  M.  Arne- 
sen,  artiste  norvégien,  l'intéressant  Porlrait  d'un  organiste;  de  M.  Sain, 
M""  Juliette  Blum,  du  Gymnase;  de  M.  Bellery-Desfontaines  une  inté- 
ressante étude  d'OEdipe-Roi  interprété  par  M.  Mounet-Sully,  avec  le 
geste  classique  du  pasteur  de  peuples  : 

Enfants,  du  vieux  Cadmus  jeune  poslérilc. 
Pourquoi  jusques  à  moi  vôa  cris  ont-ils  riionté?... 

M.  La  Perche-Boyer  a  fixé  dans  une  composition  qui  ne  manque  ni 
de  pittoresque  ni  d'agrément  la  suggestive  silhouette  de  M""  Réjane 
interprétant  le  Lijs  rouge.  M.  'Weerts  expose  une  série  de  portraits  d'une 
tenue  magistrale  et  d'une  intéressante  variété,  et  tous  d'une  indivi- 
dualité typique;  le  plus  remarqué  est  celui  de  M.  Gréard,  l'éminent 
vice-recteur  de  l'Université. 

La  virtuosité  si  personnelle  de  M.  Antonio  de  la  Gandara  s'exerce 
cette  année  avec  beaucoup  d'éclat  et  de  fantaisie.  Son  meilleur  envoi 
est  assurément  le  beau  portrait  de  M.  Paul  Escudier,  d'une  franchise  et 
d'une  robustesse  dignes  d'éloges;  mais  la  duchesse  de  Mecklembourg 
et  M°"=  Morlet  ne  sont  pas  des  œuvres  négligeables,  malgré  quelques 
néghgences  de  facture,  et  deux  études  de  modèles  anonymes  :  jeune 
femme  endormie,  jeune  femme  et  vieille  femme  dans  un  parc,  sont  des 
notations  de  la  plus  moderne  acuité,  avec  une  pointe  d'humour  satirique. 

Dans  une  note  plus  douce  et  même  délicatement  attendrie  la  Rêverie 
du  suédois  Osterlind,  portrait  de  jeune  fille  bien  harmonisée  avec  la 
transparence  bleutée  d'une  atmosphère  lumineuse.  Autre  portrait  de 
jeune  fille  en  atours  printaiiiers,  du  au  souple  talent  de  M"'"  Madeleine 
Lemaire,  infidèle  cette  année  à  ses  modèles  préférés  de  fleurs  éclatantes 
et  de  fi'uits  savoureux.  Le  portrait  de  jeune  femme,  en  robe  noire  décol- 
letée avec  une  guimpe  de  tulle,  de  M.  Dagnan-Bouveret,  a  déjà  eu  les 
honneurs  et  le  succès  de  mondanité  transcendantale  d'une  Exposition 
de  Cercle  :  il  est  d'un  ton  très  fin  et  d'un  bel  éclairage.  M.  Amuu-Jean 
témoigne  d'un  louable  désir  de  varier  le  décor  dans  son  étude  déjeune 
fille  assise  sur  un  banc,  avec,  pour  toile  de  fond,  un  panorama  de  mon- 


M.  Gustavi,'  Courtois  nous  ramène  aux  groupements  avec  le  portrait 
de  M"°  Sanders  et  de  ses  enfants.  M.  Carolus  Duran  a  peint  avec  sa 
prodigalité  fastueuse  de  grand  coloriste  un  modèle  en  robe  de  satin 
blanc,  aux  chaudes  carnations.  M.  Aimé  Perret  nous  montre  un  couple 


parlemi'utaire,  «  M"'"  et  M.  le  sénateur  Edouard  Millaud  »;  M.  Louis 
Picard  appli(iue  son  luminisme  intense  à  une  étude  de  jeune  fille  et  au 
portrait  de  M.  Henri  Pereire.  M.  Maurice  Denis  fait  un  effort,  malheu- 
reusement quelque  peu  caricatural,  pour  rattacher  à  l'école  de  Manet  son 
hommage  à  Cézanne  dont  les  multiples  personnages  paraissent  affligés 
de  jaunisse.  M.  Leempoels  auréolise  comme  une  sainte  de  mosaïque 
byzantine  le  portrait  de  jeune  fille  qu'il  intitule  «  rêverie  >>.  Et  pour 
terminer  cette  revue  des  reproductions  de  la  figure  humaine  je  signa- 
lerai, dans  la  suite  des  dessins,  Ji"''  Juliette  Scgond  de  M.  Aman-Jean,  le 
général  Dodds  de  M.  Auguste  Berthon,  Anatole  France  de  M.  Braun, 
Liane  de  l'ougy  de  M.  Antonio  de  la  Gandara,  iW""  Sarah-Bernhardt  dans 
«  l'Aiglon  »  de  M""=  Jeanne  Denné-Ceyras,  un  pastel  d'après  M'""  Jane 
Hadingie  M"'=  Claude  Marlef,  M.  Besnard  par  son  fils  Robert,  M.  Catulle 
Mendès,  en  miniature  genre  Louis  XV,  par  M""=  Jeanne  Catulle. 

Eu  dehors  des  portraits,  j'ai  déjà  parlé  des  œuvres  les  plus  marquantes 
de  cette  section  des  dessins  du  Salon  de  la  Société  des  Beaux-arts  :  les 
Renouard,  les  Tissot,  les  Besnard,  les  La  Touche,  qui  forment  autant 
de  petites  expositions  particulières.  Il  reste  la  menue  monnaie,  et  dans 
le  nombre  quelques  pièces  intéressantes.  M.  Baseilhac  a  envoyé  une 
suite  fort  bien  venue  d'Ulustrations  pour  la  C/ia«so;îrfes  Gueux  de  M.  Jean 
Riehepin;  la  verve  de  M.  Albert  Guillaume  s'est  exercée  sur  des  sujets 
dont  le  libellé  paradoxal  rappel  le  les  fantaisies  inexécutèes  de  Théophile 
Gautier,  telles  que  le  Traité  de  V incommodité  des  commodes  et  le  mémoire 
relatif  à  l'influence  des  queues  de  poissons  sur  le  mouvement  des  marées. 
M.  Albert  Guillaume,  à  peine  moins  outrancier,  nous  invite  à  méditer 
avec  lui  sur  les  inconvénients  de  la  boue  parisienne,  antique  institution 
maintenue  depuis  les  temps  déjà  pluvieux  de  Lutèce,  sur  les  risques 
du  jour  de  l'an,  sur  le  printemps  (expression  purement  historique  d'une 
saison  abolie)  et  sur  les  Quat'z  avis  à  l'Opéra.  M.  Delaspre  évoque  le  Sou- 
venir d'un  des  rares  succès  livresques  et  dramatiques  de  l'année  avec 
son  frontispice  pour  le  Quo  Vadis  étrangement  surfait,  prodigieusement 
lu  d'un  auteur  Polonais  (ah  !  qu'il  fait  bon  n'être  pas  français  quand 
on  veut  réussir  en  Francel). 

M""-'  Jessie-Douglas  et  M""  Dubos  nous  montrent  des  nymphes; 
M.  Gregorio  une  Manola:  M.  Eugène  Grasot  expose  un  pot-pouri  où 
fusionnent  la  Diinsct  Napoléon,  une  étude  de  harpiste  et  d'autres  sujets 
éminemment  variés;  M.  Minartz  esquisse  le  grouillement  de  la  M- 
Carême  et  les  silhouettes  falotes  de  tsiganes.  Parmi  les  pittoresques 
impressions  parisiennes,  il  convient  de  citer  les  ours  au  Jardin  des 
Plantes  de  Daniel  Vierge,  d'une  joyeuse  fantaisie  en  môme  temps  que 
d'un  réalisme  serré,  et  un  excellent  nocturne  de  M.  Sohn-Retel,  Paris 
le  soir.  Quant  à  la  meilleure  Venise,  c'est,  en  1901,  celle  de  M"=  Mercier, 
notamment  le  soir  à  la  Giudecca  et  la  Piazza  après  la  pluie.  Et  M.  Félix 
Regamey,  grand  évocateur  de  paysages  exotiques,  nous  conduit  à 
Bangkok. 

La  statuaire  n'occupe  qu'un  emplacétnéht  assez  exigu  au  Salon  de 
l'avenue  d'Antin,  le  cirque  creusé  devant  la  gi'ande  porte  et  qui,  l'aûtiée 
dernière,  hospitalisait  déjà  un  certain  nombre  de  sculptures  de  laCen- 
tennale.  Le  décor  est  somptueux,  grâce  aux  marbres  rares  et  aux  appli- 
cations de  bronze  qui  garnissent  le  pourtour,  la  place  médiocre  et  la 
lumière  un  peu  trop  tamisée;  mais  on  sait  qu'une  très  faible  quantité 
de  sculpteurs  ont  déserté  la  Société  des  Artistes  Français  pour  celle  des 
Beaux-Arts,  et  que  leur  groupe  ne  s'est  pas  notablement  accru  au  coui'S 
de  ces  dernières  années.  Ici  du  moins  la  qualité  l'emporte  sur  le  noffl^ 
bre,  et  c'est  une  compensation  appréciable. 

Commençons  par  la  statuaire  monumentale,  ou,  si  l'on  préfère,- par 
la  statuaire  pour  monuments.  Voici  d'abord  le  Victor  Hugo  de  Rodiù, 
fragment  d'un  ensemble  que  verra  —  peut-être  —  le  vingtième  Siècle. 
Je  dis  peut-être,  car  rien  n'est  moins  sûr,  et  je  ne  voudrais  pas  hasarder 
de  pronostic  téméraire.  Notez  que  ce  fragment  même  ne  constitue  pas 
une  nouveauté,  étant  le  marbre  du  plâtre  exposé  déjà  en  1897.  Notez 
aussi  quo  malgré  les  quatre  ans  révolus  la  mise  au  point  de  ce  seul 
morceau  reste  incomplète:  malgré  le  travail  du  praticien  ce  n'est 
encore  qu'une  ébauche.  Elle  a  du  caractère  et  de  l'allure,  une  sorte  de 
grandeur  sauvage  i^ui  convient  au  Hugo  du  rocher  de  Guernesey  con- 
versant avec  le  flot  et  entouré  par  les  Ocêanidos.  Il  est  nu  —  comme  le 
premier  Voltaire  de  lloudou,  mais  d'une  nudité  olympienne  sans  sur- 
charge réaliste,  d'une  nudité  d'apothéose;  la  tête,  penchée,  est  traitée 
avec  Un  art  supérieur;  le  geste,  vraiment  dominateur  et  souverain, 
comptera  parmi  les  meilleures  inspirations  de  Rodin!...  Souhaitons  que 
le  travail  complet  do  la  pratique  n'alfaiblisse  pas  cette  impression,  d'ail- 
leurs plus  réfléchie  qu'immédiate,  et  que  le  cortège  des  Océanides 
s'harmonise  pleinement  avec  le  personnage  principal  du  groupe;  le 
chantre  de  la  Légende  des  siècles  aura  alors  une  double  commémoration 
digne  de  lui,  le  monument  académique  de  M.  Ernest  Barrias,  le  monu- 
ment romantique  de  Rodin.  L'éclectisme  y  trouvera  son  compte,  et  aussi 
la  gloire  du  poète. 


J56 


LE  MENESTREL 


M.  de  Sainl-Mai'ceaux  avait  accepté  une  tache  assez  délicate  au  point 
de  vue  esthétique  :  celle  d'étendre  sur  une  dalle  funéraire  et  de  repré- 
senter en  tenue  otficielle  de  Président  de  la  République,  je  veux  dire 
en  habit  uoir.  le  signataire  de  l'alliance  franco-russe.  La  grande  taille 
de  Félix  Fauro  et  l'inélégance  de  ce  costume  banal  étaient  une  double 
difficulté  que  le  statuaire  a  très  heureusement  surmontée.  Il  a  masqué, 
sinon  diminué  la  longueur  du  cadavre,  du  a  gisant  t,  comme  l'appelaient 
les  tailleurs  de  marbre  de  la  Renaissance,  en  recouvrant  le  bas  du  corps 
des  plis  des  deux  étendards  ;  il  a  même  triché  en  évidant  la  pierre,  en 
creusant  une  pente  douce,  d'ailleurs  très  peu  sensible  mais  qui  permet 
de  dissimuler  la  saillie  toujours  désagréable  des  e.xtrômités  grossies  par 
le  relief  des  bottines.  Au  demeurant,  l'ensemble,  sans  être  un  chef- 
d'œuvre,  a  cependant  le  grand  mérite  de  paraître  en  parfaite  concordance 
avec  le  modèle.  Plus  de  tenue  que  de  style,  plus  de  correction  savante 
que  d'individualité  caractéristique.  Ce  monument  de  Félix  Faurecst  Félix 
Faure  tout  entier. 

Du  même  artiste  un  Alphonse  Daudet  commandé  par  la  Société  des 
gens  de  lettres.  On  sait  que  la  Société  n'est  pas  toujours  heureuse  dans 
ses  choix,  ou  plutôt  n'est  pas  toujours  bien  servie  par  ses  fournisseurs 
esthétiques  :  les  mésaventures  successives  du  Balzac  par  souscription, 
enguignonné  depuis  la  statue  jusqu'au  piédestal,  sont  présentesà  toutes 
les  mémoires.  Le  monument  d'.41phonse  Daudet  ne  connaîtra  pas  les 
mêmes  vicissitudes  :  M.  de  Saiut-Marceaus  l'a  exécuté  avec  simplicité, 
gravité,  et  nuancé  d'une  teinte  de  mélancolie  qui  est  bien  le  reflet  am- 
biant de  l'àmo  du  «  petit  chose  ».  —  Pour  compléter  ces  deux  remar- 
quables envois,  un  buste  en  bronze  du  docteur  Pozzi,  le  célèbre  opérateur, 
et  un  sphinx. 

Mentionnons  encore  quelques  spécimens  de  statuaire  sinon  tout  à  fait 
monumentale,  le  mot  serait  un  peu  trop  ambitieux,  du  moins  commé- 
morative  :  le  Louis  Galkt  de  M.  Injalbert,  le  fragment  du  monument  de 
Paul  Verla'hie  du  statuaire  suisse  Niederhauser-Rodo  (...  et  maintenant, 
par  une  ironie  de  la  destinée,  tout  n'est  que  sculpture  pour  le  Diogène 
errant  d'hôpital  en  hôpital  dont  le  pessimisme  se  résumait  dans  la  for- 
mule «  tout  n'est  que  littérature  »).  Le  peintre  Jean  Gigoux,  dont  la  verte 
vieillesse  survécut  si  longtemps  aux  temps  héroïques  du  romantisme, 
Jean  Gigoux,  l'ami  et  le  contemporain  de  Balzac,  resté  pendant  un 
demi-siècle  l'ermite  du  quartier  Beaujon,  revit,  resurgit  avec  sa  figure 
énergique,  son  masque  aux  moustaches  épaisses  de  Vercingétoris,  dans 
le  buste  puissamment  modelé  par  M.  Dalou. 

M.  Bartholomé  s'est  imposé  à  l'attention  des  contemporains,  à  force 
de  travail  et  de  volonté,  par  le  monument  aux  morts  devenu  la  plus 
importante  décoration  du  très  décoratif  et  décoré  Pêre-Lachaise;  mais 
il  ne  se  considère  pas  comme  voué  à  la  sculpture  funéraire,  et  ses  envois 
de  cette  année  au  Salon  de  l'avenue  d'xVntin-:  le  marbre  du  Secret,  le 
plâtre  de  la  Baigneuse  sont  de  la  plus  gracieuse  et  la  plus  exquise  moder- 
nité. M.  Escoula,  autre  artiste  épris  d'idéal,  nous  rend,  au  marbre,  son 
beau  groupe  Vers  l'Amour;  le  touchant  bas-relief  de  M°"=  Cazin,  Vie 
obscure,  d'une  sensibilité  si  féminine  et  en  même  temps  d'une  exécution 
si  virile,  est  une  œuvre  achevée  ;  M .  Constantin  Meunier  ne  nous  montre, 
au  contraire,  qu'à  la  demi-grandeur  d'e.xécution  son  hauL-relief  Dans  la 
mine,  partie  d'un  projet  de  monument  à  la  glorification  du  travail.  Le 
souple  talent  de  M.  Pierre  Roche  s'applique  à  des  sujets  variés,  entre 
autres  une  amusante  étude  de  la  Loïe  Fuller  et  de  curieux  médaillons 
destinés  au  théâtre  de  Tulle. 

Un  artiste  américain,  M.  Borglum,  expose  le  Retour  du  Boër  :  c'est 
de  l'indéniable  actualité,  presque  du  reportage  sculptural.  Lo  sphinx  en 
granit  du  passionné  modeleur  et  fervent  ciseleur  qu'est  M.  Dampt,  un 
épisode  de  Quo  Va/iis?  déjà  nommé,  Ursus  et  l'Auroch  de  M.  Devreese, 
exposant  belge,  la  Sortie  de  bal  de  M.  Louis  Dejean,  le  relief  du  sculp- 
teur finlandais  Forselles,  la  Lutte,  épisode  du  Crépuscule  des  dieux,  la 
Guerre  de  M.  Ringel  d'IUzach,  chercheur  infatigable  sinon  toujours 
heureux,  la  Psyché  de  M.  Le  Roy.  le  délicat  Porteur  de  rêves  de  M.  Mau- 
rice Maignan,  les  figurines  de  la  danse  de  l'écharpe  de  M.  Léonard,  la 
Femme  aux  rubans  de  M.  Fix-Masseau,  la  Danseuse  de  M.  Voulot,  sont 
encore  des  œuvres  intéressantes,  pour  la  plupart  de  petit  format.  La  sta- 
tuaire de  la  S.  B.  A.  est  la  meilleure  statuaire  d'appartement,  la  seule 
qui  meuble  sans  encombrer. 

Très  riche  et  très  garnie  la  section  des  objets  d'art,  déjà  si  remarquée 
au  Palais  des  Arts  libéraux.  M""  Auge  y  e.xpose  une  curieuse  reproduc- 
tion fragmentaire  de  la  Porte  de  l'Enfer  de  Rodin.  M.  Carabin,  dont 
l'imagination  est  plus  vive  et  le  talent  plus  consciencieux  que  le  goût 
n'est  toujours  sur,  a  ciselé  une  Otero  en  argent  et  pierres  précieuses, 
une  Otero  de  vitrine  et  des  danseurs  espagnols  d'un  mouvement  assez 
heureux!  Sa  caisse  de  piano,  dont  le  clavier  est  supporté  par  deux  chats 
que  gêne  visiblement  cette  occupation  anormale,  pa  raitra  plus  discutable. 
A  mentionner  encore  les  neuf  cadres  de  M.  Eugène  Morand  pour  Grisé- 
lidis,  Iz-eil,  Hamlet,  Messuline,  etc.,  une  tapisserie  de  M.  Riom,  Guignol 


aux  Champs-Elysées,  le  luminaire  électrique  de  M.  Wolfers  :  la  Fée  au 
Paon,  et  toute  une  série  de  reliures  artistiques,  généralement  exécutées 
par  des  artistes  femmes  :  M"'°  Jeanne  RoUince  pour  Anlar  et  Aucaussin 
et  Nicolette,  M""-  Vallgren  pour  le  Pater  de  Mucha,  M""'Thaulow,  M"'«Faure- 
Dujarric  pour  Hamlet  et  les  vers  de  Pétrarque.  L'envoi  le  plus  ori- 
ginal (classé  d'ailleurs  à  la  statuaire)  est  le  meuble  pour  quatuor  à 
cordes  exécuté  par  M.  Alexandre  Charpentier,  avec  accompagnement  de 
quatre  bas-reliefs  :  le  violon,  la  contrebasse,  deux  danseuses  en  bronze 
doré.  Cette  vitrine  est  fastueuse,  mais  l'ornementation  témoigne  d'une 
élégante  simplicité. 
(A  suivre.)  Camille  IjE  Senne. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XV 

LES   ENSEIGNEMENTS   DE    LA    SAISON 

Aux  compositeurs. 

«  Âpr(i'S  les  Fleurs  du  Mal,  il  n'y  a  plus  que  deux  partis  à  prendre  pour 
le  poète  qui  les  fit  éclore:  ou  se  brûler  la  cervelle...  ou  se  faire  chré- 
tien,! » 

Barbey  d'Aurevilly  posait  ce  dilemme,  le  2i  juillet  1837.  Or,  après 
Wagner,  que  faire  ?  Quelle  issue  possible  encore  pour  lé  musicien  qui 
l'admire?  Se  suicider  en  l'imitant...  ou  redevenir  classique.  —  Le  pas- 
tiche, alors,  et  l'archaïsme,  après  une  débauche  de  la  couleur?  —  Nul- 
lement !  Ce  serait  un  autre  genre  de  suicide.  Mais,  de  toutes  parts,  avec 
le  printemps  retardé,  ne  sentez-vous  pas  que  la  conscience  de  la  forme 
renaît?  Belles-lettres  et  beaux-arts,  —  prose,  vers,  toile  bise  ou  papier 
réglé,  —  notre  impressionnisme  se  fait  dessinateur  et  décoratif,  c'est-à- 
dire  qu'il  revient  à  «  l'esprit  classique  »,  et  sans  renier  ses  «  dons  de 
peintre  ».  Et  le  chroniqueur  de  la  revue  jeune  a  conclu:  »  Peintres, 
romanciers,  dramaturges,  tous  y  viendront...  » 

Avec  l'analyse,  qui  répugne  à  l'enthousiasme,  on  a  prédit  l'avenir  où 
le  soleil  wagnérien  se  noierait  dans  les  rubis  figés  de  son  sang.  Le  leit- 
motiv du  «  crépuscule  »  circule  déjà.  Dés  1893,  quand  il  suivait  de  loin, 
par  la  pensée,  les  funérailles  de  Gounod  en  rêvant  à  l'automne  dans  la 
solennité  mélancolique  de  Versailles,  le  psychologue  entrevoyait  ce 
déclin  fatal...  (2)  Wagner  !  Ce  nom  n'en  restera  pas  moins,  —  tel  celui 
d'un  Dédale  ou  d'un  Homère,  —  comme  le  symbole  le  plus  complet 
d'un  grand  âge  troublé.  Despotique  comme  son  art,  il  personnifiera 
l'influence  la  plus  irrésistible  du  siècle  qui  vient  de  finir.  Sœur  de  la 
politique  d'outre-Rhin,  l'influence  wagnérienne  n'est-elle  point  devenue 
véritablement  mondiale,  selon  le  néologisme  à  la  mode  en  nos  chancel- 
leries ?  Toutefois,  il  y  a  Wagner  et  Waguer  :  celui  de  Tristan  ne  prosage 
guère  celui  de  Parsifal;  celui  de  1876  ne  rappelle  que  vaguement  celui 
de  1840...  Et  quelle  plus  admirable  progression  que  l'opiniâtre  et  lente 
montée  du  génie  conscient  de  soi,  depuis  les  balbutiemeuts  des  Fées  ou 
l'italianisme  de  Riensi  jusqu'au  style  à  la  fois  impérieux  et  tumultueux, 
tout  allemand,  dès  quatre  premiers  soirs  de  Bayreuth  ? 

Mais  il  y  a,  peut-être,  un  spectacle  plus  émouvant  encore  que  cette 
mélodieuse  métamorphose  qui  prit  un  aspect  de  marée  montante  :  et 
c'est  la  crise  subie  par  la  musique  européenne  depuis  le  mort  immortel. 
Il  fut  <c  l'Initiateur  n  ;  il  est  le  «  Maitre  ».  Et  déjà  sa  gloire  est  discutée 
derechef.  Oui,  nos  jeunes  classiques  traitent  déjà  son  art  «  bâtard  »  de 
«  monstruosité  »,  tout  comme  Baudelaire  étiquetait  le  paysage  histo- 
rique (ce  genre  qui  refleurit  à  son  tour,  avec  René  Ménard,  jeune  héri- 
tier de  notre  vieux  Nicolas  Poussin).  Très  bien!  Mais  que  devenir  et 
que  faire,  après  le  «  monstre  lui  môme  »  ?  Quel  nouveau  Siegfried 
ravira  l'anneau  sanglant  de  Fafneret  comprendra  spontanément  le  chant 
des  oiseaux  dans  la  Forêt  verte? 

L'opéra  revit;  nous  l'avons  vu.  Du  moins,  il  cherche  à  revivre.  Et 
pour  renaître,  ne  fût-ce  qu'une  heure,  il  se  transforme.  Il  revêt  l'ar- 
mure de  son  rival,  le  drame  musical,  pour  partir  à  la  conquête  de  la 
Beauté  qui  sommeille...  Parfois,  Hercule  succombe  aux  pieds  blancs 
d'Omphale ;  mais  il  se  purifie  dans  les  flammes...  Jamais,  au  grand 
jamais,  le  majestueux  Wort-toz-drama  de  Bayreuth  ne  s'acclimatera 
définitivement  et  complètement  dans  notre  moderne  Pompéi  de  grâce 
et  de  lu.xe,  où  l'opérette  est  choyée.  Petites-cousines  des  héroïnes  d'Aris- 
tophane et  de  Ménandre,  nos  Parisiennes  sacrifieront  toujours  moins 
volontiers  aux  dieux  germaniques,  si  farouches,  qu'à  Vénus,  môme 
quand  elle  se  nomme  Astarté  !  Le  vent  d'est  nous  rapporte  les  parfums 

(1)  Voir  le  Ménestrel  du  dimanche  14  avril  1901. 

(2)  Maurice  Barrés,  dans  un  des  vendredis  du  Journal.  —  Cf.,  dans  le  beau  livre  inti- 
tulé du  Sang,  de  la  Volupté  et  de  la  Mort,  les  Larmes  de  Kimdrij. 


LE  MENESTREL 


157 


grisants  de  l'Orieûl  ;  Wagner  lui-même,  après  son  étliéré  Parsifal, 
allait  finir  par  le  drame  hindou  des  Vainqueurs...  Alors,  quoi?  Doser, 
instinctivement  ou  sournoisement,  le  wagoérisme,  l'adapter  à  notre  ame 
moins  vaste,  à  notre  ciel  plus  clément?  Ce  ne  sont  plus  seulement  les 
théâtres  musicaux,  mais  c'est  la  musique  même  qui  périclite.  L'angoisse 
se  trahit  dans  l'écriture.  L'âme  bégaie  et  la  main  tremble.  Le  parafe 
dissimule.  Les  plus  sincères  sont  dévoyés.  Les  passionnés  dépassent  le 
but;  les  timorés  restent  en  deçà.  Los  uns  crient  ;  les  autres  murmurent. 
Tous  hésitent...  Mais  la  sincérité,  comme  la  vertu,  ne  serait-elle  pas, 
en  fui  de  compte,  aujourd'hui  surtout,  l'habileté  souveraine? 

Et  la  sincérité,  vertu  classique,  ne  la  trouverons-nous  point  chez  les 
maitres,  chez  les  anciens  qui  furent  les  jeunes?  C'est  fait:  bon  gré, 
mal  gré,  nous  sommes  classiques.  Los  preuves  se  multiplient  et  se  pres- 
sent. Nous  les  collectionnons  pour  notre  gouverne.  Le  jeune  naturiste 
de  la  revue  l'Ermitage  a  parlé  d'or,  en  affirmant  qu'un  passé  certain 
peut  consoler  d'un  douteux  avenir  :  «  Pour  nous  répondre  de  l'Art 
épuisé,  n'y  a-t-il  l'inépuisable  Nature  ?  »  Le  Faust  de  Gœthe  ne  disait 
pas  mieux,  au  déclin  tourmenté  d'un  siècle  frivole.  Tout  revient.  Et  que 
les  snobs  eux-mêmes  se  rassurent,  puisque  c'est  Wagner  en  personne 
qui  les  autorise  à  ch:rir  Mozart  !  Imprévu  bienfait  du  wagnérisme  et 
corollaire  inespéré  !  Miroir  transQguré  du  monde,  le  drame  lyrique 
nouveau,  qui  se  croyait  tout,  n'a  pas  aboli  notre  foi  dans  ces  petits  mor- 
ceaux, sonates  ou  lieder,  qui  recèlent  une  grande  âme  céleste  :  il  les 
contenait.  Écoutez,  au  printemps,  le  Prcislied  de  Walther!  Et,  dans 
sou  noble  écrit  sur  Beethoven,  la  perle  érudite  de  ses  vieux  ans  (1), 
Wagner  ne  célébrait-il  pas  «  le  délicat  génie  de  vie  et  d'amour  »  qui 
s'appelle  Mozart?  Moins  puritain  que  notre  Berlioz,  —  en  faveiu-  de  ce 
génie,  il  excusait  tout  dans  son  œuvre  :  c'était  l'Oiseau  qui  parle  au  géant 
Siegfried  ! 

Bien  entendu,  nos  bons  snobs  rassurés  vont  exagérer  du  premier 
coup  :  Mozart,  for  ever,  il  n'y  aura  plus  que  Mozart  au  monde  !  Puisque 
le  maître  de  Bayreuth  l'a  permis,  vive  le  maître  de  Salzbourg  1  Magister 
dixil...  La  pâmoison,  cependant,  n'aura  même  plus  l'attrait  du  fruit 
défendu:  c'est  pourquoi  je  doute  qu'elle  se  prolonge...  Et  les  cœurs 
vraiment  épris  se  reconnaîtront  très  vite  :  ils  ne  seront  jamais  légion. 

Tant  mieux  ! 

D'ab'ord,  ici  comme  ailleurs,  il  faut  «  distinguer  »,  sans  hypocrisie. 
N'est-il  pas  également  dangereux,  pour  ne  pas  dire  plus,  de  s'écrier  : 
«  Il  n'y  a,  désormais,  qu'un  art,  le  drame  musical,  le  théâtre  !  »  —  Ou  bien  : 
«  Il  n'y  a  que  la  musique  pure,  la  vraie  musique,  goûtée  des  seuls 
musiciens  »  ?  Les  deux  musiques  n'ont-elles  point  toujours  coexisté? 
Ne  se  sont- elles  point  développées  toujours  parallèlement,  comme  le  ly- 
risme et  le  drame  ?  La  «  musique  appliquée  »  n'a-t-elle  pas  déroulé 
son  évolution  grandiose  aux  feux  de  la  rampe,  comme  «  l'art  décoratif» 
dans  nos  palais,  tandis  que,  plus  humble  et  plus  flère,  la  «  musique 
pure  »  étincelait  dans  l'obscurité?  La  musique  do  chambre,  c'est  une 
sanguine  de  Raphaël,  un  sonnet  de  Ronsard,  c'est  le  dessin  de  maître, 
d'autant  plus  attachant  qu'il  est  privé  du  maquillage  de  la  couleur  ; 
loin  d'être  hostile  â  la  grande  fresque,  il  la  devance,  la  prépare  et  l'an- 
nonce. Tel  quatuor  immortel  a-t-il  empêché  la  Flûte  Enchantée? 
Fidelio  n'a  pas  étouffé  le  feu  qui  couvait  de  \&  Neuvième...  Le  cri  du 
cœur  anime  l'un  et  l'autre  chef-d'œuvre,  expression  d'une  âme. 

Et  pendant  que  le  papillon  Rossini  se  brûlait  cavalièrement  à  tous  les 
sourires  du  théâtre,  —  seul,  dans  l'ombre,  à  l'écart,  songeait  le  dieu 
Beethoven. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


ISrOXJA^ELLES    DI^^ERSKS 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (16  mai).  —  Des  circonstances  indé- 
pendantes de  ma  volonté  m'ont  empêché  de  vous  dire,  il  y  a  huit  jours,  le 
succès  qu'ont  obtenu  les  deux  représentations  extraordinaires  en  allemand 
de  Tristan  et  Isolde,  organisées  par  la  direction  de  la  Monnaie  au' lendemain 
de  la  clôture  annuelle.  Ces  représentations  ont  été  un  événement  trop  consi- 
dérable pour  ne  pas  être  mentionnées  ici.  C'est  la  première  fois  qu'une  œuvre 
de  Wagner  était  jouée,  en  dehors  du  théâtre  de  Bayreuth,  dans  ces  conditions 
exceptionnelles  d'interprétation,  avec  des  artistes  comme  M.  Van  Dycl;, 
jjmes  I3fema  et  Litvinne,  et  sous  la  direction  d'un  chef  prestigieux  comme 
M.  Mottl.  Le  résultat  a  dépassé  toute  attente  malgré  la  petite  déception 
causée  par  l'absence  de  M.  Van  Rooy,  qui  devait  compléter  cette  incompa- 
rable distribution  et  qui,  au  dernier  moment,  n'a  pu  venir,  retenu  en  Alle- 
magne par  une  indisposition. 

(I)  Écrit  datù  de  Triebsclien,  1870,  où  Wagner  appelle  Beelliovcn  «le  Jlage  divin».  — 
Cf.  Teodor  de  Wyzewa,  Deethomi  et  Wagner,  pages  154-167  (l'aris,  Pcrrin,  1898j. 


Le  dernier  concert  Ysaye  —  sans  Ysaye  —  a  clôturé  dignement  la  saisin 
des  matinées  symphoniques,  avec  un  programme  exclusivement  consacré 
aux  œuvres  françaises  de  MM.  Vincent  d'Indy  et  Guy  Ropartz,  qui  en  diri- 
geaient eux-mêmes  l'exécufon.  On  a  entendu,  de  M.  Guy  Ropartz,  une  sym- 
phonie correctement  et  purement  écrite,  et  de  sentimentaux  et  distingués 
Poèmes  chantés,  d'après  l'Intermezzo  de  Henri  Heine,  très  bien  dits  par 
M.  Daraux.  De  M.  Vincent  d'Indy,  outre  de  simples  mélodies,  on  a  réentendu 
la  première  partie  de  Watlcnstein  et  l'étourdissante  symphonie  pour  piano  et 
orchestre  sur  un  thème  montagnard,  qui  a  valu  à  son  auteur  et  au  pianiste, 
M.  Arthur  de  Greef,  des  ovations  enthousiastes.  L.  S. 

—  Gomme  nous  favions  annoncé,  l'Opéra  de  Govent-Gardea  de  Londres  a 
rouvert  ses  portes  lundi  dernier.  On  jouait  Roméo  et  Julielte  en  français  avec 
M°i'!  Eames  et  M.  Saléza  comme  protagonistes,  et  M.  Journet  dans  le  rôle  de 
frère  Laurent;  au  pupitre  du  chef  d'orchestre  se  trouvait  M.  Mancinelli.  Le 
théâtre  a  été  transformé,  comme  nos  lecteurs  le  savent,  et  il  pirait  que  les 
dépenses  énormes  de  cette  transformation,  qui  montent  à  750.000  francs, 
n'ont  pas  été  faites  en  pure  perte.  On  s'étonne  cependant  que  les  entr'actes 
restent  aussi  longs  qu'auparavant,  malgré  l'annonce  qu'on  avait  faite  que 
les  nouveaux  arrangements  permettraient  de  planter  les  décors  les  plus 
compliqués  en  quelques  minutes.  Un  public  fort  nombreux  et  élégant  assistait 
à  cette  première  de  Govent-Garden  ;  les  dames  de  la  colonie  américaine,  qui 
s'y  trouvaient  en  nombre,  portaient  le  deuil  de  la  reine  Victoria  absolu  neat 
comme  les  dames  anglaises. 

—  La  «  Loi  Parsifal  ».  Une  circulaire  extraordinaire  vient  d'être  adressée 
par  M"»"  Cosima  Wagner  aux  397  députée  du  Reichstag  allemand  ;  on  devine 
qu'il  s'agit  du  rejet  de  la  proposition  du  gouvernement  de  fixer  à  cinquante 
ans  la  durée  du  «  droit  d'auteur  ».  La  veuve  du  raaitre  de  Bayreuth  déclare 
regretter  qu'un  député  ait  parlé  au  Reichstag  de  la  famille  Wagner,  et  elle 
se  croit  obligée  de  rectifier  les  assertions  de  cet  orateur.  Il  est  exagéré  de 
dire  que  chaque  année  rapporte  un  million  de  marks  aux  héritiers  du 
maître,  mais  d'autre  part,  on  reste  au-dessous  de  la  vérité  en  affirmant  qu'un 
entrepreneur  a  offert  un  million  de  marks  seulement  pour  pouvoir  disposer  de 
Parsifal  pendant  cinq  ans  dans  le  monde  entier.  M™  Wagner  expose  ensuite 
longuement,  mais  par  des  arguments  suffisamment  connus,  que  le  droit  d'au- 
teur devrait  durer  cinquante  ans  et  dit:  «  Je  n'hésite  pas  à  avouer  qu'il 
s'agit  pour  moi  uniquement  de  Parsifal  et  je  demande  uniquement  la  pro- 
tection de  cette  œuvre.  C'était  le  désir  et  la  volonté  de  Richard  Wagner  que 
son  théâtre  s'élève  uniquement  sur  la  collline  de  Bayreuth  et  que  Parsifal 
soit  uniquement  représenté  sur  cette  scène.  Ceci  est  son  testament  pour  la 
nation  allemande.  »  Après  avoir  brièvement  rappelé  avec  quelles  difficultés 
et  aux  prix  de  quelles  luttes  Wagner  avait  pu  enfin  inaugurer  son  théâtre 
en  1876,  elle  ajoute  :  «  L'art  de  Richard  "VA^agner  est  devenu  comme  un  lien, 
un  messager  de  paix  entre  l'Allemagne  et  l'étranger.  Je  m'adresse  donc  aux 
représentants  de  la  nation  allemande  pour  les  prier  de  réparer  finjustice 
qu'ils  ont  commise  et  d'honorer  leur  plus  grand  maître  par  l'exécution  de  sa 
dernière  volonté....  Nous  abandonnerons  les  revenus  provenant  d'une  exten- 
sion de  nos  droits,  si  on  nous  les  envie,  mais  nous  demandons  la  protection 
définitive  de  Parsifal,  » 

Inutile  de  dire  que  M""' Wagner  ne  peut  se  faire  aucune  illusion  sur  l'effet 
de  sa  circulaire  et  qu'elle  n'ignore  pas  que  les  députés  actuels,  dont  le  mandat 
expire  en  juin  1903,  ne  peuvent  se  déjuger  aussi  vite  et  changer  une  loi 
qui  vient  à  peine  d'être  votée.  Mais  la  veuve  du  maître  a  bien  fait  de  pro- 
tester immédiatement  contre  la  «  loi  inique  t,  et  comme  Parsifal  est  encore 
protégé  pendant  douze  ans,  elle  reviendra  certainement  à  la  charge  lorsque 
le  Reichstag  actuel  sera  remplacé  par  une  Chambre  nouvellement  élue.  Mais 
un  argument  très  grave  sera  certainement  et  toujours  opposé  par  tous  les 
légistes  à  la  demande  de  M'"=  Wagner.  Peut-on  raisonnablement  créer  une 
loi  d'exception,  une  lex  Parsifal?  Evidemment  non.  0.  B.v. 

—  Un  jubilé  qui  n'est  pas  à  la  portée  de  tout  le  monde.  M.  Hermann  Friese, 
inspecteur  musical  de  l'intendance  générale  des  théâtres  de  Berlin,  vient  de 
fêter  le  soixante-dixième  anniversaire  de  son  entrée  dans  la  carrière,  à-dmis, 
le  24  avril  1831,  à  faire  partie  des  chœurs  de  l'église  de  la  Garnison,  il  a 
chanté  dans  toutes  les  circonstances  solennelles  de  la  cour  impériale,  aux 
funérailles  de  Guillaume  I"',  au  baptême  de  l'empereur  Frédéric,  aux  noces 
de  l'empereur  actuel  et  en  beaucoup  d'autres  occasions.  Pensionné  en  187'2 
en  sa  qualité  de  chanteur  de  fOpéra,  il  prit  alors  les  fonctions  d'inspecteur 
musical,  qu'il  a  remplies  jusqu'à  ce  jour. 

—  M.  Anton  Dvorak,  le  nouveau  pair  d'Autriche,  vient  de  siéger  pour  la 
première  fois  à  la  Chambre  des  Seigneurs,  après  avoir  prêté  serment.  Il  a, 
dit-on,  l'intention  de  remplir  assidûment  ses  devoirs  de  membre  de  la  haute 
Chambre  et  de  voter  avec  le  parti  de  ses  compatriotes  tchèques.  M.  Dvorak 
a  d'ailleurs  eu  le  plaisir  de  voir  se  réaliser  en  sa  faveur  le  vieil  adage:  «  A 
tout  seigneur  tout  honneur».  En  effet,  le  musicien  a  reçu  au  débotté  la  visite 
de  M.  Mahler,  qui  lui  a  demandé  son  dernier  opéra,  Roussalka,  pour  le  théâtre 
impérial.  M.  Dvorak  a  naturellement  accepté  cette  proposition,  et  Roœsalka 
sera  jouée  au  cours  de  la  saison  prochaine.  L'auteur  dirigera  en  personne  les 
dernières  répétitions. 

—  M.  Mascagni  a  quitté  Vienne,  après  y  avoir  dirigé  quatre  concerts  au 
profit  de  différentes  œuvres.  L'empereur  lui  a  envoyé  les  insignes  de  com- 
mandeur de  l'ordre  de  François-Joseph  avec  plaque.  C'est  une  façon  comme 
une  autre,  mais  celle-ci  fort  agréable,  de  plaquer  les  gens. 


138 


LE  MENRSTKIiL 


—  Lors  de  la  tlernicre  reprise  de  Tamilianxir  à  1  Opéra  impérial  de  Vieime, 
le  public  a  fort  admiré  une  vingtaine  d'artistes  extraoï'diQaires  qui  débutaient 
pour  la  première  fois  sur  la  scène.  On  avait  remarqué  eu  haut  lieu,  parait-il, 
que  les  chiens  de  chasse  qui  figuraient  au  premier  acte,  loi'sque  le  landgrave 
trouve  dans  la  forêt Tannhiiuser  sorti  de  l'antre  de  Vénus,  n'étaient  pas  dignes 
de  ce  beau  théâtre.  Ordre  fut  donc  donné  par  le  grand-veneur  de  mettre  à  la 
disposition  de  l'Opéra  la  meute  impériale.  Les  chiens  les  plus  beaux  et  les 

plus  intelligents  qui  soient,  dressés  à  courre  le  cerf,  furent  donc  amenés  à 
Vienne  par  plusieurs  piqueurs.  et  on  les  fit  répéter  trois  fois  de  suite  la  courte 
scène  de  leur  apparition.  Les  merveilleux  artistes  surent  ainsi  leur  rôle  au 
bout  des  pattes  et  firent  entendre  leur  voix  au  moment  voulu,  sur  le  taïaut 
proféré  h  mi-voix  par  les  piqueurs  grimés  et  costumés.  La  meute  impériale  a 
fait  la  joie  du  public,  mais  sa  collaboration  a  Tinconvénient  d'être  assez  coû- 
teuse, car  ces  artistes  habitent  à  deux  cents  kilomètres  de  l'Opéra,  à  Goe- 
ding,  en  Moravie. 

—  Le  théâtre  An  der  Wienà  Vienne,  qui  avait  été  fermé  pondant  quelques 
semaines,  vient  d'être  loué  à  MM.  Lang  et  Karczàg,  et  les  nouveaux  directeurs 
ont  publié  une  longue  annonce  dans  laquelle  ils  déclareut  qu'ils  ouvrent 
»  un  théâtre  international  «Sur  leur  scène  doivent  se  produire  les  plus  grands 
artistes  d'Allemagne,  d'Angleterre,  de  France,  d'Italie  et  de  Russie,  et  beau- 
coup de  traités  seraient  déjà  signés  à  cet  effet.  Reste  à  savoir  si  la  ville  de 
Vienne  possède  un  assez  grand  nombre  d'amateurs  polyglottes  pour  alimenter 
un  théâtre  jouant  en  quatre  langues  étrangères, 

—  Un  concert  original  vient  d'être  donné  à  Vienne.  La  maîtrise  de  la 
chapelle  orthodoxe  de  l'ambassade  de  Russie,  sous  la  direction  de  son  chef, 
M.  Archangelsky,  a  l'ait  entendre  des  compositions  liturgiques,  hymnes  et 
motets,  avec  un  succès  énorme.  Cette  maîtrise  compte  peu  de  chanteurs, 
mais  les  voix  sont  triées  sur  le  volet.  Tous  les  morceaux  ont  été  exécutés 
a  capella,  la  maîtrise  ne  disposant  ni  d'orchestre  ni  d'orgue;  on  a  admiré  la 
justesse  impeccable  du  chant  et  la  finesse  des  nuances.  Les  compositions 
étaient  presque  exclusivement  prises  dans  le  répertoire  des  compositeurs 
russes;  elles  ont  vivement  intéressé  à  cause  de  leurs  harmonies  orientales  et 
de  la  grande  habileté  avec  laquelle  des  effets  superbes  y  sont  amenés. 

—  On  vient  de  publier  un  document  très  curieux  au  sujet  de  Liszt.  L'artiste 
se  trouvait  en  avril  I83S  à  Vienne  et  y  avait  donné  un  concert  au  profit  des 
Hongrois,  ses  compatriotes,  qu'une  terrible  inondation  avait  fortement 
éprouvés.  Le  succès  du  jeune  artiste  fut  tellement  extraordinaire  que  l'impé- 
ratrice Marianne,  femme  de  l'empereur  Ferdinand,  désira  l'entendre  à  la  cour. 
L'archiduc  Louis,  qui  régnait  alors  véritablement,  de  connivence  avec  le  vieux 
prince  de  Metternich.  au  lieu  et  place  du  bon  Ferdinand,  avait  conçu  des 
doutes  sur  les  idées  politiques  de  Liszt,  qui  habitait  Paris,  et  s'adressa  au 
chef  de  la  police  pour  obtenir  des  renseignements.  Le  comte  Sedlnitzky,  le 
tout-puissant  Foucbé  viennois  de  l'époque,  adressa  alors  à  l'aichiduc  un 
rapport  d'autant  plus  remarquable  que  le  préfet  de  police  l'avait  rédigé  dans 
les  vingt-quatre  heures  sur  commande.  Tous  les  faits  de  cette  petite  biographie 
de  Liszt  sont  exacts,  à  l'exception  des  prétendues  relations  intimes  qui 
auraient  existé  entre  lui  et  George  Srnd,  qui  avait  trouvé  en  Chopin,  on 
le  sait,  le  pianiste  de  son  cœur.  Le  policier  dit  encore  en  passant  que  l'abbé 
de  Lamennais  était  mal  famé,  et  que  la  comtesse  d'Agoult  (Danitl  Stern) 
était  de  mauvaise  compagnie.  Il  constate  d'ailleurs  que  les  idées  politiques  de 
Liszt  n'avaient  jamais  formé  l'objet  d'aucune  plainte,  o  Liszt,  ajoutait- il. 
parait  plutôt  un  jeune  homme  vaniteux  et  léger,  affectant  les  manières 
fantaisistes  des  jeuues  français  de  l'époque,  mais  il  est  de  bonne  composition 
et,  en  dehors  de  sa  valeur  comme  artiste, tout  à  fait  insignifiant».  Le  policier 
conclut  donc  que  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  Liszt  produise  devant  l'impératrice 
"  son  talent  artistique,  qui  est  réellement  extraordinaire  »,  mais  que  la  police 
ne  pourrait  pas  admettre  qu'on  lui  conférât  le  titre  de  virtuose  imp.  et  roy. 
de  la  chambre.  Celait  la  récompense  ordinaire  qu'on  donnait  aux  grands 
artistes  admis  à  jouer  aux  concerts  de  la  C'our,  car  à  cette  époque  on  ne 
décorait  pas  enco're  en  Autriche  les  simples  artistes.  Liszt  joua  donc  le 
17  mai  1838  à  la  Cour  de  Vienne,  où  sa  transcription  de  la  Sérénade  de 
Schubert  et  sa  Valst-  de  braooure  enthousiasmèrent  tout  le  monde.  Mais, 
contrairement  à  l'usage,  il  n'obtint  pas  le  titre  de  virtuose  do  la  chambre.  Le 
policier  si  bien  renseigné  sur  la  vie  privée  de  Liszt  ignorait,  comme  on 
voit,  que  l'artiste  avait  publié  dans  la  Guzelle  inusicrile  une  suite  d'articles 
assez  jacobins,  qu'il  avait  écrit  eu  juillet  1830  une  Sym/rlioiiic  révolulioiinuirr, 
et  en  1S3Î,  lors  des  troubles  ouvriers  de  Lyon,  un  morceau  pour  piano  intitulé 
Lyon.  Les  mouchards  avaient  si  peu  de  littérature  qu'ils  ignoraient  même 
qu'Henri  Heine  avait  écrit,  quelques  années  avant  1838  :  «  Il  va  de  soi  que 
Liszt  ne  peut  pas  être  un  pianiste  de  tout  repos  pour  les  citoyens  tranquilles 
et  pour  des  bonnets  de  nuit  familiers  (GamuelhUdie  Sfhlafmuelzen).  »  Liszt 
n'est  cependant  pas  devenu  un  révolutionnaire  dangereux.  Sa  liaison  avec  la 
princesse  VS'^iltgenstein,  sur  laquelle  on  trouve  tant  de  documents  dans  la 
correspondance  dont  nous  avons  déjà  souvent  parlé,  a,  au  contraire,  pous.é 
l'artiste  dans  une  direction  absolument  contraire.  Il  est,  en  elfct,  devenu  un 
artiste  de  tout  repos  au  point  de  vue  poliiiquc  et  social,  tout  en  devenant 
l'apôtre  de  ce  grand  révolutionnaire  artistique  que  fut  Richard  'Wagner. 

—  A  l'Opéra  royal  de  Budapest,  M""»  Arnoldson  continue  la  série  de  ses 
représentations  avec  un  énorme  succès.  La  semaine  passée  elle  a  chanté 
rOphélie  A'HainU't,  où  elle  a  obtenu  de  nombreux  rappels.  Le  dernier  acte  lui 
a  valu  de  longues  ovations  et  une  véritable  pluie  de  fleurs.  La  représentation 
du  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  a  été  d'ailleurs  fort  réussie  sous  tons  les 
rapports. 


—  Grand  succès  au  théâtre  de  Francfort  pour  la  Mendiante  du  Pont-des-ArIs, 
le  nouvel  opéra  de  M.  de  Kaslcel.  L'auteur,  qui  assistait  à  la  promiôrp.  a  été 
rappelé  plusieurs  fois. 

—  Bon  chien  chasse  de  race.  On  annonce  le  succès  de  pianiste  que  vient 
de  remporter  à  Stockholm,  à  son  premier  concert,  M"»  Teresita  Carreiio,  fille 
de  M'""  Teresa  Carreno,  elle  promet  de  marcher  sur  les  traces  de  sa  mère. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Bergen  (Norvège)  la  statue  du  célèbre  violoniste 
Ole  Bull,  due  au  ciseau  du  sculpteur  Etienne  Sinding,  frère  du  compositeur 
de  ce  nom.  M.  (îrieg  a  composé  pour  la  circonstance  un  chœur  en  l'honneur 
de  Bull,  quia  été  exécuté  par  trois  cents  chanteurs  dirigés  par  le  compositeur 
lui-même.  Ce  fait  prouve  heureusement  que  M.  Grieg,  qui  a  été  gravement 
malade, -s'est  enfin  remis  et  que  son  état  n'inspire  plue  aucune  inquiétude. 

—  En  présence  de  l'avalanche  d'écrits  wagnérieus  de  toute  sorte  qui  s'est 
abattue  sur  l'Europe  entière  depuis  un  quart  de  siècle,  on  ne  saurait  repro- 
cher aux  Italiens  leur  empressement  à  glorifier  de  toutes  laçons  la  mémoire 
de  Verdi,  comme  ils  le  fout  depuis  la  mort  de  l'illustre  artiste.  Non  seule- 
ment les  publications  de  tout  genre  se  mulliplient  sur  l'auteur  de  Rigolello  et 
d'.lido,  mais  un  grand  nombre  de  journaux  ont  publié  des  «  numéros  spé- 
ciaux »  richement  illustrés  et  généralement  très  curieux.  Nous  citerons 
entre  autres  la  Scnia  illustrala  de  Florence,  la  Gazzetla  musicale  de  Milan,  le 
Cronachc  musical!  de  Rome,  //  Secolo  illuslrato  de  Milan,  Naiura  ed  Arle,  et  le 
dernier  numéro  de  la  liifiila  musicale  italiana  de  Turin,  qui  contient  toute 
une  série  d'articles  fort  intéressants  consacrés  au  vieux  maitre:  l'Opéra  di 
Giitseppe  Verdi  e  i  suoi  caratleri  principali,  de  LuigiTorchi,  Verdi  e  la  caricatura, 
de  G.  Bocca,  Aneddoti  Verdiani,  de  G.  Monaldi,  la  casa  di  riposo  pei  inusicisU, 
de  L.  de  Cujos,  Saggio  di  hibliogralia  Verdiunu,  de  L.  Torri.  Les  biographies  et 
études  critiques  sont  nombreuses  ;  nous  nous  bornerons  à  signaler  les  plus 
importantes:  le  Opère  di  Verdi,  de  M.  Soffredini  (Milan.  Aliprandi,  in-8")  : 
r Anima  di  Giuseppc  Verdi,  de  M.  Sicchirollo  (Milan,  iu-16)  ;  liicorjii  Verdiani 
inedili.  de  M.  Pizzi  (Turin,  Roux,  in-16)  ;  Verdi,  'IS39-tS9S,  de  M.  G.  Monaldi, 
(Turin,  Bocca,  in-12)  ;  G.  Verdi,  IS13-HJ0I,  de  M.  E.  Checchi  (Florence,  Bar- 
bera, in-16)  ;  G.  Verdi,  il  rjenio,  la  vita,  le  opère,  de  M.  Cavaretta  (Palerme, 
in-16)  ;  Verdi,  l'uomo,  le  opère,  l'artisla,  de  M.  0.  Boni  (Parme,  Battei,  in-16)  ; 
Per  Giuseppe  Verdi,  de  M.  G.  de  Arcangeli  (Lanciano,  Masciangelo,  in-16). 

—  Dans  une  revue  chonologique  du  dernier  siècle  relative  à  l'art  musical, 
que  publie  en  ce  moment  la  Gazzetla  musicale  de  Milan,  nous  trouvons  les 
dates  précises,  inconnues  jusqu'ici,  de  l'apparition  des  premiers  ouvrages  de 
Rossini.  Nous  apprenons  ainsi  que  «  le  11  août  1808,  Rossini  fait  sa  première 
apparition  parmi  les  compositeurs  de  musique  à  16  ans,  avec  la  cantate  il 
Piuniii  d'Armonia  per  la  morle  d'Orfen.  exécutiîe  par  les  élèves  du  Lycée  musical 
à  Bologne  et  composée  en  juillet  1808;  et  l'essai  est  jugé  digne  de  la  licence  i>. 
Nous  trouvons  ensuite,  à  la  date  du  3  novembre  1810,  la  première  représen- 
tai ion  au  théâtre  San  Moisè  de  Venise,  avec  un  excellent  succès,  de  la  «  farsa 
nuova  »  intitulée  /"  Cambiale  del  iiialrimonio,  première  composition  théâtrale 
de  Rossini,  sur  poésie  de  Gaelano  Rossi  ;  interprètes,  la  Morandi,  Raffaelli, 
de  Grecis  et  Ricci.  Et  le  26  octobre  1811,  première  représentation  au  théâtre 
du  Corso  de  Bologne  de  l'opéra-boulïe  l'Equivoco  siravagante  de  Rossini,  sur 
libretto  de  Gasparri;  interprètes,  la  Marcolini,  Berti,  Vaccani  et  Rosich.  — 
Nous  continuerons  cette  série,  s'il  y  a  lieu. 

—  Le  Mondo  artislico  nous  donne  ces  détails  sur  une  exposition  qui  \ient 
de  s'ouvrir  à  Milan.  Le  Cercle  féminin  milanais  Gaetana  Agnesi,  dit-il,  a 
organisé  une  exposition  de  souvenirs  de  femmes  illustres  italiennes  qui  est 
vraiment  intéressante.  Une  des  salles  est  consacrée  aux  femmes  de  théâtre 
et  renferme  des  souvenirs,  vêtements,  costumes,  lettres,  portraits  d'actrices 
et  de  cantatrices.  Une  vitrine  entière  fait  revivre  la  douce  figure  de  Giuditta 
Pasta,  la  raerveillouse  interprète  de  Bellini.  Ses  portraits  sourient  douce- 
ment, d'une  physionomie  délicate  et  mélancolique.  Caterina  Lipparini,  autre 
chanteuse  distinguée,  figure  largement  dans  cette  exposition.  Sa  beauté  res- 
plendit encore,  dans  le  souvenir,  après  trente  années.  Llne  fleur  de  beauté  ne 
doit  pas  avoir  été  la  cantatrice  et  musicienne  napolitaine  Teresa  Santi,  qui 
sut  cependant  «  tenir  les  clefs  du  cœur  du  public  ».  Voici  l'irrésistible  Mad- 
dalena  Grossi,  qu'on  appelait  «  sirène  »,  tant  était  grande  la  magie  de  son 
chant;  et  voici  encore  la  laide  et  célèbre  Augclina  Serassi,  qui  quitta  le  théâtre 
pour  le  couvent,  où  elle  mourut  en  odeur  de  sainteté.  C'est  une  exposition 
qui  mérite  d'être  vue. 

—  U  parait  que  le  jeune  compositeur  qui  a  donné  deux  ou  trois  opéras  sous 
le  nom  d'Alfredo  Donizetti,  et  qui  dirigeait  récemment  l'orchestre  du  théâtre 
Rossini  à  Venise,  n'était  qu'un  faux  Donizetti.  Le  petit-neveu  de  l'auteur  de 
Don  Pasquale  et  de  la  Farurilr,  M.  Giuseppe  Donizetti,  lui  a  intenté  dernière- 
ment un  procès  pour  lui  interdire  de  porter  un  nomglorienx  quine  lui  appar- 
tient pas,  attendu  qu'il  s'appelle  simplement  Ciummei.  Et  le  tribunal  de 
Bologne  a  donné  raison  à  M.  Giuseppe  Donizetti. 

—  Un  petit  opéra  en  deux  parties,  Dun  Bosco  fanciuUo,  paroles  de  M.  TeoQlo 
Romano,  musique  de  M.  Attilio  Garlaschi,  a  été  représenté  à  Turin,  dans  la 
salle  Bassi,  sous  la  direction  de  l'auteur.  L'exécution  était  confiée  àdes  enfants, 
au  nombre  de  plus  de  cinquante,  car  la  musique  comprenait  des  chœurs 
importants.  Le  succès  a  été  complet,  et  le  compositeur,  rappelé  à  la  fin  de 
l'ouvrage,  s'est  présenté  sur  la  scène  entouré  de  lous  ses  interprètes. 

—  La  commune  de  Gasalbuttano,  où  Bellini  écrivit  sa  Xorma.  se  prépare, 
tout  comme  Catane,  à  fêter  le  centenaire  du  célèbre  compositeur.  Une  pierre 
sera  placée  dans  l'hôtel  de  ville,  les  élèves  des  écoles  exécuteront  un  chœur 


LE  MENESTREL 


159 


«  bellinien   »,  et  sur  la  demande  de  la  junte  municipale  l'avocat  Attilio 
Bolzani  fera  une  conférence  commémorative. 

—  A  Roca  San  Casciano  première  représentation,  fort  bien  accueillie 
du  public,  d'une  opérette  nouvelle,  la  Fata  bianca.  musique  du  maestro 
Isidori. 

—  M°"^  Sada  Yacco,  la  grande  actrice  japonaise  dont  le  succès  fut  si  grand 
parmi  nous,  avait  entrepris,  après  l'Exposition,  une  grande  tournée  avec  sa 
troupe  à  travers  l'Europe,  après  quoi  elle  alla  se  faire  applaudir  aux  Etats- 
Unis.  Avant  de  s'embarquer  récemment  à  San  Francise  )  pour  retourner  au 
Japon,  elle  a  déclaré  à  un  reporter  américain  qu'elle  était  on  ne  peut  plus 
satisfaite  du  résultat  matériel  de  sa  campagne  hors  de  son  pays  et  que,  toutes 
dépenses  payées,  elle  remportait  au  Japon  une  somme  ronde  de  190.000  dol- 
lars, soit  environ  un  million  de  francs.  Il  semble  qu'elle  n'ait  pas  lieu,  en 
efîet,  d'être  trop  méconter.te. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
M.  Théodore  Dubois,  membre  de  l'Institut,  qui  avait  été  nommé,  à  la 
suite  de  la  mort  de  M.  Ambroise  Thomas,  directeur  du  Conservatoire  national 
de  musique  et  de  déclamation  pour  une  période  de  cinq  années,  vient  d'éti'e 
confirmé  dans  ces  fonctions,  qu'il  remplit  si  dignement,  pour  une  égale  période 
par  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts. 

—  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  vient  de 
nommer  membre  du  comité  d'examen  des  classes  du  Conservatoire,  pour  la 
déclamation  IjTique,  M.  Lucien  Fugère,  le  si  remarquable  artiste  de  l'Opéra- 
Cumique.  Tout  ïe  monde  applaudira  à  cette  excellente  nomination . 

—  C'est  hier  matin  que  sont  partis  pour  Compiègne  les  jeunes  musiciens 
admis  au  concours  définitif  pour  le  grand  prix  de  compositioa  musicale.  Ces 
concurrents  sont  : 

1"  M.  Kuuc,  élève  de  M.  Leoepveu. 

2'  H.  André  Caplet,  élève  de  M.  Lenepveu. 

3'  M.  Gabriel  Dupont,  élève  de  M.  Widor. 

4"  M.  Albert  Bertelin,  élève  de  IIM.  Théodore  Dubois  et  Widor. 

S''  M.  Crocé-Spinelli,  élève  de  M.  Lenepveu. 

6"  M.  Jlaurice  Ravel,  élève  de  iT.  Fauré. 

La  scène  lyrique  choisie  pour  être  traitée  leur  a  été  donnée  à  leur  entrée 
en  loge.  Sortie  le  lundi  17  juin,  à  neuf  heures  du  malin.  Audition,  au  Con- 
servatoire, le  vendredi  28  juin.  Jugement,  à  l'Institut,  le  samedi  29  juin. 

—  Le  jeudi  6  juin  sera  célébré,  dans  la  salle  des  fêtes  du  Trocadéro,  un 
festival  civil  et  militaire  à  la  gloire  du  général  Lazare  Hoche.  Le  général 
André,  ministre  de  la  guerre,  en  a  accepté  la  présidence.  La  musique  de  la 
garde  républicaine  y  exécutera  VJhjiniie  funibvi'  sur  la  iiioi-t  du  gi'iii'nU  Huiiw, 
par  Chesubini,  qui  a'a  élé  entendu  qu'une  fois,  au  Champ-de-Mars,  en  octo- 
bre 1797,  en  vertu  de  la  lai  du  27  septembce  précédent,  o.rdionnant  à  Paris, 
puis  dans  les  communes  de  la  République  et  dans  tous  les  camps  des  armées 
françaises,  des  cérémonies  funèbres  à  la  mémoire  ijamortelle'  dai  héros  enlevé 
à  la  pati'ie.  Au  l'Imnl  ilii  cUpiiri,  représenté  avec  la  Ëg.uration,  qui  a  obtenu 
un  si  grand  succès,  sera  ajouté  le  Chant  âa  reloar,  paroles  de  M.-J.  Chénier, 
musique  de  Méhul.  Cet  «  liymne  sur  la  paix  »  n'a  jamais  été  exécuté  depuis 
1797.  Le  festival  du  6  juin  servira  pour  ainsi  dire  de  préface  à  l'inauguration 
du  monument  de  Hoche  à  Quiberon,  l'un  des  premiers  dimanches  du  mois 
de  septembre  prochain.  La  statue  est  un  nouveau  chef-d'oeuvre  de  Dalou. 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  musiciens  a 
eu  lieu  mardi  dernier,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Emile  Réty.  Le  rapport  sur  les  travaux  du  comité  pendant  l'année 
écoulée  a  été  présenté  par  M.  Auge  de  Lassus  et  fréquemment  souligné  par 
les  applaudissements  de  l'auditoire.  M.  Emile  Réty  a  ensuite  présenté  quel- 
ques considérations  intéressantes  sur  l'a  situation  moral'e  et  financière  de 
l'Association,  qui  n'a  jamais  été  plus  satisfaisante,  ce  qui  n'empêche  nulle- 
ment, comme  il  l'a  fait  fort  justement  observer,  qu'on  ne  doive  travailler  à  la 
rendre  plus  florissante  encore,  les  besoins  augmentant  sans  cesse  et  les  mi- 
sères à  soulager  devenant  de  plus  en  plus  nombreuses.  Bien  qu'elle  possède 
aujourd'hui,  grâce  surtout  à  la  libéralité  de  généreux  donateurs,  près  de 
130.000  francs  de  rente,  l'Association  n'est  pas  encore  à  même  de  venir  aussi 
efficacement  qu'elle  le  voudrait  en  aide  à  toutes  ces  misères,  et  c'est  à  attein- 
dre ce  but  que  le  comité  doit  s'efforcer  sans  cesse.  Ancune  peine,  aucun  effort 
ne  doivent  lui  coûter  pour  obtenir  ce  résultat.  Il  faut  faire  connaître  l'Asso- 
ciation, son  but  moral,  social'  et  humanitaire,  pour  lui  créer  de  nouvelles  et 
effectives  sympathies,  provoquer  ainsi  la  bienfaisance  el  augmenter  ses  res- 
sources. Les  paroles  généreuses  de  M.  Réty  ont  été  couvertes  d'applaudisse- 
ments. On  a  procédé  ensuite  au  scrutin  pour  l'élection  de  treize  membres  du 
comité.  Oiit  été  élus  :  MM.  Marcelin  Laurent,  J.  Danbé,  Taffanel,  Pickaert, 
Edmond  d'Ingrande,  Gabriel-lUarie,  Decq,  Ed.  Guinaud,  Ed.  Colonne,  Goul- 
let,  Evette,  Chandon  de  Brailles  et  Barutel. 

—  Au  déjeuner  offert  à  M.  Goquelin  par  le  comité  de  l'Association  des 
artistes  dramatiques,  le  principe  de  la  fondation  d'une  maison  de  retraite 
pour  les  vieux  artistes  a  été  posé  par  M.  Goquelin,  qui  a  associé  à  son  vœu 
M.  Albert  Carré,  lequel,  a-t-il  ajouté,  lui  en  avait  suggéré  le  premier  l'idée, 
bien  avant  qu'il  ne  devint  le  président  de  l'Association.  \  la  suite  de  cette 
déclaration,  M.  Péricaud  s'est  levé  et  a  annoncé,  de  la  part  de  M.  Jean  Coque- 
Un  et  de  M.  Hertz,  ce  dernier  directeur  du  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin, 
que  la  première  représentation  de  la  première  pièce  nouvelle  donnée  sur  ce 
théâtre  aurait  lieu  au  bénéfice  de  cette  fondation,  qui  prendra  le  nom'  de 


Fondation  Goquelin.  Plusieurs  membres  du  comité  ayant  émis  le  vipu  qu'une 
situe  fût  élevée,  à  Paris,  au  baron  Taylor,  M.  Goquelin  a  répondu  qu'il  y 
songeait  depuis  longtemps  et  qu'il  était  prêta  prendre  en  main  la  réalisation 
de  ce  projet,  auquel  seraient  appelées  à  concourir  les  différentes  associations 
fondées  par  le  célèbre  philanthrope.  Cette  statue  aurait  son  emplacement  sur 
le  terre-plein  situe  en  face  du  théâtre  de  l'Ambigu. 

—  La  sixième  chambre  du  tribunal  civil,  présidée  par  M.  Dubost,  vient  de 
statuer  sur  un  dilTérend  qui  s'était  élevé  entre  M.  Romain  et  la  Société  des 
auteurs  dramatiques  au  sujet  de  la  perception  des  droits  d'auteur  et  de  l'éten- 
due de  cette  perception.  Elle  a  jugé  que  les  droits  d'auteur  devaient  être 
perçus  non  seule«ent  sur  la  recette  effective,  mais  encore  sur  toute  place 
occupée,  que  ce  soit  après  paiement  de  la  place  ou  en  vertu  d'un  billet  de 
faveur.  M''  Raymond  Poincaré,  l'avocat  de  la  Société,  interrogé  par  quel- 
ques journalistes  sur  «  l'usage  »  qu'on  allait  faire  du  jugement,  a  répondu 
que  la  Société  «  ne  comptait  pas  en  abuser,  en  s'élevant  contre  la  distribution 
de  billets  gracieux  que  les  théâtres  ont  l'habitude  do  l'aire  à  la  presse  et  aux 
artistes.  »  La  nouvelle  mesure  vise  surtout  les  «  tournées  de  province  ».  dont 
les  directeurs  prenaient  le  moyen  détourné  de  payer  beaucoup  de  leurs  petites 
dettes  au  moyen  de  billets  de  faveur,  et  cela  sur  le  dos  des  autours. 

—  La  municipalité  d'Amiens  engageait  dernièrement  des  pourparlers  avec 
la  Société  des  auteurs,,  compositeurs  de  musique  et  éditeurs,  sur  la  demande  des 
sociétés  locales,  auxquelles  la  Société  des  auteurs  réclamait  des  droits,  non  seu- 
lement à  l'occasion  des  concerts  gratuits,  mais  aussi  à  l'occasion  des  répéti- 
tions. Ces  pouii'parlers  n'ayant  pas  abouti  aune  entente,  M.Tellier,  sénaleuiiràe 
la  Somme  et  maire  d'Amiens,  vient  d'adresser  la  lettre  suivante  au  ministre 
de  l'instruction  publique  : 

Amiens,  le  f&  mai  19011. 
Mbasienif  te  ministiie , 
.l'aurai  riionmeuT  de  vous  signaler,  dès- la  rentrée  du  Sénat,  la  situailion  pésulOnt  pour 
les  mimœipiilitésdes  prétewlions  nouvellement  émises  par  la  Société  des  auteurs,  éoJrteurs 
et  compositeurs  de  musique,  à  l'occasîon  des  eoocerts  gratuits  organisés  par  les  soeicCés. 
locales. 

Je  me-  propose  de  vous  demander,  monsieur  le  ministre,  de  vouloir  bien  examiner  les 
mesures  qu'il  importe  de  prendre,  dans-  le  bnt  d'épargner-  aux  municipalrtés  l'es  consé- 
quences des  poursuites  j'adieiaires  aucîqaelles  elles  sont  exposées. 

Je  vous  serais  très  obligé,  monsieur  le  ministre,  de  vouloir  bien  me  faire  Gonna-itlpe  h 
date  qui  vous  convieroiraill  pour  la  question  que  f  aurai  l'honneur  de  vous  aduessor  à  b 
tribnne. 
Veuillez  agréerj  monsieur  le  miiiistre,  l'assurance  de  ma  haute  cansidérafiioni. 

Le  sénateur,  maire  d'Amiens, 
Tellier. 

—  L'O^éra-Co-mique  ne  veut  pas  attendre' plus  longtemps  pour  offrir  i'Ou, - 
rar/an  à  son  public  des  matinées,  qui  réclamée  avec  acha)raemeut.  pa-raît- 
il.  l'œuvre  nouvelle  de  M.  Bruneau.  Donc,  aujourd'hui  dimanche,  à  2  heures-, 
l'Ouragan;  le  soir  :  Carmen. 

—  Conseil  d'un  directeur  fort  peu  évangélique:  à  sa  pensionnaire,,  qui  vient 
de  convoler  en  justes- noces  :  -  Croissez  si  vous  voulez,  mais  ne  multipliez 
pas.  C'est  mauvais  pour  la  marche  du  répertoire.  »  Anthentiqne. 

—  M.  A.  Catherine,  le  jeune  et  distingué  professeur  du  Conservatoire, 
entre  à  l'Opéra  en  qualité  de  chef  de  chant,  fonction  qu'il  avait  déjà  remplie 
à  l'ancien  Théàtre-Lvi-ique  de  l'a  Renaissance. 

—  Programme  du  premier  concert  donné  aujourd'hui  dimanche,  à  deux 
heures,  au  Cirque  d'hiver,  par  FOrchestre  philharmonique  de  Berlin  sous  la 
direction  de  M.  Arthur  Nikisch  : 

Les  MaUres  Climiteiim,  prélude  (R.  Wagner).  —  Ciaquième-  symphonie  en-  ut  mineur, 
op.  6*?  (Beetho\^en)  :  I.  Allegro  cort  brio;  ït.  .Andante  con  moto-;  III,  iVllegro,  Scherzo, 
Finale.  —  Symphonie  en  si  mineur  (i-nacbevée)  (F.  Schubert)  :  1.  Allegro  moderato; 
IL  Andante-  con  molo.  —  Les  Équipées  de  «  Tid  Euhnspiegeh  ->  (Rich,  Strauss),  poème 
symphonique  en  l'orme  de  rondeau,  op.  2S.  —  TuniikUnser,  ouverture  (lî.  Wagner). 

—  Les  deux  dernières  séances  de  MSI.  Ysaye  et  Pugno  ont  eu  lieu  les  13  et 
15  mai.  Un  changement  de  programme  nous  a  procuré  la  joie  d'entendre  la 
sonate  en  .si  mineur  de  Bach.  Il  règne,  depuis  le  début  jusqu'à  la  fin  de  cette 
œuvre,  un  sentiment  calme  et  simple  qui  enveloppe  et  subjugue,  sans  que  le 
génie  qui  l'a  créée  laisse  apparaître  jamais  aucune  trace  de  gène  o-u  d'effort. 
Les  trois  sonates  de  Beethoven,  op.  96,  30  n°  2  et  47.  à  Kreutzer,  portent  des 
traces  beaucoup  plus  sensibles  du  combat  pour  la  vie.  de  mouvement,  et 
d'action.  La  sonate  de  Franck,  avec  son  ravissant  finale,  appartient  au  genre 
tempéré.  Ces  cinq  sonates  sont  écrites  dans  le  style  instrumental  classique,  et 
si  M.  Pugno  les  a  interprétées  en  musicien  particulièrement  versé  dans  l'art 
de  poser  le  discours  musical  avec  une  distinction  et  une  élégance  incompa- 
rables, il  faut  louer  aussi  sans  réserve,  chez  M.  Ysaye.  le  tact,  la  mesure, 
l'aisance  et  aussi  la  suavité,  la  justesse  et  l'ampleur  du  son.  La  sonate,  op.  2i, 
de  M.  Lazzari  comportait  une  interprétation  d'un  caractère  différent.  Elle  est 
d'une  belle  architecture  musicale,  logique  dans  ses  développements.  plein«3 
d'élans  chaleureux  et  de  mouvements  pathétiques.  C'est  une  sorte  d'expan'- 
sion  d'àme  e.rh'Tinrisir  par  dos  moyens  d'expression  différents  de  ceux  don-t 
s'étaient  contentés  lès  grands  classiques.  Dans  cette  œuvre,  qui  a  obtenu  un 
succès  très  brillant.  M.  Ysaye  a  poussé  jusqu'aux  extrêmes  limites  la  recherche 
de  l'effet  par  la  véhémence  du  jeu  et  par  la  puissance  de  la  sonorité.  M.  Pugno 
a  laissé  sa  verve  s'épanouir  el  a  donné  toute  La  force  d  int  il  dispose  pour 
produire  une  impression  vraiment  saisissante.  Ils  ont  réussi  supérieurement 
t'a-n- et  Pautre.--mai3  il  faut  avouer  que  l'auteur  leur  ava-ilr-iïHS. en  luam  un-e 
composition  d'une  valeur  exceptionnelle.  Am.  B. 


160 


LE  MÉNESTREL 


—  -Le  Théâtre  des  Aris  de  Rouen  donnera,  au  cours  de  la  saison  prochaine, 
la  première  repiésentalion  d'un  grand  opéra  inédit  de  Benjamin   Godard, 

les  Guelfes,  poème  de  Louis  Gallet. 

—  Les  journaux  de  Rouen  nous  font  connaître  le  grand  succès  obtenu  dans 
cette  ville  par  l'audition  d'un  oratorio  inédit  :  la  Vision  de  Jacob,  dû  à  un 
musicien  compositeur  de  16  ans,  M.  Marcel  Dupré.  Elève  de  sou  père  et  de 
M.  Guilmaut,  ce  jeune  homrrle  est,  depuis  quatrj  ans  déjà,  organiste  de 
l'église  Saint- Vivien. 

—  Concerts  et  SoinÉES.—  Au  coDcert  donné,  salle  Erard,  par  l'excellente  violoncelliste, 
M"'  Cécile  Larronde,  qui  a  obtenu  grand  succès,  le  clou  du  programme  était  l'exécution 
de  la  Méditation  de  Tha'is,  de  M;issenet,  par  "  l'ensemble  De'sart  ''  qui  a  été  tout  à  l'ait 
surprenant.  —  L'École  Classique  de  la  rue  de  Berlin,  dirigée  par  M.  Ed.  Chavagnat,  vient 
de  donner  sa  9*  et  dernière  audition  de  la  saison.  S'y  sont  fait  vivement  applaudir  pour 
léchant:  51""  Jourda,  Pouiliot  et  Pothin,  JIM.  Max-Comte,  Rebuffel  et  Monys;  pour  le 
piano;  M"'''  Lucas,  Boi\in,  Lavarenne  et  Bosque  ;  pour  le  violon  :  M"='  Guignard,  Pouiliot 
et  Ratchinko  ainsi  que  M.  Sinanian;  pour  l'ensemble  instrumenfal:  JI""  Bonenfant  et 
M.  Rudie;  et  pour  la  déclamation  :  M"'  Pâli.  —  \  la  dernière  séance  d'auditions  Emile 
Pichoz,  salle  Muslel,  vif  succès  pour  MAI.  Delpouget,  d'Yunno  et  W'  Holinstrand  inter- 
prétant des  fiagmenls  de  l'Étoile  et  de  Daphnie  et  Chloé  de  M.  Henri  Maréchal.  —  TrèsjoUe 
matinée  chez  M°"  Pépin  née  AUou;  grand  succès  pour  le  délicieux  Irio  de  Cendrillon 
(M""  Dussèrtet  M"'Pepin)etla  mélodie  A  mu/es,  de  Charpentier,  parfaitement  chaulée  par 
M'*'  M.  Dussert.  Succès  aussi  pour  les  mélodies  anglaises  transcrites  par  "Weclterlin  et  la  belle 
o  entrée  de  Virgile  B  extraite  de  Françoise  de  Eimini  d'A.  Thomas.  —  A  la  Bodinière, 
matinée  Berny  consacrée  aux  œuvres  de  H.  de  FontenaiUes  dans  lesquelles  se  font  en- 
tendre, avec  succès.  M""*  D^laspre-Guyon,  M""  Jolivet,  51.  Mauguière,  etc.  —  A  la  repré- 
sentation donnée,  à  l'Institut  Rudy,  par  51'""  Marthe  Dufrène,  beaucoup  d'applaudis- 
sements pour  51.  Delaquerrière  dans  Bowhe  close,  de  Gabriel  Fabre,  que  l'auteur  lui 
accompagnait.  —  Salle  Herz.  Jolie  audition  des  élèves  de  51™*  Jules  Egly.  On  remarque 
il""  R.  B.  (le  Baptême  d'Yuomt:e,  AVachs),  J.  R.  (Marche  chinoise,  llatliiasj,  A.  51. 
{Danse  Galicienne,  Lack),  J.  R.  {Entr'acte-gavoUe  de  Mignon,  A.  Thomas),  51.  51.  et  S.  B. 
(Le  Roman  d'Arlequin,  5Iassenet-Filliaux-Tiger),  M.-B.  (Caprice  pastoral,  Mathias),  M. 
51.  (Phrase  d'orchestre  de  Louise,  G.  Charpentier).  Dans  la  parrie  concert  on  a  applaudi 
51"'  Egly  et  51.  Buonsolazzi  dans  le  larghetto  et  finale  du  /"  Concerto  de  51athias,  51"" 
Créhange  dans  la  ballade  de  Maître  Ambros,  de  Widor,  et  dans  Myrto,  de  Delibes.  —  51"' 
Cubain  a  fait  entendre  ses  élèves  salle  Plpyel  ;  il  fjut  signaler  M""  B.  L.,  M.  A.,  G.  J., 
G.  B.  (Chaconne,  Th.  Dubois),  A.  de  B.  (Nocturne,  Mathias),  Jl.  A.-T.  (Tziginyi,  Lack), 
L.  J.  (Impromptu,  Rubinstein)  et  A.  B.  (Les  Rêves,  Bizet).  Succès  pour  51.  Cottin  qui  a 
chanté  Pépa,  de  5Iathias.  —  Audition  des  élèves  de  51""  Barbier-Jussy,  consacrée  en 
majeure  partie  aux  œuvres  de  Lack.  Parmi  celles  qui  sont  le  plus  goûtées,  citons  Valse 
arabesque,  Mazurka  éolienne.  Chant  des  ondines,  Ma^vrJœtta,  le  Bêve  du  prisonnier, 
d'après  Rubinstein,  Valse  rapide,  etc.  —  Audition  des  cours  de  musique  vocale  d'en- 
semble de  M"'  Emili?  Leroux,  salle  Hoche.  Les  gros  effets  d'un  programme  très  nourri 
sont  pour  le  duo  de  Lakmè,  de  Delibes  (51"'  TestuI,  M—  Passé),  la  scène  de  Ctndrillon, 
de  Slasseuet,  (51"'  Saulnicr,  51.  Pierron,  les  chœurs),  le  duo  de  Thaïs,  de  Jlassenet 
(51""  Collin,  51.  Faurens),  le  duo  de  Manon,  de  5Iassenet  (M"'  Poulin,  51.  Mauguière)  et 
le  duo  i'Eve,  de  5Iassenet  (51'"  Saulnier,  51.  Jlorelj.—  Le  24'  «oncert  de  la  société  instru- 
mentale d'amatturs  «  la  Tarentelle  »,  donné  àla salle  d'Horticulture,  a  pleinement  réussi. 
L'orchestre  bien  dirigé  par  51.  Edouard  Tourey,  avec  la  symphonie  en  si  mineur,  ina- 
chevée de  Schubert,  et  le  menuet  de  jl/a)io)i,  de  5Iassenet,  a  justifié  sa  bonne  réputation. 
Le  violoniste  Bâillon,  le  violoncelliste  Feuillard,  51"'  Blanche  Slarot,  51.  51auguière,  ont 
eu  leur  part  de  succès.  —  Très  exquise  soirée  musicale  chez  51.  et  M—  Louis  Diémer, 
dans  leur  bolel  de  la  tue  Blanche.  Au  programme  le  mailre  de  la  maison  toujours 
merveilleux  exécutant,  51— la  comtesse  de  Maupeou  qui  se  fait  bisser  le  Rouet,  de  Paladdhe, 
et  applaudir  très  vivement  dans /es  Ailes,  de  Diémer,  et  dans  le  duo  de  Marie-Magdelelne, 
de  5Iasseuet,  avec  51.  Le  Luhez,  51""  Lydia  Nervil  qui  enlève  avec  brio  le  Sentier  et 
3'  mozurka,  de  Diémer,  et  Sevillana,  de  5Ias5cnet,  M.  Robert  Le  Luhez,  chanteur  exquis 
dans  Si  je  savais  et  Sérénade  espagnole,  de  Diémer,  et  enfin  5IM.  Boucherit  et  Casais, 
virtuoses  accomplis.  —  Le  concert  que  Bl"'  5Ialhilde  Polack  vient  de  donrer  à  la  salle 
Érard  a  été  un  des  plus  beaux  de  la  sason  musicale.  La  remarquable  cantatrice,  par  sa 
belle  interprétation  et  sa  voix  faite  de  charme  et  de  puissance,  a  fait  sensation  dans  l'air 
d'Alceste,  celui  du  Cid,  deux  charmantes  mélodies  de  Léon  Delafosse  et  YAgnus  Dei  de 
Mors  et  Vita,  qui  a  été  bissé.  51.  Léon  Delafosse  qui  prêtait  son  concours  à  cette  belle 
séance  a  exécuté  le  Conceristûck  de  Weber  de  magistrale  façon,  et  l'orchestre,  sous  la 
direction  de  51.  Camille  Chevillard,  a  été,  comme  toujours,  de  premier  ordre.  —  A  la 
matinée  donnée  psr  51""  Hejmet-Dabernat  on  a  été  très  chai mé  par  51""  di  Slarco  qui 
a  chanté  l'air  du  livre  d'Eamkt,  d'A.  Thomas,  et  la  Rosée  étincelle  de  Rubinstein,  et 
51""  Filliaux-Tiger  a  eu  son  succès  accoutumé  avec  sa  Source  capricieuse  et  sa  trans- 
criftion  de  la  iJonse  «  «(se  d'Armingaud.  —  M.  de  Stojowski  s'est  produit,  salle  Erard, 
comme  pianiste  st  comme  compositeur.  En  celte  dernière  qualité  il  a  joué  devant  un 
auditoire  ravi  et  composé  en  grande  partie  de  ses  compatriotes  ses  Idylhs  poknaises,  une 
suite  inédite  de  cinq  morceaux  fort  agréables  et  d'une  facture  excellente.  En  dehors  de 
cette  œuvre  nouvelle,  M.  de  Stojcwski  a  magistralement  interprété  la  sonate  op.  111  de 
Beethoven,  les  Variations  symphoniques  de  Schumann  et  plusieurs  morceaux  de  Schubert 
et  de  Chopin.  11  a  clôturé  le  concert  avec  l'étourdissante  4'  Rapstdie  de  Liszt.  —  Très 
charmante  audition,  salle  Érard,  des  élèves  de  M"'  Jeanne  Faucher  qui  s'est  fait  vivement 
applaudir  dans  Nocturne  et  le  Premier  jour  de  May,  de  Périlhou,  accompagnée  par  l'au- 
teur. On  a  aussi  très  justement  complimenté  11""  L.,  de  L.,  G.,  R.,  de  la  B.,  de  la  M.,  de 
F.  dans  la  Complainte  de  saint  Nicolas,  S.  E.  dans  Pastorale  du  X\'  siècle,  51.  G.  dans 
le  Vitrail,  51""  A.  M.  et  G.  dans  to  Rende  populaire,  51.  T.  dans  Ischia  et,  enfin,  de  jolis 
chœurs  dans  Trimovsett',  toutes  œuvres  de  Périlhou.  —  Au  concert  donné,  salle  du 
Journal,  par  M"'  Edith  5Iar'in,  qui  s'est  fait  applaudir  dans  une  transcription  pour 
harpe  sur  Sylvia,  succès  pour  M"^'  51augué-Blin  dans  Chanson  russe,  de  Paladilhe,  et  l'air 
de  Lobise,  de  Charpentier.  -  M""  de  Tailhardat  vient  de  faire  entendre  ses  élèves  à  la 
salle  Hoche  en  une  audition-concert  dont  les  numéros  les  plus  goûtés  ont  été  iVuiJi'Espaj/ie 
de  5Iassenet  (51"'  B.  R.),  VAlkhia  du  Cid  de  Massenet  (51"'  G.),  te  Abeilles  de  Dubois 
(5I-'  M.  D.i,  Noël  paien  de  Massenet  (M"'  d'A.  et  les  chœurs),  Bergerette  de  Dubois 
(51"'  L.  R.  et  les  chœurs).  —  Chez  51-'  Suzanne  Bozzani,  en  son  hôtel  de  la  rue  JoulTroy, 
première  représentation  du  Poète  che%  la  Guimard,  un  joli  acte  très  adroitement  conçu  et 
joliment  rimé  par  la  maîtresse  de  la  maison,  mis  en  musique  fort  agréable  par  M.  Gas- 
ton Paulin,  et  délicieusement  chanté  par  51"'  Eyreams,   à  qui  5I5I.  Viannenc  et  Caze- 


neuve  donnaient  très  artistiquement  la  réplique.  Au  cours  de  la  soirée,  51»'  Bozzani 
s'est  montrée  tout  à  fait  exquise  dans  une  sevillana  classique  dansée  avec  M.  Soria  et  on 
a  justement  applaudi,  en  plus  des  artistes  plus  haut  nommés,  51""  Blanche  5Iarot  et 
Depeintier,  5IM.  Grivot,  Bèral,  Rieu  et  Lucien  Grus.  —  A  la  soirée  de  51.  de  51.,  grand 
succès  pour  M"'  Palasara  dans  Purgatoire  et  la  Fille  avj:  cheveux  de  lin  de  Paladilhe  et 
dans  l'Ame  des  ois  aux,  el  Avril  est  amoureux  de  5Iassenct.  —  Salle  Érard,  51"'  Jumel 
et  51""  Legrand  ont  donné  une  audition  d'élèves  qui  a  parfaitement  réussi  et  mis  princi- 
palement en  lumière  51""  51.  M.  (air  d'entrée  de  Manon,  Massenet),  51-  G  ,  51"'  A.  F.  et 
les  cha-urs  (Trimousetf,  Périlhou),  51"'  J.  G.  (air  de  Manon,  5I«ssenet),  51""  H.  G.,  L.  T., 
51"'  L.  (Dans  la  rue  de  Pénestin,  Périlhouj  et  51-'  E.  (le  Nil,  Lerouxl. 

NÉCROLOGIE 


GODEFROY    DE     PREYER 


A  Vienne  est  mort,  le  9  do  ce  mois,  le  doyen  des  compositeurs,  Gode- 
froy  de  Preyer,  âgé  de  93  ans.  Il  était  né  à  Ilausbrunn  (Basse  Autriche), 
le  IS  mars  1807;  son  père,  maitre  d'école  et  chef  de  la  maîtrise,  comme  on 
disait  alors,  lui  enseigna  le  chaut,  le  violon  et  l'orgue.  Dès  l'âge  de  dix  ans 
le  petit  Godefroy  possédait  une  véritable  réputation  d'organiste,  et  on  l'in- 
vitait à  jouer  de  cet  instrument  dans  toutes  les  églises  du  pays.  En  1823,  il 
se  rendit  à  Vienne  pour  étudier  l'harnaonie  et  le  contrepoint  chez  le  savant 
et  célèbre  théoricien  Simon  Sechter;  il  y  vivait  fort  mal  de  quelques  leçons 
de  musique,  mais  ses  progrès  dans  son  art  étonnaient  même  son  maitre.  En 
1833  Preyer  fut  nommé  organiste  au  temple  protestant  de  Vienne,  mais  il 
abandonna  ce  poste  pour  devenir,  en  1839,  professeur  d'harmonie  au  Conser- 
vatoire. En  1840  il  fut  nommé  directeur  de  ce  Conservatoire  et  sollicita  la 
place  d'organiste  à  la  chapelle  impériale.  Mais  après  l'exécution  de  son 
oratorio  iVdé,  Preyer  fut  nommé,  en  1841,  vice-kapellmeister  de  la  cha- 
pelle impériale  et  immédiatement  après  kapellmeister  à  la  cathédrale  Saint- 
Etienne.  C'est  la  seule  place  qu'il  ait  gardé  jusqu'à  sa  mort,  remplissant 
ses  fonctions  arec  le  plus  grand  zèle  jusque  dans  les  derniers  mois  de  sa 
longue  vie. 

Son  bagage  artistique  est  considérable.  Il  laisse  trois  opéras  romantiques, 
dont  les  titres  :  Valladinor,  l'Antre  du  bourreau  et  Ainaraiitiu'  marquent  suffi- 
samment l'époque,  un  grand  oratorio,  A'oé,  une  symphonie,  quatre  grandes 
Messes  et  environ  deux  cents  compositions  liturgiques,  des  chœurs  et  des 
lieder  qui  ont  eu  une  grande  vogue  au  temps  de  Louis-Philippe.  Le  nombre 
de  ses  œuvres  diverses  dépasse  trois  cents,  mais  un  tiers  à  peine  en  a  été 
publié,  Preyer  étant  de  lui-même  son  critique  le  plus  sévère. 

Il  s'est  distingué  par  la  dignité  de  sa  vie  autant  que  par  son  talent.  On 
savait,  et  il  ne  s'en  cachait  pas,  qu'il  n'avaitjamais  approché  de  femme  ni  hu 
de  vin  pur;  il  était  végétarien  et  la  viande  ne  parut  jamais  à  sa  modeste 
table.  Il  n'avait  qu'une  passion  :  la  peinture  et  le  «  bibelot  ».  Ayant  com- 
mencé à.  collectionner  à  une  époque  où  les  Lacaze,  les  Sauvageot,  les  de 
Concourt  achetaient  des  chefs-d'œuvre  pour  un  morceau  de  pain,  Preyer  a 
donc  pu,  malgré  la  modicité  de  ses  ressources,  réunir  une  collection  dont  la 
valeur  dépasse  un  million  de  francs.  On  y  trouve  entre  autres  un  grand 
Rembrandt  comptant  dix-huit  figures,  un  portrait  de  Hans  Holbein  le  jeune, 
un  portrait  de  Van  Dyck,  un  Rubens  et  toute  une  série  de  maîtres  français 
de  l'École  dite  de  1830.  Son  mobilier  Louis  XV  et  Empire  a  également  une 
grande  valeur. 

Avec  Preyer  est  mort  le  dernier  camarade  de  Franz  Schubert;  c'est  lui  qui 
avait  présenté  l'immortel  artiste  à  Sechter  pour  qu'il  piit  compléter  près  de 
ce  maître  éminent  ses  connaissances  théoriques,  mais  Schubert  mourut  après 
quatre  leçons  seulement.  Preyer  est  aussi  le  dernier  artiste  viennois  qui  ait 
vu  Beethoven,  ainsi  que  l'aimable  vieillard  a  bien  voulu  nous  le  raconter 
dans  une  lettre  que  nous  avons  publiée  dans  le  Ménestrel,  l'année  passée.  Il 
avait  conservé  toutes  ses  facultés  et  même  sa  jolie  voix  de  ténor,  jusqu'aux 
dernières  semaines  de  sa  vie.  Sa  simplicité,  malgré  sa  brillante  carrièro  —  il 
avait  été  décoré,  annobli,  nommé  conseiller  impérial  et  citoyen  d'honneur 
de  la  ville  de  "Vienne  —  était  vraiment  touchante.  Non  moins  touchant  est 
son  testament.  Lui,  le  célibataire  endurci,  le  catholique  fervent,  a  destiné  sa 
grande  fortune  à  la  construction  d'un  orphelinat  qui  doit  recueillir  des  en- 
fants sans  distinction  de  religion.  Il  avait  même  résolu  de  se  séparer  de  ses 
collections  pour  savoir  au  juste  de  son  vivant  de  quelle  somme  il  pouvait 
disposer  pour  cet  orphelinat.  Il  était  entré  en  négociations  avec  un  million- 
naire américain  qui  désirait  acheter  les  tableaux  en  bloc.  La  mort  de  Preyer 
a  empêché  la  conclusion  de  cette  alTaire;  espérons  que  les  trésors  artistiques 
du  défunt  musicien  resteront  de  ce  coté  de  l'océan.  0.  Berggruen. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  CÉDER  au  centre  de  VicuY,  fonds  de  musique,  pianos,  lutherie.  Pour 
tous  renseignements  s'adresser  Maison  musicale,  39,  rue  des  Petits- 
Champs,  Paris. 

Viennent  de  paraître  : 

Chez  Alphonse  Lemerre,  Pour  l'amour!  drame  en  4  actes,  en  vers,  de  M.  Auguste 
Dorchain,  représenté  en  ce  moment  A  l'Odéon  (3  francs). 

Chez  E.  Fasquelle,  VOuragan,  drame  lyrique  en  4  actes,  de  M.  Emile  Zola  (musique  de 
51.  A.  Bruneau),  représenté  en  ce  moment  à  l'Opéra-Comique  fl  franc). 


RUE  BERGEnE, 


.  —  CEiicw  Lurilleuj- 


3661.  -  67-  ANNEE  -  ^"21.         PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimaoche  26  Mai  1901. 


(Les  Bureaux,  2'>'",  rue  Vivienne,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Hamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  îluméro  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bit,  rue  Vivienue,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  l'rovince. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (13°  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale:  premières  représentations  du  Prestige  au  Gj'mnase  et  delà  Pipe 
à  la  Renaissance,  Paol-Émile  Cbevalier.  —  111.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons 
du  Grand-Palais  (5'  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  : 
le  parrain  Biaise,  l';D>ro?)D  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

JSos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

IMPRESSION   DE   NEIGE 

tirée  du  Poéine  du  silence,  d'ERNEST  Morei.  —  Suivra  immédiatement  :  Prome- 
nade, de  A.  PÉRiLHOu. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Rêverie,  n°  3  du  Poème  du  silence,  d'EaNEST  Moret.  —  Suivra  immédiatement  : 
la  Chère  blessure,  nouvelle  mélodie  de  Revnaldo  Hahn,  poésie  de  M"'«  Blan- 

CBECOITE. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

â'après  les  mémoires  les  plus  récenls  et  îles  ilocQinenis  inûflils 

(Suite.) 


IV 

Gluck  plus  apprécié  en  France  qu'en  Allemagne,  —  Vesthétique  de  Halem.  — 
Morel,  le  bouc  émissaire  de  la  chule  de  Paiiurge.  —  La  couleur  locale  dans  les 
pièces  russes  en  1790.  —  Grétry  et  les  livrets  d'opéra- comique.  —  La  patraque 
du  compositeur.  —  Vn  aphorisme  de  Grétry.  —  La  musique,  c'est  moi!  — 
Grétry  paie  sa  place  à  l'Opéra-Comique.  —  Un  souvenir  de  l'Ermitage. 

Nous  retrouvons  nos  voyageurs  à  Paris.  Leur  nombre  s'est 
même  augmenté  d'un  Allemand,  gouverneur  d'une  province 
russe,  qui  est  venu  tout  d'une  traite  à  Paris  pour  s'y  consoler  à 
l'avance  de  la  mort  imminente  de  sa  femme.  A  ce  trait,  le  lec- 
teur aura  peut-être  reconnu  le  célèbre  Kotzebue,  dramaturge  par 
goût  et  politicien  par  circonstance,  qui  poursuivit  la  France  de 
sa  haine,  trahit  l'Allemagne  et  paya  sa  félonie  d'un  coup  de 
poignard. 

Nous  avions  déjà  lu,  dans  la  traduction  de  Pixérécourt,  le 
voyage  de  Kotzebue  en  France,  vers  1802,  voyage  que  cet  homme 
d'État  entreprit  pour  se  distraire  encore  de  la  perte  de  sa  seconde 
femme.  Mais  le  premier,  qui  date  de  1790-1791,  n'est  traduit  que 
depuis  environ  six  ans;  et  l'honneur  de  ce  travail,  publié  par 
la  Nouvelle  Revue  Rétrospective,  revient  tout  entier  à  M.  Rabany, 


qui  a  fait  de  Kotzebue  le  sujet  d'une  thèse  de  doctorat,  aussi 
agréablement  écrite  qu'abondamment  documentée. 

Trop  indulgent  pour  son  auteur,  M.  Rabany  dit  que  le  voya- 
geur allemand  fut  moins  acrimonieux  en  1802  qu'en  1790.  Je 
croirais  plutôt  le  contraire.  Bonaparte  et  la  France  effrayaient 
l'Europe  quand  Kotzebue  revint  à  Paris.  Lors  de  son  premier 
voyage,  on  n'en  était  encore  qu'à  la  curiosité...  malveillante  il 
est  vrai;  et  certes,  l'administrateur,  autant  que  l'écrivain, 
n'épargne  pas  à  ses  hôtes  les  plus  désobligeantes  remarques, 
alourdies  encore  de  gros  sel  tudesque. 

Kotzebue  ne  malmène  pas  trop  cependant  nos  théâtres  lyri- 
ques. Il  est  vrai  que  Gluck  y  dominait  toujours  en  maître;  et 
comme  le  dit  notre  voyageur  à  propos  d'une  représentation 
iVArmide  :  «  le  nom  seul  de  Gluck  en  garantit  l'excellence  ». 

Cet  engouement  des  Français  pour  le  grand  musicien  alle- 
mand nous  vaut  même  du  judicieux  Halem  un  aveu  bon  à  retenir 
et  surtout  à  opposer  aux  snobs  qui  gourmandent  notre  esprit  de 
routine  et  vitupèrent  notre  force  d'inertie. 

Même,  à  la  fm  du  XVIIP  siècle,  Gluck  était  méconnu  de  ses 
compatriotes  —  c'est  du  moins  Halem  qui  l'affirme.  Le  génial 
auteur  (TOi-phée,  d'Alceste,  à'Armide,  était  considéré  comme  un 
compositeur  incorrect,  en  opposition  constante  avec  «  les  règles 
de  l'école  ».  Ses  œuvres  n'étaient  exécutées  en  Allemagne  que 
par  fragments,  alors  qu'elles  étaient  jouées  intégralement  en 
France.  A  ce  propos,  Halem  fait  sa  profession  de  foi  musicale. 
S'il  reconnaît  que  Paris  est  fier,  à  juste  titre,  de  l'orchestre  de 
son  Opéra,  il  n'en  veut  pas  moins  la  subordination  de  la 
musique  à  la  poésie.  C'était  la  question  du  jour.  Toutefois,  le 
savant  critique  félicite  Gluck  d'avoir  présenté  comme  deux 
sœurs  les  éternelles  inspiratrices  de  la  pensée  humaine.  Par 
contre,  il  traite  plus  sévèrement  Reichardt  et  Schultz,  le  maître 
de  chapelle  du  roi  de  Danemark.  «  Ces  deux  musiciens,  dit-il, 
s'efforcent  déjà  d'égaler  Gluck...  car  le  compositeur  allemand  a 
bien  aussi  de  temps  en  temps  de  bonnes  idées.  Mais  quand  il  les 
a  conçues,  il  ne  les  lâche  plus,  et  il  ronge,  et  il  ronge  jusqu'à  ce 
qu'elles  dégoûtent.  »  Halem  est  tellement  pénétré  de  son  sujet 
qu'il  lui  consacre  tout  un  chapitre  de  ses  souvenirs  de  voyage 
sous  ce  titre  :  «  Les  opéras  de  Gluck  sur  la  scène  parisienne  »  ; 
et  sa  conclusion,  après  une  très  longue  analyse  d'Orphée  et 
d^Iphigénie,  tient  dans  cette  prédiction,  que  l'avenir  a  justifiée  : 
«  Piccini  a  le  malheur  de  survivre  à  ses  œuvres,  tandis  que 
Gluck  ne  mourra  jamais  ». 

Au  reste,  dès  son  arrivée  en  France,  l'auteur  d'Jphigénie  avait 
rencontré  l'attention  la  plus  respectueuse  et  les  sympathies  les 
plus  vives,  en  dehors  de  ses  panégyristes  non  moins  intransi- 
geants que  ses  détracteurs.  Nous  avons  retrouvé  un  écho  de  cette 
opinion  moyenne  dans  une  lettre  de  Turgot  à  Condorcet  (1)  datée 


(f)  CoriCipondaace 
(Cliai-avay,  1882). 


élite  de  Tun/ot  et  de  Condorcet,   puljliée   par  Chai-liis   Henry 


162 


LE  MÉNESTREL 


du  26  avril  1774  (la  première  représentation  (Tlphigénie  en  Aulide 
était  du  19)  : 

a.  J'ai  vu  enfin  cet  opéra  de  Gluck.  Il  y  a  des  morceaux  qui 
m'ont  fait  le  plus  grand  plaisir  :  tels  sont  le  chœur  de  l'arrivée 
d'Iphigénie,  les  adieux  d'Achille  et  d'Iphigénie  des  deux  parts; 
les  morceaiix  que  chante  Clytemnestre  à  la  fin  du  troisième 
acte  et  le  quatuor  de  îa  un.  Ces  morceaux  m'ont  paru  de  la  plus 
grande  beauté.  Il  y  em  a  d'autres  qui  m'ont  fait  plaisir,  mais  je 
n'y  ad  pas  trouvé  en  général  assez  de  morceaux  de  chant;  et  tant 
de  récitatifs  parlés  ou  obligés,  ou  d'airs  qui  se  rapprochent 
beaucoup  du  récitatif,  m'ont  laissé  désirer  quelque  chose.  C'est 
peut-être  la  faute  du  poète  qui  n'a  point  donné  au  musicien  des 
paroles  bien  coupées,  liées  à  l'action  et  propres  au  chant.  Peut- 
être  aussi  le  musicien  a-t-il  sur  cela  un  faux  système.  Je  trouve, 
comme  l'abbé  Arnaud,  que  les  chœurs  gagnent  plus  à  être  en 
action  qu'ils  ne  perdent  à  être  moins  compliqués  que  ceux  de 
Rameau.  L'ouverture  m'a  plu  comme  chant,  mais  je  n'ai  rien 
vu  de  tout  ce  que  l'enthousiasme  de  l'abbé  Arnaud  lui  a  fait 
voir.  » 

En  tout  cas,  elle  avait  été  bissée  le  soir  de  la  première. 

Depuis  nombre  d'années,  Grétry,  le  compositeur  belge,  parta- 
geait avec  Gluck,  le  compositeur  allemand,  les  faveurs  du  dilet- 
tantisme parisien.  Les  directeurs  de  théâtres  lyriques  recher- 
chaient avec  empressement  ses  moindres  œuvres  ;  et  si  quel- 
qu'une comptait  parmi  «  les  erreurs  d'un  auteur  qui  saura 
prendre  sa  revanche  »,  le  public  ne  lui  en  gardait  jamais  ran- 
cune. Il  faisait,  au  contraire,  peser  toute  la  responsabilité  de 
l'insuccès  sur  le  librettiste  que  le  parterre  vouait  aux  dieux 
infernaux.  La  chute  de  Pamirge  dans  l'Ue  des  Lantet-nes  ne  démontre 
que  trop  la  cruauté  d'une  telle  injustice.  Si  le  poème,  signé  par 
Morel  de  Ghefdeville,  est  détestable,  la  partition,  écrite  par 
Grétry,  ne  vaut  guère  mieux.  Or,  ce  fut  le  librettiste  qui  reçut 
à  lui  seul  la  bordée  traditionnelle  de  vaudevilles  et  d'épigrammes 
réservée  à  tout  auteur  malheureux.  Encore,  s'il  faut  en  croire 
les  Mémoires  du  général  ThiébauU  (i),  Morel  était-il  bien  innocent 
de  ce  crime  littéraire.  11  avait  acheté  Panurge  six  cents  livres  à 
un  pauvre  diable  de  versificateur  nommé  Rossel  ;  et  ce  qui  donne 
à  cette  révélation  un  caractère  assez  piquant,  c'est  que,  dans 
tous  les  dictionnaires  de  musique,  on  veut  que  Morel  ait  eu  pour 
collaborateur...  le  comte  de  Provence,  frère  du  Roi.  Un  mauvais 
plaisant  avait  remarqué,  dans  la  pièce,  un  acteur  qui  frappait  à 
coups  redoublés  sur  une  grosse  caisse  ;  et  bientôt  le  quatrain 
suivant  circulait  dans  le  théâtre  : 

D'où  Tiennent  la  fureur,  la  rage 
De  cet  intrépide  fouetteur  ? 
Ah!  c'est  le  Diea  du  goût,  je  gage, 
Qui  prend  son  tambour  pour  l'auteur. 

Le  même  motif  dicta  cette  parodie  de  l'inscription  classique 
qui  décorait  le  rideau  de  la  Comédie-Italienne  :  «  Gastigat  ridendo 
Morel  ». 

A  cinq  ans  de  là,  le  mélodrame  de  Pierre  le  Grand  n'ajoutait 
aucun  fleuron  à  la  couronne  de  Grétry.  Et  cependant,  Karamsine, 
qui  l'analyse  avec  amour,  dit  le  plus  sérieusement  du  monde  : 
«  il  y  a  des  scènes  fort  émouvantes  pour  un  Russien  ».  Ce  qui 
ne  l'empêche  pas  de  formuler  une  critique  assez  juste  contre  de 
graves  infractions  à  la  couleur  locale.  La  direction  n'a-t-elle  pas 
eu  la  singulière  idée  d'affubler  Pierre  le  Grand  et  Mentschikoff 
de  costumes  polonais  et  d'habiller  les  Préobrajenski,  officiers  et 
soldats,  en  paysans  portant  des  caftans  verts  et  des  ceintures 
jaunes? 

Grétry  avait  une  telle  réputation,  justifiée  par  de  tels  succès, 
que  tous  les  auteurs  dramatiques  aspiraient  à  l'honneur  de  sa 
collaboration  musicale.  Ils  lui  adressaient  à  l'envi  opéras,  opéras- 
comiques,  tragédies  lyriques,  mélodrames,  si  bien  que  le  com- 
positeur, encombré,  finissait  par  se  débarrasser  des  livrets  les 
moins  intéressants  au  profit  de  confrères  moins  privilégiés. 

Ce  fut  cette  faveur  que   M""  de  Chastenay   alla  solliciter  un 

il)  Le  liÉsÉn^L  Thiéballt.  MemoîVps,  publiés  sous  les  auspices  de  sa  fille  M"' ïhiébaull, 
par  M.  Calmettes  i  E.  Pion,  1»93,i. 


jour  chez  Grétry,_qui  demeurait  alors  (1803)  boulevard  des  Ita- 
liens. Cette  dame,  grande  amie  du  directeur  Barras  et  plus 
encore  de  Real,  le  conseiller  d'État,  nous  a  raconté  dans  ses 
Mémoires  (1)  son  entrevue  avec  l'illustre  compositeur.  Elle  avait 
déjà  mis  en.  musiquie  des  romances  et  des  chansons  :  son  rêve 
était  d'écrire  un  opéra.  Quand  elle  fut  introduite  dans  le  cabinet 
de  travaiil  de  Grétry,  le  sexagénaire  fit  le  simulacre  de  se  lever 
de  son  immense  fauteuil.  Mais  la  Jeune  femme  l'arrêta  de  la 
main,  non  sans  le  prier  d'excuser  sa  liberté  grande  :  il  était  si 
indulgent  pour  les  dames  auteurs  !  Grétry  parut  insensible  à  ces 
compliments  insidieux  :  il  flairait  sans  doute  quelque  piège  ;  ce 
n'était  pas  hélas  1  le  premier.  Cependant,  il  ne  tarda  pas  à  s'hu- 
maniser; il  devint  même  aimable  et  voulut  montrer  à  la  visiteuse 
son  piano,  «  une  vieille  et  mauvaise  petite  patraque,  montée  à 
coulisses  sur  une  table  ».  Celle-ci,  surchargée  de  paperasses,  res- 
tait immobile,  pendant  que  le  prétendu  piano  se  manœuvrait 
comme  un  tiroir.  Lé  clavier  en  était  faux,  mais  M'""  de  Chaste- 
nay le  fit  si  bien  chanter  que  M"'^  Grétry  sortit  en  toute  ht'ite  de 
la  pièce  voisine  pour  féliciter  l'exécutante  :  elle  avait  cru  recon- 
naitre  le  jeu  de  la  célèbre  M""=  de  Montgéroult.  Le  maître  de  la 
maison  prit  à  son  tour  la  place  de  M"""  de  Chastenay,  pour  lui 
accompagner  ses  romances.  Il  la  félicita,  l'engagea  vivement  à 
revenir  le  voir,  mais  ne  lui  donna  pas  le  moindre  «  petit  poème  ». 

Sa  sympathie  pour  le  baron  de  Trémont  paraît  avoir  été,  sinon 
plus  vive,  du  moins  plus  sincère.  L'homme  qui  avait  déjà  dit: 
«  Ma  musique  n'est  pas  aussi  énergique  que  celle  de  Gluck, 
mais  je  la  crois  la  plus  vraie  de  toutes  les  compositions  drama- 
tiques »,  s'était  prononcé  encore  plus  catégoriquement  avec 
l'amateur  qu'il  honorait  de  ses  confidences.  Il  s'était  approprié, 
en  le  modifiant,  le  mot  de  Louis  XIV  :  «  L'État,  c'est  moi  I  »  Lui 
pensait  :  «  La  musique,  c'est  moi  I  »  Et  tous  ses  actes  confirmaient 
cette  conviction  de  son  naïf  orgueil.  Lorsque  Elleviou  fil  remettre 
à  la  scène  la  plupart  des  ouvrages  de  Grétry,  celui-ci,  qui  boudait 
la  direction  de  l'Opéra-Gomique,  lui  renvoya  régulièrement  les 
loges  qu'elle  lui  adressait.  Mais  chaque  fois  que  l'affiche  annon- 
çait une  de  ses  œuvres,  il  louait  une  avant-scène,  et  Trémont, 
qu'il  voulait  bien  y  admettre,  se  faisait  un  plaisir  de  lire  sur  le 
visage  du  maître  l'expression  de  sa  béatitude  pendant  le  cours 
de  la  représentation;  ce  n'était  plus  Elleviou  qu'entendait  Gré- 
try, c'était  sa  musique. 

Celle-ci  avait  rencontré  des  détracteurs.  Le  comte  de  Vau- 
dreuil  disait  plaisamment  de  l'orchestration  un  peu  vide  du 
compositeur  :  «  Entre  le  premier  violon  et  la  basse,  il  passe  un 
carrosse  à  six  chevaux».  Et  Trémont,  qui  visitait  l'Allemagne 
en  1802,  put  constater  que  des  spécialistes  avaient  renforcé  les 
parties  d'orchestre  de  Grétry  :  Mozart  avait  bien  ajouté  des  ins- 
truments à  vent  au  Messie  de  Haendel. 

Notre  compositeur  écrivait  des  livres  aussi  facilement  que  des 
partitions.  Mais  il  se  plaignait  à  Trémont  que  sa  famille  ne  les 
appréciât  pas.  Il  est  certain  qu'il  a  laissé  six  volumes  de  philoso- 
phie voltairienne  dont  ses  héritiers  n'ont  jamais  voulu  consen- 
tir l'impression  :  que  sont  devenus  ces  manuscrits? 

Les  Notes  de  Trémont  confirment  cette  remarque,  très  juste, 
de  M'"°  de  Chastenay,  que  Grétry,  si  aimable  qu'il  fût,  n'était  pas 
toujours  ce  que  nos  modernes  appellent  un  féministe.  Un  jour 
que  M°"=de  Montgéroult  jouait  à  l'Hermitage,  devant  le  proprié- 
taire de  cette  demeure  historique,  un  adagio  de  Mozart  qui  eiit 
arraché  des  larmes  aux  pierres  mêmes,  Grétry,  se  penchant  à 
l'oreille  de  Trémont,  lui  murmura  : 

—  Mon  ami,  je  ne  mourrai  que  d'un  adagio. 

C'était  sous  une  forme  plus  âpre  et  dans  une  note  peu  flatteuse 
pour  l'excellente  pianiste,  le  :  «  Sonate,  que  me  veux-tu?  » 

(A  suivre.)  Paul  d'Estriîes. 


(  I)  M""  ne  Chastenaï.  Mémoires  publiées  par  Fosurol  (E.  Pion,  1896). 


LE  MÉNESTREL 


163 


SEMAINE    THEATRALE 


Gymnase,  if  Prcsiige.  comédie  en  3  actes,  de  M.  Ambroise  Janvier.  —  Renais- 
sance, la  Pipe,  vaudeville  en  3  actes,  de  MM.  A.  Bernède  et  E.  Mize. 

Le  Pt-estiffe,  qui  permet  toutes  les  folies,  fait  admettre  toutes  les 
excentricités,  aide  à  absoudre  toutes  les  fautes,  le  plus  bel  écran  que  la 
société  hypocrite  ait  inventé  pour  dissimuler  ses  besoins  d'immoralité 
et  son  penchant  inné  pour  le  vice,  le  Prestige,  devant  lequel  chacun  se 
courbe,  contre  lequel  toute  velléité  d'honneur  ou  simplement  de  bon 
sens  se  brise  irrémédiablement,  le  Prestige,  cette  stupide  force  de  tous 
les  temps  qui  hypnotise  les  races  de  toutes  les  latitudes,  a  servi  de 
thème,  ou  de  thèse,  à  la  nouvelle  comédie  de  M.  Ambroise  Janvier. 
Thème  de  haute  allure  morale  que  l'auteur  a  judicieusement  pressenti, 
mais  dont  il  semble  n'avoir  pas  su  tirer  tout  le  parti  voulu,  sa  pièce 
s'alTu'mant  de  métier  facile,  quelconque  et  piétinant  bourgeoisement  sur 
place,  les  types  choisis  s'accusant  souvent  de  vieillotte  convention. 

Et  puis  trop  de  personnages  de  môme  plan  et  de  même  répulsif  carac- 
tère, ce  qui  interdit  à  la  sympathie  du  spectateur  de  se  donner  a  aucun 
d'eu.x.  Voici  M'"^  Hélène  Sterch,  autorisée  par  son  grand  talent  de  pein- 
tre à  faire  parade  de  ses  liaisons;  voici  la  duchesse  de  Villeguérac, 
autorisée  par  sa  colossale  fortune  à  entretenir  ouvertement  le  piètre 
musicien  Legru;  voici  la  rigide  M"'°  Bathérieu.x  qui,  après  avoir  mora- 
lement tempêté,  arrive  à  admettre  et  finit  par  encourager  sa  fille,  Jeanne 
de  Gournay,  petite  niaise  abandonnée  par  son  mari  accaparé  par  Hélène, 
à  continuer  ses  relations  avec  M.  Charles  Morin,  parce  que  ledit  Charles 
Morin  est  en  passe  de  devenir  un  des  hommes  politiques  les  plus  en 
vue  du  moment;  voici,  même,  le  petit  modèle  montmartrois,  Georgette, 
qui  s'éprend  de  façon  toute  désintéressée  du  ridicule  Legru  parce  que 
les  grandes  dames  du  monde  ont  de  pécuniaires  bontés  pour  lui.  Et  tout 
ce  vilain  monde  barbette  dans  une  vilenie  dont  il  a  quelque  peu  cons- 
cience, mais  dont  il  a  su  trouver  l'excuse  admirable  :  le  Prestige!  Que, 
du  jour  au  lendemain,  Hélène  Sterch  perde  la  vogue  et  ne  soit  plus 
tenue  que  comme  une  barbouilleuse  quelconque,  que  la  duchesse  soit  à 
peu  près  ruinée,  que  Morin  fasse  un  pouf  politique,  et  voilà,  subitement, 
tous  nos  bonshommes,  dépouillés  du  prestige  rédempteur,  tombés  à 
l'état  de  vulgaires  déclassés  qu'on  mettra,  sans  égards,  au  ban  d'une 
société  dans  laquelle,  avant  tout,  il  faut  sauver  les  apparences.  Pour- 
quoi M.  Ambroise  Janvier  n'a-t-il  pas  cru  devoir  pousser  sa  comédie 
jusque-là?  C'eût  été  la  morale  très  frappante  qu'on  y  cherche  en  vain. 

Le  Prestige,  dont  aucun  des  rôles  n'est  absolument  original,  est  joué, 
au  Gymnase,  d'ensemble  sans  qu'aucun  des  interprètes  arrive,  cette 
fois,  à  sortir  du  rang.  Il  faut  nommer  M""^'*  Mégard,  Ryter,  Samary, 
Henriot,  Mylo  d'Arcile,  MM.  Gémier  et  Noizeux. 

La  Pipe,  dont  la  Renaissance  a  donné  la  première  représentation 
l'autre  samedi,  s'étant  assez  subitement  cassée,  il  n'y  a  plus  lieu  de  s'y 
arrêter  longuement.  Marmottons  un  discret  De  profundis  sur  le  vaude- 
ville de  MM.  Bernède  et  Mize,  qui  n'était  pas  plus  méchant  —  j'entends 
aussi  inoffensif  —  que  beaucoup  d'autres  ayant  eu  la  vie  plus  dure. 
Cela  se  passait  en  une  toute  petite  ville  de  garnison,  ce  qui  expliquait, 
jusqu'à  un  certain  point,  la  façon  terriblement  provinciale  dont  c'était 
joué.  De  ce  joujou  trop  friable,  détruit  si  vite  par  le  public,  ce  grand 
enfant  terrible,  le  seul  M.  Poggi  devra  garder  un  tout  petit  débris  eu 
souvenir  du  succès  personnel  qu'il  remporta  en  roucoulant  très  joliment 
une  romance  sentimentale. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     ORAND-PALAIS 


(Cinquième  article.) 

Le  Salon  des  Artistes  français,  la  vieille  et  vénérable  Association  pré- 
sidée par  M.  William  Bouguereau,  a  pris  le  plus  gros  morceau  du 
Grand-Palais,  le  premier  étage  et  la  nef  centrale  plus  vaste  que  le 
vaisseau  de  l'ancien  Palais  de  l'Industrie  :  au  demeurant,  quarante 
salles,  dont  une  véritable  travée  de  cathédrale.  Et  s'il  a  le  local  imposant 
il  a  aussi  les  gros  chiffres  :  2.906  toiles;  un  millier  de  dessins;  746  envois 
de  statuaire.  Je  néglige  ce  qu'on  appelle  les  «  menuailles  »  en  néo-style: 
gravure,  architecture,  art  décoratif.  Ce  n'est  plus  seulement  le  hall,  c'est 
bien  réellement  la  halle  aux  productions  artistiques,  le  grand  dépotoir, 
le  déballage  d'une  industrie  de  luxe.  Il  est  facile  de  comprendre  que 
dans  ces  conditions  l'agréable,  l'élégant,  l'article  de  demi-caractére  et 
de  facile  écoulement  l'emportent  sur  les  œuvres  de  style.  Les  comman- 


des sont  en  nombre,  qu'elles  viennent  directement  du  public,  ou  qu'elles 
se  produisent  par  l'intermédiaire  des  marchands;  on  s'applique  à  fabri- 
quer le  tableau  meublant,  la  statuette  pour  tablette  de  cheminée,  voire 
pour  vitrine,  et  les  neuf  dixièmes  des  œuvres  exposées  ne  s'élèvent  pas 
au-dessus  de  l'honorable  niveau  d'une  moyenne  de  consommation 
bourgeoise. 

On  n'en  compte  pas  moins  au  Salon  de  la  S.  A.  F.  une  sérieuse  quan- 
tité de  compositions  échappant  à  ce  pur  mercantilisme.  La  Bucolique  de 
M.  Henri  Martin  figure  parmi  les  plus  appréciées.  Le  décor  n'a  pas 
changé  :  toujours  le  même  bois  de  pins  dont  les  lueurs  rougeoyantes  du 
crépuscule  frôlent  l'écorce  lisse  et  qui  semblent  des  colonnes  de  porphyre 
marquant  l'emplacement  des  ruines  de  quelque  temple;  dans  ce  cadre, 
dont  le  peintre  a  souvent  tiré  de  beaux  effets,  apparaît  toute  une  simple 
et  noble  humanité,  mères,  enfants,  pîitres,  l'existence  primitive  en  son 
harmonieux  développement.  Une  muse  plane  au-dessus  du  tableau  et  le 
poète,  prosterné,  s'associe  à  l'universelle  joie  de  vivre  par  une  prière 
fervente  qui  va  devenir  un  chant  lyrique.  Au  demeurant,  du  Puvis  de 
Chavannes,  d'envergure  moins  panoramique,  de  facture  plus  ressentie 
et  d'une  inspiration  reposante.  M.  Henri  Martin  est  à  l'apogée  de  son 
talent  et  en  pleine  possession  de  toutes  les  œssources  d'un  art  de  haute 
tenue  poétique  et  picturale.  Il  a  légitimement  associé  à  cet  envoi  son 
propre  portrait,  œuvre  fine  et  de  distinction  savante. 

M.  Gabriel  Ferrier  connaît  toujours  la  joie  de  peindre  et  même  son 
ivresse  :  il  manie,  il  étend,  il  combine  les  pâtes  colorées  avec  un  entrain 
qui  ne  cesse  pas  d'être  juvénile.  Les  grandes  surfaces  à  couvrir  restent 
son  domaine  préféré;  il  lui  plait  de  déployer  un  pan  de  ciel  sur  les 
architectures  compliquées  des  modernes  salles  de  spectacle.  C'est  ainsi 
qu'il  a  peint  cette  année  un  plafond  pour  le  théâtre  de  Nimes.  Sujet  : 
la  Poésie  provençale  présentant  Mireille  à  la  Poésie  française.  La  tona- 
lité générale  est  rose  et  bleiie,  l'ambiance  légère  et  bien  aérienne.  Ajou- 
tons que  Carmen  a  été  invitée  à  la  fête  de  famille  et  qu'elle  fait  pendant 
à  Mireio. 

Le  Rythme  de  M"'  Dufau  est  un  des  gros  succès  esthétiques  du  Salon^ 
la  plus  remarquable  composition  due  au  groupe  des  femmes  peintres  où 
se  rencontrent  déjà  tant  de  talents  virils.  L'œuvre  a  le  charme  lyrique, 
la  délicate  envolée  des  églogues  des  maîtres  de  la  Renaissance,  sans 
aucune  note  moderniste  qui  en  complique  ou  en  gâte  l'inspiration.  Un 
jardin  êdcnique,  aux  molles  verdures,  aux  massifs  fleuris,  avec  perspec- 
tive fuyante  de  collines  ondulées  aux  tonalités  chaudes  où  l'ombre 
blonde  apporte  une  harmonie  complémentaire.  Dans  ce  décor,  trois 
femmes  nues,  très  finement  modelées,  entourent  une  vasque  d'eau  dor- 
mante ;  la  première  joue  île  la  flûte,  la  seconde  rythme  un  pas  de  danse, 
la  dernière  s'alanguit  en  un  recueillement  attentif.  L'interprétation  de  la 
beauté  antique  ramenée  à  un  petit  nombre  de  souples  formules  et  enve- 
loppée d'une  atmosphère  Corrégienne,  et  un  sentiment  très  noble,  très 
pur  du  lyrisme  païen,  telles  sont  les  qualités  maîtresses  de  cette  œuvre 
vraiment  exquise  où  la  décoration  s'élève  au  style. 

M.  Marioton  est  moins  préoccupé  des  idées  générales  ;  on  n'en  trou- 
vera pas  la  plus  petite  trace  ou  la  plus  faible  lueur  dans  le  plafond  qu'il 
intitule  Symphonie  des  fleurs.  Visiblement  le  peintre  n'a  songé  qu'à 
faire  œuvre  de  coloriste,  qu'à  combiner  sur  le  même  fond  crémeux  les 
o-ris,  les  roses,  les  bleus  mourants,  les  verts  apaisés  des  floraisons  épa- 
nouies, et  les  carnations  féminines  «  chair  de  la  femme,  argile  idéale, 
ô  merveille!  ».  Mais  cette  argile  idéale,  M.  Marioton  l'a  passablement 
amollie  et  détrempée  ;  elle  ne  se  distingue  guère  de  la  pulpe  des  fleurs; 
et,  quand  on  s'attarde  à  contempler  l'œuvre,  après  une  première  satis- 
faction du  regard  elle  donne  l'impression  monotone  d'un  chromo.  Pein- 
tre plus  robuste,  mais  exécutant  moins  simpliste  que  M.  Marioton, 
l'auteur  du  grand  plafond  intitulé  Papillons  de  nuit,  M.  Edgar  Maxence, 
se  rapproche  de  l'art  japonais.  Il  y  a  des  empâtements  laqués,  des 
dessous  métalliques  ressortant  par  transparence  dans  cette  composition 
allégorique  où  voltige  le  peuple  des  phalènes  ;  les  personnages  et  les 
accessoires  s'enlèvent  en  relief  comme  sur  un  panneau  d'absolue  opa- 
cité. L'effet  n'est  pas  banal  et  retient  par  son  étrangeté,  car  le  véritable 
repos  visuel,  pour  le  spectateur  qu'ont  blasé  tant  de  Salons  consécutifs, 
consiste  dans  la  nouveauté  des  sensations  de  la  rétine,  mais  il  faut  bien 
avouer  que  ce  plafond  plafonnant  aura  le  grand  tort  de  ne  pas  plafonner; 
j'entends  par  là  qu'il  ne  donnera  aucune  illusion  d'air  et  de  lumière, 
qu'il  n'ouvrira  aucune  baie  sur  le  firmament.  En  somme,  c'est  uu  décor 

Je  signalerai  sans  insister  quelques  œuvres  de  moyenne  valeur  telle 
la  Ronde  des  vendanges  de  M .  Michel  Lançou ,  plafond  destiné  à  la  grande 
salle  du  Conseil  municipal  de  la  mairie  deSuresnes  et  dont  le  réalisme 
allégorique  est  assez  banheusard  ;  Corinne  (la  muse  lyrique)  et  ses  sui- 
vantes, de  M.  Danguy,  pour  arriver  à  la  massive  commande  officielle 
exécutée  par  M.  Donnât,  robuste  constructeur,  infatigable  Limousm  du 
grand  art.  Il  s'agit  d'un  plafond  pour  la  première  chambre  de  la  Cour 


464 


LE  MENESTREL 


d'appel  de  Paris.  La  classique  Thémis  y  joue  le  rôle  principal  et  en 
occupe  le  point  central:  «  Éclairée  par  la  Vérité,  la  Justice  protège 
l'Innocence  contre  le  Mensonge  et  la  Calomnie  ».  (Prière  de  ne  pas 
oublier  les  majuscules  :  elles  ne  sont  pas  seulement  l'ornement  typogra- 
phique, mais  la  substance  et,  si  j'ose  dire,  l'armature  de  ces  abstractions 
picturales.) 

Donc  la  Justice,  bien  en  chair,  plutôt  dodue,  repose,  ainsi  qu'il  con- 
vient pour  une  aussi  forte  personne,  sur  un  matelas  de  nuages  fraiche- 
mënt  cardés.  Une  mère,  prêtée  par  l'Ambigu,  lui  tend  un  enfant  que 
M""  Marie  Laurent  a  dû  serrer  dans  ses  bras.  Thémis  étend  une  dextre 
protectrice  sur  cet  indispensable  comparse  de  tous  les  drames  lar- 
moyants. La  Vérité,  en  costume  de  sortie  de  puits,  assiste  à  ce  dénoue- 
ment moralisateur,  sou  miroir  à  la  main,  tandis  que  le  Mensonge  et  la 
Calomnie  se  précipitent  en  bas  de  la  toile  dans  la  hâte,  d'ailleurs  légi- 
time, d'aller  retrouver  leur  habitat  ordinaire,  par  où  j'entends  les 
grandes  décorations  de  Rubens.  Les  tonalités  principales  sont  le  bleu 
pour  la  Justice,  l'écarlate  pour  la  Vérité,  le  jaune  dore  pour  l'Innocence 
et  sa  maman.  Le  Mensonge  et  la  Calomnie  se  culbutent  dans  une  mar- 
melade de  ces  mêmes  dominantes...  Et  avec  tous  ces  ingrédients,  tous 
ces  accessoires,  toute  cette  dépense  de  matériau.x  agglomérés,  c'est 
toujours  de  l'art  supérieur  puisque  c'est  de  Bonnat,  et  qui  s'enca'Irera 
noblement  parmi  les  sculptures  très  chargées  du  plafond  de  la  Cour 
d'appel. 

M.  Godeby  a  pris  pour  sujet  l'illustration  d'un  te.xte  de  La  Fontaine  : 
la  Fortune  et  le  jeune  enfant.  La  Fortune  éveille  doucement  le  marmot 
endormi  sur  la  margelle  d'un  puits  béant 

Lui  disant:  mon  mignon,  jo  vous  sauve  la  vie: 
Soyez  une  autre  fois  prudent,  je  vous  on  prie  : 
Si  vous  fussiez  tombé,  l'on  s'en  lut  pris  à  moi. 

et  la  donnée  reste  décorative  bien  qu'ayant  beaucoup  servi.  Mais  l'allé- 
gorie n'est  pas  nécessairement  mythologique  ;  elle  peut  revêtir  un 
costume  moderne.  Et  quand  je  dis  un  costume,  c'est  toute  une  garde- 
robe,  tout  le  décrochez-moi  ça  des  déguisements  pastorau.Y  du  di.x- 
huitième  siècle  qu'évoque  M.  Avy  dans  le  cadre  mi-soleiinel,  mi-galant 
d'un  coin  du  parc  de  Versailles.  Deux  de  nos  contemporains,  couple 
idyllico-romantique.  jupe  claire,  sombre  veston,  y  lisent  —  sans  livre  — 
la  page  que  ne  finirent  jamais  Paolo  et  Francesca.  Autour  d'eux  sur- 
gissent, témoins  souriants,  complices  amusés,  les  divers  personnages 
que  la  fantaisie  de  Watteau  embarque  si  souvent  pour  Cythère  en  des 
paysages  de  rêve.  L'idée,  assez  neuve  pour  une  conception  allégorique, 
a  été  réalisée  par  M.  Marius-Joseph  Avy,  peintre  marseillais  et  jeune 
peintre,  médaillé  en  1898,  titulaire  du  prix  Marie  Bashkirtseff,  avec  un 
intéressant  mélange  d'érudition  papillotante  et  de  fougue  passionnelle. 
La  tonalité  gèniralo  demeure  fine  et  claire  malgré  quelques  brutalités 
de  coloris. 

M""  Virginie  Demont-Rreton,  la  digne  fille  de  Jules  Breton  et  dont  le 
souple  talent  se  prête  à  toutes  les  métamorphoses,  passe  cette  année 
de  l'Étoile  du  matin,  inspiration  Lamartinienne,  à  un  sujet  d'actualité 
pure  malgré  le  symbolisme  éternel  de  l'épigraphe  : 

Même  au  foyer  détruit  la  flamme  peut  renaître. 

La  scène  se  passe  au  Transvaal.  Parmi  les  ruines  d'une  de  ces  hum- 
bles maisons  de  ferme,  dont  on  a  pu  voirie  très  exact  modèle  sur  la 
pente  du  Trocadéro  pendant  toute  la  durée  de  l'Exposition  universelle, 
une  veuve  de  combattant  Boerest  debout  près  de  la  pierre  du  foyer.  Sju 
costume  tricolore  symbolise  la  patrie  et  elle  sourit,  à  travers  les  larmes, 
à  l'espoir  d'un  avenir  meilleur.  Le  sujet  était  dangereux  ;  le  peintre 
pouvait  glisser  aux  fadeurs  de  la  vignette  pour  romance,  ou  céder  à  la 
tentation  de  l'emphase  déclamatoire.  M'"  Virginie  Demont-Bi'eton  a 
évité  ce  double  écueil.  L'œuvre  est  fine,  distinguée,  nullement  tapa- 
geuse, et  le  symbolisme  y  reste  discrètement  voilé  comme  l'évocation  de 
la  République  Sud-Africaine. 

Actuelle  aussi  ou  du  moins  d'un  rétrospectif  si  proche,  si  immédiat 
que  nous  le  touchons  encore,  «  du  spectacle  d'hier  affiche  déchirée  !  », 
la  donnée  traitée  parM.Duvent  enun  triptyque  assez  original.  L'artislu 
a  voulu  maguitier  ou  plus  simplement  célébrer  la  participation  du  pro- 
létariat à  la  grande  œuvre  de  l'Exposition  universelle.  La  Seine  l'ait 
l'unité  de  cette  composition  en  partie  triple  dont  l'ouvrier  est  le  personnage 
principal  ;  le  décor  variable  des  rives  du  fleuve  au  cours  sinueux  indique 
les  phases  de  la  fête  de  1900.  «  Avant  «  c'est  l'assemblage  des  arches 
métalliques  qui  vont  servir  d'armature  aux  palais  et  que  boulonne  un 
peuple  de  travailleurs.  »  Pendant  »  c'est  la  féerie  prestigieuse  d'un  soir 
d'illumination;  les  arcs  électriques,  les  globes  opalisés  se  reflètent  dans 
Je  flot  dormant  ou  glissent  sur  les  ombres  falotes  des  promeneurs  en- 
fiévrés dont  la  ruée  lumultueuse  est  très  heureusement  rendue.  «  Après  », 
— •  fini  de  rire,  il  faut  se  remettre  à  l'ouvrage  !  —  novembre  est  venu 
avec  sa  tristesse  et  ses  brouillards  ;  on  a  fermé  le  caravansérail  interna- 


tional ;  les  provinciaux  affaires,  les  étrangers  en  groupes  presque  imper 
mcables  ne  se  pressent  plus  sur  les  berges  de  la  Seine  ;  les  ouvriers 
rentrent  en  causant,  le  long  des  quais  noirs  de  gravats,  dans  les  ateliers 
aux  rigides  silhouettes,  aux  profils  géométriques...  Tel  est  le  progi'amme. 
M.  Duvent  l'a  rempli  sans  lacunes,  sans  défaillances,  sinon  avec  un 
éclat  toujours  soutenu  ;  il  a  été  lui-même  l'artisan  tranquille  et  patient 
de  cette  apothéose  de  l'ouvrier. 
(A  suivre.)  C.^.mille  Le  Senne. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


IS  o  "u.  X-  s;  o  S'  XL  e 

(Suite.) 


LE  PARRAIN  BLAISE 

Le  Parrain  Biaise,  qui  de  sou  vrai  nom  s'appelait  Lhuillès,  vivait  au 
commencement  du  dix-huitième  siècle.  Il  était  curé  de  Fuisse,  pra- 
tiquait l'escrime  avec  passion  et  composait  à  ses  heures  perdues  des 
Xoêls,  vrais  modèles  de  bonhomie  et  de  naïveté,  qui,  partis  du  Ma- 
çonnais, ne  tardèrent  pas  à  se  répandre  dans  toute  la  Bourgogne. 

M.  Delon,  qui  les  a  publiés  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  les  fait 
précéder  de  cette  très  juste  appréciation  : 

«  Les  anachronismes  fourmillent  dans  les  compositions  du  parrain 
Biaise.  Hérode  y  joue  au  tonton,  aux  cartes,  aux  dés  et  au  brelan;  ses 
soldats  y  sont  armés  de  mousquetons;  les  mages  y  ont  des  louis  d'or 
dans  leurs  poches;  les  bergers  y  chantent  en  latin;  mais  ces  détails  ne 
choquent  point,  ils  sont  presque  un  charme  de  plus,  on  sent  que  l'au- 
teur les  a  voulus  ainsi  pour  donner  â  ses  récits  une  couleur  locale.  C'est 
pour  la  couleur  locale  aussi  que  la  plupart  des  personnages  sont  de 
Fuisse;  bergers,  bergères,  le  parrain  Biaise  lui-môme,  qui  s'est  taillé  un 
rôle,  sont  de  Fuisse,  et  Fuisse  est  devenu  Bethléem.  » 

Le  plus  connu  de  ces  Noëls,  celui  qu'on  chante  avant  d'a'.ler  à  la 
messe  du  point  du  jour  est  une  vévita.h\e  pièce  de  comédie  en  trois  dia- 
logues, —  j'allais  dire  en  trois  actes. 

Au  premier,  le  parrain  Biaise  et  Tliine,  son  épouse,  arrivent  à 
Bethléem,  après  un  long  et  pénible  voyage.  Ils  sont  accompagnés  de 
Philibert  et  de  sa  ])eli\.ebregire(po\ir bergère).  Chemin  faisant,  ils  se  sont 
concertés  sur  ce  qu'ils  diraient  au  Dieu  nouveau-né  pour  se  faire  bien 
venir  de  lui.  Ils  se  sont  répartis  les  rôles  afin  de  briller  par  l'ensemble 
et  la  spontanéité  de  leurs  aperçus.  — Moi,  je  dirai  ceci,  dit  l'un.  —  Moi, 
je  dirai  cela,  dit  l'autre.  —  Et  moi,  déclare  le  parrain  Biaise,  je  lui  ferai 
un  si  joli  discours  qu'il  en  aise  à  sa  mère  :  —  Recommencez-le  encore. 

Mais,  au  seuil  de  la  crèche,  toute  cette  belle  faconde  tombe  subi- 
tement. Chacun  a  oublié  son  rôle,  et  l'envie  leur  prend,  un  moment,  de 
retourner  chez  eux  sans  avoir  vu  l'enfant  Jésus.  Cependant  ils  s'enhar- 
dissent, et  il  est  décidé  que  Philibert,  le  berger,  entrera  le  premier.  Il 
ôte  ses  souliers,  pousse  la  porte,  et  parle  comme  un  ange  : 

Je  vous  souluiite  bien  lo  bonjour, 
Et  à  la  bonoe  compagnie; 
Nous  sommes  venus,  dame  Marie, 
Pour  faire  à  vou-fi  fils  la  cour. 

En  présence  du  bon  accueil  qui  leur  est  fait,  le  parrain  a  retrouvé 
toute  son  assurance.  Il  débite  son  couplet,  plus  fort  qu'un  sifflet,  et  la 
Vierge  le  recommence,  comme  il  l'avait  prévu,  sur  la  demande  expresse 
de  son  fils.  Ensuite  il  inspecte  le  pauvre  logis,  qu'il  trouve  misérable, 
et,  mù  dé  pitié  : 

—  L'aimable  poupon,  assurément  plus  joli  que  personne,  n'est  pas 
liien  ainsi.  Il  n'a  lit  ni  feu  pour  se  chauffer.  Venez  avec  nous  à  Fuisse, 
vous  y  serez  mieux  qu'ici. 

—  Oui,  venez  donc  chez  nous,  insiste  sa  femme. 

Joseph  et  Marie  se  récusent.  Ils  ne  veulent  point  causer  un  si  grand 
embarras  à  leurs  aimables  visiteurs;  et  puis,  lo  voyage  est  bien  long,  et 
Marie  est  déjà  bien  fatiguée. 

Mais  ces  raisons  ne  trouvent  pas  créance  aux  yeux  du  parrain  Biaise 
et  de  Thine.  La  route  est  beaucoup  moins  longue  de  Bethléem  à  Fuisse 
que  de  Nazareth  à  Bethléem,  et  le  voyage  n'est  pas  fatigant.  Josepli 
et  Biaise  porteront  alternativement  la  sainte  Vierge,  et  les  autres,  pour 
amuser  Je  petit,  joueront  avec  lui  au  rencati  (à  cligne-musette)  en  lui 
chantant  des  motets  o  en  brave  latin  ii. 

Devant  tant  de  cordialité,  les  époux  nazaréens  se  laissent  séduire.  Ils 
iront  en  Bourgogne;  on  partira  le  lendemain. 

Au  second  dialogue,  nous  sommes  à  Fuisse.  Thine  raconte  à  S£S 


LE  MÉNESTREL 


d65 


compatriotes  émerveillés  l'arrivée  des  Rois-Mages  à  Bethléem.  Elle  les 
a  vus,  elle  a  causé  avec  eux  et  elle  leur  a  entendu  chanter, 

Comme  aux  grandes  fêtes, 
Chacun,  en  français,  deux  chansons, 
Aussi  fort  qu'un  Kyrie  eleison. 
Elle  fait  aussi  à  ceux  qui  l'entourent,  bergers  pour  la  plupart,  le  por- 
trait de  la  Vierge  et  de  l'enfant  Jésus,  qu'ils  verront  quand  ils  seront 
reposés.  Ce  qu'elle  leur  dit  du  petit  les  enthousiasme  surtout,  et  ils  se 
mettent  à  chanter  sur  l'air  de  Eh  frou,  frou,  frou  : 
C'est  ma  foi  ben  le  bon  Dieu 
Qu'est  venu  dans  ce  pays, 
Et  bon,  bon,  bon,  et  li,  li,  li, 
Nous  en  sommes  bien  aise, 
Nous  irons  en  paradis 
Tous  bien  à  notre  aise. 

Le  lendemain,  à  l'aube,  ils  envoient  leurs  présents.  Joseph  et  Marie 
en  sont  éblouis,  et  c'est  Joseph  qui  vient  les  en  remercier  : 


Quand  Jonsai  voyi  que  sans  feinte 
On  le  s'y  baillai  lu  pre  ron 
Pre  li,  sa  femme  et  son  anfan, 

Se  levi  de  poaiste 
Et  bé  content  le-s-y  dessi  : 
A  Di  vos  queman  :  grand  marci! 


Quand  Jotepk  rit  que  sans  feinte 
On  leur  donnait  tous  présents 
Pour  lui,  sa  femme  et  son  enfant. 

Il  se  leva  de  suite 
Et,  bien  content,  leur  dit  : 
De  la  part  de  Dieu  je  fous  dis  :  grand  merci! 


Les  bergers  alors  dansent  le  branle-gai,  qui  «  tourne  »  sur  l'air  lon- 
lan-lire-lay,  et  l'on  passe  au  troisième  dialogue,  intitulé  Coinptainle  pour 
se  lamenter  dévolemenl  le  jour  des  Saints-Innocents,  se  chantant  sur  l'air 
Oh,  raguingay. 

Le  ciel  s'est  assombri,  et  ce  dialogue  évoque  des  tableaux  pleins 
d'horreur.  Nos  personnages  sont  changés.  Hérode  a  ordonné  à  ses  ser- 
gents d'aller  tuer  le  saint  enfant.  Ces  brigands  arrivent  à  Bethléem 
plus  vite  que  le  vent,  «  comme  un  régiment  de  di-agons  qui  va  au  pillage  ». 
Ils  s'introduisent  dans  les  maisons  comme  un  loup  dedans  une  grange, 
qui  prend  les  moutons  et  les  mange,  ou  comme  de  grandes  buses  qui  se 
jettent  sur  les  poussins  et  effrayent  le  coq  et  toutes  les  poules.  C'est  si 
plein  d'épouvante  que  Benoit  s'interrompt  pour  dire  : 
—  J'en  grêle  d'itô  raconter.  (J'en  tremble  de  tout  raconter.) 
Ces  impies  tuent  les  enfants  comme  des  mouches;  ils  grincent  tous  des 
dents  comme  des  chiens  sur  les  passants.  Il  y  en  avait  un  surtout  si 
grand  qu'on  l'aurait  pris  pour  un  géant.  «  Il  dépaissait  les  enfants  devant 
leurs  pères  qui  frémissaient  de  colère,  mais  ne  résistaient  pas.  »  LTne 
femme  fut  plus  brave.  Elle  était  dans  son  curli  (son  jardini  lorsqu'elle 
vit  venir  le  géant  qui  guettait  de  carre  (qui  regardait  de  côté)  son  enfant. 
Elle  le  menaça  de  sa  pioche,  derrière  un  tas  de  sarments  le  prit  par  les 
cheveux,  et  appela  au  secours  sa  cousine  qui  vint  avec  ses  voisines. 
Armées,  les  unes  de  fourches,  les  autres  de  grands  grappins,  de  serpes 
ou  de  hachettes,  elles  le  frappèrent  sur  le  dos;  une  le  prend  par  la 
jambe,  si  bien  qu'il  tombe  par  terre.  Alors  toutes  lui  éborgnent  un  œil, 
le  piétinent  sur  le  cou,  et  l'auraient  mis  en  capilotade  si,  par  malheur, 
trois  gens  d'armes  n'étaient  arrivés  qui,  à  leur  tour,  battirent  tellement 
les  femmes  qu'ils  les  laissèrent  tout  en  sang;  puis  ils  prirent  l'enfant  et 
le  coupèrent  en  morceaux. 

Les  rigoles,  pleines  de  sang, 

Dans  la  ville  et  dans  les  champs 

Hélas,  mon  Dieu,  en  ruissellant 

Rougissaient  tous  les  chemins 

Jusqu'au  milieu  de  la  rivière. 
Tous  les  maux  de  la  terre  s'abattent  sur  l'humanité.  Tout  briile  ;  le 
ciel  est  rouge  de  sang;  la  peste  s'en  mêle.  C'est  un  cataclysme  général. 

Je  crois  que  le  ciel  en  tremble, 

Que  le  toleil  en  blêmit, 

Hélas  !  mon  Dieu  !  tous  les  rochers 

Pour  cela  devinrent  si  tendres 

Qu'ils  en  craquaient  jusqu'à  se  fendre. 

S'ils  eussent  eu  des  yeux  comme  nous, 

lis  en  auraient  pleuré  tous. 

A  la  suite  de  ce  couplet,  le  parrain  Biaise  déclare  : 

Ye-t-ice  la  chavon. 

Ce  qui  veut  dire  en  bourguignon  :  C'est  ici  la  fin. 

Alors,  mes  chers  lecteurs,  quittons  la  place,  et  allons  ailleurs. 

(A  suivre.)  Edmond  NEuiiOMM. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
L'Association     générale    allemande    de     musique     {AUrjeinrinf     Denlsche 
Musikverein)  tiendra  cette  année  sa  trente-septième  réunion  à  Heidelberg,  du 
l"'  au  4  juin  prochain.  L'orchestre  municipal  se  verra  renforcé,  à  celte  occa- 
sion, de  divers  éléments  empruntés  à  ceux  de  Carisruhe,  de  Dresde  et  de 


Meiningen.  Le  chœur  sera  composé  des  Sociétés  orphéoniques  locales.  Les 
chefs  d'orchestre  seront  MM.  Wolfram,  l'élix  Motll,  Schillings  et  Engelbert 
Humperdinck. 

—  D'autre  part,  aujourd'hui  dimanche  26  et  demain  lundi  27,  aura  lieu  à 
"Worms  uue  grande  solennité  musicale  à  laquelle  prendront  part  un  chœur 
de  400  chanteurs,  un  orchestre  de  74  exécutants  et  des  solistes  choisis  dans 
les  plus  grands  théâtres  de  l'Allemagne.  On  exécutera,  sous  la  direction  de 
M.  Kiebilz-Worms,  le  nouvel  oratorio  de  M.  Klughardt,  la  Deslrurliou  de 
Jérusalem. 

—  La  coutume  allemande  assez  ridicule  de  la  célébration  des  «  jubilés  i> 
entraine  parfois  avec  elle  certains  inconvénients,  dont  M"»  Pauline  Lucca,  la 
célèbre  cantatrice,  ressent  aujourd'hui  les  efl'ets.  Il  parait  qu'en  ces  derniers 
temps  M""^  Lucca,  baronne  V.'allhofen  (on  va  voir  qu'elle  n'oublie  pas  son 
tilre),  a  reçu  toute  une  collection  de  félicitations  épistolaires,  à  l'occasion  du 
soixantième  anniversaire  de  sa  naissance.  Or,  M'""  Lucca  se  refuse  absolument 
à  accepter  les  soixante  années  que  lui  accordent  ses  admirateurs  et  ses  amis; 
c'est  à  peine  si  elle  consentirait  à  été  majeure.  En  tout  cas,  voici  la  lettre 
de  protestation  (moitié  sourire,  moitié  (  épit)qu'àce  sujet  elle  adresse  aux  jour- 
naux et  qu'entre  autres  publient  les  Sif/nale  de  Leipzig  : 

Remerciement  général. 
N'étant  pas  en  mesure  de  répondre  personnellement  à  toutes  les  félicitations  qui  m'ont 
été  adressées  pour  mon  «  supposé  soixantième  anniversaire  »,  je  m'empresse  de  déclarer 
que  je  conserverai  toutes  les  carte?  de  visite,  les  lettres  et  les  télégrammes  qui  me  sont 
parvenu-,  pour  les  remettre  sur  ma  table  dans  quelques  années,  quand  j'aurai  vraiment 
accompli  ma.  soixantième  ùunée. 
Vienne,  26  avril  1901. 

Pauline,  baronne  Wallhofen-Lccca. 

Le  malheur  est  que  les  artistes  de  théâtre  peuvent  difficilement  tromper  le 
public  sur  leur  âge,  surtout  quand  ils  ont  commencé  de  bonne  heure  leur 
carrière,  parce  que  ces  gredins  de  journaux,  qui  sont  d'une  indiscrétion  ter- 
rible, enregistrent  leurs  faits  et  gestes  avec  une  exactitude  qui  rend  plus  tard 
leur  témoignage  désagréable.  Ce  ne  serait  rien  en  la  circonstance,  de  constater 
que  le  supplément  Fétis-Pougin  (Biographie  des  Musiciens)  donne  le  26  avril 
1841  comme  date  de  la  naissance  de  M'"'-' Lucca,  que  le  Dictionnaire  de  musique 
de  M.  Hugo  Riemann  la  fixe  au  23  avril  de  la  même  année,  et  que  le 
Handiexiron  der  Tonknusl  de  M.  Auguste  Reissmann,  variant  un  peu,  inscrit 
pour  cette  date  le  2S  avril  ■SSiî.  ce  qui  est  peut-être  une  faute  d'impression. 
Après  tout,  tous  ces  gens-là  ont  pu  se  tromper,  de  bonne  ou  demauvaise  foi, 
et  leurs  renseignements  pourraient  être  tenus  pour  erronés.  Seulement,  on  sait 
à  n'en  pouvoir  douter,  que  M""  Pauline  Lucca  se  fit  remarquer  à  Vienne,  dès 
le  commencement  de  1839,  comme  coryphée  dans  le  chœur  des  jeunes  filles 
du  Freischiit:;  que  ce  premier  succès  lui  valut  d'être  engagée  ;u  théâtre 
d'Olmûlz;  où  elle  débuta,  le  4  septembre  de  la  même  année,  dans  le  rôle 
d'Elviro  dEriniui:  qu'en  mars  1860  elle  jouait  Valentine  des  lliigneiiols  au 
au  théâtre  allemand  de  Prague;  enfin,  qu'à  l'instigation  de  Meyerbeer  elle 
débutait  en  1861  à  l'Opéra  royal  ne  Berlin,  où  bientôt  elle  était  fngagée  à 
vie.  Il  semble  bien  qu'en  débutant  ainsi,  dès  1839,  dans  l'emploi  des  grandes 
chanteuses  dramatiques.  M""  Pauline  Lucca  ne  devait  guère  être  âgée  de 
moins  de  dix-huit  ans,  que  par  conséquent  elle  devait  bien  être  née,  cjmme 
on  l'a  dit,  aux  environs  du  26  avril  iSil,  et  qu'enfin  M°"  la  baronne 
Wallhofen-Lucca  n'a  pas  de  longues  années  à  attendre  pour  pouvoir  célébrer 
son  jubilé  soixantenaire. 

—  Et  voilà  Manon  mariée!...  M'"»  Renard,  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne, 
une  des  meilleures  interprètes  de  la  ravissante  partition  de  Massenet  et 
l'inoubliable  créatrice  de  la  Charlotte  de  Werlher,  vient  de  se  présenter  devant 
l'officier  de  l'état  civil  du  sixième  arrondissement  de  Budapest.  Son  heureux 
époux  est  le  comte  Rodolphe  Kinsky,  membre  de  la  famille  princière  de  ce 
nom,  qui  possède  des  propriétés  immenses  en  Bohême.  Raconter  les  péri- 
péties de  ce  mariage,  qui  a  dû  être  conclu  sur  le  territoire  hongrois,  car  la 
loi  autrichienne  n'admet  pas  le  divorce  entre  catholiques  et  le  comte  était 
déjà  marié  avec  une  haute  dame  appartenant  à  une  des  plus  grandes  familles 
d'Autriche,  équivaudrait  à  un  cours  complet  de  législation  autrichienne  et 
hongroise  sur  une  matière  des  plus  épineuses;  nous  nous  bornons  à  dire 
qu'il  a  fallu  deux  ans  et  le  concours  de  deux  maîtres  de  la  chicane  à  Vienne 
et  à  Budapest  pour  arriver  aux  «  justes  nopces  ». 

—  Le  théâtre  du  Jubilé  de  Vienne  a  joué  avec  peu  de  succès  un  nouvel 
opéra  populaire  intitulé  .losépha,  musique  de  M.  A.  Maurice. 

—  Un  arrangement  singulier  vient  d'être  conclu  à  Munich.  Les  deux  ténors 
de  l'Opéra  royal,  MM.  Walter  et  Knote.  qui  chantent  à  tour  de  rôle  le  rôle 
de  Walther  dans  les  Maîtres  ihunleurs.  désirent  naturellement  tous  les  deux 
interpréter  ce  rôle  lors  de  l'inauguralion  du  théâtre  vvagnérien  du  prince- 
régent.  Les  deux  ténors  ont  assailli  de  leurs  demandes  l'intendant  général 
M.  de  Possart  qui,  en  sa  qualité  d'ancien  acteur,  était  à  même  d'apprécier 
l'importance  de  la  question  et  la  difficulté  de  la  résoudre  sans  blesser  l'un  ou 
l'autre  de  ses  précieux  sujets.  Il  convoqua  donc  les  deux  ténors  et  leur  dit 
avec  bonhomie  :  «  Mes  enfants,  je  vous  aime  également  et  je  ne  saurais  faire 
de  choix  entre  vous  pour  la  soirée  mémorable.  Voici  ce  que  je  vous  propose  : 
l'un  de  vous  chantera  à  la  soirée  de  gala  devant  les  invités  et  la  cour;  l'autre 
!e  lendemain  à  la  première  représentation  publique.  Que  le  sort  décide  ». 
C'était  parler  d'or,  et  les  artistes  acceptèrent  sur-le-champ.  M.  de  Possart  tira 
alors  de  sa  poche  des  dés  pour  faire  parler  le  sort  selon  la  vieille  coutume 
des  lansquenets  allemands;  mais  M.  Knote,  qui  doit  chanter  pendant  quel- 
ques semaines  à  Covent-Garden,  pria  alors  son  chef  d'ajourner  la  décision 


166 


LE  MENESTREL 


jusqu'après  son  retour  o  ne  voulant  pas.  dit-il,  perdre  sa  belle  humeur  dans 
le  cas  où  le  sort  lui  serait  défavorable  ».  Les  paris  sont  ouverts  parmi  les 
artistes  des  tbéàtres  royaux  de  Munich. 

—  On  signale  un  retour  offensif  du  vieux  répertoire  italien  à  Berlin  et  à 
Vienne.  Dans  la  capitale  de  Prusse  c'est  M™=  Sembrich  qui  est  l'étoile  et  en 
même  temps  l'imprésario  d'une  troupe  d'artistes  italiens  qui  chantent  au 
nouvel  Opéra  royal  (ancien  théâtre  KroU).  A  Vienne  c'est  l'imprésario  Ernest 
Caracciolo  qui  présente  en  liberté,  au  Carlihéàtre.  une  troupe  modeste  dont 
l'étoile  est.  parait-il.  une  basse-bouffe.  L'opéra  qui  a  jusqu'à  présent  rem- 
porté le  plus  grand  succès  sur  les  bords  de  la  Sprée  comme  sur  ceux  du 
Danube  serait  ce  brave  Don  Pasqiiale.  de  Uonizelli.  qui  faisait  les  délices  des 
habitués  du  théâtre  italien  sous  Louis-Philippe  et  qui  s'est  maintenu  à  la 
salle  Ventadour  jusque  vers  la  fin  du  second  Empire.  A  Berlin,  c'est  iVI"»  Sem- 
brich qui  attire  le  public  dans  le  rôle  de  la  coquette  Norine;  à  Vienne,  c'est 
Don  Pasquale  lui-même,  joué  avec  une  force  comique  étonnante,  à  ce  qu'il 
parait. 

—  A  Czernowitz  (Autriche)  vient  d'être  joué  avec  beaucoup  de  succès  un 
opéra  inédit  en  langue  roumaine.  Titre  :  Mosoul  Ciocâiian.  La  musique  est  due 
à  M.  Jean  Flondor. 

—  Les  lauriers  et  les  recettes  d'Oberammergau  ne  laissent  pas  dormir  les 
braves  paysans  de  Salzach,  près  de  Soleure  (Suisse).  Ils  organisent  pour  l'été 
de  'cette  année  des  représentations  de  la  Passion  avec  Je  concours  de  trois 
cent  cinquante  personnes  et  sont  en  train  de  construire  un  théâtre  pouvant 
contenir  1.400  personnes  et  pourvu  d'une  scène  très  vaste.  La  musique  sera 
empruntée  à  l'oratorio  la  Passion  du  doyen  H. -F.  MuUer. 

—  Une  grosse  nouvelle  qui  nous  vient  de  Milan  ;  Le  livret  de  l'opéra- 
fantôme  Néron  de  M.  Boïto  existerait  véritablement;  plusieurs  journalistes 
en  auraient  même  reçu  les  bonnes  feuilles,  ce  qui  leur  a  permis  d'en  publier 
l'argument.  C'est  un  grand  opéra  en  cinq  actes,  composé  d'une  suite  de  tableaux 
étourdissants.  Mise  en  scène  des  plus  compliquées  et  fort  coûteuse;  la  distri- 
bution n'en  parait  pas  facile  par  suite  du  grand  nombre  de  personnages.  De 
la  musique,  on  ne  dit  pas  un  mot. 

—  M.  Vittorio  Veneziani,  le  jeune  auteur  de  la  Badia  di  Poinposa,  le  mono- 
logue musical  dont  nous  avons  annoncé  la  récente  exécution,  vient  de  rem- 
porter, au  concours  ouvert  par  le  Conservatoire  royal  de  Naples,  le  prix 
Bellini  de  600  francs  pour  un  poème  symphonique  sur /es  Adelchiie  Manzoni. 
Les  concurrents  étaient  très  nombreux. 

—  Le  théâtre  Guillaume,  de  Brescia,  a  donné  la  première  représentation 
d'un  opéra  en  un  acte  intitulé  Céleste,  paroles  de  M.  G.  Menin ,  musique 
de  M.  Giuseppe  Orsini.  C'est  encore  un  de  ces  mélodrames  rapides  et 
violents,  genre  Cavalleria  ruslicana,  où  le  couteau  joue  un  grand  rôle  et  qui 
se  termine  par  un  meurtre.  Il  semble  pourtant  que  le  public  italien  devrait 
commencer  à  être  rassasié  d'ouvrages  de  ce  genre,  qui  tournent  tous  dans  le 
même  cercle  etqui  n'ont  plus  l'attrait  de  la  nouveauté.  Celui-ci  semble  néan- 
moins avoir  été  assez  favorablement  accueilli.  —  On  annonce,  d'autre  part, 
l'apparition  à  Noto  d'un  opéra-comique,  Stadenti  e  sartùie,  musique  de 
M,  Pierantonio  Tasca,  et  à  Ancône  celle  d'une  opérette,  una  Lezione  riman- 
dala,  paroles  de  M.  Ugo  Mariani,  musique  de  M.  Getullo  Mariani. 

—  Grand  succès,  au  théâtre  Apolo  de  Madrid,  pour  une  nouvelle  zarzuela 
intitulée  la  Buenaventara,  dont  le  livret,  tiré  de  la  Gitanilla  de  Cervantes,  est 
dû  à  MM.  Fernandes  Shaw  et  Lopez  Ballesteros,  et  la  musique  à  MM.  Vives 
et  Guervos.  Interprétation  excellente,  confiée  à  M"»^  Matbilde  Pretel,  Isabel 
Bru,  Joaquino  Pino  et  Vidal,  MM.  Rodrignez,  Carreras  et  Ontiveros. 

—  C'est  jeudi  prochain  que  sera  donné  au  théâtre  Covent-Garden  de  Londres 
la  première  représentation  de  l'opéra  nouveau  de  M.  Villiers  Stanford, 
Beaucoup  de  bruit  pour  rien,  livret  de  M.  Julien  Sturgis. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  membres  de  la  section  de  musique  de  l'Académie  des  beaux-arts  ont 
donné,  pour  sujet  de  leur  composition,  aux  six  concurrents  pour  le  grand- 
prix  de  Rome,  actuellement  en  loge  à  Compiègne,  un  poème  de  M.  Fernand 
Beissier  intitulé  Myrrha. 

—  Nous  avons  donné  dernièrement  la  liste  des  compositeurs  «prix  de  Rome» 
désignés  par  l'Institut  au  choix  du-  ministre  des  beaux-arts,  pour  l'œuvre 
inédite  qui  doit  être  représentée  à  l'Académie  nationale  de  musique  en  1902, 
ainsi  qu'il  est  inscrit  au  cahier  des  charges  de  ce  haut  théâtre  subventionné. 
Le  choix  du  ministre,  se  conformant  à  une  tradition  constante,  s'est  arrêté  sur 
le  premier  nom  de  la  liste,  —  celui  de  P.-L.  Hillemacher  (prix  de  Rome  en 
1876  et  1880),  dont  la  signature,  comme  on  sait,  est  celle  des  deux  frères  Paul 
et  Lucien  Hillemacher,  prix  de  la  Ville  de  Paris  en  1882,  avec  Loreley,  auteurs 
de  Saint-Mégrin  (Bruxelles  1886),  /(■  Drac  (Carlsruhe  1890),  Circé,  qui  doit 
passer  à  l'Opéra-Comique,  etc.,  etc.  MM.  P.-L.  Hillemacher  ont  soumis  au 
directeur  de  l'Opéra  un  drame  lyrique  en  trois  actes  auquel  ils  travaillaient. 
Cet  ouvrage,  qui,  dans  la  pensée  des  auteurs,  n'était  point  spécialement  des- 
tiné à  l'Opéra,  ne  comportant  pas  de  cbieurs,  a  été  reçu  pourtant  par 
M.  Gailhard  sans  modifications  essentielles.  La  pièce  est  de  M.  P.-B.  Sheusi, 
a  pour  titre  Orsolasi  se  passe  dans  les  Cyclades,  au  XIII=  siècle,  pendant  l'oc- 
cupation vénitienne. 


—  A  l'Opéra,  les  études  des  Barbares,  l'opéra  nouveau  de  Camille  Saint- 
Saéns,  sont  déjà  commencées.  En  voici  la  distribution  : 

Marcomii-  MM.  .Mvarez 

Le  récitant   J 

Scaurus        !  ^'^"'^' 

Le  veilleur  Rousselière 

Hildibralh  Riddra 

Le  grand  sacrificateur  DoiiailMer 

Florin  M— ■  Jeanne  Hatio 

Livie  Héglon. 

Le  sujet  de  la  tragédie  lyrique  de  MM.  Victorien  Sardou,  P.-B.  Gheusi  et 
Camille  Saint-Saéns  se  déroule  un  siècle  avant  le  Christ,  dans  la  ville  d'O- 
range, mise  à  sac  par  les  Teutons;  cette  tragédie  comporte  trois  actes  et  un 
prologue,  dans  quatre  décors  confiés  au  pinceau  Je  M.  Jambon  :  les  trois  pre- 
miers mettent  en  scène  le  théâtre  antique  sous  trois  points  de  vue  différents, 
le  dernier  figure  une  porte  de  la  ville  haute,  avec,  dans  le  fond,  la  plaine  du 
Rhône.  Un  grand  ballet  est  intercalé  au  dernier  acte. 

—  Ce  bon  M.  Gailhard  vient  de  se  laisser  souCQer  le  Roi  d'Vs  dont  il  ne 
tenait  qu'à  lui  d'enrichir  le  répertoire  de  l'Opéra,  comme  ses  prédécesseurs, 
MM.  Bertrand  et  Campocasso,  avaient  eu  la  bonne  idée  de  faire  pour  Sanison 
et  Dalila,  C'était  une  partie  identique  à  jouer,  avec  les  mêmes  chances.  Aussi 
l'ingénieux  directeur  s'en  est-il  détourné  avec  empressement.  Il  perd  le  Roi 
d'i's,  mais  il  garde  jalousement  Tlia'is  dont  il  ne  peut  rien  faire  sur  la  vaste 
scène  de  son  Académie.  Quel  flair!  quel  tact  ! 

—  Donc  le  Roi  d'Ys  repasse  à  l'Opéra-Comique,  où  l'intelligent  directeur 
Albert  Carré  lui  prépare  dès  à  présent  une  rentrée  triomphale,  au  cours  de 
la  prochaine  saison,  avec  la  distribution  que  voici  : 

Mylio  JIM.  Maréchal 

Karnac  Dufrane 

Le  roi  VieuiUe 

-Margared  M""  Deliia 

Rosen  Rioton 

—  Hier  samedi,  à  l'Opéra-Comique,  tout  une  sorte  de  petit  festival  o  en 
l'honneur  de  Verdi  ».  Le  morceau  principal  en  était  la  reprise  deFalsta/f,  avec 
M.  Victor  Maurel  et  M""=  Delna,  mais  il  y  eut  aussi  une  sorte  de  «  cérémonie  »  : 
en  face  d'un  buste  de  Verdi,  dû  au  statuaire  Calvi,  M"'  Segond-'Weber  de 
la  Comédie-Française  récita  une  pièce  de  vers  écrite  pour  la  circonstance  par 
M.  Edmond  Haraucourt.  Toute  la  troupe  de  l'Opéra-Comique,  dans  les  cos- 
tumes des  œuvres  de  l'illustre  maître,  entourait  la  récitante. 

—  Spectacles  de  l'Opéra-Comique  pour  les  fêtes  de  la  Pentecôte  :  Diman- 
che, en  matinée,  la  Basoche,  les  Noces  de  Jeannette;  le  soir,  Laknié,  le  Portrait 
de  Manon.  —  Lundi  :  en  matinée,  Mignon,  le  Clialet  ;  le  soir,  Carmen. 

—  M.  Albert  Carré  a  décidé  de  donner  I3  13  juin  une  représentation 
extraordinaire  au  bénéfice  de  la  veuve  de  Taskin  et  de  son  enfant,  dont  la 
situation  est  précaire.  A  cette  occasion  ,  la  grande  cantatrice  italienne 
Theodorini,  qui  désirait  se  faire  entendre  à  Paris  au  service  d'une  bonne 
oeuvre,  chantera  la  Navarraise  en  français.  C'est  là  un  concours  inestimable, 
qui,  à  lui  seul,  assure  le  succès  de  la  représentation. 

—  Planté  n'a  fait  que  passer  par  Paris,  mais  on  peut  dire  que  cette  courte 
apparition  a  été  fulgurante.  Il  est  tombé  comme  à  l'improviste  au  milieu  de 
la  classe  d'orchestre  du  Conservatoire,  où  on  avait  réuni  eu  toute  hâte  aussi 
les  élèves  des  classes  de  piano,  et  là,  en  présence  de  quelques  avertis,  dont 
M°'°  Leygues,  il  a  donné  à  tous  ses  jeunes  camarades  une  admirable  leçon 
de  grande  exécution.  Ce  fut  un  délice  continu,  deux  heures  d'enchantement. 
On  peut  dire  que  le  prodigieux  virtuose,  depuis  si  longtemps  éloigné  de 
Paris,  a  trouvé  le  moyen  de  progresser  encore  dans  son  art.  C'est  à  présent 
quelque  chose  d'idéal,  d'immatériel  tout  à  fait  extraordinaire,  le  mécanisme 
complètement  asservi  à  l'âme  même  de  l'artiste.  Bach,  Beethoven  et  Chopin 
n'ont  jamais  trouvé  pareil  interprète.  C'est  eux-mêmes  qu'on  voit  revivre 
dans  toute  leur  pensée,  leur  profondeur  et  leur  poésie.  Et  dire  que  tout  cela 
reste  enfoui  à  Mont  de-Marsan  !  Planté,  vous  êtes  un  grand  criminel. 

—  M.  A.  Sujol,  de  l'Opéra-Comique,  vient  d'être  nommé  professeur  de  sol- 
fège au  Conservatoire. 

—  Voici  dans  ses  grandes  lignes  le  programme  de  la  représentation  qui 
sera  donnée,  le  6  juin,  à  l'Opéra,  au  bénéfice  de  M""=  Marie  Laurent  : 

Quatrième  acte  de  Roméo  et  .Juliette  : 

Juliette  M""  Adelina  Patti. 

Roméo  M.  Alvarez. 


Deuxième  acte  i'Otello  : 

Otello 

MM.  Taraagno. 

lago 

Delmas. 

Cassio 

Vaguel. 

Desdemona 

M"  Ackté. 

Deuxième  partie  des  Er 

iinyes  : 

Klyteranestre 

M""  Marie  Laurent. 

Cassandre 

Segond-Weber 

Oreste 

M.  Paul  Mounet. 

Jloniniage  à  M'"''  .Marie  Laurent,  poème  de  M.  Catulle  Mendès,  dit  par  M.  Mou- 
net-Sully,  doyen  de  la  Comédie-Française.  —  Cérémonie  du  Bourgeois  gentil- 
lunnim,  par  M.  Coquelin  cadet,  entouré  des  principaux  artistes  de  Paris,  et  le 
ballet  de  Don  Juan  par  les  artistes  de  la  danse  de  l'Opéra.  —  En  outre, 


LE  MENESTREL 


167 


M.  Tristan  Bernard  a  écrit  spécialement  pour  la  représentation  un  acte  qui 
sera  joué  dans  la  salle  et  dont  la  distribution  est  des  plus  imprévues.  — 
M.  Roty  a  exécuté  à  l'occasion  de  cette  solennité  une  superbe  médaille  à 
l'elBgie  de  M°"  Marie  Laurent.  Des  exemplaires  en  argent,  de  cette  médaille, 
dont  le  nombre  est  très  limité,  seront  offerts  comme  prime  à  toute  personne 
abonnée  ou  non  qui  prendra  une  première  loge,  une  baignoire  ou  une  seconde 
loge.  —  On  peut  dès  maintenant  s'inscrire  au  bureau  de  location. 

—  L'Odéon  donnera  le  6  juin,  pour  l'anniversaire  de  Corneille,  un  à-propos 
en  vers  de  M.  Henri  Jouin.  intitulé:  Corneille  ri  Lulli. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  de  secours  mutuels  des 
artistes  dramatiques  (fondation  Taylor)  se  tiendra,  le  samedi  l"' juin  1901, 
au  théâtre  des  Nouveautés,  28,  boulevard  des  Italiens,  à  une  heure  et  demie. 
Ordre  du  jour  de  la  séance  :  Rapport  des  travaux  de  l'exercice  1900-1901 
rédigé  et  lu  par  M.  Péricaud.  Élection  du  président  et  de  six  membres  du 
comité.  Membres  sortants  rééligibles  :  MM.  Maubant.  Goquelin  aine,  Alexan- 
dre, Micheau,  Guyon  fils,  Amaury. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  le  comité  de  l'Association  des  artistes  musi- 
ciens a  procédé  au  renouvellement  de  son  bureau  pour  l'année  1901-1902. 
Ont  été  élus:  Président,  M.  le  comte  de  Franqueville  ;  vice-présidents, 
MM.  Emile  Réty,  Migeon,  Edmond  d'Ingrande,  Le  Brun,  Arthur  Pougin, 
Tubeuf  ;  secrétaires.  Gallon,  Guilbaut,  Auge  de  Lassus,  Paul  Rougnon,  Ver- 
naelde,  Edouard  Nadaud  :  archiviste,  Marcelin  Laurent;  archiviste-adjoint, 
Papin  :  bibliothécaire,  Charles  Malherbe;  bibliothécaire-adjoint,  Henry  Noël. 

— ■  La  Société  des  compositeurs  de  musique  vient  aussi,  à  la  suite  de  son 
assemblée  générale,  de  renouveler  son  bureau,  qui  se  trouve  ainsi  constitué: 
Président,  M.  Victorin  Joncières;  vice-présidents,  MM.  Léon  Gastinel,  Guil- 
mant,  Georges  Pfeill'er,  Weckerlin;  secrétaire-général,  Henry  Cieutat; 
secrétaire-rapporteur,  Arthur  Pougin;  secrétaire-trésorier,  M.  Vinée  ;  secré- 
taires, Henri  Bûsser,  Charles  Malherbe,  Samuel  Rousseau;  archiviste- 
bibliothécaire,  Weckerlin.  Ont  été  élus  comme  nouveaux  membres  du  comité 
MM.  Vierne  et  Wiernsberger. 

—  Ladite  Société  des  Compositeurs  de  musique  nous  communique,  d'autre 
part,  le  résultat  de  ses  concours  pour  l'année  1900  : 

1^  Quintette  pour  piano  et  instruments  à  vent;  prix  de  500  francs  offert  par  M.  le 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  :  M.  André  Caplet.  Mention  hono- 
rable à  l'envoi  portant  la  devise  :  Le  Compositeur  propose  el  te  Jury  dispose. 

2"  Œuvre  symphonique  pour  piano  et  orchestre;  prix  de  500  l'rancs,  olTert  par  la  mai- 
son Pleyel,  Wolff,  Lyon  et  C""  :  JI.  Pierre  Kunc.  Mention  très  honorable  avec  félicitations 
du  jury  à  l'envoi  portant  la  devise  :  Chantons  doncques  Bergers,  etc. 

3"  Scène  lyrique  à  deux  ou  trois  voix  avec  accompagnement  de  piano;  prix  unique  de 
500  francs,  offert  par  II.  Ernest  Lamy  :  AI.  Gabriel  Dupont.  Mention  honorable  à  l'envoi 
portant  la  devise  :  Une  fois  n'est  pas  coutume. 

■4°  Notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  MondoviUe;  prix  unique  de  200  francs,  offert  par 
la  Société,  prix  ex  cequo  :  MM.  Hellouin  et  Emile  Tyr. 

Les  auteurs  des  œuvres  mentionnées  devront  se  faire  connaître  en  écrivant 
le  plus  tôt  possible  à  M.  Henry  Cieutat,  secrétaire-général  de  la  Société, 
22,  rue  Rochechouart.  s'ils  désirent  que  leurs  noms  soient  publiés.  Les  ma- 
nuscrits sont  dès  à  présent  à  la  disposition  des  auteurs  pendant  un  an;  passé 
ce  délai,  ils  seront  brûlés. 

—  Après  avoir  vu  défiler  au  cours  de  cette  "saison  saturée  de  productions 
orchestrales  presque  tout  l'état-major  des  batteurs  de  mesure  d'Allemagne, 
comme  Richard  Wagner  s'est  exprimé  plaisamment,  nous  venons  de  revoir, 
au  Cirque  d'hiver,  M.  Nikisch  à  la  tête  de  l'orchestre  philharmonique  de  Ber- 
lin. M.  Nikisch  avait  sur  ses  confrères  un  avantage  inappréciable  :  il  condui- 
sait au  feu  une  phalange  de  musiciens  triés  sur  le  volet,  qu'il  connaît  autant 
qu'ils  sont  habitués  à  leur  chef,  à  telle  enseigne  qu'il  cesse  parfois  complète- 
ment de  leur  indiquer  le  mouvement,  comme  un  cavalier  émérite  lâche  la 
bride  à  un  noble  coursier.  M.  Nikisch,  qu'on  connaissait  déjà  chez  nous,  a  de 
nouveau  fait  preuve  des  qualités  maîtresses  qui  le  distinguent;  il  a  conduit 
avec  une  sûreté  calme,  une  clarté  lumineuse  et  une  énergie  sobre  d'indica- 
tions qui  ont,  à  juste  titre,  réuni  tous  les  suffrages.  Il  a  aussi  brillé  par  son 
art  incomparable  de  préparer  et  d'amener  les  nuances  dynamiques.  Si  son 
fortissimo  n'arrivait  pas  toujours  au  maximum  voulu  de  l'effet,  la  faute  en 
incombait  au  nombre  relativement  restreint  de  l'orchestre  qui,  à  Berlin,  ne 
joue  pas  dans  un  local  aussi  vaste  que  le  Cirque  d'hiver;  mais  la  gradation 
du  piano  et  surtout  cette  nuance  que  Bûlow  appelait  pianississimo  étaient  sim- 
plement admirables.  Il  faut  cependant  remarquer  que  M.  Nikisch  obtient  ses 
nuances  eu  ralentissant  généralement  le  mouvement,  quelquefois  même  à  un 
point  que  le  public,  habitué  aux  bonnes  traditions  du  Conservatoire,  en 
paraissait  déconcerté.  Citons  comme  exemple  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Beethoven  et  l'ouverture  de  Léonore  (a'^),  voire  même  le  prélude  de  Parsifal. 
Par  contre,  plusieurs  œuvres  dont  le  succès  était  auparavant  douteux  chez 
nous,  comme  la  symphonie  en  ni  mineur  de  Brahms  et  le  Tusse  de  Liszt,  ont 
trouvé,  grâce  à  la  limpidité  de  l'interprétation,  une  compréhension  parfaite 
et  un  accueil  chaleureux.  Les  cinq  concerts  que  M.  Nikisch  a  donnés  au  cours 
de  la  semaine  passée  oat  trouvé  leur  point  culminant,  quant  à  l'aftluence  du 
public  et  à  son  enthousiasme,  dans  la  soirée  du  22  mai,  consacrée  au  maître 
de  Bayreuth  dont  on  fêtait  en  même  temps  l'anniversaire  de  la  naissance. 

0.  Berggruen. 

—  Le  concert  annuel  donné  jeudi  au  théâtre  de  la  Renaissance,  par  la 
Société  des  concerts  de  chant  classique,  sous  la  direction  de  M.  Jules  Danbé, 
a  obtenu  un  grand  succès.  L'exécution  de  /«rfas  Macchabée,   le  jiagniUque 


oratorio  d'Haendel,  qui  n'avait  pas  été  entendu  depuis  les  si  artistiques 
séances  de  l'harmonie  sacrée,  fondée  en  1874  par  Ch.  Lamoureux,  a  fait 
triompher  une  fois  de  plus  le  bel  orchestre  de  M.  Danbé,  les  chœurs  de 
M.  Bordes,  les  solistes  :  M"«'^  Marie  de  la  Rouvière,  Joly  de  la  Mare,  le 
ténor  Gazeneuve  et  la  basse  Gébelin.  L'orgue  était  tenu  par  le'  maître 
Guilmant. 

—  C'a  été  une  soirée  sensationnelle  que  le  18''  concert  annuel  donné  par 
M°"=  Mathilde  Marchesi,  au  profit  des  œuvres  de  Montmartre.  Le  programme, 
auquel  on  n'aurait  pu  reprocher  que  d'être  trop  riche,  présentait  un  intérêt 
exceptionnel.  Chanteurs  et  virtuoses  y  alternaient  pour  la  joie  des  auditeurs, 
qui  ont  applaudi  tour  à  tour  M"«  Elisabeth  Parkiiison  et  Lou  Ormsby  dans 
le  duo  de  Lakmé,  cette  dernière  dans  l'air  de  Sirjurd  et  dans  le  Noël  pcâen  de 
Massenet,  M.  Léon  Lallitte,  dont  l'effet  a  été  très  grand  dans  l'air  _d'W«-orfî«(fe, 
enfin  M"^'  Ada  Sassoli,  MM.  Hardy-Thé,  de  Reverseaux,  Pablo  Casais  etHen- 
nebains.  Deux  intermèdes  charmants  variaient  ce  programme  opulent  : 
l'Aventure  de  M"'  Sylvie,  monomime  avec  prologue,  de  M.  Georges  Boyer, 
musique  de  M.  Al.  Tariot,  gracieusement  interprété  par  M"'° Marianne  Chas- 
saing,  et  Ballet  d'autrefois,  scène  à  deux,  de  M.  Georges  Boyer,  déjà  nommé, 
musique  de  Benjamin  Godard,  dansé  par  M"«  Charlotte  Zambelli,  de  l'Opéra, 
et  chanté  par  M"^  Darmières,  de  l'Opéra-Comique,  à  qui  l'on  a  fait  un  succès 
bruyant.  Les  «  œuvres  de  Montmartre  »  n'auront  pas  à  se  plaindre  du  résul- 
tat de  cette  soirée  brillante. 

—  A  la  salle  des  fêtes  du  .Journal,  M"""^  Signe  Lund  Skabo  a  donné  une 
audition  assez  intéressante  de  ses  œuvres.  Elle  a  fait  preuve  dans  une  série 
de  morceaux  pour  piano,  interprétée  avec  goût  et  charme  par  M"«  Hanka 
Schjelderup,  d'un  joli  talent  qui  s'inspire  de  Schumann  auquel  d'ailleurs 
plusieurs  titres  des  morceaux  sont  empruntés,  tels:  Novelelte,  Légende  ei 
/fomorcsAe  ;  malheureusement  ce  talent  manque  quelque  peu  de  souffle  et 
plusieurs  morceaux,  comme  le  Thènn  avec  variations  et  la  Légende,  auraient 
exigé  un  développement  plus  ample  et  un  traitement  plus  large  qui  les  aurait 
mis  en  pleine  valeur.  h'Idylle  et  le  Menuet  en  ré  majeur  ont  été  vivement 
applaudis,  et  avec  raison.  Mé.me  succès  pour  une  charmante  Berceuse  pour 
violon  que  M""=  Magnus-Malkine,  accompagnée  par  l'auteur,  a  fort  agréable- 
ment interprétée.  Nous  avons  aussi  entendu  une  série  de  mélodies  Scandi- 
naves, allemandes  et  anglaises,  qui  se  distinguent  presque  toutes  par  leur 
expression  poétique  et  par  un  accompagnement  d'une  distinction  et  d'un 
effet  peu  communs.  Sous  ce  rapport  nous  citerons  surtout  la  mélodie  Sur  la 
mer  étoilée  (O'er  the  starlit  sea)  pour  baryton,  fort  bien  interprétée  par 
M.  Francis  Harford,  et  trois  mélodies  auxquelles  M'"'  Aîno  Ackté,  de  l'Opéra, 
a  prêté  sa  voix  pure  et  généreuse  et  tout  le  charme  de  son  débit.  On  lui  a 
bissé  d'enthousiasme  Petite  Colombe  (Lille  Due)  et  En  effet  (Wahrliaflig),  ravis- 
sante poésie  d'Henri  Heine.  0.  Bn. 

—  Les  Chanteurs  de  Saint-Gervais  exécuteront  demain  lundi,  à  10  heures, 
à  Saint-Gervais,  une  des  plus  belles  œuvres  de  leur  répertoire  :  la  Messe 
«  Nos  aulem  gloriari  »,  de  Francesco  Soriano,  célèbre  maître  romain  du 
XVI"  siècle,  émule  de  Palestrina. 

—  D'Aix-les-Bains  :  Dès  les  premiers  beaux  jours,  la  musique  a  repris  ses 
droits  au  grand  Cercle  et  l'orchestre  de  M.  Provinciali  sollicite  heureusement 
les  baigneurs  craignant  la  cohue  de  la  grande  saison.  t>e  fort  jolis  pro- 
grammes très  bien  exécutés  valent  aux  interprètes  leurs  succès  habituels. 
Massenet  triomphe  avec  Werther,  la  Pastorale  à'Esclarnionde,  le  Roi  de  Lahore. 
les  Erin}ijies.  l'air  du  Cid  «  Pleurez  mes  yeux  »,  celui  de  Marie-Magdeleine  et 
Ouvre  tes  yeux  bleus,  chanté  par  M'i'Trannoy,  puis  le  succès  va  aussi  à  Ambroise 
Thomas  avec  l'ouverture  et  l'entr'acte  de  Mignon,  à  Delibes  avec  l'entr'acte  de 
Lakmé  et  Myrio,  également  chanté  par  M""=  Trannoy,  à  Dubois  avec  la  pre- 
mière audition  de  la  Su'de  Miniature,  et  à  Widor  avec  la  romance  de  Conte 
d' Avril.  Voilà  d'agréables  préludes  aux  grandes  fêtes  de  l'été, 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Chez  M.  et  M»'  Adolphe  Brisson,  exquise  séance  de  musique 
consacrée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois.  Au  programme  M"°  Henri  Lavedan,  qui  a 
délicieusement  chanté  avec  Fugère  le  duo  de  la  Grive  de  Xavière,  bissé  d'acclamation,  comme 
on  bisse  d'ailleurs  la  Légemle  de  saint  François  de  cette  môme  Xaviéi'e  au  même  Fugére, 
toujours  remarquable,  et  encore  Trimazôk  M""  LydiaNervil,  accompagnée  par  des  chœurs 
charniajits.  On  fait  fête  à  M.  Enesco  dans  l'adagio  et  le  finale  dii  concerto  pour  violon,  à 
JIM.  Bleuzet  et  Enesco  dans  la  Méditation  pour  violon  et  hautbois,  à  M"-^  Robillard  à 
li""  Paul  Thomas  et  à  M"«  Cazalis,  à  qui  l'auteur  présent  n'a  pas  ménagé  ses  très  justes 
félicitations.  —  La  soirée  donnée  par  M'""  Ed.  Colonne,  salle  Pleyel,  pour  l'audition  des  élèves 
de  son  excellente  école  de  chant  a  valu  de  très  nombreux  bravos  au  renommé  professeur 
et  à  ses  élèves  dont  elle  sait  faire  des  artistes.  Signalons  surtout,  ne  pouvant  malheu- 
reusement nonuuer  tout  le  monde.  M"'  Jeanne  Lambel  dans  l'air  du  Tasse  de  Benjamin 
Godard,  M"°  Olga  Fékèté  dans  la  scène  d'Orplu'e  de  Gluck  et  dans  l'Heure  rose  et 
l'Heure  d'azur  d'Augusta  Holmes,  M.  Alfred  Lœwenstein  dans  l'air  d'IIérodiacle  de 
Mussenel,  M""  Marie  lasne  dans  l'air  de  Louise  de  Charpentier  et  l'air  de  Zerline  de 
Don  Jiiiin  de  Mozart,  et,  enfin.  M""  Hildur-Fjord  à  qui  on  a  bissé  l'air  de  Manon  de 
Massenet.  Gros  succès  aussi  pour  la  charmante  harpiste.  M""  Lueile  Deleourt,  qui  prélait 
son  concours  à  cette  belle  séance.  —  A  l'Institut  Rudy,  séance  en  l'honneur  de  Louis 
Lacombe  qui  a  été  un  immense  succès  pour  les  œuvres  du  maître  disparu  très  bien 
interprétées  par  M""  Pacary,  Tassart,  MM.  A.  Brun,  Ch.iiniine  d'Avranches,  de  Lausnay, 
Delacroix.   Bis   pour  le   Cluint  d'étndimiis,  ,-\[v:xi\   '!.■,  ^mr  -,    l'I.'iiide  en  octaves  et  ta 

Cigale.  M.   de   Solenière,  en   une    vuh.i;inii' II'       /  f    i     i,    injjai'avant,   présenté 

l'œuvre  toute  de  probité  et  de  gr;inil(  ur  ;irLi<iii| 1-    L-m    L:ir(.mbe  aux  nombreuf 

auditeurs.  —  Séance  consacrée  aux  œuAres  de  Tiiéitdoi-e  Duljois  chez  M'""  Georgette 
Cebi'on,  professeur  de  chant.  On  bisse  l'Hymne  nupliat,  joué  en  perfection  par-M""  La- 
roclie  de  Larzes,  MM.  de  la  Tombelie,  Martinet,  Dumas  et  Denayer,  et  on  l'appelle 
M.  Clayes  après  l'air  d'Abcn-Hamet  et  M.  Mazalbert  après  les  mélodies  qu'il  chante. 
M""  Cebron  récolte  de  nombreux  bravos  en  chantant,  avec  M.  Mazalbert,  le  duo  de  la 


i()6 


LE  MtNESTREL 


Grive  de  Xavière.  —  Chez  M~*  Toutaio,  soirée  également  consacrée  à  Théodore  Dubois. 
Le  succès  va  sans  conleste  à  M"'  Toutain  qui  joue  supérieurement  les  Préludes  caracté- 
ristiques. Thème  vari-J  et,  avec  M.  Enesco,  la  Sonate  pour  violon  et  piano.  —  M.  Georges 
Falkenberg  a  donné  à  l'Institut  Rudy  une  très  brillante  audition  de  ses  élèves  de  piano 
et  de  sa  classe  au  Conservatoire,  dont  on  a  chaudement  applaudi  rexcellent  mécanisme 
et  l'interprétation  toujours  musicale  ;  au  programme,  outre  les  classiques.  Th.  Dubois 
tes  Abeittes,  Scherzo  et  Choral},  Saint-Saëns,  G.  Mathias  (Marche  de  l'opéra  le  Bœuf-gras, 
à  8  mains),  etc.  Énorme  succès  pour  M.  Hardy-Thé  dans  une  mélodie  de  M.  Falkenberg, 
dans  Je  t'aime  (bissée)  de  Massenet,  ainsi  que  pour  M.  Falkenberg  dans  son  numéro  de 
piano.  —  Nombreuse  assistance,  à  lu  salle  Erard,  pour  l'audition  des  élèves  de  M"'°  Bex 
dont  l'excellent  enseignement  donne  de  brillants  résultats.  Très  beau  programme  juste- 
ment applaudi,  notamment  Gaillarde  de  Dolmetscb,  Impromptu  de  Chopin,  Air  de  ballet 
de  Massenet,  Gavotte  d'Iphirjcme  à  18  mains  de  Gluck  et  2"  fantais'e  de  Périlhou.—  Intéres- 
sante audition  des  élèves  de  M"*'  Willard  et  Destéract,  à  la  salle  Riidy,  sous  la  présidence 
de  M.  Falkenberg.  Excellente  exécution  des  morceaux  de  piano.  Les  élèves  des  cours  de 
solfège  se  sont  également  distinguées  dans  plusieurs  chœurs.  Grand  succès  pour  M"'  Ba- 
baïan  dans  plusieurs  morceaux  de  chant  et  pour  la  mandoliniste,  Mimi  Joubert.  —  Le 
concert  donné,  salle  du  Journal,  au  proflt  de  l'ex-régisseur  Peri-enot,  offrait  une  agréable 
diversité.  M.  Paul  Seguy  s'est  fait  applaudir  dans  l'arioso  de  Boi  do  Lahore;  M"*"*  Poncin 
et  Herpin  dans  le  duo  du  Roi  d'Ys;  M*"^  Lherbay  dans  Lucie,  d'Alfred  de  Musset,  avec 
adaptation  musicale  de  B.  Godard  et  M*"'  .Tane  Arger  dans  trois  chansons  dans  \i  style 
ancien  de  M.  Léon  Schlesinger.  —  Dans  la  même  salle,  très  beau  concert  donné  par  le 
baryton  Paul  Seguy,  qui  a  défrayé  à  lui  seul  une  douzaine  de  numéros,  dont  plusieurs  lui 
ont  été  bissés,  notamment  la  Belle  du  Bol,  d'A.  Holmes,  accompagnée  sur  la  harpe  par 
M»"  Tassu-Spencer.  Il  s'est  aussi  fait  acclamer  avec  l'arioso  du  Roi  de  Lahore  et  Bonsoir  la 
Compagnie,  de  M.  Léon  Schlesinger.  M""'  Blanche  Huguet  a  partagé  son  succès  dans  le 
duo  du  Roi  de  Lahore.  —  Au  Trocadéro,  à  l'occasion  de  la  distribution  des  prix  de  la 
Société  des  Alsaciens-Lorrains,  très  important  programme  musical  dont  les  numéros  les 
plus  applaudis  sont  Bouche  close,  de  Gabriel  Fabre,  par  M.  Delaquerrièrc,  le  Crucifix,  de 
Faure,  par  MM.  Oumirof  et  Morati,  Pensée  d'Automne,  de  Massenet,  cl  Chant  d'exil,  de 
Vidal,  par  M"*  J.  Grétry,  duo  de  Sigurd,  de  Reyer,  par  M"'  B.  Huguet  et  M.  Séguy,  et 
Stances  de  Gilbert,  de  Massenet,  par  M.  Tordo.  —Au  concert  donné  par  M'"  Leroy-Détour- 
nelle,  on  applaudit  la  charmante  pianiste,  notamment  dans  la  Valse  aérienne,  de  Lack. 
M.  Séguy  obtient  aussi  grand  succès  dans  l'arioso  du  Roi  de  Lihore,  de  Massenet.  —  La 
Société  chorale  d'amateurs  (GuiUot  de  Sainbris)  vient  de  donner,  dans  la  salle  du  Conser- 
vatoire, sous  la  direction  de  M.  Jules  Griset,  un  concert  qui  a  prouvé  une  fois  de  plus  com- 
bien sa  réputation  est  bien  et  justement  établie.  M.  Uiémer  a  été  acclamé  dans  la  Fan- 
tais'ie  de  A.  Périlhou  qu'il  a  supérieurement  exécutée.  —  M.  Georges  Amirïan  vient  de 
donner,  salle  Pleyel,  un  concert  où  il  a  fait  applaudir  sa  jolie  voix,  notamment  dans  le 
Rêve  du  prisonnier,  de  Rubinstein.  Bravos  aussi  pour  Louis  Diémerdans  Gavotlepour  tes 
Heures  et  les  Zéphyrs,  de  Bameau,  et  Réveil  soui  bois  de  sa  composition,  pour  M.  F.  Baer 
dans  la  Caravane  humaine,  d'Alph.  Duvernoy  et  pour  le  violoniste  Paul  Viardot  dans  ses 
œuvres.  Berceuse  triste  et  Gavotte. 

—  Concert  annoncé.  —  Samedi  1"  juin,  salle  Érard,  concert  du  jeune  violoniste 
Henri  Opienski,  avec  le  concoui-s  de  M""  Teresita  Tagliapietra,  pianiste-compositeur,  fille 
de  M™'  Carrefio,  de  M"'^  Marie  Langie  et  de  M.  Cari  Furstenberg.  Le  p'ano  d'accompagne- 
ment sera  tenu  par  M'"  Marguerite  Duchemin. 


NÉCROLOGIE 

L'autre  samedi  est  mort  à  Joinville,  âgé  seulement  de  46  ans,  un  artiste 
que  le  public  de  l'Opéra-Comique  n'a  certainement  pas  oublié,  Arthur  Com- 
balet.  dit  Cobalet,  qui  appartint  pendant  di.x  ans  à  ce  théâtre.  Bordelais  de 
naissance  et  ami  de  son  compatriote  Talazac,  c'est  par  l'entremise  de  celui-ci 
qu'il  vint  débuter  en  1882  à  l'Opéra-Comique,  dans  le  Chalet.  Peu  de  temps 
après  il  jouait  Jacob  dans /osc/i/i,  puis  reprenait  divers  rôles  du  répertoire. 
Son  grand  succès  fut  celui  de  Nilakhanta  dans  Lnhmc,  qu'il  créa  avec  un 
véritable  talent  et  qui  faisait  valoir  sa  superbe  voi.v;  de  baryton.  Plus  tard  il 
créa  aussi  avec  bonbeur  le  rùle  du  roi  dans  le  Roi  d'Ys.  Peu  après  il  quittait 
Paris  et  allait  continuer  sa  carrière  en  province  et  à  l'étranger.  11  avait, 
depuis  quelques  années,  abandonné  le  théâtre,  et  s'était  retiré  à  Joinville-le- 
Pont,  où  il  avait  été  élu  conseiller  municipal. 

—  Ces  jours  derniers  est  mort  à  Paris,  à  l'âge  de  64  ans,  M.  Léon  Garnier, 
ancien  directeur  à  la  préfecture  de  la  Seine,  frère  de  l'illustre  explorateur 
Francis  Garnier,  auquel  la  France  doit  la  cinquète  du  Tonkin  et  qui  périt 
victime  de  sa  bravoure.  M.  Léon  Garnier,  qui  avait  voué  un  véritable  culte 
à  la  mémoire  de  son  frère  et  qui  ne  cessa  de  travailler  à  sa  gloriDcalion, 
était  passionné  de  musique  et  de  théâtre,  et  sa  haute  situation  administrative 
ne  l'empêchait  pas  de  s'en  occuper  avec  ardeur.  Il  avait  suivi  dans  sa  jeu- 
nesse les  cours  de  l'école  de  Duprez,  et  pendant  près  de  trente-cinq  ans,  de 
1865  à  1899,  il  prit  une  part  active  de  collaboration  au  journal  l'Europe 
itrliste,  où  il  rendait  compte  régulièrement  des  représentations  de  l'Opéra  et 
de  l'Opéra-Comique. 

—  De  Berlin  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  4S  ans,  de  l'excellent  pianiste 
Franz  Rummel,  petit-fils  de  Chrétien  Rummel,  l'ami  de  Beethoven.  Il  était 
né  à  Londres  le  11  janvier  1833  et  avait  fait  ses  études  au  Conservatoire  de 
Bruxelles,  dans  la  classe  de  Louis  Brassin.  De  1872  à  1878  il  se  fit  entendre 
avec  beaucoup  de  succès  en  Angleterre,  eu  France,  en  Allemagne  et  en  Bel- 
gique. Il  se  rendit  ensuite  en  Amérique,  où  il  resta  plusieurs  années,  puis, 
de  retour  en  Europe,  se  fixa  à  Berlin,  où  il  devint  professeur  de  piano  au 
Conseri'atoire  Stern. 


Henri  Heugel,  directeur -gérant. 

A  CÉDER  aa  centre  de  Vichy,  fonds  de  musique,  pianos,  lutherie.  Pour 
tous  renseignements  s'adresser  Maison  miisicale,  39,  rue  des  Petits- 
Champs,  Paris. 


Jiji  pente   AU    MÉNKSTREL,    s"',    rue    Vivieiine,    HÊUGEL    et    G'e,    Éditeurs. 

TRAITÉ  DE  CONTREPOINT  &  DE  FUGUE 

THÉODORE    DUBOIS 

Membre  de  l'Institut  —  Directeur  du  Conscrratoire. 

Un   fort   volume   grand  in-4°   de   300  pages.  —  Prix  net  :    25   francs. 
Du  même  auteur  :  NOTES  ET  ÉTUDES  D'HARMONIE,  net  :  15  francs.  —  87  LEÇONS  D'HARMONIE  (basses  et  chants),  net  :  15  francs. 

En  vente  AU   MÉNESTREL   2'''^   rue   Vivienne  (tirage   limité) 

LE  CONSERVATOIRE  NATIONAL  DE  MUSIQUE  ET  DE  DÉCLAMATION 

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Recueillis ,   établis   ou  rédigés 

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Sous-clief  du  Secrétariat,  lauréat  de  l'Institut. 
Un   fort  volume   in-i"   carré   de    10©0   pages,   pulblié  par  l'impi-liTierle   nationale. 


DOCUMENTS    HISTORIQUES 

1.    L'Ecole   royale   de   chant,  1784-1795;  —  IL    L'École   royale   dramatique,  1786-178!);  —  III.  La  musique  et   l'École  de   la  garde  nationale,  1789-1790; 
"IV.  L'Institut  national  de  musique,  1793-179o;  —  V.  Le  Conservatoire,  1795-1813;  —  VI.  L'Ecole  royale  de  musique,  1816-1822. 

DOCUMENTS  ADMINISTRATIFS 
VIL  Actes  organiques  :  règlements,  arrêtés,  rapports  concernant  l'enseignement;  projets  de  réorganisation; — Vllt.  Conseils  d'enseignement  et  comités  d'examens, 
arrêtés,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  IX.  Personnel  administratif  et  enseignant,  1795-1900,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  X.  Exercices  des 
élèves  :  notice  historique,  programmes  1802-1900;  —  XL  Palmarès  des  concours,  liste  des  professeurs  et  lauréats  par  branches  d'études,  morceaux  de  concours; 
dictionnaire  des  lauréats  (6.090  notices  biographiques);  statistiques,  élèves,  aspirants,  classes,  concours,  répartition  des  lauréats  par  lieux  d'origine  : 
—  XII.  Distributions  des  prix;  discours  1797-1864;  programmes  des  concerts  1797-1900;  —  XIIL  Budgets  :  crédits,  dépenses;  —  XIV.  Legs  et  donations  en 
faveur  des  élèves;  —  XV.  Ecoles  de  musique  des  départements.  —  Tables  chronologique,  analytique  et  des  noms. 

Prix   net  ;   25  francs. 
Adresser  les  demandes  AU  MÉNESTREL,    HEUGEL   ET   C",    i  bis,  rue   Vivienne,   à  Paris. 


.  20,  1 


3662.  -  67-  mîï.  —  «"22. 


Dimanche  2  Juin  1901. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2"",  rue  Vivienne,  Paris) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTRE 


lie  JlaméFo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  JluméPo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à -M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6ts,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  ans. 


SOMMAIRE-TEXTE 


.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (14'  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Bulletin  théâtral  ;  première  représentation  de  Pour  le  monde,  à  l'Athénée,  Paul- 
Émile  Chevalier.  —  IH.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  {6'  arli- 
cle),  Camille  Le  Senne.  —  ÏV.  Le  Tour  de  France  en  jmisique  ;  musique  d'église  et 
de  ville,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

RÊVERIE 

n"  3  du  Poème  du  silence,  d'EENEST  Moret.  —  Suivra  immédiatement  :  la  Clién 

blessure,  nouvelle  mélodie  de  Revnaldo  Haiin,  poésie  de  M°"=  Blanchecotte. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Promenade,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement  :  Meiiuel  Roccoco,  de 
Théodore  Lack. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

et  i 


(Suite.) 


V 

Etoiles  disparues  avant  la  Révolution.  —  Le  bon  ton  de  Sophie  Arnould.  —  ■  La 
Reine  de  Carlhage  et  la  déesse  de  la  Raison.  —  La  reine  de  Carthage  et  la  reine 
de  France.  —  Épllre  de  Gossec  à  la  Saint-Huberli. 

Les  époques  troublées,  où  les  questions  politiques  dominent 
toutes  les  autres,  peuvent  avoir  leurs  lettrés  et  leurs  artistes, 
dont  elles  éveillent,  encouragent  ou  réchaufîent  l'inspira- 
tion ;  mais  elles  ne  favorisent  guère  l'éclosion  des  virtuoses  de 
la  scène,  qui,  pour  atteindre  toute  sa  plénitude  et  tout  son  éclat, 
réclame  des  régions  plus  sereines,  inaccessibles  aux  tumultes 
des  discordes  civiles.  Cette  vérité  apparaît  en  quelque  sorte  à 
chaque  page  de  l'histoire  révolutionnaire.  Sauf  de  très  rares 
exceptions,  les  chanteurs  et  les  comédiens  qui  brillèrent  le  plus 
dans  cette  période  de  dix  années  avaient  été  fort  appréciés  et 
fort  applaudis  sous  le  régime  précédent. 

Déjà  deux  gloires  de  l'Académie  Royale  de  Musique  n'étaient 
plus  au  théâtre  :  Sophie  Arnould,  qui  l'avait  quitté  en  1778,  et  la 
Saint-Huberti,  la  future  comtesse  d'Antraigues,  qui,  par  roya- 
lisme ou  par  loyalisme,  avait  bruyamment  rompu  avec  l'Opéra 
au  lendemain  de  la  Révclulion. 


Plusieurs  de  nos  contemporains  ont  nié  le  talent  et  la  beauté 
de  Sophie  Arnould.  Peut-être  le  succès  de  ses  mots  à  l'emporte- 
pièce  a  t-il  fait  tort  à  sa  double  réputation  de  jolie  femme  et  de 
grande  artiste.  11  n'est  pas  douteux,  cependant,  que  sa  figure 
éclairée  par  des  yeux  merveilleusement  expressifs  et  que  sa 
voix  où  passait  tout  le  feu  de  son  âme,  produisaient  l'impression 
la  plus  vive  sur  un  public  d'ordinaire  difficile  et  peu  bienveil- 
lant... il  est  vrai  que  «  nous  avons  changé  tout  cela  ». 

Quand  Sophie  Arnould  se  retira,  encore  jeune,  mais  fatiguée 
par  les  émotions  inséparables,  paraît-il,  de  la  vie  d'actrice,  elle 
garda  du  moins  de  ses  relations  extra -théâtrales  une  fleur  de 
politesse,  une  élégance  de  bon  ton,  un  sentiment  de  tenue  qui 
n'étaient  pas  rares  chez  les  comédiennes  d'autrefois. 

M°"=  de  Ghastenay  eut  cette  impression  de  Sophie  Arnould, 
quand  elle  la  rencontra  au  Luxembourg  chez  Barras,  qui  recevait 
ce  jour-là  à  sa  table  la  vieille  actrice,  avec  son  antique  amant 
le  duc  de  Lauragais.  Sophie  Arnould  avait  encore  les  yeux  fort 
beaux,  mais  elle  n'avait  plus  de  dents,  infirmité  que  trahissait 
un  sifflement  fort  désagréable  chaque  fois  qu'elle  voulait  parler. 
Elle  portait  une  toilette  appropriée  à  son  âge  et  ses  manières 
étaient  marquées  au  coin  d'une  distinction  parfaite,  cette  distinc- 
tion des  grandes  dames  du  XV11I«  siècle,  qui  se  retrouvait  chez 
la  Guimard,  si  embarrassée,  dit  M'"'  de  Ghastenay,  le  jour  où  elle 
dut  se  risquer  dans  les  rues  de  Paris  seuls,  à  pied  et  sans 
domestique. 

M'""  de  Ghastenay  revit  Sophie  Arnould  chez  M""  de  Bruix. 
L'ancienne  cantatrice  se  tint  un  peu  moins  sitr  la  réserve.  Elle 
se  montra  fort  aimable  et  ne  se  refusa  pas  à  chanter  avec  Lays, 
de  l'Opéra,  qui  l'accompagnait,  plusieurs  scènes  de  VIphigénie  de 
Gluck.  Sa  voix  était  chevrotante,  mais  encore  passionnée. 

Norvins,  quand  il  parle  de  Sophie  Arnould,  s'accorde  avec 
M'"=  de  Ghastenay  pour  reconnaître  le  grand  air  et  l'irréprochable 
tenue  de  l'actrice.  Il  signale  la  même  attitude  chez  la  Guimard 
et  chez  la  Duthé,  celle-ci  une  courtisane  de  première  marque. 
Les  jeunes  gens  admis  à  leurs  réceptions  eussent  été  impitoya- 
blement congédiés,  s'ils  avaient  manqué  le  moins  du  monde  aux 
lois  de  la  correction. 

Mais  si  ces  «  belles  et  honnestes  dames  »,  eût  dit  Brantôme, 
observaient,  même  dans  les  écarts. de  leur  vie  privée,  les  règles 
du  bon  ton,  elles  ignoraient  absolument  celles  de  l'économie.  On 
sait  quelle  fut  leur  gêne,  leur  misère,  leur  détresse.  Le  ministre 
Ghaptal  (1)  apprit  celle  de  Sophie  Arnould,  alors  qu'elle  demeurait 
à  l'hôtel  d'Angivilliers.  11  voulut  lui  venir  en  aide,  tout  en  lui 
donnant  une  de  ces  satisfactions  d'amour-propre  qui  tiennent  si 
fort  au  cœur  des  comédiens. 

Il  proposa  donc  à  l'ancien  premier  sujet  de  l'Opéra  une  repré- 
sentation,  à  bénéfice,  de  la  ûidon  de  Piccinni.  Sophie  Arnould 

(I)  CiiAPT.iL.  Mes  Souvenirs  sur  Napoléon,  Pion,  1893. 


170 


LE  MÉNESTREL 


devait  revêtir  le  costume  de  Tamante  d"Énée,  pour  reparaître 
une  dernière  fois  sur  la  scène.  Elle  accepta  tout  d'abord  sans 
plus  de  réflexion,  mais  le  lendemain  elle  écrivait  à  Chaptal 
«  qu'elle  venait  de  voir,  la  veille,  la  reine  de  Carthage  monter 
dans  son  lit,  et  que  si  le  public  l'avait  vue  conime  elle  il  en 
aurait  pitié.  Il  faut  donc  abdiquer  à  temps,  surtout  lorsque, 
comme  moi,  on  a  eu  un  règne  brillant.  » 

Paroles  vraiment  sensées,  qu'on  ne  saurait  trop  recommander 
à  la  méditation  des  vieux  comédiens  et  que  semblerait  démentir 
une  étrange  anecdote  contée  par  M.  de  Mazade(l),  cousin  de 
l'académicien  du  même  nom,  dans  ses  Lettres  et  Notes  intimes. 

Sophie  Arnould  retirée,  pendant  les  fureurs  de  la  tourmente 
révolutionnaire,  à  Luzarches,  aurait  consenti,  dit  M.  de  Mazade, 
à  figurer,  en  déesse  de  la  Raison,  à  la  cérémonie  célébrée  en 
l'honneur  de  l'idole  des  Hébertistes,  dans  la  chapelle  de  l'ab- 
baye de  Panthémont. 

Est-il  admissible  que,  foncièrement  royaliste  comme  elle 
l'était  et,  de  plus,  ayant  largement  dépassé  la  cinquantaine,  Sophie 
Arnould  se  soit  prêtée  à  une  pareille  mascarade"?  En  tout  cas 
les  Goncourt,  historiens  autorisés  de  la  célèbre  actrice,  n'en  ont 
pas  soufflé  mot. 

Le  rôle  de  Didon,  qu'elle  avait  si  sagement  décliné,  était  le 
triomphe  de  la  Saint-Huberti.  Le  11  juin  1784,  M°"=  Gradock  put 
admirer  dans  l'opéra  de  Piccinni  la  grande  tragédienne  lyrique 
dont  le  tempérament  dramatique  transfigurait  le  masque  vul- 
gaire. G 'était  représentation  de  gala  à  l'Opéra.  L'Académie  royale 
de  musique  recevait  dans  cette  soirée  le  prince  de  Suède,  hôte 
de  la  France,  et  la  reine  Marie-Antoinette,  que  les  Parisiens  accla- 
maient encore  : 

«  ...Sa  Majesté  de  Suède,  écrit  M""'  Cradock,  donna  plusieurs 
fois  le  signal  des  applaudissements.  Un  des  spectateurs  occupant 
avec  nous  notre  loge  fit  la  juste  remarque  qu'aucune  des  deux 
reines,  celle  de  France  et  celle  de  Carthage,  n'était  ni  poudrée, 
ni  fardée.  » 

Nous  ne  serions  pas  autrement  étonné  que  la  réflexion  fut  de 
mislress  Cradock  elle-même.  Cette  dame  était  de  ces  Anglaises 
indépendantes,  déjà  légion,  qui  tenaient  en  médiocre  estime  la 
poudre,  le  fard,  les  mouches  et  autres  ajustements  féminins  bons 
tout  au  plus  pour  des  Françaises.  L'impératrice  d'Autriche, 
Marie-Thérèse,  avait  élevé  sa  fille  Marie -Antoinette  dans  les 
mêmes  principes.  Et  la  Saint-Huberti,  une  enfant  de  la  balle, 
habituée  dès  l'âge  le  plus  tendre  aux  misères  du  roman  comi- 
que, n'avait  pas  oublié  que  la  nature,  sa  meilleure  éducatrice, 
a  l'horreur  des  artifices  mondains. 

Le  jeu  à  la  fois  simple  et  fort,  mais  si  vrai  et  si  pathétique, 
d'une  artiste  dont  la  voix  ardente  remuait  tous  les  cœurs,  avait 
soulevé  l'enthousiasme  des  foules.  La  gloire  de  la  Saint-Huberti 
lit  naître  même  des  poètes.  C'est  ainsi  que  la  cantatrice  reçut 
un  jour  cette  pièce  de  vers  : 

REMERCIEMENTS  ADRESSÉS  A  M°"°  SAINT-HUBERTY  APRÈS  PLUSIEURES  (sic) 
REPRÉSENTATIONS  DE  Phèdre  (2) 

Saint-Huberty,  connais  ton  art  magique, 
Vois  à  quel  point  ses  elt'ets  sont  puissants. 
Huit  lustres  bien  comptés,  j'adorai  la  musique. 
Te  le  dirai-je  enfin?  Depuis  plus  de  dix  ans 
Cet  art  me  suscitait  un  someil  (sic)  léthargique. 
Je  n'i  (sic)  trouvais  plus  ces  plaisirs 
Qui  charmaient  jadis  mes  loisirs. 
0  prodige  étonnant  qu'il  faut  que  je  publie! 
Dans  Phèdre  tes  divins  accents 
M'ont  tiré  de  cette  apathie 
Où  s'étaient  livrés  tous  mes  sens. 
Vois  de  ton  art  ce  que  peuvent  les  charmes. 
Mon  àme  était  fermée  aux  plus  sublimes  chants, 
Tes  talents  immortels  m'ont  offert  tous  leurs  charmes. 

Je  l'ai  payé  du  tribut  de  mes  larmes. 
Et  ton  art  enchanteur,  en  ces  heureux  moments, 
Seul  vient  de  rendre  au  mien  mes  premiers  sentiments. 
Ne  pense  pas  qu'ici  la  basse  flatterie 
T'élève  des  autels  et  t'offre  de  l'encens. 
De  l'adulation  je  hais  le  vil  langage. 
Rien  ne  m'a  pu  jamais  faire  trahir  ma  foi. 

(1)  fJE  Mazade.  —  Lettres  et  Notes  intimes.  Frémont,  1891. 

(2)  Collection  d'autographes  Lefèvre.  —  Manuscrit  de  lu  Bibfiothèque  nalioiialc. 


Et  je  rends  à  ton  art  le  plus  sincer  (sic)  hommage. 
C'est  sans  nul  intérêt,  jo  n'attends  rien  de  toi. 
Puisque  enfin  je  te  dois  une  nouvelle  vie, 
Que  par  toi  de  mon  art  le  goût  renait  en  moi. 
Permets.  Saint-Huberty,  que  je  t'en  remercie. 
Désires-tu  savoir  quel  est  l'écrivain  sec 
Qui  charpente  si  bien  ce  grifl'onage  étique 
Et  dont  le  style  n'est  français,  latin,  ni  grec'? 
Tu  trouveras  son  nom  inscrit  dans  la  musique. 
Mais,  sans  aller  plus  loin,  il  se  nomme  Gossec. 

Nous  avions  ignoré  jusqu'alors  que  le  compositeur  belge,  futur 
inspecteur  de  notre  Conservatoire  de  musique,  fût  également  un 
poète.  Ce  n'est  pas  que  ses  vers  soient  bons,  et  il  est  heureux 
pour  sa  mémoire  qu'il  ait  produit  d'autres  œuvres,  mais  cette 
pièce,  que  nous  croyons  inédite  et  qui,  en  tout  cas,  est  restée 
inconnue  aux  Goncourt,  biographes  de  la  Saint-Huberti,  nous 
donne  de  précieux  renseignements  sur  la  vie  de  Gossec.  Que,, 
dans  le  cours  de  sa  longue  et  belle  carrière,  le  fécond  musicien 
ait  eu,  comme  tant  d'autres  de  ses  confrères,  des  heures  de 
découragement  ou  de  défaillance,  c'est  possible  et  même  vrai- 
semblable; mais  la  durée  n'en  fut  pas  telle  qu'il  veut  bien  le 
dire.  Il  n'existe  guère  d'intervalle  entre  ses  diverses  œuvres 
dramatiques  ou  sacrées  et  cet  opéra  de  Thésée  qui  valut  à  la 
Saint-Huberti  des  «  remerciements  »  si  poétiques.  En  revanche, 
pour  un  homme  qui  sort  de  léthargie  il  ne  nous  parait  pas  que 
son  réveil,  s'afEirmant  par  l'apparition  de  Thésée,  ait  eu,  comme 
Gossec  le  laisse  entendre,  l'éclat  d'une  apothéose. 

(A  suivre. }  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THEATRAL 


Athénée.  Pour  le  inonde,  comédie  en  4  actes,  de  M.  Henri  Lyon. 

«  Pom-  le  monde  »,  le  duc  Jacques  de  Trèmes,  ruiné  par  les  excentri- 
cités de  feu  son  père,  n'aura  pas  le  droit  d'épouser  M™"  veuve  Rose 
Gharvey,  de  très  grande  fortune,  alors  que  leur  liaison  est  admise  de 
tous,  mais  il  aura  le  droit  de  prendre  pour  femme  M"'^'  Geneviève 
Saulnier,  qu'il  n'aime  pas,  et  qui  lui  apportera  cinq  millions.  Énorme 
subtilité  de  moralité  mondaine,  que  l'avoué  Pierre  Landry  et  M°'=  Lan- 
dry se  chargeront  de  faire  comprendre  au.x  deux  intéressés,  si  bien  que 
Rose  Gharvey  sacrifiera  son  amour.  Jacques,  après  avoir  beaucoup 
pleuré  sur  l'abandon  de  celle  dont  il  eut  peine  à  comprendre  la 
conduite,  circonvenu  de  tous  côtés  par  ses  amis.  Unit  donc  par  accepter 
Geneviève  et  sa  dot,  et  le  monde  est  content.  Et  le  monde  n'en  restera 
pas  moins  content  et  n'aura,  de  nouveau,  nul  reproche,  lorsque  Rose, 
revenue  en  France  après  une  longue  absence,  se  rencontrera  avec 
l'ancien  aimé,  aura  avec  lui  l'explication  nécessaire  et  retombera  fata- 
lement dans  ses  bras. 

Petite  chiquenaude  donnée  à  l'hypocrisie  de  bon  ton  par  M.  Henri 
Lyon  qui,  pour  encadrer  sa  thèse,  a  construit  une  pièce  de  faire 
adroit  encore  que  d'allure  un  peu  lente  dans  le  début  et  quelquefois 
surannée  dans  les  détails.  Cela  fait,  parfois,  songer  à  du  Georges  Ohnel 
qu'aurait  essayé  de  retaper  un  écrivain  rosse  d'arriérée  timidité.  Deux 
scènes  sont,  surtout,  de  très  excellente  venue  théâtrale,  celle  dans 
laquelle  Rose  Gharvey  se  fait  violence  pour  quitter  Jacques  el  celle  où 
les  deux  sacrifiés  se  retrouvent.  Il  est  juste  do  dire  qu'elles  sont  mises, 
l'une  et  l'autre,  en  merveilleuse  valeur  par  M"°  Jane  Thomsen.  tout  â 
fait  exquise  d'émotion  contenue  et  communicative.  M.  Louis  Gauthier 
lui  donne  juvénilement  et  ardemment  la  réplique.  Le  reste  de  la  distri- 
bution, plutôt  grise,  —  est-ce  la  faute  de  l'auteur  ?  est-ce  celle  des 
interprètes  ?  —  met  en  avanl  les  noms  de  MM.  Dieudonné,  Séverin, 
Tréville,  de  M""='  Saulaville,  Suzanne  Demay  et  Bignon,  entre  autres. 

Pal'l-Émile  Ghevaher. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     GR A N D  -  P A L A  I  S 


(SiA'lèmr  article.) 

Chaque  époque  a  ses  modes  pour  l'ameublement,  mais  le  résultat 
est  toujours  le  même.  Il  faut  bien  que  les  grandes  surfaces  à  couvrir 
soient  couvertes  et  que  les  panneaux  à  garnir  soient  garnis  :  rien  ne 
saurait  prévaloir  contre  cette  nécessité  architecturale.  Jadis  on  y  satis- 


LE  MÉNESTREL 


171 


faisait  par  l'emploi  des  grandes  tapisseries  décoratives,  des  amples  et 
majestueux  Gobelins,  des  vastes  et  anecdotiques  Beauvais  ;  aujourd'hui 
les  dernières  manufactures  de  haute  lisse  ne  servent  plus  guère  qu'à 
alimenter  le  protocole  de  cadeaux  diplomatiques,  d'étrennes  pour  sou- 
verains amis  ;  mais  aux  tapisseries  absentes  et  qui  seraient  trop  coû- 
teuses se  substitue  la  simili-fresque  de  dimensions  économiquement 
gigantesques.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  convient  de  considérer  une 
toile  aussi  démesurément  étendue  que  l'Enlèvemetil  de  l'Amour  par  les 
sirènes  de  M.  Lalire  ;  elle  donne,  grosso  modo  si  j'ose  ainsi  parler,  l'équi- 
valent d'une  tapisserie  exécutée  d'après  des  cartons  de  l'école  deRubens. 
Ces  nymphes  mafflues,  d'un  dessin  correct  et  parfois  élégant  sous  leur 
boursouflure,  cet  Éros  bouffi,  aux  chairs  débordantes,  tout  ce  groupe 
adipeux  fardé  du  plus  riche  vermillon  rempliraient  à  merveille  le  fond 
d'un  hall  d'hôtel  fraîchement  construit  dans  quelqu'un  de  nos  quar- 
tiers neufs;  et  malgré  la  vulgarité  de  certains  accessoires,  la  conven- 
tion des  attributs  classiques  y  donnerait  une  suffisante  impression 
d'art. 

Même  remarque  pour  la  Phryné  aux  fêtes  de  Vénus  de  M.  IjOuis  Cha- 
lon,  épisode  du  culte  de  Cypris.  Le  vieux  marcheur  de  M.  Lavedan 
n'hésiterait  pas  à  la  préférer,  dans  sa  garçonnière  du  quartier  Marbeuf, 
aux  meilleures  reproductions  par  la  tapisserie  des  cartons  de  Raphaël. 
Ce  n'est  pourtant  pas  un  chef-d'œuvre,  le  tableau  de  M.  Chalon  ;  mais 
il  a  des  qualités  décoratives,  en  dépit  du  coloris  sans  chatoiement  et  des 
figures  sans  relief.  Phryné  s'apprête  à  aller  prendre  son  bain,  en  cos- 
tume Evaïque,  dans  le  sein  du  flot  qui  vit  surgir  Aphrodite;  elle  tra- 
verse, dans  cet  étal  de  nature,  les  rues  d'Eleusis,  aux  acclamations  des 
peuples  accourus  pour  la  voir  —  ne  doutez  pas  qu'on  n'organisât  des 
trains  de  plaisir!  —  sans  qu'aucune  trace  de  pudit[ue  incarnat 
vienne  roser  la  blonde  harmonie  d'un  ensemble  très  académique.  Le 
peintre  nous  rappelle  (dois-je  avouer  qu'il  m'apprend?)  l'origine  de  cette 
cérémonie,  dont  on  n'oserait  plus  donner  l'équivalent  même  au  bal  des 
Quat'-z-Arts.  «  Cette  représentation  de  la  naissance  de  Vénus  se  passait, 
avant  Phryné,  dans  la  piscine  du  temple,  et  c'est  pour  l'avoir  rendue 
publique  qu'elle  fut  accusée  de  dénaturer  les  cérémonies  de  la  reli- 
gion .  ))  Phryné  en  tenait  pour  la  grande  publicité  et  ne  se  contentait 
pas  d'une  salle  de  répétition  générale  quand  elle  jouait  Aphrodite.  Nos 
modernes  théàtreuses  ont  hérité  pour  la  plupart  de  cette  préférence 
explicable  mais  parfois  dangereuse. 

Si  le  personnage  déjà  nommé  du  répertoire  de  M.  Lavedan  voulait 
donner  un  pendant  à  la  pseudo-tapisserie  de  M.  Chalon,  il  n'aurait 
qu'à  prendre  la  composition  de  M.  Gervais  :  Fête  en  l'honneur  de  Bacchus 
et  d'Ariane  : 

Ariane,  ma  sœur,  de  quelle  amour  blessée 
Vous  mourûtes  aux  bords  où  vous  fûtes  laissée... 

mais  nous  n'en  sommes  pas  au  mélancolique  final  de  l'idylle.  M.  Ger- 
vais nous  montre  au  contraire  le  début,  les  accordailles.  Rien  d'intime 
ni  de  discret.  En  leur  qualité  de  personnages  mythologiques,  vivant  au 
grand  plein  air,  dans  l'ambiance  la  plus  azurée,  Ariane  et  Bacchus  ne 
sauraient  se  contenter  d'un  petit  cercle  d'assistants.  La  prêtresse,  à 
peine  plus  vêtue  que  Phryné,  se  fiance  au  jeune  dieu  dans  un  cirque 
immense  formé  par  la  ceinture  des  collines  qui  s'étagent  jusqu'au  bord 
de  l'horizon;  et  sur  ces  gradins  naturels  est  assemblée  la  foule  innom- 
brable des  bacchants  et  des  bacchantes  en  tenue  hiératique.  Cette 
réunion  fait  la  pige  aux  plus  copieux  défilés  de  nos  mariages  les  plus 
courus.  Inutile  d'ajouter  qu'elle  l'emporte  par  l'intérêt  décoratif,  sinon 
par  la  variété  des  costumes  généralement  réduits  à  quelque  bout  de  peau 
de  tigre,  à  quelque  pan  de  draperie  volante. 

Plus  sévère,  et  d'ailleurs  destinée  au  grave  encadrement  architec- 
tural du  bâtiment  de  la  Faculté  de  Droit  de  Paris,  la  vaste  scène  murale 
où  M.  Abel  Boyé  a  représenté  Télémaque  expliquant  les  lois  de  Minos, 
en  style  de  catalogue  :  «  Devant  les  juges  des  peuples,  gardes  des  lois, 
Télémaque  s'exprime  selon  le  recueil  des  lois  de  Minos.  »  Traduction 
libre  :  «  l'élève  Télémaque  (institution  Mentor)  passe  son  premier 
examen  de  droit  ».  La  scène  se  passe  en  plein  air,  cocnme  pour  Ariane 
et  Phryné,  mais  avec  un  entourage  moins  suggestif.  Le  Tout-Eleusis 
aux  vêtements  de  pourpre,  et  1  es  Bacchantes  sans  costumes  sont  rem- 
placés cette  fois  par  d'austères  vieillards  installés  sur  des  bancs  de  pierre 
et  qui  déroulent  de  volumineux  parchemins  réprésentant  le  recueil 
hypothétique  des  lois  de  Minos.  En  des  poses  assez  heureusement 
variées  et  qui  font  honneur  à  la  science  de  composition  de  M.  Abel 
Boyé,  ils  travaillent  à  pousser  des  colles  au  malheureux  candidat,  vu 
de  dos  par  la  galerie.  Comme  décor,  un  paysage  assez  réussi  et  que  les 
modernes  impétrants  préféreraient  certainement  à  l'amphithéâtre  gla- 
cial de  la  Faculté  :  une  vallée  enserrée  par  de  hautes  montagnes  dont 
les  derniers  rayons  du  couchant  empourprent  la  cime. 

L'Adam  et  Eve  chassés  du  paradis  de  M.  Louis  Bèroud,  autre  grande 


toile,  conviendraient  plus  particulièrement  au  hall  d'un  salon  d'esthètes. 
Ils  y  mettraient  un  dosage  très  britannique  de  lueurs  vives  et  de  fonds 
bituminés.  C'est  d'ailleurs  un  bon  dernier  tableau  de  mélodrame  bibli- 
que. Aux  éclairs  du  magnésium,  le  père-grand  et  la  grand'mère  de  toute 
l'humanité  font  leur  entrée  dans  cette  vallée  de  misères  où  il  faut  arro- 
ser les  pommie'rs  de  la  sueur  de  son  front  pour  avoir  des  pommes.  Le 
retour  est  interdit  et  —  détail  significatif — les  fauves  jadis  apprivoisés, 
■  les  tigres  doux  comme  des  caniches  avant  le  péché  originel,  montrent 
les  dents,  aiguisent  leurs  griflés.  C'en  est  fini  de  la  paix  edenique;  en 
route  pour  l'Ambigu.  Composition  inégale  et  tapageuse,  au  demeui'ant 
d'un  certain  intérêt. 

C'est  dans  une  des  grandes  salles  vides  de  la  nouvelle  Sorbonne,  et 
plus  spécialement  dans  celle  où  l'on  passe  le  baccalauréat,  que  je  vou- 
drais voir  exposer  le  gigantesque  envoi  de  M.  Chartran  qui  représente 
Richelieu  et  le  père  Joseph,  l'Éminence  grise,  en  conversation  politique. 
Rien  ne  répondrait  mieux  que  cette  peinture  vide  et  creuse  à  l'histoire 
toute  conventionnelle  du  grand  cardinal,  telle  qu'on  l'enseigne  dans  les 
collèges;  rien  ne  serait  en  plus  parfaite  harmonie  avec  les  racontars 
des  pamphlets  devenus  le  texte  ne  varielur  de  l'enseignement  officiel; 
M.  Chartran,  dont  le  grand  talent  n'est  pas  en  cause,  et  qui  avait  bien 
le  droit  de  se  tromper  sous  les  auspices  de  Paul  Delaroche,  semble  avoir 
pris  à  plaisir  d'accumuler  les  poncifs,  de  multiplier  les  accessoires  de 
théâtre,  de  nous  présenter  deux  fantoches  aussi  éloignés  que  possible  de 
la  réalité  humaine  comme  de  la  vraisemblance  historique.  Mais  la 
formule  est  commode  pour  les  candidats,  et  le  tableau  de  M.  Chartran, 
bien  â  plat  sur  un  mur,  leur  rafraîchirait  utilement  la  mémoire. 

Voici  encore  une  énorme  surface  employée  au  commentaire  pictural 
d'un  thème  cher  à  l'enseignement  officiel,  qui  n'en  a  qu'à  demi  vérifié 
l'exactitude  :  l'atrocité  des  Césars  représentés  par  les  historiens  de  l'op- 
position (nous  n'avons  guère  d'autres  documents  que  leurs  libelles) 
comme  des  monstres  â  face  humaine.  M.  Surand  a  feuilleté  Suétone  et 
choisi  pour  donnée  le  passage  où  l'auteur  des  Douze  Césars  raconte  un 
des  plus  barbares  caprices  de  Caligula  :  «  Comme  la  viande  coûtait  trop 
cher  pour  nourrir  les  animaux  destinés  aux  spectacles,  il  les  fit  rassasier 
de  la  chair  des  criminels  et  des  esclaves  qu'on  leur  donnait  à  déchirer 
tout  vivants  ;  et  il  marqua  lui-même  ceux  qui  leur  devaient  être  livrés.  » 
M.  Surand  a  choisi  l'instant,  éminemment  dramatique  mais  difficile  â 
mettre  en  scène,  fût-ce  dans  un  autre  Quo  vadis?  où  les  fauves  font 
irruption.  Les  bonds  des  tigres  et  des  lions  ne  sont  pas  mal  rendus  ; 
mieux  encore  la  terreur  des  captifs  atTaissés  contre  la  muraille  du  cachot 
ou  s'accrochant  aux  grilles,  pendant  qu'une  vieille  femme,  résignée  sous 
ses  voiles  de  deuil,  attend  la  suprême  délivrance.  Le  Caligula,  qui 
assiste  â  la  scène  posté  derrière  les  barreaux,  est  malheureusement  d'une 
anatomie  douteuse  et  d'un  médiocre  intérêt.  , 

Vous  souvient-il  de  Balkis,  reine  de  Saba,  qui,  aux  temps  bibliques, 
quitta  sa  cour  pour  aller  rendre  visite  au  roi  Salomon  alors  dans  tout 
l'épanouissement  de  sa  gloire"?  Gounod  lui  a  donné  l'immortalité  musi- 
cale; Flaubert  lui  a  fait  jouer  un  rôle  de  somptueuse  comparse  dans  sa 
féerie  sans  musique  de  la  Tentation  de  saint  Antoine.  M.  Rochegrosse, 
toujours  épris  des  prétextes  à  colorations  éclatantes,  â  mise  en  scène  de 
cortèges  de  grand  opéra,  l'évoque  à  son  tour  pour  en  faire  l'héroïne  d'un 
triptyque  moyen,  aux  panneaux  bien  concordants.  C'est  d'abord  la 
reine,  songeuse,  hypnotisée  â  distance,  les  yeux  noyés  de  langueur  dans 
une  chambre  de  son  palais  aux  muraiUes  fleuries  de  pierres  précieuses. 
Elle  rêve  au  roi-poète  dont  la  renommée  s'est  répandue  sur  tout  l'Orient. 
Le  deuxième  volet  nous  montre  l'arrivée  de  l'auguste  voyageuse  chez 
Salomon,  qui,  en  bon  régisseur  de  son  prestige,  a  sorti  toutes  les  splen- 
deurs de  sa  cour.  Troisième  panneau  et  conclusion  de  l'idylle  :  Balkis 
et  Salomon,  enfin  seuls,  modulent  un  prélude  au  Cantique  des  canti- 
ques sous  le  ciel  diamanté  d'étoiles.  Rien  de  plus  ingénieusement  com- 
posé que  cet  aimable  triptyque,  où  s'affirme  une  fois  de  plus  la  souple 
virtuosité  de  M.  Rochegrosse. 

De  la  légende  merveilleuse  de  la  reine  de  Saba  et  du  roi  Salomon, 
sujet  composite  qui  tient  de  la  Bible  et  de  la  féerie,  M.  Bouguereau  nous 
ramène  à  une  donnée  plus  simple,  déjà  traitée  par  des  maîtres  tels  que 
Prudhon  :  Zéphyr  voltigeant  sur  l'eau  dormante  d'un  lac  et  suspendu 
aux  branches  d'un  saule.  La  conception  est  classique  ;  elle  fait  naturel- 
lement suite  à  l'œuvre  du  président  de  la  Société  des  Artistes  français  ; 
elle  s'y  encadre  d'elle-même.  Prudhoniens  aussi,  mais  avec  un  arran- 
gement tout  personnel,  un  goût  original  mis  en  valeur  par  le  métier  le 
plus  sûr,  Psijdté  et  l'Amour  de  M.  Léon  Comerre,  une  des  compositions 
les  plus  délicatement  suggestives  de  la  série  allégorique,  celle  qui  donne 
dès  â  présent  l'impression  la  plus  nette  du  tableau  de  musée  tout  prêt 
pour  la  cimaise  du  Luxembourg.  Du  regretté  Jules  Machard,  artiste  si 
brillamment  doué,  dont  l'exposition  du  quai  Malaquais  contenait  plus 
d'une  œuvre  remarquable  et  digne  de  survie  parmi  les  concessions  for- 
cées à  la  mode  du  jour,  un  Réveil  d'Éros  de  facture  magistrale.  Même 


172 


LE  MÉNESTREL 


sujet  traité  par  M.  Lenoir.  Et  voici  encore  un  Amour  endormi  de 
M.  Georges  Jouve,  une  Andromède  de  M.  Pierre  Dupiiis,  une  Léda  de 
M.  Calbet,  un  Hylas  de  M.  Lois-Pennroze,  une  AsLarté  de  M.  Numa 
Grillât,  un  Amour  prisonnier  des  nymphes  de  M.  Scalbert,  le  «  Jour 
mourant  dans  les  bras  de  la  Nuit  »  —  quel  Joli  titre  pour  une  gravure 
en  couleur  du  dix-huitième  siècle!  —  de  M.  Léon  Printemps. 

Deux  artistes  appartenant  au  petit  bataillon  sacré  des  doyens  méri- 
tent une  mention  particulière  pour  leur  incursion  dans  le  domaine 
allégorique.  M.  Alexandre  Séon  et  M.  Jean  Paul  Laurens.  Ce  dernier 
expose  un  carton  du  plus  beau  caractère  —  carton  de  tapisserie,  classé 
comme  tel  â  Tart  décoratif,  mais  qui  est  bien  réellement  du  grand  art  : 
Hercule  délivrant  Hésione,  et  cet  envoi  consolera  le  public  de  son  absten- 
tion à  la  section  de  peinture,  où  il  est  représenté  d'ailleurs  par  une  bril- 
lante lignée.  Quant  à  M.  Alexandre  Séon,  qui  donne  depuis  tant  d'années 
le  méritoire  exemple  d'un  talent  très  pur  mis  au  service  d'une  conviction 
très  haute,  et  dont  la  réputation,  ignorée  du  vulgaire,  est  grande  auprès 
d'une  élite  àv  délicats,  son  exposition  est  double.  A  la  peinture  il  évo- 
que «  la  Beauté  »  et  une  «  Nymphe  des  bois  »  de  style  vraiment  esthé- 
tique ;  il  a  envoyé  aux  dessins  un  pastel  de  Sphynge  et  une  «  Pureté  » , 
remarquable  couverture  pour  une  revue  artistique  de  Bucarest.  Signa- 
lons encore  les  deux  Henner,  si  curieusement  contrastés  par  un  simple 
hasard,  n'eu  doutez  pas,  car  le  vieux  maître  retiré  dans  sa  tour  d'ivoire 
ne  songe  guère  â  frapper  l'attention  du  public  par  une  facile  antithèse  : 
une  étude  de  jeune  femme  rousse,  en  corsage  noir,  dont  le  profil  se 
détache  sur  un  fond  de  fresque  azuré,  et  sa  classique  femme  nue  aux 
chairs  argentées  de  lumière  dans  un  paysage  que  pénètre  lentement  la 
cendre  grise  du  crépuscule, 

(A  suivre.)  Caaulle  Le  Ssnne. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


^  o  -UL  r  s  o  g;  M.  e 

(Suite.) 


vr 

MUSIQUE  D'ÉGLISE  ET  MUSIQUE  DE  VILLE 

Au  septième  siècle  vivait  à  Sens  l'ermite  Saint-Bond.  Un  jour  que  le 
diable  était  venu  le  troubler  pendant  qu'il  disait  son  office,  il  enleva  le 
fàcheiLx  par  les  oreilles  et  le  plongea  dans  un  bénitier  qui  était  près  de 
lui.  Môme,  pour  s'assurer  une  trêve  de  quelque  durée,  il  plaça  son  bré- 
viaire sur  son  dos  de  façon  à  le  faire  rester  dans  son  bain  pendant  plu- 
sieurs jours...  Le  plaisant  chroniqueur  qui  a  conté  celte  aventure 
affirme  que  rien  n'était  plus  comique  qae  de  voir  la  figure  de  ce  démon 
qui  levait,  le  plus  qu'il  pouvait,  ses  grandes  oreilles  d'âne  hors  de  l'eau; 
car  il  craignait  plus  l'eau  bénite  que  le  feu  de  l'enfer. 

Sens  est  donc  flére  d'avoir  donné  naissance  au  dicton  :  S'ai/iter  comme 
un  diable  dans  un  bénitier,  comme  elle  est  orgueilleuse,  à  juste  titre,  de 
sa  cathédrale  et  de  la  figurine  de  Jean  du  Cognot  qui  s'y  trouve,  de  ses 
tapisseries,  de  son  manuscrit  de  la  jo/we  de  l'Ane,  de  ses  cloches  et  de 
ses  tambours. 

De  sa  cathédrale  nous  n'avons  pas  <à  parler,  si  ce  n'est  pour  vanter  la 
musique  qu'on  y  faisait.  Alors  qu'à  Beaune  le  chant  d'église  était  dans 
son  enfance  et  qu'à  Auxerre  le  Chapitre  en  était  réduit,  aux  jours 
de  fête,  à  faire  cométer  et  chalemetler  des  ménestrels  devant  le  corps  de 
N.  S.,  en  attendant  qu'un  de  ses  chanoines  semi-prébendés,  du  nom 
d'Edme  Guillaume,  le  dotât  du  serpent,  instrument  de  son  invention, 
qui  révolutionna  le  monde  musical,  Sens  possédait  une  maîtrise  mo- 
dèle dont  la  réputation  éclipsait  toutes  celles  de  France  : 

«  La  métropole,  dit  Montalembert,  ayant  adopté  le  déchant,  qui 
était  la  musique  du  douzième  siècle  et  des  suivants,  s'appliqua  à  en  as- 
surer l'exécution  par  tous  les  moyens  possibles,  et  fit  dresser  des 
nausiciens  spéciaux  pour  vaincre  sa  rivale  d'Orléans.  La  semaine  de 
Pâques  on  chantait  les  morceaux  d'église  sur  une  note  plus  élevée,  ce 
qui  attirait  force  amateurs,  donnait  au  chant  un  attrait  tout  particulier 
et  faisait  dire  que  Sens  donnait  le  ton  à  tous  les  autres  Chapitres.  « 

Aussi  les  habitants  de  Sens  étaient-ils  surnonunés  /i  Chanteor,  «  a 
cause  de  la  culture  savante  donnée  aux  chantres  de  cette  ville  ».  C'était 
un  vrai  et  rigide  Conservatoire  que  la  maitrise  sénonnaise!  Tout  y  était 
réglé,  spécifié,  jusque  dans  les  moindres  détails  : 

«  On  doit,  dit  une  Instruction,  chanter  les  psaumes  et  les  cantiques, 
excepté  le  Marpiificat  et  le  Benediclus,  d'un  ton  moyen  et  égal,  de  sorte 
que  la  dominante  du  premier  psaume  serve  do  règle  pour  tous  les 
autres,  quoiqu'ils  soient  de  dilîérents  modes  ou  tous,  et  on  y  doit  aussi 
observer  la  pause.  » 


De  même,  tout  était  prévu  dans  la  sonnerie  des  cloches  :  Tant  de 
coups  ci,  tant  de  coups  là,  piano,  dolce,  amoroso,  fulgurante.  Elle  est 
encore  fort  belle  la  sonnerie  de  Sens,  mais,  par  économie,  parait-il,  on 
ne  lui  donne  son  franc  essor  qu'à  de  rarissimes  intervalles.  Le  reste  du 
temps  on  dirait  d'une  pauvre  église  paroissiale.  Le  bourdon  a  pourtant 
un  son  magnifique.  Mais  voilà,  disent  les  Sénonnais,  «  nos  cloches  por- 
tent le  deuil  de  Marie  ». 

Marie,  c'était  la  cloche  qui,  dès  les  premiers  siècles,  annonçait  au 
peuple,  du  haut  de  la  tour  de  Plomb,  les  offices  et  les  événements  heu- 
reux ou  néfastes.  En  613  Clolaire  II,  roi  de  Soissons,  voulant  s'emparer 
des  états  de  Thierry  II,  roi  de  Bourgogne,  qui  venait  de  mourir,  dirigea 
sur  Sens  une  armée  considéralile.  A  son  approche  l'évéquc  Saint-Loup 
fit  sonner  jV«7'/('  pour  appeler  les  fidèles,  qui  vinrent  se  mettre  en  prières 
avec  lui.  Le  son  de  la  cloche,  tout  nouveau  pour  l'ennemi,  l'épouvanta, 
et  il  prit  la  fuite.  Clotaire,  cependant,  s'empara  de  Sens,  et  son  premier 
soin  fut  de  faire  enlever  la  délinquante,  pour  la  transporter  à  Paris. 
Mais  là.  ô  miracle!  Marie  devint  tout  à  fait  muette.  "Voyant  qu'il  n'en 
pouvait  tirer  aucun  parti,  le  roi  la  renvoya  à  Sens.  Elle  y  parvint,  ma- 
gnifique comme  avant,  car  à  Pont-sur-Yonne  déjà  elle  avait  recouvré 
sa  voix. 

Bien  d'autres  fois  3Iarie  soutint  sa  réputation  de  cloche  surnaturelle. 
Un  jour  d'alarme  elle  se  mit  à  sonner  d'elle-même  pour  rassembler  la 
population,  et  souvent  elle  indiquait,  avant  qu'on  la  mit  en  branle, 
par  un  frémissement  accompagne  d'une  sorte  de  bruissement  métal- 
lique, qu'un  incendie  ou  une  émeute  venait  de  se  déclarer  dans  la  ville. 

A  l'entrée  d'Henri  IV  Marie  fit  grand  vacarme,  pour  remplacer  le 
canon,  qui  manquait.  Le  roi  s'était  aperçu  de  cette  lacune  et  s'en  était 
montré  surpris,  d'autant  qu'on  lui  avait  affirmé  précédemment  que  le 
Conseil  de  Ville  avait  fait  tirer  le  canon  sur  les  troupes  royales.  Ques- 
tionné à  ce  sujet,  le  premier  échevin  se  récria  bien  fort  et  se  fit  fort 
d'établir  par  dix-neuf  bons  arguments  la  fausseté  de  l'accusation.  Il  les 
développa  l'un  après  l'autre,  consciencieusement...  Le  dix-neuvième 
était  que  Sens  ne  possédait  point  de  canon. 

—  Vous  pouviez  commencer  par  là  et  vous  dispenser  du  reste,  dit  en 
souriant  le  roi  Henri,  qui  avait  écouté  patiemment  tout  le  discours  du 
bonhomme. 

Marie  se  fêla  au  champ  d'honneur,  en  1792,  dans  une  sonnerie  pour 
l'appel  des  électeurs.  Deux  ans  plus  tard  elle  fut  descendue  de  sa  tour,, 
avec  les  sept  compagnes  qui.  tant  de  siècles  durant,  n'avaient  cessé  de 
lui  prêter  assistance,  pour  faire  le  voyage  de  Paris,  où  toute  la  belle 
sonnerie  de  Sens  fut  convertie  en  sous  de  billon. 

Avec  Marie  disparurent  bien  des  coutumes,  bien  des  fêtes  auxquelles 
elle  avait  présidé.  La  procession  de  Saint-Èlernon  fut  surtout  regrettée 
des  Sénonnais.  Saint-Éternon,  qui  n'est  autre  que  Saint-Arnould,  était, 
nous  apprend  le  moine  Cardoni  dans  sa  Vie  des  Saints,  né  dans  le  dio- 
cèse de  Sens.  Il  avait  fait  le  pèlerinage  de  Rome,  où  il  épousa  une 
femme  très  jolie,  mais  aussi  très  légère.  Le  mari  supporta  son  sort  avec 
patience  et  résignation,  et  sa  dévotion  devint  si  exemplaire  qu'il  fut 
canonisé  dans  la  suite.  Louis-le-6ros,  ajoute  notre  auteur,  fut  le  pre- 
mier qui  fit  célébrer  la  commémoration  de  Saint-Éternon.  Elle  eut  lieu 
à  Villeneuve-le-Roi,  d'où  elle  .se  répandit  dans  tout  le  diocèse. 

A  Sens  elle  donnait  lieu  à  des  fêtes  extraordinaires,  qui  succédaient 
à  la  procession  solennelle  à  laquelle  prenaient  part  le  sérénissime  arche- 
vêque, primat  des  Gaules,  et  tout  le  Chapitre,  en  grand  habit  de  gala. 
Aussitôt  le  clergé  rentré  à  la  cathédrale,  les  hommes  se  répandaient  en 
différentes  auberges,  où  ils  soupaient,  les  hommes  mariés  dans  les  unes, 
les  célibataires  dans  les  autres.  Après  le  repas  les  garçons  portaient  en 
triomphe,  en  plusieurs  cortèges,  par  les  rues  bondées  d'une  foule  joyeuse, 
une  corne  de  cerf  illuminée  et  parée  de  fleurs  et  de  rubans,  qu'ils  allaient 
offrir  aux  maris,  encore  à  table.  Ceux-ci,  loin  de  se  fâcher,  accueillaient 
avec  empressement  leurs  visiteurs  et  leur  présentaient  une  corne  de 
bœuf  garnie  d'argent,  servant  de  gobelet,  en  les  invitant  à  boire  avec 
eux,  en  qualité  de  membres  futurs  de  la  grande  confrérie  do  Saint- 
Éternon.  Puis,  à  chaque  table,  le  dernier  marié  se  levait  et  plaçait  la 
ramure,  flamboyante  de  lumière,  sur  sa  tête.  11  sortait  ainsi,  deux  gars, 
places  il  ses  côtés,  soutenant  cet  échafaudage.  En  route  la  foule  les 
acclamait,  les  applaudissait.  Les  lazzis  allaient  leur  train.  Puis,  le 
convoi  général  se  formait.  A  la  lueur  rouge  des  torches,  aux  feux  do 
couleur  des  lanternes,  et  finalement  les  cortèges  se  soudant  l'un  à 
l'autre,  la  promenade,  la  par-tie,  comme  on  dit  en  Bourgogne,  et  riiêmei 
â  Sens,  qui  était  en  Champagne,  mais  dont  les  affinités  avec  la  Bour- 
gogne furent  si  grandes  que  nous  avons  cru  devoir  l'y  admettre,  se  dé- 
roulait, éclairée  a  i;'.u  éblouir  le  ciel  lui-même,  à  travers  les  méandres 
de  la  cité.  Finalement  on  s'arrêtait  devant  la  cathédrale,  et  les  jeunes 
épouses  venaient  baiser  dévotement  les  cornes  de  leurs  maris.  Le  tout 
se  terminait  par  un  bal  en  plein  air. 
Le  mercredi  des  cendres,  c'était  l'enterrement  de  Crrijoire.  c'est-à-dire 


LE  MÉNESTREL 


173 


du  Carnaval,  auquel  le  clei'gé  prenait  part,  malgré  la  bouffûunerie  qui 
présidait  à  la  cérémonie.  Tout  d'abord  les  jeunes  gens,  vêtus  d'une 
chemise  de  femme  et  portant  un  bonnet  de  coton,  parcouraient  la  ville, 
un  soufflet  à  la  maiu,  en  chantant  : 

Nous  vendons  des  prières; 
Soufflons,  souillons,  mordieu  ; 
Éteignons  les  lumières 
Et  rallumons  le  feu . 

La  marche,  d'abord  paisible,  s'animait.  Puis,  le  délire  naissant,  les 
coureurs  pénétraient  dans  les  maisons,  parcouraient  toutes  les  chambres 
et  sortaient  en  file  indienne  par  la  môme  fenêtre,  «  car  il  est  de  prin- 
cipe que  là  où  le  premier  a  passé,  tous  doivent  passer  à  leur  tour  ». 
Ensuite,  la  foule  promenait  le  «  carnaval  à  l'agonie  »,  le  suivait  jusqu'à 
l'église  et  l'attendait,  à  sa  sortie,  sur  le  parvis,  où  il  était  ardé  ou  tué  à 
coups  de  fusil. 

A  Chàlon  quatre  hommes  étendaient  Grégoire  dans  le  chœur  de  la 
cathédrale,  sur  la  pierre  où  l'on  déposait  habituellement  les  corps  des 
chanoines,  lors  de  leurs  obsèques;  et  devant  ce  fantôme  en  paille,  re- 
vêtu d'habits  lugubres,  le  prêtre,  en  présence  de  Monscignem'  et  de  son 
clergé,  célébrait  une  messe  de  Requiem  qui  ne  dilférait  du  service  ordi- 
naire des  morts  que  par  quelques  petites  particularités  dans  la  forme. 
Ainsi,  l'officiant  portait  la  chasuble  à  l'envers,  avec  l'étole  derrière  le 
dos,  ainsi  que  ses  diacres  et  sous-diacres,  et  les  chanoines,  vêtus  de 
longues  robes  noires,  avaient  le  visage  recouvert  d'un  voile.  Un  unique 
cierge  éclairait  ce  funèbre  appareil;  il  servait,  après  la  cérémonie,  à 
mettre  le  feu  au  bûcher  sur  lequel  on  brûlait  le  mannequin.  A  Avallon, 
au  siècle  dernier  encore,  les  prêtres  marchaient  en  procession  derrière 
le  fantôme  de  Carême-prenant,  comme  à  un  véritable  convoi,  et  s'arrê- 
taient, suivant  l'usage  en  ces  occasions,  à  toutes  les  auberges  sur  la 
route,  pour  se  réconforter  à  l'aide  d'un  bon  cordial  de  vin  blanc.  A 
ChabUs  les  choses  se  passaient  plus  gaiment  :  l'autodafé  avait  lieu  le 
soir,  à  la  suite  d'une  partie  illuminée,  et,  pour  le  bouquet,  des  entrailles 
de  Grégoire  s'élevait  un  brillant  feu  d'artifice.  A  Sens,  c'était  du  délire. 
Aussitôt  la  cérémonie  religieuse  finie  les  tambours,  jusque-là  recou- 
verts de  crêpe,  recommençaient  à  résonner,  clairs  et  vibrants,  dans  les 
rues  et  sur  les  places,  en  tous  endroits,  et  la  joie  revenait  au  cœur  des 
habitants. 

C'est  que,  sans  tambours,  Sens  n'est  plus  Sens.  Ses  tambours,  c'est 
son  âme,  c'est  sa  vie,  et  les  Sénonnais  se  font  gloire  de  pouvoir,  au  pied 
levé,  fournir  de  lapins  loute  l'armée  française.  Autrefois  ils  formaient 
une  puissante  confrérie  dont  le  siège  était  dans  la  rue  qui  s'appelle 
encore  Rue  du  Tambour.  A  la  moindre  fête  religieuse,  populaire  ou 
intime,  c'était  une  levée  de  caisses  à  faire  trembler  les  vitres  des  mai- 
sons. Le  soir,  elles  couvraient  le  bruit  des  orchestres,  et  longtemps 
encore  après  que  Marie  avait  sonné  le  couvre-feu,  les  ran  ran  et  les 
fia  fia  remplissaient  les  airs,  au  grand  désespoir  du  veilleur  de  nuit, 
qui  ne  parvenait  pas  à  faire  entendre  son  cri  lamentable  : 

Réveillez-vous,  gens  qui  dormez, 
El  priez  pour  les  trépassés . . . 

et  surtout  sa  variante  finale  : 


Réveillez-vous,  gens  qui  dormez, 
Prenez  vos  femmes,  embrassez-les. 


(A  suivre.) 


Edmond  Neukomm. 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


A  l'Opéra  royal  de  Dresde  ou  vient  de  jouer  -pour  la  première  fois 
l'opéra  depuis  longtemps  attendu,  Maiiru,  paroles  de  M.  Alfred  Nossig,  mu- 
sique de  M..J.-J.  Paderewski.  Le  directeur  général  delà  musique,  M.  de  Schuch, 
dirigeait  en  personne  la  première  et  avait  consacré  à  la  nouvelle  œuvre  une 
distribution  et  une  mise  en  scène  des  plus  brillantes.  Le  succès  a  dépassé 
toute  attente;  le  compositeur  a  été  rappelé  plusieurs  fois  après  chaque  acte. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  vient  de  jouer  avec  un  succès  énorme  la  Fille 
de  mmliime  Aiiyol,  de  Charles  Leoocq,  après  l'avoir  baptisée  du  titre  de  Mnm'zrl/r 
Aurjot  tout  couit  et  lui  avoir  conféré  le  titre  d'opéra-comiquo.  Baplisu  h/  rurpidii 
avait  déjà  dit  le  brave  Gorenfiot  en  mangeant,  le  vendredi-saint,  une  pou- 
larde succulente.  Il  est  vrai  que  «  les  os  de  la  carpe  »  n'ont  pas  dû  beaucoup 
gêner  les  Berlinois,  car  la  fameuse  partition  de  Lecocq  est  plus  Une  et  plus 
musicale  que  maint  opéra-comique  allemand,  et  quant  à  la  pièce,  si  amusante, 
on  peut  dire  vraiment  «  qu'ils  n'en  ont  pas  comme  cela  de  l'autre  coté  du 
Rhin  ».  Inutile  d'ajouter  que  la  traduction  allemande  avait  soigneusement 
éliminé  du  livret  les  expressions  et  les  mots  qui  auraient   pu   choquer   les 


spectateurs  les  plus  rigoureu.\  de  l'Opéra  royal.  Une  surpriseleur  était  cepen- 
dant réservée  :  les  artistes  de  l'Opéra,  les  mêmes  qui  chantent  les  Siegfried, 
les  Valkyries  et  les  Eva,  ont  chanté  et  joué  l'opérette  comme  s'ils  n'avaient 
jamais  fait  que  cela  toute  leur  vie.  Citons  surtout  M™'  Goetze  (M"=  Lange)  et 
Mme  Herzog  (Clairette).  Les  journaux  de  Berlin  sont  très  fiers  de  ce  succès  et 
disent  que  l'opérette  de  Lecocq  n'a  jamais  eu  d'interprètes  doués  de  voix 
aussi  magnifiques. 

—  C'est  le  8  et  le  9  juin  qu'auront  lieu  àZwickau,  ville  natale  de  Schu- 
mann,  les  fêtes  pour  l'inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire  du 
maitre.  On  y  exécutera,  entre  autres,  son  grand  poème  lyrique  le  Paradis  et 
la  Pvri.  L'orchestre  sera  formé  de  trente  artistes  de  la  ville  auxquels  s'en 
joindront  trente-six  autres  venus  de  Leipzig,  Berlin,  Dresde,  Ghemaitz, 
Wiesbade  et  Munich.  Les  cuivres  seront  les  meilleurs  de  l'orchestrti  du 
Gewandhaus  de  Leipzig.  Parmi  les  solistes  on  signale  les  membres  des  qua- 
tuors Pétri  et  Joachim. 

—  On  vient  de  publiera  Bayreutble  programme  des  représentations  de  cette 
année.  Nous  avons  déjà  donné  la  liste  des  ouvrages  qui  seront  joués,  avec 
les  dates  respectives.  Ajoutons  que  l'orchestre  sera  dirigé  par  MM.  Haas 
Richter,  MottI,  Muck  (Berlin)  et  Siegfried  Wagner.  La  régie  générale  est 
confiée,  comme  auparavant,  à  M.  Jules  Kniese.  En  dehors  des  artistes  qui 
ont  déjà  joué  à  Bayreuth  les  années  précédentes,  on  a  engagé  M""î»  Marie 
Wittig  (Kundry),  Destinn  (Senta)  et  Verhunk(Freya)etMM.Bertram(Wotan), 
Blass  et  Knûpfer  (Gurnemanz).  Le  chef  machiniste  et  plusieurs  artistes  sont 
déjà  arrivés  à  Bayreuth,  ainsi  que  deux  des  dix  répéUteurs  qui  doivent  tra- 
vailler avec  les  solistes.  Parmi  eux  se  trouve  aussi  le  gendre  de  M'"»  Wagner, 
le  chef  d'orchestre  Franz  Beidler.  Tout  annonce  une  saison  fort  brillante  au 
théâtre  de  Bayreuth.  qui  célébrera  le  25"  anniversaire  de  son  e.xistence. 

—  M.  Hermann  Zumpe,  le  nouveau  chef  d'orchestre  du  théâtre  royal  de 
Munich,  a  inauguré  sa  direction  le  8  mai  par  une  représentation  de  Lohengrin. 
Le  choix  de  cet  ouvrage,  après  lequel  il  a  dirigé,  huit  jours  après,  les  Maiires 
chanteurs  de  Nureinberej,  indique  les  tendances  du  nouveau  kapellmeister.  Né 
le  9  avril  1850  à  Oppach,  en  Saxe,  M.  Hermann  Zumpe.  qui  fut  d'abord  maître 
d'école,  est  un  des  rares  élèves  de  Wagner  qui  l'aidèrent  à  Bayreuth,  de 
•1873  à  1876,  dans  la  préparation  des  études  du  cycle  de  l'Anneau  du  Xibelung. 
On  assure  que  son  engagement  promet  la  rénovation  de  la  gloire  musicale  de 
Munich,  qui  a  quelque  peu  périclité  dans  ces  dernières  années.  M.  Zumpe, 
qui  a  été  longtemps  chef  d'orchestre  des  concerts  Kaim,  qu'il  quitta  pour 
remplir  les  mêmes  fonctions  à  Sohwerin,  a  été  l'objet  de  bruyantes  ovations. 

—  Brillante  reprise  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  de  la  Manon  de  Massenet, 
avec  M™  Saville;  le  nouveau  ténor  M.  Slezak  et  M.  Frauscher,  qui  chantaient 
pour  la  première  fois  les  rôles  de  des  Grieux  père  et  fils,  ont  eu  aussi  un 
grand  succès. 

—  M.  Mahler,  directeur  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  ayant  formellement 
décliné  sa  réélection  comme  chef  de  l'orchestre  philharmonique  de  cette  ville, 
a  été  remplacé  par  M.  Joseph  Hellmesberger,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra 
impérial. 

—  I/opéra  Obéron  vient  d'arriver  à  sa  cinquantième  représentation  dans  la 
version  nouvelle  commandée  par  Guillaume  II  et  dont  nous  avons  déjà  parlé 
l'année  passée.  A  cette  occasion  un  enthousiaste  a  fait  remettre,  corain  publico, 
une  énorme  couronne  de  lauriers  au  chef  d'orchestre,  M.  Schlar  ;  sur  un 
large  ruban  le  public  a  pu  lire,  non  sans  stupéfaction,  les  mots  :  «  Au 
compositeur  de  génie.  »  Eh  bien!  et  Weber?  qu'est-ce  qu'on  en  fait? 

—  De  Budapest  :  Cette  semaine  a  eu  lieu,  au  Théâtre  royal  de  Budapest, 
une  reprise  sensationnelle  de  Lalinié,  le  ravissant  ouvrage  du  regretté  Delibes. 
C'est  avec  un  luxe  extraordinaire  que  la  direction  a  tenu  à  remonter  le  chef- 
d'œuvre  du  charmant  compositeur  français.  M"""  Sigrid  Arnoldson,  qui 
donne  actuellement  une  série  de  représentations  extraordinaires  au  Théâtre 
royal  de  l'Opéra,  a  chanté  le  rôle  de  Lakmé  en  franeais  et  y  a  obtenu  uu 
succès  enthousiaste.  Le  public  lui  a  fait  bisser  plusieurs  morceaux  et  l'a 
rappelée  plus  de  quarante  fois  au  courant  de  la  soirée.  Depuis  M™  Adelina 
Patti,  enthousiasme  pareil  ne  s'est  pas  vu  ici.  La  salle  a  été  louée  d'avance 
pour  plusieurs  jours. 

—  Un  procès  curieux  va  être  plaidé  à  Salzbourg  au  sujet  du  crâne  de 
Mozart.  Le  célèbre  anatomiste  Hyrtl.  qui  le  possédait  depuis  fort  longtemps, 
—  il  en  était  absolument  convaincu  —  avait  déclaré  dans  son  testament  que 
ce  crâne  illustre  devrait  être  rendu  à  la  ville  natale  du  célèbre  musicien.  La 
ville  de  Salzbourg  exige  donc  que  ce  glorieux  débris  lui  soit  délivré,  tandis 
que  le  Moznrteum  de  la  méihe  ville  (musée  dédié  à  la  mémoire  du  grand 
musicien)  élève  la  même  prétention.  Quant  à  l'objet  du  procès,  son  authen- 
ticité n'est  pas  tout  à  fait  hors  de  doute.  Hyrtl  avait  reçu  ce  crâne  de  son 
frère  Jacques,  qui  l'avait  sauvé  au  moment  où  le  tombeau  de  Mozart  avait 
été  ouvert.  Le  fossoyeur  l'avait  presque  brisé.  Ceci  se  passait  bon  nombre 
d'années  après  la  mort  de  Mozart,  et  si  l'on  se  rappelle  dans  quelles 
circonstances  Mozart  fut  enterré  et  comme  peu  de  temps  après  sa  mort  le 
lieu  de  sa  sépulture  n'était  même  plus  connu  exactement,  on  est  en  droit  de 
se  demander  si  c'est  bien  véritablement  le  crâne  de  Mozart  autour  duquel  se 
livre  toute  cette  discussion.  Comme  pour  tant  d'autres  reliques,  c'est  la  foi 
qui  sauve. 


174 


LE  MENESTREL 


—  Le  théâtre  grand-ducal  de  Weimar  prépar?  la  première  représentation 
d'un  opéra  inédit  intitulé  Manfrnl  musique  de  M.  H.  de  Bronsart.  L'affiche 
sera  complétée  par  le  Départ,  le  charmant  opéra-comique  que  M.  Eugène 
d'Albert  a  déjà  fait  jouer  avec  beaucoup  de  succès  sur  plusieurs  scènes  alle- 
mandes. 

—  M.  Max  Abraham,  le  chef  défunt  de  la  maison  d'édition  Peters  de 
Leipzig,  a  légué  une  somme  de  SOO.OOO  francs  à  la  Bibliolhèquc  de  musique  Peters 
qu'il  avait  fondée  et  déjà  largement  dotée.  Cette  nouvelle  donation  assure  à 
tout  jamais  l'esistence  de  cette  institution  fort  utile. 

—  A  Cologne  aura  lieu  un  concours  international  d'orphéons  entre  les  4 
et  6  août  de  cette  année.  On  attend  plus  de  trois  mille  chanteurs.  Les  prix 
sont  fort  nombreux  et  comportent  quatre  classes  différentes  :  •).  Classe  d'hon- 
neur (internationale).  2.  Première  classe  (internationale).  3.  Deuxième  classe 
(Allemande).  4.  Troisième  classe  (Allemande).  On  a  déjà  choisi  les  œuvres 
qui  seront  chantées  au  concours. 

—  On  continue  à  discourir  à  Milan  de  la  prochaine  saison  de  la  Scala.  On 
croit  qu'elle  sera  basée  sm-tout  sur  la  première  représentation  du  Néi-on  de 
M.  Boito,  dont,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  l'auteur  vient  de  publier  le  livret. 
Sera-t-il  joué,  ne  sera-t-il  pas  joué,  cet  opéra  qu'on  attend  avec  impatience 
depuis  trente-quatre  ans?  On  l'espère:  cependant  il  parait  que  M.  Boito  n'a 
pas  dit  encore  son  dernier  mot.  On  donnera  ensuite  tu  Viill.iirie.  Liialti  di 
Chamounix,  qui  n'est  pas  absolument  une  nouveauté,  Hâiiscl  et  Grelet  et  un 
Ballo  in  maselwra.  On  parle  aussi  d'un  opéra  nouveau  de  M.  I-'ioridia.  Parmi 
les  artistes  réengagés  sont  la  signera  Pinto,  le  ténor  Caruso  et  M.  Magini- 

Coletli.  On  cite  comme  nouvellement  engagés  ^V""^  Dardée,  Uffreduzzi  et 
Lavin,  le  baryton  Sammarco  et  le  bouffe  A.  Rossi. 

—  Notre  confrère  le  Trovatore  réclame  avec  raison  contre  un  tapsus  qui  nous 
est  échappé  récemment.  Ce  n'est  point  en  effet,  comme  nous  l'avons  dit,  la 
Ga:zetta  musicale,  mais  le  Trovatore  lui-même,  qui  publie  une  revue  musicale 
chronologique  du  dernier  siècle,  à  laquelle  nous  avons  emprunté  les  détails, 
intéressants  par  leur  précision,  relatifs  aux  opéras  de  Rossini.  Nous  conti- 
nuons aujourd'hui  nos  emprunts  à  la  suite  de  son  travail,  en  enregistrant  les 
premières  représentations  des  ouvrages  suivants.  —  7  janvier  1812,  au  théâtre 
San  Moisè  de  Venise,  l'Inganno  feliee,  «  farsa»,  libretto  deFoppa;  interprètes, 
Morelli,  Galli,  Rafanelli,  M^^  Teresa  Belloc;  14  mars,  au  théâtre  communal 
de  Ferrare,  Ciro  i)i  Babilonia,  ossia  la  Caduta  di  Baldassare,  oratorio,  poésie 
d'Aventi,  exécuté  par  Eliodoro  Blanchi  et  Layner,  la  Marcolini  et  la  Manfre- 
dini  ;  26  septembre,  à  la  Scala  de  Milan,  la  Pietra  del  paraijone,  opéra  bouffe, 
libretlo  de  Romanelli;  interprètes,  Bonoldi,  Galli,  Parlamsgni,  Vasoli  et  la 
Marcolini:  le  succès  est  tel  qu'on  en  donne  33  représentations.  6  février  1813, 
à  la  Fenice  de  Venise,  Tancredi,  «  opéra  séria  »,  libretto  de  Rossi  ;  interprètes, 
Todran,  Luciano  Blanchi,  la  Malanotte  et  la  Manfredini;  22  mai,  au  théâtre 
San  Benedetto  de  Venise,  l'Italiana  in  Algeri,  opéra  bouffe,  libretto  d'Anelli; 
interprètes,  Gentili,  Galli,  Rosich  et  la  Marcolini  ;  6  j  uillet.  au  théâtre  Carcano 
de  Milan,  Dtmetrio  e  Polibio,  cantate,  exécutée  par  la  compagnie  Mombelli, 
c'est-à-dire  Mombelli  père  et  ses  deux  tilles  Maria-Ester  et  Anna;  26  décem- 
bre, pour  l'inauguration  de  la  saison  à  la  Scala  de  Milan,  Aureliano  in  Pal- 
mira,  «  opéra  séria  »,  libretto  de  Feliee  Romani  (c'était  le  premier  de  ce 
poète,  qui  en  écrivit  plus  de  cent);  exécution  faible  de  la  part  de  Velluti, 
Mari,  Botticelli  et  de  la  Gorrea. 

—  Il  y  a  donc  encore  de  vieux  violons  en  Italie,  malgré  l'ardeur  avec 
laquelle  ce  pays  a  été  exploré  et  exploité  sous  ce  rapport?  Nos  confrères  de 
là-bas  nous  apportent  ce  petit  récit.  LTn  artiste  de  l'orchestre  du  théâtre  de 
la  Scala,  nommé  Righetti,  se  rendait  il  y  a  quelques  jours,  avec  un  de  ses 
camarades,  de  Milan  à  Monza  en  tram  électrique.  En  cours  de  route  le  tram 
éprouva  un  accident  qui  l'obligea  à  s'arrêter  dans  un  endroit  inhabité.  La 
réparation  n'était  ni  prompte  ni  facile,  et  exigeait  un  certain  temps.  Au  lieu 
d'attendre  sans  savoir  que  faire,  nos  deux  amis  entreprirent  une  petite  pro- 
menade dans  les  environs  et  s'arrêtèrent,  pour  se  rafraîchir,  dans  une  petite 
auberge  de  campagne.  Là,  tout  en  causant,  M.  Righetti  avisa,  pendu  à  un 
clou,  un  vieux  violon,  sale  et  couvert  de  poussière.  Il  le  regarda,  fut  séduit 
par  sa  forme  et  demanda  à  l'acheter,  ce  à  quoi  l'aubergiste  consentit.  Le 
marché  fut  bientôt  conclu,  et  pour  quelques  francs  l'acquéreur  partit  avec 

.  l'instrument.  De  retour  chez  lui,  M.  Righetti  se  mit  en  devoir  de  nettoyer  le 
violon,  et  quelle  ne  fut  pas  sa  surprise,  lorsqu'il  l'eut  débarrassé  de  sa  couche 
de  crasse,  de  pouvoir  lire  sur  l'étiquette  intérieure,  cette  inscription  qui  le 
combla  de  joie  :  Guaruerius,  'I7S3!  C'était  bien  en  effet  un  Guarnerius  très 
authentique,  dont  la  valeur  se  monte  à  un  certain  nombre  de  milliers  de 
francs.  D'oii  il  suit  qu'il  ne  faut  pas  hésiter  à  acheter  un  vieux  violon,  quand 
on  le  rencontre  dans  une  auberge  de  campagne. 

—  La  chaire  et  le  théâtre.  C'est  le  Trovatore  qui  nous  apporte  l'anecdote 
que  voici.  «  Un  incident  très  curieux,  dit  ce  journal,  s'est  produit  ces  jours 
derniers  à  Milan.  Dans  l'église  de  San  Carlo  prêchait  un  prêtre  fougueux  et 
batailleur,  qui  ne  recule  pas  devant  la  polémique  et  la  discussion.  Un  de  ces 
soirs  derniers  il  eut  des  paroles  très  vives  contre  les  danseuses,  et  le  hasard 
voulut  que  parmi  ses  iidèles  auditrices  se  trouvât  justement  une  dame  qui 
fut  une  ballerine  célèbre,  Claudina  Cucchi,  aujourd'hui  veuve  du  baron  Zeni. 
Cette  dame,  offensée  d'ime  telle  attaque,  adressa  aux  journaux  une  lettre  de 
protestation  contre  les  affirmations  du  prêtre  et  de  défense  pour  la  gracieuse 
classe  des  danseuses.  La  lettre  était  écrite  avec  grâce  et  avec  esprit.  Le  jour 


suivant,  le  prêtre  ne  crut  pas  devoir  passer  sous  silence  cette  contre-attaque, 
encore,  dit-il,  qu'elle  provînt  d'une  dame,  et  voulut  expliquer  sa  pensée,  en 
affirmant  que  jamais  il  n'avait  entendu  porter  atteinte  à  l'honorabilité  de 
toute  une  catégorie  de  personnes,  et  qu'il  avait  seulement  déploré  que  beau- 
coup d'hommes  qui  ne  s'inclinaient  pas  devant  le  Christ  ne  rougissaient 
pourtant  pas  de  s'agenouiller  devant  une  danseuse.  »  Et  le  combat  finit  faute 
de  combattants.  Nous  devons  à  cette  historiette  le  souvenir  d'une  artiste 
aimable  que  Paris  a  connue  naguère  et  qui  y  obtint  quelques  succès  il  y  a 
près  d'un  demi-siècle.  M"°  Claudina  Cucchi,  née  à  Milan  en  182S,  élève  de 
l'école  de  danse  de  la  Scala.  débuta  avec  succès  à  ce  théâtre  en  18ol,  et  en 
ISbS  fut  engagée  à  notre  Opéra,  où  elle  francisa  la  forme  de  son  nom  sans  en 
altérer  la  prononciation,  en  l'écrivant  Couqui.  M"'  Couqui  parut  d'abord  dans 
le  divertissement  des  Yipres  sieiliennes, -(mis  créa  deux  rôles  dans  deux  ballets, 
les  Elfes,  du  comte  Gabrielli,  et  le  Corsaire,  le  dernier  ouvrage  en  ce  genre 
d'Adolphe  Adam.  Après  deux  années  passées  à  l'Opéra.  M'"  Couqui  partit 
pour  l'étranger,  et  obtint  surtout  de  véritables  triomphes  à  Vienne  et  à  Berlin. 
On  a  vu.  par  le  récit  qui  précède,  que,  comme  tant  de  danseuses  et  de  can- 
tatrices, elle  devint  grande  dame  et  entra  dans  la  noblesse  par  le  mariage.  On 
avu  aussi  qu'elle  ne  rougit  pas  de  son  ancienne  profession,  et  qu'à  l'occasion 
elle  prend  la  défense  de  la  corporation. 

—  Au  théâtre  de  La  Fenice  de  Sinigaliia  (province  d'Ancone)  vient  d'être 
apposée  une  plaque  commémorative  en  l'honneur  de  Verdi,  qui  y  a  dirigé 
personnellement  les  représentations  de  son  opéra  /  Lombardi.  A  cette  occa- 
sion M.  Mascagni  a  prononcé  le  discours  officiel  en  présence  du  sous-secré- 
taire d'État  du  ministère  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts. 

—  A  Londres,  jeudi  dernier,  a  eu  lieu  à  Covent-Garden  la  première  repré- 
sentation du  nouvel  opéra  Beaucoup  de  bruit  pour  rien,  musique  de  M.  Villiers 
Stanford,  dont  l'exécution  était  dirigée  par  M.  Mancinelli.  Excellente  distri- 
bution avec  M""'*  Suzanne  Adams  et  Brema,  MM.  Plançon,  Blass,  Coates  et 
Bispham.  Brillant  succès,  surtout  pour  les  deux  premiers  actes. 

—  M.  Jan  Kubelik,  le  jeune  violoniste,  qui  se  produit  en  ce  moment  à 
Londres  avec  un  succès  énorme,  vient  de  recevoir  un  joli  cadeau.  M"'»  Pal- 
mer,  une  dame  richissime,  d'origine  américaine,  lui  a  envoj'é  un  violon  de 
Stradivarius  qu'elle  avait  payé  2.000  livres,  soit  SO.OOO  francs  ! 

—  Le  musicographe  J.-S.  Shedlock  vient  d'avoir  la  bonne  fortune  de  retrou- 
ver la  partition  de  l'opéra  la  Beiiie  des  fées,  œuvre  célèbre  de  Purcell  qu'on 
croyait  perdue  depuis  deux  cents  ans.  Déjà,  en  1701,  la  London  Gazette  avait 
publié  une  annonce  offrant,  de  la  part  du  théâtre  de  Covent-Garden,  une 
prime  de  b2S  francs  à  celui  qui  rapporterait  au  théâtre  cette  partition.  La 
prime  ne  fut  gagnée  par  personne,  et  cependant  la  partition  n'était  pas  per- 
due. Elle  se  trouvait  tout  simplement  depuis  1837  à  la  Bibliothèque  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique  de  Londres,  à  laquelle  le  compositeur  R.-J.  Stevens 
l'avait  léguée  avec  un  lot  de  musique,  sans  que  les  conservateurs  de  cette 
bibliothèque  eussent  jamais  pensé  à  la  «  découvrir  ï  ;  personne  ne  s'était 
donné  la  peine  de  dresser  le  catalogue  du  legs  en  question.  On  croit  qu'une 
partie  de  la  partition  est  écrite  de  la  main  même  de  Purcell. 

—  Les  journaux  anglais  annoncent  le  prochain  début,  à  Londres,  d'un 
jeune  ténor  qui  porte  un  nom  cher  aux  amateurs  de  l'art  du  chant.  Ce  jeune 
chanteur,  nouveau  venu  dans  la  carrière  artistique,  n'est  autre  en  effet, 
parait-il,  que  le  frère  de  M™°  Nellie  Melba,  la  célèbre  cantatrice.  On  ne  peut 
que  lui  souhaiter  la  voix,  le  talent  et  les  succès  de  sa  sœur. 

—  On  vient  de  vendre  à  Londres,  à  des  prix  fort  élevés,  une  collection  de 
violons  et  violoncelles  dont  plusieurs  avaient  appartenu  à  Sir  Arthur  Sulli- 
van. Un  violon  attribué  à  Antonio  Stradivarius,  daté  de  Crémone  1692,  a  été 
poussé  jusqu'à  IS.OOO  francs;  un  autre  du  même,  daté  de  1714,  avec  sa 
boite,  a  atteint  le  prix  de  14.500  francs.  Un  violon  de  J.-B.  Guadagnini  de 
Turin,  daté  de  1780,  avec  sa  boite,  a  été  vendu  6.S00  francs  :  un  violoncelle 
de  Guarnerius  daté  de  1719  a  été  payé  4. SOU  francs.  Un  violon  de  F.  Ruggeri 
daté  de  1684  n'a  été  poussé  que  jusqu'à  1.4S0  francs  et  un  violon  de  Nicqlas 
Amati  que  jusqu'à  l.bOO  francs.  Un  archet  de  F.  Tourte  a  été  adjugé 
375  francs. 

—  Pour  pouvoir  jouer  d'un  orgue  de  Barbarie  dans  les  rues  do  New-York 
il  faut  obtenir  une  autorisation  spéciale,  que  l'administration  de  la  ville 
n'accorde  pas  facilement.  On  compte  cependant  actuellement  trois  cents  con- 
cessions, ce  qui  n'est  pas  peu,  même  pour  une  ville  aussi  vaste  que  New- 
York.  La  plupart  des  titulaires  pour  ces  concessions  sont  des  Italiens  ;  ils 
gagnent  en  moyenne  23  francs  par  jour,  car  dans  les  rues  populaires  de 
New-York  les  amateurs  généreux  de  cette  musique  ne  sont  pas  rares. 

—  Le  World  de  New-York  publie  une  statistique  des  théâtres  et  cafés-con- 
certs de  cette  ville,  de  laquelle  il  résulte  que  la  métropole  américaine  est 
sous  ce  rapport  la  première  du  monde.  En  effet,  tandis  que  Londres  offre 
chaque  soir  au  public  120.930  places  assises  dans  ses  lieux  de  plaisir  et  Paris 
seulement  82.331  (voilà  de  la  précision),  le  nombre  des  places  assises  dans 
les  diverses  salles  de  spectacle  de  New-York  s'élève  à  123.793.  Néanmoins 
Londres  surpasse  New-York  pour  le  nombre  des  théâtres,  car  elle  en  compte 
39  contre  31,  taudis  que  Paris  n'en  possède  que  24.  Ajoutons  que  le  théâtre 
de  l'Opéra  de  New-York  contient  3.549  places,  la  salle  du  Grand  Central- 
Palace  8.O0O,  et  la  salle  de  concert  de  Madison  Square  9.000.  Ces  Américains 
sont  gigantesques  en  tout. 


LE  MENESTREL 


175 


—  Les  journaux  américains  racontentrexploitsingulierd'uneartiste  connue, 
M™  Jessie  Bartlett  Davis.  Elle  devait  chanter  à  Buffalo  deux  nouvelles  mé- 
lodies qu'un  éditeur  de  Chicago  lui  avait  envoyées,  mais  n'ayant  pas  reçu 
cette  musique  la  veille  de  son  concert,  elle  demanda  par  téléphone  à  l'éditeur 
de  faire  chanter  les  mélodies  dans  sou  magasin,  afin  qu'elle  put  par  ce  moyen 
les  étudier  sans  musique.  Après  une  répétition  qui  ne  dura  pas  moins  de 
deux  heures  et  demie,  la  chanteuse  et  son  accompagnateur  savaient  par 
cœur  les  nouvelles  mélodies,  et  l'artiste  remporta  un  hrillant  succès.  La 
location  du  téléphone  entre  Buffalo  et  Chicago  avait  coûté  125  dollars,  soit 
62b  francs,  mais  la  chanteuse  avait  gagné  un  cachet  supérieur  à  cette  somme 
et...  une  fameuse  réclame  par-dessus  le  marché. 

—  Encore  une  excentricité  américaine.  On  vient  de  former  à  New-York, 
sous  le  nom  de  New-York  Boy's  Symphony  Orchestra,  un  orchestre  entièrement 
composé  d'enfants  et  de  tout  jeunes  gens.  Il  y  en  a  de  toutes  les  nationali- 
tés, mais  surtout  des  Italiens.  Le  chef  de  cet  orchestre  s'appelle  Pinto  et  est 
âgé  de  18  ans.  Il  a  commencé  fort  jeune  à  étudier  la  musique  et  a  acquis 
une  grande  hahileté  sur  la  harpe,  mais  on  le  dit  capable  de  jouer  de  tous 
les  instruments.  Le  maitre  de  concert  et  violon  solo  a  nom  Nicola  G-aragusi  et 
ne  compte  encore  que  onze  ans  quoique  son  talent  soit,  parait-il,  remarqua- 
ble. Le  violoncelle-solo  s'appelle  William  Fedder.  Le  plus  jeune  soliste  est 
Nathan  Schildkrant;  il  se  distingue  sur  la  clarinette,  et,  comme  il  n'a  que 
neuf  ans,  son  instrument  est  presque  aussi  grand  que  lui.  Un  autre  «  vail- 
lant »  soliste,  Francis  Sabatino,  qui  n'a  que  quatorze  ans,  exécute  sans  broncher 
les  morceaux  les  plus  difficiles  de  Paganini.  Gomme  flûte-solo  on  nomme 
Giuseppe  Giaramella,  âgé  de  seize  ans,  élève  du  Conservatoire  de  Home,  et 
le  cornet  solo,  Capodiferro,  se  montre  si  habile  qu'il  y  a  peu  de  temps  on  le 
demandait  comme  soliste  pour  la  bande  Rossa.  Enfin,  le  plus  vieux  de  tous 
est  le  premier  alto,  Nicola  Briglia.  Si  avec  tout  cela  l'entrepreneur  ne  fait  pas 
fortune,  c'est  que  les  Américains  manqueront  à  toutes  leurs  traditions. 

—  Les  journaux  américains  nous  apprennent  que  l'on  construit  en  ce 
moment  à  Chicago  un  nouveau  théâtre  exclusivement  destiné  à  des  repré- 
sentations d'acteurs  nègres.  Ils  ajoutent  que  l'inauguration  de  ce  théâtre  se 
fera  avec  un  spectacle  composé  de  VHamlel  de  Shakespeare.  Mais  alors,  la 
blonde  Ophélie  paraîtra  sous  les  espèces  d'une  amoureuse  au  teint...  bronzé, 
avec  des  cheveux  crépus  ! 

—  Le  théâtre  municipal  de  Santiago  de  Chili  s'est  donné  le  luxe  d'un  opéra 
inédit.  Il  a  offert  à  son  public  la  première  représentation  de  la  Salinara,  opéra 
italien  entrois  actes,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Domeuico  Brescia,  direc- 
teur du  Conservatoire  de  Santiago.  Il  va  sans  dire  que  le  public  a  fait  un 
accueil  chaleureux  à  cet  ouvrage. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  renvoyé  à  l'exa- 
men de  la  section  de  composition  musicale  l'avis  suivant,  que  le  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  lui  transmet  relativement  à  la  parti- 
tion d'un  ancien  pensionnaire  que,  suivant  son  cahier  des  charges,  le  direc- 
teur de  l'Opéra  est  tenu  d'exécuter  : 

Il  serait,  dit  le  ministre,  préférable  de  jouer  moins  souvent  des  œuvres  des  peosio  n- 
aaires  musiciens  de  Rome,  mais  de  les  Jouer  dans  de  meilleures  conditions. 

Au  lieu  d'un  petit  ouvi-age  en  un,  deux  ou  trois  actes  imposé  tous  les  deux  ans  à  la 
direction  de  l'Opéra,  il  vaudrait  mieux  inscrire  dans  le  cahier  des  charges  l'obligation  de 
jouer,  tous  les  trois  ans,  un  grand  ouvrage  eu  quatre  ou  cinq  actes.  Cette  modification 
aurait  un  double  avantage.  Tout  d'abord  elle  éviterait  les  inconvénients  d'un  spectacle 
coupé  ;  la  représentation  de  l'œuvre  se  suiiïrait  à  elle-même  sans  qu'il  fût  nécessaire  d'y 
ajouter  celle  d'un  ballet.  D'autre  part,  elle  encouragerait  la  direction  de  l'Opéra  à  donner 
à  cette  représentation  toute  l'importance  et  tout  l'éclat  désirables. 

—  Voici  les  principaux  résultats  du  tirage  de  la  loterie  des  artistes.  Les 
deux  numéros  qui  suivent  gagnent  chacun  100.000  francs  : 

301173  S079S7 

Les  50  numéros  suivants  gagnent  chacun  1,000  francs  : 

101S234              217777  703891  1017159  1417434 

119121              375709  1424275  1414262  281360 

323360              524285  273673  S10200  3Ô6S82 

680961              624640  920252  1517024  19397 

381756            1273960  171953  1472674  1125149 

10380U4              493576  1599984  412567  182077 

1588064              276849  1583471  727167  1538972 

1153958              281685  347054  653996  701160 

413126            11*1188  766848  512967  402982 

535925              712637  1043141  423693  314384 

Cent  autres  numéros  gagnent  chacun  .500  francs  et  les  500  derniers  numé- 
ros chacun  100  francs. 

—  L'Association  syndicale  professionnelle  de  la  Critique  a  tenu  hier  son 
assemblée  générale  annuelle,  salle  Pleyel,  sous  la  présidence  de  M.  Catulle 
Mondes,  président  sortant.  L'Assemblée  a  entendu  le  rapport  du  secrétaire, 
M.  Maxime  Vitu,  et  celui  du  trésorier,  M.  Edmond  Théry,  qui  a  constaté 
l'existence  en  caisse  d'une  somme  de  30.000  francs.  On  a  procédé  ensuite  à 
la  réélection  du  bureau.  M.  Adolphe  Aderer  a  été  élu  président.  Pour  les 
vice-présidents,  il  a  fallu  procéder  à  deux  tours  de  scrutins,  M.  Camille 
Le  Senne  a  été  seul  élu  vice-président  dramatique  au  premier  tour,  M.  Albert 


Soubies  lui  a  été  adjoint,  au  second  tour,  comme  vice-président  musical. 
Ont  été  nommés  :  secrétaire,  M.  Maxime  Vitu;  archiviste,  M.  Edmond 
Stoullig ,  —  Six  candidatures  étaient  proposées  pour  le  sociétariat,  entre 
autres  celle  de  la  rédactrice  musicale  d'un  journal  féministe.  Il  n'y  a  eu  de 
majorité  que  pour  MM.  Lalo  et  Richard  O'Mouroy,  Tous  les  autres  candidats 
ont  été  ajournés. 

—  Petites  nouvelles  de  l'Opéra-Gomique  :  on  a  lu  cette  semaine  aux  artistes 
la  partition  du  Légalaire  universel,  opéra-comique  en  trois  actes,  d'après  la 
comédie  de  Regnard,  musique  de  M.  Georges  Pfeiffer.  Les  interprètes  dési- 
gnés sont  MM.  Jean  Périer,  Grivot,  Cazeneuve,  M^'s  de  Craponne,  Pierron 
et  Eyreams,  La  comédie  de  Regnard  a  été  arrangée  en  livret  d'opéra-comique 
par  MM.  Adenis  et  Bonnemère.  Cet  ouvrage  va  entrer  immédiatement  en 
répétition,  pour  être  donné  au  courant  du  mois  de  juin,  —  Cette  semaine 
aussi,  au  studio  da  l'Opéra-Comique,  lecture,  par  M.  Arthur  Coquard,  de  sa 
nouvelle  partition,  la  Troape  JoUcœur,  trois  actes,  dont  un  prologue,  dont  il  a 
lui-même  écrit  le  livret,  d'après  une  nouvelle  de  M.  Henri  Cain  et  avec  la 
collaboration  de  ce  dernier.  C'est  la  fille  du  compositeur,  une  délicieuse  mu- 
sicienne, qui  tenait  le  piano  et  a  chanté,  d'une  très  jolie  voix,  les  rôles  de 
femmes.  Les  rôles  de  cet  ouvrage  sont  distribués  à  M""^  Marie  Delna,  Rioton, 
Tiphaine,  MM.  Léon  Beyle,  Jean  Périer,  Dufrane,  AUard,  Rothier,  Gaze- 
neuve,  Mesmaëcker  et  Huberdeau.  Excellente  impression.  L'ouvrage  de 
MM.  Ai'thur  Coquard  et  Henri  Cain  va  être  mis  immédiatement  à  l'étude, 
mais  ne  sera  donné  qu'au  mois  d'octobre  de  la  saison  prochaine.  —  Au 
courant  de  la  même  saison,  dit-on,  seront  données  aussi  la  première  repré- 
sentation du  petit  ouvrage  de  MM.  Doret  et  Henri  Gain,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  et  dont  le  titre  n'est  pas  encore  arrêté,  et  celle  du  Pelléas  et  Méli- 
sandre  de  MM.  Mœterlinck  et  Claude  Debussy.  —  Spectacle  d'aujourd'hui 
dimanche  :  en  matinée  (représentation  populaire  à  prix  réduits),  Lakiné  et  le 
Cludel  ;  le  soir,  Manon. 

—  La  Louise  de  Charpentier  va  commencer  son  tour  d'Allemagne  par 
l'Opéra  royal  de  Berlin,  dès  le  commencement  de  la  saison  prochaine.  Vien- 
dront ensuite  les  villes  de  Hambourg,  Cologne,  Brème,  Nuremberg,  Tîlberfeld. 
D'autres  pourparlers  sont  encore  engagés  avec  plusieurs  villes  et  vont 
aboutir  très  prochainement.  La  traduction  allemande  a  été  confiée  au  docteur 
0.  Neitzel,  le  célèbre  critique  musical  de  la  Gazette  de  Cologne. 

—  Le  ténor  Tamberlick,  le  fameux  propriétaire  d'un  ut  dièse  i-esté  légen- 
daire, est,  comme  on  sait,  mort  à  Paris  en  1889  sans  avoir  laissé  de  testament. 
Sa  succession  est  pourtant  importante  et  on  en  était  encore  jusqu'à  présent  à 
chercher  ses  héritiers  naturels,  son  véritable  état  civil  restant  inconnu.  Or, 
on  vient  enfin  de  constater  que  Tamberlick  était  né  à  Jassy  (Roumanie)  et 
s'appelait  de  son  vrai  nom  Nikita  Torna  ;  aussitôt  plusieurs  parents  se  sont 
mis  sur  les  rangs  pour  réclamer  l'héritage. 

—  M.  Julien  Tiersot  vient  de  donner  une  nouvelle  série  de  conférences- 
auditions  consacrées  à  la  chanson  populaire  française  dans  plusieurs  villes 
de  la  région  du  sud-est  :  Lyon,  Vienne,  Saint-Etienne  et  Màcon,  avec  le 
concours  d'une  jeune  cantatrice  du  talent  le  plus  gracieux  et  le  plus  fin, 
Mme  Bertholon-Mauvernay.  Ces  conférences  étaient  précédées  d'une  partie 
purement  musicale  donnée  par  M""  Marguerite  Mauvernay,  qui  a  chanté 
avec  une  grande  autorité  des  compositions  vocales  de  César  Franck,  Reynaldo 
Hahn,  et  d'expressives  mélodies  de  M.  .loseph  Jemain,  Ces  concerts,  formés 
d'éléments  aussi  artistiques  que  variés,  ont  obtenu  partout  le  plus  grand 
succès. 

—  Le  livre  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  sur  Jean-Jacques  Rousseau 
musicien  est  accueilli  avec  autant  de  faveur  par  la  critique  étrangère  que  par 
la  critique  française,  aussi  bien  en  Allemagne  qu'en  Italie  et  en  Suisse.  Pré- 
cisément il  s'en  prépare  en  ce  moment,  avec  le  consentement  de  l'auteur, 
une  traduction  allemande,  qui  vraisemblablement  ne  tardera  pas  beaucoup  à 
paraître. 

—  Un  musicien  qui  fait  des  vers!  Il  s'appelle  Maurice  Ghassang,  et  le 
volume  qu'il  vient  de  publier  a  pour  titre  les  Musiques  du  rêue  et  de  l'espoir. 
Ils  sont  jolis,  ses  vers,  tendres,  colorés,  harmonieux.  Ils  sont  mélancolique», 
iU  sont  honnêtes.  On  les  lira  avec  plaisir. 

—  De  Saint-Quentin  :  La  Société  chorale  de  dames  vient  de  donner  un  fort 
beau  concert  qui,  grâce  à  son  excellente  organisation  et  aux  concours  qu'elle 
s'était  assurés,  a  obtenu  un  succès  immense.  M""  de  Lavallée,  l'âme  de  la 
Société,  avait  fait  venir  M"'"  la  comtesse  de  Maupeou,  MM.  Louis  Diémer, 
R.  LeLubezet  IM.Nadaud,  c'est  dire  si  les  œuvres  exécutées  le  furent  excellem- 
ment. De  nombreux  ()is  pour  des  compositions  de  Diémer,  qu'il  accompagne, 
telles  la  Fauvette  chantée  par  M""«  de  Lavallée,  la  Sérénade  espagnole  chantée 
par  M.  Le  Lubez,  les  Ailes  chantées  par  M""  de  Maupeou,  et  la  grande  Valse 
de  concert  qu'il  joue  lui-même.  Ou  fait  fête  aussi  au  merveilleux  virtuose  dans 
des  pièces  de  clavecin,  entre  autres  la  GamI.le  pour  les  Heures  et  les  Zéphyrs,  à 
M.  Le  Lubez  dans  l'aubade  du  Roi  d'Ys,  de  Lalo,  à  M'"=  de  Maupeou  dans  le 
grand  air  à'Alceste,  au  très  distingué  violoniste  Nadaud,  à  M"»"  Malézieux  et 
à  M"™  Cautelon  et  Lefèvre,  qui  soutiennent  des  chœurs  charmants. 

—  De  Clermont  (Oise)  :  La  Société  chorale  «  La  Glermontoise  »  vient  de 
célébrer  le  40=  anniversaire  de  sa  fondation  au  milieu  d'une  aCHuence  consi- 
dérable. Le  matin,  à  l'église  Saint-Samson,  messe  solennelle  au  cours  de 
laquelle  300  exécutants  se  font  entendre  et  font  très  grand  effet   dans   Sancla 


176 


LE  MENESTREL 


Maria  et  Crucifix  de  Faure:  dans  la  journée,  grand  concert  donné  au  Chàtel- 
lier  qui  met  en  ligne  toutes  les  Sociétés  dont  les  nuniéros  les  plus  applaudis 
sont  Nuit  d'Orient  de  Luigini  et  le  Beau  Danube  bleu  de  Johann  Strauss. 

—  Brillant  concert  donné  à  Verdun  parla  Société  philharmonique,  dirigée 
par  M.  Didier.  Deux  solistes  originaires  de  la  ville;  Mi'«^Joly  de  la  Mare 
interprétant  VAlltluia  de  Schutz,  du  seizième  siècle,  M.  MarescUal,  pianiste, 
jouant  la  huitième  polonaise  de  Chopin.  De  son  côté  M.  Gebelin,  basse  de 
la  Schola  Cantorum,  chantant  l'admirable  Ovulnera  doloris  de  Carissimi,  a  fort 
impressionné  le  public. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  A  l'Inslilut  Ruii.v.  soirée  de  bienlaisance  au  cours  de 
latiuelle  on  entend  avec  grand  plaisir  51"'  llaric  Lasne  dans  Clianson  à  danser  ,  de 
Périlhou,  Plaisir  d'amour,  de  Martini,  Dites,  que  faut-il  faire?  de  Pauline  Viîir.101,  et 
M"'  Rancet-Banès  dans  Tes  yeux,  de  Estéban  Marti.  —  Charmante  audition  des  élèves  de 
M"'  Crabos,  salle  Érard.  Sont  très  justement  remarquées  et  applaudies  M""  Suzanne  L.  et 
Blanche  H.  i  les  Colombes,  Rubinstein),  Germaine  L.  [Pitchounette,  Massenet),  Margue- 
rite M.  ile  Petit  Jésus,  Massenet),  Jeanne  G.  (Cft7n(  provençal,  Massenet),  Eugénie  M. 
<Alleluia  du  Cid,  Massenet),  M"'  du  V.  et  M"'  Eugénie  M.  (duo  du  JîoJ  dTs,  Laloi, 
M'"  Germaine  L.  iBrunette,  Périlhou),  M-  V.  {l'Hermite,  Périlhou),  M""  M.-A.-G.  (la 
Mirabilis,  Périlhou),  Marie  A.-G.,  M»'  V.,  Renée  G.,  Eugénie  M.  {Trimousetf,  Périlhou), 
M""'  M.  G.  (air  de  Marie-Magdtkine,  Massenet),  R,  (air  de  Jean  de  Nioelle,  Delibes), 
M""  Madeleine  V.  lair  de  Cavalleria,  Mascagni),  Hélène  D.  [Ischia  et  Chanson  à  danser, 
Périlhou).  Le  morceau  de  résistance  était  la  Vision  de  la  Reine,  d'Augusta  Holmes,  qui  a 
été  chantée  en  perfection  par  toutes  les  élèves.  M"'  Houssin  tenant  la  partie  de  harpe,  et 
M"'  Baude  celle  de  violoncelle.  Très  gros  succès  pour  M"°  Crabos  qui,  prêchant 
d'exemple,  a  chanté  Nocturne  et  Yillanelle,  de  Périlhou,  accompagnée  par  l'auteur.  — 
Grand  succès,  à  la  salle  des  fêtes  du  Journal,  pour  une  toute  .jeune  et  chaj'minte  artiste, 
M""  Wittich,  qui  conduit  sa  voi-x  superbe  avec  une  sûreté  et  un  goût  rares,  surtout  à  son 
à"e.  Elle  a  été  vivement  applaudie  après  un  air  des  Noees  de  Figaro  et  après  le  grand  air 
du  Freyschiit:-  qu'elle  a  brillamment  détaillé.  —  Audition  des  plus  remarquables  cliez 
M.  et  Jl""  Escalaïs,  de  l'Opéra,  qui  faisaient  entendre  leurs  élèves  pour  la  dernière  fois 
de  la  saison.  M""  Douglas  LelCarroll  dans  leCidel  flamZe(  ont  été  chaleureusement  applau- 
dies- très  fêtées  aussi  M""  Dubel,  Séguin,  Harel,  Monteithet  la  toute  gracieuse  Miss  Bard 
dans  Aleeste,  Eérodiaie,  l'Ave  Maria  de  Gouncd,  etc.  ;  M.  Minirague  a  chanté  avec  une 
'■rande  autorité  et  un  style  parfait  Sardanapale  et  Bérodiade.  —  M.  Jules  Berny  vient  de 
donner,  salle  Erard,  sonconccrt  annuel  qui  lui  a  valu  très  grand  succès;  la  salle  a  vigou- 
reusement applaudi  à  son  interprétation  d'œuvres  classiques  et  modernes,  parmi  lesquelles 
il  faut  mentionner  Barcarolleel  Moment  de  caprice,  d'Alph.  Duvernoy.  —  En  six  grandes 
séances  très  chargées,  M""  Hortense  Parent  a  fuit  entendre,  salle  Pleyel,  ses  nombreuses 
élèves  qui  ont  témoigné,  une  fois  de  plus  de  l'excellence  de  son  enseignement  et  de  celui 
des  professeurs  placés  sous  sa  direction.  On  a  remarqué  parmi  les  meilleurs  interprètes, 
M.  Etienne  P.  {Chanson  de  Giiillot-Martin,  Périlhou),  M""  Jeanne  P.  {Chant  d'Avril, 
Lack),  Florie  W.  (Toise  joyeuse,  Rougnon),  Kathleen  S.  {Polichinelle,  Rougnon),  B.  G. 
{Fantaisie-impromptu,  Chopin),  Mirabel  0.  [Scherzo  et  Clwral,  Dubois),  Hélène  de  la 
Q.  {Elégie,  Massenet),  Madeleine  H.  {Bras  dessus,  bras  dessous,  Wachs),M.  Jacques  deB. 
(Aragonaise,  Massenet),  M'"  Marguerite  D.  [Romance  de  Conte  d'Avril,  'Widor),  Marie  P. 
(Menuet  XVIII'  siècle,  Périlhou),  Germaine  B.  {le  Rèvi  du  prisonnier,  Rubinsteln-Lack), 
Éléonore  E.  [Romance,  Rubinstein),  Élisa  V.  {Aragonaise,  Massenet),  Marcelle  R.  {Sou- 
venir de  Menne,  Lack),  Marguerite  D.  (Chœur  et  dimie  des  lutins,  Duboisi  et  Margue- 
rite 0.  B.  {Scherzo  valse  des  Pensées  fugitives,  CastiUon).  —  Le  concert  annuel  (salle 
Érard)  donné  par  M""  Berthe  Kohi,  l'excellent  professeur  de  chant,  a  été  cette  année 
d'une  importance  exceptionnelle.  Cinq  premières  auditions  y  ont  eu  lieu,  avec  grand 
succès.  Un  beau  fragmeni  de  l'Apollonide,  de  Eranz  Servais,  délicieusement  chanté  par  le 
ténor  Rousseliére  et  les  chœurs  composés  des  <i  Enfants  de  Lutèce  »  et  des  élèves  de 
M"'  Kohi,  a  été  applaudi  avec  enthousiasme.  Le  piano  était  tenu  par  M"''Augusla  Holmes, 
qui  avait  voulu  présenter  elle-même  cet  extrait  d'une  admirable  partition  encore  inconnue 
en  France,  et  dont  l'auteur,  mort  en  pleine  force,  tout  récemment,  n'a  jamais  eu  la  joie 
d'entendre  une  seule  exécution  parmi  nous.  Puis  vinrent  :  une  charmante  Aubade  de 
LéonMoreau;  Violon  d'amour,  mélodie  d'AugusIa  Holmes,  pour  chant,  violon  et  piano, 
chantée  à  ravir  par  M""  Huet,  accompagnée  par  M.  Bron,  le  délicat  violoniste,  et  l'auteur; 
et  iîosa  Benedicla,  Au  Pays,  deux  nouvelles  mélodies  d'A.  Holmes  qui  ont  valu  à 
M.  Vieuille  un  ti-iomphe.  Ajoutons,  parmi  les  œuvres  déjà  connues,  la  Scène  des  Anges  et 
l'Air  de  l'Archange  (Rédemption,  de  César  Franck)  chanté  avec  une  grande  aulorité  par 
M"'  Huet;  VAir  de  Jason  (les  Argonautes,  d'A\igusla  Holmes)  superbement  déclamé  par 
le  ténor  Vianova;  le  Chevalier  au  lion  et  les  Cas  d'Irlande,  du  même  auteur,  lancés  parla 
voix  ma"nilique  du  jeune  ténor  irlandais  O'Sullivan.  Enfin,  signalons  l'accueil  absolument 
sympathique,  pour  tout  le  reste  du  programme,  fait  par  le  très  nombreux  public  à  tous 
les  élèves  de  M"°  Kohi,  de  qui  l'excellente  méthode  a  déjà  produit  des  célébrités.  —  La 
matinée  d'élèves  donnée  par  M""  Augustine  'ion,  chez  elle,  a  été  des  mieux  réussies.  Les 
nombreuses  élèves  de  piano  et  de  chant  ont  été  toutes  très  applaudies.  M.  René  Bâton, 
aidé  de  M"'  Yen,  a  fait  apprécier  plusieurs  de  ses  œuvres.  —  M.  Gigout  a  dirigé,  avec 
tout  son  talent  et  tout  son  cœur,  deux  séances  consacrées  aux  œuvres  de  son  neveu,  le 
regretté  compositeur  Léon  Boëllmann.  Dans  ces  programmes  où  figuraient  des  pièces 
d'orchestre  des  mélodies  vocales,  des  morceaux  d'orgue  et  des  fragments  de  musique  de 
chambre,  il  faudrait  tout  citer,  comme  on  a  tout  applaudi.  Une  fois  de  plus  on  a  constaté 
que  la  mort  prématurée  de  Léon  Boëllmann  a  été  une  vjaie  et  grande  perte  pour  l'art 
musical  qu'il  a  bien,  mais  trop  peu  longtemps,  servi.  Nous  tenons  du  moins  à  dire  le  suc- 
cès touchant  qu'a  obtenu  la  gentille  orpheline  Marie-Louise  Boëllmann  en  jouant,  avec 
une  de  ses  peliles  amies,  un  morceau  de  son  père.  —  Salle  Érard,  séance  d'élèves  de 
M""  Girardin-Marchal  consacrée  aux  œuvres  de  Périlliou,  Rougnon  et  FiUiaux-Tiger. 
Parmi  les  élèves  les  plus  applaudis,  citons  M.  D.  (Pastorale,  Périlhou),  M""  M.  D.  (Clian- 
son de  Guillot-Martin,  Périlhoui,  A.  V.  (Thais,  .Massenet-Périlhou),  M.  T.  (Eselarmonde, 

"  Massenet-Périlbou),  L.  M.  (^  Fantaisie,  Périlhou:,  M.  L.  ('.S'owrce  cojjn'ciease,  FiUiaux- 
Tiger),  J.  B.  (Ballerine,  Rougnon ,i,  J.  P.  (A  Grenade,  Rougnon),  C.  P.  et  M. -T.  F.  (Wer- 
ther et  le  Roi  de  Lahore,  Massenet-Périlhoui,  H. -A.  et  M. -A.  (Roman  d'Arlequin,  Masse- 
net-Filliaux-Tiger),  F.  M.  (Hérodiade,  Jlassenel-Périlhou),  H. -A.  (Navarraise,  Massenet- 
Périlhouj.  Beaucoup  de  Ijravos  aussi  pour  de  jolis  chœurs  dans  la  Légende  de  saint  Nicolas 
de  Périlhou,  pour  M"«  Girardin-Marchal  et  M"'  Filliaux-Tiger  dans  la  Marche  de 
Szabady,  de  Massenet,  et  pour  Jl""  Jeanne  Faucher  dans  plusieurs  mélodies  de  Périlhou, 
accompagnées  par  l'auteur.  —  Au  concert  donné  par  la  Fédération  féministe,  salle  du 


Journal,  gros  succès  pour  M.  Delaquerfière  dans  Bouche  close  àe  Gabriel  Fabre  et  dans  le 
duo  de  Sigurd,  chanté  avec  M-'  Savai-i.  —  A  la  dernière  conférence  de  la  Société  d'ensei- 
gnement moderne,  M""  Girardin-Marchal  a  interprété  avec  succès  plusieurs  œuvres  de 
Chopin.  —  M"'  Henriette  Coulon  \ient  de  donner,  salle  Érard,  un  fort  joli  concert  au 
cours  duquel  l'excellente  pianiste  s'est  fait  vivement  applaudir,  notamment  dans  les 
Myrtilles  de  Théodore  Dubois.  On  fêle  aussi  M""  C.onneau  dans  Chinoiserie  d'Alph.  Duver- 
noy. —  Même  salle  Erard,  grand  succès  pour  M.  -Vrnold  Reitlinger  qui  a  joué,  en  musicien 
consommé,  toute  une  importante  série  d'œuvres  classiques  et  modernes.  Parmi  ces  der- 
nières, il  faut  signaler,  pour  leur  remarquable  exécution,  Phalènes  de  I.  Pbiïipp,  les 
Abeilles  de  Th.  Dubois  et  Étude  de  concert  d'Antonin  Marmontel.  —  Salle  Lemoine,  inté- 
ressante malinée-c.oncert  donnée  par  M.  E.  Aider.  Pai-mi  les  numéros  du  programme  qui 
ont  1  e  plus  porté,  nommons  les  Irios  composés  par  Aider  sur  les  opéras  en  vogue,  Sigurd, 
Hamlet,  Manon  et  encore,  les  Enfants,  de  Massenet,  chantés  par  M.  Montesi,  et  l'air  de 
Louise,  de  Charpentier,  chanté  par  M""  Poulet.  —  Los  noms  de  Lamartine  et  de  Massenet 
étaient  réunis  au  dernier  programme  d'un  superbe  festival  qui  a  été  donné  au  palais  du 
Trocadéro  pour  la  plus  grande  gloire  de  la  poésie  et  de  la  musique  françaises.  M""  Jane 
Rahuteau  et  M.  Ramea\i,  M.  Brémont  et  M"°  Renée  de  Pontry  ont  fait  applaudir  les 
meilleurs  morceaux  du  chantre  d'Elvirc.  Le  ténor  Mouliérat,  qu'on  regrette  de  ne  plus 
e  ntcndre  à  Paris,  a  chanté  de  sa  belle  et  puissante  voix  l'air  de  Werther  et  l'air  de  Sapho, 
qu'il  a  dû  Lisser  aux  applaudissements  de  toute  la  salle.  Coquelin  Cadet  a  l'éjoui  l'assis- 
tance avec  ses  inénarrables  monologues  dits  et  chantés.  Enfin,  le  programme  était  com- 
plet é  par  des  Danses  anciennes  et  dillérenls  autres  intermèdes  qui  ont  pleinement  justifié 
le  succès  de  ce  brillant  concert.  —  Une  charmante  pianiste,  M°"  Deblauwe-Querrion,  a 
do  une  récemment  un  concert  qui  lui  a  valu  un  très  \iï  succès.  Après  le  trio  de  M.  Saiut- 
Saëns,  remarquable  ment  exécuté  en  compagnie  de  MM.  Besnier  et  Deblauwe,  elle  s'est 
fait  chaleureusement  applaudir  dans  la  Fantaisie  de  Schumannet  trois  ballades  de  Cbopin, 
di  tes  avec  un  rare  sentiment  et  un  tjdent  plein  de  distinction. 

NÉCROLOGIE 

A  'Vienne  est  mort,  à  82  ans,  le  compositeur  et  critique  musical  Henri- 
Joseph  Vincent.  Il  était  né  dans  les  environs  de  'Wurzbourg  et  avait  fait  son 
droit  à  l'Université  de  cette  ville,  mais  sa  splendide  voix  de  ténor  l'encoura- 
gea à  quitter  la  carrière  de  magistrat  et  à  débuter  à  l'Opéra.  En  1847  il  fut 
engagé  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  et  chanta  ensuite  sur  différentes  scènes 
d'Autriche,  d'Allemagne  et  de  Suède,  mais  la  perte  de  sa  voix  le  força  bien- 
tôt à  renoncer  au  théâtre.  Il  s'adonna  alors  à  la  cotnposition  musicale  et  à  la 
musicographie;  plusieurs  de  ses  mélodies  eurent  un  grand  succès  et  son  opéra 
la  Mendiante  fut  joué  en  18(36  avec  une  réussite  honorable.  En  1862  il  publia 
un  écrit  sur  un  nouveau  système  musical  et  en  1874  un  écrit  sur  un  nouveau 
clavier;  ces  deux  opuscules  excitèrent  l'attention  des  musiciens,  et  le  clavier 
de  Janko  est  en  partie  fondé  sur  les  idées  mêmes  de  Vincent. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  CÉDER  au  rentre  de  Vichy,  fonds  de  musique,  pianos,  lutherie.  Pour 
tous  renseignements  s'adresser  Maison  musicale,  39,  rue  des  Petits- 
Champs,  Paris. 

Viennent  de  paraître  : 

Chez  Pugno,  Cent  années  de  musique  française,  par  Eugène  de  Solenière. 

Chez  Stock,  Ghetto,  pièce  en  3  actes,  de  H.  Hcijermanns,  adaptation  française  de 
J.  Lemaire  et  J.  Schurmann,  représentée  aux  Escholiers. 

Chez  E.  Flammarion,  Histoire  de  la  musique;  États  Scandinaves  des  origines  au  .YhV" 
siède,  par  Albert  Soubies  (2  francs). 

A  la  Société  libre  d'édition  des  gens  de  lettres.  Trois  moutures  du  même  sac,  comédie 
en  1  acte,  de  Gabriel  Martin  (2  fr.  50  c). 

Chez  Alcan,  la  Spthère  de  la  Beauté,  lois  d'évolution,  de  rythme  et  d'harmonie  dans  les 
phénomènes  esthétiques,  par  Maurice  Griveau,  avec  51  gravures  et  nombreux  tableaux 
synoptiques  et  schémas  (10  francs). 

Chez  E.  Fasquelle,  Vieux  ménages,  comédie  en  1  acte,  de  Octave  Mirbeau,  repré- 
sentée au  Grand-Guignol  (1  franc);  Amoureuse  amitié,  comédie  en  1  acte,  de  Maurice 
Vaucaire,  représentée  à  la  Comédie-Française  (1  franc)  ;  le  Sang  français,  récils  et  nou- 
velles, par  Jules  Claretie  (3  fr.  50  c). 

Chez  Fischbacher,  Jephtah  victorieux,  drame  lyiique  en  3  tableaux,  de  Roger  de  Goeij. 


vento   AU  MlilNiûSTR  EL,  3  toi 

Propriété  pour  lotis  iniys. 


Vivieiine. 


THÉODORE  DUBOIS 


-^flirlES  TEflDt^ESSES 

(Poésies  de  Sully-Prudhomine) 

1.  Prh're ■ 3  » 

2.  L'Étoile  au  cœur 6  » 

3.  Au  bord  de  l'eau 5  » 

i.  Enfantillage 5  » 

5.  Pèlerinage 5  » 

6.  Sur  un  album 5  » 

Le  recueil  gr.  in-4",  net  3  » 

DEUX  PRÉLIDES  CARACTÉRISTIQUES  pour  piano 7  50 

THÈME  VARIÉ  pour  ]iiano 9  " 


,  20,  I 


3663.  -  67-  AN*  -  N°23.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimauciie  9  Juin  1901. 


(les  Bureaux,  2  "»,  rue  TiTienne,  Paris,  u-  m-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


lie  flamépo  :  0  îr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉATI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  timm  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  CImnt  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (15°  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  La  musique  et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (7"  article),  Camille  Le  Senne. 

—  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  musique  d'église  et  de  ville,  Edmond  Neukomm. 

—  IV.  Pensées  et  Aphorismes  d'Antoine  Rubinstein.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 

PROMENADE 

de  A.  PÉaiLHOU.  —  Suivra  immédiatement  :  Menuet  Rococo,  deTnÉouoRE  Lack. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
la  Chère  blessure,  nouvelle  mélodie  de  Revnaldo  Hahn,  poésie  de  M"":  Blanche- 
COTTE.  —  Suivra  immédiatement  :  Soir  d'été,  n°  2  du  Poème  du  silence,  d'EnNESX 
MORET. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 


et 


(Suite.) 


VI 

Les  préférences  politiques  de  la  Dugazon.  —  Fleurs  poétiques  du  Palais-Royal.  — 
Différences  d'appréciation  chez  un  Rordelais  et  chez  un  Allemand.  —  Jeunes 
Dugazon  et  Mères  Dugazon.  —  Comme  on  écrit  l'histoire  de  la  politique  au 
théâtre  l  —  Rose  Renaud  et  ses  panégyristes. 

Aristocrate  comme  la  Saint-Huberti,  M""=  Dugazon  devait 
quitter  en  1792  la  Comédie-Italienne,  dont  sa  grâce,  sa  finesse 
et  sa  gaité  l'avaient  rendue,  à  défaut  de  voix,  la  souveraine  in- 
contestée pendant  près  de  vingt  ans.  Ce  n'était  pas,  il  est  vrai, 
sans  esprit  de  retour,  puisqu'elle  reparut,  vers  ITiiS,  sur  la 
scène  de  ses  premiers  triomphes.  Mais  l'heure  était  alors  plus 
propice  pour  la  reprise  ou  la  continuation  d'un  répertoire  que 
la  charmante  comédienne  interprétait  avec  tant  d'expression  et 
un  si  joli  sourire.  De  fait,  nous  ne  la  voyons  pas  dans  ces  pièces 
•  de  circonstance,  ni  dans  ces  à-propos  révolutionnaires  que  la 
Terreur  avait  mis  à  l'ordre  du  jour.  De  telles  émotions  étaient 
trop  violentes  pour  le  talent  délicat  de  M'"'=  Dugazon,  qui  savait 
bien  pleurer  avec  Nina,  mais  n'aurait  jamais  pu  maudire  avec 
les  Ennnyes.  Aussi,  pour  se  soustraire  sans  péril  à  des  obliga- 
tions qu'il  lui  répugnait    de    remplir,   allégua-t-elle    comme 


excuse  son  état  maladif  :  excellent  préte.xte,  qui  servit  de  tout 
temps  aux  actrices  impatientes  de  reprendre  leur  hberté. 

En  effet,  madame  Dugazon  était  indépendante  de  caractère,, 
comme  elle  l'était  déjà  d'esprit  et  de  mœurs.  Son  mari,  le  co- 
médien-français, l'avait  appris  à  ses  dépens.  Mais  le  Tout-Paris 
mondain  appréciait  la  sémillante  artiste  à  un  point  de  vue  moins 
exclusif.  L'étoile  de  la  Comédie-Italienne  partageait  volontiers  les 
égarements  qu'elle  encourageait.  Suivant  le  mot  du  poète,  elle 
traînait  tous  les  cœurs  après  soi;  et  la  voix  publique,  qu'en- 
chantaient tant  de  séductions,  leur  rendait  les  hommages  les 
plus  imprévus. 

Thiébault  en  fut  témoin  au  Palais-Royal,  en  1784.  Le  vicomte 
de  Léomont  s'y  promenait  avec  l'abbé  Delille,  l'aimable  versifi- 
cateur des  Jardins,  et  le  coup  de  canon  traditionnel  attendu  des 
habitués  venait  de  leur  annoncer  qu'il  était  midi.  Le  gen- 
tilhomme l'accueillit  par  ce  quatrain  bien  connu,  dont  l'auteur 
était  retjté  jusqu'alors  ignoré: 

Dans  ce  jardin  tout  se  rencontre, 
Hors  les  ombrages  et  les  fleurs. 
Si  l'on  n'y  règle  pas  ses  mœurs. 
On  y  règle  du  moins  sa  montre. 

Or,  M"'  Dugazon,  qui  traversait  le  Palais-Royal,  aperçoit  les 
deux  amis  et  s'en  approche.  Léomont,  qui  était  décidément  en 
verve,  salue  la  jolie  femme  de  cet  autre  quatrain  : 

Qu'importent  les  ileurs  et  l'ombrage? 
Dans  ce  jardin  où  tout  égare  la  raison. 
Point  ne  faut  à  l'amour  l'abri  d'un  vert  feuillage... 

Il  lui  suffit  d'y  trouver  du  gazon. 

L'artiste  se  composait  un  public  d'admirateurs  moins... 
folâtres  parmi  les  provinciaux  et  les  étrangers  de  passage  à 
Paris.  E.  Géraud  consigne,  dans  son  Journal  d\m  étudiant  (1), 
l'impression  qu'elle  lui  laissa  lorsqu'il  visita  Paris  en  1789.  La 
Comédie-Italienne  donnait  Barbe-Bkuc,  «  le  conte  suivi  de  point 
en  point  ».  M°"^  Dugazon  en  était  la  principale  interprète.  Son 
jeu,  dit  Géraud,  est  «  aussi  bon  dans  son  genre  que  celui  de 
M'"  Sainval  (la  célèbre  artiste  de  la  Comédie-Française)  ».  Mais 
un  regret  gâte  la  satisfaction  de  notre  étudiant.  Il  a  vainement 
cherché  dans  le  monument  de  construction  récente,  qui  a  réuni 
les  Italiens  de  la  rue  Mauconseil  et  l'Opéra-Comique  de  la  Foire, 
«  les  belles  colonnades  du  Théâtre  de  Bordeaux  élevées  avec  tant 
de  hardiesse  ».  Qu'aurait  dit  ce  Girondin  renforcé,  s'il  avait  pu 
connaître  l'opinion  de  mistress  Cradock  sur  son  cher  théâtre? 

Et  voyez  la  différence  du  point  de  vue  entre  un  fils  de  Bor- 
deaux et  un  enfant  d'Oldenbourg  dissertant  sur  le  même  sujet. 
Halem  revoit  à  Paris  M'""  Dugazon,  qu'il  avait  déjà  entendue  à 
Lyon  dans   le  mélodrame   de  Barbe-Bletje  :  et  «   l'effroi  le  saisit 


(1)  E.  Géraud. 


at  d'un  étudiant,  1890,  Flammarion. 


178 


LE  MÉNESTREL 


plus  fortement  »   quand  l'actrice,  sortant  de  la  chambre,  mur- 
mure, dans  un  frémissement  bien  légitime,  ces  vers  de  mirliton  : 

Ah  !  quel  sort 
Le  barbare 
Me  prépare  ! 
C'est  la  mort! 

Mais  TAllemand,  avec  sa  franchise  d'une  bonhomie  légèrement 
brutale,  se  retrouve  tout  entier  dans  cette  conclusion,  très  flat- 
teuse peut-être  pour  l'artiste,  mais  peu  aimable  pour  la  femme  : 

«  Comme  elle  n'est  plus  jeune,  elle  se  rejette  avec  un  succès 
surprenant  sur  les  rôles  de  mères.  »  Ce  qui  explique  son  éclatant 
triomphe  dans  l'Incertitude  maternelle,  comédie  en  vers  de 
Dejaure. 

Halem  vise  là  une  des  phases  critiques  de  la  vie  théâtrale  de 
l'actrice.  La  langue  des  coulisses  a  donné  depuis  le  nom  de 
mères  Dugazon  au  nouvel  emploi  auquel  s'était  résigné  la  sédui- 
sante virtuose,  après  avoir  créé  celui  des  jeunes  Dugason. 

Cependant,  elle  jouait  encore  celles-ci  en  septembre  1791,  à 
la  reprise  des  Evénements  imprévus  de  Grétry,  le  jour  où  les  Jaco- 
bins firent  un  si  beau  tapage  aux  Italiens.  Le  comte  de  Paroy,  qui 
assistait  à  cette  représentation  tumultueuse,  l'a  racontée  par  le 
menu  dans  ses  Mémoires  (1).  Elle  est  du  reste  classique.  Les 
démocrates  n'avaient  pu  trouver  place  à  la  Comédie -Française, 
ni  à  l'Opéra,  où  Louis  XVI  s'était  rendu  après  l'acceptation  de 
la  Constitution.  Ils  arrivèrent  donc  en  masse  aux  Italiens,  et 
jy[nie  DQgazon  avait  à  peine  commencé  son  fameux  duo  :  «  Ah  ! 
que  j'aime  ma  maîtresse  I  »  que  des  voix  du  parterre  lui 
crièrent  violemment  :  «  pas  de  maîtres  !  pas  de  maîtresses  !  » 

Il  est  vrai  qu'à  l'occasion  les  royalistes  prenaient  leur  revan- 
che et  répondaient,  en  chœur,  par  ce  couplet  du  Troubadour 
béarnais,  dont  les  intentions  étaient  meilleures  que  les  rimes  : 

Un  troubadour  béarnais. 
Les  yeux  inondés  de  larmes, 
A  ses  montagnards  chantait 
Ce  refrain,  source  d'alarmes  : 
Louis,  le  fils  de  Henri, 
Est  prisonnier  dans  Paris. 

Mais,  en  vérité,  auquel  croire"?  Celui  qui  devait  être  un  jour 
le  chancelier  Pasquier  et  qui  assistait,  lui  aussi,  à  la  reprise  si 
agitée  des  Evénements  imprévus,  affirme,  dans  ses  Souvenirs  (2), 
que  le  public,  tout  bouillant  de  royalisme,  ht  une  ovation  indes- 
criptible à  M°"=  Dugazon. 

La  Comédie-Italienne  possédait  une  autre  étoile,  celle-ci  nais- 
sante à  peine,  mais  déjà  d'une  clarté  si  douce  et  si  pure  qu'elle 
était  adorée  de  tous  les  Parisiens;  c'est  du  moins Karamsineqai 
l'affirme,  avec  la  fougue  chevaleresque  dont  il  est  coutumier. 
Cette  jeune  et  jolie  actrice  appartenait  à  une  famille  d'artistes  : 
elle  s'appelait  Rose  Renaud  et  devint  plus  tard  la  femme  de 
l'auteur  dramatique  d'Avrigny.  Karamsine,  qui  rend  justice  au 
jeu  de  la  Dugazon,  exalte  la  voix  de  Rose  Renaud,  «  en  réalité, 
dit-il,  la  meilleure  chanteuse  de  Paris  ».  Était-ce  uniquement 
pour  ce  motif  que  la  Comédie-Italienne  était  devenue  son 
théâtre  de  prédilection? 

Halem  affiche  les  mêmes  préférences  ;  mais  les  raisons  qui  le 
déterminent  sont  d'ordre  purement  philosophique  :  il  trouve 
que  le  répertoire  des  Italiens  est  essentiellement  humain.  Il 
applaudit  à  la  grâce  pudique  et  à  la  voix  ravissante  de  Rose 
Renaud.  S'il  n'assure  pas,  avec  Karamsine,  qu'elle  débuta  dans 
sa  douzième  année,  il  lui  croit  seize  ans  au  plus,  alors  que, 
vers  la  même  époque,  le  voyageur  lui  en  donne  vingt.  Kotzebue, 
qui  la  voit  six  mois  après,  n'en  fait  pas  un  moindre  éloge  ;  mais 
le  scepticisme  malveillant  qui  le  caractérise  se  trahit  par  une 
arrière-pensée  quelque  peu  désobligeante  pour  la  vertu  de  la 
comédienne.  Le  Parisien  a  volontiers  le  culte  de  ses  héros  de 
théâtre  :  un  voisin  de  Kotzebue  entame  le  panégyrique  de  Rose 
Renaud. 

—  Certes,  réplique  l'Allemand  :  cette  charmante  fille  a   la 


(1)  Le  Comte  de  Paroy.  —  Sféinoires,  publiés  par  Charava.v,  Pion,  1895. 

(2)  Le  CHANCELiEn  Pasquier.  —  Mémoires.  Pion,  1894. 


figure  la  plus  candide  du  monde  ;  mais  est-elle  donc  si  innocente 
qu'on  veut  bien  le  dire? 

Le  voisin  en  mettrait  sa  main  au  feu. 

Mais  la  chanteuse  est  en  scène  :  comme  le  conscrit  au  début 
de  la  bataille,  elle  éprouve  un  moment  d'angoisse  :  sa  voix 
tremble.  Evidemment  elle  subit  ce  phénomène  bien  connu  dans 
le  monde  des  artistes  sous  le  noni  de  trac.  Mais  enfin  elle  re- 
prend courage  ;  ses  accents,  mieux  assurés,  vous  pénètrent  le 
cœur.  Malheureusement  elle  ne  sait  pas  jouer. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     G  R  A  N  D  -  F  A  L  AI  S 


(Septième  article.) 

La  mythologie  de  livret  musical  est  accommodée  à  plusieurs  sauces- 
dans  le  menu  de  la  Société  des  Artistes  français  :  c'est  ainsi  que 
M.  Henri  Lévy  a  évoqué  le  Dieu  et  la  bayadére,  d'antique  mémoire,  en  un 
commentaire  assez  animé  du  texte  de  Goethe  :  «  Elle  se  précipite 
sur  son  corps  dans  une  mort  de  feu  ;  mais  voilà  que  du  sein  des  flam- 
mes s'élève  le  dieu  et  que  sa  bien-aimée  s'élève  avec  lui  dans  l'air  ». 
Nous  avons  encore,  plus  près  de  terre,  une  Sapho  pleurant  Phaon,  de 
M.  Achille  Varin,  qui  exhume  pieusement,  avec  le  décor  obligé,  la  clas- 
sique ambiance,  les  mânes  de  la  poétesse  ;  une  Thais,  nou  sans  mérite, 
de  M.  Alexis  VoUon;  enfin  une  Chrysis  tirée  par  M.  Richard-Putz  de 
l'Aphrodite  de  M.  Louys,  décidément  très  exploitée  par  les  peintres. 
Quant  à  la  fantaisie  proprement  dite,  elle  est  représentée  par  le  docteur 
Faust  de  M.  deConinck,  d'une  exécution  très  ressentie;  le Méphistophélès 
chez  le  docteur  Faust  de  M.  Warden.  «  ...  C'est  moi  qui  te  convie  à' 
vider  cette  coupe  où  fume  en  bouillonnant...»  Vous  savez  le  reste. 
La  Zuleika  tirée  par  M'""  Consuelo  Fould,  une  virtuose  de  la  palette,  de- 
la  Fiancée  d'Abydos,  et  révaut  au  déclin  de  la  journée,  pendant  que 
l'ombre  descend  sur  la  mer,  «  à  ce  que  peut  être  le  paradis  dans  l'inflni 
descieux  »,  est  une  devinette  passionnelle  que  se  repassent  les  amoureux 
de  génération  en  génération  ;  autre  genre  de  course  du  flambeau. 

Les  peintres  d'histoire  proprement  dite  ont,  par  contre,  modéré  leur' 
production  :  les  sujets  de  colles  pour  bachot  n'apparaissent  que  de  loin 
en  loin  sur  la  cimaise.  Cependant  M.  Dessertenne  a  visiblement  peiné 
pour  nous  représenter  au  naturel,  avec  la  dose  convenable  de  terreur 
tragique,  le  meurtre  de  Sennachérib,  sans  peut-être  assez  envisager  la 
profonde,  l'insondable  indifférence  des  parisiens  du  vingtième  siècle  à 
l'égard  des  dynasties  Assyriennes,  autocratiestempôrées  par  l'assassinat, 
comme  on  l'a  dit  de  plus  modernes  royautés.  M.  Mehille  du  Moud, 
peintre  habituel  des  fauves  et  qui  les  fait  d'ordinaire  bondir  dans 
l'enceinte  du  cirque,  les  griffes  plantées  dans  la  chair  saignante  des 
condamnés  ou  des  esclaves,  nous  montre  cette  fois  «  les  plaisirs  féroces 
de  l'antiquité  chez  les  princes  Indiens  »  ;  mais  c'est  toujours  la  même 
ménagerie  en  éveil  et  en  appétit,  une  sorte  d'instantané,  nécessairement 
truqué  (l'observation  directe  du  fauve  entre  ciel  et  terre  présentant 
certaines  difficultés),  impressionnant  malgré  tout  et  d'une  grande  har- 
diesse de  pinceau,  une  œuvre  qui  arrête  le  visiteur  au  passage  et  lui 
donne  la  petite  secousse.  M.  Lecomte  du  Nouy,  dont  le  talent  reste  si 
curieusement  parisien,  je  veux  dire  si  épris  du  détail,  de  l'accessoire,  du' 
bibelot,  bien  que  son  imagination  le  reporte  toujours  vers  les  hôtes 
momifiés  du  musée  de  Boulaq,  commente  un  passage  du  Homan  de  la- 
momie  de  Théophile  Gautier,  la  tristesse  de  Pharaon. 

L'antiquité  romaine  a  inspiré  peu  d'artistes.  Pour  la  première  fois 
depuis  tant  d'années  le  peintre  des  Vestales,  M.  Hector  Leroux,  manque 
au  rendez-vous  du  Salon,  avec  l'excuse  trop  légitime  d'une  mort  qui 
laisse  un  vide  réel  dans  le  groupe  des  bons  peintres  d'histoire  de  second 
ordre.  En  revanche,  un  jeune  évadé  du  concours  de  Rome,  un  artiste 
brillamment  doué,  M.  Azéma,  n'a  pas  craint  de  représenter  Mcssaline 
en  ses  fâcheuses  écoles  buissonniéres,  avec  un  mélange  point  banal 
d'observation  réaUste  et  de  coloris  romantique.  M.  Piatti  s'est  efforcé  de 
ressusciter  l'austère  figure  de  Caton assistant  aux  fêtes  florales,  dont  le 
pendant  moderniste  serait  M.  Bérenger  aux  bals  populaires  du  qua- 
torze juillet.  De  M.  Charles  Landelle,  dont  le  dessin  probe  et  savant,  la 
couleur  un  peu  terne  perpétuent  la  tradition  de  ses  maîtres  Ary  Schelfer 
et  Paul  Delaroche,  une  Lygie  suffisamment  vierge  chrétienne  et  barbare 
assagie. 

L'histoire  religieuse  proprement  dite  a  pris  cette  année  une  impor- 
tance digne  de  remarque  dans  la  série  des  illustrations  picturales.  Et  elle 
commence  tout  à  fait  par  le  commencement,  je  veux  dire  par  grand-père 


LE  MÉNESTREL 


179 


Adam  et  par  grand'mère  Eve,  dont  M.  Arthur  Midy  montre  la  stupeur 
■atterrée  devant  le  cadavre  d'Abel  :  «  Et  pour  la  première  fois  le  sang 
coula  sur  la  terre, qui  allait  devenir  le  royaume  de  la  mort  ».  M.  Roger 
Maillard  raconte  une  légende  de  Terre-Sainte  peu  connue  mais  vraiment 
caractéristique,  et  que  commente  sa  composition  intitulée  :  «  Sépulture 
des  restes  d'Adam  ».  Sem  et  Japhet,  les  fils  de  Noé,  conduits  par  un 
ange,  donnent  une  sépulture  à  la  dépouille  d'Adam  que  Noé,  sur 
l'ordre  de  Dieu,  avait  emportée  dans  l'arche  pendant  le  déluge.  C'est 
dans  les  flancs  du  Golgotha  qu'ils  ensevelissent  l'ancêtre  des  généra- 
tions. La  légende  ajoute  que  lors  du  crucifiement  le  Golgotha  s'en- 
tr'ouvrit  et  que  le  sang  du  Sauveur  coula  par  cette  fissure  jusqu'au 
•crâne  d'Adam,  enlevant  ainsi  la  trace  du  péché  originel.  Telle  esl 
l'explication  iconographique  du  crâne  figuré  au-dessous  du  Christ  sur 
les  anciens  Calvaires;  et  elle  ne  manque  pas  d'intérêt 

A  l'Ancien  Testament  appartiennent  encore  le  Job  insulté  par  sa 
femme  de  M.  Bille,  d'arrangement  assez  ingénieux;  la  théâtrale  appa- 
rition de  l'ange  au  prophète  Elle  de  M .  Georges  Dilly  ;  la  fille  de 
•Jephté  de  M.  Thivier,  s'offrant  en  involontaire  holocauste  au  guerrier 
revenu  victorieux  du  pays  des  enfants  d'Ammon.  Hérodiade  et  Salomé 
ne  sauraient  manquer  au  rendez-vous  :  ils  nous  sont  présentés  avec  une 
égale  virtuosité  par  M.  Edmond  Rickter  et  M™'  Camille  Henriot.  Mais 
l'illustration  des  Évangiles  est  plus  abondante  et  plus  variée:  Visitation 
de  M.  Darviot,  d'une  souplesse  d'exécution  qui  confine  au  style;  Repos 
en  Egypte  de  M.  Cornellier,  et  Fuite  en  Egypte  de  M.  Arlin  ;  la  Vierge 
et  l'Enfant  Jésus  revenant  de  la  fontaine,  de  M.  Benner  ;  la  Vierge, 
curieusement  flamande,  de  M.  Lybaert.  La  perle  de  cet  écrin  mysti- 
que est  l'exquise  composition  de  M.  Tattegrain  intitulée  l'Image  mira- 
culeuse : 

Comment  la  Vierge  à  Boulogne  arriva. 

En  un  bateau  que  la  mer  apporta, 

En  l'an  de  grâce  ainsi  que  l'on  comptait 

Pour  lors,  au  vray,  six  cens  et  trente-trois. 

Le  prestigieux  et  presque  féerique  rendu  de  la  barque  où  l'image 
miraculeuse  de  la  madone  se  dore  du  rayonnement  des  cierges,  l'émoi 
des  matelots  qui  se  pressent  contre  les  bastingages  des  bateaux  de  pèche, 
la  finesse  des  détails,  la  couleur  joliment  archaïque  de  l'ensemble  font 
de  ce  petit  tableau  une  des  œuvres  les  plus  réussies  de  l'auteur  du  Sac 
■  de  Saint-Quentin.  Je  mentionne  encore  le  charme  réel  du  Sommeil  de 
■l'enfant  de  M"'  Sédillot  et  de  la  Vierge  aux  anges  de  M""'  Sonrel.  Voici 
maintenant  une  étude  conforme  au  parti  pris  de  beaucoup  de  nos  pein- 
tres de  renoncer  à  la  convention  religioso-classique  du  costume  et 
•d'arabiser  à  outrance  les  acteurs  du  drame  de  la  Passion  :  le  remar- 
quable^ Jésus  chez  Marthe  et  Marie  de  M.  Taupin.  M.  Eugène  Bérin- 
guier  représente  aussi  Jésus  guérissant  un  aveugle  ;  M.  Boisselier  un 
Christ  marchant  sur  les  eaux  ;  M.  Rouault  un  Jésus  et  Judas. 

M.  Pavec  a  peint  un  Samaritain,  l'un  des  bons  morceaux  d'exécution 
du  Salon.  Et  maintenant,  vous  souvient-il  de  la  scène  exquise  de  cette 
Samaritaine  qui  pourrait  bien  être  le  chef-d'œuvre  de  M.  Rostand  où 
Jésus,  entouré  par  la  foule,  murmure  :  «  Laissez  venir  à  moi  les  tout 
petits...  »  M.  Wencker,  qui  joint  un  sens  religieux  visiblement  sincère 
à  un  vif  sentiment  décoratif,  l'a  modernisée  dans  une  toile  très  remar- 
quée. Le  Christ,  un  peu  théâtral,  mais  d'un  beau  dessin,  distribue  le 
viatique  à  tout  un  peuple  en  émoi  :  paysans,  prolétaires,  enfants, 
infirmes,  tous  ceux  qui  doivent  trouver  dans  le  royaume  des  cieux  la 
■consolation  des  misères  d'ici-bas  : 

Vous  qui  pleurez,  venez  à  ce  Dieu,  car  il  pleure, 
Vous  qui  souffrez,  venez  à  lui,  car  il  guérit... 

La  parabole  de  l'enfant  prodigue,  dont  les  innombrables  variantes 
Tondraient  une  monographie  spéciale,  nous  a  valu  une  curieuse  com- 
position de  M.  Vayson  et  un  tableau  de  M.  Benoit  Lèvy.  L'indispen- 
sable Tentation  de  saint  Antoine  ne  pouvait  manquer  à  l'appel  ;  nous  la 
devons  cette  fois  à  M.  Mège-du-Malmont. 

Jeanne,  la  Bonne  Lorraine,  «  qu'Anglais  brûlèrent  à  Rouen  »  a, 
comme  toujours,  son  groupe  de  peintres.  M.  Carl-Rosa,  le  remarquable 
paysagiste,  a  eu  l'inspiration  délicate  d'évoquer  le  panorama  de  Dom- 
rémy,  village  natal  de  notre  héroïne  nationale.  L'œuvre  est  d'une 
excellente  venue  et  mériterait  d'être  popularisée  par  la  gravure  :  je 
voudrais  même  que  sa  reproduction  figurât  en  tète  de  toutes  les  biogra- 
phies de  Jeanne  d'Arc,  car  la  contrée  où  elle  entendit  ses  voix,  où  elle 
fut  visitée  par  l'inspiration  patriotique,  le  pays  frontière,  la  «  marche  ■•• 
qu'avaient  ravagée  tant  d'invasions  successives,  fait  partie  intégrante 
de  sa  Chronique,  en  explique  le  début  et  en  complète  le  décor. 

Mme  Boyer-Breton,  en  artiste  bien  documentée  sinon  pénétrée  du 
souffle  lyrique  qui  seul  pourrait  élever  au-dessus  du  domaine  anecdo- 
tique  l'interprétation  de  pareils  sujets,  a  représenté  Jeanne  «  avant 
l'épopée  »,  dans  la  période  ingrate  des  tâtonnements,  chez  les  Baudri- 


court.  L'héroine,  plus  conventionnelle,  de  M.  Michel  fait  bénir  son 
étendard  par  l'évèque  de  Blois  au  moment  de  partir  pour  porter 
secours  à  Orléans.  Et  voici  maintenant,  avant  d'arriver  aux  temps 
modernes,  quelques  essais  de  peinture  historique  d'un  réel  intérêt.  Le 
plus  remarquable  est  une  esquisse  de  M.  Cormon  qui  nous  promet  une 
œuvre  de  grand  caractère  quand  l'artiste  se  décidera  à  la  mettre  au 
point,  une  impressionnante  illustration  pour  la  chronique  italienne  du 
seizième  siècle  :  les  terribles  bandes  du  connétable  de  Bourbon  qui 
promenèrent  à  travers  toute  la  péninsule  le  pillage  et  le  massacre. 
M.  Duffaud,  en  une  composition  à  la  Delacroix  qui  demanderait  aussi 
quelque  développement,  a  voulu  synthétiser  la  grande  crise  de  1798  en 
Irlande,  les  violences  et  les  excès  de  la  répression  britannicpe  ;  une 
brillante  A'irtuosité  de  coloris,  une  fièvre  d'exécution  qui  s'élève  presque 
au  style  compensent  l'arrangement,  un  peu  trop  scénique  et  déclama- 
toire. Un  artiste  autrichien  qui  a  gardé  la  tradition  de  Matejko,  M.  Jean 
Styka,  a  peint  avec  plus  d'abondance  documentaire  que  d'émotion 
communicative  un  tableau  d'histoire  intitulé  «  Par  le  fer  et  par  le  feu  », 
VVitold,  prince  de  Lithuanie,  jurant  devant  Kowno  en  feu  de  tirer  une 
vengeance  éclatante  de  l'Ordre  teutonique. 

Vif  regain  de  production  et  de  succès  pour  la  peinture  militaire.  Il 
convient  de  citer,  tout  à  fait  hors  ligne,  le  décoratif  maréchal  Masséna 
de  M.  Edouard  Détaille,  qui  semble  foncer  sur  le  public  à  la  tête  de  son 
état-major;  le  Premier  consul  de  M.  Sergent,  à  Marengo,  assis  sur  la 
levée  de  la  grande  route  d'Alexandrie,  au  milieu  des  boulets  qui  rou- 
lent sur  le  sol,  et  attendant  sa  réserve  avec  une  angoisse  grandissante  ; 
l'émouvant  Soir  de  Borodino  de  M.  Lalauze  :  le  général  Caulaincourt  tué 
à  la  prise  de  la  grande  redoute  et  rapporté  par  ses  hommes  ;  le  ^812  de 
M.  Faber  du  Faiu'  et  son  Entrée  du  vainqueur  dans  une  ville.  A  mention- 
ner encore  l'escorte  des  étendards  à  Tilsitt  de  M.  Jean  Rosen,  la  mort 
de  Desaix  à  Marengo  de  M.  Albert  Ledru,  le  Bonaparte  en  Egypte 
méditant  la  conquête  des  Indes  de  M.  Alphonse  Monchablon,  le  Marbot 
à  léna  de  M .  Boutigny.  Quant  à  l'Année  Terrible,  elle  est  dignement 
commémorée  par  l'artillerie  de  la  garde  à  Gravelotte  de  M.  Bujon,  les 
cuirassiers  de  M.  Jules  Rouffet,  l'épisode  de  Frœschwiller  de  M.  Petit- 
Gérard  et  une  scène  anecdotique  de  M.  Alphonse  Chigot  :  le  général  et 
son  ordonnance. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


1^  oixx-^'o^xxe 

(Suite.) 


VII 

MUSIQUE  D'ÉGLISE  ET  MUSIQUE  DE  VILLE  (suite) 

Comme  Sens,  Beaune  était  fière  de  ses  cloches,  de  son  carillon  sur- 
tout, au  Beffroi.  Il  a  été  célébré  sur  tous  les  modes,  et  le  Chant  du 
Trézéleur  est  populaire  dans  toute  la  Bourgogne.  Il  n'est,  d'Auxerre  à 
Dijon  et  de  Cliàtillon  à  Mâcon.  en  passant  par  Beaune,  naturellement, 
de  bonne  noce  ou  de  gai  festin  de  vigneron,  où  un  convive,  au  bon 
moment,  ne  se  lève,  et,  la  serviette  sur  l'épaule,  n'entonne,  à  la  plus 

grande  joie  de  tous: 

Bons  habitants  de  Beaune, 
Je  suis  le  Trézeleur  ; 
C'est  moi  qui  carilloQne 

Les  fêtes  à\\  Seigneur. 
Quand  survient  une  fête 
Je  monte  à  mon  clocher  ; 
Dès  le  soir  je  m'apprête 
A  la  carillonner. 

Sonnez,  cloches  joyeuses. 
Vos  plus  beaux  carillons. 
Car  les  âmes  pieuses 
En  aiment  les  doux  sons. 

Il  sonnait  donc  en  toutes  occasions,  ce  carillon  célèbre,  et  c'était  fort 
heureux,  car  il  était  à  peu  près  le  seul  divertissement  musical  que  la  ville 
de  Beaune  eût  à  offrir  à  ses  habitants  et  aux  hôtes  de  marque  qui  lui 
rendaient  visite. Cette  pénurie  d'instruments  est  suffisamment  indiquée 
dans  l'intéressant  livre  de  M.  Charles  Aubertin,  la  Musique  à  Beaune: 

«  Chacun  a  pu  lire  qu'à  l'occasion  du  passage  à  Beaune  d'Henri  II, 
roi  de  France,  le  18  juillet  1548,  les  rues  avaient  été  nettoyées  et 
sablées,  l'artillerie  mise  à  contribution  pour  les  salves;  qu'il  avait  été 
dressé  trois  eschaffauds  ornés  de  belles  sentences;  que  lé  spectacle 
d'une  petite  guerre  fut  la  grande  attraction  de  la  fête;  mais  aussi  que 
le  corps  de  ville  avait  acheté  deux  tabourins  pour  mener  la  joïeuse  venue 


d80 


LE  MÉNESTREL 


du  roy,  payé  un  flfre  pour  ouvrir  la  marche  et  habillé  deux  garçons  pour 
sonyier  les  tabourins.  » 

Un  fifre  et  deux  tambours  pour  une  entrée  royale,  c'était  piètre,  on 
en  conviendra.  Heureusement  le  Irézéleur  veillait.  Dans  la  suite,  le 
progrès  musical  s'accentue.  Nous  voyons,  on  effet,  qu'un  peu  plus  de 
cent  ans  après,  lors  de  l'arrivée  de  la  reine  Christine  de  Suède,  le 
26  août  I606,  une  réception  pompeuse  fut  faite  à  cette  princesse,  où 
l-'on  remarquait,  avec  un  étonnement  mêlé  d'admiration,  quatre  tam- 
bours, puis  un  autre  tambour,  puis  trois  tambours  et  deu.x  tambours 
venus  de  Nolay,  battant  à  qui  mieux  mieux  en  tête  du  cortège. 

Deux  ans  plus  tard,  à  l'entrée  de  Louis  XIV,  il  n'est  question  d'au- 
cune musique,  pas  même  de  tambours.  Pour  les  retrouver  il  nous  faut 
sauter  jusqu'en  1729,  époque  à  laquelle  eurent  lieu  de  grandes  fêtes  à 
Beaune  à  l'occasion  de  la  naissance  du  Dauphin  :  on  vit,  ce  jour-là, 
parader,  précédés  de  tambours,  les  soldats  de  la  garde  urbaine  C[ui,  d'après 
un  opuscule  du  temps,  «  étoient  habillés  comme  des  banqueroutiers  et 
se  rentloient  dans  leurs  casaques  vertes  dans  lesquelles,  depuis  cent 
cinquante  ans,  les  araignées  sont  en  possession  de  faire  leurs  toiles  et 
leurs  nids  ». 

■Vers  le  même  temps  naquit  la  fanfare  des  Chevaliers  de  l'arc,  qui  fut 
une  révélation  pour  les  Beaunois,  auxquels  la  musique  d'église  était 
seule  connue.  Il  faut  dire  qu'on  leur  en  donnait  d'excellente,  et  depuis 
longtemps,  car  nous  lisons  qu'en  1340  déjà  la  musique  était  en  plein 
exercice  à  l'insigne  Collégiale  Notre-Dame.  Aux  siècles  suivants,  les 
instruments  et  les  voix  semblent  avoir  fait  merveille.  «  Mais,  est-il 
ajouté,  ce  qui  fournissoit  les  chœurs  et  en  faisoit  paraître  le  travail, 
c'étoit  la  décharge  continuelle  de  l'infanterie  rangée  sous  le  portail,  qui 
faisoit  un  graud  feu  dans  l'église.  Cinq  cens  ou  mille  pieds  plats  rem- 
plissoient  la  nef.  ouvrant  de  grandes  oreilles  et  avallant  les  notes  et  la 
fumée  avec  un  appétit  sans  pareil  .» 

Cette  débauche  de  mousqueterie,  passée  dans  les  mœurs,  dura  jusqu'à 
la  Révolution.  Elle  avait  lieu  même  aux  fêtes  ordinaires;  aux  jours  ca- 
rillonnés cela  devenait  de  la  démence.  Ainsi,  le  jour  où  l'on  célébra  par 
un-  Te  Deum  la  victoire  d'Avein,  on  put  croire  à  une  émeute  en  ville. 
Les  habitants  des  campagnes  voisines  accoururent  à  tout  ce  bruit... 
Mais  c'est  toute  une  histoire  que  ce  Te  Deum.  Il  nous  la  faut  conter  : 

Depuis  trois  ans  l'Espagne  se  préparait  à  la  guerre,  et,  de  son  côté, 
Richelieu  armait  et  se  faisait  des  alliés.  La  rupture  eut  lieu  le  19  mai 
1633,  et  les  hostilités  commencèrent  aussitôt.  Le  lendemain  même,  les 
troupes  françaises  rencontrèrent  les  Espagnols  dans  les  plaines  d'Avein 
et  remportèrent  une  victoire  complète.  Louis  XIII,  voulant  remercier 
Dieu  du  succès  de  ses  armes,  manda  aux  évêques  de  France  assemblés 
à  Paris  d'écrire  à  leurs  grands  vicaires  en  leur  donnant  des  instructions 
pour  le  chant  du  Te  Deum  et  l'établissement  des  prières  des  quarante 
heures. 

Or,  en  ce  temps-là,  messire  Bernard,  premier  après  Monseigneur, 
était  officiai  et  chantre  en  l'église  de  Màcon.  Au  reçu  des  instructions  de 
son  évèque  il  s'empressa  de  les  communiquer  aux  échevins  de  la  ville 
en  leur  annonçant  que,  pour  obéir  à  Monseigneur,  un  Te  Deum,  auquel 
il  leur  enjoignait  d'assister  en  corps,  serait  chanté  le  soir  même  à  Saint- 
Vincent. 

Contre  son  attente,  sa  démarche  n'obtint  pas  le  résultat  qu'il  était  en 
droit  d'en  espérer.  Les  échevins,  après  en  avoir  délibéré,  lui  firent  savoir 
qu'ils  avaient  résolu  d'en  référer  au  lieutenant-général  et  aux  officiers  du 
roi,  attendu  que  de  temps  immémorial,  en  pareille  occurence,  ils  rece- 
vaient les  commandements  du  Roy  par  Lettres  de  cachet.  Cependant, 
«  pour  qu'aucune  faulte  ne  leur  soit  imputée  comme  très  humbles,  très 
obèyssans  et  fidèles  subjects  du  Roy  »,  ils  ajoutaient  qu'ils  allaient  faire 
publier  leur  proclamât  au  son  du  tambour  pour  inviter  tous  les  citoyens 
à  se  rendre  à  Saint- Vincent  «  entre  les  six  et  sept  heures  du  soir  de  ce 
jour,  au  son  des  cloches  a,  pour  assister  au  Te  Deum.  Ils  se  feraient, 
d'ailleurs,  comme  leurs  concitoyens,  une  obligation  de  prendre  part  à 
cette  solennité,  mais  isolément,  et  non  en  corps. 

Devant  cette  décision  messire  Bernard,  très  en  peine  et  ne  pouvant 
demander  d'instructions  immédiates,  car  il  n'existait  ni  télégraphe  ni 
téléphone  en  l'an  de  grâce  16-3.5,  résolut  de  suspendre  provisoirement 
son  Te  Deum.  Mais  alors  commencèrent  des  récriminations  et  des  pro- 
cédures à  remplir  cent  rôles  et  autant  de  registres.  Pour  commencer,  le 
Parlement  réprimanda  vertement  le  Corps  de  Ville,  qui,  d'ailleurs,  se 
montra  fort  indiffèrent  à  cette  mercuriale.  D'autres  sommations  ne  pro- 
duisirent pas  plus  d'effet.  Le  ministre  Phillypeaux  vint  à  la  rescousse, 
mais  sans  plus  de  succès.  Finalement,  le  roi  s'en  mêla.  Il  donna  des 
ordres  précis,  envoya  une  Lettre  de  cachet,  et  les  consuls  de  la  cité  mà- 
connaise  durent  céder. 

Mais  alors  commença  une  nouvelle  comédie.  L'official,  après  avoir 
déclaré  qu'il  ne  réitérerait  pas  le  Te  Deum,  et  obtenu  de  ses  chanoines  la 
promesse  qu'ils  ne  le  chanteraient  pas,  s'était  retiré  à  la  campagne  fjour 


se  soustraire  à  l'effervescence  qu'avait  créée  cette  situation.  C'est  là  que 
les  échevins  allèrent  le  trouver  pour  lui  annoncer  qu'ils  étaient  prêts  à 
prendre  part  officiellement  à  la  cérémonie.  Ils  ne  l'y  rencontrèrent  pas 
et,  revenus  à  Beaune,  firent  sommation  sur  sommation  à  sa  porte.  Eu 
désespoir  de  cause  ils  s'adi'essérent  au  doyen  Chandon,  son  représen- 
tant, (ju'ils  sommèrent  de  commander  le  Te  Deum,  sous  la  menace  de  le 
faire  chanter  dans  une  autre  église. 

Les  choses  en  étaient  là  lorsqu'un  écrit  pastoral  de  l'archevêque  de 
Sens  vint,  à  propos,  les  remettre  en  ordre.  Tout  s'arrangea;  le  l'e  Deum 
fut  chanté  solennellement,  pour  la  plus  grande  gloire  du  Roy,  de  ses 
armées,  de  ses  prêtres  et  de  ses  échevins;  et  après  cette  grande  fête 
improvisée,  «  le  soir,  s'éleva  un  bûcher  sur  lequel  estoit  ung  tableau 
dans  lequel  estoit  peint  une  aigle  suspendue  en  l'air,  tenant  de  son  bec, 
de  ses  griffes,  un  étendart  renversé,  en  forme  du  Labarum  des  Romains, 
au  millieu  desquels  estoit  une  croix  rouge,  et  tout  autour  des  trophées 
comme  d'épées,  albardes,  mousquets,  tambours  et  aultres  instrumens  de 
guerre,  pour  estre  bruslés  et  consommés  ». 

Màcon  n'était  point  restée  isolée  dans  cette  campagne.  Les  villes  d'une 
même  province,  jalouses  de  leurs  franchises,  se  tenaient  alors  étroite- 
ment liées  d'intérêt  et  de  solidarité.  C'est  ce  qui  explique  le  retard  de 
l'exécution  du  Te  Deum  à  Beaune  et  l'effrénée  escopetterie  qui  s'en 
suivit.  A  Chàlon,  les  Gaillardons  ou  Compagtions  de  la  Mère  folle  firent 
des  réjouissances  organisées  à  la  sortie  de  l'église.  Ils  y  parurent,  leur 
capitaine  pacifique  en  tête,  montés  dans  des  charrettes  ornées  de  bande- 
rolles  aux  couleurs  de  la  Compagnie;  mais  comme  ils  étaient  en  état 
d'ébriété,  suivant  leur  habitude,  et  qu'ils  tenaient  à  la  foule  des  propos 
d'un  goût  douteux,  ils  furent  contraints  de  reprendre  le  chemin  de  leur 
lieu  de  réunion,  ce  qu'ils  firent  en  chantant  malgré  tout  leur  refrain, 
véritable  cri  de  guerre  : 

Aux  armes,  aux  armes,  compagnons  ! 
Puisque  l'on  "veut  violenter  Gaillardons, 
Et  l'empescher  de  vivre  en  paix, 
Il  ne  le  faut  endurer. 

Ce  refrain,  ils  le  chantèrent  pour  la  dernière  fois  ce  soir-là.  Depuis 
longtemps  le  Corps  de  Ville  se  plaignait  de  leurs  licences  et  des  désor- 
dres qu'ils  provoquaient  ;  mais  il  demeurait  désarmé  par  l'attitude  de 
la  population,  qui  tenait  à  ses  Gaillardons.  La  Majesté  royale  ayant  été 
cette  fois  offensée  par  leur  seule  présence  à  la  sortie  du  Te  Deum,  sa  tâche 
lui  fut  rendue  facile.  Toutes  autorités  s'en  mêlant,  les  Compagnons  de  la 
Mère  folle  eurent  vite  vécu. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


PENSÉES  ET  APHORISMES 

D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Traduit  du  russe  par  Michel   Delines.) 


En  Russie,  j'habite  ;  en  .\llemagne,  je  pense;  en  France,  je  m'amuse  ; 
en  Italie,  en  Espagne  et  en  Suisse,  j'admire  ;  en  Angleterre,  en  Hol- 
lande, en  Belgique,  je  travaille  ;  en  Amérique,  je  fais  des  affaires  ; 
partout  j'aime.  Mais  je  ne  saurais  dire  où  je  me  trouve  le  mieux  ;  peut- 
être  partout  également  bien  et  également  mal. 


On  admet,  pour  toutes  les  branches  de  la  science,  que  la  raison  de 
l'homme  a  un  commencement  et  se  développe  peu  à  peu  jusqu'à  l'épa- 
nouissement complet.  Aussi  n'enseigne-t-on  pas  aux  enfants  ce  qu'ap- 
prennent les  adultes. 

Tel  n'est  pourtant  pas  le  cas  dans  l'enseignement  de  la  religion  : 
dans  cette  branche  des  connaissances  humaines,  tous  sont  égaux,  l'ea- 
fant  et  l'adulte,  le  savant  et  l'ignorant,  le  philosophe  et  l'idiot.  On 
enseigne  à  tous  la  même  chose,  et  l'on  exige  de  tous  les  mêmes  pra- 
tiques. 

Si  nous  admettons  qu'aller  à  l'église,  communier,  jeûner,  etc.,  etc., 
sont  choses  également  utiles  aux  enfants  et  aux  ignorants,  peut-on 
admettre  qu'il  on  est  de  même  pour  les  hommes  dont  la  raison  a  atteint 
sa  maturité?  Si  cependant  l'Etat  et  l'Eglise  exigent  de  ces  derniers  les 
mêmes  pratiques  religieuses,  n'est-ce  pas  une  preuve  que  ces  deux  insti- 
tutions aimeraient  assez  retenir  les  hommes  en  état  d'enfance? 


Le  public  dit:  la  vie  seule  est  sérieuse,  l'art  est  frivole.  L'artiste 
répond  :  l'art  seul  est  sérieux,  la  vie  est  frivole. 


«  Le  style,  c'est  l'homme  »,  affirmation  encore  plus  véridique  quand  il 
s'agit  de  musique  et  de  composition. 


LE  MENESTREL 


i81 


Je  suis  d'avis  que  tout  être  humain  arrivé  à  uu  âge  avancé,  quand  il 
ne  peut  plus  douter  qu'il  lui  reste  peu  de  temps  à  vivre,  a  le  devoir  de 
laisser  par  écrit  l'histoire  de  sa  vie.  Ce  serait  une  manière  de  rendre  ses 
comptes  à  la  société. 

Aucun  roman  ne  présenterait  plus  de  détails  intéressants  et  instruc- 
tifs au  point  de  vue  de  la  psychologie  et  do  la  civilisation.  Il  ne  serait 
pas  nécessaire  de  publier  ces  relations,  mais  on  pourrait  les  conserver 
dans  les  archives  des  bibliothèques  publiques  pour  les  tenir  à  la  dispo- 
sition des  gens  qui  voudraient  les  consulter. 

Ces  autobiographies,  en  tout  cas,  enrichiraient  la  littérature  de  chaque 
peuple  de  façon  très  originale. 


Le  succès  encourage  et  stimule  l'artiste  vjritable;  il  ne  sert  qu'à 
exalter  l'amour-propre  de  l'artiste  médiocre  et  à  le  mener  souvent  vers 
sa  ruine. 

L'insuccès  aigrit  le  premier,  mais  ne  le  désespère  pas  et  le  pousse 
tout  au  contraire  à  la  lutte;  il  anéantit  complètement  le  second. 


Le  dilettante  cultive  l'art  pour  son  plaisir,  l'artiste  pour  le  plaisir  des 
autres  ;  c'est  une  différence  capitale  qu'on  ne  doit  pas  perdre  de  vue, 
quand  on  les  juge  l'un  et  l'autre. 


Le  XIX'  siècle  est  remarquable,  entre  tous,  par  ceci  qu'il  a  ruiné 
toutes  les  institutions  qu'on  avait  considérées  jusque-là  comme  iné- 
branlables et  qu'il  a  éclairé  l'humamtc  sur  leur  inconsistance. 

Maintenant,  il  n'est  pas  impossible  de  prévoir  la  marche  des  choses 
dans  l'avenir,  abstraction  faite  de  la  durée  de  temps. 

Il  ne  faut  pas  s'attendre  à  voir  surgir  quelque  chose  d'absolument 
nouveau  ;  il  semble  plus  probable  que  l'humanité  tournera  toujours 
sur  la  même  et  sempiternelle  roue.  L'Europe  marche  peu  à  peu  vers  la 
république  fédérative,  l'Amérique  vers  la  monarchie,  pour  revenir 
ensuite  chacune  à  son  point  de  départ  :  l'Europe  à  la  monarchie  et 
l'Amérique  à  la  république,  en  jetant  la  monarchie  constitutionnelle 
comme  un  pont  entre  les  deux  régimes. 

En  Europe  commencera  la  grande  guerre  des  races,  après  laquelle 
les  peuples  se  constitueront  de  nouveau  en  nations,  plus  tard  en  com- 
munes et  ensuite  en  familles,  c'est-à-dire  que  l'humanité  refera  toute 
la  route  historique  qu'elle  a  déjà  parcourue. 

Il  en  sera  de  même  pour  la  religion.  Les  hommes  se  tourneront  de 
nouveau  vers  le  panthéisme  pour  revenir  ensuite  à  Dieu.  Peut-être 
finalement  atteindront-ils  l'âge  d'or  et  deviendront-ils  une  humanité 
fraternelle,  ayant  une  seule  religion,  une  seule  forme  de  gouvernement, 
sans  guerre,  sans  socialisme,  sans  veau  d'or...  mais  ce  ne  sera  que  lors- 
que le  monde  sera  vraiment  près  de  sa  fin. 


Je  pourrais  m'e.xpliquer  l'immortalité  de  l'àme,  si  celle-ci  pouvait  de 
l'autre  monde  conserver  quelque  relation  avec  les  êtres  chéris  qu'elle  a 
laissés  sur  la  terre. 

Mais  je  ne  peux  pas  concevoir  que  l'âme  puisse  vivre  dans  d'autres 
mondes  avec  des  intérêts  n'ayant  rien  de  commun  avec  ceux  des  per- 
sonnes aimées  qu'elle  a  quittées  sur  cette  terre. 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Art  et  politique  (rien  de  Richard  Wagner).  On  a  inauguré  à  Berlin  un 
monument  à  la  mémoire  du  prince  de  Bismark,  et  à  cette  occasion  un  chœur 
d'enfants  des  écoles  devait  chanter  une  cantate  patriotique  ;  mais  celte  can- 
tate a  été  fortement  maltraitée  et  mutilée  par  la  censure,  qui  a  simplement 
supprimé  des  strophes  dans  lesquelles  un  éloge  excessif  de  Bismark  aurait  pu 
éveiller  les  susceptibilités  de  S.  M.  Guillaume  II,  qui  sans  lui  ne  serait 
pourtant  pas  empereur.  —  D'autre  part,  un  citoyen  Israélite  de  la  ville  d'Er- 
langen  (Bavière)  ayant  légué  à  cette  ville  une  somme  de  30.000  marcs  pour 
l'érection  d'un  monument  au  grand  poète  Henri  Heine,  l'auteur  des  Reise- 
bilder,  la  municipalité  a  refusé  d'accepter  ce  don,  eu  motivant  son  refus  sur 
la  tendance  antiallemande  de  Heine,  qui,  on  le  sait,  se  qualifiait  lui-même, 
lors  de  son  séjour  en  France,  de  «  Prussien  libéré  ».  Selon  la  volonté  du 
testateur,  la  somme  sera  transmise  alors  à  la  ville  de  Budapest,  qui  s'est 
déclarée  prête  à  l'accepter  aux  conditions  indiquées.  —  Euhn,  le  ministre 
des  cultes  et  le  ministre  de  l'intérieur  du  royaume  de  Bavière  ont  adressé 
une  circulaire  aux  autorités  de  police  d'après  laquelle  les  représentations 
publiques  de  pièces  de  théâtre  dont  le  sujet  est  emprunté  à  l'histoire  biblique 
ne  doivent  pas  être  autorisées.  Les  ministres  se  réservent  le  droit  d'accorder, 
à  titre  exceptionnel,  une  autorisation  pour  la  représentation  des  pièces  de 
ce  genre. 


—  De  Berlin  :  Le  concours  pour  le  monument  de  Richard  Wagner,  qui  sera 
érigé  dans  la  Thiergartenstrasse,  vient  de  s'ouvrir.  Soixante-seize  sculpteurs 
—  pas  un  de  moins  —  ont  envoyé  des  maquettes  représentant  le  génial 
maître  allemand  debout,  assis,  avec  et  sans  pupitre,  avec  et  sans  bâton  de 
chef  d'orchestre.  Les  esquisses  resteront  exposées  jusqu'au  12  juin,  où  un 
jury  international  fera  choix  des  dix  meilleurs  envois,  dont  les  auleurs  — 
qui  toucheront  chacun  2.000  marks  —  seront  admis  à  un  concours  restreint. 
Trois  prix  seront  attribués  aux  lauréats  de  ce  dernier  concours.  Ces  prix 
sont  de  2.Fi00,  1.500  et  1.000  marks.  Le  tolal  des  frais  du  monument  de 
Richard  Wagner  est  évalué  à  123.000  marks. 

— ■  M"'=  Lilli  Lehmann  vient  de  donner  à  Berlin  une  représentation  de  Norma, 
œuvre  dans  laquelle  elle  est  restée  célèbre.  A  celte  occasion  elle  raconte,  dans 
un  journal  berlinois,  un  joli  souvenir  de  sa  carrière  .11  y  a  un  quart  de  siècle 
elle  avait  joué  Norma  à  Stettin,  et  on  lui  avait  confié,  pour  représenter  ses 
enfants,  deux  jumeaux,  fils  d'un  machiniste,  qui  étaient  fort  sages  et  habitués 
déjà  à  la  scène,  malgré  leur  tout  jeune  âge:  trois  ans  seulement  1  A  la  répé- 
tition tout  avait  marché  à  souhait,  et  les  enfants  n'avaient  rien  laissé  à 
désirer  :  mais  à  la  représentation  l'un  des  garçons,  en  voyant  s'avancer  tout 
à  coup  une  Norma  en  costume  et  brandissant  un  poignard,  tandis  que  l'ar- 
tiste avait  joué  à  la  répétition  en  toilette  do  ville  et  munie  d'une  ombrelle, 
s'effraya  et  rentra  d'un  bond  dans  la  coulisse  en  s'écriant  dans  un  affreux 
patois  que  nous  traduisons  dans  la  divine  langue  de  la  Butte  sacrée  :  «  Zut  ! 
ma  vieille,  Bibi  ne  se  laissera  pas  chouriner  par  toi!  ».  Inutile  d'ajouter  que 
le  marmot  remporta  le  plus  gros  succès  de  la  soirée. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  a  joué  Faust,  la  semaine  passée,  pour  la 
403=  fois.  Un  semblable  «  jubilé  »  est  des  plus  rares  de  l'autre  côté  du  Rhin, 
où  le  répertoire  varie  beaucoup  plus  qu'à  Paris.  M.  A.-J.  Weltner,  le  savant 
archiviste  de  la  surintendance  générale  des  théâtres  impériaux,  consacre  donc 
à  cet  événement  un 'article  substantiel  auquel  nous  empruntons  quelques 
détails  intéressants.  L'œuvre  de  Gounod  a  été  jouée  pour  la  première  fois  à 
l'ancien  théâtre  de  l'Opéra,  près  la  porte  de  Carinthie,  le  S  février  1862,  et  y 
a  atteint  sa  103»  représentation  le  13  janvier  1870.  Repris  le  2S  mars  1870  au 
nouvel  Opéra,  Faust  vient  d'y  parvenir  à  sa  400'  représentation.  La  liste  des 
artistes  qui  ont  prêté  leur  concours  à  cette  longue  série  de  représentations, 
qui  s'étend  sur  un  espace  de  presque  quarante  ans,  ofl're  des  noms  retentis- 
sants :  Niemann  (1869),  Nicolini  (1877),  Capou!  (18715),  Masini  (1878)  et  Van 
Dyck  (1890)  dans  le  rùle  de  Faust;  M°'«  Arlot  (186D),  Minnie  Hauck  (1870), 
Lucca  (1872),  Heilbronn  (1876),  Christine  Niisson  et  Adelina  Patli  (1877)  et 
Saville  (1898)  dans  le  rôle  de  Marguerite;  Scaria  otJ.-B.  Faure  (1878)  dans 
le  rôle  de  Méphistophélès;  Padilla  dans  le  rôle  de  Valentin  et  M""  Zelia 
Trebelli  (1877)  dans  celui  de  Siebel.  Les  autres  opéras  de  Gounod  sont  loin 
d'avoir  eu  pareille  fortune  à  Vienne.  On  n'a  joué  Roméo  et  Juliette  que  73  fois, 
Mireille  2  fois  seulement,  Philémon  et  Raucis  24  fois  et  te  Tribut  de  Zamora 
2b  fois.  Pour  les  autres  ouvrages  de  Gounod,  ils  n'ont  jamais  été  représentés 
à  Vienne.  • 

—  L'art  théâtral  est  largement  subventionné  de  l'autre  côté  du  Rhin,  et 
même  les  petites  villes  ne  manquent  pas  d'y  soutenir  leurs  théâtres.  Ainsi 
M.  Grégor,  directeur  du  théâtre  municipal  d'Elberfeld,  \ille  de  ISO. 000  habi- 
tants, vient  de  recevoir  une  subvention  annuelle  de  7.3.000  francs.  Dans  ces 
conditions  il  peut  cultiver  le  grand  opéra  et  se  permettre  le  luxe  de  monter 
des  œuvres  nouvelles,  comme  la  Louise  de  M.  Charpentier.  L'existence  de  ces 
théâtres  municipaux,  même  dans  des  villes  modestes,  explique  l'abondance 
des  œuvres  lyriques  allemandes,  dont  le  succès,  il  est  vrai,  dépasse  rarement 
la  ville  qui  les  vit  naître. 

—  La  saison  des  festivals  a  commencé  de  l'autre  côté  du  Rhin. Quatre  fêtes 
musicales  ont  eu  lieu  la  semaine  passée  àCologne,  à  Worms,  à  Heidelberget  à 
Augsbourg.  Partout  l'alïluence  du  public  a  été  énorme  et  la  consommation  de 
musique  vraiment  extraordinaire.  A  Augsbourg,  M.  Siegfried  Wagner  a  conduit 
le  prélude  de  Parsifal  et  a  été  applaudi  comme  s'il  en  était  l'auteur;  à  Worms, 
l'oratorio   de  M.  Klughardt,  lu  Destruction  de  Jérusalem,  a  remporté  un  grand 

.succès;  à  Cologne,  c'est  à  M.  Raoul  Pugno  que  sont  allés  les  applaudisse- 
ments du  public.  La  presse  est  unanime  à  constater,  non  sans  étonnement, 
que  le  concerto  en  mi\)  majeur  de  Mozart  (n"  9)  a  obtenu  un  grand  succès, 
grâce  à  son  interprétation  par  le  grand  pianiste  français. 

—  M.  Eugène  d'Albert,  l'auteur  de  l'excellent  opéra-comique  le  Départ, 
est  en  train  de  terminer  un  nouvel  opéra-comique  en  trois  actes  dont  le  titre 
n'est  pas  encore  fixé.  L'Opéra  royal  de  Berlin  aura  la  primeur  de  cette  œuvre 
au  commencement  de  la  saison  prochaine. 

—  Le  père  Hartmann  (comte  An  der  Lan-Hochbrunn),  l'auteur  des  orato- 
rios Saint-Pierre  et  Saint-François  d'Assise,  vient  d'être  nommé  directeur  de 
l'École  papale  de  musique  à  Santa-Chiara. 

—  Le  tsar  Nicolas  II  a  ordonné  l'érection  d'une  statue  du  compositeur 
Glinka  sur  une  place  publique  de  Saint-Pétersbourg  et  autorisé  une  sous- 
cription nationale  à  cet  effet,  souscription  à  laquelle  il  a  d'ailleurs  très  large- 
ment contribué. 

—  On  annonce  de  Saint-Pétersbourg  que  le  théâtre  allemand  de  cette  ville 
restera  clos  pendant  la  prochaine  saison.  Dans  l'assemblée  générale  de  la 
Société  protectrice  de  l'art  dramatique  en  Russie,  on  a  décidé  que,  vu  le 
déficit  de  plusieurs  milliers  de  roubles  qu'a  laissé  l'exploitation  de  ce  théâtre 
pendant  la  dernière  saison,  on  prierait  les  acteurs  allemands  de  rester  chez  eux. 


[8-2 


LE  MENESTREL 


—  On  annonce  la  prochaine  apparition  à  Genève  d'un  nouveau  journal  spé- 
cial, la  Musique  en  Suisse,  qui  sera  dirigé  par  M.  Jaques-Dalcroze,  professeur 
au  Conservatoire.  M.  Jaques-Dalcroze  a  déjà  publié  en  cette  ville,  il  y  a 
quelques  années,  une  Ga:etle  musicale  de  la  Suisse  romande,  dont  l'existence 
a  été  courte. 

—  On  a  représenté  au  théâtre  Minerve  d'Udine,  au  profit  d'une  œuvre  de 
bienfaisance,  un  petit  opéra  écrit  pour  des  enfants  et  e.xécuté  par  des  enfants. 
Ce  petit  ouvrage  a  pour  titre  il  GioicUo  riirovalo  et  pour  auteur  le  maestro 
Domenico  Montico. 

—  S'il  fallait  en  croire  une  dépêche  du  Daily  Express,  une  grève  de  journa- 
listes se  préparerait  en  Espagne,  et  tout  d'abord  à  Saragosse,  où  nos  con- 
frères réclameraient  une  augmentation  de  traitement.  Ceux  de  Madrid  se 
préparent  à  suivre  leur  exemple,  en  exigeant  surtout  le  repos  dominical. 

—  De  Lisbonne  :  La  «  Société  artistique  de  concerts  de  chant  »  vient  de 
donner,  dans  la  salle  du  Conservatoire  et  en  présence  de  la  Reine,  la  dernière 
de  ses  très  intéressantes  séances  de  la  saison.  Le  succès,  comme  toujours,  a 
été  très  grand,  et  on  a  fêté  l'excellent  maestro  Alberto  Sarti,  qui  la  dirige 
avec  tant  de  dévouement  et  de  goût  artistique.  La  Société  annonce  pour  la 
prochaine  saison,  dans  le  courant  de  décembre,  la  première  audition,  ici,  de 
la  Terre  Promise,  le  nouvel  oratorio  du  maître  Massenet. 

—  Du  Gaulois:  «  Un  imprésario  de  New-York  est  entré  en  pourparlers  avec 
une  compagnie  transatlantique  allemande  pour  établir  à  ses  frais  un  théâtre 
sur  chacun  des  paquebots  qui  font  le  service  régulier  entre  l'Europe  et 
l'Amérique.  On  ne  peut  que  s'étonner  que  cette  idée  ingénieuse  n'ait  pas  été 
plus  tôt  émise.  L'ennui  des  sept  jours  de  traversée  est  mortel  sur  ces  grandes 
villes  flottantes,  et  depuis  que  certains  scandales  retentissants  obligèrent  la 
compagnie  à  interdire  le  poker  et  le  baccara  à  bord  de  ses  navires,  elle  avait 
imaginé  de  n'engager  comme  garçons  de  cabine  ou  maîtres  d'hôtel  que  des 
jeunes  gens  sachant  jouer  d'un  instrument,  ce  qui  permettait  au  capitaine 
d'offrir  à  ses  passagers  un  concert  quotidien.  Mais  le  voyage  de  retour  de 
Sarah  et  de  Coquelin  a  ouvert  les  yeux  à  l'imprésario  en  question.  On  sait 
qu'au  cours  de  la  traversée  nos  deux  compatriotes,  qui  avaient  pour  com- 
pagnons de  voyage  les  deux  de  Reszké,  le  pianiste  russe  Gabrilowitsch  et 
plusieurs  chanteurs  et  chanteuses,  organisèrent  une  représentation  qui  pro- 
duisit plus  de  huit  mille  francs,  et  dont  le  produit  fut  versé  dans  la  caisse 
de  retraites  de  la  compagnie.  Les  nouveaux  théâtres...  en  pleine  mer  seront 
inaugurés  d'ici  quelques  semaines:  le  prix  des  places  sera  de  six  francs;  des 
troupes  françaises,  anglaises  et  allemandes  sont  déjà  engagées.  » 

—  Un  spectateur  grincheux  et  un  procès  original.  La  chose  se  passe  à 
Ne-w-York,  où  un  amateur  susceptible  a  cité  devant  le  tribunal  le  directeur 
du  Garrick-Théâtre,  parce  que  celui-ci  a  annoncé  sur  l'affiche  la  137»  repré- 
sentation du  Capitaine  Jinks  alors  que,  selon  lui,  cet  ouvrage  n'avait  pas  encore 
atteint  la  centième.  Il  affirme  avoir  été  ainsi  trompé  sur  la  qualité  de  la 
marchandise  vendue  et  réclame,  en  conséquence,  le  remboursement  du  prix 
de  sa  place  pour  dommages  et  intérêts.  On  ne  nous  dit  pas  encore  quelle  a 
été  la  sentence  du  tribunal. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Jeudi,  à  cinq  heures,  dans  la  galerie  des  tableaux  du  théâtre  de  l'Odéon, 
s'est  tenue  la  première  réunion  de  la  Société  d'histoire  du  théâtre.  La 
Société,  dont  le  président  d'honneur  est  M.  Henry  Eoujon,  directeur  des 
beaux-arts,  est  constituée  sous  la  présidence  de  M.Yictorien  Sardou  et  sous 
la  vice-présidence  de  MM.  Détaille,  Henry  Fouquier  et  Gustave  Larroumet. 
Elle  se  compose  de  vingt  membres  :  MM.  A.  Arnault:  Henri  Bouchot,  conser- 
vateur du  cabinet  des  estampes  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  Cain,  directeur 
du  Musée  Carnavalet  ;  de  Curzon,  des  Archives  nationales  ;  Edouard  Détaille, 
de  l'Institut  ;  d'Estournelles  de  Constant,  chef  du  bureau  des  théâtres  ;  Mau- 
rice Faure,  vice-président  de  la  Chambre;  Henry  Fouquier;  Paul  Ginisty, 
directeur  de  l'Odéon;  G.  Larroumet,  de  l'Institut,  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  beaux-arts;  G.  Lenôtre  ;  H.  Lavedan,  de  l'Académie  fran- 
çaise ;  Ch.  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra  ;  Henri  Martin,  bibliothécaire  à 
l'Arsenal  ;  Monval,  archiviste  à  la  Comédie-Française  ;  G.  Montorgueil  ; 
Gustave  Roger,  agent  général  de  la  Société  des  auteurs  dramatiques  ;  Saint- 
Saëns,  de  l'Institut  ;  Albert  Soubies  ;  Weckerlin,  bibliothécaire  du  Conser- 
vatoire. M.  Paul  Ginisty  a  été  élu  secrétaire  général.  La  Société,  qui,  en 
l'absence  de  M.  Sardou,  empêché,  était  présidée  par  M.  Maurice  Faure,  a 
délimité  l'objet  de  ses  travaux  et  a  formé  deux  commissions.  La  première, 
sous  la  présidence  de  M.  Henry  Fouquier,  s'occupera  de  l'histoire  générale, 
orographie,  bibliographie,  iconographie  du  théâtre.  La  seconde,  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Ed.  Détaille,  étudiera  l'histoire  des  monuments  et  du  matériel 
théâtral.  MM.  Lenôtre  et  Malherbe  sont  les  secrétaires  de  ces  deux  com- 
missions. 

—  Samedi  a  eu  lieu  dans  la  salle  du  théâtre  des  Nouveautés  l'assemblée 
générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  dramatiques,  au  milieu  d'une 
assistance  plus  nombreuse  qu'aux  réunions  précédentes.  M.  Coquelin  aîné 
présidait.  M.  Péricaud  a  ouvert  la  séance  par  la  lecture  de  son  rapport,  duquel 
il  résulte  que  les  recettes  se  sont  élevées  à  4.'Î6.034  francs,  les  dépenses  à 
3S6.643  francs.  Les  rentes  de  la  Société  sont  de  '208.192  fr.  92,  M.  Péricaud 
donne  ensuite  la  liste  des  dons  divers,  dans  lesquelles  M™"  veuve  Bertrand 
figure  pour  17.800  francs  et  M.  Chauchard  pour  sa  contribution  annuelle  de 
5.000  francs.  Le  triomphe  du  rapport  est  surtout  pour  le  passage  où  il  est 


rendu  compte  de  la  loterie.  M.  Coquelin  aîné  prend  easuite  la  parole  pour 
annoncer  qu'il  projette  la  création  d'un  asile  pour  les  artistes  nécessiteux,  et 
qu'il  a  même  déjà  une  partie  des  fonds  nécessaires  à  cette  fondation.  Cette 
bonne  nouvelle  est  accueillie,  comme  bien  l'on  pense,  par  une  salve  d'applau- 
dissements. Il  est  ensuite  procédé  à  l'élection  du  président  et  de  six  membres 
du  comité  :  le  dépouillement  du  vote  donne  les  résultats  suivants  :  M.  Coquelin 
aîné  est  réélu,  pour  une  année,  président  à  l'unanimité  des  372  votants,  et 
MM.  Maubant,  Coquelin  cadet,  Alexandre,  Henri  Micheau,  Guyon  fils, 
Amaury,  membres  sortant;,  sont  réélus  membres  du  comité  pour  une  période 
de  cinq  années. 

—  Nous  avons  dit  que  M.  Tellier.  sénateur  de  la  Somme  et  maire  d'Amiens, 
avait  écrit  dernièrement  au  ministre  de  l'instruction  publique  pour  l'infor- 
mer de  son  intention  de  le  questionner  à  la  tribune  du  Sénat  au  sujet  des 
droits  réclamés  depuis  quelque  temps  par  la  Société  des  auteurs,  composi- 
teurs et  éditeurs  de  musique,  droits  qui  auraient  été  augmentés  ou  réclamés 
injustement.  Le  ministre  vient  de  faire  parvenir  à  M.  Tellier  la  réponse  sui- 
vante : 

Monsieur  le  sénateur, 

Vous  avez  bien  voulu  me  faire  part  de  votre  intention  de  me  questionner  à  la  tribune 
du  Sénat  sur  les  exigences  de  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique 
^is-à-vis  des  municipalités,  en  ce  qui  concerne  les  auditions  publiques  et  gratuites  don- 
nées par  les  sociétés  musicales. 

J'ai  examiné  la  question  avec  le  plus  grand  soin  et  j'estime  comme  vous  que  l'inter- 
prétation qui  a  été  donnée  à  l'accord  intervenu  en  1894  et  consacré  par  une  circulaire  en 
date  du  21  mai  de  la  même  année  est  critiquable.  La  concession  faite  par  la  Société  des 
auteurs  aux  sociétés  musicales  s'applique  à  a  toutes  les  auditions  publiques  et  gratuites  ». 
Ni  dans  les  travaux  préparatoires,  ni  dans  le  texte  de  l'accoi'd,  il  n'y  a  trace  de  cette 
distinction  entre  une  audition  donnée  par  la  Société  musicale  sur  sa  propre  initiative  ou 
sur  l'initiative -d'une  municipalité. 

J'ai,  en  conséquence,  l'honneur  de  vous  informer  que  je  viens  d'écrire  à  M.  le  prési- 
dent de  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique,  pour  le  prier  de 
renoncer  à  l'interprétation  toujours  admise  jusqu'ici.  Je  ne  doute  pas  qu'entière  satisfac- 
tion ne  soit  accordée  aux  légitimes  recommandations  dont  vous  vous  êtes  fait  l'interprète. 

Agréez,  monsieur  le  sénateur,  l'assurance  dfi  ma  considération  la  plus  distinguée. 

Georges  Leï>;ues. 
A  vous  la  parole,  ô  Souchon  ! 

—  M^'s  Sibyl  Sanderson  va  donner  â  l'Opéra-Gomique  six  représentations 
de  Phryné  qui  sont  fixées  aux  11,  13,  IS,  18,  20  et  22  juin.  M.  Fugère  repren- 
dra son  rôle  de  Dycéphile  et  M.  Ed.  Clément  fera,  en  même  temps,  sa  rentrée 
à  l'Opéra-Comique  dans  le  rôle  qu'il  a  créé. 

—  L'Opéra-Comique  ne  donnera  pas  de  matinée  aujourd'hui.  —  Ce  soîr, 
Louise. 

—  En  raison  de  la  chaleur  persistante,  M.  Carré  remet  à  l'automne  la  ma- 
tinée qu'il  devait  donner  le  IS  juin  au  bénéfice  de  M""^  veuve  Taskin.  Les 
personnes  ayant  loué  leurs  places  pour  cette  matinée  pourront  se  faire  rem- 
bourser au  bureau  de  location  si  elles  ne  préfèrent  maintenir  leur  inscription 
pour  ce  bénéfice,  qui  n'est  qu'ajourné  et  qui  aura  lieu  en  octobre  ou  novem- 
bre prochain  avec  un  magnifique  programme  qui  réunira  sur  l'alfiche  les 
noms  de  nos  principaux  artistes. 

—  M.  Albert  Carré  vient  de  recevoir,  pour  être  représentée  prochainement, 
une  tragédie  lyrique  populaire  en  3  trois  actes  de  M.  Henry  Bataille,  musique 
de  M.  Sylvio  Lazzari.  Titre  :  la  Sorcière. 

—  Les  abonnements  de  l'Opéra-Comique  formeront  pour  la  saison  1901 
1902  deux  catégories  distinctes  :  la  première,  des  jeudis  et  des  samedis,  aux 
conditions  anciennes,  ira  du  7  novembre  1901  au  14  juin  1902  et  comprendra 
deux  séries  de  quinze  représentations,  composées  de  quinze  programmes 
différents.  Les  abonnés  du  jeudi  et  du  samedi  ont  la  primeur  des  œuvres 
nouvelles,  et  c'est  en  leur  honneur  que  chaque  année  la  direction  met  à  la 
scène  un  des  chefs-d'œuvre  de  la  musique.  La  seconde  catégorie,  de  création 
nouvelle,  constituera  un  abonnement  de  famille,  comprenant  quinze  repré- 
sentations qui  auront  lieu  tous  les  lundis  du  11  novembre  au  16  juin,  en 
deux  séries  A  et  B.  Le  tarif  réduit  de  cet  abonnement,  calculé  sur  le  prix 
de  bureau,  de  même  que  le  choix  des  spectacles,  composés  d'œuvres  du 
genre  et  du  répertoire  de  l'Opéra-Comique,  justifieront  le  titre  de  «  lundis  de 
famille  »,  qui  est  donné  à  cet  abonnement  spécial.  —  Les  inscriptions  sont 
reçues  dès  à  présent.  Il  y  sera  fait  droit  dans  la  mesure  des  places  vacantes, 
dans  l'ordre  des  inscriptions.  Le  bureau  des  abonnements  (entrée  rue  Mari- 
vaux) est  ouvert  tous  les  jours,  de  dix  heures  à  midi  et  de  une  heure  à  six 
heures. 

—  Au  mois  de  mars  dernier,  comme  nous  l'avons  dit,  le  conseil  municipal 
avait  autorisé  M.  de  Mayrena  à  construire  sur  l'emplacement  de  l'ancien 
Cirque  d'Été  un  cirque  nouveau  où  auraient  été  données,  à  certains  inter- 
valles, des  auditions  musicales.  On  annonce  aujourd'hui  que  le  concession- 
naire n'a  pu  mettre  son  projet  à  exécution.  MM.  Ghassaigne-Goyon  etQuentin- 
Bauchart  proposent  donc  la  résiliation  du  traité  signé.  Ils  demandent,  en 
outre,  l'installation  sur  le  terrain  rendu  libre  d'un  kiosque  à  musique,  où 
seront  donnés  des  concerts  publics. 

—  Une  protestation  signée  de  MM.  Maurice  Faure,  Benjamin-Constant, 
Deluns-Montaud,  Henry  Fouquier,  Ch.  Formentin,  Albert  Tournier  etSextius 
Michel,  vient  d'être  adressée  à  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  au 
maire  d'Orange.  Il  paraît  qu'un  entrepreneur  de  spectacles  se  propose  —  sans 
la  moindre  autorisation  officielle  —  de  s'installer  au  Théâtre  antique  et  d'y 


LE  MENESTREL 


183 


donner  des  représentations  pour  faire  concurrence  à  celles  autorisées  par  la 
commission  ministérielle.  Les  cigaliers  et  les  félibres,  qui  ont  la  tête  chaude, 
ne  sont  pas  d'humeur  à  se  laisser  ainsi  envahir.  Comme  ils  savent  que 
MM.  Mouzin  et  Emile  Fabre  ont  seuls  été  désignés  par  la  commission  minis- 
térielle, ils  n'en  veulent  pas  d'autres. 

—  La  représentation  des  «  Escholiers  »  aura  lieu  mercredi  prochain  12juin, 
à  8  h.  1/2  très  précises,  au  théâtre  Sarah-Bernhardt.  La  veille  et  à  la  même 
heure,  répétition  générale.  Au  programme  :  Conle  de  Fée,  un  acte  en  vers, 
avec  ballet,  de  M.  Maurice  Froyez,  musique  de  M.  Maurice  Depret  : 

La  princesse  51""'  Sandrini 

Le  prince  Charmant  H.  Régnier 

La  fée  Urgèle  L-  Piron 

Le  meneur  de  jeu  Clary 

L'Ile  heureuse,  poème  dramatique  en  trois  actes,  en  vers  libres,  de  M.  Eugène 
Morand,  musique  de  M.  Ernest  Moret  : 

Joris  MM.  Pierre  Magnier 

Yanko  Albert  Mayer 

Kornick  Garbagni 

Joss  Le  Breton 

Claess  Ramel 

PériUus  Carlo 

L'évêque  Arsène  Ragot 

Liïoe  M""  Moréno 

Hillys  Renée  Parny 

Le  Prologue  et  l'Epilogue,  en  prose,  seront  dits  par  MM.  Gavarry,  Des- 
planques, Guirand  et  Charly.  L'orchestre,  composé  de  cinquante  musiciens, 
sera  dirigé  par  M.  Tourey. 

—  Le  théâtre  du  Vaudeville  paraît  vouloir  faire,  l'hiver  prochain,  une 
place  à  l'opérette  au  milieu  de  ses  programmes  littéraires.  C'est  ainsi  qu'on 
annonce  déjà  la  réception  par  M.  Porel  d'une  pièce  de  MM.  de  Caillavet  et  de 
Fiers,  musique  de  M.  Claude  Terrasse,  dont  le  principal  rôle  serait  créé  par 
M.  Tarride.  Des  pourparlers  seraient  aussi  engagés  avec  une  de  nos  plus 
charmantes  étoiles  d'opérette.  M"' Germaine  Gallois. 

—  M.  Albert  Soubies,  toujours  infatigable,  en  est  au  onzième  volume  de 
son  Histoire  de  la  musique  chez  tous  les  peuples  européens.  Ce  dernier  venu 
nous  entretient  des  États  seandinaues,  «  des  origines  au  dix-neuvième  siècle  ». 
Ici  le  sujet  est  neuf,  et  n'avait  guère  été  abordé  jusqu'à  ce  jour.  L'auteur  a 
publié  d'abord  ce  travail  dans  la  Rioista  musicale  italiaiia,  puis  il  l'a  complété 
pour  le  donner  sous  sa  forme  présente.  La  musique  a  toujours  été  très  en 
honneur  chez  les  peuples  du  Nord,  et  cultivée  par  eux  avec  amour  et  avec 
succès;  mais  les  œuvres  de  leurs  artistes  n'ont  guère  dépassé,  à  part  de  rares 
exceptions,  les  frontières  de  leur  pays,  si  bien  qu'historiquement  elle  est  peu 
connue.  Les  curieux  qui  voudront  se  renseigner  à  ce  sujet,  au  moins  d'une 
façon  sommaire,  liroiït  le  nouveau  volume  de  M.  Soubies. 

—  Le  correspondant  du  Ménestrel  à  Londres,  M.  Léon  Schlésinger,  vient, 
sur  la  proposition  de  l'ambassadeur  de  France,  d'être  nommé  officier  d'Aca- 
démie. Titres  :  compositeur  de  musique,  critique  musical  et  services  rendus 
à  la  musique  française  eu  Angleterre. 

—  Le  violoniste  J.  Boucherit  donnera,  le  mercredi  12  juin,  un  concert 
avec  le  concours  de  M.  Louis  Diémer.  Au  programme,  œuvres  de  Saint-Saëns, 
Fischhoff,  etc.  M.  Boucherit  partira  ensuite  pour  l'Angleterre,  où  il  a  plusieurs 
engagements. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  ChezM™^  Paul  Poirson  toute  une  soirée,  consacrée  à  l'art  de 
la  chanson,  depnis  Martial  d'Auvergne,  c'est-à-dire  depuis  le  XV"  siècle  jusqu'aux  jeunes 
chansons  de  nos  provinces  françaises  si  habilement  reconstituées  et  recueillies  par  Julien 
Tiersot.  C'est  à  la  grande  science  du  charmant  causeur  Maurice  Lefèvre  que  M""  Poir- 
son a  en  recours  pour  organiser  cette  soirée.  Maurice  Lefèvre  a  su,  avec  un  soin  judicieux 
et  un  goût  très  averti,  composer  un  programme  dont  l'éclectisme  et  l'élégance,  ainsi  que 
l'art  véritable,  ont  été  acclamés  par  un  public  d'élite.  Dans  la  série  consacrée  aux  poètes 
du  XV°,  XVl°,  XVII"  et  XVIII»  siècles,  des  danses  avaient  été  intercalées  sur  le  Menuet 
d'Exaudet  et  sur  un  Menuet  et  un  Tambourin  Régence,  qui  furent  dansées  par  M""'  Pierre 
Girod  et  M.  Royer.  Les  Vieilles  chansons  françaises  de  Julien  Tiersot  ont  été,  comme 
toujours,  fêtées,  comme  on  fête  les  précieuses  petites  fleurs  des  champs  qui  sentent  bon  et 
qui  sont,  comme  les  «  arondelles  »  de  Remy  Belleau,  les  messagères  des  beaux  jours. 
Pierre  et  sa  Mie,  Quand  tu  tenais  la  caille,  Là-haut  sur  la  montagne,  le  Roy  Loys 
VAne  de  Marion,  que  M""  Cruppi  a  détaillé  avec  une  exquise  finesse,  et  tant  d'autres 
encore,  ont  rencontré  près  d'un  public  de  race,  un  accueil  chaleureux.  La  soirée  commen- 
çait par  une  partie  de  concert  entièrement  consacrée  à  Maurice  Rollinat,  le  poète  qui  vit 
son  rêve,  au  fond  de  sa  Creuse  chérie.  C'est  dans  cette  partie  que  M""  Camille  Robert 
s'est  affirmée,  dans  Ylnvilaiiûn  au  voyage,  le  Hecueillement,  la  Causerie,  les  Pêchers 
roses,  le  Cimetière  aux  violettes  et  la  Mort  des  Fougères.  —  Les  soirées  vraiment  artisti- 
ques se  sont  succédé  rue  d'Athènes,  à  la  Salle  des  Agriculteurs  :  dernièrement 
c'était  M""  Teresa  Tosti,  qui  faisait  applaudir  son  beau  sentiment  dramatique  et  son  art 
vibrant  dans  plusieurs  beaux  lieder  de  Schubert  ;  M.  Rodolphe  Panzer,  qui  l'accompa- 
gnait, a  magistralement  exécuté  des  morceaux  de  haute  virtuosité,  tels  que  les  Variations 
en  ut  mineur,  de  Beethoven,  les  Davidshiindlertaenze,  de  Schumann  et  la  Valse  de 
Mèphisto,  si  singulière,  de  Liszt.  j| —  Puis  ce  fut  M.  Léon  Moreau  qui  se  montra  favo- 
rablement sous  les  deux  aspects  du  compositeur  et  du  pianiste;  avec  MM.  G.  Enescoet 
Casais,  il  a  fort  bien  dit  le  trio  en  fa  majeur,  de  Saint-Saëns,  et  M"""  Litvinne,  qui  venait 
d'interpréter  avec  succès  plusieurs  de  ses  gracieuses  mélodies,  a  dramatiquement  chanté 
toute  la  scène  finale  de  la  Walkyrie  avec  le  ténor  C.  Rousselière  :  belle  soirée  d'art  !  R.  B^ 
—  En  diverses  églises  de  Paris,  et  notamment  à  Saint-Vincent-de-Paul,  vient  d'être 
exécuté  un  très  intéressant  Andante  religioso  pour  violon  et  grand  orgue,  qui  a  pour 
auteur  l'éminente  pianiste  M""  Delâge-  Prat.  —  Salle  Pleyel,  matinée  d'élèves  de 
M""  Steiger.  Succès  habituel  pour  les  excellents  professeurs.  Parmi  les 
remarqués  citons  la  Marche  de  Ssabady  à  huit  mains,  jouée    avec  un  ensemble  i 


M"°  Juliette  Dantin  a  exécuté  avec  maestria  la  Sonate  de  Rubinstein,  avec  M"°  Gab. 
Steiger  qui  a  tenu  sa  partie  en  excellente  pianiste.  On  a  bissé  à  M""  Dantin  une  mélodie 
de  Ch.  Steiger  pour  violon  et  piano.—  Salle  Pleyel,  M.  Jean  Canivet  a  donné,  avecle 
concours  de  M.  Paul  Oberdoerffer,  deux  intéressantes  séances  de  musique  de  chambre 
moderne.  En  dehors  des  sonates  pour  piano  et  violon  en  sol  mineur  de  Grieg  et  en  ré 
mineur, de  Saint-Sacns,  les  jeunes  artistes  ont  excellemment  interprété  la  sonate  en  sol 
majeur  de  M.  Lekeu  et  la  Suite  de  M.  Ed.  Schûtt,  deux  morceaux  qui  mériteraient  d'être 
joués  plus  souvent.  Le  trio  en  fa  de  Godard,  avec  SI.  Feuillard  au  violoncelle,  a  égale- 
ment été  applaudi.  M"°  Cormon  a  fort  agréablement  chanté  plusieurs  mélodies  ;  on  lui  a 
bissé  Pensée  d'automne,  de  Massenet,  et  la  jolie  mélodie  Promenade,  de  M.  Jean 
Canivet.  —  MM.  Gustave  et  Joseph  Baume,  les  renommés  professeurs  de  Toulon,  ont  fait 
entendre  leurs  nombreux  élèves  en  deux  séances  qui  ont  pleinement  réussi.  On  a  remar- 
qué la  très  bonne  exécution  de  Jeunes  cliasseurs,  Trojelli  (M.  H.  R.),  Souvenir  d'Alsace, 
Lack  (M""  L.  R.),  Souvenir  d'Antan,  Lack  (M""  F.  L.),  Intermezzo  de  CaîjaZ/en'a, Mascagni 
(M"*  L.  F.),  Menuet  de  Manon,  Massenet  (M.  J.  E.),  Grenade,  Rougnon  (M"" M.),  Gavotte, 
Dedieu-Pèters  (M"»  A.),  Paul  et  Virginie,  Massé  (M"°  L.  G.),  Méditation  de  Thaïs,  Masse- 
net  (M""  M.  R.),  Minuelto,  Colombine,  Castillon  (M""  F.  L.|,  Danse  Galicienne,  Lack 
(M"'  Y.  T.),  Libelhde,  Pugno  (M"»  C.  P.),  Danse  flamande,  Blockx  (M"°I.),  Sorentirui, 
Lack  (M"'  J .  D .  ),  Solo  de  concours,  Lack  (M"'  A.  S.),  Marclie  de  Jean  de  Nivelle,  Delibes 
(M.  J.  E.),  Valse  pimpante,  Lack  (M"°  J.  M.),  Sérénade,  Schubert-Lange  (M"°  H.D.),  non- 
soir  Colin,  Wachs  (M""  C),  Les  noces  d'Yvonette,  Wachs  (M""  M.  E.),Airâ  danser,  Pugno 
(M"'  R.  G.),  Polichinelle,  Rougnon  (M""  M.  A.),  Aubade  militaire,  Lack  (M"°  S.),  Cha- 
conne,  Dubois  (M"'  B.),  Sérénade  du  Roi  d'Ys,  Lalo  (M""  M.  J.),  air  de  Manon,  Massenet 
(M"°  M.  B.)  etc.  —  Au  concert  qu'elle  a  donné  salle  Pleyel,  M""  Astrue-Doria  a  remporté 
grand  succès  en  chantant  l'air  d'Eve,  de  Massenet,  et,  avec  M.  Paul  Pecquery,  le  duo  du 
même  mystère.  —  M.  Louis  Diémer  a  fait  entendre  les  élèves  de  sa  classe  du  Conserva- 
toire pleine  de  belles  promesses,  comme  toujours.  11  faut  signaler  tout  particulièrement 
MM.  J.  Masson  {Les  Myrtilles,  Dubois),  V.  Gille  ILa  Neige,  Delibes),  A.  Turcat  {Le  Banc 
de  mousse,  Dubois),  Boschard  {Prehidio-Paletico,  Dubois),  Lortat-Jacob(Gafa(éa,  Dubois), 
Garés  {Thème  varié,  Dubois)  et  Billa  {Les  Abeilles,  Dubois).  —  Quelques  jours  après 
l'excellent  maître  recevait  chez  lui  où  l'on  a  fait  de  très  exquise  musique  avec  son  pré- 
cieux concours  etceluideM'""deLaboulaye,Terrier-Viccini,  de  M""  de  Cazotte,  de  MM.  Gé- 
lose, Casais  et  Monteux.  —  A  Saint-Louis  d'Antin  clôture  superbe  du  mois  de  Marie  avec, 
pour  les  fidèles,  une  surprise  peu  commune  :  Faure,  notre  grand  et  incomparable  chan- 
teur qui,  sans  prévenir  personne,  est  monté  à  l'orgue  et  a  chanté  son  Ave  Maria,  accom- 
pagné par  le  violon  de  M.  Denayer,  son  Crucifix,  et,  avec  M""  Sureau-Bellet,  son  Sancta 
Maria  et  son  0  Salutaris.  On  juge  de  l'émotion  de  toutes  les  personnes  qui  emplissaient 
l'église  de  la  rue  Caumartin.  —  Matinée  d'élèves  chez  M""^  Laënnec,  au  cours  de  laquelle 
on  remarque  M"""  R.  F.  {Allegro  du  3"  concerto,  Dubois),  A.-M.-G.  {Le  Retour,  Bizet). 
M""  Laënnec  prêche  d'exemple  très  heureusement  en  jouant  la  Légende  de  Saint-François 
de  Paule,  de  Liszt.  —  Salle  de  la  Schola  Cantorum,  M""  Dijonnet  a  présenté  à  son  maître, 
M""  Pauline  Viardot,  tout  un  groupe  d'élèves  en  très  bonne  voie.  M""  Pauline  Viardot 
accompagnait  elle-même  ses  œuvres,  A  la  Fontaine,  la  Dinderindine.  On  bisse  Mai, 
Quand  je  fus  pris  au  pavillon.  Si  mes  vers  avaient  des  ailes  et  Troia  jottrs  de  vendange,  de 
Reynaido  Hahn,  et  on  applaudit  Musette,  de  Périlhou,  l'air  de  Louise,  de  Charpentier  et 
le  trio  de  Cendrillon  de  Massenet.  —  Le  concert  donné  par  M.  A.  AVeingaerlrter  a  été  très 
brillant.  Les  noms  réunis  de  M""  Agussol,  Marie  Weingaertner,  Dartigue,  de  Loubières, 
Marthe  Leuclud,  de  MM-  Boudouresque,  Bruzzi,  Marcel  Legay,  Feuillard,  H.  Rossi, 
Lemercier,  unis  à  celui  du  bénéficiaire,  assuraient  d'avance  le  succès  de  cette  soirée. 
Parmi  les  nombreux  numéros  du  programme,  mentionnons  la  première  audition  d'un 
caprice  pour  piano  et  violon,  du  jeune  compositeur  Emile  Bourdon.  Comme  toujours, 
accueil  triomphal  aux  fragments  d'œuvres  de  Massenet,  Delibes,  Reyer  et  Gounod.  — 
Soirée  musicale  annuelle  des  élèves  de  M""  Lafaix-Gontié,  salle  Érard,  qui  vaut  de  nom- 
breux applaudissements  au  professeur  et  au  compositeur.  Très  jolie  exécution  d'Avril  est 
amoureux,  de  Massenet,  par  M"''  P.  de  G . ,  et  de  VEntr'acte  Sevillana,  de  Massenet,  joué 
par  M""'  H.  B.  de  D.,  C.  C.,  C.  H  et  G.  D.  —  M""  Henriette  Coulon,  l'éminente  pianiste, 
vient  de  donner,  salle  Érard,  son  concert  annuel.  Le  programme  débutait  par  un  trio  de 
Brahms  supérieurement  interprété  par  M""  H.  Coulon,  MM.  Gorski  et  Salmon.  Succès 
aussi  pour  la  Sonate  appassionata  de  Beethoven  et  pour  les  charmants  Myrtilles,  de  Théo- 
dore Dubois,  rendus  avec  une  finesse,  une  grâce  et  un  charme  incomparables. 

NÉCROLOGIE 

Le  compositeur  Georges  Vierling  est  mort  à  Wiesbaden,  à  l'âge  de 
81  ans.  Il  était  né  à  Frankenthal  (Palatinat)  le  S  septembre  1820,  reçut  l'ins- 
truction musicale  de  son  père  et  devint  plus  tard  élève  du  professeur 
A.-B.  Marx  de  Berlin.  Il  obtint  la  place  d'organiste  à  l'église  Sainte-Marie  de 
Francfort-sur-l'Oder,  ensuite  celle  de  chef  d'orchestre  à  Mayence,  et  se  fixa 
finalement  à  Berlin,  où  il  fonda,  en  18S7,  la  première  Société  Bach,  qu'il 
dirigea  fort  longtemps.  Parmi  ses  nombreuses  compositions  il  faut  surtout 
citer  ses  oratorios  :  l'Enlèvemeul  des  Sabines,  Alaric  et  Constantin  ;  plusieurs  can- 
tates lyriques,  parmi  lesquelles  Iléro  et  Léandre;  ses  ouvertures  pour  la  Tempête, 
pour  Marie  Sluart,  et  celle  intitulée  Au  printemps.  On  lui  doit  aussi  des  motets 
et  d'importantes  compositions  religieuses,  telles  que  les  psaumes  100  et  137, 
diverses  œuvres  instrumentales,  des  lieder  et  une  série  de  chœurs  sans  accom- 
pagnement qui  ont  été  chantés  par  tous  les  orphéons  d'outre-Rhin. 

—  A  Londres  est  mort  le  mois  dernier,  à  l'âge  de  S3  ans,  Henry  Frost, 
artiste  fort  habile,  qui  fut  pendant  longtemps  organiste  de  la  chapelle  royale 
et  qui  s'est  fait  remarquer  comme  critique  musical  du  journal  le  Standard. 

—  De  Turin  on  annonce  la  mort,  dans  un  âge  avancé,  deM^i^  Angola  Teja- 
Unia,  veuve  depuis  trente  ans  du  pianiste  compositeur  Giuseppe  Unia,  qui 
avait  naguère  le  litre  de  pianiste  du  roi  d'Italie.  Excellent  professeur  elle- 
même,  elle  avait  eu  pour  élèves  la  reine  Marguerite,  qui,  on  le  sait,  est  une 
musicienne  fort  instruite,  et  la  princesse  Clotilde,  épouse  du  prince  Napoléon. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  CÉDER  au  rentre  de  Vichy,  fonds  de  musique,  pianos,  lutherie.  Pour 
tous  renseignements  s'adresser  Maison  musicale,  39,  rue  des   Petits- 
Champs,  Paris. 


184 


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(chant  et  piano.) 

1.  L'Heure  rose 7  SO 

2.  L'Heure  d'or .  5    » 

3.  L'Heure  de  pourpre S    » 

4.  L'Heure  d'azur 5     i> 

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1.  Sérénade  à  Ninon. 

2.  Chanson  de  Barberiue. 

3.  Cbirysanthème. 

4.  Clianson  hongroise. 

5.  Sérénade  de  Ituy  Btas. 

6.  A  ma  mignonne. 

7.  Le  meilleur  moment  des  amours. 

8.  Faut-il  chanter? 

9.  Épithalame. 
10.  Vieille  chanson. 

il.  Les  trois  oiseaux  (2  voix). 

12.  Valse  de  Coppélia. 

13.  Ave  Maris  Stella  (2  voix). 

14.  Agnus  Dei  (2  voix). 

15.  Chanson  slave. 

16.  Dumka. 

17.  Les  Frileuses,  chœur  (2  voix  de  femmes). 

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1.  Le  Soir. 

2.  Baissez  les  yeux  ! 

3.  Chanson  de  Margyane. 

4.  Croyance. 
.9.  Passiflore. 

6.  Fleur  de  neige. 

7.  Souvenir. 

8.  L'aimable  printemps. 

Un  recueil  grand  in-S",  net 4  francs. 


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Pour  Piano 

Op.  194.  Sérénade-Caprice 5 

Op.  19b.  Valse  pimpaate 6 

Op.  196.  Menuet  rococo 5 

Op.  197.  Aubade  militaire 6 

Op.  201.  La  Romaïka,  souvenir  de  Smyrne 4 

Op.  202.  Danse  Galicienne,  mazurka 6 


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THÉODORE    DUBOIS 

Membre  de  l'Institut  —  Directeur  du  Conserratoirc. 

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Recueillis ,   établis   ou   rédigés 

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Sous-chef  du  Secrétariat,  lauréat  de  l'Institut. 
Un  fort  volixcne   in-i"   carré   ae    loeo   pages,   pnlblié  par  l'Imprimerie   nationale. 

DOCUMENTS    HISTORIQUES 

I.    L'Ecole   rovale   de   chant,   1784-1795;  —  II.    L'École   royale  dramatique,  1786-1789;  —  III.  La  musique  et  l'École  de  la  garde  nationale,  1789-1790; 
'IV.  L'Institut  national  de  musique,  1793-1795;  —  V.  Le  Conservatoire,  1793-1815;  —  VI.  L'École  royale  de  musique,  1816-1822. 

DOCUMENTS  ADMINISTRATIFS 

VII.  Actes  organiques  :  règlements,  arrêtés,  rapports  concernant  l'enseignement;  projets  de  réorganisation;  —  VIII.  Conseils  d'enseignement  et  comités  d'examens, 
arrêtés,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  IX.  Personnel  administratif  et  enseignant,  1793-1900,  états  périodiques,  liste  alphabétique;  —  X.  Exercices  des 
élèves  :  notice  historique,  programmes  1802-1900;  —XI.  Palmarès  des  concours,  liste  des  professeurs  et  lauréats  par  branches  d'études,  morceaux  de  concours; 
dictionnaire  des  lauréats  (6.090  notices  biographiques);  statistiques,  élèves,  aspirants,  classes,  concours,  répartition  des  lauréats  par  lieux  d'origine;. 
—  XII.  Distributions  des  prix;  discours  1797-1864;  programmes  des  concerts  1797-1900;  —  XIII.  Budgets  :  crédits,  dépenses;  —  XIV.  Legs  el  donations  en 
faveur  des  élèves;  —  XV.  Ecoles  de  musique  des  départements.  —  Tables  chronologique,  analytique  et  des  noms. 

Prix  net  :  35  francs. 
Adresser  les  demandes  AU  MÉNESTREL,   HEUGEL    ET   C'-,    i  lis,  rue   Vivienne,  à  Paris. 


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(les  Bureaux,  2  *",  rue  TiYienne,  Paris,  u«  «w) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


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MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


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Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  •-  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (IG'  article;,  Paul  d'Estrées.  — 
U.  Semaine  théâtrale  :  premières  reprcEentations  de  Conte  de  fée  et  de  T/fc  heureuse, 
^u  théâtre  des  Escholiers,  Paul-Éuile  CHEV\LtER.  —  III.  L;t  musique  et  le  théâtre  aux 
Salons  du  Grand-Palais  (8"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Petites  notes  sans  portée  : 
Bourses  de  voyages  wagnériennes,  Raymond  Bouyer.  —  V.  Le  Tour  de  France  en  mubi- 
que  :  la  fête  de  l'âne,  Edmond  Xeuromm.  —  VI.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour 

LA  CHÈRE   BLESSURE 

aouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de  M"'  Blanchecotte.  —  Suivr; 

.  immédiatement  :  Soir  d'été,  n"  2  du  Poétne  du  silence,  d'ERNEST  Mobet. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublieroasdimanciie prochain, pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Menuet  Rococo,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Sous  bois,  de 

A.  PÉRILHOU. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  pins  récents  et  îles  documents  inédits 

(Suite.) 


VII 

Les  artistes  révolutionnaires.  —  Lays  dans  Castor  et  PoUux.  —  Lays  missionnaire 
de  la  République  à  Bordeaux.  —  Le  Réoed  du  peuple.  —  L'orage  d'Iphigénie  et 
le  calme  plat  de  la  Vestale.  —  Un  descendant  de  Lays.  —  Les  chanteurs  roya- 
listes. —Lainez  dans  Ipbigénie  en  Aulide.  —  Ln  loge  de  la  duchesse  de  Biron  et 
l'autel  de  la  pairie.  —  La  revanche  de  Lainez.  —  Vestris  et  Gardel.  —  L'enlhou 
siasme  débordant  de  Karamsine.  —  La  sage  pondération  d'flalein.  —  L'esprit  de 
dénigrement  de  Kotzebue.  —  L'adroite  critique  de  Reichardt. 

Si  l'on  veut  étudier  avec  fruit  l'histoire  de  nos  artistes  pen- 
dant la  Révolution  française,  il  faut  tenir  compte  de  cette  parti- 
cularité que  leur  notoriété  est  moins  en  raison  de  leurs  qualités 
naturelles  ou  acquises  que  de  leur  participation  plus  ou  moins 
directe  aux'  actes  de  la  vie  politique.  Sans  doute,  les  contem- 
porains rendent  justice  au  talent  et  à  la  science  de  ces  acteurs, 
lors  même  que  ceux-ci  se  désintéressent  des  agitations  populaires  ; 
mais,  il  mérite  égal,  leurs  préférences  vont  tout  droit  aux  pas- 
sionnés qui  se  jettent  tète  baissée  dans  l'arène.  Combien  de  noms 
viennent  se  presser  sous  notre  plume  à  l'appui  de  notre  thèse  ! 
Nous  nous  contenterons  de  retenir  ceux  qui  rentrent  plus  spé- 
cialement dans  le  cadre  de  notre  travail. 


Or,  s'il  est  un  artiste  patriote  qui  doive  y  figurer  en  première 
ligne,  c'est  assurément  Lays. 

Ce  merveilleux  baryton,  ou  «  concordant  »,  comme  on  l'appe- 
lait encore,  qui  avait  la  faiblesse  de  se  prétendre  une  profonde 
basse-taille,  faisait  les  délices  de  tous  les  connaisseurs,  depuis 
son  entrée  à  l'Opéra  en  1779.  L'illustre  comédien  Samson  (1) — il 
était  alors  bien  jeune  —  affirme  l'avoir  entendu  dans  les  AJijslère.s 
d'fsis  (la  Flûte  enchantée).  Lays  y  tenait  le  rôle  de  Bocclioris,  et  la 
salle  restait  suspendue  aux  lèvres  du  chanteur,  quand  il  disait  : 
«  Soyez  sensible  à  notre  peine  » . 

Je  ne  sais  s'il  était  un  républicain  de  la  veille,  mais  il  fut  cer- 
tainement un  des  plus  ardents  démocrates  du  lendemain.  Il  ne 
laissa  passer  aucune  occasion  d'affirmer  sa  foi  civique.  Et  le 
public,  qui  lui  était  tout  acquis,  en  acclamait  avec  frénésie  les 
ardentes  manifestations.  E.  Giraud  en  fut  témoin  dans  une  de 
ces  journées  historiques  qu'enregistrent  les  Annales  de  la  Révo- 
lution. C'était  pendant  la  représentation  gratuite  de  Castor  et 
Pollua:,  récemment  remis  à  la  scène,  que  donna  l'Académie 
nationale  de  Musique,  en  septembre  1791,  pour  fêter  l'achève- 
ment de  la  Constitution...  la  première,  bien  entendu.  Nous  avons 
dit  précédemment  que  Louis  XVI  assistait  à  cette  cérémonie.  La 
reine  l'accompagnait.  Et  quand  les  souverains  arrivèrent  au 
théâtre,  la  foule  les  acclama.  Au  lieu  de  l'ouverture,  les  specta- 
teurs entonnèrent  à  l'unisson,  sur  l'air  du  quatuor  de  Lucile  : 

Où  peut-on  être  mieux  qu'au  sein  de  sa  famille? 
Pendant  toute  la  durée  de  la  représentation,  la  moindre  allusion 
était  saisie  au  vol  et  bruyamment  applaudie.  Mais  lorsque  Lays 
se  mit  à  chanter  :  «  Tout  l'univers  demande  ton  retour  »,  ce  fut 
de  l'ivresse,  du  délire;  l'artiste,  l'orchestre,  le  roi,  la  reine,  la 
Constitution,  la  France  étaient  tour  à  tour  accueillis  par  d'inter- 
minables bravos;  et  Marie-Antoinette,  dont  ce  fut  peut-être  la 
dernière  joie,  s'écriait  avec  émotion  :  «  Ah  !  quel  bon  peuple, 
qui  ne  demande  qu'à  aimer!  » 

Le  «  bon  peuple  »  —  et  Lays  avec  lui  —  ne  devait  plus  «  aimer  » 
longtemps  sa  souveraine.  Bientôt  il  ne  sulEt  plus  au  chanteur 
d'affirmer  sur  la  scène  ses  convictions  révolutionnaires.  Mission- 
naire de  la  Montagne,  il  s'eiforça  d'en  propager  l'évangile  dans 
divers  départements,  et  plus  particulièrement  dans  la  Gironde. 
La  Marquise  de  Volage  de  Lude  écrivait  à  l'une  de  ses  amies  que 
le  Comité  de  Salut  public  avait  envoyé  le  chanteur  Ha'/  (le  véri- 
table nom  de  Lays  était  Lay)  à  Bordeaux,  avec  «  plusieurs  mil- 
lions pour  y  révolutionner  les  sections  ».  Le  Comité  de  Salut 
public  eût  été  bien  embarrassé  de  trouver  d'aussi  grosses  sommes 
dans  les  caisses  de  l'État,  plutôt  vides.  Toujours  est-il  que  Lays 
apporta  tant  de  zèle  à  l'accomplissement  de  sa  tùche,  qu'après 
la  réaction  thermidorienne  ses  ennemis  lui  firent  cruellement 
sentir  le  poids  de  leurs  rancunes.  Certaines  biographies  assurent 


Samson  <1ù  l.i  Coniédie-Fr 


s:  OlhnilorIT,  ISSfî 


186 


LE  MÉNESTUEL 


que  les  réactionnaires,  persuadés  de  la  bonne  foi  de  Lays,  se 
contentèrent  de  hii  réel-amer  à  maintes  reprises,  dans  les 
entr'actes,  la  chanson  des  aristocrates,  le  Réveil  du  peuple.  L'ar- 
tiste dut,  il  est  vrai,  subir  cette  humiliante  obligation,  mais  après 
quels  orages  1  Dufort  de  Gheverny,  à  qui  la  mort  de  Robespierre 
avait  rouvert  la  route  de  Paris,  ifut  témoin  d'une  de  ces  tem- 
pêtes. 

D'accord  avec  ses  camarades,  Lays  s'était  décidé  4  reprendre, 
pour  sa  rentrée  à  l'Opéra,  le  rôle  d'Oreste  dans  Vîphigénie  de 
Gluck,  rôle  qui  était  un  de  ses  triomphes.  Dès  qu'il  parut  des 
sifflets,  et  même  des  «  hurlements  » ,  partirent  de  tous  les  points 
de  la  salle.  Lays  attendait,  les  bras  croisés,  qu'une  éclaircie  lui 
permit  de  commencer.  Mais  à  peine  ouvrait-il  la  bouche  que  le 
tumulte  redoublait.  Dans  les  loges,  les  femmes  agitaient  leurs 
mouchoirs  d'un  geste  qui  semblait  le  chasser.  Enfin,  il  se  retira, 
et  des  applaudissements  unanimes  saluèrent  son  départ.  Mais, 
sur  ces  entrefaites,  arrive  un  officier  municipal. 

—  Au  nom  de  la  loi...  dit-il,  dès  qu'il  eût  dépassé  la  rampe. 
Tout  le  monde  se  tait:  et  voilà  notre  homme  qui  réclame  le 
même  silence  pour  Lays.  Le  tapage  recommence;  et  pour  que 
la  représentation  pût  suivre  son  cours,  il  fallut  (ju'un  autre  chan- 
teur reprit  le  rôle  d'Oreste. 

D'après  les  Souvenirs  du  prince  Galitzine,  confirmés  d'ailleurs 
par  les  journaux  du  temps,  Lays  se  vit  imposer  des  couplets 
royalistes,  le  2  avril  1814,  après  la  représentation  de  la  Vestale 
devant  les  Bourbons  et  les  souverains  alliés.  Heureusement  pour 
lui,  la  présence  de  ces  augustes  spectateurs  lui  épargna  les  vio- 
lences dont  les  représailles  de  la  réaction  l'avaient  rendu  victime 
en  179S. 

Existe-t-il  aujourd'hui  encore  quelque  descendant  de  ce  fameux 
artiste?  On  peut  se  poser  cette  question  quand  on  a  lu  les  Sou- 
venirs (1)  d'Élie  Berthet.  Ce  romancier,  presque  oublié  aujourd'hui, 
prétendait  avoir  connu  un  fils  ou  un  petit-flls  de  Lays,  portant 
le  même  nom,  que  l'indigence  avait  fait  engager  parmi  les  cho- 
ristes de  l'Opéra  et  qu'une  méprise  avait  signalé  comme  valet 
de  bourreau. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Les  Escholiers  (Théâtre  Sarah-Bernhardt).  Conte  de  fée,  ballet  en  vers,  en 
1  acte,  de  M.  Maurice  Froyez,  musique  de  M.  Maurice  Depret  :  l'Ile  heu- 
reuse, poème  dramatique  eu  3  actes  et  4  tableaux  en  vers  libres,  un  pro- 
logue et  un  épilogue  en  prose,  de  M.  Eugène  Morand,  musique  de 
M.  Ernest  Moret. 

«  Les  Escholiers  »,  que  le  succès  grandissant  de  leur  intéressante 
association  d'amateurs  épris  des  choses  du  théâtre  a,  non  sans  raison, 
ajnenés  à  ne  douter  de  rien  et  qui  entendent  toujours  faire  davantage, 
non  contents  de  monter  de  grands  ouvrages  d'auteurs  dramatiques 
nouveaux,  avaient,  pour  leur  dernier  spectacle  de  la  saison,  pris  la 
résolution  très  hardie  d'ajouter  de  la  musique  à  leur  programme.  On 
avait  fait  appel,  dans  des  genres  diamétralement  opposés,  à  deux  jeunes 
compositeurs  encore  inessayés  au  théâtre.  M.  Maurice  Depret,  le 
signataire  tout  mondain  du  populaire  Sourire  d'avril,  et  M.  Ernest 
Morel,  un  musicien  de  race,  formé  dans  la  célèbre  classe  de  Massenet 
au  Conservatoire,  dont  les  fort  expressives  et  musicalement  originales 
mélodies  sont  prometteuses  d'un  avenir  peu  banal.  Malheureusement, 
«  les  Escholiers  »,  habitués  pourtant  aux  étonnants  tours  de  force, 
avaient,  cette  fois,  un  peu  présumé  de  leurs  forces  et  malgré  les  efforts 
et  la  bonne  volonté  de  tous  et  de  l'orchestre  d'amateurs  —  cinquante 
exécutants  —  réuni  pour  la  circonstance,  il  a  fallu,  au  dernier  moment, 
faute  du  temps  nécessaire  pour  des  répétitions  indispensables  à  la 
bonne  exécution  de  l'œuvre  importante  et  complexe  de  M.  Ernest 
Moret,  renoncer  à  faire  entendre  la  partie  symphonique  de  l'Ile  heu- 
reuse. Et  c'est  grand  dommage,  car  la  partition  du  jeune  compositeur 
contenait  plus  d'une  page  de  valeiu-,  d'une  tenue  très  noble,  d'un  sen- 
timent très  personnel  et  d'une  instrumentation  heureuse  qui,  aux 
répétitions,  auxquelles  il  nous  a  été  donné  d'assister,  même  au  travers 
des  tâtonnements  de  lectures  assez  difficiles,  avaient  produit  grand  effet. 


Donc,  l'Ile  heureuse  a  été  jouée  sans  musique  —  sauf  cependant  les 
jolis  chœurs  de  coulisse  qui  avaient  été  conservés  —  et  M.  Morand  a 
dû  le  regretter  plus  que  personne,  car  son  ouvrage  avait  été  construit 
pour  ainsi  dire  musicalement.  Quoi  qu'il  en  soit,  son  «  poème  drama- 
tique »  demeure  œuvre  de  haute  valeur  poétique  et  de  large  portée 
philosophique.  L'Ile  heureuse,  c'est  celle  que  souhaitent  habiter  les 
hommes  voués  au  malheur.  On  sait  qu'elle  existe  quelqu'  part,  on  la 
cherche  avec  des  clameurs  d'espoir  suivies  de  cris  de  désespérance,  et 
c'est  le  pécheur  .îoris  qui,  guidé  par  une  sirène,  la  découvre  et  veut  la 
conquérir  pour,  dans  son  immense  piété  pour  l'humanité,  la  donner  à 
cette  humanité.  Mais  si  Joris  a  conipris  que  le  seul  amour  doit  faire  le 
bonheur  des  êtres,  ses  compagnons,  qui  l'ont  suivi  et  rejoint,  ont  des 
idées  frustes  et  mauvaises  et,  de  par  leur  instinct  méchant,  amèneront 
la  disparition  du  séjour  enchanté  d'amour  éternel.  L'Ile  heureuse,  pour 
échapper  au  mal  contagieux  et  hideux,  est  engloutie,  avec  ses  hôtes  de 
perfection,  dans  la  mer  ensevelisseuse.  Et  les  hommes  contiaueront 
leur  course  folle,  anxieuse  et  douloureuse,  sans  jamais  atteindre  à 
l'idéale  félicité  qu'ils  sont  incapables  de  se  donner  ou  de  conserver,  si, 
par  hasard,  ils  parviennent  à  y  atteindre. 

C'est  en  vers  libres  que  M.  Eugène  Morand  a  écrit  sa  fable  de  bonté 
et  de  beauté,  et  sa  poétique,  vive,  prompte,  amuseuse  et  fantaisiste  dans 
les  passages  d'exposition  ou  d'explication,  se  grandit  avec  les  situations 
(ît,  avec  les  idées,  se  hausse  à  la  pleine  et  à  la  belle  grandiloquence  de 
l'alexandrin  magistral.  La  salle  a  souligué  chaleureusement  nombre  de 
couplets  d'envolée,  dont  ceux  sur  l'amour,  au  troisième  acte,  sont,  entre 
autres,  d'inspiration  superbe. 

Suivant  leur  habitude,  «  les  Escholiers  »  ont  monté  l'Ile  heureuse 
avec  un  goût  intelligent  et  ont  réuni  une  interprétation  supérieure  avec 
M.  Pierre  Magnier  et  M""^  Renée  Parny,  et  excellente  avec  M"^  Moréno, 
MM.  Albert-Mayer,  Garbagni  et  Gavarry. 

Conte  de  fée,  qui  commençait  le  spectacle,  donné  au  Théâtre  Sarah- 
Bernhardt,  est  un  tout  agréable  et  aimable  badinage  chorégraphique 
que  M.  Maurice  Froyez  a  poétiquement  encadré  de  gentils  prologue  et 
épilogue,  légèrement  versifiés  et  gracieusement  dits  par  M"'-"  Clary,  et 
que  M.  Maurice  Depret  a  commenté  de  musique  légère,  douce  et 
facile.  M"''"  Léa  Piron,  Sandrini  et  H.  Régnier,  toutes  trois  de  notre 
Académie  nationale  de  danse,  s'il  vous  plait,  ont  déployé  dans  cet 
ingénieux  petit  divertissement,  dont  la  fortune  est  assurée  dans  les 
salons,  toute  leur  grâce  et  tous  leurs  charmes, 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     G R AN D -  F A LAI  S 


(1)  lîlie  Beuthet.  —  Histoire  îles  uns  et  des  autres  ;  Deritu,  1878. 


(Huitième  article.) 

Les  peintres  de  mœurs  auraient-ils  une  crampe  d'observation  com- 
parable a  la  fameuse  et  trop  réelle  crampe  des  écrivains  qui  ont  abattu 
trop  de  copie,  ou  les  sujets  trop  exploités  se  décoloreraient-ils  devant 
l'observateur?  Question  délicate.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'anecdotisme  parait 
en  baisse.  Il  n'en  faut  pas  moins  signaler  un  certain  nombre  d'œuvres 
de  grand  mérite,  et  tout  d'abord  le  Repas  des  servantes  de  M.  Joseph  Bail. 
On  sait  quelle  note  à  la  Chardin  M.  Bail  apporte  dans  la  peinture 
moderne  :  nous  lui  devons  déjà  plusieurs  petits  chefs-d'œuvre  d'intimité 
savante  et  de  discrète  virtuosité.  Ces  trois  servantes  assises  dans  un 
ollice  faiblement  éclairé,  mais  que  leurs  jupes  claires  illuminent  d'un 
reflet,  sont  un  véritable  tableau  de  musée.  On  l'attend  au  Luxembourg; 
on  le  voit  au  I^ouvre. 

M.  Berges  a  peint  une  visite  à  l'usine  après  une  soirée  chez  le  direc- 
teur :  impression  rendue  par  un  artiste  brillamment  doué  et  dont 
l'observation  ne  manque  pas  d'une  certaine  profondeur.  Le  directeur  a 
donné  une  soirée  et,  sans  doute,  un  souper  par  petites  tables  ;  les  invi- 
tées, en  toilettes  suggestives,  ont  demandé  à  visiter  les  ateliers  pour 
compléter  la  petite  fête,  et  elles  se  répandent,  avec  une  curiosité  mêlée 
d'inquiétude,  au  milieu  des  ouvriers  intimidés  ou  gouailleurs,  sinon 
hostiles.  Le  contraste  est  adroitement  rendu.  M.  Caro-Delvaille,  un  des 
triomphateurs  du  Salon,  n'a  pas  mis  d'intention  aussi  marquée  dans  sa 
Manucure,  dont  le  réalisme  intense  est  cependant  d'une  grande  vigueur. 
Plus  d'antithèse  sociale  cette  fois  ;  rien  qu'une  opposition  purement 
matérielle  entre  la  manucure  à  toilette  grave,  à  visage  austère  et  neutre, 
usé  comme  un  vieux  sou,  et  la  mondaine  en  robe  blanche,  étendue  sur 
sa  chaise  longue,  qui  abandonne  distraitement  ses  mains  aristocratiques 
à  l'opératrice  et  semble  poursuivre  quelque  rêve  intérieur.  Du  même 
artiste  une  réunion  de  jeunes  femmes  rieuses,  dans  un  intérieur  élé- 


LE  MÉNESTREL 


187 


gant,  mais  sans  surchargi;>  de  modern-style  :  le  Tlii-,  composition  gra- 
cieuse, d'une  exécution  fine  et  ""d'un  réel  intérêt  malgrél'apparente  bana- 
lité du  sujet. 

Un  peintre  écossais,  élève  d'Herkomer,  M.  Georges  Harcourt,  a  peint 
une  scène  qui  lui  vaud.ra  sans  aucun  doute,  de  l'autre  coté  du  détroit, 
d'innombrables  reproductions  par  la  gravure  ou  la  lithographie  :  le 
■départ  du  pauvre  Tommy,  du  soldat  Anglais  expédié  au  Transvaal  et 
destiné  à  tomber  obscurément  dans  une  rencontre  avec  quelque  com- 
mando, ou  à  périr  de  la  dysenterie  dans  une  ambulance.  L'œuvre  est 
à  la  fois  fine  et  forte,  d'un  beau  caractère.  Et  voici,  comme  contraste, 
Het  Volsklied  (le  chant  national)  de  M.  Brispot,  épisode  du  voyage  en 
France  du  président  Ivriiger.  Dans  le  vestibule  de  l'hôtel  ouest  descendu 
M.  Kriiger  accompagné  du  docteur  Leyds,  les  enfants  de  M.  Piersoa,  le 
consul  général  des  Républiques  Sud-Africaines,  chantent  l'hymme 
Transvaalien. 

M.  Gueldry  garde  tout  le  charme  et  toute  la  virtuosité  d'un  talent 
indéfiniment  juvénile,  quoique  l'artiste  soit  maintenant  en  pleine  pos- 
session de  sa  manière.  Le  Laminoir  et  le  Repos  de  l'équipe  sont  deux 
œuvres  d'une  réelle  maîtrise.  On  goûtera  moins  l'anecdotisme  un  peu 
banal  de  la  Restitution  de  M.  Remy  Cogghe,  une  jeune  femme  chargeant 
son  confesseur  de  restituer  des  bijoux  volés,  de  ï Embarquement  pour 
Cythèi-e  de  M.  Avy,  ou  de  la  Mauvaise  iwuveUe  de  M.  Mestrallet,  tragi- 
que rentrée  de  l'ouvrier  blessé  â  l'usine.  Ni  cette  sentimentalité  de 
romance,  ni  cette  brutalité  de  fait-divers  ne  s'imposent  au  spectateur. 
En  revanche,  l'Adieu  de  M.  Ridel,  étude  de  femme  debout  au  bord  d'un 
quai  et  regardant  fuir  dans  le  lointain  le  bateau  qui  emporte  toute  sa 
tendresse,  est  une  œuvre  exquise,  d'émotion  communicative,  ainsi  que 
l'illustration  pour  la  nouvelle  de  Flaubert,  le  Cœur  simple  de  M.  Troncy 
et  les  RouiUeurs  de  cru  de  M.  Buland,  d'une  vérité  saisissante,  d'une 
exécution  ressentie.  La  Soubrette  de  M.  Alexis  VoUon  a  du  charme,  et 
l'Élégante  de  M.  Btcheverry,  montant  dans  son  automobile,  avec  accom- 
pagnement de  petit  groom  portant  des  fleurs,  a  été  prise  sur  le  vif.  On 
goûtera  aussi  la  légèreté  aérienne  des  Plaisirs  de  l'été  de  M.  Guinier,  le 
fin  parisianisme  du  Mannequin  de  la  rue  de  la  Paix  de  M.  Fernand  Bri- 
sard,  la  solide  construction  des  Savants  de  M.  Roybet,  l'humour  et  le 
délicat  rendu  du  déjeuner  d'ouvrières  aux  Tuileries  de  M.  Léonce  de 
Joncières,  devenu  un  de  nos  meilleurs  peintres  de  mœurs. 

De  toutes  les  études  inspirées  par  le  théâtre,  et  elles  sont  nombreuses 
■au  Salon  de  1901,  la  plus  remarquable  est  la  Première  au  théâtre  Mont- 
mirtre  de  M.  Dewambez.  Depuis  Daumier,  qui  a  laissé  une  documen- 
tation si  abondante  de  types  directement  observés  dans  le  tripot  comi- 
que de  la  première  moitié  du  dix-neuvième  siècle ,  on  n'a  pas  noté 
avec  plus  de  bonheur,  traité  avec  plus  de  maîtrise  le  «  jeu  de  massacre  » 
du  public  des  scènes  populaires,  bon  public  dans  toute  la  force  du  terme, 
sensible  jusqu'à  la  terreur,  impressionnable  jusqu'à  l'angoisse,  et  d'une 
■étonnante  variété.  Les  fortes  humanités  esthétiques  de  M.  Dewambez, 
prix  de  Romea  donné  au  réalisme,  lui  ont  permis  d'ajouter  du  style  â  ces 
notes  rapidement  croquées,  et  le  résultat  est  excellent.  M.  Mesplès 
mérite  d'être  placé  sur  le  même  rang  que  M.  Dewambez  :  son  Divertis- 
sement chorégraphique  indique  un  observateur  merveilleusement  doué  et 
un  exécutant  de  premier  ordre  :  l'instantané  artistique  n'a  jamais  trouvé 
de  plus  suggestive  réalisation.  A  mentionner  encore  la  Musique  profane 
—  et  même  très  profane  !  —  de  M .  Ruel  ;  la  Joueuse  de  guitare  de 
M.  Brunet,  V Audition  chez  le  harpiste  de  M"''  Pillini,  ÏEnlr'acte  de 
M"«  Porter. 

On  connaît  la  maîtrise  de  M.  Moyse,  qui  se  consacre  ordinairement  à 
l'élude  figurative  des  cérémonies  rituelles  du  culte  Israélite.  Elle  s'af- 
firme cette  année  encore  non  seulement  dans  une  curieuse  étude  de  noce 
juive  au  moyen  âge,  mais  dans  un  Joueur  de  flûte  de  la  plus  intéressante 
facture.  Pas  de  bon  Salon  sans  Cigale  :  nous  avons  celle  de  M.  Brman 
Parini.  L'Étude  du  rôle  de  M.  Ballavoine  est  un  tableau  de  genre  d'un 
anecdotisme  amusant  et  M.  Henri  Alberti  a  fidèlement  noté,  sans 
abus  de  détail,  l'aspect  papillotant  d'une  Répétition  aux  Folies-Bergère. 

Les  peintres  de  la  vie  rustique  ont,  comme  toujours,  une  préférence 
«arquée  pour  les  bretonneries.  C'est  ainsi  que  Jean-Pierre,  —  pseudo- 
nyme du  plus  jeune  fils  de  M.  Jean-Paul  Laurens,  —  nous  montre  en 
un  tableau  d'excellente  \enue  le  Retour  des  barques.  M.  Dabadie  a  peint 
au  contraire  une  illustration  très  étendue  (je  ne  dis  pas  délayée)  pour 
le  roman  de  Pierre  Loti  :  le  départ  des  Islandais,  baie  de  Paimpol.  Le 
panneau  n'est  pas  seulement  important  comme  dimensions  :  il  offre 
l'intérêt,  il  a  pour  ainsi  dire  la  saveur  d'une  étude  documentée  sur 
place.  A  mentionner  aussi  la  Légende  bretonne  de  11.  Désiré  Lucas  et  son 
Bénédicité.  Et  c'est  encore  tout  un  défilé  de  mariniers  :  M.  Gustave 
Ravanne  avec  un  intéressant  retour  des  pêcheurs  ,  M.  Ravaut  et  sa 
pêcheuse  de  Berck-sur-Mer,  solidement  campée,  M.  Howard  et  ses 
pêcheurs  de  Cancale  surpris  par  le  mauvais  temps,  M.  Diéterle  et  ses 
Terre-Neuviers  dans  le  port  de  Fécamp. 


En  attendant  que  Venise  soit  la  proie  de  l'industrialisme  et  qu'on 
desséche  le  Grand-Canal,  la  cité  des  Doges  inspire  d'innombrables 
panoramistes.  Que  M"'"Ci'utchley  nous  montre  l'aube  irisant  le  flot  des 
lagunes,  M.  Paolo  Baroni  Saint-Marc,  l'église  d'or,  M.  Maurice  Bom- 
pard  SS  Giovanni  et  Paolo,  M.  Olive  la  courbe  auguste  du  Grand-Canal, 
M.  Rosier  le  soleil  couchant  et  ses  reflets  métalliques,  M.  Saint-Gei'- 
mier  l'humble  poésie  d'un  petit  canal  et  le  marché  aux  herbes,  M.  Yarz 
la  nuit  fleurie  d'étoiles,  M.  Allègre  Murano  de  San  Michèle,  c'est  la 
même  fête  des  yeux,  la  même  évocation  di3  splendeurs.  Mais  on  revient 
avec  plaisir  à  notre  Midi  si  riant,  lui  aussi,  et  d'un  charme  si  varié  :  le 
fort  carré  d'Antibes,  de  M.  Damerou,  l'église  des  Saintes-Mariés  de  la 
Mer,  de  M.  Joseph  Garibaldi,  l'Estérel  â  l'heure  dorée,  de  M.  Cogniet, 
le  Port  de  Cannes  au  soir,  de  M.  CoUinet,  les  Tours  de  Venasque,  de 
M.  Jules  Laurens. 

Une  des  espagnoleries  les  plus  caractéristiques  est  la  Fête-Dieu  à 
Sèville  (1900);  danse  de  Los  Suses.  M.  Guillonnet  a  peint  avec  une 
remarquable  virtuosité  cette  réminiscence  de  la  danse  de  David  devant 
l'arche,  dernier  vestige  des  fêtes  mi-paiennes,  mi-religieuses  qui  avaient 
lieu  au  moyen  âge,  chant  et  danse  devant  l'autel,  sur  un  air  de  pavane, 
d'enfants  qui  s'accompagnent  de  castagnettes.  Le  Picador  de  M.  Scot, 
et  les  Picadors  entrant  dans  k  place  des  taureaux  à  Madrid,  de 
M"""  Mary  Cameron,  sont  adroitement  mis  en  scène.  La  Gitana  de 
M.  Maxime  Gaballero  a  été  prise  sur  nature.  M.  Paul  Chabas,  dont  on 
n'a  pas  oublié  l'éclatant  succès  aux  derniers  Salons,  nous  transporte  en 
Grèce  :  ses  Propfjlées  sont  une  œuvre  de  grand  style,  austr^rement  impres- 
sionnante. M.  Paul  Mathio  évoque  l'Ame  de  t'Aci-opole.  En  tête  de  l'orien- 
talisme, la  très  curieuse  composition  de  M.  Gêrôme  représentant  la 
plaine  de  Thèbes  pendant  l'inondation  du  Nil,  avec  la  morne  solennité 
des  coloss(;'S  se  mirant  dans  le  flot  épandu.  Les  études  algériennes  de 
M.  Bridgman  mériteraient  mieux  qu'une  mention,  malgré  leurparti  pris 
de  manque  de  relief,  et  le  souvenir  des  environs  de  Bou-Médine  de 
M.  Saintpierre  témoigne  d'une  observation  soutenue. 

Les  portraits  exposés  au  Salon  des  Artistes  rempliraient  à  eux  seuls 
toute  une  galerie.  Beaucoup  d'envois  plus  ou  moins  officiels  :  deux 
études  d'après  M.  Loubet,  celle  de  M.  Bonnat  et  celle  de  M.  Layraud; 
S.  S.  le  pape  Léon  XIII  par  M.  Benjamin  Constant,  notateur  conscien- 
cieux du  vénérable  nonagénaire,  moins  heureux  avec  la  nouvelle  reine 
d'Angleterre,  qu'il  n'a  pas  flattée!  De  M.  Paul  Chabas  un  robuste  por- 
trait de  M"""  Constans.  De  M.  Dreyfus-Gonzalès,  M""'  Waldeck-Rous- 
seau  et  un  autre  portrait  du  Saint-Père.  M.  Henry  Farrô,  un  peintre 
Ariégeois,  expose  une  excellente  étude  d'après  M"'=  Georges  Leygues  et 
sa  fille.  Péle-méle,  le  président  Magnaud,  chef  de  l'école  tendre  des 
justiciards,  par  M.  Dastagne;  M.  Benjamin  Constant  par  M°"=  Angéle 
Delasalle;  M.  Antonin  Marmontel,  le  digne  héritier  d'un  grand  nom, 
par  M.  Félix  Barrias;  l'explorateur  Foureau  par  M.  Lazerges;  M.  Albert 
Christophe  par  M.  Lemeunier;  M.  Eugène  Ledrain  par  M.  Aressy  ; 
M.  Le  Grand  par  M"'  Abbéma;  M'""  de  Saint-Marceaux  par  M.  Jacques 
Baugnies. 

La  contribution  du  théâtre  dans  cette  série  d'efiigies  est  assez  impor- 
tante. M.  Henri  Guinier  a  peint,  avec  excès  de  chromo,'  M"'^'  Cécile 
Sorel,  la  nouvelle  pensionnaire  de  la  Comédie-Française,  la  Chloé  du 
Chérubin  qui  sera  peut-être  représenté  en  septembre.  M.Zier  nousmontre 
jyjme  Segond-'Weber  dans  le  Moineau  de  Lesbic;  M.  Amaran  M""  Réjane, 
à  propos  de  la  fameuse  «  date  heureuse  »  ;  M""'  Bourrillon-Tournay 
jypiie  Delphine  Renot  dans  la  Bande  à  Fifi;  M.  Hall,  Coquelin  cadet  ; 
M.  Leroy,  M""'  de  Ternoy;  M"»  Térouanne,  M"'-  Charlotte  Isart  de 
l'Opéra.  Et  je  me  reprocherais  d'oublier  la  si  vivante  étude  de  M.  Vic- 
torin  de  Joncières  par  son  fils  Léonce,  le  Fernand  Beissier  de  M'"^  Ja- 
min,  le  Charles  Dancla  de  M.  Jamet. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE'" 


XVI 
BOURSES  DE  VOYAGE  WAGNÉRIENNES 

Je  dînais,  l'autre  soir,  avec  de  vieux  amis  :  de  jeunes  mariés  qui 
raffolent  de  musique.  Ces  jeunes  gens  sont  arriérés  :  ils  sont  wagné- 
riens  ! 

Ne  viennenL-ils  pas  de  faire  tout  exprès  le  prompt  voyage  de  Bruxelles 
pour  s'enivrer  une  fois  de  plus,  dans  l'ombre  complice,  du  radieux 
nocturne  de  Tristan  et  Yseult?  Invisible  et  présent,  le  kapellmeister 

(1)  Voir  le  .Wiiestri'l  .la  l.'i  avril  cl  du  19  mni. 


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LE  MENESTREL 


Félix  Mottl  leur  a  versé  le  philtre  divin  ;  M.  Van  Dyck  el  M""^^  Litvinne 
n'ont  pas  vocalement  ruiné  leur  illusion  ;  pendant  quatre  heures,  dans 
le  demi-jour  où  l'on  s'aime  silencieusement  des  yeux,  ils  se  sont  grisés 
de  sonorités  :  cette  soirée  de  printemps  subsistera  parmi  leurs  souve- 
nirs. Mais  les  arriérés  ont  du  bon,  puisqu'en  général  ils  se  montrent 
plus  raisonnables;  et  ces  wagnériens  m'ont  fait  relire,  après  diner,  ces 
lignes  sages  de  Wagner  :  «  Au  lieu  d'étudier  les  vieux  mailres,  qui  sont 
solides  et  de  bon  conseil,  nos  jeunes  compositeui-s  se  sont  mis  à  tout  dédaigner 
pour  ne  suicrc  que  moi!  Ils  ne  raient  point  que  îîion  Tristan  était  une  ex'.ra- 
ragance  bonne  à  faire  une  fois,  mais  bien  dangereuse  ù  recommencer  ». 

—  Ah!  l'argument  topique  et  la  citation  bienvenue,  m'écriai-je  en 
reposant  ma  lasse  de  café  sur  un  délicieux  petit  meuble  que  le  modem 
shjle  n'a  pas  encore  trop  anémié.  Mais  où  donc  avez-vous  déniché  ce 
verset  de  la  sagesse? 

—  Dans  les  Propos  de  table  de  Richard  Wagner,  ou  mieux  (soyons 
savants  1),  Erinnerungen  an  Richard  Wagner... 

—  Une  brochure  de  l'apOtre  Hans  de  Wolzogen? 

—  C'est  cela  !  Une  plaquette  de  la  collection  populaire  Reclam  (Leip- 
zig, 1891 1,  et  que  Teodor  de  Wyzewa  commente  si  joliment  dans  son 
ouvrage  que  vous  aimez  à  citer  :  Beethoven  et  Wagner. 

—  Votre  érudition.  Madame,  en  remontrerait  ;i  toutes  les  lunettes 
vermeilles  d'outre-Rhin!  Soit  dit  sans  compliments,  car  je  les  déteste 
comme  indignes  de  vous.  Et,  si  le  grand  Alexandre  tuait  Clitus  en 
dinant,  il  faut  avouer  que  le  plus  grand  Richard  Wagner  improvisait  à 
table  de  merveilleux  apoplithegmes...  Ce  passionné  fut  un  sage.  «  On 
ne  refait  pas  Tkistan  et  Yseult!  ..  O  la  belle  épigraphe  rêvée  pour  l'évo- 
lution présente,  et  que  je  voudrais  lire  en  tête  d'un  philanthropique 
projet,  récemment  élaboré,  qui  s'intitule  lui-même  :  Bourses  de  voyage 
wagnérienncs... 

—  Que  dites-vous.  Monsieur?  Généreuse  utopie  ou  brillant  paradoxe, 
quel  est  ce  rêve? 

—  Une  prochaine  réalité.  Madame.  Vous  qui  paraissez  tout  savoir  et 
même  quelque  chose  de  plus,  n'avez-vous  poiut  rencontré  des  yeux, 
dans  les  journaux,  ce  projet  tout  féminin  puisqu'il  a  pour  instigatrice  la 
charité  de  nobles  dames,  sous  le  haut  patronage  d'une  jeune  douairière? 
Il  s'agirait  do  grouper  des  fonds  pour  faciliter  le  voyage,  je  veux  dire  le 
pèlerinage  de  Bayreuth.  aux  jeunes  musiciens  peu  fortunés  (il  y  en  a) 
que  leur  dénûment  retient  aux  rives  de  la  Seine... 

—  Parfait!  Mais  un  peu  chimérique  peut-être...  D'abord,  où  décou- 
vrir ces  pèlerins  vraiment  iutéressanls,  parmi  les  «  pauvres  honteux  » 
de  l'évolution  musicale?  Les  plus  fiers  ne  crieront  point  sur  les  toits 
leur  détresse.  Et  les  malins,  les  roublards  (comme  vous  voudrez),  les 
jeunes  arrivistes  ne  vont-ils  pas  accaparer  le  moyen  pratique  de  suivre 
la  modo,  en  traversant  la  vieille  Allemagne  sans  bourse  délier?  Mais  je 
ne  suis  ni  juriste  ni  psychologue,  et  je  ne  sais  pas  élaborer  des  statuts. 
Au  strict  point  de  vue  musical,  l'aventure  me  parait  spécieuse.  Le  projet 
séduit,  puis  déconcerte...  Et  puisqu'on  ne  refait  point  Tristan  et  Yseult... 

—  Sans  doute.  Madame!  Le  Maître  l'a  dit.  Retenons-le.  Qu'elle 
déverse  dans  la  symphonie  les  ambitions  du  drame  ou  dans  le  drame 
les  complications  de  la  symphonie,  notre  époque  n'a  que  trop  de  pen- 
chant pédant  à  tout  embrouiller;  plus  royaliste  que  le  roi,  son  désir 
dépasse  la  pensée  do  Wagner.  Loin  de  sacrifier,  en  effet,  comme  à  tort 
on  le  prétend,  aux  songes  littéraires  de  la  musique  à  programme,  le  poète- 
musicien  de  Bayreuth  ajoutait  :  «  Les  jeunes  tran-^portent  mes  procédés 
dramatiques  dans  la  symphonie;  et  ils  font  ainsi  ces  choses  monstrueuses,  les 
poèmes  symphoniques,  ni  chair  ni  poisson!  » 

—  Encore  un  propos  de  table!  Et  c'est  Wagner  qui  parle,  c'est  le  gen- 
dre de  Liszt  !  J'y  songeais  naguère,  en  observant  l'eurythmiquo  Arthur 
Xikisch  conduire  Mort  et  Transfiguration  de  Richard  Strauss,  que  les 
enthousiastes,  pourtant,  nomment  «  un  miracle  instrumental»... 

—  Miracle  ou  chimère,  il  ne  s'agit  point,  à  l'heure  qu'il  est,  de  dis- 
_cuter  ex  cathedra  ce  grave  problème  d'esthétique  musicale,  mais  de  voir 

clair,  de  jeter  une  étincelle  ou,  plus  familièrement,  de  maintenir  une 
allumiUte  dans  l'obscurité  compliquée  des  tamps  présents... 

—  Vous  voulez  dire  ceci  :  que  les  fameuses  bourses  de  voyage  ris- 
quent d'arriver  trop  tard  et  que  c'est  là  leur  moindre  défaut?  Doréna- 
vant, en  effet,  la  note  remarquable,  à  l'aube  d'un  siècle,  n'est-ce  point 
la  persistance  de  la  musique  pure  et  sa  renaissance?  Le  Wort-ton-drama 
de  Bayreuth,  qui  semblait  vouloir  tout  confondre  dans  son  océan  sonore, 
n'a  pu  bannir  la  distinction  des  genres.  Wagner  omnipotent  n'est  plus 
seul.  Sans  doute,  et  plus  d'une  fois,  le  théâtre  s'est  transporté  cet  hiver 
au  concert,  comme  le  concert  se  transportait  jadis  au  théâtre  au  temps 
des  roulades  ;  et  nous  avons  applaudi  sans  remords  le  TÎ/iCi/zi/oW  en  habit 
noir,  et  tutti  quanti!  Mais,  renouvelé  par  la  venue  de  tant  de  kapellmeis- 
ter  pour  la  plus  grande  joie  des  badauds  et  des  snobs,  le  répertoire 
classique  se  maintient  avec  le  regain  de  l'esprit  classique.  Beethoven 
demeure  le  «  Mage  divin  »,  et  iz,  Neuvième  nous  verse  intarissablement 


la  Joie  souveraine.  AVagner  s'est  donné  des  verges  pour  se  fouetter,  de 
même  qu'il  hùtait  la  réaction,  peut-être,  en  exaltant  Mozart.  Et  main- 
tenant, vive  le  maître  de  Salzbourg,  sous  les  auspices  mêmes  du  maiire 
de  Bayreuth!  Ainsi  va  le  monde...  Inutile,  ici,  de  mettre  les  points  sur 
les  i,  puisque  vous  avez  scrupuleusement  suivi  les  mardis  de  la  Société 
Mozart  ou  du  Cycle  du  Lied  et,  non  moins  fidèlement,  les  chers  vendre- 
dis de  la  Schola  Cantorum...  Mais  il  n'est  que  temps  de  laisser  reposer 
les  violons  :  ils  ont  diablement  chanté,  cet  hiver! 

—  Alors,  selon  vous,  les  jeunes  eux-mêmes,  qui  déjà  traitent  Wagner 
de  monstrueux  dans  leurs  jeunes  revues,  refuseront  d'aller  à  Bayreuth? 
Nietzsche  leur  a  soufflé  que  cette  musique  était  un  art  «  malade  »;  et  le 
Cas  Wagner  a  fait  école.  Le  D''  Nordau,  qu'on  insultait,  doit  se  frotter 
les  mains...  Ce  qu'il  faut  redouter  maintenant,  ce  sont  les  excès  accou- 
tumés de  la  contre-révolution!  Ou  bien  encore,  le  théâtre  de  Bayreuth 
fera  sur  les  compositeurs  la  même  impression  que  la  Villa  Médicis  sur 
les  lauréats  des  arts  du  dessin.  Vous  croyez  qu'ils  y  viennent  avec  le 
désir  fou  de  copier  les  maîtres  et  d'adorer  la  Sixtine?  Eh  bien  !  regardez 
leur  contribution  présente  au  Salon  :  sans  parler  de  Besnard,  qui  fut 
invoqué  longtemps  comme  exemple,  l'un  fait  chatoyer  un  nu  très 
impressionniste,  l'autre  décrit  la  misère  d'une  vieille  Espagnole,  celui-ci 
brosse  magistralement  le  portrait  de  son  père  avec  la  familière  énergie 
d'un  sociétaire  du  Champ-de-Mars,  celui-là,  plus  ironique,  analyse  un 
soir  de  première  au  Théâtre-Montmartre...  Voilà  les  fruits  de  l'ensei- 
gnement officiel.  A  force  de  voir  Michel-Ange,  ils  aspirent  à  rejoindre 
notre  Gustave  Charpentier  sur  l'Acropole  narquoise  de  la  Butte  Sacrée.. 
Ils  rêvent  tous  de  Louise.  Napoli  les  attire.  Et  c'est  l'envolée  de  nos  éco- 
liers studieux  vers  la  Vie  I 

—  Corollaire  :  si  je  vous  ai  bien  compris,  Richard  Wagner  deviendra 
fatalement  le  Michel- Ange  décadent  de  la  musique,  dés  que  son  théâtre 
sera  la  pépinière  ou  le  séminaire.  Son  art  cessera  d'être  «  despotique  » 
en  devenant  officiel.  On  reviendra  de  là-bas  avec  des  fringales  d'opérette 
et  de  plein-air...  C'est  grave!  Mais  puisqu'il  est  interdit,  ou  plutôt 
malaisé,  de  refaire  Tristan  et  Yseult,  Wagner  lui-même  ne  devrait-il 
pas  se  montrer  satisfait?  Ne  sentirez  vous  point,  dans  l'air  frais  du 
matin,  sa  bénédiction  posthume?  Aujourd'hui  peut-être,  il  dirait  à  ses 
fidèles,  comme  Gustave  Moreau  dans  son  atelier,  «  que  tout  se  trouve 
dans  Don  .Juan  »...  Et  Wagner  nous  aura  guéris  du  wagnérisme... 

—  Ainsi  soit-il! 

(A  suivre.)  Raymond  Bouïer. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


^3  oxLxrg^ogfxi.e 

(Suite.) 


TIII 
LA  FÊTE  DE  L'ANE 

Durant  tout  le  moyen  âge,  et  même  après,  la  Fête  des  Fous  ou  de 
l'Ane,  aussi  nommée  Fête  des  Sous-Diacres  et  des  Innocents,  a  été  l'une 
des  joies  populaires  les  plus  vives  et  les  plus  exubérantes. 

D'aucuns  l'ont  mise  en  doute.  Lorsque  Dulaure  et  Michelet  publièrent 
la  Prose  de  l'Ane,  ce  fut  un  toile  général,  et  même  un  auteur  irrévéren- 
cieux s'oublia  jusqu'à  dire  qu'en  cette  occasion  l'àne,  c'était  Dulaure. 
Depuis,  des  chercheurs  ont  ressuscité  de  la  poussière  des  bibliothèques 
et  remis  en  lumière  des  manuscrits  contenant  des  oflices  complets  de  la 
Fête  des  Fous,  qui  ne  laissent  aucun  doute  au  sujet  de  son  existence  et 
des  singulières  pratiques  qui  l'accompagnaient. 

Ces  fêtes,  lisons-nous  dans  un  ancien  Bulletin  de  la  Société  archéolo- 
gique de  Sens,  semblent  de  joyeuses  représailles  du  peuple  contre  les 
grands,  du  bas-clergé  contre  les  hauts  dignitaires.  L'Église  s'efforce  de 
régulariser  l'épanchement  souvent  grossier  de  la  gaîté  populaire.  Elle 
cherche  à  la  sanctifier  en  se  l'appropriant,  comme  elle  avait  fait  en  bé- 
nissant les  temples  païens.  Guillaume  d'Auxerre,  :'i  une  époque  déjà 
reculée,  a  rendu  ce  sentiment  d'une  manière  frappante  : 

«  Avant  la  venue  du  Sauveur,  dit-il,  on  célébrait  des  fêtes  appelè'es 
Sarentalia.  Dans  ce  jour,  les  croyants  se  figuraient  que  s'il  leur  arrivait 
quelque  heureuse  fortune,  il  en  serait  de  même  pendant  le  reste  de 
l'année.  L'Eglise  voulut  supprimer  cette  fête,  qui  est  contraire  à  la  foi. 
Ne  pouvant  l'extirper  entièrement,  elle  la  remplaça  par  une  autre  qui 
l'elFaça.  De  sorte  que,  si  ce  jour-là  se  fait  quelque  chose  en  dehors  de  la 
foi,  ii  ne  se  fait  rien  du  moins  contre  la  foi;  et  ainsi  l'Église  a  converti 
des  réjouissances  contraires  à  la  foi  en  réjouissances  qui  ne  sont  pas 
contraires  à  la  foi.  » 


i 


LE  MÉNESTREL 


489 


Le  côté  païen  indiqué  dans  ce  passage  ressort  de  plusieurs  singula- 
rités qu'on  peut  remarquer  dans  les  Offices  des  Fous.  On  y  retrouve  no- 
tamment, à  tout  instant,  le  mot  eaouae,  evoue  ou  evorve,  c'est-à-dire 
l'réo/ie  (courage,  mon  fils!)  crié  par  Jupiter  à  Bacchus,  en  le  voyant 
combattre  avec  ardeur  les  géants  révoltés  contre  le  ciel.  Jivan  (bon  fils) 
était  un  surnom  de  Bacchus.  Dans  un  de  ses  morceaux,  Lucien,  racon- 
tant la  conquête  des  Indes  par  ce  demi-dieu  et  décrivant  le  cortège 
attaché  à  ses  pas,  fait  allusion  à  Pan  :  «  Bouillant  de  colère,  il  court, 
dit-il,  par  tout  le  camp  en  sautant  et  en  dansant;  il  épouvante  les 
femmes,  qui,  à  son  approche,  agitent  leur  chevelure  épaisse  et  crient  de 
toutes  leurs  forces  :  Evohé  !  mot  par  lequel  elles  semblent  appeler  leur 
général  ».  Dans  un  livre  de  piété,  manuscrit,  qui  se  trouve  à  la  Biblio- 
thèque de  Provins,  les  premiers  mots  de  chaque  prière  sont  précédés 
de  l'exclamation  Evolié  I  Enfin,  le  même  mot  frappe  les  yeux,  à  plusieurs 
reprises,  dans  YO//icecn  usage  à  Beauvais  le  jour  de  la  Circoncision,  dans 
le  Rituel  des  Fous  do  Bourges,  dans  le  Programme  de  la  fête  des  Anes  de 
Rouen,  dans  VÉpitre  qui  se  chantait  à  Amiens  à  la  fête  des  sous-diacres, 
et  dans  les  Offices  de  La  on,  Noyon  et  Châlons -sur-Marne. 

Ce  sont  là  des  manuscrits  connus,  probants  en  la  matière;  mais  le 
plus  curieux,  le  plus  complet  et  le  plus  édifiant  de  tous,  est  celui  dont 
s'enorgueillit  la  Bibliothèque  de  Sens. 

Il  est  superbe  d'aspect  et  d'une  parfaite  conservation.  Son  véritable 
titre  est  Circoneisio.  C'est  un  livre  oblong,  dont  l'un  des  côtés  a  35  cen- 
limètres  d'étendue  et  l'autre  un  peu  plus  de  16.  Les  trente-trois  feuillets 
de  parchemin  dont  il  se  compose  sont  renfermés  dans  une  couverture 
formée  de  deux  tablettes  en  bois  très  épaisses,  et  ces  tablettes  elles- 
mêmes,  bordées  d'ornements  en  argent  du  plus  fin  travail,  servent  de 
cadre  à  des  planches  d'ivoire  qui  ne  sont  autres  qu'un  de  ces  diptyques 
que  les  consuls  romains  s'envoyaient,  non  comme  cadeau,  mais  en 
quelque  sorte  comme  ''arle  de  visite  ou  comme  lettre  de  faire  part.  Leur 
richesse  en  a  sauvé  plusieurs;  ils  ont  été  appliqués  à  des  reliures  de 
manuscrits  pendant  le  moyen  âge,  et  c'est  à  cet  emploi  que  nous  devons 
leur  conservation.  Les  plaques  de  Sens  représentent  le  lever  du  soleil  et 
celui  de  la  lune  sous  les  traits  de  Bacchus  et  de  Diane.  On  a  pu  voir  ce 
chef-d'œuvre  à  la  dernière  Exposition,  où  il  tenait  son  rang  parmi  les 
merveilles  de  l'art  a  tous  les  âges. 

Le  texte  et  la  musique  sont  de  Pierre  de  Corbeil,  archevêque  de  Sens,  qui 
vivait  à  la  fin  du  Xtl''  siècle  et  au  commencement  du  XIII".  Les  grandes 
lettres  et  les  rubriques  sont  tracées  à  l'encre  rouge  et  l'office  est  noté, 
sauf  plusieurs  morceaux  abrégés  et  indiqués  seulement  par  les  premières 
notes  se  rapportant  aux  formules  ordinaires  et  bien  connues  de  la  li- 
turgie, le  tout  réglé  soigneusement  et,  sous  sa  forme  austère,  renfermant 
un  appel  constant  aux  chants  et  à  la  joie,  des  invocations  évidemment 
païennes,  de  véritables  chansons  à  refrains  latins  ou  français,  des  jeux 
de  mots,  des  rimes  singulières,  des  tours  de  force  de  versification,  des 
pièces  destinées  à  former  des  images,  et  des  détails  d'une  crudité  toute 
moyenâgeuse,  répétés  avec  insistance,  sur  les  circonstances  les  plus 
intimes  du  mystère  de  la  conception. 

«  Cet  office,  dit  l'abbé  Lebceuf,  est  une  véritable  rapsodie  de  tout  ce 
qui  se  chante  dans  le  cours  de  l'année.  Toutes  les  pièces  des  autres 
offices,  au  moins  les  principales,  y  passent  en  revue  ;  celles  des  fêtes  de 
saints  comme  celles  des  mystères,  les  chants  de  Pâques  comme  ceux  du 
Carême.  Le  gai  est  mêlé  indifféremment  avec  le  triste,  le  lugubre  avec 
le  joyeux;  c'est  un  assemblage  le  plus  hétéroclite  que  vous  puissiez 
imaginer,  et  il  fallait  que  cet  office  durât  deux  fois  plus  que  ceux  des 
plus  grandes  fêtes.  Jugez  si  les  gosiers  n'avaient  pas  besoin  d'être  hu- 
mectés de  temps  en  temps.  » 

Et  ils  l'étaient,  en  vérité!  ce  qui  ne  contribuait  pas  peu  à  faire  dégé- 
nérer la  fête  en  orgies  rappelant  les  saturnales  antiques.  L'arrivée  de 
maitre  Aliboron  était  tout  d'abord  saluée  de  joyeuses  exclamations  et  de 
lazzis  sans  lin.  Dans  certains  endroits,  un  seul  âne  ne  suffisait  pas.  A 
Rouen,  par  exemple,  c'était  tout  une  chevauchée,  —  on  dirait  aujour- 
d'hui une  ânalcade  —  où  figuraient,  dans  un  pêle-mêle  des  plus  bizarres, 
les  prophètes  de  l'Ancien  Testament,  Virgile,  Elisabeth,  Nabuchodo- 
nosor,  qui,  précédée  de  la  Sibylle  et  suivie  de  soldais  armés,  faisait  son 
entrée  solennelle  dans  la  cathédrale.  Mais,  généralement,  un  seul  indi- 
vidu représentait  l'animal  cher  à  Silène. 

L'âne  arrivé  dans  la  nef,  conductus  ad  ludos,  le  peuple  et  le  clergé 
dansaient  autour  de  lui  et  le  faisait  braire  en  cherchant  à  l'imiter.  Il 
était  ensuite  introduit  en  grande  pompe  dans  le  chœur,  où  le  Chapitre 
entonnait  le  Te  Deum  en  son  honneur. 

.Vprès,  il  était  conduit  vers  une  table,  conduclus  ad  iabulam,  sur 
laquelle  était  inscrit  le  programme  de  la  fête,  ainsi  que  la  liste  des 
officiants.  11  pouvait  en  prendre  connaissance,  et  pour  qu'il  n'en 
ignorât,  lecture  lui  en  était  faite  â  haute  voix.  Puis,  c'était  la  prose,  la 
fameuse  prose. 

En  voici  la  traduction,  par  Leber.  d'après  le  manuscrit  de  Sens  : 


Des  Jïoniins  de  l'Orieni,  Des  trésors  de  l'Arabie, 

En  ce  lieu  arrivant.  Des  parfums  d'Etiiiopie 

Un  âne  beau,  gras,  luisant,  L'église  s'est  enrichie 

Portant  fardeau  lestement.  Par  la  vertu  d'ânerie. 

Sur  les  coteaux  de  Sichem  Sous  le  faix  le  plus  pesant, 

Il  fut  nourri  par  Ruben,  Jamais  il  n'est  mécontent, 

Il  passa  par  Jordanem  Et  broyé  patiemment 

Et  sauta  par  Bethléem.  Le  plus  grossier  aliment. 

Sa  marche  vive  et  légèi-e  D'un  chardon  il  fait  ripaille, 

Effleure  à  peine  la  terre;  Et  c'est  en  vain  qu'on  te  raille; 

11  ruin'rait  dans  la  carrière  Si  dans  la  grange  il  travaille, 

La  biche  et  le  dromadaire.  Il  démêle  et  grain  et  paille. 

Bel  âne,  répète  amen , 

Maintenant  la  panse  est  pleice  : 

Bfl  âne,  répète  amoi, 

Xe  songe  plus  à  la  peine. 

Après  avoir  dit,  un  peu  à  la  légère  peut-être,  au  bel  âne  que  sa  panse 
I  tait  pleine,  il  était  assez  juste  qu'on  songeât  à  le  restaurer.  Tandis  que 
le  peuple  allait,  selon  l'expression  de  l'abbé  Lebœuf,  s'humecter  le  go- 
sier, le  héros  de  la  fête  était  ramené  vers  la  table,  mais,  cette  fois,  ad 
poculum,  c'est-à-dire  pour  s'y  régaler  de  fin  chardon  et,  suivant  une 
autre  prose,  de  foin  assez  et  d'avoine  à  plante-: . 

Puis  c'étaient  des  chants  sans  fin:  Cumprosa,  Ver-sus  eum  organo,  Anti- 
phona,  Capitulum,  Yersiculus,  Ymnus  et  tout  ce  que  le  latin  d'église  a  pu 
voir  naître.  De  temps  en  temps,  et  de  plus  en  plus  fréquemment,  au  fur 
et  à  mesure  qu'on  avançait  dans  l'office,  on  retournait  ad  poculum,  non 
seulement  dans  l'église,  mais  encore  au  dehors.  Ainsi,  l'âne  était  conduit 
successivement  ad  presbglerum,  ad  subdiaoonum,  chez  le  prêtre  officiant, 
chez  le  sous-diacre  et  chez  d'autres  personnages  du  Chapitre.  Finalement 
on  le  ramenait  ad  vesperas,  c'est-â-dire  aux  vêpres. 

Celait  le  dernier  tableau  de  la  comédie  burlesque  qui  se  jouait  depuis 
le  matin.  Maintenant  venait  le  tour  de  la  fête  populaire  dans  la  rue.  La 
dernière  note  des  Compiles  â  peine  achevée,  messire  le  préchantre  pro- 
menait par  la  ville,  au  milieu  de  l'allégresse  publique,  l'âne  et  sa  suite. 
Les  esprits  s'échauffaient.  On  allait  voir  représenter  des  Farces  égril- 
lardes sur  un  tréteau  dressé  devant  l'église.  On  chantait,  on  dansait 
ensuite,  et  quand  le  délire  était  â  son  comble,  la  foule  s'amusait  a  jeter 
des  seaux  d'eau  au  préchantre.  Il  en  recevait,  sans  pouvoir  s'en  défen- 
dre, dans  les  jambes,  à  travers  le  corps  et  sur  la  tête.  Il  se  fâchait, 
s'exaspérait.  Cela  faisait  rire  davantage.  L'autorité  finit  cependant  par 
s'émouvoir  de  ce  scandale.  Elle  intervint.  Et  il  fut  convenu  que  la 
quantité  des  seaux  destinés  au  préchantre  ne  pourrait  dépasser  le 
nombre  de  trois. 

Comment  se  terminait  la  soirée?  Comment  finissait  la  nuit?  La  chro- 
nique n'a  jamais  osé  approfondir  ce  mystère.  Quant  â  l'âne,  cause  de 
toutes  ces  extravagances,  il  disparaissait,  le  plus  souvent,  â  la  faveur 
d'une  bagarre.  Alors,  on  disait  : 

—  Il  a  repris  le  chemin  des  coteaux  de  Sichem. 

Et  l'on  ne  s'en  occupait  plus. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOXJA^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (13  juin)  : 

L'Association  de  la  presse  belge  a  voulu  honorer  ta  mémoire  du  grand 
musicien  que  la  Belgique  a  perdu  récemment.  Peter  Benoit,  en  organisant 
une  fête  qui  a  consisté  en  une  exécution  colossale  d'une  des  œuvres  les  plus 
célèbres  et  les  plus  caractéristiques  du  compositeur,  la  Ruhens-Caiilalc .  Celte 
cantate  fut  écrite,  on  se  le  rappelle,  à  l'occasion  des  fêtes  du  troisième  cente- 
naire de  Rubens  qui  eurent  lieu  à  Anvers  en  1877.  L'œuvre  fut  exécutée  en 
plein  air,  sur  la  place  Verte,  le  soir,  par  une  masse  imposante  de  voix  sou- 
tenue par  un  orchestre  formidable,  avec,  à  certains  moments,  des  canons 
tonnant  dans  le  lointain,  le  carillon  de  la  cathédrale  tintant  joyeusement  et, 
dans  la  lour  de  Notre-Dame,  des  fanfares  éclatantes.  L'elïet  fut  immense. 
Depuis,  on  n'avait  jamais  plus  entendu  cette  oeuvre  de  musique  décorative, 
de  grande  allure,  puissante  comme  une  fresque.  L'exécution  nouvelle  qui  on 
a  été  donnée  dimanche  dernier  dans  l'immense  hall  du  palais  du  Cinquante- 
naire (on  avait  renoncé  au  plein  air,  de  crainte  des  coups  de  soleil)  a  été, 
sinon  aussi  impressionnante  que  la  première,  du  moins  remarquable  à  tous 
égards.  Les  exéculanis  —  tous  Anversois  —  au  nombre  de  8oO.  sous  la  direc- 
tion de  M.  Keurvels,  l'ancien  chef  d'orchestre  du  théâtre  lyrique  néerlandais 
d'Anvers,  ont  donné  à  l'œuvre  toute  son  ampleur,  tout  son  élan  et  toute  sa 
superbe  sonorité.  Par  malheur,  il  n'y  avait  ni  carillon,  ni  coups  de  canon. 
Cela  manquait  évidemment.  Le  linale  de  la  2»  partie,  un  chant  populaire 
plein  de  couleur,  répété  malheureusement  sans  nouveiu  développement  à  la 
fin  de  la  3"  et  dernière,  n'en  a  pas  moins  enthousiasmé  le  public,  comme 
jadis,  par  son  caractère  entraînant  et  pittoresque.  Le  roi.  le  comte  et  la  com- 


190 


LE  MENESTREL 


tesse  de  Flandre  et  la  prijicesse  Clémentine  honoraient  la  fête  de  leur  pi-é- 
sence  et  ont  donné  le  signal  non  seulement  des  applaudissements,  mais  encore 
du  bis!  Comme  on  lui  présentait  M.  Keurvels.  le  roi  lui  dit  :  — «  Vous  savez 
que  je  n'aime  pas  beaucoup  la  musique;  mais  j'avoue  que  ceci  me  plaît  assez.  » 
A  quoi  M.  Keurvels  s'est  empressé  de  répondre  :  —  «  Sire,  si  vons  veniez 
souvent  à  Anvers  boire  de  notre  bonne  bière  blanche  vous  deviendriez  sans 
tarder  un  lier  musicien!  »  Le  roi  suivra-t-il  le  conseil  de  M.  Keurvels:'  Il  en 
est  bien  capable.  Souhaitons-le  sincèrement. 

Puisque  je  parle  d',A.nvers.  je  ne  veux  pas  oublier  de  noter  ici  l'installation 
officielle  du  nouveau  directeur  du  Conservatoire  flamand,  mon  e.xcellent  ami 
et  collaborateur  Jan  Blockx.  qui  succède,  comme  on  sait,  à  Peter  Benoit.  La 
cérémonie,  présidée  par  les  autorités  communales  anversoises,  a  été  à  la  fois 
très  touchante  et  très  enthousiaste.  Après  un  échange  cordial  de  discours, 
on  a  exécuté  de  la  musique  de  l'ancien  directeur  et  du  nouveau,  et  M.  Jan 
Blockx  a  été  l'objet  d'ovations  sans  nombre. 

Enfin,  aujourd'hui  même  a  eu  lieu  à  Matines  une  autre  fête  musicale 
importante  :  l'exécution  complète  du  beau  drame  lyrique  et  religieux  de 
M.  Edgar  Tinel,  Sainte  Godeliiv.  sous  la  direction  de  l'auteur,  à  l'occasion  du 
centième  anniversaire  du  Dai-iilsfomls.  L'œuvre  n'avait  été  entendue  encore 
qu'une  fois  en  Belgique,  et  cela  dans  d'assez  mauvaises  conditions,  au  palais 
du  Cinquantenaire,  lors  de  l'exposition  de  Bruxelles  de  1897.  Aux  Etats-Unis 
et  en  Allemagne,  elle  a  été  exécutée  depuis  avec  un  grand  succès.  (îràce  à 
l'initiative  d'une  société  louvaniste  flamande,  Mt-I  Tijd  eu  Vlijt,  il  a  été 
pei'mis  enfin  d'apprécier,  chez  nous  aussi,  à  sa  juste  valeur,  ce  drame  d'un 
sentiment  très  pur  et  1res  élevé,  d'une  conception  très  moderne  et  très  claire 
cependant,  et  qui  forme  le  digne  pendant  d'une  œuvre  similaire,  le  Saint- 
FniiK-ois,  qui  lit,  il  y  a  vingt  ans.  la  réputation  de  M.  Tinel.  L'interprétation, 
avec  des  solistes  dévoués,  en  a  été  très  soignée,  très  honorable,  et  l'auteur  a 
goûté  une  fois  de  plus  les  douceurs  du  triomphe.  L.  S. 

—  Nous  avions  bien  raison  de  traiter  «  d'opéra-fantôme  »  le  Néron  de 
iL  Boito,  et  d'exprimer  des  craintes  au  sujet  de  la  prochaine  apparition  de 
cet  ouvrage  à  la  Scala  de  MiJan,  apparition  annoncée  depuis  quelques  se- 
maines au  bruit  des  fanfares.  Voici  les  nouvelles  que  nous  apporte  à  ce  sujet 
un  journal  de  Milan  ta  Gazzetla  teatrale,  en  nous  faisant  savoir  tout  d'abord 

que  l'ouvrage n'est  pas  terminé  :  —  «  Il  est  désormais  établi  que  le  Néron 

de  Boito  ne  sera  pas  représenté  dans  la  prochaine  saison  de  la  Scala.  Arrigo 
Boito  a  adressé  le  8  juin  une  lettre  à  M.  le  duc  Visconti  di  Modrone  pour  se 
délier  de  son  engagement,  après  quoi  il  est  parti  pour  une  destination  in- 
connue. Que  M.  Boito  soit  parti  ou  qu'il  se  dissimule  à  Milan  dans  quelque 
cachette,  nous  ne  savons;  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  est  introuvable,  et 
que  son  frère  l'architecte  ne  sait  où  le  découvrir.  On  sait  en  outre  positi- 
vement que  l'opéra  n'est  arrivé  qu'au  troisième  acte;  il  est  donc  impossible 
qu'il  puisse  être  terminé  et  présenté  au  public  dans  la  prochaine  saison;  et 
l'on  sait  aussi  que  M.  Boito  a  été  pris  de  scrupules  et  de  craintes  après  la 
publication  de  son  poème,  publication  qui,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  n'a 
pas  impressionné  le  public  d'une  façon  très  favorable,  malgré  ce  que  les 
thuriféraires  on  dit  d'admirable  de  ce  travail  littéraire.  Certainement  le 
maestro  a  agi  trop  à  la  légère  en  s'engageant  comme  il  l'a  l'ait  avec  le  duc 
Visconti  di  Modrone,  et  ses  scrupules  deviennent  aujourd'hui  une  sorte  de 
plaisanterie.  Après  avoir  donné  à  l'art  un  chef-d'œuvre  comme  son  iV/c/ts- 
tofete,  Boito  peut  bien  penser  que  son  nom  impose  le  respect  au  public  et  à 
la  critique,  et  si,  après  avoir  tant  fait  parler  de  son  nouvel  ouvrage,  il  n'a 
pas  le  courage  de  le  présenter,  il  montre  bien  peu  de  confiance  dans  ses 
propres  forces,  dans  son  talent  et  dans  l'estime  du  public.  Libre  au  maestro 
Boito  de  ne  plus  donner  son  trop  fameux  Néron,  mais,  en  ce  cas,  qu'il  nous 
fasse  au  moins  la  grâce  d'empêcher  que  ses  amis  en  parlent  encore  et  qu'ils 
aillent  encore  vanter  sa  grandeur  et  son  immense  puissance  lyrico-drarna- 
tique.  Nous  voudrions  espérer,  bien  que  vaguement,  que  les  faits  viennent 
démentir  le  prochain  hiver  les  fâcheuses  nouvelles  d'aujourd'hui;  mais  si 
l'on  pense  qu'il  a  fallu  un  tiers  de  siècle  pour  écrire  le  livret  et  composer  la 
musique  de  trois  actes,  on  ne  peut  supposer  qu'en  peu  de  mois  Boito 
réussisse  à  écrire  le  quatrième  acte,  à  faire  l'instrumentation  et  à  pourvoir  à 
cette  '.I  mastodon tique  ji  mise  en  scène,  tout  aidé  qu'ilpuisse  être  par  l'érudit 
peintre  Pogliaghi...  »  Un  peu  dure,  la  Gazzetta  ! 

—  Xous  retrouvons  l'excellente  coutume  des  Conservatoires  italiens  de 
faire  entendre,  dans  leurs  exercices  de  fin  d'année,  les  travaux  des  élèves 
des  classes  de  composition,  qui  peuvent  ainsi  se  rendre  compte  de  ce  qu'ils  ont 
fait  et  voir  les  résultats  des  effets  qu'ils  ont  cherchés.  C'est  ainsi  qu'au 
Conservatoire  de  Milan  quatre  élèves  viennent  de  se  produire  des  classes  de 
contrepoint  et  fugue  de  MM.  Saladino  et  Mapelli.  M.  Berlendi  a  fait  entendre 
une  Gavotte  pour  orchestre,  M.  Dante  CipoUini  un  Menuet  pour  quatuor  à 
cordes,  M.  Enrico  Soro  un  Aiidanle  appassionato  pour  violoncelle  et  orgue  et 
un  Scherzo  pour  deux  violons,  violoncelle  et  piano,  enfin  M.  Sibella  un 
Coltoquio  sentimentale  pour  soprano  et  un  Madrigal  pour  chœur  de  femmes  à 
deux  voix. 

—  Nous  continuons  à  donner,  d'après  le  Trovalore,  les  dates  précises  des 
premières  représentations  des  opéras  de  Rossini.  —  14  août  1814,  à  la  Scala 
de  Milan,  il  Turco  in  Italia,  opéra  bouffe,  libretto  de  Felice  Romani;  grand 
.succès;  interprètes,  David,  Galli  et  Pacini,  la  Festa-Mafi'ei  et  la  Carpani; 
:26  décembre,  à  la  Fenice  de  Venise,  Sigisntondo,  o  opéra  séria  »,  libretto  de 
Foppa;  succès  médiocre;  interprètes,  Bonoldi,  la  MarcoUni  et  la  Manfredini. 
—  4  octobre  181S,   au  San  Carlo   de  Naples,  Elisubellu,  regina  d'Jnghitlerra, 


«  opéra  séria  »,  libretto  de  Felice  Homaui;  grand  succès;  interprètes,  Noz- 
zari,  Garcia  et  Isabella  Colbran,  qui  allait  devenir  la  femme  du  compositeur; 
26  décembre,  au  théâtre  Valle,  de  Rome,  Torvaldo  e  Dorlisku.  opéra  boull'e, 
libretto  de  Sterbini. 

—  A  Rome  trois  députés,  MM.  Maino,  Cabrini  et  Chiesi,  ont  présenté  à  la 
Chambre,  à  l'occasion  de  la  discussion  du  budget  de  l'instruction  publique, 
un  ordre  du  jour  ainsi  conçu  :  «  La  Chambre  invite  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  à  présenter  promptemeut  un  projet  de  loi  à  l'elVet  d'apporter 
dans  le  règlement  organique  du  Conservatoire  de  musique  (îiuseppe  Verdi 
^Milan)  les  réformes  nécessaires,  afin  qu'il  réponde  entièrement  au  rùle  de 
haute  culture  musicale  qui  lui  est  confié.  »  Nos  confrères  italiens  annoncent 
que  «  le  ministre  a  fait,  comme  de  coutume,  les  plus  belles  promesses  ». 

—  Une  commission  composée  de  vingt  généraux  et  présidée  par  le  minis- 
tre de  la  guerre  d'Italie,  a  décidé  de  rétablir  le  tambour  dans  les  régiments 
d'infanterie  de  l'armée  italienne.  Le  modèle  adopté  pèsera  2900  grammes. 
Une  maison  de  Milan  a  reçu  l'ordre  de  fournir  douze  cents  tambours  dans  un 
délai  de  80  jours. 

—  Le  Conseil  d'État  du  royaume  d'Italie,  après  examen  du  statut  du  Lycée 
musical  de  Pesaro,  dont  le  directeur  est  M.  Pietro  Mascagni,  a  exprimé 
l'opinion  que  les  fonctions  administratives  de  l'établissement  devaient  être 
distinctes  des  fonctions  directrices,  et  que  le  directeur  du  Lycée  ne  devait 
point  faire  partie  du  conseil  d'administration.  Il  a  émis  aussi  l'avis  que  le 
Lycée  de  Pesaro  étant  une  institution  d'intérêt  public,  ne  devrait  pas  être 
abandonné  à  l'exclusive  vigilance  de  la  commune,  mais  soumis  à  la  surveil- 
lance du  gouvernement,  c'est-à-dire  du  ministère  de  l'Instruction  publique. 
La  junte  communale  pésaraise  a  formulé  sur  ce  dernier  point  une  très  vive 
protestation. 

—  Oii  commence  à  donner  des  nouvelles  de  la  future  grande  saison  du 
théâtre  San  Carlo  de  Naples.  Sauf  modifications  éventuelles,  le  répertoire 
comprendra  les  ouvrages  suivants  :  la  Xamrraise  et  Manon  de  Massenet,  Ft'- 
dora  de  Giordano,  Carmen,  Otello,  Lohengriii,  Gioconda,  Mefislofele  et  la  Favorite. 
Sont  engagés  déjà  la  Bellincioni,  MM.  de  Lucia  et  Garuso,  et  le  seront  presque 
sûrement  la  Oe  Macchi  et  MM.  Ancona  et  Searneo.  Le  chef  d'orchestre  sera 
M.  Edoardo  Mascheroni. 

—  Dans  l'église  Saint-François-de-Paule,  à  Turin,  on  a  exécuté  le  30  mai 
une  cantate  biblique  intitulée  lialtassar,  dont  la  musique  a  pour  auteur 
M.  Giovanni  Quarter».  Bien  que  l'œuvre  ait  reçu  un  bon  accueil,  la  critique 
fait  des  réserves  sur  le  livret,  qui  interprète  en  mauvais  vers  l'ingénue  mais 
solide  prose  biblique,  et  aussi  en  ce  qui  concerne  la  musique,  qui  manque 
de  couleur  et  d%nité  dans  la  variété.  L'exécution  a  été  fort  honorable. 

—  On  a  donné  le  31  mai,  au  théâtre  Gimarosa  de  Caserte,  la  premiers 
représentation  d'un  opéra  en  deux  actes,  Daniella,  du  maestro  Mariano  Mar- 
zano,  joué  par  M""'  Nicosia,  le  ténor  Quadri,  le  baryton  Montella  et  la  basse 
De  Falco.  L'ouvrage  a  été  accueilli  très  favorablement.  —  Au  Politeama  de 
Pise  on  a  donné  un  autre  opéra  nouveau,  Marianila,  du  compositeur  G.  Si- 
meoni,  sur  lequel  les  détails  nous  manquent  encore.  —  Et  à  Montevarchi,  on 
enregistre  l'apparition  d'une  opérette  intitulée  Ereditù  appropriata.  dont  la  mu- 
sique est  due  à  M.  Giuseppe  Galeffi. 

—  Le  compositeur  et  critique  musical  si  distingué  M.  Laurent  Pai'odi,  de 
Gênes,  vient  d'être  nommé  officier  d'académie.  C'est  le  consul  de  France, 
M.  le  comte  de  Clercq,  qui  lui  a  remis  le  diplôme  avec  un  petit  speech  de 
circonstance,  fort  bien  tourné,  rappelant  combien  la  musique  française  était 
redevable  à  M.  Parodi  qui  fut  toujours,  en  son  pays,  l'un  de  ses  plus  chauds 
partisans. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  fermera  ses  portes  aujourd'hui  dimanche, 
pour  ne  les  rouvrir  que  le  10  août.  Ce  théâtre  annonce  comme  nouveautés 
pour  la  saison  prochaine  :  Goetz  de  Berliehingen,  de  Goldmark,  Ronssalka,  de 
Dvorak,  le  Feu,  de  Richard  Strauss,  et  la  Boliènie,  de  Puccini. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  que  la  surintendance  des  théâtres  impériaux, 
qui  est  actuellement  sous  les  ordres  du  grand-maitre  de  la  cour,  sera  suppri- 
mée et  que  les  affaires  de  ces  théâtres  seront  désormais  traitées  directement 
par  le  grand-maitre.  A  cet  effet,  un  bureau  spécial  sera  créé,  dont  M.  V\'las- 
sack,  actuellement  chef  des  bureaux  de  la  surintendance  générale,  prendra  la 
direction  sous  les  ordres  immédiats  du  grand-maitre. 

—  Le  musée  d'instruments  de  musique  de  Berlin  s'est  enrichi  d'une  petite 
trompette  et  de  deux  timbales  de  l'antiquité  grecque.  M.  François  de  Men- 
delssohn  a  ollert  au  musée  une  collection  de  plus  de  quatre  cents  portraits 
de  compositeurs,  musiciens  et  artistes  lyriques,  dans  laquelle  ne  manque 
aucun  nom  important  du  xix«  siècle.  Plusieurs  pièces  sont  absolument 
uniques.  Une  collection  pareille  existe  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra, 
dont  le  conservateur  zélé,  notre  collaborateur  et  ami  Charles  Malherbe,  s'oc- 
cupe spécialement  et  qu'il  a  considérablement  augmentée  dans  ces  derniers 
temps. 

—  Les  amis  du  malheureux  compositeur  autrichien  Hugo  Wolf  ont  obtenu 
du  ministre  de  l'instruction  publique  une  petite  pension  pour  subvenir  aux 
frais  de  son  entretien  dans  un  asile  d'aliénés. 


LE  MENESTREL 


491 


—  On  vient  d'inaugurer  à  Zwickau  (Saxe)  le  monument  de  Kobert 
Schumann.  Le  grand  artiste  est  représenté  assis,  appuyant  la  tète  sur  sa 
main  gauche;  l'attitude  est  celle  d'un  rêveur;  onvante  la  grande  ressemblance 
de  la  ligure.  Un  assez  grand  nombre  de  parents  ont  assisté  à  l'inauguration, 
dont  la  partie  musicale  était  peu  importante.  On  a  joué  l'ouverture  de  la  Clian- 
soii  sur  le  l'iii  tin  Rhin  de  Schumann  dans  une  transcription  pour  musique  mili- 
taire, et  on  a  exécuté  un  hymne  composé  spécialement  par  M.  Garl  Reineclie, 
qui  n'a  d'ailleurs  produit  aucun  effet.  L'inauguration  du  monument  de 
Schumann  fut  suivie  d'un  festival  musical  en  son  honneur.  On  y  a  exécuté 
d'abord  le  Panidis  et  la  Péri  avec  des  solistes  venus  de  tous  les  pays  alle- 
mands, sous  la  direction  de  M.  VoUhardt;  la  deuxième  soirée  a  été   consa- 

■  crée  aux  liecler  du  maître  et  à  sa  musique  de  chambre.  Le  quatuor  Joachim 
s'y  est  tout  particulièrement  distingué.  Au  troisième  concert.  Joachim  a  joué 
magistralement  la  Fnnfrt/sfV  pour  violon  (op.  131)  et  a  ensuite  conduit  la  sym- 
phonie en  ut.  Malheureusement,  M.  Maurice  Rosenthal,  de 'Vienne,  qui  devait 
jouer  quelques  morceaux  pour  piano  de  Schumann,  s'était  excusé  au  dernier 
moment,  et  l'œuvre  du  maître  n'a  pas  été  dignement  représentée  sous  ce 
dernier  rapport. 

—  Le  "il"  festival  de  l'Association  générale  des  musiciens  allemands,  qui 
vient  d'avoir  lieu  à  Heidelberg  et  dont  nous  avons  déjà  parlé,  a  élé  clôturé  à 
Carlsruhe,  où  M.  Félix  Mottl  avait  invité  ses  confrères  pour  jouer  à  leur 
intention  Béatriri'  et  Bénédiet.  de  Berlioz,  et  son  propre  ballet  Pau  au  bosquet. 
Les  musiciens  allemands  ont  vivement  applaudi  l'œuvre  de  Berlioz,  qui  a  en 
un  succès  beaucoup  plus  grand  que  jadis,  en  1862,  lors  de  sa  première  repré- 
sentation à  Baden-Baden.  Dans  son  ravissant  ballet.  Pan  au  bosquet,  M.  Mottl 
a  rompu  avec  les  usages  modernes  du  ballet  en  attribuant  le  rôle  d'.\phrodite 
à  M"=  Mottl,  l'artiste  bien  connue.  Le  rôle  ne  comporte  aucune  danse:  il  est 
seulement  mimé.  M'"<'  Mottl  a  donc  pu  représenter  la  déesse  de  la  beauté 
avec  un  succès  considérable.  Inutile  d'ajouter  que  M.  Mottl,  qui  conduisait  en 
personne,  a  été  fêté  comme  corapositeur  et  comme  ehef  d'orchestre. 

—  Manrii,  le  nouvel  opéra  de  M.  Paderewslri,  vient  d'être  joué  au  théâtre 
de  Leraberg.  Les  Polonais  n'ont  pas  manqué  de  fêter  avec  enthousiasme  leur 
célèbre  compatriote,  et  toutes  les  autorités  assistaient  à  la  première.  On  avait 
éclairé  la  salle  a  giorno  et  des  fleurs  ornaient  les  premières  loges.  Les  musi- 
ciens et  directeurs  de  théâtres  de  toutes  les  provinces  de  l'ancien  royaume  de 
Pologne  étaient  présents.  L'enthousiasme  fut  naturellement  très  grand;  le 
compositeur  reçut  plus  de  soixante  couronnes,  dont  deux  en  argent,  offertes 
par  la  ville  de  Lemberg  et  par  la  délégation  de  la  Diète  du  pays. 

—  La  reine  de  Roumanie,  Carmen  Sylva,  a  l'intention  d'organiser  plusieurs 
troupes  ambulantes  qui  doivent  donner  des  représentations  de  pièces  popu- 
laires et  morales  dans  toutes  les  agglomérations  rurales  de  la  Roumanie. 
Cela  serait  en  effet  un  excellent  moyen  de  relever  le  niveau  intellectuel  et 
moral  des  paysans  roumains. 

—  L'orphéon  de  Zurich,  fondé  par  le  compositeur  snisse  Jean-Georges 
Naegeli  (1773-1836),  vient  de  célébrer  le  73»  anniversaire  de  son  existence. 
Le  compositeur  Attenhofer,  qui  dirige  l'orphéon  depuis  1S66,  a  organisé  un 
concert  en  l'honneur  de  cet  anniversaire  et  a  offert  au  public  de  Zurich  une 
excellente  interprétation  de  l'œuvre  chorale  de  Max  Bruch,  FrUhjof. 

—  Le  jeune  violoniste  Jan  Kubelik  est  devenu  le  favori  du  roi  Edouard  VII 
d'Angleterre.  Deux  fois  de  suite  il  a  été  invité  à  jouer  devant  Sa  Majesté, 
qui  lui  a  offert,  en  dehors  des  cachets,  une  magnifique  bague  en  diamants 
et  rubis. 

—  Un  nouveau  ballet,  très  luxueux,  intitulé  Inspiration  ('S),  vient  de  faire 
son  apparition  à  l'Alhambra,  de  Londres.  L'auteur  du  scénario  est  M.  Mal- 
colm  Watson,  écrivain  dramatique  et  critique  très  connu,  celui  de  la  musique 
M.  Byng.  Les  pères  et  l'enfant  se  portent  bien. 

—  11  parait  qu'un  nouveau  u  trust  o  vient  de  se  former  aux  États-Unis.  Le 
New-York  Times  annonce  en  eff^t  que  les  principaux  éditeurs  de  musique  de 
la  grande  République  se  sont  associés  sous  le  titre  i' American  Music  Publishiug 
Company,  avec  un  capital  d'un  million  de  livres  sterling,  soit  23  millions  de 
francs.  Il  est  évident  qu'on  peut  faire  quelque  chose  avec  ça.  Mais  quel  est  le 
but  principal  que  se  propose  ladite  Compagnie  ?  Ce  but,  dit-elle,  est  de  se 
sauvegarder  des  productions  étrangères.  Alors,  l'Europe  peut  dormir  tran- 
quille pendant  quelque  temps.  D'ici  à  ce  que  les  compositeurs  américains 
aient  produit  un  Faust,  une  Manon,  une  Mignon,  un  RigoleUo  ou  un  Lokenyrin, 
les  vagues  ont  le  temps  de  courir  d'une  rive  à  l'autre  de  l'Océan. 

—  Le  juge  King,  du  tribunal  civil  de  la  Nouvelle-Orléans,  vient  de  pro- 
noncer un  jugement  qui  fait  beaucoup  de  bruit  dans  le  Landerneau  artistique 
des  Etats-Unis.  L'imprésario  Henry  Berriel  avait  engagé,  sur  photographie, 
une  artiste  lyrique  du  nom  de  Gabrielle  Stervel,  qui  est,  parait-il,  d'origine 
française  et  qui  chantait  non  sans  succès  à  l'Opéra  de  San  Francisco.  A  peine 
arrivée  au  théâtre  de  laXouvelle-Orléans  l'artiste  fut  renvoyée  par  l'imprésario, 
qui  déclara  qu'elle  était  afUigée  d'un  embonpoint  trop  considérableptmrpouvoir 
débuter  dans  un  rôle  de  son  emploi.  L'artiste  assigna  alors  l'imprésario,  qui 
plaida  en  personne  et  d'une  façon  fort  amusante  :  «  Regardez-moi  cette 
jeune  lady  et  dites-moi  si  je  peux  construire  sur  la  scène  un  balcon  assez 
solide  pour  la  porter,  même  sans  compter  mon  Roméo,  qui  est  aussi  d'un 
poids   assez    sérieux.  Et  comment  m'y  prendrais-je  pour  faire  débuler  cette 


jeune  lady  dans  les  pantalons  du  page  des  Jlugnenols  ou  de  l'étudiant  .Siebel 
dans  Faust,  rôles  qu'elle  doit  chanter  d'après  son  conti-at?  Toute  la  salle 
s'esclafferait,  même  si  elle  chantait  comme  un  ange  ».  Le  juge,  après  avoir 
regardé  longtemps  l'artiste,  la  débouta  de  sa  demande  en  la  déclarant 
«  trop  grasse  pour  remplir  ses  devoirs  professionnels  ». 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  dates  des  concours,  au  Conservatoire,  viennent  d'être  ainsi  Iixées 
pour  la  série  des  concours  à  huis  clos. 

Dimanche  30  .juin,  de  6  heures  à  minuit,  mise  en  loge,  harmonie  hommes. 

Dimanche  7  juillet,  de  6  heures  à  minait,  mise  en  loge,  harmonie,  femmes,  liigue. 

Mercredi  26  juin,  à  10  heures,  dictée  et  théorie,  solfège  chaoïteurs. 

Jeudi  27  juin,  à  raidi,  lecture,  tolfège  chanteurs. 

Lundi  l'""  juillet,  à  midi,  harmonie,  hommes  (jugement;, 

Mardi  2  juillet,  à  9  heures,  lecture,  dictée,  théorie,  sttlfège  instrumentistts. 

Mercredi  3  juillet,  ii  9  heures,  lecture,  solfège  instrumentiste,'. 

Jeudi  4  juillet,  à  1  lieure,  accompagnement  au  piano. 

Vendre  li  5  juillet,  à  1  heure,  orgue. 

Samedi  6  juillet,  à  9  heures,  violon,  classes  préparatoires. 

Lundi  8  juillet,  à  1  heure,  harmonie,  femmes  (jugement). 

Mardi  9  juillet,  à  midi,  fugue  (jugement). 

Mercredi  10  juillet,  à  10  heure?,  piano,  classes  préparatoires. 

—  Mercredi  a  eu  lieu,  au  Conservatoire,  en  assemblée  générale,  l'élection 
pour  la  nomination  du  chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts  du  Conser- 
vatoire, poste  devenu  vacant  par  la  démission  de  M,  Taftanel.  Les  votanls 
étaient  au  nombre  de  101.  M.  Georges  Marty,  un  des  chefs  d'orchestre  de 
l'Opéra-Gomique,  a  été  nommé  au  cinquième  tour  de  scrutin  par  54  voix, 
contre  37  données  à  M.  Sam;nel  Rousseau  (dix  bulletins  blancs). 

—  Wecfcerliu  est  dans  une  joie  profonde.  Il  a  reçu  les  autographes  musi- 
caux de  Chopin  que  la  baronne  Nathaniel  de  Rothschild  avait  légué  à  la 
bibliothèque  du  Conservatoire.  Ils  sont  au  nombre  de  huit  et  comprennent: 
une  Berceuse  en  quatre  grandes  pages  ;  la  première  «  Walse  »  ainsi  intitulée 
de  la  main  de  Chopin,  qu'ait  écrite  le  maître  ;  trois  autres  valses  plus 
récentes  ;  puis  celle  qu'il  dédia  et  signa  ainsi  :  «  A  M"=  Charlotte  de  Rothschild, 
hommage,  Paris  184"2,  F.  Chopin  »;  puis  un  nocturne,  et  enfin  la  célèbre 
valse  en  ré  h,  toute  de  sa  main  et  signée,  —  un  véritable  trésor  !... 

—  M''"  Lucienne  Bréval  rentre....  à  l'Opéra-Gomique!  Voilà  un  véritable 
coup  de  maître  de  la  part  de  M.  Albert  Carré,  et  même  un  coup  double,  car 
en  même  temps  il  s'assure  de  la  nouvelle  partition  de  M.  Massenet,  Grisélidis, 
dont  la  belle  artiste  créera  le  principal  rôle.  A  coté  d'elle,  le  merveilleux 
Fugère  jouera  le  persoirnage  du  diable.  La  première  représentation  est  d'ores 
et  déjà  fixée  pour  le  commencement  du  mois  de  novembre.  —  Ce  n'est  pas 
tout  :  au  printemps,  M^^'  Bréval  sera  également  l'Yseult  au  cours  des  repré- 
sentations de  Tristan  que  donnera  M.  Albert  Carré.  Voilà  donc  en  prévision 
pour  la  prochaine  saison  de  grandes  soirées  artistiques. 

—  Peadant  ce  temps,  le  bon  M.  Gailhard  s'en  était  allé  marier  une  de  ses 
petites  nièces  à  Toulouse,  Heureux  homme  !  Il  perd  le  Roi  d'Ys,  il  perd  anssi 
M"=  Bréval,  il  va  perdre  Alvarez,  bientôt  il  perdra  Thais,  il  perd  surtout  la 
tète.  Mais  il  est  content  d'avoir  vu  ça! 

—  Toujours  à  l'Opéra-Comique,  très  brillante  rentrée  de  M"'  Sibyl  San- 
derson  dans  Pliryné,  toujours  belle  et  avec  le  même  charme  qu'autrefois.  On 
lui  a  fait  un  chaleureux  accueil,  en  même  temps  qu'à  Fugère  et  à  Clément, 
qui  reprenaient  leurs  anciens  rôles.  L'Opéra-Comique  est  décidément  le 
théâtre  des  soirées  sensationnelles. 

—  L'Opéra-Comique  donnera  ce  soir  dimanche  les  Noces  de  Jeannette  et  la 
Basoche,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits. 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  met  au  concours,  réservé  aux 
musiciens  français  seuls,  pour  l'année  1901  : 

1"  Quatuor  pour  instruments  à  cordes,  prix  de  500  francs  offert  par  M.  le 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts; 

2°  Trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  prix  de  .oOO  francs  offert  par  la 
maison  Pleyel,  Wolff,  Lyon  et  G'"  ; 

3"  Saynète  musicale  de  deux  à  quatre  personnages,  pouvant  être  jouée  dans 
un  salon,  durant  une  demi-heure  environ,  accompagnée  par  un  petit  orches- 
tre de  huit  à  dix  musiciens  et  sans  piano,  prix  de  .300  francs  offert  par 
M.  A.  Glandaz  ; 

4"  Romance  pour  cor,  accompagnée  par  une  harpe  chromatique  (Lyon), 
prix  de  100  francs  offert  par  la  Société  ; 

o"  Un  morceau  pour  grand  orgue,  prix  de  100  francs  offert  par  la 
Société. 

Pour  le  règlement  et  les  renseignements  s'adresser  à  M.  Henry  Gieutat, 
secrétaire  général,  69,  rue  des  Batignolles,  ou  au  siège  la  Société,  22,  rue 
Rochechouart,  Paris. 

—  Nouvelles  installations  au  musée  Guimet.  Ce  qui  attire  surtout  la  curio- 
sité des  savants  et  même  des  amateurs,  c'est,  dans  la  rotonde,  le  résultat  des 
fouilles  d'Antinoé  et  surtout  la  tombe  de  Thaïs  et  celle  de  l'anachorète  Sera- 
pion  qu'on  y  a  découvertes.  La  fameuse  courtisane  grecque,  popularisée  par 


192 


LE  MÉNESTREL 


Anatole  France  etqu'asi  bien  chantée  Massenet,  repose  là.  momiliée,  entourée 
de  tous  les  bijoux  et  même  des  fleurs  sèchées  qui  lui  furent  chers,  tandis  que 
l'anachorète  en  son  tombeau,  maigre  et  décharné,  porte  encore  autour  des 
reins  les  corselets  de  fer  et  aux  pieds  les  chaînes  dont  il  s'était  chargé.  Con- 
traste qui  porte  à  la  méditation  et  fait  revivre  en  notre  esprit  les  belles  pages 
du  maître  écrivain  et  du  maître  musicien. 

—  La  statistique  a  toujours  du  bon,  pour  les  gens  qui  n'ont  rien  à  faire. 
L'un  ce  ces  excellents  inoccupés  n'a  trouvé  rien  de  mieux,  pour  employer 
son  temps,  que  de  calculer  celui  qu'exige  l'exécution  de  chacun  des  dix 
grands  drames  de  Wagner,  et  il  a  travaillé  en  conscience.  D'après  son 
calcul  très  précis  il  apparaît  que,  en  faisant  abstraction  des  entr'actes,  il  faut 
compter  2  heures  44  minutes  pour  l'exécution  intégrale  de  Rienzi  ;  2  heures 
21  minutes  pour  celle  du  Vaisseau-fantôme  :  3  heures  8  minutes  pour 
Tannhamer  ;  3  heures  7  minutes  pour  Loliengrin  ;  2  heures  17  minutes  pour 
Tristan  et  Yseult  (ça  m'a  pourtant  paru  plus  long  que  ça  !)  ;  2  heures  28  mi- 
nutes pour  l'Or  du  Rhin;  3  heures  33  minutes  pour  les  Maîtres  chanteurs  de 
Nuremberg  ;  3  heures  18  minutes  pour  la  Valkyrie  :  3  heures  44  minutej  pour 
Siegfried;  enfin,  3  heures  31  minutes  pour  le  Crépuscule  des  Dieux.  Noire 
homme  a  calculé  que  pour  l'exécution  successive  et  immédiate  des  dix 
ouvrages  (perspective  horrible!!),  il  ne  faudrait  pas  moins  de  1.911  mi- 
nutes, c'est-à-dire  1  jour,  7  heures  et  SI  minutes.  Et  sur  cette  découverte, 
l'homme  qui  n'avait  rien  à  faire  s'est  montré  satisfait  de  lui  et  de  la  façon 
dont  il  avait  employé  son  temps.  Ci  ne  vaut-il  pas  mieux,  comme  disait 
l'autre,  que  d'aller  au  café  ? 

—  M.  Alexandre  Guilmant,réminent  organiste  qui  a  fondé  les  Concerls  du 
Trocadéro,  vient  de  faire  installer  chez  lui,  à  Meudon,  parla  maison  Cavaillé 
Coll,  un  bel  orgue  à  trois  claviers  dans  une  salle  élégante,  construite  à  cet 
effet.  Tous  les  jeudis,  de  4  heures  et  demie  à  6  heures,  M.  Guilmant  y  fait 
entendre  des  œuvres  d'auteurs  anciens  et  modernes.  Les  premières  séances 
ont  eu  lieu  avec  le  concours  de  M""^  Vierne-Taskin,  de  M.  Paul  Viardot  et 
de  M"»  Joly  de  la  Mare. 

—  Le  Midi  en  a  de  bonnes!  Ne  voilà-t-il  pas  que  le  conseil  municipal 
socialiste  de  Marseille,  qui  a  mis  la  main  sur  le  Conservatoire  de  cette  ville, 
avait  imaginé  de  faire  juger  le  concours  de  piano  sans  qu'on  puisse  voir  les 
candidates,  afin  que  les  jurés  ne  soient  pas  influencés  plus  ou  moins  par  la 
vue  d'un  joli  minois.  Donc,  le  piano  était  placé  dans  une  pièce  à  côté,  toutes 
portes  fermées  !  Le  jury  a  protesté  et  s'est  retiré  en  masse.  Parfaitement 
authentique. 

—  Je  voudrais  pouvoir  dire  beaucoup  de  bien  du  petit  livre  que  M.  Eugène 
de  Sûlenière  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Cent  années  de  ninsiqiie  française 
(Pugno,  in-12),  mais  cela  est  difficile.  Tout  d'abord,  réduire  en  cent  pages  — 
—  juste  une  page  par  année  —  l'histoire  artistique  d'un  siècle  aussi  actif  que 
le  dix-neuvième  siècle  musical  français,  c'était  un  projet  un  peu  ambitieux  et 
d'une  réalisation  malaisée.  Et  puis,  je  ne  suis  pas  très  sur  de  la  solidité  des 
opinions  de  l'auteur,  qui  me  paraissent  un  peu  vagues,  en  dehors  de  son 
dédain  très  accentué  pour  la  forme  de  l'opéra-comique,  et  qui  lui  font  dire  à 
la  fois  blanc  et  noir  lorsqu'il  les  exprime  sur  le  compte  de  toi  ou  tel  artiste, 
de  telle  sorte  qu'on  ne  sait  au  juste  ce  qu'il  en  pense,  témoins  ses  jugements, 
entre  autres,  sur  Rossini,  sur  Auber  et  surHalévy.  Il  est  très  carré,  par  exemple, 
sur  Meyerbeer,  pour  lequel  son  mépris  est  profond.  D'autre  part,  il  appuie 
un  peu  trop  ses  appréciations  relatives  à  quelques-uns  de  nos  musiciens  sur 
celles  de  Schumann,  qui  n'a  jamais  rien  compris  à  la  musique  française.  De 
plus  encore,  il  y  a  quelques  petites  erreurs  de  faits  qui  sont  fâcheuses, 
comme  quand  il  attribue  /(■  (iuilarero  à  Auber  et  la  Nuit  de  la  Sainl-Jecm  à 
M.  Henri  Maréchal.  J'apprécie  la  bonne  volonté  de  l'auteur,  mais  la  bonne 
volonté  n'est  pas  sullisante  lorsqu'il  s'agit  d'apprécier,  d'une  façon  aussi 
sommaire,  tant  d'artistes  qui,  à  des  degrés  divers,  ont  fait  après  tout  preuve 
de  talent,  et  le  mépris  exprimé  sur  des  musiciens  comme  Adolphe  Adam, 
Grisar,  Victor  Massé  et  autres,  ne  me  parait  pas  le  produit  d'une  esthétique 
absolument  irréprochable.  A.  P. 

—  SoiBÉES  ET  CoNCEiiTS.  —Une  audition  des  élèves  de  M'""  Rosine  Labordeest  toujours 
un  régal  artistique.  On  cq  peut  Juger  pac  la  foule  qui  se  pressait  dernièi'ement  rui?  de 
Ponthieu.  Au  début,  nous  avons  applaudi  M""  Frammerie  qui  a  chanté  l'air  de  Mignon 
avec  un  Rrand  sentiment  dramatique,  M—  Heller  et  M.  Ania  qui  ont  dit  de  façon 
exquise  le  duo  de  Manon.  L'air  de  Tha'is  a  été  interprété  de  façon  tout  à  fait  magistrale 
par  M"'  Van  Reehl,  et  M""  Porta  a  fait  admirer  sa  belle  voix  de  soprano  dans  l'air  de 
FreyschUz.  Très  applaudies  également  M""  Jennings,  dans  le  duo  de  Lakmé  avec  M.  Ama, 
Gour,  Rajé,  puis  M'"  Potron-Laborde  etiM.  Dupont  dans  le  ravissant  duo  de  de  Xavib\\ 
La  matinée  comportait  ensuite  des  œuvres  de  Diémer  accompagnées  par  l'auleur  et  inter- 
prétées par  M.  Fernand  Leoomlo,  qui  a  dit  avec  beaucoup  de  charme  A  une  étoile  et 
Dernières  roses,  W'  Ughetto,  longuement  applaudie  dans  Inquiétude,  et  M"'  Pages,  Fram- 
merie et  Kaulfmann.  On  a  fait  une  longue  ovation  au  maitre  après  une  remarquable  exé- 
cution de  Fa  Grandevttlse  deconcert.  Grand  stccès  égalenunt  pour  Jl.  Hilleniachcr  et  M'"" 
Mauroux.  Deux  agrùaWes  surprises  nous  étaient  réservées  :  M.  Gibert  dans  l'air  des  Maî- 
tres Chanteurs  et  M"'  Sylva,  du  Théâtre  rojal  de  La  Haji-,  élé\e  de  l'éminent  professeur, 
dans  l'air  de  la  folie  d'Ilimlet.  L'audition  s'est  terminée  par  le  quatuor  de  Rigoletlo, 
brillamment  enlevé  par  M""  Ughetto,  Gour,  MM.  Ama,  Bogoumiroff  et  la  toute  spiri- 
tuelle M"'  Jeanne  Depping  dans  son  spirituel  adieu.  Tous  nos  compliments  à  M""  Rosine 
Laborde  qui  ne  compte  que  des  admirateurs.  —  Chez  -M""  la  baronne  Piérard,  concert  de 
musique   ancienne  exécutée  par  des  chœurs  mondains,  sous  l'arlislique  direriion  de  M"- 


Julie  Bressoles.  Tous  les  numéros  étaient  empruntés  au\  Gloires  de  l'Italie  de  Gevaert  et 
aux  recueils  de  Weckerlin.  Le  succès  de  la  soirée  a  été  au  d-uo  0  Fortunnto  de  Mai-cello. 
—  Brillante  matinée  des  élèves  de  M—  Gonzal,  dans  les  ateliers  du  peintre  Cesbron. 
A  signaler  :  l'.lmjon  aise  du  Cid,  de  Massenet,  Polkeltina,  de  Lack,  Va'se  cliromatique, 
de  Godard,  et  la  Dame  des  Saturnales  des  Erinnyes,  à  huit  mains,  de  Massenet.  Cette 
jolie  matinée  a  été  couronnée  par  M""  Cesbron,  qui  a  chanté  avec  son  talent  habilnel  la 
prière  de  la  Vestale,  de  Spontini,  et  le  chant  de  la  Naïade  d'.lrmirfe,  de  Gluck.  —  Jolie 
audition  d'élèves  chez  M"'  Marthe  Rennesson,  qui  fait  justement  applaudir  M""  M.  S. 
{Passepied,  Delibes),  S.  S.  [Crépuscule,  Massenet),  M.  B.  (Pas  des  esclaves,  Dclibes),  A.  P. 
I  Taise  des  heures,  Delibes),  M.  B.  {Barcarolle,  Delibesi,  F.  D.  [Air  à  danser.  Pugno), 
A.  D.  (Aragonaise,  Massenet),  M.  A.  C.  lentr'acte  de  Lnlané,  Delibes),  M""  1'..  L.  IDallel- 
vatse,  A.  Marmonlel),  A.  L.  (Valse  du  pas  des  /leurs,  Delibesl,  B.  M.  (Prélude  à'Bérodiade, 
Massenet),  A.  D.  (Danse  rustique,  Dubois),  A.  H.  [Sérénade  à  la  lune,  Pugno).  Dans  les 
intermèdes,  on  fête  M"'  Baux  dans  une  mélodie  de  M"'  Rennesson,  Viens.'  et  M.  Boyer 
dans  Crépuscule  de  Massenet.  —  M.  Chavagnat,  directeur  de  l'Ecole  Classique,  vient  de 
donner  salle  Érard  une  soirée  musicale  pourl'audition  de  quelques-unes  de  ses  meilleures 
élèves  pianistes.  Le  public  très  nombreux  et  choisi  y  a  particulièrement  applaudi  JI""  de 
Grandsagne,  Toussaint,  Branchery,  Favre,  Boivin  Lavarenne,  Lucas,  Réveillé  et  Bosque, 
ainsi  que  M'"  Jouve  et  M.  Max-Comie,  qui  ont  délicieusement  interprété  des  mélodies 
de  M.  Chavagnat.  N'oublions  pas  non  plus  MM.  Neuberth  et  Maçon,  deux  excellents  violo- 
nistes, 1"'  prix  de  l'École  Classique.—  Une  matinée  fort  brillante  a  eu  lieu  dans  les  salons 
du  violoncelliste  Maxime  Thomas,  en  l'honneur  et  avec  le  concours  du  maître  Augusta 
Holmes.  M"'  Georgette  'i'aldys,  de  l'Opéra-Comique,  s'y  est  fait  applaudir  dans  les  Contes 
de  fées;  M""  Huet,  contralto,  a  divinement  chanté  plusieurs  autres  mélodies.  Le  ténor 
O'SuUivan,  M"«  Franconi,  ÎI""  Jane  Debillemont,  Biau-Bussière  et  Denyse  Taine  prê- 
taient également  leur  concours.  On  a  particulièrement  applaudi  la  transcription  de 
«  En  Mer  »  pour  violon,  violoncelle  et  piano,  interprétée  par  MM.  Brun,  Maxime  Thomas 
et  l'auleur.  —  Lundi  dernier,  M'"^  Marie  Rôze  donnait  sa  dernière  audiiion  d'élèves  au 
Théâtre  de  l'Athénée  Saint-Germain;  plus  de  six  cents  personnes  étaient  venues  applaudir 
de  charmantes  jeunes  filles  dans  des  scènes  d'opéra,  en  costumes.  Fort  remarquée  M"" 
Ulma  Fish,  charmante  de  grâce  dans  des  scènes  de  Manon  et  de  Galatliée:  M.  Taber, 
jeune  américain,  lui  donnait  la  réplique  avec  succès  dans  le  rôle  de  Pygmalion.  Le  grand 
duo  d'Aida  nous  a  fait  apprécier  les  belles  voix  de  M""  Germaine  et  Andrée  Alaux. 
Ensuite  l'acte  du  jardin  de  Faust  a  été  fort  bien  chanté  par  Miss  Taber,  puis  venait  la 
scène  de  la  folie  d'tiamiet,  par  Ml'''  Carlaud,  qui  possède  une  voix  d'une  grande  pureté.  Une 
scène  de  Cavalleria  Rusticana  nous  a  révélé  une  jeune  fille  douée  d'un  véritable  tempéra- 
ment artistique,  M"*-"  de  Laforcade  qui  a  chanté  la  romance  et  le  grand  duo  avec  un  grand 
sentiment  dramatique!  Magdeleine  Godard  était  venue  prêter  le  coni-ours  de  son  grand 
talent  et  a  obtenu  comme  toujours  un  triomphe.  N'oublions  pas  une  scène  du  1»^  acte 
de  Carmen  foi-l  bien  jouée  par  M"=  Lyon,  qui  a  également  bien  dit  un  à-propos  de 
M.  Michel  Rosen,  dédié  â  son  professeur.  On  a  également  applaudi  MM.  Bouillelte  et 
Ducot,  deux  barytons  doués  de  belles  voix.  M.  Rivière,  qui  a  eu  la  douleur  de  perdre  son 
père  il  y  a  peu  de  temps,  avait  bien  voulu  cependant  venir  donner  la  réplique  à  ses 
anciennes  camarades;  il  a  été  parfait  comme  toujours.  M"'*  Marie  Rôze  a  été  couverte  de 
fleurs.  —  Salle  comble,  chez  Érard,  pour  entendre  deux  artistes  :  une  pianiste  russe, 
M"^  de  Muthel,  et  une  jeune  anglaise.  M""  Lydia  Nervil.  Comme  nous  aurons  l'occasion 
d'applaudir  cette  dernière  la  saison  prochaine,  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique,  nous 
remettons  nos  éloges  à  cette  époque.  Pour  M"'  de  Muthel,  nous  l'avions  entendue  l'an- 
née dernière.  Elle  jouait  du  piano  comme  en  jouent  mille  autres:  «  légion  d'automates 
fastidieux  auxquels  ou  peut,  sans  injustice,  préférer  l'babilelé  et  le  charme  des  pianos 
mécaniques  —  invention  progressive  —  dont,  pour  ma  part_  je  recommanderais  volon- 
tiers l'emploi  exclusif  à  beaucoup  de  prétendus  pianistes  »,  a  dit  Liszt.  Eh  bien,  M'"''  de 
Muthel  ne  fait  plus  partie  de  cette  légion.  Aujourd'hui  elle  fait  chanter  son  piano  et  en 
tire  des  effets  d'un  charme  infini.  Douée  d'un  mécanisme  vertigineux,  elle  alafacultédc 
deviner  toutes  les  virtualités  psychiques  cachées  sous  les  notes  et  les  manifeste  avec  un  style 
sobre  et  correct,  avec  une  expression  empoignante.  D'où  lui  vient  cette  transformation? 
De  la  Méthode  de  Villoing,  du  Traité  de  l'espre'ision  musicale  de  Mathis  Lussy,  que  Jl''e 
de  Muthel  a  travaillés  depuis  un  an  avec  une  persévérante  passion,  et  que  tous  les  artistes 
devraient  lire  et  relire  et  connaitre  par  cœur.  Nous  pouvons  prédire,  sans  crainte  de  nous 
tromper,  un  avenir  brillant  aux  deux  jeunes  artistes,  qui  nous  ont  fait  un  si  ^it 
plaisir. 

NÉCROLOGIE 

A  Reims  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  80  ans,  un  violoniste,  Frédéric- 
Auguste  Bftnzli.  qui  s'était  fixé  depuis  plus  d'un  demi-siècle  en  cette  ville,  où 
il  avait  acquis  une  grande  réputation  de  professeur.  Il  fut,  entre  autres,  celui 
de  deux  artistes  qui  obtinrent  ensuite  le  premier  prix  au  Conservatoire  de 
Paris,  M"'*  Blouet-Bastin  et  M.  Ilenii  Marteau.  Bûnzli,  qui  était  né  à  Eoge, 
près  de  Zurich,  le  5  août  1820,  avait  été  lui-même  élève  du  fameux  Mnlîque. 
Il  était  le  père  de  M'"'  Rose  Delaunay,  la  cantatrice  renommée,  que  nous 
avons  connue  naguère  à  l'Opéra-Comique. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  chez  Stock,  Corneille  et  Lulli.  comédie  en  1  acte,  en   vers,  de  lien 
Jouiii,  représentée  àl'Odéon. 


3iite   AU    mij>i:stri:l.   a    bi 


cH-  M.  miDot^ 


Choral  et  Variations  pour  harpe  et  orchestre,  dédiés  à  M.  Hasselmans. 
PiuLilion  d'orchestre,  net  :  15  francs.  —  Parties  séparées,  net  ;  30  fraiK^. 
Chaque  pallie  siip|)lémcnlaire,  iiel  :  1  fr.  50  c. 

Les  mêmes,  réduction  pour  harpe  et  piano 9 

(Morceau  désigné  pour  les  concours  du  Conservatoire  de  Paris.) 


Dinianclie  23  Juin  1901. 


3665.  -  67-  A^*  -  iVaS.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(les  Bureaux,  2  "'",  rue  ViTienne,  Paris,  u-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL^ 


lie  Haméi'o  :  0  îv.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Hamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  fbanxo  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesthel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.   •-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


^ 


SOMMAIRE-TEXTE 


.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  (17"  article),  Paul  d'Iistrèes.  — 
IL.  Bulletin  théâtral  :  l'Auberge  du  Tuhu-Bohu  à  la  Gaité,  P.-E.  G.  —  111.  La  musique 
et  le  théâtre  aux  Salons  du  Grand-Paldis  (9°  et  dernier  article),  Camille  Le  Senne.  — 
IV.  Petites  notes  sans  portée  :  Méditation  devant  Thms  au  musée  Guimet,  Raymond 
Bouyer.  —  V.  Pensées  et  Aphorismes  d'Antoine  Rubinstein.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
MENUET    ROCOCO 
de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Sous  bois,  de  A.  Périlhou. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  n  )s  ahonnés  à  la  musique  de  chant: 
Soir  d'été,  n"  2  du  Poème  du  silence,  d'ERNEST  Mohet.  —  Suivra  immédiate- 
ment: Iscliia,  barcaroUe  de  A.  Périlhou,  poésie  de  Lamartine. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  lénioires  les  plus  rÉcenls  et  fles  flocoients  inéflits 

(Suite.) 


VII  (suite) 


Les  pièces  de  tliéàtre  ont,  comme  les  livres,  leurs  destinées. 
Celle  des  deux  Iphirjénies  de  Gluck  était  sans  doute  d'être  ballottée 
par  la  tempête;  car,  plusieurs  années  avant  la  tourmente  qui 
avait  submergé  Lays,  un  autre  orage,  non  moins  violent,  s'était 
déchaîné  dans  la  salle  de  l'Opéra,  pendant  une  représentation 
i'Iphigénie  en  Aulide.  Cette  fois,  c'étaient  deu.x  aristocrates  mili- 
tants, un  ténor  et  une  grande  dame,  qui  avaient  attiré  la  foudre 
sur  leur  tête. 

Kotzebue,  débarqué  quelques  jours  après  à  Paris,  note  cet 
épisode  de  la  politique  au  théâtre,  épisode  d'ailleurs  connu,  mais 
que  nous  rappellerons,  parce  que  le  voyageur  allemand  consigne 
dans  son  récit  diverses  particularités  jusqu'alors  inédites. 

Le  tragédien  lyrique  Lainez,  et  non  Henné  comme  l'appelle 
Kotzebue,  vient  d'enlever,  avec  sa  furia  ordinaire,  sa  partie  de 
choryphée  :  «  Chantons,  célébrons  notre  reine...  »,  quand  la 
duchesse  de  Biron  et  ses  voisins  de  loge,  se  penchant  avec  affec- 
tation vers  la  scène,  applaudissent  à  outrance  et  veulent  faire 
bisser  le  morceau,  «  ce  qui  arrive  rarement  à  l'Opéra  ».  Bien 
mieux,  la  grande  dame  jette  au  chanteur  une  couronne  de  lau- 


riers. Le  parterre  se  fâche  ;  des  spectateurs  traitent  la  duchesse 
de  c...;  d'autres  vont  chercher  des  oranges,  des  poires,  des 
pommes  crues  ou  cuites,  et  bientôt  la  loge  est  assaillie  de  nom- 
breux projectiles.  Il  y  tombe  même  un  couteau  —  le  digne 
pendant  de  ce  sitllet  à  roulettes  que  nous  avons  vu  effleurer  le 
nez  de  Coquelin,  à  la  mémorable  seconde  de  Thermidor.  —  Des 
forcenés  avaient  même  apporté  des  verges  pour  fouetter  en  plein 
théâtre  la  manifestante...  C'était,  parait-il,  une...  contre-mani- 
festation à  la  mode.  Heureusement  la  duchesse  eut  le  bon  esprit 
de  se  tenir  tranquille  ;  autrement,  si  elle  fut  sortie  de  sa  loge, 
elle  eût  été  écharpée.  Mais  le  lendemain,  elle  y  lit  ramasser  les 
présents  de  la  foule  et  donna  l'ordre  de  porter  le  tout  chez 
Lafayette,  le  commandant  de  la  Garde  nationale,  avec  prière  de 
déposer  sur  l'autel  de  la  patrie  <  ces  preuves  frappantes  de  la 
liberté  française  ». 

Il  est  vrai  qu'elle  n'attendit  pas  la  réponse  du  peuple,  car 
elle  partait  le  lendemain  pour  l'étranger.  Ce  fut  Lainez  qui  paya 
pour  elle.  Il  dut,  aux  représentations  suivantes,  demander  par- 
don et  fouler  aux  pieds  la  couronne  de  lauriers.  Sa  revanche 
coïncida  précisément  avec  la  disgrâce  de  Lays.  Lui  aussi,  Lainez, 
chanta  le  Réveil  du  Peuple,  mais  avec  quelle  conviction  et  quel 
débordement  de  malédictions  contre  les  Jacobins!  Le  général 
d'Andigné  (1)  va  nous  en  donner  la  note  vibrante  comme 
un  appel  de  clairon  : 

«  Lorsque  j'entendis  pour  la  première  fois  son  antidote  (de  la 
Marseillaise),  le  Réveil  du  Peuple,  ]e  pus  me  faire  une  idée  de  l'effet 
qu'elle  avait  produit.  C'était  à  l'Opéra.  Lainez,  qui  le  chantait  à 
la  demande  de  tous  les  assistants,  y  mettait  son  âme  toute 
entière.  Un  chœur  de  soixante  voix  répétait  le  refrain.  Dans  ces 
moments,  qui  se  renouvelaient  chaque  jour  et  toujours  deux 
fois  de  suite,  les  assistants  paraissaient  tellement  électrisés  qu'un 
Terroriste,  reconnu  au  milieu  d'eux,  eût  été  incontestablement 
mis  en  pièces.  L'émotion  que  me  causa,  la  première  fois,  cette 
scène  à  laquelle  je  ne  m'étais  pas  attendu,  me  fit  comprendre  les 
effets  prodigieux  des  chansons  guerrières  sur  les  Grecs. 

»  ...  Avant  la  Révolution,  un  beau  morceau  de  musique  eût 
été  admiré;  on  aurait  couru  pour  l'entendre;  il  eût  éveillé  un 
grand  enthousiasme  pendant  quelques  jours,  mais  la  sensation 
produite  n'aurait  été  que  passagère.  A  cette  époque,  la  vive 
expression  d'objets  trop  présents  inspirait  une  telle  fureur  qu'elle 
tenait  du  délire.  Les  âmes  paraissaient  en  feu.  » 

On  ne  saurait  mieux  dépeindre  l'influence  de  la  politique  sur 
l'interprétation  des  œuvres  musicales  et  Taction  réflexe  de 
celles-ci  sur  l'âme  populaire.  Il  ne  parait  pas  que  Vestris  ait  pris 
parti  dans  aucune  de  ces  manifestations,  ni  que  ses  contempo- 
rains lui  aient  jamais  demandé  raison  de  son  indifférence  en 
matière  politique.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  vit  alors  beaucoup  de 


(I)  Mémoires  du  général  d'Andign 


■  introluction  et  noies  d'F.  Biré  (Pion,  1900). 


194 


Lli  MÉNESTREL 


choses  dans  un  menuet;  mais,  par  bonheur,  on  n'y  décoavril  ni 
fanatisme,  ni  fédéralisme.  Aussi  Yestris  put-il  sauter  et  pirouetter 
sous  tous  et  pour  tous  les  gouvernements,  sans  que  personne  y 
trouvât  jamais  rien  à  redire. 

Géraud,  qui  était  allé  l'applaudir  à  l'Opéra  «  avec  des  billets 
d'auteur  »,  ne  tarit  pas  d'éloges  sur  la  souplesse  de  ce  prestigieux 
danseur.  Il  n'admire  pas  moins  le  chorégraphe  Gardel,  qui,  lui 
non  plus,  ne  s'occupait  pas  de  politique,  mais  représentait  à 
l'Opéra  le  genre  noble  et  majestueux.  Il  avait  bien  essayé 
d'imiter  les  tours  de  force  de  son  rival  ;  seulement  il  avait  gagné 
à  ces  acrobaties  un  tour  de  reins  qui  l'avait  rendu  à  sa  première 
manière. 

Karamsine  a  retrouvé  Vestris  à  Paris,  et  son  enthousiasme 
atteint  les  dernières  limites  du  lyrisme.  A  l'entendre,  «  Vestris 
brille  parmi  ses  camarades  comme  Sirius  parmi  les  autres  é  toiles. . . 
En  le  regardant  je  m'étonne  toujours,  sans  pouvoir  m'expliquer 
à  moi-même  le  plaisir  que  me  cause  ce  danseur  unique  » . 

Karamsine  a  des  fleurs  pour  tout  le  monde.  Gardel  est  «  un 
disciple  des  muses  solennelles  »,  Nivelon  «  un  autre  Vestris  »  et 
le  corps  de  ballet  «  forme  un  beau  groupe  de  figures  pittoresques 
ijui  captive  la  vue  » . 

Halem,  moins  épris  de  la  danse,  reconnaît  cependant  l'incom- 
parable talent  de  Vestris.  En  sa  qualité  de  critique  judicieux  et 
sensé,  il  caractérise  comme  il  convient  la  manière  de  l'artiste, 
mais  il  raille  à  souhait  la  sotte  vanité  de  l'homme  et  le  ridicule 
snobisme  de  ses  admirateurs. 

«  Vestris,  dit-il,  possède  un  art,  qui  est  propre  à  lui  seul,  de 
tomber  comme  de  haut  et  de  se  tenir  en  mesure,  incliné  et  pen- 
ché sur  la  pointe  du  pied  comme  s'il  était  cloué...  Parmi  les 
autres  danseurs  il  y  en  a  d'aussi  forts,  et  de  plus  forts  que  lui 
pour  sauter;  mais  il  les  surpasse  tous  par  la  grâce.  On  le  dit 
d'ailleurs  insupporlablement  orgueilleux  de  son  art,  et  comment 
ne  le  serait-il  pas?  La  première  fois  qu'il  parut  sur  la  scène  de 
Londres,  les  Anglais  suspendirent  la  séance  du  Parlement.  Lorsque 
Vestris  ne  danse  pas,  il  a  coutume  de  s'asseoir  au  balcon  et  de 
se  moquer  des  efforts  de  ses  collègues.  » 

Kotzebue,  qui  est  toujours  en  contradiction  avec  tout  le  monde, 
ne  peut  pas  souffrir  Vestris  :  d'abord  il  n'aime  ni  les  sauts,  ni 
les  pirouettes,  ni  les  mouvements  de  bras  et  de  jambes.  Il  est 
cependant  bien  diiBcile  de  danser  sans  remuer  les  bras  ni  les 
jambes.  Donc,  Kotzebue  est  resté  absolument  froid  devant  un 
solo  et  un  pas  de  deux  de  Vestris.  Car  il  a  vu  pour  la  première 
fois  le  célèbre  artiste  dans  un  ballet  de  Gardel,  Psyché,  dont 
quelques  scènes  seulement  et  les  décors  ont  eu  l'heur  de  lui 
plaire.  Ce  fut  à  l'occasion  de  ce  gracieux  divertissement,  nous 
dit  le  Comte  de  Paroy,  que  Madame  Royale,  la  fille  de  Louis  XVI, 
vint  pour  la  première  fois  à  l'Opéra.  Elle  était  comme  en  extase, 
mais  elle  ne  put  retenir  un  cri  d'effroi  quand  elle  vit  Zéphire 
enlever  Psyché. 

Toutefois,  pour  un  homme  qui  semble  faire  li  de  la  danse  et 
des  danseurs,  Kotzebue  ne  laisse  pas  que  de  traiter  le  plus 
aimablement  du  monde  la  ballerine  chargée  du  rôle  de  Psyché. 
Il  en  admire  le  charme  et  la  légèreté.  C'est  une  ravissante  créa- 
ture, dit-il,  qui  «  peut  représenter  l'innocence  avec  autant  d'il- 
lusion que  si  jamais  de  sa  vie  elle  n'eut  dansé  au  grand  Opéra  ». 

Or,  l'artiste  qui  a  su  trouver  grâce  devant  le  sévère  critique 
n'est  autre  que  la  Miller,  M"'"  Gardel,  une  fort  remarquable  dan- 
seuse et  une  très  honnête  femme  assurément,  mais  oubliée  par 
la  nature  dans  la  distribution  des  avantages  physiques.  Reichardt, 
qui  la  vit  un  an  après  dans  ce  même  ballet  de  Psyché,  la  dit  fran- 
chement laide  :  «  C'est  dommage,  le  tableau  de  l'enfer,  monté 
avec  autant  de  luxe  que  de  goût,  y  perd  beaucoup  ».  Il  est  vrai 
qu'il  ajoute  ce  correctif  tout  à  l'honneur  de  l'artiste  :  «  Sa  mer- 
veilleuse exécution  fait  passer  sur  son  air  vulgaire  ». 

Reichardt,  comme  Halem,  se  prodigue  en  éloges  d'ailleurs 
mérités.  Il  trouve  Vestris  admirable,  quoique  un  peu  uniforme; 
il  vante  l'exquise  souplesse  de  Nivelon,  et  Psyché  est  «  un  déli- 
cieux ballet,  triomphe  du  machiniste  et  du  metteur  en  scène  ». 

(A  sriivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Ctaité.  l.'Aubt'igc  du  Tohu-Hohu.  vaudeville-opérette  en  3  acles,  de  M.  Maurice 
Ordonaeau,  musique  de  M.  Victoc  Roger. 

La  maison  Labi-uyère-Gaité  et  G'",  spécialité  aniverselle  pour  agran- 
dissements garantis,  vient  d'ajouter  à  son  répertoire  l'Auberge  ilu  Tohu- 
Bohii  qui  fut  donnée,  voilà  deu.x  ou  trois  aus,  et  avec  succès,  au.\ 
Folies-Dramatiques.  On  ne  voyait  pas  trop,  de  prime  abord,  comment 
les  auteurs  de  cette  grosse  et  très  inconsistante  bouffonnerie  pourraient 
l'amplifter  pour  le  cadre  assez  vaste  du  théâtre  du  square  des  Arts-et- 
Métiers.  Mais  MM.  Maurice  Ordonneau  et  Victor  Roger,  en  gens  de 
ressources,  ont  plus  d'un  bon  tour  dans  leur  sac  et  n'entendent  s'em- 
barrasser de  rien.  Pour  l'opération  nécessaire,  la  maison  Debruyère 
mettait  à  leur  disposition  un  petit  lot  de  danseuses,  et,  vite,  on  les 
utilisa  en  intercalant  un  divertissement  de  clowns,  au  premier  acte, 
devant  la  baraque  de  saltimbanques  de  Flora,  et  en  inTentanfe  une 
entrée  de  sœiu'S  Clarisson's,  au  dernier  acte,  dans  la  salle  à  manger 
envahie  des  malheureux  Moulinet. 

L'important  était  que  l' Auberge  du  Tohu-Bolai  ne  perdit  rien  de  sa 
folie  extravagante  qui  déchaîne  le  rire  quoi  qu'on  en  ait  dit,  et  le  public 
n'a  eu  nul  motif  de  regret  à  ce  point  de  vue.  En  tète  de  la  distribution 
plutôt  estivale,  qui  joue  cependant  avec  entrain,  ce  qui  est  déjà  quelque 
chose,  il  faut  nommer  M""  Rosalia  Lambrecht,  M™''  Virginie  Roland, 
MM.  Landrin,  Perrin,  Larbaudière,  Ogereau  et  Kerny.  P.-É.  G. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AUX     SALONS     DU     GRAND-PALAIS 


(Seuvième  et  deniier  article.) 

Avaut  d'aborder  la  statuaire,  qui  occupe,  —  avec  plus  d'autorité  que 
d'éclat,  —  la  meilleure  partie  du  Grand-Palais,  je  veux  dire  l'immense 
nef  un  peu  servilement  copiée  sur  celle  du  défunt  Palais  de  l'Industrie, 
une  courte  visite  s'impose  aux  arts  moindres,  relégués  dans  un  certain 
nombre  de  salles  également  propices  aux  flirts  et  à  la  rêverie  solitaire. 
On  sait  que  l'architecture  détient  le  record  de  cette  tranquille  ambiance; 
rien  de  plus  curieux  à  observer  que  le  manège  des  visiteurs  lancés  par 
une  brusque  impulsion  jusqu'au  seuil  des  pièces  glaciales,  des  galeries 
désertes  où  les  émules  de  Duc,  de  Nénot  et  de  Garnier  e.xposent  leurs 
gigantesques  cartons.  Si  quelque  raison  parallèle  sinon  étrangère  à 
l'esthétique  no  leur  a  pas  fait  prendre  ce  chemin,  ils  s'arrêtent  sur  la 
frontière,  écarquillent  les  yeux,  froncent  les  sourcils  en  apercevant  une 
restauration  de  temple  grec  ou  un  projet  d'école  laïque,  regardent  avec 
une  hébétude  de  consommateurs  troublés  dans  leur  digestion,  puis, 
tout  à  coup,  prenant  une  résolution  peut-être  héro'îque,  font  une  rapide 
volte-face. 

Avec  un  peu  plus  de  patience  et  moins  de  parti  pris  ces  promeneurs  à 
la  bouscule  feraient  d'intéressantes  découvertes  parmi  les  cartons  des 
architectes.  J'ai  noté  au  hasard  quelques  bons  envois  :  deux  remar- 
quables vues  de  l'intérieur  de  Saint- Marc  de  Venise  d'un  artiste  améri- 
cain, M.  Andersen,  et  une  autre  aquarelle  très  panoramique,  le  Pont  des 
Soupirs,  d'un  exposant  anglais,  M.  Edward  Bennett;  des  croquis  de 
voyage  aux  Pays-Ras  et  en  Espagne  de  M.  Bouti-on;  le  Trimion,  de 
M.  Louis  Brunet.  et  la  célèbre  façade  de  l'iiotel  Jacques  Cœur  à  Bourges, 
de  M.  Rousseau;  la  curieuse  restauration,  par  M.  Vorin,  du  prieuré 
de  Saint-Arnouet,  près  Touques,  bien  connu  de  tous  les  baigneurs 
trouvillais;  la  cour  des  Myrthes  à  l'Alhambra  do  Grenade,  de  M.  André 
Suréda;  les  ruines  du  théâtre  de  Taormina,  en  Sicile,  par  M.  Recoura; 
deux  études  de  la  Villa  Mèdicis,  par  M.  Patouillard.  qui  ne  sauraient 
laisser  indifférents  les  ex-pensionnaires  do  l'Etat  jadis  loges  à  cette  belle 
enseigne;  l'Iiôtel  de  Ville  deLens,  de  M.  Jules  Doré.  Les  «  projets  »  sont 
nombreux:  projet  de  théâtre  pour  Pontivy,  de  M.  Bouvier;  projet  de 
Conservatoire  de  musique  et  Ecole  des  Beaux -Arts  pour  une  région,  de 
M.  Dehaudt;  projet  de  théâtre  populaire  pour  drames  et  comédies,  de 
M.  Gosset;  projet  de  théâtre  iiour  une  petite  ville,  de  M.Huillard:  projet 
d'atelier  pour  un  peintre-décorateur  de  théâtre,  de  M.Gaston  I/efol; 
projet  d'une  manufacture  de  pianos  et  salle  de  concerts,  de  M.  Risler; 
projet  d'aulierge  pour  des  artistes,  de  M.  Tierce.  Parmi  ces  études,  gé- 
néralement bien  comprises  et  d'un  caractère  pratique  qui  n'enlève  rien 
à  leur  mérite  artistique,  combien  resteront  de  simples  croquis,  combien 
passeront  dans  le  domaine  des  réalisations  définitives  ?  C'est  le  secret 
dos  entrepreneurs...  et  celui  des  municipalités. 

Le  public  ne  stationne  guère  plus  dans  les  salles  de  la  gravure  et  de 


LE  MÉNESTREL 


195 


la  lilhographic  que  dans  celles  de  l'ai-chitecture,  et  celte  fois  encore  il  a 
tort.  Le  Torquemada  d'après  J.-P.  Laurens,  de  M.  Baiiangue;  la  Salomé 
d'après  Juana  Romani,  de  M""  Barraine;  la  Dnuso  d'après  la  maquette 
de  Carpeaux,  de  M.  Bazin;  la  belle  lithographie  de  M.  Agricol  Bénard 
reproduisant  le  Victor  Hugo  sur  son  lit  de  mort  de  M.  Bonnat;  le  Daphnis 
et  Chloé  de  Louis  Français,  lithographies  par  M.  Vernhes;  la  Danseuse 
espagnole  de  Boldini  et  le  danseur  antique  japonais  de  M.Ounno,  eaux- 
fortes  en  couleur  de  M.  Thévenin;  le  Cyrano  de  Bergerac  en  pointe 
sèche  de  M.  Seuseney;  les  eaux-fortes  de  M.  Robida,  poèmes  et  ballades 
du  temps  passé;  la  curieuse  gravure  de  M""'  Franziska  Redelsheimer 
représentant  la  construction  du  nouveau  Ihéàlre  de  Francfort-sur-le- 
Mein;  les  contes  d'Andersen  de  M.  Plat;  l'histoire  d'Esther  burinée  par 
M.  Patricot,  d'après  Filippo  Lippi;  les  quatre  eaux-forles  originales  de 
M.  Oudart  pour  illustrer  les  œuvres  d'Alexandre  Dumas  père;  la 
Carmencita  d'après  Sargent,  de  M.  Massot;  les  eaux-fortes  de  M.  Ija- 
lauze.  pour  illustrer  la  Grenadière  de  Balzac  et  le  Petit  Chaperon  rouge  ; 
la  Sauvageonne  ào,  M.  Hodebert  :  la  Leçon  de  chant  de  M.  Maule;  le 
Polichinelle  au  tambour,  d'après  Meissonier, de  M.Claude  Lafontaine, 
mériteraient  mieux  qu'une  mention. 

La  section  des  portraits  est  très  fournie.  Péle-méle  une  intéressante 
gravure,  eau-forte  et  burin  de  M.  Chenay  :  la  «  Joséphine,  impératrice 
des  Français  »  du  baron  Gérard  ;  MM.  Jacques  Normand,  Victor  de 
Swarte,  Monchablon,  Lhermitte,  SavorgnandeBrazza,Dagnan-Bouveret, 
de  M.  Lucien  Dautrey  ;  M"«  RoUa,  de  l'Athénée,  de  M.  Dupont; 
Carolus  Duran  et  John  Sargent  par  M.  Eugène  Froment  ;  S.S.  le  pape 
Léon  XIIL  d'après  Chartran,  par  M.  Georges  Sauvage;  également  un 
Léon  XIU  de  M.  Gélardy;  un  Falguière  de  M""  Jacob-Bazin,  d'après 
le  bronze  de  Rodin;  le  portrait  de  jeune  homme,  présumé  de  Mozart, 
d'après  Prud'hon,  de  M.  Abel  Jamas;  le  Puvis  de  Chavannes  de 
M.  Lhommo  ;  le  roi  des  Belges  et  la  princesse  Clémentine  à  la  fête  dos 
Automobiles  au  Grand- Palais,  de  M.  Louveau-Rouveyre;  iVI.  Gaston 
Courras  de  l'Opéra,  de  M.  Victor  Mathieu  ;  trois  études  d'après  M.  Loubet, 
une  lithographie  de  M.  Pirodon,  une  autre  de  M.  Ménin.  représentant 
le  président  dans  son  cabinet  de  travail  à  l'Elysée  d'après  M.  Dornac  et 
une  eau-forte  de  M.  Henri  Lefort;  un  Gambetta  de  M.  Taverne,  d'après 
un  petit  pastel  de  Forain  fait  d'après  nature  à  la  Chambre  des  Députés, 
en  1881  ;  une  bonne  eau-forte  de  M.  Barré  :  portrait  de  M.  Georges 
Leygues,  d'après  Carolus  Duran,  pour  l'album  de  l'Artiste;  M.  Léon 
Bourgeois,  de  M""  Sevrin  ;  M.  Louis  Barthou,  de  M.  Renault,  sans 
oublier  le  très  ressemblant  Jean  Richepin  de  M.  Louis  Sivé.  yuantà  la 
gravure  en  médailles,  ses  envois  sont  assez  restreints.  Je  ne  vois  à  citer 
qu'un  fort  beau  camée  de  M.  Domas,  Daphnis  et  Chloè,  sur  pierre 
sardoine  à  trois  couches  ;  Deffès  composant  la  Toulousaine  de  M.  Four- 
cade,  qui  expose  aussi  les  portraits  d'Antonin  Mercié  et  de  Benjamin 
Constant;  l'Aristide  Bruant  de  M.  Levillaiu;  l'Alfred  de  Musset  de 
M.  Mouchon  ;  la  'Walkyrie  de  M.  Perron  ;  la  Sainte-Cxile  et  la  Psyché  de 
M.  Pillet. 

Arrivons  au  Salon  de  la  statuaire.  J'ai  dit  qu'en  dépit  de  la  multi- 
plicité des  envois  il  témoignait  moins  d'éclat  que  d'autorité:  en  effet, 
les  œuvres  robustes  y  abondent  ;  les  morceaux  brillants  sont  plus  rares. 
Signalons  cependant  parmi  les  sujets  allégoriques  l'Isis  se  dévoilant  de 
M.  André  Allar,  qui  nous  revient  au  marbre  sans  avoir  rien  perdu  de  sa 
grâce  ni  de  son  style.  La  Muse  d'Orphée  de  M.  Berge  est  un  plâtre  d'assez 
bonne  venue  dont  les  qualités  dénotent  l'excellent  enseignement  de 
M.  Verlet.  M.  Bartholdi  évoque  en  un  groupe  dont  la  composition  ne 
manque  ni  de  sincérité  ni  d'intérêt  «  les  grands  soutiens  du  monde  »  : 
le  Travail,  le  Patriotisme,  la  Justice.  Le  Génie  du  Sommeil  éternel  de 
M.  Daillion  a  de  la  grandeur  et  de  la  simplicité:  je  préfère  pourtant, 
du  même  artiste,  la  statue  en  bronze  de  Pasteur,  fragment  du  monu- 
ment à  ériger  à  Marbois.  M.  Delagrange  a  voulu  repréienler  le  Mystère 
des  ruines  :  la  statuette  est  plus  aimable  qu'impressionnante  :  feu  M.  de 
Volncy  ne  la  trouverait  pas  assez  philosophique.  M.  Drouot  expose  un 
groupe  destiné  à  l'hôpital  de  Vichy,  qu'il  me.ublera  tout  comme  un 
autre  :  la  République  protégeant  la  Jeunesse  cl  l'Enfance.  L'Ouragan  et  la 
Feuille  de  M.  Antonin  Forestier  ;  le  haut-relief  de  la  Vérité  de  M.  Fui  • 
conis;  l'Europe  et  l'intéressante  statue  de  l'Histoire  de  M.  Raoul  de 
Gontaut-Biron  ;  l'Ame  s'éveillant  de  M.  Lachaise  ;  Diane  et  Eniymion  de 
M.  Morice  ;  la  Muse  de  M.  Emile  Picot  ;  l'Étoile  du  berger  de  M.  Paul 
Roussel  ;  la  Musique  sacrée  de  M.  Sudre  et  la  Nuit  d'octobre  de  M'""  Sya- 
mour  ;  le  Prométhée  de  M  Villeneuve,  se  recommandent  par  des  qualités 
diverses  et  un  égal  souci  d'atteindre  au  grand  art.  M.  Schuler,  un 
artiste  américain,  donne,  avec  ion  Ariane  abandonnée,  une  interprétation 
très  personnelle  de  l'admirable  distique  racinien: 

Ariane,  ma  sœur,  de  quelle  amour  blessée 

Vous  mourûtes  aux  bords  où  vous  fûtes  laissée.... 

V Aurore,  de  M.  Denys  Puech  (qui  expose  aussi  un  «  portrait  ofUciel  », 


ainsi  déani  par  le  catalogue,  de  M.  le  Président  de  la  République) 
compte  parmi  les  meilleurs  envois  du  Salon  ;  l'œuvre  est  délicate  et 
fine,  .sans  mièvrerie.  M.  Labatut  expose  une  Chrysis,  tirée  de  l'Aphro- 
dite de  M.  Pierre  Louys,  qui  a  décidément  produit  une  vive  impression 
sur  les  statuaires,  et  encore,  et  surtout  uue  commande  de  l'Etat  qui  le 
rattache  à  l'école  de  Falconnet,  d'ailleurs  sans  trace  de  pastiche  :  les 
Heures,  cire  perdue  et  marbre,  délicieux  modèle  de  pendule  esthétique. 
M.  Frémiet,  lui  aussi,  a  raffiné  et  presque  préciosé  sa  manière  en  com- 
posant le  groupe  eu  bronze  doré,  d'une  élégance  fastueuse,  qu'il  intitule 
l'Amour  et  le  Paon  de  Vénus.  M.  Déplechin  a  mis  beaucoup  de  fine  ironie 
en  même  temps  que  les  plus  rares  qualités  d'exécutant  dans  sa  Fontaine 
de  Bacchus,  où  l'on  voit  le  dieu  du  \in,  terrassé  par  l'ébriétê,  dormir 
d'un  sommeil  profond  sous  le  filet  d'eau  tombant  dans  une  vasque.  Le 
Washington  de  M.Gérôme,  qui  retrouve  décidément  comme  sculpteur 
ses  premiers  succès  de  peintre,  a  du  caractère  et  de  l'allure  :  le  héros  de 
l'indépendance  américaine  est  représenté  en  pacificateur  ;  le  geste 
large  commande  et  domine.  On  reverra  avec  plaisir  la  Frise  du  traçait 
de  M.  Anatole  Guillot,  un  des  détails  sculpturaux  les  mieux  réussis  de 
r  Exposition  de  1900,  et  les  types  d'ouvriers  adroitement  diversifiés  par 
le  statuaire.  M.  Marquet  de  Vasselot  expose  les  bas-reliefs  composés 
pour  la  Comédie  humaine  et  qu'il  proposait  à  la  Société  des  gens  de 
lettres  d'incruster  dans  le  piédestal  de  l'œuvre  de  Falguière,  laquelle 
n'est  pas  un  chef-d'œuvre.  Ces  bas-reliefs  sont  ingénieusement  traités  : 
le  refus  du  comité  ne  s'explique  pas  ou  ne  saurait  s'expliquer  que  par 
des  raisons  à  côté.  M.  Edouard  Houssin  commente,  dans  une  délicate 
statuette,  un  paysage  de  l'Impossible  de  Marceline  Desbordes- Valmore  : 

Qui  me  rendra  ces  jours  où  la  vie  a  des  ailes. 
Et  vole,  vole,  ainsi  que  l'alouette  au.'C  cieux, 
Lorsque  tant  de  clarté  passe  devant  ses  yeux. 
Qu'elle  tombe  éblouie  au  fond  des  fleurs,  de  celles 
Qui  parfument  son  nid,  son  àme,  son  sommeil, 
Et  lustrent  son  plumage  ardé  par  le  soleil.... 

Les  monuments  patriotiques,  si  nombreux  chaque  année,  dépassent 
cette  fois  la  quantité  moyenne.  A  peine  me  reste-t-il  assez  de  place 
pour  signaler  le  groupe  de  M.  Sicard,  Pour  la  Patrie,  monument  élevé 
aux  anciens  élèves  du  lycée  de  Tours  victimes  de  l'Année  Terrible  ;  le 
monument  aux  enfants  de  l'arrondissement  de  Sens  de  M.  Peynot;  le 
monument  dédié  aux  enfants  du  Gard,  de  M.  Antonin  Mercié  ;  le 
groupe  en  bronze  de  M.  Maillard  à  la  mémoire  des  enfants  d'Asnières; 
le  Pro  Patria  de  M.  Levasseur,  dont  la  réduction  appartenant  à  l'État  est 
placée  dans  le  jardin  du  Lu.xembourg;  la  statue  en  marbre  de 
M.  Locomte  du  Nouy,  Pour  la  Liberté,  dédiée  aux  enfants  de  Paris;  le 
motif  principal  du  monument  en  l'honneur  des  enfants  de  Seine-et- 
Marne  morts  pour  la  patrie  de  M.  Desvergues,  sans  oublier  la  grande 
héroine  nationale,  la  statue  équestre  de  Jeanne  d'Arc  à  Patay,  de 
M.  Le  Bourg,  commandée  par  le  comité  des  fêtes  de  Jeanne  d'Arc  de 
Nantes . 

L'anecdotisme  sculptural  est  assez  agréablement  représenté.  L'Orchestre 
des  Amours  de  M.  Auguste  Paris,  l'Amour  en  Hercule  de  M.  Chrétien, 
le  Sanison  de  M.  Chassaigne,  la  Fin  de  la  Cigale  de  M.  Coutheilas,  le 
groupe  on  cire  de  M.  Georges  Colin  :  la  Course  à  l'abîme,  VOndine  de 
M.  Charles  Breton,  la  Danseuse  de  M.  Bastet,  d'un  charme  d'exécution 
si  pénétrant,  la  Phryné  de  M.  Bulloni,  VHamlet  de  M.  Astruc  (scène  des 
comédiens),  ne  sont  pas  des  œuvres  négligeables.  Mais  le  temps  me 
presse,  et  à  peine  puis-je  me  mettre  en  règle  avec  l'innombrable  galerie 
des  effigies  plus  ou  moins  historiques.  Voici  les  morts  illustres,  célèbres 
ou  simplement  notoires  :  Beethoven,  de  M.  Breitel;  Baudin,  de  M.  Bo- 
verie;  Emile  Brckmann,  de  M.  David,  pour  son  tombeau  de  Lunéville; 
Paul  de  Kock,  de  M.  Descoups;  Lalo,  de  M.  Feinberg,  commandé  par 
l'Etat  pour  l'Opéra;  Chardin,  de  M.  Paul  Fournier;  Léo  Delibes,  de 
M.  Guglielmo;  Jean  Macé,  de  M.  Massoulle;  le  buste  de  Falguière  et 
la  statue  eu  pierre  de  Victor  Hugo  commandée  à  M.  Marqueste  par  la 
Ville  de  Paris  pour  la  cour  d'honneur  de  la  Sorbonne;  le  Père  Didou, 
de  M.  Félix  Martin;  l'Armand  Silvestre,  de  M.  Rivière-Théodore;  le 
buste  du  colonel  de  Villebois-Mareuil,  par  M.  Raoul  Verlet,  destiné  à 
Grez-en-Bouère.  Parmi  les  portraits  olliciels,  un  buste  en  terre  cuite 
d'après  M.  Loubet  de  M.  Euderlin  et  S.  M.  la  Reine  Régente  d'Espagne, 
un  remarquable  envoi  de  M.  Pallez;  un  buste  de  M.  Mougeot,  le  sous- 
secrétaire  d'État  des  Postes  et  Télégraphes,  par  M.  Paul  Auban; 
M.  Caillaux,  ministre  des  finances,  par  M.  Bernslamm,  qui  expose  aussi 
une  très  ressemblante  Sada  Yacco;  le  commandant  Marchand,  de 
M.  Choppin;  M""=  (Georges  Leygues,  intéressante  étude  de  M.  Edmond 
Desca;  le  président  Kruger,  de  M.  Achard.  Et  j'allais  oublier  le  Chau- 
chard  de  M.  Weigele,  le  comte  Lavedan  de  M.  Ernest  Dubois,  l'Eugèno 
Ledrain  de  M.  Capellaro,  le  Gabriel  Fauré  de  M.  Frémiet,  le  Camille 
Saint-Saèns  de  M.  Paul  Dubois.  Le  monde  des  théâtres  est  représente 


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LE  MÉNESTREL 


par  l'Engel  de  M.  Yselin,  le  Paul  Ferrier  de  M.  Eniest  I.eioux,  le  Ma- 
noury  de  M.  Vincent  et  deux  suggestives  études  féminines  :  M'"*  Amy, 
du  théâtre  national  de  l'Odéon,  de  M.  Ferrand,  ut  M""  Carrèrc-Xanrof, 
l'excellente  artiste  du  non  moins  national  théâtre  de  l'Opéra,  par  M.  Badin. 

Cajulle  Le  S.  nne. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTEE 


XVII 
MÉDITATION  DEVANT   «  THAÏS  »,   AU   MUSÉE  GUIMET 
A  nos  maîtres  Analole  France  et  J.  Massenet. 

Est-ce  vous,  Thaïs? 

La  science  l'affirme  ;  elle  a  ses  preuves,  que  l'artiste  accepte  d'autant 
plus  volontiers  qu'elles  viennent  dramatiser  son  rêve.  Je  veux  me  per- 
suader que  je  suis  en  présence  de  votre  néant,  et  loin  d'oser  discuter 
les  doctes  témoignages,  je  les  invoque  passionnément,  puisque  ce  n'est 
plus,  hélas  !  la  splendeur  de  votre  beauté  mortelle  ni  le  doux  éclat  de 
vos  chers  yeux  de  violettes  qui  peuvent  me  démontrer  d'abord  votre 
identité!  Vous  êtes  en  tous  points  semblable,  ô  belle  entre  les  bulles  !  à 
ces  dépouilles  anonymes  qui  vous  entourent,  à  ces  humbles  momies 
noircies  dans  l'ombre  des  siècles  et  qu'un  humble  détail  usuel  do  leur 
sépulture  nous  révèle  musicienne  ou  brodeuse!  Un  autre  corps,  qui 
serait  le  votre,  offrirait  à  nos  yeux  pareille  amertume  sans  nom.  Les 
accessoires  seuls  restent  éloquents.  Le  poète  l'a  dit  : 
La  matière  demeure  et  la  forme  se  perd... 

N'allons  pas,  toutefois,  vous  confondre,  comme  le  voudraient  les 
ignorants,  avec  votre  royale  homonyme,  avec  cette  Alhénienne  plus 
lointaine,  la  Thaïs  amie  du  poète  Ménandre  ou  du  s'atuaire  Praxitèle, 
qui  sut  conquérir  le  plus  artiste  des  conquérants,  cet  Alexandre  le  Grand 
qui  pourtant  tuait  ses  amis  et  brûlait  des  villes...  Celle-là,  l'Egypte 
aussi  la  possède,  puisqu'elle  devint  la  femme  de  Plolémée;  mais  ce  n'est 
pas  à  travers  les  douze  kilomètres  du  cimetière  profond  d'Antinoé  que 
l'archéologue  retrouverait  sa  trace  :  son  sarcophage  est  ailleurs,  non 
moins  silencieux. 

Mais  vous.  Thaïs  martyre,  sainte  Thaïs,  vous  voici  donc  exhumée 
sous  une  claire  vitrine  du  Musée  Guimet,  —  venue  de  la  patrie  du  mys- 
tère :  et  la  plus  frêle  statuette  a  conservé  plus  de  galbe  authentique  et 
riant  que  votre  chair  merveilleuse  qui  troublait  les  saints  !  Cependant 
votre  tombe  est  récente,  puisqu'elle  ne  remonte  qu'à  seize  siècles  envi- 
ron :  qu'est-ce  que  cela  pour  la  terre  des  Pyramides?  Et  quand  vous 
mourûtes  en  l'honneur  de  votre  Dieu  plus  puissant  qu'Éros,  n'y  avait-il 
point  deux  grands  siècles  déjà  que  le  bel  Antinous, aimé  d'un  empereur, 
s'était  noyé  là  dans  les  roseaux  du  Nil?  Si  leurs  noms  parvinrent  à  vos 
oreilles  pieuses,  les  Pharaons  des  dynasties  séculaires  devaient  vous 
paraître  plus  éloignés  de  votre  temps  que  vous  ne  nous  paraissez  loin- 
taine. Autour  de  vous  l'archéologie  n'était  point  née.  Vous  ne  seriez  pas 
venue  contempler  les  cadavres  oubliés  de  vos  aïeules  avec  la  même 
curiosité  qui  rappelle  maintenant  prés  de  vos  restes  nos  belles  mondaines 
savantes,  dont  le  face-à-main  reflète  encore  les  chatoiements  du  Grand- 
Prix...  Votre  luxe  même  dévoile  votre  époque,  déjà  byzantine,  en  attes- 
tant votre  conversion. 

Cejourd'hui,  mardi  18  juin  de  l'an  de  grâce  1901,  passant  obscur  au 
seuil  d'un  siècle  incertain,  j'analyse  respectueusement  votre  poussière. 
Thaïs,  l'harmonie  en  cerise  et  en  or  de  la  robe  allongée  comme  une  dal- 
matique,  avec  le  mantelet  en  gaze  de  soie  à  bourrelet  laineux,  qui  reste 
intact  sur  la  triste  métamorphose  de  vos  formes  momifiées...  C'est  la 
séduction  de  l'Orient  :  ainsi  le  peintre-décorateur  Brangwyn  nous  mon- 
tre-t-il  encore  ses  modèles  favoris.  Un  collier  d'amulettes,  peut-être, 
avoisine  le  chapelet  primitif  et  la  croix  grecque;  des  bouquets,  livides 
comme  vos  membres,  alternent  avec  des  pièces  religieuses,  unecorbeillc 
à  pain,  de  frustes  céramiques.  Des  babouches  carrées,  tissées  de  flis  d'or, 
bâillent  sur  ces  pieds  vermoulus  qui  furent  si  beaux...  Et  vous  dormez, 
défigurée,  dans  le  cadre  harmonieux  des  palmes  blondes.  Est-ce  donc 
la  l'exquise  passante  imperceptible,  dont  l'apparition  révolutionnait  le 
théâtre,  parmi  les  nouveautés  des  danses  mièvres  et  des  tuniques  mauves. 
—  le  «  petit  grain  de  riz  »,  cause  de  tant  de  larmes  et  de  ruines? 

Auprès  de  vous,  sous  le  même  verre,  rigide  en  son  néant,  toujours 
grandiose,  est  étendu  l'Anachorète  :  un  carcan  de  for,  des  bracelets,  de 
rudes  anneaux,  mortifient  toujours  son  squelette  de  leur  poids  rouillé; 
et  la  cuirasse  lourde  de  la  pénitence  émerge  du  cilice  noir. 

Contraste  sensible,  ce  deuil  pesant  auprès  de  cet  incarnat  de  fête  ! 

(1)  Voir  le  Ménestrel  des  14  avril,  19  mai  et  16  juin  1901. 


Sérapion,  Thaïs,  vous  êtes  idéalement  unis  dans  la  mort  !  L'insouciance 
de  la  courtisane  fut  convaincue  par  ranstèrité  du  moine.  .\h!  si  les 
portraitistes  du  temps,  qui  commençaient  à  peindre  les  effigies  des  défunts 
sur  leurs  tombeaux,  nous  avaient  transmis  votre  double  image,  comme 
le  peintre  Jean  Veber  marie  vos  profils  sur  la  première  page  illustrée 
d'une  partition!  Mais,  dès  hier,  pour  animer  par  avance  ces  vestiges 
muets,  j'avais  rouvert  le  conte  le  plus  exquisement  philosophique  d'un 
conteur  qui  fait  penser  :  et  la  pluvieuse  après-midi  m'avait  paru  brève; 
dès  hier  soir,  pour  prévenir  ces  images  funèbres,  j'avais  requis,  à  l'Opéra, 
les  éphémères  délices  de  l'art  musical  (1);  et  j'en  prolonge  l'austère 
enchantement  devant  la  vitrine  silencieuse,  puisque  l'amour  est  vain- 
queur de  la  mort. 

Non,  Thaïs,  vous  n'êtes  point  morte,  et  vous  ne  sauriez  mourir,  puis- 
que l'Art  a  mis  ses  limpides  hiéroglyphes  sur  la  page  blanche  afin  de 
ressusciter  dans  l'avenir  le  fragile  parfum  de  votre  àme.  Votre  corps, 
sans  doute,  votre  corps  divin  n'est  plus  qu'une  ruine  qui  doit  périr  à 
son  heure;  m.ais  déjà,  quand  il  resplendissait  de  tous  les  feux  harmo- 
nieux de  la  chair,  la  mystique  parole  de  l'ascète  ne  l'appelait-ilpas  «  un 
tombeau  »?  Aux  yeux  scandalisés  de  l'apôtre,  ce  corps  mortel  et  fugitive- 
ment parfait  n'était-il  pas  aussi  méprisable  que  l'icône  adorée  d'Éros? 
C'était  la  tombe,  puisque  l'esprit  divin  l'avait  déserté.  C'était  la  rose 
fugitive,  privée  des  senteurs  du  ciel.  La  fleur  passe;  et  l'arôme  est  par- 
venu jusqu'à  nous. 

Harpe  céleste  ou  lyre  païenne,  —  le  corps  no  doit-il  pas,  d'ailleurs, 
être  considéré  par  toutes  les  philosophies  comme  par  toutes  les  luxures 
comme  un  éphémère  instrument  sur  lequel  un  invisible  et  terrible  artiste 
essaie  des  mélodies  tour  à  tour  sensuelles  ou  purifiées?  La  matière 
périssable  n'est  que  le  clavier  d'un  virtuose  intérieur  et  présent,  peut- 
être  immortel  comme  la  pensée  même.  Les  lèvres  unies  par  le  baiser 
sont  du  même  limon  que  les  bouches  qui  pi-ient...  Oui,  Thaïs,  «  l'amour 
est  une  verlu  rare  »,  et  votre  instinct  de  femme  avait  aussitôt  rattrapé 
les  longues  veilles  des  sages.  Quand,  déjà  convertie,  vous  vouliez  pro- 
téger contre  la  loyale  fureur  du  moine  la  fluette  statue  d'Kros,  présent 
de  Nicias,  vous  pressentiez,  peut-être,  la  grande  loi  d'unité  de  la  Vie, 
sœur  de  la  Mort.  Avant  l'aube  de  la  foi,  vos  nuits  inquiètes  interrogeaient 
voluptueusement  votre  miroir  fidèle  ou  Vénus,  parfum  de  l'ombre  :  «  Dis- 
moi  que  je  suis  belle  --  et  que  je  serai  belle  éternellement...  »  Mais  une  las- 
situde singulière  envahissait  votre  époque  et  votre  àme  :  votre  beauté 
devinait  ce  qu'elle  serait  bientôt,  ce  qu'elle  est  aujourd'hui.  .  «  Qui  te 
fait  si  sévère?  »  Une  énigme  terriblement  égalitaire  :  la  Mort. 

Mais  vous  êtes  deux  fois  immortelle,  puisque  vous  êtes  trépassée  jadis 
en  murmurant  :  «  .fe  vois  Dieu!  »,  et  que,  désormais,  la  plus  poétique 
des  proses  a  fixé  votre  souvenir.  Le  fait  est  là,  brutal  :  quelques  débris 
sous  des  lambeaux.  Mais  qu'importe  le  fait?  La  pensée  seule  existe.  Rien 
n'est,  tout  devient  :  mais  l'Art  n'est-il  pas  le  plus  durable  des  amours? 
Et  quand  même  la  foi  ne  serait  qu'un  rêve,  u'est-elle  point  vraiment  la 
vie  éternelle?  La  minute  radieuse,  avant  la  nuit  du  néant,  où  vos  grands 
yeux  virent  le  ciel,  apparaît  elle-même  une  éternité.  C'est  pourquoi  je 
ne  m'attriste  ni  ne  m'épouvante  devant  cette  vitrine  funèbre;  au  con- 
traire, du  sein  des  clameurs  cuivrées  d'un  orchestre  invisible  où  se 
débattent  furieusement  tous  les  conflits  humains  de  l'àme  et  de  la  chair, 
où  tant  de  passion  contraste  avec  tant  de  repos,  je  pen;ois  encore, 
d'abord  si  frêle,  la  victorieuse  Méditation  de  celui  que  son  inspirateur 
nomme  lui-même,  à  bon  droit,  «  le  maître  adorable  »  ;  j'entends  distinc- 
tement le  violon  solo  de  la  Vie  nouvelle  s'élever  en  ré  majeur  \ers 
l'Amour  inconnu  :  ce  chant  suave,  c'est  lui  qui  vous  accompagnait  au 
seuil  du  monastère,  quand  le  sombre  moine  vous  remit  aux  mains  des 
Filles  blanches;  c'est  lui  qui  berçait  votre  dernière  extase,  tandis  que  le 
regard  noir  de  votre  beauté  blonde  incendiait  le  cœur  trop  longtemps 
dompté  de  votre  mystique  amant... 

Mystère  plus  redoutable  que  les  profondeurs  de  l'antique  Egypte! 
Votre  conversion.  Thaïs,  devait-elle  avoir  pour  prix  la  perdition  de  l'.Vnn- 
chorète?  Tandis  qu'un  ange  se  réveillait  dans  la  courtisane,  fallait-il 
que  Vénus  Astarté  se  ranimât  dans  son  être?  «  Thaïs  va  mourir!  »  Alors, 
à  quoi  bon  l'univers?  Et  le  cénobite  éperdu  s'est  abimé  dans  la  nuit... 
Sa  chair  matée  se  révolte.  «  Qui  veut  faire  l'ange  fait  la  bête  »,  a  dit  la 
sagesse  morose  :  mais  les  Anges,  plus  charitables  que  les  hommes,  ont 
eux-mêmes  murmuré  :  «  Pitié!  » 

Tout  n'est  que  rêve;  et  ce  réve-là  n'est  qu'un  roman  :  qu'importe,  si 
sa  vraisemblance  est  plus  vraie  que  la  réalité? 

Thaïs  va  mourir,  elle  est  morte...  Et  dans  ce  musée  discret,  comme 
Tannhauser  maudit  sur  le  cercueil  de  sa  fiancée,  mes  lèvres  ne  peuvent 
que  balbutier  :  «  Sainte  Thaïs,  priez  pour  lui,  priez  pour  moi  !  » 

(A  suivre.)  Raymond  Bouykr. 


1 


(1)  Lundi  soir  17  juin  1901  :  brilliuite 
MM.  Dtlmas  et  Vaguet. 


e|)résontation  de  Tliuh  avec  M""  t..  Berlliet, 


LE  MENESTREL 


197 


PENSÉES  ET  APHORISMES 

D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Traduit   du   russe   par   Michel    Delines.) 


«  Chacun  peut  obtenir  le  salut  à  sa  manière  »  est  une  expression 
pleine  de  bon  sens,  car  en  chaque  homme  est  inné  le  sentiment  qu'il  y 
a  au-dessus  de  lui  quelque  chose  ou  quelqu'un  d'invisible  et  d'inexpli- 
cable, mais  de  puissant  et  do  définitif,  à  qui  il  peut  s'adresser  dans  la 
détresse  et  dans  la  joie. 

Il  est  absolument  indifférent  qu'il  voie  cette  divinité  dans  la  pierre  ou 
dans  l'animal,  dans  un  être  naturel  ou  surnaturel,  dans  Jéhovah  ou  dans 
le  Christ,  dans  Allah  et  Mahomet,  Bouddha,  Ormuzdeet  Ariman,  Brah- 
ma  et  Vichuou,  pourvu  qu'il  reconnaisse  une  morale  qui  l'épure  et 
l'inspire  pour  le  bien.  Pas  une  religion,  mais  une  morale. 

Aussi  je  me  représente  le  pasteur  et  le  missionnaire  comme  dos 
maîtres  de  morale  et  non  de  religion.  Ce  que  je  ne  comprends  pas,  c'est 
pourquoi  tous  les  hommes  doivent  être  chrétiens,  juifs  ou  mahomé- 
tans,  et  encore  moins  catholiques,  orlhodo.xes  ou  prolestants. 

Combien  ces  hommes  seraient  plus  heureux  et  meilleurs,  si  on  ne 
leur  enseignait  qu'à  penser  et  agir  dans  la  voie  du  bien,  de  la  justice, 
de  l'amour  du  prochain,  et  si  on  leur  laissait  la  liberté  de  croire  et  de 
prier  à  leur  manière,  c'est-à-dire  si  on  ne  leur  imposait  pas  une 
religion  ! 

Tant  que  ce  principe  n'aura  pas  triomphé,  il  ne  peut  être  question  de 
progrès  vérilable. 

Lequel  de  ces  deux  compliments  est  le  plus  flatteur  pour  un  artiste  : 
«  Voire  exécution  merveilleuse  m'a  rendue  tout  à  fait  malade!  »  ou 
«  Votre  merveilleuse  exécution  m'a  guérie  du  coup!  »  ? 

Le  plus  souvent  ces  compliments  divers  sont  adressés  à  l'artiste  dans 
une  même  soirée  par  des  dames  reconnaissantes.  N'est-ce  pas  étrange? 
Quel  honneur  pour  un  art  qui  peut  produire  des  effets  aussi  contraires  ! 


Lorsque  involontairement  je  mets  le  pied  sur  une  fourmilière  et  que 
je  vois  l'affolement  des  malheureux  insectes  qui  courent  en  tous  sens,  je 
songe  que  quand  un  malheur  semblable,  —  tremblement  de  terre,  peste 
ou  inondation  —  arrive  aux  hommes,  c'est  sans  doute  un  dieu  qui  a,  sans 
le  vouloir,  posé  aussi  un  pied  sur  le  lieu  de  la  catastrophe.  La  distance 
entre  un  dieu  et  moi  est  sans  doute  aussi  grande  qu'entre  moi  et  la 
fourmi,  et  les  villages,  les  bourgs  et  les  villes  ne  sont  après  tout  que 
des  fourmilières. 

Un  petit  État  au  point  de  vue  politique  est  ridicule,  et  cependant 
c'est  aux  petits  Klats  que  l'humanité  doit  la  civilisation.  Ne  sommes- 
nous  pas  beaucoup  plus  redevables  à  la  petite  Grèce  des  anciens  temps 
qu'au  grand  empire  romain?  Ne  devons-nous  pas  davantage  aux  petits 
États  de  l'Italie  et  de  l'Allemagne  d'autrefois  qu'aux  grandes  puissances 
de  nos  jours? 

N'est-il  pas  curieux  qu'on  n'ait  pas  réussi  jusqu'ici  à  définir  la  nature 
du  rêve?  D'après  une  expérience  personnelle,  je  suis  disposé  à  croire 
que  le  rêve  est  tout  le  contraire  de  la  réalité.  Chaque  fois  que  j'ai  rêvé 
de  beauté,  de  bonheur  ou  de  gloire,  il  m'est  survenu  des  événements 
désagréables  et  même  douloureux,  tandis  que  lorsque  je  rêvais  de  choses 
terribles  et  mauvaises,  je  me  réveillais  souvent  avec  des  surprises  char- 
mantes. 

Quand  il  est  question  du  rôle  de  la  nature  dans  l'art  je  dis  volontiers  : 
le  raisin,  voilà  la  nature,  le  vin,  voilà  l'art.  Tout  autre  commentaire 
me  semble  superflu. 

La  nature  a  des  formes  assurément,  mais  elle  n'a  pas  de  limites;  or 
l'art  ne  peut  se  passer  de  limites.  Ainsi  il  faut  au  drame  des  tréteaux, 
il  lui  faut  encore  la  division  par  actes;  le  tableau  ne  peut  se  passer 
de  cadre,  ni  la  symphonie  de  jxirties  distinctes.  Voilà  pourquoi  le  réa- 
lisme poussé  à  l'extrême  dégénère  et  semble  précisément  un  art  contre 
nature. 

De  nos  jours  on  modifie  l'aspect  des  anciennes  villes  d'Europe  par 
raison  d'hygiène.  Peut-être  fait-on  bien.  Tout  de  même,  je  ne  peux 
m'empêcher  de  dire  que  c'est  dommage.  Les  anciennes  villes  de  Rome, 
Moscou,  Prague,  disparaissent  peu  à  peu  et  prennent  la  physionomie 
banale  de  toutes  les  autres  villes.  Au  reste  les  hommes  aussi  perdent 
leur  individualité.  Ils  ne  sont  plus  qu'un  troupeau  vulgaire  et  les  villes 
que  des  casernes.  Mais  comme  les  uns  et  les  autres  deviennent  forts  et 
résistants,  matériels  en  un  mot! 

(A  suivre.) 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nous  avons  racouté  les  raésaven tares  du  ^Vitoi»  de  M.  Arrigo  Boito.  A 
ce  sujet  un  critique  italien,  JVT.  Lorenzo  Parodi,  publip,  dans  le  supplément 
du  Caffaro,  le  résultat  des  rechercties  faites  par  lui  sur  les  rares  compositions 
éparses  de  l'auteur  de  Mi-pstofclr.  Rares  en  effet,  comme  on  va  le  voir,  car 
elles  se  bornent  à  ceci  :  une  cantate,  le  Soirlle  d'Italie,  dont  il  n'est  même 
que  pour  une  moitié,  car  elle  fut  écrite  en  collalioration  avec  le  regretté 
Franco  Faccio  et  exécutée  au  Conservatoire  de  Milan  dans  l'année  scolaire 
1860-61  ;  une  Marche  pour  l'Association  triestine  de  gymnastique,  publiée  à 
Trieste  en  1878  ;  UQ  canon,  à  lire  même  à  rebours,  écrit  pour  un  album  d'é- 
tudiants ;  quelques  mesures  pour  orgue,  pour  le  numéro  unique  consacré  à 
Donizetti  en  I8&7  ;  enfin  une  Barcarolle,  chœur  à  quatre  voix,  publii5e  dans 
la  Bibliolbèque  chorale  de  la  maison  Ricordi.  Et  c'est  tout  !  Toute  la  renom- 
mée de  compositeur  de  M.  Boito  s'appuie  donc  sur  une  seule  œuvre,  son 
Mepstofele,  et  l'on  voit  tout  ce  qu'il  a  produit  dans  le  cours  de  quarante 
années.  On  n'accusera  pas  celui-là  d'une  fécondité  fâcheuse. 

—  Pour  suppléer  à  l'absence  du  Néron  de  Boito,  qui  devait  être  l'opéra 
d'obligo  de  la  prochaine  saison  de  la  Scala  de  Milan,  et  qui,  n'étant  pas  ter- 
miné, ne  peut  pas  être  représenté,  le  ducVisconti  di  Modrone,  administrateur 
de  ce  théâtre,  vient  de  s'assurer  d'un  autre  ouvrage,  qui  sera  l'opéra  nuo- 
vissimo  de  cette  saison.  Son  choix  s'est  porté  sur  Germania,  opéra  en  quatre 
actes,  paroles  de  M.  Luigi  Illica,  musique  de  M.  Alberto  Franchelti,  l'auteur 
applaudi  déjà  d'Asrael  et  de  Crisloforo  Colombo.  Le  traité  a  été  signé,  ces  jours 
derniers,  entre  le  théâtre,  le  compositeur  et  l'éd.teur.  M.  Franchetti  va  se 
retirer  pendant  quelque  temps  en  Suisse,  pour  faire  quelques  retouches  à  sa 
partition,  qui  est  prête  d'ailleurs  à  mettre  à  la  scène. 

—  M.  Leoncavallo  avait  été  chargé  par  le  gouvernement  d'écrire  une 
messe  pour  l'anniversaire  de  la  mort  tragique  du  roi  Humbert,  messe  qui 
devait  être  exécutée  le  29  juillet  à  Rome,  au  Paulhéon.  Mais  le  compos  leur 
recevait  récemment  une  lettre  du  ministre  (îiolilti,  qui  l'avisait  que  la  curie 
romaine  refusait  absolument  de  laver  à  ce  sujet  l'interdiclion  qui  exclut  les 
voix  de  femmes  dans  les  églises.  Or,  il  y  a  des  solos  et  des  chœurs  de  fem- 
mes dans  la  messe  de  M.  Leoncavallo,  d'où  il  résulte  qu'elle  ne  pourra  pas  être 
chantée.  Un  journal  italien  dit  fort  justement  à  ce  propos  :  «  Il  est  étrange 
que  M.  Leoncavallo  se  soit  mis  à  écrire  une  composition  sacrée,  sans  aupa- 
ravant s'informer  des  coutumes  de  l'église  », 

—  C'est  au  mois  d'octobre  prochain  que  sera  exécute  à  Milan,  dans  le  Salon 
Perosi,  le  nouvel  oratorio  du  compositeur,  Mosè.  L'exécution  sera  dirigée 
par  M.  Arturo  Toscanini,  qui  n'a  voulu  s'engager  qu'après  avoir  eutendu 
l'œuvre  au  piano.  Les  solistes  seront  M"""  Pinto,  le  ténor  Mannucci  et  le 
baryton  Sammarco.  On  ne  donnera  pas  cet  hiver,  au  Salon,  d'autres  oratorios 
do  don  Perosi,  mais  on  donnera  des  concerts  de  musique  sacrée  d'autres 
auteurs. 

—  Suite  des  renseignements  donnés  par  le  Trovatore  sur  les  premières 
représentations  des  opéras  de  Rossini.  —  5  février  1816  :  au  théâtre  Argen- 
tina,  de  Rome,  il  Barbiere  di  Siviglia  ;  interprètes,  Garcia,  Zamboni,  Vitta- 
relli,  Botticelli  et  la  Giorgi-Righetti.  24  avril,  au  théâtre  du  Fonde  de  Naples, 
à  l'occasion  du  mariage  de  la  princesse  Caroline  avec  le  duc  de  Berry, 
exécution  de  la  cantate  Teli  e  Peleo,  chantée  par  Nozzari,  David,  la  Colbran, 
la  Dardanelli  et  la  Ghambrand.  i  décembre,  au  ihéàtre  du  Fondu  de  Naples, 
Otello,  K  optra  séria  »,  poème  dj  Berio  ;  interprètes,  Nozzari,  Garcia,  David. 
Benedetti  et  la  Colhran.  26  décembre,  au  théâtre  Valle  de  Rome,  Cenerentola 
(Cendrillon),  opéra  bouffe,  libretto  de  Ferretti  ;  interprète  s,  Galli,  De  Begnis, 
Giulielmi,  la  Giorgi-Righetti,  la  Rossi  et  la...  —  31  mai  i817,  à  la  Scala  de 
Milan,  grand  succès  de  la  Gazza  ladra,  opéra  bouffe,  libretto  de  Gherardini  ; 
interprètes,  Monelli,  Galli,  Botticelli,  Ambrosi,  la  Giorgi  Belloc  et  la  Gal- 
lianis.  7  novembre,  au  San  Carlo  de  Naples,  Armida,  «  opéra  séria  »,  libretto 
de  Scbmidt. 

—  Encore  un  prince  dilettante  et  musicien  pratiquant.  Le  prince  Mirko  de 
Monténégro, amateur  passionné  de  musique,  a  composé, parait-il,  une  marche 
militaire  intitulée  Souvenir  de  Rome  (Ricordo  a  Roma}.  Cette  marche  a  été 
e,xécutée  récemment  au  Pimio,  à  Rome,  au  concert  des  élèves  carabinier.-', 
sans  qu'on  en  connût  l'auteur,  et  a  produit  beauc.iup  d'effet. 

—  Le  jury  international  constitué  pour  le  monume..t  de  Richard  Wagner 
à  Berlin  a  terminé  ses  travaux  et  a  désigné  les  sculpteurs,  presque  tous  de 
Berlin,  parmi  lesquels  un  nouveau  concours  sera  ouvert  ;  le  premier  prix  de 
ce  concours  est  fixé  à  LriOO  marcs.  Parmi  ces  élus  ne  se  trouve  aucun  sculp- 
teur connu,  à  l'exception  de  M.  Ernest  Herler.  La  presse  berlinoise  est  plutôt 
désenchantée  et  dit  que  parmi  les  soixante  et  un  projets  soumis  au  jury  il  ne 
s'en  trouve  aucun  qu'on  désirerait  voir  exécuter  et  figurer  sur  l'emplacement 
du  Thiergarten  que  Guillaume  II  lui  a  destiné.  Le  jury  international  a  d'oil- 
leurs  été  fort  bien  reçu.  Au  banquet  donné  en  l  honneur  des  membres  étran- 
gers de  ce  jury,  le  sculpteur  Antonin  Mercié,  de  Paris,  a  prononcé  en  fran- 
çais un  intéressant  discours  et  a  porté  «  un  toast  à  l'art  ».  Un  autre  orateur, 
le  littérateur  .Iules  Stinde,  a  raconté  ses  impressions  sur  la  personnalité  de 
Richard  Wagner,  qu'il  avait  eu  la  bonne  fortune  de  connaître  à  Hambourg. 
Il  a  notamment  cité  un  mot  du  raaitre  qu'on  ne  connaissait  pas  encore.  Un 
jour,  Wagner  dit  à  Stinde  :    «  Une  œu>re  d'art  est  un  livre  fermé  par  sept 


198 


LE  MENESTREL 


cachets;  elle  est  comme  le  bouquet  que  porte  ma  femme.  Personae  ne  suit 
comment  il  est  composé  en  dehors  du  jardinier  et  de  quelques  amis  qui  s'en 
sont  occupés  avec  prédilection  :  quant  aux  fleurs  en  elles-mêmes,  elles  res- 
tent un  mystère  éternel,  u 

—  Les  affaires  sont  les  affaires.  Le  théâtre  du  prince-régent  à  Munich,  qui 
est,  comme  on  sait,  construit  d'après  las  plans  mêmes  de  celui  de  Bayreuth 
et  qui  doit  ouvrir  le  21  août  prochain,  a  fait  à  ce  dernier  la  concession  de  ne 
pas  jouer  pendant  cette  saison  les  mêmes  ouvrages  qu'on  pourra  voir  à 
Bayreuth,  mais  il  n'a  pas  abaudonné  pour  cela  toute  idée  de  concurrence. 
Dès  à  présent  l'intendant  des  théâtres  royaux  de  Munich.  M.  de  fossart, 
annonce  dans  les  grands  journaux  de  Londres  l'inauguration  du  théâtre  du 
prince-régent  en  publiant  le  programme  de  ses  représentations  pjndant  les 
mois  d'août  et  septembre,  qui  sont  particulièrement  propices  aux  touristes. 
L'intendant  n'oublie  pas  d'ajouter  que  la  nouvelle  scène  de  Munich  est  en 
tous  points  conforme  à  celle  de  Bayreuth,  que  la  salle  est  disposée  en 
amphithéâtre  et  que  l'orchestre  sera  invisible.  Il  annonce  en  même  temps 
qu'on  peut  dès  à  présent  louer  des  places  non  seulement  à  Munich,  mais 
aussi  à  Londres.  Paris,  Berlin  et  Vienne.  Ce  fait  prouve  que  la  direction  des 
théâtres  royaux  de  Munich  est  placée  entre  les  maius  d'un  excellent  homme 
d'affaires  ;  mais  pour  le  théâtre  d'une  cour  allemande,  cette  manière  de 
pousser  les  étrangers  à  la  consommation  de  la  musique  wagnérienne  parait 
un  peu  trop  américaine. 

—  Immédiatement  après  la  clôture  annuelle  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne, 
le  Journal  ojjioiel  d'Autriche  a  publié  un  décret  impérial  conférant  le  titre 
d'artiste  de  la  chambre  à  trois  chanteurs  et  à  quatre  chanteuses  apparteoant 
à  ce  théâtre.  Une  fournée  pareille  est  absolument  sans  précédent,  car 
le  titre  en  question  n'est  conféré  que  fort  rarement.  Même  après  ces  sept 
nominations,  on  ne  compte  en  Autriche  que  17  artistes  du  sexe  masculin  et 
27  de  l'autre,  qui  possèdent  ce  titre.  Cette  grande  différence  provient  en 
partie  de  la  longévité  des  cantatrices;  M™^  Patti,  Artôt,  Lucca,  Materna, 
par  exemple,  possèdent  le  titre  depuis  un  nombre  d'années  que  la  galanterie 
nous  empêche  de  constater,  tandis  que  deux  artistes  du  sexe  fort  à  peine 
peuvent  être  comparés  aux  dames  sous  ce  rapport.  Parmi  les  nouvelles 
cantatrices  de  la  chambre  se  trouve  M"'^  Frances  Saville,  la  charmante 
Manon,  qui  a  obtenu  ce  titre  si  convoité  en  trois  ans  à  peine. 

—  Antoine  Bruckner  a  laissé  la  partition  de  sa  neuvième  symphonie  abso- 
lument terminée,  à  l'exception  de  la  dernière  partie.  Dans  son  testament  il 
en  parle  'ît  exprime  le  désir  que  son  œuvre,  qu'il  a  dédiée  «  au  bon  Dieu  » 
(dem  Heben  Gotl),  soit  terminée  par  son  célèbre  Te  JJeum  en  ut.  C'est  Munich 
qui  aura  la  primeur  de  cette  symphonie  ;  on  l'y  exécutera  pendant  la  saison 
prochaine,  en  la  terminant  selon  la  dernière  volonté  du  maître.  La  neuvième 
symphonie  de  Bruckner  finira  donc,  comme  celle  de  Beethoven,  par  une 
partie  pour  soli,  chœurs  et  orchestre. 

—  La  ville  natale  de  Mozart,  Salzbourg,  organise  un  festival  musical  qui 
aura  lieu  les  6,  7  et  8  août;  on  y  donnera  trois  concerts  et  ;ieux  représen- 
talions  de  Don  Juan  avec  des  artistes  venant  de  toutes  les  grandes  scènes 
lyriques  d'Allemagne  et  d'Autriche. 

—  La  veuve  du  défunt  compositeur  russe  Barchansky  a  donné  la  belle  bi- 
bliothèque musicale  de  son  mari  au  conservatoire  de  Saint-Pétersbourg.  Elle 
a  aussi  donné  un  capital  de  10.000  roubles  dont  les  intérêts  doivent  être  em- 
ployés à  l'achat  de  nouvelles  publications  musicales  pourla  dite  bibliothèque, 
et  un  autre  capital,  également  de  10.000  roubles,  dont  les  intérêts  doivent  être 
distribués  tous  les  deux  ans  en  prix  pour  compositions  de  musique  de 
chambre  ou  pour  œuvres  symphoniques. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Bauen,  village  pittoresque  situé  aux  bords  du  lac 
des  Quatre-Cantons,  un  monument  orné  d'un  portrait  en  relief  du  père  Al- 
beric  Zwyssig,  auquel  on  doit  plusieurs  compositions  sacrées  qui  sont  restées 
populaires  en  Suisse. 

—  Le  collège  royal  de  musique  de  Londres  vient  d'inaugurer  sa  nouvelle 
salle  de  concerts,  qui  est  située  derrière  les  bâtiments  de  l'école.  Cette  nou- 
velle salle,  œuvre  de  l'architecte  Sidney  S.nith,  contient  900  places;  sur 
l'estrade  pour  les  exécutants,  233  personnes  peuvent  être  placées.  L'acous- 
tique ne  laisse  rien  à  désirer.  A  l'inauguration,  qui  était  présidée  par  le  duc 
de  Cambridge,  les  élèves  ont  exécuté  un  vaste  programme;  ils  ont  chanté  en 
anglais,  en  français  et  en  italien,  mais  leur  bonne  volonté  fut  plus  louable 
que  leur  accent,  surtout  en  ce  qui  concerne  le  français.  Une  nouvelle  Ode 
à  la  musique,  pour  soli,  chœur  et  orchestre,  écrite  spécialement  pour  cette 
fête  par  sir  Hubert  Parry,  a  terminé  le  concert.  Les  Anglais  sont  vraiment 
heureux  ;  leur  vœu  de  posséder  une  salle  moderne  et  bien  organisée  pour  les 
concerts  de  leur  Conservatoire  a  été  finalement  exaucé.  Quand  pourra-t-on 
dire  la  même  chose  pour  notre  Conservatoire  de  Paris  ? 

—  On  lit  dans  un  journal  de  Milan  :  «  La  diva  Patti  favorisera  les  Londo- 
niens d'une  apparition  extraordinaire  dans  un  concert  de  jour  donné  à 
l'Albert  Hall.  ïamagno  se  produira  à  l'Opéra  la  semaine  suivante  dans  VOtelto 
de  Verdi.  La  Melba,  reproduisant  ses  triomphes  de  New-York,  chantera  la 
Bohême  et  la  J.u''ie.  Et  quand  la  Galvé  aura  réuji  sa  compagnie  pour  monter 
Aida,  ce  qui  ne  tardera  guère,  nous  pourrons  dire  que  la  liste  des  grands 
astres  musicaux  à  Londres  sera  complète  cette  année  «. 

—  Les  musiciens  de  Londres  n'ont  pas  tardé  à  représenter  l'opéra  la  Reine 
des  Fées,  de  Purcell,  dont  la  partition  a  été  retrouvée  récemment.  La  reprise 


de  cette  œuvre  est  assez  mémorable,  car  sa  dernière  représentation  avait  eu 
lieu  au  XVII=  siècle,  exactement  en  1093.  L'opéra  de  Purcell  unit  le  nom  du 
plus  grand  compositeur  anglais  à  celui  du  plus  grand  poète,  car  le  livret 
n'est  qu'une  adaptation  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  de  Shakespeare.  A  la  reprise 
qui  vient  d'avoir  lieu,  les  rôles  de  femmes  ont  pour  la  première  fois  été 
confiés  à  des  artistes  du  sexe  faible.  Au  temps  de  Purcell,  ils  étaient  forcé- 
ment confiés  à  des  hommes  affublés  de  costumes  féminins.  La  «  prima 
donna  »  de  1693  n'était  autre  que  le  fameux  chanteur  Pâte,  une  fée  exquise, 
qu'on  dut  renvoyer  du  théâtre  pour  avoir  pris  part  à  une  rixe  sanglante  dans 
la  "  Taverne  du  Chien  ». 

—  Le  Lyric  Théâtre  de  Londres  a  donné  la  première  représentation  d'une 
opérette  nouvelle,  la  Panlou/le  d'niyent,  qu'un  journal  qualifie  «d'extravagance 
musicale  »  et  qui  ne  semble  pas  destinée  à  un  brillant  avenir.  La  musique, 
puérile  et  vulgaire,  dit  un  critique,  est  due  au  compositeur  Leslie  Stuart. 
L'accueil  du  public  a  été  plutôt  frais. 

—  Il  parait  qu'une  campagne  très  active  est  menée  en  ce  moment  en 
Espagne  en  faveur  de  l'opéra  national.  On  annonce,  pour  le  mois  de  novem- 
bre prochain,  l'inauguration  à  Madrid  d'un  nouveau  théâtre  lyrique  exclusi- 
vement destiné  aux  représentations  d'opéras  espagncds. 

^  Deux  nouvelles  zarzuelas  à  Madrid.  Au  théâtre  Moderne,  los  lionigoles 
del  Cliico,  revue,  paroles  de  M.  Nararro  Gonzalvo,  musique  de  MM.  Barrera 
et  Galleja.  Et  dans  un  autre  théâtre  los  Mainelucos,  paroles  ne  MM.  Sanchez 
Calvo  et  Mendez  Vigo,  musique  de  MM.  Mario,  Caballero  et  Taboada  Steger. 

—  De  Barcelone  :  M.  Eugel  et  M"'°  Bathori  viennent  de  donner  ici  une 
série  de  concerts  et  récitals  qui  ont  obtenu  le  plus  grand  succès.  Le  salon 
Parés  était  trop  petit  pour  contenir,  chaque  fois,  les  nombreux  dilettauti 
venus  pour  applaudir  les  excellents  artistes  qui,  naturellement,  chantaient  en 
français.  C'est  le  récital  d'œuvres  de  l'école  moderne  française  qui  a  surtout 
gagné  tous  les  suffrages,  avec  des  numéros  comme  le  Poème  du  souvenir,  de 
Massenet,  D'une  prison  et  l'Incrédule  de  Hahn,  des  mélodies  de  Saint-Saéns, 
Godard,  Hillemacher,  etc.  Ajoutons  que  ftl'"'  Bathori  a  joint  à  son  succès 
personnel  de  cantatrice  celui,  non  moins  mérité,  de  pianiste  remarquable. 

—  Les  excellents  anarchistes  de  New- York  avaient  conçu  la  pensée,  en 
apprenant  la  mort  volontaire  de  Bresci,  l'assassin  du  roi  Humbert  d'Italie, 
d'élever  un  monument  à  sa  chère  mémoire.  A  cet  elïet.  ils  avaient  organisé 
une  représentation  ihéâtrale  au  profit  de  l'œuvre.  Maisvnici  que  la  police  de 
New- York  s'est  mise  brutalement  en  travers  de  ce  projet  généreux  et  qu'elle 
a  simplement  défendu  ladite  représentation,  pour  laquelle  4.000  billets  avaient 
été  déjà  placés. 

—  Une  nouvelle  opérette,  intitulée  Complication  de  cuivres,  paroles  de  miss 
Rebecca  Lane  Hooper,  musique  de  miss  Mabel  D.  Daniels,  a  été  jouée  avec 
succès  au  théâtre  de  Brooklyn  (Etats-Unis). 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  attribué  le  prix 
Chartier,  de  bOO  francs,  destiné  à  encourager  la  musique  de  chambre,  à 
M.  Le  Borne.  Elle  a  partagé  le  prix  Trémoni,  de  1.000  francs  (à  décerner  à 
un  musicien  à  titre  d'encouragement)  entre  deux  anciens  prix  de  Rome, 
MM.  Bûsser  et  Bachelet.  Enfin,  elle  a  accordé  la  pension  de  300  francs  fondée 
par  Théodore  Gouvy  «  en  faveur  d'un  musicien  nécessiteux,  de  préférence  un 
musicien  d'orchestre  »,  à  M.  Garimond,  qui  compte  vingt-huit  ans  de  service 
comme  musicien  d'orchestre. 

—  Ils  sont  sortis  de  loges,  nos  candidats  pour  le  prix  de  Rome,  section 
musicale.  MM.  Kunc,  André  Caplet,  Albert  Bertelin,  Gabriel  Dupont, 
Crocé-Spinelli  et  Maurice  Ravel  feront  entendre  leurs  œuvres  au  Conserva- 
toire, le  vendredi  28  juin,  à  midi;  le  jugement  définitif  sera  rendu  le  lende- 
main, à  l'Institut. 

—  Quelque  bruit  au  Conservatoire,  après  la  série  des  examens  semestriels. 
M.  Lhérie,  professeur  d'une  classe  d'opéra-comique,  peu  content  des  déci- 
sions du  jury,  avait  donné  sa  démission;  il  l'a  reprise  et  tout  va  bien  de 
ce  coté.  Mais  M.  Duprez,  titulaire  d'une  classe  de  chant,  s'en  va  pour  de 
bon,  se  déclarant  très  au-dessus  des  jugements  rendus  sur  ses  élèves.  Chose 
curieuse,  on  dit  qu'une  pétition  aurait  été  adressée  à  M.  Théodore  Dubois 
par  ces  élèves  mêmes  à  seule  lin  qu'on  leur  donne  un  autre  jjrofesseur. 
Comme  tout  s'arrange  !  —  Enfin  M.  Achard,  titulaire  de  l'autre  classe 
d'opéra-comique,  atteint  par  la  limite  d'âge,  a  résolu  de  prendre  sa 
retraite.  On  espère  décider  M.  Lucien  Fugère  â  accepter  sa  succession.  Ce 
serait  pour  le  Conservatoire  une  précieuse  acquisition. 

—  Le  Festival  Hoche  a  fait  salle  comble  jeudi  au  Trocadéro,  avec  un  pro- 
gramme dont  la  partie  principale  était  consacrée  à  la  musique  des  maîtres 
de  la  Révolution  française.  Journée  d'art  républicain,  ce  qui  est  chose  rare, 
même  en  République.  Que  la  cause  soit  en  cette  rareté  même,  ou  dans  la 
valeur  des  œuvres,  il  est  certain  que  ce  programme  a  été  écouté  avec  un 
intérêt  soutenu,  et  que  ces  musiques  ont  évoqué  avec  autant  de  lidélilé  que 
de  force  l'impression  de  l'époque  précise  qui  les  a  vues  et  fuit  nnitrc.  La  Marche 
funèbre  et  l'Hymne  à  la  mémoire  du  général  Jloche,  de  Cherubini,  sont  deux 
pages  d'une  réelle  beauté,  encore  que  les  productions  d'autres  maîtres,  de 
style  peut-être  moins  pur,  aient  plus  de  relief  et  de  caractère.  Nous  ne  pou- 
vons nous  empêcher  de  regretter  en  passant  que  ce  morceau  ait  élé  mutilé 
par  de   graves  modifications   à  la  partie  chorale,   qui  en  ont  dénaturé  quel- 


LE  MENESIREL 


199 


ques-unes  des  périodes  les  plu^  expressives.  Ce  sont  là  des  procédés  qu'on  ne 
saurait  trop  vivement  blâmer.  Cterubini  est  un  maître:  l'on  n'a  pas  plus  le 
droit  d'y  toucher  qu'à  Beethoven.  L'on  objectera  que  ces  parties  sont  écrites 
trop  haut.  Plaisante  critique,  dont  la  c  mséquence  est  que  Gherubini  ne 
savait  pas  écrire  pour  les  voix  !  La  vérité,  toute  simple,  est  que,  le  diapason 
ayaat  monté  depuis  la  fin  du  XVIII»  siècle,  certaines  notes  se  trouvent  en 
effet  trop  aiguës;  le  remède  est  de  transposer  le  morc'eau  :  c'est  ce  que  je 
n'avais  pas  hésité  à  faire  il  y  a  quelque, quinze  ans,  lorsque  je  donnai  la  pre- 
mière audition  contemporaine  de  ce  chant,  qui  fut  ainsi  parfaitement  res- 
pecté. Je  m'empresse  d'ajouter  que  M.  Constant  Pierre,  au  recueil  duquel  on 
a  dû  emprunter  ce  document,  ne  saurait  être  rendu  responsable  du  méfait: 
sa  transcription  étant  parfaitement  fidèle.  La  Ronde  pour  ta  2>'aiiiaUoii  de  l'arb-c 
de  la  Liberté,  de  Grétry,  datant  des  derniers  mois  de  la  première  République 
(1799).  a  la  franchise  populaire  qui  convient  au  sujet.  Inutile  de  redire 
les  mérites  du  Chant  du  Départ,  de  iVIéhul,  dont  l'impression  est  toujours  pro- 
fonde. Notons  au  passage  que  l'on  a  sagement  rétabli  la  modulation  majeure 
sur  le  vers  :  «  Le  peuple  souverain  s'avance  »  qui  apporte  là  un  éclat  imprévu. 
Quant  à  la  Marseillaise,  dont  on  entendait  pour  la  première  fois  le  nouvel 
arrangement  officiel,  no  us  avouons  n'être  pas  choqué  par  l'adduiou  des  tambours 
au  refrain  (il  n'y  aura  jamais  trop  de  tambours  dans  In  Marseillaise),  et  le 
clairon  semble  avoir  été  inventé  tmt  exprès  pour  accentuer  la  reprise  :  h  Aux 
armes,  citoyens!  »  Nous  irons  plus  loin  même,  et  exprimerons  le  regret  que 
l'on  continue  à  confier  le  chant  viril  aux  clarinettes  pleurardes,  au  lieu  de  le 
faire  lancer  à  toule  volée  par  les  trombones  aux  voix  triomphantes  !  Le 
concert,  continué  par  un  long  intermède  dans  lequel  se  sont  fait  entendre 
et  applaudir  les  meilleurs  artistes  de  Paris,  s'est  terminé  par  une  autre  Mar- 
seillaise, l'à-propos  de  MM.  Georges  Boyer  et  Lucien  Lambert,  représentépour 
la  première  fois  le  14  juill't  dernier  à  l'Opéra-Gomique,  et  qui  nous  otïrc 
un  tableau  toujours  saisissant  de  cet  étonnant  épisode  où  l'histoiro  de  la 
musique  et  celle  de  la  nation  se  trouvent  pour  une  heure  si  intimement 
confondues.  J.  T. 

—  La  direction  de  l'Opéra-Comique  a  publié  récemment  les  conditions  de 
ses  abonnements  pour  la  saison  prochaine.  Donnons  un  aperçu  du  pro 
gramme  que  M.  Carré  compte  olfrir  à  ses  abonnés  de  1901-1902  :  La  première 
nouveauté  de  la  saison  sera  la  Troup:  Jolirœur,  de  Coquart,  avec  M""^  Delna, 
Rioton,  MM.  Beyie.  Péri -r  et  Dnfranne.  —  Le  second  tour,  dès  les  premiers 
jours  de  novembje,  est  réservé  à  la  Grisélidis  de  Massenet,  avec  M'"^  Bréval, 
MM.  Fugère  et  Maréchal.  —  Viendront  ensuite,  dans  un  ordre  qui  n'est  pas 
encore  arrêté  :  Titnnia,  de  Georges  Hué;  Circé,  des  frères  Ilillemacher:  Mu- 
guette,  do  Missa:  la  CarmélUe,  de  Reyuald  >  Hahn:  Pelléas  et  Mélisande,  de  De- 
bussy. —  On  reprendra  le  Domino  noir,  le  Roi  d'Vs,  avec  la  h^Ue  distribution 
qui  a  été  annoncée,  et  le  Pré-aux-Clercs,  |iour  lequel  M.  Carré  prépare  une 
mise  en  scène  très  curieuse.  Il  est  aussi  .luestiou  d'une  reprise  de  Werther. 
—  Tristan  et  Yseult  étant  subordonné  à  l'engagement  de  M.  Van  Dyck  en 
Amérique,  il  se  peut  que  l'œuvre  de  'Wagner  soit  reculée  à  1902-1903  et 
remplacée  au  programme  par  quelque  grand  ouvrage  classique  :  Alceste,  Ar- 
mide  ou  FreischiHz. 

—  Au  même  théâtre,  on  répète  activement  le  Léijataire  universel,  la  co- 
médio  lyrique  en  trois  actes,  d'après  Regnard,  de  M.  Georges  Pfeiffer,  dont 
la  première  représentation  sera  donnée  très  vraisemblablement  le  28  de  ce 
mois  de  juin. 

—  Qu'on  se  le  dise  !  L'Ouragan  n'aura  plus  qu'une  seule  représentation, 
pour  cette  saison  tout  au  moins,  et  elle  est  fixée  au  lundi  1=''  juillet,  — 
M""  Marie  Delna  devant  prendre  son  congé  très  prochainement,  ce  qui  d'ail- 
leurs ne  l'empêchera  pas  de  nous  donner  encore  une  représentation  de 
Carmen  avant  son  départ. 

—  Speclacies  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Mireille;  le  soir,  Manon. 

—  Dégustons,  mes  frères  :  «  M.  Gailhard,  directeur  de  l'Opéra,  quitte  Paris, 
se  rendant  à  Berlin,  où  il  ne  fera  que  passer  la  nuit.  Il  se  dirigera  dès  le  len- 
demain sur  Dresde,  où  il  va  entendre  le  Siegfried  de  Richard  Wagner,  qu'il 
compte  monter  à  l'Opéra  dès  les  premiers  jours  de  l'an  prochain,  ainsi  que 
nous  l'avons  déjà  annoncé.  On  sait  du  reste  que  c'est  à  Dresde  surtout  que  se 
sont  conservées  les  plus  pures  traditions  wagnériennes,  et  que  déjà,  pour 
les  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  M.  Gailhard  y  était  allé  chercher  des  ren- 
seignements relatifs  à  l'exécution  de  cet  ouvrage.  A  Dresde  M.  Gailhard  se 
rencontrera  avec  le  baron  de  Seebach,  qui  n'est  pas  seulement  un  adminis- 
trateur intelligent,  mais  encore  un  dilettante  consommé,  un  homme  d'un 
gdùt  parfait  et  sur  lequel  il  compte  pour  lui  donner  toutes  les  traditions  de 
la  mise  en  scène  et  de  l'exécution  de  Siegfried  ».  La  rencontre  de  ces  deux 
parfaits  gentlemen,  de  ces  deux  hommes  de  goût  ne  pourra  en  effet  enfanter 
que  des  merveilles. 

—  C'est  au  maître  Camille  Saint-Saëns  que  M.  Glaretie  s'est  adressé  pour 
la  musique  des  choeurs  ot  chansons  à  écrire  pour  la  prochaine  reprise  des 
Ihirgraves  qui  se  prépare  à  la  Comédie-Française. 

—  Voici,  définitivement  et  officiellement,  quelle  sera  la  prochaine  «  saison  » 
au  théâtre  Sarah-Bernhardt  :  Le  1"'  octobre,  réouverture  par  la  continuation 
des  représentations  de  l'Aiglon.  Puis,  r.'prise  de  Théodora,  de  M.  Victorien 
Sardou.  En  troisième  lieu.  Sainte  Thérèse,  drame  en  vers,  inédit,  de  M.  Ca- 
tulle Mendès,  pièce  à  grand  spectacle,  qui  comporte  un  prologue,  cinq  actes 
en  sept  tableaux   et  un  épilogue.   Cimme  spectacle  classique,  on  donnera 


des  représentations  de  Phèdre,  avec  la  musique  de  Massenet.  Enfin,  pour  une 
époque  plus  éloignée,  on  parle  d'une  Belle  au  Bois  dormant  de  MM.  Henri 
Cain  et  Fernand  Gregh,  et  d'une  reprise  de  la  Princesse  lointaine,  que  M.  Ed- 
mond Rostand  récrit  en  quatre  actes  appropriés  au  magnifique  cadre  du 
théâtre  Sarah-Bernhardt. 

—  Nous  recevons  la  lettre  de  faire  part  suivante: 

Madame  Eudore  Soufié,  Monsieur  Victorien  Saidou,  de  l'Académie  française,  et  Madame 
Victorien  Sardou  ont  l'Iionneur  de  vous  l'aire  part  du  mariage  de  Mademoisefie  Geneviève 
Sardou,  leur  petite-flUo  et  fiUe,  avec  le  comte  Robert  de  Fiers,  et  vous  prient  d'assister 
à  la  bénédiction  nuptiale  qui  leur  sera  donnée  le  lundi  24  juin  1901,  à  midi  très  précis, 
en  l'église  Saint-Augustin. 

—  On  annonce  le  prochain  mariage  du  jeune  compositeur  déjà  en  si  bonne 
réputation,  M.  Henri  Rabaud,  avec  la  fille  de  M.  Mascart,  membre  de 
l'Institut. 

—  La  dernière  et  la  plus  brillante  audition  des  élèves  de  M""  Marchesi, 
celle  de  fin  d'année,  a  eu  lieu  cette  semaine  à  la  salle  Hoche.  La  séance  était 
divisée  en  deux  parties,  cours  de  concerts  et  cours  d'opéra,  aussi  intéres- 
santes l'une  que  l'autre.  Il  faut  signaler  surtout,  dans  la  première.  M"'  de 
Krasiriska,  qui  s'est  fait  justem  nt  applaudir  dans  la  romance  de  Mignon  et 
un  air  de  Cosi  fan  lutte,  M"«  Sigrid  Soehli,  qui  a  montré  de  charmantes  qua- 
lités de  diction  dans  trois  romances  de  Brahms,  de  Kjerulf  et  de  Martini, 
M"»  Lucie  Lenoir,  qui  a  dit  avec  style  et  d'une  façon  exquise  un  air  d'A/o- 
ménée  de  Mozart.  En  citant  aussi  les  noms  de  W"^  Constance  Neumann 
{Psyché,  le  Cid),  May  Livan  (les  Noces  de  Figaro),  Suzanne  Pertat  (Ccndrilton), 
Claudia  HockenhuU  (le  Nil),  Margaret  Claire,  Marie  Fovelin,  EUen  Yaw,  je 
ne  dois  pas  oublier  le  délicieux  efl'et  produit  par  M"«  Lenoir,  HockenhuU 
et  Conrad  dans  le  trio  de  la  Finie  enchantée,  qui  a  été  bissé,  et  par  M"''*  Par- 
kinson  et  Rivington,  qui  ont  chanté  avec  rheureu.x  concours  de  MM.  Laf- 
filte,  AUard  et  Huberdeau  le  quintette  exquis  de  Cosi  fan  lutte  La  partie 
d'opéra  a  fait  applaudir  surtout  M"«  Lou  Ormsby,  fort  intéressante  dans  une 
scène  d'Iphigénie  en  Tauride,  M"''  Kathryn  Coven,  qui  a  montré  de  la  chaleur 
daTis  le  duo  de  Manon,  où  M.  Laffitte  lui  servait  d'excellent  partenaire, 
Mlles  Ormsby  et  Coven  dans  le  duo  du  Cid,  M"»  Parkinson,  fort  aimable  dans 
le  duo  de  ta  Bohème  avec  M.  Gautier,  enfin  M'Im  Parkinson  et  Ormsby  dans 
le  duo  de  Lahiné,  et  M'is  Rivington  dans  le  duo  de  Paillasse  avec  M.  AUard. 
Eu  résumé,  succès  éclatant  pour  les  élèves  et  pour  leur  e.xcellent  professeur. 

—  Nous  avons  parlé  du  nouveau  ballet  Bacchus  mystifié,  que  M.  Saint 
Saëns  se  proposait  d'écrire  pour  les  arènes  de  Béziers.  Voici,  à  ce  propos,  la 
lettre  que  l'illustre  musicien  vient' d'adresser  à  M.  Castelbon  de-Beau.xbortes, 
l'organisateur  de  ces  grandes  cérémonies  musicales  : 

Paris,  16  juin  1901. 
Mon  cher  ami. 

Vous  savez  si  je  me  faisais  une  fête  d'écrire  la  musique  de  Bacchus  mystifié,  dontj'avais 
dpmandé  le  livret  au  docteur  Sicard,  si  je  me  réjouissais  de  donner  un  pendant  à  Javotle, 
dont  la  composition  m'avait  tant  amusé;  mais  le  destin  ne  le  voulait  pas. 

11  me  fallait  d'abord  songer  à  écrire  la  partition  des  Barbares,  promise  à  l'Opéra.  Tout 
d'abord  je  fus  retardé  par  mes  collaborateurs,  qui,  reculant  de  semaine  en  semaine,  me 
donnèrent  à  la  fin  d'uctobre  un  livret  qui  m'avait  été  prjmis  pour  la  fin  d'août. 

Ce  retard,  tout  en  me  contracant,  ne  m'inquiétait  pas  encore.  Je  me  mis  à  la  besogne 
au  commencement  de  novembi'e,  et  parvins  à  m'isûler  dans  Paris  pour  travailler. 

A  la  fin  de  décembre  je  me  réfugiais  à  Bùoe,  en  Algérie,  où  je  passai  dans  le  calme  et 
le  travail  les  mois  de  Janvier,  février  et  mars.  Si  j'avais  pu  y  rester  plus  longtemps, 
j'aui-ais  eu  termiaé  mon  opéra  à  la  fin  d'avril  et  j'aurais  pu  \enir  facilement  à  bout  de 
toule  ma  lâche.  .Mais  président,  cette  année,  de  l'Académie  des  beaux-arts,  j'avais  dû 
promettre  de  revenir  pour  le  mois  d'avril.  Je  revins  donc,  pour  trouver  à  Paris  un  temps 
aO'reux,  la  grippe,  des  deuils  de  famille  et  des  affaires  innombrables.  Il  me  fallait  aller 
en  Belgique,  en  Angleterre;  le  15  avril  je  n'avais  pas  encore  écrit  une  note!  et  alors  la 
grippe  funeste,  que  je  n'avais  pas  eu  le  temps  de  soigner,  me  donna  une  maladie  connue 
depuij  peu,  Vinfection  grippale,  se  traduisant  par  une  fièvre  incessante,  la  tou.x,  la  perte 
de  l'appétit.  Je  me  remis  pourtant  au  travail,  mais  j'avais  trouvé  le  bout  de  mes  forces, 
j.i  m'alitai  ci  tombai  gravement  malade,  avec  la  perspective  d'une  très  longue  convales- 

Dès  lors,  je  compris  que  j'avais  perdu  la  partie.  Je  fis  appel  au  dévouement  et  au  talent 
de  M.  Max  u'Ollone,  un  de  nos  plus  brillants  prix  de  Rome,  qui  voulut  bien  quitter  ses 
travaux  en  cours  pour  venir  à  mon  aide  et  sauver  la  situation  compromise.  Comme  il 
n'avait  pas  assisté  aux  fêles  de  Béziers,  il  eut  la  modestie  de  suivre  mes  conseils  et  mes 
indications  au  sujet  des  conditions  toutes  particulières  dans  lesquelles  se  produit  la 
musique  aux  Arènes. 

lia  écrit  une  partition  exquise,  tout  imprégnée  de  la  fraîcheur  de  la  jeunesse  que  je 
n'ai  plus,  et  pleine  d'une  habileté  déjà  consommée.  Je  ne  doute  pas  que  l'on  rende  justice 
non  seulement  à  son  mérite,  mais  aussi  au  dévouement  dont  il  a  fait  preuve,  et  qui  est 
au-dessus  de  tout  éloge. 

Il  va  sans  dire  que  je  serai  à  Béziers  au  mois  d'août  et  que  je  participerai  au  travail 
d'.s  répétitions,  ainsi  que  je  l'ai  fait  pour  Promclhée,  que  nous  allons  revoir  dans  de 
meilleures  conditions  encore  que  l'année  dcrnièi-e. 

L'an  prochain  nous  aurons  Parijsatis,  un  drame  étincelaot  et  terrible  de  M""  Dieulafoy, 
qui  en  a  trouvé  les  éléments  dans  l'histuire  de  la  Perse  antique.  Conçu  dans  la  forme  de 
Dpjanire,  avec  des  chœurs  évoluant  dans  l'arène  et  des  danses,  ce  sera  un  merveilleux 
spectacle.  J'en  écrirai  la  musique  l'hiver  prochain,  dans  le  doux  climat  des  Canaries,  et 
comme  je  n'aurai  pas  autre  chose  à  fair.',  il  serait  bien  étonnant  que  je  n'en  vinsse  pas 
à  bout. 

Vous  me  pardonnerez,  je  l'espère,  de  n'avoir  pas  tenu  mes  promesses.  J'y  ait  fait  tous 
mes  elforts,  et  il  a  fallu  un  concours  vraiment  extraordinaire  de  circonstances  pour  venirà 
bout  de  mon  vouloir  et  de  ma  ténacité. 

Agréez  mes  meilleures  amitiés. 

C.  S.\ixr-S.vi;NS. 

Donc,  bo;ino  chance  au  j.Minc  musicien  d'UHouo. 


200 


LE  MÉNESTREL 


—  Xicolet,  du  Gaulois,  toujours  si  bien  informé,  dil  qu'il  se  pourrait  très 
bien  qu'avant  peu  M""'  Sibyl  Sanderson  entreprit  une  longue  tournée  aux 
Étals-Unis  et  que  des  négociations  sont  engagées  à  ce  sujet  entre  elle  et 
M.  Maurice  Grau,  le  célèbre  imprésario  américain.  La  tournée  commencerait 
par  San  Francisco,  pour  continuer  par  Chicago,  New-York  et  les  grandes 
villes  américaines.  Le  répertoire  comprendrait  Manon,  Roméo  et  Juliette,  la 
Traviata  et  Tha'is. 

—  Nous  avons  découvert  récemment,  dans  Iv  Mercure  de  France  de  décem- 
bre 17.3",  un  petit  document  intéressant  et  qui  nous  semble  à  peu  près 
inconnu.  C'est  l'annonce  d'un  cours  de  composition  proposé  par  Rameau. 
Cette  annonce  est  faite  en  ces  termes  : 

École  de  composition  dramatique.  —  M.  Rameau  donne  avi:?  aux  amateurs  de  musique 
qu'il  va  établir  une  école  de  composition  trois  fois  la  semaine,  depuis  3  heures  jusqu'à  5, 
pour  douze  écoliei-s  seulement,  à  un  louis  d'or  cliacun  par  mois,  pouvant  les  enseigner 
tous  ensemble  et  même  davantage  s'il  en  étoit  besoin  ;  il  sera  libre  d'ailleurs  à  un  moindre 
nombre  de  s'associer  pour  la  totalité. 

11  assure  que  six  mois  au  plus  suffiront  pour  se  mettre  au  fait  de  la  science  de  l'har- 
monie et  de  sa  pratique  dans  tous  les  cas  où  l'on  voudra  l'employer,  quand  même  on  ne 
sçauroit  qu'à  peine  lire  la  musique  ;  à  plus  forte  raison  encore  si  on  étoit  plus  avancé. 

C'est  pour  satisfaire  à  l'empressement  de  quelques  personnes  qui  se  sont  déjà  aggrégées 
dans  celle  classe,  que  M.  Rameau  a  crû  devoir  en  faire  part  au  public,  espérant  que  par 
ce  moyen  le  nombre  en  seroit  plutôt  (sic)  rempli  ;  ainsi  ceux  qui  souhaiteront  s'y  joindre 
auront  la  bonté  de  lui  envoyer  leur  nom  et  leur  demeure  par  écrit,  à  l'hôtel  d'Etliat,  rue 
des  Bons  Enfans,  pour  qu'il  puisse  les  avertir  du  jour  auquel  on  commencera. 

Lorsqu'il  publiait  cette  annonce,  Rameau,  qui  avait  débuté  à  l'Opéra  en 
1733  avec  Hippolyte  et  Aride,  suivi  en  173)  des  Indes  galantes,  venait  d'y 
donner,  le  24  octobre  1737.  Castor  et  Pollux,  un  de  ses  plus  beaux  chefs- 
d'œuvre.  Il  travaillait  à  un  opéra  intitulé  Samson,  dont  Voltaire  lui  avait 
fourni  le  livret  et  qui  ne  fut  jamais  représenté.  Il  venait  de  soutenir  l'année 
précédente,  dans  le  Journal  de  Trévoux,  une  vigoureuse  polémique  avec  le 
P.  Castel,  ce  jésuite  qui  voulait  parler  musique  sans  y  rien  comprendre. 
Enlin,  en  cette  même  année  1737,  où  il  voulait  ouvrir  un  cours  de  compo- 
sition, il  publiait  sa  Génération  harmonique  ou  Traité  de  musique  théorique  et 
pratique.  Et  il  était  âgé  alors  dj  cinquante-quatre  ans  !  On  ne  dira  pas  de 
celui-là  que  c'était  un  paresseux.  A.  P. 

—  Nous  avons  assisté  a  la  première  audition,  donnée  au  Gymnase,  de  frag- 
ments de  Bianca  Torelli,  drame  lyrique  de  M™*  de  Fontmagne,  écrit  sur  un 
livret  du  regretté  Armand  Silvestre.  L'opéra  est  de  style  purement  italien. 
Après  la  sérénade  et  le  duo  des  deux  hommes  (Stenio  et  Alfonso),  le  Finale 
du  premier  acte  a  été  fort  bien  accueilli  du  public.  Au  cours  de  l'ouvrage, 
nous  signalerons  entre  autres  ua  quatuor,  «  Dans  les  senteurs  du  bois  »,  qui  a 
eu  les  honneurs  du  bis.  L'interprétation  a  été  très  satisfaisante  sous  l'excel- 
lente direction  de  M.  Gabriel  Marie.  Remarqués  tout  particulièrement 
M"«  Hélène  Terry  et  M.  Maxime  Viaud. 

—  A  peine  rentrée  de  sa  tournée  en  Allemagne,  M""'  Darlays,  l'intéressante 
cantatrice,  vient  de  repartir  pour  ce  même  pays,  où  elle  est  engagée  dans 
plusieurs  grands  kursaals.  Elle  chantera  entre  autres  à  Hombourg,  à  Ems,  à 
Wiesbaden,  à  Baden-Baden,  ainsi  que  dans  toutes  les  autres  stations  estivales 
allemandes.  L'intrépide  artiste,  poursuivant  toujours  avec  le  même  programme 
le  même  but,  interprétera  exclusivement  nos  grands  maîtres  français  depuis 
le  XVIP  siècle  jusqu'à  nos  modernes:  Massenet,   Saint-Saëns,   Reytr,   etc. 


Darlays  fut  unanime- 


Intéressant  cycle  musical  dans  lequel  le  talent  de 
ment  louange. 

—  Le  19  mai  dernier,  à  Fontainebleau,  à  l'inauguratitm  du  monument 
élevé  à  la  mémoire  de  Rosa  Bonheur  (lequel,  entre  parenthèses,  est  fort 
intéressant),  on  a  exécuté,  avec  le  concours  de  l'Union  musicale  et  de  la 
chorale  Alliance,  une  Ode  l'i  Rosa  Bonheur,  dont  les  paroles,  dues  à  M.  Alexis 
Buffîère,  ont  été  mises  en  musique  par  M.  Pierre  Girard,  ancien  chef  de  la 
musique  du  génie,  directeur  de  l'Union  musicale.  —  Le  même  jour,  à  Grez- 
en-Bouère,  on  inaugurait  un  monument  à  la  mémoire  de  l'héroïque  co'onel 
de  Villebois-Mareuiljtué  au  Transvaal  en  combattant  pour  la  cause  des  Boers. 
L'orphéon  de  Chàteau-Gontier  a  chanté  à  cette  occasion  une  cantate  écrite 
pour  la  circonstance  par  M.  l'abbé  Jamain,  vicaire  de  Grez,  pour  les  paroles, 
par  M.  Paul  Fabre,  président  de  la  fanfare,  pour  la  musique. 

—  Soirées  et  Co.nxerts.  —  Une  séance  musicale,  tout  entière  des  œuvres  de  Louis 
Lacombe,  chez  M"""  Cornélius.  Cette  séance  fut  précédée  d'une  causerie  sur  le  maître  par 
M.  de  Soleniére.  L'enthousiasme  a  été  des  plus  grands  et  c'est  justice,  car  artistes  et  con- 
férenciers se  sont  surpassés  :  M.  Weîngaertner  a  joué  la  belle  Étéfjïe  pour  violon,  op.  4, 
et  Une  Chanson  des  chainps;  M.  Chanoine  d'Avranches  a  interprété  A  un  passant  et  la 
Ville  prise.  M.  Georges  a  étonné  et  ravi  avec  VÉtude  en  octaves  et  tes  Conscrits,  de^  Na'ives. 
M""  Tassart  a  charmé  avec  Aime  celui  qui  taime,  te  Banquet,  ta  Nuit,  l'Amour.  M"»  de 
Banville  s'est  montrée  chanteuse  dramatique  de  premier  ordre  dans  :  Au  pied  d'un  cru- 
cifix, avec  orgue,  violon  et  piano.  Le  public  était  transporté  et  ému  au  plus  haut  point. 
—  Très  agréable  soirée  des  élèves  de  M"^'  Bongrain,  salleHoche.  On  bisse  le  duodeLak7né 
à  Al""'  D.  et  R'.,  et  on  fait  grand  succès  à  M.  G.  dans  des  fragments  A'Hérodiade  et  à 
M'""  G.  dans  la  polonaise  de  Mignon.  —  Brillante  séance  de  clôture  des  cours  de  M™"  Lamou- 
reux-Brunet-Lalleur,  consacrée  aux  œuvres  du  mai  re  Massenet;  parmi  les  élèves  les  plus 
remarquées,  nous  citerons  M"'  Marek  Onyszkiewicz  dont  la  superbe  voix  a  fait  merveille 
dans  la  scène  de  Manon,  M""  et  M""  Piotrovvska,  Pichon,  de  Séllanoff,  Costallat,  Caze- 
neuve.  Rocheux,  Barau,  Loire,  etc.,  etc.,  très  applaudies  tour  à  tour  dans  les  scènes  et 
les  airs  de  Werther,  Thaïs,  Ilérodiade,  Marie-Maydetcine,  le  Cid,  ainsi  que  diverees  mélodies. 
Tous  nos  compliments  à  l'éminent  professeur  pour  les  remarquables  élèves  qu'elle  nous  a 
fait  entendre. 

NÉCROLOGIE 

De  Berlin  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  de  Guillaume 
Pfeiflêr,  compositeur  et  pianiste  qui  s'était  aussi  distingué  comme  écrivain 
et  comme  professeur  de  piano. 

—  A  Baltimore  (États-Unis)  est  mort  le  compositeur  et  professeur  de 
musique  James  Deem.  Il  était  né  en  1818  et  fut  engagé  à  treize  ans  comme 
corniste;  en  1839  il  put  aller  en  Allemagne  pour  se  perfectionner  dans  l'art 
musical.  A  son  retour  il  fut  nommé  professeur  de  musique  à  l'université 
Virginia.  En  1858  il  entra  dans  l'armée  des  États  du  Nord,  et  pendant  la 
guerre  de  sécession  son  avancement  fut  si  rapide  qu'il  quitta  l'armée  avec  le 
grade  de  général  et  une  sérieuse  pension  de  retraite,  pour  se  consacrer  de 
nouveau  à  la  musique.  A  Baltimore,  où  il  s'était  fixé  après  la  guerre,  sa  popu- 
larité était  très  grande. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  chez  E.  Fasquelle,  les  Aventures  du  roi  Pausole,  par  Pierre  Louys 
(3  fr.  50  c  ). 


En  Teulc  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienoe,  IlEllfiEL  cl  t'=,  édileurs-proprlélaires  pour  tous  pays. 

GUSTAVE   CHARPENTIER 

POÈMES    CHANTÉS 

(avec  commentaires  de  Camille  Mauclaih). 

Un  volume  in-8°  avec  couverture  en  couleurs  de  Grasset  et  un  beau  portrait 
de  l'auteur.  —  Prix  net  :  10  francs. 


1 .  La  petite  Frileuse. 

2.  Prière. 

3.  A  une  Fille  de  Capri. 

4.  A  mules. 

5.  Chanson  d'automne. 

6.  La  Cloche  fêlée. 

7.  Parfum  exotique. 

8.  La  Chanson  du  chemin. 


9.  Complainte. 

10.  Les  trois  Sorcières. 

11.  Les  Chevaux  de  bois. 

12.  Allégorie. 

13.  La  Musique. 

14  La  Veillée  rouge. 

1o.  La  Ronde  des  Compagnons. 

IB.  Sérénade  à  Watteau. 


Deux  tons  :  Lettre  .1  pour  Mezzo-soprano  ou  Baryton. 
Lettre  B  pour  Soprano  ou  Ténor. 


Du  même  auteur  : 

LES  FLEURS  DU  MjJL 

sur  des  poésies  de  Baldelaiiœ. 

1 .  Les  Teux  de  Berthe  ....     6    »      1      3 .  La  Mort  des  amants  .   . 

2.  Le  Jet  d'eau 9    »      |      4.  L'Invitation  au  voyage . 


ite    AU    MENESTREL,    3    bis 


VINCENT   P'INpy 


I.  LA  FORÊT  ENCHANTÉE 

Légende  symphonique  d'après  une  ballade  d'Uhland. 

II.     KARADEC,    musique    de    scène 
(prélude  et  entr'actes  formant  suite). 


RÉDUCTIONS    POUR    PIANO    A    4    MAINS 


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Chaque  réduction,  prix  net  :  3  francs. 

CHARLES    GOUNOD 


IVIÉliODiES 

1 .  Ave  Maria. 

2.  L'Aveu. 

3.  Mon  habit. 

4.  Soir  d'automne. 

5.  Deux  vieux  amis. 

G.  Notre-Dame  de  France. 
Recueil  grand  in-4'',  net 


Dinianciie  30  Juin  1901. 


36(16.  -  67-  mîË  -  I\°26.       PARAIT  TOUS  LES  I>IMANCHES 

(Les  Bureauï,  2  "'",  rue  TiTienue,  Paris,  n-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


Ite  HaméFo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HE^UGEL,     Directeur 


Le  JJuméPo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Mé.nestrel,  2  bis,  rue  Vivieiine,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  •-  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (18'  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Bulletin  théâtral  :  reprise  du  Papa  de  Francine  à  Parisiana,  P.-E.  C.  —  111.  Petites 
notes  sans  portée  :  Mozart  inconnu,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en 
musique  ;  Eho!  Eho!  Eho!  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SOIR  D'ÉTÉ 
n°  2  du  Poème  du  silence,  d'EaNEST  Moret.  —  Suivra  immédiatement  :  hdiia, 
barcaroUe  de  A.  Périlhou,  poésie  de  Lamartine. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublieronsdimanclie  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Sous  bois,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement  :  Landler  alsacieiu 
(i'«  suite),  de  Charles  Malherbe. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

el  11 


(Suite.) 


VIII 

Une  soirée  à  l'Opéra  :  propos  de  loges  ;  les  larmes  de  Jean-Jacques  et  le  sourire 
d'une  parisienne.  —  Le  balcon  de  l'Opéra  en  4790  :  Kotzebue  passe  les  loges  en 
revue  ;  sortie  de  l'Opéra  ;  courants  d'air  et  odeur  de  lampes.  —  Passion  des  pari- 
siens pour  le  théâtre.  —  tes  tics  d'acteurs.  —  Le  répertoire  de  l'Opéra  pendant  les 
premières  années  de  la  Révolution.  —  Reprise  de  Tarare,  accommodée  au  goût  du 
jour.  —  Le  buste  de  Voltaire  et  M"^"  Ponteuit.  —  Impressions  d'un  Anglais  et 
d'un  Italien. 

Notre  étude  sur  le  dilettantisme  des  voyageurs  étrangers  qui 
séjournèrent  à  Paris  pendant  la  Révolution  serait  incomplète 
si,  après  avoir  donné  leur  appréciation  sur  les  virtuoses  du  chant 
et  de  la  danse  à  cette  époque,  nous  ne  montrions  ces  intelli- 
gents touristes  dans  les  milieux  où  ils  formulaient  leurs  éloges 
ou  leurs  blâmes,  c'est-à-dire  à  l'Opéra,  à  la  Comédie-Italienne, 
au  Théâtre  de  Monsieur  et  dans  les  différentes  salles  de  concert 
de  la  capitale. 

Tels  nous  les  avons  vus  en  province  et  tels  nous  les  retrouvons 
à  Paris. 

Karamsine  bondit  toujours  vers  les  sphères  éthérées.  Mais, 
pour  être  spontanés,  ces  élans  n'en  sont  pas  moins  la  résultante 
de  connaissances  spéciales  et  de  l'expérience  que  donne  tout 


voyage  d'éducation.  Ce  raffiné  en  matière  d'art  a  beaucoup  vu, 
beaucoup  entendu  et  beaucoup  comparé.  Or,  jamais  VOrphée  de 
Gluck  ne  l'avait  remué  aussi  profondément  que  le  jour  (29  avril 
1790)  où  il  l'entendit  à  l'Académie  Nationale  de  Musique.  Là, 
l'orchestre  est  composé  des  premiers  instrumentistes  de  Paris  ; 
avec  les  décorations  et  les  machines,  le  corps  de  ballet  et  les 
choristes,  les  premiers  sujets  du  chant  et  delà  danse,  l'ensemble 
est  merveilleux. 

Notons  une  seule  dissonance  dans  cette  symphonie  laudative  : 
depuis  le  départ  de  la  Saint-Huberti,  «  que  l'on  dit  folle  »  (était- 
ce  parce  qu'elle  devait  épouser  d'Antraigues?),  l'Opéra  n'a  plus 
qu'une  chanteuse,  la  Maillard,  un  assez  maigre  régal,  par 
parenthèse. 

Quelle  différence  avec  les  artistes  hommes!  «  Jamais  Mar- 
chesi,  s'écrie  Karamsine,  n'a  su  m'émouvoir  comme  Laïs  et 
Ghénard  m'émeuvent.  »  Et  quel  Italien  —  «  un  demi-homme  I  » 
—  pourrait  chanter  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice  »  avec  autant 
d'expression  et  de  cœur  que  Rousseau,  «  le  jeune,  le  beau, 
l'imposant  Rousseau  !  » 

Cette  audition  s'est  offerte  à  Karamsine  dans  de  singulières 
conditions.  La  scène  —  un  tableau  de  genre  1  —  vaut  la  peine 
d'être  rapportée  : 

«  J'ai  été  à  l'Opéra  avec  l'Allemand  A...  —  Entrez  dans  cette 
loge.  Messieurs. —  Dans  la  loge  étaient  assises  deux  dames  avec 
un  chevalier  de  Saint-Louis.  —  Restez-ici,  Messieurs,  nous  dit 
l'une  d'elles;  vous  voyez  que  nous  n'avons  rien  sur  la  tête  :  dans 
les  autres  loges  vous  trouverez  des  femmes  avec  des  parures  très 
hautes  qui  vous  cacheront  tout  à  fait  le  théâtre.  —  Nous  vous 
remercions,  répondis-je;  et  je  m'assis  derrière  elles.  » 

Aussitôt  ces  avenantes  Parisiennes  de  reprendre  leur  conver- 
sation interrompue  ;  et  de  causer,  et  de  causer  1 

Ne  se  croirait-on  pas  à  un  jour  d'Opéra  en  l'an  de  grâce  1901? 

Karamsine  écoute,  non  sans  plaisir,  toutes  ces  futilités;  l'une 
de  ces  dames  est  d'ailleurs  une  fort  jolie  blonde.  A  son  tour  il 
risque  un  mot,  pas  très  heureux,  cependant:  ne  dit-il  pas  que 
«  la  pâleur  a  son  charme  »  et  que  «  les  femmes  ont  tort  de  se  far- 
der? »  Quelle  était  alors  la  Parisienne  qui  n'avait  recours  à  ces 
artifices  de  toilette?  Heureusement  la  ^a^e  passa  inaperçue,  car 
le  rideau  venait  de  se  lever.  Notre  étranger  en  oublia  son  ai- 
mable voisine  ;  il  est  transporté  au  septième  ciel  ;  et  ses  souve- 
nirs lui  représentent  Jean-Jacques  Rousseau,  qui  à  l'issue  d'une 
représentation  i'Orphée,  sortait,  la  ligure  inondée  de  larmes  et 
chantant  à  voix  basse  :  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice!  »  Plût  au  ciel 
qu'il  eût  perdu  la  sienne!  remarque  malicieusement  Karamsine. 
Mais  tout  à  coup  la  jolie  blonde  interpelle  son  voisin  : 

—  Gomment,  Monsieur,  vous  n'avez  pas  applaudi  ! 

—  J'ai  senti,  Madame,  fait  gravement  notre  Russe. 

Les  dames  et  leur  cavalier  se  lèvent:  ils  ne  veulent  pas  assis- 
ter au  ballet  de  Gardel,  Calypso  et  Télémaque. 


202 


LE  MÉNESTREL 


Mais  Karamsine  a  rimagination  encore  toute  troublée  de  la 
vision  des  Parisiennes.  Et  ne  cherche-t-il  pas  à  retrouver,  ne 
croit-il  pas  revoir,  parmi  les  demoiselles  du  corps  de  ballet,  son 
inconnue? —  Toujours  les  beaux  romans  de  la  jeunesse! 

Huit  mois  plus  tard,  Kotzebue  assistait  à  une  représentation 
de  l'Opéra  comportant  le  même  programme. 

Il  arrivait  au  théâtre  avec  une  certaine  appréhension.  Lorsqu'il 
s'y  était  présenté  quelques  jours  auparavant  pour  voir  les  Pré- 
tendus, l'opéra  de  Lemoine,  et  Psyché,  le  ballet  de  Gardel,  il  ne 
restait  plus  de  place  qu'au  balcon,  «  grande  loge  aux  deux  côtés 
du  théâtre  » .  Le  prix  lui  en  avait  semblé  exorbitant,  «  un  demi- 
louis  d'or  !»  et  il  n'avait  aperçu  que  la  moitié  de  la  scène  !  11 
s'était  consolé  de  ce  petit  mécompte  en  lorgnant  les  dames  dans 
leur  loge  :  tous  ces  visages,  «  même  artificiels  »,  étaient  char- 
mants, surtout  celui  de  M""'  de  Gouvernet,  la  plus  belle  femme 
de  Paris.  La  sortie  de  l'Opéra  avait  laissé  à  Kotzebue  des  souve- 
nirs encore  plus  fâcheux  que  l'entrée.  Il  dut  attendre  une  demi- 
heure  dans  les  couloirs  ou  dans  les  escaliers;  et  pour  se  sous- 
traire aux  courants  d'air  qui  s'y  livraient  bataille,  il  se  réfugia 
dans  une  loge  d'où  le  chassa  bientôt  une  odeur  atroce  de  lampes 
éteintes. 

Donc,  averti  par  l'expérience,  il  est  parti  de  chez  lui  à  quatre 
heures,  le  jour  où  l'Opéra  donnait  Orphée  et  Télémaque.  Arrivé  en 
avance,  puisque  le  spectacle  ne  commence  qu'à  cinq  heures,  il 
a  pu  se  choisir  une  bonne  place.  Il  a  emporté  un  livre  qui  doit 
lui  épargner  les  ennuis  de  l'attente  jusqu'au  lever  du  rideau. 
Cette  fois,  Kotzebue  daigne  se  montrer  satisfait.  11  se  rencontre 
avec  Karamsine  pour  dire  que  l'orchestre,  les  chœurs,  les  so- 
listes, les  costumes  et  les  décors  «  rivalisent  de  goût  et  de  ma- 
gnificence ».  Il  compte  80  instrumentistes,  et  plus  de  cent  per- 
sonnages, acteurs  ou  figurants,  -sur  la  scène  :  ceux-ci  seraient 
absolument  dans  la  couleur  locale  s'ils  n'étaient  coiffés  à  la 
mode  du  jour,  avec  de  longues  boucles. 

Le  ballet  de  Télémaque  et  Calypso,  où  figurent  seulement  trois 
représentants  du  sexe  fort,  Cupidon,  Mentor  et  Télémaque,  n'a 
pas  moins  charmé  Kotzebue,  surtout  au  point  de  vue  plastique... 
Le  vertueux  Allemand,  car  il  se  pique  parfois  de  pudibonderie, 
se  complaît  aux  danses  voluptueuses  des  ballerines,  aux  capri- 
cieux dessins  de  ces  théories  de  jeunes  beautés,  presque  nues 
sous  leur  maillot  de  soie  de  couleur  claire;  et  l'ébahissement  du 
«  valet  esthonien  »  qu'il  a  emmené  avec  lui  égaie  d'une  note 
originale  cette  soirée  un  peu  longue,  car,  remarque  fort  juste- 
ment Kotzebue,  un  Parisien  ne  saurait  être  content  à  moins  de 
quatre  heures  de  spectacle.  Il  a  bien  changé  depuis;  mais  une 
autre  habitude,  celle-ci  de  mise  en  scène  et  qui  n'a  pas  complè- 
tement disparu,  c'est  le  tic,  relevé  par  notre  voyageur,  des  acteurs 
se  tournant  le  dos  pour  mieux  témoigner  de  leur  dédain  et 
«  s'adressant  à  la  muraille  ». 

Le  6  mars  4792,  Reichardt  avait  eu  à  l'Opéra  un  spectacle  ana- 
logue :  VAlceste  de  Gluck  et  la  Psyché  de  Gardel.  C'étaient  en 
quelque  sorte  les  pièces...  de  résistance  du  répertoire.  Moins 
heureux  que  Kotzebue,  Reichardt,  arrivé  même  une  demi-heure 
avant  le  lever  du  rideau,  n'avait  pu  trouver  de  place  dans  les 
loges,  si  ce  n'est  «  sur  un  banc  de  troisième  rang  et  à  raison  de 
six  livres  ».  Il  était  redescendu  au  parterre,  mais  celui-ci  était 
déjà  tellement  bondé  que  notre  étranger  jura  bien  de  n'y  plus 
retourner.  Cependant,  il  avait  été  satisfait  du  spectacle."  Nous 
avons  dit  son  impression  sur  Psyché.  Celle  que  lui  a  fait  éprou- 
ver l'audition  cVAlceste  est  toute  différente.  La  partition,  écrite 
pour  des  chanteurs  italiens,  contient  beaucoup  de  morceaux 
conformes  aux  traditions  de  cette  école  surannée  et  «  les  gosiers 
français  l'interprètent  d'une  façon  déplorable  ».  La  Maillard  a 
massacré  son  rôle.  Un  jeune  artiste  a  «  crié  horriblement  »  celui 
d'Admète,  destiné  primitivement  à  un  ténor.  Seul,  Chéron  (Her- 
cule) a  sauvé  la  situation  par  l'autorité  de  sa  mâle  prestance,  de 
son  jeu  puissant  et  de  sa  belle  voix  de  basse-taille. 

Halem  avait  vu  à  l'Opéra  une  assez  curieuse  reprise  du  Tarare 
de  Salieri,  reprise  très  chaleureusement  approuvée  par  les 
journaux  démocrates  du  temps.  Beaumarchais,  toujours...  oppor- 
tuniste, avait  approprié  en  effet  le  scénario  au  goût  du  jour.  Au 


couronnement  de  Tarare,  on  dressait  sur  la  scène  l'autel  de  la 
liberté  avec  le  livre  de  la  Loi.  Arrivaient  alors  des  bonzes  et  des 
vierges  brahmines  demandant  à  être  relevés  de  leurs  vœux, 
des  époux  qui  réclamaient  le  bénéfice  du  divorce  et  des  nègres 
du  Zanguebar  qui  célébraient  par  leurs  chants  et  par  leurs 
danses  leur  affranchissement.  Malheureusement  la  licence,  trop 
souvent  compagne  de  la  liberté,  déchaînait  l'insurrection;  la  loi 
martiale  était  proclamée,  mais  l'apparition  du  drapeau  (il  était 
rouge  alors)  calmait  cette  effervescence;  et  bientôt  Tarare  était 
couronné  sur  l'air  : 

La  liberté  consiste  à  n'obéir  qu'aux  lois. 

Au  reste,  ce  sentiment  de  l'actualité,  de  l'à-propos,  domine 
tout  le  théâtre  de  la  Révolution. 

E.  Géraud  en  signale  une  manifestation  curieuse,  lors  de  la 
translation  des  cendres  de  Voltaire  au  Panthéon.  La  première 
sfation  à  laquelle  s'arrête  le  char  triomphal  est  précisément 
devant  l'Académie  Nationale  de  Musique.  Comme  pièce  de  cir- 
constance, les  chœurs  chantent  l'hymne  de  Voltaire  dans  son 
opéra  de  Sarnson  : 

Peuple  éveille-toi;  romps  tes  fers, 
Reprends  ta  grandeur  première. 

Chéron  et  M"'°  Ponteuil  couronnent  le  buste  du  grand  homme. 
Plus  exaltée  encore.  M'""  Ponteuil  l'embrasse  par  deux  fois. 

L'histoire  de  l'orchestre  de  l'Opéra  n'a  pas  été  faite,  que  je 
sache,  et  c'est  grand  dommage,  car  le  curieux  y  trouverait  des 
documents  du  plus  haut  intérêt.  Voici,  par  exemple,  qu'un  An- 
glais, Sir  John  Carr  (1),  profitant  de  la  trop  courte  paix  d'Amiens, 
vient  à  Paris,  en  1803,  au  moment  où  Kotzebue  s'en  éloigne,  et 
signale,  lui  aussi,  l'incomparable  virtuosité  des  instrumentistes  de 
l'Opéra:  «  L'orchestre,  très  bon,  est  composé  de  quatre-vingt-dix 
excellents  musiciens  » .  A  sept  ans  de  là  un  autre  voyageur  étran- 
ger, le  député  piémontais  Gaspare  Gregori  (2),  qui  est  allé  entendr  e 
à  l'Académie  Impériale  de  Musique  Iphigénie  en  Aulide,  rend  pareil- 
lement hommage  à  la  supériorité  de  l'orchestre  français,  mais 
avec  ce  correctif  que  les  «  instruments  militaires  »  y  sont  en  trop 
grand  nombre  :  la  surabondance  des  fifres  et  des  trompettes, 
ajoute-t-il,  fait  regretter  la  douceur  de  l'orchestre  italien,  d'au- 
tant que  le  clavecin,  si  utile  pour  l'intonation,  en  est  exclu . 

C'est  toujours,  comme  l'on  voit,  l'interminable  querelle  des 
deux  écoles  allemande  et  italienne. 

Sir  John  Carr  avait  composé  presque  un  dithyrambe  en  l'hon- 
neur du  corps  de  ballet  de  l'Opéra  : 

«  Il  comprend  entre  quatre-vingt  et  quatre-vingt-dix  sujets 
remarquables,  dont  le  principal  est  M.  Deshayes.  Ses  mouvements 
sont  très  gracieux,  son  agilité  très  surprenante,  et  son  pas  plus 
léger,  plus  ferme,  plus  élastique  que  ceux  d'aucuns  danseurs  que 
j'aie  vus.  On  le  regarde  justement  comme  le  premier  de  l'Eu- 
rope. » 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Pamsiana.  Le  Papa  de  Franchie,  opérette  en  4  actes  et  7  tableaux,  de  MM.  V.  de 
Cottens  et  P.  Gavault,  musique  de  M.  Louis  Varney. 

MM.  Varney,  de  Cottens  et  Gavault  qui,  à  la  très  grande  joie  du 
public,  avaient  si  adroitement  fait  «  faire  la  chaîne  et  la  montre  »  par 
leurs  trois  inénarrables  cambrioleurs,  viennent,  à  leur  tour,  de  «  l'aire 
un  café-concert  ».  Vendredi  soir,  ils  ont  victorieusement  escamoté  le 
music-hall  du  boulevard  Poissonnière  et,  avec  la  baguette  magique,  qui 
a  nom  succès,  l'ont  transformé,  séance  lenante,  en  vrai  théâtre.  Souhai- 
tons que  la  réussite  très  brillante,  très  amusée,  de  cette  reprise  du 
Papa  de  Francine  décide  tout  à  fait  le  directeur  de  Parisiana  à  aban- 
donner les  «  numéros  »  presque  toujours  aussi  stupidement  pareils, 


(1)  Impressions  de  voyage  de  Sir  John  Carr,  traduction  Babeau;  Pion,  1898. 

(2)  Carnet  historique  et  littéraire  du  15  février  1899,  Paris  en  1810. 


LE  MÉNESTREL 


^03 


pour  s'adonner  carrément  à  l'opérette.  D'autant  qu'en  ce  moment  la 
concurrence  ne  serait  guère  dangereuse. 

Monté  avec  beaucoup  de  soins  de  mise  en  scène  et  distribué  agréable- 
ment —  voici  revu  l'étonnant  Prévost  de  la  création,  G-aloppe- 
Chopine  chantant  et  sifflant  toujours  aussi  habilement,  flanqué  de  son 
inséparable  Houssaye,  «  Pour  sur  alorss!  »,  —  le  Papa  de  Franchie  va 
certainement  retrouver  à  Parisiana  toute  la  vogue  d'autrefois  à  Cluny  ; 
M'"'' Tariol-Baugé,  MM.  Maurice  Lamy,  Gibard,  M"°  Deliane,  M.  Gi- 
rier,  M""^  Girard  y  contribueront  pour  leur  part. 

P.-É.  G. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XVIII 


MOZART  INCONNU 

Aux  assidus  de  la  Société  Mozart. 

«  L'histoire  d'aucun  art  n'a  de  plus  touchant,  de  plus  noble  exemple  à  pré- 
senter ».  C'est  Wagner  qui  parle;  il  s'agit  de  Mozart,  «  cet  artiste  unique 
qui  résume  l'histoire  de  l'art  allemand  tout  entier  ». 

Et  quelle  meilleure  épigraphe,  en  effet,  non  seulement  au  si  vivant 
recueil  de  ses  trois  cents  lettres  (2),  mais  à  toute  glose  nouvelle  sur  le 
maître  divin?  Quelle  surprise  aussi,  tout  d'abord!  Anti  et  îiftra-wagné- 
riens,  wagnérophobes  et  wagnéromanes  se  rapprochent  un  instant  dans 
un  étonnement  profond;  et  cela,  non  sans  une  apparence  de  raison. 
Toujours  est-il  que  nul  panégyriste  ne  parlera  jamais  mieux  de  son 
devancier  dans  l'évolution  mystérieuse,  et  que  le  Raphaël  de  Salzbourg 
ne  trouvera  jamais,  dans  ce  monde  ni  dans  l'autre,  d'avocat  plus  éloquent 
que  le  Michel-Ange  de  Bayreuth.  Point  de  jalousie  posthume  entre  les 
deux  maîtres!  Wagner  novateur  ne  semblait  point  redouter  les  morts. 
Et,  —  si  contraire  aux  premières  hypothèses  qui  tombent  sous  le  sens,  — 
l'idée  que  Wagner  historien  se  faisait  naturellement  du  génie  de  Mo- 
zart n'est-elle  pas,  à  nos  yeux,  comme  un  nouvel  aspect  de  ce  portrait 
à  peindre,  comme  un  nouveau  chapitre  de  ce  livre  à  faire,  qui  s'intitu- 
lerait :  Un  Mozart  inconnu"? 

Tel  était,  le  lundi  22  février  1897,1e  titre  alléchant  d'une  subtile  con- 
férence faite  à  Paris  pai-  M.  Teodor  de  Wyzewa  (3)  :  spirituellement, 
après  avoir  expliqué,  dans  un  amusant  exorde,  comment  lui,  wagnérien 
récent,  était  devenu,  soulignait-il,  «  un  effroyable  réactionnaire  »,  et 
pourquoi  son  culte  aspirait  sans  trêve  à  redescendi'e  de  l'intense  vers 
l'harmonieux,  —  l'ex-rédacteur  de  la  farouche  Revue  wagiiérienne  déve- 
loppait son  piquant  leit-motiv  :  «  Mozart  inconnu.  » 

Inconnu,  se  peut-il?  Mais,  certes,  parce  qu'il  est  trop  connu,  parce  que 
la  gloire  de  son  nom  provoque  l'oubli  de  son  oeuvre.  On  ne  joue  plus 
Mozart;  ce  qui  est  plus  grave,  on  le  joue  mal;  la  tradition  semble  per- 
due; ses  éditions  fourmillent  d'altérations,  d'interpolations.  Qui  connaît 
ses  opéras,  ses  messes,  son  admirable  Requiem,  toujours  fragmenté, 
défiguré,  sa  musique  de  chambre,  si  riche,  sou  Don  Juan,  presque  aussi 
cavaliéremeut  maltraité  par  la  double  reprise  de  1896  que  par  le  cente- 
naire piteux  de  1887  ?  Partout  et  toujours,  Mozart  inconnu  :  malgré  ses 
portraits  authentiques  depuis  1764  jusqu'à  1790,  de  Carmontelle  à 
Tischbein,  sa  figure  vive,  non  moins  sentimentalisée  que  le  front  promé- 
théen  de  Beethoven,  ne  donne  plus  du  tout  l'idée  de  ce  bon  gros  garçon 
naif,  toujours  enjoué;  son  caractère  n'est  pas  moins  suspect  :  auxquels 
entendre,  des  propos  d'hagiographe  du  chanoine  Goschler  (4)  qui  faisait 
de  Mozart  «  une  manière  de  sainte -nitouche,  bon  fils,  bon  époux,  bon 
père,  gardant  à  travers  la  vie  les  allures  dévotement  ingénues  d'un  élève 
du  catéchisme  de  persévérance  »  (c'est  Wyzewa  qui  parle),  —  ou  des 
affreux  commérages  de  sa  veuve,  qui  disait  à  tout  venant,  de  son  im- 
mortel époux  :  «  n  me  trompait  avec  mes  bonnes!  »  Son  œuvre...  Nous 
venons  de  voir  ce  que  sa  gloire  eu  a  fait!  Et  son  génie?  N'est-il  point 
devenu  synonyme  banal  de  perfection,  c'est-à-dire  d'élégant  ennui,  puis- 
que, du  moins  en  ce  bas  monde,  la  perfection  semble  ennuyeuse?  En 
présence  de  la  monumentale  Tétralogie  de  Bayreuth  (1876),  comme  au 
souvenir  de  la  fine  Flûte  enchantée  de  Vienne  (1791),  les  snobs  se  pâment 
de  confiance  : 


(1)  Voir  le  MéiKsIrd  des  14  avril,  19  mai,  16  et  23  juin  1901. 

(2)  Cf.  Muskiciis  du  temps  pcasé,  par  Heari  de  Curzon,  qui  cite  Ricliard  Wagnei'  (Nou- 
velle édition  ;  Paris,  Fischbacher,  1899). 

(3)  Cf.   Troia  profils  du  musiciens,  à  la  fin  du  volume  Beethoven  et  Wagner  (Paris, 
Perrin,  1898). 

(4)  Mozart,  Vie  d'tm  arikle  chrétien  au  XVIII'  siècte,  extraite  de  sa  Correspondance 
authentique  traduite  et  publiée  pour  la  première  fois  en  français  (Paris,  Douniol,  1857). 


Et  vous,  gens  de  l'Art, 
Pour  que  je  jouisse, 
Si  c'est  du  Mozart, 
(Joe  l'on  m'avertisse. 

Le  bourgeois  de  Béranger  semblait  plus  franc.  Mais,  depuis,  le  phi- 
listin s'est  fait  snob...  Et  tout  espoir  de  guérison  parait  perdu! 

Mozart  inconnu  !  Mais  l'étrange  mélancolie  de  ce  titre  si  profondément 
paradoxal  ne  conviendrait-elle  pas  encore  à  un  tout  autre  chapitre  que 
le  conférencier  ne  pouvait  aborder,  ne  s'applique-t-elle  pas  à  la  personne 
même  du  suave  maître,  à  l'enveloppe  mortelle  de  son  génie?  Je  ne  dis 
point  à  sa  vie,  qui  apparaît  non  seulement  dans  sa  correspondance  enfin 
traduite  (1),  mais  dans  la  longue  biographie  de  Nissen  et  dans  les  tra- 
vaux d'Otto  Jahn,  à  travers  les  Mosartiana  récents  de  Nottebohm  aussi 
nettement  qu'au  Mosarteum  de  Salzbourg.  Notre  temps  commence  à 
multiplier  les  musées  individuels  autant  que  les  statues  :  toutefois, 
l'hommage  rendu  si  délicatement  par  ses  compatriotes  à  Mozart  dans  la 
chambre  natale  qui  reçut  son  premier  cri  le  27  janvier  1786,  un  tel  hom- 
mage, qui  devrait  être  exceptionnel,  ne  peut  rencontrer  que  l'approbation 

Mais  ses  restes?  Vous  savez  que,  le  S  décembre  1791,  quand  il  mou- 
rut à  Vienne  épuisé  par  son  génie  même,  avant  la  trente-sixième  année 
révolue,  l'auteur  du  Requiem,  était  si  pauvre  qu'il  ne  laissait  pas  de  quoi 
se  faire  enterrer...  La  fosse  commune  l'attendait.  Et,  bientôt,  toute  trace 
demeurait  perdue  de  sa  sépulture  !  Pas  un  nom,  pas  une  croix!  Le  néant 
pour  son  être,  mais  l'immortalité  pour  son  œuvre  !  Et,  pour  comble  d'amer- 
tumes, le  prêtre,  mandé  pour  apporter  à  l'artiste  chrétien  les  dernières 
consolations  de  sa  foi,  s'était  reçus  ■,  parce  que  Mozart  était  franc-maçon... 

L'autre  après-midi,  dans  le  clair  silence  du  Musée  Guiraet,  devant 
Thaïs  et  l'Anachorète,  j'évoquais  ce  destin  sans  pareil,  dont  personne 
ne  semble  s'être  souvenu  le  3  décembre  1891,  lors  du  centenaire  oublié! 
Naguère,  on  nous  parlait  des  vestiges  de  Mozart...  Mais  quelles  fouilles 
certaines,  quelle  méthode  vraiment  scientifique  pourrait  nous  mettre  en 
présence  de  sa  dépouille  travestie  au  gré  de  la  terre  natale,  —  tandis 
que  le  cimetière  lointain  d'Antinoé  nous  restitue  presque  intacts  les 
corps  moins  glorieux  de  ses  croyants?  Méditons  encore...  Et  n'oublions 
jamais,  pour  l'heure  du  jugement  dernier  de  l'art  et  de  l'histoire  (puis- 
que l'avenir  incertain  semble  toujours  un  peu  moins  injuste  que  l'aveugle 
présent)  qu'un  Mozart  est  mort  d'inanition  ! 

Quelle  antithèse,  quel  contraste,  cet  œuvre  impondérable  et  la  chape 
de  plomb  d'une  vie  de  misère!  Les  lettres,  les  naïves  lettres  sont  terri- 
bles sur  ce  point;  et  cet  aristocrate  de  la  pensée  pure  est  contraint,  de 
jour  en  jour,  à  la  discrète  mendicité  qui  révolte  si  fortement  les  âmes 
bien  nées  !  Il  tend  la  main  du  côté  des  grands;  il  dévoile  ses  difTicultés 
pressantes;  son  dènùment  augmente  avec  sa  gloire;  ses  sollicitations 
sont  continuelles.  La  mort?  Ce  n'est  pas  elle,  à  coup  si'ir,  qui  le  trouble  ; 
et  le  bon  abbé  Goschler  nous  prévient  qu'il  la  regardait,  au  milieu  de 
ses  fièvres,  comme  le  but  même  de  la  vie,  comme  la  compagne  idéale 
qui  le  suit  dans  son  repos  et  le  saisit  à  son  réveil,  sans  le  rendre  jamais 
ni  triste  ni  morose,  parce  qu'il  l'a  toujours  envisagée  <i  comme  la  véri- 
table amie  de  l'homme,  comme  la  clefde  la  vraie  béatitude,  dont  l'image, 
loin  d'être  effrayante,  n'a  rien  que  de  doux  et  de  consolant...  »  Voilà 
bien  l'ange  du  Requiem.  Mais  quelle  vie,  pour  le  frêle  rossignol  de  la 
Flûte  encliantée!  Quelle  existence  de  privations  et  de  sourires!  Et  l'oiseau 
chante,  et  l'ange  rêve  pour  assurer  péniblement  le  pain  quotidien  ;  ses 
divines  mélodies,  qui  lui  survécurent  et  qui  nous  enchantent,  il  les  a 
toutes  dispersées  aux  quatre  vents  du  siècle  pour  gagner  plus  tôt  sa  mort 
en  gagnant  à  peine  sa  vie!  Et,  malgré  tout,  souriant  toujours,  candide, 
pimpant  comme  les  phrases  enchanteresses  émanées  sous  ses  doigts 
trapus  de  son  clavecin  vieillot;  toujours  confiant,  toujours  limpide! 
Toujours  l'enfant  prodige  qui  avait  étonné  l'Europe  en  faisant  croire  à 
quelque  métempsycose!  Et  comme  il  travaille,  acharné,  pour  les  toi- 
lettes modestes  de  cette  Constance  qui  le  paiera  de  la  plus  sotte  ingrati- 
tude !  Comme  il  reste  continuellement,  dans  ses  lettres  sans  rhétorique, 
le  génie  affectueusement  badin  que  sa  musique  seule  révélerait  I  Comme 
ce  chrétien  semble  harmonieusement  antique,  comme  cet  Allemand  du 
XVIIP  siècle  conserve  d'enjouement  grandiose  et  de  sentimentalité 
riante  au  milieu  de  ses  durs  travaux  qui  deviennent,  en  traversant  son 
àme,  des  gazouillements  inédits  ! 

Quelle  antithèse,  vous  dis-je!  La  surdité  seule  de  Ludwig  van  Beetho- 
ven nous  offre  un  drame  plus  poignant.  Et  quelle  variété  dans  la  grâce, 
quelle  saveur  dans  ses  défauts  mêmes,  et  le  crescendo  méconnu,  depuis 
les  enfantines  Sonates  jusqu'au  Schwangesang  simplement  éloquent  de 
ce  Requiem/ 

La  prochaine  fois  nous  comprendrons,  avec  les  vrais  wagnériens, 
pourquoi  WoKgang  Mozart  est  exalté  par  Richard  Wagner. 

(A  suivre.}  Raymond  Bouyer. 

(1)  Par  M.  Henri  de  Curzon,  après  l'abbé  Goschler,  et  plus  complètement. 


204 


LE  MÉNESTREL 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


^3  o  Tx  I"  S"  o  s  aa.  e 

(Suite.) 


IX 
EHO!  BHO!  EHO! 

En'  nul  pays  plus  qu'en  cette  Bourgogne,  si  injustement  qualifiée 
d'aqueuse  par  Shakespeare,  le  culte  de  Bacchus  n'est  célébré  plus  digne- 
ment et  plus  dévotement.  Dès  son  âge  le  plus  tendre  le  petit  Bourgui- 
gnon a  sucé,  en  guise  de  lait,  le  vin  de  l'enfance.  Allez  au  fin  fond  de 
la  Bresse,  vous  y  entendrez  la  mère,  berçant  son  nourrisson,  demander 
à  Dame  Sainte-Marguerite 

Una  gota  de  ven  bilan 
Por  endremi  xtil  enfan, 
Una  poma  rodza 
Po  11  bêta  à  la  botée. 
(Une  goutte  de  vin  blanc  pour  endormir  cet  enfant,   une  pomme  rouge 
pour  lui  mettre  à  la  bouche.) 

Tenez  pour  certain  que  toute  sa  vie  le  Bourguignon  se  souviendra  de 
la  chanson  qui  le  berça.  En  toute  occasion  il  l'évoquera.  Voyez  ce 
Barozai  trônant  à  table  avec  la  majesté  d'un  roi  de  féerie.  Depuis  Noël 
il  ne  cesse  de  lever  sa  coupe  en  l'honneur  de  Yaguilan,  et  pour  le  moment 
il  s'apprête  à  célébrer  avec  pompe  la  cérémonie  de  son  couronnement. 
La  tête  ceinte  de  pampre,  il  chante  : 

Puisque  le  sort  favorable 
M'adjuge  la  royauté, 
Je  veux  profiter  à  table 
De  ma  souveraineté. 
Songez  à  me  satisfaire  ; 
De  commander  j'ai  le  droit  : 
Sujets,  remplissez  mon  verre. 
Et  criez  tous  :  le  Roi  boit  ! 

Aussitôt  on  s'empresse  autour  de  lui.  Ses  deu.x  voisins  se  sont  consti- 
tués en  pages  d'honneur.  Ils  le  font  boire  à  satiété;  car  il  doit  l'exem  pie 
à  ses  sujets.  Les  chansons  vont  leur  train  et  les  brocs  succèdent  aux 
brocs.  Tout  le  monde  boit,  et  ceu.x  qui  viennent  demander  la  part  à 
Dieu  ne  sont  pas  oubliés.  Ce  sont  les  pauvres,  d'abord;  puis  les  jeunes 
filles,  enveloppées  dans  une  mante  à  capuchon  assez  fermée  pour  qu'on 
ne  puisse  pas  les  reconnaître;  puis  les  enfants.  Ils  chantent  : 

Guyonnet,  jambe  rôtie, 
Je  vois  la  tarte  qui  reluit. 
Le  couteau  sur  le  gâteau  ; 
Donnez-m'en  un  bon  morceau. 
Si  vous  ne  voulez  pas  l'entamei-. 
Donnez-le  moi  tout  entier. 

Si  VOUS  ne  voulez  nous  le  donner,  disent  les  filles,  ne  nous  faites  pas 
attendre,  car  il  fait  bien  froid:  voyez  j'ai  ma  camarade  qui  tremble... 
Exprès,  on  fait  attendre  les  uns  et  les  autres.  Ils  s'impatientent  :  Gui  en 
lai  un  petit  trou,  que  le  diable  vous  tortille  le  cou,  disent  les  garçons  ;  Au 
grilanlai  n'aurai  cha7'don,  ici  des  ânes  et  des  ànons  plein  la  maison,  sou- 
pirent les  filles.  Seuls  les  pauvres  se  taisent.  Enfin,  on  fait  entrer  tout  le 
monde,  et  la  fête  se  poursuit,  plus  joviale,  plus  bruyante  que  jamais. 

Eho!  Eho!  Eho!  crie  la  compagnie. 

—  Vous  le  vouiez  ?  allons-y  !  dit  le  souverain. 

Et  il  commence  : 


Tant  qu'au  bord  des  fontaines 
Ou  dans  les  irais  ruisseaux 
Les  moutons  baign'nt  leur  laine, 
l'dansont  au  préau. 

Eho!  Ebo!  Eho! 
Les  agneaux  vont  aux  plaines, 

Etio!  Eho!  Eho! 
Et  les  loups  sont  au  boa. 


Et  ces  ombres  lointaines 
Leurs  y  cach'nt  leurs  bourreaux. 
Car  malgré  leurs  plaint's  vaines 
Les  loups  croquent  les  agneaux, 

Eho!  Eho!  Eho! 
Les  agneaux  vont  aux  plaines, 

Eho!  Eho!  Eho! 
Et  les  loups  sont  au  bos. 


Jlais  queuqïois  par  vingtaines 
1  s'éloign'nt  des  troupeaux, 
Pour  aller  sous  les  chênes 
Qu'ri  des  herbag's  nouviaux. 

Eho!  Eho!  Eho! 
Les  agneaux  vont  aux  plaines, 

Eho  !  Eho  !  Eho  ! 
Et  les  loups  sont  au  bos. 


T'es  mon  agneau,  ma  reine. 
Les  grand'vill's,  c'est  les  bos,. . . 
Par  ainsi  donc,  Mad'leine, 
N't'en  va  pas  du  hameau  ! 

Eho!  Eho!  Eho! 
Les  agneaux  vont  aux  plaines , 

Ebo!  Eho!  Eho! 
Et  les  loups  sont  au  bos. 

Le  public  délire.  Eho!  Eho!  E/w!  il  n'y  a  que  ça  en  Bourgogne  ! 

'Pardon!...  Bien  fâché!  Mais  ce  Elio!  si  populaire  chez  les  fils  des 
anciens  Burgondes,  ne  remonte  pas  précisément  au  temps  des  rois  de 
la  première,  ni  même  de  la  deuxième  dynastie.  Il  est  l'œuvre,  tout  sim- 
plement, d'une  sorte  de  Lermice-Termieux  qui  s'appelait  Fertiaull  et 
vivait  en  1840. 


C'est  cette  année-là,  du  moins,  que  ce  dilettante,  chargé  par  l'éditem' 
des  Finançais  peints  par  eux-mêmes  de  lui  fournir  la  partie  d'histoire 
musicale  pour  la  Bourgogne,  lui  envoya  trois  pièces,  dont  l'une,  Cain- 
pagnarde,  recueillie  aux  environs  de  Chalon-sur-Saône,  était  de  sa 
propre  invention. 

Fertiault,  pris  de  remords,  s'est  donné  la  peine,  ce  que  nul  ne  lui 
demandait,  de  dévoiler  dans  la  suite,  en  une  plaquette  expiatoire,  les 
détails  de  sa  ténébreuse  machination.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  sa 
prose  contrite.  Il  était,  parait-il,  en  retard  avec  son  éditeur,  Léon 
Curmer.  Prié  «  de  ne  pas  perdre  une  minute  »,  il  rentre  chez  lui,  un 
soir,  affolé.  Rien  dans  ses  cartons  !  Alors,  nouveau  Rouget  de  l'Isle,  il 
sent  l'Esprit  Saint  s'abattre  en  lui,  et,  tout  d'une  pièce,  il  compose  son 
Eho!  qu'il  envoie  comme  l'expression  la  plus  authentique  des  vieux 
chants  de  son  pays.  Ce  morceau  n'en  est  d'ailleurs  pas  plus  mauvais  pour 
cela.  Il  a  trouvé  place  dans  le  Piano  de  Berthe,  un  vieux  vaudeville  du 
Gymnase;  Weckerlin  et  Champfleuryluiont  donné  ses  lettres  de  grande 
naturalisation  dans  leurs  Chants  et  Chansons  populaires  de  France;  et  tel 
était  son  succès,  que  l'auteur,  écrivant  à  un  de  ses  amis  dans  les 
Ardennes,  pour  le  prier  de  lui  transmettre  quelque  échanlillon  de  la 
poésie  populaire  de  sa  localité,  en  reçut,  à  son  grand  ètonnement,  son 
propre  Eho  !  qui  s'était  acclimaté  sournoisement  aux  environs  de  Ghar- 
leville  et  de  Mézières.  Il  s'appelait,  dans  sa  nouvelle  incarnation,  les 
Agneaux  des  Ardeniies. 

Mais  revenons  à  nos  Barozais.  Après  les  chansons,  la  bourrée.  Chaque 
coin  de  Bourgogne  a  la  sienne  ;  mais  la  bourrée  charoUaise  est  la  plus 
intéressante.  Les  danseurs  sont  placés  en  face  l'un  de  l'autre  ;  ils  tour- 
nent et  sautent  alternativement  sur  chaque  pied  et  vont  ainsi,  par  figures 
symétriques,  sans  discontinuer,  et  cela  pendant  dos  heures  entières.  C'est 
à  en  perdre  la  respiration.  A  la  fin  de  chaque  reprise,  un  iou!  iou!  éner- 
gique se  fait  entendre,  et  le  danseur,  quand  il  le  peut,  applique  un  gros 
et  sonore  baiser  sur  la  joue  ou  sur  l'épaule  de  sa  danseuse...  Et  la  bourrée 

de  reprendre  : 

Mon  petiot  frère, 
01  est  amoureux, 
01  est  amoureux, 
Le  petit  gueux. 
Le  petiot  drôle, 
01  est  amoureux. 
Le  petiot  drôle, 
Le  petiot  gueux  ! 

Après  la  bourrée  la  calibourdine,  la  mise  en  flirte  et  autres  danses 
locales.  On  s'en  donne  à  cceur  joie,  et  on  boit...  à  répandre,  comme  disait 
l'abbè  de  Voisenon.  Pas  plus  que  les  hommes,  les  femmes  ne  dédai- 
gnent le  divin  nectar.  Volontiers  elles  chantent  :  Tandis  que  nos  hommes 
sont  à  la  moissone,  vidons-y  le  tonneau  de  ce  bon  vin  nouveau,  — ^  ce  à  quoi 
les  gamins,  irrévérencieux,  ne  manquent  pas  d'ajouter  : 

Elles  en  sont  toutes  beuvées. 
Qu'elles  se  sont  enivrées. 
Allant  de  quatre  pieds. 

Aussi  bien,  les  hommes  sont  les  premiers  à  reconnaître  le  péché 
mignon  de  leurs  femmes,  auxquelles  ils  pardonnent  volontiers.  Ils  en 
rient  même.  Ainsi,  le  Bressan  vous  chantera,  sans  se  faire  prier,  sa 
fameuse  chanson  :  Con  le  bun  omo  ven  du  bu,  trouve  xa  fena  xula  : 

Quand  le  bonhoinm'  revient  du  bois, 
Trouve  sa  femme  saoule, 
Il  fait  quérir  le  médecin. 
Le  plus  grand  de  la  ville... 
Quand  le  médecin  fut  venu. 
Connut  la  maladie... 

—  Mettes  de  l'eau  dans  votre  vin,  dit  le  médecin. 

—  Si  je  mets  de  l'eau  dans  mon  vin,  demain  je  serai  morte,  répond  la  femme . 
De  l'eau  dans  son  vin,  voilà  ce  que  n'admettra  jamais  un  Barozai 

vraiment  digne  de  ce  nom.  On  lit  à  ce  sujet  dans  le  Pot-Poun-i  de  Ville- 
d'Avray,  de  Jacob  Moreau  : 

«  La  ville  de  Goulanges,  qui  fournit  un  des  meilleurs  vins  de  l'Auxer- 
rois,  et  où  jusqu'au  bas  des  murs  il  n'y  a  pas  un  pouce  de  terre  qui  ne 
soit  couverte  de  vignes,  avait  beaucoup  de  vin  et  pas  une  goutte  d'eau. 
Le  chancelier  d'Aguesseau,  qui  possédait  ce  vignoble,  y  avait  envoyé  un 
ingénieur,  auquel  on  dut  la  découverte  d'une  source.  Un  ecclésiastique 
du  diocèse  d'Auxerre  fit  cette  inscription  latine  : 

Hic  Bacchum  et  Lymphas  conjunxit  fœdera  certo 
Connubialis  amor  ;  tu  semper  utrumque  marita 

que  l'auteur  traduisait  par  : 

Un  grand  hymne  éternel,  sur  ces  riches  coteaux. 
Unit  le  Dieu  du  vin  à  la  Nymphe  des  eaux. 
Habitans  fortunés  de  ce  séjour  aimable, 
Ne  séparez  jamais,  —  ah!  ces  divinités; 
lit  que  toujours  Bacchus,  au  bout  de  votre  table, 
Ait  son  épouse  à  ses  côtés. 


( 


LE  MÉNESTREL 


205 


A  la  lecture  de  ces  vers,  toute  la  Bourgogne  bondit  d'indignation.  Les 
reproches  les  plus  amers  assaillirent  Moreau,  qui,  tout  historiographe  de 
France  et  avocat  aux  Finances  qu'il  était,  ne  sut  comment  se  garer  des 
coups  les  plus  cruels.  On  l'attaqua  non  seulement  dans  sa  vie  privée, 
mais  encore  dans  sa  vie  publique.  Publiciste  àel' Observateur  Hollandais, 
dont  l'objet  était  de  réagir  contre  la  politique  de  la  cour  de  Londres  et 
de  faire  que  la  Hollande  cessât  de  n'être,  selon  le  mot  du  roi  de  Prusse, 
qu'une  chaloupe  à  la  remorque  d'un  vaisseau  de  ligne,  il  fut  traité 
d'espion,  de  vendu  à  l'étranger.  Auteur  du  Nouveau  Mémoire  pour  servir 
à  l'histoire  des  Cacouacs,  il  reçut  tous  les  horions  qu'un  chroniqueur  en 
disgrâce  peut  attendre  de  ses  lecteurs  habituels  ;  et  pourtant  ce  Mémoire 
est  resté  comme  l'un  des  plus  curieux  pamphlets  de  la  fin  du  di.x-hui- 
tième  siècle,  où,  ce  qui  nous  intéresse  particulièrement,  la  controverse 
sur  la  musique  italienne  et  la  musique  française  n'est  pas  oubliée.  Enfin, 
où  le  toile  fut  général,  c'est  lorsqu'on  eut  connaissance  de  ses  Nouvelles 
Découvertes  sur  la  Tragédie,  ou  l'Art  de  composer  de  belles  scènes  de  gri- 
maces. Pour  le  coup,  le  bon  Moreau  n'y  put  tenir.  Il  avait  toute  la 
Bourgogne  sur  le  dos.  A  Paris,  on  en  jasait.  Finalement,  il  se  résolut  à 
faire  amende  honorable  et  déclara  en  une  pièce,  tirée  à  part,  tout  le 
contraire  de  ce  qu'il  avait  dit  : 


Quel  hymea  triste  et  sauvage 
Pour  un  dieu  tel  que  Bacclius  ! 
Amis,  de  ce  mariage 
Appelons  corame  d'abus. 
C'est  sans  doute  un  Janséniste 
Dont  la  muse  rigoriste 
Imagina  tout  cela. 
Je  veux  qu'en  moins  d'une  année 
Cette  belle  union-là 
Ait  le  sort  de  l'hyraénée 
Du  noir  époux  d'Horesta. 


Mais  si  Bacchus  à  la  belle 
Pour  jamais  était  lié, 
Serait-il  toujours  fidèle 
A  sa  trop  froide  moitié  ? 
Un  époux  de  sa  naissance 
D'une  sotte  dépendance 
Ne  s'affranchirait -il  pas? 
Et  pénse-t-on  que  sa  femme 
Ait  pour  lui  de  tels  appas 
Qu'il  ne  puisse  sans  la  dame 
Paroitre  dans  un  repas  ? 


Non,  le  dieu  de  la  vendange 
Est  un  dieu  trop  bien  appris 
Pour  ne  pas  suivre  à  Coulange 
Lesmsages  de  Paris. 
Que  la  déesse  de  l'onde 
Contre  lui  tempête  et  gronde, 
Bacchus  s'en  consolera  ; 
,  Et  tandis  qu'à  la  fontaine 

La  nymphe  murmurera, 
A_  cette  table  sans  peine 
Son  époux  nous  servira. 

Infortuné  Moreau  !  Cette  rétractation  fut  son  coup  de  grâce.  La  Dau- 
phine,  Marie-Antoinette,  dont  il  était  bibliothécaire,  l'avait  depuis 
quelque  temps  déjà  pris  en  grippe,  â  cause  d'un  cours  d'histoire  et  d'un 
plan  d'études  qu'il  avait  préparés  à  son  intention,  et  qui  l'ennuyaient . 
Un  mot  d'un  courtisan,  tempérant  par  nécessité  sans  doute,  acheva  de 
la  convaincre,  de  sorte  que,  le  jour  même,  elle  fit  enjoindre  â  son  trop 
zélé  précepteur  d'avoir  à  remettre  les  clés  de  sa  Bibliothèque  à  un 
homme  qui  entendait  d'une  façon  moins  rébarbative  l'éducation  d'une 
princesse. 

De  par  ce  caprice,  Campan  lui  fut  substitué.  Ainsi  finit  cette  tempête 
dans  un  verre  d'eau  rougie. 

(A  suivre.)  -  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
A  Londres,  à  l'Opéra  royal  de  Govent-Garden,  véritable  triomphe  pour 
la  rentrée  de  M""  Galvé  dans  Carmen.  —  Les  représentations  du  Roi  rï  Ys  seront 
données  au  courant  de  cette  semaine. 

—  La  semaine  passée,  le  fameu.x  château  de  Graig-y-Nos,  appartenant  à 
M™  Patti,  a  été  mis  aux  enchères  à  Londres,  mais  il  est  resté  pour  compte  à 
l'artiste.  La  vente  avait  attiré  beaucoup  de  curieux,  mais  peu  d'acheteurs.  Le 
commissaire-priseur  demanda  d'abord  100.000  livres,  soit  deux  millions  et 
demi  de  francs,  mais  on  n'offrit  que  10.000  livres,  que  le  commissaire  refusa 
avec  indignation.  Après  quoi  un  vieux  monsieur  alla  jusqu'à  50.000  livres  ; 
mais  au  moment  où  le  château  lui  était  adjugé,  l'amateur  se  précipita  vers  le 
commissaire  et  lui  expliqua  qu'il  s'était  trompé  et  que  son  intention  n'était 
nullement  de  posséder  Graig-y-Nos.  Le  commissaire  recommença  alors  ses 
opérations,  mais  le  château  ne  put  aller  au-dessus  de  4j.000  livres  qui  ne 
furent  pas  acceptées.  M™'  Patti  reste  donc  en  possession  de  son  immeuble,  qui 
est  un  ver  rongeur  terrible,  car  il  y  faut  soixante  domestiques  pour  le  rendre 
babitable  et  pour  soigner  le  parc.  Un  farceur  avait  proposé  à  M""*  Patti,  dans 
un  journal,  de  se  rendre  à  la  vente  et  d'y  chanter  Hoine,  sweel  Iwme  pour 
attirer  les  amateurs  ;  elle  aurait  bien  fait  de  suivre  ce  conseil  bienveillant. 
Graig-y-Noa  sera  d'un  placement  difficile. 

—  Au  dernier  concert  de  la  saison  à  Queen's-hall,  on  a  exécuté  une  ouver- 
ture inédite,  Cockaigne,  que  l'auteur  a  conduite  en  personne.  Cette  ouverture 


est  à  «  programme  »;  elle  se  propose  de  peindre  la  vie  dans  les  rues  de 
Londres.  L'élément  comique  est  fourni  par  l'inévitable  german  baitd,  une  de 
ces  bandes  de  musiciens  allemands  qui  infestent  tous  les  quartiers  de  la  ville 
avec  leurs  terribles  instruments  à  vent,  et  l'élément  sentimental  par  un  couple 
d'amoureux  qui  finalement  entrent  dans  une  église,  peut-être  pour  y  convoler 
en  justes  nopces.  Cette  ouverture  a  remporté  un  grand  succès. 

—  Le  nouveau  théâtre  du  Prince-Régent,  à  Munich,  lance  son  petit  factum 
à  l'occasion  des  représentations  wagnériennes  qu'il  va  donner  aux  mois 
d'août  et  septembre  prochains  : 

...  Le  théâtre  du  Prince-Régent  est  construit  sur  le  modèle  de  celui  de  Bayreuth,  avec 
orchestre  invisible;  les  places  sont  en  amphithéâtre,  toutes  de  face;  la  scène  est  d'une  très 
grande  profondeur,  avec  de  larges  dégagements  de  chaque  côté  et  derrière,  permettant 
ainsi  les  mises  en  scène  les  plus  compliquées.  C'est  un  des  praticiens  les  plus  renommés 
dans  l'art  du  théâtre,  M.  Karl  Lautenschlager,  qui  a  la  direction  de  la  machinerie,  de  la 
planlation  des  décors  et  de  l'éclairage.  MM.  Anton  Fuchs  et  Robert  MûUer  sont  chargés  de 
la  mise  en  scène.  Des  décors  nouveaux  et  très  artistiques  ont  été  brossés  par  les  peintres- 
décorateurs  Mettenbeiter,  Brttckner  et  Frahm.  Quatre  chefs  d'orchestre  se  remplaceront  au 
pupitre;  ce  sont  MM.  Hermann  Zumpe,  Franz  Fischer,  Bernhard  Stavenhagen  et  Hugo 
Rohr.  La  troupe  ordinaire  de  Munich  sera  renforcée  de  plusieurs  artistes  d'autres  théâtres, 
comme  M.M.  Anthes  et  Wachter,  de  Dresde,  Griining  et  Hoffmann,  de  Berlin,  Schrodter, 
Reichmann  et  Winkelmann,  de  Vienne,  Gerhaûser,  de  Carlsruhe,  M"''  Andriessen,  de 
Francfort,  Hilgermann,  de  Vienne,  Staudigl,  de  "Wiesbadon,  etc.,  etc. 

M.  Ernàt  von  Possart  n'a  rien  négligé  pour  procurer  aux  spectateurs  du  nouveau  théâtre 
toutes  leurs  aises  et  toutes  leurs  commodités.  Les  représentations  commençant  à  cinq  heures, 
on  trouvera  dans  un  grand  café  et  dans  un  vaste  jardin-restaurant  attenant  au  théâtre  de 
quoi  se  rafraîchir  et  souper  pendant  les  entr'actes.  Le  vestiaire  est  également  .très  spacieux, 
et  pour  en  faciliter  le  fonctionnement,  le  numéro  de  la  place  occupée  servira  en  même 
temps  de  numéro  de  vestiaire.  Le  prix  des  places,  comme  à  Bayreuth,  est  fixé  à  25  francs, 
et  on  peut  les  retenir  dès  maintenant  soit  à  Paris  chez  l'éditeur  Durand,  place  de  la  Made- 
leine, soit  à  Munich,  à  l'administration  du  théâtre  du  Prince-Régent.  —  Voici  quelles 
sont  les  dates  des  représentations  ;  tes  Maîtres  Chanteurs,  21  et  25  août,  2,  10,  14  et 
26  septembre;  Tristan,  23  et  27  juillet,  4,  12  et  20  septembre;  Tannhailser,  29  juillet,  6, 
16,  22  et  2i  septembre;  Lohengrin,  31  août,  8, 18  et  24  septembre. 

—  Le  comité  pour  le  monument  de  Brahms  à  Hambourg  a  reçu  jusqu'à 
présent  treize  projets.  Comme  il  ne  dispose  encore  que  de  40.000  marcs, 
somme  insuffisante  pour  le  monument,  le  choix  entre  ces  différents  projets 
n'est  pas  bien  pressant. 

—  Le  théâtre  royal  de  Wiesbaden  vient  de  jouer  un  opéra  romantique  en 
deux  actes  intitulé  le  .Jeune  Henri,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Karl  de  Per- 
fall.  Cet  ouvrage  a  déjà  été  joué  dans  une  version  différente  sous  le  titre  de 
Junker  Heinz. 

—  M.  Hofmann,  directeur  de  l'Opéra  de  Cologne,  a  reçu  un  nouvel  opéra  en 
quatre  actes  intitulé  Gitana,  paroles  de  M.  J.  Wildenrath,  musique  de  M.  Max 
Oberleithner. 

—  Le  célèbre  théâtre  du  château  de  Totis  (Hongrie),  qui  appartient  à  la 
famille  Esterhazy  et  qui  a  été  illustré  par  Joseph  Haydn,  va  disparaître  d'ici 
peu.  Son  dernier  propriétaire,  le  comte  Nicolas  Esterhazy,  y  avait  fait  jouer 
pendant  un  quart  de  siècle  le  drame  et  l'opérette  et  avait  dépensé  beaucoup 
d'argent  pour  maintenir  le  niveau  artistique  de  son  théâtre;  mais  le  comte 
est  mort  l'année  passée,  et  son  héritier  n'a  malheureusement  pas  hérité  de 
la  passion  de  son  oncle  pour  l'art  dramatique.  Il  a,  au  contraire,  donné  ordre 
de  transformer  le  théâtre  en  chapelle,  eta  vendu  le  matériel,  qui  représentait 
une  grande  valeur,  à  M.  Ivan  Relie,  directeur  du  théâtre  municipal  de  Pres- 
bourg.  Sic  transit  gloria.  . 

—  L'Opéra  royal  de  Copenhague  a  reçu  un  nouvel  opéra  intitulé  Waar 
(le  Printemps),  musique  de  M.  Marquard-Rasmussen,  à  Aarhus. 

—  Le  dernier  exercice  du  Conservatoire  de  Milan  a  mis  en  relief  le  nom 
d'une  jeune  élève,  la  signorina  Elisabetta  Oddone,  qui  s'est  produite  à  la  fois 
comme  chanteuse  et  comme  compositeur.  Elle  a  fait  entendre  une  Suite  pour 
petit  orchestre,  plus  deux  romances  chantées  par  elle-même.  Cette  jeune 
personne  appartient  à  la  classe  de  composition  de  M.  Gaetano  Goronaro. 

—  Bu  moins  d'une  année  la  ville  de  Milan,  qui  s'accroît  chaque  jour,  a  vu 
percer  vingt-six  rues  nouvelles.  Quatre  de  ces  rues  ont  reçu  les  noms  de 
musiciens  plus  ou  moins  célèbres  :  Pierluigi  da  Palestrina,  Benedetto  Mar- 
cello, Saverio  Mercadante  et...  Errico  Petrella. 

—  La  Gazwtta  musicale  de  Milan  publie  à  sa  première  page  le  fac-similé 
d'une  partie  d'une  liste  de  souscription  ouverte  le  20  juin  1859,  à  Sant'Agata, 
par  Verdi,  au  profit  des  combattants  pour  l'indépendance  italienne.  L'appel, 
écrit  tout  entier  de  la  propre  main  de  Verdi,  est  ainsi  conçu  : 

Les  victoires  obtenues  jusqu'i.i  par  nos  valeureux  frères  n'ont  pas  été  sans  que  leur 
sang  soit  répandu,  et  par  conséquent  sans  de,  suprêmes  douleurs  pour  des  milliers  de 
familles  !  En  de  tels  moments,  tout  ce  qui  a  un  cœur  italien  doit  aider,  dans  la  mesure 
de  ses  forces,  la  sainte  cause  pour  laquelle  on  combat. 

Je  propose  une  souscription  en  faveur  des  blessés  et  des  familles  pauvres  de  ceux  qui 
sont  morts  pour  la  patrie. 
Sant'Agata,  'iO  juin  ISôO.  G-  Verdi. 

Les  premiers  noms  inscrits  sur  la  liste  sont  les  suivants  : 

Giuseppe  Verdi,  pour  25  napoléons  d'or 550  francs. 

Giuseppina  Verdi,  pour  4  napoléons  d'or 88      — 

Carlo  Verdi 22      - 

Giovanni  Menta 5      — 

Angiolo  Carrara 88      — 

Antonio  Barezzi,  pour  4  napoléons  d'or 88      — 


206 


LE  MENESTREL 


«  Non  seulement,  écrit  à  ce  sujet  la  Gazzctta,  non  seulement  les  paroles 
avec  lesquelles  Verdi  ouvre  sa  souscription  sont  remarquables  et  émou- 
vantes, mais  elles  sont  une  preuve  de  courageux  patriotisme,  car  la  date 
indique  clairement  que  l'État  de  Parme  existait  encore  alors,  sous  la  haute 
surveillance  politique  du  gouvernement  autrichien.  Non  moins  remarquables 
sont  les  souscriptions  qui  succèdent  immédiatement  à  celle  de  Verdi,  c'est-à- 
dire  :  sa  femme  et  son  père  ;  puis  le  docteur  Carrara,  dont  le  fils  est  aujour- 
d'hui l'époux  de  M"^  Maria  Verdi,  nièce  du  maitre  ;  enfin  Barezzi,  son 
bienfaiteur  (père  de  sa  première  femme).  » 

—  Suite  des  renseignements  du  Trovalon-  sur  les  représentations  des  opéras 
de  Rossini.  3  décembre  1818.  Au  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  succès  de 
Bicciardo  e  Zoraide,  opéra  sérieux,  libretto  du  marquis  Berio  :  interprètes, 
Nozzari,  David,  Cicimara,  la  Colbran  et  la  Pisaroni.  —  24  avril  ISIO,  au 
théâtre  San  Benedetto  de  Venise,  Eduardo  e  Cristina,  opéra  sérieux;  inter- 
prètes, Eliodoro  Bianchi  et  Luciano,  Rnsa  Morandi  et  la  Cortesi.  26  dé- 
cembre, à  la  Scala  de  Milan,  Bitinca  e  Faliero,  opéra  sérieux,  libretto  de 
FeUce  Romani  ;  interprètes,  Bonoldi  et  Fioravanti,  la  Camporesi  et  la  Bassi; 
grand  succès,  39  représentations.  —  Nous  trouvons  encore,  dans  cette  revue 
chronologique,  quelques  faits  intéressants  ou  curieux.  Le  2'2  janvier  1818  la 
censure  autrichienne  de  Milan  supprime,  comme  excessives,  quinze  lignes 
d'une  critique  de  la  Gazzetta,  comparant  l'allemande  Metzger  à  l'italienne 
Marconi  dans  Ciro  in  Babilonia  de  Rossini.  Le  10  juin  on  inaugure  le  nou- 
veau théâtre  de  Pesaro  avec  la  Gazza  ladra  remaniée  (rifoniiala).  dirigée  par 
Rossini.  Le  20  février,  à  la  Scala  de  Milan,  le  premier  mime  Molinari  est 
sifQé  par  le  public,  celui-ci  ayant  appris  qu'il  a  battu  la  première  danseuse 
a  ux  répétitions,  et  il  lui  manque  de  respect;  le  lendemain  21,  l'avis  suivant 
est  affiché  au  théâtre  :  «  L'acteur  Molinari,  qui  hier  soir  a  rencontré  la 
dés  approbation  du  public  dans  ce  théâtre,  se  présentera  sur  la  scène  pour 
offrir  ses  excuses  à  ce  public  ». 

—  Dans  l'église  San  Francesco  de  Bologne,  qui,  dit  un  journal,  fut  au 
seizième  siècle  le  berceau  de  la  grande  école  bolonaise,  à  laquelle  l'Italie  doit 
les  noms  d'artistes  illustres,  a  eu  lieu  un  grand  concert  religieux  dont  le 
programme  était  particulièrement  intéressant.  Ce  programme  comprenait  les 
œuvres  suivantes  :  Concerto  d'église  en  la  mineur  pour  orchestre  d'archets  et 
orgue,  de  Dall'Abaco;  Antiphonie  à  deux  chœurs,  de  Palestrina;  Canzone  et 
Toccata  pour  orgue  seul,  de  Frescobaldi;  Prière  à  la  Vierge,  de  Durante;  Qua- 
trième Psaume,  de  Benedetto  Marcello;  Te  Oeum  laudarmis,  de  M.  Sgambati. 
Les  solistes  étaient  M"'^  Giovanni-Zacchi  et  Alice  Zacconi,  l'orchestre  était 
dirigé  par  M.  Fano,  l'orgue  était  tenu  par  M.  Filippo  Sussarri,  et  les  chœurs 
étaient  chantés  par  des  dilettantes  et  des  dames  de  la  meilleure  société  de 


—  Un  incident  as  sez  singulier  s'est  produit  récemment  à  Trévise.  Un  pia- 
niste nommé  PoUini  donnait  un  concert  au  Cercle  social,  et  pendant  qu'il 
exécutait  un  morceau  un  autre  artiste,  M.  Pietro  Loredan,  manifesta  à 
diverses  reprises  son  mécontentement.  Or,  ceci  ne  plut  pas  à  un  journal  du 
lieu,  qui  releva  le  fait  avec  quelque  vivacité.  Sur  quoi  l'artiste  mis  en  cause 
jugea  à  propos  de  se  défendre  par  une  lettre  adressée  à  ce  journal  et  dans 
laquelle  il  s'exprimait  ainsi  :  «  Si  j'ai  exprimé  ma  désapprobation  à  diverses 
personnes  durant  l'exécution  de  la  sonate  op.  27  n"  2  de  Beethoven,  cette 
désapprobati  on  était  motivée  par  l'altération  que  M.  PoUini  faisait  subir  à  la 
musique,  où,  arrivant  à  la  8=  ou  10=  mesure,  il  sauta  à  la  30',  et  ensuite, 
arrivé  à  la  44",  il  i-etourna  à  la  10=  pour  la  seconde  fois;  il  joua  alors  ce  qu'il 
avait  omis,  puis,  arrivé  pour  la  seconde  fois  à  la  44"  mesure,  il  retourna 
encore  en  arrière,  rejouant  de  nouveau  tout  l'adagio.  »  Il  faut  avouer  que  ce 
massacre  était  de  nature  à  courroucer  un  auditeur  un  peu  expérimenté.  Quelle 
diable  de  bouillie  le  virtuose  faisait-il  ainsi  de  la  musique  de  Beethoven"? 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  vendredi,  comme  nous  l'avons  annoncé,  qu'a  eu  lieu,  au  Conser- 
vatoire, l'audition  des  six  cantates  des  concurrents  au  prix  de  Rome,  et  c'est 
hier  samedi  que  cette  audition  s'est  répétée  à  l'Institut,  devant  l'académie 
de  s  beaux-arts,  appelée,  toutes  sections  réunies,  à  juger  le  concours. 

Voici  le  résultat  de  ce  concours  : 

/'"■  grand  prix  :  M.  Caplet,  élève  de  M.  Lenepveu. 

<='  second  grand  prix  :  M.  Dupont,  élève  de  M.  Widor. 

2*  second  grand  prix  :  M.  Revel,  élève  de  M.  Fauré. 

—  Nous  savons  dès  maintenant  à  quoi  nous  en  tenir  sur  le  nombre  des 
élèves  qui  ont  été  admis  à  prendre  part  aux  prochains  concours  publics  du 
Conservatoire.  Pour  les  classes  de  piano  nous  trouvons  18  concurrents  hom- 
mes et  29  femmes  ;  pour  les  classes  de  violon,  30  concurrents,  dont  11  femmes; 
pour  l'alto,  7  concurrents;  pour  le  violoncelle,  12,  dont  2  femmes;  pour  la 
contrebasse,  4;  pour  la  harpe,  7,  dont  un  seul  homme.  Le  concours  de  chant 
proprement  dit  réunira  17  hommes  et  18  femmes,  celui  d'opéra  7  hommes  et 
8  femmes,  celui  d'opéra-comique  aussi  7  hommes' et  8  femmes.  Enfin,  pour 
la  déclamation,  le  concours  de  tragédie  nous  présentera  5  hommes  et  3  fem- 
mes, et  celui  de  comédie  9  hommes  et  11  femmes.  En  résumé,  en  mettant  à 
part  les  instruments  à  vent,  pour  lesquels  le  nombre  des  concurrents  est 
toujours  à  peu  près  le  même,  les  concours  publics  feront  défiler  devant  le 
jury  et  devant  le  public  un  total  de  104  jeunes  hommes  et  de  96  jeunes 
filles. 


—  Un  fait  assez  rare  et  peut-être  sans  exemple  se  produit  cette  année  dans 
le  concours  de  fugue.  Bien  que  les  femmes  parfois  y  prennent  part,  leur  pré- 
s  ence  pourtant  y  est  assez  peu  commune.  Or,  cette  fois  il  ne  s'en  trouve  pas 

moins  de  quatre  pour  afl'ronter  les  sévérités  et  les  difficultés  de  ce  concours  : 
M"=  Fleury,  élève  de  M.  "Widor,  et  M"=^  Campagna,  Toutain  et  M"'»  Herscher- 
Clément,  élèves  de  M.  Fauré. 

—  Voici  les  récompenses  décernées  hier  pour  le  concours  de  solfège  des 
chanteurs  : 

HOMMES 

1"  Médaille:  M.  Baer  (classe  Vernaelde). 
2""  Médailles  ;  MM.  Billot  CVemaelde),  Mallet  (de  Martini  i. 

3"""  Médailles:  MM.  de  Poumayrac  (Vernrelde),  Bourilkm  (Vernaelde),  Casella  (Ver- 
naelde), G.  Dubois  (de  Martini). 

FEMMES 

l'"  Médailles:  M"'"  Carré  (classe  Mangin),  Ruper  (M"°  Vinol  i,  Jullian  (Mangin),  Tvan- 
noy  (M°"  Vinot),  Bérysa  (Mangin). 

2""  Médailles:  M""  Maurice  (M""  Vinot),  Gaillard  IM.  Mangin i,  Huchet  (M"' Vinol), 
Dorigny  (M"'  Vinot). 

3"'-  Médailles  :  M""  Thiesset  (M.  Mangin)  et  Genevois  (M"'  Vinoti. 

—  Voici  quels  sont  les  morceaux  de  concours  choisis  pour  les  élèves  des 
classes  de  chant,  d'opéra,  d'opéra-comique,  de  tragédie  et  de  comédie  : 

Chaut. 

Classe  de  M.  Crosti.  —  M.  Geyre  :  les  Abencérages. 
31"'^  Dorigny  :  Samson  et  Dalila. 
M""  Cauchois  :  îphigénie  en  Tauride. 
Classe  he  M.  Wabot.  —  M.  Rigaux  :  le  Tribut  de  Zamora. 
M.  Herbulot  :  Raynwnd. 
M.  Granier  :  Guido  et  Ginevra. 
M""  Demougeot  ;  Iphigénie  en  Tauride. 
JI"»  Gonzalès  :  le  Billet  de  loterie. 

Classe  de  M.  Edmond  Duvernoï.  —  M.  G.  Dubois  :  le  Freischiitz. 
M.  Baer  :  Iphigénie  en  Tauride. 
M.  Jean  :  Iphigénie  en  Tauride. 
M"'  Lassara  :  Don  Juan. 
M"'  Péart  :  Perfide  et  parjure. 
Classe  de  M.  Masson.  —  M.  Minvielle  ;  Hérodiade, 
M.  Aumônier  :  la  Reine  de  Saba. 
M.  Triadou  ;  le  Pardon  de  Ploërmel. 
AI.  Gilly  :  Iphigénie  en  Aulide. 
M"'  Van  (Jelder  :  Hippolyte  et  Ariciê. 
M"'  Foreau  :  Proserpine. 
M"°  Gril  :  Alceste. 
M"'  Vergonnet  :  Ilamlet. 

Classe  de  M.  Dupbez.  —  M"'  Revel  :  le  Freiscliiitz. 
.  Classe  de  M.  Vergnet.  —  M.  Réchencq  :  les  Abencérages. 
M.  Billot  ;  la  Fête  d'Alexandre. 
M"'  Grazide  :  le  FreiscMtz. 
M"»  'Weyride  :  Hamlet. 
M'i"  Billa  :  Fidelio. 

Classe  de  M.  Aogoez.  —  JI.  de  Qynsen  :  Iphigénie  en  Aulide. 
M.  Sayetta  :  Iphigénie  en  Tauride. 
M"'  Jullian  :  Obéron. 

Classe  de  M.  Duruli.e.  —  M.  Sigwalt  :  le  Siège  de  Corinthe. 
M.  Ferrand  :  le  Songe  d'une  nuit  d'été. 
M.  Guillamat  :  Dardanus, 
M"'  Huchet  :  le  Pardon  de  Ploërmel. 
M""  Meynard  :  Iphigénie  en  Tauride, 
M""  Ruper  :  les  Htiguenots. 

W'  Cortez  :  Alcesle. 

Opéra. 

Classe  de  M.  Melchissédec.  —  M.  Rigaux:  Patrie I 

JI.  Azéma  :  Œdipe. 

M.  Dubois  :  Salammbô. 

M""  Gril  :  Roméo  et  Juliette. 

W  Billa  :  Alceste. 

W"  Cauchois  :  la  Favorite. 

Classe  de  M.  Gibaudet.  —  M.  Baei-  :  les  Buguenots. 

M.  Aumônier  :  les  Huguenots. 

M.  Granier  :  la  Juive. 

M.  ïriadou  :  Rigolello. 

M""  Demougeot  ;  le  Cid. 

W  Jullian  :  les  Euguenots. 

JI"»  Lassara  :  Faust. 

JI""  Cesbron  :  Armide. 

M""  Féart  ;  les  Dandides. 


Classe  de  M.  Lhérie.  —  M.  Bae 

JI.  Guillamat  :  le  Val  d'Andorre. 

JI.  Dubois  :  Werihir. 

M.  Jlinvielle  :  llaijdée. 

M""  Van  Gelder  :  Manon. 

M""  Revel  :  Manon. 

M""  Cesbron  :  Wertlwn: 

M"*  Cortez:  les  Dragons  de  Villars. 

M""  Gonzalès  :  le  Barbier  de  Séville. 

Classe  de  M.  Achard.  —  M.  Higar 

M.  Geyre  :  Lakmé. 

M.  Jean  :  Hai/dée. 


Opéra -Comique. 

ir  :  le  Caïd. 


:  le  Médecin  malgré  lui. 


LE  MENESTREL 


207 


M'"  BiUa  :  Psyclié. 

M"«  Huchet  :  Manon. 

iViiie  Foreau  :  la  Servante  maitresse. 

Tragédie. 
M.  Garry  (classe  Féraudj),  1"  ace.  1900  :  la  Fille  de  Roland,  rôle  de  Chai-lemagne. 
M.  Larmandie  (Sllvain),  1"  ace.  1900  :  Antigone  (3"  acte),  rôle  d'Hémon. 
M.  Juobé  (Silvain)  :  Louis  XI  (2'  acte),  rôle  de  Nemours. 
Jt.  Capellani  (Le  Bargy)  ;  Hamlet  (%'  acte),  rôle  d'Hamlet. 
Jl.  Gorde  (Paul  îlouneti  :  les  Burgraves,  rôle  de  Magnus. 
M""  Carmen  de  Raisy  (Paul  Mounet),  1"  ace.  1900:  Anr/elo,  rôle  de  Catarina. 
M"''  ^lerviUe  (Paul  .Mounet i  :  Lucrèce  Borgia,  rôle  de  Lucrèce. 
iM"'  Jlargel  (Georges  Berr)  :  Bérénice  (!"■  acte),  rôle  de  Bérénice. 

Comédie. 

Classe  de  M.  de  Féraudy.  —  M.  Garry  (2°  prix  1900)  :  le  Père  prodigue,  rôle  de  .\L  de 
la  Riviounière. 

M.  .Monteaus  (1"  ace.  1900 1  :  l'Ami  des  femmes,  rôle  de  Ryons. 

M.  Holtzem  :  la  Coupe  enchantée,  rôle  de  Jousselîn. 

M""  Dayez  (2^  prix  1900)  :  Denise  (2"  acte),  rôle  de  Denise. 

M""  Vielle  :  un  Mariage  som  Louis  XV,  rôle  de  la  baronne. 

M""  Piérat  :  le  Mariage  de  Victonne,  rôle  de  Victorine. 

Classe  de  51.  Silvain.  —  M.  Boulhors  (2«  ace.  1900)  :  Mercadet,  rôle  de  Jlercadet. 

M.  Larmandie  :  Diane  de  Lys,  rôle  du  comte  de  Lys. 

M""  Sylvie  :  le  Barbier  de  Séville  (l"*"  acte),  rôle  de  Rosine. 

Classe  de  M.  Leloir.  —  M.  Chaumont  :  le  Juif  polonais,  rôle  de  .Mathis. 

M"«  Lincoln  ;  Rui/  Bios,  rôle  de  la  Reine. 

Classe  de  M.  Le  Baugy.  —  M.  Capellani  (2"  ace.  1900)  :  On  ne  badine  pas  avec  l'amour, 
rôle  de  Perdican. 

M.  Liser  :  les  Femmes  savantes,  rôle  de  Chrysale. 

W"  Mathot  (!«'  ace.  1900)  :  la  Cliance  de  Françoise,  rôle  de  Françoise. 

M"''  Chesnel  :  la  Coupe  enchantée,  rôle  de  Leslie. 

Classe  de  M.  Paul  Mounet.  —  Jl.  Brûlé  (2°  prix  1900)  :  le  Menteur,  rôle  de  Dorante. 

M""  Martlie  Lambert  :  le  Fil^  mitnrel,  prologue,  rôle  de  Clara  Vignot. 

Classe  de  II.  Georges  Berr.  —  M"°  Jlargel  (1"  ace.  1900)  :  Amoureuse,  rôle  de 
Germaine. 

M""  Spindler  (2"  ace.  1900)  :  le  Jeu  de  l'amour  et  du  hasard,  rôle  de  Sylvia. 

M""  Grimbert  ;  Arlequin  poli  par  l'ammi/r,  rôle  de  Sylvia. 

—  Voici  maintenant  la  liste  des  morceaux  choisis  pour  les  concours  des 
classes  instrumentales  : 

PuNO  (hommes).  —  Étude  en  );(  dièse  mineur  de  Chopin  et  11"  Rapsodie  de  Liszt. 

Piano  (femmes).  —  Étude  symphonique  de  Schumann  et  Sonate  en  rê  majeur  de  (VIozart. 

Violon.  —  Symphonie  espagnole  de  Lalo. 

Alto.  —  Concerto  en  ut  majeur  d'Arends. 

Violoncelle.  —  l^""  Concerto  de  Davidow. 

Contrebasse.  —  1"  Solo  de  concours  de  Verrimst. 

Harpe.  —  Choral  et  Variations  de  M.  Widor. 

Selon  l'excellente  coutume  adoptée  depuis  quelques  années  on  a  demandé, 
pour  les  classes  d'instruments  à  vent,  des  morceaux  nouveaux  à  plusieurs 
compositeurs.  Us  ont  été  ainsi  distribués  : 

Flute.  —  M.  Ganne. 

Clarinette.  —  M.  Henri  Rabaud. 

Hautbois.  —  M.  Henri  Biisser. 

Basson.  —  Jl.  Charles  René. 

CoB.  —  Jl.  Bruneau. 

Cornet  a  pistons.  —  Jl.  Silver. 

Trompette.  —  Jl.  Erlanger. 

Trombone.  —  M.  Bachelet. 

—  M.  Samuel  Rousseau,  chef  des  chœurs  à  la  Société  des  concerts  du  Con- 
servatoire, a  donné,  cette  semaine,  sa  démission  de  ses  fonctions.  L'assemblée 
convoquée  pour  l'élection  de  son  successeur  a  d)i  avoir  lieu  vendredi  dernier. 

—  On  assure  que  M.  Gailhard  est  de  retour  à  Paris,  venant  de  Dresde.  Ne 
serait-ce  pas  plutôt  de  Pontoise?  Toujours  est-il  qu'on  lui  a  pris  de  suite  une 
interview,  oii  on  l'invitait  «  à  se  reposer  »  après  les  fatigues  d'un  tel  voyage: 
«  IMe  reposer,  a-t-il  répondu,  pourquoi  faire?  » 

...  Et  avec  un  sourire  qui  fleure  la  Garonne,  il  ajoute: 

—  C'est  trop  fatigant  de  se  reposer.  Non!  je  vais  m'occuper  de  la  préparation  de  Sieg- 
fried  et  au  commencement  du  mois  prochain  je  partirai... 

^  Pour  la  mer  ? 

—  Non!  pour  Bayreuth,  où  Von  organise  une  représentation  solennelle  de  S^'e(//î■ierf. 
J'ai  vu  Siegfried  sur  toutes  les  scènes  allemandes,  hormis  sur  celle  de  Bayreuth.  Vous 
pensez  bien  que  je  ne  manquerai  pas  l'occasion  qui  m'est  offerte  de  compléter  ma  collec- 
tion ! 

Donc,  M.  Gailhard  ne  se  sent  nullement  fatigué.  11  n'y  a  que  les  autres  qui 
s'en  aperçoivent. 

—  Du  reste,  c'est  un  homme  parfaitement  heureux.  Il  a  fait  débuter  ces 
jours-ci  la  gentille  M"«  Dereims  dans  les  Huguenots  (rôle  de  Marguerite)  et  il  a 
reçu  tout  aussitôt  les  félicitations...  des  ambassadeurs  marocains  qui  assis- 
taient à  la  représentation.  De  tins  connaisseurs,  apparemment! 

—  Autre  bonheur  :  «  Il  a  rencontré  à  Dresde  Jean  de  Reszké  qui  doit  créer 
Siegfried  à  Paris,  et  qui  était  venu  le  rejoindre  pour  s'entendre  avec  lui  sur 
les  modifications  que  peut-être  son  rôle  et  même  certains  autres  auront  à 
subir.  »  Du  tripatouillage,  alors! 

—  Cueilli  dans  la  même  interview  sur  le  voyage  à  Dresde  :  «  Quant  à 
l'orchestre,  il  était   dirigé  par  le  célèbre   kapellmeister   Scheidemantel  ». 


Mais  non,  Gailhard,  vous  faites  erreur!  Scheidemantel  n'est, qu'un  vulgaire 
baryton,  de  très  grand  talent  d'ailleurs.  Oh  !  ces  cervelles  du  Midi  ! 

—  M.  Albert  Carré,  profitant  de  la  présence  à  Paris  de  M"!*  de  Nuovina,  a 
obtenu  qu'elle  veuille  bien  donner,  à  l'Opéra-Gomique,  avant  la  fermeture, 
six  représentations,  dont  trois  de  Cavatleria  rusticana  et  trois  de  la  Xavarraise. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Carmen  (représentation  populaire  à  prix  réduits);  le  soir,  Mireille. 

—  La  magnifique  collection  d'autographes  musicaux  de  notre  collaborateur 
et  ami  Charles  Malherbe  vient  de  s'enrichir  d'un  nouveau  manuscrit  de 
Beethoven  qu'on  croyait  perdu.  C'est  la  Polonaise  pour  musique  militaire, 
connue  seulement  par  la  copie  qu'on  en  a  conservée  aux  archives  de  la  Société 
des  Amis  de  la  musique  à  Vienne.  Beethoven  a  écrit  en  français  le  titre  de 
cette  composition  :  «  Polonaise,  par  Beethoven,  1810.  Baden  ».  Nous  appre- 
nons ainsi  que  la  composition  est  née  au  cours  d'une  des  promenades  soli- 
taires aux  environs  de  Baden  que  Beethoven  aimait  à  faire  pendant  sa  villé- 
giature dans  cette  jolie  ville  d'eaux.  Pour  ceux  qui  connaissent  les  manuscrits 
de  Beethoven,  l'aspect  de  celui  de  la  Polonaise  est  entièrement  intéressant. 
Rarement,  presque  jamais,  Beethoven  n'a  écrit  une  composition  avec  autant 
de  soin  et  si  lisiblement;  même  les  instruments  sont  désignés  en  toutes  lettres 
dans  la  partition.  Une  indication  très  explicite  de  supprimer  une  mesure  à 
la  répétition,  avant  la  coda,  est  d'une  écriture  merveilleuse  pour  le  maitre, 
surtout  à  l'âge  de  40  ans.  Le  manuscrit,  écrit  sur  un  papier  de  choix,  est 
dans  un  état  de  rare  conservation;  il  avait  appartenu  au  compositeur  et  col- 
lectionneur viennois  Aloys  Fuchs ,  et  depuis  sa  mort'  on  n'en  avait  plus 
entendu  parler. 

—  La  Société  d'histoire  du  théâtre  a  tenu  cette  semaine  sa  seconde  réunion 
àl'Odéon,  M.  Henry  Fouquier  présidait.  On  a  décidé  la  création  d'un  bulletin 
et  adopté  le  principe  de  concours,  à  l'occasion  desquels  la  Société  décernera 
des  prix  à  des  travaux  inédits  concernant  les  institutions,  la  biographie,  la 
bibliographie  ou  l'ethnographie  théâtrale.  —  Une  personne,  qui  désire  ne  pas 
être  nommée,  a  fait  don  à  la  Société  d'une  somme  de  1.000  francs.  — 
M.  Henri  Martin,  bibliothécaire  de  l'Arsenal,  a  donné  communication  d'un 
rapport  des  plus  intéressants  sur  un  manuscrit  du  commencement  du  quin- 
zième siècle,  dit  le  Térence,  de  Jean  de  Berry.  Ce  manuscrit  est  orné  de 
miniatures  précieuses  pour  l'histoire  de  la  mise  en  scène  au  moyen  âge.  — La 
question  a  été  agitée  de  la  fondation  d'un  musée  théâtral. 

—  Retour  à  Paris  de  M"=  Juliette  Dantin,  venant  de  Londres,  où  elle  s'est 
fait  entendre  dans  plusieurs  concerts  avec  le  plus  grand  succès. 

—  Les  fêtes  de  Béziers  se  préparent  superbes,  dit  M.  Delilia,  du  Figaro. 
Nous  allons  compléter  par  des  détails  officiels  les  promesses  faites  aux  ama- 
teurs de  belles  choses  lyriques  et  chorégraphiques.  Ces  fêtes  auront  lieu  les 
dimanche  23  et  mardi  27  août,  dans  les  Arènes,  sous  la  présidence  «  effective  » 
de  M.  Camille  Saint-Saëns,  au  profit  d'œuvres  de  bienfaisance  et  patriotiques. 
On  y  donnera  Promélhée,  tragédie  lyrique  en  trois  actes,  poème  de  MM.  Jean 
Lorrain  et  A.  Ferdinand  Herold,  musique  de  Gabriel  Fauré,  sous  la  direction 
des  auteurs,  avec  la  distribution  suivante: 

Rôles  parlés. 

Promélhée  Jl.  de  Max  (Odéon) 

Pandore  M""X... 

Hermès  Louise  Dovve  (Odéon) 

Par  suite  d'un  dissentiment  avec  M.  Jean  Lorrain,  M"'  Cora  Laparcerie- 
Richepin,  qui  devait  créer  le  rôle  de  Pandore,  a  demandé  la  résiliation  de 
son  engagement.  Il  est  question,  pour  remplacer  la  très  regrettée  artiste,  soit 
d'une  remarquable  et  belle  tragédienne  lyrique,  soit  d'une  fort  intéressante 
pensionnaire  nouvelle  de  l'Odéon.  Des  pourparlers  sont  activement  entamés 
par  le  tout  dévoué  promoteur  de.  ces  fêtes,  M.  Castelbon  de  Beauxhostes. 

Rôles  chantés. 
Bia  M'"^^  Fierens-Peters  (Opéra) 

JEuoé  Armande  Bourgeois  (Opéra) 

Gaïa  Flahaut  (Opéra) 

Kratos  JIJI.  Fonteix  aine  (Grand  Théâtre 

de  Marseille) 

Hephaïs  los  Vallier  (Monnaie  de  Bruxelles) 

Andros  Rousselière  (Opéra) 

Et  le  spectacle  sera  complété  par  Bacdius  mystifié,  grand  ballet-pantomime 

inédit  en  un  acte,  livret  de  M.  Silve-Sicard,  musique  de  M.  Max  d'OUone, 

chorégraphie   de  M.  Bucourt,  de  l'Opéra,  maître  de  ballet  du   théâtre  de  la 

Gaîté  : 

Bacçhus  MJI.  Bucourt  (Opéra) 

Silène  De  Gaspari  (Scala  de  Milan) 

Eglé  JI"»LinaCampana  (Scala  deJIilan) 

et  60  danseuses  sous  la  direction  de  M.  Bucourt:  Sylvains,  nymphes,  faunes, 
corybantes,  bacchantes,  satyres,  dryades,  naïades,  etc.,  etc.  Orchestre  d'har- 
monie, sous  la  direction  de  M.  Eustace  ;  orchestre  d'harmonie,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Weinberger;  orchestre  d'harmonie  (lyre  biterroise),  sous  la 
direction  de  M.  Alicot  ;  orchestre  à  cordes;  20  harpes,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Hasselmans,  professeur  au  Conservatoire  ;  30  trompettes  d'har- 
monie (Rallye  biterrois),  chef  :  M.  Aussenac;  2S0  choristes  hommes  et  femmes, 
dont  la  Chorale  biterroise,  chef  :  M.  Thalie,  et  amateurs  de  Béziers  :  450  ins- 
trumentistes ;  chœurs  de  femmes  de  Paris  et  Monte-Carlo  ;  chef  du  chant  et 
des  chœurs  :  M.  Jean  Nussv- Verdie. 


208 


LE  MÉNESTREL 


—  De  Vichy.  Le  premier  concert  classique  de  la  saison  vient  d'avoir  lieu, 
et  le  nom  de  Danbé  sur  l'aiBche  avait  attiré  au  Casino  une  foule  nombreuse. 
On  a  fêté  le  remarquable  chef  d'orchestre  à  son  arrivée  au  pupitre,  et  on  l'a 
applaudi  chaleureusement  après  l'irréprochable  exécution  de  chacun  des 
morceaux  d'un  beau  programme  dont  le  clou  a  été  Taudition  des  Impressions 
d'Italie  de  Gustave  Charpentier. 

—  De  Luchon.  Les  concerts  du  Casino  viennent  de  reprendre  sous  la  direc- 
tion de  M.  Emile  Boussagol,  et  leur  début  nous  promet  une  bonne  saison 
musicale.  Aux  premiers  programmes,  très  éclectiques,  nous  relevons  parmi 
les  numéros  à  succès  une  Fantaisie  et  le  Pas  guerrier  de  Sigurd,  de  Reyer,  les 
Mandores  de  Cendrillon,  VEntr'acte-Sévillana  de  Don  César  de  Bazan,  Parade  mili- 
taire,'àe  Massenet,  Salut  à  Copenhague,  marche  de  Fahrbach,  Sérénade,  valse 
de  Métra,  Près  de  toi,  valse  de  Broustet,  etc. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Très  charmante  et  tout  à  fait  réussie  audition,  à  la  Bodinière, 
des  cours  d'opéra-comique  de  M.  Emile  Bourgeois  et  de  M™"  Caroline  Pierron.  Des  scènes 
Jouées  en  costumes  permettent  non  seulement  d'apprécier  la  voix  des  élèves  des  excellents 
professeurs,  mais  aussi  de  se  rendre  compte  avec  quel  soin  et  quel  goût  on  leur  apprend 
leur  métier  de  comédiens.  Le  succès  de  la  matinée  est  allé  à  ftl"'  Marguerite  Giraud, 
engagée  récemment  à  rOpéra-Comique,  et  qui  a  très  bien  clianté  et  joué  le  1"  acte  de 

Manon,  M.  Crémel  lui  donnant  la  réplique.  Puis  on  a  justement  applaudi  aussi  M""  Bro- 
gha  et  Rolland,  celle-ci  déjà  à  l'Opéra-Comique,  dans  Werther,  JI""  Aron  et  Broglia  dans 
Lakmé,  M""  Ménîer,  Abrandt,  avec  le  concours  de  M.  Le  Riquer,  dans  Caualleiia  rusti- 
cana.  M""  Chaumeton  dans  Mireille,  etc.  —  Au  concert  qu'elle  a  donné  salle  Pleyel, 
^I'"  Maria  Pimbel  a  obtenu  grand  succès  avec  Tair  de  Sigurd  et  Crucifia:^,  de  Faure,  chanté 
avec  M.  Chanoine  d'Avranches.  Ce  dernier  fut  aussi  applaudi  dans  Pluie  en  mer,  de 
Filliaux-Tiger.  —  M"»  Biau-Bussière  vient  de  faire  entendre,  salle  Pleyel,  ses  élèves  en 
une  matinée  entièrement  consacrée  aux  œuvres  de  Weckerlin  et  de  Filliaux-Tiger  qui  ont 
tenu  le  public  sous  le  charme.  —  Les  cours  Sauvrezis  viennent  de  faire  entendre  une 
série  d'élèves  dans  une  séance  consacrée  en  partie  à  l'étude  de  Chopin  :  notice  historique 
parM'"'Sauvrezis.  M°"=MarieMockel,  M""  Louise  Sandre,  M.  Armand  Parent  prêtaient  leur 
concours  à  cette  belle  matinée.  —  La  séance  de  musique  donnée  à  Meudon  par-  M.  Guil- 
mant  a  été  d'un  haut  intérêt  artistique.  M.  Guilmant  a  fait  sensation  avec  une  œuvre  de 
Bach  et  une  pièce  dont  il  est  l'auteur.  Le  grand  succès  cependant  a  été  pour  :  Au  pied 
d'un  crucifix  de  Louis  Lacombe,  chanté  par  M™"  de  Banville  et  accompagné  par  M"'  Tou- 
tain  au  piano,  M.  de  Brou  au  violon  et  par  M.  Guilmant  à  l'orgue.  Le  maître  de  la  mai- 
son, qui  avait  retenu  ses  artistes  et  quelques  amis  à  dîner,  a  dû,  à  leur  prière,  faire  en- 
tendre une  seconde  fois,  après  dîner.  Au  pied  d'un  crucifix,  qui  a  absolument  enthou- 
siasmé, M"=  de  Banville  y  a  joint  une  autre  profonde  et  touchante  inspiration  de  Louis 
Lacombe,  le  Bouquet,  qui  a  ému  profondément.  —  Grande  solennité  musicale  dimanciie 
dernier  à  Saint-Ge.rmain-en-Laje.  M.  Albert  Renaud  y  faisait  exécuter  sous  sa  direction 
une  a  Messe  solennelle  )>  pour  soli  et  chœur  à  4  voix,  orgue,  orchestre  et  grand  orgue. 
Le  grand  orgue  et  le  chœur  d'enfants  placé  dans  la  tribune  dialoguent  avec  l'orchestre 
et  les  chœurs.  Œuvre  de  caractère  très  personnel.  Les  soli  étaient  interprétés  par  M°"  la 
vicomtesse  de  Tredern,  M"«  Thomas,  MM.  Rinaldi  et  Rigaux.  Le  grand  orgue  était 
tenu  par  M.  le  baron  F.  de  la  Tombelle.  Les  chœurs  composés  de  dames  et  d'amateurs 
de  l'orchestre  de  la  Société  des  concerts  symphoniques  formant  un  ensemble  de  cent  cin- 
quante exécutants  ont  fort  bien  marché. 

NÉCROLOGIE 
Une  dépêche  de  Moscou  a  apporté  cette  semaine  la  nouvelle  de  la  mort 
foudroyante  du  baryton  Jules  Devoyod,  frappé  en  scène  en  jouant  Rigoletlo, 
d'une  paralysie  au  cœur.  On  raconte  que  le  matin  même,  il  s'était  réveillé  en 


disant  à  sa  femme  :  «  Sais-tu  que  j'ai  fait  un  étrange  rêve  !  J'ai  rêvé  qu'un 
changement  radical  va  s'opérer  dans  mon  existence  ».  Puis,  se  sentant  d'ail- 
leurs très  bien,  il  sortit,  malgré  une  forte  chaleur,  et  fit  sa  longue  promenade 
habituelle  à  pied  à  travers  la  ville.  Le  soir  il  paraissait  également  en  bonne 
santé.  Pendant  qu'il  se  grimait,  dans  sa  loge,  au  théâtre,  il  riait  et  plaisantait 
avec,  un  de  ses  enfants,  âgé  de  neuf  ans.  Au  second  acte,  comme  il  venait 
d'achever  le  fameux  duo  avec  Gilda  et  s'avançait  vers  la  rampe  pour  remer- 
cier le  public  de  ses  applaudissements,  on  le  vit  chanceler  et  tomber  sur  la 
scène,  en  murmurant  ces  mots  :  «  C'est  mon  rêve!  »  Le  rideau  fut  aus- 
sitôt baissé  et  le  pauvre  artiste  transporté  dans  sa  loge,  où  l'on  s'empressa  de 
le  dépouiller  de  son  costume  de  boull'on.  Quand  sa  femme  lui  enleva  sa  per- 
ruque et  dénoua  le  bandeau  que  lui  avaient  mis  les  ravisseurs  de  Gilda,  ses 
yeux  étaient  déjà  vitreux.  Les  médecins  constatèrent  qu'il  avait  succombé  à 
la  rupture  d'un  anévrisme.  La  direction  voulut  continuer  le  spectacle  en 
remplaçant  le  défunt  par  un  autre  artiste,  mais  le  public,  profondément 
attristé,  refusa  d'entendre  le  reste  de  la  représentation. 

Devoyod,  né  à  Lyon  en  1836,  fit  son  éJucatiou  musicale  au  Conservatoire, 
où  il  eut  pour  maitres  Vauthrot,  Levasseur  et  Couderc.  Il  en  sortit  en  1866 
avec  un  second  prix  de  chant  et  les  deux  premiers  prix  d'opéra  et  d'opéra- 
comique.  Le  24  août  de  l'année  suivante,  il  débutait  brillamment  à  l'Opéra 
dans  Nélusko  de  l'Africaine,  puis  dans  Valentin  de  Faust.  Mais  il  resta  peu 
de  temps  à  cethéàtreet  partit  pour  l'étranger,  embrassant  la  carrière  italienne, 
où  il  obtint  de  très  grands  succès.  Depuis  quinze  ans  il  appartenait  aux  théâtres 
de  Moscou  et  de  Saint-Pétersbourg,  ayant  d'ailleurs  épousé  une  Russe,  qu'il 
laisse  veuve  avec  six  enfants  dans  une  situation  difficile,  dit-on.  Devoyod, 
que  nous  avons  revu  à  Paris  il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  au  Nouveau-Théâtre, 
dans  une  représentation  de  la  Vie  pour  le  czar,  où  il  fit  preuve  d'un  véritable 
talent,  était  le  neveu  d'une  tragédienne,  W"  Devoyod,  douée  d'une  beauté 
rare,  qui,  après  avoir  obtenu  au  Conservatoire  les  deux  seconds  prix  de  tra- 
gédie et  de  comédie,  passa  deux  années  à  l'Odéon,  puis  fut  engagée  à  la 
Comédie-Française,  où  elle  tint  le  grand  emploi  tragique. 

—  Nous  apprenons  aussi  la  mort  de  M'""  Théodore,  mère  de  M'"  Adeline 
Théodore,  l'excellent  professeur  de  danse  à  l'Opéra.  Après  avoir  dansé  avec 
le  plus  vif  succès  à  Saint-Pétersbourg ,  elle  était  revenue  à  Paris,  où,  pendant 
plusieurs  années,  elle  fut  titulaire  d'une  classe  de  danse  à  l'Opéra.  M'""  Théo- 
dore mère  est  décédée  à  l'âge  de  soixante-seize  ans. 

—  De  Londres  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  quatre-vingt-sept  ans,  du 
doyen  des  compositeurs  anglais,  Charles  Kensington  Salaman,  fondateur  de 
la  Royal  Society  of  Musicians.  Il  s'était  fait  surtout  connaître  par  d'exquises 
chansons.  Ami  personnel  de  Mendelssohn,  de  Moschelès,  de  Schubert,  de 
Chopin,  de  Meyerbeer  et  de  Gounod,  il  compta  parmi  ses  élèves  le  composi- 
teur sir  Arthur  Sullivan,  qui  le  précéda  de  quelques  mois  dans  la  tombe. 
C'est  le  seul  musicien  anglais  qui  ait  jamais  pu  se  vanter  d'avoir  composé 
des  chansons  pendant  quatre  règnes  consécutifs.  Georges  IV  était  encore  sur 
le  trône  quand  il  publia  ses  premières  compositions,  et  le  mois  dernier  il 
dédiait  ses  deux  dernières  œuvres  à  Edouard  VIL 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Pour  paraître  AIJ  MÉNESTREL,  2"'%  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'=,  éditeurs 
LE  JOUR    DE   LA    PREMIÈRE    REPRÉSENTATION    A    L'OPÉRA -COMIQUE,    AU    COMMENCEMENT    DE    NOVEMBRE 


^}/> 


CHANT    ET    PIANO 
Prix  net  :  20  fr. 


]VIopeeaU34  détachés 


Conte  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue 

DE 

MM.    ARMAND   SILVESTRE  &   EUGÈNE   MORAND 

Musique   de 

J.    JV\ASSENET 


PIANO     SOLO 
Prix  net  :  12  fr. 


Tfansepiptions  diverses 


AVIS  AUX  DIRECTEURS.  —  Les  Éditeurs  du  «  Ménestrel  »  traitent  dès  à  présent  de  cet  important 
ouvrage  avec  les  entreprises  théâtrales  de  la  province  et  de  l'étranger,  —  l'orchestration  pouvant  être 
livrée  aussitôt  après  la  première  représentation  à  l'Opéra-Comique,  au  commencement  de  novembre. 


36U.  -  67-  AME  -  f\°27.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  "'"j  rue  TiTienne,  Paris,  n-  «•) 


Dimanche  7  Juillet/ 1901. 


(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.)     \C&     z 

MÉNESTREL 


lie  KaméPo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Kuméfo  :  0  fr.  30 


Adresser  rn.iNco  à  M.  Hekbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestoel,  2  bis,  rue  Vivieime,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Ahonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (19"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Scliumann  révolutionnaire,  0.  Berggruen.  —  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  : 
Boiium  vlnum,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Pensées  et  Aphorismes  d'Antoine  Rubinstcin. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SOUS  BOIS 
e  A.  PÉRiLHOU.  —  Suivra  immédiatement  :  Laiidler  akacieius  (1"=  suite),  de 


Charles  Malherbe. 


MUSIQUE  DE  CHANT 


iStous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nis  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Ischia,  barcaroUe  de  A.  Périlhou,  poésie  de  Lamartine.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Mes  vœux,  mélodie  de  Paul  Puget,  poésie  de  Jules  Barbier. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRETES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  ffléioirei  les  plus  rûcenls  et  i 

(Suite.) 


IX 

La  Comédie-Italienne  et  ses  tendances  au  genre  larmoymt.  —  La  troupe  d'opéra- 
bovffe  au  Tliéâtre  de  Monsieur  et  aux  Variétés  amusantes.  —  Inauguration  de  la 
salle  Feydeau  en  1791.  —  Les  concerts  et  leur  répertoire  —  Haydn  toujours  en 
vogue.  —  Le  Concert  olympique  et  sa  mise  en  scène.  —  Concerts  spirituels  de 
l'Opéra.  —  Métaphysique  allemande  et  mysticisme  russe.  —  Caféiconcerts  :  le 
God  save  the  liing.  —  Le  cirque  national. 

Nos  voyageurs  étrangers  visitèrent  fréquemment  les  autres 
théâtres  lyriques  de  la  capitale. 

Kotzebue  passait  plus  volontiers  encore  la  soirée  au  Théâtre- 
Italien.  La  salle  est  belle,  écrit-il;  les  places  sont  commodes  et 
les  acteurs  excellents,  mais  les  auteurs  sont  médiocres  et  les 
décors  détestables.  Il  traite  de  «  sotte  pièce  »  la  Fausse  magie,  et 
déclare  «  insignifiante  »  la  partition  composée  par  Grétry  sur  ce 
triste  livret.  Par  contre,  il  revoit  avec  plaisir  Sargines  de  Monvel 
et  Dalayrac,  opéra-comique  bien  connu  en  Allemagne,  dont  le 
poème  est  amusant  et  la  musique  agréable.  Mais,  comme  Kot- 
zebue ne  saurait  faire  un  compliment  sans  y  mettre  une  goutte 
de  fiel,  il  s'en  prend  cette  fois  au  jeu  de  l'acteur  qui  tient  le 
rôle  de  Sargines.  Il  lui  reproche  d'exagérer  le  mouvement  de 
ses  bras  dans  les  situations  pathétiques  :   il  lui  semble  que  le 


comédien  veut  fendre  l'air  à  coups  de  sabre  et  qu'il  respire 
comme  s'il  avait  le  hoquet.  Et  notre  Teuton  fait  cet  aveu,  qui  a 
du  moins  le  mérite  d'accuser  nettement  un  contraste  maintes 
fois  signalé  :  «  Je  riais  à  tous  les  endroits  où  les  Françfiis  pleu- 
raient et  applaudissaient.  »  Kotzebue  reconnaît  cependant  que  la 
pièce  est  souvent  émouvante,  dans  ce  passage  par  exemple  : 
«  Il  faut  vaincre  ou  mourir  pour  son  Roi  »  ;  et  là,  il  consigne 
une  observation  qui  ne  manque  pas  de  justesse  :  «  Ces  mêmes 
Parisiens  qui  acclament  avec  transport  une  déclaration  aussi 
franchement  royaliste,  ne  cessent  de  répéter  que  Louis  XVI  est 
un  pauvre  homme.  » 

Mais  voyez  comme  l'impression  de  la  foule  est  contagieuse 
même  chez  les  gens  qui  s'y  prétendent  réfractaires  !  Aux  Derniers 
moments  de  Jean-Jacques  Rousseau  la  salle  entière  pleure,  «  et  moi 
tout  le  premier  »,  ajoute  Kotzebue.  Il  est  vrai  que  la  sensiblerie 
était  à  l'ordre  du  jour  dès  qu'il  était  question  du  philosophe  de 
Genève  et  que  l'écritoire  de  Bouilly,  auteur  du  mélodrame,  était 
en  quelque  sorte  une  urne  lacrymatoire. 

Kotzebue  recouvre  sa  belle  humeur  à  Félix  ou  l'Enfant  trouvé 
—  toujours  au  Théâtre-Italien.  —  Cet  opéra-comique  de  Sedaine 
et  Monsigny  est  «  fade  de  paroles  et  de  musique  ».  Ce  qui  met 
surtout  notre  spectateur  en  gaité,  c'est  que  l'actrice  chargée  de 
jouer  le  rôle  d'une  nourrice  allemande  écorchait  à  plaisir  le  peu 
de  mots  qu'elle  avait  à  prononcer  dans  la  langue  maternelle  de 
Kotzebue. 

Une  troupe  italienne  d'opera-6oi(/fe,  qui  était  à  Paris  depuis  1780 
et  qui  avait  ouvert,  dans  la  salle  des  Tuileries,  le  Théâtre  de  Mon- 
sieur, sous  la  protection  du  comte  de  Provence,  avait  dû  se  trans- 
porter aux  Variétés  amusantes  de  la  Foire  Saint-Germain,  quand 
Louis  XVI  avait  quitté  le  château  de  Versailles  pour  le  palais 
des  Tuileries.  Halem  et  Karamsine  ne  virent  la  troupe  italienne 
qu'après  son  emménagement  dans  la  nouvelle  salle  :  ils  en  font 
le  plus  grand  éloge.  Le  voyageur  russe  épuise  toutes  les  formules 
de  l'admiration  pour  Raffanelli,  Mandini,  Viganoni  et  principa- 
lement pour  la  prima  donna,  la  signora  Baletti,  d'origine  alle- 
mande :  voix  superbe,  figure  admirable,  conduite  irréprochable  ; 
«  les  lords  anglais  disent  avec  un  soupir  que  c'est  un  phénix  ». 

L'installation  de  ces  artistes  italiens  aux  Variétés  amusantes  n'é- 
tait que  provisoire  :  ils  attendaient  impatiemment  l'achèvement 
du  théâtre  qu'on  leur  construisait  rue  Feydeau.  Il  ne  leur  fut 
livré  que  dans  les  premiers  jours  de  janvier  1791.  Lors  de  l'inau- 
guration Kotzebue  était  à  l'Opéra,  à  la  représentation  d'Armide, 
dont  les  décors  et  surtout  la  pluie  de  feu  l'avaient  hypnotisé.  Il 
y  avait  fort  peu  de  monde  dans  la  salle  :  le  Tout-Paris  des  pre- 
mières était,  bien  entendu,  rae  Feydeau  :  ce  qui  n'empêcha  pas 
les  artistes  de  l'Opéra  de  jouer  aussi  consciencieusement  que  si 
la  salle  eût  été  comble.  Quelle  différence  avec  nos  troupes  alle- 
mandes I  remarque  Kotzebue,  qui  a  de  ces  éclairs  de  bonne  foi. 
«  Nos  acteurs,  quand  le   public  fait  défaut,  galopent  leur  rôle 


210 


Ll'  MÉNESTREL 


comme  s'il  s'agissait  pour  eux  de  se  débarrasser  d'une  corvée 
assommante  ». 

A  cette  époque,  les  concerts  avaient  au  moins  autant  de  vogue 
que  les  théâtres  et  pour  composer  leurs  programmes  puisaient 
largement  dans  le  répertoire  d'Haydn. 

Les  premières  symphonies  du  maître  allemand  furent  exé- 
cutées à  Paris  dès  1770. 

Il  ne  faut  donc  pas  prendre  au  pied  de  la  lettre  l'assertion 
du  baron  de  Trémont,  assertion  qui  depuis  a  fait  fortune  : 

—  Nous  sommes  arriérés  en  musique,  s'écrie  l'intéressant 
musicographe. 

Halem,  nous  l'avons  vu,  se  charge  de  le  démentir,  lorsqu'il 
avoue  qu'à  l'heure  oi^i  la  France  était  familiarisée  avec  le  réper- 
toire de  Gluck,  l'Allemagne  en  avait  à  peine  entendu  quelques 
fragments. 

Néanmoins,  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  discuter  les  ser- 
vices que  rendit  à  l'art  musical  le  distingué  connaisseur  qu'était 
M.  de  Trémont.  Chargé  par  l'administration  impériale  d'une 
mission  en  Autriche,  il  arrivait  à  Vienne  en  1809,  quand  Haydn 
venait  d'y  expirer.  De  ce  voyage  d'aiîaires,  qui  fut  pareillement 
un  pèlerinage  artistique  (nous  le  verrons  à  propos  de  Beethoven), 
le  baron  de  Trémont  rapportade  précieux  souvenirs  sur  l'illustre 
compositeur  allemand,  divers  épisodes  de  sa  glorieuse  histoire 
et  des  œuvres  inédites  du  maître.  Haydn,  dit-il,  synthétisait  dans 
un  mot  unique,  piano,  l'idéal  de  l'exécution  musicale  :  aussi, 
quand  il  faisait  jouer  ses^  morceaux  et  surtout  ses  quatuors,,  ne 
cessait-il  de  répéter  à  ses  concertants  :  «  Chut  I  chut  !  »  Sa  plus 
grande,  sa  seule  admiration  était  pour  Mozart,  et  plusieurs  de 
ses  contemporains  ont  prétendu  qu'il  était  jalou.x  de  l'auteur  de 
Don  Juan  !  La  déclaration  de  M.  de  Trémont  met  donc  à  néant 
cette  absurde  calomnie,  en  même  temps  que  ses  notices  biogra- 
phiques nous  signalent  d'intéressantes  particularités  sur  les  pre- 
mières auditions  des  quatuors  d'Haydn  à  Paris.  Un  amateur  les 
avait  communiqués  à  ces  remarquables  virtuoses  qui  avaient  nom 
Mestrino,  Imbault,  Duport  et  Gramagnac.  Dépités  par  les  diffi- 
cultés: de  la  première  heure,  ils  avaient  rendu  chacun,  leur  partie 
en,  disant  :  «  Jouera  qui  voudra  cette  maudite  musique  !  »  L'a- 
mour de  l'art  eut  raison  de  leur  découragement;  et  bientôt, 
revenu  de  ses  préventions,  le  célèbre  quatuor  s'était  passionné 
pour  Haydn  au  point  d'en  préférer  la  musique  de  chambre  à  celle 
des  autres  compositeurs. 

Mais  avant  cette  révélation,  l'élève  de  Porpora  était,  nous 
l'avons  déjà  dit,  fort  apprécié  dans  les  cercles  parisiens.  Norvins 
en  signale  les  nombreux  succès,  au  Concert  Olijmpique  ou  Concert 
des  Amateurs,  que  M..  d'Ogny  avait  fondé  en  1775  et  qui  apparte- 
nait alors  à  la  Loge  maçonnique.  L'orchestre,  où  figurait  l'élite  des 
musiciens  de  la  capitale,  était  fameux  entre  tous.  Haydn  le  pro- 
clamait supérieur  à  celui  devienne,  et  composait  à. son  intention. 
Les  séancesi  du.  Concert  Olympique  se  donnaient,  au  Palaisr-RoyaL, 
et  l'entrée  s'en  annonçait  par  un  vaste  décor  où  se  détachait, 
sur  un  fond  bleu-ciel,,  une  grande  lyre  d'argent.  On  n'y  était 
reçu  qu'en  toilette  de  soirée,  et  Norvins  y  vit  diriger  l'orchestre 
par  Viûtti,  en  habit  brodé,  avec  manche.ttea  garnies  de,  dentelles 
et  l'épée  au  c6té. 

Reichardt  ne  jouit  pas  de  toutes  ces  élégancfis,  en, mars  1792,, 
quand  il  assista  aux  «  Concerts  de  la  Loge  Olympique  ».  Néan- 
moins, il  lui  en  reste  d'inoubliables  souvenirs.  Dans  cette  salle: 
d'une  sonorité  parfaite.  M""'  Baletti,  «  séduisante  créature  venue, 
de  Stuttgard  »,  a  «  fort  bien  chanté  »  des  airs  de  Cimarosa  et  de 
Pugnani,  avec  accompagnement  de  violon  par  Rode,  un  jeune 
artiste  «qu'on  dit  élève  de  Viotti».  Le  ténor  Simoni,  qui  suit  la 
méthode  de  Marchesini,  s'est  tiré  à  merveille  d'une  scène,  de 
Ferrari,  un  compositeur  que  Reichardt  ne  connaît  pas.  A  défaut 
de  Viotti,  Kreutzer,  dont  les,  mélodies  sont  universellement 
applaudies,  a  brillamment  enlevé  un  concerto  pour  violon. 
Punto,  le  célèbre  cor,  s'est  fait  acclamer  par  l'auditoire,  mais 
Reichardt  n'apprécie  pas  la  bizarrerie  d'une  exécution  éprise 
uniquement  des  difficultés.  Il  n'éprouve  pas  non  plus  un  enthou- 
siasme excessif  pour  le  flûtiste  Hugot;  ce  n'est  pas  que  l'artiste 
soit  sans  valeur,  mais  notre  compositeur  allemand  avoue  naïve- 


ment que  la  flûte  ne  l'intéresse  pas  :  «  Cette  musique,  dit-il, 
m'eiileure  la  peau  ».  Par  contre,  son  admiration  ne  connaît  plus 
de  bornes  à  l'audition  du  Démophon  de  Vogel  et  de  l'Iphigénie  en 
Aulide  de  Gluck.  Jamais,  en  son  pays,.on  n'a  su  atteindre  à  cette 
perfection.  D'ailleurs,  les  Français  n'ont  pas  la  patience  des 
Allemands:  ils  n'attendent  jamais  la  fin  du  morceau  pourapplau- 
dir.  Un  voisin  de  Reichardt,  qui  est  en  même  temps  son  compa- 
triote, profite  de  cet  échange  d'observations  pour  esthétiser  sur 
l'intelligence  musicale  des  deux  nations,  et  pour  définir  le 
contraste  de  la  manière  allemande  avec  la  manière  italienne.  La. 
conclusion  de  cette  dissertation  presque  philosophique,  c'est  que 
les  Allemands  ne  savent  pas,  comme  les  Italiens,  tirer  parti  de 
la  voix  humaine  (et  Mozart  que  vous  oubliez,  ô  Reichardt  !), 
mais  qu'aussi,  pour  être  faciles  et  agréables,  les  mélodies  ita- 
liennes n'ont  «  aucun  caractère  ».  Ah  !  le  bon  billet  qu'a  la  sym- 
phonie allemande  I 

Karamsine  n'avait  pas  fait  passer  ses  sensations  par  le  crible 
d'une  métaphysique  aussi  transcendantale  lorsque,  dans  l'hiver 
de  1790,  il  avait  entendu  un  des  concerts  spirituels  de  l'Opéra. 
Après  le  Stabat  d'Haydn  et  le  Miserere  de  Hummel,  son  enthou- 
siasme s'était  traduit  par  cette  explosion  d'allégresse  qui  porte 
bien  le  caractère  du  temps  :  «  Ma  poitrine  était  arrosée  de 
larmes  brûlantes;  je  ne  les  essuyai  point,  car  je  ne  les  sentais 
pas».  Et,  dernier  hommage  au  plus  entraînant  des  arts,  hommage 
profondément  sincère,  en  dépit  de  la  phraséologie  dont  il  s'en- 
veloppe, Karamsine  termine  sur  cette  prosopopée  : 

m  Musique  céleste,  quand  je  jouis  de  toi,  mon  àme  s'élève  et 
je  n'envie  pas  les  anges  I  Qui  me  démontrera  que  mon  âme, 
accessible  à  des  joies  aussi  saintes,  aussi  pures,  aussi  éthérées, 
n'a  pas  en  elle  quelque  chose  de  divin,  d'incorporel?  Ces  tendres 
sons,  soufflant  comme  le  zéphyr  sur  mon  cœur,  peuvent-ils  être 
l'aliment  d'un  être  mortel,  grossier  ? 

»  Rien,  toutefois,  dans  ce  concert,  ne  m'a  ému  aussi  fortement 
qu'un  duo  de  Laïs  et  de  Rousseau.  Ils  chantaient,  l'orchestre 
faisait  silence,  les  auditeurs  respiraient  à  peine  ;  c'était  incompa- 
rable. » 

Des  entreprises  de  moins  haut  vol  sollicitaient  encore  la  curio- 
sité des  Parisiens  et  des  visiteurs  étrangers.  Le  XVIII"  siècle  (et 
ce  sujet  a  été  maintes  fois  traité)  avait  ses  cafés-concerts.  Le 
Palais-Royal,  les  boulevards,  les  foires  Saint-Germain  et  Saint- 
Laurent  voyaient  surgir  chaque  jour  d'éphémères  établissements, 
où  la  limonade  et  les  refrains  de  vaudeville  faisaient  également 
les  délices  des  consommateurs. 

M.  et  M"""  Cradock,  qui  devaient  entendre,  au  Concert  spirituel 
du  15  août  1784,  le  jeune  violoniste  Alexandre  Boucher  et  la 
vieille  cantatrice  M°"  Mara,  nous  donnent  ce  croquis  de  leur 
promenade  du  29  juillet  à  la  foire  Saint-Laurent: 

«  Au  café.  Sur  une  immense  estrade,  trente  musiciens  tour  à 
tour  chantaient  ou  faisaient  entendre  leurs  instruments.  Nous 
reconnûmes  les  deux  jeunes  filles  qui  avaient  déjà  joué  du  cor 
français  et  à  qui  nous  avions  fait  une  légère  offrande.  De  leur 
côté  elles  nous  remarquèrent,  et  à  notre  intention  on  entonna' 
le  God  save  the  King  au  grand  amusement  des  auditeurs,  qui  joi- 
gnirent leurs  applaudissements  aux  nôtres.  » 

Aujourd'hui  ce  serait  l'Hymne  russe. 

Kotzebue,  en  1790,  passa  une  de  ses  soirées  au  Cirque  National,. 
immense  construction,,  en  partie  souterraine,  qu'une  Société 
venait  d'édifier  dans  le  jardin  du  Palais-Royal  comme  salle  de 
spectacle,  de  concert,  de  bal  et  de  conférences.  «  Jamais,  dit  le 
voyageur  allemand,  je  n'ai  vu  de  plus  grande  salle.  Elle  mesure 
cent  cinquante  pieds  de  long  et  s'éclaire  par  une  immense  cour- 
pole  vitrée.  Elle  est  garnie  de  gradins  en  amphithéâtre  et  com- 
prend, à  titres  d'annexesj,  des  boutiques,,  des  jeux  de  billard  et 
un  temple  indien  où  l'oni  sert  des  rafraîchissements.  La  salle: 
peut  contenir  environ  quatre  mille  personnes.  » 

Ce  jour-là  Kotzebue  n'y  rencontra,  parait-il, 'que  des  gens  ea 
costume  négligé,  gardant  tous  leur  chapeau  sur  la  tête.  Il  suivit, 
leur  exemple;  mais  à  peine  le  concert  était-il  commencé,  qu'un 
garde  national,  s'approchant  de  l'étranger,  l'invita  poliment  à, 
retirer  son  chapeau.  Kotzebue  remarque  que  ses  voisins  se  sont 


LE  MÉNESTREL 


211 


découverts.  «  Et  cependant,  objecte-t-il,  dans  celle  salle,  ce 
n'est  pas  comme  au  théâtre  où  les  chapeaux  sur  la  tête  peuvent 
gêner  la  vue  des  spectateurs.  »  Toutefois,  il  demande  au  garde 
national  si  cette  mesure  est  à  l'adresse  de  la  musique,  qu'il  faut 
saluer.  Son  interlocuteur  ne  lui  répond  pas.  Kotzebue  trouve 
néanmoins  sa  plaisanterie  fort  spirituelle,  à  tel  point  même  qu'il 
la  renforce  de  cette  observation  :  «  C'est  la  première  fois  de  la 
vie  que  j'ai  salué  une  symphonie  en  re  majeur  ». 

L'orchestre  était  nombreux,  mais  inférieur  aux  orchestres 
allemands,  celui  de  Mayence  entre  autres.  Kotzebue  avait  payé 
sa  place  36  sols  et  il  avait  le  droit  de  rester  pour  le  bal;  mais, 
toujours  vertueux  et  conservant  le  souvenir  de  sa  femme,  qui  se 
mourait,  il  préféra  rentrer  chez  lui. 

On  sait  que  le  Cirque  National  ne  survécut  pas  à  la  Révolution. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SCHUMANN     RÉVOLUTIONNAIRE 


Le  monument  qu'on  vient  d'ériger  à  Robert  Schumann,  dans  la  pelite 
ville  saxonne  de  Zwicicau  qui  l'a  vu  naître,  donne  un  regain  d'aclualité 
à  la  personnalité  de  ce  grand  artiste  dont  les  œavres  se  maintiennent 
depuis  un  demi-siècle,  et  nous  a  inspiré  le  désir  d'examiner  ses  auto- 
graphes dans  la  magnifique  collection  de  notre  collaborateur  et  ami 
Charles  Malherbe.  C'est  avec  un  vif  intérêt  que  nous  avons  revu  l'écri- 
ture fine  et  claire  de  Schumann,  si  facilement  reconnaissable,  et  que 
nous  avons  pu  relire  mainte  page  célèbre  sur  la  feuille  même  qui  servit 
à  fixer  l'inspiration  de  ce  poète  musical.  Puis  un  petit  cahier  de  seize 
pages  attira  surtout  notre  attention.  Il  porte,  de  la  main  môme  de  Schu- 
mann, ce  titre,  dont  nous  reproduisons  le  texte  et  la  disposition  : 

ZU   DEN  WAFFEN 
von 


SCHWARZ-ROTH-GOLD 


FREIHEITSSANG 


F.  Freiligrath  J.  Furst 

FUER  IIAENNERCHOR 
mit  Regleîtung  von  Harmoniemusik 

(ad  libitum} 
componirt. 

Op.  63. 

Le  nom  du  compositeur  n'est  pas  indiqué  ;  on  verra  que  ce  n'est  pro- 
bablement pas  un  oubli,  mais  que  Schumann  a  voulu  rester  couvert 
du  voile  de  l'anonymat. 

Il  s'agit,  comme  on  voit,  de  trois  compositions  pour  chœurs  d'hommes 
avec  accompagnement  d'instruments  à  vent  ad  libitum  :  Aux  armes/ 
Noir-Rouge-Or  et  Chant  de  liberté.  On  ne  s'attendait  vraiment  pas  à 
rencontrer  de  pareils  titres  dans  l'œuvre  de  Schumann,  et  c'est  avec  une 
certaine  méfiance  que  nous  avons  feuilleté  le  cahier;  mais  à  la  dernière 
page  nous  avons  trouvé  la  date  :  19  avril  1848,  qui  donne  la  clé  du  mys- 
tère. La  révolution  de  1848,  qui  provoqua  en  Allemagne  un  enthou- 
siasme dont  les  générations  qui  suivirent  peuvent  à  peine  se  former 
une  idée,  a  certainement  pu  saisir  aussi  l'esprit  de  Schumann.  D'autre 
part,  ces  compositions  sont  restées  absolument  inconnues,  et  dans  l'œu- 
vre de  Schumann  l'Op.  63  est  attribué  aux  chœurs  :  Ritournelles  en  forme 
de  canon,  pour  plusieurs  voix  d'hommes,  paroles  de  Fr.  Rueckert. 
Cependant  Wasielewski  (1),  son  biographe  amical,  auquel  presque  rien 
n'a  échappé,  raconte  que  dans  la  liste  des  compositions  que  Schu- 
mann a  laissée  se  trouve,  pour  l'année  1848,  un  numéro  ainsi  désigné  : 
5  Chants  de  T.  UUrich,  F.  Freiligrath  et  J.  Fûrst  pour  chœurs  d'hommes, 
avec  accompagnement  d'instruments  â  vent  (ad  libitum). 

Schumann  a  d'abord  mis  en  musique  les  vers  de  J.  Fûrst,  qui  sont, 
dans  la  partition  même,  intitulés  :  Chant  de  la  liberté  allemande,  tandis 
que  le  mot  «  allemand  »  est  supprimé  sur  le  titre  du  cahier.  A  la  fin  de 
la  composition  l'artiste  a  mis  la  date:  3  avril  1848  et  ses  initiales 
R.  Sch.,  qu'on  ne  retrouve  plus  sous  les  deux  autres  morceaux  du 
cahier.  Les  vers  de  Ptlrst  sont  vraiment  déplorables  ;  c'était  sans  doute 
un  de  ces  poètes  de  rencontre  qui  poussèrent  alors  en  Allemagne  pen- 
dant la  révolution,  comme  les  champignons  après  une  pluie  chaude. 
Le  poème  commence  et  finit  par  ces  mots  :  «  La  victoire  est  à  toi,  ô 
mon  peuple  de  héros!  »  Ce  chœur  doit  être  chanté  «  avec  feu  »  (feurig)... 
et  la  musique,  en  effet,  correspond  tout  à  fait  à  cette  indication. 

(1)  Voir  la  biographie  dcSthumannpar  W.  J.  de  Wasielewski  (Bonn,  Emile  Strauss,  1880), 
3'  édition,  p.  .224. 


Tout  autre  est  le  deuxième  chœur,  qui  porte  la  date  du  4  avril.  Les 
paroles  de  Fredigrath  sont  d'un  véritable  poète  et  rappellent,  toutes 
proportions  gardées,  par  le  choix  du  sujet,  par  la  langue  imagée  et  par 
la  brillante  allure  des  vers  à  rimes  étincelantes,  les  poésies  de  Victor 
Hugo.  Freiligrath  célèbre  les  couleurs  de  cet  idéal  empire  germanique 
dont  les  Allemands  rêvaient  alors.  Cet  empire,  bien  différent  de  celui 
des  Bismarck  et  des  Moltke,  n'a  jamais  existé,  mais  ses  couleurs  : 
noir,  rouge,  or,  sont  restées  chères  aux  survivants  de  1848  qui  n'ont 
pas  oublié  leurs  idées  de  jeunesse;  ceux  qu'on  nomme  en  France  irré- 
vérencieusement les  «  vieilles  barbes  »  ne  peuvent  regarder  ces  couleurs 
non  officielles  sans  une  douce  émotion.  Aujourd'hui  même  on  les  arbore 
encore  quelquefois  comme  symbole  du  pangermanisme,  et  tout  récem- 
ment les  étudiants  allemands  de  Prague  ont  dû  être  empêchés  par  la 
police  de  les  exhiber  à  l'occasion  de  la  visite  de  l'empereur  François- 
Joseph.  Le  poète  explique  ainsi  ces  couleurs  :  «  Noire  est  la  poudre, 
rouge  est  le  sang,  comme  l'or  brille  la  flamme  »  ;  ces  vers  servent  de 
refrain  à  la  composition  pathétique  de  Schumann,  la  plus  réussie  de 
ces  trois  pièces  révolutionnaires. 

Le  dernier  chœur  :  Aux  armes!  daté  du  19  avril  1848  et  dont  les 
paroles  sont  d'une  facture  assez  médiocre,  exprime  le  désenchantement 
du  peuple,  auquel  la  révolution  n'a  pas  donné  ce  qu'elle  avait  semblé 
promettre.  Il  finit  par  un  appel  aux  armes  que  le  rythme  de  la  musique 
accentue  â  souhait. 

On  se  demande  par  quelles  circonstances  Schumann  a  été  amené  à 
mettre  en  musique  ces  trois  poésies,  si  disparates  en  dehors  de  leur  com- 
mune tendance  révolutionnaire.  Or,  nous  savons  que,  tout  en  travaillant 
à  Dresde  à  son  opéra  de  Geneviève,  commencé  en  1847,  Schumann  avait 
pri  s  la  direction  de  l'orphéon  Liedertafel  que  Ferdinand  Hiller  avait  aban- 
donnée pour  aller  se  fixer  à  Dusseldorf .  En  même  temps  Schumann  avait 
fondé  â  Dresde  une  nouvelle  société  chorale  :  Chorverein.  A  ce  sujet  il 
écrivait  à  Hiller,  le  1"  janvier  1848  : 

La  société  chorale  (Chorverein)  entrera  dans  la  vie  seulement  le  5,  pour  la  première 
fois.  Jusqu'à  présent  nous  avons  117  membres,  c'est-à-dire  57  qui  chantent;  les  autres 
payent.  Tout  cela  m'a  beaucoup  occupé.  Avec  le  travail  augmente  tout  de  même  ma  con- 
fiance en  mes  forces;  je  vois  cela  très  clairement.  Et  si  je  ne  peux  encore  me  maintenir 
tout  à  fait  en  bonne  santé,  je  ne  vais  pourtant  pas  si  mal  que  l'hypocondrie  me  le  fait 
croire  quelquefois. 

La  direction  de  cette  société  chorale,  à  laquelle  Schumann  resta  fidèle 
jusqu'à  son  départ  de  Dresde,  dans  l'été  de  1830,  lui  donnait  beaucoup 
de  satisfaction.  Le  10  avrd  1849,  il  écrivait  (1)  de  nouveau  à  Hiller  : 

Ma  société  chorale  (60  à  70  membres)  me  cause  une  grande  joie  ;  selon  mon  bon  plaisir 
je  peux  y  faire  toute  sorte  de  musique,  celle  que  j'aime.  Par  contre,  j'ai  abandonné 
l'orphéon  (Maennergesangverein)  :  j'y  ai  trouvé  trop  peu  d'efforts  réellement  artistiques 
et  je  sentais  que  ce  n'était  pas  mon  affaire.... 

C'est  sa  chère  société  chorale  qui  a  certainement  déterminé  Schumann  à 
écrire  en  1849  un  assez  grand  nombre  de  compositions  chorales,  entre 
autres  les  Chants  d'amour  allemands  (Deutsches  Minnespiel,  paroles  de 
F.  Rueckert  (huit  numéros,  op.  101)  et  te  Cinq  Chansons  decha.ue  pourvois 
d'hommes  avec  accompagnement  dequatre  cors  (op.  137).  Quant  aux  trois 
chants  révolutionnaires,  ils  étaient  probablement  destinés  à  l'orphéon  que 
Schumann  dirigeait  encore  en  avril  1848  ;  on  comprend  facilement  que 
les  hommes  qui  le  formaient  et  au.xquels  Schumann  reproche  leur 
manque  d'efforts  artisticpies  avaient  dii  faire,  au  printemps  de  cette 
môme  année,  des  efforts  politiques  que  leur  chef  musical  encouragea  â 
sa  manière. 

Schumann  était  cependant  loin  de  posséder  un  tempérament  de  poli- 
tique ;  il  n'était  nullement  combatif,  pas  même  homme  d'action,  et  son 
biographe  a  pu  dire  avec  raison  :  «  Il  appartenait,  au  point  de  vue  politique 
comme  au  point  de  vue  reUgieux,  au  parti  libéral.  Dans  son  intérieur, 
il  s'intéressait  beaucoup  aux  événements,  mais  dans  ses  rapports  avec 
le  monde  il  évitait  d'exprimer  ouvertement  son  opinion  et  n'était  pas 
disposé  à  prendre  part  personnellement  à  une  action  politique  quelcon- 
que. Schumann  était  donc  intérieurement  libéral,  mais  extérieurement 
tout  à  fait  conservateur.  Il  ne  faut  pas  se  le  figurer  dans  une  réunion 
populaire,  mais  bien  devant  son  bureau,  tenant  la  plume  de  laquelle 
émanèrent  à  cette  occasion  les  marches  op.  76,  dont  la  naissance  a  été 
marquée  par  Schumann  sur  le  titre  qui  porte  la  date  1849  ».  Si  Wasie- 
lewski avait  eu  entre  les  mains  le  manuscrit  de  la  collection  Malherbe, 
il  aurait  sans  doute  également  cité  les  trois  chants  révolutionnaires,  qui 
sont  autrement  significatifs  que  les  marches. 

Dans  ces  conditions  on  ne  doit  pas  s'étonner  que  l'insurrection  de 
Dresde  en  mai  1849,  cette  fameuse  insurrection  que  le  long  exil  de 
Richard  Wagner,  chef  d'orchestre  du  roi  de  Saxe,  a  rendue  célèbre, 
chassât  aussi  Scliumann  de  la  capitale  saxonne.  Il  se  réfugia  à  Kreischa, 
village  des  environs  de  Dresde,  et  y  travailla  avec  acharnement  pour 


(I)  Voir  la  biographie  déjà  citée,  pages  404  et  414. 


212 


.!•:  mêm;stiU':l 


oublier  tout  ce  qui  se  passait  autour  de  lui.  C'est  dans  cet  ordre  d'idées 
qu'il  écrivit  à  Hiller,  en  parlant  des  années  ISiS  et  1849  :  «  J'ai  énor- 
»  jnément  travaillé  pendant  tout  ce  temps  :  ce  fut  une  période  féconde. 
»  Comme  si  les  tempêtes  extérieures  forçaient  l'homme  à  rentrer  eu  lui- 
»  même,  je  ii'ai  trouvé  que  dans  le  travail  un  refuge  contre  tous  1rs 
»  événements  terribles  qui  arrivaient  au  dehors  ». 

Les  trois  chœurs  non  publiés  que  nous  connaissons  aujourd'hui 
par  l'autographe  de  la  collection  Malherbe  sont  sans  doute  la  seule 
offrande  de  Schumann  à  la  révolution.  Il  est  presque  certain  que  ces 
compositions  n'ont  jamais  été  exécutées  en  public  ;  autrement,  les  jour- 
naux de  l'époque  n'auraient  pas  manqué  d'en  parler,  car  ils  ont  eu  à 
enregistrer  des  incidents  bien  moins  inipoitanls  pour  l'histoire  de  l'in- 
surrection de  Dresde.  On  aurait  retrouvé  aussi  depuis  longtemps  quel- 
ques parties  copiées,  car  chacun  des  membres  nombreux  de  l'orphéon 
aurait  du  eu  être  muni  et  il  n'est  pas  probable  que  toutes  ces  copies 
eussent  disparu  entièrement. 

A  ce  sujet,  nous  ne  pouvons  cependant  passer  sous  silence  un  détail 
assez  intéressant.  Dans  deux  des  chœurs  dont  il  s'agit  les  paroles  et  le 
chant  sont  écrits  par  un  copiste  ;  Schumann  n'a  ajouté  de  sa  main  à  la 
partition  que  la  partie  orchestrale  ;  un  chœur  seul  est  écrit  entièrement 
par  le  compositeur.  Cela  semble  indiquer  que  Schumann  avait  d'abord 
écrit  le  chant  de  ces  trois  chœurs  et  que,  l'idée  lui  étant  venue  après 
coup  d'y  ajouter  une  partie  orchestrale  ad  libitum,  il  chargea  alors  un 
copiste  de  transcrire  le  chant  dans  la  partition  pour  ne  pas  y  perdre  son 
temps. 

L'autographe  primitif  des  deux  chœurs  en  question  exisle-t-il  encore? 
Il  n'est  pas  tout  à  fait  impossible  qu'on  le  troitve  un  jour  inopinément 
comme  tant  de  trésors  de  la  collection  Malherbe,  à  laquelle  nous  devons 
en  tout  cas  la  bonne  fortune  d'avoir  fait  la  connaissance  d'unSchutcann 
chantre  de  révolution. 

0.  Beuggruex. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite. j 


X 
VINUM  BOXUM 

Les  Rois  passés,  on  met  une  chantepleure  au  tonneau.  Mais  il  en 
découle  encore  assez  de  vin  pour  ne  pas  faire  oublier  que  Bacchus,  mal- 
gré la  froidure,  reste  Adèle  à  sa  vaillante  Bourgogne.  Après  souper, 
chaque  soir,  les  Barozais  s'assemblent  dans  Yécraigne,  hutte  faite  avec 
des  perches  fichées  en  rond  et  recourbées  sur  le  haut,  le  tout  couvert 
de  gazon  et  de  fumier,  pour  y  veiller  jusqu'à  minuit,  avec  femmes  et 
filles.  Et  là  on  boit,  en  mangeant  des  châtaignes,  après  chaque  histoire 
et  chaque  couplet.  Les  vieilles  y  coûtent  des  légendes  à  faire  frémir  : 
Jacquot  et  Jacquette,  Colas  Brorià,  et  tant  d'autres,  dont  les  Vivres,  qui 
sont  les  fées  de  Bourgogne,  font  les  frais. 

»  La  "Vivre,  nous  apprend  Xavier  Marmier,  est  un  serpent  ailé,  un 
être  magique,  qui  se  glisse  dans  les  airs  comme  une  lueur  rapide,  se 
baigne  dans  les  flots  comme  une  autre  Mélusine  et  porte  à  son  front  une 
escarboucle  plus  précieuse  que  tous  les  diamants  de  la  couronne  de 
France...  Avant  de  se  plonger  dans  les  sources  solitaires  et  les  ruisseaux 
voilés  dont  elle  aime  à  fendre  l'onde  limpide,  la  Vivre  dépose  sur  le 
rivage  cette  spilendide  escarboucle  qui  est  son  œil,  sa  prunelle,  sa 
lumière.  Si,  dans  le  moment  où  elle  s'abandonne  ainsi  à  la  volupté  de 
son  repos,  quelqu'un  pouvait  s'emparer  de  ce  diamant  inappréciable, 
qu'elle  a  soin  de  cacher  entre  les  roseaux  les  plus  élevés  ou  dans  le 
gazon  le  plus  touffu,  ah!  celui-là  serait  assez  riche,  car  ni  les  mines  du 
Brésil,  ni  les  montagnes  de  l'Oural  n'ont  jamais  livre  aux  regards  avides 
des  hommes  un  diamant  pareil.  » 

Mais  le  printemps  s'approche  :  il  va  falloir  piocher  dur  et  se  préparer, 
par  des  libations  nouvelles,  aux  rudes  épreuves  de  l'automne.  A  l'ap- 
proche du  carnaval  on  songe  à  se  remettre  à  la  table.  Cela  commence 
par  la  Marque  des  pâtés  :  Le  dimanche  qui  précède  le  dimanche  gras,  les 
jeunes  gens  se  rendent  aux  demeures  des  époux  mariés  depuis  le  der- 
nier carnaval,  des  jeunes  filles  qui  ont  atteint  leur  vingtième  année  et 
des  personnes  qui  ont  fait  construire  ou  qui  ont  changé  d'habitation 
dans  le  même  temps.  Ils  écrivent  sur  la  porte  le  mot  Pâté  et  dessinent  à 
côté  une  bouteille  pour  indiquer  que  celui-ci  doit  être  arrosé.  Huit  jours 
après  le  cortège  revient  lever  les  pâtés,  escorté  d'une  voiture  ornée  de 
feuillage,  dans  laquelle  trône  un  Bacchus  sur  un  tonneau.  Devant  le 


dieu  la  bonde  est  ouverte,  et  chacun  y  vient  verser  son  offrande.  C'est 
un  coupage  dont  Bercy  lui-même  n'a  pas  idée;  mais  c'est  sublime, 
parait-il,  et  cela  dure  jusqu'au  3  mai,  jour  de  Ylurention  de  la  sainte 
Cro-x,  où  les  vignerons  renouvellent  leur  provision,  par  le  même  pro- 
cédé, en  revenant  faire  bénir  de  petites  croix  en  noisetier  ou  en  aubé- 
pine, qu'ils  distilbuent  pour  être  plantées  dans  les  champs  ou  dans  les 
vignes.  Dans  la  suite,  tout  moissonneur  ou  vendangeur  qui  rencontrera 
dans  sou  sillon  une  de  ces  croix  devra  payer  un  litre.  Aussi  ses  voisins 
l'entourent-ils  avec  respect  ;  ils  se  découvrent,  s'agenouillent  et  chantent 
VO  crux,  are. 

Puis  c'est  la  Saint-Jean,  fêtée  par  toute  la  province  avec  un  entrain 
tout  bourguignon.  A  Auxerre  principalement,  cette  solennité  prend  la 
proportion  d'un  délire  public.  C'est  que  les  Auxerrois  ne  badinent  pas 
avec  leur  vin.  Dés  le  XII'  siècle  on  les  appelait  i;  buveor  d' Auxerre,  et 
depuis  ils  sont  toujours  restés,  suivant  le  dicton  de  chez  eux,  ...enfants 
du  vin,  âpres  de  la  gueule,  et  légers  de  la  main.  Ils  sont  fiers  de  leurs  bons 
crus  de  Chaînette  et  de  Migraine  et  chantent  : 

De  tous  les  vins  de  la  Bourgogne, 
Vive  le  bon  vin  d'Auxerro's! 
Qui  le  méprise  est  un  yvrogne, 
C'est  le  breuvage  de  nos  Roys. 

Donc,  à  la  Saint-Jean,  tout  Auxerre  est  en  liesse.  La  veille,  les  gens 
vont  chez  les  vignerons  s'approvisionner  de  javelles,  de  sarments  et  de 
souches  de  vigne,  qu'on  brûlera  au  rond-point  de  la  porte  de  Paris  en 
dansant  des  rondes  autour  du  pétillant  brasier  qui  en  résulte.  Quelques 
jours  plus  tard,  c'est  le  feu  de  saint- Pierre  qui  flambera  non  moins 
joyeusement  que  le  premier  au  delà  du  faubourg  Saint-Martin,  sur  la 
route  de  Coulanges.  11  s'agit  ce  jour-là  de  se  faire  bien  venir  du  portier 
du  paradis.  On  se  figure  les  libations  organisées  en  son  honneur  à  ce 
sujet.  Entre  temps,  c'est-à-dire  entre  les  deux  fêtes,  les  vignerons  des 
deux  quartiers  s'unissent  pour  exécuter  une  sorte  de  farandole  par  la 
ville.  A  certains  moments,  la  queue  du  cortège  se  porte  en  courant 
vers  la  tête  pour  donner  raison  au  dire  de  saint  Pierre  :  »  Voilà  la  parole 
du  maître  accomplie  sur  terre  :  les  premiers  seront  les  derniers,  les 
derniers  seront  les  premiers.  »  Tout  cela  sur  l'air  :  Au  bois,  au  bois,  mes- 
dames, oh!  le  joli  bois! 

Mais  qu'est-ce  que  ces  réjouissances  à  côté  de  celles  qui  accompa- 
gnent ce  que  nous  appellerons  les  Fêtes  de  Raisin.  A  la  Saint-Vincent,  les 
vignerons  s'assemblent  dès  le  matin  et  conduisent  en  grande  pompe, 
chez  celui  qui  doit  la  conserver  durant  l'année,  une  statuette  du  saint 
enchâssée  dans  une  tourelle  à  jour  garnie  de  rubans  et  de  pampres.  C'est 
le  mirlousé,  auquel  de  grandes  vertus  sont  attachées.  Arrivés  à  desti- 
nation, tous  les  membres  du  cortège  s'agenouillent  et  entonnent  cette 
complaiate  : 

Et  \ùUi,  messieurs  les  vignerons,  Et  vous,  lemra's  qu'a  d'mauviiis  maris, 

Faites  rémoudre  vos  sarpions.  Il  ne  faut  pas  vous  réjouir 

Vous  taillerez  les  lignes;  Dans  une  bonne  année; 

Nous  mangerons  de  bons  cliassouas  Car  vous  aurez  le  dos  talé 

A  la  sauce  au  verjuré.  Et  la  têle  cassée. 

Et  vous,  messieurs  les  tonneliers.  Saint  Vincent,  notre  bon  patron, 

Faites  remoudre  vos  dalloirs;  Mouille,  mouille,  mouille, 

Vous  cognerez  les  tonnes.  Mouille-nous  les  dents. 

Le  reste  de  la  journée  se  passe  en  bombances.  Il  en  est  de  même  à  la 
Saint-Martin  et  pendant  la  récolte,  qui  n'est  qu'une  longue  suite  do 
beuveries.  Huit  jours  avant  le  ban  des  vendanges,  on  fait  la  cueillette 
pendant  un  jour  :  c'est  le  tavillon,  le  vin  pour  les  vendangeurs.  Ils  y 
feront  honneur,  n'en  doutez  pas,  car  après  une  journée  de  travail  à  la 
grappe  ou  au  pressoir  la  soif  est  intense.  Puis,  aussitôt  le  moment  venu, 
et  tandis  que  dans  les  villes  les  petites  marchandes  modulent  sur  une 
voix  de  fausset  :  Raisin,  raisin  à  bon  marché;  les  quatre  cents  pour  un 
denier,  les  vendangeurs  et  les  vendangeuses  ayant  revêtu  la  gipe,  sorte 
de  souquenille  en  grosse  toile,  entonnent  à  plein  gosier  leur  hymne 
professionnel  : 

Allons  en  vendange  pour  gagner  cinq  sous, 
Coucher  sur  la  paille,  ramasser  des  poux. 

On  se  barbouille  ensuite  mutuellement  le  visage  avec  du  gros  raisin 
de  teinture,  dit  teinturier.  C'est  le  genre,  et  cela  s'appelle  se  faire  le  nez 
de  vendange.  Et  alors  commence  la  besogne,  rondement  et  gaiement 
menée.  A  la  première  cuvée,  monsieur  YÉchcvin,  ainsi  nommé  «  pour 
ce  qu'il  doit  tâter  le  vin,  pour  commencement  de  bonne  police,  afin 
qu'on  n'en  vende  de  mauvais  »,  hume  et  déguste  en  gourmet  de  profes- 
sion le  jus  nouveau  qui,  selon  ses  paroles,  «  coule  au  même  moment, 
par  toute  la  Bourgogne,  en  cascades  torrentielles,  sous  d'innombrables 
pressoirs  ».  Après,  il  vide  d'aflilée  quelques  verres  de  vin,  et  les  autres 
l'imitent,  saul  les  pressureurs  qui  ont,  dans  la  journée,  contrevenu,  par 
ignorance  ou  négligence,  au  code  d'usages  réglant  la  matière,  et  sont, 


LE  MÉNESTREL 


213 


de  ce  fait,  condamnés,  avant  qu'il  leur  soit  servi  du  vin,  à  absorner  une 
quantité  d'eau  proportionnée  à  la  gravité  de  la  faute  commise. 

Le  vin  est-il  bon,  c'est  du  Creux  d'enfer.  Est-il  mauvais,  c'est  du 
Paradis.  —  Le  crô  d'aiifan  vau  meû  que  le  Pairaidi,  dit  un  proverbe  ori- 
ginaire du  vignoble  de  Dijon,  un  endroit  nommé  Paradis  produisant  de 
méchant  vin,  tandis  qu'un  autre,  appelé  le  Creux  d'enfer,  en  livre  d'ex- 
cellent. —  Et  le  pressoir  de  presser,  de  presser  sans  cesse  jusqu'au 
moment  où  il  livre  le  dernier  marc.  C'est  alors  un  redoublement  de 
réjouissances  et  de  bombances.  Pendant  le  repas  qui  clôt  cette  mémo- 
rable journée,  les  hommes,  débarrassés  de  leur  gipe,  et  les  femmes, 
apparaissant  avec  leur  goudôt,  jupe  plissée,  faite  de  bandes  de  velours 
de  diverses  couleurs,  chantent  à  pleine  voix  en  frappant  à  tour  de  bras 
sur  la  table  avec  les  chevilles  de  la  roue.  Puis,  celui  qui  alvoi  la  plus 
belle  lûquaiice,  qui  s'e.xprime  avec  le  plus  de  grâce,  harangue  solennelle- 
ment le  maître  du  pressoir.  Celui-ci  est  ensuite  promené  triomphalement 
dans  une  tinne,  que  des  hommes  portent  sur  leurs  épaules.  Des  violoneux 
marchent  en  tète,  et  le  peuple  chante  l'hymne  héroïque  des  Lanturlus. 
—  Laniurlu-lanlure  était  le  refrain  d'un  fameux  vaudeville  de  16i9.  L'air 
en  est  brusque  et  baroque.  11  plut  aux  vignerons,  qui,  dans  un  mouve- 
ment séditieux  provoqué  par  eux  à  Dijon  l'année  suivante,  le  prirent 
comme  cri  de  guerre.  Scandé  par  les  tambours,  il  fit  merveille;  plusieurs 
maisons  furent  pillées  à  ses  mâles  accents;  maintenant,  il  ne  sert  plus 
qu'à  célébrer  la  gloire  des  pacifiques  Barozais  de  la  bonne  terre  bour- 
guignonne. 

Au  retour  a  encore  lieu,  dans  quelques  endroits,  la  cérémonie  de 
la  Croix- Pucelle.  Les  jeunes  gens,  montés  à  un  diapason  que  n'eussent 
pas  désavoué  les  comp;!gnons  de  Silène,  s'emparent  d'une  jeune  fille, 
retendent  â  terre  et,  de  gré  ou  de  force,  lui  font  avec  une  pierre  angu- 
leuse, le  dos  d'un  couteau,  ou  même  leurs  ongles,  une  croix  sur  le  front. 

Le  sang  coule  vermeil  et  d'heureux  augure  pour  la  vendange  pro- 
chaine. 

Il  n'y  a  que  le  vin  de  Bourgogne  pour  donner  de  ces  idées  rouges. 

(A  suivre.)  Edmond  NeukoiMM. 


PENSÉES  ET  APHORISMES 

D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Ti^aclait   du   russe   par   Michel    Delines.) 


Le  plus  grand  malheur  qui  puisse  arriver  â  un  artiste  est  de  se  sur- 
vivre â  lui-môme.  Et  combien  cette  infortune  est  fréquente! 


Il  n'y  a  que  les  caractères  vraiment  forts  qui  puissent  vivre  dans  la 
solitude  :  il  est  en  effet  plus  facile  de  supporter  les  autres  que  soi-même 
à  la  longue,  —  peut-être  parce  qu'on  ne  passe  avec  les  autres  qu'une 
partie  de  son  temps,  tandis  qu'on  doit  se  subir  soi-même  toute  la  vie. 


L'Église  est  la  puissance  la  plus  forte  qui  existe  sur  terre,  car  sa  force 
est  fondée  sur  la  faiblesse  des  hommes. 

Contre  l'Église  toute  lutte  est  inutile.  Elle  ne  craint  que  l'action  de 
l'intelligence,  mais  elle  en  triomphe  facilement  en  lui  opposant  toujours 
son  mystérieux  cri  de  guerre  :  l'au-delà  ! 


Pour  les  juifs  je  suis  chrétien,  pour  les  chrétiens  je  suis  juif;  russe 

pour  les  allemands,  allemand  pour  les  russes;  classique  pour  les 

avancés,  musicien  de  l'avenir  pour  les  rétrogrades.  Donc  je  ne  suis  ni 
chair  ni  poisson,  —  rien  qu'un  piteux  individu  ! 


Le  fait  que  le  Christ  n'a  pas  aboli  l'esclavage,  mais  qu'il  a  donné 
comme  consolation  aux  esclaves  la  promesse  d'une  vie  future,  me 
semble  le  comble  de  l'opportunisme. 


Le  marin  qui  n'est  séparé  de  l'abime  que  par  une  planche  craint 
Dieu  ;  le  mineur  enfoui  au  fond  du  gouffre  le  craint  aussi  ;  le  paysan  de 
même  est  croyant,  mais,  toujours  calculateur,  il  a  comme  une  velléité 
de  vouloir  compter  avec  Dieu. 


Comme  l'homme  vit  entouré  de  mystères  qu'il  ne  peut  pénétrer,  il 
devient  forcément  superstitieux.  Même  ceux  qui  voient  le  plus  clair 
ramènent  toutes  choses  à  la  Providence,  au  Destin,  à  Dieu,  ce  qui 
n'est  autre  chose,  en  somme,  que  de  la  superstition. 


Je  connais  des  hommes  qui,  bien  que  fort  distingués  en  leur  profes- 
sion, gardent  une  attitude  effacée  de  subalterne.  J'évite  volontiers  leur 


compagnie,  car  cette  attitude  me  semble  tenir  beaucoup  plus  de  l'hypo- 
crisie que  de  la  sincérité. 

J'ai  grande  compassion  des  Jeunes  filles  qui  doivent  gagner  leur  vie 
on  qualité  d'institutrice;  c'est  le  gagne-pain  le  plus  rude  et  le  plus 
ingrat. 

Veulent-elles  gagner  la  sympathie  do  leurs  élèves,  elles  éveillent  la 
jalousie  des  mères;  sont-elles  belles  ou  jolies,  elles  éveillent  la  jalousie 
de  la  femme  ;  y  a-t-il  dans  la  maison  quelque  grand  jeune  homme,  elles 
éveillent  aussitôt  les  soupçons  des  parents. 

Et  lorsque  l'institutrice  a  heureusement  contourns  tous  ces  obstacles, 
voilà  qu'on  a  assez  d'elle  et  qu'on  la  congédie.  La  malheureuse  entre 
dans  une  nouvelle  famille,  où  elle  doit  lutter  de  nouveau  contre  les 
mêmes  obstacles. 

Comment  l'homme,  cliez  qui  l'estomac  joue  un  rôle  si  prépondérant, 
peut-il  être  considéré  comme  un  être  supérieur?  On  n'a  qu'à  le  voir  se 
lever  de  table  après  un  bon  diner. 

Manger  et  digérer  sont  des  fonctions  tellement  importantes  que,  lors- 
quelles  sont  normalement  remplies,  l'homme  n'est  plus  ni  révolution- 
naire, ni  anarchiste,  ni  athée,  ni  pessimiste,  ni  socialiste,  il  est  simple- 
ment un  être  vivant,  heureux  de  vivre  ! 


Les  gouvernements  ont  tort  délaisser  la  question  sociale  se  développer 
de  bas  en  haut.  Elle  est  si  importante  que,  dans  leur  propre  intérêt,  les 
gouvernements,  s'ils  ne  veulent  être  submergés  par  le  courant,  devraient 
l'aborder  de  front  pour  s'en  rendre  maîtres. 

Personne  ne  peut  dire  d'emblée  si  cette  question  en  soi  est  bonne  ou 
mauvaise.  En  tout  cas  elle  est  de  caractère  volcanique,  et  son  explosion 
n'est  plus  qu'une  question  d'années. 


Certaines  nations,  pour  excuser  leurs  défauts,  disent  qu'elles  sont  «  les 
plus  jeunes  »  ;  mais  ne  prouvent-elles  pas  ainsi  qu'elles  n'ont  pas  su  pro- 
fiter de  l'expérience  des  autres,  qui  devaient  leur  servir  d'exemple  ? 

(A  suivre.) 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


La  première  du  Roi  d'Ys,  à  Coveat-GarJen,  aura  heu  la  semaine  pro- 
chaine. Elle  est  attendue  avec  une  certaine  impatience,  car  on  sait  que  le 
théâtre  fait  de  grands  préparatifs  pour  cet  ouvrage,  surtout  au  point  de  vue 
de  la  mise  en  scène.  Le  régisseur  général  a  l'intention  de  montrer  au  public 
la  perfection  du  nouvel  outillage  de  sa  scène,  et  comme  le  dernier  tableau  du 
Roi  d'Ys,  avec  ses  elTets  aquatiques,  est  très  propice  à  des  magnificences  scé- 
niques,  ledit  régisseur  compte  surtout  sur  ce  tableau  pour  briller  devant  le 
public.  Les  répétitions  font  espérer  que  l'interprétation  musicale  de  cette 
belle  oeuvre  sera  excellente  sous  tous  les  rapports. 

—  Au  Gaiety-Theatre  de  Londres,  première  représentation  et  succès  d'une 
opérette  en  trois  actes,  te  Toréador,  musique  de  MM.  Ivan  Caryll  et  Lionel 
Monckton.  Intrigue  très  compliquée,  servant  surtout  de  prétexte  à  une 
exhibition  de  décors  et  de  costumes  espagnols  luxueux,  illustrant  les  aven- 
tures d'un  Anglais  qui  se  travestit  en  matadore.  Il  va  sans  dire  qu'un  des 
tableaux  représente  une  brillante  corrida.  On  reproche  à  la  musique,  assez 
brillante,  de  se  souvenir  un  peu  trop  de  Carmen. 

—  De  Londres  :  «  Le  dernier  concert  donné  au  Gallery-Glub  a  valu  à 
M.  HoUmann  un  succès  considérable.  L3  célèbre  violoncelliste  s'est  t'ait 
applaudir,  comme  auteur  et  comme  exécutant,  par  un  public  absolument 
enthousiasmé.  On  lui  a  bissé  sa  fameuse  Romance.  A  côté  de  lui,  W^"  Élise 
Roger  a  remporté  sa  bonne  part  de  bravos  en  chantant  d'une  voix  superbe 
plusieurs  mélodies.  » 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  a  fermé  ses  portes  le  1"  de  ce  mois,  et  ne  les 
rouvrira  pas  avant  le  1'^''  septembre;  le  nouvel  Opéra  royal  à  l'ancien  établis- 
sement KroU  donnera,  en  attendant,  des  représentations  lyriques. 

—  Le  Conservatoire  royal  de  Berlin  a  exécuté  avec  succès  un  oratorio  inti- 
tulé la  Fête  de  la  MoiSSo;î,Jqui  est  la  dernière  œuvre  importante  du  défunt 
compositeur  Henri  de  Herzogenberg. 

—  Une  espèce  particulière  de  cafés-concerts  qui  a  été  créée  récemment  à 
Berlin  et  dans  plusieurs  autres  grandes  villes  allemandes  sous  le  nom 
d'UeberbreUl  (tréteau  supérieur),  a  rapidement  gagné  la  faveur  du  public,  et 
tout  le  monde  veut  se  lancer  daus  des  entreprises  de  ce  genre.  La  semaine 
passée  le  préfet  de  police  de  Beriin  a  reçu  42  demandes  de  concessions  pour 
des  établissements  de  cette  sorte,  et  plusieurs  petits  théâtres  annoncent  leur 
transformation  pour  la  saison  prochaine. 


214 


LE  MENESTREL 


—  On  travaille  ferme  à  l'Opt^ra  royal  de  Dresde.  Pour  la  saison  prochaine, 
ce  théâtre,  supérieurement  dirigé,  annonce  quatre  nouveautés  :  Cœur  de  jeuiK 
fille,  de  Buongiorno,  le  Feu,  de  Richard  Strauss,  Ruebe:ahl,  pièce  lyrique  d'a- 
près une  -vieille  légende  allemande,  de  M.  Alfred  Stelzner,  et  le  Juif  polonais, 
de  M.  Weis. 

—  Une  statue  de  Lortzing  vient  d'être  inaugurée  à  Pyrmont,  sa  ville  natale. 
A  cette  occasion  on  a  joué  un  opéra  totalement  oublié  de  ce  compositeur;  il 
est  intitulé  Casanova. 

—  Les  bourgeois  de  laville  libre  de  Hambourg  ont  accordé  une  subvention 
annuelle  de  SO.OOO  marks,  soit  62.500  francs,  pour  une  durée  de  dix  ans,  an 
théâtre  municipal  de  cette  ville. 

—  La  société  musicale  Maatschappy  lot  bevordering  der  Toonkunst,  d'Utrecht, 
vient  de  donner  un  festival  sous  la  direction  du  vieux  chef  Richard  Hol. 
Grand  succès  pour  les  Béatitudes  de  César  Franck,  dont  l'interprétation  a  été 
excellente.  Une  nouvelle  Rapsodie  hollandaise,  de  M.  'Van  Anrooy,  a  également 
été  applaudie. 

—  Un  journal  norvégien  raconte  que  le  Musée  de  Bergen,  ville  natale  du 
célèbre  violoniste  Ole  Bull,  vient  de  recevoir  de  la  veuve  de  cet  artiste  son 
fameux  violon.  Cet  instrument  avait  été  fait  en  1532  par  Gaspard  da  Salo,'et 
ses  riches  ornements  sont  attribués  à  Benvenuto  Gellini.  Le  cardinal  Aldo- 
brandini  l'avait  acheté  au  prix  de  3.000  ducats  et  donné  au  Musée  d'Innspruck, 
d'où  il  fut  enlevé  par  un  de  nos  soldats  lors  de  l'occupation  du  Tyrol  par 
l'armée  de  Napoléon.  Le  précieux  instrument  fut  ensuite  acheté  par  un  ban- 
quier viennois  du  nom  de  Rehaczek,  qui  possédait  une  collection  de  deux 
cents  violons.  En  1830  Ole  Bull,  qui  donnait  alors  des  concerts  à  Vienne, 
pria  le  banquier  de  lui  montrer  le  célèbre  violon  et  fut  tellement  enthousiasmé 
par  sa  beauté  qu'il  offrit  en  vain,  pour  l'acheter,  une  somme  véritablement 
folle,  presque  toute  sa  fortune,  à  l'heureux  collectionneur.  Quelques  années 
plus  tard  Ole  Bull  reçut  à  Leipzig,  en  présence  de  Liszt  et  de  Mendelssohn, 
une  lettre  du  fils  du  banquier  viennois  lui  annonçant  que  son  père  lui  avait 
légué  le  violon.  Ole  Bull  ne  s'est  plus  jamais  séparé  de  cet  instrument,  qui 
est  maintenant  condamné  à  la  réclusion  perpétuelle  dans  une  salle  de  Musée. 

—  On  annonce  de  Saint-Pétersbourg  que  le  compositeur  russe  lanovski 
vient  de  terminer  un  opéra  en  trois  actes  intitulé  ll'i;'.  Le  compositeur  en  a 
écrit  lui-même  les  paroles  en  se  servant  d'une  nouvelle  bien  connue  de  Gogol. 

—  Rome  va  décidément  célébrer  le  premier  centenaire  de  la  mort  de  Gima- 
rosa.  Un  comité  international  s'était  formé  l'année  dernière  à  cet  effet,  mais 
l'événement  tragique  de  la  mort  du  roi  Humbert  avait  retardé  son  œuvre, 
par  ce  fait  que  la  reine  Marguerite  avait  accepté  la  présidence  honoraire  de 
ce  comité.  Celui-ci  a  enlîn  décidé  que  la  commémoration  aurait  lieu  inces- 
samment au  Théâtre-National,  avec  ce  programme  :  Ouverture  du  Malrimonio 
segreto;  discours  commémoratif  de  M.  Pietro  Rosano,  président  du  comité; 
exécution  de  Giannina  e  Bernardone,  opéra  bouffe  en  deux  actes  du  vieux  maî- 
tre; et,  comme  intermède,  pièce  de  vers  de  circonstance  de  M°"  Clelia  Ber- 
tini-Attilj  dite  par  M™  Virginia  Marini. 

—  On  a  donné  le  2S  juin  à  Rome,  sur  le  théâtre  Adriano,  la  première 
représentation  d'un  opéra  sérieux  en  quatre  actes,  intitulé  Friedmann  Bach, 
dont  le  livret,  tiré  d'un  drame  du  duc  de  Maddaloni  et  signé  du  nom  d'Alma 
Solinas,  qui  est  le  pseudonyme  de  deux  écrivains,  MM.  Scalinger  et  Conforti, 
a  été  mis  en  musique  par  un  jeune  pianiste  napolitain,  M.  Luigi  Gustave 
Fazio,  dont  c'est  le  début  au  théâtre.  C'est  une  singulière  idée  d'aller  prendre 
pour  héros  d'une  action  dramatique  la  figure  historique  d'un  grand  artiste  et  de 
la  présenter  au  public  d'une  façon  absolument  contraire  à  la  vérité.  On  sait  que 
Friedmann  Bach,  l'aîné  des  vingt  enfants  issus  des  deux  mariages  du  grand 
Sébastien,  mourut  à  14  ans,  pauvre  et  malheureux,  en  dépit  d'un  génie  que 
son  fâcheux  caractère  n'avait  pas  su  imposer  à  l'admiration  qu'il  méritait. 
Inutile  d'ajouter  que  jamais  il  n'aborda  le  théâtre.  Or,  les  auteurs  de  l'œuvre 
nouvelle,  qui  le  représentent  jeune  et  amoureux,  le  donnent  en  même  temps 
comme  prêt  à  faire  jouer  un  opéra.  Friedmann  aime  une  jeune  fille,  Esther, 
dont  il  est  aimé  et  que  poursuit  un  autre  soupirant.  Celui-ci  trouve  le  moyen, 
d'accord  avec  les  exécutants  (?),  d'altérer  la  partition  du  compositeur  de  façon 
à  la  rendre  méconnaissable,  si  bien  que  le  soir  de  son  apparition,  Friedmann 
étant  présent,  elle  tombe  misérablement.  Friedmann  devient  littéralement  fou 
de  honte  et  de  douleur,  et  sa  raison  succombe.  Mais  la  jeune  Esther,  qui  lui 
est  toujours  fidèle,  trouve,  de  son  coté,  le  moyen  de  rétablir  la  partition  (??) 
et  de  faire  représenter  l'ouvrage  à  Berlin,  où  il  obtient  un  succès  éclatant, 
toujours  en  présence  de  Friedmann.  L'émotion,  la  joie,  le  désir  de  la  gloire 
agissent  sur  l'âme  de  l'artiste  et  le  rendent  un  instant  à  lui-même,  mais 
cette  émotion  est  telle  qu'elle  le  tue  et  qu'il  tombe  en  murmurant  â  celle. qui 
a  voulu  le  sauver  une  dernière  parole  d'amour.  A  quoi  bon,  nous  le  répétons, 
prendre  une  figure  historique  et  le  nom  d'un  grand  artiste  pour  travestir  ainsi 
la  vérité,  sans  aucun  profit  pour  une  action  dramatique  qui  n'a  nul  besoin  de 
cet  élément?  Néanmoins  l'ouvrage  a,  paraît- il,  obtenu  un  vrai  succès,  grâce 
surtout  à  la  musique,  qu'on  dit  remarquable  surtout  pour  un  début,  et  grâce 
aussi  à  une  excellente  interprétation,  confiée  à  M™«  Inès  De  Frate  et  Torretta, 
au  ténor  Malesci,  au  baryton  Arcangeli  et  à  la  basse  Sabellino. 

—  Les  exercices  coutinuent.au  Conservatoire  de  i\Iilan,  au  grand  profit  des 
élèves  des  classes  de  composition.  Aux  deux  derniers  on  a  entendu  un  con- 
certo de  piano  en  ré  mineur  avec  orchestre,  exécuté  par  l'auteur,  M.  Umberto 
Moroni,  un  Adagio  et  Scherzo  de  M.  Luigi  Galassi,  un  quatuoren  ut  mineur 


pour  instruments  à  cordes  de  M.  Adolfo  Bossi,  et  une  légende  suisse  pour 
soli,  chœur  et  orchestre,  (7  Calvario,  écrit  par  M.  Edoardo  Belliui  sur  des 
paroles  de  M.  F.  Fontana.  L'orchestre  était  dirigé  par  l'élève  TuUio  Seraûn. 

—  S'il  faut  en  croire  le  correspondant  romain  de  la  Pall  Mail  Gazette, 
MM.  Mascagni,  Puccini  et  Leoncavallo  auraient  résolu  de  se  mettre  en  grève, 
c'est-à-dire  de  ne  plus  donner  désormais  aucun  opéra  nouveau  à  Milan, 
n'étant  plus  certains  de  pouvoir  trouver  un  auditoire  équitable,  tellement 
sont  nombreux  «  les  courants  et  les  sous-courants  qui  cherchent  à  faire 
crouler  les  mérites  de  la  bonne  musique  ».  Ledit  correspondant  assure  tenir 
cet  intéressant  renseignement  de  la  bouche  de  M.  Leoncavallo  en  personne. 

—  En  conformité  des  dispositions  d'un  legs  dont  il  est  bénéficiaire,  legs 
Bonerba,  le  Conservatoire  de  musique  de  Palerme  ouvTe  un  concours  pour  la 
composition  d'un  oratorio  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  avec  un  prix  de 
1.000  francs  pour  l'œuvre  couronnée.  Ce  concours,  d'après  le  programme, 
semble  réservé  à  tous  les  compositeurs  qui  ont  reçu  leur  éducation  au  Con- 
servatoire à  titre  gratuit.  Il  sera  clos  le  31  mai  1902. 

—  Deux  nouvelles  zarzuelas  à  Madrid.  Au  Théâtre-Moderne  la  Tremenda, 
paroles  de  M.  Jackson,  musique  de  MM.  Quinito  et  Barrera.  Et  sur  une  autre 
scène  Correo  interior,  revue  musicale  en  trois  tableaux,  paroles  de  MM.  Per- 
rin  et  Palacios,  musique  de  MM.  Gereceda  et  Jimenez. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Voici  les  dates  officielles  des  concours  publics  au  Conservatoire  : 

Hardi  16  juillet,  à  neuf  heures  :  Conlrebasse,  alto,  violoncelle. 

Mercredi  17  juillet,  à  une  heure  :  Chant  (hommes). 

Jeudi  18  juillet,  à  une  heure  :  Chant  (femmes). 

Vendredi  19  juillet,  à  midi  :  Harpe,  piano  (honynes). 

Samedi  20  juillet,  à  midi:  'Violon. 

Lundi  22  juillet,  à  une  heure  :  Opéra-comique, 

Mardi  23  juillet,  à  midi  :  Piano  (femmes). 

Mercredi  24  juillet,  à  neuf  heures  :  Tragédie,  comédie. 

Jeudi  25  juillet,  à  une  heure  :  Opéra. 

Vendredi  26  juillet,  à  midi  :  Instruments  à  vent  (bois). 

Samedi  27  Juillet,  à  midi  ':  Instruments  à  vent  (cuivre). 

—  Les  concours  à  huis  clos  ont  continué  cette  semaine  au  Conservatoire. 
Voici  les  résultats  du  concours  de  solfège  des  instrumentistes,  pour  lequel 
le  jury  était  composé  de  MM.  Théodore  Dubois,  président  directeur,  La- 
vignac.  Ed.  Mangin,  de  Martini,  Vernaelde,  Léon  Gastinel,  Ad.  Deslandres, 
Ganoby  et  Braud: 


MM.  Moral,  élève  de  M.  Bondon  ;  Schwaab  (Schwartz)  ;  Bauduin 
(Kaiser)  ;  Théroïne  (Cuignache)  ;  Guyon  (Rougnon)  ;  Saury  (Cuignache)  ;  Verd  (Rougnon). 

g"  médailles. —  MM.  Lestringant  (Schwartz)  :  Bloch  (Kaiser)  ;  Gallon  (Rougnon);  Dusau- 
soy  (Kaiser);  Laporte  (Rougnon). 

3"  médailles.— MU.  Vizentini  (Schwartz)  ;  Grandjany  (Rougnon)  ;Bellicord  (Cuignache); 
Toulmouche  (Rougnon)  ;  Besnard  (Schwartz), 


■/"■  médailles.  —  M""  Langée,  élève  de  M"'  Marcou  ;  Vargnes  (M"°  Roy)  ;  Abadie 
(M""  Marcou)  ;  Bréau-Bussière  (M""  Roy)  ;  Lamy  Antoinette  (M""  Meyer)  ;  Riehet  |M'»°  Mar- 
cou); Sabatier  (M""  Roy);  Seillier  (M"'  Lhéle);  Meuret  (M""  Seveno  du  Minil);  Fourgeaud 
(M""  Lhote);  Merlon  (M""  Marcou);  Réol  (M"'  Lhôte);  Cleret  (JI»'  Seveno  du  Jlinil). 

^'  médailles.  —  W"  Merlin  (M""  Seveno  du  Minil);  Noedts  (M""  Renard);  Arabrosetti 
Juliette  (M""  Meyer);  Soudant  (M"°  Renart)  ;  Gommas  (M"°  Boy)  ;  Popik  (M»"  Meyer); 
Motlu  (M"'  Marcou);  Dubettier-Plat  (M"'  Meyer);  Geoffroy  (M"»  Marcou);  Julien 
(M"'  Renart);  Legros  (Î\I""  Renart). 

S='  médaiiles.  —  M"*'  Bligne  (M°°  Hardouin);  Lapie  (M°«  Renart);  Vendeur  (M""  Mar- 
cou) ;  Schwizguebel  (M"'  Meyer)  ;  Renault  (M"*  Meyer)  ;  Baudot  (M"'  Roy)  ;  Morhange 
(M""  Roy)  ;  Coctteux  (M""'  Meyer)  ;  Groos  (M""  Roy)  ;  Angel  (M"'^  Marcou)  ;  Manger 
(M»'  Lhôte)  ;  Delhorme  (M""  Hardouin)  ;  Astruc  (M"'  Lhôte)  ;  Bouché  (M""  Roy)  ;  Mondou 
(M"»  Seveno  du  Minil);  Smemotf  (M"'  Marcou);  Wollï  (M"°  Marcou);  Gonet  (M""  Roy). 

Concours  d'harmonie  (hommes).  Jury  :  MM.  Théodore  T)ubois,  président, 
Ch.  Lenepveu,  Ch.  Lefebvre,  Marty,  Schwartz,  Hillemacber,  Pierné,"Wormser 
et  Dalher  : 

/"  prix.  —  M.  Jourdain,  élève  de  M,  Taudou;  M.  Dumas,  élève  de  M.  Leroux. 
3'  prix.  —  M.  Casella,  élève  de  "M.  Leroux. 

i'"  accessits.  —  M.  Kousseau,  élève  de  M.  Lavignac;  M.  Maillcux,  élève  de  M.  Leroux. 
3"  accessits  —  M.  Joseph  Boulnois,  élève  de  M.  Taudou;  M.  Adalbert  Mercier,  élève 
de  M.  Leroux;  M.  Lély,  élève  de  M.  Taudou. 

Concours  d'accompagnement  au  piano  (M.  Vidal,  professeur).  Jury  ; 
MM.  Théodore  Dubois,  président,  Ch.  Lefebvre,  Albert  Lavignac,  Samuel 
Rousseau,  Marty,  HîUemacher,  Pierné,  Fr.  Thomé  et  André  Wormser  : 


joTi  .prix.  —  MM.  Caplet  et  Chadeigne. 

2"  prix.  —  M.  Estyle. 

1"  accessit.  —  M.  Wagner. 

Pas  de  2°  accessit. 

FEMMES 

/"'  prix.  —  M""  Toutain. 
i-  prix.  —  M"-  Chéné. 
Pas  de  1"  ni  de  2-  accessit. 

Concours  d'orgue.  (Professeur,  M.  Guilmant.)  Jury,  M.  Th.  Dubois,  prési- 


LE  MENESTREL 


215 


dent;   MM.  Fauré,   Samuel   Rousseau,   Pugno.  Pieraé,   Gigout,   Deslaades, 
Dallicr,  Alexandre  Georges,  membres. 

i"  prix.  —  M.  Andlauer  et  M""  Juliette  Toutaiu. 

S' pi-ùc.  —  M.  FourdraiD. 

^T  accessit.  —  M.  Aviné. 

—  Extrait  du  Journal  officiel  : 

«  Le  président  de  la  république  française, 

»  Sur  le  rapport  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaus-arts, 

»  Vu  le  décret  du  17  février  1900,  perlant  création  d'une  caisse  de  pensions  viagères  et 
de  secours  au  théâtre  national  de  l'Opéra  ; 

»  Décrète  : 

»  Article  premier.  —  Les  tributaires  de  la  caisse  de  pensions  viagères  et  de  secours 
inscrits  avant  le  l"  octobre  1901  pourront,  au  moment  de  leur  inscription,  demander  à 
faire  compter,  mais  uniquement  pour  compléter  la  durée  de  dix  ans  sans  interruption 
prévue  à  l'article  6  du  décret  du  17  février  1900,  tout  ou  partie  du  temps  déjà  passé  par 
eux  à  l'Opéra.  Ce  temps  sera  compté  à  la  condition  qu'ils  verseront  à  leur  livret  indivi- 
duel, avant  le  31  décembre  1906,  les  retenues  correspondant  à  la  durée  de  service  qu'ils 
auront  demandé  à  racheter. 

B  Art.  2.  —  Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  est  chargé  de  l'exé- 
cution du  présent  décret.  » 

—  Hier  samedi  a  été  donnée  à  l'Opéra-Gomique  la  première  représenta- 
tion du  Légataire  universel,  l'opéra-comique  de  M.  Pfeiffer.  Notre  collaborateur 
Arthur  Pougin  en  rendra  compte  à  nos  lecteurs  dimanche  prochain. 

—  Au  même  théâtre,  M.'^^  de  Nuoviua  vient  de  faire  une  très  brillante 
rentrée  dans  Cavalleria  rusticana  et  s'apprête  à  chanter  la  Navarraise. 

—  Nous  relevons  dans  V Annuaire  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs 
dramatiques  pour  l'exercice  1900-1901  l'état  officiel  des  recettes  brutes  réalisées 
par  les  théâtres  durant  la  période  administrative  qui  va  du  1"  mars  au 
28  février.  Nous  plaçons,  en  regard,  le  bilan  de  l'exercice  précédent  ; 


Opéra 

Comédie-Française  , 
Opéra-Comique.   .   . 

Odéon 

Sarab-Bernhardt .   . 

Vaudeville 

Variétés 

Gymnase 

Palais-Royal .... 
Nouveautés  .  .  ,  . 
Porte-Saiut-Martin  . 

Gaité 

Ambigu 

Châtelet 

Renaissance  .   .   .   . 

Bouffes 

Folies-Dramatiques . 

Cluny 

République    .   .   .  . 

Athénée  

Déjazet 

Antoine 

Bouffes-du-Nord .  . 
Folies-Marigny .  .   . 

Olympia 

Casino  de  Paris.  .  . 
Folies-Bergère  .   .   . 


873.916 
.881.240 
.979.681 
692.595 
729.795 
.007.947 
.406.495 
453.706 
656.902 
.190.084 
901.817 
702.021 
468.970 
.214.793 
475.848 
380.741 
120.836 
283.287 
292.701 
210.227 
171.985 
492.059 
168.112 
386.994 
891.978 
652.329 
.178.374 


4.090.014 

1.992.810 

2.440.768 

710.991 

2.498.954 

1.579.489 

1.407.543 

614.610 

853.423 

1.043.211 

1.275.381 

946.274 

532.565 

2.230.012 

396.261 

202.545 

203.571 

290.773 

331.727 

471.341 

207.954 

764.14'. 

202.489 

748.691 

1.960.575 

991.735 

1.944.601 


-f  1.216.098 

-t-  108.570 

-f  46'. 085 

+  18.396 

-I-  1.769.159 

-I-  571.542 

+  1.048 

-f-  160.924 

+  196.521 

—  146.873 
+  3  3.564 
+  244.253 
-I-  63.595 
-I-  1.015.219 

—  79.587 

—  178.196 
-t-  82.735 
-I-  7.486 
4-  39.026 
+  261.114 
+  35.969 
-t-  272.085 
+  34.377 
+  361.697 
+  1.068.597 
+  339.406 
4-  766.227 


Il  est  bon  de  rappeler  que  l'exercice  1900-1901  comprend  la  saison  d'expo- 
sition universelle. 

—  Nous  devions  avoir  la  suite  de  l'Opéra-Populaire  au.Chàteau-d'Eau.  sous 
la  direction  nouvelle  de  M.  Romain.  Mais  voici  que  ce  dernier,  pris  de 
crainte  sans  doute  au  dernier  moment,  passe  la  main  à  M.  Victor  Sylvestre, 
l'audacieux  directeur  bien  connu,  qui,  lui,  se  proposerait  de  jouer  l'opérette 
à  grand  spectacle  —  simple  concurrence  au  théâtre  de  la  Gaité. 

—  De  l'Annuaire  de  la  Société  d'Encouragement  au  bien  nous  détachons  avec 
plaisir  la  note  suivante,  qui  concerne  ime  des. plus  sympathiques  artistes  de 
l'Opéra  : 

SEINE 

Médaille  d'or  spéciale  offerte  par  M.  Stéphen  Liégeard,  président  de  la  Société. . 

W'  Grandjean  (Louise),  de  l'Académie  nationale  de  musique. 

Nous  avons  couronné  successivement,  aux  années  précédentes,  deux  aimables  sociétaires 
de  la  Comédie-Française,  M""  Renée  du  Minil  et  Adeline  Dudlay,  pour  un  désintéresse- 
ment qui,  chez  elles,  n'a  d'égal  que  lo  talent.  Les  Muses  passant  pour  sœurs,  la  .Musique, 
à  son  tour,  ne  pouvait  qu'être  bienvenue  à  revendiquer  ses  titres  sous  ce  rapport.  Aussi 
faisons-nous  acte  de  justice  en  lui  décernant  une  médaille  spéciale  dans  la  personue  d'une, 
de  nos  artistes  les  plus  goûtées  du  pubbc  parisien. 

Comme  ses  camarades  de  la  Maison  de  Molière,  M""  Louise  Grandjean,  du  temple  de 
Charles  Garnier,  prête  gracieusement  le  concours  d'un  talent  hors  de  pair  à  toutes  les 
œuvres  de  bienfaisance  qui  la  sollicitent,  et  celles-ci  peuvent,  en  vérité,  s'appeler 
légion. 

La  médaille  d'honneur  si  méritée  que  nous  remettons  aujourd'hui  à  la  grande  artiste 
lui  rappellera  peut-être  que  c'est  parmi  nous  et  au  profit  de  nos  lauréats  que  s'essayèrent 
ses  premières  vocabses,  avant  les  succès  du  Conservatoire,  bien  avant  les  triomphes  de 
l'Opéra  ;  et  sa  modestie  voudra  reconnaître  que  nous  n'avions  pas  été  trop  mauvais  pro- 
phètes en  lui  prédisant  alors  un  brillant  avenir. 


Ajoutons  qu'à  la  dernière  séance,  M'>"  .Tjouise  Grandjean  avait  interprété 
avec  son  magistral  talent  la  Charité,  de  Faure,  accompagnée  par  M.  Bernar- 
del,  pianiste,  et  M.  Denoyer,  premier  violon  à  l'Opéra. 

—  A  l'école  Beethoven,  examens  très  brillants  passés  par  les  élèves  se  pré- 
parant au  professorat  du  piano.  Des  certificats  ont  été  décernés  par  un  jury 
composé  de  MM.  Guilmant  (président),  Bûsser,  Maréchal,  Ch.  René,  Rou- 
gnon  et  Viardot. 

—  Un  troisième  concours  de  composition  musicale  est  ouvert,  à  dater  de 
ce  jour,  par  l'Association  des  Jurés  orphéoniques.  Il  comprend  des  œuvres 
pour  sociétés  chorales,  pour  harmonies  et  pour  fanfares.  Tous  les  composi- 
teurs français  peuvent  y  prendre  part.  Le  programme  contenant  les  conditions 
de  ce  concours  sera  adressé  à  toute  personne  qui  en  fera  la  demande  à 
M.  E.  Guilbaut,  secrétaire  général  de  l'Association,  47,  boulevard  Magenta, 
Paris. 

—  Une  fête  populaire  dans  laquelle  la  musique  tiendra  la  large  place 
qu'elle  devrait  toujours  avoir  dans  ces  sortes  de  manifestations  aura  lieu  le 
14  juillet  prochain  dans  le  département  de  l'Ain.  Les  anciennes  provinces 
dont  se  compose  aujourd'hui  ce  département,  Bresse,  Bugey,  etc.,  auront  à 
célébrer  cette  année  le  3'=  centenaire  de  leur  réunion  à  la  France  (traité  de 
Lyon,  1601).  Sur  l'initiative  de  M.  Julien  Tiersot,  il  a  été  décidé  qu'à  cette 
occasion  aurait  lieu,  dans  toutes  les  écoles  du  département,  une  cérémonie 
commémorative  dont  le  programme  sera  composé  de  lectures  historiques,  de 
vers  et  de  chants.  On  y  e.xécutera  notamment  un  Chant  du  Centenaire,  spécia- 
lement écrit  par  M.  J.  Tiersot,  des  chants  populaires  français  auxquels 
M.  Maurice  Boucher  a  adapté  des  paroles  pour  les  écoles,  et  VHymne  des  temps 
futurs,  que  le  même  poète  a  écrit  sur  le  chant  de  ['Ode  à  la  .foie  de  Beetho- 
ven, lequel  va  devenir  ainsi  populaire  dans  les  villages  les  plus  reculés  du 
pays.  M.  Julien  Tiersot  dirigera  l'exécution  d'ensemble  à  Bourg,  où  toutes 
les  ressources  musicales  de  la  ville,  écoles,  sociétés,  musique  militaire,  ont 
été  mises  à  sa  disposition. 

—  A  Marseille  M.  Vizentini  prépare  sa  saison  au  grand  théâtre.  Artistes 
déjà  engagés  :  MM.Scaremberg,  Gornubert,  Gulk,  Caydan,  Dufour,  Vallier, 
Seiuten,  M™s  Bréjean-Gravière,  Tberry,  Passama,  etc.,  etc.  —  Nouveautés 
promises  :  le  Crépuscule  des  Dieux,  de  Wagner;  Sapho,  de  Massenet  ;  la  Statue, 
de  Reyer  ;  Mefistofele,  de  Boïto  et  un  ouvrage  inédit  :  la  Belle  au  bois  dormant, 
de  Silver. 

—  Soirées  et  Cosqerts.  —  Charmante  réunion  des  élèves  de  M.,  M'»'  et  M""  Weingaert- 
ner  consacrée,  en  majeure  partie,  à  l'audition  d'œuvres  de  Massenet.  Pianistes;  et  violo- 
nistes se  font  souvent  applaudir  au  cours  de  la  réunion  pendant  laquelle  les  auditeurs 
entendent,  bien  exécutés,  des  fragments  des  Erinnnyes,  à'Esclarmonde,  de  la  Navarraise, 
du  Cid,  des  Scènes  alsaciennes,  de  Werther,  de  Don  César  de  Bazan,  des  Scènes  pittores- 
ques, du  Caritlon,  de  Uarie-Magdeleine  et  Eau  donnante  et  Eau  courante.  —  A  Mantes, 
bonne  audition  des  élèves  de  AI""  Nicolini.  Au  programme.  M""  Capoy  et  les  choeurs,  sous 
la  direction  de  M.  T.  Maurizio,  qui  ont  été  fort  appréciés.  —  M.  et  M"»  Mârquet,  les  excel- 
lents professeurs  de  Bourges,  viennent  de  faire  entendre  leurs  élèves  de  cette  ville  et 
aussi  ceux  qu'ils  ont  à  Nevers.  Succès  très  vifs  pour  les  maîtres  et  pour  les  interprètes, 
parmi  lesquels  il  faut  citer  les  choeurs  dans  les  Nymphes  des  bois,  de  Delibes,  et  le  Che- 
valier Belle  Étoile,  d'Holmes,  le  solo  chanté  par  M""  L.  puis  M""  R.  (duo  du  Roi  d'Ys, 
Lalo),  M'i"  R.  (En  chemin,  Holmes),  M""  G.  du  L.  (Psyché,  A.  Thomas),  L.  (Xaviére, 
Dubois),  iM.  A.  (le  Roi  d'Ys,  Lalo),  M""  C.  (le  Poète  et  le  Fantôme,  Massenet),  M""  B.  (Héro- 
diade,  Massenet),  de  G.  (Hamlet,  Thomas),  C.  du  L.  (ta  Belle  du  roi,  Holmes),  M-  M. 
(Marie-Magdeleine,  Massenet),  M""  G.  (Orphée,  Gluck),  A.  (Élégie,  Massenet),  G.  (duo 
de  Werther,  Massenet),  M"' G.  (Paul  et  Virginie,  Massé),  M"°L.  (Mai,  Habn)  et  M"»  A.  M. 
(duo  du  Roi  d'Ys,  Lalo).  A  l'issue  de  la  séance,  toutes  les  élèves  ont  remis  à  M'""  Marquet, 
qui  vient  d'être  nommée  officier  d'académie,  de  jolies  palmes  en  or  et  brillants.  —  Très 
brillantes,  les  dernières  soirées  musicales  de  M"'  C.  Baldo.  Tout  le  succès  est  allé  à  Esclar- 
monde,  Hérodiade  (Massenet),  Sigurd  (Reyer),  Lakmé  (Delibes),  ainsi  qu'aux  principaux 
interprètes  ;  MM.  Plamondon  et  Vidal,  M"'  Bocquet  et  M""  Baldo  elle-même  qui  s'est  pro- 
diguée et  dont  l'enseignement  continue  à  être  si  recherché.  M"°  Jôubert,  avec  le  Prélude 
de  Massenet  pour  mandoline,  et  M.  Léon^Bertonr;  avec  ses  monologues,  ont  été  acclamés. 

NÉCROLOGIE 

Un  galant  homme  et  un  excellent  artiste,  le  compositeur  belge  Joseph 
Mertens,  est  mort  cette  semaine  à  Bruxelles, , à  l'âge,  de  67  ans.  Né  à  Anvers 
le  17  février  1831,  il  avait  fait  partie  de  l'orchestre  du  Théâtre  royal  de  cette 
ville  comme  premier  violon,  puis  était  devenu  professeur  au  Conservatoire. 
Il  s'était  produit  ensuite  comme  compositeur,  et  avait  fait  représenter  à  Aut 
vers  plusieurs  opéras  flamands  ou  français  :  De  Vrijer  in  de  strop  (1866);  la 
Méprise  (1869);  l'Egdisa  (1873);  Thècla  (1874);  Liederik  l'intendant  (187S);  te  Car 
pitaine  noir  (1877);  les  Trois  Étudiants;  le  Vin,  le  Jeu  et  le  Tabac:  le  Capitaine 
Robert;  les  Evincés.  Il  a  fait  exécuter  enfin  un  oratorio  intitulé  V  Angélus.  Dans 
ces  dernières  années  Mertens  avait  pris  la  direction  du  théâtre  royal  de  La 
Haye.  Il  était  inspecteur  des  écoles  de  musique  de  Belgique. 

—  A  Altona,  près  de.  Hambourg,  est  mort,  à  l'âge  de  82  ans,  le  composi- 
teur, pianiste  et  professeur  de  musique  Cornélius  Gurlitt.  Il  était  depuis  1865 
organiste  de  l'éghse  protestante  d 'Altona,  et  s'est  surtout  fait  connaître  par 
ses  compositions  pour  piano. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Très  appréciée  au  théâtre  Marigny  la  brillante  marche  triomphale  composée 
par  le  jeune  violoniste  virtuose  Rupert  Hazelton. 


216 


LE  MENESTREL 


Pour  paraître  AU  MÉNESTREL,  2*"%  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'",  éditeurs 
LE   JOUR    CE    LA    PREMIÈRE    REPRÉSENTATION    A    L'OPÉRA -COMIQUE,    AU    COMMENCEMENT    DE    NOVEMBRE 


<^f^ 


■'g'atrftfiott 

CHANT    ET    PIANO 
Prix  nàt  :  20  fr. 


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JVIopeeauji  détaehés 


Conte  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue 


MM.    ARMAND   SILVESTRE  &   EUGENE   MORAND 

Musique   de 

J.    JV\AS$ENET 


PI  ANO     SOLO 

Prix  net  :  12  fr. 


Transepiptions  divefses 


AVIS  AUX  DIRECTEURS.  —  Les  Éditeurs  du  «  Ménestrel  »  traitent  dès  à  présent  de  cet  important 
ouvrage  avec  les  entreprises  théâtrales  de  la  province  et  de  l'étranger,  —  l'orchestration  pouvant  être 
livrée  aussitôt  après  la  première  représentation  à  l'Opéra-Comique,  au    commencement  de  novembre. 


PARIS,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Yivienne,  HEUGEL  et  C",  éditeurs-propriétaires  pour  France  et  Belgique. 


succès-  lÛJJNSES 


BALS 

et 

COI^CEl^TS 


OSCAR    FETRAS 

—  DROITS  D'EXÉCUTION  LIBRES  — 

(Aucune  redevance  à  payer  à  la  Société  des  Auteurs.) 


BALS 

et 

CO^slCEt^TS 


PIANO    DEUX   MAINS 


1.  Op. 

2.  Op. 

3.  Op. 

4.  Op. 

5.  Op. 

6.  Op. 

7.  Op. 

8.  Op. 

9.  Op. 

10.  Op. 

11.  Op. 

12.  Op. 

13.  Op. 


10.  Valse  des  Etincelles 0 

12.  Charmante  Hélène,  polka b 

15.  Au  temps  joyeux  du  carnaval,  valsa 6 

n .  Printemps  au  cœur,  valse <i 

19.  Les  Châteaux  en  Espagne,  valse   6 

21.  La  Petite  Rosemonde,  polka S 

23.  Les  Noctambules,  valse 0 

26.  La  Blonde  Gretchen,  valse 6 

27.  Mascarade,  polka 3 

31 .  A  l'aube,  valse G 

35.  Valse  espagnole 6 

36.  Pyramides  de  fleurs,  valse 6 

40.  Les  Enfants  de  Hambourg,  valse 6 


14.  Op.  43.  Sous  sa  fenêtre,  valse 6 

15.  Op.  44.  La  Rose  rouge,  polka  mazurka 5 

16.  Op.  45.  En  ton  honneur,  polka 5 

17.  Op.  50.  Violettes  des  bois,  valse .  6 

18.  Op.  52.  Par  la  nuit  et  le  brouillard,  valse 6 

19.  Op.  55.  Chagrins  d'amour,  valse 6 

20.  Op.  60.  Clair  de  lune  sur  l'Alster,  valse 6 

21.  Op.  63.  Les  Rêves  de  Marie,  valse 6 

22.  Op.  67.  Valse  bachique 6 

23.  Op.  70.  Parmi  les  roses,  valse 6 

24.  Op.  72.  Badinage,  polka g 

25.  Op.  75.  Tes  yeux  bleus  comme  les  cieux,  valse 6 

26.  Op.  80.  Idylle  sur  la  plage,  valse 6 


Les  valses  N"  4,  13,  17,  20,  23  et  2S,  pour  Piano  4  mains,  cliaque 9  » 

Les  vakes  N"'  13,  17,  20,  23  et  2S  pour  Violon  et  Pisno,  cliaque 7  50 

Les  mêmts  valses  pour  Violon  seul,  cliaque 3  » 

Édition  pour  Cithare  des  N»'  1,  4,  6,  12,  13,  11,  20  et  23. 

Édition  slmiiliHée  pour  piano  des  principales  valses,  chaque  N" o  » 

Édition  avec  chœur  des  N"  S,  12,  19,  SO,  23  et  23. 

Orchestre  :   Valse,  net  2  francs  ;  polka  ou  mazurka,  net 1  » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net »  20 


.  —  (Encre  Lofilleuj^ 


-  67-  ANNÉE  -  N°  28. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2"'°,  rue  TiTieime,  Paris,  n-uf) 


Dimanche  14  Juillet  1901. 


(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  HaméFo  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


IieKaméïo:  Ofp.  30 


Adresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieiine,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEÏTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (20°  article),  Paul  d'Estrées.  — 

II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  du  Légataire  nniuersel  et  de  la  Sœur 
de  Jocrisse^  à  rOpéra-Comique,  Arthuh  Pougin;  reprises  de  la  Case  de  l'oncle  Tom,  à  la 
Porte-Saint-Martin,  et  des  Provinciales  à  Paris,  à  Cluny,  Paul-Émile  Chevalier.  — 

III.  Petites  notes  sans  portée  :  Mozart  et  Wagner,  R.vymond  Bouyer.  ~  IV.  Le  Tour  de 
France  en  musique  :  En  justes  nopces,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses  et 
nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ISCHIA 
barcaroUe  de  A.  Périlhou,  poésie  de  Lamartine.  —  Suivra  immédiatement  : 
Mi>s  vœux,  mélodie  de  Paul  Puget,  poésie  de  Jules  Barbier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Landler  alsaciens  {i'"  suite),  de  Charles  Malherbe.  —  Suivra  Immédiatement  : 
Landler  alsaciens  (2=  suite),  de  Charles  Malherbe. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  lémoires  les  plus  récents  et  des  ilociiiiients  Inéflits 

(Suite.) 


AU  DIX-NEUVIEME  SIECLE 

PREMIÈRE    PARTIE 

CONSULAT,    EMPIRE,    RESTAURATION 

I 

L'art  et  ses  conquêtes.  —  Le  salon  de  Talleyrand  :  la  lecture  de  Fernand  Cortez.  — 
Chez  Fonchr  :  aclrices  et  évègues.  -~  Chez  Sauary  :  concerts  réglés  au  chrono- 
mètre. —  Répertoires  et  artistes  mondains.  —  Les  Bourbons  à  l'Opéra.  — 
Metternich  mélomane. 

Avec  le  Directoire,  le  Consulat,  l'Empire  et  la  Restauration, 
l'art  n'est  plus  assujetti  à  une  estiiétique  spéciale.  S'il  ne  peut 
aborder  encore  tous  les  sujets  qui  lui  plaisent,  ni  les  traiter  dans 
la  note  qui  lui  convient,  il  n'est  pas  tenu  du  moins  de  se 
restreindre  à  ceux  qui  l'écœurent  ou  qu'il  abhorre.  Sans  doute, 
il  lui  est  difficile  de  se  désintéresser  absolument  de  la  politique 
courante  et  de  négliger  l'actualité  qui  s'impose.  Déjà  il  avait  dû 
compter  avec  ces  facteurs  de  la  notoriété  publique  sous  l'ancien 
régime  ;  et  voici  que,  sous  le  nouveau,  il  voit  s'ouvrir  devant 
lui  des  horizons  jusqu'alors  interdits  à  ses  espérances  ;  il  sera 


désormais  admis,  avec  ses  multiples  manifestations  et  ses  nom- 
breux interprètes,  dans  les  divers  milieux  du  monde  oiïiciel. 
Jadis  la  faveur,  la  protection,  le  caprice  même  décidaient  de 
son  entrée  chez  les  grands  ;  aujourd'hui,  l'art  a  conquis  son 
droit  de  cité  dans  les  sphères  les  plus  hautes  et  les  moins  acces- 
sibles de  la  société  parisienne. 

Cette  impression  très  caractéristique  se  dégage  des  Mémoires 
du  temps  :  ceux  de  M""  de  Ghastenay,  pour  ne  citer  que  cet 
exemple,  suffiront  amplement  à  notre  démonstration. 

Gomme  la  plupart  des  jeunes  filles  appartenant  à  l'aristocratie, 
M"'  de  Ghastenay  avait  reçu  une  forte  éducation  musicale.  Dès 
l'âge  le  plus  tendre,  elle  avait  eu  pour  professeurs  d'éminents 
artistes.  C'étaient  l'organiste  Séjan,  Rodolphe,  à  la  fois  cor  et 
violon,  puis,  plus  tard,  le  pianiste-compositeur  Pradher.  M""'  de 
Ghastenay  fut  un  petit  prodige  :  elle  en  convient  sans  le  moindre 
embarras.  A  dix  ans  elle  jouait  à  ravir  un  «  duo  de  Bach  » . 
Séjan,  un  maître  fort  patient,  mais  qui  «  ne  donnait  pas  »  ses 
leçons,  «  lui  avait  mis  les  mains  sur  le  piano  » .  Une  virtuose  de 
■cette  envergure  ne  devait  pas  ne  point  composer.  Pradher  lui 
accompagna  une  petite  sonate  qu'elle  avait  écrite  et  qu'elle 
«  joua  en  tremblant  »,  dans  un  concert  donné  par  elle  en  plein 
Directoire. 

Délivrée  des  afl'res  de  la  Terreur,  M""'  de  Ghastenay,  jeune, 
très  mondaine  et  quelque  peu  coquette,  fréquentait  volontiers 
chez  les  puissants  du  jour,  où  l'attrait  du  plaisir  se  doublait  pour 
elle  de  la  satisfaction  de  ses  goûts  préférés. 

Les  soirées  de  Talleyrand  lui  laissèrent  d'agréables  souvenirs. 
L'adroit  diplomate  n'aimait  pas  les  «  concerts  d'apparat  »,  lui, 
cette  vivante  incarnation  de  l'étiquette,  ce  rempart  du  proto- 
cole !  Il  préférait  «  la  musique  orientale  »  ;  et  le  compositeur 
Dussek,  le  violoniste  Lebon,  le  harpiste  Nadermann  étaient 
toujours  fort  bien  accueillis  du  maitre  de  la  maison  et  de  ses 
invités. 

Chez  un  autre  ministre,  Fouché,  les  artistes  étaient  également 
en  faveur,  bien  que  les  auditions  n'y  fussent  pas  très  régulières. 
M"'  de  Ghastenay  y  rencontra  M"""  Armand,  M"'=  Duret  et  M"'' 
Saint- Aubin,  sa  mère:  ces  actrices,  continuant  les  traditions  d'un 
autre  âge,  avaient  une  tenue  irréprochable  ;  ce  jour-là,  Fouché 
les  avait  reçues  à  sa  table  avec  des  évèques.  Ce  fut  encore  chez 
le  ministre  de  la  police  que  M"'=  de  Ghastenay  vit  pour  la  pre- 
mière fois  la  femme  de  Talleyrand,  cette  Américaine  divorcée 
qui  était  aussi  sotte  qu'elle  était  belle  ;  cette  soirée  fut  consacrée 
à  la  lecture  du  Fernand  Cortez  de  Spontini  :  tous  les  morceaux  en 
furent  répétés  sous  la  direction  de  l'auteur  et  de  Kreutzer,  alors 
premier  violon  de  l'Opéra. 

Le  général  Savary,  qui  succéda  par  la  suite  à  Fouché  et  ne  le 
fit  pas  oublier,  donna,  lui  aussi,  des  concerts  d'une  rare  et 
savante  ordonnance,  mais  trop  officiels  pour  n'être  pas  quelque- 
fois monotones.  Les  programmes  en  étaient  peu  variés  ;  et  les 


218 


LE  MÉNESTREL 


solistes  étaient  presque  toujours  les  mêmes:  d"Alvimare,  rem- 
placé depuis  par  Nadermann,  et  Frédéric,  le  cor  sans  rival  ;  la 
«  musique  d'étiquette  »  n'était  jamais  si  bien  représentée, 
paraît-il,  que  par  ces  artistes.  Ils  avaient  d'ailleurs  un  très  grand 
mérite,  celui  de  jouer  des  morceaux  fort  courts.  Leurs  variations 
avaient  été  calculées  montre  en  main,  et  de  telle  sorte  que 
l'exécution  n'en  devait  pas  durer  plus  de  dix  minutes.  Ainsi 
l'avait  ordonné  Bonaparte,  lorsqu'il  fut  question  d'organiser  des 
concerts  à  Saint-Cloud  et  à  la  Malmaison.  Ceux  de  Savary, 
devenu  duc  de  Rovigo,  étaient  invariablement  terminés,  même 
aux  plus  beaux  jours  de  l'Empire,  par  la  chanson  de  Roland, 
dont  le  refrain  :  «  Vive  le  Roi  !  Vive  la  France  1  »  était  repris  en 
chœur  par  tout  Fauditoire. 

M""'  de  Chastenay  entendit  plusieurs  fois  le  compositeur  Catel 
et  l'ineffable  Garât  aux  réceptions  de  la  comtesse  Regnauld  de 
Saint-Jean  d'Angely.  Cette  dame,  une  des  plus  illustres  beautés 
de  la  cour  impériale,  ne  dédaignait  pas,  à  l'occasion,  de  soupirer 
quelque  romance  sentimentale  ;  et  son  mari,  qui  n'était  pas 
cependant  un  naïf,  en  confirmait  la  bonne  nouvelle  dans  cette 
phrase  qu'il  murmurait  mystérieusement  à  l'oreille  de  chaque 
invité  : 

—  Vous  entendrez  M""'  la  comtesse,  qui  chante  toujours  par- 
faitement bien. 

En  effet,  les  grandes  dames  prenaient  volontiers  leur  part  de 
ces  succès  intimes.  M"'"  de  Chastenay,  qui  en  avait  savouré 
l'ivresse  pour  son  propre  compte,  célèbre  la  voix  exquise  de 
M""^  Lacuée,  qu'elle  a  entendue  chez  le  comte  Real,  accompagnée 
sur  le  piano  par  Plantade.  D'autres  chanteurs  mondains,  M""  de 
Nansouty,  M.  de  Flahaut,  partageaient  avec  les  professionnels. 
Garât  et  M"°  Duchamp,  sa  future  femme,  les  applaudissements 
des  salons  à  la  mode.  Les  exploits  des  chevaliers  de  la  Table 
ronde,  les  mystères  des  vieux  châteaux,  les  infortunes  des  trou- 
badours, qui  alimentaient  la  littérature  musicale  de  l'époque, 
préparaient  l'invasion  de  ce  romantisme  de  mauvais  aloi  dont 
la  friperie  a  été  si  pieusement  recueillie  de  l'autre  côté  du  Rhin. 

Il  n'était  pas  jusqu'aux  princesses  du  sang  qui  ne  fussent 
atteintes  de  cet  esprit  de  cabotinisme  dont  les  traditions  sont 
encore  aujourd'hui  si  vivaces.  M""'  de  Chastenay  s'en  explique 
assez  amèrement  dans  le  récit  d'une  soirée  où  elle  ne  put  donner 
la  mesure  de  son  talent,  malgré  le  très  grand  désir  qu'elle  en 
avait.  C'était  pendant  la  Restauration,  au  Palais-Royal,  chez  le 
duc  d'Orléans,  le  futur  roi  des  Français.  M'"=  Thibault  de  Mont- 
morency s'y  fit  entendre  dans  un  morceau  à  quatre  mains,  avec 
son  accompagnateur  Lebon  :  encore  «  joua-t-elle  très  ordinaii-e- 
ment».  Ce  fut  le  tour  de  «Mademoiselle  »  (Adélaïde),  la  sœur  de 
Louis-Phihppe  et  l'ancienne  élève  de  M""  de  Genlis.  Elle  exécuta, 
avec  Paër,  un  duo  qui  fut,  comme  on  pense  bien,  frénétique- 
ment applaudi.  Or,  elle  avait  déjà  répété  ce  duo  avec  M""  de 
Chastenay,  «  à  qui  l'on  ne  fit  aucune  proposition  »  ;  et  ce  qui 
mit  le  comble  à  son  dépit,  d'ailleurs  mal  dissimulé  dans  ses 
Mémoires,  c'est  qu'une  grande  Allemande,  attachée  au  service  de 
Mademoiselle,  «  automate  pianiste  et  fille  d'un  général  autri- 
chien »,  fut  invitée  à  jouer  un  morceau.  La  voix  superbe  et  la 
diction  parfaite  de  M""  Camporesi,  «  une  excellente  chanteuse  », 
purent  seules  consoler  M""'  de  Chastenay  d'une  disgrâce  infligée 
beaucoup  plus  à  Fartiste  qu'à  la  femme. 

Bien  que  les  manifestations  politiques  au  théâtre,  pendant  les 
premières  amiées  du  XIX"  siècle,  aient  déjà  trouvé  beaucoup 
d'historiens,  Fintérêt  qu'elles  présentent  n'en  saurait  être  dimi- 
nué par  une  narration  nouvelle,  surtout  si  elle  émane  d'un 
témoin  oculaire. 

C'est  à  ce  titre  que  nous  rappellerons,  d'après  les  Mémoires  de 
la  duchesse  de  Beggio  (1),  la  touchante  manifestation  de  l'Opéra  en 
1814,  le  soir  où  Louis  XVIII  se  rendit  au  théâtre  avec  sa  nièce, 
la  duchesse  d'Angoulème,  fille  de  Louis  XVI.  La  direction  faisait 
jouer  OEdipe  à  Colone.  Toutes  les  allusions  à  la  famille  royale  que 
purent  y  relever  les  spectateurs  furent  accueillies  avec  trans- 
port. Aux  applaudissements  succédèrent  les  acclamations,   les 


[1)  Ot'DlNOT,   DUCHESSE   DE   ReGC.IO.  —   Le 


,  dur  de  Keggio  ;  Pion. 


cris,  les  trépignements  si  nourris  et  si  frénétiques  que  l'or- 
chestre et  les  chanteurs  durent  s'arrêter.  Ce  délire  atteignit  son 
maximum  d'intensité  après  le  couplet  d'LEdipe  à  Antigone,  en 
qui  chacun  saluait  la  duchesse  d'Angoulème  : 

Elle  m'a  prodigué  sa  tendresse  el  ses  soins, 

Son  zèle  dans  mes  maux  m'a  fait  trouver  des  charmes  ; 

Elle  les  partageait,  elle  essuyait  mes  larmes. 

Son  amour  attentif  prévenait  mes  besoins. 

Viens,  o  mon  digne  sang  !  ù  mon  guide  fidèle  ! 

Que  ton  père  attendri  te  presse  sur  son  cœur  ! 

Les  Mémoires  de  M°"=  de  Gontaut  (1)  confirment  l'exactitude  de 
cette  scène  en  l'agrémentant  de  détails  peu  connus  ou  inédits. 

Lorsque  l'acteur  eût  dit  :  «  Elle  m'a  prodigué  sa  tendresse  et  ses 
soins  »,  Louis  XVIII  se  tourna  vers  la  duchesse  d'Angoulème  et 
lui  tendit  sa  main,  que  la  princesse  baisa  respectueusement. 
Etait-ce  une  allusion...  machinée,  comme  un  autre  coup  de 
théâtre  ? 

Par  contre,  un  effet  qu'on  n'attendait  pas,  ce  fut  l'évanouisse- 
ment, dans  une  loge  voisine,  d'une  belle  jeune  femme,  toute 
blanche  et  toute  pâle.  M""'  de  Gontaut  la  nomme,  ou  peu  s'en 
faut  :  cette  dame  si  impressionnable  n'était  autre  que  M""  Brovvn, 
la  maîtresse,  la  femme  légitime,  assurent  des  historiens  autori- 
sés, du  duc  de  Berry,  à  qui  elle  avait  déjà  donné  deux  filles. 

Un  an  plus  tard,  c'est-à-dire  après  les  Cent-Jours,  après  le 
désastre  de  "Waterloo,  le  prince  de  Metternich  (I)  écrivait,  dans 
la  note  d'impertinence  aristocratique  qui  lui  est  familière,  ce 
compte  rendu  d'une  autre  soirée  triomphale  : 

12  juillet  1813. 

Le  roi  a  été  hier  pour  la  première  fois  à  l'Opéra.  Il  a  été  accueilli  comme 
tout  souverain  assis  sur  le  trône  de  France.  Si  demain  je  m'y  plaçais,  je 
ferais  fureur.  Les  cris  et  les  airs  de  Vive  Henri  IV.  In  Chariiianle  Gabrivlle, 
tout  a  été  UD  train  terrible.  On  a  donné  Ipliigénie  et  la  iJnnsoinanie,  la  der- 
nière à  merveille.  Les  Gosseiin  ont  dansé  comme  des  anges,  M.  Anatole  et 
Antonia,  les  Delille,  les  Gardel,  les  Manille,  etc.,  etc.,  comme  toujours. 

Metternich  avait  un  goût  prononcé  pour  la  musique,  le  goût 
d'un  diplomate  reconnaissant  ;  l'histoire  de  l'art  et  la  politique 
de  l'histoire  n'ont-elles  pas  souvent  des  dates  communes  ?  Celle 
du  congrès  de  Rastadt  qui  se  termina,  en  1799,  par  le  massacre 
des  négociateurs  français,  rappelait  à  Metternich,  débutant  alors 
dans  la  carrière  diplomatique,  un  joyeux  souper  chez  le  pléni- 
potentiaire autrichien  Gobenzl,  où  furent  invités  tous  les  acteurs 
de  l'Opéra.  La  jolie  M""'  Hyacinthe  fut  la  seule  femme  admise  à 
ce  gai  festin. 

Vingt-trois  ans  plus  tard,  en  1822,  à  propos  de  l'antagonisme 
qui  s'accentuait  à  Vienne  entre  les  deux  écoles  italienne  et 
allemande,  Metternich  constatait  une  fois  de  plus,  et  non  sans 
un  certain  humour,  les  rapports  intimes  de  la  politique  avec  la 
musique  : 

«  Ce  soir  j'ai  été  pour  la  première  fois  à  l'Opéra  allemand.  Ces 
voix  allemandes  sont  pourtant  bien  pitoyables  à  côté  des  voix 
italiennes.  Nos  chanteurs  n'ouvrent  pas  la  bouche  et  semblent 
croire  que  le  nez  est  aussi  un  organe  de  la  voix  humaine...  Tous 
les  mécontents  professent  l'horreur  de  la  musique  italienne...  Il 
existe  ici  une  minorité  qui  voudrait  se  faire  passer  pour  la 
majorité,  qui  est  libérale,  radicale  et  doctrinaire,  et  qui  par  suite 
déteste  aussi  le  chant  italien.  On  devrait  s'attendre  à  voir  cette 
minorité  courir  à  l'Opéra  allemand,  mais  il  n'en  est  rien.  Le 
théâtre  reste  vide.  » 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra-Co.iiiqd£.  Le  Légataire  umvc'i'set,  opéra  bouffe  en  trois  actes,  livret 
(d'après  Regnard)  de  MM.  Jules  Adenis  et  Eugène  Bonnemère,  musique  de 
M.Georges  Pfeiirer(l"  représentation  le  6  juillet  1901).  —  La  Sœur  deJocrisse, 
opéra-comique  en  un  acte,  livret  (d'après  Duvert  et  Varner)  de  M.  Albert 
Vanloo,  musique  de  M.  Antoine  lianes  (I'"  représentation  le  9  juillet  1901). 
Voilà  la  troisième  comédio  de  Regnard  qui  se  voil  transformer  en 

(l)  Dbcmesse  de  Gostact.  —  Miimoirei  ;  E.  Pion,  1891. 

(2]  Le  PKINCB  DE,  Mettebnich  — Mémoires  publiés  par  son  fils;  E,  l'Ion,  ltj7S. 


LE  MÉNESTREL 


i219 


opéra-comique,  et  je  crois  qu'elle  ne  s'en  trouvera  pas  plus  mal.  La 
première  était  la  Sérénade,  que  M'"=Sopliie  Gay  avait  arrangée  à  l'inten- 
tion de  son  amie,  l'aimable  M""=  Sophie  Gail,  et  qui  fut  ainsi  représentée 
à  rOpéra-Comique  le  2  avril  1819.  La  seconde,  c'était  les  Folies  amou- 
reuses, que  l'intrépide  Castil-Blaze,  qui  ne  doutait  de  rien,  trouva  le 
moj'en  de  réduire  en  un  acte  à  l'usage  du  Gymnase,  en  y  adaptant 
quelques  morceaux  de  compositeurs  célèbres,  et  qu'il  lit  jouer  sous 
cette  forme  le  3  avril  1823.  Comme  ce  pastiche  avait  à  peu  près  réussi 
de  la  sorte,  il  le  reprit  en  sous-œuvre,  le  mit  alors  en  trois  actes,  y 
ajouta  de  nouveaux  morceaux  et  le  donna  ainsi,  le  S  juin  de  l'année 
suivante,  à  l'Odéon,  qui  était  à  cette  époque  un  théâtre  semi-lyi-ique. 
Ces  mêmes  Folies  amoureuses,  mises  aussi  en  trois  actes  par  MM.  Lenéka 
et  Matrat,  avec  musique,  nouvelle  celte  fois,  de  M.  ÉmUe  Pessard, 
parurent  à  l'Opéra-Comique  le  lo  avril  1891.  Et  voici  que  le  Légataire 
universel,  réduit  de  même  en  trois  actes,  y  passe  à  son  tour. 

Peut-être  Regnard,  s'il  pouvait  revenir  en  ce  monde,  se  montrerait- il 
médiocrement  satisfait  de  ces  transformations,  qui  d'ailleurs  ne  détruisent 
pas  ses  œuvres  et  n'empêchent  pas  qu'on  les  puisse  admirer  sous  leur 
forme  originale.  Au  surplus,  il  était  musicien,  et,  comme  Molière,  il 
l'a  prouvé  plus  d'une  fois  dans  divers  passages  de  ses  comédies.  Ill'était 
même  plus  que  Molière,  en  ce  sens  que  lui-mi''me  il  composait.  La 
Sérénade,  mise  plus  tard  en  musique  par  M""'  Gail,  se  terminait  par  un 
divertissement  chanté  et  dansé,  dont  il  avait  personnellement  écrit  la 
musique.  Les  annalistes  du  temps  nous  apprennent,  il  est  vrai,  que 
cette  musique  avait  été  «  retouchée  »  par  Gilliers,  qui  avait  à  cette 
époque  la  spécialité  de  composer  celle  des  divertissements  très  nombreux 
qui  se  trouvaient  dans  les  pièces  de  la  Comédie-Française  et  de  la 
Comédie-Italienne.  Il  est  probable  que  Gilliers  aura  eu  surtout  à  orches- 
trer la  petite  partition  de  Regnard.  Il  n'est  pjas  inutile,  à  ce  sujet,  de 
remarquer  que  Regnard  a  fait,  une  fois,  œuvre  de  véritable  librettiste. 
C'est  lui  qui  fournit  à  Campra  le  livret  d'un  de  ses  plus  jolis  ouvrages, 
le  Carnaval  de  Venise,  qui  fat  représenté  à  l'Opéra  le  28  février  1699  et 
dont  le  succès  fut  éclatant. 

Bref,  nous  voici,  grâce  à  M.  Georges  Pfeiffer,  à  la  tête  d'un  Légataire 
universel  en  musique,  et  je  vous  assure  qu'il  n'est  nullement  désagréable, 
tout  au  contraire.  Ses  deux  collaborateurs  ont  désarticulé  très  propre- 
ment l'amusant  chef-d'œuvre  de  Regnard  pour  faire  tenir  ses  cinq  actes 
en  trois,  tout  en  faisant  à  la  musique  la  place  qu'elle  devait  occuper. 
Ils  ont  conservé  toutes  les  situations  essentielles,  ont  laissé  â  la  pièce 
son  caractère  absolument  fantaisiste,  et  l'ont  en  quelque  sorte  désossée 
sans  nuire  à  sa  charpente  solide.  Elle  reste  folle  et  réjouissante,  et  de 
nature  à  faire  rire  un  hypocondre.  Par  exemple,  ils  ne  se  sont  pas  mis 
en  quatre  pour  tâcher  d'ajuster  leurs  vers  à  ceux  de  leur  modèle.  Je 
vous  assure  qu'il  y  a  une  différence  appréciable  de  forme  et  de  style 
entre  ceux  destinés  par  eux  à  la  musique  et  ceux  de  la  pièce  qu'ils  ont 
dû  conserver. 

Il  n'importe  ;  tel  qu'il  est,  adroitement  agencé,  le  livret  qu'ils  ont 
tiré  de  la  comédie  a  suffi  pour  inspirer  heureusement  le  compositeur  et 
pour  lui  permettre  d'écrire  une  partition  fort  aimable,  d'un  excellent 
sentiment  comique,  et  précisément  écrite  dans  le  ton,  dans  la  forme  et 
dans  les  proportions  qui  convenaient.  M.  Pfeiffer  n'a  pas  cherché  la 
petite  bête  et  n'a  pas  visé  à  faire  plus  qu'il  ne  fallait.  Sa  musique,  très 
fine,  très  élégante,  mais  surtout  très  discrète,  composée  de  morceaux 
courts  pour  la  plupart,  reste  toujours  en  situation  et  ne  ralentit  jamais 
l'action,  qu'elle  se  borne  â  encadrer  en  quelque  sorte  et  à  souligner 
légèrement. 

Je  n'ai  pas  à  tracer  ici  une  analyse  détaillée  du  Légataire,  qui  est 
suffisamment  présent  à  toutes  les  mémoires.  Qui  ne  connaît  la  sottise 
naive  du  vieux  Géronte,  et  la  tendresse  mutuelle  d'Eraste  et  d'Isabelle, 
et  la  malice  spirituelle  de  Lisette,  et  les  audacieuses  fourberies  de  Cris- 
pin"?  Tout  le  monde  sait  cela  par  cœur  ;  mais  peut-être  est-ce  une  rai- 
son pour  que  tout  le  monde  en  veuille  jouir  de  nouveau.  Car,  si  depuis 
tantôt  deux  cents  ans  ce  spectacle  a  réjoui  nombre  de  générations,  il 
n'y  a  pas  de  motif  pour  qu'il  ne  continue  de  faire  de  même,  dans  la 
nouvelle  forme  où  l'œuvre  se  présente  aujourd'hui.  Et  je  crois  d'ail- 
leurs qu'arrangeurs  et  compositeur  imiteraient  volontiers  le  «  comé- 
dien »  de  la  Critique  du  Légataire  ■ —  car  Regnard  a  fait  la  critique  de  sa 
pièce,  tout  comme  Molière  avait  fait  celle  de  l'École  des  Femmes  —  et 
j'imagine  qu'ils  n'auraient  pas  de  peine  à  dire  comme  ce  personnage  : 
«  Quelque  succès  qu'ait  notre  pièce  nous  n'espérons  pas  qu'elle  passe 
aux  siècles  futurs  ;  il  nous  suffit  qu'elle  plaise  présentement  â  quantité 
de  gens  d'esprit,  et  que  la  peine  de  nos  acteurs  ne  soit  pas  infructueuse  ». 

Et  elle  plaira  certainement,  et  le  compositeur  pourra  revendiquer  sa 
part  personnelle  du  succès.  Si  la  muse  de  M.  Pfeiffer  ne  s'est  pas  débri- 
dée comme  celle  de  Regnard,  si  elle  n'a  pas  le  diable  au  corps  et  le  feu 
aux  trousses,  elle  n'en  a  pas  moins  de  vraies  et  sérieuses  qualités  :  un 
sentiment  bouffe  plein  de  grâce  et  de  légèreté,  le  sens  de  la  scène  et  des 


situations,  un  gentil  flux  mélodique  à  qui  l'on  souhaiterait  parfois  un 
peu  plus  de  nouveauté,  une  sobriété  rare  fpii  ne  porte  préjudice  ni  â 
■l'élégance  des  harmonies  ni  à  la  finesse  de  l'orchestre,  enfin  une  cons- 
truction solide  et  rationnelle  des  morceaux.  Car,  l'œuvre  ayant  pris  la 
forme  dialoguée,  la  partition  se  compose  naturellement  de  morceaux 
détachés;  et  ce  n'a  pas  été,  je  vous  assure,  une  surprise  fâcheuse  pour 
le  public,  qui  a  eu  le  plaisir  d'entendre  non  seulement  des  ariettes  et 
des  couplets,  mais  encore  des  morceaux  d'ensemble  :  duos,  trios  et  le 
reste,  avec  celui,  dont  il  est  sevré  depuis  si  longtemps,  de  jouir  de 
l'alliance  de  plusieurs  voix  résonnant  de  concert. 

Et  puis,  M.  PfeilTer  a  vraiment  des  idées  singulières,  et  singulière- 
ment arriérées.  Non  seulement  il  écrit  des  morceaux,  non  seulement  il 
n'hésite  pas  à  nous  faire  entendre  plusieurs  voix  â  la  fois  sans  les  faire 
toujours  chanter  à  l'unisson,  mais  ne  s'est-il  pas  encore  avisé  d'écrire 
une  ouverture,  une  véritable  ouverture,  fort  agréable,  ma  foi,  au  lieu 
de  se  borner  paresseusement  à  faire  lever  le  rideau  sur  une  série  d'ac- 
cords dont  il  est  impossible  de  fixer  la  tonalité  ?...  Quel  original!  Après 
cette  ouverture  nous  trouvons,  au  premier  acte,  un  gentil  trio  d'intro- 
duction, finement  travaillé,  à  la  manière  de  Grisar,  avec  son  orchestre 
alerte  et  pimpant.  J'aime  moins  la  romance  d'Eraste,  de  même  que  son 
duo  avec  Isabelle,  où  l'inspiration  me  semble  être  restée  rétive.  Mais 
la  petite  ariette  de  Géronte  :  Je  suis  sûr  qu'étant  marié,  que  le  public  a 
voulu  entendre  deux  fois,  est  d'un  tour  charmant,  et  le  trio  final,  avec 
son  anathème  burlesque,  est  très  scénique  et  d'un  style  bouffe  excel- 
lent. 

A.  citer  particulièrement,  au  second  acte,  le  quatuor  de  la  veuve,  vif 
et  mouvementé,  où  la  verve  du  compositeur  s'est  déployée  en  toute 
liberté.  Au  troisième,  qui  est  peut-être  le  meilleur,  il  faut  signaler, 
après  un  joli  entr'acte  où  brillent  un  violon  et  un  violoncelle  solos  (ou 
sali,  —  ad  libitum),  la  scène  du  testament,  qui  est  très  bien  traitée,  bien 
en  scène,  avec  un  orchestre  élégant  et  vivace,  le  petit  trio  qui  suit,  et 
le  quintette  de  la  léthargie,  écrit  en  imitations,  sur  un  rythme  piquant, 
amusant  et  plein  de  franchise. 

M.  Pfeiifer  peut  rendi'e  grâce  à  ses  interprètes.  Rarement  pièce  a  été 
mieux  jouée,  mieux  chantée,  avec  un  ensemble  plus  parfait,  que  son 
Légataire,  jusque  dans  les  rôles  les  moins  importants.  M.  Périer  est  un 
Crispin  excellent  et  plein  de  fantaisie,  au  jeu  large  et  sur  de  lui.  Comé- 
dien alerte,  chanteur  éprouvé,  avec  cela  plein  de  tact  et  de  mesure,  il  a 
su  ne  point  verser  dans  la  charge,  tout  en  restant  franchement  comique, 
dans  ses  deux  travestissements  du  bonhomme  Choupille  et  de  la  jeune 
nièce  qui  a  eu  un  enfant  posthume  après  deux  ans  de  veuvage.  M.  Gri- 
vot,  toujours  tin  et  spirituel,  rachète  l'ampleur  qui  lui  manque  par  un 
jeu  plein  de  naturel  et  de  bonhomie;  il  fait  un  Géronte  très  amusant. 
M"'  de  Craponne  est  une  Lisette  à  la  mine  éveillée,  â  la  voix  chaude, 
une  vraie  soubrette  de  comédie,  respirant  à  la  fois  la  franchise,  la  malice 
et  l'esprit.  M.  Carbonne,  qui  a  pris  le  rôle  d'Eraste  â  la  dernière  heure, 
au  défaut  de  M.  Cazeneuve,  que  la  maladie  obligeait  d'y  renoncer,  s'en 
est  tiré  à  son  avantage.  Quant  à  M""=*  Eyreams  et  Pierron,  il  faut  sur- 
tout les  louer  du  soin  avec  lequel  elles  ont  rendu  les  deux  personnages 
un  peu  sacrifiés  d'Isabelle  et  de  madame  Argante.  Mais  je  m'en  vou- 
drais d'oublier  M.  Mesmaker,  qui  a  été  désopilant  dans  l'unique  scène 
de  l'apothicaire  Clistorel,  et  M .  Jacquin,  qui  a  fait  du  nommé  Scrupule 
un  partait  notaire. 

Nos  librettistes  actuels  sont-ils  donc  si  à  court  d'idées,  qu'ils  trouvent 
plus  commode  de  s'adresser  à  leurs  aines  que  de  puiser  dans  leur  pro- 
pre fonds?  Toujours  est-il  qu'après  l'adaptation  du  Légataire  universel, 
une  comédie  qui  remonte  â  1708,  nous  avons  eu  celle  de  la  Sœur  de 
Jocrisse,  un  vaudeville  qui  date  de  1841. 

Jocrisse!...  Après  Nicodême,  après  Janot,  après  Cadet  Roussel,  ces 
types  de  la  bêtise,  de  la  maladresse  et  de  la  niaiserie,  on  abusa  un  peu 
de  celui-là,  et  pendant  plus  d'un  demi-siêcle  il  occupa  la  scène,  où  les 
auteurs  le  montrèrent  sous  toutes  les  formes  et  dans  toutes  les  condi- 
tions. C'est  Dorvigny  qui  l'inventa,  c'est  Brunet  qui  d'abord  le  person- 
nifia. Pendant  la  Révolution,  sous  l'Empire,  â  l'époque  de  la  Restaura- 
tion, on  voyait  Jocrisse  partout,  au  théâtre  Montansier,  à  la  Cité,  aux 
Jeunes-Artistes,  aux  Jeunes-Élèves,  â  Louvois,  aux  Délassements,  puis 
au  Vaudeville,  au  Palais-Royal,  que  sais-je?  C'était  Jocrisse  presque 
seul.  Jocrisse  congédié.  Jocrisse  maître  et  valet,  le  Désespoir  de  Jocrisse, 
Jocrisse  changé  de  condition.  Jocrisse  marié.  Jocrisse  dans  son  ménage, 
Jocrisse  père,  /ils  et  petit-fils,  les  Deux  Jocrisses,  Jocrisse  au  bal  de  l'Opéra, 
Jocrisse  au  sérail  de  Constantinople ,  Jocrisse  chef  de  brigands,  Jocrisse 
apprenti  cornac,  les  Premières  armes  de  Jocrisse,  Jocrisse  millionnaire, 
Jocrisse  commissionnaire.  Jocrisse  cuisinier...  combien  d'autres  encore"? 

L'un  des  derniers  fut  précisément  la  Sœur  de  Jocrisse,  où  un  comique 
fameux  alors,  Alcide  Tousez,  était  inénarrable  et  fit  courir  ton'  Paris. 


220 


LE  MÉNESTREL 


La  pièce  n'a  pas  le  sens  commun,  mais  elle  est  amusante;  c'est  une 
simple  fantaisie,  imaginée  pour  faire  briller  un  artiste.  La  raconter 
serait  aussi  difficile  qu'inutile.  Comment  vous  narrer  toutes  les  sottises 
inconscientes  de  cet  infortuné  Jocrisse,  qui  prend  le  contrat  de  mariage 
de  son  maitre  pour  allumer  une  bougie;  qui  renverse  un  encrier  sur 
un  dessin  pi-écieux  qu'il  flanque  ensuite,  pour  le  faire  sécher,  dans  la 
corbeille  de  noces,  où  l'encre  se  répand  généreusement  sur  tous  les 
objets;  qui  laisse  envoler  un  perroquet  et  le  remplace  dans  sa  cage  par 
un  chat  ave^;  l'espoir  que  la  substitution  paraîtra  toute  naturelle...  Il  faut 
voir  cela  pour  rire  de  toutes  ces  folies  qui  n'ont  ni  queue  ni  tête,  et  qui 
valent  surtout  par  le  jeu  de  l'artiste  chargé  de  représenter  le  personnage. 

Était-ce  une  idée  heureuse  de  transformer  ce  vaudeville  à  couplets, 
dont  la  marche  doit  être  surtout  rapide  et  serrée,  en  un  véritable  opéra- 
comique,  dnns  lequel  la  musique  ralentit  je  ne  dirai  pas  l'action,  celle- 
ci  n'existe  pas,  mais  simplement  le  jeu  scénique  ?  Je  n'en  suis  pas  bien 
sûr.  Certains  morceaux,  particulièrement,  tels  que  le  quintette  de  la  ta- 
ble, me  semblent  sous  ce  rapport,  en  dehors  des  bonnes  conditions  Ihéà- 
trales.  Ceci  n'est  point  pour  critiquer  la  musique  en  elle-même  ,  qui 
est  aimable  et  gentiment  venue,  mais  la  façon  dont  elle  a  été  employée. 
La  mignonne  partition  de  M.  Banès  est  en  effet  agréable  à  entendre, 
écrite  avec  goût,  orchestrée  avec  soin  ;  mais  je  lui  reprocherai  peut-être 
un  peu  trop  d'ambition,  et  de  ne  pas  s'effacer  parfois  comme  il  eût  fallu. 
De  petites  ariettes,  des  couplets  rapides  eussent  suffi.  Mais  des  morceaux 
d'ensemble,  mais  des  cocotes,  comme  celles  que  M.  Banès  a  introduites 
dans  le  rôle  de  Charlotte,  la  gentille  sœur  de  Jocrisse  !... 

Il  est  juste  de  dire  que  le  public  n'a  point  paru  se  soucier  de  ces 
remarques  chagrines.  Il  a  ri,  il  était  désarmé,  et  les  bêtises  monu- 
mentales de  Jocrisse  l'ont  mis  simplement  en  belle  humeur.  M.  Mes- 
maker  a  représenté  ce  personnage  falot  avec  un  ahurissement  plein  de 
naturel  et  de  couviction  ;  à  lui  revient  une  bonne  part  du  succès. 
M'"  Baux  est  tout  aimable  et  toute  charmante  sous  les  traits  de  Char- 
lotte, et  M.  Allard  a  déployé  une  bonhomie  très  sympatique  dans  le  rôle 
de  Duval,  le  maitre  très  patient  de  son  domestique  imbécile.  Et  l'inter- 
prétation est  heureusement  complétée  par  M.  Gourdon  dans  le  rôle  de 
Béchamel  et  par  M"'  Chevalier,  qui  a  donné  un  très  bon  type  à  celui 
d'Herminie,  la  fiancée  qui  ne  se  marie  pas. 

Arthur  Pougin. 


Porte-Saint-Mariin.  ia  C«se  c/e /'Oncte  Tom,  drame  eu  8  actes  de  Dumanoir 
et  d'Ennery.  —  Gluny.  Les  Provinciales  à  Paris,  vaudeville  en  4  actes,  de 
E.  de  Najac  et  M.  P.  Moreau. 

Homériquement  braves  les  théâtres  qui,  à  cet  époque  de  l'année, 
renouvellent  leur  affiche  pour  tenter  une  lutte  inégale  avec  le  soleil. 
Découvrons-nous  et  souhaitons-leur  bonne  chance,  encore -que  la  Case 
de  l'Onde  Tom  ou  les  Provinciales  à  Paris  soient  d'intérêt  plutôt  fragile 
pour  contrebalancer  l'appât  d'une  soirée  passée  à  chercher  quelque  air 
respirable  au  Bois. 

Mais  il  y  aura  quand  même,  peut-être,  des  amateurs  pour  aller 
pleurnicher  à  l'histoire  humanitaire,  exotique  et  sentimentale  des  bons 
nègres  que  Dumanoir  et  d'Ennery  recueillirent,  voilà  un  demi-siécle 
déjà,  en  un  roman  américain  de  vogue  universelle.  Ah  !  les  bords  de 
rOhio  !  (la  Porte-Saint-Martin  ne  s'est  vraiment  pas  foulé  pour  la  mise 
en  scène  ;  sans  doute  crainte  de  transport  au  cerveau.  Dame  par  ces 
chaleurs!)  Ah!  la  chasse  à  l'homme!  Ah  !  la  vente  des  esclaves  !  Palpi- 
tant, palpitant!  Surtout  cette  dernière  scène  fort  adroitement  traitée. 
C'est  joué  très  estivalement  par  MM.  Jean  Coquelin,  Volny,  Guyon  fils, 
Gravier,  Péricaud,  M"'  Gilda  Darthy,  etc.,  agrémenté  par  une  bande 
de  Minslrels  qui  chantent  a  capella  en  obtenant  des  pianos  surprenants 
et  dont  l'étoile.  Miss  Sields,  a,  dans  le  grave  de  la  voix,  des  notes  fort 
agréables.  Terriblement  dommage  qu'elle  se  croie  obligée  de  faire  admi- 
rer son  timbre  plus  qu'aigrelet  de  soprano. 

Les  Provinciales  à  Paris  sont  de  pas  mal  les  cadettes  de  l'Oncle  ïom, 
puisqu'elles  ne  naquirent  qu'avec  l'E-xposition  de  1878.  Elles  firent  beau- 
coup rire  lorsqu'on  les  exhiba  pour  la  première  fois,  au  Palais-Royal; 
n'étaient  les  .30  degrés  à  l'ombre,  il  n'y  aurait  nulle  raison  pour  qu'il 
n'en  soit  pas  de  même,  cette  fois,  à  Cluny,  d'autant  que  MM.  Dorgat, 
Mufïàt,  Arnould,  Villaret,  Gaillard,  M"'='  Cuinet,  Dupeyron,  Foucher, 
Cardin,  marchent  d'ensemble,  comme  c'est  de  bon  usage  au  bon  théâtre 
Gluny. 

PauL-ÉmILE  ClIiiVALIER. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTEE 


XIX  , 

MOZART  ET  "WAGNER 

Pour  Adolphe  Bosclwl. 

Imaginez-vous  la  stupeur  d'un  Eugène  Delacroix  dilettante  en  lisant 
ces  deux  noms  réconciliés?  Comment!  Ce  fou  de  Wagner  pouvait  ad- 
mirer Mozart?  Mozart,  «  la  perfection  même  »,  et  le  Beau  qui  est  la 
simplicité  ! 

Sans  doute,  ajouterait  le  peintre  mélomane,  «  les  émotions  usent  la 
vie  autant  que  les  e.xcès  »  :  voilà  pourquoi  le  maitre  de  Salzbourg  dispa- 
rut si  tôt  !  Mais  son  art  qui  plane  appelle  l'évocalion  des  grands  siècles  ; 
son  sourire  atteste  la  régularité  des  belles  époques.  On  dirait  la  politesse 
française  incarnée,  qui  régnait  alors  sans  tyrannie  sur  l'Europe  entière, 
en  lui  conseillant  la  douceur  de  vivre.  Son  expression  semble  trop  déli- 
cate et  trop  rare  pour  devenir  jamais  populaire  et  conquérir  d'emblée  le 
gros  du.  public.  Gluck  lui-même,  après  Mozart,  «  sent  un  peu  le  plain- 
chant...  »  Comment  les  sans-culotte  de  l'art  contemporain  devineraient- 
ils  «  cette  perfection,  ce  complet,  ces  nuances  légères  »?  Beethoven,  le 
premier,  ne  prend-il  point  l'aspect  de  ruines  sauvages,  auprès  de  ce 
Mozart  passionné  qui  disait  :  «  Les  passions  violenter  ne  doivent  jamais 
être  exprimées  jusqu'à  provoguer  le  dégoût  :  même  dans  les  situations  hor- 
ribles, la  musique  ne  doit  jamais  blesser  les  oreilles,  ni  cesser  d'être  de  la 
musique  (2)  »  ?  Et  le  plus  classique  des  romantiques  invoquait  à  l'appui 
de  ses  citations  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  IS  mars  1849,  page  892, 
afin  d'écraser  Berlioz  en  glorifiant  Mozart... 

C'est  le  goût  qui  classe  les  talents,  poursuivait  le  peintre,  et  l'adora- 
teur du  suave  Mozart  n'aurait  pas  manqué  d'exiler  le  shakespearien 
Wagner  parmi  ces  «  hommes  sublimes,  remplis  d'excentricité,  qui  sont 
comme  ces  mauvais  sujets  dont  les  femmes  raffolent:  ce  sont  autant 
d'enfants  prodigues,  auxquels  on  sait  gré  de  certains  retours  généreux 
au  milieu  de  leurs  déportements...  »  S'il  avait  pu  connaître  son 
Tannhauser  en  1861,  nul  doute  qu'il  aurait  ri,  tout  comme  Berlioz,  en 
accusant  ce  «  besoin  de  raflnement  »  qui  caractérise  les  décadences,  et 
le  temps  «  qui  marche  vite  pour  les  modes  dans  les  arts...  »  Mais  le 
peintre  ne  connaissait  pas  une  note  du  musicien;  Delacroix  n'entre- 
voyait Wagner  qu'à  travers  les  divagations  pédantes  d'un  bas-bleu  de 
son  entourage  :  o  M""=  Kalergi  me  parle  beaucoup  de  Wagner;  elle  en 
raffole  comme  une  sotte,  et  comme  elle  raffolait  de  la  République.  Ce 
Wagner  veut  innover;  il  croit  être  dans  la  vérité;  il  supprime  beaucoup 
des  conventions  de  la  musique,  croyant  ijue  les  conventions  ne  sont  pas 
fondées  sur  des  lois  nécessaires.  Il  est  démocrate  :  il  écrit  aussi  des  livres 
sur  le  bonheur  de  l'humanité,  lesquels  sont  absurdes,  suivant  M°"=  Ka- 
lergi elle-même...  « 

Telle  était  l'opinion  française,  vers  185S:  on  s'explique  aisément  les 
sifflets  qui  suivirent.  Mais,  quoi!  «  ce  Wagner  »  serait  le  meilleur  avo- 
cat de  l'immortel  Mozart,  «  qui  respire  le  calme  d'une  époque  ordonnée  »? 

—  Frappe,  mais  écoute!  dirai-je  au  dilettante,  héritier  des  Delacroix 
et  des  Stendhal,  dont  l'étonnement  n'est  pas  éloigné  de  faire  chorus 
avec  les  rancunes  de  plusieurs  jacobins  du  wagnérisme  qui  reproche- 
raient volontiers  à  Wagner  son  culte  pour  Mozart...  Antis  et  ultras. 
wagnérophobes  et  wagnéromanes,  il  faut  en  prendre  votre  parti  :  Wa- 
gner adorait  Mozart.  Tout  comme  Delacroix  lui-même,  ce  novateur  parle 
en  classique.  Dès  qu'il  prend  la  plume  de  l'écrivain,  le  compositeur  se 
calme;  le  passionné  devient  un  sage.  Est-ce  Delacroix  ou  Wagner  qui 
s'en  prend  à  notre  Berlioz,  affirmant  qu'il  ne  peut  écrire  pour  l'art  pur, 
que  le  sens  du  Beau  lui  manque  ?  Est-ce  Delacroix  ou  Wagner  que  ra- 
vit le  Don  Juan  de  1787,  si  personnel,  si  parlant,  si  vivant,  si  varié  sur- 
tout, avec  une  admirable  fusion  de  tous  les  caractères,  —  œuvre  «  par- 
faite »  qui  est  eu  même  temps  le  plus  «  romantique  »  des  chefs- 
d'œuvre?  Perfection,  romantisme,  voilà  deux  termes  encore  à  réconci- 
lier, et  nous  allons  voir  comment...  Mais  quel  plus  édifiant  spectacle 
qu'une  telle  parenté  d'opinions?  Peintre  ou  compositeur,  les  deux  révo- 
lutionnaires s'accordent  pour  exalter  la  Beauté.  C'est  bon  signe! 

Et,  pour  s'en  tenir  au  musicien,  n'est-ce  pas,  à  son  tour,  un  Wagner 
INCONNU  que  cette  antithèse  dévoile?  Oui,  le  plus  fervent  des  Mozartiens, 
c'est  celui  que  les  caricatures  germaniques  ont  si  longtemps  appelé  Der 
grosse  Componist  Rumorli'àuser ,  le  Rubens  du  Venusberg  qui  a  fait  de 
l'opéra  le  drame  musical  et  du  drame  musical  un  paroxysme,  un  abime 
où  la  pure  statue  de  la  forme  se  fond  sans  trêve  dans  les  ondes  incan- 
descentes de  l'orchestre,  sous  les  remous  indéfinis  des  leit-motive  qui 
s'entre-dévorent?  Son  admiration,  pourtant,  ne  saurait  être  soupçonnée. 


(1)  Voir  h  Ménestrel  des  14  avril,  19  mai,  16,  23 ft  30  juin  1901. 

(2)  Extrait  d'une  lettre  de  Mozart,  deux  l'ois  cité  dans  le  Journal  d'Eugène  Delacroix 


LE  MÉNESTREL 


221 


Après  Weber,  dont  le  fantastique  a  fasciné  son  enfance,  c'est  Mozart 
qui  le  transporte  à  vingt  ans,  à  l'âge  même  où  le  printemps  parle  au 
printemps.  Écoutons  de  près  ce  qu'il  eu  dit.  La  nature  de  son  admira- 
tion nous  révélera  le  pourquoi  de  cette  admiration.  C'est  un  cas  psy- 
chologique, un  chapitre  inédit  du  Cas  Wagner.  A  ses  yeux,  Mozart 
n'est  pas  seulement  l'étonnant  précurseur  de  la  Zauberflote,  le  génie 
qui  réalise  un  pas  de  géant  en  créant  du  premier  coup  «  le  type  le  plus 
accompli  de  l'opéra  allemand  »,  qui  n'existait  pas  encore;  Mozart  est, 
d'abord,  «  ce  très  grand  et  très  divin  génie,  en  qui  la  musique  fut, 
complètement,  ce  qu'elle  peut  être  en  une  créature  humaine,  précisé- 
ment quand  elle  est  la  musique  selon  son  entière  et  pleine  essence  et 
qu'elle  n'est  rien  que  musique...  »  (1).  L'art  de  Mozart  n'est  pas  seule- 
ment «  de  la  musique  de  l'avenir  s,  mais  «  la  musique  même  ».  Aux 
yeux  du  géant  de  Bayreuth,  le  rossignol  de  Salzbourg  semble  surtout 
«  le  délicat  gcnie  de  vie  et  d'amour  »  dont  il  excuse  les  trilles  les  plus 
italiens  en  faveur  de  leur  pureté  même,  et  qui,  de  tous  les  génies 
chanteurs,  lui  procure  clandestinement  «  la  souveraine  jouissance  ». 

Retenons  ce  propos  de  table,  car  cet  aveu  contient  la  clef  du  mystère. 

En  dépit  des  systèmes  et  des  temps,  Mozart  et  Wagner  sont  deux 
génies  fraternels.  Tous  deux  magiciens,  tous  deux  poètes,  —  puisque 
c'est  Delacroix  encore  qui  nous  invite  à  discerner,  parmi  les  artistes, 
«  des  prosateurs  et  des  poètes  ».  Tous  deux  ne  sont-ils  pas  des  hommes 
de  théâtre  avant  tout,  souverainement  et  diversement  expressifs,  qui, 
par  des  moyens  divergents,  selon  les  vœux  secrets  de  leur  époque  et  de 
leur  âme,  ont  exprimé  victorieusement  sur  la  scène  la  poétique  vérité 
par  la  séduction  sans  pareille  de  la  féminine  musique?  Et  quelle  plus 
légitime  reconnaissance  que  l'affection  du  tumultueux  poète  pour  son 
riant  ancêtre? 

Mozart,  lui,  n'a  pas  été  victime  de  sa  propre  magie,  comme  Wagner 
le  sera  plus  tard,  —  au  dire  morose  des  philosophes  (2)  :  car  l'auteur  si 
méconnu  d'Idoménée  n'a  jamais  prétendu  se  dresser  en  réformateur; 
l'opéra  lui  suffit  pour  s'exprimer;  les  airs  ni  les  ornements  ne  lui  font 
peur;  il  ignore  le  Drame  musical.  N'écrit-il  point,  l'année  même,  en 
1781  :  0  Dans  un  opéra,  je  sais  qu'il  faut  absolument  que  la  poésie  soit 
la  fille  obéissante  de  la  musique...  Quand  la  musique  domine,  elle  fait 
tout  oublier.  »  Partagé  délicieusement  entre  le  siècle  et  son  âme,  qui 
fut  divine,  entre  la  mode  et  le  style,  le  candide  poète  a  butiné  toutes  les 
fleurs,  souvent  améres,  de  la  Vie;  et  cet  hiver,  à  la  Société  Mozart,  ses 
amis  inconnus  ont  pu  sentir  un  instant  ce  génie  aérien,  sensuel,  céleste, 
ineffable,  dont  l'âme  toujours  mélodieuse  nous  apparaît  comme  une 
oasis  de  fraîcheur,  comme  un  autre  monde  plus  parfait  qui  ne  ferait 
cependant  que  transfigurer  nos  désirs  et  transposer  nos  sentiments. 
Delacroix  l'appelait  «  romantique  ».  Et  ce  paradoxe  est  profond. 

Eh  bien!  le  poète  plus  subtilement  décadent,  Richard  Wagner,  n'a 
pas  été  moins  musical  :  de  là  sa  religion  pour  Mozart.  Il  aurait  pu  dire, 
comme  l'Italien  Rossini  du  chevalier  Gluck,  qu'il  continuait  â  sa  ma- 
nière l'auteur  de  Don  Juan.  Dans  ses  violences  les  plus  audacieuses, 
Wagner  est  un  voluptueux.  Et  sa  volupté  native  entraine  souvent  son 
idéal  dans  le  tourbillon  de  ses  vagues.  Est-il  musicien?  demandaient  les 
pires  sourds  qui  ne  voulaient  pas  entendre...  Et,  maintenant,  le  musi- 
cien parait  avoir  dominé  le  dramaturge,  plus  d'une  fois  infidèle  à  sa 
propre  mission.  Sa  muse  est  une  Loreley  doctement  enchanteresse,  dont 
la  voix  tonne  ou  se  pâme,  toujours  langoureuse,  et  parfois  pénible,  — 
une  Fille-Fleur,  maligne  enfant  du  vieux  Klingsor.  Ses  trop  puissants 
parfums  ne  triomphent  pas  du  blanc  Parsifal,  mais  dans  quelle  atmos- 
phère grisante  ils  baignent  le  Pur  Simple/  Point  efféminée,  mais  essen- 
tiellement féminine,  l'âme  wagnérienne  a  chanté  le  plus  vibrant  Can- 
tique des  Cantiques.  Et  les  puritains  de  son  temple  lui  reprochent  des 
italianismes...  Mais  voilà  pourquoi  le  philtre  d'Yseult,  inspiré  des  tièdes 
nuits  de  Venise,  a  si  violemment  charmé  les  névroses  contemporaines  ; 
voilà  pourquoi,  dans  une  situation  pareille  et  quand  l'action  suspendue 
fait  place  au  lyrisme,  le  révolutionnaire  des  Maîtres-Chanteurs  recourt 
aux  triomphants  essors  d'un  quintette  canonique,  à  l'instar  du  classique 
de  Cosi  fan  tulte!  Le  théoricien  du  Drame  musical  ne  déclarait-il  pas 
lui-même,  sans  arrière-pensée  ni  remords  :  «  La  musique  n'est  que  mé- 
lodie »? 

Ainsi  parait  se  rétablir  la  tradition  de  la  musique  allemande,  logique 
comme  la  statuaire  grecque  et  la  peinture  italienne.  Et  cela,  grâce  au 
plus  original  admirateur  de  Mozart, 
Ricliard  Was 


(A  suivre.) 


^rand  homme  et  peu  wugnérien... 

Raymond  Bouyer. 


(1)  Belle  déBnUion  de  Mozarl  par  Wagr 

(2)  Nietzsche  et  M.  Teodor  de  Wyzewa. 


r,  citée  par  -M.  Henri  de  Curzon. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


XI 

EN  JUSTES  NOPCES 

Ils  ont  des  peines  de  cœur,  tous  deux.  Amoureux  éconduit,  il  chante 
tristement  : 

Quand  ils  étaient  tous  deux  dedans  la  chambre, 

On  n'entendait  que  des  emhrassements 

Entre  la  belle  et  son  fidèle  amant. 

....     Grand  Dieu,  que  je  suis  malheureux 

D'avoir  aimé  une  si  jolie  brune, 

Lui  avoir  donné  tout  c'que  son  cœur  charmait  1 

Dire  qu'aujourd'hui  il  me  la  faut  quitter. 

Elle  a  plus  de  raisons,  peut-être  encore,  de  se  plaindre  ;  mais  elle 
prend  son  parti  en  philosophe  : 

J'avais  un'  ros'  nouvelle, 
Rin,  din,  di,  di,  di  di,  diou, 
Fia,  la,  la,  la,  la, 
Rin,  din,  di,  di,  di,  di,  diou. 
J'avais  un'  ros'  nouvelle, 
Galant,  tu  ra'l'as  volée  ; 
Galant,  tu  m'I'as  volée. 


C'est  pas  des  chos'  qui  s'rendent 
Comm'  de  l'argent  prunté. 

Uniront-ils  leurs  deux  infortunes?  Saluera-t-elle  d'un  air  joyeux... 
le  mois  des  fleurs,  des  chansons  et  des  chanteurs?  Et  dira-t-elle  d'un  cœur 
ému,  trois  fois  de  suite,  en  regardant  la  nouvelle  lune,  avant  d'aller  se 
coucher  : 

Salut,  beau  croissant, 

Fais-moi  voir  en  rêvant 

Qui  j'aurai  dans  mon  vivant? 

Pourquoi  pas  ?  La  campagne,  en  Bourgogne  comme  ailleurs,  a  d'in- 
finies miséricordes.  Elle  tentera  donc  le  sort  la  première  fois  qu'on 
jouera  à  la  Pucelle. 

La  Pucelle,  c'est  la  pierre  de  touche  des  filles  à  marier.  La  curieuse 
d'amour,  a  conté  Rétif  de  La  Bretonne,  est  couverte  de  tabliers  de  ses 
compagnes,  ainsi  que  des  chemisotles  ou  vestes  des  garçons,  le  tout 
formant  pyramide.  Les  filles  cherchent  â  défendre  leur  compagne... 
«  Noui  la  voulons  l'épouser  par  mariage  »,  disent  les  garçons.  —  «  Non, 
non,  mariée,  vous  la  battrez  avec  rage  »,  répondent-elles...  L'adresse  des 
assiégeants  consiste  à  enlever,  sans  qu'aucune  fille  ne  parvienne  à  les 
toucher,  tout  ce  qui  couvre  la  pucelle.  Alors  elle  leur  appartient,  et  les 
filles  se  lamentent  : 

Comme  la  rose  effeuillée, 

Elle  sera  bientôt  ; 

Comme  la  prune  secouée 

Elle  sera  mangée 

Par  le  ravousiaul 

La  pauvre  infortunée 

EUe  sera  fanée 

Comme  la  fleur  de  choqueriau 

Qui  teint  les  roulées. 

Le  ravousiau  c'est  le  rat  des  champs,  et  la  fleur  du  choqueriau  c'est 
la  fleur  de  l'anémone  pulsatile,  qui  sert  à  teindre  en  rouge  les  œufs  de 
Pâques.  L'infortunée  sera-t-eUe  mangée  par  l'un,  fanée  par  l'autre, 
l'avenir  le  dira.  Entre  temps,  les  garçons  protestent  eu  chantant  : 

Viens,  viens,  mieux  te  garderons 
Que  ces  filles  à  cotillons. 

Et  ils  entraînent  la  pucelle,  à  qui  ses  compagnes  ont,  en  signe  de 
désespoir,  éparpillé  les  cheveux  sur  la  nuque.  Elle  pousse  les  hauts 
cris,  se  jette  â  genoux,  lève  les  bras  au  ciel  ;  mais  ses  ravisseurs  sont 
inflexibles.  Finalement  la  belle  se  rend,  et  le  garçon  qui  l'a  remarquée 
—  s'il  en  est  un  —  l'entraîne  vers  le  bal,  tandis  que  ses  compagnes  lui 
chantent  : 

Il  faut  suivre  l'époux, 

Mais  vous  serez  pleurée 
Toute  l'année 

En  entendant  les  coups. 

L'une  après  l'autre,  les  filles  résolues  à  subir  l'épreuve  dont  elles 
connaissent  bien  d'avance  le  résultat,  et  qui  n'est  autre,  sidvant  Rétif 
de  la  Bretonne,  que  l'ancienne  cérémonie  du  mariage  chez  les  Gaulois, 
passent  à  la  pyramide...  Et  ensuite,  on  se  réjouit  au  son  de  la  corne- 
muse et  de  la  vielle  ou  des  violons  et  de  la  grosse  caisse,  avec  accompa- 


LE  MENESTREL 


gnement  obligé  de  triangle,  suivant  le  mode  d'orchestre  en  usage  dans 
la  contrée. 

Les  danses  varient  aussi,  de  pays  à  pays.  En  Puisaye  les  villageois 
donnent  la  préférence  au  quadrille,  avec  (juelques  modifications,  cepen- 
dant, dans  l'observation  rigoureuse  du  Code  de  la  dame  suivant  Perrin 
et  Cellarius.  Ainsi,  daus  Yavaiit-deux,  chaque  fois  que  les  vis-à-vis 
s'approchent,  le  danseur  embrasse  sa  danseuse.  De  plus,  après  chaque 
figure,  quand  les  couples  se  retrouvent  en  place  de  repos,  le  musicien 
principal,  celui  «  qu'ai  meime  lai  fête  »,  imite  avec  sa  musette  le  cri  de 
la  chouette,  Ihiou,  th'ou,  ou,  si  c'estun  violoniste,  fait,  par  un  démanché 
sur  la  chanterelle,  rendre  à  son  instrument  un  son  filé,  qu'on  appelle 
bibi  ;  et  les  embrassades  de  recommencer,  cette  fois  longuement,  et 
copieusement. 

La  danse  finie,  l'ère  des  négociations  commence.  Biles  sont  menées 
d'ordinaire  par  un  individu  qui  s'en  est  fait  une  spécialité,  et  qu'on 
appelle  Croque-avoine,  désignation  qui  parait  venir  de  ce  que  ce  négo- 
ciateur est  de  tous  les  diners,  avant,  pendant  et  après  la  noce.  Il  y 
occupe  toujours  la  première  place.  Pour  la  conduite  des  pourparlers,  le 
siège  de  ces  séances  diplomatiques  est  en  général  le  cabaret.  Mais, 
rentré  chez  lui,  le  futm'  beau-père  entend  souvent  dans  la  campagne 
cette  sérénade,  à  lui  adressée,  qui  n'est  pas  de  la  voix  de  Croque-avoine  : 


Nous  ne  venons  pas  céans, 

Maintenant, 
Ni  pour  chanter  ni  pour  rire; 
Nous  venons  vous  demander, 

Vous  l'entendez, 
La  plus  joli'  de  vos  filles. 


Vous  lui  donn'rez,  s'il  vous  plaît, 

Pour  bien  fait, 
En  très  riche  mariage, 
Une  charrue  et  des  bœufs 

Tous  frais  neufs, 
Pour  la  mettre  au  labourage. 


Moi  qui  suis  bon  garçon, 

Chez  Simon, 
J'y  gagnerai  bien  ma  vie, 
En  jouant  du  vl-o-lon 

Chez  Simon, 
Dessus  l'herbetle  jolie. 

Vaincu  par  ces  accents,  le  lîeau-père  s'est  rendu,  et  sa  fiUe  «  la  plus 
jolie  »  a  envoyé  à  son  galant,  en  signe  d'acquiescement,  la  galetle-nigaud, 
dont  la  pâte  doit  receler  des  os  de  grenouille  pulvérisés.  Il  l'a  mangée 
vivement,  car  c'est  le  signal  qu'on  l'attend  pour  le  diner  d'accordailles. 
11  y  trouve  nombreuse  compagnie,  et  le  festin,  où  l'on  sert,  paré  comme 
le  paon  dans  les  repas  du  moyen  âge,  le  eoué,  c'est-à-dire  le  plus  beau 
coq  de  la  basse-cour,  se  prolonge  fort  avant  dans  la  nuit,  grâce  à  la 
quantité  prodigieuse  de  vin  sucré  qu'on  absorbe  en  ces  occasions. 

Maintenant  tout  est  en  ordre,  et  il  ne  reste  plus  qu'à  fixer  la  date  du 
mariage.  Elle  est  vite  choisie  et  les  jeunes  gens  du  pays  chargés  des 
invitations  vont  inscrire  à  la  craie  sur  les  portes  des  privilégiés  l'heure 
du  déjeuner,  avec  cette  recommandation  :  Apportez  vos  couteaux. 

Le  jour  de  la  noce  ils  formeront  l'escorte  d'honneur  qu'on  appelle  la 
BUlarde,  et  à  la  sortie  de  la  messe  ils  offriront  aux  mariés  un  potage 
dans  lequel  flotte  une  queue  de  cochon,  ou  une  carotte,  que  ceux-ci  se 
partageront  en  signe  de  communion  nuptiale. 

Puis  on  se  met  à  table.  Les  mets,  les  piots  s'engouffrent,  et  les 
chansons  s'égrènent.  Après  le  repas  on  chante  le  Cantique  des  (Grâces, 
entonné  par  le  père  de  la  mariée.  Les  assistants,  debout,  reprennent  le 
refrain  en  choem-,  avec  accompagnement  de  violon.  Après  chaque 
couplet  on  boit  pleine  rasade  aux  accents  de  V Alléluia,  scandé  sur  les 
verres  ;ivec  les  couteaux  requis  à  cet  effet:  Alléluia/  Alléluia/  Kyrie 
eleison,  Christe  eleison/  Puis,  le  maître  du  logis,  quand  il  peut  encore  se 
tenir  debout,  dit,  d'une  voix  grave  : 

—  Grâces  soient  rendues  à  Dieu;  à  son  fils  Jésus  qui  naquit  sans 
corruption;  à  Adam,  bien  qu'il  nous  ait  mis  en  damnation  par  la 
pomme  chère  qu'il  voulut  manger;  à  notre  bon  roi  (ceci  autrefois):  a 
père,  mère,  frères,  sœurs  et  parents;  à  voisins  et  voisines,  bien  venus 
pour  boire  chopine  ! 

Finalement,  de  sa  voix  la  plus  mâle  il  entonne  : 

Avant  que  de  partir 
De  cette  maison. 
Vous  veux  avertir 
Qu'avec  raison 
Chacun  verse  à  boire, 
Puis,  que  l'on  s'en  aille, 
Et  qu'à  Dieu  l'on  soit 
Alléluia! 

C'est  l'heure  des  adieux,  et  chacun  se  conforme  à  la  règle.  Le  lende- 
main, les  Billardiers  vont  porter  la  trempette  aux  mariés  et  planter  le 
laurier  sur  lem-  toit.  Ils  se  font  la  courte  échelle,  et  on  leur  passe  l'ar- 
buste cher  aux  grands  hommes  et  précieux  aux  bonnes  cuisinières, 
planté  dans  une  caisse,  oii  il  s'épanouira  côte  à  côte  avec  le  corps  de 
cheminée.  Un  à  un,  tous  les  gens  de  la  noce  sont  promptement  sur  le 
toit.  Les  dives  bouteilles  les  y  ont  précédés,  et  le  vin  coule  «  à  ce  qu'y 


dégouline  le  long  des  murs  » .  On  y  danse  même.  En  tous  cas.  on  y 
chante  une  ronde  :  la  Ronde  du  Laurier  : 


n  est  planté,  le  laurier  ; 

Le  bon  vin  l'arrose. 

Qu'il  amène  aux  mariés 

>Iénage  tout  rose. 

Tout  rose. 

Tout  rose. 

Autour,  buvons  et  chantons  ; 

Ayons  l'âme  en  joiel 
Qu'en  un  gentil  rejeton 
La  mère  se  voie. 
Se  voie, 
Se  voie  ! 


Que  leur  rejeton  grandi 

Plus  lard  se  marie, 
Pour  qu'un  laurier  reverdi 
Leur  clÈarme  la  vie, 
La  vie, 
La  vie  ! 

Que  des  ans  et  puis  des  ans 

Passent  sur  leur  tète!... 
Et  nous,  sur  ce  toit  plaisant, 
Célébrons  la  fête, 
Lii  fête, 
La  fête  ! 


A  la  descente,  les  libations  continuent.  Souvent  elles  durent  jusqu'au 
soir,  et  même  après. 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 

s=;-©^iS^;:-©^=S 

Î^OXJVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (11  juillet).  —  Les  concours  publics 
du  Conservatoire  de  Bruxelles  viennent  de  se  terminer,  De  tous  les  concours 
similaires  en  Belgique,  ce  sont  les  plus  intéressants,  et  ceux  dont  les  résultats, 
plus  difficilement  obtenus,  ont  assurément  le  plus  de  réelle  valeur.  Le 
Conservatoire  de  Bruxelles  est  —  avec  celui  de  Liège  —  une  très  féconde 
pépinière  d'instrumentistes,  celle  qui  forme  nos  orchestres  le  plus  abondam- 
ment. Il  n'en  sort  pas  toujours  des  virtuoses  très  brillants,  mais  toujoursd'ex- 
cellents  musiciens.  L'école  de  violon  y  est  particulièrement  remarquable. 
Maint  étranger,  déjàcouronné  lauréat  dans  son  pays,  vient  s'y  perfectionner 
et  y  chercher  une  suprême  consécration.  A  cet  égard,  '  un  »  sujet  »  s'est  fait 
acclamer  surtout  cette  année,  un  jeune  allemand,  M.  Weingard.  La  classe 
de  piano  (spécialement  le  cours  de  M.  De  Greef)  s'est,  elle  aussi,  comme  tous 
les  ans,  fort  distinguée,  sans  cependant  mettre  en  relief  de  tempérament 
extraordinaire.  Nous  pourrions  en  dire  autant  de  la  classe  de  chant  de 
M™"  Cornélis-Servais,  l'excellent  professeur  qui  a  donné  l'an  dernier,  au 
Théâtre  de  la  Monnaie,  M™  Bastion  et  M"*"  Paquot.  Cette  fois,  l'attention 
s'est  fixée  sur  une  élève  dont  le  nom  est  à  retenir.  M"»  Bourgeois;  ce  n'est 
encore  qu'une  belle  promesse  ;  mais  tout  fait  espérer  qu'elle  sera  tenue. 
Attendons. 

A  propos  d'enseignement  du  chant,  la  nouvelle  de  la  nomination  de 
M.  Henri  Seguin,  l'admirable  artiste  de  la  Monnaie,  comme  professeur  de 
chant  et  de  déclamation  lyrique  du  Conservatoire  de  Liège,  est  un  petit 
événement  musical  qui  a  son  importance.  M  Seguin  quitte  le  théâtre,  qu'il 
a  honoré  pendant  de  nombreuses  années  de  son  talent  si  sobre  et  si  puissant, 
et  où,  cet  hiver  encore,  il  produisait,  dans  le  rôle  de  Wotan  de  la  Vulkyric 
et  dans  celui  du  père  de  Louise,  une  si  profonde  sensation.  Ce  sera  pour  la 
Monnaie  une  perte  considérahle.  Mais,  pour  l'enseignement,  la  conquête 
de  cet  artiste  éminent,  de  ce  chanteur  pénétré  des  plus  hautes  traditions 
musicales  et  dont  toutes  les  créations  ont  révélé  une  admirable  probité  d'art, 
est  infiniment  précieuse.  M.  Seguin  continuera  à  habiter  Bruxelles  ;  il  prendra 
part  sans  aucun  doute  aux  concerts  du  Conservatoire,  et,  selon  toutes  proba- 
bilités, un  cours  de  déclamation  lyrique  sera  créé  dans  cet  établissement  à 
son  intention;  souhaitons  que  ce  projet  se  réalise.  —  L.  S. 

—  La  première  représentation  du  Roi  d'Ys,  de  Lalo,  qui  devait  avoir  lieu 
la  semaine  passée  au  théâtre  Govent-Garden  de  Londres,  a  été  remise  à  la 
semaine  qui  vient.  On  répète  tous  les  jours  sous  la  direction  de  MM.  A.  Mes- 
sager et  Ph.  Flon  et  on  espère  passer  le  IC. 

—  L'Opéra  de  Berlin  prépare  pour  le  commencement  de  !a  saison  pro- 
chaine la  représentation  d'un  opéra  intitulé  Matteo  Falcone,  dont  la  musique 
est  due  à  M.  Théodore  Gerlach. 

—  Treize  artistes  seulement  ont  pris  part  au  concours  ouvert  pour  la  statue 
de  Brahms,  à  Hambourg.  Des  prix  ont  été  décernés  aux  sculpteurs  Fel- 
derhof  et  Bernewitz;  à  l'un  d'eux  sera  probablement  confiée,  l'exécution  de  la 
statue. 

■ —  L'Académie  musicale  de  Munich  a  élu  directeur  M.  Zumpe,  chef  d'or- 
chestre de  l'Opéra  royal  de  cette  ville. 

—  L'empereur  Guillaume  II  a  donné  3.000  marcs  à  la  caisse  fondée  à  Bay- 
reuth  pour  l'acquisition  de  places  au  théâtre  wagnérien  en  faveur  de  musi- 
ciens pauvres. 

—  Il  s'est  formé  à  Francfort  un  comité  pour  l'érection  d'un  monument 
funéraire  à  Joachim  Ralï.  Ce  monument,  dont  la  consiruction  a  été  confiée 
au  sculpteur  Sand,  de  Munich,  sera  inauguré  le  I"  mai  1903. 

—  Le  conseil  communal  de  Baden  a  refusé  de  souscrire  au  désir  exprimé 
par  la  ville  de  Vienne,  qui  aurait  voulu  acquérir  pour  son  Musée  une  partie 
des  partitions  originales  laissées  par  le  compositeur  Garl  Millœcker,  celui-ci 
ayant  formellement  exprimé,  dans  dans  son  testament,  sa  volonté  de  les  des- 
tiner au  Musée  de  Baden.  Ces  partitions  sont  au  nombre  de  trente-deux. 


LE  MENESTREL 


223 


—  Une  exposiliou  de  guitares  aura  lieu  à  Munich  au  commencement  du 
mois  de  septembre.  Elle  doit  offrir  une  revue  de  tous  les  progrès  réalisés 
dans  la  construction  de  cet  instrument,  et  aussi  du  luth.  Cette  exposition  com- 
prendra aussi  des  cithares,  mandolines  et  harpes.  A  cette  occasion  aura  lieu 
une  réunion  internationale  des  guitaristes  européens. 

—  Encore  un  jubilé!  On  ne  fait  que  ça  en  Allemagne.  Le  violoniste  Joa- 
chim  vient  de  célébrer  le  70"  anniversaire  de  sa  naissance.  Il  a  reçu  des  féli- 
citations de  toutes  les  parties  du  globe,  ses  élèves  étant  disséminés  un  peu 
partout. 

—  Un  nouveau  journal  de  musique  hongrois  vient  de  paraître  sous  le  titre 
Magyar  Lant.  Il  est  publié  à  Gyœr  (Raab),  et  paraît  une  fois  par  mois. 

—  On  a  exécuté  à  Florence,  dans  l'église  de  l'Annunziata,  une  messe  iné- 
dite d'un  jeune  compositeur,  M.  Alberto  Bimboni.  Tout  en  constatant  la 
valeur  de  cette  composition,  on  lui  reproche  sa  trop  grande  difficulté  d'exé- 
cution en  ce  qui  concerne  les  voix,  qui  sont  écrites  de  façon  à  exiger  des 
efforts  excessifs  et  fâcheux. 

—  Le  «  Comité  pour  la  musique  sacrée  »,  à  Florence,  met  au  concours, 
entre  les  compositeurs  italiens,  une  Messe  à  quatre  voix  mixtes,  avec  quatuor 
et  orgue  ad  libitum,  de  style  liturgique,  avec  un  prix  de  300  francs.  L'article 
premier  du  programme  de  ce  concours  est  ainsi  conçu  :  «  La  Messe  qui  rem- 
portera le  prix  aura  l'honneur  de  porter  la  dédicace  suivante,  gracieusement 
autorisée  :  A  sa  Majesh-  la  Reine-Mère  Marguerite  de  Savoie.  Haute  Patronne  du 
Comité  pour  la  Musique  Sacrée  à  Florence.  Cette  dédicace  devra  être  main- 
tenue, même  si  l'oeuvre  primée  devait  être  ensuite  publiée  par  l'auteur  ou 
par  une  autre  personne  en  son  nom  ». 

—  Les  exercices  annuels  des  Conservatoires  italiens  continuent  d'être  pro 
lilables  à  leurs  élèves  compositeurs.  A  Bologne  on  a  exécuté  un  Prélude, 
choral  et  fugue  pour  orchestre  de  M.  Ottorino  Respighi,  élève  de  M.  Martucci. 
Au  lycée  Marcello,  de  Venise,  on  a  fait  entendre  des  compositions  de  quatre 
élèves  de  M.  Bossi  :  Air  de  danse,  de  M.  Ermanno  Leban;  Épisode  dramatique, 
de  M.  Livio  Loro;  Sous  la  neige,  chœur,  et  Fantaisie  symphonique,  deM.Renzo 
Bossi;  et  le  Branle  des  Centaures,  de  M.  Maffeo  Zanon.  Enfin,  à  Parme,  exé- 
cution d'une  ouverture  pour  VŒdipe  à  Colone  de  Sophocle,  de  M.  Ildebrando 
Pizzetti,  et  de  l'introduction  de  la  Tour  de  Nesie,  opéra  de  M.  Gustave  Cam- 
panini. 

—  Le  Théâtre-National  de  Rome  a  donné,  le  3  de  ce  mois,  la  première 
représentation  d'un  opéra  en  trois  actes,  Marianila,  dont  la  musique  est  due 
à  un  jeune  compositeur  encore  inconnu,  M.  Gordiano  Simeoni.  Malgré  les 
dix-huit  rappels  dont  l'auteur  et  ses  interprètes  ont  été  l'objet,  la  critique 
l'ait  d'expresses  réserves  au  sujet  de  la  valeur  de  l'œuvre,  à  qui  elle  reproche 
une  grande  inexpérience,  certaines  puérilités  et  un  trop  grand  nombre  de 
réminiscences  d'ouvrages  connus.  Elle  exprime  l'espoir  que  l'auteur  «  pren- 
dra sa  revanche  »,  ce  qui  n'est  pas  pour  attester  un  succès.  Cette  Marianita 
était  chantée  par  M^'^  Baroni  et  Torchio,  MM.  Franceschetti  et  Schiavazzi. 

—  Une  clarinette  d'orchestre  à  transposition,  qui  a  été  inventée  par 
M.  Leoni,  vient  d'être  perfectionnée  par  M.  A.  Rampone,  de  Milan.  Le  nou- 
vel instrument  ne  subit  aucun  allongement  pour  passer  d'une  tonalité  à 
l'autre.  Muni  d'une  double  mécanique,  la  détente  d'un  simple  outil  suiSt 
pour  que  la  clarinette  en  si  bémol  devienne  instantanément  une  clarinette  en 
la  sans  aucun  déplacement  de  la  main  de  l'artiste.  D'autre  part,  elle  ne  diffère 
en  rien  des  clarinettes  ordinaires,  en  ce  qui  concerne  les  positions,  tandis 
qu'elle  a  l'avantage  d'une  parfaite  intonation. 

—  On  annonce  que  le  gouvernement  russe  vient  d'acheter  la  célèbre  col- 
lection d'instruments  de  musique  formée  avec  une  rare  sollicitude  par  le 
défunt  notaire  Snœck,  à  Gand.  Cette  collection  contient  un  clavecin  décoré 
de  peintures  de  la  main  même  de  Rubens,  quelques  harpes  authentiques  des 
anciens  trouvères,  les  plus  anciens  archets  d'instruments  à  cordes  et  une 
quantité  d'autres  curiosités  rarissimes.  On  y  trouve  aussi  les  modèles  qui 
ont  servi  à  Adolphe  Sax  pour  la  construction  de  ses  instruments.  La  collec- 
tion Snœck  est  destinée  à  former  le  noyau  d'un  musée  d'instruments  de  mu- 
sique que  le  gouvernement  russe  se  propose  d'établir  à  Saint-Pétersbourg. 

—  Un  riche  bourgeois  de  Moscou,  M.  Morozof,  a  légué  à  la  ville  un  mil- 
lion de  roubles  or,  soit  4  millions  de  francs,  pour  la  construction  d'un  grand 
théâtre,  sous  condition  que  les  prix  d'entrée  offrent  aux  classes  peu  fortunées 
de  la  population  la  possibilité  de  visiter  ce  théâtre.  Voilà  une  application  fa- 
vorable des  idées  socialistes  de  Tolstoï,  dont  le  défunt  millionnaire  moscovite 
semble  s'être  inspiré. 

—  On  annonce  de  Saint-Pétersbourg  que  le  compositeur  Dlussky,  auteur 
connu  de  chansons  devenues  très  populaires,  a  donné,  d'une  façon  privée, 
une  exécution  avec  orchestre  d'un  opéra  en  deux  actes,  Vrvàsi,  récemment 
terminé  par  lui.  Abondant  en  mélodies  savoureuses  et  de  couleur  orientale, 
cet  ouvrage  a  produit  une  vive  impression  sur  les  auditeurs.  On  pense  que 
la  représentation  en  aura  lieu  au  cours  de  la  saison  prochaine. 

—  La  Société  des  artistes  lyriques  de  Kiew  a  donné,  le  mois  dernier,  la 
première  représentation  d'un  opéra  intitulé  le  Chant  de  l'Amour  triomphant.  Le 
livret,  tiré  d'un  roman  de  Tourgueuiew,  est,  dit- on,  très  beau  et  présente  un 
vif  intérêt.  Il  ne  parait  pas  en  être  de  même  de  la  musique,  première  œuvre 
d'un  compositeur  nommé  Gartefeld,  et  qu'on  dirait  écrite  par  un  simple 
amateur,  tellement  elle  est  faible,  lâche,  sans  saveur,  sans  relief  et  sans  per- 


sonnalité, offrant  une  flagrante  imitation  de  Meyerbeer,  de  Verdi  et  d'autres 
artistes  célèbres. 

—  Les  compositem's  espagnols  n'ont  jamais  reculé  devant  une  collabora- 
tion même  nombreuse,  à  propos  d'œuvres  même  peu  importantes.  Nous  en 
avons  une  nouvelle  preuve  dans  une  zarzuela  que  vient  de  donner  à  Madrid 
le  théâtre  Apolo,  los  Niîios  llorones.  Ce  petit  ouvrage  est  en  trois  tableaux,  et 
la  Espana  artistica  nous  apprend  que  la  musique  a  pour  auteurs  «  MM.  Paso, 
Alvarez,  Valverde  Torregrosa,  Barrera,  etc.,  etc.  ».  Ce  double  etc.  rend 
rêveur. 

—  Autre  zarzuela  au  même  théâtre  Apolo,  Doloreles,  paroles  de  M.  Carlos 
Arniches,  musique  de  MM.  Vives  et  Quinslants.  Celle-ci,  d'un  genre  émou- 
vant et  pathétique,  paraît  avoir  obtenu  un  succès  éclatant. 

—  Un  compositeur  américain,  M.  Glay  M.  Greene,  ancien  élève  du  collège 
de  Sainte-Claire,  petit  bourg  situé  à  peu  de  distance  de  San  Francisco,  a  tait 
exécuter  par  les  élèves  de  ce  collège,  a  l'occasion  du  jubilé  de  sa  fondation, 
un  grand  drame  religieux  intitulé  la  Passion  du  Christ.  Cet  ouvrage,  qui  a 
obtenu  un  grand  succès  et  dont  l'exécution  a  dû  être  renouvelée  trois  fois, 
est  divisé  en  quatre  époques  et  en  dix  épisodes  ainsi  distribués  :  l'Étoile  de 
Bethléem  — ■  le  Massacre  des  Innocents  —  l'Entrée  à  Jérusalem  —  la  Conjuration  — 
le  Baiser  de  Judas  —  l'Appel  à  Hérode  —  Abandonné  à  Barrahas  —  C'est  fini  — 
In  Résurrection.  Chose  singulière  :  dans  ce  drame  dont  le  Christ  est  le  héros  et 
dont  il  devrait  être  le  protagoniste,  il  ne  parait  pas.  On  a  déjà  tenté  plusieurs 
fois,  â  San  Francisco,  de  représenter  la  Passion:  mais  l'autorité  civile,  sur  la 
prière  du  clergé,  s'y  est  toujours  opposée,  et,  du  reste,  il  paraît  que  l'opinion 
publique  est  opposée  à  la  représentation  de  l'Homme-Uieu  sur  la  scène.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  cette  réserve,  l'œuvre  nouvelle,  nous  l'avons  dit,  est  remar- 
quable et  a  été  accueillie  avec  la  plus  grande  faveur. 

—  Malgré  la  chaleur  torride,  qui  atteint  40  degrés  à  l'ombre,  tout  New- 
York  discute  la  grave  question  de  savoir  si  la  prima-donna  M"'  Schumann- 
Ileinck  a  réellement  embrassé  le  «  maître  des  bagages  »  de  la  ligne  Buffalo- 
New-York.  L'artiste,  en  arrivant  le  4  de  ce  mois  àNew-York,  venant  de  Buffalo, 
apprit  qu'elle  n'avait  que  fort  peu  de  temps  pour  gagner  le  vapeur  allemand 
qui  devait  la  transporter.  Par  précaution,  elle  prit  dans  sa  voiture  le  a  maître 
des  bagages  »  de  la  gare  et  promit  à  son  cocher,  pour  filer  plus  vite,  un  pour- 
boire extraordinaire.  Le  brave  automédon  irlandais  fit  tout  son  possible  pour 
le  gagner,  mais  malheureusement  il  prit  en  écharpe  une  voiture  de  tramway. 
Les  chevaux  se  cabrèrent,  le  cocher  fut  projeté  sur  le  trottoir  et  l'artiste 
effrayée  voulut  sauter  par  terre.  Mais  le  «  maître  des  bagages  »,  qui  s'appelle 
Edward  Muliehill,  la  saisit  dans  ses  bras  herculéens  et  la  força  à  rester  dans 
la  voiture;  il  prit  ensuite  la  place  du  cocher  et  eut  bientôt  maîtrisé  les  che- 
vaux effrayés.  A  ce  moment  un  sergent  de  ville  s'approcha  de  la  voiture  pour 
dresser  procès-verbal,  mais  le  vaillant  «  maître  des  bagages  »  l'écarta  d'un 
mouvement  de  bras,  fouetta  les  chevaux  et  aiTÎva  avec  l'artiste  au  port  juste 
au  dernier  moment,  car  le  capitaine  du  vapeur  avait  déjà  donné  ordre  de  se 
mettre  en  route.  Avant  de  monter  sur  le  bateau,  l'artiste  remit  à  son  sauveur 
un  billet  de  cent  dollars  et  l'embrassa  énergiquement.  Elle  expliqua  ensuite 
aux  passagers  stupéfiés  que  le  brave  homme  lui  avait  sauvé  la  vie.  a  Honni 
soit  qui  mal  y  pense  !  »  c'est  bien  le  cas  d'appliquer  cette  fameuse  devise; 
car  M""  Schumann-Heinck,  quoique  ayant  à  peine  dépassé  la  trentaine,  a 
déjà  donné  huit  enfants  à  son  mari  et  à  son  pays.  Et  puis,  un  baiser  devant 
la  galerie  est-ce  que  cela  compte  dans  la  vie  d'une  artiste  de  théâtre  ?  Parions 
cependant  que  le  »  maître  des  bagages  »,  ce  pauvre  ver  de  terre,  n'oubliera 
jamais  le  baiser  de  la  célèbre  prima-donna. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Suite  des  résultats  des  concours  à  huis  clos  au  Conservatoire  : 

VIOLO^'  PRÉPARATOIRE.  —  Jury  :  MM.  Théodore  Dubois,  président,  Berthelier,  Lefort, 
Rémy,  Nadaud,  White,  Heymann,  Willaume,  Touche. 

/'"  Médailles.  —  M""  Lapié,  élève  de  M.  Desjardins  ;  M.  Bastide  (Desjardios)  ;  M"'  Bau- 
dot (Brun). 

â"  Médcdlles.  —  M.  Lestringant  (Brun)  ;  M"'  Morhange  (Desjardias)  ;  M.  de  Monture  ux 
(Desjardins). 

3"  Médailles.  —  M""  BUlai-d  (Brun)  ;  M.  Burgat  (Desjardins). 

FuGUK.  —  Jury  :  MM.  Théodore  Dubois,  président,  Taudou,  Lavîgnac,  X.  Leroux, 
Paul  Vidal,  Raoul  Pugno,  Charles  René,  Dallier,  Pierné. 

Pas  de  premier  prix. 

'2"-  PrLv.  —  M.  Tricon,  élève  de  M.  Lenep\eu. 

/"''  Accessits.  —  MM.  Laisné  (Widor)  et  Goupil  (Lenepveu). 

Pas  de  2'^  accessit. 

HARMOïiiE  (Femmes). —  Jury:  MM.  Théodore  Dubois,  président,  G.  Fauré,  Charles 
René,  Fr.  Thomé,  Raoul  Pugno,  X.  Leroux,  G.  Caussade. 

/■"  Priœ.  —  M""  Pair,  élève  de  M.  Chapuis. 

.2"  Prix.  —  M""  Boulanger  (Chapuis). 

-/"  Accessit.  —  M"°  de  Orelly  {Samuel  Rousseau). 

2"  Accessit.  —  M""  Réchez  (Samuel  Rousseau). 

PiASo  préparatoire.  —  Jury  ■:  MM.  Théodore  Dubois,  président,  Lavignac,  Diémer, 
Antonin  Marmontel,  Charles  René,  Braud,  Riera,  Nollet,  A.  Duvernoy,  Anatole  Bernardel. 
—  Morceau  à  déchilïrer,  de  M.  Nollet. 

HOMMl^S 

/"  Médaille.  —  M.  Besnard,  élèvL'  de  M.  Falkenherg. 

i"  Médailles.  —  MM.  Florian  et  Pilot,  élèves  de  M.  Falkenherg. 

Pas  de  3'  médaille. 


224 


LE  MÉNESTREL 


FEMMES 

J"  Médailles.  —  M""  Le  Son,  élève  de  M""  Tarpet;  Bieau-Buspère  (51"'  Tarpet)  ;  Weiss 
(M«  Chéné);  Fagel  (M"  Chéné). 

2"  Médaaies.  —  W"  Debrie(M-'  Tarpet);  Abadié(M-TroQillebert);  Vendeur  (M»" Ché- 
Lé)  ;  Rossak  (M-  Trouillebert). 

S"  Médailles.  —  W"  Biot(M»'  Tarpet);  Arnaud  (M"'  Chéné);  Journal  (M—  Chéné). 

C'est  par  suite  d'une  erreur  typographique  que  dans  le  compte  rendu  du 
concours  d'accompagnement  M"«  Chéné  a  été  indiquée  comme  ayant  ohtenu 
le  second  prix.  C'est  un  premier  prix  qui  lui  a  été  décerné. 

—  A  l'occasion  de  la  Fête  nationale  du  14  juillet,  des  matinées  gratuites 
auront  lieu  aujourd'hui  dimanche  dans  les  théâtres  suivants  :  Opéra  {les  Hugue- 
nots, h  Marseillaise,  chantée  par  M.  Bartet),  Comédie-Française,  Opéra- 
Comique,  (les  Dragons  de  Villars,  la  Marseillaise,  épisode  lyrique  de  MM.  Georges 
Boyer  et  Lucien  Lambert),"  Odéon,  Gaité,  Chàtelet,  Théâtre  Sarah-Bernhardt, 
Porte-Saint-Martin,  Ambigu,  Cluny.  De  plus,  des  matinées  sont  organisées 
par  les  délégations  d'écoles  de  Paris  à  l'Hippodrome,  au  Cirque  d'Hiver,  au 
Cirque  Médrano,  au  Nouveau-Cirque,  à  l'Olympia  et  au  Gymnase  Huyghens. 

— Vendredi,  àl'Opéra,  réapparition  de  M.Ibos  dans  Roméo  et  Juliette.  L'excel- 
lent ténor  avait  déjà  chanté  sur  cette  même  scène,  il  y  a  quelques  années,  et 
on  se  rappelle  que  c'est  lui  qui  créa,  à  l'Opéra-Comique,  le  Werther  de  Mas- 
senet. 

—  L'Opéra-Gomique  a  fermé  ses  portes  hier  soir  samedi  pour  ne  les  rou- 
vrir (exception  faite  pour  la  matinée  gratuite  d'aujourd'hui)  que  le  15  sep- 
tembre prochain.  Les  chœurs,  qui,  habituellement,  rentrent  un  mois  avant  la 
réouverture,  ne  reprendront  leur  servicepour  les  répétitions  que  le  P^septembre. 
M.  Albert  Carré  a  tenu  à  leur  donner  ce  petit  supplément  de  congé  de  quinze 
jours  qu'ils  ont  largement  mérité,  le  théâtre  n'ayant  pas  du  tout  fermé  l'année 
dernière  à  cause  de  l'Exposition  Universelle.  Pendant  ces  dernières  semaines 
on  a  commencé  à  leur  apprendre  le  Roi  d'Ys,  qui  sera  remonté  au  mois  de 
janvier,  ainsi  que  nous  l'avons  dit:  pour  cette  reprise  on  rétablira  très  heu- 
reusement le  grand  ensemble  vocal  du  dernier  acte,  alors  que  la  ville  est 
envahie  par  les  flots.  M.  Albert  Carré,  qui  nous  a  habitués  à  des  merveilles 
et  à  des  tours  de  force  de  mise  en  scène,  trouvera  certainement  pour  cette 
scène,  qui  avait  effrayé  la  direction  Paravey,  d'où  la  coup  ure,  quelque  effet 
nouveau  de  grande  impression. 

—  En  même  temps  que  l'Opéra-Gomique  fermait  ses  portes,  pour  sa  clôture 
annuelle,  M'"'=  de  Nuovina  donnait  la  dernière  de  ses  belles  représentations 
qui  ont  attiré,  salle  Favart,  un  public  nombreux  qui  a  fêté  l'émouvante  artiste 
dans  la  si  poignante  Navarraise  de  Massenet. 

—  On  reparle  des  fameux  candélabres  que  la  façade  de  l'Opéra-Gomique 
attend  depuis  sa  reconstruction,  soit  depuis  1898.  On  en  reparle,  mais  pour 
dire  qu'ils  ne  seront  pas  encore  prêts  au  moment  de  la  réouverture  du  théâ- 
tre au  mois  de  septembre  prochain,  M.  Germain,  qui  a  été  chargé  de  leur 
exécution,  venant  seulement  d'en  terminer  les  maquettes.  On  espère  pouvoir 
les  offrir  aux  habitués  de  la  salle  Favart  pour  leurs  étrennes  de  1902. 

—  C'est  folie  de  vouloir  se  garer  des  indiscrétions  de  la  presse  parisienne. 
Ehl  bien  oui,  il  est  vrai  que  M.  Massenet  donnera,  cet  hiver,  à  l'Opéra  de 
Monte-Carlo,  la  primeur  d'une  œuvre  nouvelle  en  trois  actes,  le  Jongleur  de 
Notre-Dame,  sur  un  livret  fort  curieux  de  M.  Maurice  Lena,  le  distingué  pro- 
fesseur de  philosophie  du  Lycée  Condorcet.  Il  est  vrai  également  que  cet 
ouvrage  ne  compte  pas  de  rôle  de  femme,  bien  qu'il  y  en  ait  une  fort  impor- 
tante qui  domine  toute  l'action,  mais  à  l'état  symbolique.  Le  ténor  Maréchal 
(de  rOpéra-Comique)  et  le  haryton  Renaud  (de  l'Opéra)  sont  déjà  engagés 
pour  jouer  et  chanter  les  deux  principaux  personnages.  Les  maquettes  des 
décors  ont  été  demandés  à  M.  Jusseaume. 

—  On  annonce  déjà  pour  l'hiver  prochain,  à  la  Comédie-Française,  trois 
représentations  de  retraite,  celles  de  M""=  Worms-Baretta,  de  MM.  Prudhon 
et  Boucher. 

—  La  circulaire  suivante  vient  d'être  adressée  aux  commissaires  de  police 
(le  la  ville  de  Paris  : 

Paris,  6  juillet  1901. 

A  l'occasion  de  la  i'ermeture  annuelle  des  théâtres  et  cafés-concerts  pendant  la  saison 
d'été,  je  vous  prie  de  rappeler  aux  directeurs  de  ces  établissements  que  la  réouverture  ne 
pourra  avoir  lieu  qu'après  examen  de  la  sous-commission  chargée  de  constater  si  toutes 
les  prescriptions  imposées  dans  l'intérêt  de  la  sécurité  du  public  sont  exécutées. 

Vous  les  inviterez  à  m'aviser,  au  moins  quinze  jours  à  l'avance,  de  la  date  à  laquelle 
ils  voudraient  fixer  cette  réouverture,  et  vous  les  préviendrez  que,  dans  le  cas  où  ils 
omettraient  de  remplir  cette  ibrmalité,  ils  ne  devront  s'en  prendre  qu'à  eux-mêmes  si  la 
réouverture  de  leur  salle  est  retardée. 

Vous  voudrez  bien,  d'ailleurs,  vous  tenir  de  votre  côté  au  courant  des  dates  de  réou- 
verture et  me  les  faire  connaître  dès  que  vous  en  serez  informé. 

Le  Préfet  de  police, 

LÉPISE. 

—  Le  comité  des  fêtes  deBôno  avait  décidé  d'offrir  la  présidence  d'honneur 
du  concours  musical  qui  doit  avoir  lieu  prochainement  en  cette  ville  à 
M.  Saint-Saêns.  Avisé  de  cette  décision,  l'auteur  de  Samson  et  Dalila  a  répondu 
par  la  lettre  suivante  : 

Mon  cher  confrère, 
Avant  tout,  mes  remerciements  à  qui  de  droit  pour  la  présidence  d'iionneuj-  qui   m'est 
oiîerte. 


Oui,  je  suis  revenu  trop  tùt  à  Paris,  j'y  étuis  l'orcé,  j'ai  trouvé  un  temps  liorrible,  des 
tracas  sans  nombre  et  j'ai  été  fort  malade,  avec  une  convalescence  1res  longue.  Je  n'ai  pas 
pu  faire  Bacchm  mijsti/ié,  c'est  un  jeune  prix  de  Rome  de  beaucoup  de  talent,  M.  Max 
d'Ollone,  qui  l'a  fait  à  ma  place. 

Je  n'ai  pas  non  plus  écrit  un  0  Salutaris  pour  le  mariage  de  M'"  Sardou  ;  c'est  un  ancien, 
très  ancien,  que  M.  Delmas  a  chanté.  Moi,  j'ai  terminé  entièrement  les Burtares,  et,  depuis, 
j'ai  écrit  une  mélodie  sur  un  sonnet  de  mon  vieil  ami  Charles  Lecocq  (l'auleur  de  la  Fille 
de  Madame  Angot  lui-même)  et  je  suis  en  train  de  travailler  à  la  musique  nécessaire  à  la 
reprise  des  Burgraves,  que  prépare  la  Comédie-Française  pour  le  centenaire  de  Victor 
Hugo.  Tâche  ingrate  autant  qu'honorifique,  car  la  musique,  à  la  Comédie-Française,  est 
dans  des  conditions  déplorables. 

Rassurez  vos  inquiétudes  sur  ma  sanlé  :  elle  est  tout  à  fait  rétablie,  mais  je  l'ai  échappé 
belle. 

Veuillez  agréer,  etc.  S.u.nt-Saens. 

—  MM.  Carolus  Duran,  Moyaux,  membres  de  l'Institut,  Widor,  Diémer  et 
un  groupe  d'amis  de  Jules  Delsart,  le  regretté  professeur  du  Conservatoire, 
décédé  l'an  dernier,  viennent  de  se  réunir  pour  élever  un  monument  au  Père- 
Lachaise  sur  la  tombe  de  l'éminent  artiste.  C'est  à  M.  Moyaux  qu'en  a  été 
demandé  le  modèle  :  sur  une  stèle  est  placé  un  huste  de  Jules  Delsart  par 
M.  Vernhes  et,  eu  avant,  M.  Moyaux  a  groupé  une  immense  lyre,  qui  forme 
comme  la  charpente  de  l'ensemble  qu'elle  entoure  et  domine  symbolique- 
ment, le  violoncelle  de  l'artiste,  des  fleurs  et  un  rameau  de  laurier.  Tout  cet 
ensemble  est  en  marhre. 

—  Voici  les  résultats  des  concours  de  l'Ecole  classique  de  la  rue  de  Berlin, 
dirigée  par  M.  Ed.  Chavagnat,  qui  viennent  d'avoir  lieu  au  Théâtre  des  Bati- 
gnolles  : 

Ensemble  Instrumental,  section  piano  :  1"  prix,  M""  M.  Lavarenne  et  Bonenl'ant  ; 
second  prix,  JI""  Choquart  et  Branchery;  1"  accessit.  M""  Kouchner,  Besagni  et  Bosqae; 
2'  accessit;  M""  Lucas  et  Réveillé.  Section  Violon  ;  1"  prix,  M.  Durand;  2'  prix,  MM. 
Tapponnier,  CoifTier  et  Fontenelle;  2°  accessit,  M.  Beau.  Section  Violoncelle  :  1"  accessit, 
M.  Rudie,  tous  élèves  de  M.  Chavagnat. 

Comédie:  1"  prix.  M""  Schlosberg  et  Carreau;  2'  prix.  M"'  Dorgère;  1"  accessit, 
M"=  Simons  ;  2"  accessit.  M""  Gomez  et  M""  Bourson,  élèves  de  M.  Sadi-Pety. 

Accompagnement:  1'' prix,  M"''Lévy;  2"  prix.  M""  Métivier;  1""  accessit.  M""  Gau-' 
thier  ;  2"  accessit.  M"'  Godlstein,  élèves  de  M.  Gréiry. 

Chant,  (Classes  hommes)  :  2°  prix,  M.  Max-Comte,  élève  de  M.  Paty  ;  1"  accessit, 
M.  Laurens,  élève  de  M.  Genevois  ;  2'  accessit,  M.  Rebuffel,  élève  de  M.  Genevois,  et 
M.  Ribière,  élève  de  M.  Paly.  (Classes  femmes)  :  1"  prix,  M"''  Jourda,  élève  de  M.  Paty; 
2"  prix,  M""  de  Villers,  élève  de  M.  Balanqué,  et  M""  Laurens,  élève  de  M.  Genevois  ;  1" 
accessit.  M"»  Dorgère,  élève  de  M.  Paty  ;  2»  accessit.  M""  Rousseau,  élève  de  M.  Paty. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Très  brillante  la  dernière  audition  des  élèves  de  Pécule  de 
chant  de  M'"°  Ed.  Colonne  et  beaucoup  d'applaudissements  pour  l'excellent  professeur  et 
ses  charmantes  élèves.  11  faut  signaler  surtout  M"'  H.  de  Lancry  qui  s'est  vivement  fait 
remarquer  dans  les  fragments  de  jUif/non,  puis  M"''  Hildur  Fjord  qui  a  clianté  de  façon  cris- 
talline des  mélodies  suédoises,  M"'Gita  de  Walsh,  une  gentille  Lakiné  de  seize  ans  seule- 
ment, M""  Fékété,  dans  Marine  de  Lalo,  M"'  Gaston  Lacroix,  dans  VE.ftase  de  la  Vierge 
de  Massenet,  M""  J.  Mouren,  d'organe  superbe  dans  le  grand  air  de  Sigurd,  et  M""  Julie 
Cahun,  dans  Myrto  de  Delibes.  11  faut  encore  féliciter  le  maître  artiste  du  choix  des  œu- 
vres apprises  à  ses  élèves,  parmi  lesquelles  nombre  de  classiques,  tels  Piccinni,  Lotti, 
Campra,  Haendel  et  Gluck.  — .Brillante  audition  d'œuvres  de  Th.  Dubois  chez  M""  Ton 
tain.  M"'  Demougeot  a  remarquablement  chanté  Dormir  et  Rêver  et  Prière,  puis  le  duo 
à'Aben-Hatnet  avec  M.  Rigaud;  M""  Huchett  a  été  charmante  dans  le  Baiser  et  Par  le 
sentier  et  le  duo  de  Xavière  avec  le  même,  M.  Rigaud,  qui  a  triomphé  seul  dans  A  Douar- 
nenez  ;  M.  Enesco  a  mei-veilleusement  joué  Hymne  nuptial,  Saltarelle  et  la  sonate  avec 
M""  Juliette  Toutain  qui  a  été  absolument  exquise  dans  Thème  varié,  Preludio  pathetico  et 
Prehidio  saltarello,  qiii  a  été  bissé  d'enthousiasme.  L'assistance  a  fait  les  plus  chaleureuses 
ovations  au  Maître  qui  a  félicité  ses  interprètes.  —  La  séance  annuelle  donnée  au  Cirque 
d'hiver  par  l'orphéon  municipal  de  la  ville  de  Paris  a  été  des  plus  i-emarquables.  Les 
quinze  cents  choristes  dirigés  par  M.  Auguste  Chapuis  (enfants  des  écoles  et  élèves- 
adultes  des  cours  du  soir)  ont  interprété  des  œuvres  du  caractère  le  plus  différent  avec 
une  justesse,  une  précision  et  un  charme  qui  leur  ont  valu  des  applaudissements  aussi 
chaleureux  que  mérités.  Ceux  qui  ont  eu  la  bonne  fortune,  trop  rare  en  France,  d'enten- 
dre cette  imposante  phalange  chorale,  i-endent  hommage  au  talent  de  M.  Chapuis  et  au 
zèle  de  ses  professeurs.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  la  Clmnsoji  des 
Rabots  de  Maréchal,  A^os  Pères  de  Bourgault-Ducoudray,  (es  Abeille'^  de  Delibes,  VBymne 
au  Soleil  de  Chapuis  et  une  vieille  chanson  française  du  XVIII"  siècle.  On  doit  de  vifs 
éloges  au  directeur  de  l'Enseignement,  M.  Bédorez,  qui  depuis  trois  ans  a  réorganisé  avec 
tant  d'éclat  cette  belle  fête  annuelle.  —  Chez  M""  Félicienne  Jarry  audition  d'élèves  consa-  ' 
crée  en  majeure  partie  à  l'audition  d'œuvres  d'Emile  Passard.  On  est  charmé  par  de  jolis 
chœurs  qui  disent  de  façon  charmante  les  Moissonneurs  de  Lacome  et  le  Sancta  Mana  de 
Faure  et  on  applaudit  M.  de  Montlaur  dans  l'Heure  d'azur  d'Holmes  et  M""  F.  Jarry, 
MM.  Laforge  et  Courras  dans  le  Trio,  op.  32,  de  Lalo.  —  Clôture  du  cours  de  M""  Gom- 
bert  avec  une  audition  des  œuvresdeFilliaux-Tiger  qui  réussit  brillamment.  On  applaudit 
Source  capricieuse  et  les  transcriptions  de  Danse  russe,  d'Armingatid,  et  du  Roman 
d'Arlequin,  de  Massenet. 

NÉCROLOGIE 

Cette  semaine  est  morte  à  Paris,  à  l'âge  de  79  ans,  une  artiste  modeste 
dont  le  nom  était  bien  oublié,  M"'=  Mercié-Porte,  qui  fut  pendant  plus  de 
quarante  ans  professeur  de  solfège  au  Conservatoire.  Née  à  Toulouse  en 
1822,  elle  avait  été  admise  elle-même  fort  jeune  au  Conservatoire.  Elle  avait 
à  peine  terminé  ses  classes  lorsqu'on  1842  elle  fut  nommée  professeur.  Elle 
prit  sa  retraite  ve.-s  188.5. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


.  —  IMPRIMERIE  < 


Dimanche  21  Juillet  1901. 


3669.  -  67-  mm  -  N°29.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  *"",  rue  Tivienne,  Paris,  n^  m-) 
(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


lie  Haméfo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Le  flamépo  :  0  îf.  30 


Adresser  FRA^■co  h  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  his,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (21*  article),  Paul  d'Estrées.  — 
n.  Les  Concours  du  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  HL  Le  Tour  de  France  en  musi- 
que :  Chansons  bressanes,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LANDLER   ALSACIENS    1"  suite) 

par  Charles  Malherbe.  —  Suivra  immédiatement  :  Landler  alsaciem  (2=  suite), 

par  Charles  Malherbe. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Mes  vœux,  mélodie  de  Paul  Puget,  poésie  de  Jules  Barbier.  —  Suivra  immé- 
diatement :  les  Portraits,  mélodie  de  Joanni  Perronnet,  poésie  de  Antonin 
Ldgnier. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  lémoires  les  plus  récents  et  ûes  ûociimenls  iDèflits 

(Suite.) 


II 

Mémoire  autobiographique  de  Piccitmi:  —  Théories  musicales  de  Bonaparte;  opposi- 
tion de  Clierubini.  —  Pourquoi  Cherubini  déplaisait  au  maître?  —  Sa  maladie 
nerveuse.  —  Elle  déteint  par  la  suite  sur  son  caractère.  —  Ses  bons  moments  et 
ses  mauvais  quarts  d'heure.  —  La  voiture  de  Zimmermann  et  le  parapluie  de  Che- 
rubini. —  En  famille.  —  Entre  confrères. 

Avec  le  XYIIP  siècle  devait  iînir  un  homme  qui  en  avait  été 
une  des  gloires,  le  compositeur  Piccinni.  Après  avoir  lutté,  sans 
trop  d'infériorité,  contre  le  colosse  qu'était  Gluck,  après  avoir 
fourni  une  carrière  que  la  fortune,  les  honneurs,  la  considération 
rendaient  enviable  pour  tous,  Piccinni  traînait  une  vie  obscure 
et  misérable,  loin  du  pays  qui  négligeait  d'acquitter  une  dette 
de  reconnaissance  contractée  en  des  temps  moins  troublés.  A 
vrai  dire,  le  musicien  ne  cessa  de  la  réclamer  :  il  fatigua  de  ses 
suppliques  les  gouvernements  qui  se  succédaient  en  France  et 
l'abusaient  de  vaines  promesses.  Nous  avons  retrouvé  une  de  ces 
requêtes  autographes  et  nous  la  publions  intégralement,  à  la  fois 
comme  une  biographie  qui  doit  faire  autorité,  et  comme  le  plai- 
doyer qui  donna  gain  de  cause  à  son  auteur  : 

«  Mémoire  pour  le  sieur  Piccinni  père  : 

»  Le  sieur  Piccinni  père,  compositeur  de  musique,  était  à 
Naples  en  1774,  occupé  des  progrès  de  son  art.  Louis  XV  lui  fit 


proposer  par  son  ambassadeur  M.  de  Breteuil  de  venir  à  Paris 
et  lui  offrit  en  même  temps  un  brevet  de  12.000  livres  de  pen- 
sion annuelle,  la  jouissance  d'une  voiture,  d'un  logement  avec 
la  table. 

»  La  mort  de  Louis  XV  empêcha  l'effet  de  tant  de  promesses. 
Mais  bientôt,  son  successeur  Louis  XVI  fit  faire  de  nouvelles 
instances  au  sieur  Piccinni  père  par  son  ministre  Glermont 
d'Amboise;  et  un  nouveau  brevet  de  6.000  livres  de  pension, 
avec  l'expectative  d'un  traitement  supplémentaire  de  3.OO0  livres 
de  récompense  pour  le  premier  qui  ferait  six  opéras  qui  reste- 
raient au  répertoire,  fut  offert  au  sieur  Piccinni  père. 

»  Persuadé  que  la  France  était  l'asile  le  plus  inviolable  pour 
des  étrangers,  des  artistes,  persuadé  que  Paris  était  le  temple 
■  des  arts,  le  sieur  Piccinni  partit  de  Naples  en  1776.  Il  emmena 
avec  lui  toute  sa  famille. 

»  Il  ne  parle  pas  de  ce  qu'il  y  fit;  mais  il  y  gagna  la  récom- 
pense de  3.000  livres  de  pension  par  le  succès  constant  de  sept 
opéras. 

»  La  Révolution  vint.  Son  traitement,  qui  avait  la  forme  de 
pension  et  qui  était  sur  le  trésor  ci-devant  royal,  fut  transporté 
sur  la  caisse  de  la  liste  civile. 

»  On  ne  le  paya  pas.  Il  n'avait  rien,  puisqu'il  laissait  toujours 
la  moitié  de  son  revenu  à  la  Caisse  pour  devenir  capital  et  lui 
produire  une  augmentation  de  ressources  pour  sa  famille  et  sa 
vieillesse.  Il  s'adressa  à  l'Assemblée  Nationale  pour  demander 
son  paiement,  le  prix  de  son  art  et  de  son  travail.  L'Assemblée 
ordonna  trois  fois  de  faire  un  rapport.  Il  ne  se  fit  jamais  :  les 
directeurs  ,de  la  liste  civile  l'empêchaient.  En  attendant  une 
décision,  Piccinni  vendait  son  mobilier,  pour  exister  lui  et  sa 
nombreuse  famille.  Enfin,  n'ayant  ni  ressource  ni  réponse,  il 
profita  de  sa  qualité  d'étranger  qu'il  ne  croyait  jamais  reprendre 
et  il  retourna  à  Naples  en  1791. 

»  L'abandon  oii  on  le  laissa  en  France  lui  fit  naître  l'envie  de 
revenir  à  Naples;  et  à  Naples  son  attachement  connu  pour  la 
France  le  fait  persécuter,  proscrire,  calomnier. 

»  Il  demande  aux  sages  qui  composent  le  Gouvernement  de  la 
République  Française,  de  vouloir  bien  considérer  : 

»  1°  Que  les  pension  et  traitement  avaient  été  mal  à  propos 
imputés  à  la  liste  civile  ; 

»  2°  Qu'ils  auraient  dû  rester  à  la  Trésorerie  nationale,  puis- 
qu'ils étaient  le  prix  d'une  propriété  acquise  par  la  France  au 
moyen  d'un  contrat  solennel  ; 

»  3°  Qu'ils  ne  devaient  donc  pas  éprouver  de  réduction  comme 
ils  en  ont  éprouvé  sur  la  liste  civile,  étant  confondus  avec  les 
honteuses  prodigalités  à  des  courtisans. 

»  En  conséquence  ordonner  :  1°  que  ce  traitement,  qui  n'est  que 
l'intérêt  annuel  du  capital  formé  par  des  ouvrages  qu'il  a  placés 
sur  la  nation  française  et  qu'il  a  confiés  à  sa  loyauté,  lui  soit 
restitué   conformément    à    la    loi    de  juin   1793    relative    aux 


â26 


LE  MÉNESTREL 


auteurs,  compositeurs  de  musique,  ou  qu'il  soit  rétabli  dans  la 
nouvelle  forme  ordonnée  par  les  lois; 

»  2°  Que  la  décision  lui  soit  transmise,  d'une  manière  officielle 
et  sûre,  par  le  ministre  de  la  République  française  à  Naples  ou  à 
Rome. 

»  Si  son  existence  est  assurée,  il  ne  balancera  pas  alors  à  con- 
sacrer à  la  France  ses  talents  et  sa  vie  ;  sa  reconnaissance  sera  le 
dernier  et  le  plus  doux  de  tous  ses  chants;  sa  famille  formera 
avec  lui  un  concert  de  bénédictions. 

»  Naples,  ce  30  thermidor,  an  VI. 

»  Nicolas  PicciNNi.  » 

Les  Melations  secrètes  des  agents  de  Louis  XVIII  à  Paris  sous  le 
Consulat,  publiées  par  le  comte  Remàcle  (1),  se  préoccupent 
fréquemment  des  goûts  artistiques  de  Bonaparte.  Ainsi,  le 
1"  août  1803,  l'un  des  rédacteurs  de  ces  rapports  s'étonne  de  l'ar- 
deur qu'apporte  le  premier  consul  à  soutenir  «  le  misérable  opéra 
de  Proserpine  de  Paisiello  ».  Le  bruit  public  prétend  que  Bona- 
parte a  remanié  le  poème  de  Quinault.  Mais  l'agent  de  Louis  XVIII 
n'y  croit  pas;  peut-être  s'agit-il  de  «  changements  »  indiqués  seu- 
lement par  le  premier  consul,  qui  se  pique  en  cela  de  suivre 
l'exemple  du  cardinal  de  Richelieu,  dont  il  est  «  grand  admira- 
teur ». 

En  juin  1802,  toujours  au  dire  de  ces  nouvellistes  du  trône  et 
de  l'autel,  Bonaparte  traite  assez  durement  l'Opéra,  après  avoir 
fait  à  Méhul  le  mauvais  compliment  que  l'on  sait  : 
11  juin  1802. 

Le  Premier  Consul  a  le  défaut  de  faire  des  plaisanteries  ou  même  de  dire 
de  dures  vérités  à  des  gens  qui  n'osent  répliquer.  Méhul  fut  un  jour  invité  à 
dîner  chez  lui  comme  membre  de  l'Institut.  Bonaparte  lui  dit  :  «  Citoyen 
Méhul,  votre  réputation  est  au-dessus  de  votre  talent.  Je  n'aime  pas  votre 
talent,  je  n'aime  que  la  musique  italienne.  » 

Les  acteurs  de  l'Opéra  étant  allés  le  féliciter  d'avoir  échappé  à  l'attentat  du 
3  nivôse,  il  s'adresse  à  Gardel  seul  et  lui  dit  :  «  Citoyen  Gardel,  faites-nous 
donc  des  ballets.  A  l'Opéra  je  n'aime  que  les  ballets,  on  n'y  chante  pas.  on 
y  crie.  » 

Quelques  jours  après,  le  futur  maître  de  la  France  la  traite 
avec  une  désinvolture  qu'apprécient  comme  il  convient  les 
Relations  secrètes  : 

17  juillet  1802. 
Les  Bouffons  avaient  annoncé  qu'ils  donneraient  ce  jour-là  la  première 
représentation  de  l'Inganno  felice,  opéra  de  Paisiello.  Le  jeudi,  l'affiche  avait 
confirmé  cette  annonce.  Les  loges  étaient  louées,  les  places  retenues.  Le 
vendredi,  à  dix  heures  du  matin,  Bonaparte  envoya  chercher  toute  la  troupe 
pour  jouer  les  Noces  de  fJorine  à  la  Malmaison.  La  plupart  des  spectateurs  ne 
connurent  leur  déception  qu'en  lisant  à  la  porte  du  théâtre  l'affiche  nouvelle. 

Six  mois  environ  avant  l'envoi  de  la  requête  de  Piccinni,  un 
autre  musicien,  dont  la  France  admirait  depuis  dix  ans  les 
savantes  et  majestueuses  compositions,  Cherubini,  s'entendait 
rudement  malmener  à  l'occasion  d'une  de  ses  œuvres,  la  Pompe 
funèbre  du  général  Hoche  : 

-  —  Vous  faites  trop  de  bruit,  lui  disait  Bonaparte  ;  la  vraie 
douleur  est  monotone. 

De  cette  époque  date  une  antipathie  restée  légendaire,  qu'en- 
venima encore  la  fameuse  riposte  de  Cherubini  à  une  nouvelle 
boutade  de  son  contempteur  : 

—  Certes,  général,  il  vous  faut  une  musique  qui  ne  vous 
empêche  pas  de  penser  aux  affaires  de  l'État. 

Bonaparte,  «  renvoyé  aigrement  au  tambour  »,  suivant  le  mot 
pittoresque  de  M"^  de  Chastenay,  ne  pardonna  pas  la  leçon  à 
son  interlocuteur. 

Le  baron  de  Trémont,  qui  raconte  ces  diverses  anecdotes, 
comme  s'il  eût  été  le  premier  à  les  tenir  de  Cherubini,  semble 
croire  que  Bonaparte  était  de  bonne  foi  dans  ses  critiques.  Et, 
pour  preuve  de  cette  sincérité,  il  allègue  la  stupéfaction  de  l'em- 
pereur, qui  avait  conservé  les  préventions  du  premier  consul, 
le  jour  où  le  diplomate  Maret  et  le  chanteur  Crescentini  lui 
affirmèrent  à  Vienne,  en  1805,  le  fier  et  noble  talent  de  Cheru- 
bini. Séance  tenante,  Napoléon  daigna  penser  au  grand  compo- 

(1)  Relations  secrètes  des  agents  de  Louis  AT///  à  Paris  som  le  Consulat,  publiées  par 
le  comte  Remûcle;  Pion,  1899. 


siteur  :  faveur  insignifiante  et  passagère,  qui  dut  faire  paraître 
plus  amer  encore  au  génie  dédaigné  le  "retotir  d'une  disgrâce 
désormais  immuable. 

Nous  croyons,  avec  Fétis,  dont  la  notice  diffère  assez  sensible- 
ment de  celle  de  Trémont,  que  dans  Cherubini  le  musicien 
déplut  peut-être  moins  au  maître  que  l'homme,  indépendant, 
peu  maniable,  irritable  et  même  grincheux. 

Fut-ce  cette  fâcheuse  disposition  d'esprit,  aggravée  par  une 
indifférence  plus  injurieuse  encore  que  le  mépris,  qui  détermina 
la  maladie  nerveuse  dont  Cherubini  souffrit  en  1808?  Fut-ce,  au 
contraire,  cette  affection  qui  développa  chez  lui  l'humeur  atra- 
bilaire dont  devaient  se  plaindre  si  amèrement  ses  contempo- 
rains? Il  nous  serait  bien  difficile  de  nous  prononcer  à  cet  égard. 
Toujours  est-il  qu'à  cette  époque  l'état  mental  du  compositeur 
donna  de  sérieuses  inquiétudes.  Cherubini  s'était  presque  désin- 
téressé de  la  musique.  Il  prenait  plaisir  à  mille  bagatelles  très 
appréciées  dans  les  cercles  mondains.  Possédant  ce  qu'on  est 
convenu  d'appeler  des  talents  de  société,  il  s'amusait  à  «  faire 
des  dessins  avec  des  cartes  »;  car,  avec  ses  connaissances  uni- 
verselles, dit  très  sérieusement  Trémont,  il  eût  été  capable  d'être 
indifféremment  «  peintre,  ingénieur  ou  botaniste  ».  Mais,  ce  qui 
était  beaucoup  moins  indifférent,  c'était  la  phobie  —  pour  nous 
servir  du  terme  technique  —  dont  le  compositeur  était  aflligé. 

—  Tenez,  disait-il  à  Trémont,  voyez-vous  là-bas  ce  nuage,  il 
est  en  marche  sur  nous,  il  vient,  il  passe;  je  vais  horriblement 
souffrir. 

Et,  de  fait,  sa  figure  pâlissait,  ses  traits  se  contractaient,  ses 
yeux  se  fermaient;  il  semblait  qu'il  allât  tomber  en  défaillance. 

{A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


C'est  précisément  à  l'époque  si  intéressante  des  concours  annuels  de 
notre  glorieuse  école  de  musique  qiie  vient  de  paraître  un  livre  d'une 
importance  capitale  pour  son  histoire  :  Le  Conservatoire  de  musique  et  de 
déclamation,  documents  historiques  et  administratifs  recueillis  ou  reconsti- 
tués par  Constant  Pierre,  sous-chef  du  secrétariat  (Paris,  Heugel,  in-4°  de 
XXVIII-1031  pages).  Les  travailleurs  n'avaient  jusqu'ici  pour  se  guider 
dans  leurs  recherches  que  le  livre  informe  de  Lassabathie,  livre  incom- 
plet, fait  sans  soin,  sans  ordre  et  sans  méthode,  et  qui  cependant,  tout 
imparl'ait  qu'il  fût,  avait  encore  son  utilité,  parce  qu'il  était  le  seul  que 
l'on  pût  consulter.  Les  plus  exigeants  trouveront  désormais,  dans  celui 
que  j'annonce  ici,  de  quoi  satisfaire  amplement  leurs  désirs  ou  leur 
curiosité.  Remontant  jusqu'aux  origines  premières,  l'auteur  y  a  retracé 
l'histoire  de  l'Ecole  royale  de  chant  et  de  déclamation,  de  l'École  royale 
dramatique,  puis,  arrivant  à  Sarrette,  celle  de  l'École  de  la  garde  natio- 
nale, de  l'Institut  national  de  musique,  et  enfin  du  Conservatoire  propre- 
ment dît,  le  tout  à  l'aide  de  précieux  et  innombrables  documents  officiels, 
dont  on  ne  connaissait  jusqu'ici  qu'une  infime  partie.  Chemin  faisant, 
nous  avons  des  renseignements  utiles  sur  le  Magasin  d'édition  des  musi- 
ciens delà  garde  nationale,  surl'ancien  pensionnat,  sur  l'établissement  de 
laSûciélé  des  concerts,  sur  les  legs  et  donations  faits  en  faveur  des  élèves, 
sur  les  Écoles  de  musique  des  départements,  sur  les  anciennes  classes 
annexes  des  écoles  militaires,  etc.  Puis  viennent  les  palmarr_'s  complets 
à  partir  du  premier  concours  de  l'an  V,  la  liste  générale  des  professeurs, 
des  morceaux  de  concours  pour  chaque  branche  d'études,  les  discours 
officiels  des  distributions  de  prix  avec  les  programmes  des  concerts,  un 
dictionnaire  des  lauréats,  puis  encore  le  chapitre  des  budgets,  le  traite- 
ment du  personnel,  les  pensions  ou  allocations  accordées  aux  élèves  des 
classes  de  chant  ou  de  déclamation,  les  questions  relatives  à  la  biblio- 
thèque, au  musée  instrumental,  que  sais-je?  Ce  livre  est  en  son  genre 
un  véritable  monument.  Je  me  borne  à  l'annoncer  aujourd'hui.  J'y 
reviendrai  sans  doute.  Mais  il  m'a  semblé  que  le  moment  était  oppor- 
tun pour  le  faire  connaître  à  tous  ceu.\,  et  ils  sont  nombreux,  que  le 
sujet  intéresse.  Je  ne  crois  pas  qu'il  en  existe  un  seul  du  mil^me  genre  à 
l'étranger,  si  ce  n'est  celui  que  Francesco  Florimo  a  publié  il  y  a  quinze 
ans  sur  les  anciens  Conservatoires  et  le  Conservatoire  actuel  de  Naples. 
Encore  celui-ci  est-il  conçu  sur  un  tout  autre  plan  et  beaucoup  moins 
complet.  Nous  avons  maintenant  les  véritables  annales  de  notre  Conser- 
vatoire et  son  histoire  authentique  pendant  plus  d'un  siècle,  depuis  sa 
création  jusqu'à  l'heure  présente.  C'est  une  source  unique  de  renseigne- 


LE  MÉNESTREL 


227 


ments,  à  laquelle  on  ne  se  fera  pas  faute  de  puiser  et  dont  on  ne  saurait 
exagérer  l'utilité. 

J'entre  maintenant  dans  le  vif  de  mon  sujet,  et  je  passe  au  compte 
rendu  des  concours  de  l'an  de  grâce  1901,  les  premiers  du  vingtième 
siècle. 

CONTREBASSE 

Toujours  bien  faible,  la  classe  de  contrebasse,  et,  au  point  de  vue 
général,  donnant  toujours  lieu  aux  mêmes  remarques,  à  la  constatation 
des  mêmes  défauts  :  justesse  douteuse  quand  ce  n'est  pas  plus,  manque 
de  puissance  dans  la  sonorité,  de  fermeté  dans  les  attaques,  c'est-à-dire 
absence  des  qualités  primordiales  nécessaires  en  ce  qui  concerne  cet 
instrument,  qui  doit  être  à  la  fois  la  base  et  le  métronome  de  l'orchestre. 

Pourtant,  sur  quatre  élèves  participant  à  l'épreuve,  le  jury  a  trouvé 
le  moyen  de  décerner  trois  récompenses,  dont  un  premier  et  un  second 
prix.  Il  a  des  élans  de  générosité,  le  jury.  Le  morceau  de  concours  était 
le  premier  solo  de  Verrimst,  morceau  bien  fait,  écrit  avec  style,  avec 
des  doubles  cordes,  d'un  usage  peu  ordinaire  sur  l'instrument.  Le  mor- 
ceau de  lecture  à  vue  était  de  M.  Paul  Vidal.  C'est  M.  Alexandre 
Schmitt  qui  s'est  vu  décerner  le  premier  prix.  Ses  progrès  sur  son  second 
prix  de  l'an  dernier  sont  incontestables.  Il  joue  presque  juste,  ses 
doubles  cordes  sont  bonnes,  il  a  acquis  de  la  solidité  dans  les  attaques, 
enfin  il  ne  manque  pas  de  style.  Assez  bonne  lecture.  C'est  «  à  l'unani- 
mité »  que  le  second  prix  a  été  attribué  à  M.  Gasparini.  Il  avait  com- 
mencé bien  mollement,  et  on  aurait  dit  qu'il  craignait  de  réveiller  un 
malade.  Il  a  trouvé  par  la  suite  un  peu  de  vigueuj-,  et  il  a  prouvé  qu'il 
avait  des  doigts.  En  somme,  l'ensemble  de  l'exécution  n'est  pas  mau- 
vais. Lecture  convenable.  Le  jury  n'a  pas  trouvé  matière  à  un  premier 
accessit,  mais  il  en  a  octroyé  un  second  à  M.  G-augin.  J'ai  dit  que 
M.  Schmitt  joue  presque  juste  ;  M.  Gaugin,  lui,  joue  presque  faux  :  on 
sent  la  nuance,  qui  n'est  pas  à  l'avantage  de  celui-ci.  Les  doigts  sont 
assez  bons,  mais  l'archet  est  flasque  et  la  sonorité  manque  absolument. 
Lecture  suffisante.  Du  quatrième  concurrent,  il  vaut  mieux  ne  pas 
parler. 

ALTO 

Ici.  c'est  différent.  Nous  avons  une  classe  superbe,  et  M.  Laforge  peut 
être  fier  de  ses  élèves.  Sur  sept  cpii  se  sont  présentés  il  n'y  en  avait  pas 
un  de  faible,  et  plusieurs  étaient  excellents.  Cinq  récompenses  ont  été 
distribuées,  et  les  juges  eussent  pu  être  plus  généreux  encore.  Ils  ont 
laissé  de  côté  deux  concurrents  de  premièi'e  année,  que  cet  échec  ne  doit 
pas  décourager,  car  ils  ont  tout  ce  qu'il  faut  pour  briller  l'année  pro- 
chaine, et  ils  n'y  manqueront  cei'tainement  pas.  Ce  concours,  dans  son 
ensemble,  a  été  l'un  des  plus  brillants  que  l'on  puisse  imaginer:  mais 
il  n'était  pas  seulement  brillant,  et  il  donnait  une  haute  idée  de  la  soli- 
dité de  l'enseignement  du  professeur. 

Le  morceau  choisi  était  un  concertino  (et  non  concerto,  comme  disait 
le  programme)  de  H.  Arends.  Qui  ça,  Arends?  Malgré  toutes  mes 
recherches,  je  n'ai  pu  le  découvrir.  Seulement,  comme  son  concertino 
est  publié  chez  l'éditeur  Jurgenson,  à  Moscou,  j'en  conclus  que  l'auteur 
est  contemporain,  sans  doute  vivant,  et  que  probablement  il  est  russe. 
Ce  choix  est-il  un  nouveau  résultat  de  l'alliance?...  Toajours  est-il  que 
ledit  concertino,  qui  a  un  caractère  un  peu  romantique  et  qui,  en 
somme,  n'est  point  désagréable,  est  un  morceau  de  virtuosité  pure, 
hérissé  de  difficultés,  fertile  en  doubles  cordes,  sixtes,  dixièmes,  etc.,  et 
même  en  cjuadruples  cordes,  quelque  chose  comme  du  Vieuxtemps  pour 
l'alto,  et  dont  les  sept  concurrents  se  sont  tirés  à  leur  plus  grand  hon- 
neur. Comme  pour  la  contrebasse,  le  morceau  à  vue  était  écrit  par 
M.  Paul  Vidal. 

Un  très  beau  premier  prix  à  M.  Michaux,  second  prix  de  l'an  dernier. 
Grande  justesse,  de  la  facilité,  de  l'élégance,  de  bons  doigts,  un  joli 
phrasé,  telles  sont  ses  qualités.  L'ensemble  est  excellent.  Lecture  d'ar- 
tiste. —  Deux  seconds  prix,  l'un  à  M.  Drouet,  2°  accessit  de  l'an  dernier, 
l'autre  à  M.  Marchet,  2*^  accessit  de  1899,  tous  deux  en  très  grands  pro- 
grès. Chez  M.  Drouet,  intonations  très  sûres,  bonnes  qualités  d'ensemble, 
avec  une  certaine  élégance  de  phrasé.  Manque  encore  un  peu  de  fini. 
Très  bonne  lecture.  Chez  M.  Marchet,  que  je  lui  préfère,  belle  justesse, 
joli  son,  archet  solide,  de  l'acquis,  de  la  sûreté,  de  la  hardiesse.  Lecture 
excellente.  —  Un  premier  accessit  à  M.  Vieux,  qui,  en  dépit  de  son 
nom,  est  précisément  le  plus  jeune  de  la  bande.  Jeu  un  peu  inégal, 
manquant  parfois  de  fini,  mais  non  d'une  certaine  grandeur;  d'ailleurs 
un  tempérament  d'artiste,  avec  de  la  flamme  et  de  l'élan.  Mais  pour- 
quoi se  tenir  si  mal,  et  coucher  ainsi  la  tôte  sur  son  instrument,  d'une 
façon  si  disgracieuse?  Très  bonne  lecture.  —  Enfin,  un  second  accessit 
à  M.  PoUain.  Exécution  correcte  et  sûre,  très  propre  et  très  honorable 
dans  son  ensemble,  sans  caractère  particulier.  Très  bonne  lecture  aussi. 
Les  deux  dédaignés  sont  MM.  Roelens  et  Meynard.  M.  Roelens  a  un 
jeu  solide,  qui  manque  peut-être  un  peu  d'air  et  laisse  à  désirer  un  peu 


de  finesse,  mais  qui  est  très  estimable.  A  soigner  l'élégance  du  son. 
M.  Meynard  s'emballe  un  peu,  mais  il  a  du  bon;  il  phrase  bien  et  joue 
très  juste.  L'ensemble  est  estimable,  sans  qualités  particulières.  Remar- 
quable comme  lecture. 

VIOLONCELLE 

Séance  intéressante.  Douze  concurrents  nous  faisant  entendre  le  pre- 
mier allegro  du  premier  concerto  de  Davidow,  concerto  dans  la  forme 
et  dans  le  style,  un  peu  modernisé,  de  ceux  de  Viotti.  Le  morceau  à 
vue,  de  M.  Charles  Lefebvre.  Sur  ce  nombre,  sept  récompenses,  dont 
trois  premiers  prix,  à  MM.  Fournier,  élève  de  M.  Cros-Saint-Ange, 
Jullien  et  Gaudichon,  élèves  de  M.  Loeb,  tous  trois  seconds  prix  an- 
térieurs. 

M.  Fournier  est  un  artiste  formé,  dont  l'exécution  est  excellente.  Du 
son,  des  doigts  habiles,  un  très  beau  mécanisme,  avec  cela  un  phrasé 
ample  et  limpide,  un  archet ^à  la  fois  solide  et  moelleux,  de  l'élégance 
dans  le  chant,  du  goût  et  du  style.  Très  bonne  lecture.  —  Chez  M.  Jullien 
du  goût  et  du  style  aussi,  un  archet  élégant,  un  joli  son,  un  heureux 
phrasé,  de  la  sohdité.  Quelques  petits  défauts  de  justesse  dans  le  premier 
trait,  mais  la  fin  du  concerto  brillante,  chaleureuse,  excellente.  Lecture 
parfaite.  —  M.  Gaudichon,  qui,  cette  année  encore,  a  concouru  en  uni- 
forme de  troupier,  a  de  bons  doigts,  un  archet  facile,  un  bon  mécanisme, 
de  la  sûreté  et  de  l'expérience,  et  chante  avec  goût.  L'ensemble  est  très 
bon,  tout  en  manquant  un  peu  d'éclat  et  de  personnalité.  Chose  assez  sin- 
gulière, M.  Gaudichon,  qui  était  le  dernier  l'an  passé,  était  le  premier 
cette  année.  Il  n'a  pas  eu  à  s'en  plaindre,  puisqu'il  a  eu  le  second  prix 
Fan  dernier  et  le  premier  cette  fois.  On  voit  que  le  fétichisme  des  places 
n'a  pas  toujours  de  raison  d'être. 

Deux  seconds  prix  ont  été  décernés  à  l'unanimité  à  M.  Bedetti,  élève 
de  M.  Loeb,  et  à  M"=  Clément,  élève  de  M.  Cros-Saint-Ange.  Un  em- 
ballé, M.  Bedetti,  ce  qui  n'est  pas  pour  me  déplaire  lorsque,  comme 
c'est  le  cas,  cet  emballement  a  pour  cause  un  véritable  tempérament. 
On  peut  constater  des  inégalités  et  des  faiblesses  dans  le  jeu  de  ce  jeune 
homme,  mais  aussi  des  choses  excellentes  et,  ce  qui  est  mieux  encore, 
une  personnalité.  La  vérité  est  qu'il  a  un  beau  son,  un  phrasé  bien 
senti,  le  goût  du  chant,  et  surtout  de  l'ampleur,  de  la  flamme  et  de  l'élan. 
A  soigner  tout  à  fait  la  justesse.  —  Chez  M'"  Clément  un  bon  bras 
droit,  un  jeu  facile,  du  son  et  un  certain  style.  Justesse...  facultative 
dans  les  traits.  En  résumé,  pas  de  supériorité,  mais  des  qualités  appré- 
ciables. 

C'est  aussi  à  l'unanimité  que  M.  Minssart  s'est  vu  attribuer  un  pre- 
mier accessit.  Exécution  propre  et  impersonnelle.  Bon  bras  droit,  jus- 
tesse généralement  satisfaisante,  phrasé  agréable.  On  souhaiterait  plus 
de  son,  et  aussi  plus  de  chaleur.  Lecture  faible.  —  Un  second  accessit 
(est-ce  de  consolation?)  a  été  accordé  à  M.  Cuelenaere,  élève,  comme 
M.  Minssart,  de  M.  Cros-Saint-Ange.  Il  me  semble  qu'il  abuse  un  peu 
de  la  faculté  de  jouer  faux.  A  part  cela,  un  archet  assez  large,  du  son  et 
un  chant  bien  posé.  En  fait,  quelques  qualités  ordinaires;  mais  c'est  la 
justesse  qui  est  extraordinaire! 

Je  regrette  qu'on  ait  laissé  sur  le  carreau  M.  Lafarge,  qui  en  était  à 
sa  dernière  année,  et  qu'on  laisse  partir  avec  son  premier  accessit.  Je 
sais  bien  qu'il  mancpre  un  peu  de  chien,  et  que  la  fin  de  son  concerto 
aurait  pu  être  meilleure.  Mais  il  a  du  son,  de  l'ampleur  dans  le  jeu, 
un  phrasé  limpide,  de  l'expérience,  un  ensemble  net  et  solide.  —  Je 
signalerai  en  terminant  M.  Casadesus,  qui  ne  manque  pas  de  qualités, 
mais  qui  manque  de  justesse,  condition  première  de  toute  bonne  exécu- 
tion. Qu'il  travaille  surtout  de  ce  côté,  il  a  de  quoi  faire  par  ailleurs 
avec  son  bras  droit  élégant,  son  chant  gracieux  et  son  bon  sentiment 
musical. 

Le  jury,  pour  les  trois  concours  de  contrebasse,  alto  et  violoncelle, 
était  composé  de  MM.  Théodore  Dubois,  président,  Charles  Lefebvre, 
Paul  Vidal,  Loys,  Van  Waefelghem,  Salmon,  de  Bailly,  Ed.  Colonne 
et  Taffanel. 

CHANT  (Hommes). 

Concours  sans  éclat,  en  ce  sens  qu'il  n'a  mis  eu  lumière  aucune  per- 
sonnalité brillante,  aucun  de  ces  sujets  dont  l'autorité  s'impose  et  qui 
excite  vivement  l'intérêt,  mais,  en  somme,  d'une  bonne  moyenne  et 
donnant  une  heureuse  impression  d'ensemble.  Quelques  bonnes  voix, 
du  reste,  et  qui  promettent  pour  l'avenir. 

Un  bon  point,  avant  de  parler  des  élèves,  à  messieurs  les  professeurs, 
pour  le  choix  des  morceaux  et  pour  leurs  tendances  classiques .  Le  pro- 
gramme comprenait  cette  fois  les  noms  de  Rameau,  de  Gluck,  de 
Haendel,  de  Cherubini,  de  Grétry,  de  Weber,  de  Rossini.  A  la  bonne 
heure,  et  voilà  qui  va  bien.  Mais  pourquoi  ne  pas  joindre  aussi  un  peu 
â  ces  noms  celui  de  Mozart?  Il  me  semble  qu'il  y  a  dans  Idoménée,  dans 
Don  Juan,  dans  les  Noces  de  Figaro,  dans  la  Flûte  enchantée,  voire  dans 


LE  MÉNESTREL 


Cosi  fan  iutte  et  dans  l'Enlèvement  au  sérail,  certains  morceaux  qui  ne 
seraient  pas  déplacés  dans  le  répertoire  des  concours  et  prouveraient 
qu'un  élève  sait  poser  la  vois,  chanter  et  vocaliser.  Ce  dernier  point 
surtout  ne  manque  pas  d'importance  et  me  parait  avoir  été  un  peu 
négligé  dans  l'épreuve  dont  j'ai  à  parler.  Je  sais  bien  qu'avec  la  musi- 
que de  Wagner  et  de  ses  imitateurs  il  n'y  a  plus  besoin  de  savoir  voca- 
liser; mais  on  ne  chantera  pas  toujours  que  de  la  musique  du  Maître 
(une  grande  M,  s.  v.  p.)  et  surtout  de  ses  congénères,  et  il  viendra  bien 
un  moment  où  l'on  pensera  à  autre  chose.  Et  alors,  ou  ne  sera  pas 
fâché  de  rencontrer  quelques  chanteurs  qui  aient  un  peu  de  légèreté  et 
d'agilité  dans  la  voix.  En  tout  état  de  cause  je  vous  assure  que  Mozart  a 
du  bon,  et  que  ce  serait  dommage  de  le  laisser  oublier  complètement. 

Le  jury  de  ce  concours,  qui  comprenait  les  noms  de  MM.  Théodore 
Dubois,  Victorin  Jonciéres.  G.  Marty,  Delmas,  Vaguet,  Escalais,  Four- 
nets  et  Gailhard,  a  distribué  ainsi  les  récompenses  : 

./ers  pyj^^  —  j^jj^j_  j^igaiix,  élève  de  M.  Warot.  et  Geyre,  élève  de 
M.  Crosti. 

2"^'  prix.  —  MM.  Gaston  Dubois,  élève  de  M.  Edmond  Duvernoy, 
Guillamat,  élève  de  M.  DubuUe,  et  Granier,  élève  de  M.  Warot. 

/""  accessits.  —  MM.  Billot,  élève  de  M.  Vergnet,  et  Ferrand,  élève 
de  M.  Dubulle. 

2''  accessits.  —  MM.  Gilly,  élève  de  M.  Masson,  et  de  Glynsen,  élève 
de  M.  Auguez. 

Ni  M.  Rigaux  ni  M.  Geyre  ne  sont  des  artistes  formés,  et  leur  fortune 
n'a  pas  été  sans  provoquer  quelque  étonnement.  Non  qu'ils  manquent 
de  qualités,  mais  ces  qualités  sont  encore  d'un  ordre  secondaire.  M.  Ri- 
gaux a  chanté  l'air  du  Tribut  de  Zamora  avec  un  baryton  vigoureux  et 
parfois  un  peu  gros.  II  prononce  bien  et  phrase  heureusement.  Il  y  a 
du  bon  chez  lui,  et  l'on  peut  croire  à  son  avenir;  mais  il  me  semble 
qu'il  a  encore  beaucoup  à  apprendre.  —  C'est  dans  l'air  superbe  des 
Abencérages,  de  Cherubini  :  Suspendez  à  ces  murs  mes  armes,  ma  bannière, 
que  M.  Geyre  s'est  fait  entendre.  Sa  voix  de  ténor  est  suffisamment 
solide,  tout  en  sortant  un  peu  de  la  gorge  ;  il  a  tout  à  la  fois  du  sentiment 
et  de  la  vigueur.  Mais  son  premier  prix  n'est-il  pas  un  peu  prématuré  ? 
Je  sais  bien  que,  personnellement,  il  ne  doit  pas  être  de  mon  avis. 
Aussi  n'est-ce  pas  à  lui  que  je  le  demande. 

Par  exemple,  l'annonce  des  trois  seconds  prix  a  paru  rencontrer  l'ap- 
probation générale.  M.  Gaston  Dubois,  qui  est  en  progrés  sur  l'année 
dernière  et  qui  parait  s'éti-e  débarrassé  d'un  chevrotement  précoce  et 
fâcheux,  a  déployé  sa  jolie  voix  de  ténor,  fraîche  et  flatteuse,  dans  l'air 
du  Freisckiitz.  Au  point  de  vue  vocal,  il  ne  manque  pas  de  vigueur 
lorsqu'il  est  nécessaire  ;  au  point  de  vue  du  chant  proprement  dit,  il  a 
du  goût  et  de  la  grâce,  et  il  a  dit  cet  air  avec  un  heureux  sentiment. 
Mais,  pour  Dieu!  qu'il  consente  à  ouvrir  la  bouche,  car  il  est  impossible 
d'entendre  un  traître  mot  de  ce  qu'il  dit.  —  M.  Guillamat  est  certaine- 
ment l'un  des  meilleurs  sujets  du  concours.  Il  a  dit  d'une  façon  remar- 
quable l'air  si  dramatique  et  si  admirable  du  Dardanus  de  Rameau  : 
Monstre  affreux,  monstre  redoutable.  Voix  bien  posée,  belle  diction, 
bonne  articulation,  de  la  largeur  dans  le  débit,  de  la  noblesse  dans  le 
style,  de  la  chaleur,  de  l'expression,  de  l'inteUigence,  c'était  complet. 
Celui-là  a  de  l'avenir,  ou  je  serais  bien  trompé.  —  C'est  dans  l'air 
célèbre:  Quandr  renaîtra  la  pâle  aurore,  de  Guido  et  Ginevra,  qui  était, 
dit-on,  l'un  des  triomphes  du  grand  Duprez,  que  M.  Granier  s'est  fait 
entendre.  Sa  voix  est  un  peu  gutturale,  ce  qui,  d'ailleurs,  ne  lui  enlève 
pas  sa  vigueur.  Chanteur  adroit  et  déjà  d'une  certaine  habileté,  il  a 
montré  de  la  sensibilité,  de  l'émotion,  et  a  fait  preuve  de  goût.  L'en- 
semble était  très  satisfaisant.  Mais,  hélas  !  qu'il  se  mette  en  garde 
contre  l'horrible  chevrotement,  monstre  affreux,  monstre  redoutable. . . 

Il  me  semble  qu'on  aurait  pu  élever  d'un  cran  la  récompense  attri- 
buée à  M.  Billot  sous  forme  de  premier  accessit.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'il  a  chanté  de  façon  à  satisfaire  les  plus  exigeants  l'air  majes- 
tueux et  si  plein  de  noblesse  de  la  Fête  d'Alexandre,  de  Haendel,  où  il  a 
développé,  avec  une  belle  voix  de  basse  chantante,  un  style  large  et 
plein  d'ampleur,  particulièrement  dans  l'andante,  ce  qui  ne  l'a  pas 
empêché  de  briller  dans  les  vocalises.  De  la  vigueur,  de  l'autorité,  une 
bonne  diction,  une  articulation  nette,  le  vrai  sentiment  du  rythme, 
telles  sont  ses  qualités.  Avec  un  bon  travail  encore,  il  y  a  là  un  sujet 
précieux  pour  les  concours  futurs.  —  Son  camarade,  M.  Ferrand,  a  dit 
le  joli  air  de  Falstaff  du  premier  acte  du  Songe  d'une  nuit  d'été.  C'est 
propre,  honorable,  sans  personnalité  et  manquant  un  peu  de  verve.  11  s'est 
échauffé  pourtant  à  la  fin  et  a  enlevé  les  vocalises  avec  un  certain  brio. 

Les  deux  seconds  accessits,  MM.  Gilly  etdeClynsen,  ont  chanté  tous 
deux  un  air  d'Iphigénie  en  Aulide.  M.  Gilly  se  sert  avec  habileté  de  sa 
jolie  voix  de  basse;  il  phrase  bien,  avec  goût,  il  a  du  sentiment,  de 
l'émotion  et  le  sens  du  style  scénique,  et  avec  cela  une  sobriété  louable. 
Il  a  de  quoi  faire.  —  M.  de  Glynsen  ne  dépasse  pas  un  bon  ordinaire. 
Ni  qualités  ni  défauts  appréciables,  pas  de  personnalité. 


M.  Baer  a  manqué  le  premier  prix  auquel  il  lui  fallait  aspirer.  Pour- 
quoi ?  Peut-être  parce  que  le  morceau  qu'il  avait  choisi,  l'air  de  Thoas 
au  premier  acte  d'Iphigénie  en  Tauride,  n'était  pas  heureux  comme  mor- 
ceau de  ooncours.  Il  y  a  montré  pourtant  de  l'élan,  de  la  chaleur  et  du 
style.  C'est  une  épreuve  à  recommencer.  Qu'il  ne  se  décourage  pas.  Il 
a  de  quoi  faire,  et  largement. 

Quelques-uns  de  ces  jeunes  gens  se  sont  encore  plus  ou  moins  dis- 
tingués. M.  Sigwalt  dans  l'air  du  Siège  de  Corintlte;  superbe  basse  chan- 
tante, bien  développée  et  sortant  bien;  de  la  vigueur,  une  bonne  articu- 
lation, du  style,  de  la  solidité  dans  le  phrasé.  —  M.  Minvielledans  l'ah- 
d'Hérodiade;  jolie  voix  de  ténor,  à  la  fois  flatteuse,  solide  et  étendue  ; 
bon  phrasé,  du  sentiment  et  du  goût.  —  M.  Triadou  dans  l'air  de 
Richard  Cœur  de  Lion:  0  Ricliard,  6  monroi!  de  la  chaleur,  de  l'élan,  de 
la  vigueur.  —  M.  Rechencq  dans  l'air  diiAbencérages;  voix  malheureu- 
sement sans  caractère;  mais  de  l'âme,  de  l'émotion,  de  l'e.xpression.  — 
M.  Aumônier  dans  l'air  de  la  Reine  de  Saba:  basse  solide  et  bien  posée, 
bonne  articulation,  de  la  sagesse,  de  la  largeur,  du  style,  très  bon 
ensemble.  Qu'ils  travaillent  et  qu'ils  espèrent.  Nous  les  retrouverons 
l'an  prochain. 

CHANT  (Femmes). 

Bonne  séance,  qui  nous  a  présenté  plusieurs  sujets  intéressants  et 
qui  est  fertile  en  heureuses  promesses  pour  un  avenir  prochain.  Nous 
n'avons  eu  qu'un  seul  premier  prix,  en  la  personne  de  M'"^  Huchet, 
l'unique  second  prix  de  l'an  passé,  mais  parmi  les  autres  élèves  cou- 
ronnées, et  même  parmi  celles  qui  ne  l'ont  pas  été,  peut-être  à  tort,  on 
a  pu  distinguer  d'heureuses  natures,  des  jeunes  femmes  bien  douées  et 
qui  paraissent  destinées  à  briller  plus  tard. 

Voici  la  liste  des  récompenses  décernées  : 

/"  prix.  —  M"'=  Huchet,  élève  de  M.  Dubulle. 

2"  prix.  —  M'"'*  Féart,  élève  de  M.  Duvernoy,  Revel,  élève  de  M.  Léon 
Duprez,  Gril  et  Van  Gelder,  ilèves  de  M.  Masson. 

I"'  accessits.  —  M""'  Billa,  élève  de  M.  Vergnet,  et  Cortez,  élève  de 
M.  Dubulle. 

2"  accessits.  —  M"''  Ruper,  élève  de  M.  Dubulle,  et  JuUian,  élève  de 
M.  Auguez. 

C'était  justice  d'attribuer  le  premier  prix  à  M"'  Huchet,  une  gentille 
blondinette  qui  a  chanté  d'une  façon  vraiment  charmante  la  valse  de 
l'Ombre  du  Pardon  de  l'ioermel.  Elle  a  du  goût,  de  la  grâce,  de  l'agilité, 
un  bon  sentiment  musical,  avec  de  jolis  détails  d'exécution.  Ses  vocalises 
sont  brillantes  et  généralement  très  satisfaisantes.  Il  est  évident  qu'elle 
n'a  plus  rien  à  apprendre  à  l'école,  et  qu'il  ne  lui  reste  qu'à  profiter  de 
l'exemple  de  ses  aînées. 

Les  quatre  seconds  prix  sont  de  mérites  divers.  W^"  Féart,  une  brune 
à  l'œil  sévère,  s'est  fait  entendre  dans  le  Per^rfo,pnrg'ràro,  de  Beethoven. 
C'est  ce  qui  s'appelle  prendre  le  taureau  par  les  cornes.  Audaces  fortuna 
juvat!  Elle  n'a  pas  eu  à  regretter  sa  hardiesse.  Sa  belle  voix  de  mezzo- 
soprano,  vigoureuse  et  étendue,  d'un  velouté  superbe  dans  les  notes 
graves,  est  pleine  d'éclat  dans  le  registre  élevé.  Il  y  a  mieux,  et  son  exé- 
cution est  fort  intéressante.  Bon  phrasé,  sage  et  sobre  dans  les  moments 
de  tendresse,  prenant  de  l'accent  et  de  la  chaleur  dans  le  pathétique. 
Bonnes  qualités  d'émotion.  Cela  n'est  pas  parfait  sans  doute,  mais  c'est 
déjà  beaucoup  de  chanter  ainsi  ce  chef-d'œuvre.  —  M"°  Revel  avait 
choisi  l'air  du  Freisclwtz.  Elle  l'a  chanté  dans  une  teinte  un  peu  blonde, 
comme  ses  cheveux.  L'andante  n'était  pas  mal  dit,  mais  avec  trop  do 
placidité;  elle  a  trouvé  un  peu  de  chaleur  dans  l'allégro,  pas  beaucoup, 
pas  assez.  Tout  ça  était  bien,  vocalement;  mais  l'émotion,  mais  la  pas- 
sion, qu'est-ce  que  vous  en  faites,  mademoiselle?  Et  si  vous  n'en  trouvez 
pas  dans  la  musique  de  Weber...  —  A  la  bonne  heure,  M"'^'  Gril,  qui 
s'est  présentée  dans  l'air  d'Alccste  :  Divinités  du  Sty.v.  Ici,  non  seulement 
je  trouve  une  fort  jolie  voix,  ferme  et  étendue,  habilement  conduite, 
mais  du  style,  un  rythme  précis,  et  avec  cela  le  sentiment  dramatique, 
une  véritable  intelligence  scénique,  l'émotion,  et  parfois  la  grandeur. 
Bu  un  mot,  une  nature  d'artiste.  —  J'hésite  à  porter  un  jugement  for- 
mel sur  M'"  Van  Gelder,  qui  semble  intelligente,  mais  qui  me  parait 
avoir  eu  tort  de  choisir  un  air  superbe  d'Hippolyte  et  Aricie,  le  premier 
opéra  de  Rameau.  A  mon  sens  elle  n'a  rien  compris  à  cette  musique, 
extrêmement  difficile  d'accent  et  si  complètement  inconnue  de  nos  jeunes 
chanteurs.  Je  suis  obligé  de  croire  que  c'est  moi  qui  me  trompe,  puis- 
que le  jury  lui  a  donné  raison  en  lui  décernant  un  second  prix.  Ne  me 
croyant  pas  infaillible,  je  ne  discuterai  pas  sur  ce  sujet. 

Ce  concours  de  chant  semblait  presque  un  concours  d'opéra.  Sur  dix- 
huit  concurrentes,  nous  n'avons  eu  que  quatre  morceaux  légers.  Les 
deux  premiers  accessits,  M""*  Billa  et  Cortez  nous  ont  fait  entendre,  la 
première  l'air  de  Fidelio,  la  seconde  celui  d'Orphée  :  J'ai  perdu  mon 
Eurydice.  Dans  Fidelio,  M"°  Billa  a  montré  une  réelle  habileté  de  can- 
tatrice ;  mais,  saprelotte  !  qu'elle  a  besoin  de  s'échauffer  !  Technique- 


LE  MÉNESTREL 


229 


meut,  c'était  très  bien,  mais  ça  manquait  rudement  de  chien,  et  les 
«  transports  »  qui  étaient  censés  l'animer  ne  l'animaient  guère.  On  ra- 
conte que  M"°  Clairon,  donnant  un  jour  une  leçon  à  une  jeune  femme 
qui  manquait  absolument  de  ce  que  Voltaire  appelait  «  le  diable  au 
corps  »,  et  ne  sachant  comment  la  dégeler,  finit  par  lui  dire  :  —  «  Mais 
enfin,  mademoiselle,  nous  jouons  la  tragédie,  l'héroine  que  vous  repré- 
sentez est  dans  le  désespoir,  et  il  faut  que  vous  le  fassiez  sentir  au 
public.  Supposez  que  vous  perdiez  votre  amant,  que  feriez-vous  ?  — 
Moi  ?  répond  l'élève  sans  s'émouvoir,  je  tâcherais  d'en  trouver  un  autre. 
—  S'il  en  est  ainsi,  reprend  la  Clairon,  nous  faisons  toutes  deux  un 
travail  inutile,  et  vous  ferez  mieux  de  rester  chez  vous.  »  Je  ne  ferai 
pas  à  M"«  Billa  l'injure  de  lui  adresser  une  semblable  question;  mais, 
si  la  musique  de  Beethoven  ne  suffit  pas  à  l'entrainer,  je  l'engagerai  à 
relire  attentivement  les  paroles  de  Fidelio,  si  mauvaises  qu'elles  soient, 
de  façon  à  se  pénétrer  de  la  situation  terrible  de  Léonore.  Elle  en  com- 
prendra le  pathétique,  et  elle  s'efforcera  de  le  traduire.  —  M"'  Gortez, 
dont  le  mezzo-soprano  est  d'une  belle  qualité,  a  mis  de  bonnes  inten- 
tions dramatiques  dans  l'air  A'OrpMe,  qu'elle  a  dit  avec  émotion. 
L'e.xécution  était  encore  un  peu  sage  peut-être,  mais  intelligente. 

M"^  Ruper  a  obtenu  son  second  accessit  avec  l'air  de  Marguerite  des 
Huguenots,  qu'elle  a  dit  d'une  façon  un  peu  insignifiante,  mais  avec 
une  certaine  bravoure  dans  les  vocalises.  —  Sa  camarade,  M""  Jullian, 
dont  la  voix  est  fort  belle,  a  chanté  l'air  si  émouvant  d'Obéron  sans  style 
et  sans  chaleur. 

Nous  avons  eu  cette  fois  encore,  comme  tous  les  ans,  notre  petit 
semblant  d'émeute.  A  peine  M.  Théodore  Dubois  avait-il  fait  appeler 
M"='  Ruper  et  Jullian,  qu'un  certain  nombre  de  mécontents  se  sont  mis 
à  crier  :  Foreau  !  Foreau  !  avec  une  insistance  et  un  bruit  tels  que 
M.  Dubois  s'est  trouvé  dans  l'impossibilité  d'annoncer  à  ces  jeunes 
filles  que  les  seconds  accessits  leur  étaient  décernés.  Heureusement, 
cela  n'a  pas  été  plus  loin,  et  le  sang  n'a  pas  coulé.  J'avoue  que  je  ne 
m'explique  pas  très  bien  cette  manifestation.  Mon  Dieu,  je  ne  mécon- 
nais pas  que  M"'  Foreau  ait  fait  preuve  d'une  belle  voix  et  de  qua- 
lités très  appréciables  dans  un  air  d'ailleurs  assez  pâle  de  Proserpine,  de 
Paisiello.  Je  l'avais,  pour  ma  part,  remarquée,  et  les  notes  que  je  re- 
trouve sur  mon  carnet  lui  sont  favorables.  Mais  elle  n'était  pas  seule, 
parmi  les  élèves  non  couronnées,  qui  parût  digne  d'encouragement.  Je 
citerai  M""  Demougeot,  à  qui,  en  ce  qui  me  concerne,  j'aurais  donné 
volontiers  le  second  prix  auquel  elle  aspirait,  pour  la  façon  émue  et  in- 
telligente dont  elle  a  chanté  l'air  du  songe  d'Iphigénie  en  Tauride,  avec 
un  style  bien  lié  et  une  voix  bien  posée  ;  M"°  Cauchois,  qui,  immédia- 
tement avant  elle,  avait  dit  ce  môme  air  avec  de  l'accent,  de  la  fermeté 
et  un  sentiment  très  e.xpressif;  M"'  Gonzalez,  qui  a  chanté  avec  esprit 
et  en  vocalisant  gentiment  l'air  jadis  si  fameux  du  Billet  de  loterie,  de 
Nicolo;  M"'  Grazide,  dont  la  jolie  voix,  bien  posée  et  habilement  con- 
duite, s'est  développée  dans  l'air  du  Freisckûtz,  où  elle  a  mis  de  l'élan 
et  de  la  chaleur;  enfin  M"'  Yergonnet,  qui  a  chanté  gentiment  l'air  du 
Pré  aux  Clercs.  Que  ces  enfants  ne  se  découragent  pas,  y  compris 
M""^  Foreau  ;  qu'elles  prennent  de  la  peine,  qu'elles  continuent  de  tra- 
vailler, l'avenir  est  à  elles. 

Le  jury  était  le  même  pour  ce  concours  que  pour  celui  de  la  veille. 

Arthur  Pougin. 

P.  S.  —  L'heure  avancée  à  laquelle  fiait  le  concours  de  piano  (hommes)  ne 
me  permet  pas  d'en  rendre  compte  aujourd'hui.  (Nous  enverrons  bien  d'autres 
avec  le  concours  des  femmes,  qu'onn'espère  pas  voir  terminé  avant  neuf  heures 
du  soir.)  En  attendant,  voici  les  résultats  de  la  journée  pour  les  deux  con- 
cours de  harpe  et  de  piano  : 

HARPE 

ysfs  Prix.  —  M"°  Sassoli,  M.  Salzédo. 

2'  Prix.  —  M"=  Pestre. 

4"'^  Ace.  —  M"'*  Pouilain  et  Meunier. 

2r-  Ace.  —  M""  Lipschitz. 

Tous  élèves  de  M.  Hasselmans. 

PIANO  (■ifommes.J 

/ers  Prix.  —  MM.  Lortat-Jacob,  élève  de  M.  Diémer,  et  Salzédo,  élève  de 
M.  de  Bériot. 

2«»  Prix.  —  MM.  Borchard,  Billa  et  Arcouet,  élèves  de  M.  Diémer. 

i"  Ace.  —  MM.  Garés,  élève  de  M.  Diémer,  et  Dumesnil,  élève  de  M.  de 
Bériot. 

Sf^  Ace.  —  MM.  Turcat,  élève  de  M.  Diémer,  et  Galland,  élève  de  M.  de 
Bériot. 

A.  P. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite,) 


L'aluetta  lo  pUnta; 
Lo  polé  prin  savoteia, 
Et  la  volaia  sinta... 


Xlf 
CHANSONS  BRESSANES 

Les  chansons  bressanes  se  distinguent  par  une  naïveté  toute  parti- 
culière. Ce  sont  des  mélodies  lentes,  monotones  et  psalmodiées,  dans  un 
patois  lourd  et  traînard,  d'une  voix  uniforme  qui  laisse  la  plupart  du 
temps  l'auditeur  à  la  devinette  des  sentiments  qu'elles  expriment. 

L'une  des  plus  connues  est  celle  des  Fiancés  du  mois  de  Mai.  Elle 
commence  ainsi  : 

Vekia  veni  lo  zouli  ma, 
L'aluetta  planta  lo  ma  ; 
Vekia  veni  lo  zouli  ma , 
Voici  venir  le  joli  mois,  —  L'alouetle  plante  le  mai  ;  —  Voici  venir  le  joli  mois,  — 
L'alouette  le  plante  ;  —  Le  coq  a  pris  sa  volée,  —  Et  la  volaille  chante... 

C'est  une  ballade  qui,  dans  les  couplets  qui  suivent,  énumère  les 
curieux  effets  des  eSluves  printaniércs,  et  en  conclut  qu'il  faut  marier 
les  filles  de  bonne  heure. 

Celles-là  ne  demandent  pas  mieux,  car  en  aucun  pays  les  demoiselles 
n'ont  aussi  hâte  de  tenir  ménage  qu'en  Bresse. 

Mais,  d'abord,  ce  joli  portrait  de  la  Bressane,  par  Francis  Wey,  dans 
Les  Français  peints  par  eux-mêmes  : 

«  Peu  de  provinces  françaises  possèdent  des  jeunes  filles  aussi  bien 
costumées  que  le  pays  qui  nous  occupe.  Rien  de  plus  galant  que  leur 
corset  lacé  par  devant  comme  celui  de  cette  bergerette  que  Greuze  a 
peinte  au  moment  où  elle  vient  de  casser  sa  cruche;  rien  de  plus  har- 
monieux à  l'œil  que  leur  robe  de  drap  bleu  que  recouvre  jusqu'à  mi- 
jambe  une  jupe  ornée,  sur  toutes  les  coutures,  de  galons  de  soie  et  de 
passementeries  pailletées  d'or  ou  d'argent.  Leur  tablier,  plus  court  en- 
core que  la  jupe,  est  d'une  coupe  élégante.  Leurs  bavolets,  ainsi  que  la 
plupart  de  leurs  ajustements,  sont  frangés  de  dentelles  noires  qui,  se 
mêlant  avec  celles  dont  leur  feutre  de  bergère  est  inondé,  encadrent  la 
tète  dans  la  profondeur  de  leurs  ombres,  sur  lesquelles  les  lignes  pures 
de  l'ovale  ressorteut  avec  fermeté,  et  d'où  se  détache  dans  toute  sa  fraî- 
cheur leur  figure  douce  et  rêveuse.  » 

Donc,  on  marie  les  Bressanes  fort  jeunes.  Quand  un  père  juge  à 
propos  d'établir  sa  gachenotte.  lien  fait  part  aux  garçonsdu  pays.  Ceux-ci 
d'accourir  aussitôt,  et  chacun  de  chanter  à  la  belle  : 

Vo  disiez,  bargerette,  To  çouqui  u'a  que  bosse, 

Qu'aimour  et  in  offiin,  Vo  n'I'aimus'ro  po  tant 

Qu'aivo  eunn'  sinsonnette  Vo  lo  voites  que  tosse, 

Vo  l'aimus'ro  in  an.  Demain  i  sero  grant... 

Vous  disiez,  bergerette,  —  Qu'amour  est  un  enfant,  —  Qu'avec  une  chansonnette  — 

Vous  l'amuseriez  un  an.  —  Ceci  n'est  que  sornette,  —  Vous  ne  l'amuserez  pas  tant,  — 

Vous  le  voyez  qui  tette,  —  Demain  il  sera  grand... 

L'amour  grandit,  c'est  certain,  mais  aucun  des  soupirants  no  peut 
savoir  en  faveur  duquel  se  produit  l'heureux  présage  de  bonheur.  La 
gachenotte,  élevée  jusque-là  dans  la  réserve  la  plus  absolue,  est  devenue 
subitement  libre.  Elle  reçoit  ses  prétendants,  seule,  sans  que  personne 
ne  la  surveille.  Peu  importe  qu'elle  soit  cajolée  ;  elle  a  acquis  le  droit 
d'être  courtisée.  Son  honneur  est  engagé  dans  cette  lutte,  et  elle  saura 
le  défendre.  Ne  lui  demandez  pas  de  se  déclarer,  de  montrer  à  la  troupe 
de  ses  amoureux  de  quel  côté  son  cœur  incline.  Elle  aura  pour  tous  des 
sourires,  des  minauderies  identiques.  Et  jusqu'à  la  veille  de  Noël,  nul 
ne  connaîtra,  l'un  sa  bonne  fortune,  les  autres  leur  grand  désastre. 

Entre  temps,  tous  sont  de  la  veillée  qui  précède  la  messe  de  minuit. 
On  boit,  on  mange,  et  l'on  chante...  des  Noëls,  naturellement. 

Il  en  est  de  très  jolis  en  Bresse.  L'un  se  chante  communément  à 
Bourg  et  dans  la  contrée  : 

Noël,  Noël  est  venu,  on  fera  la  bourdifaille. . .  Noël  est  venu  et  il  a 
frappé  ses  mains  quand  il  a  vu  que  dans  la  crèche  il  n'y  avait  qu'un  peu 
de  foin.  Vite  il  a  sorti  de  sou  sachet  du  guinguet  et  des  Mtelets,  des 
rësouV  et  dupa;;  blan  (du  petit  vin  et  des  rôties,  des  rissoles  et  du  pain 
blanc),  qu'ils ma«...  qu'ils  man...  qu'ils  manzironsu  la  fan  (qu'ils  man- 
geront à  leur  faim). 

Mais  ce  menu  ne  peut  suffire.  Et  Noël  crie  l'alarme  en  Bresse.  Aus- 
sitôt il  vient  quatre  bergers,  et  quatre  jolies  bergères,  qui  portent  des 
paniers  plin  de  biau  frui  per  confire.  Trois  Dombistes  les  suivent,  avec 
rôtis  dans  des  corbeilles,  et  trois  Maçonnais  munis  chacun  de  vin  blanc 
six  bouteilles.  Mais  ce  n'est  là  que  l'avant-garde.  Au  pays,  dray  qu'an 
apressi  la  navela,  on  a  fait  batre  le  tambor,  per  bato  to  per  ecuala  (pour 


230 


LE  MENESTREL 


mettre  tout  par  écuelles).  Bécasses,  levrauts,  cailles  sont  pris  chez 
Cornillon,  Goy  se  charge  de  trois  dindonneaux  et  d'une  longe  de  veau 
dont  il  a  fait  un  bon  ragoût,  tandis  que  sa  femme  confectionnait  du  boudin 
et  prenait  chez  M.  de  Chom  uue  grande  bassine  d'argent  pour  y  mettre 
son  présent. 

A  l'hôte  de  la  Bonne  École  est  revenu  l'honneur  de  fournir  Na  balla 
zanzoula  (la  belle  andouille)  et  trois  barillets  de  maude  mau,  —  de  inau- 
tarda  de  Dijon.  Alors,  le  tavernier  de  Saint-François,  entendant  qu'on 
faisait  braire  le  cass'  e  lou  lécefratj  (les  poêles  et  les  lèchefrites),  a  fait  faire 
à  son  valet  une  poitringne  de  poulet  (na  potringa  de  palet),  qu'on  s'en 
leçove  to  draij  le  baben  elou  cin  day.  Pour  le  coup,  le  patron  de  l'Hôtel  de 
l'Écu,  en  voyant  qu'on  partait  au  clair  de  lune,  mit  en  toute  hâte  pour 
quatre  écus  de  sucre  dans  de  la  farine  pour  faire  des  gâteaux  qui  sem- 
blaient des  châteaux.  Et  ce  n'était  pas  quasi  jour  qu'on  vit  l'hôte  de  la 
Pomme,  qui.  piqué  d'honneur,  buiovait  dans  son  for  deux  tartes  à  la 
grande  forme. 

A  l'aube  tout  le  monde  est  en  route,  jusqu'aux  chiens,  aux  chins,  qui 
ont  suivi  par  chemins  l'hôtelier  de  la  Navette,  fourni  de  vray  fromazo  puri. 

Entre  temps  le  Régent  des  Écoliers,  le  pore  Bégat,  et  le  pore  Alexis, 
moine,  qui  ne  portent  rien,  et  qui,  même,  de  faim  so  fi  pelo  lo  ba  (se  font 
claquer  le  bec)  en  route,  se  sont  dit,  après  avoir  dormi  près  d'une  heure 
sur  le  foin  :  —  Il  faut  faire  une  offrande...  Et  pour  ce,  si  joignirent  cinq 
ou  sis  compagnons  per  tore  no  sarabonda  (pour'  toucher  une  sarabande) 
avec  leur  grand  bourdon,  ou  grand  chalumeau,  qui  fait  la  basse  con- 
tinue. 

Ils  seront  les  musiciens  de  la  fête,  et,  pour  de  bon,  chanteront.  Les 
rôles  sont  ainsi  distribués  par  le  Régent,  qui  se  garde  la  place  d'hon- 
neur : 


Lo  poro  Bista  so  bin 
.4ri  tore  de  la  flauta  ; 
Mario  fredonera  bin  ; 
Seron  conduira  la  fêta. 
Zé  peurterai  lo  Ray  bay  ! 
Per  bali  çoqu'on  son  dray, 
No  c;mteron  broveman  ; 
Lo  Ray  tête  !  lo  Ray  tête  1 
No  canteron  broveman  : 
Lo  Ray  tête  su  lo  fan  ! 


Le  père  Bista  saura  bien 
Des  airs  tirer  de  sa  flûte  ; 
Mario  fredonnera  bien  ; 
Seron  conduira  la  fête. 
Et  moi,  je  porterai  :  le  Roi  boit! 
Pour  donner  à  cbacun  son  droit, 
Nous  cbanterons  bravement  : 
Le  Roi  tête  !  le  Roi  tête  ! 
Nous  cbanterons  bravement  : 
Le  Roi  tette  sur  le  foin  ! 


Mais  la  cloche  résonne,  appelant  les  paroissiens  à  la  messe  nocturne. 
Et  à  ce  moment  la  jolie  Bressane  va  droit  au  garçon  qu'elle  a  choisi, 
et  met  son  bras  sous  son  bras  pour  qu'il  la  mène  à  l'église.  Les  autres 
n'ont  qu'à  s'incliner  :  le  verdict  est  sans  réplique. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


On  nous  écrit  de  Londres:  «  L'Opéra  de  Covent-Garden  vient  déjouer  eu  fran- 
çais, avec  un  très  grand  succès,  le  bel  opéra  d'Edouard  Lalo,  te  Roi  d'  ¥s.  Le  livret 
de  M.  Edouard  Blau,  construit  sur  une  vieille  légende  bretonne  qu'on  raconte 
aussi  en  Ecosse,  se  distingue  par  l'adresse  avec  laquelle  il  est  composé  et  la 
pleine  mise  en  valeur  de  plusieurs  scènes  remarquables.  La  musique  est  ori- 
ginale et  fraiche,  l'orchestration  superbe  ;  on  comprend  facilement  pourquoi 
le  Roi  d'Ys  est  considéré  en  France  comme  un  opéra  classique  et  comme 
l'une  des  meilleurs  œuvres  lyriques  produites  pendant  le  dernier  quart  du 
XIX'=  siècle.  Le  duo  entre  Margared  et  Rozenn  et  la  scène  des  fiançailles  du 
premier  acte  ont  produit  un  très  grand  effet  ;  au  deuxième  acte  la  scène  de 
Margared,  l'air  de  Mylio  «  sur  l'autel  de  Saint-Corentin  »,  le  duo  entre  Mar- 
gared et  Kamac  ont  également  réuni  tous  les  suffrages  ;  an  dernier  acte  le 
succès  est  surtout  allé  à  la  ravissante  scène  de  mariage,  au  duo  d'amour 
entre  Mylio  et  Rozenn  et  au  dernier  tableau  avec  ses  grands  effets  scéuiques. 
L'interprétation  a  été  excellente  en  ce  qui  concerne  le  rôle  de  Margared 
(M.""  Paquotj,  de  Rozenn  (M""»  Suzanne  Adams),  et  du  roi  (M.  Plançon)  ;  le 
Mylio  de  M.  Jérôme  n'a  pas  été  moins  satisfaisant,  de  même  que  le  Kamac 
de  M.  SeveUhac.  Dans  les  autres  rôles  se  sont  distingués  MM.  Rea  (Jahel)  et 
Jonrnet  (Saint-Corentin).  M.  Flon  a  dirigé  la  représentation  avec  brio  et 
élégance.  L'opéra  a  été  monté  avec  soin  et  habileté;  au  dernier  tableau  le 
saut  de  Margared  dans  la  mer,  le  mouvement  des  flots  et  l'apparition  du 
saint  apaisé,  ont  été  réglés  très  habilement.  Malheureusement  la  saison  de 
Covent-Garden  touche  à  sa  fin  et  le  directeur  ne  pourra  pas  profiter  de  ce 
beau  et  grand  succès  d\i  Roi  d'Ys,  qui  aurait  pu  fournir  une  série  de  représen- 
tations très  importante  pour  le  théâtre. 

—  Une  jeune  fille.  Miss  Gwendolen  Johnston  Watson,  vient  de  faire  jouer 
à  Londres,  salle  Cavendish,  une  féerie  intitulée  Sneewitkhen  (Princesse  de 
neige),  dont  les  paroles  sont  tirées  du  fameux  conte  allemand  des  frères 
Grimm.  L'œuvre  a  remporté  un  grand  succès;  son  interprétation,  par  une 
troupe  de  dilettantes  enthousiastes,  a  été  remarquable.  On  dit  que  Sneewittclwn 


sera  jouée  à  Noël  sur  une  des  grandes  scènes  de  Londres  avec  uae  mise  en 
scène  de  premier  ordre. 

—  Lundi  dernier  ont  commencé  à  Bayreuth  les  répétitions  en  scène  du 
Vaisseau  fantôme.  Cette  œuvre  n'a  pas  encore  été  jouée  au  théâtre  Nvagnérien, 
et  le  régisseur  lui  consacre  la  plus  grande  sollicitude:  on  a  dès  à  présent 
arrêté  le  nombre  très  important  des  répétitions.  C'est  M.  Félix  Mottl  qui 
s'est  chargé  de  la  direction  du  Yaissemt  fantôme;  il  s'est  complètement  récon- 
cilié avec  M'"«  Cosima  Wagner,  qu'il  avait  quittée  fort  mécontent  il  y  a  deux 
ans.  M.  Hans  Richter  est  également  arrivé  à  Bayreuth;  il  s'est  engagé  à 
diriger  le  cycle  de  l'Anneau  du  Kibelung.  MM.  Van  Dyck  et  Schmedes,  de 
l'Opéra  de  Vienne,  ainsi  que  plusieurs  autres  artistes  notables  sont  déjà  à 
Bayreuth  pour  prendre  part  aux  répétitions.  Une  activité  fébrile  règne  au 
théâtre;  on  désire  que  le  io'  anniversaire  de  son  inauguration  soit  fêté  par 
des  représentations  impeccables. 

—  La  ville  de  Bayreuth  prépare  une  grande  solennité  en  l'honneur  de 
M""  Cosima  Wagner  et  de  sa  famille,  à  l'occasion  du  '23"  anniversaire  de 
l'inauguration  du  théâtre  wagnérien.  M""  Cosima  Wagner  a  invité  tous  les 
solistes  et  musiciens  d'orchestre  qui  ont  pris  part  aux  représentations  de 
1876  à  assister  à  la  première  représentation  de  1901.  Plusieurs  solistes  sont 
encore  de  ce  monde:  mais,  en  dehors  de  M""'  Lili  Lehmann,  aucun  d'eux 
n'appartient  plus  à  la  scène.  Les  musiciens  d'orchestre  de  1876  ont  été  aussi 
l'orlement  clairsemés  par  la  mort  :  les  survivants  viendront  à  Bayreuth  et 
porteront  la  médaille  en  argent  que  Richard  Wagner  avait  offert  en  1876  à 
tous  ses  collaborateurs. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  a  fermé  ses  portes,  mais  l'opéra  estival,  si  cher 
aux  Berlinois,  fait  florès.  Les  habitants  de  la  capitale  allemande  ont  actuel- 
lement le  choix  entre  trois  théâtres  qui  jouent  l'opéra  malgré  la  canicule,  et 
partout  c'est  notre  bon  vieil  opéra-comique  qui  tait  les  frais  du  répertoire. 
Au  théâtre  Schiller,  qui  n'était  pas  construit  pour  cela,  on  entend  presque 
tous  les  soirs  Vut  de  poitrine  et  le  fouet  du  ténor  Boetel,  ancien  cocher  de 
fiacre  de  Hambourg,  qui  possède  une  voix  de  ténor  magnifique  et  adore  par 
esprit  de  corps  le  brave  Postillon  de  Lonjumeau;  les  artistes  du  théâtre  Garl 
Weiss  jouent  avec  un  succès  énorme  la  Part  du  Diable,  dont  la  vogue  n'a  pas 
encore  cessé  de  l'autre  côté  du  Rhin. 

—  Il  s'est  formé  à  Munich  une  société  pour  les  représentations  wagué- 
rienues,  à  l'instar  de  celle  qui  existe  pour  le  théâtre  de  Bayreuth.  Moyennant 
une  cotisation  de  2S  francs,  chaque  membre  pourra  assister  à  une  des  repré- 
sentations solennelles  (festspiel)  à  son  propre  choix:  le  surplus  servira  à 
l'achat  de  billets  pour  les  musiciens  pauvres.  Les  musiciens  recommandés 
par  un  des  membres  de  la  Société  seront  admis  en  première  ligne.  La  Société 
espère  aussi  recevoir  des  dons  pour  pouvoir  procurer  à  beaucoup  de  musiciens 
pauvres  la  possibilité  d'assister  aux  représentations  du  théâtre  du  prince- 
régent  qui,  décidément,  va  faire  une  concurrence  loyale  mais  redoutable  à 
Bayreuth. 

—  On  annonce  de  Munich  que  le  compositeur  Karl  de  Perfall,  ancien  inten- 
dant général  des  théâtres  royau.x,  qui  avait  conservé  la  présidence  de  l'Aca- 
démie de  musique  de  Munich,  a  donné  sa  démission  à  cause  de  son  grand 
âge.  M.  de  Perfall  vient  en  eft'et  d'entrer  dans  sa  79»  année. 

—  A  l'occasion  du  2S»  anniversaire  de  la  mort  du  compositeur  Joseph 
Dessauer,  un  journal  allemand  raconte  une  jolie  anecdote.  A  Paris,  Dessauer 
s'était  brouillé  avec  le  célèbre  poète  Henri  Heine,  et  celui-ci  poursuivait  dans 
la  presse  le  malheureux  compositeur.  Un  jour,  Heine  écrivit  de  Paris  à  son 
journal  allemand  que  Dessauer  avait  vendu  à  l'éditeur  Maurice  Schlésinger, 
que  le  poète  n'aimait  pas  non  plus,  deux  douzaines.de  lieder  moyennant  une 
montre  en  or.  Quelques  jours  après,  Dessauer  se  rendit  chez  Schlésinger 
pour  lui  annoncer  que  la  fameuse  montre  ne  marchait  pas.  Schlésinger  répon- 
dit tranquillement  :  «  Vos  lieder  lui  rendent  la  pareille.  Est-ce  que  votre 
musique  marche?  Regardez-moi  ce  tas;  aucun  exemplaire  n'est  parti.  »  Inu- 
tile d'ajouter  que  Heine  avait  inventé  ce  dialogue  de  toutes  pièces,  car  il  fut 
un  temps  où  les  compositions  de  Dessauer  se  vendaient  assez  bien. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  manque  de  deux  chefs  d'orchestre,  et  la 
direction  a  invité  plusieurs  candidats  à  venir  en  automne  pour  diriger  des 
représentations  à  titre  d'essai.  Parmi  ceux-ci  se  trouvent  MM.  Blech  et 
Gille. 

—  Au  Conservatoire  de  Vienne  les  concours  de  fin  d'année  ont  pris  fin  la 
semaine  passée.  On  élève  du  compositeur  Robert  Fischhof,  professeur  de 
piano  audit  Conservatoire,  a  fait  sensation;  ce  jeune  pianiste,  qui  s'appelle 
Bruno  Eisner,  est  considéré  comme  le  plus  grand  talent  que  le  Conservatoire 
ait  formé  depuis  un  quart  de  siècle  et  a  reçu  tous  les  premiers  prix,  ainsi  que 
le  piano  de  concert  d'une  valeur  de  3.000  francs  que  M.  Boesendorfer  offre  au 
meilleur  élève  du  Conservatoire. 

—  M.  Antoine  Dvorak  a  accepté  les  fonctions  de  directeur  du  Conserva- 
toire de  Prague,  devenues  vacantes  par  la  retraite  de  M.  Bennewitz.  Il  est 
vraiment  regrettable  que  l'artiste,  qui  n'est  plus  jeune,  se  soit  chargé  de  cette 
besogne  au  lieu  de  consacrer  toutes  ses  forces  et  tout  son  temps  à  la  compo- 
sition musicale. 

—  On  vient  de  jouer  à  l'Opéra  de  Gracovie,  avec  un  très  grand  succès, 
.Janek  (Jeannot),  un  nouvel  opéra  dont  la  musique  est  due  à  M.  L.  Zelenski, 
directeur  du  Conservatoire  de  musique  de  cette  ville. 


LE  MENESTREL 


231 


—  On  vient  de  constituer  à  Bruxelles  un  comité  Peter  Benoit,  qui,  d'accord 
avec  le  comité  central  établi  à  Anvers  et  avec  les  autres  groupes  régionaux 
déjà  formés  ou  à  former  dans  les  autres  provinces  du  pays,  a  pour  Lut  : 

1.  La  publication  de  l'œuvre  complète  du  maître  défunt,  avec  la  participa- 
tion et  le  contrôle  des  pouvoirs  publics; 

2.  L'érection  à  Anvers  d'un  monument  public; 

3.  L'érection  sur  sa  tombe  d'un  monument  funéraire. 

Voici  la  composition  du  comité,  auquel  il  est  laissé  la  latitude  de  s'adjoin- 
dre, par  la  suite,  de  nouveaux  membres,  au  mieux  de  ses  travaux  et  de  sa 
propagande  :  comité  exécutif  :  président  d'honneur,  M.  Huberti;  présidents, 
MM.  Dedeken  et  A.  Wilfcrd;  vice-présidents,  MM.  Arthur  Degreef,  Lagye, 
Edm.  Hendrickx,  Fr.  Reinhard;  secrétaires,  MM.  A.  Dejaegher,  W.  Gijssels 
et  H.  Teirlinck;  trésoriers,  MM.  't  Sjoen,  E.  Deveen  et  II.  Vanderseypen.  Le 
comité  d'honneur  est  en  formation.  Il  sera  formé  également  un  comité  de  la 
presse. 

—  A  Sturla,  station  balnéaire  voisine  de  Gênes,  un  groupe  de  dilettantes 
vient  de  représenter,  au  bénéfice  d'une  œuvre  de  bienfaisance,  une  comédie 
lyrique  en  trois  actes.  Maria  Amata,  œuvre  d'un  ingénieur,  M.  Arturo  Pier- 
rottet,  qui,  non  content  d'en  avoir  écrit  les  paroles  et  la  musique,  en  a  encore 
dirigé  l'exéculion.  Il  va  sans  dire  que,  dans  ces  conditions,  l'œuvre  et  l'au- 
teur ont  obtenu  un  succès  complet.  —  D'autre  part  on  a  donné  à  Caserte  la 
première  représentation  d'un  drame  lyrique  en  deux  actes,  Daniella,  paroles 
de  M.  Golisciaui,  musique  d'un  jeune  compositeur,  M.  Mariano  Marzano, 
qui  n'était  encore  connu  que  par  de  la  musique  de  salon  et  des  œuvres  reli- 
gieuses. Gomme  toujours,  on  annonce  un  grand  succès.  Cette  Daniella  avait 
pour  interprètes  M™s  Lucia  Nicosia  et  Masula,  MM.  Quadri,  Montella  et  De 
Falco. 

—  Le  premier  vendredi  de  novembre  cominencera,  au  théâtre  Costanzi  de 
Rome,  une  série  de  concerts  symphoniques  qui  se  prolongera  pendant  tout 
le  mois  de  décembre.  Le  personnel  exécutant  sera  formé  du  grand  orchestre 
romain,  qui  sera  dirigé  tour  à  tour  par  divers  chefs,  MM.  Mancinelli,  Mas- 
cagni,  Perosi,  peut-être  M.  Siegfried  Wagner  et  quelques  autres  directeurs 
renommés. 

—  Sous  ce  titre  :  Un  outrage  à  la  mémoire  de  Cimarosa,  la  Gazzetta  musicale  de 
Milan  publie  la  correspondance  suivante,  qui  lui  est  adressée  de  Rome  : 

Je  vous  disais,  dans  ma  dernière  lettre  relative  au  centenaire  de  Cimarosa,  que  le  peu 
qui  s'était  préparé  à  Rome  pour  commémorer  ce  maître  illustre  valait  mieux  que  rien. 
Laissez-moi  me  repentir  qu'une  telle  phrase  me  soit  échappée;  jamais  alïirmation  ne  fut 
plus  fausse  et  insensée.  Mieux,  mieux  mille  fois  rien  que  le  peu  qui  s'est  fait  en  l'hon- 
neur (?  1)  de  l'immortel  compositeur  d'Aversa.  On  avait  préparé,  au  Théâtre  National, 
l'exécution  de  Giannina  e  Bernardone,  une  des  meilleures  œuvres  de  Cimarosa.  mais  non 
certainement  la  meilleure  ;  nous  ne  savons  pour  quelle  raison  on  avait  laissé  de  c6té 
il  Matvimonio  segreto,  œuvre  plus  récente  et  de  facture  plus  soignée  ;  peu  l;-être  voulait-on 
justifier  ce  choix  par  l'assertion,  inexacte,  que  Giannina  e  Bernardonc  n'avait  jamais  été 
représenté  à  Rome  (tandis  que,  en  tait,  il  le  fut  au  théâtre  Valle,  en  1790).  On  pria 
l'honorable  Rosano,  président  du  comité  international  ad  hoc,  de  lire  un  discours.  Mais 
qu'arriva-t-il  ?  La  représentation  eut  lieu  vendredi.  Le  soin  de  monter  l'ouvrage  avait  été 
confié  à  un  violoniste  romain  connu,  très  habile  dans  son  art,  mais  très  peu  propre  à 
diriger  une  partition  ;  l'orchestre,  excepté  quelques  artistes  excellents,  contenait  des  élé- 
ments faibles  et  liétérogènes  ;  les  interprètes,  tous  amateurs,  dépourvus  de  voix,  man- 
quant d'action  et  incertains  de  leurs  rôles,  excitèrent  la  risée  universelle  dès  les  pre- 
mières notés.  Le  discours  de  l'honorable  Rosano  resta  à  rétâf  de  pieux  désir,  et  à  sa  place 
on  donna  la  comédie  Esmeratda.  Je  n'ai  pas  réussi  à  comprendre,  je  confesse  mon  inca- 
pacité, quel  rapport  il  y  avait  entre  la  comédie  de  Giacinto  Gallina  et  Cimarosa.  Il  y  eut 
éiïcore  l'ouverture  du  jl/a/rimonio  seiyrefo  et  une  poésie  de  circonstance,  inspirée  parla 
distinguée  autant  qu'immanquable  poétesse  Bertini-Attili  et  récitée  par  Virginia  Marini, 
ce  qui  valut  à  Vaulrice  quelques  rappels,  toujours  à  la  gloire  de  Cimarosa  !  Le  centenaire 
du  fécond  compositeur  ne  fut  donc  que  troublé  par  cette  plaisanterie  appelée  commémo- 
ration. Des  ambitions  mesquines  et  des  vanités  msatiables  ont  souvent  besoin  d'un  pié- 
destal pour  satisfaire  leurs  appétits.  Mais  qu'on  laisse  au  moins  dormir  en  paix  les 
hommes  illustres  du  passé,  et  qu'on  leur  épargne  de  tels  outrages  !  Ne  suffisait-il  pas  au 
pauvre  Cimarosa  les  menaces  d'une  diminutio  capitis  par  les  Bourbons  de  1799? 

—  L'administration  du  théâtre  du  Buen  Retiro  de  Madrid  avait  ouvert  un 
concours  pour  la  composition  d'un  opéra  espagnol  qui  devait  être  représenté 
à  ce  théâtre,  et  dont  l'auteur  bénéficiait,  en  outre,  d'un  prix  de  2.O0O  francs. 
Le  jury  chargé  de  juger  ce  concours  était  formé  de  trois  compositeurs  : 
MM.  Fernandez  Caballero,  Thomas  Breton  et  Zubiaurre,  et  de  trois  critiques  : 
MM.  Mufioz,  Saint-Aubin  et  Arimon.  Sept  œuvres  avaient  été  présentées. 
Parmi  ces  sept  œuvres,  le  jury  en  avait  surtout  distingué  deux  comme  dignes 
de  la  récompense,  l'une  portant  pour  épigraphe  :  Morir  es  Iriimfar,  l'autre  : 
Pro  patria.  Mais  comme  il  était  absolument  limité  par  les  conditions  du 
concours,  il  dut,  quoique  à  regret,  faire  un  choix  entre  les  deux,  et  il  se 
décida  pour  la  première.  Il  ouvrit  alors  l'enveloppe  qui  contenait  le  nom  de 
l'auteur,  avec  le  titre  de  l'ouvrage.  Celui-ci  était  intitulé  Marcia,  et  il  avait 
pour  auteur  un  compositeur  de  Bilbao,  M.  Gleto  Zavala.  Cet  opéra  va  entrer 
immédiatement  en  répétitions,  de  façon  à  pouvoir  être  représenté  dans  le 
cours  du  mois  prochain. 

—  Un  opéra-comique  intitulé  te  fioz  Dodo,  musique  de  M.  Gustave  Lueders, 
vient  d'élre  joué  avec  beaucoup  de  succès  à  Chicago.  Les  journaux  améri- 
cains parlent  d'un  nouveau  Mikado,  mais  on  connaît  leur  exagération  habi- 
tuelle, et  il  faut  atteadre  le  Roi  Dodo  à  sa  millième  représentation. 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Le  ministère  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  n'a  pas  encore 
fait  paraître  à  VOfficiel  les  promotions  dans  la  Légion  d'honneur,  à  l'occasion 
du  li  juillet,  mais  les  indiscrétions  vont  déjà  leur  train.  Pour  ne  point  causer 
de  grosses  désillusions,  ne  parlons  ici  que  des  nominations  qui  paraissent 
tout  à  fait  certaines;  parmi  les  officiers,  figureront  M.  Faure,  notre  célèbre 
baryton,  qui,  malgré  la  carrière  unique  qu'il  fit  et  les  longs  et  brillants  ser- 
vices qu'il  rendit,  n'était  encore,  depuis  longtemps,  que  chevalier,  M.  Albert 
Carré,  l'actif  et  si  artiste  directeur  de  l'Opéra-Comique,  les  poètes  Jean  Aicard 
et  Léon  Dierx;  parmi  les  chevaliers,  on  cite  M.  Xavier  Leroux,  l'auteur 
à'Astarté,  M.  Maurice  Desvallières,  l'auteur,  avec  M.  Georges  Feydeau,  de 
Champignol,  M.  Victor  Capoul,  directeur  de  la  scène  à  l'Opéra,  MM.  Edmond 
Duvernoy  et  Crosti,  professeurs  au  Conservatoire.  Ces  deux  dernières  nomi- 
nations seront  rendues  publiques  le  jour  de  la  distribution  des  prix. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  élu  correspondant 
libre,  en  remplacement  de  M.  Venturi,  élu  associé  étranger,  M.  le  comte  di 
San  Martino,  président  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  auteur 
d'écrits  intéressants  sur  l'art  musical. 

—  A  peine  de  retour  de  Dresde,  M.  Pedro  Gailhard,  l'infatigable  directeur 
de  notre  Académie  nationale  de  musique  et  de  danse,  a  rebouclé  sa  valise 
pour  aller,  entre  deux  trains,  assister  à  une  répétition  de  Siegfried,  à  Bay- 
reuth.  Il  avait  emmené  avec  lui  son  électricien.  Espérons  qu'à  eux  deux,  ils 
auront  pu  se  rendre  compte  comment,  aujourd'hui,  on  doit  éclairer  une  scène. 
Et  voilà  que  les  feuilles  publiques  annoncent  que  l'intrépide  glob-trotter,  dès 
après  le  concours  d'opéra  va  passer  quelques  jours  seulement  à  Luchon,  d'où 
il  filera  en  auto  pour  faire  son  tour  de  France.  Soyez  prudent,  ami  Gailhard. 
Que  deviendrait  le  palais  Garnier  s'il  vous  arrivait  malheur  en  route!  Nous 
savons  bien  qu'il  nous  resterait  M.  Victor  Capoul,  qui  fait  déjà  souvent 
votre  intérim;  mais  nous  avons  assez  mauvaise  souvenance  de  la  piteuse 
mise  en  scène  de  certain  Roi  de  Paris,  dont,  dans  votre  maison,  on  voulut 
bien  rendre  responsable  votre  inoffensif  et  toulousain  bras  droit.  Pas  de  cent 
vingt  à  l'heure,  n'est-ce  pas,  Pedro?  Soyez  aussi  sage  que  lorsque  derniè- 
rement vous  étonniez  les  promeneurs  du  bois  de  Boulogne  en  chevauchant, 
enfoui  dans  vos  caoutchoucs,  votre  teuf-teuf  paternel. 

—  A  l'Opéra-Comique  engagement  de  M"s  Marthe  Gaux,  une  très  char- 
mante élève  du  Conservatoire,  que  de  mauvaises  dispositions  avaient  empê- 
chée, aux  concours  de  l'année  dernière,  de  décrocher  le  prix  qu'elle  aurait 
dû  avoir  et  qui  était  allée  donner  des  représentations  en  province,  notamment 
à  Dijon  et  à  Reims,  où  elle  créa  la  Cendrillon  de  Massenet  et  chanta  Mignon. 
M.  Albert  Carré,  ayant  appris  ses  succès,  l'attache  heureusement  à  son  théâtre 
et  compte  la  faire  débuter  par  le  rôle  d'Angèle  du  Domino  noir,  lors  de  la 
reprise  prochaine  de  l'œuvre  d'Auber  entièrement  remontée  à  neuf. 

—  Pendant  la  fermeture  de  l'Opéra-Comique  le  bureau  des  abonnements, 
situé  rue  Marivaux,  restera  ouvert  tous  les  jours  de  deux  heures  à  cinq  heures. 
Rappelons  que,  par  une  innovation  heureuse,  la  saison  des  abonnements  ne 
comprendra  plus,  dorénavant,  que  les  jeudis  et  les  samedis,  les  mardis  étant 
supprimés.  Cette  saison  commencera  le  7  novembre  1901  pour  prendre  fin  le 
14  juin  1902  et  sera  composée  de  deux  séries  de  quinze  représentations  cha- 
cune, alimentées  par  quinze  programmes  différents.  Les  conditions  restent 
les  mêmes  que  pour  les  saisons  précédentes.  M.  Albert  Carré  a,  de  plus,  créé 
nue  nouvelle  catégorie  d'abonnements  dit  de  famille,  comprenant  également 
quinze  représentations  qui  auront  lieu,  eu  deux  séries  A  et  B,  tous  les  lun- 
dis, du  11  novembre  au  16  juin,  et  au  prix  ordinaire  du  bureau. 

—  Grâce  à  la  bienveillance  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  de  la 
direction  des  beaux-arts,  Paris  aura  prochainement  au  Grand-Palais,  tous 
les  dimanches,  pendant  la  belle  saison,  des  concerts  populaires  accessibles 
aux  bourses  les  plus  modestes,  où  un  orchestre  de  choix  fera  entendre  les 
œuvres  des  maîtres  anciens  et  modernes  les  plus  célèbres.  Ces  concerts, 
dont  l'inauguration  aura  lieu  très  prochainement  et  qui  se  continueront  tous 
les  dimanches,  seront  dirigés  par  M,  Louis  .Pister. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  c'est  M.  Victor  Silvestre,  dont  le  pas- 
sage à  la  direction  de  diverses  scènes  parisiennes  a  plutôt  marqué,  qui  prend 
le  Château-d'Eau,  en  lui  rendant  son  ancien  nom,  —  pour  y  exploiter  l'opé- 
rette à  spectacle.  Ajoutons  que  l'audacieux  directeur  a  l'intention,  à  l'instar 
des  petites  villes  du  Nord  et  pour  donner  satisfaction  à  la  clientèle  populaire 
du  quartier,  d'adjoindre,  le  samedi  et  le  dimanche,  à  l'opérette  en  cours  un 
drame  du  répertoire.  Littérature,  musique  et  cervelas.  Notre  confrère  M.  Paul 
Lordon  est  d'ores  et  déjà  chargé  du  secrétariat  général  et  c'est  M.  Léon 
Vasseur  qui  sera  chef  d'orchestre. 

—  D'autre  part,  c'est  M.  Richemond,  qui  fut  de  l'administration  de 
l'Athénée  avec  M.  Deval,  qui  prend  possession  des  Folies-Dramatiques.  Le 
directeur  du  square  de  l'Opéra  et  celui  de  la  rue  de  Bondy  ont  l'intention  de 
marcher  la  main  dans  la  main  et  de  s'entr'aider  eu  se  prétaijt  mutuellement 
leurs  artistes.  C'est  dire  que  le  genre  exploité  aux  Folies  sera  la  comédie,  avec 
incursion  dans  le  domaine  du  vaudeville  à  couplets. 

—  Le  Bulletin  municipal  a  annoncé  que  l'administration  examine  un  projet 
d'Opéra  International  à  installer  sur  l'ancien  emplacement  du  Cirque  des 
Champs-Elysées  et  présenté  par  M.  Léon  Carvalho.  C'est  par  M.  Leoncavallo 
qu'il  faut  lire.  L'auteur  de  Paillasse  et  son  frère,  qui  chercha  déjà  à  monter  à 
Paris  un  théâtre  lyrique,  ont  eu  effet,  paraît-il,  réuni  des  capitaux  qui  leur 
permettraient -de  mettre-à-exéeution  un  projet  de  théâtre  où  l'on  jouerait  des 
œuvres  musicales  françaises,  italiennes  et  allemandes. 


232 


LE  MENESTREL 


—  Le  second  des  gros  lots  de  cent  mille  francs  de  la  loterie  de  l'Association 
des  Artistes  dramatiques  qui  n'avait  pas  encore  été  réclamé  —  on  se  rappelle 
que  l'autre  avait  été  gagué  par  le  coiffeur  du  Grand  Théâtre  de  Bordeaux  — 
vient,  enfin,  de  trouver  son  beureux  possesseur.  C'est  à  MM.  de  Rothschild 
qu'il  échoit  et  l'on  peut  dire,  cette  fois  encore,  que  la  fortune  a  bien  fait  les 
choses,  puisque  les  célèbres  banquiers  ont  immédiatement  avisé  le  Comité 
qu'ils  abandonnaient  la  somme  totale  au  profit  de  l'œuvre  de  la  maison  de 
retraite  que  l'Association  va  fonder  pour  les  vieux  comédiens. 

Peu  à  peu  la  Société  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Éditeurs  de  mu- 
sique, dont  les  appétits  apparaissent  trop  souvent  tout  à  fait  injustifiés,  en 
est  arrivée  même  à  toucher  régulièrement  des  droits  d'auteur  sur  des  auditions 
entièrement  gratuites.  M.  Adrien  Jlithouard,  comme  pas  mal  d'auteurs  avant 
lui.  s'est  ému  de  cette  situation,  qu'il  considère  comme  absolument  injuste, 
et,  tout  en  reconnaissant  la  parfaite  légitimité  du  principe  de  la  perception 
sur  les  exécutions  publiques  dès  qu'elles  sont  susceptibles  de  rapporter,  il 
voudrait  voir  ramener  à  la  sagesse  et  à  l'équité  la  Société  qui  semble  outre- 
passer ses  droits.  Il  vient  donc  d'é.mettre,  au  Conseil  général,  le  vœu  suivant 
tendant  à  obtenir  une  réforme  qu'il  juge  nécessaire  et  qui  a  été  renvoyée  à 
la  quatrième  commission  : 

1"  Qu'une  disposition  législative  inlarvienne  pour  dispensjr  les  musiques  des  armées 
de  terre  et  de  mer,  les  musiques  des  éliiblissements  scolaires,  les  sociétés  musicales  auto- 
risées, chorales  ou  instrumentales,  de  l'acquittement  de  droits  d'auteurs  ou  de  compo- 
siteurs et  de  l'obligation  d'une  autorisation  pré.ilable,  pour  les  exécutions  en  plein  air  et 
à  huis  clos  qui  ne  donnent  lieu  à  aucune  recelte  directe  ou  indirecte; 

2°  Que  les  auditions  gratuites  desdites  sociétés  ne  soient  plus  considérées  comme 
payantes  par  le  seul  fait  de  l'établissement  d'un  vestiaire  ou  de  la  vente  d'un  programme  ; 

3'  Que  les  redevances  dues  pour  des  exécutions  donnant  lieu  à  une  recette  soient  mo- 
dérées dans  le  cas  où  elles  incomberaient,  à  défaut  des  entrepreneurs  ou  organisateurs, 
aux  musiques  et  sociétés  ci-dessus  désignées. 

—  Le  Journal  officiel,  dont  ce  n'est  pas  l'habitude,  nous  apporte  une  nou- 
velle, et,  qui  plus  est,  une  nouvelle  originale.  Qu'on  en  juge.  Il  nous  annonce 
qu'un  habitant  de  Nice,  M.  Verda,  demande,  dans  les  formes,  à  changer  son 
nom  de  Verda  en  celui  de  "Verdi.  Pas  dégoûté  !  h'Ofliciel  ajoute  que  le  pos- 
tulant «  remplit  toutes  les  formalités  exigées  par  la  loi  pour  atteindre  ce 
résultat  ».  Moi,  ça  m'est  égal:  mais  si  j'étais  de  la  famille  Verdi,  je  ne  serais 
peut-être  pas  content.  En  tout  cas,  je  trouverais  cela  singulier. 

H.  Albert  Soubies  vient  de  publier,  chez  Flammarion,  dans  sa  char- 
mante et  si  utile  collection  de  l'Almanach  des  Spectacles,  un  nouveau  volume 
(le  xxixS  année  1900)  orné,  comme  les  précédents,  d'une  jolie  eau-forte  de 
M.  Lalauze.  Entre  autres  documents  inédits,  nous  y  trouvons  cette  curieuse 
nomenclature  des  pièces  qui.  l'an  dernier,  ont  réalisé,  dans  les  théâtres  de 
Paris,  les  recettes  les  plus  élevées  : 

Les  Huguenots  [Opérai Fr.     22.926  90 

La  Poudre  de  Peilinpinpiii  {ChdleM) 13./i79  50 

Le  Dépit  amoureux  et  le  Bourgeois  gentilhomme  (Comé- 
die-Française)         12.166    . 

L'Aiglon  (Th.  Sarah-Bernhardt) 11.778    » 

L'Assommoir  (Porte-Saint-Martin) 9.680    » 

Louise  (Opéra-Comique) 9.634  60 

Éducation  de  prince  {Variétés) 8.351     » 

JV/odame  Saiis-Géiie  (Vaudeville) *  ■       8.038    » 

La  Bourse  ou  la  Vie  (Gymnase) 6.725    » 

ies  Aforis  de  Lconiine  (Nouveautés) 6.655    •> 

Clidteau  historique  (Oiéoa] 6.432    » 

Moins  Cinq  (Palais-Royal) 6.366    » 

Les  Saltimbanques  (Gaîté) 6.365  50 

Tête  de  linotte  et  l'Anglais  tel  qu'on  le  parle  (AthSn  ei  .      4.586    » 

Les  Deux  Gosses  (Ambigu) 4.357  50 

Iphigénieen  Tauride  (Renaissance) 4.404  50 

ia  iîeiîje  de  Sate  (Th.  de  la  République) 4.093    » 

La  Parisienne,  Main  gauche  et  l'Artide  330  (Théâtre 

Antoine) 3-961  50 

Les  Dragons  de  Villars  (Folies-Dramatiques) 2.852  25 

François  ies  £as-Bteis  (Boutfes-Parisiens) 2.850  50 

Le  Fiancé  de  Thylda  (Cluny) 2.349    « 

Le  Sous-Préfet  de  Chiiteau-Buzard  {Déjazel) 1.644  75 

Ce  petit  document  nous  fait  connaître  qu'en  dépit  de  la  maladie  wagnérienne 
qui  sévit  depuis  si  longtemps  à  l'Opéra,  la  musique  de  Meyerbeer  n'a  pas 
perdu  tout  attrait  pour  le  public,  puisque  la  plus  forte  recette  de  l'année  — 
une  recette  de  près  de  23.000  francs  !  —  a  été  faite  par  les  Huguenots,  ce  chef- 
d'œuvre  honni  aujourd'hui  par  une  certaine  école. 

—  De  Royat.  M.  Edouard  Colonne,  venu,  ici,  en  villégiature  avec  M""  Co- 
lonne, vient,  sur  la  pressante  sollicitation  des  personnages  notables  de  la 
ville,  de  donner,  au  théâtre  municipal,  un  grand  concert  qui  n'a  été  qu'une 
longue  suite  d'avations  pour  l'éminent  chef  d'orchestre.  M.  Daniac  et  M.  de 
Villers  les  directeurs  du  Kursaal,  avait  mis  à  sa  disposition  leur  orchestre 
auquel  s'étaient  adjoints,  avec  empressement,  tous  les  artistes  et  amateurs 
clermontois.  Inutile  de  dire  avec  quelle  perfection,  sous  la  direction  d'un  tel 
chef  tous  les  numéros  du  programme  furent  exécutés  et  quel  succès  on  fit 
notamment  au  Dernier  sommeil  de  la  Vierge  de  Massenet,  à  la  suite  de  Sylvia 
de  Delihes  à  la  marche  de  la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz,  etc.  A  l'issue  du 
concert,  l'administration  supérieure  des  eaux  à  laquelle  s'étaient  joints  le 

IMPRIMERIE  CENTRALE   DES  CBEHI.VS   DE   FER, 


préfet  du  Puy-de-Dôme  et  quelques  amis  ont  bu  une  coupe  de  Champagne  et 
porté  la  santé  du  célèbre  chef  d'orchestre  français. 

—  De  Boulogue-sur-Mer:  La  troupe  d'opéra  du  Casino  municipal  a  débuté 
mardi  dernier  dans  Manon,  interprétée  par  M"»*  Marignan,  Rousseau,  Meis- 
sonnier,  Ferdique,  MM.  Boulo,  Féran  et  Sainprey.  Le  menuet  fort  bien  réglé 
par  M""=  Rozier.  l'orchestre  parfait,  tout  a  été  digne  des  applaudissements 
qui  ont  salué  les  interprètes.  Mamzelte  Mtouclw  fait  les  brillants  lendemains 
de  ces  beaux  débuts. 

—  Soirées  et  Coscerts.  —  En  deux  séances  très  chargées,  .M"'Hungera  faitentendre, 
à  la  salle  des  Ingénieurs  civils,  les  élèves  de  ses  cours  de  rau5i([ue  placées  sous  la  ha\ite 
direction  de  M.  Alph.  Duvernoy.  Beaucoup  d'applaudissements  pour  les  jeunes  élèves, 
parmi  lesquelles  on  remarque,  entre  autres.  M""  Renée  !..  i Entracte  Gavotte  de  Mignon, 
A.  Thomas),  Gilberte  d'E.  {Aragoitaise  du  Cid,  Massenet),  Jeanne  B.  [Clair  de  lune  de 
Werther,  Massenet),  Yvonne  D.  {Air  à  danser,  Dubois),  Geneviève  de  M.  iHoman  d'Arle- 
quin, Massenet),  Germaine  de  Saint-D.  {Source  capricieuse,  FiUiaux-Tiger),  Alice  R.  {Man- 
dolinata.  Paladilhe-Saint-Saëns),  Germaine  D.  {Valse  chromatique,  Godard),  Gabriel  L. 
{Ma:urlia  élégante,  Lack),  Armande  J.  {Valse  chromatique,  Godard),  Claire  de  K.  {Étoiles 
/liantes,  Lack),  Germaine  P.  (Mandolinata,  Paladilhe-Saint-Saëns),  Madeleine  R.  {Valse 
caprice,  Rubinstein),  Odette  L.  {Polkeltina,  Lack),  Yvonne  M.  [Valse  arabesque,  Lack), 
Marie  L.,  lïhsabeth  L.,  Julie  L.,  Henriette  L.  {Cortège  de  Bocc/ihs  de  Si/d'ia,  Delibes), 
Marguerite  B.  (Aragonaise  du  Cid,  Massenet),  Marie-Louise  M.  de  la  P.  {Valse  arabesque, 
Lack),  Marie-Louise  M.  de  la  P.,  Suzanne  M.,  Isabelle  G.  du  R.,  Y'vonne  L.  {Enlr'acte 
scvillana  de  Don  César  de  Ba:!an,  Massenet),  Florine  S.  {Le  Retour,  Bizet)  et  Marie  L., 
Marguerite  H.,  Suzanne  M.,  Germaine  L.  [Saturnales  des  Erinnyes,  Massenet).  —  Au 
foyer  du  théâtre  de  Saumur,  très  bonne  audition  des  élèves  de  M"°  Raynaud-Yvon  à  qui 
le  public  a  fait  un  succès  mérité.  Parmi  les  numéros  du  programme  les  plus  appréciés, 
citons  le  Coucou  de  Daquin,  Danse  rustique  de  Dubois,  Valse  slgrienne  de  Lack  et  l'air 
de  Marie-Magdeleine  de  Massenet  qu'on  a  bissé. 

NÉCROLOGIE 

Un  des  derniers  représentants  de  la  grande  école  italienne  de  chant 
dramatique,  le  fameux  baryton  FrancescoGraziani,  vient  de  mourir,  le  30  juin, 
à  l'âge  de  72  ans,  dans  sa  villa  de  Grottazzolina,  près  de  Ferme,  où  il  était  né 
le  26  avril  1829.  Après  avoir  débuté  à  Ascoli,  puis  s'être  fait  entendre  à  Ma- 
cerata,  à  Ghieti,  à  Pise  et  à  Florence,  il  vint  à  Paris  en  1834,  fit  presque 
aussitôt  un  voyage  à  New-York,  puis,  de  retour  en  Europe,  fut  attaché  à 
notre  Théâtre-Italien  jusqu'en  1861  tout  en  faisant,  chaque  été,  la  saison  du 
théâtre  Covent-Garden,  à  Londres.  Son  talent  de  chanteur  était  des  plus 
remarquables,  et  il  ne  se  montrait  pas  moins  habile  sous  le  rapport  du  jeu 
scénique.  Son  triomphe  était  éclatant  surtout  dans  le  rôle  de  Rigoletlo,  où 
ses  qualités  dramatiques  se  montraient  en  pleine  lumière.  En  1862  il  obtint 
d'énormes  succès  à  la  Scala  de  Milan,  puis  il  fut  engagé  pour  trois  années  à 
Saint-Pétersbourg.  On  le  revit  en  1866  à  Paris,  mais  sa  voix  était  déjà  fati- 
guée, et  il  ne  retrouva  qu'une  partie  des  succès  qui  l'avaient  fait  acclamer 
naguère  dans  il  Trovatore,  Don  Giovanni,  Maria  di  Rohan,  Luciadi  Lammermoor, 
Ernani,  Otello,  il  Giuramento,  il  Barbiere,  la  Traviata,  etc.  Il  quitta  le  théâtre 
peu  d'années  après,  et  se  retira  à  Grottazzolina,  où  il  devint  conseiller  com- 
munal, puis  syndic  (maire).  «  Les  honneurs  que  sa  ville  natale  lui  a  rendus, 
dit  un  journal,  ont  été  imposants  par  le  grand  nombre  de  sociétés  accourues, 
de  maestri,  de  professeurs  et  d'amis,  qui  ont  prononcé  sur  sa  tombe  des  dis- 
cours inspirés  de  sentiments  artistiques  et  patriotiques.  » 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


e   AU   MENESTREl-.,   3   l>is,   rue   Vl-rl* 

PROPRIÉTÉ    POXJR,   TOUS    P.A.-VS 


i 


THÉODORE   DUBOIS 

Sonate  pour  violon  et  piano,  dédiée  à  MM.  Ysaye  et  Raoul  Pugno,  net  6    » 
Deux  Pièces  en  forme  canonique  pour  hautbois,  violoncelle  et  piano, 

dédiées  à  MM.  GiUet  et  Delsart 7  bO 

Menuet  dans  le  style  ancien  pour  violoncelle  et  piano,  dédié  à  M.  Loeb.  6    » 


cH-lvr.  miDot^ 


Choral  et  Variations  pour  harpe  et  orchestre,  dédiés  à  M.  Hasselmans. 

ParLilion  d'orcliesLre,  net  ;  15  francs.  —  Parties  sijparées,  net  ;  30  francs, 
chaque  partie  supplémentaire,  net  :  1  fr.  50  c. 

Les  mêmes,  réduction  pour  harpe  et  piano 9 

(Morceau  désigné  pour  les  concours  du  Conservatoire  de  Paris.) 


H.  t?flBAUÛ 


Ândaate  et  Scherzetto  pour  violon,  flûte  et  piano,  net 


CnAlX,  RUE  VERGEREj   : 


nimaiiclie  28  Juillet  1901: 


3670.  -  «7-  mm  -  I\»30.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  '"',  rue  Tivienne,  Paris,  «•  «■) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTR 


Le  HaméFo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEATI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  flamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  fran-co  à  M.  Hekri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,Te.\te  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIEE-TESTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  ioterprètes  depuis  deux  siècles  (22"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Les  Concours  du  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MES   VŒUX 

mélodie  de  Paul  Puget,  poésie  de  Jules  Bardier.  —  Suivra  iramédiateraent  : 

les  Portraits,  mélodie  de  Joanni  Pkrronnet,  poésie  de  Antonin  Lugnier. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Ldndler  alsaciens  (%"  suite),  par  Charles  Malherbe.  —  Suivra  immédiatement  : 
la  Flûte  et  le  Luth,  de  A.  Périlhou. 


L'AKT  MUSICAL  ET  SES  INTERPHÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  mémoires  les  plus  récenls  et  des  docnmems  inéilits 

(Suite.) 


H  (suite) 

De  cette  maladie  bizarre,  qui  dura  plus  d"un  an,  il  ne  devait 
rester  à  Cherubini  que  ses  allures  brusques,  bourrues,  chagrines, 
devenues  brutales  et  tyranniques  quand  il  fut  nommé  directeur 
du  Conservatoire.  Il  était  la  terreur  de  la  maison,  injuste  pour 
les  anciens  pensionnaires  et  décourageant  pour  les  nouveaux. 
Nous  devons  constater  toutefois  que,  dans  de  récentes  publica- 
tions, une  réaction  s'est  produite  en  sa  faveur.  Cherubini  nous 
apparaît  sous  un  autre  jour.  Il  est  encore  peu  accueillant  et 
même  désagréable,  mais  il  est  plus  équitable,  il  encourage 
même...  à  sa  manièr-i,  le  vrai  mérite. 

Une  petite  protégée  d'Élie  Berthet  passait  devant  le  terrible 
maitre  un  examen  de  piano.  La  fillette  ne  manquait  ni  d'aplomb, 
ni  de  doigté;  le  maitre  ne  sourcillait  pas.  Tout  à  coup  l'élève 
fond  en  larmes. 

—  Perché  plorez-vous?  fait  Cherubini. 

—  J'ai  beau  jouer  de  mon  mieux,  vous  ne  me  dites  rien. 

—  Si  ze  ne  dis  rien,  c'est  que  ze  zouis  content.  Autrement,  ze 
parlerais. 

Nous  allons  l'entendre  parler,  mais,  ô  merveille!  pour  com- 
plimenter un  «  zeune  imprudent  »,  qui  était  allé  lui  porter  un 
quatuor  de  sa  façon,  un  quatuor,  cette  pierre  de  touche  du  com- 
positeur, comme  Cherubini  aimait  à  le  répéter. 


Charles  Dancla  (1),  patronné  par  Turcas,  musicien  distingué  et 
gendre  du  directeur  du  Conservatoire,  avait  obtenu,  grâce  à  lui, 
de  présenter  son  œuvre  à  Cherubini.  Quand  la  classe  de  com- 
position d'Halévy  est  terminée,  Dancla,  précédé  de  ses  artistes 
et  tenant  en  main  sa  partition,  pénètre  tout  tremblant  dans 
l'antre  du  lion. 

—  Ahl  coquin,  dit  Cherubini,  en  jetant  les  yeux  sur  les 
feuilles,  qui  étaient  très  nettement  écrites,  tu  copies  bien,  mais 
nous  allons  voir  si  le  ramase  il  ressemble  au  plumaze. 

La  comparaison,  paraît-il,  se  justifiait  le  mieux  du  monde, 
car  le  directeur  se  lève,  serre  la  main  de  Dancla  et  le  félicite 
chaleureusement  : 

—  Redis-moi  ton  quatuor. 
Après  une  nouvelle  exécution  : 

—  Continoue...  ma,  attends  «m  poco. 

Et  Cherubini,  qui  était  entré  dans  sa  bibliothèque,  en  sort 
avec  son  Traite  de  Fugue  et  de  Contrepoint  qu'il  donne  au  compo- 
siteur-violoniste : 

—  Ze  l'ai  corrizé  de  ma  main,  ma  l'esemplaire  il  est  bon. 

Gounod  se  rappelle  également  avec  émotion  l'intérêt  que  Che- 
rubini prit  à  ses  études.  Après  la  mort  de  Reicha,  un  des  profes- 
seurs de  Gounod,  le  directeur  du  Conservatoire,  qui  prisait  peu 
la  manière  et  le  style  allemands  du  défunt,  voulut  que  «  le  petit  » 
suivît  la  méthode  italienne.  Il  le  mit  dans  la  classe  de  fugue  et 
de  contrepoint  d'Halévy,  son  élève,  c'est-à-dire  à  l'école  de 
Palestrina.  En  même  temps  Gounod  étudiait  avec  Berton,  un 
adorateur  exclusif  de  Mozart  :  le  jeune  élève  était  aux  anges, 
lui  qui  appelait  les  Noces  de  Figaro  «  le  bréviaire  des  musiciens  ». 
Mais,  Berton  étant  mort  (2)  deux  mois  après,  Cherubini  place 
Gounod  dans  la  classe  de  Lesueur,  à  qui  sa  haute  taille  et  sa 
grande  figure  pâle  donnaient  l'aspect  d'un  auguste  patriarche.  Il 
était  écrit  que  le  futur  auteur  de  Faxist  ne  devait  pas  garder 
longtemps  ses  professeurs.  Lesueur  eut  à  peine  le  temps  de  lui 
faire  apprécier  les  hautes  qualités  de  son  rare  esprit,  de  sa 
science  incomparable,  de  son  cœur  aimant  et  généreux. 

Le  baron  de  Trémont,  qui  ne  parait  pas  avoir  connu  ce  Che- 
rubini nouvelle  manière,  nous  trace  au  contraire  un  portrait  peu 
flatté  du  maître  dans  ses  rapports  avec  ses  élèves  :  c'était  le  pire 
des  despotes,  comme  nous  l'apprend  la  mésaventure  de  Zimmer- 
mann. 

Cet  artiste  était  professeur  de  piano  déjà  connu  quand  il 
étudiait  l'harmonie  avec  Cherubini  :  les  exigences  de  sa  clientèle 
l'obligeaient  à  prendre  un  cabriolet  qu'il  laissait  deux  fois  par 
semaine  à  son  professeur,  alors  que  celui-ci  allait  au  Jardin 
des  Plantes  composer  son  fameux  herbier.  Or,  un  jour  que  la 


(1)  Dancla.  —  Noies  et  souvenirs  ;  Delamotlc,  1893. 

(2)  Nous  nous  expliquons  difficilement  l'erreur  de  Gounod.  Berton  ne  mourut  que  cinq 
ins  après. 


234 


LE  MÉNESTREL 


pluie  tombait  à  torrents,  Zimmermann  demande  timidement  à 
garder  le  cabriolet  pour  se  rendre  à  ses  leçons. 

—  Z'en  souis  bien  face,  répond  Cherubini;  ma  ze  ne  puis 
manquer  ma  séance. 

—  Alors,  prêtez-moi  votre  parapluie. 

—  Amico,  le  saze  dit:  ne  prête  ni  ta  femme,  ni  ton  seval,  ni 
ton  rasoir  ;  moi  z'azoute  le  paraplouie. 

Et  le  pauvre  Zimmermann  dut  partir  sous  la  pluie  battanle 
pour  aller  donner  ses  leçons. 

Cherubini  n'avait  pas  non  plus  la  réputation  d'être  un  parent 
fort  tendre,  ni  un  ami  foncièrement  dévoué.  Adam,  le  composi- 
teur, en  donnait  une  preuve  bien  topique  au  peintre  Eugène  Dela- 
croix. Un  graveur  avait  obtenu  de  Cherubini,  mais  avec  quelle 
difficulté,  l'autorisation  d'exécuter  la  médaille  du  maître  d'après 
un  de  ses  portraits.  L'artiste,  pour  lui  témoigner  sa  gratitude, 
crut  devoir  lui  apporter  plusieurs  exemplaires  de  son  travail. 
Mais  Cherubini  les  refusa  en  ces  termes  : 

—  Je  ne  donne  rien  à  mes  parents  et  je  n'ai  pas  d'amis. 
Peut-être  gardait-il  rancune  aux  siens  des  sacrifices  qu'ils  lui 

avaient  involontairement  imposés  pendant  les  heures  si  difficiles 
pour  lui  de  l'Empire.  Les  Deux  Journées  étaient  le  seul  de  ses 
ouvrages  qui  se  jouât  encore,  et  la  moins  aléatoire  de  ses  res- 
sources était  la  place  d'inspecteur  du  Conservatoire  qui  lui  per- 
mettait de  faire  vivre  sa  femme  et  ses  trois  enfants. 

Musicien,  il  était  entré  dans  une  famille  de  musiciens,  et  il 
devait  marier  sa  fille  à  un  musicien.  M°"  de  Chastenay,  toute 
fière  encore  d'avoir  été  applaudie  par  l'illustre  maître  dans  un 
concert  d'une  élève  de  Garât,  nous  dit  que  le  beau-père  de  Che- 
rubini, compositeur  des  plus  savants,  avait  écrit  la  musique 
d'un  Te  Deum  pour  le  rétablissement  de  la  monarchie.  Cheru- 
bini, qui  lui  témoigna  toujours  la  plus  complète  indifférence, 
n'aimait  pas  du  tout  son  gendre  Turcas.  Après  la  mort  de  celui-ci, 
un  ami  vint  présenter  au  beau-père  ses  compliments  de  condo- 
léances et  crut  devoir  ajouter  : 

—  Eh  bien  I  Comment  allez-vous? 

—  Mal,  très  mal. 

—  Ah  !  je  comprends,  une  perte  si  douloureuse  ! 

—  Si  ce  n'était  encore  que  ça  1 

—  Quoi  donc,  grand  Dieu  I 

—  Mon  çocolat,  il  ne  passe  pas  bien. 

Mais  Cherubini  est  tellement  l'homme  des  contrastes  inatten- 
dus que,  même  après  avoir  lu  ces  témoignages  contemporains 
dignes  de  toute  créance,  on  ne  saurait  s'étonner  d'une  lettre, 
d'esprit  absolument  opposé,  adressée  par  lui  à  £.  Bérat,  le 
25  juillet  '1827  et  publiée  par  le  chansonnier  dans  ses,  Mélanges 
littéraires  (1). 

Cherubini,  qui  signe  «  in  œternum.  Votre  dévoué  »,  remer- 
cie avec  effusion  «  son  cher  ami  Bérat,  du  charmant  bonjour  en 
paroles  et  en  effigie  que  lui  a  remis  de  sa  part  Panseron  ».  Il  est 
vrai  qu'il  a  un  service  à  lui  demander.  11  prie  son  correspondant 
de  s'inquiéter  de  M-'^  Cherubini,  de  sa  fille  Zénobie  et  d'une  femme 
de  chambre,  parties  de  Paris  pour  Dieppe  et  passant  à  Rouen 
où  elles  doivent  débarquer  au  bureau  des  Vélocifères.  Lui  les  ira 
chercher  à  la  fin  d'août,  peut-être  au  commencement  de  sep- 
tembre ;  et  il  compte  bien,  à  l'aller  et  au  retour,  avoir  le  plaisir 
de  chanter:  «  J'ai  retrouvé  mon  Bérat  »,  allusion  aux  couplets 
du  chansonnier  comique  «  j'ai  retrouvé  mon  coutiau  ». 

Si  les  contemporains  ne  sont  pas  toujours  d'accord  pour  juger 
l'homme,  ils  sont  unanimes  pour  célébrer' le  musicien. 

Haydn  et  Beethoven  le  tenaient  en  très  haute  estime  :  celui-ci, 
dit  Gounod,  l'appelait  le  premier  compositeur  de  son  temps  et 
lui  soumit  le  manuscrit  de  la  Messe  solennelle  (œuvre  123).  Ber- 
lioz, pour  quiBellini  n'était  qu'un  «  petit  polisson  »,  le  traitait 
d'  «  illustre  vieillard  ». 

Eugène  Delacroix  ne  le  vénérait  pas  moins.  En  18S3  il  enten- 
dait avec  plaisir  la  Marche  du  Sacre,  bien  qu'il  trouvât  le  Credo 
«  bruyant  etpeu  touchant  ».  Un  air  de  Cherubini  lui  parait  «  un 
foudre  d'invention  »  à  côté  de  «  l'éternelle  musique  primitive 


sans  interruption  et  monotone  »,  dont  Delsart  bourre  le  pro- 
gramme de  son  concert. 

Un  an  après,  Delacroix  discutait  avec  le  violoncellisle  Fran- 
chomme  des  mérites  respectifs  de  Spontini  et  de  Cherubini.  11 
mettait  la  Vestale  an-dessus  des  œuvres  dramatiques  de  celui-ci. 
Franchomme  protestait.  Et  Delacroix  concluait  :  «  Mon  adversaire 
a  peut-être  raison  comme  facture  ;  mais  certainement  le  célèbre 
«  contrapuntiste  »  n'eût  pas  traité  le  même  sujet  avec  autant 
de  passion  et  de  simplicité  !  » 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


HARPE 


(Il  E,  BÉBAT.  —  Mélanges  liitéraires;  Rou 


Celui-ci  comptera  certainement  parmi  les  plus  brillants  de  la  série, 
et,  de  fait,  il  a  été  d'une  valeur  absolument  exceptionnelle.  La  classe  de 
M.  Hasselmans,  toujours  si  remarquable,  si  distinguée  dans  ses  résul- 
tats, s'est  montrée  cette  fois  supérieure  encore  à  elle-mùine,  si  bien  que, 
sur  sept  élèves  qui  se  présentaient  au  concours,  six  se  sont  vu  décerner 
des  récompenses,  dont  trois  prix  et  trois  accessits.  L'élément  féminin 
était  prépondérant  cette  fois,  car  sur  ces  sept  élèves  il  n'y  avait  qu'un 
seul  mâle,  le  jeune  Salzédo;  ce  qui  ne  l'a  pas  empêché,  d'ailleurs, 
d'emporter  l'un  des  deux  premiers  prix. 

Le  morceau  d'exécution  était  un  joli  morceau  de  M.  Widor,  intitulé 
Choral  et  Variatiom.  avec  accompagnement  de  quatuor  et  de  piano,  qui, 
je  pense,  n'était  que  la  réduction  de  l'orchestre  complet.  Il  était  bien 
écrit  pour  mettre  en  relief  tous  les  avantages  et  toutes  les  ressources  de 
l'instrument,  et  pour  permettre  à  l'exécutant  de  déployer  lui-même 
toutes  ses  qualités  et  toute  son  habileté.  Le  morceau  de  lecture  à  vue 
était  aussi  de  M.  Widor. 

Deux  premiers  prix,  à  M""  Sassoli  et  à  M.  Salzédo.  M"'  Sassoli,  une 
enfant  de  quatorze  ans,  en  était  à  son  premier  concours  et  a  enlevé  son 
prix  haut  la  main.  C'est  une  délicieuse  petite  nature  musicale,  douée 
d'une  étonnante  façon.  Un  jeu  perlé,  une  sonorité  argentine,  délicate 
et  moelleuse,  des  nuances  bien  senties  et  charmantes,  une  dextérité 
remarquable,  un  sentiment  rare,  avec  cela  de  la  vigueur  à  l'occasion  ; 
le  tout  complété  par  une  bonne  lecture.  On  peut  se  faire  une  idée  du 
succès  qui  l'a  accueillie.  Son  compagnon,  M.  Salzédo,  à  qui  la  journée 
était  favorable  puisque,  quelques  heures  plus  tard,  il  joignait  à  son 
premier  prix  de  harpe  un  premier  prix  de  piano,  ce  qui,  je  pense,  est 
sans  exemple  au  Conservatoire,  a  brillé  par  d'autres  qualités  :  de  l'expé- 
rience, une  sonorité  bien  ronde,  un  bon  mécanisme,  une  exécution 
solide  et  sûre,  avec  moins  de  charme  que  sa  petite  émule.  Lui  aussi  a 
très  bien  lu. 

M"°  Pestre,  l'unique  second  prix,  se  distingue  aussi  par  la  solidité  et 
l'autorité.  Jeu  habile  et  ferme,  mécanisme  excellent,  de  la  vigueur, 
avec  un  son  parfois  un  peu  gros.  Bonne  lecture. 

Les  deux  premiers  accessits  sont  deux  enfants  charmantes,  l'une  âgée 
de  quinze  ans,  M"°  Poullain,  l'autre  de  treize.  M"''  Meunier.  Chez 
j^ue  Poullain  un  bon  mécanisme,  de  la  sûreté,  une  exécution  ferme,  un 
jeu  brillant;  pour  ce  qui  est  de  la  lecture,  la  meilleure  de  la  journée. 
Chez  M"'  Meunier  un  jeu  brillant  et  tout  plein  de  grâce,  un  joli  son, 
délicat  et  pur,  des  doigts, agiles,  un  bon  sentiment  musical,  bref  un 
ensemble  charmant,  avec  de  jolis  détails  d'exécution. 

Peut-être  eût-on  pu  joindre  à  ces  deux  enfants  M"=  Lipschitz,  au  lieu 
de  lui  accorder  un  simple  second  accessit.  Elle  a  bien  des  qualités 
aussi  :  de  la  grâce  et  du  goût,  un  joli  son,  de  Jolies  nuances  faites  avec 
délicatesse,  enfin  une  exécution  parfois  séduisante.  Elle  sera  plus  heu- 
reuse l'an  prochain. 

PIANO  (Hommes). 

Qui  est-ce  qui  choisit  les  morceaux  destinés  aux  concours?  Je  l'ignore. 
Mais  je  me  permettrai  de  trouver  que  le  choix,  qui  n'est  pas  toujours 
heureux,  était  cette  année  particulièrement  déplorable.  Il  s'était  arrêté 
sur  l'étude  en  ut  mineur  de  Chopin  et  sur  la  H=  Rapsodie  de  Liszt. 
Passe  encore  pour  Chopin.  Je  dis  «passe  encore»,  non  que  je  sois 
assez  niais  pour  contester  le  génie  de  Chopin,  mais  parce  que,  au  Con- 
servatoire, j'estime  qu'on  devrait  écarter  sa  musique  pour  deux  raisons  : 
la  première,  c'est  que,  en  thèse  générale,  les  élèves  sont  trop  jeunes 
pour  la  comprendre,  par  conséquent  pour  la  bien  rendre;  la  seconde, 
c'est  que  la  musique  de  Chopin  est  conçue  dans  un  style  admirable, 
mais  absolument  personnel,  et  qui  n'est  pas  «  le  style  »,  au  sens 
large  du  mot.   Quant  à  la  11'=  Rapsodie  de  Liszt,  j'avoue  que  cela  me 


LE  MÉNESTREL 


233 


parait  une  mauvaise  plaisanterie,  et  je  n'en  veux  pas  dire  davantage. 
Qu'est-ce  que  la  musique,  au  point  de  vue  de  l'exécution?  C'est,  avec 
l'art  dephraser,  l'art  d'atteindre  l'émotion  par  la  manière  de  chanter,  et 
d'atteindre  la  beauté  par  la  noblesse  du  style.  Et  c'est  avec  la  11°  Rapso- 
die,  c'est  avec  ce  tableau  incohérent,  c'est  avec  ce  déluge  de  notes  dont 
l'assemblage  n'a  parfois  ni  queue  ni  tête,  que  vous  saurez  si  l'élève  a  du 
sentiment,  s'il  a  quelque  chose  dans  le  cœur,  et  s'il  peut  s'élever  jusqu'à 
la  splendeur  du  style!  Je  vous  en  défie  bien.  Pour  ma  part,  j'ai  bien 
pu  juger  ce  que  peuvent  ces  élèves  au  point  de  vue  de  la  gymnastique 
des  doigts,  —  et  ils  peuvent  beaucoup  —  mais  je  me  déclare  inapte  à 
discerner  ce  qu'ils  sont  capables  de  faire  sous  le  rapport  du  chant,  de 
l'émotion  et  du  style.  Je  connais  des  musiciens  qui  se  sont  appelés 
Beethoven,  Hummel,  Dussek,  Moscheles,  Weber,  voire  Mozart,  sans 
compter  les  autres.  Ceux-là  ont  écrit  pour  le  piano  de  la  musique  parfois 
assez  difficile  au  point  de  vue  technique,  me  semble-t-il,  mais  qui  reste 
de  la  musique  et  qui  ne  se  borne  pas  à  amonceler  les  notes,  à  accumu- 
ler des  tours  de  force  pour  eux-mêmes  et  à  transformer  les  exécutants 
en  autant  d'acrobates.  De  même  que  dans  la  composition  on  pousse 
tout  à  la  complication,  dans  l'exéculion  on  pousse  tout  au  virtuosisnie 
à  outrance;  toujours  les  doigts,jamais  le  cœur,  jamais  l'àme.  La  musique 
devient  simplement  de  la  gymnastique,  un  sport  d'un  genre  particulier, 
on  y  remplace  le  charme  par  l'étonnement,  l'émotion  par  la  stupéfac- 
tion. Cela  ne  me  paraît  pas  être  absolument  son  rôle.  Nous  aurons  à 
revenir  tout  à  l'heure  sur  ce  sujet,  à  propos  du  concours  de  violon  et 
du  singulier  morceau  que.  là  encore,  on  a  choisi. 

Le  morceau  à  déchiffrer,  écrit  par  M.  Gabriel  Fauré,  était  conçu  de  telle 
façon  et  avec  de  telles  difficultés  de  surprise  que  l'on  peut  presque  dire 
que  pas  un  seul  des  concurrents  n'a  pu  le  lire  saas  fautes.  A  quoi  bon? 
Cela  prouve-t-il  qu'aucun  d'eux  n'est  bon  musicien?  Cela  prouve  sim- 
plement qu'ils  ne  sont  pas  accoutumés  à  deviner  des  rébus,  et  que  les 
notes  de  musique  ne  sont  pas  faites  pour  être  transformées'  en  hiéro- 
glyphes. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Théodore  Dubois,  G.  Fauré,  Raoul 
Pugno,  Widor,  I.  Philipp,  Henri  Ravina,  Riera,  Geloso  et  Chollet.  Il 
a  décerné  deux  premiers  prix  à  MM.  Lortat-Jacob,  élève  de  M.  Diémer, 
et  Salzédo,  élève  de  M.  de  Bériot. 

La  supériorité  de  M.  Lortat-Jacob  est  éclatante.  Du  style,  un  joli 
phrasé  dans  l'étude  de  Chopin,  de  la  grandeur,  de  l'éclat,  de  l'élan  dans 
la  Rapsodie,  avec  de  jolies  oppositions;  dans  l'ensemble  des  doigts 
superbes,  de  l'ampleur  et  une  sûreté  magistrale.  —  M.  Salzédo,  un  peu 
tranquille,  un  peu  pâle  dans  le  Chopin,  très  chaud  au  contraire  dans  la 
Rapsodie,  avec  une  grande  netteté  et  d'heureux  détails  d'e.xécution. 

Trois  seconds  prix  à  trois  élèves  de  M.  Diémer  :  MM.  Borohard,  Billa 
et  Arcouet.  M.  Borchard  a  bien  dit  l'étude,  mais  sans  chaleur  et  sans 
couleur;  plus  heureux  dans  la  Rapsodie,  il  y  a  montré  du  feu  et  du 
brillant,  et  l'a  dite  d'une  façon  presque  entraînante.  —  M.  Billa,  l'un 
des  meilleurs  sujets  du  concours,  a  bien  phrasé  l'étude,  en  lui  donnant, 
d'une  façon  originale,  une  sorte  de  caractère  mystérieux  ;  dans  la  Rapso- 
die il  a  apporté  de  la  couleur  et  de  l'élégance,  avec  une  virtuosité  qui 
avait  de  l'éclat  sans  dureté. 

M.  Garés,  élève  de  M.  Diémer,  et  M.  Dumesnil,  élève  de  M.  de  Bériot, 
se  sont  partagé  les  premiers  accessits.  J'avoue  qu'après  trois  années 
(il  avait  obtenu  un  second  accessit  en  1898),  les  progrès  de  M.  Garés  ne 
m'ont  pas  paru  suffisants.  Son  exécution  ne  dépassait  pas  l'ordinaire 
dans  les  deux  morceaux,  et  ce  n'est  pas  assez.  —  Le  jeu  de  M.  Dumesnil 
est  plus  personnel  et  plus  intéressant;  on  y  trouve  du  brillant,  un  bon 
mécanisme,  et  l'ensemble  est  heureux. 

Et  les  deux  seconds  accessits  sont  allés  trouver  MM.  Turcat,  élève  de 
M.  Diémer,  et  Galland,  élève  de  M.  de  Bériot.  Ordinaire  et  assez  inco- 
lore en  interprétant  Chopin,  M.  Turcat  a  montré  de  l'agilité  dans  la 
Rapsodie,  dont  il  a  perlé  certains  traits  avec  finesse.  —  On  sent  chez 
M.  Galland  les  fruits  d'un  bon  travail,  conduit  avec  soin;  point  d'éclat, 
mais  un  jeu  bien  équilibré,  avec  delà  dextérité  et  parfois  un  certain  feu. 

A  signaler,  en  dehors  des  heureux  du  jour,  M.  Bérard,  qui  a  un  joli 
son,  un  jeu  délicat,  des  doigts  excellents,  et  qui  réunit  le  goût  à  la 
vigueur;  M.  Garziglia,  qui  ne  manque  point  de  qualités  et  quia  joué  la 
Rapsodie  d'une  façon  entraînante;  enfin  M.  Hérard,  dont  la  netteté  et 
la  légèreté  d'exécution  sont  remarquables. 

VIOLON 

Nous  voici  au  concours  de  violon,  et  j'ai  à  renouveler,  en  ce  qui  con- 
cerne le  choix  du  morceau,  les  critiques  que  je  viens  d'exposer  en  par- 
lant du  concours  de  piano.  Il  s'agit  de  la  Symphonie  espagnole  de  Lalo, 
dont  on  avait  adopté  le  premier  solo,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  la 
valeur  musicale  de  l'œuvre  n'est  pas  en  question.  C'est  son  cai-actère 
technique  que  je  prétends  uniquement  discuter  ici  pour  démontrer 
qu'elle  ne  réunit  aucune  des  conditions  qui  peuvent  faire  apprécier  les 


qualités  d'un  élève.  Je  ne  parle  donc  ni  de  sa  nature  mélodique,  ni  de 
son  style,  qui  n'ont  rien  à  faire  en  l'occurence,  mais  simplement  de  la 
façon  dont  elle  est  conçue  au  point  de  vue  des  ressources  de  l'instrument, 
et  de  l'impossibilité  où  l'on  est,  après  l'avoir  entendue  par  un  écolier, 
déjuger  de  ses  aptitudes  et  de  ses  facultés  au  point  de  vue  général. 

Je  vois  bien  qu'en  exécutant  ce  morceau,  les  élèves  prouvent  qu'ils 
peuvent  fournir  une  effroyable  quantité  de  notes  dans  un  mouvement 
rapide,  mais  qu'est-ce  que  cela  me  fait?  Le  violon,  instrument  à  sons 
soutenus  et  prolongés,  ce  qui  fait  sa  force  et  sa  beauté,  n'est  pas  fait 
pour  ca,  tout  au  moins  uniquement  pour  ça.  Or,  dans  le  premier  mor- 
ceau de  la  Symphonie  espagnole,  où  trouvez-vous  l'emploi  des  moyens  et 
des  procédés  qui  peuvent  faire  juger  du  degré  d'éducation  d'un  élève? 
Où  le  développement  de  l'archet,  signe  de  grandeur  et  de  puissance 
dans  le  style?  Où  le  grand  détaché,  si  noble  et  si  brillant?  Où  les  sons 
filés,  sans  lesquels  vous  ne  pouvez  atteindre  l'émotion  et  l'expression 
dans  le  chant?  Où  la  double  corde,  nouvelle  source  de  grandeur  et  de 
noblesse?  Ils  peuvent  avoir  tout  cela,  nos  jeunes  concurrents,  ils  peuvent 
avoir  aussi  celte  qualité  rare  que  nous  appelons,  nous  autres  violonistes, 
«  l'archet  à  la  corde  »,  et  qui  donne  tant  de  puissance  à  la  liaison  des 
différentes  périodes  d'une  phrase  musicale,  mais  il  leur  est  impossible 
de  le  montrer,  et  il  nous  est  impossible  de  le  savoir  lorsqu'ils  exécutent 
une  œuvre  comme  la  Symphonie  espagnole.  Et  ce  sont  précisément  ces 
qualités-là  qu'ils  doivent  posséder  pour  être  de  véritables  violonistes,  et 
ce  sont  celles  qu'on  devrait  les  obliger  à  mettre  en  évidence. 

On  joue  la  Symphonie  espagnole  ou  d'autres  œuvres  du  même  genre 
quand  on  sait  jouer  du  violon,  mais  ce  n'est  pas  avec  cela  qu'on  apprend 
à  en  jouer;  c'est  avec  nos  grandes  œuvres  classiques.  Prenez  les  trente 
jeunes  gens  qui  l'autre  jour  ont  pris  part  au  concours,  et  mettez-leur 
dans  les  mains  le  19"  concerto  de  Kreutzer,  le  22=  ou  le  29=  de  Viotti, 
le  i",  le  7=  ou  le  8'=  de  Rode,  et  vous  verrez  combien  s'en  tireront  à  leur 
avantage.  C'est  que  là-dedans  on  trouve  l'emploi  de  toutes  les  qualités 
que  doit  posséder  un  violoniste,  et  qu'il  lui  est  loisible  de  donner  la 
vraie  mesure  de  sa  valeur. 

Lin  de  mes  confrères,  et  qui  n'est  pas  des  moindres,  mais  qui  n'est 
point  violoniste,  et  devant  qui  j'exprimais  ces  idées,  me  disait,  en  reve- 
nant à  la  Symphonie  espagnole  :  «  C'est  possible,  mais  que  voulez-vous? 
je  ne  suis  pas  fâché  d'entendre  un  peu  de  musique.  »  Alors,  c'est  que 
nos  pères  étaient  des  imbéciles,  qui  pendant  quatre-vingts  ans  ont  jugé 
que  la  musique  de  Viotti,  de  Kreutzer,  de  Rode,  de  Baillot  était  de  la 
musique,  et  qu'on  y  trouvait  les  qualités  de  facture,  de  mélodie  et  de 
style  qui  distinguent  les  bons  ouvrages;  c'est  que  ces  grands  violonistes 
qui  s'appelaient  Habeneck,  Lafont,  Artot,  Alard,  Maurin,  n'y  enten- 
daient rien;  c'est  que  ceux  qui  s'appellent  encore  aujourd'hui  Sarasate 
et  Joachim  (Joachim  ne  se  croit  pas  déshonoré  en  jouant  volontiers  en 
public  des  concertos  de  Viotti)  ne  s'y  connaissent  pas  davantage. 

Qu'on  le  croie  bien,  il  ne  s'agit  pas,  pour  le  violon,  de  pouvoir  faire 
beaucoup  de  notes.  La  belle  affaire!  c'est  la  moindre  des  choses,  et  cela 
regarde  uniquement  la  main  gauche.  Mais  l'autre,  vous  êtes-vous  jamais 
rendu  compte  de  son  rôle  et  de  son  importance?  Le  grand  violoniste 
Léonard  me  disait  un  jour  :  «  La  main  gauche,  c'est  l'ouvrier;  la  main 
droite,  c'est  l'artiste.  »  Et  il  avait  cent  fois  raison.  La  main  droite,  celle 
qui  tient  l'archet,  est  la  grande  magicienne;  c'est  elle  qui  joue  du  vio- 
lon, c'est  elle  qui  chante,  c'est  elle  qui  soupire  et  qui  pleure,  c'est  elle 
qui  tour  à  tour  a  la  grâce  et  la  délicatesse,  la  grandeur  et  l'énergie,  la 
noblesse  et  l'enthousiasme,  le  sentiment  et  l'émotion,  c'est  elle  qui  va 
jusqu'au  fond  de  votre  âme  pour  en  tirer  des  larmes.  Eh  bien,  cette 
main  droite,  cette  enchanteresse,  elle  n'a  rien  à  faire  avec  la  Symphonie 
espagnole  et  les  œuvres  de  même  nature.  Si  la  virtuosité,  œuvre  de  la 
main  gauche,  est  une  des  facultés  du  violon,  elle  en  est  une  des  moin- 
dres; elle  excite  seulement  l'étonnement,  et  le  violon  est  fait  pour  autre 
chose.  Il  est  fait  pour  charmer,  pour  émouvoir,  pour  chanter,  pour 
pleurer,  il  a  la  tendresse  et  la  fierté,  la  noblesse  et  le  pathétique,  et 
c'est  la  main  droite  seule  qui  lui  permet  et  lui  communique  ces  facultés. 
Voilà  pourquoi,  j'en  reviens  à  mon  dire,  la  Symphonie  espagnole,  superbe 
au  point  de  vue  de  ses  qualités  propres,  était  l'un  des  plus  mauvais 
choix  que  l'on  pût  faire  pour  permettre  de  juger  le  talent  de  nos  jeunes 
violonistes. 

Ce  qui  revient  à  dire  qu'en  rendant  compte  du  dernier  concours,  on 
ne  peut  guère  apprécier  les  qualités  des  jeunes  combattants  qu'au  seul 
point  de  vue  de  la  virtuosité  pure.  J'ajoute  que  sous  ce  rapport  ils  sont 
généralement  remarquables,  ce  que  prouve  la  libéralité  du  jury,  qui,  sur 
trente  concurrents,  n'a  pas  décerné  moins  de  dix-sept  récompenses,  dont 
trois  premiers  et  cinq  seconds  prix,  quatre  premiers  et  quatre  seconds 
accessits.  Ce  jury  comprenait  les  noms  de  MM.  Théodore  Dubois, 
Jacques  Thibaud,  Geloso,  Tracol,  Ed.  Colonne,  Raoul  Pugno,  Garem- 
bat.  Parent  et  Schwartz.  Le  morceau  de  lecture  à  vue,  écrit  par  M.  Pugno, 
était  accompagné  au  piano  par  l'auteur. 


236 


LE  MÉNESTREL 


Premiers  prix,  tous  trois  à  l'unanimité  :  M"'  Forte  t-l  M.  Dufresne. 
élèves  de  M.  Lefort.  et  M.  Luquin,  élève  de  M.  Rémy.  On  n'eût  su 
mieux  choisir,  et  tous  trois  sont  remarquables.  M"=  Forte,  mécanisme 
très  habile,  archet  bien  conduit,  sûreté,  acquis,  ensemble  brillant.  — 
M.  Dufresne,  doigts  superbes,  phrasé  élégant,  bras  droit  excellent,  de  la 
grâce  et  du  goût,  du  style  et  de  la  couleur.  —  M.  Luquin,  archet  large, 
grande  habileté,  sûreté  rare,  jeu  hardi,  grande  expérience.  C'est  le 
charme  qui  manque  un  peu. 

Seconds  prix  :  M.  Qaesnot  et  M'"  Playfair,  élèves  de  M.  Lefort, 
M'"  Chemet,  élève  de  M.  Berthelier.  MM.  Tourret,  élève  de  M.  Lefort. 
et  Féline,  élève  de  M.  Nadaud.  }.[.  Quesuot  se  distingue  par  un  son  élé- 
gant, une  grande  netteté,  un  bon  archet,  des  doigts  agiles,  un  ensemble 
e.\:cellent.  —  Je  regrette  de  n'en  pouvoir  dire  autant  de  M"'^  Playfair. 
qui  manque  de  finesse  et  de  grâce,  dont  le  son  est  gros  et  qui  fait  tout 
par  â  peu  près;  elle  a  cependant  quelques  détails  heureux.  —  M"'^^  Che- 
met a  de  bonnes  qualités,  de  la  vigueur,  de  l'habileté,  de  la  facilité.  — 
C'est  par  le  goût  et  la  délicatesse,  un  bon  sentiment  musical,  un  son 
agréable,  un  archet  bien  conduit,  un  jeu  soigné  qui  n'escamote  aucune 
difficulté,  que  se  distingue  M.  Tourret.  —  M.  Féline,  qui  joue  un  peu 
du  coude  et  dont  la  justesse  n'est  pas  toujours  absolue,  n'en  est  pas 
moins  un  violoniste  solide,  aux  doigts  habiles  et  à  l'exécution  brillante. 
Seulement,  il  abuse  vraiment  du  vibrato. 

Cinq  premiers  accessits,  dont  les  bénéficiaires  sont  M'"  Schuck,  élève 
de  M.  Lefort,  M.  Chailley  et  M"^'  Lipmann,  élèves  de  M.  Berthelier, 
MM.  Bloch  et  Elcus,  élèves  de  M.  Nadaud.  Chez  M"'^'  Schuck  de  l'éclat, 
de  la  chaleur,  de  la  virtuosité,  un  ensemble  très  intéressant.  —  Chez 
M.  Chailley  de  l'expérience,  un  archet  assez  élégant,  une  certaine  habi- 
leté. —  L'archet  est  bon  chez  M"=  Lipm.nnn,  les  doigts  ne  sont  pas  mau- 
vais, le  phrasé  non  plus;  un  ordinaire  assez  distingué.  —  L'exécution 
de  M.  Bloch  est  convenable,  très  propre,  sans  présenter  rien  de  parti- 
culier. —  Bonnes  et  solides  qualités  d'ensemble  chez  M.  Elcus,  archet 
bien  posé,  doigts  agiles  et  obéissants,  exécution  sûre  et  bien  équilibrée. 

Enfin,  quatre  seconds  accessits,  à  M.  Bilewski.  élève  de  M.  Rémy, 
M'"'  RfOl,  élève  de  M.  Berthelier,  M'"  Gaudefroy,  élève  de  M.  Rémy,  et 
M.  Arthur,  élève  de  M.  Nadaud.  M.  Bilewski,  qui  a  l'air  d'être  bien 
content  de  lui,  a  d'ailleurs  de  la  chaleur,  de  l'assurance  et  de  la  facilité. 

—  Le  jea  de  M"''  Réol,  assez  expressif  et  d'un  bon  ensemble,  se  distin- 
gue par  la  justesse  et  une  certaine  virtuosité.  —Assez  bon  ensemble 
aussi  chez  M'"'  Gaudefroy.  dont  l'exécution  est  d'une  bonne  moyenne. 

—  Quelques  notes  fausses  à  la  fin  de  son  morceau  ont  sans  doute  nui  à 
M.  Arthur,  qui  aurait  mérité  d'être  mieux  classé.  Ses  qualités  sont 
remarquables  :  joli  son,  jeu  élégant,  bon  bras  di-oit,  justesse  rare,  beau- 
coup d'habileté,  une  grande  franchise  dans  l'exécution  des  plus  grandes 
diificultés.  Une  faute  accidentelle  lui  a  porté  tort;  il  se  rattrapera  l'an 
prochain. 

A  signaler,  parmi  les  élèves  non  couronnés  :  M.  Denain,  qui  est  un 
véritable  artiste  et  l'un  des  sujets  les  plus  brillants  et  les  meilleurs  du 
concours;  puis  M"»  Wallerand,  MM.  Manso  et  Dorson,  qui  on  fait 
preuve,  chacun  en  leur  genre,  de  qualités  très  estimables. 

OPÉRA-COMIQUE 

Voici  qui  donne  raison  à  ceux  qui  prétendent  que  plus  les  concours 
sont  faibles,  plus  se  multiplient  les  récompenses.  Il  est  difficile  en  effet 
d'imaginer  séance  plus  vide,  plus  nulle  sous  tous  les  rapports,  plus 
incolore  et  plus  insignifiante  que  ce  concours  d'opéra-comique  qui  a 
illustré  la  journée  dn  22  juillet  de  l'an  1901.  Or,  que  voyons-nous?  Sur 
quinze  élèves,  dont  sept  hommes  et  huit  femmes,  qui  prenaient  part  à 
cette  épreuve,  treize  récompenses  décernées,  dont  huit  à  ces  demoi- 
selles, c'est-à-dire  que  pas  une  d'elles  n'est  restée  sur  le  carreau.  Et  sur 
ce  total  de  treize  récompenses,  quatre  premiers  et  cinq  seconds  prix. 
C'est  à  confondre!  Notez  que  de  ces  treize  élèves,  sur  qui  s'est  abattue 
cette  bienveillante  avalanche,  il  n'y  en  a  pas  deux  qui  soient  prêts  pour 
la  scène  et  qui  soient  en  état  d'y  tenir  une  place  quelconque.  Je  ne 
voudrais  pas  chagriner  ces  jeunes  gens;  mais  franchement,  quand  je 
vois  qu'on  est  si  cruel  parfois  et  si  sévère  pour  certjins  de  nos  pauvres 
instrumentistes,  je  me  demande  où  le  ju.-y  va  prendre  les  trésors  d'in- 
dulgence dont  il  entoure  amoureusement  de  jeunes  chanteurs  qui  ne 
savent  pas  le  b,  a,  ba  de  leur  métier. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  la  liste  des  récompenses  décernées  par  le  jury, 
qui  se  trouvait  composé  de  MM.  Théodore  Dubois,  Capoul,  Charles 
Lenepveu,  Widor,  Gabriel  Fauré,  Charles  Lefebvre,  Henri  Maréchal 
Albert  Cai-rè,  Alexandre  Bisson,  D'Estournelles  et  Bernheim. 
Hommes. 

■/"  x>rix.  —  M.  Gaston  Dubois,  élève  de  M.  Lhérie. 

2'' prix.  —  MM.  Geyre,  élève  de  M.  Achard,  Guillamat,  élève  de 
M.  Lhérie.  et  Rigaux,  élève  de  M.  Achard. 


/"  accessil.  —  M.  Baér,  élève  de  M.  Lliérie. 
Pas  de  second  accessit. 

Femmes. 

i"^  pria:  —  M"°^  Cesbron,  élève  de  M.  Lhérie,  Huchet,  élève  de 
M.  Achard.  et  Revel,  élève  de  M.  Lhérie. 

2''  prix.  —  M"«  Van  Gelder,  élève  de  M.  Lhérie,  et  Biila,  élève  de 
M.  Achard. 

/"  accessit.  —  M"=  Gonzalez,  élève  de  M.  Lhérie. 
2"  accessits.  —  M"'*  Foreau,  élève  de  M.  Achard,  et  Cortez,  élève  de 
M.  Lhérie. 

Il  est  évident  que  le  seul  sujet  qui  soit  dès  aujourd'hui  prêt  à  aborder 
la  scène,  c'est  M.  Gaston  Dubois.  Il  est  d'âge  à  le  faire  d'ailleurs,  car  il 
aura  tantôt  vingt-huit  ans.  Il  n'a  pas  ce  qu'on  appelle  de  tempérament; 
mais  c'est  un  bon  travailleur,  qui  est  toujours  en  progrès  et  qui,  d'année 
en  année,  a  enlevé  ses  récompenses  à  laforce  du  poignet.  Le  voici  évidem- 
ment au  bout  de  sa  carrière  scolaire,  et  il  n'a  plus  rien  à  apprendre  de 
ses  maîtres.  Il  lui  faut  maintenant  de  vraies  planches  et  un  vrai  public. 
Après  avoir  donné  plusieurs  bonnes  répliques,  il  est  venu,  presque  à  la 
fin  de  la  séance,  jouer  pour  son  compte  personnel  la  scène  du  rêve  du 
premier  acte  d'Haydée.  II  y  a  montré  de  l'aisance,  de  l'expérience,  un 
bon  sentiment  de  la  scène  et  certaines  qualités  de  comédien.  Tout  cela 
n'est  pas  supérieur  en  son  genre,  mais  en  somme,  comme  disait  l'autre, 
«  c'est  de  la  bonne  ouvrage  » . 

Des  trois  seconds  prix,  celui  que  je  préfère,  c'est  M.  Rigaux,  parce 
qu'en  lui  perce  une  certaine  originalité,  et  que  c'est  le  seul  en  qui  l'on 
trouve  quelque  chose  de  personnel.  Il  a  joué  avec  une  certaine  ampleur 
la  scène  de  la  consultation  du  Médecin  malgré  lui.  Une  diction  juste, 
de  la  facilite,  de  la  verve,  de  la  couleur,  un  bon  oj'gane  et  un  geste 
naturel,  telles  sont  ses  qualités.  Il  a  de  quoi  faire.  ■ —  M.  Guillamat 
m'avait  paru  meilleur  en  donnant  la  réplique  à  M""  Cortez  dans  les 
Dragons  de  Villars  que  dans  sa  scène  du  chevrier  du  Val  d'Andorre.  Ici, 
malgré  une  assez  bonne  diction  et  certaines  qualités  scéniques,  l'en- 
semble, bien  que  satisfaisant,  ne  dépassait  pas  un  bon  ordinaire.  — 
M.  Geyre  s'est  montré  dans  le  premier  acte  de  Lakmé,  dont  il  a  chanté 
l'air  avec  une  grâce  un  peu  efféminée.  Pour  le  reste,  cela  ne  sortait  pas 
non  plus  d'une  assez  bonne  moyenne,  et  c'était  bien  inexpérimenté. 

M.  Baër  a  donné  de  la  verve  et  de  la-chaleur  à  la  scène  du  tambour- 
major  du  premier  acte  du  Caïd.  Il  a  de  l'aisance  et  do  la  facilité. 

Mais  puisque  le  jury  était  en  si  grandes  dispositions  de  générosité,  je 
ne  vois  pas  pourquoi  il  n'u  pas  cru  pouvoir  accorder  un  second  accessit 
à  M.  Minvielle,  quia  montré  du  mouvement,  de  la  chaleur  et  de  l'ex- 
pression dans  un  fragment  du  troisième  acte  d'Haydi'e. 

Côté  des  dames.  On  l'a  vu.  trois  premiers  prix.  Ici,  je  ne  cache  pas 
mon  embarras.  Ces  trois  premiers  prix  m'ont  paru  si  ex  traordin  ai  rement 
extraordinaires  que  je  ne  sais  comment  m'y  prendre  pour  e-\primer  mon 
sentiment  à  leur  sujet. Voici  M""  Cesbron,  pour  qui  j'ai  la  plus  grande 
estime,  car  je  me  rappelle  son  concours  de  chant  de  l'année  passée  et  le 
très  beau  premier  prix  qu'il  lui  a  valu  très  légitimement.  Je  la  vois  ici 
dans  la  scène  de  Saint-Sulpice  do  Manon.  Elle  est  certainement  intelli- 
gente. Eh  bien,  ce  n'est  pas  bon,  et  ce  n'est  pas  ça  du  tout,  mais  du 
tout.  Pourquoi?  Pour  une  foule  de  raisons  qu'il  serait  trop  long  d'énu- 
mérer.  Mais  la  vérité  est  que  c'a  été  tout  le  temps  à  côté  de  ce  qu'il  eût 
fallu.  —  C'est  dans  une  scène  de  Manon  aussi,  celle  de  l'arrivée,  au 
premier  acte,  que  s'est  présentée  M"'^'  Huchet.  Ble  est  très  gentille, 
M"'  Huchet,  mignonne  et  gracieuse,  et  puis  c'est  tout.  Mais  comme  tout 
ce  qu'elle  a  fait  là  était  petit,  étroit,  mesquin,  inexpérimenté,  et  que 
nous  sommes  loin  de  son  joli  concours  de  chant!  —  Troisième  prix 
M"''  Revel,  troisième  Manon,  dans  la  même  scène  que  la  précédente. 
Même  observation,  môme  résultat.  De  la  grâce,  de  la  gentillesse,  mais 
pas  de  fond,  pas  de  fini,  nulle  expérience,  surtout  pas  de  personnalité. 
Passons  aux  seconds  prix  avec  M'"-'  Van  Gelder,  qui  nous  oll're  une 
quatrième  Manon,  cette  fois  au  second  acte,  dans  la  scène  de  la  lettre  et 
de  la  table.  Ceci  n'est  pas  mal,  et  elle  fait  preuve  â  la  fois  de  sentiment, 
de  goût  et  d'expression.  Mais  elle  est  bien  courte  ainsi,  la  scène,  pour 
donner  la  mesure  de  la  valeur  d'une  artiste.  —  M"=  Billa  nous  montre 
un  aimable  Eros  dans  le  second  acte  de  V.syché.  Diction  â  peu  près  juste, 
quelque  chaleur,  pas  trop  de  maladresse.  Comme  tout  ça  est  faible 
pourtant,  sans  nerf  et  sans  couleur! 

C'est  la  scène  du  second  acte  du  Barbier  de  Séville  qui  a  valu  à 
M""  Gonzalez  son  premier  accessit,  et  peut-être  est-ce  là  la  récompense 
la  plus  légitime  qui  ail  été  accordée.  Elle  a  chanté  l'air  d'une  façon 
charmante,  en  le  vocalisant  avec  une  véritable  habileté,  et  de  même 
le  duo  avec  Figaro.  Elle  n'est  certainement  pas  encore  comédienne,  et 
pourtant  elle  a  eu  quelques  intentions  et  quelques  détails  heureux.  En 
somme,  c'est  l'un  des  concours  les  plus  intéressants. 
Bien  novice  encore  M""  Foreau.  dans  la  Servante  maîtresse,  mais  gra- 


LE  MÉNESTREL 


237 


cieuse  et  intelligente,  gentille  et  spirituelle,  et,  au  résumé,  prometlant 
pour  l'avenir.  —  M""=  Cortez,  qui  n'est  pas  absolument  maladroite  en 
scène,  m'a  paru  néanmoins  bien  insignifiante  au  premier  acte  des  Dra- 
gons de  Villars.  La  scène  est  facile  pourtant,  mais  il  y  faut  de  la  verve, 
un  peu  d'éclat,  et  c'est  ce  qui  manquait  le  plus. 

En  fait,  je  ne  crois  pas  que  le  concours  d'aujourd'hui  enrichisse  nos 
théâtres  d'une  façon  appréciable. 

PIANO  (Femmes). 

Une  séance  dont  on  se  souviendra!  Commencée  à  midi  précis,  elle 
s'est  terminée  par  l'annonce  des  prix  à  huit  heures  et  demie  passées, 
avec  seulement  une  interruption  de  dix  minutes  dans  la  journée  et  une 
de  cinq  minutes  avant  l'épreuve  de  lecture  à  vue.  Et  on  l'avait  menée 
tambour  battant,  les  concurrentes  ayant  à  peine  le  temps  d'entrer  et  de 
sortir,  et  l'appariteur  pouvant  lui-même  à  peine  annoncer  leurs  noms. 
On  avait  été  surpris  évidemment  par  le  temps  inusité  qu'exigeaient  les 
deux  morceaux  d'exécution,  qui,  à  eux  deux  ne  demandaient  guère  moins 
de  quatorze  minutes.  C'était,  d'une  part  le  premier  allegro  de  la  jolie 
sonate  en  ré  majeur  de  Mozart,  de  l'autre  une  partie  des  Etudes  sympho- 
niques  de  Schumann,  comprenant  l'introduction  et  les  numéros  1,2, 
y,  9,  U  et  \t,  ce  dernier  avec  de  larges  coupures.  Vingt-neuf  élèves  se 
présentaient,  sur  lesquelles  seize  ont  été  couronnées. 

Nous  avons  d'abord  quatre  premiers  prix  :  M"'"  Boutarel,  élève  de 
M.  Ii'Iarmontel,  Jacquet  (Duvornoy),  Nosny  (Delaborde)  et  Schnitzer 
(Marmontel).  M"=  Boutarel,  de  l'élégance  dans  le  style  en  ce  qui  con- 
cerne la  sonate,  avec  quelque  inégalité  dans  les  traits;  dans  les  études 
du  goût,  de  l'agilité,  du  charme  avec  de  la  vigueur  à  l'occasion,  et  de 
bons  traits  des  deux  mains.  —  M"'  Jacquet,  des  doigts  exquis,  un  jeu 
élégant,  soigné,  bien  équilibré,  siir  de  lui.  avec  de  l'autorité  et  une  jolie 
couleur,  bien  personnelle;  une  nature  d'artiste.  —  M"'  Nosny,  un  mé- 
canisme très  habile,  un  jeu  solide  et  corsé,  avec  de  bonne  qualités 
d'ensemble;  par-ci  par-là  quelques  notes  à  côté.  —  M'"  Schnitzer,  une 
enfant  de  quatorze  ans,  joliment  douée;  exécution  jeune,  aimable, 
manquant  encore  un  peu  d'expérience,  mais  brillante,  avec  des  doigts 
excellents,  une  sonorité  pleine  et  bien  ronde,  un  bon  phrasé  et  de  la 
largeur  dans  le  jeu. 'La  fin  des  études  remarquable  par  son  éclat  et  sa 
vigueur. 

Quatre  seconds  prix  aussi,  à  M''''^  Dehelly  et  Lemann  (Delaborde), 
Neymark  (Marmontel)  et  Mallet  (Delaborde).  M"'  Dehelly,  de  la  grâce 
et  de  r  légance,  de  la  vigueur  et  du  brio,  des  doigts  agiles,  du  son  et 
im  joli  son,  un  jeu  bien  d'aplomb,  avec  parfois  de  jolies  nuances  bien 
personnelles.  —  M"'=  Lemann,  des  doigts  pleins  de  grâce  et  de  délicatesse, 
une  exécution  à  la  fois  solide  et  variée,  bien  sentie,  avec  une  vigueur 
étonnante  et  des  détails  bien  â  elle.  —  M""  Neymark,  un  jeu  bien  fondu 
dans  la  sonate,  de  l'élégance  et  du  style,  une  exécution  charmante; 
dans  les  études  un  son  bien  clair,  de  la  vigueur  sans  dureté,  des  doigts 
solides  sans  roideur,  tous  les  détails  bien  rendus,  avec  de  jolies  opposi- 
tions de  toucher;  sort  complètement  de  l'ordinaire. 

Trois  premiers  accessits,  àM"''*Drewet,  Chaperon  et  Charlotte  Lamy. 
élèves  de  M.  Alphonse  Duvernoy.  Ici  nous  touchons  â  une  erreur  com- 
mune à  toutes  les  élèves  d'une  même  classe,  erreur  dont  M""^  Jacquet 
elle-même  n'a  pas  été  exempte.  Je  veux  parler  du  mouvement  de  la  so- 
nate, qui  a  été  pris  deux  fois  trop  vite.  Avec  cette  rapidité  folle,  où  rien 
ne  respire  et  où  les  silences  même  disparaissent,  il  n'y  a  plus  de  style 
possible.  Étant  donné  le  rythme  particulier  du  morceau,  ce  n'est  plus 
un  allegro  de  sonate,  cela  devient  une  fanfare  pour  courre  le  cerf.  Quant 
aux  notes  qui  tombent  sous  le  piano,  impossible  de  les  dénombrer  ; 
c'est  une  hécatombe.  Cette  remarque,  toutefois,  ne  doit  pas  nous  rendre 
iujuste  pour  les  qualités  déployées  par  ces  jeunes  filles.  M"'  Drewet, 
qui  me  semble  supérieure  â  ses  deux  compagnes,  a  de  la  grâce  et  de  la 
dèlicat..'sse  dans  les  doigts,  des  traits  perlés,  elle  phrase  bien,  et  ne 
manque  ni  de  vigueur  ni  de  vivacité;  l'ensemble  est  très  distinguo.  — 
Le  jeu  de  M"'  Chaperon  a  du  corps  et  de  la  vigueur,  avec  un  phrasé 
parfois  heureux  dans  ses  détails.  —  M""  Charlotte  Lamy,  qui  ne  man- 
que ni  de  légèreté  ni  d'élégance,  oiïre  une  bonne  moyenne  dans  l'en- 
semble de  son  exécution. 

Ciuii  seconds  accessits  ont  été  attribués  à  M'"^*  Atoch  et  Heschia, 
élèves  de  M.  Marmontel,  Rolier,  élève  de  M.  Delaborde,  Franquin, 
élève  de  M.  Duvernoy,  et  Lipmann,  élève  de  M.  Delaborde.  Tout  aima- 
ble, M"«  Atoch  ;  une  gi'ande  égalité  dans  les  doigts,  de  la  solidité,  delà 
sùi'eté.  de  la  couleur,  un  ensemble  de  jolies  qualités.  —  Chez  M"'  Hes- 
chia, qui  joue  la  sonate  un  peu  trop  vite,  mais  non  sans  élégance,  de 
bonnes  qualités  de  vigueur  et  de  sûreté,  avec  un  joli  sentiment  dans  les 
passages  de  douceur.  —  M"'=  Rolier  présente  un  bon  ensemble,  sans 
qu'où  puisse  signaler  chez  elle  de  qualités  particulièrement  saillantes. 
—  De  M"'^  Franquin,  j'aime  mieux  ne  point  parler.  —  Quant  à  M"^'  Lip- 
mann, elle  me  semblait  mériter  mieux.  Si  le  son  chez  elle  est  un  peu 


gros,  elle  a  un  mécanisme  excellent  et  des  doigts  d'une  rare  agilité;  si 
l'exécution  n'est  pas  parfaite,  elle  est  bien  travaillée  et  intéressante,  avec 
une  certaine  couleur  personnelle. 

Parmi  les  élèves  non  couronnées  qui  se  sont  plus  ou  moins  distin- 
guées, je  citerai  M""  Neyrac,  qui  a  du  son,  de  bons  doigts,  une  certaine 
sûreté  dans  l'exécution,  sans  personnalité  ;  M""  Kastler,  dont  le  jeu 
bien  fondu,  bien  assis,  n'est  pas  sans  quelques  jolis  détails,  et  qui 
phrase  gentiment  ;  M""  Roger,  qui,  à  part  une  certaine  inégalité  dans 
les  doigts,  plus  de  solidité  peut-être  que  d'élégance,  a  un  jeu  bien  équi- 
libré, avec  un  beau  son  et  une  attaque  franche  de  la  touche  ;  enfin 
M"^  Bittar,  qui  s'est  peut-être  fait  du  tort  en  galopant  la  sonate  comme 
ses  camarades  de  classe,  mais  qui  n'en  a  pas  moins  de  bonnes  qualités 
de  mécanisme  et  de  sonorité,  avec  des  doigts  agiles  et  des  détails  pleins 
de  délicatesse. 

Le  jury  de  ce  concours  comprenait,  outre  M.  Théodore  Dubois, 
MM.  Riera,  Ravina,  Raoul  Pagno,  Auzende,  Pierné,  Gabriel  Fauré  et 
Widor.  Le  morceau  à  déchiffrer  était  de  M.  Gabriel  Pierné, 

TRAGÉDIE  —  COMÉDIE 

Naïvement,  je  m'étais  figuré  jusqu'ici  que  le  concours  de  tragédie 
avait  été  institué  pour  familiariser  les  jeunes  élèves  des  classes  de 
déclamation  non  seulement  avec  les  chefs-d'œuvre  de  nos  grands 
classiques.  Corneille  et  Racine,  voire  Rotrou  et  Voltaire,  mais  encore 
avec  cette  noble  et  vigoureuse  langue  du  vers,  dont  l'ampleur,  la  cou- 
leur et  la  sonorité  obligent  l'apprenti  comédien  d'abord  à  articuler  avec 
fermeté  et  précision,  ensuite  â  développer  de  longues  périodes  qui  lui 
apprennent  â  respirer,  à  ménager  et  mesurer  sa  voix,  â  assouplir  enfin 
son  organe  et  à  le  rendre  obéissant  à  toutes  les  inflexions. 

Il  parait  que  nous  avons  changé  tout  cela.  Sur  les  huit  scènes  qui 
composaient  cette  fois  le  programme  du  concours,  nous  en  avions  tout 
juste  deux  empruntées  â  Racine  (dont  une  n'a  pu  être  dite  par  suite  de 
l'absence  d'une  concurrente)  et  aucune  de  Corneille.  En  revanche,  nous 
en  avons  eu  trois  en  prose,  une  d'Angelo,  une  de  Lucrèce  Borgia  et  une 
d'Hamlet.  Ah  !  ça,  est-ce  un  concours  de  tragédie,  ou  simplement  un 
concours  de  drame  qu'on  fait  passer  aux  élèves  ?  Comment  saurez-vous 
si  la  jeune  personne  qui  joue  Catarina  d'Aiigelo  sera  capable  d'aborder 
Phèdre,  ou  Hermionc,  ou  Athalie?  Et  êtes-vous  sûr  que  celui  qui  nous 
donne  Hamlet  dans  une  traduction  en  prose  fera  un  Rodrigue  ou  un 
Horace  seulement  supportable?  Pour  moi,  pauvre  diable  de  critique,  je 
l'ignore  absolument  et  n'en  voudrais  jurer.  Ce  que  je  sais,  c'est  qu'un 
concours  de  tragédie  devrait  comprendre  de  la  tragédie,  et  pas  autre 
chose. 

Et  dans  la  comédie,  qu'avons-nous  vu?  Ici  encore,  il  semble  que  le 
classique  soit  bien  démodé.  Ces  messieurs  et  ces  demoiselles  nous  ont 
offert  une  scène  de  Molière  (je  dis  vue),  une  de  Corneille,  deux  de  La  Fon- 
taine, d'ailleurs  sans  importance,  une  de  Marivaux  et  une  de  Beaumar- 
chais. Tout  le  reste  était  pris  au  répertoire  moderne.  Et  sur  les  vingt 
scènes  de  la  séance,  deux  seulement  en  vers  :  le  Menteur  et  les  Femmes 
savantes.  Quelque  admiration  que  je  puisse  éprouver  pour  Musset,  pour 
les  deux  Dumas,  pour  Balzac,  pour  George  Sand,  je  persiste  â  croire 
que  ce  n'est  pas  dans  leur  commerce  qu'on  doit  apprendre  son  métier  de 
comédien.  Aussi,  qu'arrive-t-il  ?  C'est  que  nos  jeunes  gens,  voulant 
jouer  naturel,  voulant  être  modem  ityle,  poussent  à  l'excès  la  familia- 
rité, parlent  comme  dans  leur  chambre,  mangent  la  moitié  des  mots, 
bredouillent  à  dire  d'expert  et  prennent  si  peu  la  peine  d'élever  leur 
voix  qu'elle  ne  dépasse  pas  la  rampe. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  réflexions,  voici  les  résultats  du  double 
concours.  Pour  la  tragédie  : 

Hommes . 

I^as  de  premier  prix. 

'2'  prix,  à  l'unanimité.  —  M.  Garry,  élève  de  M.  de  Féraudy. 

■J"^  accessits.  —  MM.  Gorde,  élève  de  M.  Paul  Monnet,  et  Capellani, 
élève  de  M.  Le  Bargy. 

2'  accessit.  —  M.  Joube,  élève  de  M.  Silvain. 
Femines. 

Pas  de  premier  prix. 

2e  p,.j-^_  _  Mlle  ^e  Raisy,  élève  de  M.  Paul  Mounet. 

Et  pour  la  comédie  : 

Hommes. 

4"-sp,-i.i;  —  MM.  Garry,  élève  de  M.  de  Féraudy,  et  Bouthors,  élève 
de  M.  Silvain. 

Pas  de  2=  prix. 

1""  accessits.  —  MM.  Capellani,  élève  de  M.  Le  Bargy,  et  Larmandie, 
élève  de  M.  Silvain. 

Pas  de  "2"  accessit. 


238 


LE  MENESTREL 


Femmes. 

/"'prix.  —  M"'  Piérat,  élève  de  M.  de  Féraudy. 

3'^  prix.  —  M'"^  Margel,  élève  de  M.  Georges  Berr. 

/"^  accessih.  —  il"'^  Ghesnel,  élève  de  M.  Le  Bargy,  et  Marthe  Lam- 
Bert,  élève  de  M.  Paul  Mounet. 

2"  accessits.  —  M"''  Sylvie  et  Vieille,  élève?  de  M.  de  Féraudy,  et 
Grimberl,  élève  de  M.  Georges  Bcrr. 

M.  Garry  a  montré,  dans  une  sct'ne  de  la  Fille  de  Roland,  de  la  sagesse 
et  de  l'émotion  avec  une  articulation  très  uette,  mais  sans  personnalité. 
Il  semble  un  peu  l'écho  de  son  professeur,  mais  un  écho  intelligent. 
Nous  le  retrouverons  dans  la  comédie,  beaucoup  plus  personnel  et  plus 
intéressant. 

M.  Gorde  a  mis  de  l'élan,  de  la  chaleur,  de  bonnes  qualités  dans  une 
scène  des  Bto-graves.  Il  chante  un  peu  parfois,  et  parfois  aussi  crie  avec 
quelque  excès.  —  M.  Capellani  a  dit  la  scène  d'Hamlet  avec  sa  mère. 
II  ne  manque  ni  de  chaleur  ni  d'action,  et  ne  serait  vraiment  pas  mal  s'il 
prenait  la  peine  de  se  faire  entendre.  —  M.  ,Toube  me  semblait  mériter 
mieux  qu'un  second  actessit  pour  sa  scèue  de  Louis  XI.  Bonne  diction, 
bon  sentiment  dramatique,  de  la  sobriété  même  dans  la  force. 

L'unique  femme  récompensée.  M"'  de  Raisy,  a  paru  dans  le  troisième 
acte  A'.ingelo.  Qael  dommage  qu'elle  parle  si  vite  qu'elle  en  arrive  par- 
fois au  bredouillement!  Douée  d'un  beau  physique,  elle  est  bien  eu 
scène,  elle  a  du  mouvement  et  de  la  chaleur,  de  l'àme.  del'émolion,  des 
larmes.  Elle  est  bien  intéressante. 

Arrivons  à  la  comédie.  Nous  y  retrouvons  M.  Garry,  au  quatrième 
acte  du  Père  prodigue,  dans  la  scèue  de  La  Rivonuière  avec  son  fils.  Il 
y  a  été  excellent.  Une  dignité  froide  et  sévère,  de  l'àme,  de  l'émotion, 
de  l'ironie,  de  la  grandeur,  avec  des  mots  trouvés  et  d'un  accent  saisis- 
sant. Celui-là  est  un  comédien  et  fera  un  premier  rôle  remarquable.  — 
M.  Bouthors  a  produit  un  grand  effet  dans  une  scène  relativement 
facile,  celle  de  Mercadet  avec  le  père  Violette,  au  premier  acte  du  chef- 
d'œuvre  do  Balzac.  Mais  il  y  a  déployé, de  la  verve,  de  la  vivacité,  du 
naturel,  de  la  rondeur,  avec  un  organe  excellent.  Il  lance  bien  le  mot 
et  trouve  bien  l'effet.  Toutefois  j'ai  trouvé  singulier,  et  je  ne  suis  pas  le 
seul,  qu'on  l'ait  mis,"  comme  récompense,  sur  la  même  ligne  que  son 
camarade  Garry.  C'est  qu'en  vérité  il  y  a,  au  point  de  vue  de  la  difliculté 
vaincue,  une  différence  singulière  aussi  entre  l'un  et  l'autre. 

M.  Capellani  a  dit  la  scène  suffisamment  connue  au  Conservatoire, 
où  les  professeurs  ne  prennent  viaiment  pas  la  peine  de  les  varier  assez, 
du  second  acte  d'0«  ne  badine  pas  avec  l'amour.  Il  y  a  montré  de  bonnes 
qualités,  de  la  chaleur,  de  la  passion,  le  désir  de  bien  faire;  mais  il  a 
besoin  de  travailler  encore .  —  M .  Larmandie  avait  choisi  celle  du 
comte  avec  sa  femme  et  celle  qui  suit  au  quatriémeacte  de  Diane  de  Lys. 
Il  l'a  jouée  avec  une  dignité  froide,  avec  une  sobriété  remarquable, 
sans  rien  de  criard  ni  d'excessif,  avec  l'énergie  concentrée  qui  convient 
au  personnage.  La  diction  est  bonne,  mais  hélas!  il  est  de  ceux,  si  nom- 
breux, qui  parlent  trop  bas  et  qu'on  a  peine  à  entendre. 

Côté  des  femmes.  L'héroïne  de  la  journée  a  été  M''=  Piérat,  une  in- 
génue gracieuse  et  touchante,  qui  a  joué  avec  une  sensibilité  exquise 
la  grande  scèue  du  troisième  acte  du  Mariage  de  Victorine.  Elle  s'y  est 
montrée  très  émouvante  et  puissamment  dramatique,  sans  cesser  un 
instant  d'être  simple,  sobre  et  naturelle.  C'a  été  une  surprise  à  la  fois 
et  une  révélation  que  l'apparition  charmante  de  cette  jeune  fille  à  la 
physionomie  intelligente  et  douce,  qui  n'a  pas  seize  ans  et  qui  semble 
vraiment  douée  d'une  façon  particulière.  Elle  a  de  qui  tenir  d'ailleurs, 
ayant  pour  mère  une  comédienne  aimable,  qui  fut  elle-même  élevée  au 
Conservatoire,  qu'on  a  connue  pendant  quelque  temps  à  l'Odéon  et  qui 
depuis  lors  a  disparu  de  la  scène.  Le  succès  très  légitime  de  M""^  Piérat 
ne  me  laisse  pas  moins  regretter  que  le  jury  n'ai  pas  cru  devoir  accorder 
aussi  un  premier  prix  à  M"'  Dayez,  qui  avait  obtenu  le  second  l'an 
dernier.  Cette  jeune  fille  a  joué  avec  une  rare  ampleur  une  scène  de 
Denise.  Elle  dit  avec  justesse  et  vigueur,  elle  a  le  don  du  pathétique  et 
des  larmes  sans  jamais  rien  exagérer,  et  sa  voix  est  d'un  heureux  timbre. 
Elle  est  très  émouvante  et  très  intéressante.  Son  seul  défaut  est  de  parler 
parfois  un  peu  vite. 

Mais  que  dire  alors  deM"«  Margel,  que  nous  avons  vue  dans  une  scène 
à' Amoureuse.  Elle  ne  parait  pas  manquer  non  plus  de  qualités  drama- 
tiques, et  ce  qu'elle  fait  serait  bien  sans  doute  si  l'on  pouvait  entendre 
un  seul  mot  de  ce  qu'elle  dit.  Mais  elle  bredouille,  elle  bredouille,  elle 
bredouille!... 

M'"  Marthe  Lambert,  qui  n'a  pas  encore  dix  sept  ans,  a  montré,  dans 
une  scène  du  Fils  naturel,  des  aptitudes  scéniques  au-dessus  de  sonâoe: 
de  l'âme,  de  l'expansion,  de  la  vérité,  une  diction  juste,  sage  et  péné- 
trante, avec  une  véritable  force  dramatique.  Elle  a  excité  un  très  vif  et 
très  légitime  intérêt.  —  M"«  Chesuel  a  joué  une  scène  de  la  Coupe 
enchantée,  de  La  Fontaine,  avec  de  la  gaité  et  une  grâce  souriante.  Mais 
e'est  encore  bien  jeune  et  bieu  incolore. 


C'est  dans  la  scène  de  Rosine  avec  Figaro,  au  second  acte  du  Barbier 
de  Séville,  que  s'est  montrée  M"'"  Sylvie.  Cette  scène  était  bien  insuffi- 
sante, l'interprète  aussi.  —  Gentille,  aimable,  avec  de  la  grâce  et  de 
l'ingénuité,  de  la  tenue,  une  assez  bonne  action,  telle  avons-nous  vue 
M""'  Vielle  au  premier  acte  du  Mariage  sous  Louis  XY.  —  On  peut  en 
dire  autant  de  M"'  Grimbert,  pour  la  façon  tout  aimable  dont  elle  a  joué 
une  scène  charmante  d'une  comédie  de  Marivaux  bien  oubliée  aujour- 
d'hui, Arlequin  poli  par  l'amour.  Elle  y  a  mis  de  l'adresse  et  de  l'esprit, 
du  naturel  et  de  la  grâce,  et  l'on  a  bien  fait  de  l'encourager. 

Je  ne  vois  pas,  en  dehors  de  M""  Dayez,  que  j'ai  signalée,  que  le  jury 
eut  pu  se  mettre  eu  frais  d'autres  récompenses  pour  les  femmes.  Il  s'est 
montré  plutôt  généreux. 

Le  jury  de  ce  double  concours  de  déclamation,  dans  lequel  on  ne  ren- 
contrait qn'vn  seid  comédien,  réunissait  les  noms  de  MM.  Tliéodore 
Dubois,  Jules  Claretie,  Paul  Ginisty,  Ludovic  flalévy,  Jules  Lemaitre. 
Alfred  Capus,  de  Porto-Riche,  Mounet-Sully,  Bernheim  et  d'Estour- 
nelles. 

OPÉRA 

Une  belle  séance,  vraiment  intéressante,  et  qui  nous  a  montré  non 
seulement  nombre  de  bons  élèves,  mais,  ce  qui  vaut  mieux  encore, 
quelques  tempéraments  remarquables,  quelques  natures  d'artistes  qui 
semblent  devoir  se  distinguer  au  théâtre  d'une  façon  particulière.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  les  deux  classes  de  MM.  Giraudet  et  Melchis- 
sédec  ont  donné  l'une  et  l'autre  les  preuves  d'un  excellent  enseignement. 

Le  jury,  composé  cette  fois  de  MM.  Théodore  Dubois,  Saint-Saêns, 
Charles  Lenepveu,  Victorin  Joncières,  Delmas,  Renaud.  Escalais,  Mau- 
rel,  Gailhard  et  Albert  Vizentini,  a  décerné  les  récompenses  suivantes  : 

Hommes. 
i"'^  prix.  —  MM.   Rigaux  et  Gaston  Dubois,  tous  deux  élèves  de 
M.  Meichissédec. 

5's  prix.  —  MM.  Azèma,  élève  de  M.  Meichissédec,  et  Baër,  élève 
de  M.  Giraudet. 

/"■  accessit.  —  M.  Granier^  élève  de  M.  Giraudet. 
2"  accessits.  —  MM.  Aumônier  et  Triadou,  tous  deux  élèves  de 
M.  Giraudet. 

Femmes. 

/"  prix.  —  M"'  Cesbron,  élève  de  M.  Giraudet. 

2°'  jmx.  —  M"'^  Billa,  élève  de  M.  Meichissédec,  et  Demougoot.  élève 
de  M.  Giraudet. 

■1"  accessit.  —  M"'  Féart,  élève  de  M.  Giraudet. 

Parmi  les  hommes,  nous  avons  tout  d'abord  un  tempérament  superbe, 
M.  Rigaux,  qui,  je  le  confesse,  m'a  fiit  revenir  sur  le  jugement  que 
j'avais  porté  à  son  égard  dans  le  concours  de  chant.  Celui-là  a  tout 
pour  lui  :  une  voix  de  baryton  d'une  beauté  rare  et  d'un  timbre  mer- 
veilleux, qui  semble  sortir  toute  seule  tellement  elle  est  facile,  la  pres- 
tance physique,  la  démarche  aisée,  le  geste  nolile,  juste  et  plein  d'am- 
pleur, une  articulation  splendide,  enfin  le  regard  comme  enflammé,  qui 
commande  aussitôt  l'attention  sur  sa  personne.  Ce  sont  là  ses  avantages 
en  quelque  sorte  naturels.  Mais  il  y  a  mieux.  M.  Rigaux  avait  très 
heureusement  choisi  un  fragment  important  du  quatrième  acte  de 
Patrie  :  l'air  de  Rysoor,  C'est  ici  le  berceau  de  notre  liberté,  et  la  sc^'ue  si 
dramatique  dans  laquelle  il  reconnaît  en  Karloo  l'amant  de  sa  femme. 
Dès  les  premières  mesures  du  récitatif,  posé  avec  une  ampleur,  une 
puissance  et  une  autorité  incontestables,  l'opinion  semblait  faite  sur  son 
compte  (d'autant  qu'il  avait  donné  une  superbe  réplique  à  M""=  Billa 
dans  Alceste).  Il  a  chanté  l'air  avec  une  vigueur  et  un  style  remarquables, 
et  il  s'est  encore  surpassé  dans  le  duo  avec  Karloo,  où  il  a  déployé  un 
profond  sentiment  pathétique,  tour  à  tour  énergique  et  douloureux,  avec 
des  élans  de  sensibilité  qui  montrent  dans  le  chanteur  toutes  les  nobles 
qualités  qui  font  le  vrai  tragédien  lyrique.  Le  succès  de  ce  jeune  artiste, 
car  c'en  est  un  déjà,  a  été  aussi  éclatant  que  mérité.  —  Son  camarade 
de  classe  et  de  récompense,  M.  Gaston  Dubois,  qui  lui  servait  précisé- 
ment ici  d'excellent  partenaire,  avait  concouru  pour  sa  part  dans 
Salammbô.  M.  Gaston  Dubois  n'a  pas  les  mêmes  dons  naturels  que 
M.  Rigaux,  et  en  particulier  sa  voix  admiralile.  Mais  il  a  acquis  par  le 
travail  de  précieuses  qualités,  et  il  a  montré  dans  cette  scène  de  la  cha- 
leur et  du  mouvement,  de  l'élan  et  de  la  passion,  et  il  a  justifié  pleine- 
ment la  récompense  qui  lui  a  été  attribuée. 

M.  Azéma  s'est  fait  entendre  avec  avantage  dans  une  belle  scène 
d'OEdipe  à  Colone,  de  Sacchini,  un  chef-d'œuvre  qu'il  est  inutile  de  deman- 
der à  l'Opéra  de  nous  rendre  et  ijui  égale  les  plus  belles  œuvres  de  Gluck, 
que  le  même  théâtre  persiste  à  ne  connaître  que  de  réputation.  Il  y  a 
fait  preuve  d'intelligence,  en  même  temps  que  d'énergie  et  d'un  bon 
sentiment  dramatique. —  M.  Baër  a  donné  un  excellent  concours  danslc 
rôle  do  Saint-Bris  au  quatrième  acte  des  Huguenots.  Doué  par  la  nature 
d'une  belle  voix  et  d'un  beau  physique,  il  y  joint  d'heureuses  qualités  : 


\ 


LE  MÉNESTREL 


239 


de  la  noblesse,  de  l'autorUé,  de  l'ampleur,  du  mouvement,  le  geste  sûr 
et  la  véritable  intelligence  de  la  scène.  Peut-être  méritait-il  plus  que 
ce  qu'on  lui  a  donné. 

M.  Granier  doit  peut-être  plus  son  succès  aux  deux  répliques  qu'il  a 
données  fort  intelligemment  dans  le  Cid  et  dans  les  Hugmnols  qu'à  son 
concours  personnel  dans  la  Juive,  où  il  avait  paru  bien  insuffisant.  Il 
avait  sans  doute  besoin  de  s'échauffer,  et  il  s'est  heureusement  rattrapé 
dans  ces  deux  répliques.  —  M.  Aumônier,  lui  aussi,  a  été  meilleur  en 
lui  servant  de  second  dans  la  Juive  qu'en  paraissant  pour  son  compte 
dans  Marcel  des  Huguenols,  où  nous  l'avons  vu  simplement  très  propre 
et  très  honorable.  —  Un  peu  vulgaire  M.  Triadou,  dans  la  scène  de 
Rigoletto  avec  les  courtisans,  mais  non  sans  quelques  qualités  de  cha- 
leur. 

M"'  Gesbron  semble  née  sous  une  lieureuse  étoile.  Sou  premier  prix 
d'opêra-comique  n'a  pas  été  sans  exciter  quelque  étonnement,  et  elle 
obtient  l'unique  premier  prix  d'opéra  pour  un  fragment  d'Armide  dans 
lequel  elle  manque  absolument  d'action  scénique  et  où  le  chant  propre- 
ment dit  manque  de  l'ampleur  et  de  l'énergie  nécessaires.  Je  n'ai  pas 
retrouvé  là  les  qualités  si  remarquables  qu'elle  avait  déployées  l'an 
passé  dans  le  superbe  concours  de  chant  qui  lui  avait  valu  un  si  beau 
premier  prix.  Il  me  semble  qu'elle  a  encore  bien  à  travailler. 

Je  ne  sais,  en  vérité,  pourquoi  on  n'a  pas  attribué  aussi  la  récompense 
suprême  à  M"'  Billa  pour  sa  superbe  interprétation  du  premier  acte 
cVAleeste.  On  me  dit  que  sa  nature  physique  et  le  caractère  de  sa  voix 
ne  conviennent  pas  au  drame  lyrique;  j'en  suis  d'accord.  Mais  du 
moment  qu'on  la  fait  concourir  dans  l'opéra,  cette  objection  doit  dispa- 
raître, au  point  de  vue  des  récompenses,  si  elle  fait  montre  de  qualités 
supérieures,  et  c'est  précisément  le  cas.  Non  seulement  elle  nous  a 
donné  dans  Alcesle  un  récitatif  vigoureux,  bien  phrasé,  bien  senti  et 
remarquablement  e.xpressif,  mais  elle  a  chanté  l'air  :  Divinités  du  Styx 
d'une  façon  superbe  comme  style  et  comme  diction,  avec  une  véritable 
grandeur  scénique  et  en  lui  donnant  une  couleur  dramatique  d'une  rare 
intensité.  Elle  se  montait  à  mesure  qu'elle  avançait,  sa  physionomie 
s'animait  toujours  davantage,  et  la  fin  de  la  scène  nous  donnait  vrai- 
ment le  sentiment  de  la  beauté  pure  et  accomplie.  —  C'est  dans  le 
second  acte  du  Cid  que  M'"  Demougeot  a  déployé  sa  voix  si  admirable 
et  si  solide.  Elle  ne  s'est  pas  contentée  de  cela  :  elle  a  chanté  avec  émo- 
tion, avec  sentiment  l'air  délicieux  :  Pleure:-,  mes  ijeux,  et  elle  a  joué 
très  convenablement,  non  sans  éclat  et  sans  chaleur,  la  scène  avec 
Rodrigue.  L'ensemble  était  très  satisfaisant. 

M"'-  Féart  a  fait  preuve  d'intelligence  dans  une  scène  des  Danaïdes, 
de  Salieri.  Si  son  récitatif,  d'ailleurs  bien  dit,  manquait  parfois  un  peu 
de  mordant,  le  chant  ne  manquait  point  de  style,  et  l'action  scénique 
ne  manquait  ni  de  vigueur  ui  de  chaleur.  Tout  cela  était  encore  un  peu 
jeune,  mais  fort  intéressant. 

Arthur  Pougin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


On  nous  écrit  de  Bayreuth  :  a  Le  jubilé  du"  théâtre  wagnérien,  c'est-à- 
dire  le  25=  anniversaire  de  son  existence,  a  été  fêté  ici  avec  tout  l'éclat  dési- 
rable. Toute  la  ville  est  pavoisée  et  les  rues  sont  très  animées.  Une  députation 
du  conseil  municipal,  ayant  à  sa  tète  le  bourgmestre,  s'est  rendue  à  la  villa 
Wahnfried  et  a  adressé  une  harangue  à  M"''  Gosima  Wagner,  qui  était  en- 
tourée de  M.  Siegfried  Wagner,  de  ses  autres  enfants  el  de  quelques  amis. 
Après  cette  réception  a  eu  lieu  un  pèlerinage  au  tombeau  de  Wagner.  Dans 
la  soirée  une  retraite  aux  flambeaux  a  défilé  devant  la  villa  Wahnfried  et 
l'orphéon  de  Bayreuth  a  offert  une  sérénade  à  la  famille  du  maître.  Le  prince- 
régent  de  Bavière  a  distribué  aux  artistes  quelques  décorations  et  titres  ho 
norifiques.  Les  représentations  ont  commencé  par  le  Vaisseau- fanlùme,  qu'on 
n'avait  encore  jamais  joué  à  Bayreuth  et  dont  l'interprétation  musicale  a  été 
confiée  à  M.  Félix  Motll.  Les  chœurs  et  la  mise  en  scène  n'ont  rien  laissé  à 
désirer  et  on  peut  dire  que,  sous  ce  rapport,  l'œuvre  de  jeunesse  du  maître 
n'a  encore  jamais  été  aussi  bien  reproduite.  Quant  aux  solistes,  il  faut  avouer 
que  Munich,  Vienne,  Berlin  et  Dresde  ont  déjà  fourni  des  représentations 
supérieures.  A  Bayreuth,  le  Vaisseau-fanlôme  était  ainsi  distribué  ;  Le  Hol- 
landais, M.  Van  Rooy;  Erik,  M.  Burgstaller;  Daland,  M.  Heidkamp;  le 
Pilote,  M.  Petter;  Senta,  M"s  Destinu;  Mary,  M""»  Schumann-Heink.  La 
salle  était  comble,  et  cette  fois-ci  la  langue  allemande  dominait;  les  Fran- 
çais et  Anglo-Américains  ne  formaient  qu'une  petite  minorité.  Parmi  les 
hôtes  de  M™  Wagner  on  remarquait  M"'  Materna,  la  première  Bpunnhiide 
et  la  première  Kundry,  et  M"'  Sucher,  l'inoubliable  Isolde.  Jja  loge  des  sou- 
verains était  occupée  par  la  reine  de  Wurtemberg  et  par  plusieurs  petits 
princes  et  princesses  d'Allemagne;  le  gouvernement  bavarois  était  repré- 
senté par  M.  de  Landmann,  ministre  de  l'instruction  publique.  Inutile 
d'ajouter  que  l'enthousiasme  a  été  grand  et  que  le  public  a  fait  une  ovation 


aux  artistes  à  la  lin  du  spectacle.  A  noter  que  le  Vaisseau-fanlôme  a  été  joué 
dans  sa  version  originale,  sans  aucune  coupure  et  sans  aucune  interruption. 
Les  trois  actes,  ou  plutôt  les  trois  tableaux,  se  sont  succédé  avec  une  rapidité 
qui  a  fait  honneur  au  chef-machiniste,  et  l'effet  a  été  immense.  La  durée  de 
l'œuvre,  jouée  sans  interruption,  dépasse  d'ailleurs  à  peine  celle  de  l'Or  du 
Rhin,  qu'on  à  toujours  joué  à  Bayreuth  sans  entr'acte.  Le  lendemain  on  a 
joué  Parsifal  avec  MM.  Van  Dyck  (ParsifaI),  Schuelz  (Aml'ortas),  Knuepfer 
(Gurnemanz),  Berger  (Klingsor),  et  M"'»  Wittich  (Kundry).  La  représen- 
tation, dirigée  par  M.  Muck,  de  l'Opéra  de  Berlin,  a  été  bonne,  mais  ceux 
qui  ont  assisté  à  la  première  de  cette  œuvre,  du  vivant  de  Richard  Wagner, 
l'ont  trouvée  inférieure.  Après  Parsifal  commence  la  série  de  l'Anneau  du 
Nibelung,  sous  la  direction  de  M.  Hans  Richter. 

—  On  apprend  de  Bayreuth  que  M.  Hans  Richter  fixera  son  domicile  dans 
cette  ville,  pour  assister  M™'  Gosima  Wagner  dans  la  direction  du  théâtre 
wagnérien.  Le  célèbre  chef  d'orchestre  passera  l'hiver  en  Angleterre  pour  y 
remplir  ses  engagements. 

—  La  Société  pour  les  représentalions  wagnériennes  au  théâtre  du  prince- 
régent  de  Munich  s'est  constituée  et  a  élu  président  M.  Karl  de  Perfall, 
surintendant  général  honoraire,  et  vice-président  M.  de  Brunner,  bourgmestre 
de  Munich.  M.  Karl  de  Perfall  a  été  remplacé,  comme  intendant  général  de  la 
chapelle  royale  de  Munich,  par  M.  Bernard  Stavenhagen,  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra  de  celte  ville  et  directeur  de  l'académie  de  musique.  M.  Stavenhagen, 
qui  frise  la  quarantaine,  est  un  des  pianistes  les  plus  célèbres  d'outre-Rhin 
et  a  été  un  des  élèves  les  plus  intimes  de  Liszt.  C'est  lui  qui  a  prononcé, 
en  1886,  l'oraison  funèbre  lors  de  l'enterrement  de  Liszt  à  Bayreuth.  M.  Sta- 
venhagen s'est  aussi  fait  connaître  comme  compositeur. 

—  Le  compositeur  Georges  Vierling,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort, il  y  a 
quelques  semaines,  a  laissé  un  testament  par  lequel  il  lègue  à  quelques  œuvres 
charitables  de  Berlin  la  somme  rondelette  de  1.500.000  marks  (1.87S.0O0  fr.). 
De  son  vivant  personne  ne  se  doutait  que  Vierling  était,  à  l'exception  de 
M.  Siegfried  Wagner,  le  plus  riche  compositeur  d'Allemagne. 

—  Le  nouveau  théâtre  municipal  d'Erturt  a  reçu  un  opéra  inédit  intitulé 
Kyffhaeuser  (Barberousse),  musique  de  M.  Fritz  Baselt.  Cet  ouvrage  sera  joué 
au  commencement  de  la  saison  prochaine. 

—  L'auberge  «  Au  chef  mineur  »  dans  le  val  de  Plauen,  près  Dresde, 
vient  de  célébrer  le  centenaire  de  son  existence.  A  cette  occasion,  le  proprié- 
taire aciuel  a  publié  une  brochure  commémorative  dans  laquelle  se  trouve 
un  joli  et  fort  peu  connu  souvenir  de  Richard  Wagner.  Le  9  mai  1849,  au 
matin,  la  propriétaire  entendit  des  coups  de  fusil  lointains.  Elle  se  précipita 
vers  la  fenêtre  et  aperçut  des  bandes  d'insurgés  en  pleine  fuite.  Les  soldats 
prussiens  qui  avaient  maîtrisé  l'insurrection  de  Dresde  les  poursuivaient  avec 
acharnement.  Tout  à  coup  elle  vit  entrer  dans  sa  chambre  un  petit  bon- 
homme, encore  jeune,  dont  la  figure  et  les  mains  étaient  noires  de  poudre. 
Il  portait  le  costume  des  francs-tireurs  insurgés  (freischaerler)  allemands 
de  1848  :  un  veston  giis  avec  revers  et  passepoils  verts  et  un  petit  chapeau 
tyrolien,  agrémenté  d'une  ganse  grise,  c  Pour  l'amour  de  Dieu,  s'écria-t-il, 
vite  un  peu  d'eau  pour  que  je  me  lave  et  un  peu  de  pain  et  de  viande  froide; 
chaque  minute  peut  m'apporter  la  mort  !  »  La  brave  femme  apporta  sur-le- 
champ  ce  que  le  franc-tireur  lui  demandait  et  celui-ci  lui  dit  :  «  Vous  ne  me 
reconnaissez  donc  pas  ?  »  La  femme  le  regarda  non  sans  méfiance  et  répon- 
dit :  «  Je  vous  ai  déjà  vu  plusieurs  fois,  mais...  »  Le  franc-tireur  déclara 
alors  qu'il  n'avait  pas  un  sou  sur  lui,  mais  qu'il  s'acquitterait  certainement  de 
sa  dette.  La  femme  hospitalière  servit  néanmoins  an  fugitif  une  bouteille  de 
bière  et  ordonna  à  son  fils  de  le  conduire,  selou  sa  demande,  à  travers  la 
forêt  jusqu'à  Freiberg.  C'est  ainsi  que  Wagner  échappa  aux  Prussiens.  Qua- 
torze ans  plus  tard,  en  été  1S63,  l'aubergiste  vit  entrer  dans  sa  cuisine  un 
monsieur  très  élégant  qui  paraissait  connaître  la  maison  et  lui  dit  en  sou- 
riant :  «  Bonjour,  patronne,  je  viens  finalement  payer  ma  dette  ».  La  vieille 
femme  ne  reconnut  pas  l'étranger,  qui  avait  assez  grand  air,  et  secoua  la  tête. 
«  C'est  vrai,  dit  celui-ci,  notre  affaire  date  de  fort  longtemps  et  je  comprends 
que  vous  m'ayez  oublié.  Mais  moi,  je  n'ai  point  oublié  le  service  immense 
que  vous  m'avez  rendu  le  9  mai  1849  ».  —  «  Ah  !  mon  Dieu,  s'exclama  la 
bonne  femme,  le  petit  bonhomme  noirci  qui  n'avait  pas  de  quoi  payer  son 
déjeuner!  »  L'étranger  paya  la  petite  somme  due  qu'il  accompagna  d'un  joli 
cadeau  :  «  Maintenant  je  me  suis  acquitté  de  cette  dette  à  laquelle  j'ai  sou- 
vent pensé.  Vous  avez  rendu  un  fameux  service  à  l'ancien  kapellmeister  de 
votre  roi,  qui  s'appelle  Richard  Wagner,  et  qui  a  été  exilé  jusqu'à  présent  ». 

—  La  ville  de  Baden,  près  Vienne,  a  fait  ériger  un  monument  à  Cari  Mil- 
loecker,  l'auteur  de  la  Demoiselle  de  Jielleville,  qui  lui  a  légué  ses  manuscrits 
avec  une  somme  importante.  Ce  monument,  œuvre  du  sculpteur  Bock,  sera 
prochainement  inauguré. 

—  On  a  représenté  à  Sienne,  le  12  juillet,  un  drame  lyrique  en  un  acte -sut 
un  sujet  fantastique,  Anaiike,  dont  la  musique  est  due  au  maestro  Gesare 
Flavoni,  chef  de  musique  du  32"  régiment  d'infanterie.  Le  livret,  dont  on  ne 
nomme  pas  l'auteur,  est,  parait-il,  d'une  tristesse  excessive,  mais  la  musique 
a  obtenu  un  plein  succès.  Ce  petit  ouvrage  était  joué  par  M™»  Pasini,  An- 
ceschi  (Ananke),  Cecchi  et  le  ténor  Gavara. 

—  Un  vent  de  grève  souffle  à  Rome  parmi  l'importante  corporation  des 
chantres  d'église.  Ces  messieurs  se  sont  coalisés  pour  refuser  de  chanter  le 
29  juillet  au   Panthéon,  à  l'occasion  d,;   l'anniversaire  de  la  mort  du  roi,  si 


240 


LE  MtNESTREL 


leur  salaire  n'est  pas  augmenté.  Ils  demandent  tout  simplement  que  leur 
cachet  soit  porté  de  4  francs  à  5  fr.  50. 

—  On  vient  d'apposer  une  plaque  commémorative  à  la  petite  maison  située 
dans  le  faubourg  Lambeth  de  Londres,  maison  où  Arthur  Sullivan  est  né  en 
1842.  C'est  la  Corporation  des  musiciens  de  Londres  qui  en  a  fait  les  frais. 
M.  Cummings  a  présidé  la  cérémonie  d'inauguration  et  a  prononcé  un 
discours. 

—  Le  prix  des  autographes  musicaux  reste  en  hausse  et  il  ne  parait  pas 
devoir  devenir  de  sitôt  plus  abordable.  On  vient  de  vendre  à  Londres  douze 
menuets  de  Mozart  pour  orchestre,  partitions  entièrement  autographes  du 
maître,  au  prix  de  37  livres,  soit  9"2o  francs.  Ces  menuets  ont  été  composés  en 
1772  et  1773;  ce  sont  donc  des  œuvres  de  jeunesse  qui  n'ofl'rent  pas  tout  l'in- 
térêt des  compositions  classiques  de  Mozart. 

—  Le  prince  Serge  Valkonsky,  directeur  du  théâtre  impérial  de  Saint- 
Pétersbourg,  s'est  démis  de  ses  fonctions.  Il  a  pour  successeur  dans  ce  poste 
important  M.  Telyakowsky,  ex-directeur  du  théâtre  impérial  de  Moscou. 

—  Le  prix  triennal  fondé  par  M.Paderewski  en  faveur  de  compositeurs  de 
nationalité  américaine,  a  attiré  un  grand  nombre  de  concurrents.  Soixante- 
huit  compositions  sont  entre  les  mains  du  jury,  parmi  lesquelles  31  œuvres 
pour  orchestre,  9  œuvres  chorales  et  28  compositions  de  musique  de  chambre. 
Le  jury  doit  rendre  son  jugement  au  commencement  de  l'automne. 

—  M.  Carlos  de  Mesquita,  un  jeune  artiste  qui  fit  ses  études  musicales 
à  Paris  et  qui  obtint  de  jolis  succès  de  compositeur,  vient  de  prendre 
dans  sa  ville  natale,  à  Rio-de-Janeiro,  la  direction  de  la  quatrième  session 
des  «Concerts  populaires  ».  Les  séances,  qui  ont  lieu  dans  la  salle  du  théâtre 
San  Pedro  de  Alcantara,  sont  fort  suivies  par  un  public  qui  sait  apprécier 
la  façon  dont  sont  exécutées  les  œuvres  que  le  jeune  compositeur  fait  figurer 
sur  ses  très  beaux  programmes.  Trois  concerts  ont  déjà  eu  lieu,  depuis  le 
5  mai  dernier,  et  la  musique  française  y  a  tenu  la  place  d'honneur  avec 
Massenet  (Sévillana  de  Doti  César  de  Bazan,  Scènes  pittoresques.  Divertissement 
des  esclaves  persanes,  Fête  bohème.  Scènes  napolitaines),  Gounod,  Benjamin  Go- 
dard, Bizet,  Guiraud,  Saint-Saëns,  Delibes  (Suite  de  Sylvia),  Charpentier 
(Impressions  d'Italie)  et  Lacome.  Le  public  a  même  redemandé  les  Scènes 
pittoresques  de  Massenet  et  les  Impressions  d'Italie  de  Charpentier  qui,  ainsi, 
ont  été  jouées  deux  fois  déjà. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  Journal  officiel  d'hier  samedi  a  publié  la  liste  des  croix  de  la  Légion 
d'honneur  données  à  l'occasion  du  14  juillet.  Ainsi  que  nous  l'avions  annoncé 
dès  dimanche  dernier,  sont  nommés  officiers  :  MM.  J.-B.  Faure,  artiste  lyri- 
que et  compositeur  de  musique,  Albert  Carré,  directeur  du  théâtre  national 
de  rOpéra-Comique,  Jean  Aicard  et  Léon  Dierx,  hommes  de  lettres;  cheva- 
liers :  MM.  Xavier  Leroux,  compositeur  de  musique,  Maurice  Lefebvre- 
Desvallières,  auteur  dramatique,  et  Victor  Capoul,  directeur  de  la  scène  de 
l'Académie  nationale,  de  musique. 

—  La  distribution  des  prix  aura  lieu  au  Conservatoire  jeudi  prochain 
1"  août,  à  une  heure  et  demie.  La  séance  sera  présidée  par  M.  Leygues, 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts.  La  rentrée  des  classes 
est  fixée  au  lundi  7  octobre. 

—  Les  concours  du  Conservatoire  à  peine  terminés,  on  parle  déjà  de  l'en- 
gagement des  principaux  lauréats.  C'est  ainsi  qu'on  annonce  que  l'Opéra 
prendra  MM.  Rigaux,  Dubois  et  Granier,  tandis  que  l'Opéra-Comique  s'atta- 
cherait M"=^  Gesbron  à  moins  que  la  maison  Gailhard  ne  la  subtilise,  ce  qui 
serait  grand  dommage  pour  l'intelligente  artiste,  Huchet  et  M.  Geyre.  A 
rOdéon  on  réclamerait  M"«Piérat,  dont  la  mère,  M""=  Panot,  débuta  sur  cette 
même  scène,  et  M.  Bouthors.  Tout  cela,  bien  entendu,  subordonné  à  la  rati- 
fication du  ministère  des  beaux-arts. 

—  Dans  sa  dernière  séance  l'Académie  des  beaux-arts  a  élu  M.  Paul  Lacombe, 
de  Carcassonne,  membre  correspondant  de  l'Institut,  en  remplacement  de 
Peter  Benoit.  M.  Paul  Lacombe  est  un  musicien  de  très  grande  valeur  dont 
nos  grands  concerts  symphoniques  ont  plusieurs  fois  présenté  des  œuvres 
importantes  et  dont  uae  délicieuse  Aubade  printanière  a  rendu  le  nom  populaire. 

—  M.  Maurice  Grau  fait  sa  moisson  d'étoiles  pour  sa  prochaine  saison 
américaine.  Il  s'est  déjà  assuré  du  concours  de  M""  Calvé  —  chiffre  de 
l'engagement  300.000  francs,  —  de  M"''  Sibyl  Sanderson,  qui  chantera  pour 
la  première  fois  dans  sa  ville  natale,  San  Francisco,  de  M.  Alvarez,  à  partir 
du  mois  de  janvier,  et  de  M.  Gibert,  le  créateur  à  Paris  à'Esclarmonde,  de 
Cavalleria,  de  Kassya,  qui  ne  fera  qu'un  mois,  devant  être,  dans  le  courant  de 
novembre,  à  l'Opéra  de  Nice,  où,  chose  assez  rare,  il  va  faire  sa  troisième 
saison. 

—  Au  Chàtelet,  l'assemblée  générale  des  actionoaires,  sur  la  proposition 
de  M.  Rochard,  a  ratifié  à  l'unanimité  le  choix  de  MM.  Fontanes  et  Judic 
comme  codirecteurs  de  ce  théâtre.  La  signature  sociale  est  dorénavant  : 
«  Rochard,  Fontanes,  Judic  et  C'°  ».  Nul  doute  qu'à  la  rentrée  le  conseil 
municipal  n'approuve  à  son  tour  cette  association,  car  la  deuxième  commis- 
sion, pressentie  trop  tard,  ne  pourra  examiner  la  question  qu'au  mois  de 
novembre.  M.  Fontanes  est  un  artiste  consciencieux  que  nous  connûmes  aux 
théâtres  du  boulevard,  et  M.  Georges  Judic,  fils  de  l'irremplaçable  diva  des 


Variétés,  électricien  de  mérite,   faisait   déjà  partie  de  l'administration  du 
Chàtelet. 

—  Suite  des  réclamations  auxquelles  donne  lieu  la  rigueur  de  la  Société 
des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique  dans  la  perception  des 
droits.  M.  Tellier,  sénateur,  maire  d'Amiens,  qui  avait  adressé  à  ce  sujet 
une  requête  au  minisire  de  l'instruction  publique  et  des  beaiix-artî,  vieut 
de  recevoir  la  lettre  suivante  : 

Palais-Royal,  le  2U  juillel  1P01. 
Monsieur  le  sénateur, 

Ainsi  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  l'annoncer  dans  ma  lettre  du  29  mai  dernier,  j'ai 
immédiatement  engagé  des  pourparlers  avec  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  édi- 
teurs de  musique,  pour  établir  un  nouveau  modus  Vivendi  qui  donnât  satisfaction  aux 
légitimes  réclamations  des  Sociétés  musicales  et  des  municipalités.  Ces  pourparlers  ont 
abouti  à  une  entente  qui  sera,  j'espère,  très  prochainement  définitive,  et  que  consacrera 
une  circulaire  à  laquelle  je  ferai  donner  la  plus  grande  publicité. 
Agréez,  monsieur  le  sénateur,  l'assurance  de  ma  haute  considération. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
G.  Leygues. 

—  D'autre  part,  en  province,  les  représentants  de  ladite  Société  ont 
droit,  indépendamment  de  leur  entrée  personnelle  dans  chaque  théâtre,  à 
quatre  billets  de  faveur,  qui  donnent  accès  aux  premières  places  et  dont 
ils  peuvent  disposer  à  leur  gré.  Nombre  de  ces  représentants,  se  souciant 
fort  peu  de  faire  des  gracieusetés  à  des  amis,  font  vendre  moins  cher  qu'au 
bureau  leurs  billets  devant  la  porte  des  théâtres.  Cette  vente  est-elle  licite"? 
Où  no  constitue-t-elle  pas,  au  contraire,  une  concurrence  déloyale  faite  au 
directeur  de  théâtre?  C'est  cette  dernière  solution  que  vient  d'adopter  fort 
justement,  croyons-nous,  le  tribunal  de  commerce  de  Nice  au  sujet  d'un 
différend  survenu  entre  la  Société  des  auteurs  et  le  directeur  d'un  grand 
cirque  en  représentation  dans  cette  ville. 

—  On  annonce  le  mariage  de  M.  Léon  Rothier,  de  l'Opéra-Comique,  avec 
M"»  Charles,  de  l'Opéra.  M.  Léon  Rothier  appartient  à  l'Opéra-Comique  de- 
puis sa  sortie  du  Conservatoire  et  vient  de  signer,  avec  M.  Albert  Carré, 
un  nouvel  engagement  de  trois  années,  en  même  temps  que  sa  jeune  femme, 
quittant  l'Opéra,  s'engageait  également  avec  le  directeur  de  la  salle  Fa\art  à 
partir  du  l"'^  septembre  prochain.  M"'  Charles  interprétera  les  rôles  drama- 
tiques du  répertoire  tels  que  Carmen,  la  Navarraise  et  Cavalleria ,  sans  compter 
les  créations  qui  pourront  lui  échoir. 

—  De  Vichy  :  Au  dernier  concert  classique  de  M.  Jules  Danbé,  auquel 
Mme  Roger-Miclos  et  M"'  Mary  Garnier,  de  l'Opéra-Comique,  prêtaient  leur 
gracieux  concours,  on  a  exécuté  les  Impressions  d'Italie,  de  M.  Gustave  Char- 
pentier, une  œuvre  inédite  de  M.  Henri  Busser  :  A  la  villa  Médicis,  et  un 
nouveau  Cantique,  écrit  par  Massenet,  pour  deux  flûtes  et  instruments  à  cordes, 
qui  ont  produit  un  très  grand  effet. 

—  De  Luchon  :  La  saison  bat  son  plein  en  ce  moment  et  les  jolis  concerts 
de  M.  Boussagol,  au  Casino,  sont  suivis  par  une  foule  élégante  qui  apprécie 
comme  il  convient  l'éclectisme  de  programmes  d'audition  très  agréables. 
Parmi  les  numéros  à  succès  des  dernières  séances  il  faut  relever  la  Lèf/ende 
languedocienne  de  Broustet,  Salut  à  Copenhague  et  Clianteurs  du  bois  de  Fahr- 
bach.  Sarabande  espagnole,  le  ballet  du  Cid  et  Devant  la  Madone  de  Massenet, 
/«  Suite  pour  instruments  à  vent  de  Théodore  Dubois,  la  Vague  et  la  Kait  de 
Métra,  le  Cortège  de  Bacchus  de  Sijh'ia  de  Delibes,  Retour  au  camp  et  les  Amou- 
reuses de  Gung'l,  la  Zamacueca  de  Ritter,  etc. 

—  De  Trouville  :  Les  messes  en  musique  de  N.-D. -de-Bon-Secours  ont 
repris  leur  éclat  renommé  sous  la  direction  de  M"=  Juliette  Toutain,  qui 
vient  d'obtenir  un  brillant  prix  d'orgue.  Remarqué  au  programme  :  des  Pièces 
d'orgue  de  Périlhou,  le  Sommeil  de  la  Vierge  de  Massenet,  pour  violon,  par 
M"«  Daumain,  Osalutaris  de  Faure,  par  M"<î  J.  S.,  et  des  Pièces  brèves  de  Gigout. 

NÉCROLOGIE 

De  Mozzo,  près  Bergamo,  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  du  célèbre 
violoncelliste  Alfredo  Piaiti,  qui  était  né  à  Bergame  le  8  janvier  1822.  Fils 
d'un  violoniste  distingué,  il  était  encore  au  Conservatoire  de  Milan  lorsqu'on 
1834,  à  peine  âgé  de  douze  ans,  il  fit  en  cette  ville  sa  première  apparition  en 
public,  dans  un  concert  que  laMalibran  rendit  mémorable  par  la  part  quelle 
y  prit,  et  qui  devint  fameux  encore  par  ce  fait  qu'on  y  fit  connaître  la  mort 
de  Bellini.  (Un  an  après  la  Malibran  mourait  elle-même  à  Manchester.) 
Après  avoir  quitté  le  Conservatoire,  où  il  était  élève  de  Mcrighi,  Piatli  entre- 
prit toute  une  série  de  voyages  et  se  fit  entendre  successivement  à  Venise, 
Vienne,  Francfort,  Berlin,  Breslau,  Dresde,  Saint-Pétersbourg,  Paris,  exci- 
tant partout  l'enthousiasme  par  ^on  talent  remarquable  et  plein  de  séduction. 
En  1816,  après  avoir  refusé  la  place  de  professeur  qu'on  lui  ofi'rait  au  Con- 
servatoire dont  il  avait  été  l'élève,  il  se  rendit  en  Angleterre  et  se  fixa  à 
Londres,  où  il  se  maria  et  où  il  devint  l'un  des  héros  des  fameux  concerts 
populaires  du  samedi  et  du  lundi.  Depuis  quelques  années  il  s'était  retiré 
dans  sa  patrie.  Piatti  a  composé  de  nombreuses  œuvres  pour  son  instrument  : 
deux  concertos,  un  concertino,  beaucoup  de  fantaisies  et  de  morceaux  de 
genre,  ainsi  que  plusieurs  mélodies  vocales  avec  violoncelle  obligé. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Dimanche  4  Août  1901, 


3571.  -  67-  mm  -  [VSi.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(les  Bureaux,  2  ■"",  me  TiTienne,  Paris,  u-  m') 
(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

LE 


MÉNESTREL 


^ 


-ïec  ' 


Le  Hamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    TPIÉ^TRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  ïlamépo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hekri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Ahonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  sièc'es  (23*  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  La  distribution  des  prix  au  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Le  Tour  de  France 
en  musique  :  Cliansons  bressanes  {suite}^  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Pensées  et  Apho- 
risnies  d'Antoine  Rubinstein.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LANDLER  ALSACIENS   (2°  suite) 

Suivra   immédiatement  :  la  Flûte  et  le  Luth,  de 


par  Charles  Malherbe, 

A.  PÉRILHOU. 


MUSIQUE  DE  CHANT 


Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
■les  Poi'trails,  mélodie  de  Joanni  Perronnet,  poésie  de  Antonin  Lugnier.  — 
Suivra  immédiatement  :  Seule I  valse  de  I.  Philipp,  d'après  Chopin,  paroles 
de  Jules  Ruelle. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  méinoires  les  plus  récents  et  îles  ûocuments  InÉilits 

(Suite.) 


III 

La  pension  de  Monsigny.  —  Le  mmicien  des  anges  et  les  largesses  de  Louis  Bona- 
parte. —  Le  ballet  des  Noces  de  Figaro  à  la  Cour  du  roi  Jérôme.  —  Une  paco- 
tille musicale  de  Nicolo.  —  La  Romance  de  Mignon.  —  La  tragédie  lyrique  en 
prose  de  Champein. 

Tous  les  musiciens  n'avaient  pas,  comme  Gherubini,  le  malheur 
de  déplaire  au  maître  du  monde.  Il  en  est  bien  peu,  au  contraire, 
que  Napoléon  n'ait  comblés  de  pensions  et  d'honneurs.  Ceux 
même  qu'avaient  oubliés  ou  négligés  l'ancien  régime  et  la 
Révolution  obtenaient  de  l'Empire  de  justes  compensations. 
■C'est  ainsi  que  le  vénérable  Monsigny,  l'un  des  créateurs  du  vieil 
opéra-comique,  dut  à  la  munificence  impériale  une  pension  sur 
laquelle  il  ne  comptait  pas. 

L'histoire,  telle  que  la  rapportent  les  mémoires  de  M""=  de 
Ghastenay,  mérite  d'être  connue. 

Napoléon  avait  gratifié  M'"'  de  Genlis  d'une  rente  annuelle  de 
six  mille  francs  et  d'un  logement  à  l'Arsenal.  En  échange,  il 
devait  recevoir,  tous  les  quinze  jours,  de  l'ancien  «  gouverneur  » 
des  princes  d'Orléans,  une  lettre  très  détaillée  sur  les  «  aiîaires 
du  temps  »  etM"'=  de  Genlis,  poussant  la  franchise  jusqu'au  bout, 
avouait  humblement  —  ce  qui  était  fort  rare  —  à  M"'°  de  Ghas- 
tenay ; 


—  Je  me  suis  aperçue,  une  fois  seulement,  que  l'Empereur 
lisait  mes  lettres;  ce  fut  quand  Monsigny,  pour  qui  j'avais  solli- 
cité une  pension,  la  reçut  peu  de  temps  après  mon  dernier 
rapport. 

Les  frères  du  grand  homme  ne  se  montraient  pas  moins  géné- 
reux envers  les  représentants  de  l'art  musical.  Lucien  Bona- 
parte, envoyé  en  ambassade  extraordinaire  à  Madrid,  déployait 
un  faste  extraordinaire  à  la  cour  d'un  prince  dont  le  Premier 
Consul  recherchait  l'alliance.  Le  nouveau  ministre  plénipoten- 
tiaire prodiguait  les  réceptions  et  les  fêtes.  Boccherini,  le  com- 
positeur favori  d'un  roi  dont  la  mélomanie  était  proverbiale, 
dirigeait  lui-même,  dans  les  concerts  donnés  par  Lucien,  l'exé- 
cution de  ses  célèbres  quintettes  ;  et,  pour  remercier  «  le  musicien 
des  anges  »,  l'envoyé  français  lui  envoyait,  à  lui,  à  son  orchestre 
et  à  ses  chanteurs,  des  bijoux  d'une  valeur  bien  supérieure  au 
cachet  qu'auraient  pu  espérer  ces  artistes. 

Blangini,  le  Dieu  de  la  Romance,  comme  l'appelaient  ses  con- 
temporains, était  traité  avec  la  même  distinction  à  la  cour  de 
Jérôme,  le  roi  de  Westphalie.  Norvins,  qui  occupait  un  poste 
officiel  auprès  du  plus  jeune  frère  de  Napoléon,  cite  dans  son 
Mémorial  un  épisode  intéressant  du  séjour  de  Blangini  à  Gassel 
pendant  le  carnaval  de  1810.  Le  roi  autorisa  le  compositeur  à 
monter  comme  il  l'entendrait  le  ballet  des  Noces  de  Figaro, 
qu'il  avait  écrit,  puis  remanié  pour  les  fêtes  de  la  cour.  Blan- 
gini dirigeait  l'orchestre,  pendant  que  le  grand  maître  de  ballet, 
Tagiioni,  le  père  de  la  future  danseuse,  s'occupait  de  la  choré- 
graphie. Jérôme  et  sa  femme  décidèrent,  après  une  longue  et 
mûre  délibération,  que  tous  les  costumes  seraient  en  velours  et 
en  satin.  Cette  fantaisie  ruineuse  fut  amèrement  reprochée,  avec 
combien  d'autres,  au  prince  dissipateur  par  le  grand  frère,  qui,  à 
vrai  dire,  lui  avait  donné  l'exemple  d'une  telle  prodigalité  avec 
ses  luxueux  ballets  des  Tuileries. 

Nicolo  était  un  autre  Dieu  de  la  romance.  Le  général  Thié- 
baud  semble  cependant  lui  contester  ce  titre.  Grand  amateur  de 
musique,  il  s'était  entretenu  de  sa  passion  favorite  avec  l'auteur 
de  Joconde,  pendant  tout  un  dîner  chez  Junot.  Le  lendemain  Nicolo 
lui  envoyait  «  une  pacotille  de  romances,  notamment /«mène,  qu'il 
regardait  comme  un  morceau  d'heureuse  inspiration  et  que 
Zozotte  (la  femme  de  Thiébaud),  l'admiratrice  de  plusieurs  de 
ses  ouvrages,  trouva  pitoyable  » . 

En  vérité,  ce  siècle  devait  être,  dès  son  aurore,  le  siècle  de  la 
romance.  Thiébaud  cite  encore,  parmi  les  maîtres  du  genre, 
Lejeune,  et  les  Mémoires  de  la  comtesse  Dash  (I)  signalent  éga- 
lement, à  Poitiers,  un  certain  Samparelli,  artiste  italien,  qui 
écrivait  les  plus  jolies  romances  du  monde,  entre  autres  celle-ci 
sur  Mignon  : 

Laconuais-tu  cette  heureuse  contrée 
Où  croit  l'olive  et  l'orange  dorée  ? 


(1)  Comtesse  Dash.  —  Mémoires  des  autres;  Librairie  illustrée,  1895, 


242 


LE  MÉNESTREL 


Par  contre,  uu  compositeur  des  moins  connus  eut  l'étrange 
idée,  reprise  depuis,  de  mettre  de  la  prose  en  musique.  Cham- 
pein  (1)  —  c'est  son  nom  —  sollicita  en  ces  termes  le  patronage 
de  Napoléon  pour  l'adoption  de  son  idée. 

Paris,  le  S  janvier  1813. 

Sire,  la  reconnaissance  que  je  dois  aux  bontés  de  Votre  Majesté  m'a  fait 
entreprendre  un  ouvrage  extraordinaire. 

Sire,  je  viens  d'achever  de  mettre  en  musique  la  belle  tragédie  d'Electre, 
de  Sophocle,  en  cinq  actes  et  en  prose  avec  le  chœur,  personnage  essentiel 
des  tragédies  grecques. 

Ce  spectacle  nouveau  et  imposant  sera  peut-être  digue  de  délasser  Votre 
Majesté  de  ses  immortels  travaux,  et  c'était  sous  son  règne  unique  qu'un 
pareil  ouvrage  devait  être  conçu  et  paraître. 

Mettre  en  musique  cinq  actes  en  prose!  Mais  cette  prose  harmonieuse,  tra- 
duite littéralement  des  vers  de  Sophocle,  elle  est  si  poétique  !  Les  sentiments 
et  les  passions  des  personnages  sont  si  beaux  et  si  pleins  d'intérêt,  si  na- 
turels !  L'entente  théâtrale  est  si  belle  et  d'un  si  grand  effet! 

Ah!  Sire,  que  la  puissante  protection  que  Votre  Majesté  ne  cesse  d'accor- 
der aux  arts  me  soit  favorable  aujourd'hui  ! 

Je  viens  supplier  Votre  Majesté  qu'elle  veuille  bien  donner  l'ordre  au  surin- 
tendant de  ses  spectacles  que  mon  Electre  soit  de  suite  mise  à  l'étude,  au 
théâtre  de  l'Académie  impériale  de  musique.  Cet  ordre  fera  le  bonheur  de 
toute  ma  vie  et  celui  de  ma  jeune  famille. 

Je  suis.  etc. 

GhampeiiN, 

pensionnaire  de  Votre  Majesté,  auteur  de  la  Mélomanie,  des  Dettes,  du  Nouveau 

Don  Quichotte,  de  Menzikow. 

Le  comte  Bertrand,  à  qui  le  placet  fut  renvoyé,  rappela  que  si  Cham- 
pein  se  félicitait  de  son  innovation,  La  Motte  Houdard  avait  écrit  de 
même  façon  une  tragédie  qui,  d'après  Voltaire,  suffit  pour  discréditer  le 
genre.  Bertrand  proposait  en  conséquence  de  faire  e.vécuter  une  scène 
de  cette  «  belle  Electre  »,  soit  devant  Napoléon  au  concert  des  petits 
appartements,  soit  au  Conservatoire,  soit  enfin  devant  le  jury  de  l'Opéra. 
Nous  ignorons  si  l'épreuve  fut  tentée. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


LA  DISTRIBUTION  DES  PRIX  AU  CONSERVATOIRE 


C'est  jeudi  dernier  qu'a  eu  lieu,  au  Conservatoire,  la  séance  solen- 
nelle de  la  distribution  des  pris  attribués  aux  derniers  concours.  Elle 
était  présidée  par  M.  Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des 
beaux-arts,  qui,  à  une  heure  précise,  faisait  son  entrée  et  prenait  place 
sur  l'estrade,  où,  en  petite  masse  compacte,  étaient  déjà  rassemblés 
tous  les  élèves  appelés  à  prendre  part  à  cette  heureuse  journée,  jeunes 
hommes  et  garçons  d'un  côté,  jeunes  femmes  et  fillettes  de  l'autre. 

M.  Leygues  s'assied  à  la  table  d'honneur,  ayant  à  sa  droite  MM.  Théo- 
dore Dubois,  directeur  du  Conservatoire,  Jules  Glaretie,  A.  Bernheim, 
Charles  Lenepveu,  Victorin  Joncières,  à  sa  gauche  MM.  Henri  Roujon, 
directeur  des  béaux-arts,  porteur  de  la  cravate  de  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur,  Camille  Saint-Sacns,  d'Estournelles,  Pol  Neveu, 
Louis  Diémer,  Gabriel  Fauré  et  Albert  Carré.  Derrière  sont  groupés 
tous  les  professeurs  de  la  grande  maison. 

Le  ministre  se  lève,  ouvre  la  séance  et  prend  aussitôt  la  parole.  Point 
de  discours  écrit.  Quelques  notes  seulement  sous  ses  yeux,  pour  se 
rappeler  la  marche  à  suivre,  et  il  se  livre  à  l'improvisation.  Il  com- 
mence par  un  remerciement  chaleureu.x  à  l'adresse  des  professeurs  et 
surtout  au  directeur  du  Conservatoire,  M.  Théodore  Dubois,  au  talent 
et  à  l'expérience  desquels  est  due  la  continuation  de  la  renommée  de 
l'illustre  école.  Quelques  réflexions  esthétiques  viennent  ensuite,  tou- 
chant le  rôle  de  la  France  en  matière  d'art  et  de  création  artistique.  La 
France,  dit  l'orateur,  ne  doit  pas  s'isoler  du  reste  du  monde  ;  elle  doit 
accueillir  avec  curiosité,  avec  intérêt,  toutes  les  osuvres  qui  se  produi- 
sent en  dehors  d'elle,  elle  doit  les  connaître,  les  étudier  pour  s'impré- 
gner de  leur  esprit  dans  la  mesure  de  ce  qui  peut  lui  convenir,  mais  à 
la  condition  de  rester  elle-même,  de  rester  le  pays  de  la  clarté,  de  la 
mesure  et  du  bien-dire. 

M.  Leygues  rappelle  alors  le  rôle  joué  par  la  musique  française  à 
l'Exposition  de  1900,  grâce  aux  travaux  de  la  commission  musicale 
présidée  par  M.  Camille  Saint-Saens  —  à  qui  il  rend  un  hommage  que 
soulignent  les  applaudissements  de  l'assemblée  ;  il  rappelle  les  séances 
officielles  données  au  palais  du  Trocadéro  par  l'admirable  orchestre  de 
la  Société  des  concerts,  dirigé  par  M.  Tafîanel.  Il  n'a  pas  moins  d'éloges 


(1)  Nouvelle  Revue  Rétrospectice.  —  10  jain  1898.  —  ConiiauDicalion  du  vicomte  de 
Grouchy. 


à  l'adresse  de  nos  grands  théiïtres,  et  particulièrement  de  la  Comédie- 
Française,  qui,  dans  les  circonstances  si  cruelles  et  si  difUciles  oii  elle 
se  trouvait,  après  le  désastre  qui  l'avait  atteinte,  n'en  a  pas  moins,  par 
un  effort  immense,  fait  honneur  à  la  France  en  présence  des  étrangers 
l'éunis  en  foule  à  Paris. 

Après  des  félicitations  adressées  à  MM.  Xavier  Leroux  et  Gabriel 
Piernè,  à  l'occasion  des  deux  ouvrages  donnés  par  eux  à  l'Opéra  et  à 
l'Opéra-Comique,  Àstarlé  et  la  Fille  de  Tabarin,  M.  Leygues  donne  un 
souvenir  ému  aux  morts  de  l'année,  en  rappelant  lés  services  rend\ts 
par  eux  à  l'art.  C'est  Sophie  Croizette,  c'est  Got,  c'est  Sauzay,  c'est  Jules 
Cohen,  ces  trois  derniers  anciens  professeurs  de  la  maison,  c'est  Phi- 
lippe Gille,  «  l'heureux  auteur  des  livrets  de  Lakiné  et  de  Manon  ».  Et  il  ne 
veut  pas  oublier  de  rendre  l'hommage  qui  lui  est  du  à  un  illustre  artiste 
étranger  qui  a  d'ailleurs  travaillé  pour  la  France,  à  Verdi,  dont  il  a  eu 
l'occasion  de  prononcer  l'éloge  dans  une  autre  enceinte  (à  la  Sorbonne) 
et  dont,  en  quelques  mots,  il  caractérise  la  carrière  et  l'admirable  génie. 

Après  ce  discours,  dont  la  péroraison  est  accueillie  par  de  vifs  applau- 
dissements, le  ministre  annonce  la  nomination  de  M.  Crosti,  professeur 
de  chant,  comme  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  et  celle,  comme 
officiers  de  l'instruction  publique,  de  M.  Chapuis,  professeur  d'harmo- 
nie, de  .M""^  Hardouin,  Marcou  et  Roy,  professeurs  de  solfège,  et  de 
M.  Granier,  accompagnateur  de  la  classe  d'opéra-comique. 

Mais  ce  n'est  pas  fini,  et  après  un  temps  et  un  semblant  d'hésitation, 
M.  Leygues  s'adresse  de  nouveau  à  ses  auditeurs  et  s'exprime  en  ces 
termes  : 

«  Mesdames  et  messieurs,  nous  espérions  vous  offrir  une  agréable 
surprise,  et  M.  Planté,  pour  célébrer  l'anniversaire  du  prix  qui  lui  fut 
décerné,  il  y  ajuste  cinquante  ans,  nous  avait  gracieusement  promis 
son  concours  pour  cette  séance,  oii  il  devait  tenir  la  partie  de  piano  dans 
le  septuor  de  M.  Saint-Saëns  qui  figure  sur  le  programme  du  concert. 
Malheureusement  M.  Planté,  pris  d'une  indisposition  subite,  se  trouve 
dans  l'impossibilité  de  tenir  sa  promesse.  Mais  tout  pourtant  n'est  pas 
perdu,  et  notre  illustre  maître  Camille  Saint-Saëns  a  bien  voulu  se 
charger  de  remplacer  M.  Planté  dans  le  septuor  dont  il  est  l'auteur.  » 

Et  le  ministre  ajoute  malicieusement  :  «  M.  Saint-Sacns  ne  met  qu'une 
condition  au  concours  qu'il  veut  bien  nous  prêter  en  cette  circonstance  : 
c'est  que  je  réclame  pour  lui  toute  votre  indulgence  ».  Et  les  rires  elles 
applaudissements  d'éclater. 

C'est  fini,  et  la  parole  officielle  a  cessé  de  retentir.  Voici  venir  la 
proclamation  et  la  distribution  des  récompenses.  La  lecture  du  palmarès 
est  faite  d'une  bonne  voix  par  M.  Garry,  premier  prix  de  comédie  et 
second  prix  de  tragédie,  chaque  élève  se  présentant  à  l'appel  de  son  nom. 
Lorsque  le  défilé  est  terminé,  on  vide  la  scène,  le  ministre  se  rend  avec 
ses  assistants  dans  la  loge  officielle,  et  le  concert  commence,  dont  voici 
le  programme  exact  : 

1"  Onzième  Rapsodie  hongroise    ...       Liszi 

M.  Lortat  Jacob. 
2°  Air  du  Pardon  de  Ploërmel Meyerdeer 

M"'!  Huchet. 
3°  Glioral  et  Variations  pour  harpe  et  orchestre Gn.-M.  Widor 

M"«  Sassoli, 
4»  Scène  de  Manon  (3=  acte,  'i'  tableau) Massenet 

Manon  Mi'=  Gesbron 

Des  Grieux                M.  Gaston  Dubois 
ô"  Scène  du  Mariage  de  Yicloriiie  (3*  acte) Georoe  Saxd 

Victorine  M"'^  Piérat 

Sophie  De  Raisy 

Antoine  MM.  Garry 

Alexis                                 Marey 
6°  Scène  de /"«trie  (i»  acte) Paladilhe 

Gomte  de  Rysoor      M.  Rigaux 

Karloo                         M.  Gaston  Dubois 
7"  Septuor,  fragments  (op.  65) Gam.  Saint-Saf'nst 

a.  Préambule;  b.  Menuet:  c.  Gavotte  et  Finale. 

Violon  M"=  Forte 

Violon  MM.  Dufresne 

Alto  Michout 

Violoncelle  Julien 

Contrebasse  C.  Schmitt 

Trompette  Lécussant 

Piano  X. 

8°  Pièces  pour  piano  seul. 

U  va  sans  dire  que  tous  les  numéros  de  ce  programme  ont  eu  leur 
succès  ordinaire.  Il  faut  toutefois  faire  remarquer  que  la  gentille 
M""  Piérat  a  été  accueillie  avec  une  sympathie  effective  toute  particu- 
lière dans  la  scène  du  Mariage  de  Vicloriiie,  qu'elle  joue  d'une  façon  si 
délicieuse,  et  que  M.  Saint-Saëns  a  été  l'objet  d'une  ovation  formidable 


LE  MÉNESTREL 


243 


lorsqu'il  s'est  présenté  avec  ses  jeunes  partenaires  pour  exécuter  son 
septuor. 

On  remarquera  que  le  programme  indiquait  seulement  M.  X...  pour 
cette  partie  de  piano  du  septuor,  et  qu'il  annonçait,  sous  le  numéro  8, 
des  «  pièces  pour  piano  seul  «  qui  n'ont  pas  été  exécutées.  C'est  qu'en 
effet  on  avait  voulu  tenir  secrète  jusqu'à  la  fin  la  présence  de  M.  Planté, 
«t  que  c'est  lui  qui,  sous  espèce  de  «  pièces  de  piano  » ,  devait  terminer 
le  concert.  Cela,  on  l'a  vu,  n'a  malheureusement  pas  été  possible. 
Planté,  arrivé  la  veille  de  Mont-de-Marsan  à  Paris,  s'est  trouvé  le  matin, 
à  sa  grande  désolation,  dans  l'impossibilité  de  se  mouvoir  et  cloué  dans 
son  lit  par  une  attaque  subite  de  rhumatisme.  Ainsi  a  disparu  la  joie 
■qu'il  voulait  se  donner  en  la  donnant  aux  autres,  de  célébrer  ainsi  le 
cinquantenaire  du  premier  prix  de  piano  qu'il  remportait  d'emblée  à 
l'âge  de  onze  ans,  à  son  premier  concours,  dans  la  classe  de  l'excellent 
Marmontel. 

Je  n'ai  plus,  pour  terminer  ce  compte  rendu,  qu'à  faire  connaître 
l'attribution  des  dons  et  legs  affectés  à  divers  élèves  : 

Legs  Nicodami  (7S0  fr.),  partagé  également  entre  MM.  Salzédo,  V" 
prix  de  harpe  et  de  piano,  Lécussant,  1"  prix  de  trompette,  et  Dufresne, 
1"  prix  de  violon. 

Prix  Guérineau  (210  fr.).  partagé  entre  M.  Rigaux  et  M'"  Huchet, 
tous  deux  l""^  prix  de  chant. 

Prix  George  Hainl  (700  fr.),  à  M.  Fournier,  1"''  prix  de  violoncelle. 

Prix  Ponsin  (435  fr.),  à  M"'  Piérat,  1"  prix  de  comédie. 

Prix  Henri  Herz  (300  fr.),  à  M"'  Boutarel,  1"  prix  de  piano. 

Prix  Doumic  (120  fr.),  à  M"«  Pair,  1"'  prix  d'harmonie. 

Prix  Jules  Garcin  (200  fr.),  à  M"'  Forte,  1"  prix  de  violon. 

Prix  veuve  Gérard  (300  fr.),  à  M"=  Dehelly,  2°  prix  de  piano. 

Prix  Sourget  de  Santa-Coloma  (150  fr.).  à  M"=  Boutarel,  i^'  prix  de 
piano. 

Prix  Tholer  (290  fr.),  à  M"=  Margel,  2«  prix  de  comédie. 

Prix  Monnot  (570  fr.),  à  M"=  Forte,  i."'  prix  de  violon. 

A  ajouter  à  cela  le  prix  Popelin  (1.200  fr.),  que  l'Association  des 
artistes  musiciens  a  charge  de  distribuer  aux  premiers  prix  de  piano 
(femmes)  et  qui  sera  partagé  cette  année  entre  M"*'  Boutarel,  Jacquet,  , 
Nosny  et  Schnitzer. 

Arthur  Pougin. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


xir 

CHANSOXS  BRESSANES  (suite) 

Aussi  bien,  comme  nous  l'avons  indiqué,  les  filles  de  la  Bresse  ont 
Sainte-Catherine  en  grande  terreur.  Une  jouvencelle  qui  n'est  pas 
mariée  à  vingt  ans  est  vieille.  Elle  en  souffre,  et  quand,  ayant  atteint 
ses  vingt-cinq  ans,  elle  a  perdu  tout  espoir  de  trouver  époux  à  son  choix, 
elle  se  résigne,  et,  pour  mettre  son  esprit  en  repos  et  sa  vanité  à  l'aise, 
procède  à  l'enterrement  du  mariage. 

«  Un  beau  jour  elle  se  rend  chez  les  voisins  et  les  invite  à  assister  à 
ses  noces.  Un  banquet  se  prépare,  et  l'heure  de  la  fête  ayant  sonné, 
notre  épousée  donne  la  main  au  compère  qu'elle  a  choisi  pour  l'assister 
en  cette  affaire  ;  puis  elle  se  rend  à  l'église,  suivie  d'un  nombreux  cortège 
et  en  blanche  toilette  de  mariée,  la  fleur  d'oranger  sur  le  front  et  un 
bouquet  de  myrte  fleuri  à  la  ceinture.  Après  la  messe,  la  belle  fait  vœu 
de  n'avoir  jamais  d'autre  époux  que  celui  qu'elle  vient  d'accepter  ficti- 
vement, et  après  l'avoir  entendue  renoncer  ainsi  au  mariage,  les  témoins 
la  suivent  au  banquet,  dont  elle  fait  les  honneurs  avec  son  marieur.  Le 
soir  venu,  ils  sont  conduits  en  grande  pompe  à  la  chambre  nuptiale,  où 
cet  époux  d'un  jour  arrache  à  la  fiancée  son  bouquet  de  myrfe,  et  le 
jette  sur  l'oreiller;  après  quoi,  il  se  retire  avec  les  assistants  et. va  se 
coucher  chez  lui. 

«  A  dater  de  cette  journée,  la  jeune  fille  est  mise  au  rang  des  femmes, 
elle  commande  aux  valets,  se  gouverne  à  sa  guise,  et  remplace  par 
certaines  tresses  de  toile  exclusivement  réservées  à  la  femme  marioe,  le 
ruban  noir  attaché  à  son  chapeau  de  future.  Sa  condition  devient  ana- 
logue à  celle  des  veuves.  » 

Et  ainsi  elle  traînera  une  existence  calme,  normale,  mais  dépoétisée. 
Elle  ne  prendra  qu'avec  un  regret  au  cœur  et  un  soupir  aux  lèvres  sa 
part  des  événements  joyeux  qui  l'entourent.  Aux  noces,  elle  aura  la 
chanson  triste.  Alors  que  les  autres  entonneront  des  airs  de  bravoure 


ou  des  couplets  badins,  elle  chantera  Manette,  navrante  histoire  d'uù 
soldat  qui  vient  s-en  congé  pour  revoir  sa  fiancée  que  son  cœur  aime 
tant.  Hélas!  Nanette  est  morte.  Tout  autour  de  sa  tonibe  les  rosiers  sont 
plantés.  Alors  il  retourne  au  régiment  :  —  Bonjour,  mon  capitaine,  me 
voilà  de  retour;  Ma  Nanette,  elle  est  morte;  je  servirai  toujours.  Ou  bien 
encore,  la  délaissée  débitera  cette  autre  complainte,  la  Belle  Geôlière, 
recueillie  comme  la  précédente  par  M.  Charles  Guillon  dans  ses  Chan- 
sons populaires  de  l'Ain  : 


C'est  la  fille  d'un  geôlier; 
Grand  Dieu  !  qu'elle  est  donc  belle  ! 
Elle  est  plus  belle  que  le  jour. 
Un  prisonnier  lui  fît  l'amour  (bis). 

Ils  se  sont  assis  sur  un  banc 
Pour  deviser  ensemble. 
Tournant  la  tète  derrièr'lui, 
Aperçoit  le  bourreau  veni  (bis). 


—  C'est  à  présent  qu'il  m'faut  mouri. 
François',  belle  Françoise, 

Prenez  l'anneau  que  j'ai  au  doigt; 
Cherchez  un  autre  amant  que  moi  (bis 

—  Je  n'veux  pas  d'autre  amant  que  v< 
Pierre,  mon  ami  Pierre. 

Je  m'irai  mettr'  dans  un  couvent, 
Et  prierai  Dieu  pour  mon  amant  (bis) 


Après  les  chants,  la  bourrée,  alerte,  étrange,  accompagnée  par  la 
cornemuse  ou  la  vielle,  et  que  les  Bressans  dansent  d'une  façon  si 
particulière  sur  le  talon.  La  fausse  mariée  ne  s'y  mêlera  pas;  elle  tien- 
dra sa  place  parmi  les  matrones,  surtout  parmi  celles  qui  sont  dans  son 
cas.  Et  il  en  sera  ainsi  toute  sa  vie,  jusqu'au  jour  où,  à  bout  d'ans,  elle 
s'agenouilleradevantl'auteldeNotre-Dame  et,  pour  la  dernière  fois  peut- 
être,  chantera  d'une  voix  tremblante  la  vieille  prière  de  la  Bresse  : 

La  razon  du  bon  Dieu 

Sacrement  de  Dieu 
Reusa  da  mé,  reusa  d'avri, 
Uvro-me  le  peurte  du  paradi. 
Aile  sont  uverte  d'emp'  hie  à  médi; 
Dieu  béni  cho  que  le  z'a  uvri  ; 
Dieu  béni  cho  que  le  froumera. 

On  zou  viendra, 

Dieu  pourtera  ma  plance 
Po  pie  greussa  qu'on  pâ  de  tête. 
Tui  cô  que  saran  la  razon  du  bon  Dieu  pocheront, 
Tui  ce  que  ne  la  saran  po  obérant, 
Crieront,  tra  cô  abouzheront 
Et  diront:  mon  Dieu! 
Qu'a  z'ou  don  fait  en  cely  mondon 
Que  ze  n'a  po  appri  la  razon  du  bon  Dieul 
Que  se  retonrnova  dans  l'otrou  mondon 

Ze  l'apprendra  ben. 
En  pochant  per  ou  chemin 
Za  ^'û  santa  Madeleinna 
Après  la  santa  quaranteinna  ; 
Ze  l'y  a  demando  :  n'êtes  vou  po  vt  Jésus? 

Ou  a  ze  l'a  vu 

Sur  l'arbre  de  la  crui 
Leu  bras  en  cruizon,  leu  pié  étendu, 
La  tête  encourenô  d'épene. 
I\lon  dieu  abregio  l'arma 
De  mon  grant,  de  ma  granta. 
De  mon  père,  de  ma  mère, 
De  meseroux,  de  meu  frère... 

Tui  ce  que  saran  ce  la  praire, 
Que  la  réciteront  tra  co  lou  matin, 

Tra  co  lou  cha, 

Ne  verran  jamais  lou  fua 
De  l'enfa. 

Traduction  :  —  La  raison  du  bon  Dieu ,  sacrement  de  Dieu ,  rosée  de  mai ,  rosée 
d'avril,  ouvrez-moi  les  portes  du  paradis.  Elles  sont  ouvertes  depuis  hier  à  midi.  Dieu 
bénit  celui  qui  les  a  ouvertes  ;  Dieu  bénit  celui  qui  les  fermera.  Un  jour  viendra,  Dieu 
apportera  une  planche  pas  plus  grosse  qu'un  cheveu.  Tous  ceux  qui  sauront  la  raison  du 
bon  Dieu  passeront;  tous  ceux  qui  ne  la  sauront  pas  tomberont,  crieront,  blasphémeront 
trois  fois  et  diront:  Mon  Dieu!  qu'ai-je  donc  fait  dans  ce  monde  que  je  n'ai  pas  appris  la 
raison  du  bon  Dieu!  Si  je  retournais  dans  l'autre  monde,  je  l'apprendrais  bien.  En  pas- 
sant par  un  chemin  j'ai  vu  sainte  Madeleine,  après  la  sainte  quarantaine.  Je  lui  ai 
demandé  :  n'avez-vous  pas  vu  Jésus?  Oui,  je  l'ai  vu,  sur  l'arbre  de  la  croix,  les  bras  en 
croix,  les  pieds  étendus,  la  tête  couronnée  d'épines.  Mon  Dieu  recevez  l'àme  de  mon 
grand-pêre,  de  ma  grand'mère,  démon  père,  de  ma  mère,  de  ma  sœur,  de  mon  frère... 

L'abbé  Nyd,  qui  entendit  chanter  cette  prière  par  une  petite  vieille 
à  cheveux  blancs,  à  Notre-Dame  de  Vaux,  et  qui  l'a  consignée  dans  ses 
Souvenh's  historiques  du  Pont  de  Vaux,  demanda,  sa  chanson  finie,  à  la 
bonne  femme  d'où  elle  la  tenait. 

Elle  n'en  savait  rien;  elle  l'avait  entendu  chanter  de  tout  temps  aux 
petites  vieilles  comme  elle,  et  elle  l'avait  retenue.  Cequ'elle  savait  bien, 
par  contre,  c'est  que  tous  ceux  qui  connaissent  cette  prière  et  la  récitent 
trois  fois  le  matin,  trois  fois  le  soir,  ne  verront  jamais  le  feu  de  l'enfer, 
comme  il  est  dit  dans  les  vers  de  la  fin. 

C'est  dans  le  même  but  que  les  Bressans  ne  manquent  pas,  après  les 
funérailles  de  leurs  femmes,  de  boire  en  abondance,  pour  assurer  leur 
salut,  d'un  certain  petit  vin  funéraire,  exquis,  récolté  tout  exprès  sur  les 
coteaux  du  Maçonnais. 

Tout  ne  flnit-il  pas  par  des  libations  en  Bourgogne  !  Les  anciennes 


244 


LE  MÉNESTREL 


chansons  en  font  foi,  témoin  cette  ballade  chevaleresque,  recueillie  par 
M.  Edmond  Guimet  et  qui  doit  remonter  à  l'époque  où  les  ducs  de 
Savoie  possédaient  la  Bresse  : 

Neutron  bon  du  de  Savoya 
N'éli  po  dzanti  galan? 
El  a  fa  fore  n'armeya 
De  quatrevin  payijan 
Lironfa!  Gara,  gara,  gara. 
Lironfa!  Gara  de  devan. 

La  chanson  se  poursuit.  C'est  une  expédition  contre  la  France  en 
douze  couplets.  Mais  dès  le  septième,  la  prudence  bressane  se  révèle  : 

No  vetia  su  la  frontière  % 

0,  o!  que  la  mound'  é  gran. 

No  no  pora  bin  morfondre 

N'e  nos  avanchon  po  tan 

Halte  là!  cara.  gara,  gara. 

Halte  là!  Gara  de  devan. 

Les  Bressans  battront  donc  en  reti-aite.  Après  quelques  évolutions 
militaires,  —  ti-ay  po  an  dérire,  tray  po  an  avan,  —  trois  pas  en  arrière, 
trois  pas  en  avant,  —  l'armée  se  retire.  Le  duc  fait  son  allocution  à  ses 
troupes  :  —  Vos  estes  de  brave  djan,  leui'  dit-il.  Et  l'incident  se  termine 
dans  les  bugnettes,  les  matafau  et  les  verres  de  vin. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


PENSÉES  ET  APHORISMES 

D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Traduit   du   russe    par   Michel    Delines.) 


La  distance  de  l'ambition  à  l'amour-propre,  de  la  force  de  caractère  à 
l'égoismc,  n'est  pas  plus  grande,  selon  moi,  que  du  sublime  au  ridicule. 

Les  traits  saillants  du  caractère  sont  innés  chez  l'homme  ;  heureuse- 
ment l'éducation  est  là  pour  le  modifier  s'il  a  un  penchant  pour  le  mal. 
Assurément,  les  mauvais  penchants  ne  sauraient  être  entièrement  sur- 
montés et  les  Français  l'ont  depuis  longtemps  reconnu  dans  leur  dicton  : 
«  chassez  le  naturel,  il  revient  au  galop  ».  Mais  n'est-il  pas  attristant 
de  constater  que  les  mauvais  instincts,  l'égoisme,  la  cruauté,  la  convoi- 
tise, sont  les  premières  manifestations  de  la  nature  humaine,  tandis  que 
l'amour  du  prochain,  la  compassion,  la  générosité,  doivent  lui  être  in- 
culqués? 

La  sympathie  et  l'antipathie  sont  le  nœud  des  liens  entre  les  hommes, 
et  comme  la  plupart  du  temps  ces  sentiments  ne  sont  pas  motivés,  c'est 
l'injustice  et  l'indifférence  qui  règlent  les  rapports  dans  le  mondé.  Un 
être  intelligent,  robuste,  actif,  se  voit  souvent  rebuté  parce  qu'on  ne  le 
trouve  pas  sympathique,  tandis  qu'une  personne  indolente,  sans  déci- 
sion, obtiendra  nos  faveurs  parce  que  nous  la  proclamerons  sympa- 
thique. On  rencontre  souvent  dans  la  vie  de  ces  malentendus  ! 


L'enfant  s'attache  naturellement  à  sa  mère  parce  qu'elle  le  nourrit- 
tandis  que  l'amour  pour  le  père  doit  lui  être  inculqué.  Plus  tard,  il  est 
vrai,  il  aime  aussi  son  père,  mais  c'est  alors  parce  que  c'est  lui  qui  le 
nourrit. 


Dieu  a  laissé  à  l'homme  le  libre  chois  entre  le  bien  et  le  mal;  mais 
en  même  temps  il  lui  a  mesuré  le  .discernement,  d'où  l'incertitude  dans 
laquelle  l'homme  se  trouve  éternellement  pris;  car,  outre  les  dix  com- 
mandements et  les  préceptes  du  Christ,  il  y  a  encore  beaucoup  de  choses 
que  l'homme  devra  juger  par  lui-même. 


Les  hommes  agissent  le  plus  souvent  en  pensant  &  Dieu.  Ils  agiraient 
plus  sagement  en  pensant  au.Y  hommes,  car  Dieu  est  miséricordieux  et 
les  hommes  ne  le  sont  pas. 

Manger  et  se  nourrir  sont  en  apparence  chose  identique-  il  faut 
cependant  établir  une  distinction  entre  les  deux  termes  :  c'est  le  riche 
qui  mange,  tandis  que  le  pauvre  se  nourrit. 

On  me  reproche  de  ne  pas  prendre  assez  d'exercice  ;  c'est  que  je  ne 
peux  penser  que  lorsque  je  suis  assis  ou  couché.  Quand  une  idée  me 
vient  en  chemin,  je  suis  forcé  de  m'arréler  pour  y  réfléchir  et  la  déve- 
lopper. La  marche  gôue  l'accumulation  des  idées,  le  mouvement  les 
précipite  les  unes  sur  les  autres.  Quant  à  la  promenade  hygiénique 
sans  pensées,  je  l'abandonne  volontiers  aux  promeneurs  de  nrofes- 
sion.  '^ 


L'aristocratie,  ce  mal  social  qui  a  existé  de  tout  temps,  n'est  admis- 
sible qu'autant  qu'elle  est  riche  et  puissante;  c'est  pourquoi  elle  ne  me 
parait  équitable  qu'en  Angleterre,  bien  qu'elle  soit  absolument  contre 
nature.  En  Russie,  c'est  tout  le  contraire;  dans  ce  pays  les  fils  d'un 
prince  sont  tous  princes  et  les  biens  du  père  après  sa  mort  sont  partagés 
également  entre  tous  ses  enfants.  En  Russie  l'aristocratie  n'est  donc 
que  de  nom  seulement.  Au  point  de  vue  humain,  c'est  la  seule  logique;, 
mais  au  point  de  vue  des  institutions  existantes,  c'est  un  vrai  non- 
sens. 

Il  arrive  souvent  à  un  grand  artiste  d'entendre  quelqu'un  lui  décerner 
les  éloges  les  plus  enthousiastes,  et  immédiatement  après  ce  même 
quelqu'un  en  dit  autant  d'un  autre  artiste  qu'il  juge,  lui,  très  inférieur 
à  lui-même.  Et  alors  on  le  traite  d'orgueilleux  ou  de  blasé,  s'il  reçoit, 
d'un  air  indifférent  les  louanges  dont  on  l'accable. 


De  tous  les  paysans  des  différentes  nations  que  j'ai  eu  l'occasion  de 
connaître,  le  grand  Russien  me  semble  le  plus  intéressant,  bien  qu'il 
soit  paresseux  comme  une  brute,  ivrogne  fieffé,  rusé,  bigot  et  monar- 
chique jusqu'à  l'esclavage.  Il  est  cependant  si  richement -doué  par  la 
nature  qu'il  est  capable  de  tout.  Sa  hache,  dont  il  ne  se  sépare  point, 
lui  tient  lieu  de  machine,  son  bon  sens  le  tire  d'affaires  dans  toutes 
les  circonstances  de  la  vie  et  sa  force  naturelle  lui  permet  de  vaincre 
tout  obstacle. 

Il  peut  devenir  ce  qu'il  veut:  domestique,  seigneur,  poète,  savant, 
inventeur,  pope,  sectaire,  soldat,  général,  musicien,  ingénieur,  etc., etc.. 
Il  a  cependant  dans  son  caractère  une  particularité  qui  lui  nuit  en  bien 
des  cas  :  ou  il  est  humble  au  point  d'en  perdre  sa  dignité,  ou  il  est  arro- 
gant au  point  que  le  diable  lui-même  n'est  plus  son  égal.  Étrange- 
peuple  que  ces  Russes  !  (A  suivre.) 

s=i^ 

NOUVELLES    DI^^ERSES 


ÉTRANGER 


On  nous  écrit  de  Bayreuth  :  La  tétralogie  l'Anneau  du  Nibelung,  qui  fêtait 
le  25'  anniversaire  de  sa  première  représentation,  vient  d'être  jouée  sous  la 
direction  de  M.  Hans  Richter,  et  ces  quatre  soirées  ont  marqué  l'apogée  des 
assises  wagnériennes  de  cette  année.  La  mise  en  scène  a  certainement  fait 
de  grands  progrès  depuis  18'76;  cette  fois-ci  l'arc-en-ciel  de  la  lin  de  l'Or 
Rhin,  obtenu  par  une  projection  de  lumière  électrique  muUicoloro,  a  été  fort 
beau,  et  le  fameux  dragon  de  Siegfried  s'est  présenté  de  façon  beaucoup  moins 
ridicule.  Mais  les  solistes  n'étaient  nullement  à  la  hauteur  de  ceux  dont 
Richard  "Wagner  avait  disposé 'en  1876,  et  M.  Schmedes,  de  l'Opéra  de 
Vienne,  dans  le  rôle  de  Siegfried,  a  paru  absolument  insuffisant,  malgré  sa 
belle  prestance  et  la  vivacité  de  son  action.  L'orchestre  et  les  chœurs  ont  fait 
merveille:  les  Elles  du  Rhin  ont  donné  une  interprétation  d'une  rare  pureté. 
—  Plusieurs  vieux  parlisans  du  maîlre,  et  parmi  eux  MM.  Humperdinck  et  le 
ténor  Niemann,  ont  voulu  faire  signer,  par  les  visiteurs  de  Bayreuth,  une 
pétition  au  Reicbstag  demandant  une  protection  spéciale  de  cinquante  ans- 
pour  Parsifal.  Malgré  une  propagande  active,  les  visiteurs  étrangers  ont  été 
récalcitrants  et  ont  presque  tous  préféré  ne  pas  se  mêler  de  ce  qui  ne  les 
regarde  pas.  —  On  annonce  d'ores  et  déjà  des  représenlalions  pour  l'année 
prochaine.  Parsifal  figure  au  programme  provisoire,  mais  l'Anneau  du  Nibelung 
en  est  exclu,  à  cause  des  frais  énormes  que  causent  ses  représentations.  Bay- 
reuth laisse  donc  pour  1902,  au  théâtre  wagnérien  de  Munich,  la  chance  de 
jouer  la  tétralogie. 

—  La  direction  de  l'Association  générale  Richard  Wagner  vient  d'adresser 
au  comte  de  Bûlow,  chancelier  de  l'empire  allemand,  un  mémoire  qui  expose 
la  nécessité  de  fixer  la  durée  du  droit  d'auteur  à  cinquante  ans  et  insiste  tout 
particulièrement  au  sujet  de  Parsifal.  L'Association  prie  le  chancelier  de. 
redresser  ce  prétendu  tort.  On  ne  voit  pas  trop  ce  que  le  chancelier  pourrait] 
faire  actuellement  pour  changer  les  idées- du  Reichstag,  dont  le  siège  est  fait 
sur  celte  question. 

La  fondation  Richard  Wagner,  destinée  à  offrir  aux  musiciens  pauvres 

des  places  gratuites  aux  représentations  de  Bayreuth,  a  reçu  comme  don  da 
jubilé  la  somme  de  17.000  marcs  environ,  soit  plus  de  2i.000  francs.  L'em- 
pereur Guillaume  II  a  envoyé  personnellement  à  Bayreuth  3.000  marcs. 

—  On  nous  écrit  de  Munich  :  L'inauguration  imminente  du  théâtre  du 
prince-régent,  que  les  malveillants  appellent  le  simili-Bayreuth,  excite  l'in-  ' 
térêt  général.  Les  billets  pour  les  premières  soirées  du  nouveau  théâtre  wa- 
gnérien font  prime;  le.s  grands  hôtels  reçoivent  continuellement  des  demandes 
d'appartements  et  de  billets.  Tout  ce  qu'on  entend  au  sujet  de  la  nouvelle 
scène  est  très  favorable;  on  loue  surtout  l'acoustique  et  l'effet  produit  par 
l'orchestre  invisible,  dont  les  instruments  à  archet  font  merveille.  Quant  à 
l'appareil  scénique,  entièrement  aménagé  par  le  célèbre  machiniste  Lautens- 
chlaeger,  il  offre  tous  les  progrès  modernes  et  surpasse  tout  ce  qui  existe 
ailleurs.  L'éclairage  de  la  scène  produira,  dit- on,  une  véritable  sensation. 


LE  MÉNESTREL 


245 


—  L'octogénaire  princo-régent  de  Bavière  a  visité  la  semaine  passée  le 
nouveau  théâtre  wagnérien  pendant  une  répétition  et  en  a  été  tellement  satis- 
fait qu'il  a  octroyé,  sur  place,  une  haute  décoration  à  l'intendant  M.  de 
Possart,  auquel  revient  le  mérite  d'avoir  réalisé  l'aménagement  de  ce  théâtre. 
A  Bayreuth  on  est  fort  mécontent  de  cette  prétendue  concurrence,  et  l'Asso- 
ciation générale  Richard  Wagner  a  exprimé,  dans  une  adressée  envoyée  à 
M°"  Cosima  "Wagner,  ses  vifs  regrets  à  ce  sujet.  Nous  croyons,  au  contraire, 
que  le  maître  serait  très  heureux,  s'il  vivait  encore  et  s'il  pouvait  voir  cette 
victoire  de  ses  idées  dans  la  ville  même  qui  a  été  privée,  par  quelques  me- 
neurs Ijigots  et  bornés,  de  tous  les  avantages  que  le  roi  Louis  II  avait  voulu 
lui  procurer  et  que  Bayreuth  n'a  recueillis  qu'en  petite  partie.  Car  il  ne  faut 
pas  oublier  que  Munich  est  une  ville  des  plus  attrayantes,  surtout  pour  ceux 
qui  aiment  les  beaux-arts,  et  qui  offre,  au  point  de  vue  matériel,  toutes  les 
ressources  et  tous  les  agréments  d'un  grand  centre,  tandis  que  Bayreuth  n'a 
rien  pour  occuper  agréablement  le  visiteur  étranger  avant  et  après  les  repré- 
sentations; sans  compter  que  les  hôtels  et  la  cuisine  y  laissent  beaucoup  à 
désirer.  A  Bayreuth  on  ne  reste  que  juste  le  temps  indispensable;  à  Munich 
on  s'attarde  volontiers  dans  les  musées.  La  capitale  bavaroise  aura  encore  un 
grand  avantage  :  son  théâtre  wagnérien  sera  permanent  et  jouera  pendant 
toute  l'année.  Ceux  qui  ne  peuvent  quitter  leur  domicile  à  l'époque  des  repré- 
sentations de  Bayreuth  pourront  toujours  trouver  à  Munich  celles  du  théâtre 
wagnérien.  Celui-ci  contribuera  donc  dans  une  mesure, beaucoup  plus  large 
à  la  propagition  de  l'art  wagnérien.  On  a  tort  d'ailleurs  de  s'alarmer  à  Bay- 
reuth; les  représentations  espacées  dans  cette  ville  comme  par  le  passé  atti- 
reront toujours  un  nombre  suffisant  de  ces  pèlerins  qui  ne  se  contentent  pas 
de  simples  impressions  artistiques,  mais  désirent  fouler  le  «  sol  sacré  »  de  la 
colline  des  bords  du  Mein  et  visiter  le  tombeau  du  prophète. 

—  Un  théâtre  original  vient  d'être  fondé  dans  la  capitale  de  l'Allemagne  sous 
le  litre  de  «  la  Scala  de  Berlin  ».  Ce  théâtre  jouera,  contre  remboursement 
des  frais,  les  œuvres  inédites  des  auteurs  dramatiques  et  des  compositeurs 
qui  voudront  voir  leurs  œuvres  produites  à  la  scène.  Le  prospectus  de  l'entre- 
prise garantit  l'exécution  impeccable  des  opéras,  opérettes,  drames  et  comé- 
dies par  de  bons  artistes,  sous  la  direction  de  régisseurs  et  chefs  d'orchestre 
avantageusement  connus.  La  salle  du  théâtre,  qui  est  déjà  construit,  contient 
I.SCO  places;  la  scène  est  vaste;  l'orchestre  est  composé  de  soixante  musi- 
ciens, dirigés  par  deux  chefs  pour  l'opéra  et  deux  chefs  pour  l'opéra-comique 
et  l'opérette.  L'entreprise  se  chargera  aussi  de  l'exécution  d'oratorios  et  autres 
œuvres  symphoniques  et  chorales,  et  s'engage  à  fournir  les  chœurs  et  solistes. 
Pour  les  œuvres  de  musique  de  chambre  et  les  conférences,  on  a  construit 
une  petite  salle  qui  ne  contient  que  400  places  et  se  distingue  par  l'excellence 
de  son  acoustique.  L'entreprise  s'engage  enfin  à  faire,  sur  demande  spéciale 
des  auteurs,  un  service  complet  de  presse  et  à  mettre  ceux-ci  en  rapport  avec 
les  directeurs  de  théâtre,  entrepreneurs  et  agents  divers.  Dans  ces  conditions, 
les  jeunes  auteurs  n'auront  rien  à  faire  qu'à  délier  les  cordons  de  leur  bourse 
si  celle-ci  est  suffisamment  garnie,  et  à  attendre  le  succès. 

—  Le  kronprinz  allemand,  qui  est  actuellement  étudiant  à  l'Université  de 
Bonn,  a  commencé  ses  leçons  de  violon.  Deux  fois  par  semaine  le  violoniste 
Seibert,  professeur  au  Conservatoire  de  Cologne,  se  rend  à  Bonn  pour  donner 
des  conseils  au  jeune  prince,  qui  est  déjà  d'une  jolie  force  sur  son  ins- 
trument. 

—  Un  nouvel  opéra,  intitulé  l'Improvisateur,  dont  M.  Eugène  d'Albert  est 
l'auteur,  sera  joué  pour  la  première  fois  à  l'Opéra  de  Berlin  dès  le  commen- 
cement de  la  saison  prochaine.  Dans  la  même  soirée  on  donnera,  pour  la 
première  fois  aussi,  un  opéra  en  un  acte  de  M.  Richard  Strauss,  qui  est  inti- 
tulé le  Feu. 

—  Un  éditeur  de  Leipzig,  qui  n'est  d'ailleurs  pas  connu  à  Paris,  annonce 
une  Valse  du  krach  de  Leipzig  pour  chant  et  danse.  Les  paroles  sont  un  per- 
siflage de  la  catastrophe  financière  qui  a  récemment  affligé  Leipzig  et  le 
commerce  saxon.  C'est  assurément  une  œuvre  de  fort  mauvais  goùl,  sinon 
une  mauvaise  action,  de  se  moquer  ainsi  d'un  désastre  national  qui  a  frappé 
les  riches  comme  les  pauvres  et  dont  les  suites  funestes  se  feront  sentir  pen- 
dant longtemps.  Quand  un  éditeur  parisien  de  «  petit  format  »  publie  des 
drôleries  plus  ou  moins  grivoises,  mais  inofîensives,  les  journaux  d'oulre- 
Rhin  déblatèrent  contre  la  prétendue  immoralité  parisienne.  Que  dire  de  ce 
spécimen  de  la  «  culture  »  allemande  qui  nous  vient  du  «  Petit-Paris  n  saxon, 
ainsi  dénommé  par  Gœthe  ? 

—  Le  ministère  de  l'instruction  publique  a  accordé  une  subvention  au 
Conservatoire  de  Vienne  pour  organiser  un  cours  supérieur  de  piano  dont  la 
direction  a  été  confiée  à  M.  Emile  Sauer,  virtuose  de  chambre  du  roi  de  Saxe. 
L'admission  à  ce  cours  supérieur  (Meisterschule)  sera  entourée  de  garanties 
spéciales;  on  veut  y  former  de  véritables  maîtres  (Meister).  Rien  que  cela  I 

—  L'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  qui  est  le  Conservatoire  de  cette 
ville,  vient  de  créer  deux  nouvelles  classes  dans  son  enseignement.  Elle  a 
chargé  le  critique  Edouard  Boutet  de  faire  un  cours  d'histoire  du  théâtre  et 
un  autre  cours  de  leçons  sur  la  théorie  de  l'interprétation  dramatique. 

—  Le  jury  du  concours  ouvert  par  la  même  Académie  pour  la  composition 
d'un  chœur  à  quatre  voix  sur  la  Prière  de  Giusti  a  attribué  à  l'unanimité  le 
prix  à  M.  Luigi  Mapelli,  professeur  au  Conservatoire  de  Milan,  qui  avait  été 
déjà  vainqueur  d'un  concours  ouvert  l'an  dernier  par  l'Académie.  Le  chœur 
de  M.  Mapelli  sera  exécuté  dans  la  séance  solennelle  de  l'Académie,  le 
22  novembre  prochain,  jour  de  la  fête  de  sainte  Cécile. 


—  Un  décret  du  roi  d'Italie  vient  de  modifier  la  composition  des  musiques 
d'infanterie  et  de  constituer,  près  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome, 
une  commission  dépendante  du  ministère  de  la  guerre  qui  est  chargée  de 
s'occuper  de  la  partie  technique  de  ces  musiques  et  de  leur  répertoire.  Cette 
commission  est  composée  de  M.  le  comte  de  San  Martino,  président  de  l'Aca- 
démie, du  maestro  Versella  et  de  deux  chefs  de  musique  miUtaire.  Elle 
exercera  l'office  de  »  consultant  »  près  du  ministère  de  la  guerre  pour  toutes 
les  questions  concernant  les  musiques  militaires.  Celles-ci  seront  composées 
de  46  musiciens  réunis  de  façon  homogène.  Toutes  les  marches  et  composi- 
tions destinées  à  l'armée  devront  être  approuvées  par  la  commission. 

—  Suite  et  fin  des  renseignements  donnés  par  le  Trovatore  à  propos  de 
Rossini  et  de  ses  œuvres.  —  3  décembre  1820,  première  représentation  au 
théâtre  San  Carlo  de  Naples,  de  Maomeito  II,  opéra  sérieux,  poème  de  Venti- 
gnani,  dont  le  rôle  principal  est  tenu  par  Filippo  Galli.  —  3  mars  1821,  pre- 
mière représentation  et  succès  contesté,  à  l'ApoUo  de  Rome,  de  Matilde  di 
Shabran  (et  non  Maria,  comme  le  dit  notre  confrère),  poème  de  Ferretti,  joué 
par  Fusconi,  Fioravanti,  Moncada,  Ambrosi,  Beuedetti,  la  Parlamagni  et  la 
Lipparini.  —  27  décembre,  au  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  grande  soirée  de 
gala,  eu  présence  du  roi  et  de  la  cour,  et  exécution  de  la  cantate  intitulée  la 
Riconoscenza  par  Rubini,  Benedetti,  la  Dardanelli  et  la  Chaumel.  —  16  fé- 
vrier 1822,  au  même  San  Carlo,  Zelmira,  opéra  sérieux,  livret  de  Tottola, 
chanté  par  Nozzari,  David,  Ambrosi,  Benedetti,  la  Colbran  et  la  Cecconi. 
16  mars,  dans  la  villa  de  Casteuaso,  près  de  Bologne,  appartenant  à  Isabella 
Colbran,  célébration  de  son  mariage  avec  Rossini.  —  3  février  1823,  au  théâtre 
de  la  Fenice,  de  Venise,  Semiramide,  opéra  sérieux,  poème  de  Rossi,  chanté 
par  Galli  et  Saint-Clair,  Isabella  Colbran  et  Rosa  Mariani.  Succès  éclatant. 
On  sait  qu'avec  cet  ouvrage  se  termine  la  carrière  italienne  de  Rossini. 

—  Le  conseil  communal  de  Rome  a  ouvert  un  concours  entre  les  sculp- 
teurs italiens  résidant  en  cette  ville  pour  l'exécution  d'un  buste  en  marbre 
de  Verdi,  qui  devra  être  placé  au  Pincio. 

—  Un  nouvel  opéra,  intitulé  Ordinanza,  dont  le  livret  est  tiré  d'une  nou- 
velle de  M.  Alfredo  Testoni  et  dont  la  musique  est  due  à  un  jeune  composi- 
teur bolonais,  M.  Ugo  Dallanoce,  sera  représenté  prochainement  à  Sienne, 
où  il  aura  pour  interprètes  MM.  Barbaini  et  Anceschi  et  M°"=Camilla  Pasini. 

—  Et  voici  qu'on  reparle  de  nouveau  —  encore!  —  du  yéron  de  M.  Boito. 
Voici  ce  que  nous  en  apprend  un  journal  italien,  l'Alba  :  —  «  Arrigo  Boito  a 
travaillé  en  ces  derniers  jours  avec  une  activité  extraordinaire.  Son  Néron  est 
presque  complètement  terminé.  D'ici  un  couple  de  mois,  selon  la  prévision 
circonspecte  de  l'auteur  lui-même,  l'opéra  pourra  être  prêt  pour  la  gravure. 
De  façon  que,  si  même  il  ne  peut  être  prêt  pour  la  prochaine  saison  de  la 
Scala,  à  cause  des  grands  préparatifs  de  la  mise  en  scène,  et  surtout  de  l'en- 
gagement des. interprètes,  son  apparition  est  matériellement  assurée  pour  la 
saison  de  1902-1903.  Je  crois  même  ne  pas  être  éloigné  de  la  vérité  en  affir- 
mant que  de  tout  le  vieux  matériel  lyrique  élaboré  par  l'auteur  dans  les  pre- 
mières années,  le  Ni'ron  qui  verra  la  lumière  ne  conservera  presque  rien. 
L'œuvre  a  été  écrite  de  jet,  presque  complètement,  dans  ces  deux  ou  trois 
dernières  années,  et  si,  en  parlant  d'Arrigo  Boito,  il  est  licite  de  se  montrer 
indiscret,  on  peut  jurer  qu'elle  révélera  des  formes  lyriques  absolument 
neuves  et  personnelles.  »  Attendons  l'apparition  tant  annoncée  de  l'opéra- 
fantôme.  C'est  le  cas  de  dire,  plus  que  jamais  :  Qui  vivra  verra  —  et  enten- 
drai 

—  Un  poème  symphonique  sur  Quo  Vadis,  auquel  il  ne  manque  plus  que 
d'être  mis  en  opéra,  ce  qui  ne  saurait  tarder,  en  attendant  qu'on  en  fasse  un 
ballet.  On  a  exécuté  avec  beaucoup  de  succès,  au  Grand  Théâtre  de  Palerme, 
des  Impressions  symphoniques  de  M.  Sandron,  inspirées  par  les  scènes  princi- 
pales du  fameux  roman  de  M.  Sienkiewicz.  Elles  se  composent  de  quatre 
morceaux  ;  Lidia,  Orgia,  Incendia  di  Roma  et  Morte  di  Nerone,  «  que  le  maestro, 
dit  un  journal,  a  heureusement  rendus  sans  s'abandonner  au  vol  effréné  de 
la  fantaisie,  mais  en  donnant  une  preuve  splendide  de  sobriété  et  de  fine 
génialité.  » 

—  Il  n'y  a  pas,  en  pays  musulman,  que  le  Sultan  qui  soit  un  musicien 
distingué.  Sous  ce  rapport  même  son  vassal,  le  jeune  khédive  d'Egypte,  lui 
rend  des  points,  comme  on  va  le  voir.  Un  journal  étranger  nous  rapporte 
que,  récemment,  ledit  khédive  avait  invité  toutes  les  notabilités  indigènes  et 
étrangères  du  Caire  à  un  grand  concert  qui  devait  avoir  lieu  au  palais  de 
Ras-El-Tin.  Dans  ce  concert  le  corps  musical,  exclusivement  formé  d'artisles 
arabes,  a  donné  des  preuves  d'une  grande  habileté,  sous  la  direction  de 
M.  Faites,  ex-chef  de  musique  dans  l'armée  autrichienne.  Mais  la  surprise, 
pour  les  auditeurs,  a  été  l'exécution  d'une  grande  valse  dont  l'auteur  n'est 
autre  que...  le  khédive  en  personne.  Enfoncé,  le  Sultan! 

—  Pendant  la  saison  prochaine,  l'Opéra  que  M.  Maurice  Grau  dirige  à 
New-York  aura  une  concurrence  ;  M.  Henry  Savage  annonce  en  effet  qu'il 
jouera  l'opéra  au  Broadway  Théâtre  et  que  ses  représentations  seront  popu- 
laires. Il  laissera  de  côté  le  système  dit  des  étoiles  et  offrira  au  public  un 
bon  ensemble  qui  jouera  en  langue  anglaise,  ce  qui  n'empêche  pas  le  pro- 
gramme d'annoncer  Faust,  Roméo  et  Juliette  et  Carmen.  Les  prix  de  l'Opéra  de 
M.  Savage,  qui  ouvrira  le  19  septembre,  seront  au  moins  de  moitié  inférieurs 
à  ceux  exigés  par  M.  Grau. 

—  Celle-ci  émane  d'un  journal  américain,  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire. 
On  sait  que  l'auteur  de  Cavalleria  rusticana  a  été  engagé  pour  une  grande 
tournée  dans  l'Amérique  du  Nord;  or,  d'après  un  de  nos  confrères  de  là-bas, 


246 


LE  MENESTREL 


son  voyage  serait  retardé  pour  un  motif  aussi  imprévu  qu'original.  En  ell'el, 
les  managers  de  M.  Mascagni,  MM.  Klam  et  Erlanger,  exigeraient  qu'il  donne 
ses  auditions  musicales  avec  une  chevelure  »  absalonique  »,  prétendant  que 
la  plus  grande  part  des  succès  du  fameux  pianiste  Paderewski  revient  à  son 
opulence  sous  ce  rapport.  Et  comme  M.  Mascagni  porte  d'ordinaire  les  che- 
veux en  brosse,  il  lui  faut  un  certain  temps  pour  atteindre  un  certain  point 
de  ressemblance  avec  Clodion  le  Chevelu. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Voici  les  résultats  des  concours  d'instruments  à  vent,  qui  ont  terminé 
la  série  des  concours  publics  au  Conservatoire.  Le  jur5',  présidé  par  M.  Théo- 
dore Dubois,  était  composé  de  MM.  Emile  Jonas,  H.  Dupont,  ïh.  Dureau, 
G.  Parés,  Camille  Erlanger,  Alfred  Bachelet,  Charles  Silver  et  Bruneau. 

Flûte.  —  Professeur,  31.  Taffanel.  .Morceau  de  concours  :  .\ndante  et  scherzo  de 
M.  Louis  Ganne:  morceau  à  vue,  du  même. 

/"  prùc.  —  M.  Bauduin. 

Pas  de  H"  prix. 

/'"  accessits.  —  MM.  Grisard  et  Cardon. 

â"  accessits.  —  MM.  Delangle  et  Huet. 

Hautbois.  —  Professeur,  M.  Gillet.  Morceau  de  concours  ;  Pièce  en  si  \)  de  M.  Biisser  ; 
morceau  à  vue,  du  même. 

1"  pria;.  —  M.  Huron. 

^■'  prix.  —  Sm.  Mercier  et  Gobert. 

Pas  de  1"  accessit. 

*"  accessits.  —  MM.  Balout  et  .isselineau. 

Clarinette.  —  Professeur,  M.  Turban.  Morceau  de  concours  :  Solo  de  concours  de 
M.  Henri  Rabaud  ;  morceau  à  vue,  du  même. 

•/'"  prix.  —  MM.  Costes  et  Villetard. 

3^  prix.  —  M.  Arambourou. 

Pas  de  1"  accessit. 

2"  accessits.  —  3IM.  Loterie  et  Périer. 

Basson.  —  Professeur,  M.  Bourdeau.  Morceau  de  concours  :  Solo  de  concert  de  M.  Charles 
René;  morceau  à  \Tie,  du  même. 

1'"  prix..  —  MM.  Alibert  et  Carlin. 

Pas  de  2'  prix. 

/"  accessit.  —  il.  Oubranous. 

Pas  de  2*^  accessit. 

Cor.  —  Professeur,  M.  Brémond.  Morceau  de  concours  :  Fantaisie  de  M.  A.  Bruneau; 
morceau  à  vue,  du  même. 

1"  prix.  —  M.  Mellin. 

â*  prix.  —  M.  Alphonse. 

Pas  de  1='  accessit. 

2"'  accessits.  —  MM.  Bernât  et  Antraigues. 

Cornet  a  pistons.  —  Professeur,  M.  Mellet.  Morceau  de  concours  ;  Scherzo  de  M.  Charles 
Silver;  morceau  à  vue,  du  même. 

Pas  de  1"  prix. 

$•  prix.  —  M.  Sarrazin. 

i"  accessit.  —  M.  Radraux. 

2^'  accessiis.  —  MM.  Blancbetière  et  Mauclair. 

TR0.MPETTE.  —  Professeur,  M.  Franquin.  Morceau  de  concours  :  Solo  de  trompette  de 
M.  Camille  Erlanger;  morceau  à  vue,  du  même. 

^"'  prix.  —  MM.  Liécussant,  Couzin  et  Lamouret. 

â"  prix.  —  MM.  Bailleul  et  AUard. 

Pas  de  1"  accessit. 

2*  accessit.  —  M.  Blzet. 

Trombone.  —  Professeur,  M.  .iiiard.  Morceau  de  concours,  de  M.  Bachelet;  morceau  à 
vue,  du  même. 

I'"  prix  —  MM.  Buffet  et  Martin. 

Pas  de  2'  prix. 

1"  accessit.  —  M.  Delbos. 

2*  accessit.  —  M.  Job. 

—  M.  Giraudet  désirant  se  mettre  sur  les  rangs  pour  la  place  de  professeur 
de  chant,  laissée  vacante  par  le  départ  de  M.  Léon  Duprez,  a  envoyé  au 
directeur  du  Conservatoire  sa  démission  de  professeur  de  l'une  des  classes 
d'opéra.  Cette  démission  ne  pourra,  administrativement,  être  acceptée  qu'à 
la  rentrée. 

—  A  l'Opéra  : 

M.  Gailhard  est  parti  cette  semaine  se  dirigeant  sur  Biarritz,  où  il  est  allé, 
disent  les  feuilles  publiques,  surveiller  les  dernières  répétitions  d'un  diver- 
tissement inédit  dû  à  sa  plume  féconde,  mais  auquel  travaillèrent  cependant 
M.  Gheusi  pour  l'argument,  M.  Vidal  pour  la  musique,  M.  Plansen  pour 
la  chorégraphie  et  M.  Chaperon  pour  les  décors.  Ou  se  demande  quelle  part 
de  collaboration  reste,  dans  ce  spectacle  qui  doit  inaugurer  le  nouveau  Casino, 
au  plus  illustre  de  nos  «  chauffeurs  b. 

Avant  son  départ,  M.  Gailhard  a  signé  l'engagement  de  M.  Baër,  premier 
accessit  d'opéra-comique  et  second  prix  d'opéra  aux  derniers  concours  du 
Conservatoire,  et  s'est  entendu  avec  M.  Ibos  qui,  étant  donné  le  bon  accueil 
qu'il  vient  de  recevoir  du  public,  reviendra,  la  saison  prochaine,  donner 
quelques  représentations  dans  les  intervalles  de  liberté  que  lui  laisseront  les 
engagements  qu'il  a  déjà  signés  avec  l'étranger. 

Il  est  question  de  reprendre,  l'hiver  prochain,  la  Statue  de  M.  Ernest  Reyer, 
qui  fut  créée  en  avril  1861  au  Théâtre-Lyrique  et  reprise  à  l'Opéra-Comique 
en  avril  1870.  En  attendant  pourrait-on,  peut-être,  nous  donner  de  temps  à 
autre  Sigurd,  dont  on  semble  avoir  perdu  le  souvenir. 


Cette  semaine  ont  eu  lieu  les  examens  de  danse,  en  suite  desquels 
M"i^  Rouvier,  H.  Hugon,  Moormans  et  Sirède  ont  été  nommés  sujets. 

Une  commission  a  été  formée,  qui  s'est  réunie  pour  la  première  fois 
ces  jours-ci  et  qui  a  pour  but  de  reconstituer,  sur  de  nouvelles  bases,  la 
caisse  des  retraites  des  artistes  et  de  tout  le  personnel  de  l'Opéra. 

—  A  l'Opéra-Comique  : 

M.  Albert  Carré  a  signé,  cette  semaine,  les  engagements  de  M"'^  Cosbron 
et  Hucbet,  l'une  et  l'autre  autorisées  par  le  ministre.  M"«  Cesbron  débutera 
par  le  rôle  de  Charlotte  dans  le  Werther  de  Massenet,  qu'on  reprendra,  enlin, 
la  saison  prochaine. 

Changement  de  distribution  dans  la  Troupe  Jolicœur,  de  M.  Arthur  Goquard; 
ce  n'est  plus  M"''  Delna,  mais  M™°  Deschamps-Jehin  qui  créera  le  rôle  de 
mezzosoprano. 

M.  Auguste  Chapuis  a  été  chargé  d'écrire  la  partition  des  Demoiselles  de 
Saint-Cyr,  que  MM.  Lenéka  et  Bernède  ont  tirées  de  la  comédie  d'Alexandre 
Dumas. 

M""^  Sibyl  Sanderson,  qui  vient  de  signer  avec  M.  Grau  pour  la  prochaine 
saison  américaine,  se  fera  réentendre  à  l'Opéra-Comique  vers  le  printemps. 

De  même  M.  'Ed.  Clément,  qui  est  engagé  au  San-Carlos  de  Lisbonne, 
donnera  quelques  représentations  salle  Favart,  avant  son  départ,  au  mois  de 
novembre. 

—  Un  concours  pour  les  emplois  de  chef  et  de  sous-chef  de  musique  dans 
l'armée  sera  ouvert  dans  les  premiers  mois  de  l'année  1902.  La  date  des 
épreuves  éliminatoires  de  ce  concours,  qui  seront  subies  aux  chefs-lieux  de 
corps  d'armée,  sera  prochainement  fixée  après  entente  entre  le  ministre  de 
la  guerre  et  le  directeur  du  Conservatoire  national  de  musique,  président  de 
la  commission  d'examen. 

—  M.  Schiller,  le  mari  d'Yvette  Guilbert,  qui  avait  organisé  la  saison  der- 
nière, au  Vaudeville,  une  série  de  concerts  dont  nous  avons  parlé,  compte 
poursuivre  son  idée  la  saison  prochaine,  mais  à  l'Opéra-G  imique,  cette  fois. 
Quatorze  concerts  auront  lieu  tous  les  quinze  jours,  le  jeudi,  en  matinée.  On 
cite  déjà  comme  devant  tenir  la  baguette  de  chef  d'orchestre  MM.  Messager, 
Taffanel,  Luigini,  Richter,  VS'"eingaertner,  Strauss,  Muck,  Sembach,  Zump, 
Panzuer,  Mottl,  Nikisch  et  MuUer. 

—  Ce  n'est  plus  au  théâtre  Sarali-Bernhardt,  mais,  plus  modestement,  au 
Chàteau-dEau  que  doivent  avoir  lieu,  du  lo  avril  au  1«'' juin,  les  représen- 
tations du  Crépuscule  des  Dieux  organisées  par  MM.  A.  Cortot  et  W.  Schutz, 
sous  le  patronage  de  la  Société  des  grandes  auditions. 

—  A  la  Comédie-Française,  engagement  de  M.  Garry,  premier  prix  de 
comédie  et  second  prix  de  tragédie.  —  Au  dernier  comité  de  lecture  il  a  été 
fortement  question  d'apporter,  en  ce  qui  concerne  ces  séances,  une  légère 
modification  au  règlement.  Plusieurs  sociétaires  trouvent  abusif  d'entendre 
trois,  quatre  et  cinq  actes  d'auteurs  qui  n'ont  eu  précédemment  dans  la  maison 
qu'un  seul  acte  représenté.  Il  faut  dire  que  chaque  auteur  joué  a  droit  à  un  tour 
de  lecture,  sans  être  obligé  (comme  il  est  d'usage  la  première  fois)  d'envoyer 
le  manuscrit  aux  lecteurs  qui  le  transmettent,  s'il  y  a  lieu,  à  la  commission 
d'examen  et,  en  dernier  ressort,  au  comité  de  lecture.  Les  sociétaires  en  ques- 
tion désireraient  que  désormais  les  auteurs  joués,  ayant  droit  par  ce  fait  à  un 
nouveau  tour  de  lecture,  ne  puissent  envoyer  au  comité  qu'une  pièce  d'un 
nombre  d'actes  correspondant  au  nombre  d'actes  que  comportait  la  comédie 
précédemment  représentée.  Dans  le  cas  contraire,  ils  devraient  passer  de 
nouveau  par  l'examen  préliminaire  des  lecteurs. 

—  D'une  petite  enquête  poursuivie  par  notre  excellent  confrère  du  Figaro, 
M.  Alfred  Delilia,  au  sujet  de .  l'éventuelle  production  dramatique  pour  la 
prochaine  saison,  il  résulte  ceci  :  84  auteurs  ont  répondu  à  la  demande  de 
l'aimable  enquêteur,  et  voici  comment  se  devraient  répartir  leurs  ouvrages  : 

Opéra,  2  ouvrages  comportant  7  actes.     , 
Comédie-Française,  13  pièces,  42  actes. 
Opéra-Comique,  11  pièces,  33  actes. 
Odéou,  4  pièces,  13  actes. 
Sarab-Bernhardt,  2  pièces,  10  actes. 
Vaudeville,  10  pièces,  30  actes. 
Variétés,  8  pièces,  23  actes. 
Gaîté,  5  pièces,  15  acies. 
Chatelet,  1  pièce,  5  actes. 
Porte-Saint-Martin,  4  pièces,  21  actes. 
Gymnase,  d  pièces,  31  actes. 
Palais-Royal,  3  pièces,  12  actes. 
Bouffes-Parisiens,  12  pièces,  30  actes. 
Ambigu,  6  pièces,  29  actes. 
Alhénèe,  6  pièces,  24  actes. 
Nouveautés,  2  pièces,  6  actes. 
Antoine,  21  pièces,  68  actes. 
Renaissance,  12  pièces,  34  actes. 
Déjazet,  2  pièces,  6  actes. 
Cluny,  2  pièces,  6  actes. 
Chàleau-d'Eau,  1  pièce,  4  actes. 
Maguèra,  1  pièce,  3  actes. 

A  cette  nomenclature,  plutôt  imposante,  il  convient  encore  d'ajouter 
82  pièces  donnant  283  actes,  qui  n'ont  point  de  destination  arrêtée.  Et  dire 
que  M.  Delilia  n'a  reçu  de  réponse  que  de  84  auteurs  dramatiques  I 


LE  MENESTREL 


247 


—  M.  Riéger,  l'armurier  bien  connu,  grand  amateur  de  théâtre,  a  eu 
l'idée  de  rafraichir  en  été  les  salles  de  spectacle,  comme  on  les  chauffe  en 
hiver,  en  envoyant  par  les  conduites  de  calorifère  de  l'air  froid  au  lieu  d'air 
chaud.  On  va  expérimenter  prochainement  cet  original  procédé  devant  les 
représentants  de  la  commission  d'hygiène  et  les  directeurs. 

—  Ravissante  petite  fête,  il  y  a  quelques  jours,  au  restaurant  Notta. 
M.  Antonin  Marmontel  offrait  un  déjeuner  à  ses  élèves  du  Conservatoire.  Il 
avait  cédé,  avec  une  bonne  grâce  charmante,  la  présidence  d'honneur  à 
M.  Raoul  Pugno.  La  gaieté  la  plus  cordiale  n'a  cessé  de  régner  pendant  tout 
le  repas.  M.  Marmontel,  complimenté  sur  les  succès  de  sa  classe,  a  fait 
remarquer  avec  modestie  que  son  prédécesseur  lui  avait  laissé  un  nombre 
respectable  de  sujets  d'élite.  On  a  bu  à  la  santé  de  Raoul  Pugno,  dont  le 
passage  au  Conservatoire  a  été  marqué  par  la  réussite  brillante  et  complète  de 
son  enseignement.  Quelqu'un  a  rappelé  cette  phrase  d'un  bel  ouvrage  d'An- 
toine Marmontel  :  «  La  source  expansive  et  véritablement  pure  de  l'expression 
est  dans  l'àme  de  l'artiste....  Si  ce  livre  a  une  prétention,  c'est  de  remettre 
sous  les  yeux  de  ceux  qui  l'ouvriront  le  but  toujours  présent,  l'éternel  idéal  : 
Sursum  corda.  »  Un  double  toast  a  été  proposé  ensuite  :  «  Au  souvenir  indé- 
finiment prolongé  d'Antoine  Marmontel!...  Au  professeur  éminent,  à  l'artiste 
qui  sait  faire  comprendre,  par  le  jeu  du  piano,  les  grandeurs  et  les  élégances 
de  la  musique,  et  qui  possède  aussi  le  sentiment  exquis  des  délicatesses  du 
cœur,  à  Antonin  Marmontel  I...  »  M.  Marmontel.  qui  avait  déjà  adressé  à  ses 
jeunes  élèves  un  petit  discours  simple  et  plein  d'à-propos,  a  présenté  quel- 
ques aperçus  sur  la  carrière  du  professeur;  M.  Raoul  Pugno  a  caractérisé 
celle  du  virtuose.  On  s'est  séparé  eu  se  donnant  rendez-vous  pour  octobre. 

—  C'est  par  le  Tour  du  monde  que  la  nouvelle  direction  du  Ghàtelet  fera  sa 
réouverture  vers  fin  août.  Viendra  ensuite  le  Voyage  de  Suzette,  qui  sera  am- 
plifié pour  la  circonstance.  On  parle  de  l'engagement  d'une  lauréate  des 
derniers  concours  du  Conservatoire  pour  le  rôle  principal. 

—  Ce  n'est  point,  comme  on  l'a  dit  par  erreur,  par  Orphée  aux  enfers  qu'ou- 
vrira le  Ghàteau-d'Eau,  sous  la  nouvelle  direction  de  l'étonnant  M.  Silvestre, 
mais  bien  par  la  Fille  du  Tambour-Major. 

—  Un  théâtre  à  côté  de  plus  pour  la  saison  prochaine.  Le  besoin  s'en  fai- 
sait vraiment  sentir.  La  société  d'auteurs  dramatiques  et  de  compositeurs  de 
musique  «  les  Inconnus  «  vient  en  effet  de  fonder  le  «  Théâtre  des  Arts  », 
qui  donnera  ses  représentations  quotidiennes  à  la  Bodinière  pendant  la  sai- 
son 1901-1902. 

—  Résultats  des  concours  de  l'École  classique  de  la  rue  de  Berlin  : 
Déclamation    lyrique.    .Tury  :    M.    Chavagnat,    président,    M"«    Agussol, 

MM.  Ghambon,  Clayès,  Grivot,  M.  et  M"»"  Blancard.  Opéra  (classe  hommes), 
2'»«  prix,  M.  Monys:  1"  accessit.  M.  Rebuffel.  (Classe  femmes),  l""  prix, 
M"'  Laurens  ;  S""  prix,  M"«  Dorgère  ;  1*''  accessit,  M"'=  Rousseau.  —  Opéra- 
comique  (élèves  hommes),  2"'«  prix,  M.  Rebuffel;  1"''  accessit,  M.  Monys  ; 
2""!  accessit,  M.  Ribière.  (Classe  femmes),  2""î  prix,  M"<!  Dorgère  et 
M"»"  Laurens,  tous  élèves  de  M.  Paravey. 

Violon  et  violoncelle.  Jury:  M.  Chavagnat,  président,  MM.  Nadaud,  Lefort 
Laforge,  Viardot,  Geloso,  Roillet,  Oberdoerffer,  Mnntena  et  G.  Courras 
Violon  :  1"'  prix  spécial  à  l'unanimité,  M.  Dnisemont,  élève  de  M.  Berges 
!='■  prix,  M"=  Bacque,  élève  de  M.  Candéla  ;  2"=  prix  :  MM.  Tapponnier,  élève 
de  M.  Watel,  Curcio,  élève  de  M.  Candéla,  et  Coilfier,  élève  de  M.  Berges 
l"  accessit,  M"«  Barbazanges,  M.  Durand,  élèves  de  M.  Candéla,  M"«  M.  La- 
varenne,  élève  de  M.  Berges  ;  2">' accessit,  M.  Sinanian,  élève  de  M.  Berges 
M.  Paris  et  M'"  Lhermitte,  élèves  de  M.  Candéla.  —  Violoncelle  :  2""'  prix  à 
l'unanimité,  M.  Rudie.  élève  de  M"°  de  Buffon. 


Piano  supérieur.  Jury  :  M.  Louis  Diémer,  président,  M^^*  Caramba,  Mon- 
teux,  MM.  Descombes,  Anthiome,  Falkenberg ,  Riera,  Ph.  Courras  et 
Nimez.  (Classe  femmes),  1«"  prix,  M"='  Kennett  et  de  Grandsagne;  2""=^  prix, 
M"»  Marcelle  Lavarenne  et  Bonenfant  ;  1»"  accessits,  M"=s  Kouchner  et 
Charlotte  Lavarenne  ;  2™s  accessits.  M"»'  Bosque  et  Réveillé,  élèves  de 
M.  Chavagnat.  Classe  hommes,  l"prix,  M.  Terras;  2""!  accessit,  M.  Rolande, 
élèves  de  M.  Rosen. 

—  La  distribution  des  prix  de  l'École  de  musique  classique  fondée  par 
Niedermeyer  et  dirigée  par  M.  Gustave  Lefèvre  a  eu  lieu  le  27  juillet,  sous 
la  présidence  de  M.  Henri  Ravina,  à  la  suite  de  concours  qui  ont  été  très 
brillants.  Le  prix  d'excellence  a  été  attribué  à  l'unanimité  à  M.  H.  Defosse, 
qui  a  obtenu  deux  premiers  prix  de  piano  et  d'harmonie  et  un  accessit  d'or- 
gue: le  prix  d'honneur  donné  par  le  ministre  de  l'instruction  publique  a  été 
décerné  à  M.  Maurice  Le  Boucher,  qui  a  remporté  les  premiers  prix  de  sol- 
fège et  d'orgue  et  les  seconds  prix  d'harmonie  et  de  composition.  Les  élèves 
les  plus  souvent  nommés  avec  ceux-ci  sont  MM.  Asbton.  Lenormand,  Nibelle, 
Bruxer,  Ritz  et  Renard.  —  M.  Saint-Saëns  a  accepté  la  présidence  du  comité 
des  études  de  l'école,  qui  vient  de  s'adjoindre  plusieurs  nouveaux  professeurs 
en  la  personne  de  MM.  Gabriel  Fauré,  Eugène  Gigout  et  André  Gedalge, 
nommés  respectivement  professeurs  de  composition,  d'orgue  et  de  contre- 
point et  fugue. 

—  De  Lyon  :  Concours  du  Conservatoire.  Contrairement  aux  errements 
ordinaires,  qui  veulent  que  l'on  attache  une  médiocre  importance  aux  mor- 
ceaux de  lecture  à  vue  écrits  pour  les  concours  des  classes  d'instruments,  les 
journaux  de  Lyon  ont  parlé  cette  année  avec  les  plus  grands  éloges  des  petites 
pièces  composées  pour  la  circonstance  par  M"""!  Himbert-Kiemlé. 

—  D'Aix-les-Bains.  An  Cercle,  très  intéressante  et  très  substantielle  confé- 
rence, donnée  par  M.  Julien  Tiersot,  sur  la  chanson  populaire  en  France. 
M"e  Costès  a  dit  de  façon  charmante  les  jolies  choses  recueillies  par  M.  Tier- 
sot, et  le  succès  a  été  complet.  Le  lendemain,  à  ce  même  Cercle,  un  concert- 
festival  de  musique  populaire  française  a  été  conduit  par  M.  Léon  Jéhin.  On 
y  a  réentendu  les  chansons  de  M.  Tiersot,  chantées  par  M"«  Costès  et 
M.  Dangès,  et  plusieurs  oeuvres  dont  les  thèmes  sont  empruntés  à  des  motifs 
populaires,  tels  la  Marche  des  Batteurs  et  V Entracte-rigaudon  de  Xavière  de 
Théodore  Dubois. 

—  De  Montauban  :  Inauguration  du  buste  du  compositeur  Armand  Saintis. 
La  commission  du  monument  Saintis  a  accepté  à  l'unanimité  dans  sa  der- 
nière séance  le  projet  présenté  par  M.  Maurou,  architecte  de  la  Ville.  D'autre 
part,  le  conseil  municipal  vient  de  concéder  le  terrain  nécessaire  et  les  travaux 
vont  commencer  immédiatement.  Le  socle  qui  supportera  le  buste  de  Saintis 
est  sobre  de  lignes,  mais  d'une  composition  très  artistique;  l'auteur  du  projet 
avait  eu  à  se  préoccuper  tant  de  la  question  de  l'emplacement  que  des  res- 
sources disponibles;  malgré  ces  difficultés  le  projet  qu'il  va  mettre  à  exécution 
est  de  nature  à  rallier  tous  les  suffrages.  L'inauguration  aura  lieu  le  dimanche 
18  août. 

—  De  Wimereux  :  M"'=  Eugénie  Mauduit,  de  l'Opéra,  a  organisé  une  messe 
en  musique  où  elle  s'est  fait  entendre  dans  VAve  verum  de  Haydn  et  un 
0  Snlutaris  de  Faure;  elle  était  accompagnée  sur  l'harmonium  par  M"=  Made- 
leine Mauduit;  ces  deux  morceaux  ont  été  très  appréciés. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître  à  la  Bibliothèque  des  Annales  politiques  et  littéraires  le  5"  volume  de 
Quarante  ans  de  théâtre  (feuilletons  dramatiques),  par  Francisque  Sarcey  (3  fr.  50  c). 


Pour  paraître  AU  MÉNESTREL,  2"'%  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  0'%  éditeurs 
LE   JOUR    DE    LA    PREMIÈRE    REPRÉSENTATION    A    L'OPÉRA -COMIQUE,    AU    COMMENCEMENT    DE     NOVEMBRE 


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Transeriptions  diverses 


AVIS  AUX  DIRECTEURS.  —  Les  Editeurs  du  «  Ménestrel  >>  traitent  dès  à  présent  de  cet  important 
ouvrage  avec  les  entreprises  théâtrales  de  la  province  et  de  l'étranger,  —  l'orchestration  pouvant  être 
livrée  aussitôt  après  la  première   représentation  à  l'Opéra-Comique,  au  commencement  de  novembre. 


248  LE  MENESTREL 


\Pç:^>-^^o^  ^~^,^  ^-^r-^  ^~<-m^  ,^-^:-^^  ?-c^  /-^/^-^  F-^^  Z-^,-^  W~<:r^  .^^r^f^  F-^/^  /=^r-^  ^-<'/^  /-^r^ 

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AU  MÉNESTREL,  2"',  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C%  Editeurs. 

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TOUS    DROITS    DE    REPRODUCTION    RÉSERVÉS 

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(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


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MUSIQUE    ET    TIIÉ^TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


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Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  •-  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  i24"  article),  Paul  d'Esthées.  — 
II.  Notes  d'ethnographie  musicale  :  la  Musique  dans  l'Inde  (1" article),  Julien  Tiersot. 
—  III.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  le  Canut,  Edmond  Neukouh,  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES   PORTRAITS 

mélodie  de  Joanni  Piîrbonnet,  poésie  de  Antonin  Ldgnier.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Seule  !  valse  de  I.  Philipp,  d'après  Chopin,  paroles  de  Jules  Ruelle. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
la  Flûte  et  le  Luth,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement  :  la  File  des 
Vignerons,  de  Paul  Wachs. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  ménioires  les  plus  rÉcents  et  fies  ilocuffleiits  Inéilits 

(Suite.) 


IV 

Viotti,  l'Homère  du  violon.  —  Rode  incapable  de  jouer  une  contredanse.  —  L'art 
plébéien.  —  Vn  mot  de  Chateaubriand  sur  le  violon..  —  Baillot  déplaît  à  M™'  Ca- 
vaignac.  —  Un  portrait  de  Reicim.  —  Reicha  et  i\f"=  Gounod.  —  L'Institut  Elisa 
et  Nadermann.  —  Le  triomphe  de  Metternich  à  Vienne. 

Les  premières  années  du  XIX'=  siècle  furent  une  heureuse 
époque  pour  les  compositeurs-virtuoses.  Combien  d'entre  eux  y 
virent  consacrer  leur  réputation  par  les  suffrages,  toujours  re- 
cherctiés,  du  dilettantisme  parisien  !  Yiotti,  qui  avait  si  profon- 
dément ému  Voltaire,  et  qui,  malgré  l'adorable  souplesse  de  son 
vigoureux  talent,  s'était  vu  discuter  à  Paris,  y  cueillit  enfin, 
en  1802r  les  lauriers  du  triomphe.  Dancla,  dans  ses  Souvenirs, 
l'appelle  «  l'Homère  du  violon  et  le  chef  de  l'école  française  ». 
Viotti,  qu'il  considère  encore  comme  «  le  génie  incarné  de  la 
mélodie  »  prisait  peu  les  développements  scientifiques  ;  et  Che- 
rubini,  qui  avait  à  cœur  la  renommée  de  son  ami,  dut  travailler 
à  l'accompagnement  des  19%  22'  et  24" ,  concertos  de  Viotti, 
accompagnement  quelque  peu  négligé  par  l'auteur. 

M™'  de  Chastenay  rencontra,  un  soir,  chez  le  général  Dessoles, 
l'illustre  violoniste  qui  était  seulement  de  passage  à  Paris.  Il 
avait  apporté  des  quatuors  de  sa  composition,  et  cédant  aux 
instances  du  général,   qui  lui  réclamait,   à  titre  d'ami,   une  de 


ses  soirées,  il  allait  s'exécuter,  quand  il  s'aperçut  qu'il  avait 
oublié  son  violon.  Mais  Dessoles  lui  tendit  le  sien  et  Viotti  se 
surpassa,  dans  ce  concert  improvisé  qui  avait  pour  auditeurs 
Cherubini,  Baillot,  Duport,  Libon ,  Nadermann,  Frédéric  et 
Norblin,  c'est-à-dire  autant  d'amis  que  d'admirateurs.  Car  Viotti 
savait  joindre  au  charme  d'un  incomparable  talent,  les  délica- 
tesses d'une  âme  généreuse ,  comme  l'a  si  bien  démontré 
M.  Arthur  Pougin  dans  le  livre  où  il  rend  doublement  justice  à 
l'homme  et  à  l'artiste. 

Rode,  l'élève  de  prédilection  de  Viotti,  atteignit  presque  à  la 
gloire  de  son  maître  avec  une  existence  moins  agitée.  Le  baron 
de  Trémont  vante  en  lui  l'enjouement  de  l'esprit  et  la  parfaite 
distinction  des  manières;  il  aurait  pu  ajouter  l'ingénuité  du 
caractère,  si  la  réponse  qu'il  prête  à  son  héros  en  certaine  cir- 
constance n'est  pas  tant  soit  peu  enjolivée  pour  les  besoins  de 
la  cause.  Rode  était  premier  violon  de  la  musique  de  Bona- 
parte pendant  le  Consulat;  et  il  venait  à  ce  titre  se  faire  entendre, 
soit  aux  Tuileries,  soit  à  la  Malmaison,  dans  les  concerts  où  figu- 
raient pareillement  les  plus  célèbres  instrumentistes  de  Paris. 
Un  jour,  au  moment  où  l'orchestre  attaque  l'ouverture  qui  sert  de 
début  au  concert,  le  Premier  Consul  quitte  la  salle,  mandé  par 
d'importantes  dépêches  de  ses  collègues.  Les  musiciens  s'interrom- 
pent; mais  le  temps  se  passe  et  Bonaparte  fait  annoncer  à  ses 
hôtes  qu'il  ne  peut  revenir,  .loséphine  restée  seule,  ses  belles- 
sœurs  et  les  jeunes  femmes,  composant  la  nouvelle  Cour,  con- 
sultent pendant  quelques  secondes  la  maîtresse  de  la  maison  ;  et 
celle-ci  les  approuvant  d'un  signe  de  tête,  une  de  ses  dames  s'ap- 
proche de  Rode  et  lui  demande  très  sérieusement  «  s'il  ne  pour- 
rait leur  jouer,  avec  ses  camarades  de  l'orchestre,  les  contre- 
danses du  jour  ». 

Rode,  interloqué,  balbutie  et,  devant  l'attitude  non  moins 
déconcertée  des  autres  musiciens,  finit  par  répondre,  avec  une 
candeur  parfaite,  qu'ils  sont  tous  incapables  de  jouer  le  moindre 
quadrille. 

Le  baron  de  Trémont,  qui  suivit  le  violoniste  dans  toutes  les 
phases  de  sa  brillante  carrière,  le  retrouva  un  jour  à  Bordeaux, 
son  pays  natal,  où  Rode  s'était  retiré,  fatigué,  vieilli  avant  l'àgè, 
frappé  par  la  paralysie,  attristé  d'une  déchéance  que  le  souve- 
nir de  ses  anciens  succès  lui  rendait  plus  pénible  encore.  Mais, 
en  dépit  de  son  état  maladif  et  de  son  incurable  mélancolie. 
Rode  s'intéressait  toujours  aux  choses  de  l'art;  et  les  jeunes 
musiciens  ne  faisaient  pas  vainement  appel  à  ses  bienveillants 
conseils.  C'était  à  l'époque  où  Charles  Dancla,  «  un  enfant  du 
Bigorre  »,  en  était  une  des  gloires  naissantes.  Il  avait  à  peine 
huit  ans  qu'il  connaissait  déjà  tout  le  répertoire  de  l'Opéra- 
Coiuique  et  qu'il  faisait  la  partie  de  deuxième  violon  au  théâ- 
tre de  Bagnères.  Ses  dispositions  étaient  tellement  remarquables 
que  plusieurs  amateurs  de  la  ville  engagèrent  très  vivement  le 
père,  bon  musicien  lui  aussi,   à  conduire  son   fils  chez  Rode  à 


250 


LE  MÉNESTREL 


Bordeaux.  Dès  que  le  grand  artiste  eût  entendu  le  jeune  vir- 
tuose, «  Continuez  votre  voyage  jusqu'à  Paris  »,  dit-il  au  père.  Et 
il  lui  donna  des  lettres  de  recommandation  pour  Clierubini, 
Baillot  et  Kreutzer.  Celui-ci  était  absent;  mais  Cherubini  et 
Baillot,  à  la  considération  de  Rode,  accueillirent  avec  bienveil- 
lance son  jeune  protégé. 

Baillot,  qui  remplaça  Rode  au  Conservatoire,  «  s'était  fait  une 
spécialité  de  l'interprétation  des  Andantes  »,  prétend  un  de  ses 
contemporains.  Moins  exclusive,  M™"'  de  Cbastenay,  qui  avait  été 
pendant  un  an  son  élève,  lui  voue  une  admiration  sans  bornes. 
Quoi  qu'il  joue,  elle  est  en  extase  :  «  J'étais  toujours  montée 
dans  les  sphères  célestes  et  toute  à  l'barmoide  la  plus  parfaite  et 
la  plus  pure...  »  Et,  dans  la  ferveur  de  son  enthousiasme,  M""  de 
Ghastenay  confond  l'homme  avec  l'artiste  :  «  Le  noble  carac- 
tère et  les  vertus  touchantes  de  M.  Baillot  prêtent  à  la  profonde 
admiration  dont  me  pénètre  son  talent.  La  musique  bien  sentie 
élève  l'àme  à  une  exaltation  que  j'oserais  dire  éthérée  ». 

Mais,  pourquoi,  aussitôt  après  cette  envolée  vers  l'idéal,  la 
grande  dame  retombe-t-elle  si  lourdement  sur  terre  avec  cette 
réflexion  ; 

«  L'art,  depuis  la  Révolution,  a  été  en  défaveur  parce  qu'on 
lui  a  prêté  quelque  chose  de  plébéien?  »  Il  est  certain  qu'à  partir 
de  cette  époque  V aristocratie  ne  contribue  pas,  personnellement 
du  moins,  au  développement  de  l'art  et  que  les  plus  illustres 
d'entre  tous  les  artistes  furent  des  plébéiens;  mais,  abstraction 
faite  des  divagations  intellectuelles  que  put  enfanter  une  période 
de  folie  sanguinaire,  est-il  admissible  que  ces  destinctions 
d'ordre  politique,  représentées  par  les  termes  nettement  déflnis 
A\iristocratie  et  de  démocratie,  soient  reconnaissables  dans  les 
manifestations  d'un  art  empruntant,  comme  la  musique,  ses  sen- 
sations multiples  au  domaine  de  l'imagination  et  du  rêve  ? 

Un  des  plus  grands  politiciens  de  son  temps.  Chateaubriand, 
avait  bien  compris  le  rôle  sensuel,  et  non  métaphysique,  de  l'art 
musical,  le  jour  oi^i,  se  trouvant  précisément  chez  M°"^  de 
Ghastenay  pour  y  entendre  Baillot,  il  s'écriait  :  «  Le  violon  est 
le  seul  instrument  qui  ait  une  passion  dans  le  corps  ».  Peut-être 
l'amant  platonique  de  M""'  Récamier  était-il  trop  exclusif;  car 
l'orchestre  tout  entier,  quand  il  chante  les  beautés  de  la  nature, 
comme  dans  la  Symphonie  pastorale,  ou  quand  il  pleure  la  mort 
d'un  grand  homme  comme  dans  la  Symphonie  héroïque,  vibre  de 
joie  et  d'allégresse,  de  douleur  et  de  désespoir;  il  est,  en  un  mot, 
l'écho  des  passions  humaines. 

M'""  Cavaignac  (1),  la  mère  du  général,  rend  hommage  à  l'idole 
de  M""  de  Chastenay,  avec  moins  d'emphase,  mais  avec  autant 
de  sincérité.  Elle  l'appelle  «  le  bon  Baillot».  Elle  se  souvient 
qu'il  a  été  longtemps  son  professeur  et  que  si  elle  n'a  jamais 
fait  grand  honneur  à  ses  leçons,  sa  sœur,  une  très  remarquable 
pianiste,  en  a  largement  profité.  Cette  dame  donnait  tous  les 
samedis  des  concerts  auxquels  coopéraient  Garât,  M"'"  de  Montge- 
roult  et  de  Chevilly,  Rode  et  Baillot  qui  faisaient  alternativement 
la  partie  de  premier  violon. 

M°"  de  Chastenay,  qui,  à  l'entendre,  aurait  accompagné  sur  le 
piano  tous  les  grands  artistes  de  l'Empire  et  de  la  Restauration, 
parle  avec  complaisance  d'une  soirée  musicale  dont  elle  partagea 
le  triomphe  avec  Duport,  le  fameux  violoncelliste.  C'était  chez 
la  duchesse  de  Bourbon,  mère  du  duc  d'Enghien.  Le  vieil  artiste 
fut  accueilli  avec  une  rare  distinction  par  la  noble  assemblée  ; 
etla  duchesse  d'Orléans,  Marie-Amélie,  future  reine  des  Français, 
«  se  fit  présenter  à  Duport  pour  être  à  la  mode  ».  Quel  honneur 
pour  un  plébéien'.  Ses  variations  pour  piano  et  basse  furent 
précisément  le  morceau  capital  qui  valut  à  M"""  de  Chastenay 
cette  ovation  dont  elle  se  montre  si  touchée. 

Reicha  était  surtout  un  harmoniste  :  ses  études  scientifiques, 
ses  connaissances  en  algèbre  et  en  physique,  le  destinaient  à 
remplir  dignement  cet  emploi  dans  le  monde  musical.  Ses  vingt- 
quatre  grands  quintetli  pour  instruments  à  vent  démontrèrent  tout  le 
oarti  qu'on  en  pouvait  tirer.  M.  de  Trémont,  qui  l'admettait  dans 
ses  quatuors,  nous  trace  un  piquant  portrait  de  cet  excellent 


(1)  M-  C.v 


d'une  inconnue  ;  E.  PloD,  1894. 


violoniste  pendant  l'exécution  de  chaque  morceau.  A  la  première 
partie,  Reicha  restait  froid  et  tranquille  ;  il  semblait  comme  en- 
dormi ;  à  la  seconde,  il  était  en  proie  à  une  agitation  extraor- 
dinaire, il  témoignait  ainsi  de  l'envahissement  de  tout  son  être 
par  les  développements  de  la  pensée  musicale. 

Reicha,  que  son  origine  et  sa  méthode  rendaient  peu  sympa- 
thique à  Cherubini,  aida  puissamment  à  la  vocation  de  Gounod. 
Celui-ci  assistait  tous  les  dimanches  aux  leçons  particulières 
d'harmonie  données  par  le  savant  professeur.  M"'  Gounod  mère, 
daiis  son  appréhension  d'une  carrière  dont  elle  connaissait  par 
expérience  toutes  les  difficultés,  eût  voulu  que  Reicha  en  dé- 
courageât son  élève.  Mais  lui  de  se  récuser  avec  son  flegme 
ordinaire  : 

—   Cet  enfant  sait   déjà   beaucoup    de   ce   que  je    dois   lui 
apprendre... 
M""^  Gounod  se  résigna. 

La  comtesse  de  La  Place,  femme  de  l'illustre  savant,  donne 
dans  sa  correspondance  (1)  avec  la  princesse  Bacciochi  (Elisa 
Bonaparte),  de  qui  elle  était  dame  d'honneur,  d'utiles  rensei- 
gnements sur  Nadermann  et  sur  l'instrument  que  cet  artiste 
connaissait  si  bien  comme  fabricant,  comme  virtuose  et  comme 
compositeur. 

M""'  de  La  Place  était  toujours  à  la  recherche,  pour  le  compte 
de  son  auguste  maîtresse,  déjeunes  personnes  «sachant  jouer  de 
la  harpe  ».  Elle  s'était  d'abord  adressée  à  Sarrette,  directeur 
du  Conservatoire,  qui  la  renvoya  à  Nadermann.  Celui-ci  lui  de- 
manda «  les  conditions  de  Son  Altesse  et  le  sort  qu'elle  ferait  à 
ces  institutrices  »,  car  la  princesse,  qui  rêvait- sans  doute  d'un 
Saint-Denis  en  Toscane,  les  destinait  à  l'Institut  Élisa. 

Or,  toutes  les  candidates  avaient  «  des  e.xigences  ridicules  ». 
L'une  d'elles.  M""  de  Villemagne,  nesavaitpas  accorder  les  harpes, 
«  étude  très  longue  et  très  difBcile  »  dit  Nadermann.  Et,  à  ce 
propos,  le  savant  professeur  entre  dans  des  considérations  qui 
attestent  sa  rare  probité.  Il  n'est  certes  pas  indulgent  pour  l'ins- 
trument dont  il  vit.  Les  anciennes  harpes,  prétend-il,  sont  bien 
mauvaises  ;  et  ce  sont  pourtant  les  meilleures,  car  l'artiste  qui 
les  possède  est  accoutumé  à  leurs  défauts.  Et,  d'autre  part,  qui 
serait  capable  d'accorder  les  nouvelles,  celles  par  exemple  qui 
appartiennent  à  la  princesse?  En  somme,  la  harpe  est  «  un  ins- 
trument naturellement  imparfait  que  l'on  gâte  en  voulant  le 
perfectionner  » .  Alors  que  pouvaient  bien  valoir  celles  des  frères 
Nadermann  ? 

Toutefois,  M"""  de  La  Place  finit  par  découvrir  une  perle, 
M""'  de  Blair,  la  veuve  d'un  officier  supérieur,  qui  sait  «  pincer  », 
avec  le  même  talent,  harpes  anciennes  et  harpes  nouvelles. 
Nadermann  est  son  professeur.  Une  dernière  lettre  de  la  dame 
d'honneur,  à  la  date  du  '18  septembre  1808,  apprend  à  la  prin- 
cesse Élisa  que  toutes  les  négociations  sont  heureusement  ter- 
minées. M"'°  de  Blair  se  contentera  d'une  pension  annuelle  de 
2000  francs,  dans  l'espoir  que  ces  appointements  seront  bientôt 
augmentés  :  elle  demande  toutefois  une  allocation  sérieuse  pour 
ses  frais  de  voyage,  pour  le  transport  de  sa  harpe  et  de  sa  mu- 
sique, toujours  fort  coûteux.  M""  de  Blair  emportera  en  même 
temps  avec  elle  «  un  choix  de  petits  morceaux  très  agréables  », 
que  le  complaisant  Nadermann  a  mis  de  côté  à  l'intention  de  la 
princesse  et  qui  lui  coûteront  144  francs. 

Que  devinrent  l'Institut  Elisa,  les  harpes  de  Son  Altesse  et  M°" 
de  Blair?  Le  cataclysme  qui  balaya  toutes  les  créations  impériales 
dut  les  entraîner  dans  le  même  désastre,  et  le  chant  de  victoire 
que  nous  trouvons  dans  les  Mémoires  de  Mellemich  lui  oppose, 
nouvelle  page  de  la  vieille  histoire  des  vicissitudes  humaines,  le 
plus  instructif  des  contrastes. 

Metternich  rentre,  en  triomphateur,  à  Vienne,  après  la  conclu- 
sion de  la  première  paix  de  Paris  en  1814. 

Le  comte  PalS'y  a  organisé  une  sérénade  devant  le  palais  de  la 
Chancellerie  d'État.  Les  artistes  des  Théâtres  de  la  Cour  et  de  la 
"Wien  enlèvent  avec  vigueur  l'ouverture  de  Prométhèe  de 
Beethoven.  Le  flûtiste  Bayer  et  le  violoniste  Spohr —  celui-ci  ur 

(I)  Lellies  (le  M'"deLa  Place  à  Élisa  Napoléon,  publiées  par  M.  Marmottanl;  Charlei 
1897. 


LE  MÉNESTREL 


Û-6\ 


virtuose   entre  les  virtuoses  —  jouent  leurs  grands  morceaux 
de  concerts.  La  cérémonie  se  termine  sur  une  cantate,  dont  la 
musique  est  de  Kinsky  et  le  poème  du  D""  Weilh,  alors  tout  jeune 
et  à  qui  l'avenir  réservait  une  notoriété  considérable. 
(A  siiivre.  )  Paul  d'Estrées. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


V 
LA  MUSIQUE  DANS  L'INDE 

Le  problème  de  la  musique  hindoue  otfre  plus  d'incertitudes  encore 
que  celui  de  la  musique  grecque.  Pour  celle-ci,  au  moins,  les  docu- 
ments tliéoriques  ne  manquent  pas,  et  quelques  débris,  rares  mais 
précieux,  nous  ont  donné  d'éprouver  une  impression  directe,  si  faible 
fût-elle,  des  formes  de  cet  art  sur  lequel  ont  circulé  tant  de  légendes. 
La  civilisation  hindoue  est  bien  plus  antique  encore,  et  les  indianistes 
ont  cherché  passionnément  à  en  retrouver  les  éléments  primitifs  :  en 
musique,  cependant,  ils  n'ont  pu,  jusqu'ici,  nous  révéler  presque  rien. 
Fétis  est  à  peu  près  le  seul  homme  en  France  qui  ait  tenté  de  soulever 
une  partie  du  voile  qui  nous  cache  les  secrets  de  l'antique  musique  hin- 
doue. Il  a  consacré  à'  «  la  Musique  des  habitants  de  l'Inde  »  tout  un 
livre,  le  cinquième,  de  son  Histoire  générale  de  la  Musique  depuis  les 
temps  les  plus  anciens  jusqu'à  nos  jours,  ce  singulier  ouvrage,  aussi  peu 
lu  que  la  Biographie  des  Musiciens  est  fréquemment  consultée,  tentative 
presque  gigantesque,  avortée,  arrêtée  en  pleine  nuit,  parmi  des 
tâtonnements  sans  nombre,  au  moment  précis  où  la  lumière  allait  jail- 
lir, au  seuil  de  ce  XV"  siècle  avec  lequel  l'art  de  la  musique  moderne 
allait  commencer.  L'on  ne  sait,  lorsqu'on  étudie  les  cinq  volumes  de 
cet  ouvrage  qui,  s'il  avait  été  achevé  avec  un  pareil  développement,  en 
aurait  dû  comprendre  cent,  ce  dont  il  faut  le  plus  s'étonner,  de  la  gran- 
deur de  la  conception  ou  des  aberrations  extraordinaires  dont  l'examen 
des  détails  nous  offre  d'inquiétants  témoignages.  Certes,  c'est  une  idée 
admirable,  presque  géniale,  d'avoir  voulu  comprendre  dans  l'histoire  de 
la  musique  l'humanité  tout  entière,  au  lieu  de  la  restreindre,  comme 
on  lé  fait  d'ordinaire,  aux  manifestations  produites  en  un  petit  nombre 
de  siècles  dans  trois  nations  de  l'Eui-ope.  Mais,  au  moment  où  Fétis 
l'entreprit,  combien  la  tentative  était  prématurée  !  Que  de  régions  obs- 
cures il  lui  fallut  traverser,  sans  guide,  abandonné  à  ses  propres  forces, 
à  sa  seule  inspiration  !  Et  aussi  à  combien  de  fausses  inductions,  d'hy- 
pothèses que  l'avenir  ne  devait  pas  confirmer,  il  fut  forcé  de  se  livrer, 
pour  aboutir  à  un  résultat  qui  vraiment  ne  valait  pas  tant  de  peines  ni 
d'efforts  ! 

A  l'égard  de  la  musique  de  l'Inde,  Fétis  a  formulé  quelques  réserves, 
avoué  qu'il  n'avait  pas  pu  tout  savoir,  et  cela  n'était  pas  trop  dans  ses 
habitudes.  «  Je  dois  déclarer,  écrit-il,  que  nonobstant  mes  efforts  pen- 
dant plus  de  vingt  ans,  je  n'ai  pu  pénétrer  certains  points  de  la  théorie 
et  de  la  pratique  de  la  musique  en  usage  dans  l'Inde  antique.  Des  diffi- 
cultés de  tout  genre  se  présentent  à  quiconque  essaye  de  se  livrer  à  cette 
étude;  d'une  part  la  rareté  des  manuscrits,  de  l'autre,  les  obscurités  de 
■  langage  des  auteurs  de  ces  traités  de  musique,  obscurités  si  profondes 
qu'elles  ont  découragé  les  sanscritistes  qui  avaient  eu  le  dessein  de  tra- 
duire ces  ouvrages  » .  Et  encore  :  «  Toutes  les  recherches  faites  dans 
l'Inde  pour  découvrir,  dans  les  diverses  provinces,  des  traditions  des 
chants  des  hymnes  védiques  et  des  mélodies  appliquées  aux  drames  et 
à  la  danse  antiques  chez  les  Indiens  ont  été  infructueuses  ».  Il  conclut 
enfin  :  «  Espérons  qu'un  jour  un  sanscritiste,  bon  musicien  et  pourvu  de 
tous  les  documents  nécessaires,  comblera  les  lacunes  que  je  suis  obligé 
de  laisser  (1)  ».  Comment  l'homme  qui  a  écrit  ces  sages  paroles  n'a-t-il 
pas  été  plus  loin  dans  le  doute  et  le  sentiment  de  son  ignorance  ?  Com- 
ment n"a-t-il  pas  compris  que  ce  n'était  pas  en  compulsant  un  écrit 
anglais  du  XVIIP  siècle,  rédigé  par  un  homme  qui  n'était  pas  musi- 
cien (2),  fût  ce  en  le  complétant  à  l'aide  d'une  analyse  d'un  ouvrage 
hindou,  sur  l'ancienneté  duquel  il  sait  des  choses  très  vagues  (3),  qu'il 
pouvait  dégager  la  vérité  entière  sur  une  partie  très  importante  et  très 
obscure  de  l'histoire  de  la  musique,  et,  comme  il  prétend  le  faire,  «  dé- 
terminer avec  exactitude  les  intonations  de  l'échelle  enharmonique  des 
hindous,  représenter  en  notation  européenne  les  trente-six  modes  pra- 
tiques de  la  musique  indienne,  etc.  »  ?  Comment  a-t-il  pu  croire  qu'il 
donnerait  «  une  traduction  satisfaisante  des  deux  plus  anciennes  mélo- 

(\)  FÉTIS,  Uist.  rfén.  de  la  Musique,  t.  II,  pp.  109  et  suiv. 

fâj  Jones,   On  the  Musical  Modes  of  Ihe  Hindîts,  22  pages  dans  les  AsUitic  Rfj^eatrlies, 
TOl.  m,  pp.  55  à  S7,  Calcutta,  1792. 
(3j  Sringila  Diimodara,  analysé  par  Paterson  dans  la  même  colleclinn,  t.  IX. 


dies  dont  l'histoire  de  la  musique  puisse  faire  mention  »,  —  traduction 
qui  d'ailleurs  ne  ressemble  en  rien  cà  celle  que  d'autres  indianistes  ont 
donnée  des  mêmes  textes,  —  alors  qu'il  reconnaît  dans  la  même  phrase 
que  «  la  signification  de  certains  signes  d'altération  tonale  et  d'orne- 
mentation du  chant  est  restée  un  mystère,  qui  se  dissipera  peut-être  si 
un  traité  de  musique  pratique  est  traduit  quelque  jour  du  sanscrit  »  °! 
Voilà  liien  des  causes  d'incertitude  à  ajouter  à  celles  qu'il  avait  déjà 
avouées  lui-même. 

Deux  idées  fausses  devaient  principalement  empêcher  Fétis  d'élucider 
les  questions  que  comprenait  cette  étude. 

La  première  est  sa  conviction  que  la  musique  de  la  plupart  des 
peuples  primitifs  et  exotiques  est  basée  sur  une  division  de  la  gamme 
différente  de  la  gamme  naturelle,  et  particulièrement  sur  l'usage  immo- 
déré des  quarts  de  ton  ou  tiers  de  ton,  idée  que  nous  discuterons, 
en  un  examen  d'ensemble,  à  la  fin  de  cette  étude,  mais  que,  sans  atten- 
dre davantage,  nous  n'hésitons  pas  à  déclarer  être  une  pure  aberration, 
au  moins  dans  les  termes  dans  lesquels  Fétis  l'e-^pose  avec  insistance 
presque  à  chaque  chapitre  de  son  livre. 

Aussi  bien,  à  l'égard  de  la  question  connexe  des  modes,  sans  être 
aussi  inexact,  il  n'est  pas  beaucoup  plus  instructif.  Certes  il  nous 
éblouit  par  l'accumulation  des  mots  étrangers  qu'il  nous  sert  :  sa  joie 
est  immense  s'il  peut  les  multiplier  à  l'infini,  et  si,  après  avoir  dénom- 
bré les  degrés  Joubhunca,  Ouggra,  Roummaja,  Rohiny,  et  une  vingtaine 
d'autres,  il  peut  passer  au  Mode  bengali,  au  Mode  ranameri,  au 
bhairavi,  au  nettà,  au  taccà,  etc..  etc.  Cela  est  fort  beau,  et  nous  dirions 
volontiers  avec  M.  Jourdain  :  «  Voilà  une  langue  admirable  que  cet 
hindou  !  »  Mais,  le  premier  étonnement  passé,  nous  voudrions  bien 
savoir  ce  que  cela  veut  dire,  et  surtoutconnaltrel'application  pratiqueet 
esthétique  de  ces  belles  choses.  Or,  c'est  ce  dont  notre  auteur  se  soucie 
le  moins.  Après  avoir  cité  Molière,  il  nous  sera  bien  permis  de  rap- 
porter un  mot  de  Balzac  :  «  Toute  la  science  humaine  :  une  nomen- 
clature! »  Certes,  une  pareille  définition  est  une  calomnie  pour  la 
science.  Mais  n'est-elle  pas  pour  certains  savants  une  critique  trop  sou- 
vent justifiée,  et  ne  trouve-t- elle  pas,  dans  le  cas  présent,  une  applica- 
tion trop  naturelle? 

L'autre  erreur  de  Fétis,  commune  à  beaucoup  d'hommes  qui, 
étudiant  le  passé,  en  voudraient  pouvoir  pénétrer  les  mystères  jusque 
dans  les  temps  les  plus  reculés,  est  celle  qui  consiste  à  vieillir  outre 
mesure  les  documents  dont  il  lui  est  donné  de  taire  usage.  Qu'il 
rapporte  les  légendes  relative?  aux  origines  divines  de  la  musique,  rien 
de  mieux,  puisqu'il  est  entendu  que  ce  sont  des  légendes.  Il  nous  mon- 
trera ainsi  la  musique  inventée  par  Saraswàti,  épouse  de  Bràhma,  et 
cette  invention  complétée  par  leur  fils  Naredâ,  qui,  ayant  tendu  des 
cordes  sur  l'écaillé  de  la  tortue  qui  porte  le  monde,  en  forma  la  Vina, 
l'instrument  hindou  par  excellence.  Il  nous  dira  encore  que  les  sept 
sons  de  la  gamme  sont  sept  déesses  ;  que  les  légères  Apsaras,  créées  pour 
charmer  le  paradis  d'Indra,  y  forment  des  concerts  avec  les  Gandliârbas, 
musiciens  célestes,  au  nombre  de  sept,  lesi;|uels  président  à  l'iiarmonie 
des  astres  ;  que  d'autres  fils  et  filles  des  dieux  sont  les  Ragâs  et  les 
Rdginis,  qui  gouvernent  les  modes  musicaux,  expressions  naturelles  des 
passions.  Cela  est  en  effet  intéressant  à  connaître,  nous  montrant  quelle 
idée  l'imagination  des  peuples  se  fait  de  l'essence  mystérieuse  et  du 
prestige  de  la  musique.  Mais  voici  que  notre  auteur  prétendra  nous  appor- 
ter des  éclaircissements  positifs  en  remontant  jusqu'aux  Védas,  en  com- 
mençant par  l'étude  de  ces  poèmes  son  histoire  musicale.  Le  Sama-Véda, 
notamment,  l'arrête  longuement.  «  Les  hymnes  sont  métriques,  et 
n'étaient  pas  récitées,  mais  chantées,  et  c'est  précisément  à  cette  desti- 
nation au  chant  qu'est  attachée  l'eflicacité  des  prières  de  ce  Véda  ;  car, 
dans  les  conceptions  védiques,  toutes  les  parties  de  la  musique  sont 
d'origine  céleste.  »  Et  là-dessus  il  se  livre  à  des  considérations  diverses 
et  à  des  inductions  vraiment  hasardées,  avouant  d'ailleurs  qu'il  n'est 
rien  resté,  nulle  part,  du  chant  des  hymnes  védiques. 

La  vérité  est  que  nous  ne  savons  rien,  ce  qui  s'appelle  rien,  de  l'anti- 
quité de  la  musique  dans  l'Inde,  et  cela  est  d'autant  moins  étonnant 
que  nous  n'en  connaissons  pas  beaucoup  plus  sur  l'histoire  générale  ou 
n'importe  quelle  partie  de  la  vie  de  ce  pays  aux  époques  anciennes. 
Ne  savons-nous  pas  que  la  première  communication  des  européens  avec 
les  habitants  de  l'Inde  ne  remonte  pas  plus  haut  que  la  campagne 
d'Alexandre,  c'est-à-dire  à  la  fin  du  IV'  siècle  avant  Jésus-Christ,  ce  qui 
est  vraiment  peu  de  chose  au  regard  de  l'antiquité  d'un  peuple  qui  fait 
remonter  l'histoire  de  ses  rois  à  plus  de  cinq  mille  années! 

A  l'égard  des  écrits  hindous  sur  la  musique,  Fétis  voudrait  bien  leur 
assigner  des  dates  très  anciennes,  et,  sans  d'ailleurs  rien  dire  de  positif, 
il  ne  craint  pas  de  faire  entendre  qu'il  en  est  ainsi.  C'est  ainsi  qu'il 
attache  une  importance  primordiale  au  Ragavibodha  (doctrines  des 
modes  musicaux),  de  Soma,  qu'il  déclare  être  un  très  ancien  auteur  ; 
dans  sa  pensée,  cette  ancienneté  est  évidemment  celle  de  l'époque  où  la 


2oii 


LE  MÉNESTREL 


civilisation  brahmanique  existait  encore  dans  sa  pureté  native.  Par 
malheur,  la  critique  moderne,  revenue  à  des  vues  plus  sages  et  plus 
exactes,  est  loin  de  confirmer  ces  hypothèses  complaisantes.  C'est  ainsi 
qu'un  liiTe  anglais  paru  quelque  vingt  ans  après  l'Histoire  générale  de  la 
Musique  rétablit  la  vérité  en  affirmant  que  le  plus  ancien  écrit  sur  la 
musique  hindoue  qui  nous  soit  connu  est  le  Saiigita  Ratnâlera,  ou  Océan 
de  musique,  de  Sârnga  Deva,  dont  la  rédaction  ne  remonte  pas  plus 
haut  que  l'an  200  après  Jésus-Christ  (1)  :  cela  ne  constitue  pas  une  anti- 
quité considérable,  et  l'Europe  a  des  matériaux  plus  anciens.  Le  Mga 
Yivhada,  de  Somanath  ou  Soma  Raj  (c'est  ainsi  qu'orthographie  l'au- 
teur anglais)  est  postérieur.  C'est  dans  ce  livre  qu'est  notée  la  mélodie 
que  Fétis  s'est  donné  tant  de  peine  à  transcrire,  et  qu'il  qualifie  «  la 
plus  ancienne  mélodie  de  l'humanité  ».  Mais  outre  que  sa  notation, 
très  différente  de  celle  des  indianistes  anglais  qui  ont  étudié  le  docu- 
ment original,  est  incertaine,  il  est  évident  que  celui-ci  perd  beaucoup 
de  son  intérêt  s'il  est  établi  qu'il  ne  remonte  pas  plus  loin.  Les  hymnes 
de  Delphes  et  le  fragment  mutilé  de  YOresle  d'Euripide  restent  jusqu'à 
présent  «  les  plus  anciennes  mélodies  de  l'humanité  »  qui  nous  soient 
parvenues. 

(A  suivre.)  Julie.n  Tiehsot. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 

(Suite.) 


I-i  y  o  nxi  El  i  s 


LE  CANUÏ 


A  tout  seigneur,  tout  honneur  !- 

Le  Canut  est  le  maitre  de  Lyon,  comme  il  en  est  le  roi.  Ne  lui  parlez 
pas  des  ouvriers  qui  vont  s'embaucher  autre  part  que  chez  eux  pour 
faire  leur  métier.  Ce  sont  des  galvaudeux,  a  ses  yeux.  Lyonnais  il  est, 
Lyonnais  il  vivra,  et  Lyonnais  il  revivra  dans  ses  enfants.  La  Guil- 
lotière,  Vaise,  la  Crois-Rousse,  Saint-Just,  les  Broteaux  sont  sa  patrie. 
C'est  là  que  de  sa  grosse  main  sortent  ces  merveilleuses  soieries,  qui 
font  l'admiration  du  monde  entier.  Il  a  conscience  de  ce  qu'elles  valent 
et,  en  les  admirant,  s'accoudant  sur  sa  barre,  il  rêve,  dans  son  humble 
échoppe,  aux  destinées  qui  les  attendent.  Il  voit  la  foule  parée  s'agiter 
dans  des  palais  magnifiques.  Tout  luit,  tout  chatoie.  L'air  semble  semé 
d'or.  Mais  ce  n'est  qu'un  instant  de  délire,  et  tout  cet  or,  et  toute  cette 
soie,  le  canut  ne  les  donnerait  pas  pour  ses  métiers,  d'où  s'échappe  un 
bistanclaque,  bistanclaque,  pan.  monotone  et  continu,  pour  ses  chaises 
boiteuses  et  son  garde-manger  à  grillage,  pour  sa  commode  en  noyer  et 
pour  son  grabat  dressé  sur  une  soupente  à  laquelle  on  accède  au  moyen 
d'une  échelle. 

Au  physique,  comme  au  moral,  le  canut  est  rude.  Il  a  le  visage  pâle, 
maigre,  le  cou  long  et  tendu,  le  dos  voûté,  le  corps  grêle,  les  bras  osseux, 
les  genoux  saillants,  toutes  difformités  résultant  de  son  métier.  Son 
courage  est  proverbial  :  laborieux,  économe,  maitre  en  sa  demeure,  il 
ne  souffre  aucune  marque  de  dédain  et  dit  leur  fait  aux  gens  dont  il 
croit  avoir  à  se  plaindre,  crûment,  vertemement,  et  pittoresquement. 
car  son  langage  est  émaillé  d'expressions  spéciales  et  vigoureuses,  pour 
ne  pas  dire  triviales,  qui  en  font  un  jargon  à  part. 

Ses  jours  de  récréation  sont  le  dimanche  et  le  lundi.  Ces  jours-là,  do 
bon  matin,  après  avoir  passé  sa  lévite  (sa  redingote)  et  s'être  reïiuclé 
(regardé)  dans  son  miroir,  il  s'est  escané  (il  s'en  est  allé)  pour  se  lanti- 
bardaner  (pour  se  promener)  et  chongner  et  fioler  (manger  et  boire)  en 
plein  air.  C'est  l'usage  ;i  Lyon,  et  nul  n'y  manquerait.  Une  vieille 
chanson  le  consacre  : 


Altons  aux  Broteaux, 

Ma  mie  Jeanne, 
Allons  aux  Broteaux, 

Car  il  l'ait  beau. 
Nous  y  mangerons 

Une  salade, 
Nous  y  danserons 

Un  rigaudon. 

Allons  aux  Broteaux, 

JMa  mie  Jeanne, 
Allons  aux  Broteaux. 


Tortillez-vous  donc, 

Mam'selle  Jeanne, 
Tortillez-vous  donc 

Sur  vos  rognons. 
Monsieur  Nicolas 

Lui  verse  à  boire, 
Son  p'tit  cœur  mignon 

Lui  rend  raison. 

Allons  aux  Broteaux, 

Ma  mie  Jeanne, 
Allons  aux  Broteaux. 


(1)  C.  R.  Dat,  The  Music  and  Musical  Instruments  of  Soutliern  India  and  ttie  Decran. 
Londres,  Novello,  1891.  Nous  aurons  par  la  suite  à  emprunter  plus  d'un  renseignement  à 
ce  beau  livre. 


Le  canut  va  donc  aux  Broteaux  avec  sa  canuse  et  ses  gonnes.  Là,  les 
guinguettes  regorgent  de  monde  et  les  chants  se  croisent  en  tous  sens, 
rudes  comme  ceux  qui  les  débitent,  et  toujours  très  pimentés.  A  mesure 
qu'on  arrose  cadette  [cadette  signifie  dalle)  les  gognandises  (les  bêtises) 
s'accentuent.  En  même  temps  d'interminables  conversations  s'engagent 
sur  le  cours  de  la  soie,  sur  les  prétentions  des  marchands,  sur  les  affaires 
publiques;  car  le  canut  est  frondeur,  et  il  ne  lui  déplaît  pas  de  faire  à 
l'occasion  son  procès  au  gouvernement.  D'autres  jouent  aux  boules,  aux 
palets,  à  la  bourre.  Et  toujours  les  chants  de  retentir  :  chants  de  mé- 
tier, chants  de  bravoure  et  chants  d'amour  aussi.  Car  le  canut  a  l'àme 
tendre  aussi,  surtout  lorsque  le  petit  Beaujolais  commence  à  lui  taper 
snr  la. tronche  (sur  la  tête).  Alors  il  chante,  d'une  voix  émue,  sur  l'air  do 
Marianne  : 

Fanthon,  du  haut  de  ta  banquette, 
l^scoute  la  voix  de  l'amour. 
Car  tout  en  passant  ma  navette, 
Je  pensons  à  loi  chaque  jour. 
Oui,  je  t'aimons, 
Je  te  l'disons, 
J'souhaitons  ben  que  t'en  fasses  de  même  : 
Ah  !  quand  on  s'aime, 
C'est  si  canant. 
L'on  va  toujours  se  lanii-burdananl . 
Fanchon,  pour  toi  mon  cœur  souspire 
Va,  ne  prends  pas  ça  pour  un'  crac. 
En  ce  moment  il  fait  tic-tac, 
Et  je  viens  te  le  dire. 

Quand  j'aperçois  ma  Fanclionnette, 

Je  m'escrtn'  sur  la  port'  d'allé', 

J'quitt'  mon  bonnet,  j'prends  ma  casquette. 

Pour  avoir  l'air  mieux  endrôté. 

Et  quand,  le  soir. 

Un  sommeil  noir 
S'en  vient  fermer  Yagnotet  d'ma  paupière, 
Quand  pour  jouir  d'un  doux  repos, 
Tout  doucement  je  m'étends  sur  le  dos, 
Moi,  qui  couche  sur  la  suspente, 
Ah  !  je  voudrais,  pendant  la  nuit, 
Pour  dégringoler  sur  ton  lit, 
Voir  tomber  la  charpente. 

Cette  chanson  a  mis  toute  la  compagnie  en  tendre  humeur.  Chacun 
sent  la  galanterie  lui  monter  à  l'âme.  On  se  dirait  en  une  Cour  d'Amour, 
au  temps  du  roi  René,  et  l'un  des  buveurs,  après  s'être  essuyé  les  lèvres 
du  revers  de  sa  manche,  entonne,  en  regardant  tendrement  sa  voisine, 
cette  chanson  toujours  la  bienvenue  dans  les  réunions  lyonnaises  : 


Nous  estions  troys  galans 
De  Lyon  la  bonne  ville, 
Nous  en  allons  sur  mer. 
N'avons  ne  croix  ne  pile. 

La  bise  nous  fait  mal, 
Le  vent  nous  est  contraire, 
Nous  a  chassé  si  loing 
Dedans  la  mer  salée. 


—  Ne  ferons  pas  pour  toy, 
Ny  pour  tout's  tes  galères  : 
Nous  nous  rendons  à  Dieu, 
A  la  vierge  Marie. 

a  Monsieur  Sainct  Nicolas, 
Madame  Saincte  Barbe, 
Rossignolet  du  Boys, 
Ya-t-en  dire  à  ma  mye 


a  L'or  et  l'argent  que  j'ay 
En  sera  tresoriere, 
De  trois  chasteaux  que  j'ay 
Aura  la  seigneurie. 


Voicy  venir  Préjean  (Uncorsiiirc  fameux) 
A  (et)  toutes  ses  galères  : 
—  Vous  vous  rendez,  enfants 
De  Lyon  la  bonne  ville. 

<i  L'un  est  dedans  Milan, 
L'aultre  est  en  Picardie, 
L'autre  dedans  mon  cœur, 
Mais  je  ne  l'ose  dire.  » 

Saluons  cette  chanson  au  passage.  C'est  une  douairière  ;  car  elle  figure 
déjà  dans  un  Recueil  du  seizième  siècle,  où  s'ensuyvent  plusieurs  belles 
chansons  nouvelles,  nouvellement  imprimées,  avec  cette  indication  :  On  les 
vend  à  Lyon,  en  la  maison  de  feu  Claude  Nourry,  dit  le  Prince,  près  Noslre 
Dame  de  Confort. 

Le  Confort  au  seizième  siècle,  et  sous  l'invocation  de  Notre-Dame 
encore,  voilà  qui  est  fait  pour  surprendre.  On  croit  généralement  ce  mot 
anglais.  Erreur!  On  trouve  déjà  dans  la  Chanson  de  Roland  :  Entr'  els  en 
ont  et  orguel  et  confort...  Confort  est  donc  un  mot  bien  français. 

Entre  temps,  le  ciel  s'est  assombri  dans  le  clan  de  la  clientèle  des 
Broteaux.  Les  cervelles  ne  sont  plus  bien  nettes,  et  les  langues  s'em- 
pàteut.  L'heure  des  querelles  est  proche,  car  il  est  rare  que  ces  agapes  se 
terminent  sans  horions.  En  attendant,  le  feu  s'engage  par  une  chanson 
railleuse  contre  les  «  Auvergnats  »  qui  viennent  exercer  leurs  nulle 
industries  dans  Lyon.  Comme  nous  l'avons  dit,  le  canut  n'aime  pas 
l'ouvrier  étranger,  l'Auvergnat  surtout,  son  voisin.  Celui-là,  sa  bête 
noire,  sert  de  cible  à  ses  plaisanteries.  Dans  la  chanson  (jui  nous 
occupe,  et  à  laquelle  Champfleury  et  Weckerlin  ont  offert  l'hospitalité, 
ce  qui  montre  sa  valeur,  il  s'agit  de  maçons  en  goguette,  venus  au 
cabaret  pour  s'égayer.  Ils  chantent,  en  terminant  chaque  couplet  par 
une  imitation,  très  amusante,  de  la  musette  : 


LE  MENESTilËL 


253 


Chet  donc  demain  la  dimanche 
Que  nous  chavons  resoulu 
De  nous  mettre  quatre  ensemble 
Pour  dispencher  un  escu. 
Nous  en  fCim's  à  Ville  urbanne 
Chez  le  boulanger  Lefay, 
Celui  qu'a  la  renommayo 
De  fair'  de  chi  bon  pain  bis. 
Ah  hi  hou  ha!  ah  hi  hou  ha,  hia. 

Bonjour,  madame  l'hochtesse  : 
Voudriez-vous  apporter 
Une  bonn'  soupe  à  la  graisse 
Et  du  bon  lard  fricassé? 
Surtout  prenez-y  bien  garde, 
Nous  espargnez  pas  le  pain, 
y  en  faudra  pour  nous  quatre 
Cinquante  livres  la  moins! 
Ah  hi  hou  ha  !  Ah  hi  hou,  hia. 


Puis  nous  nous  somm's  mis  à  table 
Et  nous  nous  sommes  resgalés 
Autant  qu'nous  estions  capables, 
Même  à  nousestrangouiller, 
Et  quoil  qu'il  eût  la  colique, 
Nostre  bon  ami  Gaspard 
Nous  a  chanté  le  cantique 
Du  grand  bon  saint  Lienard. 
Ah  hi  hou  ha  !  ah  hi  hou  lia,  hia  ! 

Après  avoir  bu  la  goutte. 
Nous  sont  partis  pour  Lyon, 
Nous  ons  rencontrés  en  route 
Trois  chapeliers  bons  lurons, 
Ils  nous  ont  cherché  dispute, 
Nous  leurs  avons  répondus; 
Nous  nous  sommes  mis  en  butte 
Et  nous  les  avons  battus. 
Ah  hi  hou  hal  ah  hi  hou  ha,  hia. 


Passant  près  d'un  corps  de  garde, 

On  voulut  nous  arrester, 

Nous  disant  :  «  Chers  camarades, 

En  prison  il  faut  aller  •>  ; 

Mais  nous  qu'avons  fait  ribotte, 

Et  qu'étions  des  entêtés 

Nous  avons  battu  le  poste 

Et  nous  nous  somra's  escannés. 

Ah  hi  hou  ha!  ah  hi  hou  ha,  hia. 


En  entrant  dedans  la  chambre, 

Nous  aperçûmes  passer 

Nostre  maîslre  l'aschitecte; 

Nous  lui  dîmes  de  monter  ; 

Voyant  tant  de  pain  sur  table, 

11  en  parus  estonné, 

Nous  lui  dîmes  qu'  pour  nous  quatre 

Y  en  faudrait  un'  fournée! 

Ah  hi  hou  ha!  ah  hi  hou  ha,  hia! 

Arrivés  à  la  Croix-Blanche, 
Il  fallut  nous  séparer, 
Promettant  que  l'austr'  dimanche 
Nous  faudrait  recommencher; 
Au  revoir,  chers  camarades, 
Et  surtout  n'oublions  pas 
Qu'il  nous  faut  bien  prendre  garde 
De  ne  pas  nous  fouchtre  en  bas. 
Ah  hi  hou  ha  !  ah  hi  hou  ha,  hia  ! 

Quand  le  canut,  après  deux  jours  de  libations,  n'en  peut  plus,  sa 
canuse  le  ramène,  comme  elle  peut,  au  logis.  Il  a  chongné  et  fiole  à 
loisir;  mais  il  n'en  a  pas  assez.  Et,  titubant  dans  la  bassouille  (dans  la 
boue),  et  chéant  (tombant)  à  l'occasion  dans  la  rase  (dans  le  ruisseau),  il 
chante,  en  scandant  d'un  hoquet  chaque  période,  ces  versets  funé- 
raires : 

Ail!  si  je  meurs,  que  Ton  m'enterre 


Les  pieds  contre  I 
Et  la  tête  sous  le  i 
(A  suivre.) 


.ille, 


Que  l'on  mette  dans  mon  tombeau 
Un  saucisson,  une  salade, 
Une  bouteiir  de  vin  d'Mâcon, 
Pour  passer  la  barque  à  Caron. 

Edmond  NEuttoMM.' 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

L'Opéra  impérial  de  Vienne  a  rouvert  ses  portes;  les  programmes  de  la  pre- 
mière semaine  de  la  nouvelle  saison  contiennent  presque  exclusivement  des 
œuvres  françaises  :  Mignon,  Faust,  Carmen  et  le  Propliète,  On  voit  que  notre 
vieux  répertoire  est  loin  d'avoir  dit  son  dernier  mot  dans  la  capitale  autri- 
chienne. 

—  M"'  Saville  rentre  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  la  semaine  prochaine 
et  on  reprendra,  avec  elle,  Manon,  ce  rôle  étant  un  des  meilleurs  de  la  char- 
mante artiste.  Le  chef-d'œuvre  de  M.  Massenet  peut  d'ailleurs  se  vanter  d'une 
belle  carrière  sur  les  bords  du  Danube.  Jouée  pour  la  première  fois  à  Vienne 
en  novembre  1890,  Manon  y  compte  déjà  91  représentations  et  arrivera  selon 
toute  probabilité  à  la  centième  dans  le  courant  de  la  présente  saison  théâtrale. 
C'est  un  grand  succès  pour  Vienne,  où  le  répertoire  est  tellement  varié  ;  les 
œuvres  lyriques  arrivées  à  l'Opéra  impérial  à  cent  représentations  en  onze 
ans,  peuvent,  en  effet,  se  compter  sur  les  doigts  d'une  main. 

—  L'empereur  d'Autriche  vient  d'envoyer  un  présent  à  M°"=  Goncha  Men- 
dez.  célèbre  cantatrice  américaine,  à  l'occasion  du  80=  anniversaire  de  sa 
naissance.  On  raconte  que  peu  après  l'exécution  de  l'empereur  Maximilien  et 
la  folie  de  l'impératrice  Charlotte,  les  spectateurs  d'un  théâtre  de  Mexico,  où 
jouait  M""=  Goncha  Mendez,  alors  en  pleine  vogue,  lui  demandèrent  de 
chanter  une  chanson  injurieuse  pour  les  malheureux  souverains:  «  Non, 
s'écria-t-elle,  je  n'insulte  pas  aux  morts  et  aux  malheureux  !  »  L'empereur 
François-Joseph  n'apprit  que  récemment  cette  noble  réponse  de  la  cantatrice 
et  il  a  saisi  l'occasion  de  son  80"  anniversaire  pour  lui  envoyer  un  présent. 

—  L'Académie  de  musique  de  Munich  a  rejeté  la  demande  qu'on  lui  avait 
faite  d'organiser  un  cours  de  cithare  ;  elle  a  déclaré  que  cet  instrument 
n'oIVre  point  un  caractère  suHisamment  artistique  pour  qu'elle  s'occupe  de 
son  enseignement. 

—  Les  représentations  de  la  saison  d'inauguration  du  nouveau  théâtre 
wagnérien  de  Munich  dureront  jusqu'à  la  fin  de  septembre  et  la  direction  a 


engagé  pour  ces  soirées  exceptionnelles  M"«  Hilgermann  et  MM.  Schrodter, 
Winkelmann  et  Reichmann,  de  Vienne,  MM.  Anthes  etWachter,  de  Dresde, 
M.  Staudigl,  de  Carlsruhe,  M.  Gerhaeuser,  de  Garisruhe,  et  M.  Audriessen, 
de  Francfort.  L'orchestre  sera  dirigé  par  MM.  Stavenhagen,  Zumpe,  Franz 
Fischer  et  Rohn.  En  vertu  de  la  convention  avec  Bayreulh,  on  ne  jouera  à 
Munich  que  Tannhàuser,  Lohengrin,  les  Maîtres  Chanteurs  et  Tristan.  Plus  tard 
on  montera  les  autres  œuvres  de  Richard  Wagner,  à  l'exception  de  Parsiful; 
on  donnera  même  les  Fées  avec  une  mise  en  îcène  grandiose. 

—  A  Bayreuth,  presque  tous  les  visiteurs  portent  cette  année  l'insigne  du 
jubilé.  C'est  une  médaille  en  argent  à  l'efSgie  du  maître,  avec  les  dates 
1876-1901.  Inutile  de  dire  que  ce  sont  particulièrement  les  visiteurs  qui 
n'ont  pas  été  à  Bayreuth  en  1876  qu'on  voit  afl'ublés  de  cette  médaille, 
qui  est  d'ailleurs  d'un  travail  fort  médiocre.  L'autre  bibelot  à  la  mode  est 
une  cravate  en  soie  rouge  avec,  bien  au  centre,  le  portrait  du  maître  tissé 
en  or.  L'ingénieux  industriel  qui  a  trouvé  cette  cravate  fait,  paraît-il,  des 
affaires  d'or. 

—  Une  nouvelle  extraordinaire  nous  arrive  de  Bayreuth.  Le  bourgmestre 
de  la  cité  wagnérienne  a  été  mis  en  émoi  par  les  plaintes  des  pèlerins  mélo- 
manes au  sujet  de  leur  exploitation  par  les  hôteliers  et  restaurateurs,  et  der- 
nièrement il  a  prononcé  publiquement,  en  plein  conseil  municipal,  un  discours 
bien  senti  contre  ces  agissements.  C'est  surtout  contre  le  fermier  du  fameux 
hôtel  «  Au  Soleil  »,  où  Wagner  a  reçu  les  hôtes  des  fêtes  de  la  pose  de  la 
première  pierre,  que  le  bourgmestre  a  dirigé  ses  attaques.  Une  toute  petite 
chambre  coûte  30  marcs  dans  cet  hôtel;  une  chambre  de  domestique  20  marcs; 
un  simple  bock  7S  centimes.  C'est  principalement  le  prix  de  la  bière  qui  a  excité 
l'indignation  des  braves  Bavarois  du  conseil  municipal  de  Bayreuth.  Le  bourg- 
mestre a  déclaré  que  le  fermier  en  question  est  heureusement  un  étranger; 
un  bourgeois  de  Bayreuth  n'aurait  jamais  commis  la  mauvaise  action  de  léser 
ainsi  la  bonne  renommée  et  les  intérêts  de  la  ville.  Finalement,  le  bourg- 
mestre, M.  Gasselmann,  a  demandé  et  obtenu  l'autorisation  de  publier  une 
déclaration  officielle  pour  mettre  en  garde  les  visiteurs  étrangers  contre  les 
exactions  de  l'hôtel  «Au  Soleil».  Les  plaintes  contre  cet  hôtel  sont  assez 
anciennes;  il  paraît  que  la  concurrence  de  Munich  commence  déjà  à  porter 
des  fruits. 

—  A  Salzbourg  vient  d'avoir  lieu  un  festival  Mozart,  avec  le  concours  de 
l'orchestre  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  sous  la  direction  de  M.  Hellmes- 
berger,  et  des  solistes  venus  d'Allemagne,  d'Autriche  et  de  Hongrie.  On  a 
donné  deux  représentations  de  Don  Juan  et  trois  concerts  dont  le  programme 
n'offrait  que  des  œuvres  de  Mozart.  Le  violoniste  russe  Petchnikof  a  remporté 
un  grand  succès.  Beaucoup  d'Anglais  et  d'Américains,  venus  en  partie  de 
Bayreuth,  assistaient  au  festival. 

—  On  vient  d'inaugurer,  à  Dusseldorf,  une  statue  de  Félix  Mendelssohn- 
Bartholdy,  œuvre  du  sculpteur  Buscher.  Cérémonie  musicale  assez  maigre; 
on  a  joué  la  fameuse  marche  nuptiale  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  et  c'est  tout! 

—  Le  conseil  municipal  de  la  ville  d'eaux  de  Teplitz  (Bohême)  vient  de  faire 
apposer  des  plaques  commémoratives  aux  deux  maisons  que  Richard  Wagner 
avait  habitées  lors  des  séjours  qu'il  y  fit  en  1834  et  en  1843.  Schopenhauer, 
le  philosophe  favori  de  Wagner,  qui  avait  fait  un  séjour  à  Teplitz  en  1816,  a 
été  honoré  de  la  même  façon. 

—  L'orphéon  «  Polyhymnia  »  de  Cologne  vient  de  célébrer  le  oO'  anniver- 
saire de  sa  fondation.  A  cette  occasion  a  eu  lieu  un  concours  d'orphéons  alle- 
mands auxquels  ont  été  distribués  plusieurs  prix  assez  importants.  Deux  des 
fondateurs  de  «  Polyhymnia  »  sont  encore  de  ce  monde  :  l'un  d'eux,  un  cha- 
noine, a  célébré  la  messe  chantée  par  l'orphéon  en  l'honneur  de  sa  fête. 

—  Le  ténor  Rothmùhl,  qui  était  l'étoile  de  l'Opéra  royal  de  Sluggart,  a 
quitté  ce  théâtre  et  a  donné  sa  soirée  d'adieu.  On  l'a  fêté  d'une  façon  extra- 
ordinaire et  le  roi  lui  a  envoyé  sa  photographie  avec  sa  signature.  Mais  cette 
soirée  triomphale  devait  mal  finir  pour  l'artiste  ;  avant  de  quitter  le  théâtre 
il  s'est  disputé  avec  sa  camarade  M""'  Sutter  et  l'a  gravement  injuriée.  Les 
témoins  racontent  même  que  le  ténor  a  craché  à  la  figure  de  sa  camarade. 
L'aft'aire  doit  être  assez  grave,  car  le  parquet  de  Stuttgart  en  est  saisi  et  a 
ouvert  une  instruction  contre  M.  Rothmùhl. 

—  Une  curieuse  application  de  la  nouvelle  loi  sur  le  droit  d'auteurs  vient 
d'être  faite  à  Kolozsvàr  (Klausenbourg)  en  Transylvanie.  Le  directeur  du 
théâtre  municipal  de  cette  ville  avait  porté  plainte  contre  le  directeur  d'un 
petit  journal  qui  reproduisait  tous  les  jours  l'atriche  du  théâtre  avec  la  distri- 
bution des  rôles,  en  prétendant  que  l'affiche  était  une  œuvre  littéraire  pro- 
tégée par  la  loi.  Le  tribunal  a  été  assez  naïf  pour  admettre  cette  théorie 
bizarre  et  a  condamné  le  journaliste  à  une  amende  de  200  couronnes!  II  est 
à  présumer  que  la  cour  d'appel  réformera  ce  jugement,  car  on  peut  se  deman- 
der comment  l'idée  de  voir  une  œuvre  littéraire  dans  un  imprimé  indiquant 
la  distribution  d'une  pièce  de  théâtre,  ait  pu  germer  dans  le  cerveau  d'un  juge. 

—  L'Opéra  de  Gracovie  vient  déjouer  avec  un  succès  extraordinaire  il/onon 
de  Massenet.  La  protagoniste,  M"|=  Irène  Bohussowna,  a  été  fêtée  tout  spécia- 
lement ;  il  paraît  que  cette  jeune  artiste  est  excessivement  jolie,  ce  qui  n'a 
jamais  rien  gâté. 

—  On  annonce  de  Prague  que  le  jeune  violoniste  Jan  Kubelik  vient  de 
signjr  avec  deux  imprésarios  américains  un  traité  qui  lui  assure  la  somme 


LE  MEP^ESTREL 


de  500.000  couronnes,  soit  323.000  francs,  pour  une  tournée  de  quatre  mois, 
à  travers  les  États-Unis.  Un  cautionnement  de  100.000  couronnes  serait  déjà 
déposé  dans  une  banque  de  Prague.  M.  Kubelik  s'embarquera  à  Liverpool  le 
20  novembre.  La  somme  mentionnée  semble  exagérée,  mais  un  simple  calcul 
le  rend  vraisemblable.  M.  Kubelik  pourra  parfaitement  donner  100  concerts 
en  4  mois  ou  122  jours,  après  déduction  de  18  dimanches  ;  chaque  concert 
coûtera  donc  aux  imprésarios  o.2o0  francs,  soit  1.030  dollars,  ce  qui  n'est  pas 
énorme  pour  un  concert  à  sensation  en  Amérique. 

—  Le  29  juillet,  anniversaire  de  l'horrible  assassinat  du  roi  Humbert,  ont 
eu  lieu  dans  toute  l'Italie  des  commémorations  auxquelles  la  musique  a  pris 
une  large  part.  A  Monza,  durant  le  pèlerinage  au  lieu  même  où  le  forfait 
s'est  accompli,  le  corps  civique  musical  a  exécuté  un  intermède  funèbre  de 
la  composition  du  maestro  Baroncini;  dans  le  gymnase  de  la  rue  Matteo  da 
Campione  le  corps  musical  Umberto  1"  a  fait  entendre  une  Élégie  funèbre  du 
compositeur  Badiui,  et  les  Sociétés  chorales  Verdi,  Menzise,  Arcore  et  Bru- 
gherio  ont  chanté  la  prière  de  la  reine  Marguerite  mise  en  musique  par 
M.  Gerosa:  le  soir  eut  lieu  un  concert  dans  lequel,  entre  autres  morceaux, 
on  exécuta  une  cantate  du  maestro  Alessi.  A  Milan,  dans  l'église  Saint- 
Alexandre,  fut  chantée  la  messe  de  Witt,. réduite  pour  le  rite  ambrosien  par  le 
maestr.)  Gorio.  A  Rome  on  exécuta  au  Panthéon  la  messe  de  Requiem  de 
M.  Sgambati.  avec  solo  par  le  baryton  Mattia  Battistini.  Et  à  Turin  on  célé- 
bra en  public  une  messe  solennelle,  avec  le  concours  de  l'école  de  chant  et 
des  musiques  des  i¥  et  43*  d'infanterie  dirigées  par  le  maestro  "\'annetti. 

—  Le  municipe  de  Gênes  vient  de  commander  au  sculpteur  Augusto 
Rivalta  un  buste  en  mémoire  de' Verdi,  qui  est  destiné  à  être  placé  dans  le 
vestibule  du  théâtre  Garlo-Fehce.  —  Au  théâtre  de  Voghera  on  doit  inaugurer 
aussi  prochainement  un  buste  du  vieux  maître. 

—  Au  cours  de  la  saison  prochaine  on  donnera  au  théâtre  de  Lucques  le 
Werther  de  Massenet,  avec  le  ténor  GaruUi  comme  protagoniste. 

—  Nous  avons  rapporté  dernièrement,  d'après  un  journal  norvégien,  en 
l'accompagnant  de  tous  ses  détails,  la  nouvelle  que  la  veuve  du  grand  violo- 
niste Ole  Bull  venait  de  léguer  au  musée  de  Bergen,  sa  ville  natale,  le  violon 
du  célèbre  artiste,  violon  dû  au  fameux  luthier  Gaspard  da  Salô.  Celte  nou- 
velle a  donné  lieu  aux  intéressantes  observations  suivantes,  que  M.  Pio 
Bettoni,  professeur  à  Brescia,  ville  où  Gaspard  da  Salo  exerça  son  industrie 
pendant  un  demi-siècle,  publie  dans  un  journal  de  cette  ville  : 

«  Pour  ceux,  dit  l'écrivain,  qui  s'intéressent  aux  choses  de  l'art  de  la 
lutherie,  la  nouvelle  n'est  certainement  pas  dépourvue  d'importance,  et  elle 
devrait  être  particulièrement  agréable  à  tous  ceux  qui,  comme  moi,  sont  les 
compatriotes  du  grand  luthier.  Mais...  il  y  a  un  «  mais  »  qui  peut  tout  gâter. 

Métaphore  à  part,  si  ce  violon  porte  réellement  la  date  de  1332,  il  ne  peut 
provenir  de  Gaspard  da  Salo,  par  la  seule  raison  que  celui-ci  naquit  environ 
dix  ans  plus  tard,  ainsi  que  M.  Lévi  l'a  démontré  à  l'aide  de  dates  et  d'argu- 
ments dont  la  lumière  est  éclatante.  Il  ne  serait  pas  permis  de  nier,  pourtant, 
jusqu'à  preuve  contraire,  qu'Ole  Bull  ait  possédé,  comme  je  le  montrerai  plus 
loin,  un  violon  de  Gaspard,  lequel,  à  la  forme  gracieuse  et  à  la  souveraine 
douceur  du  son,  selon  qu'il  a  été  dit,  ajouterait  un  prix  plus  unique  encore 
que  rare,  celui  d'avoir  des  ornements  ciselés,  parait- il,  de  la  main  de  Benve- 
nuto  Cellini.  Mais  lorsque  ce  précieux  instrument  fut  confié,  en  1S76,  au 
vaillant  luthier  brescian  Giuseppe  Scarampella,  conservateur  du  musée  mu- 
sical de  Florence,  pour  être  restauré,  il  ne  conservait  plus  aucune  trace  d'or- 
nements. Je  suis  tenté  pourtant,  cela  dût-il  diminuer  la  valeur  inestimable 
de  cette  merveille  musicale,  de  douter  que  soit  le  cardinal  Giovanni  Aldobran- 
dini,  soit  aucun  des  trois  autres  cardinaux  du  même  nom,  ait  pu  avoir  chargé 
Cellini  du  soin  d'orner  de  ciselures  la  tête  du  manche  d'un  violon  construit 
par  Gaspard  da  Salo,  parce  qu'il  semble  certain  qu'aucun  de  ces  quatre 
(1  empourprés  »  n'ait  revêtu  la  dignité  cardinalice  au  temps  où  se  dévelop- 
paient le  génie  et  l'activité  de  l'illustre  artiste.  Des  critiques  et  des  historiens 
ont  pourtant  affirmé  récemment  que,  vers  1809,  Rhehazek,  de  Vienne,  —  le 
plus  grand  collectionneur  de  violons  de  ce  temps  —  aurait  acquis  d'un  soldat 
français,  pour  une  somme  très  minime,  un  violon  de  Gaspard  qui  fut  enlevé 
du  musée  d'Inspruck  lors  du  sac  de  cette  ville.  En  1841,  le  fils  de  Rhehazek 
le  vendit  à  Ole  Bull  pour  1.866  livres  sterling  (46.666  fr.  2b  c).  James 
M.  Fleming,  dans  son  livre  intitulé  Old  violins  and  Iheir  makers,  écrit  qu'Ole 
Bull  laissa  un  de  ses  meilleurs  violons  à  un  ami,  et  un  autre  au  musée  de 
Bergen.  Ce  dernier  pourrait  être,  par  aventure,  le  fameux  instrument  que  la 
veuve  du  célèbre  violoniste  a,  comme  on  l'a  annoncé,  confié  au  susdit  musée; 
mais  à  condition  pourtant  qu'il  ne  porte  aucune  date  ou  qu'il  en  ait  une  pos- 
térieure à  1332,  puisque  l'invention  du  violon  remonte  au  dernier  quart  du 
seizième  siècle.  On  ne  connaît  pas  avant  cette  époque  de  véritables  et  authen- 
tiques exemplaires  du  violon.  J'ai  cru  opportun,  dans  l'intérêt  de  la  vérité 
historique,  de  tracer  ces  quelques  lignes  ;  et  je  saisis  cette  occasion  de  démon- 
trer comment  désormais,  dans  toutes  les  parties  de  l'ancien  et  du  nouveau 
monde,  est  reconnue  la  très  haute  valeur  de  Gaspare  Bertolotti  (Gaspard  da 
Salù),  auquel,  surtout  depuis  les  patientes  et  sagaces  recherches  entreprises 
au  cours  du  siècle  dernier  dans  les  pays  les  plus  cultivés  d'Europe,  on  assigne 
l'honneur  j1  avoir  donné  à  la  musique  le  prince  des  instruments,  celui  que  le 
divin  art  des  sons  a  rendu  l'interprète  des  passions  humaines.   » 

—  Les  collectionneurs  d'instruments  anciens  ont  manqué,  la  semaine  pas- 
sée une  belle  occasion  d'acheter  pour  un  morceau  de  pain  des  morceaux  de 


choix.  MM.  Puttick  et  Simpson,  de  Londres,  ont  vendu,  devant  un  nombre 
très  restreint  d'amateurs,  toute  une  collection  d'instruments  anciens,  pour  la 
plupart  fort  curieux;  si  les  prix  obtenus  sont  dérisoires,  il  faut  attribuer  cela 
à  la  saison  qui  éloigne  de  la  capitale  les  principaux  amateurs.  Une  épinette 
italienne  de  3  octaves  et  demie  signée  :  Dominicus  Pisaurensis  1375,  avec 
jolies  peintures  de  l'époque  sur  le  bois,  a  été  payée  36  francs;  un  ottavino 
(toute  petite  épinette)  en  bois  de  cèdre  finement  sculpté  du  XVU  siècle  a  été 
adjugé  à  136  francs;  une  harpe  française  Louis  XVI,  signée  Lépine,  finement 
sculptée  et  dorée,  n'a  rapporté  que  38  francs;  une  ravissante  harpe  Empire  a 
été  payée  28  francs;  une  vielle  française  du  XVIIP  siècle,  en  bois  d'ébèna 
avec  marqueterie  en  ivoire,  signé  Le  Bas  n'a  rapporté  que  28  francs,  une 
autre,  signée  par  le  célèbre  facteur  A.-F.  Lovet,  de  Paris,  37  francs  ;  un  olifant 
(petit  cor  d'ivoire)  français,  finement  sculpté,  a  été  poussé  à  29  francs;  une 
demi-lune  (trompette)  française  du  XVIIL'  siècle,  à  42  francs:  un  eliùfar  (ins- 
trument à  vent  en  corne  des  Juifs)  très  ancien  a  été  payé  32  francs.  La  plu- 
part de  ces  instruments  étaient  fort  connus  et  avaient  passé  par  des  collections 
célèbres. 

—  L'Association  des  musiciens  de  la  cité  de  Londres  vient  d'ollrir  un  prix 
de  1.300  francs  pour  la  composition  d'une  marche  solennelle  qui  doit  être 
exécutée  au  couronnement  du  roi  Edouard  VII.  Les  compositeurs  anglais 
seuls  sont  admis  au  concours.  Le  jury  est  composé  de  sir  Hubert  Parry,  direc- 
teur du  Collège  royal  de  musique,  de  sir  Frédéric  Bridge  et  de  sir  "Walter 
Parrat. 

—  L'enfer  serait-il  pavé...  d'Anglais  ?  A  une  représentation  de  Faust  donnée 
à  Dublin,  d'après  le  livret  allemand,  la  machinerie  fonctionna  mal  à  l'instant 
où  Faust  et  Méphisto  devaient  disparaître  dans  l'Enfer.  Le  ténor  P.  O'Meara 
planait  au-dessus  de  la  trappe.  Silence  pénible  dans  l'assistance.  Tout  à  coup, 
on  entendit  une  voi.x  du  «  paradis  »  :  «  Dis  donc,  Patrick,  il  y  a  donc  telles 
ment  d'Anglais  en  enfer  que  tu  ne  puisses  trouver  la  moindre  place?  »  La 
pièce  se  termina  ainsi  sur  un  éclat  de  rire  général. 

—  Un  comité  s'est  formé  à  Saint-Pétersbourg,  sous  la  présidence  du 
grand-duc  Constantin  Constantinovitch,  pour  ériger  une  statue  à  Glinka.  Le 
comité  a  déjà  réuni  une  somme  assez  importante  et  se  propose  d'inaugurer 
la  statue  le  l"'  juin  1904,  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Glinka. 

—  L'Opéra  de  Varsovie  prépare  pour  la  saison  prochaine  la  représentation 
du  nouvel  opéra  Manru  dont  l'auteur,  M.  Paderewski,  a  vécu  quelque  temps 
dans  cette  ville. 

—  On  vient  d'orner  la  façade  principale  du  nouveau  Palais  de  la  Société 
philharmonique  de  Varsovie  de  deux  statues  de  Mozart  et  de  Beethoven, 
œuvres  du  sculpteur  Ladislas  Mazur.  L'orchestre  de  la  Société  a  été  complété 
et  compte  maintenant  74  musiciens. 

—  De  Vevey  :  Le  congrès  international  de  la  propriété  littéraire  et  artis- 
tique a  été  ouvert  le  7  août,  à  trois  heures.  Il  durera  jusqu'au  13  août. 
M.  Camille  Decoppet,  chef  du  département  vaudois  de  l'instruction  publi- 
que, a  souhaité  la  bienvenue  aux  congressites.  M.  Pouillet,  ancien  bâton- 
nier, président  de  l'Association  internationale,  a  remercié  en  termes  éloquents. 
La  première  séance  a  eu  lieu  jeudi  matin. 

—  Nous  demandions  dernièrement  :  à  quand  un  ballet  sur  le  sujet  de  (^uo 
vadis?  A  défaut  de  ballet,  voici  que  le  roman  trop  fameux  de  M.  Sienkiewicz 
a  donné  naissance  à  un  exercice  de  cirque.  La  scène  dans  laquelle  Ursus 
combat  victorieusement  le  taureau  sur  lequel  est  attachée  la  fille  de  son  roi 
a  donné  en  effet  l'idée,  au  directeur  d'un  cirque  en  ce  moment  à  Genève, 
d'un  spectacle  qui,  paraît-il,  attire  une  foule  avide  d'émotions  violentes.  Un 
hercule  du  nom  de  François  lutte  chaque  soir  contre  un  taureau  qu'il  saisit 
par  les  cornes  et  qu'il  réussit  à  renverser  sur  le  sable  de  l'arène.  Il  parait  que 
jusqu'à  ce  jour  le  susdit  François  est  resté  vainqueur  de  tous  les  taureaux 
qu'on  lui  a  opposés. 

—  Les  petits  ruisseaux  font  les  grandes  rivières.  La  municipalité  d'Ostende 
s'est  évidemment  inspirée  de  cet  adage  en  accordant,  moyennant  1.360  francs 
par  an,  à  deux  imprésarios  italiens,  le  droit  exclusif  de  faire  jouer  de  l'orgue 
de  Barbarie  dans  les  rues  d'Ostende.  Il  faut  croire,  puisqu'il  y  a  eu  deman- 
deurs, que  le  monopole  n'est  pas  à  dédaigner,  malgré  la  rétribution  que  les 
concessionnaires  devront  donner  aux  «  musiciens  »  chargés  de  l'exploitation 
de  ce  nouveau  monopole. 

—  Un  jeune  élève  de  composition  du  Conservatoire  de  Lisbonne,  M.  José 
Henrique  dosSantos,  écrit  en  ce  moment,  sur  un  poème  de  M.  Alfredo  Pinto 
Sacavem,  la  musique  d'un  oratorio  intitulé  Jésus  et  la  Samaritaine.  Cet 
ouvrage  sera  exécuté  au  cours  de  la  prochaine  saison  d'hiver. 

—  Un  fait  assez  singulier  vient  de  se  produire  en  Amérique.  Les  journaux 
de  là-bas  nous  racontent  qu'un  certain  Samuel  Wood,  de  Long  Island,  avait 
laissé  en  mourant,  il  y  a  déjà  nombre  d'années,  une  somme  d'un  demi-mil- 
lion de  dollars  (deux  millions  500.000  francs),  pour  la  fondation  d'un  Institut 
de  musique.  Mais  le  testament  fut  attaqué  par  les  héritiers  directs,  et,  bien 
que  ceux-ci  aient  perdu  leur  procès,  l'afl'aire  dura  si  longtemps  et  les  frais 
furent  si  considérables  qu'ils  absorbèrent  la  plus   grande  partie   du  legs   et 

-  qu'aujourd'hui  il  ne  reste  plus  de  quoi  ell'ectuer  la  fondation  désirée  par  le 
testateur. 


LE  MENESTREL 


23S 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Ainsi  qu'il  est  d'usage,  l'Olpciet  a  publié,  cette  semaine,  une  petite  liste 
complémentaire  de  croix  données  par  le  ministère  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts  sur  laquelle  nous  relevons  les  noms  de  M.  Edmond  Du- 
vernoy,  professeur  de  chant  au  Conservatoire,  et  de  M.  Albert  Guillaume, 
le  charmant  dessinateur  dont  tout  le  monde  connaît  les  exquis  «Bonshommes  ». 

—  D'autre  part,  dans  les  nominations  faites  par  le  ministère  des  afïaires 
étrangères,  nous  relevons  celle  de  M.  Van  Waefelghem,  violoniste,  sujet 
belge,  qui  reçoit  la  croix  de  chevalier. 

—  A  l'Opéra  : 

Avant  son  départ  pour  Biarritz,  M.  Gailhard  a  renouvelé,  pour  deux  ans, 
l'engagement  du  fort  ténor  Affre.  Les  belles  madames  qui  fréquentent  notre 
Académie  de  musique  ne  se   tiennent  pas  de  joie. 

Mercredi,  M"'  B.  Mendès,  que  nous  connûmes  danseuse,  et  qui  se  révéla 
chanteuse  dans  la  partie  de  chant  que  M.  Massenet  avait  intercalée  dans  son 
ballet  de  Tliais,  a  chanté  très  gentiment  le  rôle  de  Siebel  dans  Faust. 

—  Avant  de  repartir  pour  Houlgate,  d'où  il  était  revenu  pour  assister  à  la 
distribution  des  prix  du  Conservatoire,  M.  Albert  Carré  a  arrêté  avec 
M.  Jusseaume  les  décors  du  prologue  et  du  l'^''  acte  de  la.' Grisélidis  de 
M.  Massenet:  la  «  lisière  d'une  forêt  »  et  1'  «oratoire  de  Grisélidis»,  dont  les 
maquettes  sont  d'un  effet  nouveau  et  tout  à  fait  joli.  Le  maître  décorateur 
travaille  en  ce  moment  à  celui  du  2»  acte. 

—  Au  Vaudeville  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  compte,  la  saison 
prochaine,  faire  les  doux  yeux  à  dame  opérette,  on  procède  déjà  à  l'installa- 
tion de  l'orchestre  qui  sera  nécessaire  pour  les  représentations  de  la  Première 
d'Hernani,  la  fantaisie  de  MM.  de  Fiers  et  Caillavet,  musique  de  M.  Terrasse. 

—  M.  Victor  Charpentier,  violoncelliste  à  l'Opéra,  frère  cadet  do  M.  Gus- 
tave Charpentier,  veut  faire  renaître  les  «  Grands  concerts  populaires  ».  A 
cet  effet,  M.  Victor  Charpentier  réunit  un  excellent  orchestre  de  90  musiciens 
avec  lequel  il  donnera,  de  novembre  à  avril,  de  grandes  auditions  sympho- 
niques,  à  prix  excessivement  réduits,  qui  auront  lieu  le  mardi  et  le  jeudi 
soir,  très  probablement  au  Cirque  Médrano  et  au  théâtre  du  Château-d'Eau. 
C'est  là  une  très  excellente  idée,  Paris  ne  possédant  aucun  concert  de  cette 
importance  le  soir.  Ajoutons  que  M.  Victor  Charpentier  compte  diviser  ses 
programmes  en  deux  parties,  la  première  étant  dirigée  par  lui,  la  seconde 
par  nos  compositeurs  en  vue. 

—  Nous  aurons,  paraît-il,  à  Paris,  au  printemps  prochain,  toute  la  troupe 
d'opérette  du  Carltheater  de  Vienne.  Cette  troupe,  formée  par  le  célèbre 
directeur  Jauner  et  dont  les  représentations  ont  lieu  depuis  deux  ans  en 
Russie,  sous  la  direction  de  M.  Vladimir  Schultz,  viendra  donner  une  série 
de  vingt  représenlations  consacrées  à  un  Strauss  Cycle.  L'ensemble  se  com- 
pose de  quatre-vingts  artistes,  ayant  à  leur  tète  'M.'^"  Betty  Stojan,  la  première 
chanteuse  d'opérette  de  langue  allemande,  MM.  Streitman  et  Steiuberger,  qui 
interpréteront  toutes  les  opérettes  si  renommées  de  Strauss  dans  leur  saveur 
originale.  Décors,  costumes  et  accessoires  les  accompagneront.  Le  traité  vient 
d'être  signé  entre  l'imprésario  J.  Schûrmann  et  M.  Vladimir  Schultz. 

—  La  Société  des  Artistes  dramatiques,  outre  ses  ressources  personnelles, 
possède,  comme  la  plupart  des  œuvres  de  bienfaisance,  un  certain  chiffre  de 
revenus  provenant  de  dons  personnels.  Voici  l'instructif  relevé  des  généreux 
fondateurs  de  prix,  pensions  et  rentes  annuels,  en  faveur  de  sociétaires 
malheureux  : 

1860  Pension  de  350  fr.  —  Fondateur  :  JI.  le  baron  de  Tréraont,  membre  de  l'Instilut. 
1862  Pension  de  200  fr.  —  Fondatrice  ;  31""  Cazot. 

1811  Prix  de  1.000  fr.  —  Fondateur  :  M.  Félix  Cellerier,  artiste  du  théâtre  du  Vaude- 
ville. 
1873  Fondation  de  500  fr.  —  Fondateur  :  M.  Cantin,  directeur  de  théâtre. 

1882  Fondation  de  360  fr.  —  Fondatrice  :  H""  Castellano,  suivant  le  vœu  de  feu  son 
mari,  artiste  et  directeur  de  théâtre. 

1883  Pension  de  300  fr.—  Fondatrice  ;  M"'  Surville,  suivant  le  vœu  de  son  mari,  artiste 
du  théâtre  de  la  Gaîté. 

1884  Pension  de  400  fr.  Fondatrice  :  M""'  Larochelle,  suivant  le  voeu  de  son  mari, 
artiste  et  directeur  de  théâtre. 

1884  Pension  de  311  fr.  —  Fondateur  :  M.  Delacroix,  dit  Lacroix,  artiste  du  théâtre  du 
Palais-Royal. 

1884  Rente  de  300  fr.  —  Fondatrice  :  M"°  Lemaire,  artiste  du  théâtre  de  l'Ambigu. 

1885  Fondation  de  1.200  fr.  —  Fondateur  :  M.  Garnier-Berthier,  artiste  du  théâtre  de 
l'Opéra. 

1888-1898  Fondations  de  50O  et  1.500  fr.  :  2.000  fr.  —  Fondateur  :  JVI.  Eugène  Ritt, 
directeur  de  théâtre. 

1892  Pension  de  191  fr.  —  Fondatrice  :  M""  J.-Baptiste  Deshayes,  vœu  de  son  mari, 
■  artiste  du  théâtre  de  la  Gaîté. 

1892  Fondation  de  300  fr.    —  Fondateur  :   JI.   de  Charnage,    avocat   à  la  Cour  de 


1893  Fondation  de  600  fr.  —  Fondatrice  :  M"'  Bellon,  artiste  chorégraphique. 

1894  Fondation  de  726  fr.  —  Fondatrice  ;  M"»  Champreux,  vœu  de  son  oncle  Geoffroy, 
artiste  des  théâtres  du  Gymnase  et  du  Palais-Royal., 

1894  Rente  de  261  fr.  —  Fondateur  :  M.  de  Plunkett,  directeur  de  théâtre. 
1897  Fondation  de  1.000  fr.  —  Fondatrice  :  M-"  Michaux-Château. 
1897  Pension  de  500  fr.  —  Fondateur  :  .\I.  Halanzier,  directeur  de  théâtre.- 
1899  Pension  de  314  fr.  —  Fondateur  :  .M.  Pellerin,  artiste  du  Palais-Royal. 
1899  Pension  de  314  fr.  —  Fondateur  :  JI.  Saint-Germain,  artiste  du  Vaudeiille. 


1899  Fondation  de  2.500  fr.  —  Fondatrice  ;  M-"  Arnould-Plessis,  artiste  de  la  Comédie- 
Française. 

1900  Fondation  de  600  fr.  —  Fondatrice  ;  M»«  veuve  Albert  Thiry. 

1900  Fondation  de  500  fr.  —  Fondateur  :  M.  Eugène  Bertrand,  directeur  de  théâtre. 

—  Pour  ne  pas  venir  d'Amérique,  la  nouvelle  que  voici  est  assez  extraor- 
dinaire pour  être  mise  délibérément  en  quarantaine.  Elle  nous  est  apportée 
par  un  petit  journal  de  Naples,  ÏArlecchino,  qui  n'y  va  pas  de  main  morte, 
car  il  annonce  simplement  connaître  une  personne  qui  possède  et  est  dis- 
posée à  céder  la  partition  autographe  (1)  et  authentique  (  !!j  d'un  opéra  en 
quatre  actes  de  Meyerbeer,  laquelle  partition  serait  non  seulement  entière- 
ment instrumentée,  mais  encore  accompagnée  de  tous  les  dessins  coloriés 
des  costumes  de  l'ouvrage  (!!1).  Ce  n'est  pas  tout.  L'authenticité  de  la  partition 
et  les  droits  de  son  possesseur  actuel  seraient  établis  par  des  documents  inat- 
taquables, parmi  lesquels  une  lettre  de  la  veuve  de  Meyerbeer  et...  un  certi- 
hcat  du  compositeur  Ponchielli,  dont  la  présence  en  cette  affaire  peut  exciter 
quelque  étonnement.  C'est  égal,  on  ne  s'ennuie  pas  à  Naples,  quand  on  a 
un  journal  à  remplir  1 

—  C'est  par  erreur  qu'on  a  annoncé  que  M.  Clément  Loret  avait  donné  sa 
démission  de  professeur  d'orgue  à  l'École  Niedermeyer.  L'e.xcellent  organiste 
nous  écrit  pour  nous  dire  qu'il  n'en  a  pas  la  moindre  intention. 

—  Décentralisation.  Les  directeurs  du  théâtre  des  Arts  de  Rouen  viennent 
de  recevoir,  pour  être  jouées  la  saison  prochaine,  deux  œuvres  inédites  :  la 
Fille  du  Calife,  opéra  en  deux  actes  de  M.  P.  Collin,  musique  de  M.  Lacheu- 
rié;  l'Idole  aux  yeux  verts,  ballet  en  2  actes  de  M.  R.  Lefebvre,  musique  de 
M.  Le  Borne.  La  triomphante  Louise  de  M.  Gustave  Charpentier,  qui  n'avait 
pas  été  jouée  à  Rouen,  fait  également  partie  du  programme  et  sera  montée 
dans  les  premiers  mois  de  l'exploitation. 

—  Le  «  Théâtre  du  Peuple  »  de  M.  Maurice  Pottecher,  à  Bussang,  annonce 
ses  représentations,  qui  seront  ainsi  composées:  le  15  août.  Poil  de  Carotte, 
joué  par  M.  Antoine  et  sa  troupe,  et  l'Héritage,  tragédie  rustique  en  prose  de 
M.  Pottecher  ;  le  2b  août,  première  représentation  de  C'est  le  vent,  comédie 
villageoise  en  3  actes  ;  le  l"  septembre,  représentation  gratuite  de  l'Héritage. 

—  De  Boulogne-sur-Mer  :  Samedi  dernier,  au  Casino,  très  belle  première 
représentation  de  la  Cendrillon  de  Massenet  qui  a  remporté  un  succès  presque 
sans  précédent  ici  ;  la  direction  n'a  pas  à  regretter  les  grands  frais  qu'elle  a 
faits  pour  monter  dignement  l'œuvre  du  maître  français.  Très  bonne  inter- 
prétation, avec,  en  tête,  M"'"^  Cholain  et  Marignan.  Orchestre  e.xcellent.  A  la 
seconde  représentation,  mardi,  on  a  dû  encore  refuser  plusieurs  centaines  de 
personnes. 

—  Le  tribunal  civil  de  Montpellier,  présidé  par  M.  Molière,  vient  de  rendre 
une  décision  intéressante  en  matière  d'accident  du  travail  et  d'application  de 
la  loi  du  9  avril  1898.  Un  machiniste  du  théâtre  municipal  de  Montpellier 
avait  eu  la  jambe  cassée,  au  cours  de  son  travail,  tandis  qu'il  hissait  à  l'aide 
d'une  corde,  iîxée  à  une  poulie,  un  décor  sur  la  scène  du  théâtre.  La  corde 
se  rompit,  la  chute  du  décor  lui  cassa  la  jambe.  Il  actionna  devant  le  tribunal 
civil  le  directeur  du  théâtre,  M.  Henri  Mirai,  par  application  de  la  loi  de 
1898.  M.  Mirai  avait  pris  soin  de  s'assurer  à  une  compagnie  et  son  assurance 
était  prévue  et  contractée  en  vertu  de  la  loi  du  9  avril  1898  sur  les  accidents 
du  travail.  Cependant  sa  Compagnie,  qui,  suivant  l'usage,  avait  pris  son  lieu 
et  place  au  procès  et  plaidait  sous  son  nom,  fit  soutenir,  devant  le  tribunal  de 
Montpellier,  que  la  profession  de  directeur  de  théâtre  ne  tombait  pas  sous 
l'application  de  la  loi  de  1898  et  n'était  pas  assujettie  à  ses  prescriptions, 
une  entreprise  théâtrale  étant  une  entreprise  commerciale  et  artistique, 
et  non  point  industrielle.  Le  tribunal  n'a  point  admis  cette  thèse.  Il  a 
reconnu,  au  contraire,  qu'il  fallait  faire  une  distinction  conforme  au  droit  et 
au  bon  sens  et  que,  si  la  profession  de  directeur  de  théâtre  n'est  pas  en  soi 
et  par  elle-même  soumise  à  l'application  de  la  loi  nouvelle,  il  est,  parmi  les 
employés  du  directeur,  des  salariés  qui  sont  des  ouvriers  manuels  proprement 
dits  ;  tels  les  machinistes.  Eu  conséquence,  le  tribunal,  en  conformité  de  la 
loi  de  1898,  a  condamné  le  directeur,  en  vertu  de  cette  loi,  à  payer  une  pen- 
sion au  machiniste  blessé. 

—  Le  théâtre  municipal  de  la  petrite  ville  de  Semur  vient  d'être  détruit  par 
un  incendie.  La  veille  du  sinistre,  une  troupe  parisienne  avait  joué  Don  César 
de  Buzun  et,  après  la  représentation,  avait  eu  lieu  un  bal  qui  avait  pris  lin  à 
deux  heures  du  matin,  sans  que  personne  ait  pu  remarquer  rien  d'anormal. 
Ce  n'est  qu'à  cinq  heures  du  matin  qu'on  aperçut  les  premières  fumées 
s'échapper  du  toit  qui  ne  tarda  pas  à  s'effondrer,  malgré  les  efforts  des  pom- 
piers. Le  théâtre  est  complètement  détruit,  ainsi  que  les  décors,  appartenant 
à  la  ville  et  estimés  30.000  francs.  Les  causes  du  sinistre  sont  inconnues. 

NÉCROLOGIE 

Une  des  personnalités  les  plus  répandues  de  la  société  parisienne,  le 
prince  Edmond  de  Polignac,  est  mort,  cette  semaine,  âgé  de  soixante-sept 
.ans,  dans  son  hôtel  de  la  rue  Gortambert.  Doué  de  réelles  dispositions  musi- 
cales, il  fut,  tout  jeune,  l'élève  de  Reber,  et  obtint,  avec  aes  compositions, 
des  succès  mondains  très  mérités. 

—  M.  Emile  Paladilhe,  l'auteur  de  Patrie,  vient  d'avoir  la  très  grande  dou- 
leur de  perdre  une  fillette  âgée  de  treize  ans.  On  sait  que  M.  Paladilhe  a 
épousé  M""  Desvallières,  petite-flUe  de  M.  Ernest  Legouvé. 


256 


LE  MÉNESTREL 


—  Un  deuil  cruel  vient  de  frapper  l'excellent  artiste  M.  Charles  René,  dont 
la  mère  est  morte  ces  jours  derniers.  Suivant  le  désir  exprimé  par  la  défunte, 
aucun  billet  de  faire  part  n'a  été  envoyé  à  cette  occasion  et  le  service  funèbre 
a  été  célébré  dans  la  plus  stricte  intimité,  le  lundi  29  juillet,  en  l'église 
Saint-Pierre  de  Neuilly. 

—  M"=  Marthe  Rigaldy,  de  son  vrai  nom  Rigaut,  vient  de  mourir  à  peine 
âgée  de  vingt-huit  ans.  Après  avoir  passé  par  l'Opéra-Comique,  il  y  a  environ 
quatre  ans,  elle  chanta  successivement  à  Lille,  Dijon  et  Montpellier,  où  elle 
obtint  des  succès. 

—  A  Moedling,  près  Vienne,  est  mort  à  l'âge  de  74  ans  le  compositeur 
Joseph  Kaulich.  Pendant  trente  ans,  de  1834  à  1883,  il  a  été  chef  de  la 
musique  de  scène  à  l'Opéra  impérial  devienne  et  en  même  temps  chef  de  la 
maîtrise  de  l'église  Saint-Léopold.  Il  a  aussi  été  directeur  d'une  prospère 
école  de  musique  qu'il  avait  fondée  il  y  a  quarante  ans.  Pirttîi;  ses-  nom- 
breuses compositions,  dont  les  danses  sont  même  célèbres,  plusieurs  mar-- 
ches  et  chansons  pour  chœurs  d'hommes  ont  obtenu  un  certain  succès  ;  il-a 
aussi  publié  plusieurs  messes  et  autres  compositions  liturgiques. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Librairie  A.  Picard  et  fils,  rue  Bonaparte,  8"2,  Paris,  ti'. 

Demandes  : 

BounGAULT-DucouDn.w.  Mvlodies  populaires  de  la  Bassr-Bretagiie.  1S7C. 

B.  D.  Clioix  chansons  poésies  wallonnes.  Liège.  18i4. 

CÉs.\R  Cm.  Musique  en  Russie.  Fischbacher.  1881. 

FuLGENCE.  Chants  populaires  dioerses  nations  avec  airs.  4  livr. 

Gbosjean.  Airs  des  A'oëts  lorrains.  Saint-Dié.  1862. 

Recueil  des  Noëls  patois  de  Besançon.  18S2. 

RiBAULT  DE  LANOAivDiÈnE.  A'oëls  nouveaiix.  Bourges.  18b7. 

Rolland.  Recueil  de  Chansons.  6  tomes.  1883. 

Salvador  Daniel.  Airs  of  Songs  Turtis  y  Algeria.  Richault. 

SowiNSKY.  Chants  polonais.  Paris.  1830. 


CHANTRES   bbris'.appoiiitéînènts' .'demandés  cathédrale  Lisieux. 
adresser.        ■  " '  '         '^ 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  ïivicune,  HEUGEL  ET  C,' éditeurs-propriclaircs. 

REYNALDO    HAHN 


I .  Sopra  l'acqua  indormenzada S 

II.  La  Barcheta S 

III.  L'ATcrtimento 5 

IV.  La  Biondina  in  Gondoleta 5 

V.  Che  Peca! S 

VI.  La  Primavera S 

Le  recueil  complet,  format  cavalier,  prix  net  :  5  francs. 


Paris,  AU  lUÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivieniie,  HEUGEL  ET  C'=,  Édilciirs-iiropriclaires. 

J.    KAULICH 

de   'S/ienne 


tos§  MwïB^n  ûu  ^mnuhm 


DANSES    CELEBRES 


,  Halte  sur  les  somraetB,  valses. 
.  A  l'Absente,  mazurka.    .    .    .    .    . 

,  Vol  de  colombes,  valses    .   .   .    . 

,'  Le  Train  de  plaisir,  valsi's.    .    , 
,  Le  Chant  de  la  caille,  polka.    . 

.  Le  Bouquet,  valses 

,■  Les  Fantoches,  ^'alop 

.  Coucher  de  soleil,  valses  .    .    .    . 

.  A  Lisette,  polka 

.  Au  Moulin  de  la  forêt,  valses  . 

.  Les  Célibatairea.  valses 

.  Candeur,  mazurka 

.  Les  Sportmen,  valses 


1G.  Bamboche,  polka  .   . 
n.  Paroles  dorées,  valse; 
la  file.  L'alop 


Le  Cœur  ■ 

Tirée  à  quatre  épingles,  valses    . 

Philippine-polka 

Sur  un  fil  télégraphique,  valses. 
*"     ■  le  gazon  vert,  mazurka   .    .   . 


Près  d'ËUe,  valses 

25.  L'Ingénue,  polka  ..._.... 

26.  La  Vie  militaire,  valses.    .    .    . 

27.  Béatitude,  valses 

28.  Caprice  d'artiste,  polka    .    .    . 

29.  Fleurs  de  givre,  valses.   .   .   . 

30.  Au  pas  gymnastique,  galop  . 


Le  recueil  complet,  format  iQ-8o,-avec  ua-fjortrak  de  l'aute-ur/prix  net  :  10  fr. 


En  vente,  AU   MENESTREL,  2  his,  rue  Vivienne,   HEUGEL  et  C'%  Éditeurs-Propriétaires. 


LES  PETITS  DANSEURS 

ColleclioD  de  Danses  célèlires  arraigées  et  doigtées  Ms  facilement  pour  les  petites  malDs 

PAR 

L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


1 .  STREABBOG. 
ii«.  STREABBOG. 

2.  FAUGIER.  . 
TROJELLI.  . 
TROJELLI.  . 
STREABBOG. 
FAUGIER  .  . 

—  7.  FAUGIER.  . 

—  g.  FAUGIER.  . 
_  9.  STREABBOG. 

—  10.  STREABBOG. 

—  11.  FAUGIER.  . 

—  12.  FAUGIER.  . 


N' 


—  3. 


—  6. 


Le  beau  Danube  bleu,  valse  (Johann  Strauss).  4 

La  même  à  4  mains 6 

Tout  à  la  joie  !  polka  (Ph.  Fahrbach) i 

Valse  du  Couronnement  (Strauss) -i 

Orpliée  aux  Enfers,  qaadriUe  (Offenbacb).    .    .  4 

La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss).  ...  4 

Pour  les  Bambins,  polka  (Ph.  Fahrbach)  ...  3 

Les  Ivresses,  valse  (S.  Pillevesse) 6 

La  Dame  de  cœur,  polka  (Ph.  Fahrbach)  ...  4 

Les  Feuilles  du  matin,  valse  (Johann  Strauss).  4 

Le  sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  ...  4 

Mam'zelle  Nitouche,  quadrille  (Hervé)  ....  4 

Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schindler)  .    .  4 


S[»'i  13. 

VALIQUET.  . 

—  14. 

TROJELLI.  . 

-  IS. 

VALIQUET.  . 

—  16. 

STREABBOG. 

—  17. 

VALIQUET.  . 

—  18. 

FAUGIER.  . 

—  19. 

STUTZ.  .  . 

-  20. 

STUTZ.  .  . 

—  21. 

GODARD  .  . 

—  22. 

GODARD  .  . 

-  23. 

VALIQUET.  . 

—  24. 

VALIQUET.  . 

-  25. 

TROJELLI.  . 

Le  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)   ...  o  » 

G/oi)-e  aux  da)nes/  mazurka  (Strobl) 3  n 

La  Journée  de  SI""  Lili,  valse.   .    .  " 3  » 

A  imer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss)  .  4  » 

Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 4  » 

Le  Verre  en  main,  polka   (ï'ahrbach) 4  » 

Les  Petites  Reines,  valse 3  » 

Les  Jeunes  Valseurs,  valse 3  » 

Bébé-Polka 2  50 

Bébé-Valse , 2  50 

Dans  mon  beau  château,  quadrille 4  » 

La  Journée  de  Af" '  Lili,  polka 3  a 

Les  Cancans,  galop  (Strauss) 3  » 


L'ALBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  de  BOUISSET,  prix  net:  #0  fr. 


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Dimanclie  18  AoiU  1901, 


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(Les  Bureaux,  2  "",  rue  Tivienue,  Paris,  u-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  HaméFo  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HuméFo  :  0  fF.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  i25e  arLicle),  Paul  d'Estrées.  — 
11.  Bulletin  théâtral  :  reprises  de  Prêle-moi  ta  femme!  et  de  Joies  du  foyer,  à  Cluny, 
P.-E.  C.  —  III.  Notes  d'ethnographie  musicale  :  la  Musique  dans  l'Inde  (2"  article), 
JuLiKN  TiEHSOT.  —  IV.  Petites  notes  sans  portée:  Une  reprise  qui  s'impose,  Raymond 
Bouyer.   —  V.  Nouvelles  divei-sen  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LA   FLUTE    ET   LE    LUTH 

de  K.  PÉRiLiiou.  —  Suivra  immédiatement  :  la  Fête  des  Vignerons,  de  Paul 
Wachs.  

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Seule I  valse  de  I.  Philipp,  d'après  Chopin,  paroles  de  Jules  Ruelle.  —  Suivra 
immédiatement  :  .1  une  Étoile,  nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de 
Alfred  de  Musset. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  pins  récents  et  fles  flocuments  inédits 

(Suite.) 


V 

Garât:  sa  fidélité  et  ses  épreuves  pendant  la.  Révolution.  —  Garât  «  traîneau 
piano  »  chez  le  directeur  Treilltard.  —  De  l'influence  des  explosifs  et  des  bons 
diners  sur  la  voix  d'un  ténor.  —  La  poésie  du  comte  Regnauld  de  Saint-Jeati- 
d'Angely.  —  Un  dîner  diplomatique  à  grand  orchestre.  —  Réclamations  de  Hum- 
boldt.  —  Le  Borysthène  à  Poitiers.  —  Elleviou  le  hussard  mauvais  sujet.  —  Une 
confidente  de  .M"^  Visconti.  —  Au  foyer  de  l'Opéra -Comique. 

Les  chanteurs,  à  cette  époque,  étaient  peut-être  encore  plus 
fêtés  que  les  instrumentistes. 

.  Garât,  à  qui  Piccinni  avait  dit  le  premier:  «  Toi  tou  es  la  mou- 
sique  I  »  Garât  justifiait  sous  tous  les  rapports  l'engouement  de 
ses  contemporains.  Outre  qu'il  chantait  et  disait  avec  une  voix 
et  une  science  incomparables,  il  avait  toujours  témoigné  d'une 
inaltérable  fidélité  à  la  plus  grande  des  infortunes  du  siècle. 
Dès  son  arrivée  à  Paris,  il  avait  dû  succès  et  faveurs  à  la  pro- 
tection de  Marie-Antoinette,  et  il  s'en  était  toujours  souvenu 
pendant  les  heures  les  plus  sombres  de  la  Révolution. 

M"""  de  Chastenay  rappelle  divers  épisodes  du  séjour  de  Garât 
en  Normandie  pendant  la  Terreur.  Après  l'exécution  de  LouisXVI, 
le  chanteur  s'était  réfugié  à  Rouen  avec  le  cor  Punto  et  Rode. 
Celui-ci  avait  même  dû  partir  aux  frontières  en  qualité  de  cla- 


rinette et  n'avait  pu  obtenir  son  congé  définitif  que  par  l'inter- 
vention d'un  conventionnel.  Garât  était  parvenu  à  donner  des 
leçons  à  Rouen;  il  avait  déjà  trois  écolières  qui  chantaient  avec 
lui,  quand  il  fut  incarcéré.  Il  ne  sortit  de  prison  que  pour  être 
interné  à  Saint-Iiô,  dont  il  fit  les  délices. 

Aussi,  sous  le  Directoire,  Garât  fut-il  plus  que  jamais  le  ténor 
préféré  des  salons  et  la  coqueluche  des  dames  de  tous  les  mondes. 
Cette  vogue  inouïe  l'avait  rendu  le  plus  fat  des  hommes  et  le 
plus  capricieux  des  chanteurs. 

M'""  de  Chastenay  en  fit  l'expérience  dans  un  dîner,  auquel 
l'avait  conviée  le  directeur  Treilhard.  Garât  l'administrateur, 
qui  était  au  nombre  des  invités,  n'avait  cessé  d'affirmer  que  son 
neveu  viendrait,  et  celui-ci  n'apparaissait  pas. 

En  attendant,  le  compositeur  Martini,  qui  donnait  des  leçons 
à  M"'"  Treilhard,  se  mit  au  piano  ;  et  Lays  et  Chéron  chantèrent 
des  morceaux  traduits  d'Ossian  et  arrangés  pour  eux  par  le  musi- 
cien Fontenelle. 

Garât  n'arriva  qu'après  le  premier  service  ;  il  prétendit  s'être 
perdu  dans  le  quartier.  Il  parcourut  la  table  d'un  rapide  coup 
d'œil,  comme  pour  y  chercher  des  personnes  de  connaissance. 
Il  salua  d'une  légère  inclinaison  de  tête  M"'  de  Chastenay  qu'il 
avait  déjà  rencontrée  dans  divers  salons;  mais  sa  figure  sou- 
cieuse ne  s'éclaira  d'une  lueur  de  satisfaction  qu'à  la  vue  du 
vieux  Piccinni.  Il  avait  l'air  cependant  las  et  ennuyé.  Il  fallut  en 
quelque  sorte  «  le  traîner  au  piano  ».  Sa  maussaderie  se  dissipa 
aux  premières  notes;  il  chanta  divinement;  et  en  même  temps 
que  le  morceau  se  développait,  Garât  «  s'électrisait  »  au  son  de 
sa  propre  voix.  Ce  fut  alors  une  pure  merveille,  et  M"'  de  Chas- 
tenay, désagréablement  impressionnée  dès  le  début,  compta  cette 
soirée  parmi  les  meilleures  de  sa  vie  mondaine.  Elle  n'en  rend 
pas  moins  justice  aux  autres  artistes,  à  Chéron  par  exemple, 
qu'elle  revit  chez  le  ministre  des  finances  Ramel,  et  qu'elle 
entendit  chanter  un  duo  de  l'OEdipe  de  Sacchini  avec  la  jeune 
femme  d'un  banquier,  M""  Roch,  une  Antigone  exquise  et  tou- 
chante, comme  elle  n'en  connut  jamais  au  théâtre. 

Garât,  accusé  d'avoir  manifesté...  musicalement  pour  le 
général  Moreau,  fut  quelque  peu  taquiné  par  le  gouvernement 
impérial.  Déjà,  quatre  années  auparavant,  le  Premier  Consul 
avait  été  pour  notre  artiste  la  cause,  bien  innocente  il  est  vrai, 
d'un  accident  physiologique  qui  aurait  pu  briser  tout  net  la 
carrière  du  chanteur.  Garât  était  engagé  à  l'Opéra  pour  l'audition 
de  la  Création  d'Haydn,  arrangée  par  Steibelt  et  Ségur,  le  jour  où 
la  machine  infernale  de  la  rue  Saint-Nicaise  éclata  sur  le  pas- 
sage de  Bonaparte  qui  se  rendait  au  théâtre.  Norvins,  un  des 
témoins  de  cette  soirée  historique,  constata  que  la  voi.x  de  Garât 
en  fut  altérée  pendant  toute  la  durée  de  la  représentation, 
«  trouble  »  qui  d'ailleurs  persista  plusieurs  jours. 

Norvins  rencontra  encore,  chez  M""^  Gay,  Garât  avec  d'Alvimare 
et  Frédéric. 


258 


LE  MÉNESTREL 


Thiébault  le  vit  souvent  chez  ^1"°=  Regnauid  de  Saint-Jean-d'An- 
gely,  dont  Garât  aimait  et  prisait  la  voix.  Mais,  malgré  qu'il  y 
fréquentât  volontiers,  il  déconcertait  toujours  par  ses  caprices 
l'aimable  accueil  de  la  maîtresse  de  la  maison.  Dn  jour  que  cette 
jolie  femme  le  priait  de  chanter,  Garât  lui  répondit  de  son  air 
sufBsant  : 

—  Impossible,  je  viens  de  faire  un  diner  de  godailleurs  et  je 
n'en  puis  plus. 

A  force  de  supplications,  il  finit  par  se  décider;  et  sa  voix  ne 
se  ressentit  guère  d'un  surmenage  qu'il  n'avait  peut-être  ima- 
giné que  pour  se  mieux  faire  applaudir. 

Le  8  avril  1813,  nous  dit  le  maréchal  de  Castellane,  Garât 
chantait,  avec  quatre  de  ses  élèves,  chez  M'""  Regnauid  de  Saint- 
Jean-d'Angely,  des  couplets  écrits  pour  la  fête  de  cette  dame  ; 
et  l'un  d'eux,  —  œuvre  du  maril  —  était  ainsi  conçu  : 

Pour  celui  que  la  destinée 
Dota  des  trésors  de  ton  cœur, 
La  tâche  qu'il  s'est  imposée 
Est  de  veiller  à  ton  bonheur. 
Heureux,  si,  pour  y  satisfaire. 
Tant  qu'un  souffle  doit  t'animer, 
Il  est  aussi  sûr  de  te  plaire 
Que  de  t'aimer! 

Adhuc  sub  judice  lis  est. 

Si  Garât  était  l'hôte  assidu  des  salons  du  Consulat  et  de 
l'Empire,  c'est  qu'il  y  trouvait  un  accueil  empressé  et  courtois, 
digne  de  son  talent  et  de  son  mérite  ;  car,  malgré  que  toute  son 
affection  fût  acquise  à  l'ancien  régime  qui  avait  préparé  sa  gloire, 
il  témoignait  d'une  certaine  sympathie  pour  le  nouveau,  qui 
donnait  libre  accès  à  l'art  dans  tous  les  rangs  de  la  société.  Et 
cependant,  voyez  les  petites  faiblesses  de  la  nature  humaine. 
Garât  admettait  dans  le  monde  des  comédiens  des  distinctions 
qui  sentaient  terriblement  son  aristocrate,  comme  le  laisse 
entendre  le  carnet  du  danseur  Despréaux,  retrouvé  par  M.  Albert- 
Firmin-Didot  (1). 

Le  mari  de  la  Guimard  avait  été  chargé  d'organiser  la  fête, 
donnée  le  27  novembre  1801,  à  Morfontaine,  chez  Lucien  Bona- 
parte, pour  célébrer  les  préliminaires  de  la  paix  signée  entre  la 
France  et  les  États-Unis.  Garât,  un  des  solistes  du  concert 
annoncé  sur  le  programme,  avait  été  placé  avec  les  autres  exé- 
cutants, à  la  seconde  table,  où  figuraient  déjà  des  militaires  et 
des  magistrats,  français  et  étrangers.  Or,  le  chanteur,  «  quoique 
professant  très  haut  l'égalité  »,  écrit  malicieusement  Despréaux, 
refusa  de  s'asseoir  à  cette  seconde  table  ;  il  voulait  être  convié  à 
la  première. 

Ses  camarades  ne  se  résignèrent  pas  à  une  telle  abstention  : 
ils  prirent  joyeusement  leur  part  du  festin,  pendant  qu'un 
orchestre  d'instruments  à  vent  jouait  le  Ça  ira,  singulière  mu- 
sique de  circonstance.  Mais  les  chanteurs  se  rappelèrent  les  prin- 
cipes de  Garât,  lorsque,  au  dessert,  Despréaux  les  pria  de  monter 
sur  l'estrade  pour  le  concert;  «  en  vertu  de  l'égalité  »,  ils  pré- 
tendirent «  digérer  »  tranquillement  leur  diner,  comme  les 
autres  convives  restés  à  table.  Ils  ne  se  décidèrent  à  en  sortir 
cp' après  le  café,  les  liqueurs  et  les  glaces.  Aussi  «  la  Comédie- 
Française  ne  joua-t-elle  qu'à  minuit  ». 

La  Restauration  donna  enfin  à  Garât  la  situation  officielle  qu'il 
était  digne  d'occuper.  Car,  bien  qu'il  n'eût  pas  sur  son  art  des 
connaissances  techniques  très  approfondies,  il  avait  une  telle 
intuition  de  la  musique  qu'il  en  raisonnait  avec  justesse  et  qu'il 
composait  même  avec  agrément.  Pendant  ses  voyages  dans  le 
Midi,  il  avait  recueilli  des  notes  sur  les  Basques  ses  compatriotes, 
notes  qu'il  dut  réunir  en  un  volume  ;  car  le  savant  Guillaume 
Humboldt  le  réclamait  instamment  à  son  correspondant  Schweig- 
hausen  (2).  11  priait  donc  celui-ci  d'aller  voir  tout  à  la  fois 
Oarat  et  «  une  certaine  dame  basquaise  »  (sans  doute  sa  future 
femme,  M"'  Duchamp)  pour  leur  réclamer  les  chants  populaires 
du  pays  avec  «  la  musique  que  Garât  lui  a  toujours  promise  sans 
lui  tenir  parole  ».  Notre  ténor  n'était  pas  Gascon  pour  rien. 


(1)  A.  FiBMiN-DiDOT.  —  Souvenirs  de  J.-Et.  Despréaux  :  Issoudun,  189V 

(2)  GuiLLAUsiE  DE  HuMBOLDT.  —  Lettres  à  Schweighausen,  publiés  par  Laquiante. 


Paul  de  Kock  le  vit  pour  la  première  fois  en  1818  (1),  alors 
qu'il  faisait  répéter  au  Théâtre  Feydeau  sa  pièce  de  début.  Garât, 
qui  avait  dépassé  la  cinquantaine,  avait  encore  des  prétentions 
d'incroyable  :  le  sourire  sur  les  lèvres,  il  grasseyait  à  tout  propos, 
mais  son  rire  rappelait  le  grincement  d'une  porte  dont  les  gonds 
n'ont  pas  été  huilés  depuis  longtemps.  Son  élève,  M'""  Boulanger, 
phrasant  mal,  au  gré  du  professeur,  un  couplet  de  la  pièce,  la 
Nuit  au  château,  Garât  le  chanta  à  son  tour  et  Paul  de  Kock  resta 
émerveillé  du  sentiment  qu'y  mettait  le  vieux  chanteur. 

La  comtesse  Dash  note,  dans  ses  Mémoires,  la  tournée  que 
Garât  fit  en  province,  et  principalement  à  Poitiers  pendant  la 
Restauration.  Il  donnait  ses  concerts  soit  à  YOlymiie,  soit  aux 
Jacobins,  «  deux  affreuses  salles  »  de  la  ville.  Il  était  accompagné 
de  Lavigne,  un  singulier  acteur.  Ce  ténor,  célèbre  par  «  un  ré 
superbe  »,  avait  débuté  à  l'Opéra  en  1809,  puis  il  avait  couru  la 
province  pour  rentrer  en  1819  à  l'Académie  royale  de  musique 
qu'il  abandonna  de  nouveau.  C'était  un  protégé  de  la  reine  ■ 
Hortense  qui  avait  l'àme  essentiellement  royaliste.  Quand  il  vint 
à  Poitiers  avec  Garât,  il  chanta  :  Charmante  Gabrielle.  Mais  la 
salle  voulut  entendre  le  Borysthène,  des  couplets  sur  la  Grande 
Armée. 

—  Bo-rys-thène  !  fit  Lavigne,  en  appuyant  sur  chaque  syllabe, 
connais  pas. 

Une  tempête  de  sifflets  le  releva  du  péché  d'ignorance  :  il 
fallut  que  la  police  vint  disperser  les  spectateurs.  Garât  était 
resté  prudemment  dans  les  coulisses. 

Si  Garât  était  ténor  de  salon,  Elleviou  était  ténor  de  théâtre. 
Ce  fut  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique  qu'il  remporta  toutes  ses 
victoires.  11  avait  fait  oublier  Clairval,  son  chef  d'emploi  ;  il  fut, 
comme  lui,  le  bourreau  des  cœurs.  Castellane,  qui  le  vit  en  1812 
dans  Trente  et  Quarante,  le  proclame  «  le  plus  agréable  housard 
mauvais  sujet  qu'on  pût  rencontrer  ».  Il  jouait  le  même  rôle  à 
la  ville.  Boussingault  raconte  dans  ses  Mémoires  (2)  qu'EUeviou 
s'introduisit,  sous  le  déguisement  d'un  rétameur  de  casseroles, 
chez  un  maître  de  forges  de  la  Haute-Loire,  pour  lui  enlever  sa 
femme.  Est-ce  assez  opéra-comique?  Par  contre,  la  fin  du  roman 
fut  quelque  peu  prosaïque.  Boussingault  assure  qu'une  fois  le 
divorce  prononcé  en  faveur  du  mari,  Elleviou  épousa  la  femme. 
Le  baron  de  Trémont,  l'ami  perpétuel  des  artistes,  affirme  de 
son  côté  que  l'irrésistible  ténor  se  maria,  en  1800,  avec  M""^  Jars 
qui  l'adorait  et  qui  bientôt  ne  fut  plus  à  compter  les  infidélités 
de  son  galant  époux. 

Un  jour  que  le  général  Thiébaut  était  honoré  des  confidences 
de  M°"'  Visconti,  l'indigne  maîtresse  de  Berthier,  cette  belle  per- 
sonne, dont  la  bêtise  était  proverbiale,  énumérant  ses  bonnes 
fortunes  à  son  interlocuteur,  terminait  sur  cet  aveu  :  «  Elleviou 
était  charmant,  j'en  ai  eu  la  fantaisie,  mais  il  avait  un  drôle  de 
goût...  »  N'insistons  pas. 

Elleviou  était  non  seulement  un  artiste  hors  pair,  mais  encore 
un  homme  d'esprit,  «  un  causeur  aussi  agréable  que  Garât  »j 
déclare  Paul  de  Kock,  qui  aimait  à  se  rencontrer  au  foyer  de 
l'Opéra-Comique  avec  les  deux  chanteurs,  dont  la  conversation, 
s'inspirant  de  leur  haine  commune  contre  les  terroristes,  évo- 
quait volontiers  les  souvenirs  révolutionnaires.  Mais  dès  qu'ap- 
paraissait l'auteur  Hoffmann,  tous  deux  se  taisaient  :  «  il  n'y  en 
a  plus  que  pour  lui  »,  grommelait  Garât;  et,  de  fait,  Hoffmann, 
malicieux  jusqu'à  emporter  le  morceau,  défilait  le  chapelet  de 
ses  épigrammes,  ânonnant  et  bégayant  «  pour  se  donner  le 
temps  de  remâcher  ses  impertinences  »  disait  l'excellent  Picard. 

On  sait  qu'EUeviou  prit  sa  retraite,  parce  que  l'administration 
de  l'Opéra-Comique  ne  voulut  pas  porter  à  cent  vingt  mille  francs 
les  appointements  annuels  du  chanteur  qui  étaient  de  quatre-vingt- 
quatre  mille.  Dès  qu'il  eût  quitté  le  théâtre,  Elleviou  défendit  qu'on 
lui  rappelât  jamais  la  suite  ininterrompue  de  ses  succès:  car  il 
aimait  encore  passionnément  la  musique  ;  mais  il  ne  voulut  plus 
chanter  que  dans  la  plus  stricte  intimité . 

Retiré  dans  sa  propriété  des  Roncières,  près  de  Tarare,  il  ne 
retourna  plus  à  Paris  que  de  loin  en  loin  «  et  pour  entendre  la 

(1)  Paul  de. Kock.  —  Mémoires;  Dentu,  1873. 

(2)  Boussingault.  —  Mémoires;  Chamerot  et  Renouard,  1892. 


LE  MÉNESTREL 


259 


musique  d'Auber  »,  affirme  le  baron  de  ïrémont.  Elleviou  aspi- 
rait aux  honneurs  :  maire  de  sa  commune  et  membre  du  conseil 
général,  il  brigua  la  députation.  Mais  il  en  revenait  toujours  à 
la  Muse  qui  avait  fait  le  bonheur  et  la  gloire  de  sa  vie.  Il  écri- 
vait, en  1834,  à  un  de  ses  amis,  le  châtelain  de  Civrieux  :  «  On 
m'appelle  pour  un  whist;  et  quoique  je  l'aime  beaucoup,  j'aime 
encore  mieux  qu'on  m'appelle  pour  entendre  de  la  musique 
chantée  par  vous  et  par  Madame  » . 

Naturellement  bon  et  généreux,  l'ancien  ténor  de  l'Opéra- 
Comique  était  resté  en  relations  suivies  avec  ses  camarades  de 
théâtre.  Martin,  qui  avait  partagé  ses  triomphes  à  la  salle  Favart, 
était  malade  à  Genève  :  Elleviou  l'emmena  aux  Roncières  ;  et  le 
Frontin  des  Visitandines  y  mourut  en  1837,  les  yeux  fermés  par 
une  main  amie. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Théâtre  Clony.   Prête-moi  ta  femme!  comédie  en  2  actes,   de  M.   Maurice 
Desvallières  ;  Les  Joies  du  Foyer,  pièce  en  3  actes,  de  M.  Maurice  Hennequin. 

Cluny  qui  est,  avec  les  Nouveautés,  la  Gaîté  et  l'Ambigu,  parmi  les 
■  quatre  théâtres  très  braves  qui,  n'y  étant  pas  tenus  par  leur  cahier  des 
charges  comme  l'Opéra  et  la  Comédie-Française,  ont  osé  affronter  .l'été 
sans  fermer  leurs  portes,  ce  dont  les  Parisiens  condamnés  à  la  morne 
capitale  du  mois  d'août  devraient  leur  savoir  gré,  Cluny,  continuant 
ses  emprunts  au  répertoire  heureux  du  Palais-Royal,  vient  de  monter 
Préte-moi  ta  femme!  de  M.  Maurice  Desvallières.  le  tout  récent  décoré, 
et  les  Joies  du  Foyer,  de  M.  Maurice  Hennequin,  composant  ainsi  un 
spectacle  très  divertissant  bien  fait,  alors  que  la  température  se  montre 
plus  clémente,  pour  lui  ramener  une  partie  du  public  égaré,  faute  de 
mieux  souvent,  dans  nos  vraiment  trop  insipides  cafés-concerts. 

On  a  ri  dans  la  petite  salle  du  boulevard  Saint-Michel  et  ri  de  très 
bon  cœur  aux  deux  amusantes  fantaisies  de  MM.  Maurice  Desvallières 
et  Maurice  Hennequin.  qui  sont  jouées  de  fort  bon  ensemble,  surtout 
celle  de  M.  Hennequin,  Prêle-moi  ta  /ejîWîîe.' mettant  en  vedette  M.  MuE- 
fat,  et  les  Joies  du  Foyer  donnant  à  M.  Gaillard  et  à  M""=  Cuinet  l'occa- 
sion d'être  fort  drôles.  Un  nouveau  venu  à  Cluny,  M.  Villaret,  a  prouvé 
qu'il  avait  «  des  planches  ».  P.-E.  C. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


LA  MUSIQUE  DANS  L'INDE 
(Suite.) 

Laissons  donc  de  côté  la  musique  antique,  et  tenons-nous  en  aux  ren- 
seignements sur  l'état  de  la  musique  dans  l'Inde  moderne  que  nous 
tenons  soit  des  voyageurs  européens,  soit  des  indigènes  venus  dans 
notre  pays  pour  s'exhiber  à  la  curiosité  publique,  soit  encore  — ■  et  ce 
seront  nos  meilleures  sources  —  aux  savants  spéciaux;  européens  ou 
asiatiques,  qui  ont  étudié  la  question  sur  place. 

Parmi  ces  derniers,  l'un  des  plus  autorisés  est  le  Ràja  Comm.  Sourin- 
dro  Mohun  Tagore,  Docteur  en  musique,  qui,  depuis  plus  de  trente 
ans,  a  employé  la  meilleure  partie  de  son  activité  à  étudier  la  musique 
de  son  pays  et  à  la  faire  connaître  au  dehors.  Nombreux  sont  les  ouvra- 
ges qu'il  a  publiés  (pour  la  plupart  imprimés  à  Calcutta)  en  Anglais,  en 
Bengali  et  en  Sanscrit.  L'on  voudra  bien  nous  excuser  si  nous  ne  tirons 
pas  de  ceux  de  ces  dernières  catégories  les  conclusions  que  nous 
ne  doutons  pas  qu'ils  comportent  ;  mais  les  livres  écrits  en  anglais  nous 
sont  plus  accessibles,  d'autant  mieux  que  la  plupart  renferment  des 
notations  musicales  (1). 

(1)11  n'est  peut-être  point  nécessaire  que  nous  reproduisions  ici  tousles  tilres  lionoriliques 
du  Râja  Comm.  Sourindro  Moliun  Tagore,  qui  ne  tiennent  pas  moins  de  vingt-cinq  lignes, 
accompagnés  de  nombreux  etc.,  sur  la  couyerture  de  ses  principaux  ouvrages.  Nous  croyons 
mieux  faire  en  donnant  de  préférence  les  noms  de  quelques-uns  de  ses  livres  les  plus  im- 
portants : 

Six  principal  Ragas  wilh  a  Brief  View  of  Bindu  Mmic,   2"  édition,  Calcutta,  1877. 

Bindu  Music  frmn  varions  Anthors,  en  deux  parties,  Calcutta,  1875,  2"  édition,  1882. 
Cet  important  ouvrage  donne  la  réimpression  des  premiers  écrits  des  européens  sur  la 
musique  hindoue  (WiUard,  .lones,  Paterson,  etc.,  cités  par  Fétis)  et  quelques  autres  plus 
récents,  avec  quelques  notations  musicales  et  ligures  d'instruments. 

A  Few  Spécimens  of  Indian  Sonr/s,  Calcutta,  1879,  contenant  la  notation  de  trente  et  un 
airs  ou  Ragas,  avec  explications  sur  le  genre  de  chacun. 

The  Musical  Seales  of  Ihe  Eindus,  Calcutta  1884.  Explication,  par  la  pratique,  dos  diver- 


Nous  aurons  le  regret  de  ne  pouvoir  pas  faire  usage  des  études  du 
Râja  Râm  Dàs  Sen,  écrites  en  bengali. 

Mais  nous  trouverons  notre  guide  le  plus  pratique  en  la  personne  du 
capitaine  Day,  dont  le  livre  sur  la  musique  dans  l'Inde  méridionale, 
imprimé  à  Londres  en  ISQl,  a  été  cité  dans  une  des  précédentes  notes. 
Nous  préférons  le  suivre  plutôt  même  que  le  savant  Ràja,  d'une  part 
parce  que,  venu  après  lui,  il  a  pu  profiter  de  ses  lumières  fil  le  cite  fré- 
quemment), ensuite  parce  que,  dans  les  écrits  de  ce  dernier,  il  est  bien 
des  parties  dont  le  sens  musical  reste  vague  pour  nous.  Nous  y  relevons 
en  effet,  à  côté  de  subtilités  qui  auraient  besoin  de  nous  être  mieux 
expliquées,  des  indécisions  de  notation  qui  nous  empochent  de  nous 
rendre  compte  exactement  des  formes  musicales,  surtout  au  point  de  vue 
des  rythmes,  trop  souvent  figurés  de  façon  insuffisante  ou  arbitraire. 
Les  notations  du  capitaine  Day  donnent  mieux  l'impression  de  lacliose 
entendue.  L'ensemble  du  livre  est  clair  et  méthodique,  l'auteur  ne 
prétendant  à  rien  autre  qu'à  rapporter  ce  qu'il  a  vu,  connu  et  étudié. 
Nous  allons  en  donner  un  bref  résumé. 

Dès  son  premier  chapitre,  il  pose  en  principe  que  la  musique  dans 
l'Inde  s'est  grandement  modifiée  au  cours  des  temps,  et  qu'elle  a  perdu 
depuis  longtemps  sa  pureté  primitive.  Sa  décadence,  assure-t-il,  a  com- 
mencé au  temps  des  invasions  des  Mahométans;  et  il  ne  cèle  rien  des 
difficultés  qu'il  y  a  pour  les  chercheurs  modernes  â  retrouver  les  traces 
des  anciennes  traditions. 

Considérant  les  quelques  rares  documents  sauvés  du  naufrage,  il 
étudie  les  anciennes  gammes,  les  échelles  modales,  et  expose  la  théorie 
des  s'rutis  ou  quai'ts  de  ton  approximatifs  (au  nombre  de  22  daus 
l'octave).  Il  s'empresse  d'ajouter  à  ces  observations  la  déclaration 
suivante  : 

«  La  division  de  l'octave  en  vingt-deux  parties  ou  s'rutis  n'existe  pas    ■ 
dans  la  pratique.  » 

Il  affirme  en  effet  que  la  gamme  hindoue,  comme  toutes  les  gammes 
du  monde, — la  gamme,  —  se  compose  de  sept  degrés,  dont  deux,  àsavoir 
le  degré  fondamental  et  sa  quinte,  sont  immuables,  tandis  que  les 
autres  sont  susceptibles  de  subir  plus  ou  moins  d'altérations  :  principe 
qui  n'a  rien  que  de  parfaitement  conforme  avec  ce  que  nous  avons  pu 
olîserver  partout  ailleurs.  Les  modes,  assez  compliqués,  diffèrent  suivant 
la  distribution  de  ces  altérations  dans  la  gamme  :  le  livre  (p.  32  à  35 
ipclus)  en  donne  un  tableau  complet,  divisé  en  douze  groupes  de  six, 
au  total  72  modes,  —  calculs  de  mathématiciens,  casse  tète  phinois  (ou 
hindous)  sans  intérêt  dans  la  pratique  de  l'art  musical,  —  desquels  res- 
sort d'ailleurs  l'observation,  toujours  renouvelée,  que,-dans  ces  soixante- 
douze  combinaisons,  la  fondamentale  et  sa  quinte  restent  intangibles. 
Arrivant  â  l'examen  des  productions  musicales  en  usage  sur  le  terri- 
toire de  l'Inde  et  paraissant  appartenir  en  propre  aux  indigènes,  il  défi- 
nit d'abord  les  Ragas,  qui  ne  sont  autre  chose  que  des  mélodies  types. 
Certains  auteurs,  par  une  confusion  assez  fréquente  en  cet  ordre  d'idées, 
ont  confondu  ces  types  mélodiques  avec  les  modes  ou  échelles  musicales  : 
mais  le  mot  «  mode  »  n'a  pas  plus  ici  un  sens  tonal  qu'il  ne  l'a  dans 
certains  écrits  du  moyen  âge,  ou,  pour  préciser,  dans  le  répertoire 
musical  des  Meistersinger,  où  les  «  modes  »  étaient  tout  simplement  des 
«  airs  connus  ». 

La  musique  hindoue  est  purement  mélodique,  et  ne  connaît  pas 
l'harmonie  (p.  S7).  La  vina,  qui  accompagne  habituellement  la  voix, 
ne  fait  que  doubler  le  chant  (p.  61).  A  en  juger  par  les  nombreux  et 
souvent  très  intéressants  textes  musicaux  notés  dans  les  derniers  chapitres 
du  livre,  aussi  bien  que  dans  les  écrits  du  Râja  S.  M.  Tagore,  les 
mélodies  sont  constrtiites  sur  des  échelles  strictement  diatoniques.  Loin 
d'employer  le  quart  de  ton,  elles  sont  parfois  basées  sur  l'échelle  incom- 
plète de  cinq  notes  à  l'octave  usitée  dans  l'Extrême-Orient  :  nous  en 
donnerons  plus  loin  quelques  exemples,  renvoyant  pour  le  moment  aux 
pp .  68  et  69  du  capitaine  Day.  Les  rythmes,  dit  l'auteur,  sont  générale- 
ment très  marqués;  mais,  ajoute-t-il,  ils  sont  fréquemment  irrèguliers. 
Il  suffit  en  effet  de  lire  ces  notations  pour  se  rendre  compte  de  la  liberté 
presque  psalmodique  de  certains  développements,  liberté  qui  rend  le 
plus  souvent  plus  qu'inutile  l'emploi  des  barres  de  mosm'e.  Enfin 
l'étendue  de  Vambitus  mélodique  est  généralement  considérable,  étant 
donnés  le  caractère  assez  primitif  des  chants  et  le  peu  de  développement 


ses  combinaisons  modales  de  la  musique  hindoue,  avec  illusiralion^,  c'est-à-dire  notation 
de  mélodies  appartenant  à  ces  divers  modes. 

Tlie  twenty-two  musical  Slrulis  of  Ihe  Bindus,  Calcutta,  1886.  Résumé  de  la  théorie  de 
la  division  du  ton  enseignée  par  les  anciennes  écoles  musicales  de  ITnde. 

Divers  écrits  sur  les  instruments  de  musique  des  Hindous,  notamment  un  catalogue  de 
la  collection  d'instruments  dont  le  RSja  Sourindro  iJIoliun  Tagore  a  fait  don,  en  1889,  au 
Président  de  la  Képublique  française. 

Un  autre  don,  non  moins  important,  avait  été  fait  précédemment  par  lui  au  Musée  du 
Conservatoire  de  Paris  :  les  instruments  qui  le  composent  sont  cotés  et  décrits  dans  le 
catalogue  du  Musée  du  Conservatoire  de  musique,  de  Gustave  Chouquet,  1884. 


260 


LE  MÉNESTREL 


des  voix  des  chanteurs  hindous. Le  capitaine  Day  insiste  sur  leurs  défauts 
d'émission,  dit  que  les  voix  sont  généralement  grêles  et  manquent  de 
volume,  ce  qui  résulte  de  leur  méthode,  par  laquelle  un  sou  n'est 
jamais  franchement  posé,  mais  modifié  incessamment  par  des  inflexions 
diverses.  Les  chanteurs  aiment  à  faire  usage  du  fausset  artiliciel,  dont 
ils  marquent  les  changements  de  timbre  par  des  grimaces  qu'ils  jugent 
fort  expressives.  Enfin  leur  chant  est  surchargé  d'un  luxe  d'ornements 
tel  que  souvent  la  ligne  mélodique  primitive  et  les  paroles  elles-mêmes 
en  sont  complètement  recouverte;  (pp.  60  et  suiv.). 

Les  formes  musicales  sont  soumises  à  certaines  règles  dont  la  prin- 
cipale consiste  en  une  division  par  périodes  fixes  avec  reprises  obligées. 
La  période  principale  est  une  sorte  de  refrain,  exposé  au  début  même 
du  morceau,  et  portant  le  nom  de  Pallen.  Une  période  complémentaire 
VAnupallevi,  lui  succède,  et  s'enchaine  elle-même  avec  une  reprise  du 
Palleri'.  Puis  commencent  les  Stanzas.  de  forme  plus  ou  moins  libre, 
mais  toujours  terminées  par  une  reprise  du  Pallevi  :  elles  sont  généra- 
lement assez  nombreuses,  toutes  différentes  les  unes  des  autres.  La 


forme  rythmique  et  mélodique  du  Pallevi  et  de  l'Aintpallevi  est  généra- 
lement mieux  définie  que  celle  des  Stansas,  dont  leldéveloppement  est 
souvent  irréjulier  et  dont  le  chant  est  surchargé  de  roulades  :  tel  est 
le  cas  presque  toujours  pour  les  Ragns  chantées  en  solo,  qui,  à  certains 
moments,  semblent  être  tout  à  fait  sans  mesure. 

Certaines  de  ces  Bagas  sont  des  thèmes  universellement  populaires 
dans  telle  ou  telle  région  de  l'Inde,  et  sur  lesquels  les  chanteurs  adap- 
tent des  vers  de  diverses  significations.  Quelques-unes  sont  plus  parti- 
culièrement consacrées  à  chanter  les  dieux  ou  les  héros.  Voici  par 
exemple  un  chant  destiné  à  cet  usage,  populaire  entre  tous  dans  la  partie 
méridionale  de  l'Inde,  et  qui  passe  pour  très  ancien  (1).  Le  rythme,  au 
début,  en  est  très  marqué,  dit  le  capitaine  Day  (nous  en  avons  déplacé 
les  barres  de  mesure  pour  en  mieu.x  mettre  en  relief  les  temps  princi- 
paux); quant  aux  développements,  suivant  les  principes  du  genre,  ils 
sont  plus  libres  (aussi  avons-nous  supprimé  de  cette  partie  les  barres  de 
mesure  qui  ne  font  que  servir  d'entrave  à  cette  liberté). 


PALLEVI. 
Allegro   moderato 


ANV  PALLEVI. 


Celte  mélodie,  très  franchement  en  ut  majeur  et  construite  dins 
l'échelle  complète  de  ce  ton,  offre  en  même  temps,  au  point  de  vue 
tonal,  certaines  particularités  propres  à  la  musique  d'Extremî-Orient. 
Sans  doute  le  fa  et  le  si  y  sont  utilisés;  mais  il  est  facile  d'apercevoir 
que  le  rôle  de  ces  noies  est  tout  à  fait  secondaire,  car  très  fréquem- 
ment le  dessin  mélodique,  sautant  par-dessus,  procède  par  l'intervalle 
disjoint  mi  sol  ou  la  do  :  la  cadence  finale  du  Pallevi  est  cà  cet  égard  très 
caraclérislique.  Si  ces  notes  avaient  été  complètement  supprimées,  l'on 
aurait  eu,  pour  cotte  mélodie,  la  gamme  de  cinq  sons  :  dire  mi  sol  la-do; 
sans  aller  aussi  loin,  du  moins  la  contexture  de  la  mélopée  témoigne 
que  l'influence  de  cette  gamme  est  encore  sensible  (1). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE'^' 

XX  —  UNE  REPRISE  QUI  S'IMPOSE 

à  M.  E.  de  Solenière. 
—  Inutile  de  vous  questionner!  Votre  physionomie  parle  pour  vous  : 
c'est  une  indiscrétion  complète... 

(Ij  La  mélodiiî  intilulée  Saml  dia  Mera,  notée  à  la  p.  68  du  mùine  livre,  estenlièremenl 
construite  sur  la  gamme  de  cinq  notes  :  -sol  la  si  ré  mi  -  sol. 
(2)  Voir  le  Ménestrel  du  1 1  juillet  1901 . 


—  Dame!  quelle  revanche  meilleure  contre  un  été  silencieux  que  de 
s'expatrier  pour  entendre  un  peu  de  musique?  Je  l'avoue  :  je  reviens 
de  Bayreuthetj'y  retourne.  Le  Vaisseau-Fantôme  et  l'Anneau  du  Nibelung, 
avant  Parsifal;  l'œuvre  de  jeunesse  et  la  Tétralogie  formidable,  avant 
l'indicible  chant  du  cygne  :  c'est  un  assez  beau  programme!  Ce  jubilé 
me  séduit. 

—  Je  l'avais  deviné  dans  vos  yeux.  Habemus  confitentem  reani...  Croyez 
bien,  Madame  et  chère  wagnérienne,  que  je  ne  vous  garde  point  ran- 
cune. Et,  si  j'étais  présomptueux,  j'ajouterais  que  notre  conversation 
sous  ces  grands  arbres,  à  l'abri  des  snobs,  me  rappelle  les  entretiens 
de  feu  Rubiustein  avec  une  aristocratique  inconnue  de  son  entourage! 

—  Je  les  ais  lus  dans  le  Ménestrel  (2),  ces  doctes  parado.xes,  et  la  pré- 
somption nous  ferait  du  tort...  Mais,  mon  cher  Aristarque,  veuillez 
peser  le  sens  profond  de  cette  double  date  :  1,376- 1 HO I  !  La  «  première  » 
de  Bayreuth  est  à  la  fois  récente  et  lointaine.  Vingt-cinq  ans  ont  coulé 
depuis,  et,  avec  eux,  bien  des  choses... 

—  Nous  en  causerons  une  autre  fois,  voulez-vous?  Mais  si  nous_ par- 
bons  un  peu  de  notre  musique  française?  Ce  serait  original  et,  ma  foi, 
presque  héroïque!  Et  vous  qui  savez  par  cœur  les  douze  partitions  de 
Richard  'Wagner,  y  compris  les  Fées,  connaissez- vous  aussi  parfaite- 


(1;  Tlie  Munie...  of  Soulhern  India,  p.  66. 

(S!)  La  Musique  et  ses  représenlunls,  traduction  Jlichel  Delines  (.Ménestrel,  1S91-18 


LE  MÉNESTREL 


2G1 


ment  notre  état  d'ànie  aux  alentours  de  cette  année  1876  dont  le  timbre 
seul  vous  émeut? 

—  1876?  N'était-ce  pas  l'âge  d'or  candide  où  tout  le  monde  se  croyait 
wagnérien  et  passait  pour  tel.  où  l'épithète  avait  encore  l'honneur 
d'être  une  injure,  où,  comme  dit  un  maître  qui,  depuis...  mais  passons, 
le  mot  wagnérisme  était  le  «  tarte  à  la  crème  »  de  la  critique  musicale? 
Alors,  Carmen  tombait  parce  qu'elle  était  wagnérienne.  On  découvrait 
du  wagnérisme  en  l'ouverture  brillante  du  Dinitri  de  M.  Joncières,  tout 
comme  Raspail  aurait  trouvé  de  l'arsenic  dans  le  fauteuil  du  président... 
C'était  le  bon  temps,  vous  dis-jel 

—  Madame,  décidément,  vous  savez  tout,  et  même  quelque  chose  de 
plus,  puisque  vous  n'ignorez  pas  tout  à  fait  ce  qui  se  passait  loin  de 
Bayreuth...  Et  je  vous  fais  toutes  mes  excuses!  Mais,  cette  fois,  vous  ne 
me  contredirez  plus,  car  je  vais  invoquer  votre  jeunesse  :  aussi  bien 
vous  êtes  trop  jeune  pour  avoir  applaudi  la  «  première  »  d'un  remar- 
quable opéra  qui  vit  le  jour  l'année  suivante  et  que  la  jeune  génération 
ne  connaît  point... 

—  Le  Roi  de  Lahore,  n'est-ce  pas?  L'œuvre  juvénile  de  Massenet,  que 
notre  Académie  nationale  de  musique  a  donnée  le  vendredi  27  avril  1877? 

—  Votre  érudition  me  passe  ;  et,  quand  il  évoque  Erda  fatale  au  fond 
des  ténèbres,  le  Wotan  de  Wagner  ne  ressent  pas  un  trouble  plus  grand  ! 

—  Rassurez-vous,  mon  cher  critique!  Je  ne  suis  pas  Erda,  vous  n'êtes 
point  Wotan...  Je  ne  suis  qu'une  simple  mortelle,  niais  douée  de  quel- 
que mémoire,  voilà  tout  !  Je  pourrais  même,  si  vous  y  consentez,  vous 
rappeler  la  distribution  de  l'ouvrage  :  M"^  de  Reszké  faisait  Sitâ,  la  prê- 
tresse qui  devient  reine;  M"^  Fouguet  fut  remarquée,  dit-on,  sous  le 
travesti  do  Kalcd;  le  ténor  Salomon  fut  critiqué  dans  AUm,  le  roi  qui 
meurt  et  qui  demande  à  revivre  inconnu  pour  revoir  celle  qu'il  aime; 
mais  il  n'y  eut  qu'un  cri  pour  exalter  le  baryton  Lasalle  dans  le  rôle 
farouche  et  caressant  de  Scindia,  son  rival,  et  tel  connaisseur  vous  dira  : 
«  M"'  de  Reszké  avait  une  voix  superbe,  mais  un  talent  peu  dramatique 
et  encore  moins  charmeur;  seul.  M.  Lasalle  était  excellent  et  il  obtint 
un  véritable  triomphe.  Si  cet  artiste  fut  pour  beaucoup  dans  le  succès 
du  Roi  de  Lahore,  le  Roi  de  Lahore  fit  beaucoup  pour  la  réputation  de 
M.  Lasalle...»  (1).  Soyons  complets  :  M.  Boudouresque  incarnait  à 
souhait  Timour,  le  grand-prêtre,  et  M.  Menu,  bientôt  remplacé  par 
M.  Bataille,  était  majestueux  sous  les  espèces  du  divin  Indra.  La  presse 
fut  hostile,  ce  qui  démontre  a  priori  la  valeur  de  l'œuvre;  ei  l'excellente 
Revue  des  Deux-Mondes  du  Ib  mai  1877  voulait  bien  découvrir,  dans  le 
plus  suave  des  airs  de  ballet,  «  des  convulsions  d'orchestre  »  (sic);  le 
bon  Scudo  n'était  point  mort  :  comme  le  prince  Alim,  il  revivait  sim- 
plement sous  les  traits  plus  fins  de  M.  de  Lagenevais  (lisez  Blaze  de 
Bury);  et  bon  sang  ne  saurait  mentir!  Néanmoins,  la  partition,  qui 
avait  failli  passer  à  Vienne,  l'année  précédente,  l'année  même  de  Bay- 
reuth, eut  trente  soirées,  en  1877,  onze,  en  1878,  dix-sept,  en  1879;  total, 
cinquante-huit  représentations.  Consécration  définitive,  elle  fit  son  tour 
d'Europe,  acclamée  partout;  l'Italie,  particulièrement,  la  fêta;  Lyon  la 
connut  en  1880,  au  théâtre  Bellecour,  grâce  à  ce  même  M.  Guimet  dont 
le  Musée  recueille  aujourd'hui  les  restes  de  Thaïs...  Décoré  déjà,  bien- 
tôt membre  de  l'Institut,  à  peine  âgé  de  trente-cinq  ans,  Massenet,  dans 
toute  la  charmante  force  du  terme,  était  le  «  jeune  maître  ». 

—  Votre  mémoire  me  stupéfie!  Ne  seriez-vous  point  quelque  magi- 
"cienne  échappée  du  Paradis  d'Indra? 

—  Je  ne  suis  pas  même  une  des  néréides  de  cette  infortunée,  mais 
chatoyante  Coupe  du  Roi  de  TIndé,  dont  la  musique  inédite  servit  à  la 
géante  apothéose  de  ce  Paradis  sonore!  Et  tenez.  Monsieur,  je  suis 
jalouse  de  vous,  oui,  jalouse  :  je  donnerais  volontiers  toute  mon  érudi- 
tion pour  votre  souvenir,  puisque  vous  assistiez,  sans  doute,  à  la  «  pre- 
mière »  de  ce  bel  ouvrage  oublié? 

—  En  effet,  j'étais  bien  jeune;  mais,  toute  ma  vie,  je  me  rappellerai 
l'éclat  diamanté  de  ce  grand  soir.  Fin  avril,  c'était  le  printemps  déjà, 
lueurs  et  parfums;  et  les  crépuscules  de  printemps  sont  tout-puissants 
sur  l'adolescence.  Et  puis,  l'Opéra,  le  Grand-Opéra  me  fascinait  comme 
un  paradis;  c'était  le  temple  de  toutes  les  voluptés  orientales,  alternant 
avec  les  arômes  plus  austères  de  la  récente  Semaine  sainte;  l'Opéra, 
c'était  le  rêve  réalisé  des  premiers  désirs;  dans  l'ombre  commençante, 
les  petites  femmes  alignées  des  lampadaires  de  bronze  me  semblaient 
eurythmiques  comme  autant  de  Vénus;  dés  que  j'approchais  de  la  Danse 
de  Carpeaux,  il  me  semblait  défaillir.  J'ignorais,  même  de  nom,  Bay- 
reuth et  sa  grande  ombre;  le  sanctuaire  d'Orange  n'avait  encore  pour 
témoin  que  la  nuit  constellée;  l'Opéra,  c'était  du  nouveau,  c'était  l'art 
et  la  vie,  avec  je  ne  sais  quelle  saveur  de  fruit  défendu!  Donc,  j'étais  à 
la  «  première  »  du  Roi  de  Lahore!  J'avais  oublié  le  jour  et  la  date;  mais 

(1)  Lrj  Musique  française  moderne,  par  Georges  Sei'vières  (l'aris,  G.  Havard  fils,  1S97)  ; 
cf.  Massenet,  étude  critique  et  documentaire,  par  E.  de  Solenière  (Paris,  1897)  et  Psycho- 
logie inusical>i,  par  Camille  Beilaigue  (1893),  page  14A. 


les  moindres  détails  n'ont  cessé  de  palpiter  en  moi.  Je  fus  conquis  dès 
V Ouverture  :  ah!  le  beau  fracas  guerrier,  qui  s'éteint  dans  la  suavité 
d'un  andante,  pour  renaître  sauvage  et  mineur  encore,  et  plus  accentué! 
Puis  le  temple,  l'Inde  étincelante  comme  un  collier  de  sequins,  et  les 
déclamations  vigoureuses,  et  les  dessins  pittoresques,  et  les  enlaçantes 
mélodies!  Les  prêtresses  blanches  mêlaient  leurs  voix  argentines;  mais 
le  drame  élevait  sa  rauque  voix.  Bientôt  la  guerre,  le  soir  fauve  au 
désert  de  Thàl,  l'histoire  vague  avec  la  légende;  et  les  cuivres  alternant 
avec  les  brises,  les  souffles  enflammés  comme  des  baisers  de  haine  ou 
de  compassion.  Alim,  le  Roi,  succombe.  Mais  le  voici. qui  vient  au 
seuil  du  riant  Paradis,  sur  un  océan  de  délices.  Que  veut-il?  Revivre 
infortuné  près  de  Celle  qu'il  aime  ;  comme  le  Siegmund  de  la  Waikûre, 
il  préfère  la  dure  vie  réchauffée  par  l'amour.  Et  le  tonnerre  de  VJncan- 
talion  le  renvoie  sur  la  terre.  Le  songe  traverse  le  drame  :  prélude  du 
dernier  acte,  une  superbe  page  symphonique  évoque  l'au-delà  dont  nous 
sortons,  où  notre  couple  amoureux  retourne... 

—  Ma  suffisance  livresque  envie  chacune  de  vos  chaudes  impressions  ! 

—  Et  songez  que  c'était  l'Orient  qui  se  dévoilait,  monde  magique, 
alors  magnifié  par  les  Leconte  do  Lisie,  les  Renan,  les  Flaubert,  inspi- 
rateurs de  notre  Parnasse.  Nous  ne  rêvions  que  lumière  et  couleur  :  la 
prose  de  Daudet  nous  reflétait  la  poésie  de  Mistral;  le  souvenir  du  jeune 
Henri  Regnault,  chanté  par  le  vieux  Gautier,  survivait  dans  nos  espé- 
rances. Le  romantisme  venait  de  jeter  un  dernier  éclair.  Et  Massenet, 
vous  l'avez  dit,  c'était  le  jeune  maître,  parce  qu'il  personnifiait  à  nos 
sens  le  coloriste  attendu  :  «  J'aurais  tant  voulu  être  peintre!  »  s'écriait 
l'enthousiaste  musicien;  mais  n'est-ce  pas  en  peintre  qu'il  subjuguait 
notre  jeunesse,  mariant  la  flamme  à  la  grâce,  l'orchestre  incandescent 
au  féminisme  le  plus  subtil,  le  rêve  sentimental  à  la  clarté  sensuelle, 
invoquant  un  coffret  magique  afin  d'évoquer  l'Orient,  comme  il  avait 
contemplé  telle  Tanagra  souriante  avant  d'achever  fes  Erinnyes  ou  l'Ou- 
verture de  Phèdre,  comme  il  avait  retenu  de  naïves  mélodies  anciennes 
pour  parfumer  Eve  ou  Marie-Magdeleine?  C'était  lui,  toujours  lui,  qui 
notait  son  rêve  d'amant  et  de  peintre  dans  son  nouvel  opéra  que  les 
gens  positifs  traitaient  «  d'oratorio  »,  pour  se  dispenser  d'en  écouter  la 
poésie  tour  à  tour  vaporeuse  ou  grandiose.  Et  le  Roi  de  Lahore  restera 
comme  une  des  plus  nerveuses  productions  de  Massenet. 

—  Vous  attisez  mon  désir  de  l'entendre  ! 

—  Unissons  nos  voix  pour  que  ce  vœu  ne  demeure  point  platonique. 
La  saison  prochaine  nous  proaiet  les  Rarbares,  et  Siegfried,  et  l'Africaine, 
dont  les  décors  furent  brûlés  dans  l'incendie  du  samedi  soir  6  jan- 
vier 1894.  Jamais,  non  plus,  je  n'oublierai  cette  nuit-là,  ce  ciel  d'amé- 
thyste sur  les  tourbillons  orangés  des  hautes  lueurs  :  voisin  du  maga- 
sin des  décors  de  la  rue  Richer,  je  croyais  assister  à  la  fin  d'une  cité 
maudite,  je  songeais  aux  chefs-d'œuvre  dont  le  vêtement  brûlait  pour 
toujours;  et  notre  Roi  de  Laliore  était  peut-être  parmi  les  victimes  ! 

—  Qu'importe?  Une  reprise  du  Roi  de  Lahore  n'est  pas  impossible. 
Et,  de  plus,  elle  s'impose.  Évolution  et  tradition,  l'ouvrage  devrait  figu- 
rer au  répertoire  vraiment  français  avec  le  Joseph  de  Méhul,  les  Troyens 
de  Berlioz,  le  Roi  d'Ys,  de  Lalo,  «  ce  pur  échantillon  de  musique  exclu- 
sivement française  »,  comme  dit  à  propos  M.  Jean  d'Udine,  non  loin 
de  Samson  et  Dalila,  prés  de  Sigurd.  Rappelons  à  la  direction  présente 
qu'en  1879.au  souper  de  la  cinquantième,  un -directeur  de  l'Opéra 
déclarait  tout  haut  qu'avoir  monté  le  Roi  de  Laliore  serait  son  litre  de 
gloire...  (1). 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyek. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Le  grand  nombre  de  conservatoires  d'outre-Rhin  sera  augmenté  à  partir 
du  !"■  octobre  par  celui  qu'on  vient  de  fonder  à  Dortmuad  et  qui  se  propose 
surtout  de  fournir  des  musiciens  d'orchestre,  sans  négliger  pour  cela  les 
autres  branches  de  l'art  musical.  Le  nouveau  conservatoire  sera  dirigé  par 
MM.  Hnettner  et  HolUschneider. 

—  La  mort  de  l'impératrice  Frédéric,  dont  les  obsèques  ont  bu  lieu  la 
semaine  passée,  a  causé  en  Prusse  un  énorme  préjudice  aux  théâtres,  cafés- 
concerts  et  autres  établissements  de  ce  g^nre,  qui  ont  dû  fermer  pendant 
plus  d'une  semaine.  Il  existe,  en  effet,  une  vieille  ordonnance  royale  qui 
prescrit  un  deuil  du  pays  (Laiiieslrauer)  pour  le  cas  de  la  mort  d'un  membre 
ds  la  famille  royale  et  exige  que  tous  les  lieux  de  plaisir  ferment  depuis  le 
jour  de  la  mort  jusqu'au  jour  des  obsèques.  Un  théàlre  estival  de  Breslau 
s'est  adressé  au  ministre  de  l'intérieur  pour  lui  exposer  le  grand  préjudice 

(1)  Document  cité  par  M.  Georges  Servières. 


262 


LE  MENESTREL 


que  la  fermeture  pendant  toute  une  semaine  lui  causait,  étant  donnée  la 
courte  durée  de  sa  saison;  mais  le  ministre  a  répondu  qu'il  ne  pouvait  pas, 
à  son  grand  regret,  autoriser  des  représentations  théâtrales  avant  le  jour 
des  obsèques.  Inutile  d'ajouter  que  la  cour  royale  n'accorde  aucune  indemnité 
aux  intéressés. 

—  A  l'occasion  du  deuil  du  pays,  en  suite  de  la  mort  de  l'impératrice 
Frédéric,  un  journal  de  Berlin  rapporte  un  joli  mot  du  roi  Frédéric  II,  l'ami 
de  Voltaire.  Un  prince  de  la  maison  de  Prusse  était  mort  et  le  gouvernement 
avait  ordoané  le  «  deuil  du  pays  ».  Or,  un  musicien,  qui  avait  annoncé  une 
série  de  concerts  à  Berlin,  adressa  directement  au  roi  une  requête  afin  qu'il 
lui  fût  permis  dé  donner  ses  concerts  pour  éviter  la  ruine.  Le  roi  écrivit  en 
marge  la  décision  suivante  :  «  Ce  musicien  n'est  pas,  que  je  sache,  parent 
ni  allié  du  défunt  prince;  on  doit  l'autoriser  à  donner  ses  concerls.  » 

—  La  prochaine  saison  enrichira  Berlin  de  deux  nouvelles  entreprises  de 
musique  symphonique.  M.  Richard  Strauss  s'est  placé  à  la  tète  d'un  orchestre 
de  cent  musiciens  pour  donner  une  série  de  concerts  consacrés  presque  exclu- 
sivement à  la  musique  rnoderne,  surtout  aux  œuvres  inédites.  A  cet  effet,  le 
célèbre  artiste  a  aussi  engagé  plusieurs  solistes  remarquables.  Les  concerts 
de  M.  Strauss  seront  inaugurés  par  l'interprétation,  dans  leur  ordre  chrono- 
logique, de  toutes  les  œuvres  symphoniques  de  Franz  Liszt.  Une  tentative 
absolument  nouvelle  dont  l'effet  sera  en  tout  cas  fort  curieux,  —  L'autre 
entreprise  est  d'un  ordre  moins  relevé.  M.  Einoedshofer,  un  chef  d'orchestre 
assez  connu,  donnera,  à  partir  du  mois  de  septembre  dans  la  nouvelle  salle 
de  concerts  du  Grand  Hôtel  de  Berlin,  une  série  de  concerts  dont  les  pro- 
grammes seront  voués  à  la  musique  «  facile,  amusante  et  piquante  ».  C'est 
une  imitation  de  l'orchestre  Strauss,  de  Vienne,  qu'on  servira  aux  Berlinois 
qui,  d'ailleurs,  ont  connu  autrefois  un  orchestre  analogue,  celui  de  feu 
Bilse. 

—  Les  autorités  de  Dresde  viennent  de  donner  à  deux  entrepreneurs  la  con- 
cession pour  deux  nouveaux  théâtres;  la  capitale  saxonne  comptera  donc 
désormais  cinq  théâtres  parmi  lesquels  le  célèbre  théâtre  de  la  Cour. 

—  Le  célèbre  compositeur  théoricien  et  écrivain  musical ,  Salomon 
Jadassohn,  a  célébré  le  13  de  ce  mois  le  70=  anniversaire  de  sa  naissance.  A 
cette  occasion,  il  a  reçu  beaucoup  de  témoignages  d'estime  bien  mérités. 
M.  Jadassohn  est  depuis  plus  d'un  quart  de  siècle  professeur  au  Conserva- 
toire de  Leipzig  où  il  représente  l'élément  conservateur,  sans  cependant 
aucune  animosité  contre  l'évolution  moderne  de  l'art  musical. 

—  D'autre  part,  M.  Jules  Stockhausen,  professeur  de  chant  bien  connu  en 
Allemagne,  ancien  élève,  à  Paris,  de  Manuel  Garcia,  vient,  lui  aussi,  de  célé- 
brer son  anniversaire  de  naissance,  mais  le  7S«.  Ses  anciens  élèves  et  ses 
amis  lui  ont  offert  une  grande  médaille  d'or  à  sou  effigie  ;  mais  rien  n'a  fait 
plus  de  plaisir  au  vieux  professeur  que  les  félicitations  de  son  ancien  maître 
Garcia,  qui  marche  résolument  vers  son  centenaire. 

—  Toujours  et  encore  les  anniversaires.  M.  Otto  Schelper,  de  l'Opéra  de 
Leipzig,  a  célébré  récemment  le  40=  anniversaire  de  son  début  sur  la  scène 
lyrique  et  le  23=  anniversaire  de  son  engagement  à  Leipzig.  L'artiste  a  reçu, 
en   dehors   de   couronnes   de  lauriers,  une   somme   de    70.000  marcs,  soit 

87.bOO  francs,  que  les  abonnés  et  habitués  de  l'Opéra  avaient  réunie  à  Fin 

tention  de  leur  chanteur  favori. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès 
une  opérette  inédite  intitulée  la  Débutante,  musique  de  M.  Alfred  Zamara. 

—  L'Opéra  de  Leipzig  annonce  pour  la  saison  prochaine  la  représentation 
d'un  opéra  inédit  en  un  acte  intitulé  l'Ombre  de  Werther,  musique  de  M.  Albert 
Randegger. 

—  A  Munich,  les  fervents  de  la  cithare  —  plus  de  deux  mille  s'il  vous 
plaît  —  ont  adressé  une  pétition  au  prince  régent  de  Bavière  pour  protester 
contre  l'exclusion  de  l'enseignement  de  cet  instrument  à  l'Académie  de  mu- 
sique. Le  prince  héritier,  Louis  de  Bavière,  l'octogénaire  grand -duc  de 
Luxembourg  et  le  prince  héritier  d'Anhalt  ont  signé  cette  pétition  que  le 
régent  a  simplement  transmise  au  ministre  de  l'instruction  publique.  La 
cithare  est  un  instrument  assez  agréable  à  entendre  dans  les  montagnes  du 
Tyrol  et  de  la  Bavière,  surtout  quand  elle  accompagne  une  voix  fraîche  qui 
chante  ces  couplets  qu'on  appelle  là-bas  schnadahuepfl,  mais  l'opportunité  de 
créer  des  chaires  de  cithare  dans  les  Conservatoires  allemands  apparaît  tout 
à  fait  contestable.  C'est  donc,  croyons-nous,  avec  raison  qu'a  agi  l'Académie 
de  musique  de  Munich. 

—  Les  archives  de  "Wabnfried,  jalousement  gardées  par  M™  Cosima  'Wag- 
ner, s'ouvrent  quelquefois  devant  les  rédacteurs  de  la,  revus  Bayreuther  Blaitter 
qui  viennent  d'y  puiser  trois  lettres  intéressantes  à  publier.  La  première  a 
été  adressée  au  maître  par  Bismarck;  elle  est  datée  de  Versailles,  21  février  1871 
et  est  ainsi  conçue  : 

Très  estimé  Monsieur, 

Je  vous  remercie  d'avoir  dédié  à  l'armée  allemande  un  poème  et  de  me  l'avoir  fait 
présenter.  Tout  en  me  croyant  fort  honoré  de  ce  que  vous  ayez,  d'après  ce  qu'on  me  dit 
voulu  que  ce  poème  patriolique  ne  fiit  destiné  qu'à  moi  seul,  je  me  réjouirais  beaucoup 
de  le  voir  publié. 

Vos  œuvres  auxquelles  j'ai  de  tout  temps  voué  un  intérêt  vif,  quoique  parfois  mélan"é 
d'une  tendance  à  l'opposition,  ont  aussi  vaincu,,  après  une  dure  lutte,  la  résistance  des 


Purisiens.  Je  crois  et  je  souhaite  qu'elles  remportent  encore  beaucoup  de  vicloircs  cbez 
nous  et  à  l'étranger. 
Agréez  l'assurance  de  ma  considération  distinguée. 

V.  Bismarck. 

Le  poème  dont  parle  le  chancelier  de  fer  est  la  pièce  de  vers  intitulée  A 
l'Armée  allemande  devant  Paris,  que  Wagner  a  publiée  dans  ses  Écrits  réunis 
(tome  IXj.  L'intérêt  de  la  lettre  réside  en  cette  opposition  contre  les  œuvres 
de  Wagner  que  Bismarck  avoue  avec  tant  de  franchise.  Quant  à  la  prétendue 
«  victoire  »  de  Wagner  à  Paris,  en  1871.  on  peut  se  demander  comment  Bis- 
marck a  pu  qualifier  ainsi  la  lamentable  aventure  de  Tannhuuser  à  l'Opéra  de 
la  rue  Le  Peletier.  —  La  seconde  lettre  a  été  adressée  au  prince  de  Bismarck 
par  AVagnér,  de  Bayreuth,  le  24  juin  1873;  elle  accompagnait  l'envoi  de  la 
brochure  Art  allemand  et  politique  allemande.  Le  but  de  cet  envoi  est  naïvement 
expliqué  par  le  maître;  il  espère  obtenir  du  gouvernement  allemand,  avec 
l'aide  du  chancelier,  une  subvention  pour  ses  grandes  entreprises,  dont  il 
avait  bien  besoin  à  cette  époque.  La  lettre  n'a  pas  produit  l'effet  voulu.  La 
troisième  lettre  a  été  adressée  par  Wagner,  de  Munich,  le  28  janvier  ISUS,  au 
prince  Hohenlohe,  qui  fut  à  cette  époque  ministre  de  la  maison  de  Bavière  et 
devint  plus  tard  chancelier  de  l'Empire  allemand.  Cette  lettre  annonce  l'envoi 
de  plusieurs  chapitres  non  publiés  de  son  écrit  Art  allemand  et  politiqw  alle- 
mande; le  maître  déclare  expressément  qu'il  ne  demande  rien  d'autre  au 
prince  que  la  lecture  de  cette  dissertation. 

—  Le  conseil  municipal  de  Frankenthal  (Palatinat)  a  décidé  d'ériger  une 
statue  du  compositeur  Georges  Vierling,  qui  avait  été  citoyen  d'honneur  de 
cette  petite  ville. 

—  Le  village  saxon,  Zsohieren,  a  donné  à  sa  plus  belle  rue  le  nom  de 
M™"  Malten,  la  première  artiste  de  l'Opéra  royal  de  Dresde,  qui  compte 
encore  parmi  les  favoris  du  public  de  la  capitale  saxonne.  Mais  ce  ne  sont 
pas  les  qualités  artistiques  de  M™  Malten  qui  lui  ont  valu  cet  honneur,  c'est, 
ce  qui  est  mieux  encore,  sa  grande  bienfaisance  dont  les  habitants  profitent 
continuellement. 

—  L'organisation  du  nouveau  cours  supérieur  de  piano  au  Conservatoire 
de  Vienne,  dont  la  direction  a  été  confiée  à  M.  Sauer,  a  eu  une  conséquence 
inattendue.  Les  principaux  professeurs  de  piano  du  Conservatoire,  MM.  Epstein , 
Door  et  Fischhof,  ont  donné  leur  démission  par  lettre  collective  ;  ils  ne  peu- 
vent pas  admettre  qu'on  ait  organisé  le  cours  supérieur  sans  les  consulter. 
MM.  Epstein  et  Door  appartiennent  au  Conservatoire  depuis  plus  de  trente 
ans  ;  le  nombre  de  leurs  élèves  est  énorme  et  plusieurs  d'entre  eux  ont  acquis 
une  grande  réputation.  M.  Fischhof,  élève  de  M.  Door,  a  également  eu  beau- 
coup de  succès  comme  professeur;  encore  tout  récemment  un  de  ses  élèves 
a  fait  sensation  et  a  remporté  les  premiers  prix.  Si  ces  maîtres  maintiennent 
leur  démission,  leur  remplacement  sera  tort  difficile.  Dans  les  cercles  artisti- 
ques de  Vienne  on  désapprouve  généralement  la  mesure  prise  par  la  direction 
du  Conservatoire  qui  pourrait  bien  sortir  de  cette  crise  fortement  diminuée. 

—  La  lutte  autour  de  la  fortune  de  Brahms  n'est  pas  encore  terminée  et 
les  bravos  campagnards  qui  ont  obtenu  gain  de  cause,  comme  parents  du 
défunt  compositeur,  ne  sont  pas  encore  entrés  en  possession  du  magot.  On 
vient,  en  effet,  de  retrouver  un  document  que  Brahms  avait  soigneusement 
caché  et  dans  lequel  il  explique  ses  volontés.  Il  résulte,  dit-on,  de  cette  pièce 
inattendue  que  Brahms  n'avait  pas  voulu  priver  les  sociétés  musicales  qu'il 
avait  instituées  légataires  en  biffant  dans  son  testament  le  paragraphe  qui 
les  concerne.  C'est  ce  malheureux  trait  de  plume  qui  avait  causé,  selon  l'arrêt 
de  la  cour  de  cassation  de  Vienne,  la  nullité  du  testament.  On  annonce  un, 
pourvoi  en  revision  de  toute  la  procédure  à  cause  de  ce  fait  nouveau  et  les 
maîtres  de  la  chicane  viennois  pourront  s'escrimer  à  nouveau  dans  un  tournoi 
de  procédure  fort  intéressant. 

—  Le  théâtre  de  la  ville  de  Zurich  annonce,  pour  sa  prochaine  saison 
théâtrale,  la  première  représentation  du  \¥erther  de  M.  Massenet. 

—  Un  opéra-comique  inédit  de  trois  auteurs  belges,  Bonhom,meNoël,  paroles 
de  MM.  Théo  Hannon  et  Léo  Diensis,  musique  de  M.  Louis  Hillier,  sera 
représenté  le  mois  prochain  au  théâtre  de  Spa. 

—  On  a  représenté  sans  succès,  à  l'Alhambra  de  Florence,  une  opérette 
nouvelle  intitulée  Frugolina,  due  à  la  collaboration  de  MM.  Francesco  Gargano 
pour  les  paroles  et  Alfredo  Grandi  pour  la  musique. 

—  On  sait  que  chaque  année  Verdi  allait  passer  une  partie  de  l'été  dans 
la  petite  ville  thermale  de  Montecalini,  non  loin  de  Florence.  Il  occupait  là 
un  appartement  composé  de  quatre  pièces  dans  la  Locanda  Maggiore.  C'est 
sur  la  porte  de  cet  appartement  que  tout  récemment,  sans  solennité  et  d'une 
façon  intime,  comme  il  convenait  en  la  circonstance,  on  a  placé  et  inauguré 
une  pierre  commémorative  avec  cette  inscription,  dictée  par  M.  Raffaele 
Melani  : 

C'est  ici  que  fut,  pendant  de  nombreux  étés,  jusqu'à  l'année  ■1900,  la  demeure 
chère  à  Giuseppe  Verdi  alors  que,  presque  fatigué  de  gloire,  il  cherchait,  entre  la 
verdure  des  •champs  et  la  splendeur  du  ciel,  la  quiétude  sereine  de  l'esprit,  qu'il  pré- 
féra toujours  à  tous  les  fracas  du  triomphe. 

—  Il  ne  faut  pas  plaisanter,  en  Italie,  avec  les  sociétés  musicales,  dont 
certaines  paraissent  se  prendre  vivement  au  sérieux.  L'une  d'elles,  la  bande 
musicale  de  Locali  Varesino,  a  intenté  un  procès  à  un  journal  de  Lecco,  il 
Resegone,  parce  qu'un  rédacteur  de  celui-ci,  don  Gereda,  avait  traité  les  mu- 
siciens de  bufj'oni  pour  avoir,  dans  une  fête  nationale,  exécuté  l'hymne  de 


LE  MENESTREL 


263 


Garibaldi.  Or,  le  tribunal  de  Lecco,  juste  peut-être,  mais  assurément  sévère 
comme  M.  Petdeloup,  a  condamné  ledit  don  Cereda  à  400  francs  d'amende, 
le  gérant  du  journal  à  300  francs,  et  tous  deux  solidairement  aux  frais  du 
procès.  «  Quelle  sonate  !  »  s'écrie  à  ce  sujet  le  Trovatore. 

—  De  Saint-Pétersbourg  :  Les  11  et  12  de  ce  mois  ont  eu  lieu  deux  grands 
concerts  de  bienfaisance  organisés  par  M"»  Gorlenko-Dolina,  et  dirigés  par 
M.  Edouard  Colonne.  Massenet,  Saint-Saëns,  Bizet,  Delibes,  Dubois,  Bour- 
gault-Ducoudray  et  d'autres,  font  triompher  la  musique  française  que  la 
célèbre  artiste  M"'=  Gorlenko-Dolina  chante  aussi  supérieurement  que  l'émi- 
nent  M.  Colonne  la  conduit  merveilleusement.  Quatre  mille  personnes  accla- 
ment la  cantatrice  et  le  chef  d'orchestre  et  la  recette  se  monte  à  40.000  francs. 
Immédiatement  M.  Colonne  a  été  demandé  pour  diriger  trois  autres  concerts. 

—  On  nous  écrit  de  Stockholm  :  Notre  pays  possède  actuellement  une 
entreprise  qu'on  peut  considérer  comme  une  concurrence  faite  aux  représen- 
tations d'Oberammergau  et  de  Bayreuth.  L'ancienne  ville  hanséatique  de 
Visby,  qui  possède  tant  de  monuments  et  ruines  historiques  et  dont  la  situa- 
tion sur  les  bords  de  la  mer  est  des  plus  pittoresques,  a  organisé  des  festspiele 
dans  les  admirables  ruines  de  l'ancienne  église  Saint-Nicolas.  Le  chœur 
gothique  dont  les  voûtes,  en  partie  ébréchées,  laissent  entrer  l'air  et  la 
lumière,  forme  la  scène;  pas  d'autre  décor  que  les  murs  et  les  bouleaux  et 
les  lilas  qui  eu  ont  pris  possession  et  poussent  librement  parmi  les  lézardes. 
On  joue  Sancta  Maria,  mystère  de  Topelius,  musique  de  M.  André  Hallèn. 
La  pièce  est  tirée  d'une  légende  du  temps  des  premières  croisades  des  Sué- 
dois en  Finlande.  Tous  les  artistes,  acteurs,  chanteurs  et  musiciens,  sont 
des  dilettantes;  l'acteur  Hamrin,  de  Stockholm,  dirige  la  mise  en  scène  et 
l'appareil  théâtral.  On  joue  tous  les  dimanches,  et  les  représentations  attirent 
une  foule  de  visiteurs  de  Stockholm  et  des  autres  grandes  villes  du  pays.  Ce 
succès  a  tellement  encouragé  les  dilettantes  de  Visby  qu'ils  se  proposent  de 
répéter  les  représentations  l'année  prochaine  et  de  faire  une  certaine  publici  té 
pour  attirer  un  public  international.  Peut-être  verrons-nous  un  jour  des 
yachts  français,  anglais  et  américains  amarrés  d3.ns  le  joli  petit  port  de 
Visby;  leurs  propriétaires  y  vivront  plus  agréablement  et  à  meilleur  marché 
qu'à  Bayreuth  ou  à  Oberammergau. 

—  Où  trouver  un  plus  grand  e.Kemple  de  bon  marché  en  matière  de  spec- 
tacles ?  Un  journal  de  San  Francisco  nous  apprenti  qu'au  Central  Théâtre  de 
cette  ville,  où  «  d'excellents  artistes  »  interprètent  d'intéressantes  œuvres 
dramatiques,  le  prix  des  places  varie  de  10  à  SO  centimes  ! 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

MM.  Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique  ;  Roujon,  directeur 
des  beaux-arts;  Dislère,  conseiller  d'état;  d'Estouruelle,  chef  du  bureau  des 
théâtres;  Ghauvière,  député  de  la  Seine,  et  une  délégation  du  petit  personnel 
de  l'Opéra,  se  sont  réunis,  au  ministère  de  l'instruction  publique,  pour  exa- 
miner le  projet  de  décret  constitutif  d'une  caisse  de  retraite.  Après  une  longue 
série  d'observations,  dont  on  a  promis  de  tenir  compte,  M.  le  ministre  a 
décidé  de  présenter,  dans  un  délai  très  court,  le  projet  modifié  à  la  signature 
de  M.  le  président  de  la  République.  —  Dans  une  réunion  ultérieure,  la  majo- 
rité des  employés  de  l'Opéra  a  décidé  de  demander  à  M.  le  ministre  et  aux 
députés  qu'ils  proposent  à  la  direction  des  mesures  réglementaires,  protec- 
trices des  petits  ouvriers  et  employés. 

—  M.  Albert  Carré  a  abandonné  Houlgate  pour  Ai.x-les-Bains  où  là,  du 
moins,  il  y  a  des  théâtres  et  où  il  écoute  d'une  oreille  attentive  les  étoiles  du 
Casino,  tout  prêt  à  s'attacher  ceux  ou  celles  capables  d'enrichir  sa  troupe  de 
l'Opéra-Comique.  Il  a  de  longs  conciliabules,  dans  la  journée,  avec  son 
directeur  de  la  musique,  André  Messager,  qui  se  trouve  également  en  villé- 
giature à  Aix,  et  avec  son  peintre  de  prédilection,  Lucien  Jusseaume,  venu 
pour  régler  les  décors  de  Louise,  dont  ou  a  donné  la  première  cette  semaine. 

—  Et  pendant  ce  temps-là,  M.  Pedro  Gailhard  qui,  d'après  les  feuilles  à  sa 
dévotion,  est  arrivé  sain  et  sauf  à  Biarritz  après  avoir  sagement  traversé  en 
automobile  toute  la  France,  pendant  ce  temps-là  le  «  premier  directeur  de 
France  »  —  quel  joli  titre  de  vaudeville  vous  avez  trouvé  là,  mon  cher 
Delilia  !  —  bien  convaincu  que  rien  ne  laisse  à  désirer  dans  sa  navrante  Aca- 
démie de  musique,  oublie  totalement  la  place  de  l'Opéra,  achète  des  villas, 
meublées  de  grosses  caronades  marines,  s.  v.  p.,  et  y  convie  ses  nombreux  et 
méridionaux  amis  à  chasser  royalement  des  lapins  de  choux,  mis  en  cruelle 
liberté  au  moment  même  de  la  fusillade.  D'aucuns  même  lui  jouent  d'assez 
mauvaises  farces,  pas  les  lapins,  les  amis  si  nous  en  croyons  le  Figaro  qui 
doit  avoir,  pour  être  toujours  aussi  ponctuellement  et  aussi  rapidement  ren- 
seigné, un  reporter  spécial  attaché  à  la.  noire  personne  de  l'illustre  directeur- 
chauffeur-tueur  de  lapins. 

—  Tous  nos  grands  confrères  quotidiens  annoncent  les  uns  après  les  autres 
que  c'est  le  théâtre  d'Elbeïfeld  qui  aura  la  primeur  de  la  Louise  de  Gustave 
Charpentier  en  Allemagne.  Le  directeur  d'Elberfeld,  qui  est  un  des  premiers 
que  l'on  trouve  toujours  quand  il  s'agit  de  marcher  de  l'avant  et  de  faire 
œuvre  artistique  a,  en  effet,  acquis  l'œuvre  nouvelle,  mais,  tout  en  la  mon- 
tant la  saison  prochaine,  il  ne  la  donnera  qu'après  l'Opéra  de  Berlin  qui,  par 
traité,  s'en  est  réservé  la  primeur.  A  Berlin  et  à  Elberfeld,  et  à  Nuremberg, 
Cologne  et  Bonn,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  annoncé,  il  convient  main- 
tenant d'ajouter  Leipzig  qui  annonce  aussi  la  première  de  l'œuvre  de  Char- 
pentier pour  le  courant  de  l'année  1902. 


—  Notre  confrère  Delilia,  du  Figaro,  qui  est  un  de  nos  plus  impénitents 
enquêteurs,  rassemble,  en  ce  moment,  les  devises  de  nos  artistes  célèbres. 
Parmi  celles  qu'il  a  déjà  livrées  au  public,  relevons  les  suivantes  : 

Emma  Calvé  ;  Mieux  vaut  briser  son  cœur  qur:  le  fermer! 

Lucien  Fugère  :  Je  m^eii...  moque! 

EDima  Nevada  ;  J'ai  foi! 

Marie  Delna  :  Sincérilé. 

Sigrid  Arnoldson  :  Tout  ou  rien! 

.Teanne  Leclercq  :  Loyauté. 

Louise  Théo  :  Toujours  la  même  ! 

Marguerite  Ugalde  :  Vaincre...  et  viure. 

Thérésa  :  Pkis  penser  que  dire. 

Germaine  Gallois  ;  Chi  va  piano,  va  sano. 

Mathilde  de  Craponne  ;  Fiat  voluntas  mea. 

Blanche  Deschamps-Jéhin  :  Aide-loi. 

Véra  Nimidoir  ;  Qui  vivra,  Véra. 

Meyriane  Héglon  :  Il  faut  savoir  vouloir. 

Louis  Morlet  :  Faire  ïiwun}, 

Max  Bouvet;  Bien  faire  et  laisser  dire. 

A.  de  Merengo;  Rire,  chanter,  aimer  et  souffrir. 

—  On  a  parlé,  il  y  a  quelque  temps,  de  l'édification  d'un  nouveau  théâtre- 
modèle  qui  serait  construit  à  la  place  des  immeubles  occupant  l'angle  du 
boulevard  des  Capucines  et  de  la  rue  Louis-le-Grand;  on  dit,  maintenant, 
que  les  promoteurs  de  ce  projet  ne  sont  autres  que  les  frères  Isola  qui  com- 
mencèrent fort  modestement,  voilà  quelques  années,  en  donnant  de  curieuses 
séances  d'hypnotisme  et  de  transmission  de  la  pensée  dans  la  petite  salle 
des  Capucines.  Avec  le  succès,  la  fortune  est  venue  les  chercher  dans  le  fond 
de  leur  petite  cour  et  les  a  suivis  dans  leurs  heureuses  directions  de  Parisiana 
et  de  l'Olympia. 

—  Nous  recevons  la  lettre  suivante  de  M.  Gustave  Lefèvre,  directeur  de 
l'Ecole  de  musique  religieuse,  en  réponse  à  une  note  que  nous  avions  insérée 
sur  la  demande  même  de  l'intéressé  : 

14  août  1901. 

Les  Courtils,  Provins  (Seine-et-Marne). 
Cher  monsieur. 

Il  n'a  jamais  été  dit  ni  imprimé  que  M.  Loret,  professeur  d'orgue  à  l'école,  avait  donné 
sa  démission  ;  j'ai  annoncé,  et  je  le  confirme,  que,  en  raison  de  l'importance  de  l'ensei- 
gnement de  cet  instrument,  j'avais  dédoublé  le  cours  et  que  mon  beau-frère,  M.  Eugène 
Gigout,  avait  accepté  de  faire  l'un  des  cours.  Les  élèves  pourront  choisir  leur  maître. 

En  vous  priant,  cher  monsieur,  de  vouloir  bien  donner  place  dans  votre  journal  à  ces 
lignes,  ce  dont  je  vous  remercie  à  l'avance,  j'ai  l'honneur  de  vous  offrir  les  assurances  de 
mes  sentiments  les  meilleurs. 

Gustave  Lefèvre. 

—  La  reconnaissance  des  Toulousains  à  leur  compatriote  Louis  Deffés.  En 
attendant  le  monument  qu'on  a  projeté  de  lui  consacrer,  on  vient  de  placer  à 
Toulouse  sur  la  façade  de  la  maison  Cibiel,  portant  le  numéro  .54  de  la  rue 
Peyrolières,  une  plaque  de  marire  rappelant  la  naissance  du  distingué  com- 
positeur qui  fut,  en  dernier  lieu,  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville. 
Cette  plaque  porte  l'inscription  suivante  : 

Louis  Deffès 
Compositeur  de  musique 
Correspondant  de  l'Institut 
Auteur  de 
La  Toulousaine 
Est  né  dans  cette  -maison 
Le  23  juillet  1819. 
C'est  de  cette  maison,  où  il  naquit  et  où  il  fut  employé  chez  le  grand  mar- 
chand de  draps  Gibiel,  que  Louis  Deffès,  après   avoir  commencé  ses  études 
musicales,  partit  pour  Paris,  où   il  les  termina  et  où,  tout  en  occupant  une 
place  d'alto  dans  l'orchestre  du  théâtre   du  Gymnase,  il  remporta  en  1847  le 
premier  grand  prix  de  Rome  à  l'Institut. 

—  Lyon  :  La  distribution  solennelle  des  prix  du  Conservatoire  vient  d'avoir 
lieu  au  Grand-Théâtre  sous  la  présidence  de  M.  Lavigne,  adjoint  aux  beaux- 
arts.  Dans  un  discours  fréquemment  applaudi,  M.  Lavigne  a  rappelé  que  ce 
Conservatoire,  si  florissant  et  qui  va  être  installé  magnifiquement  à  une  date 
prochaine,  fut  fondé  en  1872  et  créé  de  toutes  pièces  grâce  au  dévouement 
infatigable,  à  l'abnégation  absolue  de  M.  Ed.  Mangin,  devenu  aujourd'hui  le 
distingué  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  et  professeur  de  solfège  pour  les 
chanteurs  au  Conservatoire  de  Paris. 

Il  n'est  point  sans  intérêt,  d'ailleurs,  de  rappeler  quelles  furent  les  étapes 
parcourues  par^cette  institution  créée  par  la  bonne  volonté  d'un  seul,  qui  sut 
grouper  autour  de  lui  des  confiants  et  des  désintéressés . 

Le  Conservatoire  de  Lyon,  fondé  par  arrêté  du  maire,  M.  Barodet,  le 
24  mai  1872,  fut  immédiatement  placé  sous  la  direction  de  M.  Edouard  Man- 
gin, son  vrai  créateur.  Les  professeurs  (24),  nommés  par  arrêté  du  maire  en 
date  du  2  juillet  1872,  s'engagèrent  envers  la  municipahté  à  consacrer  leur 
temps  gratuitement  et  jusqu'au  moment  où  le  Conseil  municipal,  reconnais- 
sant l'utilité  de  l'École  et  les  services  rendus  par  elle,  voterait  une  subven- 
tion. A  l'ouverture  des  portes,  le  8  octobre  1872,  312  élèves  se  présentèrent, 
qui  suivirent  les  cours  durant  la  première  année. 

FM  1874,  le  Conseil  municipal,  voulant  reconnaître  les  services  rendus, 
vota  une  subvention  de  13.000  francs.  Le  14  avril  de  la  même  année,  par 
arrêté  ministériel,  qui  renommait  en  même  temps  M.  Mangin  directeur,  il 
est  reconnu  succursale  du  Conservatoire  de  Paris. 

En  1878,  le  ministère  des  beaux-arts  accorde  une  subvention  de  Ei.OOO  francs. 


264 


LE  MENESTREL 


Enfin,  en  1901,  la  Ville,  se  rendant  compte  de  son  utilité  et  des  services 
qu'il  rend,  n'hésite  pas  à  construire  un  immeuble  qui  coûtera  la  jolie  somme 
de  2  millions.    ■ 

—  D'Aix-les-Bains  :  Louise,  le  roman  musical  de  M.  Gustave  Charpentier, 
vient  de  remporter  au  grand  Cercle  d'Aix  un  éclatant  succès.  Il  est  inutile  de 
parler  de  la  valeur  indiscutable  d'une  œuvre  que  plus  de  cent  représentations 
à  rOpéra-Comique  ont  consacrée;  ce  qu'il  faut  dire  et  louer  sans  réserves 
c'est  l'inlerprétalion  hors  ligne  qui  réunissait  les  noms  de  M"'=s  Garden, 
Dhumont  (remplaçant  M""'  Deschamps-Jéhin,  indisposée),  Tiphaiue,  Costès, 
MM.  Fugère,  Beyle,  Boudouresque,  c'est  l'orchestre,  admirable  de  précision, 
d'énergie,  de  variété,  de  souplesse,  sous  l'éminente  direction  du  maître  Léon 
Jéhin;  c'est  un  fini  remarquable  jusque  dans  les  plus  petits  rôles,  si  nom- 
breux et  si  divers;  c'est  une  mise  en  scène  d'une  saisissante  réalité,  une  dé- 
coration merveilleuse  qui,  telle  l'illumination  de  Paris,  arracha  des  bravos 
à  l'assistance  entière.  ,\ussi  ovations  et  rappels  furent  nombreux  et  pro- 
fonde l'impression  produite.  On  ne  saurait  trop  remercier  M.  Gandrey,  le 
sympathique  directeur  artistique  du  grand  Cercle,  de  nous  avoir  procuré 
cette  inoubliable  soirée.  J-  Jemain. 

—  M.  Saugey,  qui  sut  mettre  le  théâtre  d'Alger  au  rang  des  toutes  pre- 
mières scènes  de  province,  vient  de  publier  le  cartelhne  pour  la  prochaine 
saison  de  l'Opéra  de  Nice,  dont  il  a  été  nommé  directeur.  Il  annonce,  parmi 
ses  nouveautés,  Grisélidis  et  Sapho  de  Massenet.  La  première  de  Griséiidis  aura 
lieu  de  suite  après  celle  de  Paris;  les  décors  en  sont  déjà  commandés  à 
M.  Lucien  Jusseaume,  qui  les  fait  pour  l'Opéra-Comique.  M.  Saugey  reprendra 
aussi,  dès  le  début  de  la  saison,  la  triomphante  Louise  de  Gustave  Char- 
pentier, qui  avait  été  si  malencontreusement  montée,  la  saison  dernière, 
quelques  jours  seulement  avant  la  fermeture  du  théâtre. 

—  M"«  Louise  Masson,  qui,  en  ces  dernières  années,  a  obtenu  le  premier 
prix  de  piano  au  Conservatoire  de  Paris  après  avoir  remporté  la  même 
récompense  au  Conservatoire  de  Lille,  vieut  d'élre  nommée  professeur  de 
piano  eu  cette  dernière  école,  en  remplacement  de  M""!  Français. 

—  De  Trouville  :  La  saison  bat  son  plein,  c'est  la  grande  semaine  des 
courses,  et  les  représentations  du  Casino  sont  très  suivies.  Dans  Werther, 
gros  succès  pour  M.  Delmas  et  M''^  Therry.  M.  Massenet,  de  passage  à  Trou- 
ville,  a  félicité  ses  interprètes.  Hamlet  a  valu  aussi  de  nombreux  bravos  à 
M"«  Mastio,  à  M.  Cadio  et  à  M"«  Therry. 

—  D'Évian-les-Bains.  L'orchestre  du  Casino  sous  la  très  active  direction 
de  M.  Miranne,  chef  d'orchestre  du  Grand-Théâtre  de  Lyon,  tait  merveille  et 
attire  à  lui  la  foule  des  amateurs  de  bonne  musique.  Répertoire  tout  à  fait 
choisi  dans  lequel  figurent  la  Fête  du  printemps  â'Hamlet  d'Ambroise  Thomas, 
Suites  sur  Coppétia  et  sur  Sylvia  de  Delibes,  l'Ave  Maria  de  Gounod,  le  Sommeil 
et  le  Menuet  de  Cendrilloii,  le  ballet  du  Cid,  le  Dernier  sommeil  de  la  Vierge,  les 
Scènes  alsaciennes,  le  divertissement  des  Erinnyes  de  Massenet,  VAndfinte  canla- 
bile  de  Théodore  Dubois,  la  suite  sur  Milenka  de  Blockx,  le  Snng  viennois  de 
Johann  Strauss,  Danse  des  bergers  hongrois  de  Gung'l,  T'es  yeux  bleus  de  Fetràs, 
etc.  Parmi  les  solistes,  il  faut  signaler  tout  particulièrement  M.  Pierre  Des- 
tombes qui  obtient  dans  les  soli  de  violoncelle  un  des  plus  grands  succès  de 
la  saison. 

—  De  Vichy  :  Très  gros  succès  pour  les  représentations  de  Sylvia,  l'ado- 
rable ballet  de  Léo  Delibes,  dansé  à  ravir  par  M"»  Briarza,  bien  réglé  par 
M.  Saracco  et  monté  avec  un  grand  luxe  de  décors  et  de  costumes  par  le 
Casino. 

—  Le  livre  de  M.  le  marquis  Gino  Monaldi  sur  Verdi  (Verdi,  1839-1898, 
Turin,  Bocca  frères,  in-8")  est  un  des  meilleurs  qui  aient  été  écrits  sur  le 
glorieux  maître.  L'affection  qui  unissait  l'auteur  au  compositeur  ne  nuit  en 
aucune  façon  à  son  impartialité,  et  si  le  livre  est  surtout  anecdotique,  la 
critique  ne  laisse  pas  d'y  trouver  sa  place  et  se  fait  remarquer  par  sa  jus- 
tesse. M.  Monaldi  n'a  pas  voulu  tracer  un  panégyrique,  et  son  admiration 
pour  les  grandes  œuvres  de  Verdi  ne  lui  laisse  montrer  aucune  indulgence 
pour  celles  qui  n'en  méritent  point  et  dont  il  fait  aisément  bon  marché.  J'ai 
dit  que  ce  livre  est  surtout  anecdotique  ;  il  l'est  au  point  de  vue  des  œuvres, 
et  non  de  la  vie  du  maître,  qui  est  volontairement  et  de  parti  pris  négligée. 
Il  n'en  est  pas  moins  fort  intéressant  à  divers  égards  :  d'abord  par  les  ren- 
seignements curieux  qu'il  nous  donne  sur  la  plupart  des  chanteurs  qui  furent 
les  interprètes  favoris  du  compositeur;  ensuite  par  les  citations  souvent  pré- 
cieuses qu'il  emprunte  aux  journaux  du  temps  et  qui  nous  montre  de  quelle 
façon  la  critique  italienne  appréciait  tel  ou  tel  ouvrage  de  Verdi  à  sou  appa- 
rition ;  enfin,  par  la  publication  de  toute  une  série  de  lettres  inédites,  qui, 
pour  la  plus  grande  partie,  étaient  adressées  à  son  vieil  ami  le  sculpteur 
Vincenzo  Luccardi,  professeur  à  1  Académie  de  San  Luca  à  Rome.  Quelques 
autres  de  ces  lettres  avaient  pour  destinataires  Donizetti,  le  sénateur  Piroli 
et  le  marquis  Monaldi  lui-même.  De  ces  dernières  j'en  voudrais  citer  une, 
particulièrement  intéressante,  relative  à  Falslulf.  C'était  à  l'époque  où,  à  la 
suite  de  quelques  paroles  prononcées  par  M.  Boito,  la  presse  italienne  com- 
mença à  répandre  le  bruit  que  Verdi  s'occupait  d'un  nouvel  ouvrage.  On  n'en 
parlait  cependant  encore  que  d'une  façon  en  quelque  sorte  dubitative,  et 
M.  Monaldi,  désirant  être  informé  sûrement  à  ce  sujet,  écrivit  à  Verdi. pour 
lui  demander  si  la  nouvelle  ainsi  répandue  était  exacte  ;  celui-ci  lui  répondit, 
deux  jours  après,  par  la  lettre  suivante  : 


Gènes,  3  décembre  189t). 
Excellent  marquis  Monaldi, 

Que  puis-je  vous  dire?  Il  y  a  quarante  ans  que  je  désire  écrire  une  œuvre  comique,  et 
il  y  en  a  cinquante  que  je  connais  les  Joyeuses  Commères  de  Windsor.  Pourtant,  les  ordi- 
naires mais  qui  sont  partout  s'opposaient  toujours  à  ce  que  je  puisse  satisfaire  mon  désir. 
Maintenant  Boito  a  dégagé  tous  les  mais  et  m'a  fait  une  comédie  lyrique  qui  ne  ressemble 
à  aucune  autre. 

Je  m'amuse  à  en  faire  la  musique,  sans  projets  d'aucune  sorte,  et  je  ne  sais  même  pas 
si  je  finirai...  Je  le  répèle  :  je  m'amuse... 

Falsta/f  est  un  triste  qui  commet  toutes  sortes  de  mauvaises  actions,  mais  sous  une 
forme  divertissante.  C'est  un  type.  Les  types  sont  si  divers  !...  L'opéra  est  compléleœcnt 
comique. 


CroyezM 


i  toujours 

Votre  dévoué 


Le  livre  de  M.  Monaldi  est  fertile  en  renseignements  peu  connus,  surtout 
en  France,  et  en  documents  inédits  du  plus  réel  intérêt.  J'ajoute  qu'il  est 
écrit  dans  une  langue  claire,  élégante  et  limpide,  et  qu'il  se  fait  lire  avec  le 
plaisir  le  plus  facile  et  le  plus  sincère.  Il  mérite  le  grand  succès  qui  l'a 
accueilli.  A.  P. 

NÉCROLOGIE 

D'Angleterre  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  64  ans,  de  l'organiste  John 
Farmer,  qui  était  aussi  un  compositeur  de  talent.  Il  était  organiste  duBalliol 
collège  d'Oxford,  et  il  avait  fait  représenter,  en  1882,  un  opéra  intitulé 
Cinderella  (Cendrillon). 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 
Paris.  AU  MÉNESTREL,  2  bis-,  rue  Vivioiiiic,  HEUGEL  ET  Z'\  É(lilours-|iropriclairps. 

PIÈCES   POUR   PETIT   ORCHESTRE 

J.    MASSENET 

SIMPLE  PHRASE. 

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CANTIQUE. 

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LES  GRANDS  VIOLONS  DU  ROI  LOUIS  XV  (1710). 

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BERCEUSE  de  DON  CÉSAR  DE  BAZAN,  pour  instruments  à  cordes. 

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THÉODORE   DUBOIS 

ESQUISSE,  avec  solo  de  violoncelle. 

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E  NTR'ACTE-RIGAUDON  de  XAVIÉRE,  avec  solo  de  violoncelle. 

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A  NDANTE-CANTABILE,  avec  solo  de  violoncelle. 

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DEUX    PIÈCES    EN    FORME    CANONIQUE,   pour  hautbois  et 
violoncelle  avec  accompagnement  de  quatuor. 

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G.   PUCCINI 

DEUX  MENUETS  pour  quatuor  à  cordes. 

Chaque  menuet  en  partition,  prix  nel.   ...     1     » 


E,  20, 


Dimanche  2S  AoiU  1901. 


3674.  -  67-  ANNEE  -  N°34.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  ""■,  rue  TiTienne,  Paris,  n«  tn>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


lie  Ilumépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


I»e  HuméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGBL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Te.xte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musiciil  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  {26"  article),  Paul  d'Estbées.  — 
IL  Notes  d'ellinographie  musicale  ;  la  Musique  dans  l'Inde  (3"  article),  Julien  Tiersot. 
'—  III.  Petites  notes  sans  portée  :  une  Musicienne,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de 
France  en  musique  :  la  «  Vogue  »  du  Cheval  fol,  Edmond  Neukom.m.  —  V.  L'inaugura- 
tion du  Théâtre  wagnérien  de  Munich,  R.  T.  —  VI.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SEULE! 
valse  de  I.  Philipp,  d'après  Chopin,  paroles  de  Jules  Ruelle.  —  Suivra  immé- 
diatement :   A  une  Étoile,   nouvelle  mélodie   de  Reynaldo   Hahn,  poésie   de 
Alfred  de  Musset. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
la  Fêle  des  Vignerons,  de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse  en 
sourdine,  de  A.  Périlhou. 


L'iVRT  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

;  plus  récents  et  des  flocuments  inédits 

(Suite.) 


YI 

Un  grand  homme  console  d'un  autre.  —  Les  anges  de  M">«  Grassini.  —  Concerts 
officiels  du  Consulat  et  de  tEmpire.  —  Un  petit  homme  qui  console  d'un  grand 
homme.  —  Les  amours  du  général  Brune.  —  ^1/"""  Catalani  :  la  légende  de 
l'histoire.  —  Saison  musicale  à  Carlsbad  :  une  jolie  gaffe.  —  En  Toscane.  —  Les 
trucs  de  Valabrégue. —  L'opéra  au  siège  de  Hambourg. — LaBarilli  et  lacampagne 
de  Russie.  —  Ne  vous  gène:-  pas!  —  La  fricassée  de  Napoléon.  —  Une  mésaven- 
ture de  Bigaré. 

Si  M"'"  Grassini  ne  fut  pas  une  des  plus  nobles  conquêtes  qu'ait 
jamais  faites  Bonaparte,  elle  en  fut  assurément  une  des  plus 
savoureuses.  Malheureusement  pour  elle,  elle  ne  sut  pas  user  de 
sa. . .  défaite.  Son  vainqueur,  doublement  victorieux,  puisqu'il 
venait  de  triompher  à  Marengo,  lui  avait  donné  rendez-vous  à 
Paris;  elle  y  vint,  mais  avec  des  malles  bourrées  de  pétitions 
des  Milanais.  Dès  que  Bonaparte  en  fut  averti,  il  la  consigna  à 
la  porte  des  Tuileries.  M""  Grassini  se  consola  de  sa  mésaven- 
ture avec  Rode.  Elle  n'était  pas  cependant  une  de  ces  politi- 
ciennes dont  le  Premier  Consul  avait  instinctivement  l'horreur. 

Elle  était  beaucoup  plus  une  Phryné  qu'une  Egérie.  Ce  n'était 
pas  qu'elle  fût  passionnée,  comme  semblaient  l'annoncer  son  œil 
de  feu  et  le  chaud  coloris  d'une  peau  sous  laquelle  bouillonnait 


un  fleuve  de  sang.  M'""  Grassini  était,  au  contraire,  d'un  tempé- 
rament de  glace  :  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  d'être  infldèle  et 
changeante.  La  coquetterie,  la  joie  d'être  courtisée  déterminaient 
seules  l'instabilité  de  ses  affections.  Et  elle  s'en  serait  volontiers 
tenue  aux. . .  préliminaires.  Quand  un  de  ses  amants  s'attardait 
aux  démonstrations  platoniques  : 

—  Oh!  disait-elle,  c'est  un  ange! 

D'ailleurs,  elle  n'était  pas  vénale.  Un  autre  amour  la  dominait 
plus  impérieusement,  celui  du  jeu. 

Elle  avait  un  superbe  contralto,  mais  elle  ignorait  l'art  de 
chanter.  Sa  science  dépendait  de  son  inspiration  ;  et  le  genre 
bouffe  était  pour  elle  lettre  morte. 

Norvins  apprécia,  en  deux  circonstances  bien  différentes,  le 
talent  de  la  Grassini.  Ce  fut,  la  première  fois,  à  l'un  des  derniers 
14  Juillet  de  la  Révolution.  Donc,  le  14  Juillet  1800,  le  ministre 
Lucien  Bonaparte  était  venu  présider  la  cérémonie  officielle,  qui 
se  tenait  dans  la  chapelle  des  Invalides,  depuis  sept  ans  le  Tem- 
ple de  Mars.  Trois  orchestres  de  musiciens  avaient  pris  place 
en  cette  enceinte,  et  leurs  symphonies  y  développaient  des 
sonorités  extraordinaires.  C'est  aussi  qu'elles  célébraient,  non 
seulement  l'anniversaire  du  14  Juillet,  mais  encore  la  victoire 
toute  récente  de  Marengo.  Lucien  prononça  un  discours  entre 
deux  intermèdes  ;  le  premier,  chanté  par  Blanchi  et  la  belle 
Grassini,  était  une  hymme  guerrière,  commémorative  de  la 
prestigieuse  campagne  qui  rendait  la  liberté  à  l'Italie.  La  seconde 
partie  du  concert  était  consacrée  à  l'audition  du  Chant  du 
25  Messidor,  une  cantate  de  Fontanes  mise  en  musique  par 
Méhul. 

C'était  le  temps  de  ces  concerts  du  Premier  Consul,  où  l'éti- 
quette, déjà  revenue,  interdisait  tout  applaudissement.  Cette 
mode,  empruntée  à  l'ancienne  Cour,  déplaisait  singulièrement  à 
M"""  Grassini  et  surtout  à  son  ami  Crescentini,  ce  merveilleux 
soprano  dont  les  imperfections  physiques  étaient  pour  l'actrice 
italienne  l'occasion  de  plaisanteries  difficiles  à  traduire.  Crescen- 
tini touchait  quarante  mille  francs  pour  chanter  dans  ces  con- 
certs, mais  il  ne  se  consolait  pas  de  n'y  être  pas  applaudi,  bien 
que  la  Grassini  eût  trouvé  une  explication  à  ce  silence  officiel  : 
«  C'est  favourable  à  la  médioucrité  » ,  disait-elle  philosophiquement 
à  son  camarade. 

Norvins  la  revit,  dix  ans  après  le  14  juillet,  à  un  concert  dans 
les  appartements  de  Marie-Louise.  Ce  jour-là.  M""  Grassini  détona 
de  la  plus  belle  façon  du  monde  —  était-ce  un  vieux  levain  de 
jalousie  qui  lui  avait  tourné  la  voix? — Toujours  est-il  que  Napo- 
léon, qui,  pour  chanter  horriblement  faux,  n'en  avait  pas  moins 
l'oreille  juste,  décampa  au  plus  vite,  faisant  retomber  toute  sa 
mauvaise  humeur  sur  le  grand  écuyer  de  Westphalie,  Morio. 
Mais,  M""'  Grassini  se  remettant  de  son  émotion,  Napoléon  ren- 
tra dans  la  salle  de  concerts  et  daigna  ne  plus  molester  per- 
sonne. 


266 


LE  MÉNESTREL 


Son  caprice  d'une  soirée  ne  devait  guère  rester  fidèle  à  sa 
mémoire.  M"''  de  Ghastenay,  qui  n'est  pas  suspecte  de  tendresse 
pour  le  grand  capitaine,  constate  en  ces  termes  une  liaison  dont 
l'éclat  offusqua  même  les  royalistes  :  «  On  ne  s'accoutume  pas  à 
voir  le  duc  de  '^^ellington  à  l'Opéra  avec  M""  Grassini  ». 

Le  général  Brune  trouva  sa  Grassini,  en  1798,  dans  une  jolie 
prima-donna  de  Padoue,  qui  avait  nom  Bertinotti.  Cette  actrice, 
au  dire  de  Thiébaut,  avait  tout  pour  elle,  le  talent  et  la  voix,  la 
grâce  et  la  beauté.  Malheureusement  elle  était  affligée  d'une 
vanité  excessive,  et  ne  l'avait  que  trop  prouvé,  dans  un  bal,  en 
refusant  de  danser  avec  des  officiers  de  la  73"  demi-brigade. 
L'état-major  s'était  fâché  ;  mais  le  général  Brune,  qui  protégeait 
la  cantatrice  avait  pris  parti  pour  elle,  et,  comme  lui-même 
n'était  pas  sympathique  à  ses  officiers,  ceux-ci  avaient  résolu  de 
faire  d'une  pierre  deux  coups,  c'est-à-dire  de  se  venger  de  leur 
chef  en  montant  une  cabale  à  sa  maîtresse.  Le  complot  devait 
éclater  le  soir  d'une  représentation  de  gala  où  chanterait  la 
Bertinotti.  Les  conjurés,  au  nombre  de  200,  étaient  munis  de 
sifflets,  de  crécelles,  de  fifres,  de  trompettes  d'enfants  qui  s'uni- 
raient en  une  cacophonie  indescriptible,  pendant  que  «  par  le 
trou  du  lustre  »  descendrait  sur  la  salle  une  pluie  d'épigrammes 
oîi  le  dieu  Apollon  vouerait  au  mépris  des  Muses  l'actrice  indi- 
gne de  la  faveur  publique. 

Brune  eut  vent  du  complot  et  manœuvra  pour  le  faire 
échouer.  Il  invita  Masséna  à  rejoindre  la  division  le  jour  même 
où  la  Bertinotti  devait  chanter,  et  laissa  courir  le  bruit  que  son 
camarade  serait  très  désappointé,  s'il  ne  pouvait  entendre  une 
virtuose  célèbre  dans  toute  l'Italie.  Les  officiers  aimaient  alors 
Masséna  :  ils  prirent  en  considération  l'expression  de  son  pré- 
tendu désir  ;  et  ce  fut  à  peine  si,  dans  le  cours  de  la  soirée,  on 
entendit  «  quelques  bruits  de  crécelles  et  quelques  sons  de  ca- 
nard», de  ceux  que  Brune  appelait  dédaigneusement  «la  faction 
des  imbéciles  » . 

Avant  la  Restauration,  M'"'  Catalani  avait  été  à  peine  entrevue 
en  France.  Elle  n'avait  fait  qu'une  très  courte  apparition  à  Paris, 
où  l'admirable  timbre  de  sa  voix  claire  et  souple,  évoluant  sur 
une  étendue  de  trois  octaves,  lui  avait  valu  d'unanimes  applau- 
dissements. Sa  grande  et  légitime  célébrité  avait  été  consacrée 
par  les  suffrages  de  toute  l'Europe,  en  dépit  d'absurdes  lé- 
gendes qui  défiguraient  sa  véritable  histoire  et  dont  le  Journal  du 
lieutenant  Woodberrij  (l)nous  transmet  un  des  plus  ridicules  échos. 
Pendant  son  séjour  en  France,  se  rattachant  à  l'invasion  de 
1814,  l'officier  anglais,  logé  chez  le  maire  d'Abbeville,  y  rencontre 
un  lieutenant  italien  qui  lui  fait  mille  questions  sur  M"''  Cata- 
lani. Le  mari  de  la  cantatrice,  le  capitaine  de  Yalabrègue  avait 
été,  prétendait  l'italien,  son  brosseur.  Quant  à  la  virtuose  elle- 
même,  cet  étonnant  officier  assurait  qu'elle  avait  chanté  et  joué 
sur  un  petit  théâtre  aux  aj)pointements  de  trente-cinq  sous  par  jour. 
Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  la  biographie  de  l'artiste  qui 
donne  un  formel  démenti  à  ces  racontars  de  table  d'hôte  :  les  dé- 
buts si  retentissants  de  M'""  Catalani,  âgée  de  quinze  ans  à  peine, 
et  surtout  ses  triomphales  saisons  à  Londres,  où  sa  haine  contre 
Napoléon  semblait  prêter  à  sa  voix  plus  d'ampleur  et  plus 
d'éclat.  C'est,  après  la  chute  du  maître,  qui  voulut  un  jour  la 
retenir  à  Paris  par  des  chaînes  d'or,  que  nous  suivrons  la  canta- 
trice en  Allemagne,  avec  Metternich  qui,  nous  ne  l'avons  pas 
oublié,  se  piquait  d'être  aussi  fort  en  musique  qu'en  diplomatie. 
Yoici  tout  d'abord  l'impression  produite  par  la  Catalani  sur 
son  aristocratique  auditoire  : 

20  Juin  1817. 
Hier  nous  avons  passé  une  soirée  charmante,  arrangée  en  tout  petit 
comité  ctiez  M"'  d'Apponyi  pour  y  faire  chanter  la  Catalani.  Les  deux  archi- 
duchesses y  sont  venues  et  toute  notre  suite.  Elle  a  chanté  de  manière  à 
rendre  folle  toute  la  société.  Elle  avait  toute  sa  voix  et  vous  eussiez  été  en 
état  de  béatitude  comme  nous  l'avons  tous  été.  Assurément,  si  la  sainte 
Vierge  se  mêle  aux  chœurs  des  bienheureux,  elle  doit  chanter  comme  cette 
femme  qui  n'est  pas  vierge. 

Le  mot  de  la  fin  toujours  un  peu  lourd,  comme  il  arrive  à  nos 
aimables  voisins  quand  ils  cherchent  à  faire  de  l'esprit  ! 
(A  suivre.)  Paui.  d'Estrées. 

(Ij  Journal  du  lieutenant  Woodberry  (Traduction  Georges  Héliej;  Pion,  1896. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


LA  MUSIQUE  DANS  L'INDE 

(Suite.) 

Les  livres  du  Ràja  S.  M.  Tagore  renfermeut  de  nombreux  et  impor- 
tants spécimens  de  ces  chants-récitatifs  sur  lesquels  les  hindous  disent 
leur  épopées.  Il  s'en  trouve  notamment  d'assez  développés  dans  l'appen- 
dice du  curieux  album  contenant  Six  principal  Ragas  of  the  Hiiidus, 
chants  à  la  signification  symbolique,  qui  pai'aissent  être  d'une  grande 
ancienneté.  Les  longues  mélopées  notées  à  la  fin  du  livre  sont  assez  diffi- 
ciles à  comprendre  pour  nous  qui  n'en  avons  point  entendu  chanter  d'ana- 
logues et  n'en  connaissons  pas  la  langue;  quanta  leur  transcription  pu- 
rement musicale,  elle  est  vraiment  trop  indécise  pour  q\ie  nous  en 
puissions  dégager  autre  chose  que  de  vagues  formules  sans  mouvement, 
qui  sans  doute  reprendraient  vie  si  elles  nous  étaient  chantées  par  ceux 
qui  possèdent  les  traditions.  Un  peu  plus  précis  sont  les  airs  notés  au 
début  de  cet  autre  livre  du  même  auteur  ;  ,1  Few  spécimens  of  Indian 
Songs.  Et  déjâla  première  mélodie,  quoiqueassez  différente  au  point  de 
vue  de  la  transcription  rythmique,  nous  rappelle  d'assez  près  celle  que 
nous  venons  de  donner  intégralement  d'après  une  aulre  source.  Cer- 
taines sont  curieuses  au  point  de  vue  tonal.  Voyez  par  exemple  cette 
psalmodie  d'un  liymme  que  l'auteur  nous  dit  être  très  populaire  parmi 
les  hindous.  Diiîérente  par  la  forme  du  précédent  morceau,  elle  se 
compose  de  deux  formules  qui  se  succèdent  et  se  reprennent  incessam- 
ment, presque  sans  modification  (1). 


Mais  que  dire  de  cette  autre  formule  mélodique,  servant  à  chanter 
les  actions  mémorables  des  héros,  ou  la  gloire  des  dieux,  ou  quelque 
sujet  didactique,  et  dont  l'auteur  déclare  le  style  «  très  mâle,  grave,  et 
éminemment  convenable  aux  occasions  solennelles  »  (2)? 


La  psalmodie  s'élève  un  peu  aux  versets  suivants,  où,  notons-le, 
la  note  fa  apparaît  fréquemment  diésée,  le  ré  étant  toujours  bémol  et  le 
si  naturel,  et  qui,  sauf  une  seule  exception,  se  terminent  inexorable- 
ment par  celte  chute  bizarre  :  la  sol  fa  mi  ré  bémol.  Faut-il  croire  que 
le  sentiment  musical  des  hindous  est  si  dilTérent  du  nôtre  qu'ils  puis- 
sent admettre  ce  qui  nous  parait  constituer  d'aussi  graves  anomalies, 
ou  bien  est-ce  la  notation  qui  donne  de  leur  chant  une  idée  imparfaite? 

De  formes  plus  précises,  sans  être  très  variées  d'accent,  les  mélodies 
hindoues  notées  tout  au  long  du  livre  du  capitaine  Day  ont  souvent  un 
caractère  intéressant.  Quelques-unes  ont  une  expression  poétique  et 
sentimentale  qui  réalise  assez  bien  l'idée  que  nous  nous  faisons  des 
langueurs  du  style  oriental.  Comme  telles  nous  pourrons  citer  par 
exemple  les  deux  Ragas  notées  à  la  page  81,  la  première  d'un  rythme 
à  la  fois  libre  et  ferme,  la  seconde,  une  mélopée  rêveuse  que  traverse  de 
loin  en  loin  un  dessin  ascendant  d'une  e.xpression  vraiment  suave.  Une 
nous  est  pas  possible  de  multiplier  les  citations  d'un  livre  auquel  nous 
nous  bornons  à  renvoyer  les  lecteurs  que  la  question  intéresserait. 
Voici  cependant  encore  un  petit  fragment  d'une  Ragâ  dont  la  mélodie, 
vraisemblablement  moderne,  a  bien  l'aspect  extérieur  des  chants  orien- 
taux :  ou  lui  attribue  pour  auteur  un  pandit  ou  chanteur  populaire  de 
la  cour  de  Mysore,  nommé  Telugu.  C'est  un  simple  thème,  bien 
rythmé  et  dansant,  qui  circule  d'un  bout  à  l'autre  de  la  Ragà,  parfois 

(1)  Raja  SouniNono  Mohun  Tagore,  A  Few  spécimens  of  Jndian  Songs,  n"  8,  p.  25. 

(2)  Raja  SouniNono  Mohun  Taooiie,  A  Feio  ^pecimem  of  Indian  Songs,  d'  6,  p.  18. 


( 


LE  MÉNESTREL 


267 


varié  par  le  chanteur,  et  repris  incessamment  parmi  les  épisodes  secon- 
daires, généralement  courts  : 


Allegro. 


Voici  un  exemple  du  style  des  parties  intermédiaires  ainsi  que  des 
variations  du  chant  principal. 


Nous  avons  retrouvé  des  formules  analogues  parmi  les  chants  exo- 
tiques qu'il  nous  a  été  donné  d'entendre  pendant  l'Exposition.  Voici  par 
exemple  l'air  d'une  danse  que  chantaient  et  exécutaient  tout  ensemble, 
avec  une  volubilité  tout  à  fait  horriflque,  trois  Cinghalais  évoluant  dans 
un  décor  qui  représentait  je  ne  sais  quel  temple  en  l'honneur  du  Feu. 
■  Le  premier  des  dauseurs  l'entonnait  à  pleine  voix,  dans  le  registre  aigu, 
et  les  autres  reprenaient  après  lui;  le  thème  était  varié  peu  à  peu  et 
progressivement  animé;  il  était  accompagné  par  des  tambours  frapp;'s 
avec  les  mains,  et  dont  le  mouvement  se  conformait  à  celui  du  chant. 


Formules  successives  d'accompagnement  des  tambours  : 


Les  artistes  hindous,  chanteurs  et  danseurs,  qui  sont  venus  s'exhiber 
à  Paris  pendant  l'Exposition  de  1900  (il  s'en  trouvait  dans  plusieurs 
établissements  de  la  section  coloniale,  ainsi  qu'au  théâtre  du  Tour  du 
Monde)  n'ont  pas  paru  appartenir  à  un  rang  fort  élevé  dans  quelque 
hiérarchie  que  ce  soit,  sociale  ou  artistique.  Aussi  n'avons-nous  pu 
entendre  de  leur  bouche  aucun  chant  de  haut  style  ni  de  quelque 
développement.  Ils  ne  se  sont  guère  montrés  à  nous  que  dans  des  danses 
et  évolutions  plus  ou  moins  accompagnées  de  chant  et  d'instruments 
à  percussion,  et  souvent,  dans  le  tumulte,  la  musique  était  assez  ma- 
laisée à  percevoir  distinctement.  Il  nous  a  paru  cependant  que  leurs 
airs  de  danse  n'étaient  en  général  que  de  très  courtes  formules  ryth- 
miques, roulant  sur  quelques  notes,  si  simples,  et  d'ailleurs  d'un 
-caractère  si  spécial  que  nous  en  avons  parfois  retrouvé  les  mêmes 
successions  dans  les  divers  spectacles.  En  voici  un  exemple  que  nous  a 
fourni  le  théâtre  Indo-Chinois,  où  nous  avions  trouvé  précédemment  un 
intéressant  morceau  de  musique  cambodgienne  :  un  groupe  d'hindous  y 
«xécutait,  avec  beaucoup  de  précision,  une  danse  d'ensemble,  dont  le 
son  principal  était  produit  par  des  baguettes  d'un  bois  très  sonore  que 
les  danseurs  frappaient  l'une  contre  l'autre  à  chaque  temps  Je  me  rap- 
pelais, en  les  écoutant,  ce  vers  de  Verlaine  décrivant  les  bruits  populaires 
•dont  s'animent  les  bords  du  fleuve  Ganga  : 

Au  claquement  massif  des  cymbales  de  bois. 

Mais,  si  dominant  que  fût  le  bruit  de  cette  percussion,  il  n'empêchait 
pas  d'entendre  un  chant  bref,  au  rythme  net,  qui  se  répétait  indéfini- 
ment d'un  bout  à  l'autre  de  la  danse,  attaqué  par  une  voix  seule,  repris 
par  le  chœur  des  danseurs,  et  s'animant  progressivement  sans  cesser 
■d'alterner  du  soliste  à  l'ensemble  des  voix: 
Assez   animé. 


Quelquefois  le  chanteur  ajoutait  des  notes  d'ornement  qui  n'allaient 
pas  à  moins  qu'à  former  de  véritables  variations,  modifiant  jusqu'au 
temps  principal  : 


Dans  un  autre  spectacle  exotique  (le  Théâtre  Hindou),  j'ai  retrou  vêla 
même  danse  et,  à  quelques  notes  près,  le  même  thème,  mais  avec  cette 
particularité  singulière  que,  l'alternance  ayant  lieu,  non  entre  un  soliste 
et  le  chœur,  mais  entre  deux  chœurs,  le  second  chœur  répétait  le  chant 
à  la  quarte  supérieure  :  ébauche  de  modulation  qu'il  était  intéressant 
de  retrouver  ici. 


Ces  petites  formules  mélodiques,  si  rudimentaires,  sont  bien,  en 
vérité,  l'enfance  de  l'art.  Pourtant  un  sentiment  tonal  très  net  s'en 
dégage.  Celles  qui  viennent  d'être  notées  sont  û'anchement  dans  le 
mode  majeur;  mais  il  suffit  d'un  simple  déplacement  de  la  note  finale 
pour  modifier  la  tonalité.  Dans  l'exemple  suivant  —  un  thème  et  sa  va- 
riation —  évoluant  sur  quatre  notes,  nous  ne  saurions  trop  dire  si  la 
finale  la  doit  être  prise  pour  tonique,  ou  si  ce  rôle  ne  reste  pas  plutôt 
au  sol  par  lequel  se  termine  le  premier  membre  de  plu'ase  : 


Mais  le  suivant  est  décidément  un  mineur  ayant  la  pour  tonique  : 


Il  nous  semble  qu'il  en  doit  être  de  même  du  thème  suivant,  malgré 
l'alternance  déjà  constatée  du  sol  et  du  la  aux  deux  cadences 
successives. 


Telle  est  la  seule  musique  vocale  qu'il  nous  ait  été  donné  d'entendre 
et  de  noter  à  l'audition  des  sujets  hindous  venus  à  Paris  l'an  dernier,  et 
l'on  ne  peut  nier  que  cette  musique  soit  simple,  simple  à.  l'excès.  Elle 
ne  le  cède  en  rien,  à  cet  égard,  à  celle  des  peuples  les  plus  sauvages.  Les 
nègres  perdus  dans  les  classiques  ténèbres  de  l'Afrique  ont  parfois  des 
formes  musicales  plus  riches  et  moins  élémentaires.  Décadence,  ou 
survivance  d'un  art  primitif  dans  les  classes  inférieures  de  la  société 
hindoue?  C'est  là  un  trop  grave  problème  pour  que  nous  songions  à  le 
résoudre,  et  nous  nous  contentons  de  le  poser. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXI 

UNE   MUSICIENNE 

à  M'^"  Renée  d'Ulmés. 
—  «  Fous  êtes  musicienne  »,  —  disait  une  tireuse  de  cartes  à  une  belle 
jeune  fille  russe,  il  y  a  vingt-cinq  ans.  C'était  le  mercredi  19  juillet  1876. 
Et  la  jeune  russe  s'appelait  Marie  Bashkirtseff. 

La  cartomancienne  continuait,  dans  son  taudis  :  «  Vous  êtes  faite 
pour  être  artiste  de  premier  ordre...  Vous  devez  chanter,  vous  arriverez 
à  une  grande  gloire.  Vous  devez  peindre,  vous  aurez  un  grand  succès... 

1)  Voir  te  Ménestrel  du  il  juillet  et  du  18  août  1901. 


268 


LE  MÉNESTREL 


Du  reste,  les  cartes  sont  très  brillantes!  »  L'horizon  s'ouvrait,  vaste  et 
varié.  Mais,  alors,  c'était  la  musique  qui  tourmentait  une  vanité  puérile 
et  géniale.  Et  comme  l'a  dit  si  délicatement  notre  cher  Anatole  France, 
qui,  l'un  des  premiers,  a  deviné  cette  àme  :  «  Elle  était  plus  vaine  de 
sa  voix  que  de  sa  beauté.  Cette  vois  s'étendait  à  trois  octaves  moins 
deux  notes.  Un  des  premiers  rêves  de  Marie  Bashkirtseff  fut  de  devenir 
une  grande  cantatrice...  »  (1).  Huit  jours  avant  sa  visite  à  la  Moreau, 
élève  de  M"»  Lenormand,  la  jeune  fllle  ne  répondait-elle  pas  à  l'espoir 
d'un  brillant  mariage  :  «  Ah!  non,  dis-je,  en  me  renversant  sur  la 
chaise  longue;  c'est  difficile!  Et  puis,  je  veux  me  faire  chanteuse.  » 

Réponse  d'artiste,  que  je  cueille  aux  premières  pages  d'uu  volume  nou- 
veau (2)  qui  se  distingue  d'abord  des  banalités  imprimées  de  la  saison  : 
ce  livre  posthume  est  comme  une  efflorescence  nouvelle  d'un  bel  arbre 
mort;  c'est  un  chapitre  nouveau  d'une  résurrection.  Il  y  avait  de  l'iné- 
dit, nous  le  savions.  Il  y  a  quatorze  ans  déjà,  —  quand  parurent  les 
deux  tomes  du  Journal  de  Marie  Bashkirtseff,  —  nous  n'ignorions  point 
combien  de  pages  manuscrites  sommeillaient  encore  dans  les  nombreux 
cahiers  de  l'exquise  morte  :  ces  «  gros  cahiers,  noirs  de  notes  »  qui, 
dans  l'atelier,  faisaient  l'admiration  du  visiteur,  quand  il  se  trouvait 
être  un  poète...  En  1887,  le  Journal  compacte,  en  1891,  les  rapides  Lettres 
avivaient  notre  désir  de  pénétrer  plus  avant  le  secret  d'un  moi  :  grâce 
au  dévouement  jamais  las  d'une  mère  admirable,  la  nouvelle  publica- 
tion projette  des  rayons  inédits  sur  l'alpha  et  l'oméga  d'une  carrière 
unique,  et  si  brève  !  Voici  le  printemps,  le  spirituel  avril,  avec  les  années 
1876,  1877  et  1878;  voici  l'automne  et  le  mortel  octobre  aux  lueurs  de 
gloire  et  de  pourpre,  avec  les  années  188.3  et  1884.  Aucun  poème,  aucune 
fiction  ne  vaudrait  ce  roman  vécu  par  une  artiste. 

Et  quelle  artiste!  Eblouissante  et  fine,  insaisissable,  cette  mondaine 
devenue  artiste  par  un  sursaut  de  volonté  fière.  sans  flétrir  le  charme 
tout  spécialement  subtil  de  son  àme  docte  et  hardie,  austère  comme  un 
musée,  badine  comme  un  fîve  o'clock,  expansive  dans  ses  contradictions 
conscientes  !  Son  Journal  la  dépeint  non  moins  vivement  que  son  regard 
analysé  par  elle-même  en  tel  Portrait  parlant.  Le  son  de  voix  est  inou- 
bliable :'  on  croit  l'entendre  avec  cette  «  jactance  »  mousseuse  qui  con- 
quiert; on  la  revoit  telle  que  l'aperçurent  les  poètes  en  visite  à  l'heure 
du  samovar,  dans  l'atelier  de  la  rue  Ampère  (3),  près  du  piano  complice, 
de  la  toile  commencée,  de  la  maquette  en  progrés,  de  la  table  studieuse 
où  se  heurtaient  les  livres  latins  et  grecs,  lus  dans  le  texte,  Zola  voisin 
d'Homère.  Psychologue  et  superstitieuse,  philosopheetpeintre,  mondaine 
toujours,  sans  être  ni  dupe  ni  coquette,  aimant  tout,  cultivant  tout,  arts, 
pohtique,  frivolités,  riens  charmants  ou  profonds,  passant  de  la  méta- 
physique à  la  blague... 

Est-ce  l'amour  qui  va  séduire  cette  âme  de  vierge?  NennilTel  grand- 
duc,  le  neveu  d'un  cardinal,  un  homme  célèbre  passeront  comme  des 
fantômes,  bien  qu'elle  souhaite  «  devenir  la  confidente  d'une  belle  àme  ». 
Elle  ajoute  :  «  Aussi  je  vous  présente  Anatole  ou  Oreste  comme  des  Iwrs- 
d'œuvre,  et  ils  ne  m'occupent  que  dans  mes  loisirs.  C'est  ainsi  que  ca 
doit  être  chez  les  gens  occupés.  On  dit  que  Michel-Ange  n'aima  jamais. 
Bh  bien!  je  comprends  ça!  Et  si  jamais  j'ai  des  succès  vraiment  encou- 
rageants, je  serai  capable  de  n'aimer  que  mon  art...  »  Ailleurs,  elle  se 
sent  respirer  dans  l'atmosphère  supposée  des  génies.  Et  vivre?  Elle  y 
songera,  quand  elle  aura  du  talent...  Et  s'il  faut  mourir  avant?  Point 
de  regrets!  Au  seuil  de  l'année  qui  devait  être  la  dernière,  elle  conclut  : 
«  Je  n'aime  que  ma  gloire.  »  Mais  cette  mondaine,  qui  crée  la  mode,  jette 
un  cri  devant  de  muets  paysages  :  «  C'est  beau  la  nature  !  »  Cette  jeune 
étrangère,  ravie  d'essayer  des  robes  «  sublimes  »,  n'a  qu'une  passion, 
qu'un  désir,  qu'un  but  :  rester,  se  survivre  !  «  Toucher  à  tout,  et  ne  rien 
laisser  après  soi!  »  C'est  la  grande  appréhension,  la  seule  vraie.  Un 
pressentiment  l'agite  :  à  tous  ces  beaux  projets,  «  une  vie  ne  suffirait 
pas  ;  la  mienne  surtout...  »  Et,  quand  le  succès  se  dessine  :  «  Vous  com- 
prenez, ce  n'est  pas  le  moment  de  mourir!  » 

Son  génie,  qui  couve  en  maintes  esquisses,  se  révèle  brusquement  au 
tournant  d'une  phrase  :  «  Je  hais  Paris!  »  s'écrie- t-elle;  mais  Rome 
l'appelle  :  «  Je  retiens  mon  souffle  et  je  m'étire  comme  si  je  voulais 
m  allonger  ]-aiq\i' il  Rome!  »  Le  Salon  n'est,  à  ses  yeux,  qu'un  «  amas  de 
peintures  sans  conviction,  sans  pensée,  sans  àme...  »  Tite-Live  lui 
semble  aussi  captivant  qu'Alexandre  Dumas  :  «  Ne  riez  pas  de  la  com- 
paraison, vous  autres  pédants  et  fichus  ignorants!  »  A  côté  du  lyrisme 
de  Gambetta  qui  l'exalte,  tel  discours  de  Clemenceau  lui  parait  «  serré 
comme  un  Holbein  ».  Et  le  perpétuel  sautillement  d'Alphonse  Daudet 
l'énervé;  elle  le  définit  joliment  :  «  Un  pizzicato  sans  fin.  » 


(\)  La  Vie  lilléraire,  dans  le  Temps  du  12  juin  1887  et  tome  I,  pages  167-176. 

(2)  Marie  BaslikirtsefT,  Nouveau  Journal  inédit,  suivi  des  lettres  Guy  de  Maupassant- 
Bastiliirtseff;  avant-propos  de  Reuée  d'Ulmès.  (Éditions  de  U  Revue,  1901.)  —  Une  table 
et  un  index  alphabétique  seraient  les  bienvenus  dans  une  prochaine  édition... 

(3)  Cf.  la  préface  des  Lettres  (Paris,  1891). 


Ici,  la  musicienne  est  pressentie  dans  l'àme  peintre  (1).  En  cette  cor- 
respondance aussi  brève  qu'humoristique,  oit  son  incognito  pétillant 
intrigue  une  seconde  l'ennui  solitaire  d'un  maitre-écrivain  que  la  desti- 
née n'épargnera  point  davantage,  elle  écrit  au  grand  homme  de  ses 
rêves  :  »  Oserais-je  vous  demander  quels  sont  vos  musiciens  et  vos  pein- 
tres? »  Et  Maupassant  répond  :  «  Vous  me  demandez  quel  est  mon 
peintre  parmi  les  modernes?  Millet.  —  Mon  musicien?  J'ai  horreur  de 
la  musique!  »  Désillusion...  C'est  à  Zola  qu'il  fallait  écrire!  «  J'ai  lu 
t'Attaque  du  Moulin.  Il  m'a  semblé  entrer  dans  une  magnifique  forêt  qui 
embaume  et  oii  les  oiseaux  chantent.  «  Jamais  une  paix  plus  large  n'était 
descendue  sur  un  coin  plus  heureux  de  nature...  »  Cette  phrase  magistrale 
rappelle  les  fameuses  quelques  mesures  du  dernier  acte  de  l'.ifricaine.  » 
De  tels  rapprochements  peignent  l'artiste.  La  voix  de  Gayarré,  «  l'in- 
comparable ténor  espagnol  »,  la  transporte  :  «  On  lui  fait  une  ovation 
dont  il  se  souviendra.  Les  gilets  en  cœur  et  les  femmes  les  plus  serrées- 
étaient  dans  l'enthousiasme.  Il  aune  voix  miraculeuse.  »  Est-ce  la  verve 
de  Gayarré,  mais  la  musique  de  Lucie  de  Lammermoor  lui  parait  divine, 
incapable  de  vieillir,  parce  qu'elle  exprime  des  sentiments  éternels... 
Le  peintre  Eugène  Delacroix  n'aurait  pas  mieux  dit. 

La  page  capitale  sur  la  musique  est  datée  du  dimanche  3  février  1884. 
La  voici  : 

<i  II  est  près  de  deux  heures  et  j'écris  dans  mon  lit,  de  retour  des 
Italiens  où  l'on  chantait  Hérodiade  de  Massenet.  J'étais  avec  la  maré- 
chale de  Canrobert  et  Claire.  Le  premier  acte  surprend  par  la  nom'eauté 
et  la  largeur  des  sons.  Ça  ne  ressemble  à  rien  de  ce  que  je  connais. 
C'est  vraiment  neuf  et  plein  et  sonore  et  harmonieux.  Et  tout  l'opéra 
s'écoute  avec  ravissement.  C'est  la  musique  qui  fait  corpsavec  le  poème, 
c'est  l'absence  d'airs  et  de  remplissages.  C'est  large,  magnifique,  gran- 
diose. Massenet  est  un  grand  artiste  et,  désormais,  une  gloire  nationale. 
On  prétend  que  la  belle  musique  ne  se  comprend  pas  du  premier  coup. 
Allons  donc!  Ici,  on  comprend  tout  de  suite  que  c'est  admirable  et 
mélodique,  malgré  une  orchestration  très  savante.  (Mais  je  ne  connais 
pas  même  Wagner.)  Il  y  a,  à  la  fin  du  premier  acte,  un  accompagne- 
ment d'une  telle  beauté  que  j'en  suis  restée  saisie.  Et,  plusieurs  fois, 
on  se  regardait  avec  des  yeux  prêts  à  pleurer  d'enthousiame.  Si  ces 
chiens  de  spectateurs  étaient  sincères,  ils  auraient  pleuré.  Sans  doute, 
ma  musique  italienne  ne  peut  pas  lutter  contre  cet  éblouissement  : 
Massenet  est  un  Wagner  mélodique  et  français.  La  comparaison,  la 
voici  :  Wagner,  c'est  Manet,  c'est  le  père  incomplet  de  la  nouvelle  école, 
de  ceux  qui  cherchent  le  talent  dans  la  vérité  et  le  sentiment.  Il  y  a 
toujours  eu  de  nouvelles  écoles:  seulement  depuis  une  centaine  d'années, 
la  peinture  s'était  dévoyée;  on  la  remet  dans  le  bon  chemin.  Donc, 
Wagner,  c'est  Manet.  La  note  amoureuse  manque  dans  Hérodiade,  mal- 
gré la  stupide  invention  de  faire  de  saint  Jean  l'amoureux  de  Salomé. 
Je  le  verrais  mieux  eu  exalté  prophète,  et  elle  exaltée.  Pourtant,  l'amour 
serait  inévitable.  Moi,  j'aurais  aimé  Jean.  Oui,  Massenet  est  un  ?j^em- 
a'iriste,  il  veut  de  l'air  dans  un  opéra,  il  veut  que  ça  se  tienne  d'un 
bout  à  l'autre,  et  que  les  personnages  et  les  mélodies  se  meuvent  dans 
une  atmosphère  musicale  qui  les  enveloppe  et  les  fassent  vivre...  » 

Quelle  rare  qualité  d'intuition!  Certes,  il  y  aurait  un  volume  à  écrire 
pour  et  contre  le  parallèle  un  peu  jeune  entre  Wagner  et  Manet.  N'im- 
porte! Massenet  peintre  devait  émerveiller  cette  àme  essentiellement 
musicale  :  c'est  dans  l'ordre.  Les  coloristes  se  reconnaissent  au  premier 
abord.  Mais  toute  cette  belle  fièvre  venait  d'aboutir  à  ces  trois  mots,  qui 
disent  tout  :  «  Je  suis  poitrinaire...  »  (2). 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


II 

LA  «  VOGUE  »  DU  CHEVAL  FOL 

La  Vogue,  c'est,  au  pays  lyonnais,  la  fête,  l'assemblée,  la  foire.  Et  la 

Pogue  du  cheval  fol,  qui  se  tient  à  Lyon  le  dimanche  et  le  lundi  de  la 

Pentecôte,  donne  le  signal  des  Vogues  pour  le  reste  dala  saison. 

La  Vogue  du.  cheval  fol  a  son  histoire.  On  lit  dans  un  livre  publié  par 
un  voyageur,  en  1811  : 
«  Sous  Charles  VI,  les  gens  du  peuple,  excités  par  une  troupe  de  sédi- 


(I)  Voir  le  l'i"  article  de  nos  Peintres  mi-lomanes,  dans  le  Ménestrel  du  17  février  l'JOl. 
[i]  Hiioveau  Journal  inédit,  mercredi  18  octobre  188.'. 


LE  MÉNESTREL 


269 


tieux,  se  révoltèrent  contre  les  autorités  et  commirent  plusieurs  excès. 
Les  habitants  de  Bourghanin,  loin  de  suivre  cet  exemple,  prirent  les 
armes  pour  sauver  l'abbaye  d'Alnay  du  pillage. 

1)  Ces  désordres  ayant  été  réprimés  avec  sévérité,  les  habitants  de 
Bourghanin  imaginèrent  d'en  tourner  les  auteurs  en  dérision,  dans  une 
fête  qui  répandait  beaucoup  de  gaité  parmi  les  gens  du  peuple.  On  y 
voyait  un  homme  portant  un  manteau  royal  et  un  sceptre.  Un  cheval 
en  carton  était  adapté  à  sa  ceinture.  Il  parcourait  la  ville  de  Lyon  avec 
ce  costume  bizarre,  accompagné  d'instruments  et  suivi  d'un  nombreux 
cortège,  en  sautant  en  cadence  au  son  de  la  musique,  et  en  se  moquant 
des  mutins.  La  fête  du  cheval  fol  se  terminait  au  confluent  du  Rhôue  et 
de  la  Saône,  où  l'on  précipitait  un  mannequin  en  paille  sur  un  cheval 
en  carton,  après  y  avoir  mis  le  feu.  » 

Voici  quelques  vers  quel'on  fit  à  ce  sujet,  vers  la  fin  du  XVP  siècle  : 

Quant  à  ce  clieval  fol,  qui  sautille,  qui  danse, 
Qui,  au  son  des  hautbois,  cabriole  en  cadence, 
C'est  une  dérision  de  ces  fous  mutinés 

Qui,  comme  chevaux  fols,  courent  la  ville, 
Voulant,  à  qui  mieux  mieux  paraître  plus  habiles 
A  s'enrichir  des  biens  qu'ils  avaient  butinés. 

»  Cette  fête,  ajoute  notre  auteur,  ayant  dans  la  suite  donné  l'essor  à 
la  licence  populaire,  fut  supprimée,  et  on  ne  laissa  subsister  que  les 
foires  établies  à  cette  occasion.  » 

Ces  foires  se  tenaient  à  l'ile  Barbe,  ou  Saint-Rambert,  dans  la  Saône, 
près  de  l'endroit  où  cette  rivière  se  jette  dans  le  Rhône.  Le  site  est  char- 
mant. Couvert  de  demeures  historiques,  de  châteaux,  de  monastères  et 
d'églises,  il  tient,  d'une  ancienne  forêt  druidique,  qui  s'y  trouvait,  les 
charmes  d'une  végétation  luxuriante.  De  même,  la  Saône,  qui  serpente 
non  loin  de  là,  dans  les  prairies  de  la  Bresse  et  du  Beaujolais,  forme  des 
sinuosités,  ombragées  de  verdure,  qui  charment  le  voyageur. 

Pour  être  moins  exubérantes  que  la  Fête  du  cheval  fol,  telle  qu'on  la 
célébrait  au  moyen  âge,  qui  était  le  temps  de  toutes  les  licences  publi- 
ques, la  foire  du  même  nom  n'en  était  pas  moins  joyeuse,  et  même,  par 
tradition,  irrévérencieuse  quelque  peu,  ainsi  que  nous  l'indique  un 
Lyonnais  du  siècle  dernier  : 

«  On  voyait,  dit-il,  venir  à  l'ile  Barbe,  dans  toutes  les  fêtes,  lorsque  le 
temps  était  beau,  les  habitants  de  Lyon,  les  Italiens,  les  Allemands,  les 
Flamands  et  autres  marchands,  avec  leurs  femmes,  leurs  enfants  et  leurs 
familles.  Ils  amenaient  des  tambourins  et  d'autres  joueurs  d'instru- 
ments, et  aussi  venaient  des  bandes  des  métiers  de  la  ville,  armées, 
portant  arquebuses,  hallebardes,  épées,  dagues,  javelines,  avec  tambou- 
rins et  les  insignes  déployées;  les  laboureurs  et  autres,  tant  des  villes 
voisines  que  des  villages,  venaient  en  foule,  les  uns  par  passe-temps, 
les  autres  par  dévotion,  lesquels  dansaient  aux  monastères  et  dans  les 
maisons  même  des  religieux.  Un  des  abbés  ayant  voulu  faire  clore  le 
pré  pour  faire  cesser  ces  amusements  profanes,  le  peuple  renversa  les 
murailles.  » 

Le  même  chroniqueur  nous  donnera  des  renseignements  précieux 
sur  le  costume  des  femmes  de  la  ville  et  de  la  campagne,  dans  le  pays 
lyonnais,  à  son  époque  : 

«  La  coiffufe  des  Lyonnaises  est  un  bonnet  de  dentelle  dont  les  deux 
bandes,  qu'on  appelle  barbes,  sont  pliées  et  fixées  dans  la  partie  supé- 
rieure ;  elles  forment  deux  papillons  arrondis  â  petits  plis  qui  flottent 
de  chaque  côté  ;  les  cheveux  sont  relevés  derrière  en  chignon  et  font  le 
crochet  vers  la  tempe.  Le  fond  du  bonnet  est  transparent  et  laisse  voir 
un  peigne  qui  tient  les  cheveux  retroussés  ;  ce  bonnet  couvre  une  partie 
du  front  en  bandeau. 

«  Le  cou  est  paré  d'un  large  collier  en  or  avec  une  plaque  carrée, 
composée  de  dessins  èmaillés,  et  attachée  avec  trois  rangs  de  chaînons 
en  or.  Plusieurs  autres  rangs  pendent  en  dessous  en  festons.  L'habille- 
ment se  compose  d'un  corset  uni,  dont  la  couleur  est  différente  de  la 
jupe,  et  le  tablier  est  généralement  de  cotonnade  amarante  ou  autre 
couleur,  qui  tranche  avec  celle  de  la  jupe.  » 

Maintenant,  il  faut  bien  en  rabattre.  Ces  jolis  costumes  ont  disparu. 
Les  modes  lyonnaises  se  sont,  comme  à  peu  près  partout  en  France, 
uniformisées,  enlaidies,  et  la  foule  qui  se  porte,  les  jours  de  Pentecôte, 
à  l'ile  Barbe,  pour  assister  aux  fêtes  nautiques  et  à  la  foire  qui  s'y  tien- 
nent, ne  diffère  pas  sensiblement  des  foules  ordinaires. 

Comme  la  plupart  d'entre  elles,  celle-là  s'amuse,  du  reste,  de  tout  son 
cœur  et  déplus  se  pâme  aux  lazzis  connus,  mais  toujours  les  bienvenus, 
des  types  populaires,  Gnafron  et  le  Marchand  de  marrons. 

Les  deux  compères  sont  des  marionnettes  incarnant  le  citadin  lyon- 
nais, avec  ses  costumes,  son  langage  et  ses  manières.  Le  premier  a  le 
couvre-chef  en  manière  de  bonnet  phrygien,  tel  que  le  portaient  autre- 
fois les  ouvriers  de  la  soie,  nos  amis  les  canuts.  Le  second,  casquette 
enfoncée  jusqu'aux  oreilles,  représente  l'honnête  industriel  dont  l'arri- 
véepériodiqueà  Paris  nous  annonce,  chaque  année,  l'approche  de  l'hiver. 


Gnafron,  cordonnier  de  son  état,  ou  plutôt  ressemeleur,  a  un  précieux 
acolyte  en  Guignol,  lyonnais  aussi,  quoique  d'origine  italienne  ;  mais 
celui-là  mérite  les  honneurs  d'un  c'napitre  à  part  ;  pour  le  moment,  ne 
nous  occupons  que  des  gens  en  liesse  qui  s'entassent  dans  les  cabarets, 
pour  y  rire  et  chanter,  sur  le  champ  de  foire.  Ils  fêtent  la  dive  bouteille 
et  célèbrent  en  mélodies,  martelées  comme  à  la  forge,  leurs  amours, 
leurs  désirs  et  leurs  plaintes.  Car  l'ouvrier  lyonnais  se  plaint  toujours. 
Rien  ne  marche  à  son  gré,  et  «  s'il  était  gouvernement  »  tout  irait 
mieux.  La  Vogue,  par  l'endroit  où  elle  tient,  lui  remet  en  mémoire  une 
récrimination,  vieille  de  160  ans,  mais  toujours  présente  â  son  esprit. 
Que  si  un  buveur  entonne,  par  hasard,  la  vieille  chanson  : 

—  Charbonnier,  mon  ami. 
Combien  vends-tu  ta  braise? 

—  Mademoiselle,  je  la  vends  quinze  francs. 
Et  mes  amours  sont  dedans... 

vite,  un  homme  grave  de  la  société  lui  coupera  la  parole  pour  rappe- 
ler l'ordonnance  rendue  le  26  juillet  1740  par  maitre  André  Perrichon, 
demeuré  légendaire  à  Lyon,  qui,  de  son  vivant,  procureur  du  Roi,  fai- 
sant fonctions  de  lieutenant  de  police,  défendit  aux  Lyonnais,  sous  peine 
de  130  francs  d'amende,  de  se  baigner  tout  nus  dans  l'intérieur  de  la 
ville,  soit  dans  le  Rhône,  soit  dans  la  Saône.  Il  en  résulta  une  chanson 
imaginée  par  le  chirurgien  Pierre  Laurès,  autre  célébrité  locale,  dans 
laquelle  les  charbonniers  se  plaignaient  de  la  mesure  draconienne  dont 
ils  avaient  particulièrement  à  souffrir. 

—  Ah!  que  fera  chaud  ojordi!  —  Que  fera  bon  après-midi  -—  se  jeta  la 
tëtepremire —  de  dessus  l'arcade  du  pont,  Ht  l'un. —  Je  son  cinquanta 
charboni...  —  l'iau  no  raf raidie  et  no  décrasse,...  je  lavions  notre  tiso- 
nasse,  dit  un  second.  Alors  un  troisième  :  —  Crey  mi,  ne  va  pas  te 
bagni...  Perrichon  y  a  défendu.  Et  il  e.xplique  l'ordonnance  nouvelle. 
Pour  le  coup  c'est  un  toile,  dont  aucune  imprécation  ne  peut  d(Dnner 
l'idée,  et  dans  un  langage,  —  oh!  mais,  dans  un  langage...  Le  Lyon- 
nais est  féroce  en  matière  de  crudités  oratoires,  et  les  mots  les  plus 
orduriers  lui  viennent  à  la  bouche,  quand  il  veut  dire  sa  pensée. 

Notre  homme  grave  les  mâche  comme  fondants  à  la  crème  en  débi- 
tant la  Chanson  des  Charboni,  et  il  fera  de  même  pour  les  suivantes.  La 
plus  présentable  est  encore  celle  des  Taffetatiers,  que  nous  devons  citer, 
parce  qu'elle  est  bien  dans  la  note  de  l'esprit  de  révolte  inhérent  à  la 
nature  lyonnaise.  Elle  a,  comme  beaucoup  d'autres,  pour  origine  une 
amélioration  de  métier  préjudiciable  à  la  besogne  journalière,  ou  crue 
telle,  de  l'ouvrier.  La  chanson  des  Taffetatiers  visait,  en  effet,  une  ma- 
chine inventée  par  Vaucanson  et  qui  diminuait  la  manœuvre.  Elle  a  été 
imprimée  à  Lyon,  chez  Aimé  de  La  Roche,  en  1744,  et  reproduitejuste 
cent  ans  après  dans  un  opuscule  intitulé  Vaucanson  à  Lyon.  L'auteur 
du  fameux  canut  automate  y  est,  comme  on  va  voir,  assez  maltraité,  et 
même  menacé  : 


Un  certain  Vocanson, 

Grand  garçon, 

Un  certain  Vocanson 

Allons  chez  Montessuy, 

Ujord'hui, 

Allons  chez  Montessuy. 


A  reçu  la  patta 
De    los  maîtres  marchands 
Gara,  gara  la  gratta 
S'y  tombe  entre  nos  mans. 

Ma  fay,  si  nos  échappe, 

Lo  bogre  sera  lin, 

Lo  faut  mettre  en  éclappe, 


Faisons-en  puttafin. 


Il  a  un  grou  g 

Rataplon, 

Percia  de  petits  plombs 

Il  a  ficha  lo  camp, 

Ralaplan, 

11  a  ficha  le  camp  ; 


long. 


Y  faudra  l'assomma. 


Ha  !  y  est  un  vilain  traître, 
Qu'a  fait  los  plus  grou  ma  ; 
Si  tout  que  va  paroîlre, 
a. 

Prions  Dieu  par  fortuna. 
Que  quoque  bon  gaillard 
Venne  trova  sa  fuma 


Per  lo  faire  c. . 


Que  n'ont-ils  dit,  depuis  Vaucanson,  qui  n'ont-ils  chansonné,  les 
pauvres  canuts,  lésés  dans  leur  besogne  ?  Ils  ont  vu  dépérir  leur  indus- 
trie, au  point  que  nous  parlons  presque  du  passé,  en  nous  occupant 
d'eux.  La  fabrique  a  remplacé,  presque  partout,  le  travail  à  domicile. 
Le  bistanclaque,  bistanclaque,  pan,  des  vieux  jours  ne  se  fait  plus  en- 
tendre que  de  place  en  place  dans  les  rues  faubouriennes,  et  bientôt  ce 
bruit,  vraie  fanfare  de  travail,  n'existera  plus  qu'à  l'état  de  souvenir. 

Alors  Lyon  aura  perdu  sa  physionomie  originale.  Mais  la  Vogue  ne 
désarmera  pas  pour  cela.  Les  têtes  survivent  à  tous  les  cataclysmes  et 
consolent  de  toutes  les  misères.  Gnafron  et  le  Marchand  de  marrons  ne 
cesseront  pas  de  lancer  à  la  foule  leurs  lazzis.  Et  les  joyeux  couples  con- 
tinueront à  chanter  follement,  au  retour  de  l'ile  Barbe,  leur  refrain 

favori  : 

Liron,  lirette, 
Rouli,  roulon,  roulette, 
Pimpiroulé,  tendon  à  l'épinci, 
De  la  piro,  de  lulu, 
■  De  la  piro,  hiroulé, 
Bibelin,  bibelo,  popo  lagamago. 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


270 


LE  MENESTREL 


L'INAUGURATION  DU  THEATRE  WAGNÉRIEN  DE  MUNICH 


Munich,  22  août. 
Le  Théâtre  du  Prince-Régent,  ainsi  qu'on  appelle  officiellement  le  théâtre 
■^agnérien  de  notre  ville,  ce  théâtre  que  l'infortuné  Louis  II  avait  voulu 
construire  selon  les  idées  de  son  musicien  favori  et  les  plans  du  célèbre 
architecte  Semper,  s'élève  finalement,  après  plus  de  trente  ans  d'attente,  sur  la 
hauteur-est  de  Munich,  désignée  dès  le  principe  pour  son  emplacement.  La 
nouvelle  avenue  du  Prince-Régent,  destinée  à  devenir  la  plus  belle  rue  de 
Munich,  sa  via  triumphalis,  conduit  du  centre  de  la  ville  au  théâtre;  les  quel- 
ques terrains  inoccupés,  en  bordure  de  cette  avenue,  seront  bien  vite  couverts 
de  constructions  superbes  ;  l'inauguration  du  nouveau  théâtre  y  contribuera 
pour  beaucoup. 

L'architecte,  M.  Max  Littmann,  auquel  était  dévolue  la  tâche  de  réaliser 
les  idées  de  Wagner  et  de  Semper,  s'est  montré  à  la  hauteur  de  l'œuvre.  Si 
le  nouveau  théâtre  ne  séduit  pas  précisément  par  sa  façade,  l'intérieur  en 
est  un  vrai  chef-d'oeuvre.  La  salle,  plus  vaste  que  celle  de  Bayreuth,  ne  con- 
tient cependant  qu'un  millier  de  fauteuils  disposés  en  forme  d'amphithéâtre 
et  fort  commodes.  Les  loges,  réservées  surtout  à  la  famille  royale,  ne  com- 
portent même  pas  autant  de  places  que  la  fameuse  «  galerie  des  princes  » 
de  Bayreuth.  La  décoration  de  la  salle  est  simple  et  sobre,  l'éclairage  doux, 
et  pourtant  presque  aussi  puissant  que  la  lumière  du  jour,  et  l'acoustique  ne 
laissant  rien  à  désirer.  De  «  l'abime  mystique  »,  ainsi  que  "Wagner  a  nommé 
la  fosse  de  l'orchestre  invisible,  les  voix  des  instruments  montent  avec  une 
puissance  et  une  fusion  admirables.  La  scène  est  la  plus  vaste  et  la  mieux 
outillée  de  tous  les  théâtres  existants;  notre  théâtre  de  la  cour,  salle  et  scène, 
pourrait  y  être  placé  tout  entier  sans  la  couvrir  entièrement.  M.  Lautens- 
chlaeger,  le  machiniste  en  chef,  a  de  nouveau  prouvé  sa  grande  capacité  ; 
cette  scène  est  le  digne  couronnement  de  sa  brillante  carrière. 

La  soirée  d'inauguration  a  cependant  manqué  un  peu  de  cet  éclat  qu'on 
avait  espéré,  car  le  deuil  de  la  cour  avait  empêché  le  prince-régent  et  les 
membres  de  la  famille  royale  d'assister  à  la  fête.  Le  corps  diplomatique,  les 
autorités  et  les  invités  étrangers  étaient,  bien  entendu,  tous  venus.  On  remar- 
quait le  directeur  Pierson  de  Berlin,  l'intendant  général  comte  Seebach  avec 
SI  n  directeur  général  de  la  musique,  M.  de  Schuch,  de  Dresde,  les  directeurs 
MM.  de  Putlitz  (Stuttgart),  Stœgemann  (Leipzig),  Loewe  (Breslau),  Jensen 
(Francfort)  et  Werner  (Darmstadt).  La  presse  allemande  était  fortement 
représentée:  parmi  les  journalistes  on  remarquait  beaucoup  d'Italiens. 

M.  Max  Schillings  avait  spécialement  composé  une  «  musique  inaugurale  »: 
on  attendait  mieux  de  l'auteur  d'Ingwelde.  Une  pièces  de  vers,  de  M.  Hans 
Hopfen,  fort  bien  dite  par  M""  Swoboda,  la  tragédienne  du  théâtre  royal,  a 
paru  d'un  byzantinisme  achevé  et  d'une  insignifiance  complète.  Richard 
Wagner  ne  prit  la  parole  qu'après  toutes  ces  inutilités  et  l'ouverture  des 
Maîtres  Chanteurs,  magistralement  interprétée  par  l'orchestre  invisible  sous 
la  direction  de  M.  Zumpe,  provoqua  des  applaudissements  enthousiastes. 
L'enthousiasme  resta  le  même  après  le  dernier  tableau  de  cette  même  œuvre  qui 
formait  l'unique  spectacle  de  la  soirée.  Ce  tableau  se  prête,  comme  on  sait, 
à  une  mise  en  scène  éclatante  et  on  n'avait  jamais  vu  à  Munich  rien,  au  point 
de  vue  scénique,  d'aussi  riche  et  d'aussi  pittoresque.  L'éclairage  surtout  a 
réuni  les  suffrages  de  tous  les  hommes  du  métier  présents. 

Après  ce  tableau  des  Maîtres  Chanteurs,  une  triple  salve  d'applaudissements 
a  salué  les  artistes,  le  vieil  Eugène  Gura,  le  célèbre  Hans  Sachs,  qu'on  re- 
voyait pour  la  première  fois  depuis  sa  retraite  datant  de  189b,  MM.  Walter 
(chevalier  de  Stoltzing),  Geis  (Beckmesser)  et  Schrôdter,  de  'Vienne  (David), 
et  M°><'  Koboth  (Eva).  Le  public  a  ensuite  acclamé  MM.  de  Possart,  le  direc- 
teur du  théâtre,  et  MM.  Zumpe  et  Lautenschlaeger.  M.  de  Possart  a  dû  pro- 
noncer un  petit  discours  bien  tourné  et  rappelant  les  traditions  de  Wagner  à 
Munich  et  l'exemple  de  Bayreuth.  Ce  fut  sa  petite  vengeance,  car  la  famille 
Wagner  avait  décliné  l'invitation  qu'on  lui  avait  envoyée. 

Au  lendemain  de  la  soirée  d'inaugaration  a  eu  lieu  la  première  représen- 
tation publique  devant  une  assistance  en  partie  cosmopolite.  Quelques  étran- 
gers de  marque  ont  du  payer  leurs  places  à  des  prix  qu'on  trouverait  exor- 
bitants même  à  New- York;  c'étaient  les  c<  tards  venus  ».  On  jouait  les  Maîtres 
'Chanteurs  en  entier  et  on  peut  dire  que  la  soirée  n'a  été  qu'un  long  triomphe. 
Les  vétérans  de  la  première  représentation  à  Munich  en  1868  ont  bien 
déclaré  que  l'exécution  de  1901  était  inférieure  quant  aux  solistes;  mais  ils 
restèrent  émerveillés  de  la  mise  en  scène  et  de  l'effet  orchestral.  Un  artiste 
de  la  première  i}e  1868,  un  seul,  a  pris  part  à  celle  du  nouveau  théâtre  : 
M.  Schlosser,  auquel  on  a  fait  fête  dans  son  rùle  secondaire. 

Dans  deux  jours  le  nouveau  théâtre  nous  offrira  Tristan  et  Yseult,  une  œuvre 
qui  évoquera  également  le  glorieux  souvenir  de  sa  création  à  Munich.  Ce 
qu'on  reproche  amèrement  au  nouveau  théâtre,  c'est  la  cherté  des  places;  on 
n'est  pas  habitué  chez  nous  au  prix  unique  de  2b  francs  pour  un  fauteuil  et 
on  oublie  que  l'égalité  de  toutes  les  places,  basée  sur  la  disposition  amphi- 
théâtrale  de  la  salle,  exclut  les  «  petites  places  ».  Un  plaisant  a  proposé 
d'ajouter  à  l'inscription  «  A  l'art  allemand  »,  qui  brille  sur  le  fronton  du 
théâtre,  le  mot  :  «  cher  »  ;  mais  cet  inconvénient  ne  comporte  pas  d'autre 
solution  que  l'organisation  de  représentations  populaires  à  prix  réduits  et  la 
fondation  d'une  «  œuvre  de  Mimi  Pinson  »  pour  les  pauvres  sœurs  d'Eva  qui 
ne  peuvent  même  pas  débourser  cent  sous  pour  aller  voir  les  Maîtres  Chan- 
teurs. Elles  désirent  le  Charpentier  qui  leur  ouvrira  les  portes  du  sanctuaire; 
en  attendant  elles  se  rassemblent  devant  ces  portes  pour  admirer  les  trom- 
pettes costumés  en  hérauts  moyenâgeux  qui  sonnent  l'appel  avant  chaque 
acte,  absolument  comme  à  Bayreuth.  R.  t. 


NOUVELLES    DIVERSES 

ÉTRANGER 
La  crise  du  Conservatoire  de  Vienne  continue.  Après  la  démission  des 
trois  principaux  professeurs  de  piano,  MM.  Epstein,  Door  et  Robert  Fischhof, 
trois  autres  professeurs  viennent  de  signifier  leur  intention  de  partir  égale- 
ment :  M.  Joseph  Hellmesberger,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  impérial, 
M.  Arnold  Rose,  premier  professeur  de  violon,  et  M.  Stoll,  régisseur  général 
de  l'Opéra  impérial  et  professeur  à  la  classe  de  tragédie.  On  considère  ces 
démissions  comme  une  protestation  contre  la  direction  qui  ne  se  trouvera 
pas  en  bonne  posture  lors  de  la  rentrée  des  classes  et  ne  pourra  pas  facile- 
ment remplacer  les  six  titulaires  des  chaires  ainsi  abandonnées. 

—  A  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  M""^  Kaulich-Lazarich,  fille  du  composi- 
teur Kaulich  dont  nous  avons-récemment  annoncé  la  mort,  vient  de  célébrer 
le  Sb"  anniversaire  de  son  engagement  à  ce  théâtre,  où  elle  entra  à  l'âge  de 
19  ans.  Cette  excellente  artiste  est  douée  d'une  sûreté  remarquable  et  con- 
naît admirablement  tout  le  répertoire:  non  seulement  ses  propres  rôles,  mais 
aussi  ceux  de  ses  camarades,  lui  sont  tellement  familiers  qu'elle  a  pu,  à 
mainte  reprise,  remplacer  une  camarade  subitement  indisposée  sans  aucune 
répétition  et  dans  un  rôle  qu'elle  n'avait  jamais  joué.  Celte  faculté,  qui  a 
sauvé  plus  d'une  représentation  bien  compromise,  lui  a  valu  au  théâtre  le 
sobriquet  de  o  Terre-neuve  ».  M""  Kaulich-Lazarich  a  reçu  du  surintendant 
général,  du  directeur,  de  ses  camarades  et  de  beaucoup  d'artistes  de  l'Opéra 
des  marques  flatteuses  d'estime, 

—  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  du  compositeur 
Adolphe  MûUer,  qui  est  mort  il  y  aquinze  ans,  son  fils,  également  compo- 
siteur et  portant  le  prénom  de  son  père,  a  offert  aux  archives  de  la  ville 
de  A  ienne  six  cents  partitions  autographes  de  son  père.  Le  bagage  musical 
d'Adolphe  MûUer  père  est  encore  bien  plus  considérable,  il  faut  notamment 
ajouter,  aux  six  cents  partitions  d'opérettes  et  de  musique  de  scène  pour 
différentes  pièces  de  théâtre,  plus  de  quatre  cents  lieder  et  de  nombreuses 
compositions  diverses. 

—  A  Berlin,  un  gros  scandale  a  éclaté  la  semaine  passée  à  l'Opéra  estival 
du  théâtre  berlinois.  On  y  a  joué  Guillaume  Tell  avec  M.  Otto  Brucks,  artiste 
de  chambre  du  roi  de  Bavière,  comme  protoganiste.  Ce  baryton  dont  le  ma- 
riage avec  la  comtesse  de  Larisch,  nièce  de  la  malheureuse  impératrice 
Elisabeth  d'Autriche,  a  produit  une  si  grande  sensation  il  y  a  quelques 
années,  a  été  autrefois  trompette  et  a  gardé  la  fâcheuse  habitude  d'humecter 
son  gosier.  A  breslau  et  à  Elberfeld,  cette  habitude  lui  a  déjà  joué  d'assez 
mauvais  tours,  et  àBerlinle  scandale,  causé  par  l'artiste  titubant,  fut  si  grand 
qu'on  dut  baisser  le  rideau  et  rendre  l'argent.  Le  public,  qui  s'était  d'abord 
fâché,  a  fini  par  rire  à  gorge  déployée  parce  qu'un  loustic  le  pria  d'attendre 
le  moment  solennel  de  la  remise  d'une  superbe  couronne  qui  attendait  sur 
la  scène.  Le  directeur  du  théâtre  a  intenté  à  l'artiste  un  procès  en  dommages- 
intérêts.  M.  Brucks  déclare  dans  les  journaux  qu'il  a  été  pris  d'un  accès  de 

'colique. 

—  Ou  vient  de  placer  au  nouveau  théâtre  du  prince-régent  de  Munich  un 
orgue  superbe,  le  meilleur  dont  un  théâtre  allemand  puisse  se  vanter. 

—  La  cathédrale  de  Wurzbourg  (Bavière)  possède  le  premier  organiste  en- 
juponné  que  les  féministes  puissent  citer.  Le  chapitre  vient  en  effet  de  confé- 
rer cette  place  à  U'""  Hoeller,  fille  et  élève  du  défunt  organiste  de  la  cathé- 
drale. 

—  La  Société  Mozart  de  Salzbourg  a  constitué  un  fonds  pour  pouvoir  orga- 
niser tous  les  cinq  ans  des  festivals  Mozart  dans  la  ville  natale  du  maître. 
L'Empereur  François-Joseph  y  a  contribué  pour  2.000  couronnes  ;  plusieurs 
archiducs  ont  également  offert  des  sommes  assez  considérables.  Dans  ces 
conditions  l'entreprise  semble  à  peu  près  assurée. 

—  Le  superbe  théâtre  des  anciens  margraves  de  Bayreuth,  un  vrai  bijou 
de  style  Louis  XV,  s'est  ouvert  la  semaine  passée  pour  une  matinée  de  bien- 
faisance organisée  par  les  artistes  du  théâtre  wagnérien  au  profit  des  vic- 
times de  la  récente  inondation  de  Bayreuth.  La  matinée  a  rapporté  plus 
de  cinq  mille  francs  qui  ont  été  remis  au  comité  de  secours. 

—  L'orchestre  grand-ducal  de  Meiningen  donnera  au  théâtre  municipal 
d'Eisenach,  les  5,  6  et  7  octobre  prochain,  sous  la  direction  du  chef  d'or- 
chestre Fritz  Steinbach  et  avec  le  concours  de  solistes  distingués,  un  grand 
festival  exclusivement  consacré  à  la  mémoire  de  Beethoven.  Ce  festival  com- 
prendra quatre  concerts  dans  lesquels  seront  exécutées,  entre  autres  œuvres, 
les  première,  troisième,  cinquième  et  septième  symphonies,  ainsi  que  les 
ouvertures  i'Egmont,  de  Coriolan  et  de  Léonore.  D'autre  part,  MM.  Halir  et 
Frédéric  Lamond  feront  entendre  les  deux  concertos  de  violon. 

—  Le  Conservatoire  royal  de  Dresde  vient  de  nous  envoyer  son  rapport, 
pour  la  dernière  année  scolaire,  qui  montre  son  état  florissant,  malgré  le 
voisinage  dangereux  des  Conservatoires  de  Berlin  et  de  Leipzig.  L'établisse- 
ment a  été  fréquenté  par  1286  élèves,  dont  827  Saxons,  l!28  Prussiens, 
se  Austro-Hongrois.  68  Anglais,  30  Danois,  46  Américains  du  Nord  et  le 
reste  de  nationalités  de  toutes  les  parties  du  globe,  même  d'Australie  et  des 
Républiques  Sud-Américaines.  On  compte,  en  chiffres  ronds,  500  élèves  du 
sexe  masculin  contre  800  élèves  femmes;  ces  élèves  se  sont  naturellement 
surtout  consacrés  au  piano,  au  violon  et  au  chant. 


LE  MENESTREL 


271 


—  La  chapelle  du  prince  souverain  de  Schwarzbourg-Sondershausen  vient 
de  célébrer  le  centième  anniversaire  des  concerts  classiques  qu'elle  donne 
pendant  l'été  gratuitement  au  superbe  parc  qu'on  nomme  Loh.  Toute  la  popu- 
lation de  la  principauté  —  elle  n'est  pas  très  nombreuse  —  adore  ces  concerts 
Loh,  comme  on  les  nomme,  concerts  qui  n'ont  pas  peu  contribué  au  dévelop- 
pement de  l'art  musical  dans  la  région. 

—  Un  singulier  usage  existe  à  Potsdam,  résidence  royale  près  de  Berlin. 
A  la  mort  d'un  roi  de  Prusse,  le  carillon  de  l'église  de  la  cour  de  cette  ville 
qui  fait  ordinairement  entendre  deux  cantiques,  toujours  les  mêmes,  est  trans- 
formé et  sonne  pendant  toute  une  année,  entre  midi  et  une  heure,  six  chorals 
différents  du  XVII«  siècle.  En  1888,  à  l'occasion  de  la  mort  de  Guillaume  I", 
suivie  trois  mois  après  de  la  mort  de  son  fils  Frédéric  III,  cet  usage  fut 
observé  fidèlement.  Or  l'empereur  Guillaume  II  a  ordonné  de  rendre  le  même 
honneur  à  sa  mère,  qui  vient  de  mourir,  mais  seulement  pendant  quinze 
jours.  Les  habitants  de  Potsdam  ont  donc  entendu  de  nouveau  les  chorals 
funèbres  qui  étaient  muets  depuis  vingt  ans. 

—  Le  compositeur  et  chef  d'orchestre  Benjamin  Bilse  vient  de  célébrer  à 
Liegnitz,  sa  ville  natale,  le  8S=  anniversaire  de  sa  naissance.  C'est  M.  Bilse 
qui  a  fondé,  à  Berlin,  les  concerts  d'orchestre  populaires,  qui  ont  rendu  son 
nom  célèbre;  à  la  tête  de  ses  instrumentistes,  il  a  traversé  presque  tous 
les  pays  d'Europe  avec  un  succès  énorme  et  mérité.  M.  Bilse,  un  grand  fa- 
vori de  l'empereur  Guillaume  I™,  dirigea  même  scm  orchestre  à  Paris,  pen- 
dant l'exposition  de  1867.  C'est  lui  qui  joua,  au  bal  de  l'ambassade  de  Prusse, 
la  fameuse  polka  que  le  kronprinz  de  Prusse,  devenu  plus  tard  le  malheu- 
reux empereur  Frédéric  III,  dansa  avec  l'impérati'ice  Eugénie.  En  1883,  la 
maladie  força  M.  Bilse  à  abandonner  ses  musiciens;  il  se  retira  dans  sa  ville 
natale  où  il  vit  agréablement,  quoique  devena  presque  aveugle.  Sa  retraite 
est  tellement  profonde  qu'on  croit  généralement  à  Berlin  qu'il  n'est  plus  de 
ce  monde. 

—  La  reconstruction  complète  du  théâtre  municipal  d'Aix-la-Chapelle  est 
tei-minée;  elle  n'a  pas  coûté  moins  de  800.000  francs.  Le  nouveau  théâtre 
sera  inauguré  le  15  septembre. 

—  Dans  le  courant  du  mois  de  septembre,  M.  Colonne  viendra  à  Prague 
pour  diriger  un  unique  concert  de  musique  française. 

—  Le  couronnement  du  roi  Edouard  VII,  qui  aura  lieu  en  1902,  fait  déjà 
beaucoup  de  bruit  parmi  les  musiciens  anglais.  Deux  questions  les  agitent; 
ils  désirent  savoir  à  quel  musicien  on  s'adressera  pour  la  composition  de 
l'obligatoire  hymne  spécial  et  quel  organiste  sera  placé  à  l'orgue  de  l'abbaye 
de  Westminster.  Par  une  de  ces  nombreuses  fictions  du  droit  coutumier  dont 
la  constitution  anglaise  abonde,  le  chœur  de  l'abbaye  appartient  au  roi  le 
jour  de  son  couronnement,  car  il  est  considéré  comme  «  chapelle  royale  ».  Le 
reste  de  l'abbaye,  surtout  la  nef,  est  à  la  disposition  du  chapitre  de  AVest- 
minster.  Or,  l'évêque  de  Londres,  en  sa  qualité  de  doyen  des  chapelains 
royaux,  a  le  droit  de  nommer  un  «  compositeur  de  la  chapelle  de  Sa  Ma- 
jesté »  aux  appointements  de  mille  francs  par  an,  et  ce  compositeur  a  le  pri- 
vilège déjouer  de  l'orgue  le  jour  du  couronnement,  sans  se  soucier  de  l'or- 
ganiste ordinaire.  Déjà,  au  temps  de  Purcell,  cette  disposition  provoqua  des 
conflits  au  couronnement  de  Guillaume  III  et  Mary  II.  Purcell  garda  bien 
sa  place  à  l'orgue,  mais  il  avait  eu  l'idée  de  vendre,  à  des  prix  énormes  pour 
l'époque,  quelques  places  derrière  le  buffet  de  son  instrument,  et  le  chapitre, 
ayant  eu  vent  de  cette  bonne  affaire,  obligea  l'artiste  à  restituer  ses  petits 
hénéfices.  Les  successeurs  de  Purcell  ont  dû  céder  leur  place  au  «  composi- 
teur »  nommé  par  l'évêque  de  Londres.  Lors  du  couronnement  de  la  reine 
Victoria  en  1838,  on  a  gratifié  du  titre  de  «  compositeur  de  la  chapelle  de  Sa 
Majesté  »  sir  George  Smart,  qui  remplaça  pour  quelques  heures  l'organiste 
habituel.  Ce  musicien  obscur  eut  une  idée  de  génie  pour  tirer  quelque 
argent  de  ses  fonctions  fort  temporaires  et  fît  honneur  à  son  nom  qui  indi- 
que en  anglais  un  grand  degré  d'habileté  et  de  crànerie.  Sir  George  Smart 
plaça,  moyennant  1.230  francs  par  tête,  une  douzaine  de  riches  particuliers 
parmi  les  musiciens  de  l'orchestre.  Il  donna  à  chacun  un  violon  et  un  archet 
et  ces  virtuoses  de  paille,  qui  n'étaient  pas  capables  de  tirer  un  son  de  leur 
instrument,  firent  semblant  déjouer.  Le  chapitre  ne  réussit  pas  à  faire  ren- 
dre gorge  à  l'ingénieux  k  compositeur  x  et  sir  George  Smart  empocha  une 
somme  assez  rondelette.  Le  scandale  fut  grand  et  on  espère  que  le  privilégié 
de  1902  ne  renouvellera  pas  cet  exploit  de  son  prédécesseur  de  1838.  Mais 
quel  sera  ce  «  compositeur  »  ?  That  is  the  question. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  de  Brera  a  consacré  cette  fois  son  concours 
annuel  à  Verdi,  et  il  ne  parait  pas  qu'elle  ait  lieu  de  s'en  grandement  féli- 
citer, si  nnus  nous  en  rapportons  au  compte  rendu  que  donne  le  Trovatore  de 
l'exposition  des  esquisses  de  ce  concours  :  —  a  Gomme  nous  l'avons  annoncé 
naguère,  dit  notre  confrère,  les  concours  de  Brera  ont  eu  cette  année  Verdi 
pour  sujet.  En  fait,  il  était  intéressant  de  voir  comment  de  jeunes  artistes 
auraient  synthétisé  dans  le  dessin  et  dans  la  plastique  la  figure  de  Verdi, 
comprise  comme  marque  de  son  œuvre  vaste  et  puissante.  Hélas!  nous  devons 
confesser  que  c'a  été  une  désillusion  énorme  surtout  du  côté  des  idées.  Nos 
jeunes  artistes  ont  prouvé  qu'ils  ne  savaient  trouver  une  expression  neuve  et 
forte,  qu'ils  n'avaient  aucune  idée  formelle  du  phénomène  artistique.  Les 
choses  les  meilleures  se  trouvent  du  côté  de  la  sculpture  :  les  meilleures, 
entendons-nous,  je  veux  dire  comme  facture,  car,  quant  à  l'idée,  c'est  la 
même  pauvreté  partout.  Verdi  est  en  continuelle  compagnie  des  arts  :  ou  il  est 
au  bord  de  la  mer  ou  tout  au  plus  non  lom  de  sa  modeste  maisonnette  de 


Roncole,  sur  laquelle  brille  un  soleil  d'autel  et  volent  des  anges  d'étable.  Un 
concurrent  de  belle  humeur  nous  montre  un  Otello  chantant  son  Esultate,  un 
Otello  de  théâtre  de  province  en  pose  à'ut  de  poitrine  avec,  tout  autour  de  lui, 
des  chœurs  et  des  comparses.  Assez  bonne  est  une  médaille  de  M.  Sarronni, 
simple  et  bien  gravée.  Mais  si  quelqu'un  voulait,  d'après  ce  concours,  com- 
prendre quelle  trace  a  laissée  sur  les  jeunes  âmes  le  formidable  esprit  verdien, 
il  ne  saurait  réussir  à  s'en  faire  une  idée,  ou  il  se  la  ferait  bien,  bien  mes- 
quine. » 

—  Grâce  à  Victor  Hugo,  nous  avions  le  Roi  s'amuse,  dont,  grâce  àVerdi,  les 
Italiens  se  sont  emparés  en  en  faisant  Rigoletto.  Ceux-ci  vont  avoir,  de  leur 
côté,  le  Roi  s'ennuie,  qui  eu  est  comme  une  sorte  de  contre-partie.  Il  s'agit 
encore  ici  d'un  roi  de  France,  mais  non  plus  de  François  ï".  C'est  Sa  Majesté 
Louis  XV,  dit  le  Bienairaé  (!),  que  les  auteurs  ont  mis  en  scène,  en  compa- 
gnie de  madame  de  Pompadour.  L'œuvre  est  un  opéra,  dont  le  livret  a  été 
écrit  par  M.  Taddeo  "Wiel,  la  musique  par  M.  Antonio  de  Lorenzi-Fabris,  et 
qu'on  espère  voir  représenter  prochainement,  peut-être  avec  le  fameux 
baryton  Kaschmann  comme  principal  interprète. 

—  Le  théâtre  Arena  de  Vérone  a  donné,  le  14  août,  la  première  représen- 
tation d'une  comédie  lyrique  en  un  acte,  la  Figlia  di  Jefte,  dont  le  sujet  est 
tiré  d'une  des  plus  aimables  comédies  de  Felice  Cavalotti.  Le  livret  est  dû  à 
M.  Giuseppe  Pistelli,  la  musique  est  due  à  M.  Giuseppe  Righetti,  ancien  élève 
du  Lycée  musical  de  Pesaro,  alors  que  celui-ci  était  dirigé  par  Carlo  Pedrotti. 
Ce  petit  ouvrage,  dont  l'exécution  était  dirigée  par  le  compositeur  en  per- 
sonne, parait  avoir  été,  favorablement  acneilli. 

—  Si  les  généraux  s'en  mêlent...  A  Padoue,  la  musique  du  62»  régiment 
d'infanterie  a  exécuté  ces  jours  derniers  une  composition  intitulée  Tnide 
(Thaïs),  dont  l'auteur  n'est  autre  que  le  général  C.-F.  Crema.  Les  journaux 
locaux,  nous  reportant  au  temps  des  évocations  mythologiques,  assurent  que 
«  ce  mariage  de  Mars  avec  Euterpe  s'est  trouvé  heureusement  assorti  ». 

—  De  Saint-Pétersbourg  :  «  Il  est  question  de  transformer  en  théâtres 
impériaux  tous  les  théâtres  municipaux  qui  reçoivent  une  subvention  de 
l'Etat,  tels  que  ceux  d'Odessa,  Tiflis,  etc.  Tous  ces  théâtres  seront  placés  sous 
le  contrôle  de  l'intendance  générale  des  Théâtres  impériaux,  u 

—  Ce  sont  des  triomphes  que  M.  Colonne  a  remporté  à  Saint-Pétersbourg. 
Aux  trois  concerts  qu'il  vient  de  donner  à  Paolosk,  il  a  été  littéralement  accla- 
mé et  couvert  de  Heurs.  A  ses  programmes,  qui  sont  avant  tout  bien  français, 
figuraient,  de  Massenet,  les  fragments  symphoniques  à'Hérodiade,  inconnus  à 
Saint-Pétersbourg,  et  qui  tous  trois  ont  été  bissés  d'enthousiasme,  ainsi  que 
le  solo  de  violoncelle  des  Erinmjes,  très  bien  joué  par  M.  Jacobs  de  Bruxelles, 
et  VOuuerture  de  Phèdre  i  de  Lalo,  l'ouverture  du  Roi  d'Ys;  de  César  Franck, 
l'intermède  symphonique  de  Rédemption. 

—  On  a  donné  le  9  août,  au  théâtre  de  l'Eldorado  de  Madrid,  la  première 
représentation  d'une  saynète  lyrique  en  un  acte  et  trois  tableaux,  el  Beso  de 
Judas,  dont  les  auteurs  sont  M.  Prieto  pour  les  paroles  et  MM.  Cereceda  et 
Arnedo  pour  la  musique.  Ce  petit  ouvrage,  interprété  par  M^^^  Alvarez, 
Lopez  Martinez  et  Gonzalez  et  MM.  Moncayo  et  Pablo  Arana,  paraît  avoir 
été  bien  accueilli. 

—  Nous  avons  dit  qu'on  se  préoccupait  activement,  en  Espagne,  de  faire 
revivre  l'opéra  national.  Les  choses  ont  été  bon  train  et  un  de  nos  confrères 
de  Madrid,  la  Espana  artistica,  nous  apprend  que  le  Théâtre-Lyrique,  choisi 
pour  champ  de  cette  expérience  intéressante,  inaugurera  sa  saison  dès  les 
premiers  jours  de  novembre  prochain,  et  que  le  premier  ouvrage  mis  à  la 
scène  sera  Circé,  paroles  de  M.  Ramos  Carrion,  musique  de  M.  Ruperto 
Chapi.  Viendront  ensuite  les  opéras  suivants  :  Raimundo  LuUo,  paroles  de 
M.  Dicente,  musique  de  M.  Vila;  ta  Renta  de  tos  gatos,  paroles  de  M.  Alvarez 
Quintero,  musique  de  M.  Serrano;  Magdalena,  paroles  de  M.  Flores  Garcia, 
musique  de  M.  Brull;  Fariiielli,  paroles  de  M.  Cavestany,  musique  de  M.Tho- 
mas Breton;  la  Maja  de  rumbo,  paroles  de  M.  Fernandez  Shaw,  musique  de 
M.  Serrano;  Rodrigo  de  Vivar,  paroles  et  musique  de  M.  Manrique  de  Lara; 
et  enfin  un  ouvrage  de  titre  encore  inconnu,  paroles  de  M.  Sinesio  Delgado, 
musique  de  M.  Saco  del  Valle.  La  saison  durera  trois  ou  quatre  mois,  et  il 
est  possible  qu'on  la  termine  par  la  mise  à  la  scène  d'  «  une  zarzuela,  du 
grand  genre  ». 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  les  chefs  d'emploi  commencent  à  rentrer  de  leurs  vacances  ; 
cette  semaine,  M"=  Louise  Grandjean  et  M""  Aïno  Ackté  ont  repris,  et  nul 
ne  s'en  est  plaint,  les  rôles  de  leurs  répertoires.  La  semaine  prochaine  ce 
sera  le  tour  de  MM.  Alvarez  et  Renaud.  Entre  temps  M""  de  Noce  a  chanté, 
pour  la  première  fois,  Mathilde  de  Guillaume  Tell  et  y  a  été  accueilli  des  plus 
sympathiquement.  —  Dans  la  journée  on  est  tout  au.x  études  des  Barbares  de 
M.  Saint-Saëns  et  de  Siegfried  de  Wagner;  dans  les  premiers  jours  de  sep- 
tembre, M.  Gailhard  étant  de  retour,  l'ouvrage  de  M.  Saint-Saëns  «  descen- 
dra en  scène  ». 

—  M.  Albert  Carré  a  quitté  Aix-les-Bains  pour  faire  un  petit  voyage  en 
Allemagne.  Il  s'est  dirigé  sur  Wetzlar  où  il  a  été  prendre,  de  visu,  des  ren- 
seignements pour  la  prochaine  reprise  du  Werttier  de  M.  Massenet  à  l'Opéra- 
Comique.  Il  a  pu  visiter,  là-bas,  la  maison  de  Charlotte  qui  existe  encore.  — 


272 


LE  MENESTREL 


Après  avoir  traversé  Paris  cette  semaine  et  s'être  rencontré,  dans  son  cabinet 
directorial,  avec  son  administrateur,  M.  Gandrey,  et  son  secrétaire,  M.  Eicou. 
M.  Albert  Carré  est  reparti  pour  Houlgate. 

L'empereur  Guillaume  vient  de  nommer  M.  Camille  Saint-Saéns  cheva- 
lier de  l'ordre  »  Pour  le  mérite  »,  à  titre  étranger  et  dans  la  classe  des 
sciences  et  beaux-arts.  Cette  décoration  n'est  conférée  que  fort  rarement  et 
M.  Saint-Saëns  est  le  premier  musicien  français  qui  l'ait  jamais  obtenue: 
depuis  la  mort  de  Johannès  Brahms  aucun  musicien  allemand  ne  la  possédait. 

C'est  à  Béziers,  où  il  est  allé,  dès  le  commencement  de  cette  semaine, 

surveiller  les  dernières  répétitions  du  spectacle  qui  aura  lieu  les  2S  et  27  août, 
que  M.  Saint-Saéns  a  dû  apprendre  la  gracieuseté  de  l'empereur  d'Allemagne. 
Les  journaux  allemands  annoncent  déjà  que  le  maître  français  fera  le  voyage 
de  Berlin  tout  exprés  pour  aller  remercier  Guillaume  II. 

—  C'est  1res  prochainement  que  le  Grand-Palais  des  Champs-Elysées, 
prêté  par  le  ministre  de  l'instruction  publique,  va  ouvrir  ses  portes  pour  les 
grands  concerts  populaires  que  doit  y  donner  M.  Louis  Pister. 

—  Suite  des  devises  de  nos  artistes  de  chaut  : 
Louise  Grandjean  :  Aimons-nous,  Aidons-nous! 
Jane  Marignan  :  Tout  ou  rien. 

Henri  Albers  :  Mettre  la  vie  dans  l'art  et  l'art  dans  la  vie. 

—  On  annonce  le  mariage  prochain  de  M.  Louis  Ganne,  le  charmant  com- 
positeur de  nombre  de  morceaux  populaires,  avec  M"'  Jeanne  Massador,  de 
Sétif. 

M°"=  Bolska  de  retour  de  Bayreuth  vient  de  traverser  Paris  pour  aller  se 

reposer  en  Bretagne,  après  une  longue  et  brillante  saison  d'hiver  à  l'Opéra 
impérial  de  Saint-Pétersbourg,  suivie  de  non  moins  brillantes  représentations 
à  Tiflis,  Baku,  Kharkow,  Kieff,  etc.  Au  commencement  de  novembre, 
M""=  Bolska  fera  sa  rentrée  à  l'Opéra  impérial  pour  y  chanter  entre  autres 
ouvrages  Esdarmonde,  Roméo  et  Juliette,  te  Freyschûtz  et  les  Noces  de  Figaro,  ces 
deux  derniers  ouvrages  n'ayant  pas  été  joués  depuis  vingt  ans. 

Dimanche  dernier,  dans  la  petite  ville  de  Condé-sur-l'Escaut,   située  à 

une  douzaine  de  kilomètres  de  'Vaienciennes.  avait  lieu  une  cérémonie  inté- 
ressante :  l'inauguration  d'un  joli  monument  élevé  à  la  gloire  et  à  la  mé- 
moire d'une  des  plus  grandes  tragédiennes  françaises.  Hippolyte  Clairon, 
que  certains  de  ses  contemporains  surnommèrent  Frétillon,  on  ne  saurait 
trop  dire  pourquoi,  et  qui  s'appelait  réellement  Claire-Josèphe-Hippolyle 
Lervs.  La  Clairon,  dont  Edmond  de  Goncourt,  dans  son  style  d'une  précision 
sèche  et  sans  enthousiasmé,  a  retracé  la  vie  et  la  carrière,  dont  Marmontel, 
dont  elle  fut  la  maîtresse,  a  rappelé -avec  complaisaace,  dans  ses  Mémoires,  les 
souvenirs  de  sa  liaison  avec  elle,  fut,  on  le  sait,  l'une  des  gloires  les  plus 
éclatantes  de  la  scène  française  et  l'interprète  admirable  et  préférée  de 
Voltaire.  Elle  méritait  bien  l'hommage  qui  vient  de  lui  être  rendu  par  sa 
petite  ville  natale,  peu  de  temps  après  que,  dans  le  Nord  aussi,  à  Saint- 
Saulve,  un  hommage  du  même  genre  allait  trouver  une  autre  grande  tragé- 
dienne, Mi'=  Duchesnois.  La  cérémonie  a  eu  lieu  avec  une  véritable  solen- 
nité, accompagnée  de  discours,  de  pièces  de  vers  de  Voltaire  à  Clairon,  dites 
par  W"'  Dudlay  et  Moreno  et  M.  Leitner,  d'une  Ode  à  Clairon  de  M.  Clodomir 
Rûuzé,  eniin  de  l'exécution,  par  l'orphéon  Clairon  et  la  société  philharmo- 
nique, d'une  Cantate  à  Clairon  mise  en  musique  par  M.  Abel  Estyle  sur  Jes 
vers  du  même  poète.  Le  monument,  dû  à  la  collaboration  du  statuaire  Gau- 
quié  et  de  l'architecte  H.  Guillaume,  se  compose  d'une  gaine  souple  et 
coquette  ;  sur  un  large  cartouche  Louis  XV  se  lit  cette  inscription  :  «A  Clairon, 
1723-1803.  »  De  chaque  côté  de  ce  cartouche,  des  amours  joufilus  tendent  à 
l'actrice  des  couronnes  et  des  guirlandes  de  fleurs  ;  sur  le  socle  est  accroché 
le  masque  tragique.  Enfin,  au  sommet  est  placé  le  buste  de  la  tragédienne, 
dans  une  altitude  d'orgueilleuse  élégance.  L'ensemble,  très  harmonieux,  est 
du  plus  pur  dix-huitième  siècle  et  digne  de  l'admirable  artiste  dont  le  monu- 
ment consacre  la  mémoire. 

De  Chàtel-Guyon  :  Très  beau  Feslival-Massenet,  très  bien  dirigé  par 

M.  Domergue  de  la  Chaussée.  On  applaudit  et  on  bisse  toute  la  soirée.  Au 
programme  :  Marche  de  Szabadi,  Angélus  et  Fête  Bohème  des  Scènes  pittoresques, 
Entr'acte-Sévillana  de  Don  César  de  Bazan,  Méditation  de  Thaïs  jouée  par  le 
violoniste  M.  Torfo,  ballet  du  Cid,  Ouverture  de  Phèdre.  «  Pleurez  mes  yeux  » 
du  Cid,  fort  bien  chanté  par  M""'  Domergue  de  la  Chaussée,  et  une  suite 
symphonique  sur  Werther  arrangée  par  l'excellent  chef  d'orchestre. 

—  De  Royat  :  On  vient  de  jouer  au  Casino  une  comédie-opérette  inédite, 
en  un  acte,  de  M.  Amédée  Marandet,  musique  de  M.  F.  de  Ménil,  qui  a  été 
fort  bien  accueillie. 

De  Bayonne  ;  Le  grand  succès  de  laKavurraiseeiie  Carmen,  jouées  aux 

Arènes,  a  décidé  le  Comité  à  donner,  le  8  septembre  prochain,  une  nouvelle 
représentation  qui  sera,  cette  fois,  composée  d'Aida. 

De  Luc-sur-Mer  :  De  passage  ici.  M"'  Fanny  Créhange  a  donné  trois 

concerts  qui  ont  attiré  beaucoup  de  monde  et  lui  ont  valu  grand  succès.  La 
charmante  cantatrice  s'est  fait  applaudir  dans  l'air  à'Hérodiade,  l'air  du  Cid 
et  l'air  de  Manon,  de  Massenet. 


NECROLOGIE 


C'est  avec  un  vif  sentiment  de  regret  que  j'enregistre  la  mort  de  mon 
vieux  camarade  Edmond  Audran,  aux  débuts  duquel  je  me  trouvai  un  peu 
mêlé  lorsqu'il  vint,  pour  la  première  fois,  essayer  de  se  produire  à  Paris, 
dans  un  genre  bien  différent  de  celui  auquel  il  dut  plus  tard  sa  réputation.  Il 
habitait  alors  Marseille  avec  son  père,  qui  avait  tenu  avec  une  sorte  d'éclat 
l'emploi  des  seconds  ténors  à  l'Opéra-Gomique.  où,  entre  autres,  il  obtint  un 
vrai  succès  en  créant  le  rùle  d'Andréa  dans  Haijdée.  Je  me  trouvais  alors  en 
correspondance  avec  lui,  et  il  m'écrivit  pour  me  recommander  son  fils  et  me 
prier  de  lui  être  utile,  celui-ci  venant  à  Paris  pour  faire  exécuter  une  messe 
de  sa  composition.  La  messe  fut  en  effet  exécutée  à  Saiut-Eustache,  et  bien 
accueillie,  après  quoi  Audran  retourna  à  Marseille,  où  il  avait  déjà  donné 
deux  petits  ouvrages  en  un  acte,  entre  autres,  la  Chercheuse  d'esprit,  de  Favart, 
arrangée  en  opérette. 

Son  père  était  lié  avec  Chivot  et  Duru,  qui,  sur  sa  demande,  confièrent  à 
Edmond  le  livret  d'une  opérette  en  trois  actes,  le  Grand  Mogol,  qui,  repré- 
sentée à  Marseille,  y  obtint  un  succès  retentissant.  Cantin,  alors  directeur 
des  Bouflés-Parisiens,  eut  connaissance  de  ce  succès  et  ouvrit  les  portes  de 
son  théâtre  au  jeune  musicien.  Celui-ci,  avec  le  concours  de  ses  deux  col- 
laborateurs, lui  apporta  les  Noces  d'Olivette,  que  le  public  reçut  avec  beaucoup 
de  faveur,  et  que  suivit  de  près  la  Mascotte,  dont  on  sait  le  triomphe  légen- 
daire ;  pendant  trois  années  consécutives  la  Mascotte  ne  quitta  pas  l'affiche 
des  Bouffes,  tout  en  faisant  son  tour  de  France.  A  partir  de  ce  moment  le 
compositeur  était  classé.  Il  ne  s'arrêta  plus  ;  peut-être  pas  assez,  car  il  arriva 
parfois  que  la  rapidité  du  travail  ne  lui  laissait  pas  assez  de  solidité.  Audran 
devint  envahisseur  et  se  fit  jouer  de  tous  côtés  :  aux  Boufi'es,  aux  Folies- 
Dramatiques,  à  la  Renaissance,  aux  Nouveautés,  à  la  Gaité,  et  jusqu'aux 
Menus-Plaisirs  et  au  petit  théâtre  installé  un  instant  à  feu  l'Alcazar  du  Fau- 
bourg Poissonnière.  On  connaît  les  titres  de  ses  pièces  :  Gillette  de  Narbonne, 
Pervenche,  la  Dormeuse  éveillée,  la  Cigale  et  la  Fourmi,  les  Pommes  d'or,  le  Puits 
qui  parle,  la  Fiancée  des  Verts-Poteaux,  la  Fille  à  Cacolet,  Serment  d'amour. 
Miette,  l'Oncle  Célestin,  Article  de  Paris,  Miss  Helyctt,  dont  le  succès  égala  celui 
de  [à  Mascotte,  qu'elle  était  poui'tant  loin  de  valoir,  puis  Sainle-Freya,  Madame 
Suzette.  Mon  Prince,  la  Duchesse  de  Ferrare,  Pholis,  Monsieur  Lohengrin,  l'Enlève- 
ment de  la  Toledad,  sans  compter  ce  que  j'oublie.  Dans  tous  ces  ouvrages  on 
rencontre  une  mélodie  aimable  et  facile,  à  laquelle  on  souhaiterait  parfois 
un  peu  plus  de  nouveauté,  la  chaleur,  l'entrain,  la  verve  unie  à  la  grâce,  et 
un  bon  sentiment  de  l'orchestre. 

Edmond  Audran  était  né  à  Lyon  le  11  avril  1842  et  était,  par  conséquent, 
dans  sa  soixantième  année.  Il  avait  fait  ses  études  à  l'Ecole  de  musique 
religieuse  fondée  et  dirigée  par  Niedermeyer,  et  il  y  avait  obtenu  le  prix  de 
composition.  Son  éducation  était  donc  sérieuse  et  solide,  et  il  prouva  dans 
la  suite  qu'il  connaissait  son  métier.  Il  fit  partie  de  ce  gentil  petit  groupe  de 
compositeurs  qui,  succédant  à  Hervé  et  à  Offenbach,  maintinrent  l'opérette 
dans  les  bonnes  traditions  du  genre,  en  respectant  l'art  qu'ils  pratiquaient 
et  qui  est  une  des  formes  actuelles,  quoique  secondaire,  de  la  musique  fran- 
çaise. Son  nom  s'inscrit  à  côté  de  ceux  de  MM.  Charles  Lecocq,  Louis 
Varney,  Gaston  Serpette,  P.  Lacôme,  etc.,  que  le  public  a  appris  à  estimer 
et  à  aimer.  Il  est  mort  dans  la  nuit  du  16-17  août  à  Tierceville  (Seine-et-Oise), 
près  de  Gisors,  où  il  avait  l'habitude  de  passer  tous  les  étés.  On  sait  que  la 
Gaité  prépare,  pour  sa  prochaine  réouverture,  une  dernière  pièce  de  lui,  te 
Curé  Vincent,  sur  laquelle  elle  compte  beaucoup.  Ce  sera,  hélas  !  une  œuvre 
posthume.  Arthur  Pougin. 

—  M.  Louis  Marsick,  violoniste,  professeur  de  musique  à  l'Académie  de 
Hasselt,  vient  de  mourir  à  Liège  à  l'âge  de  S8  ans.  Comme  son  frère,  le  célèbre 
virtuose  Martin  Marsick,  Louis  Marsick  était  un  musicien  solide,  digne  repré- 
sentant de  la  célèbre  école  de  violon  de  Liège.  Professeur  dans  les  écoles  de 
la  Ville,  il  faisait  aussi  partie  de  l'orchestre  du  Théâtre  Royal  depuis  1834  et 
composa  quelques  cantates  qui  ne  passèrent  pas  inaperçues. 

—  A  Charlottenbourg,  près  Berlin,  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  bB  ans,  le 
compositeur  Richard  Kleinmichel..  Né  à  Posen  le  31  décembre  1846,  il  fut 
d'abord  élève  de  son  père,  chef  de  musique  militaire,  et  ensuite  du  Conser- 
vatoire de  Leipzig.  En  1876,  Kleinmichel  fut  engagé  comme  chef  d'orchestre 
du  théâtre  municipal  de  Hambourg;  il  quitta  cette  place  en  1801  pour  se 
consacrer  exclusivement  à  la  composition  musicale.  Il  laisse  des  opéras  : 
Manon,  le  Fifre  de  Dusenbach  et  le  Château  de  Lorme,  plusieurs  symphonies  et 
morceaux  pour  piano  et  un  certain  nombre  d'éditions  d'anciens  opéras  pour 
piano.  En  1900  il  fut  placé  à  la  tète  du  journal  de  musique  Siyimle,  de 
Leipzig,  en  remplacement  de  son  défunt  fondateur  M.  Bartholf  Senff. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

CHANTRES    bons   appointements   demandés  cathédrale   Lisieux.   —  S'y 
adresser. 

Vient  de  paraître  chez  E.  Fasquelle,  les  Vingt-et-un  jours  d'un  Neurasthénique,  par 
Octave  Mirbeau  (Bibliothèque  Charpentier,  3  fr.  50  o.). 


3675.  —  67"^  A^^ÉE  —  1\°  3S.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Diraauelie  i"  Septembre  1901, 

(Les  Bureaux,  B""",  rue  Ymeime,  Paris,  tt-m>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pus  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREE 


lie  JlaméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


lieJlamêFo:  Ofr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Te.\te  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  BUS. 


SOMMAIEE-TEXTE 


K  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (27^  article),  P.\ul  d'Estrées.  — 
II.  Courte  monographie  de  la  Sonate  {1"^  article),  Arthur  Pougin.  —  IIL  Notes  d'ethno- 
graphie musicale  :  la  Musique  dans  l'Inde  (^^  article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  Le  Tour 
de  France  en  musique  :  Guignol,  Edmond  Neuromm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LA   FÊTE   DES  VIGNERONS 

de  Paul'Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse  en  sourdine,  de  A.  PÉaiLHOu. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
A  une  Étoile,  nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de  Alfred  de  Mus- 
set. —  Suivra  immédiatement  :  Cloches  d'automne,  nouvelle  mélodie  de  Noël 
Des.ioyeaux,  poésie  de  Paul  Mariéton. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  LNTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  plus  récents  et  des  documenls  inédits 

(Suite.) 


VI  (suite) 

Nous  retrouverons  un  autre  exemple  de  cette  délicatesse  toute 
germanique  dans  le  croquis  tracé,  l'année  suivante,  par  Metter- 
nich,  de  son  séjour  à  Garlsbad.  Le  premier  ministre  autrichien 
'y  revoit  M""  Catalan!  ;  et  le  médecin  de  l'établissement,  le 
D' Staudenheim,  ordonne  à  la  chanteuse  de  prendre  les  eaux 
trente  jours  de  suite  :  «  c'est  un  sujet  classique  pour  Garlsbad  ». 

En  ce  temps-là,  les  baigneurs  ne  comptaient  que  sur  leur 
initiative  pour  se  procurer  les  distractions  musicales  destinées  à 
leur  rendre  moins  monotone  le  séjour  des  stations  balnéaires  : 

«  Pour  le  concert  d'après-demain,  dit  Jletlefoitb,  l'orchestre  sera  composé  de  la 
manière  suivante  : 

»  Chef  d'orclteslre,  un  ancien  maître  de  chapelle  qui,  depuis  trois  ans,  n'est 
pas  encore  parvenu  à  guérir  sa  maladie  de  foie  ; 

»  Clavecin,  le  prince  de  Biron  qui  ment  toujours,  excepté  quand  il  dit  qu'il 
joue  bien  de  cet  instrument; 

»  Premier  violon,  un  colonel  saxon; 

»  Second  violon,  un  capitaine  prussien; 

»  Violoncelle,  le  général  prussien  comte  de  Hacke. 

»  Nous  sommes  encore  à  la  recherche  des  autres  instruments;  les  joueurs 
de  trompette  sont  seuls  arrêtés,  ce  sont  les  gardiens  de  la  grande  cour  qui 
annoncent  l'arrivée  des  étrangers  à  son  de  trompe...  » 


Un  autre  jour,  la  matinée  musicale  se  donne  chez  Metternich 
lui-même;  et  ce  sera  encore  un  Français  que  ridiculisera  le 
prince  en  lui  attribuant  une  de  ces  gaffes  qui  donnent  la  mesure 
d'un  homme  et  la  capacité  de  son  intelligence. 

<i  A  la  première  représentation  du  concert  qui  a  eu  lieu  chez  moi,  arrive 
Goethe.  Se  le  présente  à  M"""  Calalani  et  lui  dis  que  c'est  un  homme  dont 
l'Allemagne  s'honore.  'Valabrègue  demande  : 

—  »  Qui  est  Goethe  ? 

»  Je  lui  dis  qu'il  est  l'auteur  de  Werther.  Le  malheureux  ne  l'a  pas  oublié. 
Ne  voilà-t-il  pas  qu'il  va  à  lui  quelques  jours  après  et  lui  dit: 

—  »  Mon  cher  Goethe,  combien  il  est  dommage  que  vous  ne  puissiez  voir 
jouer  Potier  (l'acteur  comique)  dans  le  rôle  de  Werther  :  cela  vous  eut  fait 
pouffer  de  rire.  » 

Assurément,  le  baron  de  Bonnefoux,  ancien  capitaine  de  vais- 
seau, ne  compte  pas  à  côté  du  prince  de  Metternich,  le  glorieux 
diplomate  :  mais  comme  son  éloge  (1)  del'illustre  cantatrice,  qu'il 
s'obstine  à  nommer,  je  ne  sais  trop  pourquoi  M'""  Calalini,  est  de 
bon  goût  à  côté  de  l'excessif  dithyrambe,  si  platement'terminé, 
de  l'homme  d'Etat  autrichien  ! 

Bonnefoux  était  alors  prisonnier  en  Angleterre,  à  Birmingham 
(1808).  Il  avait  certaines  connaissances  musicales,  puisqu'il 
jouait  agréablement  de  la  flûte  ;  et  son  goût,  non  moins  que  son 
talent,  s'accrut  encore  d'une  audition  qu'il  ne  devait  jamais  ou- 
blier. 

Cl  La  célèbre  cantatrice  de  l'époque,  M""^  Catalini,  qui  réunissait  les  moyens 
de  M""'  Casimir  au  goût  exquis  de  M^^  Damoreau,  était  alors  dans  cette  ville 
et  nous  allâmes  l'entendre.  Pour  la  première  fois,  mon  âme  fut  enthousiasmée 
par  l'impression  profonde  que  produit  souvent  le  chant  italien;  et  jusqu'à 
présent  ce  plaisir  éprouvé  en  entendant  les  magnifiques  voix  de  ce  pays  de 
l'harmonie  musicale  n'a  fait  que  s'accroître  en  moi.  » 

M.  de  Puymaigre  (2)  ne  connut  M'"'  Catalan!  qu'à  la  fin  de  sa 
carrière,  alors  qu'elle  s'était  retirée  à  Florence,  après  son 
désastre  des  Italiens.  Elle  occupait,  avec  son  fils  et  sa  fille,  une 
fort  jolie  villa  aux  environs  de  la  ville.  Quoique  Valabrègue, 
joueur  malheureux  autant  qu'incorrigible,  lui  eût  dévoré  une 
partie  de  sa  fortune,  la  Catalan i  avait  encore  quatre-vingt  mille 
francs  de  rente.  Elle  était  restée  l'artiste  nerveuse,  impression- 
nable, passionnée,  inégale,  que  l'Europe  avait  tant  applaudie,  et 
la  femme  flère  de  ses  avantages  physiques  dont  le  monde  entier 
avait  célébré  l'éclatante  beauté.  C'était  tout  au  plus  si  elle 
avouait  cinquante  ans;  et  ses  yeux  ne  pouvaient  retenir  ses 
larmes,  quand  elle  rappelait  l'enthousiasme  —  cette  folie  de  Met- 
ternich —  excité  par  le  charme  de  sa  voix  et  les  audaces  de  ses 
vocalises. 

La  Catalani  était  admise  aux  bals  du  grand  duc  de  Toscane. 
La  princesse  Colloredo,  l'y  voyant  un  soir,  demande  au  comte 
de  Puymaigre  qu'il  la  lui  présentât.  Celui-ci  s'empresse  d'aller 

(1)  Mémoires  du  baron  de  Bonnefou>^  publics  par  E.  Jobbé-Duval  ;  Pion,  1900. 

(2)  Comte  Alexandre  de  Puïmaigre.  —  Souvenirs  sur  l'Émigration,  l'Empire  et  'la 
Restauratifin  publiL-s  par  sou  fils;  Pion,  1884. 


274 


LE  MÉNESTREL 


trouver  la  cantatrice   et  de  lui  exprimer  le  désir  de  la  grande 
dame. 

—  Ah!  diavolo,  non  andro  (Ah!  diable,  je  n'irai  pas),  répond 
vivement  la  Catalani,  en  lui  désignant  du  regard  le  siège  de  la 
princesse. 

Puymaigne  comprit  à  demi-mot.  M°"  de  GoUoredo  était  assise 
sur  le  sopha  que  l'étiquette  archiducale  réservait  aux  princesses 
sans  quïl  îùt  permis  aux  profanes  de  s'en  approcher. 

L'obligeant  intermédiaire  avise  aussitôt  la  grande  dame  du 
scrupule  qui  paralyse  le  bon  vouloir  de  l'artiste. 

—  Qu'à  cela  ne  tienne,  réplique  gaiment  la  princesse,  en  se 
levant,  liais  elle  n'a  pas  fait  le  premier  pas  que  M°"  Catalani 
<!  se  précipite  à  sa  rencontre  ». 

Valabrègue,  le  prince-époux  de  cette  reine  du  chant,  l'exploita 
toute  sa  vie,  comme  une  mine  féconde,  où  il  trouvait  de  quoi 
satisfaire  sa  ruineuse  passion.  Aussi,  pendant  qu'il  en  réglait  le 
rendement  par  un  industrialisme  anti-artistique,  avait-il  soin  de 
diminuer  par  des  manœuvres  mesquines  la  valeur  de  concur- 
rents qui  pouvaient  lui  porter  un  sérieux  préjudice.  Ce  procédé 
fut  assurément  une  des  causes  déterminantes  du  départ  pour 
l'Italie  de  M°"=  Mainvielle-Fodor  qui,  après  avoir  succédé  à 
M°"  Barilli,  comme  prima-donna,  sur  la  scène  de  l'Odéon,  était 
passée  au  Théâtre  Favart.  Mais  avant,  à  la  suite  sans  doute  d'un 
refus  de  service,  l'ancien  premier  sujet  du  Théâtre  de  la  Cour  de 
Russie  avait  dû  subir  une  peine  disciplinaire,  empruntée  aux 
traditions  du  siècle  précédent.  Nous  avons  sous  les  yeux  une 
lettre,  où  Valabrègue,  sur  le  ton  badin  de  la  rancune  amplement 
satisfaite,  apprend  à  M.  de  la  Ferté,  intendant  des  Menus-Plai- 
sirs, l'ordre  du  comte  de  Pradel,  directeur  général  du  ministère 
de  la  Maison  du  Roi,  transmis  par  M.  Gourtin  à  M"'  Mainvielle- 
Fodor,  de  venir  subir  la  peine  des  arrêts  à  l'Abbaye  : 

27  Décembre  1895. 
...  «  Gette  invitation  ayant  occasionné  à  M"'  Fodor  quelques 
convulsions,  elle  a  demandé  qu'il  fût  sursis  à  l'exécution  de 
l'ordre  jusqu'à  ce  matin.  M.  Gourtin  n'a  pas  cru  devoir  y  obtem- 
pérer; et,  prenant  ces  convulsions  pour  un  refus  d'obéir,  il  a 
réclamé,, en  vertu  de  l'ordre  dont  il  était  porteur,  l'assistance 
de  la  police;  et,  au  moment  où  il  l'avait  obtenue,  M""  Main  vielle 
avait  totalement  recouvré  l'usage  de  ses  sens;  elle  a  été  con- 
duite en  conséquence  à  sa  destination  vers  6  heures  du  soir.  » 

Cette  cantatrice,  qui  eut  aussi  son  heure  de  gloire,  avait  bril- 
lamment débuté  à  Pétersbourg;  mais  elle  avait  dû  quitter  la  ville, 
pendant  l'expédition  de  Russie,  quand  Alexandre  avait  licencié 
ses  troupes  d'artistes  français.  M"'  Mainvielle-Fodor  voyagea  en 
Europe  ;  et  le  général  Thiébault  la  connut  au  siège  de  Hambourg 
en  mars  1814.  Les  opérations  militaires  n'avaient  pas  interrompu 
les  représentations  théâtrales:  bien  mieux,  celles-ci  étaient 
suivies  très  assidûment  par  les  officiers;  car  non  seulement 
M°"  Mainvielle,  le  premier  sujet,  était  excellente,  mais  encore  la 
troupe  tout  entière  était  parfaite  :  «  l'Opéra,  dit  Thiébault,  fut 
le  seul  qui  gagna  à  notre  blocus  ».  La  jeune  cantatrice  y  fit  éga- 
lement fortune,  et  dut,  parait-il,  à  son  succès  obsidional,de  débu- 
ter à  Paris.  Qui  sait  même  si  le  fait  seul  d'avoir  chanté  pour  les 
soldats  du  grand  capitaine  ne  fut  point,  par  la  suite,  une  des 
causes  des  nombreux  conflits  qui  s'élevèrent  entre  la  Catalani  et 
M°"=  Mainvielle?  En  tout  cas,  le  départ  de  celle-ci  fut  considéré 
par  certains  amateurs  comme  une  calamité  publique.  Ainsi, 
Delacroix  dans  son  Journal,  à  la  date  du  30  août  1822,  s'écriait  : 
«  Qui  fera  le  rôle  de  la  comtesse  dans  les  Nozze  di  Figaro,  main- 
tenant que  M""  Mainvielle  n'y  est  plus?  » 

Le  souvenir  de  M""  Barilli,  dont  elle  avait  hérité  les  rôles  et 
le  succès,  avait  inspiré  à  Napoléon  un  des  mots  les  plus  atroces 
qu'il  eût  jamais  prononcés.  C'était  aux  Tuileries  dans  le  mois  qui 
suivit  son  retour  de  Russie:  il  parlait  des  misères  subies  pen- 
dant cette  désastreuse  retraite.  Un  des  courtisans  crut  se  mettre 
à  l'unisson  du  maître,  en  disant  d'une  voix  dolente  : 

—  Nous  avons  fait  une  bien  grande  perte. 

—  Oui,  répliqua  Napoléon,  M""  Barilli  est  morte. 
Sarcasme  abominable,  que  l'initiateur  de  cette  campagne,  où 


s'était  fondue  en  (juelque  sorte  la  plus  belle  armée  de  la  France, 
devait  être  le  dernier  à  se  permettre  I 

Les  réminiscences  artistiques  de  Louis  XVIII  évoquaient  de 
moins  lugubres  spectacles.  Le  trop  succinct  journal  de  Mahul  (1) 
publié  par  M.  Pélissier,  en  cite  une  qui  semble  détonner  dans  la 
bouche  d'un  impotent  tel  qu'on  se  représente  d'ordinaire  le 
frère  de  Louis  XVI. 

La  ravissante  Saint-Aubin  avait  sollicité  et  obtenu  une  audience 
du  Roi,  pour  le  remercier  de  l'appoint...  sérieux  —  une  pension 
—  qu'il  avait  apporté  à  la  représentation  donnée  au  bénéfice  de 
l'artiste.  Dès  que  celle-ci  fut  entrée  dans  le  cabinet  du  mo- 
narque : 

—  Ne  vous  gênez  pas!  lui  dit  Louis  XVIII,  sans  lever  les  yeux. 

M""'  Saint-Aubin,  déjà  fort  embarrassée  pour  tourner  son  com- 
pliment, demeura  interdite.  Le  roi  recommença,  mais  en  la 
regardant  de  son  œil  narquois  : 

—  Ne  vous  gênez  pas  ! 

Pour  le  coup,  l'actrice  perdit  la  tête.  Mais  le  prince  l'eût  bien 
vite  rassurée,  en  lui  racontant  une  anecdote  vieille  au  moins  de 
trente  années.  Un  soir,  à  la  sortie  d'un  spectacle,  quelqu'un  avait 
pris  M""  Saint-Aubin  par  la  taille,  dans  l'obscurité,  et  elle  de 
riposter  vivement  : 

—  Allons  ne  vous  gênez  pas  ! 

A  l'intonation  du  conteur,  Saint-Aubin  devina  le  nom  du  cou- 
pable. 

Celui  qui  écrit  ces  lignes  a  connu,  tout  enfant.  M""  Saint- 
Aubin,  demeurant  alors  près  de  la  place  Royale  ;  c'était  une 
petite  vieille,  aux  joues  ridées  comme  une  pomme  de  reinette, 
toute  rondelette,  mais  encore  très  vive  et  très  alerte,  malgré  ses 
80  ans,  et  très  gaie  en  dépit  d'une  surdité  à  peu  près  complète. 
Des  relations  familiales  me  conduisaient  souvent  chez  elle;  et  là, 
je  me  rappelle  fort  bien  l'avoir  entendue  chanter  et  dire  des 
romances  du  siècle  précédent,  avec  cette  finesse  de  nuances  et 
de  sous-entendus,  que,  depuis,  nos  contemporains  ont  si  chaleu- 
reusement applaudie  chez  M""  Judic. 

M"'  Saint-Aubin  était  un  recueil  vivant  d'anecdotes  ;  et 
comme  elle  aimait  fort  à  causer,  elle  ouvrait  complaisamment 
son  trésor  d'historiettes  pour  les  «  bons  voisins  »  que  n'elîrayait 
pas  la  solitude  d'un  «  vieux  pot  fêlé  ».  C'est  ainsi  qu'elle  se 
nommait,  de  même  qu'elle  désignait  sous  l'appellation,  plus 
aimable,  de  «  bons  voisins  »  mes  parents  qui,  en  effet,  la  fré- 
quentaient volontiers.  Elle  se  répétait  bien  par-ci  par-là  ;  mais, 
en  général,  ses  souvenirs  étaient  assez  précis  et  presque  toujours 
exacts.  Ainsi  elle  avait  conservé  de  ses  relations  avec  la  Gui- 
mard  l'habitude  d'inviter  à  dîner  deux  fois  par  an  le  chorégraphe 
Despréaux ,  quand  il  devint  veuf  de  la  danseuse.  Celui-ci  lui 
conta  la  première  leçon  qu'il  donna  à  l'impératrice  Marie-Louise. 
Napoléon  avait  voulu  y  assister.  Le  préfet  du  palais  n'ayant  pas 
convoqué  de  violoniste  à  cette  séance.  Despréaux,  qui  s'était 
muni  à  tout  hasard  de  sa  pochette,  se  mit  à  en  jouer.  Et  voilà 
l'Empereur  qui  prend  la  mesure  et  »  saute  comme  un  cabri  ». 
Mes  parents,  qui  tenaient  l'anecdote  de  M""^  Saint-Aubin,  en  rap- 
pelaient souvent  l'expression  pittoresque  caractérisant  la  danse 
de  Napoléon,  grand  amateur,  comme  chacun  de  la  Fricassée  et 
des  Tricotets.  Or,  l'historiette  est  racontée  tout  au  long  dans  les 
Souvenirs  de  Despréaux. 

Par  contre.  M'""  Saint-Aubin  se  défendait  très  fort  d'avoir  été 
jamais  l'objet  de  ces  augustes  distinctions,  qui  donnaient  jadis 
tant  d'orgueil  à  la  Cartou  et  qui,  de  nos  jours,  valut  à  une 
actrice  très  en  vue  le  surnom  de  Passage  des  Princes. 

La  confidence,  terminée  par  une  Lapalissade,  que  le  général 
Gourgaud  (2)  tenait  de  Napoléon  en  route  pour  Sainte-Hélène, 
justifie  la  sincérité  de  M'""  Saint-Aubin  déclinant  l'honneur 
d'avoir  fixé,  ne  fût-ce  que  pour  un  moment,  le  cœur  d'un  grand 
homme  : 

Sa  Majesté  me  raconte,  que  de  toutes  les  actrices  de  Paris,  elle  n'a  voulu 
avoir  que  M""  Georges,  que  tout  ce  qu'on  a  raconté  de  la  petite  Saint-Aubin 

(1)  Mahiu,.  —  Souvenirs  d'un  collénii'ii,  publiés  par  Pélissier  ;  Montpellier,  1895. 

(2)  Journal  inédit  du  général  baron  Gourgaud  avec  préface  et  notice  du  vicomte  de 
Grouchy  et  Antoine  Guillois;  Flammarion,  1899. 


LE  MÉNESTREL 


2T6 


est  faux,  que  les  femmes  les  plus  jolies  sont  celles  qui  sont  les  plus  difficiles 
d  avoir. 

Ne  laissons  pas  s'éloigner  la  figure  originale  de  Despréaux  sans 
noter  le  souvenir  que  lui  a  consacré  M""  de  Rémusat  (1).  Cette 
dame  qui  avait  vu  le  mari  de  laGuimard  aux  Tuileries  pendant 
les  beaux  jours  de  l'Empire,  le  retrouva  en  1818  loin  de  la  cour, 
très  vieilli  et  «  radotant  toutes  les  jolies  choses  qu'il  disait 
autrefois  ».  11  avait  imaginé  un  jeu  de  fantoches,  que  les  salons 
parisiens  remirent  en  honneur,  il  y  a  quelques  années,  comme 
une  nouveauté  sans  précédent.  Sur  un  théâtricule,  avec  sa  toile  à 
demi  baissée ,  Despréaux  faisait  manœuvrer  des  marionnettes, 
dont  les  jambes  évidées  étaient  occupées  par  ses  doigts,  et  dont 
chaque  tête  représentait  un  danseur  ou  une  danseuse  à  la 
mode. 

.\cteurs  de  bois  aussi  peu  redoutables  pour  le  repos  des  femmes 
et  des  maris  que  l'était  la  fameuse  Léoni,  cette  cantatrice  en  chair 
et  en  os  dont  parlent  les  Mémoires  du.  général  Bigaré  (2). 

Ce  vaillant  guerrier,  qui  fut  cependant  malheureux  sur  tous 
les  champs  de  bataille,  était  allé  à  Vérone  pour  voir  et  pour  en- 
tendre cette  Léoni,  célèbre  en  Italie  par  le  charme  et  l'étendue 
de  sa  voix.  Bigaré  en  fut  tellement  enthousiasmé  qu'il  l'invita, 
le  soir  même,  à  souper.  Les  soldats  de  la  République  et  de  l'Em- 
pire emportaient  toujours  d'assaut  les  places  les  mieux  défen- 
dues. Celle-ci  ne  voulant  pas  capituler  au  dessert,  Bigaré  brusqua 
la  manœuvre  :  mais  horreur  !  cette  incomparable  artiste  —  ici 
nous  laissons  la  parole  au  général  —  «  était...  à  peu  près  du 
même  sexe  que  le  mien  ». 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


COURTE  MONOGRAPHIE  DE  LA  SONATE 


On  peut  dire  de  la  sonate  qu'elle  est  une  des  plus  belles,  des  plus 
nobles  et  des  plus  pures  manifestations  du  génie  musical,  et  on  le  peut 
aujourd'hui  sans  attirer  le  saiVasme  après  soi.  Le  temps  n'est  plus  où 
un  homme  d'esprit,  comme  Fontenelle,  pouvait  faire  la  fortune  d'une 
boutade  absurde  et  s'écrier,  sans  danger  pour  sa  renommée  :  Sonate,  que 
me  venx-tu?  Fétis,  il  y  a  soixante  ans,  pouvait  s'écrier  à  son  tour,  avec 
un  chagrin  plus  réel  et  surtout  plus  artistique  :  Sonate,  où  es-tu?  C'est 
qu'à  cette  époque  en  effet,  où  la  musiquette  envahissait  tout,  et  où  les 
formes  sévères  et  régulières  de  l'art  semblaient  complètement  délaissées 
pour  taire  place  à  des  productions  misérables  dans  lesquelles  le  savoir- 
faire  remplaçait  le  savoir,  et  où  la  rouerie  du  métier  suppléait  au  génie 
absent,  les  modèles  de  l'art  paraissaient  abandonnées  au  profit  de 
niaiseries  sans  valeur  et  sans  saveur,  que  le  moindre  musicastre  rou- 
girait aujourd'hui  de  signer  de  son  nom.  Il  n'en  est  plus  ainsi,  grâce 
au  ciel  ;  une  réaction  salutaire  s'est  opérée,  et  depuis  longtemps  déjà 
l'esprit  public,  en  France,  revient  aux  saines  doctrines  musicales  et  se 
reprend  aux  œuvres  véritablement  artistiques. 

La  sonate,  on  le  sait,  est  une  pièce  de  musique  écrite  pour  un  ou  deux 
instruments  (quelquefois  trois,  comme  Haydn  nous  l'a  montré  dans 
une  série  d'œuvres  charmantes),  et  divisée  le  plus  généralement  en  trois 
ou  quatre  morceaux.  La  division  en  quatre  parties  est  aujourd'hui  la 
plus  usitée,  et  la  sonate  comprend  alors  :  1°  un  allegro  brillant;  2°  un 
adagio  ou  un  andante  con  variazioni;  3°  un  minuetto  suivi  d'un  trio; 
4°  un  finale  en  mouvement  rapide,  parfois  en  forme  de  rondo.  Il  va  sans 
dire  que  cette  division  est  loin  d'être  stricte,  et  qu'elle  comporte  de 
nombreuses  modifications.  Beethoven  surtout,  avec  son  génie  indépen- 
dant et  audacieux,  l'a  souvent  bouleversée  d'une  singulière  façon. 

Le  genre  de  la  sonate  est  noble,  poétique,  fier,  élevé,  parfois  tendre, 
touchant  et  ému,  souvent  fougueux,  pathétique  et  passionné.  Aussi 
a-t-il  tenté  presque  tous  les  grands  compositeurs,  depuis  Scarlatti, 
Haendel  et  le  vieux  Jean-Sébastien  Bach,  en  passant  par  Haydn, 
Mozart  et  Beethoven,  qui  l'ont  portée  à  son  plus  haut  degré  de  splen- 
deur, jusqu'à  Weber,  Schubert,  Mendelssohn,  Hummel,  Chopin,  Schu- 
mann  et  Rubinstein.  La  sonate  se  rapproche  du  concerto  tel  qu'on 
l'écrit  de  nos  jours,  en  ce  sens  qu'elle  est  conçue  de  façon  à  faire  briller 
le  talent  d'un  ou  de  deux  exécutants;  mais  eUe  en  diffère  en  ce  sens 
qu'elle  ne  supporte  point  d'accompagnement  et  se  passe  du  secours  de 
l'orchestre.  Elle  tient  surtout  de  la  symphonie  au  point  de  vue  de  la 


(1)  M"°  DE  RÉMUSAT.  —  Mémoires;  Calmann-Lévy,  1819-1880. 

(2)  Le  Général  Bigabé.  —  Mémoires;  Kolb,  1893. 


structure  générale  et  de  la  forme  des  morceaux,  aussi  bien  que  du 
caractère  de  ceux-ci  et  de  leur  développement  normal,  sévère  et  logique. 
Boileau  a  dit  dans  son  Art  poétique  : 

Un  sonnet  sans  défaut  vaut  seul  un  long  poème. 

On  pourrait  dire,  avec  moins  d'exagération,  qu'une  bonne  sonate  vaut 
mieux  que  bien  des  opéras  qui  pourtant  ne  sont  pas  sans  valeur.  Ce 
qui  est  vrai  surtout,  c'est  que  bien  des  auteurs  d'opéras  médiocres 
seraient  incapables  d'écrire  correctement  un  bon  morceau  de  sonate. 
Cependant,  si  l'on  ne  renouvelle  pas  aujourd'hui  les  exploits  merveilleux 
de  ces  maîtres  immortels  qui  s'appelaient  Haydn,  Mozart,  Beethoven, 
il  ne  s'en  trouve  pas  moins  quelques  musiciens  sérieux  et  instruits  qui 
ont  donné,  dans  ce  genre  de  composition,  des  preuves  d'un  talent  véri- 
table et  d'une  heureuse  inspiration. 

Il  serait  sans  doute  fort  difficile  de  dire  maintenant  à  quel  artiste, 
célèbre  ou  obscur,  on  doit  ce  genre  de  composition;  on  peut  affirmer 
qu'il  est  déjà  ancien,  c'est-à-dire  qu'il  remonte  à  plus  de  deux  siècles; 
mais  il  a  subi  évidemment,  depuis  cette  époque,  des  modifications  et 
des  transformations  nombreuses,  et  la  sonate,  telle  que  nous  la  com- 
prenons actuellement,  sévère  dans  son  style  quoique  libre  dans  sa 
coupe,  ne  ressemble  assurément  pas  à  ce  qu'elle  était  il  y  a  deux  cents 
ans.  A  cette  époque  d'ailleurs,  où  elle  était  presque  uniquement  culti- 
vée par  les  Italiens  (Paganelli,  Paradies,  Scarlatti,  Galuppi...),  elle 
était  beaucoup  plus  fantaisiste  que  de  nos  jours.  On  en  trouve  la  preuve 
dans  Brossard,  auteur  du  premier  Dictionnaire  de  musique  français,  qui 
en  parlait  ainsi  dans  son  livre,  publié  pour  la  première  fois  en  1703  : 

Les  sonates  sont  proprement  de  grandes  pièces,  fantaisies  ou  préludes,  etc., 
variées  de  toutes  sortes  de  mouvemens  et  d'expressions,  d'accords  recherchez 
ou  extraordinaires,  de  fugues  simples  ou  doubles,  etc.,  et  tout  cela  purement 
selon  la  fantaisie  du  compositeur,  qui  sans  être  assujetti  qu'aux  règles  géné- 
rales du  contrepoint,  ny  à  aucun  nombre  fixe  ou  espèce  parliculière  de 
mesure,  donne  l'essort  au  feu  de  son  génie,  change  de  mesure  et  de  mode 
quand  il  le  juge  à  propos,  etc.  On  en  trouve  à  1,  2,  3,  i,  5,  6,  7  ou  S  parties, 
mais  ordinairement  elles  sont  à  violon  seul  ou  à  deux  violons  différens  avec  une 
basse  continue  pour  le  clavessin,  et  souvent  une  basse  plus  figurée  pour  la 
vioUe  de  gambe  (instrument  qui  précéda  le  violoncelle),  le  fagot  (basson),  etc. 
Il  y  en  a  pour  ainsi  dire  d'une  infinité  de  manières,  mais  les  Italiens  les 
réduisent  ordinairement  sous  deux  genres. 

Faut-il  inférer,  do  ce  que  dit  ici  Brossard,  que  les  premières  sonates 
seraient  dues  à  des  violonistes  ?  Cela  n'aurait  rien  d'impossible  si 
l'on  se  rappelle  que  Corelii  naquit  en  16S3  et  que  le  premier  recueil  de 
sonates  de  cet  admirable  virtuose  (XII  suonate  a  tre,  due  violini  e  violon- 
cello,  col  basso  per  l'organo)  parut  à  Rome  en  1683,  l'année  même  de  la 
naissance  de  Domenico  Scarlatti  et  deux  ans  avant  celle  de  Jean-Sébas- 
tien Bach.  Il  y  a  mieux.  Un  grand  violoniste  italien,  Antonio  Veracini, 
né  à  Florence  dans  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle,  publiait 
en  cette  ville,  dès  1662,  un  recueil  de  sonates  ainsi  intitulé  :  Sonate  a 
Ire,  due  violini  e  violone  o  arciliuto,  col  basso  continua  per  l'organo.  L'admi- 
rable forme  musicale  qui  est  la  gloire  et  le  triomphe  du  piano  moderne, 
pour  lequel  elle  a  inspiré  tant  de  chefs-d'œuvre,  aurait  donc  été  ima- 
ginée pour  un  autre  instrument  ?  Il  me  semble  que  nul  jusqu'ici  ne 
s'était  avisé  de  cette  réflexion. 

Mais  continuons  de  laisser  parler  Brossard,  qui  nous  a  dit  que  les 
Italiens  traitaient  surtout  la  sonate  «  sous  deux  genres  »  : 

Le  premier  comprend  les  sonates  da  chiesa,  c'est-à-dire  propres  pour  l'église, 
qui  commencent  ordinairement  par  un  mouvement  grave  et  majestueux,  pro- 
portionné à  la  dignité  et  sainteté  du  lieu  ;  ensuite  duquel  on  prend  quelque 
fugue  gaye  et  animée,  etc.  Ce  sont  là  proprement  ce  qu'on  appelle  sonates. 

Le  second  genre  comprend  les  sonates  qu'ils  appellent  da  caméra,  c'est-à- 
dire  propres  pour  la  chambre.  Ce  sont  proprement  des  suites  de  plusieurs 
petites  pièces  propres  à  faire  danser,  et  composées  sur  le  même  mode  ou  ton. 
Ces  sortes  de  sonates  commencent  ordinairement  par  un  prélude  ou  petite 
sonate  qui  sert  comme  de  préparation  à  toutes  les  autres  ;  après  viennent 
l'Allemande,  la  Pavane,  la  Courante  et  autres  danses  ou  airs  sérieux,  ensuite 
viennent  les  (jigues,  les  Passacailles,  les  Gavottes,  les  Menuets,  les  Chacones  et 
autres  airs  gays  ;  et  tout  cela,  composé  sur  le  même  ton  ou  mode,  et  joiié  de 
suite,  compose  une  sonate  da  caméra. 

Ce  que  dit  ici  Brossard  s'applique  précisément,  et  de  la  façon  la  plus 
exacte,  aux  sonates  de  Corelii,  ainsi  qu'à  celles  d'un  autre  illustre  vio- 
loniste, Tartini,  son  compatriote  et  son  contemporain.  Mais  j'aurai  à 
parler  plus  loin  de  la  sonate  de  violon. 

En  ce  qui  concerne  le  piano,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  le 
clavecin,  c'est  à  un  compositeur  allemand,  Johann  KUhnau,  qu'on 
attribue  les  premières  sonates,  car  son  premier  recueil  de  ce  genre  fut 
publié  par  lui  une  vingtaine  d'annres  avant  celles  de  Scarlatti.  Ce  recueil, 
daté  de  1696,  avait  pour  titre  :  Die  Clavier-Friichten  aus  7  Sonaten  (les 
Fruits  du  clavecin  en  7  sonates).  Kuhnau,  qui  était  né  en  1667  et 


27(i 


l,i:  MKNKSTISKL 


mourut  en  1722,  fut  un  dos  prédécesseurs  de  Jean-Sébastien  Bach 
comme  cwito)-  à  la  Thomasschule  de  Leipzig.  Lettré  instruit  en  même 
temps  que  musicien  habile  il  donna,  en  1700,  un  second  recueil  de 
sonates  sous  ce  titre  assez  singulier:  Explication  musicale  de  quelques 
histoires  de  la  Bible  en  6  sonates  pour  le  clavecin.  Fétis  apprécie  ainsi  les 
sonates  de  Kiihnau:  —  «  Les  pièces  de  KUhnau,  dit-il,  particulièrement 
les  sonates,  sont  d'un  beau  style,  où  se  fait  reconnaître  la  tradition  de 
la  grande  école  des  organistes  allemands  du  dix-septième  siècle.  Le 
caractère  en  est  plus  religieux  que  passionné.  Il  n'y  faut  chercher  ni  les 
formes,  ni  le  caractère  de  la  sonate  moderne,  dont  le  modèle  primitif 
n'existe  que  dans  les  œuvres  de  Charles-Philippe-Emmauael  Bach.  Les 
sonates  de  Kiihnau  sont  l'ancienne  pièce  sérieuse  qu'on  opposait  autre- 
fois à  ce  qu'on  appelait  tes-  suites,  c'est-à-dire  les  recueils  de  morceaux 
courts  composés  dans  les  mouvements  des  divers  caractères  do  danses  ». 
Peut-être  l'éloge  de  Fétis  est-il  un  peu  excessif.  Quelques-uns  n'attri- 
buent aux  sonates  de  Kiihnau  qu'une  importance  purement  historique, 
en  ce  sens  qu'elles  sont  simplement  une  première  tentative  pour  doter 
le  clavecin  d'une  forme  d'art  plus  noble,  plus  indépendante  et  plus  per- 
sonnelle, cet  instrument  ne  servant  jusqu'alors  que  comme  accompa- 
gnateur, à  l'aide  de  la  basse  chiffrée,  dans  la  rousique  d'ensemble.  Il  est 
vrai  qu'à  ce  seul  titre,  Kuhnau  aurait  bien  mérité  du  clavecin. 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


LA  MUSIQUE  DANS  L'INDE 
(Suite.) 

Comme  musique  instrumentale,  les  Hindous  que  nous  avons  enten- 
dus ne  connaissent  rien  que  les  instruments  à  percussion  :  tambours  de 
diverses  sortes,  parfois  des  clochettes,  rythmant  les  temps  principaux  du 
chant.  Le  théâtre  hindou  possédait,  il  est  vrai,  un  joueur  d'une  espèce 
de  hautbois  criard,  qui  marchait  en  tète  de  la  troupe  dans  les  cortèges. 
J'ai  noté  d'après  lui  le  thème  suivant  : 


Il  est  patent  que  cette  mélopée  n'est  pas  hindoue,  mais  arabe,  et  nous 
savons  qu'en  effet  les  Arabes  ont  exercé  une  grande  influence  sur  la 
pratique  de  la  musique  dans  l'Inde,  aussi  bien  que  sur  la  plupart  des 
éléments  de  la  civilisation  de  ce  grand  pays. 

Voici  pourtant  un  autre  dessin  instrumental  dont  l'apparence  exté- 
rieure ne  semble  pas  fort  différente  de  celle  du  précédent.  Je  l'ai  oui 
exécuter  par  un  charmeur  de  serpents  sur  le  (uftrz,  instrument  populaire 
(sorte  de  musette)  dont  se  servent  ces  sortes  d'opérateurs. 


Mais  notons  que,  sous  la  multiplicité  des  notes,  nous  distinguons 
l'échelle  incomplète  des  cinq  sons  («i  et  ?m  faisant  défaut  dans  la  gamme 
dans  laquelle  est  formée  la  mélopée  ci-dessus),  tandis  que  le  précédent 
dessin  faisait  appel  aux  ressources  plus  variées  des  échelles  chères  anx 
orientaux  proprement  dits.  Le  chant  du  charmeur  de  serpents  hindou 
nous  rapproche  de  l'Extrême-Orient.  C'est  ainsi  que  les  moindres  détails, 
lorsqu'ils  sont  attentivement  observés,  nous  permettent  de  nous  rendre 


compte  de  la  diversité  de  physionomie  musicale  des  races  souvent  les 
plus  voisines  et  les  plus  étroitement  confondues. 

Le  Ràjà  S.  Mohun  Tagore  donne  la  notation  complète  d'un  chant  ne 
charmeur  de  serpents  :  c'est  une  sorte  de  psalmodie,  dont  les  paroles 
sont  une  invocation  â  la  divinité  qui  commande  aux  serpents,  pour  la 
pi'ier  de  garantir  le  charmeur  contre  les  morsures.  Elle  est  accompa- 
gnée, dit  notre  auteur,  par  l'instrument  pastoral  déjà  mentionné,  le  lubri. 
En  voici  la  principale  formule  (I)  : 


Le  'ivre  donne  la  notation  des  versets  successifs,  lesquels  ne  différent 
entre  eux  que  par  quelques  noti  s  sans  importance.  Observons  cepen- 
dant qu'à  la  première  attaque  de  la  deuxième  reprise,  le  mi  (2'  note)  est 
naturel  et  n'est  bémolisé  qu'aux  reprises  suivantes. 

Voici  une  autre  mélodie,  de  caractère  plus  particulièrement  rustique, 
qui  présente  un  exemple  d'altération  analogue  (2")  : 


Il  est  à  remarquer  que,  dans  la  seconde  strophe  notée,  semblable  à 
celle-ci  à  quelques  notes  d'ornement  prés,  le  mi,  d'abord  bémol,  naturel 
à  la  fin,  se  trouve  altéré  par  le  bécarre  dès  la  première  note  à  la  seconde 
période,  qui  prend  ainsi  dès  l'abord  une  physionomie  toute  différente  de 
la  première. 

Je  ne  puis  m'empècher,  en  lisant  ces  mélodies  auxquelles  l'altération 
d'un  même  degré  donne  un  caractère  si  particulier,  de  songer  à  un  air 
de  flûte  que  j'ouïs  jadis,  joué  par  M.  Taffanel  sur  les  notes  les  plus 
graves  de  son  instrument,  sous  le  nom  de  mélodie  hindoue,  dans  le 
ballet  du  Hoi  de  Lahore.  Je  ne  sais  trop  si  cette  mélodie,  d'accent  vrai- 
ment suggestif,  avec  son  passage  incessant  du  majeur  au  mineur  et  ré- 
ciproquement, est  vraiment  uu  air  hindou,  ou  s'il  n'a  pas  été  composé 
de  toutes  pièces  par  M.  Massenet:  j'inclinerais  plutôt  vers  cette  seconde 
hypothèse;  mais  il  est  constant  que  les  procédés  employés  sont  tout  à 
fait  semblables  à  ceux  dont  nous  reconnaissons  l'emploi  dans  les  nota- 
tions authentiques  d'un  notable  habitant  de  l'Inde;  et  cela  est  tout  à 
l'honneur  du  compositeur,  soit  qu'il  ait  su  en  faire  usage  à  l'aide  d'une 
documentation  fidèle,  soit  qu'il  lésait  retrouvés  par  la  simple  intuition. 
Léo  Delibes  aussi,  dans  Lakmé,  s'est  servi  de  quelques  mélodies  hin- 
doues :  l'on  a  rapporté  le  nom  de  la  personne  qui  les  lui  a  communi- 
quées, et  à  qui  un  attentat  célèbre,  dont  elle  fut  victime,  a  valu,  il  y  a 
plusieurs  années,  une  peu  enviable  renommée.  Bien  que  l'auteur,  que 
son  génie  particulier  prédisposait  à  l'emploi  de  ces  notations  pittores- 
ques, se  les  soit  si  bien  assimilées  qu'il  est  difficile  de  distinguer  ces 
thèmes  exotiques  de  ceux  qui  sont  de  lui,  il  nous  semble  qu'il  serait 
possible  d'en  dégager  quelques-uns  de  leur  brillant  vêtement  de  musique 
française.  C'est  surtout  dans  le  second  acte  qu'on  les  pourrait  trouver. 
Je  ne  parle  pas  de  la  marche  des  fifres,  qui  n'est  évidemment  qu'un 
refrain  militaire  anglais.  Mais,  dans  le  ballet,  les  airs  de  danse  portent 
des  noms  de  danses  hindoues,  et  il  est  clair  que  c'est  là  que  les  airs  du 
pays  ont  été  le  plus  utilisés.  Le  premier,  intitulé  Terâna,  a  pour  thème 
un  motif  à  six-huit  dont  on  retrouve  la  ligne  presque  semblable  dans  un 
exemple  de  Terâna  donné  par  Fétis  (3)  :  dans  ce  dernier,  il  est  vrai,  la 
mélodie  est  â  deux-quatre,  mais  il  est  facile  de  reconnaître  dans  l'arran- 
gement ternaire  le  tour  de  main  du  compositeur.  Les  autres  airs  de 
ballet  se  nomment  Rektah  et  Persian  :  dans  ce  dernier,  le  hautbois  exé- 
cute des  glissades  en  petites  notes  rapides,  assez  analogues  à  celles  d'un 
exemple  de  musique  instrumentale  précédemment  donné. 

(1)  SomiiNDBO  Mohun  Tagore,  A  Few  spécimens  of  Indian  Songs,  n"  22,  p.  74. 

(2)  SouRiNDBO  Mohun  Tagore,  A  Few  spécimens  of  Indian  Songs,  n"  21,  p.  73, 
3)  Histoire  qénéraie  de  la  Musique,  II,  271. 


LE  MÉNESTREL 


S'il  faut  en  croire  Fétis  (et  il  n'y  a  point  de  raisons  pour  ne  pas  le 
faire),  la  plupart  des  airs  de  danse  répandus  présentement  dans  l'Inde 
seraient  d'origine  étrangère.  «  Les  rektahs  sont  persans,  les  touppahs, 
mongols,  et  les  terânas,  arabes  (1)  ».  Les  exemples  notés  qu'il  donne  à 
k  suite  de  cette  déclaration  semblent  établir  en  effet  une  influence  assez 
notable  de  la  musique  arabe. 

L'on  a  peu  recueilli  de  chansons  populaires  dans  l'Inde,  —  car  les 
citations  ci-dessus  appartiennent,  en  somme,  à  un  art  savant,  si  diffé- 
rent soilil  de  celui  de  nos  pays  occidentaux.  Voici  pourtant  une  chan- 
son tamoule,  notée  par  un  Français  sur  la  cote  orientale  de  l'Inde  il  y 
a  plus  de  quarante  ans,  et  qui  a  été  imprimée  depuis  lors  dans  un 
périodique  français  (2)  : 


lun  tl .  la.dù 


Traduction.  —  Sœur,  sœur,  le  beau  frère  est  venu.  —  l'orte  du  vin 
que  nous  nous  réjouissions!  —  L'amour  d'un  beau  frère —  ne  finira  pas 
même  à  la  mort. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


Xje      31-iyoxi.ii.si.is 

(Suite.) 


GUIGNOL 


On  juge  des  peuples  par  les  marionnettes  qui  les  incarnent.  L'Italie 
a.  Pulciiielto,  ou  Polichinelle;  l'Anglais  Punch,  dont  le  portrait  en  tète 
d'un  journal  satirique  a  popularisé  la  physionomie;  l'Allemagne,  Hans- 
wurst,  le  type  du  bourgeois  lourdaud,  lançant  la  pointe  à  la  manière  de 
Berlin  ou  de  Stuttgard;  l'Autriche,  Kaspeii,  le  joyeux  drille,  le  Gigerl 
viennois,  ami  de  la  gaité,  des  plaisirs,  du  bruit,  de  la  valse,  et  dont  les 
échos  du  Prater,  qui  est  une  sorte  de  Bois  de  Boulogne  forain,  redisent 
les  saillies...  Et  Lyon,  laissant  au  reste  de  la  France,  qui  n'est  pas  à 
court  de  marionnettes,  le  soin  de  se  choisir  ses  modèles,  a  Guignol. 

Guignol,  le  grand  Guignol,  le  Guignol  lyonnais,  n'a,  je  commence 
par  le  dire,  rien  de  commun  avec  le  Guignol  de  nos  promenades  pari- 
siennes. Celui-là  est  un  Guignol  abâtardi,  qui  a  perdu  la  bonne  senteur 
du  terroir  et  qui  n'a  pas  su  s'assimiler  la  finesse,  la  goguenardise  pari- 
siennes. L'autre,  le  vrai,  est  né  tout  d'une  pièce;  il  s'est  du  premier  coup 
imprégné  du  milieu  où  il  fréquentait,  et  il  a,  en  plus,  le  mérite  d'avoir 
existé  en  chair  et  en  os. 

Guignol,  c'est  la  corruption  de  Chignolo,  nom  d'un  village  piémontais 
où  naquit,  vers  le  milieu  du  dix-huitième  sièoXe,  un  gai  compagnon  qui, 
venu  à  Lyon  pour  y  travailler  dans  la  soirie,  s'acquit  parmi  les  canuts 
une  grande  réputation  pour  sa  verve  et  l'éclat  de  ses  saillies. 

Ayant  monté,  pour  l'amusement  de  ses  voisins,  un  castelletto  ou 
théâtre  de  marionnettes  à  la  manière  italienne,  l'idée  vint  à  un  de  ses 
auditeurs,  Laurent  Mourguet,  également  facétieux  et  grivois,  d'utiliser 
ce  spectacle  pour  incarner  dans  une  marionnette  tous  les  déboires  et  tous 
les  espoirs,  toutes  les  rancœurs  et  toutes  les  aspirations  que  faisait 
naître  en  lui  la  situation  précaire  du  tisseur  lyonnais. 

«  Si  la  poupée  est  d'origine  antique,  a  dit  un  auteru',  si  la  marotte 
qui  plus  tard,  devint  un  attribut  grotesque,  commença  par  n'être  qu'un 
bâton  garni  de  chiffons  informes,  la  marionnette  n'a  guère  d'âge. 
Quelque  joyeux  drille  romain  ou  grec,  gaulois  ou  plus  récent,  dut  avoir 
l'idée  de  s'emparer  d'une  de  ces  jolies  petites  tètes  grecques  que  nous 

(1)  FÉTIS,  Bist.  de  la  Musique,  II,  267. 

\%)  Annuaire  dus  IradUitms  populaires,  1887,  p.  23,  cli.  i-ecueillie  par  JI.  Eug.  Sicé,  à 
Karikal,  ea  1860,  et  publiée  par  M.  Julien  Vinson. 


pouvons  admirer  au  musée  du  Louvre,  ou  d'une  de  ces  caricatures  si 
expressives  dont  on  a  retrouvé  des  spécimens  à  Pompéi,  de  la  draper 
d'une  étoffe,  de  passer  la  main  sous  cette  façon  de  jupe  et  de  se  servir 
de  ce  jouet  pour  donner  de  la  vie  à  des  histoires  au  gros  se!  ou  pour 
mimer  des  scènes  qu'il  racontait  après  boire.  » 

Guignol,  la  plus  renommée  des  marionnettes  modernes,  naquit  de 
l'effort  commun  de  Chignolo  et  de  Mourguet.  Et  ce  fut  de  la  part  de  l'un 
et  de  l'autre  assaut  d'imagination  et  de  conscience  pour  faire  de  leur 
personnage  un  type  achevé  d'humour  et  de  vérité.  La  légende  lyon- 
naise raconte  que  chaque  fois  que  Mourguet  avait  inventé  une  saillie 
amusante,  son  associé  se  tordait  de  rire  et  lançait  le  juron  :  Per  Chi- 
gnolo! qui  était  pour  lui  l'indice  de  la  bonne  humeui  et  de  la  gaité.  De 
même,  Mourguet  lui  rendant  la  pareille,  s'écriait,  quand  l'Italien  avait 
trouvé  quelque  nouveauté  :  C'est  chignolant!  expression  restée  dans  le 
langage  lyonnais.  Mais  Mourguet  ne  s'en  tint  pas  k  ces  essais.  Laissant 
à  Chignolo  le  soin  de  diriger  seul,  pendant  quelque  temps,  leur  Cas/eHc/, 
il  fit  le  voyage  de  Paris,  vers  1786,  et  travailla  chez  Séraphin,  où  il 
s'approvisionna  de  lazzis  et  de  satire  politique. 

Alors  Guignol  atteignit  la  perfection.  Il  fut  une  façon  de  Panurge, 
mais  un  Panurge  qui  ne  trompe  son  débiteur  que  parce  qu'il  n'a  pas  le 
sou;  une  espèce  de  révolté,  si  l'on  veut,  mais  seulement  quand  il  n'a 
pas  de  travail;  en  tout  cas  un  révolté  gai,  qui  a  quelquefois  faim,  mais 
qui  a  toujours  soif. 

Guignol  est  le  type  de  l'ouvrier  bohème,  fêtant  le  lundi,  ne  craignant 
point  les  demi-chômages  les  autres  jours,  mais  brave  homme  et  bon 
mari,  encore  que  sa  femme  Madelon,  una  grossa  laida,  qui  rendrait  des 
points  à  Xantippe,  coure  sans  cesse  après  lui,  pour  l'arracher  à  Gnafron, 
son  mauvais  génie,  qui  l'entraine  au  cabaret.  Guignol  taupe  (frappe)  à 
bras  raccourcis  sur  Madelon;  mais  cela  se  termine  par  des  raccommode- 
ments d'une  ineffable  tendresse...  Qui  aime  bien  châtie  bien! 

Guignol  a  toutes  les  incarnations.  Dans  une  pièce  intitulée  le  Conscrit 
de  IS09,  sac  au  dos  et  le  chef  coiffé  d'un  superbe  shako,  surmonté  d'un 
énorme  plumet,  il  chante  : 

Mon  pauv'  Guignol,  te  v'ia  donc  militaire. 
Le  sac  sur  Tdos,  te  vas  fair'  ben  du  chemin. 
11  tïaut  quitter  Vuissieux,  la  Gnillotière, 
Le  marché  d'Vaise,  la  Croix-Rousse  et  Serin  ! 
On  n'sait  pas  ce  qu'on  attrape  à  la  guerre. 
Ton  "vieux  Lyon,  dis-moi,  le  reverrastu? 
Reviendras-tu  liu  côté  de  Fourvière? 
Reviendras-tu  du  côté  de  Saint-Just? 

Nombreuses  sout  les  pièces  du  Gastellet.  Un  Lyonnais  qui  sous  le 
voile  de  l'anonymat  cache  la  personnalité  d'un  grave  conseiller  à  la  cour 
de  Lyon,  M.  .I.-B.  Ouofins,  en  a  publié  un  recueil  en  deux  volumes,  l'un 
paru  en  186S,  l'autre  en  1870.  Tous  deux  ont  pour  titre  :  Théâtre  lyonnais 
de  Guignol.  On  y  voit  figurer  :  les  Frères  Coq,  le  Pot  de  confitures,  le 
Déménagement,  le  Testament,  le  Marchand  d'aiguilles,  et  tant  d'autres 
facéties  qui  ont  fait  la  joie  de  plusieurs  générations  de  Lyonnais.  Dans 
les  Couverts  volés.  Guignol  chante,  sur  l'air  du  Juif  errant,  ce  couplet, 
populaire  entre  tous,  qui  célèbre  le  bon  vin  de  Mornant  : 

Est-il  rien  sur  la  terre 
Qui  soye  plus  cannant 
Que  de  siffler  un  verre 
De  bon  vin  de  Mornaut? 
Mais  c'est  encor'  bien  mieux 
Quand  on  en  siffle  deux. 

Au  moment  où  le  rideau  va  tomber,  il  s'avance  vers  le  public,  et,- 
sur  l'air  Patrie,  Honneur  : 

Vraiment,  messieurs,  si  j'n'avais  pas  si  faim, 
Je  vous  cbanl'rais  tout  de  suUe  une  ariette  : 
Mais  mon  gosier  réclame  uo  verre  d'vin, 
Et  j'craindrais  pas  d'sifller  une  omelette. 
Permettez-moi  d'm'arroser  le  fanal, 
Et  je  r'viendrai  chanter  l'couplet  final. 

Le  Déménagement  est  presque  un  petit  chef-d'œuvre  de  verve....  et 
sans  coups  de  bâtons  encore  !  Guignol  y  est  goguenard  et  facétieux.  A 
un  moment,  ce  dialogue  s'engage  entre  lui  et  M.  Ganezou,  son  pro- 
priétaire : 

M.  C.VNEzou.  —  Monsieur  Guignol  !  monsieur  Guignol  ! 

GuiGîSOL  ("de  l'intérieur).  —  Je  n'y  suis  pas. 

M.  Ganezou.  —  Comment!  vous  n'y  êtes  pas,  et  vous  me  répondez  ! 

Guignol.  —  Je  peux  pas  sortir;  je  mets  une  pièce  à  mon  pantalon,  qui  est  déchiré  au 
coude. 

M.  Ganezou.  —  J'ai  à  vous  parler,  voulez-vous  descendre? 

Guignol  (à  la  fenêtre).  —  Si  je  veux  des  cendres  ?...  J'en  ai  pas  besoin,  j'en  ai  plein 
mon  poêle. 

Ganezou.  —  Le  drôle  ne  viendra  pas  tant  qu'il  saura  qu'il  a  affaire  à  moi.  U  faut  que 
je  déguise  ma  voix  et  que  je  lui  fasse  croire  que  le  facteur  lui  apporte  une  lettre.  (U 
frappe  neuf  coups  avec  rouleini'nl.) 

Guignol  (de  l'intérieur).  —  Que  que  c'est  ? 


278 


LE  MENESTREL 


Canezou  (contrefaisint  sa  voU).  —  C'est  le  facteur...  Je  vous  apporte  une  lettre,  une 
lettre  chargée;  il  y  a  de  l'argent  dedans. 

Guignol.  — De  l'argent  1  je  dégringole!  {On  l'entend  descendre  ses  neuf  étages)  arrivant: 
Ah!  nom  d'un  rat!  le  propriétaire!...  Je  suis  pince!...  ^l  Canezou)  On  n'a  pas  besoin  de 
vous,  mon  brave  homme!  On  a  ramoné  les  cheminées  il  y  a  huitjours. 

CiKEZou.  —  Sapristi,  je  ne  suis  pas  le  ramoneur,  je  suis  votre  propriétaire...  et  je 

Guignol.  —  Ah  !  c'est  vous,  m'sieu  Canezou  ;  je  vous  remettais  pas,  je  vous  demande 
pardon.  Comment  ça  va-t-y? 

GiNEZoo.  —  Ça  ne  vas  pas  mal.  Je  viens  savoir,  monsieur  Guignol... 

Guignol.  —  Ah!  y  a  fait  un  bien  grand  vent  l'autre  jour.  Je  me  suis  laissé  dire  qu'y 
avait  un  homme  que  le  vent  lui  avait  emporté  son  chapeau,  ses  bas  et  tous  les  boutons 
de  son  pantalon;  ça  le  gênait  pour  marcher.  Ça  serait  pas  vous,  par  hasard  ? 

C.AAEZou.  —  Il  est  vrai  que  le  venta  été  très  forL..  mais  il  ne  s'agit  pas  de  cela...  Je 
viens  savoir  quand  nous  en  finirons  pour  notre  compte. 

Guignol.  —  Notre  compte!...  Oh  !  si  vous  me  devez  quéque  petite  chose,  ne  vous  gênez 
pas  :  je  suis  pas  pressé. 

Canezou.  —  Mais  je  le  suis,  moi  !  C'est  de  mon  loyer  que  je  veux  parler. 

Guignol.  —  Vous  voulez  payer  votre  loyer?  Ah!  vous  avez  bien  raison...  faut  jamais 
rien  devoir... 

(Canezou  fait  cesser  le  quiproquo,  et  Guignol  finiipar  avouer  qu'il  na  pas  d'argent  ^your 
payer  son  loyer.) 

Canezou.  —  Vous  n'avez  pas  d'argent?  Je  vous  en  ferai  bien  trouver. 

Guignol.  —  Vous  me  rendrez  service,  par  exemple. 

Canezow.  —  Vous  avez  un  mobilier? 

Guignol.  —  Oui,  oui,  un  mobilier  de  luxe.  On  m'en  donnerait  bien  trente  sous  au 
mont-de-piété. 

Canezou.  —  Vous  avez  une  commode? 

Guignol.  —  Je  ne  Tai  plus:  elle  m'était  devenue  incommode...  Les  logements  sont  si 
petits  aujourd'hui  ! 

C.\NEzou.  —  Et  votre  miroir  antique? 

Guignol.  —  Je  l'ai  vendu  cet  été  pour  boire  à  la  glace. 

Canezou.  — Vous  aviez  une  garde-robe? 

Guignol.  —  Elle  était  un  peu  cassée.  Je  l'ai  donnée  à  un  ébénistede  la  rue  Raisin  pour 
l'arranger  ;  on  a  tout  démoli  dans  cette  rue,  et  ma  garde-robe  avec. 

Canezou.  —  Ta,  ta,  ta...  Et  votre  table  en  noyer,  a-t-elle  été  démolie  aussi? 

Guignol.  —  Non,  mais  un  jour  on  a  mis  la  marmite  dessus...  La  marmite  fuyait;  çaa 
fait  un  trou,  et  la  table  s'est  tout  écloppée. 

Canezou.  —  Vous  me  faites  des  contes  à  dormir  debout. 

Guignol.  —  Vous  avez  raison...  Allons  nous  coucher. 

Le  Pot  de  confitures  serait  également  à  citer.  Prenons-en  au  moins 
cette  fin  de  scène  :  Guignol  est  accusé  par  son  maître  d'avoir  goûté  à 
ses  confitures.  A  une  réception  à  laquelle  il  avait  invité  des  dames,  il 
n'y  avait  pas  un  pot  entier. 

Guignol.  —  Le  confiseur  les  avait  pas  remplis.  Il  y  a  si  peu  de  bonne  foi  dans  le  com- 
merce à  présent. 

Octave.  —  N'accuse  pas  le  confiseur...  Le  coupable  s'était  trahi;  on  voyait  la  trace  de 
ses  doigts. 

Guignol.  —  Par  exemple!...  Je  les  avais  touchées  qu'avec  la  langue! 

Octave.  — Tu  l'avoues  donc,  malheureux! 

Guignol  (à part).  —  Gredine  de  langue,  scélérate,  va!  je  te  loge,  je  te  nourris  et  tu 
parles  contre  moi!  sois  tranquille!...  fil  se  soufflette  et  se  cogne  contre  le  montant.) 

Par  ces  échantillons  on  juge  du  reste.  Mais  pour  se  rendre  un  compte 
exact  du  théâtre  de  Guignol,  il  faut  avoir  assisté  à  Tune  de  ses  repré- 
sentations, avoir  suivi  le  jeu  de  ses  personnages  et  s'être  imprégné  du 
patois  lyonnais,  à  l'accent  traînard,  mélange  de  latin  corrompu,  d'ita- 
lien vicié  et  de  langage  dauphinois.  Il  faut  aussi  s'être  mêlé  au  public 
de  ce  spectacle,  avoir  vécu  de  son  effervescence,  de  sa  joie  bruyante,  de 
sa  grosse  hilarité.  Alors,  on  comprend  Guignol,  et  on  l'apprécie  à  sa 
valeur.  Il  y  a  quelques  années,  Coquelin  s'attarda,  en  pleine  tournée, 
pour  assister  à  une  représentation  au  Gastellet.  Il  fut  si  enchanté  de  ce 
qu'il  avait  vu  et  entendu  qu'il  resta  à  coucher  à  Lyon  pour  applaudir 
à  nouveau,  le  lendemain,  dans  une  matinée  organisée  en  son  honneur, 
son  bon  ami  Guignol,  tout  fier  d'avoir  pu  arrêter,  nouveau  Josué,  l'idole 
du  jour  dans  sa  course. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIVEIiSES 


ÉTRANGER 


On  nous  écrit  de  Munich  :  La  seconde  soirée  du  théâtre  du  prince-régent 
a  été  moins  brillante  que  la  première.  On  jouait  Tristan  et  YseuU,  et  tous  ceux, 
assez  nombreux,  qui  assistèrent  à  la  création  avaient  certainement  raison  de 
dire  que  les  protagonistes  étaient  loin  de  valoir  les  artistes  auxquels  Richard 
Wagner  avait  confié  la  tache  ardue  de  donner  la  vie  à  son  oeuvre,  tellement 
hérissée  de  difficultés  qu'à  Vienne  on  l'avait  jugée  injouable.  Or,  toute  l'œuvre 
repose  sur  les  interprètes  des  rôles  que  le  titre  met  en  vedette;  le  reste  n'est 
qu'un  remplissage  dramatique.  Dans  ces  conditions  on  comprend  facilement 
que  ni  les  beautés  admirables  de  l'orchestre,  ni  le  charme  des  tableaux  scé- 
niques,  auxquels  les  ressources  extraordinaires  du  nouveau  théâtre  ont  prêté 
un  concours  merveilleux,  ni  même  l'interprétation  relativement  excellente  des 
rôles  secondaires  n'ont  pu  élever  la  représentation  au  niveau  artistique  voulu. 
La  Direction  peut  bien,  pour  se  disculper,  invoquer  le  fait  que  M.  Senger- 


Bettaque  et  M.  Gerhaeusor  ont  interprété  Tristan  et  Yseult  au  sanctuaire  de 
Bayreuth,  mais  cet  argument  ne  peut  suffire  qu'aux  pèlerins  ad  limina.  Nous 
savons  d'ailleurs  que  l'Allemagne  possède  au  moins  un  fort  ténor  et  deux 
falcons  bien  supérieurs  aux  interprètes  que  nous  venons  d'entendre;  il  fallait 
les  engager  pour  arriver  à  une  représentation  satisfaisante  sous  tous  les  rap- 
ports. La  question  des  sohstes  est  grave  pour  le  théâtre  wagnérien  de  Munich, 
car  l'attraction  exercée  par  sa  nouveauté  ne  durera  pas  longtemps.  Il  faudra 
offrir  aux  amateurs  étrangers,  et  à  plus  forte  raison  aux  indigènes,  des  repré- 
sentations vraiment  supérieures...  pour  vingt-cinq  francs.  Ces  malheureux 
vingt-cinq  francs  oS'usquent  les  braves  bourgeois  de  Munich  qui  n'ont  jamais 
payé  que  le  quart  de  cette  somme  pour  aller  à  l'Opéra  de  leur  roi.  Vingt- 
cinq  francs,  c'est  une  somme;  un  député  français  a  même  montré  comment 
on  meurt...  pour  vingt-cinq  francs. 

—  L'Opéra  de  Cologne,  qui  a  réouvertses  portes,  après  sa  clôture  annuelle, 
vient  de  publier  son  cartelhne  pour  la  prochaine  saison.  On  jouera  Louise 
de  M.  Charpentier  ;  Manru  de  M.  Paderewski  ;  Le  Juif  Polonais  de  M.  Weis  ; 
Ghitana  de  M.  Oberleithner  et  Lorenza,  de  M.  Mascheroni.  Inutile  de  dire  que 
Louise  ne  sera  jouée  qu'au  commencement  de  1902,  le  droit  de  la  première 
représentation  en  Allemagne  étant  réservé  jusqu'à  la  fin  de  1901  à  l'Opéra 
royal  de  Berlin. 

—  Le  théâtre  allemand  de  Hambourg  jouera  pendant  la  prochaine  saison 
un  «  opéra  parlé  »  intitulé  Tableaux  de  la  mer  du  Nord,  musique  de  M.  Théo- 
dore Gerlach.  Il  paraît  qu'il  s'agit  d'un  drame  dans  lequel  la  musique  et  le 
chant  souligneront  les  paroles  et  l'action,  c'est-à-dire  d'une  pièce  avec  une 
musique  de  scène  qui  sera  plus  développée  qu'à  l'ordinaire.  On  verra  bientôt 
quel  efl'et  ce  genre  mixte  produira.  Ce  même  compositeur  a  d'ailleurs  publié, 
sans  beaucoup  de  succès,  des  «  lieder  parlés  ». 

—  Notre  confrère  le  Signale,  de  Leipzig,  joue  de  malheur.  Après  la  dispa- 
rition de  son  foudateur,  Bartholf  Senfi',  en  1900,  il  passa  sous  la  direction  du 
compositeur  Richard  Kleiumichel,  dont  nous  avons  dernièrement  annoncé  la 
mort.  C'est  M.  Max  Steuer,  de  Berlin,  qui  vient  d'être  chargé  provisoirement 
de  la  rédaction. 

—  Les  amateurs  allemands  de  cithare  sont  dans  la  joie  depuis  quelques 
semaines  :  ils  possèdent  un  journal  spécial  intitulé  la  Cithare  que  M.  Félix 
Wolff  publie  à  Hambourg.  La  cithare,  aux  bords  de  la  mer  du  Nord,  cela 
parait  bien  déplacé;  nous  aurions  plutôt  compris  ce  journal  naissant  sur  les 
bords  de  risar  ou  de  l'Inn.  Le  premier  article  du  nouvel  organe  préconise  les 
mérites  de  l'instrument  cher  aux  Styriens  et  dit  que  la  cithare  développe  cette 
qualité  bien  allemande  de  la  Gemuethlichkeit,  pour  laquelle  notre  pauvre  lan- 
gue française  n'a  que  les  équivalents  insuffisants  de  cordialité,  bonhomie,  joie 
de  vivre,  etc.  Cette  psychologie  de  la  cithare  serait  moins  suspecte  si  le  rédac- 
teur n'avait  pas  ajouté  qu'un  bon  cigare  augmente  également  la  Genmethlichkeit 
et  n'avait  pas  recommandé  une  maison  hambourgeoise  qui  en  vend  d'exquis. 
Les  jolies  Tyroliennes  qui  pincent  si  gentiment  la  cithare,  pour  accompagner 
leurs  chansons  sentimentales,  vont  protester;  elles  sont  gemuetlich  sans  l'ap- 
point des  cigares  de  Hambourg. 

—  Ces  mêmes  citharistes  allemands  se  remuent  d'ailleurs  énormément 
pour  se  faire  prendre  au  sérieux.  Ne  voilà-t-il  pas  qu'ils  se  sont  réunis  en 
congrès  et  que  c'est  précisément  la  ville  de  Goethe  et  de  Liszt  qu'ils  ont 
choisie  pour  y  tenir  leurs  assises.  Le  nombre  des  membres  du  congrès  est 
très  grand  ;  tous  les  virtuoses  de  cet  instrument  ont  tenu  à  honneur  d'aller  à 
Weimar.  On  les  a  d'ailleurs  fort  bien  reçus  ;  le  bourgmestre  les  a  salués  au 
nom  de  la  ville  et  le  grand-duc  a  mis  à  leur  disposition  son  théâtre  pour 
qu'ils  puissent  s'y  produire.  Le  congrès  y  a  donné  un  grand  concert  avec  un 
programme  extraordinaire  ;  un  numéro  surtout  a  fait  sensation,  car  il  a  été 
exécuté  par  300  citharistes  à  l'unisson.  Bcati  absentes! 

—  La  Société  philharmonique  de  Laybach,  fondée  en  janvier  1702,  va 
célébrer  le  200=  anniversaire  de  son  existence  par  un  grand  festival  musical 
dont  le  programme  n'est  pas  encore  fixé,  mais  qui  contiendra  en  tout  cas  la 
symphonie  avec  chœurs. 

—  Du  Berliner  Lokalanzeiger  :  «  M.  Edouard  Colonne,  le  célèbre  directeur 
des  concerts  du  Chàtelet  de  Paris,  vient  de  faire  un  séjour  à  Berlin,  où  il 
s'est  entendu  avec  le  directeur  des  concerts  Hermann  Wolff  au  sujet  de  la 
tournée  qu'il  fera  en  Allemagne,  en  automne,  avec  son  orchestre  parisien.  Ce 
sera  la  première  fois  qu'un  orchestre  parisien  —  et  un  des  plus  importants 
—  se  fera  entendre  en  Allemagne.  La  tournée  comprendra,  outre  Berlin  : 
Garlsruhe,  Francfort-sur-Mein,  Wiesbaden,  Leipzig,  Dresde,  Vienne,  Mu- 
nich, etc.  1) 

—  La  crise  du  Conservatoire  de  Vienne  devient  plus  sérieuse  encore  qu'on  i 
ne  l'avait  pensé  tout  d'abord.  Les  directeurs  ont  interrompu  leurs  vacances 
et  sont  rentrés  dans  la  capitale  pour  transiger  avec  les  professeurs  démis- 
sionnaires. Deux  seulement  sont  disposés  à  rester  ;  l'un,  si  on  augmente  ses 
appointements  ;  l'autre,  si  on  lui  accorde  le  titre  convoité  de  professeur  im- 
périal et  royal.  Car  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  professeurs  démissionnaires 
sont  surtout  outrés  de  ce  que  M.  Sauer  a  reçu  d'emblée  le  titre  de  professeur 
et  15.000  francs  d'appointements,  somme  inouïe  dans  les  annales  des  Conser- 
vatoires autrichiens.  Les  autres  professeurs  maintiennent  leur  démission.  On 
dit  que  le  ministre  de  l'instruction  publique  aurait  l'intention  de  transformer 
le  Conservatoire  de  Vienne  en  une  institution  d'Etat,  à  l'instar  du  Conser- 
vatoire de  Paris,  dont  l'organisation  servirait  de  modèle  au  nouveau 
Conservatoire  impérial  et  royal.  Actuellement  l'Etat  ne  lui  accorde  qu'une 


LE  MENESTREL 


279 


subvention  assez  modeste  et  la  question  budgétaire  deviendrait  importante 
s'il  prenait. l'institution  à  sa  charge. 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  jouera  pendant  la  saison  prochaine  un  drame 
lyrique  intitulé  Lisbeth,  musique  de  M.  J.  J.  Major. 

—  A  Orienenbaum,  très  grand  succès  toujours  pour  M""*  Gorlenko-Dolina 
qui  a  chanté  en  artiste  la  Pensée  de  la  Conjuration  des  fleurs  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray. 

—  Le  prince  Nicolas  de  Grèce,  troisième  iils  du  roi  des  Hellènes,  vient 
d'être  désigné  comme  lauréat  d'un  concours  dramatique  ouvert  par  l'Univer- 
sité d'Athènes  et  de  voir  couronner  sa  comédie,  les  Réformateurs.  Suivant 
l'usage,  les  concurrents  avaient  signé  de  pseudonymes  et  l'on  n'a  connu  le 
nom  véritable  de  l'auteur  des  Réformateurs  qu'après  ouverture  du  pli  cacheté 
traditionnel.  ' 

—  La  question  de  la  Scala  de  Milan  est  entrée  dans  une  nouvelle  phase. 
On  se  rappelle  qu'il  y  a  trois  ans,  le  conseil  communal  ayant  tout  à  coup 
refusé  de  continuer  la  subvention  accordée  de  temps  immémorial  à  ce  théâtre 
glorieux,  celui-ci  se  serait  vu  dans  la  nécessité  de  fermer  ses  portes,  ce  qui 
eût  été  une  calamité  non  seulement  pour  lui,  mais  pour  l'art  musical  italien, 
dont  il  est  le  plus  noble  et  le  plus  actif  représentant.  C'est  alors  que  se  forma, 
sous  la  présidence  du  duc  Visconti  di  Modrone,  une  société  de  dilettantes 
actionnaires  qui  en  assuma,  à  ses  risques  et  périls,  la  direction  pour  une 
période  de  trois  années.  Il  ne  nous  appartient  pas  de  dire  ce  que  fut,  au  point 
de  vue  artistique,  cette  direction,  qui  ne  parait  pas  toutefois  avoir  été  des 
plus  heureuses  au  point  de  vue  matériel.  Toujours  est-il  que,  ce  triennal 
étant  expiré,  sesmembres  n'ont  pointjugé  à  propos  de  recommencer  l'épreuve. 
Les  sociétaires  se  sont  réunis  récemment  dans  le  foyer  du  théâtre,  sous  la 
présidence  du  duc  Visconti,  pour  régler  la  situation,  entendre  la  lecture  du 
rapport  des  syndics  et  procéder  à  la  nomination  du  liquidateur.  Après  un 
vote  d'applaudissement  et  de  reconnaissance  au  duc  Visconti  et  aux  action- 
naires pour  leur  abnégation,  les  syndics  relevèrent  la  parfaite  tenue  de  l'ad- 
ministration, puis  on  choisit  le  liquidateur  eu  la  personne  de  M.  Gazzaniga. 
Ceci  fait,  que  va  devenir  la  Scala?  Au  mois  d'avril  dernier  le  conseil  com- 
munal, saisi  de  la  question,  approuva  une  proposition  de  «  référendum  popu- 
laire 1)  destiné  à  décider  si,  oui  ou  non,  il  devait  rendre  à  ce  théâtre  la  sub- 
vention dont  il  avait  joui  jusqu'à  ces  derniers  temps.  Maintenant,  la  junte  a 
nommé  une  commission  chargée  d'étudier  l'organisation  de  ce  référendum . 
Tout  cela  parait  bien  compliqué,  et  le  temps  marche  vite.  Qui  vivra  verra, 
mais  il  faudrait  voir  promptement. 

—  On  prépare  au  Théâtre  royal  de  Turin,  pour  le  prochain  mois  de 
novembre,  des  exécutions  de  la  Messe  de  Requiem  de  Verdi  et  de  l'oratorio  de 
M.  Luigi  Mancinelli,  Isaias.  qui  est  nouveau  pour  l'Italie.  Les  solistes  seront 
des  artistes  en  grand  renom.  L'ensemble  choral  comprendra  160  voi.x  fournies 
par  l'Académie  Stefano  Tempia,  et  l'orchestre  sera  l'orchestre  municipal. 
L'exécution  sera  dirigée  par  M.  Mancinelli. 

—  Les  théâtres  chôment  en  cette  saison,  à  Rome  comme  à  Paris.  Ils  ont 
presque  tous  fermé,  dans  la  ville  éternelle,  les  uns  après  les  autres.  Le  Cos- 
tanzi  est  clos:  le  Valle  est  clos;  le  Nazionale  est  clos.  Au  Manzoni  une 
troupe  d'opéra  brave  les  chaleurs  caniculaires  eu  jouant  les  oeuvres  les  plus 
populaires  de  Verdi,  du  Trovatore  à  Rigoletto  et  i'Ernani  au  Ballo  in  maschera  : 
au  Quirino  on  voit  alterner  l'opérette,  la  comédie  et  la  musique  sérieuse;  à 
l'Adriano  on  a  des  représentations  équestres;  à  l'Argentina  le  populaire  va 
voir  danser  des  souris  savantes...  Mais  déjà  le  Gostanzi  annonce  son  pro- 
gramme pour  la  saison  lyrique  de  carnaval  et  carême.  Le  répertoire  com- 
prendra les  Maîtres  Chanteurs,  l'Etisir  d'Amore.  Iris,  la  Tosca,  il  Trillo  del  Dia- 
volo,  Mefistofele,  la  Bohême,  la  Favorite  et  un  opéra  nouveau  qui  sera  le  début  à 
la  scène  d'un  jeune  compositeur,  M.  Bustini.  Parmi  les  artistes  engagés  on 
cite  M°"=*  Emma  Carelli  et  RegiuaPinbert  et  MM.  Alessandro  Bonci  et  Arturo 
Pessina. 

—  La  Société  des  auteurs  et  artistes  dramatiques  et  lyriques  italiens  à 
Rome,  désirant  concourir  dignement  à  la  solennisation  du  centenaire  de  la 
mort  de  Domenico  Cimarosa,  ouvre  un  concours  national  portant  son  nom 
pour  la  composition  d'un  «  opéra  giocosa  ».  Le  prix,  adjugé  par  une  commis- 
sion, consistera  en  une  somme  de  1.000  francs.  La  commission  pourra  attri- 
buer un  prix  de  500  francs  au  meilleur  livret  présenté,  indépendamment  de 
la  valeur  de  la  musique.  Les  ouvrages  inédits  seront  seuls  admis,  et  le  der- 
nier terme  fixé  pour  la  réception  des  envois  est  le  30  juin  1902. 

—  Eu  suite  de  l'exécution  de  sa  Messe  de  Requiem  au  Panthéon  pour  l'an- 
niversaire de  la  mort  du  roi  Humbert,  le  compositeur  Sgambati  a  été  nommé 
commandeur  de  l'ordre  des  SS.  Maurice  et  Lazare.  La  même  distinction 
vient  d'être  accordée  au  fameux  ténor  Angelo  Masini. 

—  Le  nouveau  drame  de  M.  Gabriel  D'Annunzio,  Francesca  da  Rimini,  qui 
doit  être  représenté  prochainement  à  Rome  avec  M"^  Eleonora  Duse  et 
M.  Gustavio  Salvini  pour  principaux  interprètes,  aura  une  partie  musicale 
assez  importante  qui  a  été  confiée  au  compositeur  Antonio  Scontrino,  pro- 
fesseur à  l'Institut  musical  de  Florence.  Cette  partie  comprend  une  ouverture, 
quatre  entr'actes  ou  intermèdes  et  quatre  chœurs  de  peu  de  développements. 

—  Le  fameux  ténor  de  Lucia  s'est  retiré  de  la  Société  directrice  du  théâtre 
San  Carlo  de  Naples,  où  il  demeure  toutefois  engagé  pour  la  saison,  pro- 
chaine. C'est  au  maestro  Carlo  Superti  qu'est  confiée  la  direction  artistique 


de  ce  théâtre,  en  remplacement  de  M.  Marine  Villani,  qui  en  était  primiti- 
vement chargé.  On  cite  déjà  les  noms  de  trois  ténors  engagés  conjointement 
avec  M.  de  Lucia  :  MM.  Caruso,  Vignas  et  Mariacher,  puis  M'"'^  Gemma 
Bellincioni  et  Giacchetti  ;  et  parmi  les  œuvres  devant  former  le  répertoire. 
Don  Carlos,  Otello,  Lohengrin,  l'Elisir  d'amore,  ainsi  que  Manon,  et  la  Navarraise 
de  Massenet.  Le  chef  d'orchestre  sera  M.  Mascheroni. 

—  Le  Sta/file,  de  Florence,  se  croit  en  mesure  de  pouvoir  annoncer  que 
M.  Pietro  Platania,  le  vénérable  directeur  du  Conservatoire  de  San  Pietro  a 
Majella  de  Naples,  abandonnera  prochainement  ce  poste  important  pour 
prendre  sa  retraite.  Il  serait  remplacé  dans  ses  hautes  fonctions  «  par  un 
maestro  très  estimé  qui  occupe  une  charge  importante  à  l'Institut  musical  de 
Florence  »,  mais  dont  notre  confrère  n'est  pas  autorisé,  dit-il,  à  faire  con- 
naître le  nom  quant  à  présent. 

—  On  a  donné  à  Barga  (province  de  Lucques),  le  14  août,  la  première 
représentation  d'une  «  idylle  champêtre  »  en  un  acte,  il  Sogno  di  Rosetta, 
paroles  de  M.  Giovanni  Pascoli,  musique  de  M.  Carlo  Mussinelli.  Le  compo- 
siteur est  un  jeune  aveugle  de  naissance,  natif  de  Spezia,  qui  fut  élevé  à 
l'Institut  des  aveugles  de  Milan  et  qui  étudia  la  musique  avec  le  maestro 
Soladino.  Son  petit  opéra,  qui  a  été  fort  bien  accueilli  et  qui  doit  être  joué 
prochainement  à  Lucques,  avait  pour  interprètes  le  ténor  Eresto  et  la  signo- 
rina  Maria  Favilli. 

—  Voici  les  noms  des  artistes  qui,  ce  mois-ci,  seront  les  interprètes  de 
Werther  au  Grand-Théâtre  de  Lucques  :  W»  Bendazzi-GaruUi  (Charlotte), 
M.  Alfonso  Garulli  (Werther),  M"»»  Maria  Leonardi,  MM.  Luigi  Baldassari, 
Auguste  Pasti,  Oreste  Masi  et  Eugenio  Grassi.  L'orchestre  sera  dirigé  par  le 
maestro  Sturani. 

—  De  Chesières-Vaud  :  On  vient  de  donner  à  l'hôtel  du  Ghamossaire,  grâce 
à  ses  généreux  propriétaires,  M.  et  M""  Amiguet,  et  au  concours  de  M.  An- 
touin  Marmontel,  en  villégiature  dans  le  pays,  une  fort  belle  soirée  artistique 
dont  le  produit  est  destiné  à  la  construction  d'une  église.  Au  programme, 
très  joliment  illustré,  des  pièces  pour  piano  jouées  avec  goût  par  M''^  Lom- 
broso,  une  élève  de  M.  Antonin  Marmontel,  des  pièces  pour  violoncelle  par 
M"»  Cornish,  pour  flûte  par  le  docteur  Meystre,  des  tableaux  vivants  et  im 
chœur  de  femmes  que  M.  Antonin  Marmontel  avait  fait  travailler,  et  on 
devine  comment,  par  de  charmantes  chanteuses  d'occasion  qu'il  inventa 
presque.       ' 

—  Voici  le  tableau  complet  de  la  troupe  formée  par  l'imprésario  Pacini 
pour  la  prochaine  saison  du  grand  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne  :  Prime 
donne.  M""'  Regina  Pacini,  Gemma  Bellincioni,  Maria  Gorti,Febea  Strakosch, 
Adalgisa  Minotd,  Gloé  Marchesini,  Clorinda  Pini-Corsi  et  Maria  Grasse  ; 
ténors,  MM.  Edoardo  Garbin,  Giuseppe  Anselmi,  Edmond  Clément  (de 
rOpéra-Gomique),  Alessandro  Bonci,  Giuseppe  Borgatti  et  Giovanni  Zenna- 
tello  ;  barytons,  Giuseppe  Kaschmann,  DefEno  Minotti,  Antonio  Pini- 
Corsi  et  Vincenzo  Ardito  ;  basses,  Oreste  Luppi,  Edoardo  Giccolini,  Franca- 
lancia  et  Garbonetti.  Les  chefs  d'orchestre,  au  nombre  de  quatre,  sont 
MM.  Luigi  Mancinelli,  Ettore  Perosio,  Marco  Foa  et  Beniamino  Lombardi. 

—  La  troupe  d'opéra  Moody  Manners,  qui  joue  dans  toutes  les  villes  impor- 
tantes du  Royaume-Uni  et  est  actuellement  la  plus  importante  troupe  lyrique 
ambulante  d'Angleterre,  vient  d'ouvrir  un  concours  pour  deux  grands  opéras 
inédits.  «  Excusez  du  peu  »,  aurait  dit  Rossini.  Un  de  ces  opéras,  paroles  et 
musique,  est  exclusivement  réservé  à  des  auteurs  anglais;  pour  l'autre  peu- 
vent concourir  les  auteurs  de  toute  nationalité,  hormis  les  compositeurs 
anglais.  Chaque  œuvre  doit  avoir  au  moins  deux  actes  et  suffire  pour  rem- 
plir toute  la  soirée.  Le  prix  est  de  6.'250  francs  pour  chaque  opéra,  mais  les 
auteurs,  librettistes  et  compositeurs,  doivent  prendre  l'engagement  de  céder 
à  la  compagnie  Moody  Manners,  moyennant  ce  prix  et  un  droit  de  10  0/0  sur 
les  bénéfices  nets,  le  droit  exclusif  de  représenter  et  de  publier  leurs  œuvres 
et  d'opérer  dans  la  partition  tous  les  changements  que  la  direction  de  la  com- 
pagnie jugerait  utiles.  Nous  ne  croyons  pas  que  beaucoup  de  compositeurs 
français  soient  tentés  de  concourir  dans  ces  conditions.  Ajoutons  toutefois 
que  les  manuscrits  doivent  être  adressés  à  M.  Manners  jusqu'au  l^rnai  1903 
et  que  les  jurys  sont  ainsi  constitués  :  sir  Alexander  Mackenzie,  M.  Prout 
et  M.  Joseph  Beunet,  pour  les  opéras  anglais  ;  MM.  Ed.  Colonne,  Mancinelli 
et  Lohse,  pour  les  opéras  étrangers.  Il  y  a  dix  ans,  M.  Manners  avait  déjà 
ouvert  un  concours  analogue  pour  un  opéra  anglais,  mais  l'œuvre  couronnée 
le  Petruccio,  de  M.  A.  Maclean,  a  eu  si  peu  de  succès  qu'on  n'en  parle  déjà 
plus. 

—  Encore  un  Bayreuth  I  La  direction  générale  du  Kurhaus  de  Scheveningue 
est  en  pourparlers  avec  le  prince  de  Wied  pour  l'achat  de  la  villa  qu'il  pos- 
sède à  Scheveningue.  La  direction  du  Kurhaus  a  l'intention  de  faire  construire 
sur  l'emplacement  de  la  villa,  un  théâtre  dans  le  style  de  celui  de  Bayreuth, 
«  dans  lequel  on  donnera,  avec  le  concours  d'artistes  de  premier  ordre,  des 
représentations  modèles  des  œuvres  de  Richard  Wagner.  »  Bayreuth,  Munich, 
Scheveningue,  cela  ne  fait-il  pas  un  peu  beaucoup  de  temples  wagnèriens? 
ajoute  très  justement  notre  confrère  Nicolet  du  Gaulois. 

—  De  La  Haye  :  M.  K.-F.  Van  Bijleveldt,  qui  dirige,  en  collaboration 
avec  M.  Lel'èvre,  l'Opéra  royal  français,  terminera  le  l''  septembre  sa  vingt- 
cinquième  année  de  direction.  MM.  Bijleveldt  et  Lefèvre,  dont  l'association 
fut  très  heureuse,  surent  conserver  à  l'Opéra  sa  renommée  de  scène  artisti- 
que et  furent  de  toujours  très  éclairés  partisans  de  l'école  musicale  française. 


280 


LE  MÉNESTREL 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  rOpéra-Comique  : 

M.  Albert  Carré,  qui  ne  reste  jamais  bien  longtemps  éloigQé  de  son 
théâtre,  est  venu  d'Houlgate  y  passer  quelques  heures  au  commencement  de 
la  semaine,  juste  assez  pour  s'entretenir  avec  M.  Lucien  Jusseaume  des 
décors  de  Grisélidis  et  pour  y  apprendre  une  très  fâcheuse  nouvelle  —  pour 
lui  s'entend  —  le  prochain  mariage  de  W^'  Marthe  Rioton  à  qui  il  a  dû,  très 
courtoisement,  mais  non  sans  regrets,  accorder  la  résiliation  de  son  enga- 
gement. 

C'est,  en  effet,  une  grosse  perte  que  t'ait  l'Opéra-Comique,  d'autant  que 
c'est  M"«  Rioton  qui  devait  créer  le  rôle  principal  de  la  Troupe  Jolicœur  et 
chanter  celui  de  Rozenn  dans  la  reprise  très  prochaine  du  Boi  d'Ys.  Et  puis 
elles  sont  désespérément  rares  les  chanteuses,  qui,  eu  plus  d'une  jolie  voix, 
ont  été  douées  d'une  vraie  nature  de  théâtre,  et  M"»  Rioton,  avec  des  moyens 
assurément  pas  très  grands,  mais  d'une  si  exquise  et  si  courageuse  person- 
nalité, était  certainement  parmi  ces  très  rares  privilégiées;  elle  l'a  prouvé 
de  reste  pendant  le  trop  court  espace  de  temps  qu'elle  passa  place  Favart  et 
surtout  dans  cette  création  de  la  ioui'se  de  Gustave  Charpentier,  où,  débutante, 
elle  affirma  si  crânement  son  adorable  tempérament  d'  «  artiste  ».  A  peine 
âgée  de  vingt  et  un  ans,  M"«  Marthe  Rioton  a  la  grande  sagesse  de  renoncer 
au  plus  décevant  des  métiers,  dont  elle  ne  connaît  pourtant  encore  que  les 
côtés  séduisants  et  grisants  ;  nous  l'en  félicitons  sincèrement,  sans  cependant 
pouvoir  nous  empêcher  de  le  regretter  très  vivement. 

Dès  demain  lundi,  les  chœurs  reprendront  leurs  leçons  sous  la  direction 
de  leur  excellent  chef  M.  Henri  Carré,  secondé  par  M.  Marietti.  Ils  continue- 
ront les  études  de  la  Troupe  Jolicœur  et  du  Roi  d'Ys,  interrompues  par  les 
vacances,  et,  en  plus  du  répertoire,  se  mettront  à  celle  de  Grisélidis,  dont  la 
partie  chorale  est,  d'ailleurs,  fort  peu  développée. 

La  réouverture  du  théâtre  aura  lieu  lundi  en  huit,  14  septembre,  avec  un 
ouvrage  du  répertoire. 

—  Du  correspondant  du  Figaro,  spécialement  attaché,  à  Biarritz,  à  la  per- 
sonne de  M.  Gailhard  : 

«  M.  Gailhard,  directeur  de  l'Opéra,  reatrera  à  Paris  dans  les  premiers  jours  de  septembre, 
après  avoir  traversé  la  France  en  automobile  avec  quelques  amis.  Il  partage  ses  loisir.s  à 
la  villa  des  Sables,  entre  :  les  études  graphiques  de  la  ini.se  en  scène  des  Barbares,  dont  il 
note  minutieusement  les  mouvements  en  marge  de  la  partition,  la  pêcbe  à  la  fronde  ou  à 
l'arbalète  selon  la  pittoresque  méthode  basque,  et...  l'aquarelle,  JI.  Gailhard,  est,  en  effet, 
un  virtuose  de  la  peinture  à  l'ejiu  ;  ses  marines,  très  habilement  nuancées,  font  honneur  à 
l'ancien  élève  de  l'École  des  beaux-arts  de  Toulouse  et  c'est  en  délayant  l'ocre,  le  vermillon 
et  le  cobalt  que  l'ex-Méphisto  de  l'Opéra  retrouve  et  lance  encore  aux  échos  de  Gailhard- 
Plage  ses  plus  belles  notes  graves,  v 

Et  dire  que  toutes  ces  belles  choses  sont,  peut-être,  écrites  le  plus  sérieuse- 
ment du  monde  ! 

—  M.  Théodore  Dubois  qui  n'avait  pu  se  rendre  dans  sa  propriété  de  Ros- 
nay,  dans  la  Marne,  que  fort  tardivement,  retenu  à  Paris  par  les  examens  de 
son  fils,  reçu  très  brillamment  à  l'agrégation  des  lettres,  travaille,  en  ce 
moment,  à  un  grand  poème  symphonique  qu'il  compte  rapporter  complète- 
ment terminé  à  la  fin  de  ses  vacances. 

—  "Voici  septembre,  on  rouvre  !  Cette  semaine  ce  fut  encore  modeste  avec 
seulement  le  Chàtelet  reprenant  l'éternel  Tour  du  Monde  et  Parisiana  conti- 
nuant l'heureuse  série  de  représentations  du  populaire  Papa  de  Francine. 
Mais,  dès  maintenant,  presque  chaque  jour,  surtout  si  la  température 
demeure  fraîche,  verra  quelque  buraliste  se  réinstaller  derrière  son  guichet 
grillagé.  Ce  soir  ce  sera  le  tour  de  l'Olympia,  le  3  septembre  celui 
du  Théâtre  Sarah-Bernhardt  avec  la  Darne  aux  Camélias,  interprétée  par 
Mi'=  Renéj  Parny,  le  C  celui  du  Nouveau-Cirque,  l'Athénée  annonce  des  repré- 
sentations de  l'étonnante  Sada  Yacco  devant  commencer  du  5  au  10.  Enfin 
on  nous  promet  pour  le  10  les  Folies-Dramatiques  avec  l'Étu(k  Tocasson,  pour 
le  14  l'Opéra-Comique  avec  une  pièce  du  répertoire,  pour  le  Ib  le  Palais- 
Royal  avec  Bichetle  et  le  Château-d'Eau  avec  la  Fille  du  Tambour- major,  pour 
le  20  la  Porte-Saint-Martin  avec  Quo  vadis  ?  Toutes  les  autres  scènes  pari- 
siennes ne  tarderont  pas  à  en  faire  autant. 

—  C'est  aujourd'hui  dimanche  que  commence  au  Grand-Palais  des  Champs- 
Elysées  la  série  des  concerts  populaires  que  va  y  donner  M.  Louis  Pister.  Le 
prix  d'entrée  a  été  fixé  à  0  fr.  SO  c.  Au  programme,  dont  l'exécution  com- 
mencera à  3  h.  1/2,  figurent  des  œuvres  de  Meudelssohn,  Bizet,  Gounod, 
Léo  Delibes,  Proch,  Saint-Saëns,  B.  Godard  et  Ambroise  Thomas. 

—  Nous  avons  annoncé  dernièrement  que  M.  Leoncavallo,  le  frère  de  l'au- 
teur de  Paillasse,  avait  sollicité  du  conseil  municipal  la  concession  du  terrain 
sur  lequel  s'élevait  l'ancien  cirque  des  Champs-Elysées,  pour  y  installer  un 
théâtre  lyrique.  Il  parait  que  la  demande  vient  d'être  agréée  et  que  le  traité 
est  même  signé.  Est-ce  pour  de  bon,  cette  fois?  M.  Leoncavallo  ferait  do 
son  théâtre  un  théâtre  essentiellement  international,  où,  il  n'est  pas  besoin 
de  le  dire,  la  musique  italienne  se  trouverait  nécessairement  avoir  la  place 
prédominante. 

—  Les  représentations  wagnériennes,  organisées  par  la  Société  des  Grandes 
Auditions  du  Château-d'Eau,  commenceront  le  13  avril  1902.  On  jouera  le 
Crépuscule  des  Dieux  et  Tristan  et  Yseult  alternativement  en  français  et  en  alle- 
mand. Les  principaux  interprètes  seront  MM.  "Van  Dyck,  Schmedes,  M™»  Lit- 
vinne,  Gulbranson  et  Bréma;  l'orchestre  sera  dirigé  par  MM.  MottI,  Richter 
et  Cortot. 


—  Le  lieutenant-colonel  Freyman,  de  l'armée  russe,  vient  d'envoyer  au 
général  de  la  Noë,  directeur  du  musée  de  l'armée  aux  Invalides,  une  collec- 
tion d'environ  4j0  marches  militaires  usitées  dans  les  régiments  d'infanterie 
russe,  à  la  condition  que  ces  marches  ne  pourront  élre  ni  publiées  ni 
exécutées  en  public  en  France.  Chaque  régiment  d'infanterie  français  a  reçu, 
de  même  source,  la  marche  du  régiment  russe  dont  le  numéro  correspond 
au  sien. 

—  De  Béziers  :  Pour  la  quatrième  année,  les  Arènes  viennent  d'être  enva- 
hies par  une  foule  toujours  saisie  par  le  décor  vraiment  grandiose  et  subju- 
guée par  un  spectacle  dont  l'âme  demeure  le  distingué  dilettante  M.  Cas- 
tellane  de  Beauxhortes.  La  nouveauté  de  l'année  est  le  ballet  Bacchus  mystifié 
dont  la  musique  a  été  composée,  an  défaut  de  M.  Saint-Saëns  empêché,  par 
un  jeune  prix  de  Rome  sur  lequel  on  compte  justement,  M.  Max  d'Ollone. 
Lui-même  a  conduit  son  œuvre  très  distinguée  et  a  été  l'objet  de  chaudes 
ovations.  D'ores  et  déjà,  on  nous  promet  pour  l'année  prochaine  Parysatis, 
poème  de  M""  Dieulafoy,  musique  de  M.  Saint-Saëns,  qui  ne  fera  que 
confirmer,  une  fois  dé  plus,  la  belle  œuvre  de  décentralisation  arlistiquo  si 
noblement  entreprise  ici. 

—  De  Vichy  :  Le  succès  de  Ruth,  de  Franck,  a  été  considérable  jeudi 
dernier  au  dernier  concert  classique  dirigé  par  M.  Danbé.  L'exécution  en  a 
été  remarquable  par  M"'«  Fiérens  (de  l'Opéra),  M"=  Charlotte  Lormonl  (des 
Concerts  Lamoureux),  MM.  Boulogne  et  Lafarge.  Les,  chœurs  et  l'orchestre 
acclamés  par  la  salle  entière. 

—  De  Biarritz  :  Le  grand  succès  du  nouveau  Casino  municipal  est  pour  les 
concerts  symphoniques  que  dirige,  avec  une  maestria  superbe,  M.  A.  Luigini, 
le  remarquable  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique.  Une  foule  d'amateurs 
se  presse  à  chaque  audition  dont  les  programmes  sont  composés  avec  un  goût 
parfait.  Très  bonne  série  de  représentations  d'opéra-comique  aussi,  dont  une 
des  meilleures  fut  celle  de  Mignon,  chantée  par  M""i  Thiéry,"VVyns,  MM.  Clé- 
ment et  Dufour. 

—  D'Aix-les-Bains  :  An  Cercle,  très  beau  concert  symphonique,  sous  la 
magistrale  direction  de  M.  Léon  Jehin,  cohsacré,  dans  sa  première  partie,  à 
l'audition  d'œnvres  d'Augusta  Holmes.  On  a  fait  grand  succès  à  Vlhjinne  à 
Vénus,  chanté  par  M.  Bruzzi,  et  à  la  suite  symphonique  Au  pays  bleu.  Dans 
la  seconde  partie  le  ballet  du  Cid,  de  Massenet,  a  produit  tout  son  efl'et 
habituel. 

—  De  Fréjus  :  Le  conseil  municipal  vient  de  décider  d'élever  un  monument 
à  Désaugiers,  le  célèbre  chansonnier,  qui  naquit  dans  cette  ville  en  llli.  Sur 
une  fontaine  en  marbre  s'élèvera  une  colonne  entourée  d'un  cep  de  vigne, 
d'une  grappe  s'échappera  un  filet  d'eau.  Le  buste  en  bronze  sera  placé  sur 
la  colonne.  L'exécution  en  a  été  confiée  au  jeune  sculpteur  Louis  Maubert. 

—  De  Lille  :  La  ville  organise  un  grand  Concours  international  de  musique 
pour  orphéons,  harmonies,  fanfares,  musiques  militaires,  trompettes,  trom- 
pes de  chasse,  raandolinistes  et  accordéons,  pour  les  IS  et  16  août  1902.  Le 
conseil  municipal  a  voté  une  somme  de  loO.OOO  francs  pour  l'organisation  de 
ce  concours. 

—  Un  nouveau  livre  vient  de  paraître  en  Italie  sur  "Verdi.  Il  a  pour  titre 
"Verdi  a  Gi-I^es,  souvenirs,  anecdotes  et  épisodes,  et  pour  auteur  M.  F.  Resasco.  Il 
est  publié  à  Gènes,  chez  les  éditeurs  Pagano  frères. 

NÉCROLOGIE 

Le  poète  et  compositeur  Gunnar  Wennerberg  vient  de  mourir  à  l'âge  de 
84  ans.  Né  à  Upsal  le  2  octobre  1817,  il  avait  obtenu  très  jeune  une  chaire 
d'histoire  de  l'art  à  l'université  de  cette  ville  et  devint  rapidement  populaire, 
parmi  les  étudiants,  par  ses  belles  poésies,  qu'il  a  pour  la  plupart  mises  en 
musique  lui-même  et  qui  ont  presque  toutes  un  caractère  patriotique,  tel  le 
célèbre  hymne  ffoer  oss,  Sfea  que  tous  les  orphéons  suédois  chantent  encore 
aujourd'hui.  En  1870,  il  fut  nommé  ministre  de  l'instruction  publique,  et 
après  avoir  abandonné  son  portefeuille  en  187S,  il  le  reprit  en  1881,  pour 
l'abandonner  tout  à  fait  en  181)1.  Les  étudiants  suédois  ont  adoré  ce  poète  et 
musicien  national  et  on  toujours  célébré  son  anniversaire;  ils  défilèrent,  il 
y  a  quelques  semaines,  tristes  et  silencieux  devant  la  maison  du  poète  qui 
luttait  depuis  quelque  temps  contre  un  mal  fatal. 

—  Ces  jours  derniers  est  mort  à  Parme  le  docteur  Primo  Crotti,  bibliothé- 
caire et  doyen  des  professeurs  du  Conservatoire  de  cette  ville.  Né  à  Parme 
en  1825,  il  étudia  l'harmonie  avec  le  maestro  Giuseppe  Alinovi  tout  en  fré- 
quentant les  cours  de  l'Université,  et  en  1848  se  fit  nommer  docteur  en 
pharmacie.  Il  revint  toutefois  à  la  musique,  en  18ti4  devint  professeur  de 
littérature,  d'histoire  et  d'esthétique  musicale  au  Conservatoire,  et  de  1870  à 
1887  tint  l'archive  musicale  de  cet  établissement.  Chargé  ensuite,  conjoin- 
tement avec  le  professeur  Caputo,  de  l'organisation  de  la  section  musicale  de 
la  bibliothèque  Palatine  annexée  à  cette  même  école,  il  se  chargea  des 
fonctions  de  bibliothécaire.  Il  consacra  à  cette  institution  trente-sept  aonées 
de  sa  vie  et  de  son  activité.  Très  instruit  en  matière  d'acoustique,  le  docteur 
Primo  Crotti  a  publié  quelques  écrits  intéressants  sur  ces  questions  spé- 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


3676.  -  67'"'=  ANNÉE  —  !\° 36.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimanche  8  Septembre  I90i. 

(Les  Bureaux,  2  "",  rue  Tivieime,  Paris,  n>  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


lie  ^nmém  :  0  îf.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGJilLi,     13irc:;cteur 


lie  Hamero  :  0  îr.  30 


Adresser  franxo  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestiiel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  nuisical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (28°  article),  Paul  d'Estrées-  — 
IL  Courte  monographie  de  la  Sonate  (2°  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Notes 
d'ethnographie  musicale:  la  musique  dans  l'Inde  (5°  article),  Julien  Tiersot.  — 
IV.  Petites  notes  sans  portée  :  La  statue  de  Mozart,  Ratsiond  Bouyer.  —  V.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

A    UNE    ÉTOILE 

nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de  Alfred  de  Musset.  —  Suivra 
immédiatement  :  Cloches  d'automne,  nouvelle  mélodie  de  Noël  Desjoyeaux, 
poésie  de  Paul  Mariéton. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Valse  en  sourdine,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement:  Chanson  à  danseï', 
de  A.  Périlhou. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 


et 


(Suite.) 


VII 

Le  triomphe  de  l'école  italienne.  —  Déchéance  de  Sponlini.  —  Son  orgueil  déme- 
sure. —  Un  marchand  de  vulnéraire  à  l'Institut.  —  Une  défaillance  de  Spontini. 
—  La  première  de  la  Vestale  et  les  bottas  de  Berryer.  —  Pair  antirossiniste.  — 
Une  symphonie  canine.  —  Delacroix  et  Paêr. 

Le  grand  événement  musical  de  la  Restauration  fut,  sans  con- 
tredit, l'apparition  triomphante  de  la  nouvelle  école  italienne,  sa 
vogue  extraordinaire,  son  intluence  despotique,  quoique  passa- 
gère, sur  l'esthétique  contemporaine. 

Les  compositeurs  qui  se  partageaient  alors  les  faveurs  du 
public  parisien  virent  bientôt  faiblir  leur  prestige.  Spontini  fut 
un  des  plus  sérieusement  atteints.  Depuis  quelques  années  déjà 
son  étoile  avait  pâli.  Olympie  était  loin  de  tenir  les  promesses 
de  la  Vestale;  et  son  auteur  dut  céder  la  place  à  ceux  que  ses 
partisans  appelaient  la  cabale  des  Viottistes  et  des  Rossinistes. 

Le  baron  de  Trémont  ne  s'en  montre  pas  autrement  désolé. 
Peu  indulgent  et  parfois  même  injuste  pour  Spontini,  qu'il  met 
néanmoins  «  au  premier  rang  des  compositeurs  de  second 
ordre  »,  il  attribue  l'infériorité  du  maître  italien  à  son  outre- 
■cuidante  présomption.    Spontini,    prétend-il,  ne    profita  qu'à 


moitié  de  l'excellente  éducation  musicale  donnée  dans  les  diffé- 
rents Conservatoires  de  son  pays,  parce  qu'il  crut  toujours  son 
instruction  égale,  et  même  supérieure  à  celle  de  ses  professeurs. 
Aussi  ne  fut-il  jamais  qu'un  pauvre  harmoniste  :  ses  partitions 
les  plus  importantes  doivent  leur  cohésion  et  leur  solidité  à  la 
science  de  Cherubini.  Ses  prétentions  n'en  étaient  que  plus 
plaisantes.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  à  Paris  en  1843,  il  disait  à 
Rossini  : 

—  Maestro,  il  faut  convenir  que  vous  et  moi  avons  rendu  de 
grands  services  à  l'art. 

Son  orgueil  démesuré  éclatait  jusque  sur  ses  vêtements  et 
dans  les  soins  apportés  à  sa  toilette,  surtout  les  jours  de  séance 
solennelle  à  l'Institut.  Le  compositeur  entrait  des  premiers, 
invariablement  coiffé  de  sa  perruque  à  boucles  d'un  noir  cho- 
colat, et  il  avait  soixante-dix  ans  !  Son  frac,  son  gilet,  son  pan- 
talon étaient  chamarrés  de  broderies  beaucoup  plus  larges  que 
celles  de  ses  collègues.  On  eût  dit  un  marchand  de  vulnéraire. 

Heureusement,  ajoute  Trémont,  les  mesquineries  de  cet  esprit 
envieux  et  tracassier  trouvaient  une  notable  atténuation  dans 
les  aimables  qualités  de  M"'  Spontini,  née  Erard,  dont  la  grâce, 
toujours  accueillante,  faisait  oublier  l'égolsme  revêche  du  mari. 

Egoïsme  que  caractérise  une  anecdote  topique  d'E.  Géraud  (1) 
et  qui  a  peut-être  inspiré  cette  jolie  scène  des  Faux  Bonshommes, 
où  Dufouré,  le  tartufe,  manque  de  s'évanouir,  non  pas  parce 
qu'il  vient  de  perdre  sa  femme,  mais  parce  que  le  pan  de  sa 
redingote  a  été  frôlé  par  un  omnibus  ! 

Devenu  rêveur  et  mélancolique  à  la  suite  de  cruels  chagrins, 
Legouvé,  le  père  de  l'académicien  à  qui  le  Ménestrel  doit  de  si 
intéressants  Souvenirs,  était  tombé  par  mégarde  dans  un  saut- 
de-loup  bordant  le  parc  de  M"°  Contât.  Transporté  mourant  chez 
la  célèbre  comédienne,  qui  donnait  une  fête  à  une  réunion  d'ar- 
tistes et  de  gens  de  lettres,  Legouvé  reçoit  les  soins  les  plus 
touchants.  Tout  à  coup  Spontini,  qui  était  au  nombre  des  invités, 
pâlit,  chancelle,  et  finalement  se  laisse  choir  sur  une  chaise.  On 
s'empresse  autour  de  lui,  on  l'interroge  : 

—  Ah  !  dit-il,  je  frémis  à  l'idée  que  cela  pouvait  m'arriver  ! 
Les  critiques  tant  soit  peu  acerbes  de  Trémont  ne  doivent  pas 

faire  oublier  que  la  partition  de  la  Vestale  est  une  œuvre  des 
plus  honorables;  et  Eugène  Delacroix,  qu'on  ne  saurait  suspecter 
de  tendresse  pour  Spontini,  bien  qu'il  eiit  demandé  à  lui  être 
présenté  en  1847,  reconnait  dans  la  Vestale,  «  à  travers  sa  vétusté, 
un  souffle  original  »  qui  explique  de  reste  l'engouement  des 
Parisiens  de  1807  pour  ce  drame  lyrique. 

Berlioz  y  signale  des  «  lueurs  de  génie  »  ;  et  Wagner  lui- 
même,  dépassant  comme  toujours  la  mesure,  écrit  qu'il  faut 
s'incliner  avec  respect  devant  le  cercueil  du  créateur  de  la  Ves- 

(1|  E.  Géraud.  —  Un  homme  de  lettres  sous  l'Empire  et  la  Restauration,  publication  de 
H,  .\lbert,  1893. 


28i2 


LE  MÉNESTREL 


taie,  de  Fernand  Cortez  et  d'Ohjmpie.  Il  est  vrai  que  Spontiiii  avait 
été  une  des  gloires...  tumultueuses  de  Berlin. 

Par  un  de  ces  privilèges  particuliers  à  l'esprit  gaulois,  la 
parodie  de  la  Vestale  devint  presque  aussi  célèbre  que  l'opéra 
même  ;  et  qui  sait  si  Désaugiers  n'en  prit  pas  l'idée  à  la  première 
représentation,  à  laquelle  il  assistait  avec  Berryer,  le  futur  avocat? 

Celui-ci,  déjà  très  épris  de  musique,  aimait  à  rappeler  les 
épisodes  de  cette  soirée  mémorable;  mais  je  croirais  volontiers 
qu'il  les  amplifiait  à  plaisir.  Il  avait  alors  ce  que  notre  argot 
moderne  appelle  un  tempérament  de  fumiste  et  il  avouait,  dans 
l'intimité,  qu'il  était  l'auteur  de  la  fameuse  complainte  de 
Fualdès.  En  tout  cas,  ce  fut  pour  lui  une  double  première  que  celle 
de  la  Vestale  :  il  essayait  ce  soir-là  une  magnifique  paire  de 
bottes  à  revers  qui  lui  coûtaient  soixante-douze  francs  ;  malheu- 
reusement elles  étaient  beaucoup  trop  justes,  et  la  torture 
qu'elles  lui  infligeaient  —  le  vrai  supplice  des  brodequins  — 
l'empêcbait  de  goûter  tout  le  charme  de  la  musique.  Il  prit  un 
parti  héroïque  :  il  emprunta  un  canif  à  un  de  ses  voisins  et 
trancha  le  nouveau  nœud  gordien.  Désaugiers,  qui  était  derrière 
lui  et  suivait  toutes  les  péripéties  de  ce  drame  intime,  lui  dit 
dans  cette  note  que  ne  ménage  pas  Cadet  Buteux  : 

—  Eh  mais  !  cher  Monsieur,  vous  devez  être  content  de  votre 
cordonnier,  il  vous  sert  bien. 

A  l'exemple  de  Spontini,  Paër  fit  assez  grise  mine  à  la  Muse 
de  Rossini,  quand  elle  eut  accaparé  presque  pour  elle  seule  la 
clientèle  parisienne.  Mais  la  jalousie  de  l'ex-impresario  des  spec- 
tacles de  la  Cour  impériale  ne  se  donna  vraiment  carrière  que 
le  jour  où  Paër  eût  succédé,  comme  directeur  des  Italiens,  à 
Rossini,  dont  il  avait  été  quelque  temps  l'auxiliaire  au  même 
théâtre.  Pour  satisfaire  au  goût  du  jour  il  fut  bien  forcé  de  jouer 
les  œuvres  de  son  prédécesseur,  mais  il  n'en  produisit  que  les 
plus  faibles.  Naturellement,  le  procédé  indigna  les  amateurs. 
Alors,  Paër  reprit  le  Barbier  de  Paisiello.  Les  récriminations  des 
abonnés  s'accentuèrent.  Paër,  poussé  à  bout,  dut  enfin  donner 
le  Barbier  de  Rossini. 

Ce  n'était  pas  qu'il  ne  fût  un  excellent  musicien,  sachant 
allier  la  grâce  à  la  finesse,  possédant  toutes  les  ressources  de  son 
art,  et,  qui  sait,  peut-être  assez  favorisé  de  la  nature  pour  créer 
des  chefs-d'œuvre,  s'il  avait  eu  la  patience  et  le  courage  de  les 
écrire.  Mais  il  avait  trop  l'amour  du  plaisir  et  la  soif  des  honneurs, 
préoccupations  qui  excluent  toute  idée  de  travail  et  de  recueille- 
ment. Très  bon  accompagnateur,  délicieux  chanteur  bouffe,  il 
n'était  de  belle  fête  à  la  Cour  qu'il  n'en  fût  l'organisateur.  Et  puis, 
quel  endiablé  viveur!  Il  avait  une  égale  tendresse  pour  les  grands 
dîners,  les  vieux  vins  et  les  jolies  filles,  qu'il  choisissait  aussi 
jeunes  que  possible.  Il  ne  s'en  portait  pas  mieux,  car  il  était 
rudement  travaillé  par  la  goutte.  Comment  eût-il  trouvé  le  temps 
de  faire  de  la  bonne  musique?  D'ailleurs,  dit  Trémont,  «  il  aimait 
trop  les  singeries  italiennes  et  ne  se  respectait  pas  assez  comme 
artiste  ».  N'eut-il  pas  l'idée,  dans  un  concert  chez  la  princesse 
de  Vaudemont,  de  vouloir  noter  le  tumulte  d'une  bataille  de 
chiens  qui  avait  interrompu  brusquement  la  séance?  Naturel- 
lement, Paër  fut  mordu  par  les  carlins  de  la  grande  dame,  beau- 
coup plus  éprise  de  l'espèce  canine  que  des  hommes  en  général 
et  des  artistes  en  particulier. 

Cuvillier-Fleury  note  minutieusement,  dans  son  Journal  (1)  tle 
1829,  les  qualités  et  les  défauts  du  musicien,  qui  était  un  des 
familiers  du  Palais-Royal,  où,  lui,  Cuvillier-Fleury,  était  pré- 
cepteur du  jeune  duc  d'Aumale.  Il  rend  pleine  justice  aux  ta- 
lents de  société  de  Paër,  improvisant  mille  symphonies  char- 
mantes sur  le  piano  tout  en  se  mêlant  à  la  conversation  générale 
et  accompagnant  d'harmonies  expressives  ses  anecdotes  les  plus 
piquantes.  Mais  c'est  surtout  au  château  de  Randan,  où  Guvillier 
a  suivi  le  fils  de  Louis-Philippe,  que  Paër  se  montre  sous  ses 
multiples  aspects.  Il  charme  les  soirées  un  peu  longues  et  un 
peu  tristes  de  l'automne  par  la  bouffonnerie  spirituelle  de  ses 
inspirations,  auxquelles  il  fait  succéder  soudainement  les  sublimes 
accents  de  la  Marseillaise.  Mais  il  donne  en  même  temps  la  mesure 
de  son  antipathie  contre  Rossini  en  ne  jouant  de  lui  qu'un  seul 


(1)  Cmillier-Fleury,  Journal  intime,  publié  par  E.  Berlin;  Pion,  1900, 


morceau.  Son  extraordinaire  gourmandise  n'a  de  comparable 
que  sa  rare  poltronnerie.  Il  brandit  son  épée  —  un  cure-dents  — 
contre  des  loups  (en  Auvergne  !  s'écrie  Cuvillier)  dont  il  a  horri- 
blement peur  et  qu'il  n'a  pu  voir  que  dans  son  imagination.  Qui 
sait  si  ce  n'était  pas  encore  là  une  de  ce&  mystifications  dont  il 
était  coutumier  et  dont  il  voulait  donner  la  comédie  à  son  audi- 
toire? 

Mais,  de  ce  que  Paër  fût  assez  insoucieux  de  sa  gloire  pour  se 
dépenser  en  fantaisies  indignes  de  son  talent,  il  ne  faudrait  pas 
conclure  qu'il  doive  être  condamné  à  l'oubli.  Comme  Spontini, 
il  eut  des  éclairs  de  génie.  Le  Maître  de  Chapelle,  Agnese  contien- 
nent des  pages  dignes  de  mémoire.  Delacroix,  en  1824, 
parlait  d'une  sérénade  de  Paër  qui  l'avait  «  frappé  ».  Quatorze 
ans  après,  lorsqu'il  briguait  l'honneur  d'entrer  à  l'Académie  des 
Beaux- Arts,  il  priait  Alfred  de  Musset  de  solliciter  pour  lui  la 
voix  de  Paër. 

Un  autre  musicien  qui  paraît  avoir  eu,  lui  aussi,  un  tempé- 
rament de  fumiste,  c'est  le  flûtiste  Tuiou,  à  qui  le  Journal  de 
Cuvillier-Fleury  prête  une  fantaisie  d'assez  mauvais  goût.  Le 
26  décembre  1828,  l'artiste  conviait  l'élite  de  la  société  pari- 
sienne à  une  soirée  où  il  se  mit  à  exécuter  des  variations  bur- 
lesques sur  le  violon,  après  que  Vidal  eut  joué  de  la  flûte.  Puis, 
les  musiciens  de  l'orchestre,  s'inspirant  du  même  procédé,  s'em-, 
parèrent  chacun  d'un  instrument  qui  leur  était  étranger  et  orga- 
nisèrent la  plus  étrange  des  symphonies,  avec  accompagnement 
de  casseroles,  de  lèchefrites  et  d'harmonicas.  L'auditoire  ne  prit, 
comme  on  pense  bien,  qu'un  médiocre  plaisir  à  cette  chariva- 
rique  mystification. 

(A  siiivre.)  Paul  d'Estrées. 


COURTE  MONOGRAPHIE  DE  LA  SONATE 

(Suite.) 


Mais,  comme  le  dit  Fétis,  la  sonate  ne  doit  sa  forme  moderne,  celle  à 
laquelle  nous  devons  tant  d'admirables  chefs-d'œuvre,  qu'à  Philippe- 
Emmanuel  Bach,  le  second  fils,  justement  célèbre,  du  grand  Sébastien. 
Jusque-là  les  compositions  publiées  sous  ce  titre,  même  par  les  plus 
grands  maîtres:  J.-S.  Bach,  Haendel,  Durante,  Scarlatti,  Porpora, 
n'étaient  autre  chose  que  des  suites,  comme  nous  les  avons  vu  caracté- 
riser par  Brossard.  Du  grand  Bach  on  connaît  trois  sonates  pour  piano, 
six  pour  orgue,  six  pour  violon,  trois  pour  viole  de  garabe,  six  pour 
piano  et  violon,  six  pour  piano  et  flûte  et  une  pour  deux  violons.  Du- 
rante a  écrit  huit  sonates  de  piano,  Domenico  Scarlatti  en  a  publié 
trente  en  deux  suites,  et  de  Porpora  on  en  connaît  neuf  pour  piano  et 
violon  et  douze  pour  piano  et  basse.  Du  même  temps  il  en  e.xiste  du 
Père  Martini,  de  Marcello,  de  Galuppi  et  de  quelques  autres. 

Dans  un  travail  excellent  de  M.  Dino  Sincero,  La  Sonata  di  Filippo 
Emaimele  Bach,  publié  il  y  a  quelques  années  par  la  liivista  musicale 
italiana,  l'auteur  caractérisait  ainsi  le  rôle  de  ce  compositeur  dans  l'his- 
toire et  la  formation  de  la  sonate  : 

Au  premier  coup  d'œil,  la  sonate  de  Philîppe-Emmanuel  Bacli  laisse 
l'impression  de  quelque  cliose  de  superSciel.  Un  relàcliement  et  une  indéter- 
mination dans  les  divers  morceaux,  une  indécision  dans  leur  caractère,  qui 
parfois  ne  semble  pas  parfaitement  déâni,  les  allegri  n'étant  pas  toujours 
nettement  séparés  par  un  adagio  ou  un  andante,  laissent  dans  l'esprit  de  l'au- 
diteur une  sorte  de  doute  sur  les  intentions  de  l'auteur.  La  plupart  (des 
sonates)  sont  formées  de  trois  morceaux,  quelquefois  de  deux,  il  y  en  a  d'un 
seul.  Elles  commencent  et  finissent  tour  à  tour  par  un  allefiro.  un  adagio,  un 
andante,  sans  aucun  ordre.  Il  manque  encore  le  troisième  mouvement  ou 
minuetlo,  qui,  grâce  à  Beethoven,  doit  plus  tard  se  transformer  en  scherzo. 
Ces  trois  parties  qui  doivent  toujours,  quoique  bien  distinctes,  former  un 
tout  homogène  et  uni,  manquent  encore  de  ce  contraste  dans  le  mouvement, 
dans  la  tonalité,  dans  le  caractère,  qui  est  inhérent  à  l'essence  de  cette 
forme.  Elles  ne  sont  pas  toujours  séparées  par  une  pause,  et,  par  le  fait  de 
l'indécision  ci-dessus  mentionnée,  celui  qui  écoute  ne  pourrait  pas  toujours 
comprendre  s'il  se  trouve  au  commencement,  au  milieu  ou  à  la  fin  de  l'œuvre; 
et  en  certains  cas  on  pourrait  très  bien  intervertir  l'ordre  des  morceaux  en 
mettant,  par  exemple,  le  dernier  à  la  place  du  premier,  sans  que  l'ensemble 
ait  à  en  souffrir.  Surtout  la  clarté  manque  dans  l'accord  de  repos,  et  aussi 
dans  la  conclusion  de  la  composition,  ce  vivacr  crescendo  qui  est  pourtant  une 
règle  de  l'art  et  qui  seul  peut  donner  pleine  et  parfaite  satisfaction  dans  le 
sens  de  la  tonalité,  source  principale  ne  la  vraie  jouissance  musicale. 

Mais  si  nous  faisons  abstraction  de  ces  questions  et  de  ces  détails  de 


LE  MÉNESTREL 


283 


forme,  et  si  nous  jugeons  la  sonate  de  Philippe-Emmanuel  dans  son  ensemble 
et  dans  sa  situation  historique,  elle  prend  une  importance  capitale  dans 
l'histoire  de  cette  forme  artistique  et  elle  attire  vraiment  toute  l'attention 
des  esprits  studieux.  La  polyphonie  absolue  cède  le  pas  à  l'homophonie,  la 
modulation  se  fait  libre  et  hardie,  on  voit  abonder  les  surprises  harmoniques, 
les  passages  enharmoniques,  les  répercussions  de  thèmes  dans  des  tonalités 
éloignées  et  disparates;  an  sérieux  grave  et  compassé  de  la  musique  anté- 
rieure se  substitue  Vm's  nova  et  apparaît  ce  hadinage,  cet  humour  de  Heine 
éminemment  moderne  et  qui,  avec  le  grand  Beethoven,  surgira  plus  tard 
dans  des  proportions  si  épiquement  gigantesques.  Cette  technique  harmo- 
nique plus  riche  et  plus  moderne  est  encore  plus  grandement  soulignée  par 
de  rapides  changements  de  forle  et  de  piano,  par  de  beaux  contrastes  esthé- 
tiques et  par  une  certaine  élégance  fine  et  aristocratique  qui  représente  à 
merveille  la  société  musicale  au  milieu  de  laquelle  s'est  développée  l'activité 
de  Philippe-Emmanuel. 

Et  l'écrivain  ajoute  :  —  «  Mais  où  Philippe-Emmanuel  se  montre 
vraiment  novateur,  c'est  en  donnant  au  premier  morceau  de  la  sonate 
son  véritable  développement  et  cette  unité  provenant  de  la  réunion  de 
deux  thèmes,  dont  le  second  est  le  contrepoids  du  premier,  et  dans  les 
développements  et  déductions  de  ces  thèmes  avant  de  les  faire  réappa- 
raître dans  leur  tonalité  initiale.  » 

Philippe-Emmanuel  doit  donc  bien  être  considéré  comme  le  père  de 
la  sonate  telle  qu'elle  est  constituée  depuis  uu  siècle  et  demi,  telle  qu'on 
la  pratique  depuis  lors.  Il  peut  la  revendiquer  comme  son  œuvre  propre, 
et  il  lui  doit  une  partie  de  la  gloire  qui  s'attache  à  son  nom.  Il  en  a  écrit, 
je  crois,  environ  une  centaine,  toutes  pour  piano  seul,  à  l'exception  de 
treize  en  trios  pour  piano,  violon  et  violoncelle.  Haydn,  qui  ne  tarda 
pas  à  le  suivre  dans  la  route  qu'il  avait  ouverte,  en  a  composé  plus  de 
soixante,  soit  pour  piano  seul,  soit  pour  piano  et  violon,  soit  pourpiano, 
violon  et  violoncelle  (sans  compter  quelques-unes  pour  baryton);  toutes 
sont  des  chefs-d'œuvre  d'élégance,  de  style,  de  mélodie  et  d'origina- 
lité. Les  sonates  d'Haydn  sont  généralement  divisées  en  trois  morceaux 
seulement.  Mozart  en  a  fourni  un  nombre  presque  aussi  considérable, 
dont  les  deux  tiers  environ  pour  piano  et  violon,  le  reste  pour  piano 
seul  ;  il  a  mis  dans  ces  œuvres  adorables  toute  la  tendresse  mélanco- 
lique, tout  le  charme  pénétrant,  toute  la  fleur  de  jeunesse  qui  distinguent 
son  admirable  génie;  ces  diverses  pièces  se  font  surtout  remarquer  par 
une  fraîcheur  d'inspiration  et  une  pureté  de  lignes  vraiment  antique, 
qui  en  font  des  modèles  absolument  inimitables.  Dans  le  même  temps 
Sacchini,  Paradies  et  Rutini,  en  Italie,  Rust  et  Schobert  en  Allemagne, 
publiaient  un  certain  nombre  de  sonates. 

Enfin  vint  Beethoven,  qui  donna  à  la  sonate,  comme  à  la  sym- 
phonie, une  ampleur  et  des  développements  inconnus  avant  lui,  qui  en 
fit  un  poème  toujours  dramatique  et  touchant,  souvent  hardi  et  pas- 
sionné, parfois  d'un  accent  déchirant  et  désespéré.  Qu'il  s'agisse  de 
sonates  pour  piano  seul  ou  pour  piano  et  violon,  peut-on  citer,  sans 
évoquer  immédiatement  des  souvenirs  bien  chers  chez  ceux  qui  ont  eu 
le  bonheur  de  les  entendre,  l'admirable  Sonate  pathétique,  qui  justifie 
si  bien  son  titre,  celles  dédiées  à  la  comtesse  de  Brown,  celles  à  l'em- 
pereur Alexandre,  les  trois  éclatantes  et  splendides  sonates  dédiées  à 
l' archiduc  Rodolphe?  Et  la  sonate  à  Kreutzer  (1),  et  la  sonate  en  la  b, 
et  celle  ente  majeur,  et  celle  en  ut  dièse  mineur  !... 

Spécialement,  les  sonates  que  Beethoven  écrivit  pour  piano  et  violon 
sont  presque  toutes  d'immenses  chefs-d'œuvre.  Le  caractère  noble  et 
chevaleresque  du  violon,  la  sonorité  tantôt  pénétrante  et  pure,  tantôt 
éclatante  et  héroïque  de  cet  instrument  merveilleux,  conviennent  si 
bien  aux  élans  passionnés,  aux  accents  dramatiques  et  touchants!  Il  est 
c  ependant  curieux  de  voir  comment,  en  Allemagne  même,  on  appré- 
ciait, quand  elles  commencèrent  à  se  produire,  les  premières  composi- 
tions en  ce  genre  de  Beethoven.  Nul  n'est  prophète  en  son  pays,  dit  la 
sagesse  des  nations.  Voici,  pour  donner  raison  à  ce  proverbe,  le  juge- 
ment que  portait,  enl79y,  la  brave  Gozette  musicale  universelle  de  Leipzig 
sur  l'œuvre  12  de  Beethoven,  contenant  les  trois  sonates  pour  piano  et 
violon  en  ré  majeur,  en  la  majeur  et  en  mi  majeur. . 

Le  critique  commence  par  dire  qu'il  ne  connaissait  pas  encore  les 
œuvres  de  piano  de  Beethoven;  puis  il  avoue  que  ce  n'est  pas  sans 
peine  qu'il  est  parvenu  à  se  rendre  compte  de  ces  sonates,  selon  lui 
surchargées  d'étranges  difficultés.  —  «  Il  est  incontestable,  dit-il 
ensuite,  que  M.  Beethoven  suit  une  route  à  part,  mais  quelle  route 

(1)  .Je  ne  sais  où  l'écrivain  fantasque  qui  avait  nom  W.  de  Lenz  a  pu  prendre  que 
II  Kreutzer  ne  comprit  rien  à  cette  œuvre  colossale  qui  perpétue  encore  son  nom  quand 
l'auteur  de  Lodontia  est  oublié  depuis  longtemps  "  (Beetlioven  et  ses  trois  styles).  Kreutzer 
est  oublié  comme  compo&iteur  dramatique,  c'est  vrai,  quoiqu'il  n'ait  pas  laissé  que  de 
prouver  du  talent  sous  ce  rapport  (Berlioz,  chez  qui  la  louange  est  rare,  en  témoigne 
d'une  façon  éclatante)  ;  mais  il  ne  l'est  point  en  tant  que  violoniste,  et  soit  comme  virtuose, 
soit  comme  compositeur  pour  son  instrument,  il  a  montré  une  valeur  assez  exceptionnelle 
pour  que  l'assertion  de  'W.  de  Lenz,  que  n'appuie  aucune  preuve,  paraisse  singulièrement 
sujette  à  caution. 


pénible  et  bizarre  I  Beaucoup  de  science  et  toujours  de  la  science,  mais 
peu  de  nature  et  pas  de  chant.  L'ensemble  est  savant,  hérissé  de  diffi- 
cultés, mais  on  voudrait  plus  de  méthode  pour  soutenir  l'intérêt  ;  au 
lieu  de  cela  l'auteur  recherche  les  modulations  extraordinaires;  il  a  une 
répugnance  visible  pour  les  résolutions  habituelles  (des  accords)  et  se 
plaît  à  entasser  difficultés  sur  difficultés,  ce  qui  ôte  tout  plaisir  et  toute 
patience  pour  les  travailler  (?).  Déjà  un  autre  critique  a  fait  les  mêmes 
reproches  à  M.  Beethoven,  et  nous  sommes  d'accord  avec  lui. 
Cependant  ce  travail  ne  doit  pas  être  entièrement  rejeté;  il  a  son 
mérite  et'  peut  servir  pour  l'éducation  des  pianistes  d'une  certaine 
force.  » 

Les  Allemands,  ceci  le  prouve,  ne  sont  pas  plus  malins  que  d'autres 
en  matière  d'appréciation  et  de  critique  musicales  :  ils  ont  presque  laissé 
Mozart  mourir  de  faim  ;  ils  ont,  comme  on  le  voit,  contesté  jusqu'au 
magnifique,  au  resplendissant  génie  de  Beethoven;  aujourd'hui  ils  rail- 
lent Mendelssohn  et  le  traitent  volontiers  de  «  perruque  ».  Quand  on  a 
de  tels  péchés  sur  la  conscience  on  est  mal  venu,  sans  doute,  â  railler 
son  prochain  et  à  le  prendre  de  haut  avec  lui. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


LA  MUSIQUE  DANS  L'INDE 


Nous  connaissons  mi  autre  livre  de  musique  tamoule,  mais  qui  n'est 
pas  une  œuvre  originale  ;  c'est  un  recueil  de  cantiques  c  omposés  par  les 
missionnaires  chrétiens  en  langage  et  sur  des  airs  du  pa  ys,  suivant  une 
coutume  très  ancienne  :  l'on  sait  qu'en  tout  temps  et  dans  tout  pays  les 
prosélytes  de  la  religion  chrétienne  ont  adapté  des  paroles  religieuses 
à  des  airs  profanes,  se  servant  ainsi  de  la  musique  comme  d'un  moyen, 
certainement  très  efficace,  de  propagation  des  idées.  Nous  avons  donné 
assez  d'extraits  d'autres  publications,  plus  authentiques,  de  l'art  lyrique 
de  l'Inde  poiu-  nous  croire  autorisé  à  négliger  celle-ci,  que  nous  n'avons 
pourtant  pas  voulu  passer  complètement  sous  silence  (1). 

Du  théâtre  dans  l'Inde,  les  auteurs  précédemment  cités  ne  nous  par- 
lent guère.  De  fait,  cet  art  parait  être  aujourd'hui  tombé  en  désuétude, 
après  avoir  connu  des  époques  d'une  existence  brillante.  C'est  un  écri- 
vain français  qui  nous  renseignera  le  mieux  sur  son  caractère  et  sur  le 
rôle  qu'y  joue  la  musique.  M.  J.  Grosset,  qui  faisait  suivre  son  nom, 
en  1888,  du  titre  de  «  Boursier  d'études  près  la  Faculté  des  Lettres  de 
Lyon  »,  a  publié  à  cette  époque,  sous  le  nom  de  Contribution  à  l'étude 
de  la  musique  hindoue,  un  important  document  qu'il  dit  remonter  à  une 
époque  indéterminée,  entre  les  deux  derniers  siècles  avant  l'ère  chré- 
tienne et  les  trois  ou  quatres  siècles  après  :  le  vingt-huitième  chapitre 
du  Traité  sur  le  Théâtre  (NàtyaçâMra)  de  Bharata,  chapitre  consacré  â 
V Instrumentation  musicale.  Il  en  donne  un  texte  critique,  suivi  de  la  tra- 
duction, le  tout  accompagné  d'un  avant-propos  de  cai-actère  général,  et 
de  notes  nombreuses  et  circonstanciées  (2). 

Le  livre  en  question  est  ancien,  mais  on  peut  trouver  encore  dans 
l'Inde  quelques  survivances  des  coutumes  qu'il  rapporte.  C'est  ainsi 
qu'aujourd'hui  encore  il  se  donne  dans  le  Bengale  des  représentations 
populaires,  appelées  yâtras,  où  se  jouent  des  pièces  en  bengali  moderne, 
composées  par  des  lettrés  sur  certains  épisodes  du  Râinâyana  et  du 
Mahàbhârata,  à  l'imitation  des  antiques  drames  sanskrits.  Le  chant  et 
l'élément  lyrique  y  tiennent  une  place  importante  :  tandis  que  le 
dialogue  est  souvent  laissé  â  l'improvisation  de  l'acteur,  les  vers,  la 
musique,  la  mimique  et  la  danse  sont  traités  avec  un  souci  tout 
particulier. 

Dans  les  provinces  occidentales  existent  des  productions  analogues, 
les  rasas,  sortes  de  ballets  accompagnés  de  chansons  et  de  gestes 
mesurés,  représentant  également  les  aventures  de  Ràma  ou  de  Krisna. 

Plusieurs  pièces  de  l'ancien  théâtre  hindou  comportent  des  parties 

(1)  Ce  livre  (in-8°  oblong,  1892)  imprimé  entièrement  en  langue  tamoule,  mais  conte- 
nant quelques  notes  en  français,  en  anglais  et  en  latin,  a  été  relié  à  la  Bibliothèque  du 
Conservatoire  sous  ce  simple  titre  :  Airs  indieTis  publiés  à  Madras. 

(2)  Nous  avons  eu  grand'peine  à  trouver  ce  livre,  sur  lequel  nous  avions  pourtant  une 
indication  bibliographique  parfaitement  exacte.  C'est  que,  bien  qu'il  forme  un  tout  et  qu'il 
ait  une  pagination  spéciale,  il  est  imprimé  dans  un  recueil  intitulé  Mélanges  de  Philologie 
indo-européenne,  par  M.  Paul  Kegnaud,  professeur  de  sanslu-it,  et  MM.  J.  Grosset  et 
Grandjean,  étudiants,  etc.,  formant  le  t.  VI  de  la  Bibliothèque  de  la  Faculté  des  Lettres  de 
Lyon,  Paris,  Leroux,  1888.  Nous  en  donnons  le  titre  complet  afin  d'éviter  à  ceux  qui  vou- 
draient le  connaître  la  peine  des  vaines  recherches  que  nous  avons  dû  faire  avant  d'eii 
avoir  communication. 


284 


LE  MÉNESTREL 


lyriques  auxquelles  la  musique  était  certainement  associée  dans  la 
pratique.  Il  est  question  d'orchestres,  de  chants,  de  mimique  et  de 
danse  ;  la  scène  est  encombrée  d'instruments  de  musique  qu'une  voix 
ordonne  d'enlever  à  un  moment  donné,  etc. 

Les  prologues,  notamment,  paraissent  avoir  eu  un  caractère  spé- 
cialement musical.  Voici  comment  un  ancien  poème  raconte  le  com- 
mencement d'une  pièce  légendaire,  le  Reniez-vous  de  Rambhû  : 

9  Ils  font  retentir  les  cymbales,  les  instruments  à  vent  accompagnés 
du  bruit  des  tambours,  les  divers  instruments  au.x  cordes  sonores,  aux 
notes  harmonieuses. 

0  Alors  les  femmes  delà  race  de  Bhima  chantent  l'air  appelé  Châlikya 
sur  le  mode  gàndhâra  usité  chez  les  dieux,  véritable  ambroisie  de 
l'oreille,  charme  à  la  fois  de  l'esprit  et  des  sens. 

»  Elles  chantent  la  «  Descente  du  Gange  »,  elles  exécutent  avec  un 
ensemble  parfait  cet  àsârita.  combinaison  d'agréables  mélodies. 

»  Les  Asuras  subissent  le  charme  de  leur  chant  que  cadencent  les 
layas  et  les  tàlas:  ils  écoutent  cette  œuvre  magnifique,  «  la  Descente  du 
Gange  »,  et,  ravis,  se  lèvent  à  plusieurs  reprises. 

»  ...  On  exécute  le  nàndi.  Cette  bénédiction  terminée,  le  fils  de 
Rulîmini  récite  une  çloka  relatif  à  la  «  Descente  du  Gange  »,  qu'il 
accompagne  d'un  jeu  savant. 

»  Après  quoi  vient  la  représentation  de  la  pièce  «  Les  Entretiens 
amoureux  de  Rambhà  et  du  fils  de  Kuvera...   » 

Combien  il  serait  intéressant  pour  nous  d'avoir  un  texte  exact  et 
accessible  d'une  de  ces  pièces,  anciennes  ou  modernes,  avec  la  notation 
musicale,  —  ou,  mieu.x  encore,  d'en  voir  la  représentation  !  Malheureu- 
sement cela  ne  nous  a  pas  été  donné,  et  ne  le  sera  probablement  jamais. 
Il  faut  donc  nous  en  tenir  à  ces  explications  lointaines,  desquelles  ressort 
du  moins  cette  observation,  que  le  rôle  de  la  musique  dans  le  théâtre 
hindou  est,  â  peu  de  chose  prés,  semblable  à  celui  qui  lui  appartient 
dans  tout  le  théâtre  d'Extrême-Orient,  et  que  ce  njle  (les  formes  étant 
mises  â  part)  ne  parait  pas  très  différent  non  plus  de  celui  qui  lui  était 
assigné  dans  l'antique  tragédie  grecque. 

Les  instruments  y  tiennent  une  grande  place,  accompagnant  l'action 
d'une  musique  de  scène  appropriée.  Dans  le  chapitre  du  Traité  sur  le 
théâtre  de  Bharata,  qui  forme  la  base  du  savant  travail  de  M.  Grosset 
et  traite  de  Y  Instrumentation  musicale,  l'auteur,  dès  la  première  phrase, 
divise  ces  instruments  en  quatre  classes  :  instruments  à  cordes,  tam- 
bours, cymbales,  flûtes;  puis  il  ajoute:  «  Dans  le  drame,  ces  quatre 
espèces  su  réduisent  à  trois  :  les  instruments  à  cordes  (y  compris  les 
voix),  les  tambours,  et,  chose  singulière,  l'exécution  scénique  (diction, 
gesticulation,  danse)  ».  Ainsi,  ce  qui  constitue  l'interprétation  même  du 
drame  est  considéré  par  les  hindous  comme  un  élément  musical.  Au 
reste,  il  y  a  parfois  dans  leur  esprit  d'étranges  confusions.  C'est  ainsi 
que,  la  base  delà  musique  étant  représentée  à  leurs  yeux  par  un  instru- 
ment, la  vina,  d'origine  divine,  la  voix  humaine,  le  corps  humain  tout 
entier  n'est  plus  pour  eux  qu'un  instrument  de  musique  :  la  vina  cor- 
porelle! (1) 

Du  moins,  à  défaut  de  la  musique  même,  nous  connaissons  aussi 
bien  qu'il  est  possible  de  le  souhaiter  les  instruments  destinés  â  lui  don- 
ner la  vie  sonore.  Grâce  à  l'intelligente  générosité  du  Ràja  Sourindro 
Mohun  Tagore  et  à  l'amour  qu'il  professe  pour  son  art  national,  qui  lui 
fait  chercher  tous  les  moyens  pour  en  répandre  la  connaissance  en  Eu- 
rope, il  nous  est  permis  de  contempler  au  moins  les  formes  des  instru- 
ments en  usage  dans  l'Inde  moderne  :  le  savant  musicographe  hindou 
a  fait  don  au  gouvernement  français,  à  des  époques  différentes,  de  deux 
collections  qui  sont  conservées  au  Musée  instrumental  du  Conservatoire. 
L'une  est  exposée,  en  belle  place,  dans  une  des  salles  du  cabinet  du  con- 
servateur, en  attendant  un  agrandissement  des  locaux,  qui  permettra 
de  la  mettre  plus  immédiatement  sous  les  yeux  du  public.  L'on  y  voit, 
au  centre,  toute  la  série  des  instruments  â  cordes,  quelques-uns  à 
archet,  le  plus  grand  nombre  pinces  à  l'aide  des  doigts  ou  avec  un  plec- 
tre.  En  haut  s'étale  la  légendaire  Vina,  qui  n'a  plus  pour  caisse  sonore, 
comme  au  temps  où  l'inventa  le  fils  de  Brâhma.  la  tortue  symbolique 
sur  laquelle  repose  le  monde,  mais  qui  aujourd'hui  s'appuie,  à  ses  deux 
extrémités,  sur  deux  calebasses.  Prés  de  là,  un  petit  tableau  de  sainteté, 
évidemment  destiné  par  celui  qui  l'a  peint  à  orner  quelque  pagode,  nous 
montre  la  déesse  Saraswàti,  flottant  sur  la  mer,  au  milieu  des  lotus,  et 
tenant  serré  contre  elle  un  de  ces  instruments  à  la  forme  si  différente 
de  tout  ce  que  le  matériel  musical  nous  montre  en  tout  autre  pays.  Puis 
ce  sont  des  espèces  de  violons  à  la  table  d'harmonie  évidée,  au  fond 
.irrondi  comme  celui  du  luth,  ayant  des  oiseaux  sculptés  sur  le  manche. 
L'un  a  la  forme  d'un  paon,  l'autre  d'un  poisson;  un  autre  encore  a  pour 
caisse  sonore  une  coquille  de  nacre.  Certains  ont  la  simplicité  toute 
rudimentaire  des  instruments  nègres  :  pourtant  la  facture  en  est  plus 

(Il  Voy.  GiiossET,  ouvrage  cUé,  p.  5i,  el  noie  22,  p.  82. 


fine  et  plus  soignée.  Tel  est  le  Pinaka,  formé  par  une  corde  tendue  sur 
un  arc,  et  dont  la  sonorité  doit  être  dos  plus  frêles  :  il  n'en  a  pas  moins 
pour  inventeur,  disent  les  bonnes  gens,  le  dieu  Siva  en  personne.  Puis 
ce  sont  quelques  petites  flûtes  à  bec,  en  bois  blanc  très  léger  et  très  sec, 
au  tube  mince,  aux  sous  doux,  —  et  des  instruments  à  anche,  au 
pavillon  de  cuivre  mobile,  —  et  le  tubri,  cet  instrument  rustique  dont 
se  servent  les  charmeurs  de  serpents,  —et  des  trompettes  recourbées  et 
peintes,  —  et  des  conques  au  son  rauque,  dont  certaines  ont  servi  à 
des  guerriers  notables  pour  rallier  leurs  troupes  sur  les  champs  de 
bataille.  Et  maintenant  voici  les  tambours,  de  toute  forme  et  de  toute 
dimension,  depuis  les  énormes  tambours  de  guerre  jusqu'aux  instru- 
ments destinés  à  rythmer  la  danse,  en  passant  par  une  paire  de  petites 
timbales  en  terre  cuite  que  l'on  bat  avec  les  mains,  —  et  de  petites  cym- 
bales minuscules,  au  son  argentin  et  suraigu,  et  des  clochettes  de  bronze 
surmontées  par  la  figurine  d'une  divinité,  et  des  grelots  que  les  danseurs 
s'attachent  aux  chevilles  (1). 

Certes  il  y  a  là  de  quoi  recontituer toute  la  vie  musicale  de  l'Inde.  Ce 
serait  nous  répéter  que  d'exprimer  le  regret  que  ces  instruments  si 
nombreux  et  si  oi-iginaux,  quelques-uns  si  beaux,  restent  muets.  Expri- 
mons plutôt  un  espoir:  qu'ilnous  vienne  quelquejourdu  pays  asiatique 
un  groupe  de  musiciens  habiles  en  leur  art,  qui  les  décrochent  de  leurs 
vitrines  et  leur  rendent  la  vie.  Ainsi  nous  serait-il  donné  de  connaître 
nous-mêmes  des  productions  très  vraisemblablement  différentes  des 
nôtres,  d'en  éprouver  peut-être  des  sensations  inconnues,  enfin  d'avoir 
une  connaissance  directe  d'un  art  qui,  qui  malgré  tant  de  pages  écrites, 
reste  jusqu'ici  pour  nous,  dans  une  large  mesure,  lettre  morte. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXI  [ 
LA  STATUE  DE  MOZ.\RT 

à  M.  Teodor  de  Wyzewa. 

—  La  Statue?...  Celle  du  Commandeur,  qui  vient  si  brusquement 
solenniser  le  plus  allègre  des  festins?  Di  rider  finirai  pria  deW  aurora... 
Ah!  ces  trombones,  ce  formidable  assaut  du  ton  de  ré  mineur,  qui 
dominait  déjà  la  svelte  ouverture!  Oui,  le  spirituel  Auber,  ce  Don  Juan 
de  l'art,  en  était  saisi  lui-môme,  et  sa  remarque  était  profonde  :  cette 
musique-là  «  sent  le  fantôme...  » 

—  Parfait;  mais  vous  n'y  êtes  pas  du  tout!  Il  s'agit  aujourd'hui,  dans 
l'espèce,  de  la  statue  de  Mozart  en  personne... 

—  De  Mozart? 

—  Assurément,  ma  chère  wagnérienne!  De  la  statue  de  Mozart,  qui 
nous  manque  et  que  réclame  un  sage  poète.  Tous  les  poètes  ne  sont  pas 
de  ces  fous  qui  feraient,  pieds  nus,  comme  Tannhiiuser,  le  pèlerinage 
de  Rome  on  de  Bayreuth...  Et  loin  de  la  Mecque  du  wagnérisme,  un 
sage  poète  entretient  son  paisible  auditoire  d'un  sujet  bien  rebattu  :  Les 
œuvres  de  Mozart  en  France  (.3).  Après  avoir  discrètement  cité  ses  pro- 
pres rimes,  il  termine  en  demandant  aux  Parisiens  la  statue  de  Mozart. 
N'y  a-t-il  un  précédent?  Shakespeare,  génie  étranger,  mais  universel  ? 
Et  depuis  un  siècle,  l'influence  d'un  Mozart  n'a-t-elle  pas  été  plus 
salutaire  tout  ensemble  et  plus  vive  sur  l'esprit  français  que  la  romau- 
tifiue  influence  d'un  Shakespeare? 

—  Est-ce  vous,  cher  panégyriste  de  Mozart,  ou  le  sage  poète  en  ques- 
tion qui  soutient  ce  gracieux  paradoxe  ? 

—  C'est  M.  Hippolyte  Buffenoir  qui  conclut  de  la  sorte  :  suum  cuiquef 
Et  je  gage  que  la  citation  classique  n'est  point  pour  lui  déplaire.  Une 
lacune,  je  l'avoue  d'abord,  m'a  quelque  peu  déçu.  Le  titre  de  l'étude 
m'avait  alléché.  Je  m'attendais,  après  une  brillante  revue  des  adapta- 
tions plus  ou  moins  heureuses  et  des  admirations  plus  ou  moins  sin- 
cères, à  trouver  au  moins  quelques  mots  de  procès-verbal  sur  cette 
brave  petite  Société  Mozart  qui,  le  printemps  dernier,  faisait  appel  au 
quatuor  le  plus  solide  ainsi  qu'aux  plus  êrudites  fauvettes  (sans  parler 
du  savoir  charmant  des  conférenciers)  pour  réveiller  le  culie  légèrement 
assoupi  du  rossignol  de  Salzbourg...  J'ai  cherché,  je  relis  :  rien,  pas 
une  ligne!  La  présence  des  strophes  discrètes  et  le  joli  mirage  de  la 
statue  compensent  médiocrement  cet  oubli.  Le  poète,  évidemment,  n'aura 
point  reçu  de  prospectus;  aucune  note  des  journaux  ne  retint  ses  yeux; 

(1)  Le  Calalogae  du  Conservatoire,  de  Gustave  Chouquet,  donne  la  nomenclature  com- 
plète de  ces  instruments. 
(i)  Voir  le  Ménestrel  du  1  i  juillet,  des  18  et  25  août  1901 . 
(3)  'Voir,  sous  ce  titre,  l'article  illustré  du  Monde  moderne  (n"  d'août  1901;. 


LE  MÉNESTREL 


285 


et  les  soirées  de  la  salle  Mustel  (1)  furent  si  recueillies  que  nul  écho 
n'en  sera  parvenu  pour  se  glisser  parmi  ses  rimes. 

—  L'explication  me  parait  juste  :  et,  comme  les  absents,  les  gens 
modestes  ont  toujours  tort! 

—  Certes!  Mais  l'omission  n'infirme  pas  la  thèse.  Vous  ne  pourrez 
nier,  non  seulement  la  secrète  influence  du  maître  depuis  sa  mort,  mais 
la  sympathie  tacite  de  son  àme  immortelle  avec  le  génie  prime-sautier 
de  notre  langue  et  de  notre  race.  Après  Gluck,  Mozart  :  c'est  la  loi  des 
évolutions  mystérieuses.  Après  Corneille,  Racine,  répondraient  les  gens 
de  lettres.  Et  les  peintres  :  après  un  Prud'hon  tragique,  un  Watteau 
sublime...  De  bonne  heure,  et  par  sa  grâce  plus  italienne,  ce  Watteau 
style  Louis  XVI  devait  impressionner  la  gravité  plus  froidement  pom- 
peuse du  style  Empire  aux  lignes  tristes  :  en  France,  à  Paris  dés  1803, 
malgré  la  félonie  des  traducteurs  et  les  attentats  de  Kalkbrenner,  aux 
Italiens  dés  1811,  et  dés  lors  mieux  respecté  dans  son  idiome,  Do/i 
Giocanni  devait  doublement  séduire  les  âmes  déjà  romantiques  par  sa 
musique  pure  et  son  action  troublante.  Rossini  n'était  encore  qu'un 
écolier  lointain.  Et  je  voudrais  bien  savoir  quelle  impression  fit  sur  la 
ti'istesse  de  notre  Méhul  ou  de  notre  Herold  le  sourire  de  cette  aérienne 
mélancolie...  Plus  tard,  en  1834.  malgré  Castil-Blaze  et  le  ballet  para- 
site qu'il  se  croyait  le  droit  d'ajouter,  notre  Auber  goûtait  cette  musique 
qui  le  forçait  à  réfléchir  :  c'était  une  perfection  qui  ne  bouleversait  pas 
trop  éloquemmeut  sa  frivolité.  Cinq  ans  après,  je  crois,  un  poète  qui 
n'était  guère  sage  puisqu'il  passait  pour  «  le  poète  de  la  jeunesse  », 
Alfred  de  Musset,  ne  craignait  point  d'écrire  :  «  Ce  qu'il  y  a  d'inouï  dans 
ce  temps-ci,  c'est  qu'on  nous  donne  Doîi^uaTi  et  que  nous  y  allons...»  (2). 

—  N'èlait-co  pas  le  beau  temps  du  grand  opéra  meyerbeeresque,  avec 
des  orgies,  des  armures  et  tout  l'enfer  au  grand  complet?  Mais  le  goût 
français  restait  fidèle  à  l'œuvre  audacieuse  et  cavalière,  et  si  vivante 
en  sa  perfection,  divinement  libertine,  malgré  la  victoire  ultime  de  la 
morale... 

—  Prenez  garde  !  A  vous  entendre  on  supposerait  que  c'est  ici  le 
sujet  qui  fit  passer  la  musique,  et  que  l'àme  parisienne  s'est  moins 
engouée  de  Mozart  que  de  son  Don  Juan,  que  réprouvait  Beethoven  :  Il 
dmoluto  pwiilo,  op.  67,  dans  l'italien  du  signer  abbate  Da  Ponte,  un 
Casanova  liljrettiste  aussi  cavalièrement  taré  que  son  héros  ! 

—  Vous  parlez  aussi  bellement  que  la  statue  du  Commandeur;  mais 
soyez  sans  crainte  pour  notre  salut! 

—  Vint  enflu  Charles  Gounod,  non  moins  français,  qui  parle  en  pro- 
phète :  «  La  partition  de  Don  Juan  a  exercé  sur  toute  ma  vie  l'influence 
d'une  révélation  ;  elle  a  été,  elle  est  restée  pour  moi  une  sorte  d'incar- 
nation de  l'impeccabilité  dramatique  et  musicale...  Il  y  a,  dans  l'his- 
toire, certains  hommes  qui  semblent  destinés  à  marquer,  dans  leur 
sphère,  le  point  au  delà  duquel  on  ne  peut  plus  s'élever  :  tels  Phidias 
dans  l'art  de  la  sculpture,  Molière  dans  celui  de  la  comédie.  Mozart  est 
mi  de  ces  hommes;  Don  Juan  est  un  sommet.  »  Victor  Hugo  parlait  sur 
ce  ton  de  WiUiam  Shakespeare  :  et,  pour  nous,  Mozart  ne  serait-il  pas 
un  petit  Shakespeare,  mieux  approprié  par  la  Providence  à  la  taille  de 
ses  posthumes  admirateurs?  Cela  est  si  vrai  que  notre  Berlioz,  qui 
faisait  profession  d'adorer  le  grand  Shakespeare  sauvage  d'outre-Manche, 
ne  partageait  nullement  l'admiration  germanique  du  sombre  Hoiîmann 
pour  le  musicien  lumineux  de  Don  Giovanni  :  son  oreille  morose  n'en 
percevait  que  les  fioritures.  Et  d'autre  part,  sans  invoquer  aujourd'hui 
Richard  Wagner,  on  ferait  un  volume  savoureux  rien  qu'en  liant  une 
gerbe  de  toutes  les  litanies  enthousiastes  qu'un  peintre  dilettante  réser- 
vait à  son  dieu  :  Delacroix  s'interroge,  et  s'il  préfère  successivement 
Mozart  à  Rossini,  à  Weber,  à  Beethoven,  c'est  toujours  «  au  point  de 
vue  de  la  perfection  »  (.3).  Son  Don  Juan  ne  lui  semble  pas  seulement 
un  chef-d'œuvre  de  romantisme,  mais  le  reflet  le  plus  certain  de  la 
politesse  française. 

—  Wolfgang  Mozart,  musicien  français  !  Mozart  de  Salzbourg,  le  plus 
musical  des  musiciens,  soit!  mais  le  plus  français  des  compositeurs! 
Voilà  du  nouveau... 

—  Du  nouveau  moins  neuf  que  vous  ne  l'imaginez,  puisque  notre 
mélomane  Delacroix  l'avait  pressenti  !  N'était-ce  pas  la  France,  en  cet 
heureux  temps,  le  génie  de  la  France  qui  semblait  éclairer  le  monde? 
Chaque  époque  favorise  l'apogée  d'une  race  ;  et  l'esprit  français,  au  XVIII' 
siècle,  est  le  papillon  qui  voit  éclore  les  roses  de  son  choix  :  l'accord  est 
merveilleux  entre  l'âme  et  la  fleur,  entre  le  décor  ou  l'instant  et  la 
pensée  qui  les  anime.  Si  bien  que  la  Muse  de  Mozart  nous  apparaît 
sous  les  espèces  capiteuses  d'une  blonde  jeune  fille  autrichienne,  pou- 
drée comme  un. pastel  de  La  Tour.  Son  teint  de  fée  se  devine  sous  le 

(1  )  Six  séances,  du  12  février  au  30  avril  1901. 

(2)  Le  1"  janvier  1839,  à  propos  du  Cùncei't  de  M""  Garcia  (daus  les  Mélanges  de  UIW- 
rature  et  de  crUique], 
|3)  Journal  d'Eugène  Delacroix  lUimanclic  2'i  lévrier  1850),  tODie  I,  page  'il9. 


fard  discret  et  la  mouche  gaillarde;  l'éclat  voluptueux  des  vives  pru- 
nelles dit  la  pensée,  l'amour,  la  fièvre,  le  symptôme  inconscient  d'une 
mort  précoce  :  l'enfant  est  aimée  des  dieux  ;  et  son  regard  embrase  tout 
l'idéal  sourire  où  l'ironie  s'éteint  dans  le  rêve.  Mais  elle  ne  permettra 
jamais  à  cette  «  pointe  de  délicieuse  tristesse  »  qui  ravissait  Delacroix 
de  bannir  l'élégante  sérénité  d'un  temps  qui  croit  encore  à  la  douceur  de 
vivre.  Passante  exquise  à  travers  les  orages  prochains,  adorable  canta- 
trice qui  a  l'âme  sage  et  l'allure  fringante  :  et  dans  l'intimité  familiale 
comme  aux  feux  du  théâtre,  sa  grâce  douloureusement  spirituelle  est 
plus  belle  que  la  beauté.  C'est  Zerline,  c'est  la  Suzanne  des  Noces  de 
Figaro,  fleur  épanouie  dans  une  serre  d'amour  :  Beaumarchais  ne  l'avait 
pas  devinée  si  désirable;  et  la  gracieuse  artiste  a  pour  frère  cadet  Ché- 
rubin, gamin  céleste,  qui,  l'œil  noir,  le  nez  au  vent,  les  lèvres  grasses, 
peut  rivaliser  avec  le  profil  plus  athénien  des  Lysis  et  des  Phèdres. 
Chérubin  :  Wolfgang  à  Paris,  quand  il  habitait  Chaussée  d'Antin,  chez 
le  baron  Grimm  ! 

—  La  voilà,  la  statue  rêvée!  Mais  je  doute  fort  que  vous  puissiez  déni- 
cher le  sculpteur  capable  de  réaliser  le  groupe  idéal.  La  meilleure  œuvre 
d'art  en  l'honneur  du  maître,  ce  serait  une  parfaite  exécution  de  sa 
musique.  Et  puisque  vous  avez  laissé  passer  l'heure  du  centenaire,  je 
ne  suis  pas  sans  inquiétudes...  De  plus,  votre  Mozart  français  ne  se 
donnait-il  pas  comme  un  ennemi  juré  de  la  musique  française?  Ouvrez 
simplement  sa  correspondance.  Dés  son  premier  séjour  parmi  nous,  en 
1764,  c'est  son  père,  le  violoniste  Léopold  Mozart,  qui,  en  bon  dévot, 
ne  se  montre  guère  indulgent  pour  son  prochain.  Tenez,  voici  le  Mozart 
du  chanoine  Goschler;  et  tant  pis  pour  nous  si  sa  traduction  conscien- 
cieuse ne  calque  pas  absolument  l'original!  Ici,  je  le  crois  fidèle.  Le 
1^'  février,  le  père  écrit  à  Madame  Hagenauer  :  «  Pourquoi  n'écrire  qu'aux 
hommes  et  ne  pas  se  souvenir  du  beau  sexe,  du  sexe  dévot?  Les  femmes 
sont-elles,  en  effet,  belles  à  Paris?  Impossible  de  vous  le  dire,  car  elles 
sont  peintes  comme  des  poupées  de  Nuremberg  et  tellement  défigurées 
par  ces  dégoûtants  artifices  qu'une  femme  naturellement  belle  serait 
méconnaissable  aux  yeux  d'un  honnête  Allemand.  Quant  à  ce  qui  est 
de  leur  dévotion...  »  Mais  il  se  fait  tard;  et  nous  ferions  bien  de  remettre 
la  suite  au  prochain  dialogue... 

—  A  votre  guise  !  Mais  si  nous  entrons  dans  cette  voie,  qui  me  semble 
celle  des  aveux,  je  vous  obligerai  courtoisement  de  convenir  que  votre 
Richard  Waguer  en  a  dit  bien  d'autres  ! 

—  Croyez-vous?  Et  puis,  il  ne  s'agit  pas  encore  de  lui  dresser  un 
bronze  expiatoire  sur  la  plus  avantageuse  de  nos  places  vacantes... 

—  Qui  sait?  Ce  sera  peut-être  pour  1976,  pour  le  centenaire  de  Bay- 
reuth...  alors  que  nos  théâtres,  toujours  capricieux,  joueront  déjà  de 
moins  en  moins  sa  musique!  Tout  arrive. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (5  septembre).  —  Le  théâtre  de  la 
Monnaie  a  rouvert  ses  portes  ce  soir.  La  troupe  est  complète,  et  en  partie  re- 
nouvelée. Si  l'on  n'y  trouve  plus  le  nom  de  certains  artistes  qui,  comme 
M.  Seguin,  nommé  professeur  de  chant  à  Liège,  ont  largement  contribué  à 
l'intérêt  des  soirées  artistiques  de  l'an  dernier,  d'autres  éléments  importants 
nous  restent  acquis.  M.  Sylvain  Dupuis  et  M.  Kuhlmann  occupent  toujours 
le  pupitre  de  chef  d'orchestre;  et  nous  gardons  M.  Saracco,  l'excellent  maître 
de  ballet,  les  ténors  Dalmorès,  David  et  Forgeur,  les  basses  Pierre  D'Assy 
et  Danlée,  le  baryton  Badialî,  les  chanteuses  M"'^  Litvinne,  Paquot,  Dhasty. 
Maubourg,  Friche  et  Thiéry.  Parmi  les  nouveaux  venus,  il  faut  noter  surtout 
M.  Imbart  de  la  Tour,  qui  rentre  dans  les  rangs,  MM.  Séveîlhao  et  Albers, 
barytons,  MM.  Belhomme  et  Sylvain,  basses,  et  tout  un  bouquet  de  chan- 
teuses en  tète  desquelles  figure  la  gracieuse  M.""»  Landouzy,  que  l'on  sera 
charmé  de  revoir,  suivie  de  nombreuses  débutantes,  M"><i5Feltesse-Ocsombre, 
de  Véry,  Loriaux,  Tourjaue,  Dolmée,  Strasy  et  de  M"=  Verlet.  Enfin,  dans  la 
danse.  M"»  Brianza  est  chargée  de  consoler  les  abonnés  du  départ  de 
i\l"»  Dethul. 

Les  premiers  spectacles  seront  surtout,  comme  tous  les  ans,  des  spectacles 
d'essai.  Lohengrin,  Rigoletto,  Faust,  la  Traviata,  les  Huguenots,  Lakmé,  etc.,  ser- 
viront aux  débuts  et  au.x  rentrées.  Parmi  les  plus  prochaines  reprises  d'ou- 
vrages courants,  figureront  celles  de  Tannhuuser,  de  iVerlker  et  i'Iphirjénie  en 
Tauride.  Et  parmi  les  ouvrages  d'intérêt  plus  «  nouveau  »  nous  aurons  tout 
d'abord  Djamileh,  de  Bizet,  et  le  Crépuscule  des  Dieux,  qui  sera  un  des  gros 
«  morceaux  »  de  la  saison.  Nous  verrons  après.  Le  Soi  Arlhus  àe  feu  Chausson 
ne  sera  pas  oublié,  et  l'on  parle  déjà  de  la  GriséUiis  de  Massenet,  avant 
même  qu'elle  n'ait  paru. 

La  réouverture,  avec  Lohengrin,  préparé  et  présenté  comme  un  petit  évé- 
nement artistique,  a  été,  ce  soir,  très  satisfaisante.  L'œuvre  avait  reçu  des 
soins  parliculiers;  costumes  et  décors  en  partie  nouveaux,  et  mise  en" scène 


286 


LE  MENESTREL 


modifiée,  d'après  les  plus  fidèles  traditions  de  Bayreulh.  C'est  ainsi  que  le 
décor  du  deuxième  acte  ne  représente  plus  une  place  publique,  mais  la  cour 
intérieure  d'un  burg  roman.  De  la  Kemenate,  ou  palais  réservé  aux  femmes, 
une  longue  galerie  ajourée  descend  par  degrés  vers  le  fond  où  se  trouve  le 
palais  du  roi  et  la  partie  du  burg  réservée  aux  hommes.  C'est  par  cette  ga- 
lerie que  descendent  les  princesses  et  dames  nobles  de  la  compagnie  d'Eisa 
pour  se  rendre  à  l'église,  non  pas,  à  proprement  parler,  en  cortège,  mais  en 
formant  un  défilé.  Le  balcon  sur  lequel  Eisa  chante  son  hymne  à  la  nuit  est 
reporté  tout  à  l'avant-plan.  C'est  là,  au  moment  de  partir  pour  l'église,  qu'elle 
reçoit  les  hommages  des  nobles  et  guerriers  réunis  dans  la  cour.  Le  premier 
tableau  de  l'acte  III,  la  chambre  nuptiale,  est  aussi  en  partie  modifié.  Il  a 
été  réduit  de  façon  à  conserver  à  la  scène  le  caractère  intime  que  "Wagner  a 
voulu  lui  donner.  L'épithalame  ne  se  chante  plus  tout  entier  en  scène,  comme 
cela  s'est  toujours  fait  précédemment,  mais,  suivant  les  indications  de  Wa- 
gner, la  première  partie  se  dit  dans  la  coulisse,  puis  le  chant  semble  se  rap- 
procher avec  les  deux  cortèges,  celui  des  suivantes  d'Eisa  et  des  nobles  ac- 
compagnant Lohengrin,  qui  entrent  enfin  pour  se  grouper  autour  des  deux 
héros  et  les  congratuler.  Puis  le  chœur. se  relire  et  les  amants  restent  seuls. 
Chose  curieuse,  la  partition  est  remplie  de  notations  scéniques  qu'il  eût  suffi 
d'observer  pour  obtenir  les  effets  voulus  par  "Wagner  et  éviter  la  banalité 
des  mises  en  scène  traditionnelles.  Quant  aux  costumes,  il  ont  été  reportés  à 
l'époque  du  X»  siècle,  qui  est  celui  du  règne  du  roi  Henri  l'Oiseleur,  sous  lequel 
se  passe  l'action.  Les  comtes  et  barons  de  Saxe  et  deThuringe,  les  nobles  du 
ban  brabançon,  les  guerriers  et  les  écuyers  n'ont  plus  tous  le  même  costume 
et  le  même  casque,  ce  qui  leur  donnait  l'air  de  pelotons  d'une  garde  civique 
médiévale.  Cette  fois,  chacun  a  son  costume  spécial.  De  même  pour  les  dames, 
qui,  autrefois,  portaient  à  peu  près  toutes  la  même  coiffure  et  des  robes  de 
même  coupe,  comme  un  uniforme  de  pensionnat.  On  a  varié,  suivant  les  do- 
cuments, du  reste  assez  rares,  de  l'époque,  la  coupe  et  les  ornements  des 
manteaux,  les  tuniques  longues  et  les  coiffures.  En  général,  l.i  variété  était 
très  grande  dans  les  costumes  tant  masculins  que  féminins  du  X=  siècle,  bien 
qu'ils  fussent  conçus  tous  d'après  des  costumes  byzantins.  Tout  cela  forme 
un  agréable  spectacle.  Quant  aux  interprètes  :  M""  Litvinne,  Eisa,  Mm=  Bas- 
tien,  Ortrude,  et  JI.  Dalmorès,  Lohengrin,  forment  un  trio  de  stature  excep- 
tio  nnellement...  héroïque  et  de  bonne  qualité  au  point  de  vue  vocal. 
M"»  Litvinne  est  toujours  la  cantatrice  adroite,  qui  charme  par  la  facilité 
extrême  de  son  organe  cristallin,  et  M.  Dalmorès,  très  en  progrès,  a  de  la 
distinction  et  de  l'intelligence.  L'ensemble  de  l'interprétation  a  été  très  bon. 
La  saison  des  concerts  s'annonce,  de  son  côté,  par  des  promesses  nom- 
breuses. Au  Conservatoire  nous  entendrons  Armide.  Aux  Concerts  Ysaye  le 
pro  gramme  est  aussi  compact  qu'alléchant.  Aux  Concerts  populaires  on  dé- 
butera par  une  séance  consacrée  à  la  mémoire  du  regretté  Joseph  Dupont  et 
au  bénéfice  du  monument  qui  doit  être  élevé  à  Bruxelles,  au  coin  de  la  rue 
qui  porte  son  nom  ;  puis  viendra,  le  8  décembre,  un  concert  avec  le  concours 
du  violoniste  Jacques  Thibaud  ;  un  autre  nous  fera  entendre  la  fameuse  sym- 
phonie de  M.  Gustave  Mahler,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Vienne;  et  enfin, 
au  troisième,  nous  aurons  la  Prise  de  Troie  de  Berlioz,  qui  n'a  jamais  été  exé- 
cutée à  Bruxelles.  L.  S. 

—  Le  théâtre  de  la  ville  de  Hambourg  annonce  la  représentation  de  Louise 
pour  le  courant  du  mois  de  janvier  prochain.  La  troupe  complète  ira,  avec  le 
matériel,  donner  des  représentations  du  roman  musical  de  M.  Gustave  Char- 
pentier au  théâtre  d'Altona. 

—  D'autre  part,  le  théâtre  municipal  de  Magdebourg  promet  aussi,  pour  le 
courant  de  la  saison  prochaine,  cette  même  triomphante  Louise,  qui,  étant 
déjà  annoncée  dans  huit  théâtres  d'Allemagne,  sera  certainement  la  nou- 
veauté sensationnelle  de  toutes  les  grandes  scènes  d'outre-Rhin. 

—  Le  théâtre  municipal  d'Elberfeld  jouera  pendant  la  saison  prochaine  un 
opéra-comique  intitulé  les  Juges  secrets,  musique  de  M.  Otto  Klauwell. 

—  L'Opéra  de  Francfort  a  reçu  un  opéra  inédit  intitulé  Claude  Monteverde, 
musique  de  M.  Adolphe  Arensen.  Il  s'agit  de  l'illustre  compositeur  qui  a  été 
un  des  fondateurs  du  drame  lyrique. 

—  Il  vient  de  se  tenir  à  Francfort-sur-le-Meiu  une  sorte  de  congrès  (la 
mode  est  aux  congrès)  des  maîtres  de  ballet  allemands.  Cette  noble  assemblée 
s'est  occupée  de  divers  sujets  plus  ou  moins  intéressants,  et  elle  a  exprimé  le 
vœu  de  la  création  d'une  «  Université  de  la  danse  »,  subventionnée  par  l'État. 
On  voit  que  ces  messieurs  n'y  vont  pas  de  main-morte  —  j'allais  dire  de  pied 
mort.  Ils  ne  rêvent  qu'une  université  pour  leurs  entrechats  I  Louis  XIV,  au 
temps  de  sa  splendeur,  s'était  contenté  d'une  Académie  de  danse.  Et  Dieu 
sait  si  l'on  s'en  est  gaussé  ! 

—  On  apprend  de  Darmstadt  que  le  compositeur  Arnold  Mendelssohn  a 
presque  terminé  un  oratorio  intitulé  Samson,  paroles  de  M.  Hermann  "VVette. 
Que  de  Samsons,  avec  ou  sans  Dalila! 

—  A  l'Opéra  de  la  Cour  de  Dresde  débutera  prochainement,  dans  le  rôle 
de  Lohengrin,  un  docteur  en  médecine,  M.  Alfred  de  Bary.  M.  de  Bary  était, 
il  y  a  peu  de  temps  encore,  assistant  du  professeur  docteur  Flechsig  à  l'Uni- 
versité de  Leipzig.  Il  possède,  dit-on,  une  voix  superbe,  que  le  professeur 
Muller,  du  Conservatoire  de  Dresde,  est  en  train  de  former. 

—  Les  journaux  anglais  racontent  une  jolie  histoire  où  se  trouve  en  scène 
le  célèbre  violoniste  Joachim.  Il  avait  faitla  connaissance  de  lord  H.,  gen- 
tilhomme très  sympathique  mais  absolument  réfractaire  à  la  musique.  Ayant 
appris,  à  table,  que  Joachim,  avec  lequel  il  s'était  lié,  devait  jouer  en  mati- 


née, lord  R.  dit  à  l'artiste  qu'il  irait  entendre  un  de  ces  fameux  quatuors  de 
Beethoven  dont  on  parle  tant.  L'artiste  répondit  en  souriant  qu'il  serait 
curieux  de  connaître  les  impressions  que  le  dernier  quatuor  de  Beethoven 
produirait  sur  le  noble  lord.  Peu  après  le  concert,  le  virtuose  rencontra  son 
ami  dans  une  soirée  et  lui  demanda  si  le  quatuor  ne  lui  avait  pas  déplu. 
Cl  Mais  je  me  suis  fort  bien  amusé,  répliqua  lord  R.,  je  ne  vous  ai  pas  re- 
connu d'abord  sous  votre  masque  de  nègre,  mais  plus  tard  j'ai  ri  d'autant 
plus,  1)  Etonnement  général  de  l'artiste  et  de  l'assistance.  Après  quelques 
questions  posées  par  la  maîtresse  de  la  maison,  on  apprit  que  lord  R.  s'était 
trompé  d'étage  à  Saint-James  Hall  ;  au  lieu  de  monter  au  premier,  où 
Joachim  donnait  son  concert,  il  était  entré  au  rez-de-cbaussée  dans  une 
salle  où  des  «  ménestrels  r  nègres  se  faisaient  entendre. 

—  On  vient  d'ériger  au  cimetière  de  Tutzing,  près  Munich,  un  monu- 
ment funèbre  en  l'honneur  du  célèbre  ténor  wagnérien  Henri  Vogl,  mort 
l'année  passée.  Un  médaillon  montre  les  traits  de  l'artiste  ;  un  autre  à  côté 
est  destiné  à  sa  femme,  qui  désire  partager  plus  tard  la  tombe  de  son  mari. 
Mais  ce  qui  donne  au  mausolée  un  cachet  particulier,  c'est  une  croix  entourée 
de  rayons  au  pied  de  laquelle  est  placée  le  calice  du  Saint-Graal  et  au-dessus 
de  laquelle  plane  la  colombe.  C'est  une  touchante  allusion  à  ce  rôle  de  Lohen- 
grin que  Vogl  a  interprété  avec  tant  de  poésie  et  qui  a  compté,  avec  celui  de 
Loge  dans  l'Or  du  Rhin,  parmi  les  plus  étonnantes  créations  de  l'artiste. 

—  Le  surintendant  général  des  théâtres  impériaux  de  Vienne  a  fait  trans- 
porter sa  collection  de  portraits,  plus  de  20.000  feuilles,  â  la  Bibliothèque 
impériale,  qui  possédait  déjà  une  collection  déplus  de  SO.OOO  numéros  divers. 
Une  salle  sera  spécialement  organisée  et  le  public  pourra  désormais  utiliser 
cette  collection  de  plus  de  70.000  documents.  La  collection  de  la  Surinten- 
dance est  déjà  pourvue  d'un  catalogue  dressé  par  le  chef  des  bureaux  de  la 
Surintendance,  M.  "Wlassack,  avec  le  concours  de  l'excellent  archiviste 
M,  'Weltner  et  de  MM.  Bermann  et  Paul.  La  collection  ne  renferme  que  des 
portraits  de  personnes  tenant  à  l'histoire  du  théâtre  et  de  la  musique  dans 
tous  les  pays.  C'est  ainsi  que  la  reine  Marie-Antoinette,  dont  la  collec- 
tion contient  un  grand  nombre  d'images,  est  désignée  comme  «  chanteuse, 
virtuose  de  harpe  et  danseuse  »,  Le  sultan  Abdul-Medjid,  qui  est  mort  en 
1861,  est  désigné  comme  pianiste,  élève  et  protecteur  de  Donizetti.  La  reine 
Marie  Stuart  est  désignée  comme  «  chanteuse  et  virtuose  sur  le  luth  ». 
Luther  se  trouve  représenté  comme  compositeur  de  musique.  La  direction  de 
la  Bibliothèque  impériale  a  adressé  à  toutes  les  personnes  qui  possèdent  des 
portraits  d'artistes  de  théâtre  et  de  musiciens  la  demande  de  les  céder  aux 
collections  de  la  Bibliothèque,  et  M.  Mahler,  directeur  de  l'Opéra  impérial, 
s'est  déjà  dessaisi  de  sa  propre  collection,  assez  importante,  pour  l'offrir  à  la 
Bibliothèque.  Ajoutons  qu'à  la  bibliothèque  de  l'Opéra  de  Paris,  notre  collabo- 
rateur et  ami  Charles  Malherbe  a  organisé  une  collection  de  portraits  analogue 
qui  est  déjà  assez  nombreuse,  mais  qui  est  loin  d'égaler  la  collection  extraor- 
dinaire de  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  a  reçu  tin  petit  ballet  intitulé  Divertissement 
espagnol,  musique  de  M.  Joseph  Bayer,  scénario  de  M"'=  Sironi,  première 
danseuse  de  ce  théâtre.  Inutile  de  dire  que  M''"  Sironi  mettra  en  scène  son 
ballet  et  le  dansera. 

—  Le  théâtre  An  der  Wien  rouvre  ses  portes  en  novembre.  Un  groupe 
d'artistes  qui  s'intitulent  les  «  Jeunes  Viennois  »  a  loué  le  théâtre  pour  y  jouer 
un  opéra  intitulé  la  Sorcière  de  la  danse,  paroles  de  M.  Biesbaum,  musique  de 
M.  Thuille.  Le  théâtre  An  der  "Wien,  qui  peut  se  vanter  que  la  Flûte  e7ichantée 
y  a  été  jouée  pour  la  première  fois,  retourne  ainsi  au  genre  pour  lequel  il 
avait  été  construit. 

—  Le  Trovatore  nous  annonce  que  M,  Edouard  Sonzogno  est  en  pourparlers 
avec  la  direction  de  ce  même  théâtre  An  der  "Wien,  pour  y  faire  repré- 
senter, pendant  la  prochaine  saison,  l'André  Chénier  de  M.  Giordano  et  la 
Zaza  de  M.  Leoncavallo. 

—  Le  conseil  municipal  de  Prague  a  voté,  dans  sa  dernière  séance,  des 
félicitations  à  son  compatriote  M.  Antoine  Dvorzak,  le  célèbre  compositeur 
tchèque,  dont  on  s'apprête  à  fêter  le  soixantième  anniversaire  de  naissance. 
Le  théâtre  national  tchèque  organise  à  cette  occasion  toute  une  série  de  repré- 
sentations populaires  consacrées  à  l'exécution  des  principales  œuvres  du 
maître,  entre  autres  son  oratorio  Sainte  LudmiUa  et  son  dernier  opéra,  Rom- 
salka,  dont  un  acte  a  été  représenté  devant  l'empereur-roi,  François-Joseph, 
dans  le  spectacle  qui  lui  a  été  offert  lors  de  son  récent  séjour  dans  la  capitale 
de  la  Bohême.  Roussalka  sera  d'ailleurs  montée  cet  hiver  au  théâtre  impérial 
de  Vienne. 

—  On  a  commencé,  à  Oberammergau,  la  construction  d'un  petit  théâtre 
sur  lequel  les  acteurs  désignés  pour  les  prochaines  représentations  de  1910 
pourront  s'exercer.  On  y  donnera  d'ailleurs  tous  les  ans,  en  été,  quelques 
représentations  pour  attirer  les  étrangers  et  faire  d'Oberammergau  un  lieu  de 
villégiature.  Le  potier  Lang,  le  représentant  du  Christ  en  1900,  a  été  à 
Bayreuth  avec  une  famille  anglaise  qui  l'y  avait  invité  et  est  revenu  enthou- 
siasmé de  Parsifal;  il  dit  qu'il  y  a  beaucoup  appris  et  qu'il  jouera,  en  1910, 
le  Christ  beaucoup  mieux  que  la  dernière  fois. 

—  Au  Grand-Hôtel  d'Aigle,  très  jolie  soirée  musicale  donnée  par  M.  Paul 
Séguy  et  M""  Blanche  Huguet  accompagnée  du  pianiste  Lautermann,  qui  font 
une  tournée  de  «  diffusion  musicale  ».  Grand  succès  pour  lu  Charité  et  Prin- 
temps de  Faure,  l'air  à'Iphigénie  en  Tauride  de  Gluck,  les  Petites  Pièces  pour 
piano  de  Théodore  Dubois  et  le  duo  du  Roi  de  Laliore  de  Massenet. 


LE  MENESTREL 


287 


—  Grand  succès  au  théâtre  del  Giglio  de  Lucques  pour  Werther  de 
Massenet.  Le  ténor  Garulli,  dans  le  rôle  de  Werther,  et  M""»  Bendazzi-GaruUi 
(Charlotte)  ont  réuni  tous  les  suffrages;  les  rôles  secondaires  étaient  égale- 
ment fort  bien  distribués.  L'orchestre  s'est  tenu  vaillamment  sous  l'excellente 
direction  du  maestro  Sturani,  qui  est  à  peine  âgé  de  vingt  ans  et  dont  le  rare 
talent  fait  espérer  une  carrière  brillante.  Le  public  nombreux  et  élégant  — 
tous  les  baigneurs  et  baigneuses  de  marque  ont  tenu  à  assister  à  cette  première 
—  a  chaleureusement  applaudi  l'introduction,  l'air  du  ténor,  qui  a  été  hissé, 
le  finale  du  premier  acte,  l'air  de  Charlotte  et  le  grand  duo.  Nombreux  rappels 
après  chaque  acte,  surtout  après  le  dernier.  La  mise  en  scène  a  été  d'une 
rare  splendeur  pour  l'Opéra  de  Lucques. 

—  Un  congrès  international  de  sciences  historiques  aura  lieu  à  Rome  au 
printemps  prochain.  Une  section  du  comité  qui  prépare  ce  congrès  a  eu  la 
pensée  d'organiser  à  ce  propos  une  Exposition  du  spectacle  théâtral  et  vient 
de  publier  une  circulaire  qui  donne  une  idée  de  son  projet.  L'Exposition  com- 
prendra tout  ce  qui  se  rapporte  aux  œuvres,  aux  acteurs,  aux  costumes,  aux 
décors,  aux  accessoires,  au  matériel,  aux  aCQches,  etc.  «  Des  illustrations  gra- 
phiques devront  faire  connaître  les  transformations  du  théâtre  italien  depuis 
le  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours  ;  puis,  avec  diverses  espèces  de  documents, 
on  devra  rappeler  les  divers  genres  de  spectacles  :  pastorale,  danse,  œuvres 
lyriques,  spectacles  de  cour,  allégoriques,  patriotiques...  »  Une  section  parti- 
culière de  l'exposition  sera  consacrée  à  Verdi. 

—  Ces  jours  derniers,  dit  un  journal  italien,  arrivait  d'Alexandrie  à Naples 
le  paquebot  Umberto.  Il  avait  à  bord  un  artiste  romain,  Romolo  Balderi,  âgé 
de  43  ans,  qui  était  parti  pour  le  Caire  avec  son  père  et  sa  femme,  engagé 
dans  une  troupe  d'opérette.  Son  père  était  mort  peu  après  son  arrivée  au 
Caire,  et  lui-même  donna  bientôt  des  signes  de  folie.  Le  consul  italien  donna 
alors  l'ordre  de  le  rapatrier,  et  à  peine  l'artiste  était-il  débarqué  àNaples  qu'on 
dut  l'enfermer  dans  une  maison  de  santé. 

—  Une  manifestation  musicale  qui  n'est  point  commune.  A  Trévise,  la 
musique  du  67=  régiment  d'infanterie  a  exécuté  en  public  la  partition  entière 
de  la  Tosca,  l'opéra  de  M.  Puccini,  ainsi  arrangée  pour  bande  militaire  par  le 
maestro  Colucci.  Le  succès,  parait-il,  a  été  complet.  C'est  égal,  ça  devait  être 
un  peu  long. 

—  Au  théâtre  Gostanzi  de  Rome  vient  d'avoir  lieu  une  reprise  brillante 
de  ta  Belle  Hélène  d'Offenbacb.  Cette  œuvre  pimpante  a  retrouvé  son  succès 
énorme  d'antan,  grâce  à  la  fraîcheur  de  la  musique  et  à  l'excellente  inter- 
prétation qu'en  a  donnée  la  troupe  d'opérette  Marchetti. 

—  On  lit  dans  le  Mondo  artistisco  :  «  Vient  de  mourir  à  Naples  Domenic  o 
Morelli,  le  plus  grand  peut-être,  pour  la  robustesse  de  conception  et  l'ori- 
ginalité, des  peintres  italiens.  Sa  mort  vient  à  peu  de  distance  de  celle  de 
Verdi.  Nos  grands  hommes  s'en  vont  et  nous  laissent  un  monde  mesquin 
et  lamentable.  Le  peintre  et  le  musicien  s'étaient  connus  et  étaient  devenus 
intimes.  Voici  l'anecdote  qui  les  unit.  Morelli,  lorsque  Verdi  se  rendit  à 
Naples  pour  mettre  en  scène  le  Ballo  in  maschera,  fit  du  maître  un  portrait  à 
l'huile  pour  lui-même,  dans  son  atelier.  Sur  cette  toile  un  autre  peintre 
célèbre,  Palizzi,  peignit  autour  du  portrait  une  fraîche  couronne  de  laurier. 
Puis,  ainsi  que  l'écrivit  plus  tard  Morelli  quand  Eduardo  Ximenes  lui 
demanda  de  quelle  façon  il  avait  connu  Verdi,  comme  Palizzi,  avec  sa  cou- 
ronne de  laurier,  avait  acquis  un  droit  sur  la  toile,  il  fut  convenu  entre  les 
deux  illustres  artistes  que  chacun  d'eux  l'aurait  à  tour  de  rôle  pendant  un 
mois  dans  son  atelier.  Plus  tard  Vincenzo  Torelli,  le  père  de  l'auteur  drama- 
tique Achille  Torelli,  pria  Morelli  de  lui  prêter  ce  portrait  pour  le  faire 
figurer  dans  sou  salon  un  jour  de  réception,  —  et  il  ne  le  rendit  jamais.  » 

—  De  Saint-Pétersbourg  :  Le  Petit-Théâtre  vient  d'être  détruit  par  un 
incendie.  Géré  par  le  directeur  du  journal  Novoié  Yremia,  le  Petit  Théâtre, 
auquel  on  venait  de  faire  des  réparations,  n'avait  pas  encore  rouvert  ses 
portes. 

—  A  Volo  vient  de  se  fonder  une  société  musicale  qui  a  pour  but  de 
répandre  le  goùtdela  musique,  et  surtout  de  la  musique,  classique  et  moderne, 
en  donnant  des  concerts  et  en  faisant  des  conférences.  La  Société  musicale  a 
même  l'intention  de  créer  une  sorte  de  Conservatoire  en  instituant  des  cours 
pour  tous  les  instruments.  Elle  a  engagé  comme  directeur  musical  M.  Pâque, 
pianiste-compositeur,  qui  était  professeur  au  Conservatoire  de  Liège. 

—  Le  dernier  annuaire  de  la  Société  des  auteurs  de  Madrid,  d'une  part, 
et,  de  l'autre,  un  journal  de  cette  ville,  el  Economista,  nous  apportent  des 
détails  intéressants  sur  la  vie  théâtrale  en  Espagne.  On  sait  que  les  Madri- 
lènes, comme,  d'ailleurs,' tous  les  Espagnols,  ont  pour  le  théâtre  une  passion 
ardente  et  que  rien  ne  semble  pouvoir  assouvir.  C'est  ce  qui  fait  que  la  capi- 
tale du  royaume,  dont  la  population  ne  dépasse  guère  300.000  habitants,  ne  fait 
pas  vivre  moins  de  quatorze  théâtres  de  divers  genres  :  le  théâtre  Royal  et 
les  Jardins  de  Buen  Retiro,  où  l'on  joue  l'opéra  sérieux;  le  théâtre  espagnol, 
la  Comédie,  le  théâtre  de  la  Princesse,  le  Lara,  consacrés  au  drame  et  à  la 
comédie;  le  Politeama  Parish,  qui  cultive  la  grande  zarzuela  en  trois  actes  ou 
plus;  et  enfin,  la  Zarzuela,  l'Eslava,  l'Apolo,  le  Romea,  le  théâtre  Moderne, 
l'Eldorado,  le  théâtre  Comique,  où  florissent  le  vaudeville  et  la  zarzuela  en 
un  acte.  Et  tous  ces  théâtres,  dont  les  deux  premiers  ont  surtout  pour  clien- 
tèle la  haute  aristocratie  et  la  bourgeoisie  riche,  tous  ces  théâtres  sont  si  fré- 
quentés que,  d'une  statistique  publiée  par  el  Economista,  il  résulte  que  dans  un 
espace  de  quinze  mois,  du  l"^'  janvier  1900  au  31  mars  1901,  la  population 
madrilène  n'a  pas  dépensé  pour  les  spectacles  moins  de  1.900.000  francs! 


D'autre  part,  l'annuaire  de  la  Société  des  auteurs  nous  apprend  que  dans  le 
cours  de  la  dernière  saison,  c'est-à-dire  du  l"  septembre  1900  au  31  juil- 
let 1901,  il  n'a  pas  été  mis  à  la  scène,  dans  les  divers  théâtres,  moins  de 
quatre-vingt-treize  ouvrages  nouveaux,  soit  vingt-deux  drames  ou  comédies  et 
soixante  et  onze  saynètes  ou  zarzuelas.  Il  va  sans  dire  que  tous  ces  ouvrages 
ne  sontpas  des  chefs-d'œuvre,  loin  de  là;  seulement,  la  concurrence  est  telle 
entre  toutes  les  entreprises  dramatiques  qu'elles  sont  tenues,  pour  conserver 
leur  public  respectif,  à  une  activité  infatigable,  et  qu'il  leur  faut,  pour  sup- 
pléer à  un  grand  succès  qu'elles  ne  rencontrent  pas  toujours,  rafraîchir  tou- 
jours leur  afEche  et  attirer  les  spectateurs  par  d'incessantes  nouveautés.  On 
conçoit  facilement  que  la  prospérité  des  théâtres  a  sa  répercussion  sur  la 
situation  des  auteurs  et  des  compositeurs,  et  celle-ci,  en  effet,  ne  laisse  pas 
d'être  assez  agréable.  Au  théâtre  Lara,  les  droits  d'auteur  sont  fixés  à 
28  francs  par  acte;  ils  sont  de  30  francs  à  la  Comédie,  au  théâtre  Espagnol 
et  à  celui  de  la  Princesse:  enfin  ils  atteignent  40  francs  sur  les  théâtres  de 
zarzuelas;  de  plus,  ces  chiffres  sont  doublés  pour  les  trois  premières  repré- 
sentations d'un  ouvrage.  Une  pièce  en  un  acte  jouée  seulement  une  trentaine 
de  fois  rapporte  donc  à  son  ou  à  ses  auteurs  de  800  à  1.300  francs,  selon  le 
théâtre;  si  elle  obtient  cinquante  représentations,  ce  sera  de  1..300  à2.000  francs 
et  proportionnellement  si  elle  tient  l'afEche  pendant  cent  ou  deux  cents  soi- 
rées. Et  si  l'on  réfléchit  que  toute  pièce  créée  à  Madrid  avec  un  succès  même 
médiocre  fait  ensuite  le  tour  de  toutes  les  scènes  de  province,  on  comprendra 
que  le  métier  d'auteur  a  du  bon.  C'est  ainsi  que  certains  écrivains  drama- 
tiques renommés,  comme  MM.  Echegaray,  Perez-Galdos,  Benavente,  gagnent 
bon  an  mal  an  de  80  à  100.000  francs;  que  d'autres,  de  moindre  réputation, 
tels  que  MM.  Selles,  Cavestany.  Alvarez  Quintero,  encaissent  encore  chaque 
année  de  30  â  SO.OOO  francs;  enfin  que  certains  compositeurs  populaires  de 
zarzuelas,  parmi  lesquels  on  peut  citer  MM.  Ruperto  Chapi,  Fernandez  Cabal- 
lero,  Thomas  Breton,  Ghueca,  Valverde,  se  font  entre  60  et  lOO.COO  francs, 
tandis  que  leurs  collaborateurs  librettistes,  MM.  Ramos  Carrion,  Ventura  de 
la  Vega,  Paso,  Lopez  Silva,  Fernandez  Shaw,  etc.,  doivent  se  contenter  de 
40  à  50.000  francs,  ce  qui  peut  sans  doute  encore  passer  pour  raisonnable. 

—  M.  Grau  vient  de  clore  ses  engagements  pour  la  prochaine  saison  d'opéra 
du  Metropolitan  Opéra  House  de  New-York.  Parmi  les  prime  donne,  citons 
M"es  Teruina,  Gadsld,  Schelï,  Suzanne  Adams,  Marcella  Sembrich,  Galvé, 
Eames,  Schumann-Heint  et  une  débutante,  M°>e  Preuss-Balce.  En  outre, 
M™«  Sybil  Sanderson  engagée  pour  quelques  représentations.  Les  ténors 
sont  moins  nombreux  que  l'année  dernière;  ce  sont  MM.  Alvarez,  Van 
Dyck,  Dippel,  Salignac,  Bars,  de  Marchi,  Gibert  et  Reiss,  les  trois  der- 
niers débutant  à  New-York.  Au  nombre  des  barytons  figurent  MM.  Scotti, 
Gampanari,  Bispham,  Van  Rooy,  Gilibert,  Muhlmann,  de  Cléry,  ce  dernier 
nouveau.  A  part  M.  Peretto,  nouvellement  engagé,  les  basses,  MM.  Edouard 
de  Reszké,  Plançon,  Journet  et  Elass  sont  connus  du  public  new-yorkais. 
Kapellmeisters:  MM.  Segilli,  qui  remplace  M.  Manciuelli,  Damrosch  et  Flon. 

—  On  sait  que  les  citoyens  de  Campinos  (Brésil)  ont  décidé  d'élever  un 
monument  au  fameux  compositeur  Carlos  Gomes,  leur  compatriote,  l'auteur 
de  Guarany  et  de  Fos<:a,  et  qu'ils  ont  ouvert  un  concours  à  cet  effet.  La  com- 
mission chargée  de  juger  ce  concours  a  choisi  le  projet  présenté  par  le  sculp- 
teur Rodolfo  Bardinelli.  La  statue  de  Gomes  sera  en  bronze  et  représentera 
l'artiste  la  main  gauche  appuyée  sur  le  côté,  tandis  que  la  droite  fera  le  geste 
de  diriger  une  exécution.  Le  piédestal,  de  forme  quadrangulaire,  sera  en 
marbre;  à  la  base,  une  figure  de  femme,  personnifiant  la  Patrie,  étendra  le 
bras,  prête  à  poser  une  couronne  de  laurier.  Le  monument,  dans  son 
ensemble,  mesurera  huit  mètres  de  hauteur. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

A  rOpéra-Comique  : 

C'est  samedi  prochain  que  l'on  rouvre  et,  dès  maintenant,  le  spectacle  est 
ainsi  arrêté  pour  les  premiers  jours:  le  14,  Carmen  avec  M"<î  Delna;  le  15, 
Mignon;  le  16,  Lakmé  pour  les  débuts  de  M'i^^Lydia  Nervil  (Lakmé)  et  Valdys 
(Mallika). 

Dès  lundi  dernier,  en  même  temps  que  les  chœurs,  on  avait  convoqué  les 
artistes  faisant  partie  des  premières  soirées  ;  c'est  ainsi  que,  toute  la  semaine, 
on  a  fait  des  raccords  sur  Mignon,  lakmé,  Carmen,  Manon  et  Louise. 

En  l'absence  de  M.  Albert  Carré,  en  ce  moment  aux  grandes  manœuvres 
de  l'Ouest,  auxquelles  il  prend  part  en  quahté  de  commandant  d'infanterie 
territoriale,  et  dont  il  reviendra  demain,  c'est  M.  André  Messager  qui  est 
venu  mettre  en  train  et  surveiller  le  travail  préludant  la  réouverture. 
M.  Gandrey,  de  son  côté,  a  également  déjà  repris  en  main  l'administration 
du  théâtre. 

Parmi  les  artistes  engagés  récemment  on  prévoit,  outre  ceux  de  M"=s  Ner- 
vil  et  Valdys  dans  Lakmé,  les  débuts  assez  prochains  de  M"=  Gaux  qui,  en 
suite  du  départ  de  M"»  Rioton,  chantera  probablement  Mireille,  avant  la 
reprise  du  Domino  Noir,  de  M"«  Marguerite  Giraud  qui,  en  suite  de  ce 
même  départ  de  M"»  Rioton  et  de  l'éloignement  momentané  de  M"=  Guirau- 
don,  héritera  les  rôles  de  Mimi  de  la  Vie  de  Bohème  et  de  Colette  de  la  Basoche, 
de  M""  Frandaz  dans  Philine  de  Mignon,  de  M»«  Gesbron  dans  Charlotte  dé 
Werther,  de  M"=  Huchet  dans  la  reine  de  la  Basoche,  de  M.  Père  dans  Vincent 
de  Mireille.  Enfin  M""  Garden  abordera  le  rôle  de  Manon,  M"»  de  Graponne  celui 
àe  Mignon  ut  M"|=  Gerville-Réache,  qui  rentre  au  bercail,  celui  de  la  Mère  dans 
Louise.  Voici  le  programme  des  œuvres  parmi  lesquelles  seroutchoisies  les  pièces 
que  M.  Albert  Carré  offrira  au  public  durant  le  cours  de  la  saison  1901-1902. 
Œuvres  nouvelles  :  La  Troupe  Jolicœar  (3  actes),  de  M.  Goquard  ;  Grisélidis 


288 


LE  MÉNESTREL 


(4  tableaux),  de  JI.  Massenet:  Tilania  (4  tableaux),  de  M.  G.  Hïie:  Circé 
(3  actes),  de  MM.  Hillemacher;  Muguelte  (3  actes),  de  M.  Missa;  la  Carmélite 
(4  actes),  de  M.  Reynaldo  Haha  ;  Peléas  et  Mêlisande  (6  tableaux),  de  M.  De- 
bussy; la  Petite  Maison  (3  actes),  de  M.  W.  Chaumet:  les  Pécheurs  de  Saint- 
Jean  (4  actes),  de  M.  Widor;  le  Beau  Noureddin  (4  tableaux),  de  M.  Levadé; 
le  Maître  (3  actes),  de  M.  Le  Borne;  l'Étranger  (2  actes),  de  M.  Vincent  d'Indy; 
la  Coupe  ciu-hantée  (i  actes),  de  M.  Pierné;  Hyrtil  [fi  actes),  de  M.  Gar- 
nier,  etc.,  etc.  CËuvres  classiques  :  Alceslc,  Armide,  Freischiitz,  les  Noces  de 
Figaro,  Don  Juan,  Iphigénie  en  Tauride,  Fidelio,  Orphée,  Joseph.  CEuvres  étran- 
gères :  Tristan  et  Yseult,  la  Tosca,  Paillasse,  Falsta/f,  Haenselet  Grelel.  Reprises  : 
le  Roi  d'Ys  (5  tableaux),  de  Lalo;  le  Pré  aux  Clers  (3  actes),  d'Herold;  le  Do- 
mino noir  ^3  actes),  d'Auber;  Werther  (5  tableaux),  de  Massenet:  Richard  Cœur 
de  Lion  [3  actes),  de  Grétry.  Répertoire  :  Mireille,  Carmen,  Mignon,  Lakmé, 
Manon,  Phryné,  Louise,  la  Vie  de  bohème,  la  Xavurraise,  la  Basoche.  Philémon  et 
Baucis,  Galathée,  etc.,  etc. 

—  A  l'Opéra  on  ne  semble  rêver,  en  ce  moment,  que  de  danse.  On  tra- 
vaille bien  toujours  les  Barbares,  dont  on  a  commencé  la  mise  en  scène  ven- 
dredi, et  Siegfried,  et  on  attend  patiemment  Orsola.  i'opéra  auquel  travaillent 
MM.  Hillemacher,  désignés  par  le  ministre  des  beaux-arts;  mais  on  parle 
surtout  de  reprises  prochaines  de  tout  un  lot  de  ballets,  tels  que  le  Fan- 
dango de  M.  Salvayre,  les  Deii.c  Pigeons  de  M.  Messager  et,  chose  tout  à  fait 
extraordinaire,  Sylvia,  le  délicat  chef-d'œuvre  de  Léo  Delibes:  tout  cela  sans 
compter  Bacchus,  commandé  à  M.  Alph.  Duvernoy  et  dont  la  musique  sera 
écrite  sur  un  scénario  posthume  du  compositeur  Mermet.  Peut-être  serait- 
il  amusant  • —  et  fort  peu  difJQcile  —  de  découvrir  la  cause  de  cet  amour  subit 
et  envahissant  pour  la  chorégraphie. 

—  Des  journaux  allemands  ont  annoncé  récemment  que  M.  Camille  Saint- 
Saëns  avait  l'intention  de  composer  un  opéra  sur  un  texte  allemand.  Le 
maître  vient  de  prendre  soin  de  démentir  lui-même  cette  nouvelle  :  «  Je  suis 
d'avis,  écrit-il,  que  pour  écrire  la  musique  sur  un  texte  étranger,  il  faut 
connaître  à  fond  la  langue  du  texte,  son  accent,  sa  déclamation.  Sinon  on 
risque  de  faire  ce  que  nous  appelons  à  Paris  «de  la  bouillie  pour  les  chats...» 
Du  reste,  je  n'éprouve  nullement  le  besoin  d'écrire  un  opéra  ni  sur  un  livret 
allemand  ni  sur  un  livret  français  ». 

—  Si  M.  Camille  Saint-Saêns  ne  pense  pas  à  écrire  un  opéra,  il  n'en  com- 
pose pas  moins,  en  ce  moment,  pour  le  théâtre,  puisqu'il  met  la  dernière 
main  à  une  partition  destinée  à  être  jouée  à  la  Comédie-Française  lors  de  la 
prochaine  reprise  des  Burgraves.  Cette  partie  musicale  comprendra  au  l°''acte 
des  chœurs  et  un  solo  de  coulisse  et  une  marche:  au  2"  acte,  la  chanson  du 
roi  Lupus,  que  chantera  M""  Bertiny;  au  3"  acte,  enfin,  une  fanfare. 

—  Les  Concerts- Colonne  donneront  leur  premier  concert  de  la  saison  pro- 
chaine, au  Chàtelet,  le  dimanche  20  octobre  à  2  heures  1/4.  Les  demandes 
d'abonnements  et  de  renseignements  sont  reçus  dès  aujourd'hui  au  siège 
administratif,  nouvellement  transféré  13,  rue  de  Tocqueville. 

—  La  prochaine  saison  des  Concerts  Lamoureux  s'ouvrira  le  30  octobre; 
elle  sera,  comme  d'ordinaire,  divisée  en  deux  séries  de  douze  concerts  cha- 


—  Le  premier  des  concerts  populaires  donnés  par  M.  Louis  Pister  dans  le 
Grand-Palais  des  Champs-Elysées  avait  attiré  une  foule  énorme;  plus  de 
mille  personnes  n'ont  pu  trouver  à  s'asseoir.  Le  second  a  lieu  aujourd'hui, 
également  à  3  h.  1/2  et  toujours  au  même  prix  d'entrée,  0  fr.  SO.  Au  pro- 
gramme, les  œuvres  de  Nicolaï,  Gustave  Charpentier,  Haydn,  Wormser, 
Gounod,  Massenet,  Bolzini,  Léo  Delibes  et  Bizet.  Gomme  solistes,  M"=  Lise 
d'Ajac  et  M.  Lubet. 

—  Nous  trouvons,  dans  le  catalogue  d'une  vente  récente  d'autographes, 
une  lettre  typique  d'Alexandre  Dumas  père,  lettre  bien  caractéristique  de 
cet  esprit  si  naïvement  orgueilleux,  dans  laquelle  il  se  glorifie  avec  une  sorte 
de  candeur  d'avoir  fait  vivre  avec  ses  ouvrages  dramatiques  une  foule  de 
braves  gens,  artistes,  employés,  etc.,  qui,  peut-être,  sans  lui  (il  ne  le  dit  pas, 
mais  il  le  pense),  seraient  morts  de  faim.  Le  plus  curieux,  c'est  qu'il  a  raison 
jusqu'à  un  certain  point.  Mais  c'est  la  façon  dont  il  le  dit,  et  les  calculs 
auxquels  il  se  livre  à  ce  sujet,  qui  sont  vraiment  amusants.  Qu'on  en  juge 
par  ce  fragment  : 

...  Le  théîUre  est  un  immense  levier  industriel.  Laissez-moi  vous  dire  combien  j'ai 
fait  vivre  de  musiciens,  acteurs,  machinistes,  décorateurs,  comparses,  éclaireurs,  ou- 
vreuses, etc.,  combien,  dis-je,  j'ai  tait,  avec  les  drames,  les  comédies,  les  tragédies  que 
j'ai  donnés  en  France,  combien  j'ai  fait  vivre  d'individus,  dont  presque  tous  avaient  une 
famille.  Écoutez  ceci. 

J'ai  donné  soixante  pièces  de  Ihédtre  à  peu  près;  réduisons  ces  soixante  pièces  à  cin- 
quante; supposons  que  chacune  d'elles  n'ait  eu  que  deux-cents  représentations  (une  seule, 
la  Tour  de  Nesle,  en  a  eu  900);  mais,  je  le  répète,  supposons  que  chacune  d'elles  n'ait  eu 
que  deux-cents  représentations.  Cinquante  fois  deux-cents  font  10,000jours,  10,000  jours 
font  vingt-sept  ans  et  cent-quarante-cinq  jours.  250  personnes  à  peu  près  vivent  d'un 
grand  théâtre.  J'ai  donc,  pendant  vingt- sept  ans  et  cent  quarante  cinq  jours,  avec  mes 
cinquante  drames  et  mes  10,0tO  représentations,  donné  leur  pain  quotidien  à  250  indi  ■ 
vi  dus,  sans  compter  leurs  familles.  Or,  250  individus  par  jour,  pendant  vingt-sept  ans  et 
cent  quarante-cinq  jours,  correspondent  à  6,850  individus  pendant  un  an  ou  à  2,500,000  in- 
dividus pendant  un  jour,  —  et  à  Paris  seulement,  remarquez  bien  cela,  je  ne  parle  pas 
de  nos  cinq-cfuls  théâtres  de  province. 


Jlaintenant,  que  ces  10,000  représentations  n'aient  donné  chacune  que  l.jOO  francs  de 
recettes,  voilà  un  mouvement  commercial  de  quinze  millions,  c'est  assez  joli,  pour  un 
poète!  sur  lesquels  le  onzième,  un  million  363,636  francs  36  centimes,  a  été  prélevé  pour 
les  pauvres  en  vertu  de  notre  loi  sur  les  Hôpitaux.  J'ai  donc  fait  payer,  avec  mes  cin- 
quante drames  et  mes  10,000  représentations,  un  million  363,636  francs  36  centimes  aux 
Hôpitaux,  à  Paris  seulement.  Quadruplez  ou  quintuplez  pour  la  province,  vous  le  voyez 
donc,  l'art  qui  nourrit  250  personnes  pendant  27  ans  et  1A5  jours,  qui  produit  un  mouve- 
ment de  fonds  de  15  millions,  qui  donne  aux  pauvres  1,363,636  francs  36  centimes,  et 
tout  cela  dans  une  seule  capitale,  n'est  pas  une  chose  qu'il  faille  écarter  comme  vaine  et 
frivole... 

—  Le  dimanche  l'"'  septembre  a  eu  lieu,  dans  l'église  d'Enghien-les-Bains, 
l'inauguration  de  l'orgue  de  Tribune  sorti  des  ateliers  de  la  maison  Merklin 
et  C'°  de  Paris  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire.  Ce  bel  instrument,  dû  au  zèle 
de  monsieur  l'abbé  Simonin,  curé  de  la  paroisse,  a  été  tenu  par  M.  Dallier, 
organiste  de  Saint-Eustache.  M.  Melchissédec,  de  l'Opéra,  et  M.  Paul  Viardot 
ont  bien  voulu  prêter  leur  concours  pour  cette  belle  cérémonie.  On  a  admiré 
aussi  la  belle  voix  de  M"»  Vila  dans  le  Panis  angelicus  de  Franck.  Tous  nos 
éloges  et  nos  remerciements  à  ceux  qui  ont  contribué  à  nous  faire  goûter  les 
délices  d'une  belle  musique  et  nous  ont  permis  d'apprécier  les  qualités  supé- 
rieures de  l'instrument  qu'on  inaugurait. 

—  DeRoyan  :  Très  suivis,  les  intéressants  concerts  symphoniques  très  bien 
dirigés  par  M.  J.-G.  Pennequin.  Aux  derniers  programmes,  grand  succès  pour 
les  Erinnyes  de  -Massenet,  l'ouverture  du  Roi  d'Ys  de  Lalo,  la  suite  sur  la 
Farandole  de  Théodore  Dubois,  qui  ont  été  exécutés  de  façon  irréprochable. 

—  DeTrouville;  Trèsbelles  messes  en  musique  à  Notre-Dame  de  Bon  Secours. 
M.  Gadio  y  chante  VAve  Maria  de  Mascagni  et,  avec  M.  Dumontier,  le  Crucifix 
Je  Faure  et  M"'  Bocquet  VO  Salutaris  de  Niedermeyer.  l'Ave  Maria  de  Tha'is 
de  Massenet  et  Sancta  Maria  de  Faure.  M"'"  .Juliette  Toutain,  qui  est  aussi 
remarquable  virtuose  de  l'orgue  que  du  piano,  a  joué  avec  une  grande  auto- 
rité des  pièces  de  Bach  et  de  M.  Périlhou. 

—  D'Alger:  Une  société  d'instruction  et  de  vulgarisalion  artistique,  le 
t<  Petit  Athénée  »,  vient  de  faire  construire  une  charmante  salle  de  spectacle 
pouvant  contenir  '700  personnes.  Ija  nouvelle  salle  vient  d'être  inaugurée 
par  une  grande  solennité  artistique  au  cours  de  laquelle  les  sociétaires  du 
«  Petit  Athénée  »  ont  joué  la  Coupe  enchantée  de  La  Fontaine,  le  Devin  du 
Village  de  J.-J.  Rousseau,  et  exécuté  plusieurs  œuvres  de  Beethoven,  Weber, 
Mendelssohn,  etc.,  chœurs  et  orchestre.  On  annonce  une  soirée  exclusive- 
ment consacrée  aux  compositeurs  algériens. 

NÉCROLOGIE 

A  la  dernière  heure  nous  apprenons  la  nouvelle  de  la  mort,  à  Bergedorf, 
d'un  des  écrivains  musicaux  les  plus  justement  fameux  de  l'Allemagne,  le 
docteur  Friedrich  Chrysander.  Né  à  Lilbtheen  (Mecklembourg)  le  8  juil- 
let 1826,  Chrysander,  après  avoir  obtenu  le  grade  de  docteur  en  philosophie, 
ne  tarda  pas  à  se  passionner  pour  les  études  relatives  à  la  musique  et  à  quel- 
ques musiciens  illustres,  entre  autres  Haendel,  pour  lequel  son  admiration 
était  profonde.  Il  s'attacha  à  retracer  la  vie  de  ce  grand  homme,  fit  à  ce  sujet 
un  assez  long  séjour  en  Angleterre,  puis,  de  retour  en  Allemagne,  fut  l'un 
des  fondateurs  de  l'Association  Haendel,  destinée  à  entreprendre  une  édition 
complète  de  l'œuvre  colossale  du  vieux  maître.  Chrysander  fut  l'àme  de  cette 
association,  et  prit,  sous  tous  les  rapports,  une  part  importante  à  cette  publi- 
cation monumentale,  faite  par  la  maison  Breitkopf  et  Haertel.  H  fut  ensuite 
rédacteur  en  chef  de  VAIlgemeine  Musikalische  Zeitung,  multiplia  ses  travaux  et 
ses  écrits  et  donna  des  éditions  des  œuvres  de  piano  de  J.-S.  Bach,  des  ora- 
torios de  Carissimi,  des  concertos  et  sonates  deCorelli,  des  pièces  de  clavecin 
de  Couperin,  etc.  Il  donna  enfin  avec  Philippe  Spitta,  dont  il  fut  le  collabo- 
rateur et  qui  mourut  avant  lui,  un  élan  considérable  à  la  littérature  musicale 
en  Allemagne.  Son  fils  fut,  pendant  plusieurs  années,  le  secrétaire  intime  du 
prince  de  Bismark  dans  sa  retraite  grincheuse  de  Friedrichsruhe. 

—  Dans  sa  villa  de  Pausilippe,  près  de  Naples,  est  morte  une  danseuse 
naguère  célèbre  en  Italie,  Caroliua  Pochini,  qui  avait  épousé  le  fameux 
chorégraphe  Borri  et  qui  était  la  helle-sœur  d'un  autre  chorégraphe,  Achille 
Coppini.  Elle  brilla  au  temps  de  l'aimable  Boschetti,  que  nous  avons  connue 
à  l'Opéra  de  Paris.  Née  à  Milan  en  1836  et  élève  de  l'école  de  danse  de  la 
Scala,  elle  débuta  à  ce  théâtre  en  1834  et  se  fit  aussitôt  remarquer  par  la 
grâce  et  la  correction  de  sa  danse.  Après  sept  saisons  passées  à  la  Scala,  elle 
se  fit  applaudir  sur  plusieurs  autres  grandes  scènes  italiennes,  Bergame, 
Naples,  Florence,  et  obtint  aussi  do  grands  succès  à,  l'étranger,  entre  autres 
à  Vienne  et  à  Londres. 

—  De  San  Salvador  (Amérique  du  Sud)  on  annonce  la  mort  de  M.  Alfred 
Gorè,  pianiste  distingué  et  chef  d'orchestre  habile,  qui  était  directeur  du 
Lycée  musical  de  cette  ville. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Nous  apprenons  le  départ  pour  le  Mexique  de  M.  Mauoel  Torre  Anaya 
dans  le  but  d'y  donner  des  leçons  de  piano  et  d'y  propager  l'école  française. 
M.  Manoel  Torre  Anaya  est  un  élève  distingué  de  M.  Delaborde  et  part 
muni  des  meilleures  références. 


ni;>aiiiERiE  centrale  i 


3677.  -  67°-^  mm  —  1^37.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimanche  15  Seplenibre  1901, 

(Les  Bureaux,  2  "'•,  rue  Viyienne,  Paris,  u>  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  frwtco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


.^' 


LE 


ENESTREL 


lie  5améFo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  flaméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  rnANco  à  M.  Henhi  HEUGEL,  directeur  du  MÉNESTnEL,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Te.\ te  et  Musiijue  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr. ,    Paris  et  Province.  •-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'.\rl  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  (29°  article),  Paul  d'Estrées.  ■ 
II.  Bulletin  théâtral  :  première  représentation  de  l'Élude  Tocasson  aux  Folies-Drain; 
tiques,  A.  P.  —  lu.  Petites  notes  sans  portée  :  Mozart  à  Paris,  Raymond  DouvEn.  • 

IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  un  Concours  académique,  Edmohd  Neukomm.  ■ 

V.  Courte  monographie  de  la  Sonate  (S*"  et  dernier  article),  Arthuu  Pougin.  —  VI.  No 
velles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
VALSE   EN  SOURDINE 
e  A.  PÉRILHOU.  —  Suiv  ra  immédiatement  :  Chanson  à  danser,  du  même  auteur. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Clochts  d'automne,  nouvelle  mélodie  de  Noël  Desjoïeau.v,  poésie  de  Paul 
Mahiéton.  —  Suivra  immédiatement  :  le  Récit  de  l'Aurore,  n"  2  des  Chansons 
couleur  du  temps  de  Léopold  Dauphin,  poésie  de  J.-B.  Molière. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

à'après  les  inénioires  les  plus  récents  et  des  flocuients  inéflits 

(Suite.) 


YIII 

L'Andante  de  l'ouverture  de  la  Dame  Blanche.  —  Un  autographe  de  Boieldieu.  — 
Auber  et  la  lutte  pour  la  vie.  —  Inquiétude  et  insouciance.  —  Auber  homme  du 
monde.  —  Nouveau  chapitre  sur  le  traité  des  chapeaux.  —  Parisianisme  d'un 
bas-normand  occasionnel.  —  Un  mot  de  Rossini.  —  Confidences  d' Auber  à  Dela- 
croix. —  Scrutins  académiques.  —  Auber  avec  ses  élèves  et  ses  collègues.  —  Ro- 
bitslesse  et  courtisanerie.  —  Le  véritable  dernier  jour  de  bonheur  du  maître  (2  dé- 
cembre iS70).  —  La  mort  du  «.  vieux  cerf  ».  —  Le  46  juillet  'IS7I  et  le  29  jan- 
vier 1877.  —  Un  coup  de  pied  ministériel.  —  Panégyristes  d'hier  et  d'aujourd'hui. 

Après  l'excellente  et  substantielle  étude  consacrée  par 
M.  Pougin  à  l'œuvre  et  à  la  vie  de  Boieldieu,  peut-être  paraitra- 
t-il  téméraire  autant  que  superflu  d'y  vouloir  ajouter  un  nouveau 
chapitre.  Aussi  bien,  ce  n'est  point  notre  intention.  Nous  nous 
bornerons  à  constater,  avec  M.  Pougin,  l'influence  très  mani- 
feste de  la  méthode  rossinienne  dans  la  Dame  Blanche,  et  la  col- 
laboration indiscutable  apportée  au  chef-d'œuvre  du  maitre  par 
ses  élèves  favoris,  Adolphe  Adam  et  Théodore  Labarre.  Les  témoi- 
gnages du  premier  concordent  d'ailleurs  avec  ceux  de  Jouvin 
tels  que  les  rapporte  Villemessant  dans  ses  Mémoires  d'un  Jour- 


naliste (1).  Labarre  était  revenu  d'Ecosse  avec  trois  airs  nationaux 
qui  figurent  dans  la  Dame  Blanche;  et  plus  exclusif  encore 
qu'Adolphe  Adam,  Jouvin  assure  que  de  tous  les  morceaux  de 
la  fameuse  ouverture,  ÏAndante  est  le  seul  qu'ait  écrit  Boieldieu. 

11  est  enfin  un  document,  émané  du  célèbre  musicien,  que 
nous  croyons  inédit  et  que  nous  avons  trouvé  dans  les  Auto- 
graphes de  Lefèvre  (2),  document  digne  d'intérêt,  une  actualité 
rétrospective  en  quelque  sorte,  qui  ne  prouve  pas  chez  son 
auteur  un  enthousiasme  bien  vif  pour  la  liberté  des  théâtres 
A  Son  Excellence  le  Ministre  de  l'Intérieur, 
Monseigneur, 

MM.  les  Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques  viennent  d'avoir  l'honneur 
de  vous  adresser  une  demande  pour  obtenir  de  Votre  Excellence  la  permission 
d'ouvrir  un  second  théâtre  d'opéra-comique.  La  commission  nommée  en  1816 
par  M.  Laine,  alors  ministre  de  l'intérieur,  composée  de  cinq  membres  de 
l'Institut,  avait  émis  le  même  vœu,  mais  avec  une  restriction  d'une  haute 
importance  pour  l'intérêt  de  l'art  et  celui  des  théâtres  royaux,  celle  que  l'on 
obtînt  la  fermeture  de  deux  théâtres  de  mélodrame  et  d'un  de  vaudeville  et 
le  rappel  de  l'arrêté  qui  forçait  chaque  théâtre  à  se  restreindre  à  son  .'enre 

,J'ai  donc  l'honneur  de  vous  supplier,  Monseigneur,  de  ne  compter  ma 
signature  valable  relativement  à  la  demande  d'un  second  théâtre  d'opéra- 
comique  que  dans  le  cas  où  il  y  aurait  possibilité  de  remplir  les  désirs  de  la 
commission  de  l'Institut;  car,  sans  celle  suppression  de  théâtres  qui  ne  peu 
vent  que  propager  le  mauvais  goût  en  France,  un  second  Théàtre-Urique  ne 
pourrait  qu'être  nuisible  aux  théâtres  royaux,  sans  que  l'art  dramatique  y 
puisse  rien  gagner,  puisqu'une  plus  grande  quantité  de  théâtres  ne  pourrait 
qu'affaiblir  les  moyens  d'amélioration  que  les  auteurs  et  le  public  réclament 
depuis  longtemps. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  le  plus  profond  respect, 

Monseigneur,  de  votre  Excellence, 

Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 
Boieldieu. 

Auber  subit  à  son  tour  l'imprégnation  rossinienne;  et  ses 
œuvres  en  conservèrent  longtemps  les  traces,  alors  que  cette 
influence  avait  déjà  disparu.  Dans  le  principe,  cet  opportunisme 
musical  fut  une  nécessité  pour  le  jeune  maître,  bien  qu'il  n'eut 
pas  oublié  ses  débuts  au  théâtre  sous  les  auspices  de  Gherubini 
son  professeur.  Mais  il  fallait  alors,  comme  aujourd'hui,  plaire 
avant  tout  au  public,  et  la  lutte  pour  la  vie  voulait  qil'Auber 
tint  compte  d'un  engouement  que  nous  appelons  aujourd'hui 
du  snobisme. 

Le  baron  de  Trémont  en  prend  occasion  pour  argumenter 
contre  un  préjugé  qui  l'exaspère.  D'après  lui,  une  opinion  géné- 
ralement reçue  veut  que  le  cerveau  humain  ne  puisse  produire 
une  œuvre  de  valeur  sans  le  feu  sacré,  c'est-à-dire  sans  une 
puissante  inspiration,  dégagée  de  toute  préoccupation  des  inté- 
rêts matériels.  Or,  Trémont  énumère  plusieurs  exceptions  à  cette 
prétendue  règle.  Haydn  prenait  la  plume  à  heure  fixe,  comme 


(1)  ViLLEMtssANT.  —  .S'ouoenirs  d'un  Journalisme  :  Dentu,  1873-1878. 
i'2j  Autographes  Lefévie,  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


290 


LE  MÉNESTREL 


l'employé  i]ui  s'assied  à  son  bureau.  Rossini  et  Auber  «  n'ont 
composé  que  par  nécessité  et  non  pour  leur  plaisir  » . 

Le  second  avait  charge  de  famille  :  il  travaillait  pour  nourrir 
sa  mère.  Après  le  succès  d'Emma  (1821)  il  disait  au  baron  de 
Trémont  : 

—  Pour  un  contrat  de  mille  écus  de  rente,  je  serais  heureux 
de  pouvoir  jeter  mon  piano  par  la  fenêtre. 

Quelque  temps  après,  il  exprimait  la  même  pensée  sous  cette 
forme  un  peu  moins  vive  : 

«  L'amour-propre  musical  me  manque;  si  j'en  avais  plus,  j'au- 
rais plus  de  talent.  » 

Les  exigences  du  pain  quotidien  lui  donnaient  la  lièvre;  il  lui 
fallait  produire  sans  relâche  :  cette  lettre  qu'il  écrivait  avant  son 
éphémère  succès  de  Fiorella  indique  assez  son  état  d'àme  : 

3  septembre  1823. 

J'étouffe  de  travail...  Dieu  veuille  que  je  ne  me  sois  pas  échigné  pour 

des  prunes...  Ma  pièce  n'est  pas  encore  lue:  je  ne  sais  si  elle  sera  mise  en 
répétition  ce  mois-ci:  et  malgré  cela  il  faut  que  je  me  dépêche  comme  si 
l'on  attendait  après  moi.  Enfin  mon  sort  va  être  bientôt  décidé.  Dans  8  jours 
je  saurai  à  quoi  m'en  tenir.  Je  n'ai  plus  que  3  morceaux  à  faire  pour  avoir 
fini.  Te  souviens-tu -du  temps  où  je  mettais  un  an  à  faire  un  concerto? 

Cet  homme,  toujours  cité  comme  le  parfait  modèle  de  l'insou- 
ciance et  du  scepticisme,  fut  longtemps  anxieu.\  sur  son  avenir. 
Sa  lettre  du  48  aoilit  -1829,  adressée  à  Trémont,  dit  assez  quelles 
étaient  ses  inquiétudes  pour  sa  fortune  et  la  ferveur  de  son 
admiration  pour  Eossini.  Et  pourtant  Auber  avait  déjà  fait  repré- 
senter la  Muette  : 

Mes  ouvrages  se  jouent  beaucoup,  cela  me  rapporte  de  l'argent,  mais  ce 
n'est  pas  décisif,  je  ne  serai  jamais  riche...  Guillaume  Tell  a  déjà  rempli  la 
salle  de  l'Opéra  7  à  8  fois.  La  musique  est  fort  belle.  Elle  est  digne  de  figurer 
à  côté  de  tout  ce  qu'a  fait  l'auteur. 

Décidément  on  n'est  pas  prophète,  ni  dans  son  pays,  ni  pour 
soi.  Quand  la  fortune  sourit  au  compositeur  qui  avait  si  longtemps 
désespéré  de  la  fixer,  Auber  dit  à  Trémont,  avec  cette  philoso- 
phie souriante  et  quelque  peu  égoïste  qui  devait  être  désormais 
le  fond  de  son  caractère  : 

—  Gluck  vivait  dans  un  troisième  étage,  et  moi  j'ai  un  salon 
doré  et  des  chevaux  anglais  ! 

Le  mot  était  flatteur  pour  Gluck. 

Au  reste,  Auber  mettait  une  certaine  coquetterie  à  se  dépré- 
cier. Lui  qui  avait  tant  produit  se  disait  paresseux  de  nature  et 
prétendait  le  démontrer,  pièces  en  mains,  le  jour  où  il  tendait  à 
Gustave  Glaudin  (1)  son  premier  brouillon  de  Fra  Diavolo.  Une 
des  pages  du  manuscrit  portait,  encore  l'énorme  pâté  qu'y  avait 
laissé  la  plume  du  compositeur  vaincu  par  le  sommeil.  D'ailleurs 
Auber  n'avait  pas  la  vanité  de  ses  œuvres.  Gependant,  s'en  désin- 
téressait-il assez  pour  s'abstenir  d'aller  les  entendre  dans  la  salle 
comme  l'afErme  Trémont,  et  pour  refuser  obstinément  de  les 
admettre  aux  exercices  du  Conservatoire?  A  vrai  dire,  G.  Glaudin 
assure  qu'Auber  n'allait  jamais  à  l'Opéra  quand  on  y  jouait  de 
sa  musique.  Toujours  est-il  que  son  opinion  sur  la  musique  en 
général  et  la  sienne  en  particulier  se  résumait  dans  cet  alexan- 
drin, le  seul  peut-être  qu'il  ait  jamais  commis  : 
C'est  un  art  fugitif  que  la  mode  détruit. 

Élait-ce  modestie  sincère  ou  fausse  bonhomie?  mais  le  juge- 
aient qu'il  portait  sur  ses  œuvres  était  plus  sévère  encore,  s'il 
faut  en  croire  l'auteur  anonyme  d'un  Anglais  à  Paris  (2).  Auber 
prétendait  que  «  ses  opéras  étaient  autant  de  bassinoires  pour 
les  grands  musiciens  »  ;  et  volontiers  il  eiit  parié  d'en  faire  jouer 
les  rôles  les  plus  difficiles,  sauf  peut-être  celui  de  Masaniello,  par 
tout  amateur  «  pourvu  d'une  intelligence  et  d'une  voix  hon- 
nêtes ».  Il  préférait  néanmoins  les  compositions  de  sa  jeunesse; 
c'est  vraisemblablement  pour  cette  raison  que  nous  lui  enten- 
dions appeler  le  Premier  jour  de  bonheur  son  avant-dernier  opéra- 
comique  :  «  mon  vieux  petit  Benjamin  ».  Combien  de  fois,  dans 
l'espace  de  quarante  ans,  cette  partition  fut-elle  laissée,  reprise, 
abandonnée  par  le  maître!  Cependant,  s'il  afi'ectait  de  tenir  en 


(Il  Gustave  Claudik.  —  Souvenirs:  M.  Lévy,  1884. 
(2)  In  Anglais  à  Paris;  Pion,  1894. 


médiocre  estime  sa  musique,  il  n'ignorait  pas  qu'elle  plaisait  au 
public  et  n'avait  pas  la  faiblesse  de  croire,  avec  Meyerbeer,  que 
le  succès  de  ses  pièces  dépendait  uni(iuement  de  leurs  inter- 
prètes. Aussi  reprochait-il  au  maître  allemand  de  «  trop  dor- 
loter »  de  capricieuses  cantatrices  ou  des  ténors  plus  que  légers. 
Par  contre,  les  autres,  —  j'entends  les  chanteurs  qui  avaient  le 
sentiment  du  devoir  et  le  respect  de  l'art  —  trouvaient  dans 
Auber  le  plus  bienveillant  des  amis-  'C'est  ainsi  que  Roger, 
l'admirable  ténor,  était  toujours  gracieusement  accueilli  du 
compositeur;  si  celui-ci,  à  l'exemple  du  grand  romancier  Dumas, 
oubliait  telle  ou  telle  de  ses  œuvres,  Roger  la  lui  rappelait 
aussitôt  :  il  prétendait  même  posséder  la  nomenclature  complète 
de  tous  les  morceaux  écrits  par  Auber. 

—  Et  vous,  maitre?  lui  demandait-il  malicieusement. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrkes. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


FoLiES-DiiAjuTiQiF.s.  Réouverlurc.  Le  Peigiu;  comédie  en  un  acte,  de  M.  Geor- 
ges Docquois.  L'Élude  Tocassoii ,  comédie-vaudeville  en  trois  actes,  de 
i\lM.  Albin  Valabrègue  et  iVIaurice  Ordonneau. 

Pauvres  Folies-Dramatiques,  qui  auraient  pu  célébrer  au  commence- 
ment de  cette  année  le  soixante-dixième  anniversaire  de  leur  fondation  ! 
Car  c'est  le  22  janvier  1831  qu'elles  ouvrirent  pour  la  première  fois 
leurs  portes  au  public.  Hélas!  les  pauvres,  elles  étaient  dans  un  trop 
triste  état  pour  songer  à  une  fête  quelconque.  Fermées  pendant  toute  la 
seconde  moitié  de  l'année  1899,  puis  pompeusement  rouvertes  au  com- 
mencement de  1900  sous  le  titre  d'Opéra-Populaire,  elles  redevenaient 
un  instant,  au  bout  de  quatre  mois,  simples  Folies-Dramatiques,  pour 
se  transformer  de  nouveau,  après  cinq  autres  mois,  en  Comédie-Popu- 
laire. Ce  nouvel  avatar  n'ayant  pas  été  plus  heureux  que  les  précédents, 
elles  n'eurent  d'autre  ressource  que  de  disparaître  encore  pendant  un 
certain  temps.  Les  voici  qui  renaissent  à  la  vie,  abandonnant  l'opérette, 
qui  pendant  vingt-cinq  ans  leur  avait  été  profitable,  abandonnant  l'opéra, 
qui  les  avait  laissées  languissantes,  abandonnant  la  comédie,  qui  les 
avait  achevées,  et  revenant  à  leur  genre  primitif,  celui  qui  naguère  et 
durant  si  longtemps  avait  fait  leur  fortune.  Est-ce  tout  de  bon,  cette 
fois?  Peut-être,  si  elles  trouvent  de  bonnes  pièces  jouées  par  une  bonne 
troupe  d'ensemble,  puisque,  par  une  intelligente  et  importante  réduc- 
tion du  prix  des  places,  elles  semblent  décidées  à  revenir  ce  qu'elles 
étaient  au  temps  de  leur  jeunesse,  un  gentil  théâtre  populaire,  presque 
un  théâtre  de  quartier,  mais  ayant  son  utilité  en  ce  sens  qu'il  peut  servir 
à  former,  comme  autrefois,  des  auteurs  et  des  artistes  pour  des  scènes 
plus  relevées.  Qui  ne  se  rappelle  les  noms  de  tant  de  comédiens  et  de 
comédiennes  qui  commencèrent  par  les  Folies  pour  s'en  aller  ensuite 
aux  Variétés,  au  Vaudeville,  au  Gymnase,  au  Palais-Royal,  et  jusqu'à 
la  Comédie- Française  :  Lassagne,  Christian,  Charles  Potier,  Calvin, 
M.  Boisselot,  et  Nathalie,  et  Judith,  et  Thaïs  Petit,  et  Angélina  Legros  I ... 

II  faudra  donc  leur  faire  un  peu  crédit,  et  ne  pas  trop  s'étonner  si 
elles  ne  triomphent  pas  absolument  du  premier  coup.  La  troupe,  telle 
que  nous  l'avons  vue  à  cette  soirée  de  réouvertiu'e,  renferme  de  bons 
éléments,  qui  peuvent  être  heureusement  employés.  Quant  aux  pièces... 
nous  allons  voir. 

La  première,  le  Peigne,  est  une  petite  «  rosserie  »  qui  semble,  révé- 
rence parler,  un  peu  inspirée  du  genre  des  petits  proverbes  de  Musset. 
C'est  une  querelle  d'amants,  tirée  par  un  cheveu  trouvé  dans  un  peigne, 
et  qui  finit  par  un  racommodement  plus  ou  moins  solide.  Le  tout  gen- 
timent agencé,  non  sans  légèreté  et  sans  esprit,  et  agréablement  joué 
par  M"'  Delmay,  MM.  Frey  et  Six. 

La  seconde,  le  gros  morceau,  qui  a  pour  titre  l'Elude  Tocasson,  dame, 
elle  est  un  peu  plus  difficile  à  avaler.  Il  s'agit  d'un  jeune  viveur,  André 
Bernard,  qui  a  reçu  de  son  oncle,  notaire  en  province,  la  bagatelle  de 
.3.50.000  francs  pour  acheter  une  étude  à  Paris  et  s'y  établir.  Or,  ledit 
André  a  trouvé  plus  pratique  de  faire  la  noce  avec  le  magot,  et  il  est 
naturellement  fort  empêtré  quand  l'oncle  Bernard  vient  le  trouver  pour 
voir  comment  les  choses  se  passent.  Alors,  c'est  un  tohu-bohu  d'aven- 
tures impossibles.  André  «  emprunte  »  l'étude  de  maitre  Tocasson,  alors 
en  voyage,  à,  Grésillon,  premier  clerc  de  celui-ci.  Et  comme  l'oncle 
découvre  vite  que  son  neveu  n'entend  rien  aux  affaires,  il  s'installe  lui- 
même  dans  l'étude,  bouleverse  les  papiers,  fait  gaffes  sur  gaffes,  loue 
une  partie  de  l'immeuble  à  un  couple  burlesque  et  finit  par  vendre 
l'étude,  si  bien  que  quand  Tocasson  revient  inopinément,  la  situation 
est  indescriptible.  Tout  cela  n'a  pas  le  sens  commun,  tout  cela  est  inco- 


i 


LE  MÉNESTREL 


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hérent,  et,  avec  quelques  scènes  drôles,  tout  cela  ne  tient  pas,  pavce 
qu'il  faut  encore  que  la  fantaisie  paraisse  vi'aisemblable,  ce  qui  n'est 
pas  ici  le  cas.  On  rit  parfois  d'une  situation  grotesque,  mais  c'est  un 
rire  de  surprise,  et  qui  ne  dure  que  le  temps  de  cette  surprise. 

La  pièce  a  été  très  convenablement  défendue  du  coté  masculin,  et  il 
n'y  a  que  des  éloges  cà  adresser  à  MM.  Hirch,  Véret,  Violette,  Mondos, 
Pons-Arlés  et  Lévesque.  Quantau  côté  féminin,  les  rôles  sont  tellement 
nuls  qu'il  n'y  a  qu'à  féliciter  M™'^  Demougey,  Clairville,  Arnous- 
Riviére.  etc..  de  leur  grâce  et  de, leur  beauté.  A.  P. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXIII 


MOZART  A  PARIS 

A  Paul  Fiat. 

Recevoir  des  lettres,  n'est-ce  pas  la  meilleure  des  rares  joies  du  cri- 
tique ?  L'injure  anonyme  est  préférable  au  silence  ;  et  combien  cette 
communion  ajpparait  comme  une  récompense,  alors  qu'une  sympathie 
spontanée  se  livre  en  gardant  son  incognito  !  Le  divin  Mozart  me  vaut 
une  l'ongue  épitre  dont  l'auteur,  plus  mystérieux  que  Lohengrin,  neutra- 
lise son  écriture  et  recourt  au  dactylographe  pour  dérober  son  sexe.  Je 
E6  saurais  donc  lui  répondre  que  par  la  voie  du  journal  :  et  cela  d'au- 
tant plus  volontiers  que  le  début  de  son  envoi  réveille  quelques  pro- 
blèmes toujours  subtils  de  psychologie  musicale.  Le  voici  : 

«  Moi  non  plus.  Monsieur,  je  ne  puis  séparer  Wagner  de  Mozart. 
J'admire  Wagner  et  j'adore  Mozart.  Je  me  méfie  très  fort  de  ces  wagné- 
riens  qui  traitent  Mozart  de  perruque  ou  de  catogan  ;  mais  je  ne  crois 
pas  que  les  snobs  de  la  dernière  heure,  i  buoiiguslai  (comme  disait 
Gluck),  qui  recommencent  à  traiter  Wagner  de  monstrueux,  soient  très 
aptes  à  pénétrer  la  poéiie  vivante  du  classique  Mozart.  Qu'en  pensez- 
vous  ?  Ah  !  ce  pauvre  Mozart  !  Ne  le  met-on  pas,  comme  on  dit  vul- 
gairement, à  toutes  les  sauces  ?  Mozart  wagnérien,  parce  que  le  dieu 
de  Bayreuth  a  daigné  reconnaître  la  force  intérieure  et  la  «  personnalité  » 
du  précurseur  de  la  ZauberflMe  !  Mozart  italien,  parce  que,  sauf  ce  der- 
nier chef-d'œuvre,  ses  principaux  opéras  soupirent  la  langue  harmo- 
nieuse! Mozart,  musicien  français,  parce  que  cet  ennemi  de  la  musique 
française  retient  dans  son  àme  et  dans  sou  art  le  délicieux  parfum 
d'atticisme  de  l'ancien  régime  !  Vous  aussi.  Monsieur. . .  Mais  comment 
pourriez-vous  expliquer  cette  antinomie?  Gomme  disait  Ponce-Pilate, 
ubi  verum?. . .» 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les  poètes  ont  remarqué  ces  affinités 
françaises  de  l'immortel  Salzbourgeois  :  ils  font  trêve  à  leurs  luttes 
prosodiques  et  autres  pour  reconnaître  sa  poésie  souveraine  :  «  Plus  de 
définition,  plus  de  formule  abstraite  ;  il  ne  serait  plus  besoin  de  tenter 
en  vain  de  dii-e  ce  qu'est  la  Poésie  :  chaque  homme  la  sentirait  vivre 
en  lui  au  seul  nom  de  Mozart. . .  »  (î)  Dans  le  chaos  contemporain,  les 
esthétiques  se  rapprochent  pour  retrouver  en  lui  «  l'élégante  et  douce 
politesse  de  la  fin  du  règne  de  Louis  XV  avec  un  fonds  de  mélancolie 
et  de  sensibilité  germaniques  qui  nous  émeuvent.-.  »  Les  modernes 
contradictions  semblent  prendre  leurs  discordes  en  horreur  en  présence 
de  ce  style  surnaturel  qui  nous  agrée  «  par  je  ng  sais  quoi  de  net,  d'ar- 
rêté, de  précis  »,  par  une  «  désinvolture  discrète  »  que  Mozart  avait  sans 
doute  admirée,  dans  son  enfance  et  dans  sa  jeunesse,  à  travers  les  salons 
de  Versailles  et  de  Paris. 

Et  le  poète  de  la  Vie  ardente  (3;,  qui  réclamait  naguère  pour  lui  les 
honneurs  du  bronze  ou  du  marbre,  s'appuyait  sur  ses  devanciers  pour 
affirmer  ce  génie  français  de  Mozart,  sans  peut-être  se  rappeler  que  le 
peintre  mélomane  Eugène  Delacroix,  — qui  reconnaissait  deux  divinités  : 
Mozart  et  Rubens,  —  avait  joliment  souligné  ce  double  caractère  de 
l'inimitable  auteur  des  Nozz-e  di  Figaro  :  c'était  un  soir  où  le  hantait  le 
souvenir  de  la  Fantaisie  de  Mozart,  «  morceau  grave  et  touchant  au  ter- 
rible par  moments,  et  dont  le  titre  est  plus  léger  que  ne  le  comporte  le 
caractère  du  morceau. . .  »  (4)  Encore  enivré  par  la  musique  délicate 
entendue  chez  l'aimable  princesse  Marcellini,  le  peintre  ajoutait  : 
«  Beethoven  est  toujours  triste.  Mozart  est  moderne  aussi,  c'est-à-dire 
qu'il  ne  craint  pas  de  toucher  au  côté  mélancolique  des  choses  ;  mais, 
comme  les  hommes  de  son  temps  (gaieté  française,  nécessité  de  ne  s'oc- 
cuper que  de  choses  attrayantes,  bannir  de  la  conversation  et  des  arts 

(Ij  Vuir  le  Ménesiret  du  14, juillet,  des  18  et  25  août,  du  8  septembre  1901  (La  statue 
de  Mozart) 

1,2)  Adolphe  Boschut,  Poèmes  dialogues,  préface,  pages  IG-IT  (l'aris,  Perrin,  1901 1. 

(3)  M.  Hippulyte  Buttenoir. 

{'0  Journal  d'Eur/éne  Delacroix,  annoté  par  5I1I.  Paul  Fiat  et  René  Piot  (Paris, 
,  Pion,  1893-95);  tome  H,  pages  222-223  (Mercredi  29  juin  1853). 


tout  ce  qui  attriste  et  rappelle  notre  malheureuse  condition),  Mozart 
réunit  ce  qu'il  faut  de  cette  pointe  de  délicieuse  tristesse  à  la  sérénité 
et  à  l'élégance  facile  d'un  esprit  qui  a  le  bonheur  de  voir  aussi  les  côté? 


C'est  Delacroix  encore,  ce  lettré,  qui  soutenait  que  toute  question 
d'art  est  une  cause  où  deux  avocats  hostiles  peuvent  être  entendus.  Et 
l'avocat  de  Mozart  musicien  français  en  viendrait  à  nous  rappeler,  dans 
l'espèce ,  que  les  «  œuvres  de  Mozart  en  France  »  apparurent  bien 
antérieurement  à  cette  exécution  capitale  du  Mariage  de  Figaro,  en  1793 
(Notharis  était  le  bourreau,  substituant  la  prose  de  Beaumarchais  aux 
recitativi  de  Mozart...)  Les  Français,  qu'il  n'aima  point,  ont  pu  le  pres- 
sentir et  le  choyer  de  son  vivant  même. 

C'est  en  1764,  à  Paris.  Le  compositeur  a  huit  ans;  et  le  père  écrit  : 
«  Actuellement,  M.  Wolfgang  Mozart  a  quatre  sonates  chez  le  graveur. .. 
Figurez-vous  le  bruit  qu'elles  feront  dans  le  monde...  S'il  y  a  des  incré- 
dules, on  les  convaincra...  »  Suivent,  bientôt,  deux  dédicaces  de  grati-- 
tude  pompeuse  de  l'autem'des  Sonates  pour  /e  cfauecin  à  Madame  Victoire 
de  France,  ainsi  qu'à  Madame  la  comtesse  de  Tessé,  dame  de  Madame 
la  Dauphine.  Et  l'avocat  de  la  partie  adverse  se  lève  immédiatement 
ici  pour  faire  remarquer  que  cette  lettre  du  père  est  précisément  celle 
du  l'^'  f.'vrier  1764,  où  l'auteur  de  la  Méthode  de  violon  décrit  les  Pari- 
siennes à  une  bonne  dame  de  Salzbourg  en  les  comparant  à  des  poupées 
de  Nuremberg...  Et  leur  dévotion  vaut  leur  maquillage:  «  Chacun,  vit 
à  sa  guise;  et  sans  une  miséricorde  toute  spéciale  de  Dieu,  il  en 
arrivera  du  royaume  de  France  comme  autrefois  de  l'empire  des 
Perses...  «  Ce  prophète  est  sévère  pour  le  pays  qui  l'accueille:  «  A 
Versailles,  j'entendis  une  bonne  et  une  mauvaise  musique.  Tout  ce 
qui  se  chantait  par  une  voix  seule,  et  devait  ressembler  à  un  air,  était 
vide,  froid,  misérable,  par  conséquent  français.  Mais  les  chœurs  sont 
tous  bons  et  très  bons...  » 

Quatorze  ans  plus  tard,  en  1778  :  Mozart  séjourne  encore  à  Paris,  du 
'±'i  mars  au  26  septembre.  Ce  n'est  plus  «  le  petit  homme  »  que  son  père 
emmenait  tous  les  jours  à  la  messe  de  la  chapelle  pour  y  entendre  les 
chœurs  des  motets,  le  petit  prodige  qu'un  peintre  a  représenté  tendant 
ses  menottes  vers  le  clavecin  d'un  grand  seigneur  (1)  ou  s'inclinant 
devant  «  Madame  la  marquise  de  Pompadour  »  que  le  père  appelle 
étourdiment  «  une  chose  ravissante  »  ;  c'est  un  jeune  homme  souriant  , 
que  suit  de  loin  l'anxiété  paternelle  :  Mozart  a  vingt-deux  ans.  Et  quelle 
déjà  grande  Babylone  que  ce  Paris  !  Que  d'aventuriers,  «  sans  parler 
des  femmes  »!  Le  bon  Salzbourgeois  frissonne,  à  Salzbourg...  Et  puis, 
cent  démarches  pour  rien  :  «  Les  Français  payent  en  compliments...  » 
Le  fils  rassure  le  père  de  son  mieux  :  il  ne  se  plaît  guère  à  Paris  !  Il  est 
fêté,  mais  déçu.  Ne  faut-il  pas  toujours  affronter  la  boue  ou  semer 
l'argent  par  les  fenêtres  pour  récolter  quelques  bravos  polis  ?  Et  encore... 
La  politesse  française  est  menacée  ;  la  grossièreté  vient,  conduite  par 
l'orgueil  :  «  En  général,  Paris  a  beaucoup  changé...  » 

Cependant,  quel  peintre  évoquera  ce  grand  garçon  prodigieux  et 
charmant  ?  Qui  profilera  sa  riante  silhouette  sur  les  lambris  des  salons 
grandioses?  L'œil  intérieur  de  l'imagination  l'aperçoit  dans  la  maison 
de  M'^  d'Épinay  et  de  M.  le  baron  de  Grimm,  où  il  obtient  une  claire 
chambrette  «  avec  une  vue  fort  agréable  »,  mais,  le  soir,  un  tiède  soir 
de  juillet,  à  la  lueur  étrange  d'une  chandelle,  annonçant  la  mort  chré- 
tienne de  sa  mère  bien-aimée  à  l'abbé  son  meilleur  ami  :  «  Pour  vous 
tout  seul  !  »  écrit-il  à  travers  ses  larmes,  afin  de  ménager  la  douleur 
lointaine  du  père...  Et  quelle  merveille  d'intimité,  quel  tableau  tout 
fait,  ce  jeune  professeur  inspiré,  dévoilant  les  techniques  secrets  de  la 
composition,  le  développement  d'une  idée  ou  la  transposition  d'une 
basse,  à  une  élève  aristocratique,  à  la  fille  du  duc  de  Guines  qui  n'a 
aucune  pensée ,  qui  ne  trouve  rien ,  mais  «  qui  m'aime  par-dessus 
tout  »,  dit  le  spirituel  et  candide  maître  à  son  père  absent!  On  assiste 
à  cette  leçon...  La  jeune  lille  écoute  et  sourit,  très  attentive;  le  grand 
petit-maître  parle  au  clavecin.  Quelle  aisance  et  quel  abandon  dans  la 
droiture,  quelle  délicate  finesse,  quel  doigté  !  Des  mots  français  émaillent 
la  correspondance,  que  le  traducteur  ne  saurait  endommager,  ceu.\-là,  et 
qui  prouvent,  non  seulement  la  souplesse  d'assimilation,  d'intuition,  du 
génie  jeune,  mais  la  permanence  de  notre  manière  d'être  et  d'exprimer. 
C'est  fort  piquant  ! 

Dans  la  frivolité  comme  dans  la  douleur,  on  retrouve,  en  un  milieu 
qui  nous  parait  familier,  le  délicieux  Wolfgangerl  qui,  s'étant  laissé 
choir  sur  le  parquet  luisant  de  la  cour  de  Vienne  et  ramassé,  caressé 
par  la  future  reine  de  France,  lui  dit  tout  bas  :  «  Vous  êtes  bonne...  Et 
je  veux  vous  épouser!  —  Pourquoi?  —  Par  reconnaissance...  » 

(A  suivre.)  R-A-ymond  Bouyer. 


(l\  Michel-Barthélémy  OUivier,  le  Thi  à  l'anglaise,  dans  le  salon  des  quatre  glaces  au 
Temple,  avec  toute  la  Cour  du  primée  de  Conll  (salon  de  1777  ;  Musée  du  Louvre). 


292 


LE  MÉNESTREL 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite. } 


IV 
UN  CONCOURS  ACADÉMIQUE 

L'Académie  de  LyoQ  mit  au  concours,  en  1880,  le  sujet  suivant  : 

Recueil  et  appréciations  critiques,  avec  preuves  à  l'appui,  des  citants 
populaires,  tant  anciens  que  modernes,  du  Lyonnais  et  des  provinces  limi- 
trophes (Beaujolais,  Forez,   Vivarais.  Dauphiné,  Bresse,  Maçonnais). 

Les  concurreats  ne  furent  pas  nomlireux.  On  pouvait  même  craindre 
que  l'amplitude  du  sujet  fit  reculer  les  plus  hardis  ou  n'obligeât  le  jury 
à  remettre  le  concours  à  une  époque  ultérieure.  Mais  un  beau  jour,  tant 
il  est  -STai  qu'il  ne  faut  jamais  désespérer  de  rien,  le  secrétaire  reçut  un 
volumineux  colis.  C'était  l'œuvre  d'un  candidat,  et  l'Académie  avait  la 
"bonne  chance  d'avoir  cà  juger  un  travail  digne  du  sujet  proposé. 

Tels  sont  les  termes  du  rapporteur,  qui  n'était  autre  que  M.  Guimet, 
fondateur  du  curieux  Musée  des  Religions  qui  porte  son  nom,  et,  comme 
on  sait,  excellent  musicien.  Mais  il  faut  en  rabattre,  car  son  rapport, 
renfermé  en  quelques  pages  dans  le  Bulletin  de  l'AcadémicTi'iaàiqxiequ'nn 
nombre  restreint  de  numéros  dans  les  diverses  parties  qui  le  composent. 

La  place  est  d'abord  aux  Cliansons  religieuses  populaires.  Elles  débutent 
par  deux  pièces  sur  le  Paradis  terrestre.  L'une  a  été  appréciée  par 
Champfleui-y...  «  C'est,  dit  l'auteur  du  Violon  de  Faïence,  la  complainte 
dans  toute  sa  naïveté,  avec  ses  mots  touchants,  avec  sa  musique  douce 
et  plaintive,  avec  ses  puérilités,  avec  ses  beaux  vers  quelquefois,  avec  sa 
poésie,  quoi  qu'en  disent  les  poètes.  »  L'autre,  beaucoup  moins  relevée, 
a  de  très  heureuses  vérités  d'e.xpressions.  Le  mouvement  d'Eve,  après 
la  faute,  est  pris  sur  nature  : 

Elle  dit,  comme  une  enragée  : 

—  Ce  qui  est  fait,  tant  pis,  est  fait. 

Mangeons-en  encore  ; 
Que  pourra-t-il  arriver? 

Plus  loin.  Dieu  ajoute  l'ironie  à  la  colère  : 

...  Où  es-tu,  Adam? 
Je  sais  une  nouvelle. 
Tu  est  si  savant!  Tu  dois  lu  savoir. 

Vient  ensuite  une  Salutation  angélique  d'un  sentiment  contenu  et 
délicat  et  une  histoire  de  Marie-Magdeleine,  singulièrement  embrouillée, 
d'abord  au  point  de  vue  géographique,  car  la  sainte  s'en  va,  de  ville  en 
ville,  à  la  ville  de  Nantes,  pour  chercher  Jésus-Christ,  et  puis  sous  le  rap- 
port des  incidents,  dans  lesquels  le  nombre  sept  revient  ci,  chaque 
instant.  Finalement,  la  pénitente  se  lave  les  mains  avec  le  reste  de  sept 
tasses  d'eau,  et  ses  mains  deviennent  noires.  L'auteur  a,  parait-il, 
entendu  chanter  ce  cantique  par  une  petite  bergère  qui  voulait  faire 
lever  le  brouillard. 

—  Quand  le  brouillard  ne  se  lève  pas  tout  de  suite,  disait-elle,  on  le 
chante  trois  fois,  et  à  la  fin  le  brouillard  est  presque  toujours  parti. 

Une  chanson  raconte  la  Passion  de  Jésus-Christ.  Puis  ce  sont  des 
Noéts,  composés  pour  la  plupart  en  l'honneur  de  la  crèche.  L'un  tait 
naitre  Notre  Seigneur  à  Bourg,  «  vers  le  faubourg  de  Belley,  proche  la 
grange  ».  La  splendeur  du  nouveau-né  avertit  les  voisins  :  —  Bon  Dieu! 
quelle  grande  lumière,  prés  de  la  Pigeonnière!...  Et  chacun  d'accourir! 

Les  mélodies  de  ces  pièces  populaires  sont  le  plus  souvent  des  airs  de 
danses,  et  parfois  le  couplet  devient  égrillard.  Mais  à  travers  cette  gaité 
perce  un  mouvement  de  commisération  pour  la  divine  mère  : 
Elle  n'a  ni  vaisselle. 
Ni  cuiller,  ni  méchante  éeuelle  ; 
Eli'  n'a  pas  seulement  un'  cbaise, 
Pour  un  peu  s'asseoir. 

Dans  une  autre  complainte  du  même  genre.  Noël  devient  un  être  vivant 
qui  agit  et  pense.  Use  fait  faire  un  habit  de  drap  de  Romans  pour  aller 
à  l'établo  sacrée. 

Et  se  met  à  genoux 
Pour  bais'r  notre  Seigneur. 
En  soufflant  ses  petits  doigts 
Qui  grelo,  qui  grelottaient. 
En  souillant  ses  petits  doigts 

Qui  grelottaient  de  froid. 

Là  s'arrête  dans  le  rapport  académique  l'e.xposè  des  pièces  religieuses. 
La  récolte  est  maigre,  comme  on  voit.  Il  en  est  de  même  pour  le  reste. 
Heureusement,  nous  avons  sur  la  matière  un  sac  assez  bien  fourni,  ce 
qui  nous  permettra  de  combler  les  lacunes  du  concours  lyonnais  ne  1880. 
Et  d'abord,  nous  tombons  sur  deux  Noëls,  très  différents  par  la  forme 
et  par  l'idée.  L'un  est  attribué  au  chirurgien  Laurés,  l'auteur  de  la 


Chanson  des  Charboni,  et  l'autre  remonte  â  une  époque  indéterminée  de 
la  bonne  gaité  française. 

Le  premier,  dans  lequel  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  le 
rythme  de  la  vieille  chanson  Si  le  Eoij  m'avait  donné  Paris  sa  grand' 
ville,  est  coulé  dans  un  moule  qui  ne  nous  est  pas  inconnu.  Aussi  ne 
nous  y  arrêterions-nous  pas,  s'il  n'était  conçu  daas  un  esprit  sarcasiique 
qui  lui  mérite  bien  au  moins  les  honneurs  du  résumé.  L'auteur  fait, 
pour  commencer,  appel  au'c  Meignias  (ensemble  dos  gens  composant 
une  maison),  pour  adorer  YEnfan  novio-na.  —  De  rotre  vie,  vous  n'avez  vu 
un  si  gro  petit  monsuieu,  leur  dit-il, 

Et  Ion,  Ion,  la  lu  relilonla, 
El  Ion,  Ion,  la  lerira. 

Il  leur  faut  bien  se  ranger,  couper  au  court,  gagner  le  sentier.  — 
Diable!  souvenez-vous  bien  de  l'appder :  Sire!...  Ils  arrivent  à  Rèthleem, 
où  les  Rois-Mages  les  ont  précédés  d'huer  a  soi  (d'hier  au  soir).  Grand 
étonnement  :  —  Qu'était  celi  charbony  qu'avise  la  mère,  et  l'autre,  qu'est  par 
devant,  qu'empoisonne  l'encens?...  Mais  ils  se  rassurent:  —  Forts  enfans, 
n'ayons  pas  peur:  entrons  lourde  file  et  mettons-nous  derrière  le  bœuf. 

Mais,  taisez-vous,  car  voilà  les  comtes,  Saint-Paul  et  Saint-Just,  les 
nouveaux  nobles  d'Ainay,  —  puis  les  Innocents,  les  Carmes,  les  Augus- 
tins,  qui  s'y  prennent  de  bon  matin  pour  boire  à  leur  aise;  les  Minimes, 
qui  ont  fouetté  le  moutardier,  comme  on  dit  :  fessé  la  pinte,  la  bouteille; 
les  Jacobins,  avouaicque  lieu  ronfle  (avec  leur  gros  nez)  ;  les  Cordelitrs,  — 
Jésus  Maria!  qu'eu  gonsi,  o  qu'eu  grossa  pance!  —  les  Récollets  :  —  Qui  lieu 
baret  à  dina  ne  les  fait  pas  plura!  —  les  jolis  Feuillants,  tout  blancs,  leur 
barbebien  faite;  —  les  Genovévains,  qui  en  bailla  la  pala  (la  pelle)  à  c! 
des  chanoines  qui  sont  vieux;  les  Capucins,  qui  ont  laissé  en  leur  logis 
les  Frères,  restés  au  soleil  pour  se  pouiller:  —  les  Pérès  camelots  de  la 
Guillotière  et  les  Augustins  dechaux  de  la  bonne  Croix-Rousse,  de  jolis 
mogno  (moineaux)  qui  boivent  du  bon  pinoy  (pineau,  cépage  renommé); 
—  les  Trinitaires,  les  Cliartreux,  les  Célestins;  —  puis  notre  bon  maréchal 
de  Villeroy,  sur  son  petit  clieval. 

Na,  qu'étay  dm  celo  grou  gra,  ces  gros  gras?...  Eh!  c'est  la  Justice: 
Il  on  le  gon  pava,  na  vivant  qu''.  d'épice  (Vépice  d'autrefois  répondait  au 
pot  de  vin  d'aujourd'hui) ;  lais.ti  lo  passa;  quy  a  ren  à  s'y  frotta. 

0  queue  tropa  de  corbiau!  A  quel  lo  Jesuislo:  la  sala  sorti  d'isifi  (d'oi- 
seaux)! Alsa  sint-y  tôt  passa,  lo  prétro  d'église!...  Puis,  voilà  tretous  los 
art  de  mety  (les  arts  de  métier),  les  arquebusiers,  les  ménétriers,  les 
échevins,  gros  marchands,  qm  ulor  de  l'en/an  densi  tos  un  branlo  (qui 
danseront  tous  un  branle  autour  de  l'enfant)...  Et  enfin,  les  chenapans 
du  guet,  —  qui  aiment  tant  la  lun;  et  mettraient  deux  cen  poches  à  sec,  san 
en  manquer  une. 

Tout  cela  n'est  pas  pour  séduire  beaucoup  l'auteur.  Il  pense  à 
rebrousser  chemin  et  dit  à  ses  meignias  : 

Et  ça  eyet  ben  tentou  tem 

Que  Fenfant  repose, 
Crayi-m.',  allons-nos-en, 

Tirons  notre  cliosse. 
Baison  so  pour  paton. 
Prenant  sa  bénédixion. 
Et  Ion,  ton,  la  la  relilonla, 
Et  Ion,  Ion  la  îerii-a. 

L'autre  Noël,  en  aacten  patois  du  bas  peuple  de  Lyon,  encore  parlé 
dans  plusieurs  villages  lyonnais,  s'occupe  moins  des  petits  côtés  de  la 

vie  de  ce  monde.  Cependant  il  no  vole  pas  eu  plein  idéal  pour  cela.  Par 

une  innovation,  le  diable  s'y  montre.  Et  mal  lui  en  prend,  comme  on 
va  voir  : 

Qu'étay  donc  cela  novela  Lo  guiablo  entend  la  léLa  ; 

Que  dit  maître  Jean  Capon?  Il  est  venu  par  la  vey, 

Etay  vray  qu'una  pucela  S'est  alla  forra  la  teta 

Vin  d'acuchi  d'un  popon?  Per  un  trou  de  la  parey  (muraille). 

Que  tôt  la  mondo  s'apprêta  Saint  Joset  prit  sa  verlopa, 

Per  vey  lo  novio  venu  :  Li  foiti  una  vertolia  (un  bon  coup); 

Nos  en  seran  de  la  fêta,  Il  en  a  yu,  la  cliaropa  (charogne), 

Dussian  no  alla  pi  nu.  Lou  grouin  tôt  écarmailla  (meurtri). 

Qu'étay  donc  celo  grans  home  La  mare  s'épouventave. 

Que  son  bio  commo  de  ray?  Se  rangeave  dans  un  coin  ; 

Il  an  tous  tray  de  corone  ;  A  gran  coite  elle  enfonçave 

Y  en  a  un  qu'est  to  nay  (tout  noir).  L'enfant  dans  un  pou  de  foin  : 

Grou  Guillot,  pren  ta  musela,  L'ano  a  pou  (peur),  le  bon  (bœufj  se  gonfla 

Et  tay  ton  obois,  iUichi  ;  Per  venir  sota  dessus  ; 

No  denseran  à  fêta  ;  En  sellant  coram' una  ronfla  (toupie) 

J'ay  mon  lambor  per  toehi.  Ly  roili  se  corne  u  eu. 

Saint  Joset  prit  se  lunettes  Lo  Guiablo,  ben  en  cotera, 

Per  avisa  qui  état.  Se  veyant  traita  ainsy. 

■y  cherchi  des  alumettes  Va  ronflant  pei'  la  charera  (rue) 

Per  atisy  son  cruzet;  Comme  un  fouet  de  charety, 

Mais  la  biza  que  soflave  Et  veyant  ben  qui  n'avave 

Per  mais  de  trenla  golet.  Gin  d'endret  (point  d'endroit)  per  sc'logi, 

Chaque  fuy  qui  se  baissave,  Y  Irovit  una  boutasse  (pièce  d'eau), 

Fesave  chey  (choir)  son  bonet.  Y  s'y  alli  dangogli  (s'y  plonger). 


LE  MENESTREL 


293 


Une  chanson  publiée  dans  les  Facéties  lyonnaises,  de  Montfalcon,  peut 
aussi  rentrer  dans  la  série  des  Chansons  religieuses  populaires,  encore 
qu'elle  soit  quelque  peu  frondeuse,  comme  toutes  les  chansons  du  pays 
de  Lyon,  d'ailleurs.  C'est  le  Din  din  dindon,  chanson  de  cloches,  dont  le 
refrain  est  le  carillon  Z)m  din,  din  din,  dindon,  dindon.  L'auteur  veut  faire 
cadeau  des  cloches  de  son  village  au  bon  philocloche,  son  patron,  grand 
liomme.  vraiment  digne  de  Rome,  et  de  Lyon.  Le  Paradis  est  son  royaume, 
la  République  son  fantôme...  Ne  m'en  demandez  pas  plus  long  :  le 
diable  lui-môme  n'y  comprendrait  plus  rien.  Mais  le  bon  Lyonnais  est 
content  de  son  œuvre  :  il  nargue  brocards  et  calomnies,  son  onction  a 
terrifié  tous  les  impies,  et  le  père  Hilarion  lui-même  est  en  feu  pour 
sa  motion. 

Le  père  Hilarion,  c'était  La  Harpe.  Nous  voilà  donc  fixés  sur  l'époque 
de  cette  fantaisiste  ôlucubration.  Il  s'agit  de  la  première  République. 
Qu'eùt-dit  l'auteur  à  la  secoude?  Et  donc,  à  la  troisième  ? 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


COURTE  MONOGRAPHIE  DE  LA  SONATE 


(Suite  et  fm.  ) 


Avec  et  après  Beethoven  il  faut  citer,  parmi  les  compositeurs  qui  ont 
écrit  des  sonates  de  piano,  iVIuzio  Clementi,  à  qui  l'on  en  doit  d'un 
style  si  élégant,  si  correct  et  si  pur;  Dussek,  Hummel,  Czerny,  Cramer, 
HuUmaudel,  Lauska,  Pleyel,  Himmel,  qui  apportèrent  dans  ce  genre  de 
compositions  leurs  qualités  ordinaires;  Steibelt,  toujours  incorrect,  mais 
puissant,  fougueux  et  inspiré;  enfin  Weber,  qui  a  publié  des  sonates 
empreintes  de  tout  le  feu  de  son  incomparable  génie,  entre  autres  une 
admirable  sonate  à  quatre  mains.  Parmi  les  musiciens  plus  modernes 
de  l'Allemagne  on  ne  saurait  oublier  Mendelssohn,  Ferdinand  Ries, 
l'élève  de  Beethoven,  Franz  Schubert,  Robert  Schumann,  Pixis,  Joseph 
Wœlfl.  Moscheles,  iVIayseder,  Raff,  Rosenhain,  Johannes  Brahms,  et 
pour  les  vivants  MM.  Ignace  BrûU,  Heinrich  Hofmann,  Xavier  Schar- 
wenka  et  Anton  Krause.  En  dehors  de  l'Allemagne  on  trouve  Chopin, 
Stephen  Heller,  John  Field,  Niels  Gade,  M.  Edouard  Grieg  et  le  maître 
superbe  de  la  sonate  moderne,  Antoine  Rubiustein.  Pour  la  France  on 
doit  signaler  surtout  Edelmann,  l'un  des  maîtres  de  Méhul,  qui  a  écrit 
plus  de  quarante  sonates.  M""  Julie  Candeille,  Louis  Adam,  le  père 
d'Adolphe  Adam,  Alexis  de  Garaudé,  M""  de  Montgeroult,  Louis  Jadin, 
Ladurner,  qui  fut  le  premier  maître  d'Auber,  Rigel,  Pradher,  Onslow 
(sans  compter  Méhul,  Boieldieu  et  Herold,  à  qui  l'on  doit  quelques 
sonates);  puis,  plus  prés  de  nous,  Léon  Kreutzer,  M'"^  Louise  Farrenc, 
Henri  Herz,  Marmontel,  Valentin  Alkan,  Théodore  Gouvy,  Amédée 
Méreaux,  Edouard  Lalo,  Alexis  de  Caslillon,  Vaucorbeil,  et  aujourd'hui 
MM.  Saint-Saëus,  Georges  Malhias,  Gabriel  Fauré,  Théodore  Dubois, 
Raoul  Pugno,  Charles  René,  Georges  Pfeifîer,  Paul  Lacombe,  sans 
compter  ceux  que  j'oublie. 

Le  genre  de  la  sonate  tend  évidemment  à  disparaître  pour  les  instru- 
ments autres  que  le  piano.  Le  violon,  jadis  privilégié  sous  ce  rapport, 
est  mainlenant  bien  délaissé  ;  et  pourtant  le  caractère  fier  et  élevé  de 
cette  sorte  de  composition  convient  merveilleusement  au  caractère  mâle 
et  noble  de  l'instrument.  H  est  vrai  que  le  violon  ne  saurait  se  suffire 
à  lui-môme  et  qu'il  exige  un  accompagnement;  et  alors,  l'accompagne- 
ment de  basse  usité  jadis  étant  devenu  pour  nos  oreilles  maigre  et 
insuffisant  depuis  la  naissance  du  piano,  on  se  sert  de  celui-ci;  et  alors 
eucore,  l'imporlance  prise  aujourd'hui  par  le  piano  en  raison  des  res- 
sources infinies  qu'il  offre  au  compositeur  ne  saurait  le  laisser  réduire 
au  rôle  de  modeste  accompagnateur,  et  la  simple  sonate  de  violon  cède 
naturellement  la  place  â  la  sonate  concertante  pour  les  deux  instru- 
ments. 

Mais  au  temps  où  le  violon  régnait  en  muitre  et  où  il  était  l'instru- 
ment de  concert  par  excellence,  tous  les  grands  virtuoses  écrivaient 
pour  lui  des  sonates  en  grand  nombre.  Ceux  de  nos  violonistes  qui 
tiennent  à  se  familiariser  avec  le  répertoire  de  leur  instrument  n'igno- 
rent point  celles  de  Corelli,  de  Tariini  (qui  ne  connaît  le  fameux  'ïrille 
du  Diable?),  de  Locatelli,  de  Vivaldi.  Mais  ces  sonates  n'étaient  autres 
alors  que  des  «  suites  »,  comme  nous  l'avons  vu  déjà,  la  forme  de  la 
vraie  sonate  étant  encore  inconnue  à  l'époque  où  elles  ont  vu  le  jour. 
Il  faut  cependant  remarquer  que  celles  do  Tartiui  s'éloignent  déjà,  par 
leur  genre  et  par  leur  coupe,  de  celles  de  Corelli,  car  elles  ne  contien- 
nent guère,  comme  ces  dernières,  d'airs  de  danse  tels  que  courantes, 
gigues,  gavottes,  passacaiUes,  allemandes ,  etc.  Généralement  elles 
commencent  par  un  largo  d'introduction  qui  s'enchaine  avec  un  pre- 
mier allegro  â  quatre  temps,  après  quoi  vient  un  très  court  adagio  que 


suit  le  second  allegro,  celui-ci  prenant  parfois  la  forme  du  rondo.  Tar- 
tini  varie  d'ailleurs  volontiers  la  coupe  et  l'allure  de  ses  sonat  s,  jusqu'à 
y  introduire  à  l'occasion  des  thèmes  variés. 

A  la  suite  des  grands  artistes  que  je  viens  de  nommer  et  qui  furent 
les  fondateurs  de  la  grande  école  ilalienne  de  violon,  beaucoup  d'autres 
se  distinguèrent  dans  le  genre  de  la  sonate.  Il  faut  surtout  nommer 
Giardiui,  Somis,  Chiabran,  Nardini,  Pugnani,  Lolli,  Mestrino,  Ferrari, 
Moriani,  Fiorillo,  Campagnoli 

Eu  France,  nos  violonistes  suivirent  longtemps  le  modèle  donné  par 
Corelli.  Ainsi  Guignon,  Senaillé  et  Leclair  prodiguèrent  encore  les 
menuets,  les  sarabandes,  les  chaconnos,  etc.,  ce  qui  n'empêche  pas  les 
sonates  de  Leclair,  particulièrement,  d'être  fort  remarquables,  en  môme 
temps  que  de  donner,  par  les  difficultés  qu'elles  présentent,  une  haute 
idée  de  son  talent  d'exécutant.  Il  faut  arriver  à  Viotti  pour  voir  la 
sonate  de  violon  se  transformer,  se  modeler  sur  la  sonate  de  piano  et, 
en  prenant  un  caractère  sérieux,  adopter  tout  à  fait  la  forme  moderne. 
La  noble  inspiration  de  cet  artiste  admirable  se  déploie  à  loisir  dans 
ses  douze  sonates  avec  accompagnement  de  basse,  d'un  style  si  noble  et 
d'une  si  belle  couleur;  enire  autres,  les  deux  premières  du  second 
livre,  d'un  accent  mâle  et  plein  de  fierté,  sont  des  cbefs-d'œuvre  en  leur 
genre(l).  Gaviniès,  dont  le  talent  étaitsi  pur,  suivit  l'exemple  de  Viotti, 
et  aussi  Le  Duc,  qui  adopta  la  même  forme.  Un  grand  nombre  de  nos 
violonistes  composèrent  et  publièrent  des  sonates  à  cette  époque  :  Ber- 
thaume.  Chapelle.  Guénin,  La  Houssaye,  Rodolphe  Kreutzer 

Mais  les  autres  instruments  n'étaient  pas  pour  cela  négligés.  L'ita- 
lien Francischello,  l'allemand  André  Romberg,  les  français  Janson, 
Baudiot,  Levasseur,  les  deux  Duport,  ont  laissé  de  très  belles  sonates 
pour  le  violoncelle  ;  pour  la  harpe  il  faut  signaler  celles  de  Krumpholz, 
de  Dalvimaro,  de  Bochsa  et  de  Joseph  Naderman  ;  Devienne,  l'aimable 
auteur  des  Visitandines,  on  a  écrit  de  charmantes  pour  la  flùle,  ainsi 
que  Hugot,  Berbiguier  et  Etienne  Gebauer;  pour  la  clarinette  c'est 
Xavier  Lefèvre  et  Charles  Duvernoy,  pour  le  basson  Delcambre  et 
François  Gebauer,  pour  le  cor  Frédéric  Duvernoy...  Je  ne  saurais  tout 
citer. 

Eu  rosumé,  on  peut  dire  de  la  sonate  qu'elle  est  le  type  â  la  fois 
rudiiiienlaire  et  parfait  de  toutes  les  grandes  compositions  inslrumen- 
tales  dans  lesquelles  la  liberté  du  style  s'allie  à  la  sévérité  de  la  forme. 
C'est  de  la  sonate  que  sont  dérivés  non  seulement  le  concerto,  mais  le 
duo,  le  trio,  le  quatuor,  le  quintette,  le  sextuor,  le  septuor,  l'ottetto,  et 
enfin  jusqu'à  la  symphonie  telle  que  nous  la  comprenons  aujourd'hui, 
telle  que  nous  l'ont  fuit  admirer  les  grands  maîtres  allemands.  Mainte- 
nant que  le  goût  du  public  est  revenu  à  la  musique  sérieuse,  c'est-à- 
dire  à  1,1  musique  vraie,  tout  porte  à  croire  et  fait  espérer  que  la  sonate 
repreudia  faveur  auprès  des  compositeurs  et  qu'il  se  trouvera  bien 
quelques  artistes  de  talent,  peut-être  de  génie,  pour  s'inspirer  d'elle, 
pour  la  remettre  en  cours  à  l'aide  de  productions  nouvelles  et  —  qui 
sait  ?  —  rajeunies  par  un  caractère  particulier  et  un  style  inconnus 
jusqu'ici.  Le  monde  marche  sans  cesse,  l'art  est  de  sa  nature  essentiel- 
lement renouvelable,  et  c'est  à  lui  surtout  qu'il  est  impossible  de  dire, 
même  en  présence  d'admirables  chefs-d'œuvre  :  —  «  Tu  n'iras  pas  plus 
loin  !  » 

Arthur  Pouûin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  noire  correspondant  de  Belgique  (13  septembre).  —  Les  premières 
soirées,  quoiqu'un  peu  contrariées  par  de  passagères  indispositions,  ont  été 
fort  satisfaisantes  pour  tout  le  monde,  et  l'année  s'annonce  bien  jusqu'à  pré- 
sent. Aprèi  la  bonne  impression  produite  par  la  reprise  très  soignée  de 
Lokengrin,  la  rentrée  de  M.  Imbart  de  la  Tour  et  de  M"»  Paquot  dans  Faust  a 
été  fêtée  chaleureusement.  M.  Imbart  nous  revi-nt  plus  «  artiste  »  et  plus 
adroit  chanteur  que  jamais,  et  M"»  Paquot  lient  toutes  les  promes.=es  de  ses 
débuts,  avec  sa  belle  voi.K  assouplie  et  son  remarquable  instinct  scénique 
double  d'exquises  et  précieuses  qualités  ex|ire.-sives.  Puis  non.;  avons  eu 
higotetto  pour  la  rentrée  de  M.  Albers,  dont  on  n'a  pas  moins  goûté  l'intelli- 
gence et  l'art  de  bien  dire,  et  pour  les  débuis  de  M"'  Verlet,  qui  a  montré 
des  mérites  du  chanteuse  légère  vraiment  peu  ordinaires,  une  voix  charmante, 
habilement  conduite,  et  de  l'émolion  dramatique.  Le  CImlet  a  mis  en  relief  - 
l'expérience  et  l'autorité  de  M.  Belhomme.  Il  faudra  attendre  d'autres  épreuves 

(1)  Je  pense  qu'il  est  inutile  de  pi-otesler  lui  contre  les  prétendues  appréciations  de  ceiv 
lains  critiques  actuels,  qui,  sans  avoir  peul-éliv  entendu  une  seule  des  compositions  de 
VioUi,  concertos  ou  sonates,  en  parient  avec  uu  dédain  superbe  et  s'en  vont  disant  que 
"  Cl'  n'est  pas  là  de  la  musique  ".  Mieux  vaut  sans  doute  constater  leur  ignorance  sous  ce 
rapport  (|iie  s'attaquer  à  la  sincérité  de  leur  jugement. 


294 


LE  ME^JRSTREL 


pour  apprécier  eu  connaissauce  de  cause  M.  Seveilhac,  qui  partaye  avec 
M.  Albers  l'emploi  de  baryton  d'opéra,  la  basse  de  M.  Sylvain.  Enfin,  il  y  a 
encore  d'autres  nouveaux  venus  et  nouvelles  venues,  dont  le  tour  n'est  pas 
venu.  L-  S. 

—  L'Opéra  de  'S'ienne  vient  de  publier  son  carteltone  pour  la  saison  pro- 
chaine. On  jouera,  eu  1901,  l'opéra  Roussalka,  d'Anton  Dvorak,  sous  la  direc- 
tion même  de  l'auteur;  ensuite  les  Conles  d'Hoffmann,  sous  la  direction  de 
M.  Mabler,  puis  le  Feu  de  M.  Richard  Strauss,  probablement  sous  la  direction 
de  l'auteur,  et  pour  finir,  en  février  1902,  le  nouvel  opéra  Goetz  de  Berlkhingen 
de  M.  Goldmark,  d'après  le  drame  de  Gœthe.  M.  Goldmark  se  trouve  encore 
dans  sa  petite  maison  de  Gmunden  (Haute-Autriche),  où  il  passe  la  majeure 
partie  de  l'année,  et  y  termine  tranquillement  sa  partition. 

—  Le  nouvel  opéra  le  Feu,  de  M.  Richard  Strauss,  qui  devait  être  joué  à 
l'opéra  impérial  de  Vienne,  n'a  pas  reçu  l'approbation  de  la  censure  spéciale 
des  théâtres  impériaux.  Ou  trouve  l'un  des  tableaux  trop  risqué  et  onnégocie 
avec  l'auteur  des  paroles  pour  des  changements.  En  attendant,  l'œuvre  reste 
en  suspens^  et  ne  sera  pas  jouée  à  l'époque  fixée  tout  d'abord. 

—  L'archiduc  Eugène,  un  amateur  de  musique  distingué,  qui  possède  une 
splendide  voix  de  baryton  et  chante  fort  agréablement,  vient  d'accepter  la 
dignité  de  protecteur  de  la  Société  des  amis  de  la  musique  de  Vienne. 

—  La  crise  du  Conservatoire  de  Vienne  n'a  pu  être  terminée  par  la  direc- 
tion; les  professeurs  démissionnaires  maintiennent  leur  décision  et  devront 
être  remplacés.  On  est  fort  mécontent,  dans  les  cercles  des  amateurs  de  mu- 
sique viennois,  de  la  tournure  que  les  affaires  du  Conservatoire  ont  prise  sous 
la  direction  actuelle,  et  la  prochaine  assemblée  générale  des  membres  de  la 
Société  des  amis  de  la  musique,  de  laquelle  dépend  le  Conservatoire,  sera 
probablement  très  agitée. 

—  Le  tombeau  de  Mendelssohn  au  cimetière  de  la  Trinité  de  Berlin  vient 
d'être  restauré.  On  a  aussi  planté  quelques  pieds  de  lierre  autour  de  la  croix 
en  marbre  qui  s'élève  sur  le  tombeau. 

—  A  Berlin  ont  commencé  les  concerts  d'orgue  gratuits  que  M.  Irrgang 
donne  chaque  jeudi  dans  l'église  du  Sacré-Cœur  et  qui  sont  très  suivis  d'un 
nombreux  public. 

—  A  Berlin  a  commencé  la  construction  du  monument  pour  l'Institut  royal 
de  musique  liturgique.  Ce  monument  s'élèvera  dans  la  rue  Hardenberg. 

—  Un  marchand  de  Bayreuth  vient  d'exposer  une  relique  de  Richard 
Wagner  :  les  épreuves  complètes  de  la  première  édition,  piano  et  chant,  du 
Vaisseau  fantôme  corrigées  par  le  maître  en  personne.  Le  nombre  de  ces  cor- 
rections autographes  est  assez  considérable;  le  prix  de  2.S00  francs  qui  est 
demandé  pour  cet  exemplaire  unique  ne  paraît  donc  pas  trop  élevé.  Pourvu 
que  ce  «  vaisseau  »  ne  prenne  pas  le  chemin  de  l'Amérique  !  les  collectionneurs 
américains  commencent  à  faire  une  concurrence  terrible  à  leurs  confrères 
européens. 

—  M.  de  Possart  prépare  déjà  la  saison  1902  du  nouveau  théâtre  du  prince- 
régent  qui  continue  à  faire  florès.  Il  s'est,  à  Munich,  déjà  assuré  le  concours 
de  plusieurs  artistes  importants  qui  chanteront  en  représentations,  entre 
autres  de  M"""  Milka  Ternina,  qui  fut  jadis  une  pensionnaire  de  l'Opéra  de 
Munich,  et  du  baryton  Reichmann,  de  l'Opéra  de  Vienne,  qui  a  également 
commencé  sa  carrière  à  Munich. 

—  Au  théâtre  royal  de  la  place  des  Jardiniers  de  Munich  une  opérette  iné- 
dite du  compositeur  Ziehrer,  devienne,  intitulée  le  Chemineau,  a  remporté  un 
succès  brillant. 

—  Le  théâtre  d'Elberfeld  prépare  actuellement  la  première  représentation 
d'un  opéra  inédit  de  M.  Ilans  Pfîtzner,  qui  est  intitulé  la  Rosç  du  seiUier 
d'amour. 

—  La  Société  philharmonique  tchèque  de  Prague,  qui  se  propose  de  donner 
des  concerts  d'orchestre  voués  à  la  musique  classique  à  des  prix  populaires, 
vient  d'engager  comme  chef  d'orchestre  M.  V.  Celausky,  ancien  directeur  de 
l'Opéra  de  Lemberg. 

—  Le  théâtre  de  Mannheim  prépare  la  première  représentation  d'un  opéra 
inédit  intitulé  Herbert  et  Uilda,  musique  de  M.  Valdemar  de  Baussnern. 

—  L'Opéra  de  Leipzig  vient  de  jouer  deux  œuvras  nouvelles.  L'une,  qui 
est  intitulée  l'Ombre  de  Werther,  musique  de  M.  A.  J.  Randegger,  a  subi  un 
échec  complet.  .Le  livret  est  des  plus  insipides  :  "Werther  ne  peut  dormir 
tranquillement  dans  sa  to  nbe  parce  qu'il  se  reproche  d'avoir  cueilli  un 
baiser  sur  les  lèvres  de  Charlotte,  et  celle-ci  se  fait  des  reproches  de  ne  pas 
avoir  couronné  la  flamme  de  Werther,  comme  ou  disait  au  siècle  galant  ! 
L'autre  opéra  est  intitulé  la  Surprise,  musique  de  M.  Henri  Zoellner,  et  a 
remporté  un  gros  succès.  Il  s'agit  d'un  épisode  de  l'année  terrible. 

—  Le  violon  de  faïence  cesse  d'être  une  fantaisie  de  «  bîbelolîer  »,  et 
Champlleury,  s'il  revenait  au  monde  de  la  haute  curiosité,  pourrait  voir  réalisé 
son  rêve.   On  annonce,   en  effet,   qu'un   fabricant   de   porcelaine  à   Meissen 


(Saxe)  vient  de  construire  plusieurs  violons  en  terre  cuite  qu'il  a  exposes  et 
pour  lesquels  il  a  déjà  pris  un  brevet  d'invention.  Nous  demandons  à  les 
voir  et  surtout  à  les  entendre,  mais  il  n'est  pas  impossible  que  nos  arrière- 
petits-neveux  achètent  dans  les  ventes  de  l'an  2n00  des  violons  vieux-saxe. 
Enfoncés  les  Stradivarius  et  les  Amati  ! 

—  On  vient  de  terminer  l'instruction  au  sujet  de  l'assassinat  du  composi- 
teur et  violoniste  GunU.d,  de  Dresde,  sur  qui,  on  s'en  souvient,  une  femme 
amoureuse  lira  deux  coups  de  feu  dans  un  wagon  de  tramway.  Le  juge  a 
conclu  à  un  non-lieu,  car  il  a  été  constaté  que  M""^  Jahnel  était  atteinte 
d'aliénation  mentale  au  moment  où  elle  a  commis  son  crime;  son  père  d'ailleurs 
est  également  mort  fou.  M'"=  Jahnel  a  été  internée  dans  un  asile  d'aliénés. 

—  Plusieurs  admirateurs  et  compatriotes  de  Cbopin  ont  commandé  à  un 
sculpteur  de  Varsovie  un  buste  du  compositeur  qui  sera  apposé,  avec  une 
plaque  commémorative,  sur  la  maison  que  Cbopin  habita,  en  1836.  à  Marienbad 
(Bohème),  lors  de  son  séjour  dans  cette  station  thermale. 

—  Le  théâtre  Phantaisie  de  Varsovie  a  joué  avec  succès  une  nouvelle 
opérette  intitulés  les  Ramoneurs,  musique  de  M.  François  Domnik. 

—  Un  journal  d'Athènes,  VAsty.  nous  apporte  une  nouvelle  d'un  caractère 
assez  étrange.  Il  prétend  qu'un  avocat  de  cette  ville,  M.  Ijatrokos,  vient  de 
se  rendre  à  Rome  comme  représentant  et  pour  défendre  les  intérêts  d'une 
famille  Verdi  existante  à  ïhèbes,  et  qui  prétend  avoir  des  droits  sur  l'héri- 
tage de  l'illustre  compositeur.  Il  est  probable  que  ledit  avocat  en  sera  pour 
ses  frais  de  voyage. 

-^  La  Rivisia  melodrammatica  apprend  à  ses  lecteurs  que  le  ténor  Giacchero 
se  présentera  de  nouveau,  l'automne  prochain,  au  théâtre  Dal  Vernie  dans  le 
rôle  d'Arnold  de  Guillaume  Tell,  et  que,  «  outre  qu'il  chantera  entièrement  le 
rôle  dans  le  ton  original  (c'est  une  concession  dont  il  faut  lui  savoir  g('é),  sans 
rien  transposer  ni  supprimer  (un  fcrano  encore),  il  ajoutera  d'autres  ui  aigus 
aux  dix  qu'écrivit  Rossini  ».  Voilà  où  nous  ne  sommes  plus  d'accord  avec  le 
chanteur.  C'est  très  honorable  de  vouloir  bien  condescendre  à  chanter  le  rôle 
d'Arnold  dans  le  ton  où  il  est  écrit  ;  c'est  digne  de  louanges  de  n'en  rien 
transposer  ni  supprimer:  mais  il  nous  semble  tout  aussi  utile  de  n'y  rien  ajouter, 
même  des  ut  de  poitrine.  Est-ce  que  les  ténors  vont  se  mettre  à  arranger 
Guillaume  Tell  comme  les  cantatrices  arrangent  te  Bariiicr  rfe  Seui/fe?  Pauvre 
Rossini  ! 

—  Gomme  il  arrive  pour  tous  les  grands  artistes,  les  souvenirs  et  les  anec- 
dotes pleuvent  au  sujet  de  Piatti  depuis  la  mort  du  fameux  violoncelliste.  En 
voici  une  relative  à  l'admirable  instrument  qu'il  jouait  de  préférence  lorsqu'il 
se  faisait  entendre  en  public  et  qu'il  tenait  d'un  général  anglais.  Ce  général, 
ex-gouverneur  des  Indes,  traversait  l'Espagne  pour  retourner  à  Londres.  Très 
amateur  de  musique  et  dilettante  consommé,  il  resta  en  extase  devant  un 
magnifique  violoncelle  qu'il  entendit  jouer  par  un  artiste  distingué,  et  n'eut 
de  cesse  que  celui-ci  n'ait  consenti  à  le  lui  céder.  Il  acheta  donc  l'instrument 
et,  arrivé  à  Londres,  se  rendit  chez  Piatti  pour  le  prier  de  lui  donner  des 
leçons.  Piatti  fut  un  peu  étonné  d'une  telle  demande  à  lui  faite  par  un  homme 
dont  il  considérait  l'âge  déjà  vénérable;  mais  le  général  le  conjura  de  con- 
sentir, en  lui  disant  qu'il  apprendrait  facilement  parce  qu'il  avait  un  instru- 
ment excellent  (!).  En  fait,  quand  Piatti  vit  cet  instrument  il  resta  stupéfait 
de  sa  beauté,  car  c'était  un  Stradivarius  admirable,  et  peut-être  unique  en  sou 
genre.  Il  prit  pour  lui  tant  d'affection  que  même  il  prolongeait  les  leçons 
pour  pouvoir  jouir  davantage  de  sa  merveilleuse  sonorité.  Cependant  le 
général  finit  par  se  fatiguer  de  prendre  des  leçons;  il  aimait  mieux  entendre 
Piatti  jouer  son  instrument.  Un  beau  jour  il  lui  dit  enfin  :  —  Tenez,  prenez- 
le  ;  vous,  au  moins,  vous  savez  en  tirer  le  parti  qu'il  mérite.  —  Piatti,  ouvrant 
de  grands  yeux,  lui  répond  :  Pardon,  mais  vous  plaisantez;  vous  ignorez  sans 
doute  que  je  n'ai  pas  d'argent  pour  le  payer  ce  qu'il  vaut?  —  Qu'importe! 
lui  dit  l'autre,  je  vous  l'olfre  et  je  vais  l'envoyer  chez  vous.  —  Ah!  pour  ça 
non,  réplique  Piatti;  puisqu'il  en  est  ainsi,  je  vais  l'emporter  moi-même,  au 
lieu  de  le  confier  à  d'autres  mains.  On  ne  sait  pas...:  un  accident  est  si  vite 
arrivé;  j'aime  mieux  m'en  charger.  —  Et  après  avoir  remercié  son  ex-élève 
de  sa  générosité,  il  mit  bravement  l'instrument  sur  sou  épaule  et  s'en  retourna 
chez  lui,  enchanté.  On  raconte  que  plusieurs  tentatives  furent  faites  dans  la 
suite  pour  lui  ravir  le  fameux  Stradivarius;  mais  Piatti  avait  l'œil  ouvert,  et 
il  ne  manquait  pas  de  surveiller  ceux  à  qui  il  était  parfois  obligé  de  le  con- 
fier. D'autre  part  on  assure  qu'un  neveu  de  Mendelssohn,  grand  amateur  de 
musique  quoique  banquier  à  Berlin,  étant  venu  à  Bergame  en  1897  à  l'occa- 
sion des  fêtes  du  centenaire  de  Donizetti  et  y  rencontrant  Piatti,  le  supplia 
de  lui  Vendre  son  violoncelle  et,  sur  son  refus,  lui  remit  un  reçu  en  blanc  en 
l'engageant,  si  jamais  il  se  décidait,  à  inscrire  dessus  la  somme  qui  lui  con- 
viendrait pour  la  cession  de  l'instrument.  Le  reçu  fut  inutile  et  Piatti  ne  se 
décida  pas.  Et  maintenant  on  sait  que  la  fille  uni(iue  du  grand  artiste,  M""'  la 
comtesse  veuve  Lochis.  de  Bergame,  a  vendu  le  fameux  violonce'le  au  susdit 
Mendelssohn  pour  la  somme  ronde  de  100.000  francs  en  or. 

—  Cette  histoire  du  violoncelle  de  Piatti  nous  rappelle  celle  de  la  contre- 
basse de  Bottesini,  que  racontait  un  jour  un  journal  italien. Cette  contrebasse 
sur  laquelle  Bottesini  jouait  des  morceaux  de  violon  et  avec  laquelle  il  rem- 
porta tant  de  succès  par  toute  l'Europe,  avait  été  achetée  par  lui  900  francs 
lorsqu'il  sortit  du  Conservatoire  de  Milan  en  1839;  c'était  un  Charles-Antoine 
Testore  excellent,  qui  datait   de  la  première  moitié  du  XVIII=  siècle.  Il  ne 


LE  MENESTREL 


29o 


s'en  sépara  jamais  et  la  garda  jusqu'à  son  dernier  jour.  .[I  eut  été  désirable 
que  ce  superbe  instrument,  précieuse  relique  d'un  grand  virtuose,  trouvât  sa 
place  au  Conservatoire  de  Parme,  dont  Bottesini  fut  l'illustre  directeur.  C'est 
ainsi  que  Gènes  conserve  le  violon  de  Guarnerius  de  Paganini,  Venise  la 
contrebasse  de  Gaspar  de  Salù  de  Dragonetti, Florence  les  admirables  Stradi- 
varius de  la  cour  des  Médicis.  Les  héritiers  de  Bottesini  olVrirent  en  vain  de 
céder  sa  contrebasse  au  Conservatoire  de  Pai-me,  celui-ci  ne  voulut  rien 
entendre;  si  bien  qu'en  1894  l'instrument  fut  acheté  1.200  francs  par  un 
avocat  de  Turin,  M.  Emilio  Henry,  amateur  très  curieux  de  tout  ce  qui  se 
rapporte  à  la  lutherie.  Un  luthier  de  Londres,  M.  Hill,  l'ayant  appris,  lit  à 
M.  Henry  des  offres  séduisantes  pour  l'acquérir.  Celui-ci,  avant  de  consejitir, 
proposa  au  Conservaloire  de  Parme  de  le  lui  céder  au  prixqu'il  lui  avait  coûté, 
mais  cette  olTre  n'eut  pas  plus  de  succès  que  les  précédentes,  fje  Testore  de 
Bottesini  prit  donc  le  chemin  de  Londres,  où  il  devint,  peu  de  temps  après, 
la  propriété  de  M.  Claude  Hohday,  élève  du  Conservatoire  de  cette  ville. 
Quant  à  M.  Henry,  il  a  conservé,  avec  les  deux  archets  de  Bottesini,  qui  sont 
l'œuvre  de  Voirin,  luthier  de  Paris,  le  chevalet  de  sa  fameuse  contrebasse. 
Ces  objets  font  partie  du  petit  musée  de  lutherie  qu'il  a  organisé  chez  lui. 

—  Signalons  quelques  travaux  intéressants  publiés  dans  diverses  revues 
étrangères.  Dans  le  Sainnwlbdnde  dcr  InU'niatiotKden  Musik-Geseltschaft  de  Leip- 
zig, une  curieuse  étude  (en  français)  de  M.  J.  Ecorcheville  sous  ce  titre  : 
Quelques  documents  sur  la  musique  de  la  Grande-Ecurie  du  Roi;  dans  la  Rivista 
musicale  italiana  de  Turin,  un  travail  fort  important  de  M.  E.  Adaïewsky  (en 
français  aussi,  avec  citations  musicales)  sur  les  Chanls  de  l'église  grecque;  et 
dans  la  Rassegna  internazionale  de  Florence  un  article  très  étudié  et  d'une 
admiration  un  peu  excessive  de  M.  (îuido  Gasperini  sur  Don  Lorenso  Perosi. 

—  Nous  recevons  le  premier  numéro  d'un  journal  spécial,  la  Musique  en 
Suisse,  annoncé  depuis  plusieurs  mois  et  qui  paraît  à  Neuchàtel,  sous  la  direc- 
tion du  compositeur  Jaques-Dalcroze,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire 
de  Genève.  Ce  sera  là  le  moniteur  musical  de  la  Suisse  française,  qui  depuis 
plusieurs  années  n'avait  plus  d'organe  de  ce  genre. 

—  La  place  d'inspecteur  de  musique  au  département  de  l'instruction  publi- 
que d'Angleterre,  laissée  vacante  par  la  mort  de  sir  John  Statuer,  vient  de 
recevoir  un  nouveau  titulaire  en  la  personne  de  M.  Arthur  Somervell,  com- 
positeur dont  on  connaît  surtout  une  Ode  à  la  mer,  produite  au  festival  de 
Birmingham  en  1897.  Cette  petite  place  n'est  pas  à  dédaigner;  elle  rapporte, 
avec  les  frais  de  déplacement,  2S.0OO  francs  par  an. 

—  Au  congrès  panceltique  qui  vient  d'avoir  lieu  à  Dublin,  M.  iNIalcolm 
Macfarlane  a  donné  lecture  d'une  étude  sur  la  musique  galloise  et  a  constaté 
qu'il  n'y  a  pas  bien  longtemps  encore  personne  ne  savait  chanter  en  langue 
galloise,  tandis  qu'actuellement  beaucoup  de  bons  chanteurs  existent  qui 
chantent  dans  cette  langue.  On  a  même  publié  un  assez  grand  nombre  de 
mélodies  galloises.  Néanmoins  beaucoup  de  ces  mélodies  restent  dissémi- 
nées dans  des  revues  et  autres  publications  périodiques.  Il  serait  désirable  de 
les  voir  réunies  dans  une  bonne  édition. 

—  Noua  recevons  de  Guadalajara  (Mexique)  le  premier  numéro  d'un  journal 
de  musique  publié  sous  le  titre  d'Eco  artistico  et  qui  paraîtra  mensuellement. 
A  défaut  d'autre  mérite,  dont  nous  ne  pouvons  encore  juger  par  ce  spécimen, 
celui-là  aura  au  moins  une  originalité  :  il  est  gratuit  et  n'a  point  de  prix 
d'abonnement. 

—  iMusique  et  cuisine.  Un  pasteur  américain  qui  faisait  à  pied  une  e.xcur- 
sion  dans  un  pays  isolé  de  "West-Virginia  entra  dans  la  maisonnette  d'un 
fermier  pour  demander  quelque  chose  à  manger,  ne  fût-ce  que  des  œufs  à  la 
coque.  Quelques  instants  après  il  entendit  dans  la  cuisine  la  première  strophe 
du  cantique  Rock  of  Ages  (Rocher  des  siècles),  dhantée  très  lentement;  puis, 
quand  le  chant  cessa,  la  fermière  apporta  les  œufs.  Le  pasteur,  un  peu  intrigué, 
lui  demanda  pourquoi  elle  avait  chanté  si  lentement  le  cantique  et  pourquoi 
elle  n'avait  pas  entonné  la  seconde  strophe  :  «  A  cause  des  œufs,  répondit  la 
brave  femme;  si  je  chantais  la  première  strophe  aussi  vite  qu'à  l'église,  les 
œufs  ne  seraient  pas  assez  cuits,  et,  si  je  chantais  la  deu.xième  strophe,  ils 
seraient  durs.  Je  n'ai  pas  de  montre.  »  Voici  une  application  ingénieuse  de 
la  musique  à  l'art  culinaire.  Peat-étra  verrons-nous  un  jour  le  métronome 
appliqué  par  des  «  chefs  »  musiciens  à  la  fabrication  d'un  plat  dilUcile  qui 
exige  une  durée  exacte  de  cuisson. 

PARIS    ET   DÉPARTEMENTS 

M.  Adrieu  Bernheini,  commissaire  du  gouvernement  près  les  théâtres 
subventionnés,  de  retour  d'une  cure  qui  n'avait  été  interrompue  que  par 
l'inauguration  du  monument  Clairon  à  Condé,  s'est  immédiatement  mis  à  la 
disposition  de  M.  Roujon,qui  l'a  prié  de  veiller  aux  détails  de  la  représenta- 
tion de  gala  qui  sera  donnée  à  Compiègne  le  20  en  l'honneur  du  tzar,  et  dont 
le  programme  vient  d'être  fixé  de  façon  définitive  par  M.  le  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts. 

—  A  l'Opéra  les  répétitions  des  Barbares  marchent  bon  train  sous  la  double 
direction  de  MiM.  Saint-Saëns  et  Victorien  Sardou,  malgré  l'absence  de  deux 
des  principaux  artistes,  MM.  Delmas  et  Vaguet,  encore  en  congé,  mais  qui 
ne  tarderont  pas  à  revenir.  Rappelons  à  nos  lecteurs  que  les  Barbares  compor- 
tent trois  actes  et  un  prologue.  Premier  décor  :  le  Théâtre  antique  d'Orange 


avec  les  lauriers  sacrés  vus  de  face  à  la  tombée  du  jour.  Second  décor  :  le 
Théâtre  d'Orange,  vu  de  profil,  à  la  clarté  de  la  lune.  Troisième  décor:  devant 
une  des  portes  d'Orange.  Ils  sont  signés  Jambon.  Au  prologue,  même  décor 
qu'au  premier  acte,  mais  dans  une  sorte  de  buée,  avec  apparition  du  Réci- 
tant, de  mystérieuse  façon.  Le  décor  du  troisième  acte  aurait  été  dessiné  par 
M.  Sardou  lui-même.  Pour  ce  même  acte,  méfions-nous,  M.  Gailhard  réser- 
verait aux  spectateurs  une  «surprise».  Hélas!  nous  savons  ce  que  sont  le 
plus  souvent  les  «  surprises  »  de  M.  Gailhard!  Quoi  qu'il  en  soit,  le  bouillant 
direcieur  se  prépare  à  repartir  pour  le  midi  (encore  !)  afin  d'y  chercher  cette 
■i  originale  attraction  ».  Il  fera  sans  doute  le  chemin  en  automobile,  puisqu'il 
est  devenu  le  premier  chauffeur  de  France.  Lavera-t-il  en  route  quelques- 
unes  de  ces  charmantes  aquarelles  dont  il  a  le  secret?  —  Ce  serait  vers  le 
iS  octobre,  sans  plus  tarder,  que  nous  verrions  toutes  ces  merveilles  annon- 
cées, dont  la  primeur  serait  cependant  réservée,  dans  une  répétition  à  huis 
clos,  aux  membres  de  la  commission  du  théâtre  antique  d'Orange.  Comme  on 
se  tient,  dans  le  midi  ! 

—  L'Opéra  a  donné,  cette  semaine,  la  986»- représentation  des  Huguenots. 
Avant  qu'il  soit  bien  longtemps,  le  chef-d'œuvre  de  Meyerbeer  aura  donc 
accompli  son  cycle  de  mille  représentations,  et  pour  cela  il  ne  lui  aura  pas 
fallu  moins  de  soixante-six  ans,  puisqu'il  parut  pour  la  première  fois  en  public 
le  29  février  1836.  Les  succès  et  même  les  triomphes  vont  lentement  sur  notre 
(I  première  scène  »  lyrique.  C'est  le  théâtre  colimaçon. 

—  Puisque  tout  à  coup  M.  Gailhard  a  été  pris  d'un  amour  frénétique  pour 
les  ballets  et  qu'il  annonce  coup  sur  coup  les  prochaines  reprises  du  Fandango, 
des  Deux  Pigeons,  de  Sylvia,  etc.,  etc.,  nous  lui  demanderons  pourquoi  il  oublie 
dans  cette  atlluence  de  jolies  soirées  eii  perspective  le  charmant  ballet  de 
Théodore  Dubois,  la  Farandole,  un  des  plus  délicieux  du  répertoire.  Il  semble 
que  la  situation  du  compositeur  et  son  bon  renom  indiquent  tout  naturelle- 
ment cette  reprise  parmi  les  premières.  Le  directeur  n'a  aucune  raison  spé- 
ciale pour  l'écarter,  puisque  la  chorégraphie  de  la  Farandole  est  aussi  bien 
de  Mérante  (ce  maître!)  que  celle  des  autres  ballets  annoncés. 

—  Une  activité  fiévreuse  règne  à  l'Opéra-Gomique  depuis  le  retour  de 
M.  Albert  Carré.  C'est  hier  qu'a  dû  avoir  lieu  la  réouverture  avec  Carmen  et 
M"e  Delna.  Nous  allons  avoir  successivement,  cette  semaine,  les  débuts  de 
M"=  Nervil  dans  Lakmc  et  ceux  de  M"=  Giraud  dans  la  Vie  de  Bohème.  Les 
bruits  de  coulisses  sont  excellents  pour  les  deux  débutantes.  A  la  fin  de  la 
semaine,  nous  aurons  la  prise  de  possession  du  rôle  de  Manon  par  M"'=  Gardons. 
Encore  une  soirée  bien  intéressante.  Dans  Louise,  prochainement.  M"»  Charles, 
qui  a  pu  si  heureusement  s'échapper  de  l'Opéra,  prsndra  la  succession  de 
Mu«  Rioton  et  Gardens.  —  On  commence  aussi  un  peu  à  parler  des 
prochaines  reprises  du  Roi  d'Vs,  avec  M"«  Guiraudon  qui  prendrait  la  place 
de  M»=  Rioton  dans  le  rôle  de  Rozenn,  et  de  Werther  avec  la  remarquable 
M"=  Gesbron.  Mise  en  scène,  de  part  et  d'autre,  des  plus  curieuses.  Voilà  enfin 
un  théâtre  qui  a  de  la  vie  et  où  l'art  seul  règne  en  maître. 

—  M.  Massenet  a  passé  quelques  jours  à  Paris,  pour  donner  toutes  ses 
indications  aux  interprètes  de  Grisélidis.  M"'  Bréval,  MM.  F'ugère,  Maréchal, 
Bourbon,  M''^  Tiphaine  connaissent  à  présent  toutes  les  intentions,  toutes  les 
nuances,  tous  les  mouvements  désirés  par  le  compositeur  et  vont  pouvoir 
travailler  seuls  leurs  rôles  jusqu'au  retour  du  maître,  dans  les  premiers  jours 
d'octobre. 

—  Petite  lettre-circulaire  envoyée  à  la  presse  par  M.  Félix  Mottl,  le  chef 
d'orchestre  allemand  bien  connu  : 

Lugano,  5  septembre  1901. 
Cher  ami, 

M.  Siegfried  Wagner  me  charge  de  vous  informer  qu'il  renonce  à  diriger  les  représen- 
tations du  Crépuscule  des  Dieux  que  l'on  songe  à  donner  à  Paris  l'an  prochain,  bien  iiue 
continuant  à  s'intéresser  vivement  à  cette  tentative  artistique... 

Amitiés, 

'  Félix  Mottl. 

Siegfried,  vous  avez  raison. 

—  Curieuse  et  longue  circulaire  musico-littéro-parlementaire  qu'on  envoie 
actuellement  à  tous  les  intéressés,  avec  enrtéte  dela«  Chambre  des  Députés  ». 

Monsieur, 

Les  associations  ou  les  personnes  qui  donnent  des  auditions  ou  des  repré,entations 
musicales  on  liltéraires  sont  victimes  d'abus  sans  nombre  de  la  part  de  la  Société  des 
auteurs. 

Les  plaintes  incessantes  qui  parviennent  tous  les  jours  à  ce  sujet  aux  membres  du 
Parlement  nous  ont  déterminés  à  entreprendre  une  campagne  énergique  pour  obtenir  la 
réforme  complète  de  la  perception  des  droits  d'auteur. 

Dans  notre  pays,  si  remarquable  par  la  quantité  de  ses  vocations  artistiques  et  musi- 
cales, il  convient  de  briser  les  entraves  mercantiles  qui  en  arrêtent  le  meilleur  essor. 

C'e^t  par  la  crainte  des  procès  dont  vous  menacent  les  agents  des  Sociétés  d'auteurs  que 
vous  laissez  peser  sur  vous  une  dîme  exagérée. 

AJin  dentoui-ager  à  la  résistance  contre  un  pareil  système  d'intimidation,  notre 

journal  la  Réforme  du  droit  d'auteur  se  substituera  gratuitement  à  ses  abonnés  pour  sup- 
porter les  frais  des  procès  qu'ils  auraient  à  soutenir  contre  les  deux  puissantes  Sociétés 
des  droits  d'auteur 

Ijans  l'attente  d'une  répocse,  nous  vous  adressons,  etc.. 

CahNAUD,  ClDE.XAT, 

député  des  Bouclies-dur-Hlwnc.  député  d-s  Ilouchus-du-IViûne. 


296 


LE  MÉNESTREL 


Cette  circulaire  est  accompagnée  de  l'instruction  suivante: 

Le  journal  la  Réforme  du  droit  tf  auteur  fe  snbstiluera  graïuit'meot  à  ses  abonnés  pour 
supporter  les  frnis  des  ['rocès  qui  pourraient  leur  être  intentés  dans  les  cas  suivants: 

1»  Lorsque  les  Sociétés  des  auteurs  réclameront  des  droits  pour  des  œuvres  tombées 
dans  le  domaine  public; 

2°  Lorsque  les  œuvres  représentées  appartiendront  à  des  auteurs  et  compositeurs 
n'ayant  pas  donné  leurs  pouvoirs  aux  Sociétés  des  auteurs; 

3-  Lorsque  les  piécédeiits  juridiques  (précédents  que  publiera  notre  journal)  auront 
établi  que  les  prétentions  de  perception  des  Sociétés  des  auteurs  ne  sont  pas  fondées. 

4°  Lorsqu'il  stra  reconnu  qu'il  y  a  illégalité  dans  la  perception. 

Suit  un  bulletin  d'abonnement  au  journal  la  Réforme  du  droit  d'auteur, 
directeurs  :  MM.  Carnaud  et  Cadenat,  députés  des  Bouches-du-Uhone,  dont 
le  coût  est  de  dix  modestes  francs  par  an.  Qu'en  pensera  le  bouillant 
M.  Souchon  (Victor)  ? 

—  A  quoi  la  musique  peut  servir.  En  1407,  une  plainte  fut  adressée  à 
l'archevêque  de  Cautorbéry  parce  que  les  pèlerins  —  l'Angleterre  était  encore 
catholique  à  cette  époque  —  faisaient  trop  de  bruit  sur  les  routes  en  jouant 
de  la  cornemuse  [baypipe)  et  en  chantant  à  tue-téte,  ce  qui  faisait  hurler  les 
chiens  partout  où  ils  passaient.  L'archevêque  répondit  que  cette  musique 
était  chose  fort  louable,  car  elle  faisait  oublier  aux  pieux  pèlerins  les  fatigues 
du  long  chemin  et  couvrait  les  cris  de  douleur  de  ceux  qui  avaient  heurté 
contre  une  pierre  leurs  pieds  nus.  C'est  déjà  toute  la  théorie  de  l'utilité  des 
musiques  militaires. 

—  Le  Nouveau-Cirque  a  fait,  la  semaine  dernière,  une  très  brillante  réou- 
verture avec  plusieurs  numéros  sensationnels,  tels  que  le  vertigineux  cycliste 
Johnslone,  M.  Alaska  JuJge  et  ses  phoques  étonnants  et  l'X  incompréhen- 
sible, vision  aérienne  de  femme  dont,  à  l'aide  d'un  truc  de  glaces  d'autant 
plus  merveilleux  qu'il  semble  inexplicable,  on  ne  perçoit  que  le  buste  et  les 
bras.  Si,  pour  ces  premiers  spectacles,  on  n'a  malheureusement  pas  utilisé 
la  piste  nautique,  on  a  du  moins  pris  soin  de  nous  rendre  notre  inimitable 
Foottit  dans  une  scène  de  «  leçon  de  panneau  »  d'une  irrésistible  drôlerie. 

—  A  lire,  une  brochure  intéressante  et  substantielle  de  M.  Léon  Gastinel, 
publiée  à  Nice  sous  ce  titre  :  Influence  des  Expositions  universelles  et  inlernatio- 
nal-.s  sur  l'art  musical  français. 

—  Notre  confrère  Albert  Soubies  fait  paraître  une  nouvelle  édition  de  sa 
remarquable  Histoire  de  la  Musique  en  Russie  ;  cette  publication  vient  bien  à 
son  heure  au  moment  de  l'arrivée  du  Tsar. 

—  Ces  temps  derniers,  quelques  personnes  de  Rodez  offraient  un  banquet 
à  leur  gracieuse  compatriote  M""  Emma  Calvé.  Bouquets,  acclamations  et 
toasts  furent  naturellement  de  la  partie.  L'un  de  ces  derniers  fut  prononcé 
par  M.  Joseph  Fabre,  sénateur  de  l'Aveyron,  et  de  ce  toast,  reconstitué  après 
le  banquet,  on  a  retenu  cet  intéressant  et  joli  passage  :  —  «  ...  Je  veux,  mes 
amis,  vous  répéter  un  mot  que  M"=  Calvé  nous  disait  tout  à  l'heure  et  qui 
mérite  de  vous  toucher  comme  il  nous  a  touchés.  Elle  nous  montrait  son 
père,  paysan  de  quatre-vingts  ans,  naïvement  6er  de  sa  fille,  la  paysanne  de 
jadis,  devenue  une  grande  princesse  de  l'art,  et  elle  nous  citait  ce  mot  du 
bon  vieillard  :  «  Ma  fille,  regarde  ces  rosiers;  ils  comptent  plusieurs  roses. 
Mais  en  voici  un  qui  n'en  a  qu'une.  Il  a  dépensé  toute  sa  sève  à  faire  cette 
rose  unique,  et  celle-là  est  incomparablement  la  plus  belle.  C'est  là  l'his- 
toire de  tes  humbles  ancêtres  et  de  toi-même.  Tu  es  la  suprême  fleur  de 
tant  de  générations  oubliées  ». 

—  De  Royan  nous  viennent  les  échos  d'un  triomphe  retentissant  pour 
Thalis,  superbement  interprétée  par  Delmas  et  Georgette  Leblanc.  Cela  a  été 
un  véritable  enthousiasme,  et  il  y  a  de  quoi.  Si  M.  Gailhard  avait  quelque 
initiative,  ou  mieux,  quelque  liberté  du  côté  de  ses  commanditaires,  il  devrait 
nous  donner  à  Paris  l'œuvre  charmante  de  Massenet  avec  cette  double  inter- 
prélalion,  et  l'on  aurait  ainsi  un  spectacle  peu  banal.  M.  Leprestre  a  été  très 
bien  aussi  dans  le  rôle  de  Nicias. 

—  M.  Victor  Maurel  vient  de  louer,  disent  nos  confrères,  un  superbe  hôlel 
avec  salle  d'études  «  pour  y  apprendre  à  chanter  ».  A  qui?  A  lui  ou  aux 
autres  ? 

NÉCROLOGIE 

Un  de  mes  vieux  camarades,  un  condiscip'.e  de  la  classe  d'harmonie  de 
M.  Reber  au  Conservatoire,  le  compositeur  Eugène  Diaz,  vient  de  mourir  à 
Colleville,  dans  le  Calvados,  où  il  était  en  villégiature.  Brave  garçon,  bon 
compagnon,  franc  du  collier,  c'était  une  bonne  et  honnête  nature,  qui  n'avait 
qu'une  haine  au  monde,  celle  de  Wagner,  et  l'on  se  rappelle  ses  incartades 
lors  de  l'affaire  de  Lohengrin  à  l'Eden-Thédtre  avec  Lamoureux.  Fils  du 
fameux  peintre  romantique,  il  cultivait  la  peinture  en  même  temps  que  la 
musique,  et  y  trouva  même  une  partie  des  ressources  de  son  existence.  Comme 
je  le  rencontrais  justement  il  y  a  quelques  semaines,  au  moment  de  panir 
en  vacances,  et  que  je  lui  demandais  s'il  songeait  encore  au  théâtre  :  — 
«  Ah!  non,  me  dit-il;  tu  comprends  que  j'en  ai  assez.  J'aime  mieux  faire  de 
la  peinture,  qui  me  sert  à  gagner  ma  vie.  Je  fais  des  tableaux  pour  l'Amé- 
rique, et  ca  me  rapporte  plus  que  de   faire  jouer  des  opéras.  »  Il  n'avait  pas 


été  heureux,  en  efl'et,  au  théâtre.  Il  avait  débuté  en  donnant,  non,  comme  lo 
dit  un  de  mes  confrères,  dans  la  cave  de  l'Athénée,  qui  n'existait  pas  alors, 
mais  au  Théâtre-Lyrique  de  Carvalho,  en  1863,  un  opéra-comique  en  deux 
actes,  le  roi  Candaule,  qui  ne  fit  que  paraître  et  disparaître.  Puis,  étant  resté 
vainqueur  du  concours  ouvert  en  1867  pour  un  ouvrage  destiné  à  l'Opéra, 
la  Coupe  du  roi  de  Thulé,  il  vit  représenter  celui-là  le  10  janvier  1873,  sous  la 
direction  Halanzier. Malgré  une  interprétation  superbe  qui  réunissait  les  noms 
de  Faure,  de  Léon  .\chard  et  de  M™  Gueymard,  malgré  la  splendeur  d'une 
délicieuse  mise  en  scène,  l'ouvrage  ne  put  se  soutenir  et  ne  dépassa  pas  une 
quinzaine  de  représentations.  Enfin,  en  1880,  il  abordait  l'Opéra-Comique 
avec  un  drame  lyrique  eu  quatre  acies,  Renvenulo,  qui  ne  fut  pas  plus  heu- 
reux. Il  était  évident  que  Diaz  n'avait  pas  ce  qu'il  fallait  pour  le  théâtre,  et 
surtout  pour  le  genre  vraiment  dramatique.  Il  s'en  consola,  je  l'ai  dit,  en  se 
rejetant  sur  la  peinture,  et  se  borna  à  publier  quelques  mélodies,  quelques 
morceaux  sans  importance.  J'ai  rarement  vu,  d'ailleurs,  artiste  plus  modeste 
et  parlant  si  peu  de  lui-même.  —  Eugène-Emile  Diaz  de  la  Pena  était  né 
à  Paris  le  27  février  1837.  Il  avait  été  admis  en  1852  dans  la  classe  de 
M.  Reber,  où  il  avait  eu  un  premier  accessit  d'harmonie  en  18S6  et  un  second 
prix  en  1838.  A.  P. 

—  Le  31  août  est  morte  à  Milan  l'une  des  plus  grandes  cantatrices  que  l'Ilalie 
ait  connues  dans  la  seconde  moitié  du  dernier  siècle,  IsabeilaGalletti-Gianoli, 
qui  était  née  à  Bologne  le  11  novembre  1833.  Elle  était  fille  d'Antonio  Gal- 
letti,  gardien  de  la  basilique  de  San  Petronio  de  cette  ville,  avait  étudié  le 
chant  avec  Gamberini,  et  à  peine  âgée  de  quinze  ans  fit  apprécier  sur  des 
scènes  secondaires  sa  voix  légère,  caressante  et  d'une  adorable  pureté.  Chose 
assez  singulière,  cette  voix  sonore,  grasse,  souple,  étendue,  conduite  d'ail- 
leurs avec  le  goût  le  plus  parfait,  se  transforma  successivement  avec  l'âge, 
de  soprano  léger  devint  soprano  dramatique,  puis  mezzo-soprano,  puis  enfin 
contralto.  C'est  ce  qui  lui  permit  de  briller  tour  à  tour  dans  tous  les  rùles  et 
tous  les  emplois,  et,  après  s'être  fait  applaudir  dans  Don  Bucefalo  et  Gemma 
di  Vergy,  de  chanter  Anna  Bolena,  Xorma,  Lucrezia  Borgia,  Semiramide,  il  Tro- 
valore,  Otello,  un  Ballo  in  Maschera,  l'Africaine,  et  enfin  Don  Carlos,  la  Favorite 
et  le  Prophète.  Elle  parcourut  toutes  les  grandes  scènes  de  l'Italie,  le  Regio  de 
Turin,  la  Pergola  de  Florence,  le  Fenice  de  'Venise,  le  San  Carlo  de  Naples, 
la  Soala  de  Milan,  partout  applaudie,  fêtée,  acclamée,  en  raison  de  son  rare 
talent  de  chanteuse  et  de  ses  remarquables  qualités  dramatiques,  puis  se  pro- 
duisit à  Londres,  à  Madrid,  à  Lisbonne,  à  Vienne,  à  Saint-Pétersbourg,  tou- 
jours avec  le  même  succès.  Je  me  rappelle  l'avoir  entendue  à  Milan  dans 
divers  rôles,  entre  autres  dans  la  Favorite,  et  en  avoir  reçu  une  impression 
profonde,  bien  que  dès  cette  époque  un  embonpoint  excessif  vint  porter  tort 
aux  superbes  facultés  de  l'artiste,  dont  la  respiration  s'en  trouvait  parfois 
gênée  et  embarrassée.  Depuis  longtemps  déjà  la  Galleiti  avait  dit  adieu  au 
théâtre  pour  ouvrir  à  Milan  une  école  de  chant  où  elle  avait  formé  d'excel- 
lents élèves.  De  son  mariage  avec  M.  Gianoli,  de  Pesaro,  elle  eut  quatre 
enfants,  trois  fils  et  une  fille,  qui  tous  sont  atiachés  au  théâtre  à  divers  titres  : 
Antonio  est  chef  d'orchesire,  Luigi,  agent  théâtral,  Fernando  joue  les  basses 
comiques  et  Carolina  tient  l'emploi  de  soprano. 

—  De  Trieste  on  annonce  la  mort  d'un  compositeur,  G. -F.  Zingherle,  très 
renommé  surtout  comme  professeur  de  chant  et  qui  s'était  particulièrement 
occupé  de  l'éducation  musicale  des  enfanis.  Il  avait  publié  une  Méthode  élé- 
mentaire de  chant  à  l'usage  des  enfants,  ainsi  que  des  Canzonicri  per  fanciulli 
qui  avaient  obtenu  une  grande,  vogue. 

—  A  Croce  Fieschi  (province  de  Gênes)  est  mort  ces  jours  derniers  un  des 
plus  vieux  et,  dit-on,  des  plus  habiles  luthiers  italiens,  Eugénie  Praga,  l'un 
des  derniers  représentants  de  cet  art  jadis  si  glorieux  en  son  pays,  où  il  est 
depuis  longtemps  tombé  dans  un  état  lamentable.  Ses  violons,  parait-il,  étaient 
surtout  recherchés,  et  l'on  cite  un  beau  quatuor  qu'il  fit  paraître  à  l'Exposi- 
lion  universelle  de  Paris  en  1878,  et  qu'il  exposa  ensuite  à  Turin  et  à  Gènes. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vcQlf,  AU  MÉNESTREL,  i  liis,  me  ïiïlran-.  HEUGEL   et  C-",  «lilenr,s-priipriéUires  pour  l»iis  pys 


LIVRE    D'ORaUE 

2'  livraison 

comprenant  sept  pièces  ou  préludes  et  trois  transcriptions  de  Scuumann  et  Bach. 
Prix  net  :  5  francs. 

Ces  pièces,  très  soigneusement  rejistrces,  sont  assez  faciles  et  jouables,  en  général, 
sur  un  orgue  à  deux  claviers. 

Les  indications  sont  en  deux  langues,  en  français  et  en  anglais. 


BERGÈRE,  20,  PARIS.   -  (Eun  Loillleui^ 


DimaDche  22  Septembre  1901, 


3678.  -  67-  ANNÉE  -  I\° 38.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  "'•,  rue  Tmenne,  Paris,  «•  uf) 
(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


Le  Jlanîéi'o  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite  HaméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,   Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


.  L'Art  musical  et  ses  interprèles  depuis  deux  siècles  (30"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
IL  Bulletin  théâtral  :  Sada  Yacco  à  la  Renaissance,  A.  P.  —  III,  Notes  d'ethnographie 
musicale  :  Quelques  mois  sur  les  musiques  de  l'Asie  centrale,  les  chants  de  l'Arménie 
(6°  article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  Petites  notes  sans  portée:  Mozart  et  la  musique 
française,  Raymond  Bouter.  —  V.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  le  Paj'san  lyonnais, 
Edmond  Neukomm.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CLOCHES   D'AUTOMNE 

nouvelle  mélodie  de  Noël  Desjoyeaux,  poésie  de  Paul  Mariéton.  —  Suivra 
immédiatement  :  le  Récit  de  l'Aurore,  n"  2  des  Chansons  couleur  du  temps  de 
Léopold  Dauphin,  poésie  de  J.-B.  MoLiiinE. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Chanson  à  danser,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement  :  Le  diable  est 
mort!  galop  de  Heinrich  Strobl. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

et  d 


VIII  (suite) 

L'Anglais  à  Paris  afBrme  que  notre  compositeur  ne  se  mettait 
en  frais  de  conversation  que  pour  la  musique.  Tel  n'est  pas  notre 
avis.  Auber  était  un  fort  aimable  causeur  et,  comme  tel,  disser- 
tait aisément  sur  tous  les  sujets.  Quand  Paul  de  Kock  nous 
parle  des  petites  méchancetés  bégayées  par  l'auteur  dramatique 
Hoffman  au  foyer  de  l'Opéra-Gomique,  il  ajoute  qu'Herold  et 
Auber  rivalisaient  de  verve  caustique  avec  lui.  La  galanterie,... 
même  platonique,  du  directeur  du  Conservatoire  est  restée  clas- 
sique. Il  fut,  en  effet,  toute  sa  vie  charmant  pour  les  femmes, 
qui  savaient  apprécier  ses  qualités  d'homme  du  monde.  Auber 
était  la  correction  même;  sa  mise  était  élégante  et  sa  tenue  im- 
peccable. Mais  il  avait  une  légère  manie  dont  il  ne  put  jamais 
se  guérir.  Il  semblait  que  son  chapeau  et  lui  fussent  insépa- 
rables. Il  l'avait  toujours  sur  la  tête.  Il  composait,  déjeunait  et 
dînait  avec  ce  fidèle  compagnon  ;  et  s'il  se  risquait  au  théâtre, 
c'était  toujours  dans  quelque  loge  où  il  n'était  pas  forcé  de  se 
découvrir  :    aussi    des   plaisantins   afflrmaient-ils    très   sérieu- 


sement qu'il  était  juif;  en  tout  cas,  voilà  un  nouveau  chapitre 
pour  l'histoire,  éternellement  ouverte,...  des  chapeaux. 

Il  avait  encore  une  autre  manie...  non  pas,  une  vertu,  diront 
peut-être  certains  de  nos  lecteurs  :  il  adorait  Paris  et  ne  le  quitta 
jamais  qu'à  son  corps  défendant.  Et  cependant  il  était  né  en 
Basse-Normandie  ;  aussi  reprochait-il  en  riant  à  sa  mère  le  voyage 
à  Gaen  qui  l'avait  fait  compatriote  du  poète  Malherbe.  Il  en 
mourut,  de  ce  parisianisme,  car,  avec  sa  vigoureuse  constitution, 
il  aurait  pu  vivre  encore  plusieurs  années,  s'il  ne  s'était  obstiné 
à  subir  les  privations  du  siège  et  les  horreurs  de  la  Commune. 

Ainsi  que  Boileau,  Roqueplan,  Meilhac  et  tant  d'autres  pari- 
siens, Auber  avait  l'aversion  de  la  campagne.  C'était  surtout 
la  solitude  et  le  calme  des  champs  qui  l'etïrayaient.  Et  cette  ter- 
reur de  l'isolement  dans  la  tranquillité  ne  l'abandonnait  pas  à 
Paris.  Ce  qu'il  aimait  dans  la  capitale,  c'était  l'animation,  l'agi- 
tation, l'intensité  de  la  vie  qui  s'y  dépense  chaque  jour.  Tou- 
tefois, même  quand  il  professait  son  amour  pour  Paris,  il  exprimait 
le  regret  de  n'avoir  point  connu  l'Italie;  Rossini  n'avait-il  pas 
déclaré  qu'un  «  musicien  doit  avoir  erré  et  rêvé  sous  ce  beau 
ciel  ■?  »  Et  le  Cygne  de  Pesaro  était  pour  Auber  une  autorité  qui 
faisait  loi,  au  même  titre  que  son  maître  Cherubini,  le  seul 
musicien  auquel  il  ait  dédié  un  de  ses  opéras-comiques,...  le 
premier  de  la  série. 

A  vrai  dire,  Rossini  le  payait  de  retour.  Un  jour  qu'on  disait 
devant  lui  : 

^—  Auber  écrit  joliment,  mais  c'est  un  petit  musicien. 

—  Soit,  répliqua  l'auteur  de  Guillaume  Tell,  c'est  un  petit  mu- 
sicien qui  fait  de  la  grande  musique. 

Le  mot  est  cité  par  le  baron  de  Trémont  et  le  peintre  Jean 
Gigoux(l). 

Rossini  reconnaissait  également  à  son  confrère  et  ami  le  sen- 
timent très  prononcé  de  la  couleur  locale. 

—  Carafa,  disait-il,  a  mis  dans  Masaniello  de  véritables  airs 
nationaux;  ceux  d' Auber  sont  encore  plus  napolitains. 

De  fait,  les  contemporains  s'y  trompèrent;  le  compositeur  de 
la  Muette  avait  écrit  pour  les  demoiselles  Noblet  un  Jaleo  di  Jérès 
qu'on  prit  longtemps  pour  un  pas  du  crû  et  dont  il  fit  plus  tard, 
sur  le  désir  de  M""  Damoreau-Ginti,  un  air  du  Domino  noir. 

En  raison  même  de  son  caractère  facile,  souple  et  conciliant, 
qui,  pour  être  légèrement  teinté  de  scepticisme,  n'en  était  pas 
moins  dépourvu  de  cette  combativité  particulière  à  l'espèce, 
Auber  était  sympathique  aux  diverses  classes  de  la  société.  Il 
était  persona  grata  pour  tous  les  gouvernements,  et  compositeur 
de  cour,  comme  jadis  on  était  poète  de  cour.  Le  prince  de 
Joinville  (2)  signale  sa  fréquente  présence  au  château  d'Eu  et 
surtout  quand  la  reine  d'Angleterre  y  séjourna  en  -1843.  Auber 
y  vint  avec  les  artistes  de  l'Opéra-Gomique  :   Roger,   Chollet, 

(1)  Jean  Gigoux.  —  Causeries  sur  les  artistes  de  mon  temps;  C.  Lévy,  1885. 

(2)  Prince  de  Joinville.  —  Vieux  souvenirs;  C.  Lévy,  1894. 


298 


LE  MÉNESTREL 


Anna  Thillon.  Les  prûgrarames  des  concerts  et  des  représen- 
tations étaient  splendides.  Les  chœurs  du  Conservatoire  chan- 
taient le  fameux  air  d'Armide  :  «  Jamais  en  ces  heaux  lieux...  »  ; 
l'orchestre  jouait  VAndante  de  la  symphonie  en  la  de  Beethoven  ; 
et  Tivier,  qui  n'était  fumiste  qu'à  ses  heures,  se  fit  applaudir 
dans  un  fort  beau  solo  de  cor. 

Auber  était  également  appelé  aux.  Tuileries  par  Louis-Phi- 
lippe, et  le  ministre  Montalivet  (1)  nous  dit  dans  quelles  con- 
ditions. Ses  renseignements  sont  d'autant  plus  instructifs  qu'ils 
nous  apprennent  les  opinions  spéciales  du  roi  sur  la  musique  et 
sur  les  musiciens.  Seulement  il  est  regrettable  que,  pour  un 
ministre  dont  ses  panégyristes  vantent  la  haute  compétence  et  la 
vaste  érudition,  M.  de  Montalivet  parle  des  opéras  de  Rameau  joués 
sous  le  règne  de  Louis  XIV  ;  peut-être  a-t-il  voulu  écrire  LuUi  : 

C'était  l'histoire  qui  l'attirait  (Louis-Philippe)  dans  la  musique,  non 
plus  celle  des  temps  reculés,  par  exemple  des  opéras  de  Rameau  sous 
Louis  XIV  (!  !)  mais  l'histoire  de  la  musique  des  temps  de  sa  jeunesse. 

La  première  l'ois  qu'il  m'en  parla,  je  le  trouvai  tout  rempli  des  sou- 
venirs de  Grétry,  de  Monsigny,  de  Dalayrac,  etc.  Tels  étaient  ses  préférés, 
quoiqu'il  prononçât  avec  plus  de  respect  les  noms  de  Mozart,  de  Gluck,  de 
Piccinni  et  de  Beethoven.  Il  allait  parl'ois  jusqu'à  fredonner  avec  plus  ou 
moins  d'exactitude  des  airs  de  Ricliard  Cœur  de  Lion  et  du  Déserteur. 

Aussi  s'empressa-t-il  de  saisir  la  pensée  de  faire  exécuter  une  ou  deux 
fois  par  semaine  par  les  élèves  du  Conservatoire,  comme  chant,  et  par  les 
premiers  instrumentistes  de  cet  établissement,  comme  orchestre,  les  morceaux 
les  plus  célèbres  do  ces  grands  musiciens.  Mais  le  roi  ne  se  borna  pas  à 
cette  musique  de  chambre,  qui  était  admirablement  exécutée  sous  la  direction 
d' Auber.  Il  ht  représenter  sur  le  théâtre  de  Saint-Cloud  d'abord,  et  ensuite 
dans  les  autres  palais,  quelques  opéras  de  sa  jeunesse,  tels  que  Richard  Cœur 
de  Lion  et  le  Déserteur. 

Une  note  de  l'éditeur  ajoute  que  le  directeur  de  rOpéra-Comique, 
Crosnier,  s'inspira  de  cette  idée  et  lui  dut  une  belle  fortune,  dont  sut 
profiter  cet  homme  de  théâtre,  «  devenu  depuis  un  député  influent  sous 
l'Empire  ». 

Montalivet  complète  d'intéressants  détails  ses  indications  sur  la  mu- 
sique telle  que  la  comprenaient  Louis-Philippe  et  sa  famille.  Après 
Paêr,  Auber  organisa  et  dirigea  aux  Tuileries  des  petits  concerts  in- 
times, dont  M°"=  Adélaïde  avait  arrêté  le  programme  et  qui  avaient  pour 
auditoire  la  famille  royale.  Le  compositeur  avait  pour  mission  d'en 
choisir  les  exécutants  —  ils  étaient  au  nombre  de  vingt-quatre,  comme 
sous  l'ancien  régime  —  parmi  les  élèves  les  plus  distingués  du  Conser- 
vatoire. Et  Louis-Philippe  avait  doté  cette  institution  d'une  allocation 
annuelle  qui  dépassa  cent  mille  francs  en  1847.  Plantade,  «  secrétaire 
de  la  Musique  du  Roi  »,  écrivait  au  jour  le  jour  le  «  procès-verbal  »  de 
ces  concerts,  en  même  temps  que  celui  des  grandes  fêtes  lyriques  exé- 
cutées depuis  1840. 

Nous  retrouvons  Auber  dans  d'autres  cérémonies,  mais  offi- 
cielles celles-là  :  un  dîner  à  l'hôtel  de  ville  en  1856.  Il  a  pour 
voisin  Eugène  Delacroix,  qui  reçoit  avec  empressement  ses  con- 
fidences et  s'empresse  de  les  consigner  le  lendemain  sur  son 
Journal.  Le  directeur  du  Conservatoire  lui  avoue  qu'à  l'heure 
présente  sa  vie  est  aussi  fortunée  que  possible;  et  cependant  le 
souvenir  d'un  passé  difficile  et  douloureux  lui  ôterait  toute  envie 
de  la  recommencer.  Delacroix,  qui  fit  peut-être  un  retour  sur 
lui-même,  envie  ce  «  voluptueux  complet  »,  dont  les  soixante- 
douze  ans  ignoraient  encore  les  défaillances  amoureuses. 

L'illustre  peintre  s'exprime  plus  énergiquement.  Si  nous 
croyons  devoir  gazer  les  termes  de  cette...  révélation,  nous  ci- 
terons, sans  l'affaiblir,  une  autre  anecdote,  empruntée  au  Journal 
d'Eugène  Delacroix,  qui  témoigne,  contrairement  à  des  traditions 
trop  accréditées,  de  l'obligeance  confraternelle  d'Auber. 

Quand  le  peintre  se  présenta  pour  la  première  fois  à  l'Institut 
il  n'obtint  qu'une  voix,  et,  à  l'issue  de  la  séance,  cinq  des 
académiciens  présents  vinrent  lui  serrer  fortement  la  main,  en 
lui  glissant  chacun  dans  le  tuyau  de  l'oreille  qu'ils  avaient  voté 
pour  lui.  Or,  Delacroix  racontait  cette  plaisante  historiette  dans 
un  salon,  lorsque  aussitôt  un  petit  homme  se  lève  furibond  : 

—  Ah  !  c'est  trop  fort,  s'écrie-t-il,  vos  cinq  amis  sont  autant 
de  menteurs;  c'est  moi  seul,  entendez-vous,  moi,  Auber,  qui  ai 
voté  pour  vous. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 

(1)  Montalivet.  —  Fragments  et  souvenirs:  C.  Lévy,  1900. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


L'Athénée,  pour  sa  réouverture,  nous  a  rendu  la  gentille  Sada  Yacco  et 
son  mari,  M.  Otoju-o  Kawakami,  dont  on  se  rappelle  lo  succès  l'an 
dernier  à  la  rue  de  Paris  de  l'Exposition.  Il  nous  a  rendu  la  Lole  Fuller 
et  ses  adorables  danses  lumineuses.  Et  il  nous  a  rendu  tout  cela  dans 
un  spectacle  composite,  assez  étrange,  qui  comprenait  :  1°  La  SouHciére, 
comédie  en  un  acte  de  M.  Hem-i  Pain,  jouée  par  les  acteurs  du  lieu  ; 
2°  la  scène  du  jugement  du  Merchant  of  Veiiice,  par  les  comédiens  japo- 
nais (Shakespeare  eu  Japonais!);  'à°  les  danses  de  la  Loïe  Fuller;  4°  la 
Gheslia  et  le  Chevaliei-,  par  les  japonais. 

De  la  Souricière  il  n'y  a  pas  grand'chose  à  dire.  C'est  un  de  ces  levers 
de  rideau  comme  on  nous  les  offre  aujourd'hui,  sans  couleur,  sans 
saveur  et  sans  valeur  ;  une  machine  quelconque  qu'on  écoute  sans  atten- 
tion parce  qu'elle  est  sans  intérêt.  Cela  a  été  joué  sans  élan  et  sans  con- 
viction par  M"°  Hélène  Dumont,  MM.  Terof  et  Pérée. 

Ce  qui  nous  a  paru  bizarre,  c'est  cette  scène  du  Marchand  de  Venise, 
où  M .  Kav\'akami  faisait  Shylock,  transformé  en  Sauroku,  et  M"'°  Sada 
Yacco  Portia,  devenue  Osode.  Je  ne  crois  pas  que  ces  pièces  européennes 
soient  l'affaire  de  nos  acteurs  exotiques.  Et  cependant,  il  faut  le  dire, 
M.  Kawakami  s'y  est  montré  bien  remarquable  à  certains  points  de 
vue,  avec  un  sentiment  tragique  incontestable.  Mais  ce  n'est  pas  ainsi 
que  nous  comprenons  Shakespeare.  Quant  à  M""'  Sada  Yacco,  qui  n'avait 
pas  à  faire  de  curieux  effets  de  mimique,  comme  son  mari,  et  qui  avait 
simplement  à  parler,  ce  n'était  plus  ça  du  tout. 

Heureusement,  nous  allions  la  revoir  dans  son  triomphe,  là  où  elle 
est  charmante,  la  Gheslia  et  le  Chevalier.  Remarquons  d'abord  qu'ici  la 
pièce  est  encadrée  dans  des  décors  appropriés  et  charmants,  et  que  la 
mise  en  scène  n'est  plus  rudimentaire  comme  à  l'Exposition.  Remar- 
quoîis  aussi  que  la  pièce  est  plus  longue  qu'elle  n'était  là-bas,  où  l'on 
avait  dû  pratiquer  de  larges  coupures.  Toutefois  la  durée  en  est  raison- 
nable. Mais  ce  qui  ne  l'est  pas,  et  ce  qui  lui  fait  le  plus  grand  tort,  c'est 
la  longueur  d'entr'actes  interminables,  qui  indisposent  et  mettent  en 
humeur  le  spectateur  le  plus  indulgent.  Néanmoins  il  y  a  un  second 
acte  comique,  dont  nous  n'avions  naguère  qu'une  sorte  d'ébauclie,  et 
qui  contient  des  scènes  vraiment  amusantes.  Et  M""  Sada  Yacco  a 
retrouvé  là  tout  son  succès,  succès  très  légitime,  car,  charmante  de 
grâce  et  de  légèreté  dans  les  deux  premiers  actes,  elle  est  vraiment  terri- 
fiante et  d'un  réalisme  effrayant  dans  la  scène  de  la  mort,  au  troisième. 
Elle  a  vraiment  bien  du  talent.  Son  mari  aussi,  d'ailleurs,  et  il  est  très 
curieusement  dramatique  dans  le  rôle  de  Nagoya  Sauza,  l'amoureux 
jaloux  et  haineux.  Justement  je  trouve  à  son  sujet,  dans  un  livre  fort 
intéressant  et  daté  de  1898,  Promenades  en  Extrême-Orient,  de  M.  le 
commandant  de  Pimodan,  quelques  détails  qui  nous  font  savoir,  ce  qui 
me  semble  n'avoir  pas  été  dit  jusqu'ici,  que  M.  Ka^^-akami  était  venu  à 
Paris  bien  avant  l'Exposition  et  connaissait  déjà  nos  artistes. 

Parlant  du  théâtre  au  Japon,  M.  de  Pimodan  écrit  ceci  :  —  «  Le  plus 
célèbre  acteur  classique  se  nomme  Danjuro  et,  si  étrange  que  semble 
son  jeu,  il  est  impossible  de  ne  pas  lui  reconnaître  beaucoup  de  talent. 
Son  rival,  dans  l'école  réaliste,  est  Kawakami,  étudiant  devenu  acteur 
par  goût,  intelligent,  novateur,  s'occupant  de  littérature,  de  sport,  voire 
de  politique  et  ayant  môme,  à  l'étonnement  railleur  de  ses  concitoyens, 
brigué  leurs  suffrages  pour  je  ne  sais  quelle  élection  municipale  ou 
législative  dans  un  quartier  populaire  de  Tokyo.  Kawakami  connaît 
Paris;  ila  vuMounet-Sully,  Sarah  Bernhardt,  Cleo,  danseuse  à  l'Opéra, 
dont  le  portrait  orne  sa  loge.  Les  pièces  qui  l'ont  particulièrement  frappé 
pendant  son  séjour  dans  notre  pays,  sont  :  OEdipe-Hoi,  la  Dame  aux 
camélias  et  le  Juif  polonais.  Il  compte  revenir  en  France,  pendant  l'Expo- 
sition de  1900,  et  espère  que  ses  confr(;'res  parisiens  lui  feront  bon  accueil. 
Comme  Danjuro,  Kawakami  a  du  talent,  beaucoup  de  talent  même, 
mais  son  jeu,  pour  être  plus  naturel,  ne  serait  guère  mieux  compris  de 
nos  compatriotes.  »  Ici,  l'écrivain  s'est  trompé,  et  M.  Kawaliami  a  été 
compris  aussitôt  qu'il  s'est  montré. 

Retrouvera-t-il  à  l'Athénée,  ainsi  que  sa  femme,  le  succès  matériel 
qui  signala  leur  présence  à  l'Exposition?  Rien  sans  doute  ne  permet 
d'en  douter.  Ils  ont  été  très  chaleureusement  accueillis  l'autre  soir.  Et 
aussi  M""'  Loïe  Fuller.  Seulement,  la  pauvre  femme  a  eu  uue  décon- 
venue. Elle  n'avait  point  terminé  ses  danses  lorsqu'un  accident  survenu 
à  l'électricité  l'a  mise  dans  l'impossibilité  de  les  achever.  Elle  était 
désolée,  et  elle  en  pleurait  de  dépit.  Une  ovation  de  toute  la  salle  a  dû 
sécher  ses  larmes.  D'ailleurs,  ce  qu'elle  nous  avait  montré  était  délicieux. 

A.  P. 


LE  MÉNESTREL 


"299 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 

(Suite.) 


VI 

QUELQUES  MOTS  SUR  LES  MUSIQUES  DE  L'ASIE  CENTRALE 
LES  CHANTS  DE  L'ARMÉNIE 

Nous  ne  pouvons,  à  l'occasion  de  ces  simples  notes  d'ethnographie 
musicale,  songer  à  parcourir  tout  l'univers.  Bien  des  peuples  devront 
nous  rester  ignorés  au  point  de  vue  spécial  qui  nous  occupe. 

C'est  ainsi  que  nous  ne  savons  presque  rien  de  la  musique  des  races 
dont  la  connaissance  serait  peut-être  pour  nous  la  plus  précieuse,  celles 
qui  peuplent  les  régions  asiatiques,  où  l'on  a  coutume  de  reconnaître 
le  berceau  de  l'humanité. 

La  Perse  même,  pays  où  règne  une  civilisation  différente  de  la  nôtre 
sans  doute,  mais  réelle,  qui  a  produit  des  artistes  et  des  poètes  juste- 
ment renommés,  est  parmi  ceux  dont  nous  ignorons  le  plus  la  nature 
de  l'esprit  et  des  formes  musicales. 

Espérons  que  les  relations  qui  doivent  s'établir  de  plus  en  plus  inti- 
mement dans  l'avenir,  grâce  aux  voies  de  pénétration  qui  font  commu- 
niquer aujourd'liui  ces  pays  avec  nos  régions  occidentales,  permettront 
sous  peu  de  combler  cette  lacune.  Déjà  un  musicien  français  fixé  depuis 
plusieurs  années  à  la  cour  du  Shah  de  Perse,  par  lequel  il  fut  chargé 
d'organiser  à  l'européenne  les  musiques  militaires,  M.  A.  Lemaire,  nous 
a  donné  quelques  cahiers  d'airs  populaires  persans  (chez  Choudens).  Il 
est  regrettable,  à  la  vérité,  qu'il  ait  cru  devoir  ajouter  aux  mélodies  ori- 
ginales des  accompagnements  en  un  style  de  polka  ou  de  pas  redoublé  peu 
compatible  avec  les  formes  de  la  musique  orientale.  Je  croirais  volontiers 
aussi  que  l'ugage  immodéré  qu'il  fait  des  barres  de  mesure,  et  l'emploi 
d'un  deux  temps  inexorable  et  continu,  ne  nous  permettent  pas  de  nous 
faire  une  idée  tout  à  fait  juste  de  ces  musiques  aux  langueurs  subtiles.  Il 
faut  souhaiter  qu'un  travail  analogue  soit  recommencé  dans  un  esprit 
plus  exact,  et  qu'aux  notations  musicales  viennent  se  joindre  des  écrits, 
conçus  dans  un  esprit  vraiment  scientifique  et  sans  hypothèses  incon- 
sidérées, qui  nous  donnent  la  connaissance  des  théories  musicales  des 
Persans  et  sachent  en  dégager  les  éléments  vraiment  primitifs  et  indi- 
gènes. 

Pour  l'instant,  nous  sommes  bien  obligés  de  nous  contenter  des 
quelques  rares  publications  existantes  :  quelques  récits  de  voyageurs, 
généralement  fort  superficiels  à  notre  point  de  vue,  —  quelques  airs 
notés  au  XVIIP  siècle  dans  les  écrits  de  Jean-Jacques  Rousseau  et  de 
La  Borde  et  rentrant  dans  la  catégorie  des  choses  négligeables,  —  puis 
le  6'  livre  de  l'Histoire  de  la  musique  de  Fétis,  qui  n'est  pas  le  plus 
mauvais  de  son  ouvrage-capharnaiim  :  le  4'  chapitre  est  fort  intéressant 
pour  nous,  avec  des  notations,  qui  semblent  très  fidèles,  de  plusieurs 
chants  écrits  par  l'historien  sous  la  dictée  d'un  Persan  attaché  à  l'ambas- 
sade de  France  en  1808. 

Au  fond,  la  musique  persane  n'est  guère  connue  de  nous  autres  occi- 
dentaux que  par  Lalla-Roukh  de  Félicien  David,  ou  Thamara  de 
M.  Bourgault-Ducoudray,  ou  encore  par  les  Mélodies  persanes  que 
Rubinstein  a  écrites  sur  des  adaptations  du  poète  Mirza  Scliaffy,  et  la 
ravissante  et  poétique  Nuit  persane  de  M.  Saint-Saëns;  et  tout  cela  est 
charmant,  plein  de  grâces  et  de  suggestions  ;  mais  c'est  de  la  musique 
persane  qui  nous  vient  des  bords  de  la  Seine  ou  de  la  Neva  1 

Peut-être  trouverions-nous  quelques  éléments  plus  authentiques  dans 
les  compositions  des  maîtres  de  la  nouvelle  école  russe  :  l'Esquisse  des 
steppes  de  l'Asie  centrale,  de  Borodine,  Sadko,  la  si  remarquable  sym- 
phonie de  M.  Rimsky-Korsakoff,  ou  telles  autres  pages  que  nous  ont 
fait  entendre  les  concerts.  C'est  bien  en  effet  par  la  Russie  que  la 
lumière  doit  nous  venir  de  ce  côté.  C'est  à  ses  ingénieurs  que  nous 
devons  désormais  de  pénétrer  sans  danger  ni  peine  parmi  des  peuples 
qui  nous  étaient  restés  presque  inconnus  ;  ce  sera  sans  doute  aussi  par 
ses  artistes  et  ses  savants  que  nous  apprendrons  â  connaître  les  produc- 
tions de  leur  génie. 

Et  c'est  précisément  dans  un  pays  limitrophe  de  la  Russie,  et  dont 
une  partie  est  soumise  à  son  empire,  que  nous  allons  faire  une  nouvelle 
incursion  musicale. 

L'Arménie  est  un  des  plus  anciens  territoires  dont  il  ait  été  fait  posi- 
tivement mention  dans  l'histoire  de  l'humanité.  Tandis  que  les  régions 
qui  serviront  de  théâtre  aux  premiers  chapitres  de  la  Genèse  sont  vague- 
ment définies,  par  contre  il  est  spécifié  qu'à  la  fin  du  déluge  universel 
l'arche  qui  préserva  de  la  noyade  quelques  couples  d'animaux  repro- 
ducteurs, humanité  comprise,  s'arrêta  au  sommet  du  Mont  Ararat  — 
5.248  mètres  d'altitude,  —  ce  qui  fut  un  très  beau  résultat  au  point  de 
vue  de  la  navigation  préhistorique  !  Or,  cette  montagne  est  le  point  cul- 


minant de  l'Arménie.  Irons-nous  y  rechercher  les  traces  de  la  musique 
que  l'on  chantait  dans  l'arche  de  Noé?  Peut-être  aurions-nous  â  craindre 
d'être  déçus...  Moins  aventureux,  nous  ne  demanderons  même  pas  si, 
dans  cet  antique  royaume  qui  a  connu  tant  de  vicissitudes  historiques, 
partagé  aujourd'hui  entre  trois  puissances  étrangères,  Russie,  Perse, 
Empire  Ottoman,  et  dont  la  portion  soumise  â  ce  dernier  a  récemment 
souffert  tant  de  misères,  les  chants  traditionnels  ont  conservé  la  pureté 
primitive  d'une  race  autochtone  :  nous  nous  bornerons  à  écouter  ces 
chants  et  â  les  transcrire  tels  que  nous  les  avons  entendus,  sinon  dans 
leur  pays,  qu'il  ne  nous  a  pas  été  donné  de  visiter,  du  moins  de  la 
bouche  de  plusieurs  de  ses  enfants,  fidèles  aux  souvenirs  de  la  terre 
natale. 

Nombreux  sont  les  Arméniens  que  des  circonstances  diverses,  parti- 
culièrement les  massacres  qui  ont  marqué  les  dernières  années  du 
XK'  siècle  (âge  de  civilisation,  comme  chacun  sait),  ont  amenés  à  se 
fixer  parmi  nous.  L'un  d'eux,  un  artiste  qui,  habitant  depuis  plusieurs 
années  en  France,  a  étudié  au  Conservatoire  de  Paris  les  principes  du 
chant  classique,  M.  Ijéon  Eghiasarian,  a  entrepris  de  nous  faire  con- 
naître la  musique  de  sa  patrie;  et  déjà  il  a  publié  une  première  livrai- 
sou  d'un  Recueil  de  Chants  pojmlaires  arméniens  pour  lequel  des  maîtres 
tels  que  MM.  Vincent  d'Indy,  Georges  Marty,  Ernest  Reyer,  Ch.  Bordes 
Bourgault-Ducoudray,  Weckerlin,  etc.,  ont  mis  au  service  de  ses  mélo- 
dies nationales  leur  talent  d'harmonistes.  Une  seconde  livraison  paraî- 
tra bientôt,  à  la  préparation  de  laquelle  j'ai  donné  quelques  soins. 
Profitant  de  l'occasion  qui  s'offrait  ainsi,  j'ai  interrogé  M.  Eghiasarian 
et  ceux  de  ses  compatriotes  avec  qui  je  fus  mis  en  relation,  sur  certaines 
particularités  musicales  :  c'est  d'après  leurs  souvenirs  personnels  et  les 
documents  imprimés  qu'ils  eurent  l'obligeance  de  me  communiquer 
que  je  puis  donner  le  succint  aperçu  qui  va  suivre  des  chants  de 
l'Arménie. 

Tout  d'abord,  ce  pays,  un  des  premiers  où  le  christianisme  ait  été 
embrassé  avec  ferveur  par  les  habitants  (Corneille  l'a  glorifié  en  pre- 
nant pour  un  de  ses  plus  sublimes  héros  le  martyr  Polyeucte)  est  aussi 
un  de  ceux  où  la  liturgie  musicale  a  été  le  plus  anciennement  fixée.  Je 
ne  veux  qu'eflleurer  en  passant  ce  côté  très  important  de  l'histoire 
musicale  de  l'Arménie  :  d'une  part,  ce  serait  sortir  du  sujet  si,  dans  ces 
brèves  notes  d'ethnographie  (qui  doivent  être  nécessairement  limitées 
â  l'art  populaire),  j'abordais  l'étude  de  la  musique  religieuse  ;  d'autre 
part,  je  n'ignore  pas  qu'au  moment  où  j'écris  ces  lignes  un  jeune  savant, 
M.  Pierre  Aubry,  connu  par  d'intéressants  travaux  de  musicologie 
médiévale,  revient  d'Arménie  où  il  a  été  l'étudier  sur  place,  ce  qu'il  a 
dû  faire  évidemment  de  façon  beaucoup  plus  approfondie.  Je  lui 
laisse  donc  le  soin  de  traiter  la  question  aussi  compendieusement  qu'il 
sera  nécessaire,  et  je  me  bornerai  à  faire  à  ce  sujet  une  simple  observation. 

L'on  sait  que  la  musique  religieuse  arménienne  a  une  notation  parti- 
culière, qu'on  dit  être  d'origine  très  ancienne,  et  qui  n'est  point 
inconnue  parmi  nous,  car  elle  a  été  étudiée  par  plusieurs  auteurs, 
notamment  dans  l'Histoi?'e  de  la  notation  musicale  d'Ernest  David  et 
Mathis  Lussy.  Cette  notation  a  servi,  dès  l'origine,  à  transcrire  les 
Canons  et  les  chants  religieux  dans  le  livre  intitulé  Charagan,  à  la 
constitution  duquel  ont  travaillé  d'illustres  prêtres  de  l'église  armé- 
nienne, saint  Saak,  Parfianine,  Mesrop,  Moïse  de  Choren  au  cinquième 
siècle,  Vardan-le-Grand,  Joann  Erzenkaiysk  au  huitième,  etc. 

«  Afin  de  transmettre  les  mélodies  du  Charagan,  dit  un  écrivain 
moderne,  il  existait  des  signes  spéciaux.  Ceux-ci  n'exprimaient  pas 
exactement  la  hauteur  et  la  durée  des  sons,  mais  indiquaient  seulement 
à  peu  près  la  direction  de  la  voix,  quelques  inflexions,  et  le  temps  pour 
garder  le  son.  En  un  mot,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  ils  ne  servaient 
pas  à  transmettre  la  mélodie,  mais  seulement  â  la  rappeler.  Ce  système, 
vu  sa  difficulté  et  le  grand  nombre  de  gens  qu'il  fallait  instruire,  n'était 
pas  le  plus  généralement  répandu  :  il  y  avait  un  autre  moyen,  plus 
vulgaire,  pour  enseigner  ces  mélodies.  Les  religieux  du  monastère 
d'Etchmeatzin,  qui  avaient  la  charge  de  préparer  les  prêtres  et  chan- 
teurs pour  les  églises,  convoquaient  les  jeunes  gens  des  différentes  pro- 
vinces pour  leur  apprendre  ces  mélodies  de  vive  voix  ;  après  quoi  ils  les 
envoyaient  dans  différentes  localités  pour  remplir  l'emploi  de  chanteurs 
d'église  (1).  »  Il  y  eut  plus  tard  de  véritables  inspecteurs,  qui  se  trans- 
portaient de  ville  en  ville,  exerçant  leur  surveillance  pour  établir  ou 
conserver  l'unité  de  la  liturgie. 

Ce  système  de  transmission  orale  administrativement  organisé  n'est-il 
pas  chose  intéressante  â  noter  pom-  ceux  que  préoccupe  la  question  de 
la  tradition  populaire  ? 


(1)  Ces  détails  sont  empruntés  à  un  livre  de  vulgarisation  traitant  des  particularités  les 
plus  divei-ses  de  la  vie  et  de  l'histoire  arménienne,  publié  en  Russie,  après  les  massacres, 
par  un  réfugié,  et  mis  en  vente  au  bénéflce  des  victimes  sous  le  titre  de  YAide  fraternelle 
aux  Arméiiiens,  par  Grégoire  Djanchian,  Moscou,  2"  édition,  1898. 


300 


LE  MÉNESTREL 


Ce  qui  nous  est  dit  de  1'  «  à  peu  près  »  de  la  notation  musicale  pri- 
mitive en  Arménie  n'est  pas  moins  digne  d'attention,  car  cela  s'accorde 
le  mieux  du  monde  avec  ce  que  nous  savons  d'autre  part  de  la  nota- 
tion, également  primitive,  de  l'Occident,  celle  des  neumes  qui,  eux 
aussi,  ne  faisaient  qu'  «  indiquer  seulement  à  peu  près  la  direction  de 
la  voix.  —  n'exprimaient  pas  exactement  la  hauteur  et  la  durée  des 
sons  »,  et.  en  un  mot,  «  ne  ser^'aient  pas  à  transmettre  la  mélodie,  mais 
à  la  rappeler  ».  Tant  il  est  vrai  que  tout  se  passe  partout  de  même 
manière,  simultanément  et  parallèlement. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


MOZART  ET  LA  MUSIQUE  FRANÇAISE 

A  Madame  Ch.  Colin. 

Et  la  musique  ?  Et  le  problème  musical  ? 

Il  est  amusant,  certes,  et  non  moins  touchant  d'évoquer  le  jeune 
Mozart  dans  ce  grand  Paris,  de  surprendre  le  génie  besoigneux  prenant 
(I  un  iiacre  »  (sic)  pour  courir  le  cachet  à  travers  «  la  plus  boueuse  »  de 
toutes  les  capitales,  conciliant  curieusement  l'art  et  l'intérêt,  la  gloire  et 
l'argent,  la  désinvolture  et  la  dévotion,  le  siècle  et  la  foi,  recevant  trois 
louis  pour  douze  leçons  (tout  a  fort  augmenté,  depuis  Mozart,  sauf  le 
génie).  Sa  mère,  la  douce  Anna  Bertlina  (selon  la  forme  italienne)  (2), 
écrit,  avec  un  juste  orgueil  :  «  Notre  Wolfgang  est  de  nouveau  célèbre; 
on  l'aime  ici  à  un  point  indescriptible...  »  Et  cette  mère,  cette  noble 
compagne  de  voyage  va  succomber  loin  de  Salzbourg,  et  la  prose  hâtive 
du  fils  ne  sera  pas  moins  éloquente  que  la  plus  poétique  de  ses 
mélodies  :  «  Pleurez  avec  moi,  mon  ami!  —  Je  vous  écris  à  deux  heures 
du  matin.  —  Ce  jour  est  le  plus  triste  de  ma  vie...  »  (3).  On  est  en 
juillet,  au  seuil  du  mois  et  de  l'été,  l'aube  approche  : 

«  La  mère  est  morte  hier  ;  le  fils  est  seul  et  pleure. . .  » 

Mais  il  faut  répondre  à  l'objection,  expliquer  la  contradiction  ;  Mozart 
musicien  français,  —  ennemi  de  la  musique  française  !  De  toutes  parts 
j'entends  des  voix,  tel  Oreste,  et  qui  me  pressent  de  m'e.xpliquer... 

Le  père  avait  dit,  en  1764  :  «  Il  y  a  ici  une  guerre  incessante  entre  la 
musique  française  et  la  musique  italienne.  Toute  la  musique  française 
ne  vaut  pas  le  diable.  Mais  il  s'opère  de  grands  changements.  Les  Fran- 
çais commencent  à  tourner,  et  dans  dix  ou  quinze  ans,  je  l'espère,  le 
goût  fi-ançais  aura  complètement  fait  volte-face.  Les  Allemands  sont  les 
maîtres  par  les  œuvres  qu'ils  publient.  On  compte,  parmi  eux, 
MM.  Schoberth.  Eckard,  Hannauer  pour  le  clavecin,  MM.  Hochbruc- 
ker  et  Mayr  pour  la  harpe.  Ils  sont  fort  aimés.  M.  Legrand.  un  clave- 
ciniste français,  a  complètement  changé  son  style,  et  ses  sonates  sont  dans 
le  genre  allemand...  »  (4).  Entre  parenthèses,  que  ceux  qui  recherchent 
avidement  les  origines  lointaines  du  romantisme  reconnaissent  le 
succès  de  la  harpe  romanesque  et  de  l'influence  germanique  dès  les 
jours  sémillants  du  règne  de  Louis  XV! 

En  1778,  à  l'heure  majestueuse  où  le  style  si  vraiment  national  de 
notre  vieux  Rameau  s'anime  aux  éclairs  allemands  du  grand  Gluck 
(encore  un  génie  naturalisé  ù-ançais!).  Paris  a-t-il  décidément  changé  en 
bien,  sur  ce  point  ?  Le  fils,  hélas  !  ne  parait  pas  moins  découragé  ni 
décourageant  que  son  père;  malgré  ses  quelques  succès  personnels, 
l'amitié  de  Grimm  et  la  gloire  de  Gluck,  il  ne  saurait  se  plaire  à  Paris: 
moins  de  quinze  jours  après  son  arrivée,  le  .j  avril,  il  s'écrie  en  sortant 
du  Concert  spirituel  :  «  Le  baron  Grimm  et  moi,  nous  nous  sommes  sou- 
vent laissé  aller  à  notre  colère  contre  la  musique  de  ce  pays,  entre  nous, 
s'enlend;  car,  en  public,  on  crie:  bravo,  bravissimo,  l'on  applaudit  à  se 
brûler  les  doigts.  —  Ce  qui  me  fâche  le  plus,  c'est  que  MM.  les  Fran- 
çais n'ont  fait  d'autre  progrès  que  de  savoir  écouter  enfin  la  bonne 
musique.  Mais  d'entrevoir,  de  se  douter  que  leur  musique  est  détes- 
table, —  mon  Dieu,  non  !  »  Cette  sortie  vise  la  musique  instrumentale 
où,  de  tout  temps,  l'Allemagne  a  cru  l'emporter  sur  ses  voisins.  Et  le 
chant?  Toujours  défectueux!  Le  jeune  Salzbourgeois  se  fâche  contre  les 
«  criailleries  françaises  »  qui  s'en  prennent  aux  plus  beaux  airs  italiens  : 
«  Gâter  de  la  bonne  musique,  c'est  insupportable  !  » 

Le  père  est  contrarié,  mais  prudent:  il  exprime  son  déplaisir  de  la  len- 
teur des  Français  â  s'amender  musicalement  ;  mais  patience  !  on  ne  cor- 


Uj  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillel,  des  18  et  25  aoùl,  du  8  et  du  15  seplembre  19U1  (La 
status  de  Mozart  et  Mozart  à  Paris). 

(2)  De  son  vrai  nom  î*Iarie-Anne  Péril  ;  elle  était  née  à  la  fin  de  1720. 

(3)  Lettre  du  3  juillet  1778  à  M.  l'abbé  BuUinger,  son  a  excellent  ami  ». 
f'i)  Lettre  du  1"  février  1764  à  M»'  Haguenauer,  de  Salzbourg. 


rige  pas  tout  un  royaume  en  un  jour!  :  «  N'est-ce  pas  déjà  beaucoup 
qu'ils  puissent  écouter  ce  qui  est  bien?  ».  Le  mentor  ne  se  montre  pas 
seulement  prudent,  mais  habile  :  apprenant  que  son  fils  retouche  une 
grande  composition  religieuse  du  maître  de  chapelle  Holzbauer,  avant 
de  s'attaquer  à  une  Symphonie  concertante,  à  un  opi'ra,  vile  il  lui  con- 
seille de  se  conformer  au  goût  des  Français  :  «  Avant  d'écrire  pour  leur 
théâtre,  observe  à  loisir  ce  qui  leur  plait!  »  Léopold  Mozart  devient  tout 
à  fait  pratique  :  pourvu  qu'on  réussisse  et  qu'on  soit  justement  payé, 
«  que  le  diable  emporte  le  reste  »,  et  nargue  à  l'Archevêque  de  Man- 
heim!  M.  de  Vollaire,  qu'il  invoque  plus  loin,  comme  poète,  n'aurait 
pas  mieux  dit,  comme  philosophe! 

Le  fils,  plus  jeune,  est  plus  difficile:  oui,  qu'importent  les  ennemis  et 
les  cabales?  D'ailleurs,  c'est  «  un  bon  signe  ».  Qu'importent  les  lenteurs 
du  librettiste  Noverre,  la  sécheresse  du  compositeur  Gossec,  maitre  de 
musique  à  l'Opéra,  la  versatilité  du  ténor  Legros,  directeur  du  Concert 
spirituel  ?  S'il  y  avait  à  Paris  un  refuge  où  quelques  gens  eussent  des 
oreilles  pour  entendre  et  un  cœur  pour  sentir,  on  se  moquerait  volon- 
tiers de  toutes  ces  misères;  mais  hélas  !  musicalement  les  Français  sont 
des  «  brutes  ».  Dans  un  salon  des  compliments,  de  grandes  exclama- 
tions platoniques  ;  à  la  répétition  du  Concert  spirituel,  grande  approba- 
tion :  mais  que  pèsent  les  éloges  des  Parisiens?  (Le  mot  est  en  français 
dans  l'original.)  Et  la  symphonie,  comme  ils  l'ont  raclée  !  La  belle 
œuvre  que  nous  appelons  encore  la  Symphonie  parisienne  est  terminée 
pour  le  jeudi  saint,  et  les  ânes  mêmes  de  la  capitale  y  trouveront  ce  qui 
leur  suffit,  car  l'auteur  s'est  bien  gardé  de  manquer  «  le  premier  coup 
d'archet  /  »  (Encore  cinq  mots  en  français...)  «  Et  comme  ces  animaux 
en  font  une  affaire!  Que  diable!  —  Je  n'y  vois  pourtant  aucune  mer- 
veille. Ils  commencent  ensemble,  —  comme  jiarlout  ailleurs.  C'est  à 
crever  de  rire!  »  Ou  de  rage,  et  l'Ariel  de  la  musique  s'exprime  un  tan- 
tinet comme  un  Caliban  d'outre-Rhin... 

Quanta  l'Opéra,  c'est  une  autre  affaire  :  où  dénicher  un  bon  poème? 
Les  vieux,  les  meilleurs,  sont  hors  d'usage;  et  les  nouveaux  ne  valent 
plus  rien,  «  car  la  poésie,  qui  était  la  seule  chose  dont  les  Français 
pussent  être  fiers,  devient  de  jour  en  jour  plus  mauvaise,  et  c'est  préci- 
sément la  poésie  qui  est  la  seule  chose  qui  soit  nécessaire  ici,  puisqu'ils 
ne  comprennent  pas  la  musique...  ».  N'y  aurait-il  pas.  entre  les  lignes, 
quelque  allusion  malicieuse  au  grand  Gluck,  non  seulement  aux  diffi- 
cultés dont  il  triomphait  alors  à  Paris,  mais  â  la  nature  même  de  ses 
innovations  dramatiques  ?  En  1778,  le  jeune  Mozart  ne  serait-il  point, 
aux  yeux  de  l'avenir,  le  rival  muet  du  vieux  Gluck,  tel  un  jeune  Ana- 
créon,  rival  inconscient  d'Homère  ?  Sans  doute  il  écrit  plus  loin  : 
«  Si  seulement  cette  maudite  langue  française  n'était  pas  aussi  abomi- 
nable pour  la  musique  !  C'est  l'adversaire  véritable  !  —  L'allemand  est 
divin,  en  comparaison...  Et  les  chanteurs  donc,  et  les  cantatrices  !  On 
ne  devrait  pas  leur  donner  ce  nom,  car  elles  ne  chantent  pas,  elles 
crient,  elles  hurlent,  du  nez,  du  gosier,  de  toute  la  force  de  leurs 
poumons...  »  Parfait!  et  la  boutade  trouverait  des  applications  récentes  ! 
Mais  comment  oser  dire  encore  :  Mozart  musicien  français  ? 

Avec  des  poètes  nous  avions  risqué  ce  paradoxe,  car  l'indéfinissable 
de  sa  perfection,  de  sa  grâce  ailées  semble  d'accord  avec  notre  goiït 
(encore  un  mot  significatif  qui  se  glisse  plusieurs  fois  dans  l'allemand 
familier  de  la  Correspondance  !).  Ces  affinités  ne  pouvaient  empêdier  le 
docte  voyageur  d'être  sévère  pour  l'enfance  de  notre  musique  instru- 
mentale, en  progrés  cependant,  et  surtout  pour  le  style  de  notre  musique 
vocale  «  qui  ne  s'améliorera  point  de  si  tôt  !  »  Dans  ces  critiques,  le 
musicien  par  excellence  apparaît.  Haendel  contrapontiste  n'était  guère 
plus  indulgent  pour  les  incorrections  tragiques  de  Gluck...  Mais,  en 
dernière  analyse,  est-ce  bien  seulement  parce  que  le  divin  Mozart  a  le 
cœur  plus  ardent  et  l'oreille  plus  fine  qu'il  dédaigne  de  si  haut  la 
musique  française  ?  Est-ce  parce  que  le  jeune  prodige  a  été  nourri,  dès 
l'enfance,  du  savoir  sublime  des  Haendel  et  des  Bach  ?  Est-ce  seulement 
sa  délicatesse  ou  son  dépit  qui  lui  dicte  d'aussi  dures  invectives,  â  tra- 
vers la  ville  boueuse  et  la  société  légère  ? 
Non,  je  crois  entrevoir  une  cause  plus  profonde. 
Sans  contredit,  la  musicale  Allemagne  a  toujoursjugéplus  que  sévère- 
ment ses  rivales  frivoles.  Et  ce  dédain  pour  notre  art,  n'est-ce  pas  encore 
un  trait  commun  qui  rapproche  le  petit  Mozart  du  géant  Wagner?  (1) 
On  m'objectera,  c'est  vrai,  que  le  pamphlétaire  de  sanglantes  brochures 
datées  de  1870  et  de  1871  n'a  jamais  entendu  combattre  que  l'influence 
française,  que  la  séduction  du  génie  latin,  et  que  ce  réformateur  essen- 
tiellement germanique  qui  s'écriait,  vexé  :  «  Qu'aurais-je  fait  d'un  suc- 
cès â  Paris?  »,  s'est  toujours  montré  plus  déférant  que  Mozart  et  que 
Weber,  son  héritier  collatéral,  pour  l'intelligence  des  Français,  des 
Parisiens,  qu'il  définit  «  le  public  le  plus  compréhensif  qui  soit  ».  Et 
n'avouait-il  pas  que  personne  au  monde  n'avait  mieux  compris  aussitôt 

(1)  Cr.  te  Ménestrel  du  14  juillet  1901.  —  (Mozart  et  Wagner.,' 


LE  MÉNESTREL 


301 


sa  volonté  que  MM.  Ghampfleury,  Baudelaire  et  Schuré  ?  Mozart 
serait-il  donc  plus  waç/nérien  que  Wagner  ? 

Tout  au  contraire,  et  c'est  là  le  nœud  du  problème. 

Mozart,  en  sa  jeunesse,  apparaît  moins  allemand  qu'italianisant; 
Mozart  est  le  contraire  de  Gluck.  De  Manheim,  le  7  février  1778,  le 
virtuose  pauvre  écrivait  :  «  Je  suis  né  compositeur  :  soit  dit  sans  orgueil, 
car  je  sens  en  moi  plus  que  jamais  la  flamme.  J'ai  fortement  en  tête 
de  composer  des  opéras  français  plutôt  qu'allemands,  et  italiens  plutôt 
que  français  et  allemands  ».  Sa  souplesse,  d'ailleurs,  est  telle  qu'il 
emprunterait  tous  les  styles  !  Et  son  père,  d'accord  avec  son  ami 
Wendling,  lui  concède  ce  talent  troublant  :  «  Je  te  connais,  tu  peux 
tout  imiter!  »  Il  vient  d'écrire  deux  airs  français...  (1).  Mais  son  cœur 
bat  pour  l'Italie.  Ses  vingt-deux  ans  soupirent  après  elle.  Commence-t-il 
un  opéra  :  «  Je  crois  » ,  écrit-il,  «  que  cela  ieviendra,  Alexandi'e  et  Roxane. . .  » . 
Aveu  perlé  d'un  rossignol  qui  considère  la  poésie  comme  «la  fille  obéis- 
sante de  la  musique  »  !  En  cette  immortelle  querelle  qui  divise  déjà 
Paris,  Mozart,  —  la  musique  môme,  —  sera  donc  un  peu  piccmm'sie... 
J'allais  écrire  un  peu  rossinien,  si  l'anachronisme  no  se  compliquait  pas 
d'un  blasphème  !  Et  le  succès  du  sage  Bokmd  doit  le  toucher  plus  vive- 
ment que  la  chute  de  l'ambitieuse  A;-mirfÉ'...Piccinni?  Mozart  cause  avec 
lui  poliment,  au  Concert  spirituel;  mais  il  ne  veut  se  lier  avec  personne  : 
chacun  pour  soi  !  C'est  égal,  avec  son  compatriote  le  baron  Grimm, 
auteur  du  Petit  Proplicte,  le  futur  musicien  d'Idomeneo  regrette  l'Italie. 
Et  cet  amour  l'indispose  non  seulement  contre  les  imperfections  de  notre 
art  et  les  candeurs  de  nos  petits  maîtres,  mais  contre  l'austérité  de  la 
grande  tradition  française.  La  tragédie  lyrique  n'est  pas  son  fait.  Elle 
est  trop  peu  musicale  et  trop  littéraire,  elle  ne  chante  pas  assez,  pour 
son  âme  éprise  d'absolu.  Mozart  est  un  poète,  et  nos  musiciens  doivent 
lui  sembler  des  prosateurs.  Seul,  au  Palais-Royal,  après  le  succès  de  la 
symphonie,  il  songe  à  son  projet  d'opéra  :  «  J'ai  pris  une  glace;  j'ai  dit 
le  chapelet,  selon  ma  promesse,  avant  de  rentrer...  »  Mais  ce  n'est  pas 
Gluck  révolutionnaire,  encore  moins  Rameau,  très  oublié,  qu'il  invoque  ! 

Le  jeune  Mozart  va  quitter  la  France  pour  toujours.  En  1778,  à  Paris, 
le  vrai  musicien  français  s'appelle  Gluck. 

(A  suivre.)  R.«'mond  Bouyeb. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


LE  PAYSAN  LYONNAIS 
Le  Lyonnais  n'est  pas  à  Lyon  seulement.  Il  est  dans  la  campagne,  où 
il  a  importé  comme  l'esprit  de  la  ville,  encore  qu'il  s'en  défende  bien; 
car  il  est  du  terroir  de  l'ancienne  Lyonnaise  et  n'entend  pas  être  con- 
fondu avec  le  canut  ou  tout  autre  citadin.  Paysan  il  est  et  paysan  il 
restera.  Convaincu  de  sa  supériorité  grande,  il  accueillera  le  Tjyonnais 
assez  osé  pour  le  venir  troubler  en  sa  quiétude  par  sa  vieille  chanson 
de  combat,  dont  le  refrain  est  :  Les  payjans  valant  bin  lou  mousus. 

Le  Lyonnais  sait  cela.  Aussi,  quand  il  se  paye  une  partie  fine  au 
loin,  va-t-il  dépenser  son  argent  et  sa  bonne  humeur  dans  les  départe- 
ments limitrophes,  quelquefois  jusqu'à  Bourg  ou  à  Beaujeu. 

Le  paysan,  son  voisin,  reste  donc  seul,  et  il  ne  s'en  plaint  pas.  Il  est 
heureux  comme  il  est,  et  il  chante  son  bonheur  en  chansons  qui  ont 
bien  leur  saveur. 

L'amour,  l'éternel  amour  y  tient  naturellement  le  haut  pas,  et  cela 
depuis  longtemps,  car  on  trouve  dans  un  Recueil  des  Chansons  nouvelles, 
publié  à  Lyon  en  ISIS,  cette  chanson  d'une  tendresse  infinie,  intitulée 
Le  Messager. 

Aurai-je  de  mes  amours  —  jouissance,  la  belle? 
Rossignolet  du  boys  —  qui  chante  sur  l'herbette 
Sois  messagier  pour  moy  —  et  me  porte  une  lettre 
A  ma  mye  par  amour  —  dont  tant  je  la  regrette, 
Qu'en  ce  printemps  d^été  —  aura  sa  cotte  verte. 
Elle  et  moi  la  feront  —  d'une  façon  nouvelle, 
Au  cliant  du  rossignol  —  prince  des  amourettes. 
Et  puys  nous  en  yrons  —  passer  en  Angleterre, 
Là  où  de  nos  amours  —  jouirons  à  notre  aise. 
Dame,  de  mes  amours  —  dites  moy  des  nouvelles, 
Aurai-je  de  mes  amours  —  jouissance,  la  belle? 
Refrain  : 
Hélas  !  que  dict-il?  que  dict-on?  —  Hélas!  que  dict-on?  que  dict-elle  ? 

(1)  Datés  de  Manheim,  1777  et-de  Paris,  1778,  et  chantés  par  Hl'"  de  Jerlin  à  la  pre- 
mière séance  de  la  Société  Mozart,  le  mardi  soir  12  février  1901,  salle  Mustel. 


Toutes  les  fois  qu'il  est  question  de  l'Angleterre  dans  une  chanson 
on  peut  tenir  pour  certain  qu'elle  date  du  temps  des  grandes  guerres. 
Le  Messager  était  donc  ancien  déjà  quand  il  fut  imprimé  pour  la  pre- 
mière fois.  Les  bonnes  vieilles  chansons  portent  d'ailleurs  souvent 
l'étiquette  deleur  époque.  Ainsi  n'est-il  pas  besoin  de  chercher  longtemps 
pour  attribuer  une  date  à  ce  frais  bouquet  de  paysannerie,  recueilli  par 

Weckerlin  : 

Nous  étions  deux  ûUes  dans  un  pré. 
Le  fds  du  Roi  vint  à  passer; 
Salua  Dine, 
Salua  Chine, 
Salua  Claudine  et  Martine, 
Ah  :  Ah  ! 
Catherinette  et  Gatherina; 
Salua  la  belle  Suzon, 
La  duchesse  de  Montbazon , 

Salua  Madeleine... 
A  toutes  il  fit  un  cadeau  : 
Bague  à  Dine, 
Bague  à  Chine; 
Puis  il  leur  offrit  à  coucher  : 
Paille  à  Dine, 
Paille  à  Chine; 
Puis  toutes  il  les  renvoya  : 
Chassa  Dine, 
Chassa  Chine;... 
Embrassa  la  Du  Maine  ; 
Diamants  à  la  Du  Maine; 
Beau  lit  à  la  Du  Maine; 
Et  garda  la  Damain. 

Vieille,  aussi  vieille  peut-être  que  le  Messager,  —  elle  a  été  imprimée 
la  même  année  à  Lyon  chez  Jean  d'OgeroUes  et  a  été  reproduite  dans 
les  Facéties  lyonnaises,  de  Montfalcon, —  la  chanson  de  la  Belle  Cordelière 
a  traversé  les  ans  et  fait  encore  le  bonheur  des  gens  réunis  pour  boire 
et  chanter.  Son  âge  est  dans  la  hardiesse  de  ses  propos.  Mais  le  Lyonnais, 
vieux  Gaulois,  ne  s'efiarouche  pas  pour  si  peu.  Nous,  nous  gazons. 
Donc  : 


L'autre  jour  je  m'en  allois 
Mon  chemin  droict  à  Lyon  ; 
Je  logis  chez  la  Cordière, 
Faisant  du  bon  compagnon. 


—  Approchez-vous  mon  amy, 
S'a  dit  la  dame  gorriere  ; 
Approchez-vous,  mon  amy, 
La  nuit  je  ne  puis  dormir. 


Elle  dict  à  son  mary  : 
—  Jan,  Jan  vous  n'avez  que  faire  ; 
Je  vous  prie,  allez  dormir, 
Couchez-vous  en  la  couchette. 

Notre  compagnon  est  au  comble  de  ses  vœux.  Il  compte  sur  des  jours 
tissés  d'or  et  de  soie;  mais  il  faut  bientôt  en  rabattre...  Il  y  vint  un 
advocat,  venant  de  Forvières,  guy  monstra  tant  de  ducats,  s'a  dit  la  dame  : 
Prenons  nous  deux  nos  ébats...  Il  y  vint  un  procureur,  qu'estait  de  bonne 
sorte;  il  y  a  laissé  sa  robe,  et  sa  bourse  qui  vaut  mieux...  Il  y  vint  un  cor- 
donnier, qui  estait  amoureux  d'elle;  lui  donne  un  chausse-pied,  mais  elle 
n'en  avait  que  faire...  Il  est  venu  un  meusnier,  le  col  cliargé  de  farine; 

Il  a  tout  enfariné 
Cette  gentille  cordière  : 
Il  la  faut  espousseter 
Tous  les  soirs  après  souper. 


Conclusion  : 


Le  but  où  elle  prétend. 
C'est  pour  avoir  de  l'argent. 


Toutes  les  Lyonnaises  ne  sont  heureusement  pas  comme  la  belle 
Cordière.  Voyez  plutôt  cette  petite  maman,  qui  berce  doucement  son 

nouveau-né  : 

Riguinguette,  riguingot, 

Girofle,  girofla, 

Le  mimi  vo  bien  dromi. 

Bergère,  laissée  seulelte  au  bois  cueillir  la  violette,  elle  a  su  se  défendre 
des  galants  :  Monsu,  gardez  vos  airs,  à  vous;  si  fan  gardia  mes  moutons, 
leur  disait-elle;  batelière,  elle  jetait  à  l'eau  ses  passagers  trop  entrepre- 
nants; fermière,  escortée  par  un  cavalier,  elle  le  fait,  devenue  plus 
pratique,  descendre  de  sa  monture,  enfourche  son  cheval  et  s'éloigne 
au  galop.  Vainement,  l'autre  : 

Arrête,  la  belle,  arrête. 
Tu  emmènes  mon  chevaux, 
Ma  selle  et  ma  vahse, 
Mon  or  et  mon  argent 
Qu'est  renfermé  dedans. 

Elle  fuit  et  bientôt  a  disparu  à  ses  yeux.  Ah,  maisi  c'est  que  la 
matrone  n'entend  pas  raillerie  en  matière  de  sentiment.'  Ses  amours 
ont  été  contrariées;  elle  s'est  enfermée  dans  une  tour  et  a  fait  semblant 
de  mourir.  Ses  funérailles  vont  avoir  lieu  ;  le  cortège  se  met  en  route, 
et  son  amoureux  montre  une  douleur  à  fendre  l'âme.  Alors  elle  se 
)     réveille;  ce  sont  des  étreintes  sans  fin,  et,  tout  ébahis, 


302 


LE  MENESTREL 


Les  quinze  curés  disent  aux  abbés  : 
—  La  belle  chose  que  de  s'aimer  ! 
Nous  la  portions  enterrer, 
Maintenant  il  faut  les  marier.  » 

Et  Tun  d'eus,  se  tournant  galamment  vers  la  ressuscites  : 

Il  y  a  sept  ans  que  vous  l'aimiez, 
Il  est  bien  just'  qne  vous  l'épousiez. 

Les  fiançailles  ont  eu  lieu  sur  l'heure.  Les  indiscrets  ont  demandé  : 

Quel  habil  mcttrez-vozis? 
—  Le  jour  (le  votre  noce. 

Et  elle  a  répondu  : 

Habit  de  blanc,  habit  de  noir, 
CoilTure  de  pénitence; 
Mon  mari  y'  mettra 
Chapeau  de  patience. 

Malgré  ces  réserves,  tout  s'est  bien  passé  pendant  les  fêtes  nuptiales. 
Les  jeunes  gens  ont  tiré  les  salves  obligées  devant  Téglise;  les  violoneux 
ont  fait  rage,  en  tête  du  cortège;  et  pendant  le  repas,  les  chansons  du 
cru  se  sont  succédé  au  milieu  du  fou  rire  provoqué  par  les  refrains 
qui  sont,  dans  le  pays  lyonnais,  pétillants  comme  un  feu  de  sarment. 
Comment  résister  à  ce  méli-mélo,  qui  n'a  ni  rimes  ni  raison,  mais  qui 
s'égrène  comme  les  clochettes  d'un  carillon  en  goguette  : 

Qui  charme  le  chœur  d'Élise? 
Son  mistigon  darda  tire  lire 
Au  clin  clin  cla  té  clarïra 
Fortairire,  l'ortaira, 
Risandan  son  ribibi,  ribibi,  riboulette. 

C'est  M.  G-uimet  qui  nous  fournit  cet  alerte  morceau.  Weckerlin, 
grand  ami  des  rythmes  grésillants,  nous  donnera  la  chanson,  populaire 
entre  toutes  :  Plngo  les  noix.  Elle  dit  en  substance  : 

Derrièr'  chez  nous  il  y  a  t-un  bois, 
Pingui,  pingo,  pingo  les  noix. 
Deux  lièvres  sont  dans  le  bois 
Bibelin,  bibelo,  popo  la  guenagu, 

Pingui,  pingo, 
Pingo  la  guénago,  pingo  les  noix. 
Pour  les  chasser,  m'en  fus  au  bois, 


Ils  sont  partis  en  tapinois 

Morale 
Ne  courez  jamais  dans  le  bois, 
Pingui,  pingo,  pingo  les  noix, 
Après  deux  lièvres  à  la  fois, 
Biielin,  bibelo,  popo  la  guénagu, 

Pingui,  pingo, 
Pingo  la  guènago,  pingo  les  noix. 


L'entrée  en  ménage  a  donc  été  gaiment  fêtée  et  scandée  en  musique. 
Ils  seront  heureux,  n'en  doutons  pas,  ces  bons  paysans  lyonnais,  qui 
commencent  la  vie  sur  de  si  vifs  refrains.  Élise  aura  vite  dépouillé  sa 
coiffure  de  pénitence,  et  son  mistigon  accrochera  son  chapeau  de  patience 
à  la  patère  du  parfait  bonheur. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIV^ERSES 


ÉTRANGER 


n  est  écrit  que  Beethoven  n'aura  pas  de  repos,  même  après  sa  mort. 
Ses  restes  ont  été  exhumés  il  y  a  un  quart  de  siècle  et  transportés  solennel- 
lement au  cimetière  central  de  Vienne,  où  la  tombe  du  grand  artiste  occupe 
une  place  privilégiée  dans  la  section  attribuée  aux  hommes  célèbres.  Et 
voilà  qu'il  est  question  de  déplacer  son  monument,  qui  fut  érigé  en  1880.  A 
cette  époque  le  monument  se  trouvait  au  milieu  d'un  square  tranquille  et 
avait,  comme  fond,  les  vieux  arbres  du  bord  de  la  petite  rivière  Vienne  qui 
coulait  doucement  ses  flots...  quand  elle  avait  de  l'eau.  On  a  transformé  tout 
l'entourage  du  monument;  la  Yienne  est  couverte  et  on  se  promène  mainte- 
nant au-dessus  d'elle,  les  arbres  sont  coupés  et  la  circulation  est  devenue 
assez  importante  à  cet  endroit.  Les  Viennois  ne  veulent  pas  que  Beethoven 
leur  tourne  le  dos,  et  le  conseil  municipal  a  décidé  de  faire  faire  volte-face  à 
la  statue.  Au  lieu  de  regarder  vers  l'ouest,  vers  la  patrie  rhénane,  elle  regar- 
dera dorénavant  vers  l'est,  du  coté  de  la  Hongrie.  Ce  changement  dans  la 
position  de  Beethoven  doit  avoir  lieu  avant  le  commencement  de  la  mau- 
vaise saison.  L'auteur  de  la  statue,  le  sculpteur  Zumbusch,  est  heureusement 
encore  de  ce  monde  et  pourra  surveiller  la  petite  opération,  qui  n'offre  d'ail- 
leurs aucun  danger.  Espérons  à  présent  que  les  restes  de  Beethoven  et  sa 
statue  jouiront  désormais  d'un  repos  bien  mérité.  Requiescanl  iiipacc! 

—  Le  comité  qui  s'est  formé  à  Hambourg  pour  l'érection  d'un  monument 
à  Johannès  Brahms  n'a  pas  ouvert  de  concours  pour  en  obtenir  le  modèle 


mais  a  confié  l'exécution  du  monument  à  M.  Max  Klinger,  ami  personnel  de 
Brahms.  Cet  artiste  s'est  d'abord  distingué  comme  peintre  et  comme  gra- 
veur; il  a  ensuite  abordé  la  sculpture  et  s'est  toujours  montré  très  original 
dans  ses  conceptions,  qui  pourtant  ne  sont  pas  toujours  très  heureuses. 
M.  Klinger  a  publié,  encore  du  vivant  de  son  ami  Brahms,  une  série  d'eaux- 
tortes  inspirées  par  des  mélodies  du  compositeur  qui  ne  manquent  ni  de 
charme  ni  de  saveur.  On  peut  s'attendre  à  ce  qu'il  quitte,  comme  on  dit,  les 
sentiers  battus  dans  son  projet  pour  le  monument  qui  doit  orner  la  ville  na- 
tale de  Brahms. 

—  L'intendant  de  l'Opéra  royal  de  Budapest,  comte  Etienne  de  Keglevich, 
vient  de  donner  sa  démission.  Il  n'aura  pas  de  successeur.  Dorénavant  le 
directeur  de  l'Opéra  royal  sera  placé  directement  sous  les  ordres  du  ministre 
de  l'instruction  publique. 

—  On  apprend  de  Munich  que  M.  Siegfried  Wagner  aurait  déclaré  qu'il 
ne  permettrait  à  aucun  nouveau  théâtre  allemand,  construit  selon  les  prin- 
cipes de  celui  de  Bayreuth,  de  jouer  les  œuvres  de  son  pète  avant  l'année  1913, 
époque  à  laquelle  la  protection  de  ces  œuvres  expire  selon  la  nouvelle  loi 
allemande.  M.  Siegfried  Wagner  prétend  que  les  directeurs  allemands  n'ont 
acquis  le  droit  de  jouer  lesdites  œuvres  que  pour  les  théâtres  qui  existaient 
au  moment  du  traité  et  que  ce  droit  n'est  pas  transmissible  à  de  nouvelles 
constructions!  Cette  théorie  est  fort  contestable  et  pourra  donner  lieu  à  des 
procès  curieux.  Il  est  évident  qu'un  théâtre  municipal  qui  a  acquis  les  droits 
de  représentation  d'une  œuvre  lyrique  peut  très  bien  eu  profiter  dans  une 
nouvelle  salle,  si  par  exemple  l'ancienne  a  brûlé.  Et  qui  peut  l'empêcher 
d'abandonner  un  ancien  théâtre  pour  en  construire  un  autre  selon  un  modèle 
différent? 

—  Chose  incroyable,  dit  un  de  nos  confrères  belges,  c'est  un  musicien 
français  qui  détient  le  record  du  chiffre  de  représentations  pour  une  de  ses 
œuvres  pendant  la  dernière  saison  de  l'Opéra  de  Dresde.  Saint-Saêns  a 
«  dégoté  »  Wagner,  dont  le  Tannhduser  n'est  arrivé  qu'à  douze  représenta- 
tions, alors  que  Samson  et  Balila  —  il  est  vrai  que  c'était  une  nouveauté  pour 
les  Dresdois  —  a  pu  être  donné  vingt  fois. 

—  On  écrit  de  Prague  :  «  Les  journaux  tchèques  racontent  la  façon  excep- 
tionnellement amicale  avec  laquelle  le  pape  a  reçu  récemment  en  audience 
privée  le  jeune  mais  déjà  célèbre  violoniste  tchèque,  Jan  Kubelik.  Le  vieux 
pontife  alla  droit  au  jeune  artiste  et  l'embrassa  en  s'écriant  :  «  Je  vous 
connais  déjà  sous  le  nom  de  //  Pacjanini  redevivo  ».  Puis  il  continua  :  «  Le 
cardinal  Vaszary  m'avait  demandé  pour  vous  la  grand'croix  de  Saint-Gré- 
goire: je  vous  trouvais  cependant  encore  bien  jeune  pour  mériter  cette  dis- 
tinction (Kubelik  n'a  que  vingt  ans)  et  je  déclinai  la  proposition;  mais  le 
cardinal  insista  et  me  dit  :  o  Sans  doute  Kubelik  est  très  jeune,  mais  comme 
artiste  c'est  un  maître  de  par  la  grâce  divine.  »  Je  ne  pouvais  rien  objecter 
contre  un  tel  argument  et  je  me  suis  décidé  alors  à  vous  accorder  la  grand'- 
croix de  Saint-Grégoire,  en  souhaitant  que  vous  continuiez  à  développer  votre 
art  pour  l'honneur  de  votre  patrie,  s  A  la  Un  de  l'audience  le  pape  a  béni 
Kubelik  et  lui  a  remis  deux  rosaires,  «  un  pour  lui,  a-t-il  dit,  et  un  pour  sa 
petite  mère,  à  laquelle  il  sait  qu'il  porte  une  grande  affection  ». 

—  La  nouvelle  Société  Bach  qui  s'est  formée  à  Leipzig  compte  déjà  plus  de 
SOO  membres  et  reçoit  constamment  de  nouvelles  adhésions. 

—  La  ville  de  Catane  s'apprête  décidément  à  fêter  lo  centenaire  de  la  nais- 
sance de  son  plus  glorieux  enfant,  Vincenzo  Bellini,  l'auteur  de  Xorma  et  de 
la  Sonnambula.  Le  programme  des  fêtes  est  très  fourni  et  comprend,  entre 
autres  choses  :  un  discours  commémoralif  prononcé  par  un  écrivain  distingué; 
l'inauguration  d'une  plaque  commémorative  dans  le  palais  où  naquit  le 
compositeur;  une  exposition  de  souvenirs  de  Bellini  au  Musée  des  Béné- 
dictins et  l'inauguration  de  la  Bibliothèque  communale  dans  le  même 
édifice;  un  grand  cortège  pour  déposer  une  couronne  sur  la  tombe  de  Bellini 
et  une  autre  sur  le  monument  de  la  place  Stésichore;  l'exécution  d'une 
grande  élégie  musicale,  Hymne  à  Bellini,  dont  l'auteur,  M.  Pietro  Platania, 
directeur  du  Conservatoire  de  Palerme,  est  né  à  Catane  ;  grand  concours 
régional  de  bandes  musicales;  grand  concours  entre  toutes  les  musiques 
militaires  de  la  Sicile,  avec  l'autorisation  du  ministre  de  la  guerre  ;  grande 
illumination  allégorique;  fête  musicale  au  Jardin  Bellini;  distribution  de 
médailles  commémoratives:  repas  offert  pendant  deux  jours  aux  pauvres; 
inauguration  d'une  grande  saison  musicale  au  théâtre  Bellini,  saison  pendant 
laquelle  on  ne  représentera  que  des  leuvres  du  maître,  etc.  Et  pour  terminer, 
il  y  aura  durant  les  fêtes  tir  aux  pigeons,  tournoi  d'escrime,  concours  .de 
cyclistes,  grande  fête  des  fleurs,  bals,  concerts,  lâcher  de  pigeons  voyageurs, 
etc.,  etc.,  etc. 

—  Voici  qu'on  annonce  à  Milan  la  publication  d'unopéra  posthume  du  com- 
positeur Ponchielli,  l'auteur  de  la  Gioconda,  mort  depuis  quinze  ans.  Cet 
opéra,  dont  nul  n'avait  entendu  parler  jusqu'ici,  aurait  été  écrit  sur  un  livret 
d'Antonio  Gbislanzoni,  lequel  est  mort  aussi,  et  a  pour  titre  i  Mori  di  Valenza. 
La  partition  toutefois  est  restée  inachevée,  et  l'instrumentation  doit  en  être 
faite  par  M.  Annibale  Ponchielli,  fils  du  compositeur.  L'ouvrage  vient,  dit- 
on,  d'être  acquis  par  un  éditeur  milanais  qui  va  le  publier  et  se  propose  de 
le  faire  représenter  prochainement. 

—  Le  théâtre  National  de  Bome,  en  ce  moment  fermé,  a  rouvert  ses  por- 
tes pendant  deux  soirées  pour  faire  place  à  une  troupe  d'enfants  qui  es 
venue  donner,  les  24  et  28  août,  deux  représentations  d'un  opéra-comique 
inédit  en  quatre  actes,  Carmelita,  paroles  de  M.  G.  Fatti,  musique  de  M.  Ce- 


1 


LE  MENESTREL 


303 


sarini.  L'œuvre  el  ses  mignons  interprètes,  très  adroits,  paraît-il,  ont  obtenu 
un  vrai  succès. 

—  Le  théâtre  du  Buen-Retiro,  à  Madrid,  vient  de  donner  la  première 
représentation  de  Marcia,  l'opéra  qui  a  obtenu  le  prix  du  concours  ouvert 
entre  les  musiciens  espagnols  par  la  direction  de  ce  théâtre.  L'ouvrage  est  en 
trois  actes,  et  ses  auteurs  sont  MM.  Gonzalo  Canto  pour  les  paroles  et  Cleto 
Zavalà  pour  la  musique.  Le  livret,  très  dramatique,  met  en  scène  un  épisode 
de  la  conquête  romaine  en  Espagne:  l'incendie  de  Numance  par  ses  habitants 
patriotes,  qui  préférèrent  détruire  leur  ville  que  la  rendre  auxvainqueurs.il  va 
sans  dire  qu'une  histoire  d'amour  est  greffée  sur  ce  sujet  héroïque.  Bien  que 
la  musique  mérite  des  éloges,  il  ne  semble  pas  que  le  succès  ait  été  éclatant, 
surtout  pour  deux  raisons  :  la  faiblesse  générale  de  l'exécution  et  l'excessive 
maigreur  de  la  mise  en  scène,  qui,  au  contraire,  eût  exigé  un  effort  consi- 
dérable. Les  interprètes  principaux  étaient  MM.  Albiach,  Blanco,  Fuster  et 
M"":  Petrowski. 

—  Il  est  question,  à  Genève,  de  donner  l'hiver  prochain  deux  œuvres 
lyriques  nouvelles  importantes  :  la  Fille  de  Jeplilé,  opéra  eu  trois  actes  de 
M.  Pierre  Maurice,  et  Lois,  opéra  de  M.  Gustave  Doret. 

—  Une  nouvelle  salle  de  concerts  a  été  construite  à  Saint-Gall  (Suisse).  Les 
fonds  nécessaires  ont  été  réunis  par  les  bourgeois  de  la  ville. 

—  On  a  donné  récemment,  à  Spa,  la  première  représentation  d'un  opéra- 
comique  inédit  en  un  acte,  Bonhomme  Noël,  dont  le  succès  paraît  avoir  été 
très  vif.  Le  livret  est  de  MM.  Léo  Diensis  et  Théo  Hannon,  la  musique  de 
M.  Louis  Hillier,  un  violoniste  de  Bruxelles,  connu  déjà  par  quelques  compo- 
sitions, mais  qui  abordait  le  théâtre  pour  la  première  fois.  Sa  partition  est, 
dit-on,  fine,  élégante,  légère  et  point  du  tout  banale.  Interprètes  :  M"«  Mort- 
main  et  M.  Delpret. 

—  Dans  un  grand  concours  national  entre  les  sociétés  chorales  du  Royaume- 
Uni  qui  vient  d'avoir  lieu  à  Londres,  un  concert  de  clôture  très  brillant  a  été 
donné  au  Crystal  Palace.  A  ce  concert  a  été  exécuté,  par  toutes  les  sociétés 
inscrites,  un  oratorio  inédit  d'un  compositeur  italien,  M.  Franco  Leoni,  an- 
cien élève  du  G mservatoire  de  Milan,  établi  en  Angleterre  depuis  plusieurs 
années.  Cet  oratorio,  intitulé  the  Gâte  of  life  (l'Entrée  de  la  vie),  paraît  avoir 
obtenu  un  grand  succès. 

—  Un  directeur  de  théâtre  de  Saint-Louis  (Etats-Unis)  vient  d'inaugurer 
un  système  qui  a  pour  but  d'éviter  aux  spectateurs  la  prolongation  de  l'ennui 
d'une  pièce  qui  leur  déplaît,  et  aux  acteurs  l'octroi  de  pommes  cuites,  dont 
l'usage  est  encore  vivace  dans  certaines  villes  américaines.  La  méthode 
employée  par  le  manager  en  question  consiste  dans  le  fractionnement  du 
prix  des  places  pour  chaque  acte  de  la  pièce  représentée.  Chaque  spectateur 
doit,  naturellement,  payer  à  l'entrée  le  prix  total  de  la  place  qu'il  veut  occuper. 
Mais  si,  par  exemple,  la  pièce  est  en  cinq  actes  et  qu'il  en  ait  assez  après  le 
premier,  il  n'a  qu'à  se  présenter  au  contrôle,  où,  sur  sa  demande,  on  lui  rem- 
bourse les  quatre  cinquièmes  de  son  billet;  s'il  a  eu  la  patience  d'entendre  le 
second  et  qu'il  n'en  veuille  pas  davantage,  il  a  droit  à  un  remboursement 
équivalant  au  reste,  et  ainsi  de  suite.  Il  paraît  que  ce  procédé,  qui  a  au  moins 
le  mérite  de  l'originalité  et  de  la  nouveauté,  a  été  très  bien  accueilli  par  le 
public,  on  assure  que  phisieurs  directeurs  de  théâtres  de  New- York  seraient 
disposés  à  l'expérimenter  pendant  la  très  prochaine  saison  d'automne. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Pas  bien  corsé,  le  programme  donné  en  l'honneur  du  tsar  à  Compiègne. 
Il  comprenait,  après  im  compliment  en  vers  adressé  à  l'impératrice  de  Rus- 
sie, dit  par  M"^  Bartet  et  écrit  par  M.  Edmond  Rostand  :  1°  Deux  actes  i'Il 
ne  faut  jurer  de  rien  d'Alfred  de  Musset,  le  2=  et  3'  (Il  parait  que  le  premier 
est  inutile  à  l'intelligence  de  l'action);  2°  quelques  menus  divertissements 
chorégraphiques  tels  qu'un  menuet  à'Haendel  et  une  sarabande,  où  triom- 
phaient les  sœurs  Mante.  —  Les  organisateurs,  comme  on  voit,  ne  se  sont  pas 
donné,  comme  on  dit,  de  méningite  aiguë.  Les  spectacles  les  plus  courts  ne 
sont-ils  pas  d'ailleurs  les  meilleurs.  C'est  probablement  l'avis  du  Tsar. 

—  Les  inscriptions  des  aspirants  au  Conservatoire  pour  les  prochains 
concours  d'admission  seront  reeues  à  partir  du  l*^"^  octobre,  de  neuf  heures  à 
quatre  heures,  sauf  les  dimanches  et  fêtes,  jusqu'aux  dates  ci-après  où  se  fera 
la  clôture  des  listes  : 

HarpL^,  piano  (hommes),  mercredi  9  octobre. 
Violon,  lundi  14  octobre. 
Piano  ïfemmes),  jeudi  17  octobre. 
Contrebasse-alto-violoucelle,  mercredi  23  octobre. 
Déclamation  dramatique  (hommes^,  lundi  28  octobre. 
Déclamation  dramatique  (fenimesj,  mardi  29  octobre. 
Flûte,  Iiautbois,  clarinette,  basson,  mercredi  30  octobre. 
Cor,  cornet  à  pistons,  trompette,  trombone,  jeudi  31  octobre. 
Chant  (hommes  el  femmes),  lundi  4  novembre. 

Les  concours  pour  l'admission  ont  lieu  dans  la  huitaine  qui  suit  la  clôture  des  listes 
d'inscription. 

Les  aspirants  inscrits  sont  prévenus,  par  lettre,  du  jour  et  de  l'heure  où  ils 
seront  entendus  par  le  jury.  Ceux  qui,  trois  jours  après  la  clôture  des  ins- 
criptions, n'auraient  pas  reçu  de  convocation,  sont  invités  à  en  aviser  le  secré- 
tariat. 


—  Toujours  amusantes  et  pittoresques,  les  notes  sur  l'Opéra  qui  courent  les 
journaux.  Quel  en  est  donc  l'ingénieux  rédacteur,  un  pince-sans-rire  de 
premier  ordre  ? 

«  M.  Gailhard,  dit  l'une,  tenant  à  ce  que  les  Barbares  soient  présentés  dans 
le  courant  d'octobre  et  Siegfried  à  la  fin  de  l'année,  l'orchestre  répète  de  la 
sorte  concurremment  les  deux  ouvrages  ».  Concurremment,  un  rêve!  Pourvu 
grands  dieux!  qu'avec  leur  nonchalance  habituelle  les  musiciens  n'aillent  pas 
embrouiller  les  deux  partitions  et  mettre  du  Saint-Saëns  là  où  il  faudrait  du 
Wagner  et  vice  versa,  comme  dirait  le  chauffeur-aquarelliste  de  l'Opéra,  très 
ferré  sur  le  latin. 

«  Grand  émoi  hier  dans  les  coulisses  du  théâtre,  dit  l'autre.  Après  le  pre- 
mier acte  à'Aïda,  M.  Gailhard  tint  à  honneur  de  faire  visiter  les  coulisses  aux 
chefs  arabes  qui  assistaient  à  la  représentation.  L'aimable  directeur  leur  fit 
d'abord  traverser  la  scène,  où  les  machinistes  plantaient  le  décor  du  doux; 
puis  il  les  conduisit  au  foyer  de  la  danse,  où  ils  durent  défiler  devant  le  corps 
de  ballet,  dégringolé  à  la  hâte  de  toutes  les  loges.  Et  c'était  un  spectacle 
curieux,  celui  de  ces  hommes  superbes  drapés  dans  le  burnous  et  coiffés  du 
turban,  s'avançant  gravement  au  milieu  de  ces  petits  rats  parisiens  qui  les 
regardaient  l'œil  éveillé  et  le  nez  effronté.  Mais  la  fête  eiit  été  complète  si 
dans  le  cortège  du  deuxième  acte  on  avait  pu  voir  défiler  ces  admirables  figu- 
rants du  désert  »!!!  —  Les  «  chefs  arabes  «  qu'on  aurait  voulu  voir  réduits 
à  l'état  de  choristes  !  Voilà  bien  une  idée  toulousaine.  Mais  l'idée  la  plue 
comique  est  encore  celle-ci.  Le  jeune  ténor  Rousselière,  qui  chantait  le 
rôle  de  Radaraès,  où  il  était  facile  de  le  doubler,  avait  demandé  un  congé 
qu'on  aurait  pu  certainement  lui  accorder  en  d'autres  circonstances.  Mais 
comme  il  est  «  natif  d'Alger  »,  on  n'a  pu  le  lui  octroyer!  Ce  n'était  pas  au 
moment  où  les  «  chefs  arabes  »  venaient  visiter  le  monument  Garnier 
qu'on  pouvait  vraiment  se  priver  d'un  véritable  algérien  !  N'était-ce  pas  le 
cas  ou  jamais  de  le  produire?  Ce  que  les  «chefs»  ont  du  être  flattés  de  cette 
délicate  attention! 

—  L'Opéra-Gomique,  toujours  fort  vivant  et  animé,  a  passé  en  revue,  toute 
cette  semaine  d'ouverture,  les'principaux  ouvrages  de  son  répertoire  tels  que 
Mignon,  Carmen,  Lakmé,  Manon,  Louise,  Mireille,  la  Basoche  et  autres.  On  devait 
même  donner  la  Vie  de  Bohème,  pour  les  débuts  de  M""  Giraud  ;  mais  l'indis- 
position d'un  ténor  a  tait  remettre  cette  intéressante  soirée  à  mardi  prochain. 
Tous  ces  divers  spectacles  ont  été  fort  bien  présentés  et  on  a  particulièrement 
goûté  M"'  de  Craponne  dans  Mignon,  M"<=  Tiphaine,  qui  a  pris  possession  du 
rôle  de  Colette  dans  la  Basoche,  l'originale  et  intelligente  M"<=  Garden  dans 
Manon,  et  tous  les  excellents  interprètes  de  Louise,  M"«  Garden,  déjà  nommée, 
MM.  Fugère  et  Maréchal  tout  en  tète.  Nous  insisterons  particulièrement  sur  la 
soirée  de  Lakmé,  parce  qu'elle  a  servi  de  début  à  M"'=  Lidya  Nervil,  qui  nous 
vient  d'Amérique,  une  bonne  marque  pour  les  cantatrices,  comme  on  sait. 
Et  de  fait,  M'"^  Nervil  a  déjà  dans  le  gosier  tout  le  cristal,  toutes  les  facilités 
d'oiseau  qu'on  trouve  d'ordinaire  chez  les  grandes  «  étoiles  »  de  son  pays.  En 
cherchant  bien  on  y  trouverait  aussi,  tout  au  fond  encore,  mais  ne  demandant 
qu'à  émerger  bientôt,  des  liasses  de  banknotes,  comme  on  en  a  trouvé  dans 
l'œsophage  des  Patti  et  des  Melba.  C'est  vous  dire  qu'on  peut  compter  sur 
l'avenir  de  la  nouvelle  artiste.  H  ne  lui  manque  que  l'assurance  que  donne  la 
pratique  de  son  métier  et,  intelligente  et  habile,  elle  en  montrera  beaucoup 
avant  peu,  nous  n'en  doutons  pas.  En  attendant,  le  public,  déjà  séduit  par  ses 
grandes  qualités,  lui  a  fait  le  plus  chaleureux  accueil.  L'acquisition  est  excel- 
lente pour  le  théâtre  Favart. 

—  Il  peut  être  intéressant  de  connaître  le  tableau  de  troupe  au  complet  de 
rOpéra-Comique  pour  la  prochaine  saison.  La  voici  dans  son  abondance  et 
aussi  dans  sa  qualité  :  M""  Delna,  M""=  Sibyl-Sanderson,  Lucienne  Bréval, 
Jeanne  Raunay  et  Deschamps-Jehin.  en  représentations;  M"'''  Guiraudon, 
Charles-Rothier,  Garden,  Thiéry,  Gerville-Réache,  Tiphaine,  Eyreams,  de 
Craponne,  Courtenay,  Marié  de  l'Isle,  Baux,  Mellot,  Vilma,  Cesbron,  premier 
prix  du  Conservatoire  (début),  Nervil  (début),  Giraud  (début),  Caux  (début), 
Valdys  (début),  Duffetye,  Pierron  et  Chevalier.  —  MM.  Fugère,  Maréchal, 
Clément,  L.  Beyle,  Gautier,  Peyre  (début),  Carbonne,  Gazeneuve,  Jabn,  Jean 
Périer,  Dufranne,  Delvoye,  Bourbon,  Mondaud,  Allard,  Boyer,  Vieuille, 
Boudouresque,  Rothier,  Jacquin,Huberdeau,  Grivot,  Gourdon  etMesmaecker. 
—  L'orchestre,  sous  la  direction  de  MM.  André  Messager,  directeur  de  la 
musique,  Alexandre  Luigini  et  Georges  Marty.  —  Le  ballet,  sous  la  direction 
de  M"' Mariquita  ;  M"' Chastes,  première  danseuse. 

—  Spectacle  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-comique  :  Matinée  :  La  Ba- 
soche, les  Noces  de  Jeannette;  soirée  :  Lakmé,  le  Maître  de  Chapelle. 

—  M.  Henri  Carré,  qui  depuis  vingt-cinq  ans  occupait  à  l'Opéra-Comique 
la  fonction  de  chef  des  chœurs,  vient,  pour  raisons  de  santé,  de  donner  sa 

démission.  Il  aura  pour  successeur  M.  Henri  Bùsser,  un  jeune  musicien  fort 
distingué,  grand  prix  de  Rome,  qui  fit  avec  succès,  l'hiver  dernier,  ses  dé- 
buts comme  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  populaire. 

—  Les  cours  de  l'école  des  chœurs,  à  l'Opéra-Comique,  recommenceront 
le  l"  octobre.  Des  examens  d'admission  auront  lieu  à  la  fin  de  ce  mois;  les 
candidats  sont  priés  d'adresser  leur  demande  au  secrétariat  du  théâtre,  en 
donnant  leurs  nom,  âge  et  adresse.  La  qualité  de  Français  est  indispensable,. 
Les  femmes  sont  admises  jusqu'à  22  ans  et  les  hommes  jusqu'à  26  ans. 

—  M.  Maurice  Grau,  le  grand  imprésario  américain,  a  quitté  Paris  cette 
semaine  pour  s'embarquer  à  Cherbourg  sur  le  Kronprinz-Withem  à  destina- 


304 


LE  MÉNESTREL 


tion  de  New-York,  où  il  précède  la  belle  compagnie  artistique  qu'il  a  formée 
pour  la  saison  1901-1902  : 

Prime-donne,  sopranos  :  M^^'  Suzanne  Adams,  Bauermeister,  Bréval,  Calvé,  Eames, 
Gadski,  Marjlli,  Reuss-Belce,  Sybil-Sanderson,  Sembrich,  Frilzischofî,  Ternina,  Van 
Cauteren. 

Contraltos  :  M"'  Carrie-Bridowell,  Louise  Homer,  Schumann-Heink. 

Ténors  :  Mil.  Alvarez,  Bandrowski,  Bars,  Van  Dyck,  Dippel,  Gibert,  de  Marchi,  Reiss, 
Salignac,  Varmi. 

Barytons  ;  MM.  Bispham,  Campanari,  De  Cléry,  Dufriche,  Gilibert,  Muhlmann,  Van 
Rooy,  Scotti,  Viviani. 

Basses  ;  MM.  Blass,  Plançon,  Perello  de  Segurola,  Edouard  de  Reszké,  Jlarcel  Journet. 

Cliefs  d'orchestre  :  51M.  Walter  Damrosch,  Ph.  Flon  et  Seppilli. 

Outre  le  répertoire,  M.  Grau  donnera  comme  nouveautés  Manru,  le  nouvel 
opéra  de  Paderewski,  et  Thaïs  de  Massenet.  —  M"«  Calvé  chantera  notam- 
ment la  Navarraise  et  Valentine  des  Buguenots;  W"  Eames,  Il  Trovatore; 
M""  Sanderson,  Manon,  Roméo  et  Juliette  et  Thaïs;  M°"=  Sembrich,  Ernani, 
VElisire  d'Amore  et  Eisa  de  Lohengrin;  M"":  Terninfi,  Gioconda,  Un  Ballo  in  Mas- 
chera  et  donna  Anna  de  Don  Giovanni,  etc.  —  M.  Alvarez,  chantera  le  Cid, 
Salammbô,  Otello  et  l'Africaine;  M.  Van  Dyck,  Siegfried  de  la  Gœlterdœmme- 
Tung;  M.  Plançon,  Thaïs  et  Gioconda;  M.  Edouard  de  Reszké,  "Wotan  de  la 
Valkyrie  et  Ernani.  —  M""  Bréval,  qui  n'arrivera  que  fin  janvier  (après  ses 
représentations  de  Grisélidis  à  l'Opéra-Comique  de  Paris),  chantera  la  Tosca  et 
Brûnhilde  de  la  Valkyrie.  —  Avant  la  saison  de  New-York,  qui  ne  s'ouvrira 
que  le  23  décembre,  la  tournée  commencera  le  7  octobre  et  jusqu'au  20  dé- 
cembre traversera  tous  les  Etats-Unis.  C'est  le  180"  voyage  effectué  par 
M.  Maurice  Grau  à  travers  l'Atlantique  et  l'avant-dernière  saison  qu'il  orga- 
nise en  Amérique.  Le  courageu.x  et  habile  imprésario  songe,  en  efi'et,  à  se 
reposer  après  tant  de  brillantes  campagnes.  En  1903,  donc,  il  reviendra  s'ins- 
taller définitivement  à  Paris  et  à  Croissy —  à  moins  que...  l'amour  du  métier 
ne  l'emporte  encore! 

—  On  se  rappelle  les  infortunes  de  la  construction  qu'on  avait  commencé 
à  élever  aux  Champs-Elysées,  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Cirque  d'hiver, 
construction  dont  le  vaste  entourage  en  planches  a  si  longtemps  déshonoré 
la  plus  admirable  promenade  de  Paris  et  peut-être  de  l'univers.  On  se  rappelle 
aussi  que,  faute  de  fonds,  cette  construction  d'un  nouveau  lieu  de  plaisir  dut 
tout  d'un  coup  être  abandonnée,  et  que  le  conseil  municipal  eut  à  s'occuper 
de  ce  qu'il  en  allait  advenir.  C'est  alors  qu'un  projet  surgit,  consistant  à  éle- 
ver sur  l'emplacement  en  question  un  grand  théâtre  lyrique  international, 
destiné  à  apporter  une  note  nouvelle  dans  les  jouissances  artistiques  de  la 
grande  capitale  que  d'aucuns  appellent  la  nouvelle  Athènes  tandis  que  d'au- 
tres la  traitent  de  moderne  Sodome.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  projet  dont  nous 
parlons,  dû  à  l'initiative  de  M.  Léon  Leoncavallo,  frère  du  compositeur  Rug- 
gero  Leoncavallo,  l'auteur  des  Paillasses  et  de  la  Bohême,  paraît  sérieux  et 
semble  devoir  prendre  corps.  Le  correspondant  parisien  d'un  journal  italien, 
l'Àlba,  envoie  sur  ce  projet,  à  sou  journal,  des  détails  précis  et  circonstanciés 
qu'il  assure  tenir  de  son  auteur,  M.  Leoncavallo  lui-même.  Puisque  c'est  du 
midi  qu'ainsi  cette  fois  nous  vient  la  lumière,  recueillons-en  les  rayons  et 
empruntons  à  l'Alba  les  renseignements  qu'elle  nous  apporte.  Le  projet  de 
M.  Leoncavallo,  dit  ce  journal,  est  sorti  de  la  période  de  préparation  pour 
entrer  dans  celle  d'expérimentation  prochaine.  En  fait,  le  conseil  municipal 
de  Paris,  dans  sa  séance  du  13  juillet  dernier,  ayant  été  saisi  du  projet  de 
M.  Leoncavallo,  a  décidé  de  faire  suspendre  la  démolition  du  bâtiment  des 
Champs-Elysées,  en  autorisant  l'autorité  compétente  (il  fallait  dire  la  com- 
mission) à  présenter  un  contrat  de  location  avec  M.  Leoncavallo  pour  la 
jouissance  de  ce  bâtiment  et  des  terrains  adjacents.  C'est  en  cet  endroit,  en 
effet,  que  doit  surgir  le  Théâtre  International.  Le  contrat  de  location  est  déjà 
en  grande  partie  établi,  et  M.  Leoncavallo  deviendra  locataire  des  terrains 
pendant  vingt-cinq  ans.  Une  société  a  été  constituée  entre  M.  Leoncavallo 
et  un  établissement  financier  parisien,  lequel  s'engage  à  construire  le  théâtre 
à  ses  frais  en  cédant,  moyennant  une  compensation  déterminée,  la  gestion  à 
M.  Leoncavallo.  Le  théâtre  doit  être  grandiose,  la  dépense  est  évaluée  à 
un  million  et  demi  environ,  et  il  doit  être  construit  dans  le  style,  si  heureux, 
du  petit  Palais  des  Champs-Elysées.  Le  projet  de  la  construction  est  dû  à 
l'architecte  Umbdenstock,  l'auteur  du  beau  Palais  des  armées  de  terre  et  de 
■  mer  à  l'Exposition  de  1900.  En  ce  qui  concerne  la  partie  artistique  de  l'en- 
treprise, le  nouveau  théâtre  aura  une  saison  lyrique  de  six  mois  d'hiver, 
comprenant  deux  mois  d'opéra  italien,  deux  mois  d'opéra  allemand  et  deux 
mois  d'opéra  français.  L'opéra  italien  se  basera  sur  le  répertoire  de  la  maison 
Sonzogno,  avec  laquelle  M.  Leoncavallo  est  en  train  de  négocier  un  traité. 
L'opéra  allemand  comprendra  uniquement  des  œuvres  de  "Wagner,  exécutées 
en  allemand,  avec  un  orchestre  allemand  et  sur  l'initiative  d'une  entreprise 
allemande  qui  s'est  déjà  entendue  avec  M.  Leoncavallo  pour  la  location  du 
théâtre.  Quant  à  l'opéra  français,  on  ne  représentera  que  des  œuvres  de  jeu- 
nes musiciens  de  la  nouvelle  école  encore  inconnus  du  public.  D'autre  part, 
l'orchestre  Lamoureux  donnera  vingt  matinées  dans  le  nouveau  théâtre,  où 
il  transportera  ses  pénates,  et  l'on  donnera,  dans  le  courant  de  l'hiver,  cinq 
grandes  fêtes  artistiques.  Enfin,  pendant  l'été,  le  théâtre  subira  uue  transfor- 
mation et  deviendra  un  théâtre  à  ciel  ouvert,  dans  lequel  ou  représentera  de 
grands  ballets  italiens  et  français,  comme  à  l'ancien  Eden  et  dans  les  Music- 
Halls  de  Londres.  On  espère  que  dans  six  mois  le  théâtre  pourra  être  inau- 
guré (?)  et  que  l'inauguration  se  fera  avec  une  campagne  d'opéra  italien.  


Tel  est  le  projet  dont  VAlba  nous  fait  connaître  les  éléments.  Nous  lui  souhai- 
tons, pour  notre  part,  grand  succès,  mais , 

—  Très  justes  observations  de  M.  Auguste  Germain  dans  l'Écho  de  Paris  :     ! 

A  l'occasion  de  l'arrivée  du  tsar  en  France,  certaines  coriioralion'  industrielles  doivent 
adresser  des  vœux  à  Nicolas II,  afin  que  celui-ci  revienne  sur  les  droits  d'enirée  en  Russie 
qu'ils  estiment  exagérés. 

Les  auteurs  dramatiques  ne  pourraient-ils  pas  se  joindre  à  ces  honorables  industriels?  : 

Us  ne  sont  pas  lésés,  eux,  par  les  droits  de  douane. 

Cela  va  plus  loin.  En  fait  de  droits,  ils  n'en  ont  aucun.  Les  théâtres  russes  peuvent 
faire  traduire  et  représenter  nos  pièces  sans  boui-se  délier.  Il  n'y  a  aucune  convention  , 
littéraire  entre  la  France  et  la  Russie.  Par  conséquent  on  peut  nous  piller  autant  qu'on  ' 
le  veut.  Nous  n'avons  qu'à  nous  incliner. 

En  revanche,  nous  touchons  intégralement  nos  droits  d'auteurs  en  Allemagne,  en 
Autriche,  —  à  peu  près  en  Angleterre.  Quant  à  l'Amérique,  elle  a  rapporté  de  petites 
fortunes  à  un  certain  nombre  d'auteurs  connus. 

Il  n'y  a  que  notre  alliée  qui,  malgré  toutes  les  démarches  faites,  prive  les  auteurs, 
comme  les  romanciers,  des  gains  auxquels  ils  ont  droit. 

Il  serait  temps  en  effet  que  notre  «  petit  père  »  le  tsar  voulut  bien,  sous 
ce  rapport,  faire  rentrer  la  Russie  dans  le  giron  des  nations  civilisées  qui 
respectent  la  propriété  artistique  à  l'égal  d'une  autre.  C'est  vraiment  assez 
faire  le  jeu  des  quelques  éditeurs  marrons  et  des  quelques  traducteurs  véreux 
qui  fleurissent  sur  les  bords  de  la  Neva.  Pour  l'honneur  de  la  Russie,  une 
telle  situation  doit  cesser  au  plus  vite.  Le  tsar  est  tout-puissant,  dit-on.  Il 
devrait  bien  le  montrer  dans  cette  circonstance  et  rappeler  à  son  pays  les 
principes  de  stricte  honnêteté  dont  il  n'aurait  jamais  dû  se  départir. 

—  Le  tribunal  de  Nice  a  rendu  récemment  un  j  ugement  déclarant  abusive 
la  vente,  par  les  agents  de  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs 
de  musique,  des  places  qui  leur  sont  remises  pour  leur  permettre  le  contrôle 
des  auditions  soumises  au  paiement  des  droits  d'auteur. 

—  M.  Adrien  Mithouard  vient  de  déposer  au  conseil  général  de  la  Seine 
le  vœu  qu'une  disposition  législative  soit  adoptée,  ayant  pour  effet  de  dis- 
penser les  musiques  des  établissements  scolaires  et  les  sociétés  musicales 
auto  risées  du  paiement  des  droits  d'auteur  et  de  l'obligation  d'une  autori- 
sation préalable  pour  les  exécutions  en  plein  air  ou  à  huis  clos  ne  donnant 
lieu  à  aucune  recette  directe  ou  indirecte.  Dans  l'Éclair,  M.  Alphonse 
Humbert  appuie  ce  vœu  et  estime  que  si  les  exigences  de  la  Société  des 
compositeurs  continuent  à  être  sanctionnées  par  la  loi,  les  sociétés  musicales 
qui  n'ont  ni  caisse  ni  recelte  ne  joueront  plus  que  des  œuvres  tombées  dans 
le  domaine  public,  et  ce  seront  les  musiciens  qui  l'auront  voulu.  M.  E.  Mas 
a  déjà  signalé  à  maintes  reprises,  dans  l'Instrumental,  cette  infiltration  de  la 
musique  étrangère,  et  il  est  temps  que  les  Pouvoirs  publics  mettent  un  frein 
salutaire  aux  exigences  de  la  Société  des  auteurs. 

—  La  ville  de  Lille  organise  pour  les  iS  et  16  août  1902  un  grand  concours 
international  pour  sociétés  orpbéoniques,  harmonies,  fanfares,  musiques 
militaires,  trompes  de  chasses,  mandolines,  etc.  Pour  l'organisation  de  ce 
concours,  qui  doit  avoir  un  éclat  exceptionnel,  le  conseil  municipal  a  voté 
une  somme  de  ISO. 000  francs. 

—  A  G ayeux-sur-Mer  vient  d'être  célébré  le  mariage  de  la  fille  aînée  du 
sympathique  compositeur-pianiste  A.  Trojelli.  Assistance  choisie  et  des  plus 
nombreuses  à  la  cérémonie  religieuse.  L'orchestre  du  casino  y  prétait  gra- 
cieusement son  concours.  Pendant  la  messe,  M"=  Hélène  Lehian  a  fait  ad- 
mirer sa  magnifique  voix  de  soprano;  M.  Hubault,  violon-solo  du  Casino,  a 
tenu  l'auditoire  sous  le  charme  en  jouant  avec  un  sentiment  exquis  l'Inter- 
mezzo de  Cavalleria  rusticana. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M""  Donne  reprendront,  18,  rue  Moncey,  leurs  leçons  le 
1"  octobre  et  leurs  cours  de  piano  et  de  solfège  le  5  octobre.  —  M"'  Dehermann-Roy, 
élève  de  Marie  Sasse,  de  l'Opéra,  reprendra  ses  cours  et  leçons  de  chant  chez  elle,  41,  rue 
Claude-Bernard,  à  partir  du  1"  octobre.  Cours  et  leçons  de  harpe  chromatique,  système 
Lyon. 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  fort  distingué,  l'excellent  violoncelliste  Richard  Loys,  bien 
connu  et  depuis  longtemps  du  public  de  nos  concerts,  vient  de  mourir,  après 
une  courte  maladie,  au  château  de  Vaugien,  à  Saint-Rémy-lez-Chevreusé.  Il 
était  âgé  de  65  ans. 

—  On  annonce  de  Lausanne  la  mort  de  M.  Fritz  Simrock,  le  chef  d'une 
des  plus  anciennes  et  des  plus  importantes  maisons  d'édition  musicale  de 
l'Allemagne.  Cette  maison  avait  été  fondée  à  Bonn  il  y  a  plus  d'un  siècle, 
par  Nicolas  Simrock,  un  artiste  qui  avait  appartenu  à  la  musique  de  l'élec- 
teur de  Cologne,  et  grâce  à  son  intelligence  et  à  son  activité,  elle  était  bien- 
tôt devenue  florissante.  Elle  passa  de  père  en  fils  jusqu'aux  mains  de  Fritz 
Simrock,  qui  lui  avait  maintenu  sa  grande  renommée.  Il  fut  surtout  l'éditeur 
de  Brahms,  qui  avait  pour  lui  une  vive  affection.  Fort  intelligent  et  doué, 
dit-on,  d'un  esprit  critique  très  fin,  Simrock  avait  horreur  de  la  banalité  et 
ne  publiait  que  des  œuvres  sérieuses  et  châtiées.  Il  donnait  des  soirées  mu- 
sicales fort  intéressantes  et  qui  étaient  très  recherchées  des  amateurs. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


3679.  —  67"=  ANIMÉE  —  [\1»39.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimaiiclie  29  Septembre  1901. 

(Les  Bureaux,  2  "'",  rue  TiTiehne,  Paris,  n-  m>) 
(les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

ménestre" 


lie  Hamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    TIIE^TI^E^ 

Henri     HEUGEL.,     Directeur 


liG  ^uméfo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  jréNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.Te.xto  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,    Paris  et   Province.  •-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  {31"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Bulletin  tliéâti'al  :  première  représentation  de  Bichetle  au  Palais-Boyal,  A.  P.;  pre- 
mière représentation  du  Fi/s  siirnaliirel  au  Théâtre  Cluny,  H.  M.  —  III.  Petites  notes 
sans  portée  :  Berlioz  et  Delacroix  à  propos  de  Mozart,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Notes 
d'ethnographie  musicale  :  Quelques  mots  sur  les  musiques  de  l'Asie  centrale,  les  chants 
de  l'Arménie  {ï"  article),  Julien  Tiersot.  —  V.  Pensées  et  Aphorismes  d'Antoine 
Rubin&tein.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CHANSON   A   DANSER 

de  A.   PÉRILHOU.  —  Suivra  immédiatement  :   le  Diable  au  corps,  polka  de 
Heinrich  Sthobl. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
le  Bécit  de  l'Aurore,  n°  2  des  Chansons  couleur  du  temps  de  Léopold  Dauphin, 
poésie  de  J. -B.  Molière.  —  Suivra  immédiatement  :  Chanson  d'automne 
d'ANDRÉ  Messager,  poésie  de  Paul  Delair. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

â'après  les  lémoires  les  plus  récents  et  fles  flociiients  inédits 

(Suile.) 


VIII  (suite) 

Non,  certes,  Auber  n'était  pas  un  indifférent.  Il  faut  voir  avec 
quelle  émotion  Anatole  Lionnet  (1)  rappelle  le  cordial  accueil 
qu'il  reçut  du  compositeur,  le  jour  où  il  chanta  chez  lui  un  air 
de  la  Favorite  et  la  romance  de  Paul  Henrion  Loin  de  sa  mère. 
L'enfant  —  Anatole  avait  dix-sept  ans  à  peine  —  était  de  petite 
taille,  très  mince  et  très  fluet.  Auber  s'étonnait  de  la  voix  qui 
sortait  d'un  corps  aussi  frêle. 

—  Très  bien  !  dit-il,  tu  seras  un  artiste. 

Et  il  fit  entrer  l'adolescent  dans  la  classe  du  chevalier  Pastore 
pour  le  solfège  et  dans  celle  de  Banderali  pour  le  chant. 

Il  savait  encourager  ses  élèves  partis  sur  la  voie  du  succès,  ou 
les  réconforter  dans  les  heures  difBciles.  Coquelin  cadet,  à 
l'issue  d'un  de  ces  concours  du  Conservatoire,  dont  les  résultats 
sont  toujours  discutés,  n'avait  pas  obtenu  le  prix  de  comédie 
qu'il  était  en  droit  d'espérer  et  protestait  les  larmes  aux  yeux 
contre  un  tel  déni  de  justice. 

(1)  Les  Frères  Ltonnet.  —  Souvenirs  et  anecdotes;  OUendorff,  1888. 


—  Allons,  lui  dit  Auber  pour  le  consoler,  suivez  l'exemple  de 
Figaro;  et,  comme  lui,  riez  d'une  injustice  plutôt  que  d'en 
pleurer. 

Il  est  certain  qu'il  avait  une  conception  très  élevée  du  travail 
pénible,  ingrat  et  même  rebutant,  lui  dont  ses  Aristarques  fou- 
droyaient la  «  déplorable  facilité  ».  Quand  un  des  professeurs  du 
Conservatoire,  l'honnête  et  consciencieux  Panseron,  vint  lui  de- 
mander, après  onze  mois  d'un  labeur  continu,  quelques  semaines 
de  congé  pour  se  remettre  de  ses  fatigues. 

—  Mais,  lui  dit  son  directeur,  lorsqu'on  a  beaucoup  travaillé 
pendant  onze  mois,  il  faut  encore  travailler  pendant  le  douzième 
pour  ne  pas  se  rouiller  et  se  tenir  en  haleine. 

Peut-être  aussi  faut-il  voir  dans  cette  rude  réponse,  si  opposée 
à  l'aménité  coutumière  du  maître,  quelque  peu  de  cette  malice 
anodine  à  laquelle  il  sacrifiait  si  volontiers. 

Au  commencement  du  siège  de  Paris,  c'est-à-dire  en  septem- 
bre 1870,  Auber  ne  paraissait  pas  sensiblement  plus  âgé  qu'en 
1842,  époque  à  laquelle  l'Anglais  à  Paris,  qui  nous  apprend  ce 
détail,  rencontra  le  compositeur  pour  la  première  fois.  Celui-ci, 
au  début  de  la  guerre,  supportait  encore  assez  bien  un  régime, 
peu  fait  pour  un  vieillard,  d'ailleurs  doublé  d'un  sybarite. 
Mais,  un  jour,  les  exigences  de  la  défense  nationale  lui  impo- 
sèrent le  sacrifice  de  son  cheval,  vieux  serviteur  de  vingt  ans, 
auquel  il  tenait  beaucoup.  Il  ne  put  s'en  consoler.  Cependant,  il 
ne  restait  pas  confiné  dans  son  appartement  du  Conservatoire. 
Il  assista  même  à  la  fête  que  donna  Arsène  Houssaye,  la  veille 
de  la  bataille  de  Champigny.  Il  fut  le  «  lion  »  de  la  soirée,  affirme 
l'amphytrion,  qui,  dans  l'élan  d'une  fidélité  reconnaissante, 
évoque  de  récents  souvenirs,  où  le  compositeur,  le  Fontenelle 
du  second  Empire,  joue  le  rôle  d'un  courtisan  aussi  adroit  (Jue 
respectueux.  A.  Houssaye  le  voit  encore  conduisant  l'orchestre 
aux  «  lundis  de  l'impératrice  ».  La  gracieuse  Majesté  s'approche 
du  musicien  debout  sur  la  brèche,  et  l'invite  à  s'asseoir.  Auber 
n'y  saurait  consentir. 

—  Oh  !  madame,  répond-il,  devant  Votre  Majesté,  j'ai  toujours 
vingt  ans. 

La  fête  d'Arsène  Houssaye  fut  la  dernière  à  laquelle  ait  pris 
part  le  directeur  du  Conservatoire.  Lui  aussi  parlait  du  passé, 
mais  d'un  passé  lugubre,  dont  le  présent,  non  moins  sombre,  lui 
rappelait  les  sanglantes  annales  : 

—  Tenez,  disait-il,  j'étais  à  la  dernière  marche  de  l'église 
Saint-Paul,  quand  je  vis  passer  André  Ghénier  et  Roucher  sur  la 
fatale  charrette. 

Mais  de  gracieuses  images,  telles  que  les  chérissait  l'illustre 
vieillard,  vinrent  dissiper  ces  sinistres  fantômes.  Blanche  d'An- 
tigny,  cette  blonde  éblouissante,  olïrait  ses  joues  et...  un  verre 
d'eau  à  qui  voulait  payer  cette  double  faveur  de  cinq  louis... 
au  bénéfice  des  pauvres;  car  la  misère  récolta  une  moisson 
superbe   dans   cette    fête   à   laquelle    étaient    conviées  toutes 


306 


LE  MÉNESTREL 


les  richesses,  celles  de  l'esprit,  de  l'art,  de  la  beauté,  de  la  poli- 
tique et  de  la  finance.  Coquelin  et  Saint- Germain,  MM""  Sarah 
Bernhardt,  Marie  Colombier,  Pierson  avaient  répondu  à  l'appel 
du  maître  de  la  maison.  Marie  Roze  chantait  le  Premier  jour  de 
bonheur;  Auber  l'accompagnait  au  piano. 

Il  n'était  plus  que  l'ombre  de  lui-même,  lorsque  Maxime 
Ducamp  (1),  qui  se  rappelait  l'avoir  vu  pour  la  première  fois 
chez  le  sculpteur  Pradier,  le  rencontra  pour  la  dernière  au 
commencement  de  mai  1871.  Le  triomphe  de  la  Commune,  maî- 
tresse de  Paris,  l'avait  mortellement  touché.  Auber  était  «  toujours 
correct,  propret,  élégant  »  ;  mais  il  était  comme  tassé  sur  lui- 
même,  les  yeux  vagues,  perdu  dans  «  une  résignation  déses- 
pérée ».  Les  souvenirs  de  la  Terreur  continuaient  aie  hanter... 

—  J'avais  neuf  ans  alors,  disait-il  à  Maxime  Ducamp;  je 
m'étais  échappé,  le  21  janvier  1793,  du  magasin  de  mon  père, 
pour  voir  passer  Louis  XVI  dans  le  carrosse  qui  le  menait  à  la 
guillotine . 

Maxime  Ducamp  s'efforça  de  le  réconforter. 

—  Au  revoir,  lui  dit-il  respectueusement. 

—  Non,  adieu.  Je  vais  finir.  Le  vieux  cerf  est  forcé. 

Le  mot,  très  authentique,  nous  fait  involontairement  penser  à 
celui,  non  moins  réel  de  vieux...  daim  qu'une  petite  chanteuse 
du  Conservatoire  lui  lança  en  1869  —  nous  l'avons  entendu  — 
après  avoir...  raté  un  accessit  que  d'ailleurs  elle  ne  méritait  pas. 

Ducamp  voulut  continuer  son  rôle  de  consolateur. 

—  Merci,  interrompit  Auber,  je  mourrai  jeudi,  peut-être 
mercredi  prochain. 

Et  il  tint  parole. 

Le  Journal  de  la  Comédie-Française  (2)  d'Edouard  Thierry 
constate  que,  dès  la  première  quinzaine  d'avril,  la  santé  d' Auber 
donnait  de  graves  inquiétudes  :  «  II  se  plaint  d'avoir  trop  vécu  ; 
il  ne  mange  pas  et  s'aiïaiblit  tous  les  jours  ». 

M"*  Edile  Ricquier,  la  sociétaire  du  Théâtre-Français,  le  veillait 
chaque  nuit. 

Les  funérailles  ofBcielles  d'Auber  ne  furent  célébrées  que  le 
16  juillet  1871,  à  la  Trinité.  Hostein  (3)  en  donne  un  instantané 
très  réussi.  C'est  un  fouillis  de  toilettes  claires,  un  fourmillement 
d'alertes  parisiennes  trottant  sous  des  feux  croisés  de  lorgnettes. 
Il  semblait  que,  par  un  rapprochement  fatal,  les  obsèques  du 
plus  mondain  et  du  plus  galant  des  compositeurs  fussent  comme 
«  un  trait-d'union  entre  les  deuils  passés  et  les  espérances  de 
l'avenir  ».  Sept  discours,  —  cinq  de  trop  dit  Hostein,  —  furent 
prononcés  au  cimetière  Montmartre. 

Le  29  janvier  1877,  le  monument  élevé  au  Père-Lachaise,  en 
l'honneur  d'Auber  —  une  pyramide  piquée  d'une  étoile  d'or,  — 
fut  inauguré  avec  force  chœurs  et  musique  militaire.  Cette  céré- 
monie était  un  «  enterrement  dans  une  cave  »  observe  Marc 
Bayeux,  boutade  fort  juste  qu'appuie  Hostein,  en  homme  du 
métier.  C'était  dans  la  cour  même  du  Conservatoire  qu'il  eût 
fallu  rendre  ce  suprême  hommage  à  la  mémoire  du  génie  facile, 
dont  la  gaîté  pétillante  et  communicative  avait  si  longtemps 
charmé  ses  contemporains. 

Quelques-uns  d'entre  eux  ne  laissèrent  pas  reposer  en  paix 
ses  cendres.  On  sait  comment  Jules  Simon,  grand-maître  de 
l'Université,  traite  le  petit-maître  du  Conservatoire.  Auber,  dit-il, 
n'a  jamais  travaillé,  et  il  fallait  en  vérité  «  qu'il  sût  sans  avoir 
appris  ».  Notre  étude  a  dû  démontrer  sufHsamment  l'erreur  du 
ministre,  qui,  du  reste,  en  porta  presque  aussitôt  la  peine.  Des 
amis  et  des  critiques  autorisés  relevèrent  Jules  Simon  du  péché 
d'ignorance  ;  et  Jouvin  rappela,  à  ce  propos,  qu'un  musicographe 
nommé  Maurel,  avait  affirmé,  avec  Fétis,  en  1848,  que  Mozart 
était  un  compositeur  médiocre  et  de  second  rang. 

En  revanche,  Auber  eut,  dès  ses  premières  œuvres,  des  admi- 
rateurs fanatiques. 

Le  bizarre  chevalier  de  Livry,  qui  avait  élevé,  en  180S,  à 
Grétry,  une  statue  effondrée  dans  un  des  derniers  incendies  de 

(1)  Maxime  Ducamp.  —  Souvenirs  littéraires  ;  Hachetle,  1893. 

(2)  ÉDOUABD  Thierry.  —  La  Comédie-Française  pendant  les  deux  sièges:  Tresse  et 
Stock,  1887. 

(3)  Hostein.  —  Historiettes  et  Souvenirs  d'un  homme  de  théâtre;  Denlu,  1878. 


rOpéra-Comique  et  qui  écrivait  au  compositeur  des  épitres  si 
extravagantes,  avait  continué  à  l'auteur  d'Emma  le  bénéfice 
d'hommages  souvent  intempestifs.  Il  l'accablait  de  salamalecs  au 
théâtre ,  et  dès  qu'il  s'éloignait  de  Paris,  il  envoyait  à  son  idole 
des  lettres  provinciales  aussi  insupportables  pour  Auber  que  ses 
adorations  parisiennes.  Un  jour  qu'il  était  à  cinquante  lieues  de 
son  musicien  favori,  dans  un  château  où  des  amateurs  chantaient 
<c  un  de  ses  airs  »,  Livry  n'écrit-il  pas:  «  Le  charme  du  motif  me 
fait  précipiter  à  vos  genoux  et  vous  admirer  ». 

Plus  récemment,  le  style  d'Auber  rencontra  des  panégyristes 
non  moins  enthousiastes,  mais  s'exprimant  en  termes  plus 
mesurés. 

«  A  cinquante  ans  passés,  nous  dit  Sarcey  (1),  je  suis  un  vieux 
fou;  j'admire  notre  vieil  opéra-comique  et  trouve  qu'Auber  a 
fait  des  chefs-d'œuvre.  »  Et  comme  le  bon  oncle  aurait  estimé 
sans  doute  l'éloge  insuffisant,  s'il  n'eût  été  contrasté  par  quelque 
critique,  il  ajoute  qu'aux  premières  de  l'Opéra,  occupant  un 
fauteuil  derrière  Reyer,  celui-ci  se  retourna  brusquement,  dès 
qu'il  entendit  Sarcey  applaudir  une  mélodie  bien  rythmée,  pour 
s'exclamer  : 

—  J'en  étais  sûr  ! 

Mais  ce  qui  semblera  plus  étonnant  encore  que  les  préférences 
musicales  de  Sarcey,  c'est  le  goût  particulier  que  M.  Robert  de 
Bonnières  prête  à  nos  voisins  d'Outre-Rhin  dans  ses  Mémoires- 
ci' aujourd'hui  : 

«  Les  Allemands,  dit-il,  aiment  Auber  autant  que  Wagner.  » 

(A  suivi-e.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Palais-Royal.  —  Bichette,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.  A.  Fontaues 
et  Adrien  "Vély. 

Si  vous  croyez  que  je  vais  dire...  tout  ce  qu'il  y  a  dans  la  pièce  que 
vient  de  nous  offrir  le  Palais-Royal,  vous  vous  trompez  étrangement. 
D'abord  il  y  a,  à  satiété,  à  vous  donner  des  nausées,  la  répétition  mala- 
droite et  obstinée  d'un  mot  que,  je  le  sais  bien,  Molière  a  employé  pour 
caractériser  certains  maris  malhem-eux,  mais  qu'il  se  serait  gardé  de 
prodiguer  de  la  sorte  pour  produire  uu  effet  grossier  et  malsain,  et  qui 
d'ailleurs,  par  l'abus,  finit  par  perdre  même  cette  saveur  grossière.  Et 
celui-là  n'est  pas  le  seul,  vous  pouvez  m'en  croire.  Et  les  situations  sont 
à  l'avenant,  aussi  libres  que  le  dialogue  est  coloré.  Je  me  demande,  en 
vérité,  le  plaisir  que  peuvent  éprouver  des  auteurs  à  placer  dans  la 
bouche  d'une  femme  mûre  s' adressant  à  un  jeune  homme,  cette  phrase 
madrigalesque  :  —  «  Ah!  vous  êtes  encore  unb...  dej...  f...,  vous!  »■ 
S'il  y  a  des  gens  que  ça  amuse,  même  avec  Vassent  marseillais,  j'avoue 
que  je  ne  suis  pas  du  nombre. 

Le  vaudeville  (sans  couplets),  avec  lequel  le  Palais-Royal  vient  de 
faire  sa  réouverture,  n'est  pas  «  rosse  »;  il  est  simplement  malpropre. 
Passe  pour  les  situations.  Au  théâtre  on  peut  tout  oser,  avec  de  l'adresse 
et  de  l'esprit,  et  bien  que  ces  deux  condiments  manquent  un  peu,  il  y 
aurait  encore  moyen  de  s'entendre.  Mais  à  quoi  bon  —  je  ne  dirai  pas 
même  ces  gravelures  et  ces  grivoiseries  —  mais  ces  expressions  cyni- 
ques, ces  tours  de  plu-ase  licencieux  que  vous  n'oseriez  pas  employer 
dans  une  société  même  légère  sans  être  absolument  corrompue?  Encore 
un  coup,  où  est  le  plaisû-,  où  est  l'agréable  sensation?  Le  rire  que  vous 
arrachez  ainsi  parfois  est  un  rire  malsain  et  dont  vous  ne  recueillez 
même  pas  personnellement  le  fruit,  car  il  n'est  que  le  témoignage  des 
pires  instincts  de  la  bête  humaine. 

En  peu  de  mots  la  pièce  peut  se  raconter,  car,  à  part  les  incidents  — 
incidents  qui  n'ont  malheureusement  rien  de  neuf  ni  d'imprévu  —  elle 
peut  se  résumer  en  ceci.  Gotonnet.  le  mari  de  Bichette,  qui  a  le  tort 
d'être  trop  vieux  pour  sa  femme,  n'en  est  pas  moins  un  époux  exemplaire, 
qui  la  met  dans  du  coton  et  auquel  elle  n'a  rien  à  reprocher.  D'autre 
part,  Dutilleul,  l'époux  de  Jeanne,  est  un  fringant  qui  continue  imper- 
turbablement de  faire  la  fête,  de  courir  après  les  cocottes  et  de  mener 
ce  qu'on  appelle  une  vie  de  polichinelle.  Il  est  évident  que  si,  la  morale 
faiblissant,  l'un  des  deux  devait  éprouver  des  infortunes  et  rappeler  les 
malheurs  que  l'antiquité  attribue  au  roi  Ménélas,  ce  serait  Dutilleul, 
qui  l'aurait  bien  mérité.  Or,  c'est  tout  le  contraire  qui  arrive.  M"'°  Du- 

(1)  Francisque  Sabcey.  —  Souvenirs  de  jeunesse;  OUendorf,  1885. 


LE  MÉNESTREL 


307 


tilleul  reste  irréprochable  malgré  tout,  tandis  que  Bichette  en  fait  voir 
à  Cotonnet  de  toutes  les  formes  et  de  toutes  les  couleurs.  Ça,  c'est  le 
droit  absolu  des  auteurs,  à  charge  par  eux  de  nous  amuser.  Le  malhem- 
est  qu'ils  ne  nous  amusent  pas,  et  qu'ils  se  contentent  de  nous  écœurer 
à  force  de  dévergondage  et  de  polissonneries.  Ah!  décidément,  il  y  en  a 
trop. 

Bornons-nous  à  constater  que  la  pièce  est  très  convenablement  jouée, 
quoique  sans  l'entrain  indispensable  en  pareil  cas,  par  MM.  Cooper, 
Boisselot,  Francès,  Hamilton,  Charles  Lamy,  et  M""*  Viviane  Laver- 
gne,  Berthe  Legrand,  Jousset  et  Jeanne  Derville.  A.  P. 

Le  Théatre-Cluny  nous  parait  tenir  un  vif  succès  avec  le  Fils  surna- 
turel, un  vaudeville  bouffe  très  gai  et  plein  d'entrain  de  MM.  Grenet- 
Dancourt  et  Maui'ice  Vaucaire.  La  donnée  en  est  plaisante.  Un  petit 
rentier  de  province  a  imaginé,  pour  justifier  près  de  sa  femme  des 
fugues  assez  répétées  vers  la  capitale  et  les  dépenses  qui  s'ensuivent, 
l'existence  d'un  fils  naturel  —  un  péché  de  jeunesse  —  dont  il  doit 
moralement  s'occuper  et  aux  besoins  duquel  il  faut  subvenir.  Le  sub- 
terfuge réussit  très  bien,  jusqu'au  jour  où  M"'-  Montarbourg  se  prend 
elle-même  d'intérêt  pour  ce  fils  supposé,  demande  à  le  voir  et,  grande 
et  humanitaire,  propose  de  lui  ouvrir  ses  bras  et  de  l'admettre  au  foyer 
familial.  On  devine  toutes  les  situations  drolatiques  qui  peuvent  décou- 
ler d'un  tel  point  de  départ.  Les  auteurs  n'en  ont  pas  manqué  une  et, 
comme  ils  ont  beaucoup  fait  l'ire,  on  leur  doit  de  la  reconnaissance. 

L'interprétation  est  d'une  bonne  moyenne,  sans  grand  éclat,  comme 
à  l'ordinaire  dans  ces  parages  odéoniens.  H.  M. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXV 
BERLIOZ  ET  DELACROIX,  A  PROPOS  DE  MOZART 

à  M.  Julien  Tiersot. 

—  «  Berlioz  insupportable,  se  récriant  sans  cesse  sur  ce  qu'il  appelle 
la  barbarie  et  le  goût  le  plus  détestable,  les  trilles  et  autres  ornements 
particuliers  dans  la  musique  italienne  ;  il  ne  leur  fait  même  pas  grâce 
dans  les  anciens  auteurs,  comme  Haendel  ;  il  se  déchaîne  contre  les 
fioritures  du  grand  air  de  Donna  Anna...  »  C'est  Delacroix  qui  parle  de 
son  confrère  de  l'Institut.  Je  lis  cela  dans  son  Journal  (2)  que  les  raflnés 
trouvent  supérieur  à  son  art... 

—  Delacroix?  Se  peut-il?  J'avais  toujours  oui  dire  :  Berlioz  est  le 
Delacroix  de  la  musique  et  Delacroix  le  Berlioz  de  la  peinture...  Je  les 
considérais  comme  deux  frères  en  religion  romantique! 

—  Il  faut  déchanter.  Voulez-vous,  mes  chers  amis,  un  rapide  portrait 
de  Berlioz  par  Delacroix,  son  confrère?  J'entends  un  portrait  écrit,  car 
c'est  Gustave  Courbet,  le  réaliste,  qui  nous  a  laissé  vigoureusement,  en 
pleine  pâte,  la  ressemblance  peinte  de  sa  pâleur.  Le  Journal  m'en  four- 
nit les  traits  épars.  Je  les  rapproche  à  votre  intention.  Berlioz,  aussi 
bien  que  son  rival  Mendelssohn,  «  manque  d'idées  »  :  celui-ci,  pédant, 
donne  dans  l'archaïsme;  l'autre,  emporté,  produit  l'illusion  d'un  génie 
fougueux  ;  mais  «  ils  cachent  de  leur  mieux  cette  absence  capitale  par 
tous  les  moyens  que  leur  suggèrent  leur  mémoire  et  leiu-  habileté...  » 
Le  pauvre  Chopin,  que  Delacroix  fait  causer  au  premier  soleil  du  prin- 
temps, le  7  avril  1849,  vous  dira  que  Berlioz,  en  fait  de  contre-point, 
«  plaque  des  accords  et  remplit  comme  il  peut  les  intervalles...  «  Gar- 
dons-nous d'écouter  les  Hugo,  les  Berlioz,  «  tous  les  réformateurs  pré- 
tendus »  qui  s'élèvent  inconsidérément  contre  les  «  lois  éternelles  de  goilt 
et  de  logique  qui  régissent  les  arts  »  :  ceci  à  propos  de  «  l'affreux  Pro- 
phète »,  toujours  en  1849!  Bref,  «  ce  bruit  est  assommant;  c'est  un 
héroïque  gâchis...  (3)  »  Tel  est  Berlioz.  Et  l'Ouverture  de  Léonore  est  non 
moins  «  confuse  ».  Berlioz  n'est  qu'une  caricature  de  Beethoven.  Parlez- 
nous  de  Mozart! 

—  Hum  !  11  n'est  pas  tendre,  votre  puriste  des  Massacres  de  Scio/ 

—  Et  vous  donc?  Votre  antithèse,  pour  être  involontaire,  est  une 
ironie  féroce  ! 

—  Je  ne  sais  trop  ce  que  Berlioz  pensait  d'Eugène  Delacroix,  lui  qui, 
même  devant  le  Jugement  dernier  de  la  Sixtine,  faisait  profession  de  ne 
pas  écouter  la  poétique  éloquence  des  arts  silencieux...  Mais  aussitôt, 
pour  faire  contrepoids,  rappelons-nous  que  Victor  Hugo,  ce  génie 
«  brouillon  »  comme  ses  dessins,  avait  surnommé  les  femmes  d'Eugène 

(1)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15  et  22  septembre  1901 
(Mozart  et  la  rmtdque  française). 

(2)  Journal  d'Eugène  Delacroix,  tome  III,  page  127  (47  janvier  48Se}, 
Id.,  tome  I,  page  417  {lO  février  1SS0). 


Delacroix  «  des  grenouilles  »  — Ainsi  va  le  monde...  des  arts  et  des 
lettres  ! 

—  Allons  !  Il  reste  entendu  qu'en  ces  milieux  du  moins,  le  débinage 
est  de  bonne  guerre.  Le  divin  Mozart  n'a  pas,  semble-t-il,  épargné  les 
musiciens  français  de  son  temps...  Que  dirait-il  des  nôtres?  Mais  ces 
coups  d'épingle  ont,  le  plus  souvent,  des  causes  profondes  et  dépassent 
l'épiderme  susceptible  de  l'amour-propre  ;  si  je  voulais,  à  mes  risques 
et  périls,  continuer  la  métaphore,  j'ajouterais  :  ils  vont  jusqu'au  sang 
de  nos  convictions  mêmes.  La  seule  jalousie  n'explique  pas  le  trait,  ni 
la  seule  vanité  la  blessure.  Retenons  bien  les  faits,  qui  ne  sont  jamais 
méprisables  :  où  et  quand  Delacroix  traite-t-il  Berlioz  «  d'insupportable  »  ? 
A  une  soirée  de  Madame  Viardot.  Et  le  génie  fait  cantatrice  vient  de 
chanter  du  Gluck.  On  lui  redemande  l'air  à'Armide  :  Sauves-moi  de 
l'Amour!  Alors,  Berlioz,  exalté,  transporté,  fanatisé,  se  déchaîne  contre 
les  fioritures  au  nom  de  ce  grand  style.  On  entend  sa  voix  mordante... 
Et  la  sortie  d'Hector  Berlioz  contre  la  triste  Donna  Anna,  qui  n'en  peut 
mais,  parait  tout  aussi  justifiée,  séance  tenante,  que  l'irritation  du 
peintre  mélomane  à  l'endroit  du  musicien  difficile.  Les  deux  maîtres 
vieillis  ne  peuvent  se  comprendre.  Si  Delacroix  attaque  Berlioz,  c'est 
parce  qu'il  chérit  la  a  perfection  »  dans  Mozart  ;  si  Berlioz  s'en  prend  à 
Mozart  lui-même,  c'est  qu'il  a  trouvé  son  idéal  souverain  dans  Gluck. 
L'avocat  A'Armide  doit  fatalement  se  rencontrer  avec  l'avocat  de  Dm 
Juan.  Ici,  Berlioz  et  Delacroix  n'incarnent  plus  seulement  deux  catégories 
de  Français,  avant  1860,  dans  le  Paris  étourdiment  musical  d'Auber  et 
d'Adolphe  Adam;  mais  ils  symbolisent,  à  leur  insu,  deux  tendances 
contraires,  j'allais  dire  deux  arts.  Ce  sont  des  philosophes  sans  le  savoir. 
Gluck  et  Mozart,  le  piccinniste,  rivalisent  une  fois  de  plus,  idéalement, 
dans  leurs  âmes  d'artistes,  par  leurs  voix  différentes,  en  leurs  pensées. 

—  Sous  l'anecdote,  vous  aimez  toujours  à  dénicher  le  fond  des  choses 
et  des  êtres... 

—  Je  m'efforce,  du  moins  ;  car  n'est-ce  pas  l'intérêt  de  toutes  ces  que- 
relles d'Allemands...  ou  de  musiciens  français?  Et  l'impressionnisme  de 
nos  bavardages  ne  saurait  nous  faire  oublier  la  ligne. 

—  C'est  parler  d'or  :  et  tâchez  vous-même  de  ne  jamais  perdre  de  vue 
un  aussi  beau  programme  !  Donc,  Eugène  Delacroix  méconnaît  Berlioz. 
Cela  veut  dire... 

—  Que  Delacroix  dilettante  a  toujours  préféré  le  sourire  de  son  cher 
Mozart  à  la  majesté  du  grand  Gluck  et  que,  réciproquement,  notre  cher 
Berlioz,  le  gluckiste,  sera  plutôt  injuste  envers  Mozart.  En  effet  !  Le 
peintre,  assurément,  est  né  trop  artiste  pour  ne  pas  s'incliner  devant 
cette  force  de  volonté  toujours  grandissante  qui  fit  du  vieux  chevalier 
poudré,  Cristofano  Gluck,  un  génie  mâle,  opiniâtre,  unique.  Et  la  santé 
qu'il  admire  si  fort,  lui  malingre,  chez  Auber  et  chez  Rubens,  n'en 
dêcouvre-t-il  pas  un  nouvel  exemple,  plus  fier,  chez  l'immortel  auteur 
d'Iphigénie  en  Tauiide?  M<iis,  vite,  il  conclut  :  «  Il  faut  tout  dire  :  toutes 
ces  qualités  vous  saisissent  fortement,  mais  la  monotonie  vous  endort 
un  peu.  Pour  un  auditeur  du  XIX'  siècle,  après  Mozart  et  Rossini,  cela 
sent  un  peu  le  plain-chant.  Les  contre-basses  et  leurs  rentrées  vous  pour- 
suivent comme  les  trompettes  dans  Berlioz...  » 

—  Encore  Berlioz  !  C'est  de  l'acharnement  !  Champfleury,  le  wagné- 
rien,  ne  dirait  pas  autrement... 

—  Delacroix  poursuit,  décisif  :  «  Tout  de  suite  après,  venait  l'ouver- 
ture de  la  Flûte  enchantée;  à  la  vérité,  c'est  un  chef-d'œuvre.  J'ai  été 
aussitôt  saisi  de  cette  idée,  en  entendant  cette  musique  qui  venait  après 
Gluck...  Mozart  est  vraiment  le  créateur,  je  ne  dirai  pas  de  l'art  mo- 
derne, car  il  n'y  en  a  déjà  plus  à  présent,  mais  de  l'art  porté  à  son 
comble,  après  lequel  la  perfection  ne  se  trouve  plus...  Que  faire  pour 
être  ému  de  nouveau?...  surtout  surpris  ?  »  (1). 

—  Ici,  notre  Berlioz  aurait  pu  lui  répondre  par  ses  propres  œuvres... 

—  Mais  Delacroix  l'aurait  arrêté  d'un  mot  d'académicien  :  Que  ferez- 
vous,  «  cjuand  les  modèles  semblent  n'être  là  que  pour  montrer  ce  qu'il  faut 
éviter?...  »  Vous  serez,  Berlioz,  un  héroïque  gâchis... 

—  Héroïque!  Mais  c'est  déjà  mieux  que  rien,  dites-moi,  même  pour 
le  gâchis  du  romantisme...  Et  la  réciproque  attendue? 

—  La  réciproque?  Ouvrez  A  travers  Citants  :  elle  se  lit  presque  à  cha- 
que page  !  Sans  doute,  le  peintre  de  l'art  musical,  le  coloriste  Berlioz, 
qui  trouvait,  pourtant,  dans  un  quatuor  la  pierre  de  touche  d'un  musi- 
cien, n'était  pas  assez  aveuglé  par  la  couleur  pour  mépriser  la  fugue 
merveilleuse  qui  s'appelle  l'ouverture  de  la  Flûte  endiantée!  Et  lui,  bee- 
thovénien,  lui,  gluckiste,  il  convenait  sans  peine  que  les  premières 
scènes  de  son  bien-aimé  Fidelio  se  rapprochaient,  par  leur  forme  mélo- 
dique, «  du  style  des  meilleures  pages  de  Mozart...  »  Mais,  d'abord, 
savourez  l'accent  de  ce  mot  :  meilleures!  Et  puis,  fidèle  à  la  tradition  du 
grand  art  «  sévère,  expressif,  noblement  beau  »,  le  shakespearien  fré- 

(1)  Journal  d'Eugène  Delacroix,   tome  I,  pages  422-423  (Dimanche  3  mars  ISSO). 


308 


LE  MÉNESTREL 


mit  de  la  tète  aux  pieds  quand  son  idole  même,  M""  Yiardot,  se  per- 
met quelque  ornement  inédit,  dans  Orphée;  à  la  moindre  appogiature, 
il  crie  au  sacrilège.  Les  traits  de  VEnlèvemint  au  Sérail  et  les  roulades 
du  jeune  rossignol  de  Salzbourg  le  laisseraient  indifférent  si  ces  «  voca- 
lisations grotesques  »  ne  se  retrouvaient  pas  «  dans  les  plus  magnifi- 
ques ouvrages  »  de  Mozart.  «  C'était  le  goût  du  temps,  dira-t-on;  tant 
pis  pour  le  temps  et  tant  pis  pour  nous,  maintenant  !  Mozart,  à  coup 
sûr,  eût  mieus  fait  de  consulter  son  goût  à  lui...  »  Et  plus  loin  :  «  Les 
mêmes  juges  qui  dénigrent...  la  grande,  la  sublime,  l'entraînante  ouver- 
ture de  Léonore,  de  Beethoven,...  applaudissent  et  crient  bh,  fort  sou- 
vent, après  l'ouverture  de  Don  Juan  de  Mozart,  où  il  n'y  a  pas  de  trace 
de  ce  qu'ils  appellent  mélodie  ;  mais  c'est  de  Mozart,  le  grand  mélo- 
diste!... Ils  adorent,  à  juste  titre,  dans  ce  même  opéra  la  sublime 
expression  des  sentiments,  des  passions  et  des  caractères;  et,  quand 
vient  l'allégro  du  dernier  air  de  Donna  Anna,  pas  un  de  ces  aristarques 
si  sensibles  en  apparence  à  la  musique  expressive,  si  chatouilleux  sur 
les  convenances  dramatiques,  n'est  choqué  des  abominables  vocalises  que 
Mozart,  poussé  par  quelque  démon  dont  le  nom  est  demeuré  un  mys- 
tère, a  eu  le  malheur  de  laisser  tomber  de  sa  plume...  » 
,  — Delacroix  n'avait  pas  menti... 

—  "\'ous  en  doutiez  ?  Oui,  ce  romantique  est  lui-même  un  classique, 
mais  tout  autrement  que  le  puriste  Eugène  Delacroix  (quand,  pour 
écrire  son  Journal,  le  peintre  jette  son  balai  ivre...)  Et,  décidément,  tous 
ces  mots  d'école  n'ont  pas  de  sens...  Oui,  ce  soi-disant  révolutionnaire 
est  un  intransigeant.  Ce  tumultueux  est  un  pur. 

—  Tout  comme  les  émeutiers  de  1830  et  de  48,  qui  se  réclamaient  des 
grands  principes  absolus  de  89...  Et  ce  que  je  vois  de  plus  clair,  ici, 
c'est  que  Berlioz  et  Delacroix,  frères  ennemis,  rêvaient  tous  les  deux  la 
perfection... 

—  Sans  doute;  mais  chacun  si  différemment!  Ilalianisant  comme 
Mozart  lui-même,  dilettante  à  la  Stendhal,  à  la  Musset,  le  peintre  éna- 
mouré de  mélodie  ne  dédaigne  jamais  ni  le  bel  canlo  ni  l'ornement;  il 
ne  craint  pas  la  grâce,  et  même  l'abus  de  cette  grâce.  Il  passe  volontiers 
de  Mozart  à  Rossini  (qui  continuait  le  chevalier  Gluck  à  sa  manière).  Il 
eût  dit,  avec  Rossini  :  «  Beethoven  fut  le  plus  grand  musicien;  Mozart 
fut  le  seul.  »  Il  eût  dit,  avec  Hérold  :  «  Penser  toujours  à  Mozart,  à  ses 
beaux  airs  de  mouvement!  »  Delacroix,  dans  l'immortel  Don  Giovanni, 
perçoit  aussitôt  le  frisson  romantique,  étrange,  hoffmannesque  ;  mais  il 
en  admire  avant  tout  la  musicalité,  comme  nous  disons,  la  plasticité 
musicale. 

—  Et  Berlioz  ? 

—  C'est  la  fioriture  qui  l'indigne;  il  en  fait  un  grief  sanglant,  un 
0  crime  »  d'art  et  d'amour.  Donna  Anna  vocalisante  lui  répugne  :  pauvre 
fille  deux  fois  outjragée!  Dans  la  grande  querelle,  dont  ces  aménités 
entre  confrères  ne  sont  qu'un  nouveau  chapitre,  Berlioz,  tout  franc,  se 
serait  déclaré  contre  Mozart  en  faveur  de  Gluck.  A  ses  yeux,  Mozart  est 
toujours  un  peu  le  petit  Mozart,  à  la  perfection  puérile,  le  musicien  des 
sonatines  et  des  bachelettes.  Mais  l'art  de  Gluck  !  De  la  «  musique  de 
géant  »  !  Berlioz  ne  peut  se  consoler  de  n'avoir  point  connu  Gluck;  et  le 
grand  Gluck  l'aurait  aimé,  lui  qui  «  préféra  les  Muses  aux  Sirènes  »... 
Le  révolutionnaire  Berlioz  incarne  la  vraie  tradition  française,  latine, 
gluckiste.  Il  est  le  musicien  français,  fils  des  révolutions,  issu  des  chants 
révolutionnaires  à  grand  orchestre,  libre  héritier  de  nos  Lesueur  et  de 
nosMéhul(l).  Ce  shakespearien  raffole  de  Virgile.  Son  âme  est  un  volcan 
sous  une  pure  lumière.  Et  quand  il  évoque  ses  Troyens  avec  la  grande 
ombre  de  son  vieil  homonyme  Hector,  c'est  pour  honorer  les  classiques 
transports  de  sa  pâle  jeunesse.  Mozart  n'est  pas  son  dieu. 

~  Ce  qu'il  fallait  démontrer,  disent  les  géomètres. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


Vf 

QUELQUES  MOTS  SUR  LES  MUSIQUES  DE  L'ASIE  CENTRALE 
LES  CHANTS  DE  L'ARMENIE 

(Suite.) 

A  côté  de  sa  musique  religieuse,  l'Arménie  possède  un  répertoire 
aussi  intéressant  qu'abondant  de  chants  populaires.  Ces  chants  consti- 
tuent pour  elle  tout  l'art  musical,  mais  un  art  vraiment  complet  et 
répandu  dans  toutes  les  classes  de  la  société.  Car,  c'est  chose  déjà 

(1)  Remarque  déjà  faite  par  M.  Julien  Tiersol,  dans  le  IHénestrel,  k  propos  de  la  Sym- 
phonie funibre  et  Iriomplwle  (1840)  et  du  Requiem  (1836),  de  Berlioz. 


maintes  fois  constatée,  et  que  nous  observons  une  fois  de  plus,  il  n'existe 
pas,  parmi  les  peuples  ayant  conservé  leur  physionomie  primitive,  la 
ditférence  si  tranchée  dans  nos  pays  ultra-civilisés  entre  l'art  des  classes 
supérieures  et  celui  du  peuple.  Là-bas,  il  n'y  a  qu'un  art,  le  même 
pour  les  grands  et  pour  les  humbles.  En  Russie  même,  malgré  l'in- 
fluence si  efficace  de  la  civilisation  occidentale  depuis  le  milieu  du. 
dix-huitième  siècle,  toute  trace  des  antiques  influences  n'a  pas  disparu. 
Nous  savons  avec  quel  bonheur  les  maîtres  musiciens  que  possède 
aujourd'hui  ce  pays  ont  su  s'inspirer  de  leurs  mélodies  populaires. 
Mais  voici  un  autre  fait  qui  montre  bien  mieux  combien  ces  chants 
font  partie  intégrante  du  patrimoine  national  :  on  les  enseigne  à  l'école, 
dans  les  classes  de  musique,  cola  non  seulement  dans  les  écoles  pri- 
maires, mais  jusque  dans  celles  où  se  donne  l'enseignement  le  plus 
élevé,  au  même  titre  que  les  productions  de  la  littérature  classique  et 
nationale  que  tout  homme  cultivé  doit  connaître  ;  de  telle  façon  que  les 
mêmes  chants  sont  méthodiquement  inculqués  dés  l'enfance  à  tous  les 
futurs  citoyens  de  l'Empire,  depuis  le  plus  petit  moujik  jusqu'à  ceux 
qui  sont  destinés  à  occuper  les  plus  hautes  fonctions. 

Je  ne  sais  si,  à  ce  point  do  vue  particulier,  il  en  est  de  même  en  Ar- 
ménie; toujours  est-il  que  les  chants  des  fêtes,  des  noces,  des  banquets 
et  des  diverses  autres  manifestations  de  la  vie  publique  sont  communs 
au  peuple  et  aux  classes  supérieures,  et  constituent  la  seule  musique  du 
pays.  Et  si  nous  remontons  à  une  époque  ancienne,  nous  pourrons  voir, 
nous  dit  un  auteur  déjà  cité,  que  ces  chants  n'étaient  pas  seulement 
destinés  aux  réjouissances  publiques,  mais  qu'un  certain  nombre  étaient 
regardés  comme  devant  servir  à  l'éducation  du  peuple,  et  si  hautement 
appréciés  que  ceux  qui  les  faisaiententendre  n'étaient  pas  considérés  seu- 
lement comme  des  chanteurs,  mais  comme  des  maîtres.  C'est  ainsi  que 
les  Aciioug  étaient  entourés  d'une  grande  considération  :  c'étaient  des 
chanteurs,  souvent  aveugles  (la  tradition  en  a  été  inaugurée  dés 
Homère),  que  l'on  peut  rencontrer  encore  aujourd'hui,  soit  fixés  dans 
une  ville,  soit  errant  de  canton  en  canton,  chantant,  en  s'accompagnant 
sur  le  Thar  à  huit  cordes,  ou  sur  le  Saz  à  cinq  cordes,  les  œuvres  des 
poètes  arméniens,  composant  des  mélodies  et  des  vers,  improvisant 
même,  suivant  les  circonstances.  On  a  vu  des  Achoug  ne  pas  craindre  de 
sortir  des  frontières  de  l'Arménie  et  d'aller  se  faire  entendre  dans  les 
cours  des  rois  de  Perse  ou  de  Géorgie;  malgré  cela  ils  n'ont  jamais' 
cherché  à  modifier  leur  manière  dans  un  sens  aristocratique;  leur  art 
est  resté  essentiellement  populaire;  c'est  au  milieu  de  la  nation  d'Arr, 
ménie,  dont  la  vie  est  toute  démocratique,  que  leurs  chants  ont  toujours 
été  et  demeurent  à  leur  vraie  place. 

Ces  chants  sont  d'espèces  assez  variées.  Au  point  de  vue  miisical, 
nous  ne  saurions  dire  qu'ils  introduisent  chez  nous  une  note  abso- 
lument nouvelle  :  familiers  que  nous  sommes  depuis  longtemps  avec 
les  chants  orientaux,  nous  en  avons  retrouvé  les  inflexions  favorites  dans 
la  plupart  des  chants  arméniens.  Avec  eux  nous  nous  rapprochons  no- 
tablement de  l'Europe,  dont  nous  avaient  tant  éloignés  les  musiques  de 
l'Extrême-Orient  et  des  Indes.  Les  mélodies  ont  un  développement 
vocal  mieux  en  rapport  avec  celles  de  l'Italie,  ou  de  l'Espagne,  ou  des 
peuples  tchèques  ;  d'autres  nous  rappellent  plutôt  celles  des  Arabes.  Les 
tonalités  sont  mieux  définies,  sans  pourtant  connaître  les  limites  par 
trop  étroites  de  notre  majeur  et  notre  mineur  :  beaucoup  de  ces  chanta 
s'achèvent  sur  des  degrés  autres  que  la  tonique  (la  dominante  surtout, 
ou  bien  le  second  degré  appelant  harmoniquement  l'accord  de  domi- 
nante); mais,  dans  leur  développement  général,  il  est  rare  que  nous 
soyons  embarrassés  à  déterminer  pour  chacun  un  mode  conforme  à 
notre  sentiment.  La  famille  mineure  y  domine  dans  des  proportions 
plus  considérables  encore  qu'il  n'est  coutume,  malgré  son  importance 
dès  longtemps  constatée  dans  le  chant  populaire  de  tous  les  pays. 

Un  grand  sentiment  de  mélancolie  règne  en  effet  sur  l'ensemble  de 
ces  chants.  Dans  certains,  la  tristesse  est  mêlée  de  langueur;  mais  dans 
beaucoup  d'autres  elle  n'exclut  pas  la  vivacité  ni  surtout  l'énergie. 
Quelques-uns  sont  d'un  développement  assez  considérable  :  tel  celui 
qui  ouvre  le  recueil  de  M.  Eghiasarian,  les  Larmes  de  l'Arax,  harmonisé 
par  M.  Vincent  d'Indy  :  ce  sont  bien  les  mêmes  formules  qui  circulent 
d'un  bout  à  l'autre;  mais,  distribuées  irrégulièrement,  et  non  suivant  la 
coupe  habituelle  du  couplet,  elles  donnent  au  chant  une  apparence  de 
liberté  de  laquelle  il  prend  une  envergure  assez  rare. 

Un  autre,  Zim  Gw.'lkhine,  harmonisé  par  M.  Bourgault-Ducoudray, — 
un  dialogue  d'amour  d'une  saveur  très  particulière  — ■  est  bien  divisé 
en  couplets,  mais  ces  couplets  sont  chacun  d'assez  longue  haleine,  com- 
portant deux  périodes  qui,  se  répondant  symétriquement  l'une  à  l'autre, 
semblent  appartenir  à  deux  tons  différents.  M.  Bourgault-Ducoudray 
les  a  en  elfet  harmonisés  en  commençant  en  sol  bémol  majeur  et  en  ter- 
minant en  mi  bémol  mineur,  et  il  ne  pouvait  faire  autrement,  vu  les  né- 
cessités, parfois  trop  étroites,  de  nos  principes  harmoniques.  La  vérité 
est  pourtant  qu'au  point  de  vue  mélodique  pur,  F  unité  tonale  est 


LE  MÉNESTREL 


309 


entière  :  la  mélodie  appartenant  à  la  gamme  correspondant  à  notre 
premier  ton  du  plain-chant,  la  première  période  évolue  simplement 
entre  le  7"  et  le  3^'  degré,  tandis  que  la  deuxième  lui  répond  en  repro- 
duisant presque  intégralement  le  même  dessin  une  tierce  au-dessous,  du 
S"  degré  à  la  Ionique;  il  n'y  a  donc  poiut  ici  de  modulation,  —  et  de 
fait  on  peut  poser  en  principe  que  la  modulation  est  chose  inconnue  ;i 
la  mélodie  populaire. 

Une  troisième  chanson,  Hairik,  harmonisée  par  M.  Ch.  Bordes,  est 
un  parfait  exemple  de  langueur  orientale,  non  dénuée  de  quelque  mono- 
tonie, on  même  temps  qu'elle  nous  offre  un  type  caractéristique  de  ce 
modo,  comprenant  l'intervalle  de  seconde  augmentée,  et  concluant  sur 
la  dominante,  généralement  désigné  parle  nom  de  chromatique  oriental. 
Cette  formule  mélodique  est  tellement  populaire  que  nous  la  retrouvons 
presque  identique,  mais  dans  un  tout  autre  mouvement  (vif  au  lieu 
d'être  lent),  sur  un  air  de  danse  instrumental  (la  chanson  au  contraire 
a  des  paroles  rêveuses,  où  il  est  question  de  la  hrise  et  des  bruits  mys- 
térieux de  la  mer),  noté  dans  le  livre  déjà  cité,  l'Aide  fraternelle  aux 
Armemen-s,  lequel  comprend  quelques  pages  de  notations  musicales. 

Nous  ne  reproduirons  ici  aucun  de  ces  chants,  les  lecteurs  qu'ils  inté- 
resseraient ayant  toute  facilité  pour  les  connaît  re,  ceux  surtout  du  recueil 
de  M.  L.  Eghiasarian,  édité  à  Paris  (chez  Costallat).  Nous  leur  en 
communiquerons  de  plus  inédits,  pris  d'ailleurs  à  la  même  source. 

Voici  d'abord  un  chant  d'amour  qui  m'a  été  dicte  par  un  des  chan- 
teurs arméniens  qui  ont  contribué  à  la  formation  de  ce  recueil,  M.  Ga- 
loust  Boyadsian,  lequel  présentement  étudie  le  chant  à  Paris.  Je  crois 
le  pouvoir  donner  comme  un  des  modèles  les  plus  remarquables  que 
l'on  puisse  offrir  du  chant  populaire  en  quelque  pays  que  ce  soit.  D'ac- 
cent lyrique  au  début  et  d'expression  sentimentale,  il  prend  peu  à  peu 
plus  de  précision  rythmique,  et  devient  une  vraie  chanson  de  danse, 
avec  certains  détails  d'interprétation,  qu'accentue  la  mimique,  d'une 
fantaisie  charmante  :  à  la  fia  de  la  période,  la  voix  glisse  en  une  roulade 
descendante,  sans  intervalles  définis,  s'arrètantau  hasard  sur  une  finale 
inarticulée  (serait-ce  point  là,  enfin  !  un  exemple  du  fameux  quart  de 
ton?...);  puis  le  chant  redevient  plus  libre  et  d'accent  mélancolique, 
comme  au  début,  et  s'achève  sur  une  tonique  franche  et  nettement 
posée.  La  tonalité  générale  est  un  premier  Ion  des  mieux  caractérisés. 
Fidèle  aux  principes  de  notation  rythmique  déjà  exposés,  nous  n'en- 
fermons dans  des  barres  de  mesure  que  les  parties  de  la  mélopée  qui 
sont  nettement  cadencées,  laissant  le  reste  sans  aucune  autre  indication 
que  celle  qui  résulte  expressément  de  la  valeur  comparée  des  notes. 


-hin,       ko  h;vjani  -  ha  .11      lou  sohiii    lo.rlU, 
llhrrw^nl. 


djanéni  lo- rik,      djaném lorik 
Plus  animé. 


djaném  lo-rik. 


Zouriia     lliulr      Icliale  .  Isoulstn,       kaiialcli  kapéu      liaké     Isoutsin, 
i"  Mouvl    fj/iis  libre. 


dj^iiiéiii  lo  -  lili,         iiuiléuiloj'ik,_ 
(A  suivre.) 


ia_iénilo.rlk._ 
Julien  Tieesot. 


PKNSÉES  ET  APHORTSMES 

D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Traduit  du   russe   par   Michel    Delines.) 


De  nos  jours,  nous  sommes  très  fiers  des  progrès  de  l'instruction  et 
de  la  science.  Toutefois,  bien  que  l'instruction  soit  plus  rjpandue,  il  est 
permis  de  se  demander  si  nos  illustrations  pourraient  supporter  la 
comparaison  avec  les  grands  artistes  de  la  Ren  lissance  ou  du  «  cinque 
cento  11  pour  l'universalité  des  connaissances  . 

Je  n'en  fais  pas  un  reproche  à  nos  artistes  du  jour,  parce  que  cette 
universalité  n'est  pas  une  condition  nécessaire  à  la  création  artistique; 
mais  cette  remarque  est  intéressante  au  point  de  vue  de  l'histoire  de  la 
civilisation. 

Les  croyants  admettent  encore  maintenant  que  Dieu,  pour  nous  faire 
connaître  sa  volonté,  peut  se  manifester  sous  la  forme  d'un  être  humain. 
Mais  comment  accueillerions-nous  de  nos  jours  un  tel  messager?  Si 
nous  n'allions  pas  jusqu'à  le  crucifier  en  le  déclarant  sacrilège,  nous  le 
ferions  tout  au  moins  enfermer  dans  un  asile  de  fous  ! 

Pourquoi  donc  on  voulons-nous  tant  aux  Juifs  pour  s'être  refusé  à 
reconnaître  en  Jésus  le  fils  de  Dieu,  dix-neuf  siècles  avant  nous,  et  pour 
l'avoir  soumis  aux  châtiments  qu'on  infligeait  alors? 


Le  repos  du  dimanche  est-il  une  mesure  philanthropique,  économi- 
que ou  religieuse?  Au  point  de  vue  philanthropique,  je  trouve  qu'il  y  a 
là  excès  de  zèle;  au  point  de  vue  économique,  je  ne  peux  que  le  regret- 
ter; au  point  de  vue  religieux,  je  le  trouve  tout  à  fait  blâmable,  car, 
forcer  les  gens  à  se  rendre  à  l'église,  c'est  les  obliger  souvent  à  un  acte 
de  mensonge. 

Interdire  le  travail  n'est  pas  une  idée  moralisante,  et  défendre  les 
amusements  après  le  travail  confine  à  la  cruauté. 

N'aurions-nous  vraiment  rien  de  mieux  à  emprunter  à  l'Angleterre 
que  le  repos  du  dimanche? 

Si  l'on  ne  veut  pas  qu'un  acte  soit  mal  interprété,  il  faut  proclamer 
hautement  ses  intentions.  Dés  qu'on  s'entoure  de  mystère,  on  excite  la 
curiosité,  on  éveille  les  soupçons  et  l'on  devient  l'objet  de  la  malignité 
publique. 

Les  nations  européennes,  chez  lesquelles  les  classes  supérieures  tien- 
nent  encore  aux  costumes  nationaux,  ne  sont  pas  encore  mures  pour  la 
civilisation. 

"L'Allemagne  doit  son  unité  et  sa  puissance  actuelles  en  grande  partie 
à  la  neutralité  de  la  Russie  en  1870.  La  preuve  qu'elle  s'en  doute,  et 
qu'elle  voit  en  la  Russie  le  Dem  ex  machina  de  l'avenir  politique,  est  le 
coup  génial  de  la  «  triplice  »  qu'elle  imagina.  Mais  la  «  double  alliance  » 
que  ce  coup  même  fit  naître  ne  semble  pas  de  bon  augure  pour  l'Alle- 
magne. 

NOUVELLES    r>I^^ERSES 

ÉTRANGER 
fISDe  notre  correspondant  de  Belgique  (26  septembre).  —  Le  théâtre  de  la 
Monnaie  est  tout  à  Verdi.  Après  avoir  été  pendant  plusieurs  années  éloigné 
de  «  notre  première  scène  lyrique  »,  l'auteur  du  Trouvère  y  rentre  triompha- 
lement et  accapare  le  répertoire.  Ce  que  c'est  pourtant  que  d'être  mort  I 
Nous  avons  eu,  ces  jours  derniers,  coup  sur  coup,  Rigoletto,  la  Trauiatii  et 
Aida;  il  est  question  de  Don  Carlos,  et  déjà  l'on  prépare  Othello.  Attendons- 
nous  à  une  reprise  du  Trouvère.  Les  spirituels  directeurs  de  la  Monnaie 
prennent  plaisir  ainsi  à  dépister  leurs  plus  farouches  ennemis,  ceux  qui 
prétendaient  mordicus  que  l'avènement  de  MM.  Kufferath  et  Guidé  était  le 
signal  de  la  wagnérisation  complète  et  absolue  du  théâtre  de  la  Monnaie. 
Combien  ces  trembleurs  avaient  tort!  Les  soins  qu'ils  ont  donnés,  cette 
année  déjà,  à  reprendre  Lohengrin,  ceux  dont  ils  sont  en  train  d'entourer 
une  prochaine  reprise  de  Tannhàuser,  et  tous  ceux  qu'ils  vont  prodiguer 
ensuite  au  Crépuscule  des  dieux,  qui  paraîtra  en  décembre  prochain,  pour  la 
première  fois  sur  une  scène  française,  ne  les  a  pas  empêchés  de  montrer 
que  les  œuvres  italiennes  susdites,  la  Muette,  jouée  patriotiquement  pour 
les  «  fêtes  de  septembre  »,  que  Samson  et  Dalila,  où  M"=  Dhasty  est  admiraljle, 
que  Mireille  et  Faust,  i^qui  ne 'quittent  pas  le  répertoire,  sont  de  leur  part 
l'objet  d'une  sollicitude  dont  les  applaudissements  du  public  constituent  la 
douce  récompense.  Et  bientôt  nous  reviendront  aussi  les  Huguenots.  La  troupe 
est  maintenant  à  peu  fprès  tout  entière  d'aplomb  et  prête  [à  engager  de 
sérieuses  batailles.  Il  s'en  faut  encore  du  début  d'une  couple  de  nouvelles 
venues,  sur  qui  l'on  compte,  "M""»^  Feltesse-Ocsombus,  jolie  voix  et  bonne 
musicienne,  et  M""  Strasy,  un  soprano  dramatique  n'ayant  jamais  vu  le  feu 


310 


LE  MÉNESTREL 


de  la  rampe,  et   de  la  rentrée  en  cage 
M"»  Landouzy. 


deux  oiseaux,   M"»  Thiéry   et 
L.  S. 


—  Les  dix  artistes  allemands  qui  ont  été  invités,  après  le  premier  concours 
resté  sans  résultat,  à  prendre  part  au  nouveau  concours  limité  pour  la  cons- 
truction d'un  monument  à  Richard  "Wagner  au  Thiergarten  de  Berlin,  ont 
presque  tous  terminé  leurs  maquettes  et  le  jury  pourra  commence!  ses  opé- 
rations dès  le  l^""  novembre  prochain.  Presque  tous  les  artistes  ont  représenté 
"Wagner  assis,  afin  de  surmonter  la  difficulté  que  présentait  à  la  sculpture 
son  corps  petit  et  replet;  ils  ont  tous  tâché  de  concentrer  dans  la  tête  de 
Wagner  l'eflet  principal  du  monument.  Les  dix  concurrents  recevront 
chacun  une  indemnité  de  1.300  marcs  et  trois  prix  seront  alloués  aux  meilleurs 
projets. 

—  M.  Mahler,  directeur  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  a  envoyé  à  tous  les 
membres  de  son  orchestre  une  circulaire  pour  leur  interdire  de  «  se  faire  rem- 
placer ».  Jusqu'à  présent  chaque  membre  de  cet  orchestre  pouvait  se  faire 
suppléer,  à  ses  frais,  par  un  de  ses  collègues  pour  pouvoir,  le  cas  échéant, 
prêter  son  concours  à  un  concert;  dorénavant  les  artistes  seront  obligés  de 
faire  en  personne  leur  service.  Inutile  d'ajouter  que  cette  mesure  n'est  pas 
vue  d'un  bon  œil  par  les  membres  de  l'orchestre  de  l'Opéra  impérial  qui 
vont  être  ainsi  privés  de  petits  bénéfices  fort  appréciables. 

—  Le  7  septembre  a  eu  lieu,  au  Théàtre-Royal  de  Dresde,  la  première 
représentation  d'un  opéra  en  deux  actes,  le  Juif  polonais,  tiré,  bien  entendu, 
par  ses  auteurs,  MM.  Léon  et  Richard  Batka,  du  roman  célèbre  d'Erckmann- 
Chatrian,  musique  de  M.  Cari  Weis.  Le  succès  parait  avoir  été  au  moins 
douteux,  surtout  pour  cette  raison  que  la  musique  est  en  complet  désaccord, 
par  sa  nature,avec  le  caractère  sombre  et  dramatique  du  sujet.  Sans  le  talent 
du  chanteur  Scheidemantel,  qui  jone  le  rôle  de  Mathis,  la  partition,  dit-on, 
ne  pourrait  se  soutenir,  non  qu'elle  soit  entièrement  dépourvue  d'intérêt, 
mais  parce  qu'elle  manque  complètement  d'harmonie  avec  le  texte  qu'elle  est 
chargée  d'interpréter. 

—  On  annonce  justement,  au  Théàtre-Royal  de  Dresde,  le  très  prochain 
début,  dans  Loliengrin,  d'un  nouveau  ténor  qui  n'a  jamais  paru  à  la  scène. 
C'est  un  docteur  en  médecine,  M.  Alfred  de  Bary,  ex-assistant,  à  l'Univer- 
sité de  Leipzig,  du  professeur  Flechsig,  qui  s'est  découvert  tout  à  coup  une 
voix  splendide  et  qui  travaille  en  ce  moment  avec  M.  MuUer,  professeur  au 
Conservatoire  de  Dresde. 

—  Un  journal  allemand  vient  de  publier  une  lettre  inédite  de  Mozart  qui 
ne  manque  pas  d'intérêt.  Elle  est  écrite  dans  le  patois  de  Salzbourg  auquel 
Mozart  était  resté  fidèle  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  et  avec  l'orthographe  un 
peu  fantaisiste  qu'on  rencontre  dans  la  plupart  de  ses  lettres,  surtout  dans 
celles  de  sa  jeunesse. 

Municli,  le  14  janvier  1775. 
Mon  cher  ami. 

Dieu  soit  loué  !  Mon  opéra  a  été  mis  en  scène  hier  le  13  et  a  tellement  réussi  qu'il 
m'est  impossible  de  le  décrire  le  bruit  qu'il  a  fait.  Après  chaque  aria,  il  y  avait  toujours 
une  salve  formidable  d'applaudissements.  A  la  fin  deVopéra,\e  public,  d'ordinaire  si  calme 
jusqu'au  moment  où  le  ballet  commence,  n'a  cessé  d'applaudir  et  de  crier  bravo! 

.ï'ai  baisé  la  main  de  l'Électeur  et  des  autres  Altesses,  qui  ont  été  tous  fort  gracieux. 

Aujourd'hui,  de  grand  matin.  Sa  Grâce  princière  l'évèque  de  Ctiiemsee  a  envoyé 
quelqu'un  pour  me  féliciter. 

Vendredi  proeliain  on  donnera  encore  une  fois  l'opéra  et  je  suis  très  nécessaire  à  cette 
production. 

iles  compliments  à  tous  les  bons  amis  et  amies. 

Adieu.  WOLFGANG. 

L'opéra  dont  il  s'agit  est  la  Finta  Giardiniera,  écrit  à  Salzbourg,  par  ordre 
de  l'Électeur  de  Bavière  (qui  n'avait  pas  encore  le  titre  de  roi),  pour  le  car- 
naval de  Munich.  Mozart  se  rendit  à  Munich  en  décembre  1774,  après  avoir 
terminé  sa  partition,  et  son  œuvre  fut  jouée  le  13  janvier  1773  avec  un  succès 
énorme.  Il  n'avait  à  cette  époque  que  dix  neuf  ans.  La  lettre  est  évidemment 
écrite  à  un  de  ses  amis  de  jeunesse  de  Salzbourg;  l'adresse  s'est  malheureu- 
sement égarée.  On  est  quelque  peu  étonné  de  nos  jours  de  voir  l'évêque  de 
Chiemsee  parmi  les  enthousiastes  de  la  «  première  »  ;  mais,  au  XyiIIi^  siècle, 
le  haut  clergé  allemand  ne  dédaignait  pas  les  délassements  de  la  musique. 

—  On  vient  de  retrouver  dans  le  Journal  de  musique  allemand  de  1813  l'an- 
nonce suivante  : 

învitalion. 

Le  soussigné  désire  obtenir  aussi  vite  que  possible  un  bon  livret  d'opéra  qu'il  mettra 
en  musique  et  qu'il  paiera  honnêtement  fanstamdirjj.  Il  invite  par  la  présente  les  poètes 
d'Allemagne  qui  veulent  bien  s'astreindre  à  ce  travail  à  lui  envoyer  aussitôt  leurs  manus- 
crits avec  les  conditions,  en  s'engageant  à  renvoyer  aux  auteurs  ceux  qu'il  ne  pourrait 
utiliser,  sans  le  moindre  abus. 

Prague,  le  12  mars  1813. 

Karl-Maria  von  Weber, 

Chef  d'orchestre,  Directeur  de  l'Opéra  du  Théâtre  royal 

de  Bohème,  à  Prague. 

Les'compositeurs  lyriques  d'Allemagne  avaient  donc  de  grandes  difficultés 
au  commencement  du  XIX'  siècle  pour  se  procurer  des  livrets  d'opéra.  Ces 
difficultés  n'ont  pas  diminué  au  vingtième  siècle,  malgré  le  procédé  inauguré 
par  "Wagner  d'écrire  à  la  fois  le  livret  et  la  partition  d'une  œuvre  lyrique. 

—  Au  temple  israéUte  de  Reichenberg  (Bohême),  on  vient  d'exécuter  pen- 
dant le  service  du  nouvel  au  Israélite  le  92'=  psaume  de  Schubert  pour  quatuor 
d'hommes  et  solo  de  baryton  après  avoir   adapté  à  la  musique  les  paroles 


originales  en  hébreu.  Cette  belle  composition  de  Schubert  n'avait  encore  jamais 
été  exécutée  publiquement;  elleest  inconnue  de  la  plupart  de  ses  admirateurs. 
Il  paraît  que  la  composition  de  Schubert  est  reproduite  sans  indication  d'au- 
teur dans  un  recueil  de  musique  liturgique  Israélite  qui  a  été  publiée  après 
la  mort  de  Schubert  à  Vienne  sous  le  titre  Chir  Zion  (Chants  de  Jérusalem) 
et  que  le  canlor  Israélite  de  Reichenberg  ne  se  doutait  guère  que  le  beau 
psaume  qu'il  faisait  exécuter  ne  venait  pas  de  la  terre  promise. 

—  Une  nouvelle  qui  pourrait  bien  être  un  canard  est  celle  qui  attribue  à 
MM.  Giacomo  Puccini  et  Pietro  Mascagni  l'intention  de  travailler  en  collabo- 
ration à  un  opéra  dont  deux  librettistes,  MM.  Luigi  lUica  etGiuseppe  Giacosa, 
auraient  emprunté  le  sujet  à  un  fameux  roman  o  sentimental  »  français. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apportent  des  détails  sur  le  nouvel  ouvrage 
de  don  Lorenzo  Perosi,  il/osé,  qui  doit  être  exécuté  prochainement  à  Milan, 
pour  la  première  fois,  dans  le  «  salon  Perosi  ».  Ledit  Mosè  prend  la  qualifi- 
cation de  «  poème  symphonico- vocal  »  et  a  été  écrit  sur  des  paroles  de 
MM.  Agostino  Cameroni  et  Pietro  Croci.  Il  est  divisé  en  trois  parties,  pré- 
cédées d'un  prologue.  Les  personnages  sont  Moïse,  Pharaon,  Aaron,  Rachel, 
Sephora,  Marie  et  un  chef  de  famille  hébreu,  plus  «  la  voix  de  Jehova  ».  Les 
chœurs  sont  variés  et  nombreux.  Les  sources  du  poème  sont  les  2°,  3',  i",  3% 
12",  13",  14"  et  13<=  chapitres  de  l'Exode.  La  forme  de  ce  poème  est,  paraît-il, 
remarquable  par  sa  grandeur  et  son  élévation. 

—  A  peine  cet  ouvrage  est-il  terminé  et  prêt  à  être  offert  au  public  que 
M.  Lorenzo  Perosi,  annonce-t-on,  a  déjà  mis  la  main  à  une  œuvre  nouvelle, 
qui  aura  pour  titre  l'Apocalypse.  Décidément,  ce  compositeur  est  inépuisable. 

—  Un  de  nos  collaborateurs,  de  passage  à  Rome,  nous  communique  avec 
indignation  un  fait  qui  prouve  combien  une  œuvre  musicale  peut  être  mal- 
traitée par  manque  de  goût.  Se  trouvant  sur  la  terrasse  d'un  café  de  la  fameuse 
place  de  la  Colonne  où  jouait  une  musique  militaire,  il  entendit  une  marche 
dont  les  premières  mesures  évoquaient  comme  un  vague  souvenir  de  la  Val- 
kyrie.  Il  croyait  d'abord  s'être  trompé,  mais  quelques  instants  plus  tard  aucun 
doute  n'était  possible;  c'était  bien  le  chant  d'amour  de  Siegmund  au  premier 
acte  de  la  Valkyrie  que  la  musique  jouait  en  tempo  di  mania.  Vivement 
intrigué,  il  acheta  à  un  camelot  le  programme  et  put  lire,  à  sa  grande  stu- 
péfaction, que  la  musique  du  64''  régiment  d'infanterie  avait  annoncé  comme 
premier  numéro  de  son  concert  :  «  Wagner,  /  Nibelungen-marcia.  ».  Le  maître 
ne  détestait  pas  d'ailleurs  les  arrangements  de  ses  œuvres  pour  musique 
militaire,  et  un  jour,  se  trouvant  à  Venise,  il  fut  même  très  flatté  de  voir  que 
le  chef  d'une  musique  militaire  jouant  sur  la  place  de  Saint-Marc  avait 
emprunté  tout  son  programme  à  son  œuvre  propre.  Il  s'approcha,  se  fit 
connaître,  et  remercia  vivement  lé  chef  d'orchestre.  Mais  cela  n'autorise 
nullement  les  musiques  militaires  de  faire  un  pas  redoublé  d'un  chant 
d'amour. 

—  Le  théâtre  communal  de  Bologne  doit  donner,  au  cours  de  sa  prochaine 
saison  d'hiver,  un  opéra  nouveau,  Massias,  du  compositeur  Stefano  Gobatî, 
qui,  tout  jeune,  a  débuté  dans  la  carrière  par  un  succès  retentissant,  i  Goti, 
et  qui  depuis  plus  de  vingt  ans  n'a  pas  reparu  à  la  scène. 

—  On  a  donné  le  11  septembre,  au  Théàtre-Donizettî  de  Bergame,  la  pre- 
mière représentation  de  Marcello,  «  scènes  parisiennes  »  en  deux  tableaux, 
paroles  de  M.  Zanardini,  musique  d'un  jeune  compositeur  à  ses  débuts, 
M.  Mario  Terenghi,  jouées  par  M"""^  Gabbi  et  Campodonica,  MM.  Mori  et 
Fabbri-Boesmo.  Cet  ouvrage,  couronné  il  y  a  huit  ans  dans  un  concours, 
paraît  avoir  obtenu  un  médiocre  succès.  Le  livret,  d'un  caractère  dramatique, 
est  <i  pauvre  et  commun  »,  dit  un  critique,  et  la  musique  manque  à  la  fois 
d'équilibre  et  de  nouveauté.  On  reproche  surtout  au  compositeur  d'avoir 
sacrifié  la  partie  vocale  à  la  partie  instrumentale  et  de  faire  parler  l'orchestre 
plus  que  ses  personnages. 

—  On  a  joué  à  Vimercate,  au  profit  d'une  œuvre  de  bienfaisance,  une 
opérette  en  un  acte  intitulée  Annina,  dont  la  musique  est  due  au  «  docteur  » 
Déola.  Ce  petit  ouvrage  était  joué  par  des  dilettantes. 

—  Au  prochain  festival  musical  de  Leeds  on  pourra  entendre  plusieurs 
nouvelles  œuvres  :  un  chant  funèbre  de  M.  Charles  Wood,  une  cantate  de 
M.  Glazounof  et  une  «  cantate  tragique  »  intitulée  la  Jeune  Fille  aveugle  de 
Castel-Cuillé  dont  les  paroles  sont  empruntées  à  une  poésie  de  Wordsworth 
qui  est  elle-même  basée  sur  un  poème  gascon  de  Jasmin.  L'auteur  de  cette 
cantate  est  M.  Colerîdge  Taylor,  l'auteur  de  Hiawalha. 

—  La  question  de  la  musique  à  composer  pour  le  couronnement  du  roi 
Edouard  "VU  d'Angleterre  continue  à  agiter  les  cercles  musicaux  du  Royaume- 
Uni.  En  Ecosse,  le  roi  Edouard  est  déjà  pourvu  d'un  «  compositeur  royal  » 
en  la  personne  de  sir  Herbert  Cakeley,  mais  en  Angleterre  ce  poste  n'existe 
pas.  La  Cour  possède  seulement  o  un  maître  de  la  musique  »,  sir  Walter 
Parratt,  dont  le  titre  pompeux  ne  correspond  guère  d'ailleurs  avec  les  fonc- 
tions artistiques  plutôt  modestes,  et  un  «  organiste  et  compositeur  de  la 
chapelle  royale  »,  M.  Creser.  On  croit  que  l'honneur  d'écrire  la  musique 
pour  l'hymne  du  couronnement  sera  dévolu  à  l'un  ou  à  l'autre  de  ces 
musiciens  officiels  et  que  le  poêla  laureatus  sera  chargé  d'en  fournir  les 
paroles.  Ce  poète  n'a  pas  ramassé  jusqu'à  présent  beaucoup  de  lauriers, 
malgré  son  titre  moyenâgeux;  c'est  donc  sans  aucune  impatience  que 
nous  attendrons  les  paroles  et  la  musique  de  l'hymne  du  couronnement 
d'Edouard  VII. 


LE  MENESTREL 


311 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

M.  Gailhard  (toujours  lui!)  a  reçu  de  Saint-Pétersbourg  le  télégramme 
suivant  : 

Eq  ces  jours  mémorables  de  communioii  d'âme  entre  nos  deux  grandes  nations,  les 
artistes  des  théâtres  impériaux  de  Pétersbourg  et  de  Moscou,  résumant  le  sentim  ent 
de  tous  les  artistes  de  l'Empire,  éprouvent  le  besoin  de  fraterniser  avec  les  artistes 
lyriques  et  dramatiques  de  France  et  envoient  un  salut  cordial  et  ému  à  leurs  collègues 
de  l'Opéra,  de  l'Opéra-Comique,  de  la  Comédie-Française  et  de  l'Odéon,  en  les  priant  de 
transmettre  leur  sympatliie  à  la  grande  famille  artistique  française.  Vive  l'immortelle 
France!  source  intarissable  d'aspirations  nobles  et  généreuses  ! 

Vive  l'admirable  France,  flambeau  rayonnant  d'un  incomparable  éclat  dans  la  sphère 

sereine  de  l'art. 

Les  artistes  des  théâtres  impenatix  de 

Pétersbourg  et  de  Moscou. 

M.  Gailhard  a  répondu  : 

Au  lendemain  de  la  visite  inoubliable  de  Leurs  Majestés  impériales, les  artistes  lyriques 
et  dramatiques  de  France,  unis  dans  un  même  sentiment  d'amicale  solidarité,  remercient 
les  artistes  des  théâtres  impériaux  de  Pétersbourg  et  de  lUoscou  et  les  prient  d'exprimer  à 
leurs  collègues  de  l'Empire  la  chaleureuse  ferveur  de  leur  fraternité. 

Au  nom  de  tous  les  théâtres  de  France,  les  pensionnaires  de  l'Opéra,  de  la  Comédie- 
Française,  de  rOpéra-Comique  et  de  l'Odéon  adressent  à  leurs  camarades  de  Russie  le 
témoignage  ému  de  leur  sympathie.  Vive  la  Grande  Russie!  où  l'art  universel  est  honoré 
sous  toutes  ses  formes.  Vive  la  nation  sœur  !  dont  le  nom  acclamé  rallie  nos  enthousiasmes 
et  exalte  le  lyrisme  ardent  de  tous  les  artistes  français  I 

Les  artistes  des  théâtres  nationaux  de  Paris. 

Oh  !  ce  «  lyrisme  exalté  »  !  et  cet  «  art  universel  honoré  »  dans  un  pays  qui  ne 
reconuaîtpas  la  propriété  artistique  et  frustre  les  auteurs  de  tous  leurs  droits! 

—  D'ailleurs  le  «  lyrisme  exalté  »  de  M.  Gailhard  s'explique  aisément 
puisque  l'Empereur  de  toutes  les  Russies  vient  de  lui  conférer,  dans  un  de 
ses  nombreux  ordres,  un  nouveau  grade  qui  élève  le  directeur  de  l'Opéra 
«au  rang  de  général».  Quel  rêve!  Gailhard  général  !  Oui,  le  voilà  avec  «  deux 
étoiles  »  sur  le  parement  de  ses  habits.  Cela  fait  deux  de  plus  que  sur  la  scène 
de  l'Opéra. 

—  Indiscrétion  de  Nicolet  dn  Gaulois  sur  les  Barbares  dont  on  annonce  la 
première  représentation  à  l'Opéra  pour  le  15  octobre  :  «  Depuis  trois  jours, 
les  Barbares  sont  répétés  activement.  Dimanche  soir,  —  en  présence  des 
auteurs,  MM.  "Victorien  Sardou,  P.-B.  Gheusi  et  Camille  Saint-Saëns  — 
M.  Gailhard  a  réglé  les  trois  décors  de  Jambon  et  leurs  éclairages  successifs. 
M.  Philippon,  le  chef  machiniste,  et  sa  vaillante  équipe  ont  été  vivement 
félicités  :  toutes  les  manœuvres  étaient  irréprochables.  En  témoin  indiscret, 
nous  avons  noté  quelques  particularités  de  l'ouvrage  :  l'apparition  soudaine 
du  Récitant  (Delmas)  au  prologue;  —  au  premier  acte  :  un  saisissant  tableau 
de  panique  et  d'assaut  victorieux  au  pied  du  mur  gigautesq  ue,  qui  barre 
toute  la  scène  de  sa  formidable  masse,  et  une  fin  en  coup  de  théâtre  très 
inattendue;  —  au  deuxième,  le  clair  de  lune  sur  les  gradins  mystérieux, 
dans  le  même  décor,  vu,  cette  fois,  de  la  scène  même,  un  débat  tragique 
entre  Marcomir  (Vaguet)  et  Floria  (Jeanne  Hatto),  suivi  d'un  duo  passionné , 
dont  il  n'est  certainement  pas  téméraire  d'annoncer  déjà  le  succès;  —  au 
troisième,  dans  un  paysage  étincelant  de  soleil,  tout  dramatisé  par  les  traces 
du  combat  de  la  veille,  un  défilé  de  chars  guerriers,  chargés  de  butin,  — 
une  farandole  endiablée  dans  le  carrefour  et,  surtout,  une  scène  finale,  d'une 
ampleur  superbe,  où  Livie  (M"'  Héglon)  dénoue  la  pièce  d'un  geste  meur- 
trier... Jambon,  présent  aux  essais,  a  été  chaleureusement  complimenté  par 
les  auteurs  et  par  la  direction.  » 

—  L'Opéra  a  repris  cette  semaine  Asiarié,  l'œuvre  intéressante  de  M.  Xavier 
Leroux.  Elle  vaut  assurément  mieux  que  sa  renommée  et  que  tout  ce  qu'on 
a  écrit  sur  son  compte. 

—  Continuation  à  l'Opéra-Comique  des  débuts  de  la  saison.  II  faut  signaler 
dans  Mireille  celui  de  M"°  Caux,  gentille  petite  personne  accorte,  de  voix 
menue,  mais  fraîche  et  gazouillante,  vraie  nature  de  théâtre.  Encore  que  le 
rôle  de  Mireille  ne  soit  pas  trop  son  affaire,  W^"  Caux  n'a  pas  laissé  pourtant 
d'y  montrer  des  qualités  qui  trouveront  certainement  leur  emploi  dans  le 
répertoire  de  la  maison.  —  Très  chaleureux  a  été  l'accueil  qu'on  a  fait  à 
M"''  Garden  dans  Manon.  Elle  est  aujourd'hui  une  artiste  en  pleine  possession 
de  ses  moyens,  très  personnelle  et  très  intelligente,  et  de  plus  la  femme 
est  de  silhouette  fine  et  charmante.  En  voilà  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
justifier  la  prise  triomphale  du  rôle  de  Manon  par  W"  Garden.  Recette  : 
7.895  francs,  un  joli  chitfre  pour  une  rentrée  d'automne. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Mireille  ;  le  soir,  la  Basoche  et  le  Maître  de  Chapelle. 

—  Sollicité  par  M.  Albert  Carré,  M.  Henri  Carré  qui,  pour  raison  de  santé, 
s'était  vu  obligé  de  renoncer  à  ses  fonctions  de  chef  des  chœurs  de  l'Opéra- 
Comique,  a  bien  voulu  accepter  la  direction  de  l'école  des  chœurs,  afin  de 
continuer  à  apporter  son  concours  à  ce  théâtre,  auquel  il  appartient  depuis 
vingt-cinq  ans. 

—  L'Opéra-Comique  nous  communique  le  tarif  de  l'abonnement  du  jeudi 
et  du  samedi  donnant  droit  à  quinze  représentations  composées  de  quinze 
spectacles  différents  : 

Avant-scène  de  rez-de-chaussée,  180  francs  la  place. 
Loges  de  balcon,  fauteuils  de  balcon  (!•-■'  rang),  180  francs  la  place. 
Baignoires,  fauteuils  d'orchestre,  fauteuils  de  balcon  (2"  et  3=  rangs),  1-^0  francs  la 
place. 


Avant-scènes  et  loges  de  face  (2°  étage),  120  francs  la  place. 

Loges  de  côté  du  2"  étage,  90  francs  la  place. 

Fauteuils  de  3"  étage  (trois  premiers  rangs),  75  francs  la  place. 

Avant-scènes  et  loges  du  3°  étage,  60  francs  la  place. 

Stalles  de  3"  étage  (quatre  derniers  rangs),  32  fr.  50  la  place. 

La  série  A  des  jeudis  est  établie  par  quinzaine  du  7  novembre  au  5  juin 
inclus;  par  suite  la  série  B  du  14  novembre  au  12  juin. 

La  série  A  des  samedis  commence  le  9  novembre  par  quinzaine  jusqu'au 
7  juin,  et  la  série  B  va  du  16  novembre  au  14  juin. 

Voici  également  le  tarif  de  l'abonnement  du  lundi  (abonnement  de  famille 
à  prix  réduit)  donnant  droit  à  quinze  représentations  composées  de  quinze 
spectacles  différents  : 

Avant-scène  de  rez-de-chaussée,  loges  de  balcon  et  fauteuils  de  balcon  (1"'  rang), 
150  francs  la  place. 

Baignoires,  fauteuils  d'orchestre,  fauteuils  de  balcon  (2°  et  3°  rangs),  120  francs  la 
place. 

Avant-scènes  et  loges  de  face  du  2°  étage,  90  francs  la  place, 

Loges  de  côté  du  2°  étage,  75  francs  la  place. 

Fauteuils  de  3°  étage  (trois  premiers  rangs),  60  francs  la  place. 

Avant-scènes  et  loges  du  3"  étage,  stalles  du  3"  étage  (quatre  derniers  rangs),  45  francs 
la  place. 

La  série  A  du  lundi  commence  le  11  novembre  et  va  par  quinzaine  jusqu'au 
9  juin  inclus. 

La  série  B  du  18  novembre  au  16  juin,  par  quinzaine  également. 

Les  abonnés  de  l'Opéra-Comique  sont  priés  de  faire  savoir  à  l'adminis- 
tration s'ils  désirent  conserver  pour  la  saison  1901-1902  les  places  qu'ils 
occupaient  pendant  la  saison  dernière.  Les  inscriptions  nouvelles  sont  reçues 
dès  à  présent.  Le  bureau  des  abonnements  (rue  Marivaux)  est  ouvert  tous 
■  les  jours,  de  dix  heures  à  midi  et  de  une  heure  à  six  heures. 

—  Plusieurs  journaux  ont  publié  cette  semaine  une  lettre  qu'aurait  adressée 
M.  Saint-Saëns  aux  Nouvelles  de  Hambourg.  Cette  lettre,  authentique,  a  été  adres- 
sée en  réalité  au  correspondant  du  Bœrsen-Courier ,  de  Berlin.  Elle  tait  partie 
d'une  correspondance  qui  s'est  engagée  récemment  entre  ce  correspondant 
et  l'auteur  de  Samson  et  Dalila.  M.  Levin,  correspondant  du  Bœrsen-Courier, 
avait  écrit  à  M.  Saint-Saëns  pour  lui  demander  une  entrevue,  afin  d'obtenir 
de  lui  des  renseignements  sur  un  opéra  que  le  compositeur,  avait-on  dit, 
allait  écrire  sur  un  livret  allemand  :  nouvelle  qui,  d'ailleurs,  tut  bientôt 
démentie.  M.  Saint-Saëns  envoya  d'ab  ord  la  lettre  suivante  : 

8  septembre. 
Cher  monsieur. 

Il  vous  aurait  été  bien  facde  de  me  vol  r  à  Béziers;  il  n'était  pas  besoin  pour  cela  d'une 
lettre  d'introduction. 

Le  Bcersen-Courier,  qui  fut  naguère  mon  ennemi  le  plus  acharné,  veut  bien  changer 
d'attitude  ;  je  lui  en  suis  reconnaissant;  quant  à  vous  donner  une  audience,  je  ne  le  puis, 
car  ce  serait  forcément  une  interview,  et  je  n'en  accorde  jamais,  pas  plus  aux  journa- 
listes français  qu'aux  étrangers.  Veuillez  m'excuser  et  accepter  mes  remerciements  pour 
vos  marques  de  syTnpathie,  ainsi  que  mes  compliments  très  empressés. 

C.  Saint-Saens. 

Le  correspondant  du  journal  berlinois  répondit  que,  collaborateur  du 
Bcersen-Courier  depuis  onze  ans,  il  n'y  avait  jamais  écrit  ni  lu  aucune  ligne 
«  irrévérencieuse  »  pour  le  maître;  pour  sa  part,  au  contraire,  il  avait  pu- 
blié, à  l'occasion  des  soixante  ans  de  M.  Saint-Saëns,  un  article  fort  élogieux. 
La-dessus,  seconde  lettre  de  M.  Saint-Saëns. 

9  septembre. 
Cher  monsieur, 

N'ayez  pas  de  moi  si  mauvaise  opinion,  je  vous  en  prie.  .Te  suis  fort  peu  sensible  à  la 
critique  et  même  à  l'éloge,  non  par  sentiment  exagéré  de  ma  valeur,  ce  qui  serait  une 
sottise,  mais  parce  que,  produisant  des  œuvres  pour  accomplir  une  fonction  de  ma 
nature,  comme  un  pommier  produit  des  pommes,  je  n'ai  pas  à  m'inquiéter  de  l'opinion 
que  l'on  peut  formuler  sur  mon  compte. 

Le  Bœrsen-Courier  s'était  mis  à  la  tète  du  mouvement  dirigé  contre  moi,  lorsque  je 
tus  accueiUi  à  Eerhn  par  des  sifflets  et  une  véritable  émeute  ;  c'était,  je  crois,  en  1887. 

Depuis  lors,  je  n'avais  plus  voulu  retourner  à  Berlin,  ni  même  en  Allemagne.  Mainte- 
nant, ma  nomination  comme  membre  de  l'académie,  le  succès  de  Samson  et  Dalifa,  enûn 
la  haute  distinction  dont  l'empereur  a  bien  voulu  m'honorer  ont  effacé  tout  cela. 

Avec  mes  remerciements  pour  vos  marques  de  sympathie,  veuillez  agréer  l'expression 
de  mes  meilleurs  sentiments. 

C.  Saint-Saens. 

M.  Levin  demande  alors  l'autorisation  de  publier  ces  deux  lettres,  «  qui 
ont,  dit-il,  un  caractère  documentaire  ».  Et  alors,  troisième  lettre  de  M.  Saint- 
Saëns,  ainsi  conçue  : 

Paris,  11  septembre  1901. 
Cher  monsieur. 

Vous  pouvez  publier  mes  lettres  si  bon  vous  semble,  mais  je  ne  voudrais  pas  qu'on 
attribuât  à  mes  paroles  plus  de  portée  que  je  n'ai  voulu  leur  donner. 

Je  puis  oublier  les  injures  personnelles;  je  pnis  être  reconnaissant  au  public  de  ses 
applaudissements,  aux  artistes  de  leur  précieux  concours,  à  Sa  Majesté  de  son  impériale 
courtoisie;  mais  il  y  a  autre  chose  que  je  ne  dois  pas  oublier,  et  que jen'oiiblierai  jamais. 
J'ai  eu  trois  généraux  dans  ma  famille;  chauvin  je  suis  né,  chauvin  je  resterai  jusqu'à 
mon  dernier  soupir. 

Agréez  mes  meilleurs  sentiments. 

C.  Saint-Saens. 

M.  Levin,  en  communiquant  ces  documents  au  Temps,  qui  les  a  publiés  le 
premier  dans  leur  ensemble,  déclarait  qu'il  ne  pouvait  que  s'incliner  devant 
les  décisions  de  M.  Saint-Saëns,  mais  qu'il  les  regrettait  d'autant  plus  qu'il 
est  sur  que  l'accueil  tait  pas  ses  compatriotes  à  M.  Saint-Saëns  aurait  été 
chaleureux  et  cordial. 

Et  c'est  alors  que  venait,  le  lendemain,  une  dernière  lettre  de  M.  Saint- 


su 


LE  MtNESTREL 


SaêDs,  celle-ci  adressée  directement  au  Ttmps,  et  qui  sert  en  quelque  sorte  de 
post- scriptum  aux  précédentes  : 
Cher  monsieur, 

En  vous  remerciant  d'avoir  publié  mes  lettres  adressées  à  SI.  Lévin,  je  riens  vous  prier 
d'y  ajouter  un  mot  d'explications  à  propos  des  conclusions  qu'il  en  tire.  JI.  Lévin  paraît 
croire  que  je  refuse  de  retourner  en  Allemagne,  ce  qui  s'accorderait  peu  avec  les  senliments 
de  reconnaissance  exprimés  dans  mes  lettres. 

n  est  vrai  que  j'ai  refusé  des  propositions  d'engagement,  mais  bien  contre  mon  gré  ;  je 
suis  cloué  à  Paris  jusqu'à  la  fin  d'octobre  par  les  répétitions  des  Barbares,  et,  plus  tard, 
je  serai  forcé,  comme  chaque  année,  d'aller  chercher  plus  près  de  l'Équsteur  la  tempé- 
rature qui  m'est  nécessaire.  Pour  la  même  raison,  je  ne  puis  plus  aller  en  Russie  pendant 
la  saison  des  coccerls. 

Veuillez  croire,  etc. 

C.  S-ilNT-SAKNS. 

—  En  reproduisant  la  nouvelle  d'un  journal  allemand  qui  nous  apprenait 
que  le  chapitre  de  la  cathédrale  de  Yurzbcurg  (Bavière)  venait  de  faire  choix 
d'un  organiste  féminin,  on  nous  fait  remarquer  que  nous  avons  eu  tort 
d'ajouter,  avec  lui,  que  c'était  la  première  fois  que  pareil  fait  se  présentait. 
En  effet  nous  en  avons,  en  France,  plus  d'un  exemple  dans  la  famille  célèbre 
des  Couperin,  qui  forme,  on  le  sait,  une  longue  dynastie  où  les  deux  sexes 
sont  représentés  musicalement.  D'abord  Marie-Anne  Couperin,  fille  de 
François  1"  Couperin.  née  le  11  novembre  1677,  qui,  organiste  et  claveciniste 
remarquable,  se  fit  religieuse  et  devint  organiste  de  son  couvent.  Ensuite 
Antoinette-Angélique  Couperin,  fille  d'Armand-Louis  Couperin,  née  en  1754, 
qui  était  à  la  fois  harpiste,  chanteuse  et  organiste  habile,  élève  de  son  père 
et  de  sa  mère,  et  qui,  dès  l'âge  de  seize  ans,  touchait  l'orgue  à  l'église  Saint- 
Gervais.  Elle  épousa  plus  lard,  en  1780,  Pierre-Marie  Soûlas,  fils  du  trésorier 
de  France,  qui  était  «  commis  de  la  grand'posle  aux  lettres  ».  Enfin,  la  mère, 
de  celle-ci,  Elisabeth- Antoinette  Blanchet,  fille  du  fameux  facteur  de  cla- 
vecins et  femme  d'Armand- Louis  Couperin,  qui,  pour  n'avoir  pas  été  orga- 
niste en  titre,  ne  s'en  fît  pas  moins  entendre  à  l'église,  ainsi  que  le  prouve 
cette  lettre  que  son  fîls,  François-Gervais  Couperin,  adressait,  pour  lui 
annoncer  sa  mort,  à  la  Gazette  de  France,  qui  la  publiait  le  16 septembre  ISl.j  : 

Messieurs,  accordez-moi,  je  vous  prie,  une  place  dans  voire  journal,  pour  faire  con- 
naître au  public  amateur  des  arts  la  grande  perte  qu'ils  viennent  de  faire  dans  la  per- 
sonne de  M'""  Couperin,  veuve  d'Armand-Louis  Couperin,  organiste  du  roi.  M""  Couperin. 
née  Blanchel,  fit  ses  études  en  musique  comme  aurait  fait  un  jeune  homme  destiné  à  cet 
art.  Elle  acquit  un  talent  supérieur  pour  l'exécution,  pour  l'harmonie  et  pour  improi  iser 
sur  l'orgue  des  morceaux  d'une  composition  remarquable.  Elle  épousa  en  1751  M.  Cou- 
perin, organiste  du  roi  (comme  l'avaient  été  ses  ancêtres  depuis  deux  cents  ans)  ;  elle  eut 
de  ce  mari  quatre  enfants,  dont  un  seul  lui  survit  dans  ce  nom.  Elle  a  fait  d'excellents 
élèves  entre  autres  son  neveu,  M.  Pascal  Taskin,  professeur  de  piano  à  Paris.  11  y  a  cinq 
ans  que,  se  trouvant  à  l'église  Saint-Louis  de  Versailles,  lorsqu'on  essayait  l'orgue,  Mon- 
sei'^neur  l'évêque,  51.  le  préfet  et  les  autorités  l'invitèrent  à  en  toucher,  et  elle  enleva 
t  ous  les  suffrages.  Elle  avait  alors  quatre-vingt-deux  ans.  Sa  modestie  la  fit  se  cacher,  au 
point  qu'on  ne  put  jamais  la  retrouver  pour  la  complimenter.  Huit  jours  avant  l'attaque 
qui  vient  de  la  conduire  au  tombeau,  elle  fit  les  délices  d'une  société  qui  l'avait  priée  de 
toucher  un  piano  que  l'on  voulait  juger;  elle  avait  pour  lors  quatre-vingt-sept  ans.  Ses 
vertus,  ses  qualités  aimables  et  ses  rares  talents  hi  font  vivement  regretter.  Sans  que 
mon  témoignage  soit    suspect,  je  crois  qu'il  est  dilficile  de  trouver  une  femme  plus 

accomplie.  ■ ,    ,    „  ■ 

Couperin,  organiste  du  Roi. 

On  voit,  par  ce  que  nous  venons  de  rappeler,  que  dans  cette  question 
des  organistes  féminins,  la  France  était  singulièrement  en  avance  sur 
l'Allemagne. 

De  M.  Alfred  Delilia  du  Figuro  :  «  Notre  ami  Charles  Bianobini  va  offrir 

sous  peu  au  public  boulevardier  un  théàtriculet  qui  l'intéressera  certaine- 
ment. Sa  troupe,  la  plus  considérable  qui  soit,  comprend  déjà  deux  cent 
cinquante  artistes  pour  commencer.  Je  me  bâte  d'ajouter  qu'ils  sont  en  bois, 
mais  combien  vivants  i  J'ai  vu  dans  l'atelier  de  l'artiste  ses  marionnettes 
représentant  tout  ce  qui  compte  ou  qui  marque  à  Paris:  Hommes  politiques, 
journalistes,  clubmen,  comédiens,  théàtreuses  et  cocottes;  les  physionomies, 
malgré  leur  côte  caricatural,  sont  vivantes  de  vérité  et  habillées  avec  le  goût 
que  vous  savez.  Le  répertoire'/  Nous  l'indiquerons  plus  tard.  Disons  seule- 
meni  que  chaque  soir  on  jouera  une  fantaisie  nouvelle  sur  le  fait  du  jour 
avec  les  personnages  qui  l'auront  occasionné.  N'est-ce  pas  là  une  sorte  de 
journal  joué  et  vécu  ?  Et  quand  j'aurai  dit  que  cela  s'appellera  lesTétvsde  Bois, 
j'aurais  tout  dit...  pour  aujourd'hui  ». 

—  La  sempiternelle  question  de  l'origine  de  la  Marseillaise  vient  d'être  rou- 
verte à  l'étranger  par  la  publication  à  Berlin  d'un  recueil  de  chants  nationaux 
et  celle  d'un  article  de  revue  anglaise,  où  la  vieille  attribution  du  chant  de 
Rouget  de  Lisle  à  Grisons,  le  maitre  de  chapelle  de  Saint-Omer,  est  présentée 
comme  une  découverte  récente  et  des  plus  authentiques;  ces  assertions  n'ont 
pas  manqué  d'avoir  un  écho  en  France,  où  il  se  trouve  toujours,  l'on  ne  sait 
pourquoi,  des  personnes  disposées  à  les  enregistrer  complaisamment.  Par 
contre,  elles  ont  donné  lieu  à  une  manifestation  autrement  significative  en 
faveur  de  la  vérité.  M.  William  Tappert,  le  critique  berlinois  bien  connu, 
qui  jadis  fut  de  ceux  qui  élevèrent  des  doutes  à  l'égard  de  la  paternité  de 
Rouget  de  Lisle,  vient  de  consacrer  à  cette  querelle  deux  de  ses  feuilletons 
musicaux  {Kleine  Journal,  £6  août  et  2  septembre),  dans  lesquels,  après  avoir 
raillé  comme  il  convenait  les  prétentions  des  nouveaux  découvreurs,  il  se 
prononce  définitivement  en  faveur  de  Rouget.  Il  s'appuie  particulièrement 
sur  le  livre  que  notre  collaborateur  Julien  Tiersot  a  consacré  à  l'auteur  du 
chant    national,  livre  dont  il  fait  l'éloge  (vorlrefftiches  Buch,   eine  mit  Liebe, 


Wiirme  und  ausserordentlicher  Sachkenntniss  geschriebenen  Vertlwidiginig  Rovgel's), 
et  dont  il  adopte  entièrement  les  conclusions. 

—  Nous  rappelons  que  les  envois  destinés  au  troisième  concours  de  com- 
position musicale  ouvert  par  l'Association  des  jurés  orphéoniques  doivent 
être  adressés  à  M.  PaulRougnon,  archiviste  de  l'Association,  au  siège  social, 
2-2,  rue  Rochechouart,  dans  les  délais  ci-après:  jusqu'au  30  octobre  19M 
pour  les  œuvres  chorales  ;  jusqu'au  13  octobre  pour  les  morceaux  destinés 
aux  Fanfares  ;  jusqu'au  31  octobre  pour  les  morceaux  destinés  aux  Harmonies. 
Les  œuvres  présentées  devront  être  écrites  pour  des  sociétés  de  la  3"=  divi- 
sion, 2'  ou  3'  section.  Pour  recevoir  le  programme  détaillé  de  ce  concours,  il 
sulïît  d'en  faire  la  demande  à  M.  Guilbaut,  secrétaire  général,  t7,  boulevard 
Magenta,  Paris. 

—  Jeudi,  à  midi,  en  l'église  Saint-François  de  Sales  et  dans  la  plus  stricte 
intimité,  a  été  célébré  le  mariage  de  Louis  Ganne,  le  sympathique  et  charmant 
compositeur,  président  du  Syndicat  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de 
musique,  avec  M'"  Jane  Massador.  Aucune  invitation  n'avait  été  faite  et  seuls 
assistaient  à  la  cérémonie  les  parents  des  deux  familles. 

—  Du  journal  l'Étoile  de  l'Est  :  «  Dans  un  de  nos  derniers  numéros,  nous 
avons  annoncé  que  M.  Albert  Jacquot,  luthier  à  Nancy,  avait  reçu  avis  du 
directeur  de  l'orchestre  de  la  cour  impériale  de  Russie  que  le  tsar  avait  agréé 
l'hommage  de  son  violoncelle,  exposé  en  1900  à  Paris.  Nous  sommes  heu- 
reux d'apprendre  que  l'empereur  de  Russie,  désireux  de  rendre  un  hom- 
mage mérité  à  la  lutherie  lorraine,  si  universellement  réputée,  a  aussitôt 
adressé  à  M.  Albert  Jacquot,  l'un  des  maîtres  luthiers  les  plus  compétents, 
la  croix  de  chevalier  de  Sainte-Anne.  » 

—  C'est  dans  son  nouvel  hôtel,  10,  rue  Montchanin  (l'ancien  hôtel  de  Guy 
de  Maupassant),  que  M'"=  Edouard  Colonne  va  reprendre  ses  cours  et  leçons 
de  chant,  dès  le  l"  octobre. 

—  Une  école,  l'École  Humbert  de  Romans,  s'ouvrira,  à  partir  du  13  octobre, 
dans  les  locaux  construits  pour  elle,  5S,  60,  rue  Saint-Didier.  La  musique 
sacrée  dans  ses  différentes  formes,  plain-chant  et  musique  figurée,  occupera 
le  premier  rang  dans  l'enseignement  de  la  nouvelle  école. 

—  Couns  ET  Leçons.  —  L'École  classique  de  musique  et  de  déclamation  de  la  rue  de 
Berlin,  dirigée  par  M.  Ed.  Chavagnat,  rouvrira  ses  cours  le  mardi  l*-""  octobre  prochain. 
Les  inscriptions  sont  reçues  dès  à  présent  au  siège  de  l'école,  20,  rue  de  Berlin,  tous  les 
jnurs,  de  8  h.  1/2  du  matin  à  7  heures  du  soir,  les  dimanches  et  fêtes  exceptés.  — 
M.  Georges  Falkenberg  reprend  le  1"  octobre,  cliez  lui,  8,  rue  Poisson,  ses  cours  et  leçons 
particulières  de  piano  et  d'harmonie.  —  Le  cours  de  M.  Antonin  Marmontel,  j,  rue  de 
Stockholm  (près  la  gare  Saint-Lazare),  reprendra  dans  la  première  quinzaine  d'octobre. 
S'adresser,  pour  tous  renseignements,  chez  M""^  Bonnard,  5,  rue  de  Stockholm,  tous 
les  jours  de  4  à  7  heures.  —  Le  I"  octobre,  réouverture  des  cours  de  iMi"*^  Girardin- 
Marchal.  sous  la  direction  de  M.  Santiago  Riera.  Cours  spéciaux  pour  les  jeunes  filles 
se  destinant  au  professorat.  S'adresser,  le  lundi,  de  5  à  7,  avenue  de  l'Observatoire,  et 
le  vendredi,  de  !  à  3,  rue  d'Aboukir,  21.  —  M"'  A.  Ducasse,  professeur  de  chant, 
reprendra  tes  leçons  le  jeudi  3  octobje,  13  bifi,  rue  d'.\umale.  —  M.  et  M""  Henry 
Clément-Comettant  reprennent  leurs  leçons,  à  dater  du  !■■'  octobre,  ?,  avenue  de  Petorhof 
(villa  des  Ternes).  —  M'""  Tarpet-Leclercq  reprend  ses  leçons,  69,  rue  de  Chabrol.  —  Les 
cours  pour  b  préparation  aux  examens  pour  l'obtention  du  certificat  d'aptitude  à  l'ensei- 
gnement du  chant  dans  les  écoles  de  la  ville  de  Paris  et  dans  les  écoles  normales  et  les 
écoles  supérieures,  dirigés  par  M"""  Morhange,  rouvriront  le  jeudi  17  octobre.  Pour  les 
renseignements,  s'adresser  chez  M""  Morhange,  25,  rue  Croix-des-Petits- Champs.  — 
M"'  Ed.  Lyon  reprendra  ses  cours  de  piano  (comprenant  tous  les  degrés)  et  ses  leçons 
particulières  le  l"'  octobre.  M""  Jeanne  Lyon  reprendra  ses  leçons  de  chant  le  1"  octobre 
et  ses  cours  de  chant,  de  chœur  et  de  musique  d'ensemble  le  1^'  samedi  de  novembre, 
13,  rue  de  Londres.  —  M"'"  Roger-Miclos,  de  retour  d'une  tournée  triomphale  d;ins  le 
Midi,  annonce  la  réouverture  de  ses  cours  de  piano  en  octobre,  chez  elle,  27,  avenue  de 
Mac-Mahon.  Elle  y  adjoindra  cette  année  un  cours  d'accompagnement  par  M.  Lefori,  pro- 
fesseur au  Conservatoire,  un  cours  d'harmonie  et  de  solfège,  par  M""  Renaud  Maury,  et 
un  cours  de  chant,  par  M.  Louis-Ch.  Baltaille.  —  M""  BoUaert-Plè,  professeur  de  chant, 
reprendra  ses  cours  et  leçons  le  1'"  octobre,  16,  avenue  Trudaine.  —  M.  et  M""  Jlenant 
reprennent  leurs  cours  et  leçons  particulières,  de  piano,  harmonium  et  lecture  musicale 
à  deux  pianos,  18,  rue  du  Val- de-Grâce. 

NÉCROLOGIE 

De  Lyon,  où  il  élait  né  en  1837,  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  d'un 
artiste  fort  distingué,  Victor-Aimé  Gros,  directeur  du  Conservatoire  et  chef 
d'orchestre  des  Conceits  populaires  de  cette  ville.  Il  avait  fait  son  éducation 
musicale  à  Paris  et  avait  obtenu  au  Conservatoire  un  premier  accessit  de 
piano  en  1854,  le  second  prix  en  18S6  et  le  premier  en  18S8,  ainsi  qu'un  acces- 
sit d'harmonie  en  18.'37.  Il  était  retourné  se  fixer  dans  sa  ville  natale,  où  il 
s'était  fait  une  situation  artistique  importante  et  où  il  avait  été,  pendant 
plusieurs  années,  directeur  du  Grand-Théâtre. 

A.  Lille  est  mort,  ces  jours  derniers,  le  compositeur  et  éditeur  de  musique 

Charles  Volcke,  ancien  élève  du  Conservatoire  de  cette  ville,  où  il  avait  obtenu 
un  premier  prix  d'harmonie.  Il  avait  été  professeur  à  l'Ecole  de  musique  de 
Mauheuge  et  directeur  de  plusieurs  sociétés  musicales.  Depuis  une  dizaine 
d'années  il  était  devenu  aveugle. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  A  vendre  d'occasion  un  harmonium  Mustel,  neuf  jeux,  complètement 
neuf.  Écrire  à  M.  Jean,  34,  rue  Cardinet. 


3(80.  -  «7-  mU  —  NMO.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimanche  6  Octobre  190!. 

(Les  Bureaux,  2'"',  rue  TMenne,  Paris,  n-m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENES 


Ite  HaméFo  :  0  ff.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     PIEUGEL,     Directeur 


lie  flumépo  :  0  ff.  30 


Adresser  fbanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestiiel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


■I,  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (32' article),  Paul  d'Estrées.  — 
IL  Stmainc  Ihcâlrale  :  premières  représentations  de  Manovne  et  d'Hermance  a  de  la 
vertu  au  G}mn9se,  premières  représentalionsdesAfa2/(;û7'S  et  deFowsse  T-oi/ie  àVOdéon, 
Maurice  Fbovez;  premières  repj-ésentations  de  ïa  Vie  en  voyage  au  Vaudeville  et  de 
l'Jiislaiitanêùux  Bouffes-Parisiens,  H.  M.  —  IlL  Notes  d'ethnographie  musicale:  Quelques 
mots  sur  les  musiques  de  l'Asie  cenliale,  les  chants  de  l'Arménie  (8' article),  Julien 
TiERSOT.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  les  Jasseries  du  Forez,  Edmond  Xeu- 
KOsiM.  —  V.  Nouvelles  di\erses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 

LE   RÉCIT  DE   L'AURORE 

n"  2  des  Chansons  couleur  du  temps,  de  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immédia- 
tement :  CImnson  d'automne,  d'ANDRÉ  Messager,  poésie  de  Paul  Delair. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
le  Diable  au  corps,  polka  de  Heinrich  Strobl.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse 
capricante,  de  Théodore  Lack. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  LNTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

â'après  les  mémoires  les  plus  récents  et  fles  flocuments  inéis 

(Suite.) 


IX 

L'ignorance  savante  de  Rossini,  —  Sa  2)aresse  laborieuse.  —  Rossini  chez  les  grands  : 
dans  le  palais  du  prince  Belgiojoso  et  à  la  table  de  Rothschild.  —  Un  cadeau  de 
Marrast.  —  Rossini  imprésario.  —  Harmonie  de  locomotives  et  symphonie  de 
canons.  —  hemariage  d'Olympe...  Pelissier. —  Un  passé  tragique.  —  Un  chapiire 
des  Mémoires  d'un  omnibus.  —  Une  soirée  rue  de  la  Chaussée-d' Antin.  —  La 
sonate  royalement  faite.  —  Les  frères  Lionnet  à  la  cour  de  Russie.  —  Oruile  et 
neveu.  —  Lettres  de  et  à  Balzac.  —  Les  derniers  jours  de  Rossini  :  la  boulette  du 
prince  Poniatowski ;  la  foi  d'un  grand  musicien.  —  iaMarclie  funèbre  de  Cliopin. 

Autant,  et  peut-être  plus  qu'Auber,  Rossini  se  distingue  par 
son  extrême  facilité;  et  Dieu  sait  si  elle  lui  fut  reprochée  par  les 
harmonistes  sévères  de  son  temps  1  Ceux  de  notre  époque  se  sont 
mis,  il  est  vrai,  à  l'unisson,  pour  lui  infliger  le  même  blâme. 
S'ils  n'ont  peut-être  pas  tout  à  fait  tort,  ils  n'ont  peut-être  pas 
tout  à  fait  raison. 

Pour  n'être  pas  taxé  de  pédantisme,  ou  mieux,  pour  se  moquer 
de  ses  contempteurs,  Rossini  exagéra  dans  ses  compositions  sa 
-négligence  et  sa>  légèreté.  Ileut  en  quelque  sorte  la  coquetterie 
de  sa  prétendue  ignorance.  Il  lui  importait  peu  qu'on  l'accusùt 


de  ne  pas  savoir  le  premier  mot  du  contre-point,  et  prenait  sa 
revanche  dans  l'intimité.  II  disait  à  Trémont  qu'il  avait  appris  la 
composition  en  écoutant  les  quatuors  d'Haydn  et  de  Mozart.  Il 
possédait  à  fond  la  musique  instrumentale  des  maîtres  allemands, 
et  il  savait  les  distinguer  entre  eux  à  l'aide  de  ces  aphorismes 
qu'il  prodiguait  si  volontiers.  Comme  on  disait  devant  lui  que 
Beethoven  était  le  plus  grand  des  musiciens  : 
—  Certes,  répliqua-t-il,  mais  Mozart  est  le  seul. 
Dancla  affirme  que  Rossini  avait  «  mis  en  partition  dans  sa 
jeunesse  »  les  quatuors  d'Haydn  et  de  Mozart,  ses  auteurs  préfé- 
rés, ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  convenir  qu'on  pouvait  écrire 
de  l'excellente  musique  de  scène  et  ignorer  toute  sa  vie  l'art  de 
composer  un  quatuor. 

Dans  son  admiration  pour  Rossini,  dont  il  ne  connaissait  sans 
doute  pas  les  habitudes  de  travail,  Auber  assurait  que  l'auteur 
de  Sémiramis  avait  deviné  ce  qui  lui  manquait  de  science 
musicale. 

La  jeunesse  de  Rossini  fut  en  quelque  sorte  la  réduction  d'une 
vie  qui  devait  être  un  tissu  d'inconséquences  apparentes.  Très 
épris  d'indépendance,  paresseux  avec  délices,  avide  de  toutes 
les  jouissances,  il  ne  voulut  jamais  aller  à  l'école,  mais  comme 
il  entendait  ne  pas  rester  ignorant,  il  s'apprit  tout  seul  à  lire  et 
à  écrire. 

Puis,  adolescent,  il  courait  les  campagnes,  d'auberges  en  cafés 
et  de  cabarets  en  hôtelleries,  chantant,  improvisant,  jouant  à  la 
façon  des  troubadours,  ou  plutôt  de  ce  Figaro  à  qui  sa  verve 
devait  prêter  un  charme  de  plus.  II  connut,  disent  les  biographes 
de  ses  jeunes  années,  les  meilleures  tables  et  les  plus  jolies 
femmes.  Aussi,  conclut  l'un  d'eux,  sa  vie  n'a  jamais  été  qu'une 
longue  gastrite;  d'où,  prétend  un  autre,  cet  instrument  d'ordre 
intime  qui  amusa  tant  les  habitués  de  l'Hôtel  Drouot  pendant 
la  vente  après  décès  de  Rossini.  Tous  ces  menus  détails,  les  der- 
niers surtout,  sont  inexacts.  Le  maître  n'avait  pas  un  mauvais 
estomac,  et  son  fameux...  cylindre  d'ivoire  lui  servait  à... 
irriguer  le  parmesan  dans  son  macaroni. 

En  somme,  sa  vie  aurait  pu  se  recommander  de  cette  devise  : 
Liberté,  travail,  plaisir. 

Il  fréquentait  volontiers  chez  les  grands,  oia  ses  goûts  trouvaient 
leurs  plus  sensuelles  satisfactions,  sans  que  son  amour-propre  les 
achetât  au  prix  de  concessions  humiliantes.  Sa  gaité,  son  bel 
appétit,  ses  travaux  marchaient  de  pair.  Le  prince  de  Belgiojoso, 
un  Mécène  artiste  à  ses  heures,  aimait  à  parler  de  ce  Rossini 
première  manière  dans  le  salon  de  M""*  Jaubert(l).  Il  le  connut 
pendant  la  gestation  de  Taricrèrfe  :  elle  fut  presque  aussi  courte 
que  celle  du  sonnet  d'Oronte.  Rossini  ne  mit  que  six  jours  à 
écrire  une  partition  dont  le  prince  conservait  le  manuscrit  dans 
son  palais  de  Milan.  Le  jeune  maître  la  faisait  déchiffrer  par  ses 

(1)  M-  G.  Jaubert.  —  Souvenirs:  Helzel,  1881. 


314 


LE  MÉNESTREL 


amis.  Dans  la  journée,  tous  allaient  à  la  chasse,  et  le  soir  chacun 
se  remettait  à  la  partition. 
Pompeo  Belgiojoso  chantait  merveilleusement  les  airs  du  fiacôi'er. 

—  Ah!  mon  ami,  soupirait  l'auteur,  tu  m'as  compris! 

—  Mais  oui, répliquait  d'un  ton  indulgent  le  prince,  tu  as  fait 
un  chef-d'œuvre  sans  t'en  douter. 

Castellane  (1)  consigne  dans  son  Journal  cet  écho  des  relations 
mondaines  de  Rossini. 

40  novembre  yS27.  —  «  J'ai  diné  chez  le  fameux  banquie  r 
Rothschild.  On  a  voulu,  avant  le  diner, pour  l'édification  du  célèbre 
Rossini,  faire  chanter  la  petite  Rothschild,  qui  a  deux  ans  et  demi. 
M.  Rossini,  d'une  taille  moyenne,  assez  gros,  ne  m'aurait  pa  s 
donné,  en  le  voyant,  l'idée  d'un  homme  de  génie,  si  je  ne 
l'avais  pas  su.  Il  a  chanté  et  joué  du  piano.  Il  était  à  table,  à  côté 
de  Rothschild  de  Vienne;  sa  femme  chanta.  » 

Il  n'était  pas  toujours  d'aussi  bonne  composition.  Guvillier- 
Fleury  le  \\i  en  1829,  à  un  diner  chez  Bertin  de  Vaux,  qui  avait 
invité  en  même  temps  Boulanger  et  Victor  Hugo  et  qui  les  pré- 
senta tous  trois  à  ses  invités,  comme  les  maîtres  de  la  musique , 
de  la  peinture  et  de  la  poésie.  Or,  Rossini  n'eut  garde,  ce  soir-là, 
de  justifier  l'admiration  de  son  hôte:  «  Il  n'a  dit  mot,  mais  au 
salon  il  a  constamment  refusé  de  chanter  sous  prétexte  d'un 
violent  rhume.  Une  fois  parti,  sur  l'escalier  tout  le  monde  a  pu 
l'entendre  entonner  d'une  voix  forte  et  articulée  le  grand  air  de 
Figaro;  c'est  ainsi  qu'il  s'est  vengé  de  la  flagornerie  de  Bertin.  » 

Rossini  était  encore  un  des  familiers  d'Aguado,  et  ce  fut, 
parait-il,  à  la  participation  que  ce  banquier  et  Rothschild  lui  con- 
sentirent dans  leurs  opérations  financières  que  le  compositeur 
dut  sa  belle  fortune.  Car  ses  œuvres  ne  l'avaient  pas  jusqu'alors 
enrichi.  Sémiramis,  l'opéra  dont  il  avait  tiré  le  meilleur  parti,  en 
le  vendant  à  Vienne  ne  lui  avait  même  pas  rapporté  dix  mille 
francs. 

Ce  fut  chez  Aguado  qu'il  connut  Marrast,  alors  précepteur  des 
enfants  du  banquier,  qui  lui  donna  pour  Gnillaume  Tell  les  paroles 
du  fameux  air  :  «  Amis,  amis,  secondez  ma  vaillance  » . 

Rossini,  imprésario,  avait  eu  l'insigne  honneur  de  fixer  les 
sufi'rages  de  Metternich,  dont  nous  connaissons  les  prétentions 
musicales  :  «  La  troupe,  dit  le  grand  seigneur  en  parlant  d'une 
tournée  entreprise  par  le  maestro,  la  troupe  est  composée  de 
M"'  Colbran,  aujourd'hui  M""-'  Rossini,  d'une  charmante  chanteuse, 
M"'  Eckerlin,  de  M"'°  Monbelli,  de  David,  Nozzari,  Botticelli.... 
David  les  surpasse  tous.  A  la  tête  se  trouve  Rossini  lui-même, 
avec  un  orchestre  et  des  chœurs  qui  lui  valent  l'admiration 
de  tous.  On  comprend  qu'un  mélomane  comme  moi  soit  dans  le 
ravissement  ». 

Une  note  curieuse  du  Père  Enfantin  sur  la  constance  en  amour 
(on  ne  s'attendait  guère  à  voir  le  grand  pontife  du  Saint-Simonisme 
prêcher  sur  pareille  matière),  note  qui  date  de  1832  et  qui  parut 
dans  la  Nouvelle  Revue  rétrospective  du  10  octobre  1898,  met  en 
scène,  elle  aussi.  M""  Colbran,  la  première  femme  de  Rossini, 
mais  pour  les  besoins  d'un  parallèle  établi  entre  les  trois  princi- 
paux compositeurs  du  temps. 

«Gherubini  est  rangé  dans  son  intérieur,  qui  ne  le  croirait?  Il 
resterait  un  an  à  retourner  la  même  idée  dans  une  fugue  ;  il 
peut  bien  ne  pas  avoir  couru  beaucoup  .les  femmes;  mais 
qu'Auber  se  marie,  ce  sera  le  diable  se  faisant  ermite;  et  quant 
à  Rossini,  il  doit  avoir  eu  à  raconter  à  sa  femme  de  gros  péchés, 
s'il  n'en  commet  plus,  ce  dont  je  ne  répondrais  ni  pour  lui,  ni 
même  pour  sa  femme,  qui  avait,  dit-on,  une  voix  riche,  variée, 
flexible,  légère,  e le,  une  voix  toute  pleine  des  joies  et  des  dou- 
ceurs de  la  multiplicité... 

«  Il  est  possible  que  chez  lui  la  multiplicité  selon  la  chair  ne  se 
traduise  que  par  la  gourmandise.  » 

Elle  se  traduisait  encore  par  un  silence  que  des  petits-neveux 
de  Mirabeau  taxèrent  de  malheur  public  et  qu'ont  prétendu 
expliquer  de  vaines  hypothèses. 

La  moins  invraisemblable  de  toutes  repose  sur  cette  considé- 
ration physiologique  que  le  cerveau  du  musicien    avait  subite- 

(1)  Maréchal  de  Castellane.  —  Mémoires;  Pion,  1895. 


ment  perdu  ses  facultés  créatrices  :  peut-être  cette  catastrophe 
était-elle  le  contre-coup  de  l'amère  déception  éprouvée  par 
Rossini,  le  jour  oîi  il  se  vit  refuser  par  le  gouvernement  de 
Louis-Philippe  le  bénéfice  d'engagements  contractés  par  la 
Restauration.  De  mauvais  plaisants  allèrent  jusqu'à  dire  que  le 
règne  de  la  machine  à  vapeur  avait  tué  la  verve  rossinienne.  Le 
maestro  avait  en  effet  la  plus  profonde  horreur  pour  l'industrie 
des  chemins  de  fer. 

—  Comment,  déclarait-il,  écouter  la  musique  après  avoir  eu 
tout  le  jour  le  tympan  déchiré  par  le  sifflet  des  locomotives? 

Composer  dans  de  telles  conditions  devrait  être  plus  difficile 
encore.  Ce  n'était  pas  que  l'oreille  de  Rossini  fût  réfractaire 
aux  harmonies  assourdissantes  ;  dans  un  de  ces  rares  intervalles 
oi^i  la  Muse  de  l'illustre  maître  sortait  de  son  léthargique  som- 
meil, n'a-t-il  pas  écrit  pour  l'E.xposition  universelle  de  18S5  une 
symphonie  à  grand  orchestre  où  le  canon  jouait  sa  partie? 

Hippolyte  Lucas  (1)  cite  encore,  parmi  les  fantaisies  posthumes 
de  cette  gloire  volontairement  éteinte,  un  «  morceau  d'une  seule 
note  soutenue  par  les  plus  riches  accompagnements  ».  Rossini 
avait  écrit  également  pour  M""^  Olympe  Pelissier,  dont  il  était 
professeur  de  chant,  la  cantate  de  Giovanna  d'Arco,  où  le  compo- 
siteur avait  éloquemment  traduit  les  visions  delà  jeune  inspirée. 
L'Alboni  l'interpréta  dans  une  des  soirées  du  maître  et  devait 
la  faire  entendre  à  Londres,  l'année  suivante.  Le  concert  n'eut 
pas  lieu  et  la  cantate  resta  dans  le  portefeuille  du  compositeur. 

(A  suivre.)  .  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre  du  Gymnase.  Manoune,  comédie  en  3  actes ,  de  M'^'  Jane  Marni  ; 
Hermance  a  de  la  vertu,  comédie  en  2  actes,  de  M.  André  de  Lorde.  —  Théâ- 
tre DE  l'Odéon.  Les  Maugars,  pièce  en  quatre  actes  de  MM.  André  Theuriet 
et  Georges  Loiseau;  Fausse  Route,  comédie  en  un  acte  de  MM.  Albert- 
Émile  Sorel  et  Paul  Acker. 

Pour  sa  réouverture,  le  théâtre  du  Gymnase  vient  de  nous  donner 
une  pièce  curieuse  à  plus  d'un  titre.  L'auteur,  M°"=  Jane  Marni,  s'était 
déjà  fait  connaître  par  de  nombreuses  petites  comédies  pleines  d'esprit, 
et  d'observation;  aujourd'hui  elle  vient  de  faire  représenter  Manoune, 
trois  actes,  inégaux  peut-être,  mais  d'un  liaut  intérêt. 

Un  homme,  dans  un  moment  de  folie,  a  abusé  d'une  jeune  bonne  à 
son  service  et  l'a  rendue  mère;  sa  femme  a  pardonné  et  s'est  imposé  le 
devoir  d'élever  la  fille  de  son  mari  comme  son  propre  enfant,  elle  l'a 
élevée  dans  le  sens  strict  du  mot  par  charité,  mais  sans  autre  tendresse 
nî  affection  maternelle. 

L'enfant  est  arrivée  à  l'âge  où  le  cœur  de  la  jeune  fille  s'ouvre  et  a 
besoin  de  trouver  en  celle  qui  lui  a  donné  le  jour  la  confidente  de  ses 
premiers  troubles  et  le  guide  qui  l'aidera  à  éviter  bien  des  écueils.  Gene- 
viève, qui  s'est  lieurtée  à  la  sécheresse  de  sa  mère  officielle,  a  trouvé 
auprès  de  Manoune,  la  vieille  bonne  qui  l'a  élevée,  toute  la  tendresse 
discrète  et  le  dévouement  caché  d'une  mère  anonyme. 

La  comédie  de  M""-'  Marni  est  bien  l'œuvre  d'une  femme  ;  un  homme 
certainement  n'aurait  pu  écrire  certains  passages  comme  l'auteur  a  su 
le  faire;  il  semble  qu'il  y  ait  des  choses  que  les  femmes  seules  peuvent 
écrire  sur  elles-mêmes.  La  scène  où  la  jeune  flUe  apprend  la  vérité,  où 
le  cœur  de  la  véritable  mère  se  trahit  devant  la  sécheresse  de  la  mère 
putative,  est  de  tout  premier  ordre;  la  sincérité  et  l'intensité  des  senti- 
ments en  font  une  des  choses  les  plus  remarquables  que  l'on  ait  entendues 
au  théâtre  en  ces  dernières  années. 

Plus  e.xpérimentée,  l'auteur,  après  un  premier  acte  intéressant  et 
d'une  jolie  couleur,  eût  sans  doute  resserré  le  second  et  développé  un 
peu  plus  l'action,  qui  semble  s'attarder  en  des  détails  secondaires.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Manoune  est  une  œuvre  d'un  puissant  intérêt,  eUe  fait  le 
plus  grand  honneur  et  à  l'autem-  qui  l'a  écrite  et  au  théâtre  qui  l'a 
représentée. 

Ijjmc  Marni  a  rencontré  trois  interprètes  de  tout  premier  ordre  en  la 
personne  de  M""'  Suzanne  Desprès,  Lucienne  Dauphin  et  Samary, 
M.  Arquillière  est  tout  à  fait  remarquable;  M.  Huguenet  intéressant  et 
de  curieuse  silhouette  ;  M .  Coquet,  M""''  Laporte  et  Andral  se  sont  tait 
justement  applaudir. 

Après  une  pièce  d'émotion  intense,  la  soirée  s'est  terminée  par  un 

(1)  HippOLïTE  Lucas.  —  Portraits  et  souvenirs;  1890. 


LE  MÉNESTREL 


315 


éclat  de  rire  eu  deux  actes  :  Hermance  a  de  la  vertu,  tel  est  le  titre  allé- 
chant de  l'hilarante  comédie  de  M.  André  de  Lorde.  La  pièce  tient  ce 
que  le  titre  promet. 

Après  avoir  débuté  par  une  symbolique  et  sombre  comédie  en  cinq 
actes  :  Dans  la  nuit,  dont  le  succès  fut  retentissant,  M.  André  de  Lorde 
tient  à  nous  prouver  qu'il  peut  également  écrire  une  pièce  de  gaieté  et 
de  douce  philosophie,  il  y  a  pleinement  l'éussi  :  il  a  été  d'ailleurs  mer- 
veilleusement secondé  par  ses  interprètes.  MM.  Huguenet,  Noizeux  et 
M"°  Maggie  Gauthier. 

La  nouvelle  pièce  de  l'Odèon,  les  Maugars,  a  été  tirée  d'un  roman  de 
M.  André  Theuriet  par  M.  Georges  Loiseau;  ce  jeune  auteur  a  réussi  à 
souhait  cette  tâche  délicate  et  nous  a  donné  une  comédie  intéressante, 
écrite  dans  une  belle  langue. 

Les  Maugars  et  les  Déroches  sont  deux  familles  des  plus  notables  de 
Saint-Florentin  ;  une  haine  politique  les  sépare  à  jamais,  et  leurs  enfants 
viennent  à  s'éprendre  l'un  de  l'autre,  comme  Roméo  et  Juliette.  Ce  qui 
fait  ici  l'intérêt  de  cette  donnée,  qui  n'est  pas  très  nouvelle,  est  le  milieu 
dans  lequel  s'agitent  les  personnages  de  la  pièce  à  la  veille  du  coup 
d'état  de  1851. 

Il  y  a  là  une  reconstitution  des  plus  remarquables;  il  convient  d'en 
louer  d'une  façon  toute  particulière  M.  Ginisty.  Le  troisième  acte,  qui  se 
passe  dans  un  bal  la  nuit  du  2  décembre,  avec  des  émeutes  dans  le  loin- 
tain, est  du  plus  saisissant  effet  et  a  vivement  impressionné  les  spec- 
tateurs. 

La  pièce  est  d'ailleurs  jouée  d'une  façon  remarquable  :  M.  Janvier  a 
toute  la  roublardise  voulue;  M.  Dorival  nous  a  donné  un  tribun  éton- 
nant d'intonation,  de  gestes  et  d'attitudes;  M.  Vargas,  le  sympathique 
jeune  premier,  s'acquitte  à  souhait  du  rôle  ingrat  d'un  Roméo  second 
empire.  MM.  Cèalis,  Coste,  Siblot,  Daumerie,  Duparc,  M'"'''  Bonnet, 
Marcilly,  Fontenag,  Leyriss,  Vellini,  Duran,  sont  tous  excellents  dans 
des  rôles  souvent  trop  courts;  mais  dans  une  bonne  pièce  il  n'est  pas  de 
petit  rôle. 

La  soirée  commençait  par  une  comédie  en  un  acte,  de  MM.  Albert- 
Emile  Sorel  et  Paul  Acka  :  Fausse  Route;  cette  aimable  comédie  ren- 
ferme de  jolis  mots  et  des  coins  de  fine  observation;  c'est  un  heureux 
début  pour  ces  jeunes  auteurs,  qui  tiendront  certainement  tout  ce  qu'ils 
promettent. 

Maurice  Froyez. 
*  * 

Au  Vaudeville,  nous  avons  eu  une  sorte  de  fantaisie  en  cinq  actes  de 
M.  Maurice  Desvallières,  la  Vie  en  voyage.  Il  est  bien  clair  que  cela 
n'est  relié  au  théâtre  que  par  un  fil  bien  ténu;  mais,  si  l'on  veut  faire 
abstraction  de  tout  intérêt  scénique  et  ne  voir  là  qu'une  suite  de  tableairx 
amusants,  une  sorte  de  lanterne  magique,  il  faudra  convenir  qu'on  y 
peut  trouver  de  l'agrément  et  qu'en  somme  la  soirée  passerait  encore 
assez  vite,  si  l'auteur  pouvait  se  résoudre  à  faire  ici  et  là  quelques 
entailles  utiles.  Il  y  a  même  dans  sa  fantaisie  une  idée  philosophique 
qui  n'est  pas  négligealjle,  quand  il  nous  montre  l'influence  des  climats, 
des  sites  et  des  milieux  sur  les  états  d'âme  des  voyageurs,  et  combien 
ils  deviennent  divers  selon  les  températures.  Il  y  a  là  de  l'observation. 

Il  n'en  va  pas  de  même  pour  l'InMantané,  le  vaudeville  de  MM.  A.  de 
Cavaillet  et  Hugues  Le  Roux  qui  a  servi  de  réouverture  au  théâtre  des 
Bouffes-Parisiens.  Là  l'erreur  est  complète,  le  néant  absolu,  et  il  y 
aurait  de  la  cruauté  à  y  insister.  H.  M. 


NOTES  D'ETHNOGRAPHIE  MUSICALE 


VI 

QUELQUES  MOTS  SUR  LES  MUSIQUES  DE  L'ASIE  CENTRALE 
LES  CHANTS  DE  L'ARMÉNIE 

(Suite.) 

Émanation  du  génie  populaire,  la  chanson  arménienne  s'associe  cons- 
tamment aux  coutumes  et  aux  superstitions  nationales. 

Il  est,  dans  l'année,  une  date  qui  a  donné  lieu,  toujom-s  et  en  tout 
pays,  à  des  fêtes  populaires  auxquelles  le  chant  s'est  trouvé  naturelle- 
ment mêlé  :  c'est  celle  qui  marque  le  retour  du  printemps.  La  France 
avait  autrefois  ses  fêtes  de  mai.  La  «  Nuit  de  Walpurgis  »  chantée  par 
Goethe,  la  'i  Nuit  d'été  »  dont  Shakespeare  a  conté  «  le  Songe  »,  nous 
ont  représenté  le  spectacle  enjolivé  de  traditions  semblables. 

En  Arménie,  cette  nuit  de  féerie  est  celle  de  l'Ascension. 

Deux  jours  avant  cette  fête,  les  jeunes  filles  s'en  vont  par  petits 
groupes  dans  les  champs  pour  y  cueillir  les  fleurs  symboliques  et  pré- 
parer leurs  «  Djan-Gulum  ». 


Ce  vocable  bizarre  est  le  refrain  de  la  Chanson  de  l'Ascension.  Il  se 
compose  de  deux  mots  persans,  Djan,  qui  veut  dire  «  âme  »  (dans  le 
sens  tendre  de  l'adjectif  «  cher  »,  comme  Corneille  écrivait  :  «  Ma  chère 
âme),  et  Gui,  qui  signifie  «  rose  ». 

Jja  veille  de  l'Ascension,  le  même  chœur  de  jeunes  filles  s'en  va  pro- 
cessionnellement  à  une  source.  L'une  d'elles  porte  un  vase,  auquel  on  a 
donné  aussi  le  nom  de  la  chanson  :  Djan-Gulum;  elle  le  purifie  dans 
l'eau  en  prononçant  des  prières,  l'essuie,  puis  chacune  des  jeunes  filles 
l'orne  des  fleurs  cueillies  et  jette  dans  l'intérieur  un  objet  lui  apparte- 
nant :  une  bague,  une  broche,  ou  tout  autre  bijou.  Puis,  après  avoir 
achevé  de  le  garnir  de  fleurs  et  l'avoir  recouvert  d'étoffes  brillantes,  elles 
reviennent  au  village  en  chantant.  Celle  qui  porte  le  vase  en  a  la  garde 
et  doit  veiller  précieusement  à  ce  que  les  jeunes  gens  n'en  dérobent 
rien  pendant  la  nuit  de  l'Ascension. 

Enfin,  le  jour  de  la  fête,  les  jeunes  filles  se  rassemblent  de  nouveau. 
Elles  s'assoient  dans  un  jardin,  à  l'ombre  d'un  arbre.  Celle  à  laquelle  a 
été  confié  l'honneur  de  veiller  à  la  garde  du  Djan-Gulum  retire  successi- 
vement chaque  objet  qui  y  est  caché;  pendant  ce  temps  une  autre  dit  la 
bonne  aventui'e  :  «  Je  vois  un  beau  jeune  homme  qui  chevauche  à 
travers  la  plaine,  etc.  »  L'objet  est  montré  et  rendu  à  celle  à  qui  il 
appartient  :  c'est  elle  qui  doit  avoir  le  beau  jeune  homme;  et,  joyeuse- 
ment,  avec  une  grande  vivacité,  toutes  chantent  le  refrain  du  jour  : 


,Vif 


tsuguili,    Djaii,    Djan. 


Traduction.  —  Sous  mon  arbre  il  y  a  des  violettes,  —  Ame  Rose,  Ame  Rose, —  Je  veux 
plutôt  mon  bien-aimé  que  toi,  Violette,  —  Ame  fleur,  Ame  fleur,  Âme,  Ame. 

Je  me  priverai  plutôt  de  huit  touman,  —  Ame  Rose,  Ame  Rose,  —  Je  te  ferai  esclave 
de  mon  bien-aimé,  —  Ame  fleur,  Ame  fleur,  Ame,  Ame. 

Ce  petit  refrain  nous  offre  un  type  fidèle  de  la  chanson  de  danse  armé- 
nienne. Le  recueil  déjà  cité  en  donne  une  autre,  un  peu  plus  développée  : 
Boïd  Bartsî;  harmonisée  par  M.  J.-B.  Weckerlin.  M.  Galoust  Boyadsian 
m'en  a  dicté  une  troisième,  plus  longue  encore  et  composée  de  la  répé- 
tition des  mêmes  formulettes,  mais  dans  un  ordre  irrégulier  et  non  dans 
la  forme  du  couplet.  Je  n'en  donne  que  la  principale  formule 
r  ythmique.  Remarquons  en  passant  que  la  succession  :  croche,  noire, 
dans  la  mesure  à  trois-huit,  c'est-à-dire  la  note  d'attaque  des  temps  forts 
plus  courte  de  moitié  que  celle  qui  représente  le  temps  faible,  rythme  si 
c  ontraire  au  sentiment  des  peuples  latins,  est,  dans  la  chanson  armé- 
nienne, employée  de  façon  aussi  fréquente  que  naturelle.  L'accent  de  ces 
c  hansons  est  bien  moins  lyrique  que  celui  des  précédentes,  et  ne  tarde- 
rait pas  à  engendrer  la  monotonie.  Au  reste,  malgré  leur  vivacité,  ces 
mélodies  mêmes  ne  connaissent  pas  le  mode  majeur  :  les  trois  que  nous 
avons  considérées  appartiennent  uniformément  aux  groupes  mineurs. 


,  Vif. 


Mais  la  chanson  arménienne  ne  se  tient  pas  exclusivement  dans  ces 
régions  simplement  agréables.  Elle  sait  s'élever  jusqu'à  celles  où  léchant 
populaire  devient  chant  national.  La  poésie  épique  y  est  cultivée  encore, 
sous  une  forme  peut-être  rudimentaire,  pourtant  non  encore  absolu- 
ment indigne  des  nobles  traditions^,  de  l'antiquité.  Il  est  telle  ville  où, 
jadis,  lorsqu'un  habitant  se  faisait  remarquer  par  une  action  d'éclat, les 
aédes  locaux  composaient  sur  le  héros  une  chanson  qui  se  répandait 
vite  parmi  le  peuple;  aux  jours  do'fête,  les  hommes  et  les  jeunes  flUeS) 
se  tenant  par  la  main,  à  la  manière  des  anciens  chœurs  de  danse,  la 
chantaient  en  s'avançant  d'un  pas  cadencé. 


316 


LE  MÉNESTREL 


L'amour  de  la  nature  en  général,  mais  bien  plus  encore  l'amour  du 
pays  natal,  se  peint  dans  un  grand  nombre  de  chansons  arméniennes, 
même  parmi  celles  qui  n'ont  pas  cet  objet  comme  principal.  Parmi  les 
morceaux  du  l'ecueil  de  Chants  populaires  arméniens,  il  en  est  un,  qu'a 
harmonisé  M.  Ernest  Reyer,  et  dont  le  sentiment  était  en  accord  parfait 
avec  celui  qu'on  pouvait  supposer  à  l'auteur  de  la  Statue  et  du  Selam  : 
c'est  une  charmante  mélodie  rêveuse,  en  mineur  naturellement,  évo- 
quant de  très  près  le  souvenir  d'une  mélodie  de  Lalla  Itoukh,  de  ce  Féli- 
licien  David  qui  avait  eu  une  si  géniale  intuition  de  la  musique  orientale. 
Les  paroles  sont  des  paroles  d'amour  :  elles  célèbrent  le  printemps,  le 
ciel  bleu,  la  douceur  du  chant  de  la  tourterelle,  la  splendeur  des  forets 
de  cèdre,  et  le  poète  subordonne  toutes  ces  beautés  à  celle  d'un  objet 
dont  la  fin  du  couplet  va  nous  révéler  le  nom.  Ce  uom,  quel  sera-  t-il? 
Kilikia,  nous  dit  enfia  le  poète;  et  nous  songeons  déjà  à  nous  demander 
quelle  femme  aimée  ces  trois  syllabes  veulent  désigner.  Mais  non  : 
Kilikia,  ce  n'est  point  une  femme,  c'est  un  pays,  la  Cilicie;  et  l'exilé, 
devenu  Arménien,  ayant  adopté  les  idées  de  cette  nouvelle  patrie,  évo- 
que par  le  chant  la  pensée  de  l'ancienne  :  c'est  vers  elle  que  va  sa  rêverie. 

M.  Georges  Marty  a  harmonisé  un  autre  de  ces  chants  :  Berik  Vordeak. 
et  celui-ci  est  un  véritable  cri  de  bataille.  On  chantait  autrefois  en 
France,  sur  une  musique  fâcheusement  banale  :  «  Guerre  aux  tyrans, 
etc.  »  Le  chant  arménien  est  comme  une  paraphrase  de  la  même  idée, 
mais  avec  un  accent  musical  d'une  autre  énergie!  Je  ne  vois  guère  que 
certains  chants  hongrois,  comme  ceux  dont  la  Marche  de  Racoksy  offre  le 
prestigieux  modèle,  qui  puissent  l'égaler.  —  et,  de  fait,  par  un  rapproche- 
ment que  je  ne  chercherai  point  à  expliquer,  non  seulement  l'accent, 
mais  même  certains  rythmes  présentent  quelques  analogies  avec  le 
chant  de  guerre  arménien. 

Voici  enfin  une  dernière  mélodie,  proclamant  l'indépendance  de  la 
pati-io,  que  m'a  dictée  M.  Eghiasaran  :  il  en  a  conservé  pieusement  le 
souvenir  car  elle  se  rattache  pour  lui  à  de  chères  affections. 

Andante   Moderato. 


Hah- rènik  SOUP,  pa    .     zan,  im.  si",  roun  ach.harh, 

Thir-tchoomem  dè.bi   .    kez         bog-vovés  an-da  .  dar. 

Tr.iDuCTiox.  —  Sainte  Patrie,  ô  mon  pays  aimé,  —  mon  âme  s'envole  vers  toi  sans  cesse. 

Ta  destinée  fait  toujours  mon  tourment;  en  mon  cœur  résonne  le  bruit  de  tes  fers.     ' 

Près  de  braves  compagnons  il  est  doux  de  combattre,  —  et  pour  l'œuvre  sainte  il  est 
doux  de  mourir. 

Mais  bêlas!  dans  cette  prison  enfermé,  loin  du  monde,  —  sur  les  cbamps  de  bataille  je 
manque  à  l'appel  ! 

Par  sa  forme,  sa  tonalité,  son  aspect  général,  cette  mélodie  pourrait 
nous  sembler  moderne,  —  inspirée  de  quelque  «  hymne  russe  »,  expri- 
mant au  moins  des  sentiments  de  l'âme  contemporaine.  Or,  celui  qui  me 
l'a  chantée  m'afûrme  l'avoir  entendue,  dans  sa  plus  tendre  enfance, 
dite  par  des  vieillards,  qui  eux-mêmes  l'avaient  toujours  connue,  et 
n'en  savaient  point  l'âge.  C'est  le  chant  d'amour  des  Arméniens  pour 
le  pays  natal,  et  ils  le  répètent  avec  ferveur  dans  l'adversité  comme  dans 
la  joie.  Sous  sa  forme  très  simple,  ce  chant  a  de  l'envergure,  de  l'envolée. 
Il  exprime  une  foi  sincère  :  il  vibre!  Puisse-t-il  être,  pour  ceux  qui  en 
ont  conservé  la  mémoire,  un  gage  d'espérance  ;  puisse-t-il  avoir  pour 
eux  cette  signification,  qu'ils  seront  bientôt  appelés  à  le  chanter  joyeu- 
sement en  des  jours  meilleurs  ! 

Julien  Tiersot. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


Hj  y  o  n.  u.  gi  i  s 

(Suite.) 


VI 

LES  JASSERIES  DU  FOREZ 

Dans  le  charmant  pays  du  Forez,  la  perle  du  Lyonnais,  où  les  collines 
hautes,  première  avancée  des  monts  d'Auvergne,  encadrent  des  prai- 
ries verdoyantes  et  des  champs  florissants,  nous  retrouvons  la  poésie, 
et  avec  la  poésie  les  bergères,  qui  sont  l'âme  de  la  vie  champêtre. 

Populaires  dans  le  Forez,  dans  le  Berry  ou  dans  la  Marche,  elles  y 
sont  regardées  comme  d'aimables  petites  sorcières,  conteuses  de  sor- 
nettes aux  étoiles,  rêveuses  suivant  la  saison,  et  le  plus  souvent  joyeuses 


comme  lutins  en  maraude.  Dans  la  campagne,  vers  le  soir,  leurs  chan- 
sons s'égrènent  alertes,  et  le  paysan,  si  pressé  qu'il  soit  de  rentrer  au 
logis  après  une  rude  journée  de  labeur,  ralentit  son  pas  pour  écouter 
les  voix  qui,  pures,  argentines,  s'élèvent  de  la  clairière.  Ces  chansons, 
il  les  connaît,  il  les  a  dites  en  duo  avec  les  bergères  de  son  enfance, 
mais  il  ne  se  lasse  pas  de  les  entendre.  On  lui  fait  son  procès,  cepen- 
dant, en  quelques-unes,  mais  il  n'en  a  cure  : 

Ringeons-nous,  car  v'ia  qii'on  va  plore, 
Et  point  n'allons  vé  qu'à  maudits  garçons, 
Tant  qu'y  pouiont  a  font  de  mau  è  filles, 
Puis  y  risont,  y  s'en  mouquont  et  s'en  allont. 

Les  bribes  succèdent  aux  bribes,  emportées  par  la  brise  du  soir.  Puis, 
c'est  tout  une  petite  légende  pastorale  qui  sonne  clair  la  vertu  sans 
tache  de  la  bergère  forézienne  : 


Mon  père  ayot  sept  cents  moutons, 

Y  n'essien  la  barrière, 
Don,  daine,  don  don  don  ! 

Y  n'essien  la  bai-gière, 

Don! 

Lou  premier  cop  qu'y  les  ai  menas, 

Y  ai  pardu  la  quinzaine, 
Don,  daine,  don,  don,  don  I 

Y  ai  parda  la  quinzaine. 

Don! 


—  La  belle  que  me  biillerez-vous, 
Ah  !  pre  ma  récompinse. 
Don,  daine,  don,  don,  don  ! 

Ah  !  pre  ma  récompinse  ? 
Don! 

—  Quand  y  tondrai  mu  blancs  mutans, 

Y  te  donnerai  de  la  lene, 
Don,  daine,  don,  don,  don! 

Y  le  donnerai  de  la  lene, 

DonI 


Un  biau  monsieur  vint  à  passa 
Que  me  les  ramena  tout  quinze, 
Don,  daine,  don,  don,  don  ! 
Que  me  les  ramena  tout  quinze, 
Don! 


—  De  youtre  lene  je  n'en  vous  gin , 
Mais  voulre  cœur,  la  belle. 
Don,  daine,  don,  don,  don! 
Jlais  voutre  cœur,  la  belle, 
Don! 
—  Ah  !  pre  mon  cœur,  te  Tairas  pas  : 

Y  suis  encaire  trop  jeunette. 
Don,  daine,  don,  don,  don  ! 

Y  suis  encaire  trop  jeunette, 

Don! 

A  défaut  de  son  cœur,  la  bergère  a  offert  de  la  laine  au  biau  mon- 
sieur. C'est  qu'à  ses  yeux,  rien  n'est  plus  précieux  que  la  laine.  La 
laine,  pour  elle,  c'est  l'idéal,  c'est  le  but  de  la  vie.  Tout  le  jour  elle 
passe  sa  main  dans  l'épaisse  toison  de  ses  moutons,  supputant  lo  beau 
tas  qu'elle  fera  le  jour  de  la  toute.  Et  en  la  serrant,  en  la  caressant 
avec  amour,  elle  chante  la  Chanson  de  la  Laine  : 


La  lana  do  mouton 
Demanda  à  tondasou  ; 
La  tondon,  la  tendon, 
La  lana  do  mouton. 

La  lana  do  mouton 
Demanda  à  lavasou  ; 
La  lavon,  la  lavon, 
La  lana  do  mouton. 


La  laine  du  mouton 
Demande  à  être  tondue; 
On  la  tond,  on  la  tond, 
La  laine  du  mouton. 

La  laine  du  mouton 
Demande  à  être  lavée; 
On  la  lave,  on  la  lave, 
La  laine  du  mouton. 


Suivent  toutes  les  opérations  qui  président  au  traitement  de  la  laine. 
C'est  un  vrai  cours  de  lainographie  appliquée  :  La  lana  do  mouton  de- 
mande à  scelsasou  (à  être  sêchêe),  à  scarpisou  (à  être  étirée),  à  startasou 
(à  être  cardée),  à  fialasou  (à  être  filée),  à  tortsasou  (à  être  tordue),  à 
bretsasou  (à  être  brochée  ou  tricotée),  à  portasou  (à  être  portée),...  à 
tsabasou  (à  s'user),...  et,  la  scetson,  ta  scetson,  la  lana  do  mouton  (on  la 
sèche,  on  la  sèche,  la  laine  du  mouton),  et  l'escarpon  (et  on  l'élire),  et  la 
etardon  (et  on  la  carde),  et  la  fialon,  et  la  troHson,  et  la  trotson,...  et  la 
porta,  et  l'atsabon,  la  lana  do  mouton. 

Comme  on  pense,  la  laine,  honorée  comme  elle  l'est,  a  sa,  férié.  Celle-ci 
se  place  au  16  aoiit,  et  ce  sont  alors  des  réjouissances  auprès  desquelles 
pâlissent  celles  qui  accompagnent  les  autres  fêtes.  On  l'appelle  les  Jas- 
scries.  A  celte  occasion,  partout  oii  il  y  a  des  bergères,  et  il  y  en  a  par- 
tout dans  le  Forez,  le  peuple  s'assemble.  On  festoie  sous  la  coudraie. 
Et  les  rires  et  les  chansons  de  s'envoler  comme  abeilles  en  liesse,  et  les 
récits  aussi,  car  nous  sommes  en  plein  pays  de  légendes  et  d'histoires 
merveilleuses.  Pour  peu  qu'il  y  soit  question  d'une  bergère,  une  de 
celles-ci  se  lèvera  bien  vite  et  prendra  la  parole.  Elle  annoncera,  par 
exemple  :  Le  Roi  et  ses  trois  fils  (1),  et  commencera  : 

Un  roi  avait  trois  fils.  Il  voulut  se  défaire  de  la  couronne  en  faveur 
de  l'un  d'eux.  Or,  il  était  très  embarrassé  pour  cela;  car  l'usage  était 
que  la  couronne  revint  à  l'ainê,  et  il  aimait  également  ses  trois  enfants. 
Alors,  il  décida  que  la  couronne  appartiendrait  à  celui  qui  lui  appor- 
terait la  plus  belle  fleur.  Ils  partirent  tous  trois  et  se  donnèrent  rendez- 
vous  pour  le  jour  suivant.  Le  premier  qui  arriva  fut  l'ainé  :  il  apportait 
une  belle  fleur;  le  cadet  arriva  second  avec  une  fleur  encore  plus  belle; 
le  plus  jeune  vint  le  dernier  :  sa  Heur  éclipsait  les  autres  en  éclat  et  en 
parfum.  —  Je  n'aurai  pas  la  couronne,  pensa  Falné,  plein  de  colère;  et, 

(I)  Extrait  de  l'excellent  recueil  périodique  Mélmine,  qui  s'occupe,  à  l'occasion,  de 
curiosités  musicales,  et  auquel  il  nous  est  arrivé  déjà  de  faire  d'intéressants  emprunts. 


LE  MENESTREL 


317 


saisissant  le  couteau  qui  pendait  à  sa  ceinture,  il  en  frappa  mortelle- 
ment son  jeune  frère. 

Le  père,  nouveau  Jacob,  se  désola  de  ne  point  voir  revenir  son  enfant 
chéri  et  attendit  son  retour  pour  se  démettre  de  ses  droits.  Les  années 
s'écoulèrent,  car  le  cadet,  par  peur  de  son  aîné,  n'osait  parler,  quand 
une  bergère,  qui  gardait  ses  moutons  dans  le  champ  où  les  trois  frères 
s'étaient  donné  rendez-vous,  trouva  un  os  fait  comme  une  flûte...  Elle 
l'approcha  de  ses  lèvres  et  j  souffla.  Il  en  sortit  comme  une  voix  hu- 
maine qui  chantait  : 

Souffle  dOLicenient,  bergère, 

Souffle,  souffle  doucement; 

Le  couteau  de  la  ceinture 

M'a  tué  cruellement. 

Le  roi,  ayant  appris  qu'une  bergère  avait  trouvé  une  flûte  rendant  dos 
sons  harmonieu-Y,  voulut  voir  cet  instrument.  Il  se  le  fit  apporter,  et  les 
premières  notes  qu'il  en  tira  lui  dirent  : 

Souffle  doucement,  mon  père, 
Souffle,  souffle  doucement  ; 
Le  couteau  de  la  ceinture 
M'a  tué  cruellement. 

Le  roi  appela  son  fils  cadet,  lui  présenta  l'os  merveilleux  et  lui  dit  de 
souffler  dedans;  et  l'os  répétales  mêmes  paroles.  Et  quand  ce  fut  le  tour 
de  l'ainé,  qui  ne  se  doutait  de  rien,  la  flûte,  élevant  le  verbe,  dit  d'un 
ton  martelé  : 

Souffle  doucement,  mon  frère, 

Souffle,  souffle  doucement  ; 

Le  couteau  de  ta  ceinture 

M'a  tué  cruellement. 

A  ces  mots,  le  roi  comprit.  Il  fit,  sur  l'heure,  écarteler  le  coupable,  et 
son  fils  cadet,  quoique  l'ayant  peu  méritée,  ceignit  la  couronne. 

Mais  la  musette  a  retenti.  C'est  la  danse  qui  commence;  et  après  les 
Auvergnats,  auxquels  ils  tiennent  sous  tant  de  rapports,  ce  sont  les 
Forézieus  qui  sont  les  plus  enragés  danseurs  de  la  terre.  La  Bourrée  a 
pour  eux  des  attraits  sans  bornes;  ils  la  danseraient  sur  le  faite  d'un 
toit,  sur  le  bord  d'un  précipice...  Trois  jeunes  gens  et  trois  jeunes  filles, 
rapporte  une  vieille  légende,  dansaient,  un  jour  de  fête,  sur  la  place 
publique.  Vint  à  passer  la  procession.  Ils  ne  s'en  émurent  aucunement,  et 
quand  le  Saint-Sacrement  parut,  ils  continuèrent  à  danser...  Lors ,  quand 
ils  furent  las,  ils  voulurent  s'asseoir  et  se  mirent  en  quèle  d'une  place 
pour  se  reposer;  mais  une  force  irrésistible  les  retint  à  l'endroit  où  ils 
étaient  et  les  contraignit  à  continuer  à  danser...  Ils  dansèrent  ainsi  une 
année  de  suite...  Etpiaintenant  encore,  certains  soirs  de  bal  ils  se  fau- 
filent parmi  les  danseurs,  et  alors  chacun  est  pris  d'une  fringale  de 
Bourrée,  qui  ne  cesse  qu'avec  le  chant  du  coq,  bête  diabolique  aussi, 
—  et  encore  ! 

Devant  la  Bourrée  tous  sont  égaux,  et  à  ce  sujet  une  autre  histoire 
s'impose  : 

Un  soir,  comme  le  maréchal  d'Albon  Saint-André,  qui  devint  dans 
la  suite  l'un  des  fougueux  triumvirs  de  la  minorité  de  Charles  IX,  don- 
nait en  son  château  de  Saint-André-d'Apchon  une  fête  en  l'honneur 
d'Henri  II,  son  hôte,  il  entendit  soudainement,  d'une  fenêtre  dont  il 
s'était  approché  pour  prendre  l'air,  les  sons  de  la  musette  et  les  rires 
joyeux  des  paysans  et  des  bergères  qui  célébraient  les  Jasseries.  Tout 
un  monde  de  souvenirs  roula  dans  son  esprit  à  ces  accents,  et,  n'y 
pouvant  tenir,  il  descendit  par  un  escalier  de  service  et  courut  jusqu'au 
village  où  la  Bourrée  battait  son  plein. 

Le  père  La  Janette  était  monté  sur  son  tormeau...  Et  gai,  Ion  là! 
Arrondissez  les  bras,  les  gars!  Le  pied  gauche  enavant!  Et  aile!  allel... 
Sa  musette  à  la  peau  de  chevreau  se  gonflait  et  se  ridait.  Quand  il  ne 
soufilait  plus,  la  chanson  sonnait  encore  dans  son  sac,  et  l'on  eût  dit 
que  le  diable  dedans  chantait  et  sifflait,  et  que  les  lutins  s'y  trémous- 
saient à  cœur  joie...  Et  aile!  aile!  aile! 

—  Eh  oui,  aile!  aile!  aile!  crie  le  seigneur  en  tombant  dans  un  groupe. 
Chantez,  dansez,  je  veux,  mes  amis,  chanter,  danser  avec  vous. 

Mais  le  père  La  Janette  s'est  tu.  Les  lutins  ne  sortent  plus  de  sa 
musette,  et  filles  et  garçons  se  sont  sauvés  comme  si  le  diable  les  em- 
portait. 

—  Hélas!  Hélas!  soupira  le  maréchal;  et  il  reprit  tristement  la  route 
du  logis...  Mais,  chemin  faisant,  il  dressa  tout  à  coup  l'oreille.  Il  n'en 
pouvait  douter;  c'était  bien  l'air  de  la  Bourrée  qui  résonnait  au  châ- 
teau. A  travers  les  vitraux  peints  on  voyait,  à  la  lueur  vive  des  flam- 
beaux de  cire,  des  couples  non  enlacés,  mais  sautant  et  so  trémoussant 
surplace.  Il  activa  le  pas  et  reparut  dans  les  salons,  où  son  absence 
n'avait  pas  été  remarquée,  toute  l'attention  se  portant  sur  le  jeune  sou- 
verain. Celui-ci  assistait  ravi  au  spectacle  do  la  Bourrée  organisée  en 
son  honneur  par  une  troupe  de  ménestrels.  Des  filles  et  des  garçons, 
costumés  très  luxueusement  en  gens  du  pays,  dansaient  aux  sons  d'un 


orchestre  où  la  musette  s'égarait  dans  les  fioritures  des  violes  et  des 
rébecs...  A  un  moment,  les  dames  et  les  seigneurs  de  la  cour  voulurent 
prendre  leur  part  du  plaisir.  Alors  on  les  chaussa  de  sabots  mignons, 
mais  ces  sabots  claquaient  mal  sur  le  parquet  ciré.  Et  puis,  il  manquait 
le  bruit  des  gros  baisers  sans  lesquels  la  Bourrée  n'existe  pas. 

Quand  le  bal  fut  fini,  on  dansait  encore  au  village.  Alors  le  maré- 
chal, n'y  tenant  plus,  endossa  la  livrée  d'un  de  ses  valets  et  alla  deman- 
der à  la  joyeuse  compagnie  de  se  mêler  à  elle.  Non  reconnu  cette  fois, 
il  fut  accueilli  à  bras  ouverts,  dansa  tout  son  saoul,  et  donna  baisers 
doubles  à  Fanchon,  à  Margot,  à  Jacqueline,  qui  riaient  à  gorge  déployée 
de  son  inexpérience  et  de  ses  bévues. 

Quand  le  jour  pointa,  il  s'éloigna,  pensant  : 

—  Je  dois  une  heure  de  bonne  joie  à  ces  braves  gens,  et  j'ai  bien  em- 
brassé leurs  filles. 

Aux  Jasseries,  les  baisers  vont  encore  grand  train  le  soleil  levé,  et 
quand  les  bergères  retournent  à  leurs  moutons,  elles  ont  pour  longtemps 
les  joues  rouges  comme  des  pommes  d'api. 

(A  suivre.)  , Edmond  Neuhomm. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ÉTRANGER 

La  Bibliothèque  royale  de  Berlin  vient  de  recevoir  la  partition  auto- 
graphe des  iVoces  de  Figaro  de  Mozart  qui  lui  a  été  léguée  par  le  défunt  éditeur 
de  musique  Simrock. 

—  M.  Bruno  Waltor,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Berlin,  vient  d'être 
nommé  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  Ce  théâtre  aura  donc 
désormais  cinq  chefs  d'orchestre  en  dehors  du  directeur,  M.  Mahler,  qui  prend 
lui-même  le  hàtoa  assez  souvent. 

—  Encore  un  souvenir  viennois  de  Beethoven  qui  s'en  va.  On  vient  de 
commencer  la  démolition  de  la  maison  «  Au  chameau  noir  »  dans  la  Bogner- 
gasse  (rue  des  Archers),  qui  joua  un  certain  rùle  dans  l'existence  de  Beetho- 
ven. Dans  celte  maison  se  trouvait  depuis  la  guerre  de  Trente  ans  une  épi — 
cerie  réunie,  selon  l'usage  viennois,  à  un  débit  de  vins  fins,  où  Beethoven 
aimait  à  fréquenter  et  où  il  avait  sa  place  d'habitué.  Le  maître  y  venait  assez 
souvent,  occupait  sa  place  ordinaire,  dégustait  silencieusement  sa  petite 
bouteille  de  vin  et  s'en  allait  sans  avoir  causé  avec  personne.  Dans  la  famille 
d'un  ancien  associé  de  la  maison  se  trouvent  encore  deux  autographes  du 
maitre.  L'un  est  un  autographe  musical,  l'autre  un  billet  laconique  ainsi 
conçu  ; 

Estraordinaires  et  meilleurs  (amis), 

Envoyez  s'il  vous  plaît  deux  maaa  et  demi  (environ  5  litres)  de  3  florin!',  autrichien 
blanc  (vin),  une  livre  de  sucre  fin  et  une  livre  de  sucre  ordinaire  avec  une  livre  de  café 
fin.  Tout  cela  bien  muni  du  sceau  d'Etat.  J'espère  vous  voir  bientôt  erf  apaqarei  coiiti  (ces 
mots  en  italien).  Mille  belles  choses  à  monsieur  Arlet.  En  bâte  et  en  grande  vitesse. Votre 

Beethoven. 

Ce  monsieur  Arlet  était  un  des  chefs  de  la  maison  du  Chameau  noir,  et  sa 
bru,  qui  vit  encore,  possède  actuellement  lesdits  autographes.  Deux  choses 
nous  frappent  dans  le  billet  que  nous  reproduisons.  D'abord  la  méfiance  de 
Beethoven,  qui  recommande  de  bien  cacheter  l'envoi  afin  qu'on  ne  puisse 
pas  changer  la  marchandise  ;  ensuite  son  honnêteté  bien  connue  au  sujet  de 
tous  les  paiements  qui  lui  incombaient.  En  faisant  sa  petite  commande,  qui 
ne  dépassait  pas  quinze  francs,  il  n'oublie  pas  de  dire  qu'il  viendra  bientôt 
pour  «  apurer  les  comptes  »  ! 

—  Une  lettre  intéressante,  que  la  veuve  de  Weber  adressa  à  Meyerbeer  et 
que  les  journaux  allemands  viennent  de  publier,  nous  montre  que  le  grand 
compositeur  fut  terriblement  exploité  par  son  éditeur  ordinaire,  Schlesinger 
de  Berlin.  Pour  son  fret/scAîiis  Weber  a  reçu  en  tout  lasomme  de  220  Ihalers, 
soit  exactement  82b  francs  ;  moyennant  cette  bagatelle  l'artiste  avait  aban- 
donné tous  ses  droits  de  reproduction,  d'arrangements,  etc.,  à  l'e.xception  du 
droit  de  représentation.  On  a  calculé  que  la  seule  vente  de  l'ouverture  a 
rapporté  plus  de  400.000  francs  à  l'heureux  éditeur.  En  184b,  Maurice  Schle- 
singer arriva  de  Paris  et  proposa  à  la  veuve  de  Weber  la  somme  de 
mille  thalers,  soit  3.7bO  francs,  pour  une  nouvelle  édition  des  cinq  opéras  de 
Weber,  mais  en  exigeant  la  remise  des  partitions  autographes.  Cette  condi- 
tion fit  échouer  l'affaire,  et  la  veuve  garda  les  partitions.  On  sait  que  celle  de 
Freijschûlz  appartient  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin,  tandis 
que  la  partition  autographe  à'Euryanthe  a  été  donnée  par  le  fils  de  Weber  à 
la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg.  Quant  au  produit  de  la  repré- 
sentation de  Freyscliûtz,  il  n'avait  pas  dépassé  la  somme  de  4.6S7  thalers. 
L'Opéra  royal  de  Berlin,  auquel  les  cent  premières  représentations  avaient 
rapporté  du  vivant  de  Weber  la  somme  de  3b0.000  francs,  n'avait  payé  à 
l'artiste,  au  total,  que  060  thalers,  soit 2.473  francs;  en  Allemagne,  les  droits 
d'auteur  n'existaient  pas  à  cette  époque  et  les  théâtres  achetaient  le  droit  de 
représentation  à  forfait,  dans  des  prix  doux.  C'était  ce  qu'on  appelle,  par  un 
euphémisme  singulier,  «  le  bon  vieux  temps  ». 


318 


LE  MENESTREL 


—  L'Opéra  de  Cologne  a  joué  avec  beaucoup  de  succès  ud  opéra  inédit  en 
i    actes,  intitulé  Ghilana,  paroles  de  M.  Jean  de  "Wildenradt,  musique  de 

M.  Max  dOberleithner.  Il  s'agit  d'une  prétendue  aventure  amoureuse  du 
peintre  florentin  Fra  Filippo  Lippi  dont  les  œuvres  sont  actuellement  fort  à 
la  mode.  Le  compositeur  est  un  élève  du  défunt  maître  ■^dennois  Antoine 
Bruckner. 

—  De  Prague  :  <i  M.  Ed.  Colonne  a  donné  un  concert  dont  le  programme, 
exclusivement  composé  d'ceuvTes  françaises,  comprenait  les  noms  de  Berlioz, 
Bizet,  Lalo,  Franck,  Saint-Saéns,  Massenet.  Le  succès  de  ce  concert  a  dépassé 
toute  attente,  et  la  direction  du  Théâtre  national  tchèque  n'a  pas  voulu  laisser 
partir  M.  Ed.  Colonne  sans  lui  faire  promettre  de  comprendre  Prague  dans 
la  prochaine  tournée  qu'il  doit  entreprendre  avec  son  orchestre  et  qui  compte 
déjà  les  villes  de  Metz,  Carlsruhe,  Wieshaden,  Leipzig,  Berlin,  Dresde, 
Vienne  et  Munich.  » 

—  La  petite  ville  de  Jauer  (Silésie  prussienne)  peut  se  vanter  d'une  repré- 
sentation extraordinaire  de  Carmen  ainsi  annoncée  par  une  troupe  ambulante  : 
«  Ce  soir,  représentation  de  la  troupe  du  théâtre  de  la  Résidence  de  Berlin  : 

.  Carmen,  la  belle  bohémienne.  Spectacle  romantique  en  4  actes,  de  Meilhac 
et  Halévy,  musique  de  Bizet  et  Raida.  »  Voilà  de  l'inattendu. 

—  Une  institution  musicale  qui  s'est  constituée  récemment  à  Varso^'ie,  dans 
d'excellentes  conditions  et  sous  le  nom  de  Philharmonie  Varsovienne,  va  se 
mettre  prochainement  en  contact  avec  le  public.  Le  palais  que  l'on  construit 
depuis  deux  années  à  son  intention  et  dans  lequel  elle  s'installera,  est  aujour- 
d'hui presque  complètement  terminé.  La  nouvelle  Philharmonie  compte  inau- 
gurer ce  palais  le  8  novembre  prochain  par  une  grande  fête  solennelle,  et 
elle  annonce  une  série  de  dix  grands  concerts  symphoniques  avec  le  concours 
de  plusieurs  artistes  célèbres,  parmi  lesquels,  tout  naturellement,  le  pianiste 
Paderewski,  qui  ne  pouvait  se  soustraire  aux  désirs  de  ses  compatriotes. 

—  A  Varso^Tie,  précisément,  la  Société  musicale  a  donné  dans  ces  derniers 
temps  un  grand  concert  exclusivement  consacré  aux  œuvres  de  son  excellent 
directeur,  M.  Sigismond  Noskowski.  «  Son  très  beau  poème  symphonique 
les  Steppes,  dit  un  journal,  a  enthousiasmé  les  auditeurs  par  ses  merveilleux 
efîets  de  coloris  orchestral.  Un  parfum  de  véritable  poésie  émane  de  ces  pages 
inspirées,  qui  transportent  la  pensée  dans  les  immenses  landes,  sans  fin 
comme  les  rêves.  »  Un  accueil  chaleureux  a  été  fait  aussi  à  d'autres  compo- 
sitions du  maître,  de  genres  très  divers,  parmi  lesquelles  une  Fantaisie  mon- 
tagnarde, deux  morceaux  de  l'opéra  Livia  Quintilla,  une  Cracowiak,  une  Mazurke 
symphonique,  etc.  M.  Noskowski  a  été  l'objet  de  bruyantes  ovations. 

—  Au  théâtre  de  Moscou,  dirigé  par  M.  Schulz,  sera  jouée  prochainement 
une  opérette  inédite  intitulée  l'Aztèque,  paroles  de  M.  Eugène  Brûll,  musique 
de  M.  Joseph  Bayer.  Le  compositeur  viennois  se  rendra  à  Moscou  pour  diri- 
ger la  première  de  son  œuvre. 

—  Les  Romains  vont  avoir,  au  théâtre  Adriano,  une  saison  lyrique  d'au- 
tomne qui  promet  d'être  brillante.  Le  tableau  de  la  troupe  comprend  les  noms 
suivants  :  soprani,  M"'"^  Adèle  d'Albert  et  Amelia  Mélani;  mezzo-soprani, 
Virginia  Guerrini  et  Maria  Pozzi;  ténors,  MM.  Signorini,  Bici  et  Roussel; 
barytons,  Brambara  et  Di  Laudadio;  basses,  Francesco  Navarrini  et  Umberto 
Cocchi.  Le  répertoire  comprendra,  entre  autres  ouvrages,  Scimson  et  Dalila, 
Carmen  et  Guglielmo  Raldiff  de  M.  Mascagni,  ce  dernier  dirigé  par  l'auteur, 
qui  fera  violence  à  sa  modestie  bien  connue  pour  se  présenter  devant  le 
public.  La  saison  commencera  demain  lundi  7  octobre  avec  Carmen. 

Au  Politeama  de  Trieste,  c'est  avec  la  Manon  de  Massenet  que  va  être 

inaugurée  la  grande  saison  d'automne,  qui  se  continuera  avec  André  Chénier, 
le  bel  opéra  de  M.  Umberto  Giordano.  Parmi  les  artistes  engagés  on  signale 

les  noms  des   époux  Garulli,  de  M"":^  Perosio  et  Curellich  et  du  baryton  La 

Puma. 

Au  théâtre  dramatique  de  Vérone  on  a  exécuté,  le  26  septembre,  une 

grande  cantate  ou  scène  lyrique  avec  chœurs  et  orchestre,  la  Cruxipcion,  dont 
la  musique  a  été  écrite,  sur  un  poème  de  M.  Giuseppe  PistelU,  par  M.  Giu- 
seppe  Righetti,  auteur  d'un  tableau  lyrique,  la  Fille  de  Jephté,  représenté  récem- 
ment au  théâtre  Arena  de  la  même  ville.  La  nouvelle  œuvre  du  compositeur, 
de  facture  très  ample,  a  été  fort  bien  accueillie.  Elle  avait  pour  interprètes  le 
ténor  Parola,  le  baryton  Bellagamba  et  deux  jeunes  cantatrices,  M"==  De 
Stefani  et  Barbarini. 

Une  véritable  invasion  de  virtuoses  européens  menace  l'Amérique  pour 

cet  hiver.  Des  tournées  sont  annoncées  dans  toutes  les  villes  à  peu  près  impor- 
tantes des  États-Unis  par  les  pianistes  Paderewski,  Maurice  Rosenthal,  Joseph 
Hofmann,  Gabrilovitsch,  Bauer,  Zeldenrust,  Burmeister,  Bloomiield-Zeisler 
et  Gertrude  de  Betz  et  par  les  violonistes  Kubelik,  Gregorovitch,  Fritz 
Kreisler,  FlorizelReuter (enfant  prodige, élève  de  M.Henri  Marteau), Tividar 
Nachez  et  William  Worth  Bailey,  qui  est  aveugle.  Il  y  en  a  pour  tous  les 
goûts. 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

C'est  dimanche  dernier  qu'a  eu  lieu  à  Valence  (Drùme),  sous  la  prési- 
dence de  M.  Maurice  Faure,  député,  l'inauguration  du  monument  élevé,  sur 
la  place  du  Champ-de-Mars,  i  la  mémoire  de  l'excellent  poète  Louis  Gallet, 
notre  ami  regretté.  Louis  Gallet  fut  le  librettiste  vainqueur  et  favori  du  dernier 
quart  du  dix-neuWème  siècle,  et  cet  hommage  lui  était  dû  au  nom  de  l'art.  Il 
n'est  presque  pas  un  musicien  de  ce  temps  dont  il  n'ait  été  le  collaborateur, 
collaborateur  tout  à  la  fois  très  distingué,  très  souple  et  très  dévoué.  C'est  en 
sa  compagnie  que  Massenet  fît  son  vrai  début  au  théâtre  avec  le  Roi  de  Laliore, 
qu'une  administration  soucieuse  de  ses  devoirs  et  des  plaisirs  du  public  aurait 
dû  depuis  longtemps  remettre  à  la  scène.  Puis,  soit  à  l'Opéra,  soit  à  l'Opéra- 
Comique,  c'est  Gallet  qui  fournit  à  Eugène  Diaz  le  livret  de  la  Coupe  du  roi  de 
Thulé,  a  M.  Saint-Saëns  celui  à'Ascanio,  à  M.  Joncières  celui  du  Cliecalier  Jean, 
à  M.  Théodore  Dubois  celui  de  Xaviére,  à  M.  Bourgault-Ducoudray  celui  ds 
Thamara,  à  M.  Massenet  encore  celui  de  Thais,  à  M.  Bruneau  ceux  du  Rèue  et 
de  l'Attaque  du  moulin,  à  M.  Lucien  Lambert  celui  du  Spahi,  au  pauvre  Alix 
Fournier,  disparu  si  jeune,  celui  de  Stratonice,  sans  compter  ceux  que  j'oublie. 
Les  artistes  et  le  public  doivent  donc  être  reconnaissants  à  ce  poète  qui  s'est 
multiplié  pour  eux  et  pour  lui.  Cette  reconnaissance  a  été  fort  bien  exprimée 
dans  les  discours  prononcés  à  la  cérémonie,  à  laquelle  le  gouvernement  s'était 
fait  représenter  par  M.  Henri  Roujon,  directeur  des  beaux-arts,  qui  a  parlé 
en  fort  bons  termes  au  nom  du  ministre  de  l'instruction.  M.  Maurice  Faure, 
qui  ne  se  contente  pas  d'être  député,  tnais  qui  est  aussi  un  lettré  (on  n'en 
saurait  dire  autant  de  tous  les  députés  I),  a,  de  son  côté,  caractérisé  comme  il 
fallait  le  talent  de  Gallet  et  fait  ressortir  toute  sa  valeur  poétique  et  littéraire. 
Le  monument  de  Valence,  élégant  et  d'une  originalité  piquante,  est  l'œuvre 
de  l'excellent  sculpteur  Injalbert,  qui  a  rarement  été  mieux  inspiré.  Il  repré- 
sente une  faunesse  légère  qui,  dans  une  pose  pleine  de  grâce,  joue  de  la  flûte 
champêtre  en  regardant  malicieusement  le  buste  de  Gallet,  qui  lui  sourit 
au  haut  d'une  stèle  de  pierre  appuyée  sur  des  rocaiUes.  L'ensemble  est  d'une 
simplicité  et  d'une  délicatesse  exquises. 

—  Le  même  jour  on  inaugurait,  en  un  autre  endroit,  un  autre  monument. 
C'était  à  Romainville,  et  il  s'agissait  de  fêter  la  mémoire  du  romancier  popu- 
laire et  égrillard  et  de  l'excellent  homme  qui  fut  Paul  de  Kock.  Si  nous  en 
parlons,  ce  n'est  pas  que  nous  ayons  à  nous  occuper  ici  de  l'auteur  de  Monsieur 
Dupont  et  de  Gustave  le  mauvais  sujet.  Mais  c'est  que  Paul  de  Kock  a  appartenu, 
lui  aussi,  au  théâtre,  et  même  à  la  musique,  tout  comme  Louis  Gallet,  ce 
qu'on  a  certainement  oublié.  Avant  même  de  publier  ses  romans,  il  fit  repré- 
senter (qui  croirait  cela  de  1  a  part  de  cet  écrivain  erotique?)  des  mélodrames 
sombres  et  sanglants  à  la  mode  de  l'époque.  C'est  à  l'Ambigu  qu'il  perpétra 
ces  péchés  scéniques  et  qu'il  donna  successivement  Madame  de  Valnoir  et 
Catherine  de  Courlande,  la  Bataille  de  Veillane,  le  Troubadour  portugais,  le  Molin 
de  Mansfeld...  Puis,  ne  réussissant  que  médiocrement  de  ce  côté,  il  se  tourna 
vers  le  vaudeville,  en  faisant  représenter  Femme  à  vendre,  Monsieur  Mouton, 
Monsieur  Graine  de  lin,  etc.,  et  enfin,  il  se  mit  à  faire  des  livrets  d'opéras- 
comiques,  aujourd'hui  bien  oubliés  parce  que  ses  collaborateurs  musiciens 
sont,  à  part  un  seul,  tombés  dans  l'oubli  le  plus  profond  :  les  Enfants  de 
maître  Pierre,  de  Frédéric  Kreubé,  te  Philosophe  en  voyage,  de  Kreubé  et 
Pradher,  Ethelivina,  de  Batton,  le  Camp  du  drap  d'or,  de  Rifaut,  Leborne  et 
Batton,  l'tle  de  Babilary  et  une  Nuit  au  château,  de  Mengal,  l'Orphelin  et  le  Bri- 
gadier, de  Prosper  de  Ginestet,  et  enfin  le  Muletier,  de  notre  grand  Herold, 
qui,  du  livret  grivois  de  son  collaborateur,  sut  faire  un  délicieux  chef-d'œuvre. 
Voilà  comment  le  souvenir  de  Paul  de  Kock  se  rattache  au  théâtre,  et  pour- 
quoi nous  avons  cru  devoir  le  rappeler  ici. 

—  La  reprise  de  Louise  à  l'Opéra-Comique  a  été  fort  brillante  et  s'est 
donnée  devant  une  salle  comble  et  enthousiaste.  C'était  la  119"  représentation, 
et  elle  servit  de  début  à  M°"^  Charles,  cette  jeune  artiste,  lauréate  du  Con- 
servatoire, qui  a  pu  si  heureusement  s'échapper  de  la  nécropole  de 
M.  Gailhard  pour  entrer  en  ce  temple  de  vie  et  d'art  qu'est  actuellement 
l'Opéra-Comique.  M""  Charles  a  de  la  chaleur  ;  sa  voix  est  vibrante  et  géné- 
reuse. C'est  dire  que  c'est  surtout  dans  les  passages  de  force  qu'elle  a  triom- 
phé. La  grâce  et  le  charme  lui  viendront  tout  naturellement,  quand  elle  sera 
moins  émue  et  moins  préoccupée  de  l'effet  à  produire  quand  même.  L'admi- 
rable Fugère  était  là  à  ses  côtés,  si  grand  dans  sa  simplicité,  et  aussi  le 
charmant  ténor  Beyle,  —  Messager  solide  au  poste  à  l'orchestre.  La  soirée 
fut  belle  et  émotionnante. 

—  Un  jeune  ténor,  M.  Peyre,  élève  de  M.  Vergnet,  a  fait  aussi  des  débuts 
remarqués  dans  Mireille.  Sa  voix  est  jolie  et  bien  timbrée.  —  Au  même 
théâtre  ou  répète  Galathée  pour  la  rentrée  de  M"»  Gerville-Réache  dans  le  rôle 
de  Pygmalion,  qui,  on  le  sait,  fut  créé  par  une  femme.  M""  'Wertheimber. 
Les  autres  rôles  seront  interprétés,  celui  de  Galathée  parM"|=  Courtenay,  ceux 
de  Ganymède  et  de  Midas  par  MM.  Jabn  et  Mesmaecker. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  :  matinée,  Lakmé,  la  Sœur  de  Jocrisse; 
le  soir,  Mireille. 

—  Rappelons  que  la  réouverture  des  concerts  Colonne  aura  lieu  au  Chà- 
telet  le  dimanche  20  octobre,  à  deux  heures  et  quart.  Les  matinées  au  Nouveau- 
Théâtre  recommenceront  le  jeudi  14  novembre,  à  trois  heures  et  demie. 

—  L'Association  Philotechnique  (section  Victor  Cousin)  vient  de  donner  sa 
séance  d'ouverture  de  cours  en  la  mairie  du  Y"  arrondissement.  Beau  concert 
organisé  par  M.  Paul  Seguy,  de  l'Opéra,  qui  a  fait  une  fois  de  plus  applaudir 


LE  MENESTREL 


319 


le  bel  air  à' Ilérodiade ;  à  coté  do  lui  M™  B=  Haguet  a  superbement  chanté 
le  Cid  et  Printemps  de  J.  Faure,  et  tous  deux  la  Charité  de  Faure. 

—  Un  directeur  qui  ne  parait  pas  disposé  à  flâner,  c'est  celui  du  théâtre 
des  Arts  à  Rouen,  qui  vient  de  publier  le  programme  de  sa  prochaine  saison, 
programme  singulièrement  chargé,  en  tête  duquel  se  trouve  l'annonce  triom- 
phante de  la  Louise  de  Gustave  Charpentier,  mais  qui  est  surtout  intéressant 
en  ce  qu'il  indique  l'apparition  de  tout  un  lot  d'œuvres  inédites  et  dénote  un 
vigoureux  elTort  de  décentrahsation  lyrique.  Voici  la  liste  des  ouvrages  dont 
le  public  rouenuais  aura  ainsi  la  primeur  :  tes  Guelfes,  grand  opéra  en  cinq 
actes,  paroles  de  Louis  Gallet,  musique  de  Benjamin  Godard;  la  Fille  du  Calife, 
opéra  en  deux  actes,  paroles  de  MM.  Paul  GoUin  et  Charles  Jacomet,  musique 
de  M.  Lacheurié;  Mimi  la  Provençale,  comédie  lyrique  eu  trois  actes,  paroles 
de  MM.  Maurice  Lecomte  et  A.-P.  de  Lannoy,  musique  de  M.Georges  Palicot; 
le  Clocheton  de  Paimpol,  légende  bretonne,  paroles  de  MM.  Eugène  Lemercier 
et  Raphaël  May,  musique  de  M.  Charles  Hess;  V Idole  aux  yeux  verts,  ballet 
de  M.  Raoul  Lefebvre,  musique  de  M.  Fernand  Leborne;  le  Faune,  divertis- 
sement, musique  de  M.  Edouard  Kann;  Conte  de  mai,  divertissement  de 
M.  J.  Bernac,  musique  de  M.  Gaston  Paulin:  enfin,  le  Réeeil  des  Nymphes, 
divertissement  de  M.  C.  Rozier,  musique  de  MM.  Louis  Ganne  et  Turlet. 
'Voilà  assurément  de  quoi  occuper  sérieusement  une  saison. 

—  M.  Carboni,  le  directeur  du  Conservatoire  de  Rennes,  annonce,  pour 
cet  hiver,  toute  une  série  de  concerts  intéressants,  où  on  exécutera  tour  à 
tour  des  œuvres  de  Schumaun,  Mendelssohn  et  Beethoven,  la  Vierge  de  Mas- 
senet,  fe  Miracle  de  Naïm  d'Henri  Maréchal,  le  troisième  actu  du  Taunlmuser , 
des  œuvres  de  Bourgault-Ducoudray,  Widor,  César  Franck,  Fauré,  Marty, 
etc.,  etc. 

—  Il  nous  faut  signaler  au  Casino  de  Biarritz  de  très  intéressantes  exécu- 
tions, sous  la  direction  de  M.  Steck,  des  deux  oratorios  de  Massenet,  Eve  et 
Marie-Magdekine,  avec  le  concours  de  M""*  Talexis  et  de  MM.  David  et  Gri- 
maud.  Étudiées  avec  grand  soin  et  remarquablement  chantées,  les  deux  belles 
œuvres  ont  produit  un  tel  effet  qu'il  a  fallu  eu  donner  plusieurs  auditions 
successives,  très  suivies  d'un  nombreux  public. 

—  A  Aix-les-Bains,  en  l'église  paroissiale,  très  beau  concert  religieux, 
sous  la  direction  de  M.  Provinciali,  où  on  a  entendu  le  beau  Panis  angelicus 
et  le  Sancta  Maria  de  Faure,  remarquablement  chantés  par  M"":  Pauline 
Smith.  Miss  Burke  Irvin  tenait  la  partie  de  violon  dans  le  premier  de  ces 
morceaux,  dont  l'effet  a  été  très  grand.  Au  même  concert,  le  violoncelliste 
Hasselmans  a  joué  merveilleusement  l'Invocation  de  Massenet. 

—  On  vient  d'inaugurer,  dans  la  superbe  église  de  Montfort-l'Amaury,  un 
orgue  de  tribune  construit  par  la  maison  Abbey.  C'est  M.  de  Bricqueville 
qui  a  joué  le  nouvel  instrument,  entouré  d'artistes  d'élite.  Au  nombre  des 
morceaux  qui  composaient  un  programe  artistique ,  on  a  remarqué  la 
transcription  pour  orgue  de  la  Marche  héroïque  deSaint-Saëns,  la  fugue  en  sol 
majeur  de  Bach,  le  Crucifix  de  Faure  et  l'air  de  Marie  Magdeleine  de  Massenet, 
admirablement  interprétés. 

—  Vit  succès  au  Nouveau-Cirque  pour  la  nouvelle  pantomime  équestre  et 
nautique  l'Estafette,  qui  couronne  admirablement  un  programme  très  varié  et 
très  divertissant. 

—  Cours  et  Leçons.  — M'"'  Blanche  Delilia,  l'escellent  professeur  de  chant,  a  repris 
ses  leçons,  37,  rue  des  Martyrs.  —  il"  Renée  Richard,  de  l'Opéra,  a  repris  ses  leçons  de 
chant  chez  elle,  8,  rue  d'Aumale.  —  M-=  Gaulet-Tesier  reprendra  le  lundi  7  octobre, 
19,  avenue  de  Tourville,  ses  cours  de  chant  et  ses  leçons  particulières.  —  51.  et  M"'  Steiger 
reprennent  leurs  leçons  et  cours  de  piano,  31 ,  rue  de  Moscou.  A  partir  du  15  novembre, 
cours  d'accompagnement  par  M.  Nadaud,  professeur  au  Conservatoire.  —  M""  Lherbay- 
Fiorentino,  de  la  Comédie-Française,  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  diction,  13,  rue  de 
Tocqueville.  —  M.  Paul  Séguy  reprend  ses  cours  et  leçons  de  chant  en  ses  salons  de  la 
rue  de  la  Neva.  —  C'est  le  8  octobre  que  M"'  Pierre  Petit  reprendra  ses  cours  et  leçons 
de  chant  (par  l'exemple),  14,  rue  Laferrière.  —  M"*  Fanny  Créhange  a  repris  depuis  le 


1"  octobre  ses  leçons  de  chant,  57,  boulevard  Péreire.  —  M"'  Bertrand-Hertzog  reprend 
le  7  octobre  ses  leçons  de  chant,  24,  rue  de  Dnnkerque.  —  M""  Henriette  Thuillier  a 
recommencé  ses  cours  de  piano  chez  elle,  39,  rue  Latayette,  et  au  cours  d'éducation  de 
M""  Roche,  15,  rue  Cortambert  (Passy).  Elle  donnera  cette  année  une  série  d'auditions 
formant  l'histoire  de  la  musique,  depuis  Scarlatti  et  Bach  jusqu'à  l'école  moderne.  — 
Reprise,  53,  boulevard  Pereire,  des  cours  de  musique  de  M"'  Laming,  cours  très  com- 
plets dans  toutes  les  branches  de  l'enseignement.  —  M"»  Charlotte  Vormèse,  88,  boule- 
vard de  Conrcelles,  annonce  pour  le  15  octobre  la  reprise  de  ses  leçons  de  violon  et 
d'accompagnement,  auxquelles  elle  adjoint  cette  année  un  cours  de  musique  d'ensemble, 
sonates  et  trios.  —  M"'  Caroline  Martel  a  repris,  le  1"  octobre,  ses  leçons  particulières 
de  chant  et  de  piano  chez  elle,  60,  boulevard  de  Clichy.  Elle  a  également  ouvert  son 
cours  de  chant  dans  les  salons  de  la  maison  Alph.  Blondel,  rue  Duperré,  14,  où  les  ins- 
criptions sont  reçues. 

NÉCROLOGIE 

A  Berlin  est  mort,  à  l'âge  de  43  ans,  le  ténor  Emile  Goetze,  qui  a  eu 
son  heure  de  célébrité.  Doué  d'une  admirable  voix  de  ténor,  il  fut  d'abord 
engagé  à  l'Opéra  de  Dresde  et  en  1880  à  celui  de  Cologne,  où  il  devint  rapi- 
dement le  grand  favori  du  public.  En  1883,  les  dames  de  cette  ville  se 
réunirent  pour  offrir  au  «  divin  Emile  »  une  armure  en  argent  destinée  à  être 
portée  dans  Lohengrin.  C'était  l'apogée  de  l'artiste,  qui  avait  aussi  acquis  une 
grande  popularité  en  Allemagne  et  en  Autriche,  où  il  chanta  eu  représenta- 
tions avec  un  succès  énorme  qui  rappelait  les  triomphes  du  ténor  "Wachtel. 
Vers  1886  on  put  constater  les  commencements  de  la  maladie  de  larynx  qui 
devait  terminer  sa  carrière,  et  en  1890  le  ténor  quitta  l'Opéra  de  Cologne 
pour  subir  un  long  traitement.  Goetze  chantait  encore  de  temps  à  autre, 
mais  le  charme  de  sa  voix  était  rompu  et  dans  ces  dernières  années  on  n'a 
plus  entendu  parler  de  lui. 

—  A  Exmouth  est  mort,  â  l'âge  de  90  ans,  le  plus  ancien  élève  vivant  de 
l'Académie  royale  de  musique  de  Londres,  le  pianiste  Kellow  John  Pye.  Il 
entra  en  182.3  à  l'Académie,  dont  il  était  le  premier  élève  reçu,  et  la  quitta  en 
1829.  En  1832  il  gagna  le  prix  Gresham  avec  un  cantique  de  sa  facture  et  en 
1842  il  obtint  le  titre  de  bachelier  es  musique  à  l'Université  d'Oxford.  Il 
quitta  ensuite  la  musique  pour  s'adonner  au  commerce,  mais  pendant  long- 
temps il  fit  partie  du  comité  exécutif  de  l'Académie  royale  de  musique. 

—  De  Naples  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  84  ans,  d'un  vieil  artiste  qui 
fut  compositeur,  chef  d'orchestre  et  professeur  de  chant,  Giuseppe  Calveri- 
Winter.  II  parcourut  l'Europe  et  l'Amérique,  où  il  résida  longtemps  et  où  il 
fit  représenter,  il  y  a  quarante-huit  ans,  un  opéra  intitulé  Matilde.  On  en  con- 
naît d'autres  de  lui;  mais  le  théâtre  n'était  pas  son  fait  et  il  y  réussit  peu.  H 
fut  plus  heureux  avec  ses  compositions  vocales  de  chambre,  qui  n'avaient  que 
le  défaut  d'être  d'une  exécution  très  difficile.  Il  avait  formé  pour  la  scène  sa 
sœur  Emilia,  qui  fut  une  cantatrice  distinguée  et  qui  se  fît  applaudir  notam- 
ment au  théâtre  San  Carlo  de  Naples. 

—  A  Milan  vient  de  mourir,  à  33  ans  seulement,  Gaetano  Falda,  professeur 
de  trompette  et  de  trombone  au  Conservatoire  de  cette  ville,  qui  appartenait 
aussi  à  l'orchestre  du  théâtre  de  la  Scala  et  au  corps  de  la  musique  munici- 
pale. C'était,  dans  sa  spécialité,  un  virtuose  d'un  talent  exceptionnel. 

—  De  Lenno,  sur  le  lac  de  Gôme,  on  annonce  la  mort  de  M°"=  Maria- Anna 
Piatti,  veuve  du  fameux  violoncelliste  Alfredo  Piatti,  mort  lui-même  au  mois 
de  juillet  dernier  et  à  qui  elle  n'aura  pas  longtemps  survécu. 

Henri  Hehgel,  directeur-gérant. 

Jj'Annuaire  des  Artistes  (16"  année),  167,  rue  Montmartre,  Paris,  prépare  sa 
prochaine  édition.  Les  artistes,  professeurs,  sociétés  musicales,  etc.,  sont 
priés  d'adresser  leurs  noms,  adresses  ou  modifications  les  concernant,  qui 
seront  insérés  gratuitement.  Moyennant  l'envoi  de  5  francs,  tout  souscripteur 
recevra  franco  l'Annuaire  richement  relié,  contenant  1.300  pages  et  300  gra- 
vures. 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienue,  HEUGEL  ET  C'°,  lidilcurs-propriétaires. 


REYNALDO    HAHN 


I.  Sopra  l'acqua  iadormenzada 5 

II.  La  Barcheta 5 

III.  L'Avertimento 5 

IV.  La  Biondina  ia  Gondoleta 5 

V.  Che  Peca! S 

VI.  La  Primavera 5 

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1.  Musette  du  XVII»  siècle 5 

2.  Chanson  a  danser  (1613) S 

3.  Margoion  (XV  siècle) 4 

4.  Complainte  de  Saint  Nicolas 5 

3.  Pastorale  (XVP  siècle) 4 

6.  Le  premier  jour  de  Mai  (vers  1360) 5 

7.  Brunette  (1703) 4 

8.  Chanson  de  Guillot  Martin  (1323) 4 

9.  Ronde  populaire  (pour  3  voix  de  femmes).   ......  9 

10.  Trimousett'  (soli  et  chœur,  voix  de  femmes) 6 

—         Chaque  partie  de  chœur,  net 1 

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LE  MENESTREL 


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ENSEIGNEMENT  DU  PIANO 

MÉTHODES  -  TRAITÉS  -  ÉTODES  -  EXERCICES  -  OUVRAGES  DIDACTIQUES,  ETC. 


L.  ADAM.  Grande -méthode  de  piano  du  Conserva- 
toire, net * 20    » 

La  même,  teste  espagnol,  net 20    » 

J.-L.  BATTMANN.  Op.  100.  Premières  études  avec 

préludes  pour  les  petites  mains 9    » 

—  Op.  67.  24  études  mélodiques  pour  les  petites 
mains,  deux  suites,  chaque 9    » 

C.  DE   BÉRIOT   et   C.-V.    DE   BÉRIOT.    Méthode 
d accompagnement  pour  piano  et  violon,  exer- 
cices chantants  en  forme  de  duettinos  .....     15    » 
-7    L'art  de  l'accompagnement  appliqué  au  piano, 
'  pour  apprendre  aux  chanteurs  à  s'accompagner.  .     16    » 

GEORGES  BULL.  Bibliothèque  des  jeunes  pianistes  : 

—  1"  vol.  Op.  90.  Vingt-cinq  études  mignonnes, 

très  faciles 12    » 

—  2'  vol.  Op.  95.  Vingt-cinq  éludes  l'écréatives 
faciles 12    » 

—  3"  vol.  Op.  98.   Vingt-cinq  études  de  genre, 
petite  moyenne  force 12    » 

—  4»  vol.   Op.   100.    Vingt  études  pittoresques, 
moyenne  force 15    » 

—  5' vol.  Première  heure  d'étude,  exercices  pour 
acquéiir  la  souplesse  et  l'égalité 15    » 

—  6°  vol.  Op.  102.  Les  Doigts  agiles,  vingt-cinq 
études  de  petite  vélocité 12    » 

—  7»  vol.  Op.  178.  Vingt  petits  préludes  ....     10    » 

—  8'  vol.   Op.    179.    Les  Petites   concertantes, 

(1"  livre)  25  études  très  faciles,  4  mains.  ...     15    » 

—  9'  vol.   Op.    180.    Les   Petites   concertantes, 

(2"  livre),  25  études  faciles,  4  mains 15    » 

FÉLIX  CAZOT.  Méthode  de  piano,  complète.  ...  25  » 

—  1"  partie  (élémentaire),  les  cinq  doigts   ...  12  j» 

—  2'   partie  (degré  supérieur),   extension    des 
doigts 18  » 

CR.  CHAULIEU.  Z<7ndi5peftsa6/e,  manuel  des  jeunes 
pianistes,  études  journalières  de  gammes  et 
exercices.  10*  édition 20    » 

F.  CHOPIN.  —  Op.  10.  Grandes  études  (1"  livre)    .  18  » 

—  Op.  25.  Grandes  études  (2°  livre) 18  » 

—  54  préludes,  2  livres,  chaque 9  » 

—  3  études 7  50 

J.-B.  CKk'^'ER.  Études  pour  le  piano  (2' livre)  .   .     18    » 

CH.  CZERNY.  Op,  337.  Exercice  journalier,  40  études    12    = 

—  Op.  139.  100  exercices  doigtés  et  gradués  pour 
les  commençants  : 

1",  2"  et  3"  livraisons,  chaque 6    » 

4"  livraison 7  50 

—  Op.  261.  Etudes  élémentaires,  2  livres,  chaque      9    » 

3.  DECOMBES.  Petite  méthode  élémentaire  de  piano, 

édition  cartonnée,  net 3  50 

Edition  brochée,  net 2  50 

HENRI  DECOURCELLE.  Introduction  aux  exercices 

de  Maurice  Decourcelle,  en  2  livres,  chaque  .      7  50 

MAURICE  DECOURCELLE.  Trois  cahiers  d'exercices: 

—  1"  cahier.  Op.  11.  Exercices  progressifs  divi- 
sés en  15  journées  d'études 9    » 

—  2"  cahier.  Op.  41.  Exercices  et  préludes  dans 

■^  tous  les  tons  les  plus  usités 9    » 

—  3'  cahier.  Op.  30.  Répertoires  d'exercices  dans 

tous  les  tons  majeurs  et  mineurs 12    » 

LÉON  DELAFOSSE.  Études  pittoresques,  net.   .   .     12    » 

—  Vingt  préludes net      6    » 

—  Valses-préludes  (12  numéros) net      5    » 

V.  DOURLEN.  Traité  d'accompagnement  pratiqite 
de  la  basse  chill'rée  et  de  la  partition  à  l'usage 
des  pianistes 24    » 

CH.  DUVOIS.  Le  mécanisme  du  piano  appliqué  à 
l'étude  de  l'harmonie  (enseignement  simultané 
du  piano  et  de  l'harmonie)  : 

Introduction.  Principes  théoriques  et  pra- 
tiques de  la  musique,  net 3    » 

l*'  cahier.  Exercices  de  mécanisme,  sans  dé- 
placement de  main,  net  ........      3    » 

2'  cahier.  Progressions  7nélodiqu£S,  exercices 
pour  la  progression  de  la  main,  net.   .    .      3    » 

3"  cahier.  Les  gammes,  d'après  une  notation 

qui  en  facilite  rétuae 3    j> 

i4'  cahier.  Harmonie,  théorie  et  pratique  des 

accords  etarpèges  appliqués  au  piano,  net.      5    » 

5"  cahier.  Ettide  des  douoles  notes.  Jeu  lié, 
jeu  du  poignet,  tierces,  sixtes,  octaves  et 
accords,  net 4    » 

6*  cahier.  Marches  d'harmonie,  exemples 
pris  des  grands  maîtres,  net 4    » 

?•  cahier.  Appendice  à  l'étude  de  l'harmonie, 
net 3    B 

8'  cahier.  L'art  de  phraser,  net 3    » 

L'ouvrage  complet,  net 25    ^ 


H.  ENGKAUSEN.  Op.  63.  Les  premiers  exercices  du 
jeune  pianiste: 

1"  Livre.  Très  facile 6    » 

2"  Livre.  Facile 7  50 

3"  Livre.  Petite  moyenne  force 7  50 

4"  Livre.  Moyenne  "force 7  50 

—  Op.  58.  Les  premiers  éléments,  études  à 
quatre  mains  : 

1"  Livre.  Petits  exercices  pour  la  main  au 
repos 6    » 

2'  Livre.  Exercices  pour  les  cinq  doigts,  dépas- 
sant peu  rétendue  d'une  octave 7  50 

2'  Livre  bis.  Complément  du  livre  précédent.      7  50 

3"  Livre.  Exercices  un  peu  plus  difficiles  avec 
l'usage  de  la  clef  de /a 7  50 

4*  Livre.  Variations  faciles  et  brillantes  ...       7  50 

G.    FALKENBERG.    Les  pédales   du    piano,   avec 

17U  exemples,  net 10    » 

BENJAMIN  GODARD.  Op.  42.  /2  études  artistiques, 

net 15    » 

—  Op.  \Q1.  12  Twuvelles  études  artistiques,  net.     15    » 

Les  24  études  réunies,  net 25    » 

F.  GODEFROID.  L'école  chantante  du  piano  : 

1"  livre.  Théorie  et  72  exercices  et  mélodies- 
types 25    » 

2"  livre.  15  études  mélodiques  pour  les  pe- 
tites mains 12    » 

3"   livre.   12  études  caractéristiques  (plus 
difficiles) 12    » 

F.  HILLER.  Op.  15.  33  grandes  études  d'artiste  .    .     20    » 

KALKBRENNER  (FR.).  Op.  108.  Méthode  complète 

de  piano,  20'  édition 25  » 

—  Petite  méthode  (extraite  de  la  grande)  ....  12  » 

—  Gammes  dans  tontes  les  positions 7  50 

—  Op.  20.  Étitdes  dédiées  à  démenti 25  « 

—  Op.  88.  Vingt-quatre  préludes 25  » 

—  Op.  108.  Douze  études  pour  l'indépendance 

des  doigts 9    » 

—  Op.  126.  Douze  études  préparatoires    ....     12    » 

—  Op.  161.  Douze  autres  études  préparatoires  .     12    » 

—  Op;  169.  Vingt  études  progressives 12    » 

KESSLER.  Études 24    » 

KOSZUL.  Préludes,  2  livres,  chaque 12    » 

THÉODORE  LACK.  Cours  de  piano  de  W^"  Didi: 

Exercices  de  M""  Didi 10  » 

Gammes  de  M""  Didi 5  » 

Etudes  de  M"»  Didi  (1"  livre) 10  )> 

Etudes  de  M"«  Didi  (2"  livre) 10  » 

LEBOUC-NOURRIT  (M""'  CH.).  Petit  manuel  de  me- 
sure et  d'intonation  à  l'usage  des  jeunes  enfants  : 
60  tableaux  calques  en  5  cahiers,  belle  édition. 
Chaque,  net 2    » 

—  Les  mêmes  tableaux,  édition  populaire.  Chaque 
cahier,  net 1    » 

MATHIS  LUSSY.  Exercices  de  piano  dans  tous  les 
tons  majeurs  et  mineurs,  à  composer  et  à  écrire 
par  l'élève,  précédés  de  la  théorie  des  gammes, 
des  modulations,  etc.,  etc.,  et  de  nombreux 
exercices  théoriques,  net 7    » 

—  Carton-pupitre-exercice  du  pianiste,  résumant 
en  six  pages  toutes  les  difficultés  du  piano  et 
donnant  toutes  les  formes  de  gammes  et  d'exer- 
cices, net 3    » 

—  Traité  de  l'expression  musicaie,  accents,  nuan- 
ces et  mouvements  dans  la  musique  vocale  et 
instrumentale,  net 10    » 

—  Concordance  entre  la  mesure  et  le  rylhme,  net.      1    » 

—  Le  rythme  mîisical,  son  origine,  sa  fonction  et 

son  accentuation,  net 5    » 

G.  MATHIAS.  Études  spéciales  de  style  et  de  méca- 

nisme, 2  livres,  chaque 15    » 

—  Op.  bS.  12  jjièces  symphoniques 10    » 

A.    MARMONTEL.    Op.    60.    L'art   de   déchiffrer, 

100  petites  études  de  lecture  musicale,  2  livres, 
chaque 12    »  et  18    » 

—  Op.  80.  Petites  études  mélodiques  de  méca- 
nisme, précédées  d'exercices-préludes 18  '  » 

—  C  -.  85.  Grandes  études  de  style  et  de  bravoure, 

net 12    » 

—  Op.  108.  50  études  de  salon,  de  moyenne  force 

et  progressives,  net 15    » 

—  Op.  111.  L'art  de  déchiffrer  à  quatre  mains, 
50  études  mélodiques  et  rythmiques  de  lecture 
musicale,  2  livres,  chaque 15    » 

—  Op.  157.  Enseignement  progressif  et  j'ationnel 
du  piano,  école  de  mécanisme  et  d'accentuation  : 

1"  cahier.  Tons  majeurs  diésés,  net  .   ...  4  » 

2*      —      Tons  majeurs  bémolisés,  net  .   .  4  i> 

3"      —      Tons  mineurs  diésés,  net ...   .  4  » 

4°      —      Tons  mineurs  bémolisés,  net  .   .  4  » 

5"      —      Gammes  cliromatiques 1  » 

L'ouvrage  complet,  net 15  » 


A.  MARMONTEL  (suite).  Le  mécanisme  du  piano^ 
7  grands  exercices  modulés,  résumant  toutes  les 
difficultés  usuelles  du  piano  : 

I.  Les  cinq  doigts 9 

II.  Le  passage  du  pouce 9 

III.  L'extension  des  doigts 9 

IV.  Les  traits  diatoniques 9 

V.  Nouvelle  étude  journalière 9 

VI.  Difficultés  spéciales 9 

Les  3  premiers  exercices  élémen- 
taires réunis,  net 7 

Les  3  exercices  supérieurs  réunis, 
net 7 

Les  6  exercices  réunis,  net 12 

VII.  Gammes  en  tierces  etarpèges  (exercice 

complémentaire) 9 

—  Conseils  d'un  professeur  sur  l'enseignement 
technique  et  l'esthétique  du  piano,  net 3 

—  Vade-mecumdu  professeur  de  piano,  catalogue 
gradué  et  raisonné  des  meilleures  méthodes, 
études  et  œuvres  choisies  des  maîtres  anciens  et 
contemporains,  net 3 

,  Conseils  et  Vade-mecum  réunis,  net.   .   .  .  '    5 

—  Eléments  d'esthétique  musicale  et  considéra^ 
tiom  sur  le  beau  dans  les  arts,  net 5 

—  Histoire  du  piano  et  de  ses  origines,  net  ...      5 


N.  NUYENS.  Avant  la  gamme,  6  petits  morceaux 

faciles 7 

—  Les  fêtes  de  famille,  6  petits  morceaux  faciles.  7 

—  Esquisses  7nusicales,  12  études  de  style.  .   .   .12 

LVEILI^F.  Exercices  de  virtuosité,  net 3 

H.  ROSELLEN.  Méthode  élémentaire 25 

—  Manuel  du  pianiste,  exercices  ioxii-nalievs  .  .  12 
J.  RUMMEL.  24  préludes  dans  tous  les  tons  ....  7 
A.  SCHMIDT.  Études  et . 


C.  STAMATY.  Le  rythme  des  doigts,  exercices-types 
à  l'aide  du  métronome 15 

—  Abrégé  du  rythme  des  doigts 10 

—  Chant  et  mécanisme  : 

1"  livre.  Op.  37.  25  études  pour  les  petites 
mains 12 

2'  livre.  Op.  38.  20  études  de  moyenne  diffi- 
culté   12 

3°  livre.  Op.  39.  24  études  de  perfectionne- 
ment  18 

—  Les  concertantes,  24  études  spéciales  et  pro- 
gressives, à  quatre  mains,  2  livres,  chaque    15  et  18 

—  Op.  21.  42  études  pittoresques 20 

FR.  STRŒPEL.  Méthode  complète  de  piano   ....     24 

—  Ouvrage  complet  pour  les  cours  de  piano,  ren- 
fermant l'enseignement  mutuel  et  concertant 
pour  plusieurs  pianos,  3  livres,  chaque,  net  .  .      5 

—  Enseignemeiu  indiînduel  et  collectif,  3  suites, 
chaque,  net 5 

A.  TROJELLI.  Petite  école  élémentaire  du  piano  à 
4  mains  (la  1"  partie  d'une  extrême  facilité,  sans 
passage  de  pouce  et  sans  écarts;  la  2°  partie 
écrite  dans  la  moyenne  force  pour  le  professeur 
ou  un  élève  plus  avancé),  2  cahiers  de  12  n"', 
chaque 7  5D 

H.  VALIQUET.  La  mère  de  famille,  alphabet  des 
jeunes  pianistes  ou  les  25  premières  leçons  de 
piano,  tliéorie  élémentaire  de  A.  Elwaht,  net   ,      3    » 

—  Exei'cices  rythmiques  et  mélodiques  du  p7'emier 

âge 12    =• 

—  Le  premier  âge  ou  le  Berquin  des  jeunes  pia- 
nistes : 

1.  Op.  21.  Le  premier  pas,  15  études  très   '' 
faciles 9    » 

2.  Op.  17.  Les  grains  de  sable,  6  petits  mor- 
ceaux sur  les  cinq  notes 7  50 

3.  Op.  22.  Le  progrès,  15  études  faciles  pour 

les  petites  mains 9    » 

4.  Op.  18.  Contes  de  fées,  6  petits  morceaux 
favoris 9.  » 

5.  Op.  23.  Le  succès,  15  études  progressives 

pour  les  petites  mains 10    » 

6.  Op.  19.  Les  soirées  de  famille,  6  petits 
morceaux  brillants 12    » 

Les  brins  d'herbe,  6  petits  morceaux  faciles.      7  50 
VIGUERIE.  Méthode 15    » 

—  l'"  partie  de  la  méthode,  augmentée  de  12  ré- 
créations très  faciles  par  A.  Thys 9    * 

A.  VILLOING.  École  pratique  du  piano,  net  ...   .    20    » 
GÉZA  ZICHY.  fi  études  pour  la  main  gauche  seule, 

net 10    » 

**•  Le  piariiste  lecteur,  2  recueils  progressifs  de  ma- 
nuscrits autographiés  des  auteurs  en  vogue,  piour 
apprendre  à  lire  la  musique  manuscrite,  chaque 
recueil,  net 7    » 


CLAVIER  DÉLIATEUR  de  JOSEPH  GREGOIR    —     VÉLOCE-MANO  de  M.  FAIVRE 


IMPRIUERIE  CEHTRALB  I 


i  DE  FER.   — 


;  BERGÈRE,  20.  PARIS.— n^-i^'-IO  f" Œûcre  Lormeiu). 


Dimanehe  13  Octobre  1901. 


3681.  -  67-  mm  -  ^'U.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  "•,  rue  TiTienne,  Paris,  n-  m») 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


Le  HuméPo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  KatnéFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  h.  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6m,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (33'  article),  Paul  d'Estrées.  — 

II.  Petites  notes  sans  portée:  La  statue  de  Gluck,  musicien  français,  Raymond  Bouyer.  — 

III.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  En  pays  noir,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Richard 
Wagner  révolutionnaire,  0.  Berggruen.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE   DIABLE   AU  CORPS 

polka  de  Heinrich  Strobl.  —  Suivra  immédiatement  :    Valse  capricante,  de 
Théodore  Lack. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Chanson  d'automne,  d'ANDRÉ  Messager,  poésie  de  Paul  Delaih.  —  Suivra  im- 
médiatement :  Le  Marquis  à  la  Marquise,  sonnet  de  Rodolphe  Bringer,  mis  en 
musique  par  Gabriel  Vehdalle. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  mémoires  les  plus  recenls  et  ûes  flocemenls  iiiMits 

(Suite.) 


IX  (suite) 

En  somme,  du  jour  où  il  se  retira  sous  sa  tente,  Rossini  pro- 
duisit fort  peu  ;  et  pour  donner  de  ce  quasi-mutisme  une  expli- 
cation plus...  acceptable  que  celle  adoptée  par  la  physiologie, 
ses  amis  racontaient  l'historiette  suivante.  Un  soir,  après  avoir 
joué  les  premières  mesures  du  sextuor  de  Don  Juan  sur  son  piano, 
Rossini  avait  fermé  l'instrument  et  déclaré  : 

—  Musiquer  après  ceci,  c'est  porter  de  l'eau  à  la  rivière. 

Vraiment,  il  avait  mis  du  temps  à  s'en  apercevoir.  Désormais, 
nul  mieux  que  lui  ne  justifia  l'expression  proverbiale  s'endormir 
sur  ses  lauriers.  Il  vécut  de  sa  gloire  passée;  et  son  indolence 
naturelle,  qui  avait  repris  le  dessus,  s'accommoda  d'un  far  niente 
auquel  un  second  mariage  allait  ouvrir  des  horizons  encore  plus 
dorés. 

Il  épousa  en  effet,  vers  1864,  cette  belle  Olympe  Pélissier, 
dont  la  vie  romanesque  agrémente  de  piquants  détails  les  notices 
de  Trémont  et  les  Souvenirs  (1)  beaucoup  plus  récents  de 
M"'"  Tascher  de  la  Pagerie. 

(1)  M"*  Tascher  de  la  Pagebie.  —  Mon  séjour  aux  Tuileries;  OUendorlI,  1893. 


La  future  femme  de  Rossini  avait  pour  mère  une  M°"  Cardinal 
qui  avait  élevé  la  carrière  de  la  galanterie  à  la  hauteur  d'une 
institution.  Aussi  trouva-t-elle  pour  sa  fille  un  magnifique 
protecteur  dans  la  personne  d'un  anglais  qui  lui  constitua 
25.000  francs  de  rente.  Olympe,  très  indépendante  de  caractère 
et  d'allures,  s'afîranchit  alors  de  tout  servage;  mais  son  bien- 
faiteur s'étant  ruiné,  elle  lui  restitua  le  quart  de  son  revenu. 

Sa  liaison  célèbre  avec  Horace  Vernet  date  de  cette  époque. 
Leurs  amours  furent  passionnées  et  farouches.  Olympe  était  la 
femme  de  toutes  les  querelles  et  de  toutes  les  violences.  Une 
nuit,  le  peintre,  dans  un  demi-sommeil,  la  voit  arriver  sur  lui, 
dans  sa  longue  robe  blanche,  les  cheveux  épars,  et  le  poignard 
à  la  main.  Horace  s'arrache  résolument  à  la  torpeur  qui  l'en- 
gourdit et  saisit  sa  maltresse  au  poignet. 

—  Ah  !  ça,  lui  dit-il,  pas  de  bêtises.  Olympe  I 

C'était  à  se  demander  si  la  jeune  femme  ne  voulait  pas  réa- 
liser la  scène  du  tableau  de  son  amant,  Judith  et  Holoijherne, 
où  elle  posait  précisément  pour  la  Juive  homicide. 

Une  autre  fois,  Horace  passant  sous  sa  fenêtre,  elle  le  bom- 
barda d'oreillers.  L'artiste  estima  sans  doute  que  son  duo 
amoureux  avait  duré  suffisamment,  car,  à  quelques  jours  de  là, 
il  disait  à  Schickler,  le  Grésus  de  la  place  Vendôme  : 

—  Tenez,  la  voilà,  je  vous  la  donne. 

Son  interlocuteur  prit  le  mot  et  la  chose  au  sérieux.  Mais 
Olympe  n'était  pas  de  cet  avis  et  découragea  les  espérances  de 
ce  successeur  imposé.  A  l'issue  d'une  visite  où  il  avait  supplié 
vainement  l'inflexible,  Schickler  avait  glissé  sous  la  pendule  du 
salon  soixante  billets  de  mille  francs.  Olympe  s'aperçut  du 
stratagème,  et,  rappelant  le  donateur,  elle  l'accabla  du  poids  de 
sa  colère.  Schickler,  irrité  à  son  tour,  jeta  la  liasse  de  billets 
dans  le  feu  ;  mais  déjà  Olympe  opérait  le  sauvetage  des  pré- 
cieux chiffons;  elle  en  put  ressaisir  quarante,  qu'elle  obligea  le 
prodigue  à  reprendre.  Lui  partit  furieux. 

M'"  Pélissier  fut  pareillement  l'inspiratrice  et  l'amie  du  roman- 
cier Eugène  Sue.  Au  reste,  elle  était  très  répandue  dans  le 
monde  des  arts,  et  nous  avons  découvert,  parmi  les  autographes 
de  Trémont,  le  billet  qu'elle  adressait  en  1843  à  Auber  —  billet 
d'autant  plus  intéressant  qu'il  nous  montre  le  musicien  sous 
l'aspect,  jusqu'alors  peu  connu,  d'écrivain  et  d'écrivain...  spé- 
cialiste. 

Grand  Maître, 
Je  viens  vous  rappeler  votre  gracieuse  promesse  :  je  me  réjouis  de  pouvoir 
offrir  à  la  princesse  quelques-unes  de  vos   délicieuses  pensées.  Les  noms  de 
la  princesse  sont  ceux-ci:  Dona  Maria  Hercolani,  née  Mulvezzi. 

Recevez  à  l'avance,  maître,  l'expression  de  ma  vive  gratitude. 

Votre  affectionnée, 

0.  PÉLISSIER. 

Dans  les  Lettres  à  l'Étrangère,  lettres  inédites,  adressées  à  la 
comtesse   Hanska   et   récemment    publiées  par  le  vicomte  de 


322 


LE  MENESTREL 


Spœlberch  de  Lovenjoul  (1).  Balzac  est  amené  à  parler  d'O- 
lympe. Rossini  Ta  «  fait  diner  (17  novembre  1833)  avec  sa  mai- 
tresse,  qui  est  précisément  la  belle  Juditb,  l'ancienne  maîtresse 
d'Horace  Yernet  et  de  Sue,  lu  sais?  »  Le  peintre  puissant  de  la 
Comédie  humaine  ne  dédaignait  pas  les  pointes. 

Olympe  n'était  pas  toujours  une  tigresse;  elle  était  parfois  une 
chatte.  On  m  vu  comment  elle  caressait  doucement  le  «  Grand 
Maître  »  Aiiber;  elle  sut  prendre  à  ce  jeu  raflîné  Rossini,  qui 
répousa  et  ne  vit  bientôt  plus  que  par  ses  yeux.  Avant  de  plaire 
au  seigneur  du  logis,  il  fallait  avoir  charmé  la  maîtresse 
de  la  maison. 

Or,  le  meilleur  moyen  d'y  parvenir,  c'était  de  continuer 
autour  du  maestro  cette  adoration  qu'entretenait  savamment 
jjme  Olympe  et  dont  M""  Récamier  avait  donné  l'exemple  à:  ses 
contemporains,  dans  le  sanctuaire  de  l'Abbaye-aux-bois ,  où 
trônait  Chateaubriand. 

Gustave  Glaudin  a  signalé  sur  le  mode  plaisant  cette  idolâtrie, 
qui  était  peut-être  sincère,  mais  qui  s'afHrmait  par  un  exclusi- 
visme particulier  contre  toute  autre  musique  que  «  la  musique 
du  propriétaire  ».  La  maîtresse  de  la  maison  le  fit  aigrement 
sentir  à  Gounod,  qui  s'était  avisé  de  jouer,  dans  le  petit  hôtel  de 
Passy,  une  sonate  de  Chopin.  Mais  certains  visiteurs  du  maestro 
savaient  lui  faire  comprendre  qu'ils  n'étaient  pas  dupes  de  cette 
petite  manie  concertante  :  témoin  Meyerbeer,  à  qui  Gustave  Clau- 
din  prête  un  mot  bien  connu  dont,  par  parenthèse,  lui,  Glaudin, 
pourrait  bien  être  le  père.  Rossini  disait  à  son  confrère,  qui  s'infor- 
mait des  nouvelles  de  sa  santé  ; 

—  Hélas!  mon  pauTFe  ami,  je  vieillis  bien. 

—  Mais  non,  mais  non,  repartit. Meyerbeer;  seulement,  vous 
vous  écoutez  trop. 

(A  suivre.)  Paul  D'EsTRiiES. 


PETITES    NOTES   SANS    PORTÉE 


XXYI 


LA  STATUE  DE  GLUCK,  MUSICIEN  FRANÇAIS 

A  Madame  Jeanne  Raunay. 

—  L'autre  soir,  en  tâchant  d'élucider  la  rupture  entre  Berlioz  et 
Delacroix  à  l'occasion  de  Mozart,  vous  prétendiez  intituler  un  nouveau 
chapitre  et  définir  une  phase  nouvelle  d'un  grand  débat;  mais  n'est-ce 
pas  Victor  Hugo  qui  a  dit,  ou  à  peu  près  :  «  Les  misérables  mots  à  que- 
relle, classique  et  romantique,  sont  tombés  dans  l'abîme  de  1830,  comme 
gluckiste  et  piccinnlste  dans  le  gouffre  de  1789.  L'art  seul  est  resté...  » 

—  Parfaitement!  C'est,  je  crois,  dans  la  préface  même  de  Cromioe!/, 
l'Art  poétique  du  romantisme;  non,  je  me  trompe,  dans  la  préface  de 
Marion  Delorme  (3).  Et,  libéral,  l'auteur  ajoute  :  «  Maintenant,  l'art  est 
libre;  c'est  à  lui  de  rester  digne  ».  La  liberté  vient,  les  étiquettes  s'ef- 
facent, les  querelles  s'oublient;  mais,  par  cela  même  que  l'art  seul  de- 
meure, que 

Rien  ne  reste,  que  la  splendeur  de  notre  rêve  (4), 
les -grandes  réTolutions  qui  le  travaillent  intérieurement  sont  éternel- 
les. Le  mot  change  et  la  chose  persiste.  Il  y  aura  toujours  des  Piccin- 
nistes  et  des  Gluckistes,  parce  qu'il  y  aura  toujours  des  compositeurs 
ou  des  mélomanes  qui  tiendront  pour  la  beauté  pm'e  et  d'autres  pour 
la  force  expressive.  Éternellement  il  y  aura  des  plastiques  et  des  pathé- 
tiques. 

—  Affaire  de  nuances  ! 

—  Mais  ces  nuances-là  sont  les  catégories  mêmes  des  arts  et  des  âmes. 
Il  n'y  a  plus  d'art  ni  de  sentiment  humains  sans  ces  nuances.  Observez 
n'importe  quelle  époque,  à  travers  toutes  les  métamorphoses  du  cos- 
tume et  de  la  voix  :  vous  y  retrouverez  toujours  en  présence  Gluck  et 
Piccinni.  C'est  la  loi  fondamenlale  des  intelligences  tournées  vers  le 
Beau.  C'est  la  logique  dédoublée- qui  se  fait  chair.  Et  quand  je  traite  le 
dilettante  Eugène  Delacroix  ou  Mozart  lui-même  de;)iccTO«is/e.je  m'en- 
tends, je  sais  ce  que  parler  veut  dire.  Tenez,  Wagner  aussi... 

(1)  H.  DE  Balzac.  —Lettres  à  l'ÉlraïUjère;  C.  Lévy,  1899. 

(2)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,22  et  29  septembre  1901. 
_  (3j  Préface  datée  du  mois  d'août  1831. 

(4)  Vers  du  regretté  poète  Albert  Samain,  dans  une  Symphonie  héroïque. 


—  Quoil  ^Yagner  yj(Vci««iVe  à  son  tour?  Ce  serait  trop  fort,  bien  que 
les  paradoxes  entassés  vous  pèsent  si  légèrement  sur  le  front  ! 

—  Frappe,  mais  écoute.,. 

—  Je  vous  écoute,  monsieur.  Je  frapperai  plus  lard... 

—  Il  ne  sera  plus  temps!  Soyons  sérieux.  Savez-vous  bien,  mes  chers 
contradicteurs,  où  notre  Berlioz  s'emportait  si  méchamment  contre  les 
fioritures  intempestives  de  l'orpheline  Donna  Anna? 

—  Oui!  N'est-ce  pas,  curieusement,  dans  le  feuilleton  qu'il  intitule  : 
Concerts  de  M.  Richard  Wagner  et  la  Musique  de  l'Avenir?  Ou  le  trouve 
reproduit  dans  A  travers  chants.  Berlioz  et  Wagner  :  les  frères  ennemis, 
ceux  là,  sans  conteste,  malgré  l'usage  de  toutes  les  belles  protestations 
réciproques  et  la  majesté  de  la  dédicace  de  Tristan  :  «  Au  grand  et  cher 
auteur  de  Roméo  et  Juliette,  l'auteur  reconnaissant  de  Tri.slan  et  Isolde  !  » 

—  Une  telle  dédicace  en  si  beau  français  promettait  mieux... 

—  En  face  de  Tamihàuser,  l'auteur  des  Troijens  discute  âprement  «  la 
musique  de  l'avenir  »,  en  concluant  :  «  Non  credo/  »  C'est  net.  Et, 
d'autre  part,  Richard  Wagner  écrivait  d'Hector  Berlioz  :  «  En  dépit  de 
son  caractère  déplaisant,  il  m'attira  beaucoup  plus  ;  il  y  a  entre  lui  et 
ses  confrères  parisiens  cette  énorme  différence  qu'il  ne  fait  point  sa 
musique  pour  s'enrichir.  Mais  il  ne  peut  écrire  pour  l'art  pur;  le  sens  du 
Beau  lui  manque...  »  (1). 

—  Bravo!  Bravissimo!  comme  dirait  Mozart...  Quand  je  vous  l'affir- 
mais, qu'au  lieu  de  me  frapper  vous  me  fourniriez  dos  armes!  Écoutez 
bien  les  derniers  mots  que  vous  venez  de  proférer  :  «  Berlioz  ne  peut 
écrire  pour  l'art  pur  et  le  sens  du  Beau  lui  manque...  »  L'art  pur/  Le 
sens  du  Beau,  mais  cela,  c'est  tout  le  Piccinnisme  et  le  Mozartisme  en  per- 
sonne !  Si  Berlioz,  musicien  français,  s'est  déclaré  contre  Mozart  en 
faveur  de  Gluck,  Wagner,  compositeur  essentiellement  allemand,  tient 
pour  Mozart  contre  Gluck,  moins  national  et  moins  pur.  Et  si  le  géant 
des  Niebelungen  met  au-dessus  de  tous  le  précm-seur  de  la  Zauberflote, 
ce  n'est  pas  seulement  parce  que  cette  Flûte  enchantée  devance  le  cor  du 
Freischillz  et  qu'elle  est  le  premier  des  opéras  allemands  tant  par  la 
grâce  naïve  de  ses  lieder  que  par  la  science  dissimulée  de  ses  fugues. 
Non  !  L'Allemand  Wagner  adore  l'Allemand  Mozart  parce  que  le  rossi- 
gnol de  Salzbourg  est  né  le  plus  mélodieux  des  êtres.  Ije  magicien  du 
drame  musical  ne  s'est-il  pas  laissé  prendre  lui-même  à  son  propre 
piège  :  la  musique,  et  les  Murmures  de  la  Forêt  n'ont-ils  pas  sulijugué 
Siegfried?  Et  voyez  comme  tout  s'enchaine  et  se  tient  mystérieusement! 
Berlioz  est  dur  pour  le  petit  Mozart;  mais  Wagner  est  injuste  pour  le 
grand  Gluck  :  assurément,  il  ne  le  traite  point  de  haut  en  bas  comme 

'  l'osait  une  certaine  marquise  de  Bayreuth... 

—  Un  nom  prédestiné! 

—  N'est-ce  pas?  Cette  dame,  une  vol tairienne  et  la  sœur  du  grand 
Frédéric  (excusez  du  peu!),  traitait  le  chevalier  Gluck  de  monstre  et  de 
Thersite  musical  parce  qu'il  fut  robuste  et  militant.   «  Sa  musique  me 

-tue  »,  soupirait-elle  dans  ses  Mémoires...  Aveu  précieux!  La  marquise 
pensait  comme  M.  le  baron  de  Grimm  écrivant  :  «  Je  viens  d'entendre 
Orphée.  Cet  ouvrage  m'a  pai'u  à  peu  prés  barbare.  La  musique  serait 
perdue  si  ce  genre  pouvait  s'établir.  Mais  j'ai  trop  bonne  opinion  des 
Italiens,  nos  maîtres,  pour  craindre...  » 

—  L'orage  de  89  ne  dut  point  surprendre  plus  magnifiquement  les 
galants  bergers  de  Trianon...  Mais  la  bridante  M'"'  de  Lespinasse  n'au- 
rait-ellepas  riposté  de  verve  à  ses  amoureux  transis  :  «  Je  sors  d'Orphée... 
il  a  calmé  mon  âme...  »  Puis,  brusquement,  avec  un  revirement  si 
féminin  :  «  Je  vais  sans  cesse  à  Orphée  et  j'y  suis  seule...  Cette  musique 
me  rend  folle  ;  elle  m'entraîne  ;  je  ne  puis  plus  manquer  un  jour  :  mou 
àme  est  avide  de  cette  espèce  de  douleur.  Ah!  mon  Dieu!  que  jesuis 
peu  au  ton  de  tout  ce  qui  m'entoure!...  »  (2). 

—  Sans  doute!  Mais  la  pauvre  mondaine  passionnée  communiait 
avec  le  génie  naissant  dans  le  monde.  Et  ses  paroles  mêmes  auraient 
prêté  des  arguments  à  ses  adversaires.  Tout  germaniques  qu'ils  étaient, 
le  baron  de  Grimm  et  la, marquise  de  Bayreuth ipeusaient  alors  comme 
tant  de  personnages  qui,  certes,  n'étaient  pas  des  imbéciles,  mais  des 
gens  de  lettres  qui  préféraient,  de  père  en  fils,  la  médiocrité  poudrée,  la 
suave  élégance  aux  sublimes  éclairs  de  la  Lyre.  Déjà  le  feu  sacré  de 
Julie  de  Lespinasse  aurait  pu  leur  suggérer  le  mot  de  Nietzsche  sur'  le 
philtre  d'Yseult  :  «  Cette  musique  est  un  art  malade...  »  Pour  le  baron 
comme  pour  la  marquise,  Gluck  était  d'avance  un  wagnérien  ... 

—  Je  vous  y  prends  !  Vous  aussi,  fatalement,  vous  rapprochez  Wagner 
de  Gluck,  l'héritier  puissant  de  son  noble  ancêtre! 

—  Tout  beau!  Nous  allons  bien  voir...  Oui,  Richard  Wagner  aurait 
_pris  parti  pour  le. grand  Gluck  contre  toute  la  gent  trotte-menu  de  ces 

, petits  Piccinnistes  qui  n'arboraient  guère,  pour  excuse,  le  génie  de  Mozart  : 

(1 1  Dans  V Esquisse  biographique,  traduite  par  M.  Camille  Benoît  (1883).  —  Cf.  le  Ménes- 
trel du  8  aVi-iri900  :  Enire  génies;  Berlin:,  et  Wngner. 
(2)  Letirei  de  M"'  de  Lespinasse  (septembre-octobre  1174),  Tannée  (VOrpliéel 


LE  MÉNESTREL 


323 


tel  M.  Camille  Saint-Saêns,  peu  wagnérien  cependant,  qui  résolument, 
dès  le  premier  accord,  a  pris  fait  et  cause  pour  le  Prélude  de  Lohengrin 
contre  les  rires  des  Philistins...  Assurément,  le  dieu  de  Bayreutli  ne 
parlait  point  comme  la  marquise  :  toujours  est-il  que  Wagner  fut 
injuste  envers  son  maître.  Il  fut  ingrat  ;  délit  plus  grave!  Ne  lui  refuse- 
t-il  point  «  toute  innovation  dans  l'air  aussi  bien  que  dans  le  récitatif», 
en  incriminant  ces  ballets,  divins  hors-d'œuvre,  dont  Gluck  rasséré- 
nait sa  Melpomène?  Divin  de  même,  en  son  genre,  avec  plus  de  savoir 
et  moins  de  majesté,  le  Mozart  de  Cosi  fan  tutte  et  même  de  la  surnatu- 
relle Zauberflole  s'est-il  manifesté  plus  novaleur?  Les  révolutions 
n'étaient  pas  son  fait.  Il  est  vrai  qu'il  est  mort  si  jeune,  et  que  son 
dernier  soupir  fut  celui-ci  :  «  J'allais  écrire  selon  mon  cœur!  » 

—  Contentons-nous  du  peu  qu'il  nous  laisse... 

—  Résignation  facile,  au  sein  des  chefs-d'œuvre  !  A  force  de  répéter 
que  Mozart  est  mort  à  trente-sis  ans,  on  souligne  sa  grîice  en  oubliant 
sa  puissance.  Mais  Gluck  et  Mozart  n'en  symbolisent  pas.  moins 
deux  esthétiques  et  deux  destinées  :  la  volupté  jeune  en  face  de  la 
vieillesse  éloquente.  Une  certaine  Lettre,  datée  de  Vienne  et  du  27  sep- 
tembre 1781,  n'est-elle  point  la  négation  même  de  ces  fiéres  Épllres 
dcdicaloires  où  le  créateur  à'Alcesle  entrevoyait  des  horizons  si  nou- 
veaux en  plaidant  simplement  sa  cause?  Ces  Épitres  sont  la  poétique 
sublime  du  vieux  maître.  Et  la  jeunesse  mélodieuse  de  Mozart  les 
biffait  cavalièrement  d'un  trait  de  plume  en  sacrifiant  tout  à  la  mu- 
sique...  Aussi  les  musiciens  purs  lui  décernent-ils,  reconnaissants,  le 
prix  de  la  Beauté.  Gluck,  musicien  français,  fat  l'B-\pression  même;  et 
ce  mot  ne  résume-t-il  pas  tout  Berlioz,  le  plus  convaincu.de  ses  adora- 
teurs et  le  plus  religieux  des  Gluckistes?  L'Expression,  c'est-à-dire 
l'essence  et  la  raison. d'être  de  la  tragédie  lyrique.  Au  dire  même  de  ses 
admirateurs  et  de  Berlioz,  la  musique  absolue  du  chevalier  Gluck  parait 
très  inférieure  à  la  perpétuelle  invention  de  sa  musique  scénique,  et 
ses  graves  ouvertures  pâlissent  étrangement  auprès  des  badinages  érur 
dits  du  nerveux  Mozart.  Mais  quel  plus  vivifiant  exemple  que  celui  de 
ce  pauvi-e  compositeur  allemand,  longtemps  chétif,  inconnu,  bafoué, 
dans  l'incertitude  même  de  son  avenir,  et  dont  Haendel  pouvait  dire  : 
((  Mon  cuisinier  est  plus  musicien  que  ce  monsieur!  f  S'il  échoue  dans 
l'opéra  italien,  c'est  que  l'opéra  italien  lui  répugne.  Il  y  a  des  aversions 
natives.  Et,  peu  à  peu.  Gluck  devient  Gluck,  il  échappe  à  l'afTêterie 
napolitaine  pour  ne  garder  de  ses  mauvais  souvenirs  que  le  sentiments 
latin  de  la  forme;  il  vient  en  France,  et  ce  Grec  en  exil  a  reconnu  sa. 
patrie.  Ses  œuvres  italiennes,  il  les  épure,  il  les  échauffe,  il  les  ennoblit, 
pour  transfigurer  le  goût  des  auditeurs  nouveaux  de  son  choix.  Lutteur, 
il  chérit  la  lutte  :  d'abord,  il  a  combattucontre  soi-même  pour  se  refaii'e 
naïvement  grand;  puis,  il  intimide  ses  adversaires  à  coups  de  chefs- 
d'œuvre.  Et  sa  verte  vieillesse  ne  fut  qu'une  âpre  victoire.  Et  toute  la 
vraie  lignée  française  a  raison  de  saluer  ce  continuateur  éloquent  de 
Rameau;  c'est  Grétry,  précurseur  des  innovations  wagnériennes,  et 
Lesueur  et  Méhul,  et  Berlioz  et  Reyer,  et  Saint-Saêns,  qui  tient  de 
notre  Berlioz  cette  foi  gluckiste,  et  le  Massenet  des  Erinnyes,  et  le 
Bruneau  de  la  Musique  Française,  qui  reconnaît  l'héritage  (1).  Que  di- 
riez-vous,  non  loin  de  Mozart,  de  la  statue  de  Gluck,  nuisicien  fran- 
çais (2)? 

—  Je  n'y  verrais  nul  inconvénient,  pourvu  que  le  bronze  ne  devint 
pas  un  bon  prétexte  à  délaisser  l'œuvre... 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


vn 

EN  PAYS  NOIR 

Deux  races  caractérisent  l'ouvrier  stéphanois  :  la  race  blanche,  qui 
tisse  les  merveilleux  rubans,  orgueil  de  notre  industrie,  et  la  race  noire, 
qui  travaille  le  fer  et  lire  de  la  mine  la  houille  aux  reflets  sinistres.  A 
cette  catégorie  appartiennent  aussi  les  charbonniers,  hôtes  des  grands 
bois.  Nous  les  retrouverons. 

C'est  à  la  race  blanche  qu'appartient  l'alerte  ourdisseuse  qu'on  voit,  à 
l'heure  de  midi,  se  précipiter  hors  de  son  atelier,  pour  remplir  la  rue 
de  son  babil  et  de  ses  refrains.  L'ourdisseuse,  c'est  le  sourire  de  Saint- 

(I)  .\lfrud  Druneau,  lu  Musique  Française  (Paris,  rasquelle,  1901). 
'il  Voir  le  Ménestrel  du  8  seplemjjrc  1901  :  lu  slutue  de  Mozart. 


Etienne,  ville  triste  par  nature.  Partout  des  bruits  de  ferraille,  des  coups 
de  marteau.  Passez  dans  une  rue,  la  plus  large  comme  la  plus  étroite, 
ce  n'est  qu'un  vaste  atelier.  Puis,  tout  autour  de  Saint-Étienne,  c'est 
la  mine,  la  funèbre  mine,  la  mine  de  Germinal,  dont  l'idée  seule  vous 
fait  monter  une  sueur  noire  au  front. 

Eh  bien,  n'en  déplaise  à  l'auteur  de  l'Assommoir,  les  mineurs,  malgré 
la  vie  de  ténèbres  et  de  dangers  qu'ils  mènent,  ne  sont  pas,  leur  travail  fini, 
aussi  sombres  (.pi'il  veut  bien  les  dépeindre.  Ils  ont  leurs  réunions,  leurs 
veillées,  comme  les  gens  de  la  campagne,  et  les  histoires  n'y  chôment 
pas.  Les  légendes  y  vont  aussi  leur  train,  car  la  mine  a  ses  légendes,  le 
plus  souvent  d'une  naïveté  enfantine,  comme  celle  du  Lajyin  blanc,  qui 
reste  en  plan  faute  de  dénouement,  mais  qu'il  ne  ferait  pas  bon  de 
mettre  en  doute  devant  ces  braves  gens  :  Un  jour,  un  mineur  s'imagine 
voir  un  corpsblanc  courir  et  se  blottir  dans  un  conduit  de  fonte.  —  Tiens, 
un  lapin  qui  vient  d'entrer  lâ-dedans!  pense-t-il;  et  il  court  au  tuyau 
dont  il  bouche  une  extrémité  en  criant  à  un  de  ses  camarades  de  regar- 
der par  l'autre  bout.  Celui-ci  se  penche,  approche  sa  lampe  de  l'orifice 
et  ne  voit  rien...  Les  deux  amis  restent  confondus  :  un  lapin  blanc  est 
entré  dans  la  conduite,  dont  les  deux  extrémités  ont  été  fermées  de, 
suite,  —  et  rien!...  Le  lapin  est  un  esprit!...  Autrement,  comment 
expliquer  sa  disparition? 

La  légende  du  Petit  Mineur  a  une  physionomie  plus  piquante.  Le 
petit  mineur  est  un  gnome  à  l'air  mutin,  qui  fait  des  niches  aux  ouvriers, 
les  taquine,  les  tourmente.  Un  outil  se  casse,  une  lampe  s'éteint,  un 
vêtement  se  déchire,  une  pierre  se  détache,  tout  cela  est  l'œuvre  de 
l'espiègle  esprit,  provient  de  liulluence  narquoise  du  petit  mineur.  Son 
intervention,  maligne  est  surtout  redoutable  pour  l'ouvrier  qui  s'est  laissé 
aller  à  travailler  le  dimanche.  Par  contre,  il  se  fait  le  compagnon  familier 
du  minem'  en  son  logis,  surtout  lorsqu'on  y  est  en  fête,  ce  qui  est  fré- 
quent. A  la  Sainte-Barbe  surtout,  il  se  manifeste  sous  les  formes  les 
plus  aimables.  C'est  lui  qui  insuffle  aux  convives  les  traits  les  plus  gri- 
vois et  les  refrains  les  plus  en  situation.  A  ce  compte,  il  nepeut  manquer 
d'avoir  été  le  parrain  d'une  chanson  de  circonstance  que  les  mineurs 
entonnent  au  dessert,  après  chaque  repas  de  fête. 

C'est  un  curieux  morceau  de  littérature  souterraine.  Les  règles,  de  la 
prosodie  la  plus  élémentaire  y  sont  traitées  avec  un  réel  dédain,  et  le 
nombre  des  pieds  dont  se  compose  chaque  vers  n'arrête  en  rien  dans  son 
essor  l'imagination  de  l'auteur.  L'orthographe  esta  l'avenant,  elle  dépasse 
de  beaucoup  les  licences  permises  par  les  réformes  édictées  en  ces  der- 
niers temps  ;  quant  à  la  musique,  c'est  une  suite  incohérente  de  sons 
lents  et  traînards,  faits  bien  plutôt  pour  endormir  que  pour  égayer  l'au- 
ditoii'e.  Elle  se  chante  le  plus  souvent  avec  accompagnement  de  gonfle 
ou  musette,  qui  la  rend  supportable.  Enfin  la  voilà  : 

Braves  mineurs,  puisque  nous  somm'  ensemble, 
...0  bé!  0  hé!  il  faut  nous  divertir. 

Dans  ces  rocbers 

Nous  sommes  exposés  ; 

Malgré  le  danger, 

11  nous  faut  travailler. 

Mais  quante  nous  sommes  de  sincenpiéesen  terre, 
Nous  ne  crégnions  ni  grêle  ni  tonner'; 

Mais  souvent  la  pluit 

Nous  tose  de  l'ennuie  ; 

Tout  cela  ne  fait  pas-peur 

A, ces  brave  mineurs. 

Mais- quante  je  suis  dans  un  ci  beaut  fonsçage, 
...A!  qp.e  le  temps  il  me  deviea charmant  1 

Auprès  d'une  métresse 

Qu'ell  et  jolie  et  belle... 


Quante  j'ai  charger  mon  charmant  coup  de  mine. 
Et  que  la  poudre  et  prête  à  éclater, 

A  !  par  une  canette 

Qui  é  toujours  prête. 

Dans  un  peut  de  temps     ' 

11  y  a  du  changement. 

J'ai  parcquourûe  les  puissance  étranger', 
...  Mais  s'est  la  France  la  plus  belle; 

Mineur  de  ouille, 

Mineur  de  plâtre  auç.ie, 

Dans  ce  département 

On  le  sais  bien  soizir. 
Si  vous  cquonnesçier  le  directeur  des  mine, 
...Oui,  sais  t'un  brave  et  beaune  entaat; 

Qu'ante  il  vois  veuire 

Tous  ces  mineur  charmant, 

Mais  cela  lui  fait  plaizir 

De  leur  conttev  de  largeans. 

Quisqu'a  composser  cette  èmable  chanssonnette? 
...Sais  trois  mineur  du  renom,  et  pas  Ijète, 


324 


LE  MÉNESTREL 


En  venan  de  Bianzie 
Pour  venir  à  caintétiene, 
Tenant  sur  ces  jenoue 
La  plus  belle  de  ces  amie. 

Qu'on  ne  croie  pas  que  les  passages  et  les  mots  remplacés  par  des 
points  soient  contraires  à  la  morale.  La  plus  parfaite  décence  n'a  cessé 
de  présider  à  l'élucubration  de  cette  pièce  poétique,  et  le  goût  épuré  des 
trois  auteurs  du  renom  sort  indemne  de  cette  supposition.  Leur  calligra- 
phie est  seule  en  jeu,  le  copiste  chargé  de  transcrire  pour  les  Français 
peints  par  eux-mêmes  cette  émable  chansonnette  n'ayant  pu  en  déchiffrer 
tous  les  détails.  Pour  les  variantes  dont  elle  est  susceptible,  inutile  de 
dire  que  l'avant-dernier  couplet  subit  des  changements,  suivant  que  le 
directeur  s'est  montré  plus  ou  moins  généreux  dans  la  répartition  de  ses 
pourboires. 

Et  maintenant,  allons  voir  d'autres  noirs  :  les  charbonniers. 

Le  charbonnier  est  un  nomade,  doublé  d'un  indépendant.  Calfeutré 
dans  sa  cabane  couverte  de  mousse  il  nargue  l'intempérie  des  saisons, 
et  quand  le  temps  est  beau ,  il  hume  avec  délices  l'air  vivifiant  des  grands 
bois.  Il  est  gai  par  nature  et  ne  dédaigne  pas  la  gaudriole.  Écoutez-le, 
lorsque  dans  sa  main  noire  reluit  l'argent  blanc  que  vient  d'y  verser  le 
commis  de  vente,  il  chante  sa  chanson  de  la  bonne  recette  (1),  contem- 
plant avec  amour  sa  meule  où  ronronne  la  braise,  source  de  bénéfices 
toujours  nouveaux  : 


—  Ctiarbonnier,  mon  ami, 
Combien  vends-tu  ti  charge? 

—  Hélas,  madame, 

J'en  veux  bien  quinze  francs... 
Et  vos  amours  compris  dedans. 

—  Charbonnier,  mon  ami. 
N'en  veux-tu  rien  rabattre  ? 

—  Hélas,  madame. 
J'en  rabats  un  écu; 

C'est  du  charbon  de  bois  menu. 

—  Charbonnier,  mon  ami, 
Monte-le  à  ma  chambre; 

Monte-le  vite, 
Et  vite  et  promptement. 
Que  je  l'y  compte  de  l'argent. 

—  Charbonnier,  mon  ami, 
Que  ta  chemise  est  noire  I 

—  Hélas!  madame. 
C'est  l'état  du  métier  : 
Chemise  noire  au  charbonnier! 


L'argent  ne  fut  pas  compté, 
Cliarbonnier  la  regarde  : 

—  Hélas,  madame, 
Reprenez  votre  argent. 

De  vos  amours  j'y  suis  content. 

—  Charbonnier,  mon  ami. 
Où  ce  donc  que  tu  demeures? 

—  Hélas,  madame. 

Le  long  du  bois  tout  rond. 

Là  où  ce  que  les  bons  enfants  y  s 

—  Charbonnier,  mon  ami, 
Tu  as  une  jolie  fille? 

—  Hélas,  madame. 
L'est  belle  comme  le  jour  ! 
Le  fils  du  roi  lui  fait  la  cour! 


—  Charbonnier,  mon  ami. 
Tu  as  une  jolie  femme? 
—  Oh  !  oui,  madame. 
Sans  dire  du  mal  de  vous, 
L'est  cent  fois  plus  belle  que  vous  ! 
Il  chante  cela,  le  charbonnier,  quand  il  a  fait  honneur  au  Petit  Châ- 
teaumorand,  le  cru  guilleret  de  Saint-Haon,  et  le  jour  seulement,  car  la 
nuit,  et  même  le  soir,  sitôt  que  la  meule  fumante  commence  â  répandre 
une  rouge  lueur  dans  les  profondeurs  du  taillis,  et  que  souffle  le  vent, 
et  que  frémissent  les  feuilles  sèches,   il  se  sent   pris    d'épouvante,    et 
après  avoir  donné  le  coup  d'œil  du  maître  à  ses  feux  couverts,  il  revient, 
en  courant,  se  blottir  en  sa  tanière  où  les  apparitions  les  plus  terrifiantes 
hantent  sa  couche  de  fougères.  Il  a  rencontré,  il  en  est  sûr,  Gabriel  le 
Loup  près  des  pierres  grises  ;  et  il  en  est  tout  tremblant  encore,   quand 
soudain,  de  la  rafale  qui  mugit  des  grondements  sourds  s'élèvent.  Ils 
se  rapprochent,  on  entend  des  cris,  des  aboiements.  C'est  la  Chasse  ma- 
ligne, la  chasse  menée  par  Satan  lui-même  sous  la  forme  du  Marmouton, 
le  mouton  mâle,  «  qui  parle  entre  ses  dents  » .  Son  gibier  favori,  c'est 
le  sorcier  maudit  qui  se  cache  au  fond  du  bois  et  sent  sa  fin  approcher. 
Halali!   Halali!  A  moi    chiens,  loups  et  vautours!  Quelles  brâmées! 
Les  fanfares  déchirent  l'air,  les  fouets  claquent,  et  les  arbres,  courbés 
par  l'infernale  tourmente,  s'inclinent  sur  le  passage  du  cortège  fantas- 
tique. 

Et  il  entend  tout  cela,  le  malheureux  charbonnier,  couvert  de  sueur 
la  tête  enfouie  dans  ses  herbes,  égrenant  fébrilement  les  boules  de  son 
chapelet.  La  chasse  le  frôle.  Une  voi.x  de  stentor  lui  crie  :  Enfourche  ta 
maigre  cavale,  et  viens  avec  moi;  le  sorcier  t'attend,  tu  seras  de  la 
curée.  Et  il  lui  semble  qu'il  est  transporté  dans  les  airs,  qu'il  vole  avec 
des  ailes  de  chauve-souris I  Haloh!  le  vent  mugit!  Sous  ses  yeux 
cent  chiens  enragés,  la  gueule  ensanglantée,  fondent  .sur  leur  proie 
palpitante,  le  sorcier  dont  le  jour  est  venu  !.. . 

Haletant,  le  pauvre  diable  sort  en  se  débattant  de  son  horrible 
cauchemar.  Il  fait  encore  nuit;  à  peine  l'aube  commence-t-elle  à  des- 
siner de  hâves  percées  à  travers  les  arbres,  et  les  objets  ont  encore  des 
contours  fantastiques.  Mais  le  devoir  appelle  au-dehors  le  tremblant 
charbonnier.  Il  sort,  la  tête  encore  pleine  de  vertige.  Heureusement  la 
clairière  ne  tarde  pas  à  s'inonder  de  soleil,  et  ses  idées  sombres  com- 
mencent à  se  dissiper.  Le  Petit  Chu teaumorand  fera  le  reste.  Puis  la 
chanson  reprendra  : 


(1)  Cette  clianson  est  extraite  des  Légendes  foréziennes,  par  Frédéric  Noëlas 


—  Charbonnier,  mon  ami. 
Combien  vends-tu  ta  charge? 
Charbonnier,  mon  ami. 
Où  ce  donc  que  tu  demeures? 

Mais  que  le  vicaire,  qui  fait  sa  ronde  dans  les  meules,  ne  l'entende 
pas!  Il  est  à  cheval  sur  les  principes,  le  bonhomme,  et  quand  son 
pénitent  viendra  le  supplier  de  le  débarrasser  du  Marmouton,  il  lui 
chantera,  à  son  tour  : 

Quand  il  s'agit  d'aller  au  mal, 
La  femme  est  un  prompt  animal  ; 
Quand  le  diable  la  met  en  danse, 
La  femme  a  mitle  pas  d'avance. 

C'est  vrai,  le  calcul  est  bon  : 
La  femme  a  mille  pas  peut-être 
Mais  si  prompte  qu'elle  puisse  êtra, 
L'homme  les  fait  en  un  seul  bond  I 

Et  il  ajoute  sentencieusement  : 

—  Si  le  diable  en  braie  est  malin,  défie-toi  du  diable  en  cotte. 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


RICHARD  WAGNER  RÉVOLUTIONNAIRE 


Tout  a  été  dit  au  sujet  de  la  fameuse  aventure  de  Richard  Wagner 
qui  fit  un  exilé  politique  de  l'ancien  hofkapellmeister  du  roi  de  Saxe  et, 
après  la  nouvelle  édition  de  la  biographie  du  maître  par  M.  Glasenapp, 
on  pouvait  croire  qu'aucun  détail  vraiment  intéressant  ne  serait  plus  à 
glaner  sur  un  champ  aussi  exploité.  Mais  voici  que  sous  la  signature  de 
M.  Louis  Schmidt,  nous  trouvons  dans  le  dernier  fascicule  de  la 
Revue  de  l'Association  musicale  internationale  (Zeitschrift  der  Interna- 
tionalen  Mtisikgesellschaft.  —  Année  III,  1902,  fascicule  I),  deux  docu- 
ments inédits  qui  jettent  une  nouvelle  lumière  sur  le  rôle  que  Richard 
Wagner  a  joué  en  réalité  pendant  cette  révolution  de  Dresde,  dont  il 
devait  subir  si  longtemps  les  conséquences  et  qui  finalement  a  eu  sur 
sa  vie  et  son  œuvre  une  influence  salutaire. 

C'est  d'abord  une  lettre  adressée  de  Berlin  par  Richard  Wagner,  le 
20  février  1863,  à  son  avocat  M.  Schmidt  de  Dresde,  lettre  qui  fut  versée 
après  la  mort  de  ce  juriste  à  la  Bibliothèque  royale  de  Dresde.  Dans 
cette  lettre  Wagner  donne  à  son  avocat  des  instructions  au  sujet  d'un 
procès  civil  qu'un  libraire  de  Dresde  avait  intenté  â  l'artiste  et  à  sa 
femme  Minna.  Il  dit  ensuite  : 

. . .  Maintenant,  j'ai  encore  une  prière  à  vous  adresser,  très  estimé  Monsieur.  Voudriez- 
vous  accepter  la  mission  de  vous  procurer  par  des  moyens  appropriés  un  extrait  des 
chefs  d'accusation  concernant  ma  participation  au  soulèvement  de  Dresde  en  1849  qui 
sont  contenus  dans  le  dossier  déposé  au  tribunal.  Des  amis  haut  placés  et  bienveillants 
m'ont  conseillé  de  m'opposer  à  la  calomnie  continuellement  propagée  que  j'aurais  tenté  à 
cette  époque  d'incendier  le  château  royal  de  Dresde,  ce  qui  parait  un  acte  tellement  fort 
qu'on  répond  à  chaque  intervention  en  ma  faveur  dans  les  cercles  les  plus  élevés  qu'on 
ne  peut  pas  avoir  atfaire  à  un  homme  pareil,  etc.  Or,  il  est  absolument  impossible 
qu'une  semblable  dénonciation  existe  contre  moi  ;  je  pourrais  donc,  par  l'extrait  que  je 
vous  demande,  mettre  mes  bienveillants  protecteurs  en  état  de  répondre  à  ces  insi- 
nuations. Mais  si  une  accusation  semblable  existait  réellement  dans  le  dossier,  il  me  paraî- 
trait nécessaire  de  demander  qu'on  ouvre  une  instruction  nouvelle  quant  à  ce  chef 
d'accusation.  Peut-être  vous  parattra-t-il  utile  de  vous  aboucher  pour  cette  affaire  avec 
le  ministre  d'État  baron  de  Beust  (1).  Déjà,  dans  l'audience  qu'il  m'a  accordée  en  no- 
vembre dernier  à  Dresde,  je  fus  amené  à  le  prier  instamment  de  tranquilliser,  par  une 
déclaration  favorable,  le  gouvernement  du  duc  de  Saxe-Weimar  si  bienveillant  pour  moi, 
qu'au  cas  où  le  duc  se  déciderait  à  ni'attacher  d'une  façon  quelconque  à  son  service,  on 
n'y  verrait  aucune  offense  de  la  part  de  la  coîir  royale  de  Saxe.  M.  de  Beust  m'a  promis 
sérieusement  d'en  référer  à  Sa  Majesté,  mais  on  m'annonce  de  Weimar  que  cette  décla- 
ration calmante  n'a  pas  du  tout  été  faite  au  ministre  de  Watzdorf,  et  plusieurs  indices 
me  font  craindre  qu'une  grande  anxiété  règne  encore  sous  ce  rapport  à  la  cour  de 
Weimar.  Il  serait  donc  très  utile,  et  je  vous  en  serais  reconnaissant,  si  vous  pouviez 
obtenir  de  M.  de  Beust  une  intervention  arrangeante  et  tranquillisante  en  ma  faveur... 

Cette  lettre,  qui  nous  fournit  un  commentaire  vraiment  amusant  de 
l'état  d'àme  des  petites  cours  allemandes,  même  avant  leur  diminution 
par  le  nouvel  empire,  produisit  l'effet  désiré.  En  juin  1863,  son  avocat 
lui  envoya  l'extrait  du  dossier  en  forme  de  certificat.  Voici  la  teneur  de 
ce  document  : 

j!  Sur  la  demande  du  compositeur  et  ancien  chef  d'orchestre  Ricliard  Wagner,  et  après 
avoir  pris  connaissance  du  dossier  de  l'instruction  criminelle  ouverte  contre  lui  par 
l'ancien  tribunal  royal  en  suite  de  sa  prétendue  participation  au  soulèvement  de  Dresde 
en  mai  1849,  je  certifie  par  la  présente  que  le  dossier  ne  contient  que  les  accusations  sui- 
vantes contre  M.  Richard  Wagner  et  que  ces  accusations,  pour  la  plupart,  ne  sont  basées 
que  sur  la  déposition  d'un  seul  témoin  non  assermenté  ; 

(1)  Le  baron  de  Beust,  le  ministre  saxon  devenu,  après  1870,  ministre  des  affaires  étran- 
gères d'Autriche-Hongrie,  comte  et  chancelier  de  cet  empire,  était  un  bon  pianiste  et 
aimait  à  composer  de  petits  morceaux,  valses,  mélodies,  etc.  11  était  d'un  abord  facile  et 
très  serviabie,  mais  peu  sûr. 


J 


LE  MÉNESTREL 


325 


a)  Avant  le  soulèvement. 
M.  Wagner  aurait  pris  part,  dans  l'année  qui  a  précédé  le  soulèvement,  à  des  pour- 
parlers dans  son  jardin  qui  ont  plus  tard  servi  de  base  au  traité  su^  l'armement  du 
peuple  publié  par  le  directeur  de  musique  Roeckel  (1);  il  aurait  assisté  vers  Pâques  1849 
à  des  réunions  chez  Bakounine  (2)  ;  il  aurait  aussi  commandé  vers  la  même  époque  à  un 
potier  de  Dresde  500  grenades  à  la  main  qui,  d'après  la  déposition  de  ce  potier,  étaient 
absolument  sans  danger,  et  il  aurait  pris  livraison  d'une  partie  au  moins  de  ces  grenades. 

b)  Pendant  le  soulèvement. 

Pendant  le  soulèvement  M.  Wagner  a  été  vu  par  différentes  personnes  dans  la  salle  du 
soi-disant  gouvernement  provisoire.  Il  aurait  aussi  excité  une  troupe  de  gardes  commu- 
nales (3)  de  Chemnitz,  d'Œderan  et  de  Freiberg  à  marcher  sur  Djesde  et  aurait  conduit 
par  les  rues  une  troupe  venue  de  Zittau.  Il  aurait  écrit  à  Roeckel,  qui  se  trouvait  à  Prague 
pendant  les  premiers  jours  du  soulèvement,  une  lettre  dans  laquelle  se  trouverait  le 
passage  suivant  ;  «  On  n'a  qu'une  peur,  c'est  que  le  soulèvement  éclate  trop  tôt  ».  Le 
6  mai  1849,  c'est-à-dire  le  jour  même  du  soulèvement,  on  a  vu  M.  Wagner  sur  la  tour 
de  l'église  de  la  Croix;  il  y  aurait  observé  la  position  des  troupes  et  la  marche  du 
peuple,  il  aurait  ensuite  rédigé  par  écrit  le  résultat  de  ses  observatons  et  descendu  le 
billet  attaché  à  une  pierre.  Des  sentinelles  l'auraient  recueilli  et  apporté  au  gouver- 
nement provisoire.  Enfin  on  a  transporté  à  son  domicile,  sans  que  le  consentement  de 
M.  Wagner  soit  prouvé,  une  malle  qui  appartenait  à  M.  Bakounine. 

c)  Après  le  soulèvement. 

Après  la  répression  du  soulèvement,  M.  Wagner  a  quitté  Dresde.  Il  a  rencontré  Bakou- 
hine  et  Heubner  entre  Tharand  et  Freiberg  et  est  allé  avec  eux  à  Freiberg  ;  il  est  resté 
quelque  temps  au  logement  de  Heubner. 

Aucune  autre  accusation  ayant  trait  à  la  participation  de  M.  Richard  Wagner  au  soulè- 
vement ne  se  trouve  dans  le  dossier  ;  on  n'y  trouve  notamment  nulle  part  la  moindre 
indication  que  M.  Wagner  aurait  fait  une  tentative  ou  aurait  eu  l'intention  d'incendier  le 
château  royal  de  Dresde  ou  tout  autre  monument  public  ou  particulier. 

Cette  instruction  criminelle  contre  Richard  Wagner  ne  nous  apprend 
rien  de  nouveau,  en  dehors  du  détail  fort  amusant  des  grenades  à  la 
main  qu'il  aurait  commandées  à  un  potier  de  Dresde  et  dont  il  aurait 
pris  livraison.  Le  brave  industriel  semble  avoir  été  aussi  circonspect 
qu'un  pharmacien  auquel  un  inconnu  commande  un  poison  violent,  car 
il  a  déclaré  que  ses  grenades  étaient  absolument  sans  danger.  On  se 
demande  ce  que  l'auteur  de  Rienzi  a  pu  bien  faire  de  ces  pétards  de  tout 
repos.  Après  sa  fuite  de  Dresde  il  a  lancé,  du  bout  de,  sa  plume,  plus 
d'un  pétard  retentissant,  mais  on  n'a  jamais  entendu  la  détonation  des 
fameuses  grenades  à  la  main  et  personne  n'en  a  jamais  parlé.  Du  dossier 
de  l'instruction  criminelle  contre  l'ancien  hofkapellmoister  du  roi  de 
Saxe  se  dégage  d'ailleurs  l'impression  que  celui-ci  n'a  nullement  joué 
un  grand  premier  rôle  dans  le  soulèvement  de  Dresde  et  que  la  cour  de 
Saxe  ne  l'aurait  pas  poursuivi  avec  tant  d'acharnement  s'il  n'avait  eu 
contre  lui  la  circonstance  aggravante  d'avoir  épousé  la  cause  de  la  Révo- 
lution, malgré  sa  qualité  de  fonctionnaire  de  la  cour  ayant  droit  à  un 
uniforme.  Inde  irœ. 

0.  Bergguuen. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  octobre)  : 

Toujours,  à  la  Monnaie,  les  débuts,  les  rentrées  et  les  reprises;  et  cela  nous 
vaut,  malgré  tout,  des  soirées  parfois  intéressantes,  avec  des  plaisirs  quand 
même  variés  et  un  répertoire  que  l'on  croyait  mort  et  qui,  soudain,  revit. 
Nous  avons  eu  ainsi  une  reprise  du  Barbier  de  Séville,  qui  a  été  un  vrai  régal 
de  jeunesse  et  de  lumière.  M'"''  Marie  Thiéry,  dont  on  avait  fêté  la  rentrée 
quelques  jours  auparavant  dans  Mireille,  s'est  révélée  une  des  plus  pétu- 
lantes Rosines  que  nous  ayons  vues,  une  des  plus  adroites  et  des  plus  spiri- 
tuelles vocalistes  que  nous  ayons  entendues;  à  l'acte  de  la  leçon  de  chant  elle  a 
détaillé  la  brillante  «  Sevillana  »  de  Massenet  avec  un  art  exquis;  et  autour 
d'elle  M.  David,  un  séduisant  Almaviva,  M.  Badiali,  un  excellent  Figaro, 
M.  Belhomme,  un  étourdissant  Bartholo,  sans  oublier  M.  d'Assy-Basile,  nous 
ont  donné  du  vieux  chef-d'œuvre  une  interprétation  verveuse  et  amusante  au 
possible,  un  des  meilleurs  spectacles  de  l'année.  Une  reprise  de  Coppélia, 
remontée  avec  un  soin  tout  à  fait  attentif,  n'a  pas  eu  un  sort  moins  heureux; 
et  c'a  été  un  vrai  succès  pour  la  nouvelle  danseuse.  M""  Brianza,  et  pour  le 
maître  de  ballet  M.  Saracco,  qui  n'en  est  pas  à  son  coup  d'essai. 

Je  vous  ai  déjà  parlé  de  quelques  projets  pour  la  saison  des  grands  con- 
certs, qui  ne  tardera  plus  guère  à  commencer.  Les  Concerts  populaires  débu- 
teront, le  premier  dimanche  de  novembre,  par  la  Prise  de  Troie,  dont  le  rôle 

(1)  Auguste  Roeckel,  né  en  1814,  a  été  nommé  presque  en  même  temps  que  Wagner 
directeur  de  musique  à  l'Opéra  de  Dresde.  Il  comptait  parmi  les  partisans  et  admirateurs 
les  plus  convaincus  de  Richard  Wagner. 

(2)  Michel  Bakounine,  le  célèbre  révolutionnaire  russe,  s'était  caché  à  Dresde  chez 
Roeckel  depuis  le  mois  de  mars  1849.  La  maison  de  Roeckel  dans  la  Friedrichstrasse  se 
trouvait  en  face  de  celle  de  Wagner. 

(3)  Ce  nom  désignait  en  Saxe  ce  qu'on  nommait  en  France  la  garde  nationale. 


principal  sera  chanté  par  M"=  Paquot.  Les  Concerts  Ysaye  se  proposent  aussi 
de  s'atteler  à  quelques  grandes  œuvres  chorales  et  symphoniques  ;  la  première 
de  ces  auditions  exceptionnelles  sera  consacrée  à  l'oratorio  De  Schelde  de 
Peter  Benoit  (soli,  chœur,  orchestre,  deux  cent  cinquante  exécutants).  La 
seconde  sera  très  probablement  consacrée  au  Déluge  de  Saint-Saëns.  Parmi 
les  premières  auditions  que  donnera  la  Société  des  Concerts  Ysaye,  citons  : 
Symphonie  de  Witkowski,  Symphonie  de  Paul  Dukas,  Symphonie  de  François 
Rasse,  Trois  nodurnes  de  Debussy,  Fantaisie  en  ré  de  Guy  Ropartz,  Danses 
norvégiennes  de  Grieg,  Variations  symphoniques  de  G.  Elgar,  prélude  à'Ingwelde 
de  Max  Schilling,  ouverture  du  Tasse d'A.  de  Castillon,  Poème  pour  orchestre 
et  alto  solo  de  Théophile  Ysaye,  Concerto  pour  violoncelle  d'Eugène  d'Albert, 
Concerto  pour  violon  de  Jaques-Dalcroze. 

On  a  jugé  hier  le  grand  concours  de  composition  musicale  (prix  de  Rome), 
qui  a  lieu,  comme  vous  savez,  tous  les  deux  ans.  La  cantate  à  mettre  en 
musique,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  avait  pour  titre  Œdipe  à  Colone  et 
pour  auteur  M.  Sauvenière.  Le  jury,  composé  de  MM.  Gevaert,  président, 
Jan  Blockx,  Mathieu,  Tinel,  Van  den  Eeden,  Hubert!  et  Sylvain  Dupuis  a 
décerné  le  !«■'  prix  à  M.  Biaran,  qui  avait  concouru  déjà  il  y  a  quatre  ans  et 
obtenu  une  mention  honorable;  1^  prix  à  M.  Delune,  et  mention  honorable  à 
M.  Charles  Radoux,  le  fils  du  directeur  du  Conservatoire  de  Liège.  L'exécu- 
tion des  cantates  a  eu  lieu,  selon  les  usages,  à  huis  clos:  la  partition  du  lau- 
réat classé  premier,  non  exécutée,  a  été  jugée  à  la  simple  lecture.  Une  paraît 
pas,  si  j'en  crois  les  indiscrétions,  que  ce  concours  ait  été  fort  brillant;  une 
honnête  moyenne  de  talents,  simplement.  Nous  en  jugerons  quand  les  œuvres 
des  deux  lauréats  principaux  seront  entendues  en  public,  ce  qui  aura  lieu, 
pour  la  première,  le  mois  prochain.  L.  S. 

—  Conformément  à  la  nouvelle  loi  allemande  sur  les  droits  d'auteur,  le 
chancelier  de  l'Empire  a  ordonné  la  formation  de  commissions  d'experts.  Dans 
chaque  état  de  la  Confédération  germanique  sera  donc  formée  une  commis- 
sion pour  les  œuvres  littéraires  et  une  autre  commission  spéciale  pour  les 
œuvres  musicales.  Chacune  de  ces  commissions  comprendra  sept  membres 
actifs  et  un  certain  nombre  de  suppléants.  Le  registre  destiné  à  fixer  les  noms 
des  auteurs,  ainsi  qu'il  est  prescrit  par  la  loi,  sera  établi  à  Leipzig,  centre  des 
éditeurs  allemands. 

—  Après  avoir  hérité  de  la  partition  autographe  des  A^oces  de  Figaro,  de 
Mozart,  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin  peut  se  vanter  de  posséder  beaucoup 
plus  d'autographes  musicaux  du  maître  que  n'importe  quelle  autre  collection 
publique  ou  particulière.  On  y  compte  exactement  220  pièces,  parmi  lesquelles 
les  ouvrages  dramatiques  suivants:  Apollon,  et  Hyacinthe,  Bastien  et  Bastienne, 
la  Finla  Semplice,  Ascanio  in  Alba,  il  Sogno  di  Scipione,  Lucio  Silla,  la  Finta  Giar- 
diniera,  il  Re  Pastore,  Zàide,  le  roi  Thamos  (entr'actes  et  chœurs),  îdomeneo, 
l'Oie  du  Caire,  le  Fiancé  trompé,  les  Noces  de  Figaro,  Cosi  fat  tutte,  la  Flûte  en- 
chantée, la  Clemenza  di  Tito.  La  Bibliothèque  royale  possède  aussi  les  parti- 
tions autographes  des  deux  oratorios  :  la  Betulia  Liberata  et  Davidde  pénitente. 
Parmi  les  autres  autographes,  citons  Celui  de  la  fameuse  symphonie  dite 
«  Jupiter  ».  Mais  Berlin  ne  possède  heureusement  pas  le  chef-d'œuvre  des 
chefs-d'œuvre  de  Mozart:  la  partition  autographe  de  Don  Juan,  dont  la  biblio- 
thèque du  Conservatoire  de  Paris  peut  s'enorgueillir,  grâce  à  la  générosité 
éclairée  de  M""»  Viardot. 

—  On  vient  d'approuver  le  plan  d'une  reconstruction  de  la  scène  de 
l'Opéra  royal  de  Berlin,  qui  comprendra  aussi  la  partie  extérieure  du  monu- 
ment. 

—  Les  concerts  de  la  Société  philharmonique  de  Berlin,  sous  la  direction 
de  M.  Arthur  Nikisch,  commenceront  leur  saison  le  14  octobre.  Ou  entendra 
comme  solistes,  au  cours  de  cette  saison, M^i^Teresa  Carreno  et  MM.  Eugène 
d'Albert,  Raoul  Pugno,  Burmester,  Jacques  Thibaud,  Élouard  Risler, 
Wedekind,  Ysaye  et  Godowski.  Six  grands  concerts  seront  dirigés  par 
M.  Richard  Strauss,  qui,  entre  autres  œuvres,  se  propose  de  faire  exécuter 
tous  les^poèmes  symphoniques  de  Liszt  dans  leur  ordre  chronologique. 

—  Le  comité  pour  l'érection  d'un  monument  à  Lortzing  a  adressé  à  tous 
les  théâtres  allemands  la  prière  d'organiser  le  23  de  ce  mois,  centième  anni- 
versaire de  la  naissance  de  l'artiste,  des  représentations  au  profit  de  son 
monument.  L'intendance  générale  des  théâtres  royaux  de  Berlin  a  fort  bien 
accueilli  cette  demande;  on  sait  que  l'empereur  Guillaume  II  protège  les 
œuvres  de  Lortzing.  Le  comité  a  aussi  décidé  d'apposer  sur  la  maison  natale 
de  Lortzing,  dans  la  Breitestrasse  de  Berlin,  une  plaque  commémorative  avec 
le  portrait  en  relief  du  compositeur. 

—  A  Vienne,  la  terrible  catastrophe  duRingthéàtre  semble  être  définitivement 
oubliée.  On  se  rappelle  que  l'incendie  de  ce  théâtre,  qui  coûta  la  vie  à  plus 
de  800  personnes  et  fit  plus  de  2.00.0  orphelins,  avait  éclaté  au  milieu  de  la 
première  représentation  des  Contes  d'Hoffmann;  depuis  ce  sinistre  effroyable, 
aucun  théâtre  n'avait  osé  jouer  la  pièce  d'Offenbach.  Or,  le  théâtre  An  der 
Wien  vient  de  donner  une  excellente  représentation  des  Contes  d'Hoffmann, 
et  Offenbach  peut  se  vanter  d'un  joli  succès  posthume.  Ce  n'est  pas  tout. 
L'Opéra  impérial  de  Vienne  annonce  également  la  représentation  de  l'œuvre 
d'Offenbach,  qui  doit  avoir  lieu  prochainement.  Les  Viennois  auront  donc  le 
choix  entre  deux  distributions  différentes  de  l'ouvrage.  Cet  embarras  de 
richesse  ne  profitera  malheureusement  pas  aux  héritiers  d'Offenbach,  car  en 
Autriche  son  œuvre  est  déjà  tombée  dans  le  domaine  public  en  ce  qui  con- 
cerne le  droit  de  représentation. 


326 


LE  ME,^ESTREL 


—  Il  était  écrit  que  cet  opéra  d'Offenbach,  les  Contes  d'HolJinann,  amènevait  à 
Yienne  des  incidents  remarqualiles.  Après  la  tristecatastrophe  du  Ringthéâtre, 
voici  que  les  représentations  des  Contes  d'Holfmann  au  théâtre  An  der 
Wien  viennent  d'être  interrompues  par  l'arrestation  provisoire  du  ténor  Karl 
Meister,  l'interprète  du  rôle  d'Holfmann.  L'affaire  cause  à  Vienne  une  sensa- 
tion énorme  dans  le  monde  des  théâtres  et  aussi  au  Palais,  car  c'est  la  pre- 
mière fois  qu'un  article  du  nouveau  code  de  procédure,  autorisant  une  arres- 
tation provisoire  sous  certaines  conditions,  a  été  appliqué.  Le  ténor  Meister, 
qui  a  signé  un  contrat  avec  le  (^arlthéàtre  à  partir  du  IS  mars  1902,  s'est 
aussi  engagé  à  aller  à  Moscou  avec  la  troupe  d'opérettes  Schulz-"Wailner 
vers  la  même  époque.  Meister  est  de  natioualité  allemande.  Or,  la  loi  autri- 
chienne permet  l'arrestation  provisoire  d'un  citoyen  qui  s'est  obligé  par 
contrat  à  rendre  certains  services  ou  à  payer  une  certaine  somme,  si  sa 
situation  personnelle  et  les  circonstances  autorisent  la  présomption  que  le 
citoyen  a  l'intention  de  se  soustraire  à  ses  obligations  par  la  fuite  à  l'étranger. 
Cet  article  élastique,  qui  soumet  la  liberté  des  citoyens  a.ux  présomptions 
arbitraires  des  magistrats,  vient  d'être  appliqué  au  malheureux  ténor.  Il  doit 
fournir  un  cautionnement  de  dix  mille  couronnes  (!)  pour  rassurer  les  direc- 
teurs du  Carlihéàtre  au  sujet  des  représentations  qu'il  doit  fournir  sur  leur 
scène  ou  rester  en  prison  jusqu'au  lo  mars  1902,  jour  où  commence  son 
traité  avec  eux.  Les  directeurs  du  Carlthéâtre  sont  obligés  de  nourrir 
leur  pensionnaire  en  prison  à  raison  de  dix-huit  francs  par  semaine,  ce  qui 
est  parfaitement  odieux  et  inflige  à  l'arrestation  provisoire  le  caractère  d'un 
chantage  légal.  Le  ténor  arrêté,  dont  la  prison  n'est  pas  celle  ia  Réveillon  que 
Johann  Strauss  a  si  agréablement  mise  en  musique,  a  d'ailleurs  le  droit  de 
se  procurer,  à  ses  frais,  un  supplément  de  nourriture.  Il  en  a  usé  dés  la 
première  nuit  qu'il  a  passée  sous  les  verrous,  car  sa  camarade,  M"'=  Stojan, 
l'étoile  du  théâtre  An  der  Wien,  lui  a  envoyé  immédiatement  un  souper  que 
BriUat-Savarin  n'aurait  pas  dédaigné.  Le  ténor  a  été  arrêté  au  théâtre  An 
der  "Wien  pendant  la  représentation  des  Contes  d'Hoffmann;  des  agents  de  la 
sûreté  avaient  été  placés  dans  les  coulisses,  dans  la  loge  de  l'artiste  et  à 
toutes  les  issues  du  théâtre  pour  empêcher  sa  fuite.  Après  la  représentation, 
Meister  a  été  mis  dans  un  fiacre  et  transporté  à  la  prison.  Ses  camarades  et 
tout  le  personnel  du  théâtre  lui  ont  rendu  les  honneurs;  une  haie  avait  été 
formée  depuis  la  scène  jusque  dans  la  rue,  et  on  criait  ;  «  Vive  Meister!  A 
has  le  Carlthéâtre!  »  Toute  la  rue  était  dans  la  jubilation.  Les  amis  de  l'ar- 
tiste s'efforcent  maintenant  de  réunir  le  cautionnement  de  dix  mille  couronnes 
exigé  par  le  tribunal  pour  rendre  la  liberté  à  cette  malheureuse  victime 
d'une  procédure  barbare  qui  cependant  ne  date  pas  du  temps  de  Shylock, 
mais  bien  de  la  fin  du  XIX'^  siècle.  Summum  jus,  summa  injuria! 

—  Entre  la  cotrp'6  et  les  lèvres.  Les.  parents  éloignés  de  Brahms,  qui  ont 
gagné  lenr  procès  en  dernière  instance  et  espéraient  déjà  toucher  le  magot, 
viennent  d'éprouver  une  amère  déception.  On  a,  en  effet,  retrouvé  un  nou- 
veau papier  caché  d.ans  un  tiroir  du  bureau  de  Brahms,  et  les  sociétés  Liszt 
et  Gzerny.  se  basant  sur  ce  fait  nouveau,  ont  recommencé  la  procédure.  Le 
tribunal  de  Vienne  a  déjà  ordonné  à  la  banque  où  la  fortune  de  Brahms  est 
déposée  de  la. garder  jusqu'à  nouvel  ordre.  Les  parties  adverses  épuiseront 
naturellement  tous  les  moyens  de  procédure,  et  deux,  ou  trois  ans  passeront 
jusqu'à  la  nouvelle  décision,  dite  définitive.  Peut-être  trouvera-t-on  alors^  un 
nouveau  document  dans  les  papiers  inépuisables  de  Brahms,  et  tout  sera  à 
recommencer.  En  attendant,  la  fortune  de  Brahms  augmente  continuellement 
par  les  revenus  accumulés  et  placés;  les  vainqueurs  définitifs  seront  large- 
ment récompensés  de  leur  longue  attente. 

—  Le  Carlthéâtre  de  Vienne  vient  de  jouer  avec  succès  une  opérette  inti- 
tulée la  Débutante,  musique  de  M.  Alfred  Zamara.  Les  paroles,  de  MM.  'Will- 
ner  et  'Waldberg,  ne  sont  qu'une  adaptation  d'une  pièce  française,  le  Mari  de 
la  débutante. 

—  La  place  de  président  du  Conservatoire  dei  masique  de  Budapest,  restée 
vacante  par  la  mort  de  M.  Jules  Kàldy, ,  a  reçu  ua  no.uveau,  titulaire  en  la 
personne  de  M.  Georges  Lang. 

—  Le  musée  Beethoven  de  Bonn,  qui  est  installé  dans  la  maison  natale  du 
maître  —  la  chambre  où  il  est  né  est  située  au  deuxième  étage  et  donne  sur 
le  jardin —  a  récemment  acquis  plusieurs  pièces  intéressantes.  On  y  trouve 
actuellement  les  esquisses  autographes  pour  le  quatuor  op.  130,  pour  la. 
1"  symphonie  et  pour  le  Benedictus  et  le  Credo  de  la  grande  Messe.  Trois  pia- 
nos et  les  instruments  à  archet  de  son  quatuor,  prêtés  par  la  collection  royale 
de  Berlin,  y  sont  également  exposés.  On  y  voit  encore  plusieurs  objets  per- 
sonnels du  maitre,  entre  autres  ses  lunettes,  son  rasoir,  sa  pendule,  sa 
canne,  etc.  Les  visiteurs  du  musée  sont  assez  nombreux. 

—  -Aux  concerts  Kaim,  de  Murnich,  M.'  Félix  'Weingartner  fera  jouer  pour 
lapremière  fois  une  œuvre  inédite,  et  M.  Gustave  Mahlersa  quatrième  sym- 
phonie. 

—  Un  descendant  direct  de  J.-S.  Bach,  M.  Ilermann  Bach,  vit  acluelle- 
ment  à  Erfurt,  où  il  exerce  la  modeste  profession  do  professeur  de  piano, 
qui  ne  l'a. pas  beaucoup  enrichi.  M.  Ilermann  Bach  est  célibataire  et  âgé  de 
cinquante  ans.  Il  possède  une  mémoire  remarquable  qui  lui  permet  de  repro- 
duire immédiatement  n'importe  quelle  composition,  ne  l'eùt-il  entendue 
qu'une  foisi. 

—  M^^  Arnoldson  vient  de  commencer  une  tovirnée,  artistique  en  Alle- 
magne par  le  théâtre  ducal  de  Brunswick.  La  charmante  artiste  a  joué  Mignon 


avec  un  succès  énorme;  elle  a  dû  bisser  le  duo  des  hirondelles,  la  romance 
et  la  styrienne. 

—  Il  s'est  formé  à  Dresde  une  nouvelle  Société  chorale  qui  se  propose 
d'exécuter  les  grandes  œuvres  chorales  tant  religieuses  que  profanes.  Le 
compositeur  VS''aldemai-  de  Baussnern  a  pris  la  direction  musicale  de  cette 
Société. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  Cassel  jouera  prochainement  deux  opéras  en  un 
acte  :  Amour  maternel,  musique  de  M.  Gustave  Dippe.  et  Narodal,  musique  de 
M.  Otto.  Dorn. 

—  A  Frihourg.  (Suisse)  s'ouvriront  prochainement  les  cours  de  l'Académie 
grégorienne,  fondée  dans  le  but  de  propager  le  chant  grégorien.  Les  cours 
traiteront  de  la  théorie  dudit  chant  et  de  son  histoire;  d'autre  part  les  élèves 
apprendront  le  chant  même,  son  accompagnement  et  sa  direction  musicale. 
Un  cours  spécial  est  destiné  à  la  connaissance  des  manuscrits  nouveaux  se 
rattachant  au  chant  grégorien.  Ajoutons  que  les  cours  de  cette  académie  sont 
absolument  gratuits. 

—  La  direction  du  Théâtre  impérial  de  Moscou  a  décidé  d'employer  des 
étudiants  comme  figurants  et  de  leur  offrir  un  rouble,  soit  4  francs,  par 
soirée.  Il  parait  que  les  figurants  de  Moscou  laissaient  beaucoup  à  désirer  au 
point  de  vue  de  l'intelligence  et  de  la  tenue. 

—  Les  trois  théâtres  impériaux  de  Varsovie:  le  Grand  Théâtre,  le  Petit 
Théâtre,  qui  cultive  l'opérette,  et  le  Théâtre  d'Eté,  seront  dorénavant  soumis 
à  une  direction  centrale.  Sur  ordre  du  gouvernement  russe,  les  artistes  do 
ces  trois  théâtres  seront  obligés  de  jouer  sur  toutes  ces  scènes  sans  distinc- 
tion. 

—  Une  première  représentation  à  Constantinople  I  C'est  celle  d'un  opéra 
sérieux,  Amor  fatale,  donnée  par  la  troupe  italienne.  Le  livret  de'  cet  opéra 
sérieux  est  l'œuvre  du  buffo  de  la  troupe,  M.  Luigi  Grassi,  la  musique  celle  du 
chef  d'orchestre,  M.  Eduardo  Sassone.  Les  rôles  principaux  étaient  tenus  par 
M""  Linda  Morosini,  le  ténor  Marconi  et  le  baryton  Farri.  Le  succès,  parait-il, 
a  été  complet. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  prochaines  qui  auront  lieu  à  Gatane  pour  le  cen- 
tenaire de  la  naissance  de  Bellini,  un  éditeur  de  musique  de  Florence  se  pré- 
pare, parait-il,  à  publier  cinq  morceaux  inédite  de  l'auteur  de  Norma  et  de 
la  Sonnambula.  «  Cette  publication,  dit  un  de  nos  confrères  italiens,  est  due 
aux  recherches  faites  par  le  maestro  F. -P.  Frontini,qui,  parmi  les  nombreux 
autographes  belliniens  que  possède  l'avocat  Francesco  Ghiarenza  Astor,  a  su 
découvrir  ces  perles  musicales  jusqu'ici  inconnues  et  qui  font  partie  des  pre- 
mières compositions  du  maître  ».  Il  s'agit  sans  doute  de  morceaux  avec  or- 
chestre, puisque  notre  confrère  ajoute  que  «  le  maestro  Frontini  les  a  réduits 
pour  chant  et  piano  ». 

—  Le  Théâtre-Lyrique  de  Milan  donnera,  pour  l'inauguration  de  sa  saison 
d'hiver,  la  première  représentation  de  l'opéra  qu'on  a  déjà  signalé,  Chopin, 
dont  la  musique,  exclusivement  tirée  des  œuvres  de  l'illustre  artiste,  est 
arrangée  par  M.  Orefice  sur  un  livret  de  M.  Orvieto. 

—  Le  chef  d'orchestre  Luigi  Mancinelli  donnera  au  théâtre  Royal  de  Turin, 
du  10  novembre  au  9  décembre  prochain,  une  série  de  grands  concerts  a^vec 
le  concours  de  l'orchestre  de  ce  théâtre  et  des  140  chanteurs  de  l'Académie 
Stefano  Tempia.  M.  Mancinelli  doit  faire  exécuter,  entre  autres  œuvres,  la 
Messe  de  Requiem  de  Verdi,  la  seconde  partie  du  troisième  acte  des  Maîtres 
Chanteurs,  et  une  «  cantate  sacrée  »  de  sa  composition,  Isa:ie,  dont  il  a  écrit  la 
musique  sur  un  texte  latin  emprunté  aux  Écritures  par  M.  G.  Albini.  .Cette 
cantate  est  divisée  en  deux  parties  et  comprend  cinq  personnages-:  le  pro- 
phète Isaïe,  le  roi  Ezechias,  Judith,  fille  d'Isaïe,  A'nna,  sœur  d'Ezechias,  et 
Sennachérib',  roi  des  Assyriens. 

—  Décidément,  certains  artistes  trop  nerveux.ses.foatunei  singulière  Idée 
des  sentiments  qu'ils  doivent  nourrir  à  l'égajd  de  la  critique  et  des  droits  de 
celle-ci  quant  aux  jugements  qu'elle  est  appelée  à  porter  sur  eux.  Samedi 
dernier,  dit  un  journal  italien,  à  Acqui,  une  cantatrice  russe,  M"'"  Lydia, 
Coctko,  protagoniste  dans  li  Norma,  se  jugeant  offensée  par  la  critique  du 
chroniqueur  du  journal  la  Bollente,  l'avocat  S...,  le  gifla  publiquement.  Le. 
journal  ajoute  que  «  cette  agression  inqualifiable  a  provoqué  un  profond, 
dégoût  ».  Je  te  crois. 

—  On  a  représenté  ces  jours  derniers  à  Medicina  une  nouvelle  opérette 
intitulée  Silvano  da  Montedoro,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Auguste  Forni. 

—  On  a  donné  aw  Polileama  d'Alexandrie,  le  21  septembre,  la  première 
représentation  d'un  opéra  en  quatre  actes,  Ginevra,  dont  le  maestro  Giuseppe 
Vigoni,  qui  en  dirigeait  lui-même  l'exécution,  a  écrit  les  parides  et  la  mu- 
sique. C'est  encore  un  souvenir  des  romans-  de  la  Table-Ronde,  les  amours 
de  la  reine  Gincvre  et  du  chevalier  Lancelot.  L'œuvre  est  médiocre  et  le 
succès  a.  été  maigre.  La  critique  a  la  dent  dure  à  son  sujet,  reprocliMnt  à 
l'auteur  le  peu  de  valeur  de  son  livret  en  'même  temps  que  «  les  lieux  com- 
muns »  et  la  prolixité,  de  sa  musique,  dont  la  forme,  d'ailleurs,  retarde  d'un 
demi-siècle.  Si  l'on  ajoute  à  cela  une  mise  en  scène  misérable  et  une  exécu- 
tion fâcheuse  à  beaucoup  de  points  de  vue,  il  est  facile  de  se  rendre  compte 
du  résultat. 


LE  MENESTREL 


327 


—  Sont  engagés,  pour  la  grande  saison  tVopéra  français  qui  va  être  donnée 
cet  hiver  à  l'Opéra  de  Madrid,  M.  Viannenc,  le  baryton  que  les  Parisiens 
connurent  à  l'Opéra-Comique,  et  le  ténor  Furstenberg,  un  des  meilleurs 
élèves  de  M.  Manoury.  C'est  M.  Fournets,  de  l'Opéra,  qui  est  chargé  de  la 
partie  artistique  de  l'entreprise,  tandis  que  M.  Paravey,  qui  iiut  directeur  de 
rOpéra-Gomique,  s'occupera  du  coté  administratif. 

—  Le  journal  Aiie,  de  Lisbonne,  nous  fait  connaître  la  composition  de  la 
troupe  du  théâtre  San  Garlos  de  celte  ville  pour  la  prochaine  saison  d'hiver. 
La  voici  :  soprani,  M""  Gemma  Bellincioni,  Regina  Pacini,  Febea  Strakosch, 
Adelina  Stehle,  Emma  Gaselli,  Adalgisa  Minotti  et  Adami-Gorradetti  ; 
mezzo-soprano,  Marchesini  ;  ténors,  MM.  Bonci,  Borgatti,  Garbin,  Clément, 
Anselmi,  Zanatello  ;  barytons,  Menotti,  Kaschmann,  Pini-Gorsi,  Vincenzo 
Ardito  et  Ferruccio  Gorradetti  ;  basses,  Oresle  Luppi  et  Ciccolini.  Les  chefs 
d'orchestre  sont  MM.  Luigi  Mancinelli  et  Ettore  Peroni. 

—  Les  journaux  portugais  nons  apprennent  que  M.  Auguste  Machado, 
directeur  du  Conservatoire  de  Lisbonne  et  l'un  des  premiers  compositeurs 
de  ce  pays,  et  M.  Lopez  de  Mendoza,  écrivain  dramatique  renommé,  associent 
en  ce  moment  leurs  efforts  pour  fonder  à  Lisbonne  un  théâtre  lyrique  national, 
sur  le  modèle  de  l'Opéra-Comique  de  Paris. 

—  M.  Frédéric  Cowen  a  terminé  une  grande  oeuvre  symphonique  intitulée 
Fantaisie  sur  ta  vie  et  l'amour,  qui  sera  exécutée  pour  la  première  fois  au 
festival  musical  de  Gloucester  et  ensuite  au  Queen's  Hall  de  Londres. 

—  Au  Palais  de  Cristal  de  Londres  vient  d'avoir  lieu  un  concours  d'or- 
phéons pour  instruments  à  vent.  Vingt-sept  orphéons  ont  pris  part  à  ce 
concours.  Le  prix  d'honneur  a  été  décerné  .à  l'orphéon  Lee  Mount,  qui  a  son 
siège  à  Halifax. 

—  Un  mamiger  anglais,  M.  Charles  Manners,  directeur  du  théâtre  de  Bir- 
mingham, voulant  célébrer  la  première  représentation  du  Sipj/'rierf  de  Richard 
"Wagner,  non  encore  joué  en  cette  ville,  a  fait  cadeau  à  chacun  des  inter- 
prêtes de  l'ouvrage,  y  compris  le  chef  d'orchestre,  d'une  coupe  d'argent, 
comme  souvenir  de  cet  événement  artistique.  Sur  chacune  de  ces  coupes 
était  gravée  une  dédicace  appropriée  à  l'artiste,  rappelant  l'œuvre,  avec  le 
lieu  et  la  date  de  la  représentation.  Voilà  un  directeur  qui  fait  bien  les 
choses. 

—  Ces  Américains  sont  gourmands,  et  tout  en  faisant  état  de  mépriser 
l'Europe,  s'efforcent  de  la  mettre  au  pillage  de  toutes  façons.  On  sait  ce  qu'il 
advient  de  nos  livres  rares  et  de  nos  objets  d'art  de  toute  sorte,  qui,  par  la 
puissance  de  Sa  Majesté  Dollar,  s'en  vont  chaque  jour  faire  la  traversée  de 
l'Atlantique  sans  espoir  de  retour.  Voici  qu'aujourd'hui  les  journaux  de  Géues 
nous  font  savoir  que  la  municipalité  de  cette  ville  a  reçu  de  Chicago  l'offre 
d'une  somme  de  100.000  francs  pour  l'achat  du  célèbre  violon  de  Paganini 
qui  y  est  religieusement  conservé  depuis  la  mort  de  l'illustre  artiste.  La 
municipalité  a  répondu  simplement  qu'elle  ne  consentirait  à  aucun  prix  à  se 
séparer  de  la  précieuse  relique  qu'elle  tient  de  son  grand  compatriote.  Europe, 
défends-toi  contre  les  Barbares  ! 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Samedi  prochain  19  octobre,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  l'Académie 
des  beaux^-arls  tiendra  sa  séance  publique  annuelle,  qui  sera  présidée  par 
M.  Camille  Saint-Saëns,  président  actuel,  assisté  de  M.  Jean-Paul  Laurens, 
vice-président,  et  de  M.  Gustave  Larroumet,  secrétaire  perpétuel.  Voici  le 
programme  de  cette  séance  : 

\'  Exécution  du  prélude  de  l'Oratorio  SaiiU-François-d'Assise,  composé  par  M.  Max 
d'Ollone,  pensionnaire  de  Rome; 

2°  Discours  de  M.  le  Président  ; 

3°  Proclamation  des  grands  prix  de- Rome  ^peinture,  ^sculpture,  architecture,  composi- 
tion musicale)  et  des  prix  décernés  en  vertu  des  diverses  fondations; 

4°  Lecture  par  W.  Larroumet  de  sa  notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  du  célèbre  peintre 
Gustave  iloreau,  membre  de  l'Académie; 

5"  Lecture  du  rapport  sur  les  envois  des  pensionnaires  de  la  Villa  Médicis; 

6°  Exficut'ion  de  la  scène  lyrique  qui  a  remporté  le  premier  grand  prix  de  Rome  (com- 
position musicale)  et  dont  l'auteur  est  M.  André  Léon  Gaplet,  élève  de. M.  Cliarles  Lenep- 
veu. 

—  Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  vient  d'arrêter  la  liste  des  candi- 
dats qu'il  propose  au  Ministre  pour  les  emplois  vacants  de  professeurs.  Vien- 
nent en  tète  de  liste  :  1°  pour  la  classe  d'opéra,  M.  Lhérie,  qui  laisserait  pour 
ce  nouvel  emploi  la  classe  d'opéra-comique  qu'il  dirigeait;  2"  pour  la  classe 
d'opéra-comique  (en  remplacement  de  M.  Achard  atteint  par  la  limite  d'âge), 
M.  Isnardon,  qui  a  certainement  toutes  les  qualités  pour  le  poste;  3"  pour  la 
classe  de  chant,  en  remplacement  de  M.  Léon  Duprez,  M.  de  Martini,  qui 
était  déjà  professeur  de  solfège  au  Conservatoire  et  inspecteur  du  chant  dans 
les  écoles  de  la  Ville  de  Paris.  Il  restera  à  pourvoir  l'autre  classe  d'opéra- 
comique  que  dirigeait  M.  Lhérie,  puisqu'il  passe  à  la  classe  d'opéra. 

—  Pas  mal  de  bruit  cette  semaine  autour  de  la  Comédie-Française,  à  la 
suite  d'incidents  douloureux  ou  comiques  où  MM.  les  Sociétaires  ont  montré, 
à  propos  de  la  nouvelle  pièce  en  répétition  {Le  Roi,  de  M.  Schefer),  leur  rare 
compétence  pour  le  choix  des  pièces  à  représenter,  comme  ils  avaient  déjà 
fait  d'ailleurs  lors  du  Chérubin  de  M.  de  Croisset  dont,  après  une  répétition 


générale  curieuse,  on  attend  toujours  lapremière.  Il  parait  qu'on  commencer 
se  lasser  dans  les  régions  administratives  et  qu'où  va  en  finir  une  bonne  fois 
avec  le  comité  de  lecture,  en  le  supprimant  purement  et  simplement.  On 
n'attendrait  plus  pour  cela  que  le  retour  très  prochain  du  ministre  à  Paris. 
M.  Jules  Huret,  du  Figaro,  a  ouvert  une  enquête  à  ce  sujet  et  consulte  les 
grands  comédiens  et  les  grands  auteurs  sur  l'opportunité  de  cette  mesure. 
L'interview  avec  M.  Roujon  est  particulièrement  caractéristique.  Le  directeur 
des  Beaux-Arts  s'y  exprime  ainsi: 

Je  suis  cliargé  de  surveiller  l'administration  du  Tixcâtre-Français,  qui  est  un  théâtre 
naiiûnal :  j'ai  la  responsabilité  des  deniers  publies  qu'on  sert  à  cette  institution,  je  vois 
qu'elle  ne  prospère  pas,  je  cherche  pourquoi  :  je  constate  que  les  receltes  diminuent,  et 
je  découv  re  —  ce  n'est  pas  bien  malin  —  que  si  le  public  ne  vient  pas,  c'est  que  les  pièces 
reçues  ne  l'attirent  pas... 

Gomme  ce  langage  sagace  et  avisé  pourrait  également  s'appliquer  à  l'Opépa 
de  M.  Gailhard  !  et  M.  Roujon  continue  : 

»  D'où  vient  le  mauvais  choix  des  pièces  ?  Bu  comité  de  lecture,  qui  -n'a  pas  ce  qu'il 
faut  pour  faire  ce  choix.  Est-ce  à  dire  qu'il  n'est  composé  que  d'imbéciles,  comme  -ilit 
Slounet?  Pas  du  tout  !  J'ai  la  prétention  de  n'être  pas  un  crétin,  de  savoir  ce  quec^t 
qu'une  pièce  de  théâtre,  puisque  je  passe  ma  vie,  en  qualité  de  chef  de  la  censure,  à  en 
lire  depuis  des  années.  Eh  bien,  je  le  déclare  modestement,  je  ne  suis  pas.ûchu,  vous 
m'entendez  bien,  pas  fichu  de  décider  à  Ja  lecture  si  une  pièce  aura  ou  n'aura  pas  de 
succès  ! 

»  Or,  on  peut  être  un  grand  comédien  et  n'avoir  pas  plus  que  moi  ce  flair  particulier, 
ce  don  inné  qui  fait  l'imprésario  sagace  et  avisé.  Or,  le  comité  prouve  à  Chaque  instaût 
qu'il  n'a  pas,  dans  sa  collectivité,  ce  flair  subtil  si  nécessaire.  La  preuve  en"  a  été  cent 
fois  faite  !  Je  vous  ai  dit  qu'il  recevait  de  mauvaises  pièces,  qu'il  n'osait  même  pas  jouer; 
mais,  de  plus,  il  en  refuse  de  bonnes!  Pour  fa  Couronne  fut  présenté  à  la  Comédie-' 
Française,  refusé,  et 'joué  à  l'Odéon  plus  de  cent  fois!  Même  sort  pour  le  Cheniineaul 

De  plus  en  plus  applicable  aussi  à  la  direction  actuelle  de  l'Opéra,  qui  a 
représenté  ce  que  l'on  sait,  mais  qui  a  laissé  échapper  Sigurd,  Salammbô  (les 
deux  belles  partitions  de  Reyer  d'abord  représentées  àBruxelles,  sur  le  refus 
de  l'Opéra),  le  Roi  d'Vs  (retoqué  deux  fois),  Louise  et  tant  d'autres  œuvres 
intéressantes.  Et  M.  Roujon  conclut  : 

. . .  Donc,  M.  Claretie  aura  le  pouvoir,  seul,  et  seul  la  responsabilité. . .  Ce  sera  à  luii.à 
s'en  servir.  Ah  !  il  faudra  pai-  exemple  que  la  maison  prospère...  Il  en  répond  d'ailleurs. 
S'il  se  trompe,  je  veux  dire  si  la  Comédie-Française  ne  se  relève  pas  comme  elle  peut, 
comme  elle  doit  le  faire,  je  lui  dirai,  lien  qu'il  soit  mon  ami  et  que  je  l'aime  beaucoup  : 

»  —  L'épreuve  est  faite,  laissez  la  place  !  '» 

Et  vous  aussi,  Gailhard  !  Nous  aimons  cette  belle  énergie  chez  le  directeur 
des  Beaux-Arts.  Mais  il  ne  doit  pas  avoir  deux  poids  et  deux  mesures.  Il 
fera  bien  de  tourner  aussi  ses  regards  courroucés  du  côté  de  l'Opéra  et  d'ou- 
vrir une  enquête  qui  le  renseignera  sur  le  mal  presque  irrémédiable  fait  depuis 
vingt  ans  à  la  musique  française  par  une  direction  malavisée,  de  gros  esprit 
et  de  culture  nulle.  De  ce  côté  aussi  un  coup  de  balai  salutaire,  quoique  tar- 
dif, serait  bien  accueilli  de  l'opinion. 

—  La  répétition  générale  des  Barbares  parait  être  fixée  irrévocablementà 
l'Opéra  au  dimanche  20  octobre  et  la  «  première  »  au  mercredi  23.  Toute  une 
véritable  ménagerie  répète  maintenant  sur  la  scène.  Il  y  aies  bœufs  quitrainent 
les  chars  de  guerre,  les  chevaux  des  chefs  barbares,  les  biches  et  les  agneaux 
destinés  aux  sacrifices.  On  se  croirait  à  l'Hippodrome.  Par  mesure  de  précau- 
tion on  a  puissamment  élayé  le  plancher  de  la  scène,  qui  cependant  en  a  vu 
bien  d'autres.  Quand  on  a  eu  l'honneur  de  supporter  le  poids  des  forts  ténors 
de  la  maison,  celui  des  basses  profondes,  celui  des  partitions  de  "Wagner,  le 
corps  de  ballet,  la  personne  même  de  M.  Gailhard  qui  n'est  pas  mince,  etc.,  etc. 
on  est  à  l'épreuve,  et  ce  n'est  pas  quelques  bœufs  de  plus  échappés  des  pâtu- 
rages toulousains  qui  peuvent  vous  faire  grand'peuri 

—  M.  Albert  Carré  vient  d'arrêter  définitivement  ainsi  la  dislribution  da 
Grisélidis,  la  pièce  en  trois  actes  et  un  prologue  d'Armand  Silvestre  et  Eu- 
gène Morand,  musique  de  Massenet  : 

Le  Diable  MM.  Fugère 

Alain  Maréchal 

Le  Marquis  Dufrane 

Le  Prieur  Jacquin 

Gondebaud  Huberdeau 

Griséiidis  M»"  L.  Bréval 

Fiamina  Tiphaine 

Bertrade  J-  Grandjean 

—  Enfin  !  nous  allons  avoir  à  l'Opéra-Comique  quelques  nouvelles  repré- 
sentations de  Falstaff  et  du  Juif  polonais,  avec  M.  Victor  Maurel. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Phi- 
lémon  et  Baucis,  Haensel  et  Gretel;  le  soir,  ies  Dragons  de  Villars,  la  Sœur  de 
Jocrisse. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  avec  l'orchestre  et  les  chœurs  de 
M.  Edouard  Colonne,  l'Odéon  donnera  une  représentation  de  l'Arlésienne.  — 
Deux  autres  ireprésentations  en  seront  données  le  soir,  le  mardi  IS  octobre 
et  le  jeudi  17  octobre. 

—  Dans  le  Guide  ■musical  au  6  octobre  dernier  M.  Henri  deCuraou,  en 
reproduisant  entièrement  la  lettre  de  Mozart  que  nous  avons  publiée  le 
27  septembre  dernier  (n"  39  du  Ménestrel)  en  conteste  l'authenticité.  Notre 


32>8 


LE  MÉNESTREL 


bonne  foi  est  hors  de  cause  et  aussi  notre  expérience  en  matière  d'autogra- 
phes, car  nous  avons  déclaré  que  nous  n'avons  pas  vu  la  lettre  en  question 
et  que  notre  traduction  a  été  faite  d'après  le  texte  donné  par  un  journal  alle- 
mand. Nous  pouvons  donc  examiner  avec  une  impartialité  parfaite  les  argu- 
ments que  M.  de  Curzon  fait  valoir  contre  l'authenticité  de  cette  lettre,  et  nous 
avouons  qu'ils  ne  nous  paraissent  pas  suffisamment  concluants.  M.  de  Gurzon 
trouve  d'abord  étrange  qu'on  ne  sache  pas  à  quelle  personne  la  lettre  aurait 
été  adressée,  puisque  c'est  au  revers  de  la  lettre  même  que  se  trouvaient  à 
cette  époque  les  adresses.. Il  est  vrai  que  les  enveloppes  n'étaient  pas  encore 
d'usage  en  177b  et  qu'on  écrivait  les  adresses  sur  le  papier  même  qui  conte- 
nait la  lettre;  mais  ce  papier  était  ordinairement  plié  en  deux  feuilles,  ce  qui 
donne  quatre  pages,  et  c'est  sur  la  quatrième  page  que  se  trouvait  l'adresse. 
Si  la  troisième  page  était  restée  vide,  ce  qui  arrivait  souvent,  car  une  lettre 
de  deux  pages  suffisait  dans  la  plupart  des  cas,  la  seconde  feuille  seule  com- 
prenait l'adresse.  Or,  le  papier  était  à  cette  époque  plus  cher  qu'aujourd'hui 
et  on  utilisait  souvent  cette  feuille  de  papier  à  lettre  restée  à  peu  près  vierj.e. 
C'est  pourquoi  à  tant  d'autographes  de  l'époque  manque  précisément  l'adresse. 
Ce  fait  ne  prouve  donc  absolument  lien.  Il  est  vrai  aussi  qu'on  ne  connaît  pas 
une  seule  lettre  de  Mozart  adressée  à  un  ami  quelconque  tant  qu'il  vécut  avec 
ses  parents,  mais  en  1775  Mozart  avait  déjà  dix-neuf  ans,  et  rien  ne  s'oppose  à 
ce  qu'il  ait  annoncé  son  triomphe  à  un  ami.  Il  en  possédait  plusieurs,  car  il 
oublie  rarement  dans  les  lettres  à  sa  sœur  de  la  charger  de  compliments  pour 
eux.  La  phrase  consacrée  :  »  Mes  compliments  à  tous  nos  bons  amis  et  amies  » 
se  trouve  ainsi  dans  la  lettre  que  Mozart  a  écrite  à  sa  sœur  de  Munich,  le 
30  décembre  1774.  Et  dans  la  lettre  du  14  janvier  1773  adressée  à  sa  mère, 
Mozart  dit  également  :  «  Mes  compliments  à  tous  nos  bons  amis  ».  Il  néglige 
les  amies  pour  ne  pas  choquer  sa  mère,  qu'il  traite  avec  beaucoup  de  respect  et 
à  laquelle  il  n'écrit  jamais  autrement  qu'à  la  troisième  personne,  selon  l'usage 
de  l'époque.  C'est  précisément  cette  lettre  qui  fournit  à  M.  de  Curzon  un  argu- 
ment qu'il  croit  des  plus  forts  et  qui  est  en  réalité  des  plus  faibles.  La  lettre  à 
sa  mère,  datée  également  du  14  janvier  1775,  contient,  dit-il,  toutes  les  phrases 
qu'on  trouve  dans  la  lettre  inédite  adressée  à  un  ami.  Cela  ne  prouve  rien  du 
tout.  En  écrivant  le  mêm3  jour,  en  même  temps,  à  sa  mère  et  à  un  de  ses 
amis  sur  le  même  événement,  il  est  absolument  naturel  que  Mozart,  qui  ne 
se  piquait  pas  d'être  un  maître  en  l'art  épistolaire,  se  soit  servi  de  phrases 
presque  identiques.  Il  est  aussi  bien  naturel  que  Mozart  ait  donné  plus  de 
détails  à  sa  mère  qu'à  son  ami;  c'est  à  sa  mère  seulement  qu'il  raconte  que 
le  public  a  crié  :  Viva  maestro!  Cette  lettre  à  sa  mère  n'exclut  donc  nullement 
l'authenticité  de  celle  que  nous  avons  reproduite,  et  rien,  absolument  rien,  ne 
nous  autorise  à  contester  a  priori,  et  sans  en  avoir  examiné  l'autographe, 
l'authenticité  de  la  lettre  à  l'ami. 

—  On  lit  dans  la  Semaine  musicale  de  Lille  :  «  La  société  des  concerts  popu- 
laires de  Lille  fêtera,  le  3  novembre  prochain,  sa  vingt-cinquième  année 
d'existence.  M.  Théodore  Dubois,  l'éminent  directeur  du  Conservatoire  de 
Paris,  viendra  diriger  ce  concert  jubilaire,  auquel  M°"'  Clotilde  Kleeberg,  la 
célèbre  pianiste,  et  notre  compatriote  M.  Riddez,  de  l'Opéra,  prêteront  leur 
concours  ». 

—  Dijon.  —  Un  grand  concours  international  de  musique,  auquel  pourront 
prendre  part  les  chorales,  harmonies,  fanfares,  trompettes,  trompes  de  chasse, 
estudiantinas,  etc.,  est  organisé  par  «  l'Harmonie  du  Commerce  »  de  Dijon 
et  aura  lieu  les  13  et  16  août  1902.  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à 
M.  A.  Meullenot,  secrétaire  général  du  concours,  à  Dijon. 

—  Brillante  réunion  à  Bernay,  pour  l'audition  des  élèves  de  M""«  M. -F. 
Merlin,  qui  a  prouvé,  comme  à  Paris,  l'excellence  de  la  méthode  de  Faure, 
si  bien  appliquée  par  le  sympathique  professeur.  La  Charité  à  deux  voix  avec 
chœurs  et  le  Crwifix  de  Faure,  interprétés  par  M."^  et  M"=  Merlin,  ont  obtenu 
leur  succès  habituel.  Parmi  les  œuvres  les  plus  applaudies,  citons  la  cavatine 
du  Songe  d'une  nuit  d'été,  d'A.  Thomas,  chantée  par  M"=  Merlin,  Expansion  de 
Xaxih-e,  de  Dubois,  le  duo  de  Cendrillon,  de  Massenet,  l'air  d'Hérodiade,  du 
même  maitre,  etc.  Grand  succès  aussi  pour  M.  Bourlenski,  1"  violon  des 
ConcerlsColonne,  et  pour  M"«  Legros,  du  Conservatoire  de  Paris. 

—  Les  concours  annuels  pour  l'obtention  de  bourses  aux  classes  de  chant, 
déclamation  lyrique,  tragédie  et  comédie,  piano,  harpe,  violon,  violoncelle 
et  instruments  à  vent  de  l'école  classique  de  la  rue  de  Berlin,  dirigée  par 
M.  Ed.  Chavagnat,  auront  lieu  très  prochainement.  Pour  renseignements, 
s'adresser  au  siège  de  l'école,  20,  rue  de  Berlin,  où  les  inscriptions  sont 
reçues  tous  les  jours,  dimanches  et  fêtes  exceptés,  de  9  h.  du  matin  à  7  h. 
du  soir. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M""  Virginie  Haussmann  a  repris  ses  leçons  de  chant,  ehez 
elle,  8,  rue  de  Milan.  —  W'  M.  Henrion-Berlbier,  de  l'Opéra-Comique,  a  repris  ses 
leçons  de  chant  et  de  diction,  chez  elle,  86,  avenue  de  ViUiers.  —  M"'  C.  Luigini,  des 
Concerts-l amoureux,  reprendra,  le  15  octobre,  ses  leçons  de  harpe,  46,  rue  La  Bruyère. 
—  La  réouverture  des  cours  Sauvrezis  a  eu  lieu  le  7  octobre.  A  ajouter  aux  noms  des 
éminents  professeurs  de  ces  cours  celui  de  M"'  Marie  Mocltel  chargée  du  chant.  — 
M""  Eugénie  Mauduil,  de  l'Opéra,  reprend,  à  partir  du  15  octobre,  ses  leçons  et  cours 
de  chant,  160,  rue  de  la  Pompe.  —  M""  Delphine  Ugalde  reprendra,  à  partir  du  15,  ses 
cours  et  leçons  particulières,  26,  rue  de  Navarin.  —  M"'  Racapé-Séguin  a  repris  ses 
leçons  de  piano,  chant,  mandoline,  solfège,  théorie,  dictées  musicales  (préparation  au 
Conservatoire),  118,  rue  d'Assas, à  Paris,  et  11,  rue  d'Aulnay,  près  Robinson.  —M.  Emile 


Bourgeois  et  M"'  Caroline  Pien'i>n,  do  l'Opéra-Comique,  reprennent  à  l'Institut  Rudy 
leurs  leçons  particulières  et  leurs  coui'S  d'opéra-comique,  chant  et  déclamation,  étude  et 
mise  en  scène  du  répertoire  et  des  ouvrages  nouveaux.  —  M"»  Jeanne  Faucher  reprend 
ses  leçons  de  chant  et  ses  cours  d'ensemble,  6,  rue  de  Savoie.  —  M.  Gaston  Courras,  vio- 
lonoellisle  à  l'Opéra,  reprend,  le  15  octobre,  ses  leçons  de  violoncelle  et  d'accompagne- 
ment, 23,  rue  de  Montenotle  (Étoile,  avenue  Carnot,  17"  arr.).  —  M"»  Julie  Calien,  des 
Concerts  Colonne,  reprend  ses  cours  et  leçons  de  piano  et  de  chant,  Î3,  rue  de  Seine.  — 
Les  cours  de  piano  de  M.  André  Wormser  (degré  supérieur)  reprennent  du  !•''■  novembre  au 
30  juin,  83,  rue  Demours.  —  M""  Mathieu  d'.\ocy,  des  Concerts-Colonne,  a  repris  ses 
cours  et  leçons  de  chant,  7,  rue  Geoffroy-Marie.  —  M.  Armand  Gauley,  de  l'Odéon,  a 
recommencé  ses  cours  et  leçons  de  diction  et  de  conversation  française,  19,  avenue  de 
Tourville. 

NÉCROLOGIE 

L'Italie  vient  de  perdre  encore  une  des  artistes  qui  lui  ont  fait  le  plus 
d'honneur.  M""-"  Borghi-Mamo,  une  cantatrice  dont  les  vieux  Parisiens  n'ont 
pas  perdu  le  souvenir,  est  morte  ces  jours  derniers  à  Bologne,  où  elle  était 
née  en  1829.  Artiste  d'une  rare  intelligence,  douée  d'une  superbe  voix  de 
mezzo-soprano,  M"=  Adélaïde  Borghi  reçut,  dit-on,  des  conseils  de  la  Pasta. 
Elle  débuta  en  1846  à  Urbino  dans  le  Giuramento  de  Mercadante.  En  1849  elle 
était  à  Malle,  où  elle  épousait  M.  Mamo,  et  sa  renommée  devenait  bientôt 
telle  qu'en  18S3  elle  était  appelée  à  noire  Théâtre-Italien,  alors  encore  dans 
toute  sa  splendeur.  Elle  s'y  faisait  applaudir  pendant  trois  années,  chantant 
successivement  il  Trovatore,  Malilde  diSabran,  Semiramide,  gliArabi  nette  Gallie, 
il  Crociato,  puis,  en  1856,  était  engagée  à  l'Opéra.  Elle  débutait  à  ce  Ihéàtre 
dans  le  rôle  de  Fidès  du  Prophète,  chantait  ensuite  la  Favorite,  qui  lui  valait 
un  succès  éclatant,  établissait  le  rôle  d'Azucena  dans  la  traduction  française 
du  Trovatore,  devenu  le  Trouvère,  puis  créait  ceux  de  Mélusine  dans  la  Magi- 
cienne d'Halévy  et  d'Olympia  dans  Herculanum  de  Félicien  David.  En  1860 
elle  retournait  au  Théâtre-Italien  pour  représenter  le  principal  personnage  de 
Marghcrita  la  mendicante,  opéra  nouveau  de  Gaetano  Braga,  son  accompagna- 
teur et  son  protégé,  et  peu  après  quittait  Paris  pour  aller  se  faire  applaudir 
en  Angleterre  et  en  Russie.  Elle  se  retira  du  théâtre,  je  crois,  vers  1873, 
ayant  déjà  lancé  dans  la  carrière  sa  fille.  M""  Erminia  Borghi-Mamo,  qui, 
douée  d'une  fort  jolie  voix  de  soprano,  suave  et  pénétrante,  conduite  avec 
goût,  s'est  révélée  elle-même  comme  une  cantatrice  fort  distinguée,  que  nous 
avons  connue  aussi  dans  les  derniers  temps  de  notre  Théâtre-Italien,  en  1876 
et  1877.  A.  P. 

—  Bureaucrate,  un  instant  comédien,  puis  chansonnier,  et  enfin  auteur 
dramatique,  telle  fut  l'existence  du  brave  garçon  que  nous  avons  connu  sous 
le  nom  de  Paul  Burani,  qui  s'appelait  réellement  Urbain  Roucoux  (Burani 
était  l'anagramme  d'Urbain)  et  qui  vient  de  mourir  tristement,  à  la  suite 
d'une  longue  et  douloureuse  maladie,  à  la  maison  municipale  de  santé 
Dubois.  Après  avoir  été  commis  Ai  l'enregistrement,  il  avait  joué  quelque 
peu  la  comédie  à  Belleville,  puis  s'était  mis  à  faire  des  chansons,  particuliè- 
rement pour  Thérésa  au  moment  de  sa  grande  vogue.  On  se  rappelle  les 
fameux  Pompiers  de  Nanterre,  Pour  25  francs,  le  Sire  de  Fichetongkan,  etc. 
Ensuite  il  travailla  pour  le  théâtre,  la  plupart  du  temps  en  collaboration,  et 
fit  jouer  nombre  de  vaudevilles  et  d'opérettes  qui  souvent  obtinrent  de  grands 
succès  :  le  Cabinet  Piperlin,  la  Fattvette  du  Temple,  le  Puits  qui  parle,  Fran- 
çois les  bas  bleus,  la  Cantinière,  le  Droit  du  Seigneur,  le  Billet  de  logement,., 
Burani  était  né  le  26  mars  184S. 

—  L'excellent  comédien  Mesmaécker,  père  du  jeune  artiste  de  l'Opéra- 
Comique,  est  mort  ces  jours  derniers  près  de  Metz,  où  il  s'était  retiré  depuis 
quelques  années.  Né  à  Bruxelles  en  1826,  il  avait  commencé  sa  carrière  en 
province,  appartint  pendant  quelques  années  aux  Bouffes  d'Offenbach,  puis 
retourna  en  province  et  à  l'étranger  jusqu'en  1881,  où  il  revint  à  Paris  et 
parut  tour  à  tour  à  Cluny,  aux  Bouffes,  au  Palais-Royal  et  à  laGaité.  C'était, 
dans  l'emploi  des  ganaches  et  des  caricatures,  un  artiste  fantoche  et  amusant. 
Il  avait  épousé  naguère  une  de  ses  camarades  des  Bouffes,  M""  Dalmont, 
une  artiste  fort  aimable  et  une  chanteuse  agréable. 

Henri  Heogel,  directeur-gérant. 


A 


LOUER    tout  agencée,  très   grande   salle   pour  cours   de   musique 
S'adresser  à  M""»  Bonnard,  S,  rue  de  Stockholm,  Paris. 


En    -Fente    A.TJ    »IENESTR,EIL.,    3   Ms,    rue    Vivier 

Propriété  pour  tous  pays. 


AUGUSTA    HOLMES 


d.  V 

2.  V 

3.  L' 

4.  L' 


IiBS    HEUt^BS 

(Chant  et  piano.) 

Heure  rose 7  50 

l'Heure  d'or 5    » 

Heure  de  pourpre 3     n 

Heure  d'azur 3    » 

Le  recueil  grand  in-i",  prix  net  .       3  francs. 


:  BERGERE,   ! 


3f82.  —  67"= 


-  ^"42.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  20  Octobre  1901. 


(Les  Bureaux,  2  "'",  ni»  TiTiemie,  Paris,  n»  m-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


Ite  HuméFo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    TIIÉA.TR,ES 

Henri     HEUGEL.     Dirjcteur 


Le  IlaméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6ts,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,    Paris  et  Province.   •-  Pour  l'Étranger,   les   frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (34'  article),  Paul  d'Estiiées.  — 
IL  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  du  Roi,  à  la  Comédie-Française,  et 
du  Soffkitii,  à  l'Athénée,  Paul-Émile  Chevalier:  première  représentation  du  BUfet  du 
logement,  aux  Folies-Dramatiques,  A.  P.;  première  représentation  de  t' Amour  du 
pmliaiii,  aux  Boulles-Parisiens,  0.  Bx.  —  UL  Petites  notes  sans  portées  :  Schumann 
critique  musical,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  La  Reboule 
Edmond  .Xeukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CHANSON  D'AUTOMNE 

cI'Andbé  Messager,  poésie  de  Paul  Delair.  —  Suivra  immédiatement  :  Le 
Marquis  à  la  Marquise,  sonnet  de  Rodolphe  Bringer,  mis  en  musique  par 
Gabreel  Verdai.le. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Valse  capricante,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Entr'acte- 
Idylle,  extrait  de  Grisétidis,  musique  de  J.  Massenet. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  lémoires  les  plus  récents  et  des  Aoeomeots  inédits 

(Suite.) 


IX  (suite) 

Les  Souvenirs  des  frères  Lionnet,  qui  sont  surtout  ceux  de  leurs 
représentations  à  bénéfice,  ont  pittoresquement  décrit  une  de 
ces  soirées  rossiniennes  dans  l'appartement  de  la  rue  de  la 
Ghaussée-d'Antin  (ancienne  maison  Bignon). 

Anatole  avait  vu  pour  la  première  fois  l'illustre  compositeur 
en  une  singulière  circonstance.  Il  revenait  de  passer  la  soirée 
chez  Delsarte  avec  Georges  Bizet.  Il  monte  e,n  omnibus  ;  et  là  — 
ah!  les  petits  mémoires  à.  faire  de  ces  démocratiques  véhicules 
—  Anatole  trouve  un  monsieur  fort  empêché  à  compléter  la  ré- 
tribution traditionnelle  :  le  voyageur  n'a  dans  son  porte-monnaie 
-  que  vingt^cinq  centimes  et  un  louis  dont  le  conducteur  n'a  pas  la 
monnaie.  Anatole  offre  courtoisement  le  sou  qui  manque  et  se 
fait  connaître.  A  son  tour  le  monsieur  se  nomme  :  c'est  Rossini  ; 
et,  quelques  jours  après,  les  frères  Lionnet  reçoivent  une  invita- 
tion de  M.  et  de  M"'°  Rossini. 

Anatole  remarque  que  le  maître  avait,  comme  Gounod,  admi- 
rablement chanté  dans  sa  jeunesse  et  qu'à  ce  titre  il  ne  pouvait 
souffrir  «  les  hurleurs  »  ;  par  contre,  il  appréciait  les  fins  diseurs. 


Il  adorait  les  chansons  de  Nadaud  ;  et  il  eût  voulu  les  voir  figu- 
rer sur  ses  programmes,  où,  à  son  humble  avis  (!!!),  M""'  Rossini 
mettait  trop  de  grande  musique,  celle  de  son  mari;  ce  soir-là, 
«  par  dérogation  »,  elle  permit  à  Anatole  de  «  dire  »  Une  bonne 
fortune  de  Musset. 

Une  autre  fois,  le  maître  accompagna  les  deux  frères  chantant 
le  duo  de  XduSerenala  «  Mira  la  bianca  luna  ». 

Puis  il  leur  ouvrait  le  trésor  de  ses  anecdotes,  car  il  avait 
toujours  excellé  dans  l'art  de  conter.  C'est  ainsi  qu'il  leur  parlait 
de  ce  souverain  dont  il  était  professeur  d'harmonie  et  qui  se 
croyait  un  compositeur  di  primo  cartello. 

—  Voyons,  Rossini,  lui  disait  le  monarque,  renouvelant,  sans 
le  savoir,  la  scène  classique  du  Misanthrope,  vous  vous  rappelez 
nos  conventions  :  vous  devez  être  sincère  ;  que  pensez-vous  de 
cette  sonate? 

—  Sire,  répliquait  le  musicien  avec  cette  bonhomie  narquoise 
qui  lui  était  familière,  c'est  royalement  fait. 

Rossini,  malgré  qu'il  fut  le  modèle  du  parfait  égoïsme,  avait 
pris  les  frères  Lionnet  en  affection.  Il  les  présenta  à  Meyerbeer; 
et  quand,  en  1862,  ils  entreprirent  leur  tournée  de  Russie,  il 
leur  donna  des  lettres  de  recommandation  pour  le  grand  écuyer 
de  l'impératrice.  Aussi  furent-ils  admis  à  un  concert  de  la  cour, 
où  leur  interprétation  d'un  duo  de  Glinka  fut  très  chaleureuse- 
ment applaudie  par  l'empereur  Alexandre. 

Dans  ses  Lettres  à  l'Étrangère,  Balzac  ne  rend  pas  moins  justice 
à  la  courtoisie  et  à  l'aménité  de  Rossini  :  «  son  esprit  et  sa  bonté 
sont  également  supérieurs  ».  Il  est  vrai  que  le  romancier,  pour 
flatter  une  manie  de  sa  chère  correspondante,  partagée  par  un 
parent  de  celle-ci,  avait  sollicité  un  autographe  du  composi- 
teur, qui  le  promit  et  tint  parole.  Balzac  considérait  le  fait  comme 
une  victoire  remportée  sur  la  paresse,  déjà  légendaire,  de  Rossini; 
les  autographes  du  maestro  sont  très  rares  :  «  il  n'écrit  pas,  il 
chante  ».  Ce  cri  de  triomphe  éclate,  sur  «  le  revers  même  »  de 
la  lettre  du  compositeur,  comme  le  remarque  le  savant  éditeur 
du  nouveau  livre  de  Balzac,  heureux  propriétaire  d'un  auto- 
graphe, dont  la  suscription  rappelle  celle  d'un  billet  à  l'adresse 
de  Voltaire  : 

A  Balzac,  en  Europe. 
Mon  cher  Balzac, 
Vous  me  demandez  un  autographe?  Eh  bien,  le  voilà.  De  quoi  vous 
parlerai-je?  Est-ce  de  vous,  vous  qui  marquez  le  siècle  par  des  chefs-d'œuvre? 
Vous  êtes,  mon  ami,  un  trop  grand  colosse,  pour  que  je  puisse  vous  entre- 
prendre; et  d'ailleurs,  que  vous  ferait  le  suiVrage  d'une  naïveté  étrangère?  Je 
me  bornerai  donc  à  vous  dire  que  je  vous  aime  avec  tendresse  et  que  vous, 
à  votre  tour,  ne  devez  pas  dédaigner  d'avoir  ensorcelé  le  Pesariote. 

Paris,  ce  17  novembre  1831). 

Ro&si.vi. 

Ces  relations  amicales  se  continuèrent.  Balzac,  dont  le  cerveau 
ne  cessait  de  bouillonner  sous  le  ferment  de  combinaisons  tou 
jours  nouvelles,  avait  projeté  de  travailler  avec  Rossini.  Inépui- 


330 


LE  MÉNESTREL 


sable  dans  sa  complaisance,  le  compositeur  lui  avait  «  promis 
de  la  musique  »  :  et  Balzac,  s'autorisant  de  ce  bon  billet,  lui 
avait  aussitôt  envoyé  une  romance,  dont  nous  ne  citerons  que  le 
premier  couplet,  par  respect  pour  la  mémoire  de  l'auteur  : 

Rive  chérie 
Où  sont  nés  mes  amours, 
Sois  ma  patrie. 
Là,  mon  amie, 
Des  cieux  la  fleur 
S'est  attendrie 
De  mon  malheur. 

C'était  une  allusion  discrète  à  l'amour  de  Balzac  pour 
M°"  Hanska,  circonstance  atténuante  qui  rendra  le  lecteur  indul- 
gent, mais  qui  n'eut  pas  raison  de  l'indolence  rossinienne,  car 
nous  ne  voyons  pas  que  le  maître  ait  jamais  écrit  la  moindre 
note  pour  la  mélodie  troubadouresque  du  pauvre  poète. 

En  somme,  sauf  ces  rares  exceptions,  Rossini  n'avait  pas 
l'âme  bienveillante,  et  ses  compliments  mêmes,  dont  il  était  pro- 
digue, comme  tout  bon  Italien,  étaient  souvent  marqués  au  coin 
d'une  plaisanterie  macabre.  Villemessant  en  cite  un  exemple 
depuis  longtemps  tripatouillé  par  tous  les  fabricants  d'anas.  Qui 
sait  si  Rossini  ne  puisait  pas  à  cette  source  ses  traits  d'esprit? 

Il  reçoitunjour  la  visite  de  Jules  Béer,  neveu  du  compositeur, 
qui  lui  demande  la  permission  de  lui  faire  entendre  la  marche 
funèbre  qu'il  a  écrite  pour  la  mort  de  son  oncle. 

—  Bien  volontiers,  mon  bon  ami. 

Le  jeune  compositeur  joue  son  morceau. 

—  Excellent,  superbe,  magnifique!  Mais  ne  croyez-vous  pas, 
mon  cher,  qu'il  eiit  été  préférable  que  ce  fiit  vous  qui  fussiez 
mort  et  que  la  marche  funèbre  eût  été  de  votre  digne  oncle? 

Le  génial  bouffon  ne  pressentait  guère  celle  que  l'avenir  réser- 
vait à  sa  grande  ombre. 

Sa  fin  fut  atroce.  La  souffrance  lui  arrachait  des  cris  qui 
déchiraient  le  cœur  de  ses  amis.  L'un  deux,  le 'prince  Ponia- 
towski,  disait  à  maintes  reprises  —  du  moins  M"'=  Tascher 
l'affirme  : 

—  Mais  ce  serait  une  charité  de  «  lui  donner  une  bou- 
lette ». 

Le  nonce  était  venu  préparer  Rossini  à  recevoir  la  visite  d'un 
prêtre.  L'ecclésiastique  demanda  au  moribond  s'il  avait  la  foi. 
Et  le  pénitent  de  répondre  : 

—  Celui  qtii  a  composé  le  Slabat  devait  avoir  la  foi  ! 

Une  réponse  bien  héroïque  pour  un  agonisant  et...  bien  spé- 
cieuse! Car  nous  pourrions  citer  tel  auteur  de  musique  sacrée, 
du  caractère  religieux  le  plus  pénétrant,  qui  fut  le  pire  des 
athées. 

Rossini  avait  fixé  une  somme  de  deux  mille  francs  pour  le  s 
frais  de  ses  obsèques  :  sa  veuve  n'eut  garde  de  dépasser  ce 
chiffre.  Mais  l'art  rendit  à  la  mémoire  d'un  de  ses  plus  glorieux 
interprètes  un  hommage  qui  aurait  peut-être  manqué  aux  plus 
grands  rois  de  la  terre.  La  cérémonie  funèbre  fut  en  quelque 
sorte  une  représentation  théâtrale  avec  billets  d'entrée.  Faure, 
Adelina  Patti,  MariettaAlboni,  Nilsson  y  chantèrent  des  so&.  Nous 
avions  reçu,  pour  notre  part,  une  invitation;  mais  il  en  était 
déjà  de  ces  cartes,  comme  il  en  est  aujourd'hui  des  billets  que 
certains  concerts  distribuent  en  nombre  double  et  triple  des 
places  à  remplir.  Nous  ne  pûmes  donc  entrer  à  l'église,  dont  la 
foule  débordait  de  toutes  parts,  mais  une  hospitalité  plus  sûre 
nous  permit  de  voir  d'une  fenêtre  défiler  le  cortège  qui  condui- 
sait le  maitre  à  sa  dernière  demeure.  L'harmonie,  derrière  le 
char,  jouait  sans  discontinuer  la  marche  de  Chopin,  —  M°"  Ros- 
sini ne  protesta  pas  —  mais  dans  ce  ton  et  avec  cette  allure  que 
devait  donner  plus  tard  au  même  morceau  l'inoubliable  chef 
d'orchestre  des  Fêtards,  une  pièce  bouffe  du  Palais-Royal. 

(A  suiwe.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Comédie-Franc.use.  Le  Roi,  pièce  en  3  actes  de  M.  Gaston  Schefer.  — Atoénée. 
Le  Shogun,  drame  du  vieux  Japon  eu  4  actea  ;  la  Loïe  FuUer. 

Pièce  historique,  ce  Roi!  Non  point  par  son  sujet,  mais  bien  par  l'ef- 
fervescence qu'elle  a  causée  dans  notre  délicieux  Cabotinville  si  facile- 
ment en  ébuUition,  par  le  bruit  qu'elle  a  fait  dans  un  public  qui,  au 
théâtre,  semble  de  beaucoup  préférer,  à  ce  qu'on  lui  montre,  ce  qui  doit 
se  passer  derrière  le  rideau,  et  surtout,  par  les  conséquences,  peut-être 
graves,  qu'elle  a  entraînées  après  soi.  Il  n'y  a  pas  place,  ici,  pour  épi- 
loguer  sur  la  foudroyante  suppression  du  fameux  comité  de  lecture  qui 
semble  avoir,  celte  fois,  quelque  peu  joué  le  rôle  désobligeant  de  bouc 
émissaire;  la  parole,  en  l'espèce,  appartient  à  l'avenir,  qui  seul  pourra 
prouver  quelque  chose. 

Donc,  la  Comédie-Française,  après  pas  mal  de  heurts,  quelques  retards 
et  beaucoup  de  discussions,  a  joué  le  Boi  de  M.  Gaston  Schefer,  nouvel 
engagé  sur  la  galère  théâtrale.  Comme  l'on  sait  par  quelles  vicissitudes 
passa  le  malheureux  néophyte  condamné  à  voir  opérer  sur  l'enfant  de 
sa  chair  de  douloureuses  amputations,  on  n'ose  trop  le  critiquer  person- 
nellement et  on  hésite  à  trouver  sa  pièce  de  construction  parfois  malha- 
bile, d'analyse  trop  électriquement  hâtive  et  de  dénoùmeut  bien  vieillo- 
tement  factice.  Est-ce  la  faute  des  rebouteux,  est-ce  celle  de  l'autem'  si 
les  caractères  apparaissent  à  peine  esquissés,  si  les  «  entrées  »  et  les 
«  sorties  «  sont  naives,  les  «  situations  »  gauchement  amenées  quand 
elles  ne  sont  pas  totalement  esquivées,  la  conclusion  brutale? 

Ce  qui,  cependant,  appartient  en  propre  ;î  M.  Gaston  Schefer,  sans 
qu'il  soit  loisible  d'en  douter,  c'est  l'idée  de  sou  drame,  —  car  c'est  bel 
et  bien  un  drame,  évocateur  même  de  tragédie  —  et  c'est  aussi  la  phi- 
losophie qu'il  comporte.  Là,  il  n'y  a  qu'à  féliciter  l'écrivain.  On  sait  la 
donnée,  plutôt  empêtrée  d'événements  d'intérêt  quelconque  et  de  nou- 
veauté sujette  à  caution.  Le  Roi  —  la  pièce  devait  primitivement  s'appe- 
ler l'Esclave  —  le  roi  d'un  pays  qu'on  ne  nomme  pas,  et  pour  cause, 
veut  sacrifier  à  la  raison  d'état,  au  salut  d'un  peuple  auquel  s'est  déjà 
dévouée  une  longue  et  noble  ascendance,  et  l'amour  d'une  fille  qu'il 
chérit  et  son  propre  honneur  cruellement  atteint.  Étude  psychologique 
en  même  temps  que  de  mœurs,  qui  devait  donner  lieu  à  des  développe- 
ments attachants  et  camper  des  êtres  d'élection... 

Le  Roi  est,  cela  va  sans  dire,  bien  joué  par  la  troupe  de  la  Comédie- 
Française,  encore  que  le  manque  de  relief  des  caractères  et  la  rapidité 
de  l'examen  de  sentiments  pourtant  coniple.xes  gazent  tout  l'ensemble  de 
vague  et  d'hésitation.  Il  n'en  est  pas  moins  que  M"'  Marie  Leconte  est 
délicieuse  en  noble  petite  princesse  marchant  royalement  au  martyre, 
silhouette  jolie  qu'on  aurait  aimé  voir  plus  poussée,  que  MM.  Paul 
Mounet,  Fenoux,  Maj'er,  Dessonnes  sont  de  tenue,  que  M.  Delaunay  a 
marqué  de  charmante  bonhomie  le  rôle  d'un  prince  très  bourgeois,  tan- 
dis que  M""^^  Segond-Webern'arien  pu  tirer  du  personnage  tout  mauvais 
de  la  reine. 

M"""  Sada  Yacco  est  revenue  donner  une  série  de  représentations 
dans  la  joUe  salle  de  l'Athénée,  en  modifiant  son  spectacle  avec  un  drame 
non  encore  joué  à  Paris.  Cela  s'appelle  le  Sof/hmi  et  fait  partie,  dit  le 
programme  qui  doit  être  notre  trop,  incomplète  documentation,  de  la  lit- 
térature théâtrale  du  «  Vieux  Japon  ».  C'est  fort  vague  comme  indica- 
tion; mais  peu  nous  importe,  d'ailleurs,  cette  histoire  invraisemblable 
et  enfantine,  empruntée,  paraît-il,  à  l'histoire  japonaise  et  qui  sert  aux 
grimaces  expressives  et  aux  ébats  curieux  de  ces  hystériques  de  la  pan- 
tomime, la  voix  n'ayant  qu'un  rôle  très  inférieur,  nul  même  pour  ainsi 
dire,  dans  ce  théâtre  tout  à  la  fois  si  prodigieusement  arriéré  et  si 
cruellement  réaliste. 

Vous  vous  rappelez,  Rue  de  Paris,  la  mort  extraordinaire  de  M""^Sada 
Yacco  dans  la  Ghesa  et  le  Chevalier  ;  eh  bien,  dans  le  Soghwi  elle  meurt 
encore,  et  comme  cette  fois  c'est  de  joie  et  non  plus  de  rage,  elle  a  su 
trouver  des  effets  nouveaux.  Vraiment  c'est  une  grande  artiste,  mer- 
veilleusement douéi;'  par  la  nature,  que  cette  petite  poupée  chétive  et 
menue  qui,  rien  qu'avec  des  jeux  de  physionomie,  arrive  à  vous  donner 
ainsi  le  frisson.  Elle  vaut  la  peine  qu'on  aille  à  l'Athénée  —  qui  sait 
quand  elle  reviendra  en  France  !  —  rien  que  pour  la  minute  d'indicible 
émotion  qu'elle  sait  vous  imposer.  M.  Otojiro  Kawakami,  son  mari,  lui' 
donne  la  réplique  de  toujours  véhémente  façon  —  il  joue,  en  lever  de 
rideau,  Kesa,  dans  lequel  on  le  revoit,  vision  d'effroyable  réalité,  prati- 
quer l'horrible  Hara  Kiri  —  et  l'on  remarque  encore  dans  la  troupe, 
assez  nombreuse  et  vraiment  disciplinée  de  merveilleuse  façon,  la  joliesse 
souriante  et  juvénile  de  M""-'  Tsuru,  l'adresse  de  M""=  Nakakichi  et  la 
conviction  de  M.  Fusijawa. 

Comme  à  l'Exposition,  la  Loie  Fuller  corse  le  programme  avec  ses 


LE  MÉNESTREL 


331 


éblouissantes  danses  lumineuses,  complétées  maintenant  par  des  pro- 
j  ections  murales  nouvelles  qui  ajoutent  à  la  fantasmagorie  en  l'auréo- 
lant de  plus  de  rêve  et  de  plus  de  fantastique. 

Paul-Émile  Chevalier. 


Folies-Drajiatiques.  Le  Billet  de  Logement,  vaudeville  en  trois  actes, 
de  MM.  Antony  Mars  et  Henry  Kéroul. 

Je  commence  par  déclarer  que  cette  pièce,  très  folle  et  très  amusante, 
n'est  point  faite  pour  les  pensionnaires  des  couvents  de  jeunes  filles.  Et 
c'est  une  faute  de  la  part  des  auteurs,  qui  auraient  pu,  avec  un  peu  de 
peine,  rendre  très  acceptable  la  scène  très,  trop  scabreuse,  qui  termine 
le  second  acte,  la  seule  qu'on  leur  puisse  reprocher  et  qui  est  jouée 
d'ailleurs  avec  un  tact  exquis  par  M""  Milo  d'Arcyle.  A  part  cette  scène, 
la  pièce  est  d'un  «  bon  enfant  »  complet,  en  môme  temps  que  d'une 
gaité  franche  et  parfois  ahurissante. 

Le  point  de  départ  qui  établit  le  quiproquo  est  celui-ci.  Dans  la  petite 
ville  d'Évreu.x  résident  deux  dames  Martin,  toutes  deux  veuves,  toutes 
deux  portant  le  nom  d'un  ancien  magistrat,  toutes  deux  ayant  une  nièce 
appelée  Pauline.  L'une  de  ces  dames  JSIartin  est  une  femme  d'âge,  abso- 
lument honorable  et  respeclable,  dont  la  nièce  aime  un  jeune  officier 
de  la  garnison  qui  ne  demande  qu'à  l'épouser.  L'autre,  jeune  encore,  a 
mené  jadis  une  vie  de  polichinelle,  a  dansé  la  danse  du  ventre  aux 
Folies-Bergères,  et,  entourée  de  ses  six  nièces,  dont  la  jeune  Pauline, 
tient  à  Évi  eux  une  maison  où  les  beaux  messieurs  de  la  ville  viennent 
s'amuser  ferme  en  taillant  un  bac  qui  est  la  ressource  de  la  dame  du 
lieu. 

Or,  c'est  cette  confusion  des  deux  dames  Martin,  toutes  deux  veuves 
de  magistrat,  toutes  deux  tantes  d'une  Pauline,  qui  amène  les  quipro- 
quos les  plus  burlesques  et  les  plus  réjouissants.  Celui-ci  se  présente 
chez  l'ancienne  danseuse  croyant  avoir  affaire  à  une  matrone  éminem- 
ment vénérable,  et  n'en  revient  pas  de  ce  qu'il  voit  et  de  ce  qu'il  entend. 
Cet  autre,  au  contraire,  ayant  affaire  â  la  vieille  dame,  la  traite  cava- 
lièrement en  raison  de  ce  qu'il  croit  être  son  passé,  et  aux  yeux  de  tous 
lui  fait  les  avanies  les  plus  étonnantes,  jusqu'à  ce  qu'enfin  tout  s'éclaire 
et  tout  s'arrange. 

Je  ne  saurais  raconter  l'intrigue  tout  au  long.  Ces  choses-là  ne  se 
racontent  pas.  C'est  trop  compliqué,  et  j'en  aurais  jusqu'à  la  prochaim? 
Exposition.  Mais  la  pièce  est  charmante,  d'une  gaité  folle,  pleine  d'es- 
prit, et  jouée  avec  un  ensemble  parfait  par  M"'"  Augustine  Leriche, 
Milo  d'Arcyle,  Louise  Bignon  et  MM.  Hirch,  Coquet  (celui-là  même  qui 
fut,  il  y  a  trois  jours,  l'objet  d'une  tentative  de  meurtre  de  la  part  de  sa 
maîtresse),  Violette,  Milo,  Véret  et  Mondes,  sans  compter  les  autres. 

Les  Folies  tiennent,  avec  le  Billet  de  Logement,  une  ample  revanche  de 
leur  four  précédent.  A.  P. 


Bouffes-Parisiens.  L'Amour  du  Prochain,  comédie  en  4  actes, 
de  M.  Pierre  Valdagne. 

Un  de  ces  romans  qui  donnent  à  l'étranger  une  idée  aussi  fausse  que 
singulière  de  la  véritable  vie  parisienne  a  fourni  la  trame  de  la  pièce 
que  viennent  de  nous  offrir  les  Bouffes-Parisiens.  Une  jeune  femme  du 
meilleur  mijnde,  M""^  de  Réserve,  est  tellement  heureuse  en  ménage 
qu'elle  s'efforce  de  procurer  à  ses  amis  des  deux  sexes  un  bonheur  ana- 
logue au  sien,  même  par  la  voie  extra-conjugale;  son  proxénétisme  phi- 
lanthropique n'admet  en  effet  qu'un  seul  but  de  la  vie,  l'amour.  Or,  il 
se  trouve  qu'elle  héberge  dans  son  château  deux  ménages  mal  assortis  : 
celui  d'un  vague  poète  planant  éternellement  au-dessus  de  la  réalité  des 
choses  et  négligeant  par  conséquent  sa  charmante  femme,  très  réaliste 
et  très  moderne,  puis  le  ménage  d'un  vague  député  qui  ne  s'occupe  que 
de  sa  situation  politique  et  néglige  également  sa  femme,  âme  tendre  et 
poétique  mais  peu  platonique.  Rien  à  faire  avec  le  député  toujours 
absent,  mais  sa  femme  pourrait  être  rendue  heureuse  par  le  poète,  tan- 
dis que  la  femme  de  celui-ci  pourrait  faire  l'aiîaire  d'un  jeune  et  aima- 
ble clubman  attiré  à  cet  effet  de  Paris.  Tout  semble  marcher  à  souhait  : 
le  poète  a  trouvé  son  àme  sœur  en  la  femme  du  député  et  le  clubman 
est  presque  immédiatement  au  dernier  mieux  avec  la  femme  du  poète. 
Mais  il  était  écrit  que  ces  unions  si  bien  arrangées  par  la  châtelaine 
n'aboutiraient  pas.  Le  poète  se  dérobe  d'une  façon  ridicule  au  moment 
décisif  et  le  clubman  s'oublie  dans  les  marivaudages.  Tout  sera  à  recom- 
mencer l'année  prochaine  et  la  morale  est  sauvée  provisoirement. 

La  pièce,  qui  offre  un  joli  troisième  acte,  celui  de  l'illégitime  mariage 
blanc  du  clubman,  et  un  épisode  égayé  par  un  hobereau  du  voisinage 
en  quête  d'une  épouse  digne  de  son  chien  de  race  qui  lui  est  naturel- 
lement accordée  par  la  bonne  châtelaine,  a  été  assez  bien  interprétée. 
Citons  M"'  Samé  dans  le  rôle  de  M°"  de  Réserve,  ensuite  M'""  Maud- 
Amy,  qui  a  joué  avec  beaucoup  de  brio  et  de  bonne  humeur  communi- 


cative  la  femme  du  poète  platonique,  et  M.  Honteux  en  hobereau 
adonné  â  tous  les  sports  qui  exhibe  avec  orgueil  ses  mollets  de  cycliste. 
La  mise  en  scène  a  été  une  surprise;  on  n'est  plus  habitué  à  tant  de 
splendeur  aux  Bouffes-Parisiens.  O.  Bn. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXVII 


SCHUMANN  CRITIQUE  MUSICAL 

-4.  SI.  Henri  de  Curzon. 

—  «  Que  dirai-je  de  l'opéra  ?  Tant  que  durera  le  monde,  une  pareillt 
musique  reparaîtra  toujours  sans  jamais  vieillir...  » 

—  Ah  !  le  beau  jugement,  dans  sa  majesté  simple  !  (En  mon  émoi,  je 
viens  de  faire  un  vers...)  Mais,  ce  jugement,  quel  en  est  l'objet  et 
l'auteur?  Et  comme  on  voudrait  être  l'un  ou  l'autre,  si  l'œuvre  est 
digne  de  la  sentence  ! 

—  Le  13  mai  1847,  c'est  Robert  Schumann  qui  juge  Iphigénie  en 
Aulide.  Et  le  critique-musicien  poursuit  :  «  Gluck  ?  LTn  grand  artiste 
original.  Mozart  a  certainement  profité  de  ses  lumières.  Spontini  le 
copie  souvent  mot  pour  mot...  Le  finale  de  l'opéra  demeure  du  plus 
grand  effet,  comme  celui  d'Annide  ...» 

—  Notre  vieil  ami  Berlioz  le  gluckiste  applaudirait,  lui  qui  jetait  ce 
cri  d'alarme:  «  Gluck  se  meurt  !  Gluck  est  mort!  »  (2),  à  l'heure  où  la 
foi  de  M'"'  Fanny  Pelletan  n'avait  pas  encore  entrepris  d'édition  défini- 
tive, et  qui,  pour  définir  le  Beau,  disait  :  Gluck.  Puisque,  à  défaut  de 
génie,  votre  conscience  m'oblige  à  répondre  à  vos  citations  par  des  cita- 
tions et  à  causer,  pour  ainsi  dire,  â  coups  de  petits  papiers,  voici.  Vous 
ne  regretterez  point  la  citation,  qui  me  paraît  suggestive  entre  toutes. 
C'est  Berlioz  qui  parle:  «  Qu'est-ce  que  le  génie?  Qu'est-ce  que  la 
gloire?  Qu'est-ce  que  le  beau?  Je  ne  sais;  et  ni  vous,  monsieur,  ni 
vous,  madame,  ne  le  savez  mieux  que  moi.  Seulement  il  me  semble 
que  si  un  artiste  a  pu  produire  une  œuvre  capable  de  faire  naître  en 
tous  temps  des  sentiments  élevés,  de  belles  passions  dans  le  cœur  d'une 
certaine  classe  d'hommes  que  nous  croyons,  par  la  délicatesse  de  leurs 
organes  et  la  culture  de  leur  esprit,  supérieurs  aux  autres  hommes,  il 
me  semble,  dis-je,  que  cet  artiste  a  du  génie,  qu'il  mérite  la  gloire,- 
qu'il  a  produit  du  beau.  Tel  fut  Gluck.  » 

—  A  la  bonne  heure  !  Gloire  à  ces  gluckistes  !  Et  leur  instinct  ne  les 
trompait  guère  quand  leur  noble  romantisme  les  ramenait  éloquem- 
ment  vers  la  source  grecque.  Berlioz  et  Schumann  !  Je  les  évoquais 
vendredi  soir,  à  l'Opéra-Comique,  au  début  d'Or^j/iee.- inspirés  et  lettrés 
tous  deux,  créateurs  et  critiques,  cherchant  et  défendant,  chacun  selon 
son  rêve,  ce  que  nous  appelons  plus  emphatiquement,  aujourd'hui,  «  la 
vérité  musicale  ».  Au  temps  des  grands  musiciens  de  la  petite  musique, 
ne  fraternisaient-ils  pas,  de  trop  loin,  dans  la  beauté,  ne  partageaient- 
ils  pas  cordialement  les  mêmes  adorations,  les  mêmes  répugnances  ? 
Leurs  dieux?  Beethoven,  Gluck  et  Weber  !  (S)  Leur  panthéon  ?  Les 
deux  IiMgénies,  Euryanthe,  ta  Neuvième  !  Et,  avec  cela,  pas  plus  wagné- 
riens  l'un  que  l'autre,  pas  plus  wagnérieus  que  Delacroix,  l'ami  des 
«  conventions  nécessaires  »  ;  bien  que,  vers  184o.  leur  idéal  dramatique 
se  rapprochât  singulièrement  de  celui  de  Richard  Wagner,  et  que  nos 
deux  minnesinger,  qui  allaient  entonner,  l'un,  la  panthéiste  et  sublime 
Invocation  de  Faust  à  la  Nature,  l'autre,  le  suave  et  puissant  Chorus 
mysticus  du  Second  Faust  en  l'honneur  de  l'Éternel  Féminin,  fussent  les 
rivaux  secrets  de  Tannhâuser  à  la  Wartburg... 

—  L'image  est  plaisante.  Mais  cette  rivalité,  cette  jalousie  fraternelle 
n'explique-t-elle  pas  suffisamment  les  divergences  des  chanteurs  ? 

—  Je  ne  crois  pas.  Et,  plus  nerveux  qu'impérieux,  le  tempérament 
de  Schumann  devait  pencher  plutôt  du  côté  de  Berlioz.  Tous  deux 
rêveurs  admirables,  avec  des  lacunes,  celui-ci  très  peintre,  et  celui-là 
si  poète  ! 

—  Malgré  votre  chauvinisme  musical  et  bien  entendu,  vous  n'allez  pas 
faire  de  Schumann  un  musicien  français,  je  l'espère,  comme  de  Mozart  et 
de  Gluck?...  Schumann  !  Le  plus  allemand  des  compositeurs  et  des  cri- 
tiques musicaux  (je  n'excepte  point  Wagner  et  Beethoven),  l'àme  la 
plus  allemande  qui  ait  fleuri  musicalement  dans  cette  vallée  de  larmes  ! 
Lui,  l'Obermann  profond  des  Lieder  à  la  senteur  alpestre,  le  poète  des 

(1  )  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre,  du 
13  octobre  1901. 

(2)  Dans  les  Grotesques  de  la  musique  (Paris,  1859),  cités  par  Camille  Saiol-Saêns  dans 
Harmonie  et  Mélodie  (1885),  page  116. 

(3)  En  1845,  l'année  dé  J'fmH/iaîf.ser.  Berlioz  publiait,  à  Paris,  un  volume  qui  portait 
comme  titre  ces  trois  noms. 


332 


LE  MÉNESTHEL 


Frauenliebe  et  des  Diclilerliebe,  si  poignants,  que  notre  Saint-Saëns 
appelle  un  peu  bizarrement,  j'en  conviens.  «  une  sorte  d'Alfred  do 
Musset  musical  »,  parce  qu'il  est  «  l'homme  des  choses  exquises  »,  qui 
sait  0  être  grand  dans  les  petits  genres  et  dans  les  petits  cadres  »  (1), 
et  qui  n'a  pas  moins  réussi,  au  moins  une  fois,  dans  les  dimensions 
plus  vastes,  témoin  ce  Faust  si  délicatement  grandiose!  Un  chef-d'œuvre 
inégal,  mais  son  chef-d'œuvre,  assurément,  ce  Fmi.st  que  je  préfère 
même  à  Manfred  (l'ouverture  à  part)!  En  tous  cas,  une  des  plus  puis- 
santes affirmations  de  la  musique  depuis  Beethoven  !  En  son  àme  sin- 
cère et  subtile,  discrètement  exaltée  toujours,  le  critique  musical  est 
d'accord  avec  le  compositeur  :  je  ne  vous  ferai  pas  l'injure  de  supposer 
un  seul  instant  que  vous  n'avez  jamais  lu  ses  Écrits,  le  recueil  qu'il 
avait  formé  lui-même,  en  18o4,  avec  ses  anciens  articles  enflammés  de 
la  Neue  Zeitschrift  fiir  Musik  de  Leipsig  (2)  ? 

—  Je  les  connais.  Et  si  la  «  divine  »  symphonie  en  In,  de  Beethoven, 
est  «  l'apothéose  de  la  danse  »,  ce  recueil  est  l'apothéose  du  dialogue, 
du  genre  que  nous  cultivons  ici  plus  modestement,  pour  marier  l'en- 
thousiasme avec  l'ironie...  Dans  la  traduction,  si  loyale,  je  regrette  seu- 
lement de  ne  plus  retrouver  le  profil  délicieux  de  Stephen  Heller...  Une 
autre  fois,  en  nous  racontant  l'àme  de  Schumann,  qui  tressaillait  tout 
entière  sous  le  voile  pudique  de  la  Muse,  il  faudra  que  vous  évoquiez 
l'origine  de  ce  recueil  célèbre  au  delà  du  Rhin. 

—  Vous  la  connaissez  mieu,x;  que  moi,  puisque  vous  jouez  les  Davkls- 
bwidlerlanze !  Et  donnez-leur  pour  épigraphe  ce  fragment  de  lettre  à 
Dorn,  daté  de  1833  :  «  Le  Davichbund  n'est  autre  chose  qu'une  confrérie 
d'esprits  romantiques,  comme  vous  l'avez  depuis  longtemps  reconnu. 
Mozart  élait  tout  aussi  bien  un  DavidsbumUer  en  son  temps  que  l'est 
aujourd'hui  Berlioz,  que  vous  l'êtes  vous-même,  et  sans  qu'il  soit  besoin, 
pour  cela,  de  diplôme...  » 

—  Mais  c'est  le  mot  d'Eugène  Delacroix  :  Mozart  est  un  romantique, 
et  Don  Juan  un  chef-d'œuvre  de  romantisme  ! 

—  Non  loin  des  Écrits  de  Robert  Schumann,  j'aime  à  placer  le  Jour- 
nal du  peintre  mélomane  et  lettré  qui  s'accorde  mystérieusement  avec 
lui  pour  deviner  «  son  cher  petit  Chopin  »  comme  pour  enterrer  «  l'af- 
freu.\  Prophète  »  ;  et  le  compositeur  inspiré,  qui  a  prédit  trop  lyrique- 
ment  la  vocation  plus  rassise  de  Johannès  Brahms,  ne  conclut-il  pas 
lui-même  :  «  A  chaque  époque,  une  secrète  alliance  d'esprits  parents 
domine  »  ? 

—  Sans  doute  ils  n'auraient  pas  mieux  demandé  que  de  s'entendre 
pour  ranger  sans  façon  Meyerbeer  parmi  les  «  écuyers  de  Franconi  » . 
Mais  Delacroix  n'aurait-il  pas  bondi  devant  cette  image  :  «  Le  papillon 
vola  sur  le  chemin  de  l'aigle,  mais  celui-ci  se  rangea  pour  ne  point  l'é- 
craser d'un  battement  d'aile  »?  Il  s'agit  de  Rossini,  «  le  peintre-décora- 
teur »,  qui  n'a  pu  rendre  visite  à  la  vieillesse  de  Beethoven...  Mais 
Schumann  admire  Gluck  et  même  Gherubini  plus  que  Cimarosa,  dont 
il  apprécie  pourtant  l'écriture  ;  il  ne  trouve  pas  Beethoven  «  toujours  trop 
long  »  ;  il  n'appellerait  point  la  mélodie  de  Schubert  «  l'école  de  l'amour 
malade  »  ;  Eurijanthe  le  passionne  autant  que  ks  Hw/uenots  l'horripilent  ; 
il  voit  enfin,  dans  Berlioz,  d'autres  horizons  qu'un  «  héroïque  gâ- 
chis »... 

—  De  Mozart  à  Wagner,  eu  passant  par  Weber,  le  génie  allemand  a 
montré  toujours  une  tendresse  parcimonieuse  pour  l'art  français:  aussi, 
quelle  réconfortante  surprise  de  trouver  Robert  Schumann  symphathi- 
que  cà  Hector  Berlioz!  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  blâme  ses  écarts,  qu'il 
accorde  par  surcroit  son  indulgence  au  goût  néo-français  de  ses  prosély- 
tes, qui  sentent  l'Eugène  Sue  et  le  George  Sand... 

—  Le  romantique  Delacroix  applaudirait  encore  à  cette  satire  du 
romantisme! 

—  Lisez  :  «  On  reste  saisi  devant  une  telle  absence  d'art  et  de  natu- 
rel. Liszt  charge  au  moins  avec  esprit.  Et  Berlioz,  en  dépit  de  toutes 
ses  aberrations,  montre  eà  et  là  un  cœur  d'homme;  c'est  un  libertin 
plein  de  force  et  d'audace...  » 

—  Vous  prétendez  assez  justement  que  Schumann  est  le  plus  germa- 
nique des  musiciens  :  il  faut  donc  s'attendre  à  son  excessive  sévérité 
pour  notre  art;  ses  jugements  seront  allemands,  tout  comme  ses  Liebes- 
lieder  espagnols...  Classique  d'éducation,  romantique  de  sentiment,  si 
Schumann  est  plus  favorable  à  Berlioz,  n'est-ce  pas  que  Berlioz,  alors 
«  trop  escarpé  »  pour  être  prophète  en  son  pays,  semblait  alors  très 
allemand  lui-même?  Ce  «  Beethoven  français  »  (3)  ne  connut  qu'au  delà 
du  Rhin  les  triomphes... 


(1)  Harmonieet  Mélodie,  pages  195-197,  à  propos  de  la  lenleur  de  la  SocH-:  dn  Concerts 
à  s  assimiler  Schumann. 

li,  Robert  Schu.mann,  Écrits  sw  la  Musique  et  te  Musieiens  traduits  par  Henri  de 
Cu,-.on  ;  deux  séries.  (Paris,  Fischbacher;  1894  et  1898.)  -  Cf.  Jean  Hubert,  Autow  dune 
bouille,  Etude  sur  Robert  Sclmiimnn  [id.,  1898;. 

(3)  Déanilion  de  Reyer  à  rinauguration  de  la  statue  de  Berlioz  par  Allred  Lenoir,  au 
Square^ Vintiraille,  le  dimanche  17  octohic  1886. 


—  Et  la  France  musicale  de  1830  se  partage  entre  l'école  d'Auber  et 
la  personne  de  Berlioz  :  «  Autant  l'une  est  légère  comme  plume  ,  à  la 
Scribe,  autant  l'autre  est  farouche,  à  la  Polyphème...  » 

—  Joli  mot,  pour  un  contempteur  soi-disant  obtus  de  l'art  français  ! 

—  Clairvoyance  pareille  à  l'occasion  de  la  Symptionie  fantastique,  une 
«  date  »  musicale,  un  drame  instrumental  en  cinij  actes.  Ce  n'est 
peut-être  plus  de  la  musique;  mais  c'est  beau,  do  la  beauté  de  l'àme. 
Depuis  Beethoven,  à  part  l'élan  méconnu  de  Schubert  (1)  et  les  élégies 
de  Spohr.  la  symphonie  était  en  décadence  :  «  virtuose-né  sur  l'or- 
chestre »,  Berlioz  lui  souffle  une  vie  nouvelle,  celle  de  son  être  inégal  et 
volcanique.  Le  tourment  du  siècle  vibre  en  lui.  Oui,  souvent  il  est  plat, 
crispant,  grimaçant,  réaliste,  trop  littéraire  et  mal  développé,  avec  des 
rythmes  à  cloche-pied  de  Corybante  en  goguettes  ;  Vidée  fixe,  qui  traverse 
l'œuvre,  est  «  triviale  »  ;  mais  aussi,  quelle  intelligence,  quelle  convic- 
tion généreuse  et  flère,  quel  essor  constant  vers  l'idéal  !  Où  donc  ce  bon 
Fétis  a-t-  il  découvert  son  indigence  harmonique  et  mélodique  ?  Laissons 
(I  les  cantors  crier  au  sans-culottisme  »  :  Schumann  défend  son  confrère 
d'outre-Rhin  sans  le  connaître,  puisqu'il  se  trompe  et  sur  la  date  de  son 
œuvre  et  sur  le  lieu  de  sa  naissance.  Mais  qu'importe?  Le  génie  seul 
parle  au  génie. 

—  L'étude  entière  sur  Berlioz  est  probante.  Et,  maintenant,  puisque 
tout  portrait  est  «  un  modèle  compliqué  d'un  artiste  »  (2),  cherchez-nous 
donc,  pour  définir  à  la  fois  Wagner  et  Schumann,  les  fameuses  lignes, 
si  malveillantes,  sur  Taniihduser... 

—  Sont-elles  si  malveillantes?  En  tout  cas,  les  voici.  C'est  à  Dresde, 
le  7  août  1847  :  «  Un  opéra  sur  lequel  on  ne  peut  s'exprimer  ainsi  en 
deux  mots.  Il  est  certain,  qu'il  a  une  couleur  géniale.  Si  le  musicien 
était  aussi  mélodique  (melodiôs)  qu'il  est  riche  d'idées  ((geislreich),  ce 
serait  l'homme  de  l'époque...  » 

—  Je  ne  saisis  pas  très  clairement  l'antithèse.  Il  y  faudra  revenir. 
Melodios  et  geislreich,  où  réside  vraiment  l'opposition?  Grammatici 
certanl...  Mais  Schumann  le  gluokiste  ne  pouvait  pardonner  à  Wagner 
son  extrême  sans-gêne  à  l'égard  d'Iphigénie  en,  Aulide  et  ses  additions. 
Il  ajoute  finement  :  «  Gluck  ferait  peut-être  aux  opéras  de  M.  Wagner 
le  procès  inverse;  il  retrancherait,  il  couperait...  »  Et,  de  même, 
Wagner  plus  tard,  en  ses  Bayreulher  Bliilter.  sera  sans  merci  pour 
l'instigateur  de  Brahms... 

—  N'oublions  pas  que,  trois  ans  après,  la  Geneviève  de  1830  sera  la 
rivale  du  Lohengrin  de  Weimar.  Richard  Wagner  n'était  point  seul  à 
se  préoccuper  «  d'un  nouvel  opéra  allemand...  » 

—  Et,  de  peur  d'une  injustice,  Robert  Schumann  n'a-t-il  pas  dit  : 
«  La  meilleure  critique  musicale  est  le  silence  »  ? 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


LA  REBOULE 


La  Reboule,  c'est,  dans  le  Forez,  la  fête  des  batteurs  de  blé. 

Avant  de  battre  dans  l'aire  la  dernière  couche  de  grains  ils  préparent 
une  gerbe,  faite  des  plus  beaux  épis,  qu'ils  décorent  de  rubans,  de 
fleurs  et  de  petites  croix.  Ils  l'emmaillotent  dans  une  longue  tresse  de 
paille  nouée  et  renouée  à  divers  intervalles,  et  dont  les  bouts  sont  si 
cachés  qu'on  ne  sait  ni  où  elle  commence  ni  où  elle  finit.  Ainsi  prépa- 
rée, ils  disposent  ce  monument,  vrai  chef-d'œuvre  de  maîtrise,  sur  les 
bras  de  quatre  fléaux,  qui  s'adaptent  aux  quatre  bâtons  correspondants, 
de  façon  à  en  former  comme  un  dais  superbe  qu'ils  portent  solennelle- 
ment à  la  ferme. 

Chemin  faisant,  la  procession  a  soif,  comme  on  pense  bien,  et  les 
verres,  abondamment  remplis,  circulent  dans  les  rangs,  aux  accents 
joyeux  de  la  chanson  de  la  Reboule,  qu'on  appelle  aussi  la  chanson  de 
la  Rançonnetle  ou  de  la  Rinçonnelte  : 

—  Camarade,  qu'apportes-tu  ? 

—  J'apporte  une  gerbe . 

—  Camarade,  que  payes-tu  ? 

—  Je  paye  une  bouteille. 

(1)  La  grande  Symphonie  en  ut,  découverte  par  Schumann,  exécutée  pour  la  première 
fois  à  Leipzig,  le  22  mars  1839. 

(2)  Définition  du  portrait  par  Baudelaire  dans  son  Salon  de  ISH. 


LE  MÉNESTREL 


333 


—  La  bouteille,  il  est  bu', 
Encore  une  cbopine. 
La  cbopine,  il  est  bu', 
Encore-z-un  plein  verre. 
Le  plein  yerre,  il  est  bu, 
Encore  un  demi-yerre. 
Le  demi-verre,  il  est  bu, 
Encore  un  quart  de  verre. 
Le  quart  de  verre,  il  est  bu, 
Encor'  la  rançonnette... 

Et  comme  il  n'y  a  plus  rien  à  boire,  on  hâte  le  pas  pour  arriver  à  la 
ferme,  oii,  sur  le  seuil,  attend  la  maîtresse  du  logis,  parée  de  ses  plus 
beau,x  atours  et  coiffée  du  monumental  bonnet  forézien,  emblème  de  sa 
toute-puissance.  C'est  la  coiffure  des  riches  matrones  du  moyen  âge, 
brodée  au  tamis  ou  au  carreau,  ornée  d'une  profusion  de  dentelles,  et 
dont  les  ailes  en  bandeaux  sont  relevées  par  des  épingles  d'or.  La  belle 
fait  bon  accueil  à  ses  batteurs,  prend  la  gerbe  qu'ils  lui  offrent  et 
cherche  à  découvrir  les  bouts  de  la  cordelette  qui  l'enserre.  Naturelle- 
ment elle  n'y  peut  parvenir  et  n'arrive  à  ses  fins  que  par  un  procédé 
renouvelé  du  nœud  gordien.  Alors  les  libations  commencent,  mais 
elles  n'ont  qu'une  courte  durée,  car  à  la  grange  la  besogne  n'est  pas 
finie.  Le  dernier  paillier,  la  dernière  couche  de  blé,  reste  à  battre,  et 
celle-là  donne  lieu  à  un  jeu  propre  â  faire  valoir  l'adresse  des  travail- 
leurs. Ils  ne  battent  pas  selon  les  règles  et  lancent  le  lléau  suivant  un 
mode  qui  échappe  au  vulgaire.  Cela  s'appelle  guiller,  et  c'est,  parait-il, 
très  difficile. 

«  On  ne  se  contente  pas,  dit  M.  Victor  Smith,  auquel  nous  emprun- 
tons la  plupart  des  indications  employées  dans  ce  chapitre,  de  lancer  à 
tour  de  bras  le  fléau  ou  de  viser  un  but.  La  souplesse  des  membres  est 
mise  à  de  rudes  épreuves  :  parfois  le  batteur,  accroupi,  lance  le  fléau 
latéralement,  en  passant  ses  bras  derrière  ses  jambes  et  en  ramenant 
ses  mains  devant  soi  ;  parfois  il  le  lance  par  derrière  la  tète,  â  l'aide  du 
pouce  et  de  l'index,  sans  cesser  de  tenir  chacune  de  ses  oreilles  entre 
l'annulaire  et  le  petit  doigt  ;  d'autres  fois,  le  jet  du  fléau  se  fait  par 
l'orteil,  qui  se  meut  comme  un  ressort  ;  enfin,  un  organe,  fort  dévié  de 
sa  fonction,  le  nez,  sert  à  son  tour  de  propulseur  ;  le  batteur  se  couche 
et,  d'un  vigoureux  coup  de  nez,  chasse  le  fléau  aussi  loin  qu'il  peut.  :> 

Le  vainqueur  s'appelle  le  Bourreau,  —  le  Bourreau  des  cœurs,  sans 
doule,  car  il  a  le  droit  d'embrasser  toutes  les  filles  qu'il  rencontre  ;  et  si 
celles-ci  se  montrent  rébarbatives,  son  aide,  le  Valet  di  Bourreau,  a 
mission  de  s'emparer  de  la  récalcitrante  et  de  la  maintenir  pendant  que 
son  maitre  accomplit  son  sacerdoce.  Quant  au.x  vaincus  ils  sont  nom- 
breux, et  leur  chef,  c'est-à-dire  le  plus  maladroit  d'entre  eux,  s'intitule 
le  Cochon.  Une  queue  en  paille  au  derrière,  et  à  la  tète  deux  feuilles  de 
chou  en  guise  d'oreilles,  il  marche  tantôt  debout,  tantôt  à  quatre  pattes, 
effrayant  les  filles  sur  lesquelles  il  tente  d'exercer  les  privilèges  du 
bourreau. 

Devant  le  cortège,  au  retour,  le  ratisseur  et  le  balayeur  de  la  grange 
font  chemin  net,  et  chacun  de  se  presser,  car  un  repas  somptueux 
attend  tout  le  monde  à  la  ferme. 

On  dit  que  la  grive 

Aime  le  raisin  ; 
Je  ne  suis  pas  grive, 

J'aime  le  bon  vin, 

chante  un  convive.  C'est  le  signal  des  libations,  qui  se  succèdent,  cou- 
pées par  des  intermèdes  de  chant  et  de  danse.  Par  moments  c'est  une 
cacofjhonie  à  ne  pas  s'entendre.  Le  merle  blanc  va  boii'e  à  la  fontaine..., 
entonne  l'un,  ...  Benoîte,  quand  vous  danserez.  Tenez-vous  droite,  dégagez 
vos  pieds...,  commence  l'autre...  Et  les  filles:  Derré  vé  nous  Y  a-t-un 
ozelou.  Toute  la  net  tsaiita  Pour  les  amou7-eux  (Derrière  chez  nous  il  y  a 
un  oiseau,  toute  la  nuit  il  chante  pour  les  amoureux).  Mais  soudain 
une  voix  claire  s'élève  d'un  groupe,  et  l'on  fait  silence.  C'est  Madelon 
qui  chante  la  légende  du  Tremble  de  Saint-Pardoux,  sans  laquelle  il  n'est 
pas  ds  bonne  fête  dans  le  Forez  : 

Noutre  patran  in  vouïàge 
Passot  pre  le  travars  d'in  boës. 
Le-z-âbres,  su  san  passage. 
Se  torsiant  tous  à  la  vais. 
Quemme  devint  l'Evingile, 
Les  chréquins  se  signent  tous. 
Se  tint  raid'  tout  seul,  l'beb'cile, 
Le  Tremble  de  Saint-Pardoux. 

Lou  ban  saint  se  prest  à  rire . 
Et  in  dict  :  —  Abre  orgueilleu, 
Y  ves  ben  qu'y  suis  ch'ti  sire, 
Mais  sui  l'ami  du  ban  Dieu. 
Devint  in,  plie  l'esquinel 
Et  te  cres-tu  qu'y  badine, 
Vieux  Tremble  de  Saint-Pardoux  ! 


Ah  !  tu  ne  vou\  pas  pincher  la  tête, 
Ch'ti  4bre  que  vauls  pas  in  liard  ! 
Pourtant  y  te  crairen  pas  si  bête  ! 
D'abord  que  te  fais  ton  fiar, 
Te-même  t'auras  la  iiëvre, 
Iquin,  tujou  et  pretout  ; 
Te  trembleras  quemme  in  Iiëvre, 
0  Tremble  de  Saint-Pardoux  ! 

Mais  la  musette  a  retenti,  et  c'est  la  bourrée,  la  bourrée  de  plusieurs 
espèces  :  la  Montagnasse;  ÏAuvergnasse;  la  Bourrée  douce,  qui  tend  mal- 
heureusement à  disparaître  :  —  Que  ce  venia  tsertsà,  Garçoun  de  la  mon- 
tagno.  Que  ce  venia  tsertsà,  Si  voulu  pas  dansa,  —  Si  vourià  ma  dormi 
(Qu'est-ce  que  vous  venez  chercher,  garçon  de  la  montagne,  si  vous  ne 
voulez  pas  danser,  si  vous  ne  voulez  que  dormir),  disent  le's  filles.  Mais 
â  la  Bourrée  douce,  les  garçons  s'amadouent,  car  la  bourrée  douce,  c'est 
celle  où  l'on  se  fait  des  douceurs,  des  œillades,  des  entrelacs.  En  voici 
une,  elle  est  en  patois  de  la  campagne  d'Arfeuilles  qui  se  comprend 
aisément  : 


Les  filles 

De  Saint-Niconlas 

Sanl  amoureuses, 

Qu'an  n'y  dirait  pas. 

La  deri  ri  ri  ri  la  ri  la  la  ! 

Le  sautent 
Avé  lous  garçans, 
Counie  les  chèvres 
Après  lous  boëssans. 

Lous  houmes 
Qui  danser  vous  faut 
Sant  pas  lous  voustres  ; 
Ménagez-lous  danc  ! 

Chacune 
A  près  son  chacun. 
Lou  bland  la  brune, 
La  blande  lou  brun. 
La  deri  ri  ri  ri  la  ri  la  la  ! 


Les  flUes 
Quand  vous  danzerez, 
Tenez-vous  draites, 
Deimenez  lous  doigts. 
La  deri  ri  ri  ri  la  ri  la  la  ! 

Les  femmes, 
Passant  pré  devant, 
Coume  da  folles. 
An  en  fa  autant. 

Mauvaises, 
Lous  houmes  vaut  loin 
.  Leurs  jambes  plient; 
Avez-en  donc  soin! 

Petites, 
A  deux  mains  prenez 
La  devantière, 
Cotillons  troussés, 
La  deri  ri  ri  ri  la  ri  la  la  ! 


Lou  monde, 

Voilà  le  moment, 

Faites  la  vire 

Un  peu  joliment. 

Li  deri  ri  ri  ri  la  ri  la 


Trop  vite. 
Frappez  vos  deux  maïn 
Ces  pieds  sant  raides... 
Ou  vé  d'un  bon  train. 

Les  fille--. 
On  est  ban  pr'  euneu, 
On-z-a  prou  d'roses 
Sur  vos  poulis  yeux. 

Bourreïe 

En  train  de  cesser. 

Toujours  demande 

In  cent  de  baisers. 

La  deri  ri  ri  ri  la  ri  la  a  ! 


Après  chaque  bourrée,  après  chaque  chanson  on  reprend  le  repas 
interrompu,  de  sorte  qu'il  dure  autant  que  la  fête  elle-même.  Puis  on 
s'en  retourne  chez  soi  en  se  donnant  rendez- vous  pour  la  vendange.  La 
sortie  n'est  pas  bruyante,  car  on  est  sage  dans  le  pays  forézien.  Les 
garçons,  à  peine  leur  besogne  de  récolte  finie,  pensent  â  celle  du  labour 
qui  va  commencer;  et  en  vue  du  sillon  qu'ils  traceront  demain,  ils 
entonnent  la  Chanson  du  Laboureur.  Au  travail  ils  l'écourtent  souvent, 
suivant  la  longueur  ds  la  tâche  à  remplir;  la  voici  dans  son  entier, 
d'après  Mélusine.  Elle  se  coupe  deux  vers  par  deux  vers  : 

Qui  veut  savoir  la  vie  du  pauvre  laboureur? 

Le  jour  de  sa  naissanc'  ne  fut  bien  malheureux. 

Qu'il  pleue,  qu'il  vent',  qu'il  neige,  orage  ou  autre  temps. 

On  voit  toujours  sans  cess'  le  laboureur  aux  champs. 

Le  pauvre  laboureur  est  tout  décourlisan  (déchiré); 

N'est  habillé  en  toil'  comme  un  moulin  à  vent, 

N's'fait  faire  des  arsoulett's  (des  chaussettes)  en  toile  de  métier 

Pour  empêcher  la  terr'  d'entrer  dans  ses  souliers. 

Le  pauvre  laboureur  n'ayant  que  deux  enfants, 

L's  a  mis  à  là  charrue  à  l'âge  de  dix  ans. 

Passant  devant  sa  porte,  un  gros  riche  sergent 

Lui  crie  à  haute  voix  :  —  Apportez  votre  argent  ! 

Moins  positives,  les  filles,  après  les  avoir  taquinés  â  la  danse,  pensent 
aux  garçons  en  retournant  au  logis.  Enlacées  par  leurs  mains  jointes 
derrière  le  dos,  elles  cheminent,  tenant  toute  la  route,  et  regardant  avec 
mélancolie  les  collines  noyées  tout  autour  d'elles  dans  la  lumière  argentée 
du  clair  de  lune,  elles  chantent  ce  doux  refrain,  dont  la  poétique  pensée 
se  retrouve  en  tous  pays  de  montagnes,  des  Cévennes  aux  Pyrénées  : 


Abaissa,  montagne, 
Que  tant  nauta  se 
M'empêcha  de  veire 
Moun  amant  Dzozet. 


Baisse-toi,  montagne, 
Qui  tant  haute  es 
Que  tu  m'empêches  de  i 
Mon  amant  Joseph.  ■ 


Et  derrière  les  filles  s'avancent  à  petits  pas  les  vieilles,  pour  lesquelles 
le  clair  de  lune  n'a  plus  d'attraits.  Elles  marmottent  cependant  une 
sorte  de  litanie  qui  se  perd  dans  les  échos  lointains  des  chants  et  des 
musettes.  Qu'ànonnent-elles ?  Que  signifie  cette  mélopée  traînarde,  faite 
pour  endormir  les  gens  les  plus  éveillés?...  C'est  leur  prière,  à  ces 
bonnes  vieilles,  la  prière  que  chacune  d'elles  dit  habituellement  en  se 
couchant,  et  que  ce  soir-là  toutes  récitent  en  commun  : 

Jésus  m'endort. 
Si  je  trépasse,  mande  mon  corps, 
Si  je  trépasse,  mande  mon  âme, 
Si  je  vis,  mande  mon  esprit. 
J'prends  les  anges  pour  mes  amis. 
Le  bon  Dieu  pour  mon  père, 


334 


LE  MENESTREL 


La  sainte  Vierge  pour  ma  mère. 

Saint  Louis  de  Gonzagoie, 

Aux  quatre  coins  de  ma  chambre, 

Aux  quatre  coins  de  mon  lit, 
Préservez-moi  de  l'ennemi. 
Seigneur,  à  l'heure  de  ma  mort! 

Mais  bientôt  toutes  les  vois  s'éteignent.  Ça  et  là,  à  la  tombée  de  la 
lune,  des  petites  lumières  s'allument  au  loin,  sous  le  chaume;  elles 
brillent  un  moment,  et  l'une  après  l'autre  disparaissent.  Déjà  le  coq  a 
chanté  trois  fois,  et  l'alouette  prélude,  en  un  léger  gazouillis,  à  sa 
chanson  du  matin.  A  peine  couché,  il  va  falloir  se  lever. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


N^OXJVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Avec  l'autorisation  de  l'empereur  Guillaume  II,  le  surintendant  des 
théâtres  royaux  de  Berlin  a  invité  M.  Colonne  à  venir  donner,  avec  son 
orchestre,  im  concert  dans  la  salle  du  théâtre  de  l'Opéra.  Ce  concert  est  fixé 
au  2  novembre  prochain. 

—  Il  s'est  formé  à  Berlin,  sous  le  titre  d'Association  pour,  musique  de 
chambre,  une  société  musicale  à  l'instar  de  notre  société  de  musique  de 
chambre  pour  instruments  à  vent.  MM.  Prill  (flûte),  Bundfuss  (hautbois), 
Es  berger  (clarinette), Guetter  (basson), Littmann  (cor)  et  Fuhrmeister  (piano), 
sont  les  membres  de  cette  société,  qui  vient  de  donner,  avec  beaucoup  de 
succès,  son  premier  concert.  On  a  surtout  applaudi  le  ravissant  petit  trio  en 
sol  majeur  pour  piano,  flûte  et  basson,  de  Beethoven. 

—  Un  concours  original  vient  d'être  ouvert  à  Berlin.  Le  11  novembre  aura 
lieu  un  banquet  en  l'honneur  du  célèbre  médecin  et  savant  Virchow,  et  ce 
banquet  sera  naturellement  suivi  d'un  commers,  selon  la  coutume  des  étu- 
diants allemands.  Il  est,  comme  on  sait,  d'usage  que  les  étudiants,  jeunes  et 
vieux,  chantent  inter  pocula  leurs  classiques  lieder  que  là-bas  tout  le  monde 
sait  par  cœur.  Or,  le  comité  Virchow  désire  qu'on  puisse  entendre  quelques 
nouvelles  chansons  au  banquet  en  question,  et  il  a  ouvert  un  concours  pour 
les  obtenir.  Les  prix  ne  sont  pas  bien  engageants  :  100,  SO,  30  et  20  marcs; 
mais  l'honneur  d'enteudre  ses  paroles  et  sa  musique  chantées  en  une  sem- 
blable circonstance  tentera  sans  doute  beaucoup  de  poètes  et  de  compositeurs 
d'outre-Rhin. 

—  On  va  jouer  au  théâtre  grand-ducal  de  Carisruhe,  sous  la  direction  de 
M.  Félix  Mottl,  le  Rigoletto  de  Verdi.  Si  nous  mentionnons  ce  fait,  d'appa- 
re  nce  fort  simple,  c'est  que  les  habitants  de  Carisruhe  ne  connaissent  encore 

Rigolelto  que  de  réputation,  l'ouvrage  n'ayant  encore  jamais  été  représenté  en 
celte  ville,  ce  qui  peut  paraître  au  moins  singulier. 

—  Le  conseil  d'administration  de  la  Société  Liszt  vient  de  se  réunir  à 
Weimar  et  de  décider  d'inaugurer  l'année  prochaine  la  statue  du  maître 
dans  cette  ville.  Le  conseil  a  aussi  décidé  d'entreprendre  une  édition  com- 
p  lète  de  l'oeuvre  de  Liszt  à  prix  réduits,  pour  propager  ses  compositions. 
Ajoutons  qu'un  comité  s'est  formé  à  Stuttgard  pour  ériger  également  dans 
cette  ville  un  monument  à  Liszt.  Le  roi  a  accordé  à  ce  comité  un  très  bel 
emplacement  dans  le  parc  qui  entoure  le  château  royal. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Coblenz  une  magnifique  salle  de  concert  que  les 
bourgeois  de  la  ville  ont  payée  de  leurs  deniers  :  un  seul  amateur  de  musique 
y  a  contribué  pour  125.000  francs  et  a,  de  plus,  offert  un  excellent  orgue. 
L'acoustique  de  la  salle  ne  laisse  rien  à  désirer.  Les  bourgeois  de  Coblenz 
s'occupent  de  réunir  une  nouvelle  somme  importante  pour  améliorer  et 
augmenter  l'orchestre  de  la  ville,  aûn  qu'on  puisse  donner  au  printemps  pro- 
chain un  festival  musical.  Les  parois  latérales  de  la  nouvelle  salle  de  concert 
sont  mobiles  et  on  peut  les  descendre- par  une  trappe  dans  le  sous-sol  ;  après 
la  séance,  la  salle  peut  être  ainsi  évacuée  dans  quelques  secondes.  C'est  une 
innovation  qui  mériterait  d'être   appliquée  dans  toutes  les  salles  de  spectacle. 

—  Le  théâtre  de  la  Résidence  de  Dresde  vient  de  jouer  avec  un  très  vif 
succès  une  opérette  inédite  intitulée  Hecivige  (Jadwiga),  paroles  de  MM.  Hirsch- 
berger  et  PohI,  musique  de  M.  Rodolphe  Dellinger.  Ce  compositeur  est  né 
en  1857  à  Grasslitz  (Bohême)  et  a  été  élevé  au  Conservatoire  de  Prague. 

—  La  maison  natale  de  Mendelssohn  à  Hambourg  est  sérieusement  mena- 
cée. Par  ordre  de  la  justice,  sa  vente  aux  enchères  aura  lieu  dans  quelques 
semaines,  et  l'on  craint  que  le  nouveau  propriétaire  fasse  démolir  cette 
vieille  masure  pour  la  remplacer  par  une  maison  de  rapport.  La  maison 
natale  de  l'auteur  de  Paulus  n'a  jamais  été  bien  brillante;  elle  est  située  dans 
la  Michaelisslrasse,  petite  rue  d'un  quartier  de  la  vieille  cité  de  Ilambour" 
qui  était  principalement  habité  par  les  Israélites.  Les  admirateurs  anglais  et 
allemands  de  Mendelssohn  devraient  se  réunir  pour  sauver  de  la  destruction 
la  maison  où  il  est  né. 

—  L'orchestre  des  théâtres  de  Meiningen,  dirigé  par  M.  Fritz  Steinbach 
vient  de  donner  à  Eisenach'  un  festival  Beethoven  qui  a  obtenu  un  vif  succès. 
Beaucoup  d'artistes  étrangers  ont  prêté  leur  concours  à  cette  solennité  et 


l'orchestre  avait  été  augmenté  de  plusieurs  musiciens  étrangers.  Le  pro- 
gramme, dans  lequel  la  Symphonie  avec  chœurs  occupait  une  place  éminente, 
a  aussi  offert  un  ravissant  rondino  pour  huit  instruments  à  vent,  œuvre  pos- 
thume du  maître.  Ce  rondino  a  dû  être  bissé.  Espérons  que  nous  aurons 
bientôt  le  plaisir  de  l'entendre  à  Paris. 

—  Le  nouvel  opéra  Cœur  de  jeune  fille,  paroles  de  M.  Illica,  musique  de 
M.  Buongiorno,  qui  avait  été  représenté  pour  la  première  fois  à  Cassel  au 
mois  de  février  dernier,  vient  de  remporter  un  succès  éclatant  à  l'Opéra  royal 
de  Dresde  sous  la  direction  éminente  de  M.  de  Schuch.  La  presse  allemande 
s'étonne  de  ce  retour  aussi  victorieux  qu'offensif  de  la  bonne  vieille  mélodie 
italienne,  voire  même  des  fioritures  rossiniennes,  en  plein  wagnérisme; 
depuis  cinquante  ans  ou  n'avait  plus  osé  écrire  de  cette  musique.  Ce  compo- 
siteur est  né  à  Bonito,  près  Naples,  en  1864,  et  a  été  élève  du  Conservatoire 
de  Naples,  où  le  professeur  Serrao  s'était  beaucoup  occupé  de  lui. 

—  Le  crâne  de  Mozart,  que  le  défunt  professeur  d'anatomie  Joseph  Hyrtl 
avait  possédé,  vient  d'être  remis  à  la  ville  de  Salzbourg,  qui  le  fera  conserver 
dans  le  musée  Mozart  installé,  comme  on  sait,  dans  la  maison  natale  du 
maitre.  Il  nous  parait  inutile  de  revenir  encore  une  fois  sur  les  circonstances 
qui  font  mettre  en  doute  l'authencité  de  ce  crâne;  c'est  une  relique,  et  il  faut 
Henvisager  avec  crédulité,  comme  toutes  les  reliques. 

—  Cinq  orphéons  de  Francfort-sur-le-Mein  se  sont  réunis  et  ont  formé  une 
association  qui  se  produira  quelquefois  avec  l'ensemble  de  tousses  membres, 
sans  que  ces  orphéons  renoncent  à  leur  existence  et  à  leurs  manifestations 
artistiques  individuelles.  C'est,  croyons-nous, la  première  tentative  de  cette 
nature. 

—  Le  foyer  de  la  célèbre  salle  des  concerts  du  Gewandhaus  de  Leipzig  vient 
d'être  ornée  des  bustes  de  Mozart  et  de  Beethoven.  Déjà! 

—  Le  prince-régent  de  Bavière  a  fait  exprimer  ses  félicitations  à  M.  de  Pos- 
sart  au  sujet  du  brillant  résultat  obtenu  par  les  représentations  wagnériennes 
du  nouveau  théâtre  du  prince-régent.  La  courte  saison  a  fourni  une  recette 
totale  de  240. OCO  marcs,  qui  a  couvert  non  seulement  tous  les  frais  courants, 
mais  aussi  presque  tous  les  frais  des  nouveaux  décors  etcostumes,  qui  ser- 
viront naturellement  l'année  prochaine.  Les  héritiers  Wagner  n'auront  pas 
non  plus  à  se  plaindre;  les  droitsd'auteurdedixpour  cent  qui  leur  sont  garan- 
tis leur  ont  fourni  en  moyenne  mille  marcs  par  soirée,  ce  qui  est  énorme 
pour  l'Allemagne. 

—  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Lortzing  s'ou- 
vrira la  semaine  prochaine,  à  Berlin,  une  exposition  qui  offrira  au  public  toute 
une  collection  d'objets  et  de  documents  se  rattachant  à  la  vie  et  à  l'œuvre  du 
compositeur.  La  riche  collection  de  M.  Georges  Richard  Kruse,  de  Berlin,  a 
fourni  le  fonds  de  cette  exposition,  et  la  famille  de  Lortzing  a  envoyé  plu- 
sieurs objets  intéressants:  un  bâton  en  argent  et  une  coupe  d'honneur;  la 
Bibliothèque  royale  deBerlin,  le  Théâtre  royal  de  Wiesbaden  et  la  collection 
royale  d'instruments  de  musique  de  Berlin  ont  également  prêté  des  docu- 
ments précie  ux.  Grâce  à  la  prédilection  de  l'empereur  Guillaume  II,  ce  pau- 
vre Lortzing  entre,  un  peu  tard, c'est  vrai,  dans  la  gloire;  la  faveur  des  puis» 
santi  du  jour  est  un  bienfait  des  dieux. 

—  Un  oculiste,  le  docteur  Hermann  Cohn,  de  Breslau,  a  examiné  les 
lunettes  de  Beethoven  qui  se  trouvent  dans  sa  maison  natale  à  Bonn,  et 
donne  dans  une  revue  spéciale  quelques  renseignements  curieux  sur  la  myopie 
du  maître.  On  s'est  toujours  occupé  de  la  surdité  de  Beethoven  et  fort  peu  de 
sa  vue:  il  est  cependant  certain  qu'il  était  myope.  Son  «  ami  »  Schindler  en 
parle  à  peinedans  sa  biographie,  mais  le  docteur  Gérard  de  Breuning,  qui 
le  vit  souvent  dans  les  dernières  années,  a  raconté  que  le  maitre  portait  dans 
la  rue,  suspendue  à  un  cordon  autour  du  cou,  une  lorgnette  double  ou  un  mo- 
nocle, et  qu'il  s'en  servait  constamment  pour  voir  à  distance.  Mais  il  paraît 
qu'à  cette  époque  il  ne  portait  pas  de  lunettes  ;  aucun  de  ses  portraits  ne 
l'orne  de  cet  instrument.  On  a  cependant  trouvé  chez  lui,  après  sa  mort,  deux 
paires  de  lunettes,  d'où  il  faut  tirer  la  conclusion  qu'il  s'en  servait  en  écri- 
vant. L'écriture  fine  de  ses  manuscrits  musicaux,  si  bien  connue  des  collec- 
tionneurs, prouve  également  qu'il  était  myope.  Ses  lunettes  et  son  monocle 
à  verres  concaves  dénotent  une  myopie  moyenne.  Le  poète  viennois  Grillpar- 
zer,  qui  a  vu  Beethoven  pour  la  première  fois  en  1805,  à  l'occasion  d'une 
soirée  chez  son  ami  Sonnieithner,  l'a  ainsi  décrit:  «  Beethoven  était  à  cette 
époque  encore  maigre  et  noir;  contre  son  habitude  postérieure,  il  était  vêtu 
fort  élégamment  et  portait  des  lunettes,  ce  qui  m'est  resté  dans  la  mémoire, 
parce  que  plus  tard  Beethoven  ne  se  servait  pas  de  cet  instrument  des 
myopes.  »  Il  paraît  que  Beethoven  avait,  jusqu'en  1817,  l'habitude  de  porter 
seulement  de  temps  à  autre  des  lunettes.  Après  1817,  c'est-à-dire  dans  les  dix 
dernières  années  de  sa  vie,  il  ne  les  portait  plus  en  dehors  de  son  cabinet. 
Faut-il  attribuer  cela  au  l'ait  que  les  hommes  ont  une  tendance  à  devenir 
presbytes  vers  la  cinquantaine  et  que,  par  conséquent,  la  myopie  de  Beetho- 
ven aurait  diminué  au  déclin  de  sa  vie"?  Aux  oculistes  d'approfondir  ce  côté 
de  la  myopie  de  Beethoven. 

—  On  vient  de  retrouver  un  exemplaire  d'une  publication  fort  curieuse,  qui 
avait  entièrement  disparu  et  dont  personne  ne  se  souvenait  plus.  C'est  une 
collection  de  dix-huit  compositions  différentes  sur  des  paroles  rendues 
fameuses  par  un  célèbre  air  de  Beethoven,  collection  qui  porte  le  titre 
suivant  : 


LE  MENESTREL 


3m 


Arietta 
«  In  qiiesta  tomba  oscuro  ?  » 
Coa  accompagnamento 

di  Pianoforte 

in  XVIII  composizioni 

di  divers!  maestri  : 

Beethoven,  Danzi,  Ecerl,  HiMireL,  Hofmann,  Kozeluch,  Paer,  Bighint, 

RoESLER,  Salieri,  Sterkel,  Terziani,  Weigl,  Lenner,  Zingarelli. 

Lipsia 

Presso  A.  Kûhnel. 

La  date  manque,  selon  l'usage,  mais  il  paraît  que  cette  publication  a  paru 
entre  1820  et  1823  et  que  c'est  au  duc  Frédéric  IV  de  SaxeGotha-Altenbourg, 
compositeur  et  chanteur  qui  est  mort  en  1823,  auquel  on  doit  attribuer  ce 
concours  extraordinaire.  Paer  a  envoyé  deux  compositions  diltérentes  de  cet 
air  que  Beethoven  a  immortalisé. 

—  M.  Joseph  Hellmesberger  vient  d'être  nommé  premier  chef  de  la  cha- 
pelle impériale,  à  Vienne,  en  remplacement  de  M.  Hans  Richter. 

—  La  Société  philharmonique  de  Vienne  vient  de  publier  le  programme  des 
concerts  qu'elle  donnera  pendant  la  prochaine  saison  à  partir  du  3  novembre. 
Nous  y  trouvons  l'ouverture  de  Phèdre  de  Masseuet,  qu'on  n'avait  pas  encore 
jouée  dans  ces  concerts.  l'Artésienne  de  Bizet,  plusieurs  œuvres  nouvelles  de 
Dvorak,  entre  autres  sa  symphonie  en  sot  majeur  (n"  4),  son  poèm3  sympho- 
nique  le  Rouet  d'or  et  son  ouverture  Mo»  pays,  et  une  symphonie  nouvelle  de 
M.  Gustave  Mahler,  en  sot  majeur.  Parmi  les  artistes  étrangers  qui  prêteront 
leur  concours  à  ces  concerts,  figurent  MM.  Raoul  Pugno  et  Jacques  Thibaud. 

—  L'affaire  du  ténor  Meister,  arrêté  à  Vienne  pendant  une  représentation 
des  Contes  d'Hoffmann  au  théâtre  An  der  Wien  sur  la  demande  du  Garltheater, 
est  terminée.  Les  directeurs  de  la  troupe  d'opérette  qui  devait  aller  en  Russie 
ont  payé  pour  leur  ténor  une  rançon  de  4.000  couronnes,  et  le  Garltheater  a 
abandonné  tous  ses  droits  sur  l'artiste,  qu'on  a  remis  en  liberté.  Le  chantage 
légal  —  il  n'y  a  pas  d'autre  expression  pour  cette  procédure  inqualifiable  — 
a  donc  parfaitement  réussi  à  Vienne.  Cette  affaire  a  produit  une  sensation 
énorme,  et  on  parle  sérieusement  d'une  réforme  du  nouveau  Gode  de  procé- 
dure qui  autorise  de  pareils  méfaits  légaux. 

—  Une  affaire  tragique  s'est  déroulée  la  semaine  passée  à  Vienne.  Le  com- 
positeur et  pianiste  Leschetitzky,  auteur  d'un  opéra,  la  Première  ride,  et  de 
plusieurs  morceaux  pour  piano,  qui  compte  parmi  ses  élèves  MM.  Pade- 
rewsky  et  Robert  Fischhof,  s'était  séparé  de  sa  première  femme,  la  célèbre 
pianiste  M"'«  Essipof,  et  s'était  remarié  il  y  a  trois  ans,  quoique  déjà  sep- 
tuagénaire, avec  une  de  ses  élèves  qui  ne  comptait  que  vingt  printemps.  Le 
ménage  semblait  fort  uni  et  heureux,  mais  voilà  que  le  vieil  artiste  fit  inopi- 
nément la  découverte  qu'il  était  complètement  remplacé  près  de  sa  femme 
par  un  de  ses  meilleurs  disciples,  un  jeune  français,  M.  Gaston  Lhérie.  Les 
paroles  de  reproche  que  le  vieux  maître  prononça  au  moment  où,  seul,  il 
constata  le  flagrant  délit  firent  une  si  grande  impression  sur  le  jeune  cou- 
pable qu'il  se  suicida  immédiatement  après. 

—  L'Opéra  impérial  italien  de  Saint-Pétersbourg  jouera  pendant  la  saison 
prochaine  Manon.  Mignon.  Latimé,  Faust,  Hainlcl.  Curnwn.  Ruinéo  el  Juliette  et. 
pour  la  première  fois,  Wertlier.  G'est  M"'=Sigrid  Arnoldson,  l'étoile  de  la 
brillante  troupe  italienne,  qui  créera  dans  la  belle  œuvre  de  Massenet  le 
rôle  de  Gharlotte,  tandis  que  le  rôle  de  Werther  sera  chanté  par  le  célèbre 
baryton  Battistini.  dans  la  version  spéciale  qu'en  a  faite  M.  Massenet. 

—  M.  Edouard  Sonzogno  publie  le  carteltone  pour  la  prochaine  saison  d'au- 
tomne de  son  Teatro-Lirico  de  Milan.  Les  ouvrages  représentés  seront  : 
CItopin,  opéra  nouveau  en  4  actes,  poème  de  M.  Angiolo  Orvieto,  musique  de 
M.  Giacomo  Orefice,  composée  sur  des  motifs  de  Ghopin  ;  Cendrillon  et 
Wertlïer,  de  Massenet,  et  Samson  el  Datita,  de  Saint-Saëns.  Sont  engagés  : 
Mmes  Beltrami,  Botassi,  Cucini,  Dorelli,  Fabri,  Ferrani,  Flori,  Theodorini, 
Toresella  et  Trentini  ;  MM.  Barrera,  Delmas,  Negrini,  Paroli,  Angelini- 
Fornari,  Arcangeli,  Wigley,  Brancaleoni  et  Frigiotti.  Le  chef  d'orchestre  est 
M.  Zuccani. 

—  Encore  le  Néron  de  Boito  !...  Un  journal  de  Vérone  donne  force  détails 
sur  un  séjour  que  M.  Boito  se  prépare  à  faire  à  Sirmione,  où,  pour  pouvoir 
terminer  en  paix  son  Néron,  il  a  loué  toute  la  dépendance  récemment  cons- 
truite d'un  hôtel  important  (il  parait  qu'il  lui  faut  de  la  place !J.  «  Son  cabi- 
net de  travail,  dit  le  journal,  meublé  avec  soin,  regardera  le  lac  du  côté  de 
la  rive  bresciane.  Notre  hôte  illustre  restera  ici  jusqu'au  printemps  pro- 
<;hmii...  »  A  quoi,  en  reproduisant  ces  nouvelles,  la  Gazette  de  Venise  répond 
ceci  :  a  Ou  c'est  une  plaisanterie,  ou  c'est  une  satire.  Selon  les  saints  pères 
du  journalisme  milanais,  Arrigo  Boito  a  depuis  longtemps  terminé  son  Néron. 
Donc  on  veut  plaisanter  sur  cette  épée  de  Damoclès  artistique  qui  est  sus- 
pendue depuis  plus  de  cinq  lustres  sur  la  tête  du  peuple  italien.  Franchement, 
et  avec  tout  le  respect  qu'on  doit  à  l'illustre  Boito,  il  nous  paraît  que  la  plai- 
santerie passe  toutes  les  bornes  et  qu'il  serait  vraiment  temps  de  la  finir.  » 

—  Un  monument,  œuvre  du  sculpteur  Danielli.  vient  d'être  inauguré  à 
Grema,  à  la  mémoire  du  célèbre  contrebassiste  Giovanni  Bottesîni,  né  en 
cette  ville  le  24  décembre  1823,  qui  ne  fut  pas  seulement  un  grand  virtuose, 
mais  aussi  un  remarquable  compositeur,  auteur  de  plusieurs   opéras,  et  un 


excellent  chef  d'orchestre,  comme  il  le  prouva  naguère  à  notre  Théâtre- 
Italien.  On  sait  que  Bottesini,  devenu  directeur  du  Conservatoire  de  Parme, 
mourut  en  cette  ville  en  1889. 

—  On  sait  que  quelques  cas  de  peste  qui  se  sont  produits  re'cemment  à 
Naples  sur  des  navires  venant  d'Orient  ont  très  légitimement  ému  les  popu- 
lations. Le  danger  semble  aujourd'hui  conjuré,  grâce  à  de  rigoureuses  précau- 
tions sanitaires,  mais  il  n'en  a  pas  moins  eu  des  conséquences  singulières  au 
point  de  vue  artistique.  G'est  ainsi  qu'à  Gatane,  on  a,  du  coup,  ajourné  la 
grande  saison  d'opéra  d'hiver,  en  même  temps  qu'on  remettait  à  des 'temps 
meilleurs,  c'est-à-dire  au  printemps,  les  fêtes  du  centenaire  de  Bellini,  qui 
devaient  avoir  lieu  en  novembre.  En  ce  qui  concerne  la  résolution  prise  par 
la  junte  municipale  pour  ces  dernières,  le  public  pourtant  reste  sceptique, 
ainsi  que  nous  l'apprend  la  Gazzetta  musicale,  qui  s'exprime  à  ce  sujet  en  ces 
termes  :  —  «  Certains  on-dit  courent  sur  cette  prorogation,  entre  autres  celui- 
ci,  que  l'administi-ation  communale  aurait  saisi  la  balle  au  bond  des  nouvelles 
napolitaines  pour  se  soustraire  au  fiasco  que  lui  préparait  un  programme  de 
fêtes  peu  sérieux.  Si  cette  prorogation  doit  rendre  plus  dignes  les  hommages 
dont  on  doit  entourer  l'illustre  Gatanais,  elle  sera  la  bienvenue.  Mais  on  craint 
que  ce  soit  une  échappatoire  en  vue  de  l'enquête  gouvernementale  imminente 
sur  nos  affaires  municipales.  » 

—  Nous  avons  raconté  l'histoire  de  cette  cantatrice  russe,  M'i=  Lydia 
Goctko,  qui  s'était  permis,  à  Acqui,  de  gifler  publiquement  un  journaliste  qui 
s'était  permis  lui-même  de  la  trouver  insuffisante  dans  Norma.  Gomme  ledit 
journaliste  ne  pouvait  lui  envoyer  ses  témoins,  il  se  contenta  d'assigner  son 
ennemie  en  justice;  seulement,  celle-ci  était  déjà  retournée  en  Russie.  La 
cantatrice,  «  longue  de  main,  mais  courte  de  voix  »,  dit  un  journal  n'en  a 
pas  moins  été  condamnée,  par  contumace,  à  500  francs  d'amende  et  aux 


—  On  a  inauguré  le  26  août  dernier,  à  l'église  San  Pedro  de  Gijon  (Astu- 
ries),  un  grand  orgue  de  tribune  construit  par  la  célèbre  maison  Cavaillé- 
Goll  de  Paris.  C'est  M.  Louis  Vîerne,  organiste  de  Notre-Dame  de  Paris,  qui 
a  été  chargé  de  faire  entendre  l'instrument.  Il  a  donné  dans  cette  église  deux 
concerts  devant  un  auditoire  très  nombreux,  auquel  il  a  remarquablement 
fait  apprécier  les  merveilleux  timbres  de  l'orgue.  Les  programmes  étaient 
composés  d'œuvres  de  l'école  ancienne  et  moderne  :  on  y  lisait  les  noms  de 
Bach,  Franck,  Widor,  Saint-Saëns,  Guilmant,  Tournemire,  etc.  Au  cours  du 
même  voyage,  M.  Vierne  a  fait  entendre  les  orgues  de  San  Anton  de  Bilbao 
et  de  l'église  paroissiale  de  Valmaseda,  que  M.  Mutin,  de  la  maison  Gavaillé- 
Goll,  a  édifiés  en  même  temps  que  l'orgue  de  Gijon.  En  somme,  gros  succès 
pour  la  facture  française  et  aussi  pour  l'école  d'orgue  de  notre  pays,  dont 
M.  Vierne  est  un  des  représentants  les  plus  éminents. 

—  La  troupe  française  d'opéra  qui,  sous  la  direction  artistique  de  M.  Four- 
nets,  débutera,  au  Theatro  de  la  Princesa  de  Madrid,  dans  les  premiers  jours 
de  novembre,  vient  de  publier  son  programme,  sur  lequel  figurent,  comme 
principales  nouveautés  :  Hérodiade  et  Tliais  de  Massenet,  le  Roi  d'Ys  de  Lalo 
Salnminbo  de  Reyer  et  Samson  et  Datita  de  Saint-Saëns.  L'orchestre  sera 
composé  de  soixante  musiciens  ;  les  choristes  seront  au  nombre  de 
soixante-dix. 

—  Le  nouveau  Théâtre-Lyrique  de  Madrid,  dont  nous  avons  déjà  parlé  et 
qui  est  la  propriété  de  M.  Berriatua,  n'est  pas  encore  terminé,  mais  on  assure 
que  son  inauguration  pourra  avoir  lieu  le  13  novembre  prochain.  Ce  théâtre 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  sera  exclusivement  consacré  à  l'opéra  espagnol, 
et  sa  troupe  sera  presque  entièrement  composée  d'artistes  espagnols. 

—  Parmi  les  artistes  engagés  pour  1'  a  imminente  »  saison  du  théâtre 
Royal  de  Madrid,  on  cite  en  première  ligne  les  noms  de  M"'«EvaTetrazzini, 
Barrientos,  Leonilde  Gabbi,  Hericlea  Dardée,  Arkel,  Blasco,  Timroth,  et  de 
MM.  Bieletto,  Dufriche,  Garbin,  Granadfls,  Ventura  et  Blanchart.  Le  chef 
d'orchestre  sera  le  maestro  Gampanini. 

—  De  Barcelone  :  «Le  troisièmeet  dernier  grand  concert  donné  par  le  maître 
Raoul  Pugno  a  été  un  véritable  triomphe  pour  l'éminent  compositeur  et  pour 
l'art  français.  Le  succès,  toujours  en  progression  dans  cette  brillante  série,  a 
pris  des  proportions  inconnues  depuis  Rubinstein.  Ce  dernier  grand  concert 
de  Raoul  Pugno  s'est  terminé  sur  d'enthousiastes  et  indescriptibles  ovations.» 

—  On  annonce,  pour  le  prochain  festival  musical  de  Leeds,  l'exécution  de 
trois  grandes  compositions  inédites  et  importantes  :  un  chant  funèbre  de 
M.  Charles  Wood,  une  cantate  de  M.  Alexandre  Glazounof,  le  jeune  musi- 
cien russe,  et  une  cantate  tragique  intitulée  la  Jeune  Aveugle  de  Castet-CuUté, 
dont  les  paroles  sont  empruntées  à  une  poésie  de  Wordsworth  et  dont  la 
musique  a  été  écrite  par  M.  Coleridge  Taylor,  le  compositeur  américain. 

—  On  nous  télégraphie  de  New-York  que  M"»  Sibyl  Sande  rson  vient  de 
remporter  un  succès  triomphal  dans  la  Manon  de  Massenet.  La  salle,  archi- 
comble,  lui  a  fait  un  vrai  triomphe  :  quatre  ou  cinq  rappels  à  chaque  acte, 
sept  à  la  fin.  Ovations,  fleurs,  rien  ne  manquait,  et  pour  les  prochaine  s  repré- 
sentations tout  est  loué,  ce  qui  démontre  le  franc  succès. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  signé  lundi 
dernier  l'arrêté  nommant  les  professeurs  à  trois  des  classes  vacantes  du 
Conservatoire.  Ce  sont  M.  de  Martini,  depuis  longtemps  professeur  de  solfège 


336 


LE  MÉNESTREL 


pour  les  chanteurs  dans  la  maison,  qui,  comme  professeur  de  cliant.  rem- 
place M.  Léon  Duprez  :  M.  Lhérie  devient  titulaire  de  la  classe  d'opéra  que 
tenait  M.  Giraudet,  et  enfin  M.  Isnardon,  qui,  vraisemblablement,  va  se 
trouver  être  un  des  plus  jeunes  professeurs,  fera  la  classe  d'opéra-comique 
en  place  de  M.  Achard.  Espérons  que  cette  dernière  nomination  n'éloi- 
gnera pas  complètement  du  théâtre  l'excellent  et  personnel  artiste  qu'est 
M.  Isnardon.  Reste  à  jourvoir  la  classe  d'opéra-comique  de  M.  Lhérie, 
devenu  professeur  d'opéra. 

—  Résultat  des  examens  d'entrée  qui  ont  eu  lieu  au  Conservatoire.  Sont 
admis  à  suivre  les  cours  : 

Piano  (hommes).  —  MM.  Bataila,    Boscoff,  Claveau,  de  Francmesnil,   Dorival,  Elle, 
Swirsky,  Théroine,  Augieras,  Lafon. 
Classes  préparatoires.  —  M.M.  Bournonville,  Crassous,  Levi,  Schwaab,  Vivarès. 

Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  annoncé,  les  examens  pour  le  piano  (femmes) 
auront  lieu  les  jeudi  24  et  vendredi  2o  octobre,  à  midi.  Celui  pour  les  admis- 
sibles, le  lundi  28  octobre,  à  midi  également.  Pour  la  contrebasse,  l'alto,  le 
violoncelle,  mercredi  30  octobre,  à  dix  heures. 

—  A  l'Opéra,  la  répétition  générale  des  Barbares  est  toujours  fi.xée  à  ce  soir 
dimanche  et  la  première  représentation  à  mercredi  prochain.  L'ouvrage  nou- 
veau de  M.  Saint-Saëns,  de  durée  assez  courte,  sera  pourtant  joué  seul  pen- 
dant les  premières  représentations;  le  lever  du  rideau  aura  lieu  à  8  h.  1/2 
très  exactement. 

—  A  rOpéra-Comique  : 

Lundi  dernier,  fête  intime  et  toute  de  cordialité  dans  le  foyer  du  public, 
où  tout  le  personnel  de  la  maison  s'était  réuni,  sous  la  présidence  de  l'excel- 
lent Fugère,  pour  fêter  la  croix  d'officier  de  la  Légion  d'honneur  de  M.  Al- 
bert Carré.  Les  artistes  donnent  en  souvenir  à  leur  directeur,  très  ému  de 
cette  touchante  manifestation,  un  exemplaire  en  bronze  du  Cmnarjc  militaire 
de  Paul  Dubois,  tandis  que  M.  Italiander,  au  nom  de  l'orchestre,  lui  remet 
sa  croix  d'officier  enrichie  de  brillants. 

Mardi,  M"'Garden,  rétablie  complètement,  faisait  sa  rentrée  très  applaudie 
dans  Manon.  L'affiche  portait  le  nombre  399  pour  cette  représentation  du 
chef-d'œuvre  de  Massenet.  Voilà,  en  perspective  et  tout  à  fait  proche,  une 
fort  belle  -iOO''. 

Jeudi,  reprise  de  la  Vie  de  Bohème  pour  les  débuts  de  M"=  Marguerite 
Giraud  qui,  dès  ce  premier  soir,  malgré  beaucoup  d'émotion,  a  conquis  le 
public  de  la  salle  Favart.  Douée  d'une  jolie  voix  au  timbre  sympathique  et 
adroitement  conduite,  et,  qualité  de  plus  en  plus  rare,  d'une  exquise  nature 
de  théâtre,  M''*  Marguerite  Giraud,  qui  a  de  qui  tenir,  puisqu'elle  est  la  fille 
du  baryton  Giraud,  qui  eut  de  grands  succès  de  chanteur  avant  de  s'adonner 
à  la  direction  théâtrale,  la  nièce  de  M'"'=  Vaillant-Couturier  et  la  filleule  de 
M"=  Pierron,  M""  Marguerite  Giraud  a  joué  le  joli  rôle  de  Mimi  en  petite 
comédienne  pleine  de  sentiment  et  d'expression  ;  nul  doute  qu'elle  ne  prenne 
•assez  vite  dans  la  troupe  de  M.  Albert  Carré  une  place  prépondérante.  A 
côté  d'elle  M.  Gautier,  remplaçant  presque  à  l'improviste  M.  Maréchal, 
indisposé,  a  fait  valoir  la  générosité  de  son  organe,  tandis  que  MM.  Fugère, 
Perrier,  Delvoye  et  M"*  Tiphaine  retrouvaient  leur  succès  habituel. 

Le  même  soir,  débutait  dans  l'Amoureuse  de  la.  Guimard  une  gentille  dan- 
seuse-mime qui  vient  de  l'Opéra,  k'"  Georgette  Jougla,  qu'on  a  très  juste- 
ment fêtée. 

Les  études  en  scène  de  Crisélidia  se  continuent  régulièrement.  Cette 
semaine  l'orchestre  lira,  sous  la  direction  de  M.  Messager,  la  partition  de 
M.  Massenet. 

Le  public  des  représentations  populaires  à  prix  réduit  se  plaignait,  ajuste 
raison,  de  n'être  pas  admis  à  s'assurer  ses  places  à  l'avance  et  de  se  voir  obligé 
de  faire,  sous  la  pluie  ou  la  neige,  de  longues  stations  à  la  porte  du  théâtre 
avant  d'arriver  à  ses  places.  M.  Albert  Carré,  pour  remédier  à  cet  état  de 
choses,  a  sollicité  du  ministre  des  beaux-arts  l'autorisation  d'ouvrir  son  bu- 
reau de  location  aux  représentations  populaires,  moyennant  une  légère  sur- 
taxe. Cette  autorisation  lui  ayant  été  accordée,  la  prochaine  «  populaire  », 
fixée  à  demain  lundi,  aura  lieu  aux  nouvelles  conditions  qui  sont  les  suivantes  : 

ïatir  ordinaire 

dos  LocaUoo. 

n  populaires  ». 

Avant  scènes  de  rez-de-  chaussée 4    »  5    » 

Loges  de  balcon,  baignoires 4    »  5    » 

Fauteuils  de  balcon  1"  rang 4o  5» 

Fauteuils  d'orchestre  et  de  balcon  {!'=  et  .3"  rangs) 3  50  5    » 

Loges  de  face  de  2-  étage 3    »  4    » 

Avant-scènes  et  loges  de  côté  du  %•"  étage 2»  3» 

Stalles  de  parterre ^ 2    »  s.  loe. 

Avant-scènes,  fauteails  et  loges  du  S'^  étage 1  50  2    » 

Stalles  du  3-  étage 1    »  1  50 

Fauteuils  et  stalles  d'amphithéâtre 0  50  s.  toc. 

—  Une  grosse  révolution,  à  la  fin  de  la  semaine  dernière,  dans  le  gouver- 
vernement  de  la  Comédie-Française.  On  a  porté  la  main  sur  le  sacro-saint 
décret  de  Moscou,  qui  était  la  charte  de  la  maison,  et  à  la  suite  d'incidents 
que  chacun  se  rappelle,  de  plaintes  publiques  de  divers  auteurs  plus  ou  moins 
légitimement  froissés  des  procédés  employés  envers  eux,  d'une  violente 
campagne  de  presse  qui  sans  doute  n'était  pas  sans  quelque  raison  d'être, 
M.  Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  a  cru  devoir 
agir  avec  une  vigueur  exceptionnelle.  Bref,  un  décret  en  date  du  12 octobre. 


signé  par  le  Président  de  la  République  et  contresigné  par  le  ministre,  a 
purement  et  simplement  supprimé  le  comité  de  lecture,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise. Désormais  plus  de  responsabilité  collective  et  anonyme,  c'est-à-dire 
il  lusoire,  mais  une  responsabilité  personnelle  et  réelle,  celle  de  l'adminis- 
trateur, seul  chargé  de  la  réception  ou  du  re  fus  des  pièces  présentées.  De  cette 
façon,  les  auteurs  sauront  à  qui  s'adresser  et  à  qui  se  prendre  des  mesures 
dont  ils  seront  l'objet.  C'est,  nous  l'avons  dit,  une  grosse  révolution  dans  la 
marche  habituelle  des  choses  de  la  maison,  et  une  main-mise  sur  une  des 
plus  importantes  prérogatives  de  messieurs  les  sociétaires.  Ou  a  cru  un 
i  nstant  que,  dans  un  premier  mouvement  de  dépit,  lesdits  sociétaires  allaient, 
eu  x  aussi,  proclamer  la  grève  générale.  Il  n'en  a  rien  été,  fort  heureusement. 

—  Le  jugement,  pour  les  œuvres  chorales,  du  3»  concours  de  composition 
ouvert  par  l'Association  des  jurés  orphéoniques,  a  été  rendu  le  16  octo- 
bre 1901  : 

l"""  prix  à  l'unanimité,  chœur  intitulé  :  Pardon  de  liretaijne.  .\uteur  :  M.  Fai-igoul, 
chef  de  musique  des  équipages  de  la  flotte,  à  Brest. 

2'  prix  à  l'unanimité,  chœur  intitulé  :  Patrouille.  Auteur  :  M.  Henri  Jlaréchal,  inspec- 
teur de  l'enseignement  musical  au  ministère  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts. 

Jlention  avec  diplôme,  eho'ur  intitulé  :  Pèelietini  d'htande. 

Le  jury  déclare  que  c'est  à  son  vif  regret  qu'il  a  du  écarter  le  chœur  ayant 
pour  titre  :  Jésus  dans  la  tempête.  Cette  œuvre,  dont  il  reconnaît  la  valeur 
musicale  et  la  belle  facture,  a  du  être  mise  hors  concours  parce  qu'elle  pré- 
sen  te  des  difficultés  d'exécution  qui  ne  sauraient  convenir  à  un  chœur  écrit 
pour  la  3=  division.  Deux  séances  ont  été  consacrées  à  l'examen  des  œuvres 
chorales;  le  jury  était  composé  de  MM.  Emile  Pessard,  président,  Auguez, 
Chevé,  Duprez,  Gastinel,  d'Ingrande,  Kaiser,  Roger-Miles  et  Paul  Rougnon. 

—  Au  .Ihéâtre  du  Chàteau-d'Eau  on  a  commencé  les  répétitions  de 
Muni'zelle  Nitouche,  dont  la  reprise  semble  assez  prochaine.  Les  deux  princi- 
paux interprètes  seront  M'"^  Simon-Girard,  qui  sera  Nitouche,  et  M.  Paul 
Fugère,  obligeamment  prêté  par  le  Vaudeville,  qui  jouera  Floridor. 

—  C  est  aujourd'hui  qu'a  lieu  simultanément  la  réouverture  des  concerts 
Colonne  et  des  concerts  Lamoureux.  On  parle  beaucoup  de  la  richesse  et  de 

1  a  nouveauté  des  programmes  qui  seront  offerts  au  public  au  cours  de  celte 
saison,  et  des  surprises  qui  nous  attendent.  Il  est  certain  qu'on  travaille  en 
ce  moment  avec  ardeur  de  tous  cotés,  et  que  le  Conservatoire  lui-même,  sous 
l'impulsion  de  son  nouveau  chef,  M.  Marty,  semble  vouloir  sortir  de  sa  tor- 
peur. En  attendant  les  événements,  voici  les  programmes  des  concerts  d'au- 
j  ourd'hui  dimanche  : 

Châlelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  Léonore  n°  3  (Beethoven).  —  Concerto  en  fa 
pour  violon  (Lalo),  par  M.  Jacques  Thibaud.  —  Symphonie  la  Chasse  (Gossec).  — Concerto 
en  la  pour  piano  n°  2  (Liszt),  par  M.  Arthur  de  Greef.  —  Symphonie  enso(  n°  13  (Haydn). 

—  Concerto  pour  deux  violons  (Bach),  par  MM.  Thibaud  et  Oliveira.  —  Scène  du  Venus- 
berg  de  Tanulmuser  (R.  Wagner). 

Nou\  eau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Ouverture  de 
Iknvemilo  Cellini  (Berlioz).  —  Danse  polovtsienne  du  Prince  Ir/or  (Borodine).  —  Concerto 
eu  fa  mineur  pour  piano  (Lalo),  par  M.  Louis  Diémcr.  —  Symphonie  avec  chœurs  (Beetho- 
ven) :  solistes,  M"'  Lormont  et  Mclno,  MM.  Feodorow  et  Challet. 

Concert  du  Grand-Palais  : 

Loreh'i  (Wallace).  —  Sapho  (Gounod),  stances  chantées  par  M"°  Minne.  —  Première 
.^l/mijhonie  (Beethoven).  —  Impromptu- Caprice  (Fierné),  harpe  ;  M"'  Lucie  Delcourt.  — 
tes  Eri«»;/ra  (Massenet),  violoncelliste,  M.  Feuillard.  —  La  Belle  fille  {G.  Pfeifferi,  M.  L. 
Bataille.  —  Rêverie  (Schumann).  —  Lu  Jolie  fille  de  Pi-rth  (Dizct),  par  M.  L.  Batiiille.  — 
Lu  Belle  au  Bois,  valse  (Tschaïkowsky).  Orchestre  dirigé  par  M.  L.  Pister. 

—  MM.  Gortot  et  Schutz  viennent  d'engager  en  vue  des  représentations  du 
Crépuscule  des  Dieux,  en  plus  de  M.  Van  Dyck,  M"'^  F.  Litvinne  et  Schuman- 
Heinck. 

—  De  Strasbourg:  Les  pianistes  Paderewsky,  Pugno  et  Risler  et  les  vio- 
lonistes Marteau  et  Halir  seront,  cet  hiver,  les  principaux  solistes  des 
concerts  d'abonnement  de  l'orchestre  municipal. 

—  Cours  et  leçons.  —  M"'  JI.-L.  Grenier  vient  de  reprendre,  47,  rue  Latïitte,  ses  cours 
de  piano,  de  musique  d'ensemble,  de  solfège  et  de  clumt,  placés  sous  le  haut  patronage 
de  M.  Massenet  et  dont  les  examens  sont  passés  par  M.  Ch.-M.  Widor.  —  Ln  Société  de 
musique  vocale,  dirigée,  pour  l'enseignement  du  chant,  par  M""  Julie  Bressoles  et,  pour 
celui  du  piano,  par  M^'R.  Fâche,  reprend  ses  intéressantes  et  instructives  séances; 
s'adresser  62,  rue  de  la  Faisanderie.—  M""  Bernamoiit,  élève  de  Marmontel,  a  repris  chez 
elle,  7,  rue  Coëtlogon,  ses  leçons  et  cours  de  chant,  piino,  solfège  et  ensemble  à  2  pianos. 

—  M""  L.  >Iendès,  de  l'Opéra,  i-eprend  chez  elle,  32,  rue  Laugier,  ses  leçons  de  chant  et 
réunions  chorales. —  JI.  Léon  Dupi-ez  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  chant,  96,  rue  de 
Maubeuge.  —  M"''  M.  Fayé  reprend  ses  cours  et  leçons  de  musique  dans  son  nouvel  appar- 
tement, 22,  rue  Vaneau. 

Henki  TIeugel,  directeur-gérant. 


A 


■VENDRE  violon  de  PETRIS  (lARJiEBU S,  amto  l69o,  réparé   par  Gand  frères  en 
18oC.  —  S'adresser  à  M.  Derisbourg,  17,  rue  Pottier,  à  Villemomble  (Seine). 


Viennent  de  paraître  : 

Chez  Chamuel  et  C'",  Contes  Amoureux,  par  Ch.  Grandmougin  (2  francs). 

Chez  Bossard-Bonnel,  à  Rennes,  la  Musiqueà  vol  d'oiseau,  par  ProsperMorton  (1  fr.  50). 

Chez  Durand  et  fils,  les  Barbares,  tragédie  lyrique  en  3  actes  et  1  prologue,  poème  de 
M.M.  V.  Sai'dou  et  Gheusi,  musique  de  M.  Saint-Saëns,  qui  va  élre  représenté  à  l'Opéra. 
Pa  ilition  piano  et  chant,  net  :  20  francs.) 


-  (EDcre  Lorllleui). 


3683.  —  67""= 


-  ^"43.       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimanche  27  Octobre  1901. 


(Les  Bureaux,  2  ""i  rue  Tirieime,  Paris,  n>  m») 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


B.P-L. 


lie  Haméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite  HaméPo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGBL,  directeur  du  Ménestrel,  2  &ts,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  ■-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEÏTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (35'  article),  Paol  d'Estrées.  — 
IL  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  des  Barbares  à  l'Opéra,  Arthur  Pougin  ; 
premières  représentations  de  Briguai  et  sa  fètle  et  de  PoiiH  de  Lendemain  à  l'Odéon,  et 
du  Curé  yince/if  à  la  Gaîté,  Paul-Émile  Chevalier.  —  lU.  Petites  noies  sans  portée: 
L'art  des  programmes,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

VALSE    CAPRICANTE 

de  Théodoiie  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :    Enlr' acte-Idylle,   extrait  de 
Grisélidis,  musique  de  J.  Massenei. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  ; 
Le  Marquis  à  la  Marquise,  sonnet  de  Rodolphe  Bringer,  mis  en  musique 
par  Gabriel  Verdalle.  —  Suivra  immédiatement  :  //  partit  au  printemps, 
chanté  par  M"=  Lucienne  Bréval  dans  Grisélidis,  poème  d'ARjuND  Silvestre  et 
Eugène  Morand,  musique  de  J.  Massenet. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

;  plus  récents  et  d 

(Suite.) 


L'opéra- comique  à  son  apogée.  —  La  voix  de  Ponchard.  —  Un  habit  de  mousque- 
taire pour  deux.  —  La  métamorphose  d'un  opéra-comique.  —  Paul  de  Kock  et 
la  duchesse  de  Berry.  —  Le  noyau  de  pêche  de  la  Sontag.  —  La  Malibran  et 
l'imprévu  de  son  jeu.  —  Origine  d'une  amitié  à  toute  épreuve.  —  Elisabeth  Lebrun. 
—  Les  larmes  de  la  Malibran.  —  La  j^remière  de  Henri  III  et  sa  cour.  —  Fan- 
taisie vénitienne.  —  La  Malibran  magnétisée  par  le  vicomte  Sosthénes  de  La  Ro  - 
chefoucauld.  —  Déceptions  mondaines.  —  Critiques  d'E.  Delacroix  contre  la 
Malibran,  défendue  par  son  frère  Garcia.  —  La  Pasta  au  théâtre  de  Vienne  et 
chez  jl/"»  de  Rumford.  —  Le  petit  diable.  —  Gounod  et  M""  Viardot  à  Rome.  — 
La  mort  de  la  Malibran.  —  Émotion  de  Delacroix  et  de  Flaubert.—  La  Genèse  de 
Sapho,  de  Gounod.  —  Un  croquis  de  M'""  Viardot. 

Les  artistes  lyriques  — j'entends  les  bons,  et  même  les  excel- 
lents —  étaient  légion  sous  la  Restauration. 

Les  Souvenirs  de  la  comtesse  Dash  citent  volontiers  la  troupe  de 
rOpéra-Comique,  bien  oubliée  aujourd'hui,  et  pourtant  l'élite  des 
chanteurs  ou  plutôt  des  diseurs  de  la  phrase  musicale. 

Gavaudan  n'était  plus  qu'une  «  ruine  »  ;  mais  Ponchard 
«  chantait  comme  un  ange  »  avec  peu  de  voix,  et  moins  de  figure 
encore,  quoi  qu'il  n'eût  pas  l'air  de  s'en  douter.  Il  me  souvient 


que  son  fils,  dont  la  méthode  était  si  sûre  et  l'organe  si  faux, 
amena  un  jour  aux  concerts  de  Louis-le-Grand  le  vieil  artiste, 
retiré  depuis  plusieurs  années  de  la  scène.  Il  ne  fallut  pas  le 
prier  longtemps  pour  le  faire  monter  sur  l'estrade  et  chanter  l'air 
classique  de  cette  Dame  Blanche  qui  fut  toujours  le  premier  de 
ses  triomphes.  Le  bonhomme  n'avait  plus  qu'un  filet  de  voix 
chevrotante  ;  eh  bien!  la  flamme  qui  l'animait  encore  lui  donnait 
une  telle  puissance  que  pas  un  mot,  pas  une  note,  pas  même 
une  nuance  ne  fut  perdue  pour  l'auditoire  juvénile  dont  je  fai- 
sais alors  partie. 

La  comtesse  Dasli  cite  également  parmi  les  chanteurs  d'opéra- 
comique  de  l'époque  Lafeuillade  et  Lemonnier,  qui  n'étaient 
rien  moins  que  virtuoses,  mais  qui  savaient  charmer  leur  public. 
Le  premier  était  un  fort  joli  garçon  d'une  distinction  parfaite  ; 
le  second  n'était  pas  moins  privilégié  sous  le  rapport  des  avan- 
tages physiques,  mais  sa  tournure  était  absolument  vulgaire. 
Ils  n'avaient  pour  eux  deux  qu'un  habit  de  mousquetaire  dans 
une  pièce  Louis  XV,  et  ils  faisaient  courir  tout  Paris. 

M"""  Boulanger  était  délicieuse  dans  le  rôle  de  Jenny  de  la 
Dame  Blanche,  écrit  spécialement  pour  elle;  M""  Pradher,  «  la  plus 
jolie  créature  du  monde  »,  formait  avec  Lemonnier  et  Lafeuil- 
lade un  ravissant  trio  dans  la  Vieille. 

—  Quelle  femme  adorable  !  s'écrie  Paul  de  Kock  quand  il 
rappelle  que  le  mari,  élève  de  M°"  de  Montgeroult  et  père  du 
fameux  Bouton  de  Rose,  écrivit,  en  collaboration  avec  Kreubé,  la 
musique  du  Philosophe  en  voyage.  Cet  opéra-comique,  œuvre  de 
Paul  de  Kock,  eut  cent  représentations,  et  ses  avatars  sont  peut- 
être  uniques  dans  l'histoire  du  théâtre.  La  direction  en  avait 
supprimé  peu  à  peu  tous  les  airs,  si  bien  qu'un  jour  la  pièce  fut 
jouée  en  comédie.  L'intendant  des  spectacles  de  la  cour,  qui 
jusqu'alors  avait  toujours  refusé  de  l'y  admettre,  la  fit  paraître  en 
1825  à  Saint-Cloud.  La  duchesse  de  Berry  la  trouva  exquise  et 
parut  désirer  en  connaître  l'auteur.  Paul  de  Kock  fut  mandé  en 
conséquence  à  Rosny,  résidence  de  Son  Altesse.  Il  s'empressa 
de  s'y  rendre;  mais  la  duchesse  était  absente.  Le  jeune  auteur 
visita  le  château  et  se  promena  dans  le  parc.  Il  reprenait  le  che- 
min de  Paris  quand  la  princesse  apparut.  Elle  insista  beaucoup 
pour  que  Paul  de  Kock  revint  une  seconde  fois  à  Rosny.  Le  visi- 
teur se  savait  bien  en  cour  ;  les  Bourbons,  nous  disait-il,  ne 
pouvaient  avoir  oublié  que  mon  père,  le  banquier,  un  de  leurs 
plus  fidèles  serviteurs,  avait  été  guillotiné  comme  tel  pendant 
la  Révolution. 

Castellane,  que  nous  avons  déjà  vu  fréquenter  assidûment  le 
monde  des  théâtres,  en  rapporte  d'intéressantes  nouvelles.  Il 
était  à  l'Opéra-Comique  le  jour  (11  février  1813)  où  M""  Duret 
s'évanouit  dans  le  Calife  de  Bagdad,  parce  que  le  public  lui  criait 
de  chanter  plus  fort. 

Beaucoup  plus  tard,  c'est  la  grande  Sontag  qui  est  en  scène, 
ou  plutôt  qui  n'y  est  plus.  En  1829  elle  garda  la  chambre  pen- 


338 


LE  MÉNESTREL 


dant  trois  mois,  et  le  prince  Tuffiakin,  le  défenseur  convaincu 
de  la  vertu  des  actrices,  donnait  à  cette  réclusion  forcée  un  sin- 
gulier motif:  la  prima  donna  était  tombée,  prétendait-il,  en 
glissant  sur  un  noyau  de  pêclie  ;  et  tout  le  monde,  affirme  cette 
mauvaise  langue  de  Castellane,  savait  que  ce  faux  pas  était 
purement  et  simplement  une  grossesse...  bien  terminée.  C'était 
encore  JP"  Sontag  qui,  au  commencement  de  cette  même  année 
1829,  avait  été  plus  applaudie,  dans  une  soirée  de  gala,  que  le 
roi  Charles  X,  malgré  que  cet  auguste  spectateur  eût  payé  dix 
mille  francs  sa  loge  pour  la  représentation  donnée  par  l'Opéra 
au  bénéfice  des  pauvres  de  Paris. 

Cuvillier-Fleury  parle  à  cette  époque  (29  novembre  1829)  delà 
Sontag  dans  les  termes  les  plus  élogieux  et  les  plus  attendris. 
11  rentre  des  Italiens  encore  tout  ému.  L'artiste  chantait  dans 
Don  Juan,  où  elle  était  admirable  de  passion  :  elle  était  sous  l'im- 
pression d'un  «  amour  malheureux  ».  Le  comte  Rossi,  secrétaire 
d'ambassade,  qui  devait,  l'année  suivante,  lui  faire  quitter  le 
théâtre  pour  l'épouser,  était  alors  presque  hésitant.  Ses  collè- 
gues avaient,  parait-il,  demandé  et  obtenu  sa  destitution. 

M"""  Marie  Colombier,  qui  eut  les  meilleures  raisons  du  monde 
pour  se  dire  bien  informée,  assure,  dans  ses  Mémoires  (1),  que  la 
Sontag  s'était  éprise,  sans  être  payée  de  retour,  de  Charles  de 
Bériot,  et  que  cette  déception  n'avait  pas  été  une  des  moindres 
causes  de  sa  rivalité  avec  la  Malibran.  Le  mariage  de  celle-ci 
avec  l'illustre  violoniste  fut  suivi,  ajoute  M"'"=  Marie  Colombier, 
de  la  réconciliation  des  deux  ennemies.  Certes,  la  comtesse 
Rossi  et  M""'  de  Bériot  oublièrent  un  jour,  dans  l'élan  d'une 
générosité  réciproque  qui  devint  bientôt  une  solide  amitié,  les 
motifs  de  leurs  anciennes  querelles;  mais  il  est  plus  vraisembla- 
ble que  l'art  fut  la  seule  cause  de  cette  célèbre  rivalité.  Cuvillier- 
Fleury  ne  souffle  mot,  d'ailleurs,  de  la  prétendue  passion  de  la 
Sontag  pour  de  Bériot;  mais  en  notant,  le  23  mars  1831,  que  la 
Malibran,  attendue  au  concert  du  Palais-Royal,  s'est  dispensée 
d'y  paraître,  il  ajoute  malicieusement,  car  il  n'est  pas  toujours  in- 
dulgent pour  elle,  que  «  le  général  Lafayette  s'est  chargé  de  l'excu- 
ser. La  Quotidienne  prétend  qu'il  est  amoureux  d'elle  et  qu'il  veut 
l'épouser.  C'est  une  bonne  bêtise  dont  on  s'amuse  fort  dans  le 
monde  où  l'on  ne  respecte  rien.  Il  est  certain  que  cette  folle  est 
éprise  du  général  et  qu'elle  cherche  à  obtenir  de  son  crédit  un 
divorce  avec  son  mari  ». 

Évidemment,  Cuvillier  critique  de  parti  pris  la  Malibran.  Au- 
cun des  actes  de  la  femme  ne  trouve  grâce  devant  cet  austère 
censeur.  Ya-t-elle  au  bal  masqué?  Elle  «  danse  le  galop  en 
courtisane  » .  Et  l'artiste  même  se  trouve  enveloppée  dans  cette 
réprobation.  Sans  doute,  Cuvillier-Fleury  est  bien  obligé  de 
reconnaître  que  la  Malibran  a  chanté  «  d'une  façon  ravissante  » 
le  duo  du  Maître  de  Chapelle  avec  Zucchelli.  Mais  il  poursuivra  de 
ses  épigrammes  le  jeu  de  l'actrice  jusque  dans  ce  répertoire  ros- 
sinien,  où  la  gloire  de  l'interprète  semble  indiscutablement  liée 
à  celle  du  compositeur  : 

o:  J'ai  accompagné  le  duc  de  Chartres  aux  Italiens,  écrit  cet 
impitoyable  Aristarque.  La  Gaszaladra  a  été  exécutée  avec  ensem- 
ble. M"'  Malibran  a  chanté  à  ravir  d'enthousiasme  M.  Artaud 
lui-même.  Elle  joue  trop.  Ses  intentions  sont  d'une  artiste  ;  mais 
l'exécution  est  souvent  chargée  et  hors  de  proportion  avec  le 
r6le.  Elle  multiplie  les  gestes  et  les  mouvements  de  physionomie 
avec  une  mobilité  fatigante  pour  le  spectateur  et  pour  elle- 
même.  Il  y  a  plus,  elle  communique  et  semble  commander  aux 
'autres  cette  intempérance  de  mouvements,  à  ce  point  qu'elle  a 
failli  se  brouiller  ce  soir  avec  le  parterre.  Un  gendarme,  qui  la 
saisissait  à  bras-le-corps  avec  un  peu  trop  de  zèle,  fut  sifflé  par 
quelques  personnes,  mais  il  fut  obligé  de  revenir  à  la  charge  sur 
l'injonction  muette  de  M"'"  Malibran,  qui  avait  décidé  de  se 
débattre  sans  mesure  dans  les  mains  de  la  force  armée ...  et 
cette  fois  le  parterre  se  fâcha.  » 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 

(1)  Marie  Colombieb.  —  Mémoires;  Flammarion,  1898-1899. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra.  —  Les  Barbares,  tragédie  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue,  poème 
de  MM.  Victorien  Sardou  et  P.-B.  Gheusi,  musique  de  M.  Camille  Saint- 
Saëns.  (Première  représentation  le  23  octobre  1901.) 

Un  siècle  avant  le  Christ,  Rome  trembla.  Contre  elle 
Trois  cent  mille  Germains,  géants  aux  cheveux  roux, 
Chassés  du  Nord  brumeux  que  l'ouragan  harcèle. 
S'abattirent  soudain,  hurlant  comme  des  loups. 
Les  légions  fuyaient  devant  eux.  L'épouvante 
S'emparait  des  cités  aux  clameurs  de  leurs  voix. 
Les  Gaulois,  qu'affolait  cette  houle  grondante, 
Cherchaient  leur  salut  dans  les  bois. 

Dans  Orange  investie  une  jeune  vestale, 

Seule,  arrêtant  le  flot  impur, 

Maîtrisa  la  tourbe  brutale 
Par  l'auguste  fierté  de  son  regard  d'azur. 
Vierge,  elle  se  donna  pour  racheter  la  ville  , 
Cypris,  malgré  Vesta,  s'éveilla  dans  son  cœur  ; 
Mais  la  chaste  déesse,  à  tout  amour  hostile. 
Vengea  l'outrage  aux  dieux  dans  le  sang  du  vainqueur. 

Ainsi  s'exprime,  au  prologue  des  Barbares,  le  «  Récitant  »,  sorte 
d'aède  qui  résume  en  ces  quelques  vers,  avec  une  exactitude  parfaite, 
néghgeant  les  détails,  l'action  d'ailleurs  peu  incîdentée  qui  va  se  dérou- 
ler devant  les  yeux  du  spectateur.  C'est  ainsi  que  Berlioz  avait  procédé 
dans  ses  Troyens  à  Carlhage,  où,  précédant  l'œuvre,  un  Rapsode  venait, 
lui  aussi,  sa  lyre  à  la  main,  résumer  le  drame  qui  allait  se  dérouler 
devant  les  spectateurs  (1).  Le  regret  que  j'éprouve  devant  ce  hors-d'œuvre 
poétique,  c'est  que  le  compositeur  n'en  ait  pas  profité  pour  nous  donner, 
lui,  l'admirable  symphoniste,  ce  que  nous  entendons  aujourd'hui  si 
rarement  :  une  ouverture.  Nos  musiciens,  non  sans  quelque  apparence 
de  raison,  se  refusent  à  écrire  maintenant  des  ouvertures,  parce  que, 
disent-ils,  le  public  n'arrive  jamais  à  l'heure  et  que  ce  serait  peine  per- 
due. Je  croîs  bien  qu'ils  e.Kagèrent  un  peu,  car  enfin,  s'il  y  a  des  spec- 
tateurs retardataires,  à  l'Opéra  comme  partout,  il  en  reste  un  bon  nom- 
bre aussi  qui  sont  exacts  et  pour  qui  l'audition  d'une  belle  ouverture 
serait  un  véritable  régal.  Or,  M.  Saint-Saèns,  faisant  précéder  son  pro- 
logue d'une  introduction,  a  écrit  ensuite,  pour  servir  de  préface  au 
premier  acte,  un  prélude  instrumental  très  développé,  qui  ne  compte 
guère  moins  de  trois  cents  mesures,  qui  a,  par  conséquent,  toutes  les 
proportions  d'une  ouverture  sans  en  avoir  la  forme,  et  qui  ne  procure 
pas  à  l'auditeur  la  même  sensation.  Je  crois  que  le  regret  que  j'exprime 
ici  est  partagé  par  beaucoup,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la  valeur  de  la 
page  symphonique  très  intéressante  qui  précède  l'action  des  Barbares. 

On  sait  que  l'ouvrage  a  été  écrit  d'abord  à  l'intention  des  fêtes  théâ- 
trales d'Orange  et  pour  être  joué  sur  l'amphithéâtre  de  cette  ville, 
comme  la  Déjanire  de  M.  Saint-Saêus  et  le  Prométhée  de  M.  (3-abriel 
Fauré  avaient  été  composés  en  vue  de  celui  de  Béziers.  C'est  sans  doute 
pour  cela  que  les  autem'S  ont  placé  la  scène  de  leur  drame  à  Orange,  et 
précisément  dans  l'amphithéâtre,  au  moins  pour  les  deux  premiers  actes. 

Un  siècle  avant  Jésus-Christ,  nous  dit  le  prologue.  C'est  l'époque  de 
la  terrible  invasion  des  Teutons,  qui,  comme  une  horde  de  ijrigands, 
se  ruèrent  en  masses  innombrables  sur  l'Europe  occidentale,  tuant, 
pillant,  brûlant  et  dévastant  tout  sur  leur  passage.  A  l'entrée  du  drame, 
les  Barbares  sont  sous  les  murs  d'Orange,  aux  prises  avec  les  Romains 
faiblissant  sous  le  nombre.  Floria,  la  grande  prêtresse  de  Vesta,  entou- 
rée des  vierges  ses  compagnes,  s'est  réfugiée  dans  l'amphithéâtre  avec 
les  femmes  et  les  enfants,  implorant  la  déesse  en  faveur  des  armes 
romaines. 

Des  deux  consuls  qui  combattent  désespérément  à  la  tète  des  légions, 
l'un,  Euryale,  vient  d'être  tué,  et  sa  veuve,  Livie,  jure  de  le  venger. 
L'autre,  Scaurus,  pénètre  dans  l'amphithéâtre  et  engage  les  femmes  à 
s'enfuir,  tandis  qu'avec  une  poignée  de  braves  il  se  fera  tuer  pour  leur 
donner  le  temps  d'échapper  à  la  mort.  Mais  Floria  résiste,  espérant 
encore.  Bientôt  cependant  les  Germains,  ayant  vaincu  toute  résistance, 
envahissent  l'arène  et,  le  fer  à  la  main,  leur  chef  Marcomir  à  lem'  tête, 
vont  se  ruer  sur  les  vestales  pour  les  massacrer.  Soudain  Floria,  de 
l'autel  sacré  fait  jaillir  de  hautes  flammes,  devant  lesquelles  reculent 
les  Barbares,  adorateurs  du  feu  sous  le  nom  de  Thor,  Marcomir  lui- 
même,  fasciné  par  la  fière  beauté  de  Floria,  après  lui  avoir  adressé 
quelques  paroles,  chasse  ses  guerriers  avec  défense  pour  eux  de  pêné- 


(t' 


Après  dix  ans  de  guen-e  et  d'un  siège  inutile. 
Les  Grecs  désespérant  de  renverser  Ja  ville 
De  Friam,  renonçant  à  venger  Ménélas, 
Feignirent  de  partir  en  implorant  Pallas.,. 


LE  MÉNESTREL 


339 


trer  de  nouveau  dans  l'enceinte,  et  le  rideau  tombe  sur  un  regard  silen- 
cieusement échangé  entre  la  Vestale  et  le  héros  germain. 

Le  second  acte  nous  mène  en  un  autre  point  du  théâtre  d'Orange.  La 
nuit  est  venue.  Femmes,  enfants  et  vestales,  tout  dort,  à  l'exception  de 
Livie,  toujours  hantée  par  la  pensée  de  venger  sur  son  meurtrier  la 
mort  de  son  épou.x,  et  de  Floria,  qui  l'engage  inutilement  à  la  résigna- 
tion. Voici  de  retour  Scaurus,  qui,  blessé,  vient  conjurer  de  nouveautés 
femmes  de  s'enfuir  et  s'ofîreà  les  guider.  Floria  refuse  encore,  confiante 
en  la  parole  de  Marcomir.  Mais  Scaurus  a  été  reconnu  et  suivi  par  les 
sentinelles  germaines.  Il  se  livre  alors  à  l'un  de  leurs  chefs,  Hildibrath, 
qui  s'apprête  à  l'égorger.  Sur  un  cri  de  Floria  accourt  Marcomir,  qui 
lui  accorde  la  grâce  de  Scaurus,  en  dépit  des  objurgations  de  celui-ci, 
qui  ne  veut  pas  devoir  la  vie  à  son  ennemi. 

Mais,  resté  seul  avec  Floria,  dont  il  s'est  vivement  épris,  Marcomir 
exige  la  récompense  de  sa  conduite.  Qu'elle  consente  à  le  suivre,  et  le 

salut  sera  assuré  des  femmes,  des  enfants,  de  ses  compagnes La 

vierge  résiste,  s'indigne,  mais  lui,  toujours  plus  pressant,  lui  fait  enten- 
dre au  loin  les  chants  de  mort  de  ses  guerriers  ivres.  Qu'elle  cède  enfin, 
qu'elle  consente  â  lui  appartenir,  et  son  sacrifice  épargnera  l'incendie 
de  la  ville  et  l'existence  de  toute  une  population.  Floria.  éperdue,  ter- 
rifiée, sans  défense,  succombe  enfin  pour  sauver  Orange  du  massacre  et 
de  la  destruction.  Marcomir  donne  alors  â  ses  soldats  l'ordre  d'épargner 
la  ville  et  de  partir  au  point  du  jour.  Puis,  revenu  prés  de  Floria,  il  se 
transforme.  Il  n'exige  plus,  il  prie,  lui  déclare  qu'il  ne  veut  la  tenir  que 
de  sa  libre  volonté,  et  elle,  touchée  de  sa  magnanimité,  son  âme  envahie 
d'ailleurs  par  un  amour  dont  elle  se  défendait  en  vain,  finit  par  tomber 
ans  bras  de  son  vainqueur. 

Le  dernier  acte  nous  fait  assister  aux  préparatifs  de  départ  des  Bar- 
bares. Floria  s'apprête  elle-même  à.  suivre  son  époux,  tandis  que  la  foule, 
informée  par  Scaurus  du  sacrifice  qu'elle  a  fait  pour  la  sauver,  s'incline, 
reconnaissante,  et  se  prosterne  devant  sa  libératrice.  Les  vestales 
demandent  à  l'accompagner,  à  la  suivre,  mais  elle  refuse  et  ne  veut,  sur 
sa  prière,  emmener  que  l'infortunée  Livie,  qui,  toujom-s  farouche,  est 
toujours  en  proie  à  l'idée  de  sa  vengeance.  Puis,  comme  elle  apprend 
tout  à  coup  de  Marcomir  que  c'est  de  ses  mains  qu'Euryale  a  reçu  le 
coup  mortel,  craintive  pour  sa  vie,  elle  revient  sur  sa  parole  et  engage 
Livie  à  rester.  Ce  revirement  soudain  fait  naître  le  soupçon  dans  l'àme 
de  celle-ci  ;  elle  croit  entrevoir  la  vérité,  mais  elle  use  d'un  stratagème 
pour  en  acquérir  la  certitude.  «  Je  veux,  dit-elle,  je  veux  punir  le  lâche 
qui,  feignant  de  se  rendre  à  mon  époux  vainqueur,  l'a  frappé  dans  le 
dos.  »  Marcomir,  indigné  de  cette  accusation,  ne  peut  se  retenir  d'y 
répondre  et  s'écrie  :  «  Tu  mens!  c'était  au  cœur.  »  Et  Livie,  se  jetant 
alors  sur  lui,  le  poignarde  en  disant  :  «  Au  cœur,  donc!  » 


En  résumé,  peu  d'action  dans  cette  pièce,  je  l'ai  dit.  Et  l'on  doit  le 
regretter  d'autant  plus  que  l'œuvre  du  musicien  s'en  est  assurément 
ressentie,  et  que  la  partition  des  Barbares,  en  dépit  de  son  style  superbe 
et  de  sa  magistrale  «  écriture  »,  pour  parler  le  baragouin  de  l'heure 
présente,  est  loin  de  compter  parmi  les  meilleures  du  grand  artiste 
qu'est  M.  Saint-Saëns.  Mon  l'egret  est  profond  d'être  obligé  de  le  dire, 
mais  à  quoi  bon  déguiser  ce  qu'on  croit  être  la  vérité?  J'ai  donné  sans 
doute  ici,  depuis  longtemps,  assez  de  preuves  non  seulement  de  mon 
respect,  mais  de  mon  admiration  pour  le  magnifique  talent  de  M.  Saint- 
Saëns,  pour  qu'on  ne  puisse  m'accuser  d'injustice  ou  de  parti  pris  â  son 
égard.  Or,  ce  que  je  reproche  à  l'auteur  des  Barbares,  c'est,  après  un 
manque  trop  évident  d'inspiration,  l'incertitude  où  nous  jette  son  œuvre, 
par  suite  de  l'incertitude  où  il  parait  s'être  trouvé  lui-même  en  l'écri- 
vant. Qu'a-t-il  voulu  faire"?  de  quel  côté  a-t-il  voulu  se  tourner?  On  n'en 
sait  rien,  nul  ne  le  pourrait  dire,  le  but  qu'il  poursuit  reste  inconnu,  et 
il  semble,  par  son  indécision,  par  l'hésitation  dont  témoigne  son  œuvre, 
avoir  manqué  de  l'audace  nécessaire  et  de  franchise  envers  lui-même. 
On  se  rappelle  involontairement,  en  entendant  cette  musique,  la 
fière  déclaration  faite  naguère  par  M,  Saint-Saëns  :  —  «  Je  n'ai  jamais 
été,  je  ne  suis  pas,  je  ne  serai  jamais  de  la  religion  wagnérienne  (1)  ». 
Assurément  son  œuvre  n'est  pas  wagnérienne  par  certains  côtés  :  on 
n'y  trouve  guère  trace  de  leitmotive,  et  l'orchestre  se  tient  à  sa  place,  n'ac- 
capare pas  insolemment  l'attention  et  ne  s'elïorce  pas  d'étouffer  les  vois 
sous  son  fracas  instrumental.  Mais  d'autre  part,  l'auteur  emprunte  aux 
procédés  wagnériens  le  système  détestable  de  la  déclamation  continue, 
la  volonté  de  ne  point  construire  de  morceaux  et  celle  d'éviter  avec  soin 
les  ensembles  —  car  même  dans  la  grande  scène  de  Floria  et  de 
Marcomir,  au  second  acte,  c'est  à  peine  si  pendant  une  vingtaine  de 
mesures  il  a  consenti  à  faire  entendre  les  deux  voix  simultanément. 
C'est  cette  façon  d'agir  que  je  blâme  pour  ma  part,  parce  qu'elle  a  eu 

(1)  llannonie  et  viétodw :  Introduction. 


pour  résultat  de  produire  une  œuvre  sans  caractère,  sans  couleur  et 
sans  portée.  M.  Saint-Saëns  ne  nous  a  pas  habitués  â  le  voir  mancpier 
de  franchise; à  tout  le  moins  il  a  manqué  ici  de  volonté  et  de  décision. 
On  attendait  mieux  de  l'auteur  de  Samson  et  Dalila  et  de  la  symphonie 
en  ut  mineur. 

Il  me  parait  donc  (jue  la  partition  froide  et  incolore  des  Barbares  ne 
saurait  rien  ajouter  â  la  renommée  et  â  la  gloire  de  M.  Saint-Saëns. 
Ai-je  besoin,  après  cela,  de  constater  de  nouveau  qu'elle  est  écrite  de 
main  de  maitre?  Cela  mo  semble  superflu,  et  il  serait  assurément  peu 
croyable  qu'il  en  fût  autrement.  Mais  c'est  au  théâtre  surtout  que  la 
forme  ne  suflit  pas,  et  que  le  fond  importe  avant  tout.  Or,  c'est  le  fond, 
c'est-à-dire  la  véritable  inspiration,  qui  fait  ici  le  plus  complètement 
défaut,  et  j'ai  dans  l'idée  que  la  pauvreté  du  sujet  n'est  pas  étrangère  à 
ce  fait.  Cependant,  là  même  où  la  situation  aurait  pu  le  porter,  comme 
dans  la  scène  de  Floria  et  de  Marcomir,  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de 
citer,  le  compositeur  n'a  pas  trouvé  un  accent,  un  élan,  un  cri  du  cœur 
pour  souligner  cette  situation.  Il  y  a  certainement  quelques  pages  heu- 
reuses dans  la  partition,  comme  l'introduction  symphonique  du  premier 
acte,  après  les  strophes  du  Récitant,  puis,  dans  ce  premier  acte,  la  jolie 
scène  de  Floria  et  des  femmes,  où  le  chœur  de  celles-ci  reprend  d'une 
façon  poétique  chacune  des  phrases  é.tablies  parlaprêtresse,  puis  encore 
le  chant  vigoureux  de  la  délivrance,  au  troisième  acte  :  Divinité  libéra- 
trice !  et  enfin,  de  côté  et  d'autre,  quelques  phrases  bien  venues,  avec, 
parfois,  certains  effets  d'orchestre  inattendus  ou  délicieux.  Mais  tout 
cela  ne  constitue  pas,  à  mon  sens,  une  œuvre  sérieuse  et  viable,  et  je  crains 
bien  que  celle-ci  n'ait  qu'une  existence  courte  et  sans  retentissement. 
Elle  a  été  bien  défendue  par  ses  interprètes.  M""  Hatto  représente  bien 
la  vierge  pudique  et  poétique  que  doit  être  la  noble  prêtresse  de  Vesta. 
Sa  beauté  pleine  d'élégance,  complétée  par  la  façon  merveilleuse  dont 
elle  est  drapée,  nous  donne  une  Floria  idéale.  Elle  joue  le  rôle  avec 
intelligence  et  le  chante  avec  un  goût  très  sûr,  bien  qu'on  éprouve  par- 
fois la  crainte  que  sa  voix,  si  harmonieuse,  soit  un  peu  frêle  poui-  cer- 
tains accents  énergiques.  Il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser  aussi  à 
M.  Vaguet,  qui  personnifie  Marcomir,  le  grand  chef  germain.  Sa  voix 
claire  et  vibrante  s'y  meut  â  l'aise,  et  chez  lui  le  talent  du  comédien, 
plein  de  verve,  de  chaleur  et  de  passion,  est  égal  â  celui  du  chanteur, 
qui  se  dépense  sans  compter  et  fait  preuve  d'une  vigueurpeu  commune. 
C'est  M°'°  Héglon  qui  représente  la  farouche  Livie,  l'épouse  vengeresse; 
elle  lui  prête,  avec  son  admirable  voix,  d'un  métal  si  riche  et  si  solide, 
ses  belles  qualités  de  tragédienne  lyrique,  avec  des  accents  pleins  de 
désespoir  ou  d'âpreté.  Quant  à  M.  Delmas,  assez  mal  partagé,  il  faut 
bien  le  dire,  par  le  rôle  ingrat  de  Scaurus,  il  y  est,  comme  toujours, 
excellent,  plein  de  conscience  à  la  fois  et  de  talent.  C'est  aussi  lui  qui 
représente  le  Récitant  du  prologue.  Je  ne  veux  pas  oublier  les  deux  jeu- 
nes débutants,  M.  Riddez  (Hildibrath),  et  sm-tout  M.  Rousselière  (le 
Veilleur),  qui  ont  fait  preuve  de  bonnes  qualités  dans  ces  deux  rôles, 
dont  le  dernier,  particulièrement,  a  une  très  réelle  importance.  Encore 
deux  élèves  de  ce  Conservatoire  tant  décrié  par  quelques-uns. 

Que  dire  de  la  mise  en  scène?  A  part  le  troisième  acte,  dont  le  décor 
est  joli,  elle  est  peu  compliquée.  Je  sais  bien  qu'il  y  a  dans  le  cortège 
de  ce  troisième  acte  des  bœufs  et  des  moutons  ;  cela  n'excite  point  mon 
enthousiasme,  ni,  je  crois,  celui  du  public,  d'autant  que  la  présence  de 
ces  aimables  mammifères  n'est  nullement  essentielle  â  l'action.  Mais 
quelle  singulière  idée  d'orner  les  visages  des  danseuses  de  ces  horribles 
muselières  qui,  toutes  dorées  qu'elles  sont,  font  un  si  vilain  efi'et.  Pau- 
vres filles!  Est-ce  qu'on  les  avait  menacées  de  leur  jeter  des  boulettes? 

Arthur  Pougin. 


Odéon.  Point  de  lendemain,  comédie  en  2  actes,  de  M.  P.  Hervieu,  d  après  le 
conte  de  Vivant-Denon;  Brignoletsa  fille,  comédie  en  3  actes  de  M.  A.  Gapus. 
—  Gaité.  Le  Curé  Yiiicent,  opéra-comique  en  3  actes  et  4  tableaux,  de 
M.  Ordonneau,  musique  d'Edmond  Audran. 

L'Odéon  vient  de  se  passer  la  coquetterie  de  mettre  sur  une  même 
affiche  les  pièces  de  début  de  deux  auteurs  arrivés  aujourd'hui  l'un  et 
l'autre  au  succès  et  â  la  notoriété,  MM.  Paul  Hervieu  et  Alfred  Capus. 
Du  premier  on  nous  a  représenté  Point  de  lendemain,  qui,  écrit  pour  un 
cercle  privé,  n'y  fut  donné  qu'une  seule  fois;  du  second,  Brignol  et  sa 
fille,  qui  fit  partie  des  matinées  organisées,  voici  quelques  années  déjà, 
au  Vaudeville. 

Les  deux  actes  de  M.  Hervieu  sont  inspirés  d'un  célèbre  conte  du 
XVIII"  siècle  de  Vivant-Denon.  Si,  saynète  de  paravent,  ils  n'offrent 
qu'un  intérêt  dramatique  tout  à  fait  mince,  il  faut  au  moins  reconnaître 
que  l'adaptateur  a  su  dire  le  plus  galamment  du  monde  des  choses 
exquisement  raides.  Ce  marivaudage  très  leste,  dans  lequel  une  baronne 
volage  et  indifférente  trompe  â  la  fois,  et  sans  espoir  de  lendemain,  et  son 
mari  et  son  amant,  demandait,  de  la  part  des  interprètes,  infiniment  de 


340 


LE  MÉNESTREL 


légèreté,  de  grâce  et  de  désinvolture,  et,  seule,  M"=  Mitzy-Datti  a  su  mi- 
nauder presque  ainsi  qu'il  convenait.  MM.  Laumonier,  Dauvillier  et 
Céalis  ont  semblé  affligés  d'une  grosse  prétention  mal  en  situation. 

Bt-ignol.  ce  Mercadet  du  dernier  bateau  mais  bon  enfant,  qTii  ne  fourre 
les  gens  dedans  qu'avec  la  plus  entière  bonhomie,  —  s'illusionnant  lui- 
même  sur  son  «  étoile  en  affaires  »  —  laissait  déjà  pressentir  les  qualités 
qui  firent  de  M.  Alfred  Capus  l'auteur  dramatique  le  plus  à  la  mode  du 
moment.  Toute  sa  philosophie  clairement  bourgeoise  et  doucement 
ironique,  toute  la  bonté  dont  il  se  plait  à  sympathiser  ses  personnages 
sujets  à  caution,  toute  la  justesse  de  son  observation  simple  et  précise, 
tout  l'agrément  de  son  dialogue  prime-sautier  et  joliment  spirituel,  se 
peuvent  déjà  facilement  trouver  dans  ces  trois  actes  qui,  au  point  de  vue 
strictement  théâtral,  ne  sont  ni  supérieurs  ni  inférieurs  au.\  Veine  et 
autres  Pelile  Fonctionnaire  d'invention  et  d'intrigue  plutôt  modestes. 

Brignol  et  sa  fille,  accueilli  par  le  public  de  l'Odéon  avec  des  marques 
certaines  de  contentement,  servait  de  début  à  deux  des  lauréats  des  der- 
niers concours  du  Conservatoire,  M"»  Piérat  et  M.  Bouthors,  qui  ont 
complètement  réussi,  M'"  Piérat  avec  sa  grâce  mignonne  et  fraîche  de  pres- 
que encore  petite  fille,  avec  sa  voix  jolie  et  son  exquise  nature  de  théâtre, 
M.  Bouthors  avec  une  rondeur  pleine  et  bien  portante  et  un  comique 
discret  de  belle  aisance.  MM.  Séverin,  venant  de  l'Athénée,  Coste,  Siblot, 
Janvier.  M'""  Bonnet  et  Dehou,  complètent  un  ensemble  satisfaisant. 

Cette  histoire  du  Curé  Vincent,  que  viennent  de  nous  conter,  en  une 
assez  longue  soirée,  les  artistes  de  laGaité  est  simple,  simple,  si  simple 
même  qu'on  est  très  tenté  de  dire  qu'elle  l'est  vraiment  trop.  Dans  un 
village  de  Bretagne,  sous  les  guerres  de  la  République,  vit  tout  heureux 
le  bon  prêtre  entouré  de  sa  nièce,  Thérèse,  et  de  son  sacristain,  Pierre.  Les 
jeunes  gens  s'aiment  sans  doute,  mais  l'un  des  deux  seulement,  le  gars, 
se  rend  compte  du  sentiment  dont  il  est  animé,  tandis  que  la  demoiselle 
reste  complètement  indifférente.  Passe  un  régiment,  dont  le  beau  ser- 
gent Bernard  courtise  la  fillette,  qui  se  laisse  prendre  à  son  parler  cajo- 
leur et  militaire,  et  persuade  Pierre  qu'on  ne  peut  être  aimé  que  si  l'on 
porte  un  uniforme.  Et  voilà  nosdeuxinnocents  qui  désertent  le  toit  de  calme 
et  de  paix,  l'une  pour  essayer  de  rattraper  son  éloquentcasse-cœur,  l'autre 
pour  s'engager;  et  voilà,  bien  entendu  aussi,  notre  curé  Vincent  qui  re- 
trousse sa  soutane  et  court  les  routes  pour  joindre  les  enfants  prodigues. 

Après  quelques  péripéties  d'intérêt  médiocre  —  la  figure  de  cet  abbé 
tout  de  candeur  et  de  bonté  eût  pu  donner  heu  à  de  jolies  scènes  que 
M.  Maurice  Ordonneau  n'a  fait  qu'entr'apercevoir  —  tout  le  monde  se 
retrouve  et  le  Curé  Vincent  bénit  l'union  de  Thérèse  et  de  Pierre. 

Si  l'auteur  des  paroles  n'a  eu  que  peu  de  soucis  d'originalité,  on  en 
peut  dire  tout  autant  du  musicien,  Edmond  Audran,  mort  avant  d'avoir 
pu  s'occuper  des  études  de  sa  pièce.  Partition  très  volumineuse,  bourrée 
de  musique,  mais  dans  laquelle  on  a  peine  à  retrouver  même  le  charme 
de  l'auteur  de  la  Mascotte;  les  numéros  s'ajoutent  aux  numéros  et  pas- 
sent indifférents,  sauf  peut-être  au  dernier  acte,  où  le  trio  de  la  table  est 
agréablement  traité  et  suivi  d'une  phrase  de  bonne  venue  qui  relève 
hem-eusement  le  temps  de  valse  très  vulgaire  du  duo  des  aveux. 

L'interprétation  du  Curé  Vincent  est  de  teinte  grise,  encore  que 
M"'  .Jeanne  Petit  y  déploie  ses  charmantes  qualités  vocales  rehaussées 
par  la  joliesse  de  sa  gentille  personne.  M.  Ville,  le  curé  Vincent,  dit  de 
très  exquise  façon,  mais  sans  l'ombre  de  voix,  M.  Soums,  Pierre,  lance 
son  tenorino  en  des  notes  de  tête  très  hardies  et  MM.  Lucien  Noël  et 
Landrin  restent  tels  que  nous  les  connaissons  depuis  quelque  temps 
^^i^-  Paul-Emile  Chevalier. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXVIII 
«  L'ART  DES  PROGRAMMES  » 

A  Mademoiselle  Eva  Boutarel. 

—  Assez  causé  I  Nos  chefs  d'orchestre  remontent  au  pupitre.  La 
musique  revient.  EUerenait  avec  les  jours  courts,  afin  de  glorifier  notre 
silence  et  la  poésie  des  dimanches  d'automne... 

—  Vous  parlez,  plus  clairement,  comme  feu  Stéphane  Mallarmé 
célébrant  le  «  plaisir  sacré  ».  C'était  au  beau  temps,  qui  parait  si  loin- 
tain déjà,  des  grandes  «  premières  »  à  nos  concerts  dominicaux  !  Doré- 
navant on  vit  surtout  de  «  reprises  ».  Mais  il  est  des  chefs-d'œuvre 
qu'on  peut  réentendre...  Et  parmi  cette  marée  montante  d'auditions 
et  de  sociétés  de  toutes  sortes,  vous  avez  dû  songer,  plus  d'une  fois  à 
l'ai-t  des  pivgrammes? 


(1)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  16,  22  el  29  senlembi-e  dp« 
13  et  20  octobre  1901.  Iieuiuie,  aes 


—  Vous  parlez  de  l'embellissement  du  menu,  selon  les  derniers 
canons  du  modem  style  et  de  l'art  décoratif,  puisque  l'Art  dans  tout  veut 
consoler  aujourd'hui  les  plus  humbles  de  la  vieillesse  de  la  Beauté?... 
Vous  voudriez  confier  à  un  maitre-artiste  la  lettre  et  l'ornement  de  ces 
petites  feuilles  éphémères  dont  la  collection  réserve  à  notre  avenir  de  si 
bonnes  heures  mélancoliques?  Oui-da!  Pourquoi  ne  point  marier  le 
texte  à  l'image,  ni  recourir  à  l'ingéniosité  d'un  Rassenfosse  ou  d'un 
Rochegrosse  qui  s'est  distingué  dans  l'affiche  de  Louise  et  dans  le  fron- 
tispice plus  classique  de  la  partition  des  Barbares? 

—  Votre  idée  n'est  pas  une  chimère  et  je  la  renvoie  à  l'idéale  com- 
mission formée  par  les  amis  inconnus  des  peintres  mélomanes.  Mais  ce 
n'est  pas  cela!  Non.  Je  vise  le  programme  lui-même  et  je  médite,  pour 
ainsi  dire,  la  philosophie  du  programme.  Je  me  préoccupe  moins, 
aujourd'hui,  de  la  décoration  que  de  la  composition  du  menu... 

—  Vous  êtes  un  gourmand  1 

—  Vous  voulez  dire  un  gourmet!  Et  je  ne  m'indignerais  nullement 
d'être  par  vous  appelé  le  Brillât-Savarin  de  la  musique...  D'abord, 
qu'est-ce  qu'un  programme?  Quel  est  votre  idéal  de  programme? 

—  Le  menu  mérite  mon  estime  quand  il  est  à  la  fois  abondant  et  choisi. 

—  C'est  vague!  Et,  sauf  son  respect,  vous  imitez  Aristote  en  sa  Poé- 
tique, qui  consacrait  simplement  l'usage. 

—  Vous  devenez  impertinent  pour  Aristote  ! 

—  Je  ne  crois  point.  En  tous  cas,  en  suivant  votre  méthode  je  pré- 
vois ce  qui,  d'ailleurs,  hélas  !  est  fréquent,  une  sorte  de  salade  musicale, 
mi-classique,  mi-romantique,  moitié  latine  et  moitié  slave,  avec  force 
ingrédients  d'outre-Rhin.  Le  programme,  alors,  ne  sera  plus  qu'un  pot 
pourri  plus  ou  moins  heureux,  un  arlequin  plus  ou  moins  subtil,  un 
adroit  rifacimente,  comme  Quo  Vad-is... 

—  Vous  êtes  sévère  pour  Sienkiewicz  ! 

—  Transportons-nous  aux  Pyrénées,  en  1838,  à  Luchon.  Nous 
sommes,  non  pas  avec  l'admirable  Alfred  Tonnelle,  l'amant  de  la 
lumière  (1),  mais  avec  le  penseur  plus  sédentaire  et  plus  caustique, 
M.  Taine  (2).  L'humoriste  regarde  le  monde,  écoute  un  concert.  Et  je 
vous  recommande  la  scène  crayonnée  par  un  fervent  de  Balzac  :  l'im- 
payable satire  d'un  programme  chargé  copieusement  autant  que  varié  ! 
Un  jeune  créole  présent  n'en  revient  pas.  Quoi!  En  moins  de  deux 
heures  un  public  a  digéré  tant  de  morceaux  si  différents?  Notez  que 
ces  bruits  sont  très  chers;  et  cependant  le  public  a  payé,  puis  applaudi! 
Donc,  il  a  goûté  du  plaisir...  En  cette  catégorie  de  touristes  casaniers, 
qui  préfèrent  l'art  à  la  montagne,  que  de  physionomies  béates,  que 
d'extases,  pourtant,  peintes  sur  les  visages,  à  tenter  le  crayon  non  moins 
mordant  d'un  Eugène  Lamy  (3)  !  Le  grave  M.  Taine  raisonne  et  badine  : 
«  La  musique  »  dit-il,  «  éveille  toutes  sortes  de  rêveries  agréables... 
Tel  air  fait  penser  à  des  scènes  d'amour  ;  tel  autre  fait  imaginer  de  grands 
paysages,  des  événements  tragiques.  —  Et  si  l'on  n'a  pas  ces  rêveries, 
la  musique  ennuie?  —  Certainement;  à  moins  qu'on  ne  soit  professeur 
d'harmonie...  »  De  sorte  que  ce  bon  public  a  dii  passer  par  toutes  ces 
belles  rêveries  en  question,  voluptueusement  amoureux  avec  la  sérénade 
de  Don  Pasquale,  transcendant  avec  un  adagio  de  Beethoven,  sentimen- 
tal avec  un  duetto  de  Mozart...  Et  n'y  a-t-il  pas  sept  ou  huit  morceaux 
par  concert?  «  Au  moins!  Ajoutez  que,  ces  morceaux  étant  pris  dans 
trois  ou  quatre  pays  et  dans  deux  ou  trois  siècles,  il  faut  que  les  audi- 
teurs prennent  subitement  les  sentiments  si  opposés  et  si  nuancés  de 
tous  ces  siècles  et  de  tous  ces  pays...  »  Dans  les  entr'actes  on  potine, 
on  cause  bourse  et  toilette...  Et,  conclut  le  sage  créole  :  «  Je  m'y  perds. 
Moi,  quand  je  rêve,  j'ai  besoin  d'être  seul,  à  mon  aise,  tout  au  plus 
avec  un  ami.  Si  la  musique  me  touche,  c'est  dans  un  petit  salon  sombre, 
quand  on  me  joue  des  airs  de  même  espèce  et  qui  conviennent  à  mon 
état  d'esprit.  Il  ne  faut  pas  qu'on  me  cause  de  choses  positives.  Les 
songes  ne  me  viennent  pas  à  volonté;  ils  s'en  vont  malgré  moi.  Je  vois 
bien  que  je  suis  sur  un  autre  continent,  avec  une  race  toute  différente. 
On  s'instruit  à  voyager...  » 

—  Vieux  à  présent,  votre  jeune  créole  doit  compter  parmi  les  abonnés 
de  la  Schola  Cantorum. 

—  Il  n'est  plus  seul  à  préférer  l'unité  du  récital  à  la  variété  moins 
intransigeante  du  concert  accoutumé.  C'est,  au  fond,  l'antithèse  entre 
le  concert  purement  esthétique,  qui  n'a  d'autre  intention  que  la  Beauté 
pure,  et  le  concert  historique,  qui  mélange  les  doses,  même  en  trans- 
gressant habituellement  l'ordre  des  dates.  Et  le  créole  de  M.  Taine  est 
un  précurseur  inconscient  d'un  musicien  qui  s'y  connaissait!  Antoine 
Rubinstein,  ici  même,  il  y  a  neuf  ans,  n'approuvait  point  les  programmes 

(1)  Cf.  le  grand  ouvrage  de  M.  Henri  Beraldi  ;  Cent  ans  aux  Pijnniies  (tome  H;  1900). 

(2)  Voyage  aux  Pyrénées,  par  H.  Taine  ;  édition  illustrée  par  Gustave  Doré  (Paris, 
Hachette,  1858)  ;  pages  452-465. 

(3)  Impressions  musicales,  aquarelle  de  la  collection  de  M"'  Esnault-Pellerie,  exposée  à 
la  Centennale  de  1900  sous  le  n°  1124.  —  Cf.  le  IV«  article  de  nos  Peintres  mélomanes 
(Ménestrel  du  2  décembre  1900). 


LE  MENESTREL 


341 


en  usage  dans  nos  concerts  symphoniques  :  «  J'avoue  »,  disait-il,  «  que 
le  caractère  tuni  frutti  de  ces  programmes  ne  m'est  pas  sympathique. 
Il  m'est  désagréable  d'entendre  une  symphonie  de  Haydn  et,  tout  de 
suite  après,  l'ouverture  de  Tannh'à'user,  non  pas  que  je  préfère  une  de  ces 
œuvres  à  l'autre,  mais  à  cause  de  la  différence  trop  frappante  de  leur 
sonorité.  Je  préférerais  un  concert  entier  formé  des  œuvres  d'un  même 
auteur...  » 

—  C'est  radical,  celai  Mol,  tout  au  contraire,  et  peut-être  vais-je  sou- 
tenir une  esthétique  de  vandales,  analogue  à  celle  qui  donne  rendez- 
vous,  dans  le  salon  carré  d'un  musée,  à  des  toiles  de  tous  les  siècles  : 
mais  après  une  primitive  Symphonie  de  chasse  du  vieux  Gossec,  le  tor- 
rentueux Venusberg,  à  la  Ru'oens,  ne  m'apparait  que  plus  impérieuse- 
ment romantique... 

—  C'est  qu'avec  le  romantique  en  personne  vous  donnez  raison,  tout 
bas,  au  génie  contre  le  goût.  Et  puisque,  en  toutes  causes,  on  peut  plai- 
der le  pour  et  le  contre,  vous  êtes  l'avocat  de  la  force;  au  charme  rétros- 
pectif des  vieux  maîtres  d'Occident  vous  préférez  la  moderne  expression, 
l'intensité  dynamique,  qu'elle  soufle  des  buissons  de  la  Forêt  noire  ou 
des  steppes  de  l'Orient  fauve...  Pour  vous,  Gossec  devient  le  repoussoir 
souhaité  de  Borodine  ou  de  Wagner.  L'intransigeant,  dans  ce  débat, 
n'est  point  celui  qu'on  pense. . .  Mais  écoutez  Rubinstein.  Il  vous  répond  : 
«  Le  public  va  volontiers  aux  conférences,  et,  qu'il  soit  ou  non  de  l'avis 
du  conférencier,  il  l'écoute.  De  même,  on  visite  les  ateliers  de  peintres 
et  de  sculpteurs  dont  les  œuvres  ne  plaisent  pas  toujours,  et  on  les 
regarde  quand  même.  Le  public  devrait  se  comporter  de  la  même  façon 
avec  les  compositeurs  de  musique.  Mais  si,  enfin,  cela  était  absolument 
impossible,  je  proposerai  au  moins  la  division  en  deux  époques  :  de 
Palestrina  inclusivement  jusqu'à  Schumann  et  Chopin,  et  de  Berlioz 
jusqu'à  nos  jours.  Je  rattache  Brahms  et  quelques  autres  à  la  première 
époque,  tant  par  le  caractère  de  leur  création  que  par  leur  éducation 
musicale.  Pour  les  séries  de  concerts  par  abonnements,  on  pourrait 
faire  alterner  un  concert  de  la  première  époque  avec  un  concert  de  la 
seconde j..  »  (1). 

—  C'était  parler  d'or  et  tout  prévoir!  Mais  c'est  égal,  la  musique  n'est 
pas  la  peinture,  elle  n'en  possède  point  la  discrétion  silencieuse;  et  plus 
d'une  séance  homogène,  Beethoven  à  part,  mettrait  en  effet  la  patience 
du  public  à  une  rude  épreuve. 

—  Qui  sait?  L'éducation  musicale  de  la  foule  a  progressé  si  rapide- 
ment, d'accord  avec  les  complications  de  la  musique  !  Et  puis,  il  faut 
se  renouveler,  «  inventer  ou  périr  «  :  on  ne  pourra  pas  jouer  toujours  les 
Murmures  de  la  Forêt  ou  la  Marche  hongroise... 

—  Évidemment!  Des  nouveautés  sont  promises.  Mais,  que  je  consi- 
dère la  musique  comme  une  magicienne,  une  évocatrice,  ou,  plus  sim- 
plement, comme  le  rêve  abstrait  d'un  pur  architecte,  je  ne  puis  m'ins- 
crire  en  faux  contre  le  mélange  des  styles.  C'est  affaire  de  proportion. 
Tenez,  aux  derniers  concoui-s  de  piano  du  Conservatoire,  je  trouvai  du 
plaisir  à  entendre  de  savantes  petites  mains  passer  d'une  discrète  sonate 
de  Mozart  aux  bouillonnantes  Études  symphoniques  de  Schumann.  Et 
Liszt  lui-même,  après  les  maîtres... 

—  Ah!  celui-là,  c'est  une  autre  affaire!  Et  l'on  pourrait  dire,  avec 
la  gaieté  d'une  certaine  ouvreuse  :  Grammatici  certant,  et  adhuc  sub 
judice  Liszt  esti 

(A  suivre.)  Raymond  Bodyer. 


REVUE   DES   GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  On  avait  été  un  peu  étonné  de  trouver  au  pro- 
gramme de  la  matinée  inaugurale  des  concerts  Colonne  les  noms  des  deux 
pères  de  la  symphonie  moderne  :  F.-J.  Gossec  et  Joseph  Haydn.  Les 
notices  substantielles  que  notre  savant  confrère  Charles  Malherbe  offre  depuis 
bon  nombre  d'années  aux  amateurs  nous  explique  ce  parallélisme  par  ce 
fait  que  les  concerts  Colonne  doivent  désormais,  dans  leur  première  série, 
nous  présenter  un  résumé  historique  et  clironologique  de  la  symphonie  en 
reproduisant  chaque  fois  une  œuvre  française  du  genre  et  une  œuvre  due  à 
un  compositeur  étranger.  Les  amateurs  sérieux  ne  manqueront  pas  d'approu- 
ver hautement  cette  idée,  si  le  choix  parmi  les  symphonies  à  produire  dans 
de  telles  conditions  est  fait  judicieusement.  Pour  le  commencement  de  cette 
histoire  de  la  symphonie  moderne  le  choix  des  auteurs  au  moins  était  tout 
indiqué  ;  Gossec  en  France  et  .Joseph  Haydn  de  l'autre  côté  du  Rhin  parais- 
saient inévitables.  Quand  on  entend  la  symphonie  de  Gossec  intitulée  la 
Chasse,  on  pense  involontairement  que  les  A'ies  tout  entières  de  Joseph  Haydn, 
Mozart,  Beethoven,  Schubert  et  "Weber  se  sont  déroulées  pendant  l'existence 

(1)  La  Musique  et  ses  7-eprésentants,  Entretien  sur  la  musique  (traduction  Michel  Delines); 
Ménestrel  du  28  février  1892.  —  Sous  ce  titre,  l'Art  des  programmes,  notre  confrère 
Adolplie  Boscliot  a  fineiïient  soutenu  la  même  thèse  dans  la  Revue  Bleue  du  5  jan- 
vier 1901  :  les  concerts  dominicaux  devraient  ressembler  moins  à  la  foire  de  nos  Salons 
annuels  qu'à  la  collection  bien  ordonnée  d'un  amateur. 


prasque  séculaire  de  Gossec,  qui  aurait  pu  ainsi  assister  aux  obsèques  de 
tous  ces  maîtres  de  la  musique  moderne,  lui  qui  avait  déjà  pu  applaudir 
à  Paris  les  premières  représentations  des  principaux  drames  lyriques  de 
Gluck.  On  cherche  alors  une  trace  de  l'influence  de  tous  ces  maîtres  contem- 
porains dans  la  symphonie  de  Gossec  et  on  n'en  trouve  aucune;  le  programme 
de  la  symphonie,  exprimé  seulement  dans  le  premier  et  dans  le  dernier 
morceau,  basés  sur  des  thèmes  cynégétiques,  est  bien  naïf  et  n'a  rien  de 
commun  avec  la  musique  de  nos  jours  dite  «  à  programme  ».  Ces  morceaux 
ont  d'ailleurs  beaucoup  plus  vieilli  que  l'andante,  romance  agréable  pour  le 
quatuor  à  cordes,  que  les  instruments  à  vent  soulignent  quelquefois,  et  le 
menuet,  de  tournure  élégante.  Le  public  a  bien  accueilli  cette  symphonie 
exhumée,  qu'on  n'avait  jamais  entendue  au  cours  du  XIX"!  siècle,  et  a  ensuite 
fait  fête  à  la  symphonie  en  sol  (n"  13)  du  bon  «  papa  Haydn  »  comme  on 
l'appelle  dans  son  pays  ;  on  en  a  même  bissé  le  pimpant  mais  loquace  finale. 
Le  concerto  pour  violon  en  fa  de  Lalo,  une  des  meilleures  sinon  la  meil- 
leure composition  de  ce  genre  dans  la  seconde  moitié  du  siècle  passé,  a 
trouvé  en  M.  Jacques  Thibaud  un  digne  interprète  dont  l'éloge  n'est  plus  à 
faire  et  quia  été  couvert  d'applaudissements.  Le  même  artiste  a  ensuite  joué, 
avec  le  concours  de  M.  Oliveira,  l'un  des  deux  concertos  pour  deux  violons 
de  J.-S.  Bach,  qui  a  valu  aux  interprètes  des  applaudissements  intermi- 
nables, surtout  après  l'admirable  Largo  en  fa,  d'un  sentiment  si  intense  et  si 
élevé.  Grand  succès  aussi  pour  le  concerto  pour  piano  en  la  (a"  2)  de  Liszt, 
magistralement  interprété  par  M.  Arthur  de  Greef,  que  l'orchestre  a  fort  bien 
secondé,  si  cette  expression  peut  être  admise  en  face  du  rôle  important  de  la 
partie  sympbonique  de  cette  œuvre  intéressante,  mais  déjà  un  peu  marquée. 
La  grande  ouverture  de  Léonore,  de  Beethoven,  et  la  fameuse  scène  orgiaque 
qui  ouvre  Tannhauser  ont  commencé  et  clôturé  le  concert;  voisinage  dur  et 
intempestif  pour  le  père  Gossec  et  le  papa  Haydn.  0.  Behggktjen. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Il  y  a  un  bon  combat  à  soutenir,  c'est  pour  la 
musique  saine,  claire,  ayant  son  rythme  et  son  ossature,  sa  mélodie  bien 
en  dehors.  C'est  celle-là  que  nous  voulons  défendre,  quelles  que  soient  sa  prove- 
nance et  sa  nationalité.  Espérons  que  l'art  de  Gluck,  Spontini,  Berhoz  et 
Reyer,  tronc  robuste  sur  lequel  Gounod,  Saint-Saêns  et  Massenet  ont  greffé 
avec  génie  des  rameaux  pleins  de  sève,  prendra  une  place  considérable  au 
répertoire  de  nos  concerts;  espérons  que  nos  jeunes  artistes  suivront  la  voie 
qui  leur  est  ouverte  par  ces  nobles  devanciers. 'Wagner,  musicien  universel  et 
poète  allemand  a  produit,  comme  tous  les  novateurs  que  l'on  imite  trop,  une 
école  décadente  qui  aura  le  sort  de  l'école  littéraire  dont  elle  mérite  de  par- 
tager le  nom  ridicule.  Nos  traditions  françaises  ne  doivent  pas  être  oubliées. 
Qui  peut  dire  ce  que  deviendrait,  entre  les  mains  d'un  musicien  comme 
celui  de  Sigurd,  un  poème  grec  écrit  en  tenant  compte  des  découvertes  de  ces 
trente  dernières  années,  découvertes  qui  ont  renouvelé  la  physionomie  du 
monde  antique  et  celle  des  héros  d'Homère!  Nous  avons  bien  de  quoi  tenir 
tète  à  Siegfried,  le  héros  germanique.  Venons  maintenant  au  premier  pro- 
gramme de  M.  Chevillard.  L'ouverture  de  Benvenuto  Cellini  a  fourni  à  l'orches- 
tre l'occasion  de  montrer  sa  consistance  solide  et  ferme.  Le  concerto  en  fa 
mineur  de  Lalo  est  une  œuvre  d'une  beauté  sérieuse  et  d'une  excellente  fac- 
ture. Il  a  été  interprété  par  M.  Diémer,  dont  l'autorité  superbe  a  imposé  cha- 
que phrase,  mis  en  valeur  chaque  morceau  sans  rien  laisser  à  dire,  sinon  que 
c'est  la  perfection  dans  le  rendu,  qu'il  s'agisse  de  mélodie  à  poser,  de  transi- 
tions à  ménager,  de  trilles  à  égrener  ou  de  sons  à  conduire  en  capricieuses 
arabesques.  Un  air  de  ballet  de  l'opéra  le  Prince  Igor,  de  Borodine,  a  paru 
charmant;  l'appoint  d'un  chœur  à  plusieurs  parties  en  rehausse  très  agréable- 
ment l'allure.  La  Symphonie  avec  chœurs  est  le  plus  grand  miracle  de  Beetho- 
ven avec  la  messe  en  ré.  Pour  avoir  pu  écrire,  sans  autres  ressources  que 
celles  de  l'orchestre  d'Haydn  et  de  Mozart,  une  œuvre  d'un  coloris  aussi  varié, 
chatoyant,  étincelant,  il  fallait  un  génie  divin.  Les  mouvements  du  finale 
m'ont  paru  généralement  un  peu  trop  rapides.  Le  Tempo  di  marcia,  notamment, 
ne  devrait  se  précipiter  qu'à  partir  du  petit  ensemble  symphonique  figurant 
la  bataille.  Le  quatuor  vocal  a  besoin  de  beaucoup  de  tenue,  et  sa  conclusion 
magnifique  exige  un  sentiment  poétique  développé  de  la  part  des  chanteurs. 
Il  y  a  là  une  étude  d'esthétique  à  faire  ;  il  y  a  aussi  une  jolie  légende  à  racon- 
ter :  «  0  joie,  fille  de  l'Empyrée!  »  s'écrie  Schiller  ;  «  0  Joie,  flamme  prise 
au  front  des  dieux  !  »  répond  Beethoven.  Un  jour,  c'était  à  Gohlis,  près  de 
Leipzig,  dans  la  vallée  de  Rosenthal,  Schiller,  dont  le  cœur  longtemps 
lacéré  s'épanouisssait  à  la  joie  sous  l'égide  de  sa  première  grande  amitié,  se 
promenait  au  lever  de  l'aurore  sur  les  bords  de  la  Pleisse.  Il  entend  les 
gémissements  d'une  voix  qui  priait  :  «  Notre  père,  toi  qui  es  aux  cieux...  »  ; 
il  s'approche  sans  bruit  et  aperçoit,  derrière  un  buisson  d'églantiers,  un 
jeune  homme  à  demi  dévêtu,  prêt  à  se  jeter  dans  la  rivière.  «  Non,  dit-il, 
intervenant  soudain,  je  ne  veux  pas  que  vous  commettiez  ce  crime,  dites 
pourquoi  tous  voulez  mourir,  je  vous  sauverai.  »  C'était  un  étudiant  en  théo- 
logie réduit  à  la  plus  extrême  misère.  «  Retardez  de  huit  jours  votre  projet, 
dit  Schiller,  vous  reviendrez  ensuite  à  cette  place;  en  attondant  voici  ma 
bourse,  o  Le  lendemain,  le  poète  assistait  à  Leipzig  au  banquet  de  noces  d'une 
fille  de  l'aristocratie.  Au  moment  où  la  joie  était  la  plus  vive  et  où  les  coupes 
circulaient,  il  demande  la  parole,  il  veut  porter  un  toast.  Chacun  faitsilence. 
Il  raconte  alors  l'histoire  de  l'étudiant,  son  suicide  retardé,  son  dénùment 
atroce.  Ensuite,  prenant  une  assiette,  il  la  présente  à  chaque  convive,  faisant 
lui-même  la  quête  autour  de  la  table.  La  collecte  fut  superbe  et,  plein  d'émo- 
tion, il  s'écria  :  «  'Vous  avez  rendu  la  vie  à  un  malheureux;  maintenant, 
buvons  tous  à  la  Joie,  au  bonheur  des  nouveaux  époux.  >  L'étudiant  fut  sauvé; 
on  lui  trouva  facilement  une  place.  Ainsi  fut  créée  l'Ode  à  la  joie  de  Schiller, 
et  c'est  bien  aussi  la  joie  qu'a  chantée  Beethoven.  Ajmîdée  Boutarel. 


342 


LE  MENESTREL 


— ■  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Châtelet,  concert  Colonne:  Symplionie  en  ut  majeur,  Jupiter  (Mozart).  —  Impres- 
sions d'Italie  iCtiarpentier'.  —  Concerto  en  ut  mineur  n^  4  iSaint-Saëns),  par  M°"  Klee- 
berg.  —  Préludes  de  l'Ouragan  iBruneaui.  —  Symphonie  en  ré  n"  2  (Méhul).  —  Scène 
du  Venosberg  de  TannbiUtser  iR.  ^Yagne^l. 

Nonveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard.  — 
Omerture  des  Maitres-Chanteurs  i Wagner).  —  Danse  polovtsienne  du  Prince  Igor 
(Borodine).  —  Nocturnes  i Debussy).  —  Symplionie  avec  chœurs  (Beethoven)  :  solis- 
tes, M""  Lormont,  Jlelno,  M5I.  Feodorow  et  Cliallet. 

Grand-Palais  ;  Pa(rie  iBizel);  la  Surprise  i Haydn);  le  Prophète  (Meyerbeer),  arioso, 
chanté  par  M.  Greyge;  Polyeucte  iGounodi;  Pourquoi  les  oiseaux  chantent  (Théodore 
Dubois),  Berceuse  de  l'Enfant-Jésus  iCharles  Lecocq),  deux  mélodies  chantées  par 
M""  Gellée  ;  la  Zamaeuecfi  iTh.  Ritteri;  .\'oël  païen  (Massenet),  chanté  par  M.  Greyge; 
Romance  (Saint-Saëns),  violon  solo,  M.  Fernandez  :  Marche  et  cortège  de  la  Reine  deSaba 
(Gounod). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

On  vient  d'inaugurer  au  cimetière  central  de  Vienne  le  monument  fu- 
néraire de  Johann  Strauss.  Il  consiste  en  un  bloc  de  marbre  tyrolien  haut  de 
quatre  mètres  et  figurant  un  rocher  près  duquel  est  placée  une  figure  allé- 
gorique :  la  Nymphe  du  Danube.  Cette  nymphe  porte  une  longue  tunique 
plissée;  elle  tient  dans  la  main  droite  une  lyre  antique,  tandis  que  la  main 
gauche  est  appuyée  sur  un  vase  duquel  s'échappe  un  petit  jet  d'eau,  tout 
près  de  l'inscription  :  Johann  Strauss,  IS2S-IS99.  Au-dessus  de  la  Nymphe  du 
Danube  on  voit  un  groupe  de  petits  génies:  un  couple  de  bambins  charmants 
est  en  train  de  valser,  tandis  qu'un  petit  ange  joue  du  violon  en  jetant  un 
regard  sur  une  feuille  de  musique  qu'un  petit  camarade  lui  présente.  Les 
lauriers  plantés  à  côté  de  ce  groupe  encadrent  l'excellent  portrait  en  mé- 
daillon de  l'artiste;  au-dessus  de  sa  tête  voltige  une  chauve-souris,  allusion 
à  l'opérette  qui  fut  le  plus  grand  succès  théâtral  du  compositeur,  à  cette 
Ftedernidus  (la  Tsigane)  qui  a  obtenu  droit  de  cité  même  sur  les  plus  grandes 
scènes  lyriques  d'Allemagne  et  d'Autriche.  Ce  monument  compliqué,  dont 
en  dit  beaucoup  de  bien,  est  dû  au  ciseau  du  sculpteur  viennois  Johannès 
Benk, 

— •  L'opération  consistant  à  tourner  le  monument  de  Beethoven  à  Vienne, 
pour  lui  faire  faire  volte-face,  a  commencé  ces  jours  derniers.  Elle  est  plus 
compliquée  qu'on  n'avait  pensé  d'abord,  car  il  faut  aussi  changer  la  position 
du  socle  afin  que  les  petits  génies  qui  l'entourent  représentant  les  neuf  sym- 
phonies du  maître,  correspondent  à  la  nouvelle  position  de  la  statue.  A  cette 
occasion,  on  s'est  aperçu  que  le  monument  exige  quelques  réparations  et  un 
nettoyage  à  fond.  On  a  donc  construit  tout  autour  un  de  ces  fameux  murs  en 
bois  chers  aux  architectes  et  derrière  lesquels  les  choses  sapassent  lentement. 
Et  voilà  que  Beethoven  est  devenu  invisible  !  On  espère  le  revoir  au  prin- 
temps prochain,  regardant,  avec  sa  misanthropie  ordinaire  la  foule  qui  se 
pressera  sur  le  nouveau  boulevard. 

—  Une  crise  singulière  menace  l'Opéra  impérial  de  Vienne  ;  sa  caisse  de 
retraites  est  sur  le  point  de  ne  plus  pouvoir  faire  face  à  toutes  les  obligations 
qu'elle  a  jusqu'à  présent  très  correctement  remplies.  La  cause  de  cet  état  de 
choses  n'a  rien  de  désobligeant  pour  l'administration  de  cette  caisse  ;  c'est, 
au  contraire,  la  trop  grande  libéralité  de  son  organisation  qui  a  amené  ce 
résultat  inévitable.  Tous  les  membres  de  la  caisse  payent  la  même  cotisation 
très  modeste,  sans  aucune  difïérence  d'âge  ;  or,  il  est  évident  qu'un  artiste 
engagé  à  l'Opéra  à  35  ans  devrait  payer  plus  que  celui  qui  y  est  entré  à  l'âge  de 
23  ans  et  a,  par  conséquent,  payé  sa  cotisation  dix  ans  avant  son  confrère. 
Malgré  une  subvention  de  100. OOO  couronnes  que  la  direction  de  l'Opéra 
verse  tous  les  ans  à  cette  caisse  de  retraites,  malgré  quelques  dons  occasion- 
nels et  le  produit  des  représentations  que  la  caisse  organise  à  son  profit  tous 
les  ans,  le  déficit  augmente  continuellement.  Il  va  falloir  augmenter  la  sub- 
ïention  et  réformer  les  statuts  en  ce  qui  concerne  les  nouveaux  membres, 
sans  rien  toucher  aux  droits  acquis  des  anciens. 

—  Le  23  de  ce  mois,  à  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance 
de  Lortzing,  a  eu  lieu  l'inauguration  de  la  plaque  commémorative  apposée 
sur  sa  maison  natale,  qui  appartient  actuellement  au  négociant  Rodolphe 
Hertzog.  L'unique  fils  survivant  du  compositeur  assistait  à  la  cérémonie.  Par 
ordre  de  Guillaume  II,  le  comte  Hochberg,  surintendant  général  des  théâtres 
royaux,  a  déposé  une  grande  couronne  de  lauriers  avec  un  large  ruban  blanc 
sur  lequel  les  initiales  de  l'empereur  étaient  brodées  en  or.  Les  chœurs  de 
l'Opéra  royal  ont  exécuté  plusieurs  morceaux  et  le  président  du  comité  a 
ensuite  prononcé  l'éloge  de  Lortzing. 

—  L'Académie  de  chant  de  Berlin  (Siugaaulemiej  prépare  pour  cet  hiver 
un  riche  programme  de  concerts,  particulièrement  intéressant,  qui  com- 
prendra, entr,,'  autres  œuvres,  les  Béatitudes  de  César  Franck,  la  Tour  de  Babel 
àe  Rubinstein,  Acis  et  Gulathée  de  Haendel  et  la  Messe  en  si  bémol  mineur 
d'Albert  Becker.  La  Trauer-Odee  de  Jean-Sébastien  Bach  et  le  Requiem  alle- 
mand de  Brahms  seront  exécutés  le  jour  des  Morts;  à  Noël  on  entendra 
l'Oratorio  de  Noël  de  Bach,  le  vendredi-saint  ce  sera  sa  Passion  selon  saint 
Mathieu,  et  enfin  on  aura,  pour  fêter  le  printemps  de  1902,  les  Saisons 
d'Haydn.  Il  serait  assurément  difficile  de  faire  plus  et  mieux. 

—  Il   s'est  formé   à   Berlin   un  comité  pour  ériger  dans  cette  ville    une 


statue  au  compositeur  Lortzing.  On  espère  que  l'empereur  Guillaume  II,  qui 
s'intéresse  vivement  à  cette  entreprise,  y  contribuera  pour  une  somme  con- 
sidérable. 

—  Des  nouvelles  de  Munich  nous  apprennent  que  l'intendance  du  théâtre 
du  Prince-régent,  voulant  alterner  ses  programmes  d'une  façon  intéressante, 
vient  de  remettre  à  la  scène,  entre  autres  ouvrages,  le  Parleur  d'eau  (les  Deux 
Journées)  de  Cherubini,  qui  n'avait  plus  été  représenté  depuis  1888  malgré  la 
très  grande  valeur  de  l'ouvrage  et  l'estime  en  laquelle  le  tiennent  artistes  et 
public.  Celui-ci  a  salué  sa  réapparition  par  de  vifs  applaudissements.  Le 
succès  a  été  complet.  Le  chef  d'orchestre,  M.  Zumpe,  avait  apporté  le  plus 
grand  soin  à  la  direction  des  études,  et  des  acclamations  ont  accueilli  tous 
les  interprètes.  MM.  Bamberger,  Walter,  M"«  Brener  et  leurs  compagnons. 
On  nous  écrit  que  le  premier  finale  et  le  second  acte  ont  surtout  provoqué  les 
applaudissements  et  que  l'accueil  fait  par  les  spectateurs  à  cette  musique 
saine  et  robuste  peut  servir  à  prouver  que  le  public  munichois  n'est  pas  aussi 
exclusivement  wagnérien  qu'on  pourrait  le  croire.  —  Qui  donc  aura  enfin 
l'idée  de  nous  rendre,  en  France,  l'un  des  admirables  chefs-d'œuvre  de  Cheru- 
bini, écrits  pour  nous  et  abandonnés  chez  nous,  alors  qu'ils  sont  restés  si 
populaires  en  Allemagne  ? 

—  Ou  prépare  la  prochaine  représentation  à  Leipzig  de  la  trilogie  de 
M  Félix  Weingartner,  Oreste.  Cette  trilogie,  divisée  en  trois  parties  :  Aga- 
memnon,  le  Sacrifice,  les  Erinnyes,  constitue  un  seul  opéra  et  se  joue  en  une 
seule  soirée. 

—  L'Opéra  grand-ducal  de  VVeimar  jouera  prochainement  un  opéra  inédit 
de  M.  Hans  de  Bronsart,  qui  est  intitulé  Manfred. 

—  LTue  cantate  inédite  pour  soli,  chœurs,  orchestre  et  orgue,  de  M.  Auguste 
Wolff,  qui  est  intitulée  le  Printemps,  vient  d'être  exécutée  avec  beaucoup  de 
succès  aux  concerts  philharmoniques  de  Cologne. 

—  Un  de  nos  amis,  qui  revient  d'une  excursion  en  Bosnie,  nous  raconte 
qu'il  a  trouvé  dans  la  capitale,  Seraïevo,  un  orphéon  intitulé  la  Lira,  sociedad 
de  cantar  de  los  ludios  espanoles.  Cette  «  lyre  »  de  juifs  espagnols  eu  plein  pays 
slave  l'a  vivement  intrigué;  ce  qui  nous  étonne,  c'est  que  ces  juifs  aient 
fondé  un  orphéon.  Car  nous  n'ignorions  pas  qu'une  partie  des  150.000  juifs 
chassés  d'Espagne  à  la  fin  du  XV'  siècle  s'était  réfugiée  en  Turquie  et  que 
presque  tous  les  juifs  fixés  dans  les  pays  des  Balkans  sont  d'origine  espa- 
gnole. Notre  ami  est  malheureusement  trop  peu  musicien  pour  pouvoir  nous 
fournir  des  renseignements  exacts  sur  cet  orphéon  hispano-israélite.  Il  nous 
dit  seulement  que  cet  orphéon  chante  en  langue  espagnole.  Les  juifs  du  rite 
espagnol,  qui  se  nomment  Sephardim  pour  ne  pas  être  confondus  avec  ceux 
du  rite  allemand,  qu'ils  nomment  Achkenasim,  parlent  en  effet  la  langue 
espagnole  du  XV«  siècle,  comme  les  Canadiens  parlent  encore  le  français  du 
grand  siècle.  La  musique  des  morceaux  qu'ils  chantent  lui  a  semblé  pourtant 
être  d'origine  allemande  :  il  a  aussi  été  frappé  par  la  belle  qualité  des  voix, 
surtout  des  premiers  ténors.  Il  serait  intéressant  de  savoir  si  les  juifs  espa- 
gnols des  pays  balkaniques  possèdent  des  compositeurs  de  leur  race  ou  s'ils 
se  contentent  de  chanter  les  morceaux  favoris  des  orphéons  allemands  après 
en  avoir  traduit  les  paroles  en  espagnol.  Nous  nous  proposons  de  faire  une 
petite  enquête  à  ce  sujet. 

—  Le  général  Kleigels,  préfet  de  police  de  .Saint-Pétersbourg,  a  adressé  à 
la  douma  (conseil  municipal)  de  cette  ville  l'invitation  de  souscrire  au  monu- 
ment de  Glinka  qui  doit  orner  une  place  publique  de  la  capitale  russe.  On 
peut  s'étonner  que  la  douma  ait  eu  besoin  de  cette  invitation  qui,  eu  Russie, 
équivaut  à  un  ordre,  pour  penser  au  premier  compositeur  national  dont  les 
œuvres  aient  été  jouées  à  l'étranger  et  dont  la  statue  doit  faire  honneur  à 
Saint-Pétersbourg.  Ajoutons  que  les  sculpteurs  de  nationalité  russe  seront 
seuls  admis  au  concours  pour  le  monument  Glinka. 

—  Chopin,  qui  a  déjà  son  buste  à  Paris,  va  avoir  sa  statue  à  Varsovie.  Le 
gouverneur  de  cette  ville  a  en  efl'et  accordé  au  comte  Brochowski  et  à  sa 
femme,  plus  connue  comme  artiste  lyrique  sous  le  nom  de  M"'«  Bolska,  l'auto- 
risation de  former  un  comité  et  de  recueillir  les  souscriptions  pour  le  monu- 
ment de  Chopin.  Les  plus  grands  noms  de  la  haute  noblesse  polonaise  se 
trouvent  parmi  les  membres  du  comité  et  les  premiers  souscripteurs.  Le 
comité  se  propose  d'inviter  tous  les  grands  artistes  polonais  à  donner  des 
concerts  au  profit  de  ce  monument;  M"=  Sembrich  et  MM.  Paderewski,  de 
Stojowski  et  Huberman  se  trouvent  à  la  tête  de  cette  liste.  Les  sculiiteurs 
polonais,  russes  et  français  seront  seuls  admis  au  concours;  l'admission  des 
artistes  français  est  un  hommage  dti  à  l'origine  française  de  l'artiste  aussi 
bien  qu'à  son  long  séjour  à  Paris,  berceau  de  sa  gloire  comme  compositeur 
et  comme  pianiste. 

—  Nous  avons  annoncé  dernièrement  qu'une  offre  de  cent  mille  francs  était 
parvenue  d'Amérique  à  la  municipalité  de  Gènes  pour  l'achat  du  fameux  vio- 
lon de  Guarnerius  qui  a  appartenu  à  Paganini  et  que  la  ville  conserve  reli- 
gieusement. Une  première  offre  de  15.000  dollars  (et  non  de  15.000  livres 
sterling,  comme  le  disent  les  Cronache  musicali)  avait  été  faite  d'abord;  puis, 
celle-ci  ayant  été  repoussée,  une  nouvelle  proposition  fut  faite,  et  voici  la 
correspondance  échangée  à  ce  sujet  : 

Chicago,  10  juillet  1901. 
Illustre  syndic  de  la  ville  de  Gênes, 
Nous  nous  adressons  à  Votre  Seigneurie  pour  obtenir  le  précieux  Giuseppe  Guarneri 
de  1742  que  votre  ville  conserve  si  religieusement  en  souvenir  de  l'immortel  violoniste. 
Ce  serait  pourtant  notre  désir  que  M.  Freeman,  qui  est  une  autorité  dans  la  matière, 


LE  MÉNESTREL 


343 


examinât  d'abord  la  célèbre  relique  el  en  référât  aux  acquéreurs,  lesquels,  le  sachant  en 
de  bonnes  conditions,  oUriraient  à  la  ville,  pour  son  acquisition,  mil  mille  francs. 

Avec  cette  somme,  les  acheteurs  désireraient  avoir  aussi  la  boite,  les  papiers  et  tous  les 
documents  qui,  en  somme,  appartenaient  au  grand  magicien  de  l'archet. 

Nous  avons  déjà  dans  nos  collections,  outre  deux  autres  violons  très  rares,  un  Stradiva- 
rius qui  appartint  un  certain  temps  au  même  Paganini. 

Nous  attendons  une  réponse.  LvoN  et  Healy. 

On  remarquera  la  désinvolture  de  cette  lettre,  dont  les  signataires,  se  con- 
sidérant aussitôt  comme  acquéreurs,  veulent  avant  tout  prendre  leurs  précau- 
tions et  s'assurer,  par  les  soins  d'un  e-^pert  à  leur  choix,  de  la  bonne  qualité 
de  la  «  marchandise  »  convoitée  par  eux.  On  n'est  pas  plus  américain. 

Voici  la  réponse,  très  digne,  du  syndic  de  Gènes  : 

La  junte  municipale,  à  laquelle  j'ai  soumis  votre  demande  pour  l'achat  du  violon  de 
Paganini,  a  décidé  à  l'unanimité  qu'elle  ne  pouvait  prendre  en  considération  ni  la 
demande,  ni  par  conséquent  l'offre,  ne  pouvant,  pour  quelque  somme  que  ce  soit,  priver 
la  ville  d'un  semblable  souvenir. 

Avec  un  profond  respect.  Le  syndic, 

F.  Pozzo. 

Cette  réponse  contient  même  une  leçon  indirecte  de  politesse  aux  signa- 
taires de  la  lettre,  qui  n'avaient  même  pas  pris  la  peine  de  la  terminer  par 
une  formule  de  salutation  à  l'adresse  du  destinataire,  tandis  que  celui-ci  les 
assure  de  son  respect. 

—  On  annonce  la  procliaine  publication,  à  Bologne,  de  toute  une  série  de 
lettres  inédites  de  Verdi  à  son  collaborateur  le  poète  Antonio  Ghislanzoni  à 
propos  du  livret  A: Aida  et  lorsque  celui-ci  y  travaillait.  Dans  ces  lettres,  très 
importantes,  Verdi  expliquait  ses  volontés,  dictait  des  scènes  et  allait  jusqu'à 
proposer  des  vers  à  son  collaborateur. 

—  La  saison  n'est  pas  commencée,  et  voici  deux  opéras  nouveaux  qui 
viennen  t  d'éclore  en  Italie.  A  Este,  Leggenda  d'amore,  opéra  en  deux  actes, 
paroles  de  M.  Morpurgo,  musique  de  M.  le  comte  G.  Corinaldi,  sans  doute 
un  riche  dilettante,  dont  l'œuvre,  malgré  l'accueil  d'un  public  ami,  ne  paraît 
pas  d'une  valeur  transcendante.  Et  à  Borgo  San  Donnino  lo  Zio  d' America 
(l'oncle  d'Amérique),  opéra  en  trois  actes,  musique  d'un  compositeur  napo- 
litain, M,  N.  Gialdi.  Celui-ci  semble  avoir  obtenu  un  certain  succès. 

—  Un  décret  royal  régularise,  dit-on,  la  situation  et  établit  le  nouveau 
statut  du  Lycée  musical  de  Pesaro,  au  sujet  duquel  son  directeur,  M.  Mas- 
cagni,  a  soutenu,  on  se  le  rappelle,  de  si  vives  polémiques.  Le  décret  sépare 
nettement  les  fonctions  administratives  de  la  direction  artistique.  «  En  subs- 
tance, dit  un  journal,  M.  Mascagni  doit  en  être  satisfait.  »  Qui  sait? 

—  La  petite  ville  d'Adria  (Vénétie)  vient  de  consacrer  par  un  hommage 
ému  le  souvenir  d'un  de  ses  enfants,  Antonio  BuzzoUa,  artiste  fort  distingué, 
qui  tut  maître  de  la  célèbre  chapelle  de  l'église  Saint-Marc  à  Venise,  où  il 
mourut  le  20  mai  1871,  âgé  seulement  de  o6  ans.  Sur  la  maison  où  il  est  né 
on  a  placé  une  plaque  commémorative  avec  cette  inscription:  En  cette  maison, 
le  2  mars  'ISIS,  naquit  à  l'art  musical  italien  Antonio  BuzzoUa.  Élève  de  Donizetti 
au  Conservatoire  de  Naples,  BuzzoUa,  qui  tut  chef  d'orchestre  à  l'Opéra 
italien  de  Berlin,  qui  voyagea  en  l'rance,  en  Pologne  et  en  Russie,  fit  re- 
présenter à  Venise  plusieurs  opéras  :  Faramondo,  il  Masiino  debba  Scala, 
gli  Avventurieri,  Ainleto,  Elisabetla  di  Valois.  Il  fit  exécuter  plusieurs  cantates 
et  une  Messe  de  Requiem.  Il  devint  surtout  populaire  par  la  composition  de 
nombreuses  et  charmantes  Ariettes  vénitiennes.  Ses  compatriotes  ont  donné  à 
l'École  musicale  d'Adria  le  nom  à'Istituto  musicale  Antonio  BuzzoUa. 

—  On  vient  de  représenter  à  Londres  sous  ce  titre  bizarre,  the  Shadoïc  Dance 
(la  Danse  des  Ombres),  une  comédie  musicale  dont  le  sujet  n'est  autre  que 
celui  du  roman  célèbre  de  Victor  Hugo,  Notre-Dame  de  Paris.  L'auteur  du 
livret  est  M.  Ben  Landeck,  celui  de  la  musique  M.  Napoléon  Lambelet.  On 
a  reproché  au  premier  les  libertés  trop  grandes  qu'il  a  prises  avec  l'œuvre 
originale,  particulièrement  en  supprimant  le  supplice  d'Esmeralda,  qu'il  fait 
enlever  par  Phœbus  pour  s'enfuir  avec  elle  en  Angleterre.  Néanmoins,  l'ou- 
vrage paraît  avoir  obtenu  un  grand  succès. 

—  Une  nouvelle  assez  singulière  nous  arrive  de  Londres,  où  l'on  annonce 
officiellement  que  le  théâtre  Covent-Garden  ne  jouera  plus,  d'ici  longtemps, 
les  opéras  suivants  :  l'Africaine,  la  Somnambule,  le  Pardon  de  Ploërmet,  la  Na- 
varraise,  Uamlet,  le  Prophète,  la  Favorite,  Norma,  Fra  Diavolo,  le  Freischûtz  et 
l'Attaque  du  moulin.  Et  quelle  raison  donne-t-on  pour  justifier  la  disparition 
du  répertoire  de  ces  divers  ouvrages,  si  populaires  à  Londres  ?  C'est  que  tous 
les  costumes  ont  été  vendus  récemment  aux  enchères.  Bizarre  ! 

—  De  New-York,  par  cable  :  «  Triomphe  de  M™  Sibyl  Sanderson  dans 
Manon.  La  salle  archicomble  lui  a  fait  un  succès  fou  :  quatre  et  cinq  rappels 
après  chaque  acte,  sept  à  la  fin;  ovations  et  fleurs.  Tout  est  loué  pour  les 
prochaines  représentations.  » 

—  Le  feu  président  Mac  Kinley  avait  une  belle  voix  de  basse.  C'est  du 
moins  ce  que  pous  apprend  miss  Elisabeth  Banks  dans  un  article  anecdotique 
publié  récemment  dans  la  Saint-James  Gazette.  Le  révérend  Johnston,  dit  l'au- 
teur, qui  était,  il  y  a  quatre  ans,  «  pasteur  du  Président»,  discutant  avec  Mac 
Kinley  sur  son  habileté  de  chanteur,  lui  montra  un  numéro  d'un  journal  de 
New- York  contenant  un  article  ainsi  intitulé  :  The  Président  sing  fine  bass  (la 
belle  voix  de  basse  du  Président).  «  Très  bien,  lui  dit  en  riant  Mac  Kinley, 
au  moins  maintenant  je  connais  ma  voix.  Je  suis  très  obligé  au  reporter 
qui  a  télégraphié  cette  nouvelle  à  son  journal,  parce  que,  ayant  chanté  pres- 
que toute  ma  vie,  je  n'ai  jamais  su  quelle  voix  j'avais,  bien  que  je  me  flatte 
de  n'avoir  jamais  détonné.  » 


—  Une  riche  propriétaire  de  New-Jersey,  près  New-York,  qui  a  récemment 
perdu  une  chienne  bien-aimée  du  nom  de  Jennie,  lui  a  fait  des  funérailles 
superbes.  L'animal  a  été  placé  dans  un  petit  cercueil  en  bois  de  rose  capi- 
. tonné  de  salin  et  couvert  de  fleurs;  les  amis  et  tous  les  enfants  de  la  ville 

ont  été  admis  dans  la  «  chapelle  ardente  »  où  la  chienne  resta  exposée  pen- 
dant deux  jours.  Au  moment  de  la  levée  du  corps  —  qu'on  nous  permette 
cette  expression  —  un  orgue  placé  dans  le  salon  contigu  a  fait  entendre  un 
cantique  selon  l'usage,  et  finalement  la  marche  funèbre  de  Beethoven,  qui  ne 
se  doutait  vraiment  pas  à  quel»  héros»  sa  composition  ferait  un  jour  honneur, 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Le  Congrès  international  d'histoire  de  la  musique,  qui  a  tenu  pour  la 
première  fois  ses  assises  à  Paris  en  1900,  vient  de  réunir  l'ensemble  des  tra- 
vaux qui  lui  ont  été  présentés  en  un  fort  volume  in-8"  de  plus  de  300  pages 
(librairie  Fischbacher).  Les  séances  de  ce  congrès,  qui,  on  se  le  rappelle, 
avaient  eu  lieu  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra,  ne  furent  pas  sans' donner  Tira-' 
pression  d'une  certaine  confusion,  et  cela  s'e.xplique  assez,  non  seulement 
par  le  fait  qu'une  telle  réunion  était  chose  absolument  nouvelle,  qu'elle  se 
tenait  au  milieu  de  la  cohue  de  l'Exposition  universelle,  pendant  une  période 
de  chaleur  excessive,  mais  surtout  parce  que  les  membres  qui  s'y  étaient 
rendus  arrivaient  de  tous  les  coins  du  monde,  parlant  des  langues  différentes 
et  faisant  du  Congrès  musical  une  véritable  tour  de  Babel.  Cette  impression 
disparait  en  présence  du  livre,  qui  témoigne  de  l'état  d'esprit  extrêmement 
sérieux  avec  lequel  sont  abordées  aujourd'hui  les  questions  les  plus  ardues 
de  l'histoire  de  notre  art.  M.  Bourgault-Ducoudray  a  dit  dans  son  discours 
d'ouverture  :  «  Il  y  a  vingt  ans,  à  peine  aurait-on  pu  rencontrer  dans  Paris 
dix  personnes  s'intéressant  à  l'archéologie  musicale.  Aujourd'hui  l'on  peut 
bien  dire  que  l'étude  du  passé  de  la  musique  est  entrée  dans  l'éducation 
et  jusqu'à  un  certain  point  dans  la  pratique  de  l'art.  »  Il  y  a  lieu  de  penser 
que  la  suite  des  délibérations  a  causé  à  l'éminent  président  français  du  Con- 
grès l'agréable  surprise  de  lui  révéler  que  le  progrès  était  plus  grand  encore 
qu'il  n'avait  dit.  Il  est  certain  qu'un  tel  résumé  de  travaux  si  spéciaux  mar- 
que une  tendance  très  méritoire  et  indique  une  orientation  toute  nouvelle.^ 
L'histoire  de  la  musique  ne  sera  donc  plus  désormais  un  simple  prétexte  à 
anecdotes  plus  ou  moins  amusantes,  à  impressions  plus  ou  moins  superfi- 
cielles, à  jugements  plus  ou  moins  bornés  :  il  lui  faudra  un  aliment  plus 
substantiel  et  plus  solide.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  tous  les  articles  contenus 
dans  le  livre  épuisent  l'intérêt  des  sujets  qu'ils  traitent,  ni  que  leurs  conclu- 
sions doivent  toujours  être  tenues  pour  inattaquables  :  il  s'en  faut  même  de 
beaucoup  ;  mais  dans  tous  on  sent  un  effort  de  sincérité  et  un  besoin  de 
savoir  des  plus  méritoires.  Nous  ne  citerons  aucun  titre,  nous  bornant  à  indi- 
quer les  grandes  divisions  du  livre  en  cinq  parties  :  I,  Musique  grecque  ;  II, 
Musique  byzantine:  III,  Musique  du  moyen  âge  (a,  religieuse,  b,  profane); 
IV,  musique  moderne;  V,  Varia,  et  à  mentionner  les  noms  des  principaux 
auteurs,  MM.  Camille  Saint-Saëns,  E.  Ruelle,  Poirée,  Julien  Tiersot,  Th. 
Reinach,  R.-P.  Thibaut,  Dom  Gaïsser,  Pierre  Aubry,  Michel  Brenet,  Ghile- 
sotti,  Lindgren,  Georges  Humbert,  Bonaventura,  Ilmari  Krohn,  Gérold,  Ro- 
main Rolland,  Schedlock,  Hellouin,  Combarieu,  etc. 

—  La  troisième  commission  du  conseil  municipal  a  décidé  de  proposer, 
dès  la  rentrée,  la  démolition  des  constructions,  encore  en  place,  de  l'ancien 
Cirque  d'été.  Des  jardins  seront  donc  établis  sur  l'emplacement  où,  il  y  a 
trois  mois  encore,  on  comptait  édifier  soit  un  nouveau  cirque,  soit  une  salie 
de  concerts,  voire  un  théâtre  lyrique  international  sous  les  auspices  de 
M.  Leoncavallo.  Ainsi  s'en  vont  les  rêves  en  fumée.  Ce  sont  toujours  les  fonds 
qui  manquent  le  plus. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  2  heures,  le  conseil  de  la  Société  historique 
d'Auteuil  et  de  Passy  fera  apposer  une  plaque  commémorative  sur  la  maison 
qu'habita  le  bon  et  doux  poète  Eugène  Manuel.  La  cérémonie  sera  présidée 
par  M.  Adrien  Dupuy,  délégué  du  ministre  de  l'instruction  publique. 

—  Après  avoir  eu  ce  flair  particulier  d'aller  chercher  à  Orange  une  pièce 
et  une  partition  conçues  pour  le  plein  air,  afin  de  l'enfermer  dans  les  quatre 
murs  de  son  «  Académie  »  où  elle  étouffe,  après  avoir  fourvoyé  dans  cette 
aventure  et  Saint-Saëns  et  Sardou,  voici  enfin  M.Gailhard  revenu  à  ses  chères 
études  wagnériennes.  La  place  est  nette;  on  a  repris  les  répétitions  de  Sieg- 
fried, dont  les  lectures  d'orchestre  ne  tarderont  pas  à  commencer.  On  veut 
passer  au  plus  vite,  cela  se  comprend.  Voilà  enfin  le  lourd  directeur  dans 
son  élément,  aux  prises  avec  la  lourde  partition  de  son  maître  favori  :  mu- 
sique d'enclume  et  vocalises  de  dragon. 

—  Toute  la  semaine,  à  l'Opéra-Gomique,  on  a  fort  poussé  les  répétitions 
de  Grisélidis  qui  marchent  facilement  et  sans  encombre.  Lectures  d'orchestre 
déjà  avancées.  On  a  le  ferme  espoir,  dès  à  présent,  de  pouvoir  arriver  à  la 
première,  avant  même  le  douze  novembre,  date  primitivement  arrêtée. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée  Edl^ 
taff;  le  soir,  Manon. 

—  Lettre  de  «  faire  part  »  : 

Monsieur  et  Madame  François  Rioton  ont  l'honneur  de  vous  faire  part  du  mariage  de 
Mademoiselle  Marthe  Rioton,  leur  ûlle,  avec  Monsieur  Félix  Lœvenslein,  avocat  à  la  Cour 
d'appel  de  Paris. 

La  bénédiction  nuptiale  leur  sera  donnée  le  lundi  28  octobre  1901,  en  l'église_parois- 
siale  de  Beaumont-lès-Valence  (Drôme). 


LE  MÉNESTREL 


—  Grand  succès  remporté  dimanche  dernier  à  Bâle  par  M""  Glotilde  Klee- 
berg,  qui  a  exécuté  avec  sa  maestria  habituelle  le  2^'  concerto,  en  fa  mineur, 
de  Chopin.  Parmi  les  soli,  prélude  et  fugue  de  Bach,  impromptu  de  Schubert 
et  Des  Ailes,  de  Godard,  ont  provoqué  l'enthousiasme  d'un  public  ravi.  La 
célèbre  artiste  se  fera  entendre  aujourd'hui  dimanche  aux  concerts  Colonne 
dans  le  concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns,  et  le  dimanche  3  novembre,  à 
Lille,  au  Festival  Théodore  Dubois,  dans  le  S»  concerto  et  les  pièces  pour  piano 
du  maître. 

—  A  Lille,  toujours  même  succès  pour  la  triomphante  Princesse  d'Auberge 
de  Jan  Blockx.  Voici  trois  années  sans  désemparer  qu'elle  tient  l'affiche  avec 
des  distributions  diverses.  La  dernière  parait  surpasser  les  précédentes,  s'il 
faut  en  croire  le  Réveil  du  Nord  :  «  L'opéra  de  Blockx  a  obtenu  son  grand  suc- 
cès habituel  et  M°"î  et  M.  Mikaelly  une  ovation  triomphale  après  le  fameux 
tableau  du  Carnaval.  M.  Gadio  a  été  très  apprécié  dans  le  rôle  de  Marcus;  il 
accentuait  mieux  la  perfidie  de  l'amoureux  de  Reinilde  que  ne  l'avait  fait 
M.  Tricot,  et  l'intrigue  de  la  pièce  s'en  ressentait  heureusement.  M""  Delorme 
avait  été  goûtée  dans  le  rôle  de  Reinilde,  mais  M""^  Marly  donne  à  la  jeune 
fiancée  beaucoup  plus  de  sensibilité  et  de  tendresse:  elle  a  été  fort  applaudie, 
jjme  Patoret  nous  a  présenté  une  Kateleyne  fort  touchante.  M.  Ramieux  a 
chanté  et  joué  en  maître  et  tout  particulièrement  le  dernier  tableau  :  la  salle 
d'auberge  chez  Rita  et  la  rixe  mortelle.  » 

—  Lille.  —  La  Société  «  Orchestre  et  chœur  d'amateurs  »  que  Maurice  Ma- 
quet  fondait  il  y  a  six  ans  et  qu'il  dirigeait  avec  beaucoup  de  talent,  vient, 
après  son  grand  succès,  de  se  transformer  eu  «  Société  de  musique  de  Lille  ». 
Le  choral  mixte  reste  composé  d'amateurs  seuls  ;  il  compte  110  dames  et 
100  hommes.  L'orchestre,  d'environ  120  musiciens,  est  composé  de  profes- 
sionnels et  d'amateurs.  La  nouvelle  société  annonce  pour  l'hiver  1901-1902 
les  concerts  suivants:  Quatre  grands  concerts.  —  1.  Vendredi  20  décembre. 
Chœur  et  orchestre.  Le  Déluge,  de  Saint-Saëns,  et  finale  des  Maîtres  Chanteurs, 
de  Wagner.  —  2.  Dimanche  26'janvier.  Orchestre,  avec  le  concours  de  Raoul 
Pugno.  —  3.  Dimanche  16  février.  Orchestre,  avec  le  concours  de  Jacques 
Tbibaud.  —  4.  Vendredi  21  mars.  Chœur  et  orchestre.  Cantate  Wacht  Auf,  de 
Bach,  et  Rédemption,  de  Gounod.  Deux  séances  de  musique  de  chambre, 
mercredi  20  novembre,  avec  le  concours  du  quatuor  Parent,  lundi  7  avril, 
avec  le  concours  de  MM.  Gabriel  Fauré  et  Paul  Viardot. 

—  Les  fêtes  musicales  que  la  ville  de  Lille  organise  pour  le  mois  d'août 
1902  promettent  d'être  exceptionnellement  brillantes.  Elles  comprendront 
trois  journées,  les  vendredi  15,  samedi  16  et  dimanche  17  août.  Le  15  et  le  17 
seront  consacrés  aux  concours  orphéoniques  :  la  journée  du  16  sera  réservée 
à  l'inauguration  du  monument  élevé  à  Desrousseaux.  le  chanteur  lillois  popu- 
laire, à  la  pose  du  buste  du  grand  compositeur-  Edouard  Lalo,  et  à  un  grand 
concert  artistique.  M.  Théodore  Dubois  a  bien  voulu  accepter  la  présidence 
d'honneur  des  concours,  qui  seront  effectivementprésidés,  celui  des  orphéons 
par  M.  Henri  Maréchal,  celui  des  harmonies  et  fanfares  par  M.  Gabriel  Parés. 
M.  Henri  Roujon,  directeur  des  beaux-arts,  a  promis  de  venir  présider  lacéré- 
monie  d'inauguration  du  monument  de  Desrousseaux  et  du  buste  de  Lalo. 
Enfin,  les  chœurs  et  morceaux  à  imposer  aux  divisions  d'excellence  seront 
écrits  par  MM.  Théodore  Dubois,  Henri  Maréchal  et  Gabriel  Parés. 

—  Concerts  du  Conservatoire  de  Nancy.  —  Les  dix  concerts  d'abonnement 
de  la  saison  1901-1902  seront  donnés  aux  dates  ci-après  :  10  et  24  novem- 
bre, 8  et  22  décembrel901, 12  et  26  janvier,  9  et  23  février,  9  et  16  mars  1902. 
M.  J.-Guy  Ropartz,  pour  faire  suite  à  l'Histoire  de  l'Ouverture,  qui  fut  un  des 
points  principaux  du  programme  de  la  précédente  saison,  se  propose  d'étu- 
dier cette  année  la  Musique  à  programme  au  XIX'  siècle,  en  faisant  entendre 
la  Symphonie  fantastique  de  Berlioz,  la  Faust-Symphonie  de  Liszt  et  des  poèmes 
symphoniques  de  Saint-Saëns,  Franck,  Duparc,  d'indy,  R.  Strauss,  etc.  L'his- 
toire de  la  symphonie  classique  et  romantique  en  Allemagne  comprendra 
des  œuvres  de  Haydn,  Mozart,  Beethoven,  Schubert,  Mendelssohn,  Schu- 
mann,  etc.  En  outre,  comme  œuvres  avec  soli  et  chœurs,  seront  montées 
la  Passion  selon  saint  Jean  de  J.-S.  Bach  et  Rebecca  de  C.  Franck.  Enfin  un 
programme  consacré  à  l'audition  d'œuvres  d'auteurs  lorrains  réunira  les 
noms  de  Charpentier,  Pierné,  Bréville,  Max  d'Ollone,  Florent  Schmitt,  etc. 
Parmi  les  solistes  déjà  engagés,  citons  les  pianistes  Raoul  Pugno  et  Arthur 
de  Greef,  le  baryton  Daraux,  le  ténor  Daniel,  M""'  Lombroso,  cantatrice,  etc. 
Le  grand  violoniste  Eugène  Ysaye  se  fera  de  nouveau  entendre  à  Nancy,  mais 
il  a  tenu  à  réserver  son  concours  au  concert  donné  en  dehors  de  l'abonnement 
au  bénéfice  de  la  caisse  de  secours  de  l'orchestre. 

—  Cours  et  leçons.  —  Les  salles  d'auditions  et  de  cours  des  éditeurs  Lemoine, 
rue  Pigalle  viennent  d'ouvrir  leurs  portes.  M'""  Renée  Richard,  de  l'Opéra,  et  M.  de  Fé- 
raudy,   de  la   Comédie-Française,    ont   commencé  leurs  cours  d'opéra    et  de  comédie 

—  M.  Lassalle,  de  l'Opéra,  ouvre  en  janvier  son  école  de  chant.  —  Aux  cours  Cho- 
pin, 9,  avenue  Hoche  et  35,  rue  d'Hautevîlle,  dirigés  par  M"'"  Maria  Samuel,  c'est 
M.  Georges  Mathias  qui  s'occupera  de  l'enseignement  tcut  spécial  des  œuvres  du  maître. 

—  M.  et  M""  Georges  Clément  ont  repris  leui-s  leçons  de  chant  à  leur  nouveau  domicile, 
23,  avenue  Trudaine.  —  M'"'  Claire  Lebrun  reprendra,  le  5  novembre,  5,  place  de  la  Sor- 
bonne,  ses  leçons  d'orgue  et  de  piano  et  son  cours  de  solfège.  —  M.  Emma,  de  l'Opéra,  a 
repris,  2i9,  faubourg  Saint- Honoré,  ses  cours  et  leçons  de  guitare,  mandoline  et  mandola. 

—  M"'  Claire  Vautier  a  repris,  27,  rue  des  Petits-Hôtels,  ses  cours  de  chant  (français  et 
italien;,  déchiffrage,  répertoire,  et  y  a  adjoint  un  cours  de  chœurs  gratuit.  —  M'""deJour- 
nel,  de  retour  à  Parii,  a  repris  ses  leçons  de  chant,  18,  avenue  Kléber.  —  M""'  Isambert 
reprennent  37,  rue  de  Passy,  leurs  cours  et  leçons  de  solfège,  piano,  harmonie  et  de  sol- 
fège à  deux  pianos.  —  M.  Marcel  Herwegh  a  repris  ses  leçons  particulières  de  violon, 
accompagnement  et  musique  d'ensemble,  3,  avenue  Bosquet. 


NÉCROLOGIE 

PAUL    HENRION 

Un  artiste  charmant,  qui  eut  son  heure  de  grands  succès  et  de  très  légitime 
popularité,  l'excellent  compositeur  Paul  Henrion,  vient  de  mourir  à  l'âge  de 
82  ans,  ayant  conservé  jusqu'à  l'extrême  vieillesse,  avec  la  jouissance  de 
toutes  ses  facultés,la  gaieté,  la  grâce  et  la  bonté  qui  le  caractérisaient.  H  était 
né  le  20  juillet  1819,  et  après  avoir  essayé  d'être  horloger,  puis  comédien,  il 
trouva  sa  voie  en  étudiant  la  musique.  Après  avoir  reçu  des  leçons  de  piano 
d'Henri  Karr,  le  père  du  romancier  Alphonse  Karr.  des  leçons  d'harmonie  de 
Moncouteau,  l'organiste  aveugle,  il  devint  un  instant  chef  d'orchestre  d'un 
bal  de  barrière,  pour  lequel  il  écrivit  quelques  morceaux  de  danse,  puis  il  se 
mit  à  composer  des  romances,  il  en  composa  douze  cents  !...  C'était  l'époque 
de  la  dernière  et  brillante  floraison  du  genre  de  la  romance, dont  il  fut  assu- 
rément l'un  des  champions  les  plus  aimables  et  les  plus  distingués.  C'était 
l'époque  où  brillaient  encore  Clapisson,  Abadie,  Etienne  Arnaud,  Amat, 
Albert  Grisar,  Théodore  Labarre,  Masini,  M""-'  Victoria  Arago,  M'"'  Loïsa 
Puget  et  bien  d'autres.  Paul  Henrion  prit  aussitôt  place  à  côté  d'eux,  et  d'une 
façon  victorieuse.  Ses  gentils  petits  poèmes,  d'une  inspiration  facile  et  élé- 
gante, gracieusement  tournés,  suffisamment  harmonisés,  obtinrent  un  succès 
fou,  d'autant  que  leur  auteur,  très  distingué  de  sa  personne  et  doué  d'une 
voix  charmante,  les  chantait  lui-même  dans  le  monde  aux  applaudissements 
de  tous.  Pendant  une  vingtaine  d'années,  à  partir  de  1845,  Henrion  publia 
chez  l'éditeur  Colombier  un  album  de  douze  romances  et  chansons  qui  lui 
était  payé,  je  crois,  6.000  francs  et  qu'il  faisait  entendre  dans  un  concert 
spécial  où  ses  interprètes  étaient  MM'^KGaveau.x-Sabatier  et  Iweins  d'Hennein, 
Saiute-Foy,  Lincelle,  Gozora,  etc.  Combien  de  ces  binettes  devinrent-elles 
populaires  et  furent-elles  chantées  non  seulement  dans  les  salons,  mais  dans  les 
ateliers,  dans  les  chambrettes,dans  les  réunions  intimes, partout  enfin?  Leurs 
titres  ne  sont  pas  tous  oubliés.  C'était  Loin  de  sa  mère.  Bouquet  fané,  la  Manola, 
les  deux  Mules  du  Basque,  Vive  le  Roi,  le  Bon  Curé,  Travaille  et  prie,  les  Vingt 
sous  de  Périnetle,  le  Pamlero 

Puis  la  romance  déclina,  déclina...  Les  formes  musicales  se  transformaient, 
et  la  pauvre  romance,  battue  en  brèche  d'un  côté  parla  mélodie  aux  accents 
nouveaux,  fut  tuée  ensuite  par  la  chanson  bête,  inepte  et  malpropre  du  café- 
concert.  Henrion  avait  trop  la  dignité  de  lui-même  pour  suivre  cette  pente 
ignoble.  Tout  en  écrivant  encore  quelques  chansons  —  propres!  —  il  se  sou- 
vint qu'il  avait  un  jour  abordé  la  scène  en  donnant  au  Théâtre-Lyrique  de 
l'ancien  boulevard  du  Temple,  en  1854,  un  opéra-comique  en  deux  actes  inti- 
tulé une  Rencontre  dans  le  Danube.  Il  se  mit  à  composer  des  opérettes  et  en 
écrivit  toute  une  série,  qu'il  fit  représenter  à  l'Eldorado,  à  la  Scala,  à  la 
Pépinière  et  jusqu'aux  Variétés.  C'était  Estelle  et  Némorin,  Cupidon,  Paolo  et 
Pietro,  A  la  bonne  franquette,  les  Suites  d'une  polka,  Balayeur  et  Balayeuse,  l'Étu- 
diant de  Heidelberg,  etc.  Puis  enfin,  l'âge  vint,  Henrion  avait  eu  la  sagesse  de 
mettre  de  côté  de  quoi  vivre  tranquille,  il  avait  besoin  de  repos,  il  se  reposa. 
Il  avait  été  l'un  des  fondateurs  et  le  président,  scrupuleusement  honnête,  de 
la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs,  dont  il  resta  le  président 
honoraire.  Il  avait  noué  là  de  solides  amitiés,  qui  ne  lui  manquèrent  pas 
jusqu'à  ses  derniers  jours.  Homme  de  cœur  et  galant  homme,  travailleur 
acharné,  ami  dévoué,  bon  compagnon,  toujours  prêt  à  être  utile  et  à  rendre 
service,  Henrion,  on  peut  le  dire  sans  crainte  de  se  tromper,  ne  laissera  que 
des  regrets  profonds  à  tous  ceux  qui  l'ont  connu.  Arthuh  Pounm. 

—  A  Rome  vient  de  mourir  le  pianiste  et  compositeur  Achille  Lucidi,  qui 
avait  été  le  professeur  de  la  reine  Marguerite  d'Italie  et  qui  tenait  une  classe 
de  piano  a  l'Académie  de  Sainte-Cécile.  Il  est  l'auteur  d'une  messe  exécutée 
au  Panthéon  aux  funérailles  de  Victor-Emmanuel,  et  il  a  publié  quelques 
morceaux  fort  estimés.  Il  avait  en  portefeuille  un  opéra  intitulé  Ellore  Fiera- 
mosca,  qu'il  ne  voulut  jamais  faire  représenter  parce  que,  dit-on,  il  n'eu  était 
pas  satisfait.  Voilà  un  exemple  de  modestie  qui  trouvera  peu  d'imitateurs. 

—  De  Hubertusfer  (Saxe)  on  annonce  la  mort  du  pianiste  Georges  Leitert, 
qui  était  né  à  Dresde  le  29  septembre  1852.  Dès  l'âge  de  treize  ans  il  se  fai- 
sait entendre  en  public  avec  succès.  Il  devint  ensuite,  à  'Weimar,  élève  de 
Liszt,  qu'il  accompagna  même  à  Rome.  Il  passa  ensuite  plusieurs  années  à 
Paris,  puis  fit  à  l'étranger  de  grandes  tournées  artistiques,  entre  autres  avec 
le  fanjeux  violoniste  "Wilhelmy,  qui  consacrèrent  sa  réputation.  Il  est  mort 
dans  ulne  maison  de  santé. 

—  Un  artiste  populaire,  Nicolas  Rodoc-Biernacki,  à  la  fois  poète  et  compo- 
siteur de  chansons  charmantes  qui  l'avaient  fait  surnommer  «  le  Béranger 
polonais  »,  s'est  suicidé  récemment  à  Lemberg  dans  un  accès  de  mélancolie. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

ON  REPRENDRAIT,    en  le  payant  comptant,  un  cours  de  musique  en 
pleine  prospérité,  soit  à  Paris,  soit  dans  les  environs.  —  Écrire  poste 
restante,  place  de  la  Bourse,  sous  les  initiales  M.  S.  F.  H. 

A 'VENDRE,  Piano  à  queue  Pleycl,  très  bon  état,  occasion,  s'adresser  ma- 
tin, 9,  rue  du  Printemps,  3''  à  droite. 

Vient  de  paraître,  chez  E.  Fasquelle,  les  Maurjars,  pièce  en  4  actes,  de  MM.  André 
Theuriet  et  Georges  Loîseau,  représentée  à  l'Odéon  (2  fr.  50). 


,  —  (Encre  Lorillciii). 


3fi84.  -  (57-  ANNÉE  -  ^"44,       PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 


Dimaiiclie  3  iVowinbre  i90i, 


(Les  Bureauï,  2  "'",  rue  YiTieime,  Paris,  n-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTRE 


lie  5améFo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    TIIÉ^TI^ES 

Henri    HEUGEL,     Diracteur 


Le  HaméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  fran-co  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Giiant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,   Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (36"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  Ihéàtralc  :  première  représentation  d'YivUe  au  Vaudeville,  reprise  du 
l'oi/nf/e  de  tiiizelle  au  Chàtelet,  reprise  de  la  Tortue  au  Théàtre-Dèjazel,  première 
représentation  de  la  Bancule  au  Gymnase,  Paul-Émile  Chevalier.  —  111.  Petites  notes 
sans  portée  :  Le  renouvellement  des  concerts,  Raïmcnd  Bodïer.  —  IV.  Pensées  et 
.\pliorismes  d'Antoine  Rubinstein.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  MARQUIS  A  LA  MARQUISE 

sonnet  de  Rodolphe  Bringer,  mis  en  musique  par  Gabriel  Verdalle.  —  Sui- 
vra immédiatement  :  Il  partit  au  printemps,  chanté  par  M""  Lucienne  Bréval 
dans  Grisélidis,  poème  d'ARiuAND  Silvestre  et  Eugène  Morand,  musique  de 
J.  Massenet. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublieronsdimancheprochain, pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Scaramouthe,  caprice  de  Théodoue  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Entr'acte- 
Idylle,  extrait  de  Grisélidis,  musique  de  J.  ]\I.\ssenet. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

1  plus  récents  et  fles  flocmnenls  inéflits 

(Suite.) 


X  (suite) 

Le  baron  de  Trémont  a  jugé  plus  impartialement  la  femme  et 
la  virtuose.  Il  rappelle  —  et  nous  glissons  sur  ce  sujet  bien 
connu  —  les  brutalités  du  père  de  la  Malibran,  le  savant  chan- 
teur Garcia,  qui  avait  érigé  la  schlague  en  système  d'éducation. 
Sa  fille,  arrivée  à  son  complet  développement,  «  eût  été  un  ravis- 
sant petit  garçon  »  dit  son  biographe. Quant  à  l'artiste,  elle  avait 
des  soudainetés  d'inspiration  qui  déroutaient  les  classificateurs 
les  plus  sagaces.  Elle  ne  chantait  et  ne  jouait  jamais  deux  fois 
do  la  même  façon  le  même  rôle.  C'était  cette  diversité  d'inter- 
prétation, remarquée  déjà  chez  la  Pasta,  qui  impressionnait  si 
fortement  le  public,  mais  qui  épuisait  souvent  les  forces  de  la 
tragédienne  lyrique  :  «  l'action  théâtrale  animée  fatigue  la  voix» 
dit  le  baron  de  Trémont.  Aussi,  les  Italiens,  même  dans  les  situa- 
tions les  plus  pathétiques,  restent-ils  relativement  calmes. 

Le  panégyriste  de  la  Malibran  devait  au  hasard  de  la  con- 
naître. 

La  cantatrice,  appelée  à  Londres  par  un  engagement,  faisait 
ses  préparatifs  de  départ,  quand  Trémont  lut  dans  un  journal 


anglais  un  foudroyant  réquisitoire  contre  l'artiste,  sous  prétexte 
qu'elle  avait  tourné  en  ridicule  les  filles  d'Albion.  Remontant 
aux  sources  de  ce  racontar,  Trémont  en  découvrit  l'indigne 
fausseté.  Dans  une  de  ses  réceptions,  où  elle  n'admettait  qu'un 
très  petit  nombre  d'élèves,  d'autant  que  son  appartement  était 
fort  e.xigu,  la  Malibran  avait  tout  simplement  joué  un  rôle 
d'anglaise.  Trémont,  voyant  que  cette  malveillante  nouvelle  res- 
tait sans  démenti,  s'improvisa  le  champion  de  la  cantatrice  et, 
sous  l'empire  de  son  indignation,  écrivit  une  lettre  de  rectification 
à  la  gazette  anglaise,  qui  dut  l'insérer,  mais  de  fort  mauvaise 
grâce.  La  Malibran  s'était  fait  une  loi  de  ne  lire  aucun  journal. 
Aussi  apprit-elle  tout  à  la  fois  l'injure  et  la  réparation.  Elle  vou- 
lut remercier  son  défenseur  inconnu  ;  et  de  cette  époque  data 
une  amitié  qui  fut  toujours  sans  nuages. 

Ce  mépris  de  la  flagornerie  ou  de  la  malignité  publique,  qui 
faisait  rejeter  à  la  cantatrice  la  lecture  des  journaux,  lui  dictait 
la  même  ligne  de  conduite  pour  sa  correspondance  :  elle  n'ou- 
vrait jamais  les  lettres  qui  lui  étaient  adressées.  La  plupart 
étaient  des  épitres  enflammées,  se  terminant  par  des  rendez- 
vous  grotesques  ou  par  d'écœurantes  propositions. 

M°"  Malibran  se  réservait  pour  de  plus  nobles  émotions,  car 
elle  fut  toujours  la  sensitive  par  excellence.  Un  jour,  elle  expri- 
mait devant  le  baron  de  Trémont  le  désir  d'assister  à  un  bal 
costumé  que  donnait  M'"°  Vigée-Lebrun.  L'ami  de  l'art  et  des 
artistes  sollicite  une  seconde  lettre  d'invitation  pour  cette  soirée. 
M"^  Malibran  y  vint  en  Muse  de  la  peinture.  A  l'heure  classique 
de  la  présentation,  la  maîtresse  de  la  maison  tendit  la  main  à  la 
prima  donna,  en  lui  disant  avec  son  plus  gracieux  sourire  : 

—  Ma  chère  madame  Malibran. 

—  Vous  vous  trompez,  répUqua  la  chanteuse,  je  suis  Elisabeth 
Lebrun. 

Et  les  deux  femmes  s'embrassèrent. 

Trémont  vit  chez  lui  la  Malibran  pleurer  à  chaudes  larmes,  à 
l'audition  d'un  morceau  du  compositeur  Fesca  joué  par  de  Bériot, 
son  futur  mari  —  Fesca,  un  nom  ignoré  que  caractérisait,  aux 
yeux  de  Trémont,  cette  noble  devise  :  «  Science  et  génie  !  »  Ce 
musicien  est  si  peu  connu  que  les  biographes  ne  se  sont  ja- 
mais mis  d'accord  sur  les  dates  extrêmes  de  sa  vie.  Fétis  donne 
celles-ci  :  1820-1849.  Trémont  prétend  que  cet  enfant  de  la  bohème 
vécut  de  1784  à  1826.  C'était,  dit-il,  une  belle  figure  animée  par 
une  belle  àme.  A  quatre  ans  «  il  jouait  de  petites  pièces  »  sur 
le  piano.  Son  style,  d'une  rare  sensibilité,  était  difiicile  à  saisir 
et  à  rendre.  Fesca  mourut  phtisique,  tué  par  son  violent  amour 
pour  sa  femme. 

Dans  ses  Souvenirs  d'un  homme  de  théâtre  (1),  Séchan  raconte 
qu'à  la  première  représentation  de  Henri  III  et  sa  cour,  M"'°  Ma- 
libran, qui  n'avait  pu  trouver  de  place  qu'aux  troisièmes,  «  se 


(1)  SÉCHAN.  —  Souvenirs  dun  homme  de  IhéiUre,  recueillis  par  A.  Badin;  C.  Lévy, 


346 


LE  MÉNESTREL 


tenait  penchée  tout  entière  hors  de  sa  loge  et  se  cramponnait 
de  ses  deux  mains  à  une  colonne  pour  ne  pas  tomber  »,  tant 
elle  suivait  avec  une  attention  fiévreuse  les  péripéties  du  drame 
d'Alexandre  Dumas  1 

C'était  ce  même  amour,  ce  même  respect  de  l'art,  joint  au 
sentiment  de  sa  dignité  personnelle,  qui  la  faisait  fondre  en 
larmes  devant  sa  charge  exécutée  par  Dantan.  Le  caricaturiste 
brisa  aussitôt,  parait-il,  la  statuette. 

Le  noble  et  légitime  orgueil  que  donne  aux  grands  artistes  la 
conscience  de  leur  valeur,  suivit  la  Malibran  dans  toutes  les  phases 
de  sa  vie  et  la  mit  au-dessus  des  mille  petites  compromissions  qui 
répugnent  aux  natures  généreuses.  La  dernière  année  qu'elle 
passa  en  Italie  elle  osa,  dans  les  lagunes  de  cette  Venise  fana- 
tique de  son  talent,  faire  draper  sa  gondole  en  rouge,  alors  que 
des  ordonnances  sévères  obligeaient,  sous  prétexte  d'égalité,  les 
propriétaires  d'embarcations  à  les  revêtir  d'une  couleur  uniforme, 
fixée  par  les  mêmes  règlements.  L'administration  autrichienne 
et  la  population,  quise  chargeaient  d'en  faire  respecter  l'humi- 
liante manie  égalitaire,  fermèrent  les  yeux  sur  la  fantaisie  de  la 
virtuose. 

Les  triomphes  de  la  Malibran  n'étaient  pas  moindres  dans  les 
salons  qu'au  théâtre.  Gastellane  les  note  exactement  dans  son 
Journal,  avec  le  prix  de  chaque  cachet,  une  bouchée  de  pain 
si  l'on  considère  les  exigences  de  nos  contemporaines.  M'""  Mali- 
bran touchait  trois  cents  francs  par  concert.  La  nervosité  qui 
la  soutenait  souvent  dans  les  circonstances  les  plus  critiques 
provoquait  quelquefois  chez  elle  des  défaillances  inattendues.  En 
1828,  au  concert  donné  par  M.  de  la  Ferronays,  ministre  des 
affaires  étrangères,  la  grande  artiste  s'évanouit  brusquement,  et 
l'on  vit  ce  curieux  spectacle  de  M.  Sosthènes  de  La  Rochefou- 
cauld, le  surintendant  des  beaux-arts,  s'efîorçant  de  lui  faire  ve- 
prendre  connaissance  par  des  passes  magnétiques. 

Le  noble  faubourg,  qui  accueillait  avec  des  pâmoisons  de 
dilettante  la  Muse  de  la  tragédie  iyrique,  n'était  pas  aussi  bien- 
veillant pour  la  femme.  En  mars  1S29,  au  bal  du  baron  de 
Vertpré,  où  se  pressait  l'élite  de  l'aristocratie,  des  grandes  dames 
se  retirèrent  aussitôt  qu'elles  virent  paraître  dans  un  quadrille 
la  Malibran  et  la  Montessu,  une  danseuse  de  l'Opéra,  ravissante 
sous  son  costume  de  Suissesse.  C'étaient  de  pures  grimaces,  car 
ces  dames,  si  rigides  sur  le  chapitre  de  l'étiquette,  n'avaient  pas 
bronché,  une  heure  auparavant,  quand  elles  s'étaient  croisées 
avec  M""  Naldi  de  l'Opéra  bouffe  etM"'Leclerc,  une  autre  actrice 
de  Paris  :  il  est  vrai  qu'elles  étaient  toutes  deux  au  bras  de  leurs 
maris  respectifs,  le  général  de  Sparre  et  le  vicomte  de  la  Ferté. 

Une  épreuve,  plus  mortifiante  encore,  attendait  M'""  Malibran 
et  M"'  Mars  en  février  1830.  L'administration  donnait  à  l'Opéra 
un  grand  bal  au  bénéfice  des  pauvres;  l'entrée  était  de  vingt- 
cinq  francs  pour  les  hommes  et  de  vingt  francs  pour  les  dames. 
Les  deux  actrices  demandèrent  des  billets  qui  leur  furent  re- 
fusés. 

La  Malibran  se  consolait  de  toutes  ces  petites  vilenies  par  le 
travail  et  l'étude  approfondie  de  son  art.  Or,  bien  que  son  talent 
fût  universellement  admiré,  il  rencontrait,  comme  nous  l'avons 
vu  par  l'exemple  de  Cuvillier-Fleury,  des  critiques  qui  en  niaient 
la  spontanéité. 

Mais  ce  qui  semblera  peut-être  plus  difiicile  à  croire,  c'est 
qu'Eugène  Delacroix  se  rangea  parmi  ces  incrédules.  Son  culte 
pour  la  Pasta  explique  sa  sévérité  à  l'égard  de  la  Malibran.  Et 
la  longue  conversation  qu'il  eut,  en  1847,  avec  le  frère  de  celle- 
ci,  professeur  de  chant  au  Conservatoire  depuis  1835,  résume  tous 
les  griefs  du  peintre  contre  la  cantatrice.  Son  jeu  factice  était, 
prétendait-il,  une  conséquence  de  la  loi  d'hérédité.  Elle  tenait 
ce  défaut  de  son  père,  le  grand  comédien,  qui  restait  invaria- 
blement le  même  et  comme  dénué  de  toute  inspiration.  Son  fils 
n'avait-il  pas  avoué  à  Delacroix  qu'il  l'avait  vu  étudier  longue- 
ment devant  la  glace  une  grimace  d'Othello.  Bien  entendu,  le 
vieux  Garcia  discutait  la  manière  de  la  Pasta  :  il  classait  la  ri- 
vale de  sa  fille  parmi  «  les  talents  plastiques  »,  c'est-à-dire  froids 
et  compassés. 


Mais,  s'écrie  impétueusement  Delacroix,  ce  plastique,  c'est 
l'idéal. 

Et  si  bien  l'idéal  qu'à  Milan,  où  la  Pasta  avait  créé  le  rôle  de 
Norma,  les  abonnés  ne  donnaient  pas  d'autre  nom  à  l'actrice  que 
celui  de  l'héroïne  de  Bellini.  II  est  vrai  que  la  Malibran,  sou- 
cieuse d'interpréter  le  même  personnage,  y  fit  oublier  la  Pasta  ; 
«  mais  ce  n'est  pas  la  nature!  »  On  comprend  si  Garcia,  le  pro- 
fesseur du  Conservatoire,  prit  parti  pour  sa  sœur.  Les  deux 
interlocuteurs  avaient  escarmouche  tout  d'abord  sur  le  terrain 
des  généralités.  Delacroix  reprenant  pour  son  compte  le  para- 
doxe de  Diderot,  Garcia  soutenait,  au  contraire,  que,  chez  le 
comédien,  la  sensibilité  et  la  passion  peuvent  très  bien  n'être  pas 
simulés.  Il  avait,  à  l'appui  de  sa  thèse,  l'exemple  de  sa  sœur,  qui 
ne  savait  jamais  le  matin  comment  elle  jouerait  le  soir.  Ainsi, 
tel  jour,  dans  Roméo,  elle  s'arrêtait  accablée  devant  la  tombe 
fatale;  le  lendemain  elle  se  jetait  en  sanglotant  sur  la  pierre. 

—  Sans  doute,  répliquait  Delacroix,  elle  déchaînait  alors  un 
courant  d'émotion  d'une  rare  intensité;  mais  souvent  aussi  elle 
dépassait  le  but,  et  cette  exagération  devenait  intolérable. 

Et  le  peintre  qui,  dans  ses  œuvres,  ne  fut  ni  moins  fougueux, 
ni  moins  outrancier,  ouvre  une  parenthèse  pour  faire  le  procès 
de  la  Malibran,  Il  «  ne  l'a  jamais  vue  noble  »  ;  elle  «  manquait 
d'idéal  » ,  elle  ne  touchait  pas  complètement  «  au  sublime  »  ;  chez 
elle,  l'inexpérience  et  l'emphase  de  la  jeunesse  n'avaient  pu  la 
dépouiller  entièrement  d'un  fonds  «  bourgeois  ».  Au  contraire, 
l'artiste  consommé,  dès  que  son  but  est  atteint,  ne  s'en  écarte 
plus.  Telle  la  Pasta,  et  la  distance  qui  la  sépare  de  la  Malibran 
est  la  même  qu'entre  Raphaël  et  Rubens. 

Garcia,  qui  défendait  toujours  sa  sœur,  en  démontrait  la  pro- 
bité artistique  par  des  arguments  de  réelle  valeur.  Chez  elle, 
disait-il,  «  la  fatigue  morale  se  joignait  à  la  fatigue  physique  ». 
Eut- elle  échappé  à  sa  fin  tragique,  qu'elle  aurait  succombé  pré- 
maturément au  surmenage  dont  elle  s'était  fait  une  loi.  Toujours 
préoccupée  de  ses  effets,  elle  consultait  volontiers  M""  Naldi,  la 
mère  de  M™"*  de  Sparre',  la  femme  de  l'excellent  chanteur  qu'avait 
tué  l'explosion  d'une  marmite  autoclave.  M""  Naldi  avait  eu  jadis 
une  inspiration  géniale,  quand  elle  avait  créé  le  rôle  de  Galathée 
dans  Pygmalion  :  immobile,  sous  l'aspect  d'une  rigide  statue, 
elle  avait  si  merveilleusement  révélé  la  soudaine  présence  de 
l'étincelle  vitale,  que  toute  la  salle  lui  avait  fait  une  des  plus 
belles  ovations  qu'on  ait  jamais  signalées  au  théâtre. 

Mais  Delacroix  mettait  toujours  en  doute  la  sincérité  du  jeu  de 
la  Malibran.  Il  rappelait,  pour  les  blâmer,  certains  effets  scéni- 
ques  de  Ma7'ie  Stuart,  dont  il  semble  que  se  soit  souvenue,  dans 
de  récentes  créations,  la  plus  grande  de  nos  actrices  contempo- 
raines. Obéissant  aux  suggestions  de  Leicester,  la  reine  d'Ecosse 
courbait  le  genou  devant  Elisabeth  ;  mais,  outrée  de  la  vindica- 
tive attitude  de  sa  rivale,  elle  se  relevait  impétueuse,  et  sous 
l'empire  de  l'indignation  elle  déchirait  par  morceaux  son  mou-' 
choir  et  ses  gants. 

—  Les  loges  en  trépignaient,  s'écrie  Delacroix;  or,  une  véri- 
table artiste  ne  s'abaisse  pas  à  ces  misérables  effets.  La  Pasta 
les  eût  répudiés,  mais  l'engouement  pour  la  Malibran  a  pris  de 
telles  proportions  que  la  postérité,  privée  de  tout  élément  de 
comparaison,  préférera  peut-être  celle-ci  à  celle-là. 

Delacroix  cependant  n'allait  pas  jusqu'à  dire,  avec  certains 
gazetiers,  queDesdémone  se  grisait  avant  d'entrer  en  scène, pour 
obtenir  par  cette  exaltation  cérébrale  son  maximum  d'intensité 
tragique.  Trémont  proteste  énergiquement  contre  une  telle 
légende.  La  Malibran,  dit-il,  mettait  quelques  gouttes  de  Porto 
et  de  Xérès  dans  un  peu  d'eau,  pour  rafraîchir  avec  cette  boisson 
son  larynx  surmené  par  les  vocalises.  Elle  usait  encore,  dans  le 
même  but,  d'une  décoction  d'orge  additionnée  de  miel  et  de 
goudron.  Lui,  Trémont,  a  goûté  ce  mélange,  qu'il  déclare  exé- 
crable. En  tout  cas,  ce  breuvage  était  autrement  inoffensif  que 
le  pot  de  moutarde  dont  elle  absorba  un  jour  le  contenu  sous 
prétexte  de  s'éclaircir  la  voix.  Bériot,  son  second  mari,  lui  repro- 
chait vivement  ces  extravagances,  et  surtout  les  effrénées  caval- 
cades qui  devaient  la  conduire  à  sa  perte. 

Après  l'horrible  chute  dont  elle  devait  mourir  le  surlende- 


LE  MÉNESTREL 


347 


main,  elle  avait  voulu  dissimuler  à  Bériot  la  blessure  qu'elle 
s'était  faite  à  la  tempe,  en  la  couvrant  d'un  enduit  de  blanc  et 
de  rouge.  Elle  joua  le  soir  même.  Il  fallut  baisser  la  toile  avant 
la  fin  du  premier  acte;  elle  eut  encore  le  courage  de  paraître 
au  second;  elle  y  fut  sublime,  mais  ce  fut  le  chant  du  cygne. 

Le  baron  de  Trémont,  fort  au  courant  de  tous  ces  détails, 
assure  que  M"""  Malibran,  malgré  son  excessive  prodigalité,  laissa 
sept  cent  mille  francs  à  ses  deux  enfants. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Vaddeville.  Yvette,  comédie  en  3  actes  et  6  tableaux,  tiré  du  roman  de  Guy 
de  Maupassant,  par  M.  Pierre  Berton.  —  Chatelet.  Le  Voyage  de  Suzette, 
pièce  en  4  actes  et  20  tableaux,  de  Chivot  et  Duru.  —  Déjazet.  La  Tortue, 
ccmédie-boufl'e  en  3  actes,  de  M.  Léon  Gandillot.  —  Gymnase.  La  Bascule, 
comédie  en  4  actes,  de  M.  Maurice  Donnay. 

Vous  rappelez-vous,  dans  les  courriers  de  théâtre  de  la  fin  de  l'été, 
l'enquèle  menée  par  de  subtils  reporters  qui  nous  énumérèrent,  avec  une 
complaisance  estivalement  prolixe,  les  pièces  innombrables  que  nos 
directeurs  avaient  reçues  pour  cette  saison  d'hiver?  Cela  semblait  une 
gageure.  Est-ce  que  vraiment  Paris  était  capable  de  digérer,  sans 
encombre,  une  quantité  d'actes  aussi  pharamineuse?  Il  parait  que  oui, 
puisque  le  grand  déballage  a  commencé  et  que  voici  un  mois  bientôt 
que  presque  chaque  soir  voit  surgir  un  titre  nouveau  et  que  ce  n'est  là 
qu'un  départ.  C'est  la  floraison  chère  aux  Parisiens;  foin  des  vertes 
têtes  chenues  des  arbres  de  nos  grandes  voies  et  vive  l'éclosion  multico- 
lore des  colonnes  Morris! 

Au  Vaudeville  M.  Pierre  Berton,  qui  eut  déjà  la  main  heureuse, 
l'année  dernière,  avec  Zaza,  nous  présente  la  petite  Yvette  de  Guy  de 
Maupassant.  Vous  en  savez  la  donnée  :  la  fille  d'une  femme  entrete- 
nue, d'une  aventurière,  préfère,  alors  qu'elle  se  rend  compte  de  toutes 
les  difficultés  qu'elle  aura  à  rester  honnête,  se  donner  la  mort  plutôt 
que  de  marcher  sur  les  traces  d'une  mère  qui,  cependant,  ne  deman- 
derait qu'à  la  voir  s'amuser  en  amassant  beaucoup  d'argent.  Vous 
savez  aussi  qu'on  arrive  à  temps  pour  empêcher  le  chloroforme  d'ache- 
ver son  œuvre  fatale  et  qu'Yvette,  devenue  pratique,  acceptera  une  vie 
à  laquelle  rien  ne  la  peut  soustraire.  M.  Pierre  Berton,  qui  a  cru,  par 
convenance  sans  doute,  devoir  supprimer  le  mot  si  cruellement  vrai 
par  lequel  se  termine  la  nouvelle  de  Maupassant,  M.  Pierre  Berton  a 
très  adroitement  découpé  ses  sis  tableaux,  y  distribuant,  à  dose  juste,  le 
mouvement,  la  gaité  et  l'émotion,  et  maintenant  tout  le  temps  en  haleine 
l'intérêt  du  spectateur. 

C'est  à  M"''  Blanche  Toutain  qu'est  échue  la  tâche  de  créer  le  person- 
nage à' Yvette  et  elle  s'y  est  montrée  très  experte  comédienne,  ayant 
bien  su  mettre  en  double  lumière  et  la  gaminerie  de  la  fillette  mal  élevée 
et  volage  et  le  sentimentalisme  révolté  de  la  jeune  fille  qui  souffre  de  sa 
destinée  mauvaise.  Par  ailleurs,  lapièceestescellemment  jouée  parM.Tar- 
ride,  un  Jeau  de  Servigny  de  naturel  et  de  simplicité,  par  MM.  Lérand, 
Nertann  et  M""'  Rosa  Bruck,  et  aussi  par  d'autres  innombrables  inter- 
prètes, parmi  lesquelles  se  font  remarquer  M""  Daynes-Grassot,  MM.  Gil- 
dès.  Baron  fils,  Ripert,  M'^^Caron,  Darcourt,  Bernou  et  Degaby. 

Au  Chatelet,  édition  considérablement  augmentée  du  Voyage  de  Suzette. 
Il  n'y  a  pas,  maintenant,  moins  de  vingt  tableaux.  La  fantaisie  déam- 
bulante et  panoramique  de  Chivot  et  Duru  y  a-t-elle  gagné?  Oui,  s'il 
ne  s'agit  que  du  plaisir  des  yeux;  et  m'est  avis  qu'on  serait  assez  mal 
venu  d'exiger  autre  chose  dans  un  théâtre  où  l'on  jette  l'or  par  les  fenêtres 
pour  nous  éblouir.  L'esprit  et  l'adresse  des  auteurs  n'ont  que  faire  â  vou- 
loir lutter  contre  les  changements  à  vue  et  aussi  contre  la  richesse  et 
l'éclat  de  défilés  et  de  ballets  tels  que  ceux  des  Écossais,  des  pierres 
précieuses  et  du  cirque  Blackson.  Oncques  ne  vimes  autant  de  qua- 
drupèdes variés  sur  une  scène,  chevaux,  ânes,  dromadaires,  bisons, 
zèbres,  autruches,  etc.  ;  on  doit,  tous  les  soirs,  dévaliser  le  Jardin 
d'Acclimatation.  Et  dans  cet  indescriptible  tohu-bohu  se  démènent,  relé- 
gués à  un  pian  secondaire,  l'amusant  Pougaud  et  la  délm-ée  M°"^  Tariol- 
Baugé,  qu'entourent  MM.  Vandenne,René,  Scipion,  DureletM"''Faurens. 
Le  petit  et  lointain  Déjazet  a  emprunté  au  répertoire  des  Nouveautés 
la  Tortue,  de  M.  Léon  Gandillot,  et,  si  l'interprétation  du  boulevard  du 
Temple  est  loin  d'égaler  celle  du  boulevard  des  Italiens,  elle  est  du 
moins,  â  défaut  de  fantaisie  et  de  véritable  entrain,  de  convenable 
ensemble  et  il  n'y  a  aucune  raison  pour  que  ces  trois  actes  de  verve 
amusante  et  d'adroite  contexture  ne  retrouvent  leur  succès  d'antan. 


cette  fois  auprès  d'un  public  tout  bon  enfant  qui  rit  de  cœur  sans  crainte 
de  déranger  de  savants  maquillages  ou  de  froisser  de  rigides  plastrons. 

Une  grosse  poutre  et,  jetée  en  travers,  une  longue  planche  en  équi- 
libre, telle  est  la  classique  et  enfantine  bascule.  Mettez,  à  l'une  des  extré- 
mités de  la  planche,  M""=  Marguerite  de  Plouha,  à  l'autre,  la  célèbre 
comédienne  Rosine  Bernier  et  installez  au  milieu,  essayant  de  maintenir 
l'équilibre,  M.  Hubert  de  Plouha,  amant  de  l'une,  époux  légitime 
de  l'autre,  et  vous  verrez  de  suite  comment  est  composée  la  comédie 
que  M.  Maurice  Donnay  vient  de  faire  représenter  au  Gymnase. 

Il  aime  et  sa  femme  et  sa  maîtresse,  ce  bon  Hubert,  brave  garçon 
sans  malice  et  sans  volonté  qui,  tenant  avant  tout  â  sa  tranquillité,  se 
lance  naïvement  dans  des  situations  qu'il  a  le  chic  pour  rendre  compli- 
quées. Comme  les  quatre  actes  de  M.  Donnay  sont  farcis  de  moralité, 
tout  finit  le  mieux  du  monde  après  une  alerte  assez  chaude  née  d'un 
traquenard  comique  dans  lequel  la  jolie  Rosine  a  fait  gracieusement 
culbuter  son  ami  timoré.  Monsieur,  tout  honteux,  reviendra  exclusive- 
ment â  Madame,  qu'il  n'essayera  probablement  plus  de  tromper. 

Il  est  inutile  de  dire  que  l'auteur  a  dépensé  là,  et  toujours  sans 
compter,  son  esprit  facile  et  parisien  ;  il  a  même  essayé  de  corser  son 
intrigue  dramatique,  ce  qui  n'est  nullement  pour  nous  déplaire, 
puisque  nous  n'y  perdons  rien  d'un  dialogue  vif,  amusant  et  capiteux. 

La  Bascule  a  trouvé,  au  Gymnase,  une  troupe  d'ordre  dont  l'étoile 
redevient  M.  Huguenet,  comédien  tout  à  la  fois  de  natm'el  et  de  fantai- 
sie, et  dont  M"™  Rolly  et  Ryter  demeurent  le  charme  plein  de  talent. 
Il  faut  complimenter  MM.  Le  Gallo,  Noizeux,  Paul  Plan,  M"""^  Dozziat, 
Andral  et  Gauthier  et,  aussi,  la  direction,  qui  a  monté  la  pièce  avec 
énormément  de  goût. 

Paul-Émile  Chevalier. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


LE  RENOUVELLEMENT  DES  CONCERTS 

A  Monsieur  Charles  Malherbe. 

—  Eh  bien  !  mon  cher  contradicteur,  qu'en  pensez-vous  ?  La  jeunesse 
des  Concerts-Colonne  découvrant  le  vieil  Haydn  et  bissant  le  finale  de 
la  symphonie  en  sol  (n°  13),  n'est-ce  pas  une  merveille  imprévue? 

—  Je  pense  et  je  dis  que  ce  «  chef-d'œuvre  d'ordre  et  de  grâce  »  (selon 
le  mot  de  notre  Delacroix)  devait  avoir  son  heure  de  résurrection  ;  car, 
depuis  tant  d'années,  il  n'était  plus  guère  connu  que  des  abonnés  du 
Conservatoire  ou  des  passants  du  Palmarium  ;  deux  façons  de  mourir, 
de  s'éteindre  doucement  dans  une  lumière  tempérée...  Aujourd'hui,  il 
brille  soudain.  Il  plait,  non  seulement  parce  qu'il  est  beau,  mais  parce 
qu'il  est  nouveau.  Il  ressuscite  à  son  heure,  à  côté  de  la  Chasse  en  ré  de 

son  rival  F.-J.  Gossec,  le  précurseur  déjà  descriptif,  â  l'orchestre  res- 
treint, mais  puissant,  aux  paisibles  paysages  oit  sonne  le  cor  qui  fera 
tressaillir  bientôt  le  Jeune  Henri  du  vieux  Méhul...  Vieux,  par  rapport  à 
notre  vieillesse,  en  l'an  de  grâce  1901  !  Ces  anciens  furent  les  vrais  jeu- 
nes. Et  leur  grâce  renaissante  devait  nous  séduire,  après  tant  de  fi'acas! 
Tout  arrive,  parce  que  tout  revient... 

—  Oui,  mystérieusement,  tout  s'enchaine.  Et  ce  n'est  pas  seulement 
aux  séances  plus  intimes  de  musique  de  chambre  que  la  musique  renaît. 
Sa  résurrection,  que  nous  avons  proclamée  d'accord,  au  printemps  (2), 
en  saluant  la  Société  Mosart,  le  Cycle  du  Lied  ou  les  vendredis  soirs  de 
la  Schola  Cantorum,  s'impose  avec  l'automne  :  allez  au  théâtre,  à  nos 
grands  concerts:  retenez  la  Société  Rameau,  qui  débute;  écoutez  l'an- 
nonce et  l'acte  de  naissance  d'une  Nouvelle  Société  philharmonique,  apo- 
théose du  quatuor.  «  Les  présages  sont  heureux  »  comme  on  dit  au 
Grand-Opéra. 

—  Les  présages  abondent  à  tel  point  que  c'est  peut-être  le  cas  de  vous 
rappeler  l'opinion  de  notre  organisateur  des  programmes.  Presque  éso- 
térique,  Rubinstein  écrivait,  en  1892  :  «  En  vérité,  l'on  entend  trop  de 
musique...  L'art  musical  devrait  avoir  quelque  chose  de  sacré,  pour 
ainsi  dire...  Il  faut  l'entourer  de  mystère...  Pour  ma  part,  je  ne  vou- 
drais pas  entendre  dans  un  festival  ou  dans  un  jardin  public  les  derniers 
quatuors  de  Beethoven,  non  parce  que  le  public  ne  les  comprendrait  pas, 
mais  au  contraire,  de  peur  qu'il  ne  les  comprit!  » 

—  D'autres  fervents  ont  partagé  la  même  crainte.  Mais  l'êcueil  n'est 
point  là  d'abord,  semble-t-il.  Rassurez-vous  !  Je  n'appréhende  guère  les 

(  1)  Voir  le  Ménestrel  du  U  juillet,  des  18  et  25  aoùl,  des  8,  lô,  22  et  29  scplciuinr,,  des 
1 3,  20  et  27  octobre  1901. 

(2)  Cf.  le  Ménestrel  du  Vi  avril  et  tlu  19  mai  1901  :   La  résurreclîon  de  la  ntvslfjue  et 
la  saison. 


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LE  MÉNESTREL 


temps  prochains  où  tout  mélomane  de  casino  fredonnera  la  Sijmphonie 
avec  chœurs  ou  la  Sonate  en  ut  diè:e  mineur.  El  s'il  est  vrai  que  la  Jo- 
conde  est  aux  Folies-Bergère  tous  les  soirs,  Dieu  merci  sa  grâce  divine 
passe  inaperçue,  même  des  peintres... 

—  Le  Beau  se  défend  lui-môme.  Mais  la  lassitude  peut  survenir  à 
la  longue  de  la  monochromie  des  programmes,  répertoires  périodiques 
qui  ont  l'imprévu  des  saisons...  Oui,  bienheureux  les  premiers  wagné- 
riens  français.  Christophes  Colombs  des  divines  sonorités  fugaces,  qui 
ont  tressailli  du  séraphique  et  hautain  prélude  de  Lohengrin,  à  travers 
l'italianisme  de  1860  (1).  parmi  les  injures  ou  les  rires!  L'âge  d'or,  le 
voilà!  Et  puisque  nous  évoquons  ces  heures  lointaines  où  furent  révé- 
lés tour  à  tour  Joseph  Haydn  et  Richard  Wagner,  n'oublions  pas  que  la 
première  séance  dès  Concerts  populaires  de  musique  classique  eut  lieu  le 
dimanche  27  octobre  1861,  à  deux  heures.  Quarante  ans  révolus,  depuis 
ce  grand  jour!  L'éducateur,  le  bienfaiteur  s'appelait  Jules  Pasdeloup. 
Son  monument  devrait  se  dresser  à  la  porte  du  Cirque  d'Hiver,  sur  la 
place  même  qui,  tardivement,  porte  son  nom  :  «  A  Pasdeloup,  la  foule 
reconnaissante!  »  Gardons  la  religion  des  héros  obscurs.  Le  souvenir 
honore  celui  qui  se  souvient. 

—  Je  ne  veux  plus  vous  contredire,  à  mon  tour.  Et  ma  vengeance  la 
meilleure  sera  de  vous  tendre  la  main.  Une  date,  en  effet,  le  dimanche 
d'automne  où  le  public  fut  mis  en  présence  de  la  Pastorale!  Et  depuis 
quarante  ans,  si  Joseph  Haydn  avait  disparu  lentement  de  nos  concerts 
au  point  d'être  obligé  de  ressusciter,  Richard  Wagner,  d'abord  suspect, 
a  pris  sa  revanche...  Haydn,  aujourd'hui,  pour  le  modérer,  se  relève 
immortel  de  son  tombeau.  C'est  la  loi  des  métamorphoses.  Mais  cette 
évolution  fatale  doit  devenir  un  renouvellement  volontaire.  Il  faut  com- 
mander à  l'histoire  de  l'art  et  diriger  les  faits.  Il  est  temps  d'émonder 
la  forêt  confuse.  Et  que  l'on  réclame,  avec  vous,  le  mélange  harmonieux 
des  styles  ou  qu'on  plaide,  avec  Rubinstein,  pour  la  séance  homogène, 
consacrée  à  un  seul  maitre,  à  une  seule  époque,  l'heure  est  venue  de 
«  composer  »  un  programme  comme  on  compose  un  poème,  de  lui  don- 
ner une  «  signification  ».  Notre  confrère  musical  parle  en  poète  (2); 
réformateur  de  la  prosodie,  il  applique  son  libre  goût  à  transformer  nos 
concerts  en  musées  de  la  musique.  Qui  pourrait  lui  dire  qu'il  a  tort? 
Assurément  on  jouera  toujours  les  mêmes  choses,  mais  dans  un  ordre 
prémédité  qui  les  fera  valoir  (songez  à  la  nouvelle  disposition  desRubens, 
au  Musée  du  Louvre).  Et  ce  n'est  pas  tout  :  il  est  non  moins  permis  d'en- 
trevoir cette  introduction  de  l'art  dans  l'ordonnance  des  programme.? 
comme  un  acheminement  vers  des  révélations  inédites.  Que  d'ouvrages 
de  maîtres  et  que  d'auteurs  oubliés  !  Le  répertoire  est  despotique.  La 
Société  des  Concerts,  par  exemple,  qui  dispose  de  choristes  musiciens, 
d'un  nouveau  chef  juvénile,  et  de  quel  orchestre!  n'aurait-elle  pas  le 
droit  et  le  devoir  de  renouveler  l'afiiche? 

—  La  Société  l'a  tenté  :  de  1885  à  1892,  n'a-t-elle  pas  eu  son  Pasde- 
loup ?  Déjà,  comprenant  l'heure,  le  trop  modeste  Jules  Garcin,  trop  tôt 
démissionnaire  et  souffrant,  aujourd'hui  trop  oublié  malgré  la  recon- 
naissance de  tous  ceux  qui  connurent  de  près  son  grand  cœur,  avait  fait 
applaudir  l'Ode  pour  la  Sainte-Cécile,  de  Haendel,  la  Messe  en  si  mineur, 
de  Bach,  la  Messe  solennelle,  de  Beethoven,  l'Or/i/ie'e,  de  Gluck,  l'épilogue 
mystique  de  Faust  et  le  délicieux  Chœur  des  Bohémiens,  de  Schumann. 
Et  du  Wagner,  ô  prodige,  en  cet  oratoire  :  le  tableau  iinal  des  Mattres- 
Chanfeurs,  le  premier  acte  de  Parsifal,  le  prélude  de  Tristan  (3)...  Vous 
ne  frémissez  pas  ?  Et  aussi  de  la  haute  musique  franckaise  ou  française, 
la  symphonie  en  ré  mineur,  du  bon  père  Franck,  et  la  grande  sympho- 
nie en  ut  mineur,  avec  orgue,  du  maitre  Saint  Sacns,  le  grand  sympho- 
niste, de  qui  les  Barbares  reçoivent  un  vaste  prélude... 

—  Vous  avez  de  la  mémoire  ! 

—  L'ingratitude  seule  a  le  droit  d'oublier  les  noms  et  les  dates.  La 
collection  de  nos  programmes  revit  sous  mon  front  comme  un  musée 
muet  dont  le  néant  parfois  s'illumine...  Et  de  lointaines  séances  s'é- 
veillent comme  en  un  rêve.  Ah!  musiciens  du  Conservatoire,  que  de 
découvertes  encore  possibles,  dans  la  silencieuse  poussière  du  passé, 
depuis  Palestrina  jusqu'à  M.  Claude  Debussy,  le  Whistler  des  impres- 
sions murmurantes,  depuis  Adam  de  la  Halle,  Clément  Jannequin, 
Lassus,  Beaujoyeux,  Campra,  Pergolése  et  Rameau,  jusqu'à  Méhul, 
Cherubini,  Berton,  liCSueur  et  Gossec,  gloires  de  l'Institut  naissant 
(restons  classiques Ij,  jusqu'au  dieu  Beethoven,  dont  on  ne  connaît  un 
peu  familièrement  que  les  neuf  Muses  symphoniques!  En  art,  comptent 
seuls  les  chefs-d'œuvre;  mais,  pour  l'histoire  de  l'art,  certaines  résur- 
rections sont  des  documents.  Et,  sans  parler  des  jeunes,  qui  peuvent 
encore  attendre  à  la  porte  et  rester  debout,  que  de  restaurations  à  pro- 

{!)  -\ux  trois  concei-ts  dunnés  au  ThéAtre-Italien  par  AVagner. 

(2)  .M.  Adolphe  Boscliot,  qui  a  publié,  chez  Perrio,  la  Crise  poélir/iie  en  1897  et  la 
Réforme  de  la  prosodie  dans  la  Revue  de  Paris  du  15  août  1901 . 

(3)  Cf.  notre  chronique  musicale  de  VErmitaje,  n°  du  15  oclobre  1892. 


poser  pour  l'intelligence  de  la  Musique,  architecture  éphémère  dont  le 
temps  ne  nous  laisse,  comme  de  l'amour,  qu'un  nom,  qu'un  souvenir  ! 
Les  programmes,  ce  sont  les  lettres  gardées,  seules  survivantes,  et  sou- 
vent relues... 

—  L'archéologie  vous  rend  poétique  !  Et  pour  vous  contredire  encore 
un  peu,  sans  malice,  à  seule  lin  de  ne  pas  laisser  déchoir  les  bonnes 
habitudes  de  nos  dialogues,  si  je  vous  demandais  d'accorder  quelques 
grains  de  votre  lyrisme  à  la  louange  de  la  jeunesse  trop  inconnue  qui 
lutte  ? 

—  J'obéirais  aussitôt  pour  vous  démentir.  Mais  permettez-moi  de 
commencer  par  le  commencement,  et  puisqu'il  faut  ordonner  doréna- 
vant nos  programmes,  d'inscrire  la  Messe  du  pape  Marcel  avant  nos  im- 
pressionnistes... 

—  Je  vous  permets  cet...  anachronisme,  si  les  anciens  furent  les 
jeunes! 

—  Je  suis  vraiment  confus  de  votre  grandeur  d'àme.  Les  héros  corné- 
liens sont  moins  magnanimes...  Et  songez-vous  à  la  province  qui  tra- 
vaille plus  obscurément  pour  notre  art?  C'est  Louis  de  Romain,  à 
Nantes  et  à  Angers;  c'est  Guy  Ropartz,  à  Nancy,  qui  a  présenté,  dans 
sa  dernière  saison,  l'histoire  de  l'ouverture  et  de  la  symphonie,  de 
notre  symphonie  française  qui  existe  pourtant  !  Et  sachez,  dès  aujour- 
d'hui, que  la  Société  de  Musique  de  Lille  se  transforme  et  pi'épare  un 
savant  menu  grâce  à  l'entrain  de  Maurice  Maquet...  Or,  je  méconnais 
si  peu  la  tradition  nationale  et  l'effort  des  jeunes  que  j'allais  invoquer 
avec  vous  la  Symphonie  après  Beethoven  et  rappeler,  avec  un  docte  ama- 
teur (1),  nos  trouvailles  dans  cette  voie,  depuis  quarante  ans,  depuis 
Pasdeloup  ! 

—  Un  beau  sujet,  que  nous  discuterons  un  soir  d'hiver,  les  pieds  sur 
les  chenets. . . 

—  En  attendant,  je  reviens  doublement  satisfait  d'avoir  oui  parler, 
aux  Concerts-Colonne,  d'un  résumé  historique  de  la  Si/mphonie  :  un 
Cycle  encore,  et  qui,  chaque  fois,  met  heureusement  en  regard  le  génie 
instrumental  de  deux  races. 

—  On  reproche  à  ce  parallèle  ingénieux  de  ne  point  respecter  rigou- 
reusement la  chronologie,  qui  seule  eût  manifesté  l'évolution,  progrès 
ou  décadence,  à  votre  gré!  Puis,  des  omissions  importantes  :  Félicien 
David,  par  exemple,  qui  fut  un  «  précurseur  »  au  temps  où  Berlioz  était 
«  trop  escarpé  »  (2). 

—  La  perfection  n'est  d'aucun  monde...  Mais  ne  marchandons  plus 
notre  plaisir  de  pénétrer  enfin  la  symphonie  avant  Beethoven,  avec 
Gossec,  devancier  d'Haydn  à  Paris,  avec  Méhul,  l'austère  amoureux 
des  tulipes,  et  qui  fut  si  pur,  avec  Herold,  l'élève  de  Méhul,  qui  fut  aussi 
mélancolique  et  moins  grand.  Et  puisque  vous  parlez  d'oublis,  nom- 
mons Gounod,  chez  Seghers,  à  la  Société  de  Sainte-Cécile,  avant  Pas- 
deloup. On  arrive  ainsi,  pas  à  pas,  jusqu'à  la  docte  symphonie  en  ut 
majeur  de  Paul  Dukas,  que  doit  nous  servir  Chevillard  après  sa  belle 
série  chronologique  des  neuf  Muses  beethovénieunes.  Les  deux  sociétés 
rivales  se  complètent.  Et  voici  Ropartz,  à  Nancy,  qui  vient  d'annoncer 
l'histoire  de  la  Musique  ù  programme  au  X[X'  siècle,  pour  faire  suite  à 
la  série  des  Ouvertures.  La  saison  1901-1902  ne  sera  pas  une  sinécure. 
Je  demande  à  l'Ouvreuse  le  don  d'ubiquité... 

—  Mais  cela  ne  vous  étonne  point,  cet  évangile  nouveau  de  la  musi- 
que instrumentale,  «  un  pur  rêve  »,  en  effet,  «  qui  ne  copie  rien  »,  dans 
cette  France  frivole  où  l'artiste  pouvait  dire,  au  temps  dont  nous  célé- 
brons aujourd'hui  l'anniversaire  :  «  Nous  ne.  sommes  pas  musiciens,  mais 
nous  pourrions  le  devenir. . .  »? 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


PENSÉES  ET  APHORISMES 


D'ANTOINE   RUBINSTEIN 

(Traduit   tlu  russe   par   Michel    Delii 


Il  arrive  souvent  que  des  hommes  d'âge  mùr  s'éprennent  de  jeunes 
filles,  attirés  par  leur  inexpérience  même;  mais  il  arrive  souvent  aussi 
que  des  jeunes  filles  s'amourachent  d'hommes  âgés,  attirées  tout  au 
contraire  par  leur  expérience! 


(Jn  peut  admettre  qu'avec  le  temps  les  savants  finiront  par  faire 
connaître  aux  hommes  tout  ce  qui  existe  dans  la  création;  mais  deux 

il)  il.  Hugues  Imbert,  qui  a  pulilié  chez  Fischbacher,  en  1900,  une  brochure  portant 
ce  titre  :  La  Symplionie  après  Beellwveii,  «  réponse  à  M.  Félix  Wcingartner  »,  qui,  dans 
son  discours,  ne  citait  que  Berlioz  comme  symphoniste  français. 

(2)  Expressions  de  Saint-Saëns  dans  Harmonie  et  Méiodie  (1885),  page  131. 


LE  MÉNESTREL 


349 


choses  leur  resteront  toujours  fermées  :  le  commencemeat  et  la  fin. 
Aussi  l'humanité  aura-t-elle  toujours  un  dieu,  une  religion  et  une  église . 


Le  style  gothique  me  semble  le  mieux  approprié  pour  les  églises,  car 
il  exprime  bien  les  aspirations  mystiques  vers  le  ciel. 

Le  style  byzantin,  qui  est  devenu  celui  des  églises  russes,  me  semble 
l'expression  d'un  ritualisme  pompeux  mais  figé;  les  innombrables  cou- 
poles me  font  l'effet  de  mitres  sur  des  tôtes  de  prêtres. 

L'ancien  style  grec  des  temples  a  quelque  chose  de  mythologique, 
d'olympique,  de  rayonnant,  de  serein  et  de  beau!  Il  est  en  contradiction 
avec  le  service  religieux  chrétien,  qui  contient  des  éléments  dramatiques 
et  tragiques. 

Aussi  l'église  de  la  Madeleine  de  Paris  me  semble-t-elle  un  véritable 
anachronisme  ;  mais  ce  qui  me  frappe  le  plus,  c'est  que  la  Bourse  et  la 
Madeleine  sont  des  édifices  jumeaux,  comme  si  l'une  était  la  Bourse 
de  la  dévotion  (pom'  Dieu)  et  l'autre  la  dévotion  de  la  Bourse  (pour  le 
Veau  d'or). 

Il  est  erroné  de  croire  qu'un  artiste  doit  être  dévot  et  croyant  pour 
bien  traiter  des  sujets  religieux.  Est-ce  qu'on  demande  à  un  artiste  qui 
traite  de  sujets  mythologiques  d'être  païen  ? 

L'art  est  panthéistique,  il  voit  un  dieu  dans  chaque  brin  d'herbe  et 
pour  cette  même  raison  il  y  voit  un  sujet  d'art. 

Sa  religion  est  l'esthétique.  Il  n'exige  de  l'artiste  aucune  pratique 
religieuse.  L'artiste  peut  lui-même  sanctifier  ses  créations. 

Je  dis  tout  cela  pour  ceux  qui  s'étonnent  de  me  voir,  malgré  mon  irré- 
ligiosité,  traiter  avec  prédilection  des  sujets  religieux. 


La  musique  instrumentale  est  la  plus  intime  amie  de  l'homme.  On 
le  constate  surtout  lorsqu'on  souffre. 

Mais  de  tous  les  instruments,  c'est  le  piano  qui  répond  le  mieux  à  ce 
sentiment. 

Aussi,  je  considère  l'étude  du  piano  comme  un  bienfait  de  l'huma- 
nité, et  je  la  rendrais  obligatoire  dans  les  programmes  des  écoles,  pour 
procurer  une  jouissance  personnelle  aux  élèves. 


J'ai  joué  en  public  tant  que  j'ai  remarqué  que  je  jouais  au  concert 
mieux  qu'à  la  maison  pour  moi  seul.  Et  j'ai  cessé  de  jouer  en  public 
le  jour  où  j'ai  remarqué  que  je  jouais  mieux  pour  moi  que  pour  les 
autres. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  Les  Impressions  d'Italie  de  M.  Charpentier  figuraient 
au  programme  à  côté  de  la  symphonie  en  ut  majeur  (Jupiter)  de  Mozart  et  de 
celle  en  ré  (n"  2)  de  Méhul.  Il  pouvait  paraître  non  sans  quelque  intérêt 
d'exhiber  ce  dernier  ouvrage,  auquel  nuit  singulièrement  le  voisinage  de  Mo  - 
zart.  L'important  est  de  juger  Méhul  d'après  ses  drames  lyriques,  d'après 
Joseph  principalement,  et  d'oublier  ses  symphonies.  Elles  ne  brillent  ni  par 
l'invention,  ni  parle  coloris,  ni  par  l'ingéniosité  des  développements;  elles 
ne  méritent  qu'une  place  secondaire  dans  l'histoire  de  l'art;  elles  font  nom- 
bre. Une  tâche  utile  serait  de  remettre  en  lumière  les  airs  de  ballet  et  quel- 
ques ouvertures  ou  marches  de  LuUi,  Rameau,  Gluck,  Piccinni,  Sacchini, 
Sponlini,  etc.;  cela  pourrait,  après  avoir  servi  à  notre  plaisir,  encourager  un 
théâtre  à  remettre  en  scène  un  opéra  de  ces  maîtres,  ce  qui  n'a  pas  trop  mal 
réussi  quand  on  l'a  essayé  dans  de  bonnes  conditions.  M.  Colonne  a  trans- 
formé en  adagio  l'andante  cantabile  de  la  symphonie  de  Mozart.  L'effet, 
assez  fâcheux  dans  les  premières  mesures,  où  la  mélodie  devient  étirée  à  l'ex- 
trême, s'améliore  quand  la  figuration  se  fait  plus  riche  et  que  les  notes  se 
multiplient.  Le  public  a  paru  goûter  ce  changement.  Les  Impressions  d'Italie 
ont  plu  beaucoup.  Le  n°  2,  supprimé  parfois,  a  été  réintégré.  Sans  être  le 
meilleur,  il  ne  fait  pas  tache,  est  très  court  et  a  fourni  au  peintre  Clairin  un 
bien  joli  motif  de  couverture;  raisons  déterminantes  pour  le  maintenir,  car 
celles  qu'on  peut  opposer  sont  encore  plus  laibles.  Sur  tes  cimes  demeure  le 
morceau  capital.  Rien  ne  peint  mieux  les  vibrations  de  l'air,  l'immense 
horizon,  le  son  des  cloches  et  l'insaisissable  harmonie  des  choses.  Le  con- 
traste est  frappant  si  l'on  passe  au  concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns. 
Nous  avons  là  une  des  plus  belles  productions  pianistiques  de  l'école  fran- 
çaise, je  dirais  volontiers  la  plus  belle.  On  s'étonne  parfois  d'y  rencontrer  un 
sentiment  plus  expansif,  quelque  chose  d'affectueux  qui  ne  se  trouve  pas  dans 
les  autres  ouvrages  du  maître.  Cette  impression  est  due  au  motif  principal 
en  la  bémol,  repris,  en  ut  majeur,  avec  un  rythme  ternaire,  dans  le  finale. 
Ce  motif  a  le  caractère  d'un  thème  délicieux  du  Ckristus  de  Liszt,  et  ne  lui 
est  pas  inférieur.  Les  deux  ou  trois  dernières  pages  de  la  première  partie 
sont  de  toute  beauté,  mais  M""  Kleeberg  n'en  a  pas  mis  en  relief  la  simpli- 
cité calme  et  impressionnante  qui  en  constitue  le  côté  vraiment  admirable 
et  plastique.  Elle  a  été  remarquable  principalement  dans  le  second  morceau. 


dont  elle  a  parfaitement  bien  surmonté  toutes  les  difBcultés  techniques, 
cefies  du  début,  par  exemple,  qui  sont  considérables.  Sa  virtuosité  a  été  étin- 
celante  dans  la  péroraison.  Le  jeu  a  été  net,  clair  et  cristallin.  La  pianiste 
possède  une  grande  expérience  et  sait  se  maintenir  résolument  sur  le  terrain 
qui  lui  est  favorable.  On  lui  a  fait  un  beau  succès.  Les  fragments  de  l'Oura- 
gan de  M.  Bruneau  ont  été  appréciés  par  mon  confrère  Ch.  Malherbe,  dont 
les  programmes  sont  si  précieux  et  instructifs  :  «  Le  compositeur  a  tenté  de 
résumer  ici  tout  à  la  fois  l'idéale  poésie  et  la  farouche  réalité  de  son  drame. 
Et  ce  qu'il  sent,  ce  qu'il  pense,  il  le  réalise  avec  la  vigueur  de  son  tempéra- 
ment, la  hauteur  de  ses  vues,  la  sincérité  de  sa  foi.  »  On  a  entendu  pour 
finir  le  Venusberg  de  Tannhâuser.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Deux  œuvres  nouvelles  nous  ont  été  offertes 
au  dernier  concert.  L'une  n'est  inédite  qu'en  France:  en  Russie,  elle  est 
connue  par  les  représentations  de  l'opéra  posthume  te  Prmoe /jor,  deBorodine. 
Le  sujet  de  cette  œuvre  est  emprunté  à  la  fameuse  épopée  la  Guerre  d'Igor 
contre  les  Polovlsiens,  l'un  des  plus  anciens  monuments  littéraires  de  la  langue 
russe,  quelque  chose  comme  l'Iliade  des  Russes.  Rien  d'étoùnant,  par  consé- 
quent, que  la  Danse  polovtsienne,  extraite  de  la  partition  de  f  opéra,  présente 
un  caractère  essentiellement  slave.  L'orchestre  de  M.  Rimsky-Korsakof,  qui 
a  prodigué  toutes  les  couleurs  de  sa  palette  plus  que  vénitienne,  à  l'esquisse 
de  Borodine,  a  encore  accentué  le  caractère  national  de  ce  morceau.  Ce  n'est 
pas  précisément  un  air  de  ballet,  mais  un  chant  populaire,  entonné  par  un 
chœur  de  femmes,  qui  accompagne  des  danses  et  s'y  mêle  d'une  façon  sur- 
prenante.Le  public  a  fort  bien  accueilli  cette  œuvre  exotique.  Plus  contestée 
a  été  une  nouvelle  composition  intitulée  Deux  Nocturnes,  de  M,  Debussy.  Au 
programme,  le  jeune  artiste  nous  expUque  d'abord  que  ses  Nocturnes  ne  sont 
pas  ce  qu'un  vain  amateur  pourrait  penser;  il  s'agit  ici  «  de  tout  ce  que  le 
mot  contient  d'impression  et  de  lumières  spéciales  »  (.sic.'j.  Heureusement,  la 
musique  de  M.  Debussy  est  autrement  captivante  que  sa  prose,  et  nous  avons 
goûté  le  charme  qui  se  dégage  de  ses  trouvailles  orchestrales  et  de  son  coloris 
délicat.  Nous  ne  sommes  pas  de  ceux  qui  prétendent,  en  s'appropriant  un 
mot  célèbre  du  père  îngres,  violoniste  à  ses  heures,  que  le  dessin  mélodique 
est  la  probité  du  compositeur;  nous  allons,  au  contraire,  jusqu'à  accepter 
l'impressionnisme  en  musique,  pourvu  qu'il  soit  de  bon  aloi,  et  celui  de 
M.  Debussy  ne  nous  effraie  pas  autrement,  — ceci  dit  pour  les  deux  premiers 
morceaux  de  ses  nocturnes.  Quant  au  troisième,  intitulé  les  Sirènes,  l'orchestre 
y  cède  la  parole  aux  voix  de  femmes,  qui  égrènent  des  solfèges  savamment 
gradués  et  assez  mélodieux  sur  une  voyelle  flottant  entre  l'a  et  Vo.  Si  cela  est 
l'Alpha  et  l'Oméga  de  leurs  moyens  de  séduction,  nous  connaissons  plus  d'un 
auditeur  qui  serait  resté  aussi  réfractaire  aux  charmes  des  Sirènes  que  le 
prudent  Ulysse.  Nous  avons  le  regret  de  constater  que  des  partisans  inconsi- 
dérés du  jeune  crmpositeur,  par  leur  emportement  même,  ont  déchaîné  à  la 
fin  des  Nocturnes  un  ouragan  de  protestations  qui  n'était  pas  dans  le  pro- 
gramme et  dans  lequel  une  petite  flûte  obstinée  taisait  entendre  des  notes 
suraiguës  fort  désagréables.  Le  concert  débutait  par  l'ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs  et  se  terminait  par  la  Symphonie  avec  chœurs,  où  l'orchestre  a  été 
superbe,  les  chœurs  convenables  et  les  solistes  insuffisants,  à  l'exception  de 
M"=  Lormont,  qui  a  très  habilement  conduit  son  soprano  clair  et  mordant 
aux  sommets  de  la  partition.  0.  Berggruen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Chàtelet,  concert  Colonne  :  Relâche. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  51.  Chevillard  :  Première 
symphonie,  en  ut  majeur  (Beethoven).  —  Concerto  pour  violon  et  orchestre  (Beethoven) 
par  M.  Hayot.  —  Le  Rouet  d'Omphak  (Saint-Saëns).  —  Symphonie  pathétique  (Tschaï- 
kowsliyi.  —  Marche  hongroise  de  (a  Damnation  de  Faust  (Berlioz). 

Au  Grand-Palais  (entrée  avenue  d'Antin),  concert  populaire  dirigé  par  M.  Louis  Pister  : 
/îieiui  (R.  Wagner).  — ia  Traviata  (Verdi).  — ieCirf  (Massenet),  air  chanté  par  M""  Char- 
lotte Greyge.  —  Suite  algérienne  (Saint-Saëns),  alto  :  JI.  Pichon.  —  La  Jmne  Captive 
(Ch.  Lenepveu)  ;  Le  Doux  Appel  (C.-M.  Widor),  mélodies  chantées  par  Jl'""  Auguez  de 
Jlontalant.  —  Le  Roi  s'amuse  (Léo  Delibes).  —  Pensée  d'automne  (Massenet),  M""  Char- 
lotte  Greyge.  —  Jocelijn,  berceuse  (Godard),  violoncelle  :  M.  Amato.  —  Marche  de  Jeanne 
d'Arc  (Gounod). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


La  protection  posthume  que  l'empereur  Guillaume  II  accorde  à  Lortzing 
est  fort  utile  aux  descendants  du  malheureux  compositeur.  Tous  les  théâtres 
lyriques  d'Allemagne  et  d'Autriche  viennent  de  donner  des  représentations 
des  œuvres  de  Lortzing  à  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  sa  naissance 
et  ont  pour  la  plupart  versé  des  droits  à  ses  héritiers,  sans  y  être  obligés. 
L'unique  fils  survivant  du  compositeur,  M.  Hans  Lortzing,  qui  est  acteur, 
mais  qui  n'avait  pas  d'engagement,  vient  d'être  engagé  comme  régisseur  au 
Théàtre-Royal de  Berlin;  ses  vieux  jours  sont  donc  assurés.  Moins  fortunée 
est  l'unique  fille  survivante  de  Lortzing,  U"'"  Krafft,  qui  vit  à  Vienne  et  est 
àfée  de  70  ans.  Malgré  son  âge.  M»":  Krafft,  qui  ressemble  étonnamment 
à  son  père,  donne  encore  des  leçons  de  piano;  son  fils,  M.  Charles  Kraff't- 
Lortzing,  est  musicien  ;  il  dirige  des  concerts  d'été  à  Innspruck  et  a  fait  jouer- 
des  opéras-comiques  dans  plusieurs  petites  villes.  La  faveur  de  Guillaume  II 
le  tirera  peut-être  de  l'obscurité  dans  laquelle  il  vit  actuellement. 


330 


LE  MENESTREL 


—  Le  conseil  d'administratiùii  du  théâtre  de  Bayreuth  vient  de  publier  son 
programme  pour  1902.  On  jouera  le  Vaisseau-Fantôme  le  2'2  juillet,  les  1",  4, 
12  et  19  août;  Parsifaile  -23  juillet  et  les  S,  7,  8,  H  et  20  août;  l'Or  du  Rhin 
le  25  juillet  elle  14  août:  la  Valkyrie  le  26  juillet  et  le  13  août, et  leCrépuscule 
des  Dieux  le  28  juillet  et  le  17  août.  On  voit  que  le  théâtre  du  Prince-Régent 
à  Manich  sera  de  nouveau  réduit  aux  œuvres  de  ^Vagner  qui  ont  été  jouées 
pendant  la  dernière  saison;  c'est  surtout  l'Anneau  du  Nibelung  dont  le  théâtre 
de  Bayreuth  désire  priver  la  concurrence  de  Munich. 

—  M.  de  Possart,  intendant  des  théâtres  royaux  de  Munich,  vient  de  célé- 
brer le  quarantième  anniversaire  de  son  début  dans  la  carrière  dramatique. 
A  cette  occasion  il  a  reçu  beaucoup  de  témoignages  d'estime  et  de  sympa- 
thie. Le  conseil  municipal  de  Munich  a  décidé  de  donner  le  nom  de  M.  de 
Possart  à  une  rue  située  aux  environs  du  théâtre  du  Prince-Régent,  qui  doit 
son  existence  surtout  à  l'énergie  de  cet  habile  artiste. 

—  Une  discussion  curieuse  s'est  engagée  dans  la  presse  allemande  au  sujet 
de  l'éclairage  des  salles  de  concert.  Depuis  le  commencement  de  la  saison 
actuelle,  plusieurs  artistes  ont  imité  l'exemple  de  Bayreuth  et  ont  joué,  voire 
même  chanté,  dans  une  salle  obscure  ;  la  lumière  électrique  n'a  fait  son  appa- 
rition que  dans  les  intervalles,  entre  les  numéros  du  programme.  Cette  in- 
novation est  hautement  approuvée  par  certains  journaux,  tandis  que  la 
plupart  des  autres  et  la  majorité  du  public  font  entendre  des  protestations. 
Un  journal  cite,  à  l'appui  de  sa  thèse,  que  la  musique  produit  plus  d'efl'et 
dans   une  salle    obscure,    un   passage  des    Années   de  pèlerinage    de  Wilhelm 

Meister,  de  Goethe,  où  il  est  question  d'un  riche  baron,  grand  mélomane,  qui 
faisait  jouer  et  chanter  chez  lui  des  artistes  dans  une  salle  obscure,  afin 
qu'il  pût  jouir  de  la  musique  sans  voir  ceux  qui  la  produisaient.  Gœthe 
semble  approuver  ce  procédé,  qui  est  d'ailleurs  de  son  invention.  Mais 
Gœthe  aura-t^il  raison  contre  les  femmes,  qui  ne  prennent  pas  la  peine  de 
s'habiller  le  soir  pour  être  noyées  dans  une  obscurité  profonde?  Il  parait 
que  les  allemandes  sont  les  adversaires  les  plus  acharnées  de  la  musique 
sans  lumière,  et  dans  ces  conditions  les  salles  de  concert  allemand  ne  feront 
pas  longtemps  leur  petit  Bayreuth. 

—  Le  sculpteur  Schaper,  de  Berlin,  a  été  chargé  du  monument  qui  sera 
prochainement  érigé  à  Halle  en  l'honneur  du  compositeur  Robert  Franz.  Le 
monument  sera  composé  d'un  buste  placé  sur  un  cippe  élevé. 

—  Les  habitants  du  13'  arrondissement  de  Vienne  se  sont  réunis  pour 
faire  apposer  une  plaque  commémorative  sur  la  maison  habitée  en  1862  et 
1863  par  Richard  Wagner  dans  la  rue  Hadik,  n"  72.  C'est  dans  cette  maison 
qu'il  a  écrit  la  plus  grande  partie  des  Maîtres  Chanteurs  avant  d'aller  se  fi.xer 

à  Tribschen,  près  Lucerne. 

—  Le  Carlthéàtre  de  Vienne  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès  une 
opérette  intitulée  la  Jeune  fille  charmante  (eu  patois  viennois  intraduisible  : 
Dns suesse  Maedel),  paroles  de  MM.  Landesberg  et  Stein,  musique  de  M.  Henri 
Reinhardt.  Les  couplets  de  la  jeune  fille  charmante  et  une  grande  valse  — 
quelle  opérette  viennoise  n'aurait  pas  sa  valse  ?  —  ont  été  bissés. 

—  Ud.  nouveau  ballet,  intitulé  Au  bal  masqué,  musique  de  M.  Auguste  Ber- 
ger, vient  d'être  joué  avec  succès  au  Théâtre-Royal  de  Dresde. 

—  Le  Théâtre-Royal  de  Copenhague  a  joué  avec  succès  un  nouvel  opéra  de 
M.  Enna,  intitulé  la  Bergère  et  le  Ramoneur,  écrit  sur  un  livret  tiré  d'un  conte 
d'Andersen. 

—  Le  17  mai  dernier,  le  pape  Léon  XIII  adressait  un  bref  élogieux  à  l'abbé 
des  bénédictins  de  Solesmes  au  sujet  des  travaux  que  cette  abbaye  a  entre- 
pris soit  pour  rétablir  scientifiquement,  dans  toute  sa  pureté,  le  chant  grégo- 
rien tel  qu'il  nous  est  transmis  par  les  manuscrits  du  moyen  âge,  soitpour  en 
faciliter  l'exécution  pratique. 

Frappé  de  cette  indication  donnée  par  le  pape,  le  docteur  Pierre  Wagner, 
professeur  d'histoire  musicale  et  de  musique  sacrée  à  l'université  de  Fribourg 
et  maitre  de  chant  liturgique  au  séminaire  épiscopal,  a  formé  le  projet  [de 
fonder  une  chaire  où  serait  enseigné  dans  toute  sa  pureté  primitive  l'antique 
chant  liturgique. 

Mais,  auparavant,  M.  Wagner  voulut  s'assurer  l'acquiescement  exprès  de 
Rome.  C'est  à  la  sacrée  congrégation  romaine  des  études  qu'il  s'adressa.  Sa 
demande  fut  favorablement  accueillie  et  le  docteur  Wagner  a  reçu  du  Cardi- 
nal SatoUi,  préfet  de  la  congrégation  des  études,  la  lettre  suivante  : 

Le  saint-père  a  daigné  accueillir  très  favorablement  la  demande  que  vous  lormuliez  ; 
cette  fondation  s'ajoutera  à  toutes  les  chaires  de  science  sacrée  que  compte  déjà  l'univer- 
sité catholique  dé  Fribourg;  elle  servira  à  développer  les  splendeurs  du  culte;  elle  accroîtra 
encore  chez  les  jeunes  gens,  surtout  s'ils  se  destinent  au  sacerdoce,  l'amour  de  la  liturgie 
sacrée,  qui  se  rattache  si  étroitement  au  chant  vénérable  de  l'Église  romaine;  elle  en  pro- 
pagera l'étude  et  la  pratique  dans  les  divers  centres  où  ces  mêmes  jeunes  gens,  leur  scola- 
rité académique  une  fois  terminée,  donneront  libre  cours  à  leur  activité  religieuse  et 
sociale. 

Récemment  le  saint-père,  par  son  bref  aux  bénédictins  de  Solesmes,  a  recommandé  ces 
mélodies  grégoriennes.  Cette  auguste  parole  est  une  haute  indication  ;  elle  constitue  un 
stimulant  efficace  à  l'étude  de  ces  mélodies.  Je  puis  vous  en  donner  l'assurance  :  de  môme 
que  le  saint-père  se  réjouit  grandement  de  la  restauration  de  la  philosophie  de  saint 
Thomas,  à  laquelle  se  consacrent,  avec  de  si  splendides  succès,  les  fils  de  saint  Dominique 
dans  l'université  pontificale  de  Fribourg,  de  même  c'est  avec  une  grande  satisfaction  qu'il 
verra  marcher  de  pair  avec  la  restauration  philosophique  la  restauration  de  cet  autre 
enseignement  traditionnel  de  l'Eglise,  à  savoir  du  chant  liturgique  ramené  à  sa  primitive 
pureté. 


—  Pendant  que  la  ville  de  Catane,  qui  n'a  pas  su,  parait-il,  élaborer  un 
programme  convenable  pour  célébrer  le  centenaire  de  Bellini.  et  se  voit 
obligée  de  reculer  indéfiniment  les  fêtes  projetées  à  cet  effet,  voici  qu'on 
s'occupe,  en  Italie,  de  rappeler  le  souvenir  du  poète  Felice  Romani,  qui  fut 
précisément  le  collaborateur  préféré,  presque  unique,  du  chantre  de  Norma 
et  de  la  Sannamhula.  Romani  fut,  on  peut  le  dire,  le  roi  des  librettistes  ita- 
liens, et  son  talent  fait  pâlir  singulièrement  celui  de  ses  confrères,  les  Piave, 
les  Cammarano,  les  Solera  et  IMti  quanti.  Ecrivain  instruit,  lettré  délicat, 
versificateur  habile,  l'ancien  directeur  littéraire  de  la  Gazzetta  Piemonlese,  le 
journal  officiel  du  royaume  de  Sardaigne,  ne  se  contenta  pas  d'être  un  cri- 
tique très  fin  et  un  prosateur  plein  d'élégance,  il  fut  aussi  un  poète  dans  là 
véritable  acception  du  terme,  ainsi  que  le  prouvent  ses  jolies  cansone  au 
sculpteur  Pompeo  Marchesi,  à  Paganini,  à  la  Pasta  et  à  la  Malibran.  Un 
autre  grand  écrivain,  qui  avait  été  son  adversaii'e,  Angelo  Brolferio,  s'expri- 
mait ainsi  au  lendemain  de  sa  mort,  en  parlant  précisément  de  ses  librelli 
d'opéras,  dans  lesquels  Romani  avait  renouvelé  et  perfectionné  le  genre  :  — 
«  La  plus  grande  puissance  du  génie  de  Romani  se  révélait  dans  la  représen- 
tation qu'il  faisait  des  délires,  des  extases,  des  fureurs,  des  voluptés,  des 
désespoirs  de  l'amour,  comme  Byron,  comme  Foscolo,  comme  Lamartine, 
comme  Victor  Hugo.  Qui  ne  se  rappelle  les  magnifiques  strophes  de  la  Stra- 
niera,  d'il  Pirata,  de  Lucrezia  Borgia,  de  la  Sonnantbula,  d'Anna  Bolena,  de  Nor- 
ma, de  Béatrice  di  Tenda,  revêtues  par  Bellini  et  par  Donizetti  de  si  merveil- 
leuses harmonies?...  Tant  que  l'amour  palpitera  dans  les  poitrines  humaines, 
les  vers  de  Romani  vivront  et  résonneront  sur  les  lèvres  plaintives  comme 
étant  l'expression  la  plus  ardente,  la  plus  passionnée  des  tempêtes  secrètes  de' 
l'âme.  »  Romani  était,  en  effet,  plus  qu'un  librettiste  ordinaire;  c'était,  il 
faut  le  répéter,  un  vrai  poète,  ainsi  qu'en  témoignent  encore  quelques  livrets 
non  cités  par  BrofCerio,  tels  que  la  Solitaria  délie  Asturie,  Cristofo  Colombo,  et 
surtout  Torquato  Tasso  et  Parisina.  Aussi  fut-il,  on  peut  le  croire,  recherché 
pendant  plus  d'un  quart  de  siècle  par  tous  les  musiciens,  et  son  nom  est-il 
intimement  lié  à  ceux  de  Rossini,  Meyerheer,  Bellini,  Donizelti,  Mercadante, 
Coccia,  Pavesi,  les  deux  Ricci,  Pacini,  Morlacchi,  Mayr,  Niccolini,  Majocchi, 
Soliva,  Pugni,  Litta  et  tant  d'autres.  C'est  cet  écrivain  fort  distingué  dont 
ses  compatriotes  veulent  aujourd'hui  rappeler  le  souvenir,  mêlé  à  tant  de 
gloires  musicales.  On  se  propose  de  placer  prochainement  une  plaque  com- 
mémorative sur  la  maison  où  il  vécut  et  mourut  à  Moneglia,  pays  de  la 
rivière  du  Levant,  en  même  temps  qu'on  déposera  des  couronnes  sur  le  tom- 
beau qui  lui  a  été  élevé  à  Staglieno,  où  repose  son  corps.  C'est  un  hommage 
qui  lui  est  bien  dû  et  qu'il  mérite  à  tous  égards.  .  A.  P. 

—  La  musique  continue  d'adoucir  les  mœurs.  Dans  une  ville  italienne,  à 
Desenzano,  on  se  préparait  à  terminer  une  courte  saison  lyrique  par  une 
petite  solennité  commémorative  en  l'honneur  de  Verdi.  Un  avocat,  M.  A.  Za- 
dei,  qui  avait  déjà  parlé  du  maître  dans  une  occasion  semblable,  avait  été 
chargé  de  prononcer  un  discours.  Mais,  ohimi  !  la  politique,  la  vilaine  poli- 
tique se  mêla  de  1'  affaire.  L'avocat  en  question  s'était  fait,  dans  une  circons- 
tance récente,  des  ennemis  sous  ce  rapport,  si  bien  que,  ceux-ci  s'étant  ren- 
dus en  masse  au  théâtre,  firent  un  tel  charivari  lorsqu'il  se  présenta  sur  la 
scène,  tapant  des  pieds,  poussant  des  cris,  sifflant  avec  rage,  qu'il  fut  obligé 
de  se  retirer  sans  avoir  pu  prononcer  une  parole. 

—  La  direction  du  grand  théâtre  du  Lycée  de  Barcelone  vient  de  publier 
son  cartellone  pour  la  prochaine  saison  d'hiver.  Voici  le  tableau  de  la  troupe  : 
soprani,  M"""*  Bel  Sorel,  Usa  Bardi,  Concetta  Bordalba,  Isabella  Grassot,  Giu- 
l'ia  Biondelli,  Elisa  Laveroni,  Onorina  Popovici,  Margherita  Picard  ;  mezzo 
soprani,  Armida  Parsi,  Giuseppina  Giacconia,  Paolina  SchoUer,  Wanda  Bor- 
'rissoff;  ténors,  MM.  RafTaele  Grani,  Giuliano  Biel,  Luigi  Iribarne,  Giuseppe 

Palet;  barytons,  Maurizio  Bensaude,  Alessandro  Arcangeli,  Luigi  Baldassari; 
basses,  Agostino  Calvo,  Luigi  Rossato.  Le  répertoire  comprendra  Aida,  Gio- 
cenda,  Carmen,  Hdnsel  et  Gretel,  Mefistofele,  Siegfried,  il  Trovatore,  l'Africaine, 
Lohengrin,  le  Crépuscule  des  Dieux,  et  un  grand  ouvrage  nouveau  de  M.  Felipe 
Pedrell,  i  Pirenei,  trilogie  lyrique  avec  un  prologue,  écrite  sur  un  poème  de 
M.  Victor  Balaguer  traduit  en  italien  par  M.  José  Pereira.  La  saison  com- 
mencera au  milieu  de  novembre. 

—  Une  nouvelle  zarzuela  en  un  acte,  el  Jilguero  chico,  a  vu  le  jour  au  Théâ- 
tre Comique  de  Madrid.  Les  auteurs  sont,  pour  les  paroles,  M.  Adolfo 
Luna,  rédacteur  du  Heraldo,  et  pour  la  musique  MM.  Galleja  et  Lleo,  sorte 
de  raison  sociale  bien  connue  et  très  appréciée  du  public  madrilène.] 

—  Un  comité  s'est  formé  à  Londres  pour  ériger  une  statue  à  Sir  Arthur 
Sullivan  dans  la  cathédrale  de  Saint-Paul.  L'idée  d'un  monument  de  cet 
artiste  à  placer  dans  la  crypte  de  la  cathédrale  a  dû  être  abandonnée.  L'au- 
teur du  Mikado,  qui  a  à  son  actif  plusieurs  importantes  composilions  de 
musique  sacrée,  entre  autres  le  Te  Deum  écrit  pour  célébrer  la  «  conquête  du 
Trausvaal  »  qu'on  n'a  pas  pu  exécuter  faute  précisément  de  cette  conquête, 
sera  le  premier  musicien  honoré  d'une  statue  à  Saint-Paul.  Jusqu'à  présent 
on  n'a  placé  dans  cette  cathédrale,  à  quelques  exceptions  près,  que  des  sta- 
tues de  généraux  et  d'amiraux. 

—  A  l'Exposition  panamêricaine  de  Buffalo  (États-Unis)  est  arrivé  récem- 
ment un  quintette  caractéristique  de  Colombie  dont  les  cinq  exécutants,  tous 
excellents,  parait-il,  ont  un  répertoire  de  plus  de  200  morceaux,  et  excitent 
une  grande  curiosité.  Ce  quintette  comprend  trois  mandolines,  une  guitare 
semblable  à  la  guitare  portugaise  à  quatre  cordes,  jouée  par  un  aveugle,  et 
une  guitare  moderne  à  six  cordes.  Mais  pourquoi  le  Cronache  musicale  quali- 
fient-elles ce  quintette  do  «  quintette  à  archet  »  ?  Est-ce  que  la  mandoline  et 
la  guitare  se  jouent  maintenant  avec  un  archet? 


LE  MENESTREL 


35d 


PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra,  représentation  gratuite  :  Astarté.  On 
commencera  à  7  heures,  ouverture  des  portes  à  six  heures  et  demie. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Gomique  :  en  matinée,  Lakmé 
et  le  Légataire  universel  ;  le  soir,  Carmen. 

—  Cette  semaine,  à  l'Opéra-Comique,  très  gentil  début,  dans  la  Basoch£,  de 
M"'"  Huchet,  un  des  derniers  prix  du  Conservatoire.  La  voix  est  menue,  mais 
fraîche  et  juste,  la  façon  de  la  conduire  déjà  délicate  et  une.  La  comédienne 
semble  avoir  beaucoup  à  apprendre,-  mais  il  faut  faire  la  part  de  l'émotion 
bien  naturelle  chez  une  débutante.  Au  résumé,  beaucoup  d'excellentes  pro- 
messes. 

—  Derniers  tressaillements  de  la  crise  de  la  Comédie-Française,  dernières 
vagues  minuscules  de  «  la  tempête  dans  un  verre  d'eau  »  :  M.  Claretie,  dans 
la  dernière  séance  du  comité,  a  déclaré  aux  «  Sociétaires  »  qu'il  renonçait  a 
la  «  part  de  bénéfices  »  que  lui  avaient  attribuée  généreusement  autrefois 
MM.  les  comédiens  et  qu'ils  semblaient  lui  reprocher  amèrement  aujour- 
d'hui. On  ne  pouvait  attendre  moins  du  caractère  de  M.  Claretie.  —  Enfin 
l'administrateur  général,  désirant  sans  doute  trouver  des  appuis  chez  les 
petits,  puisque  les  grands  le  lâchent  si  ostensiblement,  se  préoccupe  de  créer 
à  la  Comédie-Française  une  caisse  de  retraites  sur  le  modèle  de  celles  qu  i 
existent  à  l'Opéra  et  i  l'Opéra-Comique,  et  il  a  eu  déjà  à  ce  sujet  plusieurs 
conférences  avec  M.  Paul  Dislère,  président  de  sectiou  au  eoaseil  d'Etat  et 
président  de  la  Société  des  caisses  de  retraites  de  nos  deux  scènes  lyriques. 

—  Au  théâtre  Sarah-Bernhardt  on  prépare  une  série  de  superbes  «  mati- 
nées du  jeudi  »  qui  seront  données  avec  le  concours  de  M.  Coquelin,  de 
M™e  Sarah  Bernhardt  et  de  toute  la  compagnie  du  théâtre  Sarah-Bernhardt  : 
Mmes  Dufrène,  Parny,  Marcya,  Patry,  DoUey,  etc.,  MM.  Brémont.  Magnier, 
Schutz,  Desjardins,  Deneubourg,  Schiler,  etc.,  etc.  Parmi  les  pièces  repré- 
sentées on  jouera  :  Phèdre,  le  14  et  le  21  novembre,  avec  la  musique  de  Mas- 
senet  exécutée  par  l'orchestre  de  Colonne;  puis  Magda,  Lorenzaccio  (avec  la 
musique  de  Paul  Puget),  les  Précieuses  ridicules,  avec  Sarah  pour  la  première 
fois  dans  le  rôle  de  Madelon  et  Coquelin  dans  son  incomparable  Mascarille; 
la  Tosca,  avec  Coquelin  dans  Scarpia  ;  Andromaque,  la  Ville  morte,  la  superbe 
pièce  de  d'Annunzio,  dans  laquelle  Sarah  joue  une  si  touchante  aveugle; 
Médée,  de  Catulle  Mendès  ;  Ilamlet  et  le  Médecin  malgré  lui,  et  tant  d'autres 
chefs-d'œuvre.  Vu  l'affluence  des  demandes  d'abonnements  pour  ces  mati- 
nées, M™'  Sarah  Bernhardt  a  décidé  de  fermer  les  feuilles  d'abonnement  le 
dimanche  10  novembre. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  en  raison  des  tètes  de  la  Toussaint,  M.  Colonne 
ne  donnera  pas  de  concert  au  Chàtelet.  Il  met  à  profit  cette  interruption  pour 
donner  avec  sou  orchestre  une  série  de  concerts  à  l'étranger.  L'itinéraire 
comprend  les  villes  de  Metz,  Carlsruhe,  Wiesbaden,  Leipzig,  Berlin,  Dresde, 
Vienne  et  Prague.  ^ 

—  A  son  concert  du  24  novembre,  M.  Ed.  Colonne  fera  entendre  une 
nouvelle  et  importante  composition  symphonique  de  M.  Théodore  Dubois, 
Adonis,  divisée  en  trois  parties  :  I.  Mort  d'Adonis  (douleur  d'Aphrodite):  II. 
Déploration  des  nymphes;  III.  Réveil  d'Adonis  (Renouveau  de  la  vie,  le 
printemps)  —  le  tout  inspiré  des  belles  poésies  de  Leconte  de  Liste. 

—  M.  Théodore  Dubois  n'a  pas  rapporté  que  cette  suite  symphonique  de 
ses  vacances  de  Rosnay.  Parmi  ses  manuscrits  nouveaux,  il  faut  signaler 
toute  une  série  de  «  scènes  mignonnes  pour  le  piano  »  réunies  sous  le  titre 
à'Au  Jardin  :  les  Oiseaux,  Roses  et  Papillons,  Gouttes  de  pluie,  les  petits 
Canards,  etc.,  etc. 

—  M.  Désiré  Thibault  vient  de  donner  sa  démission  de  second  chef  d'or- 
chestre de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  pour  signer  un  engage- 
ment avec  l'administration  du  casino  de  Monte-Carlo,  où  il  dirigera  exclusi- 
vement les  représentations  d'opéra-comique,  d'opérette  et  de  ballet.  Le  direc- 
teur du  Conservatoire  vient  à  ce  propos  d'adresser  la  lettre  suivante  à  l'excel- 
lent chef  d'orchestre  : 

Mon  cher  Thibault, 

Votre  lettre  me  cause  un  véritable  désappointement  et  un  véritable  chagrin. 

Je  comprends  les  motifs  qui  vous  font  prendre  une  aussi  grave  détermination;  ils  sont 
d'ordre  intime  contre  lesquels  on  ne  peut  élever  d'objection,  mais  je  déplore  qu'un  artiste 
de  votre  valeur  ne  puisse  trouver  à  Paris  une  situation  digne  de  lui  ! 

Tout  le  monde  à  la  Société  vous  regrettera  sincèrement. 

Les  services  que  vous  y  avez  rendus,  l'affabilité  de  vos  manières,  le  long  temps  que  vous 
y  avez  passé,  vous  avaient  conquis  la  sympathie  de  tous. 

Personnellement,  mon  cher  Thibault,  je  vous  prie  de  croire  à  mon  bien  vif  regret  et  à 
l'expression  de  mes  affectueux  sentiments. 

Théodore  Dubois. 

L'assemblée  générale  de  la  Société  du  Conservatoire,  dans  sa  dernière 
séance,  a  élu  comme  second  chef  d'orchestre  M.  Victor  Casser,  membre  de  la 
Société. 

—  C'est  M.  Auzende,  le  pianiste-compositeur  bien  connu,  qui  est  nommé, 
au  Conservatoire,  professeur  de  la  classe  de  solfège  des  chanteurs  en  rempla- 
cement de  M.  de  Martini,  devenu  professeur  de  chant. 


—  De  l'Écho  de  Paris  :  «  Et  l'on  revient  toujours...  M.  André  Lénéka,  après 
le  jVe:  qui  remue,  a  l'intention  de  faire  revenir  le  théâtre  des  Bouffes  à  ses 
anciennes  traditions.  A  la  pièce  de  MM.  de  Gorsse  et  Soulié  succéderaient 
des  opérettes  signées  Louis  Varney,  André  Messager,  Edmond  Diet,  Louis 
Ganne,  Missa,  Emile  Pessard,  etc.  L'orchestre  serait  probablement  dirigé 
par  M.  Letombe.  La  décision  de  M.  Lénéka  nous  semble  excellente.  Les 
Bouffes  sans  musique,  ce  ne  sont  plus  les  Bouffes.  Et  il  y  a  tant  de  théâtres 
de  comédie  ou  de  vaudeville!  » 

—  Mais  M.  Lénéka  ne  se  rend  pas  encore  tout  à  fait.  Il  répond  à  notre  con- 
frère qu'il  n'en  est  encore  qu'au  «  vaudeville  à  couplets  ».  De  là  à  verser 
complètement  de  nouveau  dans  l'ornière  de  l'opérette,  il  n'y  a  plus  que  l'in- 
tervalle d'un  ou  deux  nouveaux  insuccès  de  comédie.  Pauvre  théâtre,  qui  la 
tant  de  mal  à  trouver  sa  voie  ! 

—  Ce  n'est  pas  en  quelques  lignes  rapi(les  qu'on  peut  rendre  compte  d'un 
livre  aussi  important  et  aussi  remarquable  que  celui  que  vient  de  publier  sous 
ce  titre  :  L'Arle  del  clavicembalo  (l'Art  du  piano),  M.  Luigi-Alberto  Villariis 
(Turin,  Bocca,  in-S").  Un  volume  de  600  pages,  qui  nous  donne,  non  l'his- 
toire de  l'instrument,  mais  l'histoire  artistique  du  piano  par  ses  virtuoses  et 
ses  compositeurs,  chez  chacune  des  nations  européennes.  Ce  qui  parait  sin- 
gulier au  premier  abord,  c'est  que  l'auteur  commence  par  l'Angleterre;  mais 
c'est  parce  que,  en  fait,  l'Angleterre  peut  être  considérée  comme  ayant  mis 
la  première  en  honneur  les  instruments  à  clavier.  Ceci  admis,  l'auteur  divise 
son  livre  en  cinq  parties,  consacrées  à  l'Angleterre,  à  l'Italie,  à  la  France,  à 
l'Allemagne  et  aux  Pays-Bas  (cette  dernière  en  appendice).  Et  après  s'être 
occupé  des  primitifs  et  des  précurseurs,  il  met  en  lumière  l'artiste  célèbre 
qui,  dans  chaque  pays,  a  atteint  le  premier  les  sommets  de  l'art  :  pour  l'An- 
gleterre Henri  Purcell,  pour  l'Italie  Domenico  Soarlatd,  pour  la  France 
François  Couperin,  pour  l'Allemagne  Jean-Sébastien  Bach.  Il  étudie  le  mi- 
lieu général,  constate  les  progrès  successifs  ob  tenus  dans  la  virtuosité,  carac- 
térise les  qualités  et  les  particularités  de  chaque  école,  et  tait  connaître  les 
successeurs  de  chacun  des  grands  artistes  qu'il  considère  comme  le  premier 
représentant  fameux  de  chacune  de  ces  écoles.  Il  résulte  de  cette  façon  de 
procéder  une  vue  d'ensemble  général  extrêmement  intéressante  et  qui  laisse 
dans  l'esprit  une  réelle  satisfaction.  En  réalité,  le  livre  de  M.  Villanis  est  un 
livre  neuf,  qui  témoigne  d'une  grande  érudition,  d'une  connaissance  complète 
du  sujet  et  qui,  ce  qui  ne  gâte  rien,  est  écrit  avec  autant  de  clarté  que  d'élé- 
gance. „ 

°  A.  P. 

M.  Edouard  de  Hartog,  le  compositeur  néerlandais,  vient  d'être  nommé 

par  le  gouvernement  français  officier  de  l'instruction  publique. 

—  Sur  la  demande  qui  lui  en  avait  été  faite.  M»»  Gounod  Et  parvenir 
récemment  au  conseil  municipal  de  Marseille  le  superbe  buste  de  l'auteur  de 
Faust  dû  au  sculpteur  Carpeaux,  dont  elle  faisait  hommage  à  la  ville.  Aussitôt, 
dans  sa  dernière  séance,  le  conseil  municipal,  sur  la  proposition  d'un  de  ses  • 
membres,  M.  Martin  Boyer,  a  voté  l'adresse  suivante  : 

A  Madame  Gounod. 
Madame, 

Le  conseil  municipal  de  Marseille,  réuni  en  séance  publique,  vous  adresse,  en  son  nom 
et  au  nom  de  la  population  marseillaise  tout  entière,  ses  meilleurs  compliments  et  l'ex- 
pression de  ses  plus  chaleureux  remerciements  pour  l'attention  très  flatteuse  que  vous 
avez  eue  pour  la  ville  de  Marseille  en  lui  offrant  le  buste  de  l'une  des  plus  sympathiques 
gloires  de  la  France. 

Avec  l'approbation  du  conseil,  le  buste  du  grand  compositeur  Gounod  sera  placé,  au 
Grand-Théâtre,  auprès  de  notre  concitoyen  Reyer. 

Nous  croyons  savoir  que,  très  prochainement,  le  buste  de  M.  Massenet, 
demandé  aussi  par  la  municipalité  de  Marseille,  ira  rejoindre  ceux  de  ses 
deux  illustres  confrères,  pour  être  placé  au  foyer  du  Grand-Théâtre. 

—  Le  jugement  des  morceaux  pour  fanfare,  présentés  au  3«  concours 
de  composition  musicale  ouvert  par  l'Association  des  jurés  orphéoniques, 
vient  d'être  rendu.  En  voici  les  résultats  :  1"  Prix  à  la  partition  (sans  titre), 
ayant  pour  épigraphe  :  Advienne  que  pourra,  dont  l'auteur  est  M.  Paul  André, 
chef  de  musique  au  28"=  de  ligne,  à  Paris  ;  i'  Prix,  à  l'unanimité,  à  la  partition 
intitulée  Ouverture  de  Concert,  composée  par  M.  Louis  Boyer,  directeur  de  la 
Musique  municipale  d'Angers;  Mention,  avec  diplôme,  à  la  partition;  la  Grotte 
des  Muses  (épigraphe  :  Fais  ce  que  dois,  advienne  que  pourra),  dont  l'auteur  ne 
sera  désigné  que  s'il  se  fait  connaître.  Le  jury  était  composé  de  MM.  Emile 
Pessard,  président.  Boisson,  Canoby,  Ghandon  de  Briailles,  Bureau,  Guil- 
baut,  Kaiser,  G.  Parés  et  Georges  Sporck.  —  L'auteur  du  chœur  :  Pécheurs 
d'Islande,  qui  a  obtenu  la  mention  pour  les  œuvres  chorales,  s'est  fait  con- 
naître; c'est  M.  Louis  Blémant,  chef  de  musique  au  145<=  d'infanterie,  à 
Maubeuge. 

—  Les  concours  pour  l'obtention  de  bourses  à  l'École  Classique  de  la  rue 
de  Berlin  auront  lieu  aux  dates  ci-après  :  lundi  11  novembre,  violon  et  vio- 
loncelle (hommes  et  femmes)  ;  jeudi  14,  piano  et  harpe  (hommes  et  femmes)  ; 
samedi  16,  tragédie  et  comédie  (hommes  et  femmes);  jeudi  21,  chant  (hom- 
mes et  femmes).  Les  inscriptions  sont  reçues  dès  à  présent  au  siège  de  l'é- 
cole, 20,  rue  de  Berlin,  tous  les  jours  de  S  h.  1/2  du  matin  à  7  heures  du  soir, 
les  dimanches  et  fêtes  exceptés. 


352 


LE  MÉNESTREL 


—  A  Auteuil,  le  lundi  14,  à  la  fondation  Rossini,  les  vieux  artistes  pension- 
naires ont  été  en  fêle;  M"'  Marguerite  Achard,  la  harpiste  si  distinguée,  leur 
offrait,  comme  en  1S98,  une  matinée  musicale  avec  le  gracieux  concours  de 
ses  aimables  camarades  :  M^'^Oadard,  Mary  Mauroux.  MM.  Georges  Clément, 
Bertagne  et  Priad.  Ce  fut  un  gros  succès:  les  applaudissements  fréquents  et 
les  superbes  fleurs  offertes  par  l'administration  et  par  les  dames  pensionnaires 
ont  prouvé  à  ces  artistes  que  leur  attention  délicate  et  leur  talent  avaient 
été  appréciés  à  leur  valeur. 

—  Coins  ET  Leçons.  --  JI.  A.  landely-Hettich  a  repris,  chez  lui.  33,  boulevard  des 
Batignolles,  ses  leçons  de  ehant.  —  M""  Véras  de  la  Bastière  et  Hamburg  de  la  Bastière 
ont  repris  leurs  leçons  de  piano  et  de  chant,  155,  faubourg  Poissonnière  et  23,  rue  de 
Bocroy.  —  ^I"--  Jeanne  Pauvre  vient  de  fonder  un  cours  d'ensemble  (dames  et  messieurs) 
qui  aura  lieu  tous  les  jeudis,  à  l'Institut  Rudj,  4,  rue  Caumartin.  —  M.,  M^^et  M""  Wein- 
gaertner  ont  repris  leurs  cours  et  leçons  de  piano,  musique  d'ensemble  et  violon,  auxquels 
sont  adjoints  des  cours  de  chant,  diction,  solfège,  harmonie  et  langues  étrangères,  24,  rue 
de  Saint-Pétersbourg.  —  M"^  Delaspre  Guyon  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  chant,  54,  rue 
des  Saints  Pères.  —  W'  Sophie  Tritant  a  repris  ses  cours  et  leçons  particulières  de  piano 
et  de  solfège  chez  elle,  19,  me  Molière.  —  Institut  Wertey,  M,  faubourg  Poissonnière, 
ouverture  des  cours  de  solfège,  harmonie,  piano,  violon,  violoncelle,  harpe,  chant,  décla- 


mation lyrique  et  dramatique,  avec  auditions  publiques  d'élèves.  Professeurs  :  MM.  Sa- 
muel Rousseau,  E.  Decombes,  Llorca,  "Wîllaume,  Loeb,  Ulysse  du  Wast,  Ad.  Maton, 
M""^*  du  Wast-Duprez,  Coedès-Campagna,  M""  J.  Wertey,  Marguerite  Achard  et  Jeanne 
du  Wast. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  de  Rome  la  mort,  à  l'âge  de  46  ans  seulement,  du  compo- 
siteur Ettore  Ricci,  chef  de  musique  du  94"  régiment  d'infanterie.  Il  était 
auteur  de  quelques  opérettes  applaudies  et  de  nombreux  morceaux  de  musique 
do  danse. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


IN  DEMANDE  à  l'Ecole  Humbert  de  Romans,  GO,  rue  Saint-Didier,  des 
instrumentistes  et  des  choristes  pour  les  Concerts  historiques. 


Vient  de  paraître,  chez  Baudoux  et  C'%  le  2^'  volume  des  Airs  ctassiffues  (Haendeli,  édi- 
tion A.  Landely-Hettich  (6  fr.). 


Pour  paraître  AU  MÉNESTREL,  2'''",  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C",  éditeurs 
LE    JOUR    DE    LA    PREMIÈRE   REPRÉSENTATION  A    LOPÉRA-COMIQUE 


^}/> 


CHANT    ET    PIANO 
Prix  net  :  20  fr. 


lilBl 


Conte  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue 

DE 

MM.    ARMAND   SILVESTRE  &   EUGÈNE   MORAND 


■partition 

PIANO     SOLO 
Prix  net  :  12  fr. 


Jflopeeauji  détachés 


Musique  de 


J.    A^ASSENET 


Transcriptions  diverses 


MORCEAUX  DE  CHANT  DETACHES 


VOIR  GRISÉIIDIS  !  Ouvrez-vous  sur  mon  front,  portes  du  Paradis!  T.  6 

bis.  Le  même  pour  baryton G 

CHANSON  D'AVIGNON  :  £nJmgnon,  pat/s  d'omowî'.  Soprano   ....  5 

bis.  La  même  pour  mezzo-soprano 5 

RÉCIT  DU  DIABLE  :  ,1'avais  fait,  comme  on  dit,  le  diable  sur  la  terre.  B.  6 

TRISTESSE  :  Oiseau  qui  pars  à  tire-d'aile.  Baryton 3 

bis.  La  même  pour  ténor 3 

LE  SERMENT  TE  GBISÉLIDIS  :  Devant  le  soleil  clair.  Soprano ....  3 

bis.  Le  même  pour  mezzo-soprano 3 

ADIEUX  DU  MARQUIS  A  SON  FILS.  Baryton 4 

bis.  Les  mêmes  pour  ténor 4 

,  LOIN  DE  SA  FEMME  QU'ON  EST  BIEN!  Baryton 6 

LE  DIABLE  ET  SA  FEMME.  Duo  pour  baryton  et  soprano 9 


9.  IL  PARTIT  AU  PRINTEMPS  !  pour  soprano 

9  bis.  Le  même  pour  mezzo-soprano 

10.  TRIO  :  Merci  du  grand  honneur!  2  sop.  et  baryton 

H.  ÉVOCATION  :  Des  bois  obscurs,  des  blanches  grèves.  Baryton  .... 

11  bis.  La  même  pour  ténor 

12.  CHANSOV  D'ALAIN  :  .Te  suis  l'oiseau  que  le  frisson  d'hiver.  Ténor  . 

12  bis.  La  même  pour  baryton 

13.  GRAND  DUO  :  Rappelle-toi  le  jour.  Ténor  et  soprano 

liî  bis.  Rappelle-loi,  pour  ténor  seul.  —  13  ter.  Pour  baryton  seul    . 

11.  PRIÈRE  DE  GRISÉLIDIS  :  Des  larmes  brûlent  ma  paupière 

15.  DUO  DU  RETOUR  :  A  vant  de  vous  parler.  Baryton  et  soprano  .    .   , 

16.  L'OISELET  EST  TOMBÉ  DU  NID  !  à  deu.v  voix  pour  sop.  et  baryton. 
16  bis.  Pour  voix  seule  (sopr.  ou  tén.)  —  16  te-.  Mezzo-sop.  ou  bar. 


9  » 
5  » 
5  » 
3  » 
3  » 
7  50 

3  » 

4  » 
7  50 
3  .1 
3    » 


TRANSCRIPTIONS  pour  piano  et  autres  instruments. 


PRÉLUDE  pour  piano  à  2  mains 5 

Le  même  pour  piano  à  4  mains G 

ENTR'ACTE-IDYLLE  : 

a.   Édition  originale  pour  piano.    . 5 

6.   Pour  piano  4  mains 6 

c.  Pour  violon  et  piano 6 

d.  Pour  flûte  et  piano ' 6 

e.  Pour  violoncelle  et  piano 6 

f.  Pour  mandoline  et  piano 6 

Partition  d'orchestre,  net G 

Parties  séparées  d'orchestre,  net 10 

Chaque  partie  séparée,  net 1 


CHANSON  D'AVIGNON,  pour  piano  à  2  mains 5 

La  morne  à  4  mains 6 

VALSE  DES  ESPRITS  : 

a.  Édition  originale  pour  piano 5 

b.  Pour  piano  4  mains 6 

c.  Pour  violon  et  piano G 

d.  Pour  flûte  et  piano 6 

e.  Pour  violoncelle  et  piano G 

/'.    Pour  mandoline  et  piano G 

Partition  d'orchestre,  net G 

Parties  séparées  d'orchestre,  net 10 

Chaque  partie  séparée,  net 1 


AVIS  AUX  DIRECTEURS.  —  Les  Éditeurs  du  «  iVIénestrel  »  traitent  dès  à  présent  de  cet  important 
ouvrage  avec  les  entreprises  théâtrales  de  la  province  et  de  l'étranger,  —  l'orchestration  pouvant  être 
livrée  aussitôt  après  la  première  représentation  à  l'Opéra-Comique,  au  courant  de  novembre. 


:  —  (Eocre  Lorillcux). 


3S85.  —  67"= 


Diinanclic  10  iVoYciiibre  1901, 


-  ^Vi-      PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2*",  rae  TiTieuue,  Paris,  n-in-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adresses  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

LE 


ESTREL 


Le  llamépo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    TIIEA.TRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  îlaméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  pnANCo  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Provim-e. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de   poste  en  sus 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (37"  article),  Paul  d'Estbées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  premières  repi'ésentations  de  l'Énigme,  à  la  Comédie-Française, 
de  le  Ne::  qui  remue,  aux  Boulïes-Parisiens,  et  de  A  nous  la  veine,  à  la  Cigale,  Paul- 
l')jiiLE  Chevalier.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Souvenirs  et  évocations,  Ratmono 
BouYER.  ^IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  Chansons  de  vignes,  Edmond  Neukomm. 
—  V.  Revue  des  grands  concerts,  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SCARAMOUCHE 

caprice  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement:  Entr' acte-Idylle,  extrait 

de  Grisélidis,  musique  de  J.  M.\ssenet. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Il  pnrtit  au  printemps,  chanté  par  M"«  Lucienne  Bréval  dans  Grisélidis,  poème 
d'ARMAND  SiLVESTRE  et  E.  MoRAND,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  im- 
médiatement :  Rappelle-toi,  chanté  par  M.  Maréchal  dans  le  même  opéra. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'aprÈs  les  lÉmolres  les  plus  récents  et  fles  documents  inédits 

(Suite.) 


X  (suite) 


Après  avoir  donné  une  si  grande  place  à  la  Malibran,  nous 
estimons  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  consacrer  quelques  lignes 
à  la  Pasta,  qu'Eugène  Delacroix  exaltait  si  fort  aux  dépens  de  sa 
rivale.  Mais  Norma,  la  casla  diva,  pour  rappeler  l'hommage  des 
Milanais,  avait  aussi  ses  détracteurs.  L'ami,  aux  griffes  acérées, 
des  artistes,  Metternich,  pour  l'appeler  par  son  nom,  lui  décoche, 
dans  ses  Mémoires,  ce  petit  alinéa  : 

»  26  mars  1829. 
»  M""  Pasta  vient  de  nous  quitter;  elle  emporte  les  regrets  et 
l'argent  des  Nimois.  Elle  a  récolté  en  quatre  semaines,  et  au 
moyen  de  pitoyables  représentations,  au  delà  de  40.000  francs. 
L'Empereur  l'a  nommée  première  cantatrice  de  sa  chambre. 
Tout  se  trouve  ainsi  bien  de  son  voyage,  sa  bourse  et  sa 
vanité.  » 

Peut-être,  pour  trouver  la  note  juste,  entre  l'éloge  outré  et  le 
blâme  excessif,  serait-il  sage  de  s'en  tenir  à  l'appréciation  de  la 
comtesse  Dash  sur  la  Pasta. 


Le  célèbre  bas-bleu  entendit  pour  la  première  fois  la  fameuse 
cantatrice  chez  M'"''  de  Rumford,  la  veuve  de  Lavoisier.  La  Pasta, 
dit-elle,  est  une  belle  personne,  aux  traits  réguliers,  son  atti- 
tude est  noble  et  son  geste  majestueux.  Sa  voix  est  superbe  et 
l'expression  en  est  passionnée.  Tout  le  temps  qu'elle  chanta,  je 
fus  comme  en  extase. 

La  comtesse  Dash  termine  sur  un  piquant  croquis  de  ces  con- 
certs. M""  de  Rumford  n'y  admettait  comme  virtuoses  du  chant 
que  des  artistes  italiens,  Garcia  et  Bordogni.  Elle  n'aimait  pas  les 
français.  Elle  ne  daignait  supporter  que  «  les  princes  des  instru- 
mentistes »,  Tulou,  Bériot,  Paganini,  Baillot. 

M'"  Naldi,  la  future  comtesse  de  Sparre,  eut  aussi  son  heure 
de  gloire  et  d'engouement.  Elle  était  persona  grala  au  faubourg 
Saint-Germain.  Elle  se  trouvait  à  Londres  quand  la  bourrasque 
des  Gent-Jours  y  ramena  la  duchesse  de  Gontaut.  Cette  grande 
dame,  qui  appréciait  fort  le  talent  de  l'artiste,  promettait  tous  les 
jours  aux  amies  de  sa  fille  de  leur  faire  connaître  la  belle  voix 
de  M""  Naldi.  Et  comme  ces  jeunes  personnes  ne  cessaient  d'en 
réclamer  l'audition.  M""  de  Gontaut  dut  se  décider  à  donner  ce 
fameux  petit  concert  : 

«  M"°  Naldi  fut  entendue  avec  ravissement,  ainsi  que  Sor, 
maître  de  guitare  de  ma  fille.  C'est  au  milieu  de  ces  douces 
romances  que  la  rumeur  d'une  grande  victoire  se  répandit  à 
Londres,  celle  de  Waterloo...  La  plume  s'échappe  de  mes  mains 
pour  décrire  les  détails  de  ce  moment  :  mon  cœur  tout  français 
en  fut  profondément  ému.  » 

De  douleur,  sans  doute...  La  duchesse  de  Gontaut  n'accom- 
pagne d'aucun  commentaire  ces  lignes  énigmatiques  :  mais,  bien 
que  le  désastre  de  Waterloo  rouvrit  aux  émigrés  les  portes  de  la 
patrie,  il  est  permis  de  croire  que  «  le  cœur  tout  français  »  de 
l'exilée  dut  saigner  d'une  telle  blessure. 

Peut-être  s'étonnera-t-on  qu'à  côté  de  gloires  disparues  nous 
en  placions  une  que  ses  lauriers  semblent  rendre  invulnérable. 

i\Iais  le  nom  de  Pauline  Garcia  n'est-il  pas  inséparable  de  celui 
de  Marie?  La  sœur  cadette  de  la  Malibran  a  toujours  été  digne 
de  son  ainée.  Si  elle  n'en  avait  ni  les  inspirations  soudaines,  ni 
la  puissance  dramatique,  elle  avait  une  science  musicale,  une 
perfection  de  mécanisme  que  ne  possédait  pas  Marie. 

—  Mais  voyez  donc  ce  petit  diable,  disait-elle  au  baron  de 
Trémont  ;  elle  trouve  des  traits  qui  m'échappent. 

En  1841,  au  lendemain  de  son  mariage  avec  Viardot,  Paulina 
fit  son  voyage  de  noces  en  Italie.  Pendant  son  séjour  dans  la  ville 
éternelle  elle  rencontra  Gounod,  qui  était  pensionnaire  de  l'Aca- 
démie, en  qualité  de  prix  de  Rome.  Le  jeune  compositeur  lui 
rappela  l'émotion  qu'il  avait  éprouvée,  dans  sa  prime  jeunesse, 
à  une  représentation  à'Otello  où  la  Malibran  s'était  surpassée  ; 
puis  il  risqua  une  discrète  allusion  aux  débuts  très  remarqués, 
à  la  salle  Ventadour,  de  Pauline,  qui  avait  dix-huit  ans  à  peine. 
Le  même  jour,  la  jeune  femme  le  priait  de  lui  accompagner  l'air 


354 


LE  MÉNESTREL 


d'Agathe  du  Freiischiitz,  qu'elle  chanta  dans  le  salon  de  TAca- 
démie,  à  la  villa  Médicis. 

M""'  Viardot  ne  fit  que  passer  aux  Italiens.  La  jalousie  de 
Giulia  Grisi  —  une  écolière  à  côté  d'elle  —  avait  exigé  le  sacri- 
fice d'une  artiste  dont  elle  sentait  la  supériorité. 

S'il  faut  en  croire  les  Souvenirs  de  ÂJ""  Jaubert,  le  talent  de 
M"'  Viardot  eut  le  privilège  d'éveiller  dans  le  cœur  de  Musset 
les  dernières  flammes  de  l'amour.  C'est  ainsi  que  le  poète  écri- 
vait à  (1  sa  chère  marraine  »  qu'il  avait  maudit  dans  un  concert 
le  pianiste  Osborne,  «  échangeant  avec  Desdémone  des  compli- 
ments anglais  qui  luidéplaisaient  ». 

Peut-être  était-ce  une  de  ces  plaisanteries  galantes  dont  ce 
dandy  sur  le  retour  était  facilement  coutumier.  Nous  aurions 
plus  confiance  dans  l'enthousiasme  réfléchi  (si  les  deux  mots 
peuvent  s'accorder)  d'Eugène  Delacroix,  qui,  en  sortant  de  chez 
Viardot,  où  la  jeune  femme  a  chanté  plusieurs  morceaux  de 
Gluck,  avoue  qu'il  doit  à  cette  merveilleuse  audition  sa  passion 
.  pour  le  compositeur  allemand  auquel  il  reprochait  d'ordinaire 
«  des  allures  de  plain-chant  » . 

Notons  une  impression  et  une  confession  analogues  chez  Flau- 
bert (1).  Dans  sa  correspondance  de  '1860,  l'éminent  romancier, 
par  parenthèse  un  pauvre  tempérament  de  musicien,  dit  que, 
pendant  son  voyage  à  Paris,  il  n'est  allé  que  deux  fois  au 
théâtre,  et  encore  pour  entendre  M""  Viardot  dans  Orphée,  «  une 
des  plus  grandes  choses  que  je  connaisse  ». 

De  même,  en  4872,  lorsqu'il  écrit  à  George  Sand  :  «  M'"'  Viar- 
dot a  chanté  VIphigénie  enAulide.  Je  ne  saurais  vous  dire  combien 
c'était  beau...  Quelle  artiste  que  cette  femme-là!  De  pareilles 
émotions  consolent  de  l'existence  !  » 

Un  autre  succès  non  moins  retentissant  de  Pauline  Garcia  fut  la 
création  du  rôle  de  Fidès  dans  le  Prophète  {i8i9).  Et  ce  triomphe 
marqua  en  quelque  sorte  l'entrée  de  Gounod  dans  la  carrière 
dramatique.  Le  jeune  compositeur  avait  été  mis  en  rapport  par 
le  violoniste  Seghers,  directeur  de  la  ;S0ciété  Sainte-Cécile,  avec 
M"'  Viardot,  encoire  toute  fiévreuse  de  ses  belles  soirées  de 
l'Opéra.  Elle  reconnut  son  accompagnateur  de  la  villa  Médicis. 

—  Pourquoi,  lui  dit-elle  impétueusement,  .n'écrivez-vous  pas 
pour  le  théâtre  ? 

Et  Gounod,  qui  n'avait  pas  de  plus  ardent  désir,  va,  sous  les 
auspices  de  M""'  Viardot,  demander  un  poème  à  Emile  Augier. 
Puis  parolier  et  compositeur  se  rendent,  toujours  avec  la  même 
recommandation,  chez  Nestor  Roqueplan,  alors  directeur  de 
l'Académie  impériale  de  Musique.  Ils  lui  proposent  un  opéra. 

—  Volontiers,  leur  répond  cet  original,  mais  j'entends  qu'il 
soit  sérieux,  court  (Roqueplan  trouvait  toujours  les  pièces  trop 
longues),  et  je  ne  veux  qu'un  principal  rôle,  encore  .sera-,t-il 
écrit  pour  une  femme. 

Les  deux  collaborateurs  souscrivirent  à  ces  singulières  condi- 
tions. Telle  fut  l'origine  de  Sapho.  W"'  Viardot  déchiffra  et 
accompagna  toute  la  partition  sur  le  piano. 

«  Ce  ne  fut  pas  un  succès  »,  dit  modestement  Gounod,  Sapho 
ne  fut  jouée  que  six  fois.  Le  public  bissa  le  finale  du  premier 
acte,  sur  lequel  les  auteurs  ne  comptaient  pas,  l'ariette  du  pâtre  : 
«  Broutez  mes  chèvres  »,  chantée  par  Aymès,  et  les  fameuses 
Stances  restées  immortelles  comme  la  lyre  qu'elles  célèbrent. 

M.  Saint-Saëns  rend  hommage,  dans  les  Portraits  et  Souve- 
nirs (2),  au  sentiment  musical  si  vrai  et  si  intense  chez  M""'  Viar- 
dot. Il  a  entendu  et  admiré  l'artiste,  non  seulement  comme 
cantatrice  hors  pair,  mais  encore  comme  pianiste  de  premier 
ordre,  alors  qu'elle  interprétait  Beethoven,  Mozart,  Reber,  un  de 
ses  auteurs  préférés. 

Nous  avons  relevé  dans  les  Mémoires  d'aujourd'hui  (3)  de  M.  de 
Bonnières  ce  portrait  à  la  plume  de  M""-  Viardot  qui  fut  longtemps 
de  la  plus  scrupuleuse  exactitude. 

t  Figure  mobile,  sourcils  bruns  qui  s'élèvent  tout  d'un  coup 
jusqu'au  milieu  du  front,  bouche  puissante,  yeux  myopes  qui 
voient  au  delà,  masque  dramatique,  etc..  » 

(1)  Flaubert.  —  Correspondance  (1887-1899,  Charpentier  etFasqucUe.) 

(2)  Salnt-Saëns.  —  Portraits  et  Souvenirs  (1*900,  librairie  d'édition  artistique). 

(3)  De  Bonnièives. —  Mémoires. d'aujourcChui.  —  Années  1896  et  sui.vantes,!  OHendorff. 


N'est-ce  pas  ainsi  qu'on  l'a  toujours  vue,  cette  muse  de  l'art 
classique,  surtout  dans  les  concerts  où  elle  chantait  invariable- 
ment, et  avec  quelle  autorité,  l'air  A'Alceste  :  «  Divinités  du 
Styx...  »  Car,  il  faut  bien  en  convenir.  M'""  Viardot  n'eut  pas  au 
théâtre  la  place  qui  lui  était  légitimement  due.  Elle  n'y  parais- 
sait que  par  intermittences.  La  plupart  du  temps  ses  envolées 
de  lyrisme  n'avaient  d'autre  horizon  que  le  ciel  étroit  et  bas 
des  salles  de  concert.  Il  est  toutefois  un  côté  de  ce  remarquable 
talent  qui  n'a  pas  été,  que  je  sache,  sufBsamment  étudié. 
M"""  Viardot  ne  se  contentait  pas  d'avoir  la  force,  elle  savait,  à 
l'occasion,  avoir  la  grâce.  Nous  nous  rappelons  l'avoir  entendue, 
dans  un  concert  du  regretté  Louis  Lacombe,  détailler  avec  une 
sensibilité  exquise  une  vieille  chanson  de  France,  simple  et 
naïve  comme  la  plupart  des  échos  lointains  de  l'antique  terre 
gauloise. 

Pauline  Garcia  eut  toute  sa  vie  de  ces  contrastes  qui  retien- 
nent la  pensée  de  l'observateur.  Malgré  qu'elle  dût  à  d'inalté- 
rables amitiés  des  audaces  d'opinions  qui  justifieraient  presque 
ce  paradoxe  de  M.  de  Bonnières  :  «  elle  eût  peut-être  été  moins 
tragique,  si  elle  avait  été  un  politicien  plus  raisonnable  »,  elle 
ne  se  faisait  pas  faute,  à  l'occasion,  sinon  de  brûler,  du  moins 
de  railler  les  dieux  qu'elle  adorait.  La  lettre  suivante  n'est  pas 
précisément  aimable  pour  cette  vieille  Pologne  qu'elle  honorait 
dans  son  ami  des  bons  et  des  mauvais  jours,  le  romancier 
TourguenefF  : 

Mon  cher  M.  Troupenas, 
Étant  arriyée  cette  nuit  .de  la  campagne,  et  mon  mari  étant  très  occupé, 
c'est  moi  qui  veux  répondre  à  voti'e  lettre  et  à  vos  inquiétudes  au  sujet  de 
l'Exilé  polonais.  Tout  ce  que  vous  en  dites  est  parfaitement  juste,  et  je  l'avais 
pensé  avant  vous,  puisque  je  ne  voulais  pas  que  le  morceau  fût  dans  l'Album. 
Je  vous  demande  donc  d'en  exiler  l'Exilé  polonais,  dont  vous  ferez  une 
romance  séparée  ou  des  allumettes  chimiques.  Quand  vous  viendrez  me  voir, 
je  vous  proposerai  des  remplaçants. 

Mes  souvenirs, 

Pauline  Viardot. 
Rue  FavaTt,  1% 

(A  suivre.  )  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE   THEATRALE 


Comédie-Frakçaise.  L'Énigme,  pièce  en  2  actes,  de  M.  Paul  Hervieu.  — 
Bouffes -Parisiens.  Le  Nez  qui  remue,  comédie-houlïe  en  3  actes,  de 
MM.  Maurice  Soulié  et  H.  de  Gorsse.  —  La  Cigale.  A  nous  la  veine, 
revue-féerie  en  2  actes  et  8  tableaux,  de  MM.  Fabrice  Lémon  et  Harry 
Blount. 

En  un  rendez-vous  de  chasse  féodal  vivent  étroitement  unis,  d'une 
vie  calme  et  saine  de  gentilshommes  chasseurs,  Raymond  de  Gourgi- 
ranet  sa  femme'&isëlle, 'Gérard  de  Gourgiran  et  sa  femme  Léonore.  Les 
deux  ménages  semblent  profondément  heureux;  les  deux  frères  s'aiment 
autant  cpi'ils  aiment  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  et  leur  amour  est 
d'aussi  robuste  constitution  que  leur  moral  et  leur  physique.  Et  cepen- 
dant, l'une  des  deux  châtelaines  trompe  celui  dont  elle  porte  le  nom. 
Le  coupable,  Vivarce,  découvert,  au  petit  jour,  dans  le  corridor  qui  des- 
sert les  appartements  des  jeunes  mères,  sans  qu'on  ait  pu  savoir  de 
quelle  chambre  il  s'enfuyait,  l'énigme  terrible  prend  à  la  gorge  les  deux 
maris.  Quelle  est  la  coupable?  Giselle?  Léonore?  Bieu  entendu 
Vivarce,  violemment  sommé  d'avouer,  ne  dit  rien.  Bien  entendu 
encore,  les  deux  femmes  se  défendent,  l'une  comme  l'autre,  mais  sans 
pouvoir  donner,  de  leur  innocence,  de  preuves  précises.  Et  les  deux 
hommes  se  débattent  désespérément  en  cette  indécision  martyrisante, 
essayant  de  saisir  au  vol  des  indices,  épiant  les  mots,  étudiant  les  phy- 
sionomies, affolés  à  la  pensée  de  découvrir  la  vérité  qu'ils  veulent  et 
redoutent  également  l'un  et  l'autre. 

Et  au  milieu  de  ce  drame  d'émotion  poignante,  d'intérêt  constant, 
d'effet  subit  et  inéluctable,  et  d'adresse  scénique  tout  à  fait  remarquable 
dans  sa  concision  voulue  et  son  intensité  d'expression,  se  dresse,  très 
belle,  une  figure  de  noble  bonté  et  de  douce  philosophie,  celle  du  vieuï 
marquis  de  Nesle,  qu'une  existence  légère  et  mouvementée  a  rendu 
compatissant.  Le  hasard  lui  a  fait  découvrir  que  Vivarce  avait  comme 
.maitresse  l'une  des  deux  femmes  sans  qu'il  ait  pu  deviner  laquelle. 
-Comme  fil  connaît  les  théories  sans  merci  de  ses  cousins  Gourgirau,  il 
s'emploie  généreusement  pour  prévenir  la  catastrophe  qu'il  pressent 


LE  MÉNESTREL 


3S5 


et,  alors  que  l'heure  de  la  vengeance  terrible  est  venue,  il  plaide  la 
sublime  pitié  avec  toute  l'ardeur  de  sa  vieille  àme  bienveillante. 

L'Énigme  de  M.  Paul  Hervieu,  qui  a  eu  un  très  gros  succès  de  pre- 
mière représentation  entièrement  justifié,  est  jouée  en  perfection  par 
M""  Bartet,  qui  a  trouvé  des  accents  déchirants  dans  la  scène  où  elle 
apprend  la  mort  de  son  amant,  par  M.  Le  Bargy,  s'attaquant,  en  marquis 
de  Nesle,  aux  rôles  marqués  et  y  apportant  ses  grandes  qualités  de 
composition  et  de  diction,  par  M"°  Brandès,  par  MM.  Silvain  et  Paul 
Monnet  et,  aussi,  par  M.  Henri  Mayer,  qui  a  su  maintenir  aussi  effacé 
que  possible  le  personnage  tout  ingrat,  mais  indispensable,  de  Vi- 
varce. 

Ce  Ne^  qui  remue  n'est  point,  ainsi  que  vous  pourriez  vous  l'imaginer, 
jolie  madame,  le  vôtre  lorsque  vous  essayez  de  faire  avaler  quelque 
fine  couleuvre  à,  votre  seigneur  et  maître,  mais  bien  celui  de  votre 
époux  lui-même  quand  il  lui  passe  par  la  tcte  des  idées  folichonnes. 
Vous  le  connaissez  bien,  n'est-ce  pas  "?  ce  mouvement  précipité  des 
narines  palpitantes.  Or,  Roméo  a,  d'une  façon  exagérée,  ce  défaut  phy- 
sique et  nerveux,  ce  qui  rend  très  soupçonneuse  sa  femme  llortense,  si 
soupçonneuse  même  qu'elle  en  devient  insupportable  et  que  le  mari,  à 
bout  de  patience,  déserte  le  toit  conjugal  pour  aller  couler  des  jours 
moins  acariàtes  auprès  de  M'"  Miche,  étoile  de  café-concert. 

Vous  devinez  qu'on  ne  l'y  laissera  guère  tranquille.  Un  ami  intime, 
terre-neuve  encombrant,  des  cousins  crampons  et  ridicules,  puis  sa 
femme  elle-même  le  relanceront,  le  poursuivront,  le  manqueront,  le 
rattraperont  au  milieu  d'imbroghos  dont  quelques-uns  ne  manquent 
pas  de  gaité,  mais  dont  l'ensemble  demeure  bien  quelconque. 

Est-ce  cette  fois,  que  M.  Lenéka,  directeur  des  Bouffes,  aura  mis  dans 
le  mille  ?  On  n'oserait  l'aiïirmer,  et  cependant  celui-là  n'aurait  pas 
YOlé  un  succès  pour  la  somme  de  travail  qu'il  a  dépensé  déjà  depuis  le 
commencement  de  la  saison  théâtrale. 

Le  Nez  qui  remue  est  très  agtèablemeiit  joué,  avec,  très  souvent  de 
l'entrain  et  de  la  fantaisie,  par  une  troupe  bien  en  scène  en  tête  de 
laquelle  on  remarque  la  charmante  M"°  Diéterle,  M.  Gobin,  M"'*  Samé 
et  Jeanney,  MM.  Garbagni,  Matrat,  Bouchard,  Monteux,  Belluci  et 
Rablet. 

Où  diable  s'arrêtera  le  luxe  que  déploient  maintenant  nos  grands 
music-hall?  Une  fois  de  plus,  la  Cigale,  coutumière  du  fait,  vient  de 
faire  défiler  sous  nos  yeux  des  costumes  et  des  costumes  tous  plus 
éblouissants  les  uns  que  les  autres,  et,  tout  au  moins,  un  tableau,  la 
scène  de  séduction  de  Thaïs,  dû  aux  pinceaux  de  M.  Ménessier,  qui  est 
absolument  réussi.  C'est  la  revue  de  l'année,  A  nous  la  veine/  signée, 
cette  fois,  des  noms  de  MM.  Fabrice  Lémon  et  Harry  Blount,  quia 
bénéficié  des  largesses  des  directeurs  de  l'établissement  montmartrois. 
Je  ne  vous  dirai  pas,  et  pour  cause,  le  défilé  des  actualités,  ce  sont 
choses  qu'il  faut  voir;  mais  je  m'en  voudrais  de  ne  point  signaler  les 
amusantes  scènes  qui  se  passent  à  la  «  caserne  Servatoire  »  et  de  ne  point 
nommer  parmi  les  innombrables  interprètes,  d'abord  Jeanne  Bloch, 
l'imposante  étoile,  la  fantaisie  étonnante  de  la  maison,  puis  M""  Gillet, 
t  ransfuge  de  l'Opéra,  qui  est  la  grâce  même,  M.  Gabin  et  M"°Marquet, 
c  ompére  et  commère  d'entrain,  M"*  Allems,  gentiment  chantante,  et 
MM.  Girault,  Féréol  et  Danvers. 

Paul-Emile  Chevalier. 


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PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXX 


ÉVOCATIONS  ET  SOUVENIRS 

A  Monsieur  Georges  Marty, 

—  Je  crois  bien  que  la  preuve  est  faite.  Et  comme  notre  pauvre  grand 
Méhul  avait  triste  mine  entre  deux  tempêtes,  entre  les  préludes  de 
VOuragan  et  l'orchestral  brio  du  Venusberg/  Plus  que  jamais,  sa  pâle 
symphonie  en  ré,  n"  2,  parut  un  devoir  d'élève.  Je  regrettais  les  viriles 
énergies  de  l'ouverture  de  Timoléon!  Mais  vous,  le  romantique  impéni- 
tent, vous  bénissiez  tout  bas  ce  modeste  voisinage  qui  rehaussait  bon 
gré  mal  gré  vos  chers  tumultes,  telle  la  Législative  estompée  entre  la 
Constituante  et  la  Convention  (2)... 

—  Je  ne  suis  pas  un  Conventionnel  aussi  sanguinaire.  Et  je  plaignais 
Méhul.  Bien  qu'en  désaccord  avec  votre  goût  sur  les  voies  et  moyens, 

(1)  Voir  le  Ménestrel  da  U  jiiillel,  des  18  et  25.  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre,  des 
13,  20  et  27  octobre,  du  3  novembre  19U1. 

(2)  Cf.  L'art  des  prorjrammes  et  Le  renouvellement  des  concerts,  dans  les  précédents 
numéros. 


je  reste  persuadé  plus  que  vous-même  qu'il  faut  non  seulement  renou- 
veler, mais  composer  nos  programmes. 

—  A  la  bonne  heure  !  Il  n'est  rien  de  tel  que  de  s'entendre.  Le  beau 
fracas  du  Venusberg  avait  un  peu  brouillé  votre  réponse...  La  clarté 
renaît  avec  Mozart.  Mais  convenez  que  son  Jupiter,  que  sa  merveilleuse 
symphonie  en  ut  ne  semblerait  plus  «  un  peu  vieillie  »  si  l'art  des 
programmes  la  remettait  dans  son  jour  :  c'est-à-dire  comme  la  couronne 
de  son  œuvre  symphonique  et  la  cime  de  la  fameuse  trilogie  de  1788. 
Nous  sommes  à  Vienne;  l'auteur  improvise  eu  deux  mois  sa  trinité 
gracieuse  et  parfois  gi-andiose  :  et  pourquoi,  le  25  juin,  fait-il  précéder 
la  virgilienne  symphonie  en  mi  bémol  d'une  large  introduction  qui 
semble  annoncer  Beethoven  et  le  poco  sostenulo  de  la  divine  symphonie 
en  la?  Parce  que  l'aînée  est  la  première  du  groupe,  le  péristyle  du 
temple.  Le  25  juillet,  naissance  de  la  galante  symphonie  en  sol  mineur. 
Enfin,  le  10  août,  Jupiter!  Relisez  votre  Otto  Jahn...  Or,  dans  cette 
quarante-huitième  et  dernière  symphonie,  le  jeune  maestro  de  Don  Gio- 
vanni donne  liln-e  cours  à  son  aisance  riante,  à  sa  vivante  poésie  qui 
frémit  sous  la  formule  et  qui  la  transforme,  à  mille  de  ces  beaux  traits, 
aujourd'hui  trop  méconnus,  mais  que  Richard  Wagner  a  su  retenir... 

—  En  wagnérien  que  je  suis,  je  vous  donne  raison.  Delacroix  ne  pour- 
rait plus  dire,  en  fumant  avec  ses  intimes,  que  «  Mozart,  ainsi  qu'Haydn, 
n'a  pas  mis  la  passion  dans  la  symphonie  »  (1)... 

—  C'est  Beethoven,  avec  ses  noirs  élans,  qui  a  favorisé  cette  légende. 
Et  combien  serait  instructive  aussi,  dans  une  même  séance,  la  série 
chronologique  des  quatre  ouvertures  beethovéniennes,  Léonore  ou  Fi- 
delio  !  De  180S  à  1814,  quelle  métamorphose  !  Le  sage  Mendelssohn, 
au  GewandhauSi  avait  risqué  cette  audace.  Et  croyez  que  mes  désirs 
d'unité  ne  réclament  point  radicalement  de  pareilles  séances;  je  ne 
voudrais  accaparer  ni  la  saison,  ni  la  matinée  ;  on  ne  peut  recommencer 
tous  les  ans  le  cycle  Berlioz  ou  le  festival  César  Franck  1  La  variété  dans 
l'unité  :  vous  savez  bien... 

—  Je  respire. 

—  Mais  saviez-vous  que,  dès  les  origines  de  la  Société  des  Concerts, 
l'art  inconscient  des  programmes  s'était  manifesté  par  des  séances 
homogènes  ? 

—  Je  savais  qu'Habeneck,  pour  apprivoiser  son  auditoire  et  lui 
ménager  Beethoven,  substituait,  dans  la  symphonie  en  ré,  l'allégretto 
de  la  Septième  au  délicieux  larghetto  en  la  majeur... 

—  Pardon!  Tons  les  mélomanes  et  musicographes  répètent  le  fait, 
d'après  Berlioz.  Mais  cela  se  passait  très  antérieurement,  aux  Concerts 
spirituels  de  l'Opéra,  vers  le  début  de  la  Semaine  sainte  et  de  la  Restau- 
ration. C'étaient  les  musiciens  qui  réclamaient  la  métathèse,  peut-être 
les  mêmes  qui  trouvaient  injouable  la  Symphonie  pastorale!  Et  le  public 
du  lieu  ne  se  plaignit  point  de  l'échange.  Vous  citiez  la  légende;  et 
voilà  le  vrai.  Mais  je  vous  parle,  moi,  des  premiers  après-midi  du  Con- 
servatoire, je  suis,  sous  Charles  X,  à  l'École  Royale  de  Musique  et  de 
Déclamation. 

—  Quelle  évocation  !  J'allais  m'écrier  :  quel  souvenir  !  Car,  en  cette 
petite  salle  exquisement  sonore,  et  même  transformée  par  la  lignée  des 
architectes  plus  récents  depuis  Delannois  et  1806,  le  rêve  me  prend  ;  je 
crois  touiovLFS- me  rappeler  distinctement  les  premières  séances;  il  me 
semble  avoir  connu,  vu  de  mes  propres  yeux,  les  premiers  soldats  haut 
cravatés  de  cette  petite  phalange  unique  sous  un  commandement  impé- 
rieux. Debout,  dans  les  coulisses  austères  de  ce  théâtre  en  miniature, 
quand  j'écoute  l'Héroïque,  la  sublime  Eroica  de  1803,  il  me  semble  être 
entouré  de  fantômes  ;  un  parfum  d'Institut  morose  et  de  mâle  génie 
ennoblit  ^atmosphère  ;  la  vétusté  du  milieu  se  fait  majesté  ;  là-bas, 
cette  ombre  adossée  au  portant  poudreux  de  ce  vermoulu  décor,  n'est-ce 
pas  le  quasi  centenaire  F.-J.  Gossec  ou  Cherubini,  quelque  paisible 
contemporain  du  dieu  Beethoven?  Beethoven!  Ce  nom  seul,  au  pro- 
longement mystérieux,  qui  faisait  frissonner  Schumann  !  Je  suis  en 
1828...  Depuis  un  an  seulement  le  génie  a  disparu  de  la  terre  :  et  le 
voilà  ressuscité  dans  la  voix  de  son  œuvre.  Beethoven  !  Quelle  évoca- 
tion, vous  dis-je!  Mon  hallucination  d'aujourd'hui  devine  la  révélation 
d'alors.  Moins  frappante  apparut,  au  Salon  de  1824,  la  romantique 
peinture  de  l'école  anglaise  qui  iMuléversa  pourtant  notre  Delacroix. 
Beethoven  avait  tracé  le  fulgurant  chemin  de  Damas.  Et  son  buste  régne 
toujours  dans  le  foyer  calme,  auprès  du  classique  portrait  d'Habeneck... 

—  C'est  l'Héroïque,  en  effet,  qui  magistralement  ouvrit  la  séance 
d'inauguiution,  le  dimanche  9' mars  1828,  à  deux  heures  précises  (on 
était  exact  en  ce  temps-là)  ;  c'est  elle,  la  troisième  Muse,  Clio  majes- 
tueuse et  tendre,  qui  se  dressa  sur  le  seuil.  Par  un  curieux  phénomène 
de  télépathie,  votre  divination  voyait  juste.  Et  les  gazettes  jaunies  du 
temps  nous  rapportent  que  l'op.  oS  de  Beethoven  saisit  l'auditoire  avec 
sa  poignante  Uurcia  fimebre. 


(1)  Journal  d'Eurjèni!  IMac. 


,  pages  32&-326  ,'7  . 


3ofi 


LE  MÉNESTREL 


—  Quelle  mélancolique  joie  de  ranimer  tous  ces  détails  muets  pour 
toujours! 

—  Maintenant  elle  vous  est  permise,  grâce  à  un  modeste  recueil  qui 
contient  de  meilleurs  prétextes  de  rêverie  que  tant  de  romans  plus 
ambitieux  !  (1).  Et  si  vous  relisez  la  suite  de  votre  premier  programme 
(puisque  vous  étiez  là  le  9  mars  1828),  notez  cette  étrange  mixture  qui 
admet  avec  l'Héroïque  un  duo  rossinien  de  Sémimmis,  puis  un  solo  de 
cor  à  pistons  !  N'est-ce  point  le  cas  de  rappeler,  avec  le  maître  Saint- 
Sacns,  qui  ne  dédaigne  jamais  de  cultiver  l'humour,  la  néfaste  exhibi- 
tion d'un  concerto  pour  trombone,  encore  aux  environs  de  1830,  avec 
les  grands  bras  désespérés  de  l'exécutant  et  le  rire  homérique  de  l'assis- 
tance pour  accompagnement  des  arpèges  cruels...  Notre  grand  sympho- 
niste ajoute  vite  que.  malgré  sa  vénération  pour  le  statu  quo,  la  Société 
des  Concerts  a  subi  la  loi  de  l'évolution,  qu'elle  s'est  modifiée  comme 
tout  organisme,  mais  dans  le  sens  de  la  perfection,  stj'Ie  et  programmes. 

—  Je  me  souviens  de  cet  article  concis  comme  son  liouet  d'Omphale, 
où  le  compositeur-écrivain  parle  de  cette  petite  affiche  jaune  et  grillagée, 
grande  comme  la  main,  où  tant  de  compositeurs  défunts  n'ont  jamais 
lu  leur  songe  exaucé...  La  Société  des  Concerts,  disait-il,  est  inexorable: 
elle  n'accueille  plus  que  l'excellent.  Ses  portes  évoquent  l'épigraphe 
dantesque,  si  noblement  chantée  par  son  ancien  directeur  (2)  :  «  Vom 
qui  voulez-  entrer,  laissez-  toute  espérance  !  »  Et  j'ai  retenu  la  réponse  d'un 
membre  du  terrible  comité:  «  Nous  avons  cherché  dans  Schumann, 
sans  y  rien  trouver...  »  Cette  sévérité,  qui  désormais  ne  saurait  ex- 
clure la  largeur,  était  absolument,  dans  les  premières  années,  lettre 
morle.  Je  m'en  aperroisl  Et  les  solistes  de  vos  premiers  programmes 
sont  assez  folâU-es...  Mais  ne  m'aviez-vous  point  promis  une  démons- 
tration ? 

—  Sans  les  digressions  inhérentes  à  l'innocent  plaisir  de  causer,  je 
vous  aurais  déjà  montré,  tout  simplement,  le  programme  de  la  seconde 
matinée  et  celui  de  la  quatrième  :  deux  séances  homogènes!  L'une 
consacrée  tout  entière  au  sourcilleux  Beethoven,  avec  l'Héroïque  rede- 
mandée et  rejouée  au  début  du  concert,  selon  le  conseil  manuscrit 
du  maître  de  Bonn;  l'autre,  à  cet  angélique  abbé  de  cour  de  l'art  mu- 
sxal,  qui  mourut  en  chantant  son  Requiem  avec  un  surcroit  d'élo- 
quence et  que  les  destins  ont  nommé  Wolfgang  Mozart...  Le  concert 
uniquement  beethovénien  comprenait,  après  l'Héroïque  :  un  Benedictm 
avec  chœurs  (sic),  celui,  sans  doute,  de  la  Messe  en  ré;  le  premier  mor- 
ceau du  concerto  pour  piano  en  ut  mineur,  joué  par  M""  Brod;  le  qua^ 
tuor  vocal  de  Fidelio;  le  concerto  pour  violon,  par  Baillot;  l'oratorio 
moins  audacieux  :  Le  Christ  au  mont  des  Oliviers,  avec  M°"  Damoreau, 
MM.  Levasseur  et  NoruTÎt,  La  séance  avant-cou rrière  de  la  Société  Mo- 
■iart  avait  inscrit  à  son  programme  :  la  symphonie  en  mi  bémol;  un 
concerto  pour  piano,  joué  par  Kalkbrenner;  chœur  et  marche  A'ido- 
mcneo;  finale  de  la  symphonie  en  ut  (la  fameuse  fugue);  fragments  du 
Requiem;  ouverture  de  la  Flûte  enchantée  :  encore  une  fugue,  et  combien 
chantante  ! 

—  C'était  copieux  et  choisi!  Mais  â  présent,  on  ne  détacherait  plus 
un  temps  d'une  symphonie  classique. 

—  Ensuite,  en  1830,  je  retrouve  une  séance  «  â  la  mémoire  de  Méhul  »  ; 
plus  tard,  en  1848,  un  premier  concert  «  â  la  mémoire  de  Mendelssohn- 
Bartholdy  ».  Voilà  ma  démonstration.  Rien  de  nouveau  sous  le 
soleil  des  lustres  !  Et  rappelez-vous  encore  que  la  farouche  Ut  mineur 
parut  dès  la  troisième  matinée  de  1828;  qu'en  dépit  des  légendes,  aussi 
tenaces  que  l'erreur,  un  événement  signala  le  cinquième  concert  de  la 
quatrième  saison  :  dès  le  27  mars  1831,  pour  la  première  fois  en  France, 
a  retenti  la  «  grande  Symphonie  avec  chœurs  »,  incomprise  il  est  vrai, 
malgré  le  choix  di  primo  cartello  de  son  quatuor  vocal  :  MM.  Dupont, 
Derivis,  M"''^  Dorus  et  Falcon.  Voilà  des  solistes!  Ils  compensent  bien 
des  virtuoses... 

—  Ces  noms  possèdent  une  vertu  magique.  A  leur  sonorité  se  réveille 
en  moi  le  divin  quatuor,  aussi  ardu  que  divin;  je  revois  Habeneck, 
petit  et  laid,  mais  inspiré,  lançant  des  éclairs  sous  ses  larges  besicles 
et  paraissant  avoir  six  pieds...  Tel  est  le  pouvoir  des  souvenirs  et  du 
dieu  Beethoven. 

—  A  vous  entendre,  il  me  semble  croire  vraiment  à  la  métempsycose, 
à  la  réminiscence  de  Platon  !  Et  quasi  cursores,  quelle  plus  imposante 
course  au  flambeau  que  ces  quelques  héritiers  se  transmettant  le  bâton 
d'Habeneck  :  Girard,  Tilmaut,  George  Hainl,  Deldevez,  Garcin,  Taffa- 
nel,  Marty?  L'àme  du  dieu  Beethoven  ne  s'éteindra  qu'avec  le  soleil. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


(1)  La  Société  des  Concerts  du  Conservatoire,  de  ISiS  à  1807,  et  les  grands  concerts 
sijniplioniriues  de  Paris,  par  A.  Daadelot  (Paris,  G.  Havard  flls,  1898).  —  Cf.  le  travail 
cité  d'Elwart  sur  les  programmes  de  la  Société;  Hector  Berlioz,  A  travers  Citants; 
Camille  Saint-Saëns,  Harmonie  et  Métodie. 

{i)  Ambroise  Thomas,  dans  le  prologue  de  Françoise  de  Piniini. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 


(Suite.) 


CHANSONS  DE  VIGNES 

Ne  parlez  pas  à  un  Forézien  d'un  vin  autre  que  le  sien.  Son  vin,  c'est 
le  vin  par  excellence;  ce  n'est  pas  le  Vinum  bonum,  c'est  le  Vinum  bonis- 
simum.  Aussi  faut-il  voir  de  quels  soins  il  entoure  sa  vigne.  Dès  la 
veille  du  dimanche  des  Rameaux,  «  le  buis  étant  en  fleurs  sur  la  mon- 
tagne w,  le  vigneron  part  de  bon  matin,  pic  et  pelle  sur  l'épaule,  pour 
miner  la  rase;  —  la  rase,  c'est  le  fossé  qui  sépare  les  uns  des  autres  les 
agger  comprenant  plusieurs  rangées  de  ceps;  il  s'agit  de  nettoyer  la 
rase,  et  d'en  relever  les  terres  :  c'est  le  premier  travail  de  la  vigne,  après 
l'hiver. 

Tous  les  gars  sont  d'humeur  gaie.  Ils  semblent  humer  en  cette  pre- 
mière besogne  le  doux  nectar  qu'ils  dégusteront  aux  vendanges,  et  c'est 
d'une  voix  qui  sonne  bruyante  dans  l'air  encore  glacé  des  premières 
heures  du  jour  qu'ils  entonnent,  en  se  mettant  à  l'ouvrage,  après  avoir 
déposé  leurs  vestes  de  bure  sur  la  chave,  sur  le  talus,  la  vieille  Chanson 
de  la  Vigne,  transmise  de  père  en  fils,  depuis  des  siècles,  et  conservée 
pieusement,  de  génération  en  génération  : 

Plantins  la  vigoe,  ma  mère,  ze  vous  priou,       • 
Plantins-la  donc, 
Et  ne  berrins  {nous  boirons)  de  bon. 

N'avins  une  vigneroune  qu'èrne  lou  bon  vaïn, 
N'avins  in  grand  varre,  le  lou  bail  tout  pleïn. 

Eh!  handri,  drîn,  drio! 

Ze  m'eïn  voues  demain, 
Eh!  oh!  lan  la! 

Demain  ze  m'eïn  vas. 

—  Ma  fille,  voux-tu  in  coutillon? 

—  Ma  mèie,  oua,  ma  mère,  non  : 
Z'êmou  mieux  planter  la  vigne, 
Et  beire  bon,  et  beire  bon! 

Plantins  la  vigne,  ma  mèrCj  ze  vous  priou, 
Plantins-la  donc, 
Et  ne  berrins  de  bon  ! 
Les-z-ouvris  sont  à  la  vigne, 
Les  musses  lus  piquont, 
La  raze  (l'ardeur)  lus  teint. 
Ah  !  handri,  drin,  drin  ! 
Ze  m'eïn  voues  demaïn, 

Eh!  uh!  lan  la! 
Demaïn  ze  m'eïn  vas. 

De  ràze  eïn  râze,  mon  Guieu,  la  zolie  ràze! 
Râziz,  rûzins,  râzins  queu  vaïn, 
Queu  joli  vaïn  de  râze! 

En  vaïn  ! 
Queu  joli  vaïn  de  râze  ! 
De  râze  ein  dézùne  (on  déchausse  le  cep),  mon  Guieu,  la  zolie  dézônc! 
Dézûniz,  dézônins,  dézônins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  dézône  ! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  dézône  ! 
De  dézône  eïn  taille,  mon  Guieu,  la  zolie  taille  I 
Tailliz,  taillins,  taillins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  taille! 

En  vaïn. 
Queu  zoli  vaïn  de  taille  ! 
De  taille  eïn  bierse,  mon  Guieu,  la  zolie  biei-se! 
Biersiz,  biersins,  biersins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  bierse  ! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  bierzel 
De  bierse  eïn  acoule  (lier  la  vigne),  mon  Guieu,  la  zolie  coule! 
Couliz,  coulins,  coulins  queu  vaïn! 
Queu  zoli  vaïn  de  coule! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  coule! 
D'acoule  eïn  bine,  mon  Guieu,  la  zolie  bine! 
Biniz,  binins,  binins  queu  vaïn! 
Queu  zoli  vaïn  de  bine  1 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vain  de  bine! 
De  bine  eïn  veindinze,  mon  Guieu,  la  zolie  veindinze 
Veindinziz,  veindinzins,  veindinzins  queu  vaïn! 
Queu  zoli  vaïn  de  veindinze! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  veindinze! 


LE  MÉNESTREL 


357 


De  veîndtnze  eïn  mène,  mon  Guieu,  la  zolie  mène! 
Meniz,  menins,  raenins  queu  vaïn  ; 
Queu  zoli  vaïn  de  mène! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  mène! 

De  mène  en  ciie  (en  cuve),  mon  Guieu,  la  zolie  ciie  ! 
Cuviz,  cuvins,  cuvins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaÏQ  de  ciie  ! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  etie  ! 

De  ciie  eïn  presse,  mon  Guieu,  la  zolie  presse! 
Presslz,  pressins,  pressins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  presse  ! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  presse  ! 

De  presse  eïn  tonne,  mon  Guieu,  la  zolie  tonne! 
Touniz,  tounins,  tounins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  tonne! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  tonne  ! 

De  tonne  eïn  veinte,  mon  Guieu,  la  zolie  veinte! 
Veindiz,  veindins,  veindins  queu  vaïn; 
Queu  zoli  vaïn  de  veinte! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  veinte! 

De  veinte  eïn  bourse,  mon  Guieu,  la  zolie  bourse! 
Boursiz,  boursins,  boursins  queu  vaïn  ; 
Queu  zoli  vaïn  de  bourse  ! 

En  vaïn, 
Queu  zoli  vaïn  de  bourse  ! 

Cette  chanson,  tirée  des  Légendes  fmv siennes,  est  le  type  de  plusieurs 
autres,  oit  le  travail  de  la  vigne  est  également  exalté.  Car  il  est  curieux 
que  le  Forézien  s'attache  plutôt  â  l'exaltation  laborieuse  qu'à  la  célébra- 
lion  bachique  du  jus  de  la  treille.  A  la  Saint- Vincent,  qui  donne  lieu  à 
une  fête  qu'on  ne  peut  comparer  qu'à  la  Reboule,  le  buveur,  en  levant 
son  verre,  ne  cesse  d'énumérer  les  peines  qu'il  a  prises  pour  le  remplir 
à  souhait.  De  paroisse  à  paroisse  la  chanson  varie  pour  les  détails,  pour 
le  pittoresque  des  refrains,  mais  le  fond  reste  le  môme.  A  Saint-Priest- 
la-Roche,  c'est  La  voilà  ta  jolie  plante,  plantez,  planions,  plantons  le  vin, 
—  La  voilà  la  jolie  pousse,  poussez,  poussons,  poussons  le  vin,  -  -  La  voilà  la 
jolie  feuille,  feuilles,  feuillons,  feuillons  le  vin.  —  Puis,  c'est  la  jolie  forme, 
la  jolie  grappe,  ta  jolie  vendange,  —  formes,  formons,  grappes,  grappons, 
vendanges,  vendangeons  le  vin.  —  Et  ensuite  la  foule,  la  ft're,  la  fûte  et  la 
aave,  où  l'on  pivce  en  bouteille,  et  la  salle,  ornée  de  pampres,  où  l'on 
trinque,  le  joli  verre  en  main. 

Tout  cela  coule,  roule,  se  heurte,  se  choque.  C'est  un  bris  de  syllabes 
qui  fait  image.  Mais  toujours,  aux  fêtes  de  vendanges,  l'honneur  revient 
à  la  Chanson  de  la  Vigne  :  Plantins  la  vigne,  ma  mère,  se  vous  priou.  Celle- 
là  est  de  fondation,  et  d'obligation.  C'est  un  vieux  vigneron  qui  la 
chante  habituellement,  et  il  l'accompagne  de  gestes  propres  à  chaque 
travail.  Celte  mimique  est  des  plus  amusantes.  Et  chacun  de  rire! 

Car  on  ne  se  prive  pas  de  rire,  en  ces  fêtes  de  vignes.  Tout  le  monde 
y  est  en  grand  gala.  Les  mions,  les  filles,  ont  tiré  de  la  vieille  armoire, 
pour  la  circonstance,  des  bonnets  qui  ressemblent  presque  à  ceux  de 
leurs  grand'méres,  et  les  flandrins.  les  beaux  du  village,  ont  arboré  le 
costume  chanté  dans  un  vieux  couplet  : 


La  vesta  roudza, 
Lo  dzilet  blanc, 
Acou  é  la  moda 
Dau  paysan. 


La  veste  rouge. 
Le  gilet  blanc. 
C'est  la  mode 
Du  paysan. 


Au  moment  des  chansons,  si  quelque  ancien,  respectueux  des  anciens 
usages,  veut  imposer  à  l'assemblée  quelque  air  des  temps  héroïques, 
comme  la  Ballade  de  Jacques  Cœur  rappelant  les  vertus  de  l'argentier  de 
Charles  VII,  ou  la  Complainte  de  Christine  de  Pisan  sur  le  combat  de 
sept  Français  contre  sept  Anglais,  le  jour  même  où,  suivant  Froissart, 
les  armées  d'Auvergne  et  de  Forez  n'étaient  séparées  des  troupes  an- 
glaises que  par  une  étroite  prairie,  —  la  jeunesse  aura  vite  ramené 
l'ambiante  humeur  au  diapason  normal  de  la  bruyante  gaieté.  Dans  le 
cliquetis  des  refrains  s'épanouira  Je  rire  jovial  des  convives,  et  quand 
viendra  la  danse,  le  ménétrier  n'aura  pas  longtemps  à  couïner  son  fion- 
fion,  à  faire  grincher  son  instrument,  pour  réunir  son  monde. 

Les  sabots  se  lèveront  d'eux-mêmes,  et  les  joues  se  tendront  toutes 
seules,  pour  les  embrassades  qui  sont  l'âme  de  la  Bourrée. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


REVUE   DES   GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  Dès  1794  Beethoven  avait  noté,  pour  une  sym- 
phonie en  ut  majeur  qui  ne  fut  jamais  achevée,  des  esquisses  dont  la  plupart 
n'offrent  pas  même  l'intérêt  d'une  curiosité  artistique.  Une  seule  fait  excep- 
tion: c'est  un  thème  pi'ésenté  sous  deux  formes,  la  première  assez  insigni- 
fiante, la  seconde  renfermant  un  contour  expressif  formant  une  double  répé- 
tition. C'est  ce  motif  précisément,  qui,  destiné  à  un  ouvrage  abandonné,  sert 
maintenant  de  début  au  finale  de  la  Première  symphonie.  Il  a  élé  débarrassé 
de  son  accent  passionné;  chaque  valeur  de  note  a  été  raccourcie  de  moitié; 
de  quaternaire  qu'elle  était  la  mesure  est  devenue  binaire,  et  Beethoven, 
après  l'avoir  commencé  avec  une  gravité  relative,  semble  secouer  cavalière- 
ment toute  pensée  sérieuse  et  sourire  à  Haydn  en  essayant  d'être  aussi  fin, 
aussi  pimpant,  aussi  spirituel  que  lui.  Il  y  réussit  d'ailleurs,  sauf  quelques 
basses  qui  l'ont  l'effet  d'une  marche  en  sabots  au  milieu  d'une  danse  de  syl- 
phides. En  somme,  après  un  siècle  révolu,  l'auditoire  est  encore  charme  de 
cette  première  symphonie  qui,  dès  l'abord,  s'affirme  audacieuse.  Elle  s'ouvre 
en  effet  par  un  accord  de  septième,  et  dans  la  tonalité  de  fa,  tandis  que  nous 
sommes  en  ul.  Plus  tard  le  maître  osera  davantage,  par  exemple  en  plaçant 
l'un  sur  l'autre,  dans  le  finale  de  la  Pastorale,  les  accords  d'ut  et  de  fa;  mais 
le  public  wagnérien  du  Nouveau-Théàlre  s'est  contenté  à  moins  de  frais  pour 
cette  fois;  une  dame  disait  :  «  On  prétend  que  ce  n'est  pas  du  Beethoven; 
alors,  moi,  j'aime  quand  ce  n'est  pas  du  Beethoven.  »  —  Le  concerto  de 
violon  a  été  l'occasion  d'un  triomphe  pour  M.  Ilayot.  Cet  artiste  de  tempé- 
rament, que  l'on  a  connu  parfois  plus  fougueux,  a  voulu  jouer  Beethoven 
avec  le  grand  style  qui  lui  convient.  Même  à  l'entrée  du  finale,  où  l'écriture 
est  si  caractéristique,  il  est  resté  simple  et  calme  tout  en  exécutant  avec  une 
sonorité  chaude  et  colorée.  Son  jeu,  d'une  autorité  incontestable,  a  produit 
la  plus  vive  sensation.  —  La  Symphonie  pathétique  de  Tschaïkowsky  renferme 
quelques  jolies  idées,  mais,  le  plus  souvent,  elle  ressasse  des  formules  habi- 
lement développées  et  savamment  enchaînées.  MM.  Richter  et  Nikisch  l'ont 
déjà  fait  entendre  en  France,  le  second  avec  certaines  fantaisies  de  rythme 
qui  ne  venaient  pas  mal  à  propos  pour  en  rompre  la  monotonie  ;  M.  Chevillard 
ne  les  a  pas  imitées.  —  Le  Rouet  d'Omphale  reste  parmi  les  œuvres  les  plus 
étincelantes  de  Saint-Saëns;  bien  rarement  une  aussi  heureuse  combinaison 
des  ressources  musicales  a  été  tentée  avec  un  aussi  rare  bonheur:  ici  la 
mélodie,  l'harmonie,  le  coloris  instrumental,  le  rythme,  tout  intéresse,  voire 
même  la  fable  de  cet  Hercule  lydien,  distinct  de  l'Héraklès  grec  Filant  aux 
pieds  dlOmphale.  —  Pour  finir,  belle  exécution  de  la  Marche  hongroise  de 
Berlioz.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Rcdemption  (César  Franck).  —  Symphonie  en  re,  n"  2  (He- 
rold).  —  Concerto  en  fa  mineur  pour  piano  (Schumann),  par  IVI.  Joseph  Thibaud.  —  Sym- 
phonie en  ut  mineur,  n"  5  (Beethoven).  —  Impressions  d'Italie  (Charpentier).  —  ftapsodie 
norvégienne  (Lalo). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  ;  Deuxième  symphonie,  en  ré  majeur  (Beethoven). 
—  Ouverture  de  Manfred  (Schumann).  —  Premier  concerto  pour  piano  (Saint-Saëns),  par 
jimo  Bertlie  Marx.  —  Symphonie  pathétique  (Tschaïkowsky).  —  Finale  du  divertissement 
des  Erinnijes  (Massenel). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (7  novembre).  —  L'indisposition  per- 
sistante de  M.  Sylvain,  la  basse  de  grand  opéra,  compromettait  depuis  le 
début  de  la  saison  la  marche  de  toute  une  partie  du  répertoire.  Finalement, 
la  direction  est  parvenue  à  persuader  M.  Sylvain  d'aller  se  soigner,  et  elle  a 
eu  recours  à  l'inépuisable  obligeance  de  M.  Gailhard,  qui  a  ouvert  aussitôt 
au  théâtre  de  la  Monnaie  un  crédit  de  basses-profondes  illimité.  C'est  ainsi 
que  nous  avons  entendu  tour  à  tour,  mardi  M.  CUiambon,  et  aujourd'hui 
M.  Paty  dans  le  rôle  de  Marcel  des  Huguenots  et  que,  grâce  à  cela,  l'œuvre  de 
Meyerbeer,  prête  depuis  si  longtemps,  a  pu  nous  être  rendue.  Les  Huguenots 
ne  sont  pas,  je  l'avoue,  une  nouveauté  :  mais  il  y  avait  quelque  intérêt  à 
entendre  M.  Imbart  de  la  Tour  et  à  réentendre  M'i^Llivinne  dans  cet  ouvrage 
qu'ils  animent  d'une  chaleur  vraiment  romantique  et  qu'ils  chantent  admi- 
rablement. —  Hier,  fête  nouvelle  :  la  rentrée  de  M"'=  Landouzy,  qui  vient 
prendre  la  place  de  M"°  Thiéry.  On  rossignol  parti,  un  autre  arrive;  la  cage 
ne  reste  jamais  vide.  Le  public  fidèle  des  débuts  de  M'"-  Landouzy  a  montré 
combien  il  avait  de  plaisir  sans  cesse  à  la  revoir;  et  il  l'a  acclamée  dans 
Mireille,  où  elle  est  si  charmante,  avec  enthousiasme,  pour  sa  jolie  voix,  sou 
art  de  bien  dire,  sa  méthode  impeccable,  et  le  goût  exquis  que  son  talent 
met  en  toutes  choses.  La  présence  de  l'aimable  cantatrice  va  permettre  à  la 
direction  de  réaliser  un  de  ses  plus  curieux  projets,  l'exhumation,  dans  toute 
sa  grâce  originale,  de  l'Enlèvement  au  Sérail,  ce  petit  chef-d'œuvre,  presque 
inconnu  tant  il  est  oublié,  et  tant  surtout  il  a  été  transfiguré,  du  divin 
Mozart.  Et  coup  sur  coup,  nous  allons  avoir  bientôt  aussi  les  reprises,  retar- 
dées par  mille  obstacles  et  mille  soins,  du  Tannliaûser,  de  Werther  et  à'Iphigé- 
nie  en  Tauride.  Tout  cela  nous  promet  enfin  un  peu  de  musique. 

Le  premier  concert  Ysaye,  qui  a  inauguré  dimanche  la  saison  des  grands 
concerts,  a  été  fort  intéressant  —  et  fort  mouvementé...  Programme  varié  de 


358 


LE  MENESTREL 


symphonie  et  de  virtuosité:  le  pianiste  Busoui,  très  applaudi  dans  le  concerto 
en  mi  bémol  de  Beethoven  et  le  concerto,  en  mi  bémol  aussi,  de  Liszt  ;  la 
merveilleuse  fantaisie  orchestrale  de  M.  Pa,ul  Dukas,  l' Apprenti  sorcivr.  et 
une  symphonie-poème  inédite,  tout  à  fait  remarquable  comme  forme  et  comnie 
sentiment  poétique,  d'un  récent  prix  de  Rome.  M.  François  Basse.  Il  y  avait 
aussi,  inscrites  à  la  fin  du  programme,  les  Danses  norvégiennes  de  Grieg  ; 
mais  au  moment  où  leur  tour  était  venu,  voici  que  M.  Ysaye  se  tourne  vers 
le  public  et,  dans  un  speech  imagé  et  touchant,  annonce  (nouvelle  destinée 
à  remplir  de  joie  le  cœur  des  mères)  que  la  princesse  Albert  de  Belgique,  la 
femme  de  l'héritier  présomptif  du  trône,  vient,  à  trois  heures  sonnant,  de 
mettre  au  monde  un  prince...  Certes,  le  public  ignorait  encore  cette  nou- 
velle, et  elle  ne  pouvait  que  lui  faire  grand  plaisir;  la  nouveauté,  la  sponta- 
néité de  cette  communication  d'un  ordre  si  peu  musical,  ne  laissa  point 
cependant  que  de  produire  dans  la  salle  un  grand  effarement  ;  on  applaudit, 
et  peut-être  allait-on  même  un  peu  s'embrasser  lorsque  M.  Ysaye,  reprenant 
la  parole,  ajouta  que,  pour  célébrer  l'heureux  événement,  il  allait  remplacer 
\es,  Danses  norvégiennes  par...  la  Brabançonne  !  Personne  ne  se  fût  plaint,  cer- 
tainement, d'entendre  l'hymne  national  à  la  fin  du  concert,  mais  l'impatience 
de  M.  Ysaye  à  le  jouer  tout  de  suite  en  sacrifiant  Grieg  au  profit  de  Van 
Campenhout.  faillit  tout  gâter  :  cris,  protestations,  acclamations,  indigna- 
tions, sifflets  ;  puis,  finalement,  sortie  bruyante  des  protestataires,  tandis 
que  l'orchestre,  M.  Ysaye  en  tète,  plein  d'une  noble  ardeur,  faisait  retentir 
la  salle  des  accents  patriotiques  du  vieil  air  révolutionnaire  devenu  monar- 
chique, comme  beaucoup  d'autres.  C'est  par  ce  tableau  pittoresque  que  le 
concert  s'est  terminé.  Il  va  sans  dire  que  l'idée  ingénieuse  et  spirituelle  de 
M.  Ysaye  est,  depuis,  fort  discutée.  On  se  demande  ce  qui  serait  arrivé  si 
le  jeune  prince,  au  lieu  de  naître  à  trois  heures,  était  né  une  heure  et  demie 
plus  tôt...  M.  Ysaye,  sans  aucun  doute,  eût  supprimé  le  concert  tout  entier 
et  l'eût  remplacé  par  la  seule  Brabançonne  !  Comme  régal  artistique,  c'eût  été 
un  peu  mince.  L.  S. 

—  L'Annuaire  des  théâtres  allemands  publié  depuis:  quelques  années  par 
la  maison  Breitkopf  et  Haertel,  de  Leipzig,  vient  de  paraître,  et  nous  y 
trouvons  que  l'art  français  s'est  vaillamment  maintenu  sur  les  scènes  lyriques 
d'outre-Bhin  pendant  l'année  passée.  C'est  encore  Carmen  qui  marche  à  la 
tète  avec  277  représentations,  après  Lohengrin  (294)  et  le  Freyschiilz  (278).  La 
seconde  place  revient  à  Mignon  avec  214  soirées  et  Faust  se  trouve  relégué  au 
troisième  rang  avec  i'M  représentations.  Citons  encore  la  Fille  du  régiment  (122), 
les  Huguenots  (104),  la  Juive  (100),  le  Poslillon  de  Lanjumeau  (99)  et  Fra  Dia- 
voio  (84). 

—  Le  jury  institué  pour  juger  le  concours  relatif  au  monument  de  Richard 
Wagner  à  Berlin  vient  de  terminer  ses  opérations.  Les  dix  artistes  invités  à 
prendre  part  au  concours  limité  avaient  envoyé  quinze  projets.  Le  premier 
prix  a  été  décerné  à  M.  Gustave  Eberlein,  le  deuxième  à  M.,  Freese,  le  troi- 
sième à  M.  Hosaeus.  Les  projets  couronnés  seront;  soumis  à  Guillaume  II, 
qui  se  prononcera  en  dernier  lieu. 

—  Le  dilettantisme  des  peintres  en  matière  d'art  musical  est  bien  connu 
et  le  violon  d'Ingres  a  même  joui  d'une  grande  notoriété.  Mais  les  peintres 
compositeurs  sont  néanmoins  excessivement  rares.  C'était  pourtant  le  cas  du 
célèbre  peintre  Boecklin,  qui  vient  de  mourir.  Son  fils  a  en  effet  trouvé  parmi 
les  papiers  du  défunt  une  mélodie  sur  des  paroles  de  Gœthe,  que  Boecklin 
écrivit  en  1889.  Son  médecin  et  ami  se  rappelle  parfaitement  que  l'artiste  lui 
avait  chanté  cette  mélodie  en  s'accompagnaut  lui-même.  L'œuvre  posthume 
sera  publiée  prochainement;  parions  qu'elle  aura  moins  de  retentissement 
que  les  peintures  posthumes  du  même  Boecklin,  qui  vont  être  exposées  pro- 
chainement en  vue  d'une  vente. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  :  «  Nous  venons  d'assister,  à  l'Opéra  impérial, 
à  une  brillante  reprise  dm  Werther  de  Massenet,  avec  M""=  Foerster-Lauterer 
dans  le  rôle  de  Charlotte.  Cette  artiste,  qui  est  très  douée,  a  trouvé  des 
accents  absolument  personnels,  surtout  dans  le  troisième  acte,  et  a  obtenu  un 
grand  succès;  elle  est  la  digne  remplaçante  de  M""'  Renard,  qui  a  créé  chez. 
nous  le  rôle  de  Charlotte  et,  dont  le  départ  avait  interrompu  depuis  une  année 
les  représentations  de  Werther,  M.  Naval  a  joué  le  rôle  de  "Werther  avec 
l'excellent  elfet  habituel.  » 

—  Le  Théâtre  du  Pï-ince-Régent,  à  Munich,  vient  de  publier  le  programme 
des  représentations  -wagnériennes  qu'il  donnera  entre  le  7  août  et  le  11  sep- 
tembre 1902.  Il  y  aura  21  représentations  de  Lohengrin,  Tannhâuser,  Tristan 
et  Yseult  et  les  Maîtres  chanteurs;  les  autres  œuvres  du  maître  sont  monopoli- 
sées par  le  théâtre  de  Bayrouth.  M.  de  Possart  a  déjà  engagé  M^'^  Nordica, 
dé  Mildenburg  et  Ternina  et  MM.  Reichmann  et  Bertram,  qui  chanteront  à 
Munich  en  représentations. 

—  Le  théâtre  national  de  Prague  vient  de  représenter  un  opéra  sacré  en 
trois  actes  intitulé  Sainte-Ludmille,  paroles  de  M.  Jaroslav  Vrchlicky,  musique 
de  M.  Antoine  Dvorak.  Cet  opéra  n'est  qu'un  arrangement  pour  la  scène  de 
l'oratorio  du  même  titre  que  M.  Dvorak  a  écrit,  il  y  a  quelques  années,  sur 
des  paroles  anglaises  pour  le  festival  musical  de  Birmingham.  On  ne  peut 
pas  dire  que  l'œuvre  ait  gagné  en  vitalité  par  sa  transplantation  sur  la  scène; 
l'action  est  presque  nulle  et  les  beautés  musicales,  qui  ont  produit  un  assez 
grand  effet  lors  de  l'exécution  sous  forme  d'oratorio,  ne  peuvent  plus  être 
appréciées  à  leur  juste  valeur  dans  une  salle  de  spectacle.  M.  Dvoralc  avait 
ajouté  à  son  œuvre  quelques  scènes  nécessitées  par  le  drame:  mais  ce  sont 
surtout  les  cljœurs  qui  ont  sauvé  l'honneur  du  drapeau.  Inutile  de  dire  que 
les  Tchèques  ont.fété  selon  son  mérite  leur  célèbre  compatriote. 


—  l'n  nouvel  oratorio,  intitulé  ./m^i7/i,  de  M.  Klughardt,  vient  d'être  exécuté 
pour  la  première  fois  à  Dessau  avec  le  concours  de  l'orchestre  ducal.  La  nou- 
velle œuvre,  dont  l'exécution  était  dirigée  par  l'auteur,  a  obtenu  un  très  grand 
succès.  La  critique  assure  avec  une  rare  unanimité  que  cette  œuvre  surpasse 
la  Deslruclion  de  Jérnsalcni,  le  premier  oratorio  de  M.  Klughardt,  qui  a  été 
exécuté  dans  presque  toutes  les  villes  allemandes. 

—  Le  théâtre  national  d'Agram  (Croatie)  vient  de  jouer  pour  la  première 
fois,  avec  un  énorme  succès,  le  Weriher  de  Massenet.  M"«  Duce  (Charlotte)  et 
M.  Cammarota  (Werther)  ont  été  couverts  d'applaudissements. 

—  Grand  succès  à  l'Opéra  do  Breslau  pour  Mignon  avec  M""^  Arnoldson. 
La  charmante  artiste  a  dû  bisser  trois  morceaux  et  a  été  couverte  de  fleurs 
et  d'applaudissements. 

—  Le  Mondo  artistico  de  Milan  se  plaint  amèrement,  et  non  sans  raison,  de 
l'oubli  dans  lequel  on  laisse  tomber  en  Italie  le  centenaire  de  Bellini.  «  Les 
fêtes  belliniennes,  dit-il,  annoncées  avec  tant  de  pompe  par  l'administration 
communale  de  Catane,  sont  renvoyées  à  l'année  prochaine  pour  cette  simple 
raison  qu'il  y  a,  c'est-à-dire  qu'il  y  avait  la  peste  à  Naples.  Ce  sont  choses 
de  l'autre  monde  !  Devons-nous  donc  avoir  en  Italie  la  primauté  de  l'oubli 
et  de  l'ingratitude?  L'an  dernier  on  a  oublié  Cimarosa.  Cette  année,  c'est 
Bellini.  Mais...  il  y  a  la  peste  I  Non;  c'est  une  pire  maladie,  qui  tue  tout 
idéalisme  et  qui  nous  rend  chaque  jour  plus  apathiques,  plus  grossiers,  plus 
ennemis  de  toute  coutume  généreuse.  Donc,  à  Catane  on  se  taira.  Mais  à 
Rome,  à  Milan,  à  Turin,  à  Venise,  dans  les  grandes  villes  italiennes  il  n'y 
a  pas  de  peste,  que  nous  sachions.  Et  que  fera-t-on  là  pour  Bellini?  Devrons- 
nous  rougir  encore  une  fois?  » 

—  Le  même  journal  nous  donne  la  statistique  des  représentations  données 
à  la  Scala  de  Milan  des  opéras  de  BeUini.  Pour  huit  ouvrages  (un  seul, 
Zaira,  n'y  a  jamais  été  joué),  le  nombre  total  de  ces  représentations  s'élève 
à  649.  Le  plus  fortuné  a  été  Norma,  qui,  donné  pour  la  première  fois  pendant 
le  carnaval  de  1831-32,  a  reparu  pendant  vingt  saisons  et  a  été  joué  238  fois. 
Ses  principales  interprètes  ont  été  la  Malibran,  la  Pasta,  M'"»*  Schoherlechner, 
Sophie  Gruvelli,  Marie  Lafon,  Galletti-Gianoli,  Fricci  et  Ferni.  Jm  Sonnambula 
a  eu  9b  représentations  en  quinze  saisons.  Elle  fut  chantée  en  1878  par  la 
Patti  et  sa  dernière  interprète  fut,  en  1897,  M"'=  Regina  Pinkert.  Les  Puritains 
ont  été  joués  100  fois,  i  Capuleti  ed  i  Monlecclii  78,  la  Straniera  62,  il  Pirata  39, 
Béatrice  di  Tenda  'Ai  et  Bianca  e  Fernando  10.  Ce  dernier  ouvrage  n'a  paru  que 
dans  une  seule  saison,  en  1829. 

—  A  l'occasion  précisément  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  de 
Bellini,  on  a  constaté  que  le  maître  avait  gagné  beaucoup  d'argent  pour  l'é- 
poque, bien  que  les  droits  d'auteur  n'existassent  pas  encore  en  dehors  de  la 
France  et  que  les  compositeurs  cédassent  leurs  œuvres,  une  fois  pour  toutes, 
moyennant  une  indemnité.  Bellini  a  reçu  pour  : 

Bianca  e  Fernando 300  ducats. 

Il  Pirata 500      — 

Ln  Straniera 1.000      — 

Zaira 1-135      — 

[  Gapuleti  ed  i  Montecchi 1.800      — 

La  Sonnambula 2.000      — 

Norma 3.000      — 

Béatrice  di  Tenda , 3.050      — 

I  Puritani 2o0      — 

Cela  donne  un  total  de 13.035  ducats. 

Le  ducat  valait  12  francs.  Bellini  a  donc  encaissé,  pendant  les  neuf  années 
qu'a  duré  sa  courte  carrière  de  compositeur,  la  somme  de  156.420  francs, 
assurément  importante  pour  l'époque. 

—  A  l'occasion  du  centenaire  de  la  naissance  de  Bellini,  le  théâtre  Verdi 
de  Trieste  a  inauguré  un,  buste  de  ce  compositeur  en  présence  du  maire,  qui 
a  prononcé  un  discours.  Le  buste  de  Bellini  fait  face  à  celui  de  Rossini. 
Les  artistes  du  théâtre  assistaient  à  la  solennité,  mais  aucune  exécution 
musicale  n'a  eu  lieu  pour  la  circonstance. 

—  De  précieux  souvenirs,  dit  un  journal  italien,  arrivent  chaque  jour  au 
musée  Verdi  :  Outre  les  moulages  du  masque  et  de  la  main,  droite  de  l'illustra 
maître,  offerts  par  les  héritiers,  on  y  voit  un  buste,  don  de  M.  Giulio  Ri- 
cordi,  qui  le  représente  à  l'âge  juvénile.  Dans  les  vitrines  ont  pris  place 
diverses  lettres  autographes  et  quelques  passages  choisis  de  sa  correspon- 
pondance,  recueillie  par  M.  Carlo  Vanhianchi,  qui  attestent  son  amour  de 
la  patrie.  Plusieurs  morceaux  de  musique  de  signification  patriotique  com- 
plètent cette  série  considérable  de  reliques  verdiennes. 

—  Avis  aux  claqueurs  exigeants.  Trois  de  ces  honorables,  les  nommés 
Borresi,  Touley  et  Toci,  viennent  d'être  arrêtés  à  Florence,  par  ordre  du 
délégat.  Ces  aimables  industriels,  racontent  les  journaux  italiens,  molestaient 
depuis  quelques  jours  le  représentant  d'une  toute  charmante  cantatrice  espa- 
gnole, Mi=  Huguet,  qui  chantait  le  Barbier  et  l'a  Sonnambula  au  théâtre 
Pagliano,  réclamant  avec  effronterie  non  seulement  une  somme  d'argent, 
mais  un  certain  nombre  de  billets  d'entrée,  sous  la  menace  de  siCQer  vigou- 
reusement l'artiste  si  on  ne  leur  donnait  pas  satisfaction.  Une  menace  égale 
avait  été  adressée  par  eux  au  ténor  Pandolfini.  Les  voici  maintenant  sur  la 
paille  humide  des  cachots,  où  il  leur  est  loisible  de  siffler  ou  d'applaudir  — 
au  choix. 


LE  MENESTREL 


359 


—  L'Association  des  Musiciens  suisses  vient  de  décider  que  la  prochaine 
fête  musicale  aura  lieu  à  Aarau  en  1902;  elle  sera  consacrée  à  l'exécution 
d'oeuvres  de  musique  de  chambre,  d'orgue  et  de  chœurs.  Quant  à  la  prochaine 
fête  avec  orchestre,  c'est  en  1903  qu'elle  aura  lieu,  soit  à  Neuchàtel,  soit  à 
Bàle. 

—  Un  grand  festival  de  musique  néerlandaise,  qui  durera  trois  jours,  aura 
lieu  à  Amsterdam  les  10,  11  et  12  janvier  1902.  On  n'y  exécutera  que  des 
œuvres  de  compositeurs  nationaux,  avec  le  concours  d'artistes  d'origine 
néerlandaise.  La  direction  de  ce  festival  est  confiée  à  M.  Mengelberg,  chef 
de  l'orchestre  du  «  Concerlgebouw  ». 

—  Au  Théàtre-Gomique  de  Madrid,  première  représentation  d'une  zarzuela 
nouvelle  en  un  acte,  la  Perla  de  Oriente,  paroles  de  M.  Farnosa,  musique  de 
M.  Hermoso. 

—  L'église  de  Saint-Dunstan  de  Londres,  qui  avait  été  construite  en  960, 
vient  d'être  complètement  détruite  par  un  incendie.  L'orgue  célèbre  de  cette 
église  n'a  malheureusement  pu  être  sauvé. 

—  Gomme  toujours,  les  grands  festivals  anglais  d'automne  ont  fait  con- 
naître au  public  quelques  œuvres  nouvelles  de  compositeurs  nationaux.  A 
Glowcester  c'a  été  d'abord  la  Fantaisie  de  la  vie  et  de  l'amour  de  M.  Frédéric 
Cowen,  dans  laquelle  l'auteur  a  entendu  tracer  une  peinture  symbolique  de 
la  vie  avec  ses  affections,  ses  passions,  ses  aspirations,  ses  espérances; 
puis  un  grand  prélude  symphonique  intitulé  Song  of  the  morning  (chant  du 
matin),  de  M.  W.  H.  Bell,  un  débutant  en  ce  genre,  et  une  cantate  sacrée, 
Emmaûs,  de  M.  Herbert  Brewer,  organiste  de  la  cathédrale,  qui,  surmené 
par  les  préparatifs  du  festival,  n'a  pas  eu  le  temps  de  terminer  l'orchestration 
de  son  œuvre,  et  a  dû  prier  le  docteur  Elgar  de  se  charger  de  ce  soin.  —  A 
Leeds,  l'œuvre  importante  était  une  cantate  tragique  de  M.  Coleridge  Taylor, 
la  Jeune  Aveugle  du  château  Cuillé,  pour  soprano  et  baryton  solos,  chœur  et 
orchestre,  cantate  écrite  sur  des  vers  de  Wordsworth,  qui  avait  emprunté  son 
sujet  à  un  poème  de  notre  Jasmin.  L'autre  composition,  Chanson  funèbre  de 
deux  vétérans,  due  à  M.  Charles  Wood,  est  une  mélodie  pour  voix  de  basse 
avec  accompagnement  de  chœurs. 

—  Le  sultan  Abdul-Hamid  est  un  homme  heureux.  Malgré  les  soucis  poli- 
tiques qui  l'accablent,  malgré  les  conspirations  du  palais,  malgré  l'escadre 
française  qui  se  promène  dans  les  eaux  ottomanes,  le  sultan  est  tout  fier  d'un 
succès  qu'il  vient  de  remporter.  La  semaine  passée,  lors  d'une  visite  que  lui 
fit  le  jeune  prince  Adalbert  de  Prusse,  le  sultan  put  montrer  à  son  hôte,  avec 
orgueil,  le  premier  piano  sorti  des  ateliers  impériaux  qui  sont  installés  dans 
le  palais  des  étoiles;  ce  piano  avait  été  terminé  le  jour  même.  Le  sultan  fit 
aussitôt  venir  son  fils  favori,  le  prince  Bournah-Eddin,  pianiste  excellent; 
celui-ci  joua  devant  le  prince  prussien  plusieurs  morceaux  de  Liszt  et  de  Chopin 
et  exécuta  finalement  des  variations  de  sa  facture  sur  le  chant  national  de 
Prusse.  L'Altesse  prussienne  fut  ravie  et  admira  beaucoup  le  luxe  de  l'instru- 
ment. Le  lendemain  le  prince  avait  regagné  sa  frégate  la  Charlotte  et  était  sur 
le  point  de  quitter  Gonstantinople  lorsqu'une  barque  battant  le  pavillon  dii 
padichah  s'approcha  du  navire  allemand;  un  aide  de  camp  du  sultan  monta 
à  bord  accompagné  de  quatre  harnais  (portefaix)  qui  apportaient  le  piano 
fabriqué  au  palais  du  sultan.   Les  petits  cadeaux  entretiennent  l'amitié. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

M.  Georges  Leygues,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux- 
arts,  vient  de  présenter  à  la  signature  de  M.  le  président  de  la  République 
tm  décret  qui  détermine  la  situation  des  sociétaires  de  la  Comédie-Française 
après  les  vingt  ans  de  service  obligatoire.  Avant  le  décret,  chaque  socié- 
taire pouvait  prendre  sa  retraite,  mais  il  pouvait  aussi  continuer  ses  services 
et  il  fallait  —  sauf  les  cas  d'infirmité  constatée  ^  prendre  une  mesure  désa- 
gréable, la  mise  à  la  retraite  prononcée  d'office  par  l'autorité  supérieure,  pour 
renouveler  les  cadres  du  sociétariat.  M.  Glaretie  avait  plus  d'une  l'ois  souligné 
cette  situation  devant  le  comité,  à  qui  il  proposait  de  décider  qu'après  vingt 
ans  de  service  il  serait  statué  à  nouveau  sur  la  situation  de  chaque  sociétaire, 
qui  pourrait  alors  être  réélu  de  cinq  ans  en  cinq  ans  et,  au  besoin,  en  chan- 
geant d'emploi.  Quelques  membres  du  comité  ont  fait  observer  que  cette 
période  de  cinq  ans  paraîtrait  parfois  un  peu  longue  et  ont  demandé  pour- 
quoi, après  vingt  ans,  on  ne  statuerait  pas  sur  chaque  associé  d'année  en  année. 
C'fist  ce  mode  de  revision  que  l'administrateur  a  soumis  au  ministre  et  que 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  vient  de  formuler 
en  décret  signé  par  M.  le  président  de  la  ftépublique. 

—  Tout  n'est  pas  fini  et  M.  Leoncavallo  se  rebiffe  !  Le  cirque  des  Champs- 
Elysées  paraissait  condamné  à  disparaître  irrévocablement,  et  déjà  le  préfet 
de  la  Seine  avait  présenté  au  conseil  municipal  un  mémoire  concluant  à  ce 
.que  l'édifice  fût  livré  aux  démolisseurs...  lorsque  M.  Leoncavallo  fit  entendre 
une  réclamation  bruyante.  Des  explications  contradictoires  fournies  à  la  troi- 
sième commission,  il  résulta  qu'il  y  avait  eu  entre  l'administration  et  l'inté- 
ressé une  sorte  de  malentendu  :  d'une  part,  le  préfet  de  la  Seine  déclarait 
qu'il  n'avait  pas  préparé  le  projet  de  bail  consenti  à  M.  Leoncavallo  parce 
que  celui-ci  n'avait  pas  versé  les  300.000  francs  exigés  avant  toute  négocia- 
tion, et,  d'autre  part,  M.  Leoncavallo  répondait  que  s'il  n'avait  pas  fait  ce 
versement,  c'est  qu'on  ne  lui  avait  pas  notilié  la  délibération  du  conseil  ap- 
prouvant le  projet  de  bail.  Le  conseil  municipal  a  jugé  que  l'administration 
avait  mal  interprété  la  convention  en  exigeant  du  futur  concessionnaire  un 
versement  anticipé  :  il  a  donc  invité  le  préfet  de  la  Seine  à  présenter  à  la  pro- 


chaine séance  le  bail  à  intervenir  pour  que  l'assemblée  en  délibère.  Leprojet 
de  bail,  s'il  est  approuvé,  sera  notifié  officiellemjnt  à  M.  Leoncavallo,  et  si  — 
dans  la  huitaine  —  il  n'a  pas  versé  le  cautionnement  exigé,  300.000  francs, 
les  constructions  seront  démolies.  M.  Leoncavallo,  on  le  sait,  se  propose  de 
nous  montrer,  sous  la  rotonde  des  Champs-Elysées,  un  théâtre  d'opéra  inter- 
national fcançais-italien-allemand. 

—  Il  y  aura  demain  lundi  vingt-cinq  ans  qu'Ernest  Reyer  est  entré  à  l'Ins- 
titut, qui  se  prépare  à  célébrer  dignement  les  noces  d'argent , académiques  de 
l'illustre  musicien  de  Sigurd  et  de  Satammbù.  L'Opéra  saisira-t-il  l'occasion 
pour  nous  donner  quelques  belles  représentations  de  ces  œuvres  qui  honorent 
si  grandement  notre  école  française  et  qu'on  voit  cependant  si  rarement  sur 
ses  affiches'? 

—  L'arrivée  très  prochaine  à  Paris  de  M.  Jean  de  Reszké  va  encore  activer 
les  études  de  Siegfried  à  l'Opéra.  On  compte  donner  la  première  représentation 
du  IS  au  18  décembre,  et,  comme  dit  un  de  nos  confrères,  «  nous  savons  par 
expérience  que  lorsque  M.  Gailhard  s'est  engagé  pour  une  date,  il  n'a  pas 
l'habitude  de  manquer  à  sa  parole  ».  Ah!  mais  !  Après  avoir  chanté  Siegfried^ 
M.  Jean  de  Reszké,  paraît-il,  se  ferait  entendre  dans  quelques  autres  rôles  de 
son  répertoire,  tels  que  le  Cid,  qu'il  créa  à  Paris,  Faust,  Roméo  et  Juliette  et 
d'autres  encore. 

—  Pendant  .ce  temps,  les  Barbares  poursuivent  paisiblement  le  cours  de 
leurs  représentations.  Un  incident  amusant  pourtant.  Il  paraît  que  les  dan- 
seuses sont  furieuses  contre  l'espèce  de  muselière  disgracieuse  dont  on 
affuble  leur  minois,  joli  parfois,  sous  couleur  de  vérité  historique.  Quelques- 
unes  avaient  jugé  bon  de  s'en  débarrasser.  Mais  M.  Gailhard,  qui  ne  badine 
pas  avec  l'érudition,  les  a  vivement  rappelées  à  l'ordre,  à  coups  d'amende, 
les  pauvres!  Nous  voudrions  bien  voir  M.  Gailhard  avec  une  de  ces  muse- 
hères,  qui  viendrait  arrêter  le  flux  de  sa  parole  inlassable!  Mais  que  de 
perles  on  y  perdrait,  que  d'images  colorées,  d'aperçus  ingénieux,  d'apostrophes 
picaresques  et  odorantes,  bien  faites  pour  réjouir  l'humanité! 

—  A  rOpéra-Comique,  les  dernières  répétitions  de  Grisélidis  se  poursuivent 
sans  incident,  au  milieu  du  contentement  général.  Pas  de  nerfs,  pas  de 
mauvaise  humeur.  Cette  partition  parait  devoir  être  heureuse,  car  elle  n'aura 
pas  eu  d'histoires.  Le  goût  très  sûr  et  la  main  ferme  de  M.  Albert  Carré 
mènent  toutes  choses  au  but  final,  qui  ne  se  fera  plus  attendre.  On  fixe  dès 
à  présent  la  première  représentation  au  19  novembre. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  cause  des  répétitions  de  Grisélidis,  l'Opéra- 
Gomique  ne  donnera  pas  de  matinée.  Le  soir.  Mignon. 

—  Demain  lundi,  pour  la  première  représentation  de  l'abonnement  de  famille 
du  lundi  :  Lakntë  pour  la  rentrée  de  M""=  Thiéry  et  de  M.  Ed.  Clément.  On 
commencera  par  /<•  Mriiire  de  Chapelle,  interprété  par  M"":  de  Craponne  et 
M.  Delvoye. 

—  L'excellent  ténor  Clément  a  l'ait  sa  rentrée  cette  semaine,  place  Favart, 
dans  Mignon.  On  lui  a  fait  un  accueil  des  plus  chaleureux,  comme  à  l'enfant 
prodigue.  Il  est  vraiment  charmant  d'ailleurs  dans  ce  rôle  de  "Wilhem 
Meister,  si  bien  fait  pour  mettre  en  lumière  toutes  ses  qualités  d'élégant 
comédien  et  pour  faire  valoir  sa  voix  jeune  et  fraîche. 

—  Une  nouvelle  mesure  artistique  des  plus  justifiées  vient  d'être  prise  par 
M.  Albert  Carré.  L'affiche  de  l'Opéra-Gomique  portera  désormais,  au  bas  de 
la  distribution,  le  nom  du  chef  d'orchestre  chargé  de  diriger  la  représentation. 
■C'est  le  nom  de  M.  Georges  Marty  qui  a  inauguré  cette  nouvelle  mesure, 
vendredi  dernier,  avec  la  127^  représentation  de  Louise. 

—  L'Opéra-Gomique  reste  toujours  par  excellence  le  théâtre  des  fiançailles  et 
des  mariages.  Seulement,  à  présent,  ce  n'est  plus  dans  la  salle  que  cela  se 
passe,  c'est  sur  la  scène  et  en  réalité.  Après  M"°  Rioton,  voici  W^'  Jeanne 
Huchet,  la  très  sympathique  débutante  dont  nous  parlions  dimanche  dernier, 
qui  va  convoler  en  justes  noces  avec  son  camarade  Rousselière,  de  l'Opéra. 

—  Le  célèbre  baryton  italien  Battislini  a  passé  ces  jours-ci  par  Paris, 
pour  y  travailler,  avec  M.  Massenet,  la  nouvelle  version  établie  pour  Werther 
en  vue  des  barytons  di  cartello  qui  désirent  jouer  ce  rôle  si  attachant.  Il  ne 
s'agit  pas,  comme  on  pourrait  le  croire,  d'une  simple  transposition  de  voix.. 
Non,  tout  le  rôle  a  été  entièrement  récrit  par  le  maître-compositeur.  Et  dans 
cette  nouvelle  version,  Werther  devenant  baryton,  Albert  devient  ténor.  C'est 
un  chassé-croisé.  M.  Battistini  va  chanter  ainsi  l'ouvrage  à  Varsovie  d'abord, 
puis  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Odessa.  On  ne  pouvait  mettre  la  partition  ainsi 
transformée  sous  l'égide  d'un  plus  grand  talent. 

—  Des  différentes  correspondances  qui  nous  parviennent,  il  paraît  résulter 
que  la  petite  tournée  de  concerts  entreprise  par  M.  Colonne  avec  son 
orchestre,  à  travers  l'Allemagne,  a  réussi  partout  brillamment.  Les  œuvres 
françaises  portées  au  programme  ont  eu  leur  grande  part  du  succès.  La 
deuxième  symphonie  de  Saint-Saëns,  les  Impressions  d'Italie  de  Charpentier. 
le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge  de  Massenet,  et  Lalo,  et  Berlioz  paraissent 
avoir  réuni  tous  les  suffrages.  Seul,  le  savant  théoricien  Wilhem  ïappert  de 
Berlin  s'indigne  en  termes  violents  et  ne  comprend  rien  à  ces  clartés  musi- 
cales. Mais  M.  Tappert  n'est  pas  ù  proprement  parler  un  critique  d'art. 
C'est,  nous  l'avons'dit,  un  savant  vieilli  dans  l'étude  des  problèmes  musicaux 
les  plus  ardus  et  il  n'est  pas  étonnant  que  son  cerveau  tudesque  s'y  soitc 
quelque  peu  épaissi. 


360 


LE  MENESTREL 


—  La  première  «  niatinée  du  jeudi  »,  au  Ihéàtre  Sarah-Bernhardt,  aura 
lieu  jeudi  prochain  14  novembre  avec  Phèdre  et  la  musique  de  Massenet  exé- 
cutée par  l'orchestre  Colonne.  Naturellement  c'est  la  grande  artiste  fjui  inter- 
prétera le  rùle  de  Phèdre,  son  triomphe. 

—  La  température  oblige  M.  Louis  Pister  à  cesser  en  plein  succès  et  mo- 
mentanément ses  concerts  du  Grand-Palais:  donc,  aujourd'hui  dimanche,  der- 
nier concert  populaire,  avec  le  concours  do  il"'"  Revel,  i"'  pri.x  du  Conserva- 
toire, et  de  M.  Amalo,  violoncelliste  de  l'Opéfa.  Au  programme  :  Gounod, 
Massenet,  Delibes,  Boccherini,  Haydn,  A.  Thomas,  Mendeissohn,  Ruhinstein. 
On  commencera  exactement  à  2  heures  1/2. 

—  Heureuse  reprise,  au  théâtre  du  Chàteau-d'Eau,  de  l'amusante  opérette 
d'Hervé,  Manizelle  Nilouche,  où  M"":  Simon-Girard  et  Paul  Fugère  ont  déchaîne 
des  rires  inextinguibles.  En  voilà  bien  pour  cinquante  nouvelles  représenta- 
tions, après  les  mille  déjà  données  rien  qu'à  Paris. 

—  L'école  Humbert  de  Romans,  l'institu'ion  si  intéressante  du  Révérend 
père  Lavy,  prépare,  dans  sa  belle  salle  de  la  rue  Saint-Didier,  toute  une  série 
de'  «  Grands  concerts  historiques  et  populaires  »,  de  récitals  d'orgue  et  de 
séances  de  musique  de  chambre  d'un  haut  intérêt.  Le  premier  festival,  avec 
cent  cinquante  exécutants,  sera  donné  le  21  novembre  prochain  sous  la  direction 
de  M.  Théodore  Dubois.  On  y  exécutera  le  poème  légendaire  Notre-Dame  de 
la  Mer  et  la  grande  Fantaisie  Irioinpliale  pour  orgue  et  orchestre.  Nous  voyons 
encore  annoncés,  pour  de  prochains  programmes,  la  Résurrection  de  Naim 
d'Henri  Maréchal,  et  tout  un  mystère  du  moyen  âge,  Pastorale  de  Noël,  recons- 
titué par  MM.  de  la.Tourrasse  et  Gailly  de  Taurine,  avec  une  partition  nou- 
velle de  Reynaldo  Hahn,  qui  sera  joué  et  mis  en  scène  avec  des  costumes. 
Nous  connaissons  cette  petite  œuvre  et  pouvons  lui  prédire  un  véritable 
succès  d'art  et  de  haut  goût. 

—  La  nouvelle  Société  philharmonique,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  inau- 
gurera à  la  fin  du  mois  dans  la  salle  des  Agriculteurs,  rue  d'.ithènes,  la  série 
des  douze  concerts  qu'elle  donnera  pendant  cette  saison.  Celte  société  s'an- 
nonce comme  devant  apporter  dans  le  domaine  delà  musique  de  chambre  en 
France  la  nouveauté  que  les  concerts  Pasdeloup  ont  jadis  apportée  dans  le 
domaine  des  concerts  symphoniques.  Cette  tentative  est  très  importante,  très 
artistique  et  très  désintéressée:  Très  importante,  car  près  de  cent  virtuoses 
se  feront  entendre  pendant  la  saison;  très  artistique,  car  tous  les  virtuoses  et 
tous  les  programmes  ont  été  choisis  avec  un  soin  méticuleux,  afin  de  faire  de 
ces  séances  un  véritable  enseignement  au  point  de  vue  de  l'art;  et  enfin  très 
désintéressée,  car,  obligés  de  prendre  une  salle  qui  ne  soit  pas  trop  grande 
pour  le  genre  de  musique  interprétée  et  voulant  à  tout  prix  offrir  au  public  la 
plupart  des  places  à  un  prix  exceptionnel  de  bon  marché,  les  organisateurs 
de  cette  société  ont  sacrifié,  sans  hésiter,  la  question  recette  à  la  question 
artistique.  Il  saSit^  pour-  s'en  yeaàxe  iomple,  de  lir«  Ja  liste  suivaote-das .ar- 
tistes engagés.  Quatuors  Rosé  (Vienne).  Hallr  (Berlin),  Heermann  (Francfort), 
Tchèque  (Prague),  Ysaye,  Schorg,  Zimmer  (Bruxelles),  Marteau  (Genève), 
Hayot,  Geloso  (Paris);  trioChaigneau,  trio  de  Francfort,  etc.,  etc.  Pianistes  : 
d'Albert,  Risler,  Bauër,  Cortot,  Lamond,  Godouwsky,  Stavenhagen.  Chant  : 
Mme  p-élia  Litvinne,  Brema.  Gaétane  Vicq,  Thérèse  Behr,  Faliero-Dalcroze, 
Olénine,  H.  Menjaud,  etc  Violonistes  :  les  Henschel,  M.  von  zur  Muhlen, 
Rivarde,  Jean  Ten  Hâve,  Ysaye,  Hugo  Heermann.  Maud  Powel,  Rebner,  etc. 
Violoncellistes  :  Hugo  Becker,  J.  Klengel,  Marguerite  Chaigneau,  etc. 

—  Les  B  cinq  lieures  »  des  Bouffes-Parisiens,  qui  nous  promettent  une  inté- 
ressante série  de  matinées,  vont  commencer  très  prochainement.  Nous  don- 
nerons le  programme  de  la  première  séance.  Disons  déjà  qu'on  y  entendra 
des  conférenciers  comme  George  Yanor,  le  quatuor  Parent,  avec  la  colla- 
boration de  M""  Mockel,  des  artistes  comme  Lassalle,  de  l'Opéra,  M"'*  Amel, 
de  la  Comédie-Française.  Citons  aussi  l'Histoire  de  la  Clianson,  avec  con- 
férence de  notre  confrère  E.  Mas,  et  auditions  de  M°"=  Hachel  de  Ruy; 
deux  amusantes  comédies  de  M.  Montignac,  avec  M"«  Eveline  Jeanney  et 
Merelli,  et  M.  Garbagni:  Galant  chevalier,  opéra-comique  de  M.  de  Dubor, 
musique  de  M.  Eugène  Mestre  ;  Pour  la  lune,  de  M.  Guillaumet,  joué  par 
M""-'  Lebey  ;  et  enfin  inauguration  des  matinées  Offenbach  avec  le  Mariage  aux 
lanternes,  interprété  par  M""'=s  Eveline  Jeanney,  Humbert  et  Henriette  Gué- 
rin,  et  M.  Bouchard. 

—  Ainsi  parle  le  Progrès  du  Nord:  «  Le  premier  Concert  populaire  à  l'Hip- 
podrome, sous  la  direction  de  Théodore  Dubois,  a  été  fort  brillant,  et  en  écri- 
vant cesmols  je  n'exagère  rien  et  ne  «  brûle  point  un  encens  de  complaisance  ». 
Cette  belle  audition  a  débuté  -paxV Ouverture  de  Frithiojf,  et  sous  la  baguette  de 
M.  Ratez,  dont  les  gestes  nous  ont  paru  plus  élargis,  plus  significatifs,  nos 
musiciens  ont  montré  une  cohésion,  une  netteté  d'attaque  et  un  véritable 
souci  artistique  des  nuances.  Les  applaudissements  qui  ont  souligné  cette 
interprétation  très  colorée  et  très  nuancée  ont  repris  de  plus  belle  à  l'arrivée 
de  Riddez,  notre  compatriote,  baryton  à  l'Opéra  de  Paris;  l'air  d'Aben  Hamet 
lui  a  permis  de  faire  sonner  généreusement  sa  belle  voix.  Un  instant  après 
il  est  revenu,  accompagné  par  l'auteur,  chanter  avec  des  demi-teintes  char- 
mantes deux  jolies  romances  :  Dormir  et  Rêver,  délicate  pensée  musicale,  et  un 
Rondel  fort  original  très  applaudi  ;  il  le  fut  encore  dans  son  Apostrophe  à 
l'Océan,  dont  Théodore  Dubois  nous  avait  réservé  la  première  audition.  Un 
des  grands  attraits  de  cette  belle  séance  fut  la  présence  de  M""  Clotilde 
Kleeberg,  une  pianiste  remarquable  que  les  vieux  dilettantes  lillois  ont  entendue 
alors  qu'elle  était  encore  une  enfant.  Dès  les  premières  notes  du  beau  con- 


certo pour  piano  et  orchestre  de  Théodore  Dubois,  elle  s'est  révélée  avec  des 
qualités  de  son,  une  précision  et  une  délicatesse  de  toucher  absolument 
remarquables.  Le  jeu  ravissant  de  finesse,  de  netteté  de  M™'  Kleeberg  s'est 
de  nouveau  déployé  dans  toute  sa  perfection  en  interprétant  trois  petites 
pièces  de  Théodore  Dubois  :  Allée  solitaire,  Chaconne  et  notamment  Abeilles. 
Elle  s'est  montrée  absolument  merveilleuse  en  faisant  ressortir  des  nuances 
exquises  dans  des  traits  de  haute  virtuosité.  Deux  pièces  en  forme  de  canon, 
pour  hautbois  et  violoncelle  avec  accompagnement  d'orchestre,  ont  permis 
aux  deux  solistes,  MM.  Deren  et  Plaquet,  d'y  faire  assaut  de  virtuosité  exer- 
cée et  de  pureté  de  son.  L'Intermède  symphonique  de  Notre-Dame  d:  la  Mtr  est 
une  sorte  de  poème  musical,  dans  lequel  l'auteur  a  su  allier  la  plus  élégante 
correction  à  toutes  les  ressources  de  l'orchestration  moderne  ;  les  épisodes 
s'y  déroulent  très  variés.  Deux  fragments  de  Xavière  :  Danses  Cévenoles  et 
Marclie  des  Batteurs,  terminaient  ce  festival  tout  entier  composé  des  œuvres  de 
l'éminent  directeur  du  Conservatoire  de  Paris,  qui,  nous  le  savions  déjà  par 
l'audition  du  Rapléme  de  Clovis,  est  un  remarquable  chef  d'orchestre  ;  avec  une 
artistique  sobriété  de  gestes,  il  sait  tout  obtenir  des  musiciens  qu'il  dirige, 
et  jamais  l'orchestre  des  Concerts  populaires  n'a  été  meilleur.  » 

—  On  nous  écrit  de  Marseille  :  Au  dernier  concert  classique,  la  Rapsodie 
Cambodgienne  de  Bourgault-Ducoudray  a  été  superbement  exécutée  sous 
l'habile  direction  de  M.  P.  Viardot.  Cette  œuvre  colorée,  qu'on  n'avait  pas 
encore  entendue  à  Marseille,  a  rencontré  le  meilleur  accueil  auprès  du  public 
et  figurera  de  nouveau  dans  quinze  jours  sur  le  programme  de  nos  concerts. 

—  L'Association  des  concerts  symphoniques  de  Marseille  se  propose  de 
donner,  cet  hiver,  des  auditions  de  fragments  du  Crépuscule  des  Dieux,  de  la 
Symphonie  légendaire,  de  B.  Godard,  de  lu  Terre  promise,  de  Massenet,  et  de 
Tobie,  de  Ch.  Silver.  Comme  solistes  engagés,  citons  MM.  Raoul  Pugno, 
'Wurmser,  Jacques  Thibaud,  Hugo  Heermann,  Vl'"'  de  Nuovina,  etc.  L'or- 
chestre sous  la  direction  de  M.  Paul  Viardot. 

—  Le  quatrième  concert  populaire  organisé  par  M.O. Schitf,  à  l'école  com- 
munale de  la  rue  Saint-Ferdinand,  aura  lieu  le  dimanche  24  novembre,  à 
.3  heures  précises.  Entrée  :  0  fr.  75  c.  à  toutes  les  places.' 

—  De  Saint-Quentin  :  Samedi  dernier,  à  la  soirée  donnée  par  la  réunion 
des  Anciens  élèves  du  Lycée,  grandsuccès  pour  M"»  Palasara,  qui  a  dit  avec 
beaucoup  de  talent  et  une  jolie  voix  :  Chant  provençal  et  Avril  est  amoureux,  de 
Massenet,  et  la  Fille  aux  cheveux  de  lin,  de  Paladilbe,  qu'elle  a  dû  bisser. 
Mme  Varly  et  M.  Darras,  de  l'Odéon,  prêtaient  également  leur  concours  à 
cette  fête  de  famille. 

—  Cours  et  leçons.  —  M.  Léon  Achard,  professeur  honoraire  du  Conservatoire,  a  repris 
chez  lui,  38,  avenue  'Wagram,  ses  leçons  de  chant  particulières  (étude  spéciale  du  méca- 
nisme de  la  voix).  —  M""  Kephallinidi,  née  Coyon-Hervix,  de  retour  de  Buenos-Ayres  où 
elle  a  proft^sé  pwidaTrt  douTe  ans,  vient  ^'ouvrir  mn  corrrsde  chant  et  de  reprendre  ses 
leçons  particulières  :  46,  boulevard  Pereire.  —  M.  Ad.  Maton  a  repris  chez  lui,  5,  rue 
NoUet,  ses  leçons  de  chant  et  son  cours  de  chant  d'ensemble.  —  L'excellent  violoniste 
.Joseph  White  a  repris  ses  cours  et  leçons,  chez  lui,  9,  rue  Bugeaud. 

NÉCROLOGIE 

Un  excellent  artiste,  le  compositeur  Laurent  Grillet,  est  mort  lundi  der- 
nier à  Paris,  à  l'âge  de  bl  ans.  Bon  violoniste,  il  fit  d'abord  partie  de  l'or- 
chestre du  Grand-Théâtre  de  Lyon,  puis,  venu  à  Paris,  il  devint  chef  d'or- 
chestre aux  Folies-Bergères,  et  plus  tard  au  Nouveau-Cirque.  Il  écrivit  pour 
l'un  et  pour  l'autre,  et  aussi  pour  divers  théâtres  «  à  côté  »,  la  musique  d'un 
certain  nombre  de  saynètes,  opérettes  et  pantomimes  :  Dagobert,  Papa  Chry- 
santhème, etc.  On  lui  doit  aussi  un  livre  intéressant  dont  il  a  été  rendu  compte 
ici-même  :  Les  Ancêtres  du  violon  et  du  violoncelle,  fait  un  peu  sur  le  patron  de 
celui  d'Antoine  Vidal  :  tes  Instruments  à  archet.  Laurent  Grillet  avait  fondé 
avec  MM.  Diémer,  van  'Waefelghem  et  le  regretté  Delsart,  la  Société  des 
instruments  anciens,  dont  le  succès  est  si  grand  depuis  quelques  années.  Il 
y  tenait  avec  une  grande  habileté  la  partie  de  vielle,  mais  comme  cette  par- 
tie n'existait  pas  dans  la  musique  exécutée,  il  avait  supprimé  le  bourdon  de 
sa  vielle  et  faisait,  en  réalité,  une  partie  de  par-dessus  de  viole,  qui  cadrait 
merveilleusement  avec  les  autres  instruments. 

—  A  Munich  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  84  ans,  un  artiste  fort  distingué, 
Benno  Walter,  violoniste  remarquable,  professeur  au  Conservatoire.  Élève 
de  son  père,  qui  était  lui-même  un  violoniste  de  talent,  à  seize  ans  il  faisait 
partie  de  l'orchestre  du  Théâtre-Royal.  Il  acquit  par  la  suite  une  grande 
renommée  en  fondant  une  société  de  musique  de  chambre,  le  quatuor  Wal- 
ter, dont,  grâce  à  l'excellente  direction  qu'il  lui  imprima,  les  succès  furent 
considérables,  non  seulement  à  Munich,  mais  dans  de  grandes  tournées  en 
Allemagne,  en  Autriche,  en  Suisse  et  jusqu'en  Amérique. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


CONCERTS    ROUGE  (\'i'  année),  6,  rue  de  Tournon.  Tous  les  soirs, 
concert  à  8  h.  1/2;  dimanches  et  fêtes,  matinée  à  3  heures. 

Vient  de  paraître  chez  E.  Fasquelle,  le  Voile  du  bonheur,  pièce  en  1  acte  de  JI.  Georges 
Clemenceau,  représentée  à  la  Renaissance  (2  francs). 


;  DES  CHEMINS  DE  I 


CH\1X,   RUE   BERGÈRE,   20     PARIS.  —   Œac«  LotHIMJ). 


368C.  -  67-  ANNÉE  —  1\°46. 


Dimanche  17  Novembre  1901, 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  "'",  rus  ViTienne,  Paris,  n-  m>) 
fl/es  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  KuméPo  :  0  fp.  30 


Adresser  fkanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chiant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,   30  fr.,   Paris  et  Province.  ■-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (38*  article},  Paul  d'Estbées.  — 
II.  Semaioe  théâtrale  :  premières  représentations  du  Bon  moyen!  aux  Nouveautés, 
et  de  la  Pompadour,  à  la  Porte-Saint-Martin,  P.vul-Émile-Chevalier.  —  III.  Les  Clian- 
son s  populaires  des  Alpes  françaises  (1*'' article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  Petites  notes 
sans  portée  :  Où  les  Parisiens  réclament  un  Gewandhaus,  Raymond  Bouyer.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

BERCEUSE 

de  Camille  Erlangeb,  poésie  de  Charles  Uelacour.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Il  partit  au  printemps,  chanté  par  M"«  Lucienne  Bréval  dans  Grisélidis, 
poème  d'ARMAND  Silvestre  et  E.  Morand,  musique  de  J.  Massenet. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Entr' acte-Idylle,  extrait  de  Grisélidis,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  im- 
médiatement :  Valse  des  Esprits,  extrait  du  même  opéra. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

fl'après  les  léniiiires  les  plus  récenls  et  te  Socumenls  inéflits 

(Suite.) 


DEUXIEME    PARTIE 
LE    JOURNAL    D'EUQÈNE    DELACROIK 
I 
L'esthétique  musicale  d'E.  Delacroix.  —  Son  illogisme  en  matière  d'art.  —  Peinture 
et  musique.  —  Cimarosa,  pour  Delacroix,  est  le  premier  des  musiciens.  —  Sa 
haine  de  ïarchdisme.  —  Mozart  et  la  princesse.  —  Mozart  symphoniste  et  auteur 
dramatique.  —  Le  romantisme  de  Mozart  et  le  romantisme  de  Beethoven.  —  Un 
agenda  de  Mozart.  —  Mozart  plagiaire.  —  Comparaisons  familières  de  Delacroix. 
—  Passion  de  Gounod  pour  Mozart.  —  Musique  ridée. 

Pour  l'hisloire  de  l'art  en  général  et  de  la  musique  en  parti- 
culier pendant  la  première  moitié  du  XIX«  siècle,  le  Journal 
d'Eugène  Delacroix  est  une  mine  de  précieux  documents,  mettant 
à  nu  l'état  d'âme,  non  seulement  de  l'écrivain  qui  les  expose 
au  grand  jour,  mais  aussi  des  contemporains  groupés  autour  du 
glorieux  peintre. 

Il  n'est  pas  indifférent  en  effet  de  constater  par  quelle  suite 
d'étapes  et  d'imprégnations  musicales  ont  dii  passer,  pour  arri- 
ver de  Rossini  à  Mozart,  Beethoven  et  Chopin,  toutes  les  géné- 


rations qui  se  sont  succédé  en  France,  depuis  la  Restauration 
jusqu'aux  dernières  années  du  second  Empire. 

D'autre  part,  l'analyse  que  donne  Eugène  Delacroix  de  ces 
multiples  sensations  est  un  exemple  topique  de  l'inconséquence 
humaine  en  matière  d'art. 

S'il  fut  jamais  un  peintre  dédaigneux  de  la  ligne  et  soucieux 
jusqu'à  l'outrance  du  coloris,  ce  fut  assurément  l'auteur  de  tant 
de  tableaux  mélodramatiques,  qui  secondèrent  si  énergiquement 
le  développement  du  romantisme  tenté  par  Chateaubriand  et 
continué  par  Hugo  dans  le  monde  des  lettres  et  du  théâtre. 
Eugène  Delacroix  fut  un  des  adversaires  les  plus  résolus  de  la 
tradition  classique,  le  démolisseur  attitré  de  ce  moule  académi- 
que qui,  par  parenthèse,  a  déjà  résisté  à  tant  de  furieux  assauts. 
Et  cependant,  par  un  de  ces  illogismes  que  peut  seule  expliquer 
l'infirmité  de  notre  nature,  nul  n'encouragea  moins  les  novateurs 
de  la  musique.  Pour  lui,  l'idéal  du  grand  art  se  résumait  dans 
l'œuvre  de  Mozart.  Il  admirait  celui  de  Beethoven,  mais  sous 
certaines  réserves.  S'il  n'en  admettait  aucune  dans  son  fana- 
tisme pour  Cimarosa  et  s'il  aimait  passionnément  la  grâce 
piquante  de  Rossini,  il  discutait  Meyerbeer,  niait  le  génie  de 
Berlioz,  méprisait  celui  de  Richard  Wagner. 

Sa  passion  pour  la  musique  n'était  pas  aussi  platonique  qu'on 
serait  tenté  de  le  croire.  Il  s'exerça  sur  le  violon  dans  les  pre- 
mières années  de  sa  jeunesse,  à  l'exemple  de  Girodet,  qui  était 
un  détestable  râcleur,  et  du  bonhomme  Ingres,  dont,  malgré 
toute  son  indulgence,  Gounod  est  bien  obligé  de  reconnaître  l'in- 
sufEsance. 

Combien  d'autres  peintres  —  et  cette  nomenclature  devrait 
tenter  un  érudit  (1)  —  ont  professé  avec  plus  ou  moins  de 
bonheur,  et  plus  ou  moins  de  succès,  le  culte  de  la  musique  1 
Au  reste,  nous  nous  expliquons  un  tel  entraînement!  La  peinture 
ne  fut  jamais  ce  qu'on  pourrait  appeler  un  art  communicatif. 
Lors  même  qu'ils  atteignent  les  limites  de  la  perfection  en  repré- 
sentant une  merveille  de  la  nature,  une  scène  pathétique,  un 
paysage  sublime,  les  plus  grands  maîtres  ne  parviennent  jamais 
à  les  animer  de  toute  la  flamme  dont  leur  cerveau  est  embrasé. 
Et  les  spectateurs,  si  perspicaces,  si  intelligents  soient- ils,,  éprou- 
vent fort  rarement  devant  ces  manifestations  de  la  couleur  les 
sensations  délicieuses  qu'éveille  l'audition  d'une  belle  page 
musicale.  Aussi,  certains  peintres  ont  si  bien  compris  l'infériorité 
de  leur  art  dans  la  transmission  des  facultés  émotives  qu'ils 
n'ont  voulu  produire  leurs  œuvres  devant  le  public  qu'au  son 


(1)  C'est  fait!  —  Les  lecteurs  n'ont  pu  oublier  la  remarquable  étude  de  M.  Raymond 
Bouyer  sur  les  Peintres  mélomanes  publiée  dans  le  Ménestrel  (fin  décembre  1900-jan- 
vier  1901).  — Notre  travail  était  alors  à  l'impression.  Mais,  depuis,  j'ai  découvert  dans  des 
notes  inédites  du  grand  critique  d'art  Théophile  Thoré,  qu'a  publiées  la  Nouvelle  Revue 
Rétrospective  de  septembre  1901,  cette  assertion,  assurément  fort  disculable,  mais  bien 
piquante,  sur  la  compétence  musicale  de  Delacroix  :  «  11  n'est  pas  rare  qu'un  homme  de 
génie  soit  absolument  crétin  sur  tout  ce  qui  est  hors  de  la  spécialité  de  son  génie  :  oblus  ' 
bouché,  borné,  inepte,  Gautier  —  De  Musset  —  Hugo  —  Delacroix  —  Doré.  » 


362 


LE  MÉNESTREL 


d'une  musique  dissimulée,  de  tonalité  joyeuse  ou  mélancolique, 
suivant  le  sujet  de  leur  tableau. 

Il  n'est  donc  pas  extraordinaire  qu'eux-mêmes  subissent  une 
semblable  impression.  Leurs  créations  présentent  un  caractère 
précis,  exact,  pour  ainsi  dire  mathématique  :  elles  sont  visibles, 
palpables  et  tangibles,  si  le  terme  n'est  pas  trop  risqué  pour 
définir  l'action,  prenante  en  quelque  sorte,  des  yeux.  Tout  au 
contraire,  les  œuvres  de  la  musique,  bien  que  fixées  elles  aussi 
en  des  signes  intelligibles  pour  les  seuls  initiés,  n'apparaissent 
que  sous  des  formes  vagues,  flottantes,  insaisissables;  à  moins 
qu'elles  ne  recherchent  exclusivement  l'harmonie  imitative,  — ce 
qui  est  très  rare  et  ne  réussit  pas  toujours  —  elles  agissent  sur 
le  cerveau  en  s'associantà  ses  impressions  :  c'est  un  état  de  rêve, 
mais  de  rêve  toujours  poétique,  qui  exalte  les  joies  les  plus  vives 
et  tempère  les  plus  amères  douleurs. 

Le  peintre  réalise,  parles  sensations  que  lui  donne  la  musique, 
l'idéal  qu'il  n'a  pas  atteint  par  son  pinceau. 

Ce  fut  certainement  le  cas  d'Eugène  Delacroix,  qu'une  sym- 
phonie de  Mozart  ou  une  valse  de  Chopin  enthousiasmait  bien 
autrement  que  la  plus  belle  toile  de  ses  maîtres  favoris. 

Cimarosa  tenait  encore  le  premier  rang  dans  ses  préférences. 

Delacroix  sort  des  Italiens,  oi^i  il  vient  d'entendre  le  premier 
acte  du  Mariage  secret,  qui  «  lui  a  paru  plus  divin  que  jamais; 
c'est  la  perfection.  » 

Dans  un  concert,  un  air  du  Sacrifice  d'Ahraham,  chanté  par 
Garcia  père,  lui  dicte  ce  dithyrambe  :  «  Je  n'ai  dans  la  tête 
qu'accords  de  Cimarosa.  Quel  génie  varié,  souple  et  élégant  I 
Décidément  il  est  plus  dramatique  que  Mozart.  » 

Cette  idée  sur  laquelle  il  revient  à  maintes  reprises  le  mène 
à  des  conclusions  que  l'avenir  n'a  pas  sanctionnées  : 

«  Du  temps  de  Mozart  et  de  Cimarosa  on  compterait  quarante 
musiciens  qui  paraissent  de  leur  famille,  dont  les  ouvrages  con- 
tiennent à  des  degrés  divers  toutes  les  conditions  de  la  perfection. 
A  partir  de  ce  moment,  tout  le  génie  des  Rossini  et  des  Beetho- 
ven ne  peut  les  sauver  de  la  manière.  » 

Sa  passion,  quelque  peu  chagrine,  pour  Cimarosa  —  car  l'amer- 
tume est  souvent  le  fonds  de  tous  ses  amours  et  de  toutes  ses 
haines  —  fait  partir  Delacroix  en  guerre  contre  une  manie  que 
nous  avions  déjà, signalée  :  «  Aujourd'hui  (18S5),  écrit-il,  une 
chansonnette  de  1S80  est  mise  au-dessus  de  tout  ce  que  Cima- 
rosa a  produit.  » 

Il  lui  reste  toutefois  une  consolation  :  «  Antony  Deschamps  est 
le  seul  homme  avec  qui  j'aime  à  parler  musique,  parce  qu'il 
aime  Cimarosa  autant  que  moi.  » 

Il  est  certain  que  Delacroix  est  fanatique  de  Mozart  par  goût 
et  par  conviction  ;  mais  sa  passion  trouve  un  singulier  encoura- 
gement dans  le  milieu  musical  oii  il  fréquente.  Or,  l'auteur  de 
Don  Jimn  est  traité  à  l'égal  d'un  Dieu  «  chez  la  Princesse  »  — 
sous-entendez  Czartoryska;  on  se  faisait  déjà  à  ces  désignations 
familières.  —  Et  comme  Delacroix  est  un  des  plus  fidèles  habi- 
tués de  ce  précieux  cénacle,  il  en  accepte  la  psychologie  subtile 
et  raffinée.  S'il  est  vrai  que  le  souple  génie  de  Mozart  a  des 
grâces  particulières  pour  chaque  état  d'âme,  notre  artiste,  qui 
a  doublé  à  cette  époque  le  cap  de  la  cinquantaine,  «  cet  âge  de 
la  vie  où  le  tumulte  des  passions  folles  ne  se  mêle  pas  aux  déli- 
cieuses émotions  des  belles  choses  j>,  notre  artiste, dis-je,  retrouve 
dans  la  musique  du  maître  l'apaisement  qu'il  sent  régner  en 
lui;  et  il  en  goûte  librement  la  calme  sérénité,  la  sérénité  qui 
a  conscience  de  sa  force!  Car  Mozart  pourrait  revendiquer  la 
formule  ambitieuse  du  poète  : 

Je  suis  maître  de  moi  comme  de  l'univers. 

Il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ne  subit  point  par  intermittences  les 
exigences  de  la  tradition  :  cette  sujétion  aux  formules  courantes, 
il  l'accuse  très  nettement  dans  ses  symphonies;  là,  il  se  répète 
à  satiété;  ainsi  le  veut  l'usage,  pédantesque  d'ailleurs.  L'abus 
du  leil-motive  ne  date  donc  pas  d'hier,  comme  on  voit. 
(A  suivre.)  Pacl  d'Estrées. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Nouveautés.  Le  Bon  moyen!  pièce  en  3  actes,  de  M.  A.  Bisson.  —  Pohte-Saint- 
Martin.  La  Pompndour,  pièce  en  5  actes  et  7  tableaux,  de  M.  E.  Bergerat. 

Ce  Bo7i  moyen  est  celui  qui  doit  préserver  l'homme  des  accidents  con- 
jugaux inhérents  à  la  fonctiou  de  mari,  —  nous  sommes,  bien  entendu, 
en  plein  vaudeville,  car  chacun  sait  que,  dans  la  réalité,  l'épouse  est. 
à  si  rares  exceptions  près  qu'il  ne  vaut  pas  la  peine  d'en  parler,  un 
modèle  de  parfaite  lldélité  et  d'inébranlable  honnêteté.  Donc,  Dulacq  et 
Desroziers  se  sont  promis  de  u'ctre  jamais  «  combattus  «  et  ils  s'ingé- 
nient à  y  arriver  chacun  par  une  voie  différente  :  le  premier  par  une 
sm'veillance  de  toutes  les  minutes,  c'est  un  jaloux  au  dernier  degré;  le 
second  par  une  confiance  sans  bornes,  c'est  presque  un  complet  imbé- 
cile. L'un  et  l'autre  frisent  de  si  prés  la  catastrophe  redoutée  —  et  s'ils 
l'évitent  ce  n'est  pas  précisément  de  leur  faute  —  que  leurs  moyens 
respectifs  apparaissent  aussi  défectueux  l'un  que  l'autre.  Alors  le  bon? 
C'est  tout  simplement  le  docteur  Babiole  qui  le  découvre  sur  l'estomac 
de  sa  légitime,  où  son  prédécesseur  —  M""  Babiole  est  veuve  et  remariée 
—  avait  pris  soin  de  faire  tatouer  en  belles  majuscules  :  «  J'adore  Ana- 
tole !  Qu'il  est  beau  !  »  Allez  donc  vous  décolleter  avec  une  inscription 
pareille  qu'aggrave  la  présence  des  deux  cœurs  obligatoires  liés  par  la 
flèche  amoroso-symbolique.  Maris  inquiets,  à  vos  aiguilles! 

M.  Alexandre  Bisson  en  composant  ses  trois  actes  n'a  évidemment  eu 
d'autre  but  que  d'essayer  d'amuser  son  public  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles. A-t-il,  lui  aussi,  trouvé  le  bon?  Il  y  a  un  premier  acte  char- 
mant et,  chemin  faisant,  des  trouvailles  drolatiques,  sinon  toujours 
d'une  nouveauté  bien  fraîche,  qui  ne  manqueront  pas  de  faire  rire  les 
braves  gens  pour  qui  le  théâtre  est  sagement  resté  une  simple  distrac- 
tion. Et  puis,  le  Bon  moyen  est  joué  de  verve  fantaisiste  tout  à  fait  com- 
municative  par  MM.  Germain,  Torin,  Victor  Henry  —  on  demande  un 
vrai  rôle  pour  ce  comédien  de  composition  —  et  Colombey,  tandis  que 
M"™  Fériel  et  Lucy  Gérard  sont  adroites  artistes  et  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  plaisantes  à  regarder. 

La  Pompadour,  un  drame  !  Est-ce  que  vraiment  l'exquis  modèle  de 
La  Tour  n'est  pas  plutôt,  à  distance,  évocatrice  de  grâce,  de  légèreté, 
d'intrigue  galante?  Ne  sont-ce  pas  surtout  les  ris  et  les  froufrous  des 
amples  jupes  de  soie  brochée  qu'évoque  ce  nom  printanièrement  son- 
nant! M.  Bergerat,  qui  est  un  documenté,  a  vu  toute  autre  chose  dans 
la  figure  chiffonnée  de  la  favorite  du  roi  Louis  le  Bien-Aimé;  il  y  a 
voulu  avant  tout  trouver  la  psychologie  de  la  jalousie  et,  pour  corser 
ses  effets  dramatiques,  il  a  enfermé,  dans  le  même  cadre,  une  effigie  très 
sombre  de  ce  Le  Normant  d'Etiolés,  dont  il  a  fait  un  mari  amom'eux  et 
grandement  malheureux,  alors  que  d'aucuns  l'ont  nettement  traité  de 
simple  crapule,  profitant  joyeusement  des  largesses  octroyées  par 
Louis  XV  à  M™"  d'Etiolés,  née  Poisson,  et  faite  marquise  de  Pompadour. 

Que  M.  Bergerat  ait  pris,  avec  l'histoire  ou  la  légende,  les  libertés 
qu'il  lui  a  plu  de  prendre,  cela,  d'ailleurs,  nous  importe  peu;  il  pour- 
rait, en  la  circonstance,  répondre  à  ceux  qui  se  croiraient  autorisés  à  lui 
reprocher  quelques  inexactitudes,  qu'il  n'a  fait,  en  cela,  qu'imiter  le 
modèle  élu,  Alexandre  Dumas  père.  De  fait,  la  Pompadour  procède 
visiblement  des  procédés  scéniques  qui  firent  la  gloire  du  dramaturge 
populaire;  mais  ce  que  l'on  y  trouve  en  plus,  c'est  une  langue  exquise 
et  châtiée  qui,  souvent  même,  emprunte  des  ailes  à  la  poésie  jolie;  écoutez 
les  couplets  du  grave  Jacques  Guay  sur  les  gemmes  précieuses. 

La  Pompadour,  montée  par  la  Porte-Saint-Martin  avec  un  souci  assez 
artistique  de  vérité  dans  les  décors  et  un  grand  luxe  de  costumes,  a  heu- 
reusement trouvé  le  charme  exquis  et  la  troublante  féminité  de  M""-'  Jane 
Hading,  à  qui  est  allé,  très  justement,  le  succès  de  la  soirée.  D'une  inter- 
prétation aussi  nombreuse  qu'elle  est  lourdement  banale  et  monotone, 
il  faut  cependant  sortir  d'abord  M""'  Marie  Magnier,  une  maréchale  de 
Mirepoix  vivante,  puis  M.  Rozenberg,  un  Richelieu  galantiu,  et  M.  Jean 
Coquelin,  un  Jacques  Guay  d'exubérance. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LES  CHANSONS  POPULAIRES  DES  ALPES  FRANÇAISES' 


C'est  une  manière  d'alpinisme  assez  inédite  que  celle  qui  consiste  à 
courir  la  montagne  à  la  recherche  des  chansons  populaires.  Loin  de 
s'en  tenir  â  une  observation  superficielle,  d'ailleurs  sans  négliger  de 

(1)  Extraits  de  la  l'rélaci;  d'un  livre  de  notre  rullaborateuv  Julien  Tiersot  (enquête  faite 
I      sous  le  patronage  du  ministère  de  l'instruction  publique),  qui  paraîtra  prochainement. 


LE  MÉNESTREL 


363 


contempler  en  passant  les  merveilles  de  la  nature,  l'on  entre  dans 
les  chaumières,  l'on  s'entretient  avec  les  habitants,  ou  apprend  à 
connaître  leur  vie,  leurs  mœurs,  on  évoque  avec  eux  les  souvenirs 
du  passé  de  la  race,  et  l'on  pénètre  ainsi  dans  la  complète  intimité 
du  pays.  Des  recherches  analogues  aboutissent  au  même  résultat  : 
j'ai  fait,  au  cours  de  mon  exploration,  maintes  rencoutres  qui  me  le 
prouvèrent.  Un  jour,  au  pied  des  glaciers  du  mont  Blanc,  tandis  que 
je  conférais  avec  un  instituteur  sur  les  chansons  d'autrefois,  un  étu- 
diant en  philologie  d'une  Université  allemande  -s'approcha  et,  se 
mêlant  à  notre  entretien,  vint  demander  des  éclaircissements  sur  des 
particularités  des  patois  savoyards.  Ailleurs,  une  aimable  hospitalité 
m'avait  amené  sous  le  même  toit  qu'un  éminent  naturaliste;  chaque 
jour  nous  partions  ensemble,  lui  étudiant  la  flore  alpestre,  cherchant 
des  traces  de  la  chimérique  manne  de  Briançon,  tandis  que,  de  mon 
côté,  j'allais  cueillir  la  fleur  de  la  chanson,  toujours  vivace  dans  le 
jardin  des  vieux  souvenirs.  Et  je  tiens  que,  de  part  et  d'autre,  cette 
recherche  était  en  tout  point  digne  de  la  gravité  de  la  science.  Est-il 
rien  de  plus  méritoire,  en  effet,  que  de  chercher  à  surprendre  sur  place 
le  secret  de  la  uature?  Une  telle  étude  n'est-elle  pas  aussi  féconde  que 
celle  qui  prétend  s'en  tenir  exclusivement  aux  vieux  bouquins?  Le 
Wagner  de  Goethe  dit  :  «  On  est  bientôt  las  des  forêts  et  des  campagnes. 
Ali  !  quand  vous  déroulez  un  vénérable  parchemin,  c'est  le  ciel  toat 
entier  qui  s'abaisse  sur  vous».  A  quoi  Faust,  en  proie  à  sa  pensée 
intérieure,  répond  avec  dédain  :  «  C'est  le  seul  désir  que  tu  connaisses? 
Oh  !  n'apprends  jamais  à  connaître  l'autre!  »  Le  famulus  n'est  pas  un  si 
beau  modèle  :i  suivre  :  cherchons  à  pénétrer  plus  loin,  et  considérons 
la  vie  dans  la  vie  même. 


A  vrai  dire,  et  puisqu'il  s'agit  simplement  ici  des  chants  du  passé,  on 
ne  saurait  trop  répéter  le  cri  d'alarme  poussé  depuis  longtemps  par 
ceux  qui  ont  à  cœur  de  sauver  de  l'oubli  les  vestiges  de  ces  antiques 
manifestations  de  notre  esprit  national,  car  ils  disparaissent  de  jour  en 
jour,  et  je  ne  crois  pas  être  prophète  de  malheur  en  prédisant  que  la 
génération  qui  naît  actuellement  n'en  connaîtra  plus  rien.  Le  mal  sera 
moins  grand  si  les  livres  les  ont  conservés  :  encore,  est-il  bien  sîir  que 
nous  soyons  venus  à  temps?  Que  de  fois  n'ai-je  pas  vu  des  gens  faire  de 
vains  efforts  de  mémoire  et  s'écrier,  découragés  :  «  Mon  père  chantait 
ceci!  Ah!  si  vous  aviez  entendu  ma  graud'mère!  »  Mais  les  ancêtres 
sont  morts  depuis  longtemps  ;  les  vieux  n'ont  plus  que  de  vagues  sou- 
venirs, et  les  jeunes  encore  moins.  J'ai  vu  des  octogénaires  disant  qu'ils 
avaient  ouï  parler  dans  leur  enfance,  à  leurs  anciens,  de  coutumes  dont 
eux-mêmes  n'avaient  jamais  été  témoins^  par  exemple  les  fêtes  de  Mai, 
si  antiques,  et  auxquelles  sont  associées  de  si  poétiques  chansons.  Il 
était  nécessaire  de  noter  ces  souvenirs  de  choses  abolies  depuis  un  siècle 
et  plus.  Mais  combien  d'autres  qu'on  ne  retrouvera  jamais! 

Sauf  quelques  rares  exceptions,  et  si  je  mets  à  part  le  répertoire  des 
danses  populaires  du  sud  du  Dauphiné,  encore  généralement  pratiquées 
et  connues  de  tous,  c'est  donc  à  des  vieillards,  quelques-uns  très 
avancés  en  âge,  que  je  dois  les  plus  intéressantes  communications. 
Encore  n'avais-je  que  trop  raison  de  m'écrier  :  «  Il  n'est  que  temps  !  Il 
est  trop  tard!  »,  car,  depuis  les  cinq  années  que  cette  recherche  fut 
entreprise,  plusieurs  de  ces  vénérables  collaborateurs  ont  disparu  de  ce 
monde. 

La  première  personne  que  j'entendis,  le  premier  jour  de  mon  entrée 
en  Savoie,  fut  la  vieille  Fanny  Roux,  de  Bonneville,  née  en  1803.  Cette 
brave  femme  a  passé  toat  le  dix-neuvième  siècle  à  olfrir  des  gâteaux  et 
des  fruits  aux  Anglais  traversant  la  ville  pour  se  rendre  au  mont  Blanc, 
jusqu'au  jour  où  le  chemin  de  fer  lui  à  ravi  ce  gagne-pain.  C'était 
jadis  une  chanteuse  renommée.  Elle  commença  par  me  déclarer  ses 
préférences  pour  les  romances  d'Estelle  et  Némorin,  et  me  communiqua 
une  liste  des  principaux  chants  de  son  répertoire,  parmi  lesquels  je 
remarquai  :  //  j^leut  bergère,  Dormez  mes  chères  amours,  Paul  et  Virginie; 
elle  put  aussi  retrouver  dans  sa  mémoire  quelques  vieilles  chansons 
locales,  en  patois,  et  même  un  ou  deux  vrais  airs  populaires.  Elevée  à 
la  ville,  elle  connaissait  peu  les  chansons  rustiques;  elle  n'en  fut  pas 
moins  intéressante  à  observer,  comme  un  véritable  type  d'un  autre  âge. 
Elle  est  morte  peu  de  temps  après  mon  passage. 

Je  trouvai  mieux  encore  à  Cervières,  près  Briançon,  en  la  personne 
de  M"""  Faure  Vincent,  pauvre  vieille  impotente,  clouée  par  la  paralysie 
dans  sa  sombre  maison  de  bois  à  demi-enfouie  sous  terre,  mais  ayant 
gardé  toute  sa  lucidité  d'esprit.  Je  lui  dois  toute  une  collection  de 
chansons,  qu'elle  me  dit  d'une  voix  faible,  mais  très  juste,  et  dans  le 
meilleur  style  du  chant  populaire  :  j'en  ai  extrait  plusieurs  perles, 
notamment  une  intéressante  version  de  la  chanson  de  Renaud,  et  une 
chanson  de  Mai  admirable  de  conservation  et  de  caractère  primitif.  J'ai 
appris  sa  mort  il  y  a  deux  ans. 


J'avais  reçu  longtemps  de  bonnes  nouvelles  du  père  Paulin,  de  La 
Mure,  le  dernier  homme  de  France,  à  coup  siir,  qui  ait  vu  Napoléon. 
Au  retour  de  l'île  d'Elbe,  l'Empereur  s'était  arrêté  quelques  instants  à 
La  Mure  :  ses  grenadiers,  pour  le  soustraire  à  une  curiosité  trop  indis- 
crète, faisaient  ranger  les  habitants  sur  son  passage;  mais  lui,  jugeant 
le  moment  particulièrement  opportun  pour  se  rendre  sympathique  au 
peuple,  avait  fait  approcher  des  enfants  qui  le  regardaient  avec  de 
grands  yeux,  et  leur  avait  parlé.  Le  père  Paulin  fut  de  ceux  qui  recueil- 
lirent cette  auguste  parole!...  Il  eût  été  déplacé  de  ne  pas  lui  deman- 
der quelqu'une  de  ces  chansons  sur  Napoléon  dont  le  souvenir  n'est  pas 
effacé  dans  les  vallées  alpestres,  et  il  s'exécuta  de  bonne  grâce  ;  mais  il 
me  dit  bien  d'autres  choses  encore,  des  rigodons  en  patois  du  pays,  des 
chansons  populaires  françaises,  qu'il  débita  avec  une  bonne  humeur 
entraînante  et  une  voix  encore  belle  dont  l'âge  avait  à  peine  altéré  le 
timbre.  Il  a  survécu  plus  longtemps  que  les  précédents  ;  cependant, 
l'hiver  dernier  a  fini  par  l'emporter  à  son  tour  (1). 

Dois-je  citer  encore  M""  Guichard,  de  Mens,  dont  le  fils  a  publié  d'in- 
téressants travaux  sur  les  patois  du  Triêves?  Elle  voulut  bien,  à  mon 
appel,  venir  dans  un  rnilieu  beaucoup  plus  juvénile,  dont  les  représen- 
tants me  chantèrent  force  rigodons.  Mais  elle  fut  la  seule  à  savoir 
retrouver  la  mélodie  de  la  vieille  complainte  du  Maure  Sarrasin,  à 
laquelle  son  chant  très  lié  et  l'accent  un  peu  indécis  de  sa  voix  prêtaient 
un  charme  archaïque  très  pénétrant. 

A  noter  encore  une  observation  faite  dans  cette  même  réunion  :  il  s'y 
trouvait  un  joueur  de  violon  qui  exécutait  avec  la  plus  grande  sûreté 
les  airs  de  danse.  Or,  à  une  observation  que  je  lui  fis,  il  m'apparut 
qu'il  ne  savait  pas  une  seule  note  de  musique,  et  ne  connaissait  même 
pas  le  nom  des  cordes  de  son  instrument  !  Cela  soit  dit  en  passant,  pour 
répondre  à  ceux  qui  ne  veulent  pas  admettre  que  l'art  populaire  soit  un 
art  purement  instinctif,  n'exigeaut  dans  sa  pratique  ni  effort  ni  étude. 
L'exemple  est  bien  significatif,  puisqu'il  s'agit  ici  d'un  talent  essentiel- 
lement technique,  et  que  cependant  l'artiste  populaire  n'avait  rien 
appris  de  personne,  qu'il  ignorait  tout. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXXI 

ou  LES  PARISIENS  RÉCLAMENT  UN  GBWANDHAUS 

A  Sloasieur  Paul  Viardot. 

—  Allons,  très  bien!  Renouvelons  nos  concerts  et  composons  nos 
programmes  !  Grande  ou  petite,  que  chacune  de  nos  séances  de  l'après- 
midi  dominical  ou  du  soir  ressemble,  dorénavant,  à  un  poème  régulier 
qui  donnerait  un  sens  au  rendez-vous  de  ses  poésies  fugitives,  à  la  col- 
lection préméditée  d'un  amateur  qui  serait  la  preuve  d'un  choix  diffi- 
cile! Quand  l'Histoire  de  la  Sijmphonie  nous  offre,  au  Chàtelet,  des 
parallèles  dont  le  bon  Plutarque  n'avait  pas  eu  le  pressentiment,  ou 
l'audition  chronologique  des  neuf  symphonies  beethovéniennes  au 
Nouveau-Théâtre,  applaudissons!  Nos  vœux  ne  sont  plus  purement 
platoniques...  Et  notre  patriotisme  ne  s'alarme  guère,  si  la  seconde 
symphonie  d'Herold  ne  parvient  pas  à  détrôner  l'Ut  mineur!  Récipro- 
quement, ta  symphonie  en  ut  majeur  (n"  /),  datée  1800,  et  qui  représente 
encore  la  symphonie  auajîi  Beethoven,  nous  fait  mieux  apprécier,  par 
antithèse,  la  réelle  majesté  bretonne  des  préludes  marins  de  l'Ouragan, 
le  singulier  «  ronron  chromatique  »  des  Sirènes  impressionnistes  de 
M.  Claude-Achille  Debussy  :  tort  bien,  tout  cela!  Mais,  il  y  a  un  gros 
mais  qui  s'impose  :  si  le  contenu  vous  agrée,  ne  déplorez-vous  donc 
pas,  avec  moi,  les  défectuosités  du  contenant,  du  cadre  indigne  habituel- 
lement de  ce  tableau  sonore?  Au  fait!  Une  salle  de  concerts  nous 
manque;  et  les  Parisiens  réclament  un  Gewandhaus... 

—  Il  est  assez  bizarre,  en  effet,  que  la  première  année  du  XX=  siècle 
soit  encore  dépourvue  de  cet  oratoire  nécessaire,  maintenant  que  nous 
communions,  tous  et  toutes,  dans  la  religion  de  l'orchestre.  Vous  parlez 
de  Paris? 

—  Je  parle  uniquement  de  notre  Paris  :  car,  sans  avoir  autant  voyagé 
que  feu  Rubinstein  ou  M.  Pugno,  je  n'ignore  pas  que  la  plupart  des 

(1)  Par  le  t'ai!;,  —  j'ai  regret  ù  le  constater,  mais  un  dernier  séjoui-  fait  dans  le  pays  en 
octobre  1900  m'en  a  donné  la  triste  certitude,  —  l'énumération  des  chanteurs  dauphinois 
et  savoyards  qui  m'ont  aidé  dans  ma  récolte  n'est  plus  aujourd'hui,  hélas  I  qu'une  longue 
nécrologie.  Cette  constatation  établit  du  moins  que  je  suis  arrivé  à  temps,  mais  bien  au 
dernier  moment,  car,  désormais,  il  serait  impossible  de  retrouver  dans  la  mémoire  popu- 
laire le  quart  des  documents  que  j'ai  pu  réunir. 

{■1}  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre, 
des  13,  20  et  27  octobre,  des  3  et  10  novembre  1901. 


364 


LE  MÉNESTREL 


villes  étrangères  possèdent  depuis  longtemps  ce  qui  nous  manque.  Que 
dis-je?  La  province  même  aurait  des  modèles  à  proposer  aux  conserva- 
teurs de  la  capitale  :  je  me  rappelle  Bordeaux,  l'aristocratique  cité, 
Nancy,  de  même.  Hors  de  France,  la  démonstration  serait  trop  com- 
mode; elle  n'est  compliquée  que  par  l'abondance  des  exemples.  Londres 
ne  recèle-t-il  pas  le  type  achevé  de  la  salle  vraiment  digne  des  chefs- 
d'œuvre  :  Saint- Jame's  Hall,  sans  compter  les  autres?  Pétersbourg  et 
Stockholm  sont  mieux  partagés  que  ce  Paris  dont  ils  imitaient  jadis  la 
moindre  innovation.  Scandinaves  et  Russes  pourraient  en  remontrer 
aux  Français  dont  le  bon  ton  fut  leur  premier  maître...  Inutile  de 
vous  nommer  les  villes  allemandes,  «  qui  ont  toutes  une  salle  avant 
d'avoir  une  crèche!  »  (1)  Et  vous  connaissez,  au  moins  de  réputation, 
le  merveilleux,  le  nouveau  Gewandhaus  de  Leipsig,  où  les  kappelmeisler 
les  plus  illustres  ont  mimé  tour  â  tour  les  symphonies  les  plus  magis- 
trales ? 

—  Il  faudrait  pouvoir,  avec  le  concours  gracieux  des  Esprits  de  l'air, 
le  démonter  nuitamment,  pièce  â  pièce,  comme  ou  a  disloqué  subito 
la  Salle  d'Harcourt  qui,  malgré  ses  bonnes  intentions,  ne  le  valait  pas, 
et  le  transporter,  sur  le  manteau  de  Faust,  au_beau  milieu  du  rond- 
point  des  Champs-Elysées,  à  la  place  de  cette  ruine  peu  grandiose  qui 
les  déshonoi'e... 

—  Mes  compliments  pour  votre  imagination  !  Bienvenue  serait  la 
0  folle  du  logis  »  qui  réaliserait  sans  encombres  une  telle  conquête, 
aussi  pacifique  que  magique  ! 

—  Votre  énumération  trop  précise  augmentait  mes  regrets,  qui  sont 
trop  réels  ;  et  j'avais  besoin  de  m'échapper  dans  la  féerie...  Mais  reve- 
nons aux  faits  positifs.  Vous  parlez  de  Paris  :  eh  bien  !  ce  n'est  pas  une 
salle  parfaite  de  concerts  qu'il  nous  faudrait,  mais  plusieurs,  vu 
l'accroissement  des  sociétés  rivales  et  la  bienfaisante  invasion  de  la 
musique... 

—  N'allons  point  trop  vite!  La  France  passe  toujours,  avec  désin- 
volture, de  l'ancien  régime  le  plus  étroit  à  la  révolution  la  plus  radicale. 
Et  vous  êtes  si  pressé  que  Méphistophélès,  le  prince  des  Esprits  que  vous 
évoquez,  n'aurait  nulle  peine  à  vous  traiter  de  Français...  Moi,  je  me 
contente  de  suffoquer  au  promenoir  du  Nouveau-Théâtre,  alors  que 
s'éternisent  les  ruines  banales  du  Cirque  d'Été  qui  fut,  musicalement, 
si  glorieux  !  Dans  ce  théâtre,  si  voisin  d'un  music-hall  que  les  tympa- 
nons  de  la  danse  du  ventre  se  perçoivent  quand  la  grande  âme  du  dieu 
Beethoven  condescend  à  s'apaiser  en  un  pianissimo  divin,  dans  ce  théâ- 
tre étouffant,  il  me  semble  toujours  que  la  grande  ombre  du  maître 
Lamoureux,  ce  bourru  bienfaisant  de  la  musique,  nous  reproche  nos 
lenteurs  bureaucratiques  et  nos  architectures  provisoires  en  évoquant 
TiHstan  et  Yseult...  Son  rêve  réalisé  dans  cette  élégante  prison,  ce  rêve 
dont  il  est  mort,  devrait  avoir  la  secrète  puissance  de  vos  Esprits  de  l'air 
et  nous  souffler  leur  énergie  pour  inaugurer  magistralement  un  Gewan- 
dhaus. Les  ruines  de  là-bas  n'ont  que  trop  duré  :  qu'attendez-vous 
donc? 

—  Vous  aussi,  vous  vous  emportez,  vous  devenez  lyrique.  Ce  sujet, 
purement  administratif  en  apparence,  aurait-il  les  vertus  d'une  bouteille 
de  Leyde  ?  Quel  magnétisme  impérieux  s'en  exhale  ?  Quelle  électricité, 
plus  persuasive  que  les  mélodieuses  fadeurs  de  la  Symphonie  palhétique, 
chant  du  Cygne  inégal  qu'était  feu  Tschaikowsk'y,  cet  éclectique  qui 
passionna  surtout  les  dilellanli  cosmopolites  de  Chicago...  (2)  Mais,  pour 
attendre  moins  impatiemment  les  résolutions  de  nos  édiles,  pour  mêler 
uu  peu  d'eau  rafraîchissante  au  vin  pur  de  vos  rêves  d'avenir,  regardez 
le  passé.  Contemplez,  avec  moi,  le  panorama  du  siècle  dernier  :  j'entends 
le  XIX'  siècle,  qui  restera  comme  le  siècle  de  la  Musique.  Qu'y  décou- 
vrons-nous ?  Des  victoires  musicales,  remportées  en  des  espaces  ridi- 
cules. Le  plus  amusant  de  tous  les  siècles  en  apparaît  parfois  le  plus 
navrant.  L'autre  dimanche  d'automne,  nous  étions  les  seuls  à  célébrer 
ici  l'anniversaire  du  brave  Pasdeloup  :  eh  bien!  le  27  octobre  1861,  â 
deux  heures,  où  conviait-il  la  foule  à  découvrir  la  Pastorale  beethové- 
nienne,  ce  chef-d'œuvre  du  paysage,  et  le  fin  Concerto  pour  violon,  de 
Mendelssohn,  perlé  par  Alard  ?  Dans  une  écurie,  dans  un  cirque  ! 
Nouvelles  épées  de  Damoclès,  des  trapèzes  menaçaient  le  front  déjà 
chenu  du  lutteur  pour  l'art.  Un  demi-jour  désagréable  combattait  les 
feux  incertains  des  lustres.  Et  dix-huit  ans  plus  tard,  avant  les  beautés, 
alors  confuses,  du  Faust  de  Schumann,  qui  semblait  gris  au  souvenir 
étincelant  de  la  Damnation  de  Faust,  je  me  souviens  du  bon  Pasdeloup 
appelant  éperdument  le  lampiste... 

—  N'était-ce  pas  l'âge  d'or?  Vous  l'avez  dit  !  Le  boulevard  du  Crime, 

(1)  M.  Paul  Viardot,  dans  ses  Notes  et  croquis  d'art  sur  la  musique  (Le  Petit  Poucet, 
n"  14,  15  et  16  ;  —  1901).  —  Cf.  l'ouvrage,  précédemment  cité,  de  M.  Dandelot,  sur  la 
Société  des  Concerts. 

(2)  Cf.  La  Musique  a  Paris,  IV'  année  (1807-98},  où  notre  confrère  Gustave  Robert 
oppose  les  jugements  français  à  l'engouement  de  M.  H. -T.  Finclc,  de  V Eveniruj-Post  de 
New- York,  qui  nous  reproche  de  méconnaître  un  chef-d'œuvre. 


disons  le  boulevard  du  Temple,  s'ennoblissait  d'une  foule  pieuse.  Ce 
quartier  populeux,  presque  faubourien,  devenait  auguste,  comme  un 
Bayreuth  avant  la  lettre.  Et  c'est  dans  l'atmosphère  de  ce  crépuscule 
trivial  que  le  rêve  d'un  peintre-mélomane  tel  que  M.  Fantin-Latour 
ébauchait  ses  premières  impressions  ailées...  (1) 

—  Bénissons  alors  le  Cirque  d'Hiver  :  mais  tout  aurait-il  été  perdu, 
si  l'acoustique  eût  été  meilleure? 

—  Notez  seulement  le  contraste  :  depuis  plus  de  trente  ans,  depuis  le 
fameux  dimanche  -9  mars  1828,  à  deux  heures  plus  que  précises,  la 
Société  des  Concerts  trônait  délicatement  dans  cette  bonbonnière  aristo- 
cratique, qu'à  la  même  époque,  vers  1863.  le  goût  qui  nous  revient  sur 
le  tard  et  le  piuceau  joli  de  MazeroUe  allaient  nous  restituer  jBompci'eHfie; 
salle  exquise,  et  qui  n'a  jamais  eu  d'autre  défaut  que  d'être  trop  petite, 
au  point  de  rendre  longtemps  la  Société  trop  exclusive  en  sa  perfection. 
C'est  une  heureuse  faute,  un  brillant  défaut  :  la  musique  avait  trouvé 
son  Louvre  en  miniature.  Et  psychologiquement,  comme  toujours, 
l'âme  sympathisait  avec  le  décor  :  d'une  part,  dans  le  salon  de  la  rue 
Bergère,  les  élégants  de  la  symphonie  poudrée,  enclins  aux  pensées 
conservatrices,  et  ravis  discrètement  de  se  retrouver  dans  une  succur- 
sale du  noble  Faubourg  où  l'on  peut  applaudir  avec  des  gants  si  distin- 
gués que  les  bravos  à  peine  se  distinguent...  Là-bas,  au  boulevard  cher 
à  Frederick  Lemaitre,  au  grand  Frederick  du  mélodrame  de  pourpre  et 
de  sang,  la  foule,  la  jeune  foule  enthousiaste,  heureuse  naïvement  de 
découvrir  à  la  fois  les  jeunes  et  les  maîtres,  tous  les  jeunes,  puisque  les 
classiques  furent  les  bourgeons  harmonieux  du  printemps  de  l'Art... 
Deux  quartiers,  deux  camps.  Ici,  le  Conservatoire,  un  coin  d'aristocratie 
légère,  que  Gluck  et  David  ont  magnifié  d'un  parfum  d'Institut  gran- 
diose; là-bas,  un  Cirque,  où  la  chaste  Muse  était  forcée  de  «  signer  un 
bail  avec  la  Femme-Canon  »  (2)... 

—  Pauvre  Euterpe  !  Délicieuse  Muse  de  la  mansarde  et  rédemptrice 
d'un  cirque  malsain!  Sa  persévérance  a  fait  notre  éducation  musicale! 
Elle  a  bravé  nos  engouements  comme  nos  dégoûts,  l'excès  des  siffleurs 
et  des  ovations  aveugles.  Elle  a  transfiguré  la  Gaule  des  romances  lar- 
moyantes et  des  couplets  grivois.  Elle  a  substitué  le  dieu  Beethoven 
aux  sensibleries  de  Loisa  Pujet,  aux  gaillardises  du  Caveau.  Puis,  chez 
Colonne,  au  Chàtelet  du  Tour  du  Monde  et  de  Rothomago,  parmi  les 
carabins  échevelés,  elle  a  soutenu  leur  génial  confrère,  le  romantique 
par  excellence,  Hector  Berlioz.  Puis,  en  dépit  des  snobs,  elle  acclama 
Wagner  et  Lamoureux  dans  un  promenoir  encore  profané  par  des 
vestiges  d'encens  païen...  Partout  l'effort!  Et  après  un  demi-siècle  de 
batailles  et  de  victoires,  elle  n'a  pas  encore  obtenu  le  temple  digne 
d'elle!  Vous  avouerez  que  l'auditeur  français  et  la  Muse  française 
forment  un  couple  accommodant... 

—  Rêveriez-vous,  pour  leur  apothéose,  un  palais  modem  style,  avec 
des  parafes  de  Guimard  et  des  affiches  de  Mucha? 

—  Je  préférerais,  pour  ma  part,  la  bonne  salle  idéale,  le  vaisseau 
parfait,  mais  «  nu  comme  le  discours  d'un  académicien  ».  N'est-ce  pas 
Beethoven  en  personne  qui  savait  déjà  combien  l'acoustique  ou  la  super- 
ficie peut  influer  sur  les  mouvements  à  prendre,  sur  la  composition,  la 
disposition  d'un  orchestre?  Avis  aux  amateurs,  les  musiciens-archi- 
tectes! Mais  notre  conversation  me  rappelle  le  brave  Pasdeloup,  l'ini- 
tiateur, tel  que  Bruneau  le  rencontra  sur  le  boulevard,  un  lointain 
mercredi  d'octobre,  arrêté  devant  une  colonne  Morris,  «  et  constatant 
la  première  absence,  depuis  vingt-cinq  ans,  du  petit  carré  de  papier 
rouge,  annonciateur  de  ses  programmes  à  lui,  pauvre  être  vaincu....  »  (3). 

—  Je  devine  sa  fuite  et  ses  larmes... 

(A  suivre.)  Raymond  Bodyer. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  Un  peu  après  1812,  i  l'époque  où  Beethoven  avait 
composé  ses  huit  premières  symphonies,  Herold  en  écrivait  une  en  ré,  que 
M.  Colonne  vient  de  faire  entendre.  Le  musicien  charmant  de  Zampa  et  du 
Pré  aux  Clercs  en  était  encore  à  la  forme  primitive  en  trois  parties,  un  demi- 
siècle  après  l'introduction  du  menuet  par  Mozart,  en  1707.  Le  petit  ouvrage 
du  jeune  maitre  n'offrait  d'intérêt  réel  ni  au  point  de  vue  des  idées,  ni  au  point 
de  vue  de  l'orchestration.  On  doit  le  considérer  comme  l'exercice  très  louable 
d'un  lauréat  de  l'Institut,  désireux  de  se  rompre  la  main  en  pratiquant  un 
genre  étranger  à  ses  tendances  véritables.  Le  coté  fâcheux  de  l'essai,  c'est 
que  l'auteur  semblait  ne  pas  soupçonner  quel  essor  magnifique  venait  de 
prendre  la  branche  de  l'art  dans  laquelle  il  s'essayait.  Mais,  par  la  plus 
bizarre  des  coïncidences,  ce  maitre  français,  délicieux  quand  il  est  resté  dans 

(1)  Voir  les  chapitres  X  et  XI  de  nos  Peintres  mélomanes  (Ménestrel,  1900-01). 

(2)  .Mot  de  JI.  Paul  Viardot,  toc.  cil. 

(3)  La  Musique  Française  (Paris,  Pasquelle,  1901);  pages  96-97. 


LE  MENESTREL 


365 


sa  sphère,  surprenait  sons  sa  plume  en  183'2  ua  thème  que  nous  pouvons 
retrouver  dans  un  minuscule  ouvrage  publié  en  1783  sous  le  titre  :  Trois  Sona- 
tines pour  piano,  dédiées  à  Son  Éminence  l'Archevêque  Electeur  de  Cologne, 
Maximilien  Frédéric,  mon  digne  Seigneur,  et  cotnposées  par  Louis  van  Beethoven  à 
l'âge  de  onze  ans.  Si  l'on  se  reporte  à  l'andante  de  ia  seconde  sonatine,  écrit 
à  deux  temps,  et  si  l'on  dédouble  le  second  temps  en  remplaçant  les  croches 
égales  par  une  blanche  dans  les  deux  premières  mesures  et,  dans  la  troi- 
sième, les  quatre  doubles-croches  par  quatre  croches,  on  a  exactement  le 
motif  de  la  romance  célèbre  :  Rendez-moi  ma  pairie,  du  Pré  aux  Clercs.  C'est 
d'aulant  plus  curieux  qu'aucun  soupçon  de  plagiat  ne  peut  être  accueilli  sans 
invraisemblance.  D'ailleurs,  si  le  contraste  est  grand  sous  certains  rapports 
de  la  romance  ou  fragment  de  sonatine,  il  devient  vraiment  extraordinaire, 
quand  nous  passons  de  la  symphonie  d'Herold  à  celle  en  ut  mineur  de  Bee- 
thoven. Pourtant,  l'interprétation  de  la  seconde  ne  valait  pas  celle  de  la  pre- 
mière. J'avoue  ne  pas  aimer,  dans  les  œuvres  classiques,  les  tempo  rubato 
qui  ne  sont  pas  ménagés  avec  un  tact  exquis  et  une  absolue  discrétion;  j'ap- 
précie surtout,  dans  le  système  d'instrumentation  en  usage  à  l'époque  de 
Mozart  et  de  Beethoven,  l'équilibre  calme  et  noble  de  la  polyphonie.  L'or- 
chestre du  Châtelet  a  été  de  beaucoup  supérieur  dans  le  morceau  sympho- 
nique  de  Rédemption  par  César  Franck,  et  tout  à  fait  excellent  dans  les 
Impressions  d'Italie  de  M.  G.  Charpentier.  L'accueil  qu'ont  reçu  ces  deux 
ouvrages  constitue  un  succès  considérable  et  des  mieux  mérités.  La  Bapsodie 
norvégienne  de  Lalo  renferme  un  premier  morceau  qui  est  une  merveille 
d'ingéniosité  et  où  se  rencontrent  deux  mélodies  ravissantes.  Quelques  audi- 
tions seraient  encore  nécessaires  pour  nous  habituer  à  cette  musique  où 
l'orchestre  alErme  sa  virtuosité  avec  tant  de  délicatesse,  de  finesse  et  de 
charme.  Le  concerto  en  la  mineur  de  Schumann  a  été  joué  par  M.  Joseph 
Thibaud.  Cet  artiste  a  fait  preuve  de  qualités  au  point  de  vue  du  mécanisme. 
Son  jeu  a  beaucoup  de  netteté  naturelle  et  ne  manque  ni  d'éclat,  ni  de  pré- 
cision. Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Après  avoir  commencé  la  production  des  sym- 
phonies de  Beethoven  par  la  dernière,  c'est-à-dire  par  une  œuvre  symphoni- 
que  telle  qu'aucune  autre  ne  saurait  y  atteindre,  M.  Chevillard  a  entrepris  de 
nous  faire  à  présent  entendre  les  huit  premières  symphonies  du  maître  dans 
leur  ordre  chronologique.  Au  dernier  concert  la  deuxième  symphonie  en  ré, 
qu'on  entend  trop  rarement,  a  ravi  l'auditoire  ;  le  noble  larghetto  surtout  et 
le  scherzo  débordant  de  belle  humeur  ont  été  vivement  applaudis.  L'ouver- 
ture de  Manfred,  de  Schumann,  dims  laquelle  les  deux  génies  de  Byron  et  de 
Schumann,  marqués  au  coin  de  la  fatalité  et  pourtant  si  profondément  cap- 
tivant», semblent  se  marier  si  opportunément,  a  été  rendue  dans  la  perfection 
et  a  produit  une  grande  impression.  La  pièce  de  résistance  était  la  Symphonie 
pathétique  de  Tschaïkowsky ,  encore  un  peu  contestée  chez  nous,  mais 
qui  est  visiblement  en  passe  de  gagner  la  place  qu'elle  mérite  et  qu'on 
lui  accorde  déjà  depuis  quelques  années  en  Angleterre  et  en  Allemagne.  Et 
ce  sera  justice,  car  depuis  Schumann  aucune  autre  symphonie  n'est  arrivée  à 
se  maintenir  aussi  rigoureusement  dans  les  formes  classiques  de  la  sym- 
phonie, avec  autant  d'esprit  nouveau,  que  cette  dernière  œuvre  du  compositeur 
russe.  On  y  chercherait  en  vain  les  thèmes  slaves  qu'on  trouve  si  souvent 
dans  ses  compositions  lyriques  :  cette  symphonie  est  bien  internationale, 
comme  les  productions  classiques  du  genre.  Cela  ne  l'a  pas  empêché  de 
traiter  l'orchestre  avec  tout  le  piquant  et  tout  le  raffinement  des  musiciens 
néo  russes.  Le  plus  grand  succès  a  été  obtenu,  comme  toujours  et  comme 
partout,  par  l'allégro  con  cjrazia,  dans  lequel  un  ravissant  thème,  frais  et 
mélodieux  comme  une  inspiration  de  Schubert,  est  développé  d'une  façon 
absolument  charmante  et  souligné  par  des  effets  d'orchestre  poignants, 
comme  par  exemple  le  pizzicato  si  heureusement  employé.  L'adagio  lamen- 
toso  qui  clôture  l'œuvre  a  été  également  fort  goûté  et  quelques  marques 
isolées  de  mécontentement  ont  été  vite  réprimées  par  les  applaudissements 
bien  nourris  de  la  grande  majorité  de  l'auditoire.  Encore  quelques  exécutions 
aussi  impeccables  que  la  dernière  et  l'œuvre  aura  conquis  droit  de  cité 
dans  les  programmes  de  nos  grands  concerts.  Deux  œuvres  françaises  ont 
complété  celui-ci  :  le  premier  concerto  pour  piano,  de  Saint-Saêns,  correc- 
tement interprété  par  M™=  Berthe  Marx,  et  le  superbe  finale  du  diver- 
tissement des  Erinnyes,  de  Massenet,  admirablement  joué  et  accueilli  avec 
une  satisfaction  très  légitime.  0.  Berggruen. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Rédemption  (César  Franck).  —  Première  Symphonie  (We- 
ber).  —  Fantaisie  pour  piano  (Louis  Aubert),  par  JM.  Louis  Diémer.  —  Symphonie  fan- 
tastifjue  (Berlioz).  —  Ouverture  de  Phèdre  (Massenet). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  :  Troisième  symphonie  (Beethoven).  —  Stella 
(H.  Lntz),  chantée  par  M""  Polack.  —  Fantaisie  pour  piano  et  orchesti'e  (Em.  Bernard), 
par  M.  Philipp.  —  Siegfried-Idyll  (Wagner).  —  Air  d'Alceste  (Gluck),  par  M""  Polack. 
— ■  Invitation  à  la  valse  (Weber). 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  novembre)  : 
La  reprise  de  Werther,  annoncée  depuis  longtemps  et  attendue  non  sans 
impatience,  à  la  Monnaie,  a  obtenu  un  vif  succès.  Après  les  débauches  de 


Verdi  et  de  Meyerbeer  dont  nous  fûmes  régalés,  un  peu  de  la  musique  ex- 
quise, rafûnée,  tendrement  féminine  de  M.  Massenet  devait  plaire  particuliè- 
rement. Et  cette  reprise  de  l'œuvre  expressive  et  charmante  du  maitre,  souvent 
jouée  à  Bruxelles  par  des  interprètes  divers,  nous  apportait  un  intérêt  spé- 
cial, celui  d'une  distribution  cette  fois  encore  complètement  nouvelle  et  com- 
posée d'éléments  bien  faits  pour  piquer  notre  curiosité.  On  était  curieux  en 
effet  de  voir  le  rôle  de  Charlotte  —  qui  fut  créé  ici,  presqu'en  même  temps 
qu'à  Paris,  par  M"°=  Chrétien- Vaguet,  et  où,  ensuite.  M"":  Lejeune  fut  si 
remarquable,  si  idéalement  sentimentale  et  touchante  —  chanté  par  M"«  Pa- 
quot,  dont  la  voix  admirable  pouvait  y  paraître  mal  à  l'aise,  et  peu  faite  pour 
en  rendre  toutes  les  délicatesses.  Avec  une  rare  intelligence  et  un  instinct 
scénique  qu'elle  avait  fait  deviner  dès  ses  premiers  débuts,  la  jeune  artiste  a 
bravé  ce  péril  et  en  est  sortie  victorien  sèment.  Elle  adonné  à  certaines  pages 
de  l'œuvre  un  éclat  et  une  intensité  superbes,  notamment  la  magnifique  scène 
du  troisième  acte,  dans  laquelle  M.  David,  un  "Werther  plein  de  jeunesse  et 
de  chaleur,  lui  adonné  la  réplique  excellemment.  Une  Sophie  gentillette,  un 
peu  timide,  M"=  Tourjane,  un  bailli  tout  à  fait  bien,  M.  Belhomme,  et 
M.  Badiali,  dans  le  rôle  d'Albert,  complétaient  cette  interprétation  très  soi- 
gnée, à  laquelle  l'orchestre  a  apporté  l'appoint  d'une  exécution  nuancée  et 
vibrante. 

Cette  soirée  n'a  pas  été  la  seule  où  M.  Massenet  ait  triomphé,  cette  semaine, 
en  Belgique.  Il  a  triomphé  aussi,  quelques  jours  auparavant,  au  Théâtre- 
Royal  d'Anvers,  où  a  été  donnée  la  première  de  Sapho,  qui  n'avait  été  jouée 
encore  qu'à  Tournai,  fort  imparfaitement.  Cette  fois,  l'œuvre  était  défendue 
par  des  artistes  de  réel  talent,  tels  que  M"«  Marignan,  une  Sapho  extrême- 
ment distinguée,  et  M.  Boulo,  un  Jean  Gaussin  plein  de  mérite,  sans  oublier 
M""^  Tony  (Divonne),  MM.  Lequien  (Césaire)  et  Rossel  (Caoudal),  et  elle  a 
produit  un  effet  considérable.  La  scène  finale  du  troisième  acte  a  été  saluée 
d'un  triple  rappel,  et  les  deux  derniers  actes  ont  fait  verser  des  déluges  de 
larmes.  Très  bon  orchestre,  dirigé  par  M.  Bruni,  et  chœurs  vaillants.  Les 
Anversois  sont  très  fiers  de  ce  succès,  qu'ils  o.nt  enlevé  disent-ils,  aux  Bru- 
xellois pour  se  venger  de  tous  ceux  que  les  Bruxellois  leur  prsnnent.  On  sait 
que  lorsque  les  Anversois  se  mettent  à  être  enthousiastes,  ils  ne  le  sont  pas 
à  demi.  Ce  sont  les  Marseillais  de  la  Belgique.  Et  déjà  ils  se  préparent  à 
s'offrir  une  autre  primeur,  celle  du  nouvel  opéra  de  MM.  Nestor  de  Tière  et 
Jan  Blockx,  la  Fiancée  de  la  mer  (De  Brind  der  Zee),  qui  verra  le  jour  à  la  fin 
du  mois  au  Théâtre  flamand.  L'œuvre  est,  dit-on,  très  dramatique,  et  la  par- 
tition, très  pittoresque  et  très  vivante,  tout  à  fait  digne  du  compositeur  de 
Princesse  d'auberge  et  de  Thyl  Vylenspiegel  L.  S. 

—  En  Belgique,  les  directeurs  de  troupes,  les  sociétés  dramatiques,  les 
propriétaires  ou  locataires  de  salles  de  spectacles  désireux  de  faire  admettre 
leurs  salles  comme  théâtres  réguliers,  doivent  en  faire  la  déclaration  à  l'ad- 
ministration communale  de  la  localité  où  la  salle  est  située.  Le  gouverne- 
ment vient  de  publier  le  relevé  des  théâtres  admis  comme  réguliers  pour 
l'année  théâtrale  1901-1902.  Il  en  résulte  que  le  nombre  de  ces  théâtres  s'é- 
lève, pour  tout  le  royaume,  à  237.  La  ville  qui  en  possède  le  plus  grand 
nombre  est  Liège,  qui  en  compte  8.  Viennent  ensuite  Bruxelles  et  Anvers 
avec  chacune  7  théâtres,  puis  Gand  avec  b,  et  Limbourg  avec  2.  Ua  seul 
chef-lieu  de  province,  Bruges,  ne  possède  aucun  théâtre  régulier,  et  une  seule 
province,  celle  de  Luxembourg,  est  dans  le  même  cas. 

—  Les  théâtres  d'outre-Rhin  ont  rouvert  leurs  portes,  et  leur  répertoire 
lyrique  montre  qu'ils  ne  cessent  de  jouer  les  œuvres  françaises.  On  a,  en 
effet,  représenté,  à  Vienne  :  Faust,  Carmen,  Mignon,  te  Prophète,  Roméo  et  Juliette, 
Manon,  Guillaume  Tell,  Werther.  Robert  le  Diable,  l'Africaine  ;  à  Berlin:  Carmen, 
Faust,  Guillaume  Tell,  Mignon,  l'Africaine,  le  Prophète,  Samson  et  Dalila,  ia  Fille 
du  Régiment  ;  à  Dresde  :  Samson  et  Dalila,  la  Fille  du  Régiment,  Fra  Diavolo, 
Mignon,  le  Prophète,  l'Africaine  ;  à  Leipzig:  Guillaume  Tell,  le  Prophète,  le  Pos- 
tillon de  Lonjumeau,  Mignon,  Faust,  Carmen;  à  FRANCFonT  :  La  Poupée  {Audrein), 
Faust,  Guillaume  Tell,  les  Huguenots,  Benvenuto  Cellini,  Carmen  ;  à  Hanovre  :  les 
Huguenots;  à  WiESHADEN  :  Mignon,  le  Prophète,  Carmen,  Djamileh;  à  Carlsruhe  : 
Carmen,  Fra  Diavolo,  Guillaume  Tell;  à  Cologne:  le  Postillon  de  Lonjumeau, 
Carmen,  Faust,  lés  Huguenots. 

—  Jacques  Ofîenhach  vient  de  remporter  un  triomphe  posthume  à  l'Opéra 
impérial  de  Vienne,  où  il  n'avait  été  joué,  jusqu'ici,  qu'une  seule  fois,  son 
opéra  les  Nixes  du  Rhin  ayant  subi  à  la  première  repré.sentation  un  échec 
tellement  formidable  que  la  direction  avait  dû  l'abandonner  tout  aussitôt. 
Cette  fois  les  Contes  d'Hoffmann,  admirablement  interprétés  et  favorisés  d'une 
brillante  mise  en  scène,  ont  obtenu  un  succès  complet;  nombreux  rappels  et 
applaudissements  retentissants  après  chaque  acte.  Le  directeur  de  l'Opéra, 
M.  Mahler,  conduisait  en  personne  ;  il  avait  aussi  dirigé  les  repétitions  avec 
un  zèle  fort  louable.  Le  troisième  acte  a  cependant  paru  un  peu  long  ;  on  dit 
que  quelques  coupures  seront  pratiquées  pour  la  troisième  représentation. 

—  Le  festival  lyrique  du  théâtre  royal  de  VSTeshaden,  si  favorisé  par  l'em- 
pereur Guillaume  II,  est  déjà  annoncé  pour  le  printemps  prochain.  On  pré- 
pare une  représentation  A'Arm'ule  de  Gluck,  avec  une  mise  en  scène  superbe, 
dont  Guillaume  II  aura  à  payer  les  frais,  et  une  reprise  de  la  Muette  de  Por- 
tici,  d'Auber, avec  un  Vésuve  flambant  neuf  et  le  reste  à  l'avenant; 

—  Le  malheureux  compositeur  Hugo  'VVolf,  dont  les  lieder  se  propagent  de 
plus  en  plus  en  Allemagne,  se  trouve  dans  un  triste  état  dans  l'asile  de 
Doebling,  près  de  Vienne,  où, des  amis  l'ont  placé;  il  passe  ses  journées  dans 


366 


LE  MENESTREL 


un  état  d'apathie  complète;  il  ne  reconnaît  plus  personne.  Dans  ces  derniers 
temps  sa  santé  physique  s'est  profondément  altérée,  et  les  médecins  pensent 
que  les  jours  de  l'artiste  sont  comptés.  Wolf  a  à  peine  dépassé  la  quarantaine. 

.  —  Une  mésaventure  piquante  est  arrivée  à  la  chanteuse  M"»^  Aranka 
Hegyi.  de  Budapest.  Un  sculpteur,  chargé  par  le  conseil  municipal  de  cette 
ville  de  fournir  une  statue  de  Csnrdcis,  la  danse  nationale  des  Magyars,  pour 
la  salle  des  redoutes,  avait  réussi  à  produire,  d'après  la  charmante  artiste, 
une  œuvre  qui  a  réuni  tous  les  suffrages.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  placer  la 
statue  contre  le  pilier  qu'elle  devait  masquer,  on  s'aperçut  qu'elle  ressemblait 
trop  a  l'Aphrodite  Calljpyge,  et  que  cette  ampleur  des  formes  ne  permettait 
pas  son  placement  contre  un  pilier.  Le  président  de  la  commission  des  heaux- 
arts,  qui  est  en  même  temps  le  chef  de  la  commission  des  denrées  alimentaires, 
—  quel  joli  cumul!  —  prit  alors  une  résolution  énergique;  il  fit  venir  un  pra- 
ticien à  qui  il  ordonna  d'enlever  à  la  pauvre  M™'  Hegyi  in  l'Ifif/ie  la  partie  plan- 
tureuse de  son  corps  qui  l'empêchait  de  décorer  la  salle  sous  forme  de  statue. 
L'.^phrodite  Callipyge  l'ut  ainsi  transformée  en  Aphrodite  apyge,  et  les  citoyens 
de  Budapest,  en  regardant  de  près  la  statue  du  Csardàs,  ne  seront  pas  peu 
étonnés  de  voir  qu'elle  manque  tout  à  fait  d'une  partie  de  corps  qui  est  pré- 
cisément essentielle  pour  bien  danser  le  csardâs. 

—  Un  événement  terrible' s'est  produit  le  I"  novembre  au  concert  de  l'Aca- 
démie de  musique  de  Munich.  C'était  un  concert  en  dehors  de  l'abonnement, 
et  le  public  arrivait  très  nombreux  lorsque,  quelques  minutes  avant  le  com- 
mencement de  la  séance,  un  fou,  placé  au  haut  des  marches  de  l'escalier  de 
la  salle,  tira  sur  la  foule  quatre  coups  de  revolver,  blessant  mortellement 
deux  distributeurs  de  billets  et  légèrement  deux  autres  personnes,  après  quoi 
il  se  tua  lui-même  d'un  cinquième  coup  de  son  arme.  On  devine  la  stupeur 
et  l'effroi  des  assistants  en  présence  d'un  tel  fait.  Le  meurtrier,  dont  on  recon- 
nut l'identité,  était  un  sculpteur,  nommé  Johann  Hoffmann,  habitant  Munich 
depuis  peu  de  temps  et  auquel  on  n'avait  rien  reproché  jusqu'alors.  Ce  qui 
est  assez  singulier  c'est  que  l'événement  resta  ignoré  des  spectateurs  placés 
dans  la  salle,  et  que  le  concert  eut  lieu  comme  si  rien  ne  s'était  passé. 

—  On  prépare  à  Mayence,  pour  le  mois  de  mai  de  l'année  prochaine,  un 
grand  festival  Berlioz-Liszt- Wagner,  qui  comprendra  quatre  concerts  dirigés 
par  M.  Félix  Weingartner.  C'est  M.  Fritz  'Volbach  qui  préparera  le  travail 
des  chœurs  et  M.  Weingartner  amènera  de  Munich  son  orchestre  de  la  salle 
Kaim. 

—  Le  théâtre  municipal  d'Elberfeld  vient  de  jouer,  non  sans  succès,  un 
opéra  intitulé  Ja  Base  du  jardin  d'amour,  paroles  de  M.  James  Grun,  musique 
de  M.  Hans  Pfitzner.  C'est  un  opéra  très  romantique,  pourvu  d'un  prélude 
qui  dure  une  heure  et  dans  lequel  dominent  les  chœurs.  L'œuvre  a  paru 
originale,  mais  les  critiques  ne  pensent  pas  qu'elle  puisse  se  maintenir  au 
répertoire. 

—  La  Société  philharmonique  de  Varsovie  vient  d'inaugurer  son  nouveau 
palais,  qui  contient  deux  salles  :  une  grande,  pouvant  contenir  deux  mille 
personnes,  et  une  petite  pour  la  musique  de  chambre.  La  Société  a  réorga- 
nisé son  orchestre,  qui  est  placé  sous  la  direction  du  compositeur  Emile 
Mlynarski.  A  l'occasion  de  l'inauguration  du  nouveau  monument,  qui  est 
magnifiquement  décoré  de  fresques  et  de  statues,  la  Société  a  donné  un 
concert  de  gala  avec  le  concours  de  M.  Paderewski.  Ce  célèbre  pianiste,  qui 
est  membre  de  la  Société  et  actionnaire  du  nouveau  monument,  a  été 
bruyamment  fêté  par  ses  compatriotes  et  a  reçu  une  couro  nne  de  lauriers  en 
bronze  doré. 

—  Quelques  vUles  italiennes  ont  célébré  —  célébré  discrètement  —  le 
centenaire  de  Bellini.  A  Milan,  la  société  chorale  «  Vincenzo  Bellini  »  a 
donné  un  médiocre  concert  auquel  on  s'est  gardé,  dit  un  journal,  d'inviter  la 
presse.  Au  théâtre  Verdi,  de  Florence,  on  s'est  borné  à  donner  nne  repré. 
sentationde  la  Soimambula,  en  y  ajoutant  l'ouverture  du  Pirate;  les  principales 
autorités  politiques  et  administratives  assistèrent  à  ce  spectacle  dans  les 
formes  officielles.  Ce  n'est  pas  beaucoup  pour  honorer  un  génie  comme 
Bellini,  dit  un  autre  journal,  mais  c'est  toujours  quelque  chose.  A  Naples,  le 
théâtre  Bellini  a  donné  dans  la  même  journée  la  Sonnainbtila  en  matinée  et 
le  soir  Norma.  A  Catane,  où  l'on  sait  que  les  fêtes  officielles  ont  été  remises 
un  cortège  nombreux  s'est  formé  pour  aller  déposer  une  couronne  sur  la 
tombe  de  Bellini  ;  puis  il  y  a  eu  discours,  concert  de  bande,  et  le  soir  illumi- 
nations. A  Palerme  on  a  inauguré  une  pierre  commémorative  en  son 
honneur;  M.  Zuelli,  directeur  du  Conservatoire,  a  prononcé  quelques  paroles, 
et  au  Cercle  de  culture  le  professeur  Cesareo  a  fait  une  conférence  sous  ce 
titre  :  Bellini  après  cent  ans.  A  Casalbuttano,  où  Bellini  demeura  longtemps 
on  a  découvert  aussi  une  pierre  commémorative.  A  Gênes  on  a  organisé  une 
cérémonie  dans  la  salle  Angelo  Gasparino,  avec  inauguration  d'un  buste 
exécuté  par  le  statuaire  Achille  Ganessa,  discours  de  M.  Ferdinando  Resasco 
et  concert  bellinien.  A  Trieste  on  a  placé  dans  le  vestibule  du  théâtre  Verdi 
un  beau  buste  en  marbre,  œuvre  de  M.  Rathmann,  sculpteur  triestin  on  a 
exécuté  au  Politeama  les  ouvertures  de  Normu  et  des  Capulels  et  le  conseil 
communal  a  décidé  de  donner  à  une  des  rues  de  la  ville  le  nom  de  Bellini. 
Enfin,  quelques  conservatoires  et  quelques  municipalités  ont  adressé  des 
dépêches  à  la  ville  de  Catane.  «  Enregistrons  encore,  dit  le  Mondo  artistico 
quelques  autres  manifestations  de  ce  genre,  c'est-à-dire  quelque  chose  de 
moins  que  le  bruit  que  l'on  fait  pour  inaugurer  la  bannière  d'une  société  de 
blanchisseuses  ou  de   portefaix.  Belle   Italie!  »  Notre  confrère  ajoute  que 


u  n'étaient  les  journaux,  qui  ont  parlé  de  Bellini  avec  une  émotion  profonde. 
le  grand  public  aurait  ignoré  ce  souvenir  sacré».  Remarquons  à  ce  propos  que 
les  Cronnchc  nnisicali  de  Rome  ont  consacré  leur  dernier  numéro  entièrement 
à  Bellini,  en  joignant  au  texte  un  portrait  du  compositeur,  un  autre  de  son 
collaborateur  Felice  Romani,  et  la  musique  d'un  motet  à  deux  voix,  inédit, 
avec  accompagnement  d'orgue.  Enfin,  nous  avons  reçu  le  tirage  à  part  d'une 
intéressante  biographie  publiée  par  M.  Ippolito  Valetta  dans  la  Niiom 
Antoloi/ia.  et  que  nous  ferons  connaître  prochainement. 

—  Les  trois  «claqueurs»  florentins  dont  nous  racontions  il  y  a  huit  jours 
les  exploits  et  l'arrestation,  à  propos  de  leur  tentative  de  chantage  envers 
une  jeune  cantatrice  du  théâtre  Pagliano,  M"°  Huguet,  et  envers  le  ténor 
Pandolfini,  n'ont  pas  tardé  à  passer  en  jugement.  Traduits  devant  le  tribunal 
de  Florence,  ces  trois  gentlemen  ont  été  condamnés  chacun  à  deux  ans  de 
réclusion  et  un  an  de  «  surveillance  spéciale  ».  Avis  aux  amateurs. 

—  Le  compositeur  et  pianiste  Edouard  Silas,  né  à  Amsterdam  en  1827  et 
fixé  depuis  cinquante  et  un  ans  en  Angleterre,  recevra,  selon  la  mode  an- 
glaise, un  testimonial,  c'est-à-dire  un  cadeau  de  valeur,  pour  lequel  M.  Cum- 
mings.  directeur  de  l'école  de  musique  de  Guildhall.  à  Londres,  a  ouvert  une 
souscription.  M.  Silas  a  publié  plus  de  deux  cents  compositions  de  tout 
genre:  opéras,  oratorios,  symphonies,  morceaux  de  piano,  orgue  et  musique 
de  chambre,  chœurs,  mélodies,  etc. 

—  Le  prix  de  2.500  francs  offert  à  New-York  par  M.  Paderewski  pour  une 
œuvre  de  musique  de  chambre  composée  par  un  musicien  de  nationalité 
américaine  a  été  remporté  par  M.  Arthur  Bird,  avec  une  suite  pour  instru- 
ments à  vent.  Cette  composition  sera  exécutée  prochainement  à  New-York. 

—  M""«  Lillian  Nordica,  la  cantatrice  bien  connue,  s'apprête  à  lancer  dans 
le  monde  un  livre  qui  aura  pour  titre  Bints  to  singers  (Conseils  aux  chanteurs). 
Cet  ouvrage  sera  publié  par  les  soins  de  M.  William  Armstrong,  ex-critique 
de  la  Tribune  de  Chicago. 

—  Le  culte  des  célébrités  est  poussé  en  Amérique  à  un  degré  extravagant. 
C'est  ainsi  qu'une  dame  de  la  plus  haute  société  de  Philadelphie  porte  dans 
une  petite  breloque  de  cristal  ce  qu'elle  prétend  être  une  larme  du  fameux  pia- 
niste Paderewski,  qui  a  fait  fureur  aux  Etats-Unis.  Elle  ne  souffre  point  qu'on 
plaisante  sur  ce  point  et  elle  a  rayé  de  sa  liste  de  visites  une  jeune  personne 
qui  s'est  permis  de  rire  de  cette  larme  peut-être  empruntée  à  un  crocodile. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Il  fut  un  [temps  où  l'administration  de  l'Opéra  montrait  une  activité 
plus  grande  que  celle  qu'on  lui  voit  déployer  aujourd'hui.  Il  est  vrai  que  ce 
temps  est  un  peu  éloigné.  Voici  ce  qu'on  lisait  dans  le  Calendrier  musical  de 
1788:  —  t(  Jamais  peut-être  aucune  année  dramatique  n'a  offert  un  plus 
grand  nombre  de  nouveautés.  L'Académie  a  donné  six  grands  ouvrages  neufs 
à  Paris,  et  deux  à  la  cour.  Ceux  qui  savent  combien  la  mise  d'un  opéra  exige 
de  tems,  de  soins,  de  peine  et  de  dépenses,  concevront  dilBcilement  comment 
les  sujets  de  tous  les  genres  ont  pu  tenir  à  un  si  prodigieux  travail  et  applau- 
diront aux  efforts  de  l'administration  actuelle,  qui  n'épargne  rien  pour  donner 
à  ce  spectacle  plus  d'éclat  qu'il  n'eu  a  jamais  eu.  Les  ouvrages  nouveaux  sont 
Tliémistocle,  musique  de  M.  Philidor,  Bosine,  musique  de  M.  Gossec,  la  Toison 
d'or,  musique  de  M.  Vogel,  Phèdre,  musique  de  M.  Lemoyne,  les  Boraces, 
musique  de  M.  Salieri,  et  enfin  Œdipe  à  Colone,  musique  de  Sacchini.  Outre 
ces  six  ouvrages,  on  a  appris  et  répété  pour  la  cour  Stratonice,  tragédie,  et 
Alcindor,  comédie  héroïque,  musique  de  M.  Dézèdes.  On  a,  de  plus,  fait  une 
répétition  préliminaire  de  l'opéra  d'Evélina,  musique  de  Sacchini.  Le  réper- 
toire habituel,  composé  des  deux  Iphigénies,  de  Bidon,  A'Armide,  de  Panurge, 
de  la  Caravane,  a  été  enrichi  â'Alceste,  de  Boland,  du  Devin  du  village  et  du 
Seigneur  bienfaisant.  »  Voilà  qui  s'appelle  travailler.  En  1901,  le  grand  effort 
de  l'Académie  nationale  de  musique  aura  réussi  à  nous  donner  Astarté  et  les 
Barbares.  Il  est  vrai  que  l'année  précédente,  le  public  avait  dû  se  contenter 
de  Lancelot.  Il  y  a  donc  progrès  de  1901  sur  1900. 

—  Demain  lundi,  à  l'Opéra-Comique,  répétition  générale  de  Grisclidis,  et 
mercredi  première  représentation. — Hier  samedi,  pour  la  première  soirée  de 
l'abonnement  du  samedi  (série  B),  on  a  donné  Manon  avec  W^"  Garden  et 
M.  Léon  Beyle.  A  cette  occasion  la  plupart  des  costumes  avaient  été  renou- 
velés. —  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  :  en  mâtiné,  Carmen;  le  soir,  la 
Vie  de  Bohème  et  les  Noces  de  Jeannette. 

—  Un  artiste  qui  tint  à  l'Opéra-Comique  une  place  brillante,  qui  laissa 
dans  tous  les  rôles  qu'il  créa  ou  reprit  le  souvenir  de  son  grand  talent,  est 
mort  trop  tôt  pour  assurer  l'existence  des  siens.  Il  s'agit  de  ïaskin.  M.  Albert 
Carré,  pour  assayer  de  venir  en  aide  à  la  veuve  et  aux  enfants  de  celui  qui 
fit  grand  honneur  à  l'Opéra-Comique,  a  résolu  d'organiser  une  matinée  à  leur 
bénéfice.  Il  a  donc  formé  un  comité  dont  ont  bien  voulu  faire  partie  M.  Mas- 
senet,  membre  de  l'Institut,  M.  Adrien  Bernheim,  commissaire  du  gouver- 
nement, représentant  le  ministre  de  l'instruction  publique;  MM.  Delmas 
et  Georges  Boyer,  représentant  l'Opéra;  M.  Baillet,  représentant  la  Comédie- 
Française;  MM.  Fernand  Bourgeat  et  Vergnet,  représentant  le  Conservatoire, 
dont  Taskin  fut  l'un  des  plus  éminents  professeurs,  et  MM.  Fugère  et  Albert 
Carré,  représentant  l'Opéra-Comique.  Le  comité  s'est  réuni  et  a  fixé  au  samedi 
14  décembre  cette  représentation,  dont  nous  donnerons  le  programme. 


LE  MENESTREL 


367 


—  L'Association  des  Artistes  musiciens,  fondée  par  le  baron Taylor,  célébrera 
cette  année,  selon  sa  coutume,  la  fête  de  Sainte-Cécile,  en  faisant  exécuter 
en  l'église  Saint-Eustache,  le  vendredi  22  novembre,  à  onze  heures  du  matin, 
la  messe  d'Ambroise  Thomas,  sous  la  direction  de  iVI.  André  Messager.  Les 
soli  seront  chantés  par  MM.  Carbonne  et  Vieuille.  A  l'Offertoire:  Prière  pour 
violon,  d'Ambroise  Thomas,  exécutée  par  M.  Edouard  Nadaud,  professeur  au 
Conservatoire.  Le  Credo  de  Dumont  sera  chanté  par  M.  Philippe  Maille.  Le 
grand  orgue  sera  tenu  par  M.  Henri  Dallier. 

—  La  première  matinée  d'abonnement  au  théâtre  Sarah-Bernhardt,  qui  a 
été  donnée  jeudi  dernier  avec  Phèdre  de  Racine  et  la  partition  de  M.  Massenet, 
a  remporté  un  succès  considérable.  Jamais  peut-être  la  grande  artiste  n'avait 
été  plus  admirable  et  l'émotion  a  été  profonde.  Il  y  a  eu  après  chaque  acte 
des  rappels  et  des  ovations  interminables.  Quant  à  la  partition,  rendue 
par  l'orchestre  Colonne  avec  plus  de  perfection  peut-être  qu'à  l'Odéon.  elle 
a  retrouvé  tous  ses  admirateurs.  La  ><  Marche  Athénienne  »  et  ses  belles 
sonorités  ont  porté  comme  au  premier  jour,  et  le  délicieux  entr'acte  d'  «  Hyp- 
polite  et  Aricie  »  a  été  bissé.  Le  «  récit  de  Théramène  s,  si  ingénieusement 
souligné  parla  musique,  qui  en  fait  disparaître  toutes  les  longuem's  en  l'animaat 
et  le  poétisant  d'une  façon  singulière,  abeaucoup  impressionné.  Bref,  superbe 
matinée,  qui  s'est  déroulée  devant  une  salle  comble  (8.000  francs  de  recette) 
et  qui  sera  renouvelée  jeudi  prochain  21  novembre. 

—  «  Qui  aurait  pensé,  ditun  journal  italien,  que  l'archiduchesse  Elisabeth 
d'Autriche  deviendrait  un  jour  la  bellc-fîUe  de  la  célèbre  danseuse  Marie 
Taglioni,  qui  il  y  a  cinquante  ans  (il  y  en  a  soixante-dix),  à  Paris,  inspirait 
à  Henri  Heine  quelques-uns  de  ses  meilleurs  vers,  et  à  Villemessant,  fonda- 
teur du  Figaro,  l'idée  d'intituler  un  journal  la  Sylphide,  journal  imprégné  du 
parfum  favori  de  la  danseuse?  Ceci  parce  que  le  ballet  dans  lequel  elle  faisait 
fureur  portait  ce  titre  de  la  Sylphide.  La  Taglioni  inspira  une  passion 
ardente  au  cœur  du  prince  Joseph  de  Windischgraetz,  chambellan  de  l'em- 
pereur, au  point  qu'en  1866  il  l'épousait  à  Berlin.  Le  hls  né  de  ce  mariage, 
le  3  juillet  1867,  est  l'actuel  prince  François  de  Windischgraetz,  époux  de 
l'archiduchesse  Elisabeth.  »  Notre  confrère  tombe  ici  d'erreur  en  confusion. 
Ce  n'est  point  Marie  Taglioni  la  grande,  la  créatrice  de  la  Sylphide,  qui 
épousa  le  prince  Joseph  Windischgraetz  en  1866.  Née  à  Stockholm  en  1804, 
elle  était  alors  âgée  de  soixante-deux  ans,  et  il  est  rare  qu'à  cet  âge  une 
femme  donne  des  enfants  à  son  époux.  Mais  à  cet  époque  elle  était  mariée 
depuis  longtemps  —  depuis  1832  —  avec  un  gentilhomme  français,  le  comte 
Gilbert  des  Voisins,  dont  elle  eut  effectivement  un  fils,  qui,  blessé  pendant 
la  guerre  franco-allemande,  fut  emmené  en  captivité  à  Dusseldorf.  Elle 
est  morte  à  Marseille,  auprès  de  ce  fils  qu'elle  adorait,  en  ISSi.  L'autre 
Marie  Taglioni,  celle  qui  épousa  le  prince  Windischgraetz,  était  la  nièce 
de  celle-ci,  la  fille  de  son  frère  Paul.  Danseuse  aussi,  ce  n'est  pas  la 
première  fois  qu'on  fait  confusion  entre  l'une  et  l'autre,  grâce  à  la  simi- 
litude du  prénom.  Marie  Taglioni  II=,  née  à  Berlin  en  1838,  est  morte 
en  son  domaine  de  la  Basse-Autriche  le  27  août  ls91.  Une  remarque  assez 
curieuse  est  à  faire  au  sujet  des  membres  féminins  de  cette  famille.  Taglioni- 
Marie  la  grande  eut  non  seulement  un  fils,  mais  une  fille,  qui  épousa  le 
prince  Troubetzkoy,  de  sorte  que  cinq  Taglioni  sont  devenues  grandes  dames  : 
1»  Luigia  (tante  de  «  la  S_,lphide  »),  qui  fut  comtesse  du  Bourg;  2°  Giusep- 
pina,  sa  sœur,  qui  devint  comtesse  Contarini:  3°  Marie  la  grande,  qui  fut 
comtesse  Gilbert  des  Voisins;  -i°  Marie  deuxième,  sa  nièce,  devenue  prin- 
cesse Windischgraetz;  S"  et  enfin,  la  fille  de  Marie  la  grande,  épouse  du 
prince  Troubetzkoy.  Un  fait  si  rare  vaut  la  peine  d'être  signalé.  —  A.  P. 

—  M.  Bourgault-Ducoudray  a  été  invité  par  M.  Félix  Huet,  directeur  de 
l'école  Humbert  de  Romans,  à  donner  une  audition  de  ses  œuvres,  avec 
orchestre  et  chœurs,  dans  la  magnifique  salle  qui  vient  d'être  érigée 
60,  rue  Saint-Didier,  vaste  salle  de  concert  bien  aménagée  et  munie  d'un 
grand  orgue.  M.  Bourgault-Ducoudray  fait  appel  aux  dames  et  aux  jeunes 
filles  musiciennes  pour  concourir  à  l'exécution  de  la  partie  chorale.  Au  pro- 
gramme; une  Symphonie  religieuse,  en  cinq  parties,  pour  chœur  à  toutes  voix, 
sans  accompagnement  ;  trois  hymnes  pour  chœur  de  voix  de  femmes  et 
orchestre  ;  un  chœur  sur  un  poème  de  V.  Hugo  et  les  chœurs  d'aimées  de 
Thamara.  Le  concert  sera  donné  fin  janvier,  pour  une  œuvre  de  bienfaisance. 
Les  personnes  qui  voudraient  bien  accepter  de  concourir  à  cette  exécution 
sont  priées  d'envoyer  leur  adhésion  à  M.  Bourgault-Ducoudray,  41,  rue  d'Au- 
teuil,  en  y  joignant  leur  adresse  et  la  désignation  de  leur  genre  de  voix.  Les 
répétitions  commenceront  le  1"  décembre  sous  la  direction  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray. 

—  La  direction  du  Théâtre  des  Arts  (la  Bodinière),  48,  rue  Saint-Lazare, 
a  accepté  et  met  immédiatement  en  répétitions  les  Aventures  de  Télémaque, 
opérette-bouffe  de  Gh.  Lancelin,  musique  de  O.-V.  Sehiff. 

—  Brillante  matinée  chez  l'éminent  professeur  Rosine  Laborde  pour  la 
réouverture  de  ses  matinées  musicales.  Une  foule  nombreuse  s'y  pressait  pour 
applaudir  les  élèves,  M"«'  Ducoudray,  Gour,  qui  a  fait  entendre  une  jolie  voix 
de  contralto  dans  Hymne  d'amour  de  Massenet  et  Werther,  M"=s  Pornot, 
Ughetto,  Garelly,  Heller,  une  Manon  d'avenir,  qui  a  détaillé  l'air  avec  beau- 
coup de  finesse;  M™»  Gauley-Texier,  Potron-Lahorde,  Jennings,  délicieuse 
dans  Louise  et  le  Sais,  Priad,  Maurouf,  très  dramatique  dans  Bérodiade.  — 
M°"  Heller  et  M.  Ama  ont  dit  de  façon  exquise  le  duo  de  Manon  et  M.  I''er- 
nand  Lecomte,  avec  son  charme  habituel,  a  brillamment  enlevé  l'air  de  Jean 
>y  Bérodiade. 


—  Le  programme  de  la  direction  du  théâtre  des  Arts,  à  Rouen,  pour  la 
saison  qui  vient  de  s'ouvrir,  porte  décidément  les  titres  de  six  ouvrages 
inédits  :  les  Guelfes,  opéra  en  cinq  actes,  paroles  de  Louis  Gallet,  musique  de 
Benjamin  Godard;  la  Fille  du  Calife,  opéra  eu  deux  actes,  paroles  de  MM.  Paul 
Gollin  et  Charles  Jacomet,  musique  de  M.  Lacheurié;  Mimi  la  Provençale, 
comédie  lyrique  en  trois  actes,  paroles  de  MM.  Maurice  Lecomte  et  A.  P.  de 
Lannoy,  musique  de  M.  Georges  Palicot;  le  Clocheton  de  Paimpol.  légende  bre- 
tonne, paroles  de  MM.  Eugène  Lemercier  et  Raphaël  May,  musique  de 
M.  Charles  Hess  ;  l'Idole  aux  yeux  verts,  ballet  en  deux  actes  de  M.  Raoul  Le- 
febvre,  musique  de  M.  Ferdinand  Leborne;  le  Faune,  ballet  en  un  acte,  mu- 
sique de  M.  Edouard  Kann. 

—  On  nous  communique  la  note  suivante.  —  Le  maire  de  Toulouse  a 
l'honneur  de  faire  savoir  que  deux  concours  sur  titres  auront  lieu  par  les 
soins  du  conseil  d'administration  du  Conservatoire  de  musique  pour  la  dési- 
gnation, 1"  d'un  professeur  de  trombone,  2"  d'un  professeur  de  hautbois. 
Chacun  de  ces  ces  concours  sera  suivi  d'une  épreuve  pratique.  Les  demandes 
doivent  être  adressées  à  la  mairie  de  Toulouse  (bureau  de  l'instruction  publi- 
que et  des  beaux-arts)  avant  le  26  novembre  courant. 

—  On  s'occupe  beaucoup  en,  ce  moment,  à  Nice,  de  la  fondation  d'un 
conservatoire.  La  question  est  sérieusement  à  l'édude  et,  dit-on,  en  très 
bonne  voie  d'exécution,  grâce  aux  efforts  de  plusieurs  personnalités  très 
compétentes  qui  se  sont  mises  à  la  tête  du  mouvement.  On  espère  une 
solution  dans  un  avenir  très  prochain. 

NÉCROLOGIE 

A  Vienne  est  mort  à  l'âge  de  82  ans  le  célèbre  harpiste  Antoine  Zamara. 
Il  était  né  â  Milan  et  s'était  rendu  très  jeune  à  Vienne,  où  il  entra  dans  la 
classe  de  composition  du  célèbre  théoricien  Sechter.  A  cette  époque  il  était 
déjà  un  excellent  artiste  et  donnait  des  concerts  avec  un  grand  succès.  En 
1842  il  fut  engagé  en  qualité  de  premier  harpiste  à  l'orchestre  de  l'Opéra 
Impérial,  auquel  il  appartint  pendant  cinquante  ans.  En  1892  seulement 
Zamara  avait  pris  sa  retraite,  mais  il  continuait  adonner  des  leçons;  pendant 
une  vingtaine  d'années  il  avait  aussi  été  professeur  de  harpe  au  Conserva- 
toire de  Vienne.  Parmi  ses  élèves  compte  son  fils  Alfred,  qui  s'est  déjà  dis- 
tingué comme  compositeur.  Antoine  Zamara  laisse  beaucoup  de  compositions 
pour  son  instrument  et  aussi  pour  violon,  violoncelle  et  cor. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


)N  DEMANDE  un  orgue  à  tuyaux  d'occasion  de  6  à  8  jeux  et  un  orgue  à 
deux  claviers.  Adresser  les  offres  à  M.  C.  T.,  11,  rue  Samson,  à  Bourges. 


En  vente    AU"    MÉNESTREL,   2   bis,   rue  Vivienne. 

Propriété  pour  îous  pays 


ADONIS 

po£3m:e  S"S'm:ph:oitiqtje  eu-  trois  fj^rties 

P.4II 

THÉODORE    DUBOIS 

POUR     ÊTRE    EXÉCUTÉ     LA    PREMIÈRE     FOIS    AUX     CONCERTS-COLONNE 


I.  La  Mort  d'Adonis  (Douleur  d'Aphrodite). 
II.  Déploration  des  Nymphes. 
m.  Le  Réveil  d'Adonis  (Renouveau  de  la  vie.  —  Le  Printemps 


Réduction  pour  piano  à  quatre  mains  (par  l'auteur),  net  :  5  francs. 

Partition  d'orchestre,  net  :  25  fr.  —  Parties  d'orchestre  séparées,  net  :  50  fr. 

Chaque  partie  supplémentaire,  net  :  2  fr.  50  c. 


J.   JV\ASSENET 


VALSE    TRÈS    LENTE 

N°^  1.  —  Pour  piano  seul ^  " 

2.  —  Pour  piano  à  i  mains °  " 

3.  — Pour  violon  et  piano "  " 

4.  —  Pour  mandoline  et  piano "  " 

5.  — Pour  violoncelle  et  piano "  ° 

6.  —  Pour  flûte  et  piano "  " 

Partition  d'orchestre,  net ^  " 

Parties  séparées  net ^  " 

Chaque  partie  supplémentaire '   •  »  '*0 


368 


LE  MÉNESTREL 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  8"'%  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C",  éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 


<^\/> 


CHANT    ET    PIANO 
Prix  net  :  20  fr. 

jviopeeaux;  détachés 


GKISfililDl 


<k\jy 


Conte  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue 

DE 

MM.    ARMAND   SILVESTRE  &   EUGÈNE   MORAND 


■^arftfton 

PIANO     SOLO 
Prix  net  :  12  fr. 


Musique  de 


J.    /v\A5SENET 


TFansefiptions  diverses 


MORCEAUX  DE  CHANT  DÉTACHÉS 


1.  VOIR  GBISÉLIDIS  !  Ouvrez-mus  sur  mon  front,  portes  du  Paradis!  T.  6 

1  bis.  Le  même  pour  baryton 6 

2.  CHANSON  D'AVIGNON  :  En  Avignon,  pays  d'amour.  Soprano   ....  5 

2  bis.  La  même  pour  mezzo-soprano 5 

3.  RÉCIT  DU  DIABLE  :  J'avais  fait,  comme  on  dit,  le  diable  sur  la  terre.  B.  6 

4.  TRISTESSE  :  Oiseau  qui  pars  à  tire-d'aile.  Baryton.   .    .    .   ...    .3 

4  bis.  La  même  pour  ténor .•    ■   •  ^ 

5.  LE  SERMENT  lE  GRISÉLIDIS  :  Devant  le  soleil  clair.  Soprano.    ...  3 
o  bis.  Le  même  pour  mezzo-soprauo 3 

6.  ADIEUX  DU  MARQUIS  A  SON  FILS.  Baryton .  4 

6  bis.  Les  mêmes  pour  ténor ■    •    ■    •  ^ 

7.  LOIN  DE  SA  FEMME  QU'ON  EST  BIEN  !  Baryton 6 

8.  LE  DIABLE  ET  SA  FEMME.  Duo  pour  haryton  et  soprano 9 


9.  IL  PARTIT  AU  PRINTEMPS  !  pour  soprano 

9  bis.  Le  même  pour  mezzo-soprano 

10.  TRIO  :   Merci  du  grand  iwnneur!  2  sop.  et  baryton 

11.  ÉVOCATION  :  Des  bois  obscurs,  des  blanches  grèves.  Baryton  .... 

11  bis.  La  même  pour  ténor 

12.  CHANSOV  D'ALAIN  :  Je  suis  l'oiseau  que  le  frisson  d'hiver.  Ténor  . 

12  bis.  La  même  pour  baryton 

.13.  GRAND  DUO  :  Rappelle-toi  le  jour.  Ténor  ot  soprano 

13  bis.  Rappelle-toi,  pour  ténor  seul.  —  13  ter.  Pour  baryton  seul    . 

14.  PRIÈRE  DE  GRISÉLIDIS  :  Des  larmes  brûlent  ma  paupière 

IB.  DUO  DU  RETOUR  :  A  vant  de  vous  parler.  Baryton  et  soprano  .  .  . 
16.  L'OISELET  EST  TOMBÉ  DU  NID  !  à  deux  voix  pour  sop.  et  baryton. 
16  bis.  Pour  voix  seule  (sopr.  ou  tén.)  —  16  ter.  Mezzo-sop.  ou  bar. 


9  » 
5  » 
5  » 
3  » 
3  » 
7  50 

3  » 

4  » 
7  50 
3  » 
3    » 


TRANSCRIPTIONS  pour  piano  et  autres  instruments. 


PRÉLUDE  pour  piano  à  2  mains 5 

Le  même  pour  piano  à  4  mains 6 

ENTR'ACTE-IDTLIE  : 

a.  Édition  originale  pour  piano 5 

b.  Pour  piano  4  mains 6 

c.  Pour  violon  et  piano. 6 

d.  Pour  flûte  et-piano 6 

e.  Pour  -violoncelle  et  piano G 

f.  Pour  mandoline  et  piano 6 

Partition  d'orchestre,  net 6 

Parties  séparées  d'orchestre,  net 10 

Chaque  partie  séparée,  net. I 


CHANSON  D'AVIGNON,  pour  piano  à  2  mains 5 

La  même  à  4  mains 6 

VALSE  DES  ESPRITS  : 

a.  Édition  originale  pour  piano 5 

b.  Pour  piano  4  mains 6 

c.  Pour  violon  et  piano 6 

d.  Pour  flûte  et  piano 6 

e.  Pour  violoncelle  et  piano 6 

f.  Pour  mandoline  et  piano 6 

Partition  d'orchestre,  net 6 

Parties  séparées  d'orchestre,  net 10 

Chaque  partie  séparée,  net '.  1 


AVIS  AUX  DIRECTEURS.  —  Les  Éditeurs  du  «  Ménestrel  »  traitent  dès  à  présent  de  cet  important 
ouvrage  avec  les  entreprises  théâtrales  de  la  province  et  de  l'étranger,  —  l'orchestration  pouvant  être 
livrée  aussitôt  après  la  première  représentation  à  l'Opéra-Comique,  au  courant  de  novembre. 


THÉRTl^E  de  Ii'ODÉON 

Partition  piano  solo 
net  :  5  francs 


PM6DMB 


Tragédie  de  RACINE 

OUVERTURE,   ENTR'ACTES  &  MUSIQUE    DE   SCÈNE 


composés  par 


J.  f^ASSENET 

Exécutés  par   l'ORCHESTRE    COLONNE 


Partition  piano  solo 
net  :  5  francs 


TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  :  I.  Ouverture,  7  fr.  50  c.  —  II.  Offrande,  3  fr.  —  III.  Hippohjle  et  Aricie,  entr'acte,  3  fr.  —  Marche.  Athénienne,  6  fr. 

ARRANGEMENTS  DIVERS   —    SUITE  D'ORCHESTRE. 


LlMEItlE  CENTRALE 


r,OE.1HKS  DE  FER.  —  IMPRIMEBIE  CQ&IX,  RUE  BERGERE,  20    PARIS.—  û^cw LorflleBIJ. 


3IÎ87.  —  67"'=  AOTE.  —  l\l°47.     PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimanche  24  Novembre  i90i. 

(Les  Bureaux,  2  ■"•,  roe  TiTieime,  Paris,  n>  ut') 
(!Le?  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


Le  lïamépo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉA-TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  KaméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6k,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  LeUres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  ['aris  et  l'rovince.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  M.isique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (33"  article),  Paul  d'Estrées.  — 

II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  Giisélidis  à  l'Opéra-Comique,  Arthur 
Pougin;  première  représentation  de  V Auréole  à  l'Athénée,  Paul-Émile  CHiivALrER. — 

III.  Les  Chansons  populaires  de?  Alpes  françaises  (2"  article),  Julien  Tiersot.  — 

IV.  Petites  notes  sans  portée  :  Berlioz  vengé  par  Flaubert,  Raymond  Bouïer.  —  V.  Revue 
des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  auméro  de  ce  jour  : 
ENTR' ACTE-IDYLLE 

extrait  de  Grisélidis,  musique  de  J.   Massenet.   —  Suivra  immédiatement  : 


Valse  des  Esprils,  extraite  du  même  opéra. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublieroas  dimanche  prochain,  pour  n  js  abonnés  à  la  musique  de  chant  ; 
//  partit  au  printemps,  chanté  par  M""  Luc.ie.\ne  Bréval  dans  Griséiidis,  poème 
d'ARMAND  SiLVESTRE  et  EuGÈNE  MoRAND,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra 
immédiatement:  Rappelle-toi,  chanté  par  M.  Maréchal  dans  le  même  opéra. 


L"iVRT  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

i'après  les  mémoires  les  plus  récents  et  Ses  flocuments  ioéflits 

(Suite.) 


I  (suite) 

Mozart  se  dégage  de  cet'.e  tyrannie  de  l'usage  dans  ses  œuvres 
dramatiques  :  ses  airs  sont  d'une  logique  et  d'une  déduction 
merveilleuses,  sans  qu'il  ait  besoin  d'y  introduire  toujours  le 
même  motif.  Delacroix  continue  son  panégyrique  par  l'analyse 
des  deux  opéras  auxquels  il  semble  donner  la  palme.  Don  Juan 
et  U  Flûle  enchantée.  Il  vient  d'entendre  cette  dernière  partition, 
et  il  en  apprécie  l'auteur  dans  ces  termes  enflammés  :  «  Il  est 
vraiment  le  créateur,  je  ne  dirai  pas  de  l'art  moderne,  car  il 
n'y  en  a  déjà  plus  à  présent,  mais  de  l'art  porté  à  son  comble, 
après  lequel  la  perfection  ne  se  trouve  plus...  Tout  ce  qui  a  été 
fait  à  son  imitation  et  dans  ce  style  ne  le  vaut  pas  et  nous  a 
d'ailleurs  fatigués  ou  rassasiés.  » 

L'audition  de  Don  Juan  laisse  à  Delacroix  une  impression  ana- 
logue, avec  une  nuance  de  plus.  Le  compositeur,  dit-il,  s'afBrme 
toujours  par  une  rare  élégance  et  par  la  variété  qu'exige  la  con- 
naissance des  caractères,  mais  il  donne  à  l'expression  des  senti- 
ments les  plus  tendres  une  teinte  de  mélancolie  et  cette  allure 
«  qu'à  tort  ou  à  raison  on  appelle  rowand'swe  ».  Delacroix,  qui 


devait  connaître  mieux  que  personne  la  propriété  d'un  terme 
autour  duquel  s'étaient  déchaînées  de  si  rudes  batailles,  croyait- 
il  sincèrement  au  romantisme  de  Mozart?  En  tout  cas  ce  7-oman- 
tisme  lui  semblait  bien  mitigé,  puisqu'en  mars  1847  il  écrivait  à 
George  Sand  que  Beethoven  «  remue  »  tout  autrement  que 
Mozart,  car  «  il  est  l'homme  de  notre  temps,  romantique  au 
suprême  degré  ».  Là,  évidemment,  Delacroix  a  saisi,  pressenti, 
si  l'on  aime  mieux,  les  dissemblances  des  deux  grands  musi- 
ciens, et  plus  loin,  comme  s'il  eût  voulu  préciser  nettement  ce 
que  nous  avons  appelé  le  romantisme  mitigé  de  Don  Juan,  il  cite 
cette  phrase  de  Mozart  qui  est  en  quelque  sorte  un  programme  : 
«Les  passions  violentes  ne  doivent  jamais  être  exprimées  jusqu'à 
provoquer  le  dégoût;  même  dans  les  situations  horribles,  la  mu- 
sique ne  doit  jamais  blesser  les  oreilles,  ni  cesser  d'être  la 
musique  ». 

L'idée  que  Delacroix  s'est  faite  du  génie  de  Mozart  se  fortifie 
encore  d'observations  consignées  dans  son  journal  de  18S3.  Il  a 
entendu  chez  la  princesse  Czartoriska  une  fantaisie  du  maître  al- 
lemand, «  morceau  grave  et  terrible  »  qui  contraste  avec  la  légè- 
reté du  titre;  et  il  le  compare  avec  la  fameuse  «  sonate  de 
Beethoven  »,  cette  œuvre  admirable  d'un  homme  toujours  triste, 
dont  l'imagination  ne  cesse  de  vibrer  douloureusement.  Or,  sa 
conclusion  est,  sous  une  forme  nouvelle,  ce  qu'elle  était  il  y  a 
dix  ans  :  Mozart  est  un  moderne  «  en  ce  qu'il  ne  craint  pas  de 
toucher  au  côté  mélancolique  des  choses  »;  mais  «  il  a  le  bonheur 
de  voir  aussi  les  choses  agréables  »  :  en  un  mot,  c'est  un  musi- 
cien gai,  «  avec  une  pointe  de  délicieuse  tristesse  ». 

Les  amis  de  Delacroix,  qui  savaient  son  engouement  pour 
Mozart,  ne  manquaient  pas  de  lui  communiquer,  sur  son  auteur 
préféré,  les  indications  biographiques  et  bibliographiques  qu'ils 
croyaient  susceptibles  de  l'intéresser  ;  et  le  peintre  les  transcrit 
pieusement  dans  son  journal.  C'est  ainsi  qu'en  1849  Bertin  des  ■ 
Débats  doit  lui  prêter  un  livre  fort  rare  «  sur  la  vie  de  Mozart, 
une  sorte  de  «  compilation  de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  lui  ». 
En  1854,  S...  parle  à  Delacroix  d'un  volume  bien  autrement  pré- 
cieux :  c'est  un  agenda  de  la  main  même  de  Mozart,  où  le  com- 
positeur note  ses  travaux  ;  il  passe  souvent  des  mois  sans  rien 
produire,  mais  quand  il  se  remet  à  l'œuvre,  le  labeur  d'une 
seule  journée  est  parfois  prodigieux. 

Delacroix  ne  rencontre  pas  toujours  des  amis  qui  entretiennent 
son  enthousiasme  :  ce  fou  de  Delsarte,  dont  nous  avons  déjà 
signalé  les  goûts  archaïques,  n'est-il  pas  venu  lui  conter  que 
Mozart  avait  pillé  Galuppi? 

—  Certes,  réplique  le  peintre,  comme  Molière  a  pillé. 
Delacroix  se  plaît  d'ailleurs  à  ces  comparaisons,  à  ces  analo- 
gies ou  à  ces  contrastes  que  notre  esprit  français  recherche  vo- 
lontiers entre  artistes  et  lettrés.  Il  dit  quelque  part  que  Mozart 
et  Racine  paraissent  naturels;  aussi  étonnent-ils  moins  que 
Shakespeare  et  Michel-Ange. 


370 


LE  MÉNESTREL 


De  même  il  écrit,  pour  bien  caractériser  rindépendance  et  le 
désintéressement  du  génie  :  «  ni  Mozart,  ni  Molière,  ni  Racine, 
ne  devaient  avoir  de  sottes  préférences,  ni  de  sottes  anti- 
pathies ». 

Nous  retrouvons  une  comparaison  non  moins  curieuse,  tou- 
jours à  propos  de  Mozart,  chez  un  contemporain  de  Delacroix, 
Gounod,  que  les  opéras  du  maître  allemand  faisaient  presque 
tomber  en  pâmoison.  Encore  enfant  il  assiste,  avec  sa  mère, 
dans  une  petite  loge  des  quatrièmes  aux  Italiens,  à  une  représen- 
tation de  Don  Giovanni. 

«  Dès  le  début  de  l'ouverture,  je  me  sens  transporté  par  les 
solennels  et  majestueux  accords  de  la  scène  finale  du  Comman- 
deur dans  un  monde  absolument  nouveau...  Je  fus  pris  d'un  tel 
effroi  que  ma  tête  tomba  sur  l'épaule  de  ma  mère...  «  Oh!  ma- 
man, quelle  musique!  c'est  vraiment  la  musique...  » 

Il  semblait  au  jeune  dilettante  qu'entendre  Don  Giovanni  après 
Otelto,  c'était  «  passer  du  contact  des  maîtres  vénitiens  à  celui 
de  Raphaël,  de  Léonard  de  Vinci,  de  Michel- Ange...  » 

Cette  soirée  aux  Italiens  avait  laissé  Gounod  sous  l'impression 
de  sensations  tellement  exquises,  que  longtemps  après,  en  1839,  ' 
quand  sa   mère  voulut  le  récompenser  de  son  prix  de  Rome, 
elle  lui  donna  la  grande  partition  de  Don  Juan. 

Ce  fut  également  du  haut  des  régions  paradisiaques  que  Gou- 
nod entendit  pour  la  première  fois  cet  opéra  de  la  Flûte  enchantée 
qui  faisait  les  délices  d'Eugène  Delacroix.  A  peine  sorti  de  l'école 
de  Rome,  il  avait  entrepris  le  voyage  d'Allemagne.  De  passage 
à  Vienne,  il  était  entré,  le  soir,  au  Grand-Théâtre,  où  la  modi- 
cité de  sa  bourse  ne  lui  permettait  pas  d'occuper  les  premières 
places.  Il  n'en  resta  pas  moins  émerveillé.  L'exécution  était 
excellente.  Otto  Nicolaï  dirigeait  l'orchestre  ;  M"'"  Hasselt-Barth 
tenait  le  rôle  de  la  Reine  de  la  Nuit  et  Staudigl  celui  de  Sarastro, 
Staudigl  avec  son  admirable  voix  et  sa  méthode  plus  admirable 
encore.  Gounod  fit  passer  sa  carte  au  directeur,  qui,  très  cour- 
toisement, dans  l'intervalle  d'un  entr'acte,  le  présenta  aux  ac- 
teurs sur  la  scène.  Ce  fut  à  cette  circonstance  qu'il  dut  d'entrer 
en  relations  avec  le  comte  Stockhammer,  président  de  la  Société 
Philharmonique,  qui  fit  exécuter  dans  l'église  Saint-Charles  la 
messe  de  Rome  du  jeune  compositeur.  Gounod  y  gagna  en  outre 
la  commande  d'un  Requiem,  qui  fut  chanté  le  2  novembre  suivant 
dans  la  même  église. 

N'oublions  pas  de  citer  parmi  les  fanatiques  de  Mozart  le  baron 
de  Trémont,  qui  affirme  avoir  fait  connaître  le  premier  les  qua- 
tuors du  maître.  Il  avait  réuni  chez  lui  Rode,  Auber,  Lamarre  et 
Baillot  :  celui-ci  «  fit  la  grimace  »  quand  il  fallut  déchiffrer  cette 
musique  nouvelle  pour  lui.  On  comprend  de  reste  que  sa  résis- 
tance ne  fut  pas  de  longue  durée  et  que  bientôt  le  quatuor 
formé  par  le  baron  de  Trémont  se  mit  de  grand  cœur  à 
l'œuvre. 

Notre  devoir  d'historien  nous  oblige  de  signaler  une  ombre  à 
ce  clair  tableau. 

Dans  Choses   Vues  (1),  Victor  Hugo  n'écrit-il  pas   (il  est  vrai 
qu'il  passa  toujours  pour  un  musicophobe)  que   le  Requiem  de 
Mozart,  «joué  pour  le  retour  des    cendres  de  Napoléon  »,  n'a 
produit  aucun  effet,  que  «  c'est  une  musique  ridée  »  ? 
Ah!  si  Gounod  avait  entendu  un  tel  blasphème! 
fA  suivre.  )  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra-Comique.  Grisélidis,  conte  lyrique  en  trois  actes,  avec  un  prologue, 
poème  d'Armand  Silvestre  et  M.  Eugène  Morand,  musique  de  M.  J.  Mas- 
senet.  (Première  représentationje  20  novembre  1901.) 

La  Fontaine  disait  : 

H  nous  faut  du  nouveau,  n'en  fùt-il  plus  au  monde, 
mais  le  nouveau  n'est  pas  toujours  absolument  neuf,  et  la  séduisante 
Grisélidis  que  l'Opéra-Comique  vient  de  nous  offrir  en  est  une  preuve 

(1)  ViCïOn  Hugo.  —  Choses  Yves:  C.  Lév^,  1898-IS99. 


convaincante.  C'est  assurément  une  œuvre  nouvelle  que  cet  opéra  écrit 
par  M.  Massenet  sur  un  livret  charmant  que  le  regretté  Armand  Sil- 
vestre et  son  compagnon  M.  Eugène  Morand  ont  tiré  pour  lui  du  joli 
(i  mystère  »  que,  voici  dix  ans,  ils  donnaient  tous  deux  à  la  Comédie- 
Française.  Mais  le  sujet  lui-même,  bien  que  de  naissance  essentielle- 
ment française,  était  loin  d'être  inédit,  puisqu'on  en  fait  remonter  l'ori- 
gine à  plus  de  neuf  cents  ans,  c'est-à-dire  en  plein  moyen  àgo.  Marie 
de  France,  le  gentil  poète  en  langue  d'oil,  parait  être  la  première  qui, 
dès  le  treizième  siècle,  s'est  inspirée  de  la  légende  populaire,  et  on  en 
trouve  le  récit  sous  ce  titre  :  le  Lai  du  Frêne,  dans  son  recueil  de  lais  et 
de  fabliaux  intitulé  Ysopet;  Boccace  ensuite  l'immortalise  en  italien 
dans  sou  Décaméron  (dixième  journée),  tandis  que  Geoffroy  Chaucer  s'en 
empare  en  Angleterre;  Pétrarque  à  son  tour  la  raconte  en  latin,  et  elle 
ne  revient  en  France  qu'après  plus  de  trois  cents  ans,  avec  notre  aima- 
ble Perrault,  qui  prélude  à  ses  jolis  contes  de  fées  en  prose  :  k  Petit 
Poucet,  le  Chat  botté,  etc.,  par  un  conte  en  vers  intitulé  la  Marquise  de 
Salusse.i  ou  la  Patience  de  Grisélidis,  plus  connu  depuis  lors  sous  la  sim- 
ple appellation  de  Grisélidis.  Enfin,  au  dix-huitième  siècle,  Hamilton 
d'un  côté,  Imbert  de  l'autre,  reprennent,  en  prose,  le  sujet  de  Grisélidis 
et  le  traitent  chacun  à  sa  manière.  On  a  dit  à  tort  que  l'Opéra  avait  tiré 
un  ballet  de  la  légende  ;  c'est  une  erreur,  causée  par  une  quasi  simili- 
tude de  nom.  Le  ballet  de  l'Opéra,  dû  à  Dumanoir  et  Adolphe  Adam  et 
représenté  le  16  février  1848,  avait  pour  titre  non  Grisélidis,  mais  Gri- 
seldis,  et  son  sous-titre  :  «  ou  les  Cinq  Sens  »,  aurait  dû  suflfire  à  éloigner 
toute  supposition  d'analogie.  De  fait,  il  n'y  en  a  aucune  entre  ce  ballet 
et  la  légende  depuis  si  longtemps  fameuse. 

Ce  n'est  pas  qu'on  n'ait  essayé  de  transporter  au  théâtre  ce  sujet 
devenu  si  populaire.  Sans  parler  de  «  Grisélidis  ou  la  Marquise  de  Saluées, 
histoire  mise  par  personnages  et  rimes,  l'an  1395,  par  J.  Bonfons  »,  on 
connaît  une  comédie  en  cinq  actes  et  en  vers  de  M""^  de  Sainlonge,  la 
Griselde  ou  la  Princesse  de  Saluées,  qui  fut  jouée  et  imprimée  à  Dijon 
en  1714.  Dans  le  même  temps,  c'est-â-dire  en  1717,  on  jouait  en  Italie 
une  tragi-comédie  intitulée  Grisélidis.  Un  siècle  et  demi  se  passe,  et 
nous  voyons  représenter  à  Naples,  sur  le  théâtre  Nuovo,  le  6  janvier  1878, 
Ch'iselda,  o  la  Marchesana  di  Saluzzo,  opéra  semi- sérieux,  livret  de 
M.  Enrico  Golisciani,  musique  de  M.  Oscar  Scarano,  et  enfin,  le 
3  mars  1898,  on  joue  au  théâtre  municipal  de  Troppau  Grisélidis,  «  mys- 
tère »,  paroles  de  M.  O.  Mayer,  musique  de  M.  Clément  Frankenstein, 
qui  est  une  imitation  bien  évidente  du  «  mystère  »  de  MM.  Armand 
Silvestre  et  Eugène  Morand. 

Ou  sait  la  légende,  telle  que  Perrault  Fa  recueillie.  Le  comte  de 
Saluées  rencontre  aux  champs,  dans  une  chasse,  une  jeune  bergère, 
Grisélidis,  dont  la  beauté  l'éblouit  à  tel  point  qu'il  en  fait  sa  femme  et 
l'épouse.  Mais  ce  comte,  être  bizarre,  dur  et  ombrageux,  ne  tarde  pas, 
sous  prétexte  d'éprouver  la  patience  et  les  vertus  de  celle  à  qui  il  a 
donné  son  nom,  à  la  rendre  aussi  malheureuse  que  possible.  Il  la  con- 
fine et  la  tient  d'abord  étroitement  enfermée  dans  ses  appartements,  lui 
refusant  tout  plaisir  et  toute  distraction;  il  lui  supprime  ensuite  ses 
bijoux,  ses  parures  et  ses  ajustements;  puis  il  lui  enlève  jusqu'à  son 
enfant,  dont  peu  après  il  lui  annonce  faussement  la  mort;  non  content 
de  cela,  il  lui  apprend  bientôt  qu'il  la  répudie  pour  se  remarier,  qu'elle 
ait  donc  à  quitter  le  palais  et  à  reprendre  son  ancien  état  ;  puis  enfin  il 
la  rappelle  pour  l'obliger  à  servir  celle  même  qui  doit  prendre  sa  place. 
Ce  n'est  qu'après  cette  dernière  épreuve,  où  la  patience  de  l'infortunée 
n'a  pas  faibli  un  instant,  que,  satisfait  de  son  obéissance,  le  comte,  avec 
son  amour,  lui  rend  son  rang  et  sa  situation. 

En  tête  de  son  récit,  Perrault  place  une  dédicace  à  une  demoiselle***, 
dédicace  qu'il  termine,  après  avoir  fait  ressortir  la  patience  de  son 
hérome,  par  une  épigramme  un  peu  bien  impertinente  :'i  l'adresse  des 
Parisiennes  : 

Eu  vous  offrant,  jeune  et  sage  beauté. 
Ce  modèle  de  patience. 
Je  ne  me  suis  jamais  flatté 
Que  par  vous  de  tout  point  il  seroit  imité; 
C'en  seroit  trop,  en  conscience. 


Ce  n'est  pas  que  la  patience 
Ne  soit  une  vertu  des  dames  de  Paris; 
Mais,  par  un  long  usage,  elles  ont  la  science 
Do  la  faire  exercer  par  leurs  propres  maris. 

Les  auteurs  du  «  mystt'.re  »  de  la  Comédie-Française  transformé  en  livret 
d'opéra  n'ont  emprunté  à  la  légende  que  son  point  de  départ:  le  mariage 
du  marquis  avec  la  bergère  Grisélidis,  et  un  incident  :  renlèvement  de 
son  enfant,  en  le  transformant  lui-même.  Ils  ont  introduit  le  fantastique 
dans  l'action,  en  y  plaçant  le  diable,  et  même  la  femme  de  celui-ci,  et 
ils  ont  supprimé  la  persécution  de  l'époux  sm'  l'épouse,  en  remplaçant, 
pour  conserver  l'intérêt  de  la  situation,  cette  persécution  par  celle  du 


LE  MÉNESTREL 


371 


diable  eu  personne.  Je  rappelle  rapidement  les  faits,  pour  ceux  de  mes 
lecteurs  qui  n'auraient  pas  vu  la  pièce  à  la  Comédie- Française. 

En  un  prologue  qui  n'existait  pas  à  la  Comédie,  nous  voyons  le  ber- 
ger Alain,  attendant,  dans  la  forêt,  la  venue  de  Grisélidis,  dont  il  est 
épris  et  dont,  avec  enthousiasme,  il  vante  la  beauté.  Parait  le  marquis, 
qui,  en  chassant,  vient  d'entrevoir  la  chaste  bergère.  La  voici  elle- 
même,  et  le  marquis,  transporté  à  sa  vue,  lui  demande  aussitôt  si  elle 
veut  être  sa  femme.  Elle  répond  avec  modestie  qu'elle  est  sa  servante  et 
qu'elle  ne  peut  que  lui  obéir.  Le  marquis  la  fait  alors  conduire  au  châ- 
teau, tandis  qu'Alain  est  au  désespoir.    . 

Quelques  années  se  passent  et  nous  voici  au  premier  acte,  dans  le 
château.  Le  marquis  va  partir  pour  la  Terre  Sainte,  où  il  doit  combattre 
les  Infidèles,  laissant  sa  femme  et  son  fils  sous  la  garde  du  prieur. 
Celui-ci  émet  des  doutes  sur  la  fidélité  des  femmes  en  l'absence  de  leurs 
époux.  Le  marquis  répond  qu'il  ne  redoute  rien  quant  à  la  sienne,  et  le 
diable  lui-môme  serait  là...  Aussitôt  le  diable  se  présente,  un  assez  bon 
diable  en  apparence,  hilarant  et  de  joyeuse  humeur,  mais  qui  n'en  est 
que  plus  redoutable,  et  qui  raille  le  marquis  sur  sa  confiance,  on  l'as- 
surant qu'il  n'est  point  de  femme  qui  ne  soit  prête  à  pécher.  Un  pari 
s'engage  alors  entre  lui  et  le  marquis,  qui  le  met  au  défi  de  faire  fléchir 
Grisélidis  et,  pour  lui  prouver  sa  quiétude,  lui  donne  en  gage  son  anneau 
nuptial.  Le  diable  parti,  le  marquis  fait  ses  adieux  à  Grisélidis,  em- 
brasse son  enfant,  puis  s'éloigne  avec  ses  chevaliers. 

Deuxième  acte,  une  terrasse  devant  le  château,  en  vue  de  la  mer. 
Scène  comique,  querelle  de  ménage  entre  le  diable  et  sa  femme,  qui  se 
raccommodent  à  la  seule  pensée  du  mal  qu'ils  vont  faire  en  s'elTorçant 
de  perdre  Grisélidis.  Tous  deux  se  présentent  à  elle  comme  arrivant 
d'Orient  et  lui  apportant  des  nouvelles  du  marquis.  Grisélidis  tres- 
saille de  joie,  mais  sa  joie  est  de  courte  durée  lorsque  le  faux  Oriental 
lui  apprend  que  la  femme  qui  l'accompagne  est  une  esclave  qui  a  été 
précisément  achetée  par  le  marquis,  que  celui  ci  doit  l'épouser  à  son 
retour  et  qu'il  ordonne,  en  attendant,  que  tout  le  monde  lui  obéisse  et 
qu'elle  soit  la  maîtresse  au  château.  Incrédulité  de  Grisélidis,  qui 
demande  une  preuve.  Le  diable  alors  lui  montre  l'anneau  du  marquis. 
L'infortunée,  après  un  sentiment  de  révolte,  courbe  la  tête  et  se  sou- 
met à  ce  qu'elle  croit  être  la  volonté  de  son  époux.  Ce  n'est  pas  l'afifaire 
du  diable,  qui  pensait  la  mettre  en  fureur.  Il  essaiera  d'un  autre 
moyen.  Il  met  Grisélidis  en  présence  d'Alain,  espérant  qu'à  l'aide  des 
souvenirs  il  la  fera  faillir.  Peine  perdue.  Malgré  tous  ses  artifices, 
malgré  toutes  les  embûches,  la  seule  pensée  de  son  enfant  sauve 
Grisélidis.  Alors  le  diable,  pour  se  venger,  lui  vole  son  enfant  et  l'em- 
porte. 

Nous  trouvons,  au  troisième  acte,  Grisélidis  en  son  oratoire,  priant 
devant  le  triptyque  de  sainte  Agnès,  qu'elle  conjure  de  lui  rendre  son 
fils.  Tout  à  coup,  présage  funeste,  la  statue  de  la  sainte  a  disparu.  C'est 
alors  que,  sous  un  nouveau  déguisement,  le  diable  vient  encore  la  ten- 
ter, en  lui  donnant  l'espoir  de  retrouver  son  enfant.  Elle  s'éloigne  avec 
cet  espoir,  et  bientôt  voici  le  marquis  de  retour,  surpris  de  ne  point 
trouver  Grisélidis.  Le  diable,  toujours  déguisé,  lui  insinue  qu'en  son 
absence  sa  femme  a  bien  pu  le  tromper,  et  glisse  le  soupçon  en  son 
àme.  Mais  le  marquis  reconnaît  son  anneau  au  doigt  de  cet  inconnu. 
C'est  le  diable,  se  dit-il.  Et  pourtant,  si  l'infâme  lui  disait  la  vérité I... 
Il  doute  encore  quand  reparait  Grisélidis,  ivre  de  joie  de  revoir  son 
époux,  et  qui  n'a  pas  de  peine  à  se  disculper.  Mais  elle  lui  apprend 
qu'on  lui  a  volé  leur  enfant.  Fureur  du  marquis,  qui  cherche  une  arme 
et  va  pour  arracher  une  épée  à  une  panoplie,  lorsque  toutes  les  pano- 
plies disparaissent.  La  prière  seule  lui  reste  pour  conjurer  l'esprit  malin. 
Il  se  jette  à  genoux  avec  sa  femme  devant  le  triptyque,  et  tous  deux 
prient  avec  ferveur.  Bientôt  la  croi.Y  placée  devant  l'autel  se  transforme 
en  une  épé  e  flamboyante  dont  le  marquis  s'empare.  Puis,  nous  dit  le 
livret,  «  tous  les  cierges  de  l'oratoire  d'eux-mêmes  s'allument  à  la  fois  ; 
an  dehors,  dans- le  clocher  de  la  chapelle,  les  cloches  sonnent  l'allé- 
gresse; tout  l'oratoire  étincelle  de  lumière,  et,  d'un  coup,  le  triptyque 
s'ouvre  avec  fracas,  la  sainte  est  de  nouveau  sur  son  piédestal,  tenant 
l'enfant  endormi  devant  elle.  Les  gens  du  château,  les  hommes  d'armes, 
accourus,  demeurent  sur  le  seuil  immobiles,  bras  levés  et  mains  jointes, 
en  extase  ». 


Tel  est  ce  poème  curieux,  d'une  saveur  toute  particulière,  que  ses 
auteurs  avaient  justement  qualifié  de  «  mystère  »et  qui,  par  sa  nature, 
semblait  précisément  fait  pour  appeler  et  exciter  l'inspiration  d'un 
musicien.  Outre  son  caracti-'re  mystique,  le  mélange  très  original  de 
tendresse,  de  comique  et  de  surnaturel  fournissait  â  celui-ci  tous  les 
contrastes  qu'il  pouvait  désirer  et  lui  donnait  la  faculté  de  varier,  avec 
ses  moyens  d'expression,  toute  la  richesse  des  couleurs  de  sa  palette. 
Nul  autre,  semble-t-il,  ne  paraissait  plus  apte  que  M.  Massenet  à  tirer 


d'un  tel  sujet  tout  le  parti  qu'il  comportait,  et  je  crois  bien  qu'il  y  a 
réussi  à  souhait. 

Toute  cette  partition  de  Grisélidis  estd'un  bouta  l'autre  si  mélodieuse, 
si  chantante,  si  inspirée,  que  j'éprouve  quelque  difliculté  â  choisir,  parmi 
les  pages  qui  la  composent,  celles  qui  sont  le  plus  dignes  d'exciter  et 
de  retenir  l'attention.  Il  est  convenu  aujourd'hui,  pour  une  certaine 
critique,  qu'il  n'y  a  plus  ni  opéra  ni  opéra-comique,  et  que  le  premier 
doit  être  remplacé  par  le  drame  musical,  le  second  par  la  comédie  mu- 
sicale. C'est  une  question  de  mots,  béte  comme  toutes  les  questions  de 
mots.  Mais  enfin,  puisque  quelques-uns  veulent  une  transformation 
dans  la  forme  lyrique,  puisqu'ils  prétendent  absolument  proscrire,  avec 
le  dialogue  parlé,  la  division  nette  en  morceaux  séparés,  puisqu'ils 
établissent  comme  un  dogme  la  continuité  du  discours  musical,  il  me 
semble  que  dans  sa  nouvelle  œuvre  M.  Massenet,  par  un  mezzo  termine, 
a  trouvé  la  véritable  forme  â  adopter  pour  satisfaire  les  plus  exigeants. 
Son  discours  ne  s'interrompt  jamais,  mais  il  nous  fait  grâce  de  ces 
récitatifs  insupportables,  lourds,  sans  valeur  et  sans  saveur,  qui  «  or- 
nent »  certaines  œuvres  prétendues  musicales  que  vous  connaissez  bien. 
Il  écrit  en  réalité  de  véritables  morceaux,  car  il  y  a,  dans  la  partition 
de  Grisélidis,  des  airs,  des  duos,  des  trios  d'une  forme  précise,  mais  ces 
morceaux  sont  reliés  entre  eux  non  par  les  récitatifs  amorphes  dont  je 
parlais,  mais  par  des  séries  de  phrases  vraiment  musicales,  ayant  un 
sens,  une  forme  et  un  contour  appréciables,  qui  chantent  toujours,  et 
qui  parfois  nous  offrent  des  épisodes  exquis,  comme  la  délicieuse  can- 
tilène  du  marquis  au  premier  acte:  Traiter  en  prisonnière  Grisélidis! 
dont  la  suavité  est  telle  que  la  salle  entière  l'a  redemandée  tout  d'une 
voix,  comme  le  chant  merveilleux  de  GriséUdis  â  son  entrée  au  deuxième 
acte  :  La  mer,  et  sur  les  flots  toujours  bleus...,  chant  d'une  poésie  péné- 
trante et  d'une  touchante  mélancolie,  dont  la  séduction  est  telle  qu'on 
a  voulu  l'entendre  aussi  une  seconde  fois.  En  un  mot,  ce  n'est  plus  ici 
de  la  musique  désarticulée  comme  on  nous  en  offre,  hélas!  trop  souvent; 
non,  cette  musique-là  a  des  muscles,  elle  a  des  nerfs,  elle  est  vivante, 
elle  est  palpitante,  c'est  de  la  musique  enfin,  et  elle  nous  mène  loin  des 
productions  aussi  nulles  qu'irritantes  de  compositeurs  qui  remplacent 
le  chant  par  du  bruit,  la  mélodie  par  des  cris  et  le  sentiment  dramatique 
par  des  éclats  et  une  violence  qui  n'ont  même  pas  l'excuse  de  la  logique 
et  de  la  vérité. 

Le  prologue,  pour  court  qu'il  soit,  est  à  lui  seul  un  enchantement 
pour  les  oreilles .  Il  l'est  aussi  d'ailleurs  pour  les  yeux,  et  tout  se  réunit 
ici  pour  donner  au  spectateur  une  impression  de  poésie  exquise.  Le 
décor,  la  mise  en  action  de  ces  personnages  qui  se  parlent  au  milieu  des 
arbres  de  la  forêt,  l'appel  amoureux  d'Alain,  l'apparition  de  Grisélidis, 
l'extase  du  marquis  â  sa  vue,  le  court  dialogue  qui  s'établit  entre  eux 
sur  une  harmonie  délicieuse,  tout  cela  est  d'une  séduction  qui  vous 
transporte  dans  des  régions  inconnues.  C'est  le  parfait  dans  l'idéal. 

Le  premier  acte  s'ouvre  par  une  sorte  de  fabliau,  d'un  gentil  tour 
archaïque,  que  chante  Bertrade,  la  suivante  de  Grisélidis.  A  signaler 
ensuite  l'ariette  d'entrée  du  diable,  sur  un  rythme  gaillard  et  plein  de 
franchise,  la  cantilène  si  touchante  du  marquis  que  j'ai  déjà  mention- 
née et  que  M.  Dufranne  a  dite  avec  un  sentiment  exquis,  une  autre 
phrase  charmante  du  même  :  Oiseau  qui  pars  à  tire-d'aile,  en  fa  majeur, 
d'un  accent  plein  de  mélancolie,  enfin  le  serment  de  Grisélidis  :  Devant 
le  soleil  clair,  accompagné  d'abord  par  un  seul  violoncelle  concertant 
avec  la  voix,  puis,  chaleureusement,  par  tout  l'orchestre,  pour  se  termi- 
ner smorzando  avec  le  même  procédé. 

On  peut  dire  du  second  acte  qu'il  ne  laisse  pas  à  l'oreille  un  moment 
de  répit  ou  de  distraction.  Après  l'air  bouffe  du  diable,  dont  le  dessin 
si  franc  se  trouve  en  germe  dans  le  joli  entr'acte  qui  le  précède,  après 
son  duo  comique  avec  sa  femme,  plein  d'entrain,  de  verdeur  et  de  viva- 
cité, le  contraste  est  frappant  lorsqu'on  voit  Grisélidis  descendre  du 
château,  s'asseoir  sur  la  terrasse  et,  en  contemplant  la  mer,  e.xhaler  sa 
mélancolie  dans  ce  chant  caressant  et  délicieux  :  Il  partit  au  printemps, 
voici  venir  l'automne,  que  l'orchestre  souligne  avec  tant  de  bonheur.  Mais 
que  dire  ensuite  de  la  prière  que  Grisélidis  fait  faire  à  son  fils,  tandis 
qu'on  entend  au  loin  les  échos  d'un  chœur  invisible,  soutenu  par  les 
cloches  de  l'angelus?  A  cet  épisode  d'une  douceur  et  d'une  suavité 
angêliques  succède  la  scène  en  trio  de  Grisélidis,  du  diable  et  de  sa 
femme,  divisée  elle-même  en  plusieurs  épisodes  et  dont  l'ensemble  est 
excellent.  Puis,  la  nuit  venue,  nous  avons  l'évocation  du  diable,  auquel, 
dans  l'obscurité,  répondent  des  voix  invisibles,  l'apparition  et  la  valse 
des  Esprits,  tout  un  tableau  étrange  et  fantastique  dont  la  musique  est 
pleine  de  couleur  et  de  caractère  et  que  suit  bientôt  la  grande  scène  de 
la  tentation  entre  Alain  et  Grisélidis,  leur  duo  passionné,  aux  accents 
pleins  de  chaleur  et  d'émotion,  jusqu'au  moment  où  Grisélidis,  qui 
semble  près  de  succomber,  est  sauvée  par  l'arrivée  de  son  enfant,  qui 
la  rend  à  elle-même  et  à  la  raison.  Et  enfin,  pour  terminer,  l'enlève- 
ment de  l'enfant  par  le  diable,  les  cris  de  la  mère  éperdue,  ses  appels 


372 


LE  MÉNESTREL 


désespérés  et  la  venue  de  tous  les  serviteurs  accourant  de  tous  côtés  à 
sa  voix  et  s'élancant  à  la  poursuite  du  ravisseur.  Tout  cela  est  très  beau 
musicalement,  d'une  inspiration  et  d'une  facture  magistrales,  tous  ces 
contrastes  sont  traités  d'une  façon  saisissante,  tout  cela  est  d'un 
maître . 

Le  troisième  acte  est  court.  Il  faut  pourtant  y  sigtialer  encore  l'entrée 
du  marquis,  sa  scène  avec  Grisélidis,  puis  leur  phrase  touchante  eu 
duo  :  L'oiseau  est  tombé  du  nid,  et  leur  prière  devant  le  triptyque  de 
sainte  Agnès. 

Les  paroles  sont  impuissantes  à  rendre  certaines  impressions.  J'ai 
essayé  de  déterminer  les  miennes.  Mais  ce  que  je  ne  puis  dire,  c'est  le 
charme  de  cotte  musique,  c'est  la  séduction  qu'elle  opère  sur  l'esprit, 
c'est  la  volupté  qu'elle  procure  à  l'oreille.  Comment  faire  comprendre  la 
grâce  de  ces  mélodies  tantôt  poétiques,  tantôt  pathétiques,  tantôt  sou- 
riantes, toujours  savoureuses  et  substantielles?  Comment  donner  une 
idée  de  la  finesse,  de  la  fraîcheur,  de  la  nouveauté,  du  piquant  de  ces 
harmonies?  comment  surtout  caractériser  l'étonnante  maîtrise  de  cet 
orchestre,  sa  variété,  son  éclat  sans  brutalité,  sa  sonorité  sans  bruit, 
cet  orchestre  à  la  fois  substantiel  et  discret,  toujours  présent,  toujours 
actif,  avec  des  accointances  de  timbres  délicieuses,  cet  orchestre  vrai- 
ment prodigieux,  qui  n'empiète  jamais  sur  les  voix  et  dont  on  perçoit 
jusqu'aux  moindres  détails,  sans  que  pourtant,  un  seul  instant,  on  cesse 
d'entendre  distinctement  les  paroles? 

La  partition  de  Grisélidis  est-elle  un  chef-d'œuvre?  On  me  l'a  dit  ;  je 
n'en  sais  rien.  Mais  ce  que  je  sais  et  ce  que  j'afflrme,  c'est  que  c'est 
une  œuvre  charmante,  séduisante,  vivante,  chantanti  par-dessus  tout, 
et  pour  ma  part  je  m'estime  satisfait  de  la  joie  profonde  qu'elle  m'a 
causée,  de  l'émotion  qu'elle  m'a  procurée. 

L'interprétation  est  à  la  hauteur  de  l'œuvre,  et  on  ne  saurait  la 
souhaiter  plus  parfaite  et  plus  homogène.  M"'  Bréval,  dont  l'Opéra  a 
jugé  bon  de  se  séparer,  peut-être  parce  qu'il  n'avait  parsoune  pour 
la  remplacer,  nous  a  donné  une  Grisélidis  pleine  d'élégance,  de  grâce 
et  de  poésie.  Elle  a  été  vraiment,  à  tous  les  points  de  vue,  l'héroïne  idéale 
de  ce  roman  de  naïveté  et  d'amour.  Comme  femme,  comme  cantatrice 
comme  comédienne,  son  succès  a  été  aussi  complet  que  mérité.  Elle 
avait  pour  partenaire,  dans  le  rôle  du  marquis,  un  jeune  artiste, 
M.  Dufranne,  qui  s'est  révélé  du  premier  coup  chanteur  accompli, 
aussi  bien  par  le  charme  de  sa  voix  chaude  et  vibrante  que  par  ses  qua- 
lités rares  de  goût,  de  style  et  de  diction.  L'éloge  n'est  plus  à  faire  de 
M.  Fugère,  qui  a  donné  au  personnage  du  diable  une  couleur  orjo-i- 
nale,  tout  à  fait  caractéristique  et  pleine  de  fantaisie,  et  qui  a  été  très 
bien  secondé  par  M'i^Tiphaine,  diablesse  pleine  d'entrain  et  de  vivacité. 
M.  Maréchal  a  montré,  dans  le  personnage  d'Alain,  ses  qualités  ordi- 
naires de  chaleur  et  de  passion,  et  M"«  Daffetye  a  donné  â  celui  de  Ber- 
trade  la  grâce  et  la  simplicité  qui  lui  conviennent.  MM.  Jacquin  et 
Huberdeau  complètent  avec  conscience  un  ensemble  parfait. 

Il  faut  faire  aussi  à  la  mise  en  scène  la  part  qui  lui  convient  dans  un 
ouvrage  où  elle  acquiert  une  si  grande  importance.  Le  décor  et  la  mise 
eu  action  si  nouvelle  du  prologue  sont  pour  les  yeux  un  charme  sans 
pareil;  le  premier  est  l'œuvre  de  M.  Jusseaume,  la  seconde  est  le  fait  de 
M.  Albert  Carré  ;  l'un  et  l'autre  méritent  les  éloges  les  plus  complets. 
On  n'en  saurait  moins  dire  en  ce  qui  concerne  le  deuxième  acte.  I,à,  le 
tableau  du  peintre  est  une  merveille  de  poésie,  et  l'épisode  de  l'appari- 
tion des  Esprits  est  d'une  couleur  vraiment  prodigieuse.  Complétons 
enfin  la  part  de  tous  et  de  chacun  en  déclarant  que  l'exécution  d'en- 
semble, orchestre  et  chœurs,  sous  la  direction  moelleuse  et  souple  de 
M.  Messager,  est  au-dessus  de  tout  éloge.  En  vérité,  le  spectacle  de 
Grisélidis,  sous  quelque  point  de  vue  qu'on  l'envisage,  est  d'une  absolue 
perfection. 

^  Arthur  Pougin. 

Athénée.  V Auréole,  comédie  en  h  actes,  de  MM.  Jules  Ghancel  et  H.  de  Gorsse. 
L'auréole,  c'est  tout  ce  qui  reste  à  l'officier  supérieur  sans  fortune 
arrivé  à  la  terrible  limite  d'âge.  Le  général  Servin,  encoi-e  vert  et  vibrant 
à  soixante-deux  ans,  pour  qui,  comme  le  dit  un  des  personnages  de  la 
pièce,  l'heure  de  la  retraite  a  sonné,  mais  non  celle  de  l'extinction  des 
feux,  le  général  Servin,  n'ayant  que  sa  modeste  pension  pour  vivre  et 
doter  sa  grande  fille  Germaine,  jeune  cheval  échappé,  superficiellement 
dressé  au  milieu  des  fringants  officiers  d'ordonnance  de  son  papa  veuf 
depuis  fort  longtemps,  le  général  Servin  essaie  de  vivre  oublié  chez  une 
sœur  à  lui,  vieille  fille  bigote  et  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  de  sa  petite 
ville  de  Figeac.  L'ennui  le  ronge,  l'inaction  le  mine,  aussi  acceptc-t-il 
avec  empressement  la  situation  que  vient  lui  offrir  un  certain  Aguilar 
financier  véreux  s'il  en  fut,  d'autant  que  la  proposition  arrive  au  moment 
où  le  pauvre  homme  apprend  que  sa  Germaine  s'est  laissée  séduire  par 
le  lieutenant  Dalbigny.  Aguilar  ramasse  l'auréole  du  vieux  soldat  que 


l'effondremeut  rend  incapable  de  volonté;  elle  lui  servira  à  éblouir  les 
gogos  et  â  masquer  ses  tripotages  plus  que  louches.  Servin,  trop  brave 
homme  et  n'ayant,  comme  la  plupart  de  ses  camarades,  connu  de  la  vie 
que  son  régiment,  la  discipHne  et  les  galons,  se  laisse  rouler  avec  une 
naïveté  toute  militaire.  On  l'arrête,  et  grâce  à  la  libéralité  d'un  honnête 
financier,  le  baron  Danheim,  très  amoureux  de  Germaine,  grâce  aussi 
à  sa  parfaite  innocence,  on  l'acquitte.  Et  le  vaincu  de  la  vie,  qui  avait 
chassé  sa  fille  déshonorante,  lui  rouvre  les  bras  ne  se  croyant  plus  le 
droit  de  juger  les  faiblesses  d'autrui. 

Ceci,  c'est  le  fond  de  la  pièce  nouvelle  de  MM.  Ghancel  et  de  Gorsse, 
qui,  en  plus  d'un  endroit,  1res  habilement,  très  théâtralement  traitée, 
avec  une  sobriété  d'effet  immédiat,  contient  encore  des  épisodes  char- 
mants, tel  l'intérieur  de  Figeac  dans  lequel  trône  la  tante  Emilie,  per- 
sonnifiée en  perfection  par  M"'=  Madeleine  Guitty,  une  artiste  de  com- 
position svire  et  originale  que,  jusqu'à  présent,  aucun  théâtre  n'avait  su 
mettre  en  lumière.  L'Auréole  est,  par  ailleurs,  très  agréablement  jouée 
par  la  troupe  de  l'Athénée:  M.  Deval,  qui  a  trouvé  dans  le  général 
Servin  l'un  des  meilleurs  rôles  de  sa  carrière,  M.  Gauthier,  qui  sauve 
tant  qu'il  peut  ce  qu'a  de  répugnant  son  lieutenant  Dalbigny,  M"'  Duluc, 
qui  a  de  l'émotion,  M.  Lortheur  de  l'acquit,  M.  Tréville  de  la  tenue, 
M"'  Suzanne  Demay  de  la  fantaisie  naïve  et  MM.  Huilier  et  Severin- 
Mars  du  naturel. 

P.\ul-Émile  Chevalier. 


LES  CHANSONS  POPULAIRES  DES  ALPES  FRANÇAISES 

(Suite.) 


Je  voudrais  clore  la  série  de  ces  souvenirs  d'exploration  en  contant 
un  épisode  qui  me  procura  une  occasion,  que  je  n'avais  point  cherchée, 
de  recueillir  des  chansons.  Son  véritable  héros  fut  un  maître  illustre, 
gloire  du  Dauphiné  et  de  la  France,  sous  l'invocation  de  qui  je  suis 
heureux  de  mettre  cette  étude  dés  ses  premières  pages  :  Hector  Berlioz. 
Son  nom  devait,  â  tous  égards,  avoir  sa  place  ici.  Berlioz  vivait  dans 
un  temps  où  les  artistes  ne  se  préoccupaient  guère  de  la  chanson  popu- 
laire, qu'ils  dédaignaient  et  ignoraient:  on  peut  dire  cependant  qu'il 
en  eut  l'intuition.  En  Italie,  où  la  musique  qu'on  faisait  dans  les 
théâtres  vers  1830  ne  lui  inspirait  que  du  dégoût,  il  alla  chercher  des 
impressions  plus  pures  dans  la  monlagne.  «  Je  m'en  tins  â  la  musique 
des  paysans,  a-t-il  écrit;  au  moins  a-t-elle,  celle-là,  de  la  naïveté  et  du 
caractère.  »  Il  donne  en  effet,  dans  ses  Mémoires,  des  notations  d'airs  de 
pifferari  dont  il  a  reproduit  les  formes  et  les  rythmes  dans  plusieurs  de 
ses  grandes  œuvres  :  Benvenuto  Cellini,  la  symphonie  à'Harold.  Et  si,  de 
retour  à  Paris,  il  n'eût  eu  â  s'occuper  de  Beethoven,  de  Gluck,  —  et  de 
Berlioz  lui-môme,  —  qui  sait  s'il  ne  se  fût  pas  tourné  vers  l'étude 
de  l'art  populaire,  et  ne  fût  devenu  ainsi  le  premier  de  nos  folkloristes? 
Car  il  sentait  très  vivement  ce  qu'il  y  a  de  vivace  dans  les  mélodies 
rustiques  :  cela  transparait  même  â  travers  ses  boutades.  Veut-il  parler 
du  style  volontairement  archaïque  dans  lequel  il  a  écrit  son  Mystère  de 
la  Fuite  en  Egypte,  il  s'exprime  en  ces  termes  :  «  L'ourerture  est  en  fa 
diéze  mineur  sans  note  sensible,  mode  qui  n'est  plus  de  mode,  qui 
ressemble  au  plain-chant,  et  que  les  savants  vous  diront  être  un  dérivé 
de  quelque  mode  phrygien,  ou  dorien,  de  l'ancienne  Grèce,  ce  qui  ne 
fait  absolument  rien  â  la  chose,  mais  dans  lequel  réside  évidemment  le 
caractère  mélancolique  et  un  peu  niais  des  vieilles  complaintes  popu- 
laires. »  La  vérité  est  que  ces  vieilles  complaintes  populaires,  dont  il 
parle  d'un  ton  si  dégagé,  mais  non  sans  une  seci'ète  sympathie,  l'ont 
inspiré  directement,  peut-être  sans  qu'il  s'en  doutât,  dans  la  composi- 
tion du  Mystère.  Le  récit  du  Repos  de  la  Sainte  Famille  n'est-il  pas  d'une 
conception  toute  primitive  ?  Je  retrouve  dans  le  thème  initial  :  «  Les 
pèlerins  étant  venus  »,  la  ligne  mélodique  d'une  chanson  de  Mai  popu- 
laire dans  tout  l'Est,  et  que  peut-être  il  entendit  chanter  en  son  enfance 
aux  paysans  de  la  Côte-Saint-André.  Il  a  écrit  quelque  part:  «  Je  ne 
veux  pas  faire  une  réputation  aux  Dauphinois,  que  je  tiens,  au 
contraire,  pour  les  plus  innocents  hommes  du  monde  en  tout  ce  qui  se 
rattache  â  l'art  musical  »  ;  cependant,  après  cet  e.xorde,  il  fait  l'éloge 
d'une  mélopée  «  douce,  suppliante  et  triste  »  qu'il  leur  entendait  chan- 
ter aux  processions  des  Rogations,  et  qui  est  une  vraie  mélodie  popu- 
laire, le  fameux  tonus  pereyrinus  de  la  psalmodie  ;  et  il  en  avait  reçu  si 
vivement  l'impression  qu'il  l'introduisit  dans  l'œuvre  capitale  de  son 
âge  mûr,  la  Damnation  de  Faust:  preuve  certaine  qu'il  av.dt  su  bien 
écouter  les  chants  de  son  pays  natal. 

Longtemps  avant  de  songer  â  recueillir  les  chansons  populaires  dau- 
phinoises, j'avais  visité  les  lieux  décrits  par  Berlioz  dans  ses  Mimoires, 
entre  autres  Meylan.  L'on  sait  qu'en  ce  village,  s'étageant  sur  le  flanc 


LE  MÉNESTREL 


373 


du  Saint  Eynard,  habitait,  au  temps  de  son  enfance,  une  belle  jeune 
fille  qui  fut  sa  première  passion.  Le  jour  où  j'y  fus  pour  la  première 
fois,  un  orage  me  retint  plusieurs  heures  à  l'auberge.  C'était  dimanche; 
la  salle  était  pleine  de  gens  attendant  comme  moi  un  rayon  de  soleil  : 
j'imaginai,  pour  passer  le  temps  et  chercher  à  faire  revivre  les  vieux 
souvenirs,  de  leur  lire  le  chapitre  dans  lequel  leur  compatriote  raconte 
le  pèlerinage  d'amour  que,  déjà  vieux,  il  fit  en  ces  lieux  où  son  cœur 
avait  subi  le  iwernier  éveil.  «  Je  sens  bondir  mes  artères  à  l'idée  de 
raconter  cette  excursion  »,  écrit-il  en  commençant  son  récit.  Cependant 
il  s'étend  plusieurs  pages  sur  ce  souvenir  amer  et  doux  :  les  événements 
de  la  douzième  année  reviennent  à  sa  mémoire;  il  semble,  dit-il,  un 
homme  mort  qui  revient  à  la  vie.  Le  voilà  gravissant  la  montagne  :  il 
s'égare,  interroge  les  paysans  ;  tous  ont  oublié  :  une  vieille  cependant 
se  souvient;  elle  a  vu  autrefois  cette  «  Mam'zelle  Estelle  si  jolie  que 
tout  le  monde  s'arrêtait  à  la  porte  de  l'éghse,  le  dimanche,  pour  la  voir 
passer.  »  Il  monte  encore,  il  se  reconnaît,  il  arrive  enfin.  «  Dieu!  l'air 
m'enivre...  la  tète  me  tourne...  je  m'arrête  un  instant,  comprimant  les 
pulsations  de  mon  cœur.  »  Il  revoit  tout,  la  vieille  tour,  la  maison 
sacrée,  le  jardin,  les  arbres  sous  lesquels  il  jouait  de  la  flûte,  et  plus 
bas  la  vallée,  l'Isère  qui  serpente,  au  loin  les  Alpes,  la  neige,  les  gla- 
ciers. «  Saigne,  mon  cœur,  saigne,  mais  laisse-moi  la  force  de  souffrir 
encore.  »  Bile  est  montée  sur  cette  pierre;  elle  a  cueilli  des  fruits  à  ce 
buisson  de  ronces  ;  sur  ce  cerisier  sa  main  s'est  appuyée  ;  et  qu'est-ci  • 
encore?  Un  plant  de  pois  qui  fleurit  à  la  même  place.  «  Éternelle 
nature  I...  Les  pois  roses  y  sont  encore,  et  la  plante  plus  riche,  plus 
touiFne  qu'autrefois,  balance  au  souffle  de  la  brise  sa  gerbe  parfumée. 
Temps!  faucheur  capricieux!  la  roche  a  disparu  et  l'herbe  subsiste... 
Je  suis  sur  le  point  de  tout  prendre,  de  tout  arracher...  Mais  non,  chère 
plante,  reste  et  fleuris  toujours  dans  la  calme  solitude...  sois-y  l'emblème 
de  cette  partie  de  mou  âme  que  j'y  ai  laissée  jadis  et  qui  l'habitera  tant 
que  je  vivrai  !  Je  n'emporte  que  deux  de  tes  tiges  avec  leurs  fleurs- 
papillons  aux  f]-aiches  couleurs,  papillons  constants  ! . . .  adieu  ! . . .  adien  ! . . . 
bel  arbre  aimé,  adieu!...  monts  et  vallées,  adieu  I...  vieille  tour,  adieu!... 
vieux  Saint  Eynard,  adieu!...  ciel  de  mou  étoile,  adieu!...  Adieu  ma 
romanesque  enfance,  derniers  reflets  d'un  pur  amour!  Le  flot  du  temps 
m'entraîne;  adieu.  Stella!...  Stella!... 

a  Triste  comme  un  spectre  qui  rentre  dans  sa  tombe,  je  descendis  la 
montagne. 

«  Et  partout  un  doux  soleil,  la  solitude  et  le  silence.  » 
Le  silence,  il  était  dans  la  salle,  où  peu  à  peu  tout  le  monde  s'était 
rapproché  pour  écouter  la  lecture  :  silence  profond,  complet,  pareil  à 
celui  qui  régne  au  concert  quand  les  sourdines  murmurent  la  danse  des 
Sylphes...  L'admirable  public  que  le  peuple  !  Le  chapitre  fini,  tous  se 
taisaient  encore,  dans  une  attitude  de  recueillement,  pénétrés  de  cette 
poésie  qui  venait  de  se  révéler  inopinément  dans  le  terre  à  terre  de  leur 
vie  quotidienne.  Un  vieux  parla  le  premier,  disant  ces  simples  mots, 
d'un  ton  presque  craintif,  comme  s'il  osait  à  peine  exprimerune  opinion, 
pourtant  avec  un  air  de  conviction  intime  :  «  C'est  beau  cela,  Monsieur.  » 
Et  tous  s'éloignèrent,  émus.  Je  ne  crois  pas  que  Berlioz  ait  été  souvent 
si  bien  compris  dans  son  pays  natal,  et  je  me  féhcite  grandement  d'avoir 
été  ce  jour-là  son  porte-parole . 

Or,  douze  ans  plus  tard  (on  voudra  bien  excuser  cette  longue  digres- 
sion en  faveur  du  sujet),  me  retrouvant  à  Grenoble,  inoccupé  pendant 
la  fin  d'un  jour  d'été,  je  voulus  revoir  ce  village  de  Meyian,  aussi  beau 
par  le  site  qu'intéressant  par  le  souvenir.  Arrivé  près  de  la  vieille  tour 
dont  la  ruine  se  cache  parmi  les  herbes  hautes,  je  rencontrai  un  homme 
qui  gardait  un  troupeau  en  lisant  un  livre  d'agriculture.  Il  faut  s'habi- 
tuer à  vivre  avec  son  temps.  Autrefois  les  bergères  aux  champs  filaient 
leur  quenouillette  :  aujourd'hui  les  bergers  lisent  des  livres  d'agricul- 
ture. Nous  liâmes  conversation,  et  j'appris  que  j'avais  afîaire  au  posses- 
seur actuel  de  cette  terre  jadis  féodale.  De  mon  côté,  je  lui  parlai  de  ma 
recherche  de  chansons.  Il  était  au  courant;  un  journal  de  Grenoble 
avait  publié  naguère  un  article  annonçant  ma  venue,  et  dans  lequel 
était  professée  cette  double  opinion  :  qu'il  était  urgent  en  effet  de 
recueillir  les  chansons  populaires,  mais  que  le  ministère  de  l'instruction 
publique  avait  eu  le  plus  grand  tort  de  s'intéresser  à  la  mission  que 
j'avais  entreprise  et  de  m'en  faciliter  l'accomplissement,  —  conclusion 
dont  personne  ne  contestera  la  logique  admirable.  L'homme  avait  lu 
l'article,  et  il  faut  avouer  que  les  paroles  amères  ne  l'avaient  aucunement 
ému,  tandis  qu'il  avait  été  séduit  par  l'idée  du  recueil  de  chansons  dau- 
phinoises :  il  se  mit  donc  tout  spontanément  à  ma  disposition.  Décidé- 
ment la  presse  a  du  bon.  Il  me  conduisit  dans  sa  maison,  voisine  de 
celle  où  jadis  avait  vécu  la  belle  Estelle,  fit  venir  sa  vieille  mère,  et  lui 
demanda  de  chanter  ses  chansons,  dont  elle  avait  un  répertoire  nom  - 
breux  et  des  mieux  choisis.  Et,  tandis  qu'auprès  de  l'antique  donjon, 
dans  le  lieu  qui  avait  été  témoin  des  amours  z'omantiques  du  maître 


musicien,  la  paysanne  redisait  les  airs  d'autrefois,  j'écrivais,  assis  sur  le 
seuil,  dominant  la  vallée  qui  peu  à  peu  s'emplissait  d'ombre,  levant 
parfois  les  yeux  pour  contempler  au  loin  la  ligne  brisée  des  Alpes  se 
découpant  sur  un  ciel  très  pur  :  la  croix  de  Gharaprousse,  les  trois  pics 
de  Belledonne,  le  sombre  Taillefer,  maintenant  colorés  d'un  rouge 
ardent  par  les  derniers  rayons  du  soleil,  puis  s'éteignant  à  leur  tour 
dans  le  gris  crépusculaire.  Je  restai  là  plusieurs  heures,  jusqu'à  ce  que 
la  nuit  complètement  tombée  interrompit  notre  commun  travail,  e.xécuté 
de  part  et  d'autre  avec  une  égale  gravité,  et  je  rapportai  encore  de  Mey- 
ian une  dizaine  de  chansons,  sur  lesquelles  je  n'avais  pas  compté.  C'est 
à  Berlioz  que  je  les  dois. 
(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXXII 


BERLIOZ  VENGÉ   PAR   FLAUBERT 

à  Madame  Lucie  Delai'ue-Mardrus. 

—  A  propos  de  symphonies,  notez  que  notre  Herold  était  un  ma- 
sicien . . . 

—  Est-ce  une  découverte  ? 

—  Féru  de  belles  audaces  musicales,  je  n'ai  jamais  éprouvé  qu'une 
très  relative  tendresse  pour  Zampa:  j'avoue  sincèrement  mes  torts... 
En  écoutant  cette  inédite  et  proprette  symphonie  en  ré  (n°2),  qui  fut  un 
envoi  de  Rome,  je  trouve  que  le  lauréat,  disciple  de  Méhul,  a  dégénéré 
depuis  1812.  Et  je  maudis  plus  que  jamais  les  Italiens  qui  ont  étouffé 
dans  son  berceau  notre  école  de  symphonistes  français... 

—  Oui.  C'est  un  point  de  vue  !  Mais  oubliez-vous  donc  le  prix  de 
Rome  de  1830  et  la  Fantastique? 

—  Dieu  me  garde  d'être  injuste  pour  le  galvanisateur  de  notre  art  et 
pour  son  étrange  vision  !  Mais  quel  abime  entre  ce  merveilleux  mélo- 
drame instrumental  et  la  binette  académique  qui  a  le  parfum  décent 
d'un  Boilly  !  Et  comment  comparer  le  clair  de  lune  timide  avec  la  fou- 
dre? Sagesse  avant  1830  ;  cauchemar  au  delà...  D'Herold  à  Berlioz,  la 
transition  parait  manquer  sous  nos  pas...  L'évolution  se  dérobe,  incom- 
préhensible... 

—  Parce  que  les  détails  vous  échappent!  Et  vous  croyez,  à  chaque 
instant,  que  l'échelle  va  céder  parce  que  vous  n'en  connaissez  pasencore 
tous  les  échelons,  dans  l'ombre.  Mais  l'histoire,  pas  plus  que  la  nature, 
ne  fait  jamais  d'enjambées.  Les  prodiges  les  plus  surprenants  naissent  à 
leurs  heures.  Hector  Berlioz  ne  fut  qu'en  apparence  un  miracle.  Assu- 
rément, dl  était  «  trop  escarpé  »  pour  devenir  prophète  en  son  pays  dès 
l'abord  et  pour  ne  pas  apparaître  soudain  comme  une  «  exception  »  dans 
la  France  de  Louis-Philippe  au  romantisme  bourgeois.  Tenez,  seize  ans 
plus  tard,  à  la  naissance  obscure  de  sa  classique  Damnation  de  Faust,  le 
maître  méconnu  passe  encore  pour  un  charlatan,  aux  yeux  du  moins 
des  réalistes  qui  dessinent  malicieusement  déjà  la  caricature  du  roman- 
tisme. Oyez  plutôt  ces  médisances,  «ans  vous  étonner  de  rien  :  après 
une  loterie.  M"'  la  princesse  Flibustofskoy  médite  un  festival  au  béné- 
fice des  inondés  du  Borysthénes... 

—  Cela  promet. 

—  Cela  va  tenir.  La  princesse  ne  s'est-elle  pas  adressée  «  à  l'artiste 
breveté  qui  exécute  ce  genre  de  plaisanteries  ?  »  Après  avoir  quatre  fois 
secoué  sa  crinière,  l'artiste  annonce  son  menu.  Billets  à  quinze  francs  ; 
972  exécutants  ;  tous  les  cuivres  disponibles  mobilisés  pour  la  circons- 
tance ;  programme  court,  mais  significatif  :  une  Misse  des  morts  et  le 
Combat  des  Uoraces  et  des  Curiaces  mis  en  musique.  «  Princesse,  criait 
l'artiste,  en  agitant  sa  chevelure,  je  retrouverai  pour  vous  t'hymme  de  la 
création  perdu  depuis  le  déluge/  »  L'artiste  tient  parole  et  conduit  lui- 
même.  Au  pupitre,  à  cinq  mètres  au-dessus  du  niveau  des  flots  de 
l'orchestre,  il  nage  avec  sa  mèche  récalcitrante  en  pleine  harmonie, 
«  lui,  l'Artiste,  le  révélateur  musical  et  l'aigle  de  la  clef  de  fa...  »  Les 
ailes  toutes  grandes,  il  plane  dans  l'èther  et  sonde  l'assemblée  d'un 
regard  profond.  Pariez-moi  du  génie  pour  exalter  les  courages  !  Le  voilà 
qui  règne.  Le  festival  a  commencé.  Les  trompettes  de  Jéricho  n'étaient 
que  des  joujoux  auprès  de  sa  première  note...  La  salle  est  solide  :  elle 
résiste..  Les  oreilles  seules  sont  endommagées.  Sans  accident,  la  ilfme 
funèbre  en  douze  parties  se  déroule.  Et  maintenant,  au  fameux  Combat  ! 
Procédé  de  l'invention  du  grand  maître  et  qui  consiste  «  à  mettre  en 
musique  la  vie  publique  et  privée  ».  Je  vous  fais  grâce  des  exemples. . . 
Mais  le  voyez-vous,  l'auteur,  au  pupitre,  avec  son  «  aspect  ébouritîé  et 


(1)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre  des 
1.3,  20  et  i7  octobre,  des  ?,  10  et  17  novembre  1901.  ' 


374 


LE  MENESTREL 


malheureux  »  ?  Sa  coquine  de  mèche,  vendue  à  ses  ennemis,  ne  peut  le 
décontenancer.  L'orchestre  dépeint  les  phases  du  Combat  :  triolet  pour 
dire  la  douleur  des  femmes,  point  d'orgue  pour  souligner  le  vieillard 
inflexible.  Bientôt  Rome  est  fort  compromise,  comme  le  témoignent  les 
trombones  :  mais,  seul  en  face  de  ses  trois  adversaires,  le  jeune  Horace 
a  son  plan.  D'autre  part,  les  ophicléides  entonnent  le  triomphe  des 
Sabins,  non  sans  y  mêler  quelques  réticences  de  contrebasses,  qui  ont 
l'air  de  vous  dire  :  «  —  Rira  bien  qui  rira,  le  dernier...  »  Ainsi  dit,  ainsi 
fait.  Le  stratagème  a  réussi.  Le  dernier  Curiace  mord  la  poussière  avec 
une  rentrée  d'altos;  et  des  trilles  de  flageolets  en  font  compliment  au 
dernier  Horace...  Chœur  général  et  tiitli.  «  On  entend  tirer  le  canon 
pour  préluder  à  l'invention  de  la  poudre  » .  L'analyse  ne  saurait  donner 
du  Combat  qu'une  idée  fort  imparfaite.  Cependant,  vaincu  par  l'émotion, 
le  maestro  s'esquive  sous  les  applaudissements  et  court  rédiger  l'article 
de  la  même  main  qui  avait  écrit  l'œuvre  et  tenu  le  bàlon.  Le  génie  seul 
peut  cumuler... 

—  Mais  èles-vous  sur  qu'il  s'agisse  d'Hector  Berlioz  ? 

—  Regardez,  je  vous  prie,  les  bois  de  Grandville... 

—  Berlioz  chef  d'orchestre  n'était  point  cet  énergumène.  Et  d'où 
tirez-vous  la  pochade  de  ce  «  concert  à  mitraille  »  ? 

—  De  Jérôme  Palurot  à  la  recherche  d'une  position  sociale,  par  Louis 
Reybavd,  auteur  des  Éludes  sur  les  réformateurs  ou  socialistes  modernes 
(édition  illustrée  par  J.-J.  Grandville.  Paris,  Dubochet,  1846).  Pages  202- 
205...  Je  cite  mes  auteurs. 

—  Ahl  oui,  cette  vulgaire  épopée  qui  débute  par  l'éloge  du  bon- 
net de  coton,  avant  de  montrer  Madame  de  Paturot  devenue  dame  pa- 
tronnesse...  Permettez-moi  seulement  de  vous  repondre  par  un  croquis 
non  moins  expressif  et  plus  rare  encore.  Il  est  signé  Flaubert... 

—  Mais  votre  immortel  Flaubert  n'entendait  rien  à  la  musique!  Il 
était  fermé  totalement  à  sa  voix  de  sirène,  comme  son  cher  Maupassant, 
comme  les  Goncourt,  comme  tous  les  romanciers  précis  du  groupe... 

—  N'empêche  que  l'impassible  et  parfait  rhéteur  était  sensible  à 
l'athénienne  beauté  d'Orphée,  qu'il  vibrait  sous  l'archet  du  grand  Gluck 
aux  soirées  épiques  de  M™"-'  Viardot,  et  qu'il  exécrait  trop  vivement  la 
bêtise  infinie  du  bourgeois  pour  ne  pas  s'emballer  devant  la  douloureuse 
et  rayonnante  odyssée  de  l'artiste.  S'il  n'était  pas  assez  musicien  pour 
disséquer  le  Berlioz  des  Troyens,  Flaubert  était  le  vrai  romantique  né 
pour  pressentir  l'ardent  écrivain  des  Mémoires  et  le  venger  d'un  trait  de 
toutes  les  satires  triviales.  Delacroix  était  trop  dandy  pour  comprendre 
sous  les  éclats  révolutionnaires  cette  virgilieune  beauté.  Mais  l'adorateur 
de  nos  maîtres,  l'étincelant  avocat  de  Gluck,  de  Beethoven  et  de  Weber, 
le  romancier  de  sa  propre  vie  qui  a  bouleversé  nos  enfances  devait 
plaire  au  Flaubert  précurseur,  qui  s'écriait  dans  le  désarroi  du  siècle  : 
«  Tout  est  brouillé...  L'ineptie  consiste  à  vouloir  conclure!  »  Et  c'est 
pourquoi  je  retiens  avec  joie  ces  brèves  lignes,  qu'un  amateur  vient  d'ex- 
traire à  point  de  ses  autographes  :  «  Connaissez-vous  la  Correspondance 
de  Berlioz?  Je  suis  en  train  de  la  lire.  Elle  me  retape.  Il  avait  de  belles 
rages  esthétiques  et  une  jolie  haine  des  bourgeois.  Peu  de  livres  sont 
plus  édifiants.  Cela  vous  enfonce  un  peu  les  lettres  de  Balzac...  »  (1). 

(A  suivre.)  Raymond  Bodyek. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concert  Colonne.  —  Le  programme  du  dernier  concert  Colonne  était 
éminemment  français,  ce  qui  ne  lui  est  pas  arrivé  depuis  longtemps  et  ne  lui 
a  aucunement  fait  tort.  An  contraire  :  la  séance  était  fort  intéressante  d'un 
bout  à  l'autre.  Le  concert  débutait  par  l'intermèdesymphoniquede  la  Rédemp- 
tion de  César  Franck,  qu'on  avait  redemandé,  et  clôturait  par  l'ouverture  de 
Pliédre,  de  Massenet.  Plus  d'uQ  quart  de  siècle  a  passé  sur  les  partilions  de 
ces  deux  chefs-d'œuvre  sans  leur  ravir  la  moindre  parcelle  de  leur  fraîcheur 
ni  de  leur  effet  de  bon  aloi;  le  public  les  a  accueillis  comme  de  vieilles  et 
chères  connaissances  dont  la  visite  fait  toujours  plaisir.  La  captivante  ouver- 
ture de  Massenet  fêtera  d'ailleurs  sous  peu  ses  noces  d'argent  avec  les  concerts 
Colonne  :  elle  est  arrivée,  chose  rare,  tout  près  de  sa  vingt-cinquième  exécu- 
tion à  ces  concerts.  Entre  les  œuvres  de  ces  maîtres,  un  jeune  composi- 
teur, M.  Louis  Auhert,  risqua,  avec  une  Fantaisie  inédite  pour  piano,  une 
ascension  vers  le  Parnasse  qui  serait  devenue  icarienne  si  le  talent  d'exé- 
cutant de  son  ancien  professeur  de  piano,  M.  Louis  Diémer,  ne  lui  avait 
servi  de  parachute.  Le  mérite  de  M.  Diémer,  qu'on  applaudit  et  rappela 
comme  de  raison,  tut  d'autant  plus  grand  que  dans  cette  fantaisie  le  piano 
n'est  nullement  coucertant,  mais  seulement  un  instrument  de  plus  ajouté  à 
l'orchestre  habituel.  El  pour  cause,  car  l'auteur  n'ignore  certes  pas  que 
ses  moyens  personnels  résident  surtout  dans  le  maniement  de  l'orchestre 
et  dans  n   l'acquis   »,  beaucoup  plus    que    dans  l'iuveution.  —  La  compa- 


(.1)  Fragment  d'une  lettre  inédite  de  Flaubert  (1879)  et  publiée  pai'  M.  Hugues  Imbert 
dans  le  Guide  .Musical  du  10  novembre  1901. 


raison  entreprise  par  M.  Colonne  entre  la  symphonie  en  I^rance  et  celle 
do  l'étranger  a  été  illustrée  cette  fois  par  la  première  symphonie  de  Weber, 
en  ut,  et,  nous  le  donnons  en  mille,  par  la...  Symplwiiic  faiilasliqiic,  de  Ber- 
lioz. Alas,  poor  Weber!  A  l'époque  où  le  futur  auteur  de  Frcischûts  offrit  ces 
prémices  symphoniques,  le  bon  papa  Haydn  était  encore  de  ce  monde;  au 
moment  où  le  futur  auteur  de  Benvenulo  CiHlini  composa  sa  symphonie, 
Beethoven  était  déjà  mort  et  avait  dans  l'intervalle  rempli  le  monde  mu- 
sical de  sa  grande  àme.  Rien  à  glaner  dans  la  grêle  et  vieillote  symphonie 
du  jeune  Weber.  en  dehors  du  sdierzo  pimpant  que  Joseph  Haydn  aurait  signé 
des  deux  mains.  Quant  à  la  symphonie  du  jeune  Berlioz,  œuvre  qui  fut 
comme  le  départ  de  tout  un  art  nouveau,  on  n'a  plus  à  la  découvrir  ni  à 
l'admirer.  0.  BEnoGRUEN. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  génération  présente  a-t-elle  oublié  l'Invita- 
tion à  ta  valse  au  point  de  ne  plus  savoir  que  ce  gracieux  rondo  se  termine 
par  le  retour  du  mouvement  lent  qui  lui  sert  d'introductioa?  On  aurait  pu  le 
croire  dimanche  dernier,  en  voyant  une  partie  de  l'assistance  gagner  bruyam- 
ment les  couloirs  tandis  qu'il  restait  encore  deux  bonnes  minutes  de  musique 
à  entendre.  M.  Weingartner  a  voulu  rajeunir  par  une  orchestration  nouvelle 
ce  petit  ouvrage  de  Weber.  Il  était  dans  son  droit.  Malheureusement,  il  a  cru 
devoir,  sous  prétexte  d'exposer  les  vrais  principes  d'une  adaptation  orches- 
trale, entreprendre  un  plaidoyer  pro  domiinctita,  et,  en  quarante  lignes  écrites 
d'une  plume  légère  que  u'ont  dirigée  ni  un  tact  exquis,  ni  une  modestie 
ingénue,  essayer  de  démolir  à  son  profit  la  maison  du  voisin.  En  pensant  à 
l'orchestration  de  Berlioz,  si  respectueuse  et  si  discrète,  on  se  rappelle  invo- 
lontairement le  mot  de  Schumann  :  «  Peut-être  le  génie  est-il  seul  à  com- 
prendre entièrement  le  génie.  »  M. Weingartner  a  travesti  le  gentil  chef-d'œuvre 
et  en  a  fait  un  papillotage  de  sons  et  de  traits  où  il  n'y  a  plus  ni  âme,  ni 

sincérité.  Quand  l'auteur  dirige  lui-même,  cela  éblouit  au  premier  abord, 
mais  on  en  revient  très  vite.  La  juxtaposition  des  deux  thèmes  est  du  plus 
triste  eil'et.  Le  programme  nous  dit  que  cette  fantaisie  baroque,  sorte  d'ana- 
chronisme musical,  se  justifie  par  «  l'élargissement  occasionnel  de  la  réunion 
de  thèmes  entiers  qui  se  produit  à  la  fin  ».  Comprenne  qui  pourra  ce  pathos. 
M.  Chevillard  n'a  pas  eu  la  main  assez  délicate  pour  sauver  cette  étrange 
version  de  Weber,  mais  il  a  dirigé  fort  bien  la  Symphonie  héroïque  et 
Siegfried-Idi/ll.  M.  I.  Philipp  a  interprété,  avec  les  grandes  et  sérieuses  qua- 
lités de  pianiste  que  chacun  se  plaît  à  lui  reconnaître,  une  Fantaisie  pour 
piano  et  orchestre  de  M.  E.  Bernard,  ouvrage  d'une  facture  très  libre,  écrit 
d'ailleurs  avec  ingéniosité.  M.  Lutz,  cherchant  un  sous-litre  à  opposer  à  celui 
de  poème  sijmphonique ,  a  trouvé  l'expression  jracme  lyrique  et  l'applique  à  une 
sorte  de  symphonie  avec  partie  de  chant  principale,  sur  les  paroles  de  la 
pièce  des  Cluitiments  intitulée  :  Stella.  Les  instruments,  par  la  variété  de  leur 
coloris;  la  mélodie,  par  des  oppositions  de  caractères;  le  rythme,  par  des 
contrastes  fréquents,  sont  employés  pour  souligner  les  mots  et  les  phrases 
de  Victor  Hugo.  Le  procédé,  déjà  utilisé  d'une  façon  à  peu  près  semblable 
dans  ta  Fiancée  du  timbalier,  a  donné  de  bons  résultats.  M"«^  Polack  n'a  pas 
été  très  heureuse  dans  son  interprétation  de  ce  fragment.  Il  faut  toutefois 
lui  savoir  gré  de  son  effort  pour  s'élever  au  grand  style  en  exécutant  l'air  si 
pathétique  à'Alceste  :  Non,  ce  n'est  pas  un  sacrifice;  si  elle  travaille  sa  diction, 
elle  arrivera  sans  doute  à  le  rendre  avec  le  sentiment  qu'il  comporte.  M"°  de 
Lespinasse  écrivait,  à  propos  de  VOrpliée  de  Gluck  :  Cette  musique,  ces  accents 
attachent  du  charme  à  la  douleur.  C'est  encore  bien  plus  vrai  pour  Atceste. 

Amédée  Boutakel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  pastorale  (Beethoveni.  —  Chœur  de  Cotinette  à  la  Cour 
(Grétry).  —  Chœur  de  Blanche  de  Provence  (Chembiai).  —  Chœur  des  Nymphes  de  Psy- 
cM  (A.  Thomas).  —  Ouverture  inédite  (Mozart).  —  Suite  pour  orchestre,  op.  49  (Saint- 
Saéns).  — Adoramus  te  (Corsi).  —  Vere  laitguores  nostros  (Lotti).  Sanctus  (Lottii.  —  Ou- 
verture de  Freijschiitz  (Weber). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  en  si  mineur  (Schubert).  —  1"  audition  d'Ado- 
nis (Théodore  Duboisi.  —  Africa,  pour  piano  et  orchestre  (Saint-Saëns),  par  SI"'°  Roger- 
Miclos.  —  Symphonie  en  ré  mineur  (César  Franck).  —  Scène  du  Venusboi'g  de  TannUiu- 
ser  (Wagnen. 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  :  4°  Symphonie,  en  si  bémol  (Beethoven).  —  (lon- 
certo  pour  piano  et  orchestre  (Sauer),  exécuté  par  l'auteur.  —  Le  Rouet  d'Omphnle  (Saint- 
Saëns).  —  Scluihérazade  (Rimsky-KorsakotT;.  —  Invitation  à  la  Valse  (Weber). 


NOUVELLES    3DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (21  novembre).  —  La  Monnaie  veut 
rattraper  le  temps  perdu.  Coup  sur  coup,  après  la  reprise  de  Werther,  elle 
nous  a  donné  celles  du  Tannhiiuser  et  de  Louise.  Celle  du  Tannhiiuscr,  préparée 
de  longue  main  par  la  direction,  qui  avait  mis  son  amour-propre  à  l'entourer 
de  soins  extraordinaires,  a  été  un  véritable  événement.  Les  wagnériens  les 
plus  déterminés  ont  été  unanimes  à  la  considérer  comme  la  plus  «  bayreu- 
thienne  »  que  nous  ayons  eue  encore  à  la  Monnaie,  avec  une  foule  de  détails 
mis  en  lumière,  musicalement  et  scéniquement,  et  une  compréhension  aussi 
fidèle  que  possible  du  caractère  de  l'œuvre.  L'effort  était  vraiment  artistique, 
et  le  résultat  a  été  vraiment  intéressant.  M.  Imbart  s'est  montré  un  Tannbàu- 
ser  plein  de  flamme  dans  la  faute  comme  dans  l'expiation.  M""  Paquot  une 
Elisabeth  d'une  grâce  expressive  charmante,  M"=  Litvinne  une  Vénus  impo- 


LE  MENESTREL 


375 


santé  et  souple,  et  M.  Albers  un  Wolfram  d'une  remarquable  distinction. 
Orchestre  excelleni,  sous  la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis,  et  gros  succès. 
Succès  aussi  pour  la  reprise  de  Louise,  qui  a  reparu  avec  la  distribution  de 
l'année  dernière,  en  ce  qui  concerne  trois  des  rôles  principaux,  M'i^s  Friche 
et  Dhasty  et  M.  Dalmorès,  et  nouvelle  seulement  en  ce  qui  concerne  le  rôle 
du  père,  que  M.  Seguin  avait  «  créé  »  ici  de  si  magistrale  façon;  M.  Albers, 
qui  n'a  ni  la  voix,  ni  le  tempérament  de  son  devancier,  se  contente  d'y  appor- 
ter, à  défaut  d'ampleur  et  de  puissance,  son  habileté  de  chanteur  et  de 
comédien.  Les  p  -tits  rôles  ne  sont  pas  tous  fort  bien  tenus,  mais  l'ensemble 
a  gardé  la  couleur  que  l'orchestre  contribue  à  donner  à  l'œuvre  si  pittoresque 
de  M.  Gustave  Charpentier.  L.  S. 

—  On  doit  donner  au  Théàtre-Royal  d'Anvers,  en  janvier  prochain,  la  pre- 
mière représentation  d'un  opéra-comique  en  trois  actes,  le  Sire  Ducomou, 
dont  le  livret,  dû  à  MM.  Paul  Rouget  et  A.  Gounin,  a  été  mis  en  musique 
par  M°"'  M.  Mathyssens. 

. — On  vient  d'inaugurer  à  Vienne  un  «  café  chantant  supérieur  (UiberbreUl)  », 
comme  l'Allemagne  en  possède  déjà  plusieurs.  A  Vienne,  on  a  consacré  à 
cette  institution  peu  artistique  un  théâtre  qui  porte  ce  titre  long  et  préten- 
tieux :  Théâtre  jeune- Viennois  au  «  Cher  Augustin  ».  Ce  «  cher  Augustin  » 
(lieber  Axigiisiiii)  était  un  chanteur  ambulant  viennois  du  «  bon  vieux  temps  », 
qui  est  resté  populaire  et  en  quelque  sorte  légendaire.  IMalgré  la  grande  va- 
riété du  programme,  qui  offrait  des  œuvres  délicates  à  côté  d'une  camelote 
innommable,  et  malgré  quelques  numéros  d'une  obscénité  effroyable  que  la 
censure  n'aurait  pas  tolérés  dans  la  Babel  des  bords  de  la  Seine,  le  «  nouveau 
théâtre  »  n'a  obtenu  qu  'un  succès  fort  douteux. 

-  On  annonce  de  Vienne  que  IVt.  Goldmark  a  terminé  la  partition  de  son 
opéra  Goet:  de  Bertichingen,  sur  des  paroles  imitées  du  drame  de  Gœthe,  et 
que  cette  œuvre  sera  jouée  à  l'Opéra  impérial  au  mois  de  février  prochain. 

—  L'Opéra-Royal  de  Berlin  organise  un  festival  Mozart,  qui  aura  lieu  entre 
le  20  et  le  23  novembre.  On  jouera  les  principales  œuvres  lyriques  et  sym- 
phoniques  du  maître.  On  commencera  par  la  Messe  eu  ut  mineur,  qui  n'a 
encore  jamais  été  exécutée  à  Berlin. 

—  Le  préfet  de  police  de  Berlin  a  nommé  un  expert  musical,  en  la  per- 
sonne de  M.  Joseph  Sucher,  compositeur  et  ancien  chef  d'orchestre  de  l'Opéra- 
Royal  de  Berlin,  pour  donner  son  avis  sur  les  œuvres  musicales  qui  pourront 
être  exécutées  en  public  à  certains  jours  fériés.  On  sait  qu'en  Prusse  il  n'est 
pas  permis  d'exécuter  publiquement  d'œuvres  musicales  autres  que  religieuses 
ou  du  moins  très  sérieuses,  pendant  une  dizaine  de  jours  par  an  désignés 
spécialement  comme  jours  de  fête  officiels.  Inutile  de  dire  que  les  intéressés 
protestaient  souvent  contre  les  décisions  de  la  préfecture  de  police  trouvant 
que  certaines  compositions  n'étaient  pas  suffisamment  sérieuses  pour  être 
exécutées  pendant  lesdits  jours  fériés.  Dans  l'espèce,  les  décisions  à  prendre 
peuvent,  en  effet,  être  assez  difficiles  et  exiger  un  Salomon  musical.  La 
Symphonie  pastorale  de  Beethoven  est-elle  sérieuse,  dans  le  sens  du  règle- 
ment prussien?  Évidemment  non;  mais  quel  inconvénient  présenterait  son 
exécution  publique  la  veille  de  la  Pentecôte,  jour  férié  en  Prusse? 

—  L'Opéra-Royal  de  Budapest  traverse  en  ce  moment  une  crise  assez  grave. 
Le  directeur,  M.  Meszaros,  qui  devait  quitter  l'Opéra  seulement  en  avril  19i)2, 
a  reçu  son  congé  définitif  et  est  remplacé  provisoirement  par  M.  Raoul  Ma- 
der,  chef  d'orchestre  du  théâtre.  On  cherche  un  nouveau  directeur,  mais  il 
sera  difficile  de  trouver  un  artiste  compétent  qui  consentira  à  prendre  la 
responsabilité  de  la  direction  de  l'Opéra,  étant  données  les  diÊScultés  admi- 
nistratives qui  l'entravent  continuellement. 

—  L'opéra  de  M.  Edouard  Mascheroni,  Lorenza,  paroles  de  M.  L.  lUica, 
vient  d'être  joué  avec  un  succès  marqué  à  l'Opéra  de  Cologne.  C'est  sa  pre- 
mière représeiltation  en  langue  allemande,  et  les  critiques  d'outre-Rbin  pen- 
sent que  l'œuvre  fera  son  chemin  sur  les  théâtres  lyriques  d'Allemagne. 

—  Dépêche  de  notre  correspondant  de  Varsovie  :  «  Triomphe  éclatant  de 
Werther,  avec  le  baryton  Battistini  acclamé.  Lettre  suit  pour  les  détails.  »  On 
sait  que  c'était  le  premier  essai  de  la  nouvelle  version  écrite  pour  baryton 
par  M.  Massenet. 

—  Revenons  sur  la  séance  d'inauguration  de  la  Philharmonique  de  Var- 
sovie, qui  a  eu  lieu  le  5  novembre.  La  nouvelle  salle,  vaste  et  très  élégante, 
peut  contenir  2.000  auditeurs.  L'orchestre,  excellent,  composé  de  76  artistes, 
était  dirigé  par  MM.  Mlynarski  et  Prohazka.  Le  programme  de  ce  concert, 
auquel  prenait  part  M.  Paderewski,  dont  le  triomphe  a  été  éclatant,  compre- 
nait six  numéros,  tous  de  compositeurs  polonais,  MM.  Zelenski,  Stojowski, 
Paderewski,  Noskowski,  puis  Moniusko  et  Chopin.  Une  très  belle  sympho- 
nie de  M.  Noskowski  a  produit  le  plus  grand  effet,  de  même  qu'une  cantate 
de  M.  Zelenski,  chantée  par  M.  Grabczewski  et  deux  chœurs  réunis  des 
sociétés  chorales  de  Varsovie  et  de  Lodz.  La  nouvelle  Philharmonique,  qui 
a  pour  président  le  baron  Kronenberg,  musicien  distingué,  pour  vice-prési- 
dent le  prince  Lubomirski  et  pour  administrateur  M.  Rajchmanu,  a  engagé 
pour  ses  prochains  concerts  plusieurs  artistes  célèbres,  entre  autres  M'"'  Gemma 
Bellincioni,  MM.  Sarasate  et  Gonsolo. 

—  De  Varsovie  encore  :  Le  succès  du  festival  organisé  en  l'honneur  de 
Ch.-M.  Widor,  vendredi  dernier,  a  été  très  grand.  C'était  le  second  des 
grands  concerts  d'inauguration  de  la  nouvelle  salle  des  concerts.  Sous  la 
direction  de  notre  compatriote,  l'orchestre  de  la  Société  philharmonique  a 
admirablement  rendu  sa  3=  Symphonie,  la   suite  de  Conte  d'avril,  l'Ouverture 


espagnole;  puis  le  maître  organiste  s'est  assis  au  clavier  du  grand  orgue  et  a 
fait  entendre  sa  cinquième  symphonie  pour  orgue  seul  et  la  Passacaglia  de 
Bach.  Les  deux  mille  auditeurs  qui  se  pressaient  dans  l'élégante  salle  ont 
fait  fête  à  M.  Ch.-M.  Widor,  qui  a  dû  prolonger  la  séance  en  ajoutant  h  la 
demande  générale  plusieurs  pièces  non  inscrites  au  programme. 

—  A'enise  devra  à  Richard  Wagner  et  à  son  influence  posthume  un  embel- 
lissement appréciable.  On  sait  que  l'église  Sainte-Marie-de-la-Piété,  sur  le 
quai  des  Esclavons,  manque  encore  de  façade  principale.  Richard  Wagner 
avait  souvent  dit  au  riche  banquier  Fiorentini,  de  Venise,  que  c'était  une 
honte  que  les  Vénitiens  n'aient  pas  trouvé  depuis  deux  siècles  l'argent  néces- 
saire à  la  construction  de  la  façade  d'une  église  située  à  deux  pas  de  la  place 
Saint-Marc  et  qui  est  visitée  par  tous  les  étrangers.  Richard  Wagner  y  allait 
presque  chaque  semaiue,  car  il  admirait  fort  le  tableau  de  Morelto  da  Brescia, 
le  Christ  chez  le  Pharisien,  qui  s'y  trouve,  et  aimait  â  le  voir  aussi  souvent  que 
possible.  Or,  le  banquier  Fiorentini  vient  de  mourir  et  a  légué  deux  millions 
de  francs  à  la  ville  de  Venise,  à  charge  par  elle  de  construire  enfin  la  façade 
de  l'église  Sainte-Marie  et  de  verser  le  reste  de  cette  somme  à  l'assistance 
publique.  Les  architectes  de  la  ville  discutent  déjà  le  programme  de  la 
construction  et  un  concours  sera  probablement  ouvert.  Le  problème  â  résou- 
dre est  assez  difficile,  car  il  faut  donner  du  jour  au  tableau  de  Moretto  et  aux 
fresques  de  Tiepolo  qui  ornent  la  voûte  de  l'église.  Le  plan  original  de  la 
façade  devra  être  modifié  à  cause  de  ces  deux  chefs-d'œuvre  de  la  peinture. 

—  Dépêche  de  Milan  :  «  Hier  soir,  reprise  triomphale  de  CendriUon,  au 
Théâtre -Lyrique.  Ovations  et  rappels  sans  fin  pour  tous.  » 

—  On  a  exécuté  avec  succès  à  Milan,  à  l'Institut  des  Filles  de  la  Provi- 
dence, une  cantate  biblique  sous  ce  titre  :  Sinite  paruulos,  dont  l'auteur  est  le 
maestro  PieU-o  Corio. 

—  Les  anecdotes  sur  Bellini  pleuvent  en  Italie,  à  propos  de  son  centenaire, 
et  son  collaborateur  Felice  Romani  y  trouve  souvent  sa  place.  En  voici  une 
qu'un  journal  raconte  en  ces  termes,  d'après  le  livre  que  la  veuve  même  de 
Romani  a  consacré  à  la  mémoire  de  son  mari.  Elle  est  relative  au  Pirate, 
dont  la  représentation  allait  avoir  lieu  à  la  Scala  de  Milan  ;  —  «  Bellini  avait 
dans  le  geste  quelque  chose  de  provincial;  son  costume  était  quelque  peu 
négligé.  Le  jour  de  la  dernière  répétition  d'orchestre  du  Pirate,  le  composi- 
teur, le  poète  et  quelques  amis  se  trouvèrent  réunis  dans  un  restaurant.  Bel- 
lini était  fébrile,  il  avait  des  éclats  de  joie,  il  embrassait  Romani,  l'appelait 
son  bienfaiteur.  Et  Romani,  souriant,  lui  disait  :  «  Est-ce  que  tu  vas  aller 
diriger  ton  opéra  avec  ce  vêtement?  »  Bellini  resta  un  peu  confus:  son  poète 
avait  raison,  mais  comment  faire  ?  Il  était  désormais  trop  tard  pour  y  pour- 
voir. Romani,  continuant  la  plaisanterie,  l'engagea,  toujours  en  riant,  à  ôter 
son  vêtement  et  à  essayer  le  sien  à  lui.  Romani.  Celui-ci  lui  allait  à  mer- 
veille. Et  voici  que  le  lendemain  Bellini  reçoit  un  costume  complet,  que  Ro- 
mani avait  fait  faire,  pour  le  compte  de  Romani,  sur  la  mesure  de  Romani. 
Et,  le  soir,  le  public  ne  soupçonna  pas,  tandis  qu'il  acclamait  le  musicien, 
que  si  celui-ci  avait  revêtu  de  belles  notes  les  vers  du  poète,  le  poète  avait 
revêtu  de  beaux  habits  le  corps  du  maestro.  » 

—  Toujour.-;  à  propos  du  centenaire.  On  ne  connaissait,  disait-on,  jusqu'ici, 
d'autres  portraits  de  Bellini  que  des  miniatures.  Mais  voici  qu'on  écrit  de 
Venise  que  M.  Gabriel  Fantoni,  ancien  notaire,  auteur  d'une  Storia  unioersale 
del  canto,  collectionneur  émérite  de  toutes  sortes  de  curiosités  et  d'objets 
d'art,  possède  un  portrait  du  compositeur  à  l'huile,  sur  toile,  en  grand  ovale, 
exécuté  à  Milan  par  un  élève  d'Appiani,  après  le  succès  de  la  Norma.  Ce 
portrait  aurait  été  reconnu  comme  unique  par  le  vieil  ami  fraternel  de  Bel- 
lini, Francesco  Florimo,  ancien  archiviste  du  Conservatoire  de  Naples. 

— ■  On  annonce  d'Italie  que  le  fameux  compositeur  Pietro  Platania,  direc- 
teur du  Conservatoire  de  Naples,  serait  sur  le  point  de  donner  sa  démis  ion 
de  ce  poste  important.  M.  Platania,  né  en  1828,  est  âgé  aujourd'hui  de  73  ans, 
et  c'est  son  grand  âge  qui  le  pousserait  à  prendre  cette  détermination. 

—  On  inaugurera  à  Gènes,  pour  la  prochaine  saison  de  carême,  un  nou- 
veau théâtre  situé  dans  la  rue  du  Vingt-Septembre  et  qui  portera  le  nom  de 
théâtre  Verdi. 

—  La  section  musicale  du  Cercle  artistique  de  Palerme  a  ouvert  un  con- 
cours pour  la  composition  d'une  «  Danse  fantastique  »  pour  instruments  à 
cordes,  harpe  (et  harmonium  ad  libitum).  Le  prix  est  de  300  francs,  et  le 
concours  sera  clos  le  28  février  1902. 

—  On  nous  écrit  de  Lisbonne  que  les  études  de  la  Terre  iJroniise,  le  bel 
oratorio  de  M.  Massenet,  se  poursuivent  avec  la  plus  grande  activité  à  la 
Société  de  chant,  sous  l'habile  direction  de  M.  Alberto  Sarti.  Les  soli  de 
l'œuvre  sont  confiés  à  M""*  De  Leonor  Marques  da  Costa  (soprano),  à 
MM.  D.  Vasco  da  Camara  (ténor)  et  José  Pinto  da  Cunha  (baryton).  L'or- 
chestre comprendra  70  exécutants. 

—  On  vient  de  donner,  au  Strand-Théâtre  de  Londres,  une  nouvelle  comé- 
die musicale  intitulée  Lune  de  miel  chinoise,  dont  les  auteurs  sont  MM.  G. 
Daucepour  les  paroles  et  Howard  Talbot,  pour  la  musique.  Cet  ouvrage  qui, 
tant  pour  le  livret  que  pour  la  musique,  a  des  analogies  assez  étroites  avec  le 
fameux  Mikado,  a  reçu  néanmoins  du  public  un  accueil  favorable. 

—  Il  parait  que  M.  Grau,  le  fameux  manager  américain,  a  découvert  un 
cuanteur  d'une  voix  superbe.  C'est  un  domestique  du  fameux  restaurant 
Delmonioo,  à  New-York,  d'origine  belge,  qui  se  nomme  Guillaume  Duchesne. 
Il  doit  débuter  dans  Lohengriii. 


376 


LE  MÉNESTREL 


—  Câble  de  San-Francisco.  Samedi  dernier  a  eu  lieu  la  première  de  Manon, 
de  Massenet,  avec  M°"  Sibyl  Sanderson,  qui  revenait  pour  la  première  fois 
dans  sa  ville  natale  qu'elle  avait  quitté  tout  enfant.  Depuis  longtemps,  la 
curiosité  était  éveillée  autour  de  cet  événement  et  s'était  tradui'e  par  une 
superbe  location  d'avance.  Le  soir  de  la  représentation,  il  ne  restait  plus  une 
seule  placo  à  louer,  même  debout.  La  recette  a  dépassé  70.000  francs.  L'en- 
tbousiasme  du  public  a  été  indescriptible. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  s'est  réuni  jeudi  au  ministère  des 
beaux-arts  scu.';  la  présidence  de  M.  Roujon,  directeur  des  beaux-arts,  en 
réunion  plénière  Après  lecture  du  rapport  annuel,  par  M.  Th.  Dubois,  on  a 
procédé  au  vote  tendant  à  la  présentation  au  ministre  d'un  professeur  d'o- 
péra-comique en  remplacement  de  M.  Lhérie,  nommé  professeur  d'opéra.  Le 
conseil  a  décidé  de  présenter  en  première  ligne  M.  Berlin,  le  très  distingué 
artiste  de  l'Opéra-Comique,  actuellement  régisseur  de  ce  théâtre,  et  en  seconde 
ligne  MM.  Morlet  et  Herbert. 

—  Encore  le  Cirque  des  Champs-Elysées  !  La  solution  de  cette  affaire, 
contrecarrée  par  une  sorte  de  génie  malfaisant,  s'éloigne  à  mesure  qu'on 
semble  être  plus  près  du  but.  Par  une  lettre  datée  de  Milan,  16  novembre, 
et  adressée  au  préfet  de  la  Seine,  M.  Léon  Leoncavallo  déclare  que,  «  par 
suite  des  modifications  qui  sont  survenues  dans  l'état  des  choses  depuis  la 
demande  en  concession  »,  son  entreprise  d'  Opéra  international  aux  Champs- 
Elysées  ne  pourra  être  réalisée  dans  les  délais  qu'il  avait  escomptés  tout 
d'abord.  Les  modifications  rendues  indispensables  par  le  remaniement  de  son 
premier  projet  et  le  temps  nécessaire  pour  réunir  les  éléments  artistiques 
dignes  d'une  scène  qu'il  ambitionne  de  faire  une  des  premières  du  monde, 
no  lui  permettront  de  s'engager  définitivement  que  le  31  janvier  1902.  Le 
conseil  municipal  a  donc  étudié  l'affaire  à  nouveau  et  notifié  ensuite  aux 
intéressés  qu'on  leur  donnait,  pour  verser  les  fonds,  un  délai  de  huit  jours. 
Telle  est  la  marche  justement  adoptée  par  le  conseil  municipal,  tout  le 
monde  étant  d'accord  pour  reconnaître  que  les  Champs-Elysées  ne  peuvent 
rester  plus  longtemps  dans  cette  situation  lamentable. 

—  Le  jour  même  où  M.  Eugène  Morand  triomphait  pour  sa  part  avec  la 
première  représentation  de  Grisélidis  à  l'Opéra-Comique,  il  lui  arrivait  l'beu- 
reuse  nouvelle  de  sa  nomination  au  poste  de  conservateur  du  dépôt  des 
marbres  de  l'Etat.  C'est  que  M.  Eugène  Morand  n'est  pas  seulement  l'auteur 
dramatique  de  grande  valeur  qu'on  sait,  mais  qu'il  est  en  même  temps  un 
artiste  de  haut  goût  et  de  fine  érudition.  Voilà,  comme  dit  le  Figaro,  un  heureux 
jour  pour  lui,  et  il  pourra  le  marquer  d'un  «  double  caillou  de  marbre  blanc  ». 

—  Et  M.  Eugène  Morand  a  encore  la  religion  du  souvenir.  Voici  les  jolis 
vers  qu'il  adressait  à  M""  Bréval  à  la  suite  de  la  représentation  de  Grisélidis 
et  où  il  rappelle  avec  attendrissement  la  mémoire  de  son  si  regretté  et  si 
charmant  collaborateur  Armand  Silvestre: 


IN  JIE.MORIAM 


A  Mademoiselle  BrévaU 


Dans  cette  ombre  lointaine  où  sont  les  morts,  peut-être 
S'éveille-t-il,  celui  qui  n'eût  pas  dii  mourir. 
Et  s'il  rouvre  les  yeux,  c'est  pour  vous  voir  paraître, 
Et  s'il  déjoint  les  mains,  c'est  pour  vous  applaudir. 
Mais  du  Maître  qui  fut  mon  maître  et  mon  ami. 
Si  les  doigts  restent  joints  et  les  paupières  closes, 
0  vous,  du  moins,  parmi  ces  lilas  et  ces  roses. 
Respirez  l'âme  en  fleur  du  poète  endormi. 


Eugène  Moband. 


—  Une  bonne  précaution  par  les  temps  de  grippe  que  nous  traversons. 
M.  Albert  Carré  vient  de  distribuer  eu  double  les  rôles  de  Grisélidis  aux  ar- 
tistes suivants  : 


Le  marquit 
Le  diable 
Grisélidis 


MM.  Bourbon. 

AUard. 
M""  Garden. 

de  Craponne. 

Grandjcan. 


—  Heureuse  et  bonne  nouvelle  encore  pour  l'Opéra-Comique  :  M""'  Sigrid 
Arnoldson  vient  de  signer  avec  M.  Albert  Carré  uu  traité  d'après  lequel  la 
renommée  diva  donnera  une  série  de  représentations  à  l'Opéra-Comique  au 
mois  d'avril  prochain.  La  rentrée  à  Paris  de  M™«  Arnoldson  sera  certaine- 
ment un  des  événements  de  la  saison  musicale. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Manon;  le  soir,  Lakmé,  la  sœur  de  Jocrisse. 

—  La  matinée  organisée,  à  l'Opéra-Comique,  par  M.  Albert  Carré,  pour  le 
bénéfice  Taskin,  est  fixée  au  samedi  14  décembre.  Les  théâtres  nationaux  et 
les  principaux  artistes  des  théâtres  de  Paris  apporteront  leur  concours.  La 
Comédie-Française  donnera  la  Visite  de  noces  avec  M"=  Bartet;  M""'  Sarah 
Bernhardt  et  M.  Coquelinjouerout  les  Précieuses  ridicules;  dans  les  intermèdes 
paraîtront  M"«  Lucienne  Bréval,  MM.  Delmas  et  Coquelin  cadet:  l'Opéra- 
Comique  sera  représenté  par  M.  Fugère  et  M'"  Tiphaine  dans  le  Violoneux 
d'Oflenbach;  la  Théodorini,  la  célèbre  cantatrice  roumaine,  a  promis  de 
venir  tout  exprès  à  Paris  pour  chanter,  à  l'occasion  de  ce  bénéfice,  le 
deuxième  acte  de  la  Navarraise  ;  M''^^^  Louise  et  Blanche  Mante,  ainsi  que  le 
corps  de  ballet  de  l'Opéra-Comique,  prêteront  également  leur  concours  à  cette 


représentation,  dont  le  programme  se  complétera  encore  d'autres  attractions. 
Le  prix  des  places  est  ainsi  fixé  :  baignoires,  loges  de  balcon,  fauteuils  de 
balcon,  fauteuils  d'orchestre,  la  place,  20  francs.  Avant-scènes  et  loges  de 
face  du  2'  étage,  la  place,  12  francs.  Loges  de  côté  du  2=  étage,  la  place, 
10  francs.  Toutes  les  autres  places  au  tarif  ordinaire. 

—  Au  théâtre  Sarah-Bernhardt  la  seconde  matinée  de  Phèdre,  avec  la 
musique  de  Massenet,  a  obtenu  uu  tel  succès  que  M"""  Sarab  Bernhardt  a 
décidé  de  redonner,  soit  en  spectacle  diurne,  soit  en  soirée,  une  série  de 
leprésentationsde  la  belle  tragédie  de  Racine. 

—  Bien  que  fort  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait,  ces  temps  derniers,  à 
la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique,  on  a  rtù  re- 
marquer la  discrétion  avec  laquelle  nous  nous  sommes  tonus  à  l'écart  de 
tous  ces  incidents  et  de  tous  ces  papotages.  Aujourd'hui  il  nous  faut  bien 
cependant  indiquer  la  suite  naturelle  qu'ont  eue  ces  événements,  c'est-à-dire 
la  démission  de  l'agent  général,  M.  Victor  Souchon.  Paix  à  ses  cendres,  dont  il 
est  d'ailleurs  bien  capable  de  renaître  un  jour  comme  le  phénix  qu'il  se  croit. 

—  Vendredi  dernier,  en  l'église  Saint-Eustacbe,  l'Association  des  artistes 
musiciens  a  célébré,  selon  sa  coutume,  la  fête  de  Sainte-Cécile,  par  une 
magistrale  exécution  delà  belle  Messe  solennelle  d'Ambroise  Thomas,  sous  la 
direction  de  M.  Messager,  les  soli  étant  chantés  par  MM.  Carbonne  et 
Vieuille.  L'œuvre  de  si  grande  tenue  et  de  style  si  noble  a  causé  une  véri- 
table émotion.  A  l'offertoire,  une  délicieuse  Prière  du  maître  pour  violon  a 
été  exécutée  avec  un  grand  charme  par  l'excellent  violoniste  M.  Edouard 
Nadaud.  L'orgue  était  tenu  par  M.  Henri  Dallier.  Bref,  toute  une  séance 
émue  de  saine  et  probe  musique. 

—  Du  Gaulois  :  «  La  musique  de  la  garde.  Si  l'on  en  croit  le  bruit  de  cer- 
taines démissions  imminentes  des  principaux  solistes,  la  musique  de  la  garde 
ne  serait  pas  loin  de  se  désorganiser.  Ces  messieurs,  qui  sont  des  artistes 
pour  la  plupart,  se  p'aignent  à  juste  titre  d'être  traités  depuis  quelque  temps 
comme  des  conscrits;  presque  tous  sont  mariés  et  logent  en  ville:  or,  il  est 
bien  évident  que  les  appointements,  qui  varient  de  90  francs  à  200  francs  par 
mois,  les  obligent  à  chercher  ailleurs,  c'est-à-dire  à  lOpéra  et  à  l'Opéra- 
Comique,  le  complément  de  ces  mensualités  insuffisantes.  Mis  en  demeure 
d'opter,  ils  préfèrent  conserver  leurs  postes  dans  les  théâtres,  car  il  faut  d'a- 
bord vivre.  —  Telle  est  la  situation,  elle  est  fâcheuse  :  si  on  la  laisse  s'aggra- 
ver, les  solistes  partiront,  et,  devenue  semblable  à  n'importe  quelle  musique 
régimenlaire,  la  musique  de  la  garde  perdra  sa  réputation  européenne.  Il  y 
a  une  solution  ;  il  importe  de  la  chercher.  Que  diable,  avec  des  musiciens,  il 
est  pourtant  aisé  d'obtenir...  l'accord  parfait!  » 

—  La  matinée  donnée  mercredi  dernier  par  M""-'  Marche-i  en  l'honneur 
de  M.  Saint-Saëns  offrait  d'autant  plus  d'intérêt  qu'elle  faisait  entendre  cer- 
taines compositions  du  maître  qui  étaient  presque  oubliées.  L'exécution  du 
programmi  était  confiée  àM"«s  Louise  Ormsby,  May  Lyvan,  Claudia  Hocken- 
hull,  Marguerite  Claire,  Lucie  Lenoir,  Ellen  Yaw,  Amélie  Molitor  et  un  joli 
chœur  de  femmes,  toutes  élèves  de  l'école  Marcbesi.  A  ce  gentil  bataillon 
féminin  se  joignaient  MM.  Laffitte,  de  l'Opéra,  Boyer,  de  l'Opéra-Comique,  et 
Hennebains.  On  a  tout  particulièrement  applaudi  la  chanson  de  Scozzone 
d'Ascanio  (M""  Marguerite  Claire),  l'air  d'Etienne  Marcel  et  la  jolie  mélodie 
Aimons-nous  (M"«  Lenoir).  Vénus,  duo  (MM.  Laffitte  et  Boyer),  la  Nuit,  mor- 
ceau exquis  pour  soprano,  flûte  solo  et  chœur  (M"=  Claire  et  M.  Hennebains), 
la  Cloche  (M"'  Ormsby),  les  duos  de  femmes  du  Timbre  d'argent  et  des  Bar- 
bares, l'air  et  trio  de  Phnjné  (celui-ci  bissé  d'enthousiasme),  et  le  quatuor 
d'Henri  VIII,  magistralement  chanté  par  M'"^^  Orsby  et  Lyvan  et  MM.  LafBtte 
et  Boyer.  Il  va  sans  dire  qu'on  a  fait  triomphe  à  M.  Saint-Saëns,  qui  accom- 
pagnait lui-même  ses  œuvres  au  piano. 

—  .leudi  dernier,  à  midi,  en  l'église  Saint-Roch,  a  été  célébré  le  mariage  de 
M"»  Berthe  Morris,  fille  du  sympathique  imprimeur  des  théâtres,  avec 
M.  A.  Mauclère,  contrôleur  de  première  classe  à  l'administration  de  l'armée, 
sous-directeur  du  contrôle  au  ministère  de  la  guerre.  Brillant  programme 
sous  la  direction  de  M.  Danbé  :  Marche  de  Lohengrin,  par  l'orgue,  et  le 
remarquable  quatuor  de  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Pierre  Des- 
tombes; Pater  iioster,  de  Niedermeyer,  chanté  par  M.  Noté,  de  l'Opéra;  Médi- 
tation, de  Massenet,  solo  de  violon,  par  M.  Soudant;  la  romance  de  l'étoile 
du  Tannhduser;  solo  de  violoncelle,  par  M.  Destombes;  0  salutaris  liostia,  de 
Saint-Saëns;  Deus  Abraham,  de  Théodore  Dubois,  par  la  maîtrise,  sous  la 
direction  de  M.  Landry;  marche  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  de  Mendeissohn, 
par  l'orgue,  tenu  par  M.  Chapuis,  et  le  quatuor  sous  la  direction  de  M.  Daubé. 

NÉCROLOGIE 

Le  fameux  colonel  Mapleson,  qui  fut  un  des  plus  célèbres  impresarii 
d'il  y  a  vingt  ans  et  dont  la  lutte  souvent  heureuse  au  théâtre  Majesly  de 
Londres,  avec  M"'  Nilsson,  contre  Govent-Garden,  avec  M"=  Patti  (Gye  étant 
directeur),  fit  tant  de  bruit  autrefois,  vient  de  mourir  à  Londres  dans  un  âge 
avancé.  Il  eut  une  existence  agitée  de  bien  des  façons,  mais  son  activité  ne 
fut  pas,  en  somme,  inutile  aux  intérêts  de  l'art  musical,  et  à  ce  titre  nous  lui 
devons  un  dernier  salut.  L'homme  était  d'ailleurs  courtois  et  d'une  verve  ad- 
mirable, sans  connaître  jamais  le  découragement,  même  au  milieu  des  pires 
aventures. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


R.  —  IVPHIHEBIE  CB&IX,   RUB   BERGERE,   20 


S.  —  (Encre  LorUlNl). 


3688.  —  67"='  A^^ÉE.  —  I\°48.     PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimaoehe  1"  Décembre  1901. 

(Les  Bureaux,  2""",  rue  TiTienne,  Paris,  n-up) 
f|«6  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTR 


Le  HaméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HuméPo  :  0  îv.  30 


Adresser  khanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  MÉNESTnEL,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Pi.ino,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les   frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  {^0"  article),  Paul  d'Estiiées.  — 
11.  Semaine  lliéâtrale  ;  premières  représentations  de  la  Maison  et  dç  Hors  la  loi  à  rOdéon, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  lit.  Petites  notes  sans  portée  :  le  Diable  à  Paris,  Raymond 
BouYER.  —  IV.  Les  Chansons  populaires  des  Alpes  françaises  (3^'  et  dernier  article), 
Julien  Tiersot.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Mos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

IL   PARTIT   AU    PRINTEMPS 

-chanté  par  M"'=  Lucienne  Bréval  dans  Griséiidis,  poème  d'ARSiAND  Silvestre  et 
Eugène  Morand,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiatement  :  Rappelle- 
toi,  chanté  par  M.  Maréchal  dans  le  même  opéra. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

Valse  des  Esprils,  extraite  de  Griséiidis,  conle  lyrique  de  J.  Massenet.  —  Suivra 

immédiatement  :  la  Chanson  d'Avignon  du  même  conte,  transcrite  pour  piano 

seul. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  Ibs  mémoires  les  pins  réceDls  et  des  documents  inédits 

(Suite.) 


II 

feliles  églises  et  grands  salons.  —  Opinions  hétéroclites.  —  Concerts  de  l'Union 
Musicale.  —  L'Initiation  à  Beethoven.  —  Visile  de  M.  de  Trémont  au  maître 
symphoniste.  —  Difficultés  de  l'entreprise.  —  Entrevue.  —  Beethoven  chez  lui. 
—  Voyage  projeté  à  Paris.  —  L'ennemi  de  Napoléon.  —  Comment  et  quand 
Beethoven  fut  joué  à  Paris.  —  Admiration  mitigée  de  Delacroix  —  Définition 
vraie  et  juste. 

Certes,  les  Concerts  populaires  de  Pasdeloup  ont  mérité  à  tous 
égards  la  faveur  dont  ils  ont  joui  auprès  du  grand  public.  Ils 
ont  fait  connaître  les  œuvres  sympîioniques  de  l'école  alle- 
mande, les  beautés  immortelles  des  Bach,  des  Haydn,  des  Mozart, 
des  Beethoven,  des  Mendelssohn;  ils  en  ont  surtout  poursuivi  la 
vulgarisation,  en  les  rendant  accessibles  aux  bourses  les  plus 
modestes.  Mais  ils  onteu  des  précurseurs,  à  vrai  dire  plus  timides 
et  surtout  moins  démocratiques,  qui  avaient  réalisé  depuis  long- 
temps une  initiation,  réservée  jusqu'alors  aux  fidèles  de  petites 
églises  inabordables  ou  aux  familiers  de  salons  rigoureusement 
fermés. 

Donc,  pendant  la  Restauration,  la  monarchie  de  .luillet,  la 
deuxième  République  et  les  premières  années  du  second  Empire, 
des  sociétés  s'étaient  constituées  qui  s'étaient  donné  pour  mis- 


sion de  révéler  à  leurs  associés  ou  adhérents  les  merveilles 
inconnues  de  l'art  musical  étranger.  Parmi  ces  sociétés,  dont  les 
membres  se  recrutaient  dans  les  milieux  les  plus  distingués  du 
monde  parisien,  V Union  Musicale  était  assurément  l'une  des  plus 
recherchées  et  des  plus  estimées.  Elle  donnait  des  concerts  fort 
suivis,  où  nous  retrouvons  Eugène  Delacroix  au  nombre  des 
auditeurs  les  plus  assidus. 

Suivant  une  habitude,  qu'interrompent  parfois  les  maladies  ou 
les  voyages,  mais  qu'il  reprend  toujours  avec  une  visible  satis- 
faction, le  grand  peintre  note,  parmi  ses  impressions  quotidiennes, 
le  souvenir  des  Concerts  de  l'Union  Musicale.  Celui  du  17  mars  1849 
mérite  une  mention  particulière.  Le  programme  comportait 
l'audition  d'une  symphonie  (laquelle  ?)  d'Haydn  «  admirable  d'un 
bout  à  l'autre,  un  chef-d'œuvre  d'ordre  et  de  grâce  ».  Des  amis 
ou  des  confrères  du  peintre,  qui  assistaient  à  cette  séance,  dis- 
cutent le  compositeur.  Ghenavard,  l'artiste  que  l'on  sait,  déclare 
qu'Haydn  a  le  «  style  comique  »  et  «  s'élève  rarement  jusqu'au 
pathétique  »  ;  S...,  cet  ami  d'Eugène  Delacroix,  dont  nous  regret- 
tons d'ignorer  le  nom,  car  il  a  parfois  des  idées  plaisamment 
hétéroclites.  S...  enchérit  encore  sur  Ghenavard  :  il  dit  que 
Mozart,  comme  Haydn,  n'a  pas  mis  de  passion  dans  ses  sympho- 
nies, alors  qu'elle  déborde  de  son  théâtre;  il  n'a  jamais  demandé 
à  celles-ci  «  qu'une  récréation  pour  l'oreille  ».  C'est  un  peu  le 
reproche  que  nous  avons  entendu  Delacroix  adresser  à  Mozart, 
et  qui  n'est  peut-être  pas  dénué  de  fondement.  Mais  qui  parle 
aujourd'hui  des  opéras  d'Haydn,  alors  que  ses  symphonies  sont 
encore  très  connues  et  très  goûtées?  Il  est  vrai  que  le  même 
M.  S...  oppose  au  stylo  gracieux  de  Mozart  et  d'Haydn  la  manière 
sombre  et  tourmentée  de  Beethoven,  qui  «  n'a  jamais  pu  faire  de 
théâtre  ».  Fidelio  n'est  pas  cependant  une  composition  négli- 
geable, bien  que  Delacroix  en  ait  trouvé  l'ouverture  «  entortillée  » . 

Jusqu'alors,  il  est  vrai,  l'opéra  de  Beethoven  n'avait  trouvé 
qu'un  accueil  assez  peu  encourageant  auprès  du  public  parisien. 
De  1829  à  1830,  Cuvillier-Fleury  en  résumait  ainsi  l'opinion  ; 
«  Fidelio,  opéra  fort  ennuyeux,  assez  mal  chanté,  si  ce  n'est  par 
Haitsinger  et  la  charmante  M"""  Fisher  ;  les  chœurs  excellents  » . 
Plus  tard,  le  beau  talent  de  M°"  Devrient  le  réconcilia  un  peu 
avec  l'œuvre  de  Beethoven.  La  cantatrice,  au  second  acte,  «  a 
enlevé  la  salle  à  la  lettre  ».  Le  finale,  supérieurement  traité, 
arrache  cet  aveu  à  Cuvillier-Fleury  :  «  C'est  une  admirable  chose 
qu'un  tel  ensemble  et  quand  y  domine  une  voix  comme  celle  de 
M"'"  Devrient». 

Toujours  à  l'Union  Musicale,  Delacroix  applaudissait,  le 
17  mars  18b0,  le  grand  morceau  de  Gluck  :  «  Que  de  grâces!...  »; 
mais  par  quelle  étrange  maladresse  l'avait-on  fait  suivre  d'un 
«  petit  air  de  ballet  ridicule  qu'on  aurait  dû  laisser  dans  l'oubli 
par  respect  pour  la  mémoire  de  Gluck?  » 

Ce  fut  encore  aux  concerts  de  t  Union  Musicale  que  notred  ilet- 
tante  apprit,  sinon  à  connaître,  du  moins  à  mieux  comprendre 


378 


LE  MÉNESTREL 


le  génie  de  Beethoven,  qui  étouffe —  qu'on  nous  passe  le  mot  — 
dans  les  auditions  intimes  de  salon.  Mais  Delacroix  en  avait 
cependant  conservé  un  certain  esprit  de  résistance  contre  les 
procédés  du  maitre,  c'est-à-dire  contre  ce  déchaînement  de  pas- 
sions exaltéeset  fougueuses  qui  vous  entraine,  comme  il  entraine 
le  compositeur  lui-même,  dans  un  torrent  d'harmonies  sublimes. 
Avec  ce  tempérament  quelque  peu  réactionnaire  que  nous  avons 
déjà  signalé  et  que  nous  verrons  s'accentuer  par  la  suite,  notre 
journaliste,  d'aucuns  ont  écrit  journalier,  n'admire  donc  Beethoven 
qu'avec  des  restrictions,  à  l'exemple  d'ailleurs  de  la  plupart  de 
ses  contemporains. 

Ce  n'était  pas  qu'un  petit  groupe  de  néophytes  n'eût  cherché 
à  imposer  l'adoration  sans  réserves  du  dieu  Beethoven. 

Balzac,  un  des  premiers  qui  avait  fléchi  le  genou,  écrit  le 
14  novembre  1837  : 

«  Hier  je  suis  allé  entendre  la  symphonie  en  ««mineur de  Bee- 
thoven. Beethoven  est  le  seul  homme  qui  me  fasse  connaître  la 
jalousie.  J'aurais  voulu  être  plutôt  Beethoven  que  Rossini  ou 
Mozart.  Il  y  a  dans  cet  homme  une  puissance  divine.  Dans  son 
finale,  il  semble  qu'un  enchanteur  vous  enlève  dans  un  monde 
merveilleux...  ]N  on,  l'esprit  de  l'écrivain  ne  donne  pas  de  pareilles 
jouissances,  parce  que  ce  que  nous  peignons  est  fini,  déterminé, 
et  que  ce  que  nous  jette  Beethoven  est  infini.  » 

Parmi  les  musiciens,  Habeneck  s'était  employé  corps  et  âme  à 
faire  connaître  et  admirer  le  maitre  allemand;  mais  il  n'était 
pas  entré  le  premier  en  campagne.  Ce  fut  au  baron  de  Trémont, 
s'il  faut  l'en  croire,  que  doit  revenir  l'honneur  d'une  telle  ini- 
tiative (1). 

Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  quelles  circonstances  la  précé- 
dèrent. 

En  1809  M.  de  Trémont,  auditeur  au  conseil  d'État,  dut 
porter  un  travail  à  Napoléon  qui  résidait  alors  à  Vienne.  Il  avait 
sollicité  ce  voyage  d'affaires,  moins  pour  faire  sa  cour  au  grand 
homme  que  pour  se  donner  l'occasion  d'entrer  en  relations 
avec  Beethoven,  dont  la  musique  l'avait  en  quelque  sorte  hyp- 
notisé. Aussi  avait-il  demandé  à  Cherubini  une  lettre  d'introduc- 
tion auprès  de  l'auteur  de  la  Sipnphonie  héroïque.  Mais  Cherubini 
s'était  récusé  :  —  Ce  serait  de  grand  cœur,  s'il  s'agissait  d'Haydn  ; 
vous  seriez  le  bien  venu;  mais  Beethoven  vous  recevra  fort 
mal,  c'est  un  ours  mal  léché. 

Dans  la  bouche  de  Cherubini  le  propos  était  piquant.  Trémont 
se  retourna  vers  Reicha,  qui  consentit  de  la  meilleure  grâce. 

Ce  n'est  pas,  lui  dit  le  professeur,  que  je  m'illusionne  sur  le 

sort  réservé  à  ma  lettre  de  recommandation.  Depuis  que  la 
France  s'est  donné  un  maitre,  Beethoven  la  déteste  autant  qu'il 
exècre  l'empereur,  à  telle  enseigne  qu'il  s'est  refusé  à  recevoir 
Rode  une  seule  fois  pendant  les  huit  jours  que  ce  maître  violo- 
niste est  resté  à  Vienne.  Voulez-vous  un  autre  exemple  de  cette 
sauvagerie?  Un  jour  que  la  seconde  femme  de  l'empereur  Fran- 
çois Il  avait  fait  prier  Beethoven  de  passer  dans  la  matinée  chez 
elle,  le  compositeur  répondit  qu'il  n'en  avait  pas  le  temps  et 
qu'il  se  rendrait  le  lendemain  seulement  à  cette  invitation. 

Si  le  maître  était  aussi  peu  prévenant  pour  la  plus  auguste  de 
ses  compatriotes,  comment  accueillerait-il  un  simple  chargé 
d'affaires  français,  surtout  au  lendemain  de  l'entrée  de  l'armée 
conquérante  dans  les  murs  de  Vienne'?  Trémont  ne  se  rebuta 
pas.  Il  voulut  tenter  l'aventure,  bien  que,  le  jour  où  il  s'y  décida, 
il  eût  contre  lui  toutes  les  chances.  Les  sapeurs  faisaient  sauter, 
par  ordre  de  Napoléon,  les  remparts  de  la  ville  ;  et  précisément 
la  maison  de  Beethoven  y  touchait.  Trémont  se  la  fit  indiquer 
par  des  voisins.  Or  —  nouveau  contretemps  —  le  compositeur, 
qui  changeait  tous  les  jours  de  servante,  n'en  avait  pas  quand 
le  visiteur  vint  frapper  à  la  porte.  Celle-ci  resta  obstinément 
close.  Trémont,  qui  avait  déjà  sonné  trois  fois,  allait  se  retirer, 
quand  un  homme  «  fort  laid  »  ouvrit  brusquement  et  demanda, 
non  sans  humeur,  à  l'étranger  ce  qu'il  voulait. 

(A  suivre.  )  Paul  d'Estrées. 

(1)  MM.  Barbedettc  et  Wilder  ont  publié  dans  te  Ménestrel  d'importantes  études  sur 
Beethoven.  —  Le  travail  de  M.  Wilder  est  une  œuvre  yçistrale. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Odéon.  La  Maison,  pièce  en  3  actes  de  M. 'Georges  Mitchell;  Hors  la  loi,  pièce 
en  1  acte,  en  vers,  de  M.  Lucien- Victor  Meunier. 

On  a  pleuré  à  l'Odéon  et  plus  d'une  belle  madame  a  iù  cueillir,  avec 
d'infinies  précautions,  au  coin  de  son  œil  velouté,  la  petite  larme  intem- 
pestive; onapleuré,  signe  indiscutable  delà  victoire  remportée  par  In  Mai- 
son de  M,  Georges  Mitchell,  qui  s'était  déjà  essayé  au  théâtre  avec  moins 
de  bonheur.  Une  action  bien  posée,  logiquement  et  adroitement  déve- 
loppée, des  personnages  de  réalité  courante  dont  l'état  psychologique 
reste  à  la  portée  de  tous,  des  situations  intéressantes  —  le  second 
acte  est,  sous  ce  rapport,  tout  à  fait  supérieur  —  une  langue  simple 
et  précise  qui,  si  elle  ne  donne  pas  à  l'œuvre  la  tenue  précieuse- 
ment littéraire  si  en  honneur  aujourd'hui,  lui  garde  cependant  toute 
sa  sincérité  et  toute  son  émotion,  tels  sont  les  éléments  qui  font  de 
la  pièce  nouvelle  ce  que  l'on  appelait,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps 
encore,  du  «  bon  théâtre  »,  de  ce  «  bon  théâtre  »  de  compréhen- 
sion et  d'effet  immédiats  qu'on  aimait  tant  et  auquel  on  semble  avoir 
envie  de  revenir,  à  en  juger  par  les  applaudissements  qui  saluè- 
rent mercredi  dernier  le  nom  du  jeune  auteur  et  qui  n'étaient  point 
sans  rappeler,  toute  proportion  gardée,  ceux  qui  saluèrent  le  nom 
de  M.  Paul  Hervieu  le  soir  de  la  première  de  ï Énigme  à  la  Comédie- 
Française. 

Et  ce  n'est  point  sans  raison  que  M.  Paul  Hervieu  est  ici  rap- 
pelé, puisque  c'est  encore  d'une  énigme  qu'il  s'agit.  Bonardeau  a  deux 
petits-enfants  qu'il  adore  également  et  il  apprend  que  l'un  d'eux  n'est 
point  de  son  fils,  sa  bru  ayant  eu  un  amant.  Lequel  usurpe,  involon- 
tairement, une  place  à  laquelle  il  n'a  pas  droit  ?  Et  le  problème  se  pose 
plein  d'anxiété  et  presque  inextricable  puisque  la  mère,  interrogée,  refuse 
naturellement  de  parler.  Elle  n'entend  pas  que,  par  sa  seule  faute,  l'im 
des  deux  soit  dépossédé.  Tous  deux  sont  égali'ment  fruits  de  ses  entrail- 
les :  ils  sont  bien  ses  enfants,  à  elle,  et  elle  ne  se  reconnait  pas  le  droit 
d'en  sacrifier  un.  Bonardeau,  après  s'être  désespérément  exaspéré  à  la 
recherche  de  la  vérité  que  des  indices  presque  certains  lui  font  entre- 
voir, finit  par  rouvrir  tout  grands  ses  bras  aux  chers  innocents  qu'il 
prit  tant  l'habitude  d'aimer  pareillement  qu'il  n'aura  qu'à  continuer  tout 
naturellement. 

Pour  ce  petit  drame  très  bourgeois,  très  prenant,  l'Odéon  a  appelé  ou 
rappelé  à  lui  M.  Chelles  et  M""^  Berthe  Bady.  Le  premier,  avee  ses  qua- 
lités, ou  ses  défauts,  de  brutalité  et  de  rondeur  un  peu  vulgaires  —  sa 
sortie  du  premier  acte  n'est  point  sans  nous  choquer  quelque  peu  —  a 
sohdement  campé  son  bonhomme  Bonardeau;  la  seconde,  plutôt 
entraînée  au  mélodrame  et  surtout  aux  œuvres  d'exception  maladive, 
a  prêté  à  Marianne,  la  mère  coupable,  beaucoup  de  sensibilité  féminine 
et  d'adresse  émue,  tenant  son  public  plus  encore  par  ses  jeux  de  phy- 
sionomie et  ses  gestes  de  juste  discrétion  que  par  une  diction  et  un 
organe  malheureusement  défectueux.  M"'  Martineau  est  charmante  en 
petite  gamine  et  MM.  Dai'ras,  Siblot,  Céalis,  Laguiche,  M'"''^  Dehon  et 
Dm-an  complètent  un  ensemble  dont  l'honorabilité  est  tout  odéonienne. 

Très  honorable  aussi,  et  sans  rien  de  plus,  l'interprétation  de  Hors  ta 
loi,  l'acte  en  vers  de  M.  Lucien- Victor  Meunier,  qui  commençait  le  spec- 
tacle et  était  joué  par  MM.  Rameau,  Decœur  et  M'"  Bven.  C'est  un  épi- 
sode de  la  vie  de  Gondorcet,  alors  que,  mis  hors  la  loi  et  découvert  dans 
sa  retraite  de  la  rue  Servandoni,  il  est  obligé  de  s'enfuir  pour  ne  point 
faire  condamner  à  la  guillotine  son  amie,  la  vieille  M™"  Vernet,  car  la 
loi  des  suspects  vient  d'être  votée  et  elle  est  inexorable  pour  ceux  qui 
cachent  des  condamnés.  Et  si  le  vers  de  M.  Lucieti-Victor  Meunier, 
sonnant  surtout  comme  de  la  belle  prose,  n'est  encore  qu'honorable,  du 
moins  sa  pensée  est  noble  et  généreuse  et  ne  manque  pas  de  vibration  ; 
le  fonds  nous  a  paru  en  cette  petite  affaire,  qui  n'est  point  sans  intérêt, 
très  supérieur  à  la  forme.  Paul-Emile  Chevalier. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTEE 


xxxiri 

LE  DIABLE  A  PARIS 

n  L.  Fngh-e. 

—  Le  Diable  h  Paris?  Grands  dieux  !  Est-ce  encore  une  caricature 
inédite  de  la  frénésie  romantique  que  vous  veuez  d'exhumer,  un  nou- 

(1)  Voii-  te  Ménestrel-  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  2-2  et  29  septembre, 
des  13,  20  et  27  octobre,  des  3,  10,  17  et  24  novembre  1901. 


LE  MÉNESTREL 


379 


veau  Berlioz  échevelé  d'après  les  bois  d'un  Gavarni,  dont  vous  avez 
oublié  les  Musiciens  comiques  et  les  Physionomies  de  chanteurs  (i)  dans  la 
série  des  peintres-mélomanes? 
■ —  Nenai.  Je  sors  de  la  répétition  générale  de  Grisélidis... 

—  Qu'entends-je?  Un  Massenet  comique? 

—  Et  pourquoi  pas?  L'artiste  amoureux  des  oppositions  captivantes 
devait  être  séduit,  avant  de  nous  séduire,  par  cette  espièglerie  dansante 
alternant  avec  le  rêve  familial  et  la  légende  aristocratique.  Son  conte 
hjrirjue,  issu  d'un  moyen-âgeux  mystère,  admet  cet  alliage  prévu  par  nos 
cathédrale^  et  par  la  Préface  de  Cromwell.  Et  puis,  ignorez-vous  ses 
antécédents  en  la  comédie  musicale?  Sans  parler  de  l'heureuse  Manon, 
de  qui  la  400'  approche,  ni  de  Werther  mélancolique  où  l'auteur  a  mis 
«  toute  son  âme  »  et  qui  demeure  son  «  chef-d'œuvre  »  au  regard  ému 
des  philosophes,  sans  parler  de  mainte  page  de  ces  deux  poèmes  qui 
ont  renouvelé  la  tradition  de  notre  opéra-comique,  oubliez-vous  le  rire 
des  belles  filles  dans  Thaïs,  l'entourage  bohème  de  Sapho,  les  deux 
sœurs  de  Cendrillon  qui,  dès  1896,  avait  une  sœur  plus  poétique,  appelée 
Grisélidis...,  tout  ce  petit  monde  qui  gambade  et  ricane  autour  du  rêve, 
qui  babille  et  scintille  autour  du  songe,  afin  de  corser  la  comédie  lyri- 
que, le  roman  musical  ou  l'enfantine  féerie;  et,  surtout,  le  Portrait  de 
Manon,  le  délicieux  Portrait  de  Manon,  ce  menu  bijou  qui  vaut  tant  de 
parures  plus  ambitieuses,  sonnet  supérieur  à  de  plus  longs  poèmes! 
Auriez-vous  oublié  la  chanson  de  Monsieur  Tiberge  en  ut  majeur  :  «  Dans 
le  puits  où  jadis  logeait  la  Vérité  »,  et  tout  le  rôle  du  bonhomme  souligné 
par  l'amusante  palinodie  des  flûtes  et  des  bois  (ici  le  mot  bois  désigne 
non  plus  des  travaux  de  gravure,  mais  des  instruments  de  musique,  et 
ce  n'est  point  ma  faute  si  la  langue  française  est  amphigourique  ou  si 
l'argot  des  arts  est  fort  pauvre...)-  Donc,  les  bois,  ou  l'harmonie,  si  vous 
préférez,  commentait  ironiquement  la  conversion  diabolique  du  bon- 
homme Tiberge.  Et  ce  triangle,  cet  emploi  du  triangle  qui  jetait  ses 
étincelles  sur  l'innocent  marivaudage... 

—  Déjà,  dans  un  ironique  duo  de  la  sévère  partition  d'Henry  YIII, 
j'avais  au  passage  noté  cette  irrévérence  légih-e  du  triangle. 

—  Juste  observation  minutieuse!  Massenet,  qui  est  lui-même  un 
homme  gai,  qui  a  de  beaux  élans  de  belle  humeur  malgré  l'atmosphère 
de  son  élégie  passionnée,  et  qui  possède  assez  de  personnalité  pour  se 
complaire  au  génie  des  autres,  ne  manque  jamais  l'occasion  de  rendre 
justice  au  merveilleux  «  dictionnaire  »  orchestral  de  son  aine  Camille 
Saint-Saêns;  mais,  ici,  je  plaiderai  contre  lui-même  :  et  malgré  votre 
observation  qu'appuierait  la  sienne,  je  réclame  la  priorité  pour  cet  ingé- 
nieux cliquetis  qui  semble  se  moquer  de  nos  candeurs  avec  l'accent 
d'un  pizzicato  plus  métallique.  Donc,  Monsieur  Tiberge  était  un  original  : 

Il  prouvait  de  son  mieux. 
En  dépit  de  la  fable, 
Que,  quand  il  devient  vieux, 
L'ermite  st'  l'ait  diable. . . 

—  Le  poète  de  Namouna  ne  pourrait  plus  dire  à  sa  mystérieuse  Manon 
Lescaut  : 

Tu  m'amuses  autant  que  Tiberge  m'ennuie. . . 

— Citation  galante  !  Et  ce  petit  chapitre  inauguré  par  MonsieurTiberge, 
qui  fait  de  la  comédie  musicale  à  son  insu,  tout  comme  M.  Jourdain 
faisait  de  la  prose,  vous  en  trouverez  le  développement  dans  la  mélo- 
dieuse Grisélidis  où,  pourtant,  le  Diable  ne  s'est  pas  encore  fait  ermite... 
Si,  que  dis-je,  â  la  fin  !  Mais  si  tard,  après  tant  de  ruses  et  d'entrechats  ! 

—  Cet  attrayant  badinage  réveille  tout  le  grave  problème  du  comique 
dans  la  musicpie  :  et  le  géant  Fafner  qui  sort  en  rampant  de  son  autre 
est-il  moins  redoutable?  Mais  ne  craignez-vous  point  que  cet  élément 
sautillant  ne  vienne  refroidir  un  peu  l'émotion  des  parallèles  tendresses? 
On  discutera  «  la  beauté  du  Diable  »... 

—  Ce  n'est  pas  le  compositeur  ami  des  contrastes  qui  inventa  ce  per- 
pétuel antagonisme  entre  l'enfer  qui  raille  et  la  légende  qui  s'éplore... 
L'antithèse  est  théâtrale.  Si  vous  la  trouvez  trop  heurtée,  rappelez-vous 
(pie  le  rôle,  au  Français,  était  l'apanage  de  Coquelin  Cadet...  Telle  était 
donc  l'intention  du  regretté  poète  Armand  Silvestre.  Son  Diable  gaulois 
héritait  de  notre  moyen  âge.  La  musicjue  le  commente  à  souhait.  Ce 
Don  Juan  crochu  qui  se  trouve  si  bien  «  loin  de  sa  femme  » ,  quitte  à 
se  raccorder  ayec  Madame  Satan  pour  éprouver  la  Vertu,  ce  clown 
infernal  et  «  très  bon  enfant  »  est  dans  la  tradition  du  vieux  Diable 
français  des  gargouilles  moyen-àgeuses.  Un  de  nos  confrères  le  compare 
adroitement  aux  «  fous  »  qui  récréaient  la  longue  veillée  féodale.  Rap- 
pelez-vous les  Mystères  et  les  Sotties  narquoises.  Évoquez  l'An  Mil,  avec 
la  Fête  des  Fous  et  l'apothéose  de  l'Ane,  parmi  les  clercs,  en  pleine 
église...  Massenet  peintre  a  regardé  nos  imagiers  de  jadis  :  n'a-t-il  pas 
interrogé  la  grâce  d'une  Tanagra  pour  pénétrer  la  Grèce  des  Erimiyes  ou. 

Il)  Amusantes  séries  lithographiées  par  Gavarni  pour  la  neoue  et  GaseUe  mvsicale 
(Paris,  1844).  —  Cf.  les  ouvrages  des  Concourt  et  de  M.  Henri  Beraldi. 


la  magie  d'un  coffret  de  l'Inde  avant  d'écrire  le  Roi  de  Lahore?  Pugére  ne 
trahit  donc  point  l'œuvre  et  l'auteur  quand  il  ranime  notre  vieil  opéra- 
comique  en  le  renouvelant.  Chant  syllabique,  notes  piquées,  voix  som- 
brée,  parlé  grognon,  gestes  carnavalesques,  travestissements  orientaux, 
déclamation  pointue,  capricante  et  bonasse  sympathisent  avec  l'idylle 
bouffonne  du  compositeur  et  le  scherzo  malin  de  l'orchestre.  Et  les  boU  . 
reprennent  de  plus  belle  avec  le  triangle  ;  et  le  triangle  s'adjoint  parfois 
le  tambour  de  basque  et  les  castagnettes,  ou  le  glockenspiel  quand  l'évo- 
cation renvoie  ses  échos  avec  un  accent  d'Esclar monde.  Point  d'italia- 
nisme ou  de  wagnérisme.  N'y  cherchez  pas,  avant  tout,  le  Méphisto- 
plièlès  de  Gœthe  et  de  Delacroix,  l'Esprit  que  Berlioz  et  Gounod,  que 
Robert  Schumann  et  Franz  Liszt  ont  chanté  (je  ne  connais  pas,  jusqu'à 
présent,  celui  de  Spohr  ni  le  Mefistofele  de  l'Italien  Boïto).  Et  M.  Bou- 
tarel  devrait  nous  donner,  sur  l'Enfer  musical  (1  ),  la  monographie  qu'il 
a  si  parfaitement  réussie  pour  «  l'âme  féminine  »  de  Gretchen...(ï!).  Le 
Diable  à  Paris  veut  seulement  nous  prouver  que  notre  musique  française 
peut  concilier  la  franchise  avec  le  savoir,  cette  pauvre  musique  fran- 
çaise qui,  si  longtemps,  a  possédé  l'inspiration  sans  la  science  et  qui, 
dorénavant,  subit  un  mauvais  sort  tout  contraire... 

—  J'irai  voir  Grisélidis. 

(A  suivre.)  Rayjiond  Bodyer. 


LES  CHANSONS  POPULAIRES  DES  ALPES  FRANÇAISES 

(Suite.) 


L'artiste  trouve  donc  une  satisfaction  complète  dans  l'exécution  d'une 
telle  entreprise,  et  nous  verrons  bientôt  que  l'érudit  n'en  a  pas  moins. 
Il  est  évident  que  les  chansons  populaires  ne  peuvent  nulle  part  être 
mieux  appréciées  que  dans  leur  milieu.  Bien  que  celles  des  régions 
alpestres  ne  se  laissent  pas  aisément  surprendre,  —  car  les  vallées 
sont  silencieuses,  et  ies  montagnards  chantent  peu,  —  l'impor- 
tance de  leur  rôle  dans  la  vie  locale  n'a  pas  échappé  â  certains  obser- 
vateurs. Une  femme  dont  le  nom  est  célèbre  dans  les  annales  de 
l'alpinisme.  M""  d'Angeville,  la  première  Française  qui  ait  fait  l'ascen- 
sion du  mont  Blanc,  contant  son  expédition,  rapporte  l'épisode  suivant. 
C'était  le  soir,  aux  Grands-Mulets  ;  deux  caravanes  s'étaient  rencontrées  ; 
M"*  d'Angeville  eut  l'idée  de  passer  la  soirée  à  donner  un  concert  sur 
le  glacier.  «  Les  guides  se  réunirent  et  entamèrent  à  pleine  voix  leurs 
chants  nationaux,  une  chanson  en  patois,  et  le  Ranz  des  l'aches.  Ils 
furent  interrompus  brusquement  par  le  bruit  d'une  avalanche  tombant 
des  monts  Maudits  avec  le  fracas  de  la  foudre...  »  Il  y  a  évidemment 
quelque  dilettantisme  dans  ce  récit,  et  pas  mal  de  fantaisie.  Le  Ranz  des 
vaches,  par  exemple,  jamais  les  guides  de  Chamonix  ne  l'entonnèrent, 
aux  Grands-Mulets  ni  ailleurs,  par  la  raison'^que  les  Savoyards  igno- 
rèrent toujours  ce  chant,  exclusivement  helvétique.  Mais  admettons 
qu'il  s'agissait  de  simples  chansons  pastorales  (les  montagnes  en  sont 
pleines)  :  une  telle  audition,  première  enquête  sur  la  chanson  popu- 
laire des  Alpes,  ne  dut-elle  pas  procurer  à  ceux  qui  y  assistèrent  des 
impressions  autrement  vives  que  s'ils  avaient  lu  les  mêmes  morceaux 
sèchement  notés  dans  un  livre? 

Il  est  certain  que  les  Alpes  forment  une  scène  admirable  sur  laquelle 
toiite  manifestation  d'art  ressort  merveilleusement.  Je  conçois  très  bien 
l'effet  que  doit  produire  la  Passion  d'Oberammergau,  effet  certainement 
du  pour  une  plus  grande  part  au  milieu  qu'aux  mérites  intrinsèques  de 
la  représentation.  La  Savoie  ni  le  Dauphiné  ne  nous  offrent,  il  est  vrai, 
de  spectacles  semlilablement  organisés  ;  et  pourtant  le  hasard  procure 
parfois  au  voyageur  des  sensations  inattendues.  Qu'on  veuille  bien  me 
permettre  encore  de  faire  appel  â  mes  souvenirs  :  le  lecteur  comprendra 
qu'en  les  lui  communiquant  je  ne  cède  pas  au  vain  désir  de  l'occuper 
de  ma  personne,  mais  qu'en  lui  décrivant  les  spectacles  dont  j'ai 
été  témoin,  je  cherche  simplement  à  le  placer  lui-même  dans  le  milieu 
qui  convient. 

Les  manœuvres  du  14°  corps  d'armée  en  1892  venaient  de  s'achever 
dans  la  haute  vallée  de  l'Arly,  et  les  troupes,  cantonnées  dans  les  cha- 
lets des  montagnes,  jouissaient  avec  délices  d'un  repos  bienfaisant, 
quand,  au  matin,  une  sonnerie  se  fit  entendre,  se  répandant  sur  tout  le 
pays.  Massés  sur  une  éminence,  clairons  et  tambours  exécutaient  le 
Réveil  en  campagne.  On  sait  que  la  musique  de  cette  sonnerie  régle- 

(1)  Nous  parlions  récemment  de  l'Orpliée  de  Gluck  et  du  prologue  de  Françoise  de 
Bimini:  n'allons-nous  pas  entendre  bientôt  ta  Vision  de  Dante  de  M.  Brunel  et  la  Sym- 
phonie de  Liszt? 

(2)  La  vraie  Marguerite  et  l'interprétation  de  fume  féminine  d'après  le  Faust  de  Gœltie 
(Ménestret,  juillet-novembre  1900). 


380 


LK  MENESTREL 


mentaire,  d'uu  usage  exceptionnel,  et  très  développée,  se  compose  de 
deux  mouvemcats.  le  premier  calme,  en  style  lié,  le  second  en  notes  dé- 
tachées, rapide  et  joyeux,  tous  deux  alternant  et  se  succédant  l'un 
l'autre  à  plusieurs  reprises.  Je  parlais  tout  à  1  heure  du  Hanz  des  vaches  : 
on  dirait  -vraiment  que  l'auteur  inconnu  du  Réceil  en  campagne  a  pris 
pour  son  modèle  cet  air  instrumental  des  bergers  suisses,  car  la  forme 
en  est  toute  pareille.  Répétée  par  les  échos  les  plus  lointains,  la  claire 
sonnerie  des  clairons  prenait  un  charme  indéfinissable.  L'évocateur 
solo  de  cor  anglais,  dans  le  Manfred  de  Schumann,  no  laisse  pas  à 
l'audition  une  impression  plus  profonde  :  l'air  militaire  devenait  un 
chant  de  montagne  de  la  plus  pénétrante  poésie. 

Une  autre  fois,  c'était  à  la  Grande-Chartreuse.  L'oflîce  de  Matines 
présentait  ce  rare  intérêt  que  le  corps  d'un  Père,  mort  la  veille,  était 
exposé  devant  l'autel,  dans  sa  grande  robe  blanche,  le  visage  couvert 
du  capuchon,  étendu  sur  une  planche,  sans  cercueil.  Dans  leurs  stalles, 
les  Chartreux  chantaient,  impassibles.  Parmi  la  monotonie  de  leur 
longue  et  sèche  psalmodie,  une  mélodie  se  dessina,  à.  la  tonalité  sombre, 
au  rythme  bien  accentué,  qu'ils  répétèrent  plusieurs  fois  :  elle  me  pro- 
duisit un  véritable  effet  d'épouvante  !  Je  la  retrouvai  plus  tard  dans  les 
livres  de  chant  :  c'était  une  hymne  ambrosienne,  d'un  grand  caractère 
assurément,  mais  qui  certes  ne  m'eût  pas  autant  frappé  eu  toute  autre 
circonstance. 

Quelle  émotion  tragique  n'auraient  pas  causée  les  sombres  complaintes 
de  Jean  Renaud  ou  de  Pernette  si  on  les  eût  entendues  en  un  milieu 
analogue  ?  Et  combien  les  chansons  mélancoliques  des  bergères  sont 
mieux  à  leur  place  au  milieu  des  prairies  couronnées  par  les  forêts 
sombres,  les  rocs  et  les  glaciers,  que  dans  un  cabinet  d'étude  ou  dans 
un  salon  parisien,  accompagnées  par  le  piano  ? 


Les  habitants  des  régions  alpestres  ont  l'esprit  trop  ouvert  aux  choses 
de  l'intelligence  pour  avoir  dédaigné  de  cultiver  ce  fonds  d'art  et  de 
poésie.  Ils  ont  fait  encore  mieux  :  l'on  a  retrouvé  dans  leurs  vallées  des 
traces  de  manifestations  plus  compliquées  de  littérature  locale.  Je  ne 
veux  pas  parler  ici  de  certaines  productions  semi-populaires,  uoëls, 
chansons  d'actualité,  etc.,  dont  il  a  été  conservé  de  nombreux  échantil- 
lons; mais  voici  quelque  chose  de  plus  caractéristique  encore,  et  déplus 
important.  Par  quel  singulier  phénomène  se  trouve-t-il  que  les  monta- 
gnes ont  toujours  été  un  théâtre  favorable  à  l'exécution  de  certaines 
œuvres  scéniques,  je  ne  saurais  le  dire.  La  Passion  d'Oberammergau, 
déjà  nommée,  est  aujourd'hui  célèbre  par  toute  l'Europe.  Or.  il  se  trouve 
que  les  régions  les  plus  reculées  de  l'immense  chaîne  française  ont  eu, 
en  des  temps  très  anciens,  des  représentations  analogues,  dont  la  tradi- 
tion semble  avoir  duré  fort  longtemps.  Le  savant  archiviste  des  Hautes- 
Alpes,  M.  Paul  Cuillaume,  a  découvert,  dans  plusieurs  paroisses  du 
Briançonnais,  des  manuscrits  de  Mystères,  dont  certains,  écrits  en  lan- 
gue provençale  du  XV»  siècle,  portent  les  dates  despremiéres  années  du 
siècle  suivant  :  l.o04,  1.^06.  M.  F.  Truchet,  de  Saint-Jean-de-Maurienne, 
a  fait  des  trouvailles  analogues  dans  son  pays.  Il  a  signalé  notamment 
la  représentation  d'un  Mystère  de  t' Antéchrist  et  du  Jugement  à  Modane, 
en  lo80,  et  celle  d'un  Mystère  de  la  Vie  de  saint  Martin  â  Saint-Martin-^ 
de-la-Porte,  en  lo6.3,  cette  dernière  donnée  en  suite  d'un  vœu,  pour 
conjurer  la  peste  (Ij.  M.  Guillaume  a  tiré  de  l'état  des  manuscrits  l'ob- 
servation suivante  :  «  Certaines  taches  très  caractéristiques  prouvent 
que  la  lecture  du  Mystère  avait  souvent  lieu  â  l'étable,  probablement 
durant  les  longues  soirées  d'hiver.  »  C'était  là  en  effet  qu'on  préparait 
les  représentations,  habituellement  données  aux  fêtes  de  Pâques. 

Ces  coutumes  théâtrales  furent  tellement  vivaccs  qu'aujourd'hui  en- 
core elles  ne  sont  pas  entièrement  tombées  en  désuétude.  Il  est  vrai  que 
le  répertoire  s'est  modifié,  et  que  l'on  ne  joue  plus  de  Mystères  ;  mais 
chaque  année,  les  jeunes  gens  des  hauts  villages  du  Queyras  (Saint- 
Veran,  Molines).  passent  leur  hiver  â  préparer  une  représentation  théâ- 
trale, qu'ils  donnent  pubUquement  â  cette  même  date  des  fêtes  de 
Pâques,  première  annonce  du  printemps  ;  et  leur  répertoire,  pour  n'être 
plus  ni  local,  m  populaire,  n'en  est  que  plus  relevé,  car,  en  ces  derniè- 
res années,  ces  habitants  de  pays  perdus  n'ont  pas  craint  de  s'attaquer 
à  la  représentation  des  comédies  de  Molière. 


Mais  revenons  â  nos  chansons.  Il  faudra  bien  nous  résigner  â  ne 
bientôt  plus  les  trouver  que  dans  les  livres,  car,  je  le  répète  une  fois  de 
plus,  l'art  populaire  du  temps  passé  se  meurt.  Soit  dit  en  passant,  et 

(1)  Ces  deux  auteurs  ont  pablié  notamment  les  rééditions  suivantes  • 
Paul  Guillao.me,  le  Mi/slère  de  saint  Euslaclw  {liO',}:  le  Mmlùre  il,'  wi„l   f  „/;,„,  •  / 
V-^«éM,506,;i.,on«/>e<ne.Pa„.;-Fi.on,„„«nTBL.x,/i;;;;^^:^^ 
A 17'  «ecte,  études  analytiques  sur  les  deux  n.ystères  mentionnés  ci-dessus. 


quelque  regret  qu'on  ait  do  le  voir  disparaître,  j'estime  que  le  devoir 
de  ceux  qui  s'intéressent  à  ses  manifestations  n'est  pas  de  prolonger 
son  existence  :  l'entreprise  ne  serait  pas  seulement  impossible,  mais 
funeste.  Il  ne  faut  pas  que  l'étude  des  anciennes  traditions  populaires 
soit  un  prétexte  â  la  restauration  d'un  passé  aboli.  Le  peuple,  aujour- 
d'hui, est  entré  dans  une  voie  nouvelle,  qui  s'ouvre  devant  lui  large- 
ment :  qu'il  poursuive  l'évolution  commencée,  et  que  personne  ne  cher- 
che â  le  faire  attarder  au  regret  des  choses  accomplies.  Nous,  cependant, 
les  observateurs,  artistes  ou  savants,  nous  faisons  œuvre  salutaire, 
assurément,  en  cherchant  à  sauver  les  derniers  vestiges  de  sa  vie  passée, 
parce  qu'il  est  bon  de  connaître  l'homme  à  travers  tous  les  âges,  utile 
de  conserver  à  l'histoire  les  manifestations  diverses  de  son  génie  ;  mais 
ce  doit  être  là  notre  objectif  unique. 

L'art  populaire,  si  humble  qu'il  soit,  est  incontestablement  digne  de 
notre  considération.  Avec  des  dehors  plus  modestes,  il  est  souvent  plus 
sincère  et  plus  vivace  que  l'art  des  savants,  qui  si  fréquemment  s'égare 
dans  les  artifices  d'une  vaine  technique  :  il  est,  cela  est  manifeste,  plus- 
durable  aussi,  ayant  traversé  tant  de  siècles  et  survécu  à  tant  de  modes 
successives.  Sa  place  est  donc  marquée  dans  l'histoire  générale  do  l'art. 
Les  annalistes  d'autrefois  ne  jugaient  digne  de  leur  attention  que  les 
faits  les  plus  apparents  et  les  hommes  les  plus  considérables  :  longtemps 
l'histoire  des  peuples  fut  uniquement  celle  des  rois.  Et,  de  même,  les 
premiers  historiens  de  la  musique  n'ont  voulu  connaître  que  l'opéra. 
Un  Michelet  est  venu  remettre  les  choses  en  place,  faisant  ressortir  l'ac- 
tion réelle  du  peuple  dans  l'accomplissement  des  faits  :  que  désormais 
les  historiens  de  l'art  en  fassent  autant  et  qu'ils  apprennent  à  dégager 
le  rôle  qu'a  joué  si  efficacement  le  peuple  dans  la  formation  et  l'évolu- 
tion de  la  musique  et  de  la  poésie. 

Julien  Tiebsot. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


La  Société  des  concerts  du  Conservatoire  a  donné  dimanche  dernier,  sous- 
la  direction  de  son  nouveau  chef,  M.  Georges  Marty,  la  première  séance  de 
sa  soixante-quinzième  année  d'existence.  Cette  séance  s'ouvrait  par  la  Sym- 
phonie pastorale  (est-il  utile  d'ajouter  :  de  Beethoven  ?),  dont  l'exécution  a 
été  excellente  sous  tous  les  rapports  et  d'une  sûreté  remarquable.  M.  Marty 
a  évidemment  une  sorte  de  parti  pris  de  sobriété  dans  le  geste  dont  je  suis 
loin  de  le  blâmer,  d'autant  que  cela  ne  l'empêche  nullement  d'avoir  son  per- 
sonnel «  dans  la  main  »,  de  lui  inspirer  confiance  par  la  sûreté  de  sa  direc- 
tion, d'indiquer  discrètement  et  habilement  toutes  les  entrées,  et  surtout  — 
qualité  devenue  trop  rare  —  de  battre  la  mesure  avec  netteté  et  précision,  de 
façon  qu'on  ne  puisse  confondre  le  premier  temps  avec  le  quatrième,  ou  le 
troisième  avec  le  second.  Dès  les  premières  mesures,  on  a  pu  voir  à  quel 
chef  on  avait  affaire.  Après  la  symphonie  venaient  trois  chœurs  délicieux  cha- 
cun en  leur  genre  et  qui  ont  été  vivement  applaudis  pour  leur  jolie  exécu- 
tion :  ceux  de  Colinelte  à  la  cour  de  Grétry,  de  Blanche  de  Prooenee  de 
Gherubini,  et  le  chœur  des  Nymphes  de  Psyché,  d'Ambroise  Thomas.  Puis, 
nous  avions  une  Ouverture  «  inédite  »  de  Mozart,  entendue  pour  la  première 
fois.  Cette  ouverture,  fort  intéressante  et  d'une  jolie  couleur,  était  restée 
jusqu'à  ce  jour  entièrement  inconnue.  Elle  a  été  retrouvée  récemment  au 
Conservatoire  par  M.  Wekeiiin,  dans  un  lot  de  musique  depuis  longtemps 
inexploré,  sous  la  l'orme  des  seules  parties  d'orchestre,  gravées,  et  portant 
ce  titre  exact  :  «  Ouverture  à  grand  orchestre,  par  Mozart.  Prix,  9  francs.  A 
Paris,  à  l'imprimerie  du  Conservatoire,  Faubourg  Poissonnière,  n"  132  ».  On 
suppose  que  cette  ouverture  date  de  l'époque  du  voyage  de  Mozart  à  Paris 
en  1778,  époque  où  il  écrivit  pour  l'Opéra  le  ballet  des  Petits  Riens  et  pour  le 
Concert  spirituel  deux  symphonies,  un  Miserere  et  quelques  autres  morceaux. 
Comment  est-elle  parvenue,  quinze  ans  après,  au  Magasin  de  musique  du 
Conservatoire,  comment  celui-ci  l'a-t-il  publié  sans  chercher  pourtant  à  la 
faire  connaître?  C'est  ce  que  je  ne  me  charge  pas  d'expliquer.  Elle  est  conçue 
dans  la  forme  classique,  c'est-à-dire  qu'elle  comprend  simplement  une  courte 
introduction  précédant  l'allegro,  où  l'on  sent  en  quelque  sorte  l'influence 
d'Haydn.  Fort  agréable  d'ailleurs,  elle  est  écrite,  chose  rare  chez  Mozart  à 
cette  époque,  pour  orchestre  complet,  moins  leç  seconds  cors.  Elle  a  été 
entendue  avec  un  véritable  plaisir.  La  suite  d'orchestre  de  M.  Saint-Saêns, 
qui  lui  succédait  sur  le  programme,  a  obtenu  un  succès  éclatant.  Elle  com- 
prend cinq  morceaux:  Prélude,  Sarabande,  Gavotte,  Romance,  Finale.  La  Gavotte, 
très  originale,  très  curieuse  et  très  charmante,  a  été  bissée  d'enthousiasme, 
et  le  finale,  d'une  étonnante  vivacité  et  où  les  violons  ont  à  faire,  a  été 
applaudi  vigoureusement.  Après  trois  autres  chœurs,  ceux-ci  a  capello,  de 
Corsi  et  de  Lotti,  le  concert  s'est  terminé  par  l'ouverture  du  Freisclriitz  de 
Weber,  dite  par  l'orchestre  avec  un  feu,  un  entrain  et  un  éclat  superbes.  Et 
celte  ouverture  était  elle-même  à  peine  terminée  que  la  salle  entière  (à 
laquelle,  bien  entendu,  s'est  joint  l'orchestre)  a  fait  au  nouveau  chef  une 
véritable  ovation,  en  l'applaudissant  personnellement  à  trois  reprises.  Cette 
séance  est  d'un  bon  augure  pour  l'avenir.  A.  P. 

—  Concerts-Colonne.  —  La  musique  de  la  Symplionie  fantastique  est  essen- 
tiellement française  et  révolutionnaire.  Sentimentale  par  son  introduction 


LE  MENESTREL 


381 


dont  le  thème  fut  écrit  à  douze  ans  par  Berlioz  sur  des  paroles  de  Florian  : 
d'un  caractère  absolu  de  grâce  affectueuse  et  d'élégance  mondaine  dans  la 
scène  du  bal  :  empanacbée  et  sarcaslique  à  la  mode  de  1830  avec  son  Sabbat 
et  son  Dies  irœ  ;  d'un  pathétique  horrible  et  burlesque,  par  sa  Marche  au 
supplice,  cette  œuvre  mêle  encore,  avec  une  supériorité  de  poésie  et  d'art 
digne  de  Beethoven,  les  voix  calmes  de  la  nature  aux  orages  des  passions 
agitées.  M.  Colonne  n'ayant  voulu  accorder  aucun  bis,  les  plus  enthousiastes 
de  ses  auditeurs  ont  protesté  par  des  cris  de  «  Vive  Berlioz  »  et  ont  réclamé 
tumultueusement  une  réaudition  immédiate  de  la  marche  funèbre  avant  le 
Veimsberg  de  Wagner,  qui  terminait  le  concert.  Berlioz  vieillard  aimait  Saint- 
Saëns  enfant.  L'enfant,  devenu  maître  à  son  tour,  a  écrit,  eu  1891,  Africa, 
fantaisie  pour  piano  et  orchestre.  M™  Roger-Miclos  a  fait  preuve,  dans  l'exécu- 
tion de  cet  ouvrage,  de  beaucoup  d'expérience  et  d'une  technique  merveil- 
leusement apte  à  tirer  parti  des  effets  que  l'auteur  a  ménagés.  Si  le  début  de 
Tandante,  une  seule  mesure,  a  laissé  à  désirer,  celui  du  finale  a  été  posé 
d'une  main  délicate  el  légère,  pourrait-on  dire,  si  toutes  les  deux  n'y  étaient 
nécessaires.  Partout  la  sonorité  a  été  excellente  avec  des  pianissimo  d'un 
velouté  exquis,  le  style  bien  approprié  et  les  traits  maintenus  dans  la  demi- 
teinte  requise  pour  conserver  à  l'ensemble  le  caractère  un  peu  rêveur,  voilé 
même,  de  certains  chants  mauresques  dont  l'auteur  semble  avoir  volontiers 
accueilli  l'influence.  Le  succès  a  été  très  vif.  La  symphonie  en  si  mineur  de 
Schubert  a  causé  aussi  une  excellente  impression.  Elle  était  suivie  de  la  pre- 
mière audition  du  poème  symplionique  de  M.  Théodore  Dubois  dont  voici 
le  titre  et  le  programme  :  Adonis.  L  Mort  d'Adonis  (Douleur  d'Aphrodite). 
II.  Déploration  des  nymphes.  III.  Héveil  d'Adonis  (Renouveau  de  la  vie  —  le 
Printemps).  Adonis  est  le  dieu  phénicien  Thammuz  contre  lequel  a  tonné 
Ezéchiel  ;  il  eut  pour  mère  Myrrha  qui  fut  changée  en  arbre,  et  c'est  de  cet 
arbre  que  sortit  Adonis.  Adopté  par  les  Hellènes,  il  fut  oublié  par  Homère, 
mais  Hésiode  et  Sapho  l'ont  chanté.  C'est  elle  qui  a  créé  le  vers  dit  adonique, 
dont  le  type  est  bien  connu  des  musiciens.  Ce  vers  termine  en  effet  la  strophe 
de  l'hymne  à  saint  Jean-Baptiste  qui  a  fourni  les  notes  de  la  gamme  : 

Ut  queant  la.xis  lesonare  libris 
il/tra  gestorum  famali  luoriim 
Solve  poUuLi  tabii  reatum, 
Sancte  Johannes. 

Le  culte  d'Adonis  était  célébré  à  Eleusis  au  solstice  d'été.  Il  consistait  en 
fêtes  joyeuses  et  funèbres.  Les  femmes  et  les  jeunes  filles  semaient  dans  des 
corbeilles  des  graines  à  germination  rapide,  orge,  blé,  laitue,  et  l'on  apportait 
ces  offrandes  éphémères  du  dieu  symbole  du  printemps,  dont  le  sang  avait 
fait  pousser  les  roses  et  les  pleurs  l'anémone.  De  là  l'expression  proverbiale 
appliquée  aux  choses  d'une  existence  bàtive  et  passagère:  Cela  durera  autant 
que  les  jardins  d'Adonis.  L'ouvrage  de  M.  Théodore  Dubois  est  d'un  beau 
sentiment,  d'une  facture  simple  et  distinguée  et  d'une  orchestration  parfois 
d'un  grand  charme,  comme  le  comporlait  le  sujet.  L'efflorescence mélodique  y 
demeure  discrète  et  distinguée  sans  viser  à  de  gros  effets.  Cette  musique  est, 
avant  tout,  gracieuse  et  féminine.  Elle  ne  devait  être  que  cela. 

AjlÉDÉE  BOUTAIIEL. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  L'ordre  chronologique  dans  lequel  ces  concerts 
font  défiler  devant  leurs  auditeurs  les  symphonies  de  Beethoven  nous  a  pro- 
curé le  plaisir  de  réenlendre  la  quatrième  symphonie  du  maître,  qu'on  exé- 
cute trop  rarement.  L'adagio  à  lui  seul  cependant  devrait  suffire  à  lui  assurer 
une  place  plus  stable  dans  les  programmes  de  nos  concerts,  et  la  dernière 
partie  aussi  est  marquée  de  la  griffe  du  lion.  Excellemment  interprétée,  la 
symphonie  a  été  vivement  applaudie.  —  Deux  œuvres  symphoniques  à 
programme  ont  suivi.  L'une  était  le  Rouet  d'Omphale  de  M.  Saint-Saëns,  œuvre 
lumineuse  et  charmante  que  nous  n'avons  qu'à  saluer  au  passage  ;  l'autre  la 
Schéhérazade  de  M.  Rimsky-Korsakof,  qui  sa  propose  de  condenser  en  qua- 
rante minutes  do  musique  les  fameux  récits  grâce  auxquels  la  sultane  a  pu 
amuser  son  farouche  mari  pendant  mille  et  nue  nuits  consécutives.  Heureu- 
sement ce  programme  n'est,  comme  on  sait,  qu'un  prétexte  pour  nous  placer 
devant  une  espèce  de  kaléidoscope  musical  ;  des  mélodies  orientales  y  com- 
posent, en  passant  par  les  plus  originales  combinaisons  orchestrales  qu'on 
puisse  imaginer,  des  mosaïques  chatoyantes  et  fort  agréables.,.,  à  entendre. 
L'orchestre  y  a  remporté  un  triomphe  mérité.  —  Un  ancien  élève  de  Liszt, 
un  véritable  et  non  pas  un  de  ceux  que  le  maître  appelait  plaisamment  ses 
«  quasi-élèves  »,  M.  Emile  Sauer,  s'est  fait  entendre  dans  un  concerto  pour 
piano  de  sa  façon.  M.  Sauer  a  quitté  en  1884,  croyons-nous,  son  incompa- 
rable maître  ;  mais  nous  avons  retrouvé  dans  son  mécanisme  à  toute  épreuve 
et  dans  sa  virtuosité  de  bon  aloi  les  admirables  traditions  de  l'école  de  Liszt. 
Le  succès  de  M.  Sauer  comme  exécutant  a  été  des  plus  justifiés;  comme 
compositeur,  l'artiste  a  été  moins  heureux.  Son  concerto  manque  d'originalité 
et  est  vraiment  trop  «  vieux  jeu  »  ;  l'instrument  concertant  y  prend  la 
parole  et  la  garde  tout  le  temps  sans  accorder  à  l'orchestre  sa  part  légitime 
dans  la  conversation.  Dans  la  Cavaline,  on  assiste  même  à  un  monologue  du 
pianiste  à  peine  interrompu  par  quelques  interjections  de  l'orchestre.  En 
jouant  une  œuvre  de  Liszt,  M.  Sauer  nous  eût  causé  un  plaisir  bien  plus 
vif.  —  Le  concert  a  clôturé  par  la  transcription  de  l'Invitation  à  la  Valse  de 
Weber,  que  M.  Weingartner  a  tenté  d'orchestrer  après  Berlioz  et  qu  il  a 
accompagnée  d'un  véritable  plaidoyer  qui  ne  nous  a  pas  convaincu  ;  nous  ne 
voyons  pas  l'utilité  de  cette  «  transposition  d'art  »,  comme  disait  Théophile 
Gauthier.  Le  pastel  délicat  de  Weber  ne  gagne  vraiment  pas  à  être  dénaturé 
par  la  pléthore  de  couleurs  orchestrales  dont  on  a  gonflé  ses  contours; 
quelques  petits  changements  au  dessin  original  paraissent  également  fort 
sujets  à  caution.  Le  romantisme  délicieux  de  l'auteur  du  Freisclnitz  est  rem- 


placé là  par  une  maestria  regrettable  de  virtuose  ;  c'est  le  plus  clair  résultat 
de  cette  transposition.  L'bonnéte  et  puérile  impartialité  nous  oblige  cepen- 
dant à  constater  que  le  tripatouillage  de  M.  Weingartner  a  beaucoup  plu  à  la 
grande  majorité  du  public.  0.  Berggruen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  postorale  (Beethoven).  —  Chœur  de  Colinette  à  la  Cour 
(Grétry).  —  Chœorde  Blanche  de  Proience  (Chei-ubini).  —  Chœur  des  Nymphes  de  PsycM 
(A.  Thomas).  —  Ouverture  inédite  (Mozart).  —  Suite  pour  orchestre,  op.  49  (Saint-Saëns). 
—  Adcramus  te  (Corai).  —  "Vere  languores  nostros  (Lotti).  —  Sanetus  (Lolli).  —  Ouverture 
du  Freiscliiitz  (Weber). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Cinquième  symphonie,  en  ré  mineur  (César  Francis).  —  Le 
Rêve  d'Eisa  de  Loliengrin  (Wagner),  chanté  par  M"»  Rose  Caron.  —  Ouverture  des  Bar- 
bares (C.  Saint-Saëns).  —  .4ir  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  par  M""  Rose  Caron.  — 
Préludes  de  l'Ourtjgan  [A.  Bruneau). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux  :  Cinquième  symphonie,  m  ut  mineur  (Beetho- 
ven). —  Mélodies  (de  Saint-Quentin),  chantées  par  51""  Vicq.  —  Concerto  pour  deux  vio- 
lons (Bach),  par  MM.  Sechiari  et  Soudant.  —  Ouverture  de  Tannhauser  (Wagner).  —  Air 
des  Noces  de  Figaro  (Mozart),  par  M"'  Vicq.  —  Le  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn) . 

—  Jeudi  dernier,  au  Nouveau-Théâtre,  inauguration  de  la  cinquième 
année  des  Concerts-Colonne.  Le  programme  explicatif  de  la  séance  nous 
faisait  connaître  les  idées  déterminantes  qui  régleront  cette  fois  le  cours  de 
la  saison.  «  M.  Colonne  se  propose  de  passer  en  revue  la  musique  vocale  et 
instrumentale,  en  exécutant  des  morcoiux  typiques  qui  résument  en  quelque 
sorte  le  caractère  essentiel  de  chacun  des  genres,  tels  que  l'ouverture,  la 
sonate,  le  lied,  etc.,  sans  distinction  d'école  ni  de  nationalité,  dans  le  passé 
comme  dans  le  présent.  Pour  atteindre  ce  but  et  donner  à  ses  dix  séances 
une  physionomie  spéciale,  il  a  résolu  d'aHopter  pour  chacune  d'elles  une 
forme  unique;  c'est  ainsi  qu'elles  se  succéderont  dans  l'ordre  suivant  :  i"  et 
6'  concerts  :  soli  vocaux  et  instrumentaux;  2«  et  1'^,  duos;  3'  et  8'=,  trios; 
4=  et  9»,  quatuors,  5=  et  10=,  quintettes,  toujours  pour  voix  ou  instruments. 
En  outre,  quelques  numéros  d'orchestre  serviront  d'entrée,  d'intermède  ou 
de  conclusion;  là  encore  on  s'efforcera  de  produire  concurremment  des  ouvrages 
anciens  et  modernes,  en  se  conformant  autant  que  possible  à  l'ordre  chro- 
nologique et  en  adoptant  de  préférence  pour  chaque  auteur  un  de  ses  ouvrages 
caractéristiques.  Ce  sera  comme  une  excursion  rapide  à  travers  l'histoire  de 
la  musique  du  XVII»  au  XX»  siècle.  »  Pour  justifier  ce  programme,  le  pre- 
mier concert  nous  faisait  entendre  eu  effet  plusieurs  solistes.  Après  une 
ouverture  de  Purcell  :  Fête  pour  le  jour  de  Sainte  Cécile,  intéressante  et  vrai- 
ment curieuse  dans  sa  forme  archaïque,  nous  avons  eu  M.  Léon  Salzédo,  ce 
gentil  adolescent  qui,  on  se  le  rappelle,  a  remporté  dans  la  même  journée, 
aux  derniers  concours  du  Conservatoire,  les  deux  premiers  prix  de  harpe  et 
de  piano.  Il  a  exécuté  d'abord  sur  le  piano,  assez  médiocrement,  l'étude  en 
ut  i  mineur  de  Chopin,  d'une  façon  brillante  et  avec  éclat  la  11°  Eapsodie  de 
Liszt.  Puis  il  est  revenu,  à  la  fin  du  concert,  jouer  sur  la  harpe  le  Caprice  de 
M.  Pierné  qui  lui  avait  valu  son  premier  prix.  Son  succès  a  été  très  vif. 
M.  Emile  Cazeneuve  a  chanté  avec  style  l'air  admirable  des  Abencérages,  de 
Chorubini,  et  le  Chant  d'amour  de  l'^  Yalhjrie.  M.  Oliveira  s'est  fait  ensuite 
très  vigoureusement  et  très  justement  applaudir  pour  sa  très  remarquable 
exécution  d'une  Gavotte  et  Prélude  de  Bach  pour  violon  seul;  mais,  avec  tout 
le  respect  que  l'on  doit  au  grand  nom  de  Bach,  j'émettrai  l'avis  qu'un  accom- 
pagnement de  piano,  fait  habilement  et  avec  la  discrétion  voulue,  est  indis- 
pensable à  des  compositions  de  ce  genre,  le  violon  ne  pouvant  décidément 
se  suffire  à  lui-même.  A  plus  forte  raison  en  dirai-je  autant  du  Printemps,  la 
sonate  de  Vivaldi  fort  habilement  jouée  sur  la  flûte  par  M.  Blanquart,  ce 
dernier  instrument  plus  encore  que  le  violon  réclamant  impérieusement  un 
soutien.  Applaudissements  aussi  pour  M.  Forest,  qui  a  délicieusement  exé- 
cuté le  solo  de  violon  du  Menuet  du  Bourgeois  gentilhomme  de  Lully,  et  pour 
une  cantatrice  norvégienne,  M"'  Hildur  Fjord,  qui  nous  a  fait  entendre  trois 
mélodies  de  Grieg. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Le  comité  berlinois  du  monument  de  Richard  Wagner  ayant  laissé  la 
décision  définitive  à  l'empereur  Guillaume  II,  celui-ci  a  choisi  le  projet  do 
M.  Eherlein  qui  avait  obtenu  le  premier  prix,  mais  il  a  ordonné  certaines 
modifications  indiquées  dans  une  esquisse  dessinée  par  lui-même.  La  presse 
berlinoise  n'est  pas  très  contente  du  projet  Eberlein.  Elle  prétend  que  le 
monument  sera  bien  banal. 

—  M.  Richard  Strauss  vient  d'introduire  à  l'Opéra  Royal  de  Berlin  un  nou- 
vel arrangement  de  Don  .Juan,  basé  sur  l'excellente  traduction  allemande  qu'on 
doit  au  défunt  chef  d'orchestre  wagnérien  Hermann  Levi.  M.  Strauss  accom- 
pagnait en  personne  au  piano  les  récitatifs;  ce  retour  au  bon  vieux  temps  de 
Mozart  a  produit  un  bon  efi'et.  Malheureusement,  les  solistes  n'étaient  pas 
tous  à  la  hauteur  de  leur  lâche;  donna  Anna  et  donna  EIvîre  laissaient  no- 
tamment beaucoup  à  désirer. 

—  Un  des  anciens  familiers  de  Bismarck,  l'ambassadeur  Robert  do  Keu- 
dell,  vient  de  publier  ses  mémoires,  où  il  s'occupe  surtout  du  prince  Bis- 
marck et  de  sa  femme.  Bismarck  était  grand  amateur  de  musique  et,  sans 
avoir  fait  d'études,  il  chantait  agréablement,  d'une  jolie  voix  de  basse.  Sa 


382 


LE  MENESTREL 


femme  était  bonne  pianiste,  et  dans  les  premières  années  de  leur  mariage 
Bismarck  aimait  beaucoup  l'entendre  jouer.  Parmi  les  grands  musiciens 
il  appréciait  Bach,  mais  n'aimait  réellement  que  Beethoven,  qu'il  appelait 
«  Beethchen  ».  se  servant  ainsi  d'un  tendre  diminutif  allemand.  Il  avait 
surtout  un  faible  pour  les  sonates  op.  '21,  n'^  l  et  57:  mais  il  les  connaissait 
toutes  et  ies  reconnaissait  même  dès  les  premières  mesures.  Mozart  n'avait 
aucune  prise  sur  lui  ;  il  avait  l'habitude  de  dire  :  «.  La  musique  de  Mozart  ne 
m'impressionne  pas  ;  celle  de  Beethoven  convient  beaucoup  plus  à  mon  système 
nerveux.  »  Il  détestait  les  concerts  à.  cause  de  l'argent  qu'il  y  fallait  débour- 
ser et  de  la  place  étroite  qu'on  y  devait  occuper,  entouré  de  voisins,  k  La 
musique  devrait  être  donnée  comme  l'amour  «  disait  souvent  Bismarck. 
Excellente  théorie  pour  les  amateurs,  mais  que  les  professionnels  goûteraient 
moins. 

—  La  caisse  de  retraites  de  l'Opéra  Impérial  de  Vienne,  qui  se  trouve  dans 
une  situation  financière  assez  précaire,  organise  plusieurs  solennités  musi- 
cales dont  le  produit  est  destiné  à  lui  jrocurer  des  ressources.  Parmi  ces 
solennités  figure  une  exécution  de  la  Marie- Magdeleine  de  Massenet.  La  com- 
tesse de  ICielmannsegg,  femme  du  statthalter  de  Vienne,  qui  est  à  la  tète  du 
comité,  invitera  le  mailre  français  à  venir  diriger  en  personne  son  œuvre  au 
mois  de  mars  prochain  et  on  espère  qu'il  acceptera  l'invitation,  L'Opéra 
Impérial  profitera  de  sa  présence  pour  jouer  Manon  et  Werther,  deux  œuvres 
qui  ont  droit  de  cité  au  répertoire  et  n'ont  jamais  quitté  l'affiche  depuis  le 
jour  ovi  on  les  a  données  pour  la  première  fois. 

—  Une  nouvelle  symphonie  de  M.  Gustave  Mabler,  la  quatrième,  vient 
d'être  exécutée  aux  concerts  Kaim,  de  Munich,  soua  la  direction  de  l'auteur. 
Dans  la  quatrième  partie  est  intercalé  un  solo  pour  soprano  sur  des  paroles 
empruntées  à  une  célèbre  collection  de  chansons  populaires  d'Allemagne. 
C'est  aussi  un  hymne  à  la  joie,  mais  d'un  autre  genre  que  celui  de  Beetho- 
ven; le  poème  débute  par  les  paroles  :  «  Nous  jouissons  des  joies  célestes  ». 
Les  amateurs  i  conservateurs  »  dans  les  loges  et  aux  fauteuils  de  l'orchestre 
n'ont  pas  beaucoup  goûté  la  nouvelle  symphonie  et  ils  sont  restés  froids, 
tandis  que  la  jeunesse  du  paradis  applaudissait  à  tout  rompre.  L'orchestre 
des  concerts  Kaim  va  commencer  une  tournée  en  Allemagne  sous  la  direc- 
tion de  M.  Weingartner  et  jouera  partout  cette  quatrième  symphonie  de» 
M.  llabler  ;  nous  serons  alors  fixés  sur  le  vox  popidi  d'Allemagne. 

—  Les  Anglais,  grâce  à  l'étonnante  humanité  et  aux  procédés  pleins  de 
noblesse  qu'ils  déploient  dans  leur  guerre  contre  les  Boers,  continuent  de 
s'attirer  les  sympathies  générales.  A  preuve,  le  petit  fait  qui  vient  de  se 
produire  en  Autriche,  à  Innsbruck,  où  une  jeune  artiste,  miss  Mary  Halton, 
annoncée  comme  devant  jouer  le  rôle  principal  de  Son  Toy,  allait  être, 
parait-il,  le  prétexte  et  l'objet  d'une  formidable  manifestation  antianglaise. 
Le  directeur  du  théâtre,  M.  Lasca,  un  peu  effrayé  de  cette  perspective,  s'est 
TU  obligé  de  se  présenter  devant  le  public  et  de  lui  adresser  le  petit  discours 
que  voici  :  —  «  On  m'apprend  qu'une  partie  des  spectateurs  a  l'intention  de 
manifester  contre  miss  Mary  Halton,  parce  qu'elle  chante  quelques  airs  en 
anglais.  Je  me  permets  de  porter  à  votre  connaissance  que  miss  Halton  n'e.=;t 
pas  Anglaise,  mais  fille  de  la  libre  Amérique.  Vous  auriez  tort  de  rendre 
cette  jeune  artiste  responsable  de  ce  que  la  langue  anglaise  est  la  langue 
officielle  des  États-Unis,  et  je  vous  supplie  de  ne  pas  manifester  contre  elle.  » 
Et  miss  Halton  fut  alors  applaudie  avec  fureur.,.,  parce  qu'elle  était  Amé- 
ricaine. 

—  On  annonce  officieusement,  comme  nous  l'avons  fait  entrevoir,  que  la  paix 
est  conclue  entre  Bayreulh  et  le  théâtre  du  Prince-Régent  de  Munich.  A  Bay- 
reuth  on  ne  jouera  ni  en  1903  ni  en  I90-i,  et  pendant  ces  deux  années  le  théâtre 
wagnérien  de  Munich  pourra  représenter  l'Anneau  du  Nibelung  dans  sa  tota- 
lité. En  dehors  de  cette  concession,  M.  Siegfried  Wagner  a  promis  au  théâtre 
de  Munich  la  primeur  du  nouvel  opéra  qu'il  est  en  train  d'écrire  et  qui  sera 
joué  vers  la  Noël  de  1902.  Un  journal  allemand  qui  reproduit  cette  nouvelle 
fait  remarquer  que  les  droits  d'auteur  de  Munich  valent  infiniment  mieux 
que  le  déficit  accoutumé  de  Bayreuth  et  que  le  cycle  des  Nibelungen  rapportera 
beaucoup  d'argent  à  Bayreuth...  quand  il  sera  joué  à  Munich. 

—  Le  Théàtre-Royal  de  Munich  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès  un 
opéra  inédit  intitulé  la  nouvelle  Mam'zdte,  paroles  de  M,  Frédéric  Leber 
musique  de  M.  Joseph  M.  Weber,  premier  violon  de  l'orchestre  de  ce  théâtre. 

—  L'orchestre  Kaim,  de  Munich,  vient  d'être  engagé  pour  une  tournée  de 
trente  concerts  aux  Etats-Unis  sous  la  direction  de  M.  Félix  Weingartner. 

—  Le  Manque  de  feu  (Die  Feuersnoth),  l'opéra  en  un  acte  de  M.  Richard 
Strauss  dont  on  a  tant  parlé,  vient  d'être  joué  à  l'Opéra  Royal  de  Dresde  et  a 
remporté  un  très  grand  succès.  Le  livret,  dû  à  M.  Ernest  de  Wolzogen,  est 
tiré  d'une  vieille  légende  hollandaise  que  l'auteur  a  transplantée  en  Bavière; 
les  paroles  sont  écrites  en  patois  bavarois,  que  les  Saxons  comprennent  fort 
peu.  M.  de  Scbuch  a  dirigé  en  personne  l'œuvre  de  son  confrère,  et  le  bary- 
ton Scheidemantel  a  été  remarquable  dans  le  rôle  du  sorcier  qui  prive  une 
ville  du  feu  et  de  la  lumière  jusqu'au  moment  où  la  plus  belle  fille  de  l'en- 
droit 0  couronne  sa  flamme  »,  comme  on  disait  autrefois.  La  nouvelle  œuvre 
avait  excité  une  grande  curiosité;  une  partie  de  la  salle  était  occupée  par 
des  directeurs  d'opéra,  critiques  musicaux  et  journalistes  de  tous  les  pays 
d'Allemagne  et  d'Autriche. 

—  On  vientd'inaugurerle21  novembre  dernier,  date  anniversaire  de  la  mort 
de  Rubinstein,  une  chapelle  orthodoxe  construite  au-dessus  de  son  tombeau 
au  cimetière  de  Saint-Pétersbourg.  Les  admirateurs  russes  du  mailre  ont 


fourni  les  fonds  nécessaires.  Dans  la  chapelle  a  été  placé  on  buste  de 
Rubinstein,  don  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  que  l'artiste  avait 
dirigé. 

—  On  vient  de  célébrer  avec  éclat,  à  Saint-Pétersbourg,  le  130=  anni- 
versaire de  la  naissance  du  célèbre  compositeur  Bortniansky,  qui  est  l'une 
des  gloires  musicales  de  la  Russie.  Remarqué  dès  l'âge  de  sept  ans  pour 
sa  jolie  voix,  il  fut  confié  par  l'impératrice  Elisabeth  aux  soins  de  Galuppi, 
maitre  de  la  musique  impériale.  Lorsque  Galuppi  quitta  la  Russie  en  17(18, 
l'impératrice  Catherine  envoya  l'élève  rejoindre  son  maitre  à  Venise  pour 
y  terminer  son  éducation.  De  Venise,  et  sur  les  conseils  de  Galuppi  lui- 
même,  Bortniansky  alla  étudier  à  Bologne,  à  Rome  et  à  Naples.  Pendant 
les  onze  années  qu'il  passa  ainsi  en  Italie,  il  commença  à  écrire  uu  assez 
grand  nombre  de  compositions  :  musique  d'église,  sonates  de  clavecin,  piè- 
ces diverses,  etc.  De  retour  en  Russie  en  1779,  il  fut  bientôt  nommé  direc- 
teur du  chœur  des  chantres  qui,  en  1796  seulement,  reçut  le  titre  de  «  cha- 
pelle impériale  ».  Il  en  conserva  la  direction  jusqu'à  sa  mort,  c'est-à-dire 
pendant  près  d'un  demi-siècle,  et  c'est  alors  qu'il  acquit  la  juste  célébrité 
qui  s'attache  à  son  nom  et  qui  le  fit  surnommer  le  Palestrina  de  la  Russie. 
K  Dans  tout  ce  qu'il  avait  produit  jusqu'à  son  retour  en  Russie,  dit  Fétis,  il 
s'était  inspiré  de  la  musique  italienne  de  son  temps;  ce  ne  fut  qu'à  Saint- 
Pétersbourg  que  son  génie  se  révéla  dans  ce  qui  constituait  son  originalité. 
Le  chœur  qu'il  était  appelé  à  diriger  avait  été  organisé  sous  le  rogne  du  tsar 
Alexis  Mikailovitch;  mais,  quoique  déjà  ancien,  il  laissait  beaucoup  à  désirer 
pour  la  qualité  des  voix  et  pour  le  fini  de  l'exécution.  Bortniansky  fit  venir 
des  chanteurs  de  l'Ukraine  et  des  diverses  provinces  de  l'empire,  choisissant 
les  voix  les  plus  belles,  et  les  dirigeant  par  degrés  vers  une  exécution  par- 
faite dont  on  ne  prévoyait  pas  même  la  possibilité  avant  lui.  C'est  par  les 
soins  de  cet  artiste  remarquable  que  la  chapelle  impériale  de  Russie  est  par- 
venue à  l'excellence  qui  est  aujourd'hui  l'objet  de  l'admiration  de  tous  les 
artistes  étrangers.  »  C'est  pour  le  chœur  admirable,  formé  et  dirigé  par  lui 
avec  un  si  grand  sens  artistique,  que  Bortniansky  écrivit  de  si  belles  et  si 
nombreuses  compositions  :  -iS  psaumes  complets  à  4  et  8  parties,  dont  les 
inspirations  et  le  caractère  sont  d'une  originalité  saisissante,  une  Messe  grec- 
que à  3  parties,  beaucoup  de  pièces  diverses  et,  entre  aulres,  une  suite  de 
morceaux  appelés  Chants  des  Séraphins  et  qui,  a  dit  un  critique,  méritent  leur 
titre,  tellement  ils  sont  empreints  d'une  lumineuse  splendeur  et  revêtent, 
dans  leur  grandeur  tranquille,  un  caractère  d'auguste  et  paisible  sérénité. 
Tel  est  le  grand  artiste  à  la  mémoire  duquel  ses  compatriotes  viennent  de 
rendre  un  hommage  légitime,  l'artiste  auquel  la  chapelle  impériale  doit  sa 
réorganisation,  son  complet  développement  et  la  perfection  d'une  exécution 
sans  rivale  et  sans  analogue  dans  aucun  pays,  le  compositeur  qui,  par  ses 
œuvres,  a  porté  la  musique  religieuse  en  Russie  à  son  plus  haut  point  de 
splendeur.  A,  P. 

—  Une  scène  comique  s'est  produite  dernièrement  au  théâtre  de  Roveredo 
(Tyrolj.  Selon  la  mauvaise  habitude  italienne,  le  public  de  cette  ville  qui  est 
presque  exclusivement  composé  d'Italiens  ne  cesse  de  causer  et  de  rire  pen- 
dant les  représentations  théâtrales,  comme  cela  arrive  à  Milan  et  à  Rome. 
Or,  le  théâtre  de  Roveredo  avait  préparé  une  reprise  très  soignée  de 
Tannhduser,  et  le  chef  d'orchestre,  M.  Tango,  était  indigné  de  constater  que 
le  public  se  souciait  de  la  musique  comme  une  carpe  d'une  orange  et  ne 
discontinuait  pas  de  s'amuser  bruyamment.  Pendant  un  passage  de  l'air 
d'Elisabeth  chanté  pianissimo  on  entendit  subitement  une  jeune  voix  perçante 
dire  :  «  Ma  chère,  je  vous  présente  mon  fiancé  ».  Et  le  chef  d'orchesire  de 
crier  sans  cesser  de  battre  la  mesure  :  «  Enchanté,  Monsieur,  do  faire 
votre  connaissance  ».  L'ell'et  de  ces  paroles  fut  immédiat;  un  grand  silence 
se  fit  et  Elisabeth  put  terminer  son  air  sans  encombre.  Mais  à  la  représen- 
tation suivante  le  public  prit  sa  revanche  et  les  commérages  recommencèrent 
de  plus  belle.  Naturan  expellas  frustra... 

—  De  Genève  :  M'"^  Jeanne  Raunay  a  donné  dans  la  salle  du  Conservatoire 
une  audition  de  lieder  de  Schumann,  Schubert,  Duparc,  Delibes  et  Berlioz  :1e 
public  genevois,  qui  l'entendait  pour  la  première  fois,  a  prodigué  ses  accla- 
mations à  l'éminente  artiste.  Au  même  concert  se  sont  fait  applaudirM.  Louis 
Rey,  violon  solo  de  l'orchestre  de  Genève,  et  M.  Jemain,  pianiste,  professeur 
au  Conservatoire  de  Lyon,  qui  ont  intei-prété  avec  ampleur  et  style  la  sonate 
de  César  Franck.  M.  Jemain  s'est  aussi  produit  comme  compositeur  dans 
une  romance  pour  le  violon  et  plusieurs  pièces  de  piano  qui  ont  été  fort 
goûtées. 

—  C'est  le  16  novembre  qu'a  eu  lieu  à  Milan,  dans  la  nouvelle  salle  à 
laquelle  on  a  donné  le  nom  de  salon  Perosi  (ancienne  église  délia  Pace),  la 
première  exécution  de  Mosé,iia.  nouvelle  œuvre  de  don  Lcrenzo  Perosi,  écrite 
par  lui  non  plus  sur  un  tex(e  latin  tiré  des  Écritures,  mais  sur  un  livret  'de 
MM.  Cameroni  et  Groci.  Ce  n'est  plus  un  oratorio,  mais  un  véritable  drame 
lyrique,  dont  le  pathétique  et  la  passion  sont  loin  d'être  exclus,  et  qui  parait 
avoir  produit  sur  ses  auditeurs  une  impression  considérable.  En  réalité,  le 
succès  a  été  très  grand.  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet. 

—  On  vient  de  publier  le  programme  du  prochain  festival  musical  de 
Sheffield,  qui  offrira  plusieurs  œuvres  nouvelles  :  une  cantate  lirée  de  la 
légende  du  roi  Arthur,  intitulée  Garcth,  par  M,  Coward;  une  autre  cantate, 
Meg  Blane,  par  M.  Coleridge  Taylor,  et  la  Reine  de  Saha,  de  M.  Goldmark,  en 
forme  d'oratorio.  Le  lord  chambellan,  qui  exerce  en  Angleterre  les  fonctions 
de  censeur,  a,  en  effet,  interdit  la  représentation  scénique  de  cette  œuvre 
parce  que  son  sujet  est  tiré  de  la  bible  et  n'est  autorisé  que  sous  forme  d'o- 


LE  MENESTREL 


383 


ratorio.  Une  mésaventure  pareille  est  arrivée,  on  se  le  rappelle,  au  Sainson  et 
Dalila  de  M.  Saint-Saëns. 

—  De  New- York  :  La  feuille  des  abonnements  pour  la  «  opéra  seasou  », 
qui  ouvre  le  25  décembre,  vient  d'être  close.  Les  représentalions  seront  au 
nombre  de  quarante-quatre.  Le  répertoire  comprend  l'Elisire  d'Amore,  avec 
MP"  Sembrich  ;  la  Navairaise,  avec  M""^  Galvé  ;  Manon,  avec  M"»  Sanderson  ; 
un  Ballo  in  Maschera,  avec  M™»  Ternina,  ainsi  que  l'Otelh  de  Verdi,  Eroe  Lean- 
dro,  de  Mancinellit  la  Tosca,  de  Puccini,  et  Manru.  de  Paderewski.  On  parle 
aussi  d'organiser  un  «  cycle  Verdi  »  et  de  monter  Thaïs,  si  Sibyl  Sander- 
son consent  à  prolonger  son  engagement. 

—  Une  troupe  américaine,  dirigée  par  MM.  Klaiv  et  Erbenger,  vient  de 
donner  sur  un  des  théâtres  de  Londres  une  série  de  représentations  très 
fructueuses  d'une  grande  machine  à  grand  spectacle,  intitulée  la  Belle  et  la 
Bête,  qui  nécessite  uu  matériel  scénique  dont  on  va  cumprendre  l'importance. 
Pour  ramener  à  New-York  non  seulement  leur  personnel,  mais  le  matériel 
en  question,  les  deux  managers  ont  dii  noliser  un  navire  à  eux  exclusivement 
réservé.  Sur  ce  navire  on  a  chargé  78  caisses  de  costumes,  100  caisses  d'ar- 
mes, 269  caisses  d'accessoires  de  toutes  sortes,  et  208  caisses  contenant 
28.000  cristaux  qui  forment  l'ossature  d'un  immense  palais  féerique.  Le  tout 
sans  préjudice  de  la  garde-robe  et  des  bagages  particuliers  des  acteurs  et  des 
danseuses  qui  composent  le  personnel  de  la  troupe. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  hier  samedi  qu'a  eu  lieu,  au  théâtre  du  Ghâtelet,  l'exécution  de  la 
Vision  de  Dante,  de  M.  Raoul  Brunel,  l'œuvre  couronnée  au  dernier  concours 
musical  de  la  ville  de  Paris.  La  Vision  de  Dante  est  un  grand  poème  sympho- 
nique  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  paroles  de  MM.  Eugène  et  Edouard 
Adenis,  qui  met  en  action  la  Divine  Comédie  avec  ses  trois  parties,  l'Enfer,  le 
Purgatoire  et  le  Paradis,  précédée  d'un  prologue  choral  et  terminée  par  un 
épilogue.  Les  interprètes  étaient  M""=  Jeanne  Raunay  (Béatrice,  Francesca,  la 
Sirène),  M.  Rousselière  (Dante),  M.  Paul  Daraux  (Virgile),  et  M.  David  (Paolo). 
L'orchestre  et  les  chœurs,  comprenant  2S0  exécutants,  étaient  ceux  des  con- 
certs Lamoureux,  dirigés  par  M.  Camille  Ghevillard.  Le  crédit  affecté  par  la 
Ville  à  l'exécution  a  été  porté,  en  raison  de  l'importance  de  l'œuvre  et  du 
personnel  nombreux  qu'elle  nécessitait,  à  12.000  francs,  y  compris  la  prime 
de  3.000  francs  attribuée  à  M.  Brunel.  Nous  rendrons  compte  dimanche  pro- 
chain de  cette  séance  intéressante. 

—  Les  représentations  de  Grisélidis  se  sont  continuées,  toute  cette  semaine, 
excessivement  brillantes  devant  les  salles  combles  qu'on  peut  supposer.  Pour 
les  recettes  on  parle  de  «  maxima  »  qui  n'ont  pas  encore  été  atteints.  L'œuvre 
et  ses  remarquables  interprètes  (M"=  Bréval,  MM.  Fugère,  Maréchal  et 
Bufranne,  un  quatuor  de  grand  choix)  voient  leur  succès  grandir  encore  à 
chaque  représentation.  Les  prochaînes  soirées  sont  fixées  aux  mardi  3 , 
jeudi  5,  vendredi  6,  lundi  9,  mercredi  11  et  vendredi  13  décembre. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Gomique  :  en  matinée. 
Mignon;  le  soir,  Carmen.  —  Demain  lundi,  pour  les  «  abonnements  de 
famille  »,  Mireille. 

—  M.  Albert  Garré  va  organiser  à  l'Opéra-Gomique  une  série  de  confé- 
rences musicales  sous  le  titre  de  «  la  Littérature  et  la  Musique  »,  dans  les- 
quelles sera  passée  en  revue  toute  l'histoire  du  drame  lyrique  en  France 
depuis  sa  création  jusqu'au  commencement  duXIX'siècle.  M.  Vincentd'Indy 
parlera  des  «  Sujets  d'opéras  chez  LuUi,  Destouches  et  Rameau  »;  M  André 
Hallays,  de  a  Beaumarchais  »;  M.  Ghantavoine,  de  «  Sedaine  »;  M.  L.  de 
Fourcaud,  de  «Jean-Jacques  Rousseau  et  des  Bouffons  »;  M.  Fiérens-Gevaert 
traitera  successivement  des  «  Librettistes  de  Gluck  et  des  librettistes  de 
Grétry  ».  Les  meilleurs  artistes  de  l'Opéra-Gomique  se  feront  entendre  au 
cours  de  ces  séances,  dont  la  première  aura  lieu  au  commencement  de  jan- 
vier, avec  le  concours  de  M™s  Raunay  et  Thiéry. 

—  M.  Albert  Carré  a  reçu  un  opéra  en  un  acte  et  deux  tableaux  de 
M.  Benedictus  :  la  Sonate  du  Clair  de  Lune.  Cette  œuvre  met  en  scène  une 
très  poignante  aventure  d'amour  dont  Beethoven  fut  le  héros  il  y  aura  un 
siècle  ces  jours-ci.  L'amoureuse  est  la  fameuse  Guicciardi,  à  qui  l'admirable 
sonate  est  dédiée  et  dont  le  maitre  fut  passionnément  épris.  Le  livret  est  de 
M">=  Judith  Gautier. 

—  M.  Camille  Saint-Saèns  a  quitté  Paris  hier  soir,  se  rendant  à  Cannes. 
Après  un  séjour  d'une  quinzaine  sur  la  Gôte  d'Azur,  l'auteur  des  Barbares 
se  dirigera  vers  l'Egypte,  où  il  compte  hiverner  jusqu'au  beaux  jours.  Il  rap- 
portera de  là-bas,  entièrement  achevée,  la  partition  destinée  aux  arènes  de 
Béziers.  Attention,  Gailhard  !  Il  y  a  peut-être  là  encore  une  bonne  aubaine 
pour  l'Opéra.  Pourquoi  ne  pas  dépouiller  Béziers,  comme  il  a  été  fait  pour 
Orange?  Barbarisons  et  rebarbarisons. 

—  Et  voici  M.  Jean  de  Reszké  qui  parle.  Quel  malheur,  et  comme  il  est 
plus  agréable  de  l'entendre  chanter!  :  «  Siegfried  est  une  si  belle  chose,  dit-il 
dans  une  interwiew  prise  par  le  Figaro,  Richard  Wagner  a  écrit  d'une  façon 
si  limpide,  si  merveilleuse,  qu'il  n'y  a  qu'à  le  suivre  ponctuellement  pour  être 
dans  la  vérité.  En  Allemagne,  la  sévérité  de  la  prononciation  des  interprètes 
ne  traduit  pas  toujours  exactement  la  nuance  désirée  par  le  maitre.  'Voyez - 
vous,  il  faut  savoir  parler  les  trois  langues,  allemand,  français  et  itahen  pour 
bien  saisir  l'harmonie  du  son.  La  déclamation  en  Allemagne  est  faite  sou- 
vent au  détriment  de  la  phrase  exprimée;  or,  la  déclamation  lyrique  doit 


fréquemment  s'assouplir  au  contact  du  chant  et  les  notes  gutturales  céder  la 
place  à  une  prononciation  plus  douce,  etc.,  etc.  »  On  croirait  entendre 
M.  Victor  Maurel. 

—  Celui-ci  d'ailleurs  prend  immédiatement  sa  revanche  dans  le  même 
journal,  où  il  abat  courageusement  ses  trois  colonnes  pour  reprendre  la  théo- 
rie qui  lui  est  chère,  à  propos  du  professorat,  à  savoir  qu'on  ne  peut  faire  de 
bons  chanteurs  sans  connaître  ài'ond...  l'anatomie. C'est  pour  cela  que  le  Con- 
servatoire ne  peut  plus  fournir  de  grands  artistes  comme  lui,  Victor  Maurel. 
Une  classe  de  chirurgie  s'impose.  Tout  cela  est  bien  amusant.  Où  M.  Victor 
Maurel  prend-il  qu'on  ne  produit  plus  de  chanteurs  au  Conservatoire?  Nous 
voyons  au  contraire  nos  théâtres  peuplés  d'artistes  excellents  qui  en  sortent. 
Certes,  les  sujets  de  tout  premier  ordre,  sont  rares  là  comme  dans  tout  autre 
ordre  d'idées.  Et  on  ne  compte  guère  qu'un  Faure  et  qu'un  Duprez  dans  tout 
un  siècle,  comme  on  n'y  compte  qu'un  Hugo  ou  qu'un  Delacroix.  Mais  quels 
ont  été  les  résultats  de  l'enseignement  même  de  M.  Maurel?  Car  il  a  professé. 
Peut-il  nous  faire  connaître  les  noms  de  ses  illustres  élèves?  Et  lui-même, 
après  avoir  sondé  tous  les  mystères  de  l'anatomie,  qu'a-t-il  bien  fait  de  sa  pro- 
pre voix,  qui  n'a  jamais  passé  pour  bien  limpide  ni  bien  puissante? 

—  Au  déjeuner  qui  fut  offert  le  23  novembre  par  l'Association  des  artistes 
dramatiques  à  ceux  de  ses  membres  nouvellement  promus  dans  l'ordre  <le  la 
Légion  d'honneur  (deux  croix  d'ofQcier  pour  Faure  et  Albert  Carré,  une  de 
che-^alier  pour  Victor  Gapoul),  Coquelin,  le  président  de  l'Association,  prit  en 
ces  termes  la  parole  : 

...  Je  ne  dirai  qu'un  mot  de  chacun  d'eux.  De  vous  d'abord,  mon  cher  Carré,  qui, 
permettez-moi  de  vous  le  rappeler,  avez  été  un  peu  mon  enfant.  Vous  avez  fait  une  admi- 
rable cai-rière  de  directeur-artiste;  vous  servez  avec  un  goût  savant  le  mouvement  musi- 
cal moderne.  Continuez,  jusqu'à  ce  que  vous  soyez  appelé,  peut-être,  à  quelque  autre  grand 
devoir,  où  plus  que  jamais  je  vous  suivrai  de  mes  vœux.  A  l'avenir  et  à  la  santé  de 
notre  ami  Carré.  —  A  ta  santé  aussi,  mon  clier  Victor.  Cette  première  nomination  a 
été  bien  tardive,  mais  tu  avais  quitté  Paris  au  moment  où,  démolissant  le  dernier  pré- 
jugé qui  restait  encore  contre  les  artistes  dramatiques,  on  leur  ouvrait  enfin  leur  rang 
dans  la  Légion  d'Honneur!  Aujourd'hui,  comme  Carré,  tu  serais  officier.  IHais  tu  es  très 
jeune  encore  puisque  tu  as  le  même  âge  que  moi,  ton  camarade  de  promotion  au  Conser- 
vatoire. C'était  Ider,  n'est-ce  pas?  Et  cela  viendra  si  ta  vie  va  logiquement  vers  ses  desti- 
nées. Mes  amis,  buvons  à  l'artiste  délicieux,  au  camarade  exquis,  à  cet  entant  toujours 
chéri  des  dames.  A  la  santé  et  à  l'avenir  de  notre  cher  Victor  Capoul. 

Et  toi,  mon  grand,  mou  cher  Faure,  que  j'ai  gardé  pou''  le  dernier.  Tous  la  comprennent 
et  tous  la  partagent  inon  émotion  en  levant  notre  verre  en  ton  honneur!  Il  n'est  point 
d'éloge  assez  grand,  assez  haut  pour  toi.  Mais  rassure-toi;  je  n'inquiéterai  point  ta  mo- 
destie. Tu  me  permettras  seulement  de  me  rappeler  un  mot  qui  me  tut  dit  d'un  grand 
artiste  par  plusieurs  grands  artistes.  Ces  grands  artistes  s'appelaient  Samson,  Régnier, 
Bouffé,  Arnal,  ainsi  que  Numa,  qui  me  redisait  la  pensée  du  grand  Potier.  Le  grand  artiste 
s'appelait  Talma.  Je  leur  demandais  avec  une  curiosité  passionnée  ce  qu'il  avait  de  si 
extraordinaire  et  tous  me  répondaient  la  même  chose  :  il  avait  tontes  les  perfections.  Ce 
mot,  mon  cher  Faure,  nous  te  l'appliquons  tous.  Nous  saluons  en  toi  le  plus  parfait  artiste 
lyrique  qui  ait  existé,  pour  la  plus  grande  gloire  de  l'art  français,  et  nous  buvons,  avec 
ton  cher  flls  Maurice,  à  ton  bonheur  et  à  ta  santé. 

—  Du  Figaro  :  «  L'idée  de  notre  collaborateur  Saint  Georges  de  Bouhéiier 
fait  son  chemin.  Plusieurs  comités,  en  dehors  de  celui  de  Paris,  viennent  de 
se  constituer  pour  recueillir  les  adhésions  à  la  fête  du  Panthéon  (centenaire 
de  Victor  Hugo).  Ils  ont  leur  siège  central  à  Bourges.  Tous  ces  comités  ont 
demandé  qu'à  la  fête  du  Panthéon  soit  jointe  une  cérémonie  populaire,  et  ils 
ont  pensé  à  celle  des  Muses  du  peuple  de  Gustave  Charpentier.  M.  Saint- 
Georges  de  Bouhéiier,  qui  a  transmis  ces  vœux  au  célèbre  compositeur,  a 
reçu  de  lui  une  lettre  d'acceptation  complète  : 

â5  novembre. 
Bien  cher  ami, 

L'auteur  de  la  Vie  héroïque  des  poètes  et  des  artisans  devait  tout  naturellement  penser 
à  associer  les  travailleurs  aux  artistes  pour  fêter  le  centenaire  du  poète  des  Misérables. 

Je  souscris  de  grand  cœur  à  votre  proposition. 

En  ajoutant  la  fête  des  Muses  du  Peuple  —  pour  la  première  fois  réunies  —  à  la  céré- 
monie grandiose  que  le  comité  des  jeunes  poètes  a  décidé,  sur  votre  initiative,  de  célébrer 
au  Panthéon  le  20  février,  vous  donnerez  aux  fêtes  projetées  une  signification  plus  tendre- 
ment fraternelle;  vous  montrerez  —  et  c'est  bien  là,  n'est-ce  pas,  votre  intention?  —  que 
les  jeunes  poètes  désireraient  s'unir  d'une  façon  plus  particulièrement  intime  avec  le 
peuple  de  la  France  afin  d'honorer  le  héros  prodigieux  qui  a,  toute  sa  vie,  combattu  pour 
lui. 

Le  geste  à  la  fois  ingénu  et  grave  de  l'ouvrière  escortée  du  peuple  et  des  artistes,  n'est- 
ce  pas  celui  qu'aurait  agréé  avec  joie  le  poète  de  la  Bonté? 

Aussi  si  à  première  vue  j'accepte  avec  bonheur  de  collaborer,  le  cas  échéant,  à  l'apo- 
théose de  Victor  Hugo,  c'est  parce  que  je  m'imagine  comme  vous  que  nous  agirions  ainsi 
selon  son  esprit  et  sa  tradition. 

Maintenant,  qu'est-ce  que  les  organisateurs  du  centenaire  penseront  de  l'idée  d'adjoindre 
les  Muses  du  peuple  à  votre  projet,  d'ailleurs  si  émouvant,  du  pèlerinage  des  poètes  du 
monde  au  tombeau  de  Victor  Hugo? 

Dans  tous  les  cas,  je  ne  puis  que  remercier  les  comités  d'avoir  pensé  à  m'associer  à  la 

manifeslalion  préparée  en  l'honneur  de  l'un  de  nos  plus  grands  ancêtres  spirituels  ! 

Fraternellement  vôtre 

Gustave  Ch/Uipebtjeb. 

Constituer  pour  le  centenaire  .une  fête  de  toutes  les  Muses  du  Peuple,  c'est- 
à-dire  faire  déléguer  par  chaque  province  en  même  temps  que  des  poètes,  des 
représentants  de  ses  corporations,  quel  magnifique  appoint  pour  le  triomphe 
d'Hugo!  » 

—  On  sait  que  M.  Edouard  Grieg  a  écrit  pour  le  drame  fameux  de  son 
compatriote  Ibsen,  Peer  Gynt,  toute  une  partie  musicale  très  importante, 
dont  nous  ne  connaissons  que  des  fragments  d'une  suite  d'orchestre  exécutée 

'     dans  nos  concerts.  Or,  Peer  Gynt  va  être  joué  au  Nouveau-Théâtre,  le  16  dé- 


384 


LE  MÉNESTREL 


cembre,  par  les  soins  de  M.  Lugné-Poé,  et  la  musique  écrite  à  son  intention 
sera  exécutée  alors  dans  son  intégralité  par  l'orchestre  et  sous  la  direction 
de  M.  Chevillard.  Ce  sera  là,  à  tous  égards,  un  spectacle  intéressant  qui  ne 
manquera  pas  d'attirer  l'attention. 

—  Le  jugement  des  morceaux  pour  musique  d'harmonie  présentés  au 
3'  concours  de  composition  ouvert  par  l'Association  des  jurés  orphéoniques, 
vient  d'être  rendu.  Le  1"  prix  a  été  remporté  par  M.  Paul  Villers,  chef  de 
musique  au  4*  régiment  d'infanterie  coloniale  à  Toulon,  pour  sa  partition  — 
sans  titre  —  ayant  pour  épigraphe  :  «  Une  pensée  de  La  Bruyère  ».  Le  2°  prix 
a  été  attribué,  à  l'unanimité,  à  la  partition  intitulée  :  Scènes  villageoises,  com- 
posée par  M.  E.  Gaudoii,  chef  de  musique  au  1S2«  d'infanterie  à  Epinal.  Une 
mention  avec  diplôme  a  été  accordée  à  la  partition  ayant  pour  titre  :  Après- 
midi  d'un  jour  de  fête,  kermesse  flamande,  dont  l'auteur  ne  sera  connu  que  s'il 
en  fait  la  demande.  Le  jury  était  composé  de  MM.  Emile  Pessard,  président, 
Danbé,  Bureau,  Gastinel,  Guilbaut,  Georges  Hùe,  Kaiser,  Gabriel  Parés, 
Schmidt,  Georges  Sporck  et  Turbao. 

—  M.  le  ministre  du  commerce  vient  d'accorder  à  M.  Louis  Pister  l'auto- 
risation de  continuer,  dans  une  serre  du  Cours-la-Reine,  ses  grands  Concerts 
populaires,  interrompus  au  Grand-Palais  par  la  température.  Ces  matinées 
musicales  reprendront  vers  le  20  décembre. 

— ■  L'assemblée  générale  et  la  distribution  des  prix  de  l'Orphelinat  des  Arts 
ont  eu  lieu  à  l'Hémicycle  des  Beaux-Arts,  sous  la  présidence  de  M.  Benja- 
min Constant.  Assistaient  à  cette  cérémonie  M"'^''  Poilpot,  Scalini,  vice-pré- 
sidentes, Krauss,  Roger  Marx,  Ulmann,  Rachel  Boyer,  Paul  Bilhaut,  Lucas, 
Damain,  Roty,  Jules  Chéret,  Marni,  Franceschi,  Nadar,  Chaix,  Benjamin 
Constant,  M.  Dalou,  M"=  Dalou,  M.  Poilpot,  M.  Chaix.  Le  prix  d'hon- 
neur a  été  décerné  à  M""  J.  Courtioux.  Parmi  les  lauréates  le  plus  souvent 
nommées,  citons  M"^^  Lioti,  Mauly,  Gauthier,  Feyen-Perrin,  Jacou,  Olaria, 
Aub^rt,  Perrier,  Bertal,  Battaille,  Jalabert,  Noël,  Dubroca,  Dupic,  Léonie  Dau- 
bray,  Lecerf,  J.  France.  Quatre  certificats  d'études  et  un  brevet  élémentaire 
ont  été  obtenus;  1.685  francs  de  livrets  de  caisse  d'épargne  ont  été  distribués. 

—  Dimanche  prochain,  8  décembre,  à  4  heures  et  demie,  aura  lieu  à  la 
Bodinière  une  conférence  sur  l'Arménie,  /es  chants  nationaux  et  populaires,  par 
M.  Julien  Tiersot,  avec  audition  musicale  par  M.  Léon  Eghiasarian,  M™^  Pa- 
lasara  et  Chevalier.  Mélodies  arméniennes  harmonisées  par  MM.  Ernest 
Reyer,  Bourgault-Ducoudray,  ICosatchenko,  Georges  Marty,  Julien  Tier- 
sot, etc. 

—  M.  Alexandre  Guilmant  vient  de  donner  sa  démission  d'organiste  du 
grand  orgue  de  la  Trinité,  poste  qu'il  occupait  depuis  trente  ans. 

—  On  annonce  comme  très  prochaine,  au  Grand-Théâtre  de  Lille,  la  pre- 
mière représentation  de  Marie-Claire  ;  ce  drame  en  quatre  actes  et  six  tableaux, 
tiré  du  roman  de  mœurs  lilloises  d'Alphonse  Gapon,  comporte  une  impor- 
tante et  pittoresque  partie  musicale  due  à  M.  Ratez,  directeur  du  Conser- 
vatoire. 

—  De  Rennes  :  Le  premier  concert  Garboni  avait  attiré  un  nombreux  pu- 
blic, qui  a  prodigué  ses  chaleureux  applaudissements  à  M""^^  Darloff,  Kryza- 
nowska  et  à  M.  Grouanne,  interprétant,  outre  de  belles  pages  classiques,  des 
œuvres  de  MM.  Massenet,  Th.  Dubois,  Henri  Maréchal,  F.  de  la  Tombelle, 
Pierné,  etc.,  dirigées  avec  autorité  par  M.  Carboni. 

—  De  Besançon  :  Beaucoup  de  succès  pour  M°"!  Lemay-Samsou,  qui  se  fait 
applaudir  dans  l'air  de  Louise  de  Charpentier,  Pensée  d'automne  et  l'ariette  de 
Werther  de  Massenet.  L'excellente  cantatrice  avait  récolté  autant  de  bravos 
quelques  jours  auparavant  à  Montbéliard,  avec  le  même  programme. 

—  De  Saint-Quentin  :  Très  productif  concert  de  charité,  au  cours  duquel 
on  fait  très  grand  succès  à  M"=  Juliette  Toutain  dans  Source  enchantée  et 
Dan^e  rustique  de  Théodore  Dubois  et  à  M"'  M.  Rousseau  dans  Myrto  de 
Delibes. 

—  Au  théàtie  de  Nevers,  brillant  concert  donné  par  l'Union  chorale.  Parmi 
les  artistes  qui  prêtaient  leur  concours,  citons  l'excellente  pianiste  M"»Com- 
brisson,  qui  ^  joué  Source  capricieuse  de  L.  Filliaux-Tiger,  M"^  Augier,  qui  a 
chanté  l'air  û' Bérodiade,  et  M.  Duperrat,  la  Charité  de  Faure. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  A  l'Institut  Hudy,  JI.  Eugène  de  Solenière  a  inau- 
guré la  sixième  année  de  ses  Études-Conférences  musicales  en  étudiant  délicatement 
les  I  Musiciens  du  sentiment  r  et,  en  particulier,  feu  Benjamin  Godard.  A  cùté  de  Made- 
moiselle Magdeleine  Godard  et  de  M""  Roger-Miclos,  l'assistance  a  fait  fête  à  la  toute  char- 
mante M""  Revel,  premier  prix  du  Conservatoire  de  1901,  qui  a  dit  l'air  du  Tasse  avec  un 
charme  plein  d'émotion.  Et  les  bravos  ont  redoublé  pour  les  jolies  Chansons  des  Mois.  r.  b. 
—  L'Union  des  Employés  du  commerce  de  commission  et  d'exportation  vient  de  donner  un 
fort  joli  concert  au  cours  duquel  on  a  fort  applaudi  M""  M.-L.  Rolland  dans  l'air  des  clo- 
chettes de  Lakmé  et,  avec  M.  Rigaux,  dans  le  duo  d'Hamlel  et  aussi  W'  Gilberte,  dans 
Tes  Yeux,  d'Estéban  Marti.  —  Charmante  matinée  au  Cercle  de  lÉtoileet  nombre  d'applau- 
dissements pour  M.  Casabonne,  dans  Élégie,  de  Massenet,  et  l'air  de  Sigurd,  de  Reyer, 
pour  M.  Ferval,  dans  l'air  à'Hérodiade,  de  Massenet,  et  Eternel  cantique,  d'Estéban  Marti, 
pour  M.  StoU,  dans  l'air  du  tambour-major  du  Ca:id,  d'A.  Thomas,  pour  M""  J.  Dyt  dans 
Menuet  à'Exaudet,  de  Wekerlin,  et  pour  M""  J.  Leclerc,  dans  Myrto,  de  Delibes. 

NÉCROLOGIE 

Nous  ne  saurions  laisser  partir  sans  lui  adresser  un  dernier  adieu 
l'homme    de  bien  dont   la  mort  a   été  annoncée   cette  semaine.   M.  Ernest 


Lamy,  qui  vient  de  disparaître  à  l'âge  de  80  ans,  grand  amateur  de  musique, 
s'est  trouvé,  sans  être  musicien  lui-même,  mêlé,  par  sa  générosité,  au  mou- 
vement musical  de  ces  trente  dernières  années.  Simple  employé  d'une  mai- 
son de  banque  dans  sa  jeunesse,  il  prélevait  sur  ses  maigres  appointements 
les  ressources  nécessaires  à  son  entrée  au  parterre  du  Théâtre-Italien,  de 
1  Opéra  ou  de  l'Opéra-ComiquB.  Plus  tard,  devenu,  par  son  travail  et  son 
intelligence,  associé  d'agent  de  change,  il  amassa  une  fortune  considérable, 
et  de  cette  fortune  il  faisait  le  plus  noble  usage.  Depuis  lo.ngtemps  retiré  des 
affaires,  il  s'intéressait  à  toutes  les  choses  intellectuelles,  et  jamais  on  ne  le 
vit  fi  occupé  que  depuis  qu'il  n'avait  plus  rien  à  faire.  On  le  rencontrait 
partout,  dans  les  théâtres,  à  l'Opéra,  au  Conservatoire,  aux  séances  de  l'Ins- 
titut, aux  cours  de  la  Sorbonne  et  du  Collège  de  France,  à  l'école  du  Louvre, 
dans  tous  les  endroits  enfin  où  il  y  avait  quelque  chose  à  apprendre  et  à 
connaître:  et  ce  beau  vieillard,  à  la  barbe  et  aux  cheveux  blancs,  haut  de 
taille,  droit  comme  un  chêne,  était  toujours  aimable,  toujours  souriant,  tou- 
jours accueillant.  Mais  il  ne  se  contentait  pas  d'aimer  l'art,  il  prétendait  lui 
venir  en  aide  d'une  façon  intelligente.  Sociétaire  perpétuel  de  l'Association 
des  artistes  musiciens,  il  ne  nous  en  apportait  pas  moins  chaque  année  sa 
cotisation,  qu'il  avait  fixée  lui-même  à  '200  francs.  A  la  Société  des  composi- 
teurs il  nous  offrait,  presque  chaque  année  aussi,  un  prix  pour  nos  concours, 
et  ce  prix  était  tantôt  de  200,  tantôt  de  300,  tantôt  de  SOO  francs.  Je  puis  même 
rapporter  à  ce  propos  un  fait  intéressant.  H  avait,  il  y  a  une  dizaine  d'an- 
nées, mis  à  notre  disposition  une  somme  de  500  francs,  en  spécifiant  que 
cette  somme  constituerait  un  prix  qui  serait  accordé  à  une  scène  lyrique  avec 
accompagnement  d'orchestre.  Le  concours  fut  ouvert,  et  le  prix  fut  décerné 
à  un  jeune  artiste  qui  avait  le  désir  de  prendre  part  au  concours  de  Rome, 
mais,  détail  douloureux,  qui  se  trouvait  dans  l'impossibilité  de  le  faire,  faute 
des  quelques  ressources  indispensables.  Or,  les  500  francs  de  la  Société  des 
compositeurs  vinrent  juste  à  point  pour  lui  :  grâce  à  eux  il  put  se  présenter 
au  concours  de  l'Institut,  et  d'emblée  il  remporta  le  grand  prix  de  Rome. 
Celui-là,  que  je  ne  crois  pas  nécessaire  de  nommer  ici,  mais  qui  d'ailleurs  ne 
s'en  cache  nullement,  gardera  certainement  un  bon  souvenir  de  l'excellent 
homme  que  fut  Ernest  Lamy,  ami  de  l'art,  ami  des  artistes,  et  qui  a  passé 
une  partie  de  sa  vie,  employé  une  partie  de  sa  fortune  à  être  utile  à  l'un  et 
aux  autres.  A.  P. 

—  Une  dépêche  de  Luchon  nous  apprend  la  mort  très  regrettable  de 
M.  Edouard  Broustet,  compositeur  et  chef  d'orchestre  distingué.  Il  avait 
soixante-cinq  ans  à  peine.  Ce  l'ut  un  des  élèves  privilégiés  de  Litolfl',  avec 
lequel  il  donna  de  nombreux  concerts  dans  presque  toutes  les  capitales  de 
l'Europe.  On  a  de  lui  plusieurs  compositions  pour  piano  qui  resteront  sur 
bien  des  pupitres. 

—  M.  Victor  Roger  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  son  père,  décédé  à 
Montpellier  à  l'dge  de  90  ans.  M.  Victor  Roger  père  était  le  doyen  des  pro- 
fesseurs de  piano  de  Montpellier,  où  il  enseignait  depuis  plus  de  soixante  ans. 
Ancien  élève  et  lauréat  du  Conservatoire  national  de  musique,  il  avait  fait 
ses  études  sous  la  direction  de  Carafa  et  fut  le  condisciple  et  l'ami  d'Am- 
broise  Thomas. 

—  A  Munich  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  62  ans,  le  compositeur  Joseph  de 
Rheinberger.  Il  était  né  à  Vaduz  et  par  conséquent  un  des  rares  «  sujets  » 
du  prince  de  Liechtenstein,  qui  n'en  compte  que  10.000  à  peine.  A  l'âge 
de  sept  ans  il  fut  nommé  organiste  (!)  dans  sa  ville  natale,  capilale  de  la  prin- 
cipauté; à  huit  ans  il  faisait  exécuter  une  messe  de  sa  composition!  Il  se 
rendit  ensuite  au  Conservatoire  de  Munich  et  en  1839,  à  l'âge  de  vingt  ans, 
y  était  nommé  professeur  d'orgue  et  de  composition,  place  qu'il  conserva 
jusqu'à  sa  mort.  Pendant  quatorze  ans  Rheinberger  a  dirigé  la  Société 
d'oratorios  à  Munich,  et  en  1877  il  fut  nommé  kapellmeister  de,  la  musique 
d'église  royale.  Son  baaage  artisiique  est  considérable  :  il  a  écrit  les  opéras 
les  Sept  corbeaux  et  la  Fille  du  gardien  de  la  tour;  la  musique  de  scène  pour  le 
drame  le  Mage  thaumaturge,  de  Calderon,  les  ballades  pour  soli  et  chœurs 
de  Wittekind,  la  Journée  de  mai,  Clairette  d'Eberstein,Christophore,  Monlfort,  etc.  ; 
la  cantate  l'Étoile  de  Bethléem,  des  symphonies,  parmi  lesquelles  une  grande 
intitulée  Wallensteiti ,  des  morceaux  très  nombreux  pour  l'orgue,  le  piano,  la 
musique  de  chambre,  des  Ueder  et  des  chœurs  pour  orphéons.  Le  nombre  de 
ses  élèves  est  très  grand;  plusieurs  d'entre  eux  ont  déjà  acquis  une  certaine 
notoriété. 

—  A  Berlin  est  mort,  à  l'âge  de  74  ans,  le  compositeur  Martin  Blummer, 
l'ancien  directeur  de  la  fameuse  société  chorale  Singacademie,  de  Berlin,  dont 
il  fut  membre  pendant  plus  de  cinquante  ans.  Blummer  était  un  «  conserva- 
teur »  musical,  mais  il  faut  dire  à  son  honneur  qu'il  n'a  jamais  éloigné  de 
S93  programmes  la  musique  moderne.  Ses  oratorios  Abraham  et  la  Chute  de 
Jérusalem  ont  été  exécutés  avec  succès;  il  laisse  encore  plusieurs  autres  com- 
positions de  valeur. 

—  A  Berlin  est  mort  aussi,  à  l'âge  de  64  ans,  le  compositeur  Henri  Urban.  Il 
avait  été  un  violoniste  assez  réputé  et  avait  fait  exécuter  plusieurs  œuvres, 
parmi  lesquelles  une  symphonie  intitulée  Printemps,  deux  ouvertures  :  Fiesqus 
et  Schéhérirada,  un  concerto  et  plusieurs  morceaux  pour  violon.  Pendant 
longtemps  il  fut  professeur  de  composition  et  critique  musical. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


R.  —  IMPRIBIEBIE   < 


.  —  (Kncn  LorOleux). 


Dimanelie  8  Décembre  1901. 


3689.  -  èT"  mm.  -  I\°49.     PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaui,  2  "",  nu  Tiriflime,  Paris,  n-  m>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.' 


LE 


Le  HaméPo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL.,     Directeur 


Iieîlamépo:  Ofp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  MÉNESinEL,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Te.xte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  ■-  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIEE-TEXTE 


l.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (41^  article),  Paul  d'ëstrées.  — 
II.  Bulletin  théâtral  :  première  représentation  de  5amïe-Ga/eWe  au  Vaudeville,  P.-É.  C. — 
m.  Petites  notes  sans  portée:  l'Enfer  musical,RAïMONnBouïER.  — IV.  Richard  Wagner, 
Liszt  et  Cosima,  0.  Berggroen.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  .nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

VALSE    DES   ESPRITS 

extraite  de  Grisélidis,  conle  lyrique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiatement  : 
la  Chanson  d'Avignon  du  même  conte,  transcrite  pour  piano  seul. 


Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  a  la  musique  de  chant 
RZek4oi  chanté  par  M.  Maréchal  dans  Gr^séiidis,  poème  d'ARMAND  Sil.estre 
ft  Eu  Le  Morand,  musique  de  J.  Massenet.  -  Suivra  immédiatement  :(  0«.- 
t!rr,ir,k  chanté  dans  le  même  conte  par  M"e  Bréval  et  M.  Dlwanne. 


PRIMES  GRATUITES  DU  MÉNESTREL 

pour  l'année  1902 

Voir   à  la   S=  page   du  journal. 

L'iUT  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

â'après  les  iiiénioires  les  plus  récents  et  des  ûocinnents  inédits 

(Suite.) 


II  (suite) 

—  Est-ce  à  monsieur  Beethoven  que  j'ai  l'honneur  de  parler? 
fil  courtoisement  Trémont  dans  sa  langue  maternelle. 

—  Oui,  répliqua  le  maître  du  logis  en  allemand,  mais  je  vous 
préviens  que  j'entends  très  mal  le  français. 

_  Je  n'entends  guère  mieux  l'allemand,  mais  je  dois  vous 
dire  que  j'ai  là  pour  vous  une  lettre  de  M.  Reicha. 

Beethoven  la  prit  sans  dire  mot  et  fit  entrer  son  interlocuteur. 

La  maison  de  celui  que  ïaine  appelait,  au  diner  Magny,  une 
«  des  quatre  cariatides  de  l'humanité  »  —  les  trois  autres 
étaient  Shakespeare,  Dante  et  Michel-Ange  —  cette  maison, 
dis-je,  était  le  dernier  des  taudis.  Elle  se  composait  de  deux 
pièces:  la  première,  avec  une  alcôve  fermée,  était  la  chambre  a 
coucher,  la  seconde  le  salon  qui  servait  en  même  temps  de  cabi- 
net de  toilette.  On  se  serait  cru  dans  cet  atelier  du  fdnlre  qu  a 


chanté  si  plaisamment  Désaugiers.  Partout  des  flaques  d'eau  sur 
le  plancher  ;  dans  un  coin  un  piano  délabré,  couvert  de  papier 
à  musique  gris  de  poussière;  sur  une  table  de  noyer  maculée 
d'encre  s'éparpillaient  des  plumes  à  moitié  brisées.  Des  chaises 
et  des  fauteuils  en  paille,  boiteux  pour  la  plupart,  étaient  chargés 
d'assiettes  contenant  les  reliefs  du  repas  de  la  veille. 

Trémont  ne  fut  pas  peu  surpris,  après  le  portrait  qu'on  lui  , 
avait  fait  de  l'homme,  que  Beethoven  lui  offrit  un  siège  et  l'acca- 
blât de  questions.  Il  lui  demanda  son  âge,  quel  uniforme  il  por- 
tait (il  était  en  petite  tenue),  le  but  de  son  voyage,  s'il  était  mu- 
sicien et  combien  de  temps  il  devait  séjourner  à  Vienne.  Tous 
deux  mirent  le  plus  louable  effort  à  se  comprendre.  L'entretien 
dura  près  d'une  heure,   et  le  plus  farouche  des  misanthropes 

engagea  JTj^éniojnt-à— t!PJi<"iio  — 'F-f^-"— *   j ■       ^— "^         77 

"  tration  nouvelle  de  cette  thèse  bien  connue  que  les  caractères 
les  plus  opposés  sont  quelquefois  ceux  qui  finissent  par  se  mettre 
le  plus  vite  d'accord. 

L'illustre  symphoniste  reçut  donc  fréquemment  son  jeune  visi- 
teur et  daigna  même  improviser  pour  lui  une  et  deux  heures  de 
suite.  En  dépit  d'un  jeu  incorrect  et  d'un  doigte  fautif,  1  était 
très  entraînant.  La  servante  (il  en  avait  enfin  trouve  une)  avait 
pour  consigne  de  ne  pas  ouvrir  pendant  le  cours  de  ces  séances, 
ou  de  répondre  aux  importuns  que  son  maître  travail  ait.  Des 
musiciens  ne  voulurent  jamais  croire  à  cette  condescendance  du 
compositeur  :  il  fallut  que  Trémont  leur  montrât  un  billet  de 
Beethoven,  billet  qui  en  témoignait  et  que  son  heureux  posses- 
seur avait  fait  encadrer. 

Les  improvisations  du  maître  étaient  très  inégales.  Tantôt  elles 
se  produisaient  sous  forme  de  chants  d'une  harmonie  franche  et 
orandiose,  féconde  en  effets  imprévus  qui  donnaient  a  Trémont 
«  les  plus  vives  émotions  musicales  ».  Tantôt  elles  étaient  pé- 
nibles, traînantes,  embarrassées  :  Beethoven   plaquait^  ^sur  son 
piano  de  furieux  accords,  puis  il  se  levait  en  disant:   1  mspira- 
tionne  vient  pas  ;  peut-être  serai-je  plus  heureux  dans  quelques 
jours.  Et  la  conversation  s'engageait  sur  un  tout  autre  terram 
que  la  musique.  Beethoven  parlait  volontiers  de  Shakespeare, 
son  idole, et  dans  un  langage  presque  drolatique.  Ce  n  était  pas 
qu'il  fût  plaisant:  il   était  trop  taciturne  pour  viser  aux  traits 
d'esprit.  Mais  il  était  instruit;  et  son  humeur  chagrine  s  echap-  . 
pait  en   boutades  généreuses  rappelant  celles  de  Jean-Jacques 
Rousseau,  dont  il    avait  également  l'humeur    paradoxale:   au 
demeurant,  très  original  et  fort  amateur  de  la  contradiction.    _ 
Il  aurait  voulu  connaître  la  France:  il  s'était  promis  de  venir 
entendre  à  Paris  les  symphonies  de  Mozart  ;  mais  il  avait  renonce 
à  ses  projets  après  la  proclamation  de  l'Empire.  Trémont  s  ef- 
força d'avoir  raison  d'une  telle  résistance: 

_  Et  les  frais  de  déplacement? objecta  Beethoven. 

_  Je  repars  pour  la-  France  et  je  vous  emmène  avec  moi  :  ]e 


386 


LE  MÉNESTREL 


voyage  seul,  et  j'ai  une  chambre  à  vous  oifrir.  Il  vous   en  coû- 
tera à  peine  cinquante  florins  pour  votre  retour. 

—  J"y  réfléchirai  ;  c'est  bien  tentant! 

Cependant  il  ne  se  décidait  pas;  il  craignait  d'être  assiégé  de 
visites  et  d'invitations. 

—  Tous  n'aurez  qu'à  refuser. 

—  Mais  les  Parisiens  diront  que  je  suis  un  ours. 

—  Que  vous  importe? 

Beethoven,  persuadé,  accepta  les  propositions  de  son  nouvel 
ami.  Mais  celui-ci  dut  partir  presque  aussitôt  pour  la  Moravie. 
Quand  il  revint  dans  la  capitale  de  l'Autriche,  —  c'était  quatre 
mois  après  le  traité  de  Vienne,  —  il  retrouva  Beethoven  dans 
les  mêmes  dispositions.  Mais  il  avait  compté  sans  les  caprices 
despotiques  de  l'administration,  qui  l'envoya  bruscfuement  en 
Croatie.  Il  y  était  depuis  un  an  quand  un  nouveau  décret,  non 
moins  imprévu,  lui  fit  regagner  immédiatement  la  France  oià 
l'attendait  la  préfecture  de  l'Aveyron.  Il  n'eut  même  pas  le  temps 
de  repasser  par  Vienne  pour  y  prendre  Beethoven.  N'importe; 
le  maître  allemand  qui,  par  parenthèse,  ne  connut  jamais  notre 
pays,  dut  penser  que  certains  Français  étaient  d'effrontés  gascons. 

Si  nous  avons  raconté  cet  épisode,  généralement  ignoré,  de  la 
vie  de  Beethoven,  épisode  dont  nous  laissons  d'ailleurs  toute  la 
responsabilité  à  Trémont,  nous  ne  demanderons  pas  à  cet  admi- 
rateur passionné  du  grand  musicien  la  biographie  de  son  héros. 
Le  peu  qu'il  en  rapporte  est  déjà  connu.  Sauf  quelques  lignes 
sur  les  amours  malheureuses  du  compositeur  et  sur  le  procès 
en  revendication  de  sa  particule  nobiliaire,  dont  ce  fier  républi- 
cain était  si  singulièrement  entiché,  nous  ne  voyons  guère  dans 
la  notice  de  Trémont  d'autre  détail  intéressant  qu'une  nouvelle 
anecdote  sur  le  fameux  voyage  en  France  resté  à  l'état  de  projet. 
L'homme  et  l'artiste  y  trouvent  également  leur  place. 

Sans  doute  Beethoven  abhorrait  le  tyran  chez  Napoléon  ;  mais 
il  lui  reconnaissait  une  intelligence  supérieure,  à  laquelle  il  ren- 

daitjxQjnvplontaire  hommage. 

Ie2ï5^  ''"^■'"''   ^^^-^^°*-   '^-Pereur,  pour  pèu-qu.t 

—  Soyez  sans  inquiétude  :  l'exemple  de  Gherubini  ne  vou= 
prouve-t-il  pas  toute  l'indifférence  de  Napoléon  pour  la  musique? 

Cette  réplique  chiffonna  légèrement  l'irréconciliable  ennemi 
de  Empereur;  U  eût  été  fier  de  savoir  que  le  despote,  soucie" 
de  le  connaître,  l'eût  appelé  aux  Tuileries 

C'est  donc  comme  hôte  et  comme  ami  de  Beethoven  que  le 
baron  de  Trémont  se  glorifie  d'avoir  révélé  à  la  France  le  in  e 
du  conipositeur  qu'il  avait  jadis  oublié  à  Vienne.  Il  en  imfos 
pretend-i  la  musique  de  chambre  aux  quatuors  d'instrume  i- 
tistes  qu  .1  avait  formés;  mais  elle  n'était  pas  aussi  inconnue 
dans  notre  pays  qu'il  veut  bien  le  dire,  puisque  M-e  Gava^gZc 
entendait  sa  sœur  jouer  du  Beethoven  en  4797    '  ^ 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  le  baron  de  Trémont  fut  des  premiers  à 
propager lesœuvres  du  maître,  si  le  savant  Habeneck  y  IZZl 
toutes  ses  forces  et  toute  sa  volonté,  n'oublions  pas  que  plu î 
ard  du  temps  de  Delacroix,  fidèles  à  leur  programme, S  ^ 
sociétés  musicales,  VUnion,  la  Sainte-Céaie  fnent  connaître  à 
leur  clientèle  les  grandes  compositions  de  Beethoven 

suLts  Ma"?  '  ?'•''''  ?''''™^^  '°°°^  ''-'  ^^«^riction  ses 
sulfrages    la  symphonie  en  la.  Il  reproche  aux  autres  leur  «  con- 

ta:S;é'dans";;;e"tf  "i'  "'  '''''  ^°'^^^^'^^'  "  "^^^S-  ^'^*--"e 
de    ravatl!       .1?         des  mêmes  motifs  ».  Mais,  quelle  somme 

et  tr?s  choaulnt  ,      n'?      '"      '  '"  "''  '''''^''  ''''  ^^^^1- 
et  très  choquants  I  >  Delacroix  s'en  est  rendu  compte  en  exa- 

mmanUes  manuscrits  du  compositeur,  aussi  raturés  que  ceux  de 

Il  n'épargne  pas  cependant  son  admiration  à  des  fragments 
de  te  le  ou  telle  œuvre,  «  l'andante  de  la  Symphonie  herbue  ^ 
que  1  auteur  afaitde  plus  tragique  et  de  plus  sublime...  la  s;m! 
Slrif  :.''""'  ''  '°"«"^^  ''  •^'^^^^•••'  l'^'^--^^^  -vertlTe 
preïérés'"'"'  '"''  '"  "'''  "  '''"''''  '""J""^^^  ^  ^^«  deux  maîtres 


«  ...Qu'est-ce  que  les  modernes  ont  à  mettre  à  côté  des  Mozart 
et  des  Cimarosa?...  El  en  supposant  que  Beethoven,  Rossini  et 
Weber,  les  derniers  venus,  ne  vieillissent  pas  à  leur  tour,  faut-il 
que  nous  ne  les  admirions  qp.i'en  négligeant  les  sublimes  maîtres 
qui  non  seulement  sont  aussi  puissants  qu'eux,  mais  encore  ont 
été  leurs  modèles  et  les  ont  menés  où  nous  les  voyons...  » 

Delacroix  écrivait  ceci  en  1846;  et  Grenier,  un  de  ses  élèves, 
faisait  cette  judicieuse  remarque,  en  1847,  que  Beethoven, 
misanthrope  exaspéré,  mais  créateur  d'un  pittoresque  ignoré  des 
autres  compositeurs,  avait  des  traits  de  ressemblance  avec  Dela- 
croix comme  «  sauvage  contemplateur  de  la  nature  humaine  ». 
Jamais  peut-être  définition  plus  juste  ne  fut  donnée  des  mérites 
comparatifs  du  peintre  et  du  musicien. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 


BULLETIN    THEATRAL 


Vaudeville.  Sainte-Galette,  pièce  en  3  actes  de  M.  Albin  Valabrègue. 

M.  Albin  Valabrègue  est,  nul  ne  l'ignore,  homme  d'infiniment  d'es- 
prit et  si  l'équipée,  dans  laquelle  il  vient  de  se  lancer  assez  inconsidé- 
rément au  Vaudeville,  est  loin  de  réussir  autant  qu'il  devait  s'y  atten- 
dre, du  moins,  grâce  aux  «  mots  »  dont  il  s'est  montré  facilement 
prodigue,  ne  lui  enlèvera-t-elle  presque  rien  de  son  universelle  renom- 
mée. 

Sainte-Galette  s'essaie  à  fustiger  d'importance  la  bourgeoisie  qu'hyp- 
notise les  gros  monceaux  d'or.  Cela  voulait  être  moral,  satirique  et  phi- 
losophique, mais  la  vulgaire  pitrerie  qui  a  envahi  au  moins  deux  des 
trois  actes  —  le  premier  ne  manque  ni  de  charme  ni  d'agrément  —  a 
tout  gâté;  les  espérances  de  l'auteur,  comme  la  joie  des  spectateurs, 
s'effondrent  sous  une  disparate  invraisemblable.  Peut-être  la  bouffonnerie, 
si  elle  eût  été  plus  drôlatiguement  traitée,  eût  pu  faire  fortune  à  Cluny 
où  l'on  rit  encore  aux  tableaux  qui  finissent  par  d'incompréhensibles 
volées  de  gifles;  au  Vaudeville,  on  est  de  tenue,  et  le  public  n'y  admet 
sur  les  joues  des  Jjuablement  et  posément  données,  qu'elles  s'abattent 

de^alX  '^V'"^  r  !"  ^^""«"'1«"«  t^is^art^rdr  wlLfe«e!fu  coui-s 
desquels  s  agitent  des  fantoches  déguisés  qui  se  donnent  infiniment  de 


mal  pour  faire  rater  un  mariage  ridicule  afin  d'en  faire  aboutir 
qui  ne  lest  guère  moins.   Il  y  a  lâ  des  rapins  de  Montmartre,  l 
S  urf:ni,f  "'^'  -^-.^---^  de  contrebande,  un  marseillais 

Gnv    ont  .','''"'  ""''  '°  '^"''"°^^°'  ^  ^^  "^^^^^^  de  Saint- 

(-uy    ont  1  air  de  vouloir  nous  donner  une  bonne  leçon.  Les  pauvres  ' 

débute  d^';'  "^'"f"'"''  '  '"I"^"^  on  a  adjoint  M-Joissant,  qui 
d'il  t  i  "°°  quelconque  en  un  rôle  quelconque,  ne  semblé  pas 
d  efforts  très  convaincus.  MM.  Tarride,  Gildès,  Lérand  et  M-Daynes- 

llZtntTr"'  f  T''  ''  ^'"^  '■^"^^'^'^^  5"^  de  fantaisie,  aident 
cependant  a  supporter  la  soirée.  p  _g   q 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE'" 

XXXIV 

L'ENFER  MUSICAL 

A  Monsieur  Paul  d'Estrées. 

-  Puisque  le  journal  d'un  peintre  et  la  voix  de  l'enfer  sont  à  l'ordre 

tiZ:  n  r""'  '^"' J'  ""'"'  '°'''  ^°'  y^"^  "''  mystérieuses  lignes 
de  notre  Delacroix,  transcrites  à  votre  intention  :  «  L'admirable  sympho- 
me  quejava,s  oubUée...  Se  rappeler,  dans  l'avant-dernier  morceau,  la 
gueule  de  l  enfer  enlr  ouverte  pendant  une  mesure  ou  deux.  „  m  Quel 
est,  selon  vous    le  chef-d'œuvre  innomé  qui  provoque   cette  rémini 

1  aT/,";-  r  '™°*  "'  ''''''''  "ï"'  '^°'^P=^-"  ^^  '^«»''^-'  la  magie  de 
1  Art  a  l  idéalisation  par  le  Souvenir  ? 

-  Evidemment  ce  n'est  point  la  Symphonie  fantastique  de  notre  Ber- 

déni't  dlT'"""?- J''^°''  '^'  ''  prestigieux  satauique,  et  si  musicale  en 
depit  des  gloses  littéraires  ou  trop  pittoresques!  Un  jour,  nous  étudie- 


des    3  20  et  27  octobre,  des  3,  10,  17  et  24  novembre,  du  1"  décembre  1901 


LE  MÉNESTREL 


387 


l'ons  la  musicalité  de  ce  poète-musicien,  la  place  incomparable,  en  l'his- 
toire de  la  symphonie,  de  ce  virtuose  de  l'orchestre,  de  ce  régénérateur 
de  notre  art.  Mais  si  pour  la  première  fois,  grâce  à  lui,  la  symphonie 
française  triomphe  de  sa  rivale  germanique,  c'est  qu'entre  le  1807  de 
Weber  et  le  1830  de  Berhoz,  il  y  a  Beethoven...  Et  Beethoven,  ce  géant 
de  la  symphonie,  n'est-il  pas  le  maitre  qu'il  faut  invoquer  ici  pour 
comprendre  une  allusion  qui  vous  hante?  Dans  V avant-demie)-  morceau, 
la  gueule  de  l'enfer  entr'ouverte  :  évidemment  encore,  ce  n'est  pas  tel 
menuet  d'Haydn  ou  de  Mozart...  Et  Delacroix  a  méconnu  Berlioz... 

—  Alors? 

—  C'est  Beethoven  qui  s'impose  !  Je  cherche  parmi  les  neuf  Immor- 
telles... L' avant-dernier  morceau  d'une  admirable  sijmpho7iie,  et  l'enfer  qui 
s'entr' ouvre  :  mais  c'est  de  la  farouche  et  novatrice  Ut  mineur  qu'il 
s'agit,  de  son  scherzo  terrible  où  Berlioz  déjà  nommé  semblait  deviner 
les  cauchemars  du  Faust  et  les  terreurs  du  Brocken  !  Le  voici  le  vrai 
Beethoven,  le  génie  du  siècle  que  Delacroi.x  ne  trouvait  pas  toujours 
triste  et  trop  long,  celui  qui  bouleversait  Hoffmann  et  que  l'orchestre 
Lamoureux  vient  de  ressusciter  dans  sa  gloire  !  Le  voici,  l'au-delà  sinis- 
tre ou  gracieux  du  rêve,  les  basses  nocturnes  et  pesantes  qui  s'éteignent 
dans  le  matinal  sourire  de  la  flûte,  avant  le  crescendo  d'immortelle 
aurore  ! 

—  Gluclï,  déjà,  le  grand  Gluck,  n'avait-il  point  traversé  l'enfer? 

—  Oui,  l'enfer  païen,  les  Enfers,  qu'il  interroge  comme  un  mélodieux 
Virgile,  les  Furies  vengeresses  et  leurs  danses  lugubres,  le  ïartare  pro- 
fond et  les  divinités  du  Styx.  Dans  son  Orphée,  interrogez  le  stagnant 
prélude  en  la  mineur  avant  l'essor  de  la  harpe  et  le  chant  du  poète, 
avant  les  non/  formidables  qui  décidèrent  de  la  conversion  musicale  du 
nerveux  Jean- Jacques... 

—  A  Gluck  le  rameau  d'or  de  Virgile  !  Mais  l'Enfer  chrétien,  de  la 
Divina  Commedia  jusqu'au  Second  Faust?  Et  quel  plus  noble  sujet  pour 
la  musique,  architecture  du  songe  et  voix  de  l'àme?  Son  seul  défaut, 
c'est  de  paraître  écrasant  pour  le  musicien.  Ses  tourbillons  enflammés 
l'emportent  comme  une  épave  plaintive.  Sa  rouge  clameur  fait  pâlir  les 
feux  de  son  orchestre.  Le  pressentiment  demem-e  plus  tragique  que  le 
résultat  le  plus  beau...  Mais  le  romantisme  lui-même  tout  entier,  qui 
fut  une  névrose  sublime,  apparaît  comme  une  émanation  de  l'enfer. 
Une  senteur  de  soufre  a  troublé  le  voluptueux  parfum  de  ses  créations. 
Et  les  hallucinations  étranges  qui  ont  tourmenté  ses  artistes,  depuis  les 

,u.nd  1  "•""'■     J-'         j^.gj  i,  „„  i„„d«,  là  aimai  [«loul  : 

^"r:  uLEi  S .  u. »„p,s,i.>u. I... »» F..A •■  11  «■««- 
r;r:û:rs:»;ra"aii™rw,,«i..-d.d>.Me,.> 

Oounod"  s  dou»,  ,u'el>.  .U».^  M»  ■»  ™X:™1  B^ 
?.T.?irSt  i  ".    moi..  ..mll..te  d...  M,n<l.l.»h.  ,« 

r.::c^^?..î;"~=«'- '•'"--••'•*"•* '■"- 


«  un  ouvrage  admirable,  épique,  grandiose,  malgré  quelques  formules 
vieillies...  ». 

—  Plusieurs  musiciens  ne  partagent  que  la  fin  de  cette  opinion. 

—  Nous  allons  bien  voir  !  Mais  personne  n'osera  contester  l'intérêt 
de  découvrir  le  Dante  après  Faust,  d'apprécier  cette  nouvelle  trilogie 
instrumentale  qui  n'est  une  symphonie  que  de  nom  :  poème  sympho- 
nique,  au  contraire,  en  trois  chants,  où  la  tragédie  rêvée  de  l'enfer  se 
dresse  sur  le  seuil,  alors  que,  dans  Faust,  le  scherzo  cinglant  de  Méphis- 
tophélès  sert  de  conclusion  pour  parodier  les  aspirations  précédentes 
avant  la  brève  efilorescence  du  chceur  mystique.  Franz  Liszt  a  toujours 
décrit  d'après  les  poètes.  On  pourrait  le  surnommer  le  Gustave  Doré  de 
l'art  orchestral.  L'enfer  est  le  triomphe  de  la  musique  littéraire. 

—  Mais  quand  le  Poète  peint  l'enfer,  il  peint  la  vie  :  c'est  un  poète 
qui  l'aflirme.  Symbolique  vérité,  qu'a  fort  bien  sentie  l'intelligent  Raoul 
Brunel  dont  nous  venons  d'écouter  la  Vision  dantesque... 

—  Écouter  une  vision  !  N'est-ce  pas  tout  le  programme  de  la  musique 
romantique?  Et  décidément,  un  volume  ne  suffirait  pas  à  contenir 
l'enfer  musical. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


loup 


RICHARD  WAGNER,  LISZT  ET  COSIMA 


Z:;  avancées  pour  feu  notre  italianisme?  En  tous  cas,  la  provmce  a 
îr:^^^:irS«;^^s  .Angers,  trouve  ce  dermer 


brûlant;  et  Louis  de  Romain,  qui  a  donné 


L'intéressante  publication  des  lettres  de  Franz  Liszt  à  la  princesse 
Caroline  de  Sayn-Wittgenstein  que  La  Mara  a  entreprise  (1),  et  dont 
nous  avons  déjà  parlé  plusieurs  fois,  en  est  arrivée  à  cette  année  '1872 
qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  la  vie  de  Richard  Wagner.  C'est  en  effet 
en  cet  an  de  grâce  que  le  maitre  a  pu  poser  la  première  pierre  du 
théâtre  de  Bayreuth  et  ri;'aliser  enfin  la  grande  tâche  de  sa  vie.  A  cette 
époque,  Liszt  n'avait  pas  encore  revu  sa  fille  Cosima  depuis  son  mariage 
avec  "Wagner;  son  divorce  avec  Hans  de  Bùlow  l'avait  profondément 
irrité,  —  il  était  déjà  l'abbé  Liszt  et  ses  croyances  catholiques  ne  pou- 
vaient admettre  cette  aventure.  Or,  on  avait  dit  dans  les  journaux 
allemands  que  Wagner  n'avait  pas  invité  son  beau-père  aux  fêtes  de 
Bayreuth.  Pour  prouver  à  la  princesse  qu'on  avait  calomnié  son  gen- 
dre, en  cette  occasion  comme  en  tant  d;,arâreSçvy?ây)i|3(aîyâfl^a¥^^^ 
donnons  les  traductions  absolument  naeies.  vva„ 

Mon  srand  et  cher  ami,  v,v   ;■, 

de  supporter  cela,  comme  cous  -;-  ^û  "W^;';;^^^^  j,  ^,  ^is  :  viens!  -  Tu  es  entré 
néanmoins  manquer  de  t'm.iter.  E  «^"^J^f^^'^^'^ij.^ie  jamais  pu  adresser  l'apostrophe 
dans  ma  vie  comme  le  plus  grand  ^'"^^^ ^^^^^^  '  ^,  „e  suis  pas  entré  dans  ton 
intime  d'ami.  Tu  ''- .^^P-,f^;^  '  f  ,t  I  a\  toi,  c'est\on  être  le  plus  intime,  né  à 
intimité  autant  que  to,  dans  a  «"™°^-^,^  '        ^  ^^  ^ésir  ardent  de  te  savoir  aussi  en 

je  me  trouve  à  présent  un.  "^  ^""^^f  ^^j.,;  p'^  ^ter  si  peu  pour  toi!  Combien  ne 
l  as  pu  devenir  ^^  J^ ^'^Xt.Z  ^i^^^  -  le  te  dis  par  cela  mé.ne  :  vtens 

t^'^i'^arTci  u  te  ret^uves!  Sois  béni  et  aimé,  quelle  que  soit  ta  deeiston! 

chez  toi,  car  ici  lu  ^^^  ^.^.^  ^^.^    _ 

Richard. 
Bayreuth,  18  mai  1872. 

■  dve  r  iszt  qui  était  parfaitement  décidé  à  ne  pas  aller  a 
A  cette  missive,  Liszt  qui  c  grandement,  sur- 

Bayreuth    a  repondu  P--  U-és  marqués 

rîrrplpondirqu'i  se  manifestent   dans  chaque  page  de  sa 

correspondance  avec  la  princesse: 

-"'-^^*r;;:r;:::;eu.  te  remercier  en  paroles.  Mais  ^espère 

Profondément  ému  par  '\'™'^',     /„,,ds  qui  m'enchaînent  au  loin  disparaîtront 

ardemment  que  toutes  les  °-^res,   eus       é  a       q^  ^^^,^^^^^^  ^^^^.^^  ^„„  ,, 

et  que  nous  nous  '■''™'-™"=,f  ™  ^',„en  dans  .  la  seconde  vie  supérieure  par  laquelle  tu 
iuséparable  f -^  ^  ^f^  ^—^1  à  toi^  seul  ..  Dans  ceci  ie  vois  .a  gr.ce  du  ciel  ! 
Stutusire^-  mon  amour  tout  entier! 

20  mai  72,  'Weimar. 

•       .^     =,  naissance  et  pour  la  fête  de  Bayreuth, 

Pour  l'an'^i-f«'^^'-^^'l^,."^:^;'S^de  a  visite  de  Liszt.  Complétons 

Wagner  reçut  donc  '^'f^'^'^'J^^X^^^        Liszt  écrivit  à  la  princesse 

cette  courte  ^o^^f^^^^^^^^eÏ  uin,  1  sujet  de  l'incident  de  Bay- 
quelques  semaines  plus  tara,  it  -i  j  ' 


:  Camille  Clievillard. 


(1)  Dans  to  sympnome  «pre.  ^.....>-..-,  ---  • 

llJt,  dans  Uarmmie  et  Mélodia  de  Saint-Saens,  page  163. 


388 


LE  MÉNESTREL 


reuth  (rappelons  que  dans  sa   correspondance  avec   la  princesse  le 
maître  s'est  toujours  servi  de  la  langue  française!  : 

..;0n  verse  toujours  du  côté  où  Ton  penche  —  Dieu  me  pardonnera  de  verser  du  coté 
de  la  miséricorde,  en  implorant  la  sienne  et  en  m'y  abandonnant  tout  entier... 

On  sait  que  «  toutes  les  ombres,  tous  les  égards  qui  enchaînaient  » 
Liszt  ont  vite  disparu  après  sa  première  entrevue  avec  ses  enfants,  en 
septembre  1872.  C'est  à  Bayreuth  qu'il  repose  à  présent  comme  Wagner, 
et  dans  la  chapelle  du  cimetière  qui  abrite  son  tombeau  on  peut  lire  sur 
la  pierre  tumulaire  l'épitaphe  qu'il  avait  rédigée  lui-même  dès  1869, 
dans  une  lettre  écrite  de  Rome  à  la  princesse  Wittgenstein,  épitaphe 
empruntée  au  psalmiste  et  qui  caractérise  si  complètement  le  pieux 
musicien  :  Et  habitabunt  recti  ciim  vullu  tuo! 

0.  Beivggruen. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Le  programme  de  la  dernière  séance'n'a  oflert  qu'une 
seule  œuvre  de  musique  absolue  :  la  symphonie  en  ré  mineur  de  César 
Franck,  une  des  dernières  compositions  du  maître,  qui  le  caractérise  complè- 
tement et  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire.  Dans  une  de  ces  excellentes  notices 
que  les  concerts  Colonne  doivent  depuis  longtemps  à  l'érudition  et  au  sens 
ci'itique  de  notre  collaborateur  et  ami  Charles  Malherbe,  nous  trouvons 
l'observation  très  juste  que  la  France  peut  victorieusement  opposer,  dans  le 
domaine  de  la  symphonie,  les  noms  de  Saint-Saèns  et  de  César  Franck  à 
ceux  de  Brahms  et  de  Bruckner,  c'est-à-dire  aux  deux  symphonistes  les 
plus  remarquables  d'outre-Rhin  dans  la  seconde  moitié  du  XIX«  siècle. 
Nous  regrettons  qu'Antoine  Bruckner  soit  si  peu  connu  en  Frarrce:  il  serait 
intéressant  d'entendre,  par  exemple,  sa  Symphonii-  romanlique  immédiatement 
après  la  symphonie  de  César  Franck,  pour  se  rendre  compte  des  tendances 
analogues  des  deux  œuvres,  malgré  les  différences  énormes  de  leur  concep- 
tion, de  leur  style  et  de  leurs  moyens.  —  Le  reste  du  programme  se  ratta- 
chait à  l'art  lyrique.  On  a  entendu  d'abord  le  prologue  de  la  plus  récente 
œuvre  dramatique  de  Saint-Saëns,  mais  sans  la  voix  du  récitant,  que  l'auteur 
a  supprimée  en  soudant  les  parties  purement  orchestrales  par  une  seule  tenue 
de  trompette.  Le  prologue  des  Barbares,  devenu  ainsi  un  simple  prélude,  ne 
possède  pas  moins  de  charme  sous  ce  nouvel  aspect  et  il  a  été  vivement 
applaudi.  La  dernière  œuvre  lyrique  de  M.  Bruneau  a  suivi  et  tous  les  pré- 
ininterrompue, ces  morceaux  ont,  pour  ainsi  dire,  formé  par  la  variété  de 
leur  sentiment  et  par  leur  développement  orchestral,  comme  les  quatre  parties 
d'une  symphonie  classique  ;  le  leitmotiv  principal,  qui  revient  si  souvent  sous 
ses  transformations  subtiles,  a  soutenu  ce  semblant  d'unité.  —  La  séance 
offrait  encore  un  intermède  vocal  :  MmeRose  Caron  chantait  d'abord  un  frag- 
ment de  Lohengrin  et  ensuite  la  romance  de  Marguerite  de  la  Damnation  de 
Faust.  L'artiste  a  triomphé  dans  ces  deux  morceaux,  même  dans  le  fragment 
de  Berlioz,  dont  la  tessiture  ne  lui  est  guère  favorable,  et  a  été  rappelée  à 
plusieurs  reprises.  0.  Berggruen. 

—  Concerls-Lamoureux.  —  Bien  des  chefs  d'orchestre  ne  paraissent  pas  se 
rendre  compte  exactement  des  conditions  requises  pour  une  interprétation 
irréprochable  des  œuvres  de  Beethoven,  et  tout  spécialement  de  la  Sympho- 
nie en  ut  mineur.  Ils  usent  sans  préparation  suffisante  des  procèdes  du 
lemjio  rubato,  cherchent  l'effet  par  l'exaspération  des  sonorités,  déséquilibrent 
l'instrumentation  pour  entraîner  le  public  à  la  suite  d'une  trompette,  d'un 
trombone  ou  d'un  cor  émergeant  de  l'orchestre,  comme  ferait  la  tête  hideuse 
d'un  serpent  s'élevant  tout  à  coup  au-dessus  de  la  flore  des  prairies.  Sans 
méconnaître  les  qualités  sérieuses  dont  M.  Chevillard  a  fait  preuve  et 
qui  lui  ont  valu  un  véritable  succès,  je  suis  bien  obligé  de  penser  que 
l'exécution  trois  fois  acclamée  de  la  Symphonie  en  ut  mineur  a  laissé 
quelque  chose  à  désirer.  L'ensemble  manque  de  perspective  musicale,  c'est- 
à-dire  que  chaque  morceau,  et  dans  chaque  morceau  chaque  fragment, 
semble  trop  envisagé  pour  lui-même,  indépendamment  de  toute  idée  dé 
cohésion  d'ensemble.  Les  imperfections  de  détail  abondent  :  ici  (début 
du  l"  allegro)  les  altos,  répondant  aux  seconds  violons  et  recevant  la  répli- 
que des  premiers,  produisent  une  solution  de  continuité  qui  brise  le  fll  mé- 
lodique; là  (premières  mesures  de  l'andante),  le  mouvement,  pris  trop 
vite,  oblige  immédiatement  à  ralentir  pour  arriver,  avec  une  allure  possible, 
au  chant  nouveau  des  instruments  à  vent;  plus  loin  (commencement  du  second 
allegro  appelé  improprement  scherzo),  le  ralentissement  mal  ménagé  est  dur 
et  raide  parce  que  le  procédé  simpliste  adopté  à  cet  endroit  pour  indiquer  les 
temps  ne  représente  aucunement  la  figuration  harmonique  ;  enfin,  la  fan- 
fare du  finale  est  prise  trop  rapidement  afin  d'éviter  l'inconvénient  redouté 
de  n'obtenir  à  cet  endroit  qu'un  son  grêle  et  sans  amplitude;  il  en  résulte  un 
ralentissement  fâcheux  à  l'endroit  du  motif  célèbre  des  cors.  Ces  défauts 
n'ont  pas  empêché  l'assistance  de  fêter  l'œuvre  et  le  chef  d'orchestre  par  trois 
ovations  prolongées.  C'était  justifié,  car,  outre  qu'il  faut  toujours  acclamer 
Beethoven  comme  le  plus  inimitable  des  maîtres,  M.  Chevillard  avait  fait 
preuve  de  grandes  qualités  sous  le  rapport  du  brio,  de  la  verve  entraînante 
et  même  parfois  de  la  netteté  du  rendu  (partie  des  contrebasses  du  scherzo. 
jeux  de  timbre  avant  la  modulation  en  la  bémol...).  —  Les  fragments  mélo- 
dramatiques du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Mendelssohn  ont  paru  froids  malgré 


la  grâce  d'une  forme  partout  irréprochable,  excepté  dans  la  trop  fameuse 
marche  nuptiale.  —  L'ouverture  de  Tannhiiuser  était  jetée  au  milieu  du  con- 
cert entre  l'admirable  concerto  de  Bach  pour  deux  violons,  que  MM.  Secbiari 
et  Soudantont  rendu  en  artistes  consciencieux  et  délicats,  et  l'air  de  Suzanne 
des  Noces  de  Figaro  que  M"'  Gaetane  Vicq  a  chanté  gracieusement.  Deux  mé- 
lodies de  M.  a.  de  Saint-Quentin  n'ont  pas  été  appréciées  très  favorablement. 
La  cantatrice  les  a  dites  pourtant  avec  un  certain  charme,  mais  le  genre 
adopté  par  l'auteur,  récitation  neutre  et  monotone  sur  un  joli  fond  instru- 
mental, n'est  pas  fait  pour  s'imposer,  ni  même  pour  séduire  beaucoup.  Le 
rythme,  âme  de  la  musique  des  temps  modernes,  en  est  trop  systématique- 
ment écarté.  Amédke  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire:  Symphionie  en  sot  mineur,  n"  1  (Méhul).  —  Ave  Vcruni  (Mozarti.  — 
Citant  Étc(iiaque  (Beetiioven). —  Ouverture  de  Le  .Tour  de  fête  (Beethoven).  —  Cliœurdes 
Chasseurs  d'Euryantïw  (Weber).  —  La  Ckevriérc,  chœur  de  femmes  (Massenett,  poésie 
de  M.  Edouard  Noël,  solo  par  M"°  'i^an  Gelder.  —  Symphonie  de  la  Rrformation,  n'  5 
(Mendelssohn). 

Cbâtelet,  concert  Colonne  :  Symphohie  en  ré  mineur  (César  Franck).  —  Air  d'Alceste 
(Gluck),  par"  M""  Rose  Caron.  —  Symphonie  italienne  (Mendelssohn).  —  Scène  de  la 
Terrasse,  de  Salammbô  (Reyer),  par  M""'  Rose  Caron  et  Julie  Cahun.  — Rédemption 
(César  Franck). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Lamoureux:  Symplnyiiie  pastorale  (Beethoven).  —  Fragments 
de  la  Statue  (Reyer),  par  M""  Jeanne  Raunay.  —  La  Vi.iion  de  Dante,  piélude  du  Pai'a- 
dis  (Brunel).  —  Valse  de  Méphisto  (Liszt).  —  Monologue  à'Aleesle  (Gluck),  par  M'"'  Jeanne 
Raunay.  —  Le  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn). 

—  Le  deuxième  concert  de  la  Nouvelle  Société  philharmonique  a  été  un  gros 
succès,  tant  au  point  de  vue  de  la  composition  du  programme  que  de  sa 
remarquable  interprétation.  La  sonate  en  ;■(•  mineur  de  Brahms  a  valu  de 
vifs  et  mérités  applaudissements  à  MM.  Eugène  Ysaye  et  Harold  Bauer,  qui 
l'ont  exécutée  avec  une  superbe  largeur  de  style,  de  même  que  l'incompara- 
ble sonate  en  ut  mineur  de  Beethoven,  poème  admirable  qui.  il  faut  le  dire, 
laisse  loin  derrière  lui  l'œuvre  de  Brahms,  malgré  la  valeur  incontestable  de 
celle-ci.  Les  deux  virtuoses  se  sont  fait  ensuite  acclamer  séparément  et  légi- 
timement, M.  Harold  Bauer  en  jouant  le  Carnaval  de  Schumanu.  M.  Ysaye 
en  exécutant  la  noble  Romance  en  sol  majeur  de  Beethoven,  et  une  Sara- 
bande, Double  et  Bourrée  de  J.-S.  Bach,  qui  nous  fait  renouveler  l'observa- 
tion faite  par  nous  précédemment  qu'un  accompagnement  discret  de  piano 
nous  semble  indispensable  à  des  compositions  de  ce  genre.  La  grâce  et  le 
charme  de  cette  soirée  sont  dus  à  une  jeune  cantatrice,  M"'=  Thérèse  Bebr, 
encore  inconnue  à  Paris,  et  qui  nous  a  dit  d'une  fa(;on  exquise  toute  une 
série  de  lieder  et  de  mélodies  de  Schubert,  Schumanu,  Brahms,  Tschaï- 
ii.u,vaK:,,  ^o.^^u,  i^otor  Comelius,  G^iordanl  et  même  Salvator  Rcoa.  Son  auccès 
a  élé  complet. 

—  C'est  l'autre  samedi  qu'a  eu  lieu  au  Cbâtelet,  sous  la  direction  de  M.  Ca- 
mille Chevillard,  l'audition  de  la  Vision  de  Dante, -poème  symphonique  en  trois 
parties,  avec  prologue  et  épilogue,  écrit  par  M.  Raoul  Brunel  sur  un  livret 
de  MM.  Eugène  et  Edouard  Adenis  et  couronné  au  dernier  concours  de  la 
ville  de  Paris.  Les  solî  étaient  confiés  à  la  belle  et  bien  chantante  M°>«  Jeanne 
Raunay,  à  J\1M.  Rousselière  et  David,  qui,  tous  trois,  se  sont  fait  très  juste- 
ment applaudir,  de  même  que  l'orchestre  et  les  chœurs.  L'œuvre  de  M.  Raoul 
Brunel,  très  fouillée,  très  travaillée,  a  été  accueillie  avec  faveur  par  le 
public. 


NOXJA^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (S  décembre)  : 

Les  répétitions  du  Crépuscule  des  Dieux  absorbent  tous  les  efforts  du  per- 
sonnel de  la  Monnaie,  que  la  préparation,  extraordinairement  compliquée  et 
ardue,  de  ce  colossal  ouvrage  met  littéralement  sur  les  dents.  C'est  un  véri- 
table calice  d'amertume,  qu'il  faut  boire  coûte  que  coule.  Et  la  direction 
piquée  au  jeu  et  sentant  combien  la  partie  à  jouer  est  lourde  et  importante 
pour  elle,  met  tout  son  amour-propre  à  s'en  tirer  le  plus  galamment  possible, 
sans  rechigner  à  la  besogne,  et  veut  faire  les  choses  tout  à  fait  bien,  de  façon 
à  contenter  les  wagnéristes  les  plus  difficiles.  Le  Crépuscule  sera  donné,  en 
efl'et,  intégralement,  sans  coupures  ;  celles-ci  seraient  d'ailleurs  ou  insigni- 
fiantes, ou  illogiques;  aussi,  la  représentation  de  l'œuvre  durera-t-elle  bien 
au  delà  des  limites  ordinaires.  On  commencera  à  sept  heures,  peut-être  avant 
même,  et  l'on  finira  à  une  heure  du  matin!  Pour  bien  faire,  il  faudra  s'y 
prendre  eu  plusieurs  fois  ;  le  premier  acte,  qui  dure  deux  heures,  pourrait  à 
lui  seul  former  un  spectacle.  Et  déjà  l'on  songe  â  occuper  les  entr'actes, 
comme  en  Allemagne,  par  des  exercices  gastronomiques  et  réparateurs  indis- 
pensables. On  comprend  que,  jusqu'à  cette  sensationnelle  première,  le  reste 
du  répertoire  sera  nécessairement  un  peu  négligé.  Il  n'a  été  possible  de 
donner,  ces  jours  derniers,  qu'une  reprise,  peu  palpitante,  de  la  Fille  du  régi- 
ment, avec  la  spirituelle  et  toujours  aimable  M""=  Landouzy;  et  il  n'y  en  aura 
plus  d'autres  d'ici  au  Crépuscule  des  Dieux,  qui  passera  vers  le  IS.  —  La 
Monnaie  avait  compté  pouvoir  donner  une  couple  de  représentations  de  la 
Valkijrie,  avec  le  concours  de  M.  Van  Rooy,  l'admirable  baryton  de  Bayreuth; 
par  malheur,  M.  Van  Rooy,  indisposé,  n'a  pu  venir;  et  c'a  été  un  long  tra- 
vail perdu.  L'artiste  devait  chanter,  par  la  même  occasion,  au  concert  Ysaye, 


LE  MÉNESTREL 


389 


dimanche  passé;  il  a  été  remplacé  par  une  cantatrice,  M»«  Behr,  absolument 
médiocre,  et  par  un  jeune  violoniste  russe,  M.  PelschnikoiT,  qui  a  joué  le 
concerto  de  Tschaïkowsky  et  des  morceaux  divers  avec  une  virtuosité,  une 
pureté  de  son  et  une  distinction  de  sentiment  absolument  remarquables.  On 
a  aussi  entendu,  à  ce  concert,  une  nouveauté  symphonique  extrêmement 
curieuse  :  dos  Variations  —  innombrables  — d'un  compositeur  anglais,  décou- 
vert par  M.  Ysaye  à  Londres,  M.  Ed.  Elgar:  celui-ci,  s'inspirant  de  ses  amis 
et  connaissances,  a  fait  de  ces  variations  une  suite  de  petits  poèmes  caracté- 
ristiques dépeignant  le  caractère  et  les  allures  des  personnages  auxquels  il  les 
a  dédiés;  Fidée  est  originale  et  l'exécution  tout  à  fait  ingénieuse,  pleine 
d'esprit,  avec  une  instrumentation  merveilleuse  de  souplesse  et  de  coloris. 
L'orchestre  de  M.  Ysaye  a  détaillé  à  ravir  l'œuvre  de  M.  Elgar,  —  un  nom  à 
retenir. 

A  Anvers  a  eu  lieu,  samedi  dernier,  au  Théâtre-Lyrique  flamand,  la  pre- 
mière représentation  de  la  Fiancée  de  la  mer  {De  Bruid  der  zee),  l'opéra  nou- 
veau de  M.  Jan  Blockx,  l'heureux  compositeur  de  Princesse  d'auberge  et  de 
Thyl  Uylenspiegel.  Le  livret  de  l'œuvre  nouvelle  est  de  M.  Nestor  de  Tière,  le 
librettiste  flamand  de  Princesse  d'auberge,  et  le  sujet,  cette  fois  encore,  est  tout 
imprégné  des  mœurs  et  du  caractère  populaires,  très  typiques  et  très  locaux, 
de  la  Flandre,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  de  la  Néerlande.  Sujet  pas- 
sionnel, dramatique,  —  un  peu  mélodramatique  même,  —  mettant  aux 
prises,  dans  un  cadre  pittoresque,  les  sentiments  du  cœur  les  plus  humains, 
i'amour  et  la  jalousie,  avec  la  violence  et  la  naïveté  des  âmes  simples  et 
sincères.  La  scène  se  passe  sur  une  plage  de  pauvres  pécheurs.  Kerline  a  juré 
un  amour  étemel  à  Arrie.  Celui-ci  part  en  Islande  pour  gagner  l'argent 
nécessaire  au  futur  ménage:  mais  il  périt  dans  les  flots.  Kerline  repousse  les 
propositions  d'un  autre  pécheur,  Kerdée,  malgré  les  supplications  et  les 
menaces  de  son  père  et  de  sa  mère,  et  la  jalousie  d'une  rivale,  Djovita,  qui 
aime  Iverdée  et  repousse  à  son  tour  l'amour  d'un  troisième  larron,  Morik. 
Pour  se  débarrasser  de  Keriine,  Djovita  feint  cependant  de  céder  à  Morik, 
qu'elle  associe  à  ses  projets  de  vengeance,  et  poursuit  la  malheureuse  de  sa 
haine  et  de  sa  perhdie  au  point  de  la  rendre  folle  et  de  la  déterminer  enfin  à 
se  jeter  à  la  mer  pour  rejoindre  son  fiancé  dans  la  mort.  L'émotion  et  l'in- 
térêt dramatique  ne  manquent  pas,  on  le  voit,  à  ce  sombre  poème,  qui  rap- 
pelle l'histoire  légendaire  de  Héro  et  Léandre,  et  que  la  verve  et  la  vigueur  de 
M.  Blockx  colorent  puissamment,  avec  la  justesse  d'expression  et  le  mouve-  " 
ment  qui  ont  fait  la  fortune  de  ses  précédentes  partitions.  D'accord  avec  la 
pensée  du  librettiste,  dont  le  poème  constitue  en  quelque  sorte  la  transposi- 
tion scénique  d'une  vieille  ballade  germanique,  les  Deux  enfants  du  roi,  racon- 
tant les  exploits  d'une  sirène  qui  attire  les  malheureux  mortels  au  fond  des 
abimes,  le  compositeur  a  fait  de  cette  ballade  la  trame  essentielle  de  son 
œuvre:  et  il  y  a  ajouté  encore  la  saveur  d'autres  mélodies   cararl(iri«tinnpQ 

crnpruntées  an  fVJL-û,:,.  n„^^,^A  ^„  ;„„„;_.;—   : -i.-_niôme  avec  une  rîre 

connaissance  du  style  populaire,  dont  sa  musique  porte,  tout  entière,  l'em- 
preinte si  curieusement.  Le  premier  acte  de  la  Fiancée  de  la  mer,  admirable- 
ment Cl  établi  »,  très  «  chantant  »,  et  d'une  allure  très  franche,  est  peut-être 
le  meilleur  des  trois;  un  duo  d'amour  et  un  ensemble  d'un  bel  effet  le  ter- 
minent aTec  éclat.  Le  second  a  moins  de  cohésion  en  sa  diversité  de  scènes 
parmi  lesquelles  le  souflle  de  l'auteur  s'éparpille  un  peu:  mais  le  drame  se 
noue,  et  la  scène  finale,  où  Kerline,  folle,  croit  entendre  la  voix  de  son  fiancé 
qui  l'appelle,  est  vraiment  émouvante.  Au  troisième,  il  faut  noter  surtout  la 
bénédiction  de  la  mer,  dont  le  caractère  calme  et  religieux  se  mêle  à  la  pas- 
sion déchaînée  des  héros,  pour  finir  dans  un  alléluia  imposant.  L'interpréta- 
tion, plus  convaincue  que  parfaite,  n'a  pas  empêché  l'œuvre  d'obtenir  un 
succès  très  chaleureux  et  très  bruyant,  marqué  par  de  nombreuses  ovations 
faites  aux  auteurs,  appelés  sur  la  scène  après  le  deuxième  acte.  Un  public 
d'élite  se  pressait  dans  la  salle  ;  beaucoup  de  Bruxellois  avaient  fait  expressé- 
ment le  voyage  d'Anvers,  notamment  la  plupart  des  confrères  en  musique 
de  M.  Blockx,  accourus  pour  l'applaudir,  et  les  directeurs  du  théâtre  de  la 
Monnaie,  qui,  dès  à  présent,  songent  à  monter  l'œuvre,  en  français,  l'an 
prochain.  L.  b. 

—  Un  journal  bavarois  vient  de  donner  des  détails  curieux  sur  les  relations 
financières  du  roi  Louis  U  et  de  Kichard  Wagner.  Celui-ci  avait  emprunté 
au  roi  cent  mille  marcs  pour  couvrir  en  partie  le  déficit  de  Bayreuth,  et  avait 
cédé  au  souverain,  comme  compensation,  le  droit  de  faire  jouer  Parsifal  à 
Munich  après  les  premières  représentations  de  Bayreuth.  Or,  Wagner  ne 
pouvait  se  consoler  d'avoir  ainsi  abandonné  Parsifal,  et  le  1"=''  octobre  1880 
le  roi  reçut  de  son  ami  une  lettre  contristée  dans  laquelle  le  maitre  lui  annon- 
çait qu'il  irait  en  Amérique  en  1881  pour  y  gagner  dans  des  concerts  une  forte 
somme  d'argent  qu'on  lui  offrait.  L'intention  de  Wagner  était  de  rendre  au 
roi  la  somme  de  cent  mille  marcs  et  de  dégager  ainsi  Parsifal,  car  il  désirait 
qu'on  ne  put  jouer  cette  œuvre  ailleurs  qu'à  Bayreuth.  Quinze  jours  plus  tard, 
le  15  octobre  1880,  l'intendance  des  théâtres  royaux  de  Munich  reçut  du  châ- 
teau de  Linderhof  l'ordre  royal  suivant  : 

Pour  favoriser  les  grandes  visées  du  maitre  Richard  Wagner,  j'ai  pris  la  résolution 
de  mettre  à  la  disposition  de  l'entreprise  de  Bayreuth,  à  partir  de  18S2  et  toutes  les  an- 
nées suivantes,  l'orchestre  et  les  chœurs  de  mon  théâtre  de  la  Cour  pendant  deux  mois. 
Quant  au  choix  des  mois  les  plus  convenables  et  pour  la  question  du  remboursement  des 
frais  mon  intendant  général  baron  de  Perfall  et  mon  secrétaire  de  cabinet,  le  conseiller 
de  ministère  de  Buerkel,  devront  s'entendre  avec  la  société  du  patronat  de  Bayreuth  et 
me  présenter  à  ce  sujet  un  rapport  détaillé. 

J'ordonne,  en  outre,  que  toutes  les  conventions  antérieures  concernant  les  représenta- 
tions de  Parsifal  à  Munich  soient  considérées  comme  nulles  et  non  avenues. 

Cet  ordre  royal  avait  donc  rendu  Parsifal  à  Wagner.  Le  roi  était  doulou- 
reusement impressionné  par  l'idée  que  celui-ci  serait  obligé  d'aller,  si  fort 


âgé,  en  Amérique  pour  dégager  sa  dernière  œuvre,  qu'il  considérait,  non  sans 
raison,  comme  la  partie  la  plus  importante  de  l'héritage  qu'il  laisserait  à  sa 
famille.  Le  roi  partageait  d'ailleurs,  au  point  de  vue  purement  artistique,  les 
idées  de  Wagner,  auquel  il  écrivait  en  octobre  1880  qu'il  désirait  que  le  Bueh- 
nenweihfestspiel  sucré,  (heilig)  ne  fût  joué  qu'à  Bayreuth,  afin  qu'il  ne  perdît 
rien  de  son  caractère  sur  aucune  autre  scène  profane  (sic!).  Ajoutons  que  la 
somme  prêtée  par  Louis  II  à  Wagner  pour  le  théâtre  de  Bavreuth  est  au- 
jourd'hui presque  entièrement  restituée  aux  héritiers  du  roi;'on  avait  à  cet 
effet,  retenu  tous  les  droits  d'auteur  considérables  dus  par  l'Opéra  de  Munich 
aux  héritiers  de  Wagner  depuis  sa  mort.  De  part  et  d'autre  les  sommes 
aujourd'hui  s'égalisent  à  peu  près. 

—  L'Opéra  royal  de  Munich  prépare  un  «  cycle  »  des  œuvres  de  jeunesse 
de  Richard  Wagner.  On  jouera  les  Fées,  la  Défense  d'aimer  ou  la  Novice  de 
Palerme  et  Rienzi.  La  partition  de  la  Défense  .d'aimer  avait  été  offerte  par 
Wagner  au  roi  Louis  II;  cet  opéra  n'a  été  joué  qu'une  seule  fois,  à  Magde- 
bourg,  en  1836. 

—  Bayreuth  verra  en  1902  une  invasion  d'artistes  Scandinaves.  M^e  Cosima 
Wagner  a,  en  effet,  engagé  M'"»  Gulbranson,  le  baryton  Elmblad  et  le  ténor 
Hagerman. 

—  Un  accord  parfait  s'est  finalement  établi  entre  les  trois  sociétés  musi- 
cales :  la  Société  des  amis  de  la  musique  de  Vienne,  la  Société  Czerny  de 
■Vienne,  et  la  Société  Liszt  de  Hambourg  d'une  part,  et  les  parents  de  Brahms 
d'autre  part.  Chacune  de  ces  sociétés  a  reçu  une  somme  relativement  peu 
importante  eta  reconnu  les  droits  des  héritiers,  qui  vont  toucher  la  forte  somme. 

—  M.  Emile  Sauer,  le  pianiste  que  nous  avons  entendu  récemment  aux 
concerts  Lamoureux,  vient  d'être  nommé,  par  le  ministre  de  l'instruction 
publique  d'Autriche,  chef  de  la  nouvelle  classe  de  perfectionnement  du  piano 
qu'on  a  fondée  au  Conservatoire  de  Vienne.  Ou  se  rappelle  que  les  pourpar- 
lers engagés  avec  M.  Sauer  au  sujet  de  sa  nomination  ont  amené  la  démis- 
sion des  trois  plus  remarquables  professeurs  de  piano  du  Conservatoire. 

—  Une  affaire  singulière  est  actuellement  soumise  à  la  commission  d'ar- 
bitrage de  l'Association  des  artistes  des  théâtres  allemands.  Un  chanteur  qui 
interprétait  Guillaume  Tell  au  théâtre  de  Mayence  fut  vivement  applaudi  après 
sa  grande  scène  et  rappelé,  mais  ne  voulut  pas  pour  cela  sortir  de  sa  lo-'e, 
malgré  l'ordre  formel  du  régisseur  d'aller  se  montrer  au  public  impatient! 
Le  lendemain  l'artiste  reçut  un  de  ces  avis  d'amende  (Strafzettel)  qui  sont 
d'usage  dans  les  théâtres  d'outre-Rhin.  La  somme  était  assez  forte  et  l'artiste, 
au  lieu  de  payer,  a  porté  l'affaire  devant  la  commission  d'^jhter-surtœ-pTïmTr-' 
en  effet  inadmissible  qu'un  réaisseiir  nil  le  rlimi  d.  ■'i"l'.^-«ipport  avec  leur 
service  au  théâtre. 

—  Les  grands  théâtres  italiens  préparent  leur  importante  saison  d'hiver, 
qui,  comme  on  sait,  commence  à  la  San  Stefano,  le  26  décembre.  Ils 
publient  déjà  leur  cartellone.  Voici  le  tableau  de  la  troupe  de  la  Scala  de 
Milan  :  W^"^  Irma  Baseggio,  Jane  Bathori,  Elisa  Bruno,  Rosa  CalHgaris- 
Marty,  Europa  Dal  Corso,  Teresa  Ferraris,  Adélaïde  Kozakowski,  Bianca 
La  vin,  Elvira  Magliulu,  Amelia  Milazzo,  Soria  Parisotto,  Amelia  Pinto, 
Adèle  Ponzano,  Onoria  Popovici,  Bruna  Properzi,  Rosina  Storchio,  Eugenia 
Tomsen.  Giuseppina  Elffreduzzi  ;  MM.  Giuliano  Biel,  Enrico  Caruso,  Lodo- 
vico  Contini.  Emilie  Cossira,  Antonio  Magini  Coletti,  Enrico  Nani,  Costan- 
tino  Nicolay,  Carlo  Ragni,  Arcangelo  Rossi,  Mario  Roussel,  Mario 
Sammarco,  Michèle  Wigley.  Chef  d'orchestre  :  Arturo  Toscanini.  Entre 
autres  œuvres  du  répertoire:  il  Trovatore,  la  Valkyrie,Euryanthe,LindadiCha- 
mounix,  HaenselelGretel  et  Germania,  opéra  inédit  de  M.  Alberto  Franchetti. 
Au  cours  de  la  saison,  quelques  exécutions  du  Requiem  de  Verdi. 

Voici  maintenant  le  personnel  du  théâtre  San  Carlo  de  Naples  :  M^^  Gemma 
Bellincioni,  Regina  Pinkert,  De  Macchi,  Jacoby  et  Giacchetti  ;  MM.  Enrico 
Caruso,  De  Lucia,  Vignas,  ténors  ;  Ancona,  Bucalo,  barytons  ;  Scarneo, 
basse.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Mascheroui.  Au  répertoire  :  l'Elisire  d'amore, 
Manon,  laNavarraise,  Lohengrin,  les  Pécheurs  de  perles,  (n  Bo/ième  (Leoncavallo), 
Don  Juan,  Fedora,  Mefistofele  et  Lorenza  (Mascheroni). 

Et  voici  la  composition  de  la  troupe  du  théâtre  Costanzi  de  Rome  : 
]y[mes  Emma  Carelli,  Emma  Leonardi,  Giacomini,  Regina  Pinkert,  Pasini- 
Vitale,  Tavella,  Kavini  ;  MM.  Antonio  Tasca,  Enrico  Caruso,  Ventura, 
Alessandro  Bonci,  Marcolin,  Baradel,  Nannetti,  Pessina,  Angelini-Fornari, 
Mu^noz,  Galli  et  Bordogni.  Chef  d'orchestre  :  M.  Edoardo  Vitale.  Répertoire  : 
la  Favorite,  les  Maîtres  Chanteurs,  la  Bohème,  (Puccini),  *  Puritani,  il  Trillodel 
Diavolo,  Tosca,  Iris.  Dans  la  seconde  quinzaine  d'avril,  à  l'occasion  de  la  réu- 
nion du  congrès  historique,  on  donnera  quatre  exécutions  de  Mosè  de  don 
Lorenzo  Perosi. 

Au  Théâtre-Lyrique  de  Milan  a  eu  lieu,  le  25  novembre,  la  première 

représentation  de  Chopin,  opéra  en  quatre  actes,  livret  de  M.  Angiolo  Orvieto, 
musique  «  arrangée  »  par  M.  Giacomo  Oreflce  sur  des  mélodies  de  Chopin. 
«  Entre  dans  la  cuisine  du  grand  pianiste-compositeur  Frédéric  Chopin,  dit 
le  Monda  arlistico,  prends  le  Nocturne  op.  15,  n»  1,  et  forme-s-en  un  air,  la 
Mazurka  op.  S6,  n"  2,  et  fais-en  un  chœur,  la  BarcaroUe  op.  60  et  tiro-s-en 
un  prélude  à  un  air  de  soprano  construit  avec  la  Grande  Fantaisie  op.  13, 
ensuite  la  Berceuse  op.  57  que  tu  arrangeras  de  façon  à  en  faire  un  duo,  puis 
le  Cracoviak  du  Nocturne  op.  9,  n»  2,  que  tu  transformeras  eu  chœur,  puis 
tripote  bien  le  tout  et  sers  chaud  le  premier  acte  de  l'opéra,  renouvelle  trois 
fois  l'opération  avec  d'autres  ingrédients,  et  tu  auras  cuisiné  les  quatre  actes 


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LE  MENESTREL 


de  l'opéra  intitulé  Chopin.  »  Tel  est,  en  effet,  le  procédé  employé  par  M.  Ore- 
fice,  procédé  qui  semble  avoir  réussi,  car  le  public  a  fait  bon  accueil  à 
l'œuvre  qui  lui  était  ainsi  présentée.  L'ouvrage  comprend  quatre  actes  ou 
tableaux  :  Noël,  le  premier,  l'adolescence  de  Chopin  et  son  premier  amour 
pour  Stella,  l'enfant  ingénue:  le  second,  l'Avril,  essor  de  l'artiste  vers  la 
conquête  de  la  gloire  dans  l'amour  passionné  de  Flora;  le  troisième,  la  Tem- 
pête, à  Majorque,  dans  un  milieu  mystique  et  mélancolique,  avec  l'épisode 
de  la  gentille  jeune  fille  victime  de  la  mer:  enfin  le  dernier,  l'Automne,  qui 
représente  la  En  de  Chopin,  assailli  par  ses  souvenirs  et  mourant  entre  les 
bras  d'Elie,  son  ami,  et  de  Stella,  son  premier  amour.  Le  ténor  Borgatti  a 
obtenu  un  succès  éclatant  dans  sa  personnification  de  Chopin;  il  avait  une 
partenaire  excellente  en  la  personne  de  M""'  Cesira  Ferrani,  qui  a  partagé 
son  succès. 

—  La  saison  d'automne  du  Théâtre-Lyrique  international  de  Milan  vient 
de  se  terminer  sur  deux  superbes  représentations  de  la  Sapho  de  Massenet, 
avec  l'émouvante  Bellincioni,  qu'on  y  a  acclamée. 

—  On  a  annoncé,  dit  un  journal  italien,  qu'Arrigo  Boito  se  disposait  à 
passer  l'hiver  sur  la  rive  douce  de  Sirmione,  dont  il  ne  veut  plus  s'éloigner 
qu'il  n'ait  terminé  son  Néron.  Mais  ses  déclarations  rencontrent  quelques 
sceptiques,  et  parmi  eux  un  ami  très  intime  de  Boito,  M.  Ricordi,  lequel, 
écrit  il  Resta  del  Carlino,  affirme  mélancoliquement  que  Néron  sera  un  opéra 
posthume  de  l'auteur  de  Mefistofele. 

—  A  Rome,  M.  Nasi,  ministre  de  l'instruction  publique,  répondant  favo- 
rablement à  une  requête  déjà  ancienne  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile,  vient 
d'établir  un  fonds  de  9.000  francs  pour  la  création  d'un  pensionnat  d'élèves 
musiciens  comme  il  en  existe  déjà  pour  les  élèves  peintres,  sculpteurs  et 
architectes. 

—  Le  conseil  communal  de  Rome  a  voté  à  l'unanimité,  dans  une  de  ses 
dernières  séances,  l'ordre  du  jour  suivant  :  —  «  Le  conseil,  dans  le  désir  de 
fêter  le  quatre-vingtième  anniversaire  de  la  naissance  d'une  des  plus  grandes 
illustrations  universelles  de  l'art,  Adélaïde  Ristori,  décide  que,  le  29  jan- 
vier 1902,  toutes  les  directions  des  écoles  dépendant  de  la  commune  seront 
invitées  à  tenir  dans  leurs  locaux  spéciaux  une  conférence  pour  rappeler  aux 
élèves  les  vertus  et  le  génie  de  cette  grande  figure  vivante  que  l'art  et  la 
patrie  réunissent  eu  une  fin  unique.  » 

—  Aux  récentes  élections  qui  ont  eu  lieu  à  Naples  pour  le  renouvellement 
de  la  municipalité  de  cette  ville,  M.  Nicolà  d'Arienzo,  professeur  de  compo- 
sition au  Conservatoire,  a  été  nommé  conseiller  communal. 

—  Tp  ii-nyajl  nue  M.yaletta  a  publié  sur  Bellinidans  la  Niiova  Antologia  et 

que  je  connaisse  parmi  ceux  dont  l'auteur  de  Norma  et  de  la  Somiambula  a 
été  l'objet  de  la  part  de  ses  compatriotes.  C'est  une  sorte  à'essay  à  la  manière 
anglaise,  à  la  fois  bref  et  substantiel,  rapide  et  complet,  qui  fait  connaître 
tout  ensemble  l'homme  et  l'artiste,  et  qui,  sans  entrer,  faute  d'espace,  dans 
une  critique  de  détail  et  dans  une  analyse  minutieuse  des  œuvres,  n'en  carac- 
térise pas  moins  le  génie  du  compositeur  d'une  façon  appréciable  et  solide. 
Le  récit  est  net,  vivant,  intéressant,  ne  s'égare  pas  dans  les  broussailles,  et 
met  le  lecteur  au  fait  de  toute  l'existence  morale  et  artistique  de  Bellini, 
qu'il  peut  connaître  à  fond  après  la  lecture  de  ces  trente  pages  bien  remplies. 
M.  Valetta,  qui  a  le  talent  difficile  et  rare  de  résumer  les  faits  en  peu  d'es- 
pace, a  donné  là  un  pendant  à  l'excellente  notice  qu'il  avait  déjà  consacrée 
à  Donizetti,  notice  d'autant  plus  précieuse  qu'il  n'existait  sur  l'auteur  de 
Lucie  et  de  Don  Pasquak  que  le  livre  bien  însufEsant  de  l'avocat  Cicconetti  et 
les  deux  piètres  petits  volumes  de  M.  Edoardo  Verzino.  A.  P. 

—  Un  fiasco  comme  on  en  voit  rarement  vient  de  se  produire  à  Modène 
à  la  représentation  d'un  opéra  nouveau,  Ordinanza,  paroles  de  M.  Alfredo  Tes- 
tnni,  musique  de  M.  Délia  Noce.  Le  public,  très  nombreux,  s'est  montré 
tellement  irrité  de  la  mauvaise  qualité  du  poème,  de  la  musique  et  de  l'exé- 
cution, qu'à  moitié  de  l'œuvre  il  n'a  pas  voulu  en  enteudre  davantage  et  a 
fait  baisser  le  rideau.  La  chute  était  complète,  irrémédiable.  Si  l'on  songe, 
dit  un  journal,  que  M.  Testoni  est  modénais  et  poète  distingué,  que  M.  Délia 
Noce,  modénais  aussi,  est  connu  par  d'intéressantes  compositions  et  qu'il 
jouit  auprès  de  ses  concitoyens  d'une  grande  estime  pour  son  beau  talent  et 
sa  vaste  culture,  le  résultat  désastreux  obtenu  par  l'œuvre  nouvelle  ne  peut 
faire  moins  que  de  surprendre. 

—  Plus  heureux  a  été  un  autre  opéra.  Céleste,  représenté  à  San  Miniato  et 
dont  la  musique  a  pour  auteur  le  jeune  compositeur  Franscesco  Pisani,  élève, 
dit-on,  de  M.  Mascagni  et  directeur  de  la  musique  municipale  et  du  Cercle 
philharmonique  de  cette  ville. 

—  On  a  donné  à  Madrid  la  première  représentation  d'une  zarzuela  en  un 
acte,  el  Début  de  la  Ramirez,  paroles  de  M.  Merino,  musique  de  MM.  Torre- 
grosa  et  Quinito. 

—  Au  théâtre  des  Novedades  de  Madrid,  apparition  d'une  zarzuela  nouvelle 
en  un  acte,  los  Timplaos,  paroles  de  MM.  Eusebio  Blasco  et  Fernandez  Shaw, 
musique  de  Gimenez. 

—  Ib  et  la  petite  Christine  est  le  titre  d'un  opéra-comique  en  trois  actes  qui 
vient  d'être  représenté  avec  succès  au  Savoy-Théâtre  de  Londres.  Le  livret  a 
été  tiré  par  M.  Basil  Hood  d'un  conte  danois  d'Andersen,  la  musique  a  pour 
auteur  un  jeune  artiste  italien,  M.  Franco  Leoni. 


PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Le  ministre  des  beaux-arts  vient  d'adresser  aux  préfets  une  circulaire 
au  sujet  de  l'accord  intervenu  entre  le  syndicat  de  la  Société  des  auteurs 
compositeurs  et  éditeurs  de  musique  et  les  sociétés  orphéoniques. 

Cet  accord,  intervenu  à  la  suite  d'une  proposition  de  loi  due  à  l'initiative 
de  M.  Gaillard,  sénateur  de  l'Oise,  est  ainsi  réglé  par  le  ministre  : 

I.  —  Exécutions  publiques  données  par  les  Sociétés  musicales  elles-mêmes. 

Seront  considérés  comme  recette  indirecte  : 

1"  Les  souscriptions  à  un  ou  plusieurs  concerts  par  des  personnes  étrangères  à  la  société 
musicale,  ainsi  que  les  souscriptions  à  plus  de  deux  places  par  concert  par  des  membres 
de  ladite  société  ; 

2"  Le  prix  des  billets  d'une  tombola  ; 

3"  Le  montant  d'une  quête,  sauf  dans  le  cas  où  elle  serait  faite  au  proût  unique  et 
exclusif  d'une  œuvre  publique  de  bienfaisance  ; 

4''  Le  produit  d'un  vestiaire,  si  le  droit  est  supérieur  à  50  centimes; 

5°  Le  produit  de  la  vente  d'un  programme. 

Au  contraire,  ne  seront  pas  considérées  comme  recelte  indirecte  : 

\°  Les  cotisations  des  membres  actifs  ou  honoraires  ; 

2°  Les  subventions  accordées  aux  sociétés  par  l'État,  les  départements  ou  les  communes. 

II.  —  Exécutions  publiqiies  organisées  avec  le  concours  des  Sociétés  musicales  ou  des  musi- 
ques militaires,  par  les  municipalités  ou  par  une  collectivité  agissant  dans  un  Imt  uni- 
que et  exclusif  de  bienfaisance  publique  ou  d'utilité  publique. 

Seront  considérées  comme  recette  indirecte,  indépendamment  des  cinq  cas  prévus  au 
paragraphe  précédent  : 
!•  La  location  des  chaises,  si  le  concert  a  lieu  sur  une  place  ou  dans  un  jardin  public, 
2«  La  location  d'une  salle  à  une  société  musicale,  faite  par  une  municipalité  ou  par 
un  tiers. 

Au  contraire,  ne  seront  pas  considérées  comme  recette  indirecte  :  les  subventions  accor- 
dées ou  les  souscriptions  recueillies  à  l'occasion  des  concours,  kermesses  ou  fêtes  locales, 
à  la  condition  que  ces  subventions  ou  souscriptions  ne  donnent  droit  à  aucune  entrée. 

Le  ministre,  en  résumé,  ne  touche  pas  à  l'accord  de  189i,  qui  demeure  le 
règlement  fondamental  en  la  matière.  Il  a  voulu  simplement  donner  à  cet 
accord  une  interprétation  à  la  fois  plus  précise  et  plus  libérale  :  plus  précise, 
puisqu'elle  prévient  des  conflits  qui  auraient  pu  s'élever;  plus  libérale,  en  ce 
qu'elle  donne  satisfaction  aux  réclamations  des  municipalités  et  assure  plus 
d'indépendance  aux  sociétés  musicales. 

—  M.  Emile  Berlin,  le  dévoué  régisseur  général  del'Opéra-Comique,  vient 
d'être  nommé  par  le  ministre  des  beaux-arts,  sur  l'avis  du  conseil  des 
études,  qui  l'avait  proposé  en  première  ligne,  professeur  d'opéra-comique  au 
Conservatoire,  en  remplacement  de  M.  Lhérie.  C'est  là  un  excellent  choix, 
M.  Berlin,  qui  fut  un  excellent  artiste,  ayant  de  la  scène  une  expérience 
consommée. 

—  Coup  de  théâtre  à  la  Gomédie-P'rançaise.  Par  arrêté  du  ministre 
M.  Lucien  Guitry  y  a  été  nommé  directeur  de  la  scène  aux  côtés  de  l'admi- 
nistrateur général,  M.  Jules  Claretie.  On  aurait  pu  croire  que  là-dessus  les 
sociétaires  allaient  furieusement  grincer  des  dents  en  voyant  appelé  à  les 
dominer  simplement  un  de  leurs  pairs,  qui,  après  tout,  n'est  pas  supérieur  à 
quelques-uns  d'entre  eux.  Il  n'en  a  rien  été,  et  tout  s'est  passé  le  mieux  du 
monde.  Chacun  a  rentré  ses  griffes,  et  M.  Guitry  a  pu  opérer  devant  une 
assemblée  de  moutons.  Qu'est-ce  qui  peut  bien  couver  là-dessous  ?  M.  Lavedan 
s'est  empressé  de  rendre  son  Marquis  de  Priola,  violemment  enlevé  à  M.  Cla- 
retie, et  voilà  l'œuvre  lancée  en  pleines  répétitions.  Mais  comme  tous  ces 
gens-là,  associés  dans  une  œuvre  commune,  doivent  s'aimer  entre  eux  1  0 
comédie,  comédie  bien  française  ! 

—  Dans  le  rapport  sur  le  budget  des  beaux-arts,  qui  vient  d'être  distribué  aux 
députés  et  qui  contient  plus  d'une  page  intéressante — nous  aurons  l'occasion  d'y 
revenir  —  M.  Couyba  propose  la  création  d'un  «  Théâtre  du  peuple  »,  établi  au 
Chàtelet  :  les  places  seraient  à  un  prix  très  bas,  et  les  quatre  théâtres  subven- 
tionnés y  joueraient  tour  à  tour  chaque  semaine,  les  autres  jours  étant  réser- 
vés à  des  conférences  de  gens  célèbres,  à  des  concerts  de  grandes  Sociétés 
musicales,  à  la  musique  légère  et  à  la  chanson.  Puis  le  rapporteur,  s'étant 
aperçu  après  coup  que  la  province  était  oubliée  dans  son  projet,  ce  qui  ne  lui 
paraît  pas  juste,  puisque  la  province  participe  au  paiement  des  subventions 
il  a  l'intention,  lorsqu'il  développera  son  rapport,  d'ajouter  un  post-scriptum 
à  sa  proposition.  Il  y  prévoiera  l'organisation  de  voyages  des  différents 
éléments  du  Théâtre  du  peuple,  et,  pour  faire  face  aux  dépenses  occa- 
sionnées, présentera  une  combinaison  d'après  laquelle  la  ville  qui  ferait  la 
demande  supporterait  un  tiers  des  frais,  les  deux  autres  tiers  étant  imputés 
au  département  et  à  l'Etat.  Tout  ça,  c'est  des  beaux  rêves,  dont  la  réalisation 
parait  difficile.  Et  qu'en  penseraient  les  contribuables,  qui  ne  sont  pas  tous 
mélomanes  ou  amis  des  belles-lettres  ? 

—  Dans  ce  même  rapport,  et  avec  plus  d'à-propos,  M.  Couyba  signale  le 
danger  permanent  auquel  sont  exposés  les  artistes  de  l'Opéra-Gomique  en  ce 
petit  espace  que  leur  a  réservé  l'architecte  Bernier  sur  une  scène  trop  exiguë 
et  dans  les  minuscules  dépendances  de  cette  scène.  Il  fait  remarquer  avec  juste 
raison  qu'en  cas  de  sinistre  les  malheureux  n'auraient  [pour  s'échapper  que 
deux  petites  portes  qu'il  compare  à  des  «  trous  de  souris  »  et  que  dans  leur 
affolement  ils  n'auraient  qu'à  venir  s'écraser  contre  le  mur  du  fond  ou  contre 
le  rideau  de  fer  qui  sépare  la  scène  de  la  salle.  Prophétie  vraiment  terrifiante  I 
Subsidiairement,  il  indique  aussi  les  dommages  que  cause  cette  exiguïté  à 
l'administration  du  théâtre,  en  l'obligeant  à  d'incessants  transbordements  de 


LE  MENESTREL 


391 


décors  d'un  point  de  Paris  à  un  autre,  puisqu'on  ne  peut  pas  les  remiser  au 
théâtre  même,  faute  de  place.  Alors  ?  Alors  il  faut  avoir  le  courage  de  faire 
ce  qu'on  n'a  pas  su  faire  dès  l'abord,  reconnaître  ses  erreurs  et  faire  l'acqui- 
sition au  plus  vite  de  tout  l'immeuble  sur  le  boulevard,  pendant  que  les  appar- 
tements y  sont  presque  tous  à  louer.  L'économie  du  projet  est  parfaitement 
indiquée  par  l'un  des  rédacteurs  du  Figaro  et  on  peut  s'en  tirer  à  assez  bon 
compte.  Qu'on  marche  vite  et  qu'on  n'attende  pas  le  sinistre  irréparable, 
comme  il  est  arrivé  déjà  pour  l'ancienne  salle,  malgré  tous  les  avertisse- 
ments. 

—  Demain  lundi,  début  à  l'Opéra,  dans  Roméo  et  Juliette,  de  M"*  Bessie 
Abott,  jeune  américaine,  qui  depuis  un  an,  nous  disent  les  gazettes,  travaille 
sous  la  direction  même  de  M.  Gailliard.  Nous  en  aurions  préféré  une  autre. 
Le  même  soir  la  charmante  M""'  Carrère  remplira  le  rôle  et  le  maillot  du 
page  Stefauo. 

—  Le  ténor  Alvarez  s'embarquera  cette  semaine  à  destination  de  l'Amé- 
rique, où  il  va  chanter,  entre  autres  rôles,  Manon  aux  côtés  de  Sibyl  Sanderson 
et  la  Navarraise  avec  M"»  Galvé,  Il  dit  adieu  à  l'Opéra,  à  Gailhard  et  à  ses 
pompes,  sans  esprit  de  retour,  à  ce  qu'on  assure.  Voilà  un  départ  qui,  après 
celui  de  M""  Bréval,  la  triomphante  Grisélidis  de  rOpéra-Gomique,va  rehaus- 
ser encore  et  singulièrement  le  prestige  de  notre  première  scène. 

—  Avec  Grisélidis  l'Opéra-Comique  a  réalisé  dernièrement  la  plus  forte  re- 
cette qu'il  ait  jamais  encaissée  :  9.716  fr.  50!  D'ailleurs,  depuis  le  commen- 
cement des  représentations  de  cette  œuvre  charmante,  il  n'y  a  jamais  eu  de 
recette  au-  dessous  de  9.000  francs  sauf  pour  les  soirées  qui  comportaient 
un  «  service  de  presse  ». 

—  M.  Albert  Carré  a  réuni  cette  semaine  à  l'Opéra-Comique  les  titulaires 
de  la  caisse  des  retraites  qu'il  a  fondée  dans  son  théâtre,  c'est-à-dire  tous 
les  artistes  de  l'orchestre  et  des  chœurs  et  le  personnel  technique  de  la  scène, 
afin  de  Jes  présenter  à  M.  Dislère,  président  de  section  au  Conseil  d'Etat,  qui, 
avec  un  très  grand  dévouement,  a  bien  voulu  accepter  la  présidence  du 
comité  de  l'œuvre  des  pensions  de  l'Opéra-Comique.  Puis  il  leur  a  annoncé 
une  bonne  nouvelle.  Sur  sa  demande,  appuyée  en  haut  lieu  par  M.  Dislère, 
une  loterie  vient  d'être  autorisée  au  profit  de  la  caisse  des  retraites  du  per- 
sonnel de  rOpéra-Comique.  Elle  se  composera  de  lots  en  nature.  Les  dons 
affluent.  Le  Président  de  la  République  s'est  inscrit  le  premier,  les  maisons 
Erard,  Pleyel,  Alexandre,  les  plus  grands  peintres,  sculpteurs  et  graveurs, 
les  premières  maisons  du  commerce  parisien  dont  l'Opéra-Comique  est  le 
théâtre  préféré,  les  principaux  éditeurs  de  musique  et  enfin  les  direc- 
teurs des  grands  journaux  de  Paris  ont  tous  promis  leur  concours  au  direc- 
teur de  rOpéra-Gomigue,  qui,  déjà,  a  réuni  à  cette  heure  ,'l7'\(iftt"  uDioi,-pŒf 
1.000.  La  lr,tor;=  --  "::;',;-H„K  aura  îieû'vers  le  ÏJO  décembre  prochain  et 
100  billets.  L  émission  des  billets  auia  iieu  vei» 

le  tirage  de  la  loterie  le  3i  mai  1902. 

_  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée, 
Carmen  ;  le  soir,  Mireille. 

Demain  lundi,  en  matinée,  à  l'Opéra-Comique,  grande  fête  septentrio- 
na'i;  donn  e  par  l'Association  amicale  des  Enfants  du  Nord  et  du  Pas-de- 
Calais  (La  BetLrave)  au  bénéfice  des  œuvres  de  bienfaisance  ^e  ces  deux 
,r  .Intnt,  iu  DO^ramme  :  Ros6  e(  Cote,  de  itfonsigny  ;  un  ballet  médit 
flTZsnZle:Cn.ent  des  roses;  le  Couronnement  delà  Muse,  deM.  Gus 
de  M.  massenei,  patoisant  ouvrier  mineur  Jules  Mousseron;   la 

r.  drrjhéonisls  e'valncLnes;  la  Légende  de  Jean  de  Calais,  par 
Tlttl  DorcLin  due  par  M.  Coquehn  aîné;  la  Ckanson  de  Cadet-Roussel, 
^:  M  Henri  Malo,  dite  par  M.  Raphaël  Duflos.  Grand  intermède  compose 
diefet  de  fragments  d'œuvres,  plusieurs  inédites,  d'écnvains  et  de  com- 
d  œuvres  et  ueio  interprétées  par  des  artistes  septentrionaux,   entre 

!:t"4rmotr^^^^^^ 

visite  la  terre  (inédite). 

M  Adrien  Bernheim,  commissaire  du  gouvernement  près  les  théâtres 
subventionnés,  qui  fait  en  ce  moment  partie  du  comité  d'organisation  de  a 
matinée  orgausee  au  bénéfice  de  la  famille  Taskin,  y  a  pris  1  idée  de  fonder 
un  société  de  secours,  basée  sur  les  mêmes  ressources,  qm  pourrai  servir 
des  ndemnités  de  plus  on  moins  d'importance  à  tous  les  gens  de  théâtre 
après  quarante  ans  de  service.  M.  Bernheim  mûrit  son  projet  et  en  donnera 
bientôt  les  détails. 

_  Voilà  que  ca  craque  aux  Variétés  I  Nous  voulons  parier  du  praticable  qui 
vient  de  s'y  effondrer  en  pleines  répétitions  de  la  revue,  entraînant  dans  sa 
Ihute  quelques  pauvres  artistes  sortant  de  l'aventure  plus  ou  moins  endom- 
magés Nous  n'entrerons  pas  dans  les  détails  de  cet  accident,  que  tous  les 
iournaux  ont  déjà  donnés  avec  l'abondance  coutumière.  Le  juge  d'instruction 
lemercier  est  chargé  de  tirer  au  clair  les  responsabilités.  On  nena  pas 
moins  repris  à  toute  vapeur  les  étades  de  la  revue,  avec  les  remplaçants 
nécessaires.  Faut  que  l'train  passe  ! 

-  Gomme  nous  le  pensions  bien,  voilà  le  théâtre  des  Bouffes-Parisiens 
revenu  à  ses  premières  amours,  c'est-à-dire  à  l'opérette,  et  pour  cette  opéra- 
tion il  a  appelé  à  la  rescousse  M.  Viètor  Silvestre,  un  professionnel  du 
eenr'e  un  habitué  des  hauts  et  des  bas,  qui  n'a  pas  encore  fait  ses  preuves 
dans  ces  quatre  murs.  Les  Bouffes,  le  berceau  d'Offenbachl  A  vous  la  pose, 
ô  Varney,  6  Roger  I 


—  On  annonce  que  c'est  M.  Charles  Quef  qui  est  nommé  organiste  du 
grand  orgue  de  l'église  de  la  Trinité,  en  remplacement  de  M.  Alexandre 
Guilmant,  qui,  comme  nous  l'avons  t'ait  connaître,  s'est  démis  de  cet  emploi. 

—  M""  Marcella  Pregi  est,  en  ce  moment,  en  tournée  en  Allemagne,  Hol- 
lande et  Belgique  où  ses  récitals  de  musique  classique  et  moderne  obtien  - 
nent,  partout,  un  très  grand  succès.  Mozart,  Caldara,  Rameau,  Gluck, 
Grétry  figurent  sur  ses  intéressants  programmes,  à  côté  des  reconstitutions 
de  Wekerlin  et  de  Périlhou  (Margoton,  la  légende  de  Saint-Nicolas,  etc.),  et 
d'œuvres  modernes  {Aubade  champêtre  de  Paul  Puget,  Nell  de  Périlhou,  etc.), 
et  chaque  morceau  interprété  avec  style  et  goût  vaut  à  la  jeune  cantatrice 
des  bravos  et  des  bis  très  mérités. 

—  On  sait  les  beaux  tumultes  du  Grand-Théâtre  de  Marseille,  les  intrigues 
et  les  cabales  qui  ont  emporté  la  direction  Vizentinl,  lequel,  avec  un  beau 
courage',  s'était  mis  à  la  besogne  et  tentait  d'apporter  un  peu  de  lustre  à 
cette  importante  scène  autrefois  prospère.  Le  pauvre  en  a  été  réduit  à  donner 
sa  démission,  mais  le  théâtre,  profitant  de  l'impulsion  donnée,  poursuit  ses 
destinées  sous  la  conduite  de  M.  Marins  Boyer,  adjoint  au  maire  et  président 
des  abattoirs  de  la  Ville.  C'est  ainsi  que  les  représentations  de  Sapho,  où 
éclatèrent  d'abord  des  scandales  retentissants,  continuent  à  présent  triom- 
phales pour  l'œuvre  de  Massenet  et  ses  remarquables  interprètes  M™'  Bré- 
jean-Gravière  et  le  ténor  Cornubert.  M.  Vizentini  avait  semé,  un  autre  ré- 
colte. C'est  l'éternel  sic  vos  non  vobis. 

—  Aux  termes  d'un  arrêté  pris  par  le  maire  de  Lille,  un  concours  sur 
titres  est  ouvert  pour  l'obtention  de  l'emploi  d'un  professeur  de  classe  supé- 
rieure de  piano  pour  les  jeunes  filles,  en  remplacement  de  M.  Pagnien,  dé- 
missionnaire. Le  budget  du  Conservatoire  fixe  à  huit  cents  francs  le  traite- 
ment annuel  du  professeur.  IjOs  candidats  auront  jusqu'au  IS  décembre  pour 
faire  valoir  leurs  titres.  Les  demandes  seront  reçues  à  la  mairie  jusqu'à  cette 
date;  elles  devront  être  accompagnées  de  pièces  justificatives,  telles  que 
diplômes,  attestations  et  références,  permettant  de  fournir  sur  la  carrière 
musicale  des  postulants  tous  les  renseignements  les  plus  détaillés.  Lss  can- 
didats devront  justifier  de  leur  nationalité  française.  L'entrée  en  fonctions  du 
professeur  aura  lieu  le  1"  janvier  1902. 

—  Strasbourg  :  L'Alsace  musicale  vient  d'acclamer  Raoul  Pugno,  A  Stras- 
bourg d'abord,  ensuite  à  Mulhouse,  il  a  littéralement  fanatisé  le  public.  Sa 
traduction  du  concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven  était,  dans  toute  sa  pureté, 
un  modèle  de  vraie  beauté  classique;  tout  exemplaire  aussi  son  exécution 
du  Nocturne  en  fa  dièse  et  de  la  Polonaise  en  mi  bémol  de  Chopin,  celle^de 
Pu  Jno  rdXsé"anc;  tenante;  promettre  d'accepter  un  nouvel  engagemenFpour 
not"re  prochaine  saison  classique.  Entre  temps,  il  reviendra  ici  pour  donn  i 
seulnn  ricital,  à  la  grande  joie  de  nos  pianistes  et  de  tout  notre  mondée  mu- 
sical , 

«nrarrs  ET  CONCERTS  -  A  la  reprise  fort  brillante  des  Coneeris  pour  Tous  (4-  année) , 
.rrnd  uTc  pour  fi  e,.*r*  Zint-Nicolas,  de  Périlhou,  et  la  Bonde  des  Mo,sson- 
grand  succès  pou  J'jj».  ^^  jiiramont-Tréogate  et  ses  enfants,  ainsi  que  pour  \ous 
neurs  de  J.  J^"-;' J^^  *^  ZtaW,,  accompagné  à  la  harpe  par  ce  dernier  an  baryton 
Gab:rerLC"-DT;;tfsaWe  M."  R.  trés^10U  thé  musical  a^^^^ 

r;::U™tsdei'cx,oise  ™..de  ^:-^:^t;r;  t"?^  ™^b:û^t 

To^nir;:: dt  IXc.  -  Preniiére matinée  de  lasalson  cbe.MjLafa.^^ 

H'imn<i,-tant=ifra2mentsdnCid,  de  Massenet,  chantés  par  M»  L.-l.,iïi  Aipn- r. 
'r^rr,  \Î  w"  afs^M-.  B.  (Avec  ces  lleur.,P.uMn),  M-  Cb.-H,  (les  Chasseresses 
Tw!;»  Mibef  "  "ipb  B,  de  rire  de  Manon,  Massenet),  M.  J.-P.  (VoUà  pour.uo. 
de  Sylma,  ^ff''Jf    ^;'P  [^   ^^  g.  „;,  d'Orpftce,  Glnck).  -  Matinée  très  rens- 

'Vria'X  Ho  h    o'    M"    de  Tailhardat  a  tait  entendre  une  partie  de  ses  élèves  de 

'^^:r:<l:::Z-mt^L,e.S,^e,  .a  char^ame  Légende  de  Francis  Tbo.e, 

qui  accompagnera  son  œuvre. 

r„,™.  FT  LEÇONS   -  Indépendamment  de  ses  leçons  particulières  et  de  sa  participa- 
_  Cours  ei  Le^.ons         in    p  ^^^^^  ^.^^^  ^^^^^  ,  ^^  ^^-^-^^  ^e- 

'■""^  '"^TZ  I  i.:X  a;e  le  en  ouf  de  m'.  Jnles  Algier,  pour  la  musique  de  scène.  - 
rPaurôrroi:!,  de  >::  comédie-Française,  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  déclamation 
dramatique,  46,  rue  Singer. 

NÉCROLOGIE 

A  Berlin   est  mort,  à  l'âge   de  69  ans,  le  ^;^^^°^'Xlt'Ztm''Zn 
fik  de  l'ancien  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  royal,  Henri  Dorn   En  lSb9,  Doin 
!  lit  éé  nommé  professeur  de  piano  au  Conservatoire  ™ya  je  -siqu 
Beriin-  il  a  été  aussi  directeur  de  plusieurs  orphéons.   On  lui  doit  plus  de 
cen   composi  tions  :  morceaux  pour  piano,  chœurs  et  oratorios.  . 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


3t)2 


LE  MENESTREL 


Solxante-liiiltlèmo    année     d©    piilblicatlon 


PRIMES  1902  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE   FONDÉ   LE    !«'   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CllA^'T  ou  pour  le  PIAIVO  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAXT  et  I»1A!\'0. 


C  xi  A.  PS   T    d"  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


A.  THOMAS 

MESSE  SOLENNELLE 

POUR  SOLI   ET  CHŒUR 

Exécutée  à  Sainl-Euslailie. 
Partition   chant    et   piano    in-8«. 


J.  MASSENET 

5^-  VOLUME  DE  MÉLODIES 

NOUVEAU    RECUEIL  (20  SUJIÉROS) 

Deux  Ions  :  Leitre  A,  iL-nor.  —  Leltre  B,  baryton. 

Recueil  chant  et  piano  in-8o. 


RETNALDO  HAHN 

PASTORALE  DE  NOËL 

POUR  SOLI  ET  GHŒDR 

(Avec   le  livret-texte) 
Partition    chant  et  piano   in-S". 


A.  PÉBILHOU 

Chants  de  France  (10  numéros) 

ANCIENNES  CHANSONS 

e.  ERNEST  REYER 

Trois  Sonnets,  (recueil  raisin) 


Ou  à  l'un  des  quatre  premiers  Recueils  de  Mélodies  de  J.  Massenet 
ou  à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L,  Dauphin  (2(1  n°'),  un  volume  relié  in-8»,  avec  illustrations  en  couleur  d'ADRIEN  KIARIE 

P  I  A-  PS    O    (2=  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  ; 


J.  MASSENET 

GRISÉLIDIS 

CONTE  LYRIQUE  EN  TROIS  ACTES 


THÉODORE  DUBOIS 

ADONIS 

POÈME  SYMPHONIQUE  EN  3  PARTIES 

Réduction  piano  4  mains,  par  1' 


6.  CHARPENTIER 

LOUISE 

ROMAN      MUSICAL     EN     4     ACTES 
Partition  pour  piano  seul  in-S". 


HERVÉ 

LE  PETIT  FAUST 

TRANSFORMÉ     EN     PANTOMIME 
Partition  piano  seul  in-S". 


TOlumes   in-S»  des    CLASSIQUES-MARMONTEL   :    MOZART,   HAYDN,   BEETHOVEN,  HUMMEL,   CLEMENTI,    CHOPIN,    ou   à  luQ     des 

T.».Tviiarri._T.TU-'.TF.UR     reproduction    des    manuscrits    autographes    des    principaus   pianistes- compositeurs,   ou    à    l'un    des   volumes  du     répertoire    des 

LJLÎJL.ICH.  de  Vienne,  ou  OLIVIER  MÈTRA  et  STRAUSS,  de  Paris. 


MPRESITM  A  EUE  SEULE  LES  PRIMES  DE  PLWO  El  DE  CHA«I  RÉms,  POUR  LES  SEULS  AROIÉS  A  L' 


ÈlâlOl, 


CJoaate    lyx- 


Ii'OPÉHfl-GOlVIJQUE 


cïue    en   S   aotes    et  viix  r»rolosxi.e 

POÈME    DE 

ARMAND  SILVESTRE  &  EU&ÈNE  MORAND 

MUSIQUE    DE 


J.   MASSENET 


(3^  Mode) 

THEATRE 

It'OPÉHfl-COIWIQOE 


des  prio.es  se  règ.e  selon  fel^L'/Treyo"":/,  """"^  '""""'  '"'"^  '^^  départements  ..e  .a  pH.ie   si  J-^lTr»  Zltï.-'lX::  .-Éirr^er  " ^^77'  "" 

L.-.„C.o,.™i^„.e,ap..P,a„„e.™eve..-Ce,,.,,Piao„eU„^ 

CHANT  pnuniTiniin    n,.. " 


^"Moaea'a,onnen.ent:JoJlT^eletousles,-         .      ,        «^ÛNDITIONS  D'ABONNE««ENT  AU  «  MÉNESTREL 
Scènes,   Mélodies,   KomaZ"    paTaita^.'de   aulnrne  ?'^^°'°'''=^^"^''^^'""^  ■ 
Prin.e.  Paris  et  Province,  un  a^n  :  20  "rLt  ;1Z;"cVF.-a?"r;"st;  e'n  s^ "^"- 


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CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 


2-  Mode  d-abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  nr  m .~. 


J    Jfoœ  dado)meme,î(  contenant  le  Texte  comnlet    S?  r„or„=,        .      u 

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et  Province;  Etranger  :  Poste  en  sus  trande  Prime.  -  Un  an  :  30  francs,  Paris 

On  souscrit  iri"t-ch'"a';;;'e  moi''  '"lef  st  ""  """f  '  T  ^'  ^  "  ''""''■ 
Adresser  franm  nn  1  „  ,  "  "«raeros  de  chaque  année  forment  collection. 
"--^^^er^ra^co  un  hon  sur  la  poste  a  M.  Henh.  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  Uis,  rue  Vivienne. 


iHPRniEniE  CEsrnAi.E 


i  DE  FEH.  —  lUPRIHERl] 


,  RUE  BERGÈRE,  20    PARIS.—  (Eacn Lorflleo^. 


Dimanche  IS  Décembre  1901. 


3690.  -  67"  ANNEE.  -  M" 50.     PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureani,  2  '^,  me  Tirienne,  Paris,  n-  m») 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL- 


lie  Hamépo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


IieKaméFo:  Ofr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hsnw  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6b,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (42=  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  de  Nelly  Rozier  aux  Nouveautés  et  de 
la  Revue  des  Variétés,  Paul-Kmile  Chev.a.lier;  reprise  du  Maître  de  Forges  à  la  Porte- 
Saint-Martin,  0.  Bn.  —  111.  Petites  notes  sans  portée  :  Pourquoi  Mendelssohn  a-t-il 
vieilli  ?  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses 
et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  ckant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

RAPPELLE-TOI 

chanté  par  M.  Maréchal  dans  Griséiidis,  conte  lyrique  d'ARMAND  Silvestre  et 
Eugène  Morand,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiatement  :  l'Oiselet 
est  tombé  du  nid,  chanté  dans  le  même  conte  par  M"'Bréval  et  M.  Dufranne. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
la  Chanson  d'Avignon,  extraite  de  Griséiidis,  conte  lyrique  de  J.  Massenet, 
transcrite  pour  piano  seul.  —  Suivra  immédiatement  (avec  le  !"■  numéro  de 
notre  68"^  année  de  publication)  :  les  Oiseaux,  n"  1  des  scènes  mignonnes  Au 
jardin  de  Théodore  Dubois. 


PRIMES  GRATUITES  DU   MÉNESTREL 

pour  l'année  1902 

Voir  à  la  S"   page   du  journal. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

et  d 


III 

La  main  de  Weber.  —  Apprécialian  d'E.  Delacroix  sur  Weber.  —  De  l'influence  de 
la  digestion  sur  les  sensations  musicales.  —  Une  machine  à  vapeur  orchestrion. 
—  Le  tripatouillage  du  Freyschûtz  et  le  comte  Tyskiewicz.  —  Plaidoyer  d'E.  Dela- 
croix pour  Rossini.  —  Télépathie  picturo-musicale,  —  Rossini  «  penucone  ».  — 
La  fin  de  l'inlluence  rossinienne. 

Nous  trouvons  dans  les  souvenirs  du  colonel  de  Siickow, 
publiés  par  la  Bévue  hebdomadaire  (I)  sous  le  titre  de  Fragments  de 
ma  vie,  une  page  curieuse  consacrée  à  Weber.  L'officier  wurtem- 
bergeois,  qui  avait  rencontré  vers  1808,  à  Stuttgart,  le  jeune 
compositeur,  en  fait  le  plus  pompeux  éloge.  Il  le  présente  comme 

(1)  Revue  hebdomadaire,  15  décembre  1900. 


le  plus  modeste  des  hommes  et  comme  le  plus  sympathique 
des  camarades;  car  Weber  fréquentait  volontiers  les  cercles 
militaires,  et  les  officiers  aimaient  se  grouper  autour  du  piano 
où  le  jeune  maître  improvisait  des  «  compositions  exquises 
qu'on  retrouverait  certainement  dans  son  œuvre  ».  Et  Sùckow 
ajoutait  :  «  Il  était  né  pour  être  musicien  ou  plutôt  pianiste.  Je 
n'ai  plus  jamais  revu  de  main  aussi  longue  que  la  sienne.  Plus 
d'une  fois,  en  s'amusant,  il  prenait  deux  octaves  entières,  ou 
peu  s'en  faut,  entre  ses  doigts  interminables  ». 

Eugène  Delacroix  ne  tient  pas  Weber  en  moindre  estime.  Il 
le  range  toutefois  parmi  les  DU  minores  de  la  musique,  mais  à 
côté  de  Beethoven  et  de  Rossini.  Il  faut  lire  ce  qu'il  écrit  de  l'ou- 
verture et  du  finale  à'Obéron  donnés  au  Concert  5am(e-Cecife  (1852): 
«  Ce  fantastique  d'un  des  plus  dignes  successeurs  de  Mozart  a 
le  mérite  de  venir  après  celui  du  maître  divin  et  les  formes  en 
sont  plus  récentes  :  ça  n'a  pas  encore  été  aussi  pillé  et  rebattu 
par  tous  les  musiciens  depuis  soixante  ans.  » 

On  mozardisait  alors  comme  on  luacjnérise  aujourd'hui. 
Mais  les  soirées  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas  :  à  un 
autre  concert  de  Sainte-Cécile,  pendant  une  exécution  de  Pre- 
ciosa,  notre  dilettante  «  a  dormi  tout  le  temps  » .  Il  s'excuse  sur 
une...  digestion  difficile.  La  chaleur  et  la  brioche  ont  «  para 
lysé  son  âme  immortelle  ». 

Un  pot-pourri  du  Freyschûtz  a  reçu  d'Eugène  Delacroix  un  plus 
favorable  accueil.  C'était  pendant  le  cours  d'un  voyage  en  Alle- 
magne. Le  peintre-touriste  assistait,  le  24  juillet  1850,  à  la  fête 
du  grand-duc  de  Nassau,  et  la  musique  du  régiment  prussien 
qui  donnait  à  Ems  ce  pot-pourri  du  Freyschiits  s'en  tira  le  mieux 
du  monde. 

Mais  je  m'imagine  la  nervosité  du  grand  artiste,  s'il  avait  dû 
entendre  cette  partition  telle  que  l'exécuta  un  marchand  de 
machines  à  vapeur  devant  le  prince  de  Joinville,  de  passage  à 
Philadelphie.  Cet  industriel  avait  imaginé  toute  une  série  d'ins- 
truments, une  manière  d'orgue  oi^i  le  souffle  humain  était  rem- 
placé par  la  vapeur  :  un  robinet  tenait  lieu  de  chef  d'orchestre. 
C'était  simplement  effroyable. 

On  sait  d'ailleurs  les  nombreux  avatars  par  lesquels  dut  passer 
à  Paris,  avant  d'y  trouver  sa  forme  définitive,  ce  «  Freyschûtz 
allemand  »  dont"  Guvillier-Fleury  avait  déjà  trouvé,  en  1829, 
la  musique  si  délicieuse  et  si  originale.  Pacini  et  Berlioz  en 
avaient  honnêtement  réalisé  la  reconstitution  et  leur  œuvre 
commune  allait  être  jouée  intégralement  à  l'Académie  royale  de 
Musique  en  1843,  quand  Pillet,  le  directeur,  s'avisa  que  ses 
auteurs  n'avaient  pas  suffisamment  travaillé  au  plaisir  de  MM.  les 
abonnés.  Sans  même  en  aviser  le  librettiste  et  le  compositeur, 
on  allongea  le  ballet  et  on  mutila  l'opéra  de  manière  à  finir 
pour  minuit.  Pacini  et  Berlioz,  indignés,  protestèrent  et  refusè- 
rent d'assister  à  la  première  représentation.  Mais  le  comte 
Tyskiev^ricz,.  un  des  meilleurs  critiques  musicaux  du  temps,  ne 


3914. 


LE  MÉNESTREL 


se  contenta  pas  de  cette  démonstration  platonique  :  il  courut 
chez  le  commissaire  de  police  pour  réclamer  son  argent  ou 
l'exécution  réelle  du  Freyschiitz.  Naturellement,  l'administra- 
tion fit  la  sourde  oreille,  et  le  spectateur  exigea  que  le  magistrat 
dressât  procès-verbaL-  Les  journaux  furent  informés-  du  conflit,, 
mais  aucun  n'en  parla.  Le  comte' évoijua  l'affaire  devant  les  tri- 
bunaux, et  R'oqueplan  déclarait,  dans  un  diner  chez  le  dbcteur 
Véron,  que,  s'il  n'eût  tenu  qu'à  lui,,  les  juges  eussent  été  invités 
avenir  entendre  à  l'Opéra  ce  Freysehiilz  ainsi  tripatouillé  :  san^^nul 
doute' ils  eussent  dormi,  et  le  plaideur  aurait  gagna- son  procès. 

Nous  sommes  étonné  que  DeDacroix  n'ait  pas  rappelé  cette 
petite  cause  célèbre,  qui  se  plaida  de  son  temps  et  qui  depuis 
fut  suivie  de  tant  d'autres  contestations  du  même  genre  :  Fau- 
teur d'un  Anglais  à  Paris,  lui,  ne  l'a  pas  oubliée.  A.u  reste,  Dela- 
croix se  soucie  peu  de  l'anecdote;  il  se  préoccupe  d'abord  de 
son  moi,  il  en  analyse  minutieusement  les  sensations  souvent 
complexes  :  c'est  un  Montaigne,  moins  profond  sans  doute  que 
l'auteur  des  Essais,  mais  moins  pédant  aussi  et  surtout  plus 
convaincu.  Ses  opinions  générales  ne  varient  guère,  même  dans 
un  espace  de  trente  ans. 

Rossini  sera  toujours  pour  lui  l'expression  la  plus  saisissante 
de  l'agrément,  de  la  grâce,  de  l'esprit  poussés  à  l'outrance  ;  mal- 
heureusement, cette  exubérance  chez  ses  disciples  est  insup- 
portable; et  Delacroix,  tout  en  reconnaissant  que  le  génie  du 
ma-itre  ne  le  sauve  pas  du  numiérisme,  se  voit  obligé  de  le  défen- 
dre contre  «  les  croque-notes  de  la  princesse  »,  qui  ne  jurent 
que  par  Mozart,  sans  plus  le  comprendre  que  Rossini  :  ils  igno- 
rent le  feu  sacré,  la  force  vitale  qui  échauffent  et  font  vibrer 
l'àme  des  grands  compositeurs  ;  ils  n'admirent  dans  Mozart  que 
sa  «  régularité  ».  La  pédagogie  musicale  n'est  guère  plus  indul- 
gente pour  Rossini..  Golet,  le  professeur  du  Gonservatoirej  qui  est 
en  même  temps  compositeur,  donne  aussi  son  coup  de  pied  au 
maître  :  il  lui  reproche  de  «.  n'être  pas  assez  savant  ». 

Qiuant  à  Delacroix,  il  se  garde  de  ces  jugements  passionnés 
qui  s'attaquaient  à  Rossini  dans  sa  grandeur  et  le  frappèrent 
jusque  dans  sa  décadence.  En  avril  1824,  il  reconnaît  bien  n'avoir 
pris  qu'un  médiocre  plaisir  à  la  représentation  de  ce  Tancrede, 
qui  l'avait  si  fort  charmé  en  septembre  1822  —  il  l'avait  déjà 
entendu  deux  fois  —  mais  en  1855  il  conservait  encore  un  tel 
souvenir  d'Otello  qu'il  donnait  à  cette  impression  rétrospective 
l'autorité  de  sa  science  professicfnnelle  :  il  habillait  en  quelque 
sorte  de  couleurs  des  croquis  pris  à  une  représentation  d'Otello 
et  datant  peut-être  de  trente  années  ;  chapitre  inédit  et  curieux 
de  l'histoire  de  la  lélépathie  picturo-musicale.  En  1853,  Delacroix 
avait  déjà  noté  dans  son  Journal,  k  propos  de  Sémiramis,  un  autre 
exemple  des  rapports  entre  la  peinture  et  la  musique.  Il  avait 
remarqué  «  un  décor  incomparable  sur  papier  »,  invention  éco- 
nomique qui,  depuis,  a  fait  rapidement  son  chemin  en  Italie.  La 
partition  lui  a  laissé  des  sensations  tout  autres,  mais  qu'il  ana/- 
lyse  avec  une  subtilité  pleine  de  charme.  Sa  mémoire,  dit-il, 
n'a  retenu  que  les  pages  «  sublimes  »  qui  abondent  dans  cette 
«  délicieuse  musique  »  ;  elle  les  «  fond  en  un  ensemble  »  parfait, 
tandis  qu'à  la  représentation  «  les  remplissages,  les  fins  prévues, 
les  habitudes  de  talent  du  maître  refroidissent  l'impression.  Ohl 
Sémiramis,  oh!  entrée  des  prêtres  pour  couronner  NiciasI...  » 
Et  le  dilettante,  qui  ne  peut  jamais  dépouiller  le  vieil  homme, 
c'est-à-dire  le  peintre,  compare  Rossini  avec  Rubens,  détachant 
d'un  groupe  de  figures  médiocres  un  personnage  principal  admi- 
rable. 

C'est  bien  la  critique  que  Delacroix  ne  cesse  de  formuler 
contre  l'inégalité  du  compositeur  et  qu'il  fortifie  encore  de  ce 
corollaire  non  moins  judicieux  :  chez  Rossini  l'Italien  l'emporte, 
c'est-à-dire  l'ornement  domine  l'expression.  Toutefois  Delacroix 
loue  Guillaume  Tell  sans  la  moindre  restriction  et  dans  cette 
langue  imagée  qui  trahit  le  romantique  : 

ic  Rossini  a  peint  à  grands  traits  des  paysages  dans  lesquels  on 
sent  l'air  des  montagnes  ou  plutôt  cette  mélancolie  que  donnent 
à  l'àme-  les  grands  spectacles  de  la  nature  ;  et  sur  ce  fonds  il  a 
jeté  les  hommes  avec  leurs  passions,  et  partout  de  la  grâce  et  de 
l'éloguence.  » 


Quelle  n'eût  pas  été  l'indignation  du  maître  coloriste  s'il  eût 
appris  que,  dans  ce  même  Guillaume  Tell,  sur  la  volonté  formelle 
d'Albert  et  de  M"'  Noblet,  Rossini  avait  dû  remplacer  un  grand 
air  par  un  «  pas  noble  »  expressément  écrit  pour  ces  danseurs? 

Delacroix,  ne  nous-  intéresse  pas  moins  dans-  le  récit  de  ses 
relations  avec  le  maestro,  relations  qui  paraissent  avoir  été  plus 
,  fréquentes  et  plus  intimes  à  partir  de  1835.  Quelques  années  au- 
paravant, il  témoignait  peu  d'indulgence  pour  les  faiblesses  du 
musicien  qui  ne  s'était  pas  désintéressé  aussi  absolument  qu'on 
voulait  bien  le  prétendre  des  compétitions  professionnelles.  Il 
i  était  alors  à,  Flbrence,  où  il  se  mourait  d'ennui  :  «  Il  crève  de  ja- 
lousie, écrit  Delacroix,  pour  les  succès  des  moindres  musiciens  ». 
Et  Chenavard,  qui  est  toujours  bien  documenté,  affirme  à  son  con- 
frère qu'on  traitait  déjà  Rossini  de  perruccone  en  1828. 

Le  ton  de  notre  mémorialiste  change  en  1856.  Il  est  allé  rendre 
visite  le  10  janvier  au  compositeur,  et  il  s'écrie  :.  «.  J'aime  à  la- 
voir, cet  homme  rare  ;  il  n'est  plus  le  Rossini  moqueur  d'autre  - 
fois;  je  l'entoure  avec  plaisir  d'une  certaine  auréole...  »  En 
mai  1857  il  cite  les  paroles  mêmes  du  maître,  tout  différent  de 
ce  perruccone  «  crevant  de  jalousie  »  que  nous  présente  son  cari- 
caturiste : 

«  J'entrevois  autre  chose  que  je  ne  ferai  pas.  Si  je  trouvais  un 
jeune  homme  de  génie,  je  pourrais  le  mettre  sur  une  voie  toute 
nouvelle  et  le  pauvre  Rossini  serait  éteint  tout  à  fait.  » 

Non  certes,  il  ne  l'eût  jamais  été,  et  il  ne  le  sera  jamais.  Des 
pages  marquées  au  coin  du  génie  défendront  sa  mémoire  contre 
l'abandon  et  l'oubli.  Il  en  sera  de  lui  comme  il  en  était  déjà  il 
y  a  plus  de  cinquante  ans,  lorsque  Delacroix  écrivait  : 

«  Le  stupide  public  abandonne  aujourd'hui  Rossini  pour  Gluck, 
comme  il  a  abandonné  autrefois  Gluck  pour  Rossini.  » 

M  suivre.  ]  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THEATRALE 


Nouveautés.  Nflly  Rozirr.  pièce  en  3  actes,  de  MM.  P.  Bilhaud  et  M.  Henne- 
quin.  —  VARiÉrÉs.  La  Revue  ck-s  Variétés,  reTue  en  3  actes  et  8  tableaux,  de 
MM.  P.  Gavault  et  A.  Véty.  —  Nouveau-Cirque.  Le  Petit  Poucet. 

C'est  mieux  qu'un  vaudeville  sans  couplets,  cette  Nelly  Rozier  que  les 
Nouveautés  viennent  de  donner  avec  succès,  c'est  un  très  bon  vaude- 
ville qui  s'est  judicieusement  garé  des  défauts  du  genre  en  se  rappro- 
chant le  plus  possible  de  la  comédie  ;  c'est  preste,  pimpant,  de  toujours 
excellente  compagnie,  sans  rien  d'outrancîer  ni  d'inadmissible,  avec  une 
idée  originale,  —  et  ceci,  par  le  temps  qui  court,  est  loin  d'être  qualité 
négligeable. 

Nelly  Rozier,  lâchée  par  Albert  Lebrunois,  dépitée  du  manque  de 
procédés  et  peut-être  jalouse,  pour  surveiller  le  volage  et  le  punir  en 
l'empêchant,  dorénavant,  de  tromper  sa  femme  —  car  il  est  marié,  le 
traître  —  Nelly  Rozier  ne  trouve  rîen  de  mieux  que  d'entrer,  comme 
femme  de  chambre,  au  service  de  M"'"  Lebrunois.  Ah!  la  fiue  mouche, 
comme  elle  sait,  au  moment  opportun,  venir  rappeler  monsieur  à  ses 
devoirs  et  comme  elle  amène  bien  madame,  toute  popotte  et  bourgeoise, 
à  user  de  séductions  qui  enlèveront  au  coureur  l'idée  d'aller  chercher 
ailleurs  ce  qu'il  trouvera  maintenant  chez  lui.  Il  y  a  là,  surtout,  un 
second  acte  qui  est  non  seulement  charmant,  mais  encore  construit 
avec  une  adresse  tout  à  fait  plaisante  par  des  auteurs  qui  sont  maîtres 
de  leur  métier. 

Nelly  Rosier  est  fort  bien  jouée  par  la  troupe  des  Nouveautés,  dans 
une  note  gaie  mais  correcte,  absolument  juste.  Nelly,  c'est  M"'=  Cassive, 
toujours  toute  blonde  et  de  plus  en  plus  comédienne,  et  Lebrunois  c'est 
le  gesticulant  Germain ,  embelli  de  petites  moustaches  du  dernier 
galant.  A  complimenter  aussi  M"''  Burty,  charmante  de  simplicité  en 
M""'  Lebrunois,  M.  Torin,  désopilant  en  potache  vicieux,  M.  Golombey, 
M.  'Victor  Henry  et  M"°  Dickson. 

Les  Variétés  viennent,  semble-t-il,  de  mettre  dans  le  mille  et  la  Veine 
qui  sert  de  commère  à  la  revue  a,  une  fois  de  plus,  porté  chance  au 
théâtre.  Il  est  juste  de  dire  que  personne  n'a  rien  négligé  pour  que  la 
réussite  tut  complète,  les  auteurs,  MM.  Gavault  et  Vély,  qui  so  sont  mis 
en  frais  d'esprit  et  d'invention  pour  faire  huit  tableaux  fort  amusants, 
encore  qu'il  y  ait  là  un  abus  de  personnalités  dont  l'effet  sera  perdu 
devant  le  gros  public,  le  directeur,  qui  s'est  montre  fastueux  et  de  goût 
sûr  (à  signaler,  surtout,  le  merveilleux  décor  de  M.  Ronsin  qui  sert  de 


LE  MÉNESTREL 


395 


cadre  au  défilé  des  lumières),  et  les  interprètes,  qui  ont  donné  avec 
ent]-ain,  grâce  et  belle  humeur. 

Vous  ne  pensez  pas  que  l'on  va  vous  raconter  l'intrigue  de  la  Revue 
des  Variétés,  d'autant  qu'en  y  réfléchissant  on  s'aperçoit  vite  que  les 
auteurs  ont  totalement  omis  d'essayer  de  relier  les  scènes  entre  elles  ; 
on  vous  dira  simplement  quels  furent  ceux  et  celles  qui  mirent  la  salle 
en  joie  et  cela  sera,  nous  l'espérons,  très  suffisant  pour  vous  donner 
l'excellente  idée  d'y  aller  voir. 

Pl  tout  seigneur,  tout  honneur.  Saluez  donc  Albert  Brasseur,  le  roi 
de  la  revue,  grime  des  plus  étonnants  et  pince-sans-rire  gigantesque; 
peut-on  imaginer  rien  de  plus  épiquement  drôle  que  ses  idiots  cou- 
plets des  «  Jambes  en  caoutchouc  »,  de  plus  caricatural  que  son  Napo- 
léon 1"'  et  de  plus  carnavalesquement  fantaisiste  que  sa  «  bonne  de 
M.  Duquesnel  »?  Puis  voici  M"'^  Lavallière,  s'afflrmant  toujours  de 
gamine  originalité  et  trouvant,  une  fois  de  plus,  des  effets  nouveaux, 
qu'elle  soit  le  tout  jeune  fils  Rostand  ou  le  Trottin  chahutant;  M""*  Sau- 
lier  et  Lanthenay,  l'une  et  l'autre  chanteuses  et  diseuses  de  fort  agréable 
talent;  M.  Max-Dearly,  subtilisé  au  café-concert  et  qui  gagne  ses  lettres 
de  grande  naturalisation  théâtrale  en  enlevant  de  verve  ses  couplets  du 
Jockey  et  du  Vieux  Beau;  M'>"=  Méaly,  commère  de  galbe  endiablé; 
M.  Guy,  violoniste  et  comédien;  M.  Prince,  adroit  en  très  aimable 
M.  Claretie;  M.  André  Simon,  compère  d'indéniable  rondeur;  M"'  La- 
combe,  plaisamment  délurée  en  Santos-Dumont  n°  7  et  en  Gléo  ; 
MM.  Emile  Petit  et  Demay,  de  métier  sur;  M"'  Brésil,  toute  séduisante 
en  Fleur  et  en  Marquis;  enfin,  pour  terminer  cette  longue  nomencla- 
ture, M""*  de  Rycke,  Renée  Desprez,  Debeyre,  Paule  Delys  et  Dorlhac, 
marchant  avec  autant  de  bravoure  que  de  rayonnante  impudeur  à  la 
tète  du  bataillon  dit  des  jolies  femmes,  et  le  qualificatif,  cotte  fois,  n'a 
rien  de  trop  exagéré. 

Au  Nouveau-Cirque,  étrennes  pour  les  enfants  sous  forme  d'un  Petit 
Poucet  qui  fera  leur  joie  avec  son  gros  ogre,  son  roi  rouquin,  l'excellent 
Foottit,  suivi  de  son  inséparable  Chocolat,  le  Protocole,  et  surtout  son 
petit  bonhomme  aux  cailloux.  Ils  retrouveront  là,  mis  en  action,  le 
conte  aimé  et  leurs  menottes  menues  applaudiront  aux  péripéties  du 
gentil  drame,  tandis  que  leurs  parents  se  laisseront  Charmer  par  les 
décors  de  M.  Lemeunier,  la  forêt  et  la  mare  aux  grenouilles  principale- 
ment, qui,  par  une  innovation  heureuse,  descendent  des  plafonds  et  se 
replient,  sur  la  piste,  les  unes  sur  les  autres.  C'est  fort  ingénieux,  très 
pratique  et  d'un  joli  effet.  Paul-Emile  Chevalier. 

Théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin.  Reprise  du  Maître  de  Forges, 
pièce  en  cinq  actes  de  M.  Georges  Ohnet. 

Il  serait  injuste  de  dire  que  le  MaUre  de  Forges  a  vieilli  depuis  sa 
première  représentation  au  Gymnase,  en  1883  ;  mais  la  pièce  marque 
déjà  l'époque  du  premier  septennat  de  Jules  Grévy  qui  l'a  vue  naître, 
comme  Mademoiselle  de  la  Seiglière  et  le  Gendre  de  M.  Poirier  résument 
les  courants  sociaux  des  temps  passés  dans  lesquels  ces  piil'ces  évoluent. 
Ce  qui  n'a  pas  bougé,  c'est  la  solide  charpente  du  Maitre  de  Forges;  ses 
situations  nettes  et  fortes  n'ont  pas  perdu  non  plus  leur  action  sur  le 
public.  Ceci  s'est  manifesté  clairement  à  la  reprise  de  la  pièce,  malgré 
toutes  les  défaillances  de  la  distrihution,  qui  était  loin  d'égaler  celle  du 
Gymnase  en  1883.  M™'  Hading pouvait  àla  rigueur  produire  aux  vétérans 
de  la  première,  —  dont  nous  sommes,  hélas  !  —  l'illusion  de  ne  pas 
avoir  changé,  mais  dans  le  rôle  du  maitre  de  Forges  M.  Duqnesne 
avait  tout  contre  lui  :  âge,  physique  et  débit  ingrats,  ainsi  que  le  sou- 
venir de  ce  pauvre  Damala,  son  prédécesseur,  qui  au  contraire  avait 
tout  eu  pour  lui.  Les  autres  rôles  étaient  plus  ou  moins  bien  remplis, 
plutôt  moins  bien.  Si  les  scènes  à  effet  ont  tout  de  même  porté,  elles  ne 
le  doivent  donc  qu'à  leur  propre  mérite.  0.  Bi\. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTEE' 


XXXV 

POURQUOI  MENDELSSOHN  A-T-IL  VIEILLI? 

à  Gustave  Robert. 
—  Moi  aussi,  j'étais  au  Châtelet  pour  applaudir  la  Vision  de  Dante  et 
l'elfort  lyrique  de  Raoul  Brunel  qui,  dans  le  suave  Purgatoire  principa- 
lement, a  manifesté  de  belles  aspirations  schumanniennes.  Est-ce  la 
voix  généreuse  de  Paul  Daraux?  Plus  d'une  fois  Virgile  m'a  rappelé 
Faust...  Mais  si  nous  avions  le  temps  et  l'espace  de  parcourir  plus 
avant  l'Enfer  musical,  je  vous  signalerais  beaucoup  d'oublis... 

'l)  Voir  le  Méuestret  du  14  juillet,  des  18  et  25  aoiit,  des  8,  15,  22  et  29  septembre, 
des  13,  20  et  27  octobre,  des  3,  10,  17  et  2'i  novembre,  des  1"  et  8  décembre  1901. 


—  On  ne  peut  tout  savoir.  Et  ce  que  je  sais  le  mieux,  c'est  que  je  ne 
sais  rien. 

—  Les  Grecs  et  Victor  Hugo  l'avaient  dit  avant  vous...  Mais  sans 
remonter  au  Jugement  dernier,  jusqu'à  Michel-Ange,  qui  fut  l'illustra- 
teur digne  de  Dante,  vous  n'avez  nommé,  parmi  les  musiciens  contem- 
porains, ni  le  noble  Ambroise  Thomas,  ni  le  pauvre  Godard,  ni  l'éclec- 
tique Tschailiowsky,  tous  défunts;  ni  surtout,  puissante  peinture  des 
sonorités  vengeresses,  le  Chasseur  maudit  de  ce  loyal  César  Franck,  de 
qui  la  symphonie  tumultueuse  en  ré  mineur  a  fait  pâlir  l'Italienne  en 
la  majeur  de  Mendelssohn. 

—  Singulier  parallèle,  avouez-le!  Quelle  démonstration  peut  bien 
nous  fournir,  pour  l'histoire  de  la  symphonie,  ce  1889  en  regard  de  ce 
1830?  Fatalement,  par  le  seul  progrès  matériel  de  l'Art,  la  comparaison 
devient  écrasante.  Mendelssohn  pâlit.  Et  que  penseriez-vous  d'un 
Plutarque  moderne  opposant  l'artillerie  d'un  Bonaparte  au  canon 
Maxim? 

—  Cela  ne  m'empêcherait  nullement  de  rendre  justice  au  génie  de 
Bonaparte  :  au  contraire!  Il  y  a,  dans  ce  revirement  du  goût,  autre 
chose  qu'un  progrès  d'orchestre.  Si  la  foule,  depuis  les  snobs  jusqu'aux 
étudiants,  se  croit  le  droit  ou  le  devoir  de  chuter  insolemment  l'habile 
Mendelssohn,  ce  n'est  point  parce  que  le  fin  rhéteur  de  l'Italienne  a 
négligé  de  recourir  au  leitmotiv  ou  de  faire  parier  les  trombones... 

—  Le  succès  !  Chose  plus  singulière  encore!  Il  y  a  seulement  dix  ans, 
quel  original  aurait  osé  soutenir  que,  dans  un  même  concert,  les  bra- 
vos seraient  plus  réservés  pour  Mendelssohn  que  pour  Franck?  Au- 
jourd'hui, je  le  reconnais,  cet  original  a  l'air  de  s'appeler  Tout  le 
monde...  Tel  est  le  «  mystère  des  foules  »  !  Du  reste,  en  dépit  des 
meneurs,  qui  poussent  toujours  vers  de  nouveaux  destins  le  bon  trou- 
peau de  Panurge,  il  semble  que  le  vieux  Mendelssohn  se  défend  bien. 
Hé  I  hé  !  Voilà  son  nom  sur  deux  programmes  ;  ici  l'Italienne;  là-bas, 
le  Songe.  Passagère  sans  doute,  son  éclipse  n'est  que  partielle,  évi- 
demment. Mais,  en  somme,  pourquoi  ne  sommes-nous  plus  au  temps 
(plus  éloigné,  certes  !)  où  l'Ecossaise  paraissait  supérieure  même  à  la 
Neuvième  ? 

—  Le  problème  tout  entier  se  cache  sous  le  masque  rieur  de  cette 
boutade  :  répondre  à  votre  question  serait  le  résoudre.  Un  peu  de  phi- 
losophie musicale,  si  le  mot  ne  vous  effraie  point!  Oui,  Mendelssohn 
est  encore  joué;  mais  on  l'apprécie  moins,  on  s'en  excuse  presque... 
Pourquoi?  me  dites-vous.  Mais,  d'abord,  vous  demanderai-je,  qu'est- 
ce  que  Mendelssohn  ? 

—  Mendelssohn,  c'est  bien  simple  !  C'est  un  délicieux  fragment  de 
ma  jeunesse...  En  son  pur  Nocturne  renaît,  avec  une  larme  légère,  le 
souvenir  de  mes  vingt  ans. 

—  Ija  critique  allemande  aurait  le  droit  de  vous  appeler  subjectif... 
Mais  parlons  plus  objectivement,  si  possible  !  Mendelssohn  est  moins 
un  génie  qu'un  talent  génial.  A  dix-sept  ans  il  vous  brosse  magistra- 
lement la  longue  ouverture  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  morceau  «  tombé 
du  ciel  i>  (comme  dit  à  propos  un  autre  Félix  Meritis  (1),  le  charmant 
Félix  'Weingartner),  mais  où  l'âpre  Richard  'Wagner  perçoit  moins 
des  elfes  que  des  mouches...  Ce  caquetage  divin,  c'est  tout  Mendels- 
sohn. Et  ces  mouches  ont  la  perfection  plastique,  et  tout  «  extérieure  », 
de  ces  jolis  insectes  que  le  sage  Van  Huysum  détaillait  con  amore  sur 
la  pulpe  trop  métallique  de  ses  beaux  fruits.  L'âme  se  tait  sous  la  forme. 
Sorte  de  Henri  Heine  musical,  au  dire  même  de  sa  lointaine  admira- 
trice, M""-' Camille  Selden  (2),  Mendelssohn  est  un  papillon  trop  vif  pour 
se  brûler  à  la  flamme.  Son  mérite  propre,  après  Werther  et  Byron,  est 
d'être  demeuré  «  très  indépendant  »  et,  quand  tous  pleuraient,  «  d'avoir 
continué  de  sourire  »...  Compositeur,  chef  d'orchestre  ou  virtuose,  il  va 
bon  train,  sans  nuances  mièvres  :  «  Toujours  en  avant!  Pas  de  faiblesses!  » 
Tel  était  l'axiome  de  ce  délicat  qui  ne  voulut  pas  être  un  sentimental. 
Aurait-il  pu  le  devenir?  Savant,  perlé,  mondain,  d'mie  grande  urbanité 
musicale,  les  grands  horizons  lui  sont  interdits.  Il  aime  la  nature  en 
paysagiste,  sans  l'adorer  dans  ses  profondeurs  humaines,  en  poète. 
Est-il  classique,  est-il  romantique?  II  est  lui-mime:  élégant  et  fin.  Ne 
lui  demandez  pas  l'impossible.  Il  interroge  Bach  pour  la  science  et 
Weber  pour  le  pittoresque;  mais  la  taille  des  géants  ne  tourmente  point 
ses  veilles.  «  C'est  Shakespeare  en  escarpins  de  bal  »,  a-t-on  dit.  Mais, 
dans  une  soirée,  le  génie  même  est  tenu  d'être  aimable.  Et  son  Nocturne 
est  celui  de  Stendhal  où  l'esprit  rêve  et  disserte  en  un  salon  style  Empire. 
A  travers  les  rideaux  seulement,  on  devine  les  étoiles  lointaines... 

—  J'ai  compris.  Sans  métaphores,  vous  voulez  dire  qu'une  époque 
qui  préfère  l'expression  nerveuse  à  la  perfection  des  formes,  doit  suivre 

il)  Surnom  que  Robert  Schumann  donnait  k  Félix  Mendelssohn.  ^ 

(2)  La  Musujue  en  Allemagne,  Memlelssolin  (Paris,  1867).  —  Cf.  La  Sijmplionie  après 
Beethoven,  par  Félix  Weingartner,  traduction  française  de  M"'  Camille  CheviUard  (Paris, 
Fischbacher,  1900),  pages  14-18.  '      ^ 


396 


LE  MÉNESTREL 


plutôt  la  trace  de  Schumann  qui  pressentait  si  psychologiquement  la 
différence  :  «  Mendelssoha,  disait-il,  aurait  fort  à  m'appreudre  :  mais  je 
pourrais  peut-être  lui  enseigner  quelque  chose...  » 

(A  suivre.)  R.wmond  Bouyer. 


REVUE   DES   GRANDS    CONCERTS 


Le  concert  de  dimauche  dernier,  au  Conservatoire,  s'ouvrait  par  une  sym- 
phonie en  sol  mineur  de  Méhul,  que  le  programme  inscrivait  sous  le  nu- 
méro 1.  Des  quatre  symphonies  dont  j'ai  eu  l'occasion  de  parler  dans  mon 
livre  sur  l'illustre  maître,  deux  seulement  furent  publiées,  avec  une  dédicace 
à  Regnault  de  Saint-Jean-d'Angély  ,  et  celle-ci  est  en  effet  la  première. 
Toutes  lurent  exécutées  du  vivant  de  l'auteur  au  Conservatoire,  non  pas  à  la 
Société  des  concerts,  qui  n'existait  pas  alors,  mais  dans  les  concerts  des 
élèves  qui  prenaient  le  nom  d'«  exercices  »  et  qui  eurent  lieu  eu  1809  et  en 
1810.  Répondant  par  un  remerciement  à  un  critique  qui  avait  parlé  des 
deux  premières  avec  éloges,  Méhul  disait  que,  fatigué  des  tracasseries  du 
théâtre,  il  avait  voulu  s'essayer  dans  un  genre  de  composition  tout  à  fait 
indépendant.  »  Admirateur  passionné  d'Haydn,  ajoutait-il,  j'ai  senti  tous  les 
dangers  de  mon  entreprise  ;  j'ai  prévu  l'accueil  réservé  que  les  amateurs 
feraient  à  mes  symphonies.  Je  compte  en  faire  de  nouvelles  pour  l'hiver 
prochain,  et  je  tacherai  de  les  composer  de  manière  à  mériter  voire  estime, 
et  à  accoutumer  peu  à  peu  le  public  à  penser  qu'un  Français  peut  suivre  de 
loin  Haydn  et  Mozart.  »  En  réalité,  la  symphonie  en  sol  mineur  offre  un 
très  véritable  intérêt.  Le  premier  allegro,  où  les  thèmes  sont  heureusement 
exposés,  est  bien  vivant,  bien  en  dehors,  d'un  rythme  plein  de  franchise, 
avec  un  orchestre  nourri,  où  les  réponses  des  instruments  entre  eux  se  font 
avec  la  plus  grande  aisance.  L'audante,  dont  la  grâce  mélodique  laisse  sou- 
haiter peut-être  un  peu  plus  de  nouveauté,  n'en  est  pas  moins  fort  aimable, 
at  la  reprise  du  motif  initial,  avec  les  contrepoints  des  instruments  à  cordes, 
est  tout  à  fait  intéressante  et  produit  le  meilleur  effet.  Le  menuet  est  fort 
aimable,  et  le  finale,  rapide,  mouvementé,  d'une  couleur  symphonique  remar- 
quable, n'est  pas  moins  digne  d'attention  au  point  de  vue  de  ses  excellents 
développements.  Si  nous  étions  eu  Allemagne,  l'exhumation,  après  tantôt  un 
siècle,  d'une  œuvre  de  ce  genre  due  à  un  musicien  célèbre  surtout  pour  son 
génie  dramatique,  n'aurait  pas  manqué  d'exciter  dans  le  public  et  parmi  la 
critique  un  vif  mouvement  de  curiosité  et  d'intérêt.  Chez  nous,  le  public  et 
la  critique  gouailleuse  restent  indifférents  devant  un  tel  fait,  et  l'annonce  de 
l'exécution  d'une  symphonie  de  l'auteur  de  Joseph  n'a  produit  aucune  émo- 
tion. Heureusement,  l'exécution  elle-même  a  été  accueillie  non  seulement 
avec  respect,  mais  avec  un  véritable  plaisir,  et  la  réussite  de  cette  tentative 
peut  nous  faire  espérer  que  la  Société  des  concerts  voudra  bien  enfin  co  nsentir 
à  nous  faire  entendre  une  des  admirables  ouvertures  de  Méhul.  et  aussi  de  Che- 
rubini,  si  populaires  de  l'autre  côté  du  Rhin.  Justement,  elle  nous  présentait, 
dimanche,  une  ouverture  de  Beethoven,  intitulée  le  Jour  de  fête,  inscrite  sur  ses 
programmes  depuis  plus  de  soixante  ans,  mais  qu'onn'apasentenduedepuisplus 
d'undemi-siècleetqui  ne  saurait  rien  ajouteràl'immortelle  gloire  de  sonauteur. 
A  cette  ouverture  je  préfère  le  beau  Chant  élégiimte  du  maitre,  que  les  chœurs 
ont  exécuté  d'une  façon  remarquable  après  l'Ace  Yerum  de  Mozart,  de  même 
qu'après  le  chœur  des  chasseurs  d'Euryaiithe,  de  Weber,  nous  avons  eu  un 
badinage  charmant,  la  Chevrière,  chœur  de  femmes  avec  solo,  écrit  précédem- 
ment par  M.  Massenet,  puis  orchestré  par  lui  expressément  pour  la  Société  . 
C'est  une  page  charmante,  pleine  de  grâce  et  de  délicatesse,  empreinte  d'un 
rare  sentiment  pittoresque,  et  d'une  fraîcheur  d'inspiration  délicieuse.  Fort 
bien  chantée  par  M"'  Van  Gelder,  dont  la  voix  mélodieuse  est  conduite  avec 
grâce,  8t  par  le  personnel  féminin,  cette  aimable  Chevrière,  qui  fera  certaine- 
ment son  chemin  dans  le  monde  où  l'on  chante,  a  été  applaudie  avec  autant 
de  chaleur  que  de  justice.  Le  programme  se  terminait  par  la  Symphonie  de 
la  Réformation  de  Mendelssohn,  dite  par  l'orchestre  avec  sa  verve  ordinaire. 

A.  P. 

. —  Concerts-Colonne.  — M""»  Rose  Garon  a  été  l'objet  de  sympathiques  ova- 
tions. Cet  art  de  dire  avec  un  style  d'une  distinction  parfaite  et  un  coloris 
d'une  exquise  douceur,  dans  la  plénitude  chatoyante  des  sonorités,  pénètre 
l'âme  et  réveille  l'imagination;  c'est  délicat,  fluide  et  transparent  :  Qui  me 
donnera,  colombes,  vos  ailes!  M"""  Caron,  très  belle  en  Salammbô,  était  admi- 
rable en  Brunehilde  dans  Sigurd.  La  musique  de  cette  œuvre,  digne  de  figurer 
à  côté  des  plus  grandioses  du  répertoire  de  l'Obéra,  a  permis  à  la  cantatrice 
de  déployer  tous  ses  moyens;  en  ce  sens  elle  doit  à  Reyer  sa  grande  noto- 
riété. Elle  a  chanté,  après  la  cantîlène  de  Salammbô,  l'air  d'Ahtsle.  Il  y  a 
quelques  jours,  déjeunant  chez  un  maître  qui  joint  à  la  science  musicale 
une  réputation  de  connaisseur  en  art,  je  fus  pris  à  partie  par  un  jeune  com- 
positeur de  talent  à  cause  des  lignes  que  j'avais  écrites  sur  l'interprétation 
récente  de  cet  air  au  Nouveau-Théâtre.  Je  profite  de  l'occasion  qui  m'est 
ofl'erte  pour  expliquer  mon  point  de  vue.  D'abord  il  y  a  des  fautes  dans  pres- 
que toutes  les  réductions  piano  et  cbant.  Par  exemple,  l'indication  andante 
doit  toujours  être  placée  au  début  des  paroles  :  «  Non,  ee  n'est  point  un  sacri- 
fice »;  la  rejeter  deux  mesures  plus  loin  est  un  véritable  non-sens  que  l'exa- 
men de  la  partie  de  hautbois  fait  ressortir  avec  évidence.  D'après  l'opinion 
de  Berlioz,  qui  avait  étudié  très  à  fond  les  manuscrits  de  Gluck,  les  trois 
mesures  qui  suivent  le  point  d'orgue  doivent  être  dites  avec  lenteur  sur  les 
mots  ;   «  0  mes  fils...  r.  Quant  à  l'exclamation  :  «  Non,  ce  n'est  point  un  sacri- 


fice '■.  elle  tombe  tout  entière  sur  le  mot  sacrifice,  et,  dans  ce  mot,  sur  la 
troisième  syllabe,  ce  qui  est  prosodiquement  très  juste.  Il  faut  donc  dire  cette 
syllabe  en  mesure,  sans  presser,  sans  en  rien  dérober;  le  cœur  de  la  période, 
rythmique  est  là.  On  ne  saurait  trop  le  répéter,  à  cet  endroit  le  mouvement 
est  andante  et  non  moderato.  Examinons  maintenant  la  structure  de  l'air  par 
rapport  à  la  situation  dramatique.  Il  présente  trois  moments  où  le  pathétique 
se  concentre,  pour  ainsi  dire,  dans  l'oxclamalion  que  nous  venons  d'analyser. 
D'abord  la  résolution  d'Alceste  so  manifeste  avec  hauteur,  sans  mélange 
d'attendrissement  : 

Ce  jour  dODt  te  privait  la  Parque  impitoyable 

Te  sera  rendu  par  l'ataour. 

.Von.'  ce  n'est  pas  un  sacrifice' 

Ensuite,  les  regrets  de  l'épouse  percent  avec  amertume,  l'orchestre  ajoute 
des  tierces  à  son  dernier  accord  et  fait  un  sfor:ando  : 
Il  faut  donc  renoncer  à  régner  sur  ton  âme, 
Au  plaisir  de  t'aimer,  au  bonheur  de  te  voir. 
Xon  I  ce  n'fts/  jmr  an  sacrifice .' 

Enfin,  l'amour  maternel  se  joint  aux  tourments  de  la  femme,  et  c'est  au 
milieu  des  sanglots  qu'Alceste  répète  pour  la  troisième  fois  son  héroïque 
mensonge  : 

Non  !  ce  n'est  pas  un  sacrifice .' 

Oh!  elle  sent  bien  que  son  sacrifice  est  le  plus  grand  de  tous,  et  Gluck  a 
donné  à  son  air  la  forme  la  plus  propre  à  faire  ressortir  cette  triple  nuance 
du  sentiment.  Je  voudrais  donc  une  différence  tranchée  de  diction  et  même 
de  mouvement,  si  c'est  nécessaire,  pour  chacune  des  trois  exclamations.  Ni 
M""»  Polack,  ni  M°"=  Caron  ne  chantent  l'air  à'Alceste  conformément  à  ces 
indications.  Elles  ont  d'ailleurs  des  qualités  que  je  ne  saurais  méconnaître. 
—  La  Symphonie  italienne  de  Mendelssohn,  d'une  écriture  si  élégante  et  d'une 
tessiture  symphonique  si  parfaite,  contrastait  sur  le  programme  avec  la  Sym- 
phonie en  ré  de  César  Franck.  J'avoue  préférer  beaucoup  à  ce  dernier  ouvrage 
ceux  de  moindre  prétention  de  l'auteur,  particulièrement  le  Morceau  sympho- 
nique de  Rédemption,  où  se  retrouve  ce  que  l'on  a  nommé  les  voix  angéliques 
de  Franck,  c'est-à-dire  l'accent  simple,  vrai,  mystique,  l'extase  du  chrétien 
qui  croit  aux  séraphins.  Je  ne  puis  terminer  sans  citer  le  nom  de  M"=  Julie 
Cahun,  qui  a  rempli  le  rôle  de  Taanach  pour  donner  la  réplique  à  M""  Caron 
dans  la  cautilène  de  Salammbô.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Deux  œuvres  arch;  connues  et  fort  populaires 
ont  ouvert  et  clôturé  le  programme  de  la  dernière  séance  :  la  Symphonie 
pastorale  et  la  musique  de  Mendelssohn  pour  le  Songe  d'une  nuit  d'été.  L'œuvre 
de  Beethoven,  restée  jeune  et  fraîche  comme  au  premier  jour  de  sa  création, 
a  été  accueillie  avec  enthousiasme;  celle  de  Mendelssohn  a  paru  quelque  peu 
fanée.  Même  la  Marche  nuptiale,  jadis  le  complément  obligatoire  de  tout 
«  beau  »  mariage,  n'a  obtenu  qu'un  faible  succès  d'estime.  Ce  n'était  cepen- 
dant pas  la  faute  de  l'exécution,  car  elle  fut  également  impeccable  pour  les 
deux  œuvres;  le  génie  avait  simplement  mis  en  évidence  les  limites  du 
talent.  —  On  a  aussi  entendu  le  «  prélude  du  Paradis  o  tiré  de  la  Vision  de 
Dante,  de  M.  Brunel,  tout  récemment  exécutée  pour  la  première  fois.  Déta- 
chée de  l'ouvrage,  cette  page  est  bien  écourtée  et  n'offre  pas  d'éléments  suf- 
fisants pour  une  appréciation  fondée;  nous  devons  nous  borner  à  constater 
que  l'auteur  a  traité  l'orchestre  avec  beaucoup  d'habileté  sans  que  les  eft'ets 
qu'il  en  tire  soient  nouveaux,  ou  seulement  frappants.  —  Bien  plus  forte  a 
été  l'impression  de  la  Valse  de  Méphistophélès,  cette  œuvre  originale  que  Liszt 
écrivit  vers  la  fin  de  sa  carrière  artistique  à  Weimar  et  pour  laquelle  il  s'était 
inspiré  d'un  épisode  du  Faust  de  son  compatriote  Lenau.  La  légende  de  Faust 
hanta  l'imagination  de  l'artiste  pendant  presque  toute  sa  vie,  et  sous  ce  rap- 
port il  était  logé  à  U  même  enseigne  que  Gœthe.  Après  avoir  composé  entre 
I8o3  et  1834  sa  partition  suggérée  par  le  Faust  de  Gœthe,  il  s'occupa  cinq 
années  plus  tard  de  celui  de  Lenau.  En  1880,  déjà  au  déclin  de  son  existence, 
il  écrivit  une  deuxième  Méphisto-Walzer  dédiée  à  Saint-Saëns,  d'abord  pour 
piano,  ensuite  aussi  pour  orchestre;  l'année  suivante  une  troisième;  eu  1883 
une  Mephisto-Pollia :  et  finalement  en  1885,  quelques  mois  avant  sa  mort,  une 
quatrième  Valse  de  Méphistophélès,  dont  le  manuscrit  inédit  est  aujourd'hui 
conservé  au  musée  Liszt,  de  Weimar,  Nous  ne  connaissons  malheureusement 
pas  ce  dernier  morceau,  mais  parmi  les  autres  la  Valse  de  Méphistophélès,  que 
M.  Chevillard  nous  a  fait  entendre,  est  certainement  la  plus  remarquable, 
sous  tous  les  rapports.  Inutile  de  relire  le  «  programme  »;  le  seul  titre  Danse 
au  cabaret  villageois  et  la  musique  suffisent  pour  nous  fixer  sur  la  scène  que 
l'artiste  a  illustrée  avec  une  fantaisie,  une  fougue  et  en  même  temps  une 
clarté  à  laquelle  il  a  rarement  atteint  dans  ses  autres  œuvres  symphoniques 
«  à  programme  ».  Exécutée  avec  un  sentiment  du  rythme  et  des  nuances 
tout  à  fait  remarquable,  le  sémillant  morceau  a  littéralement  enlevé  l'audi- 
toire. —  Un  l'ort  bel  intermède  vocal  a  été  fourni  par  M'""  Raunay,  qui  a 
d'abord  chanté  la  belle  romance  de  Margyane  de  la  Statue,  de  Reyer,  et 
ensuite  le  monologue  i'Alaste,  de  Gluck,  avec  une  véritable  noblesse  de  style 
et  de  diction.  0.  Berggbuen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  sot  ciiiieur,  n"  1  tMébul,i.  —  Ave  vcrum  (Mozart).  — 
Chanl  élégiaque  (Beethoven).  —  Ouverture  du  Jour  de  fêle  (Beethoven).  —  Chœur  des 
Chasseurs  d'Euryanllie  iWeber).  —  La  Chevrière,  chœur  de  femmes  (Massenet),  poésie 
de  M.  Edouard  Noël,  solo  :  M'"  Van  Gelder.  —  Symphonie  de  la  Réformalion,  n"  5  (Men- 
delssohn). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  en  si  bémol  (Schumann).  —  Concerto  en  ut 
mineur  (Uozarti,  par  M.  Risler.  —  Symphonie  en  sot  mineur  (Laloi.  —  Poème  sympho- 
nique pour  piano  et  orchestre  (Pierné),  par  M.  Risler.  —  Marche  funèbre  du  Crépuscule 
des  Dieux  (Wagnerj. 


LE  MÉNESTREL 


397 


Nouveau-Théàti-e,  conceit  Lainoureux  :  7"  Symphonie,  en  ta  (Beethoven).  —  Prélude 
religieux  (Paul  Lacomhe).  —  Concerto  (Beethoven),  exécuté  parM"''Chaigneau,  MM.  Hugo 
Hermann  et  Hugo  Becker.  —  Garden- Mélodie  et  Au  bord  d'une  soitrce  (Schumann),  par 
M.  Hugo  Hermann.  —  Concerto  pour  violoncelle  (Saint-Saëns),  par  M.  Hugo  Becker.  — 
Chevaucliée  des  Vcdkyries  (Wagner). 

—  La  deuxième  matinée  Colonne  au  Nouveau-Théâtre  était,  selon  le  pro- 
gramme général  que  nous  avons  fait  connaître,  surtout  consacrée  au  genre 
du  duo,  tant  vocal  qu'instrumental.  Elle  s'ouvrait  par  une  bien  jolie  «  Suite  » 
de  Bach,  que  l'orchestre  a  dite  d'une  façon  délicieuse,  et  que  suivaient  trois 
duos  de  Schumann  pour  soprano  et  ténor,  chantés  d'après  la  traduction  de 
notre  collaborateur  Amédée  Boutarelpar  M°>»  Jeanne  Remacle  et  M.  Georges 
Dantu.  M"»»  Monteux-Barrière  et  M.  Armand  Forest  ont  exécuté  ensuite  avec 
une  rare  distinction  la  jolie  Suite  op.  34  pour  piano  et  violon  de  M.  Emile 
Bernard,  puis  MM.  Paul  Daraux  et  Emile  Gazeneuve  se  sont  fait  vivement 
applaudir  en  chantant  d'une  façon  absolument  remarquable  le  superbe  duo 
des  Pécheurs  de  Perles.  L'orchestre  nous  a  fait  entendre  alors  trois  petites 
pages  exquises  de  Castor  et  Poilus,  de  Rameau  (Tambourin,  Menuet  et  Passe- 
pied),  après  quoi  est  venue  la  surprise  de  la  séance.  Je  veux  parler  d'une 
pièce  de  Haesler  (Ariette  et  variations)  et  d'une  autre  de  Bruni  {le  Coucou), 
exécutées  en  duo,  sur  la  viole  d'amour  et  la. . .  contrebasse,  par  MM.Gasa- 
desus  et  Nanny.  Gela  était  simplement  délicieux.  J'ignore  quel  est  l'auteur 
de  ces  arrangements  assez  singuliers  (Bruni,  en  particulier,  n'a  certainement 
jamais  écrit  pour  la  viole  d'amour),  mais  ils  étaient  si  bien  faits,  et  l'exécu- 
tion des  deux  morceaux  était  si  parfaite  que  MM.  Casadesus  et  Nanny  ont 
obtenu  le  succès  le  plus  complet  et  le  plus  bruyant.  Le  programme,  trop  sub- 
stantiel peut-être,  se  complétait  par  le  duo  de  Béatrice  et  Bénédict,  de  Berlioz, 
joliment  chanté  par  M"'i'  Jeanne  Remacle  et  M"=  Barousse,  par  les  Variations 
à  deux  pianos  de  M.  Saint-Saëns  sur  un  thème  de  Beethoven,  joliment  exé- 
cutées par  MM.  Alfred  Gasella  et  Lazare  Lévy,  et  l'exquis  fragment  des  Scè/jfs 
alsaciennes  de  M.  Massenet:  Sous  les  Tilleuls,  joliment  enlevé  par  l'orchestre. 

A.  P. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ÉTRANGER 


M.  Sonzogno,  le  célèbre  éditeur  milanais,  vient  d'ouvrir  un  concours 
international  avec  un  prix  de  cinquante  mille  francs  pour  un  opéra  en  un 
acte  qui  devra  être  représenté  à  Milan,  au  cours  de  la  grande  Exposition  de 
1904.  Souhaitons  au  vaillant  éditeur  le  même  succès  qu'il  obtint  avec  son 
premier  concours  et  d'où  sortit  la  fameuse  Camileria  rusticana. 

—  Le  poète  Gabriele  d'Annunzio,  qui  ne  parait  pas  avoir  été  très  heureux 
avec  sa  Francesca  dci  Rimini,  représentée  ces  jours  derniers  sans  grand  succès 
au  théâtre  Gostanzi  de  Rome,  ne  l'a  pas  été  davantage  avec  son  Ode  à  Bellini, 
récitée  par  lui-même,  à  Rome  aussi,  à  l'occasion  du  centenaire  de  l'auteur 
de  Norma.  Le  poète  et  le  récitant  semblent  avoir  fait,  en  une  seule  personne, 
une  impression  assez  fâcheuse.  «  La  scène,  dit  un  journal,  est  un  grand  salon  ; 
au  fond,  un  buste  assez  réussi  de  Bellini,  et  sous  le  buste,  ahiinél  un  superbe 
cygne,  avec,  autour,  huit  pompiers  en  grand  uniforme,  beaux  soldats,  rigides. 
L'ensemble,  pour  la  lecture  d'une  ode,  est  assez  nouveau...  D'Annunzio 
commence.  Est-ce  de  la  prose?  Est-ce  des  vers?  Le  public  saisit  quelques 
décasyllabes,  et  le  son  d'une  rime  arrive  par  instants  à  son  oreille.  D'Annunzio 
cherche  évidemment  à  ne  point  faire  sentir  le  rythme;  c'est  un  excès.  L'autre 
excès,  l'ancien,  qui  était  de  chanter  le  vers  avec  une  canlilène  monotone,  et 
par  cela  très  fâcheuse,  pouvait  se  préférer  par  quelques-uns,  quoique  la 
déclamation  académique,  emphatique,  fût  détestable.  Mais  l'annulation  de  la 
musique  du  vers  doit-elle  être  louée?  La  vérité  est  entre  les  deux  excès...  Et 
puis,  que  fait  Bellini  parmi  toutes  ces  images  helléniques,  le  Bellini  roman- 
tique, le  Bellini  jeune  de  1830?  D'Annunzio  a  évoqué  les  théâtres  siciliens, 
parmi  les  cols  riants,  à  l'aspect  de  la  mer  immense.  Etaient-ce  là  les  théâtres 
de  Bellini?  Pouvaient-ils  l'être?  Aucun  ne  fut  plus  moderne  que  lui,  plus 
ignorant  du  destin  antique,  plus  désireux  d'interpréter  musicalement  son 
siècle.  C'est  là  qu'était  le  sujet  d'une  poésie  en  l'honneur  de  sa  mémoire. 
D'Annunzio  en  a  choisi  un  autre,  un  sujet  classique,  solennel  et  majestueux. 
Libre  choix,  devant  lequel  la  critique  se  tait.  La  critique  constate  cependant 
que  le  poème  de  d'Annunzio  est  superbement  froid,  tandis  que  l'art  de  Bel- 
ni  est  débordant  de  passion.  » 

—  Dépêche  de  Milan  :  «  Hier  soir,  nouveau  triomphe  pour  la  Sapho  de 
Massenet  et  son  admirable  interprète  la  Bellincioni.  Demain,  pour  la  fer- 
meture du  Lyrique,  dernière  représentation  de  Cendrillon.  Ce  sera  la  quaran- 
tième à  Milan  ». 

—  M.  Luigi  Mancinelli,  le  chef  d'orchestre  bien  renommé,  vient  d'obte- 
nir un  brillant  succès  de  compositeur  en  faisant  exécuter  sous  sa  direction, 
au  Théâtre  Royal  de  Turin,  une  grande  cantate  biblique  en  deux  parties, 
Isuie,  pour  soli,  chœurs  et  orchesire.  L'œuvre  avait  paru  pour  la  première  fois, 
en  anglais,  au  festival  de  Norwich  en  1887.  Le  public  italien  a  acclamé  l'au- 
teur et  ses  interprètes.  M"™  Karola  et  Bruno,  MM.   Gostantino   et  Bucalo. 

—  M.  Sarasate  et  M""»  Berthe  Marx,  qui  ont  entrepris  une  tournée  artisti- 
que en  Italie,  viennent  d'obtenir  un  succès  éclatant  à  Milan,  dans  un  concert 
donné  au  salon  Perosi.  Tous  deux  se  sont  fait  applaudir  séparément  comme 
solistes,  mais  ils  se  sont  fait  acclamer  surtout  en  exécutant  ensemble,  avec  le 


talent  qu'on  leur  connaît,  la  Sonate  à  Kreutzer  de  Beethoven  et  la  Fie  à'amcnm 
de  Raff. 

—  Une  erreur  de  plume  nous  a  fait  attribuer  à  tort  au  Mondo  artistico  les 
détails  intéressants  que  nous  avons  reproduits  au  sujet  de  Chopin,  l'opéra 
représenté  récemment  au  Théâtre-Lyrique  de  Milan.  La  vérité  est  que  c'est 
au  Trovatore,  et  non  à  son  confrère,  que  nous  avons  emprunté  ces  renseigne- 
ments curieux. 

—  Plusieurs  sociétés  littéraires  et  artistiques  de  Biebrich,  près  Wiesbaden, 
viennent  d'organiser  un  festival  dont  le  produit  est  destiné  à  l'apposition 
d'une  plaque  commémorative  sur  la  petite  villa  de  Biebrich,  que  Richard 
Wagner  habita  entre  les  mois  de  février  et  d'octobre  1862  et  où  il  acheva 
la  musique  des  Maîtres  Chanteurs,  commencée,  à  Paris,  à  l'hôtel  de  l'ambas- 
sade de  Prusse,  rue  de  Lille.  C'est  à  Biebrich  que  le  maitre,  déjà  quinqua- 
génaire, exécuta  ce  fameux  tour  d'agilité  qui  consistait  à  se  placer  sur  la 
tête  et  à  agiter  les  jambes  en  l'air,  manière  d'exprimer  sa  joie  en  voyant 
arriver  chez  lui  le  ténor  Schnorr  de  Carolsfeld,  son  premier  Tristan.  Ceci  se 
passait  sur  un  balcon,  et  les  amis  qui  se  trouvaient  chez  le  maitre,  ainsi  que 
les  passants,  croyaient  que  celui-ci  avait  perdu  la  raison. 

—  M.  Siegfried  Wagner,  qui  vient  de  passer  quelques  jours  à  Berlin  où  il 
a  dirigé  plusieurs  fragments  de  ses  opéras,  n'a  pu  échapper,  comme  de  juste, 
à  la  persécution  des  reporters.  L'un  d'eux  publie  quelques  communications 
intéressantes.  Le  fils  de  Richard  Wagner  lui  aurait  dit  que  le  vieux  maître 
a  laissé  une  autobiographie  très  détaillée  qui  ne  devra  paraître  qu'en  1913, 
c'est-à-dire  trente  ans  après  sa  mort.  Si  cette  autobiographie  est  aussi  inté- 
ressante que  le  fragment  déjà  connu,  qui  ne  dépasse  malheureusement  pas 
les  temps  de  jeunesse  de  l'artiste,  les  lecteurs  de  1913  en  auront  pour  leur 
argent.  Quant  à  ses  propres  travaux,  M.  Siegfried  Wagner  a  confié  au  dit 
reporter  que  son  nouvel  opéra  est  tiré  d'une  légende  allemande  et  sera  bien- 
tôt terminé.  Actuellement  .M.  Siegfried  Wagner  étudie  trois  autres  sujets 
tirés  de  la  légende  et  de  l'histoire  d'Allemagne,  qu'il  se  propose  de  traiter 
successivement. 

—  M.  Siegfried  Wagner  a  d'autre  part  prononcé  à  Berlin  un  discours  assez 
significatif.  C'était  à  un  banquet  organisé  en  son  honneur  :  «  Les  Sociétés 
Richard  Wagner,  a-t-il  dit,  ne  doivent  plus  avoir  comme  but  la  propagation 
de  l'œuvre  du  maître,  elles  ne  doivent  plus  exécuter  des  fragments  de  ses 
œuvres  dans  les  concerts;  mais,  au  contraire,  former  comme  une  armée 
pour  combattre  autour  de  Bayreuth  contre  l'inimitié  et  l'envie.  Tout  le  monde 
sait  ce  que  cela  veut  dire.  A  leur  dernière  réunion  à  Bayreuth,  les  sociétés 
Richard  Wagner  ont  assez  clairement  exprimé  leur  volonté  de  lutter  pour 
Bayreuth.  Je  m'efforcerai  toujours,  quant  à  moi,  de  mériter  la  confiance  dont 
on  m'honore  et  de  porter  avec  honneur  le  nom  du  maître  I  »  On  croyait 
cependant  la  paix  conclue  entre  Munich  et  Bayreuth. 

—  Le  théâtre  de  Hambourg  annonce  pour  le  3  janvier  la  première  repré- 
sentation de  Louise.  Ce  sera  la  première  scène  allemande  qui  jouera  la  belle, 
œuvre  de  Charpentier,  avant  Berlin,  I^eipzig,  Cologne,  Wiesbaden,  Elberfeld, 
Nuremberg,  et  autres  villes  qui  suivront  de  près. 

—  Le  monument  de  Beethoven  à  Vienne  a  accomplisa  volte-face.  La  petite 
opération  a  parfaitement  réussi,  et  depuis  quelques  jours  le  maître  jette 
son  regard  méprisant  sur  la  foule  qui  circule  à  ses  pieds.  «  Beethoven,  que 
me  veux-tu  ?  »  doit  dire  plus  d'un  passant. 

—  M.  Joseph  Joachim  vient  de  faire  jouer  à  Berlin,  par  l'orchestre  ducal 
de  Meiningen,  une  ouverture  pour  une  comédie  de  Gozzi,  qui  a  obtenu  un 
grand  succès. 

—  L'Association  des  musiciens  de  Berlin  {Berliner  Tonkûnsllerverein),  qui  existe' 
depuis  cinquante-sept  ans,  vient  d'englober  deux  autres  associations  musicales- 
dont  une  société  de  bienfaisance  et  compte  ainsi  près  de  600  membres.  Dans 
sa  nouvelle  formation,  cette  Société  donnera  aussi  des  concerts. 

—  La  nouvelle  société  d'orchestre  de  Berlin,  dirigée  par  M.  Gustave  Hol- 
laender,  vient  déjouer  avec  beaucoup  de  succès  une  nouvelle  œuvre  sympho- 
nique  intitulée  Suite  arcadienne,  de,  M.  Philipp  Scharwenka. 

—  A  Munich,  les  seigneurs  et  nobles  dames  du  Brabant  ont  dernièrement 
organisé  une  grève.  Le  nouveau  chef  de  chant  avait  renvoyé  un  des  plus 
anciens  et  des  plus  populaires  choristes  de  l'Opéra  royal,  et  tous  ses  camarades 
des  deux  sexes  profitèrent  d'une  représentation  de  tohengrin  'pour  déclarer, 
quelques  instants  avant  le  commencement,  qu'ils  ne  chanteraient  pas  si  l'in- 
tendance ne  réintégrait  immédiatement  leur  doyen,  renvoyé  sans  aucun  motif 
valable.  L'embarras  du  régisseur  général  était  grand.  Il  fut  obligé  de  s'adres- 
ser à  l'intendant,  M.  de  Possart,  qui  promit  de  réengager  le  malheureux  cho- 
riste. La  représentation  de  Lohengrin  put  alors  avoir  lieu,  mais  avec  un  retard 
de  trente-cinq  minutes. 

—  Le  théâtre  National  de  Prague  vient  de  jouer,  avec  beaucoup  de  succès, 
un  opéra  en  quatre  actes  intitulé  :  Au  vieux  lavoir,  musique  de  M.  Charles 
Kovarovic. 

—  Voici  le  brillant  tableau  de  la  troupe  du  théâtre  du  Conservatoire,  à 
Saint-Pétersbourg,  pour  la  prochaine  saison  de  carnaval:  soprani,  M""i*  Si- 
grid  Arnoldson,  Olimpia  Boronat,  Salomea  Krusceniska,  Maria  Ballières. 
Luisa  Tetrazzini  ;  mezso-soprani,  Gesira  Pagnoni,  Vittoria  Paganelli  ;  ténors, 
MM.  Francesco   Marconi,  Florencio  Gostantino,  Giuseppe  Sala;  barytons,' 


398 


LE  MENESTREL 


Matlia  Battistini.  Giuseppe  Pacini,  Vittorio  Brambara,  Romolo  Dolcibene; 
basses,  Vittorio  Arimondi,  Camillo  Fiegna,  PietroGesari.  Le  chef  d'orchestre 
est  M.  Giovanni  Zuccani. 

—  De  Varsone  :  Werther  en  est  à  sa  sixième  représentation,  salles  combles 
et  succès  énorme  toujours  croissant.  Le  remarquable  baryton  Battistini  tou- 
jours acclamé. 

—  Evénement  tragique  à  Bucarest,  au  concert  de  la  pianiste  M"=  Hélène 
Louis.  Cette  jeune  fille,  qui  comptait  à  peine  dix-huit  ans,  avait  été  vivement 
applaudie  après  un  morceau  brillamment  interprété  et  était  revenue  sur  l'es- 
trade pour  remercier  le  public.  Elle  s'inclina  gracieusement,  puis  sortit  un 
revolver  de  sa  poche  et  se  tira  une  balle  dans  la  tête  devant  les  yeux  du  public 
consterné.  L'artiste  n'est  pas  encore  morte,  mais  son  état  est  très  grave.  Le 
motif  de  ce  suicide  est  inconnu. 

—  Les  journaux  de  Bruxelles  constatent  unanimement  les  succès  extra- 
ordinaires remportés  par  M'"'^  Clotilde  Kleeberg,  la  première  fois  au  Cercle 
artistique  et  littéraire,  dans  une  séance  consacrée  aux  œuvres  de  Schumann, 
où  elle  a  partagé  les  bravos  avec  M''^  Marcella  Pregi,  la  seconde  fois  au 
Piano-Récital  donné  dans  la  grande  salle  de  l'Harmonie  royale. 

—  La  Société  des  musiciens  de  Londres  avait  demandé  aux  compositeurs 
anglais  leurs  œuvres  nouvelles  pour  exécuter  les  meilleures.  Le  jury  a  choisi 
sept  œuvres  envoyées  par  MM.  Rutland  Bougbton,  Joseph  Ilolbrooke, 
Ralph  Horner,  H.  A.  Keyser,  Colin  Mac  Alpin,  Paul  Stoeving  et  A.  N.Wight. 
Trois  de  ces  jeunes  compositeurs  ont  été  formés  en  Angleterre,  trois  en  Alle- 
magne et  un  seul  dans  ces  deux  pays, 

—  Télégramme  de  Lisbonne  :  «  L'exécution  de  la  Terre  promise  de  Massenet 
sous  la  direction  du  maestre  Sarti  a  eu  le  plus  grand  succès.  Détails  suivent 
par  lettre  ». 

—  C'est  en  Amérique,  le  pays  de  l'excentricité,  qu'on  trouve  la  seule  femme 
qui  soit  cheffe  d'une  musique  militaire.  Elle  a  vingt  ans,  s'appelle  miss  Nellies 
Miles  et  est  née  en  Angleterre  de  parents  américains.  Son  père  fut  naguère 
chef  de  musique  des  grenadiers  de  la  garde,  sa  mère  est  une  pianiste  fort 
habile  et  —  autre  atavisme  qui  explique  peut-être  le  côté  militaire  de  sa  voca- 
tion —  elle  est  cousine  du  général  Nelson  Miles,  de  l'armée  anglaise.  C'est 
égal,  les  soldats  qui  sont  sous  les  ordres  d'un  pareil  chef  ne  doivent  pas  s'en- 
nuyer. Moi,  il  me  semble  que  j'aurais  des  distractions. 

—  Les  Américains  ont  parfois  l'excentricité  macabre,  et  rien  ne  répugne  aux 
entrepreneurs  pour  exciter  la  curiosité  du  public.  Le  directeur  d'un  Music  hall 
de  New-York  n'a  pas  rougi  de  spéculer  sur  le  crime  lâche  qui  a  coûté  la  vie 
au  président  Mac-Kinley  et  qui  a  si  justement  ému  non  seulement  l'Amérique, 
mais  le  monde  entier.  II  a  fait  exécuter  et  a  exhibé  devant  ses  spectateurs 
un  Czolgosz  en  cire,  de  grandeur  naturelle  :  non  content  de  cela  il  a  engagé 
le  frère  de  l'assassin,  qui,  placé  à  coté  de  l'effigie  de  celui-ci,  était  chargé  de 
faire  une  conférence  ad  hoc.  On  a  peine  à  choisir  entre  l'ignominie  de  l'un  et 
de  l'autre.  Toujours  est-il  que  ce  spectable  immonde  a  eu,  parait-il,  un  suc- 
cès de  scandale,  à  ce  point  que  les  autorités  s'en  sont  émues  et  ont  fini  par 
l'interdire. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  gazettes  nous  apprennent  que  les  recettes  des  douze  premières  repré- 
sentations des  Barbares  à  l'Opéra  ont  dépassé  le  chiffre  de  200.000  francs. 
C'est  fort  coquet,  puisque  cela  fait  une  moyenne  de  16.666  fr.  66  c.  par  repré- 
sentation. M.  Gailhard  dira  que  cela  ne  couvre  pas  ses  frais,  qu'il  évalue  à 
plus  17.000  francs,  mais  en  tout  cas  cela  dépasse  la  moyenne  de  ses  recettes 
pendant  le  mois  de  novembre,  puisqu'elle  n'est  que  de  13.323  francs  par 
représentation.  Yoici  donc  une  œuvre  française  d'un  illustre  musicien  qui 
faitmontre  de  résistance  et  qu'un  directeur  avisé  devrait  soutenir  detoutes  ses 
forces.  M.  Gailhard  n'y  parait  pas  songer,  puisque  dans  huitjours  il  va  donner 
la  «  première»  du  Siej/'ri'eci  deWagner  et  asséner  ce  coup  de  massue  formidable 
sur  la  nuque  de  la  pauvre  partition  française  qui  ne  demandait  qu'à  vivre. 
Ce  n'est  pas  là  peut-être  de  la  bonne  administration  ou  du  patriotisme  bien 
ardent. 

—  La  représentation  de  Siegfried  serai  suivie  d'un  autre  contretemps  fâcheux. 
Ce  sera  d'écarter  pour  longtemps  du  répertoire  une  autre  œuvre  française 
qui  était  l'honneur  de  notre  École,  nous  voulons  parler  du  Sigurd  de  M.  Ernest 
Reyer,  composé  sur  le  même  sujet  que  l'opéra  de  "Wagner.  Mais  M. Gailhard 
se  garde  bien  de  prendre  en  considération  de  telles  misères.  Il  est  convenu 
que  le  titan  de  Bayreutb  doit  tout  écraser  sur  son  passage  et  le  directeur  de 
notre  Opéra  national  y  aide  de  tout  son  cœur. 

—  Puisque  nous  parlons  de  Siegfried,  enregistrons  que  la  répétition  géné- 
rale en  sera  donnée  jeudi  prochain,  et  la  première  représentation  le  lundi 
d'après. 

—  On  fait  grand  bruit  autour  des  débuts  à  l'Opéra,  dans  Roméo  et  Juliette, 
d'une  jeune  américaine,  M"=  Bessie  Abott,  qui,  parait-il,  réunit  toutes  les 
qualités  de  la  jeunesse,  du  charme  et  du  talent.  C'est  à  peine  si  quelques- 
uns  de  nos  confrères  osent  faire  quelques  réserves  sur  cet  ensemble  mer- 
veilleux. Et  tous  sont  d'accord  pour  saluer  le  lever  d'une  étoile  rayonnante. 
Soubailons-le  comme  eux.  Une  interwiew  a  déjà  été  prise  à  la  jeune  débu- 
tante par  M.  Marcel  Hutin.  Nous  en  reproduisons  un  fragment  suggestif 
qui  doime  tous  les  renseignements  nécessaires  sur  M'"  Bessie  Abott  : 


—  Jladomoiselle,  après  votre  brillant  début,  je  voudrais  simplement  connaître  vos 
impressions. 

—  Oh  1  excellentes  I  J'avais  tellement  peur  d'avoir  peur  !  Mais  dès  que  j'ai  entendu  les 
applaudissements  je  n'avais  plus  peur  ! 

—  C'est  la  première  fois  que  vous  paraissiez  en  scène? 

—  La  première.  Je  ne  sais  même  pas  me  maquiller. 

—  C'est  moi  qui  la  maquille  et  la  poudre  1  s'exclame  M.  Gailhard. 

—  Vous  êtes  si  gentil,  vous  !  remercie  la  jeune  diva. 

—  Kacontez-moi  donc  comment  vous  êtes  entrée  à  l'Opéra  !  Où  êtes-vous  née,  aux  États- 
Unis? 

—  Dans  la  campagne  de  New-York,  en  1S79. 

—  Et  vous  avez,  Mademoiselle,  eu  la  vocation  du  chant  de  bonne  heure  ? 

—  Oh  1  oui.  J'avais  huit  ans  quand  je  suis  allée  pour  la  première  fois  avec  maman  au 
Metropolitan-Opera-House  :  on  chantait  Roméo  et  Juliette.  C'était  tellement  beau  que  j'ai 
juré  que  moi  aussi  je  chanterais  Juliette. 

—  Vous  avez  pris  des  leçons  ? 

—  Oui,  chez  M"""  Assforter,  une  ancienne  cantatrice.  Depuis  trois  ans  je  viens  à  Paris 
l'été,  pendant  les  vacances? 

—  Mais  comment  êtes- vous  arrivée  jusqu'à  M.  Gailhard  ? 

—  Par  la  protection  de  MM.  Jean  du  Reszké  et  Coquelin,  qui  m'ayant,  à  deux  années  de 
dislance,  sur  le  paquebot,  pendant  la  traversée,  trouvé  une  jolie  voix,  m'ont  encouragée 
dans  ma  vocation.  Alors  j'ai  étudié  avec  M.  Kœnig,  chef  de  chant  à  l'Opéra,  qui  m'a  pré- 
sentée à  M.  Gailhard  ;  et  c'est  Monsieur  que  voici  qui  a  été  assez  bon  pour  me  donner  des 
conseils  et  me  faire  débuter.  Voilà. 

Savourons  surtout  le  passage  où  M.  Gailhard  s'affirme  comme  maquilleur 
en  chef  de  son  théâtre.  Heureux  homme  !  Tous  les  talents  !  Le  voilà  à 
présent  qui  poudre  et  coldcreamise  les  jeunes  pensionnaires  de  sa  maison! 
Si  après  cela  on  n'augmente  pas  sa  subvention,  comme  la  propose  le  rap- 
porteur du  budget  des  beau.x-arts,  M.  Gouyba,  c'est  qu'il  n'y  a  plus  de 
justice  à  la  Chambre  des  députés. 

—  A  rOpéra-Comique  les  représentations  de  Grisélidis  sont  toujours  au 
beau  fixe.  Mercredi  dernier,  à  la  dixième,  la  recette  dépassait  encore  neuf 
mille  francs  (sans  le  secours  d'aucun  abonnement;  et  celle  de  vendredi 
s'annonçait  comme  devant  être  supérieure,  par  suite  d'un  chiffre  de  loca- 
tion formidable.  Demain  lundi,  c'est  M.  Luigini  qui  conduira  l'orchestre, 
en  remplacement  de  M.  Messager  appelé  à  Monte-Carlo  pour  des  représen- 
tations de  Madame  Chrysanthème. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  la 
Dame  Blanche  et  le  Légataire  universel;  le  soir,  Carmen.  —  Jeudi  dernier  on  a 
donné  la  399'^  de  Manon  et  hier  samedi  on  a  repris  Louise  interrompue  un 
moment  pour  la  réfection  des  costumes. 

—  Jeudi  prochain,  au  Conservatoire,  à  2  heures  1/i,  audition  des  envois 
de  Rome.  Le  programme  ne  comprend  que  des  œuvres  de  M.  Omer  Letorey, 
grand  prix  de  1895  : 

1 .  Première  étude  sijmphoniqiie. 

2.  L'Été,  chœur  (poésie  de  Victor  Hugo). 

3.  Requiem,  soli,  chœurs,  orchestre  et  orgue. 

I.  Requiem  et  Kyrie. 
II.  Domine  Jesu  Christe. 

III.  Sanctm  et  Benediclus. 

IV.  Agnus. 

V.  In  Paradisum. 

4.  Deuxième  étude  symphonique. 

—  Nous  avons  parlé  plusieurs  fois  de  la  Société  Humbert  de  Romans,  où 
l'on  donnait  l'enseignement  musical  religieux  et  où,  dans  une  superbe  salle 
de  concerts,  on  préparait  de  véritables  solennités  musicales.  Déjà  des  festivals 
pour  les  œuvres  de  Théodore  Dubois  et  de  Bourgault-Ducoudray  étaient  an- 
noncés, déjà  on  préparait  pour  la  Noël  la  délicieuse  Pastorale  de  la  natitiiléde 
Reynaldo  Hahn  sur  le  livret  d'un  ancien  mystère  du  X'v'''  siècle,  d'Arnoul 
Gréban,  reconstitué  par  MM.  de  la  Tourasse  et  Gailly  de  Taurines.  Les  répé- 
titions étaient  commencées,  les  décors  commandés.  Et  voilà  tout  cela  par 
terre!  La  Société  est  en  déconfiture  et  le  pèreLavy,  qui  la  présidait,  tombé  en 
disgrâce  et  même  envoyé  en  exil  à  Constantinople  :  «  Le  départ  précipité  du 
P.  Lavy,  dit  le  Figaro,  laisse  la  Société  Humbert  de  Romans  dans  un  embar- 
ras facile  à  comprendre.  L'achat  du  terrain  et  les  constructions  ont  coûté 
près  de  deux  millions,  sur  lesquels  on  n'a  encore  payé  que  six  cent  mille  francs. 
Rien  à  craindre  avec  le  P.  Lavy,  dont  la  présence  équivalait  à  la  plus  solide 
des  garanties:  mais,  lui  parti,  que  va-t-il  advenir?  Inutile  d'insister  sur  le 
mécontentement  très  légitime  que  causera  son  départ.  Toutefois,  s'il  était 
l'àme  de  la  Société,  il  ne  se  trouvait  point  légalement  engagé  dans  ses  affaires. 
Il  y  a  quatre  ans,  le  provincial  de  son  ordre  lui  avait  dit  ;  Faites  ce  que 
vous  voudrez,  mais  ne  signez  rieu.  I^e  P.  Lavy  n'a  rien  signé.  »  Ce  qui 
revient  àdireque  les  créanciers  peuvent  o  se  fouiller  ».  Toutes  les  précautions 
ont  été  bien  prises  :  «  Une  fois  de  plus,  comme  nous  écrit  un  de  nos  spirituels 
correspondants,  les  religieux  auront  roulé  les  laïques  ». 

—  L'homme  de  bien  dont  nous  avons  en  récemment  le  regret  d'annoncer 
la  mort,  M.  Ernest  Lamy,  ne  pouvait  manquer  de  continuer  ses  bienfaits 
outre-tombe.  Ainsi  a-t-il  fait,  et  en  particulier  les  cinq  associations  formées 
par  le  baron  Taylor,  et  tout  particulièrement  l'Association  des  artistes  musi- 
ciens, bénéficient  de  sa  libéralité.  Par  un  article  de  son  testament,  M.  Ernest 
Lamy  partage  une  somme  de  cinquante  mille  francs  entre  les  cinq  Associa- 
tions de  la  façon  suivante  : 

Aux  Artistes  musiciens 25.000  francs. 

Aux  Membres  de  l'enseignement IB.OOO      — 

Aux  Artistes  peintres,  sculpteurs,  etc 5.000      — 

Aux  Artistes  dramatiques 3.000      — 

Aux  Inventeurs  et  artistes  industriels 2.000     — 


LE  MENESTREL 


399 


Nous  savons  que  ce  n'est  pas  tout  et,  sans  entrer  dans  de  plus  amples 
détails,  nous  pouvons  dire  que  la  Société  do  chant  classique  (fondation  Beau- 
lieu),  dont  l'existence  est  si  intimement  liée  à  celle  de  l'Association  des 
artistes  musiciens,  reçoit,  de  son  côté,  une  somme  de  2.000  francs. 

—  Voici  comment,  à  la  représentation  de  Peer  Gynt,  les  deux  suites  d'or- 
chestre d'Edouard  Grieg  s'adaptent  à  l'œuvre  d'Ibsen  : 

I.  Chanson  de  Solveig  (servant  ici  de  prélude). 

II.  Halling  ou  danse  du  Hallingdal  (bourrée  norvégienne). 

III.  Prélude  de  l'acte  II.  Lamentation  d'Ingrid. 
IV  et  V.  Dans  la  Halle  du  Roi  des  Montagnes. 
VI  et  VII.  La  Mort  d'Aase. 

VIII.  Chant  du  Matin  (prélude  de  l'acte  IV). 

IX,  X  et  XL  Danse  d'Anitra. 
XII.  Chanson  de  Solveig. 

XIII  et  XIV.  Retour  de  Peer  Gynt  (la  Tempête). 

XV.  Chant  de  Solveig  (chanté  par  M"»  Hildur  Fjord). 

XVI.  Ici  Lugné-Poé  intercalera  probablement,  pour  suivre  avec  exactitude 
la  pensée  d'Ibsen,  le  psaume  villageois  de  la  Pentecôte  (Pâques  aux  Roses) 
dont  la  musique,  vraisemblablement,  sera  d'un  jeune  compositeur  norvégien. 

XVII.  Berceuse  de  Solveig  (chantée  par  M""  Hildur  Fjord). 

—  M.  Julien  Tiersot  dirige  aujourd'hui  le  Concert  populaire  de  Lille,  qui 
lui  est  entièrement  consacré  (conférence,  exécution  de  chants  populaires, 
avec  le  concours  de  M'"  Éléonore  Blanc,  et  œuvres  d'orchestre).  Il  fera  une 
autre  conférence  musicale  demain  lundi  à  Lyon,  avec  le  concours  des  Chan- 
teurs de  Saint-Gervais.  Il  en  fera  une  troisième  samedi  21,  à  l'Odéou,  sur  les 
«  Noëls  français  »,  avec  exécution  de  quelques-uns  des  noëls  du  nouveau 
recueil  qu'il  vient  de  consacrer  à  ce  genre  particulier  de  la  chanson  française. 

—  J'ai  à  signaler  une  notice  biographique  fort  intéressante  que  M.Georges 
Guéroult  vient  de  consacrer  à  l'excellent  violoniste  Sauzay,  mort  au  commen- 
cement de  cette  année  :  Eugène  Sauzay,  1809-190! .  Cette  notice,  publiée  par  les 
soins  de  la  famille  et  qui  n'est  point  dans  le  commerce,  retrace  l'existence 
artistique  très  active,  très  laborieuse,  du  remarquable  virtuose  et  composi- 
teur que  fut  Sauzay  ;  elle  nous  fait  connaître  certains  détails  jusqu'ici  ignorés, 
et  elle  nous  apprend,  entre  autres  choses,  que  Sauzay  a  laissé  des  Mémoires, 
mémoires  qui  ne  sauraient  manquer  d'être  intéressants,  écrits  par  un  artiste 
qui  pendant  soixante  ans  a  été  mêlé  d'une  façon  étroite  au  mouvement  musi- 
cal de  son  pays,  et  dont  la  publication  serait  très  souhaitable.  La  brochure 
se  termine  par  un  catalogue  très  complet  de  l'œuvre  de  Sauzay,  œuvre  musi- 
cal et  littéraire,  car  on  sait  que  Sauzay  fut  un  lettré  très  fin,  très  délicat,  qui 
a  laissé  plusieurs  ouvrages  excellents,  d'une  forme  très  châtiée  et  d'un  sen- 
timent didactique  remarquable.  A.  P. 

—  Notre  confrère  Edmond  StouUig  fait  paraître,  à  la  librairie  OUendorff, 
le  vingt-sixième  volume  des  Annales  du  Théâtre  et  de  lamusique.  On  connaît  la 
réelle  valeur  de  cette  intéressante  publication,  et  on  sait  la  considération 
dont  elle  jouit  si  justement  dans  le  monde  qui  s'occupe  des  choses  du 
théâtre.  Le  volume   de  cette  année  s'ouvre  par  une  spirituelle  et  mordante 


préface,  très  vivante  et  très  parisienne,  de  M.  Lucien  Muhlfeld:  te  Malaise  du 
Théâtre. 

—  Très  réussie,  la  grande  fête  septentrionale  organisée  à  l'Opéra-Comique 
par  l'Association  amicale  des  enfants  du  Nord.  Grande  affluence  et  beau  pro- 
gramme :  un  prologue  amusant  d'Edouard  Noël,  les  merveilleux  orphéonistes 
de  Valenciennes,  le  délicieux  divertissement  des  Rosali,  composé  pour  la  cir- 
constance par  M.  Massenet  et  dansé  à  ravir  par  M'ie  Chasles,  la  reconstitution 
du  vieil  opérai  de  Monsigny  Rose  et  Colas,  la  Partie  de  Piquet  finement  inter- 
prétée par  les  artistes  de  la  Comédie-Française,  l'ouverture  du  Roi  d'Ys 
magnifiquement  exécutée  par  la  musique  de  la  garde  républicaine,  la  Muse 
du  peuple  de  Charpentier,  enfin  tout  un  intermède  musical  où  figurait 
entre  autres  M''^  Simounet,  qui  a  chanté  une  nouvelle  mélodie  de  Massenet 
encore  inédite,  le  Printemps  visite  la  Terre,  écrite  sur  de  jolies  paroles  de 
M"|=  Jeanne  Chaffotte.  Nous  allions  oublier  M.  Coquelin  (rien  que  cela!)  qui 
a  lu  une  belle  pièce  de  vers  de  M.  Dorchain  sur  Jean  de  Calais.  Très  belle 
recette,  qui  ira  tout  entière  à  des  œuvres  de  bienfaisance. 

—  La  Société  populaire  de  musique  donnera  son  premier  concert  à  l'hôtel 
des  Sociétés  savantes,  le  19.  décembre,  à  8  h.  1/2  précises  du  soir,  sous  la 
présidence  de  M.  Gustave  Charpentier  et  avec  le  concours  de  M"«!s  Pauline 
Smith,  de  l'Opéra-Comique,  Wanda  Landowska,  de  MM.  Alfred  Casella, 
F.  Santa  Vicca,  P.  Fauchet,  Morpain  et  Borgex.  Location,  rue  La  Bruyère,  8, 
de  -4  h.  1/2  à  6  h.  1/2  du  soir,  à  partir  du  samedi  14,  et  le  jour  du  concert,  à 
partir  de  5  heures,  aux  Sociétés  savantes. 

—  De  Marseille  :  «  Septième  représentation  de  la  Sapho  de  Massenet 
toujours  devant  des  salles  combles  et  enthousiastes  pour  l'œuvre  et  ses 
interprètes.  M""»  Bréjean-Gravière  et  le  ténor  Cornubert  tout  en  tête  ». 

—  Grand  succès  aux  Concerts  classiques  de  Marseille  pour  l'audition  des 
œuvres  de  M.  Silvio  Lazzari,  qui  dirigeait  l'orchestre  en  personne.  M"=  Jenny 
Passama  lui  prétait  son  concours  pour  l'audition  de  quelques  lieds  qui  ont 
beaucoup  porté. 

—  Cours  et  Leçoms.  —  M"  Camille  Fourrier  ouvre  un  cours  d'ensemble  vocal,  tous 
les  lundis  à  4  h.  1/2,  à  la  salle  Lemoine,  17,  rue  Pigalle.  —  M"'  C.  Baldo  a  repris  chez 
elle,  11,  rue  Barye,  ses  leçons  de  chant  et  ouvrira  en  janvier  un  cours  de  chant  d'ensemble 
classique  et  moderne.  —  Pour  répondre  à  de  nombreuses  demandes,  M"'  Marie  Rôze 
ouvrira  un  cours  de  musique  d'ensemble  le  lundi,  de  8  à  11  heures  du  soir,  37  rue 
Joubert. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Le  public  artiste  et  lettré,  venu  pour  écouter  les  poésies  de 
Paul  Bourgetaux  deux  derniers  samedis  de  l'Odéon,  a  féïé  comme  il  convient  l'art  délicat 
et  le  sentiment  profond  avec  lequel  U""  Mathieu  d'Ancy  vient  d'interpréter  les  Soirs  d'été 
mis  en  musique  par  Widor.  R.  B.  —  L'Alliance  française  vient  de  donner  un  fort  joli 
concert  au  cours  duquel  on  a  fait  succès  à  deux  excellentes  élèves  de  M""  Vieuxtemps 
M""  Tamisier  et  Méziane;  la  première  a  chanté  l'air  de  Manon  et  la  seconde  l'air  A'Héro- 
diade.  Beaucoup  de  bravos  pour  la  société  chorale  Galin-Paris-Chevé  dans  le  chœur  de  la 
Perle  du  Brésil,  de  Félicien  David,  le  solo  confié  à  M"°  Méry. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivieiine,  HEUGEL  et  C'=,  éditeurs-propriétaires. 


NOËLS 


-TC*eif*SÊ*Stjca'3~-- 


AUDAN.  A'op/  à  2  voix,  avec  solo  de  baryton  ou  mezzo-soprano  ....  6    » 

A.  BLANC  et  L.  DAUPHIN.  Petit  Noël  pour  chœur  d'enfants.   .   .   .    Net.  0  60 
BOISSIER-DURAN.  Le  Saint  Berceau,  Noël  pour  ténor  ou  soprano   avec 

chœur  ad  libitum 3     » 

L.  BORDÈSE.  xVoéï  à  1,  2  ou  .3  voix,  en  solos  ou  chœurs 3    » 

E.  BRYDAINE.  Les  Gaudes  pour  Noël  à  1  voix,  avec  accompagn'  d'orgue.  2  SO 

Gaston  CARRAUD.  Noël g    „ 

L.  DAUPHIN.  Base  et  blanc,  petit  Noël  avec  chœur,  ad  libitum g    » 

DESIHOULINS.  Trois  Noëls  : 

1.  Noël  de  Lope  de  Vega.  -  2.  NoëL  -  3.  La  Viergeàlacrèche.  4    » 
A.  GIGOUT.  Chants  du  Graduel  :  Jésus  redemptor,  hymne  pour  le  jour 

de  Noël,  à  4  voix,  avec  accompagn'  d'orgue  ad  libitum.    Net.  0  10 

ED.  GRIEG.  L'Arbre  de  Noël,  chanson  d'enfant 4    „ 

REÏNALDO  HAHN.  Pastorale  de  Noël,  mystère  du  XV"  siècle  en  4  tableau.x 

(avec  le  livret-te.xte) Net  g     „ 

X-EOmÈS.  Noël  d'Irlande  (i.^Z) '.'....'  S     » 

CHARLES  LECOCQ.  Le  Noël  des  petits 'enfants,  à  1,  2  ou  3  voix  ad  lib.: 

l.Les  Petits  Rois  Mages.  2.  Les  Petits  Bergers.  3.  La  Bûche  de 

Noël.  4.  Prière k    ,, 


.    .  5 

.    .  3 

.   .  3 

Net.  8. 


F.  LISZT.  La  Nuit  de  Noël  (d'après  un  ancien  Noël),  pour  ténor  solo  et 

chœur  de  femmes,  avec  accompagnement  d'orgue.  En  parti- 
tion et  parties  séparées 

J.  MASSENET.  La  Veillée  du  petit  Jésus  (l.i) 

—  Le  Petit  Jésus  [l.^. '3) 

A.  PÉRILHOU.  La  Vierge  à  la  crèclie 

SOUNIER-GEOFFROÏ.  Noël 

J.  TIERSOT.  Noëls  français  (20  numéros) 

G.  VERDALLE.  Le  Carillon  de  Noël 

P.  'VIDAL.   Chant  de  Noël,  pour  soprano  solo  avec  chœurs 

Chaque  partie  de  chœur Net. 

Le  même,  à  une  voix  (1.2) 

—        Noël,  oit  le  Mystère  de  la  Nativité,  4  tableaux Net. 

Ch.-E.  WEBER.  Noël  pour  mezzo-soprano 

J:-B.  WECKERLIN.   Noël!  Noêll  (ï.^) 

—  La  Fête  de  Noël,  avec  ace'  de  piano  et  orgue  ad  lib.  . 

—  Voici  Noël 


7  SO 
7  SO 
0  3» 
5  » 
S  » 
2  SO 


2  SO 

3  » 


NOELS    POUR    ORGUE    SEUL 


ANCIENS  NOËLS  (2  Noëls  de  Saboly,    I   de  Lully  et  1  Noël  languedo- 
cien anonyme)  .    .  

ANCIENS  NOÉLS  (3  Noëls  de  Saboly  et  1  du  roi  René  d'Anjo'i), 
B.  MINÉ.  Op.  42.  /îecueî/ de  A^oë/s  (30  numéros) 


3  7.5 
2  50 


F.  LISZT.  L'Arbre  de  Noël. 

N"  1.  Vieux  Noël,  3  fr.  —  N»  2.  La  Nuit  sainte,  3  fr.  —  N»  3.  . 

Les  Bergers  à  la  crèche,  4  fr.  —  N"  4.  Les  Rois  mages .     5     » 
R.  de  VILBAC.  L'Adoration  des  bergers •■•....,.     4  50 


400 


LE  MÉNESTREL 


Soixante-liuitièine    année     d.e    publication 


PRIMES  1902  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CIIA^'T  ou  pour  le  PIAKO  et  olTrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHA^'T  et  l'IAXO. 


C  H  -A.  T>    T    (1°'  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


À.  THOMAS 

MESSE  SOLENNELLE 

POUR  SOLI  ET  CHŒUR 

Exécutée  à  Saint-Eustache. 

Partition  chant   et   piano    in-8°. 


J.  MÂSSENET 

5^'  VOLUME  DE  MÉLODIES 

NOUVEAU    RECUEIL  (20  XEMÉROS) 

Deux  Ions  :  Lettre  A,  lûnor.  —  Lettre  B,  barj'ton. 

Recueil  chant  et  piano  in-S". 


RETNÀLDO  HÀHN 

PASTORALE  DE  NOËL 

FOUR  SOLI  ET  GHŒDR 

(Avec    le  livret-texte) 
Partition   chant  et  piano   in-8<>. 


À.  PERMOIi 

Chants  de  France  (10  numéros) 

ANCIENNES  CHANSONS 

et  ERNEST  REYER 

Trois  Sonnets,  (recueil  raisin) 


Ou  à  l'un  des  quatre  premiers  Recueils  de  Mélodies  de  J.  Massenet 
ou  à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n°'),  un  -volume  relié  in-8°,  avec  illustrations  en  couleur  d'ADRIEN  MARIE 


PIANO 


(2=  MODE  D'ABONNEMENT) 


Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes 


J.  MÂSSENET 

GRISÉLIDIS 

CONTE  LYRIQUE  EN  TROIS  ACTES 


THÉODORE  DUBOIS 

ADONIS 

POÈME  SYMPHONIQUE  EN  3  PARTIES 
Réduction  piano  4  mains,  par  l'auteur. 


6.  CHARPENTIER 

LOUISE 

ROMAN     MUSICAL     EN  :4    / 
Partition  pour  piano  seul  in-J 


HERVE 

LE  PETIT  FAUST 

TRANSFORIWÉ     EN     PANTOMIME 
Partition  piano  seul  in^S". 


ou   à  l'un   des   volumes   in-S-  des    CLASSIQUES-MaRMONTEL   :    MOZART,   HAYDN,  BEETHOVEN,   HUMMEL,   CLEMENT!,     CHOPIN,   ou   à  lun    des 

recueils    du    PIANISTE -LECTEUR,    reproduction    des    manuscrits    autographes    des    principaux   pianistes -compositeurs,   ou    à    l'un    des    volumes  du     répertoire    des 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne,  ou  OLIVIER  MÉTRA  et  STRAUSS,  de  Paris. 


RIPRÉSENTAST  A  EUE  SECLE  LES  PRIES  DE  PIANO  ET  DE  CHAI  RÉDNIES,  POUR  lES  SEULS  ABOIES  A  L'ABOtilMEST  COMPLET  (3^  Mode) 


THÉÂTRE 

It'OPÉKR-GO|«IQDE 


ARMAND  SILVESTRE  à  EU&ÈNE  MORAND 

MUSIQUE    DE 

J.   MASSENET 


THÉÂTRE 

L'OPÉHfl-CO]WIQUE 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délÎTrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  3  his,  rue  Vivienne,  à  partir  du  80  Bécembrc  1  90 1 ,  à  tout  ancien 
on  nonTcl  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  MÉl^'ESTREl/  pour  l'année  9903.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UX  ou  de  DEUX  francs  pour  l'euToi  franco  dans  les  départements  de  la  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  au  Chanl  pt^iivonl  prendre  la  prime  Piano  el  viccversa.  -  Ceux  au  Piano  el  au  Chanl  réunis  ont  seuls  ilroil  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  leile  seul  noni  droil  àaucunepriiiic. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEiVIEfiT  AU  «  MÉNESTREL  '  PIANu 

',  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  chant  :      |      2' Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano 

Fantaisies ,    Transcriptions ,    Danses ,    de    quinzaine  en    quinzaine  ;     1     Recueil 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger  ;  Frais  de  poste  en  sus. 


Scènes,   Mélodies,   Romances,   paraissant  de   quinzaine  en  quinzaine;    1    Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3°  Mode  d'oionnemenf  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

el  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus. 
4"  Mode.  Tlxte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 
On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  uuméros  de  chaque  année  forment  collection.        - 
Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne., 


an  :  30  francs,  Paris 


IMPRIMERIE  CENTRALE  1 


;   BERGÈRE,   20 


.  3ncn  IiOrdenz^ 


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(Les  Bureaui,  2  "'",  ru«  Tirieime,  Paris,  n>  ur) 
(Les  manufcrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTRELS; 


lie  5affiéfo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Le  Hamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hknhi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6m,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Piovince. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  --  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (43"  article),  Paul  d'Estrées.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  du  Nuage,  à  la  Comédie-Française,  et 
d.e  V Inconnue,  au  Palais-Royal,  Paul-Kmile  Chevalier;  reprise  de  fîété,  au  Vaudeville, 
0.  B.N.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  une  Exposition  musicale,  Raymond  Bouter.  — 
IV.  Le  Tour  de  France  en  musique  :  les  Chants  populaires  du  Vivarais,  Edmond  Neu- 
KO.MM.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CHANSON  D'AVIGNON 

extraite  de  Grisélidis,  conte  lyrique  de  J.  Massenet,  transcrite  pour  piano  seul. 
—  Suivra  immédiatement  (avec  le  X"'  numéro  de  notre  68"  année  de  publi- 
cation) :  les  Oiseaux,  n"  1  des  scènes  mignonnes  Au  jardin  de  Théodore  Dubois. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nouspublierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
l'Oiselet  est  tombé  du  nid,  chanté  par  M"=  Bréval  et  M.  Dl'Franne  dans  Grisélidis, 
conte  lyrique  d'AnMAno  Silvestre  et  Eijoène  Morand,  musique  de  J.  Massenet. 
—  Suivra  immédiatement  :  Ce  qui  dure,  nouvelle  mélodie  de  Théodoue 
Dubois,  poésie  de  Sully  Pbudhomhe. 


PRIMES   GRATUITES  DU   MÉNESTREL 

pour  l'année  1902 

Voir  à  la  S"  page  des  précédents  numéros. 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

d'après  les  mémoires  les  pins  récents  et  ûes  flocnments  inédits 

(Suite.) 


IV 

Hoslilité  de  Delacroix  contre  Meyerbeer.  —  Le  chaos  des  Huguenots.  —  L'  »  affreux  « 
Prophète.  —  La  science  exacte  de  Meyerbeer  est  la  négation  même  du  talent.  — 
Réclames  de  George  Sand.  —  Comment  Meyerbeer  soigne  sa  publicité.  —  Boutades 
de  Delacroix  contre  Hugo,  Berlioz  et  Schubert. 

Un  révérend  père  Cordelier  à  qui' un  de  ses  pénitents,  chape- 
lier de  son  état,  débitait  l'interminable  litanie  de  ses  péchés  ga- 
lants, l'interrompit  brusquement  pour  lui  dire  : 

—  Mais,  mon  fils,  quand  donc  faites-vous  des  chapeaux? 

A  voir  la  place  considérable  réservée  par  Delacroix  à  la  mu- 
sique dans  son  Journal,  on  serait  également  tenté  de  demander 
«  quand  il  faisait  ses  tableaux  »  si  l'on  ne  savait  la  somme  prodi- 


gieuse  de  travail    qu'il    a  produite  dans   le    cours   de  sa  vie 
artistique . 

Mais,  quelle  que  soit  l'œuvre  ou  le  musicien  qui  l'occupe,  il 
en  revient  toujours,  dans  ses  discussions  esthétiques,  au  génie 
qui  les  inspire,  à  l'idéal  qui  en  est  la  plus  haute  sanction.  C'est 
évidemment  sous  l'empire  de  cette  double  suggestion,  à  laquelle 
il  ne  cesse  d'obéir,  qu'il  écrit  en  février  1847  : 

«  Vu  deux  actes  des  Huguenots...  Où  est  Mozart,  où.  est  la  grâce, 
l'expression,  l'énergie,  l'inspiration  et  la  science?  Le  bouffon  et 
le  terrible?  Il  sort  de  cette  musique  tourmentée  des  efforts  qui 
surprennent,  mais  c'est  l'éloquence  d'un  fiévreux,  des  heurts 
suivis  d'un  chaos...  » 

Delacroix  était,  en  effet,  trop  épris  de  Mozart  pour  aimer  et 
peut-être  comprendre  ce  vigoureux  tempérament  dramatique 
qu'était  Meyerbeer,  d'autant  que  les  deux  compositeurs  n'ont 
aucun  point  de  ressemblance.  Mais  Delacroix  poussait  jusqu'à 
l'injustice  son  antipathie  pour  Meyerbeer.  A  mesure  que  la  per- 
sonnalité de  celui-ci  s'affirme  plus  énergique  et  plus  vibrante, 
son  Aristarque  lui  trouve  une  lourdeur  et  une  vulgarité  plus 
caractérisées  :  «  l'affreux  Prophète,  que  son  auteur  croit  sans 
doute  un  progrès,  est  l'anéantissement  de  l'art  »  conclut  rageu- 
sement Delacroix. 

Par  contre,  il  a  des  trésors  de  bienveillance  pour  Robert  le 
Diable,  que  son  imprégnation  italienne  devrait  lui  rendre  parti- 
culièrement agréable.  Il  y  découvre  chaque  jour  de  nouvelles 
beautés,  et  bientôt  le  peintre  de  l'école  romantique  laisse  passer 
l'oreille  ;  les  costumes  de  Robert  viennent  d'être  renouvelés  :  nulle 
note  d'art  ne  pouvait  être  plus  sensible  au  cœur  du  révolution- 
naire qui  avait  si  activement  coopéré  à  la  renaissance  du  Moyen 
Age. 

Après  cette  déclaration  de  principes,  n'est-il  pas  au  moins 
étrange  que  le  peintre  reproche  au  musicien  sa  préoccupation 
du  pittoresque,  sa  recherche  de  la  couleur  locale?  Un  jour,  on 
avait  agité  cette  question  à  table  chez  Buloz,  le  directeur  de  la 
Revue  des  Deux  Mondes,  et  Meyerbeer  y  trouvait  matière  à  des  for- 
mules qui  frisaient  tant  soit  peu  le  paradoxe.  Il  aiïïrmait  que  la 
couleur  locale  «  tenait  à  un  je  ne  sais  quoi  qui  n'est  pas  l'obser- 
vation exacte  des  usages  et  des  coutumes  » ,  et  il  appuyait  ses 
théories  de  l'exemple  de  Schiller  qui,  sans  avoir  jamais  vu  la 
Suisse,  l'avait  si  merveilleusement  décrite  dans  Guillaume  Tell. 
Ce  soir-là,  Delacroix  reconnaissait  la  supériorité  de  Meyerbeer 
sur  ce  même  terrain.  Mais  il  se  déjugeait  à  quelques  jours  de  là. 
Il  reprochait  au  musicien  de  trop  s'attacher  à  la  couleur  locale 
et  «  de  s'être  brouillé  avec  les  grâces  en  cherchant  à  paraître 
exact  et  savant  ».  Voilà  la  véritable  cause  de  la  lourdeur  et  de 
la  bizarrerie  remarquée  dans  les  Huguenots.  Et  le  Prophète,  «  dont 
il  a  peu  entendu.et  encore  moins  retenu  »,  marque  d'une  étape 
nouvelle  cette  marche  vers  la  décadence. 
Enfin,  Delacroix,  toujours  fidèle  à  sa  recherche  de  rapproche- 


402 


LE  MÉNESTREL 


ments  ou  d"analogies  entre  la  plastique  et  l'art  musical,  remarque, 
en  même  temps  que  la  vulgarité  croissante  du  compositeur, 
«  ses  gros  pieds  et  ses  grosses  mains  ». 

Il  est  d'ailleurs  aussi  peu  bienveillant  pour  l'homme  que  pour 
le  musicien,  malgré  qu'il  le  fréquente  assidûment.  Il  signale  la 
faiblesse  bien  connue  de  Meyerbeer  pour  la  réclame.  Et,  s'auto- 
risant  d'une  confidence  du  comte  Grzymala,  un  grand  amateur 
de  tableaux,  il  rapporte  que  le  compositeur  a  payé  fort  cher  à 
George  Sand  des  articles  élogieux  signés  de  l'illustre  roman- 
cier. Cependant  Delacroix  a  cru  devoir  protester  contre  l'anec- 
dote, bien  qu'il  sache  pertinemment  que  «  la  pauvre  femme  » 
est  toujours  besogneuse  et  qu'elle  «  écrit  trop  pour  de  l'argent  ». 

D'autre  part,  il  est  certain  que  Meyerbeer  ne  reculait  devant 
aucun  sacrifice,  malgré  son  esprit  de  lésine,  pour  «  se  faire  une 
bonne  presse  ».  Aussi  sommes-nous  étonné  que  l'auteur  des 
Huguenots  eût  négligé  d'envoyer,  comme  l'affirme  M°>°  G.  Jaubert, 
la  loge  qu'il  avait  promise  pour  une  première  à  la  belle  Juliette, 
l'amie  d'Henri  Heine.  De  ce  jour-là  le  critique  allemand,  jouant 
sur  le  nom  même  du  compositeur,  ne  l'aurait  plus  appelé  que 
Monsieur  l'Ours:  ironie  sans  portée,  car  Meyerbeer  était  d'une 
obséquiosité  à  rendre  des  points  à  l'ancien  duc  de  Goislin, 
«  l'homme  le  plus  poli  de  France  ». 

Il  avait  une  telle  soif  de  réclame  qu'il  n'eût  pas  hésité  à  faire 
les  frais  de  Robert  le  Diable  le  jour  où  l'influence  du  docteur 
Korefi',  ce  charlatan  viveur,  lui  avait  ouvert  les  portes  de 
l'Opéra.  Déjà  Yéron  avait  réclamé  du  ministre  une  subvention 
de  quarante  mille  francs  pour  monter  une  pièce  que  lui  impo- 
sait, disait-il,  un  traité  de  son  prédécesseur.  Mais  Meyerbeer  eût 
voulu  que  la  valeur  de  sa  musique  eût  seule  décidé  de  son  succès. 
Cependant  il  trouvait  le  décor  du  quatrième  acte  trop  mesquin. 

—  Je  l'eusse  payé  de  ma  poche,  prétendait-il. 

—  Oui,  répliquait  Roger  de  Beauvoir,  comme  Rossini,  qui 
vidait  sa  bourse  quand  tout  le  monde  était  là  pour  le  voir. 

Si  Delacroix  aimait  peu  Meyerbeer,  il  aimait  moins  encore 
Berlioz.  Il  ne  lui  reconnaissait  aucun  talent  :  il  l'eût  volontiers 
traité  de  barbare.  Et,  enveloppant  dans  la  même  réprobation 
l'homme  qu'il  avait  encensé  autrefois  et  celui  qu'on  appelait 
alors  «  le  Delacroix  de  la  musique  »,  il  écrivait:  «  Berlioz  et 
Hugo  ne  sont  pas  parvenus  à  abolir  les  lois  éternelles  de  goût  et 
de  logique  qui  régissent  les  arts.  »  Il  avait  même  trouvé  ce  mot 
pour  définir  le  fracas  de  cuivres  familier  au  compositeur  : 

—  Les  trompettes  vous  poursuivent  dans  Berlioz  ! 

Il  n'en  prisait  pas  davantage  les  somnolents,  ceux  qu'il  nom- 
mait «  les  rêveurs  ».  Il  avait  pris  «  furieusement  en  grippe 
Schubert  »,  un  autre  romantique  languissant,  mélancolique, 
toujours  dans  les  nuages. 

(A  suivre.  )  Paul  d'Estrées. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Comédie-Française.  Le  Ntiaçie,  comédie  en  '2  actes,  de  M.  G.  Guiches.  —  Palais- 
BoYAL.  L'Inconnue,  pièce  en  3  actes,  de  MM.  P.  Gavault  et  G.  Berr. 

Les  soirées  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  guère,  et,  après  celle  toute 
lumineusement  expressive  de  l'Énigme,  voici,  à  la  Comédie-Française, 
celle  du  Nuage  de  M.  G.  Guiches  plutôt  terne  et  nébuleuse.  Deux  actes 
aussi,  mais  deux  actes  qui  auraient  gagné  à  n'en  faire  que  tout  juste  un 
seul.  Chamailleries  et  bouderies  de  nouveaux  mariés  à  propos  du  passé 
de  l'un  et  de  l'autre  :  madame  se  refusant  à  pardonner  à  monsieur  uue 
liaison  avec  une  mondaine  sujette  à  caution  qui,  bien  maladroitement  et 
assez  grossièrement,  vient  braver  monsieur  le  jour  même  du  mariage; 
monsieur  reprochant  à  madame  les  faveurs  qu'elle  prodigua  à  un  tiers 
alors  qu'elle  était  la  lemme  d'un  autre,  car  elle  est  veuve.  Madame,  qui 
s'est  retirée  chez  ses  parents  [(sont-ce  bien  ses  parents?),  et  qui  ne  sait 
point  au  juste  ce  qu'elle  veut,  cède  cependant  aux  sollicitations  hâtives  de 
monsieur,  et  tout  finit  par  le  classique  raccommodement.  M'est  avis, 
cependant,  que  le  nuage  obscurcira  plus  d'une  fois  l'existence,  s'annon- 
çant  bien  éphémère,  de  ce  couple  de  grise  indécision. 

Le  Nuage,  de  lignes  fuyantes,  de  caractères  flous,  de  situations  impré- 
cises, d'intérêt  trop  mince,  est,  naturellement,  joué  avec  crainte  et  hési- 


tation par  M"'-  Marie  Leconte  et  M.  Henry  Mayer  dans  les  deux  prin- 
cipaux personnages.  M'"'=  Pierson,  MM.  Duflos,  Laugier  et  M""=  Sorel,. 
dans  des  rôles  secondaires,  MM.  Delaunay,  Croué,  Gavry,  M""  Régnier, 
Géniat  et  Faylis,  dans  d'inutiles  et  embarrassants  comparses,  complè- 
tent la  distribution. 

Les  sujets  médicaux  étant  à  l'ordre  du  jour,  le  Palais-Royal  vient  de 
s'oll'rir  le  sien.  Il  va  sans  dire,  étant  donnée  la  maison,  que  c'est  vers  la 
gaieté  que  nous  entraine  le  cas  pathologique  choisi  pai-  MM.  Paul 
Gavault  et  Georges  Berr.  Il  s'agit,  cette  fois,  de  laninésie  partielle,  ou 
locale,  déterminée  dans  les  lobes  du  cerveau  d'une  dame  Germaine 
Bidoulet  par  une  très  forte  émotion  :  un  nègre  qui  l'embrasse  un  peu 
rudement  sur  les  boulevards.  Fissure  dans  la  case  réservée  à  la  mémoire 
des  noms  propres;  en  sorte  que  Germaine,  tombée  évanouie  dans  les 
bras  d'un  très  bon  jeune  homme  qui  passait  par  là  et  la  transporte 
chez  lui,  ne  peut  dire  ni  son  nom,  ni  d'où  elle  vient,  ni  où  elle  allait. 
Et  la  voilà  installée  chez  le  bon  jeune  homme,  qui  a  d'ailleurs  la  manie 
de  recueillir  les  gens  sans  asile  et  ne  peut  raisonnablement  jeter  dehors 
la  pauvre  femme  incapable  de  se  guider  dans  Paris. 

Avec  ce  point  de  départ  d'original  amusement,  qui  n'a  rien,  paraît-il, 
d'impossible,  MM.  Gavault  et  Berr  ont  construit  trois  actes  tout  à  fait 
plaisants,  d'esprit  alerte,  d'observation  aimable,  de  rire  convenable  et  ■ 
d'adroite  complication  scénique,  jetant  dans  l'imbroglio  la  femme  du 
bon  jeune  homme  qui  demande  le  divorce,  car  elle  prend  la  magnanimité 
sauvéteuse  de  son  mari  pour  du  dévergondage,  l'époux  provincial  et 
l'amant  goujat  de  Germaine,  un  ami-secrétaire  d'un  acabit  très  parti- 
culier, et  d'autres,  encore,  de  silhouettes  burlesques. 

L'Inconnue,  pièce  heureuse,  est  heureusement  jouée  par  M.  Cooper, 
que  les  Parisiens  retrouvent  toujours  aussi  jeune,  aussi  aimable  et  aussi 
pimpant  comédien  (comme  il  embrasse  bien,  n'est-ce  pas,  madame!), 
par  M'"^  Cheirel,  de  vivante  personnalité,  pai'  M.  Lamy,  sur  de  ses  effets 
de  fin  comique,  et  par  il.  Boisselot,  qui  semble  faire  revivre  les  épiques 
traditions  du  vieux  Palais-Royal.  MM.  Hamilton,  Gorby,  Francès, 
jy[mcs  Berthe  Legrand,  Aimée  Samuel  et  Derville  forment  un  cadre  très 
discret. 

Paul-Émile  Chevalier. 


Vaudeville.  Bébé,  comédie  en  trois  actes  d'Emile  de  Na  jac  et  Al  fred  Hennequin  ; 
1807,  comédie  en  un  acte  de  MM.  Aderer  et  Ephraïm. 

Bébé,  qui  fut  un  des  plus  grands  succès  du  Gymnase,  est  déjà  majeur 
—  son  acte  de  naissance  date  en  effet  de  1877  —  mais  il  a  à  peine  vieilli, 
et  ses  bonnes  scènes  ont  produit  à  la  reprise  le  même  effet  qu'à  la  pre- 
mière. On  a  ri  au  Vaudeville  comme  jadis  au  Gymnase,  pendant  tout 
le  deuxième  acte,  qui  est  le  meilleur,  et  la  scène  inénarrable  dans  la- 
quelle on  répète  les  articles  du  code  en  les  chantant  sur  des  airs  d'o- 
pérette a  de  nouveau  provoqué  un  rire  inextinguible.  Il  est  vrai  que  la 
distribution  du  Vaudeville  ne  laisse  rien  à  désirer  :  M'"'=  Daynes-Gras- 
sot  et  MM.  Gildés,  Tarride  et  Baron  fils,  les  principaux  interprètes, 
encadrent  un  ensemble  presque  parfait. 

La  soirée  a  commencé  par  une  reprise  de  1807.  Cet  agréable  marivau- 
dage, transplanté  en  plein  premier  Empire,  a  trouvé  une  bonne  inter- 
prétation et  une  mise  en  scène  qui  a  du  ravir  les  amateurs  du  mobilier, 
des  uniformes  et  des  costumes  de  l'époque.  O.  Bn. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXXVI 
UNE  EXPOSITION  MUSICALE 

à  Madame  Victoria  Fantin-Latour. 

—  Vos  fleurs  de  rhétorique  m'ont  inspiré  cette  conclusion  que  notre 
âge  compliqué  préfère  l'expression  vibrante  à  la  forme  sans  tache  : 
n'est-ce  pas  en  désaccord  avec  cette  résurrection  de  la  musique  absolue, 
de  la  musique  pure,  dont  nous  voulions  être  les  prophètes  en  notre 
pays,  avec  cette  apparence  de  réaction  classique,  dont  la  vogue  nou- 
velle de  Mozart  serait  le  signe  le  plus  certain? 

—  Mozart,  parfaitement;  mais  pas  Mendelssohn!  Mozart,  la  poésie 
vivante  et  le  poète  impeccable!  Il  n'y  a  point  contradiction  dans  les 
termes.  Au  demeurant,  pure  ou  fiévreuse,  qu'elle  sympathise,  â  nos 
grands  concerts,  avec  l'histoire  de  la  symphonie,  ou  qu'elle  interroge 
l'évolution  du  quatuor  et  do  la  sonate  aux  vendredis  soirs  de  la  Nouvelle 
Société  philharmonique  et  de  la  Scliola  canlorum,  cette  renaissance  musi- 

It)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre, 
des  13,  20  et  27  octobre,  des  3,  10,  17  et  24  novembre,  des  1",  8  et  15  décembre  1901. 


LE  MÉNESTREL 


403 


cale  est  un  fait.  La  tradition  du  Beau  n'est  plus  un  leit-motiv  de  raille- 
ries faciles.  On  écoute  Haydn  et  Bach;  que  dis-je?  On  les  découvre... 
Et  Schubert,  et  Schumann,  les  romantiques  héritiers  de  Mozart!  Ina- 
chevée ou  fort  inégale,  telle  de  leurs  symphonies  nous  enchante.  Et 
ceux  qui  crient  bis  pour  les  doctes  envolées  d'un  César  Franck  ou  les 
suites  d'orchestre  passionnées  d'un  Lalo  ne  manquent  jamais  d'applau- 
dir cette  /'"  Symphonie  de  Robert  Schumann,  cette  Symphonie  du  Prin- 
temps (bravo  pour  le  surnom),  mais  d'un  printemps  sentimental  et  pres- 
que triste,  où  le  larghetto  songeur  â  3/8  en  mi  bémol  a  tant  d'expression 
contenue  que  les  amoureux  d'art  et  d'amour  pourraient  le  définir  poé- 
tiquement :  «  mélancolique  comme  le  bonheur...  »  Voilà  l'inquiétude 
avant-courrièi'e  de  nos  troubles,  et  délicieuse  en  vérité,  que  ne  saurait 
nous  proposer  le  Mendelssohn  même  parfait  de  la  Grotte  de  Fingal  : 
jamais  l'arabesque  de  son  paysage  orchestral  n'aura  de  ces  reflets  qui 
semblent  des  échos  d  e  nos  propres  âmes.  Schumann,  dans  sa  compa- 
raison, voyait  juste... 

.  —  Et  vous,  monsieur  le  documenté,  qui,  moins  sentimental,  esquis- 
siez l'autre  soir  la  monogi'aphie  du  triangle,  oyez  sa  note  babillarde  à 
travers  l'essor  du  premier  temps.  Et  cet  emploi  des  trombones,  que  les 
pédants  proscrivent  dans  la  symphonie,  en  dépit  de  Beethoven... 

—  Aussi  bien  les  pédants  de  toutes  les  époques  (j'en  sais  qui  sont 
d'hier  et  qui  sont  d'aujourd'hui)  traitent-ils  le  pauvre  Schumann  de 
«  décadent  »  et  loi  recommandent,  avec  un  historien  de  la  musique  (!), 
de  vouloir  bien  «  allumer  sa  lanterne...  » 

—  Je  préfère  la  belle  prophétie  du  baron  Ernouf  et  de  la  Revue  con- 
temporaine de  1863,  que  nos  programmes  dominicaux  invoquent  souvent 
sans  les  nommer  :  «  Le  succès  des  œuvres  de  Schumann  nous  parait  inévi- 
table; mais  il  peut  être  lent  encore  à  se  généraliser...  Le  propre  des  génies 
vraiment  originaux  est  de  demeurer  longtemps  incompris...  Schumann  est 
du  nombre  de  ces  talents  qui,  n'ayant  fait  aucune  concession  aux  caprices 
épMmères  de  la  mode,  en  sont  récompensés  par  une  estime  plus  grande  de 
la  postérité  et  rajeunissent  au  lieu  de  vieillir.  » 

—  Ainsi  soit-il!  Et  voilà  de  la  saine  critique!  La  vraie  critique  se 
nourrit  d'admiration.  Or  voici,  justement,  deux  preuves  de  notre  dire 
au  sujet  de  «  l'illustre  et  malheureux  maître  de  Zwickau  ».  Je  viens  de 
recevoir  une  exquise  et  savante  plaquette  :  La  Vraie  Marguebite  et  l'in- 
terprétation musicale  de  l'Ame  féminine  d'après  le  «  Faust  »  de  Gœthe, 
«  vérité  et  poésie  »  comme  dirait  Gœthe,  Wahrheit  und  Dichtung  :  vous 
connaissez  toutes  ces  pages,  moins  quelques-unes  qui  sont  inédites; 
c'est  un  «  extrait  »  de  notre  journal,  où  le  schumannien  délicat  qui 
signe  Amédée  Boutarel  rend  justice  au  Faust  du  maître-compositeur 
dont  il  a  scrupuleusement  traduit  les  Scènes  familières  ou  célestes,  tou- 
jours profondes.  Et  l'immortelle  Gretchen  brille  sur  ce  vrai  «  drame 
musical  »  qui  trouve  enfin  des  pensées  d'élite  pour  le  comprendre.  Mais 
il  est  une  autre  âme  schumannienne  entre  toutes  et  qui  vient  de  consentir 
à  grouper  l'idéal  concret  de  ses  rêves  en  une  trop  modeste  exposition 
de  la  rue  Laffitte... 

—  Vous  l'avez  nommée,  vous  l'avez  trahie  :  cette  âme  signe  ici-bas 
Fantin-Latour. 

—  J'avoue  mon  indiscrétion.  Mais  vous  ne  regTetterez  pas  votre  visite 
à  l'ensemble  de  ses  dessins  originaux,  chez  Templaere,  au  milieu  de  la 
vieille  rue  qui  reste  un  musée  malgré  les  menaces  des  architectes... 
Permettez-moi  cette  citation,  c'est  mon  tour  :  «  L'auteur  est  ici  lui- 
môme,  c'est-à-dire  le  romantique,  épris  souvent  de  mystère  et  de  surna- 
turel. De  plus,  l'accord  de  sa  nature  avec  le  sujet  fait  qu'il  a  réussi  à 
écrire  un  morceau  qu'on  peut  à  bon  droit  appeler  classique...  » 

—  Quel  est  l'Oiseau  rare  de  la  critique  qui  conseille  ainsi  nos  petits 
Siegfried  ? 

—  Ne  riez  point.  C'est  Félix  Weingartner  parlant  de  Robert  Schu- 
mann. Mais  il  y  a,  dans  la  nature  et  dans  l'art,  de  telles  affinités  que 
le  jugement  qui  s'applique  à  l'Ouverture  de  Manfred  définit  aussi  nette- 
ment la  sensibilité  d'un  peintre  traduisant  aux  yeux  ce  que  lui  dit  la 
musique.  Vous  savez  apprécier  sa  «  musique  peinte  »  et  ses  «  lithogra- 
phies musicales  »  :  or,  vos  regards  saisiront  d'emblée,  sur  le  vif,  la 
parenté  singulière  entre  ses  dessins,  qui  sont  des  tableaux  privés  de 
couleur,  et  ses  lithographies,  qui  ne  sont  que  des  dessins  tirés  à  plu- 
sieurs exemplaires.  Dessins  et  lithographies  de  Fantin-Latour  sont  des 
«  esquisses  de  peintre  »  ou  des  répliques  châtiées  de  ses  imaginations 
favorites.  Les  uns  et  les  autres  composent  un  œuvre  parallèle  â  l'œuvre 
du  peintre.  Par  son  procédé  môme  de  report  lithographique,  toute  litlio- 
graphie  est  d'abord  un  dessin  crayonné  sur  le  papier  végétal  :  et  quand 
le  dessin  se  trouve  e.xcellent,  l'artiste  le  sauve  au  lieu  de  l'évaporer  sur 
la  pierre.  Ce  détail  technique  était  urgent  pour  comprendre  la  signifi- 
cation de  ces  dessins  originaux  et  leur  facture  très  spéciale.  A  eux  seuls, 
ils  expriment  les  phases  d'une  belle  vie  courageuse  et  la  carrière  d'un 
coloriste,  partagé  toujours  entre  le  songe  mélodieux  et  l'intimité.  Leur 
clair-obscur  illumine  la  psychologie  d'un  peintre  :  la  musique  est  dans 


son  art  ce  que  l'amour  est  dans  la  vie  des  poètes.  En  la  moindre  variante 
du  dessinateur  comme  dans  le  moindre  lied  de  son  musicien  de  prédilec- 
tion, vous  retrouvez 

L'accord  d'un  grand  talent  et  d'wn  beau  caractère... 

—  Passionné  de  Schumann,  j'irai  voir  les  dessins  de  Fantin-Latour. 
(A  suivre.)  Raymond  Bouter. 


LE  TOUR  DE  FRANCE  EN  MUSIQUE 

(Suite.) 


X-ie    "Vlir£»,ra.ls    et    le    "VelEiy 


I 
LES  CHANTS  POPULAIRES  DU  VIVARAIS 

Le  Vivarais,  auquel  étaient  liées  les  destinées  du  Velay,  appartenait 
autrefois  au  Languedoc.  Mais  tant  d'affinités  unissaient  ces  pays  au 
Lyonnais,  sous  beaucoup  de  rapports,  et  notamment  au  point  de  vue 
musical,  que  nous  n'hésitons  pas,  quoique  nous  écartant  de  plus  en 
plus  de  notre  itinéraire  primitif,  à  leur  donner  place  à  cet  endroit. 

Le  Vivarais  a  eu  la  bonne  fortune  de  trouver  son  historien  musical, 
désigné  entre  tous,  en  la  personne  d'un  de  ses  enfants,  M.  Vincent 
d'Indy.  Chargé  par  le  comité  de  l'Ardéche  pour  l'Exposition  de  1900  de 
publier  un  recueil  des  chants  populaires  du  pays  d'origine  de  ce  dépar- 
tement, l'auteur  de  Fervaal  s'est  acquitté  de  sa  tâche  avec  une  dévo- 
tion toute  filiale,  au  service  de  laquelle  il  ne  dédaigna  point  de  mettre 
sa  haute  autorité  en  la  matière  (1). 

Il  serait  à  souhaiter  que  toutes  nos  provinces  aient  eu  pareille  au- 
baine. Il  en  résulterait  une  histoire  de  la  musique  nationale  comme 
aucun  pays  n'en  possède.  En  attendant,  contentons-nous  du  Vivarais, 
modèle  du  genre. 

Après  quelques  considérations  sur  la  conception  poétique  et  musi- 
cale «  qui  est  le  fond  de  notre  chant  populaire  »  en  France,  «  avec,  par- 
fois, de  radicales  modifications,  suivant  les  milieux  dans  lesquels  elle  est 
transportée  »,  et  quelques  indications  sur  les  chants  particuliers  au 
Vivarais,  lesquels,  contrairement  à  la  règle  traditionnelle,  affectent  peu 
franchement  le  mode  majeur,  l'auteur,  entre  d'emblée  dans  son  sujet 
par  une  série  de  Chamons  de  Mai. 

Ces  Chansons  de  Mai  sont,  à  vrai  dire,  des  Chansons  de  quête,  débitées, 
le  dernier  soir  d'avril,  par  des  entants,  et  même  par  des  jeunes  gens  et 
des  jeunes  filles,  qui  vont  de  porte  en  porte  recueillir  des  dons  en 
nature,  victuailles  modestes  destinées  aux  repas  qui  suivront  la  prome- 
nade de  la  «  Mayo  » ,  ou  reine  de  Mai,  et  la.plantation  du  Mai.  Quelques-mies 
de  ces  pièces,  toutes  d'un  type  musical  unique,  seraient  dignes,  en  rai- 
son de  leur  poésie,  de  prendre  place,  comme  Nom  entrons  dans  ce  joli 
mois,  et  surtout  le  Rossignolel  du  bois,  parmi  les  chansons  d'amour.  Les 
autres  se  bornent  â  l'exposé  de  leur  objet  :  Mettes  ta  main  dans  la  cor- 
beille aux  fromages;  De  cliaque  main  un  petit  fromage,  —  Mettes  la  main  à 
la  poche;  De  chaque  main  un  sou  ou  deux,  —  avec  la  salutation  ou  la  ma- 
lédiction finale,  suivant  la  générosité  des  donatem's. 

Aux  Chansons  de  Mai  succèdent  les  Chansons  anecdotiques  et  satyriques, 
dont  la  plus  intéressante  est  la  Complainte  de  la  Pernette.  C'est  l'une  des 
plus  vieilles  chansons  de  France,  une  chanson  romane,  dont  on  ne 
constate  l'existence  que  dans  certaines  régions  de  l'Est,  depuis  la 
Franche-Comté  jusqu'à  la  Provence,  en  passant  par  le  Forez,  le  Velay, 
le  Vivarais  et  le  Dauphiné.  Le  plateau  central  peut,  selon  M.  d'Indy, 
se  glorifier  de  lui  avoir  donné  le  jour,  et  c'est  dans  le  Vivarais  qu'on  en 
trouve  la  version  primitive,  pure  de  tout  alliage.  On  y  découvre,  par 
superposition,  des  formules  de  l'ancienne  liturgie  catholique,  et  les 
pensées  qu'elle  exprime  sont  d'une  naïveté  tout  originelle.  Il  n'est  pas 
un  Ardéchois  dont  le  cœur  ne  tressaille  en  entendant  : 


La  Pernèto  se  lévo, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
La  Pernèto  se  lèvo 
Tréis  ouras  d'avan  dzou. 

Fialan  sa  coulougneto, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
Fialan  sa  coulougneto 
Amai  soun  péti  tou, 
Tsasqué  tou  que  n'en  viro, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
Tsasqué  tour  que  n'en  viro, 
Faï  un  sospir  d'amou. 


La  Pernette  se  lève, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
La  Pernette  se  lève 
Trois  iieur's  avant  le  jour. 

Prenant  sa  quenouillelte, 
Ti-a  la  la  la  la  la  la  la  la  la. 
Prenant  sa  quenouillette, 
Avec  son  petit  tour, 

A  chaque  tour  qui  vire, 

Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la  ; 

A  chaque  tour  qui  vire, 

Fait  un  soupir  d'amour. 


(1)  Ctiansons  populaires  du  Vioamis,  par  Vjn'Cest  d'Indï. 


Par 


A.  Durand  et  llls 


404 


LE  MÉNESTREL 


Sa  mère  s'iuquiète  :  Pernette,  qu'aves-vous?...  Aves-vous  mal  de  léte?... 
Je  n'ai  pas  mal  de  tête,  mais  bien  le  mal  d'amour...  Ne  pleure  pas,  Pernette: 
nous  te  marierons  avec  le  fils  d'un  prince,  ou  l'aine  d'un  baron.  —  Je  n'en 
veux  pas,  d'un  prince,  ni  du  fils  d'un  baron;  je  veux  mon  ami  Pierre,  qui 
est  dans  la  prison. 

Ce  parti  n'est  pas  fait  pour  contenter  la  mère  de  la  Pernèto  :  —  Tu 
n'auras  pas  ton  Pierre,  nous  le  pendolerons,  lui  dit-elle,  en  courroux. 
Alors,  la  fille,  en  pleurs  : 

—  Si  vous  pendoulès  Piéro,  pendoulés  nous  tau  dàous...  Au  tçami  dé  Siin 
Pièro  (au  chemin  de  Saint-Pierre)  eintérés  nous  toudôous...  Couvres  Pièro 
de  rosas,  E  mé  de  toute  flous  (de  toutes  fleurs)  ;...  Au  mitan  de  la  piiro, 
plantarés  ouna  erôous  (au  milieu  de  la  pierre,  plantez  une  croix). 


E  lous  passans  que  pâssan, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
E  lous  passans  que  passan 
S'y  mettran  à  dgénous, 


Disan  :  —  Que  Diéou  pardonne, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la, 
Disan  :  —  Que  Diéou  pardonne 
Lous  pàoures  amoôourous. 


Les  Chansons  satyriques,  qui  viennent  après,  se  rapportent  générale- 
ment à  des  bergères,  échappant  par  des  moyens  peu  délicats,  mais 
honorables  pour  leur  pudeur,  au  moine,  au  «  monsieur  »,  au  chasseur, 
ou  s'abandonnant  sans  mystère  au  fils  du  seigneur,  au  beau  capitaine 
ou  au  soldat  de  Champagne,  tout  en  gardant  la  fleur  de  leur  âme  pour 
le  doux  berger,  compagnon  de  leur  enfance. 

Celui-ci  a  aussi  son  répertoire,  et  du  mélange  de  ces  deux  cœurs 
naïfs  est  née  la  pastourelle,  qui  a  sa  véritable  patrie  dans  la  région 
méridionale  au  miheu  de  laquelle  se  creuse  la  vallée  du  Rhône.  La 
pastourelle,  traînante  et  rêveuse,  convient  merveilleusement  à  l'état 
d'esprit  dans  lequel  se  laissent  bercer  les  petits  pâtres  abandonnés  à  la 
seule  compagnie  de  leurs  moutons,  depuis  l'aube  jusqu'au  crépuscule. 
La  pastourelle,  c'est  la  brise  qui  passe,  c'est  le  grillon  qui  chante,  c'est 
Yarzies,  le  feu-follet,  qui  danse.  «  Que  de  fois,  dans  les  montagnes  de 
l'Ardéche,  écrit  M.  d'Indy,  ne  me  suis-je  pas  arrêté  pour  écouter  ces 
voix  d'enfants,  lentes  et  mélancoliques,  soutenant  longuement  les  sons 
aigus  et  les  notes  finales  de  leurs  agrestes  mélodies,  aux  intonations 
étranges,  dont  la  fantaisie  du  chanteur  modifie  le  rythme  à  l'infini.  » 

N'y  a  rien  de  si  charmant  que  la  bergère  aux  champs,  chante  le  berger, 
et  sans  cesse  il  lui  débite  le  doux  cantique  d'amour:  Les  moutons  vivent 
d'herbe,  les  papillons,  de  fleu?'s,...  les  bergers,  d'amour...  Toujours  heu- 
reux, d'ailleurs,  dans  ses  bonnes  fortunes,  le  berger  !  C'est  Lisette,  dont 
les  chants  l'emmènent  toujours  dedans  le  vert  feuillage...  C'est  Jeanneton, 
gardant  ses  moutons  dans  la  prairie,  dans  la  plaine  jolie,  qui  l'entraine 
au  cabaret,  où  elle  se  fait  servir  bouteille  de  vin  blanc,  pour  elle  et  son 
amant...  Catherine,  Marguerite  ne  sont  pas  plus  rebelles.  A  en  ci-oire  la 
chanson,  le  berger  vauvarin  coule  des  jours  tissés  d'or  et  de  soie  rose. 
Mais  il  faut  en  rabattre,  témoin  cette  pastourelle  :  La  belle,  si  tu  me  dé- 
laisses, cri  d'un  cœur  ulcéré  : 


La  belle,  si  tu  me  délaisses, 
Je  m'en  irai  servir  le  roi, 
Je  m'en  irai  servir  Philippe, 
J'en  trouverai  d'aussi  belles  que  toi  ! 


J'ai  tant  pleuré,  versé  de  larmes, 
Que  les  ruisseaux  sont  débordés  : 
Petits  ruisseaux,  grandes  rivières, 
Tous  les  moulins  se  son  t  mis  à  grand  tra 


Cette  chanson,  «  d'une  nature  quasi  épique  et  dont  la  musique  ren- 
ferme une  expression  tonale  et  harmonique  vraiment  particulière  et 
spécialement  touchante  »,  est  presque  une  chanson  de  soldat.  Elle 
remonte,  comme  l'indique  le  premier  couplet,  au  début  du  XVIIP  siè- 
cle, puisqu'il  y  est  assez  clairement  question  de  la  dernière  guerre  du 
régne  de  Louis  XIV  pour  la  succession  d'Espagne. 

D'autres  chants  suivront,  ceux-là  tout  à  fait  militaires,  divisés  en 
trois  groupes,  dont  le  sujet  se  rapporte,  de  près  ou  de  loin,  à  la  vie  du 
soldat. 

Ce  sera  d'abord  l'histoire  de  la  fille  enrôlée  ;  en  second  lieu,  le  départ 
pour  le  régiment  et  le  retour  au  pays;  enfin,  les  simples  Chansons  de 
conscrits  ou  Chansons  de  marche. 

Nous  allons  les  passer  en  revue  rapidement. 

(A  suiwe.)  Edmond  Nkukomm. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  Le  parallèle  entre  les  symphonies  de  compositeurs 
français  et  allemands  que  M.  Colonne  a  entrepris  depuis  le  début  de  la  saison 
a  pour  la  première  fois  mis  en  rapport  deux  maîtres  entre  lesquels  une  cer- 
taine pareuté  artistique  n'est  pas  méconnaissable.  Edouard  Lalu  était  un 
délicat  et  un  romantique  comme  Robert  Schumann,  son  aine,  et,  malgré  l'inter- 
valle de  plus  de  quarante  années  qui  sépare  les  deux  œuvres,  l'afEnité  entre 
les  deux  artistes  perce  en  maints  passages  de  leurs  symphonies.  Elle  eût 
certainement  été  plus  frappante   encore  si  l'on  avait  opposé  à  la  symphonie 


de  Lalo,  l'œuvre  de  maturité  d'un  artiste  en  plein  épanouissement  de  son 
talent,  non  la  symphonie  en  s;  bémol  de  Schumann.  mais  une  de  ses  trois 
dernières,  où  l'inexpérience  n'entrave  plus  l'essor  de  l'inspiration.  Le  largliello 
de  l'œuvre  de  Schumann,  par  exemple,  si  frais  et  éthéré  qu'il  soit,  parait  un 
peu  étriqué  en  comparaison  de  l'adagio  de  la  symphonie  de  Lalo,  dont  l'élé- 
vation de  sentiment,  l'ampleur  des  phrases  et  la  facture  captivante  ont  trans- 
porté l'auditoire.  Si  tel  fut  le  destin  de  Lalo  de  rester,  avec  sa  belle  symphonie 
et  son  superbe  Boi  d'Ys  l'homme  tmius  operis,  il  lui  fut,  par  contre,  donné  de 
conquérir  dans  l'histoire  de  la  musique  une  place  que  maint  compositeur  de 
musique  à  succès  de  son  époque  n'occupe  pas,  malgré  un  bagage  artistique 
bien  plus  encombrant.  —  Des  applaudissements  mérités  sont  allés  à  M.  Risler 
après  le  concerto  en  ut  mineur  de  Mozart.  Dans  son  interprétation,  le  musi- 
cien a  fait  oublier  le  virtuose:  c'est  tout  dire.  La  fine  cadence  de  M.  Reynaldo 
Hahn,  intercalée  dans  l'allégretto,  y  a  fait  bonne  figure.  —  M.  Risler  a  ensuite 
joué  avec  le  même  talent,  mais  avec  un  succès  moindre,  un  «  poème  sympho- 
nique  »  inédit  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Gabriel  Pierné.  C'est  une  fleur 
cryptogame  de  la  musique  dite  «  à  programme  »,  car  sans  notre  ami 
Charles  Malherbe,  l'excellent  guide  patenté  des  concerts  Colonne,  on  ne  sau- 
rait pas  que  le  poème  symphonique  de  M.  Pierné  s'est  inspiré  de  la  belle 
strophe  qui  figure  dans  les  Chants  du  Crépuscule  de  Victor  Hugo,  et  qui  se 
termine  par  ces  vers  : 

Gloire  à  notre  France  éternelle  ! 

Gloire  à  ceux  qui  sont  morts  pour  elle  ! 

Dans  l'illustration  musicale  de  cette  strophe,  le  piano  assume  pour  ainsi 
dire  un  rôle  de  récitant  sans  qu'on  puisse  deviner  quelles  tristesses  il  nous 
raconte;  vers  la  Eu,  l'orchestre  entre  vigoureusement  en  action  et  le  Gloria 
guerrier,  entonné  par  les  trompettes  et  souligné  par  quelques  coups  de  canon 
à  la  cantonade,  devient  intelligible,  voire  entraînant.  La  nouvelle  œuvre, 
qui  ne  dément  pas  pourtant  le  talent  de  son  auteur,  n'a  pas  trouvé  un 
accueil  bien  encourageant;  elle  a  d'ailleurs  été  cruellement  écrasée  par  une 
page  qui  s'inspire  également  de  la  mort  d'un  héros  :  par  la  marche  funèbre 
du  Crépuscule  des  Dieux.  La  loi  des  contrastes  a  sa  raison  d'être,  même  et  sur- 
tout dans  la  composition  des  programmes  de  concert.  0.  Berggruen. 

—  Concerts  Lamoureux. —  La  symphonie  en  la  de  Beethoven  fut  exécutée 
pour  la  première  fois  le  8  décembre  1813,  au  bénéfice  des  blessés  invalides 
de  la  bataille  de  Hanau.  Salieri,  Spohr,  Hummel,  Mayseder  et  d'autres 
notabilités  s'étaient  enrôlés  dans  l'orchestre  pour  participer  à  l'œuvre  pa- 
triotique. Beetlioven  conduisait.  L'ouvrage  nouveau  fut  hautement  acclamé. 
Le  second  morceau  était  qualifié  andanle;  si  le  nom  a  changé,  le  mou- 
vement et  le  caractère  sont  restés  les  mêmes  :  ce  n'est  pas  là  un  alkgrelto. 
L'orchestre  de  M.  Chevillard  en  a  soigné  particulièrement  la  sonorité  ;  les 
nuances  douces  ont  été  délicieuses.  L'introduction  du  premier  morceau  a 
conservé  une  raideur  fâcheuse  et  la  transition  au  six-huil  a  été  manquée. 
Certains  chefs  amènent  avec  un  balancement  exquis  ce  changement  rythmi- 
que. Le  finale  s'est  déroulé  avec  une  verve  entraînante,  surtout  la  péroraison, 
écrite  dans  la  forme  d'une  sorte  de  cadence  colossale,  formant  un  impétueux 
crescendo.  Cet  effet,  magistralement  rendu,  a  électrisé  l'assistance.  D'un  style 
moins  avancé  que  la  symphonie,  le  concerto  pour  piano,  violon  et  violon- 
celle était  intéressant  surtout  à  cause  de  la  rareté  des  exécutions  qu'on  lui 
accorde.  Ecrit  en  1804-1803,  il  manque  un  peu  de  chaleur  et  de  vibration; 
le  plan  musical  —  deux  morceaux  très  développés  réunis  par  un  largo  de 
quelques  mesures  seulement —  n'en  est  pas  extraordinairement  séduisant. 
Néanmoins,  cette  composition  reste  digne  de  Beethoven.  M""  Thérèse  Chai- 
gneau  a  joué  avec  élégance  la  partie  de  piano.  MM.  Hugo  Heermann  et  Hugo 
Becker  complétaient  le  trio  instrumental.  Chacun  d'eux  s'est  fait  entendre 
ensuite  séparément.  M.  Heermann  peut  trouver  des  rivau.x  en  ce  qui  con- 
cerne l'ampleur  du  son,  mais  il  reste  parmi  les  plus  grands  artistes  si  l'on 
envisage  la  pureté  du  jeu  et  du  style,  l'aisance  de  l'attaque,  la  justesse,  l'ex- 
cellence du  phrasé,  la  sincérité  de  l'interprétation  et  la  netteté  absolue  des 
traits,  même  quand  ils  se  prolongent  en  arabesques.  Il  a  exécuté  deux  pièces 
de  Schumann  qu'il  ne  faut  pas  chercher  parmi  les  œuvres  originales;  ce  sont 
des  arrangements  qui  portent  pour  titres  :  Mélodie  du  jardin  et  Au  bord  d'une 
source.  M.  Becker  avait  choisi  le  concerto  pour  violoncelle  de  Saint-Saëns.  Il 
paraît  posséder  à  fond  la  technique  de  son  instrument  aussi  bien  quand  il 
s'agit  de  chanter  avec  une  belle  qualité  de  son  que  dans  les  passages  de  vélo- 
cité, toujours  scabreux  et  sans  grâce  si  l'exécutant  n'est  pas  de  premier 
ordre.  Le  succès  des  deux  virtuoses  a  été  grand  et  légitime.  Quoi  encore  ? 
Un  prélude  religieux  de  Paul  Lacombe,  sans  qualités  bien  saillantes. 

AMlioÉE  BOUTAREL. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 
Conservatoire  :  Relâche. 

Châtelet,  concert  Colonne.  —  Symphonie  en  sol  mineur  (Lalo).  —  Concerto  en  sol 
majeur  (Beethoven),  par  M.  Risler.  —  Mort  de  Brunnhilde  du  Crépuscule  des  Dicu.% 
(Wagner),  par  M°"  Adiny.  —  a)  Poème  symplionique  (Pierné);  b)  Largo,  tiré  de  la  Sonate 
op.  7  (Beethoven);  c) Polonaise  en  mi  majeur  (Liszt),  exécutés  par  M.  Risler.  —  Ouverture 
des  Barbares  (Saint-Saëns). 

Nouveau-Théâtre,  concert  Liimoureux  :  8"  Symphonie,  en  fii  (Beethoven).  —  2»  tableau 
du  Clianl  de  lu  Cloche  (V.  d'Indy),  chanté  par  M.  Jean  David  et  M""  de  La  Rouvière.  — 
Irlande  (Holmes.  —  a)  Chant élégiaque  (Beethoven);  bj  Madrigal  (G.  Fauré),  chantés  par 
M»-  de  La  Rouvière  et  de  La  Mare,  MM.  Jean  David  et  Gébelin.  —  Siegfried-Idgll 
(Wagner).  —  Marche  hongroise  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz). 


LE  MÉNESTREL 


405 


NOUVELLES    DIVET^SES 


ÉTRANGER 


Le  conseil  municipal  de  Milan  vient  d'organiser  un  référendum  sur  la 
question  de  la  subvention  à  accorder  au  théâtre  de  la  Scala.  Plus  de 
18.000  électeurs  ont  pris  part  au  vote,  plus  de  11.000  ont  voté  contre.  On  croit 
donc  que  la  Scala  restera  fermée,  car  aucun  imprésario  ne  risquera  la  partie 
sans  une  subvention  suffisante. 

—  En  attendant,  si  elle  a  lieu,  l'ouverture  de  la  saison  d'hiver  à  la 
Scala,  le  théâtre  Dal  Verme  inaugurera  une  grande  et  longue  saison  d'o- 
péra et  ballet,  au  cours  de  laquelle  il  donnera,  avec  Gioconda,  le  Barbier  de 
Séoiile,  Faust  et  /  Lombardi,  deux  opéras  nouveaux  :  la  Fala  in  prigionia,  de 
M.  Rudolphe-Auguste  Thomas,  et  il  Natale,  de  M.  Arturo  Cadore.  Le  sujet 
de  la  Fala  in  prigionia  (la  Fée  prisonnière)  est  tirée  d'une  poésie  allemande 
traduite  envers  italiens  par  M.  G.  Macchi.  Le  livret  et  la  musique  sont  l'œu- 
vre de  M.  Rudolphe-Auguste  Thomas,  qui  depuis  trente-cinq  ans  est  établi  à 
Milan,  où  il  est  très  connu dans  le  commerce.  Fils  d'un  musicien  alle- 
mand distingué  qui,  dégoûté  des  choses  du  théâtre,  voulut  en  détourner  son 
fils,  celui-ci  fut  par  lui  poussé  dans  le  commerce,  avec  défense  expresse  de 
s'occuper  de  musique.  Le  jeune  homme  dut  donc  faire  en  secret  son  éduca- 
tion musicale,  et,  l'atavisme  étant  plus  fort  que  tout,  le  voici  aujourd'hui 
décidé  à  .aborder  la  scène.  La  troupe  du  Dal  Verme  est  ainsi  composée  : 
Mmes  Maria  Alexandrovich,  Emma  Longhi,  Paolina  Moretti,  Marta  Morini, 
Isabella  Paoli,  Maria  Svetadé,  Clotilde  Verdi  ;  MM.  Alfredo  Gecchi,  Nicolas 
De  Lewischi,  Antonio  Drovetto,  Vittorio  Formentin,  Eugenio  Grossi,  Fran- 
cesco  Nicoletti,  Nuuzio  Rupisardi,  Francesco  Spangher. 

—  Reliefs  du  centenaire  manqué  de  Bellini.  Nous  lisons  dans  le  Mo)ido 
artistico  :  a  On  conserve  à  l'Académie  Sainte-Cécile,  à  Rome,  une  importante 
relique  de  Bellini.  C'est  le  masque  qui  a  été  pris  sur  son  cadavre,  le  même 
qui  a  servi  au  sculpteur  Tassara,  lequel  l'a  donné  ensuite  au  professeur  Bran- 
zoli,  qui  lui-même  l'a  passé  à  l'Académie  de  Sainte-Cécile.  Ce  masque  fut 
pris  sur  le  corps  trente  ans  après  la  mort  :  la  conservation  en  est  pourtant 
merveilleuse.  On  y  remarque  bien  çà  et  là  la  trace  de  quelques  boutons  cada- 
vériques, mais  rien  autre  ne  déforme  le  noble  profil  du  grand  disparu.  L'Aca- 
démie de  Sainte-Cécile  conserve  aussi  une  vieille  estampe  :  le  portrait  de  la 
Fumaroli,  l'amie  de  Bellini,  qu'il  voulait  et  ne  put  épouser.  Enfin,  l'Académie 
conserve  encore  le  manuscrit  original  de  la  partition  à  orchestre  de  la.  Norma, 
acquis  par  l'Etat  de  ce  Lanari  qui  était  l'imprésario  de  la  Scala  lors  de  la 
première  représentation  de  la  Norma  à  Milan  en  18.31.  Beaucoup  de  pages  de 
ce  manuscrit,  qui  est  en  grand  format  d'album,  ont  été  photographiées. 
L'éditeur  Ricordi  publiera  prochainement  le  livre  de  Giorgio  Barini  qui 
contiendra  toutes  ces  reproductions  photographiques  de  musique,  de  lettres 
et  d'autres  curiosités  touchant  l'insigne  Catanais.  » 

—  D'autre  part,  un  autre  journal,  il  Resta  del  Carlino,  annonce  la  prochaine 
publication  sous  ce  titre  :  L'IdilUo  di  Casalbuttano,  de  toute  une  série  de 
lettres  de  Bellini  adressées  à  la  signora  Giuditta  Turini. 

—  Les  hommages  à  Verdi  continuent.  Tandis  que  le  concours  ouvert  à 
Ferrare  pour  un  buste  du  maître  à  placer  dans  le  théâtre  Communal  a  fait 
décerner  le  prix  à  M.  Gaetano  Galvani,  à  Gagliari  on  vient  d'inaugurer  en 
grande  pompe  sa  statue,  due  au  sculpteur  Giuseppe  Boero,  qui  a  été  placée 
au  milieu  des  fleurs,  dans  un  vaste  jardin  situé  prés  de  la  gare. 

—  Bien  que  depuis  quelques  années  les  affaires  théâtrales  soient  loin 
d'être  florissantes  en  Italie,  on  songe,  dans  un  grand  nombre  de  villes,  à  éle- 
ver de  nouveaux  théâtres.  Entre  autres,  à  Vérone,  il  serait  question  de  cons- 
truire une  salle  de  spectacle  sur  l'adorable  piazza  délie  Erbe,  si  originale  et  si 
caractéristique.  Détruire  l'harmonie  exquise  de  cette  place  serait  simplement 
un  acte  de  vandalisme,  auquel  il  faut  espérer  qu'on  ne  donnera  pas  de  suite. 
Pourquoi,  pendant  qu'on  y  est,  ne  songerait-on  pas  aussi  à  la  piazza  Dante? 
Ce  ne  serait  pas  plus  criminel. 

—  Une  conversation  avec  M.  Siegfried  Wagner,  publiée  par  un  journal 
berlinois,  a  provoqué  une  communication  ofBcielle  fort  intéressante  que  nous 
trouvons  dans  un  journal  de  Munich.  On  apprend  qu'après  la  mort  du  roi 
Louis  II,  qui  avait  rendu  Parsifal  à  Richard  Wagner,  les  héritiers  du  maître 
ont  passé  avec  le  ministre  MuUer,  représentant  de  la  maison  royale  de  Ba- 
vière, un  contrat  en  vertu  duquel  l'Opéra  Royal  de  Munich  acquiert  le  droit 
de  jouer  Parsifal  à  partir  de  l'année  1911,  tandis  que  l'œuvre  ne  tombera  dans 
le  domaine  public  qu'en  1913.  L'Opéra  de  Munich  compte  faire  usage  de  ce 
droit  et  pourra  jouer  ainsi  Parsifal  au  Théâtre  du  Prince-Régent  deux  ans 
avant  toutes  les  autres  scènes. 

—  M.  Paderewski,  dont  l'opéra  de  Manru  a  déjà  conquis  la  plupart  des 
scènes  lyriques  d'outre-Rhin,  va  sans  doute  être  »  boycotté  »  en  Allemagne. 
Il  vient  de  donner  un  concert  à  Posen  et  en  a  versé  la  recette  considérable  à 
la  caisse  destinée  à  soulager  les  condamnés  polonais  du  fameux  procès  poli- 
tique de  Wreschen.  Les  journaux  prussiens  ouvrent  déjà  une  campagne 
contre  lui  et  demandent  qu'on  se  souvienne  de  sa  «  démonstration  anti- 
prussienne »  quand  il  se.  produira  dans  le  pays  comme  artiste.  Heureu- 
sement, M.  Paderewski  peut  se  passer  de  jouer  eu  Allemagne,  voire  d'y 
être  joué.  L'affaire  de  Wreschen  a  eu  encore  une  autre  conséquence  inat- 
tendue. Le  ténor  Rothmiihl  et  M""  Lewinsky,  de  l'Opéra  de  Berlin,  qui 
devaient  chanter  le  duo  de  la  Valkyrie  en  langue  allemande   à  un  concert  de 


la  Société  philharmonique  de  Varsovie,  ont  été  avisés  otïiciellemeat  que  la 
police  de  cette  ville  avait  supprimé  ce  numéro  pour  éviter  les  troubles  que 
les  paroles  allemandes  pourraient  provoquer  parmi  les  Polonais  en  suite  de 
l'affaire  de  Wreschen. 

—  Il  s'est  formé  à  Vienne  une  société  qui  organisera  des  soirées  musicales 
en  l'honneur  de  Franz  Schubert.  Les  œuvres  du  maitre  seront  seules  admises 
aux  programmes  de  ces  concerts.  Les  conférenciers  traiteront  de  sa  vie  et  de 
son  œuvre.  Ces  soirées  musicales  s'appelleront  Schubertiades,  comme  jadis  les 
réunions  des  amis  de  Schubert  pendant  lesquelles  le  jeune  artiste  faisait 
entendre  ses  compositions. 

—  L'ouverture  de  Phèdre,  de  Massenet,  vient  d'être  exécutée  pour  la  pre- 
mière fois  à  Vienne.  Excellemment  jouée  par  l'orchestre  philharmonique 
sous  la  direction  de  M.  Hellmesberger,  l'œuvre  de  jeunesse  du  maitre  a  rem- 
porté un  grand  succès. 

—  La  collection  de  tableaux  du  défunt  compositeur  Godefroy  de  Preyer, 
de  Vienne,  vient  d'être  vendue  en  bloc  au  sénateur  Clark,  de  Washington. 
Plusieurs  belles  pages  de  Rubens,  de  Van  Dyck  et  du  Titien  quittent  ainsi 
l'Europe  et  il  n'est  pas  probable  qu'elles  y  reviennent  jamais.  Le  prix  de  la 
collection,  petite  mais  choisie,  est  fort  élevé;  l'amateur  américain  l'a  payée 
1. 600.000  francs. 

—  La  photographie  forcée.  Avis  aux  comédiens  récalcitrants  devant  l'ob- 
jectif. C'est  de  Berlin  qu'on  annonce  le  conflit  original  qui  vient  de  se  pro- 
duire entre  la  direction  du  Lessingtheater  et  un  de  ses  acteurs  les  plus  aimés 
du  public,  M.  Franz  Schœnfeld.  Cet  artiste  ayant  refusé  de  se  laisser  photo- 
graphier pour  un  journal  illustré,  le  directeur  lui  a  infligé  une  amende  de 
vingt  marks.  C'est  contre  cette  ingérence  dans  le  droit  de  disposer  librement 
de  sa  personne  que  M.  Schœnfeld  a  réagi.  Il  a  intenté  un  procès  à  son  direc- 
teur en  restitution  des  vingt  marks  d'amende  et  en  reconnaissance  du  droit 
de  poser  devant  un  appareil  photographique  quand  bon  lui  semble.  Dans  le 
monde  artistique  on  s'intéresse  énormément  à  cette  question  de  photographie 
laïque,  gratuite  et  obligatoire. 

—  On  sait  quelle  place  énorme  les  musiciens  allemands  ont  occupée  en 
Angleterre  depuis  Haendel  jusqu'à  nos  jours,  etcombieu  est  grand  le  nombre 
de  virtuoses  et  chanteurs  allemands  qui  ont  pris  racine  en  ce  pays.  Or,  les 
artistes  anglais  viennent  de  prendre  en  Allemagne  une  revanche  inattendue  : 
un  jeune  ténor,  M.  John  Coates,  vient  de  débuter  à  l'Opéra  de  Cologne  et  a 
chanté  en  allemand  Lohengrin  et  Roméo  et  Juliette  avec  un  succès  sans  pareil. 
Il  parait  que  Bayreuth  le  guette  déjà  et  lui  a  fait  des  propositions  pour  les  pro- 
chaines représentations. 

—  L'Opéra  allemand  de  Prague  a  joué  avec  succès  un  opéra  intitulé  la  Nuit 
de  noces  de  Bira,  musique  de  M.  Bogoumile  Zepler.  —  D'autre  part,  un  opéra 
intitulé  Manfrei,  paroles  et  musique  de  M.  Hans  de  Bronsart,  vient  d'être 
joué  avec  beaucoup  de  succès  à  l'Opéra  grand-ducal  de  Weimar.  —  Enfin, 
le  théâtre  de  Salzbourg  a  joué,  toujours  avec  succès,  un  ballet  inédit  intitulé 
Entre  deum  feux,  scénario  de  M.  Eugène  Brûll,  musique  de  M.  Joseph  Bayer. 
Le  compositeur,  qui  a  dirigé  en  personne  la  première,  a  été  fêté  par  le  public. 

—  Le  grand-duc  de  Hesse  a  félicité  le  vieux  compositeur  WendelinWeiss- 
heimer,  ancien  ami  de  Richard  Wagner,  à  l'occasion  de  la  récente  représen- 
tation de  son  opéra  Maitre  Martin  et  ses  compagnons.  Cet  acte  de  politesse  a 
soulevé  une  tempête  d'indignation  contre  le  grand-duc  parmi  les  conserva- 
teurs d'Allemagne,  car  M.  Weissheimer  a  mis  récemment  en  musique  un 
hymne  chanté  au  dernier  congrès  des  socialistes  allemands. 

—  Un  opéra  intitulé  le  Veilleur  de  nuit,  musique  de  M.  Meyer-Stolzenau, 
vient  d'élre  joué  avec  succès  au  théâtre  de  Kœnigsberg  (Prusse). 

—  La  première  représentation  du  Cré^uscw/e  rfesi)i>iM;  de  Wagner  coïncidera 
en  quelque  sorte,  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  avec  celle  de  Siegfried  à  l'Opéra, 
mais  elle  promet  d'être  plus  longue.  Voici  la  note  que  publie  à  ce  sujet  un 
journal  de  Bruxelles:  —  «La  représentation  du  Cré^«scufed6'sfliew:c  commencera 
à  6  heures  précises.  Le  premier  acte  finira  à  7  heures  36.  Il  y  aura,  tout  au 
moins  à  la  première,  un  entr'acte  d'une  heure.  Le  deuxième  commencera  à 
9  heures,  pour  finir  à  10  heures;  entr'acte  d'une  demi-heure;  le  troisième 
acte  commencera  à  10  heures  30  pour  finir  à  11  heures  43.  ■>  Et  le  directeur 
du  buffet  du  théâtre  annonce  alors  qu'on  y  pourra  dîner  entre  les  deux  pre- 
miers actes,  en  priant  les  amateurs  de  retenir  leurs  tables  s'ils  veulent  s'en 
assurer.  On  se  croira  à  Bayreuth,  quoi  ! 

—  De  notre  correspondant  de  Genève  :  Mouvement  du  théâtre.  Werther,  de 
même  que  Mignon  et  Carmen,  a  ou  la  bonne  fortune  d'être  interprété  par 
M'"  Cécile  Ketten,  chanteuse  impeccable  et  comédienne  assez  souple  pour 
s'identifier  tour  à  tour  avec  Charlotte,  avec  la  Carmencita,  avec  la  poétique 
héroïne  de  Gœthe  et  d'Ambroise  Thomas.  Très  belles  représentations  aussi 
de  Lakmé,  puis  d'Hamlet,  avec,  dans  le  principal  rôle,  M.  Huguet  d'abord, 
M.  Simon  du  grand  théâtre  de  Lyon,  ensuite.  Hérodiade,  jouée  d'une  façon 
supérieure,  a  dû  quitter  momentanément  l'atBche  par  suite  d'une  indisposi- 
tion de  M"=  Marcillac,  contralto.  A  l'étude,  Thais  et  Sapho.  Dans  cette  der- 
nière, nous  reverrons  M'"  Demours,  qui  créa  le  rôle  à  Genève,  il  y  a  deux 
ans.  Emile  Delphin. 

—  Il  a  été  question  à  diverses  reprises  de  l'installation  à  Madrid  d'une 
troupe  d'opéra  français.  Par  suite  de  divers  obstacles,  le  projet  jusqu'ici  n'a- 
vait pu  aboutir.  Il  a  été  repris  récemment  par  deux  directeurs  français,  et 
l'on  assure  que  cette  fois  il  a  été  mené  â  bonne  fin.  On  annonce  même  que 


406 


LE  MENESTREL 


les  fonctions  de  directeur  artistique  sont  confiées  à  M.  Paravey,  l'ancien 
directeur  de  FOpéra-Comique,  celles  de  chef  d'orchestre  à  M.  "Warnots,  et 
que  plusieurs  artistes  sont  déjà  engagés,  parmi  lesquels  M.  Saléza  et  M"''  Pack- 
iiers. 

—  M.  Arthur  Chappell,  qui  a  fondé  et  dirigé  à  Londres  les  concerts  popu- 
laires du  lundi,  connus  à  Londres  sous  le  nom  de  Monday  Pops,  vient  de 
prendre  sa  retraite  après  33  ans  d'exercice  et  après  avoir  donné  1.332  con- 
eerts.  Plusieurs  artistes  de  grand  renom  :  M"»  Albani  et  Clara  Butt  et 
M.  Paderewski,  ont  donné  au  vienx  directeur  une  marque  d'aftection  en 
prêtant  leur  concours  à  son  concert  d'adieu.  Un  vétéran  du  premier  concert, 
le  célèbre  baryton  Santley,  assistait  à  cette  dernière  soirée,  mais  n'y  chantait 
pas.  La  liste  des  artistes  que  le  public  de  Londres  a  pu  entendre  aux  Monday 
Pops  contient  presque  tous  les  noms  retentissants  de  la  seconde  moitié  du 
SIXi*  siècle. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Un  nouveau  concours  musical  est  ouvert  par  la  ville  de  Paris  entre 
tous  les  musiciens  français.  La  date  en  est  fixée  au  1"  décembre  1903.  Les 
compositions  devront  réaliser  une  œuvre  musicale  de  grandes  proportions  et 
âe  haut  style  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  sous  la  forme  symphonique 
eu  dramatique.  Si  l'œuvre  couronnée  est  de  forme  symphonique.  l'auteur 
recevra  un  prix  de  10.000  francs  et  son  œuvre  sera  exécutée  par  les  soins 
de  la  Ville  de  Pai-is  dans  les  douze  mois  qui  suivront  la  décision  du  jury. 
Les  frais  de  cette  exécution  ne  devront  pas  dépasser  20.000  francs,  et  le 
directeur  du  concert,  choisi  par  la  'Ville,  sera  tenu  de  donner  une  seconde 
audition  publique  de  l'œuvre  couronnée.  Si  l'œuvre  couronnée  est  composée 
dans  la  forme  dramatique,  l'auteur  sera  libre  de  choisir  le  mode  d'exécution 
qui  lui  semblera  préférable  ;  s'il  fixe  son  choix  sur  une  exécution  dans  un 
concert,  sans  décors  ni  mise  en  scène,  il  recevra  10.000  francs  et  la  ville  se 
chargera  dans  les  mêmes  conditions  que  ci-dessus  de  faire  exécuter  son 
œuvre  ;  si,  au  contraire,  il  choisit  une  scène  lyrique  avec  costumes  et  mise 
en  scène,  il  recevra  un  prix  de  5.000  francs  et  il  sera  attribué,  à  forfait,  une 
somme  de  2.5.000  francs  au  directeur  de  théâtre  chargé  de  représenter  l'œu- 
vre. Outre  la  représentation  spécialement  réservée  à  la  'Ville  de  Paris,  ce 
directeur  devra  assurer  un  minimum  de  six  représentations  publiques.  Le 
jury  du  jugement  sera  présidé  par  le  préfet  de  la  Seine  et  composé  de  seize 
membres,  dont  quatre  élus  par  les  concurrents  et  neuf  par  le  Conseil  muni- 
cipal. La  partition  devra  être  complètement  orchestrée  et  une  réduction  pour 
piano  et  chant  sera  fournie  en  un  cahier  séparé.  La  dépense  globale  inscrite 
de  ce  chef  au  budget  de  la  Ville  est  de  42.000  francs.  —  On  remarquera  que, 
pour  la  première  fois,  le  programme  de  ce  concours  envisage  non  pas  seule- 
ment l'audition,  mais  la  possibilité  de  la  représentation  dU'œuvre  couronnée 
et  prend  les  mesures  nécessaires  à  cet  eh'et.  C'est  un  progrès  et  un  complément 
très  heureux,  dont  on  ne  peut  que  féliciter  les  organisateurs  du  concours. 

—  Jeudi  dernier  a  eu  lieu,  au  Conservatoire,  la  séance  annuelle  d'audition 
des  envois  de  Rome.  Elle  était  entièrement  consacrée  à  M.  Omer  Letorey 
grand  prix  de  189b,  dont  on  exécutait  les  œuvres  suivantes  :  1.  Première 
étude  symphonique;  2.  J/Été,  chœur  (poésie  de  Victor  Hugo);  3.  Requiem 
pour  soli,  chœurs,  orchestre  et  orgue  (Requiem  et  Kyrie;  —  Domine  Jesu  Cliriste  • 

—  Sanctus  et  Benedictus; —  Agnvs;  —  In  Paradisum);  4.  Deuxième  étude  sym- 
phonique. La  musique  de  IVl.  Letorey  est  sage:  on  la  voudrait  un  peu  moins 
sage,  car  elle  manque  un  peu  trop  de  fantaisie,  d'inattendu  et  de  diable  au 
corps.  C'est  surtout  par  l'invention  qu'elle  pèche,  et  il  semble  que  le  compo- 
siteur se  contente  trop  facilement  de  la  première  idée  qui  se  présente  à  lui 

—  quand  il  s'en  présente.  Sous  ce  rapport,  sa  première  Étude  symphonique 
est  bien  vide,  bien  nulle  et  incolore,  et  le  rythme  du  dessin  des  violons,  ce 
rythme  si  familier  à  Mendelssohn,  ne  sufEt  pas  à  lui  donner  le  mouvement 
et  la  vie  qui  lui  manquent.  De  l'Élé  de  Victor  Hugo  M.  Letorey  a  fait  une 
sorte  de  scène  lyrique  à  trois  voix  avec  chœur,  dont  le  sentiment  mélodique 
est  assez  heureux,  bien  que  manquant  de  nouveauté.  Du  ReqiUem  c'est  le  n",') 
qui  a  produit  sur  le  public  la  meilleure  impression  :  le  Sanctus,  dit  par  le 
soprano  et  le  ténor,  soutenus  par  des  arpèges  de  harpes,  est  d'une  assez  jolie 
couleur,  et  s'enchaîne  avec  le  Benediclus,  chœur  vigoureux  sous  lequel  l'orchestre 
déploie  toute  sa  puissance  de  sonorité;  c'est  cet  effet  purement  physique  qui 
a  fait  demander  le  bis  de  ce  morceau,  auquel  je  préfère,  pour  ma  part,  la  cou- 
leur douce  de  VArfnus  qui  vient  ensuite.  Mais  dans  tout  cela  on  cherche  en 
vain  un  peu  de  nouveauté  dans  l'idée,  un  peu  d'imprévu  dans  la  forme,  un 
peu  de  piquant  dans  l'instrumentation;  tout  est  pâle,  gris,  tranquille,  sans 
nerf  et  sans  vigueur,  sans  saveur  et  sans  parfum.  La  seconde  Étude  sympho- 
nique, qui  terminait  le  programme,  me  semble  préférable  à  la  première,  bien 
qu'elle  manque  aussi  de  plan  et  d'assise;  mais  l'orchestre  oUre  du  moins  un 
certain  intérêt,  et  le  désir  mélodique  n'est  pas  toujours  sans  résultat.  Les  soli 
de  l'Été  et  du  Requiem  ont  été  fort  bien  chantés  par  M.  Daraux,  M.  Gaston 
Dubois  et  la  toujours  bien  disante  M"^  Éléonore  Blanc.  A.  P. 

—  On  vient  d'arrêter  ainsi,  au  Conservatoire,  les  dates  des  examens  semes- 
triels : 

Jeudi  26  décembre,  à  9  h.  1/2  du  matin,  solfège  linstrumenlistesi,  dictée,  tbéorie. 

Vendredi  27,  à  1  heure  du  soir,  solfège  ichanteursi,  dictée,  théorie. 

Vendredi  3  janvier,  à  9  h.  1/2,  classes  de  MM.  Rougnon,  Scliwarlz,  Kaiser,  Cuignache, 
Sujol,  M"'  Hardouin,  M""  Renirt,  Marcou,  Roy,  M""  Meyer,  Lbôte,  M""  Seveno  du 
Minil. 

Samedi  4,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Vernaelde,  Anzende,  Mangin,  M"'  Vinot. 

Mardi  7,  h  une  heure,  classes  de  MM.  Emile  Pessard,  Taudon,  Lavigiiac,  Xavier  Leroux, 
Ghapuis,  Samuel  Rousseau. 


Mercredi  8,  à  dix  heures,  classes  de  MM.  Desjardiiis,  Brun. 

Jeudi  9,  à  t  heure,  classes  de  MM.  Melchissédec,  Lhérie. 

Vendredi  10,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Viseur,  Laforge,  Loëb,  Cros-Sainl-Ange. 

Lundi  13,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Lenepveu,  Widor,  Fauré. 

Mardi  14,  à  1  lieure,  classes  de  MM.  Isnardon,  Berlin. 

Mercredi  15,  à  1  heure,  classe  de  M.  Guilmant. 

Jeudi  16,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Hassehnans,  Falkenberg,  M""  CUené,  Tarpet, 
Trouillebert. 

Vendredi  17,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Lefort,  Berthelier,  Rémy,  Nadaud. 

Jtardi  21,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Jlasson,  Vergnel,  Auguez,  de  Martini. 

Mercredi  22,  à  1  lieure,  classes  de  MM.  Crosli,  Warot,  Duvernoy.  Dubulle. 

Vendredi  24,  à  10  heures,  classes  de  MM.  Berr,  Silvain,  de  Féraudy,  Leloir. 

Samedi  25,  à  1  h.  1/2,  classes  de  MM.  Le  Bargy,  Paul  Mounet. 

Lundi  27,  à  10  heures,  classes  de  MM.  Diémer,  de  Bériot,  Delabordc,  Alphonse  Duver- 
noy, Marmontel. 

Mardi  28,  à  1  heure,  classe  de  M.  Vidal. 

Mercredi  29,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Taffanel,  Gillet,  Turban,  Bourdeau. 

Jeudi  30,  à  1  heure,  classes  de  MM.  Brémond,  Mellet,  Franquin,  Allard. 

Vendredi  31,  à  1  heure,  classe  de  M.  Lefebvre. 

—  Au  Conservatoire,  le  docteur  Poyet,  le  laryngoscope  si  connu  des  artis- 
tes, vient  d'être  nommé  médecin  titulaire.  Voilà  en  bonnes  mains  le  gosier 
de  nos  futurs  Talmas  et  Malibrans. 

—  Et  voici  déjà  M.  Jean  de  Reszké  indisposé!  Et  voici  déjà  le  fier  Siegfried 
de  l'Opéra  remis  à  une  «  date  ultérieure  »,  comme  disent  les  communiqués 
de  la  direction.  Ceci  nous  permet  de  revenir  sur  une  interwiew  avant  la  let- 
tre, prise  à  M.  Gailhard  par  un  rédacteur  du  Matin.  Le  directeur  nous  raconte 
toutes  les  merveilles  de  sa  mise  en  scène,  il  insiste  sur  le  dragon  monstrueux 
qui  est  «  effrayant  à  voir  »,  sur  le  «  bruissement  des  feuilles  dans  la  forêt, 
truc  inédit  »,  et  il  en  vient  enfin  à  l'Oiseau.  Ici,  nous  lui  laissons  la  parole  : 

—  Très  ingénieux,  mon  oiseau;  j'ai  réalisé  le  problème  du  plus  lourd  que  l'air  (!).  II 
vole  de  ses  propres  ailes  et  se  maintient  dans  l'espace  sans  le  secours  du  moindre  fil  de 
fer. 

—  Nous  avons  vu  cela  à  Texposition  des  jouets. 

—  Comment,  s'écrie  M.  Gailhard  avec  indignation,  ils  ont  exposé  mon  oiseau;  je  le  leur 
avais  pourtant  bien  défendu. 

—  C'est  peut-être  un  autre,  observons-nous  par  esprit  de  conciliation. 

—  Non,  non,  ce  ne  peut  être  que  le  mien! 

Pauvre  chéri,  on  lui  a  pris  son  petit  n'oiseau  1  Pleure  pas,  va,  t'en  auras 
un  autre  pour  ton  jour  de  l'an. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée  : 
Mireille;  le  soir,  Grisélidis.  —  Spectacles  de  Noël  :  mardi  soir  (réveillon), 
Louise;  mercredi,  en  matinée  Grisélidis,  le  soir  Mignon;  jeudi,  en  matinée 
Haensel  et  Gretel  et  la  Fille  du  régiment,  le  soir  Lakmé  et  la  Sœur  de  Jocrisse. 

—  Mardi  dernier,  salle  Erard,  M.  Antonin  Marmontel  a  fait  entendre  en 
matinée  les  élèves  de  sa  classe  du  Conservatoire.  Plusieurs  d'entre  elles  ont 
fait  preuve  d'un  sens  artistique  très  développé  ;  toutes  exécutent  avec  des 
qualités  de  musiciennes.  On  s'aperçoit  bien  vite  que  dans  ces  œuvres  de  carac- 
tère si  différent,  de  Bach,  Beethoven,  "Weber,  Schumann,  Chopin,  Liszt, 
'Wagner,  Saint-Saëns  et  Pierné,  le  professeur  a  su  inculquer  à  l'élève  quel- 
que chose  de  sa  connaissance  approfondie  des  styles.  Une  jeune  fille  que  je 
nomme  parce  qu'elle  a  quitté  la  classe  avec  un  premier  prix.  M"»  Schniizer, 
a  joué  avec  beaucoup  de  brillant  un  Scherzo,  écrit  pour  orchestre,  dont  la 
réduction  au  piano  n'a  pu  se  faire  sans  laisser  subsister  des  passages  d'une 
grande  difficulté.  L'ouvrage  est  d'une  allure  originale,  d'une  belle  facture, 
chaleureux  et  entraînant.  L'auteur  est  M.  Antonin  Marmontel.         An.  B. 

—  La  direction  de  l'Opéra  vient  d'arrêter  les  dates  des  quatre  grands  bals 
de  la  saison.  Le  premier  aura  lieu  le  samedi  H  janvier,  le  deuxième,  samedi 
2S  janvier,  le  troisième,  samedi  gras,  8  février,  le  quatrième  et  dernier, 
jeudi  (mi-caréme)  6  mars. 

—  De  Lyon  :  Louise  vient  enfin  d'être  soumise  aux  suffrages  du  public  lyon- 
nais. L'œuvre  de  Charpentier,  si  vivante,  si  colorée,  si  habile  comme  facture, 
si  savoureuse  par  endroits,  a  obtenu  un  éclatant  succès.  M.  Tournié  ne  doit 
pas  regretter  sa  tardive  initiative.  Il  a  d'ailleurs  donné  à  Louise  un  cadre 
superbe  et  n'a  rien  négligé  pour  la  présenter  sous  le  meilleur  aspect;  les 
décors  ont  produit  un  effet  considérable,  surtout  celui  du  panorama  de  Paris, 
vraiment  saisissant  en  raison  des  dimensions  de  la  scène  lyonnaise.  L'in- 
terprétation est  de  tout  premier  ordre:  M""  Tournié  (Louise),  vive  et  spiri- 
tuelle dans  les  scènes  du  premier  acte,  a  rendu  avec  passion  les  parties 
dramatiques  de  l'œuvre;  dans  l'air  si  poétique  du  quatrième  tableau  elle 
s'est  révélée  artiste  consommée,  d'une  grande  sûreté  vocale  et  d'un  excel- 
lent style.  M.  Leprestre  est  un  Julien  plein  de  fougue  et  d'ardeur,  très  en 
possession  de  son  rôle.  M.  Beyle  a  réalisé  une  superbe  création  du  person- 
nage du  Père  et  a  su  trouver  dans  la  scène  finale  des  accents  émouvants. 
M""  Bressler-Gianoli  joue  avec  sobriété  le  rôle  de  la  Mère,  dans  lequel  elle 
fait  apprécier  ses  solides  qualités  vocales  et  sa  juste  déclamation.  Citons 
encore  M"'*  de  Camilli,  Mativa,  Daubray  et  Tissot,  MM.  Hyacinthe  (le  noc- 
tambule), Azéma  (le  chillonnier),  Germain,  Seurin,  Forest,  etc.  M.  Miranne 
a  obtenu  de  son  orchestre  des  nuances  fouillées,  une  grande  souple-ise  d'exé- 
cution, et  de  la  part  des  chœurs  des  ensembles  très  remarquables.  Eu 
somme,  réussite  complète,  rappels  chaleureux,  Louise  va  donner  à  M.  Tournié 
tous  loisirs  pour  monter  Grisélidis,  qui  nous  est  annoncée.  J.  Jemain. 

—  De  Lyon  :  M.  Julien  Tiersot  a  donné  une  conférence  sur  les  Chansons 
Populaires  dans  laquelle  il  a  interprété  lui-même  une  partie  du  programme. 
Il  a  obtenu  un  succès  d'enthousiasme  avec  le  Retour  du  marin,  Pierre  et  sa  mie, 


LE  MENESTREL 


407 


et  surtout  le  Pauvre  Laboureur.  Les  chanteurs  de  Saint-Gervais,  dirigés  par 
M.  Gh.  Bordes,  prêtaient  leur  concours  au  même  concert  et  ont  finement 
détaillé  plusieurs  chœurs  et  rondes.  Voici  la  Saint-Jean,  C'est  le  Vent  frivolanl, 
etc.,  puis  de  nombreuses  pièces  religieuses  ou  profanes.  Enfin,  M"=  Ediat  a 
chanté  avec  goût  et  esprit  la  Bergère  aux  chatnps.  Voici  la  Noël.  etc.  — 
MM.  Albert  et  César  Geloso  ont  donné  une  séance  de  violon  et  piano  fort 
réussie.  Au  programme^  sonates  de  Beethoven,  César  Franck,  Schumann,  et 
diverses  pièces  en  solo;  les  deux  excellents  artistes  ont  été  très  appréciés. 

—  On  sait  que  la  ville  de  Lille  se  prépare  à  inaugurer  prochainement  un 
monument  élevé  à  la  mémoire  de  Desrousseaux,  son  célèbre  chansonnier 
populaire.  La  Semaine  musicale  de  Lille  publie  à  ce  sujet  la  note  suivante  :  — 
«  Les  auteurs  et  compositeurs  qui  auraient  l'intention  de  présenter  des  can- 
tates destinées  à  être  exécutées  à  l'inauguration  du  monument  Desrousseaux 
sont  priés  de  vouloir  bien  les  envoyer  avant  le  1""'  février  au  comité  chargé 
de  les  examiner  et  dont  le  siège  est  au  Conservatoire  de  musique  de  Lille. 
Les  cantates  devront  être  complètement  terminées  et  orchestrées,  soit  pour 
harmonie,  soit  pour  fanfare,  et  comporter  des  chœurs  écrits  au  moins  à  trois 
parties.  » 

—  On  axlonné  au  théâtre  municipal  de  Brest,  le  30  novembre,  la  première 
représentation  d'un  drame  lyrique  inédit  en  deux  actes,  Frella,  paroles  de 
M.  Dussoules,  musique  de  M.  Skilmans.Get  ouvrage  a  été  fort  bien  accueilli. 

—  SomÉES  ET  Concerts. —  Jolie  séance  musicale,  organisée  par  M.  A.  Trojelli,  à  l'Insti- 
tution Sainte-Croix  de  Neuilly.  Les  chœurs  et  l'orchestre  placés  sous  l'habile  direction  de 
l'excellent  professeur-compositeur  ont  été  fort  applaudis  surtout  dans  Aubade  et  Anda- 
louse  du  Cid,  de  Massenet,  gavotte  de  Mignon  et  chœur  des  gardes-chasse  du  Songe  d'une 
nuit  d'été,  d'Ambroise  Thomas.  On  a  fait  fête  à  M.  Duehesne  dans  la  prière  du  Cid  et  te 
Crucifix  de  Faure,  chantés  avec  M.  Lambert  des  CiUeuls,  ei  aussi  à  l'exécution  de  la 
Légende  de  Saint-Nicolas  de  Périlhou.  —  A  Asnières,  grande  soirée  musicale  organisée 
par  M.  de  Félicis;  gros  effet  pour  M""  Gilberte  dans  Tes  yeux,  d'Esteban-Marti,  et  M"'  de 
Saint-Martial  dans  te  Nil  de  Xavier  Leroux,  accompagnée  par  le  violoncelle  de  51.  Dupuis. 
Jolie  première  représenlation  d'un  acte  inédit  de  M.  Jules  Gondoin,  musique  d'Esteban 
Marti,  fa  i<?co/î  de  chant.  —  Chez  M.  René  Brun,  et  sous  sa  direction,  audition  très  réussie 
(TÈce  de  Massenet  avec  soli,  chœurs  et  quatuor.  Parmi  les  interprètes,  il  faut  signaler 
particulièrement  MM.  Debay,  Letourneur,  Chazal,  Martin  et  Sabot,  M""  Chazal,  Baudouin 
et  Boutan.  Hue  mention  toute  spéciale  doit  être  réservée  à  !\I""  Jeanne  Richard,  qui  a 
détaillé  avec  un  art  exquis  le  rôle,  à  la  fois  si  délicat  et  si  complexe,  d'Eve.  —  Soirée  bril- 
lante entre  les  plus  brillantes  au  Cercle  des  armées  de  terre  et  de  mer  à  laquelle  on  a 
particnlièrement  applaudi  la  charmante  harpiste  M"'  Achard  dans  Source  Capricieuse  de 
L.  Filliaux-Tiger,  M""  Lormont,  très  sympathique  dans  l'air  si  pénétrant  de  Griséliiis  de 
Massenet,  et  la  Valse-Caprice  de  Rubinstein,  brillamment  colorée  par  M"«  Marthe 
Girod. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M.  Auguste  Mercadier,  officier  d'Académie,  lauréat  de 
l'Exposition  universelle  de  190O  (solfège,  harmonie,  violoncelle,  accompagnement),  70  rue 
de  Rivoli. 


NÉCROLOGIE 
Une  bien  triste  nouTelle.  Deux  jours  après  la  représentation  dormée  â 
rOpéra-Comique,  par  les  soins  de  M.  Albert  Carré,  au  bénéfice  de  la  veuve 
et  des  enfants  de  l'excellent  artiste  que  fut  Taskin,  représentation  qui  fot 
brillante  et  fructueuse,  M""  Taskin  succombait  à  une  courte  maladie  et  était 
enlevée  à  l'affection  de  ses  enfants.  M»"*  Taskin  était  atteinte  d'une  affectioa 
cardiaque  qui  l'a  emportée  en  peu  de  jours. 

—  Une  artiste  fort  distinguée  et  d'un  talent  remarquable.  M'""  du  Wast- 
Duprez,  est  morte  cette  semaine  à  Paris,  à  l'âge  de  48  ans,  à  la  suite  d'une 
longue  et  terrible  maladie.  Elle  était  un  de  nos  professeurs  de  chant  les  pins 
justement  renommés,  et  elle  joignait  la  pratique  à  la  théorie,  car  elle  chan- 
tait avec  un  goût  et  un  style  des  plus  rares.  Elle  avait  de  qui  tenir  d'ailleurs, 
étant  la  petite-fille  de  notre  grand  Duprez,  auprès  duquel  elle  avait  fait  son 
éducation  vocale.  JM""  du  VVast  était  la  femme  de  M.  Ulysse  du  "Wast,  qui, 
on  se  le  rappelle,  tint  pendant  plusieurs  années  l'emploi  de  ténor  à  l'Opéra- 
Comique. 

—  A  Vienne  est  mort,  à  l'âge  de  62  ans,  le  compositeur  et  chef  d'orchestre 
Adolphe  MuUer.  Il  avait  commencé  sa  carrière  de  chef  d'orchestre  au  théâtre 
An  der  Wien  en  1870  et  il  a  écrit  la  musique  de  scène  de  beaucoup  de  pièces 
jouées  à  ce  théâtre.  Il  laisse  des  mélodies,  chœurs  et  compositions  de  mu- 
sique de  chambre,  ainsi  que  plusieurs  opéras-comiques  et  opérettes  :  Henri 
l'Orfèvre,  Waldmeisters  Brautfahrt,  Van  Dyck,  le  Fantôme,  le  Bhndin  de  Namur,  etc. 
Adolphe  Millier  était  né  à  Vienne  le  15  octobre  1839. 

Henri  HKvaEL,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  : 

Chez  E.  Fasquelle,  Hors  lu  loi,  pièce  en  1  un  acte,  en  vers,  de  M.  Lucien-Victor  Meu- 
nier, représentée  à  l'Odéon  (1  fr.)  ;  Cœur  d'amant,  roman  contemporain  d'AJexandre 
Hepp  (3  fr.  50)  ;  le  Nuage,  comédie  en  2  actes,  de  M.  G.  Guiches,  représentée  à  la  Comédie- 
Française  (2  francs). 

Cbez  OUendorff,  les  Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musique  (26'  année),  par  Edmond 
Stoullig,  avec  une  préface  de  Lucien  Muhlfeld  (3  fr.  50). 

Chez  Félix  Alcan,  Génération  de  la  Voix  et  du  Timbre,  par  le  docteur  A.  Guillemin,  avec 
122  figures  dans  le  texte  (10  fr.i. 

A  la  bibliothèque  des  «  Annales  Politiques  et  Littéraires  »,  le  6'volume  de  Quarante  ans 
de  Tliéâtre  (les  modernes),  par  Francisque  Sarcey  )3  fr.  50;, 

Chez  OUendorff,  .Vos  Artistes  (portraits  et  biographies),  par  Jules  Martin,  couverture  en 
couleurs  d'Albert  Guillaume  (3  fr.  50  c). 

A  la  librairie  Molière,  la  Ronde  des  blanches,  par  l'Ouvreuse  (Willy),  couverture  en 
couleurs  de  Lamy  (3  fr.  50  c). 

Chez  Flammarion,  la  Musique  en  Banemiirl:  et  en  ^uède  au  XÎX^  siècle,  par  Albert 
Soubies  (2  francs). 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'%  éditeurs-propriétaires. 


NOËLS 


— 3<i*:«s=»seica=*;9^ 


AUDAN.  Noël  à  2  voix,  avec  solo  de  baryton  ou  mezzo-soprano  ....  6  » 

A.  BLANC  et  L.  DAUPHIN.  Petit  Noël  pour  chœur  d'enfants.    .   .    .    Net.  0  60 
BOISSIER-DURAN .  Le  Saint  Berceau,  Noël  pour  ténor  ou  soprano   avec 

chœur  ad  libitum 3  » 

L.  BORDÈSE,.  Noël  à  1,  2  ou  3  voix,  eu  solos  ou  chœurs 3  » 

E.  BRÏDAINE.  Les  Gaudes  pour  Noël  à  1  voix,  avec  accompagn'  d'orgue.  2  50 

Gaston  CARRAUB.  Noël 5  » 

L.  DAUPHIN.  Rose  et  blanc,  petit  Noël  avec  chœur,  ad  libitum 5  » 

DESMOULINS.  Trois  Noëls  : 

1.  Noël  de  Lope  de  Vega.  -  2.  Noël.  -  3.  La  Vierge  à  la  crèche,  i  » 
A.  GIGOUT.  Chants  du  Graduel  :  Jésus  redemplor,  hymne  pour  le  jour 

de  Noël,  à  4  voix,  avec  accompagn'  d'orgue  ad  libitum.    Net.  0  10 

ED.  GRIEG.  i'^rtre  de  A'oéV,  chanson  d'enfant 4  » 

REÏNALDO  HAHN.  Pastorale  de  Noël,  mystère  du  XV  siècle  en  4  tableaux 

(avec  le  livret-texte) Net.  8  » 

k.M\Mti.  Noël  d'Irlande  (\  2) b  » 

CHARLES  LECOCQ.  Le  Noël  des  petits  enfants,  à  1,  2  ou  3  voix  ad  lib.: 

1.  Les  Petits  Rois  Mages.  2.  Les  Petits  Bergers.  3.  La  Bûche  de 

Noël.  4.  Prière o  » 


F.  LISZT.  La  Nuit  de  Noël  (d'après  un  ancien  Noël),  pour  ténor  solo  et 

chœur  de  femmes,  avec  accompagnement  d'orgue.  En  parti- 
tion et  parties  séparées S     » 

J.  MASSENET.  La  Veillée  du  petit  Jésus  (1.2) 5     » 

—           Le  Petit  Jésus  (i.'i. 3) S    » 

A.  PÉRILHOU.  La  Vierge  à  la  crèche 3     » 

SOUNIER-GEOFFHOY.  Noël 3     » 

J.  TIERSOT.  A^of/s /rnyipa/s  (20  numéros) Net.  8     » 

G.  VERDALLE.  Le  Carillon  de  Noël 7  bO 

P.  VIDAL.   Citant  de  Noël,  pour  soprano  solo  avec  chœurs 7  50 

Chaque  partie  de  chœur Net.  0  30 

Le  même,  à  une  voix  (1.2) 5     » 

—        Noël,  ou  le  Mystère  de  la  Nativité,  4  tableaux Net.  S     » 

Ch.-M.  WEBEB.  Noël  pour  mezzo-soprano 2  50 

J.-B.  WECKERLIN.   JVoé:;.'  Noëll  (1.^} 5     » 

—  La  Fête  de  Noël,  avec  ace'  de  piano  et  orgue  ad  lib.  .  2  50 

—  Voici  Noël 3     » 


NOELS    POUR    ORGUE    SEUL 


ANCIENS  NOËLS  (2  Noëls  de  Saboly,   1  de  Lully  et  1  Noël  languedo- 
cien anonyme)  .    .  3  7b 

ANCIENS  NOELS  (3  Noëls  de  Saboly  et  1  du  roi  René  d'AnjO'i),   ...  2  50 

B.  MINÉ.  Op,  H-  Jîecuei/ rfe  IVocïs  (30  numéros) 9    » 


F.  LISZT.   L'Arbre  de  Noël. 

N»  1.  Vieux  Noël,  3  fr.  —  N°  2.  La  Nuit  sainte,  3  fr.  —  N»  3. 

Les  Bergers  à  la  crèche,  4  fr.  —  N°  4.  Les  Rois  mages . 

R.  de  VILBAC .   L'Adoration  des  bergers ,   .    ■.   . 


408 


LE  MENESTREL 


En  Tenie  :   Au  Ménestrel,  '2  bis,  rue  Vivienne,  HEDGEL  et  G'^,  Éditeurs. 


ETRENNES  MUSICALES  1902 


LES    VIEUX    MAITRES 

12  transcriptions  pour  piano  par 
LOUIS    DIÉMER 

RÉPERTOIRE   DE  LA   SOCIÉTÉ   DES  INSTRUMENTS  ANCIENS 

Joli  recueil  artistique,  sur  papier  à  la  cuve,  net  :  5  francs    1 


ANNEE  PASSEE 

1 2    pièces    caractéristiques    par 

J.    MASSENET 

POUR  PIANO  A  4  MAINS 

Joli  recueil  grand  in-S",  net  :  10  francs. 


PENSEES    FUGITIVES 

POUR  PIANO   PAR 

A.    DE    CASTILLON 

Vingt-quatre  numéros 

en    une    élégante    édition,    net   :    7   francs. 


LA    CHAlSrSOlSr    DES    JOUJOUX 


F>oesies     de     JULES    JOUY.     —     adC-u.slq.u.e     de     CL.     BLA.NC     et    L 

Vingt  petites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
lin  volume  richement  relié,  /ers  de  J.  Chéret  (dorure  sur  Iranehes).  —  Prix  net:   10  francs. 


DAUPHIN 


LES  PERLES  DE  LA  DANSE 

CINQUANTE    TRANSCRIPTIONS    MIGNONNES 

SUR  LE  CÉLÈBRE   RÉPERTOIRE 

dOIivier  METRA 


■W-A-CHS 


LES  SILHOUETTES 

VINGT-CINQ    PETITES    FANTAISIES-TRANSCRIPTIONS 

SUR   LES   OPÉRAS,   OPÉRETTES  ET   BALLETS 

EN  VOGUE 

PAR 


LES    MllMIATURES 

QOATBE-VINGTS  PETITES  TRANSCRIPTIONS   TRÈS   FACILES 

SUR  LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,    MÉLODIES   ET  DANSES   CÉLÈBBBS, 

CLASSIQUES,   ETC., 

PAR 


Le  recueil  broché,  net:  10  fr.—  Richement  relié,  net:  15  fr.  ^  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  —  Richement  relié,  net:  25  fr,  ^  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  — Richement  relié,  net:  25  fr. 

MANON, "opém^TITct^de  j.  MASSENET 

Edition  de  luxe,  tirée  à  100  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  format  grand  in-4",  avec  7  eaux-fortes  hors  texte  et  8  illustrations  en  tête 
d'acte,  par  PAUL  AVRIL,  tirage  en  taille-douce,  à  grandes  marges,  encadrement  couleur,  livraison  en  feuilles,  net:  100  francs. 


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AMEL.  Chansons  d'Aïeules  (illustrations) net. 

CHAMINADE.  Mélodies,  recueil  (2  tons) net. 

P.  DELMET.  Chansons,  2  vol.  (illustrés) chaque  net. 

A.  HOLMES.  Contes  de  fées  (10  n's) net. 

J.  FAURE.  Mélodies,  4  vol.  chaque  (20  n°s) net. 

LÉO  DELIBES.  Mélodies,  2  vol.  in-8° chaque  net. 

G.  CHARPENTIER.  Poèmes  chantés,  1  vol.  (2  tons) net. 


10 


J.  TIERSOT.  Noëls  français  (20  n«) net.  8 

A.RUBUSTEIN.  Lieder'à2  voix(d8  nos)  .    .    . net.  10 

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GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

GRISËLIDIS,  CENDRILLON,  LOUISE,  PRINCESSE  D'AUBERGE,  PHEDRE,  LA  TERRE  PROMISE,  MIGNON,  HAMLET,  LAKMÉ,  MANON, 
"WERTHER,  SAPHO,  ANDRÉ  GHÊNIER,  XAVIÉRE,  PAUL  ET  VIRGINIE.  SIGURD,  LE  ROI  D'YS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  LE  PORTRAIT 
DE  MANON,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  DON  JUAN,  HÉRODIADE,  FAUST,  CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  LA 
DIT,  SYLVIA,  COPPELIA.  LA  KORRIGANE,  MILENKA,  YEDDA,  CONTE  D'AV  RIL,  CAVALLERIA  RUSTICANA,  ESCLARMONDE,  MARIE- 
MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LE  CAID,  LE  PAPA  DE  FRANCINE,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  etc.,  etc. 


.  —  (Encn  Lotmeax). 


3tt92.  —  «7""^  AiME.  —  l\°  52.     PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES  Dimanche  29  Décembre  1901. 

(Les  Bureaux,  2"^  rue  TiTienue,  Paris,  ii- ur') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTR 


lie  îluméfo  :  0  îp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  HaméFo  :  0  fp.  30 


Adresser  i-ranco  à  M.  Hknri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesthel,  2  6is,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.   —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


J.  L'Art  musical  et  ses  interprètes  depuis  deux  siècles  (44°  article),  Paul  d'Esthées.  -- 
IL  Semaine  théâtrale:  première  représentation  de  A/ada»ie  Flirt  à  l'Athénée  et  du  Puits 
d'amour  à  Cluny,  Paul-Émile  Chevalier.  —  IIL  Petites  notes  sans  portée  :  les  «  Noëls 
français  >^  au  théâtre,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Le  Concours  international  de  Milan.  — 
V.  Re\ue  des  grands  concerts.  — VI.  Nouvelles  diverses,  concfris  et  nécrologie. 


MUSIQUK  DK  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  miisique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
L'OISELET  EST  TOMBÉ  DU  NID 
chanté  par  W^'  Bréval  et  M.  Dufranne  dans  Grisélidis,  conte  lyrique  d'ARMAND 
SiLVESTRE  et  Eugène  Morand,  musique  de  J.  Massenet.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Ce  qui  dvre,  nouvelle  mélodie  de  Théodore  Djicois,  poésie  de  Shlly 
Peudhomhe. 

MUSIQUli  DU  PIANO 

Nuuspublieruuj  dimanciie  procliain,  pour  n.is  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
les  Oiseaux,  n"!  des  scènes  mignonnes  ^ujardtn,  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra 
immédiatement  :  Marche  gaie,  d'ERNEST  Reïer. 


AVIS 

Avec  ce  dernier  numéro  de  notre  67'  année  de  publi- 
cation, nos  abonnés  recevront  la  TABLE  DES  MATIÈRES 
pour  l'année  1901  et  aussi  la  liste  de  nos  PRIMES  GRA- 
TUITES pour  l'année  1902  qui  va  commencer  (68"=  année 
du  journal). 


L'ART  MUSICAL  ET  SES  INTERPRÈTES 

DEPUIS    DEUX    SIÈCLES 

et  i 


(Suile.) 


Fanatisme  de  Delacroix  pour  Clwpin.  —  Il  lui  doit  son  éducation  musicale,  ses 
sympathies  et  ses  aversions.  —  Opinion  des  contemporains  sur  Chopin.  ^-  Un  mot 
d'Auber.  — Les  entrevues  de  Nohant.  —  La  longue  agonie.  —  Une  lettre  navrante. 
—  Dernière  saison  de  concert.  —  Le  naturel  de  Quimper  et  les  grandes  dames  au 
lit  du  mourant.  —  La  première  du  Prophète.  —  Terreur  superstitieuse.  —  Orai- 
son funèbre.  —  Souvenirs  posthumes.  —  Apparitions.  —  Musique  à  brandebourgs. 

On  s'explique  difficilement,  après  une  telle  sortie  contre  les 
névrosés  de  la  musique,  le  fanatisme  de  Delacroix  pour  un  talent 
dont  la  caractéristique  était  une  excessive  morbidesse,  nous  avons 
nommé  Chopin.    C'esl  aussi  que  le  génial  phtisique  était  l'ami 


le  plus  cher  d'Eugène  Delacroix.  Par  moments,  le  Journal  devient 
un  bulletin  de  la  santé  de  Chopin  ;  nous  y  voyons  poindre, 
grandir,  triompher  l'implacable  maladie  qui  devait  emporter 
une  des  plus  belles  organisations  artistiques  qu'ait  produites  le 
XIX'^  siècle.  L'inquiétude  d'Eugène  Delacroix  suit  la  même  pro- 
gression ;  et  sa  douleur,  survivant  à  la  perte  de  l'ami,  semble 
trouver  une  consolation  dans  le  souvenir  des  gloires  du  virtuose. 

Cette  tendre  alîection  était,  à  vrai  dire,  une  des  formes  de  sa 
reconnaissance.  Delacroix  devait  son  éducation  musicale  à  Cho- 
pin. 11  avait  appris,  grâce  à  lui,  le  mécanisme  de  l'harmonie,  du 
contrepoint  et  de  la  fugue,  ce  qu'il  appelle  «  la  logique  pure  en 
musique  ».  Et  ce  docile  élève  s'écrie,  dans  l'effusion  de  sa  gra- 
titude :  «  La  science  démontrée  par  un  homme  comme  Chopin  est 
l'art  lui-même.  »  Les  sympathies  et  les  aversions  de  l'illustre 
pianiste,  ses  idées,  ses  opinions,  ses  jugements  trouvent  comme 
leur  reflet  dans  l'esthétique  de  Delacroix. 

Chopin,  dit  son  disciple,  borne  son  admiration  à  Mozart  et  à 
Beethoven  :  encore  fait-il  pour  celui-ci  des  réserves  auxquelles 
nous  a  depuis  longtemps  habitué  Delacroix.  «  Le  Trio  de 
Rodolphe  (1),  déclare-t-il,  renferme  des  beautés  sublimes  à  côté 
de  pitoyables  vulgarités.  »  Et  cette  comparaison  entre  les  deux 
maîtres  allemands  :  «  Là  où  Beethoven  est  obscur  et  parait  man- 
quer d'unité,  ce  n'est  pas  une  prétendue  originalité  un  peu  sau- 
vage dont  on  lui  fait  honneur  qui  en  est  cause,  c'est  qu'il  tourne 
le  dos  à  des  principes  éternels  ;  Mozart,  jamais.  » 

Ailleurs,  c'est  une  comparaison  avec  Haydn,  comparaison  qui 
ne  tourne  pas  à  l'avantage  du  grand  symphoniste.  Chopin  en 
commente  les  derniers  quatuors  :  «  L'expérience,  observe-t-il, 
lui  a  donné  cette  perfection  que  nous  admirons,  tandis  que  chez 
Mozart  la  science  s'est  trouvée  tout  de  suite  au  niveau  de  l'inspi- 
ration. » 

En  somme,  l'auteur  de  Don  Juan  est  l'unique  idole  de  Chopin  ; 
et  celui-ci  lui  ressemble  si  peu  I  C'est  l'avis  unanime  de  son 
entourage  ;  et  certains  de  ses  amis  vont  même  jusqu'à  lui  repro- 
cher des  réminiscences  qui  sentent  trop  la  manière  de  Bellini. 
Toutefois,  Chopin  est  le  moins  charlatan  des  compositeurs.  Il  se 
refuse  à  ces  violences  de  tonalités  qui  cherchent  à  surprendre 
les  suffrages  du  public.  Il  n'admet  pas  la  sonorité  «  comme  une 
source  légitime  de  sensations  ».  Mais  il  sommeille  aussi  parfois, 
comme  le  bon  Homère.  Son  ami  est  bien  obligé  d'en  convenir, 
surtout  après  une  audition  de  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Mozart  :  «  Mon  pauvre  Chopin  a  des  faiblesses.  »  Après  tout, 
c'est  une  défaillance  bien  possible  en  présence  du  maître  des 
maîtres. 

Cette  critique  est  peut-être  la  seule  qu'ait  jamais  formulée 
Delacroix  contre  le  compositeur  polonais.  Au  reste,  celui-ci  fut 
littéralement  encensé  par  ses  contemporains.  Nous  citerons  le 


(1)  Delacroix  désigne  pûus  ce  titr 
l'archiduc  Rodolphe. 


le  trio  qui  fut  dédié,  avec  plusieurs  autres  pièces, 


4dO 


LE  MÉNESTREL 


mot  de  Trémonl,  Lien  qu'il  prête  aujourd'hui  à  rire  :  «  Chopin, 
disait-il,  est  le  pianiste  intime  »,  entendant  par  là  que  les  âmes 
d'une  sensibilité  exquise  pouvaient  seules  comprendre  le  génie 
de  l'artiste.  Et  cependant  son  style  était  l'originalité  même  : 

—  Monsieur  Chopin,  lui  déclarait  Auber,  vous  me  reposez  du 
piano  ! 

Delacroix,  qui  le  connaissait  déjà,  ne  s'était  lié  avec  lui  qu'en 
1842,  à  Nohant,  chez  la  grande  châtelaine  :  «  C'est,  dit-il,  un 
hornme  d'une  distinction  rare,  le  plus  vrai  artiste  que  j'aie  ren- 
contré. Il  est  de  ceux  en  petit  nombre  qu'on  peut  admirer  et 
estimer.  »  Une  seconde  villégiature  les  ramène  en  1846  chez 
George  Sand  :  «  Chopin,  s'écrie  Delacroix,  m'a  joué  du  Beetho- 
ven divinement  bien  ;  cela  vaut  bien  de  l'esthétique .  » 

Ce  fut  à  cette  époque  qu'Edouard  Grenier  (1)  rencontra  le  pia- 
niste chez  M'"^  Sand.  Il  voit  encore  sa  «  figure  pâle  et  tourmentée, 
sans  barbe,  ombragée  de  cheveux  bruns  ».  L'artiste  cause  avec 
animation  ;  ses  joues  s'empourprent  ;  ses  yeux  brillent  d'un  éclat 
fiévreux.  Et  George  Sand  s'approche  aussitôt,  toute  émue  ;  comme 
une  mère  attentive  et  même  inquiète,  elle  pose  sa  main  blanche 
et  fine  sur  le  front  de  Chopin  pour  le  calmer. 

Balzac,  allant  rendre  visite  à  George  Sand  en  mars  1841 . 
s'était  pareillement  rencontré  chez  elle  avec  l'artiste  :  «  Il  y  est 
toujours  »,  remarque  le  romancier.  L'auteur  de  François  le  Chatnpi 
demeurait  alors  16,  rue  Pigalle.  Et  Balzac,  fidèle  à  ses  procédés 
d'écrivain,  inventorie  minutieusement  le  mobilier  de  son 
confrère.  Il  signale  entre  autres  richesses  «  un  piano  magnifique 
et  droit,  carré,  en  palissandre  » . 

Mais  l'heure  cruelle  approchait,  l'heure  où  ces  êtres  supérieu- 
rement doués,  tout  de  nerfs,  de  sentiments  et  de  larmes,  ont 
comme  les  affres  de  la  mort,  bien  avant  la  fin  même  de  leurs 
souffrances.  La  légende  veut  qu'à  la  coupe  où  Musset  but  le 
poison  destructeur  de  son  génie,  Chopin  puisa  le  germe  de  la 
consomption  qui  l'enleva  à  la  fleur  de  l'âge.  Mais  à  quoi  bon 
déraisonner  une  fois  de  plus  sur  un  sujet  qui  a  peut-être  plus 
fatigué  qu'intéressé  tant  de  lecteurs?  Nous  ne  voulons  demander 
à  cette  lente  agonie  que  l'exemple  consolant  des  amis  qui  entou- 
rèrent de  leur  infatigable  dévouement  les  dernières  heures  du 
poitrinaire,  et  la  touchante  image,  déjà  évoquée  en  des  tableaux 
célèbres,  des  charmantes  femmes  dont  le  talent  -et  l'affection 
prodiguèrent  au  désespéré  leurs  suprêmes  caresses. 

En  1847,  Delacroix  avait  conservé  une  lueur  d'espoir.  Le 
malade  se  trouvait  bien  du  massage. 

Mais  en  1848  la  phtisie  avait  reconquis  le  terrain  si  vaillam- 
ment disputé  :  Delacroix  va  rendre  deux  visites  consécutives  à 
son  «  bon  petit  Chopin  »,  comme  il  l'appelle.  Il  n'est  reçu  qu'à 
la  seconde  ;  et  il  reste  avec  lui  de  neuf  heures  du  soir  à  minuit. 
Une  accalmie  permet  au  musicien  de  se  faire  entendre  chez  lui, 
le  1=''  juillet.  Des  amateurs  jouent  devant  lui  un  de  ses  trios 
qu'il  reprend  et  qu'il  «  exécute  de  main  de  maître...  il  a  été 
divin  ». 

L'infortuné  avait  plus  que  jamais  le  pressentiment  de  sa  fin 
prochaine;  une  lettre  qu'il  écrivait  le  18  août  1848,  et  qu'a 
publiée  en  1897  la  revue  polonaise  VAteneum,  donne,  en  style 
mi-tragique  et  mi-burlesque,  la  note  exacte  d'un  tel  état 
d'àme. 

«  Tous  ceux  avec  qui  j'étais  si  intimement  liés  sont  morts  pour 
moi...  Ennike  lui-même,  mon  meilleur  accordeur  de  pianos, 
s'est  noyé  :  il  me  faut  donc  renoncer  à  un  instrument  accordé 
d'après  mes  habitudes.  Moosell  mort,  et  finies  mes  bottines 
commodes.  Encore  quatre  ou  cinq  qui  iront  rendre  visite  à  saint 
Pierre,  et  ce  serait  mieux  pour  moi  d'aller  ad  patres...  Je  végète 
et  attends  tranquillement  l'hiver...  Je  suis  devenu  tellement 
raisonnable  que  je  pourrais  entendre  l'oratorio  de  Sowinski  sans 
crever  sur-le-champ...  Ce  qui  me  reste,  c'est  un  nez  énorme  et 
le  quatrième  doigt  qui  manque  d'exercice.  » 
(A  suivre.)  Paul  d'Estrées. 

(1)  E.  GitEmm.—  Souvenirs  lilldiaires  :  Lemerre,  189i. 


SEMAINE    THEATRALE 


Athénée.  Madame  Flirt,  comédie  en  4  actes,  de  MM.  Paul  Gavault  et  Georges 
Berr.  —  Théâtre  Cluny.  Le  Puits  d'Aiiiour,  vaudeville-opérette  en  3  actes, 
de  MM.  Pierre  Veber  et  L.  Bannières,  musique  de  M.  Louis  Gibaux. 

MM.  Paul  Gavault  et  Georges  Berr  qui,  il  y  a  quelques  jours  à  peine, 
donnaient  une  fort  aimable  pièce  au  Palais-Royal,  viennent  de  faire 
représenter,  à  l'Athénée,  une  jolie  comédie  dramatique.  Madame  Flirt, 
à  laquelle  le  public  a,  très  justement  encore,  fait  l'accueil  le  plus 
flatteur. 

D'un  point  de  départ  qui  n'a  rien  d'inédit  en  soi,  une  femme  très 
honnête  qui  se  dévoue  pour  sauver  une  amie  du  déshonneur,  les  heureux 
et  adroits  auteurs  ont  fait  éclore  quatre  actes  de  détails  amusants,  de 
fine  analyse,  de  développements  logiques,  intéressants  et  d'émotion 
souvent  prenante.  La  part  d'invention,  de  création,  de  leur  comédie 
réside  en  ceci  que  celle  qui  se  sacrifie,  Fernande,  aime  et  est  aimée  du 
propre  beau-frère  de  la  coupable,  Marcelle  ;  il  faudra  donc  que  celui-ci 
soit  mis  au  courant  de  la  vérité  par  Marcelle  elle-même,  Fernande 
ne  voulant  en  rien  diminuer  le  douloureux  sacrifice  que  son  affection 
lui  impose;  il  faudra  de  plus  que  Marcelle  laisse  encore  tout  deviner 
à  son  mari,  pour  éviter  une  brouille  entre  les  deux  frères,  l'ainé  refu- 
sant à  son  cadet  le  droit  de  faire  entrer  dans  la  famille  une  femme  dont 
les  aventures  amoureuses  sont  le  secret  de  tous,  que  ses  allures  de 
jeune  veuve  très  courtisée  ont,  d'ailleurs,  fait  surnommer  Madame 
Flirt. 

Présentées  simplement,  avec  une  sobriété  et  une  légèreté  de  touche 
remarquables,  ces  deux  scènes  d'aveux,  qui  sont  capitales  et  forment 
les  deux  derniers  actes,  ont  produit  très  bonne  impression  et  ont  décidé 
d'un  succès  franc  et  spontané,  que  les  deux  premiers  actes  avaient 
grandement  préparé. 

Madame  Flirt  est  fort  bien  jouée,  avec  naturel  et  pittoresque,  par  la 
troupe  de  l'Athénée  et  principalement  par  MM.  Deval,  Gauthier,  qui 
fait  une  plaisante  et  inattendue  incursion  dans  les  rôles  comiques,  Tré- 
ville,  BuUier,  M""  Valdy,  Duluc,  Suzanne  Demay,  aux  noms  desquels 
il  faut  encore  adjoindre  ceux  de  MM.  Brun,  Levesque,  Dayle,  Stacquet 
et  celui  de  M°"^  Ael. 

A  Cluuy,  l'opérette  annuelle  me  paraît  diablement  avoir  fait  long  feu. 
Nous  voilà  bien  loin  du  temps  où  Varney,  aidé  du  susnommé  M.  Ga- 
vault et  de  M.  de  ;Cottens,  faisait  courir  toute  la  rive  droite  au  bou- 
levard Saint-Germain  avec  son  Papa  de  Fraiicine  et  autres  amusantes 
productions.  Et  pourtant  il  y  avait  M.  Pierre  "Veber  en  cette  affaire 
nouveUe;  or,  cette  fois,  M.  Pierre  Veber,  dont  le  nom  semblait 
prometteur  de  gaité  et  d'esprit,  s'est,  en  compagnie  de  M.  Bannières, 
complètement  trompé  en  s'imaginant  que  les  sentiers  battus  étaient 
les  meilleurs.  Cela  réussît  quelquefois  —  et  l'on  ne  saurait  vous  dire 
pourquoi;  mais  lorsque  cela  rate,  c'est  pour  tout  de  bon.  Ce  Puits  d'A- 
mour, dont  les  complications,  aussi  invraisemblables  que  banales,  ont 
peine  à  faire,  de  loin  en  loin,  sourire  d'un  imperceptible  bout  de  lèvres, 
alors  que  sa  seule  excuse  eût  été  de  s'imposer  par  une  extravagance  ou- 
trée, ce  Puits  d'Amour  est  accolé  à  une  assez  importante  partition  de 
M.  Louis  Gibaux,  nouveau  venu,  nous  semble-t-îl,  au  théâtre  et  qu'il 
serait  téméraire  de  vouloir  juger  sur  cet  essai  plutôt  înorîginal,  d'autant 
qu'on  lui  a  infligé  un  orchestre  presque  invraisemblable. 

MM.  Bouvière,  Mercier,  Arnould,  Muffat.  Gravier,  Bardou,  Villaret, 
M"""  Cuinet,  Foucher,  Bertry,  Cardin,  Favelli  se  défendent  et  chantent 
comme  ils  et  elles  peuvent. 

Pal'l-Kmile  Chevalier. 


PETITES    NOTES    SANS    PORTÉE 


XXXVII 
LES   «  NOELS  FRANÇAIS  »   AU  THliATRE 

A  Madame  J.  Tiersot. 
—  "Vous  souvient-il,  aux  échos  des  réveillons  tapageurs,  d'un  Nocturne 
silencieux,  exposé,  jadis  ou  naguère,  à  l'un  de  nos  deux  Salons,  d'une 
Messe  de  Minuit,  bleuâtre,  moyen-àgeuse,  aérienne,  pâlie  comme  un 
rêve,  où  les  errants  de  la  froide  nuit  de  Noôl  vont  à  Jésus  qui  les  appelle 
aux  vitraux  colorés  de  la  cathédrale  haute? 

(1)  Voir  le  Ménestrel  du  14  juillet,  des  18  et  25  août,  des  8,  15,  22  et  29  septembre, 
des  13,  20  et  27  octobre,  des  3,  10,  17  et  24  novembre,  des  1",  8,  15  et  22  décembre  1901. 


LE  MÉNESTREL 


411 


—  Oui,  l'œuvre  élail  profonde,  une  des  plus  prenantes  du  Salon.  Le 
souvenir  s'empare  des  images  muettes  qui  chantent  obscurément  comme 
des  âmes  ou  des  mélodies.  Et  puisque  je  possède  la  cruelle  mémoire 
des  dates  et  des  noms,  je  vous  dirai  l'année  et  l'auteur.  C'était  en  1898, 
à  la  Société  Nationale;  et  le  peintre  signait:  J.  Wengel.  Comme  sa  toile, 
un  peu  schumannienne  aussi,  m'avait  touché,  je  l'avais  ambitieusement 
surnommé  le  roi-mage  des  peintres  de  la  nuit...  «  Et  quels  sont  ceux  qui 
vont  à  Jésus  en  la  froide  nuit  de  Noël?  »  ajoutait  l'épigraphe  du  P.  Faber. 
«  Comme  au  temps  de  la  naissance  du  Christ,  les  pauvres ,  les  humbles, 
les  bergers,  les  déshérités  de  ce  monde!  » 

—  Votre  mémoire  est  effrayante  !  Mais  ce  décor  immatériel,  je  l'évo- 
quais vaguement  au  dernier  samedi  de  l'Odéon,  pendant  la  série  des 
Noéls  français... 

—  Les  Noëls  au  théâtre?  A  votre  tour  de  m'interloquer  ! 

—  Quel  événement  plus  natm-el?  Voici  la  nuit  où  chacun,  selon  son 
rêve,  entonnera  l'hymne  à  voix  basse  ou  se  faufilera  dans  la  foule  afin 
de  l'écouter  à  plein  chœur  ou  à  grand  orchestre  :  mais  il  est  d'autres 
Noôls  que  ceux  de  Lesueur  et  de  Berlioz,  de  Saint-Saëns  et  de  Liszt,  ou 
d'Adolphe  Adam;  plus  d'une  province  nous  a  transmis  la  foi  naïve  et 

lointaine... 

—  Ah!  les  Nocls  populaires,  les  Noëls  bourguignons,  bressans,  poite- 
vins, provençaux!  Comme  dans  les  rondes  autour  des  feux  de  joie  de 
la  Saint-Jean,  n'y  retrouvons-nous  un  écho  transposé  des  vieux  chants 
druidiques  et  païens? 

—  Non  pas  !  Leur  origine  est  non  moins  profane  ;  mais  leur  conver- 
sion vous  paraîtra  plus  récente.  A  part  quelques  exceptions,  dont  une 
est  conservée  dans  Rabelais,  les  couplets  et  refrains  des  Noéls  sont  des 

chansons  de  ville,  des  binettes  littéraires  des  XVIP  et  XVIII'^  siècles, 
et  dont  on  sait  les  auteurs.  Ce  sont  des  vaudevilles  dévots  :  produit  d'un 
genre  artificiel  et  lettré.  Les  bonnes  rimes  se  marient  à  des  airs  connus  ; 
et  l'air  jure  plus  d'une  fois  avec  la  chanson... 

—  Comme  vous  voilà  documenté  !  Mon  inquiétude  s'accroit. 

—  Rassurez-vous  !  Je  n'ai  eu  qu'à  retenir  quelques  bribes  de  l'aimable 
et  savante  conférence  de  notre  confrère  Julien  Tiersot.  Le  mieux  informé 
de  nos  folk-lorisles  expose  cordialement  sa  méthode  :  sans  peine  il  dis  - 
tingue  nos  mélodies  populaires,  qu'il  a  notées  sur  le  vif  et  qu'il  sait 
par  cœur,  des  Noëls  français  dont  il  vient  de  publier  un  recueil;  et, 
s'autorisaut  de  l'exemple  de  M.  Gaston  Paris,  il  nous  a  chanté  telle 
vieille  mélodie  emperruquée  du  grand  siècle  qui,  transformée  dans  son 
allure,  dans  son  rythme,  est  devenue  le  plus  avenant  des  Ncèls  pro- 
vençaux :  c'était  la  Chanson  à  boire  de  Sganarelle,  la  traditionnelle 
chanson  du  Médecin  malgré  lui! 

-  Vous  m'épouvantez,  mais  vous  m'amusez! 

—  C'est  l'essentiel.  Et  voilà  comme  on  chante  le  Sauveur  en  France, 
en  cette  douce  France  où  l'esprit,  lui  non  plus,  ne  perd  jamais  ses 
droits...  Telle  métamorphose  est  savoureuse.  Où  le  docte  Lesueur  per- 
cevait une  origine  orientale,  il  n'y  a  qu'un  refrain  galant  qui  se  travestit 
en  Noël.  C'est  tout  à  fait  dans  la  tradition.  Primitive  encore,  la  musi- 
que distinguait  mal  entre  les  genres.  Ses  cadences  régulières  s'appli- 
quaient à  tout.  Et  n'est-ce  pas  l'élève  révolutionnaire  de  Lesueur,  Hector 
Berlioz,  qui  signalait,  au  temps  du  Floreiitin,  la  parenté  singulière  entre 
l'hymne  et  la  chanson  à  boire?  Au  siècle  suivant,  le  profane  s'introdui- 
sait sans  peur  à  l'église.  Plus  d'un  Noël  gracieux  a  pour  auteur  l'abbé 

de  cour. 

Qui,  le  malin  dévot  et  le  soir  idolâtre, 
Déjeunait  de  l'autel  et  soupait  du  théâtre... 

—  Berlioz  lui-même  n'a-t-il  point  retenu  toute  sa  vie,  les  larmes 
aux  yeux,  tel  ravissant  pont-neuf  de  Dalayrac  que  lui  chantèrent  les 
anges  de  sa  première  communion?  Et  le  pseudo-Pierre  Ducré  qui 
célébra  si  naïvement  le  Hepos  de  la  Sainte-Famille  et  l'Enfance  du  Christ 
aurait  eu  mauvaise  grâce  à  condamner  le  passé...  Ce  passé  m'apparait 
un  peu  monotone,  mais  charmant. 

—  Les  Noëls  étaient  parmi  les  plus  jolies  productions  de  cette  musi- 
que française  que  l'Italien  Duni  défendait  si  plaisamment  contre  Jean- 
Jacques;  et  M.  Tiersot  vous  citerait  un  petit  adversaire  du  grand  Gluck 
qui  regrettait  l'absence  de  ces  morceaux-là,  dans  ses  tragédies  lyriques! 
Il  y  a  toujours  de  bons  Français  pour  déplorer  l'exil  des  airs.  Et  rien  de 
nouveau...  sous  les  cierges  de  la  messe  de  minuit! 

—  Sans  les  chercher  dans  Gluck,  je  regrette  de  ne  pas  vous  avoir 
accompagné  samedi  pour  écouter  quelques  vieux  Noëls.  Votre  programme 
me  hante,  avec  ses  échantillons  du  genre  pastoral  ou  satirique,  avec  ses 
Noëls  provençaux  ou  bressans  et  ses  couplets  d'onction  naïve  ou  de 


n'étiez -vous  là  pour  applaudir  une  vraie  chanson  populaire  qui  a  toute 
la  candeur  mélancolique  d'un  lied  français!  C'est  une  chanson  de  la 
Saint-Jean,  transformée  pour  dire  aux  bonnes  gens  :  Voici  la  Noël!  Elle 
nous  vient  des  provinces  de  l'Ouest.  Et,  profane  encore  ou  divin,  son 
désir  d'amour  fait  rêver  : 

Ne  viendra-t-il  pas? 

La  lune  se  lève... 

Ne  viendra-t-il  pas? 

La  lune  s'en  va... 

Et  c'était  charmant  dans  un  théâtre,  aux  feux  de  la  rampe,  avec  le 
paravent  dérobant  le  clavecin  candide  et  le  contraste  de  ces  vieux  airs 
voltigeant  sur  de  jeunes  lèvres,  dans  le  frou-frou  des  toilettes!  Si  grand 
est  l'attrait  de  la  simplicité  que  nous  le  retrouvions  dans  les  pastiches 
mélodieux  de  nos  plus  rafiinés  poètes,  Gabriel  Vicaire,  Alphonse  Dau- 
det, et  dans  le  Miracle  de  Notre-Dame  de  ce  prestigieux  Catulle  Mendés 
qui  est  le  Massenet  des  rimes. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


LE  CONCOURS   SONZOGNO 

PRIX  DE  50.0ÛO  FRANCS 


Un  dialogue  entre  l'Humble  et  la  Mondaine  est  un  vrai  tableau  de 
Chardin.  Le  Prologue  de  la  Crèche  est  le  début  d'une  véritable  «  revue  » 
comtoise,  où  le  Berger  répond  en  patois  au  bel  Ange  qui  parle  en 
français.  Vieux  Paris  ou  vieille  province,  le  décor  se  devine.  Mais  que 


Nous  avons  annoncé  le  concours  international  généreusement  ouvert 
par  M.  Edouard  Sonzogno,  le  grand  éditeur  de  Milan,  pour  la  composi- 
tion d'un  opéra  italien  en  un  acte,  avec  un  prix  de  cinquante  mille  ha-ncs 
pour  le  vainqueur.  Nous  croyons  devoir  donner  ici  le  texte  exact  et  com- 
plet du  règlement  intéressant  de  ce  concours  : 

Le  but  de  ce  concours  étant  de  tirer  de  l'obscurité  ceux  qui  n'ont  pas  eu 
encore  les  moyens  de  révéler  leur  talent  dans  le  genre  lyrique,  ne  seront 
admis  à  y  prendre  part  que  les  compositeurs  débutants,  et  par  conséquent 
les  ouvrages  qui  n'ont  pas  encore  été  représentés. 

L'opéra  devra  être  en  un  acte  seulement,  sans  aucun  changement  de  décor, 
et  pourra,  comme  sujet,  appartenir  à  quelque  genre  que  ce  soit,  aucun  n'étant 
e.Kclu.  et,  comme  musique,  à  n'importe  quelle  école,  tant  italienne  qu  é- 
trangère. 

Il  ne  sera  tenu  aucun  compte  des  partitions  qui  seraient  écrites  sur  des 
livrets  de  formes  vieillies,  littérairement  insuffisants,  privés  d'intérêt  drama- 
tique ou  dépourvus  de  théâtralité,  et,  par  contre,  l'excellence  du  livret,  et 
comme  sujet  et  comme  l'orme,  sera,  pour  l'ouvrage  présenté  au  concours,  un 
titre  de  spéciale  valeur. 

Cbaque  concurrent  devra  présenter  à  V Établissement  musical  de  l'éditeur 
Edoardo  Sonzogno,  à  Milan,  la  grande  partition,  nette  et  parfaitement  intelli- 
gible et  complète  de  l'opéra,  pour  un  orchestre  normal  (1),  en  même  temps  que 
la  réduction  pour  chant  et  piano  et  le  livret,  avant  l'expiration  du  3i  jan- 
vier 1903. 

Tant  la  grande  partition  que  la  réduction  et  le  livret  y  relatif  devront  por- 
ter (si  l'ouvrage  a  été  écrit  en  langue  étrangère)  la  traduction  rythmique 
italienne,  appliquée  à  l'entière  partie  vocale  de  la  musique. 

De  même,  la  grande  partition,  la  réduction  et  le  livret  devront  être  présen- 
tés sans  nom  d'auteur,  mais  porteront  respectivement  une  épigraphe,  qui 
devra  être  répétée  sur  une  enveloppe  cachetée,  renfermant  le  nom  et  l'adresse 
du  compositeur  et  le  nom  du  librettiste. 

Ceux  des  concurrents  qui  seront  pris  en  considération  pourront  intervenir 
à  une  ou  plusieurs  séances  de  la  commission,  à  l'effet  de  faire  entendre  leur 
œuvre. 

Toutes  les  fois  qu'elle  le  jugera  opportun,  la  commission  aura  la  faculté 
de  soumettre  certains  concurrents  à  un  examen  de  composition  à  huis  clos, 
aBn  de  s'assurer  qu'ils  sont  vraiment  les  auteurs  des  ouvrages  aspirant  au 
prix. 

La  commission  choisira,  pour  être  admises  à  l'épreuve  de  la  scène,  trois 
partitions,  mais  le  jugement  définitif  pour  l'attribution  du  prix  ne  sera  pro- 
noncé qu'après  trois  représentations  de  chacune  des  œuvres  choisies,  c'est-à- 
dire  après  en  avoir  constaté  l'effet  scénique  devant  le  public.  La  commission 
prendra  en  particulière  considération  les  ouvrages  composés  avec  la  plus 
grande  simplicité  de  moyens. 

L'opéra  primé  restera  entièrement  la  propriété  de  son  auteur. 

Les  concurrents  seront  tenus  de  retirer  leurs  ouvrages  à  Milan:  pour  ce 
retrait  on  n'accordera  que  quatre  mois  à  partir  de  la  proclamation  de  l'ou- 
vrage récompensé,  lesquels  quatre  mois  expirés  tant  la  grande  partition  que 
la  réduction  pour  chant  et  le  livret  seront  offerts  en  don  à  une  bibliothèque 
musicale,  sans  qu'il  puisse  être  fait  exception  pour  aucun  concurrent. 

L'expérience  scénique  des  ouvrages  proposés  pour  le  prix  aura  heu  au 
Théâtre-Lyrique  International  de  Milan  dans  le  cours  de  l'année  1904. 

Les  auteurs  des  ouvrages  choisis  pour  la  représentation  pubhque  devront 


(1)  On  comprend  l'orchestre  normal  constitué  comme  ci-après  :  Petite  Flûte,  .deux 
Flûtes,  deux  Hautbois,  Cor  anglais,  deux  Clarinettes,  deux  Bassons,  deux  couples  de 
Cors  chromatiques,  deux  Trompettes,  trois  Trorabones-lénors,  Basse-Tuba,  Harpe,  Tim- 
bales, Grosse  Caisse  et  Batterie,  1"'  Violons,  2"  Violons,  .\Uos,  Violoncelles  et  Contre- 


412 


LE  MÉNESTREL 


assister  aux  répétitions  de  ces  ouvrages,  sans  avoir  droit  à  aucune  indemnité 
pour  leurs  dépenses. 

Tous  les  frais  pour  la  représentation  des  trois  opéras  seront  enlièrement  à 
la  charge  de  l'éditeur  Edoardo  Sonzogno. 

On  fera  connaître  en  son  temps  le  jury  examinateur,  qui  sera  composé 
d'éminenis  musiciens  italiens  et  étrangers. 

Ce  jury  aura  exclusive  et  ample  faculté  de  résoudre  les  questions  alTérentes 
au  concours  pour  chaque  cas  non  prévu  dans  le  programme. 

Miiaii,   IS  décmbre  1901. 

Edoardo  Sonzogno. 

On  remarquera  la  largeur  de  vues  qui,  sous  tous  les  rapports,  a  pré- 
sidé à  l'élaboration  de  ce  programme  intéressant.  On  remarquera  aussi 
qu'en  dehors  du  pri.'î  opulent  de  oO.OOO  francs  décerné  au  vainqueur, 
deux  autres  artistes  trouveront  d  ce  concours  un  avantage  appréciable, 
puisque,  leurs  ouvrages  étant  admis  à  l'épreuve  suprême,  ils  seront 
certains  de  voir  ces  ouvrages  offerts  an  public  et  représentés  au  moins 
trois  fois.  De  sorte  que  le  concours  aura  pour  résultat  final  de  mettre 
en  lumière  les  noms  de  trois  compositeurs. 


REVUE    DES    GRANDS-  CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  La  symphonie  en  lu!  mineur,  de  Lalo,  a  obtenu  l'ac- 
cueil chaleureux  que  mérite  son  beau  co'oris  orchestral,  l'heureux  choix  de 
ses  thèmes  et  l'attrait  piquant  de  ses  rythmes.  Nous  pouvons  bien  dire  h'u- 
reux  choir,  car  plusieurs  motifs  de  celle  symphonie  ont  appartenu  d'abord  à 
la  partition  de  Fiesquc,  opéra  non  représenté;  on  peut  en  retrouver  des  (ra- 
ces dans  un  entr'acte,  dans  une  scène  de  bal  et  dans  un  trio  du  .3=  acte.  Le 
style  de  l'œuvre  est  rhapsodique  plutôt  que  thématique.  L'ingéniosité  des 
combinaisons  sonores  produit  une  sorte  de  fantasmagorie  éblouissante  au 
milieu  de  laquelle  se  glissent,  s'ébattent,  s'immergent  les  mélodies  princi- 
pales. D'un  caractère  tout  autre  est  l'ouverture  dos  Barbares  de  Saint  Saëns; 
on  n'en  peut  guère  comprendre  la  forme  si  l'on  fait  abstraction  du  drame 
dont  elle  est  le  prologue;  mais  chacun  des  épisodes  en  est  traité  avec  relief 
et  de  telle  sorte  qu'il  se  classe  dans  la  mémoire  en  éveillant  la  curiosité. 
Gomme  facture  musicale  et  maestria  d'écriture,  c'est  hautement  intéressant. 
M.  Gabriel  Pierné,  lui  aussi,  écrit  avec  une  remarquable  aisance.  Son  poème 
symphonique  sans  titre  spécial,  d'après  une  strophe  des  Chants  du  Crépus- 
cule :  Ceu-r  ijui  pieusement  sont  morts  pour  la  patrie...,  etc.,  est  assez  difQcile 
à  caraclériser.  La  partie  de  piano  a-t-elle  un  rapport  étroit  au  point  de  vue 
idéal  avec  la  poésie  de  Victor  Hugo?  Avons-nous  dans  l'orchestre  des  accords 
funèbres  et  des  chants  d'apothéose?  Je  ne  sais  et,  sous  ce  rapport,  l'œuvre 
me  parait  unpeu  indécise,  mais  elle  donne  pleine  satisfaction  si  on  l'envisage 
dans  sa  structure  technique,  dans  l'habilelé  de  ses  développements  et  dans 
la  graduation  de  ses  effets.  M.Ed.Risler  a  tenu  le  piano  en  artiste  supérieur. 
Il  a  donné  une  interprélation  admirablement  étudiée  et  sérieuse  du  concerto 
en  iol  de  Beethoven.  Il  a  le  style,  le  sentiment  juste,  la  virtuosité,  la  netteté, 
le  coloris.  Bien  qu'il  possède  à  fond  l'art  spécial  du  piano,  il  reste  avant  tout 
musicien  et  ne  sacrifie  jamais,  dans  lebul  d'obtenir  un  effet  purement  instru- 
mental, ni  un  rythme,  ni  un  mouvement,  ni  une  forme  mélodique.  Il  ne 
considère  pas  le  clavier  comme  une  sorte  de  laminoir  où  toute  musique  doit 
subir  une  violence  en  vue  de  permettre  au  pianiste  de  faire  montre  de  ses 
qualités  personnelles;  il  joue  l'ccuvre  telle  qu'elle  est,  en  artiste  respectueux 
et  expérimenté.  On  a  beaucoup  remarqué  son  jeu  étincelant  dans  la  belle 
cadence  d'Hans  de  Bulow  et  dans  le  passage  prestigieux  de  la  polonaise  en  mi 
majeur  de  Liszt  où  les  traits  se  multiplient  avec  une  excessive  volubilité.  lia 
joué  aussi  \e  Largo  de  la  sonate,  op.  7,  de  Beethoven  et  a  an  ajouter  au  pro- 
gramme une  pièce  délicieuse  de  Schuraann  ;  Au  Soir.      Amédéë  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  L'audition  des  symphonies  de  Beethoven  dans 
leur  ordre  chronologique  s'est  continuée  dimanche  dernier  par  une  fort  belle 
interprétation  de  la  huitième  symphonie.  Beethoven  s'est  montré  encore  une 
autrefois  au  programme  et  sous  un  aspect  fort  diH'érent.  Les  solistes  attitrés  de 
la  Srola  eantorum  ont  interprété  son  Chant  ctégiaque  pour  quatuor  vocal,  piano 
et  quatuor  à  cordes  (op.  US),  composé  en  1814  sur  les  paroles  d'un  poète 
resté  inconnu,  à  l'occasion  de  la  mort  de  la  baronne  Pasqualati,  femme  d'un 
ami  du  maître.  Ce  morceau  n'a  élé  publié  qu'après  la  mort  de  Beethoven, 
malgré  la  curieuse  lettre  comminatoire  que  celui-ci  avait  adressée  le  12  sep- 
tembre 1822  à  son  éditeur  Haslinger  :  o  L'élégie,  le  trio  et  l'opéra  —  sortez- 
donc  de  cela!  Autrement  je  ne  ferai  pas  de  cérémonies;  vos  droits  sont  péri- 
més et  seule  ma  générosité  vous  procure  plus  d'honoraires  que  vous  ne  m'en 
<lonnez.  »  L'exécution  de  ce  morceau,  empreint  d'une  douce  mélancolie,  n'a 
pas  été  parfaite;  le  piano  brillait  par  son  absence  et  le  chant  lui-même  fut 
troublé  vers  la  fin  par  une  intonation  d'une  justesse  fort  douteuse.  Le  même 
quatuor  vocal,  dont  tous  les  éléments  ne  sont  pas  d'une  qualité  égale,  a 
ensuite  interprété  un  Madrigal  inédit  de  M.  G.  Fauré  sur  des  paroles  d'Ar- 
mand Silvestre.  C'est  le  propre  de  ce  genre  de  «  bibelot  de  la  musique  de 
la  Renaissance  »  d'être  chanté  a  capella;  l'adjonction  d'un  accompagnement 
par  l'orchestre  est  donc  sujette  à  beaucoup  de  réserves.  Constatons  cependant 
que  M.  Fauré  a  donné  à  sou  morceau  une  jolie  tournure  avec  une  poiute 
d'émotion  moderne  qui  ne  lui  messied  pas  et  qui  lui  a  valu  un  accueil  très 
favorable.  Le  soprano  du  quatuor  et  le  ténor  —  son  étoile  —  ont  aussi  exé- 


cuté le  tableau  intitulé  l'.tmour  du  Chant  de  la  cloche,  œuvre  inléressante  qui 
a  brillamment  inauguré  la  carrière  de  M.  Vincent  d'Indy.  La  parlie  orches- 
trale a  élé  admirablement  rendue  et  n'a  pas  contribué  pour  peu  au  succès  de 
l'œuvre.  —  Trois  compositions  symphoniques  ofl'rant  le  contraste  le  plus 
violent  qu'on  puisse  imaginer,  se  mettant  par  cela  même  mutuellement  en 
valeur,  ont  complété  le  programme.  A  la  crâne,  fraîche  etrulilante  symphonie 
Irlande,  de  M""  Holmes,  qui  a  obtenu  un  beau  succès,  malgré  la  maladresse 
provocante  de  quelques  partisans  trop  emballés,  succédait  la  Sicgfried-Idyil 
de  Wagner,  cet  admirable  prélude  de  l'apaisement  à  Wahnfried .  où  les 
illusions  du  maitre,  selon  son  mot  superbe,  ont  trouvé  leur  assouvisse- 
ment. Impossible  de  reproduire  avec  plus  de  délicatesse  et  de  clarté  cette  mer- 
veilleuse broderie  symphonique  sur  les  motifs  principaux  de  Siegfried.  — l'œu- 
vre que  le  maitre  enfantait  tandis  que  sa  femme,  de  sou  côlé,  lui  donnait  un 
jeune  Siegfried  en  chair  et  en  os.  —  Après  cette  douce  évocation  du  l^hin  et 
des  héros  de  l'épopée  des  Xibelungen,  le  concert  s'est  terminé  par  la  fulgu- 
rante transcription  pour  orchestre,  par  Ëerlioz,  de  la  Marche  de  Rakoeiy.  mi- 
rage éblouissant  de  l'immense  plaine  des  bords  du  Danube  traversée  par  les 
fringantes  cohortes  du  grand  capitaine  hongrois.  0.  Bergoruen. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  héroïque  (Beethoven).  —  Noël  de  Piccolino  (Giiiraud).  — 
Concerto  pour  violoncelle  (Haydn),  par  M.  Abbiate.  —  Prélude  de  Guendolinc  (Cliabi-ier). 
—  Trois  chœurs  sans  accompagnement  (Sthumann).  —  Ouverture  du  Conaire  (Berlioz). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  Léonore,  n"  3  (Beethoven).  —  Concerto  pour 
piano  en  la  mineur  (Gr  îeç:),  par  M.  Raoul  Pugno.  —  Symphonie  en  ut  majeur,  lîoma  (G.  Bi- 
zet).  —  Variations  symphoniques  (César  Franck),  par  M.  Pugno.  —  Mort  de  Brunnlîilde 
du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner),  par  M""  .\diny. 

Nouveau -Théâtre,  concert  supplémentaire  Lamoureux  :  Ouverture  du  Vaisseau-Fan- 
tôme (Richard  Wagner).  —  Deuxième  partie  de  VEnfance  du  Christ  (Hector  Berlioz)  :  ie 
réi:itant,  M.  .lean  David.  —  9"  Symphonie  avec  chœurs  (Beethoven)  :  soli,  51""  Lormont 
et  Jlelno,  MM.  Fedorow  et  Cliallet. 

—  Programme  absolument  délicieux,  jeudi  dernier,  au  concert  Colonne  du 
Nouveau-Théâtre.  Celui-ci  était,  selon  ce  que  nous  avons  fait  connaître,  sur- 
tout consacré  aux  trios,  soit  vocaux,  soit  instrumentaux.  Il  s'ouvrait  par  la 
pimpante  et  charmante  ouverture  du  Mariage  secret,  de  Cimarosa.  dite  par 
l'orchestre  avec  une  délicatesse  pleine  d'élégance,  que  suivait  l'admirable  trio- 
en  sol  mineur  de  "Weber,  d'une  beauté  si  resplendissante,  exécuté  magistra- 
lement par  iVIM.  André  Bloch,  Georges  Enesco  et  Abbiate,  qui  en  ont  fait 
ressortir  tout  le  charme  nerveux  et  séduisant.  Venait  ensuite  un  joli  trio  pour 
soprano,  mezzo-soprano  et  ténor  :  Souffle  des  bois,  écrit  par  M.  Charles 
Lefebvre  sur  une  poésie  de  M.  Ed.  Guinaud,]  composition  élégante  et  très 
harmonieuse,  fort  bien  chanté  par  W'"'  Jeanne  Leclerc  et  Marguerite  Béryza 
et  M.  Dantu.  Un  des  gros  succès  de  la  séance  a  été  le  délicieux  concerto  pour 
orchestre,  en  ré  majeur,  de  Haendel,  œuvre  vraiment  exquise  et  d'une  gtàce 
enchanteresse,  rendue  avec  tant  de  légèreté  et  d'élégance  qu'il  en  a  fallu 
redire  le  second  morceau.  A  signaler  une  jolie  composition  de  M.  Henri 
Rabaud,  Andante  et  Scherzo  pour  flûte,  violon  et  piano,  œuvre  délicate  et 
distinguée,  fort  bleu  dite  par  MM.  Philippe  Gaubert,  Enesco  et  l'auteur  et 
dans  laquelle  les  trois  instruments  concertent  de  la  façon  lapins  heureuse.  Et 
après  l'air  et  trio  de  la  Plinjné  de  i\I.  Saint-Saéos,  où  nous  avons  entendu 
M"«  Jeanne  Leclerc  et  Mathieu  d'Ancy  et  M.  Dantu,  la  séance  se  terminait 
par  le  trio  en  si  majeur  de  Brahms,  où  de  nouveau  se  sont  fait  vivement 
applaudir  MM.  André  Bloch,  Enesco  et  Abbiate.  ~  .A.  P. 


îvTOXJVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (26  décembre).  —  La  «  première  »  du 
Crépuscu'e  des  Dieux  en  français  a  tenu  toutes  ses  promesses;  elle  les  a  dépas- 
sées même.  La  représentation,  commencée  à  six  heures,  s'est  terminée  à 
minuit  et  demi,  et  le  programme  des  deux  entr'actes,  chacun  d'une  heure, 
a  élé  rempli  ponctuellement  :  on  a  soupe,  pendant  le  premier,  avec  un  entrain 
extraordinaire;  au  foyer  du  théâtre  et  dans  tous  les  restaurants  d'alentour 
toutes  les  tables  avaient  été  retenues,  et  cette  heure  de  repos  bien  gagné  a 
été  une  heure  de  liesse  gastronomique  rappelant  les  plus  folles  nuits  du  car- 
naval bruxellois.  Aussi  ne  trouverait-on  plus  à  Bruxelles,  à  l'heure  qu'il  est, 
un  seul  antiwagnérien.  Tous  ceux  qui  ont  assisté  à  cette  sensationnelle 
soirée  en  sont  revenus  absolument  convertis.  Ils  ne  révent  plus  que  repré- 
sentations wagnériennes,  —  avec  entr'actes  et  soupers,  cela  va  sans  dire, 
comme  à  Bayreuth.  Il  y  en  a  même  beaucoup  qui  ont  prolongé  l'entr'acte 
pendant  toute  la  durée  du  deuxième  acte,  et  plusieurs  ne  sont  pas  rentrés  du 
tout  dans  la  salle...  Ils  ont  promis  de  revenir  une  autre  fois. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nolr'actes  et  soupers  à  part,  la  représentation  a  été  vrai- 
ment remarquable  et  a  dépassé  certainement  l'attente  des  plus  sceptiques. 
Au  prix  d'un  travail  énorme,  au  milieu  du  train-lrain  journalier  du  réper- 
toire, la  direction  est  arrivée  à  mettre  cette  œuvre  colossale  sur  pied  d'une 
façon  non  seulement  très  supportable,  mais  môme  tout  à  fait  excellente  dans 
son  ensemble  et  parfaite  en  plus  d'un  de  ses  cotés  essentiels.  Tant  d'éléments 
concourent  à  la  réalisation  d'une  œuvre  pareille  :  mise  en  scène  compliquée 
et  dilEcullés  d'exécution  exceptionnelles,  surtout  à  partir  du  deuxième  acte  ! 
Tout  cela  a  été  réalisé  avec  une  rare  vaillance,  une  ardeur  sans  égale  et  des 
soins  artistiques  d'ordre  sujérieur. 


LE  MÉNESTREL 


413 


Or,  résultat  inespéré  pour  tous,  cette  œuvre,  qui  faisait  trembler  les  plus 
audacieux,  a  paru,  malgré  sa  longueur,  la  plus  attachante,  la  plus  vivante,  la 
plus  mouvementée  de  la  tétralogie.  Le  premier  acte,  qui,  avec  le  deuxième, 
passait  pour  le  morceau  indigeste  du  festin,  est  celui  dont  l'effet  a  été  le  plus 
grand  et  qui  a  contribué  surtout  au  succès!  Et  il  est  admirable,  ea  effet, 
d'une  variété  d'expressions,  d'une  puissance  de  sentiment,  de  couleur,  de 
tendresse  et  de  pathétique  absolument  merveilleuse;  le  deuxième  est  superbe 
encore,  avec  des  scènes  très  dramatiques;  le  troisième  enfin,  seul,  a  fatigué 
un  peu,  jusqu'aux  sublimes  adieux  de  Brunehilde  qui  le  couronnent  et 
l'achèvent  dans  un  élan  de  lyrisme  incomparable. 

Telle  est  l'impression  qui  se  dégage  de  l'œuvre,  présentée  pour  la  première 
fois  sur  une  scène  de  langue  française.  Et  il  est  certain  que  le  poème  y  est 
pour  une  grande  part.  La  sombre  et  sauvage  théogonie  sur  laquelle  Wagner 
a  bâti  sa  tétralogie  des  Kibelungen.  après  avoir  dérouté  un  peu  nos  esprits 
d'éducation  latine  par  son  apparente  complication  d'actions  étranges,  brutales 
et  criminelles,  cette  «  noire  tuerie  »,  comme  l'appelle  le  Sàr  Peladan,  s'éclaire 
tout  à  coup,  vers  la  En,  d'une  lumière  inattendue.  La  troupe  de  bandits  qui 
s'entretuait  devant  nous  depuis  le  Rhe'mrjold  ayant  été  réduite  à  sa  plus  sim- 
ple expression,  nous  n'avons  plus  en  présence,  quand  commence  le  Crépuscule 
des  Dieux,  qu'un  nombre  réduit  de  personnages,  ceux  qui  ont.  survécu  aux 
événements  et  ne  vont  pas  tarder,  du  reste,  à  disparaître  à  leur  tour  dans  la 
suprême  conflagration.  Si  bien  que  cet  épisode  final,  que  le  public  se  repré- 
sentait volontiers  comme  le  ^,lus  redoutable,  est  en  réalité  le  plus  compré- 
hensible et  le  plus  simple.  Dégagé  de  ses  interprétations  symboliques  et 
philosophiques,  dans  la  nudité  de  la  légende  primitive,  il  constitue  en  somme 
un  bon  sujet  de  mélodrame,  tels  qu'en  jouent  tous  les  jours  les  scènes  de 
genre,  avec  un  traître  qui  poursuit  l'innocence  et  deu.x  amoureux  que  ses  noirs 
desseins  précipitent  dans  le  malheur  ;  la  seule  différence  ici,  c'est  que,  si 
nous  voyons  le  vice  puni,  nous  n'assistons  pas  à  la  récompense  de  la  vertu, 
et  que  tout  le  monde  meurt,  les  bons  comme  les  méchants.  Les  vrais  mélos 
sont  plus  encourageants. 

Dans  l'interprétation,  M.  Sylvain  Dupuis  mérite  une  niention  spéciale;  il 
a  été  le  bras  et  l'àme  de  cette  entreprise  si  périlleuse  et  si  ingrate,  et  son 
orchestre,  sous  sa  direction,  a  été  au-dessus  de  tout  éloge  ;  M"'  Litvinne  a 
soutenu  le  rôle  écrasant  do  Brunehilde  de  sa  voix  d'or  et  sa  compréhension 
infatigable;  dans  un  rôle  moindre,  M""  Dhasly  n'a  pas  été  moins  belle,  dif- 
féremment, par  la  façon  saisissante  dont  elle  a  dit  la  scène  de  la  valkyrie 
Waltrante;  M.  Dalmorès  a  mis  ses  précieuses  qualités  de  musicien  et  sa 
claire  diction  au  service  du  rôle  assez  niais  de  Siegfried;  enfin,  M"'=  Friche, 
MM.  Alberç  et  Bourgeois,  quoique  manquant  de  physionomie  et  de  voix,  ne 
gâtent  rien.  Il  y  a  eu  d'innombrables  rappels  et  de  chaudes  ovations.  Et  ce 
succès  est  d'autant  plus  significatif  que  la  majorité  du  public  était  composée 
de  ce  qu'on  appelait  naguère  les  profanes;  les  autres,  ceux  qui  réclamaient 
l'œuvre  à  grands  cris,  étaient  généralement  restés  chez  eux.  Il  est  vrai  qu'il 
n'y  a  rien,  pour  eux,  de  bien  qu'à  Bayreuth. 

Il  serait  injuste  d'oublier,  dans  le  grand  tintamarre  de  cette  représentation, 
l'exécution  digne  et  majestueuse  que  donnait  la  veille,  au  Conservatoire 
royal,  M.  Gevaert,  du  Mesiie  de  Haendel.  Il  y  a  près  de  dix  ans  que  l'œuvre 
n'avait  plus  été  entendue  à  Bruxelles.  M.  Gevaert  nous  l'a  rendue  dans  toute 
sa  noblesse  expressive,  avec  un  orchestre  toujours  admirable  et  des  chœurs 
d'une  irréprochable  discipline.  L.  S. 

—  Le  théâtre  San  Carlo  de  Naples  ji  du  inaugurer  sa  saison  d'hiver  le 
'21  décembre,  la  retardant  galamment  d'un  jour  pour  ne  pas  la  faire  coïncider 
avec  la  première  représentation  de  notre  compatriote,  M""  Béjane,  au  San- 
nazzaro.  Le  programme  de  la  saison  comprend  :  Lohengrin,  les  Pêcheurs  de 
perles,  Manon  (Massenet),  l'Elisir  d'amore,  Mefistofele,  Don  Juan,  Gioconda, 
Fedora,  la  Bohème  (Leoncavallo)  et  Loren;a  (Mascheroni).  La  troupe  est  ainsi 
composée  :  soprani  et  mezzo-soprani,  M™^  Gemma  Bellincioni,  Regina 
Pinkert.  Maria  De  Macchi,  Rina  Giachetti,  Rosita  Jaco  by,  Margherita 
Marchetti,  Edvige  Ghibaudo,  Ernestina  Cecchi,  Rina  et  Rosa  Garavaglia, 
Margherita  Cappella;  ténors,  MM.  Fernando  De  Lucia,  Enrico  Caruso,  Fran- 
cesco  Vignas,  Franco  Mannucci,  Attilio  Marini;  barytons,  Mario  Ancona. 
Emanuele  Bucalo;  6;isses, Giovanni  Scarneo,  Oreste  Carozzi,  Costantino  Thos, 
Ettore  Borelli.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Edoardo  Mascheroni. 

—  Il  parait  que  les  architectes  Italiens  ne  sont  ni  plus  prudents  ni  plus 
avisés  que  les  nôtres,  et  qu'ils  dépassent  volontiers  les  devis  préparés  tt 
dressés  par  eux.  Ces  dépassements  prennent  même  parfois  des  proportions 
fantastiques.  C'est  ainsi  que  d'une  enquête  officielle  à  laquelle  on  vient  de 
se  livrer  à  Palerme,  il  résulte  que  le  Politeama  récemment  construit  a  coûté 
3  millions  au  lieu  de  600.000  francs,  chiffre  fixé  d'abord,  et  que  le  Grand- 
Théâtre,  pour  lequel  on  avait  arrêté  les  dépenses  à  2.450.000  francs,  n'est  pas 
revenu  à  moins  de  7  millions  ! 

—  Nous  avons  annoncé  qu'une  statue  de  Verdi  venait  d'être  élevée  en  Sar- 
daigne,  à  Cagliari.  Voici  en  quels  termes  cette  statue  a  été  remise  à  la  ville 
par  les  promoteurs  de  l'œuvre  :  —  «  A  la  ville  de  Cagliari  nous  remettons  ce 
monument  de  Giuseppe  Verdi,  élevé  —  nous,  promoteurs  —  par  la  contribu- 
tion de  la  citoyenneté  et  par  l'œuvre  d'un  sculpteur  cagliaritain.  L'orgueil  et 
la  reconnaissance  sont  le  cadre  naturel  des  monuments  que  chaque  peuple 
élève  à  ceux  qui  furent  ses  fils  les  plus  grands,  la  légère  fumée  qui  enveloppe 
la  flamme  jaillissante  du  génie  et  en  rend  parfaite  la  majesté;  ainsi  un  vaste 
rideau  de  nuages  ajoute  à  la  beauté  du  soleil  à  son  couchant.  Ce  monument, 
élevé  sur  cette  extrême  terre  d'Italie,  signifie  que  jusqu'à  elle  continue  à  cou- 
ler, par  courants  directs  et  robustes,  le  sentiment  national.  » 


—Dans  une  série  de  très  intéressants  souvenirs  sur  Verdi  publiés  par  M.  F. 
Fontana  dans  la  Gazzetla  musicale  de  Milan,  l'auteur  raconte  qu'il  a  eu  la  bonne 
fortune  defeuilleterrécemmentun  petitregistredanslequel  se  trouvaient  trans- 
crites, de  la  main  même  du  maitre,  toutes  les  minutes  de  ses  lettres  d'artiste, 
d'homme  d'affaires,  d'agriculteur,  voire...  d'amoureux.  Ce  petit  registre,  sur 
les  pages  duquel  il  avait  marqué,  depuis  1850,  tout  ce  qui  l'intéressait,  l'ac- 
compagnait toujours  dans  tous  ses  voyages,  si  longs  fussent-ils,  et  il  ne  s'en 
séparait  jamais.  Particulièrement,  l'homme  d'affaires  y  avait  consigné,  année 
par  année,  mois  par  mois,  jour  par  jour,  selon  les  circonstances,  la  corres- 
pondance, les  formules  de  traités  avec  la  maison  Ricordi,  les  sommes  reçues 
d'elle,  et  pour  l'agriculture  les  terrains  achetés,  les  fermages,  les  conditions 
de  la  main-d'œuvre,  etc.  Pour  ce  qui  est  de  l'artiste,  on  y  trouve  un  petit 
document  intéressant:  c'est  la  liste  des  ouvrages  sur  lesquels  Verdi  avait  jeté 
les  yeux  comme  pouvant  lui  procurer  des  sujets  d'opéras.  Cette  liste  n'avait 
pas  été  dressée  d'un  seul  coup,  mais  au  contraire  on  voyait,  par  la  différence 
des  encres  employées,  qu'elle  avait  été  augmentée  peu  à  peu,  au  fur  et  à 
mesure  des  impressions  ressenties  par  les  lectures.  La  voici,  telle  quelle  : 
Le  Roi  Lear;  Hamlet;  la  Tempête  ;  Gain  (Byron)  ;  Le  Roi  s'amuse  (V.  Hugo); 
Avola  (Grillparzer)  ;  Kean  (Damasl;  Phèdre  (Euripide-Racine)  ;  Aoutrage  secret, 
secrète  vengeance  {CaXàeron);  jl(a(a  (Chateaubriand);  Inès  de  Castro  (Gamma- 
rano);  Buondelmonte ;  Marie-Jeanne  (D'Ennery);  Guzman  /e  J?on  (drame  espa- 
gnol) :  Giacomo  di  Yalcma  (sujet  à  tirer  de  VHistoire  de  Sismondi,  chap.  XXX)  : 
^lî-ifi  (à  tirer  des  Annales  de  Tacite,  livre  IX):  Marion  Delorme  (V.Hugo); 
Ruy  Blas  (V.  Hugo):  Etnava.  On  voit  que  les  sujets  étaient  variés,  mais  tou- 
jours foncièrement  dramatiques  et  pathétiques.  Un  seul  pourtant  a  été  em- 
ployé par  le  compositeur,  celui  du  Roi  s'amuse,  et  l'on  sait  s'il  a  été  fortuné 
sous  le  titie  de  Rigoletlo.  Mais  des  trois  drames  signalés  de  Shakespeare, 
Verdi  ne  s'est  servi  d'aucun,  tandis  qu'il  s'inspirait  du  grand  poète  pour,  à  la 
fin  de  sa  carrière,  écrire  Otello  et  Falslaff.  Il  n'importe  ;  la  liste  ci-dessus  est 
intéressante,  en  ce  qu'elle  nous  montre  bien  l'état  d'àme  musical  de 
Verdi. 

—  La  librairie  Hoepli,  à  Milan,  vient  de  publier,  sous  forme  de  manuels 
et  dans  le.  facile  et  léger  format  in-16,  deux  petits  volumes  qui  sont  à  recom- 
mander aux  lecteurs  familiers  avec  la  langue  italienne.  L'un,  intitulé  Storia 
del'a  musica,  est  signé  du  nom  de  M.  Alfredo  Untersteiner,  un  artiste  italien 
(malgré  l'assonance  de  son  nom)  depuis  longtemps  résidant  en  Allemagne. 
C'est  un  excellent  résumé,  très  clair,  bien  disposé,  complet  dans  son  petit 
espace,  et  donnant  au  lecteur  désireux  de  s'instruire  tout  ce  qu'il  a  intérêt  à 
connaître  en  ce  qui  concerne  l'ensemble  de  l'histoire  de  l'art.  J'y  ai  remarqué 
un  jugement  sur  "Wagner  qui  se  distingue,  en  peu  de  lignes,  par  sa  justesse 
et  son  impartialité,  aussi  éloigné  de  l'admiration  fétichiste  que  du  dénigre- 
ment systématique.  Je  trouve  seulement  l'écrivain  un  peu  plus  dédaigneux 
que  de  raison  pour  l'Espagne  contemporaine.  Il  me  semble  que  les  Barbieri, 
les  .\rrieta,  les  Caballero  et  quelques  autres  mériteraient  plus  qu'un  silence 
un  peu  méprisant.  Il  n'importe,  le  petit  volume  de  M.  Untersteiner  est  à 
recommander,  et  il  serait  à  souhaiter  que  nous  eussions  son  analogue  en 
France.  Le  second  est  un  traité  du  mécanisme  vocal  qui  a  pour  titre  :  il  Canto 
nel  suo  inéfcani'smo  et  pour  auteur  M.  Paolo  Guetta.  Ce  n'est  point  une  méthode 
de  chaut,  mais  une  étude  physiologique  de  l'admirable  instrument  qu'est  la 
voix  humaine,  fertile  en  notions  nécessaires  aux  jeunes  chanteurs,  qui  leur 
fait  connaître  dans  tous  leurs  détails  les  facultés  de  l'organe  vocal,  et  qui  leur 
donne  des  conseils  excellents  pour  éviter  les  dangers  auxquels  celui-ci  peut 
être  exposé  par  imprudence  ou  par  ignorance.  A.  P. 

—  Un  de  nos  confrères  italiens  nous  apprend  qu'à  une  des  dernières  repré- 
sentations du  théâtre  Communal  de  Bologne,  le  chef  d'orchestre,  M.  Mugnone, 
a  fait  exécuter  deux  fragments  symphoniques  d'un  tout  jeune  compositeur, 
M.  Jean  de  Hartutari,  à  peine  âgé  de  quinze  ans,  qui  n'est  autre  que  le  fils 
de  la  brillante  cantatrice  M""^  Hariclée  Dardée.  L'un  de  ces  morceaux  a  été 
bissé. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  jouera  prochainement  un  opéra  inédit  inti- 
tulé l'Homme  mort,  paroles  de  Hans  Sachs,  musique  de  M.  Joseph  Forster. 
Les  paroles  de  cet  opéra  sont  en  effet  tirées  d'un  divertissement  de  mardi- 
gras  (Fastnachtspiet),  dû  au  célèbre  maitre  chanteur  de  Nuremberg. 

—  On  vient  de  fêter  à  Vienne  le  soixantième  anniversaire  du  compositeur 
tchèque  Anton  Dvorak  par  un  concert  dans  lequel  ses  œuvres  ont  été  inter- 
prétées par  des  artistes  tchèques,  sous  la  direction  de  M.  Nedbal,  l'excellent 
alto  du  fameux  quatuor  tchèque.  Le  programme  offrait  quatre  compositions 
capitales  de  Dvorak  :  sa  symphonie  Dans  le  Nouveau-Monde,  son  concerto 
pour  violon,  son  ouverture  Carnaval  et  sa  Rapsodie  en  ré  majeur,  qu'on  n'avait 
pas  encore  entendue  à  Vienne.  Le  concert  a  obtenu  un  grand  succès. 

—  Un  compositeur  qui  n'y  va  pas  de  main  morte.  A  Vienne,  M.  Henri 
Melcer  a  donné  un  concert  dans  lequel  il  a  fait  entendre  quatre  pièces  sym- 
phoniques, deux  concertos  de  piano  et  quelques  paraphrases  de  lieder. 

—  Une  œuvre  posthume  pour  deux  ténors,  un  baryton  et  chœurs,  d'An- 
toine Bruckner,  intitulée  le  Cantique  des  cantiques,  sera  prochainement  exécu- 
tée à  Vienne  par  l'orphéon  des  étudiants  de  l'Université.  Cette  œuvre  présente 
tant  de  difficultés  pour  les  chœurs  qu'on  est  obligé  d'y  ajouter  un  accompagne- 
ment d'orchestre  pour  soutenir  les  voix.  Il  parait  que  cette  composition  est 
admirable  et  digne  du  maitre. 

—  Un  Requiem  posthume  du  défunt  compositeur  François  de  Suppé  vient 
d'être  exécuté  à  Vienne  avec  beaucoup  de  succès.  L'auteur  de  tant  d'opérettes 
gaies  élait  doublé  d'un  musicien  savant  et  sérieux;  chaque  page  de  son 


414 


LE  MENESTREL 


Requiem  en  fait  preuve.  Quelquefois  cependant  la  muse  comique  se  met  à 
réapparaître  entre  les  pages  :  le  Confulalis  pour  quatuor  vocal  d'hommes  ferait 
un  numéro  agréable  pour  les  orphéons  et  i'AgnusDei  rappelle  la  fameusemar- 
che  de  l'opérette  Falinitza.  Pour  un  peu  le  public  l'aurai  t  chanté  avec  les  choeurs. 
On  n'a  jamais  vu  tant  de  figures  épanouies  et  tant  d'yeux  souriants  aux  mots 
liturgiques  :  Qui  lollis  peccatn  mundi.  où  la  musique  esquissait  presque  une 
gigue  joyeuse. 

—  Une  opérette  posthume  de  l'infortuné  compositeur  Charles  Zeller,  inti- 
tulée le  Sommelier,  vient  de  remporter  un  grand  succès  au  théâtre  Raimund, 
de  Vienne. 

—  Malgré  le  grand  cas  que  font  de  lui  ses  compatriotes,  M.  Richard  Strauss 
a  peut-être  tort  de  vouloir  "  corriger  »  Gluck.  On  écrit  de  Schwerin  que 
récemment  a  eu  lieu,  au  théâtre  grand-ducal,  une  représentation  d'Iphigénie 
en  Tawride  modifiée  par  ce  jeune  et  hardi  chef  d'orchestre.  Il  a  ajouté  à  l'œu- 
vre, parait-iî,  quelques  courts  intermèdes  et  un  Irio  dans  le  finale;  de  plus, 
il  a  changé  la  place  de  quelques  morceaux  et  en  a  «  retouché  »  d'autres,  «  de 
façon  à  faciliter  les  mouvements  scéuiques  »,  et  on  assure  que  l'impression 
du  public  a  été  excellente.  C'est  parfait.  Mais  ici,  à  Paris,  deux  de  nos  théâ- 
tres ont  repris  récemment  Iphigénic  en  Tauricle.  ils  se  sont  contentés  pour 
cela  de  la  version  de  Gluck  lui-même,  telle  qu'elle  avait  été  exécutée  à  l'Opéra 
en  1779,  lors  de  l'apparition  du  chef-d'œuvre  écrit  expressément  par  lui  pour 
la  France,  et  le  public  s'est  aussi  montré  satisfait.  De  tels  tripatouillages  nous 
semblent  aussi  fâcheux  qu'irrévérents  lorsqu'ils  s'exercent  sur  des  œuvres  de 
génie,  consacrées  par  l'universelle  admiration. 

—  Le  théâtre  du  faubourg  Frédéric-'Wilhelm,  de  Berlin,  vient  de  jouer  avec 
beaucoup  de  succès  une  opérette  intitulée  le  Cosaque  rouge,  musique  de  M.  Vic- 
tor Hollaender. 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  est  menacé  d'une  grève  complète  de  l'or- 
chestre et  dés  chœurs.  Ces  membres  du  théâtre  ont,  eu  effet,  présenté  à 
l'intendant  un  mémoire  pour  exposer  leurs  griefs;  ils  demandent  surtout  une 
augmentation  de  leur  modestes  appointements  et  le  droit  à  une  retraite.  Le 
mémoire  déclare,  en  terminant,  que  les  musiciens  et  les  choristes  cesseront 
leur  travail  Je  1'='"  janvier  1902  s'ils  n'ont  pas  reçu  satisfaction  avant  ce  jour. 

—  La  grève  des  danseuses  de  l'Opéra  royal  de  Budapest  est  terminée.  Ces 
dames  ont  obtenu  gain  de  cause,  leurs  appointements  ont  été  considérable- 
ment augmentés. 

—  On  nous  écrit  de  Munich  qu'on  vient  de  retrouver  dans  la  bibliothèque 
provinciale  d'Amberg  (Bavière)  une  grande  partie  d'un  manuscrit  de  Parsifal, 
poème  de  Wolfram  d'Eschenbach.  Ce  manuscrit  précieux  avait  servi  de  cou- 
verture à  plusieurs  livres  sans  valeur:  il  est  un  des  plus  anciens  exemplaires 
de  Parsifal  qu'on  connaît. 

—  M.  Humperdinck,  l'auteur  de  Haenscl  et  Grtiel,  travaille  actuellement  à 
un  opéra-comique  dont  le  livret  est  une  adaptation  des  Demoiselles  de  Saint- 
Cyr,  comédie  d'Alexandre  Dumas. 

—  L'Association  des  éditeurs  de  musique  allemands  à  Leipzig  vient 
d'adresser  au   ministre  de  la  guerre  d'Allemagne  et  à  ses  collègues  des  états 

confédérés  de  l'empire  une  circulaire  pour  demander,  selon  la  nouvelle  loi 
sur  les  droits  d'auteur  qui  entre  en  vigueur  le  1"' janvier  1902,  le  renvoi,  par 
les  musiques  militaires,  de  toutes  les  compositions  qui  sont  désormais  pro- 
tégées par  la  nouvelle  loi  et  dont  le  nombre  est  très  grand.  Les  musiques 
militaires  n'auront  plus  le  droit  de  se  servir  de  leurs   anciens  matériels. 

—  La  Société  Riedel,  de  Leipzig,  a  exhumé,  dans  un  de  ses  concerts,  la 
Messe  en  ut  mineur  de  Mozart,  qui  depuis  cent  ans,  dit-on,  n'avait  pas  vu 
la  lumière.  Elle  était  restée  incomplète,  parait-il,  et  on  assure  que  c'est 
Aloys  Schmito  qui  s'était  chargé  naguère  de  la  mettre  au  point,  ce  qu'il  fit 
avec  beaucoup  de  tact  et  d'intelligence. 

—  Un  curieux  procès  en  matière  théâtrale  vient  d'être  jugé  en  faveur  du 
public.  Un  amateur  de  Hambourg,  qui  avait  loué  deux  places  pour  une  repré- 
sentation d'opéra,  demandait  la  restitution  de  son  argent  parce  qu'il  était 
impossible  de  voir  la  scène,  étant  assis  sur  l'une  ou  l'autre  des  places  louées. 
Après  avoir  constaté  le  fait,  le  tribunal  de  Hambourg  a  en  effet  condamné  la 
direction  du  théâtre  à  restituer  le  prix  des  places.  Celle-ci  a  interjeté  appel 
en  prétendant  qu'elle  n'était  pas  obligée  de  fournir  des  places  permettant  de 
voir  la  scène  (!J.  Mais  la  Cour  de  Hambourg  n'a  pas  admis  ce  moyen  et  a 
ordonné  une  enquête  sur  le  fait  dont  l'amateur  se  plaignait.  La  direction  du 
théâtre  s'est  alors  désistée  de  son  appel  et  a  rendu  l'argent.  Ajoutons  qu'en 
Allemagne  la  question  des  chapeaux  de  femmes,  qui  pourrait  fournir  ma- 
tière à  des  procès  analogues,  n'existe  pas;  les  dames  portant  des  chapeaux 
ne  sont  admises  que  dans  les  loges  particulières. 

—  La  détention  préventive  accordée  par  les  tribunaux  d'outre-Rhin  contre 
les  chanteurs  suspectés  de  vouloir  se  soustraire  à  leurs  engagements  entre 

dans  l'usage  courant.  A  Prague,  le  tribunal  a  ordonné  la  détention  préven- 
tive du  ténor  Marak,  du  Théâtre  National,  qui  a  signé  un  engagement  avec 
l'opéra  de  Francfort  et  qu'on  soupçonne  de  vouloir  quitter  Prague  avant  la 
fin  de  son  traité.  Ce  tribunal  a  cependant  déclaré  que  ce  ténor  serait  mis  en 
liberté  s'il  pouvait  fournir  un  cautionnement  de  dix  mille  francs.  Doux  pays 
pour...  les  ténors! 

—  Le  compositeur  Auguste  Bungert  a  remis  à  la  direction  de  l'Opéra  royal 
de  Dresde  la  partition  de  son  opéra  la  Mort  d'Vlijsse,  qui  clôture  son  cycle   de 


l'Odyssée.  L'Opéra  royal  de  Dresde,  qui  a  eu  la  primeur  de  tout  le  cycle,  en 
jouera  le  dernier  fragment  au  cours  de  l'automne  1902. 

—  On  nous  écrit  de  Riga  que  M"""  Arnoldson,  en  route  pour  Saint-Péters- 
bourg, y  a  donnné  plusieurs  représentations  de  Mignon,  Lakmé  et  Roméo  et 
Miette,  avec  un  succès  énorme.  Un  service  d'ordre  très  important  était  néces- 
saire pour  maintenir  la  foule  qui  se  pressait  devant  le  théâtre  sans  pouvoir 
y  trouver  une  place. 

—  Les  lauriers  de  M.  Paderewski  comme  compositeur  d'opéra  ne  laissent 
plus  dormir  les  virtuoses.  Voici  qu'on  annonce  que  l'Opéra  de  Genève  va 
jouer  un  opéra  inédit  intitulé  Rymond.  musique  de  M.  Raoul  de  Koc- 
zalski. 

—  A  Monte-Carlo,  signalons  les  charmantes  représentations  de  Madame 
Chrysanthème,  données  au  théâtre  de  M.  Coudert.  La  délicate  partition  de 
M.  Messager  a  remporté  tous  les  suffrages.  Elle  était  admirablement  chantée 
par  M""!  Garden,  MM.  Clément  et  Jacquin,  tous  trois  de  l'Opéra-Gomique.  Le 
compositeur  conduisait  lui-même  l'orchestre  à  la  «  première  ». 

—  Au  théâtre  Comique  de  Madrid,  le  7  décembre,  première  représentation 
de  Chispita,  o  el  Barrio  de  Maravillas,  zarzuela,  paroles  de  MM.  Francos 
Rodriguez  et  Jackson  Veyan,  musique  de  MM.  Torregrosa  et  Valverde.  On 
dit  que  leur  partition  est  la  meilleure  qu'aient  écrite  jusqu'ici  ces  deux  com- 
positeurs. 

—  On  a  déjà  versé. beaucoup  d'encre  au  sujet  du  fameux  hymne  uational 
des  Anglais:  voici  qu'on  en  va  changer  les  paroles.  Le  texte  de  ce  chant 
national  a  été  publié  pour  la  première  fois  vers  1743  dans  un  recueil  de  mé- 
lodies intitulé  Barmunia  Anglicana;  on  chantait  alors  God  save  onr  Lord  the 
King.  A  l'avènement  de  la  reine  Victoria,  on  a  changé  ces  paroles  et  on  leur 
a  substitué  le  texte  :  God  save  our  gracions  Qveen.  Après  le  couronnement  du 
nouveau  roi  Edouard  VII,  on  va  restituer  le  texte  primitif,  et  les  livres  de 
classe  qu'on  imprime  actuellement  contiennent  déjà  le  nouveau  texte  ou  plu- 
tôt les  anciennes  paroles  reconstituées. 

—  Un  nouveau  ballet,  intitulé  Gretna  Green,  vient  d'être  donné  à  l'Alham- 
bra  de  Londres,  où  il  a  été  très  bien  accueilli.  L'auteur  de  la  musique  est 
M.  Byng. 

—  De  New- York,  par  câble  :  La  rentrée  d'Alvarez,  le  ténor  transfuge  de 
l'Opéra  de  Paris,  a  été  fêtée  parune  salle  enthousiaste  et  charmée.  Il  chantait 
Roméo  et  va  bientôt  interpréter  Manon  et  la  Navarraise. 

—  M""'  Nordica,  la  cantatrice  bien  connue,  a  entrepris  une  grande  tournée 
aux  Etats-Unis,  pendant  laquelle  elle   donnera   environ   cent  concerts.   Elle 

traversera  de  long  en  large  le  continent  américain,  nous  dit  un  journal,  mais, 
ajoute-t-il,  «  dans  un  wagon  qui  est  sa  propriété,  et  tellement  commode  que, 
de  fait,  elle  n'éprouvera  ni  l'ennui  ni  la  fatigue  de  ces  continuels  voyages  », 
Mais,  madame,  vous  allez  simplement  «  épater  »  les  milliardaires  améri- 
cains. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

La  grippe  de  M.  Jean  de  Reszké  persiste  —  grippe  doublée  de  tracoma- 
nie  —  si  bien  qu'on  ne  sait  plus  au  juste  quand  pourra  être  donnée  la  pre- 
mière représentation  de  Siegfried,  remise  «  à  une  date  ultérieure  »  selon  le 
cliché  cher  à  l'administration  de  l'Opéra.  Et  comme  le  moment  approche  où 
M.  Jean  de  Reszké  devra  aller  remplir  les  engagements  qu'il  a  pris  avec  le 
théâtre  de  Monte-Carlo  —  excellent  climat  pour  la  grippe  —  on  peut  se  deman- 
der si  ce  n'est  pas  tout  bonnement  M.  Vaguet  qui  sera  appelé  à  initier  les 
parisiens  aux  beautés  de  l'ouvrage  wagnérien. 

—  Note  importante  du  Figaro  sur  l'Opéra-Comique  :  Tranquillisons  les 
nombreux  bambins  du  personnel  de  l'Opéra-Comique  â  qui  M.  Albert  Carré 
olïre  tous  les  ans  un  superbe  arbre  de  Noël.  La  fête  habituelle  aura  lieu 
demain  lundi  .30  décembre  et  les  cadeaux  attendus  seront  aussi  beaux  que 
nombreux.  Du  reste,  l'excellent  directeur  le  peut,  le  succès  semble  désormais 
attaché  à  son  théâtre  :  mardi  soir,  Louise  a  réalisé  une  recette  de  9.5.'j6fr.50, 
et  hier,  la  matinée  de  Grisélidis  :  S.S9G  francs.  M.  le  comte  de  Seebach,  cham- 
bellan de  S.  M.  le  roi  de  Saxe,  intendant  général  des  théâtres  royaux,  assis- 
tait à  cette  matinée;  il  a  vivement  manifesté  sa  satisfaction.  —  Une  autre 
personne  fort  heureuse  fut  M'"^  Suzanne,  le  gentil  Loys  de  Grisélidis,  à  qui 
son  directeur  fit  cadeau  d'une  superbe  poupée.  «  Merci,  m'sieu  Carré  1  »  s'est 
écriée  avec  conviction  l'artiste  minuscule,  pas  intimidée  pour  un  liard,  du 
reste.  —  Et  puisque  nous  sommes  à  l'Opéra-Gomique,  restons-y,  la  maison 
est  bonne.  Dans  le  courant  de  janvier  sera  donnée  la  première  représentation 
de  la  Troupe  Jolicœur,  le  nouvel  ouvrage  de  M.  Arthur  Goquard,  d'après  une 
nouvelle  d'Henri  Gain.  C'est  alors  que  M.  Albert  Carré  donnera  suite  à  un 
projet  longtemps  caressé  :  la  mise  à  l'étude  de  Péléas  et  Mélisande,  de  M.  De- 
bussy, sur  le  livret  de  Maeterlinck.  Il  y  aura  là  un  travail  considérable,  tant 
par  l'importance  de  l'œuvre  que  par  le  soin  qu'elle  exige,  cela  demandera  de 
nombreuses  répétitions,  une  mise  en  scène  longue,  délicate  et  minutieuse,  et 
jusqu'ici  le  directeur  de  l'Opéra-Comique  n'avait  pu  trouver  le  temps  néces- 
saire pour  mener  la  chose  à  bien.  Or,  voilà  qu'aujourd'hui  l'énorme  succès  de 
Grisélidis,  la  grande  faveur  dont  jouit  le  répertoire  courant,  la  représentation 
prochaine  de  la  Troupe  Jolicœur,  sur  laquelle  il  compte  beaucoup,  bref,  une 
situation  générale  très  prospère  vont  permettre  à  M.  Albert  Carré  de  s'atte- 
ler en  toute  quiétude  à  la  pièce  de  M.  Debussy,  qui  demandera  deux  à  trois 
mois  de  répétitions.  Ce  travail  de  longue  haleine  est  indispensable,  non  seu- 
lement parce  que  l'œuvre  est  d'un  jeune  compositeur  qui  a   déjà  marqué 


LE  MENESTREL 


415 


supérieurement  sa  place  dans  le  monde  musical,  mais  encore  parce  qu'elle  ne 
comporte  pas  moins  de  quinze  tableaux.  L'interprétation  de  Péléas  et  Mélisande 
est  ainsi  arrêtée  : 

Péléas  MM.  Jean  Perler, 

Golaud  Dufranne, 

Arkel  Vieulle, 

Un  médecin  Viguié, 

Mélisande  M»"  Garden, 

Geneviève  Gerville-Réache. 

Reste  à  distribuer  un  très  important  rôle  d'enfant,  pour  lequel  le  directeur 
de  l'Opérà-Comique  cherche  un  petit  prodige,  garçon  ou  fille,  de  onze  à 
douze  ans. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra-Gomique  :  en  mâtiné  e,  la 
Basoche  et  Javottc:  le  soir,  Manon,  dont  ce  sera  la  quatre  centième  représen- 
tation. 

—  M.  Gustave  Charpentier  a  quitté  Paris  cette  semaine,  se  rendant  à  H  am- 
bourg  pour  les  dernières  répétitions  de  Louise,  dont  la  première  représentation 
est  annoncée  pour  le  3  janvier.  Il  devra  ensuite  faire  un  véritable  tour  d'Al- 
lemagne pour  suivre  sa  partition  à  Leipzig,  à  Berlin,  à  Cologne,  à  Wiesba- 
den,  à  Elberfeld,  à  Nuremberg,  à  Heidelberg,  etc.,  etc.,  où  l'œuvre  va  être 
représentée  tour  à  tour. 

—  L'année  1902  va  s'ouvrir  par  une  tentative  très  importante  de  décentra- 
lisation à  Marseille.  Le  Grand-Théâtre  de  cette  ville  va  donner  eu  effet,  le  ven- 
dredi 3  janvier,  la  première  représentation  d'un  grand  ouvrage  inédit,  la 
Belle  au  bois  dormant,  féerie  lyrique  en  quatre  actes  et  dix  tableaux,  paroles 
de  MM.  Michel  Carré  et  Paul  Collin,  musique  de  M.  Charles  Silver,  dont  le 
rôle  principal  est  confié  à  M""=  Bréjean-Silver.  La  presse  parisienne  est  invitée 
à  cette  solennité.  Ajoutons,  puisqu'il  est  question  de  Marseille,  que  c'est 
M.  Joël  Fabre,  chanteur  bien  connu  en  province,  qui  est  appelé  à  succéder  à 
M.  Albert  Vizentini  comme  directeur  artistique  du  Grand-Théâtre. 

—  De  Lyon  :  Le  Conservatoire  de  musique  a  reçu  son  nouveau  directeur. 
M.  Augustin  Savard  a  été  installé  cette  semaine  à  la  tête  dj  notre  école  lyon- 
naise de  musique.  Fils  du  célèbre  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire 
de  Paris,  lui-même  pri.x  d'harmonie  et  de  fugue,  grand  Prix  de  Rome  en 
1886,  M.  Augustin  Savard  est  un  compositeur  du  plus  grand  mérite.  On  peut 
citer  de  lui  une  Symphonie  en  trois  parties,  un  quatuor  à  cordes,  une  ouver- 
ture pour  le  Roi  Lear,  exécutée  l'an  dernier  aux  Concerts-Lamoureux.  Les 
qualités  d'homme  et  d'artiste  de  M.  Savard  trouveront  à  Lyon  de  nombreu- 
ses sympathies  qui  lui  faciliteront,  espérons- le,  la  lourde  tâche  qu'il  a 
assumée.  J.  J- 

—  Nous  disions  dimanche  dernier  le  beau  succès  remporté  par  Louise  au 
Grand-Théâtre  de  Lyon.  Cette  semaine,  nous  devons  encore  enregistrer  deux 
nouvelles  réussites  pour  l'œuvre  de  Charpentier  :  A  Bordeaux  d'abord,  où  le 
directeur  Frédéric  Boyer  a  fait  des  'merveilles  de  mise  en  scène.  Ovations 
répétées  pour  les  interprètes.  M""  Mary  Boyer,  remarquable  dans  le  rôle  de 
Louise,  M™»  Hendrick,  MM.  Flachat  et  Artus.  Le  compositeur,  réclamé  par 
toute  la  salle,  dut  paraître  au  troisième  acte  et  à  la  fin  de  la  représentation. 
M.  Domergue  de  La  Chaussée  dirigeait  l'orchestre  avec  sa  maîtrise  accoutu- 
mée. —  Le  second  succès  a  été  pour  Montpellier,  où,  encore,  le  compositeur 
a  rencontré  un  accueil  vraiment  triomphal. 

—  On  lit  dans  la  Gironde,  de  Bordeaux  :  «.  Nous  avons  été  ravis  de  réentendre 
M°"*  Glotilde  Kleeberg,  l'exquise  pianiste.  Il  n'y  a  plus  à  faire  l'éloge  de  ce 
talent  si  complet  et  si  pur.  M""  Kleeberg  est  des  nôtres  depuis  longtemps,  et 
l'applaudir  est  pour  les  Bordelais  une  habitude  qui  leur  est  particulière- 
ment agréable.  Ils  l'ont  prouvé  en  ne  se  lassant  pas  de  rappeler  la  grande 
artiste,  surtout  dans  le  -i'  concerto  et  les  airs  de  ballet  de  Saint-Saëns,  les 
Abeilles,  de  Th.  Dubois  et  Des  Ailes  de  Godard,  qu'elle  a  admirablement  exé- 
cutés. » 


—  De  Renues  :  Le  deuxième  concert-Carboni  a  valu  tout  un  succès  au 
baryton  Durand  dans  un  air  de  Grisélidis  de  M.  Massenet  et  dans  l'intermède 
de  la  Nativité  de  M.  Henri  Maréchal  ;  l'orchestre  s'est  fait  très  applaudir  dans 
le  Prélude  des  Barbares  de  M.  Saint-Saëns,  ainsi  qu'avec  de  jolies  pages  de 
MM.  E.Lefèvre  et  G.  Sporck.  Parmi  les  solistes  citons  M""  Delcourt,  har- 
piste, et  M.  Montecchi,  violoncelliste,  qui  ont  soulevé  l'enthousiasme  d'un 
public  nombreux. 

—  Le  Havre.  —  La  Société  Sainte-Cécile  a  donné,  avec  le  plus  grand  succès, 
son  premier  concert  de  la  saison,  dont  le  morceau  de  résistance  était  le  heau 
drame  lyrique  de  M.  Charles  Lefebvre,  Eloa,  chanté  d'une  façon  remarquable 
par  M"™  L...  et  M...  et  MM.  Boucrel  et  Castrix,  et  qui  a  valu  à  l'auteur  une 
véritable  ovation.  Son  triomphe  a  été  complet,  l'exécution,  dirigée  par 
M.  Cifolelli,  ayant  été  excellente.  Avec  cette  œuvre  importante,  le  pro- 
gramme comportait  l'ouverture  de  Coriolan,  de  Beethoven,  l'air  à'Hérodiade, 
de  Massenet,  et  les  Gars  d'Irlande,  d'Augusta  Holmes,  par  M.  Boucrel,  le  Nil, 
de  Xavier  Leroux,  par  M"''  L...,  le  prélude  à'Axel,  d'Alexandre  Georges,  et 
les  Pâques  citadines,  d'André  Caplet. 

Soirées  ET  Concerts.  —  Intéressante  audition  d'élèves  chez  M""  Sénar.  Les  chœurs  d'en- 
fants et  de  jeunes  iilles  ont  joliment  chanté  les  adaptations  que  M.  Maurice  Bouchor  a 
faites  pour  ses  exquis  Contes  de  fées;  on  a  remarqué,  dans  les  solî,  les  voix  de  M""^  Le- 
villy  et  Schaetzlé.  M.  Maurice  Bouchor  a  eu  gros  succès  avec  une  charmante  causerie.  — 
La  Congolaise  vient  de  donner  une  agréable  soirée  ;  le  clou  du  programme  a  été  la  Timide 
berceuse  d'Esteban  Marti,  chantée  par  M"°  de  Lafory  et  accompagnée  par  l'auteur.  —  Au- 
dition extrêmement  brillante  des  élèves  de  M""  Colonne,  salle  Pleyel.  Cela  vous  avait 
toutes  les  alUires  d'un  charmant  concert  et  on  a  vigoureusement  applaudi,  outre  l'excel- 
lent professeur,  M"^^  .Jeannne  N.  (air  du  Cid,  Massenet),  Suzanne  R.  (air  du  livre  et  air 
de  la  folie  d'IIamlet,  A.  Thomas),  Julie  C.  (air  de  Marie- Magdeteine,  Jlassenet),  .Alice  V. 
(Mijrto,  Delibes),  Gita  de  \V.  {Si  mes  vers  avaient  des  ailes,  Hahn)  et  M.  Georges  Dantu 
(air  de  Sapho,  ilassenet).  Le  piano  d'accompagnement  était  très  bien  tenu  par  M"°  Ga- 
brielle  Donnay.  —  A  l'Oratoire  de  Saint-Philippe  de  Néris,  à  Neuilly,  messe  de  minuit  en 
musique  au  cours  de  laquelle  W"  JuHe  Bressoles  a  fait  entendre  ses  élèves,  qui  ont  pro- 
duit grande  impression  dans  des  Noëls  de  Weckerlin  et  de  Julien  Tiersot.  —  Très  intéres- 
sante audition  des  élèves  de  M"°  de  la  Bonnetière,  sous  la  présidence  de  M.  Théodore 
Dubois,  qui  a  félicité  le  professeur  et  les  exécutants.  Le  programme  était  entièrement  con- 
sacré aux  œuvres  de  M.  Théodore  Dubois. 

NÉCROLOGIE 
Toute  la  presse,  tout  le  Paris  qui  écrit  et  qui  lit  a  été  douloureusement 
impressionné,  mercredi  dernier,  par  la  nouvelle  de  la  mort  presque  subite 
d'un  de  nos  maîtres,  Henry  Fouquier,  critique  pénétrant  et  sagace,  chroni- 
queur plein  de  grâce  et  de  savoir,  l'un  des  journalistes  les  plus  éminents  de 
ce  temps  et,  par-dessus  tout,  galant  homme  et  écrivain  de  bonne  compagnie — 
cette  dernière  qualité  devenant  plus  rare  de  jour  en  jour,  avec  les  coutumes 
de  polémique  sauvage  qui  se  sont  introduites  dans  la  presse.  Ce  n'est  pas  ici, 
la  place  nous  manquerait,  que  nous  pouvons  rappeler  les  brillants  états  de 
service  du  publiciste  remarquable  qui  vient  de  disparaître  d'une  façon  si 
inattendue;  mais  nous  pouvons  du  moins,  et  nous  le  faisons  avec  sincérité, 
rendre  l'hommage  qu'il  mérite  à  un  écrivain  d'un  talent  hors  de  pair  et  qui 
fut,  on  peut  le  dire  bien  haut,  l'honneur  de  notre  profession.  A.  P. 

—  La  semaine  a  été  cruelle,  et  les  deuils  se  sont  accumulés  en  ces  derniers 
jours.  Nous  avons  à  annoncer  la  mort  de  M"*  Emmanuel  Chabrier,  la  veuve 
du  brillant  compositeur  d'Espana,  de  Gwendoline  et  du  Roi  malgré  lui,  et  celle 
de  M""  Samuel  Rousseau,  femme  de  l'excellent  professeur  au  Conservatoire, 
l'auteur  de  Meroioig  et  de  la  Cloclie  du  Rhin.  M"""  Samuel  Rousseau  n'était 
âgée  que  de  4o  ans. 

—  On  annonce  de  Londres  la  mort  de  l'organiste  Edwiu  Barnes,  qui  cumu- 
lait, à  l'église  de  la  Trinité,  ces  fonctions  avec  celles  de  maître  de  chapelle, 
et  qui  fut  pendant  quarante-cinq  ans  professeur  de  musique  à  l'Institut  des 
Aveugles  de  Saint- John- Wood. 

Ht.XRi  Heugel,  directeur-gérant. 


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pour  voix  de  soprano,  de  contralto,  de  ténor  et  de  baryton 

AVEC    ACCOMPAGNEMENT    DE    PIANO 

T>oèmes    de   IVIAïtC    XjEGïtAIVX»    (d'après    Ited^vitz) 


I.  TRIO  (soprano,  contralto  et  ténor)  :  0  bon  ■printemps. 

II.  DUO  (soprano  et  contralto)  :  Oiseau  des  bois. 

III.  QUATUOR  (soprano,  contralto,  ténor,  baryton)  :  Chères  fleurs. 

IV.  TRIO  (soprano,  contralto,  ténor)  :  0  ruisseau. 

V.  QUATUOR  (soprano,  contralto,  ténor,  baryton)  :  Chantez. 


Mu3ique  de 


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THEODORE  DUBOIS 


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1.  Les  Oiseaux 4 

2.  Roses  et  Papillons 4 

3.  Les  petites  visites 3 


4.  Gouttes  de  pluie 5 

5.  Les  petits  canards S 

6.  La  première  étoile 4 


Le  recueil,  prix  net 5  fr. 


Du  même  auteur  :  Impromptu,  dédié  à  Francis  Planté.    .    .     7  fr.  50  e. 


416 


LE  MÉNESTREL 


Un  vente  :   Au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienue,  HEUGEL  et  C'%  Éditeurs 


ETRENNES  MUSICALES  190 


O 


LES    VIEUX    MAITRES 

12  transcriptions  pour  piano  par 
LOUIS    DIÉMER 

RÉPEnrOIRE   DE  LA   SOCIÉTÉ   DES   INSTRUMENTS  ANCIENS 

Joli  recueil  artistique,  sur  papier  à  la  cuve,  net  :  5  francs 


ANNEE  PASSÉE 

12    pièces    caractéristiques    par 
J.    MASSENET 

POUR  PIANO  A  4  MAINS 

Joli   recueil  grand  in-8%  net  :  10  francs. 


PENSEES    FUGITIVES 

P  0  U  R   P  I  A  N  0    P  A  R 

A.    DE    CASTILLON 

Vingt-quatre  numéros 

une    élégante    édition,    net    :    7    franc: 


LA    CHANSOE"    DES    JOUJOUX 

F*oésies    de    JULES    JOTJY.    —    ]VIu.si<iue    de    CL.     BLAIVC    et    L.    DAXJFHIN 

Vingt  pktites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
Un  volume  richement  relié,  fers  de  J.  Chéret  (dorure  sur  tranches).  —  Prix  net:   1  O  francs. 


LES  PERLES  DE  LA  DANSE 

cinquante  transcriptions  mignonnes 
sur  le  célèbre  répertoire 

dOlivier  MÉTRA 

PAR 

T».       -W.A.CHS 

Le  recueil  broché, net:  10  fr,—  Kichement  relié,  net:  15  fr. 


LES  SILHOUETTES 

VINGT-CINQ    PETITES    FANTAISIES-TRANSCRIPTIONS 

SUR   LES   OPÉRAS,   OPÉRETTES   ET   BALLETS 

EN  VOGUE 

PAR 


LES    MINIATURES 


QUATRE-VINGTS  PETITES  TRANSCRIPTIONS   TRÈS    FACILES 

SUR   LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,   MÉLODIES   ET   DANSES   CÉLÈBRES. 

CLASSIQUES,   ETC., 

PAR 


Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  —  Richement  relié,  net:  25  fr.  ^  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  — Richement  relié,  net:  25  fr. 


£dition  de  luxe,  tirée  à  100  exemplaires 
d'acte,  par  PAUL  AVRIL,  tirage 

MÉLODIES  DE  J.  MASSEIET 

5   volumes  in-8°  (2  tons) 

CONTENANT   CHACUN   VINGT   MÉLODIES 

Ch.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr. 


MANON,    OPÉRA  EN  4  ACTES  DE   J.    MASSENET 


papier  de  Hollande,  format  grand  in-4°,  avec  7  eaux-fortes  hors  texte  et  8  illustrations  en  tête 
taille-douce,  à  grandes  marges,  encadrement  couleur,  livraison  en  feuilles,  net:  100  francs. 


DAISES  DES  STRAÏÏSS  DE  TIElfM 

5  volumes  in-b°  contenant  100  danses  choisies 

BEAUX    PORTRAITS    DES  AUTEURS 


Gh.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr.  ^ 


LES  PETITS  DANSEURS 

Album  cartonné  contenant  25  danses  faciles  de 
JOHANN    STRAUSS,    FAHRBACH,  OFFENBACH,   HERVÉ,   ETC. 
Couverture-aquarelle  de  FirniinBouisset,  net:  10  fr. 


I*oèiiies 


irgili 


TIIi:or>OR.E     I>tJBOIS. 


os    Syl'^'^ostres,  net:  8  fr. 


LES  CHANSOÎ^S  DU  CHAT  ÎTOIR  DE  MAC-I^AB 

Chansons  populaires  illustrées  de  cent  dessins  humoristiques,  par  H.  GERBAULT.  —  Deux  volumes  brochés,  chacun,  prix  net:  6  fr. 


4S1EL.  Chansons  d'Aïeules  (illuslrations) net. 

CflAMINADE.  Mélodies,  recueil  (2  tons) net. 

P.  EELMET.  Chansons,  2  vol.  (illustrés) chaque  net. 

A.  HOLMES.  Contes  de  fées  (10  n°^) i*«t. 

J.  FAURE.  Mélodies,  4  vol.  chaque  (20  n'is) net. 

lÉO  DEUBES.  Mélodies,  2  vol.  in-S" chaque  net. 

G.  CBARPEMIER.  Poèmes  chantés,  1  vol.  (2  tons) net. 


10 


J.  TIERSOT.  Noëls  français  (20  n») net.  8 

A.RUBINSTEffl.  Lieder'à2  voi.'cClSD»*) net.  10 

REÏNALDO  HAHN.  Yingt  mélodies.  1  vol.  in-S" ntt.  10 

ED.  GRIEG.  Chansons  d'Enfants net.  5 

J.-B.  WECKERLIN.  Bergerettes  du  XVIII' siècle net.  5 

J.-B.,'WECRERLI«I.  Pastourelles  du  XVIIP  siècle net.  5 

A.  PÉBILHOU.  Chants  de  France,  vieilles  chansons net.  5 


LES  SOIRÉES  DE  PÉTERSBOURG,  30  danses  choisies,  i'  volume.  -  PH.   FAHRBACH.   -  LES  SOIRÉES  DE  LONDRES,  30  rtauses  choisies,  b"  volume, 

JOSEPH    GtJNG'L.  —  Célètores    danses    en    5    volumes    in-8».     Ch.    volume  broché,  net  -   10  fr;  richement  relié  ;    IS  fr. 

OIjTVIER,    JMÉTRA.      —    C61èlbres    danses    en    3    vol.    in-S',    chaque   ;    net    lO     fiancs.    —    OLIVIER    MÉTHA 

STRAUSS  DE  PARIS,  célèbre  répertoire  des  Bals  de  l'Opéra,  2  volumes  brochés  in-8".  Chaque,  prix  net  :  8  fr.  (Chaque  volume  contient  25  danses). 


CE3 livres    célèbres    transcrites    pour    piano,    soigneusement    d-Oigtées    et    accentuées    par 

aEORaES     BIZET 

1.    LES    MAITRES    FRANÇAIS  '9  2.  LES   MAITRES    ITALIENS  |        3.   LES    MAITRES   ALLEMANDS 

5U  transcriptions  en  2  vol.  g"*  in-4°  ]  50  transcriptions  en  2  vol.  g''  in-4°  î  ■'iO  transcriptions  en  2  vol.  g"*  in-i" 

Chaque  vol.  broché,  net:  15  francs.  —  Relié  :  20  francs.  4  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs,  é  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs. —  Relié:  20  francs. 


GUSTAVE     OHArtr-EIVTIER,   Impross 


net  :  6  f  r. 


F.   CHOPIN 


Œuvres  choisies,  en  5  volumes  iii-8° 

Broché,  net  :  25  fr.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  reliée  en  3  volumes,  net  :  37  francs. 


BEKTHOVKN 

Œuvres   choisies,    en  i  volumes  in-8° 

Broché,  net  :  20  fr.  Relié  :  36  fr. 

Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  28  francs. 


W.  MOZART 


Œuvres   choisies,  en  4  volumes   in-8" 

Broché,  net  :  20  fr.  Relié  :  36  fr. 

Même  édition,  reliée  eu  2  volumes,  net  :  28  francs. 


CLEMKNTI 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-S" 

Broché,  net  :  10  fr.  Relié  :  18  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  14  francs. 


HAYDN 

Œuvres  choisies,   en  2  volumes  in-8° 

Broché,  net  :  10  fr.  Relié  :  18  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  14  francs. 


HUMMEL 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  iu-8» 

Broché,  net  :  10  fr.  Relié  :  18  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :   14  francs. 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

GRISËLIDIS,  CENDRILLON,  LOUISE,  PRINCESSE  D'AUBERGE,  PHEDRE,  LA  TERRE  PROMISE,  MIGNON,  HAMLET,  LAKMÉ,  MANON, 
"WERTHER,  SAPHO,  ANDRÉ  CHÊNIER,  XAVIÉRE,  PAUL  ET  VIRGINIE,  SIGURD,  LE  ROI  D'TS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  LE  PORTRAIT 
DE  MANON.  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  DON  JUAN,  HÉRODIADE,  FAUST,  CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  LA 
DIT,  SYLVIA,  COPPÉLIA,  LA  KORRIGANE,  MILENKA,  YEDDA,  CONTE  D'A'V  RIL,  CAVALLERIA  RUSTICANA,  ESCLARMONDE,  MARIE- 
MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LE  CAID,  LE  PAPA  DE  FRANCINE,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  etc.,  etc. 


BOSTON  PUBUCUBRARY 

3  9999  06607  703  1 


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