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JOUENAL
MONDE MUSICAL
MUSIQUE ET THÉATEES
67"= ANNÉE — 1901
BUREAUX DU MENESTREL : 2 bis, RUE VIVIENNE, PARIS
HEUGEL et C'^ Editeurs
TABLE
JOUENAL LE MS]Î^E8TKEL
67<= ANNÉE — 1901
TEXTE ET MUSIQUE
IV" 1. — 6 janvier 1901. — Pages 1 à 8.
1. Peintres mélomanes (9" ai-licle) : Vapothéose de .Mozart et
le violon d'Ingres, Raymond Bouyer, — II. Le théâtre et
les spectacles à l'Exposition {13" article) : la rue de Paris,
Arthur Pougin. — III. Ethnographie musicale, notes prises
à l'Exposition (13* article) : la musique chinoise et indo-
chinoise, Julien Tiersot. — IV. Re\'ue des grands concerls.
— Y. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore E<ack.
Valse pimpante.
X" 2. —13 janvier 1901. — Pages 9 à 16.
I. Peintres mélomanes (10" article) : la musique peinte,
Raymokd Bouyer. — II. Semaine théâtrale : premières
représentations du Bon Juge au Vaudeville et du Covp
de fouet aux Nouveautés, Maurice Froyez ; première repré-
sentation du Bon Pasteuj-au Théâtre-Cluny, H. JI.; reprise
de (a Mascotte à la Gaité, 0. Bn. — 111. Ethnographie
musicale, notes prises à FExpoaition (14» article) : la mu-
sique chinoise et indo-chinoise, Julien Tiersot. —IV. Le
théâtre et les spectacles à l'Exposition (14° article) : la rue
de Paris, Arthur Pougin. — V. Revue des grands con-
certs. — VI. Nouvelles diverses, concei-ts et nécrologie.
Chant. — J. Massenet.
Ce que disenl les cloches.
M» 3. — 20 janvier 1901. — Pages 17 à 24.
1. Peintres mélomanes (11" article) : Lithographies musicales,
Raymond Bouyer. — II. Le théâtre et les spectacles à VEx-
position (15' article) : la rue de Paris, Arthur Pougin.
— III. Ethnographie musicale, notes prises à TExposi-
tion (15*= article) : la musique chinoise et indo-chinoise,
Julien Tiersot. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
PfANO. — Théodore Dubois.
Prcludio paletico.
1^" 4. — 27 janvier 1901. — Pages 25 à 32.
I. Verdi, par Arthur Pougin. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations de 3r«mo(/rau Palais-Royal et
d'jErnfêieàrAthénée,PAUL-EMiLE Chevalier. — III. Ethno-
graphie musicale, notes prises à TExposition (18° article):
la musique chinoise et indo-chinoise, Julien Tiersot. —
IV. Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (16" article) :
la rue de Paris, Arthur Pougin. — V. La reine Victoria
et Félix Mendelssohn, J. T. — VI. Revue des grands con-
certs. — VII. Nouvelles diverses et concerts.
Chant. — Théodore Dubois.
Au bord de l'eau fn" 3 des Vaines tendresses).
]%" 5,-3 février 1901. — Pages 33 à 40.
I. Peintres mélomanes (12" article) : d'après Beethoven,
Raymond Bouyer. — ÏI. Semaine théâtrale : première
représentation de les Bouges et les Blancs k la Porte-Saint-
Martin, 0. Berggroen; première représentation de la
Cavalière au théâtre Sarah-Bernhardt, Paul-Emile Che-
valier. — III. Verdi, sa mort, ses funérailles, Arthur
Pougin. — IV. La reine Victoria et les musiciens allemands,
0. Berggruen. — Y. Revue des grands concerts. — VI. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore L<ack.
La Romaïlca.
%o 6. — 10 lévrier 1901. — Pages 41 à 48.
1. Peintres mélomanes (13° article) : Autour de Bayreulh,'
Raymond Bouyer. — II. Le théâtre et les spectacles à
l'Exposition (^17' article) : la rue de Paris, Arthur Pougin.
— III. Verdi, notes et souvenirs, A. P. — IV. Revue des
grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerls et
nécrologie.
Chant. — A. Périlhou.
Complainte de saint Nicolas (n" 4 des Chants de France),
W ■?. — 17 février 1901. — Pages 49 à 56.
I. Peintres mélomanes (14" article) : Silhouettes contem-
poraines, Raymond Bouyer. — H. Semaine théâtrale :
première représentation d'Astarlé à l'Opéra, Arthur Pou-
gin; première représentation du Domaine au Gymnase,
Maurice Froyez. — III. Le Tour de France en musique :
Chansons tourangelles, Edmond Neukomm. — IV. Revue
des grands concerls. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.
Preludio Saltarello.
W 8. — 24 février 1901 . — Pages 57 à Gî.
I. Peintres mélomanes (15" et dernier article) : Musique des-
criptive et peinture musicale, Raymond Bouyer. —
II. Semaine théâtrale : première représentation de la
Fille de Tabarin à l'Opéra-Comiquc, Arthur Pougin. —
III. Le théâtre et les spectacles à 1 Exposition (18" article),
Arthur Pougin. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — tï. Massenet*
On dit.
X" 9.-3 mars 1901. — Pages 65 à 72.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (1""^ ar-
ticle), P.YUL d'Estrées. — II. Semaine théâtrale : première
représentation de Pour être aimé à l'Athénée, Paul-Émile
Chevalier ; première représentation du Liseronk la Renais-
sance, 0. Bn. — III. Le théâtre et les spectacles à l'Expo-
sition (19° article), Arthur Pougin. — I V . Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — J. Alasseuet,
Simple phrase.
i\» 10. — 10 mars 1901. — Pages 73 à 80.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(2'' article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de Charlotte Corday à l'Opéra-
Populaire, Arthur Pougin ; première représentation des
Travaux d'Hercute aux Bouffbs-Parisiens, Paul-Émile
Chevalier. — III. Le théâtre et les spectacles à l'Exposi-
tion (20" article), Arthur Pougin. — IV. Le Tour de France
en musique; Bourgogne : les temps héroïques, Edmond
Neukomm. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — ThOodore Dubois.
Enfantillage (n" 4 des Vaines tendresses}.
X° 11. — 17 mars 1901. — Pages 81 à 88.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(3° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine tliéâtrale :
reprise de Mireille à l'Opéra-Comique, Arthur Pougin;
reprise de Patrie à la Comédie- Française, H. Moreno;
première représentation des Aînants de Sasy au Gymnase,
Paul-Émile Chevalier. — III. Le théâtre et les spectacles
à l'Exposition (21= article), Arthur Pougin. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — Théodore Liack.
Danse galicienne.
JV» 12. —24 mars 1901.
Pag
ï. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(4" article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations de Quo Vadis? à la Porte-Saint-
Martin, de ta Pente douce au Vaudeville et de l'Écriteau
au théâtre Cluny, Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâ-
tre et les spectacles à l'Exposition (22' article), Arthur
Pougin, — IV. Revue des grands concerls. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — A. Périlhon.
Pastorale du XVII" siècle (n" 5 des Chants de France).
I\" 13. — 31
1901.
ges 97 à 104.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(5" article), Paul d'Estrées. — II. Le théâtre et les ppec-
tacles ù l'Exposition (23° article), Arthur Pougin. — III. Le
Tour de France en musique; Bourgogne : les temps héroï-
ques (suite), Edmond Neukomm. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — A. Périlhou.
Pastorale du XVIP siècle.
!%" 14.
7 avril 1901. — Pages 105 à 112
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(6*^ article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premiére^.rÇpoê^eE"(nt!r>iis ti'^iCnpHaihs ThétèSê'A'^aG^'ïlé,
delà reinC.'aûx'.VaïMél '^ v\ Oc S'in-p'LX'ontie-TîiM liilâ's-
Royal, PAUl-EstitE Cii ^ \i.n n, lil. •l.'.i^nlir'i'itr^e* et les
spectacles à l'Exposiiioa 'liV ;niMli';.. Arthur Pougin. —
IV. Revue des grands o^inccds.; — V.-51'^uVelles diverses,
concerts et nécrologie. " ■ ' ' ""'
'•' : -.•Aifirii^çsi*<i4i^uteux','*J \ : ; ■ '"
IV" 15. — 14 avril 1901. — Pages 113 à 120.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(7° article), Paul d'Estrées. — 11. Bulletin théâtral : pre-
mière représeniation de Ghetto et de Modem style aux
Escholiers, Paul-Emile Chevalier; reprise de Durand et
Durand et première représentiition des Idées de M. Coton
à la Renaissance, 0. Bn. — III. Le théâtre et les spec-
tacles à l'Exposition {25« article), Arthur Pougin. — IV. Le
four de France en musique : Les Noëls de La Monnoye,
Edmond Neukomm. — V. Petites notes sans portée : Résur-
rection de la musique, Raymond Bouyer. — VI. Revue
des grands concerts. — Vil. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — Louis liacombe.
Menuet m" 10 des Na'ives).
1%" 16. — 21 avril 1901. — Pages 121 à 128.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(8" article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations de Pour l'amour/ â l'Odéon,
de la Course du flambeau au Vaudeville, de la Joie du
talion et de SO.OOO dmes au Gymnase, Paul-Emile Cheva-
lier. — III. Le théâtre et les spectacles à TExposition
(26" et dernier article), Arthur Pougin. — IV. Le Tour
de France en musique : la Suehe, Edmond Neukomm. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Reyuaido Ilahn.
Quand la nuit n'est pas etoilce.
]\" 17. — 28 avril 1901. — Pages 129 à 136.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(9" article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
première représentation du Boi de Paris à POpéra, Ar-
thur Pougin; premières représentations du VÉrtige à
l'Athénée, de la Petite fonctionnaire aux Nouveautés, de
la Dame du commissaire au Théâtre-Cluny, Paul-Emile
Chevalier. — III. La musique et le théâtre aux Salons
du Grand-Palais (1" article), Camille Le Senne. — IV, Re-
vue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et con-
certs.
Piano. — Paul 'W^achs.
Le Baptême d'Yvonnettc.
I¥- 1 8. — 5 mai 1901. — Pages 137 à 144.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(10" article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de l'Ouragan à l'Opéra-Comi-
que, Arthur Pougin; reprise du Tour du Monde au Chfi-
telet, P.-E. C. — III. La musique et le théâtre aux Salons
du Grand-Palais (2° article), Camille Le Senne. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrobgie.
Chant. — A. Périlhou.
Brunette (1703) (n" 7 des Chants de France),
]\'- 19. — 12 mai 1901. — Pages 145 à 152.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(11° article), Paul d'Estrées. — IL Bulletin théâtral :
première représentation de Ma fée! à l'Odéon, Paul-Emile
Chevalier. — III. La musique et le théâtre aux Salons du
Grand-Palais (3" article), Camille Le Senne. — IV. Le
nouveau Conservatoire de Moscou, Ch.-M. Widor. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — ILouis I^acombe.
Souvenir m" 9 des Naives\.
li" 20. — 19 mai 1901. — Pages 153 à 160.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(12*' article), Paul d'Estrées. — II. La musique et le théâ-
tre aux Salons du Grand-Palais (4'' article), Camille Le
Senne. — III. Petites notes sans portée : les enseigne-
ments de la saison, Raymond Bouyer. — IV. Nouvelles di-
verses, concerts et nécrologie.
Chant. — «I. Hlassenet.
Au très aimé.
iX" 21 . — 26 mai 1901. — Pages 161 à 168.
I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles
(13" article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations du Presse au Gymnase et de
la Pipe à la Renaissance, Paul-Emile Chevalier. — llI.La
musique et le théâtre aux Salons du Grand-Palais {b' ar-
ticle), Camille Le Senne. — IV. Le Tour de France en
musique: le parrain Biaise, Edmond Neukomm. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Krnest niorct.
Impression de Neige i tirée du Poèmv du silence),
X" 22. — 2 juin ISOl. — Pages 169 à 176.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
114"» article), Paul d'Estrées. — II. Bulletin théâtral :
première représentation tle Pour le monde, ù l'Athénée,
Paul-Emile Chevalier. — 111. La musique et le théâtre
aux Suions du Grand-Palaîs (6" article), Camille Le Senne.
— IV. Le Tour de France en musique : musique d'église
et de ville, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diversesj
concerts et nécrologie.
Chant. — Eruest Xloret.
Rêverie m" 3 du Poème du silence).
:\- 33. — 9 juin 1901. — Pages 177 à 184.
I, L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(15" article), Paul d'Estrées. — II. La musique et le
théâtre aux Salons du Grand-Palais (7" article), Camille
Le Senne. — m. Le Tour de France en musique: musique
d'église et de ville, Edmond Neukomm. — IV. Pensées et
Aphorismes d'Antoine Rubinstein. — V. Nouvelles diverses,
concerls et nécrologie.
Piano. — A. Périlhou.
Promena le.
X' 24. — 10 juin 19Û1. — Pages 185 à 192.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis Jeux siècles
(IB" article), I'acl d'Esthées. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations de Conte de fée et de l'Ile heu-
reuse, au théâtre des Escholiers, Paul-Emile Chevalier.
— III. La musique et le théâtre aux Salons du Grand-
Palais (8° article), Camille Le Senne. — IV. Petites noies
sans portée : Bourses de voyages wagnériennes, Ravmond
BouYEB. — V. Le Tour de France en musique : la fête de
l'une, Edmond Neuromm. — VI. Nouvelles diverses et con-
certs.
Chant. — Kejiialdo Ilahu.
La Chère blessure.
K' 25. — 23 juin 1901. - Pages 193 à 200.
I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles
(17' article), Paul n'EsTnÉES. — II. Bulletin théâtral :
l'Auierge du Tohu-Bohu à la Gaité, P.-E. C. — III. La
musique et le tliéiUi-e aux Salons du Grand-Palais (9" et
dernier article), Camille Le Senne. — IV. Petites notes
sans portée : Méditation devant Thah, au musée Guimet,
Raymond BouvEn. — V. Pensées et Aphorjsmcs d'Antoine
Rubinslein. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Piano. — Théodore Lack.
Menuel rococo.
X' 20, — 30 juin 1901. — Pages 201 à 208.
I L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(18" article), Paul d'Estoles. — II. Bulletin théâtral :
reprise du Papa de Franeine à Parisiana, P.-E. C. —
III. Petites notes sans portée : Mozart inconnu, Raymond
BouYER. — IV. Le Tour de l'i'ance eu musique : Eho!
Eho! Eho! Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Chant. — Ernest Moret.
Soir d'été in" 2 du Poème du silence).
IV" 2ff. — 7 juillet 1901. — Pages 209 à 216.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(19° article), Paul d'Estrées. — II. Schumann révolu-
tionnaire, O. Bercgruen. — III. Le Tour de France en
musique : Bonum vinum, Edmond Neuromm. — IV. Pen-
sées et Aphorismes d'Antoine Rubinslein.— V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — .V. l*érilliou.
Sons bois.
%• 3S. — 14 juillet 1901. — Pages 217 à 224.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(20" article), Paul d'Estrées. — H. Semaine théâtrale :
premières représentations du Légataire uniuersel et de
ta Saïur de Jocrisse, à l'Opéra-Coinique, Anuiuii Pougin ;
reprises de la Case de l'oncle Tom, à la Porte-Saint-Mar-
lin, et des Provinciales à Paris, à Cluny, Paul-Emile
Chevalier. — 111. Petites notes sans portée : Mozart et
Wagner, Raymond Bouyer. — IV. Le Tour de France en
musique ; En justes nopces, Edmond Neurom^l — V. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Ch.\nt. — A. Périlhou.
hchia.
X' 29. — 21 juillet 1900. — Pages 225 à 232.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(21" article), IPaul d'Estrées. — II. Les Concours du Con-
servatoire, Arthur Pougin. — III. Le Tour de France en
musique : Chansons bressanes, Edmond Neuko.mm. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Charles Slalherbe.
Landler alsaciens iV'-' Suite).
X" 30. — 28 juillet 1901. — Pages 233 à 240.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(22" article), Paul d'Estrées. — II. Les Concours du Con-
servatoire, Arthur Pougin. — 111. Nouvelles direrses et
nécrologie.
Chant. — l'aiil l*uget.
Mes vœux.
1«" 31 . — 4 août 1901. — Pages 241 à 248.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux sièc'es
(23" article), Paul d'Estrées. — II. La distribution des
prix au Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Le Tour de
France en musique : Chansons bressanes ('swife^, Edmond
Neukomm. — IV. Pensées et Aphorismes d'Antoine Ru-
binslein. — V. Nouvelles diverses.
Piano. — Charles Alalherbc.
Landler ahaciens i2" Suite).
X' 32. — 11 ?oùt 1901. — Pages 249 à 256.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(24" article), Paul d'Estrées. ^ H.' Notes d'ethnographie
musicale: la Musique dans l'Inde (1"' article), Julien Tier-
soT. — III. Le Tour de France en musique : le Canut,
Edmond Neuromm. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — •loauui Perronnct.
Les Portraits.
X' 33. — 18 aoiit 1901.— Pages 257 à 264.
I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles
(25e article), Paul d'Estrées. — II. jîulletin théâtral :
reprises de Prête-moi ta femme! et de Joies du foyer, à
Cluny, P.-E. C. — 111. Notes d'ethnographie musicale :
la Musique dans l'Inde (2" article), Julien Tiersot. —
IV. Petites notes sans portée : Une reprise qui s'impose,
Ray.mond Bouyer. — V. .Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — \. Périlhou.
La Fliite et le Luth.
X' 34. — 23 août 1901. — Pages 26:- à 272.
I. L'.Art musical et ses interpixtes depuis deux siècles
(26" article), Paul d'Estrées. — 11. Notes d'ethnographie
musicale: la Alusiquedans l'Inde (3i=article), Julien Tier-
sot. — 111. Petites notes sans portée : une Musicienne,
Raymond Bouyer. — IV. Le Tour de Fi-ance en musique :
la « Vogue « du Cheval fol, Edmond Neukomm. — V. L'i-
nauguration du Théâtre wagnérien de Munich, R. T. —
VI, Nouvelles diverses et nécrologie.
Chart. — I. Phlllpp.
Seule l
X' 33. — 1" septembre 1901. — Pages 273 à 280.
I. L'Art musical et ses inlcrprèles depuis deux siècles
(27« article), Paul d'Estrées. — II. Courte monographie
delà Sonate (1" article), Arthur Pougin. — III. Notes
d'ethnographie musicale ; la Musique dans Flnde (4" ar-
ticle), Julien Tiehsot. — IV. Le Tour de France en mu-
sique ; Guignol, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles di-
verses, concerts et nécrologie.
Piano. — Paul liVacbs.
La Fête des Vignerons.
X' 3G. — 8 septembre 1901. — Pages 281 à 288.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(28' article), Paul d'Estrées. — II. Courte monographie
de la Sonate (2° article), Arthur Pougin. — III. Notes
d'ethnographie Musicale : la musique dans l'Inde (5" ar-
ticle), Julien Tiehsot. — IV. Petites notes sans portée :
La statue de Mozart, Raymond Bouyer. — V. JNouvelles
diverses et nécrologie.
Chant. — Kcynalilo Ilahu.
.1 une étoile.
X' 3Î. — 15 septembre 1901. — Pages 289 à 296.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(29" article), Paul d'Estrées..— II. Bulletin théâtral : pre-
mière repi'ésenlation de l'Elude Tocasson aux Folies-
Dramatiques, A. P. — m. Petites notes sans portée :
Mozart a Paris, Raymono Bouyer. — IV. Le Tour de
France en musique : un Concours académique, Edmond
Neuromm. — V. Courte monographie de la Sonate (3" et
dernier article), Arthur Pougin. — VI. Nouvelles divei-ses,
concerts et nécrologie.
Piano. — A. Périlhou.
'Valse en sourdine.
X' 38. — 22 septembre 1901 . — Pages 297 à 304.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(30° article), Paul d'Estrées. — II. Bulletin théâtral :
Sada Yacco à la Renaissance, A. P. — III. Notes d'ethno
graphie musicale : Quelques mois sur les musiques de
l'Asie centrale ; les chants de FArménie (6° article), Ju-
lien Tiersot. — IV. Pelites notes sans portée : Mozart
et la musique française, R.vymond Bouyer. — V. Le Tour
de France en musique : le Paysan lyonnais, Edmond Neu-
ROM.M. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — iV'ocl Ocsjoj'eauv.
Cloches d'automne.
X' 39. — 29 septembre 1901. — Pages 305 à 312.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(31° article), Paul d'Estrées.— II. Bulletin théâtral : pre-
mière représentation de BichetJe au Palais-Royal, A. P. ;
première représentation du Fils surnaturel au Théâtre-
Cluny, H. M. — III. Petites notes sans portée : Berlioz et
Delacroix à propos de Mozart, Raymond Bouyer — IV. No-
tes d'ethnographie musicale : Quelques mots sur les mu-
siques de FAsie centrale; les chants de l'Arménie (1° ar-
ticle), Julien Tiersot. — V. Pensées et Aphorismes
d'Antoine Rubinslein. — VI. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Piano. — .1. Périlhou.
Chanson à danser.
X' 40. — 6 octobre 1901. - Pages 313 à 320.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(32° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premièi*es représentations de Manoune et à^Bermance a
de la vertu au Gymnase, premières représentations des
Maugars et de Faille route à FOdéon, Maurice Fboyez;
premières représentations de la Vie en voyage iu Vaude-
ville et de l'Instantané aux Bouffes-Parisiens, H. M. —
III. Notes d'ethnographie musicale : Quelques mots sur
les musiques de l'Asie centrale, les chants de l'Arménie
{8° article), Julien Tiersot. — IV. Le Tour de France en
musique : les Jasseries du Forez, Edmond Neuromm. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Liéopold Dauphin.
Le récit de l'Aurore in" 2 des Chansons couleur du temps).
X' 41.-13 octobre 1901. — Pages 321 à 328.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(33° article), Paul d'Estrées. — II. Petites notes sans
portée; La statue de Gluck, musicien franjais, R.iïmond
Bouyer.- III. Le Tour de France en musique : En pays
noir, Edmond Neukojih. — IV. Richard Wagner révolu-
tionnaire, 0. BEnacRUEN. — V. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
Piano. — lleinrîch Slrohl.
Le Diable au corps, polka.
X" 42. — 20 octobre 1901. — Pages 329 à 336.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(34° article), Paul d'Estrées. — H. Semaine théâtrale :
premières représentations du Roi, à la Comédie-Fran-
çaise, et du Soghun, à l'Athénée, Paul-Emile Chevalier:
g' remière représentation du Billet de logement, aux Folies-
ramatiques, A. P.; première représentation de l'Amour
du prochain, aux Bouffes-Parisiens, 0. Bn. — III. Petites
notes sans portée : Schumann critique musical, Raymond
Bouyer. — IV. Le Tour de France en musique : la Reboule,
Edmond Neuromm. — V. Nouvelles diverses.
Chant. — André Messager.
Chanson d'automne.
X' 43. — 27 octobre 1901. — Pages 337 à 344.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(35° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale:
première représentation des Barbares à l'Opéra, Arthur
Pougin; premières représentations de Brignol et sa fille
et de Point de Lendemain à l'Odéon, et du Curé Vincent à
la Gaité, Paul-Emile Chevalier. — III. Petites notes
sans portée : L'art des programmes, Raymond Bouyeh. —
IV. Revue des grands concerts. — Y. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore Eiaek.
ValiC capricnnte.
X' 44. ■
3 novo
1901, — Pages 3'i5 à 352
I. L'Art musinil n -,- ,„( , ', . .;, ,,:, , -.tI^-s
(36" article], I'm l. l.l.-iiui- :. - , ii;ilo :
première rf|iri -tiii.iiiMn .1 ) - ,, \ ,., , ■ iniso
du Voi/ar/e ilr .Sf/,-<v/r ,mi (:l,.ihl,i, iv|,ii.r,l. ,■ l]„ijie
auThéâtre-Déjazet, première rci»n:senLal)nii do lu Bascule
au Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III. Petites notes
sans portée : Le renouvellement des concci-ts, Raymond
Bouyer. — IV. Pensées et Aphorismes d'Anloine Rubins-
lein. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Gabriel Verilalle.
Le Marquis à la Marquise.
X' 4S. — 10 novembre 1901. — Pages 353 â 360.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(37" article), Paul d'Estrées. —.11. Semaine théâtrale :
premières représentations de l'Enigme, à la Comédie-
Française, de le Nez gui remue, aux Bouffes-Parisiens, et
de A nous lu reine, à la Cigale, Paul-Emile Chevalier.
— III. Petites notes sans portée : Souvenirs et évocations,
Raymono Bouyer. — IV. Le Tour de France en musique ;
Cliansons de vignes, Ed:mond Neuromm. — V. Revue des
grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — Théodore Lack.
Scaraniovche, caprice.
X" 46. — 17 novembre 1901. — Pages 361 à 368,
I. L'Art musical et ses interpi-ctes depuis deux siècles
(38" article), Paul d'Estrées. — H. Semaine théâtrale.;
premièi'es représentations du Bon. moyen ! aux Nouveautés,
et de la Pompadour, à la Porte-Saint-Martin, Paul-Emile-
Chevalier. — 111. Les Chansons populaires des Alpes fran-
çaises (l""" article), Julien Tiersot. — IV. Petites notes
sans portée : Où les Parisiens réclament un Gevvandhaus,
RAY.MOND Bouyer. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Camille Erlangc-r.
Berciwe.
X' 4Î . — 24 novembre 1901. — Pages 369 à 376.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(39° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de Grisétidis à l'Opéra-Comîque,
Arthur Pougin ; première i-eprésentation de l'Auréole à
l'Athénée, Paul-Emile Chevalier. — III. Les Chansons
populaires des Alpes françaises (2° article), Julien Tier-
sot. — IV. Petites notes sans portée ; Berlioz vengé par
Flaubert, Raymond Bouyer. — V. Revue des grands con-
certs. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — «ï. Massenet.
Enlr'acle-hlylle (extrait de Grisétidis).
X' 48. — 1°' décembre 1901. — Pages 377 à 384.
I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles
(40° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale:
premières représentations de la Maison et de Hors la loi à
l'Odéon, Paul-Emile Chevalier. — III. Peliles notes sans
portée : le Diable â Paris, Raymond Bouyer. — IV. Les
Chansons populaires des Alpes françaises (3" et dernier
article), Julien Tiersot. — V. Revue des grands concerts.
— VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — J. Massenet,
Il partit au printemps (extrait de Grisétidis).
X' 49.-8 décembre 1901. — Pages 385 ù 392.
1. L'.4rt musical et ses interprèles depuis deux siècles
(41° article), Paul d'Estrées. — II. Bulletin théâtral :
première représentation de Sainte-Galette au Vaudeville,
P.-É. C. — IH. Petites notes sans Dortée: l'Enfer musical,
Raymond Bouyer. — IV. Richard Wagner, Liszt et Cosima,
0. Bercgruen. — V. Revue des grands concerts. —
VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — •!, Massenel,
Valse des Esprits (extraite de Griséli-lis'.
iV" 50, — 15 décembre 1901. — Pages 393 à 400.
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(42° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâlrale :
premières représentations de Nelly /îosieraux Nouveautés
et de la Revue des Variétés, Paul-É»ile Chevalier; reprise
du Maître de Forges à la Porte-Saint-Martin, 0. En. —
111. Pelites notes sans portée : Pourquoi .Mendelssohn
a-t-il vieilli? R»ï.mond Bouyer. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses et concerts.
Chant. — J, Massenet,
Rappelle-toi (extrait de Grisélidis).
i\° 51. — 22 décembre 1901. — Pages 401 à 4C8.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles
(43° article), Paul d'Estrées. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations du Nuage, à la Comédie-Fran-
çaise, et de l'Inconnue, au Palais-Royal, Paul-Emile Che-
valier; reprise de Bébé, lu Vaudeville, 0. Bv. — III. Pe-
tites notes sans portée : une Exposition musicale, Raymond
Bouyer. — IV. Le Tour de France en musique : les Chaiils
populaires du Vivarais, Edmond Neuromm. — V. Revue
des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — J, Massenet.
'Jhanson d^Avigion (extraite de Grisélidis),
X' 52. — S9décembre '.9n. — Pages 403 à 416.
I. L'Art musical et ses interprètes depuis d.;:ix siècles
(44° article!, Paul d'Estrées. —11. Semaine iheàtrale;:
première représentation de Madame flirt à l'Athénée el
du Puits d'amour à Cluny, Paul-Emile Chevalier. — III.
Petites rotes sans portée : les « Noéls français » au théâ-
tre Raymono Bouyer.— IV. I.e Concours international de
Milan. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — •!. .Massenet.
L'oiselet est tombé du nid (Grisélidis).
Solxante-liialtième anné© cl© publication
PRIMES 1902 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1"^ DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d"eslhélique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CBBA^'T ou pour le PIAIVW et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes cnA\T et l'IAXO.
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NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont délivrées gratuitement dans nos bureaux, Z bh. l'ue Vivicune, à partir du 20 Oéecnibre 1901, à tout ancien
ou nouvel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au .MÉi^'KSTREIj pour l'année 1903. doindre au prix d'abonnement un
supplément d'Ul« ou de DEUX francs pour l'envoi franco dans les départements de la prime simple ou double. (Pour l'Étranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés iut Clianl pciivcnl prendre la prime Piano el viceversa. - Cenx an Piano el au Chanl rénnis on! scnls tlroil à la grande Prime. - Les abonnés an lesle seul n'onl droil àaiicuneprime.
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1" Modo d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux nE chant ;
Scènes, Mélodies, Eomances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
2' Mode d'abonnement: Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de piano
Fantaisies , Transcriptions , Danses , de quinzaine en quinzaine ; 1 Recueil
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3" Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime.
et Province; Étranger : Poste en sus.
4° Mode. Te.xte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le V^ de chaque mois. — Les 52 numéros de cliaque année forment collection.
Adresser franco un hon sur la poste à M. Henri HEUGEL, diiecteur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
: 30 francs, Paris
— (Eacre LoriileiJi).
m\. - 67- A^^ÉE - iV" 1. PARAIT TOOS LES DIMANCHES
Dimanche 6 Janvier 1901.
(Les Bureaux, 2"'", me Yivieime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
Lk>j^^'-Ci_t'
MENESTREL
lie Hamépo : 0 îf. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le HuméFO : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bà, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr.. Pans et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. - Pour l'Etranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Peintres mélomanes (9° article) : l'apothéose de Mozart et le violon d'Ingres, Raïmoxd
BouvER. — H. Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (13» article) : la rue de Paris,
Arthur Pougin. — III. Ethnographie musicale, notes prises à l'Exposition (13° article) ■.
la musique chinoise et indo-chinoise, Julien Tiersot. — IV. Revue des grands concerls.
— V. ^'ouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés "à la musique de piano recevront, avec le numéro de cejour :
VALSE PIMPANTE
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Preludio-patetico de Théodore
Dubois.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
Ce que disent les cloches, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jean de
LA Vinotrie. —Suivra immédiatement : Au bord de l'eau, n" 3 des Vaines ten-
dresses, nouvelles mélodies de Théodore Dubois, poésies de Sdlly-Prudhojime.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1901
Voir à la S= page du journal.
"b.
Dans l' impossibilité de répondre à l'obligeant envoi de toutes les cartes
de nouvelle année qui nous parviennent au Ménestrel, de France et de
l'Étranger, nous venons prier nos lecteurs, amis et correspondants, de
vouloir bien considérer cet avis comme la carte du Directeur et des Colla-
borateurs semainiers du Ménestrel.
PEINTRES MÉLOMANES
IX
l'apothéosp:: de mozart et le violon d'ingres
Une après-midi d'avril 1849, en voiture, à la barrière, avec
Chopin très affaissé dont il adorait la musique et qui détestait
sa peinture, Eugène Delacroix devise du monde musical, cause
harmonie et conlre-poinl, et conclut : « Berlioz plaque des accords
et remplit comme il peut les intervalles. » Puis, sans transition :
« Ces hommes épris à toute force du style, qui aiment mieu.x
être bêtes que ne pas avoir l'fwV grave! Appliquer ceci à Ingres
et à son école... » Afin de punir le peintre mélomane de son
rapprochement aussi cruel qu'inattendu, nous Talions comparer
lui-même à M. Ingres en personne! Ne se sont-ils pas réconciliés
à leur insu dans la religion de Mozart? Ces deux tempéraments
si contradictoires, l'un, réservé dans son œuvre et passionné dans
sa vie, l'autre, d'inspiration tumultueuse et d'allure hautaine,
Ingres et Delacroix pouvant fraterniser I Le beau paradoxe et la
véridique leçon!
Oublions que le Salon de 1824 opposait le Vœu de Louis XIII
au Massacre de Scio; ne considérons que deux âmes. Delacroix
vieilli dira, plus tard : « Quelle vie que la mienne!... Au lieu
de penser à des affaires, je ne pense qu'à Rubens ou à Mozart :
ma grande affaire pendant huit jours, c'est le souvenir d'un air
ou d'un tableau. » M. Ingres, il est vrai, nomme Rubens « le
Génie du mal » et jamais ne mariera dans son cœur la perfec-
tion quelque peu fluette avec ce mauvais riche ! Mais écoutez
notre jeune Delacroix, dès le 12 octobre 1822 : « Je rentre des
Nosze, tout plein de divines impressions! » En 1824 : « J'ai acheté
Don Juan, j'ai repris mon violon » (lui aussi!). Puis, ce défi :
« Qu'est-ce que les modernes ont à mettre à côté des Mozart et
des Cimarosa? » Comment? Cimarosa près de Mozart? Sans doute,
et le « divin » Mariage secret lui semble « la perfection même »
et « plus dramatique que Mozart... » On se sent moins embarrassé
quand le peintre s'enivre de la reprise de Don Giovanni, en 1847 :
Itfozart lui devient comme une cime sereine d'où il mesure toute
la perspective musicale; auprès de Mozart, Rossini le délecte
encore, surtout après les Baigneuses rougeaudes de Courbet, mais,
chez l'Italien déjà, « l'ornement domine l'expression » ; malgré
sa sublime vieillesse, auprès de Mozart Gluck sent un peu le
« plain-chant » ; Mendelssohn et Berlioz « manquent d'idées » ;
Weber, fantastique, est le plus digne héritier de Mozart. Son cher
petit Chopin lui-même a des « faiblesses » à côté du maître divin.
Déjà Meyerbeer est condamné. Quant à Schubert, le rêveur, il
l'a pris en grippe : c'est « l'école de l'amour malade » ; et vivent
les Chasses de Rubens! « Je les adore de tout mon mépris pour
les sucrées et les poupées qui se pâment aux peintures à la mode
et à la musique de M. Verdi... » La musique « mince » de M. Gou-
nod ne convient guère non plus aux temps héroïques, et quand
un compositeur fait un Faust, « il n'oublie que Y enfer... Don Juan
est compris autrement; je vois toujours au-dessus du libertin la
griffe du diable qui l'attend » (1863). Depuis la byronienne
jeunesse jusqu'aux derniers jours plus purs, c'est l'apothéose de
Mozart.
Le peintre didactique de VAfolhéose d'Homère serait contraint
d'approuver son rival. « Il n'y a que les Grecs! », c'est entendu;
mais, par amour de la contradiction, faudrait-il ajouter que
Mozart, comme Raphaël, n'est qu'un âne auprès des anciens?
Quand Poussin disait cela de Raphaël, il plaisantait profondément.
Selon la doctrine classique, qui n'admet point les variations du
Beau, ces génies modernes sont des demi-dieux en regard de
Lli IHÉNESTREL
la décadence contemporaine : « Le style moderne est mauvais » ;
c'est rhorrLble emphase des Barbares, c'est l'invasion des Huns
dans les lettres et les arts. Et c'est encore Delacroix qui parle!
M. Ingres, décidément, est vaincu dans son temple même ; et
l'air grave est contagieux...
Ceux qu'attire à Montauban le Vœu de Louis 'X// ont tous
visité le « petit musée » où l'on viendra, disait-il, « parler de
moi et de mes ouvrages » : là, dans une vitrine d'honneur, fut
déposé, par son expresse volonté, le violon d'Ingres. Ces deux
mots sont tout un art poétique. Le violon d'Ingres, c'est-à-dire
la cuisine de Beethoven, ajouteront les méchantes langues dont
l'enfer est encore mieux pavé que de bonnes intentions. C'est-à-
dire aussi le réconfort du vieux peintre, le discours abstrait et
vibrant qui plane sur les créations des arts silencieux : telle sera
la réplique des bonnes âmes qui divinisent la musique. Un dis-
ciple des Grecs devait adorer les deux profils de Polymnie; dès
son enfance, la forme plastique et la forme aérienne avaient
partagé son culte : « J'ai été élevé dans le crayon rouge », a dit
M. Ingres; « mon père, musicien et peintre, me destinait à la
peinture, tout en m'enseignant la musique comme un passe-
temps... Elève de M. Roques, à Toulouse, j'exécutai sur le
théâtre de cette ville un concerto de violon de Viotti, en 1793,
année de la mort du Roi. » L'enfant avait douze ans. A Paris le
futur prix de Rome jouera du violon, le soir, au théâtre de
Doyen, car, d'abord, il faut vivre: aussitôt libre, il court accom-
pagner une jeune pianiste et songe au mariage : mais la donzelle
contrarie sa doctrine, et le peintre s'exile à Rome. Le méridional
répète, avec un accent : « Les miens soutiennent que je suis
aussi fort pour la couleur que pour le dessin. Je fais aussi bien
que le premier venu des tons' rouges, verts, bruns, oUvàtres, et
je les dispose dans une juste relation; mais ce qui me préoccupe
le plus, c'est la forme. » Cette fwme éternelle, son inspiratrice,
il l'invoquera toujours en prenant son violon; son orgueil ne
délaisse le pinceau que pour l'archet; dans son atelier froid se
réunissent des quatuors; le peintre y fait sa partie, sans trêve, et
,ne s'arrête soudain que pour exalter sentencieusement les maî-
tres... Ary Scheffer, Berlin, Jean Gigoux, Amaury Duval, et
vous, Alard, Maurin, Ghevillard, Batta, Franchomme, — auditeurs
bienveillants ou disciples émus, — amateurs ou virtuoses, —
vous n'êtes plus pour nous ressusciter les ardeurs de ce violon
solennel et de cette « manie musicante » ! Votre art fugitif ne
vit plus que sous quelques fronts blanchis, dans un souvenir ; et
les paroles plus brèves se sont dispersées comme des feuilles
d'automne ! Mais si le violon s'est tu pour toujours, nous avons
les lettres, cataloguées pour ainsi dire comme de rares estampes
ou de purs crayons, par la savante piété d'un admirateur (1);
nous avons les portraits, qui parlent.
Réalité touchante ou comique, ce violon d'Ingres est un sym-
bole : c'est l'àme à J3,mais envolée de l'artiste à qui ses détrac-
teurs ont refusé l'âme, c'est sa conviction tenace et robuste qui
veillait son œuvre et chantait sa foi ; à Rome, vers 1810, en cette
Ville Eternelle dont il faisait sa patrie, quand il avait élu pour
atelier l'église ruinée de la Trinita del monte afin d'y brosser sa
vaste fresque homérique Aq Ronmlus vainqueur d'Acron, il se repré-
senta dans une petite aquarelle où son fidèle violon voisine avec
sa palette : « On évoque ainsi », dit l'humoriste (2), « les jour-
nées solitaires du jeune peintre grignotant sa grande page, et de
temps', en temps, par manière de distraction, prenant son archet
pour régaler d'un filet de vinaigre les échos de la Trinité... »
Mais cette distraction même est majestueuse; le classique peut
gasconner : « Ingres est, aujourd'hui, ce que le petit Ingres était
à douze ans !» Et le doctrinaire est conséquent avec ses principes :
dès qu'il prend la plume, c'est pour exprimer ce qui doit être,
pour confesser l'idéal, pour vanter une musique sœur de la ligne
et qui soit elle-même « une probité de l'art ». Plus de contra-
dictions, ni de jolies palinodies 1 Oui, Mozart est encensé comme
Raphaël, et ces anges terrestres ont trouvé leur prêtre : mais
« l'abus de la grâce » est honni chez ce brillant Rossini qui
(1) Inches, sa Vie, ses Travaux, sa Doctrine, par le comte Henri Delaborde.
(2) Francis Wey, Roue, desoriplion et souvenirs, page 475.
disait continuer le chevalier Gluck « à sa manière » ; et, malgré
ses révoltes et ses flammes, l'àme prométhéenne de Beethoven
est intelligible à la raison passionnée du peintre : M. Ingres parle
volontiers de ses « admirables » symphonies et, particulièrement,
de la symphonie en ut mineur, qui est « peut-être » son chef-
d'œuvre... Vous entendez, Eugène Delacroix? Les romantiques
violoneux d'Hoffmann, le conseiller Krespel ou le musicien
Kreisler, ne renieraient plus M. Ingres, un beethovénien.
Et pendant six années, depuis 1834, le directeur de l'Académie
de France unit le précepte à l'exemple ; ses crayons sont des
camées bourgeois; et les musiciens apparaissent. Voici Gounod,
le jeune lauréat, immortalisé dès lors en un pur contour daté de
1841 (1), et qui spirituellement se dit « élève d'Ingres » : un
méplat puissant de la joue osseuse traduit à souhait cette aus-
térité première. Voici Louise Berlin romanesque, Liszt juvénile,
Paganini décharné, « le bon Thomas », « le jeune Thomas »,
dont le talent fait de loyauté plait au maître : « Courage, Tho-
mas! Les Mozart ne commencent point par Don Juan! » Et la Villa
Médicis retentissait du piano discret qui est à l'orchestre ce que
la gravure est à la toile : un critérium infaillible. « C'est par les
gravures qu'on juge des tableaux et de leur mérite... En vérité,
je crois que, pour bien connaître un chef-d'œuvre, c'est au piano
qu'il faut l'entendre! » Tel fut le credo de M. Ingres. Son chef-
d'œuvre parmi ces portraits de musiciens, vous l'avez nommé :
c'est Cherubini couvé par la Muse (Paris, 1842). Un symbole encore,
cette étrange Muse au sourire craquelé, repeint sur le fond neu-
tre, auprès de ce vieillard enfoui dans son carrick, ame chagrine
et magistrale, confiante en l'avenir et désabusée de la vie, talent
qu'avait respecté le génie de Beethoven. Est-ce son Requiem qui
faisait d'Ingres un prophète, quand le peintre voulait « qu'on ne
vît point les musiciens pour que rien ne vint distraire des effets
mêmes de la musique dans un sujet si terrible et si solen-
nel »? (2). En tout cas, le vieillard vulgaire qui peignait con amore
la Source virginale pouvait reprendre son violon pour se dire à
soi-même : « C'est comme du Mozart! »
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A. L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 19O0
(Suite.)
LA RUE DE PARIS
Le Grand Guignol. — Encore un café-concert, celui-ci agrémenté d'un
cinématographe ; c'est le seul détail qui le distingue de ses congénères.
Salle et scène suffisamment grandes, celle-cî avec un rideau qui, je
crois, a la prétention de reproduire le Gilles de Watteau. La salle elle-
même a une décoration Pompadour d'un agréable ton pâle : feuillages
verts SUT fond crème. Elle offre un assez vaste parterre d'environ
250 places, qui s'étend jusqu'au fond, où se trouvent six petites loges.
Au-dessus de ces loges, un promenoir. Dans le vestibule, cet écriteau :
« On trouve en vente ici toutes les chansons de IMM. les chansonniers
montmartrois. » Merci! je n'y ferai pas de tort. Mais ceci indique la
note de l'établissement: d'une part, la « rosserie »; de l'autre, la...
disons grivoiserie.
De fait, un de mes confrères rendait compte en ces termes de l'inau-
guration de ce temple de l'art, inauguration qui avait lieu en présence
de M. le Directeur des Beaux-Arts, placé dans une loge d'honneur :
« Le répertoire du Grand Guignol comprend des parades et des
farces accommodées au goût du jour. On nous donna hier soir /'Éternel
Cocu, le Petit Champ et la Marchande de pommes, qui furent applaudies.
La censure avait été cette fois tout à fait maternelle, et les étrangers
sévères qui visiteront ce théâtre en entendraient de raides s'ils parve-
naient, à comprendre le langage imagé de ces nouveau.x Léandre,
Sganarelle et Cassandre. Le dictionnaire qu'ils pourront ouvrir les ren-
seignera mal sans doute sur la valeur de certaines expressions dont le
sens pourra leur échapper. » C'est ça qui devait donner aux étrangers
une crâne idée de l'esprit français !
(1) Centennale de 1900, dessins; n° 1089.
(2) Voir le Ménesirel du 31 janvier 1897, page 36,
LE MENESTREL
Pour moi, je n'ai pas eu la chauce de voir et d'entendre ces mer-
veilles. Je suis tombé sur un spectacle simplement idiot, mais idiot k
faire pleurer, et tel que l'envie ne m'a pas pris de recommencer. C'était
d'abord un bonhomme qui faisait des transformations, mais qui, il
faut l'avouer, aurait été vaincu dans une lutte avec Fregoli. Puis, une
demoiselle paraissant très cgntente d'elle, ce qui prouve son bon carac-
tère et son peu d'exigence, qui venait débiter deux chansons dont il
était impossible de saisir un traître mot. Après ces deux exliibitions,
séance de cinématographe, je veu-x dire à'Ameiican Biograph, ce qui a
beaucoup plus de chic tout en disant la même chose. Et enfin, pour
terminer, deux messieurs montmartrois qui, l'un après l'autre, toujours
les mains dans les poches et avec leur incommensurable sang-froid,
viennent nous régaler de leurs petites rosseries.
Il parait qu'on a joué encore au Grand Guignol quelques autres
petites pièces, la Peur des coups, de M. Georges Courteline, Fleur d'an-
tichambre, de M. Maurice Magnier, etc., avec, comme interprètes,
MM. G. Barbier, Casa, Milcamps, M"'* G. Moreau, L. Faury et quelques
autres. Je ne sais ce que cela pouvait être, mais ce que je sais bien,
c'est que ce que j'ai vu était inénarrable, lamentable et pitoyable.
Théâtî'e des Auteurs gais. — Celui-ci n'a pas été l'un des plus heureux
de cette rue de Paris si pimpante, si bruyante, si grouillante et si
animée, car il mourut avant l'heure et disparut prématurément. Ses
débuts pourtant avaient été brillants, si l'on se rapporte à cette note
d'un journal qui applaudissait de la sorte à ses commencements : —
« Il faut louer M. Pierre Woliî. l'auteur si applaudi du Béguin.
d!avoir eu l'heureuse conception du Théâtre des Auteurs gais.- Ce
joyeux établissement vient à peine d'ouvrir ses portes en pleine rue de
Paris qu'il a déjà son public et sa célébrité. C'est plaisir de retrouver
en cette coquette salle, l'une des mieux comprises de l'Exposition, la
foule élégante du Paris des premières à côté des provinciaux et des
étrangers qui viennent goûter les mets de l'esprit spécialement salés
par les Allais, les Pierre Wolff, les Donnay, les Courteline, les Redels-
perger et les Capus. Mais ce spectacle n'est pas seulement piquant par
lui-même, il est précédé d'une parade qui est "un modèle du genre. Sur
l'estrade, entre des musiciens superbes en soldats de l'Empire et des
animaux savamment empaillés, défilent pierrettes et clownesses,
Auguste et Arlecjîuin. Dans celte parade merveilleuse, les femmes sont
jolies et les hommes ont de l'esprit. Et la rue de Paris s'emplit, et la
coquette salle déborde, pendant que les spectateurs applaudissent à
tout rompre les auteurs gais. C'eût été vraiment dommage que ne fût
pas instituée cette fête continuelle du rire et de l'esprit. »
C'était, à la vérité, une gentille baraque que celle des Auteurs gais,
tout plein souriante, avenante au possible, et d'un luxe remarquable
en son genre. Les gentils panneaux qui l'entouraient étaient peints par
Bellery-Desfontaines, et le théâtre était le seul de tous ceux de la rue
de Paris qui fût à ciel ouvert avec la facilité de se fermer en cas de pluie.
Seulement, voilà : si le plumage était séduisant, le ramage était un peu
trop cru, et l'on peut croire que les auteurs, pimentant à l'excès leur
gaité, avaient un peu trop négligé de se censurer eux-mêmes. Or, le
public de l'Exposition n'était pas celui des hauteurs de Montmartre, et
lorsqu'on lui faisait entendre des choses trop vives, ou il ne com-
prenait pas ou il comprenait trop, si bien qu'à la fin il finit par déserter.
Il arriva un moment où cette désertion du public fit réfléchir les
directeurs, MM. Pierre Wolff et Tiribillot, qui ne partageaient plus la
gaité de leur répertoire. Us résolurent alors d'abandonner la partie et
se décidèrent à louer leur théâtre, partie au fameux jeûneur Succi, qui
ne demandait qu'à épater les spectateurs cosmopolites de l'Exposition,
partie à la ménagerie Corvi, dont les singes et les chiens savants
devaient faire la joie des amateurs. Mais on sait le différend qui s'éleva
alors entre certains exploitants malheureux de la rue de Paris et la
direction de l'Exposition. Bref, le théâtre des Auteurs gais dut se
résigner à fermer ses portes, en se réservant de réclamer au commis-
sariat général une indemnité qu'il n'estimepas à moins de 300:000 francs.
L'affaire est encore pendante.
Pauvres Auteurs gais !
(A suivre.) Arthur Pougin.
ETHNOGRAPHIE MUSICALE
Notes prises à l'Exposition Universelle de ,19O0 (Siiiic)
IV. — MUSIQUE CfflNOISE ET INDO-CHINOISE
Un missionnaire français qui passa de longues années à Pékin dans
le milieu du XVIII'' siècle, le Père Amiot, a consacré à la musique des
Chinois un livre important, qui certainement est ce qu'on a écrit de
mieux sur la matière (1). Ayant la compétence très suffisante d'un
amateur éclairé et passionné pour la musique, observateur patient et
consciencieux, il a pénétré bien plus au fond du sujet qu'aucun de ceux,
très rares, et en tout cas très superficiels, qui sont venus après lui.
Aussi bien, la date déjà ancienne à laquelle remonte son ouvrage, loiu
de le rendre moins digne de notre estime, ne fait qu'en rehausser l'in-
térêt. A l'époque où l'auteur vivait en Chine, aucune influence étrangère
n'avait encore pénétré dans ce grand Empire. Depuis lors, si rebelles
qu'y soient les Chinois, ils ont reçu des peuples européens quelques
visites qui, sans leur avoir été sans doute fort agréables, les ont con-
traints à voir d'autres visages, entendre d'autres langues et d'autres
sons, et rien ne dit ipe la pureté de leurs principes n'en ait été déjà
quelque peu contaminée. Au contraire, le XVIIP siècle dut être une
époque très favorable pour l'étude de ces traditions que, depuis les
temps antiques, les artistes chinois avaient maintenues dans une im-
mobilité complète. Loin donc de mériter le reproche de n'être pas à la
hauteur des investigations modernes, on peut dire que le P. Amiot est
venu au meilleur moment : le seul grief que nous pourrions lui adresser
serait de n'avoir pas été encore assez complet, en nous privant presque
entièrement de notations musicales. Mais les livres et écrits théoriqaes
des musiciens chinois sont étudiés et commentés avec soin dans son
livre, et ce résumé d'une littérature musicale très importante nous est
précieux pour la connaissance de l'art chinois.
Dès le début de son Discours préliminaire, l'auteui' rapporte une anec-
dote où se peint au naturel l'état d'esprit habitué! des gens qui, mis en
présence de formes d'art inaccoutumées, y restent complètement insen-
sibles. Il raconte qu'à son arrivée en Chine, ayant été admis à la Cour
et dans la société des Lettrés, il pensa faire leur conquête en les char-
mant par les sons de la musique française :
« Je savois passablement la musique, dit-il; je jouois de la flûte tra-
versière et du clavecin; j'employai tous ces petits talens pour me faire
accueillir.
» Dans les diverses occasions que j'eus d'en faire usage pendant les
premières années de mon séjour à Péking, je n'oubliai rien pour tâcher
de convaincre ceux qui m'écoutoient que notre musique l'emportoit de
beaucoup sur celle du pays. Au surplus, c'étoient des personnes ins-
truites, en état de comparer et de juger; des personnes du premier rang
qui, honorant les Missionnaires François de leur bienveillance, ve-
noient souvent dans leur maison pour s'entretenir avec eux de quelques
objets concernant les sciences ou les arts cultivés en Chine.
» Lrs Sauvages, les Cyctopes (2), les plus belles sonates, les airs de
flûte les plus mélodieux et les plus brillans du recueil de Blavet, rien
de tout cela ne faisoit impression sur les Chinois. Je ne voyois sur leur
physionomie qu'un air froid et distrait qui m'annoncoit que je ne les
avais rien moins qu'émus. Je leur demandai un jour comment ils
trouvaient notre musique, et les priai de me dire naturellement ce
qu'ils en pensoient. Ils me répondirent le plus poliment qu'il leur fut
possible que Nos airs n'étant point faits pour leurs oreilles, ni leurs oreilles
pour nos airs, il n'étoit pas surprenant qu'ils n'en sentissent pas les beautés
comme ils sentaient celle des leurs. Les airs de noire musique, ajouta un
Docteur, de ceux qu'on appelle Han-lin, et qui étoit pour lors de ser-
vice auprès de Sa Majesté, les airs de. notre musique passent de l'oreille
jusqu'au cœur, et du cœur jusqu'à l'âme. NoUs les sentons, nous les cowr-
prenons : ceu£c que vous venez de jouer ne font pas sur nous cet effet. Les
airs de notre ancienne musique étaient bien autre chose encore, il suffisait de
les entendre pour être ravi. Tous nos livres en font un éloge des plus pom-
peux; mais ils nous apprennent en même tems que nous avons beaucoup
perdu de l'excellente métliode qu'employaient nos Anciens pour opérer de si
merveilleux effets, etc. »
D'esprit moins obtus que ses interlocuteurs, l'abbé se dit qu'il lui
fallait connaître cette musique chinoise qui avait tant de charmes pour
les amateurs du Céleste Empire, et il s'efforça d'en pénétrer les ai'canes.
C'est â cette heureuse et intelligente curiosité que nous devons son
livre. Que, comme tous les auteurs épris de leur sujet, il en soit venu
à déclarer que la musique chinoise est la plus antique, la plus précieuse,
la plus savante et lapins belle, cela ne peut nous étonner. C'est ainsi
que nous fûmes toujours, nous autres Français : tandis que les autres
peuples se tiennent renfermés dans leurs petites habitudes locales et
séculaires, nous, dès qu'une chose arrive de loin, nous l'admirons
de confiance et lui sacrifions volontiers ce qui se produit de meilleur
autour de nous. Ne prenons donc des appréciations du P. Amiot que
ce qu'il en faut prendre, et contentons-nous de résumer d'après lui les
notions essentielles que les Chinois ont de l'art musical.
(1) Mémoire sur la musique des Chinois tant anciens f/tte moUeriies, par M. A.mioï, Mis-
sionnaire à Példn. Tome VI des Mémoires eoncernantles Chinois. Paris, 1779.
(2) Célèbres pièces de clavecin de Rameau.
LE MÉNESTREL
C'est d'abord, au début du livre, une longue étude du son, le sou en
général, le son « en soi ». Et cela est très bien. Nous, dans nos traités de
musique, sitôt que nous avons défini le son, — effet produit par les
vibrations des corps sonores, — nous passons cà d'autres sujets : intona-
tion, durée, etc. Et pourtant le son est la base de toute musique et sa
raison d'être essentielle : n'est-il donc pas naturel que le premier soin
du théoricien musical soit d'en étudier en détail le principe et l'eîFet,
et d'en considérer les manifestations les plus diverses ? Ainsi font les
Chinois, et ici je suis bien près de partager l'admiration du P. Amiot
pour l'e-xcellence de leur méthode. Avec une rare acuité de perception,
d'ailleurs en mêlant à des observations pénétrantes des naïvetés parfois
comiques ainsi que des considérations d'un symbolisme déconcertant,
lears théoriciens distinguent les diverses qualités du son, qu'ils clas-
sent suivant les phénomènes principaux de sa production, traitant tour
à tour du son de la peau, du son de la pierre, du son du métal, du sou
de la terre cuite, du son de la soie, du son du bois, du son du bambou,
du son de la calebasse. C'est, en somme, la connaissance des sonorités
(conséquemment des instruments destinés à les produire) proposée
antérieurement à l'étude des autres éléments de l'art. Cela est-il donc
si maladroit? Le timbre n'est-il pas, de toutes les qualités du son, la
plus apparente"? Celui qui entend pour la première fois une symphonie
n'est-il pas plus frappé par les effets multiples des instruments que par
la hauteur ou la durée des sons? Cette espèce de prééminence est très
légitime, et les soi.xante pages que le P. Amiot consacre à cette partie
du sujet sont, ce me semble, les plus intéressantes et les plus originales
de son livre.
Dans la seconde partie, il considère la théorie des Lu : étude aride et
abstraite, d'où se dégage la vérité scientifique de la génération do la
gamme par quintes successives, produisant la division de l'octave en
douze demi-tons. Car, on a beau faire et beau dire, les principes natu-
rels sont les mêmes toujours : qu'il s'agisse ou des antiques théoriciens
chinois, ou de Pythagore, ou de nos modernes savants, la base reste
immuable.
Et de même, la pratique nous offre partout les mêmes particularités.
A la gamme théorique complexe elle substitue une gamme simplifiée.
Celle qui forme la base de toute la musique d'Extrême-Orient, et que
les Chinais ont pratiquée depuis la plus haute antiquité, est la gamme
de cinq notes, sans demi-tons : fa sol la do ré-fa. Ce n'est pas que le si
et le mi soient inconnus ni proscrits : ces deux notes sont au contraire
désignées sous un nom particulier, pien, et la réunion des cinq Ions et
des deux pieu forme ce que les Chinois appellent les Sept principes, —
en leur langue : Tsi-clié. La réunion de ces sept notes n'est autre que
l'échelle naturelle, et la gamme de cinq tons qu'une simplification de
notre majeur'.
« Si les Cliiiwii connaissent, ou ont connu antérieiirentent, ce que nous
appelons contrepoint ? » Cette question forme le titre d'un chapitre.
L'auteur y répond par les considérations les plus vaporeuses : la con-
clusion en donnera une suffisante idée. Faisant parler les Chinois eux-
mêmes, il écrit: « Lorsque nous voulons exprimer ce que nous sen-
tons, nous employons, dans nos paroles, des tons hauts ou bas, graves
ou aigus, forts ou faibles, lents ou précipités, courts ou de quelque durée.
Si ces tons sont régies par les lu, si les instruments soutiennent la voix et
ne font entendre ces tons ni plus fort, ni plus tut, ni plus tard qu'elle...,
si les danseurs, par leurs attitudes et toutes leurs évolutions, disent
aux yeux ce que les instruments et les voix disent à l'oreille, si celui
qui fait" les cérémonies en l'honneur du .Ciel, ou pour honorer les
Ancêtres, montre, par la gravité de sa contenance et par tout son
maintien, qu'il est véritablement pénétré des sentiments qu'expriment
et le chant et les danses : voilà l'accord le plus parfait ; voilà la véritable
harmonie. Nous n'en connaissons point et n'en avons jamais connu d'autre. »
Cela est un peu long, mais parfaitement net, pom- répondre que les
Chinois ne connaissent aucunement « ce que nous appelons contre-
point. )) Quant à l'harmonie, purement esthétique, des sons et de la
danse, c'est aussi la seule harmonie qu'aient connue les Grecs, et l'on
sait avec quelle supériorité ils l'ont pi-atiquêe : il est intéressant d'en
retrouver une définition aussi conforme dans un livre consacré cà la
musique des Chinois.
(A suivre.) Julien Tiersot.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — Une nouvelle audition de la Sijmplionie pastorale
me fournit l'occasion de montrer, comme suite à mon article du 23 décembre,
de quelle manière Beethoven comprenait la musique à programme. Voici d'abord
quelques annotations significatives des carnets du maître: « Sinfonia caracle-
Tislica ou bien souvenir de la vie des cliamps. — On laissera à l'auditeur le soin de
découvrir les situations. — Toute peinture, poussée trop loin dans la musique instru-
mentale, s'évanouit. — Sinfonia pastorella. Qui a la 7noindre idée de la vie des
champs peut se représenter, sans avoir besoin de longs commentaires, ce que fauteur
a voulu faire ». Un exemple maintenant : Beethoven a noté sons ce titre : Mur-
mure du ruisseau, six mesures à douze-huit comprenant douze croches chacune.
Les trois premières renferment la note do répétée trente-trois fois et les trois
dernières la note fa répétée autant de fois. Une remarque suit: Plus le ruisseau
devient grand, plus le son devient grave. Or, d'après la relation scientifique de
Schaffhouse, près des chutes du Rhin, des savants experts, chargés de déter-
miner les sons que produit l'eau projetée en cascades, sont arrivés à ce résultat:
L'eau, en tombant, fait entendre les trois notes de l'accord do misol accompa-
gnées du son plus grave fa, étranger à cet accord. On perçoit ce fa même
derrière des parois de montagne ou derrière d'épaisses forêts quand les autres
sons ne parviennent plus à l'oreille. Le do, le sol et le fa sont très saisissables:
le ni! est faible et disparait quand la cascade est petite. Les quatre sons em-
brassent plusieurs octaves dans les chutes considérables. On n'a pas décou-
vert d'autres notes. (Remarquons ici que l'accord do mi sol, placé sur un fa
forme une agglomération contraire aux règles do l'harmonie; que cette
agglomération existe dans la nature ; que Beethoven l'a employée au début
du dernier morceau de la Symphonie pastorale, mesures S, 6, 7 et 8). D'autre
part, la Scène au bord du ruisseau n'est écrite ni en do, ni en fa, mais en si
bémol: la note fa y est prépondérante à titre de dominante du ton et à titre
de tonique passagère dans les modulations à la dominante, lesquelles sont
amenées par l'accord majeur de do : mais ni l'accord de do, ni la note fa ne
jouent ici un rôle descriptif spécial. « S'attacher davantage au sentiment qu'à la
peinture » a écrit Beethoven. En effet, ce morceau vaut par le sentiment. Tou-
tefois, et ceci est capital, le sentiment n'aurait pu naître dans l'âme de
Beethoven ni passer dans la nôtre, s'il n'existait ni sources, ni ruisseaux, ni
cascades. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la communication de l'âme
humaine avec la nature et, par conséquent, la musique à programme. M. Che-
villard nous a donné une exécution de la Symphonie pastorale en réel progrès
sur la précédente, plus fine et plus assouplie. L'ouverture d'Egmont a sonné
magistralement. Dans la partie wagnérienne du concert, onasurtout acclamé
Prélude et mort d'Vseult et aussi le solo de cor anglais, formant entr'acte, très
bien joué par M. Gundstoëtt. Amédke Boutarel.
— Dimanche dernier, M. Colonne donnait au Châtelet une troisième
audition du Fami de Schumann. Nous n'avons pas à y revenir, nos collabo-
rateurs Barhedette et Boutarel ayant déjà rendu compte des deux premières
auditions.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; ttelàclie.
Châtelet, concert Colonne ; La Damnation de Faust (Berlioz), soli par JMM. Cazeneuve,
llallard, Challet et M"" Marcetla Pregi.
Nouveau-Théâtre, concert Luraoureux : Ouverture d'Euryanthe (Weber). — Concerto
pour piano en sol majeur, n° 4 (Beethoven), par M. Alfred Cortot. — Deux airs d'Alceste
(Gluck), par M"" Blanche Jlarchesi. — Deuxième concerto pour violoncelle (Hollmann),
par l'auteur. — Deux Nocturnes (Debussy). — Lorelei (Liszt), par Jl"" Blanche Marches!.
— Introduction du 3"' acte de Lohengrin (Wagner).
NOUA^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (3 janvier 1901). — La première repré-
sentation de laMaladetta, conduite par l'auteur, M. Paul Vidal, a obtenu à la
Monnaie un véritable succès, non moins à cause de l'agrément de la
musique qu'à cause du luxe et du pittoresque de la mise en scène et de
l'excellence de l'interprétation. M. Saracco y a déployé toutes les ingéniosités
de son talent chorégraphique, et décorateurs et costumiers se sont surpassés.
Ajoutez à cela l'intérêt que présentait la lutte (plus ou moins pacifique) de
deux étoiles rivales, M"<= Sarcy et M"'=Dethul, qui remplissaient les rôles prin-
cipaux et entre lesquelles s'est livré un véritable match, extrêmement émou-
vant. La victoire est restée indécise; ou plutôt elle s'est partagée également
entre les deux rivales, toutes deux acclamées, toutes deux triomphantes. On
a pu éviter ainsi de graves événements. — Le même soir on a écouté avec
curiosité le joli petit acte, un peu mince pour le cadre de la ÎNIonnaie, du
jeune Mozart, Bastien et Bastienne, chanté par M"« Friche, MM. Forgeur et
Danse. — Puis, nous avons eu une bonne reprise de Mignon, avec M°"=*
Thiéry et Leclercq (celle-ci engagée spécialement pour le rôle de Philine),
MM. David, Pierre d'Assy, etc. Succès pour M""<: Thiéry et M. David. — ' Enfin,
ce soir même je sors de la représentation de Don Juan, dont le résultat le
plus intéressant a été de révéler au public bru.xellois une jeune artiste, parais-
sant pour la première fois sur la scène et déjà en possession d'un remar-
quable talent de cantatrice lyrique, M"»Paquot. Lors de son dernier concours
au Conservatoire, je vous l'avais signalée, pour sa voix merveilleuse et son
instinct dramatique. Ses débuts, ce soir, dans le rôle de donna Anna, ont
montré tout ce qu'on peut attendre de ces dons naturels et de cette intelli-
gence, doublés d'une rare sûreté et d'un remarquable acquis. M"" Maubourg
a été aussi très applaudie dans le rôle de Zerline, qu'elle a dit d'une façon
charmante. M. Mondaud a des qualités un peu ternes dans celui de Don
Juan. Le reste est assez médiocre. Je ne parle pas de l'orchestre, qui a été
I.E MÉNESTREL
délicieux. Les récitatifs étaient accompagnés au clavecin, et cela a beaucoup
contribué à alléger l'exécution de cette partition, étrangement coupée et trop
souvent alourdie et transfigurée par d'incompréhensibles défroques. MM. Kuf-
ferath et Guidé se sont appliqués à nous rendre l'œuvre — qui n'avait plus
été jouée à la Monnaie depuis 1891 — dans sa presque absolue intégrité : et là
n'a pas été le moindre intérêt de cette reprise, sinon très brillante, à cause
de l'inégalité de la distribution, du moins très soignée dans son ensemble.
Au Concert Ysaye, dimanche dernier, M. Arthur De Greef a joué avec un
mécanisme étourdissant et un charme exquis un concerto de Mozart, le con-
certo pour piano en ut mineur, qui n'avait, je crois, jamais été joué: — ou
du moins, cela doit se perdre dans la nuit des temps ; — et ce concerto, terri-
blement difficile sans qu'il y paraisse, est délicieux. M. De Greef l'a fait vivre
dans son esprit, sa grâce et sa fraîcheur. Puis, comme contraste, il a exécuté
le concerto en sol mineur de M. Saint-Saëns ; et autant il avait mis, dans le
premier, de délicatesse et de raflinement, autant il a mis, dans le second, de
chaleur et d'entrain. Le public enthousiasmé lui a fait d'interminables ova-
tions. LIne symphonie, très fantaisiste et très colorée, de M. Glazounow, et
des variations dans le style ancien, très françaises, de M. Grieg, et l'exécu-
tion d'une cantate enfantine de M. Emile Agniez, chantée par deux cents
enfants des écoles communales, complétaient le programme. — Il devait y
avoir aussi, la semaine dernière, à l'Association artistique, un concert dirigé
par M. Ghevillard; mais au dernier moment, M. Ghevillard n'est pas venu.
C'a été une grosse déception. L. S.
— Depuis le jour de l'an l'armée prussienne compte un musicien de cou-
leur, un nègre superbe, qui est né dans une colonie allemande de l'Afrique.
L'empereur Guillaume II s'est intéressé à ce sujet exotique et a ordonné de lui
donner l'éducation nécessaire pour qu'il pût remplir les fonctions assez diffi-
ciles de tambour de la garde à cheval. Le brave nègre est arrivé bien vite à
traiter son instrument selon les règles de l'art et avec un sentiment du rythme
que maint de ses collègues blancs pourrait lui envier, mais il lui a fallu une
longue éducation pour qu'il pût guider son cheval uniquement avec ses jam-
bes, ses mains étant occupées d'autre part. Actuellement il est irréprochable
comme tambour et comme cavalier; on lui a donné l'uniforme voyant des
hussards de la garde et on l'a placé sur un cheval blanc magnifique: à la
revue du l''' janvier il s'est montré pour la première fois et a réuni tous les
sufi'rages.
— La « Société d'essai d'opéras » de Berlin (Opern-Probebûhne- Verein), société
qui a pour but l'exécution d'ouvrages de compositeurs allemands qui n'ont
encore jamais été représentés, a commencé, sous la direction de son fonda-
teur et directeur, M. Widowski, les répétitions d'un opéra en deux actes inti-
tulé Wahntmd, dont l'auteur est M. Ferdinand Rudolph. La représentation de
cet ouvrage doit avoir lieu vers la fin du présent mois de janvier sur le
Thalia-Théàtre de Berlin.
— Le concours pour un monument à Richard Wagner vient d'être ouvert.
En même temps, le comité a institué un jury international dans lequel nous
trouvons les noms de M. Antonin Mercié, le grand sculpteur français, et de
son cîlèbre confrère belge, M. Van derStappen. On espère pouvoir inaugurer
le monument au printemps de 1903, à l'occasion du 90= anniversaire de la
naissance de Richard Wagner.
— La nouvelle partition de M. Siegfried Wagner est déjà terminée. Elle
est intitulée, comme nous l'avons annoncé, le Jeune duc étourdi (Herzog Wild-
faiig). Il parait que l'éditeur, M. Max Brockhaus, de Leipzig, qui a aussi
publié le Baerenhaeuter, possède déjà des exemplaires de la partition gravée et
du livret, mais qu'il tient toute l'édition soigneusement enfermée. Un jour-
naliste de Dresde a cependant réussi à se procurer un exemplaire du poème
et en a reproduit l'argument. Impossible de trouver la moindre ressemblance
entre le livret de M. Siegfried Wagner et celui des Mailres chanteurs, unique
opéra-comique de son père; il est plutôt dans le genre de ceux que Lortziug
et Nicolaï ont mis en musique. L'action se passe vers 1760 dans la rési-
dence d'un principicule allemand, où le jeune duc régnant se conduit comme
un Louis XV au petit pied. Sa Dubarry à lui est également bien exigeante,
et le jeune duc, après avoir fait flèche de tout bois, eu arrive à vendre
ses fidèles sujets à l'Angleterre, qui a besoin de soldats pour l'Amérique,
absolument comme jadis le fameux électeur de Hesse. Ce petit commerce
finit par exaspérer les fidèles sujets, qui se révoltent et chassent le petit duc.
Deux conseillers du prince, un mauvais et un bon, entrent en action; le der-
nier possède une fort jolie fille à laquelle tout le monde fait la cour pour le
bon motif, même le duc. Mais la petite a déjà promis sa main à un jeune
voisin qu'elle aime et qui est absent pour le moment. Il revient à temps pour
battre ses concunents et gagner la main de la bien-aimée. Le peuple trouve
que le jeune duc a du bon quand il n'est plus eu puissance de son mauvais
conseiller et rappelle le père de la petite patrie. Ce livret rentre légèrement
dans le domaine de l'opérette, et nous sommes curieux de voir comment
M. Siegfried Wagner l'aura traité musicalement.
— Le prix annuel de 2.000 couronnes ofi'ert par la Société des philharmo-
niques de Vienne à l'auteur de la meilleure œuvre symphonique présentée
au concours, a élé attribué à M. Franz Schmidt, artiste appartenant à l'or-
chestre de l'Opéra impérial. Les concurrents étaient au nombre de sept.
— .tohann Strauss III a été chargé de la musique de danse aux bals de la
cour de Vienne pendant ce carnaval. Il a ainsi beaucoup de chance de suc-
céder à son oncle Johann Strauss II dans la charge de directeur de la mu-
sique de danse à la Cour d'Autriche, charge dont l'auteur du Beau Danube
bleu avait jadis hérité de son père.
— L'intendant des théâtres royaux de Munich, M. de Possart, vient de
faire une conférence sur le nouveau théâtre du prince-régent, construit,
comme on sait, selon le plan du théâtre de Bayreuth. Ce nouveau théâtre
sera inauguré le 20 août 1901; il donnera en été une vingtaine de représen-
tations modèles du répertoire de Richard Wagaer. Dans les années où l'on
jouera à Bayreuth, le théâtre du prince régent s'abstiendra de représenter les
œuvres choisies par la ville franconienne, afin de ne pas faire une concur-
rence déloyale à celui du maitre. En dehors de cette exception, le théâtre du
prince régent jouera toutes les œuvres de Wagner, hormis Parsifàl.
— Encore un opéra en un acte en Allemagne I Le théâtre royal de Munich
vient de jouer Noël, drame lyrique, paroles d'après M. Righetti, musique de
M. Alberto Gentili. Le public a fait un assez bon accueil à cette petite
œuvre, mais la critique la traite fort mal et dit qu'elle ne serait jamais
arrivée à l'honneur d'être j ,uée à l'opéra de Munich si elle n'était dédiée au
prince Louis-Ferdinand de Bavière, lui-même grand dilettante et composi-
teur à ses heures. M. Gentili est italien de nationalité et n'a que 2G ans; il a
été élève de M. Martucci.
— Le conseil municipal de Nuremberg vient de décliner la proposition
que lui faisait la communauté catholique de cette ville d'acheter l'église
Sainte- Catherine pour la rendre au culte. Actuellement, cette église,
devenue célèbre dans le monde entier par le premier acte des Maîtres Chan-
teurs et que les peintres décorateurs ont partout reproduite avec une exacti-
tude remarquable, ne sert plus au culte depuis longlemps. Récemment, le
conseil municipal de Nuremberg a fait restiurer cette jolie église et a décidé
d'y conserver les objets d'art que la ville possède; elle deviendra ainsi un
musée comme la chapelle Saint-Maurice, qui abrite la petite mais fort inté-
ressante collection de tableaux qui appartiennent à la ville. On a aussi l'in-
tention à Nuremberg d'ériger dans l'église Sainte-Catherine un monument à
Hans Sachs, et le conseil municipal est déjà saisi du projet.
— Grand succès au théâtre grand-ducal de Darmstadt pour Mignon avec
Mme Arnoldson comme protagoniste. On lui a bissé le duo des Hirondelles,
la romance : Connais-tu ?... et la Styrienne. Après la représentation, le grand-
duc a remis en personne à l'artiste le diplôme lui conférant le titre de can-
tatrice de chambre, distinction excessivement rare.
— Une revue de Hambourg raconte une jolie histoire sur Brahms. Vers
1870 l'artiste avait l'habitude de prendre son souper à la viennoise avec
quelques amis au petit restaurant de « la belle Lanterne » ; une table lui
était toujours réservée. En arrivant un soir à son restaurant, l'artiste y trouva
un giand remue-ménage; une chanteuse de café-concert qui jouissait à cette
époque d'une vogue énorme, la belle Fiaker-Milli, donnait une soirée à ses
amis. Brahms, de fort méchante humeur, faisait déjà mine de partir, lorsque
le propriétaire de l'établissement s'approcha pour lui dire que la Fiaker-Milli
avait ordonné de respecter sa table et qu'elle lui était réservée comme à
l'ordinaire. Cette attention fut loin de déplaire à l'artiste, qui observait avec
plaisir la gaieté exubérante de la Fiaker-Milli et de ses invités, modistes,
blanchisseuses, cochers de fiacre et autres dames et seigneurs de même
importance. Le souper de la société était terminé et on attendait le pianiste
ordinaire de la chanteuse pour danser la première valse, lorsqu'un messager
arriva annonçant que ledit pianiste était tombé malade et ne pouvait pas venir.
Impossible de trouver un remplaçant parmi les invités, et la tristesse était
grande. La Fiaker-Milli se risqua d'aller demander à Brahms l'exécution
d'une valse et s'approcha de l'artiste à la tète d'une théorie déjeunes et jolies
filles. Sans proférer un mot, Brahms ouvrit le piano et se mit à jouer une
danse de son ami Johann Strauss avec un brio extraordinaire. Pendant trois
heures les valses, polkas, mazurkas et quadrilles se succédèrent rapidement;
Brahms jouait avec un entrain admirable. Mais il faut dire qu'après la pre-
mière valse la Fiaker-Milli Tavait récompensé en l'embrassant trois fois, et
qu'après chacune des danses suivantes, l'une des jolies filles s'était approchée
pour lui rendre le même hommage. Brahms était ravi et déclarait qu'il
s'était amusé comme un roi.
— Télégramme de Turin : « Véritable triomphe pour Cendrillon au théâtre
royal. L'œuvre de Massenet, que nous venons d'entendre pour la première
fois, a enthousiasmé l'auditoire tout entier : rappels innombrables après
chaque acte et plusieurs bis. M°"= Bel Sorel et Toresella ont été couvertes
d'applaudissements et fleuries à souhait. Excellente direction par le vaillant
chef d'orchestre Ferrari ; mise en scène ravissante et somptueuse (sfarzosa). s>
— M. Antoine Smaregha est en train de terminer un opéra intitulé Océana,
qui doit être joué à Venise au printemps. Le compositeur souffre toujours
d'une grave maladie d'yeux et est obligé de dicter sa partition, ce qui lui
cause naturellement une grande perte de temps.
— On signale à Naples l'apparition d'un nouveau recueil artistique, la
Rivista teatrale itatiana d'arte lirica e drammatica, qui vient de lancer son pre-
mier numéro. Ce journal est publié par les soins d'une Société en comman-
dite formée par les amateurs de l'art théâtral.
— Grand succès à Mantoue pour la Manon de Massenet. Los protagonistes,
M"* Trapani et M. AUemani, ont été acclamés et ont dû bisser le duo à
Saint-Sulpice.
LE MENESTREL
— Nouvelles zarzuelas à Madrid. Au théâtre Eslava, Sandias y iiKlones,
paroles de il. Arniches, musique de M. Eladio Montero, à qui l'on reproche
trop de modestie, parce qu'il se refuse toujours à paraître sur la scène lors-
qu'on l'applaudit ; les compositeurs italiens devraient bien suivre cet exemple.
— Los Estudiantes, ■paroles de M. MichelEchegaray, musique de M. Fernandez
Gàballero, dont le succès a été mince, s'il faut s'en rapporter à ces paroles de
la Espana artislka, qui déclare qu'elle n'en parlera pas « par respect pour
réminent et vétéran Gàballero et par considération pour D. Miguel Echega-
ray. » — La Motinera, livret « en prose et trivial à l'extrême », de MM. Mo-
rales del Campo et Soriano, musique de M. Ghalons. — Enfin, la Ditmmita,
qui n'est que la refonte en un acte d'un ouvrage précédemment représenté
sous le titre de El Grito del pueblo, paroles de M. Salvador Maria Granés,
musique de M. Cereceda.
— Une vente assez importante d'instruments des anciennes écoles ita-
liennes a eu lieu récemment à Londres et avait attiré un certain nombre
d'amateurs. Deux violons de Gian-Battista Guadagnini ont été vendus res-
pectivement 1 i.o et 13b livres sterling (3.623 et 3.873 francs). Gian-Battista
Guadagnini, fils et élève de son père, qui avait été lui-même élève de Stradi-
varius, était un luthier de talent, qui fît honneur à l'école de Grémone. On a
payé 400 livres (10000 francs) un violoncelle de Ferdinando Gagliano, petit -
fils d'Alessandro Gagliano, qui fut le fondateur de l'école de Naples. Enfin,
un violoncelle de Giovanni Battista Rugeri a trouvé acquéreur à 36 livres,
soit 1.400 francs. Rugeri, qui travailla à Grémone depuis 1670 jusqu'au com-
mencement du dix-huitième siècle, avait été l'un des bons élèves de Nicolas
Amati.
— Nous apprenons de Londres que M"^ Patti serait sur le point de vendre
sa magnifique propriété de Craig^y-Nos au prix de quatre millions de
francs environ, pour aller se fixer en Suède, la patrie de son troisième mari,
le baron de Cederstroem. Nous enregistrons cette nouvelle sous toutes
réserves, car le climat de la Suède est bien rigoureux pour un rossignol qui
n'a pas encore renoncé à l'exploitation de «es vocalises.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Quelques promotions et mutations dans le haut personnel du service des
théâtres au ministère des beaux-arts :
M. Adrien Bernheim, commissaire du gouvernement près les théâtres
subventionnés, prend rang d'inspecteur général, tout eu conservant les impor-
tantes fonctions où il s'est signalé jusqu'ici.
L'aimable chef du bureau des théâtres, M. Des Ghapelles, a demandé à
prendre sa retraite après trente-cinq années de remarquables services. C'est
une perte qui sera vivement ressentie par tous ceux qui eurent affaire avec
ce fonctionnaire gentilhomme, si plein de tact et d'obligeance, et comme on
en rencontre peu par les temps démocratiques où nous vivons. Il aura pour
successeur M. d'Estournelles, qui était chef du bureau de la comptabilité.
Enfin M. Oudinot, sous-chef des théâtres, étant nommé inspecteur général
des palais nationaux, est remplacé dans ses premières fonctions par M. Du-
montier.
— A l'Opéra, on a commencé les premières lectures à l'orchestre de la
partition à'Astarlé de M. Xavier Leroux, dont la direction voudrait donner la
première représentation vers la fin du mois.
— A rOpéra-Gomique, on va reprendre dès cette semaine Fidelio avec
M">° Raunay. Au tableau des études figure 'également l'/p/ugénie de Gluck,
toujours pour la belle artiste.
— Spectacles d'aujourd'hui à l'Opéra-Comique : en matinée, les Dragons de
Villars, le Maître de Chapelle ; en soirée, la Vie de Bohème, Phœbé.
— M. Gustave Charpentier a quitté Paris vendredi pour se rendre à Alger,
où il va surveiller les dernières études de Louise, qu'on compte donner le
14 de-ce mois. Alger sera donc la première ville, après Pai'is, à monter
l'œuvre nouvelle. Après Alger, l'heureux auteur traversera hâtivement Paris
pour se rendre à Bruxelles, où on l'attend également pour ioîfise, et delà, tou-
jours dans le même but, il ira successivement à Lille, Marseille et Nice, où
il a promis de se rendre à des dates déjà fixées, et tout cela sans compter
Milan, Nîmes, Budapest et d'autres villes qui n'ont point encore absolument
arrêté les dates auxquelles elles joueront.
— Spectacles de la semaine prochaine, à l'Opéra-Populaire : lundi, Paul et
Virginie; mardi, Zampa; mercredi, la Traviata; jeudi, Paul et Virginie;
vendredi, la Traviata ; samedi, la Reine de Saba ; dimanche ; matinée, Paul et
Virginie; soirée, la Traviata.
— Le vaillant petit cercle des Escholiers, cette poignée d'amateurs de
théâtre qui pourrait en remontrer à plus d'mi de nos directeurs de grandes
scènes régulières, vient de faire représenter dans la salle du Nouveau-
Théâtre, et très bien représenter, une pièce inédite de M. Romain Rolland,
dont le titre seul, Danton, dit suffisamment le sujet. Si l'oeuvre nous apparaît
dans son ensemble de tendances mauvaises, en ce qu'elle est susceptible de
déchaîner, parmi des spectateurs populaires, des discussions malsaines et
haineuses, — encore qu'il soit assez difficile de dire exactement de quel côté
se porte l'auteur — il n'en est pas moins vrai que, sauf peut-être en son
deuxième acte un peu traînant, elle s'affirme de très grand intérêt, de faire
tout à fait adroit et de belle ardeur juvénile. Et il ne faut pas seulement féli-
citer les Escholiers du souci avec lequel ils cherchent le « nouveau », mais
encore des efforts très grands qu'ils dépensent sans compter pour mener à'
bien ce qu'ils entreprennent. Danton a été donné avec un soin de mise eu
scène et une recherche de distribution tout à fait louables. M. Henry Perrin
absolument étonnant de masque, d'allure et d'organe en Danton, M. Burguet
excellent eu Robespierre, M. iPaul Capellani ^passant avec justesse de la
fougue ardente à l'abattement pusillanime de Gamille Desmoulins, M. Sé-
ruzier un Yadier cauteleux et fielleux, sont à, la tète d'une très bonne inter-
prétation où se font encore remarquer U"'^ Marie Marcilly, Fontaine,
MM. Baner-Valin, Carlo. Lamothe et Schneider. — Le spectacle avait com-
mencé par un petit acte de psychologie amoureuse dû à M"» Paule Evian,
une gentille artiste et une femme charmante, qui n'a point hésité à être sa
séduisante interprète en cette menue histoire, plutôt aimable, d'une rupture
pour rire. M. VaUières donne agréablement la réplique à M"'' Paule Evian
dans cette Indécision, que l'auteur aura vraisemblablement souvent l'occasion
de jouer dans les salons. Pall-Émiie Chev/Vlier.
— M. Charles Malherbe, bibliothécaire de l'Opéra, qui vient de doter notre
Académie nationale de musique d'une collection d'autographes musicaux
unique au monde, tout simplement en demandant ces autographes aux com-
positeurs célèbres — et plus de huit cents se sont empressés de répondre à
cet appel — ouvre aujourd'hui une nouvelle série de documents. C'est aux
artistes lyriques cette fois qu'il s'adresse. On sollicite leur photographie ; ils
sont libres d'y joindre quelque pensée, et même une notice sur leur carrière
théâtrale. Ces envois d'artistes français et étrangers seront exposés à la
bibliothèque de l'Opéra, dans les mêmes vitrines où l'on voit aujourd'hui les
autographes musicaux.
— La question des chapeaux féminins au théâtre, qui a pris depuis quelques
années un caractère si aigu, n'est pas aussi nouvelle qu'on pourrait le croire,
non plus que celle des marchands de billets, qui, elle aussi, préoccupe. le
public. On n'a, pour s'en rendre compte, qu'à lire cette lettre que le lieutenant
de police Lenoir adressait sur ce double sujet, il y a juste cent dix-sept ans,
aux artistes sociétaires de la Comédie-Italienne. On y verra que les choses
n'ont guère changé depuis lors:
A Paris, le 6« janvier 1784.
Malgré l'avertissement porté dans le Journal de Paris au moment de l'ouverture du
Théâtre-Italien, messieurs, et même des delfenses qui ont été faites depuis, on voit jour-
nellement à Forohestre des femmes dont les coefîures et chapeaux, chargés de plumes, de
rubans et de fleurs, et d'une étendue considérable, interceptent la vue des spectateurs au
parterre et donnent lieu à des plaintes qu'il importe de faire cesser promptement. Vous
voudrés donc bien dorénavant faire refuser l'entrée de l'orchestre à toutes celles qui contre-
viendront aux deffenses qu'elles ne peuvent méconnaître et dont plusieurs ont reçu nouvel
avertissement il y a plus de quinze Jours, Pour éviter tout éclat, vous aurés soin de les
faire prévenir encore; mais dés à présent, bien informés que la consigne a été donnée à
la garde française, et que j'ai. <l6 mon côté, donné des ordres à l'offii'i'T do police, vous
voudrés liien y l'aire tenir la main et ordonner aux personnes chargées d'ouvrir les portes
de n'y laisser entrer dans l'orehesti-e que les femmes dont les coelTiires ne gêneront
aucunemenl la vue des spectateurs, autrement qu'elles seront renvoyées à se placer de
manière qu'elles ne puissent nuire au coup d'œil du spectacle. Vous devés sçavoir qu'à
l'Opéra on ne souffre dans l'amphitéâtre aucuns chapeaux ni grands bonnets, et qu'à la
Comédie-Françoise il n'entre aucune femme dans l'orchestre. II faudra recourir à un
pareil moyen si on ne parvient -pas autrement à faire cesser un abus dont le public se
plaint avec raison.
Je suis instruit que, par suite des billets qui se distribuent aux acteurs et actrices, dan-
seurs et danseuses, il s'ensuit un trafic par les mains de domestiques savoyards et par
l'entremise des garçons de cafTés, à qui on les donne en paiement et qui les revendent. Ces
manœuvres sont honteuses et sûrement désapprouvées. Peut-être, pour y mettre ordre,
serait-il nécessaire de faire cesser l'usage de donner chaque jour des billels aux acteurs,
actrices, etc, Mais auparavant d'employer les moyens que je croirai nécessaires, je désire
que vous me proposiez très incessamment ceux que vous croirez plus capables de réprimer
un pareil désordre.
Je suis, messieurs, entièrement à vous,
I.EN0IB,
î\Iessieurs les comédiens du Théâtre-Italien,
— Il ne faudrait pas croire que les- musiciens sont tellement absorbés par
le culte de leur art qu'ils se désintéi'essent des progrès scientifiques. Témoin
la double nouvelle qui nous est transmise par un de nos confrères, le Musical
News. Celui-ci nous apprend, d'une part, que le violoniste Hofmann vient
d'imaginer une automobile à moteur électrique qu'il a fait construire à ses
frais et dont on dit merveille, et-, d'autre part, que le fameux pianiste Sieve-
kinga inventé une machine volante qu'il a l'intention de soumettre prochai-
nement à l'examen d'un jury d'ingénieurs.
— Connaissez-vous les Mille et une Nuits? connaissez-vous les Contes fantas-
tiques d'Hoffmann? connaissez-vous les Histoires extraordinaires d'Edgar Poê?
connaissez-vous les Soirées de l'orchestre d'Hector Berhoz? Il y a un peu de
tout cela dans le gentil petit volume que M. Laurent de RiUé, qui est un
malin, vient de publier sous ce titre h l'apparence énigro atique : la Nuit de
Zumarraga, pour piquer par avance la curiosité du lecteur (Paris, OllendorlT,
in-12). Ce petit livre forme un recueil d'une quinzaine de contes, les uns
fantastiques, d'autres humoristiques, ceux-ci naïfs (oh! non, pas naïfs, ceux
qui connaissent l'auteur ne me croiraient pas), ceux-là presque politiques,
tous aimables, rapides, écrits d'une plume alerte et vive, et se faisant lire
avec intérêt et curiosité. Comme j'ai été naguère le parrain de l'un d'eux,
je les recommande tous à l'attention de ceux qui voudront passer en leur
compagnie une soirée agréable. Il va sans dire qu'il y en a là-dedans
quelques-uns dont la musique fait les frais : tels la Harpe de David, la Flûte
de Pan, le Piano de Mab, etc., et il serait beau de voir un compositeur qui
ne s'occuperait pas de musique même en faisant de la littérature ! Il y en a
d'autres qui sont de simples contes de fées, comme l'Ane, la Pioche d'argent,
LE MENESTREL
Hamreh.... D'ailleurs point de symboles, point d'obscurités, point d'études
psychiques, physiologiques, psychologiques ou autres choses en iques. IMais
des récits lestes, pimpants, vivaces, qui n'ont d'autre prétention que de
distraire, de charmer, et d'amuser — et qui y réussissent. C'est assurément
tout ce que l'auteur et le lecteur peuvent désirer. A. P.
— Je suis un peu en retard pour annoncer la publication du 2= Supplément
au Catalogue du Musée du Conservatoire national de musique, qui a paru à la
librairie Fischbacher, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire, surtout
quand il s'agit de choses utiles. Ce 2« Supplément est rédigé, comme le i",
publié eu 1894, par M. Léon Pillant, l'excellent conservateur du Musée. Nous
apprenons par lui que celui-ci se maintient en excellent état, et qu'Une cesse
de s'enrichir, puisque l'ensemble du Catalogue comprend aujourd'hui près de
1.500 numéros, exactement 1.463. Le Musée instrumental du Conservatoire
reste donc l'un des premiers de son genre en Europe. Le malheur est que
comme la Bibliothèque, comme le Conservatoire lui-même, il est trop à l'étroit,
trop resserré, que ses richesses y sont trop entassées, sans qu'on leur puisse
donner l'air et l'espace nécessaires. Quand donc nos ministères consentiront-
ils enfin à s'entendre pour le transfert et la réédification du Conservatoire,
ce Conservatoire digne d'Augias et qui est une honte pour la France ?
A. P.
— M. Albert Soubies vient de publier, à la librairie Flammarion, le
28« volume de son Almanach des Spectacles. Ce joli volume, à l'aspect pim-
pant et plein d'élégance, comme les précédents, est, comme eux aussi, orné
d'une charmante eau-forte de Ml Lalauze. L'éloge n'est plus à faire de cette
utile publication, devenue en quelque sorte classique, si fertile en renseigne-
ments, et qui nous donne chaque année le résumé exact et fidèle des travaux
de tous nos théâtres.
— Vient de paraître, à la librairie OUendorff, la vinfçt-cinquième année
des Annales du Théâtre et de la Musique de notre distingué confrère Edmond
StouUig. Ou connaît la réelle valeur de cette très intéressante publication,
et on sait la considération dont elle jouit si justement dans le monde qui
s'occupe des choses du théâtre. Le nouveau volume s'ouvre par une spirituelle
et mordante préface, le Prix Monbinne, signée de M'. Albert Carré, directeur
de rOpéra-Comique.
— Les meilleurs artistes de l'Opéra, de la Comédie-Française, de l'Opéra-
Comique, de l'Odéon, etc., et des principaux cabarets parisiens donneront
le 1"' février, à la Renaissance, une représentation extraordinaire au bénéfice
de M°"= Camille Bias, la doyenne de nos nouvellistes et de nos romancières.
M"= Florence Gromier, 3b, rue de Bellefond, et M. Alfred-H'eni7 Rossi, 26,
rue Washington, organisent cette œuvre de solidarité littéraire et artistique.
— L'aimable ville d'Arbois (Jura), célèbre par son joli petit vin blanc, aussi
traître qu'il est e.xcellent, est en train d'acquérir un autre genre de notoriété.
Parmi les récents décrets promulgués le !>"' jauvier et autorisant diverses
villes à percevoir des taxes en remplacement des droits d'octroi sur les bois-
sons hygiéniques, nous remarquons' ladite ville d'Arbois, qui remplace ces
droits par... une taxe de 10 francs sur les pianos. MM. les conseillers muni-
cipaux d'Arbois n'ont donc point de filles? ou, s'ils en ont, elles ne jouent
donc pas de piano ? car en ce cas. ils ne se seraient certainement pas taxés
eux-mêmes; on ne tire pas comme ça sur ses troupes. De toute façon, on
peut dire de ces braves conseillers qu'ils ne sont que médiocrement mélo-
manes.
— Dimanche dernier, dans la chapelle du château de Versailles, nous avons
entendu un charmant noël de M. Derivis; les chœurs étaient chantés par les
élèves du distingué professeur, les soli par M"«* Genicoud et Caron. \Ja Panis
angelicus de M. Th. Dubois, largement interprété par M"» Louise Genicoud,
belle voix et beau style,, a produit le meilleur effet.
— De Nimes : Très grand succès remporté par Cendrillon, dont on vient de
donner la première représentation; succès dû d'abord à l'admirable musique
dont M. Massenet a enveloppé le poème de M. Henri Cain, et ensuite aux
soins minutieux apportés par le directeur, M. Valcourt, aidé de son régisseur,
M. Plain, par tous les artistes. M"™ Frémont, Faure, Darloff, Privât,
MM. Gaspard, Rouard, et par l'excellent chef d'orchestre, M. Tartanac, pour
conduire l'œuvre charmante à. la victoire. — On va s'occuper maintenant de
la Louise de M. Gustave Charpentier, qui sera l'autre nouveauté sensation-
nelle de la saison.,
— De Chàlons-sur-Màrne : La Société amicale des Alsaciens-Lorrains vient
de donner, pour sa tête de l'Arbre de. Noël, une très bonne audition de la
Terre promise, le nouveau drame biblique de M. J. Massenet. Très bonne
exécution sous la vaillante direction de M. Félix Huet et si gros succès qu'il
est question de redonner tout prochainement une seconde audition.
— Soirées et Concerts. — Le sympathique professeur et compositeur M. Charles
René a. consacré une des séances du cours supérieur d3 piano qu'il dirige à la salle Rudy
à l'audition, par ses brillantes élèves, de la collection complète des Études de Théodore
Lack. Professeur et élèves ont' été très chaleureusement compfimentés par l'auteur, pré-
sent à cette intéressante et très pianistique séance. — Une intéressante audition d'élèves
consacrée à Schumann vient diavoir lieu au cours Sauvi-ezis. On y a applaudi les tout
petits et aussi des élèves doués déjà de qualités de style. Une brèie notice sur Schumann
complétait cette séance liistoriqne; — Ctiez M"' Huet, bonne audition d'élèveS' de la
Société de musique d'ensemble; on applaudit celle-ci dans les Norvégiennes de Delîbes et
dans des fragments de Marie Magdeleine de Massenet; le solo confié à, JP'" Rousseau. On
remarqua aussi justement M. Simon dans l'air à^Hérodiade de Massenet, M""" Musy et
M. Simon dans le duo d'Bamlet d'Ambroise Tiiomas, M'"" Musy dans un air de Manon et
dans un air d'Héi-odicule de Massenet, M™^ de Kaaz dans Élégie et Noël pdien de Massenet
et M. d'Einbrodt dans une pièce pour violoncelle, également de Massenet. — Jeudi der-
nier brillante matinée chez M"" Marie Roze, qui faisait entendre ses élèves. La célèbre
artiste, qui doit donner prochainement en Ecosse une série de 18 concerts, n'abandonnera
que très momentanément ses cours. Parmi les nombreuses élèves qui se sont fait entendre,
nous citerons W" iMac Kaye, qui a chanté les Stances de Sapho de Gounod avec un senti-
ment profond et une diction parfaite, ainsi qu'une charmante berceuse de M. Rosen, qui
l'accompagnait au piano; M"" de Laforcade, qui a dit avec un charme infini le duo de
Xavière de Théodore Dubois avec le ténor Ducot; Miss Taber, qui a fort bien chanté l'air
de Guillaume Tell « Sombres forets »; cette jeune fiUe fait de grands progrès. M. Martin,
qui a chanté Pair du Roi Jean de Saint-Saëns, a une voix de basse superbe. A côté de
lui JL Xavier de Laforcade, jeune baryton de 17 ans, s'est fait applaudir en chantant
a le Veau d'or » de Faust. M"'^^ Breu et Amanry, toutes deux douées de belles voix de
contralto, ont obtenu un grand succès, l'une dans des mélodies de Schumann et l'autre
dans l'air de Méala de Paul et Virginie. M"^*Gregory, Picot Gueiyesse, d'Aoglas, Cartaux,
ont fait apprécier des qualités et une méthode parfaite. Le ténor Ducot, très en' progrès,
a chanté l'air de la Walkyrie. Pour finir, M"^' Lyon a produit une profonde impression
en disant la Fille du timbalier de Victor Hugo .
— Cours et Leçons. — Au cours Sauvrezis, 44, rue de la Pompe, étude historique de
la sonate, du XVIP siècle à nos jours. Une série de six séances par abonnement commen-
cera le 19 janviei" à 4 h. 1/4 : sonates pour piano et violon par M"" Alice Sauvrezis et
M. Armand Parent; notices analytiques. Intermèdes de musique vocale par M""* Marie
Mockel, M"" Yvonne Borghez, Joly de laMare,Raulin, Sandre, GaëtaneV'icq, MM.Challet,
Dantu, Mazalbert.
'nécrologie
Nous annonçons avec regret la mort, à l'âge de bO ans environ, d'un aimable
écrivain, M. Auguste Baluffe, qui avait compté accidentellement au nombre
des collaborateurs du Ménestrel. Il avait dirigé pendant plusieurs années
l'Artiste, fondé naguère par Arsène Houssaye, mais s'était surtout fait
connaître par un certain nombre de travaux sur Molière, dont plusieurs
avaient été réunis par lui en un volume intitulé Autour de Molière (Paris, Pion,
1889, in-12). M. Baluffe est mort ces jours derniers à Montpellier.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Pour paraître prochainement AU MÉNESTREL (tirage limité)
LE CONSERVATOIRE NATIONAL DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
— DOCUMENTS HISTORIQUES & ADMINISTRATIFS —
Recueillis , établis ou rédigés
P.VR
Sous-chef du Secrétariat, lauréat de l'Imlitut.
Un fort volume în.-4'> carré de 1060 pages, iJut>né par* l'Impr-imene nationale.
DOCUMENTS HISTORIQUES
I. L'Ecole royale de chant, 1784-1793; — II. L'École royale dramatique, 1786-1789; — III. La musique et l'École de la garde nationale, 1789-1790;
IV. L'Institut national de musique, 1793-1793; — V. Le Conservatoire, 179b-lS15; — VI. L'Ecole royale de musique, 1816-1822.
DOCUMENTS ADMINISTRATIFS
VII. Actes organiques : règlements, arrêtés, rapports concernant l'enseignement; projets de réorganisation; — VIII. Conseils d'enseignement et comités d'examens,
arrêtés, états périodiques, liste alphabétique; — IX. Personnel administratif et enseignant, 179S-1900, états périodiques, liste alphabétique; — X. Exercices des
élèves : notice historique, programmes 1802-1900; — XI. Palmarès des concours, liste des professeurs et lauréats par branches d'études, morceaux de concours;
dictionnaire des lauréats (6.090 notices biographiques); statistiques, élèves, aspirants, classes, concours, repartition des lauréats par lieux d'origine;
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LE MENESTREL
Soixante-septième année de publication
PRIMES 1901 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1=^ DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CHAXT ou pour le PIAIVO et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHAKT et PIA^'O.
O -HL A. JN T d" MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
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OUVERTURE, ENTR'aCTES, MUSIQUE DE SCÈNE
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GEORGES RIZET
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Un recueil grand in-4''.
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OU à l'un des volumes in-S- des CLASSIQ0ES-MARMONTEL. : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à lun des
recueils du PIANISTE-LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes- compositeurs, ou à Tun des volumes du répertoire de
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne, ou OLIVIER MÉTRA et STRAUSS, de Paris.
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A L'ABONilMEJ
THÉÂTRE
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Loxnsixi x]a.-u.sîc£il exi 4 a,ctes et S t£i,lDleei.ix3c THEATRE
L'OPÉRR-GOIUIQUE
G. CHJIÎ^PEATIEÎt
PARTITION CHANT & PIANO
li'GPÉI^B-GGIWIQUE
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NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont délÎTrées gratuitement dans nos bureaux, 2 bh, rue Viïienne, à partir du 15 Décembre 1900, à tout ancien
ou nouTel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au iUÉKES>TREI> pour l'année 1901. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'U.ll ou de DEIL\ francs pour l'envoi franco flans les départements de la prime simple ou double. (Pour l'Étraugcr, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
les abonnés au Clianl peuvent prendre la prime Piano el viceversa. - Ceux au Piano el au Cbant réunis ont seuls droit à la grande Prime. - les abonnés au leile seul n'oni droil àaucuucprime.
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de chant ;
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine ; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
CONDITIONS D'ABDNNEIHENT AU « MÉNESTREL » PIANu
2' Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux dl piano
Fantaisies , Transcriptions , Danses , de quinzaine en quinzaine ; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger ; Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
; d'abomiement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime.
et Pi'ovince; Étranger : Poste en sus.
4° Mode. Texte seul, sans droit aux primes, un an ; 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un hon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
3642. - 67- mu - îi" 2. pj^R^IT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 13 Janvier 1901.
(Les Bureaux, S"'", rue Tivienue, Paris)
(Les mamiscrils doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux
MÉNESTR
le Haméfo : 0 îp. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie lïaméFo : 0 iv. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bi», rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de C!hant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIEE-TESTE
. Peintres mélomanes (10° article) : la musique peinte, Raymond Bouïer. — H. Semaine
théâtrale ; premières représentations du Bon Juge au Vaudeville et du Coup de fouet
aux Nouveautés, Maurice Froïez ; première représentation du Bon Pasteur au Théâtre-
Cluny, H. Jl.; reprise de la Mascotte à la Gaité, 0. Bn. — 111. Ethnographie musicale,
notes prises à rExposition (H" article) : la musique chinoise et indo-chinoise, Julien
TiERSOT. — IV. Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (14" article) : la rue de Paris,
Arthur Pougin. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, con-
certs et né
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CE QUE DISENT LES CLOCHES
nouvelle mélodie de ,T. Massenet, poésie de Jean de la Vingtrie. — Suivra
immédiatement : Au bord de l'eau, n" 3 des Vaines tendresses, nouvelles mélo-
dies de Théodore Dubois, poésie de Sully-Prudhomme.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Preludio-patetico de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : la Romaïka,
souvenir de Smyrne, de Théodore Lack.
PRIMES GRATUITES DU MENESTREL
pour l'année 1901
Voir à la S' page des précédents numéros.
PEINTRES MÉLOMANES
LA MUSIQUE PEINTE
— Je redemande la Fée des Alpes, dit une voix Jeune.
— Et moi, je réclame le Balletdes Sylphes...
. . . Autour du piano, du monumental Erard qui accentuait sa
double rangée d'ivoire et d'ébène dans l'enveloppante intimité
des lumières, nous étions, l'autre soir, un petit cercle recueilli
d'amateurs, jouant, applaudissant, discutant tour à tour, fami-
lièrement Beethoven, Schumann, Brahms, Berlioz et Wagner ;
un compositeur original, excellent pianiste et qui ne chante pas
en public, nous ravissait par une interprétation chaleureuse,
variée, spirituelle, vivante : c'est un original, en effet, puisqu'il
aime assez la musique pour savourer jusqu'aux larmes les par-
titions des autres!
— Sans le secours du téléphone ni du rusé phonographe, nous
revoici donc à nos bien-aimés concerts...
— Sans doute. Madame, mais depuis quelques minutes, dit un
fervent collectionneur, je crois être à l'ancienne exposition des
Champs-Elysées : le tableau que nous formons à notre insu, je
l'ai vu jadis au Salon. Et n'était votre présence, ajouta-t-il en
s'inclinant gaiement vers le groupe rieur des pâles toilettes, je
préférerais l'art à la nature, car ce vrai chef-d'œuvre, si
simple . . .
— De Fantin-Latour, n'est-ce pasV interrompit la jolie voix
friande de Schumann. Un grand portraitiste. . .
— Vous l'avez deux fois nommé, Madame.
— Autour du piano... Je me souviens ! C'était au Salon de 188S.
Ne peut-on pas manifester quelque mémoire des dates, quand il
s'agit de belles choses qui ne sauraient vieillir?... Et j'entends
encore la glose murmurée d'un amoureux d'art : « 11 y a prise
de possession par le musicien ; on écoute comme on écouterait
la Bible, dans le silence profond et l'immobilité absolue. » J'en-
tends encore ou plutôt je revois la silencieuse harmonie qui
flottait dans cette atmosphère puritaine, je revois la bonne face
rubiconde d'Emmanuel Ghabrier se retournant vers l'ami le plus
proche de son austère auditoire. Le jeune Vincent d'Indy se
tenait droit, tout pâle. Mais l'artiste s'est-il représenté dans ce
groupe cordial de portraits masculins?
— Nullement. Ce grand portraitiste, qui est en même temps
le plus poétique de nos peintres, est un original, lui aussi, un
artiste de la vieille roche, un artiste, tout court et sans phrases,
dont la belle âme modeste a toujours pratiqué jusqu'à l'ascétisme
le conseil du poète au poète :
Ami, cache ta vie, et répands ton esprit...
L'avez-vous jamais rencontré dans une soirée oflBcielle? Ètes-
vous poursuivie par sa photographie dans les vitrines éblouis-
santes, entre deux divettes de café-concert? Lisez-vous quelque
interview fraîchement prise à sa personne ? Au monde où l'on
s'ennuie, l'artiste préfère les placides joies du home. « Il est
sincère, quelles délices ! » a dit joliment M. Jean Dolent, qui tra-
duisait si bien votre impression sereine autour du piano. Mais
vous. Mesdames, à qui M. Octave Feuillet lui-même a prêté
volontiers une indulgence comme attendrie pour les mauvais
sujets, ne serez- vous pas fort désappointées en apprenant par
son exemple que l'on peut être un maître indépendant sans rien
garder de la bohème aventureuse ?
— Vous me navrez, Monsieur, lança la voix chaude qui avait
réclamé le Ballet des Sylphes. Il me semble toujours mieux aimer
l'œuvre lorsque j'ai vu son auteur.
— Plus d'un philosophe partagerait gravement votre badine
opinion. Madame. Mais M. Fantin-Latour, sur ce point, ne satis-
fera jamais la curiosité des psychologues ni la vôtre. Depuis
plus de trente ans Adèle à sa rue morose, à sa chère rive gauche,
la rive des penseurs, il vit seulement dans ses œuvres et pour
elles. Il n'existe que pour les intimes. Combien ne l'ont aperçu
10
LE MÉNESTREL
que dans son Hommage à Delacroix, régal des musées futurs?
L'auteur s'est représenté là, tel quel, de profil, en tenue d'ate-
lier, petit avec de grands cheveux, plutôt blond et pâle, avec sa
bonhomie quasi narquoise, avec la discrétion de l'affectueuse
ironie qu'il a toujours, quajid il dit, par exemple, l'excellent
peintre, après avoir effleuré quelques virtuoses anonymes : « Oh!
les pianistes qwi n'ont pas de doigts! »
— En ce groupe d'artistes autour d'un portrait du maître,
n'est-ce pas le poète Théophile Gautier qui s'étonnait de ren-
contrer l'image, au reste admirable, d'un Baudelaire à la fois
sarcastique et rêveur, du plus romantique des poètes parmi les
néophytes du réalisme?
— Oui, dans sa merveilleuse Préface des Pleurs du Mal, où le
magicien-ès-lettres nous accordait par avance que les idées de
Baudelaire l'avaient qrielque temps orienté « vers l'école réaliste
dont Courbet est le dieu et Manet le grand-prêtre » ; mais il
ajoutait souverainement (je retrouve la page) que « Delacroix
avec sa passion fébrile, sa couleur orageuse, sa mélancolie poé-
tique, sa palette de soleil couchant et sa savante pratique d'ar-
tiste de la décadence fut et demeura son maître d'élection ».
Delacroix, voyez-vous, c'était le dieu de Baudelaire, et c'était,
dès lors aussi, le dieu de Fantin-Latour. Le jeune réaliste de 1864
était un poète en puissance, puisqu'il chérissait déjà la musique.
Mais à cette heure transitoire, tous les novateurs n'étaient-ils
point dits réalistes, même « M. "Wagner », le compositeur » hyper-
romajitique » ?
— Le mot est de Gautier?
— Non, de Champfleury, le railleur qui fait partie de l'Hom-
mage. Et ses Grandes figures d'hier et d'aujourdliui ne craignaient
point de confronter Gérard de Nerval et Balzac, M. Wagner et
M. Courbet. L'avocat du Réalisme se passionnait pour le Prélude
de Lohengrin aux trois concerts des Italiens, et l'année suivante,
au printemps, pour Tannhauser. Ce Tannliàuser sifflé, notre jeune
peintre ne devait l'entendre au Grand Opéra que trente-quatre
ans plus tard, car il avait pris son billet pour la « quatrième »,
qui fut interdite : mais déjà la poétique volupté du Venusberg
hantait ses rêves. Son crayon gras vibrait sur la pierre...
— Un réaliste, un admirateur de Courbet, de Millet, d'Hervier,
traduire de prime abord, et si poétiquement, ses adorations
musicales, n'est-ce pas un prodige?
— Pas du tout! Pour saisir le talent subtil de Fantin-Latour.
talent nourri de réel et de songe, il faut revivre le milieu com-
plexe où se forma sa jeunesse. L'âme a des saisons, comme la
nature : il y a quelque trente ans, chaque dimanche d'hiver, les
premiers concerts Pasdeloup attiraient la foule tapageuse et les
amateurs pensifs; Schumann et Beethoven, Wagner et Berlioz,
— chaque programme était une révélation! Ce qui nous charme
ce soir était sifflé par les uns, applaudi par les autres, comme un
miracle du Saint-Graal. La date du 27 octobre 1861, l'année de
Tannhauser, semblait lumineuse, à l'égal des Phares que Baude-
laire avait chantés. Et, déjà, Fantin-Latour était un fanatique de
symphonies. Le coloriste qui germait en lui ne se contentait
point d'avoir copié plusieurs fois les Noces de Cana dans le Salon
Carré du Louvre, ni d'exalter son cher Delacroix, que sa hautaine
Immortalité célébrait naguère encore : il puisait sans trêve des ins-
pirations inédites en écuutant la poésie du Romantisme à travers
le prisme merveilleux des accords et des timbres. Et vers le
même temps, le jeune homme indépendant pressentait l'impres-
sionnisme aux premiers entretiens du café Guerbois ; mais à
Londres, avec James Whistler, il avait étucUé sur place la flore
si curieusement locale du Préraphaélitisme anglais. Telles sont
ses origines intellectuelles. Toutefois, son penchant pour la
musique a des racines profondes en son caractère même. Intel-
lectuellement, Schumann est l'un des siens. Le peintre estime
sa tendresse ûère et sa discrète exaltation. Son atmosphère est
saturée de cette àme. Il adore les fleurs. Il comprend mieux que
personne » le langage des fjeurs et des choses muettes », l'artiste
qui chérit surtout dans la musique le souvenir d'un passé lumi-
neux qui pleure en souriant. Ce mélancolique sourire est tout
son œuvre. Et vous paraissiez regretter, Madame, de ne le point
connaître, vous m'en vouliez un peu de partager sa délicatesse
et ses scrupules, en restant muet sur l'homme. Mais l'œlivre est
là, tout près de vous, dans votre souvenir, dans vos yeux,
miroir brillant où persiste la grâce évanouie de la Brodeuse de
la CenteBitale : déjà tel portrait plein d'àme est une mélodie;
ces roses blondes, entrevues dans la pénombre ou sous la voi-
lette, n'évoquent-elles pas les Charlottes idéalisées par les cahiers
des Werthers? Un mélomane seul pouvait deviner ces reines de
l'intimité. Ce n'est pas tout. Le peintre des portraits pensifs est
en même temps le créateur des songeries vaporeuses; or, il
travaille d'après Schumann et Brahms, d'après Wagner et Berlioz :
telle est son originalité propre !
— Enfin, le voilà donc, le vrai peintre mélomane!
— Patience, Mesdames! Il y a, certes, plusieurs façons de se
montrer peintre mélomane ; on peut être musicien, comme l'im-
mortel interrogateur de la Joconde; ami de la musique, eoua'iae
Delacroix; amoureux de l'orchestre, la plus prestigieuse des
palettes, comme Franz Liszt, qui voyait tant de choses dans les
timbres ; inspiré soudainement, touché de la grâce au théâtre,
comme notre Corot rentrant cVOrphée. Eh bien, cette inspiration,
passagère chez l'admirateur de M'"' Viardot, devient une seconde
nature chez Fantin-Latour : à ses yeux, la musique devient
femme et revêt des formes. Le peintre la voit et l'exprime. Elle
est sa Muse. Ce n'est pas lui qui, musicien, défendrait la mau-
vaise humeur de Berlioz pré fendant que le Jugement dernier de la
Sixtine était resté sans influence sur le colossal émoi de son
Requiem; peintre, il a trouvé de bonne heure, dans la commotion
musicale, un noble prétexte de rêverie, le renouvellement sou-
haité des plus poétiques légendes :
Sur des sujets anciens, faisons des vers nouveaux...
N'est-ce point la tradition même de Schumann, qui, féru des
maîtres, mais jaloux de son libre arbitre, a rajeuni les formes
classiques en les drapant de son rêve? Et la troisième partie
mystique de son Faust n'est-elle pas un oratorio transfiguré ?
Les allégories de M. Fantin sont des âmes sœurs, dans le décor
des trompettes et des palmes. Illustrons musicalement notre idée
en rejouant la Rédemption de Faust.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre du Vaudeville. Le Bon Juge, comédie en trois actes, de M. Alexandre
Bisson. — Théâtre des Nouveautés. Le Coup de fouet, comédie en 3 actes,
de MM. Henneijuin et Duval.
Le théâtre du Vaudeville vient de nous donner une pièce des plus
amusantes. M. Porel semblait avoir abandonné la comédie légère pour
nous offrir une série d'œuvres plus ou moins psychologiques et plus ou
moins heureuses. Avec le Bon Juge, le bon et sympathique directeur
est revenu à la joyeuse tradition qui assura à son théâtre les succès
centenaires des Surprises du divorce, du Conseil judiciaire, de Tête de
linotte, j'en passe et des meilleurs. De pareils spectacles, quoi qu'on en
dise, délassent l'esprit des tracas de la vie journalière, le reposent des
comédies trop subtiles et d'une analyse trop énervante, qu'une certaine
école voudrait exclusivement nous imposer, en bannissant, de tout
théâtre d'ordre, le rire, qui est le propre de l'homme et surtout le
propre du Parisien.
Le nouveau succès de M. Bisson est une sath'e ou une charge,
comme vous le voudrez, de nos excellents magistrats. Sans vouloir
comparer en rien cette pièce à la Robe rouge, il est assez piquant de
voh- la magistrature portée sur la même scène par deux maîtres de
talent et de genre si différents, et de rapprocher le tableau plein de vé-
rité de M. Brieux de la pochade pleine de fantaisie de M. Bisson.
Le Plantin est le bon juge d'instruction qui use et abuse de son
pouvoir discrétionnaire de la façon la plus étonnante ; il fait arrêter
tout le monde et il est incapable de rendre une ordonnance de non-lieu
en faveur de ses victimes, puisqu'il ignore, la plupart du temps, la cause
de leur arrestation.
Après mille péripéties plus réjouissantes les unes que les autres,
après des évasions inénarrables, nous voyons les victimes du bon juge
former un syndicat avec la propre femme du volage Le Plantin et avec
LE MÉNESTREL
11
sa belle -mère, aân de lui rendre la monnaie de sa pièce. Ils le font
arrêter à son tour, et lui font subir toutes les tracasseries dont il se
montrait si prodigue envers les prévenus; notre homme est donc puni
par où il a péché (c'est là l'idée tout à fait plaisante de cette comédie) ;
il reconnaît ses fautes et il donne sa démission de magistrat.
On pourra peut-être reprocher au dernier acte quelques analogies
avec le troisième acte du Contrôleur des wagons-lits; la situation évi-
demment offre quelques ressemlîlances ; mais l'auteur de ces deux
pièces nous a montré qu'un homme d'esprit peut, d'une situation iden-
tique, tirer deux actes absolument différents l'un de l'autre et pleins de
cette force comique qui a placée M. Bisson au premier rang de nos
-auteurs gais.
Le Bon Juge est monté avec le goût et le soin que M. Porel, un maître
de la mise en scène, apporte à toutes les œuvres qu'il nous donne. La
pièce est jouée par MM. Huguenet, Numès, Numa, Barou fils, Gildès
et M'"''* Daynies-Grassot, Thomassin et Bernin. 11 suffit de les nommer,
leur éloge n'est plus à faire.
Le Coup de fouet sera certainement un des plus grands succès du
théâtre des Nouveautés ; ce n'est pas là un éloge banal, chacun sait le
sort heureux de la plupart des comédies montées par M. Micheau,
l'enfant chéri de la victoire.
Dans cette pièce l'on parle souvent de M. Scribe ; et du haut du ciel,
sa demeure dernière, le vieux maître doit être content de l'habileté scé-
nique vraiment merveilleuse dont MM. Hennequin et Duval ont fait
preuve en écrivant leur vaudeville. Il n'est encore rien de tel poui- di-
vertir le public qu'une pièce bien faite, et celle-ci l'est de main de
maître.
Le point de départ du Coup de fouet est tout à fait ingénieux. Un
certain Baricart a trouvé un truc infaillible pour tromper sa femme sans
qu'elle puisse s'en douter. Il s'est inventé un sosie! Et voici comment :
il a commencé par envoyer à son épouse des lettres anonymes le dénon-
çant comme se livrant à la noce la plus folle justement aux jours et
aux heures où, mari vertueux, il n'avait pas quitté M"' Baricart. Celle-
ci, étonnée d'abord, s'imagine avoir la clé de ces dénonciations calom-
nieuses le jour où son époux lui raconte qu'il a été pris dans la rue
pour un marseillais auquel il ressemble, paraît-il, d'une façon étonnante.
Plus de doute possible ; l'auteur des lettres anonymes a confondu Baricart
avec le marseillais ! On pourra désormais affirmer à M°"^ Baricart que
son mari lui est infidèle, elle pourra même le rencontrer avec une
femme, elle demeurera persuadée que le coupable est le fameux sosie de
son époux.
Malheureusement une de ses amies, très ferrée sur les ruses des
maris , — elle est la nièce de Scribe et connaît tout son répertoire, — flaire
quelque manigance et met en doute l'existence même du commode
marseillais.
Pour sauver la situation, Baricart paye d'audace et se présente chez
lui sous le nom et avec l'accent de son sosie. Après mille vicissitudes
et après avoir assumé sa réelle existence, il s'apprête à se retirer pour
pouvoir rentrer ensuite sous son véritable nom, lorsqu'il est subitement
pris d'un coup de fouet à la jambe et dans l'impossibilité de faire un
pas. Vous jugez quelles scènes imprévues peuvent naître de cette si-
tuation réellement nouvelle ; les quiproquos les plus étourdissants dé-
coulent les uns des autres avec cette logique implacable qu'exige le
vaudeville pour pouvoir réellement nous divertir.
A la fin tout s'arrange, bien entendu selon les lois de la morale et
pour la plus grande joie des spectateurs.
La troupe des Nouveautés a enlevé ces trois actes avec un brio et un
mouvement remarquables, on sentait qu'elle marchait à une victoire
certaine. M. Germain a trouvé dans la double incarnation de Baricart
un de ses meilleurs rôles, il peut y déployer ses réelles qualités de
comédien sans avoh- recours à des grimaces souvent trop faciles ;
M. Torin est un commandant plein d'entrain et d'autorité. M'"" Manuel
une veuve de colonel bien moderne. M"' Chevilly une maîtresse de
piano comme on en souhaiterait. M"'*' Lender et Burty sont plus que
jamais les jolies femmes et les charmantes comédiennes que l'on sait,
M""' .Tenny Rose est l'artiste sure et consciencieuse que nous aimerions
à retrouver souvent dans des rôles moins sacrifiés. J'aurai porté tout le
monde à l'ordre du jour quand j'aurai félicité comme il convient
MM. Colombey et Marcel Simon.
Maurice Froyez.
* *
Cluny. Le Boi. Pasteur, vaudeville en trois actes de MM. Maurice Ordonneau
et Broadhurst.
C'est une fantaisie épileptique et clownesque comme on les aime sur
les bords de la Tamise; car nous imaginons, sans en être bien certain,
que M. Broadhurst doit être un de ces « humouresques » anglais, dont
l'esprit est quelquefois très tin et le plus souvent très fou. Comme
M. Ordonneau avait déjà trouve là-bas une certaine Marraine de Cliarley,
dontil avait tiré une adaptation française qui eut du succès (pourquoi?)
à ce même théâtre de Cluny, il a pensé sans doute qu'il devait de
nouveau tenter la chance du même côté avec une pièce de même nature.
Mais, cette fois, il avait beaucoup neigé et la route était difficile pour
gagner ces parages éloignés; le public et les journalistes sont arrivés
de mauvaise humeur et ils n'ont point voulu trouver drôle une farce
ouLrancière qui les aurait peut-être amusés dans d'autres circonstances
atmosphériques. Et voilà à quoi tient le sort de ce genre de pièces, qui
ne reposent pas sur un fond solide : à une simple disposition du spec-
tateur, à quelques flocons de neige qui l'ont fouetté au visage, à un
mauvais verglas qui l'a fait glisser sur le trottoir. Et le dégel est arrivé
trop tard! H. M.
f '*
Théâtre de la Gaîté. Reprise de la Mascotte.
Malgré son existence déjà longue, la partition de la Mascotte, que le
théâtre de la Gaîté vient de repreudi-e, ne montre encore que peu de
rides, qui d'ailleurs nous gênent aussi peu que les fines craquelures
dans les tableaux des vieux maîtres. Grâce à cette fraîcheur relative,
à la splendeur de la mise en scène qui rend la cour de Laurent XVII
digne de celle de Laurent de Médicis, et à l'excellente distribution, la
Mascotte des auteurs pom-rait bien en devenir une pour le directeur de
la Gaîté. C'est surtout la distribution qui a mis le public en belle hu-
meur et la partie était gagnée dès le joli duo d'amour du premier acte que
M'"" Germaine Gallois, l'accorte gardienne de dindons, détaillait d'une
façon charmante avec M. Lucien Nocl, le berger de son cœur. Le prix
dechant leur était d'ailleurs disputé avec succès par M. Soums, qui, dans
le rôle du prince, conduit son agréable voix de ténorino avec une habi-
leté dont les chanteurs d'opérettes modernes ne sont guère coutumiers.
M. Paul Fugère, le roi Laurent, a fait la joie de l'assistance par le na-
turel et la vis comica de son jeu et par quelques improvisations destinées
à donner à la pièce un vernis moderne; on s'esclaffait lorsque ce roi
d' Yvetot i talien annonçait gravement qu'il allait décréter une surtaxe sur
l'alcool pour doter sa fille, et lorsqu'il se nommait un « Chamberlain »
en la personne amusante de M. Vavasseur. Un agréable divertissement,
avec l'agile M'" Julia Duval comme étoile, a contribué au grand succès
de la reprise, qui prouve que le genre de l'opérette n'est pas aussi mort
que d'aucuns prétendent, mais bien plutôt que le genre des paroliers
et des compositeurs spéciaux tend à disparaître. O. Bn.
ETHNOGRAPHIE MUSICALE
Notes prises à l'Exposition Universelle de 1900
(Suite.)
IV
MUSIQUE CHINOISE ET INDO-CHINOISE
Dans un chapitre postérieur, l'auteur ajoute pourtant cette indication
plus précise, que, dans l'accompagnement de la voix par le kin (instru-
ment à cordes), on pince toujours deux cordes en même temps, tantôt
par intervalle de quarte, tantôt par celui de quinte. Les notations de
musique japonaise nous ont déjà donné de nombreux exemples de ces
sons simultanés, dont la pratique ne saurait être considérée comme
représentant rien qui puisse être comparé à notre harmonie occi-
dentale.
Pour appuyer ses dires d'un exemple, le P. Amiot a donné la nota-
tion d'un chant religieux célèbre, l'Hymne en l'honneur des Ancêtres. Ce
morceau, accompagné de danses sacrées, se chante avec une grande
solennité, dans un temple approprié, en présence de l'Empereur. « En
entrant dans la salle, on voit, à droite et à gauche, les joueurs du cheng
(instrument à vent composé principalement de tuyaux accolés circulai-
rement), du king (instrument composé de pierres sonores), et autres
joueurs d'instruments, rangés par ordre. Vers le milieu de la salle
sont les danseurs, habillés en uniforme et tenant à la main les mstru-
ments qui doivent leur servir dans leurs évolutions. Plus près du tond
sont placés les joueurs du kin et du chê (instruments à cordes de la
nature du koto japonais, le premier à sept cordes, le second a vmgt-cmq),
ceux oui touchent sur le tambour po-fou, et les chanteurs. » Dans le
fond dé la salle sont les représentations des Ancêtres, devant lesquelles
s'élève un autel : la cérémonie est célébrée par l'Empereur en personne,
au son de l'Hymne chanté et dansé.
En passant, notons que le Temple des Ancêtres de la dynastie tut,
d2
LE MÉNESTREL
lors des événements du mois d'août 1900, une des premières positions
que les troupes françaises aient occupées, à Pékin, dans l'enceinte de
la ville impériale. Elles y pénétrèrent, sous le commandement de leur
général qu'accompagnait le ministre de France, l'honorable M. Piclion,
après avoir passé un premier pont de marbre jeté sur un lac que cou-
vraient des nénuphars eu fleurs, puis deux autres ponts de marbre,
après lesquels commençait la citée sacrée. Aussitôt le drapeau français
fut dresse sur le temple, qui, choisi pour quartier général, a retenti
depuis lors de musiques un peu différentes, et plus modernes, que l'hymne
coutumier dont une tradition vénérable fait remonter l'origine jusqu'à
Confucius !
Cet hymne a trois strophes, chacune de huit vers de quatre syllabes.
La première est entonnée au moment où l'Empereur arrive devant
l'autel : la seconde est chantée pendant l'offrande ; la troisième pendant
la sortie du souverain. Trois coups frappés sur un tambour, suivis d'un
coup de cloche, donnent le signal de l'attaque. Les voix chantent très
lentement : pendant la durée de chaque note tenue, les instruments
exécutent une espèce de battement formé d'un coup de cloche suivi de
trois coups de tambour, d'une note pincée par les instruments à cordes
(à l'unisson ou l'octave aiguë du chant), puis encore trois coups de tam-
bour, enfin une dernière note des instruments à cordes. — Il me semble,
d'après cette description, que la sonorité de cet hymne ne doit pas être
sans analogie avec celle du ^o»jetoji(/ javanais. — A la fin de chaque vers,
Tin coup frappé sur un tambour donne le signal du tacet général ; après
Tin silence, les tambours recommencent, puis la cloche, enfin les voix et
instruments unis, et ainsi de suite jusqu'à la fm.
Voici la notation de cet Hymne en l'honneur des Ancêtres, telle que la
donne le Mémoire du P. Amiot. La mélodie est entièrement écrite dans
l'échelle de cinq notes : fa sol la do ré. Les ré à l'octave que l'on trouve
par deux fois sont destinés, le plus aigu aux instruments, le plus grave
à la voix.
HYMNE EN L'HONNEUR DES ANCETRES
Première partie.
Hioen hUD cbeon ming.TchoDi yuen ki sien, Ming yû cbé IsouDg, Y ouan see
Seconde partie.
Jou kien bi bing, Jou oueo ki cbeng, Ngaieulb kingtché, Fn bou Icbonog ts
Troisième partie.
beouBaogkoue, Yupaoki tè, H30 Tien oujng ki . Y.ililu sao hien.Ouo hiD yué j.
Nous avons cru nécessaire de donner, dans ces études d'ethnographie
musicale, cette analyse et cet extrait du livre du savant missionnaire.
Ils n'ont pourtant, il faut en convenir, aucun rapport avec l'Exposition
de 4900 ; mais la musique chinoise a une importance tellement primor-
diale parmi l'ensemble des musiques d'Extrême-Orient que, bien
qu'aucun Chinois ne soit venu nous en faire entendre cette année, il
fallait bien pourtant essayer d'en donner une idée, si fugitive fût-elle.
Mais un des spectacles exotiques de l'E.vposition coloniale nous a
offert un très intéressant spécimen d'une musique de danse qui découle
en droite ligne des principes de la musique chinoise. C'était dans un
certain Théâtre indo-chinois, où le spectacle était vraiment bien hété-
rogène, mais où figurait une troupe de musiciens venus de notre colo-
nie de Cochinchine, avec non seulement leur costume. — sans parler
du type, qui ne trompe pas, — mais encore tous leurs instruments et
lem- répertoire musical. Ils formaient un petit orchestre d'une quin-
zaine de musiciens, accompagnant des danses dont, maintenant que
l'Exposition est finie, il vaut mieux ne pas évoquer l'inutile souvenir :
eux, du moins, donnaient dans le concert infiniment varié des musiques
exotiques une note très particulière.
Dans une visite que, fidèle à mes habitudes d'enquête directe et per.-
sonnelle, je fis un matin au domicile particulier des musiciens du
Théâtre Indo-Chinois, j'eus l'occasion d'admirer combien l'homme est
ingénieux à se créer des difiicultés vaines et à compliquer les choses les
plus simples. Déjà, au Théâtre Annamite de 89, j'avais remarqué l'exis-
tence d'un certain violon à deux cordes très rapprochées, où l'archet, au
lieu d'être manœuvré librement, était emprisonné entre les deux
cordes, de sorte que, pour faire vibrer soit l'une, soit l'autre, l'instru-
mentiste était obligé de faire des efforts d'adresse, pour ne produire
d'ailleurs que le résultat le moins agréable à l'oreille. J'ai retrouvé ce
même violon au Théâtre Indo-Chinois. Mais j'y ai vu quelque chose de
bien plus remarquable encore. C'est un instrument composé d'une lame
vibrante dont le son change de hauteur suivant qu'on y appuie plus
ou moins fort. Là, pas de division exacte du corps sonore : c'est au
jugé que l'exécutant produit la note requise; aussi l'on devine quelle
précision il obtient, quelle glissade de notes on entend quand le métal
se distend, au lieu d'ini son franc et défini! Cela d'ailleurs est peut-être
une beauté pour la musique d'Extrême-Orient; et qui sait si ce n'est
pas dans des systèmes instrumentaux de ce genre qu'il faut chercher le
véritable sens du fameux quart de ton, renouvelé des Grecs, qui a fait
couler tant d'encre depuis le divin Olympes jusques à nos jours!
Les autres instruments de ce théâtre étaient, outre les violons à deux
cordes déjà décrits (dénommés Co dans la langue du pays), des -flûtes
(Téou), puis des instruments à cordes pincées. L'un, de la nature du
Koto japonais (cordes tendues sur une table d'harmonie et accordées
suivant la gamme de cinq tons), est appelé ici Tranh (il est à remarquer
que cet instrument, répandu dans tout l'Extrême-Orient, n'est jamais,
dans les divers pays, désigné par le même nom : déjà en Chine nous
en avons trouvé deux variétés, différentes seulement par leurs dimen-
sions, sous les noms respectifs de Kin et de Clié). Deux autres rentrent
dans la catégorie des luths, l'un grand (Kimj, l'autre petit (Tan); puis
c'est une sorte de harpe à une seule corde (Houyen) ; enfin quelques ins-
truments à percussion, petits tambours, sortes de crotales, clochettes
et petites cymbales, groupe moins tapageur et de sonorité plus délicate
que les terribles tambours du Théâtre Annamite.
Ces instruments réunis accompagnent les danses en une. espèce
d'unisson, non d'ailleurs sans laisser à certaines parties quelque indé-
pendance. Le chef des musiciens, M. Viang, venu, comme toute la
troupe, de Saigon, et parlant fort bien le français, m'a fait ;i ce sujet
une observation qui dénote une parfaite intelligence des combinaisons
musicales. « Tous mes musiciens, me dit-il, ne jouent pas identique-
ment la même chose : pourvu que, dans chaque dessin, tout le monde
commence de même et retombe sur la même note à la cadence, tout
est pour le mieux; dans l'intervalle chacmi est libre de varier le thème
à sa guise. » Il y a donc, dans ces sortes d'exécutions collectives, une
certaine part d'improvisation individuelle, quelque chose d'analogue au
procédé des « Chanteurs au livre » italiens d'avant la Renaissance. Ajou-
tons que les instruments ne donnent pas toujours tous à la fois, qu'ils
entrent à tour de rôle. Les instruments à percussion, notamment, n'inter-
viennent qu'après le développement commencé, et déjà assez avancé; ils
procèdent volontiers par rythme dactylique, la première note (longue),
piquée surtout par les sons cristallins des petites cymbales, étant plus
accentuée que les deux brèves. Les instruments graves à cordes pincées
se détachent volontiers du chant pour faire des dessous formés d'une
tonique et d'une dominante alternant, dans le même rythme que la
partie supérieure; quant à celle-ci, elle est exécutée principalement par
les instruments aigus, notamment par les Co (violons à deux cordes),
dont la sonorité un peu aigre, mais pénétrante, donne au chant une
vibration toute particulière. A la fin des danses, les voix des femmes
s'unissent parfois aux instruments pour doubler le chant. Au reste, le
même morceau est susceptible d'interprétations diverses : quelques
instruments supprimés ou ajoutés, le mouvement plus ou moins rapide,
et voilà la physionomie musicale complètement changée. L'ensemble
est de ton clair et de sonorité délicate et fine.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION XJNIVEB SELLE i DE 1900
(Suite.)
LA BUE DE PARIS
Théâtre des Bonshommes Guillaume. — Celui-ci du moins était original
et nous faisait sortir de l'écœurante banalité des cafés-concerts de bas
étage. Il était l'œuvre des deux frères Guillaume, dont l'un, architecte
LE MENESTREL
13
de beaucoup de talent, avait élevé le théâtre tout en construisant, à deui
pas de là le superbe Aquarium de Paris, l'une des vraies merveilles de
l'Exposition, et dont l'autre, Albert, est le dessinateur comique bien
connu, à la verve si savoureuse et à l'humour si amusant.
Le théâtre, véritablement charmant et d'une forme originale, était
l'un des joyaux delà rue de Paris. Sa façade, pimpante, bariolée, très
curieuse, était décorée de jolis panneaux de M. Georges Picard, au-dessus
desquels courait une interminable frise de marionnettes dont le senti-
ment comique et l'étonnante variété révélaient le talent de M. Albert
Guillaume, le tout entrelacé de festons, de guirlandes de l'effet le plus
heureu.x. L'entrée, d'une exquise fantaisie architecturale, était flanquée
de deux superbes cariatides de M. Gauquiô et ornée de masques amu-
sants. Quant à la petite salle, mignonne et élégante, contenant 168 fau-
teuils, elle était décorée dans un style Louis XV plein de grâce,
d'élégance et de coquetterie, avec, au plafond, des fleurs lumineuses
qui complétaient cette décoration subtile et attrayante.
Et tout cela pour... des marionnettes. Mais quelles marionnettes!
D'abord elles étaient, dit-on, au nombre do vingt mille, ni plus ni moins,
toutes animées, marchantes, agissantes, dansantes, parfois parlantes et
chantantes, et véritablement curieuses au delà de tout ce qu'on peut
imaginer. « Chacune de ces marionnettes, disait un de mes confrères,
a été constituée, peinte, habillée, coilîée, en un mot exécutée fidèlement
d'après les dessins qui ornent les albums d'Albert Guillaume ; c'est dire
que chacune est un pur chef-d'œuvre d'élégance, de mouvement et de
vérité. Toutes sont articulées d'après des procédés inédits qui leur per-
mettent d'avancer, de reculer, de s'asseoir, de se lever et de faire tous
les gestes naturels de la tête et des bras. Mais certaines sont d'une per-
fection déconcertante : tel ce pianiste chevelu qui s'agite fiévreusement
devant son clavier; tels ce ténor, cette cantatrice, dont la poitrine se
soulève, dont les paupières frémissent et dont la bouche s'ouvre pour
laisser passer les sons qui doivent enchanter ceux qui les écoutent... »
Ces gentilles marionnettes, dont la plus grande mesurait cinquante cen -
timétres, et qui évoluaient sur une scène de trois mètres d'ouverture
sur trois mètres de profondeur, se montraient à nous soit dans des
tableaux purement plastiques, comme le Cortège présidentiel ou le Défilé
du régiment, soit dans des saynètes dialoguées et chantées, comme la
Soirée mondaim et les Ballons automobiles. Il va sans dire que pour ces
dernières, des interprètes placés à la cantonade parlaient et chantaient
à la place des petits bonshommes mécaniques, lesquelsrestaient en proie
à une aphonie complète; mais la concordance de la parole et du geste
était absolue. (En historien consciencieux, j'enregistre les noms de ces
interprètes invisibles : MM. Dessarnaux, Chapini, M'""*^ Beaumont,
Marie Laclautre, etc.) Par e.xemple, je déclare que les pièces représentées
manquaient absolument de saveur et de montant, et que sans se fouler
on eût pu trouver mieux. La Soirée mondaine, surtout, était d'une plati-
tude rare; on sentait un peu trop que le dialogue n'était qu'un prétexte
au jeu des petits personnages, et nul ne se serait plaint que ce dialogue
eiit un peu de piquant et d'entrain.
Mais les tableaux muets étaient vraiment surprenants, et le Dé/ilé du,
régiment, entre autres, était une petite merveille. Je ne saurais mieux faire,
pour en donner l'idée la plus exacte, que de reproduire la description du
programme, qui n'exagère en rien l'effet et dont la fidélité est scrupuleuse .
Nous sommes en pleine campagne. Au premier plan une route longeant un
village bâti sur le flanc d'une colline abrupte, au sommet de laquelle pointe
le clocher de l'église. Le jour se lève : les premières lueurs de l'aube des-
cendent sur les champs à peine éveillés; seul un cri d'alouette monte dans
l'azur. Et voilà que, de très loin, des sonneries militaires arrivent jusqu'à
nous. D'autres fanfares y répondent, puis de nouveau tout se tait. Peu à peu
le jour s'est fait, splendide. Et tout à coup, là-haut, tout semble s'agiter : les
sonneries des clairons, lourdement scandées par les roulements des tambours,
nous arrivent, plus vibrantes et plus nourries; le régiment parait — régiment
microscopique — et s'engage dans le chemin creux qui descend en lacet la
pente raide du coteau. Il marche, il va; le bruit se rapproche: voici que nous
entendons presque le roulement assourdi des pas. Et soudain, au milieu des
notes claironnantes qui déchirent l'air, retentissent les trois coups de grosse
caisse traditionnels. La musique attaque un vigoureux pas redoublé : c'est
Sambre-et-Meuse, la marche préférée de nos soldats, celle qui évoque en eux
le souvenir d'une épopée d'héroïsme et de gloire. Et le régiment débouche à
l'avant-scène; voici les sapeurs, puis le tambour-major, superbe et majes-
tueux, qui pivote, marche à reculons et brandit sa canne avec une mâle élé-
gance; puis les tambours, les clairons, les musiciens. Enfin l'élat-major entre
en scène : colonel, lieutenant-colonel, commandant, capitaines passent, l'air
martial et grave, au pas de leurs chevaux placides. Et derrière s'allongent les
files interminables de nos petits troupiers alertes et pleins d'entrain. Et tout
ce défilé est d'une étonnante exactitude et d'un superbe effet.
Oui, tout cela est absolument charmant, et ces centaines, ces milliers
de petits bonshommes de bois ont l'indépendance, le mouvement, la
souplesse et toute l'apparence de la vie.
Il y avait encore d'autres tableaux : le Bal des Qaat-z'arts, la Place de
l'Opéra, etc.; mais j'en ai dit assez, je pense, pour faire connaître ce
qu'étaient les gentils Bonshommes Guillaume, un spectacle vraiment
neuf en son genre, amusant et curieux. Ils furent, du reste, et fort jus-
tement, l'un des préférés de la rue de Paris, en môme temps qu'un des
plus originaux de toute l'E.xposition. Et pourtant, ceux-là aussi se sont
plaints du résultat, et ils ont réclamé auprès du commissariat général,
et ils n'ont pas demandé moins d'un million d'indemnité. Diantre ! on
peut dire de nos petits Bonshommes qu'ils ne se mouchent pas du pied.
Toujours est-il que, grâce à leur succès, ils ont entrepris, à l'issue de
l'Exposition, une vaste tournée à travers l'Europe, tout comme de
grands artistes. Ils ont dû débuter pour les fêtes de Noël au Crystal-
Palace de Londres, où ils sont engagés pour plusieurs mois, et de là
continueront leurs pérégrinations.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — M. Debussy a réuni, sous ce titre : Nocturnes,
deux pièces orchestrales vraiment très intéressantes et d'un coloris particu-
lier. La première. Nuages, fait passer, comme une broderie, sur un tissu ins-
trumental changeant par intermittences, quelques embryons mélodiques,
seules marques de la vie et de la pensée, phrases rêveuses et plaintives con-
fiées le plus souvent au cor anglais, si je me souviens bien. La seconde,
Fêtes, aurait moins d'attrait si elle n'était rehaussée par un petit tableau fan-
tastique où les trompettes sonnant pianissimo sur une sorte de sombre glas
formant accompagnement évoquent à l'instant même tout un monde de
visions. Weber n'aurait pas désapprouvé cette jolie incursion dans son
domaine familier de lutins et de gnomes. L'ouverture d'Euryanthe n'offre-
t-elle pas un épisode visant au même but par d'autres moyens? L'orchestre en
a très bien compris le sentiment à la fois chevaleresque et sentimental.
M. Cortot a très bien rendu le concerto en sol de Beethoven. Son jeu de
pianiste est alerte et délié ; sa sonorité charmante quand il ne raidit pas
l'attaque. La force ne lui est pas naturelle; il ne doit pas essayer d'en donner
artificiellement l'illusion. M. HoUmann a vu son talent de violoncelliste fort
apprécié dans un concerto dont il est l'auteur. M""*^ Blanche Marchesi a
chanté deux airs i'Alceste et Lorelei, de Liszt. Le sujet de ce dernier ouvrage
est emprunté à uu vieux conte rhénan. Lorelei (Lore ou Laurc, nom propre,
et Leie, écueil, rocher, mot de bas-allemand) est une jeune fille qui fut
trompée et qui se venge sur tous les jeunes hommes qu'elle peut enivrer de
ses séductions. Le poète Brentano a recueilli cette légende vers 1797, mais
sa version a été supplantée par celle de Heine, datée de 1822, et que Silcher
a mise en couplets dès 1837. Liszt a écrit sa musique avant 1843. Il a eu de
tout autres visées que son prédécesseur. Chaque épisode poétique, considéré
isolément comme un petit tableau, a été traité par lui selon le sentiment
qu'il exprime, et cela avec une sincérité, une fluidité très captivantes. D'abord
se déroule, en longue arabesque, un accord de septième diminuée, puis, à
l'entrée du récitatif mesuré, deux arpèges, si majeur et mi mineur, prêtent
leurs notes à la partie vocale, très remarquable par l'impression de tristesse
étrange qui s'en dégage. Une phrase eu mi majeur peint le paysage avec ses
fraîches brises, le Rhin, les montagnes et le soleil couchant. L'endroit est
connu des touristes : Lurley, près de Saint-Goar. Quand Lorelei parait, la
clarinette chante délicieusement en si bémol. Ensuite, de gracieuses modu-
lations conduisent au passage où est exprimé le vertige d'amour du batelier.
C'est un frisson rendu musicalement par des altérations et des suites chroma-
tiques. Les premiers thèmes reviennent alors et terminent l'œuvre sur le ton
de l'élégie. La traduction suivante de Heine, très fidèlement littérale, fera
bien comprendre, si on la rapproche de f analyse sommaire que nous venons
d'esquisser, le plan musical de Liszt :
Je ne sais pas ce que veut signifier ma grande trislesse. C'est un récit du vieux temps qui ne me
sort pas de l'esprit. — L'air est frais, la nuit tombe et le Rliin coule en paix et avec calme. Le sommet
des montagnes brille dans la lueur du soleil couchant. La plus belle vierge est assise lâ-haul, merveil-
leusem ent. Ses joyaux d'or resplendissent, elle peigne sa chevelure or, elle la peigne avec un peigne
d'or, tout en chantant un chant d'une mélodie étrangement puissante. —Le jjatelier dans son petit
bateau en est saisi d'une douleur violente ; il ne voit plus les récifs des rochers, il ne fixe ses regards
qu'en haut. Je crois que les ondes engloutiront à la fin le batelier et son bateau. Et c'est ce qu'a fait la
Ixirelei avec son chant.
Amédée Boutarel.
— M. Colonne a donné dimanche dernier une nouvelle audition de la
Damnation de Fausl qui n'a pas été inférieure à toutes celles qu'il nous a déjà
servies précédemment.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en ut (Schumann). — L'An Mil, poème symphonique (Pierné).
— Symphonie inédite (Haydn).
Cliâtelet, Concert Colonne : Ouverture du flot d'Ys (Lalo). — Concerto en mi majeur
pour violon (Bach), par M. 'WiUy Burmester. — Di.ertissement sur des chansons russes
(Kabaud).— Concerto à deux pianos (Mozart), par 5BL Diémer et Georges de Lausnay. —
Aria (Bach) et Net cor pii non mi se?!(o (Paganini-Burmester). — Impressions d'Italie
(Charpentier).
Nouveau-ïiiéatre, Concert Lamoureux sous la direclion de M. Clievillard : l'Or du Rhin
(Richard "Wagner), interprété par MM. Challet, Bagis, Vallobra, Dantu, Albérs, Lubet,
Guiod, Sigwalt, M"" Hayot, O'Rorke, Labatut, Lormont, Vicq, Melno.
14
LE MÉNESTREL
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 janvier). — M'"'' de Nuovina a
commencé hier, par la Navairaise, les représentations qu'elle vient donner, à
la Monnaie. L'œuvre, si pathétique dans sa violente concision, de MM. Gain
et Massenet, n'avait plus été représentée à Bruxelles depuis le départ de
M™' Georgelte Leblanc, qui la créa ici d'une façon si remarquable. Le public
a éprouvé un vif plaisir à la réentendre, et le succès de cette reprise a été
très grand. Très grand aussi le succès de M""' de Nuovina dans le rôle
d'Anita, qu'elle joue avec son tempérament dramatique très personnel, très
en dehors, et qu'elle chante avec éclat. M. Dalmorès est tout à fait excellent
dans celui d'Araquil, et M. Seguin superbe dans celui de Garrido. Orchestre et
mise en scène ne laissent rien à désirer. — Bientôt nous aurons une reprise
de Manon, avec M""^ Thierry, et une autre de Werther, avec M"' Doria. Et
tout le monde espère que M. Massenet, que l'on voudrait fêter comme on a
fêté récemment M. Saiut-Saëns, viendra diriger lui-même une de ces œuvres.
L. S.
— Le comité pour l'érection d'un monument à Richard Wagner dans le
Thiergarten de Berlin, sur l'emplacement accordé par Guillaume II, vient
d'ouvrir à ce sujet un concours parmi les artistes de nationalités allemande et
autrichienne. Les projets et maquettes doivent être présentés avant le
1" juillet 1901 et les frais du monument ne doivent pas dépasser la somme
de 100.000 marcs, soit 123.000 francs.
— On a souvent reproché à Richard Wagner son prétendu égoïsme, mais
voici un document inédit qui semble prouver le contraire. C'est une lettre
adressée de Rome le 23 novembre 1876 à M. Strecker, chef de la maison
Schott de Mayence, qui publiait à cette époque l'Anneau du Nibelung. Après
aTOir indiqué quelques corrections à faire dans la partition du Crépuscule des
Dieux, le maître continue ainsi :
A parler franchement, ma lettre d'aujourd'hui a un autre but. Je désire recommander
le pins sérieusement à votre maison d'édition deux quintettes (piano et quatuor à cordes)
de M. Sgambati (Romain). Liszt avait déjà attiré mon attention sur ce compositeur et
pianiste excellent dans le sens important du mot, et actuellement j'ai eu la joie réellement
grande de taire la connaissance d'un talent véritable et original qui n'est pas trop à sa
place à Rome (? !) et que je voudrais bien présenter au grand monde musical. Il doit,
selon mon conseil, faire un voyage de Vienne à travers l'Allemagne pour y exécuter ses
compositions, et j'en augure un succès excellent après les choses ennuyeuses (LcmgujeUig-
keitenj de la nouvelle musique de chambre allemande. Pour le moment je vous recom-
mande, comme je l'ai dit, les deux quintettes, que je me suis fait jouer déjà plusieurs
fois. Saisissez vite l'occasion, je vous prie, et encouragez ce musicien très important par
l'offre d'honoraires modérés. S'il ne vous arrive pas à propos, je continuerai à l'aider; je
désire seulement une prompte réponse, car je ne reste plus ici que huit jours.
Avec les salutations les plus dévouées.
Votre
RicH-\RD "Wagner
Via Babuino (Hôtel America).
Nous prions nos lecteurs de bien remarquer la date de celte lettre, qui a
d'ailleurs produit l'effet désiré. Elle a été écrite en novembre 1876, c'est-à-
dire quelques mois après la première représentation de l'Anneau du Nibelung
à Bayreuth. Or, on sait quel déficit avait donné cette première année de son
théâtre, et combien Wagner a dû soufl'rir et travailler pour le combler. Jus-
tement pendant son séjour à Rome en 1876 il pensait sans cesse à l'état dé-
plorable de sa grande entreprise, et il a cependant trouvé le temps et le cou-
rage de s'occuper avec bienveillance d'un jeune artiste auquel il ne devait
rien et qui n'était même pas son compatriote. Il est vraiment dommage que
tous les artistes arrivés ne pratiquent pas ce genre d'égoïsme ! Bm. ■
— Le théâtre de l'Ouest de Berlin a joué avec un succès fort médiocre un
nouvel opéra en un acte intitulé iîenofa, paroles deM. Menotti Buja, musique
de M. Scarano.
— De Berlin nous arrivent les éclats retentissants du succès de M. Pugno
dans ses concerts. Il a joué avec l'orchestre de la Société philharmonique et
soulevé l'enthousiasme en exécutant successivement trois concertos de
Beethoven, Grieg et Saint-Saëns. On lui a fait de triomphales ovations.
— Dans un des derniers concerts de la Société Wagner, de Berlin, on a
exécuté un nouveau poème symphonique intitulé Barberousse, qui a excité
dans le public un véritable enthousiasme et qui a valu à l'auteur, dirigeant
lui-même son œuvre, une dizaine de rappels. Celui-ci est un jeune compo-
siteur encore peu connu, M. Siegmund von Hausegger, qui est un des chefs
d'orchestre des concerts Kaim, à Munich. 11 est le fils de Frédéric von Hau-
segger, mort en 1899, professeur d'histoire et d'esthétique de la musique à
l'Université de Graz, qui s'est fait un nom par la publication de plusieurs
ouvrages fort intéressants.
— Le conseil municipal de "Vienne a décidé de donner le nom du compo-
siteur Antoine Bruckner à une belle rue récemment percée autour de l'église
Saint-Charles Borromée, dans ce faubourg Wieden que tant de musiciens
célèbres ont "nahité.
— En raison du grand froid qui sévit actuellement à Vienne, la musique
militaire qui donne tous les jours, à midi, un concert dans la cour François II
du château impérial, a été invitée, la semaine passée, à imiter M. Choulleury
et à rester chez elle. Déception énorme des amateurs nombreux, que la tempé-
rature plutôt fraîche de 2(i degrés Réaumur au-dessuus de zéro, équivalente
à 23 degrés centigrades, n'avait pas empêchés de se rendre à leur salle de
concerts favorite. Il est vrai que la grande majorité de ces amateurs est for-
mée de ces gens qu'on nomme à Vienne « pèlerins » ^en patois Pûtclter)
et qui seraient fort embarrassés de présenter leur carte de visite pourvue d'une
adresse quelconque; mais on y trouve aussi de bons bourgeois, et même des
musiciens. Hans de Bûlovv. par exemple, adorait la musique militaire autri-
chienne ; quand il était à Vienne il manquait rarement le concert du château
impérial et se plaçait parmi les pèlerins les plus dépenaillés, tout près des
tambours, dont la précision rythmique l'étonnait et le charmait.
— La popularité légendaire de Lanner et de Johann Strauss le père, aux- ■
quels on doit la valse viennoise, se manifeste encore un demi-siècle après leur
mort. Le comité qui a ouvert un concours pour le monument qu'on doit éri-
ger à ces deux compositeurs dans un faubourg de Vienne, a reçu la quantité
respectable de cinquante projets et maquettes. Le jury aura donc fort à faire
pour arriver aune décision; en attendant, tous ces projets seront exposés pour
qu'on puisse entendre cette fameuse vox populi qui chante souvent assez juste.
— Grand succès au Carlthéâtre de Vienne pour une nouvelle opérette inti-
tulée la Princesse enchantée, paroles de M. Victor Léon,'musique de M. Edouard
Gaertner. Ajoutons que le succès est uniquement dû à la partition, dont on
loue la fraîcheur et la bonne facture.
— Nous avons déjà parlé du nouveau théâtre du Prince Régent à Munich
et des conditions de son exploitation. Ce théâtre est destiné à donner chaque
été une vingtaine de représentations d'œuvres wagnériennes, plus cinquante
représentations de drame ou comédie. De plus, il servira non seulement pour
ses propres répétitions, mais aussi pour celles du « Hoftheater ». Mais voici
le fait particulièrement noiiveau : c'est que les spectacles devront commencer
de bonne heure. Les représentations wagnériennes commenceront à cinq
heures du soir, et les autres, qui pourraient passer pour des matinées, devront
être rigoureusement terminées à six heures. L'inauguration du nouveau
théâtre est fixée au 20 août prochain.
— Voici la liste des ouvrages lyriques nouveaux qui ont vu le jour en
Italie au cours de l'année 1900. — 1. Il Cicérone agli scavi di Campa Vaccina,
opérette en 3 actes, de M. Giovanni Mascetti, Rome, th. Métastase; — 2. Tosca,
opéra sérieux en 3 actes, de M. Giacomo Puccini, Rome, th. Gostanzi; —
3. 7i>an, id. en 3 actes, de M. Pasquale La Rotella, Bari, th. Piccinni ; —
4. Vanilas et Amor, « nouvelle mimique » en S actes, de M. Emilio Pizzi,
Milan, th. Dal Verme; — 3. La Coppa d'oro, « action lyrico-gymnastique »
en 2 actes, de M. Alfredo Soffredini (paroles et musique), Milan; — 6. Gli
Eroi del secolo, opérette en un acte, de M. Gioachino Morra, Messine, th. Um-
berto I; — 1. La Sultana di piazza Guglieimo Pepe, opérette en 3 actes, de
M. Luigi Filanci, Rome, th. Nuovo; — S. Numa Pompilio, Re di Roma, id. en
3 actes, de M. Giovanni Mascetti, Rome, th. Métastase; — 9. // Proscritto,
opéra sérieux en 3 actes, de M. Eugénie Brenna, Pietra Ligure; — 10. Vittime,
id. en 2 actes (nouvelle édition de Colpa e Pena, en un acte, représenté en 1897),
de M. Ettore Lucatello, Venise, th. Rossini; — 11. La Moretta, id. en 2 actes,
de M. Alfredo Fimiani, Naples, th. Mercadante: — 12, Anton, id. en i actes,
de M. Cesare Galeotti, Milan, Scala; — 13. Il Carbonaro, id. en un acte, de
M. Vincenzo Ferroni, Milan, th. Lyrique; — l't. La Fiera di Gratta ferrata,
opérette en 3 actes, deM. Giovanni Mascetti. Rome, th. Métastase; — 13. Cene-
rentola, « fable » en 3 actes, de M. Ermanno Wolf-Ferrari, Venise, Fenice;
— 16. Ormesinda, opéra sérieux en 3 actes, de M. Annibale Pellizzone, Casal-
monferrato; — il. Il Medico del villaggio, opérette, de M. Raflaele Grana-
Malgrado, Modica; — 18. La Caserma dei pompieri, id., de M. Giulio Lami,
Rome, th. Métastase; — 19. Jarba, opéra sérieux en 3 actes, de M. Gaetano
Rummo, Bénévent; — 20. Zingari, id. en un acte, de M. Andréa Ferretto,
Modène, th. Stnrchi; — 21. L'Osteria délia Posta, opéra-comique en 3 actes,
de M. Pietro Duffan, Malte, th. Royal; — 22. Pasquino, opérette en 3 actes,
de M. F. Balderi, Rome, th. Métastase; — 23. Vn Viaggio di nosze al Polo
Nord, féerie en 4 actes, de M. Alfredo Grandi, Gênes, Politeama; — 24. Zer-
lina, opéra sérieux en 2 actes, de M. Edoardo Caser, Venise, th. Silvio Pel-
lico: — 23 Bartolomeo Pinelii, opérette en 3 actes, de M. Giovanni Mascetti,
Rome, th. Nuovo ; — 26. Una Slratlagemma, id., de M. Cosimo Leoncini, Pise;
— 27. /gea, hymne, de M. DanieleNapoletano, Naples, Auditorium: —28. Les
Petites Mignon, opérette en 3 actes, de MM. Giuseppe et Abele Gessi, San
Remo, th. du prince Amédée; — 29. Carrado, opéra sérieux eu 4 actes, de
M. Alessandro Marracino, Rome, th. Adriano; — 30. Sordello, id. en 3 actes,
de M. Ernesto Vallini, Florence, th. Pagliano; — 31. Le Nozze di Cana, can-
tate, de M. Adolfo Alvisi, Bologne, Lycée musical; — 32. Fornarina, idylle
en un acte, de M. Carlo Corner, Padoue, Cercle philharmonique; — 33. Gli
Zingari, « esquisse musicale », de M. Zenobio Navarini, (paroles et musique);
— 34. Un' Avvcnlura galante, opérette en 3 actes, de M. A. Pestalozza, Turin,
th. Balbo; — 3b. La Tempesta. opéra sérieux en 3 actes, de M. Raffaele Del
Frate, Livourne, Pnliteama; — 36. La Spagnoletta, opérette en 3 actes, de
M. Alfredo Grandi, Naples, th. Nuovo; — 37. Lucidea, idylle en 3 actes, de
M. Augusto Ferrari, Milan, th. Philodramatique; — 38. /nrioa ai mare, esquisse
musicale en un acte, de M. Giuseppe Lanaro; — 39. Absalon, drame biblique
en 4 actes, de M. Luigi Taccheo, Chioggia; — tO. El Colomb imbalsamaa, vau-
deville en dialecte milanais, en un acte, de M. Michèle Noli, Milan ; — il. Le
Avvenlure di Peristillo, opérette en 3 actes, de MM. Giuseppe et Abele Gessi,
San Remo, th. du Prince Amédée ; — 42. Don Cirillo, id. en 3 actes, de M. Gio-
vanni Ercolani, Piove di Sacco; — 43. Zaza, comédie lyrique en 4 actes, do
LE MENESTREL
d5
W. Ruggero Leoncavallo (paroles et musique), Miian, th. Lyrique; — U. /
Bersaglier in China, zarzuela eu dialecte milanais, en un acte, Milan, Olympia;
— 45. Medio Evo Latino, opéra sérieux en 3 actes, de M. Ettore Panizza. Gènes,
Politeama; — 46. In Egitt, vaudeville en dialecte milanais, en un acte, de
M. Michèle Noli, Milan; — 47. La Badia di Pomposa, « mélologue », de
M. Viltore Veueziani, Ferrare; — 48. Le Vergini, comédie lyrique en 3 actes,
de M. Antonio Lozzi. Rome, th. Quirino; — 49. Pompeiani, vaudeville en dia-
lecte milanais, en 2 actes, de M. Michèle Noli, Milan; — SO. Atal-Kar, opéra
sérieux en 4 actes, de M. Cesare Dall'Olio, Turin, th. Balbo; — bl. Varsavia,
ià. en un acte, Roms, th. Quirino. — Nous n'avons pas compris dans cette
liste un certain nombre de petits ouvrages exécutés soi! par des amateurs,
soit par des enfants de diverses écoles. Mais il y faut ajouter plusieurs ora-
torios, dont le nombre augmente chaque jour en Italie depuis les exploits de
don Lorenzo Perosi. Voici ceux qui ont été exécutés pubUquement : i. Sanc-
tus Petrus, du P. Ludovico Hartmann, Rome, église de San Carlo al Corso ; —
2. Maria desolala, de M. Nardelli, Naples, th. Bellini; — 3. L'Enlrata di Crislo
in Gerusalemme, de don Lorenzo Perosi, Milan, salon Perosi; -■ 4. Im Strage
degli Innocenli, de don Lorenzo Perosi, id., id.; — 3. Il Cantico dei Cantici, de
M. Italo Montemezzi, Milan, Conservatoire; — 6. La Samaritana, de M. R.
Leporetli, Empoli, th. Salvini.
— Le Cyrano de Bergerac de M. Edmond Rostand est-il destiné à se trans-
former au profit de la scone lyrique? Voici qu'on annonce d'Italie que
M. Giacomo Puccini, l'auteur de la Bohème et de la Tosca, travaille à un opéra
dont le livret est tiré de ce joli chef-d'œuvre, sans qu'on nous fasse d'ailleurs
connaître encore le nom de l'auteur de ce livret. Mais on ajoute déjà, ce qui
est peut-être prématuré, que l'ouvrage sera représenté au théâtre San Carlo
de Naples pendant la saison de 1901-1902, et que le rôle de Cyrano sera tenu
par le fameux ténor De Lucia.
— Tandis que Milan regorge de théâtres lyriques, Rome, la capitale du
royaume, n'en a pas un seul en cette saison de carnaval, si fameuse tradition-
nellement sous ce rapport par toute l'Italie. Le théâtre Argentina reste fermé :
au théâtre Gostanzi agit une compagnie d'opérette; au théâtre Adriano la
compagnie dramatique de Giovanni Emanuel; le théâtre Valle est occupé par
la troupe dite « Maison de Goldoni », récemment organisée par M. Novelli :
au théâtre dramatique national on trouve une compagnie d'opérettes-féeries;
au théâtre Quifino, encore opérette, avec ballet; au théâtre Nuovo, toujours
opérette, cette fois en dialecte romanesque. Cependant le public romain ne
sera pas complètement privé d'opéra pendant toute cette saison, et une troupe
lyrique va venir le 17 janvier remplacer au théâtre Gostanzi la troupe d'opé-
rette qui semblerait devoir se perdre sur cette vaste scène. La nouvelle troupe
est composée des artistes dont voici les noms : MM. Luigi Alvarez, Amedeo
Bassi, Alessandro Bonci. Giuseppe Cremona, Ferruccio Corradetti, Francesco
Daddi, Gostantino Nicolay, Arturo Pessima, Luigi Poggi, et M™^ Bice Adami,
Maria Barrientos, Gemma Bellincioni et Gelestina Boninsegna. Le cartellone
annonce deux œuvres inédites. D'abord le Maschere, de M. Mascagni, dont.
on le sait aujourd'hui, la première représentation aura lieu le même soir sur
Tieu/' théâtres à la fois, l'auteur faisant au public romain l'inappréciable hon-
neur de venir diriger en personne celle du Gostanzi. Le second ouvrage nou-
veau est Lorensa, dont M. Mascheroni a écrit la musique sur un livret de
M. Luigi lUica, et qui sera aussi dirigée par l'auteur. Ou compte sur un
double succès. Souhaitons-le. La saison, commencée le 17 janvier, durera un
peu moins de trois mois, jusqu'au 10 avril.
— Le métier do chanteur n'est décidément pas désagréable, au moins pour
quelques-uns, et sous ce rapport le vingtième siècle ne parait pas devoir
s'éloigner des traditions du dix-neuvième. Veut-on savoir ce que gagnent
quelques-uns des artistes engagés par M. Maurice Grau pour la saison du
Metropolitan Opéra House de New-York? Un de nos confrères de l'étranger
va nous l'apprendre. M. Jean deReszké, l'étoile lumineuse de la compagnie,
recevra par soirée 2.450 dollars, soit 12.500 francs, quarante représentations
lui étant assurées, de sorte que cette campagne de deux mois lui rapportera
tout juste un demi-million. A ce prix-là on peut affronter pendant quelques
jours le mal de mer, si tant est qu'on y soit sensible. M""' Nellie Melba, qui
sera la Juliette de ce Roméo, recevra 1.200 dollars par soirée, M"": Teruina
1.000 dollars; quant à M'"" Lillian Nordica, elle aura 60.000 dollars, c'est-à-
dire 300.000 francs pour la saison entière. Côté des hommes, M. Van Dyck
1.000 dollars par soirée, M. Edouard de Reszké 700 dollars, M. Scotli, bary-
ton, 500 dollars. Nous ne parlerons pas du menu fretin, qui devra se con-
tenter de quelques malheureux milliers de dollars pour la saison. Par com-
pensation en faveur de M. Grau, il faut remarquer que la moindre loge pour
le Metropolitan se paie 100 dollars par représentation. A ce prix-là, on peut
faire les choses convenablement.
— Un télégramme de New-York annonce que M. Edouard Strauss, de
Vienne, qui était en train de faire avec son orchestre une tournée â travers
les Etats-Unis, est tombé malade à Albuquerque (Nouveau Mexique) et que
son état inspire de vives inquiétudes. Le dernier des fils du premier Johann
Strauss est âgé de 70 ans.
— Un tournoi artistique va avoir lieu prochainement à Chicago, que les
Américains nomment Porcopolis et qui est en elfet plus connu par la bête
chère à saint Antoine de Padoue que par ses artistes. L'aldermanCoughlan, de
Chicago, et l'aldermau Bridges, de New- York, se sont provoqués mutuellement ;
ils doivent chacun composer une ballade, paroles et musique, et la chanter
en personne devant un jury fort nombreux convoqué dans un rausic hall de
Chicago. Les deux ballades sont prêtes ; le trouvère de Chicago a intitulé la
sienne « Chère lune d'amour », et celui de New-York nomme sa ballade
« Doux soleil d'amour ». La Wartbourg, autrement ditlemusic hall, "est déjà
louée : les invitations ont été adressées au landgrave, c'est-à-dire au président
du jury et à sa cour ; on n'attend plus à Chicago que le ménestrel de New-
York pour prononcer les mots sacramentels: n Wolfram von Eschenbach, à
toi de commencer ! » Et nous allons voir qui l'emportera de la lune ou du
soleil.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
En présence do la déchéance encourue par la société concessionnaire du
Cirque des Champs-Elysées, le conseil municipal va, dans une de ses pro-
chaines séances, s'occuper de la question de savoir s'il y a lieu de rendre à
la promenade publique l'emplacement enlaidi par les constructions inachevées
ou d'accepter une des nombreuses demandes de concession nouvelle présen-
tées par des impresarii se déclarant prêts à achever les travaux. Voici les
principales demandes en concession :
M. Leoncavallo donnerait un théâtre d'opéra international avec le concours
d'éditeurs allemands et italiens.
M. de Meyréna donnerait en été des ballets avec attractions, les dimanches
d'hiver des concerts, et pendant la mauvaise saison des représentations avec
troupes d'opéra étrangères et ballets.
M. Aimeras désire réédifier le palais des Illusions qu'il a organisé à l'Ex-
position de 1900, avec salles annexes pour auditions musicales, conféren-
ces, etc.
M. Artigues construirait un théâtre international avec promenoir, établis-
sement de thé, concert et causerie-conférence.
M. le comte de Dion maintiendrait la destination du cirque, concert, spec-
tacle.
M. Perret et ses fils édifieraient une maison des artistes. M. Georges Bois
a également l'intention d'édifier une maison des artistes.
MM. Dorval et Auhert donneraient aux bâtiments la destination de cirque-
théâtre, concert-spectacle équestre.
M. Fouquiau ferait un cirque-théâtre.
M. Maurice Magnier créerait un cirque spectacle-concert.
La troisième commission a pris les décisions ci-après, que M. René Piault
soutiendra à la tribune :
Afin d'obtenir des garanties financières, il sera demandé à tous les candidats s'ils accep-
teraient de verser à titre de dépôt 100.000 francs à la première réquisition, une somme
complémentaire de 200.000 francs avant la signature de l'acte de concession, étant entendu
que 250.000 francs seront restitués aussitôt après la réception des travaux, et que le surplus
constituerait le cautionnement de 50.000 francs prévu par le cahier des charges.
Il sera procédé en l'étude de M" Delorme, notaire, à l'adjudication au bail du cirque
des Champs-Elysées sur les bases du cahier des charges précité, entre les concurrents qui
en auront accepté les conditions et versé, au préalable, le cautionnement de 300.000 francs
stipulé.
Cette adjudication aura lieu sur la mise à pi'ix de 50.000 francs de loyer annuel.
Dans le cas où l'adjudication, qui aura lieu an mois de janvier 1901, ne donnerait pas
de résultat, l'administration est invitée à prendre les mesures nécessaires pour obtenir la
démohtion immédiate des constructions existantes.
— Du Gaulois: « Il est inexact que M. Malherbe, comme il avait été dit,
songe à réunir une collection de photographies et d'autographes d'artistes
lyriques. L'aimable bibliothécaire de l'Opéra caresse d'autres projets beau-
coup plus intéressants. Il se propose d'organiser, dans la galerie de la
bibliothèque, une série d'expositions d'actualité rétrospective. Quand on
fêtera, par e.xemple, la millième représentation d'un opéra, quand on remon-
tera quelque œuvre très ancienne et très oubliée; ou encore quand on aura
à déplorer la mort d'un artiste ayant, de son vivant, jeté un certain éclat sur
l'Académie nationale de musique, M. Malherbe recherchera tous les docu-
ments relatifs à ces pièces ou à cet artiste, et en formera une exposition qui
ne manquera pas d'intérêt. Ce n'est pas tout: bientôt la galerie de la biblio-
thèque sera ouverte le soir et accessible aux spectateurs de l'Opéra, qui pour-
ront ainsi, pendant les entr'actes, venir se documenter sur l'histoire du
théâtre et faire connaissance avec cette partie de l'Académie de musique que
le public connaît si peu. M. Malherbe espère, par ce moyen, attirer quelques
legs à la bibliothèque de l'Opéra. Pourquoi pas, après tout, puis qu'elle vient
déjà d'en recevoir un? Le fils de Tamburini lui a légué récemment, en ell'et,
une pendule et une médaille qu'il tenait de son père, lequel eut l'occasion
de chanter à l'Opéra dans quelques soirées de bienfaisance. Ce premier legs
est un commencement. »
— Voilà bien des mois que le Ménestrel a trahi le secret du traité passé
par M. Gailhard avec les héritiers de Wagner pour les représentations de
la tétralogie. Le trop méridional directeur fulmina alors et jura ses grands
dieux qu'il n'en était rien — on n'a jamais bien su pourquoi. Mais aujour-
d'hui tous les journaux exposent complaisamment son programme wagné>-
rien, et il ne proteste plus. Ls Ménestrel, une fois de plus, avait donc dit toute
la vérité.
— A l'Opéra nous avons eu mercredi, dans les Huguenots, les débiits très
remarqués de M. Grosse, qui tenait le rôle de Saint-Bris. M. Grosse est le fils
de l'ancienne basse de l'Opéra, qui mourut subitement il y a quelques mois.
Le débutant a beaucoup des belles qualités qui distinguaient son père et le
public lui a fait un accueil chaleureux.
— Après quelques jours de repos passés dans le Midi, M. Albert Carré est
de retour à Paris. Il s'était arrêté à Arles pour B'yilD"CTnni5fffSÏ"siJf'~ilffraVfe'"et
aller saluer à Maillaume le grand poète Mistral, qui a fait espérer à M. Carré
46
LE MÉNESTREL
sa venue à Paris pour la reprise de cette œuvre. Eaûn, pour ses élrennes,
M. Albert Carré a trouvé eu rentrant à Paris sa nomination au grade de chef
de bataillon dans l'armée territoriale, et l'excellent patriote a déclaré que
rien ne pouvait lui faire plus de plaisir.
— Heureux débuts à l'Clpéra-Comique du jeune ténor Gautier, qui appar-
tenait il y a quelques années à l'Académie toulousaine de musique, où il
chanta Sigurd. Sa voix est jeune et généreuse et il pourra évidemment rendre
à M. Albert Carré les meilleurs services. C'est dans Lakmé qu'il a paru, avec
d'excellents partenaires comme M"" Landouzy et M. Vieuille. Très bonne
soirée.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à FOpéra-Comique : en matinée, la
Basoche, les ^'oces de Jeannette : le soir, Manon.
— La matinée annuelle que l'Opéra-Comique donne au bénéfice de la
caisse des retraites du personnel du théâtre aura lieu cette année le jeudi
31 janvier et comprendra la première et unique audition de l'Intermezso, de
Henri Heine, avec musique de M. Gaston Lemaire, interprété par les artistes,
les chœurs et l'orchestre de l'Opéra-Comique. Le prix des places pour les
baignoires, les loges de balcon, les fauteuils d'orchestre et de balcon, a été
fixé à '20 francs. Les autres places sont au même tarif que d'habitude. Le
bureau de location est dès aujourd'hui ouvert à l'Opéra-Comique (entrée rue
Marivaux).
— M. Maurice Grau, l'habile manager, que ses grandes affaires d'Amérique
occupent suffisamment, a résolu de prendre désormais un peu de repos pen-
dant la saison d'été. Il a donc résigné ses fonctions de directeur du théâtre
Covent-Garden de Londres. La commandite, fort embarrassée, s'est aussitôt
tournée du coté de M. Galabrési, le directeur si expérimenté qui donna tant
de lustre au théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Il en fut fort flatté, mais,
après quelques hésitations, il objecta son grand âge et mit en avant son désir
de jouir en paix d'une retraite bien méritée. C'est alors qu'on eut l'idée de
s'adresser à M. André Messager, l'artiste ardent et jeune qui semblait devoir
donner le mieux une nouvelle impulsion à la vieille entreprise anglaise. Avec
l'autorisation de M. Albert Carré, qui lui accorde pour cela le congé néces-
saire, M. Messager a accepté de se dévouer à l'œuvre qu'on lui proposait.
Espérons donc voir revenir avec lui en Angleterre les beaux jours de la musi-
que française qu'on y a vraiment trop négligée depuis quelques années.
— Mardi prochain, à 8 heures et demie du soir, salle Pleyel, reprise des
séances de l'excellent quatuor Edouard Nadaud. Programme entièrement
consacré aux œuvres de M. Théodore Dubois : Suite miniature (petit or-
chestre); Sonate piano et violon (MM. Diémer et Nadaud); Deux pièces eu
forme canonique ; 2= concerto de piano (M. Diémer); 2« suite pour instruments
à vent.
— Yvette Guilbert, qu'une maladie cruelle éloigna longtemps de la scène,
y va reparaître avec tout un nouveau programme d'art. Elle abandonne ses
anciennes chansons, d'un goût si contestable, pour devenir la prêtresse des
œuvres de Baudelaire, mises en musique par RoUinat. Elle a dû commencer
vendredi dernier sa nouvelle entreprise à la Bodinière. Cette première
séance sera suivie de cinq autres, avec conférences de M. Arsène Alexandre
qui parlera des « Chansons joyeuses et macabres ». M. RoUinat a quitté sa
retraite de la Creuse pour venir assister à ces séances.
— De Marseille on nous télégraphie l'immense succès remporté par la Cen-
drillon de Massenet et Henri Gain. Quatre à ciuq rappels après chaque acte.
Mise en scène merveilleuse ; interprétation de premier ordre avec M°"^= Da-
vray (Cendrillon), Marie Boyer (prince Charmant), Wanda (la Fée), Gérald
(Mme de la Haltière), MM. Desmet (Pandolfe) et P.ossel (le Roi). Les direc-
teurs Lan et Dalbert sont félicités par la presse entière.
— M"'° Dory Burmeister-Petersen, la distinguée pianiste, donnera le lundi
21 janvier un concert à la Salle Erard.
NÉCROLOGIE
En la personne du grand-duc Charles-Alexandre de Saxe-Weimar, qui
vient de succomber dans sa 83'= année, l'art musical allemand a perdu un de
ses plus grands protecteurs. Né en 1818, le grand-duc avait pu, dans sa
prime jeunesse, admirer les derniers reflets de la grande époque de son petit
pays, qui s'était terminée avec la mort de Gœthe, en 1832. Il était un des
derniers survivants qui avaient connu le grand poète allemand, et il pouvait
se vanter qu'à sa naissance Gœthe lui ait dédié un poème intitulé les Arts.
Le vers du poète : « Son premier regard tombe sur notre cercle », que les
muses adressent au prince nouveau-né, était comme une vaticination; dès
qu'il eut atteint l'âge d'homme, le prince devint en ell'et l'ami et le protecteur
de tous les arts. Favorisé par l'indépendance, le bien-être, la vie et l'admi-
nistration économiques dont jouissaient jusqu'en 1870 les petits états alle-
mands, le grand-duc a pu largement cultiver la littérature et les arts et leur
donner dans sa petite capitale un asile qu'ils n'ont pas trouvé à cette époque
dans mainte grande ville d'Allemagne. Nous devons nous borner ici à une
brève mention des mérites qui assurent au prince disparu une place marquée
dans l'histoire de l'art musical. C'est lui qui a su, en 184'ï, attacher Liszt à
sa cour et à son théâtre; pendant les deux lustres où ce grand artiste, alors
à son apogée comme compositeur et comme exécutant, se trouva à la tête
des concerts et des représentations lyriques de Weimar, la petite ville des
bords do l'Ilm fut en efl'et un grand centre pour l'art musical allemand.
Hector Berlioz, Peter Cornélius, Joachim Rafl', Hans de Bûlow, Charles
Tausig, Joseph .Joachim et beaucoup d'autres musiciens se sont alors rendus
à Weimar et y ont même séjourné. C'est aussi à V/eimar que Liszt a pu
arriver, en I8S0, à la première représentation de Lohengrin, dont l'auteur
était alors un pauvre exilé politique, et, ce qui est vraiment caractéristique,
exilé par un cousin même du grand-duc, par le roi de Saxe, chef de la ligne
cadette de cette maison de Saxe à laquelle le grand-duc appartenait lui-même
comme chef de la ligue aînée. Richard Wagner a royalement payé cette
hospitalité; grâce à son Tannhiimer, la fam.euse Wartbourg, dont l'admirable
restauration avait préoccupé le grand-duc dès sa dix-septième année, est
aujourd'hui familière au monde entier. Et Liszt a remercié le prince en cé-
lébrant dans sa Sainte-Elisabeth une princesse qui a illustré le pays du grand-
duc et dont le souvenir s'impose aux visiteurs de la Wartbourg. Après le
départ de Liszt toute cette splendeur artistique s'est vite évanouie; mais
après la mort de l'artiste, son protecteur lui a une fois de plus témoigné sa
reconnaissance; le Musée-Liszt est aujourd'hui installé dans la maison même
où le souverain avait offert l'hospitalité au musicien hongrois. Le grand-duc
Charles-Alexandre semble donc s'être vraiment rendu digne d'une statue,
qu'on pourra placer à coté de celle de son grand-père Charles-Auguste, l'ami
de Gœthe. Bn.
— Cette semaine est mort, à l'âge de 62 ans, un excellent artiste, le dan-
seur Alfred de Soria, mime très intelligent, qui appartenait à l'Opéra depuis
environ vingt-cinq ans. Soria, arrivant d'Italie, avait commencé sa carrière
parisienne en 1874, au Chàtelet, pendant la courte campagne d'Opéra-
Populaire qui se fit alors à ce théâtre. Il se montra avec succès dans les di-
vertissements de la Belle au bois dormant de Litolff, des Parias d'Edmond
Membrée, et de la reprise des Amours du Diable de Grisar. C'est après la dé-
bâcle de rOpéra-Populaire qu'il fut engagé à l'Opéra, qu'il ne quitta plus
depuis lors.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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DOCUMENTS HISTORIQUES
I L'École royale de chant, 1784-1798; — II. L'École royale dramatique, 1780-1789; — III. La musique et l'Ecole de la garde nationale, 1789-1790;
IV. L'Institut national de musique, 1793-1795; — V. Le Conservatoire, 1793-1815; — VL L'Ecole royale de musique, 1816-1822.
DOCUMENTS ADMINISTRATIFS
YII. Actes organiques : règlements, arrêtés, rapports concernant l'enseignement; projets de réorganisation;— VIII. Conseils d'enseignement et comités d'e.xamens,
arrêtés, états périodiques, liste alphabétique; — IX. Personnel administratif et enseignant, 1795-1900, états périodiques, liste alphabétique; —X. Exercices des
élèves : notice historique, programmes 1802-1900; — XI. Palmarès des concours, liste des professeurs et lauréats par branches d'études, morceaux de concours;
dictionnaire des lauréats (6.090 notices biographiques); statistiques, élèves, aspirants, classes, concours, répartition des lauréats par lieux d origine ;
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SOMÎIIIEE-TESTE
1. Peintres mi^lomanes (11" article) : Lithographies musicales, Raymond Bouyeu. — 11. Le
théâtre et les spectacles à l'Exposition (15" article) : la rue de Paris, Arthur Pougin.
— 111. Ethnographie musicale, notes prises à l'Exposition (li° article) ; la musique
chinoise et indo- chinoise, Julien Tiersot. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PRELUDIO PATETICO
de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : la Romdika, souvenir de
Smyrne, de Théodore Lack.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche procliain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Au bord de l'eau, n° 3 des Vaines tendresses, nouvelles mélodies de Théodore
Dubois, poésies de Sully- Prudhomme. — Suivra immédiatement : Complainte
de saint Nicolas, harmonisée par A. Périlhoc.
PEINTRES MÉLOMANES
XI
LITHOGRAPHIES MUSICALES
à M. Germain Hédiard.
— Et la Fée des Alpes? insista la voi.x jeune, quand le Faust de
Goethe, idéalement traduit par Schumann, eut déployé son intime
et haute éloquence, si différente du pittoresque poignant de
Berlioz! Notre ami s'exécuta, de par sa bonne grâce habituelle.
Et pendant quelques minutes trop brèves, dans le sourire om-
breux des lumières, les Ans staccati subtils et les courbes ondu-
leuses de Schumann firent passer devant les yeux songeurs
l'arc-en-ciel alpestre oîi glisse une blancheur divine... Sous les
doigts précis et veloutés de l'interprète, le froid piano semblait
se colorer des suggestives harmonies de la harpe, de la clari-
nette et des violons purs. C'était évocateur et charmant. Schu-
mann devenait entre nous tous comme le fil invisible d'une
chaîne magique, et « autour du piano » nous étions penchés
attentifs avec le sourire silencieux des enfants jouant au furet.
On applaudit Schumann et l'interprète : et sur l'accompagne-
ment de la grêle capiteuse des bravos, le docte amateur, avocat
improvisé de Fantin-Latour, se tournant vers l'une des plus fer-
ventes, ajouta :
— Quelle grâce dans cet art! Quand vous alliez au vernissage
des Champs-Elysées, accordiez-vous une pause à la section de
lithographie?
... Pour toute réponse, un rire interrogateur semblait récla-
mer la transition...
— Moi, jamais! dit un jeune homme très correct. Ma devise, à
ce propos, est celle d'un salonnier bien parisien : «. Ici l'on gravi;
filons! »
— 11 n'y a personne dans ces salles, donc il n'y a rien d'inté-
ressant à voir, conclut malicieusement la blonde admiratrice de
Schumann. Et puis, dans ce désert, on craint de se compromettre...
— Si j'osais. Madame, je vous dirais que vous semblez donner
raison à l'exclamation de Jacques-Louis David, mal à son aise
parmi les révolutions artistiques, et déclarant du haut de son exil
que le goût des arts est, en France, « un goût factice... » Dans
ces retraites méprisées gisent des trésors. Et combien de plai-
sirs permis qui nous échappent par notre faute! La vie est
courte... Bref, un artiste se mire surtout dans son œuvre : et
pour compléter le portrait du peintre qui nous occupe ce soir,
une pareille visite était nécessaire quand il exposait encore! Chez
Fantin-Latour, le pastelliste et le lithographe complètent le
peintre. Ce portraitiste est un poète. De la pénombre idéale ou
familière, toujours poétique, s'exhale tout le parfum, tout le
secret d'un moi; quelle meilleure Égérie que la Sincérité? Vous
remarquiez, chaque printemps, ses toiles, qui sont des rêves
délicieux : l'exécution même, légère et poudroyante, est le lan-
gage naturel du songe; Fantin-Latour a réalisé le vrai pkin-
air des scènes magiques. Ses tableaux retiennent la fleur mysté-
rieusement veloutée de ses pastels; ses pastels annoncent
l'enveloppe savamment mystérieuse de ses lithographies. C'est
toujours la « musique peinte ». Et Gustave Moreau n'est pas le
seul héritier direct d'Eugène Delacroix, dont les Faust outrepas-
saient l'image que le penseur allemand s'était formée de- son
œuvre! Avant de poursuivre, je vais'prier notre hôte d'ouvrir,
sous vos yeux ce grand carton vert où le catalogue modèle,
dressé par M. Hédiard, permet de rétablir la filiation de ces
pièces magiques.
— Les lithographies musicales ! Plaise aux dieux du ciel de l'Art
que M. Bracquemond ne puisse nous entendre, car, s'il admire
l'œuvre en connaisseur, il ne peut souffrir cette alliance de mots
qui la désigne !
— Les mots sont peu de chose ; mais, en art, nulle description
ne prévaut sur une impression fraîche. L'œuvre est comme une
physionomie : il faut la voir. Rien qu'en regardant les « images »,
Mesdames, votre jugement sera fixé sur le collaborateur des
musiciens! Tenez: N" L — Tannhàuser, i'' acte, Fantin, IS62. Le
rêve obsédant, loin du théâtre. Est-ce assez frappant, ce début?
Et quelle plus sûre critique d'art que la remarque de cette
marge ? Auprès des mélodieux tourments du Vénusberg, l'Amour
désarmé, l'Education de l'Amour, les Brodeuses, les mythologies d'un
Fragonard sentimental et la discrète intimité : c'est-à-dire, en
germe, toute l'inspiration du peintre-lithographe. Je continue.
18
LE MÉNESTREL
Cinquième planche ; -4 la mémoire de Mobeii Schumann, Il , 18, i9
août 1873 : à cent vingt lieues du Festival de Bonn en l'honneur
de son poète favori, le peinlre mélomane par excellence rêve
cette composition virginale et qui est le premier de ses Ifom-
mages : sur un tombeau, des fleurs qu'apporte une ombre fémi-
nine, debout, demi-nue, si chaste ! Jamais le peintre, qui a été
« fou de Tassaert », ne verse dans l'élégie « qui nous inonde » ;
mais Schumann, son inspirateur, lui suggère le sentiment loyal
qui dévêt pudiquement sa Muse. N'est-ce pas le musicien qui
soutenait qu'à certaines époques une famille d'esprits parents
domine? Et la Fée des Alpes de Fantin-Tiatour apparaît, preuve
flottante de ces royautés tacites... Septième planche : L'Anni-
versaire: en marge, Souvenir du S décembre 4815. La voilà, cette
omnipotence du souvenir qui est le plus e.xquis des bienfaits de
l'art et de l'amour ! Cette simple date évoque le dimanche d'au-
tomne où les bravos vengeurs du concert Colonne accueillaient
le Roméo et Julietle d'un Hector Berlioz mort sans gloire. Et
aussitôt, transition délicate entre les figures de rêve et les por-
traits groupés, cet hommage plastique se composait sous le front
du peintre : les créations féminines du musicien se donnant
rendez-vous sur sa dalle funèbre...
— Quelle délicieuse idée .' ,
— Songez que c'était en 1876, à une époque où son charme
était un act-e de courage. Le compatriote de Berlioz et de Sten-
dhal l'exposait l'année suivante. Et ce n'est pas toutl Huitième
planche : voici la Scène première de Rheingold ; en bas, une dédi-
cace : A Monsieur A. Lascoiuc, Souvenir de Bayreuth. Cette fois, le
peintre a fait, comme Ulysse, un beau voyage : du 13 au 17
août 1876, sur la colline sainte, la féerie épique de l'Anneau du
Niebelung enthousiasma ses oreilles et ses yeux. Journées inou-
bliables pour l'heureux pèlerin de l'intelligence., découvrant un
art nouveau dans son cadre, une prestigieuse synthèse renou-
velée des anciens jours, — poésie, chant et lumière I C'est un
assez brillant cours d'esthétique. Mais comparez vite, par la
pensée, le Rheingold de Fantin-Latour avec le décor où les belles
moqueuses glissent leur blancheur bleue dans l'eau profonde,
afin de comprendre la différence essentielle qui sépare le théâtre
agissant de la planche immuable. Point d'illustration banale, ni
de peinture littéraire ! Où la musique finit, la peinture com-
mence ... Et la Scène finale de Rheingold est si fortement pensée qu'elle
semble aux amateurs une esquisse de îiubens. L'œuvre entier
compte aujourd'hui près de 140 planches, où l'inspiration musi-
cale est prépondérante : « esquisses de peintre », ces lithographies
ont tout l'attrait d'un dessin tiré à plusieurs exemplaires. Où la
peinture finit, la musique recommence : je veux dire maintenant
que l'hiver, dans le désespoir des jours courts, le peintre aban-
donne tôt sa riche palette pour dessiner sur la pierre d'après les
mélodieux souvenirs de ses quatre maîtres aimés. Rossini même
ne l'effraie point, car il est libre. Qu'il traduise les Mélodies syl-
phides de Robert Schumann ou la virgilienne tendresse des
Troyens, les sombres douleurs de Manfred ou l'essor angélique
de Lohengrin, ses négligences mêmes deviennent un témoignage
hautain de sa volonté. Feuilletons encore: l'épisode païen d'Hélène
est une « scène de Gœthe » que Schumann n'a point musiquée
dans son Faust. Et quel joli romantisme dans ce Poème d'amour
de Johannès Brahms, où le couple fervent s'enivre d'omljrage I
L'Etoile du Soir pointe, mélancolique. Regardez, voici Béatrice et
Bénédicl : et comme, à cette vue, nous sommes encore sous le
baiser mystérieux de ce divin duo-nocturne où les jeunes filles
murmurent enlacées leurs confidences pures à la nuit qui trem-
ble ! Décor et mélodie se commentent et se pénètrent.; le ros-
signol ou la flûte jette sa note « diamantée » ; le peintre ajoute
à notre amour pour le musicien, en formulant notre vision fris-
sonnante.
Et lu luoe glissait sur la cime des tormus,
soupire, avec un poète mort jeune (1), votre rêve qui se réalise.
Parmi nos mélomanes du crayon, nul autre ne suggère cette poésie
toute personnelle. Petit-flls de Prud'hon, VAriel de Schumann
(1 1 Emmanuel Signoret, qui vient de moarir subitement à vingt-huit ans.
s'incarne vaporeusement dans une lueur. Oui, Fantin-Latour
excelle dans les gris profonds. Sa main est légère, comme son
rêve. Elle chante...
— L'admiration vous rend hardi !
— L'admiration est sœur de l'amour. Madame ! — Wagner ou
Berlioz, Tannhàuser ou Sara^la-Baigneuse. — toujours la même ro-
mantique impression complexe, un peu trouble parfois, de cré-
puscule musical et pittoresque. Fantin nous fait mieux aimer les
compositeurs qu'il adore. Ses admirations rappellent les amours
éloquentes des adolescents qui nous tracent un idéal et vague
portrait de leur idole. Le peintre mélomane illustre les magna-
nimes et passionnés artisans des sonorités, comme son initiateur
Eugène Delacroix illustrait Shakespeare et Gœthe, Hamlet et
Faust. L'amour naît inventif. Et les deux plus beaux minnesinger
du siècle de Victor Hugo trouvent en lui leur commentateur d'au-
tant plus inspiré qu'il n'est pas musicien lui-même, qu'au fond
de sa pensée toute chaude des vivants souvenirs rien ne vient
refroidir l'illusion de la imémoire. Mais lorsque l'enchantement
musical se déclare ainsi, le peintre est frère du musicien ; et si
comprendre c'est égaler, l'artiste qui a voué tout son cœur à la
traduction visible des divines sonorités fugaces est deux fois nn
enviable artiste. Écrire un pareO journal de concert n'est pas le-
fait du profane...
Sur ce mot, qui traduisait à souhait notre émotion, ne fallait-il
pas songer au départ ? Tout passe, musique et compagnie douce ;,
et, ce soir-là, les oreilles charmées non moins que les yeux, nous
nous séparâmes lentement, sous la neige.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVBB SELLE DE 1900
(Suite.)
LA RUE DE PARIS
Le Théâtre Lo'ie Fulkret M'"' Soda Yacco. — Parlons im pou de cette
étoanante Sada Yacco, qui a surpris, ému et charmé les Parisiens
pendant plusieurs mois, et dont le succès a été le plus éclatant et le
plus soutenu qu'on ait pu constater parmi tous les spectacles de l'Expo-
sition.
La venue de plusieurs artistes étrangères nous avait déjà prouvé qu'on
pouvait rencontrer, ailleurs qu'en France et en Italie, de grandes comé-
diennes, et que M""' Sarah Bernhardt et M""= Éleonora Duse avaient,
dans d'autres pays, des rivales et des émules dignes de se mesurer avec
elles. Les représentations dounées successivement à Paris par l'Espa-
gnole M™^ Maria Guerrero, par l'Allemande M""' Agnès Sonna, par la
Hongroise M""^ Marie Barkany, par la Danoise M"" Charlotte Viehe,
nous ont édifiés à cet égard. Mais ce dont nul ne se doutait assurément,
c'est qu'il existait là-bas, tout là-bas, au fond de cet Extrême-Orient
encore si peu connu quoique déjà bien e.Tploré, une actrice capable de
rivaliser en son genre avec ce que nous connaissons de plus parfait,
capable de nous procm'er, dans une langue absolument ignorée de tous,
avec un art différent du nôtre, des émotions aussi intenses, aussi puis-
santes, aussi poignantes, que celles que nos plus grandes artistes, et les '
plus célèbres, pouvaient nous communiquer.
Cette artiste, cette comédienne si curieuse, si originale, si foncière-
ment intéressante, c'était la Japonaise M""= Sada Yacco. Et ce qu'il y a
de plus extraordinaire, c'est que cette actrice n'avait eu aucun modèle,
c'est que forcément elle s'était formée elle-même, puisque jusqu'à elle
aucune femme ne s'était montrée sm' les scènes du Japon, où, comme
dans la Grèce antique, les rôles féminins étaient toujours tenus par de
jeunes hommes, et que c'est grâce à son talent qu'une révolution s'était
opérée dans les moiurs théâtrales de ce pays, l'élément féminin étant
admis désormais à se produire en public et à prendre dans l'action
scénique la part qui lui revient naturellement et légitimement.
Je ne répéterai pas, à propos du théâtre japonais, les détails circons-
tanciés que j'ai donnés à cette place il y a onze ans, lors de l'Exposition
de 1889, détails que mon confrère M. Tiersot a reproduits d'ailleurs
récemment, d'après les mêmes sources et précisément à l'aide des mêmes
citations. Je ne veux m'occuper que de ce que j'ai vu cette fois, et qui
me semble assez intéressant.
LE MÉNESTREL
■19
On se rappelle que le théâtre où se montrait M'"" Sada Yacco était
celui que s'était fait construire, à l'extrémité de la rue de Paris, miss
Lole FuUer. la célèbre danseuse lumineuse américaine, rjui avait voulu
lui donner en quelque sorte des « armes parlantes ». Les murs de sa
façade, d'aspect bizarre, représentaient en effet comme d'étranges vagues
de flammes, et partout on voyait des mascai-ons, des cabochons, des
cariatides représentant sous toutes ses formes, dans toutes ses évolutions,
l'image de la déesse du lieu. Du dehors on entrait tout di^ go dans la
salle, salle en longueur et en amphithéâtre, assez étroite, pas très vaste,
avec une galerie circulaire, et dans laquelle les spectateurs étaient
entassés en des fauteuils d'une largeur à peine suffisante, qui ne leur
laissaient guère la faculté d'opérer aucun mouvement. C'est qu'aussi il
n'y avait jamais assez de places pour les amateurs qui se pressaient à
l'entrée, et cpi'il faisait bon les retenir d'avance en location, bien que
leur prix fût assez élevé, car il variait de deux à six francs, pour monter
jusqu'à huit francs le vendredi, jour sélect et de gala.
La troupe japonaise, dont les acteurs secondaires eux-mêmes ne
paraissent pas sans mérite, nous a joué deux pièces. L'une, la Kesa, en
deux actes et plusieurs tableaux, me fait l'effet de ce que devaient être
il y a un siècle, sur nos théâtres de boulevard, ce qu'on appelait alors
des mimodrames, car l'action de celle-ci est peut-être plus mimée encore
que dialoguée. L'autre, la Ghesa et le chevalier, est aussi un drame san-
glant, dont M"'" Judith Gautier nous a donné une traduction dans l'in-
téressante publication qu'elle a faite avec le concours de M. Benedictus
sous ce titre : Les musiques bizarres à l'Exposition dé 1900 (1). M°" Judith
Gautier nous apprend que le scénario de ce drame, tel qu'il nous a été
offert, n'est que « la réduction d'un grand dranie historique qui a trois
cents ans de date », et que, dans l'origine, « la représentation de cette
pièce durait deux journées ». De celle-ci nous n'avons donc guère
qu'une sorte de squelette, d'ossature même incomplète; il en reste
assez toutefois, et les épisodes en sont assez bien choisis pour mettre
en relief et nous permettre d'admirer le talent étonnamment souple,
essentielliîment varié, mais surtout pathétique jusqu'à la terreur de
M°" Sada Yacco.
La Kesa me parait un simple « mélo » qui n'a rien à envier à ceux
■qu'on voyait florir chez nous naguère, sur le boulevard du Crime. Une
bande de brigands, l'enlèvement d'une femme à main armée, un combat
entré les ravisseurs et le défenseur de la vertu, combat dont, naturel-
lement, celui-ci reste vainquem', rien n'y manque. L'action se complique
ensuite jusqu'à nous montrer, par une suite d'événements, le meurtre
involontaire de la femme qu'il aime par le héros, qui, dans l'obscurité,
(1) Paris, OUendorff, in-8°. — A ceux qui voudraient se renseigner d'une façon précise
sur le théâtre japonais, je signale un curieux et excellent travail publié sur ce sujet dans
la Revue des Revues du 15 octobre 1900, par M. J. Hitomi, délégué spécial du gouvernement
de Formose à Paris. Sans en avoir les développements, cela est aussi intéressant et plus
curieux que le livre publié il y a une quinzaine d'années par le fameux général Tcheng-
Ki-Tong, sur le Théâtre des Chinois.
la frappe croyant frapper son rival, et qui, quand son erreui' lui est
révélée, se tue sur le corps de celle qui n'est plus.
Ce drame est le triomphe non pas de M'"' Sada Yacco, dont le rôle
n'y est que secondaire bien quelle y soit charmante, mais de son mari,
M. Âlojiro Kawakami, qui ne me semble pas inférieur à elle-même et
qui y développe une incontestable puissance dramatique. Presque tout
un acte est occupé par cette scène du meurtre suivi de suicide, scène
entièrement mimée et d'un effet singulièrement émouvant, dont la mise
en œuvre n'est pas sans quelque analogie avec la scène finale d'Othello.
Morito — c'est le nom du héros — pénétre, la nuit, dans la chambre où,
il croit couché celui qui lui a ravi sa bien-aimée, tandis que le lit est
occupé précisément par celle-ci. Il entre, et ici, avant d'accomplir son
crime, une sorte de combat avec lui-même, des alternatives d'indécision
et de volonté, une anxiété terrible. Il se décide enfin, s'approche lente-
ment du lit et, aprt'S une dernière hésitation, plonge son poignard dans
la gorge de la victime. Il exprime alors sa joie de l'acte accompli, essuie
le sang dont ses mains sont rougies... Mais voici qu'on entre, la chambre
s'éclaire, Morito découvre sa terrible méprise, et sa joie féroce se change
en désespoir. Bientôt, ne pouvant supporter l'horreur de sa situation,
il résout de se tuer; il arrache ses vêtements, et du même poignard
qui l'a fait assassin, il s'ouvre le ventre, puis, la mort ne venant pas
assez vite, il se coupe la veine jugulaire. On assiste alors à son effroyable
agonie, jusqu'à ce que, dans un spasme suprême, il tombe enfin mort
les yeux grands ouverts, effrayant de vérité.
On ne peut s'imaginer la puissance terrifiante que l'action donne à
cette longue scène mimée, non avec des gestes, car il n'en fait aucun
qui ne soit indispensable à l'action proprement dite, mais simplement
avec les jeux étonnants de sa physionomie, avec ses regards, avec la
contraction de ses lèvres, qui expriment toute la garame des sentiments
divers dont il est successivement agité. Il y a là tous les éléments d'un
art nouveau pour nous, d'un art dont nous ne connaissions ni la puis-
sance ni la grandeur. Comme « rendu », cet art réaUste est simplement
superbe, et celui qui le pratique de la sorte mérite la plus profonde
estime. Il m'est avis même qu'on n'a pas été complètement juste pour
M. Kawokami, et qu'il a été un peu trop éclipsé par sa femme, dont je
ne veux certes pas rabaisser l'incomparable talent, mais qui a bénéficié
peut-être un peu trop exclusivement de la sympathie qui s'attache tout
naturellement à son sexe. J'ajoute, pour le reste, que la mise en scène
de ce drame de Kesa est réglée avec une précision et un soin étonnam-
ment scrupuleux, qui pourraient faire envie â quelques-uns de nos
théâtres. L'épisode du combat de Morito contre les brigands est sous ce
rapport bien curieux,, et l'on, dirait que leurs acteurs se trouvent tout
â coup transformés en clo'wns, tellement leurs évolutions sont rapides
et surprenantes, étant donnée surtout l'exiguïté de leur scène et l'espace
singulièrement restreint dans lequel ils doivent agir.
(A suivre.) Arthur Podgin.
ETHNOGRAPHIE MUSICALE, NOTES PRISES A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 (^^itc-)
IV. — MUSIQUE CHINOISE ET INDO-CHINOISE
J'ai pu noter sous la dictée de M. Viang la ligne mélodique entière du
m.orceau qui forma la base essentielle du répertoire musical au Théâtre
Indo-Chinois. Beaucoup plus net d'intonation, il fut infiniment plus
facile à transcrire que les airs des danses japonaises; et s'il diffère par
la forme extérieure, il est également caractéristique du style de la mu-
sique d'Extrême-Orient.
Ce morceau est écrit très purement dans l'échelle de la gamme de
cinq notes sans demi-tons : Do ré mi sol la-do. Pas un si ni un fa n'y
parait une seule fois. L'hymne chinois des Ancêtres, dans son style
mélodique si différent, était déjà construit d'après le même principe
(gamme ci-dessus transposée à la quinte grave, fa, etc.). L'un et l'autre
donnent l'impression du mode majeur (ut ou fa) malgré leurs cadences
finales sur des degrés autres que la tonique.
Il est cependant des cas où, sans cesser d'être basées sur celte échelle
de cinq notes, des mélodies d'Extrême-Orient donnent l'impression de
modes différents du majeur. C'est qu'alors la tonique est placùe sur un
degré autre que la première note de l'échelle. Déjà la précédente mélo-
die, bien qu'établie d'une façon générale dans le ton d'ut (avec l'emploi
constant de l'arpège de l'accord parfait do mi sol) semblait par endroits
donner une impression plus ou moins vague de ré mineur, et, en défi-
20
LE MÉNKSTREL
ailive, sa cadence finale et lit formée par les deux notes fondamentales
de ce ton : la ce. Voici maintenant la mélodie d'une chanson populaire
-Xhinoise que je trouve notée dans un livre anglais imprimé en 188i ( 1 ).
Celle-ci est basée sur la gamme de ciuq notes : Sol la si ré mi-sol: mais
les notes tonales sont manifestement la mi (tonique et dominante): et,
chose curieuse, bien que les deux principales notes modales, do et fa
(la tierce et la sixte) ne soient pas articulées une seule fois, l'on n'en a
pas moins impérieusement l'impression de la mineur.
De six mélodies chinoises notées dans le livre qui vient d'être cité
d'une est une marche funèbre instrumentale), quatre présentent les
mêmes particularités, la Ionique étant prise sur le second degré de
l'échelle naturelle incomplète. Une cinquième est également mineure,
la tonique étant prise sur le sixième degré (échelle naturelle : fa sol la
(lo ré- fa, tonique ré, relatif mineur de la fondamentale). Une seule est
franchement majeure.
Ces considérations théoriques, pour arides qu'elles puissent être,
n'en sont pas moins fort à leur place dans cette étude, et leur impor-
tance est notable. C'est, en effet, eu multipliant les observations de cette
sorte, que l'on pourra parvenir à dégager définitivement, et d'une ma-
nière solide et stable, les principes généraux de la modalité. Nous ne
connaissons guère encore que les modes européens : ceux des anciens
grecs, ceux du moyen âge, ceux qui constituent la tonalité moderne. Il
est bon que nous nous familiarisions de môme avec les pratiques usi-
tées à l'autre bout du monde.
Résumons donc aussi brièvement qu'il sera possible les principales
données que cette étude nous a fait connaître.
Les peuples d'Extrême-Orient (et par là nous entendons ceux dont
nous avons étudié la musique en 1889, Javanais et Annamites, comme
ceux qui ont fait l'objet du présent travail. Japonais, Chinois et peuples
de nos colonies d'Indo-Chine) ont un système musical qui leur est
projire, et dont la base fondamentale est une gamme de cinq notes,
simplification de la gamme de sept notes en usage en Occident (2).
Théoriquement, ils reconnaissent l'existence des deux notes complé-
mentaires, ainsi que de tous les demi-tons intermédiaires, portant ainsi
à douze degrés la division de l'octave, — exactement comme nous -mêmes ;
mais tandis que nous employons sans scrupules tous ces degrés, eux,
dans la pratique de l'art, s'en tiennent à ceux de la gamme simple,
n'usant des autres notes que dans des circonstances très exceptionnelles,
que nous définirons tout â l'heure.
Cette gamme de cinq notes présente tous les caractères du majeur :
preuve nouvelle que le majeur est le mode fondamental de toute musi-
que, — LE Mode.
Cependant elle se prête à recevoir des mélodies conçues dans d'autres
modalités, la tonique pouvant être prise sur un degré de l'échelle autre
que la fondamentale. Vu le caractère rigoureusement diatonique do
cette musique, ces autres modes ue peuvent être mieux désignés que
par les noms des modes grecs. C'est ainsi que la dernière mélodie notée,
avec sa tonique la que précède à la première cadence un sol naturel,
nous donne d'abord une impression très vive d'hypodorien ou èolien,
tandis qu'à la cadence finale, avec la conclusion sur mi, elle se dessine
définitivement en dorien.
A vrai dire, les finales des mélodies d'Extrême-Orient ne sauraient
être prises en considération pour servir de base tonale. Presque jamais
il n'arrive que la note qui, pour notre sentiment, est tonique, soit celle
sur laquelle s'achève le morceau. Le cas n'est guère plus fréquent pour
la dominante. Ces finales semblent choisies de façon tout à fait arbi-
traire : tout au moins n'ai-je pas encore pu comprendre les causes qui,
la plupart du temps, ont pu les faire adopter.
Nous avons dit que la gamme de cimj notes avec tierce majeure était
l'échelle fondamentale de la musique d'Extrémc-Orient, mais que par-
fois les autres degrés de la gamme chromatique n'étaient pas exclus.
Cela peut être vrai pour des chants exécutés sur des instruments sus-
ceptibles de faire entendre tous ces degrés, et surtout pour les chants
vocaux. Rappelons-nous la musique javanaise : les instruments dont se
compose le gamelang sont tous accordés suivant l'échelle de cinq tons;
mais parfois, tandis que le développement musical dont l'interprétation
leur est conliée se déroule exclusivement sur ces cinq notes, du milieu
(I) Chinese Simic, by J. A. Van Aalst, publiilied by ordi;r of llji' Inspeclor General of
Customs. SImi.gliaï, 188/|.
|2) Cerlaines mélodies populaires écossaises et irlandaises sont consli'uiles dans unr
gamme analogue;
de l'orchestre sortent les sons d'un instrument à archet, beaucoup plus
variés et comprenant une échelle plus riche.
De même au Japon, où le Koto est pourtant encore accordé par cinq
tons ; mais le Sliamissen, admettant la division de la corde eu aussi petits
intervalles que possible fait à l'occasion entendre des demi-tons, aussi
bien qu'il introduit des altérations qui produisent des modulations
absolument semblables à celles de la musique européenne. C'est ainsi
que, dans uu des derniers exemples notés de musique japonaise, nous
avons pu constater l'emploi significatif du fa dièse et du si bémol, les
doux premiers accidents employés chez nous. Les Japonais ne vont pas
plus loin : du moins commencent- ils exactement comme nous avons
commencé nous-mêmes.
Observation importante au sujet de la gamme des Japonais : ils ont.
avons-nous dit, la gamme de cinq tons, mais non pas majeure : mineure,
étant basée non sur la fondamentale fa (ou do) mais STxrré (ou la). Cela
seul suffit à modifier considérablement le caractère de leur musique et
à lui donner, parmi les autres musiques d'Extrême-Orient, une physio-
nomie toute particulière.
Si bien d'accord avec nous sur tous les principes essentiels, les musi-
ciens de ces régions lointaines ne le sont pas moins en ce que, connais-
sant à peine le genre chromatique, ils pratiquent bien moins encore
l'enharmonique, et notamment ignorent de la façon la plus complète le
quart de ton, ce mythique intervalle, cet intervalle fantôme, dont tout
le monde parle, mais que personne n'a jamais vu ni entendu. On aura
beau aller en Chine, on ne le rencontrera pas. C'est déjà un résultat!
Il est bien vrai que d'aucuns nous disent y avoir oui chanter des
intervalles qui ne sont ni des tons ni des demi-tons. C'est bien possible,
fit je me garderai d'y contredire. Car je suis bien convaincu que l'on
chante faux en Chine et au Japon tout aussi bien qu'en France.
(A suivre.) Julien Tiersot.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le programme de la Société des concerts du Conservatoire s'ouvrait,
dimanche dernier, par la symphonie en ut de Schumann, œuvre intéressante
sans doute en certaines parties, mais singulièrement inégale. L'allégro initial
est lourd, pâteux, sans grâce, d'une invention qu'on dirait volontiers banale,
avec un orchestre sans cohésion et sans unité: puis tout à coup, dans l'an-
dante, on retrouve le poète qu'était Schumann à ses heures, inspiré, plein de
tendresse, avec des phrases et des périodes d'une expression pénéti'ante, le
poète rêveur de la Vie d'une rose et de certains lieder pathétiques et d'un sen-
timent si délicieux; le scherzo, très agréable, est conçu dans l'esprit de Men-
delssohn. moins sa légèreté fluide et aérienne; c'est un badinage délicat, dont
les violons sont l'àme et dans lequel ceux-ci ont triomphé, aux applaudis-
sements du public. Etavec le finale, nous retombons dans la lourdeur et dans
la presque vulgarité du premier morceau. Après la symphonie, le Conserva-
toire nous ott'rait pour la première t'ois une œuvre, déjà connue ailleurs, de
M. Gabriel Pierné, l'An Mil, œuvre curieuse, dans le genre descriptif, assez
inégale aussi, mais non sans valeur et sans couleur. La première partie nous
reporto aux craintes religieuses éprouvées par nos pères en ce symbolique
An Mil, où ils croyaient assister à la destruction île la terre et à la disparition
de l'humanité. Le caractère en est dramatique, avec les interventions du
chœur, que l'on entend chanter au loin le Miserere, mais aussi un peu trop
bruyant et compliqué plus que de raison. La seconde partie, qui nous décrit
musicalement la fameuse fête de l'Ane, si étrange et si antireligieuse, est
vive, amusante, piquante, réaliste, avec ses sonorités cocasses et son entrain
endiablé. Elle me parait la meilleure des trois, et c'est pourtant celle qui a
produit peut-être le moins d'efl'et. Le public est parfois, en vérité, un sin-
gulier animal. Le programme se complétait avec la délicieuse symphonie
d'Haydn, dont je n'ai plus rien à dire, sinon que le hautbois de M. Bas s'y
est distingué d'une façon toute particulière et qu'il a valu à sou propriétaire,
avec Je chaleureux applaudissements, deux rappels amplement mérité-.
A. i'.
— Concerts Colonne. — Comme pièces symphoniques de résistance, nous
avons eu l'ouverture du Roi d'Ys, œuvre de grande sincérité, d'une belle fac-
LE MENESTREL
21
ture et d'un coloris chaleureux, d'ailleurs riche d'invention mélodique et d'un
plan clair et lumineux; nous avons eu encore les Impressions d'Italie, dont la
troisième partie supprimée aurait été utile pour donner sa valeur à l'admi-
rable « contemplation », Sur les cimes, un des morceaux les plus émouvants
au point de vue passionnel, car l'auteur a su y décrire avec une vérité poi-
gnante l'impression qu'éprouve l'être humain, brisé, anéanti et vibrant de
bonheur, au spectacle de la nature vue à deux ou trois mille mètres de hau-
teur. Le Divertissement sur des thèmes russes, de M. Rabaud, est une adaptation
adroite do chansons qui ne méritaient pas toutes une parure orchestrale.
MM. Diémer et de Lausnay ont joué avec un ensemble parfait le concerto
en mi bémol de Mozart. Certains passages agrémentés de trilles ont été très
remarqués. — Une revue de Berlin nous apprend que M. 'Willy Burmester a
étésuriiommé le Paganini allemand «à cause de sa technique stupéfiante n. Cet
artiste a obtenu un très grand succès au Chàtelet. Il possède une aisance ab-
solue et un jeu simple et naturel quand il interprète des œuvres dépourvues
de pose et de charlatanisme. Dans le concerto en mi majeur et dans un pré-
lude de Bach, sa manière n'a pas été personnelle; il n'a eu ni l'originalité ni
la puissance, et n'aurait pu rivaliser avec Joachim ou avec Ysaye pour la
vigueur entraînante de l'accentuation rythmique. H a rendu avec un beau
son Varia de la suite en ré, adoptant la version transposée qui n'est pas
exempte d'une certaine emphase. Bach comprenait cette aria tout autrement
qu'on ne le joue. Quant au thème varié de Paganini, aucune hyperbole ne
sera déplacée pour dire ce que la virtuosité de M. Burmester a de déconcer-
tant, d'inouï, d'excentrique, de ridicule même. Le virtuose se risque au
milieu des harmoniques suraiguës avec une audace sans pareille, et sa justesse
est absolue comme sa solidité; on a envie de rire en voyant avec quel sérieux
il se comporte à travers des variations crépitantes qui agissent sur l'auditeur
à peu près comme une giboulée de gréions qui viendrait lui meurtrir la tète,
de haut en bas, de bas en haut, à droite, à gauche, devant, derrière, sans fin
ni relâche. Oh! la musique est bien parfois le plus désagréable de tous les
bruits I Lorsque Paganini fit sensation à Paris, en 1831, il eut de ces témé-
rités folles, mais elles produisirent une impression que le tempérament do-
minateur du célèbre virtuose sut eft'acer pour laisser subsister principalement
celle d'un art sérieux et puissant. On disait, en parlant de son exécution :
« Cela sonne, ironique et moqueur comme Don Juan de Byron, fantastique
comme un conte d'Hoffmann, mélancolique et rêveur comme une poésie de
Lamartine, sauvage et foudroyant comme une malédiction de Dante, et doux
et délicat pourtant comme une mélodie de Schubert. »
Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — C'était une tâche difficile qu'avait assumée
M. Chevillard que de donner l'Or du Rhin, de Richard Wagner, dans son inté-
grité. Comme la musique de Wagner ne comporte pas de chœurs, il fallait
trouver quatorze solistes capables d'affronter toutes les difficultés que com-
porte cette œuvre : quatre dieux, trois déesses, deux nains, trois ondines et
deux géants; nous ne parlons pas de l'orchestre incomparable dont dispose
M. Chevillard. Mais c'était aussi une épreuve redoutable pour le public sélect
des Concerts Lamoureux que d'entendre sans interruption trois heures de
musique, sans les distractions que donne l'exécution scénique; l'œil devrait
voir le merveilleux tableau du Rhin précipitant ses ondes, les monts autour
desquels évoluent les nuées, les sombres cavernes et les personnages extraor-
dinaires entre lesquels se joue le drame. Au lieu de cela, le dos de M. Che-
villard, des pupitres avec leurs accessoires, des messieurs et des dames
habillés au goût du jour. Les paroles, il n'est pas facile de les entendre; le
sujet, du resie, est peu intéressant et la prose de M. Ernst n'est pas attrayante.
Malgré cela, le succès a été grand. M. Chevillard avait divisé l'œuvre en deux
parties à peu près égales, entre lesquelles il a permis un repos de quinze mi-
nutes. C'est la seconde partie qui a produit le plus d'effet; il y a là des pas-
sages très mélodiques, bien rythmés, clairs et souvent d'une orchestration
assez sobre. Mais, noui persistons à le dire, Ijs conceptions de Wagner,
surtout dans sa tétralogie, ont un caractère féerique et elles ont besoin d'une
riche figuration, sans laquelle les personnages sont loin de nous intéresser:
il faut laisser à la scène ce qui est fait pour la scène, et ne donner au concert
que ce qui est la musique de concert. — Il faut louer néanmoins M. Chevil-
lard, sou merveilleux orchestre et ses vaillants solistes d'avoir mené à bien
une entreprise redoutable, mais qu'il ne faudrait pas trop souvent renouveler.
H. Barbedette.
. — Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Symphonieen «/(Schumann). — L'An MU, poterne symphonique(Plerné).
— Symphonie inédite (Haydn).
Chàtelet, concert Colonne : Symphonie héroïque, n° 3 (Beethoven). — Judas Macchabée
(Haeadel;, air et récit par W" Hatto. — CancertstUclc (Pugno), par l'auteur. — Deux Poè-
mes (Kœi.hlin), par M"" Hatto. — Les Djinns (César Franck), par M. Raoul Pugno. —
Divertissement sur des chansons russes (Rabaud).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux sous la direction de M.Che/iUard : L'Or duRhin
(Richard "Wagner), interprété par MM. Challet, Bagés, Vallobra, Dantu, Albers, Luhet,
Guiod, Sigwalt, M°*' Hayot, O'Rorke, Labatut, Lormont, Vicq, Meino.
— La reprise des intéressantes séances de musique de chambre de
M. ÉJouard Nadaud a eu lieu mardi dernier, dans la salle Pleyel, de la façon
la plus brillante, avec un programme entièrement consacré aux œuvres de
M. Théodore Dubois. Ce programme comprenait l'élégante Suite miniature
pour petit orchestre, qui a produit son effet ordinaire, la sonate pour piano
et violon, qui a valu de vifs applaudissements à MM. Diémer et Nadaud,
deux pièces en forme canonique pour hautbois et violoncelle, fort bien jouées
par MM. Bas et Cros-Saint-Ange, le second concerto de piano, qui a été un
véritable triomphe pour l'auteur et pour M. Diémer, qui l'a exécuté d'une
façon magistrale, enfin la deuxième suite pour instruments, qui a clos cette
soirée d'une façon charmante.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Les premières nouvelles qui nous arrivent par le télégraphe sur la repré-
sentation, le même soir, de l'opéra de Mascagni, Imaschere, dans les sept villes
que nous avons déjà désignées, ne sont pas très favorables. Il semble qu'en
diverses de ces villes, notamment à Milan et à Venise, quelques cabales aient
été organisées contre l'œuvre et son aute jr. Toutefois, nous attendrons, pour
en parler plus amplement, les correspondances détaillées qui vont nous
arriver.
— Deux des compositeurs les mieux cotés de la jeune école musicale ita-
lienne, MM. Umberto Giordano, l'auteur à'André Chénier, et Alberto Fran-
chetti, l'auteur d'.4sraèV, viennent, parait-il, d'unir leur inspiration et d'écrire
ensemble, sur un livret de M. Luigi Illica, la partition d'une opérette-bouffe
en trois actes intitulée Jupiter.
— On a exécuté récemment, à Reggio d'Emilie, une grande cantate nou-
velle intitulée la Natte dei fiori, dont les auteurs sont M. Telemaco Dablara
pour les paroles et M. Nestore Morini pour la musique. Nestor etTélémaque,
c'est une association toute naturelle, étant donnée l'amitié qui, aux temps
fabuleux, unissait le premier au père du second.
— Il paraît que la municipalité romaine est en négociations pour acheter
le théâtre Costauzi, qui est aujourd'hui une propriété particulière, et qu'elle
en offre un million et demi. Une fois entrée ainsi en possession d'un théâtre
communal, elle démolirait celui qui lui appartient à l'heure présente, l'Ar-
gentina, qui doit disparaître pour les nécessités d'un .plan édilitaire, et elle
en vendrait le terrain.
— On prépare à Rome, pour le commencement de mars, un grand festival
de musique française, au profit d'une œuvre de bienfaisance. Le marquis
J. Marchetti Ferranle est en ce moment à Paris pour assurer la réussite de
l'entreprise et s'est déjà entendu avec M. d'Harcourt pour la direction de
l'orchestre. Au programme, trois œuvres seulemen figureront : l'ouverture du
Tasse, de M. d'Harcourt, la symphonie en ut mineur de Saint-Saëns, et l'ora-
torio biblique de Massenet, te Terre promise, qui fut exécuté avec tant de suc-
cès l'hiver dernier à Saint-Eustache. M. le marquis Ferrante, qui est un let-
tré et un excellent musicien tout à la fois, s'est chargé lui-même, avec beaucoup
de bonne grâce de la traduction italienne.
— A Lisbonne également, la Société artistique des concerts de chant pré-
pare une belle exécution de la même Terre promise.
— On a inauguré la semaine passée une exposition Cimarosa à Vienne,
exposition qui est justifiée par le fait que le musicien, en sa qualité de
kapellmeister de la cour impériale de 1791 à 1793, a fait jouer à Vienne pour
la première fois, le 7 février 1792, son chef-d'œuvre, il Matrimonio segreto.
Dans cette exposition, les manuscrits du vieux maître et les objets qui se
rattachent directement à lui sont assez rares: on y admire cependant, à côté
d'une foule de gravures contemporaines et posthumes, un magnifique por-
trait à l'huile de Cimarosa attribué au peintre vénitien Alexandre Longhi,
qui appartient au prince souverain Jean de Liechtenstein. Une autre relique
intéressante est la simple affiche d'un concert qui eut lieu à Vienne le 30 jan-
vier 1801 et dans lequel Joseph Haydn conduisit deux de ses symphonies,
tandis que Beethoven accompagna au célèbre virtuose corniste Punto (qui
s'appelait de son vrai nom Johann Stich) sa sonate encore inédite pour cor
et piano. Le programme fut complété par un acte de l'opéra Gli Orazi e
Curiazi de « feu Cimarosa »; le maître était en effet mort quelques jours
avant le concert, le 11 janvier 1801. L'excellent catalogue dû à M. Mantuani,
conservateur-adjoint de la Bibliothèque impériale, contient une revue com-
plète des représentations des œuvres de Cimarosa à Vienne par M. A.-J.
Weltuer, le savant archiviste de la surintendance générale des théâtres
impériaux.
— Le jury du concours pour le monument de Johaun Strauss et de Lanner
à Vienne, qui avait, comme nous l'avons dit, 51 projets à examiner, vient
de publier sa décision ; le premier prix, de 2.000 couronnes, a été attribué
au projet du sculpteur Franz Seifert et de l'architecte Robert Oerley, qui
montre les créateurs de la valse viennoise debout sur un socle orné d'un
bas-relief représentant plusieurs jeunes couples en train de valser.
— On nous écrit de Vienne : « M""! Glotilde Kleeberg s'est fait entendre
d'abord avec le quatuor tchèque et ensuite avec le quatuor Prill, dans les
œuvres de Saint-Sacns et de Fauré. Mais où son succès a pris les plus grandes
proportions, c'est à son premier récital (dont le programme ne contenait que
des œuvres de Schumann et de Chopin). Des rappels sans nombre ont prouvé
à la sympathique artiste en quelle estime elle est tenue ici ».
— Le gouvernement prussien se sert habilement de l'art théâtral pour
germaniser ses provinces polonaises. Nous trouvons en effet, dans le nouveau
22
LE MENESTREL
budget prussien, un crédit de 880.000 marcs pour la construction à Posen d'un
nouveau théâtre municipal — de langue allemande, bien entendu. — Or,
comme cette ville a déjà été obligée par le gouvernement de voter à cet ett'et
la somme de 440.000 marcs, les habitants de Posen, qui sont en très grande
majorité Polonais, seront gratifiés d'un théâtre allemand qui n'aura pas coûté
moins de 1.320.000 marcs, soit 1.6S0.000 francs, sans compter le terrain qui
y est affecté depuis longtemps.
— L'orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction de M. Arthur
Nikiscb, fera aux mois d'avril et mai prochains une grande tournée à travers
l'Europe, qui comprendra l'Autriche, l'Italie, l'Espagne et la France. Provi-
soirement, des concerts sont projetés dans les villes suivantes : Prague,
Brûnn, Vienne, Graz, Trieste, Venise, Florence, Bologne, Milan, Turin.
Gênes, Nice, Marseille, Barcelone, Madrid, Lisbonne, Bilbao, Bordeaux,
Toulouse, Lyon et Paris.
— Le Taijblatt de Berlin annonce que la direction de l'Opéra royal « a
pris en considération la représentation de Louise et médite à l'heure qu'il est
sur les scènes de l'œuvre qui lui paraissent trop essentiellement pari-
siennes et trop risquées pour l'Allemagne ». Espérons qu'on trouvera à
Berlin une solution qu'il sera possible à l'auteur de Louise d'accepter.
— Le célèbre ténor Niemann, dont le nom reste à jamais attaché à la pre-
mière représentation de Tannhiiuser à l'Académie nationale de musique de
Paris, vient de célébrer le 70'= anniversaire de sa naissance. Il s'est, retiré de
la scène depuis longtemps, mais les amis de l'artiste et ses vieux admirateurs
ont voulu néanmoins célébrer son Jubilé. Pour se soustraire à toutes les ovations,
Niemann s'était sauvé prudemment et les visiteurs ont trouvé porte close.
— Un opéra intitulé Eros et PsycJié, musique de M. Max Zenger, ^dent d'être
joué avec succès au théâtre royal de Munich.
— Succès exti-aordinaire pour Werther, de Massenet,. au théâtre national de
Prague, en langue tchèque. Interprétation excellente et mise en scène très
soignée par le nouveau directeur de ce théâtre, M. Schmoranz. Le total des
rappels au cours de la soirée a monté au chiffre de trente-cinq, chiffre abso-
lument sans précédent à ce théâtre.
— On a inauguré à Saint-Pétersbourg un nouveau théâtre, le théâtre du
Peuple, construit dans le Parc Alexandre par les soins du prince Alexandre
d'Oldenbourg. Il contient 1.200 places, et l'édifice renferme un magnifique
restaurant pour l.uOO personnes. Plusieurs princes de la famille impériale
assistaient à l'inauguration, et le czar a envoyé au prince d'Oldenbourg une
dépêche par laquelle il l'autorise à donner son nom au théâtre. L'acteur
Sazonow a prononcé un discours dans lequel il constatait que la Russie devan-
çait tous les autres pays en fondant une institution comme le théâtre du
Peuple. C'est, ajouta-t-il, le don de la Russie au nouveau siècle; en d'autres
temps ce fut une grande entreprise que de donner la liberté à vingt millions
de serfs; aujourd'hui le grand objet est de pourvoir aux besoins intellec-
tuels du peuple; et ce fut une fortune pour Saint-Pétersbourg de trouver un
homme comme le prince Alexandre d'Oldenbourg, qui, avec une indomptable
énergie, a réussi à fonder une si grande institution pour l'usage du peuple...
Après ce discours le prince d'Oldenbourg embrassa l'acteur, et la représen-
tation d'inauguration eut lieu en présence des ouvriers et de leurs familles.
— A la suite d'une campagne ouverte à ce sujet par l'un des principaux
journaux de Londres, le Morning Post, on a décidé d'ouvrir, entre les compo-
siteurs anglais, un concours auquel sont attachés douze prix d'une valeur
totale de 150.000 francs. Le sujet est un hymne de grâce au Très-Haut pour
tous les bienfaits dont l'Angleterre a été comblée durant le dix-neuvième
siècle (il n'est pas question des afl'aires du Transvaal). « Les compositions
doivent être conformes aux sentiments religieux de tous les sujets de Sa
Majesté Britannique. » Les Psaumes 103, 107 et loO ont été choisis comme
ceux qui expriment le mieux le sentiment en question.
— On télégraphie de New-York le très grand succès que vient de remporter
au Metropolitan-Théâtre le Cid de Massenet, avec M"' Bréval (de l'Opéra)
pour Ghimène, M. Jean de Reszké pour Rodrigue etM™ Melba dans l'Infante.
Après le premier acte il y a eu des rappels nombreux ; on a crié : « Bréval !
Bréval! », et lorsque M, Jean de Reszké l'a accompagnée sur le devant de la
scène, des applaudissements enthousiastes ont éclaté. Il était minuit lorsque
le rideau est tombé sur le dernier acte; mais, malgré l'habitude de la société
américaine d'aller souper immédiatement après la représentation de l'Opéra,
la brillante assistance du Metropolitan est restée en place jusqu'à ce que
M'i' Bréval eut répondu à six rappels successifs.
— M. Edouard Strauss vient de télégraphier de Denver (Colorado) qu'il
est rétabli et qu'il a pu quitter Albuquerque en assez bonne santé. Il
continue sa tournée et espère revenir à Vienne au mois de mai.
— Toujours excentriques, les Américains. Dans une des plus grandes
salles de New-York, le 31 décembre, au dernier coup de minuit, une armée
vocale et instrumentale de mille exécutants a entonné, sous la direction du
conductOT Franz Damrosch, une cantate solennelle écrite en l'honneur et
pour célébrer la venue du nouveau siècle.
PARIS ET DÉPARTEMENTS'
M. Massenet, comme tous les ans, est allé prendre ses quartiers d'hiver
dans le Midi. Avant son départ, tous ses anciens élèves du Conservatoire
s'étaient réunis pour lui offrir une superbe plaque de Grand-Officier, laquelle
portait au dos cette inscription : A Massenet, ses élèves, IS7S-1S96. Ils
avaient choisi parmi eux le plus ancien et le plus nouveau o prix de Rome »
dn maître, MM. Lucien Hillemacher et Henri Rabaud, pour lui remettre le
précieux écrin et lui porter en même temps tous leurs vœux avec leurs
signatures autographes réunies sous une riche reliure des plus artistiques.
Cette petite cérémonie tout intime a été des plus touchantes. M. Massenet,
fort ému, a répondu à ses élèves par la lettre qui suit :
Mes amis,
Vous venez de me doaner le plus touchant léoioignage qu'un ai'tiste ait jamais reçu.
Il n'est point seulement ici question du présent si beau que vous m'offrez, mais bien de
la pensée qui réunit, dans un même élan affectueux, les souvenirs de dix-huit années
passées avec vous, qui êtes la gloire présente de la musique française.
Je vous embrasse dans une même étreinte, avec la plus vive et la plus reconnaissante
émotion.
Votre vieil ami et camarade,
J. Massenet.
Et sans doute, beaucoup de ces jeunes gens sont bien déjà l'honneur de la
musique française, comme le dit si bien le maître, si l'on veut considérer
que parmi eux se trouvent des artistes comme MM. Lucien Hillemacher, le
compositeur du Drak et de Claudie, Alfred Brunean, le distingué critique du
Figaro, Paul Vidal, qui est chef d'orchestre à l'Opéra et professeur au Con-
servatoire, Georges Marty, également professeur au Conservatoire et chef
d'orchestre à l'Opéra-Comique, auteur du Duc de Ferrare, Xavier Leroux, dont
on applaudira bientôt Astarté à l'Académie nationale de musique, Gabriel
Pierné, qui fit l'An mil et va nous donner la Fille de Tabarin, Gustave Char-
pentier, le musicien de la Vie du poète, des impressions d'Italie, des Poèmes
chantés et de Louise, Henri Rabaud, qui écrivit Job et cette belle symphonie,
en si mineur si remarquée aux Concerts-Colonne, Emile Ratez, directeur du
Conservatoire de Lille, Reynaldo Hahn, le musicien subtil et coloré des
Chansons grises, des Études latines et de l'Ile du Rêve, Moret, dont certaines
mélodies prouvent déjà le beau tempérament. Ed. Missa, Kaiser, etc. etc.
— L'Académie des heaux-arts a dû procéder, dans sa séance d'hier, à la
formation des listes des jurés-adjoints pour les prochains concours de Rome.
Elle avait été appelée, dans sa séance précédente, à juger le concours Ros-
sini. Vu l'insufSsance des partitions envoyées à ce concours, elle n'a pas cru
devoir décerner le prix ; une mention honorable a été seulement accordée au
manuscrit portant pour devise : Age quod agis. Mais le pli cacheté accompa-
gnant cette composition ne sera ouvert que si l'auteur se fait connaître. Par
suite de ce résultat, l'Académie proroge le concours à l'année 1902 et décide
qu'il aura lieu sur un nouveau livret qui sera choisi dans un concours de
poésie ouvert dès aujourd'hui et qui sera clos le 31 décembre 1001.
— La note suivante, affichée au Conservatoire, donne le programme du
prochain concours de Rome :
GRAiND PRIX DE ROME
Concours d'essai au palais de Compiègne :
Entrée en loge samedi 4 mai, à dix heures du mat'n; sortie, vendredi 10 mai, à dix
heures du matin. Jugement (au Conservatoire), le samedi 11 mai, à neuf heures du matin..
Concours définitif au palais de Compiègne :
Entrée en loge le samedi 18 mai, à dix heures du matin; sortie, lundi 17 juin, à neuf
heures du matin. Audition (au Conservatoire), vendredi 28 juin, à midi. Jugement (à
l'Institut), samedi 29 juin, à midi.
Les candidats devront se faire inscrire au secrétariat du Conservatoire avant le mev-
credi 24 avril, ils doivent être porteurs de leur acte de naissance et d'un certificat d'études
musicales. , — '^
Les concurrents devront se munir de draps, taies d'oreiller et linge de toilette.
Terme de rigueur pour le dépôt des poèmes : mardi 14 mai.
— Puisque nous sommes au Conservatoire, annonçons que les cours de
la classe d'orchestre recommenceront demain lundi 24 janvier, à neuf heures
et demie, et continueront les lundis suivants à la même heure. Ou sait que
cette classe est obligatoire pour tous les élèves des classes instrumentales
spécialement désignés. La reprise de la classe d'ensemble vocal aura lieu iB
mardi 25 janvier, à quatre heures et demie, et la classe se continuera tous
les mardis et vendredis.
— Enfin, voici les noms des élèves des classes de chant, opéra et opéra-
comique auxquels, à la suite des récents examens semestriels, le jury a
accordé des pensions d'études et des encouragements de diverses sommes :
Hommes : MM. Ananian, Aumônier, Billot, Cèbe, de Clyusen, Gaston Dubois,
Ferrand, Geyre, Gilly, Granier, Guillamot, Morati, Rechencq, Sayetta,
Sigwalt; Femmes : M"« Cesbron, Billa, Carré, Cornes, Cortez, Demougeot,
Dorigny, Durîf, Féart, Gonzalez, Grazide, Gril, Huchet, JuUian, Lassara,
MejTiard, Revel, Ruper, Van Gelder, Vergonnet, 'Weyrich.
— Raoul Pugno jouera aujourd'hui aux Concerts-Colonne le concertstuck
de sa composition qui eut tant de succès le 4 octobre dernier aux auditions
du Trocadéro. Il l'a exécuté depuis, toujours au milieu des mêmes accla-
mations, à Saint-Pétershonrg, sous la direction de M. Zumpé, et à Berlin,
sous la direction de M. Rebicek. Le soir même du Concert-Colonne, Raoul
Pugno repartira pckur Berlin, Leipzig, Amsterdam, Monte-Carlo (7 et
10 février). Milan, Bologne et Florence, où l'appellent de nouveaux enga-
gements.
— Devant cette afQuence de demandes à l'étranger, le grand artiste a dû
prendre la détermination de donner sa démission de professeur au Conser-
vatoire. .11 l'a fait dans les termes qui suivent, en une lettre adressée à
I M. Théodore Dubois :
LE MENESTREL
23
Mon cher directeur et ami,
La dennière série de concerts que je viens de donner à l'étranger (Russieet Allemagne)
mia valu de tels témoignages d'approbation, aussi précieux pour moi qu'intéressants,
j'ose le dire, pour le renom de l'art français, que j'ai résolu d'entreprendre à bref délai de
jiouveaux voyages.
Dans ces conditions, je suis le premier à penser qu'il ne m'estpas possible de conserver
ma chaire au Conservatoire.
Quel que soit mon attachement à cette grande maison, à laquelle je dois tant, je ne
voudrais pas continuer à lui appartenir sans me consacrer tout entier à mes élèves.
Veuillez demander à IVI. le llinistre de vouloir bien accepter ma démission de professeur.
De près ou de loin, vous savez de quel cœur je reste des vôlres.
Croyez à. mes sentiments de reconnaissance et d'aiTectueiix dévouement.
Raoul Pugno
C'est assurément une grande perte pour le Conservatoire. M. Raoul Pugno
était de ces rares professeurs-artistes qui donnent à une maison d'ensei-
gnement le lustre qui lui est nécessaire. On ne peut toutefois que s'incliner
devant le scrupule d'honnête homme qui a dicté son devoir au célèbre
artiste.
— Cette place de professeur à une classe de piano du Conservatoire est à
peine vacante que déjà elle est naturellement très convoitée. Mais elle parait
déjà acquise à M. Antonin Marmontel, et il y a vraiment tous les droits.
Indépendamment du grand nom qu'il représente dans l'enseignement, il a
fait les « intérim » de la classe de M. Pngno, pendant ses nombreuses
absences, avec un dévouement sans bornes et, il faut le dire aussi, avec
un succès indéniable. C'est à lui que vont tous les vœux, et tout dépendra
de sa propre décision.
— L'Opéra-Gomique ayant monté spécialement pour ses abonnés l'opéra
ig-fidelio, dans lequel M"" Jeanne Raunay a fait sa rentrée avec un si beau
succès, la direction, afin de permettre au public de louer d'avance les
places laissées libres par l'abonnement, a décidé que les représentations de
Fidelio seraient données aux dates suivantes : mardi 22, jeudi 24, mardi 29.
On peut louer dès maintenant au bureau de la location, rue Marivaux.
— A rOpéra-Gomique : La Caisse des pensions viagères de l'orcbeslre, des
chœurs et du personnel de la scène, que M. Albert Carré a fondée, vient
d'obtenir la consécration ofQcielIe. Grâce au précieu-x: concours et aux efforts
dévoués du président de la commission de gestion, elle vient d'obtenir des
pouvoirs publics sa reconnaissance comme établissement d'utilité publique,
ce qui va lui permettre d'accepter les dons et legs qui pourront lui être faits,
et notamment celui qui lui a été fait par M""" Samson, née Boieldieu, et un
autre dont le président a été informé, et qui est des plus importants. A ce
propos, on sait que la représentation annuelle donnée par M. Albert Carré
au prolit de la Caisse, est en préparation. Elle devait avoir lieu le 31 janvier,
mais la première représentation de la Fille de Tabarin devant être donnée du
2b au 30 janvier, la direction de l'Opéra-Comique préfère reculer cette ma-
tinée au jeudi 7 février. Le programme, outre l'Intermezzo de M. Gaston Le-
maire, comprendra le 3" acte de Werther chanté par M"" Delna et M. Maréchal.
— Spéciales d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, la
Basoche; le soir, iouise (92' représentation).
— A l'Opéra, la première répétition d'ensemble, artistes et chœurs,
i'Astarté, a eu Heu cette semaine. L'ouvrage de MM. Louis de Gramont et
Xavier Leroux est su maintenant, et les répétitions générales vont commencer-
— C'est mercredi prochain que sera donnée, au Théâtre-Français, la repré-
sentation de retraite de l'excellent comédien Gustave Worms. En voici le
très beau programme :
1. — L'Étincelle, comédie en un acte, d'Edouard Pailleron :
Raoul M. Le Rargy
Léonie M"" Brandès
Antoinette Bertiny
2. — Le Misanthrope (1" acte) :
Alceste MM. Worms
Oronte Prud'hon
Philinte Baillet
3. — Intermède ;
M. HoUmann, violoncelliste : oj Andante (Hollmann) ; b) le Cygne (Saint-Saëns) ; c) Mazurka
(Hollmann).
M. Mounet-Sullj ; poésie.
M"° Louise Grandjean : la Charité (Faure).
M. Fugère : le Vieux Ruban (Paul Henrion).
M. Noté, première audition : le Géant (poésie de Victor Hugo, musique de Litolff).
M"" Sybil Sanderson ; mélodies.
M. Coquelin cadet ; le Lait de la Marquise, poème (Grenet-Dancourt).
La Forza del deitino, de Verdi (fragment du 4'' acte) :
MM. Tamagno,
iieltrami,
4. — L'ami des femmes ('i« acte), d'Alexandre Dumas :
De Ryons MM. Worms
De Montègre Duflos
.Un domestique Falconnier
•lane M»"' Bartet
.M"" Leverdet Blanclie Pierson
M"» Ackendorff Henriette Fouquier
5. — Le Nouveau Jeu, comédie de M. Henri Lavedan, deuxième acte (La Rupture) :
"Bobette Langlois M"° Jeanne Granier
Paul Costard M. Brasseur
— Parmi les projets de M. Colonne pour les concerts de cet hiver, figure
un Festival-Massenet d'ores et déjà fixé au 10 mars prochain, avec le concours
de M"'" Sibyl Sanderson et de M. Jean Lassalle. Au programme, l'ouverture de
Brumaire {1" audition), la nouvelle Suite d'orchestre sur Phèdre (ouverture,
entr'acte d'Hippolyte et Aricie, Implorations à Neptune, Sacrifice, Offrande
et Marche athénienne), un acte d.'Esclarmonde et la troisième partie de la
Terre promise.
— L'Opéra-Populaire donnera dans les premiers jours du mois prochain
la première représentation de Charlotte Corday, drame lyrique en trois actes
avec prologue et six tableaux, poème d'Armand Silvestre, musique d'Alexandre
Georges. M"»" Georgette Leblanc a été engagée tout spécialement par
M. Duret pour créer le rôle de Charlotte. Voici d'ailleurs la distribution de
cet ouvrage :
Charlotte Corday
M"" de Bretteville
Simone Evrard
Barbaroux
Marat
Le comte de Lux
Georgette Leblanc
M"
Dulac.
MM. 'Emile Cazeneuve.
Dangès.
Gorîn.
Les études musicales sont très avancées et ont lieu sous la direction de
l'auteur, secondé par MM. Bûsser eft Archaimbault.
— Dimanche dernier les présidents ou directeurs des sociétés musicales
françaises et étrangères qui ont pris part aux festivals et aiLX concours de
l'Exposition de 1900 se sont réunis chez M. Laurent de Rillé, .président de
la Commission qui avait été chargée d'organiser ces fêtes, pour lui offrir un
magnifique objet d'art dû au ciseau du sculpteur Krémiet. M. Deromby, direc-
teur des Orphéonistes valenciennois, a prononcé un remarquable discours au
nom des sociétés chorales. MM. Eymond, représentant les sociétés instru-
mentales, et Victor Lory la presse orphéonique, ont parlé après lui; et
M. Berger, député du ix= arrondissement et ancien directeur des E.xpositioiis
de 1878 et de 1889, a résumé les pensées de tous dans un langage extrême-
ment élevé. Cette fête orphéonique s'est joyeusement terminée autour d'un
buffet somptueusement servi.
— Derniers vestiges de l'Exposition et des splendeurs de la fameuse rue
de Paris. On a vendu cette semaine, à l'hôtel Drouot, les costumes des ballets
de Terpsichore et de l'Heure du Berger, représentés avec tant de succès au
gentil Palais de la Danse, et ces costumes, naguère si pimpants et si élégants,
ont été vendus en lots pour une somme totale de 1.300 francs, alors qu'ils
avaient coûté 60.000 francs à établir. Contrairement à ce qui se passe d'or-
dinaire dans les ventes à l'hôtel Drouot, où les commissionnaires sont les
auxiliaires des commissaires présents, c'étaient, l'autre jour, les anciennes
ouvreuses du palais de la Danse qui assistaient M= Sanahoer. C'étaient elles
qui, secondées par le crieur, annonçaient au public la nature des lots mis
aux enchères. L'introduction de cet élément féminin dans la vente a laissé
froids les amateurs qui, moyermant des sommes variant entre 10 et 20 francs,
se sont fait adjuger des lots suffisants pour travestir tous les figurants d'une
des prochaines cavalcades de la Mi-Carême.
— Aux Vai-iétés on va cesser les représentations de il/"' George pour donner
une suite de soirées avec M""-' Judic, qui fut si longtemps !'« étoile » applaudie
et fêtée de ce théâtre. On commencera par Niniche, dont la première
leprésentation remonte déjà à l'année 1878. Bonne chance et bon succès
à la charmante artiste.
— Louise vient pour la première fois d'affronter le feu en province après
Paris, et son premier pas en dehors de la capitale a été salué d'acclamations
de bon augure pour la suite de sa carrière. Voici eu effet la dépêche que
nous recevons d'Alger : « Triomphe. Plusieurs rappels après le 1" et le 2«
actes. Au 3=, Charpentier, aperçu dans la loge du gouverneur, est obligé de
saluer deux fois le public enthousiaste. Après le 4=, il est trainé sur la scène.
Ovations bruyantes prolongées. Remise de palmes et de couronnes de fleurs.
Belle interprétation avec Lataste (le père). M"» Gervaix (Louise), M"»» Poude
(la mère), M. Flachat (Julien). Tous autres rôles fort bien tenus. Pennequin,
excellent chef d'orchestre. Très belle et inoubliable soirée pour tous. Le
directeur Saugey remporte un succès personnel avec mise en scène parfaite.
On le félicite justement du grand effort accompli et d'avoir été le premier
après Paris à ouvrir si brillamment à Louise la voie des succès certains en pro-
vince et à l'étranger. » M. Charpentier fort grippé (ô ciel d'Algérie tant vanté !)
ne sera de retour à Paris que demain lundi, tout prêt àrepartir pour Bruxelles
où on l'attend pour les dernières études de sa belle œuvre.
— Un concours aura lieu à Caen, le jeudi 31 janvier, pour l'obtention de
la place de professeur de hautbois à l'Ecole nationale de musique et de
Is' hautbois à l'orchestre du Théâtre municipal. Traitement : 1.600 francs,
susceptible d'augmentation. Trois mois de vacances. Adresser les demandes
d'inscription, avant le 2S janvier, au Directeur de l'École, en justifiant de la
qualité de Français.
— Charmante matinée chez M"'^ Laminy pour l'audition des œuvres de
Périlhou. M"= Faucher a chanté Margoton et Netl, qu'on lui a bissées, M. G.,
excellent baryton, Vitrail et Au-dessous. Des élèves ont dit le Nocturne et la
Chanson à danser, et enfin vingt petits enfants ont chanté avec entrain la
Complainte de Saint-Nicolas, qu'on leur a bissée d'enthousiasme. M'^" C. Larronde
a remarquablement exécuté fflermzfcsurte violoncelle, et le tout s'est termiiié
par le joyeux chœur de Trirriousette.
24
LE MÉNESTREL
— Jeudi prochain, à la salle Érard, concert avec orchestre donné par
M"^ Solange de Croze, avec le concours de M"« Yvonne de Tréville et
de M. Hardy- Thé. C'est M. Colonne qui conduira l'orchestre.
— Couns El Leçons. — .M— Savinie Lherba.y-Fiorenlino, de la Comédie-Française,
a repris ses cours el leçons de déclamation et lilléralure chez elle, 13, rue de Tocqueville.
— M"" L. Isnardon-Pnget, élève-lauréat du Conservatoire de Rome, a ouvert un cours
de chant, 1.54, avenue de Wagram.
NÉCROLOGIE
Un écrivain de talent, un g.ilanti homme, un bon Français, le poète Jules
Barbier, est mort mercredi dernier à Paris, à la suite d'une longue et cruelle
maladie, et c'est avec un regret sincère et alTectueux que nous enregistrons
cette douloureuse nouvelle. Jules Barbier, que nos confrères font naitre en 1823
(Vapereau dit 1823), s'était fait une place à part dans le théâtre contemporain
comme collaborateur, pendant quarante ans, de tous nos compositeurs, en
leur fournissant des livrets écrits la plupart du temps avec son ami Michel
Carré, mort longtemps avant lui. Il s'était attaché ainsi à la fortune de tous
nos musiciens, les plus grands comme les plus obscurs : Gounod, Ambroise
Thomas, Halévy, Victor Massé, Meyerbeer, Léo Delibes, Saint-Saéns, Reyer,
Théodore Dubois, Joncières, Ernest Boulanger, Ûfîenbach, Edmond Mem-
brée, Hector Salomon, Prosper Pascal, Jules Béer, Th. Semet, Deffès, Erlan-
ger, Henri Maréchal, etc. Elle est longue, la liste des ouvrages donnés par
lui à l'Opéra, à l'Opéra-Comique et à l'ancien Théâtre-Lyrique: Hamlet,
Françoise de Rimini, la Reine de Saba, Faust, Polyeucte, Roméo et Juliette, le
Médecin malgré lui, Philémon el Baucis, les Noces de Jeannette, Galathée, Paul
et Virginie, Psyché, une Nuit de Cléopâtre, les Saisons. Gil Bios, les Sabots de la
marquise, la Guzla de l'émir, le Pardon de Ploërmel, la Colombe, les Amoureun;
de Catherine, le Roman de la Rose, l'Esclave, le Timbre d'argent, la Reine Berthe, la
Tempête, Sylvia, les Contes d'Hoffmann, sans compter les adaptations des Noces
de Figaro, de Fidelio, de la Flûte enchantée... Mais Barbier ne s'était pas con-
finé dans cette tache relativement secondaire de librettiste, dans laquelle,
outre Carré, il eut parfois pour collaborateurs Adrien Decourcelle, A. de
Beauplan, Labiche, Th. Barrière, Edouard Poussier. Charles Nuitter, Meslé-
pès, MM. Philippe Gille, Beaumout, etc. Il avait écrit des drames, des comé-
dies en prose ou en vers, montrant une inépuisable verve et se faisant jouer
un peu partout : à la Comédie-Française (un Poète), à l'Odéon (les Contes d' Hoff-
mann, le Maître de la maison), à la Porte-Saint-Martin (André Chénier, Jenny
l'ouvrière), à la (îaité (Jeanne d'Arc), à l'Ambigu (Cora, un Drame de famille.
Princesse et favorite), etc. Déplus, il avait publié que'lques recueils de poésies.
En ces dernières années il avait donné, en deux volumes, un choix de son
théâtre. Jules Barbier laissera, pour tous ceux qui l'ont connu, avec de vifs
regrets, le souvenir d'un honnête homme, d'un grand cœur et d'un travailleur
plein de vaillance. A. P.
— Nous annonçons avec regret la mort de M. Jules Cohen, qui a succombé
dimanche dernier, à l'âge de 70 ans, à la maladie qui depuis de longues an-
nées lui avait interdit toute espèce de travail et même d'occupation. Né à
Marseille le 2 novembre 1830 il était venu de bonne heure à Paris et avait fait
de brillantes études au Conservatoire, où il fut élève deMarmontel, deBenoist
et d'Halévy. Premier prix de solfège en 1847, premier prix de piano en 1830,
premier prix d'orgue en 1832, il obtint encore le second prix de fugue en
18S3 et le premier en 1834, puis il .se livra avec activité à la composition. Il
écrivit deux symphonies, plusieurs ouvertures, des messes, des motets, des
études et de nombreux morceaux de piano, des mélodies, des pièces pour
harmonium. Mais il visait surtout le théâtre, où il ne fut que médiocrement
heureux. Après avoir écrit de nouveaux chœurs pour Alhalie, pour Eslher et
pour Psyché à l'occasion de reprises de ces chefs-d'œuvre faites à la Comédie-
Française, il ût représenter les ouvrages suivants ; Maître Claude, un acte,
Opéra-Comique, 1861; José-Maria, 3 actes, id., 186(3; les Bleuets, i actes, Théâ-
tre-Lyrique, 1867; Béa, 2 actes, Opéra-Comique, 1870; plus deux cantates :
l'A.nnexion et Vive l'Empereur, exécutées toutes deux en 1860, la première à
l'Opéra, la seconde à l'Opéra-Comique. Jules Cohen, qui remplissait alors
les fonctions d'accompagnateur à )a chapelle impériale, avait été nommé,
en 1870, professeur de la classe d'ensemble vocal au Conservatoire, et, un
peu plus tard, fut pendant quelques années chef des chœurs à l'Opéra.
— Le second fils du grand violoncelliste Servais, François-Mathieu (dit
Franz) Servais, est mort lundi dernier dans la petite maison qu'il occupait
depuis assez longtemps i Asnières, âgé d'un peu moins de cinquante ans. Né
à Hal comme Joseph, son frère aîné, mort depuis ISS.'J, il fit ses études au
Conservatoire de Bruxelles, où il obtint en 1873 le grand prix de Rome, avec
une cantate intitulée la Mort du Tasse. Il avait fondé et dirigé pendant plu-
sieurs années, à Bruxelles, une société de concerts symphoniques, et il avait
même rempli durant une saison les fonctions de chef d'orchestre au théâtre
de la Monnaie. Il produisit peu et se fit connaître d'abord par quelques mélo-
dies et des pièces d'orchestre. Puis il consacra plusieurs années à écrire la
musique d'un grand drame Ij'rique, VApollonide de Leconte de Liste, qu'il
eût souhaité ardemment voir représenter à Paris. N'y pouvant réussir, il
accepta de faire jouer cet ouvrage à Carlsruhe, où il parut avec succès il y a
trois ans, sous la direction musicale de M. Féhx Mottl. Il avait entrepris la
composition d'un nouvel opéra, lorsque la mort est venue le surprendre dans
toute la force de l'âge.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En veille AU MÉNESrREL, 2 bis, rue ïiïienne, HEUGEL & G'', éditcnrs-propiiélaires.
RAOUL PUGNQ
PIANO ET ORCHESTRE
exécuté par l'auteur aux Concerts officiels du Trocadéro
et aux Concerts Colonne
Réduction pour deux pianos, par l'auteur, prix net : 9 francs.
Pour paraître prochainement AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne.
GRAND SUCCÈS B.^LLET-F./^iTT03yciDycE ^ GK.^3srr) spectacle g^^^^^ SUCCÈS
Tiré du
PETIT FAUST
Ii'OLYlVIPm-THÉflTRE ^' "' ^^°™^ ''^^^^^^^ '* ^^^^^^^ ^^™^ ^'' ^' *^^^^^-™^^ It'OItY]VlPIfl-T}lÉaTHE
* * ' MUSIQUEDE
,,^ HERVÉ ,,^
Pris net : 5 ir. — PARTITION transcrite pour piano solo par E. DOMERGUE — Prix net : 5 l'r.
HHRHrlGElVIEl>lTS DIVEI^S POOt? PIH]>10
HERVÉ. Valse-ouverture, à 2 mains 6 »
— — à 4 mains 7 50
HOFFMANN. Idylle des 4 saisons variée 5 «
MÉTRA. Suite de valses à 2 mains 6 »
— — ai mains 7 50
A. MEÏ. Polka du jardin 4 50
RUMMEL. Fantaisie mignonne à 4 mains .... 7 50
STRAUSS. Quadrille à 2 mains 5 »
— — à 4 mains 6 ><
ARBAN. Quadrille brillant 5 »
BATTMANN. Transcription facile 5 »
BERNARDIN. Idylle pour violon et piano. ... 5 »
G. BILL. Fantaisie, transcription très facile . . 5 »
BRISSLER. Pot-pourri 7 50
CROISEZ. Fantaisie mignonne 6 ,,
DOMERGUE. Variation-Pizzicati 5 >,
ETTIIIJG. Méphisto, polka-mazurka 4 50
Pour la location des parties d'orchestre, la mise en scène et les dessins des costumes et décors, s'adresser AU MÉNESTREL, 2'"^, rue Vlolenne
STUTZ. Polka-enlr'acte 6 »
VALIQUET. Quadrille facile sans octaves. ... 4 »
— Valse-ouverture facilitée 5 »
F. WACHS. Petites transcriptions très faciles :
1. Couplets du guerrier Valentin. 2 50
2. Tyrolienne de Marguerite. . . 2 50
3. Couplets du jardin 2 50
4. Rondo-valse de Méphisto ... 2 50
5. Polka des trois chœurs .... 2 50
fi. Chanson du satrape .... 2 50
s. — (Ëacre Luj'illcuxf,
U¥i. - 67- mM - i\° 1
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
DimaDche 27 Janvier
(Les Bureaux, 2"", me Vivieime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
lie HaméFo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie HuméFo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
ï. Verdi, par Authi u Polgin. — il. Semaine théâtrale ; premières représentations de
.iramuii/' au Palais-Royal etd'/in Fêle à l'Athénée, Pai]l-É>mle Chevalier. — III. Ethno-
graphie musicale, notes prises à l'Exposition (IS- article) : la musique clùnoise et
indo-ciiinoise, Julien Tiersot. — IV. Le tliéâtre et les spectacles ii l'Exposition
(16" article) : la rue de Paris, Arthur Pougin. — V. La reine Victoria et Félix
ilenUelasohn, J. T. — VI. Revue des grands concerts. — Vil. Nouvelles diverses
et concerts .
MUSIQUE DE CHANT
iSos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AU BORD DE L'EAU
n° 3 des Famés tendresses, nouvelles mélodies de Théodore Dubois, poésies de
ScLLY-PnuDUO.MME. — Suivra immédiatement : Complainte de saint Nicolas,
n" i des Chants de France harmonisés par A. Périlhol'.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
la Romàika, souvenir de Smyrne, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement :
Preludio-sattarello, de Théodore Dubois.
"ST-HItTyi
Au moment où nous mettons sous presse une noble intelli-
gence va s'éteindre, un grand artiste va disparaître. Verdi a été
terrassé tout à coup, au milieu d'une vieillesse si brillante
qu'on pouvait lui croire encore un long avenir, par la paralysie,
ce mal qui ne pardonne pas. Peut-être le vieux et glorieux
maître avait-il commis une imprudence ; peut-être avait-il eu le
tort de quitter Gênes, la ville ensoleillée, où il s'était installé
depuis le commencement de l'hiver, pour revenir à Milan, dont
le climat est l'un des plus fâcheux de l'Italie en la saison rigou-
reuse. Quoi qu'il en soit, l'Italie, stupéfaite, a été frappée au cœur
par cet événement imprévu. Verdi n'était pas seulement pour
elle un grand artiste, un grand homme, c'était comme une sorte
de symbole, c'était sa gloire vivante et rayonnante, c'était, on
peut le dire, le plus beau fleuron de sa couronne intellectuelle.
Depuis plus d'un demi-siècle la renommée du maître avait
rayonné sur le monde entier, lui seul avait soutenu le vieux
renom de l'Italie musicale, elle en était justement flère, et elle
lui rendait en affection filiale, en respect plein d'amour, en une
sorte d'adoration, ce qu'il lui donnait en éclat artistique, en
lustre et en gloire.
Lui seul, ai-je dit, et peut-être est-ce là l'originalité de l'exis-
tence de Verdi, de la suprématie incontestée qu'il a exercée sur
l'art pendant un si long temps. L'auteur de fUgoletio n'a pas eu
à lutter, au cours de sa longue carrière, contre un seul rival.
contre un émule ijui aurait pu lui disputer la prééminence.
Rossini s'était volontairement effacé, Bellini était mort, Doni-
zetti était déjà au déclin d'une vie qui devait être brisée par fa
folie. La scène n'était occupée que par des artistes de second ou
de troisième ordre, plus ou moins imitateurs de ceux-ci, non
sans talent, mais sans originalité, et d'ailleurs plus vieux que
le jeune maître qui allait entrer triomphalement dans la lice :
Mercadante, né en 1795, Pacini, en 1796, les deux frères Ricci...
Verdi, avec son génie ardent et tumultueux, son tempérament
pathétique, son sentiment inné de la scène, ne pouvait tarder
à les éclipser tous. Mais ce n'est pas amoindrir sa valeur que
de croire qu'il n'aurait pas exercé une telle royauté s'il avait dû
coudoyer un rival doué de qualités égales, sinon semblables.
Qu'on se rappelle la lutte qui s'engagea, vers la fin du dix-
huitième siècle, entre ces trois artistes admirables, si bien
doués tous trois et qui couraient de chef-d'œuvre en chef-
d'œuvre : Guglielmi, l'auteur de la PastoreHa nobile, Paisiello,
l'auteur de la Molinara, et Cimarosa, l'auteur de (7 Malrimonio
segreto. Tous trois étaient hommes de génie, aucun n'eut l'auto-
rité absolue que connut Verdi.
Aussi, l'Italie le regrettera d'autant plus vivement, d'autant
plus sincèrement, qu'elle sait bien et qu'elle sent bien qu'il n'a
point de successeur. Ce ne sont ni les Mascagni, ni lesFranchetti,
ni les Puccini qui, à eux tous, pourront lui tenir lieu de celui
qu'elle perd. Sans vouloir méconnaître leur talent, lequel
d'entre eux lui donnera un Trovatore, un Rigoletto, une Aida? Je
sais bien quels étaient, musicalement, les défauts de Verdi, mais
je connais bien aussi ses qualités, et je ne les vois pas, au moins
jusqu'ici, chez ceux qui voudraient aspirer à le remplacer.
Ces réflexions ne sauraient m'entraîner à tracer en ce moment
une caractéristique du génie de Verdi. J'ai publié ici-même, à
cette place, il y a quinze ans, une longue étude sur le maître et
sur sa carrière, étude qui a paru ensuite sous forme de volume,
et je ne saurais la recommencer et la résumer dans l'espace
d'un seul article. J'aime mieux, pour rendre hommage à sa
mémoire, rappeler ce qu'il fut au point de vue moral. Discret et
sobre dans ses relations, d'un abord difficile, d'un aspect froid,
sévère, nrm exempt de raideur et de sécheresse, piais, pour qui
le connaissait, affectueux, dévoué, et surtout bon, bienfaisant et
charitable. C'est sous ce dernier rapport surtout que je voudrais
le révéler.
On sait déjà que voici plusieurs années qu'il a résolu, n'ayant
point d'enfants, de consacrer la plus grande partie de sa fortune
à la fondation d'un lieu de refuge pour les vieux musiciens. Dans
la haute situation qu'il occupait sous tous les rapports, on con-
çoit facilement que Verdi était toujours assiégé de demandes de
secours d'artistes malheureux, parfois sans gîte, sans pain, qui,
26
LE MÉNESTREL
dans leur détresse, avaient recours à son bon cœur et à sa bien-
faisance. Il était attristé du spectacle de tant d'infortunes, sou-
vent inaméritées, et de la pensée de voir finir à l'hôpital jusqu'à
des' chanteurs qui naguère avaient ému le public par leurs
accents toucliants et dramatiques, et que le sort avait néanmoins
poursuivi de ses rigueurs. De là naquit le projet qu'il voulut
mettre à exécution, sans en charger d'autres après sa mort.
Cette exécution fut entourée d'abord du plus grand mystère —
car Yerdi n'aimait guère qu'on s'occupât et qu'on parlât de lui;
nul n'a fui davantage la publicité et la réclame. C'est Milan que
le maître avait choisi pour le théâtre de cet exploit, Milan, où
précisément M. Camille Boito, architecte, frère de son collabora-
teur M. Arrigo Boito, était en train de construire un vaste édifice
destiné aux écoles élémentaires. 11 le chargea de choisir et
d'acquérir un terrain de 4.000 mètres carrés, sur lequel s'élève-
rait l'hospice qu'il voulait fonder. Ce n'est qu'au dernier moment,
lorsqu'il s'agit de la signature des actes, où le secret n'était plus
possible, que le nom de Verdi fut divulgué. J'ignore le prix de
ce terrain, mais la construction, que je crois achevée aujour-
d'hui, n'a pas coûté moins de SOO.OOO francs, et le maître a
consacré une somme nette de deux millions pour former le fonds
dotal de l'établissement, où cent artistes, soixante hommes et
quarante femmes, pourront être admis et où ils jouiront non seu-
lement d'un bon gîte, d'une bonne nourriture, mais de tout le
confortable possible. Yerdi était même si préoccupé de leur bien-
être qu'il se demanda pendant quelque temps s'il faudrait les
laisser coucher seuls dans leur chambre, ce qui pouvait offrir un
réel danger pour des vieillards, en cas d'indisposition, ou établir
des dortoirs de douze lits, ce qui pouvait les blesser en leur
donnant la pensée qu'ils étaient dans un hôpital. Finalement,
il fut décidé que quelques chambres seraient à deux lits. Il y a
huit jours encore. Verdi signait un acte qui constituait de nou-
velles rentes et augmentait le revenu de cette fondation.
Voici d'ailleurs les renseignements qu'un journal italien don-
nait récemment à ce sujet : — « Dans l'établissement pourront
prendre place cent musiciens. Par la volonté de Verdi, l'archi-
tecte Boito a construit un édifice dont la somptuosité extérieure
est bannie pour faire place à une élégance simple, au bon goût
harmonieux des lignes, d'autant qu'une première impression de
la façade ne fait pas soupçonner le grandiose de l'intérieur.
L'étendue totale du terrain est d'environ 4.200 mètres carrés et
comprend un vaste jardin pour les hommes, un jardin un peu
moins vaste pour les femmes, la cour centrale, qui comporte à
peu près 500 mètres carrés, et une cour de service dans l'angle
le plus éloigné. Au premier étage sont les locaux de l'adminis-
tration, les salles pour le parloir avec les étrangers, etc. En
montant l'escalier de marbre, on accède aux réfectoires séparés
pour chaque service, à une salle centrale pour réunions et
concerts, longue de 20 mètres sur 10 de large, à d'autres salles
communes et à deux terrasses découvertes, où les résidents
prendront le frais l'été en admirant les crêtes des montagnes
lointaines. Les chambres, cinquante à un seul lit, vingt-cinq à
deux lits, sont distribuées dans les ailes du bâtiment, et, toutes
situées entre le levant et le midi, occupent trois étages en y
comprenant le rez-de-chaussée, élevé d'un mètre au-dessus du
sol. Dans la cour centrale se trouve l'oratoire, voisin de l'infir-
merie. Le souterrain, abondamment aéré et éclairé, contient les
bains, les salles de douches, les cuisines et tous les autres ser-
vices, pendant que la blanchisserie à vapeur, la lingerie et les
chambres de la domesticité occupent un corps de logis à part
dans la dernière cour. Outre les deux escaliers principaux, il y a
six escaliers de service, qui mettent en communication les divers
étages de chaque département. Enfin l'édifice, dans toutes ses
parties, jusque dans les corridors, dans les vestibules, dans les
escaliers, sera chauffé l'hiver par des calorifères à vapeur à
basse pression. »
Mais ce n'est pas là le seul établissement de ce genre que
l'Italie devra au maître à qui elle a donné la gloire. Près de son
superbe domaine de Sant'Agata, où il se livrait à l'agriculture
avec une véritable passion, se trouve la petite ville de Villa-
nova, qui, il y a une quinzaine d'années, nommait ce sénateur
du royaume membre de son conseil municipal. Verdi déclina cet
« honneur » en déclarant qu'il ne pourrait trouver le loisir de
s'occuper des affaires de la commune, et qu'il priait qu'on voulût
bien l'en dispenser. Il donna donc purement et simplement sa
démission. Mais il fut réélu, les gens de Villanova étant obstinés
de leur nature. Que fit-il alors ? Il laissa vide son siège de
conseiller, mais il fît cadeau à la commune d'un hôpital qui lui
coûta 60.000 francs et dans lequel il fonda un certain nombre
de lits. Et ce citoyen, qui n'avait pas le temps d'être conseiller
et qui laissait toujours son siège vide aux séances, employa
tout un hiver à préparer les plans de son hôpital, et pendant tout
un été donna tous ses soins à sa construction. Car on assure que
Verdi, tout en se faisant aider, pour les détails, par un de ses
amis de Busseto, M. Frignani, en établit et en dessina lui-même
tous les plans et fut son propre ingénieur. Il consacra à cette
étude tout un hiver à Gênes, où il passait régulièrement cette
saison. Puis, aussitôt de retour, avec les beaux jours, à son
domaine de Sant'Agata, il fit commencer les travaux, dont il prit
en quelque sorte la direction et qu'il surveilla avec la conscience
et l'activité qu'il apportait en toutes choses. « Assidu et métho-
dique avant tout, disait alors un journal, le maître est chaque
matin, dès l'aube, à son hôpital, où il se rend en bon campa-
gnard, la tête couverte d'un énorme chapeau de paille de Panama.
Il visite avec soin les travaux, se rend compte de tout, puis,
quand il a bien donné son coup d'œil de tous côtés, il lui arrive
de sauter en voiture et de se rendre jusqu'à Crémone, qui est
peu éloignée. Là, il se rend invariablement à VAlbergo Capello,
où il déjeune, s'asseyant, invariablement aussi, à la même petite
table, que tout le monde dans la maison a baptisée pour ce fait
du nom de tavolina Verdi. »
Mais ce n'est pas tout encore, et là ne s'arrête pas la généro-
sité de l'auteur d'Aïda et de Rigolelto envers ses concitoyens,
justement fiers de lui et de son génie. A Fiorenzola, petite ville
aussi jolie que son nom et située non loin de Plaisance, Verdi a
fait construire encore à ses frais un autre hôpital, dont les dé-
penses de construction ne se sont pas élevées à moins de
200.000 francs, et qu'il a largement doté d'un revenu annuel de
50.000 francs. N'est-ce pas là, vraiment, un emploi merveilleux
d'une fortune gagnée à l'aide de son génie et de son travail, et
le fils de l'humble albergatore de Roncole n'avait-il pas lieu d'être
fier de lui et de sa destinée?
- Il n'est que juste de constater que les deux derniers grands-
musiciens italiens se seront particulièrement distingués par leur
munificence et leur bienfaisance artistiques. Verdi de son vivant,
Rossini de façon posthume. Ce dernier a partagé les effets de sa
générosité entre l'Italie, sa patrie réelle et, quoi qu'on en ait pu
dire, toujours chérie par lui, et la France, sa patrie d'adoption,
pour laquelle aussi son affection était sincère et profonde. A
Pesaro, sa ville natale, il a légué les fonds nécessaires pour la
création et l'entretien d'un Conservatoire de musique qui, placé
sous la direction d'un artiste remarquable, Carlo Pedrotti, auquel
a succédé depuis M. Mascagni, devint en peu d'années l'un des
premiers de l'Italie. A Paris, ou, pour mieux dire, à Passy, on
sait qu'il a fondé une vaste maison de refuge pour de vieux
musiciens. Il avait légué la jouissance de sa fortune à sa veuve,,
à la condition que, à la mort de celle-ci, cette fortune fût con-
sacrée à cet usage. C'est ce qui a été fait, et l'on sait que depuis,
plusieurs années déjà la maison Rossini est en plein fonctionne-
ment. De plus, Rossini a légué à l'Académie des beaux-arts, dont
il était membre correspondant, la somme nécessaire à la fonda-
tion d'un prix de 6.000 francs à partager entre les deux auteurs,
poète et musicien, d'une cantate ou scène lyrique qui doit être
mise au concours tous les deux ans. C'est ce prix qui est connu
sous le nom de « prix Rossini ». On aimerait à voir nos artistes
illustres suivre des exemples si honorables.
Verdi a bien employé sa vie, et — qui sait? — peut-être ses-
derniers jours, dans lesquels il a surtout exercé sa bienfaisance,.
LE MÉNESTREL
ont-ils été plus cbers encore à son cœur que ceux où il lui a été
donné de manifester son génie avec tant de magnificence. Ses
compatriotes, qui le connaissaient bien, qui l'entouraient d'une
si tendre et si légitime affection, qui l'aimaient et le vénéraient
autant qu'ils l'honoraient et l'admiraient, ont une double raison
de le pleurer et de chérir sa mémoire. Ils vont perdre en lui, en
même temps qu'un noble et illustre artiste, un grand homme
de bien, à l'âme généreuse et à l'esprit plein de charité.
Par malheur ils sont rares, ceux qui peuvent inspirer ce dou-
ble regret.
Arthur Pougin.
SEMAINE THÉÂTRALE
Palais-Royal. M'amour, comédie en 3 actes, de MM. Paul Bilhaud et Maurice
Hennequin. — Athénée. En Fête, comédie en 5 actes, de M. A. Germain.
L' « autre » ne doit jamais être l'ami du mari. C'est la théorie du
sémillant Hubert Grisolles. Mais Antoinette Montureu.x, que son époux
emmène passer l'été à Gabourg et qui se rend parfaitement compte com-
bien deviendront difficiles les discrets entretiens en une plage où les
baigneurs n'ont d'autres plus grandes distractions que celle d'épier mali-
cieusement leurs voisins, Antoinette Montureux exige qu'Hubert, pour
expliquer les entrevues, se lie avec M. Montureux. Ce qui devait arri-
ver arrive. Les deux compères se prennent naturellement d'une affec-
tion fébrile : Montureux ne veut pas lâcher Hubert une seule seconde;
Hubert est en proie aux remords. Et Antoinette,presque toujours seule
aux galants rendez -vous, linit par s'apercevoir que c'était la théorie
de son ami qui était la bonne. Après avoir tout tenté pour essayer de
brouiller ceux dont elle fit des inséparables, elle abandonne le piteux
Hubert à son cher Montureux et lui donne, comme successeur, le jeune
Maxime de Torcy, qu'elle a pris soin de mettre en telle posture que
jamais il ne pourra devenir des familiers de son home.
M'amour, dont le premier acte de légère comédie est tout à fait exquis,
de détails charmants et d'observation amusante, et dont les deux autres
empruntent surtout leur drôlerie aux procédés usuels au vaudeville, a
heureusement réussi. La pièce de MM. P. Bilhaud et M. Hennequin
est délicieusement jouée par M"'-' Cheirel , la plus primesautièrement
charmante de nos comédiennes, sinon la plus élégante — oh! ses robes,
presque aussi désagréables à l'œil que les décors hurleurs que le théâtre
a fait brosser pour la circonstance. M. Boisselot et M. Raimond sont,
l'un comique, l'autre fm, à leur habitude; M"" M. Aubry, lauréate du
Conservatoire, débute agréablement sur cette scène du Palais-Royal, fort
éloignée, de toutes façons, de celle de l'Odéon, où la jeune comédienne
devait s'attendre à faire ses premiers pas, et MM. Louis Maurel, Gorby
et M"' G. Barrot s'acquittent honnêtement de leurs tâches modestes.
A l'Athénée, suivant le cliché consacré, « pièce essentiellement pari-
sienne », c'est-à-dire espèce de grand kaléidoscope dans lequel, sur un
fond simulant les endroits chiquement fréquentés, gesticulent et se
bousculent des pantins qu'on a tout fait pour habiller à la dernière
mode. La petite histoire qui essaie de lier très fragilement ces sortes de
productions est toujours à peu près la môme : une jeune femme que son
mari abandonne pour faire la fête et qui, au baisser du rideau, finira
par le reconquérir. Quelquefois la banalité de l'action est sauvée par
des détails d'invention heureuse ou la silhouette de types amusants; il
n'en est cette fois malheureusement pas ainsi. Et puis M. Auguste
Germain semble avoir par trop oublié que la condition indispensable
pour intéresser le public est de lui présenter des personnages suscep-
tibles d'éveiller cet intérêt. Des quarante et quelques bonshommes que
l'auteur a glanés dans le vaste champ de la vie de noces, pas un ne se
détache en couleurs vives, pas un n'accuse la moindre originalité, sauf
peut-être le slave Silvany, auquel le très adroit M. Tréville a prêté la
tête d'un littérateur russe, homme charmant, très répandu à Paris.
En f'ete, qui demandait une interprétation formidable par le nombre,
exigeait de plus l'appoint de jolies femmes et le concours de couturiers
en vogue. Si, parmi ces derniers, la lutte fut ardente, il n'y parait guère,
ou bien alors le goût parisien subit une crise fâcheuse. M"'"'' Yahne, Val-
dey, Demarsy, Bignon, Demay, Aliex, Derval, avec des qualités d'ordre
divers, MM. Tarride, Hirsch, Tréville, Deval, et énormément d'autres,
parmi lesquels un vrai maître d'hôtel dans le train se taille un petit
succès en saluant, dans la salle, les clients et les clientes qu'il a l'habi-
tude de servir au bois, s'emploient, les uns avec talent, les autres
avec bonne volonté, à rendre vivante la pièce de M. Germain.
Paul-Émile Chevalier,
ETHNOGRAPHIE MUSICALE
Notes prises à. l'Exposition Universelle de 1900
(Suite.)
LA MUSIQUE CHINOISE ET INDQ-GIiINOISE
A l'égard de l'harmonie, l'on ne saurait dire que les peuples d'Kxtrème-
Orient ignorent tout art des sons simultanés. Mais il faut constater que
cet art est chez eux des plus rudimentaires. Ce que nous connaissons
de mieux en ce genre, ce sont les espèces de symphonies du (jamelang
javanais; mais si les rythmes et agrégations sonores y sont curieux
à observer, il faut avouer que ce qui constitue le principe même de
l'harmonie, c'est-à-dire la superposition des sons suivant des intervalles
définis, est complètement abandonné au hasard. Ce hasard, il est vrai,
ne peut guère aboutir à former des discordances bien pénibles à l'oreille,
puisque les sons employés ne sont qu'au nombre de cinq par octave. J'ai
déjà comparé cette sorte d'harmonie à celle dœ cloches sonnant à la
volée. L'effet qui résulte de cette production de sons simultanés, si les
cloches sont bien accordées, peut être harmonieux; cela n'est pour-
tant pas de l'harmonie, dans le sens que ce mot a dans l'art musical de
l'Occident.
Ajoutons que nous n'avons pu parvenir à dégager aucun principe
harmonique de certaines combinaisons hétérogènes dont la musique
annamite nous a fourni quelques bizarres exemples. Quant à la musique
japonaise, des chants vocaux, vagues, suivis par l'accompagnement
instrumental en des variations plus ou moins imprécises, ne constituent
de même qu'une harmonie plus que primitive. Certains accords en double
corde, donnant une dominante et une tonique, semblent indiquer
quelque sentiment tonal; mais que dire lorsque, tout à côté, nous
observons des frottements de seconde mineure ou majeure, que rien
absolument, au point de vue harmonique, ne peut expliquer?
. Rappelons-nous enfin qu'il résulte des explications du P. Amiot que
jamais les Chinois n'ont connu l'art du contrepoint, — art essentielle-
ment européen et moderne, inconnu de toute l'antiquité, et qui, devenu
aujourd'hui la base nécessaire de toute musique, s'est répandu dans
tout l'univers civilisé, mais a continué de rester ignoré partout ailleurs.
Tels sont les principaux rapports et les principales différences que la
musique d'Extrême-Orient présente avec la nôtre. Il est d'autres dis-
semblances encore, peut-être plus fondamentales, mais qui se prêtent
difficilement à l'analyse, car, procédant essentiellement de la diversité
du génie des peuples, elles sont plutôt latentes qu'extérieures. C'est à
dessein que j'ai cité naguère le récit du P. Amiot racontant l'accueil
que les auditeurs chinois firent à la musique française. « Vos airs,
disaient ceux-ci, ne sont pas faits pour nos oreilles, ni nos oreilles poiir
vos airs.» (1) 11 y avait en ell'et de très bonnes raisons pour que les airs
de Rameau ne séduisissent pas du premier coup les Chinois; d'abord
les mêmes raisons pour lesquelles ces airs n'avaient pas conquis les
Français eux-mêmes sans effort ni sans peine; et, puisque l'abbé était
si bien au courant des choses de la musique européenne, il aurait pu
se souvenir des cris d'indignation qui partirent des rangs des amateurs
quand les opéras de Rameau vinrent prendre sur la scène la place qui,
jusqu'alors, avait appartenu sans conteste à Lulli. Et il en fut de même
plus tard quand vint le tour de Gluck, puis de Rossini, et encore de
Berlioz, enfin de Wagner. Pourquoi donc tant de protestations quand
des formes nouvelles viennent s'imposer de force? La cause est en cette
nouveauté même, qui oblige l'auditeur à changer ses habitudes ; rien,
au premier moment, ne lui semble aussi fâcheux !
Voilà qui déjà explique cette première résistance que font presque
toujours les habitants des pays lointains, quand, croyant les éblouir
par les richesses de notre art, nous les introduisons d'emblée dans nos
théâtres d'opéra. Qu'y peuvent-ils comprendre, plongés ainsi sans prépa-
ration dans un milieu si nouveau, et mis en contact avec des formes
d'art dont, avant d'entrer, ils n'avaient pas le moindre soupçon ? Com-
(1) Nous avons plus récemment retrouvé une impression identique dans l'écrit d'un
européen, le D' ISrauns, professeur à l'Université de Halle : Tradilions japonaises sur la
chanson, la musique et la danse, livre paru en 1890, et dont nous avons rendu compte en
son temps dans le Ménestrel. L'auteur y dit vertement son l'ait à un auditoire japonais
coupable d'avoir écouté sans enthousiasme une marche funèbrt de Haendel, ainsi qu'à des
étudiants de Toldo, que, dans une lête, il vit se délecter à l'audition d'un corps de musi-
ciens faisant « un bruit si détestable que l'on croyait être en enfer, i Quant à lui il ne
chercha point à approfondir l'étude de la musique japonaise, dont il parle comme d'une
chose tout il fait inférieure et barbare: en quoi je pense que ce savant a fait preuve d'une
précipitation peu digne de la science, car, si différente que la musique japonaise et chi-
noise soit de la nôtre, dès que des peuples d'une telle culture l'ont pratiquée depuis ta nt
de siècles, c'est apparemment qu'elle a, à quelque point de vue que ce soit, sa raison d'être.
28
LE MÉNESTREL
mencez par faire leur éducation, peut-i'treûniront-ils par obtenir l'assi-
milation suffisante; mais ne vous étonnez pas s'ils n'ont pas tout
entendu du premier coup. C'est le contraire qui serait étonnant.
Mais le dissentiment a des causes plus profondes. Il ne réside pas
uniquement dans une diversité d'éducation, il est, bien plus encore,
dans une différence de nature. Les races dont se compose l'humanité
sont dissemblables par le type, par les mœurs, par la langue. Pourquoi
donc n'admettrait-on pas que leurs musiques se distinguassent entre
elles par des traits également divers? Rien que ce que nous avons
entendu cet été suffit à mettre eu relief certaines correspondances. Nous
trouvons quelque chose de grimaçant dans les physionomies des Chi-
nois, des Japonais, des Annamites ; or, cette grimace, nous la retrouvons
parfois dans les inflexions de leur musique étrange et contournée. Cotte
musique leur appartient bien en propre; et, c'est pour ce motif qu'il
doit leur être si difficile de comprendre la raison d'être de la nôtre,
émanant d'un génie si étranger au leur.
Quant à établir une échelle des mérites comparés, je pense que ce
soin serait assez superflu. Je ne suppose pas qu'il vienne à l'idée de
personne de contester (jue la musique européenne constitue une forme
d'art immensément au-dessus de la musique d'Extrême-Orient, — de
même qu'il faut être Chinois jusqu'aux moelles pour ne pas reconnaître
la supériorité de la civilisation de nos races occidentales, encore que
celle-ci soit, loin delà perfection. Restant sur le terrain purement musi-
cal, je demanderai au lecteur la permission de terminer en lui faisant
part d'une impression personnelle dont l'analyse résumera, ce me sem-
ble, de façon assez exacte, la nature des deux arts, et précisera leurs
rapports et leurs différences essentielles.
Après avoir, tout l'été dernier, vécu dans la fréquentation presque
exclusive de ces musiques exotiques, je rentrai dans le courant de la vie
parisienne en assistant au premier concert Colonne, dont le programme
était entièrement composé de musique de M. Saint-Saëns. Au moment
oii j'entrai dans la salle, l'orchestre attaquait les premières notes du
o'' concerto pour piano. Il me sembla d'abord qu'après un lointain voyage
je revenais vers un rivage familier, et je ressentis cette même sen-
sation d'aise que nous éprouvons lorsqu'aprés une longue absence noys
voyons la terre de France. Les harmonies, les sonorités me paraissaient
d'une plénitude admirable: nul doute que ces qualités soient inhérentes
à l'œuvre, mais j'avoue que je ne les avais pas senties au môme degré
lors des auditions précédentes.
"Vint le second morceau : les archets attaquèrent des accords graves
et sonores, d'un rythme onduleux comme de larges flots, et le piano ré-
pondit par uu trait où se retrouvèrent dès l'abord les caractères de la
musique orientale. Par une coïncidence singulière, je n'avais quitté les
musiques de là-bas que pour les retrouver ici dans l'œuvre du maître
français. L'on sait en effet que cette partie du S" concerto de M. Saint-
Saëns est basée sur des thèmes que l'auteur a recueillis au cours de ses
promenades lointaines; c'est, a-t-il écrit, « une façon de voyage en
Orient qui va même, dans l'épisode en fa dièse, jusqu'en Extrême-
Orient. » Mais si certaines formes extérieures sont en effet celles des
musiques étrangères, combien, par sa tendance et sa tenue générale,
le morceau est resté l'expression intime du sentiment de l'auteur I
Les thèmes ne sont qu'un prétexte, ce sont les impressions personnelles
qu'il évoque dans cette sorte de paysage musical. L'œuvre est française,
tout aussi bien que le tableau d'un peintre qui aurait été prendre ses
modèles au Japon ne serait pas pour cela de la peinture japonaise.
M. Saint- SaOns, si curieux de ces formes étrangères, avait déjà dans
une œuvre de jeunesse, la Princesse jaune, utilisé avec esprit des thèmes
iasés sur la fameuse gamme de cinq notes : dans l'un comme dans
l'autre cas il est resté lui-même.
Il en esL encore ainsi de M. Bourgault-Ducoudray qui, dans sa 7iapso-
die cambodyienne, a employé deux thèmes, d'une haute valeur musicale:
encore, en les développant et les traitant avec un éclat de coloris mer-
veilleux, se les est-il si bien assimilés que l'on a peine à y reconnaître
le trait distinctif de la musique d'Extrême-Orient. La légende à laquelle
ces thèmes sont associes est pourtant essentiellement locale. La voici,
telle que la résument des notes qui me furent communiquées par l'au-
teur, lors de la première audition, ■çQ\iv\ai Revue des traditions populaires:
« Le territoire du Cambodge est soumis chaque année à des inonda-
tions qui durent plusieurs mois. .\ l'époque où les eaux se retirent, la
population célèbre pompeusement et joyeusement cet événement qui lui
rend l'usage de la terre et les sources de la vie. Le roi, représentant de
la majesté divine, préside à cette fête. Vers l'instant où les flots repren-
nent leur cours régulier, il coupe de sa main un fil symbolique tendu
au-dessus du fleuve, manifestant par là sa volonté de voir les eaux
débordées abandonner son royaume. Pendant ce temps le peuple chante
des chants religieux. C'est un de ces derniers qui sert de thème au pre-
mier morceau... »
Mais, bien que le Cambodge ait fourni au compositeur ses éléments
primitifs, l'œuvre n'en appartient pas moins essentiellement à la mo-
derne école symphonique française, à laquelle elle fait grand honneur.
De fait, la pénétration absolue de deux arts de tendances si différentes
est un rêve irréalisable. La musique européenne peut emprunter à ces
musiques exotiques quelque chose de leur vitalité particulière : elles
n'en seront pas moins absorbées à son contact.
C'est à l'Extrême-Orient seul qu'il faut demander la musique
d'Extrême-Orient.
En résumé, des observations qu'il nous a été donné de faire, il nous
parait manifestement résulter la constatation suivante : que, de part
et d'autre, la musique est basée sur les mêmes principes physiques,
immuables; qu'en outre ces principes peuvent, dans leur application,
donner lieu à certaines agrégations, produire certaines inflexions égale-
ment intelligibles et parlant de façon à peu prés semblable à l'oreille et
à l'esprit, — quelques rythmes caractéristiques, quelques thèmes de
forme ou d'expression clairement saisissable, se dégageant de loin en
loin d'une trame plus ou moins complexe.
Mais, ce point de départ établi, les deux arts se séparent franchement,
poursuivent chacun un but distinct, et bientôt la divergence entre eux
est complète.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE iQOO
(Suite.)
LA RUE DE PARIS
Passons à la révolutionnaire M"" Sada Yacco, la rénovatrice du
théâtre au Japon. Car ce n'est autre chose qu'une révolution que cette
femme charmante vient d'introduire dans les mœurs de son pays, en
imposant à ses compatriotes et en leur faisant accepter la présence des
femmes sur la scène. Si ce que l'on m'a dit est vrai, M""= Sada Yacco,
jeune femme douée d'une sensibilité excessive, d'un sens artistique
d'une finesse exquise, particulièrement accessible au charme de la
poésie, prenait surtout un plaisir infini aux jeux du théâtre jusqu'au
jour où, d'instinct, elle sentit l'inconvenance et la grossièreté qu'il y
avait à voir des adolescents remplir des rôles de jeunes fdles et de
jeunes femmes, et inspirer ou exprimer des passions qui prenaient alors
un sens en quelque sorte monstrueux. Dès lors, pour elle, non seule-
ment plus d'illusion, mais un véritable dégoût pour la production d'un
art qui, jusque-là, avait charmé son cœur et son esprit.
C'est alors qu'elle en vint à se demander pourquoi les femmes
étaient exclues du théâtre, et pourquoi elles n'y pourraient monter.
Comme elle ne trouvait point de réponse à cette question, elle conçut
la pensée de s'attaquer courageusement à un préjugé ridicule, et, forte
de son honnêteté, résolut de le combattre en personne et de monter elle-
même sur la scène. Ce fut, paraît-il, un beau scandale, et la surprise
excita des récriminations bruyantes. Mais sa grâce charmante, le talent
qu'elle déploya et, par-dessus tout, son inattaquable honnêteté, eurent
raison de la sottise des uns, de la timidité des autres et de l'étonnement
de tous. Le préjugé était vaincu, des coutumes séculaires s'en allaient
en poussière, et les applaudissements qui accueillaient l'actrice assu-
raient l'avenir de l'heureuse réforme si hardiment opérée par elle dans
un art dont, c'est bien ici qu'on peut le dire, la femme est le plus bel
ornement.
Et il est probable que le succès remporté ici par M""' Sada Yacco ne
pourra que confirmer et rendre plus complet encore celui de la révolu-
lion opérée par elle. Les Japonais, qui se sont européanisés avec une
si prodigieuse rapidité, ne peuvent qu'être flattés en effet de l'accueil
chaleureux fait en France à leur admirable artiste. Môme c'est à ce
point — et peut-être est-ce un tort — qu'ils rêvent maintenant d'intro-
duire chez eux notre tliéàtre, ce qui pourrait bien détruire l'originalité
du leur. On assure que l'impératrice du Japon, férue de cette idée, a
déjà chargé plusieurs écrivains de traduire à l'usage de la scène nationale
un certain nombre de chefs-d'œuvre du théâtre européen, antique ou
moderne, et l'on cite entre autres OEdipe roi, Phèdre, Hamiet, le Roi
Lear, la Fiancée de Messine et jusqu'à la Dame aux Camélias.
Il serait assurément curieux et singulièrement intéressant pour nous
de voir M"'= Sada Yacco en Phèdre ou en Marguerite Gautier, et il est
certain qu'elle nous y ferait éprouver des sensations neuves et inconnues,
qui donneraient lieu â des comparaisons imprévues. Pour le moment,
contentons-nous d'avoir pu l'admirer en Katsouraghi (la Ghesa), et
LE MENESTREL
29
constatons tout d'abord à ce propos qu'elle est plus complètement comé-
dienne, c'est-à-dire comédienne plus variée, que ne le sont aujourd'hui
les nôtres; car non seulement elle parle, elle chante (en de certains
moments sa diction, ryhtmée et scandée par les instruments, est une
véritable musique), mais elle mime et elle danse. Or, la danse est
aujourd'hui parfaitement dédaignée de nos actrices, qui se privent par
là d'un élément particulier de succès, et il n'en fut pas toujours ainsi.
Pour ne citer qu'un exemple, M""' Favart était une danseuse accomplie,
et elle le prouva surlout dans les Trois Sultanes, où elle dansait de
véritables pas, très compliqués, sans se borner à des passes et à des atti-
tudes, comme nos comédiennes actuelles se bornent forcément à le faire
à l'occasion. M"'° Sada Yacco, elle, danse réellement, et d'une façon
charmante, avec une vivacité, un entrain, et aussi une harmonie, une
souplesse de mouvements et une grâce adorables.
Telle qu'elle nous a été présentée, la pièce intitulée la Ghesa et le
Chevalier se réduit à ceci. Le chevalier Bauzaest ardemment épris delà
ghesa (courtisane) Katsouraghi, qui le repousse parce qu'elle aime un
autre chevalier, Nagoya. Il va sans dire que Banza prend en haine son
rival, qu'il songe à le perdre et qu'enfin il le provoque, l'attaque et le
tuerait sans doute si Katsouraghi, s'élançant entre eux, ne leur arrachait
les armes des mains.
Ce premier acte, jusqu'à la scène finale, ne nous montre en M'"° Sada
Yacco qu'une fine comédienne. C'est merveille de voir entrer en scène
cette mignonne jeune femme, élégante, distinguée, au visage expressif,
au sourire plein de grâce, à la voix douce et flexible, à la démarche et
aux gestes souverainement harmonieux. Elle n'a en effet à déployer ici
que de la grâce et de la tendresse, et elle y réussit à souhait.
Au second acte nous la verrons transformée, et c'est à la grande tra-
gédienne que nous allons avoir affaire.
Le chevalier Nagoya était fiancé à la jeune Orihimé, qu'il avait un
instant trahie pour Katsouraghi — ce qui prouve qu'au Japon les choses
se passent comme en Europe, par cette simple raison que l'humanité
est la même sous toutes les latitudes. Mais, pour la même raison,
Katsouraghi est dévoré par la jalousie, et elle ne songe qu'à se venger de
son abandon, dût-elle pour cela aller jusqu'au meurtre. Nagoya, pour
échapper aux poursuites de sa maîtresse, s'est réfugié avec sa fiancée
dans le temple de Dojoji, s'y croyant en sûreté, l'entrée de ce temple
étant interdite aux ghesas. Celle-ci pourtant a découvert sa retraite. Mais
elle n'y peut pénétrer, le temple étant gardé par des prêtres qui lui en
défendent l'approche. Que fait-elle alors? Elle entreprend de les
séduire par ses chants et par ses danses. Sa voix se fait insinuante et
caressante, ses danses sont ardentes et éperdues; mais sous ces chants,
sous ces danses (et c'est là son étonnante habileté), elle nous laisse
voir la jalousie dont elle est dévorée, elle nous fait deviner les senti-
ments qui l'animent, la passion, la colère, le désir, la haine, et vraiment,
dans toute cette scène, sa mimique est extraordinaire.
Elle réussit enfin à forcer l'entrée du sanctuaire. Mais ce n'est pas
tout. Il lui faut pénétrer dans le réduit sacré où elle compte trouver sa
rivale. Par trois fois elle s'élance sur la porte ; par trois fois on la
repousse et on l'en arrache. Elle triomphe enfin, elle entre, et bientôt
elle ressort, traînant après elle sa rivale mourante, sa rivale tuée par
elle. Mais elle-même va mourir, tuée sans doute par l'émotion, par la
fureur, par le remords et la pensée du crime qu'elle vient de commettre,
et nous allons assister à son agonie terrible.
Terrible en effet, et c'est sans dire un mot, sans prononcer une
parole, qu'elle va nous donner le spectacle le plus profondément tragi-
que qu'il nous soit donné de contempler. Les yeux hagards, les cheveux
hérissés, on voit la mort descendre peu à peu sur ce joli visage. Les
joues se creusent, les narines se pincent, la bouche se contracte, le teint
blêmit, le regard semble se fixer et se figer sur quelque image horrible
et invisible, une douleur épouvantable se peint sur tous les traits, les
lèvres s'écartent, semblent se décolorer, puis bientôt, lentement, la
tête se penche, le corps s'affaisse, et la malheureuse tombe inanimée.
Tout est fini ! C'est effrayant — et admirable.
Voilà ce qui, pendant quatre mois, a fait accourir la foule à la rue
de Paris; voilà ce qui fait qu3, huit jours avant la fermeture de l'Exposi-
tion, M°" Sada Yacco donnait sur le théâtricule de miss Lole FuUer sa
millième représentation, devant une salle toujours comble. Et c'était
justice, parce que le spectacle était suprêmement émouvant et qu'il nous
mettait en présence d'une des plus grandes artistes, et des plus impres-
sionnantes, qu'on puisse imaginer. Évidemment M'"' Sada Yacco est née
pour le théâtre, et ce qu'il y a do plus prodigieux, c'est que, comme je
le disais en commençant, elle doit tout à elle-même et qu'elle n'a pu
avoir de modèle.
En quittant Paris elle a été donner une représentation au Cercle
artistique de Bruxelles, où son succès n'a pas été moins grand. En
repartant pour le Japon, elle a promis de revenir à Bruxelles, où elle
se produira, au printemps, sur la scène du Parc, pour aller ensuite au
Residenzthoater de Berlin. Souhaitons qu'elle revienne aussi à Paris,
dont elle n'a pas à se plaindre, et où nous serons heureux de l'applaur
dir encore.
(A suivre.)
Arthur Pougin.
LA. REINE VICTORIA ET FÉLIX MENDELSSOHN
On lit dans les lettres de Mendelssohn un amusant récit d'une entre-
vue que, en 1842, le jeune maître allemand eut avec la plus jeune encore
reine Victoria d'Angleterre. Le temps a passé, depuis, sur d'innombra-
bles événements, et la lettre, datée du 9 juillet ISi'i, nous parait être de
l'histoire ancienne : elle n'en a pas moins conservé toute sa vivacité, et,
aujourd'hui particulièrement, son à-propos; elle nous montre, en un
mouvement pittoresque, la façon toute originale dont la souveraine cul-
tivait et goûtait la musique. Nous en empruntons la traduction à
M. Ernest David (I).
« Laisse-moi te raconter ma dernière visite à Bucliingham-Palace; cela
t'amusera et moi aussi. Comme l'a dit Grahl : c'est la seule maison où l'on
soit à son aise (sic). Le prince Albert m'avait invité à venir le samedi à deux
heures et demie essayer son orgue. Je le trouvai seul. Pendant notre entre-
tien, entra la reine en robe de chambre. Elle devait partir pour Glaremont i
a Bon Dieu ! s'écria-t-elle, comme tout est en désordre ici ! >• Il faut te dire
que le vent avait dispersé dans tous les coins les feuillets d'un gros cahier
de musique. La voilà qui s'accroupit pour les ramasser, le prince Albert fait
de même et moi aussi, comme bien tu penses. Le mal réparé, le prince m'ex-
pliqua le mécanisme des registres de son instrument. Je le priai de me faire
entendre quelque chose, et aussitôt il me joua par cœur et fort bien, ma
foi, un choral avec pédales; un organiste de profession n'aurait pas fait
mieux. La reine assise écoutait et ses traits rayonnaient de plaisir. Quand
le prince eut uni, je jouai mon choral du Paiilus : Wie lieblich sind die-
Bolen, et, avant que j'eusse terminé le premier verset, tous deux chantèrent
le choeur avec moi. \,& duc de Gotha entra en ce moment, et l'on se mit à
causer. Sa Majesté me demanda si j'avais composé de nouveaux lieder, en
ajoutant qu'elle connaissait tous les miens qui ont été gravés : « Tu devrais
bien lui en chanter un », dit le prince Albert. Après s'être (ait un peu prier,
elle voulut bien essayer le Friihlings lied (Chanson du printemps) en si bémol
majeur. « Mais ce lied n'est pas ici », s'écria-t-elle; » toute ma musique est
» déjà empaquetée pour Claremont. » Le prince Albert sortit pour la cher-
cher et rentra au bout de quelque.? instants en disant qu'elle était embal-
lée : « On pourrait peut-être la déballer », me permis-je de faire observer r
« Envoyez chez Lady N*** », reprit Sa Majesté. On sonna. Les domestiques
accoururent, se donnèrent beaucoup de mouvement sans arriver à rien. La
reine, impatientée, sortit pour la chercher. Alors le prince Albert me dit :
« Elle vous prie d'accepter cette bagatelle en souvenir d'elle. » Et il me donna
un écrin contenant une très jolie bague, sur le chaton de laquelle était gravé :
V. R. 1842. — La reine rentra et reprit : « Lady N*** est partie en empor-
» tant mes affaires ; c'est bien maladroit ! » Tu ne te figures pas combien tout
cela m'amusait. Je la priai de chanter autre chose; elle consulta son mari,
et me dit qu'elle chanterait du Gluck. Au même instant arriva la duchesse
de Gotha, et nous passâmes tous les cinq dans le boudoir de Sa Majesté,
où j'aperçus à côté du piano un grand cheval à bascule, deux énormes cages,
des portraits accrochés au mur, sur les tables des livres magnifiquement
reliés et de la musique sur le pupitre. Pendant que l'on causait, la duchesse
de Kent entra. Moi, j'avais feuilleté la musique et trouvé mon premier cahier
de lieder. Je demandai à la reine de vouloir bien en choisir un au lieu de
l'air de Gluck, ce qu'elle fît de la meilleure grâce; et sais-tu sur lequel
tomba son choix? Devine! sur Scliœner und sckœner (2), qu'elle dit très
purement et avec goût. Il me fallut (bien malgré moi, je le reconnais) avouer
que ce Ued est de Fanny, et je la suppliai d'en dire un autre de moi :
« Volontiers », dit-elle; « mais vous m'aiderez ». Et elle chanta : Lass dieh
nur nichls nicht dauern, vraiment fort bien et avec une grande expression.
Je ne voulus pas faire le complimenteur ni le courtisan, et je la remerciai
tout simplement : « Oh ! ht-elle, j'aurais mieux chanté si j'avais eu moins
» peur. Habituellement j'ai la respiration longue. » Et comme je la louai
cette, fois en toute conscience, elle reprit d'elle-même le dernier passage,
quelle dit tout d'une haleine et comme je l'ai rarement entendu. Le prince
à son tour chanta : Es ist fin Schnitlcr, der heisst Tod, puis me dit qu'avant
de partir je devais lui jouer encore quelque chose. Il me donna pour thème ,
le choral qu'il avait d'abord exécuté sur l'orgue et le Faucheur (Schnitler)
qu'il venait de chanter. Par bonheur, j'étais bien disposé; à ces deux thèmes
j'ajoutai les deux lieder chantés par la reine. Tout alla comme sur des rou-
lettes et ils me suivirent avec tant d'intelligence et d'attention que j'impro-
visai mieux que jamais. Quand j'eus fini, la reine me dit : « J'espère que nous
» vous reverrons bientôt en Angleterre ». Je pris congé et, arrivé en bas,
je vis deux belles chaises de poste attelées qui attendaient les voyageurs
(1) E. David, Les Mendelssohn-Bartlioldij et Robert Schumann, 1886.
(2) Un des lieder composé par M"° Hensel, el que Félix a fait graver dans un de ses
recueils.
30
LE MENESTREL
royaux. Un quart d'heure après, on abaissa le drapeau du palais, et les jour-
naux purent dire : Sa Majesté a quitté Londres à trois heures trente minutes.
Jb dois ajouter que je demandai à Sa Majesté la permission de lui dédier ma
symphonie en la mineur; elle avait été l'occasion de mon voyagea Londres,
et le nom de la reine sur ce morceau écossais en double la valeur. Autre
chose encore que j'oubliais. Au moment où elle allait chanter, elle se
retourna et dit : « Il faut d'abord sortir le perroquet ; sans cela, il criera
9 plus fort que moi. » Le prince Albert sonna, mais le duc de Gotha vou-
lut emporter l'oiseau; je m'avançai alors en disant : « Permettez que je
» m'en charge », et je m'emparai de la cage que je portai dehors à l'ébahis-
sement des domeslioues qui n'y comprenaient rien, etc. » J. T.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Charmant concert, léger et peu encombrant, que celui de dimanche der-
nier au Châtelet, où nous eûmes le plaisir de voir et d'entendre la belle
JM"^ Hatto, superbement costumée, dans l'air de Judas Macchabée et dans
deux expressives mélodies de M. Kcechlin auxquelles elle donne bien de la
valeur. C'est une artiste très intéressante, une « figure » attachante que
W^' Hatto. Quant à Pugno, il a joué comme un lion son très beau concert-
slûck, si ingénieusement bâti sur un seul thème de trois notes, mais avec
quelles ressources variées de musicien subtil et profond tout à la fois! C'est
vraiment une « œuvre ». H a exécuté ensuite les Djinns si curieux dé César
Franck et cela a été du délire dans toute la salle. Jamais ne s'est vu si beau
triomphe. Et tout aussitôt, encore tout suintant de gloire, Pugno s'est mis
en wagon eu route pour l'Allemagne pour courir au-devant de nouveaux
lauriers. Quelle existence que celle d'un artiste en vogue ! — Le concert de
M. Colonne avait commencé noblement par l'Héroïque de Beethoven et s'est
terminé délicieusement par le très amusant Divertissement sur des chansons
russes de M. Rabaud. H. M.
— Concerts Lamoureux. — Il ne faut pas s'étonner si l'Or du Rhin ne
produit pas une impression aussi puissante que chacun des trois finales
des autres drames composant la tétralogie. Wagner était trop habile
pour ne pas avoir ménagé systématiquement ses efforts djns un prologue.
L'Or du Rhin n'est que cela. On y rencontre des explications ennuyeuses, mais
jugées nécessaires pour l'intelligence des situations qui vont succéder, de la
Walkyrie au Crépuscule des dieux. Il y a du reste, pour qui peut suivre les
paroles et en saisir le sens avec ses nuances, de larges compensations. Le
constraste des caractères chez les deux brigands antédiluviens est tout ce que
l'on peut souhaiter de plus amusant et de plus nature. La lourde plaisan-
terie de Wagner fait merveille ici... mais c'est presque un blasphème
d'écrire cela, car notre pseudo-Aristophane germanique n'avait aucune envie
d'être plaisant. Les deux butors qu'il nous présente, ces deux brutes préhis-
toriques dont l'une a déjà entrevu quelques lueurs de justice, tandis que
l'autre conserve entière son incurable bestialité, Fasolt et Fafner, architectes
du Wallhalla, devaient conserver dans son œuvre le rôle symbolique à eux
dévolu dans la légende germanique, et ce n'est pas de safaute si les épieux et
le sac colossal de ces hercules de féerie font rire de ce côté-ci duEhin. Il y a
d'ailleurs dans tout cela une bonhomie populaire qui intéresse ; c'est du
Rabelais grossier, avec l'idée philosophique. La part est belle pour Wagner.
Musicîdement, le motif du Rhin qui, .pendant 136 mesures, ne quitte pas
l'accord de mi héraol majeur, est une des plus étonnantes applications de
Vemhryonnaire et du malléable dans le domaine des triturations sonores. Le
thème des pommes d'or est ravissant: tout grâce et caresse; celui de la fasci-
nation d'amour exquis avec ses intervalles de septième descendante et d'octave
montante, surtout quand Wagner y place un triolet. Les autres sont plus
connus et plus fréquemment employés. L'interprétation orchestrale a beau-
coup de relief; celle des voix est bonne avec MM. Challet, Bagès, Albers et
M""'" O'Rorke, Hayot et Labatut. Ahédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; Symphonie ea si bémol (Beethoven). — Troisième nctei'Ànnide (Gluck),
par M"" Jeanne Raunay et Chrétien-Yaguet. — Fragments de la suite en si mineur (J.-S.
Bach). — A. Tenebrœ (actcr stmt (Michel Haydn), et B. le Chanteur des bois (Mendelssohn),
chœurs sans accompagnement. — Ouverture d'Euryanlhe (Weber).
Châtelet, concert Colonne : Ouverture de Coriolan (Beethoven). — Concerto pour piano
(César Geloso), par l'auteur. — Tristan et Yseult (Wagner), deuxième scène du deuxième
acte, par M. Kalisch, M"" Adiny et Planés. — Symphonie espagnole, op. 21 (Lalo), par
M. Enesco. — Marche militaire française de la Suite algérienne (Saint-Saêns).
Nouvean-Thèàtre, concert Lamoureux sous la direction de M. Ciievillard : L'Or du Rhin
(Richard Wagner), interprété par MM. Ciiallet, Bagès, Vallobra, Dantu, Albers, Lubet,
Guiod, Sigwalt, M"" Hayot, O'Rorke, Labatut, Lormont, Vicq, Melno.
— Très intéressante, la matinée Colonne de jeudi dernier au Nouveau-
Théâtre de la rue Blanche. Le programme, divisé comme d'ordinaire en deux
parties, était consacré pour la première à M. Edouard Grieg, pour la seconde
à Schumann, avec un intermède dont M. Théodore Dubois faisait les frais.
Il s'ouvrait par la suite d'orchestre que M. Grieg a lormée avec la musique
écrite pour le drame de Peer Gijnt, musique toujours un peu embrumée,
mais d'un réel intérêt, et qui donne une idée très exacte du talent de l'au-
tour et de sa nature artistique. La sonate piano et violon, suffisamment con-
nue depuis longtemps pour que je n'aie pas à m'étendre à son sujet, a valu,
pour son interprétation, des applaudissements mérités à MM. Armand Ferté
et Oliveira. Les jolies Scènes d'onl'ance de Schumann, joliment orchestrées
par Benjamin Godard, ont fait un vif plaisir, mais surtout le superbe quin-
tette pour piano et cordes, op. i-i, magistralement exécuté par M'" Cécile
Boutet de Monvel, MM. Armand Parent, Lammers, Denayer et Baretti, a été
accueilli par toute la salle avec une chaleur enthousiaste. Ça été le véritable
succès de la séance, avec les trois mélodies de M. Théodore Dubois : Prière,
la Voie lactée, Malin, d'une heureuse inspiration et d'un joli sentiment, que
M"" Aïno Ackté, accompagnée par l'auteur, a chantées d'une façon exquise,
de sa voix pure et fraîche comme le cristal. A. P.
NOXJ"V"ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Une nouvelle imprévue est venue, mardi dernier, émouvoir non seule-
ment l'Italie, mais l'Europe entière, Une dépêche de Milan faisait connaîtra
que "Verdi, dont la santé jusqu'alors était demeurée excellente, avait été frappé
lundi matin, à neuf heures, d'une congestion; il était resté pendant six heures
sans connaissance, et n'avait repris ses sens que vers trois heures. Un bulletin
publié par les médecins le même jour, ;'i neuf heures du soir, constatait, avec
la gravité de la situation, des troubles aigus dans les lobes du cerveau, et un
engourdissement de la sensibilité. Le lendemain 2"2, une dépêche de Milan
était ainsi conçue :
a La paralysie de Verdi poursuit rapidement son cours. L'usage de la parole est complè-
tement perdu. La maison royale demande continuellement des nouvelles. Les médecins ont
déclaré que tout espoir est perdu, cependant, le docteur Grocco dit que l'état du compo-
siteur est moins grave que la nuit passée. Une grande émotion règne dans toute l'Italie.
Des dépèches continuent à arriver de tous les côtés du monde. »
Une autre dépêche, de Rome, donnait une preuve de l'émotion qui enva-
hissait le pays tout entier :
■x Le président du Sénat a annoncé, hier, que le compositeur Verdi était gravement
malade. 11 a exprimé le regret d'avoir à annoncer que les nouvelles demandées par la pré-
sidence laissaient peu d'espoir de guérison. Cependant il a formé des souhaits chaleureux
pour que cet homme illustre fût conservé à l'Italie. M. Boccardo a proposé au Sénat d'en-
voyer ses souhaits au malade. M. Finali, au nom du gouvernement, s'associe à cette pro-
position, qui a été adoptée. »
Le 23, la situation resta la même, et le 24 on crut prudent d'administrer au
maître l'extréme-onction; la cérémonie, très émouvante, eut lieu en présence
de ses parents et des quelques amis intimes qui étaient à son chevet. Les
médecins attendaient alors d'heure en heure l'issue des crises caractéristiques
de la maladie. Elles ont ordinairement une période de trois jours, mais
l'espoir en une issue favorable était de plus en plus faible.
— Au moment même où l'on apprenait la maladie de Verdi, on avait con-
naissance d'une délibération du municipe de Rome où, par une singulière
coïncidence, il avait été question du vieux maître. Dans cette séance l'un des
conseillers, M. le duc Torlonia, avait proposé que le JMngoteverc, sorte dévoie
publique où était le théâtre ApoUo, fût nommé désormais Lungotevere Verdi,
et la proposition avait été acceptée par le syndic.
— Pour les Maschere, la nouvelle œuvre de Mascagni, il en a bien été ainsi
que nous l'avaient dit nos premières dépêches. A Rome, où le compositeur
conduisait lui-même, il y a bien eu tout au moins un succès de courtoisie.
Mais dans les autres villes qui donnaient l'œuvre le même soir, il n'y a pas-
eu de réussite, bien que partout, disent nos correspondances, o plusieurs
pièces aient été hissées ». Le premier acte a paru long et monotone et a
découragé du second, qui cependant paraît fort joli. — M. Mascagni, qui est
« un fort », ne s'est pas découragé pour cela. Il a remis immédiatement sa
partition sur le métier et l'a remaniée, taillant de-ci et de-là, avec l'espérance
d'une revanche prochaine.
— Voici, à titre de curiosité, le détail du prix des places établi à Rome,
par la direction du théâtre Gostauzi, pour la première représentation des
Maschere, de M. Mascagni. Loges du premier rang (ce sont nos baignoires),
300 francs; du second rang (ce sont nos premières loges), 350; du troisièmo
rang, l.'iO. Fauteuils, 4S francs; stalles, 20 francs; amphithéâtre, 10 francs.
Le tout sans préjudice du prix d'entrée pour chaque place (ingrcsso), porté à
S francs. Enfin, la galerie (poulailler), 5 francs. Il faudrait voir la tête des
spectateurs parisiens si un théâtre se permettait de semblables folichonneries
un jour de première.
— Milan, qui n'avait pas assez d'une douzaine de théâtres, va en posséder
un nouveau. L'ingénieur Facchinetti, déjà directeur du Carcano, vient d'ache-
ter dans le quartier populeux de la porta Ticinese, dans la via Vetere, un
vaste terrain sur lequel s'élevait jadis le nouveau théâtre Re, et où il compte
ériger le nouvel édifice. Son projet, prêt dès aujourd'hui, a été présenté par
lui à l'office technique, qui l'a approuvé.
— Un décret royal vient d'instituer dans la ville de liari une école d'orgue
et de chant grégorien, qui dépendra de l'église palatine de Saint-Nicolas.
— De notre correspondant de Belgique (2t janvier). — Nous ne nous souve-
nons pas avoir assisté à des débuts, dans la carrière lyrique, aussi heureux
que ceux de M"' Paquet, dont une première apparition dans le rôle de Donna
Anna, de Don Juan, avait produit déjà, il y a quelques semaines, une vive
LE MENESTREL
31
sensation. M"» Paquot a débuté, vraiment, cette semaine, dans Faiisl. Et
toutes les espérances qu'avait données cette jeune fille, à peine sortie du
Conservatoire et tout de suite fêtée comme une artiste, ont été dépassées. Je
ne pense pas qu'il soit possible de réunir à un tel degré les qualités les plus
diverses et les plus précieuses que puisse souhaiter une cantatrice di-amati-
que : une voix merveilleuse, d'un timbre pénétrant et superbe, d'une étendue
peu ordinaire, tout à la fois légère et puissante, un rare instinct scénique, du .
sentiment, et tout ce qu'il faut pour réaliser le rôle ei complexe de Margue-
rite aussi parfaitement dans sa grâce que dans sa force et son éclat. Telle
qu'elle est, M"^ Paquot est certainement, sinon la plus parfaite en tous points,
du moins la plus complète héroïne de Gounod que nous ayons entendue. Si
de pareilles promesses apportent tous leurs fruits, il est permis d'attendre
beaucoup de l'avenir. — M"" de Nuovina a remporté, dans CavaUeria nisticana,
autant de succès qu'elle en avait remporté dans la Navarraise. On l'attend
maintenant dans Carmen. — Les études de Louise sont poussées activement,
de façon que l'ouvrage puisse passer d'ici au S février. M. Charpentier
doit venir surveiller les dernières répétitions. — Entre temps, le corps de
ballet répète les Deux pigeons, de M. Messager, auxquels succédera un ballet-
pantomime inédit, la Captive, dont la musique — que l'on assure être d'un
caractère et d'une couleur absolument remarquables — est de M. Paul Gilson,
le compositeur de la Mer, de Françoise de Rimini, etc.
Le dernier concert populaire, dirigé par son nouveau chef, M. Sylvain
Dupuis, nous a fait entendre les Impressions d'Italie de M. Charpentier, dont
on ne connaissait à Bruxelles qu'un court fragment; cette œuvre, si pétillante
et si lumineuse, a eu le seul tort d'être venue à la fin d'un programme trop
long, quand l'attention du public était fatiguée déjà par l'audition d'un violo-
niste italien, de grande virtuosité d'ailleurs, M. Serato, compliquée de nom-
breux morceaux symphoniques. parmi lesquels avaient voisiné assez étran-
gement une délicate symphonie de Haydn et une Ouverture dramatique, de
couleur somptueuse et superbe, de M. Paul Gilson, déjà nommé.
C'est M. Johan Svendsen, un des chefs de l'école Scandinave, qui est venu
diriger le concert Ysaye dimanche dernier, et c'est à ses œuvres que le pro-
gramme était en grande partie consacré. Chef habile et expérimenté, œuvres
charmantes, d'une distinction et d'une inspiration souvent exquises, parfumées
de chants populaires et, avec cela, d'une forme impeccable, même très clas-
sique. Sa symphonie, pleine de trouvailles spirituelles, sa Rapsodie norvé-
gienne, et surtout l'adorable légende Zorohaydu, et le Carnaval de Paris, qui
date de trente-cinq ans, ont obtenu un très vif succès. Comme intermède, un
ténor de Bayreuth, M. Burgstaller, a chanté d'une voix défraîchie, mais avec
un beau sentiment, du Beethoven et du Wagner.
Au Conservatoire, pour nous reposer des émotions i'Armide, M. Gevaert
nous fera entendre dimanche prochain le maitre violoniste M. Thomson.
L. S.
— Le budget de l'État prussien pour 1901 qui vient d'être soumis au Landtag
est particulièrement intéressant pour les musiciens. Nous y trouvons d'abord
un crédit de 30.000 marcs, soit 37.S00 francs, comme première annuité d'un
crédit de 360.000 marcs, soit 450.000 francs, destiné à la publication, en onze
années, d'une collection intitulée Monuments de la musique allemande qui doit
contenir, en partition, les chefs-d'œuvre de la musique allemande du XV"*
au XVHI" siècle. Nos lecteurs se rappellent que des collections analogues
sont en train d'être publiées en Autriche et en Bavière. Un autre crédit de
200.000 marcs, soit 230.000 francs, est demandé par le ministre de l'instruction
publique pour acheter la célèbre collection d'autographes de la maison Arta-
ria de Vienne. Cette collection a été achetée en bloc, il y a quelques années,
par M. Erich Prieger, de Bonn, qui la cède au prix de revient à la Bibliothèque
royale de Berlin. Le ministre expose que cette collection est la plus grande et
la plus précieuse parmi toutes les collections particulières d'autographes
musicaux qui existent. On y trouve entre autres cent quarante compositions
inédites et complètement inconnues de Joseph Haydn, et deux mille pages
écrites de la main de Beethoven, parmi lesquelles des fragments de la Messe
solennelle et de la Symphonie avec chœurs qui compléteraient heureusement
les fragments de ces deux œuvres capitales que la Bibliothèque royale de
Berlin possède déjà. Les efforts du gouvernement de Prusse d'assurer à la
bibliothèque de Berlin ces monuments d'art musical méritent tous les suf-
frages, et on ne comprend vraiment pas comment le gouvernement autrichien
ait pu se désintéresser de cette alfaire, qui le concernait au premier chef et
qui, en somme, ne demandait qu'une bagatelle largement compensée par la
simple valeur marchande des autographes. Mais nous devons remarquer que
le gouvernement prussien fait erreur s'il croit que la hibliothèque de Berlin
possédera la symphonie avec chœurs au grand complet quand il aura acheté
les feuilles de la collection Artaria. Car notre collaborateur et ami Charles
Malherbe possède dans sa fameuse collection d'autographes musicaux, qui
peut bien rivaliser avec celle d'Artaria, surtout en ce qui concerne la diver-
sité des compositeurs, justement quelques feuilles de la dernière partie de la
Symphonie avec chœurs.
— Les mélodies de Massenet commencent à faire leur chemin en Autriche.
Nous avons parlé récemment du concert de M"'» Alice Barbi à Vienne, où
elle en a chanté deux: et voici que M. Raimund de Zur-Muhlen, qui jouit
d'une grande réputation comme chanteur de lieder, vient de chanter dans un
concert donné la semaine passée à Vienne quatre mélodies de Massenet : Pensée
d'automne. Nuit d'Espagne, Si tu veux Mignonne et Sérénade d'automne. Schubert
et Schumann complétaient le programme ; on ne saurait être en meilleure
compagnie.
— Une opérette inédite intitulée les Chemineaux, musique de M. C.-M.
Ziehrer, de Vienne, vient d'être jouée avec beaucoup, de succès, à Leipzig.
— Eros et Psyché, l'opéra dont nous avons annoncé la première représenta-
tion à Munich, a obtenu un très vif succès. L'auteur, M. Maximilien Zenger,
qui est né à Munich même en 1837 et qui fut pendant de longues années pro-
fesseur au Conservatoire de cette ville tout en exerçant les fonctions de cri-
tique musical à VAllgemeine Zeituncj, après avoir dirigé l'école de musique de
Ratisbonne, avait envoyé sa partition en 1896 au concours Luitpold et avait
obtenu, à la suite des prix décernés à celles de MM. Zemlinsky, Thuille et
Kœrmeman, une mention avec éloges qui lui donnait droit à la représentation
de son œuvre. M. Zenger était déjà connu par de nombreuses compositions,
entre autres un oratorio. Gain, trois opéras : les Foscari, Ruys Blas et Wieland
le Forgeron, des mélodies vocales et des morceaux de piano. Son nouvel
ouvrage, qui est en trois actes, a été écrit par lui sur un livret de M. Wilhelm
Schriefer, écrivain viennois. On lui a fait grande fête, et le compositeur a
été rappelé plusieurs fois, ainsi que ses deux principaux interprètes,
M. Fremstod et M°"= Koboth, victime d'un accident douloureux, (elle s'était
cassé le bras) qui avait retardé la représentation.
— Le théâtre royal de la Place des Jardiniers à Munich vient de jouer avec
beaucoup de succès une opérette inédite en trois actes intilsilée la Débutante,
musique de M. Alfred Zamara, de Vienne. La pièce nous est connue ; c'est le
Mari de la débutante de MM. Meilhac et Halévy.
— Le Conservatoire national de musique de Budapest vient de célébrer le
21= anniversaire de l'entrée en fonctions de son président, le comte Géza
Zichy, compositeur et pianiste. Les élèves du Conservatoire, les professeurs
et le président lui-même ont donné un brillant concert dans lequel le comte
Zichy qui, comme on sait, ne dispose que du bras gauche, a joué avec une
maestria étourdissante son nouveau concerto en trois parties pour la main
gauche seule avec accompagnement d'orchestre. Le concerto a été vivement
applaudi, surtout la deuxième partie, que le compositeur a dû répéter.
L'orchestre, composé d'élèves, a joué sous la direction de l'auteur le prélude
d'un ballet inédit du comte Zichy, qu'on a également applaudi avec enthou-
siasme.
— Le théâtre magyar de Budapest vient de jouer avec succès une opérette
inédite intitulée le Prime donne, musique de M. Raoul Mader, chef d'or-
chestre à l'Opéra royal de cette ville.
— Sylvia, le ballet de Léo Delibes, vient d'être joué pour la première fois
à l'Opéra royal de Dresde avec un succès marqué. Mise en scène brillante et
interprétation hors ligne, surtout de la part de l'orchestre.
— Le projet d'un « asile pour musiciens » qu'un comité présidé par M. Henri
Zoellner, auteur de la Cloche engloutie, désire construire à léna, est en bonne
voie. M. Oscar de Hase, chef de la maison Breitkopf et Haertel, de Leipzig,
lui a ofi'ert un vaste terrain, et les dons commencent à affluer. Un bienfaiteur
qui a désiré rester inconnu a envoyé vers la Noël, à M. Zoellner, la somme
de 15.000 marcs; il est mort quelques jours après. Le comité a l'intention
de donner des concerts et des représentations lyriques au profit de son œuvre.
— Depuis que le Rhin et le Danube ont été célébrés par la poésie et la
musique, chaque petite rivière allemande semble demander à son tour un
hymne particulier. C'est ainsi qu'un comité s'est formé en 1900 pour demander
au concours la meilleure chanson célébrant la rivière Lahn. Le prix, de mille
marcs, vient d'être décerné au poète Hermann Steckel et au compositeur
Wohlgemuth, tous deux de Leipzig.
— Carlsruhe a suivi l'exemple donné déjà par plusieurs villes d'Allemagne
et a inauguré une série de concerts symphoniques populaires. L'orchestre
du théâtre grand-ducal donne ces concerts avec le concours de solistes
remarquables, et M. Félix Mottl les dirige en personne. Le prL\ unique est
fixé à 60 centimes. Malheureusement, beaucoup d'amateurs aisés profitent de
cette occasion pour se glisser parmi l'assistance populaire et pour participer
à un bienfait qui ne leur est pas destiné.
— A Darmstadt, grand succès pour Louis Lacombe avec sa grande œuvra
chorale Cimbres et Teutons, qui fut exécutée en ISbb, à Paris, au Palais de
l'Industrie par cinq mille orphéonistes, et ensuite au Palais de Cristal, , à
Londres. Ici et là cette composition avait valu à Louis Lacombe un prix
d'honneur. Depuis, on n'en entendit plus parler. En Allemagne, donc, Cimbres
et Teutons ont soulevé un grand enthousiasme. A quand le tour de Paris ?
— ■ Succès éclatant à Odessa pour Werther, dont on donnait le 13 janvier la
première représentation. Triomphe pour les deux principaux interprètes,
M""! Degli Abbatti et le ténor Apostolu. Plusieurs morceaux bissés, innom-
brables rappels, dit la dépêche.
— Très vif succès à Monte-Carlo pour Léon Delafosse et son originale et
brillante Fantaisie pour piano et orchestre, si bien faite, en dehors de son
mérite musical certain, pour faire valoir sous leurs différents jours toutes
ses merveilleuses qualités de virtuose.
— Le compositeur sir Arthur Sullivan a laissé une fortune nette de
32.200 livres, soit 80,>.000 francs, c'est-à-dire moins qu'on ne croyait générale-
ment. Son légataire universel est son neveu, M. Herbert Thomas Sullivan;
plusieurs legs ne sont pas sans intérêt. Ainsi le prince de Galles, le nouveau
roi d'Angleterre, qui était un ami personnel .du défunt compositeur, reçoit
une boîte à cartes de visite en écaille et en argent; le duc d'York, le nouvel
32
LE MENESTREL
héritier du trône, une noix de coco gravée et montée en argent. L"Académie
royale de musique liérite des partitions d'orchestre autographes du Mikado et
des Martyrs d'Antioche, le Collège royal de musique de celles de la Légende
dorée et des Yeomen de la Garde. Le portrait du musicien, un chef-d'œuvre du
célèbre peintre John E. Millais, est Mgué à la Galerie nationale des portraits,
où il fera une excellente figurr 3 'es peintures, pour la plupart médiocres,
qui y sont accumulées.
— Une messe du plus haut intérêt historique vient d'être exécutée à l'ora-
toire de Brompton, à Londres. Elle a été composée par Thomas Tallys, l'orga-
niste dé la cour royale sous Henry VIII et ses successeurs Edouard VI,
Marie Tudor et Elisabeth, et n'était plus connue que par un manuscrit con-
servé au British Muséum. La messe du vieux compositeur anglais a remporté
un grand succès.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Au moment où le conseil municipal allait décider sur les destinées futu-
res du Cirque des Champs-Elysées, dont, comme on sait, les constructions
sont restées inachevées par suite de la déconfiture de la société qui devait
l'exploiter, au moment où on allait mettre en adjudication le nouveau cahier
des charges de l'entreprise, voici qu'un projet des plus intéressants a été
présenté tout à coup par MM. Détaille, Gérôme, Fiameng et Robert Fleury,
au nom des Artistes français. Ils proposent de bâtir, conformément au projet
dressé par M. Giraud, l'architecte du Petit-Palais, un « palais des artistes »
en vue d'expositions périodiques do peinture, de sculpture et de gravure
avec une belle salle de concert centrale. Ce projet séduisant et patronné par
des artistes de si haut rang a été immédiatement renvoyé à l'examen des
troisième et quatrième commissions, et il aboutira probablement. En dehors
' d'expositions d'art raffinées et s triées sur le volet », comme on dit, Paris se
trouverait donc doté de la salle de concerts spéciale tant désirée et tant
attendue par tous les musiciens. Souhaitons la réussite de cette belle entre-
prise.
— Nous avons déjà dit qu'on avait scellé, sous le péristyle du Théàtre-
Francais, quatre grands cadres de marbre blanc destinés i recevoir les mé-
daillons de Corneille, Racine, Molière et Victor Hugo, avec leurs dates de
naissance et de mort. Le sculpteur Barrias est chargé des médaillons de
Racine et de Victor Hugo. Le sculpteur Denys Puech fera ceux de Corneille
et de Miilière. Au-dessus de» cadres prendront place deux plaques de marbre
blanc. On gravera sur l'une l'inscription suivante :
« La nouvelle salle a été inaugurée le 29 décembre 1900, M. Loubet étant président de
la République, -M. Waldeck-Rousseau, président du coDBeil, M. Georges Leygues, mi-
nistre de l'instruction publique et des beaux-arts, M. Henry Roujon, directeur des
beaux-arts, II. Jules Claretie, administrateur général. »
L'inscription de la seconde sera ainsi conçue :
Il La salle de l'architecte Louis, réparée par Moreau en 1798, restaurée par Fontaine en
1822, agrandie et achevée par P. Prosper Chabrol en lÉ6i, a été réédifiée par J. Guadet
en 1900. «
... Et on pourrait ajouter, pour être juste : « avec quelques fâcheuses mo-
difications ».
— La classe d'orchestre du Conservatoire a repris lundi le cours de ses
études sous la direction de M.Georges Marty. Bien qu'elle ait, comme toutes
les autres classes, eu lieu rigoureusement à huis clos, il nous sera permis
sans doute sans trop d'indiscrétion de révéler qu'il y a été fait une lecture
tout particulièrement intéressante : celle d'une symphonie de Méhul. L'on
sait que l'illustre maître français, non content de ses succès de théâtre, a
composé plusieurs symphonies, dont une au moins date de sa jeunesse, et
quelques autres de l'âge de sa maturité, lS08à 18lU. Notons que cette dernière
époque est celle où Beethoven produisait quelques-uns de ses plus purs chefs-
d'œuvre : la Symphonie en ut mineur, la Pastorale, etc. Assurément il ne s'agit
pas ici d'opérer un rapprochement qui serait imprudent : Méhul n'est pas
Beethoven; il l'ignorait d'ailleurs complètement, cela est certain; son seul
objectif était de suivre la trace d'Haydn : cela transparait jusque dans le style
de la symphonie qu'on aluel'autre jour. Pourtant, une nature plus vigoureuse
et plus mâle s'y révèle, et, si l'influence d'Haydn est manifeste, la symphonie
de Méhul est tout au moins de l'Haydn très agrandi. Le premier morceau
s'achève par une de ces péroraisons chaleureuses dont certaines ouvertures
du même auteur nous ont donné déjà d'admirables modèles. L'andante, en
forme de thème varié, est de style particulièrement brillant. Le menuet est
un bijou d'ingéniosité et de pittoresque : un vrai petit chef-d'œuvre de musique
française. Quant au finale, on y a remarqué avec une vive surprise que son
rythme fondamental était identiquement le même que celui du premier mor-
ceau de la Symphonie en ut mineur, que Beethoven produisait au même
moment a Vienne : singulier exemple de ces rencontres d'idées, de ces « idées
dans l'air » qu'on a constatées maintes fois sans avoir jamais bien pu les
expliquer. — Nous nous sommes étendus sur cette lecture parce qu'elle nous
a fourni une occasion unique de faire connaissance avec une œuvre oubliée
dès longtemps et de hauts valeur. Il ne semble pas en effet que les sympho-
nies de Méhul aient jamais été exécutées depuis leurs premières auditions,
où elles n'obtinrent que des succès modérés. L'heure do la réhabilitation a
sonné pour elles, car nous pouvons espérer que cette première épreuve sera
suivie d'autres, sur lesquelles le public sera appelé à donner son sentiment.
J. T.
— Un journal étranger nous apprend que Jacques Rubinstein, l'unique
fils vivant du célèbre compositeur, est devenu complètement fou. Jusqu'au
milieu de l'année dernière il était chargé de la critique musicale au journal
Russia, mais dans le courant de l'été il fut atteint d'une paralysie progressive
du cerveau, et aujourd'hui, dit notre confrère, il a du être enfermé dans une
maison de santé près de Paris. — En ce qui concerne ce dernier détail, nous
avouons notre ignorance absolue.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-C.omique : en matinée, la
Basoche; le soir, Carmen.
— On répète activement à l'Opéra-Populairp, pour passer à la fin de la
semaine, Gille et Gillotin. le gentil petit acte d'Ambroisc Thomas qui fut re-
présenté pour la première fois à Paris, à l'Opéra-Comique, le 22 avril 1874.
— A l'Opéra -Populaire aussi on presse beaucoup les répétitions de
Charlotte Corday, le nouvel opéra de MM. Armand Silveslre et Alexandre
Georges; la pièce est descendue en scène. M. Duret s'occu)ie activement des
décors, dont voici la nomenclature : Prologue, la Taverne du Paon; premier
acte. Chez M'"' de Bretteville ; deuxième acte, le Palais- Royal ; troisième acte,
Chez Marat; quatrième acte, la Conciergerie ; cinq-jiome acte, la Place de la
Liberté,
— La représenlalion de retraite de M. ■VVorms a été, comme on pouvait
supposer, fort brillante et fort émouvante aussi. On a fait au sympathique
comédien des adieux magnifiques. Dans l'intermède musical, il faut citer
surtout le ténor Tamagno, qui a chanté d'une vui.v formidable le bel air
d'^l ndré Chénier, la charmante M'"=Sanderson dans des mélodies de Massenet,
Pensée d'automne et Amoureuxc^ appel, toujours jolie et en voix fraichc>, M"° Grand-
jean, très fêtée dans la Charité de Faure, l'excellert Fugère dans le Vieiur
ruban d'Henrion et Noté dans le Géant de Litolff.
— Tout comme la saison précédente, l'exquise Cendrillon marche de succès
en succès et chaque semaine nous apporte un brillant bulletin de victoire.
C'est de Montpellier, cette fois, qu'on nous téli'grafhie : « Très belle première
Cendrillon. Gros succès pour auteurs, artistes, ballet, mise en scène, chef d'ir-
chestre, régisseur. La salle entière applaudit frénétiquement baisser du rideau
et réclame frénétiquement maiire Massenet dont tous regrettent absence. »
— D'Alger : Le vrai triomphe remporté le soir de la première par Louise
se répète à chaque nouvelle représentation devant des salles archibondées,
qui applaudissent frénétiquement l'œuvie prenante et vivante de Charpentier
ainsi que ses excellents interprètes. Aux noms cités par le Ménestrel U semaine
dernière, il est de toute justice d'ajouter ceux de M"" Pratt, Bury, Faber, de
jyjme Poyard, de MM. Pérens, Gaillard, qui tiennent avec talent les rôles de
second plan, et celui du régisseur général, M. Poyard, qui a aidé puissam-
ment son si actif directeur, M. Saugey, pour mettre l'ouvrage sur pied. La
cinquième représentation est déjà affichée. Voilà un gros succès provincial
qui donnera sans doute à réfléchir à ceux qui prétendaient que Louise était
une pièce exclusivement parisienne.
— Le comité d'administration de la Société Je Sainte-Cécile de Bordeaux,
ayant décidé de réunir et de confier à une même personne les fonctions de
chef d'orchestre et celles de directeur du Conservatoire, fait appel aux per-
sonnalités artistiques qui auraient l'intention de poser leur candidature à
cette situation. Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire général de
la Société de Sainte-Cécile, 15, rue Boudet.
— Réunion charmante chez M'" MagJeleine Godard, la renommée violo-
niste, à sa soirée musicale de vendredi dernier et programme des plus
attrayants. Une jeune cantatrice grecque, M"« de Saint-André, a été fort
appréciée dans des chansons de son pays et dans l'air d'Hérodiade. M"° Debil-
lemont. M"" Godard, MM. Marthe, Delacroix et Parent ont superbement
interprété le quintette de Schumann; le ténor BarsonkofI' a chanté remar-
quablement l'air du Mage de Massenet et un lied de Rimsky-Korsakofl'.
M. Brémond, de la Comédie-Française, a eu son succès accoutumé, et la
maîtresse de la maison a vaillamment et victorieusement payé de sa personne
dans six délicieux duettini pour deux violons de Benjamin Godard avec
M"« Dantin comme digne partenaire.
— Concerts annoncés. — Société des matinées artistiques populaires, mercredi pro-
chain à 4 h. 1/2 très précises au théâtre de la Renaissance, sous la direction de M. Jules
Danbé ; Conférence par M. George Vanor, quintette (Schumann, 1810-1856), M"" Hoger-
Miclos MM. Soudant, de Bruyne, M. Migard et P. Destomfaes. Pur Dicesti (Lolti, 16(i7-
1740), M" Lovano. Lied, pour violoncelle (Vincent d'indy), M. Destouibes et l'auteur.
Polonaise en mi bémol (Chopin, 1809-1849), M- Roger-.Miclos. La fête d'Alexandre, air,
(Haendel, 1685-1759), M. L.-Cli. Battaille, accompagné par M"" Uoger-Miclos. Ballade du
Quatuor, op. 7 (Vincent d'indy), MM. V. d'indy, Soudant, Migard et Destombes. lieux
chansons populaires du Vivarais (X.'"), transcrites par Vincent d'indy. « Rossignolet du
bois » et « Sont trois jeunes garçons, tous trois allaient en guerre », M"° Lovano cl
M. V. d'indy. Quatuor Mozart, 17561791), MM. Soudant, de Bruyne, Migard et 1'. Iles-
tombes. Prix des pinces : 2 fr., 1 fr. et 0 fr. 50.
Henri Heugel, directeur-gérant.
. — (Encre LorjJlcu\,
3645. - 67"
— fi" 5.
Dimanche 3 Février !90i, '^'
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, S*"*, me Yivieime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTRED
lie IlaméPo : 0 îp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie NaméFo : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIEE-TEITE
1. Peintres mélomanes (12' article) ; d'après Beethoven, Raymond Bouyer. — II. Semaine
théâtrale ; première représentation de les Bouges et les Blancs à la Porte-Saint-Martin,
0. Berggruen; première représentation de la Cavalière au théâtre Sarah-Bernhardt,
Paul-Kseile Chevalieh. — III. Verdi, sa mort, ses funérailles, Arthur Pougin. —
IV. La reine Victoria et les musiciens allemands, 0. Berggruen. — V. Revue des grands
concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LA ROMAJKA
souvenir de Smyrne, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Preludio-
saltarello, de Théodore Dubois.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dlmancbe procliain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Complainte de saint Nicolas, n" 4 des Chants de France harmonisés par A. Péri-
LHOu. — Suivra immédiatement : On dit, nouvelle mélodie de J. Massenet,
poésie de Jean Roux.
PEINTRES MÉLOMANES
XII
D'APRÈS BEETHOYEN
Beethoven! syllabes profondes, au prolongement grave, dont
le mystère seul évoque l'image léonine du dieu I En prononçant
le nom comme en écoutant l'œuvre dans les abimes du souve-
nir, nous frissonnons toujours à l'apparition de ce vaste front.
Cordial et farouche, le lion surgit de l'ombre, il parcourt solitaire
le désert hautain d'une Apocalypse,
Où l'éclair gronde, oii luit la mer, oit l'astre rit...
Puisque « le génie parle au génie », le même poète français qui
s'écria : «L'âme allemande, c'est Beethoven », pourrait conclure
l'ébauche éloquente avec cette shakespearienne réminiscence de
son Eschyle :
Et c^est, ô noir poète à la lèvre irritée,
Sur ton crdne géant qu'est cloué Proméihéel (1)
Toute-puissante évocation des rimes! Mais le nom seul est plus
imposant encore; je frémis de la tête aux pieds quand je répète
avec la simple prose d'un autre poète plus recueilli : « Beetho-
ven sourd errant dans la campagne...» (2) Qui peindra ce tableau?
Qui l'immortaliserait péremptoirement sur 'la toile? Quel Dela-
(1) Victor Hugo, William Shakespeare et Contemplations.
(2) Alfred de Vigny, Journal d'un poète (posthume), 1864.
croix invoquerait, pour le fixer par un matin d'automne, la
« silencieuse puissance de la peinture, qui ne parle qu'aux yeux
et qui s'empare de toutes les facultés de l'àme »? Mais aucune
rhétorique de la plume ou du pinceau n'égalera ce frisson : Bee-
thoven ! Et le peintre mélomane qui pastellise ou crayonne d'après
Wagner et Berlioz, d'aprè.t Schumann et Brahms, n'a rien demandé
jamais au souvenir souverain de celui que ses inspirateurs
reconnaissent tous, en dépit de leurs petites querelles confrater-
nelles ou posthumes, pour le grand ancêtre ; M. Fantin-Latour
l'avoue lui-même : il n'a point osé. De bonne heure pourtant,
avant Pasdeloup, les premières auditions des derniers quatuors
avaient exalté ses pensées du soir. Mais comment les incarner
sur la pierre? Dans une lithographie musicale, le sujet n'est rien,
la lueur est tout; mais, sans parler des scènes plus concrètes
des drames lyriques, telle Mélodie, silvestre de Robert Schumann,
tel Poème amoureux de Johannès Brahms réponj à un idéal par-
ticulier dans son vague. Avec Beethoven, c'est l'infini, l'immen-
sité, le vol de l'aigle... Gomment peindre une âme, cette âme,
la plus malheureuse et la plus belle qui ait fleuri dans la prison
de la chair? Gomment illustrer cette vie de silence et de gloire
sonore? Peintres, aurez-vous atteint son but et le vôtre, quand
vous aurez inventorié son feutre hirsute, son vieil habit à la
française et son jabot fané? Sans doute, le compositeur taciturne
et sourd se faisait un « plan » de quatuor ou de symphonie,
lorsqu'il murmurait : « G'est ainsi que le destin frappe à notre
porte 1 » ou qu'il inscrivait le nom fulgurant de Bonaparte au
seuil de VEroica : mais comment dessiner d'après ces mélodieux
hiéroglyphes? Quel spirite assez clairvoyant pour matérialiser
l'invisible? Aussi bien, tous les mélomanes sont-ils vaincus, qu'ils
évoquent le Beethoven réel ou le Beethoven idéal, qu'ils inter-
rogent ses traits ou son œuvre.
Les érudits seuls ont approfondi l'iconographie beethové-
nienne, ses portraits vulgaires ou déclamatoires, depuis la mi-
niature bourgeoise de 1802, contemporaine des origines de la
« bienheureuse surdité » qui se devine plus profonde dans le
beau testament d'Heiligenstadt que dans la traditionnelle sym-
phonie en ré, — jusqu'à la toile de Schimon, vingt ans après, à
l'heure où le maître ne pouvait plus entendre les bravos mêmes
qui saluaient la jeune Schrœder-Devrient illuminant une
reprise de son Fidelio, sublime confident de ses solitudes : effigie
byronienne, morose et fatale, enjolivée, type classique du ro-
mantique génie. Le maître, il est vrai, posait si mal, une seconde,
entre deux boutades!... En son imaginaire Visite à Beethoven, le
jeune Richard Wagner ne l'a point fait plus ressemblant, puis-
qu'il lui prête ses propres éclairs. Le bon M. Gatteaux frappe une
médaille. Colossal, un buste domine le foyer des artistes, au
Conservatoire, dans ce cadre cherubinesque oii, le 9 mars 1828,
V Héroïque a vibré sous l'archet d'Habeneck. Mais l'imagination
semble écrasée par l'image invisible et présente : en 1858, un
LE MÉNESTREL
croquis de Gustave Doré sert d'accompagnement à cette note de
TaiiiV en voyage : « Qu'est-ce que Beethoven? — Un pauvre
gr'ah'd homme, sourd, amoureux, méconnu et philosophe, dont
■ ■la musiijue est pleine de rêves gigantesques ou douloureux... »
"En 18(53; le burin de Lemud, Beethoven, la tète appuyée sur son
.'jiityio ,pt voyant en rêve l'apothéose de ses compositions (sic],
n'est 'aux yeux des amateurs qu'une « gravure de commerce ».
■ Mieu le grain mystérieux des lithographies qui semblaient dé-
passer la fantaisie d'Hoffmann !
Les années se pressent. Et voici Beethoven obtenant un
regain d'honneur : n'est-ce pas un bon signe des temps? Un bois
teinté de Maurice Baud l'introduit parmi les Mages : mais est-ce
bien là l'idéal portrait de celui qu'Haydn appelait le grand Mogol,
que Wagner définira le Mage divin? (1) Plus poignant est le Bee-
thoven que le peintre munichois Franz Stock ranime dans son
intérieur de misère; plus étrange le Beethoven dont une vaste
lithographie d'Henri Héran fait un visionnaire avec je ne sais
quoi d'astral au fond du regard...
Si jamais portrait fut « un modèle compliqué d'un artiste »,
c'est bien celui de Beethoven, incomplet toujours. Rapetissé
dans les nuances, géant soudain dans les crescendos, le chef d'or-
chestre fantasque et sombre qu'il était n'a rencontré ni son
Eodin, ni son Puget, ni son Michel-Ange, pour nous transmettre
les plans prométhéens de son front ; mais sa grande voix règne,
immortelle. Au Salon de 1890, la Sonate au clair de lune, de
M. Benjamin-Constant, ne triomphait qu'à demi de ce nocturne
andante initial, qui faisait pleurer Berlioz quand Liszt assagi le
disait simplement dans l'obscurité... L'année suivante, au Champ-
de-Mars, la piété naïve du peintre flamand Léon Frédéric dédiait
à Beethoven son Muisseau pastoral, joyeuse cascade d'enfants
nus. Vers le même temps, un albunr de Songes : un Hommage
encore. Six planches lithographiées d'Odilon Redon. L'auteur
est un voyant. Bordelais pourtant, il n'est pas de l'école fran-
çaise qui met la bouche sous le nez : « Odilon Redon tend à
s'afi'ranchir du connu de la figure humaine : toujours deux yeux,
un nez, une bouche... ah! » M. Jean Dolent, l'amoureux d'art
qui lui prête ce noble dédain, pouvait le rapprocher de Sté-
phane Mallarmé, dilettante charmant et troublant ami « du
plaisir sacré » qui, prenant un crayon, n'aurait pas manqué de
confier ce néant à la magie des beaux noirs... C'est plus que de
la musique peinte ; c'est de la suggestion qui s'estompe. Hoff-
mann et Goya, vous n'êtes plus que des classiques I Et Beethoven
en tout cela? J'y reviens.
A travers la « forêt de symboles » où le siècle défunt entraî-
nait le modem style, j'ai découvert à nos Salons de crépuscule un
architecte mélomane, un sculpteur mélomane, et, qui plus est,
beelhovéniens. C'était en 1897, et que c'est loin! L'architecte se
nommait François Garas. Il exposait : Temples pour les religions
futures, t A la musique pure, à Beethoven » (trois châssis : plan,
coupe, élévation) : projet qui semblait faire suite à celui de
Charles Bischoff (1896) : Temple pour l'exécution de l'opéra Parsifal
(sic). Que les utilitaires se détournent ! Le sculpteur, c'est Jean
Ringel d'Illzach. Son envoi? Neuf bustes (en cire polychrome
inaltérable) que l'auteur intitule bravement : les Symphonies de
Beethoven. Neuf têtes de femmes, riantes ou tragiques, qui veulent
incarner les impressions reçues par un fervent : attirant pro-
blème a d'audition colorée », qui résume dans une physionomie
l'état d'âme que réveille au fond du souvenir chacune des neuf
immortelles. L'artiste est un peintre mélomane aussi, puisqu'il
s'adjoint la couleur ! Architecte et statuaire, ne semblent-ils pas
tous deux inspirés par Schumann, que le nom seul de Beethoven
étonnait? L'architecte méridional a-t-il lu, dans les Écrits, les
quatre opinions humoristiques sur un projet de Monument à la
gloire de Beethoven? Le statuaire alsacien connait-il la respec-
tueuse fantaisie du compositeur attribuant à chacune des neuf
Symphonies le nom d'une Muse, depuis Erato virginale jusqu'à
la gigantesque Galliope ? A son tour, a-t-il rêvé ce chœur élo-
quent? Toujours est-il que chacune des neuf glorieuses lui
(1) Dans son élude sur Beethoven (Triebsclien, 1870).
apparaît comme une « beauté » nouvelle dont la douce tyrannie
transforme, hélas ! fugitivement, l'âme de son adorateur à sa
chère image. Et quel magnétisme en ce crescendo de style
pathétique I Mais la cire positive pieut-elle le traduire, en
modeler la fièvre ? Là encore, là surtout, le portraitiste est fata-
lement inférieur à son modèle ! Des neuf Muses modernes, c'est
toujours la dernière entendue qui paraît l'amie la plus per-
suasive. Et comme ce Faust que le génie de Beethoven rêvait de
transposer dans son art, l'amant voudrait crier à l'œuvre éphé-
mère : c( Arrête! Tu es si belle ainsi... » En dernière analyse,
l'Art est un combat contre le néant. Mais que reste-t-il de la
multiple émotion dans le buste immuable ? Une pointe de fard,
un pli d'azur, un voile de crêpe peuvent-ils corroborer suffi-
samment la chétive intention d'un regard tendre ou farouche ?
Comment exprimer aux yeux amoureux l'âge d'or vocal de la
Neuvième, ou le robuste arôme de la Pastorale, ou l'aube ven-
geresse de VUt mineur qui transfigurait M. Ingres? Un seul buste
pourra-t-il synthétiser jamais le drame noir de l'allégro, la
longue méditation de l'andante, la nuit magique du scherzo qui
module en consolante aurore ? Et, téméraire, l'œuvre plastique
est surtout captivante par les problèmes qu'elle ranime.
A défaut d'un Michel-Ange, et pour nous consoler de n'avoir
point connu le père sourcilleux des Muses, quelle meilleure visite à
Beethoven qu'un long temps d'arrêt devant la vitrine du Champ-
de-Mars où le masque moulé sur son front à peine veuf de sa
pensée se dissimulait entre deux défroques de théâtre, outra-
geusement, tout comme s'il ne s'agissait que de M. Louis Van
Beethoven, pianiste?
(A suivre. ) Raymond Bouyer.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Les Rouges et les Blancs, pièce en cinq actes,
de M. Georges Ohnet.
Dans sa nouvelle pièce l'auteur du Maître de forges a, une fois de plus,
fait preuve de son habileté dans la recherche d'effets dramatiques, mal-
heureusement pas toujours très nouveaux. Les Rouges et les Blancs ne
sont, en effet, qu'un mélodrame de marque supérieure, magistralement
enchâssé dans un cadre historique qui lui donne une importance factice
et hors de proportion avec sa valeur intrinsèque. L'épisode de la guerre
civile entre les Rouges (les Philippistes) et les Blancs (les Légitimistes)
qui éclata en 1832 dans la Vendée, n'a d'autre but que de servir de
milieu à la véritable action, et la duchesse de Berry, ses partisans et ses
adversaires ne servent qu'à la distribution de la force motrice du drame.
En réalité il s'agit de Yan Tréadec, gentilhomme fermier breton et
bretonnant, qui a épousé sur le tard la jeune et belle Hélène, ex-fiancée
du chevalier de Kerléan, garde du corps du roi. Le comte de Kerléan,
chef de la famille, qui s'était opposé à cette mésalliance, ayant appris
que son frère cadet avait été tué au combat des Tuileries en juillet 1830,
annonça sa mort à sa fiancée, qui n'hésita plus à accorder sa main à
son vieil adorateur. On devine que le chevalier de Kerléan u'est pas
mort et qu'il revient en 1832 comme l'un des défenseurs de la duchesse
de Berry, qui précisément est cachée dans la maison de Tréadec. On
devine aussi que le mari grisonnant n'a pas pu faire oublier en quel-
ques mois le bien-aimé fiancé qui reparait rayonnant de jeunesse et de
beauté. Or, il arrive (ju'un agent de Vidocq, envoyé pour espionner la
duchesse de Berry et ses partisans, découvre l'amour passionné mais
encore pur des deux jeunes gens et s'en sert pour tenter de détourner
Tréadec du parti de la duchesse, en lui faisant accroire que la romanes-
que et frivole duchesse favorise ces amours. Tréadec rentre inopinément
chez lui, comme un chasseur de vaudeville, et trouve le galant chevalier
chez sa femme, mais nullement en conversation galante, comme disent
les Anglais. Une explication loyale s'ensuit entre le mari, la femme et
l'ex-fiancé; le méchant espion est tué par le mari non outragé, à la
grande joie des galeries, et cet excellent mari décide de quitter ce bas
monde pour ne pas plus longtemps former un obstacle au bonheur de
'sa femme bien-aimée. Cette solution est loin d'être neuve, mais elle est
amenée par un assaut de générosité entre le mari et l'amant qui ne man-
que pas d'intérêt.
La pièce est assez bien interprétée. Rien à signaler dans la mise en
scène, hormis un ravissant salon Louis XV, que maint collectionneur
LE MÉNESTREL
35
voudrait bien posséder en pièces autlientiques. Les deux rôles princi-
paux, celui d'Hélène et de son mari, sont excellemment tenus par
M""" Mathilde Deschamps et par M. Duquesne; les autres figures, plus
ou moins accessoires, ont également trouvé des représentants de marque.
M"'= Bertlie Cerny a dessiné une charmante duchesse deBerry, l'auteur
n'ayant mis en valeur que la grâce frivole de la princesse ; une contre-
danse intercalée lui a fourni l'occasion de montrer des jambes aimables
dans des bas de soie blancs de l'époque 1830, où la démocratique Valse
des bas noirs était encore inconnue. Dans le même intermède on a
entendu avec plaisir la fameuse chanson de M. de Charette, finement
détaillée par M. Marié de l'Isle, qui dispose d'un joli baryton Martin.
M. Jean Coquelin s'est taillé un franc succès en claironnant, dans les
meilleures traditions de la Porte-Saint-Martin et avec l'organe de son
père, le rôle de l'espion. M. Rozemberg dans le rôle de Berryer, et
M. Person-Dumaine dans celui du maréchal de Bourmont, ont fait
mieux que l'auteur, qui a aussi complètement dénaturé la figure histo-
rique du traître Deutz.En voulant faire la part aux nationalistes et aux
républicains, aux <? blancs » et aux « rouges » de notre temps, par des
mots qui sentent plus le commencement du vingtième siècle que celui
du dix-neuvième, l'auteur ne s'est pas précisément concilié les applau-
dissements de tous les partis. 0. Bn.
Théâtre Sabah-Bernh.4RDT. — La Cavalière, pièce eu S actes, en vers, de
M. Jacques Richepin.
M. Jacques Richepin a à peine vingt ans... Voilà, certes, beaucoup
plus qu'il n'en faut pour excuser quelques maladresses, quelques incer-
titudes, et le peu d'originalité d'une œuvre de longue haleine, cinq
actes en vers, qui n'est point, par ailleurs, sans laisser pressentir pour
l'avenir un auteur dramatique capable de se faire un nom à côté de
celui de son père, M. Jean Richepin. Et puis, vraiment, un tel effort à
cet âge, cela est moins que banal.
Vingt ans! Toute la fougueuse poussée du romantisme pour les rimeurs
que ne travaille pas le funeste bacille des formules outrancièrement
nouvelles ! Et il aurait aussi fait beau voir le fils de l'auteur des Blas-
phèmes s'attardani aux coupes inusitées, aux mètres boiteux, aux asso-
nances plus que douteuses, sinon totalement absentes. Si donc le vers
de M. Jacques Richepin est plein et enclin aux grasses sonorités, son
romantisme n'est pas moins juvénilement caractéristique : romantisme
de décor, l'Espagne au commencement du XVIP siècle, romantisme
d'action, une femme qui s'habille en homme et tire l'épée, et roman-
tisme de langue.
La pièce est fort simple. Mira de Amescua a été élevée en garçon par
un tuteur qui par ainsi a voulu la défendre des pièges tendus autour
des filles jolies et riches. Et Mira « la Cavalière » se félicite de son
état d'entière liberté, d'indépendance totale, d'ailleurs permetteuses de
toutes les excentricités, jusqu'au jour où elle aime. Elle aime; mais elle
n'est pas assez femme pour enchaîner celui qui retourne, blessé, désa-
busé, vers une autre, Lorenza, vraiment femme celle-là. Mira, de rageuse
j alousie va faire tuer le traître, lorsqu'elle s'avise que c'est elle qui a
t ort et, bravement, va se livrer aux coups meurtriers des reîtres qu'elle
a embauchés.
C'est donc que l'idée maîtresse des cinq actes de M. Jacques Riche-
pin est que la femme a été créée pour l'amour, pour aimer et pour être
aimée. Et pour le démontrer, le tout jeune auteur n'a eu garde d'omettre
le procédé des contrastes, opposant très classiquement Mira la Cavalière
à Lorenza l'amoureuse. Le malheur, c'est que ni l'une ni l'autre de ces
deuxhéroines n'est capable d'arracher la sympathiedu spectateur, celle-ci
trop nonchalante, celle-là trop fantasque ; et l'homme mis entre elles
deux n'a rien, lui non plus, pour masquer l'habituel ridicule d'une
désobligeante situation.
La Cavalière, qui a été montée avec un grand luxe de costumes et de
décors, — ce qui est tout à l'honneur de ceux qui risquèrent si gros
pour aider les premiers pas d'un débutant, — La Cavalière est jouée
d'inégale façon par une troupe recrutée forcément de droite et de gauche.
C'est M"" Gora Laparcerie qui tient le personnage principal avec ses
réelles qualités de vie et ses habituels défauts de vulgarité ; elle a, entre
autres, fort joliment joué la scène heureuse dans laquelle elle veut lais-
ser deviner son amour et mis en charmante valeur tout le côté « ga-
min 1) du rôle. M"«Page est une Lorenza blondement indolente, M"' M.
Gautier une espiègle servante d'auberge et M"" Chapelas un gentil tra-
vesti. Parmileshommes, il faut signaler M. Clerget, bien vivant sous le
manteau du matamore obligatoire, M. Castillan, de physique avanta-
geux, en homme doublement a'iré. et M. Dieudonné en vieux raison-
neur à la voix sépulcrale.
Paul-Émile Chevalier,
VERDI
LA MORT - LES FUNÉRAILLES
« Titan en vie; Titan mort! Giuseppe Verdi, frappé d'apoplexie dans
la matinée du 21 courant, victime d'un second assaut le jour suivant,
entré en agonie vendredi, lutta longtemps, fort, tenace, à la stupeur de
la science médicale désormais impuissante, contre la grande Ennemie,
et passa enfin de cette vie dans l'autre à deux heures cinquante du
matin, le 27 de ce fatal mois de janvier. »
C'est en ces termes qu'un journal qui depuis quarante-huit ans porte
le titre d'un des ouvrages les plus populaires du maître, il Trovatore,
annonçait à ses lecteurs la mort de Verdi. Le Titan, comme il l'appelle,
a lutté en effet contre la mort, inconsciemment, avec une étonnante
énergie. La vie avait peine à s'arracher de ce corps robuste, qui pendant
deux journées entières ne voulait pas la laisser échapper. Dès le pre-
mier moment le docteur Caporali, médecin ordinaire du maître, avait
souhaité le concours d'un de ses confrères, ne voulant pas assumer seul
une lourde responsabilité. On télégraphia au docteur Grocco, qui voyait
chaque année Verdi à Montecatini. Celui-ci arriva aussitôt, mais ne
put qu'approuver pleinement ce qui avait été fait par son confrère et
l'assistant de celui-ci, le docteur Odescalchi. Tous trois ne quittèrent
plus un instant le malade, voyant le mal s'accentuer de plus en plus et
restant impuissants à le combattre. Auprès d'eux demeuraient, avec la
nièce du maître, M""= Maria Carrara, ses deux plus intimes amis,
MM. Giulio Ricordi et Arrigo Boito.
Dés que la maladie fut coonue ce fut, dans tout Milan, une émotion
que l'on peut facilement comprendre, émotion qui se répandit dans
toute l'Italie. De Rome la maison royale, la reine Marguerite, le duc
d'Aoste faisaient demander des nouvelles d'heure en heure. Mardi
matin, au Sénat, le président annonçait la maladie de Verdi, faisant
des vœux pour son rétablissement. Le soir, à Milan, le syndic, M. Mussi,
faisait de même au conseil municipal. De toutes parts la foule accourait
aux portes de l'hôtel de Milan pour avoir des nouvelles et lire les bul-
letins des médecins.
Lorsqu'enfln, après cinq jours d'angoisses, ou sut que tout était fini,
lorsqu'on apprit que le maître s'était éteint, entouré, à son lit de mort,
de M°"' Carrara et Stolz, de MM. Arrigo et Gamillo Boito, Ricordi,
marquis Terzia, Giacosa, Giordano, Franchetti, les trois médecins
Grocco, Caporali et Odescalchi, don Adalberto Catena, le vénérable
prêtre octogénaire qui administra à Verdi les derniers sacrements, enfin
Teresa, la gouvernante du glorieux vieillard, la stupeur fut complète à
Milan. La nouvelle était annoncée par une afliche placardée dans les
rues, et la municipalité publiait une proclamation faisant l'éloge de
l'illustre compositeur. Presque toutes les maisons arborèrent des dra-
peaux cravatés de deuil. Beaucoup de magasins fermèrent leurs portes,
les écoles furent fermées, de même que les théâtres et tous les lieux de
plaisir. Le conseil communal fut convoqué pour prendre une décision
au sujet des funérailles, et il délibéra aussitôt de donner le nom de
Verdi à la rue San Giuseppe, qui côtoie la Scala, théâtre des triomphes
du maître. On s'arrachait les journaux qui donnaient la nouvelle de la
mort, tous encadrés de noir, et la consternation se lisait sur tous les
visages. C'était un véritable deuil public.
L'émotion n'était pas moins grande à Rome. Le roi, en son nom et
au nom de la reine, envoyait à la famille de Verdi un télégramme de
condoléances dans lequel il s'associait aux hommages de regrets et
d'admiration rendus par l'Italie et le monde civilisé à la mémoire de
Verdi, en qui la nation et l'art glorieux du pays faisaient une perte
irréparable. Le ministre de l'instruction publique adressait également
un télégramme de condoléances.
Au Sénat, la séance était consacrée tout entière à- Verdi. Bn voici le
rapide compte rendu :
Le président a pris la parole le premier. Après lui M. Saracco, c-hef du cabinet, a dit
que cette mort causait une douleur universelle, douleur ressentie du palais royal à la
cliaumière, de Rome au plus humble hameau. Le gouvernement s'y associe. Le discours
de M. Saracco a été vivement applaudi.
M Saracco a ensuite annoncé que, à moins que des dispositions testamentaires ne s y
opposassent, les obsèques de Verdi auront lieu auK frais de riîlat. .
Après un discours très applaudi de M. Foga.zaro, le Sénat a décide a 1 unanimité de
rendre à Verdi les mêmes honneurs lunèbres qu'à Manzoni, et de placer le buste en
marbre de Verdi dans une salle du Sénat. Il a décidé également d'envoyer une délégation
aux funérailles et de communiquer la délibération de l'assemblée à la famille de Verdi,
ainsi qu'aux municipalités de Milan et de Busseto.
La séance est ensuite levée.
Quant à la Chambre, elle a voté à l'unanimité les propositions sui-
vantes pour honorer Verdi :
1" Arborer un pavois de deuil pendant sept jours à la Chambre ; 2- envoyer des condo-
léances aux municipalités de Busseto et de Milan; 3' envoyer une commission de cinq
36
LE MÉNESTREL
membres avec le président pour assister à la cérémonie commémorative célébrée à Milan
trente jours après la mort de Verdi, les funérailles étant privées ; 4* lever la séance en
signe de deuil.
De son côté, le conseil municipal de Rome décidait de donner à une
rue de la capitale le nom de Verdi, de placer son buste au Capitole et
sur la promenade du Pincio, et enfin d'apposer une inscription sur la
façade de la maison habitée par le maître en 1859. La séance du
conseil fut levée ensuite en signe de deuil.
Parmi les innombrables dépêches parvenues à la famille de tous les
points de l'étranger, on signale celles des musiciens français, entre
autres MM. Massenet et Saint-Saëns, puis M""^'* Gounod et Ambroise
Thomas, et on remarque l'abstention des artistes allemands, entre
autres M . Siegfried Wagner.
Dés la première nouvelle parvenue à Paris de l'événement, M. Georges
Leygues, ministre de l'instruction publique et des beau.x-arts, adressait
à son collègue de Rome le télégramme suivant :
'■ La mort de Verdi met en deuil tout le monde de l'art. La France partage la douleur
de l'Italie et déplore avec elle la lin du maître glorieux qu'elle acclama tant do fois. Je
prie Votre Excellence d'agréer l'hommage de mes sentiments personnels de regret et
d'admiration. Le directeur des beaux-arts se rendra à Milan pour me représenter oinciel-
lement aux funérailles.
y G. Leygues. »
Le ministre italien répondait aussitôt par la dépêche que voici :
Rome, 29 janvier.
La France prenant part à la douleur de l'Italie pour la mort de Giuseppe Verdi atQrme
hautement la puissance universelle de l'art et la fraternité des peuples dans l'hommage
qu'ils rendent à ses manifestations.
Les expressions affectueuses qu'elle nous envoie en ce moment d'angoisse nous touchent
profondément. Je remercie de tout mon cœur Votre Excellence pour Fattestalion de vif
regret à l'oecasiOD de la mort du grand maitre et pour la décision prise de vous faire
représenter otïiciellement aux funérailles.
Le ministre: G.\llo.
Le gouvernement italien voulait faire en effet à Verdi des funérailles
nationales. Mais l'ouverture du testament du maître a dti faire aban-
donner ce projet. Verdi, en effet, demandait que ses funérailles soient
très modestes, qu'elles aient lieu au lever du jour ou à la tombée de la
nuit, sans musique, sans fleurs, sans discours, sans apparat militaire.
« Deux prêtres, deux cierges et une croix suffiront », disait-il. On dut
respecter ses volontés, et il fut décidé que la cérémonie funèbre aurait
lieu mercredi, à sept heures du matin, dans la modeste église Saint-
François-de-Paule, pour aller de là au cimetière monumental. Elle fut,
malgré tout, imposante, ainsi que le prouve le récit d'un de nos
confrères, riïc/io rfe /"orà, à qui nous empruntons les détails qui suivent:
Jamais aucun souverain, jamais aucun vainqueur n'a eu de funérailles plus belles que
celles de Verdi. Je n'ai jamais rien vu de plus simple, ni de plus grandiose, et on peut le
dire, bien que le mot puisse sembler ici paradoxal, rien de plus familial malgré l'énorme
aOluence. Les funérailles ont été vraiment ce que Verdi les a voulues, sans pompe, sans
démonstration officielle d'aucune sorte.
Et cependant toute la population milanaise est venue en foule. Elle est sortie tout
entière de chez elle avant l'aube, et sans crainte d'employer une expression banale et fausse,
je puis dire qu'elle s'est montrée recueillie. Ce fut un coup d'œil étrange, ce matin avant
sept heures, lorsque, au milieu d'un public silencieux, un cercueil enveloppé d'un drap
noir parut sur les épaules de quatre porteurs au sommet de l'escalier de l'hùtel où est
mort Verdi. 11 n'y avait dans le vestibule que les voyageurs, les membres de la famille
quelques amis et les personnes appelées là par leur devoir professionnel. Chacun, muet,
restait debout et découvert, tandis que la somlire caisse descendait, entourée de prêtres
en surplis blanc qui tenaient un cierge en main. Sur le drap noir pas d'inscription, pas
même un chiffre. On aurait pu croire que la dépouille enfermée là était celle du plus
inconnu des hommes, et du plus indifférent.
Quand nous sortîmes à la suite du cercueil, la rue était plongée dans l'obscurité d'une
nuit d'hiver que perçait çà et là la lueur de quelques lampes électriques. Je distinguai un
corbillard petit et extrêmement simple, sur leiiuel on hissa la bière sans y ajouter aucun
ornement d'aucun genre, ni croix, ni fleurs, ni couronne, ni tentures, ni initiales.
A. quelques pas derrière, j'aperçus une masse noirâtre qui occupait toute la largeur et
toute la profondeur de la rue.
Ni mouvement ni bruit.
C'était imposant à force de silence et de mystère; car on sentait bien que quelque chose
devait sortir de là, mais il était impossible de deviner quoi. Seulement, il y avait par ■
instants sur cette masse un frémissement léger comme celui d'une brise à travers le
feuillage des trembles, et 1 on pressentait qu'il y avait là une foule, mais une foule qui se
faisait violence pour se contenir,
Je n'entendis point de signal, pourtant le corbillard s'ébranla et partit; nous suivîmes.
En avançant, je remarquai que tout Milan était levé, que les fcnêlres étaient éclairées,
que les gens étaient debout à leurs balcons, leurs silhouettes noires se délachant devant
les lampes suspendues au plafond .
La distance est 1res courte de l'hôtel à l'église Saint-François do Paule, où nous nous
arrêtâmes. Le corps y fut introduit et déposé au centre, sur un petit socle. Il n'y eut point
de messe, mais les prêtres recitèrent quelques litanies. Je ne crois pas que le service ait
duré en tout plus de cinq minutes.
Nous nous remîmes en marche. Cette fois, la foule qui s'était d'abord tenue à distance
entourait le corbillard de tous cotés et cheminait avec lui, formant la plus confuse mais
aussi la plus volontaire, et par suite la plus belle de toutes les escortes. A mesure que
nous avancions l'aurore se levait, les luinières des rues et des fenêtres s'éteignaient, les
hornmesetleschoses reprenaient peu à peu leur aspect réel et l'on éprouvait mieux le
sentiment de la vie universelle — et quelle vie ! — toute une ville de cinq cent raille
âmes sortant paisible et sereine pour accompagner un mort. Dans toutes les rues, dans
les artères principales, dans les voies latérales, si loin que la vue pouvait s'étendre, ou
apercevait la foule, et encore la foule, toujours compacte. Les rues, comme des cuves, déver-
saient incessamment ; toutes les classes de la société y étaient représentées ; il y avait des
bourgeois, des petits marchands, des ouvriers, des dames bien mises, des grisettfs gen-
tilles, des pauvresses, la tête serrée dans un 6chu, des gamins lestes comine les nôti-esdont
beaucoup étaient perchés sur les arbres et dégringolaient à mesure que nous passions.
Au cimetière, il y avait une barrière d'agents, et la foule n'entra que peu à peu. La
tombe de Verdi est située vers l'entrée du cimetière, à gauche; c'est en ce moment un
caveau provisoire, sans ornement d'aucune sorte. On sait que Verdi a demandé à reposer
définitivement dans la maison de retraite qu'il a fait construire pour abriter sur leurs
vieux jours, les musiciens pauvres. ,.
Ces funérailles ont été simples, comme le maitre voulait qu'elles
fussent ; on voit qu'elles n'en ont pas moins été grandioses, par le
concours immense d'une population pieusement recueillie, qui témoi-
gnait de son admiration, de son respect et de son affection pour l'artiste
illustre dont la gloire universelle a rejailli sur' la nation et sur le pays
entiers. Mais cette gloire même ne perdra pas ses droits, et dans un
mois on doit célébrer à Milan, en l'honneur de Verdi, une cérémonie
commémorative dont la solennité promet de défier toute description et
qui sera vraiment l'apothéose du grand homme. Cette fois l'hommage
sera éclatant, et l'on peut dire que l'Italie entière y prendra part.
LA REINE VICTORIA ET LES MUSICIENS ALLEMANDS
Les relations entre la reine Victoria etMendeIssohn sont fort connues,
et notre collaborateur et ami Tiersot en a encore parlé récemment dans
le Ménestrel. Mais on sait peu que la défunte reine avait eu aussi quel-
ques rapports plus ou moins éloignés avec Beethoven et Richard
Wagner. Il est vrai que ses relations avec l'auteur de Fidelio offrent
plutôt un côté comique.
En 1845, la reine avait entrepris avec son mari le prince Albert un
voyage sur les bords du Rhin et, sur l'invitation du roi Frédéric
Guillaume IV de Prusse, était allée à Bonn pour assister, le 12 aoilt, à
l'inauguration du monument de Beethoven. Le maréchal de la cour,
chargé des arrangements nécessaires, avait retenu le grand balcon du
palais du comte de Furstenberg pour y placer le roi et ses invités, parmi
lesquels se trouvait aussi l'archiduc Frédéric d'Autriche.
Au moment oii on retira la toile qui cachait le monument, la cour
s'aperçut que Beethoven tournait le dos aux Majestés. Les dames
d'atour de la reine se mirent à rire tellement que la reine dut, elle aussi,
se détourner portr qu'on ne la vit pas éclater. Le roi de Prusse était fort
mécontent et s'écria tout haut : « Mais le bonhomme nous tourne le
dos! » Alexandre de Humboldt, qui était non seulement un grand savant
mais aussi un grand courtisan, et avait son franc parler à la cour, ré-
pondit alors au roi : « Majesté, de son vivant Beethoven a toujours été
un malotru (grober Keii); pourquoi aurait- il changé après sa mort? »
L'idée ne vint â personne que le maréchal de la cour aurait dû s'infor-
mer d'abord de la position du monument pour éviter à Beethoven cette
impolitesse posthume.
Trois jours plus tard, le IS aoiit, le roi de Prusse dédommagea la
reine Victoria en lui offrant au célèbre château de Stoizenfels un con-
cert plus que royal et dont une artiste survivante, la seule, pourrait
raconter les détails amusants : M°"^ Viardot-Garcia. En sa qualité de
directeur général de la musique, Meyerbeer dirigeait personnellement
ce concert, au programme duquel figuraient des artistes comme Liszt,
Vieuxlemps, Jenny Lind, M'"'= Viardot-Garcia, Tichatschek, le célèbre
ténor wagnérien de Dresde, Staudigl, la non moins célèbre basse chan-
tante de Vienne. Ajoutons que les cachets offerts par Meyerbeer, au
nom de sa Majesté, étaient fort peu élevés. C'est ce qu'on appelait alors
« chanter pour le roi de Prusse ».
Dix ans plus tard, la reine Victoria fit la connaissance de Richard
Wagner, qui était allé à Londres en 1833 pour y diriger quelques con-
certs. Les musiciens et la critique de Londres n'étaient guère favorables
au futur maitre de Bayreuth, et Davison, qui exerçait alors une influence
énorme comme critique musical du Times, avait même fait des allusions
fort méchantes à la situation de Wagner en tant qu'exilé politique. Dans
ces circonstances, le musicien fut doublement heureux d'être protégé
par la reine Victoria et par le prince Albert. Nous trouvons un joli récit
de l'entrevue du musicien avec ses protecteurs dans la Correspondance
de Wagner et de Liszt (traduction de L. Schmitt, Leipzig, Breitliopf et
Haertel, 1900, tome II, p. 92). C'est Wagner lui-même qui écrit à Liszt
ce qui suit :
Zurich, le 5 juillet 1855.
Je suis de retour à Zurich depuis le 30 juin; je suis revenu après avoir dirigé, le 25,
mon dernier concert à Londres. Tu as sans doute appris que la reine Victoria s'est très
LE MÉNESTREL
37
bien conduite à mon égard. Elle est venue avec le prince Albert assister au septième con-
cert, et comme ils désiraient entendre un morceau de ma facture, j'ai fait répéter l'ouver-
ture de Tannhauser, ce qui m'a procuré une petite satisfaction extérieure. Mais il paraît
réellement que j'ai beaucoup plu à la reine; elle s'est montrée si cordialement aimable
dans une conversation qu'elle a voulu avoir avec moi après la première partie du concert,
que j'en ai été vraiment touclié. Ce sont, ma foi, les premières personnes en Angleterre qui
aient osé se prononcer franchement, ouvertement pour moi. Si l'on songe qu'elles avaient
afTaire à un individu discrédité pour crime de haute trahison, décrié au point de vue poli-
tique et sous le coup d'un mandat d'amener, on m'approuvera certainement d'en être infi-
niment reconnaissant à tous deux.. .
Ce qui rend la protection du prince Albert particulièremeat piquante,
c'est que le mari de la reine Victoria appartenait à cette même maison
princière dont le chef, le roi de Saxe, ne pouvait pardonner à son ancien
kapellmeister l'affaire « politique » de 1849. Ainsi donc un prince de
Saxe-Cobourg, devenu le mari de la reine Victoria, voulait qu'on jouât
Tannhâuser à Londres, comme le grand-duc de Saxe-Weimar avait
voulu qu'on jouât Lohengrin â Weimar.
Dans sa lettre à Liszt que nous venons de citer,Wagner n'a d'ailleurs
pas communiqué à son ami tout ce qui s'était passé, car nous savons
que la reine avait dit au musicien que sa composition l'avait enchantée,
qu'elle s'était informée au sujet de ses autres œuvres et avait demandé
s'il n'était pas possible de les faire traduire en italien pour les jouer à
Londres. (Voir la Biographie de Wagner, par Glasenapp,3' édit., tome IL
p. 92.) Wagner, qui était â cette époque encore fort intransigeant, décla-
rait cette traduction impossible et laissait ainsi échapper une excellente
occasion de produire son Tavnh'àuser. qu'il fit cependant représenter
plus tard en langue française. Le maître a d'ailleurs vécu assez long-
temps pour voir que la traduction de ses œuvres en italien n'avait
rien d'impossible.
O. Berggruen.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le programme du dernier concert du Conservatoire, absolument admirable
et dont l'exécution était au-dessus de tout éloge, s'ouvrait par la symphonie
en Si f) de Beelhoveen, la quatrième, celle qui précède la Symphonie héroï-
que et la Symphonie en ui mineur. Moins majestueuse que celles-ci, d'une
ampleur moindre dans ses développements, elle n'en est pas moins d'une
beauté achevée, et son adagio surtout est une merveille de poésie mélanco-
lique et pénétrante, dont les accents vont jusqu'au plus profond de l'àme.
Berlioz avait raison de dire que o ce morceau semble avoir été soupiré par
l'archange Michel, un jour où, saisi d'un accès de mélancolie, il contemplait
les mondes, debout sur le seuil de l'empyrée ». Il a été dit par l'orcbestre
avec le sentiment le plus exquis, de façon à en faire ressortir tout le charme,
toute la grâce et toute la beauté. Quant à l'allégro et au finale, ils ont été
rendus avec une verve, une ardeur, une chaleur communicative vraiment
incomparables. Nous avions ensuite, chef-d'œuvre dans un chef-d'œuvre, le
troisième acte de l'Armide de Gluck, cette Armide que l'Opéra, hypnotisé par
Wagner, se refuse absolument à nous donner, et qui n'eiit jamais du quitter
son répertoire, pas plus que le Cid et Horace ne doivent quitter le répertoire
de la Comédie-Française. Les airs d'Armide, celui delà Haine, les récitatifs,
les chœurs et les danses des démons, tout cela est d'une grandeur et d'une
splendeur dont il est difficile de se faire une idée, tout cela est du théâtre le
plus vigoureux, le plus dramatique et le plus émouvant. C'est M™ Jeanne
Raunay qui nous représentait Armide, et il serait difficile de joindre à une
voix plus mordante et plus saine un sentiment pathétique plus puissant et
un style à la fois plus pur, plus noble et plus irréprochable. Il n'est pas besoin
de dire si son succès a été complet et mérité. Elle était d'ailleurs fort bien
secondée par M'°s Chrétien-Vaguet, dont la belle voix et l'excellente décla-
mation ont brillé dans le rôle de la Haine. Un triple rappel a prouvé aux
deux cantatrices la complète satisfaction de leurs auditeurs. Après Armide
venait l'adorable Suite en si mineur de J.-S. Bach, où, seule, une flûte se
mêle à l'orchestre des instruments à cordes, et qui a valu à M. Hennebains
une ovation bien méritée. Les chœurs nous ont chanté ensuite, avec leur
ensemble et leur soin habituels, un motet très harmonieux, Tencbrœ factœ
suni, de Michel Haydn, le frère du grand Haydn, et le délicieux lied de Men-
delssohn, le Chanteur des bois, dont ils ont su faire ressortir toute la grâce
juvénile et toute la fraîcheur. Et le concert se terminait par l'étincelante et
chevaleresque ouverture à'Euryanthe, page épique et digne du grand nom de
Weber, à qui, quoi qu'on en dise, le génie de Wagner est bien redevable de
quelque chose. A. P.
— Concert Colonne. — L'ouverture de Coriolan a été composée sur la
demande d'un jurisconsulte nommé Henri de Gollin, auteur d'une tragédie
probablement médiocre. Il utilisait ses loisirs en écrivant des œuvres poé-
tiques, et ses bonnes relations avec Beethoven lui valurent une gracieuseté
musicale dont nous profitons largement aujourd'hui. On a dit de celte
ouverture, non sans un peu d'emphase : Elle ajoute à l'idée de la grandeur
romaine. — J'aimerais à placer sous l'égide de Beethoven un lout jeune
artiste que ses tendances sérieuses et une sorte de dédain grave et fier de ce
que l'on recherche habituellement pour produire de l'ellèt recommandent
très hautement à notre sympathie. M. Georges Enesco, compositeur et vio-
loniste, se présentait à nous sous ce dernier aspect. Il a des qualités très
spéciales ; une sonorité toute particulière, voilée et parlante. Chaque note
porte, et pourtant la simplicité de style est grande; mais un phrasé très per-
sonnel prête à l'ensemble de l'œuvre exécutée un caractère de mélancolie et
de sincérité. Cette œuvre était la Symphonie espagnole de Lalo. Rarement cette
suite pour violon et orchestre, si intéressante et si ingénieuse, a été rendue avec
un sentiment aussi pénétrant. — Le concerto pour piano, composé et exécuté
par M. Cesare Geloso forme avec elle un brillant contraste. Les deux inter-
prètes ne se ressemblent guère non plus. Il s'agit maintenant d'un morceau
plein de chaleur, de vie à outrance, peu original, mais très entraînant, ren-
fermant des idées, mais n'importe lesquelles, et très bien écrit pour le piano
sous le rapport des combinaisons de sonorité de l'instrument-solo avec l'or-
chestre. Les deux virtuoses, M. Enesco et M. Geloso, ont été fort appréciés,
le premier à cause de son jeu net, lin, alerte et délicat, le second à cause de
sa bravoure. On a fêté aussi M. Kalisch, qui a dît avec une voix extrême-
ment bien posée et slire le duo de Tristan et Isolde, où M™ Adiny et M"|= Louise
Planés lui ont donné vaillamment la réplique. — Pour finir, la marche militaire
française de Saint-Saëns, extraite de la Suite algérienne, a sonné joyeuse-
ment. Amédée Bo'jtarel.
— Aux concerts Lamoureux on donnait une troisième audition de l'Or du
Rhin. Nous n'avons pas à y revenir, notre regretté collaborateur Barbedette
(voir la nécrologie) et M. Boutarel s'étant déjà exprimés librement à ce sujet.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche;
Conservatoire ; Symphonie en si bémol (Beethoven). — Troisième acte d'Armide (Gluck),
par M"" Jeanne Raunay et Chrétien-Vaguet. — Fragments de la suite en si mineur
(J.-S. Bach). — A. Tenetirai factœ sunt (Michel Haydn), et B. le Cliantmr des bois (Men-
delssohn), chœurs sans accompagnement. — Ouverture (VEuryanthe (Weber).
Châtelet, concert Colonne: Symphonie écossaise, n" 3 (Mendeissohn). — Air de concert,
op. 9/1 (Mendeissohn), par M'"" Adiny. — Concerto en so/ mineur pour piano (Mendeis-
sohn), par M"« Seguel. — Air à^Oihcllo (Verdi), par M. Kalisch. — Deuxième scène du
2' acte de Tristan et Yseult (Wagner,, par M. Kalisch, M""' Adiny et Planés. — Le Songe
d'une nuit d'été (Mendeissohn).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Symphonie
inacfieive (Schubert). — Peltéas et Mélisande (Fanré). — Concerto en mi bémol (Beetho-
ven), par M. Lamond. — Schéhérazade (Rimsky-Korsakow). — Concerto pour deux violons
(Bach), par MM. Séchiari et Soudant, — Marche héroïque (Saint-Sacns).
NOUA^ELLES DIA^ERSES
ÉTRANGER
Voici, sinon le teslamenl, du moins la lettre que Verdi a laissée à sa
nièce, M'"^ Carrara, et qui fait connaître ses dernières volontés ;
25 avril 1898.
A ma DÎèce Maria Carrara,
Il est bon de t'avertir que lu trouveras dans mes coffres-forts et dans plusieurs meubles
assez d'argent pour la fidèle exécution de mes dernières volontés; pour ce, je t'autorise
aussi à employer le surplus des actions de ciiemins de fer destinées k l'hospice que je
fais construire actuellement en dehors de la porte Magenta.
Mes funérailles seront très simples ; on les fera soit au point du Jour, soit le soir, à
VAngelus^ sans musique ni chant.
Deux prêtres, deux cierges et une croix suffiront.
Le lendemain de ma mort, on distribuera mille francs aux pauvres de Sant'Agata.
Je ne désire aucun honneur.
G. Verdi.
Comme je l'ai déjà dit, je laisse à l'hospice que Ton est en train de bâtir cinquante
mille francs de rentes, cinq cents actions des chemins de fer méditerranéens, mes droits
d'auteur, enfin, deux cent mille francs qui me reviennent de la maison Ricordi.
Pour les autres legs, s'élevant à 95.000 francs, tu emploieras les 340 actions méditer-
ranéennes et les 100 actions méridionales qui restent.
Dans les rolfres-forts de Sant'Agata, tu prendras quatre lettres cachetées que tu
remettras pieusement à leurs destinataires.
G. Verdi.
Les exécuteurs testamentaires sont Arrigo Boito et l'éditeur Ricordi.
Et voici la transcription exacte de l'acte de décès de Verdi :
a L'an 1901, le 27 janvier, à dix heures vingt minutes du matin, dans la « Casa com-
munale s et par devant moi, commandeur Joseph Mussi, maire et officier de l'état civil de
la commune de Milan, ont comparu Campanari Humbert, Agé de trente-cinq ans, avocat,
et Beltrami Luca, âgé de quarante ans, architecte ; lesquels ont déclaré que, aujourd'hui,
à deux heures cinquante du matin, dans la maison située rue Manzoni, n" 29, est décédé
Verdi (Giuseppe), âgé de quatre-vingt-sept ans, maître de musique, résidant à Sant'-
Agata (Busseto), né à Roncole (Bussetoi, de feu Charles, commerçant, autrefois domicilié
à Busseto, veuf en premières noces de Marguerite Barezzi et, en secondes noces, de
Giuseppina Strepponi.
» Sont également présents à cet acte les témoins Misa Francesco, âgé de trente-neuf
ans, et Picozzi Modesto, âgé de quarante-huit ans, avocat, tous deux demeurant dans cette
commune. » Suivent les signatures.
Quelques détails encore :
Le Pape, qui avait envoyé sa bénédiction à Verdi, a ordonné de célébrer,
en sa mémoire, un service de Requiem à la chapelle Sixtine. — Le sculpteur
Secchi, ami de Verdi, a moulé son masque sur son lit de mort, et le peintre
Hohenstein a reproduit pour la dernière fois les traits du maître. — Le coa-
38
LE MÉNESTREL
seil municipal ileBusseto, réum à l'occasion de la mort de Verdi, a approuvé
diverses propositions pour honorer sa mémoire, entre autres celle tendant à
ouvrir une souscription pour lui élever un monument à Busseto. Le conseil
a souscrit 20.(KX) lire. — C'est M. Giacosa, l'écrivain dramatique et le libret-
tiste bien connu, qui prononcera l'éloge funèbre de Verdi dans la solennité
qui aura lieu dans im mois, à Milan, en son honneur.
— Dernière heure : On vient d'ouvrir le testament de Verdi, qui était dans
l'étude du notaire Carrara. Il est composé de six pages couvertes d'une écri-
ture large, mais fine. Il a été écrit à Milan le 14 mai 1900, et contient de
nombreuses dispositions dont voici les plus importantes.
Verdi a institué sa nièce Maria Verdi, mariée au docteur Carrara, héritière
universelle. Comme nous l'avons dit, l'auteur de Rigoletto laisse une rente
annuelle de SO.OOO francs à la maison de retraite pour les musiciens. Le
domaine de Castellazzo est laissé à l'hôpital de Villanova avec une rente
annuelle de -20.000 francs, mais à charge pour cet établissement d'un dou
annuel de 1.000 francs à l'asile d'enfants de Cortemagginre. Trois propriétés
reviennent au Mont-de-Piété de Busseto avec obligation pour ce dernier
d'instituer une pension de 1.000 francs par au à l'asile infantile de cette loca-
lité et, en outre, de distribuer annuellement une somme de "20 francs à cin-
quante familles pauvres de la localité. La ville de Gênes est favorisée de
plusieurs legs, notamment d'une somme de 20.000 francs aux asiles d'enfants,
et une autre somme de 30.000 francs aux asiles pour les rachitiques, sourds-
. muets et aveugles.
Le domaine de Piantadoro, d'une contenance de plus de 200 hectares, est
laissé à quelques parents éloignés du maitre. Enfin, tous les amis et servi-
teurs de Verdi reçoivent des legs plus ou moins importants. Le docteur
Carrara, mari de M»'" Verdi-Carrara, hérite de la montre et de la chaîne d'or
que Verdi portait depuis cinquante ans.
La fortune laissée par Verdi dépasse la somme de 6 millions de francs. Le
grand compositeur touchait environ 200.000 francs par an de droits d'auteur.
La plus grande partie de ces droits ira à la maison de retraite de Milan ; le
reste reviendra à M°"= Verdi-Garrara, héritière universelle de l'illustre défunt.
Verdi a fait suivre son testament de quelques conseils aux jeunes compo-
siteurs. C'est une page que l'on pourrait appeler le testament artistique de
Verdi.
J'aurais voulu, écrit Verdi, mettre pour ainsi dire un pied sur le passé et l'autre sur
le présent et l'avenir, parce que la musique de l'avenir ne me fait pas peur. J'aurais dit
aux jeunes disciples : Exercez-vous à la fugue d'une manière constante, obstinément,
jusqu'à ce que votre main soit devenue suttisamment libre et forte pour plier la note à
votre volonté.
Appliquez-vous aussi à composer avec confiance, i bien disposer les parties et à moduler
sans alfectation ; étudiez Palestrina et quelques-uns de ses contemporain?, ensuite passez
à Marcello et portez spécialement votre attention au récitatif ; assistez à quelques repré-
sentations d'œuvres modernes sans vous laisser éblouir par les nombreuses beautés har-
moniques et instrumentales, ni par l'accord de « la septième diminuée », écueil et réfutée
de ceux qui ne savent pas écrire quatre mesures sans employer une demi-donzaine de ces
septièmes.
Faites ces études jointes à une forte culture littéraire, et j'ajouterai finalement : Et
maintenant, mettez une main sur votre cœur, écrivez, et — en admettant un tempérament
artistique — vous serez compositeur.
Le Sénat italien a approuvé, dans sa séance d'hier, un projet du ministre
de l'instruction publique déclarant monument national la maison où naquit
Verdi, à Roncole, et autorisant l'inhumation des restes du grand compositeur
et de ceux de sa femme dans la maison de retraite pour les musiciens fondée
par Verdi à Milan.
— L'Académe de Sainte-Cécile, dont le directeur est M. Sgambati, a souscrit
une somme de 2.000 francs pour le monument à élever à Verdi dans la Ville
Éternelle. En outre, elle a demandé que des inscriptions soient gravées au
palais Varelli et à l'hôtel du Quirinal, que Verdi habita en 1839 et en 1S93,
lorsque furent représentés à Rome an Ballo in masckera et Falstaff.
— Une belle solennité commémorative vient d'avoir lieu au théâtre de la
Scala au profit du monument de Verdi qu'on se propose d'ériger à Milan.
L'orchestre et plusieurs artistes de marque, parmi lesquels Tamagno, venu
exprès de Monte-Carlo, ont interprété des fragments de tous les opéras de
Verdi, en dehors des quatre derniers (Don Carlos, Aida, Otello et Falstaff), et
le poète Giuseppe Giacosa a prononcé l'éloge du défunt maitre. La recette a
été des plus brillantes.
— Les deux derniers oratorios de don Lorenzo Perosi, il Natale et la Strage
degli Innocenli, seront exécutés pour la première fois, en carême, au théâtre
Royal de Turin, par un ensemble de 3S0 exécutants, sous la direction de
l'auteur. Ce sera l'orchestre municipal, composé de 100 artistes, avec r.4.ca-
démie chorale Stefano Tempia. Au nombre des solistes se trouvera, au pre-
mier rang, le célèbre chanteur Kaschmann. C'est le Natale qui sera e.xécuté
le premier, le 23 février.
— Au service qui a eu lieu dans l'abbaye de Westminster à l'occasion des
obsèques de la reine Victoria, la musique a joué un grand rôle. L'orgue et
un orchestre d'instruments à vent avec une batterie complète ont exécuté un
programme approuvé par la nouvelle reine Alexandra et qui ne manque pas
d'intérêt. Il ofl'rait d'abord la Marclw funèbre écrite en 1844 par le composi-
teur danois Hartmann père à l'occasion des obsèques du sculpteur Thorvald-
sen, une Élégie arrangée par Sir Frederick Bridge d'après le Requiem de
Verdi, la Marche funèbre de Beethoven, le cantique les chemins de Sion sont en
Deuil, de Haendel, écrit en 1727 pour les obsèques de la reine Caroline, et les
Marelles funèbres de Chopin et de Saiil, de Haendel.
— La mort de la reine Victoria n'entravera pas la saison lyrique de Covent-
Garden, comme on l'avait redouté d'abord, car le roi Edouard VII vient de
limiter au 7 avril le demi-deuil à porter. Les précédents sont d'accord avec
cette décision du nouveau roi. En juin 1837, à la mort du roi Guillaume IV,
prédécesseur de la reine Victoria, la saison de Londres battait son plein;
mais les théâtres ne furent fermés que le jour des obsèques. La Pasta au
« théâtre de Sa Majesté » et la Schroeder-Devrieut à Drurj'-Lane continuèrent
leurs représentations, et trois semaines après la mort du roi la « Société
d'harmonie sacrée » fit exécuter une cantate rapidement composée en l'hon-
neur de la jeune reine Victoria.
— Des goûts et des couleurs on ne peut discuter, même — ou plutôt surtout
— en matière musicale. Dans une récente interview, le grand écrivain anglais
Ruydard Kipling a déclaré à son interlocuteur qu'il n'aime pas Wagner, un
peu Bach, Gounod tout entier, qu'il abomine Beethoven, mais qu'il a une
véritable adoration pour Offenbach. Voilà un ensemble d'impressions qui ne
manque pas de quelque originalité.
— On nous écrit de Vienne : o La mort de Verdi a produit ici une profonde
impression, car ses œuvres tiennent encore une place assez considérable au
répertoire de l'Opéra impérial et le maitre était personnellement connu de
deux générations. Il était venu à Vienne pour la première fois en 1843, à
une époque où l'opéra italien tenait encore le haut du pavé, pour diriger
Nabucco, son premier opéra à succès; trente ans plus tard le maître sexagé-
naire revint, après le succès énorme de son Aïda, pour faire entendre aux
Viennois son Requiem en l'honneur de Manzoni. Dans le quatuor célèbre des
solistes qui interprétaient cette œuvre et qui étaient arrivés avec le maitre
se trouvait une Viennoise, le contralto M""" Waldmann. Le succès du
Requiem ne fut pas plus grand que le succès personnel de son auteur; Verdi
fut reçu avec autant d'honneurs que Richard Wagner en 1871. Dans ces
conditions il ne faut guère s'étonner qu'on s'empresse en Autriche d'hono-
rer la mémoire du maitre qui, né sous la domination française et après avoir
vécu plus d'un demi-siècle sous la domination autrichienne, a fini son exis-
tence comme sénateur de la nouvelle Italie. Un comité sous la présidence du
comte de Furstenberg s'est donc formé à Vienne pour faire exécuter le
Requiem de Verdi et offrir le produit de cette solennité musicale au fonds de la
souscription italienne pour la statue du maître. A Trieste le conseil muni-
cipal a donné, selon la mode italienne, le nom de Verdi au théâtre muni-
cipal; une belle rue de la ville va également recevoir le même nom. »
— La censure de Vienne est devenue tellement pudibonde qu'elle vient
d'interdire la représentation d'une nouvelle opérette intitulée te Paradis des
dames, musique du baron Victor Erlanger, qui devait passer au Theater an
der Wien. La censure a trouvé le livret trop égrillard. On peut se demander
jusqu'à quel point l'auteur du livret a pu donner carrière à sa fantaisie, car
la censure viennoise a toujours été très paterne lorsque la politique n'était
pas enjeu. Après des pourparlers laborieux avec les auteurs et après quelques
modifications, la censure a finalement permis la représentation de cette opé-
rette, qui a passé avec une semaine de retard.
— A Francfort s'est ouvert récemment une Exposition-Berlioz, dont la col-
lection d'un citoyen de -cette ville, celle de M. Manskopf, a fourni les princi-
paux numéros. Peu d'autographes et de documents originaux dans cette
Exposition, mais une réunion assez complète de pièces imprimées, de jour-
naux, programmes de concert, partitions, reproductions de portraits du maî-
tre, de sa femme et de quelques contemporains, ainsi que beaucoup de pièces
ayant trait aux artistes qui ont propagé l'œuvre de Berlioz, surtout en Alle-
magne. On y trouve même les belles compositions lithographiées que M. Fan-
tin-Latour a consacrées à l'œuvre de l'auteur des Troyens.
— De Tournai : Nous venons d'avoir la première représentation de Saplio,
de MM. Henri Gain et Massenet. L'œuvre vivante et émue du maitre français
a remporté un succès d'enthousiasme, succès comme nous en vîmes rare
ment. La salle, archibondée a été, toute la soirée, empoignée et ravie. Dans
l'interprétation il faut mettre hors de pair M"« H. Hetner, qui s'est révélée,
toute jeune, artiste de tempérament dans le rôle de Sapho, et complimenter
M"' Durand, MM. Gazette et Dumas, ainsi que le directeur, M. Gréteaux,
pour les soins qu'il a employés à bien monter cette œuvre d'un sentiment si
moderne. — En mars prochain notre célèbre Société de musique donnera la
première audition, ici, de la Terre promise, le nouvel oratorio de M. Massenet.
L'illustre auteur a promis de venir à Tournai à cette occasion.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Ou a vu plus haut que dès l'annonce de la mort de Verdi, M. Leygues,
ministre de l'instruction publique, avait délégué pour le représenter aux
funérailles M. Henri Roujon, directeur des beaux-arts. En même temps il
télégraphiait à M. Guillaume, directeur de l'Académie de France à Rome,
de se rendre lui-même à la cérémonie et d'y assister avec une délégation des
élèves de l'Académie. De son côté, l'Académie des beaux-arts, dont Verdi
était membre correspondant, avait délégué, pour la représentera Milan, deux
de ses membres, MM. Gustave Larroumet et Théodore Dubois. Toutes ces
mesares ont été rendues inutiles par la volonté de Verdi, d'être inhumé sans
cérémonial.
— Il n'est pas sans intérêt de rappeler quelle a été, à Paris, la carrière des
ouvrages de Verdi. Nous ne pouvons malheureusement parler de feu notre
Théâtre-Italien, au sujet duquel les renseignements quelque peu précis nous
LE MENESTREL
39
feraient absolument défaut. Mais voici quelle est la situation en ce qui con-
cerne les autres théâtres :
Opéra. — Jérusalem (l'= représentation le 26 novembre 1847), 33 représen-
tations; — Louise Miller (2 février 18S3), 8; ■ — Les Vêpres siciliennes (13 juin
ISoS), 81; — Le Trouvère (12 janvier 18S7), 219; — Dm Carlos (11 mars 1867),
43; — Aïda (22 mars 1880), 212; — Rigoletlo (27 février 188S), 133; — Othello
(12 octobre 1894), 38.
Opéra-Comique.— La Traviata (12juinl886), 12S ; — Fa/s(a;f (18 avril 1894), b7.
Théatrk-Lyrique. — Rigoletlo (24 décembre 1863), 243 ; — Violetta [la Tra-
viata] (27 octobre 1864), 102; — Macbeth (21 avril 186b), 14; — ie Bal masqué
(17 novembre 1869), 63.
Opéra-Populaire. — Im Traviata (décembre 1900), 14.
L'n autre ouvrage de Verdi, les Brigands (i Masnadieri), a été représenté au
théâtre, aujourd'hui disparu, de l'Athénée, le 3 février 1870, mais nous avouons
manquer de détails à son sujet. Du relevé ci-dessus il résuite que le nombre
des représentations françaises des ouvrages de Verdi à Paris atteint le chiffre
de 13Si, que le nombre de ces ouvrages s'élève à 12, et que ceux qui ont été
joués le plus souvent sont Rigoletlo, qui donne un total de 37G représentations,
la Traviata, qui en compte 241, le Trouvère 219 et Aïda 212. Par contre, celui
qui a été le moins joué est Louise Miller, qui n'a réuni que 8 représentations.
Les plus grands artistes ont été mis au service des oeuvres de Verdi dans nos
divers théâtres. Il suffira de citer les noms de Duprez, Faure, Obin, Bon-
nehée, Ismaël, Maurel, et de M™* Sophie Cruvelli, Angiolina Bosio, Guey-
mard, Marie Sasse, Christine Nilsson, Gabrielle Krauss, Rose Caron et Deina.
— Rien de bien saillant dans les croix de janvier du ministère des beaux-
arts, si ce n'est celle accordée au vaillant chef d'orchestre de l'Opéra-Comique,
M. Luigini, qui la méritait à tous égards. On a récompensé aussi les longs
services de M. Levéque, le distingué directeur du Conservatoire de Dijon.
Mais combien toujours d'artistes méritants, musiciens ou écrivains, semblent
écartés systématiquement, sans que jamais leur tour arrive. Combien voient
passer devant eux, qui sont blanchis sous le harnais, de jeunes concurrents
qui n'ont pour eux que leur belle audace ou l'amitié... des Dieux. C'est bien
décourageant.
— Dans son avant-dernière séance, l'Académie des beaux-arts a entendu
la lecture de M. Gustave Larroumet, secrétaire perpétuel, sur les envois de
Rome, et dans la dernière elle a procédé à l'élection des jurés adjoints pour
les concours des prix de Rome. En ce qui concerne la musique elle a nommé
jurés, MM. A. Duvernoy, Paul Hillemacher et Charles Jjefebvre; jurés sup-
pléants, MM. Gabriel Fauré et Ch.-M. Widor.
— Les Petites Affiches publient un extrait de l'acte de société ayant pour
objet Cl l'exploitation du privilège du théâtre national de l'Opéra ». La raison
sociale est: P. Gailhard. La durée de la société sera égale à celle du privi-
lège, c'est-à-dire de six années, qui prendront fin le 31 décembre 1906. Le
capital social est de SOO.OOO francs en espèces, versé aux mains de M. Gailhard.
M. Gailhard apporte à la société une somme de 100.600 francs, faisant partie
des SOO.OOO francs, son industrie, ses soins et la jouissance du privilège, tel
qu'il lui a été concédé par arrêté du ministre de l'instruction publique et des
beaux-arts. La société sera gérée et administrée par M. Gailhard, qui aura
seul la signature sociale, et qui ne pourra céder sa gérance. En cas de perte
de 300.000 francs sur le capital social, défalcation faite des bénéfices acquis,
la société pourra être dissoute si M. Gailhard le juge convenable. En cas de
décès de M. Gailhard, la société sera dissoute.
— A l'Opéra, on espère pouvoir donner la première représentation i'Astarté
vers le milieu du mois. M. Gailhard s'est donné pour cela, toute cette semaine,
un mal énorme. On ne compte plus les gilets de flanelle que l'ardent direc-
teur a mouillés pour la circonstance. Espérons qu'il sera récompensé de ses
efforts et qu'il lui arrivera au moins une fois, en quinze années de direction,
de décrocher une véritable timbale d'argent avec une partition française de
son choix et non encore éprouvée sur une scène étrangère. Cela est bien dû
à sa constance digne, d'un meilleur sort, et aussi d'ailleurs à sa haute compé-
tence.
— L'Opéra-Comique annonce pour vendredi prochain la première repré-
sentation de la Fille de Tabarin, la nouvelle comédie lyrique de MM. Victo-
rien Sardou, Paul Ferrier et Gabriel Pierné. — M'" Mastio a fait, jeudi, sa
gracieuse apparition dans Manon, M. Maréchal chantant Des Grieux. Agréable
soirée. — On a entendu dans Fidelio un nouveau ténor, M. Garet, qui a été
accueilli avec sympathie par les abonnés.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, la
Basoche, le Chalet; le soir. Mignon.
— M. Albert Carré vient d'arrêter ainsi le programme de la matinée qui
sera donnée le jeudi 7 février, à l'Opéra-Comique, au bénéfice de la Caisse
des pensions viagères des artistes de l'orchestre, des chœurs et du personnel
de scène du théâtre :
1° I^remière audition de l'Intermezzo de Henri Heine, visions lyriques en dix scènes,
ua prologue et un épilogue, musique de M. Gaston Lemaire. Interprété par M"" Marié
de î'Isle, MM. Carbonne, Allard, l'orchestre et les cliœurs de l'Opéra-Comique, sous la
direction de M. Luigini. Le récitant : M. Brémoot.
2" tJne partie de concert ;
Mélodies de Massenet, par M"' Sybil Sanderson; l'Absence, de Berlioz, par M"" Jeanne
Raunay ; chansons, par M"" Anna Judic ; Ave Maria de Gounod, chanté par toutes les
premières chanteuses de l'Opéra-Comique.
3° Duo de Richard Cœur-de-Lion (Grétry), chanté par MM. Maréchal et Iinfrane.
4° La Main, mimodrame en un acte, de M. H. Bérény, interprété par M"» Charlotte
Wiehe et M. Séverin-Mars.
On commencera par la Chercheuse d'esprit, opéra-comique en un acte, de
Favart. joué par les artistes de l'Opéra-Comique. Enfin, le célèbre ténor
allemand M. Kalisch a également promis son concours pour cette magnifique
matinée.
— A peine rentré d'Alger M. Gustave Charpentier a dû, dès lundi dernier,
requitter Paris, partageant son temps entre Lille et Bruxelles, où il surveille
les dernières répétitions de sa Louise. La première représentation est, en
effet, annoncée à Lille pour mardi prochain, et à Bruxelles pour jeudi.
— La commission de surveillance de la loterie des artistes dramatiques,
réunie sous la présidence de M. Georges Berger, député, a décidé de deman-
der à M. le ministre de l'intérieur de fixer irrévocablement au 31 mai
prochain le seul et unique tirage de la loterie, pour lequel la date du
2 février avait été arrêtée. M. le ministre de l'intérieur a donné son autorisa-
tion.
— Du courrier de M. Alfred Delilia au Figaro : Un vol singulier vient d'être
commis à l'exposition des autographes musicaux qui se tient dans la biblio-
thèque de l'Opéra. On a forcé une vitrine et enlevé les photographies des com-
positeurs suivants : Jenii Hubay, Hans Kœssler, Raoul Mader, Joseph Suk,
Th. Leschetizky, Napravnik, Rozkosny, L. de Wenzel et Spiro Samara. La
célébrité de ces musiciens étrangers (Autrichiens presque tous) ne semblait
pas telle qu'elle dût tenter des voleurs; il faut croire cependant qu'il y aura
toujours des gens pour se payer à bon marché la tête des compositeurs,
même obscurs.
— La Conférence des avocats vient de donner une petite leçon aux épouses
légitimes que pique la tarentule de la scène. A sa dernière séance hebdoma-
daire, le thème en discussion était le suivant : « Les tribunaux peuvent-ils
contre le refus du mari, autoriser une femme mariée à contracter un enga-
gement théâtral? » La Conférence a répondu résolument par la négative.
— Il s'est trouvé un brave pour prendre aux Bouffes-Parisiens la succession
de la direction défunte, c'est M. Tarride, l'excellent comédien qu'on sait.
Il commencera par un opéra-bouffe en trois actes et quatre tableaux de
MM. G. A. de Gaillavet et Robert de Fiers, les Travaux d'Hercule, musique
de M. Claude Terrasse.
— Au Cercle philharmonique de Bordeaux, concert sensationnel avec le
concours de Francis Planté, de V«'idor et de M""" Rose Caron, un trio d'ar-
tistes comme on n'eu rencontre guère. Planté a été merveilleux et éblouis-
sant, plus en doigts et plus en talent que jamais, dans la fantaisie pour
piano et orchestre de Widor et dans celle de Périlhou. Il a joué aussi le
Wedding cake de Saint-Saêns, et, avec MM. Widor et Joseph Thibaud, le
concerto de Bach pour trois pianos et orchestre à cordes. M"" Caron a dit
d'admirable façon un air de la Damnation de Faust, le Songe d'Iphigénie en
Tauride, une mélodie de Widor et Myrto, de Delibes. M. Domergue de la
Chaussée conduisait l'orchestre.
— Fort beau programme au dernier concert classique de Marseille, sous la
direction de M. Paul Viardot. Il y a eu, entre autres numéros, tout un gros
succès pour un concerto de M. Noël Desjoyeaux, pour violoncelle, dans l'exé-
cution duquel M. Holmann s'est couvert de gloire, le compositeur lui-même
dirigeant la partie orchestrale. M. Holmann a, de plus, exécuté un Adagio de
Molique et une Mazurka de sa composition, qui lui a été bissée. La basse
Lorrain a chanté noblement les Adieux de Wotan, et M. Viardot a fait en-
tendre une symphonie de Haydn et la suite en ré de Bach.
— De Nice : Les grandes représentations données par M"» Delna et
M. Gibert, à l'Opéra de Nice, obtiennent auprès du public un très grand
succès. Jeudi, Werther a remporté un véritable triomphe.
— De Lyon :Au troisième concert de l'Association symphonique, dirigé
par MM. Jemain et Mirande, le jeune violoncelliste Richet a remporté un
très beau succès dans le concerto de Lalo et Varia de Bach, qui a été bissée.
Une jeune cantatrice suédoise. M™ Tia Kretma, a également fait apprécier
une voix souple et une excellente méthode dans deux airs d'Haydn et de
Wagner. La partie symphonique comprenait la symphonie Jupiter de Mozart
les Eolides de César Franck et l'ouverture de Paulus, de Mendelssohn.
— On nous apprend de Toulouse que la société la Tolosa prépare, pour son
grand concert annuel, une exécution du Baptême de Clovis, de M. Théodore
Dubois, que l'auteur viendra diriger lui-même. Dans la même séance M. Francis
Planté exécutera le premier concerto de piano de M. Théodore Dubois, qui
lui a été dédié par le compositeur.
— L'amusante opérette de MM. Maurice Hennequin, Mars et Victor Roger,
les Fêtards, qu'on vit trop peu au Palais-Royal et qui depuis remporta de si
retentissants succès à l'étranger, commence à revenir en France et s'y signale
par de véritables triomphes de fou rire, comme il vient d'arriver à Toulouse.
Avant qu'il soit longtemps, gageons que nous reverrons cette spirituelle fan-
taisie à Paris, au théâtre des Variétés, où le llair bien connu de M. Samuel
ne peut tarder à la ramener.
40
LE MÉNESTREL
v
— Voici le programme de la 9' séance que donnera la « Société des Mati-
nées artistiques Populaires », mercredi prochain, à 4 heures 1/2 précises, au
théâtre de la Renaissance, sous la direction de M. Jules Danbé : 5'' quatuor,
(Beethoven, 1770-1827), MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes. —
A. Au désir, poésie de SuUy-Prudhomme. B. Dormir et rêver, poésie de Geor-
ges Boyer. G. L'Oubliée, poésie de Grandmougin (Théodore Dubois), M"' Su-
zanne Cesbron. — Sérénade du 5» quatuor (Haydn, 1732-1809), MM. Soudant,
de Bruyne, Migard et Destombes. — L'Étoile du soir d'Alfred de Musset, Incan-
tation, de Victor Hugo, adaptations musicales (Francis Thomé). Poésies :
M. Rrémont (de l'Odéon), M"= Pauline Linder (harpe), MM. Soudant, Des-
tombes et l'auteur. — A. Villanelle, poésie de Turquety. B. Mélancolie, de
Camille Bruno, C. Chanson, de Victor Hugo, mélodies (BourgauU-Ducoudray),
M"= Cesbron et l'auteur. — Quatuor (Henri Rabaud), MM. Soudant, de Bruyne,
Migard et Destombes. — Suite de thèmes Gallois (***) harmonisés pour qua-
tuor et flûte par BourgauU-Ducoudray et sous sa direction; MM. Hennebains,
Soudant, de Bruyne, Migard et Dastombes. — Accompagnateur, M. Catherine.
CoxGERTS ANNO.NXKS. — Demain lundi, 4 février, à 9 heures du soir, Salle Pleyel, con-
cert donné par M"' Jane Darnaud, avec le concours de M"" Juliette ïoutain et de
MM. Oumiroff, A. Baelimann et Marcel Migard.
NÉCROLOGIE
Nous ne pouvons nous dispenser d'enregistrer avec regret la perte que
viennent de faire les lettres et l'Académie française en la personne de
M. Henri de Bornier, mort subitement cette semaine, à l'âge de 75 ans.
M. de Bornier, qui avait succédé à Edouard Thierry comme administrateur
de la bibliothèque de l'Arsenal, était né à. Liinel (Hérault), le 23 décem-
ire 1825. Nous ne saurions entreprendre ici le récit de sa vie littéraire, très
laborieuse et très active, mais nous devons du moins rappeler les succès qu'il
obtint au théâtre, surtout avec deux drames superbes, tout empreints de
poésie et d'un sentiment patriotique plein de noblesse et de chaleur : la Fille
de Roland et France d'abord. A citer encore les Noces d'Attila, la Moabite, l'Apô-
tre, l'Arétin et le livret de Dimitri. drame lyrique de M. Victorin Joncières,
représenté avec succès au Théâtre-Lyrique de la Gaité. sous la direction de
M. Vizentini, il y a quelque vingt-cinq ans. Ajoutons qu'un livret vient éga-
lement d'être tiré de la Fille de Roland pour être mis en musique par
M. Henri Rabaud.
— I^n artiste fort distingué, M. Eugène Sauzay, est mort à Paris le 26 jan-
vier,<S l'âge de 91 ans. Fils d'un préfet du premier empire, il était né à
Paris le li juillet 1809. Élève de Baillot et de Reicha au Conservatoire, il
obtenait le second prix de violon en 1823, et en 1827, à peine âgé de 18 ans,
le premier prix de violon et le second prix de fugue. Quelques années plus
tard il devenait le gendre de Baillot, qui l'avait en très grande affection. Sau-
zay se fit connaître avantageusement dans des concerts, puis organisa, d'a-
bord avec Norblin et Boëly, ensuite avec Franchomme et M™^ Sauzay, des
séances de musique de chambre qui obtinrent un grand succès. Eu même
temps il se produisait comme compositeur, d'abord avec des fantaisies de
violon, des romances et quelques pièces de piano, puis avec des oeuvres plus
importantes : une Symphonie rustique, les chœurs d'Esther et d'Athalie remis
en musique, la musique charmante du Sicilien et celle des intermèdes de
George Dandin, enfin, ses intéressantes Études harmoniques pour violon. En
1860, à la mort de Girard, Sauzay était nommé professeur au Conservatoire,
où il forma de nombreux et e.xcellents élèves. C'est à partir de ce moment
qu'il commença à se révéler sous un autre aspect, celui d'un lettré très fin,
très délicat, doublé d'un excellent didacticien. Il publia successivement trois
ouvrages importants, d'un caractère neuf, et qui, écrits dans une langue à la
fois élégante et facile, contenaient sur l'art des vues aussi utiles qu'élevées :
Haydn, Mozart, Beethoven, étude sur le quatuor (1861, in-8°), l'École de l'ac-
compagnement, ouvrage faisant suite à l'étude sur le quatuor (1809, in-8''), et
le Violon harmonique, ses ressources, son emploi dans les écoles anciennes et
modernes (1889, in-8"). On remarquera que Sauzay avait 80 ans lorsqu'il fit
paraître ce dernier. Mais il faut le compter aussi parmi les meilleurs molié-
ristes, pour le livre charmant qu'il publia sur le Sicilien ou l'Amour peintre,
livre dans lequel il fait un historique aimable et complet de ce petit chef-
d'œuvre, donne une réduction de la partition de LuUy et la fait suivre de la
musique écrite par lui-même sur le Sicilien. On voit que S.iuzay était loin
d'être le premier venu, qu'il ne se bornait pas, ce qui est déjà beaucoup,
à être un excellent artiste, et qu'il a exercé son esprit avec un bonheur égal
dans des voies différentes. A. P.
Le Ménestrel vient de perdre un de ses plus anciens collaborateurs,
M. H. Barbedette, qui publia ici-mème, il y a bien longtemps, de substan-
tielles études, qui furent fort remarquées et qui font encore autorité, sur
Beethoven, Chopin, Gluck, Haydn, Mendelssohn, Schubert et W^eber. Nous
devions aussi à M. Barbedette les petits comptes rendus semainiers sur les
grands concerts symphoniques du dimanche, où il y avait souvent bien de la
bonhomie maliciei:se, qui ne fut pas toujours au goût de nos musiciens
du jour, si fort avancés. C'est que, comme toutes les personnes d'âge et
presque d'une autre génération, Barbedette était resté avec des idées très
arrêtées sur ce qui avait charmé ses jeunes années et qu'il n'admettait guère
les innovations dans ce qu'il appelait les « formes classiques ». On pouvait
peut-être le lui reprocher, mais on ne peut nier qu'il se défendait d'un
esprit toujours très fin et toujours courtois II prêchait d'exemple d'ailleurs :
dans la musique de chambre qu'il a publiée — car il était compositeur aussi —
il a suivi rigoureusement les principes qu'il respectait. Un autre côté de sa
vie appartenait à la politique. Depuis près de trente ans Barbedette repré-
sentait la Charente-Inférieure dans nos assemblées parlementaires, d'abord
comme député, puis comme sénateur. Nous envoyons à la digne fille qu'il
laisse après lui tous nos tristes compliments de condoléances. M. Barbedette
était né en 1828.
— Cette semaine est morte à Paris, dans un âge très avancé, une femme
aussi distinguée par son talent que par l'aménité de son caractère, M'"'= Char-
lotte Dreylus-Ale.xandre, qui eut naguère son heure de grand succès. Elle
était veuve du fameux facteur d'harmoniums Ale.\andre, et elle avait beau-
coup contribué, par son habileté sur cet instrument, à sa grande propaga-
tion.
— On a annoncé aussi, cette semaine, la mort d'un vieil artiste, Louis
Hurand, qui fut maitre de chapelle à Saint-Eustache et chef des chœurs à
l'ancien Théâtre-Italien.
— Le pianiste Jean-Joseph-Lucien Vieuxtemps, frère du grand violoniste
Henry Vieuxtemps, vient de mourir à Bruxelles, où il était longtemps fixé
comme professeur de piano. Il était né à Verviers le 5 juillet 1828 et fut, à
Paris, élève d'Edouard Wolff. Le dernier des trois frères (ils n'étaient que
trois, et non quatre, comme le dit un de nos confrères), Ernest, était violon-
celliste distingué. Tous trois donnèrent à Liège, en 1835, un concert dans
lequel Henry exécuta un Rondo giocoso de sa composilion. Ernest la Fantaisie
sur Leslocq de Servais, Lucien sa Fantaisie militaire, et tous trois la Aléditation
de Gounod sur un prélude de Bach.
— De Naples on annonce la mort du compositeur Francesco Ruggi, qui
était né dans cette ville en 1826. Il avait été élève de Capotorti et de Fran-
cesco Lanzilli, et avait étudié l'harmonie et le contrepoint avec Pietro
Casella. Il avait fait représenter à Naples plusieurs opéras : una Festa di paese
(3 actes, th. Nuovo, 1830); i Dua Ciabattini (1 acte, id., 1860); Loretta l'indo-
wma (4 actes, th. Bellini, 1862); Nadilla, o la Statua di carne (3 actes, id., 1868);
Don Gavino. Il a publié aussi des mélodies vocales et de nombreuses compo-
sitions religieuses. Depuis qu'il n'écrivait plus pour le théâtre, il s'était con-
sacré à l'enseignement du piano et du chant.
— De Milan on annonce la mort, à 72 ans, de l'ex-ténor Francesco Fuma-
galli, membre d'une famille très nombreuse de musiciens qui se sont tous
distingués comme pianistes. Il avait joui naguère de quelque renom au
théâtre, et passa de la scène à la chapelle métropolitaine du dôme de Milan.
— A Bologne est mort, en ces derniers temps, l'ex-chanteur Giuseppe
Musiani, ténor qui ne fut pas sans quelque réputation et qui obtint jadis des
succès non seulement en Italie, mais aussi en Amérique, où il se fit vivement
applaudir. Il était âgé de 83 ans. Une de ses filles. M"": Giuseppina Rizzoni,
qui fut aussi une chanteuse distinguée, est retirée de la scène depuis quel-
ques années.
— A Lucques est mort le 13 janvier, à l'âge de 66 ans, un artiste distingué,
Carlo Angeloni, compositeur de talent en même temps que professeur à l'en-
seignement très recherché. On cite parmi ses meilleurs élèves Alfredo Cata-
lani, mort avant lui, MM. Gaetano Luporini, Giacomo Puccini, Carlo Cari-
gnani, Graziani, Spiuelli, Tramanti, etc. Maitre de la chapelle de l'Institut
de musique de Lucques, il s'était fait connaître comme compositeur par
plusieurs opéras : Carlo di Viuna, il Popolano di Londra, Asrai'le degli Abencer-
ragi, puis, dans le genre sacré, par cinq messes, un Requiem primé au con-
cours de l'Académie de, Sainte-Cécile et un Stabat Mater exécuté à Florence.
Il venait de terminer la partition d'un opéra eu quatre actes, un Dramma in
montagna, qui devait être représenté prochainement.
— Un écrivain musical anglais, M. William Pôle, est mort à Londres au
commencement de ce mois. Il était né à Birmingham en 1814, était devenu
ingénieur civil, puis s'était consacré à la musique. D'abord organiste dans
une église de Londres, il s'était fait recevoir bachelier, puis docteur en mu-
sique à l'université d'Oxford. Il a publié une Histoire du Requiem de Mozart,
un ouvrage intitulé la Philosophie de la musique et quelques autres écrits de
moindre importance. On connaît aussi de lui quelques compositions reli-
gieuses.
— Une cantatrice portugaise distinguée. M"" Augusta Cruz, qui s'était fait
applaudir aussi en Italie, est morte récemment à Lisbonne. Elle avait épousé
en 1899 M. Manuel Da Costa Carneiro.
— A Montevideo, dans un salon du restaurant Severi, contigu au théâtre
Solis, une jeune harpiste autrichienne. M'" Isabelle La Praz, s'est suicidée
en se tirant un coup de revolver au cœur, au moment où elle venait de jouer
un morceau de piano.
Henri Heugel, directeur-gérant.
- 67-
- 1\° 6.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 10 Février 1901.
(les Bureaux, 2*^, me Vivienne, Paris)
(L€S manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
lie llamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉATKES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Hbnhi HKUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6m, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Peintres mélomanes (13° article) : Autour de Bayreulh, Raymond Bouter. — II. Le
thédtre et les spectacles à rExposition (17« article) : la rue de Paris, Arthur Pougin.
— III. Verdi, notes et souvenirs, A. P. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musiquî de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
COMPLAINTE DE SAINT NICOLAS
n° 4 des Chants de France harmonisés par A. Périlhou. — Suivra immédiate-
ment : On dit, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jean Roux.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Preludio - saltarello , de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : Simple
phrase, transcription de J. Massenet.
PEINTRES MÉLOMANES
XIII
AUTOUR DE BAYREUTH
En vérité, je vous le dis ; Richard Wagner fut un grand clas-
sique. Son influence, aujourd'hui victorieuse, n'a-t-elle pas épuré
notre goût musical en le ramenant vers les maîtres ? Je n'en
veux pour preuve que les triomphes successifs d'Orphée, de Don
Juan, de Fidelio, àVphigénie en Tauride, librement acclamés, et
que les snobs eux-mêmes ne dédaignent plus d'applaudir aux
premiers rangs des « premières »... Et n'est-ce point Wagner,
après Schumann, qui a déûnitivement consacré la Symphonie avec
chœurs (n° 9), en la saluant comme la source homérique du
Drame sonore? N'est-ce pas sa verte vieillesse qui ne laissait
point échapper un seul jour sans se pencher sur quelques pages
de Beethoven, encore frémissante à chaque « révélation » du
« Mage divin »? Son admirable Étude, datée de 1870, est le mieux
pensé de ses Écrits ; et le meilleur « portrait » de Beethoven est
signé par Wagner.
De son vivant, toutefois, les doctrinaires à lunettes ne man-
quaient jamais d'opposer Brahms, l'austère continuateur de
Beethoven, à ce magicien des sonorités, ameutant sur les pas du
blanc Parsifal l'essaim plantureux des Filles-Fleurs... Et les fidèles
du Gewandhaus ou de la Ïhomas-Schule auraient bien ri, s'ils
avaient aperçu le comte Léon Tolstoï jeter naïvement dans le
même sac « les Ibsen, les itfœterlinck, les Verlaine, les Mallar-
mé, les Puvis de Chavannes, les Klinger, les Bœcklin, les Stock,
les Liszt, les Berlioz, les Wagner, les Brahms, les Richard
Strauss, etc. (!) », qui ne sont devenus « possibles » que par l'in-
flrmité des critiques... Le beau fci(-mofe'u d'allégorie wagnérienne
pour un Kaulbach, dans la note violente, un peu rébarbative à
nos yeux, de la peinture d'outre-Rhin ! La Providence veillait :
et les deux rivaux ont trouvé chacun leurs peintres mélo-
manes...
Il y a trois ou quatre ans paraissait un album de grand luxe
en son format à l'italienne, associant la musique et l'image : les
Lieder de Johannès Brahms, illustrés par Max Klinger. Très
moderne et très allemand tout ensemble, l'accent de l'œuvre
était plutôt étrange : un burin ferme, évoquant à la fois, dans le
lointain des traditions, les vignettes ligneuses de Hans Holbein
et les estampes métalliques d'Albrecht Diirer, avec des souvenirs
tendus de Michel-Ange. . . Des hallucinations qui mariaient l'énigme
à l'étude. Oîi l'enveloppe affectueuse du Poème d'amour de nos
lithographies musicales?... Deux climats, deux âmes. Peintre,
statuaire et graveur, l'artiste est saxon d'origine. Passionné de
musique, il débuta par des Métamorphoses d'Ovide, déjà singuliè-
ment dédiées « à la mémoire de Schumann ». Un Lucifer de son
cru doit faire tressaillir dans son tombeau William Blake, le
mystique émule des terreurs michelangesques de Fuessli. Que
devient son projet d'un Monument à Beethoven, colossal, poly-
chrome et complexe? Scrupuleux toujours et « cauchemaresque »,
un Enlèvement de Prométhée (op. XII, 20), d'après Brahms, offre
un spécimen de sa manière teutonne en une monographie ré-
cente (2).
Le Silène de cette vigne essentiellement germanique, je veux
dire l'instigateur de cet art naturel dans son maniérisme, fut
précisément cet Arnold Bœcklin que terrasse l'apoplexie sous
l'azur de sa chère Fiesole : génie qui repousse d'abord, et con-
quiert. Féru des primitifs de Nuremberg et de Bâle, et jetant sur
le rude dessin national le manteau vénitien de la couleur, il
aurait pu dire à son tour, avec le Hans Sachs des Meistersinger :
« Honorez vos maîtres allemands 1 » et conclure avec le Wagner
des agapes de Bayreuth : « Maintenant, vous avez un art! » De
lui, de ses enluminures mythologiques et puissantes, relève
toute la jeunesse allemande, la jeune peinture tout entière à
l'accent tudesque. De Bœcklin ont hérité les Max Klinger, bizarre
et profond, les Franz Stuck, bachique et robuste, les Hans
Thoma, sauvage et champêtre, et Sandreuter, et Sattler, l'un
plus féminin, dans le Bois sacré, l'autre plus moyen-àgeux, sous
l'averse des lances; et les utopies de Karl de Pidoll, et les syn-
thèses de Ludvig de Hoiïmann, celui-ci maître-décorateur à
Bayreuth : nous revoici donc en plein wagnérisme! Mais là-bas,
en la sombre atmosphère de l'orchestre invisible, — ce rêve
réalisé de notre Grétry, — le grand peintre mélomane n'est-il
(1) Qu'est-ce qui l'Art? (traduction Wjzewa, page 152. — Paris, Pcrrin, 1898.)
(2) Mnx Klinger, par Max Schmid. — Ct. fran: Stuck, par Julius-Otto Bierbaum ; etc.
42
LE MÉNESTREL
pas Richard Wagner lui-même, âme immense et sensuelle qui,
la première, s'est baignée voluptueusement dans ces ondes où
l'Or s'allume, dans ce rayon mélodieux qui ouvre les portes au
printemps, dans la nuit verte et rougissante du sang des monstres?
Le rêve chanteur avait, de- p^ime saut, dépassé la réalité. Le goût
germanique aidant, le jardin magique de Klingsor nous est
apparu très inférieur à la moindre féerie du boulevard ; et Bhein-
gold au concert nous laisse rêver... La peinture wagnérienne!
Impossible d'émonder ce chapitre -touffu, peut-être moins luxu-
riant qu'on ne l'imagine... Les 0?irfM)e«deBœcldin ou lès violences
de Thoma nous dévoileraient un modem style d'outre-Rhin, qui
ne retient rien de l'idéalisme timoré de la renaissance allemande,
ni du grimoire plus élégant de l'école anglaise : adieu les beaux
cygnes anémiques que le Lohengrin de Schnorr interpellait il y
quarante ans! Adieu les Fliegetide ffollander à la pose sentimen-
tale, et les frontispices romantiques ! Le paroxysme est de bon
ton. Ne faut-il pas toujours être plus royaliste que le Roi? Quand
ce prince se nomme Louis II de Bavière il est malaisé, pourtant,
de s'engager à sa suite... Le voici qui revit dans une publication
luxueuse encore : Ein Konigslraum (1).
Un Songe royal, en effet, cette épopée moderne, intérieure-
ment vécue en plein. XIX" siècle bourgeois! Je feuillette, je
regarde, je devine. Et Delacroix disait justement que la peinture
est sœur de la musique, car, en dehors du texte précis, le sujet
figuré produit l'effet de la musique à programme, qui remue des
sentiments sans définir des idées : l'image ou la mélodie n'e.st
que suggestion. D'abord, le site romanesque, le h>irg altier dans
le frisson des grands arbres, que reflète l'étang cher aux cygnes.
Puis, le « Roi vierge » en personne, svelte et pommadé dans sa
pelisse moderne, avec son air dur; un croissant de lune a poé-
tisé les monts. Plus loin, sont-ce des femmes ou des fées? Mais
voici Venise, où mourut Richard Wagner, et le palais Vendramin,
la lagune morte, et la noire gondole illuminée d'une apparition.
Un coin de page accueille l'italienne prière de Rienzi. C'est
Tannhàuser au Venusberg, ce joli troubadour, avec son luth,
aux pieds d'une danseuse? Oui, puisque la germanique prière
d'Elisabeth obtient toute la page suivante. Ortrude et Frédéric
complotent dans un pan d'ombre ; et l'écharpe d'Yseult se fait
théâtrale sur un fond de pierre. Plus émouvante, la plainte de
Tristan malade devant le trait d'encre de l'océan vide... Le
poète-cordonnier cause avec la blonde Evchen, avant que le
veilleur ne projette son ombre dans la ruelle moyen-àgeuse et
fleurie de lune. Les trois ondines serpentent et glissent entre les
doigts velus d'Alberich; le dragon Fafner mord le texte et
croque les notes; la Walkyrie chevauche dans une frise; le Rhin
se. déroule entre les rocs, et les destins s'accomplissent : la
Tramrmarsch passe, nocturne et lugubre. Parsifal sauveur élève
le Graal. Une allégorie finale luit au front du Roi. Le beau
sujet! Ce qui manque trop souvent à ces illustrations reposantes,
c'est le style, le charme secret, ce vague lunaire et cette géné-
ralité poétique qui nous rend vite amoureux de la petite Isolde
échevelée d'un Fantin-Latour. M. Ferdinand Leeke traduit les
Drames de Wagner comme feu Gustave Doré les Idylles de
Tennyson : en enjolivant la légende. L'ombre de Bœcklin ne
rudoie point ses veilles ! Les vignettes sont très supérieures aux
photogravures, et les petits paysages aux grands décors.
Pareil tour de main, tout extérieur, dans les quatre scènes
illustrant les Quatre poèmes d'opéras, traduits en prose fran<;aise et ■
précédés d'une Lettre sur la musique par Richard Wagner (2) : petites
pages d'histoire, où manque le rêve. LeChevalier aux fleurs (1894),
du même Georges Rochegrosse, n'est qu'un exercice brillant de
virtuosité. Même si le christianisme de Wagner « n'est qu'un
décor », je sens autre chose que de la difficulté vaincue, dans
Parsifal. Et la haute légende wagnérienne ne semble pas avoir
chaleureusement inspiré les peintres : sur aucune toile juvénile
ne passe le grand frisson qui ravit le chevalier-poète aux amers
(Ij Un Sonr/e royal, texte et musique par le iy Victoi- Hitter de Fritsch; illustrations
de Ferdinand Leelte (Munich, Franz Hanfstaengl, 19U(I ; en dépôt cliez Fjscljbacher, à
Paris).
(3) NouTClle édition (Paris, Calmann Lévy et A. IJurand, 1893).
délices du Yenusberg, qui transfigure les amants dans le sourire
du songe matinal ou dans le suaire ancien des crépuscules (i).
Je soupçonne ces messieurs d'aller rarement au concert. Plus
tumultueuses apparaissent des eaux-fortes originales signées par
un nom chevaleresque : et l'auteur vient en droite ligne de
Montsalvat. Espagnol de naissance, M. Rogelio de Egusquiza est
un habitué des concerts Lamoureux, seconde patrie de Richard
Wagner, un fidèle du Biihnenfestspielehaus de Bayreuth que les
snobs assiègent. Parsifal le hante : après le Graal mystérieux, où
l'ombre s'éclaire d'un frémissement d'ailes, c'est Amf'ortas et
Kundry (1896). Mais, dans les arts plastiques, l'intensité même ne
s'obtient que par de nobles lignes; et si le rythme ne vaut que
pour l'idée, l'âme ne se traduit que par la forme. Voilà pourquoi
je préfère aux mysticités indécises un grand Portrait de Richard
fVagner fouillé par l'aquafortiste. La physionomie est la clef de
l'inspiration. Miroir involontaire, le visage trahit l'idéal qui le
grave insensiblement, avec les années, comme la goutte d'eau
creuse le roc : à comparer ce regard dominateur aux efQgies suc-
cessives du maître (2), au fastueux portrait de Lenbach (1874), à
l'étonnante pochade de Renoir, datée de Palerme, 488i, à la petite
eau-forte posthume de J.-L. Raab, on comprend mieux, aussi-
tôt, cet art « despotique » comme ce profil : profil de sorcier,
sous le béret de velours.
Tel était celui qui fut abominé, puis adoré comme pas un, le
révolutionnaire dont la fougueuse vieillesse trônait dans sa
royauté de Wahnfried. Klingsor devait avoir ce front lumineux,
ce nez aquilin, ce menton saillant, quand il préparait solennel-
lement ses ruses enchanteresses. N'en voulons qu'à moitié aux
artistes allemands eux-mêmes de n'avoir pu déchiffrer cette
sensualité magnanime, le blason troublant de cette musique,
« qui n'est que mélodie » pour qui sait l'entendre. Et, selon les
sages, notre passion pour Yseult ne doit-elle pas infliger une
date au plus pur trésor de nos cœurs?
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UISTIVERSELLE DE 1900
(Suite.)
LA RDE DE PARIS
Le Manoir à l'envers. — Voilà qui pouvait passer pour une jolie fumis-
terie. Quand je dis jolie... Cela devait s'appeler d'abord « la Tour du
merveilleux », et c'est sous ce nom que cela était inscrit sur les premiers
plans de l'Exposition. Certains guides (et il y en avait, des guides de
l'Exposition!) faisaient à cet établissement inepte une réclame bien
sentie. L'mi deux s'exprimait ainsi à son sujet : — « Il est digne d'tm
conte d'Hoffmann, ce vieux castel gol hique, fiché eu terre par ses chemi-
nées et dressant en l'air ses fondations qui semblent arrachées du sol,
avec ses fenêtres renversées, ses escaliers où l'on parait monter la tète
en bas. Grâce à d'ingénieux jeux de glaces tout y est à l'envers, comme
dans un pays merveilleux où l'attraction terrestre n'existerait pas. A
chaque étage des intérieurs meublés dans le style moyen âge, que le
spectateur visite comme s'il était accroché au plafond... » En voilà assez,
et il est inutile de s'arrêter davantage sur ce manoir mystificateur, qui
terminait la série des « attractions » du côté droit de la rue de Paris.
Traversons donc cette rue joyeuse, et voyons ce qui se passe de
l'autre côté.
Le Palais de la danse. — A la bonne heure! Ici, nous sommes en pays
artiste. Un vrai petit théâtre, avec un vrai orchestre (sous ce rapport,
c'est le seul). Salle égayante et aimable, bien comprise, bien aménagée,
joliment ornementée dans les tons clairs, sobrement et avec goût. Point
d'orchestre proprement dit, mais un amphithéâtre spacieux, pouvant
contenir environ 300 places, partant de l'orchestre des musiciens pour
s'étagcr jusqu'au fond, de sorte qu'on voit à merveille de toutes les places.
(1) J. Wagrez, Tannhii user ait Venusbern: G. Uochegrosse, Le qtdnletle des Mailres-.
Chaideurs (Salon de 1S9G); G. Bussiôre, Vers la Mort (Tristan et Yseult), et Bruneliilde. —
Cf. le Sieijfrieil allemand de Zimmermann et l'YseuH américaine de John Sargent.
(2) Voir le Richard Warjner de H.-St. Chamberlain (Munich, 1896), si pauvrement illus-
tré, — les portraits à parti
LE MÉNESTREL
43
DerriOre cet amphithéâtre, un promenoir. Sur chaque côté, une rangée
de petites loges. Au-dessus, deux galeries faisant le tour de la salle.
Prix des places : de un à sept francs. Cinq représentations quotidiennes,
trois en matinée, deux le soir.
Le programme était ainsi exposé par un chroniqueur : — « C'est une
histoire vivante, une revue animée de la danse à travers tous les âges et
tous les pays, se déroulant sur la scène d'un théâtre coquet, dont la dis-
position rappelle celle du théâtre Wagner à Bayreuth (\). On y voit les
.danses religieuses orientales, le Piny Von cliinois, la danse hindoue des
Bayadères de Sivah, la danse égyptienne de l'Abeille, les danses reli-
gieuses ou guerrières de la Grèce et de l'Italie antiques, la danse d'Isis,
la danse Pyrrhique, la Bacchanale romaine, les danses du moyen dge :
danses des Glaives et des Jongleurs; enfin les danses modernes avec
toutes leurs charmantes variations, du passe-pied de la Renaissance en
passant par le Menuet et la Gavotte Louis XIII, la contredanse de
Vestris, la gigue anglaise et la valse allemande, les danses locale, de
nos vieilles provinces, jusqu'au cancan de Mabille et aux danses lumi-
neuses de la Loïe FuUer. >;
Très vaste, le programme, comme on voit, et très ambitieux. En fait,
la saison de ce gentil Palais de la Danse a compris trois ballets : Terp-
sichore, l'Heure du Berger et Au foyer de la danse. Elle s'est ouverte
avec Terpsichore, «hallet international » en huit tableaux, de M. Adolphe
Thalasso, musique de M. Léo Pouget. C'était une espèce de revue sym-
bolique de la danse de tous les temps et de tous les pays ; idée ingénieuse
sans doute, mais forcément incomplète dans sa réalisation, qui eût exigé
cent tableaux au lieu de huit. Cette espèce de panorama chorégraphique
nous faisait voir la danse en Angleterre, en Grèce, en Ruçgie, en
Espagne, en Italie, en France, le tout couronné par l'apothéose de Terp-
sichore. Deux excellentes premières danseuses, l'une italienne, M"'= Ma-
ria Giuri, l'autre russe. M"' Christine Kerf, toutes deux aussi habiles
que jolies; un danseur solide, M. Viscusi; un corps de ballet d'une
quarantaine de danseuses dont les pas étaient réglés par M""' Mariquita,
ce qui est tout dire ; une petite troupe de danseurs russes (quatre hommes
et trois femmes), absolument étonnants et désopilants, et d'une origi-
nalité saisissante ; enfin une mise en scène bien réglée par M. Georges
Bourdon, des décors charmants signés Orazi et Moisson, des costumes
frais, pimpants et pleins d'élégance dessinés par Landolff, tout cela
constituait un spectacle aimable et séduisant.
Après Terpsichore est venue UHeure du Berger, en six tableaux, de
MM. de Caillavet et Robert de Fiers, musique de M. Louis Ganne,
jouée et dansée par M"'' Aida Boni, que nous avions vue dans le Cygne
à l'Opéra-Comique, M"" Amélia Costa et Marthe Brugeau et M. Fer-
renbach. Je n'ai pas eu le loisir de contempler l'Heure du Berger, qni
promenait le spectateur dans nos diverses provinces, en Flandre, en
Provence, en Bretagne, etc., puis à Paris, ce qui était un moyen de
produire certaines danses de pays, mais je me suis laissé dire qu'elle
avait été fort bien accueillie. En revanclie. j'ai vu Au foyer de la danse,
qui ne manquait pas de gaité, mais un peu de substance scénique et
d'originalité, et qui semblait surtout avoir pour but de montrer ces
demoiselles en léger costume de répétition. C'est un petit ballet en
trois petits tableaux, de MM. Jean Bernac et Abel Mercklein, musique
de M. Félix Desgranges, le chef d'orchestre du lieu, où nous avons
retrouvé la belle M"° Kerf, en compagnie de M"'^' Mochino, Gabrielle
Bertrand et Marthe Brugeau et de M. Viscusi.
Eu résumé, le Palais de la Danse a accaparé, avec le Théâtre Loie
FuUer et M"' Sada Yacco, le gros succès de la rue de Paris. C'était jus-
tice, d'ailleurs, car ses spectacles étaient vraiment pleins de grCice et
montés avec un luxe du meilleur goût. Il y avait là une véritable petite
note d'art avec une pointe d'originalité, et l'effort était intelHgent. Le
public ne s'y est pas trompé, et il est accouru de tous côtés, si bien que
■chaque jour on refusait du monde. Mais hèlas ! il eût fallu qu'il pût
être plus nombreux encore. Ce qui est vrai, c'est que, malgré le succès,
les frais étaient tels (o. 000 francs parjour! m'a-t-ondit) que la campagne,
en fin de compte, s'est terminée par un désastre, et c'est dommage.
Quoi qu'il en soit, des trois ballets qui ont fourni la saison de l'Expo-
sition, le plus fructueux a sans doute été Terpsichore, dont, le 20 Octobre ,
avait lieu la yOO= représentation. On ne se refusait rien, à la rue de
Paris ! Et j'allais oublier de mentionner M"" Valentine Petit, qui s'est
fait grandement applaudir dans une série de danses lumineuses à l'imi-
tation de miss Loîe FuUer, auxquelles elle donnait le titre de « Visions
nocturnes ».
Le Phono-Cinéma-Théàtre. — Un nom fâcheux et désagréable pour
qualifier un spectacle curieux, ingénieux et amusant. Curieux surtout,
car Cl' spectacle est basé sur une intelligente combinaison du cinémato-
graphe et du phonographe, combinaison qui permet de reproduire,
dans leur ensemble vocal et mimique, c'est-à-dire dans leur exactitude
absolue et complète, telle ou telle scène de tel ou tel ouvrage, où, en
même temps qu'on entend le dialogue des personnages avec la voix
même des acteurs qui les représentent et que nous connaissons bien, on
voit reproduits tous leurs mouvements, les passades, les jeurde scène,
etc. Je sais bien que si le cinématographe est parfait, il n'en est pas
tout à fait de même du phonographe, qui laisse encore à désirer, et que
celui-ci conserve encore un côté canard qui altère un peu trop les voix
que nous sommes accoutumés d'entendre ; cependant ces voix restent
reconnaissables et, en somme, le résultat obtenu est vraiment intéressant.
Pour ne parler que du cinématographe proprement dit, on voyait là,
au naturel, des choses étonnantes : M"° Zambelli et M. Vasquez dan-
sant un pas du ballet du Cid à l'Opéra; M"« Rosita Mauri dans la ftor-
W(/a?ie; M"' Chasles dans te Cygne, de l'Opéra-Comique; M"' Cleo de
Mérode dansant la gavotte; mieux encore. M"" Félicia Mallet, M"' Ma-
rie Magnier et M. Duquesne dans trois scènes de l'Enfant prodigue.
Mais le comble, c'était de voir et d'entendre, par l'alliance des deux pro-
cédés, M"" Sarah Bernhardt dans la scène du duel d'/fomte;, M"°° Réjane
dans Ma cousine, M"^ Mariette Sully dans la Poupée, M. Coquelin dans
les Précieuses ridicules et dans Cyrano de Bergerac, M. Polin dans ses
chansons de tourlourou, M"' Milly Meyer dans ses chansons en crino-
line... Et, comme couronnement, une scène désopilante, Chez le photo-
graphe, pai' deux clowns excentriques, Mason et Forbes, avec le bruit
des gifles qui retentissent, des chaises qui se cassent, des meubles
qu'on culbute, etc. Ceci est inénarrable.
La directrice de ce gentil spectacle était M'»" Marguerite Vrignault, et
il n'est que juste de faire connaître les noms des deux ingénieurs qui
l'avaient rendu possible, MM. Clément-Maurice et Lioret.
(A suivre.) Arthur Pougin.
VERDI
NOTES ET SOUVENIRS
Oq lit dans le Trovatore : — « Nous ne verrons plus jamais, on ne verra sur
aucun théâtre du monde un spectacle aussi solennel, aussi émouvant que
celui de la commémoratiou de Giuseppe Verdi au théâtre de la Scala. La
décoration sévèrement artistique de la scène, où était placé le buste du
« Grand ». le noble maintien des vaillants exécutants, l'orchestre, l'attitude
du public, tout concourait au plus digne témoignage d'une douleur qui se
reportait vers celui que nous avons perdu, admirant, renouvelant les enthou-
siasmes passés. Cette spleudide solennité n'est point de celles auxquelles
s'adapte la critique ordinaire; du reste, l'exécution du programme fut superbe,
comme le montrent les nombreux bis demandés. Et les morceaux étaient bien
choisis, de l'ouverture de Nabucco au finale du second acte de laForza del Des-
tina, du chœur des croisés dans i Lombardi au duo du quatrième acte de la
même Forza, du quatuor de Rigoletto à l'ouverture des Vêpres Siciliennes, àa
prélude du troisième acte de la Traviata au duo du troisième acte du Ballo in
Mmclwra. Et, entre une partie et l'autre de ces mélodies merveilleuses, la
parole émue, poétique, vraiment digne du sujet, de Giuseppe Giacosa. Ont
coopéré à cette grande et inoubliable cérémonie le maestro Toscanini,
M"™ Carelli, Pinto, Ghibaudo et Brambilla, puis Tamagno, Borgatti, Garuso,
Magini-Coletti, Arcangeli et Luppi. Honneur à eux et la plus vive reconnais-
sance. La recette, au profit du fonds pour le monument à Verdi, s'est élevée
à 15.O0Û francs. »
Le roi d'Italie a signé un décret portant que le Conservatoire de Milan
prendra désormais le nom de Conservatoire Verdi.
Le ministre de la guerre du royaume d'Italie a adressé à tous les chefs de
corps un ordre portant que toutes les musiques militaires devront prendre le
deuil pendant dix jours à l'occasion de la mort de Verdi.
Il est certain que Verdi aura des obsèques plus pompeuses que celles qui,
sur sa volonté formellement exprimée, ont eu lieu avec une si grande sim-
plicité. Le gouvernement a décidé que le transfert des restes mortels de fil-
lustre artiste, du cimetière où il a été inhumé provisoirement à la maison
de retraite fondée par lui pour les musiciens pauvres, sera fait avec une
grande solennité. Ce transfert aura lieu prochainement, et l'on croit que le
roi Victor-Emmanuel en personne assistera à la cérémonie l'uuèbro.
C'est dans la chambre qui porte le numéro 5, au premier étage de l'hôtel
de Milan, que Verdi est mort dans la nuit du 2!î au "27 janvier 1901, et c'est
cette chambre qu'il occupait toujours chaque fois qu'il venait à Milan depuis
1867, époque où il s'y rendit pour mettre en scène à la Scala la Forza del Des-
lino. Ou annonce qu'elle ne sera plus louée ni occupée désormais. Le proprié-
taire do l'hôtel, qui est le beau-père du compositeur Umberto Giordano, l'au-
teur à' André Ckénier, a formé le projet d'y réunir tous les souvenirs qu'il possède
du vieux mailre et d'en l'aire comme une sorte do musée qui deviendra un
lieu de pèlerinage pour les Italiens et les étrangers.
LE MENESTREL
Voici de quelle façna a été constitué, à Milan, le comité pour le monument
à ériger à la mémoire de Verdi : MM. Giuseppe Mussi. syndic de Milan.
président; duc Visconti di Modrone et Arrigo Boito. vice- présidents: avocat
Pietro Suzzi et avocat Claudio Trêves, secrétaires: Gaspare Brugnatelli, Gor-
rado Carabelli, Giuseppe Gallignani, directeur du Conservatoire, comte Leo-
poldo PuUè, Giulio Ricordi, Edoardo Sonzogno. commissaires. Le siège du
comité est à la secrétairerie générale du municipe.
Le dernier portrait de Verdi vivant fut fait, à ses derniers moments , par
le peintre Arnaldo Ferraguti. La vue du cadavre fut prise par les peintres
Stragliati, Pogliaghi et Hohenstein et par les photographes Guigoni-Bossi et
Rossi.
Dans la vitrine d'un négociant artistique de la galerie Victor-Emmanuel à
Milan, on vient d'exposer un tableau du peintre Mantegazza, représentant
l'apothéose de Verdi. Le maître est assis au piano et semble sous l'influence
de son génie inspirateur, qui, en une danse symbolique, lui fait apparaître
les héros et les héroïnes de ses oeuvres.
Un journal italien rappelle ainsi les ouvrages les plus importants qui ont
été publiés sur Verdi : Schizzi sulla vila e le opère dcl maestro Giuseppe Verdi,
par B. Bermani (Milan, Ricordi); — Cenni biografici su Giuseppe Verdi, seguiti
da una brève analisi deW « Aida » e délia o Messa da Requiem », par G. Perosio
(Milan, Ricordi); — Studio sulle opère di Giuseppe Verdi, par Abramo Basevi
(Florence, Tofaui) ; — Viia aneddotica di Giuseppe Verdi, par Arthur Pougin
(,Milan. Ricordi) [publié en français, chez Calmann Lévy] ; — Giuseppe Verdi, il
genio e le opère, par E. Checchi (Florence, Barbera); — Giuseppe Verdi, vita e
opère, par A. G. Barrili (Gènes); — Verdi, par G. Monaldi (Turin, Bocca).
LE SECOND MARIAGE DE VERDI
Après son premier V3uvage, l'illustre maître s'était épris de la fille d'un
compositeur de musique, Joséphine Strepponi, qui vint demeurer avec lui à
Bussetto. pays natal de l'auteur du Trouvère; cette liaison ne tarda pas à
susciter des difficultés; pour les éviter, les deux amis s'enfuirent à Genève.
Le curé de l'une des paroisses de cette ville, le futur cardinal Mermillod,
songea à régulariser cette union. Verdi, sans se montrer hostile à ce projet,
laissa entrevoir les craintes des formalités civiles qu'entraînerait un mariage
civil. L'abbé Mermillod lui démontra qu'on pouvait les éviter en se rendant
auprès d'un prêtre qui fût en même temps officier d'état civil, par exemple
dans un village savoyard des environs de Genève. A cette époque, la Savoie
faisait encore partie du royaume de Sardaigne, et les curie.», au point de vue
de la validité des actes de l'état civil, remplissaient précisément cette condition.
Verdi ne fit plus d'objections : l'abbé Mermillod se chargea de rassembler
tous les renseignements nécessaires et, le 29 août 1839, il emmena dans un
petit village de 600 habitiints, à CoUonges-sous-Saléve, situé à deux heures
de Genève, le grand musicien, qui eut comme témoins de son mariage un ami
de Genève et un habitant de Collonges, loin de se douter de la célébrité du
nouvel époux. La cérémonie, qui fut des plus simples, n'a pas laissé de
souvenirs dans le pays : le document ci-dessous, conservé à la cure de Col-
longes-sous-Salèvc, permet de fixer ce point mystérieux de la vie de Verdi :
L an mil huit cent cinquanle-neat et le 29 du mois d'août, en la paroisse de Saint-
Martin, commune de Collonges, par-devant moi, soussigné, délégué par qui de droit,
l'abbè Mermillod, recteur de Notre-Dame de Genève, avec dispense de toutes les publi-
cations, a été célébré mariage suivant les lois de l'église :
Entre Joseph Verdi, âgé de quarante-cinq ans, natif de Roncole di Busseto, fds de
Charles Verdi et de feue Louise '^etini.
Et .Joséphine Strepponi, âgée de quarante-trois ans. native de Lodi. demeurant à Busseto,
fille de défunt Félicien Strepponi et de Rose Cornalba, demeurant à Locale.
Présents à la célébration: Meroudon Louis, âgé de quarante-cinq ans, demeurante
Genève, et Jean-Pierre Gros, de cinquante-quatre ans, demeurant à Collonges, et avec le
consentement des parents des deux époux, au témoignage de M. le curé de Notre-Dame de
iienève.
Signature des époux : J. Verdi,
Joséphine Strepponi,
Ténwins: L. JIeroudon.
Gjios.
L'abbé Mermillod,
JIaistke, curé de Collonges.
IjCs journaux italiens évoquent quelques souvenirs de la vie « politique»
de Verdi.
Lorsque, à la suite des événements de 1839, la duchesse régente de Parme
se fut éloignée, on procéda à l'élection d'une Assemblée constituante. Verdi
fut élu représentant par le district de Busseto, et le choix n'avait rien que de
naturel, chacun sachant qu'en toute occasion il avait manifesté son aversion
pour la domination étrangère, et que, de plus, i) avait toujours décliné les
invitations de se présenter à la cour de Parme. A l'Assemblée il vola, natu-
rellement, pour la déchéance, et le l.'i septembre il fut chargé, avec le
marquis Mischi, le comte Sanvitale, le professeur Floruzzi et le marquis Dosi,
(l'aller présenter à Turin, au roi Victor-Emmanuel, le vole de l'Assemblée.
Aux élections générales qui se firent le 27 janvier 1861, Verdi, porté candidat
dans le collège de Borgo San Donnino, fut mis en ballottage avec Minghelli-
Vaini, et fut élu au second scrutin par 339 voix contre 228 données à son
compétiteur. Mais il parut peu à la Chambre, et lorsqu'il s'y montrait il sié-
geait à droite, auprès de M. Quinlino Sella, depuis lors minisire, dont il
devint l'ami. Aux élections de 1864 il refusa absolument de laisser poser de
nouveau sa candidature, ses longues absences d'Italie, disait-il, ne lui laissant
pas la possibilité de remplir son mandat. En 1874, il fut nommé sénateur.
Si étrange que paraisse la nouvelle que voici, il faut bien la reproduire
d'après divers journaux italiens, qui annoncent que Verdi a laissé une fille,
qui est fixée à Rio-.Taneiro, où elle tient un grand établissement de comes-
tibles et de primeurs. Le correspondant du Seco/oA7A'de Gênes prétend même
avoir eu une longue conversation avec cette personne, qui s'appelle Maria et
qui a déclaré s'être rendue en 1898 en Italie, chez Verdi, qui l'aurait reçue
avec beaucoup d'affection. Mais ce qui met le comble à l'étrangeté de cette
nouvelle, c'est que cette fille de Verdi serait en même temps celle de... la
Malibran !
Or. la Malibran quitta l'Italie en 1833, pour venir épouser Bériot à Paris.
Et Verdi, alors âgé de 22 ans, parfaitement inconnu et résidant encore à
Busseto, venait précisément d'épouser la fille de son protecteur Barezzi ! !
Tout cela paraît donc plus qu'invraisemblable. A. P.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — La mort de la reine Victoria et la date du 3 février,
quatre-vingt-douzième anniversaire de la naissance de Mendelssohn , ont
fourni les prétextes d'actualité jugés nécessaires pour motiver l'inscription
au programme de quatre morceaux de ce maître. Quelle que soit la froideur
avec laquelle on puisse juger l'œuvre de Mendelssohn, aujourd'hui dépassée,
ce résultat est triste, et ce crépuscule si rapide d'un homme dont le talent
confinait au génie, a quelque chose de profondément troublant. Avant le
déclin toutefois il y eut la gloire : Mendelssohn en connut les joies dès sa
jeunesse, et si l'on considère qu'il mourut à trente-huit ans, il faudra bien
admettre que sa vie fut laborieuse malgré la facilité des succès. La reine
Victoria, qui agréa la dédicace de la Symphonie écossaise, en immortalisa l'au-
teur à sa manière, ainsi que nous l'apprend Ferdinand Hiller dans l'hommage
placé en tète d'un recueil de souvenirs et de lettres :
Meodelssohn mérita Ihooneur qui lui a cti: accorde de prendre place parmi cette
pléiade d'hommes iltusires dont t'elTigie, en bas-relief, orne le monument que Votre
Majesté, en sa qualité d'Épouse et de Reine, a fait ériger en l'honneur d'un prince qui
occupa de son vivant un ran^ si élevé parmi les plus noble; pionniers de la civi-
A côté de la Symphonie écossaise et du Songe d'une nuit d'été, il a été intéres-
sant d'entendre un Air de concert, chanté par M"' -'^dîny, et le concerto en
sot exécuté par M"= Seguel. Une jolie scène eut lieu à propos de ce dernier
ouvrage :
Je viens d'être témoin d'un miracle, d'un vrai miracle, dit un jour Mendelssohn à
son ami Hitler. — Eh! quoi donc J fit Hiller. — N'est-ce pas un miracle? j'étais avec
Liszt chez Érard ; je lui montrai le manuscrit de mon concerto ; il le joua, bien qu'il
soit à peine lisible, à livre ouvert, avec la plus grande perfection ; on ne peut pas
absolument mieux jouer qu'il ne l'a fait; c'est merveilleux.
Au concert de dimanche dernier, un hasard funèbre a rapproché le nom
de Verdi de celui de Mendelssohn. Un autre nom, celui de Wagner était plus
disparate. "Wagner, a frappé Mendelssohn de traits d'une justesse perfide. On
l'en a souvent blâmé. Outre qu'il y a, dans l'opinion de "Wagner une énorme
part de vérité, les génies créateurs ont presque toujours professé un mépris
souverain (souvent plus discret, j'en conviens) pour les talents d'assimilation
sage et pondérée qui réussissent presque sans efforts, parce qu'ils n'ont aucun
rempart à renverser, aucune routine à combattre. Mendelssohn jouissait d'une
réputation incontestée; cela seul explique l'acharnement de "Wagner, alors,
incompris; mais, je le répète, "Wagner avait raison sur le fond; on est bien
obligé de s'en apercevoir à cette heure. Au surplus, l'enthousiasme pour Men-
delssohn dépassait toute mesure; on l'opposait à Schumann et celui-ci,
sachant rendre justice à ce rival, partageait l'admiration que tous lui témoi-
gnaient et resta son ami. En vérité, Mendelssohn doit être placé résolument
au second rang. Il n'appartient pas à la lignée des créateurs originaux. Son
œuvre est le triomphe du goût, de la distinction, de la convenance en musique;
toujours élégante, saine et d'excellente tenue.
— Concert Lamoureux. — Le programme n'était pas particulièrement heu-
reux. La symphonie inachevée de Schubert, dans sa grâce tant soit peu
vieillotte, pourrait être 'remplacée avantageusement par un autre ouvrage du
maître ayant moins les allures des vieux airs de danse d'autrefois. — Le
poème symphonique de Rimsky-Korsaicow, Schéhéra^ade, renferme une partie
charmante, la troisième : Le jeune prince et la jeune princesse. Il y a là toute la
tendresse un peu maniérée, d'amours elUeurées qui ne doivent pas durer; on
se sent dans un pays où l'on risque joyeusement sa tête pour se livrer aux
joies éphémères du jeu d'aimer. Mais le reste de l'œuvre a plus de verve et
d'humour que d'inspiration vraie; il s'y rencontre de fastidieuses redîtes, des
longueurs, des recherches d'harmonie dont la bizarrerie est sans attrait pour
nous; par exemple la septième la-sol suivie de fa dièse formant sixte, suite
mélodique probablement familière dans la musique moscovite, mais qui nous
paraît à nous excessivement peu naturelle et factice. — Trois petits fragments
mélodramatiques pour le drame de Maeterlinck : Pelléas et Mélisande, ciselés
ou brodés, je ne sais comment dire, par le musicien archidélicat Gabriel
Fauré, ont obtenu un grand succès. L'un, Piteuse, a été bissé : une gentille
merveille d'orchestration. — Le concerto pour deux violons de Bach a été
rendu avec entrain, avec chaleur, par MM. Séchiari et Soudant. M. Lamond a
donné une bonne interprétation du concerto en mi h de Beethoven. Ce n'est
pas un exécutant soucieux au même degré que beaucoup de pianistes contem-
porains de l'art des nuances du toucher; mais cet art, poussé si loin aujour-
d'hui, a aussi son écueil vers lequel il conduit les plus réels talents. A force
LE MENESTREL
43
de chercher à subliUser dans l'émission des sons, on en arrive à devenir si
difficile que l'on n'est plus entièrement à son aise que dans un petit nombre
de compositions qui se prêtent particulièrement aux jeux, aux souplesses,
aux veloutés des sonorités. Alors on exécute toujours les mêmes œuvres, du
reste avec une perfection technique absolue. Tel pianiste laisse son réper-
toire vieillir avec lui; c'est comme un vieil habit dont il connaît tous les plis,
auquel il est fait de longue date; il ne peut plus se résoudre à s'en séparer.
M. Lamond n'a pas ce défaut. Il a joué avec force et véhémence, avec brio
l'œuvre colossale de Beethoven. Il s'y est fait beaucoup applaudir. — Le
concert se terminait par la marche hérdique de Saint-Saëns. L'épithète est de
trop. Il s'agit d'une marche quelconque, agrémentée de très artificiels con-
trepoints. AmÉDÉE BoUTAilEL.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la (Beethoven). — Chœur des Pileuses du Vaisseau-Fan-
Lôme (Wagner). — Concerto pour violon (Th. Dubois), par M. Marteau. — Pater noster
(Verdi). — Ouverture de lienvenvio Ccltini (H. Berlioz).
Chàtelet, concert Colonne : Symphonie héroïque (Beethoven^. — Concerto en la mineur
pour piano (Sciiumannj, par M"" Martlie Girod. — Nocturne pour ilùte (Georges Hue;,
par M. Gaubert. — Roméo et Juliette (Berlioz), — 1"' Concerto (op. 26i (Max Brucli), par
M. Oliveira. — Ouverture de Hienzi (Wagner).
Nouveau -Théâtre, concert Lamoureux sous la direction de M. Chevillard ; Ouverture
d^lphigénîe en AttUde (Gluck). — Lénore (Duparc). — Concerto pour violoncelle (Schu-
niano I, par JI. Joseph Salmon. — La Fiancée du Timbalier (Saint-Saëns), par M"» Gerville-
Réache. — Prélude du 2" acte de Gwendoline (Chabrier). — Symphonie en fa (Beethoven).
— La première partie du concert Colonne de jeudi, au Nouveau-Théâtre,
était consacrée à Mendelssohn, la seconde à M.Svendsen (et non Swendsen,
comme le disait le programme), avec, comme intermède vocal, la première
audition des intéressants Chants de France, si joliment arrangés par M. Péril-
hou. Après deux morceaux de la Réformation-Symphonie de Mendelssohn, un
tout jeune pianiste, M. Fernaud Lemaire, qui a obtenu naguère un brillant
premier prix dans la classe de M. de Bériot, est venu, au grand plaisir du
public, exécuter le beau concerto en sol mineur de ce maître. Il l'a joué non
seulement avec goût et avec style, mais en joignant, à l'occasion, le brillant
et la vigueur à la grâce, à l'élégance et à la délicatesse charmantes qui
caractérisent son jeu. Son succès a été complet et mérité. Le jeune artiste
s'est fait encore applaudir, cette fois avec M. Baretti, qui lui servait d'excel-
lent partenaire, dans la sonate pour piano et violoncelle. On a accueilli en-
suite avec faveur les jolis Chants de France, fort bien interprétés, les deux
premiers (Vitrail, Complainte df Saint-Nicolas), avec orchestre, par M. Daraux,
les autres par M'"' Planés, Mathieu d'Ancy et Odette Le Roy. La Complainte
de Saint- \ icotas, dont l'accompagnement d'orchestre est délicieux, avec la
jolie intervention de la harpe, a valu surtout un grand succès à M.Paul
Daraux. On a remarqué surtout, parmiJes autres, l'Hermite et la gentille
Chamon à danser de 1613. La séance se terminait par le Carnaval à Paris, de
M. Svendsen, épisode symphonique très curieux, plein de fougue et d'une
vigueur qui n'est pas coutumière aux musiciens Scandinaves, et par un
quintette du même pour deux violons, deux altos et violoncelle, œuvre d'un
intérêt très vif, exécutée avec une rare perfection par .\IM. Hayot, Touche,
Baillv, Monteux et Salmon.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La mort de la relue Victoria va faire revivre le théâtre du roi (Sing's
Théâtre). Ce nom fut d'abord donné à l'ancien Opéra situé dans Haymarket,
sur 1 emplacement duquel on a construit' récemment l'hôtel Garlton, et qui fut
pendant plus de deux siècles le quartier général de l'Opéra italien à Londres.
A l'avènement de la reine Victoria cet Opéra fut baptisé Her Majesty's (Théâtre).
Un des plus curieux incidents qu'on puisse rappeler à propos de ce théâtre,
fut la fameuse échaufl'ourée contre Tamhurini à laquelle fut mêlé un prince
du sang. L'ancien édifice a disparu, mais deux directeurs de théâtres londo-
niens se proposent déjà de donner le nom du roi à leur salle.
— La reine Victoria a connu presque toutes les célébrités de l'art musical
du dix-neuvième siècle, surtout les virtuoses et les chanteurs, et elle a
survécu â beaucoup d'entre eux qui étaient plus jeunes qu'elle. Parmi ceux-
ci il faut compter Rubinstein, auquel s'attache un souvenir amusant. En 1837
le grand artiste était venu pour la première fois en Angleterre et avait
apporté au prince Albert une chaleureuse lettre de recommandation de la
grande-duchesse Hélène, une fervente de l'art musical. Mais immédiatement
après son arrivée, le bruit se répandit à Londres, on n'a jamais su pourquoi,
que le prétendu artiste russe n'était en réalité qu'un espion envoyé en Angle-
terre par le gouvernement russe et un pianiste d'occasion. En 1837 le sou-
venir de la guerre de Crimée était encore très vif, et les Anglais n'étaient
que trop disposés à %oir des espions dans tous les Russes qui débarquaient
chez eux autrement qu'à titre de réfugiés politiques échappés aux griffes de
leur gouvernement. Le prince Albert reçut néanmoins l'artiste, qui n'avait
alors que vingt-huit ans, et l'invita à lui donner une preuve de son talent
en présence de la reine, qui demanda, en allemand, un morceau de Mozart.
Rubinstein joua alors le Rondo en la mineur, qui est resté un de ses morceaux
favoris jusque dans les dernières années de su vie, et qu'il interprétait avec
une poésie restée inoubliable. Dès les premières mesures, le prince Albert
regarda la reine en souriant; le jeune homme ne jouait vraiment pas comme
un espion et la grande-duchesse n'avait pas trop vanté le talent de son protégé.
— Les journaux artistiques italiens marquent leur mécontentement, et ils
n'ont pas tout à fait tort, de la façon piteuse dont on a célébré en Italie le
centenaire de Cimarosa. Tandis qu'à Vienne on a organisé tout d'abord urie
très intéressante exposition cimarosienne, on a eu simplement â Venise une
soirée musicale avec conférence de M. L.-A. Villanis, et à Toscanella une
autre conférence de M. Cerasa. « A Milan, dit en raillant un journal, la
commémoration a été faite au Conservatoire, c'est-à-dire non... au café Biffi,
par le petit orchestre dirigé par le maestro Stefani, qui a exécuté les ouver-
tures des Horaces et du Matrimonio segreto. » Un autre écrit, dans le même
sentiment: « Nos informations ne nous avaient pas trompé quand elles nous
faisaient entrevoir la possibilité d'une agréable surprise relative au centenaire
de Cimarosa. En fait, nous lisons dans les journaux que la vigilante direction
du théâtre de la Scala mettra en scène, en plus de son programme... i'Elisir
d'amore. » Un troisième, de Bologne, constatant que l'Autriche, l'Allemagne
et la Russie o^t dignement commémoré le centenaire de l'illustre artiste, se
plaint aussi qu'on n'ait rien fait en Italie, et il ajoute : « Et Bologne, qui
élève tant la voix quand on parle de musique? Le Lycée musical et l'Académie
philharmonique ont gardé en cette circonstance un silence honteux. »
— Au Regio de Turin, où Cendrillon a été si bellement accueillie, très vif
succès encore pour la Manon de Massenet. On a bissé « le rêve », « la petite
table », le menuet et la gavotte chantée. Après Saint-Sulpice il y a eu huit
rappels, et on voulait le his du tableau tout entier.
— « Celle-ci est à raconter », dit un de nos confrères italiens, l'Arpa, et il
a raison. Or donc, l'administration du théâtre San Carlo, de Naples, se vit
obligée dernièrement de suspendre les représentations de la Tosca, et elle en
donna pour cause une indisposition de M'"= Pandolfini. Mais voici qu'on
apprit ensuite que M"' Pandolfini jouissait d'une santé florissante, et que le
véritable malade était l'incomparable ténor De Lucia. Seulement « celui-ci,
dans sa divinité, ne voulait pas. comme un mortel quelconque, paraître sou-
mis à la moindre infirmité. » Le fait est qu'on n'avait pas encore inventé
celle-là.
— On a représenté ces jours derniers, au théâtre civique de Guneo, un
opéra en deux actes, Nozze, dont un jeune compositeur, M. Maurizio Cattaneo,
a écrit la musique sur un livret de M. Fulgonio. C'est une œuvre de débu-
tant, qui, si elle ne manque pas absolument de qualités, manque essentiel-
lementd'originalité. Elle avait pour interprètes M^Garci-Mugnoz, MM.Quarti,
Moreo et Corà.
— Une notice que M. A. J. 'Weltner, le savant archiviste de l'intendance
générale des théâtres impériaux de Vienne, a publié à l'occasion de la mort
de Verdi, fait croire que le maître italien n'a été nulle part joué aussi sou-
vent qu'à Vienne, en dehors de l'Italie bien entendu. Gela s'explique en partie
par le fait que l'Opéra impérial avait jusqu'en ces dernières années régulière-,
ment une saison italienne. Verdi a débuté à l'Opéra impérial le 4 avril 1843;
il dirigeait en personne Nabucodonosor, et cette œuvre est arrivée en tout à
17 représentations. Ernania. eu 208 représentations; les deux Foscari 8, / Lom-
bardi 21, Attila 6, / Masnadieri S, Macbeth 24, Luisa Miller 3, Rigolelto 139, le
Trouvère 318, la Traviata 100, Jeanne d'Arc 3, les Vêpres Siciliennes 23, Aroldo 2,
un liallo in maschera 107, la Forza del Destina 3, Aida 233, Simone Boccanegra 7,
Otello 6o et Falstaffi. Le Requiem a été exécuté 13 fois à l'Opéra impérial;
Verdi a conduit en personne la première exécution, en juin 1893. Le nombre
de représentations que nous venons d'indiquer comporte aussi bien les soirées
italiennes que les représentations en allemand. On voit que presque toutes
les œuvres de Verdi ont été jouées à Vienne, et le nombre de leurs représen-
tations correspond assez fidèlement au succès qu'elles ont obtenu ailleurs.
Le total des soirées consacrées à Vienne aux œuvres de Verdi s'élève à 1338,
chiffre arrêté le jour de la mort du maître; c'est énorme pour uu composi-
teur étranger.
— L'association Gœthe,qui a son siège central à Berlin mais qui possède
déjà des succursales dans toutes les grandes villes de l'Allemagne, a présenté
au Reichstag une pétition demandant l'abolition complète de la censure en
matière théâtrale. La pétition, qui e,xpUque longuement les inconvénients de
la censure et les torts qu'elle cause journellement à l'art et à la civihsation,
est signée par le président de l'association Gœthe, M. Franz Liszt, petit
cousin et filleul du grand compositeur, qui est professeur de droit criminel
à l'Université de Berlin et jouit d'une grande réputation comme jurisconsulte.
— La j Nouvelle Société Bach » annonce que le premier de ses festivals
aura lieu à Berlin les 21, 22 et 23 mars. Le premier programme comportera
cinq cantates ; le deuxième un prélude pour orgue, le motet Jésus, ma joie, une
sonate pour piano et violon, un air et le concerto brandenbourgeois en fa
pour deux cors, trois hautbois et instruments à cordes; le troisième la Messe
en la majeur, le concerto en ré pour piano, violon et lîlùte avec orchestre à
cordes, la cantate profane Eole satisfait et le Gloria de la Messe eu fa. — Le
21 mars sera inaugurée par le bourgmestre de Berlin une exposition Bach pour
laquelle beaucoup de bibliothèques et de collections publiques et particùliè- ■
res ont envoyé des objets rarissimes et fort intéressants. A la même occasion,
le musée royal expose une collection complète de tous les instruments musi-
caux dont Bach s'est servi dans ses œuvres.
m
LE MENESTREL
— Une opérette posthume de ililloecker. iutitulée Taillottr pour dames, vient
d'être jouée avec un très grand succès au théâtre Frédéric-Wilhelm de
Berlin. II parait que le compositeur y a utilisé plusieurs morceaux d'une
opérette antérieure qu'il avait fait jouer sans succès à Vienne.
— On nous écrit de Munich : Samedi 26 janvier, la.grande Société de l'Or-
chester-'Verein de notre ville donnait au Kaim-Saal une remarquable repré-
sentation de P/ofée ou JimoH ja/ouse, comédie-ballet de Rameau. — Cette œuvre
presque inconnue aujourd'hui du maître français a été tirée de l'oubli,
remise sur pied et réorchestrée pour la circonstance par quelques musiciens
de rOrchester-Verein. Il n'existe en effet aucune partition d'orchestre de
cette œuvre. L'exécution, très soignée au point de vue musical, a été char-
mante aussi au point de vue plastique et décoratif. On avait ressuscité la
scène antique avec « podium ». Les costumes, mi-partie grecs, mi-partie
Louis XIV, comme ils l'étaient en 1749, époque de la première représenta-
tion, étaient très réussis. La jolie musique de Rameau, si jeune encore et si
fraîche, a obtenu auprès du public venu en foule tout le succès qu'elle méri-
tait. L'orchestre, les solistes et les chœurs se sont acquittés de leur tâche, sou-
vent difQcile, avec un soin qui fait grand honneur à la Société de l'Orchester-
Verein.
' — Un ballet nouveau intitulé le Carnaval de Venise, musique de M. H. Berté,
vient d'être joué avec succès à l'Opéra royal de Munich.
— A l'Opéra royal de Munich, un petit opéra (Singspid) intitulé Jery et
Baetely, paroles.de Gœthe, musique de M^Ingeborg de Bronsart vient d'être
représenté pour la première fois à ce théâtre et a obtenu un joli succès.
— M. Richard Strauss vient de terminer un nouvel opéra intitulé le Feu
(Die Feuersnoth), qui sera joué à l'Opéra royal de Berlin en octobre prochain.
— L'Opéra de Prague, dirigé par M. Angelo Neumann, vient d'accomplir
un véritable tour de force. Il a donné en une semaine un cycle Gluck, qui
a commencé avec ses œuvres de jeunesse : le Cadi dupé et la Reine du Printemps
(Die Maienkoenigin], pour continuer avec Orphée, les deux Iphigénies, Armide
et Alcesteet pour se terminer avec Paris et Hélène, qui est une nouveauté pour
les amateurs vivants. Les solistes qui ont porté le fardeau de ce cycle sans
fléchir sont d'aussi bonne composition que la musique de Gluck.
— Le théâtre de Brème vient d'exhumer non sans succès une œuvre de
jeunesse de Lortzing intitulée le Polonais et son enfant, qu'on avait jouée une
seule fois en 1833 et qui était complètement oubliée depuis. La partition s'est
retrouvée par hasard à la bibliothèque de Brème.
— Le théâtre grand-ducal de Schwerin a joué avec beaucoup de succès une
« tragédie mystique » intitulée Thanatos, paroles de M. Hugues Revel, musi-
que de M Richard Francke.
— Au théâtre populaire de Budapest, Niiouche \ieul de célébrer sa centième
représentation.
— Les dieux s'en vont ! Voici qu'en Allemagne on commence à critiquer
vivement le grand violoniste Joachim, qui a eu le tort, parait-il, de se pré-
sent, r encore récemment en public malgré ses soixante-dix ans bientôt
sonnés. Le résultat, dit un journal, justifie ceux qui considèrent comme une
grave erreur de la part de l'insigne violoniste d'accepter, et de la part des
directeurs de lui offrir de se présenter au public, aujourd'hui que sa valeur
n'est plus qu'un pâle souvenir de ce qu'elle fut dans le passé. Mieux vaudrait
s'abstenir et se tenir coi.
— Le théâtre de Nuremberg va donner au profit du monument de la mort
de Gœthe, qu'on doit ériger à Francfort, un à-propos intitulé Une Soirée à l'é-
poque de Werther, espèce de « soirée Choufleury o où l'on jouera des fran-ments
scéniques de Gœthe et où l'on chantera de ses lieder. Le décor représentera le
salon de la maison de Gœthe à Francfort vers 1770, et tous les artistes porte-
ront le costume de l'époque.
-■ On a joué avec succès à LInz (Haute-Aulricbe) un opéra intitulé la
Demande en mariage, musique de M. Franz Neumann.
— M. César Thompson, l'excellent violoniste belge, vient d'entreprendre
une grande tournée artistique qui ne comprendra pas moins de trente concerts.
Le premier de ces concerts a dû avoir lieu à Prague le 4 février, le second à
Vienne. L'artiste parcourra ensuite les princijiales villes de l'Autriche, de la
Bohême et de la Hongrie.
— Un nouvel orchestre philharmonique, comprenant soixante exécutants,
vient de se former à Hanovre, sous la direction de M. Joseph Frischen. Il
annonce une série de douze concerts symphoniques.
— Le pianiste-compositeur Bernard Scholz, assisté de MM. Heermaun
(violon), J. Hegar (alto) et Hugo Becker (violoncelle), a fait entendre avec
succès à Hanovre, dans un concert du Conservatoire, plusieurs de ses nou-
velles compositions de musique de chambre: une sonate en la mineur pour
piano et violoncelle, un trio pour piano, violon et violoncelle et des Variations
sur un thème de Haendel pour piano et alto. Ce derniermorceau surtout a été
fort applaudi.
— Au Cercle artistique de Namur, très intéressante soirée musicale avec
. le concours de toute la famille Ballhasar-Florence La petite pianiste a été
étonnante, comme toujours; elle a joué l'Eau courante et la Valse folle de Mas-
senet d'une manière étourdissante. La violoniste, d'un talent si élevé, a, comme
toujours, aussi remporté tous les suffrages, et la violoncelliste ne lui a cédé
en rien. EnUn une cantatrice. M'"" Raquet-Delmée, a remarquablement chanté
diverses pièces, entre autres la charmante mélodie de M. Balthasar-Florence :
Si l'amour prenait racine, et ce beau morceau de grande allure du même maî-
tre : Aimer, pour chant, violon, violoncelle, orgue et piano. Gela a été un
bis formidable. Il y en avait eu d'autres d'ailleurs au cours do la soirée.
— Les citoyens de Bâle ont réuni entre eux la somme de iS. 000 francs pour
l'offrir comme cadeau rie jubilé àM. Volckland, qui dirige depuis 25 ans leurs
concerts symphoniques et leur orphéon. En Angleterre ces teslimonials sub-
stantiels ne sont pas rares, mais en Suisse personne n'en avait encore reçu.
— De Monte-Carlo : Fort beau succès pour Pugno au dernier concert clas-
sique. Le grand virtuose y a exécuté le concerto de Beethoven et son propre
concertstuck au milieu d'un véritable enthousiasme. Huit rappels et deux bis.
Orchestre superbe sous la direction de Léon Jehin.
— A Monte-Carlo également, l'excellent violoncelliste Holmann vient
d'obtenir un éclatant succès avec le beau concerto en ut mineur de Noël
Desjoyeaux et la délicieuse Sérénade de Milenka de Jan Blockx.
— Le théâtre Parish, de Madrid, a donné la première représentation d'un
opéra en trois actes, Couadonga, dont le livret est du à MM. Zapata et Sierra
et la musique au compositeur Thomas Breton, connu jusqu'ici par de grands
succès. Il ne paraît pas en avoir été de même cette fois. Le poème de Cova-
donga a paru fâcheux, et la musique, malgré quelques morceaux bien venus,
n'a trouvé qu'un accueil assez sévère. On critique assez vivement la pièce,
la musique, et même les décors. — Par contre, une zarzuela iutitulée el Juicio
oral, a obtenu un très vif succès au théâtre Comique. Les paroles sont de
MM. Perrin et Palacios, la musique de M. Angel Rubio.
— xV Madrid encore, apparition d'une autre zarzuela, intitulée Polvorilla. Au-
teurs : MM. Fernandez Shaw et Fiacro Irayzoz pour les paroles, M. Vives
pour la musique.
— Se mettre cinq pour une pauvre petite zarzuela, deux auteurs et trois
compositeurs, c'est peut-être beaucoup. C'est pourtant ce qu'on vient de voir
au théâtre Eslava, de Madrid, pour une pièce de ce genre intitulée la Maestra,
dont les paroles sont dues à MM. Navarro Gonzaloo et Pio Silven, et la mu-
sique à MM. Calleja, Lleo et Barrera. La pièce, de genre aristophanesque,
est, parait-il, une sorte de satire politique, et les acteurs n'ont pas craint
de portraicturer et de caricaturer en scène certains personnages bien connus
de ce monde spécial.
— Le grand triomphateur du jour, l'enfant gâté du public en ce moment
dans toutes les villes des États-Unis et du Canada, est un petit phénomène
qui s'appelle Cari Gulick, Dans les soirées particulières ou dans les concerts
publics, à l'église ou ailleurs, on se le dispute avec chaleur, et chaque fois
qu'il se présente le public reste fasciné et comme étourdi. Cet enfant est un
bambin d'une dizaine d'années à peine, qui possède une voix de soprano
telle qu'on en entend rarement. Cette voix est d'un timbre merveilleux, d'une
grande étendue et d'une justesse absolue. Mais, si prodigieuse qu'elle soit, ce
qui est plus surprenant encore, c'est le tempérament musical, le sentiment
exquis et l'art avec lequel cet enfant sait employer les dons précieux qu'il a
reçus de la nature. Il chante de préférence des romances et des chansons
populaires, mais souvent aussi il prend part comme soliste à l'exécution d'ora-
torios de Haendel, d'Haydn et de Mendelssohn et se fait entendre dans des
églises, et toujours avec la même perfection et le même succès.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Leygues, ministre de l'instruction publique, a reçu mercredi le
comité de la Ligue franco-italienne. M. Paul Delombre, député, a présenté
au ministre MM. le marquis de Castrone, vice-président de la ligue, P.aqueui,
secrétaire, Vasseur, Jean Bares, Picquet, Penso, Paul Vibert, Gernîgliari-
Melilli, de Beriha, Durand et d'autres membres du comité. Le comité a oll'ert
au ministre la présidence d'honneur de la cérémonie commémorative que la
ligue prépare à la Sorbonne en l'honneur de Verdi. M. Leygues l'a acceptée,
disant qu'il était heureux de s'associer à l'hommage que l'on rendra à l'illustre
compositeur, gloire de l'Italie et de l'humanité, et a promis tout son concours
afin que cette manifestation réussisse, grandiose. Il a saisi cette occasion
pour féliciter la Ligue franco-italienne de ses efforts pour le rapprochement
de la France et de l'Italie. M. Théodore Dubois, directeur du Conservatoire,
a accepté la présidence effective de la cérémonie, qui aura lieu vers la fin de
ce mois. Le comte Turnielli, ambassadeur d'Italie, a accepté la présidence du
comité d'honneur, dont font partie plusieurs notabilités du monde artistique
et littéraire de Paris. Le gouvernement français se fera également représenter
à la cérémonie, qui doit avoir lieu à Milan.
— Nous pouvons annoncer que le ministre de l'instruction publique a
promis pour cette manifestation le plus large concours des artistes de l'Opéra
et de rOpéra-Comique, et que la conférence dont Verdi sera l'objet eu cette
soirée grandiose sera faite par notre collaborateur Arthur Pougin.
— La musique a d'ordinaire peu de rapports avec l'Académie de médecine,
à moins qu'il s'agisse des soins que réclame la voix des chanteurs. Pourlant
elle a sa place indirecte et très modeste dans le choix que ladite Académie
vient de faire en la personne du docteur Sigismond Jaccoud, qui lui appar-
tenait depuis 1877 et qu'elle a élu à l'unanimité secrétaire perpétuel en rem-
placement de M. Bergeron. Ancien professeur de clinique médicale à l'hôpital
de la Pitié, clinicien du plus haut mérite, connu du monde savant de tous
LE MENESTREL
4.7
les pays par des travaux extrêmement remarquables, notamment par le grand
Dictionnaire de médecine qui porte son nom, M..raccoud s'est fait lui-même.
Lorsqu'il vint à Paris en 1850 pour y l'aire ses études, il était sans fortune,
et comme il avait étudié la musique à Genève en amateur, et qu'il lui fallait
vivre, il n'hésita pas à accepter, dans l'orchestre du Gymnase (qui possédait
alors un orchestre), une place de second violon, qu'il remplit avec exactitude
pendant trois ou quatre ans, tout en prenant ses inscriptions. Et depuis cette
époque, M. Jaccoud continue de faire partie de l'Association des artistes
musiciens, à laquelle il n'a pas jugé à propos de réclamer la pension à
laquelle il aurait droit. Voilà comment, d'une façon assez originale, la musique
se trouve indirectement mêlée à l'élection du nouveau secrétaire perpétuel
de l'Académie de médecine.
— Jolie semaine qui se prépare pour les critiques de théâtre! Voici le
tableau des répétitions et des « premières » annoncées :
Lundi 11, à l'Opéra-Gomique (matinée), répétition générale de la Fille de
Tabarm.
Mardi 12, à l'Opéra (soirée), répétition générale d'Astarté.
Mercredi 13, à l'Opéra-Comique, première représentation de la Fille de
Taharin.
Jeudi 14, au Gymnase, première représentation du Domaine.
Vendredi IS, à l'Opéra, première représentation A'Astarté.
Théâtre Antoine, première représentation des Remplaçantes.
Et, en suspens encore, les Variétés avec les Médicis de M. Henri Lavedan.
— La matinée organisée à l'Opéra-Comique par M. Albert Carré, au
bénéfice de la caisse (fondée en 18!)8) de pensions viagères des artistes de
l'orchestre, des chœurs et du personnel de la scène, a eu lieu jeudi avec le
plus grand succès, puisque la recette a dépassé douze mille francs ! On y a
beaucoup fêté M°"= Sanderson, qui a chanté délicieusement Pensée d'automne
et une nouvelle mélodie de Massenet, Amoureaic appel, qui a été aux étoiles.
Devant l'insistance du public, la charmante artiste a dû ajouter un morceau
au programme, ia valse de Roméo et Juliette, qui lui a été bissée. Gros effet
encore pour l'Ave Maria de Gounod, chanté à l'unisson par toutes les dames
artistes du théâtre. N'oublions pas M"« Raunay, la piquante Judic, Coquelin
cadet toujours inénarrable, M"= Charlotte Wiehe, puissante tragédienne. On
avait commencé par l'Intermezzo de Henri Heine, musique fort adroitement
par M. Gaston Lemaire.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
la Basoche et les Noces de Jeannette; le soir, Manon.
— En finira-t-on quelque jour avec cette idée fausse que la composition
musicale de la Marseillaise n'appartient pas à Rouget de Lisle ? Voici qu'un
important organe musical allemand, le Zeitschrift der Internalionalen Musik-
Gescllschaft, vient encore de rééditer l'attribution à Grisons, de Saint-Omer,
de la mélodie de notre chant national. Heureusement notre collaborateur
Julien Tiersot, qui, il y a plusieurs années, a rétabli la vérité dans une étude
dont le Ménestrel a eu la primeur, a relevé de nouveau cette assertion dans un
article qui vient de paraître à la première page du Zeitschrift. Il faut donc
espérer que maintenant, en Allemagne comme en France, on n'aura plus de
doutes sur un fait qui n'est peut-être pas de première importance, mais à
propos duquel on se demande eu vertu de quelle préoccupation il y a tant
de gens si empressés à travestir la vérité.
— M. Ch.-M. Widor partira dans les premiers jours de mars pour Moscou,
où il doit assister à la cérémonie d'inauguration du nouveau Conservatoire
de cette ville.
— Les Signale, de Leipzig, nous apprennent que M. Edouard Colonne doit
entreprendre avec sou orchestre, au printemps prochain, une tournée de con-
certs au cours de laquelle il visitera les principales villes de l'Allemagne, y
compris Berlin et Wiesbaden.
— C'est un livre très important et fort intéressant que celui que M. Lau-
rent Grillet vient de publier sous ce titre : Les ancêtres du violon et du violoncelle,
les luthiers et les faiseurs d'arehet (Paris. Charles Schmid, 2 vol. in-S»). Nous
avions déjà sur ce sujet l'ouvrage volumineux et précieux d'Antoine Vidal :
Les instrument.^ à archet, qui, lui aussi, l'avait bien étudié. Mais on n'aura
jamais trop de détails et de renseignements pouvant servir à établir d'une
façon certaine l'histoire complète et définitive de ce roi de l'orchestre, de cet
instrument pathétique et admirable qui s'appelle le violon. Pour ma part
j'ai, en ma qualité de violoniste, été hanté pendant quinze ans du désir
d'écrire cette histoire. J'y ai renonce en présence de l'incertitude des rensei-
gnements, du peu de précision qu'oU'rent les détails de sa naissance et de
ses transformations. Féiis assure que l'excellent violoniste Cartier, qui s'en
était occupé longtemps, avait rédigé une Histoire du violon, mais qu'il ne
put jamais trouver d'éditeur. Étant donnée la personnalité de Cartier, le fait
est doublement fâcheux. Qu'est devenu son manuscrit?... Nul ne le sait.
Nous connaissons aujourd'hui ce qu'étaient les instruments que M. Laurent
Grillet appelle fort justement « les ancêtres du violon ». Nous n'ignorons
plus que les premiers instruments barbares à cordes, tels que le ravanastron,
étaient en usage dans l'Inde il y a plus de cinq mille ans ; nous savons que
le rebab existait en Arabie dès le septième siècle, et qu'à cette époque aussi
les bardes gaéliques se servaient du grossier crouth à trois cordes ; de même
nous avons appris que la rubèbe ou rebelle à une ou deux cordes était connue
chez nous au neuvième siècle, qu'elle fit place, trois cents ana-après, au rebec
à trois cordes, dont les ménétriers se servaient au dix-huitième siècle. En
même temps on avait la vielle à archet, instrument cher aux ménestrels et
aux trouvères. Puis enfin on eut les gigues allemandes, les violes italiennes
(da braccio et da gamba), et l'on sait que de tout cela sortit le -violon moderne.
Mais quand, où, par qui?... Il n'importe. M. Laurent Grillet, s'il n'a pu, pas
plus que d'autres, préciser à ce sujet, a du moins retracé avec soin et avec
toute l'exactitude possible l'historique de ces prédécesseurs, de ces ancêtres
du violon moderne. Le plan de son livre est clair, bien disposé, les documents
y sont nombreux, les citations heureusement choisies. Et comme l'auteur a
voulu joindre l'agréable à l'utile, il a orné son ouvrage d'un grand nombre
d'illustrations prises surtout d'après les monuments. Et. plus heureux que
Cartier, il a trouvé un éditem-, et cet éditeur, qui est assurément un homme
de goût, a publié le livre dans des conditions rares de luxe, et de confortable.
Heureux auteur, heureux lecteurs ! a P.
— L'écrivain consciencieux et distingué qui signe du nom de Michel Brenet
vient de doter la littérature musicale d'un livre dont le sujet n'avait été jus-
qu'ici qu'effleuré, traité çà et là par parties, et qui vient, on peut le dire,
combler une véritable lacune. Ce livre a pour titre les Concerts en France sous
l'ancien régime (Fischbacher, in-12), et la matière y est traitée avec toute
l'ampleur et toute l'abondance désirables. Il est divisé on deux parties, dont
la ijremière nous mène de la fin du moyen âge au commencement du dix-
huitième siècle, tandis que la seconde part de la fondation du Concert spiri-
tuel pour aboutir à la Révolution. Peut-être l'auteur eùt-il pu s'étendre un
peu plus, dans sa première partie, sur la si intéressante et si peu connue
Académie de poésie et de musique de Baïf et de ses amis, et ce chapitre est
sans doute un peu étriqué, d'autant que les renseignements sont loin de
manquer à ce sujet. Mais le livre, en son ensemble, est bien venu, sérieuse-
ment documenté, écrit d'une langue claire et lucide, et l'on peut dire que la
matière y est à peu près épuisée. On y retrouve d'ailleurs les qualités de goût
et de sincérité qui distinguent les travaux de l'écrivain. Je lui reprocherai
seulement un véritable abus de notes marginales, qui sont fatigantes en Tenant
interrompre le récit deux ou trois fois à chaque page: Un livre de ce genre
n'est point fait pour les ignorants en musique. Alors, à quoi bon ce déluge
de petites notices sur des artistes que souvent l'on connaît et pour lesquels,
si on ne les connaît pas, on n'a qu'à consulter Fétis pour être renseigné. En
principe, la note de bas de page doit être absolument indispensable. Autre-
ment, elle lasse et décourage le lecteur. A. P.
— La charmante M"» Kleeberg parcourt la Suisse en ce moment, s'arrétant
ici et là pour donner des récitals de piano qui ont toujours le plus grand
succès. Sur tous ses programmes on voit figurer, à côté des grands classiques,
quelques œuvres de maîtres français qui y font très bonne figure. C'est ainsi
que les Abeilles de Théodore Dubois et Les ailes de Benjamin Godard lui sont
presque partout redemandés.
— Au dernier « Mercredi-Danbé » M"' Cesbron, la brillante lauréate du
Conservatoire, a remporté un vif succès avec les adorables mélodies de
Théodore Dubois, Au désir. Dormir et rêver et l'Oubliée, auxquelles le public a
fait fête. — M. Brémont, de l'Odéon, a dit, comme il sait dire, l'Étoile du soir
et l'Incantation de Victor Hugo, sur la musique de Francis Thomé, qui a eu
les honn .urs du bis. — Enfin les Chants populaires gallois, reconstitués par
Bourgault-Ducoudray, ont valu àMM.Hennebains, Soudant, deBruyne, Mar-
cel Migard, Destombes et à l'auteur, qui les dirigeait, un très réel et légitime
succès. — Nous remarquons au programme de mercredi prochain plusieurs
œuvres de Théodore Dubois, l'émiuent directeur du Conservatoire, entre autres
l'andante et cavatine pour violoncelle et ses jolies pièces en forme de canon
qu'il exécutera lui-même avec MM. Destombes et Bleuzet. Puis encore trois
mélodies du même maître (Poème de mai, Au désir, A Douarnenez), interprétées
par M. Delmas, de l'Opéra. A cette matinée encore on. entendra, Mfl»' Adiny
dans le Rêve, de Richard Wagner; on sait avec quel art elle interprète les
œuvres du maître, et deux mélodies d'Emile Trépard. Enfin, le quatuor
Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes, exécutera plusieurs œuvres de
Mozart, Beethoven et Mendelssohn.
— M™ Anne de Vergniol. avec le concours des auteurs, de M"" Henriette
Menjaud et de MM. Enesco, Sechiaoi, Casais et Englebert, donnera à la salle
Hoche, les 11 février, 21 février et 11 mars, trois intéressantes séances de
musique de chambre consacrées la première à M. G. Pauré, la seconde à
M. Léon Delafosse, la troisième à M. Vincent d'Indy.
— Comme à Alger, la Louise de Charpentier vient d'être accueillie triom-
phalement au Grand-Théâtre de Lille. Mais ce n'est pas la faute du direc-
teur, qui avait refusé tout simplement au compositeur la répétition supplé-
mentaire qui eut été indispensable. On est arrivé devant le public sans avoir
répété une fois dans les décors au complet et sans avoir réglé l'éclairan-e.
Aussi, que d'accrocs dans la mise en scène à la première représentation !
Malgré cela, le public a fait à l'œuvre un accueil émouvant et a réclamé à
grands cris M. Charpeniier, qui, justement froissé, n'était pas venu au théâtre.
L'œuvre a été fort bien interprétée par M. et M™» Mikaelly, rappelés trois fois
après le duo du 3« acte, et par M. Ramieux (le père) et M"'" Lefort (la mère).
L'orchestre excellent sous la conduite de M. Brunet. Toute la presse lilloise
constate unanimement cette grande réussite. M. Charpentier est à présent à
Bruxelles, où la « première » de Louise a du être donnée hier soir samedi.
— De Marseille : Les directeurs du Grand-Théâtre veulent laisser de, bons
souvenirs de .leur passage en attendant la mise en régie par la Ville, mesur*
dont le maire parait fort soucieux. Malgré le vif succès iB-Gend/riUon.i\ûi-Be-
poursuit toujours, on presse les études à'Aniré Chénier, du compositeur
LE MENESTREL
italien Giordatio, et de Louise, du maître français Charpentier; ces deux ou-
vrages sont annoncés pour le courant de février. On vient de distribuer, au
Gymnase, les Fêtards de Victor Roger, dont le succès est si vif à Toulouse.
— De Pau : La saison du Palais d'hiver se continue brillante sous la di-
rection artistique de M. Bouvet. Grand succès pour la Vie de Bohème de
Puccini et Cavalleria rusticana de Mascagni. On répète à présent la Sapho de
• Massenet avec le ténor Leprestre et M"*' Demours. Les concerts classiques
de Brunel font fureur le vendredi. On y prépare un festival en Thonneur de
M. Théodore Dubois, qui doit venir prochainement dans nos parages.
— Saint-Etienne : La messe brève en sol de Niedermeyer vient d'être exé-
cutée trois fois sous l'habile direction de M. J. Vincent, et le succès a été très
grand. Brillante recette ponr les pauvres.
— Soirées et Concerts. — La Société instrumentale d'amateurs « la Tarentelle '> a
donné son 23» concert à la Salle Erard. L'orchestre, très bien dirigé par M. Ed Tourey, a
fait merveille notamment dans la Symphonie en tet majeur de Beethoven et dans le Der-
nier Sommeil de la Vierge de J. Massenet. Il a accompagné avec soin, à M. Alph. Hassel-
mans, qui l'a interprété en grand artiste, le Choral et variations pour harpe et orchestre
de Ch.-M. AVidor, dont les mélodies chantées d'une manière exquise par M"" Charlotte
Lormont ont eu les honneurs du bis. M. Bartet, de l'Opéra, a eu également un grand
succès. N'oublions pas le violoncelliste G. Loeb qui a enthousiasmé l'assistance. —
A la Salle d'Horticulture, très exquise soirée musicale organisée par le parfait ténor
fflondain M. Robert Le Lubez qui s'est fait grandement applaudir dans d'importants frag-
ments de Cosi fan tutte de Mozart, en compagnie de M"' Jane Leclerc, Louis Château,
MM. Morel, Dubois et Maton qui dirigeait un petit orchestre à cordes. 11 y a eu aussi,
dans la première partie, d'unanimes bravos pour M°"' la vicomtesse de Trédern et
M"= Louis Château dans le duo du Roi d'Ys, de Lalo, pour M"" de Trédern dans le Che-
valier Belle- Étoile, d'Augusta Holmes, et pour le comte de Gabriac et M""" de Trédern
dans le duo de Sigurd, de Reyer. — Charmante matinée Berny, à la Bodinière, causerie
avec œuvres de Périlhou. M. Berny qui a joué la Pastorale du XYIII" siècle et la Chan-
son de Guillot Martin, et M"" Mathieu d'Ancy et M. Daraux, accompagnés par Fauteur,
ont charmé l'auditoire nombreux avec la Vie7-ge à la Crèche, Nell, M'amye, Villanctle,
Vitrail, l'Hermite, Au-dessous, la Complainte de Saint-Nicolas, Musette, Margoton et Chan-
son à danser. — La <c Société de musique classique et moderne «, dirigée par M. AVil-
laume, vient de donner un concert où on a surtout applaudi Source Capricieuse de
L. Filliaux-Tiger jouée par l'auleur et les Enfants de Massenet, chantés par M"* Mouillot.
— A son concert, salle Pleyel, M™° Louise Vaillant était entourée d'artistes forts distin-
gués. Citons la violoniste Henriette Vedrenne, la violoncelliste Edmée de Buffon, M"''yva
Moresia qui a dit avec un charme très expressif la nouvelle mélodie de Massenet, Xrnou-
reuse, M"= Poncin, très applaudie dans la Valse printanière, de M, Léon Schlesinger, ac-
compagnée par Tauteur, M""* Savinie Lherbay qui a récité dans la perfection la poésie
d'Auguste Dorchain, Sans lendemain, avec musique d'accompagnement de M. Léon Schle-
singer exécutée sur l'orgue célesta, par M'*" Denyse Taine; enfin M""* Forges de Montagnac
qui a fait a-lmirer un superbe organe dans le Nil de Xavier Loroux, avec accompagnement
de violoncelle par M"" de Buffon. — Très intén^ssante audition des élèves de la classe de
piano au Conservatoire de M. Louis Diémer. On a surtout remarqué MM. Lortat-Jacob et
A- Turcat dans une jolie suite pour deux pianos de M. Louis Aubert, puis MM. René Billa,
Ad. Borchard, enfin MM. G. Déré {Les Abeilles^ de Th. Dubois), G. Arcouet tt Garés qui
font honneur au merveilleux enseignement de leur célèbre maître. — A la Bodinière, aux
matinées Berny, très grand succès pour des fragments du Noël de Paul Vidal et Mau-
rice Bouchor. Ces exquis fragments ont été chantés de façon exquise par M""^ Hatlo et les
chœurs de M"" J. Lyon. La flûte de M. Lernatte, le hautbois de M. Ch. Brun, le violon de
M. A. Brun, l'alto de M. Monteux, le violoncelle de M. Destombes et le piano, tenu par
l'auteur, ont merveilleusement accompagné. — Bonne séance d'élèves chez M"" et M"" Lafais-
Gontié. On remarque surtout M"' Hélène H. {Aubade du Cid, Massenet), M. Maurice M.
{Andfdousc du Cid, Massenet), M"' L. T. et M. A. B. {dao de Saplio, Massenet) et M^'L. T.
(air de la Flûte enchantée, Mozart). — Mi'" Hélène CoUin a donné une séance d'élèves
très réussie, consacrée aux œuvres de M. Georges Falkenberg, parmi lesquelles le Scher-
sando a été particulièrement goûté. On a vivement apprécié l'excellente école de piano
de M"" Collin, qui s'est, à la fin, fait chaudement applaudir. — Salle de Géographie,
brillante matinée de bienfaisance, organisée par M"" Fagnant-Lmnay, violoniste. M. Ma-
noury a chanté avec un talent dont l'éloge n'est plus à faire Pensée d'automne de Massenet.
La Charité de Faure, que le public a fait bisser, a été chantée par M. et M"» Manoury,
M"* Hiriberry et M. Furstenberg, avec accompagnement de violon et violoncelle par
M"* Fagnant-Launay et M"' Bande; le trio de Godard pour violon, violoncelle et piano a
été brillamment exécuté par M""^ Fagnant-Launay, M"' Baude et M™" Gilbert-Thouvenel.
M. Voisin a été applaudi dans la scène de Lemercier de Neuville : En province. M"''* Aël
Brick et Tugot; MM. Villemin, Auge, AUéon et J. Fagnant ont interprété avec succès des
pages littéraires. — Superbe matinée chez M. Maxime Thomas, le violoncelliste distingué.
Une sonalé de Beethoven et la Méditation de Thaïs jouées par le maître de maison et
M"'= Madeleine Mauduit, une jeune pianiste d'avenir, ont eu un grand succès. M"" Mau-
duit a fini la séance avec un nocturne de Chopin merveilleusement interprété. — Matinée
des plus intéressantes chez M"° Millet de Marcilly, M"" Van Parys de l'Opéra a obtenu le
plu? grand succès avec l'air d^Hamlet, et les Variations de Proch, Miss Daisy Glenne,
M"' Frémerey, M. Billaudot, M"" la comtesse Mikorska,M"'"Baudeet Salomon, M™' Millet
de Marcilly, M de Léry se sont fait également entendre et applaudir. — Samedi dernier,
à la Société d'Enseignement îloderne, conférence-concert sur Beethoven. L interprétation
du concerto en ut mineur et de la sonate en ut dièse a valu beaucoup de succès à M"» Gi-
rardin-Marchal. — A lu soirée qui a suivi le Banquet annuel de FAssociation amicale de
Condorcet, après la note gaie fournie par M"'^ Germaine Riva, de la Renaissance, et par
le chansonnier Maurice Brébant, M"" Mathieu d'Ancy, des Concerts-Colonne, a détaillé
l'air du Mysoli, de Félicien David, avec un talent exquis de vocalise et d'expnssion qui a
ravi l'auditoire.— Salle Krard, le violoniste M. D. Lederer a donné un intéressant concert,
avec le concour8 du pianiste M. Jean Canivet. Les deux artistes ont d'abord joué dans
un style pariait la belle sonate pour piano et violon en ut mineur de Beethoven ; M. Lede-
rer a ensuite détaillé avec beaucoup de virtuosité le 4= concerto de Vieuxlemps et
M. Canivet a offert une interprétation poétique et impeccable de la sonate du Clair de
tune, de Beethoven. N'oublions pas M"* Lovano, fort applaudie dans plusieurs mélo-
dies, dont la jolie chanson Par le sentier, de M. Th. Dubois. — La dernière soirée musicale
de M"° Magdeleine Godard était consacrée aux œuvres de M"" Augusta Holmes qui pré-
sidait elle-même aux exécutions. Succès d'enthousiasme pour Au pays hleu interprété par
l'auteur et M"» Delillemont (piano 4 mains), M"" M. Godard (violon), M. Marthe fviolon-
celle). — Très brillante soirée salle Krard pour applaudir M"" Solange de Croze, fille et
élève du distingué compositeur Ferdinand de Croze. La jeune pianiste a exécuté, avec
une remarquable virtuosité et une grande diversité de talent, plusieurs morceaux de
maîtres. Puis l'oi-chestrede Colonne a interprété, avec s:i mai's tria habituelle, du Schumann,
et M. Hardy-Thé et M"" Yvonne de Tréville se sont fait applaudir chaudement. — Chez
M™" René Fâche, intéressante audition de mélodies d'Ernest Moret interprétées très joli-
ment par M"" Bressolles. A vous ombre légère, Teiulressc , Tubéreuse et les originales
Chansons tristes ont eu les honneurs de la séance. — Assistance des plus sélect au con-
cert de charité dimanche à Rambouillet : vif succès | our l'exquis chanteur Hardy-Thé,
bissé dans l'Adieu au Foyer de L. Filliaux-Tiger, la brillante pianiste Jeanne d'Herbé-
court dans Source Capricieuse du même auteur; Myrto (Delibesi par M"" Lundh, Psyché
(Ambroise Thomas), Ère (Massenet), par M'"" Colombel complétaient un programme en
tous points réussi. — Audition très réussie des œuvres de L. Filliaux-Tiger chez l'excellent
violoncelliste M. Thomas : succès accentué pour Pluie en mer, interprétée avec un grand
style par M"'" Paul Diey, et pour Source Capricieuse, par l'auteur. — Hier, la charmante
cantatrice M"'' Mouillot, élève de M-" Ducasse,a obtenu le plus vif succès dans les Enfants
et Crépuscule (Massenet); bravos chaleureux a l'excellent violoniste de la Haulle dans
Méditation de Thaïs (Massenet), à L. Filliaux-Tiger et M"" Saillard dans Boman d'Ar^
lequin (Massenet-Filliaux-Tiger). L. Filliaux-Tiger interprétant sa Source Capricieuse a
retrouvé le succès déjà remporté avec cette poétique composition au concert de M. Wil-
laume. — Les séances artistiques mensue'les de M""^ du "Wast-Duprez ont repris brillam-
ment leur cours dans l'élégante salle du Journal. On a applaudi, dans la dernière, M""* Le
Garabier, Campagna, Ménière, Diébold et MM. de Poumayrac, Lafont et P. du Wast dans
des fragments de Mignon^ de Mireille et des Dragons de Vilkirs, ainsi que M"" Marguerite
Achard, Jeanne du Wast et M. Gabriel Willaume dans la partie instrumentale ou décla-
mée. — La dernière séance de FÉcole de musique classique, dirigée par M. Gustave
Lefèvre, a été particulièrement intéressante. Les divers élèves de l'école, MM. Nibelle,
Chabanier, Le Boucher, Defosse, Hœflich, Bruxer, ont fait ressortir son excellent ensei-
gnement en exécutant, avec le concours de MM. Deliay et Guidé, un programme superbe
qui réunissait les n^^ms de Bach, Gluck, Mendelssohn, Niedermeyer, Schumann et Saint-
Saëns. — Très intéressante séance donnée à la salle Pleyel par la charmante pianiste,
M"" Suzanne Percheron, qui s'y est montrée pleine de brio. A signaler surtout sa bril-
lante interprétation de la Toccata de Massenet. M. Dantu a très bien chanté un air
d'Hérodiade, et, avec M*''^ Melno, le duo de Marie-Magdeleine . — Chez Pleyel, très atta-
chante « séance de sonates » donnée par M. et M'"'' Carembat. Très remarquée et très
applaudie la belle sonate pour violon et piano de Théodore Dubois.
NÉCROLOGIE
De Yalta (Grimée), à la date du 10 janvier, on annonce la mort d'un
jeune artiste qui donnait les plus brillantes promesses, le compositeur Basile
Serguevitch Kalinnikof, dont nous avons entendu l'an dernier, aux concerts
de l'Exposition, une symphonie fort remarquable. D'une famille modeste,
Kalinnikof, fils d'un employé du gouvernement d'Orel, était né en 18G6. Au
sortir de ses études au séminaire d'Orel, il entra à l'école de la Société phil-
harmonique de Moscou. Son éducation musicale fut dirigée par Tschaïkowsky,
qui le confia à deux excellents maîtres, MM. Hûnski et Blaremberg. C'est
en 1892 qu'il débuta brillamment avec sa symphonie, qui fut fort bien ac-
cueillie et qui fit concevoir en lui de grandes espérances. Il écrivit depuis
lors une seconde symphonie, une cantate, une Suite d'orchestre, une musique
pour un drame d'Alexis Tolstoï : Tsar Boris, deux <c Tableaux symphoniques»
intitulés l'un les Nymphes, l'autre te Cèdre et le Palmier, des mélodies vocales
et quelques morceaux de piano. Il avait même entrepris la composition d'un
opéra, l'Année iSI2. Malheureusement, le jeune artiste était depuis longtemps
dévoré par la phtisie, qui finit par avoir raison de son courage et de sa
volonté. Il s'est éteint avant d'avoir accompli sa trente-cinquième année.
— De Varsovie on annonce, à la date du 19 janvier, la mort du ténor Otta-
vio Nouvelli, qui était âgé seulement de 46 ans. C'est à notre Théâtre-Italien
de la salle Ventadour que cet excellent artiste vint débuter, le 27 avril 1877,
dans Marta. Il y fut fort bien accueilli, et particulièrement lorsqu'il reprit
dansiiida le rôle de Radamès, qu'il fut même le premier, après l'avoir chante
en italien, à chanter à Paris en français, sur ce même théâtre. Nouvelli four-
nit ensuite une brillante carrière en Italie, entre autres à la Scala de Milan,
où il se montra dans la Reine de Saba de Goldmark et dans les Maîtres Chan-
teurs, et au Communal de Bologne, où il chanta Roméo et Juliette de Gounod,
Héroiiade de Massenet, Lohengrin, Carmen, Mefistofele, Tristan et Yseult, etc.
Il avait abandonné la carrière active en 1897 pour accepter les fonctions de
professeur au Conservatoire de Varsovie. Il a publié un manuel estimé de
l'enseignement du chant.
— Ces jours derniers est mort à Milan, à l'âge de 58 ans, Alessandro Fano,
directeur du journal le Mondo artislico, l'une des meilleures feuilles musicales
de cette ville, où elles sont si nombreuses. Il avait été d'abord collaborateur
du Cosmorama et du Trovatore, puis avait pris la direction du Mondo artistico
avec l'appui d'un excellent critique, mort il y a quelques années, Filippo
Filippi, qui était aussi feuilletonniste musical d'un grand journal politique,
la Perseveranza.
— Un renseignement inexact nous a fait dire que M"'» Charlotte Dreyfus,
l'artiste distinguée dont nous avons annoncé la mort, était la veuve du fac-
teur Edouard Ale.xandre. Le l'ait est controuvé.
Henri Heugel, directeur-gérant.
. — (Encre LoiJleu)
3647. - 67- mm - Pi" 7. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanelie 17 Février 1901.
-^M
(Les Bureaux, 2"'", rue Vivieme, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
MÉNESTREL
lie Hamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉA^TKES
Henri HEUGEL, Directeur
— f—Jo 1901
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement. \
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en gns.
B.P.^-
SOMMAIRE-TEXTE
L Peinli'es mélomanes (IV articlei ; Silhouettes contemporaines, Raymond Bouyer. —
— H. Semaine théâtrale : première représentation (VAstartc à l'Opéra, Arthur Poogin;
première représentation du Domnine an Gymnase, Maurice Froyez. — HL Le Tour de
France en musique : Chansons tourangelles, Edmond Neuko:^tsi. — IV. Revue des grands
eoncerls. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PRELUDIO-SALTARELLO
de TiiKODORE Duuois. — Suivra immédiatement : Simple phrase, de J. Mas-
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
On dit, nouvelle mélodie de J. Masseket, poésie de Jean Roox. — Suivra
immédiatement : Enfantillage, n° i des Vaines tendresses, nouvelles mélodies
de Théodore Dubois, poésies de Sully-Prudhomme.
PEINTRES MÉLOMANES
XIY
SILHOUETTES CONTEMPORAINES
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire... aimer non plus:
par amour de la peinture et de la musique réconciliées, s'il fal-
lait énumérer tous les cadres qui, depuis qu'il y a des peintres,
ont protégé dans l'or un sujet musical, ou le portrait surtout
d'un musicien, le catalogue de Leporello serait dépassé. Pour-
quoi tout dire? Aux érudits de profession qui, toujours, ont des
loisirs, puisque leur curiosité rassise ignore la paresse amou-
reuse, aux savants de dénombrer homériquement toutes les pages
plus ou moins mal inspirées par Wagner ou par Beethoven, de
classer chronologiquement toutes leurs images plus ou moins
ressemblantes. Et Bach, et Gluck, les deux géants de l'intimité
croyante ou de la tragédie plaintive ? Et Mozart, ce Watteau cé-
leste, et notre Berlioz?
Si vous y tenez, pour Mozart, n'oubliez point le grand dessin
de Garmontelle qui le représente en famille, ni le tableautin
d'Ollivier (salon de 1777) que le catalogue du Louvre intitule :
Le Thé à Fanylaise dans le salon des quatre glaces au Temple, avec toute
la cour du prince de Conti : Mozart enfant touche du clavecin ;
Jélyotte, debout, chante en s'accompagnant de la guitare. Le
prince se dérobe discrètement parmi ses nombreux invités. Docu-
ment que je recommande aux promoteurs de la Société Mozart
([ui vient de consacrer sa première soirée à la revanche tardive
du « maître inconnu ». Les dates s'opposent à ce que le déli-
cieux claveciniste de Prud'hon soit le novateur futur de la
Zauberflole ; mais tout Mozarleum serait incomplet sans le petit
Mozart enfant de Barrias. Quant à Berlioz, son iconographie réu-
nirait son portrait par'Courbet, que l'amoureux d'art (1) trouve
robuste, mais « peint avec de la boue », la charge de Daumier,
le médaillon de Claudet, qui figurait à la Centennale, un bois
vigoureusement encré par Valloton ; mais rien n'évoque mieux
la ressemblance que le bronze morose d'Alfred Lenoir sur la
pelouse nocturne du Square Vintimille. La liste se déroule: il
faudrait rappeler le Mèhul pâle du baron Gros (2), citer VOssian
de Girodet, étiqueter le Verdi profilé rudement sous son feutre par
G. Masi, vanter le superbe et romantique Barroilhet de Thomas
Couture, qui resplendissait à la toute récente Exposition des por-
traits d'artistes...
Ce serait, toutefois, une illusion que de croire que tout por-
traitiste de musicien, compositeur ou chanteur, est un mélomane.
Et, réciproquement, plus d'un maitre-peintre n'a jamais épanché
dans l'or l'aveu silencieux de sa passion musicale : témoin Dela-
croix qui, pourtant, savait comparer si profondément l'idéalisation
de l'art il la magie du souvenir ; témoin son libre admirateur,
Théodore Chassériau, qui s'adressait directement à Shakespeare ;
témoin leur disciple éblouissant dont l'idéal a toujours dédaigné
la réalité contemporaine et l'esclavage du portrait, mais dont les
visions mélodieuses se sont évanouies pour jamais dans la fumée
des songes, faute du riche vêtement de la palette. Le 10 octobre
4836, Eugène Delacroix notait dans son Journal: « Convoi du
pauvre Chassériau. J'y trouve Dauzats, Diaz et le jeune Moreau,
le peintre. Il me plaît assez... » Ce jeune peintre n'est autre que
celui dont les Concourt distinguaient le début au Salon de 1852,
dans les galeries du Palais-Royal, avant de le sacrer « l'orfèvre -
poète » de l'aquarelle ; et les critiques improvisés décrivaient
sa Pietà « sur un fond de montagnes verdàtres que le peintre a
fait bondir à l'horizon, sur un ciel blafard et voilé de deuil... »
Ce jeune peintre est celui qui s'écriait, devant les fresques riantes
de Chassériau précurseur : « Je rêve un art épique qui ne soit
plus un art d'école ! » Gustave Moreau tint parole: et le sno-
bisme s'est emparé de ses aquarelles patiemment orfévries com-
me des sonnets, somptueusement orchestrées comme des sym-
phonies, rivales opulentes des Trophées d'un Hérédia, des Poèmes
symphoniques d'un Saint-Saëns. Plus discrets dans leurs effusions,
les amoureux d'art vont les interroger au Luxembourg, grâce
aux joyaux du don Hayem, au Musée même oii l'homme encore
mystérieux et l'artiste longtemps inconnu se devinent : ah ! les
longues heures instructives, rue de la Rochefoucauld, parmi les
projets indéfinis, tous inachevés, dans le demi-jour de l'atelier
(1) Jean Dolent, Amoureux d'art (F.Tris, LeDierre, 1888).
(2) Cf. le Mriieslrel du 23 septembre 1900. — Il existe, de même, un dessin de BoiUy,
mais qui ne ligurait pas à ir-xposiLien CenLennalc.
50
Ll' MÉNESTREL
qui participe de lu discrétion du home .' Ce palais a des lueurs de
nécropole : le regard s'imagine exhumer des songes très anciens,
presque babyloniens, dans l'or des soirs fauves épandus sur la
Chimère : et le peintre vieilli répétait : « Je ne vis plus qu'avec
les morts ! »
Mais les vivants, qui sont aussi des fantômes, avaient attiré sa
brillante jeunesse; exemplaire idéal, sa vie s'est harmonieuse-
ment partagée entre le monde, l'amour et l'amitié : trois
lumières successives qui se disputent le vol de l'àme. D'abord,
le jeune vertige des soirées mondaines, à l'époque des shakes-
peariennes eaux-fortes: Hamlet et le Bot Lear frémissent sur le
cuivre, avant l'heure désirée des paroles frivoles : Delacroix l'ini-
tiateur, au beau temps de la jeunesse et du gilet vert, ne tra-
vaillait-il pas avec plus de furia francese quand il avait la pro-
messe d'une invitation pour le soir? Gustave Moreau juvénile
ne dédaignait point le séjour de Compiègne, mais il préférait les
soirées de M""' Viardot : et c'est ainsi que sa passion musicale se
réveille. Sa voix est juste. Le peintre aime à chanter du Gluck
et du Mozart. Gomme Méhul, l'ami discret des roses, et qui fut
très mondain tant que la consomption l'épargna, Gustave Moreau
ne jurait que par les symphonies de Haydn. Dirigée par Seghers,
la Société de Sainte-Cécile offrait ce régal. On se croyait de
retour aux heures attiques de l'époque Louis XVI, toutes par-
fumées de la douceur de vivre. On n'entendait point gronder
un nouveau déluge... Naturellement recueilli, profond, le
jeune Moreau disparut le premier de la fête : l'amour, puis
l'amitié l'accaparèrent. Et le plus minutieux labeur ne cessa de
l'absorber tout entier. Chacune de ses aquarelles est un long
poème, non pas sans défauts, assurément, mais tout vibrant
d'une science et d'une conscience byzantines. Plus tard, cédant
non pas à l'ambition vaine, mais au désir plus pur de propager
la bonne parole, membre de l'Institut, puis chef d'atelier en
pleine Ecole des Beaux-Arts, il laissa toute une génération sous
le charme. Sa phrase était musicale comme son àme. Au Louvre ,
devant un maître, il devenait merveilleux. Mais lui, si libéral,
si largement ouvert aux curiosités littéraires ou plastiques de
nos soirs, et qui fut jusqu'au dernier jour un jeune parmi les
jeunes, demeurait absolument clos à l'évolution de la musi-
que ; il semblait ignorer qu'au delà du Rhin le génie d'un
Richard Wagner réalisait en un décor immense le symbole qu'il
méditait dans un petit cadre. Élève d'une mère admirable, il
avait gardé sa religion musicale. Certes, le 17 mars 1860, le
nouveau Faust de Gounod le trouvait indifférent ; mais sa
fiévreuse contemporaine Yiieult, fleur d'amour éclose dans les
nuits de Venise, n'aurait pas su le retenir. Et, plus tard, le
bariolage tudesque des Filles-Fleurs eût choqué son goût. Un
trait, qu'il rapportait volontiers lui-même, atteste son érudition
luxueuse: lors de la reprise de 1869, il avait projeté de mer-
veilleux costumes pour son chef-d'œuvre favori, le Don Juan de
Mozart; mais le directeur du Grand-Opéra refusait avec amer-
tume : « Il faudrait plus de cent mille francs pour exécuter
votre rêve ! » On ne prête qu'aux riches, et les poètes ont beau
jeu pour commenter l'énigme du peintre : mais quelle glose
vaudrait les notes mélodieuses de ces carnets qui ne verront
jamais le jour, de ces pages secrètes où le chantre d'Orphée répé-
tait pour lui seul ce qu'il murmurait à l'oreille d'un ami : « La
solitude est une offrande au souvenir... Dieu agit envers les
hommes comme les hommes envers les oiseaux : il leur crève
les yeux pour les faire mieux chanter. »
Plus d'une àme délicate a senti la rosée bienfaisante des pleurs
qu'épanche un invisible Orphée : et sans parler de l'enthou-
siaste Henri Regnault, l'artiste par excellence, dont la Correspon-
dance posthume atteste des amitiés très musicales, — le Nord et
l'Orient m'en procurent la preuve. L'orientaliste se nommait
Léon Belly. Ce fut un maître. Un original : à ses heures élève de
Troyon. Un courageux, qui choisit une route nouvelle, hardi-
ment lumineuse, au sortir d'une oasis où beaucoup d'indolents
seraient demeurés... Riche et lettré, longtemps dilettante,
amoureux de musique classique et de beaux livres, choyé,
cultivé par l'affection d'une mère savante mais fantasque, impro-
visant à ravir, jouant avec une séduction prime-sautière des
fugues de Bach ou la Pastorale. La symphonie de Beethoven n'est-
elle point l'apogée du paysage? Et la Scène au bord du ruisseau
ne sera-t-elle pas toujours le désespoir des peintres?
Antithèse imprévue, le mélomane du Nord fut un casanier
que jamais les voyages n'accaparèrent; sa Hollande natale lui
parut d'abord le cadre souhaité de ses rêves ; son art et sa vie
semblent le panégyrique même de l'intimité. Trop méconnu
parmi nous, Anton Mauve était un grand poète des petites choses ;
ce n'est point la Caravane radieuse, ivresse de Belly, que dési-
raient ses regards, mais les harmonies familières de sa patrie
froide et verte : et l'hiver, à La Haye, dans la tiédeur rembra-
nesque des soirs silencieux, loin de la vaste mer qui se plaint
obscurément, le goût de la bonne musique réconfortait le paysa-
giste ; un quatuor lui soufilait l'inspiration; Bach, Mozart, (Vluck
et Schubert étaient ses dieux. Et lorsque le souvenir paie son
tribut à ces peintres contemporains que l'incompréhensible
nature a frappés trop tôt, n'est-ce pas à la patronne des âmes
artistes qu'il s'adresse irrésistiblement, à cette exquise et géniale
Marie Bashkirtsetî aux sombres yeux ardents sous ses cheveux
clairs? Dans son atelier, des livres grecs auprès des toiles com-
mencées; et le piano s'entr'ouvrait pour délasser les frêles doigts
engourdis par la palette : à seize ans, la jeune Russe se croyait
cantatrice, plus fière de sa voix que de sa beauté. Peu de mois
avant de mourir à vingt-quatre ans, « au seuil de tout », elle
modelait une figure douloureuse qu'elle intitulait : La Musique.
(A suivre. ) Raymond Bouyer.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. Astarté, opéra en quatre actes, poème de M. Louis de Gramont.
musique de M. Xavier Lerou.t. (Première représentation le IS février 1901.)
Dans sa rédaction bon enfant et sans prétention, la Cuisinière bour-
geoise vous dit tout simplement : « Pour faire un civet, prenez un lièvre » ,
ce qui semble en effet la première précaution à prendre. De même on
pourrait dire à uos musiciens : « Pour faire un opéra, prenez un livret n .
On croyait jusqu'ici qu'un bon livret d'opéra exigeait avant tout la
passion, le mouvement et l'action. Mais aujourd'hui on remplace vo-
lonlier la passion par l'impudicité, le mouvement par le piétinement et
l'action par un tournoiemeut qui s'exerce toujours dans le même cercle.
II y a bien peu de chose, en vérité, dans ce « poème » d'.Ularld, un
poème d'une singulière allure. On se rappelle les vers do Boileau par-
lant de l'épouse à son époux et daubant sur Quinault :
Par toi-même bientôt conduite à l'Opéra,
De quel air penses-tu que ta sainte verra
Qu'on ne saurait trop tôt se laisser enflammer,
Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer,
Et tous ces lieux communs de morale lubrique
Que Lully réchauffa des sons de sa musique.
Mais Quinault peignait l'amour, et il le peignait en vers harmonieux
et souvent adorables, et ces vers peuvent être lus par tous les yeux. Or,
ce n'est pas l'amour que peint l'auteur d'Astarlé, c'est... toute autre
chose. Et tout ce que j'en puis dire sous ce rapport, c'est que je n'aurais
garde de laisser traîner le livret de ce chef-d'œuvre sur ma table de tra-
vail, alin que mes filles n'y puissent fourrer le nez. Ah ! on entend de
jolies choses à l'Opéra, par le temps qui court !
Pour ce qui est de la pièce, voici.
Hercule, duc d'Argos, va entreprendre une nouvelle campagne pour
détruire le culte infâme de la déesse Astarté. Il va se rendre en Lydie, dans
le but d'exterminer la reine Omphale, sectatrice cruelle et impudique
de cette déesse. Rien ne peut le retenir, pas même l'amour do Déjanire,
son épouse. Celle-ci du moins veut user d'un talisman pour le mettre
en garde contre les séductions d'Omphale, qu'elle redoute. Ce talisman,
c'est la fameuse tunique du centaure Nessus, que ce dernier lui a remise,
on le sait, en lui disant que lorsque Hercule la vêtirait il reviendrait
infailliblement à elle. Elle charge donc lole, sa pupille, de suivre les
traces de son époux et de lui remetti'e le coffret contenant la tunique
ensanglantée. Peu de mouvement dans cet acte, comme on voit.
Au second. Hercule est arrivé avec les siens en Lydie, sous les murs
de Sardes. Ici, un décor délicieux et de toute beauté, mais avec un
LE MÉNESTREL
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anachronisme singulier : ce décor nous fait voir au loin la mer. Or, la
ville de Sardes n'est nullement un port de mer. Capitale de l'ancienne
Lydie, elle est située au pied du mont Tmolus, sur une rivière dont le
nom est assez connu, car elle s'appelle le Pactole. — Passons.
Hercule et ses guerriers sont devant les portes de la ville. Hercule
s'absente un instant, je ne saurais dire pourquoi, ni lui non plus, sans
doute. Toujours est-il que pendant celte courte absence les femmes de
Sardes — les « sardines », disait un mauvais plaisant — mettent le
temps à profit, viennent enjôler ses soldats, se font suivre docilement
par eux et les entraînent dans la ville en chantant et en dansant, si bien
que quand Hercule revient il ne trouve plus personne, personne que le
grand-prétre Phur, qui l'invite à entrer lui-même, ce qu'il fait incon-
tinent.
Le troisième nous montre Hercule dans le palais d'Omphale, oii il
vient pour tout casser, à commencer par la propriétaire de l'établisse-
ment. Seulement, dès qu'il a vu la jeune personne ses idées changent,
et il est tellement frappé de sa beauté qu'il en devient follement épris
et consent aussitôt à filer sa quenouille à ses pieds devant tout le monde
— et il y a beaucoup de monde! Mais Omphale, qui n'est pas la pre-
mière venue et qui veut ctre siu'e de son fait, lui donne à boire une
liqueur qui lui fera oublier Déjanire. Ici. nous tombons dans l'histoire
de Tristan et Yseult, et Hercule n'est plus qu'un intoxiqué. Aussi, il
faut voir ce qu'il entend par l'amour. Saprelotte, c'est féroce!
Le quatrième acte n'est qu'un immense duo — oh ! combien immense!
et encore, on en a coupé la moitié! — entre Hercule et Omphale, un
duo vraiment frénéticpie, où Hercule semble un taureau furieux. Ce
duo ne finirait peut-être jamais, s'il n'était interrompu par l'arrivée
d'Iole avec son coffret et la tunique y incluse. Comment se fait-il qu'Om-
phale, qui a l'air d'être folle d'Hercule et que lole a mise au courant,
l'eDgage elle-même à revêtir cette tunique? c'est une question à laquelle
je ne saurais répondre. Toujours est-il qu'à peine Hercule s'est- il
entuniqué, il se met à crier encore plus fort qu'à l'ordinaire, et je vous
assure que ce n'est pas peu dire. Il sent qu'il va mourir et il veut du
moins se venger en incendiant le palais d'Omphale. Mais, voyant le
danger, le grand-prêtre Phur, qui est un malin, entraine Oniphale
pendant que le palais s'écroule, la fait monter avec lui sur une galère et
fait route avec elle pour Lesbos. On les voit arriver sin- les rives de l'ile
enchantée, séjour d'Astarté, dont le temple et la statue colossale s'élè-
vent au loin, et on assiste à l'apothéose de la déesse impudique.
Telle est cette pièce étrange, qui a, comme je le disais, bien peu de
qualités scéniques ou dramatiques, et dont on s'étonne qu'un composi-
teur ait pu se charger pour en écrire la musique.
M. Xavier Leroux est un « jeune » (un vrai, il a trente-cinq ans à
peiue), et cependant pas tout à fait im « nouveau ». Grand prix de
Rome à vingt ans, en 188.5, il n'a cessé depuis lors de produire et de se
produire. S'il n'avait pas encore abordé sérieusemeat le théâtre à Paris,
il en avait tâté à Bruxelles en donnant au théâtre de la Monnaie, il y a
cinq ans, une ÉvangéUne en quatre actes qui avait été bien accueillie. Ici,
il ne s'était encore fait connaître sous ce rapport que par la musique de
scène écrite pour la Cléopâtre de MM. Sardou et Moreau, représentée à
la Porte-Saint-Martin en 1890, celle des Perses, d'Eschyle, traduits par
M. Ferdinand Herold et donnés â l'Odéon en 189B, et celle (pour moitié,
l'autre étant de M. Messager) de la Montagne enchantée, féerie de
MM. Albert Carré et Moreau, jouée à la Porte-Saint-Martin en 1897.
En dehors de la scène, on sait qu'il a donné aux concerts île l'Opéra une
scène lyrique intitulée Vénus et Adonis, qui était chantée par M'"" Hégion,
M"" Loventz et Carrère, et aux concerts Lamoureux un vigoureux
poème symphonique, Harald. Et ce n'est pas tout, car M. Leroux, qui
depuis quatre ans est professeur d'harmonie au Conservatoire, a publié
encore, avec un certain nombre de morceaux religieux, plusieurs recueils
de mélodies : /es Roses d'octobre, Poèmes de Bretagne, tes Estampes, et beau-
coup de mélodies détachées, dont certaines surtout : /e Silence, Rêve bleu.
Chrysanthème, le Nil, ont obtenu un grand succès.
On attendait donc avec une certaine curiosité le véritable début
scénique du jeune artiste. Dirai-je que ce début a été un coup de maitre?
Non, car je ne le crois pas. Mais d'ailleurs, quand est-ce qu'on com-
mence au théâtre par un chef-d'œuvre? Et puis, j'ai déjà dit ce que je
pensais du livret à'Astarté et du peu de ressources qu'il offrait au com-
positeur. Au premier acte. Hercule est avec Déjanire; au second, il ne
fait que paraître; au troisième et au quatrième, il est sans cesse avec
Omphale. On comprend le peu de variétés des situations et le peu d'élé-
ments qu'elles offrent au musicien . Je sais bien qu'il y a, au premier
acte, l'appel d'Hercide à ses guerriers, et, au second, la scène de séduc-
tion exercée sur ceux-ci par les femmes de Sardes. Mais ce sont là des
épisodes scéniques, et non des situations dramatiques.
Toutefois, M. Leroux a su profiter du premier. Toute cette scène
d'Hercule et de ses guerriers ne mauque ni d'éclat ni de gramleur,
mais, grands dieux! qu'elle est bruyante, et que les oreilles en sont
endolories ! De même, il a apporté tous ses soins à celle de l'eujolement
des soldats d'Hercule, et ses chœurs mêlés de danses sont d'un heureux
effet.
L'œuvre est conçue d'ailleurs dans le pur système wagnérien, avec
récits interminables, dialogues éternels sans que les voix jamais se
marient, et accompagnements de leitmotil's. Il y en a même un terrible,
c'est celui d'Hercule, qui a visiblement hanté l'esprit du compositem',
et qui fait frémir quand il revient périodiquement, attaqué par les trom-
pettes dans leurs notes les plus aiguës. Il va sans dire que l'auteur s'est
gardé comme du feu d'écrire quelque chose qui ait l'apparence d'un
« morceau ». Et cependant, voyez l'ironie, il a placé au premier acte
dans la bouche d'Hercule, sur ces paroles adressées à Déjanire : Voici
l'instant des suprêmes adieux, un cantabile d'un sentiment pénétrant,
avec, ô surprise! retour du motif servant de conclusion, et le public en
a été tellement charmé que toute la salle a fait entendre un murmure
de satisfaction et de plaisir.
Mais ceci n'était qu'un accident, et tout le reste de la partition s'est
développé dans les conditions que j'ai indiquées. Et le malheur, c'est
que M. Leroux, qui ne donne de mouvement qu'à l'orchestre (orchestre
très riche, trop riche, pourrait-on dire), emploie une déclamation telle-
ment lente, tellement étirée, que ces quatre actes d'Astarté, commencés
à sept heures et demie sonnant, ne se sont terminés qu'après minuit,
bien que chaque entr'acte fut à peine de dix minutes.
Il n'a pas à se plaindre de ses interprètes. M. Alvarez est un Hercule
superbe, qui y va bon jeu bon argent, et qui se donne tout entier sans
compter. Mais, saprelotte! faut-il qu'il ait un coffre pour venir â bout
d'un rôle écrit de cette façon et pour lutter contre un tel orchestre !
M"" Grandjean est tout à fait charmante, comme femme, comme actrice
et comme cantatrice, dans le rôle de Déjanire, qui n'a qu'un acte, mais
extrêmement important. Elle est la grâce en personne. C'est M°"' Hégion
qui joue Omphale, où elle fait preuve de son talent ordinaire. Pour être
moins écrasant que celui d'Hercule, ce rôle n'en est pas moins lourd à
porter, et exige une artiste sûre d'elle et expérimentée. Elle y a pu
déployer à loisir toutes ses qualités. M. Delmas représente le grand-
prêtre Phur, où font merveille sa belle voix, son articulation superbe
et son style irréprochable. Le rôle secondaire d'Iole est tenu avec grâce
et avec goût par M"" Hatto, et M. Laffitte mérite des éloges dans celui
d'Hylas, page d'Hercule. Orchestre et choeurs ont fait preuve de solidité.
Mais, pour ces derniers, on devrait bien tâcher de leur donner un peu
de mouvement, un peu d'action, et surtout s'efforcer de ne pas les placer
toujours en rang d'oignons, les bras ballants, comme de simples pantins.
A part cette réflexion, la mise en scène est remarquable et tout à fait
digne de l'Opéra. Le décor du second acte, de MM. Jambon et Bailly,
est absolument délicieux, et celui du troisième, dû à M. Amable, est
simplement admirable. Quant aux costumes du ballet, — lequel est
joliment réglé, — c'est un enchantement pour les yeux, et il ne se peut
rien de plus chatoyant, de plus voluptueux et du goût le plus pur que
ce mélange de couleurs qui se fondent dans une harmonie exquise.
Arthur Pougin.
Théâtre du Gymn.\se : Le Domaine, pièce en 3 actes, de M. Lucien Besnard.
Le Gymnase vient de nous donner une œuvre d'un puissant intérêt ;
l'auteur, M. Lucien Besnard, est presque un débutant. Au printemps
dernier, le théâtre des Escholiers nous avait appris son nom en repré-
sentant la Fronde; cette remarquable comédie affirmait déjà chez son
auteur un tempérament dramatique et un sens véritable des choses du
théâtre. Le Domaine a pleinement confirmé les espérances que la Fronde
nous avait fait concevoir. Les Escholiers, qui avaient été les premiers â
nous révéler Brieux, Dévore, Coolus et tant d'autres, peuvent se mon-
trer fiers une fois de plus d'avoir indiqué à un théâtre régulier un
auteur inconnu hier, applaudi aujourd'hui et (lui sera demain un de
nos jeunes maîtres les plus en vue.
Les Marbois-Grandchamps sont une vieille famille imbue de tous les
préjugés d'une aristocratie surannée et d'une politique rétrograde ; race
dégénérée à moitié ruinée, blason mésallié et mal redoré, sang d'un
bleu douteux, appauvri par le vice. Ces nobles descendants de croises
qui ne se sont donné que la peine de naître essaient de lutter et de
défendre leur domaine contre le flot montant des idées nouvelles de
ceux qui se sont donné la peine de travailler et de comprendre. La
lutte est trop inégale ; et après la mort du vieux duc, dernier représen-
tant de la véritable noblesse, ses enfants sont obligés d'abandonner le
domaine.
L'idée est fort belle en elle-même et les deux premiers actes sont
remarquables ; peut-être auraient-ils gagné encore, si l'auteur avait
52
LE MÉNESTREL
partagé avec un peu plus d'égalité les vertus et les vices entre les diffé-
rents personnages de la pièce, le public se serait intéressé davantage ;i
la lutte des passions et au choc des idées, mais les uns. bien que dégé-
nérés, sont réellement trop vicieux, et les autres sont d'une vertu un peu
trop envahissante, pour ne pas dire plus. Ce défaut s'accuse encore au
troisième acte ; quelques violences inutiles, grossies par l'optique théfi-
trale, ont trahi, j'en suis sûr, la pensée raùme de l'auteur. Malgré ces
quelques critiques, le Domaine n'en reste pas moins l'œuvre intéressante
que nous attendions de M. Lucien Besnard. M. Besnard possède la
qualité, trop rare même chez les meilleurs, de savoir créer, autour de
chacune de ses œuvres, l'atmosphère nécessaire pour nous faire saisir
le miheu exact qu'il a choisi et le jour dont il a voulu l'éclairer.
La pièce, qui ne comporte pas moins de quarante rôles, est bien jouée.
M. Gémier a su irnprimer au vieu.f duc un caractère tout à fait per-
sonnel; M. Frédal manque peut-être de l'autorité nécessaire dans le
rôle du marquis ; M. Dubosc a rendu à souhait l'épaisse silhouette d'un
gentilhomme abruti par la chasse. MM. Seruzier, Liser et Beaudouin
ont su donner du relief à des rôles épisodiques. Si M"'' Mégard le vou-
lait, elle deviendrait une de nos premières comédiennes ; quelle belle et
intelligente artiste ! M"' Rolly s'affirme tous les jours davantage et
M™' Andral est charmante en un rôle trop court.
M. Besnard est déjà reparti à la campagne pour se remettre au travail ;
succès oblige.
Malrice Froyez.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite. I
IV
CHANSONS TOURANGELLES
J'ai un grand voyage à faire.
Je ne sais qui le fera;
J'ai un grand voyage à faire,
.le ne sais qui le fera ;
Ce sera Rossignolette,
Qui pour moi fera oela.
La violette double, double,
La violette
Doubler.'i ;
La violette double, double.
La violette
Doublera.
Rossignol prend sa volée,
Au palais d'amour s'en va;
Rossignol prend sa volée,
Au palais d'ainour s'en va ;
Trouve la porte fermée,
Par la fenêtre il entra.
La violette double, double,
La vioîette
Doublera ;
La violette double, double,
La violette
Doublera.
de
BoDjoui' l'une, bonjour l'autre.
Bonjour, belle que voilà;
Bonjour l'une, bonjour l'autre,
Bonjour, belle que voilà;
C'est votre amant qui dem
Que vous ne l'oubliez pas.
La -vinlette double, double,
La violette
Doublera:
La violette double, double,
La violette
Doublera.
Quoi ! mon amant demande
Que je ne l'oublie pas !
Quoi! mon amant demande
Que je ne l'oublie pas !
J'en ai oublié tantd'autres,
J'ouljlierai bien celui-là.
La violette double, double,
La 1 iolette
Doul)lera.
La violette double, double,
La violelli'
Doublera.
Cette chanson ne se fait pas remarquer par l'éclat de ses syllabes, par
le cliquetis de son refrain. Elle est simple, et c'est ce qui fait son charme.
Elle respire la sérénité du beau pays de Touraine qui la vit éclore.
■Weckerlin l'a consignée, avec la joie d'un collectionneur qui découvre
une pièce rare, dans ses Chansons populaires des provinces de France, et
Catulle Mendès lui a donné place dans ses Chansons tendres. Entourée
là de figurines Louis XV, de marquis et de marquises poudrés et de
bergers et de bergères à houlettes, elle est dans le vrai cadre qui lui
convient.
Mais toutes les chansons tourangelles ne sont pas d'une grâce idyl-
lique comme la Violette double. Le peuple, en Touraine, a, comme autre
part, ses couplets d'e.xpansiou, sentant le terroir et donnant le la de l'en-
train public. Telle la ronde la Verdi, la Verdun, qui se chante et se
danse partout en pays tourangeau. Weckerlin l'a opposée :i la Violette.
En voici les principaux traits :
Ali! si j'avais un sou tout rond,
Ah ! si j'avais un sou tout rond.
J'achèterais un blanc mouton,
La Verdi, la Verdon,
Et ioupe, saute donc, la Vordon.
Si elle avait son mouton, son blanc mouton, que ferait la belle? Elle
\& tondrait à la .mison; elle Yégaillerait (le sécherait) sur un buisson, la
Verdi, la Verdon... Et sans doute elle l'a, son mouton; car trois grands
fripons, passant prés d'elle, z'yont emporté sa toison. Elle a couru après
eux jusqu'à Lyon :
Messieurs, rendez m'y ma toison.
C'est pour m'y faire un cotillon.
C'est pour m'y faire un cotillon,
Z'à mon mari un caneçon,
Z'à mon mari un caneçon,
Z'ù mes filles des bonnets ronds.
J'en revendrai les retaillons,
Ça s'ra pour payer les façons,
La Verdi, la Verdon,
Et ioupe, saute donc, la Verdon.
Après la note gaie, la note tragique. La Touraine est loin pourtant
de la Bretagne, mais il semble que les anciens lais de l'.Vrmorique aient
poussé leur pensée sombre jusqu'au point de la Iioire oit est le jardin de
la France. N'y a-t-il pas un reflet de Gwenc'hlau et d'Owen Glendour,
le héros du la Ceinture de noces, dans cette chanson notée, selon Champ-
lleury, par Weckerlin, un soir que des petites filles la chantaient :
Su l'pont du Nord un bal y est donné, (iiis)
Adèl' demande à sa mèr' d'y allei'.
— Non, non. ma fiU'. tu n'iras pas danser.
Eli' monte en haut et se mit à pleurer.
Son frère arriv' dans un joli bateau.
— Ma sœur, ma sœur, qu'as-tu donc à pleurer '?
— Maman n'veut pas que j'aille voir danser.
— Mets ta rob' blanche et ta ceintur' dorée.
Les v'ia partis dans un joli bateau.
EU' fit deux pas, et la voilà noyée.
Il fit quat' pas, et le voila noyé.
La mèr' demande pourquoi la cloche tinle.
— C'est pour Adèle et votre fils aîné.
Voilà le sort des enfants ostinés.
Sur cette morale il ne reste rien à dire. De peur do nous noyer, éloi-
gnons-nous de la Touraine.
(A suivre.) ' Edmond Neuicomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est par la symphonie en la de Beethoven que s'ouvrait le programme du
dernier concert du Conservatoire. Que dire encore de ce chef-d'œuvre rayon-
nant d'une immortelle beauté? Que dire de cet allegretto sublime, dont la
grandeur épique semble faite pour exaspérer l'émotion de l'auditeur? Que
dire de ce finale inouï, dont, à elle seule, l'attaque est foudroyante, et qui s'en
va toujours plus chaleureux, plus ardent, plus mouvementé, nous emportant,
dans un tourbillon de sonorités, jusqu'à sa conclusion formidable? C'est la
merveille des merveilles. Eh bien, le croiriez-vous? ce public du Conserva-
toire, si plein de scrupules et de préjugés, si hostile la plupart du temps aux
idées et aux tentatives nouvelles, ce public qui ne jure que par le classique
et n'admet que les œuvres consacrées par le temps, est resté manifestement
froid devant cette œuvre lumineuse et entraînante, dont jamais peut-être
l'exécution, dirigée avec une verve superbe par M. Thibault, en l'absence de
M. Tall'anel, n'avait été plus splondide, et ne l'a applaudie que du bout des
doigts. Alors, que lui faut-il, à ce hon public? car, je le répète, l'orchestre et
son chef avaient été superbes. Bravo, Thibault! Le joli chœur des Fileuses
du Vaisseau-Fantôme n'a pas été accueilli plus chaleureusement, et il a fallu,
pour dégeler ces auditeurs impassibles, l'arrivée de M. Henri Marteau, venant
jouer l'intéressant concerto de violon de M. Théodore Dubois. Il est vrai
qu'il joue joliment du violon, M. Henri Marteau, et que c'est une joie sans
mélange d'entendre un pareil virtuose. Son limpide et pur, archet facile et
plein d'élégance, mécanisme impeccable et justesse parfaite dans l'exécution
des plus grandes dilïïcultés, du goût, du style, il réunit toutes les qualités.
Aussi, son succès a-t-il été éclatant, formidable, avec applaudissements,
acclamations et trois rappels qui ne suffisaient pas encore à satisfaire l'en-
thousiasme des spectateurs. Brave public! Excellent public! public sensible et
délicat, tu as bien fait d'applaudir M. Marteau comme il le méritait, et ce
n'était que justice; mais, Irancbement, tu aurais bien pu claquer aussi un
peu des mains à l'admirable exécution de la symphonie en la, et tu as perdu
une belle occasion de donner une preuve de ton goût et de ton intelligence
artistiques. Comme hommage discret et modeste à la mémoire de Verdi, le
programme portait ensuite le Paler noster sans accompagnement du vieux
maître, choeur d'un joli sentiment et d'une sonorité très harmonieuse. Et le
concert se terminait par l'ouverture si colorée et si mouvementée de Benve-
nuto Ccltini, de Berlioz. A. P.
— Concerts Colonne. — L'exécution de la Symphonie liéroïque a laissé beau-
coup plus l'impression d'une ébauche dessinée à grands traits que celle d'une
LE MENESTREL
53
inlerprétatioa soignée minutieusement dans ses détails. Il y a eu des passages
excellents, par exemple l'épisode pathétique de la marche funèbre, immédia-
tement avant la reprise du thème principal qui sert de conclusion ; d'autres
ont manqué leur effet par suite du défaut d'équilibre des sonorités ou d'un
peu de raideur. La fausse entrée du cor faisant entendre les notes de l'accord
de tonique pendant que les violons jouent eu trcinololes notes la h et si n de
celui de dominante a été bien présentée et n'a choqué l'oreille de personne.
A une répétition dirigée par Beethoven, Ries s'écria, en entendant cette dis-
cordance: « Damnécor, ne pouvait-il compter ses pauses, celasonne faux d'une
façon infâme ". Aujourd'hui on peut justifier cette bizarrerie en considérant
les notes de cor comme une anticipation d'un genre singulier sans doute,
mais qui atteint son but en forçant violemment l'attention pour ajouter un
redoublement d'intérêt au retour imminent du thème dans sa tonalité primi-
tive. Berlioz lui-même n'a pas défendu cette hardiesse. Ses audaces, à lui, ne
portaient guère que sur la forme des morceaux. Il en est ainsi du moins
dans Roméo et Juliette, qu'il a mal défini en ces termes: « Ce n'est ni un opéra
de concert, ni une cantate, ni une symphonie avec choeurs». Berlioz était
empêché de dire ce qu'il pensait, car, s'il eut été sincère, sa déclaration aurait
produit, parmi les contemporains, le même effet désastreux qu'une pierre
jetée au milieu de l'intéressant peuple amphibie qui demandait un roi ; elle
aurait eff'arouchë amis et ennemis. Aujourd'hui nous pouvons substituer au
dernier membre de la phrase de Berlioz celui-ci : c'est du Shakespeare en
musique. Roméo et Juliette est cela et n'est que cela: un monde de sentiments
et de sensations. Il est donc inadmissible d'en interpoler les différentes par-
ties et de jouer la Scène d'amour avant liFêteche: Capulet. Le moindre incon-
vénient de ce non-sens dramatique a été de compromettre le début de l'adagio,
qui arrivait ainsi sans préparation. Heureusement l'orchestre s'est relevé
après ce commencement médiocre, et le reste, bien rendu, a été couvert
d'applaudissements. — Une pastorale pour flûte, très distinguée dans son
élégance un peu bucolique, a fait honneur à M. Gaubert et à l'auteur,
M. G-eorges Hue. — M"' Marthe Girod a convenablement rendu le concerto
pour piano de Schumann. — M. Valerio Oliveira s'est montré virtuose hors
ligne dans le concerto pour violon, op. 26, de Max Bruch. — L'ouverture de
Rienzi terminait le concert. On se demande ce que Wagner pensait de son
public lorsqu'il en a écrit l'allégro. Cette chose musicale mériterait d'être exé-
cutée par des trombones à pistons en ut sur des trSteaux de foire, tant elle est
remplie de joviale impudence et de plate vulgarité . L'audition en serait
follement amusante dans un finale d'Offenbacb.
Amédée Bout.irel.
— Concert Lamoureux. — La dernière séance nous a offert plusieurs
œuvres non encore entendues à ces conc_erts. On a été surpris de rencontrer
parmi ces nouveautés d'occasion l'ouverture à'Iphigénie en Aulide avec la
courte terminaison ajoutée par Kichard Wagner qui prouve, par sa conti-
nence musicale et sa subordination à l'idée maîtresse de l'œuvre, de quelle
profonde intelligence musicale et de quel respect envers le génie de son
musicien lyrique favori le futur maître de Bayreuth était rempli. Il y avait
aussi lieu de s'étonner que l'unique concerto pour violoncelle de Schumann
(op. 129) n'ait encore jamais été exécuté aux concerts Lamoureux, car la
littérature de cet instrument n'est pas assez riche pour qu'on puisse passer
sous silence ce concerto, bien qu'il ne compte pas précisément parmi les
meilleures œuvres de son auteur. Le biographe amical de Schumann, W.-I. de
Wasîelewski, fait remarquer avec raison que le maître ne s'était pas assez
lamiliarisé avec le mécanisme du violoncelle pour savoir en tirer complète-
ment parti au point de vue de la virtuosité ; l'œuvre a cependant une phy-
sionomie musicale assez attrayante pour qu'on puisse l'entendre avec intérêt.
M. Joseph Salmon l'a exécutée en musicien et en virtuose; la belle cantilène
surtout a vraiment chanté sous son archet et exhalé tout son charme poéti-
que. — La grande communauté franckiste a eu la satisfaction d'entendre
iénore le poème symphonique de M. Henri Uuparc, écrit en 1876 et exécuté à
Paris pour la dernière fois en IS78, à l'occasion des concerts officiels de l'Ex-
position. L'œuvre est un spécimen typique du genre que les Allemands nom-
ment musique à programme ; son auteur a même extrait de la fameuse
ballade de Bûrger l'argument, pour noter dans sa partition les phases
dramatiques de l'action qu'il s'eff'orce d'illustrer musicalement au fur et à
mesure qu'elles se déroulent. Ces instantanés musicaux frappent par leur
clarté et leur concision ; il ne serait cependant pas possible de savoir ce que
la musique veut décrire si on ne connaissait pas d'abord la vieille poésie.
Rien à faire contre cette difficulté inhérente à l'art musical, parqué dans des
limites infranchissables; le meilleur programme reste toujours l'appoint de
la parole chantée. Abstraction faite de l'inconvénient de toute musique à
programme, on ne peut que rendre justice aux ressources et aux beautés
musicales et orchestrales de l'œuvre, surtout quand on pense que Lénore date
d'une époque où son auteur n'avait pas pu connaître la partition de l'Anneau
du Nibelung, à moins d'avoir été du premier bateau de Bayreuth et de n'a-
voir écrit son œuvre qu'au retour, ce qui ne parait pas vraisemblable. Gomme
de juste, Lénore a trouvé un accueil fort chaleureux et nous a laissé le désir
de la réentendre. — Grand succès aussi pour une autre ballade : La Fiancée
du Timbalier, dans laquelle M. Saint-Saëns a saupoudré les rimes chatoyantes
de Victor Hugo de multicolores pierres précieuses qui brillent magiquement
à maint endroit de la partition. M"' GerviUe-Réache, qu'on a entrevue jadis à
rOpéra-Gomique, était chargée de la partie vocale et a eu l'honneur d'un rap-
pel. — Le programme de la séance était complété par le prélude du deuxième
acte de Gwendoline, de Cbabrier, et par la symphonie en la de Beethoven,
-Nous avons applaudi la précision rythmique et la gradation dynamique du
vioace à la fin de la première partie; le public a, comme toujours, fait fête à
l'allégretto. Les succès traditionnels sont toujours les plus sûrs.
0. Berggruen.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservaluire: Symphonie en lu i Beethoven). — Chœur des Pileuses du Vaisseau-Fan-
tôme (Wagnerj. — Concerto pour violon (Th. Duboisi, par M. Marteau. — Pater noster
(Verdi). — Ouverture de Bcneenuto Cetlini (U. Berliozi.
Chûtelet: Relâche.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Félix Weiagartner: Ou-
verture de la Flûte enchantée (Mozart). — Concerto en ré mineur (Haendel). — Ouverture
de Léonore (Beethoven). — Symphonie en ///. majeur (Schubert).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 février) :
La « première » de Louise, à la Monnaie, a été mieux qu'un grand succès :
elle a été presque une bataille. M. Gustave Charpentier a eu non seulement
la gloire d'être fliscuté ou admiré par des gens très sérieux, mais aussi celle
de n'être pas immédiatement compris par des imbéciles. On a trouvé que les
costumes de Louise étaient bien négligés pour des personnages se présentant
sur la première scène lyrique du pays, devant des dames en décolleté et des
messieurs en frac; on a trouvé aussi l'atelier de couture bien gai pour un
théâtre ordinairement si grave. Mais je me hâte de dire que ces opinions,
quelquefois bizarres, n'ont pas empêché le public d'accueillir l'œuvre de
M. Charpentier de la façon la plus enthousiaste. Il y a eu un double rappel
après les 2= et 3' tableaux, il y en a eu trois après le 4', et il y en a eu
encore davantage après le premier et le dernier, qui s'est terminé par les cla-
meurs persistantes (et vraies) du public réclamant l'auteur... obstinément
invisible, quoique présent. Si cette première a été une victoire, avec tout
l'intérêt de la lutte qui l'a accompagnée, les représentations suivantes ont
été et seront de plus en plus et de toutes façons un succès.
Disons bien vite que l'interprétation y aide considérablement. Le person-
nage de l'héroïne a trouvé dans M"" Friche (en quelque sorte une débutante)
une incarnation très intelligente, avec une voix étendue et solide, tour à tour
charmante et puissante, quand il faut. M. Seguin est un père de Louise
admirable et tragique, tendre, superbe et terrifiant. M. Dalmorès joue et
chante à ravir le rôle de Julien; M""= Dhasty met, dans celui de la mère, son
style, son autorité, son émouvante diction; voilà un quatuor incomparable.
MM. [''orgeur et d'Assy, M"*^ Montmain et Mauhourg, et la plupart de tous
les autres, dans les petits rôles, sont très bien, composant un ensemble irré-
prochable d'accent, d'animation et de couleur; quant à l'orchestre, sous la
direction de M. Dupuis, il a été merveilleux. La mise en scène, conforme à
celle de Paris, ne laisserait rien à désirer si l'éclairage n'avait, le premier
soir, manqué de certitude. Et les chœurs ont donné à la fête des Muses un
éclat et une « plénitude » de sonorité inattendus. Il y avait, dans tout cela,
d'innombrables difficultés à surmonter; à Bruxelles il était à craindre que
la pièce, avec son esprit si essentiellement parisien et « faubourien », n'eût
pas toute son allure et perdit de son coloris. Les craintes ont été vaines. Le
personnel de la Monnaie est rompu d'ailleurs aux taches difficiles. Après tant
d'autres travaux, jugés impossibles, et qu'il réalisa, Louise est arrivée bien
à point, pour consacrer à cet égard sa réputation. L. S.
— Toutes les nouvelles musicales qui nous parviennent d'Italie continuent
à n'avoir d'autre objet que la personne de Verdi, son souvenir et tout ce qui
se rattache à lui. Un comité s'est formé à Milan pour l'érection en cette
ville d'un monument « international » à l'illustre artiste; ce comité vient de
publier dans toute l'Italie le manifeste suivant, qui a été rédigé par MM. Arrigo
Boito et Giuseppe Pisa :
Italiens !
Avec le présent manifeste nous dét:larons ouverte une souscription destinée à recueillir
les fonds pour un monument international à ériger à Milan à Giuseppe Verdi. Le premier
appel, nous l'adressons aux Italiens, qui tous reconnaissent en lui une des plus pures,
des plus bienfaisantes et des plus grandes gloires delà Patrie.
Jlllan réclame l'honneur de posséder ce monument, parce qu'elle se sent intimement
liée à toute l'existence du grand maestro. Dans notre ville Giuseppe Verdi accomplissait
ses études musicales; du tliéâtre de la Scala se répandait sur le monde l'annonce de sa
gloire ; à ce lliéâtre il conlia le sort de ses derniers chefs-d'œuvre ; en cette ville d'élec-
tion il voulut ouvrir aux vétérans de l'art musical un asile qui fut en même temps celui
de son dernier repos.
Italiens! unissons-nous tous pour rendre à Giuseppe Verdi ce supi^ème hommage de
notre affectueuse vénération, et c|u'en son nom soit de nouveau scellée notre concorde.
— Le Sénat et la Chambre des députés d'Italie ont voté, sur la proposition
du ministre de l'instruction publique (qui depuis huit jours n'est plus ministre),
la loi par laquelle : 1'' la maisonnette de Roncole, où naquit Giuseppe Verdi,
est déclarée monument national : 2" est autorisée l'inhumation de Verdi et de
sa femme, Giuseppina Strepponi, dans la crypte de la o Maison de repos pour
les musiciens », à Milan.
— ■ Le roi ayant promulgué cette loi, la commission chargée d'organiser la
céi'émonie de la translation des restes de Verdi et de sa femme s'est réunie
à Milan, sous la présidence du syndic, et en a fixé le jour au 27 février à
M-
LE MÉNESTREL
une heure après-midi. Le cercueil de Verdi sera placé avec celui de sa
femme sur un magnifique char traîné par six chevaux splendidement capara-
çonnés de noir et de broderies d'argent. Au moment oii le cortège quittera
le cimetière monumental, un choeur de cent musiciens chantera l'air de
ffabucco: Va, pensiero, sull'ali dorate, plusieurs musiques escorteront le char
funèbre, derrière lequel marcheront les représentants de tous les grands
corps de l'Etat, des corps scientifiques et des corps artistiques. Plusieurs
délégations étrangères participeront à cette imposante manifestation, qui
revêtira un caractère national. Le cortège suivra l'intinéraire suivant : Via
Ceresio, bastion Porta Volta, rue Legnano, forum Bonaparte, rue San Gio-
vanni sul Muro, cours Magenta, cours Vercelli, place Michel-. Ange. Aucun
discours ne sera prononcé. A la maison de retraite pour les vieux musiciens
les deux cercueils seront reçus par le syndic de Milan, qui en fera la remise au
conseil d'administration de la maison. Puis, ceux-ci seront descendus dans
la crypte de la chapelle et placés dans un caveau. Les magasins de Milan fer-
meront pendant toute la durée de la cérémonie funèbre. Le soir, les théâtres
feront relâche. Ou a calculé que le cortège officiel comprendra cinq mille
personnes. Le parcours sera de 7 kilomètres environ.
— A Gênes, la junte municipale, approuvée à l'unanimité par le conseil
communal, a décidé de placer le buste de Verdi dans le vestibule du théâtre
Carlo Felice, de sceller une pierre commémorative sur la façade du palais
Doria. séjour hivernal du maître, et de donner le nom de Verdi à la grande
esplanade au nord du Bisagno. Le trentième jour de la mort du maître, une
commémoration aura lieu par un concert exécuté par les élèves de l'Institut
municipal de musique, et une conférence de M. Anton Giulio Barrili. — A
Florence, le conseil communal ne pouvant obtenir, on sait pourquoi, que les
restes mortels de Verdi soient transportés dans l'église de Santa Croce, le
Panthéon italien a décidé de placer dans cette église une plaque de bronze
commémorative; une autre inscription sera gravée sur la porte du théâtre de
la Pergola, où Verdi dirigea, le 14 mars 1847, la première représentation de
son Macbeth, et une autre encore sur la maison de la rue Tornabuoni qu'il
habita à cette époque ; le nom de Verdi sera donné à une des principales
places ou rues de la ville; enfin, dans le Salon des SOO du Palasso Vecchio on
exécutera la Messe de Requiem de Verdi, avec entrée libre pour le public. —
Dans la plupart des villes, à Naples, à Bologne, à Livourne, à Bimini, à
Sienne, à Brescia, à Mantoue, à Raguse, etc., ont eu lieu, au théâtre ou
ailleurs, des soirées commémoratives, la plupart du temps avec conférences
(à Livourne M. Taddei, à Sienne M. Ferruccio Mercanti, à Gasalmonferrat le
député Cottafavi), qui ont provoqué des incidents émouvants. Ainsi à Brescia,
où la direction du Grand-Théâtre fit précéder la représentation de Rigoletto
de l'ouverture de Nabucco : « Lorsque le maestro Falconi, dit un journal,
donna le signal de l'attaque, tous les spectateurs qui remplissaient le théâtre
se levèrent aussitôt et écoutèrent debout, dans un silence religieux, la
superbe page de musique, manifestation juvénile du génie, et ne se rassirent
qu'à la fin, après avoir fait, par un immense tonnerre d'applaudissements,
avec des cris puissants de Viva Ferdj.' une interminable et émouvante ovation.
On réclama le bis de l'ouverture. »
— La dernière lettre de Verdi. Le journal de Rome le Cronache mœicali, qui
consacre à Verdi tout un numéro fort intéressant, texte et dessins, publie la
dernière lettre qui ait été écrite par le maître. Datée du 30 décembre dernier,
elle est adressée au grand écrivain De Amicis, et l'on verra que Verdi s'y
plaint déjà de l'état de sa santé, qui ne le satisfait pas :
30 décembre 1900.
Cher [le Amicis,
En vous remen:iant et eu vous faisant mes excuses pour tous les ennuis que je vous
cause continuellement, je vous fais savoir que je pense me rendre à Gênes dans les pre-
miers jours de février. Eu ce qui concerne ma santé, quoique les médecins me disent que
je ne suis pas malade, je sens que tout me fatigue ; je ne puis lire ni écrire ; j'y vois
peu ; j'entends moins bien, et surtout les jambes ne me soutiennent plus. Je ne vis pas,
je végète... Qu'ai-je encore à faire dans ce monde?
Votre affectionné
G. Verdi.
— De Mantoue on nous télégraphie le succès d'enthousiasme qui a accueilli
la première représentation, dans cette ville, du Werther de Massenet.
— Les élèves du collège Filippi, à Arona, ont représenté un petit opéra
inédit, f/joeBamèa/do, paroles de M. Antonio Forcina, musique de M. Alessio
Alessi.
— M. Edvard Grieg, dont la santé laissait tant à désirer et qui avait dû
passer trois ans dans un sanatorium norvégien, est de retour à Copenhague,
en meilleure .santé.
— M. Auguste Enna, auteur delà Sorcière et de ia Petite marchande d'allumettes,
qui obtient actuellement beaucoup de succès sur les scènes allemandes, vient
de terminer un nouvel opéra en un acte, intitulé le Berger et le Ramoneur, dont
le livret est tiré d'un conte d'Andersen.
— De Vienne: M"»» Sybil Sanderson donnera le ^ii de ce mois, dans la
grande salle du Musikverein et avec le concours du nouvel orchestre phil-
harmonique, un concert dont voici le programme :
1. Charpentier; kir it Louise.
2. Massenet : Passionnément, Pensée d'automne, Amoureux appel, mélodies.
3. Gounod : Valse de Roméo et Juliette.
4. Massenet : Air d'Esclarmonde.
C'est la première fois que M™« Sybil Sanderson se présente devant le public
viennois.
— Le Conservatoire de Vienne a célébré le centième anniversaire de la
mort de Gimarosa par une représentation de son chef-d'œuvre, Il matri-
monio segrelu. L'orchestre, composé d'élèves du Conservatoire, a été excellent
sous la direction de M. de Perger; de leur côté les solistes, tous également
élèves, se sont fort bien tirés d'affaire, et il parait que le premier ténor ii
déjà reçu une offre d'engagement. L'œuvre a cependant paru assez vieillie,
et la direction de l'Opéra impérial était certainement dans le vrai en refusant
de reprendre sur sa vaste scène cet opéra-comique centenaire.
— La première représentation du nouvel opéra-comique de M. Siegfried
Wagner, intitulé Le jeune dur étourdi (Herzog Wildfang), est fixée à Munich au
26 février. Beaucoup d'intendants et de directeurs de théâtres d'outre-Rhin ont
annoncé leur arrivée pour la première.
— De Cologne : M. Diémer a remporté un succès énorme à la dernière
séance de la Société de musique de chambre. L'éminent virtuose a joué des
œuvres de Rameau, Daquin, Mozart, Liszt, Massenet (Eau dormante. Eau
courante), Boellmann, et aussi une Valse de concert de sa composition que la
salle entière lui a redemandée.
— On constate partout en Allemagne une réaction contre la liberté de l'art
dramatique, et la « Société Gœthe » aura fort à faire pour réduire l'action de
la censure à la portion congrue. Ce qui vient de se passer à Munich est une
manifestation plutôt comique du nouvel esprit qui souille de l'autre côté du
Rhin. Dans le nouveau ballet fe Carnaval de Venise, dont nous avons annoncé
dernièrement le succès à l'Opérai royal, un tableau a plu spécialement, celui
des Pigeons de Saint-Marc. Inutile de dire que les femmes pigeons s'exhibaient
en maillots blancs avec des chaussons roses aux pieds. Or, la nudité apparente
des jambes semble avoir déplu enhautlîeu, car à la deuxième représentation
du ballet mentionné tous les pigeons de Saint-Marc se sont trouvés gratifiés
de pantalons de satin couvrant les mollets. Les premières danseuses ont
protesté contre cette mesure, mais sans résultat.
— L'Ecole chorale de Munich vient de donner un concert historique fort
intéressant dans la salle Kaim ; les élèves n'ont chanté que des œuvres de
compositeurs bavarois du XVI« au XYIII" siècle. Senfl, qui était Musicus
intonator du duc de Bavière (1323-1555), était représenté par un ravissant
hymne à cinq voix, Ave, rosa sine spinis, et par trois chansons à quatre et à six
voix. De Roland de Lassus on exécutait le psaume Laudate Dominum à douze
voix et un ravisant madrigal à cinq voix. Un dubbio verno, ainsi que l'amusante
villanelle Olù, o che bon eccho. Le psaume à huit voix in exilu Israël, d'Agostino
Steli'anî, qui vivait à Munich de 1677 à 1688, a produit un grand etl'et. La
partie instrumentale du concert offrait la Toccata cromatica, une Canzone et
une Toccata de Gaspard Kerl (1656-1673), la sonate pour violon et cembalo
en «oi mineur de Felice DaU'Abaco (1675-1742). Ce concert a largement
prouvé l'utilité de l'édition de l'ancienne musique bavaroise dont nous avons
déjà parlé.
— Le nouveau théâtre wagnérien de Munich, le « Théâtre du prince-
régent », annonce qu'il jouera en août et septembre de cette année Lohengrin,
Tannhiiuser, Tristan et Yseidt et les Maîtres chanteurs. Les autres œuvres de
Richard Wagner, à l'exception de Parsifal, bien entendu, ne seront jouées
qu'après les représentations de Bayreuth. La direction musicale du nouveau
théâtre est confiée à MM. Zumpe, Fischer, Roehn et Stavenhagen, qui appar-
tiennent tous à l'Opéra royal de Munich. Pour corser les soirées de la nou-
velle scène wagnérienne, on a invité un assez grand nombre d'artistes à y
chanter en représentation. Pour que rien ne manque au triomphe de l'art
wagnérien, un comité s'est formé, qui se propose d'ériger une statue de
Louis II sur une place publique de Munich. Ce comité a déjà réuni une
somme assez considérable, sans que la famille royale et les autorités bava-
roises y aient jusqu'à présent contribué pour un liard.
— Le théâtre grand-ducal de Carlsruhe vient de jouer avec un succès mo-
deste un opéra intitulé Fantasio, paroles d'après Alfred de Musset, musique
de M""'E.-M. Smyth. Cette jeune femme, de nationalité anglaise, était l'élève
du compositeur Henri de Herzogenberg, qui est mort l'année passée.
— Le théâtre de la ville de Plauen (Saxe), qui compte à peine 50.000 habi-
tants, vient déjouer avec succès un opéraintitulé /ngojîiar, paroles d'après Fr.
Halm, musique de M. Théodore Erler.
— Le concours national et international de musique de Genève est une
chose décidée. La date en a été fixée aux 10, 11 et 12 août 1901 sous la pré-
sidence de M. Albert Dunant, ancien président du Conseil d'État. Le règle-
ment élaboré par la commission musicale, composée de MM. les professeurs
Léopold Ketten, président, Bergalonne, Kling, Délaye, Missol, Bonade,
Mebhng, Roch, Ramel, Plomb, est sous presse et dans quelques jours il sera
adressé aux Sociétés.
— De Madrid : Très grand succès pour le Werther de Massenet, avec le
ténor Delmas pour principal interprète.
— Le célèbre pianiste Paderewski doit faire, le printemps prochain, une
tournée en Espagne et en Portugal. Il commencera à la fin de mars par Bil-
bao, pour se rendre ensuite successivement à Madrid, Lisbonne, Séville, Va-
lence et Barcelone.
— Du Caire on signale les belles représentations A'Hamlet données par
l'excellent baryton Renaud (de l'Opéra) et M"" Lucette Korsoff. Très vif
succès pour les deux protagonistes.
LE MENESTREL
55
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Comme il fallait s'y attendre, puisque les petites mesures sont le propre
des petits esprits, la direction de l'Opéra a jugé bon de supprimer le service
du Màieslrel aux répétitions générales et aux premières représentations des
œuvres qu'elle offre à la population parisienne. Notre indépendance et nos
avertissements précieux, dont M. Gaiîhard aurait dû comprendre l'utilité,
n'ont servi qu'à exaspérer son orgueil de directeur parvenu. A son aise. Nos
lecteurs peuvent être assurés qu'ils n'y perdront rien et seront toujours par-
faitement et impartialement renseignés sur les manifestations de la maison
musicale qui n'est pas au coin du quai. Nous appuyons sur le mot impartia-
lement, car nous n'en voulons nullement à ce brave garçon qui a tant d'in-
times qualités et dont la verve gasconne nous a si souvent réjoui. Nous lui
devons quelques-unes des bonnes beures de notre existence et nous ne l'ou-
blierons pas. Mais pourquoi est-il directeur d'une scène comme celle de
l'Opéra? Voilà ce qu'il serait curieux de rechercher. Et nous en voudrons
toujours aux divers ministères qui l'ont promu à un emploi difficile et déli-
cat, assurément fort au-dessus de ses moyens, quand il eut par e.xemple fait
un excellent « régisseur » sur la scène même qu'il dirige si vulgairement et
avec un sentimentd'art si rudimentaire. C'est que nous sommes à une époque
où le Midi est prépondérant, où tous les « cadets » se poussent les uns les
autres avec un entrain vraiment admirable et sans aucune pudeur, c'est que
nous vivons sous un régime où personne n'est à sa place. Sans doute la
musique n'est qu'un point bien secondaire dans les préoccupations gouver-
nementales. Mais comme c'est notre rôle de la défendre, nous montrerons
prochainement quel mal a pu faire à cette branche après tout intéressante
de l'art français une direction de seize années presque continue en des
mains lourdes et maladroites, et cela par une simple comparaison avec les
directions précédentes. On y verra la différence des résultats, nous ne parlons
pas au point de vue des intérêts financiers, ce qui importe peu, mais simple-
ment au point de vue artistique. Le tableau sera intéressant. H. M.
— Tout le monde, d'ailleurs, ne partage pas notre manière de voir sur la
gestion de M. Gaiîhard. C'est ainsi que nous cueillons, dans plusieurs « cour-
riers des théâtres » de nos grands confrères, cette note préventive (avant la
représentation i'Aslarté) dont les termes partout pareils, à défaut du style
même, suffiraient à indiquer la source administrative :
L'œuvre de MM. Xavier Leroux et Louis de Gramont a été mise en scène avec une
splendeur modernisée (?f par des éléments tout nouveaux à rAcadémie nationale de mu-
sique. Les décors, d'une richesse inouïe, les costumes, nuancés et tramés d'or et de bro-
deries (trames t/e brodcfœs est audacieux), sont rehaussés encore par les évolutions ryth-
miques (des costumes rehaussés par des évolutions, oh !) du ballet et de la figuration,
inspirées aux sources {inspirt'/>s nu r sources est joli!) artistiques les plus expre>sives et
les plus sensuelles de l'antiquité uîfs sources scmueilcs, c'est Ijien risquéi.
Quel galimatias, grands dieux! Et que d'offenses à la langue française! Si
M. Gaiîhard est directeur d'une académie, ce n'est pas assurément de celle
qui est au bout du pont des Arts.
— Nous avons déjà eu occasion de parler de la piteuse figure que faisait au
Parc Monceau le monument élevé à la mémoire d'Ambroise Thomas, et cela
en grande partie par suite du mauvais emplacement choisi. Après en avoir
conféré avec M. Gaiîhard, qui a bien voulu y donner son adhésion avec une grâce
charmante, ce monument va être porté en un endroit du parc mieux disposé
pour le mettre en lumière. Est-ce que l'Institut, se souvenant qu'Ambroise
Thomas fut longtemps son doyen vénéré, ne va pas en profiter pour pro-
tester contre le sans-façon avec lequel on a procédé à l'installation du mar-
bre et demander qu'un petit bout de cérémonie en suive le transfert?
M. Gaiîhard, qui doit tant à l'ancien directeur du Conservatoire, appuierait
certainement le mouvement de tout le poids de son autorité et de ses grandes
relations. Il n'a pas oublié sans doute que c'est Thomas qui est allé le chercher
tout jeune dans une des écoles musicales de Toulouse pour le faire entrer
comme pensionnaire au Conservatoire de Paris, que c'est lui qui l'a couronné
comme élève chanteur, qui l'a poussé à l'Opéra et qui, se mêlant même avec
bienveillance à sa vie intime, lui servit de témoin lors de son mariage. Tout
cela, Gaiîhard ne l'a pas oublié, car, nous le reconnaissons sans aucune diffi-
culté, ce n'est pas du côté du cœur qu'on peut le prendre en défaut, — du
moins tous ses amis l'affirment.
— A l'Opéra-Gomique, les spectacles des jours gras sont ainsi fixés (Mignon
ayant été donnée hier samedi) : Aujourd'hui dimanche, en matinée : la
Basoche, le Chalet; le soir : la Vie de bohème et les Noces de Jeannette. — Lundi IS,
matinée : Lakmé, les Rendez-vous bourgeois; soirée : Louise. — Mardi 19, mati-
née : Manon; soirée : Carmen.
— Gomme on le voit, l'Opéra-Comique se prépare à fêter dans quelques
jours la centième représentation de Louise. Si on se rappelle que c'est le
3 février 1900 que fut donnée la première représentation de l'œuvre de
Charpentier, on voit que c'est presque en une seule année que la partition
a parcouru cette route glorieuse des cent stations, qui n'ont pas été celles du
Calvaire. — Dernière heure : la « lOO'' » est fixée à vendredi prochain.
— Souhaitons la même bonne fortune à l'Ouragan de M. Alfred Bruneau,
dont les répétitions vont commencer immédiatement après la « première »
de la Fille de Tabarin, avec cette très belle distribution, qui devra certaine-
ment aider au succès, s'il est possible:
Landry JIM. .Maréchal
Gervais Dufranc.
Hiilianl liourbon
Jlarianne M""- Marie Oelna
Jeannine Jeanne Raunay
Lucie Guiraudon.
Le jeune baryton Bourbon est le jeune lauréat des derniers concours du
Conservatoire qui fut très remarqué et qui fera son premier début dans cet
ouvrage. L'Ouragan comporte une partie chorale très importante, mais seule-
ment de coulisse. Le premier acte se passe sur la terrasse de la maison de
Marianne, dominant la vue de la mer. Le décor du second acte représente
une vallée descendant à la mer. Le troisième acte se passe à l'intérieur de la
maison de Marianne.
— Toutefois, avant l'Ouragan nous aurons la reprise de Mireille, qui sera
particulièrement brillante, M. Albert Carré s'appliquant à donner de la jolie
œuvre de Gounod une reconstitution toute nouvelle et particulièrement
colorée.
— Nous devions avoir mercredi dernier la première représentation de la
fille de Tabarin à l'Opéra-Comique , mais l'enrouement dont souffrait déjà
M"» Garden à la répétition générale, ayant persisté, il a fallu reculer cette
« première « jusqu'après les jours gras.
— M""' Sibyl Sanderson a signé avec FOpéra-Comique un contrat pour un
nombre de représentations qui commenceront au li"' avril prochain. Nous
reverrons d'abord la séduisante artiste dans Manon.
— An courant de cette semaine nous aurons, dit-on, la première repré-
sentation à l'Opéra-Populaire de la Charlotte Corday de M. Alexandre Georges,
avec M"= Georgette Leblanc comme principale interprète.
— Un érudit lyonnais, M. Bleton, vient de publier quelques pages inté-
ressantes sur les séjours que Molière et sa troupe ont faits à Lyon, de 16S2 à
1638. C'est dans cette ville que Molière a recruté une actrice célèbre, Mar-
quise de Gorle, qui épousa en 1633 René Berthelot, dit Duparc ; les biographes
de Molière l'appellent couramment la Duparc. « Ce prénom de Marquise, dit
le biographe, était assez répandu à Lyon, où les chercheurs l'ont trouvé
nombre de fois dans les registres de baptême de l'époque. » Le grand Cor-
neille a adressé à cette actrice de beaux vers souvent cités :
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux
C'est qu'en effet Corneille, à soixante ans, devint amoureux de la Duparc,
comme un instant l'avait été aussi Molière, à l'époque où l'inconduite de sa
femme, cette coquette et séduisante Armande "Béjart, lui faisait chercher
ailleurs des consolations. Mais la Duparc, fière et hautaine, — nous dirions
aujourd'hui « poseuse » — tint la dragée haute à Molière, qui n'insista pas.
Plus tard elle voulut s'humaniser et revint d'elle-même au grand homme;
mais celui-ci avait trouvé en M"' de Brie l'àme tendre et aimable qu'il cher-
chait, et à son tour il demeura insensible à ses avances. C'est à la Duparc
que Racine confia le rôle d'Andromaque. Son père, Giacomo de Gorle, était
natif de Rozel, au pays des Grisons. En 1633, établi à Lyon depuis quelque
temps déjà, il avait demandé à être inscrit au livre des habitants. Dans un
acte de baptême, en 1644, ce Jacques de Gorle se qualifie « seigneur dudit
lieu ». Un peu plus tard, en 1631, il se qualifie « premier opérateur du roi ».
11 était en effet opérateur de son métier, ce qui comportait à la fois l'art du
dentiste et la vente des drogues ou vulnéraires. Marquise Duparc serait ainsi
d'origine suisse. Le fait est que Gorle est le nom d'un village du canton du
Tessin. près de Mendrisio, sur la route de Côme. Mais le nom de Rozel est
difficile à trouver dans le pays des Grisons, a Je l'ai cherché inutilement, dit
un journaliste suisse qui rend compte du livre de M. Bleton, dans les atlas
et les dictionnaires topographiques. Il faudra retrouver ce nom de Rozel, ou
l'identifier avec celui de quelque localité grisonne, si l'on veut pouvoir avec
sûreté revendiquer Marquise Duparc comme une de nos célébrités suisses. »
— Au dernier « Mercredi-Danbé », à la Renaissance, M. Théodore Dubois
a triomphé sur toute la ligne. D'abord avec ses très originales pièces en forme
canonique, fort bien interprétées par MM. Bleuzet et Destombes; ensuite
dans ses mélodies : Par le sentier et Prés d'un ruisseau, que M. Mauguière a dites
à ravir; et enfin avec son Andante et l'adorable entr'acte de Xavière, qu'il
a accompagnés au violoncelliste Destombes. — M™ Adiny a eu également
un grand succès dans les Rêves de Wagner et dans deux jolies mélodies de
M. Emile Trépard. M. Soudant a charmé l'auditoire avec la romance en fa de
Beethoven, et M'"! Richez, le brillant premier prix d'il y a deux ans, a remar-
quablement joué, avec MM. Soudant et Destombes, le magnifique trio, à l'Ar-
chiduc, de Beethoven.
— D'ailleurs le succès des matinées organisées par M. Danbé à la Renaissance
s'affirme de plus en plus, A l'une des dernières séances, on avait beaucoup
applaudi déjàM"= Suzanne Cesbron, qui a détaillé avec un charme infini des
mélodies de Théodore Dubois et de Bourgault-Ducoudray. Très vif succès
également pour la « Suite de Thèmes populaires gallois » de Bourgault-Ducoudray
po"UT quatuor à cordes et flûte.
— La Société simplement entre-bàillée la Sourdine a donné récemment,
40. rue des Mathurins, la première de ses intéressantes séances : la musique
d'ensemble, sous la direction de M. Lederer, a fait applaudir la symphonie
en la mineur de Saint-Saêns, où M™ Henri Beraldi tenait brillamment la
première partie de piano ; le succès vocal a été, cette fois, pour W" Y. de
Saint-André dans des Mélodies de M. Léon Schlesinger et dans deux délicieuses
Chansons populaires grecques, harmonisées par M. Bourgault-Ducoudray.
36
LE MENESTREL
— De Nice on nous télégraphie le très grand succès remporté \im- Cendrillon
au Grand-Théâtre. Il parait que l'interprétation est » remarquable >', la mise
en scène « merveilleuse » et que le public » enthousiaste » a beaucoup regretté
l'absence du compositeur. Bref, l'œuvre est « lancée à ce point qu'on compte
avec elle aller jusqu'à la fin de la saison i).
— De même à Marseille, où l'on en est à la 2-2= représentation, le succès
■de CendriUon, ic au lieu de s'épuiser, va toujours en s'accentuant », nous
disent les journaux de là-bas, et le public ne se lasse pas de fêter l'œuvre et
ses vaillants interprètes, M""s Davray. Marie Boyer et Stajewska. Cette très
belle réussite permet à la direction de préparer tout doucement ses prochaines
Cl premières », celle iïAndré Chénier et celle de Louise. Pour l'an prochain le
système de la <t régie » est adopté par la municipalité et ce sera M. Albert
Vizentini qui sera l'adminislrateur délégué du théâtre. Il a obtenu pour cela
la gracieuse autorisation de son directeur, M. Albert Carré, qui lui accorde
un congé.
— La direction de la musique du Grand Casino municipal de Biarritz vient
d'être confiée à M. .Alexandre Luigini, l'excellent chef d'orchestre de l'Opéra-
Comique. La saison s'ouvrira du 10 au -20 août, et se terminera le 30 octobre.
Les grandes exécutions symphoniques auront lieu à partir de l'ouverture
jusqu'à fin septembre. Un orchestre de choix, mais réduit, se fera entendre
pendant tout le mois d'octobre. Les artistes musiciens qui désireraient faire
la saison de Biarritz devront adresser leur demande à M. A. Luigini, à
l'Opéra-Comique.
— Opinion du Petit Niçois sur le Cotirertstûck de Raoul Pugno : o ...Dans la
seconde partie du concert, cet incomparable maître du clavier a joué un
Concerisli'œk pour piano et orchestre, dont il est l'auteur : l'œuvre est des
plus remarquables. Bâtie sur un thème de trois notes, elle est d'une richesse
de développement extraordinaire. Le thème initial se pose, se précise, se
répète, s'altère, se transforme, avec une variété rare dans le premier mouve-
ment, que suit un fugato très brillant, de belle fougue, toujours en dévelop-
pements variés du thème essentiel. Puis le thème se transforme de nouveau
en un finale éclatant de sonorité, avec, çà et là, d'exquis babillages de spiri-
tuelle légèreté, pour s'achever largement en un rythme très marqué et d'allure
puissante. La polyphonie en ce Coiicerlstûck est d'une « trituration » remar-
quable. L'orchestre en est traité avec une variété de timbres et un coloris
qui font de cette œuvre une des plus admirables et des plus robustes compo-
sitions pour piano et orchestre. »
^ Le Conservatoire de Lille vient de voir renouveler quelques-unes de ses
classes. Sont nommés : professeur de clarinette, M. Nyvert, sous-chef de
musique au 72= de ligne, à Amiens; professeur de flûte et de hautbois,
M. Verroust, flûte-solo à l'orchestre du théâtre; professeur de saxophone,
M. Lecuy, soliste à l'orchestre du théâtre.
— Concours orphéoniques. La ville de Saint Brieuc ouvre un grand con-
cours d'orphéons, de musiques d'harmonie, de fanfares et de quatuors à cordes,
qui aura lieu les 2tt et 2'7 mai. S'adresser pour renseignements à M. Maga-
dur, secrétaire, à la mairie de Saint-Brieuc. — A l'occasion de sa fête com-
munale, la ville de Douai ouvre un concours de musiques d'harmonie, de
fanfares, d'orphéons et d'orchestres symphoniques, qui aura lieu les 1 et
8 juillet. S'adresser au secrétaire général du concours, à la mairie de Douai.
— On nous écrit de Perpignan : La dernière séance donnée par la Société
de musique classique a été fort brillante. L'excellent orchestre dirigé avec
tant de zèle et de talent par M. Gabriel Baille s'est surpassé dans l'interpré-
tation de plusieurs pièces symphoniques, dont quelques-unes n'avaient jamais
été exécutées à Perpignan. Citons l'Enterrement d'Ophclie de Bourgault-Du-
coudray, très applaudi, et qui figurera de nouveau sur le programme du pro-
chain concert.
— De Roubaix : Au concert donné par la Grande Harmonie, très grand
succès pour M"« Jeanne Leclerc et M. Carbonne, de l'Opéra-Comique, dans le
duo de Lakmé. M. tlarbonne s'est aussi fait très vivement applaudir dans l'air
de Suzanne, de Paladilhe, ainsi que M. l.'estombes dans la Cavaline pour vio-
loncelle de Théodore Dubois.
— De Niort : L'orphéon de Niort vient de donner son concert annuel dans
la salle du Manège, devant un public des plus nombreux. Les chœurs ont bien
exécuté divers morceaux, entre autres des valses viennoises de Fahrbach ar-
rangées par Laurent de Rillé. Mais le triomphe de la séance a été pour
M'"^ Oswaid, de l'Opéra-Comique, qui a délicieusement chanté la gavotte de
Manon, de Massenet, la polonaise de Mignon, d'Ambroise Thomas, et Ça fait
peur aux oiseaux, de Paul Bernard.
— SoiBÉES ET CONCERTS. — A l'intèressaiit concert donné, salle lirard, par le violoniste
Ondricek très grand succès pour M"° Palasara qui a fort Lien chanté Lamenta et La
Fille aux cheveux de lin de Paladilhe, A Douumenez, de Théodore Dubois, UAme des
oiseaux et Avril est amoureux de Massenet. — Salle Érard, les élèves de 11"° Renée Vorle
se sont fait applaudir en démontrant une fois de plus l'excellent enseignement de leur
professeur. On a remarqué parliculièrement le talent de M^'iMarie-Valentine Arnold. Une
toute jeune élève, M"° Germaine Thubert, a remporté aussi un véritable succès dans le
finale du concerto en soi mineur de Mendelssohn. L'assistance a aussi chaleureusement
applaudi les excellents artistes qui prêtaient leur gracieux concours: M"" Sanderson-
Lemaitre; M'" Berthe Loëwy et M. Raymond Lafarge, le distinguo violoncelliste. — A la
Bodinière, M. S. de Stojowski vient de donner un brillant concert auquel assistait un
puldic aussi nombreux que choisi. Le jeune compositeur a fait entendre plusieurs de ses
nouvelles mélidies qu'il a délicatement accompagnées à cette impeccable et poétique
interprète de lieder qui a nom Jlarcella Pregi. On a fait l'ète à cette charmante artiste,
surtout après la ravissante mélodie Poun/uoi le cueillir... M. de Stojowski a joué en vir-
tuose trois de ses morceaux pour ])iano, dont la Valse déjà assez connue, et a accompagné
sa sonate pour piano et violoncelle, œuvre de grande envergure qui n'a pas produit tout
son effet, à cause de l'insullisante exécution de la partie de violoncelle. Grand succès pour
le concerto de violon que 51. Gorski a admirablement interprété. — Salle Erard, très joli
concert donné par M"' Renié qui s'est fait applaudir couime virtuose et comme composi-
teur dans un intéressant Concerto pour harpe et orchestre de sa composition. Très gros
succès pour la transcription faite par la jeune artiste de VAdar/io du i' concerto de Théo-
dore Dubois. — Charmante matinée des élèves de Mi'' E. Gignoux, entièrement consacrée
aux œuvres de Théodore Dubois. Quatre bis : le Bain (M- Y. Englcberl), A Douamenez
(M"- de Jerlin), duo de Xariére (M"' Englebert et JU. d'Hariscamp) et Sallarelle pour vio-
lon tM"' Laval). Et, bien entendu, de nombreux bravos encore pour le compositeur, les
élèves et le professeur. — Une intéressante série de Poésies galantes d'auteurs anciens mises
en musique par M. Léon Schlesingcr vient de faire son apparition et deux auditions en
ont été données au théâtre d'.\ntin et à l'Institut Rudy, accompagnées d'une charmante
causerie de M. Ch. Fuster. Les chansons do M. Léon Schlesinger avaient pour interprètes
M"" Mary Garnier et y. de Saint-André, MM. Mauguière, G. Danlu et Paul Pecquery.
Chacun d'eux a mis en lumière de la façon la plus heureuse les idées du compositeur,
lequel accompagnait au piano. Signalons aussi le succès de M"" Lherbay qui a récité un
préambule en vers de Noi-l Bazan intitulé les Airs de jadis, avec musique d'accompagne-
ment de M. Léon Schlesinger.
— CoNCEBTS ANNONCÉS.— -MM. Ricardo Vines, Henri Saïller et Louis .\bbiate donneront
trois séances de musique de chambre, les jeudis 21 iévricr, 7 et 21 mars, à 9 heures du
soir, dans la Salle des Fêtes du Journal, 100, rue de Richelieu, avec le concours de
M"" lîléonore Blanc et de Joly de la Mare, MM. Maurice Bagès, L. -\ubert, Denayer et
Ad. Soyer. — M. Georges Enesco, le jeune violoniste et compositeur, donnera le samedi
23 février, à 9 heures du soir, un concert à la salle Érard, avec le concours de M"" Jeanne
Hatto, de l'Opéra. Au piano d'accompagnement, M. A. Catherine.
NÉCROLOGIE
On annonce de Rome, où il était né, la mort, à l'âge de plus de 60 ans,
du compositeur Filippo Sangiorgi, qui fut successivement chef de la musi-
que de la garde nationale en cette ville, directeur pendant neuf ans du Lycée
musical de Ferrare, et enfin professeur de chant et de composition à Milan,
jusqu'au jour où l'état de sa santé l'obligea de se retirer à Rome. Il avait
fait représenter un certain nombre d'ouvrages : la Mendicante, Rome, 1861 ;
Jçjinia d'Asli, Rome, 1862: Guisemberga da Spolelo, Spoleto, iSGi; Giuseppr
Balsamo, Milan, théâtre Dal Verme, 1873 ; Diana di Chaverny, Rome, théâtre
Argeutina, 1875; Amazilia, Milan, théâtre Carcano. Il venait de terminer
un dernier opéra, Orlando Furioso.
Henri Heugel, directeur-gérant.
La partition d'Astarté, de Xavier Leraux, poème de Louis de Gramont, vient
de paraître chez Alphonse Leduc.
Viennent de paraître :
Cliez Tretse et Stock, Astarté, opéra en 4 actes de Louis de tiramont (musique de
Xavier Leroux), représenté à l'Opéra (1 fr.).
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lions (3 fr. 60 c).
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impressions recueillies par Jules Nordi, avec illustrations (0 fr. 50 c).
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11. Premiers fils d'argent.
12. Coupe d'ivresse.
13. Vieilles lettres.
11. '\'ous qui passez.
15. Amours bénis.
Iti. Pitchounette.
17. .\ deux pleurer.
18. Chanson pour elle.
19. Le Nid.
20. Avril est là.
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Avril est amoureux (3 tons) G »
Sœur d'élection (2 tons) 5 «
Au très aimé 5 »
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Mon Page |2 tons) 6 »
Ce que disent les cloches (3 tons) 3 "
On dit! 5 »
— avec accom)iag. de piano et violoncelle obligé. 6 »
3648. - 67- AWm - I\l° 8. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimaoche 24 Février 1901.
(Les Bureaux, 2'''*, rue Vivieime, Paris)
(Les riinnuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs./
LE
MENESTREL
Le lïaméFo : 0 ff. 30
MUSIQUE ET TIIEA^TI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
lie IlaméFo : 0 ff. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bti, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
1. Peintres mélomanes (15' et dernier arlicle) i Musique descriptive et peinture musicale,
Raymond Bouyer. — II. Semaine théâtrale : première représentation de la Fille de
Tabarin à rOpéra-Comique. Arthur Pougin. — HL Le théâtre et les spectacles à l'Expo-
sition (18' article), Arthur Pougin. — IV. Reine des grands concerts. — V. Nouvelles
<liverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ON DIT
nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jean Roux. — Suivra immédiate-
ment : Enfantillage, n° 4 des Vaines tendresses, nouvelles mélodies de Théo-
dore Dubois, poésies de Sully-Prudhomme.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Simple phrase, de J. Massenet. — Suivra immédiatement : Dame galicienne, de
Théodore Lack.
PEINTRES MÉLOMANES
XV
MUSIQUE DESCRIPTIVE ET PEINTURE MUSICALE
Pour Adolphe Boschot et les amis de Mozart.
Le philosophe convient lui-même qu'il faut vivre, d'abord,
puis philosopher. L'instinct de l'art a toujours précédé la criti-
que. Depuis Athènes, peut-être, depuis les ancêtres noblement
souriants de nos fresques blêmes, il y a toujours eu des pein-
tres intelligents (qu'on se le dise) et qui goûtaient la musique ;
et cela, donc, bien avant que l'obscur amoureux d'art ne se
demandât un beau matin, platoniquement : Quels furent ces
peintres? Et qu'est-ce qu'un peintre mrloinane ?
Ces peintres ont répondu, d'eux-mêmes, à l'appel, apportant
les différents termes de la définition demandée : musiciens, dans
les profondeurs sereines ou tragiques du clair-obscur, depuis le
sourire de Léonard jusqu'au rictus d'Hoffmann ; passionnés
seulement de mélodie, comme Delacroix ou Watteau, dans l'u-
nivers empourpré de la couleur; directement inspirés par les
fugitives métamorphoses du poème sonore : — petits maîtres de
la lithographie romantique, Célestin Nanteuil ou Lemud ;
maîtres sourcilleux ou suaves de la peinture contemporaine,
Max Klinger ou Fantin-Latour, visions étranges ou virginales,
sans parler ci de tant de pièces d'un métier admirable, si profon-
dément wagnériennes par l'harmonieuse sensualité de lignes à
la fois indécises et pures 1 » Ainsi parlait un wagnérien d'hier (1),
converti désormais à la religion de Mozart, ce frère aîné du
divin Corot que le désespoir harmonieux d'Orphée créa, pour un
soir, le plus pénétrant des peintres mélomanes. Remarquez-le
tout de suite : tous, sauf un autre ami de Mozart, M. Ingres,
sont des coloristes ; tous s'enveloppent naturellement dans une
atmosphère, sans même redouter « le nuage de l'ébauche », —
« baignant et noyant leur création dans la pâte molle, n'osant
qu'une esquisse des matinales amours et du balcon de Vérone,
leur laissant le manteau de la demi-nuit... » (2) Yseult ou
Juliette, Eurydice ou Sieglinde, vos noms mélodieux s'incar-
nent dans une brume d'aurore ! Et Delacroix, « nourri des
poètes », verrait là déjà le secret de cette réconciliation char-
mante entre deux arts qui, d'abord, paraissent « diamétralement
opposés y> (3) : oui, le sentiment fait des miracles, dirait-il ; une
poignée d'inspiration naïve est préférable à tout. La peinture,
comme la musique, est au-dessus de la pensée. Elles enchantent,
toutes deux, par le vague. . . Et le plus intelligent de ses adora-
teurs, le poète artiste des Fleurs du Mal, observe à son tour que,
« malgré sa forme arrêtée pour nos yeux », toute peinture est
musicale, parce qu'elle est essentiellement suggestive.
Voilà pourquoi, sans doute, en notre société compliquée où
la culture intensive et diffuse a remplacé l'invention, les pein-
tres amoureux de musique apparaissent de plus en plus nom-
breux. Le soir ou l'après-midi, aux promenoirs grouillants ou
dans la mondaine intimité de la Bodinière, — tout comme ces
Davidsbitndler célébrés dans les Ecrits de Schumann et chantés
par son piano romanesque, — sous le ciel constellé d'Orange
ou dans la nuit de Bayreuth oîi l'avenir sourit au passé comme
l'amour au printemps, dans la fièvre des grands concerts et sous
le charme des petites séances où le Cycle du Lied, inauguré par
M"" Mockel, dispute ses mardis à l'heureuse innovation de la
Société Mozart, partout, les peintres se montrent ; on en déni-
cherait jusqu'aux Folies-Bergère, à l'heure où tourbillonne amou-
reusement la NapoH du jeune Alfano... Nommerai-je Anquetin,
le fougueux décorateur, Valloton, le néo-xylographe des Intimités
farouches, Jean Veber, trop spirituel pour être seulement pein-
tre, le portraitiste Jacques Blanche, qui a si profondément com-
pris la modeste fierté de Vincent d'Indy, Milcendeau, le rustique
élève de Gustave Moreau, Georges Lavergne, le confident de la
Sirène, le paysagiste Morlot, le peintre-graveur Henry Paillard,
et tant d'autres? Epris de Fervaal et du Vaisseau- Fantôme, Henri
Martin demande à son orgue les voix de VInspiration. Charles
Cottet, wagnérien mais beethovénien, n'oublie pas ses parentés
musicales. Je glisse sur M. Carolus-Duran, qui ne devient orga-
(1) ïeodor de Wyzewa, Btvthoven et Wagner (Paris, Perrin, 1898), page 130; à propos
des tilliographies musicales de Fantin-Lalour.
(5) Les Concourt, La Peinture à l'Exposition Universelle de ISSU.
(3) Mot d'Hoflmann, dans son article sur la Musique instrumentale de Beethoven.
LE MÉNESTREL
niste que pour orner le repos du modèle... Il faudrait question-
ner encore la Préraphaélite Brotherhood ou la Rose-Croix. Et voici,
parmi nous, un jeune ouvrant sa voile à tous les souffles rajeu-
nis de l'idéalisme : depuis sept ans, Bellery-Desfontaines expose
aux deux Salons des Compositions pour Sif/urd ou des Esquisses sur
la partition de la Walkyrie; la germanique légende fleurit ses
pastels ; Wolan borgne et majestueux renaît sur la pierre.
D'autres, comme Ghatinière, pour l'affiche lithographiée de
Manon, Grasset, pour les ornements byzantins à'Esclarmonde,
Steinlen et Lucien Métivet, pour tant de Mélodies gauloises ou
précieuses, ont repris la tradition de nos petits-romantiques.
Mais une œuvre juvénile fut significative entre toutes. G'était
au Salon de 1898. Le catalogue la désignait: Symphonie. Clair de
lune (mélodie) : Clair de lampe (harmonie); Clair de rampe (rythme).
Et nous pensions : Que le spectateur ne se laisse point rebuter
par la complication du titre ; elle montre, simplement, le désa-
vantage de la parole sur la peinture et la musique, ces sœurs
vagues. Qu'il s'arrête bien, en face des trois panneaux pâles,
reliés dans l'or, qu'il converse du regard avec le fantôme cen-
tral, avec cette féminine blancheur émanée de la nuit bleue,
qui pâlit encore dans son ombre, entre la demi-teinte plus
chaleureuse de la harpiste sous l'abat-jour glauque et l'éclat
amorti des reflets mordorés qui tremblent aux plis d'une Loïe
FuUer impalpable : une musique, un murmure plutôt, va sour-
dre insensiblement de ces harmonies timides, comme d'une
fenêtre de fête illuminée dans la nuit. La stylisation volontaire
simplifie les contours, estompe les teintes. Le réalisme est
vaincu. N'est-ce pas un invisible orchestre qui monte du jeu mé-
lancolique des nuances, transposant sur la toile grise la poétique
de Richard Wagner aux répétitions de Munich : « Eteignez, mes-
sieurs, éteignez! Gomme si les sons venaient de l'autre monde...»
Wagner put)jsjs(e, voilà de l'inédit, semble-t-il ! Et l'auteur de ce
Triptyque décoratif est le poète mystique du Tendre automne : Paul
Steck est l'avocat du mystérieux développement des sonorités.
Songe et symbole, — pour raconter cette œuvre complexe, le
critique d'art se voit forcé de recourir à la confusion des lan-
gues, de franchir à son tour la Babel contemporaine, de conti-
nuer, bon gré, mal gré, le poétique imbroglio du bon Kreisler :
la « symphonie » se peint sur la toile, et les « sonorités » s'é-
lèvent du ragoût discret delà palette... Echanges perpétuels, qui
favorisent la déclamation des docteurs pessimistes pour tonner
contre nos « dégénérescences I » Phraséologie nouvelle, issue
dti romantisme, qui détaille la couleur des sons et le chant des
couleurs: de là, l'écriture artiste. Dans « l'abîme mystique » du
Prélude de Lohengrin, un mélomane aperçoit l'ogive. Compa-
rant les Lieder aux Romances sans paroles , le critique musical
préfère les « camées » de Schumann aux « aquarelles » de Men-
delssohn ; tandis que le salonnier, depuis Gautier, décrit des
symphonies en blanc majeur, et que le peintre, depuis Whistler,
effleure des Nocturnes qui sont des Harmonies en noir et en or... Et
le snobisme béat se fait gloire de renchérir I Cependant, toute
exagération masque une vérité. Toute préciosité marque une
évolution. La note présente, c'est la tendance à l'expression.
L'arabesque et l'art pour l'art sont en défaveur. La musique
incline vers la peinture, et la peinture vers la musique. Mas-
senet s'écrie : « J'aurais voulu être peintre ! » Et le roi des pein-
tres, c'est le Wagner de Bayreuth, quand il réconcilie les trois
arts en versant un rayon de lune mélodieuse sur le couple
incestueux qui tremble...
D'ailleurs, aujourd'hui plus que jamais, le peintre qui s'ins-
pire de la musique ne reprend-il pas son bien? Descriptive ou
littéraire, — couleur locale ou leit-motive, — la musique du siècle
évoque ou souligne un décor visuel, un drame humain. L'hu-
maine expression a dominé la fugue. Le contre-point n'est plus
le seul maître de l'architecture éphémère et vague. Après Schu-
mann et Brahms, après les symphonies dernières, c'en est fait
presque de la musique absolue. Le théâtre hypnotise. Le drame
triomphe. Rubinstein a jeté le cri : Finis musicœ! (1). La géniale
(1) Entretien sur la limUjue, par Antoine Rubinstein (Ménestrel, 1891-1892j.
« audition colorée » d'un Hector Berlioz ou d'un Franz Liszt met
un tableau sous la note, un cœur sous l'accord; Richard Wagner
définit un être, une idée, dans une période. Tout n'est que rêve
— et tout peut être symbole. Et le peintre n'est-il pas mieux
fondé à fixer dans une image à la fois précise et vaporeuse le
rêve issu du chant, comme un dessinateur illustre un poète?
Donc, le peintre de la vie s'est fait d'instinct peintre du songe.
Telle fut l'évolution d'un Fantin-Latour. Le portraitiste adore la
musique; il chérit les fleurs; et n'est-ce point la même ivresse
ineffable qui naît du double parfum ?
Maniée par un peintre, cette peinture musicale ne sue pas l'en-
nui pédant de la peinture littéraire : de même que, sous la plume
d'un musicien, la musique pittoresque sait rester musicale.
Le partisan résolu des Poèmes sijmphoniques de Liszt conclut :
« Pour beaucoup de personnes, la musique à programme est un
genre nécessairement inférieur. On a écrit sur ce sujet une foule
de choses, qu'il m'est impossible de comprendre. La musique
est-elle, en elle-même, bonne ou mauvaise? Tout est là. Qu'en-
suite elle soit, ou non, à programme, elle n'en sera ni meilleure ni
pire. C'est exactement comme en peinture, où le sujet d'un ta-
bleau, qui est tout pour le vulgaire, n'est rien, ou est peu de
chose pour l'amateur. Il y a plus : le reproche que l'on fait à la
musique de ne rien exprimer par elle-même, sans le secours de
la parole, s'applique également à la peinture. Un tableau ne
représentera jamais Adam et Eve à un spectateur qui ne con-
naîtrait pas la Bible; il ne saurait représenter autre chose qu'un
homme et une femme nus au milieu d'un jardin » (1). Pein-
ture et musique, vous voilà donc réconciliées, sœurs ennemies!
Comment le peintre mélomane voit-il, pour ainsi dire, la
musique, quand la musique « le prend comme une mer » ? Toute
vivante et toute peinte, dans une atmosphère sui generis émanée de
son émotion. Sinon, l'œuvre est un rébus informe ou de l'illus-
tration sans échos. M. Ingres, qui fut plus et mieux qu'un Chinois
égaré dans les ruines d'Athènes, donne le la : « Nous sommes
tous fils d'Apollon ! »
(Fin.) R.\YMO!ND BOUYER.
SEMAINE THEATRALE
Opéra-Comique. La Fille de Tabarin, comédie lyrique en trois actes, paroles
de MM. Victorien Sardou et Paul Ferrier, musique de M. Gabriel Pierné.
(Première représentation le 20 Janvier.)
Tout n'est pas invention, comme on pourrait le croire, dans la pièce
que MM. Victorien Sardou et Paul Ferrier viennent de présenter au
public sous le titre de la Fille de Tabarin. Tout d'abord, Tabarin avait
véritablement une fille (je ne sais si elle s'appellait Diane, comme l'ont
baptisée ces messieurs, mais elle exista réellement). Ensuite, il est par-
faitement vrai que ce pitre, qui avait d'ailleurs de l'instruction et des
lettres, se retira, après fortune faite dans son métier de jiateleur, en un
beau domaine qu'il avait acheté aux environs de Paris, et où il vivait
quasiment en grand seigneur. Enfin, il n'est pas moins très exact qu'il
mourut d'une façon tragique, quoique pas tout à fait comme le font
mourir nos librettistes.
Lorsqu'on 1619 Tabarin vint rejoindre au Pont-Neuf, sur la place
Dauphine, le charlatan Mondor, opérateur et marchand d'onguents, qui
y avait installé ses tréteaux l'année précédente, ce fut comme une révo-
lution dans tout Paris, et de tous les points de la grand'ville on accou-
rait pour entendre ses propos largement épicés et suprêmement diver-
tissants. La place Dauphine devenait chaque jour le rendez- vous non
seulement des badauds, des valets, des sergents, des filous et des cham-
brières, mais parfois des gens du beau monde, qui ne craignaient pas
de se commettre avec la populace pour jouir d'un spectacle dont la
grossièreté n'excluait point l'esprit et dont la drôlerie, d'ailleurs, aurait
fait naître le rire sur les lèvres d'un hypocondre.
La renommée de Tabarin devint telle que bientôt on eut l'idée d'im-
primer ses facéties graveleuses, et que cette publication obtint un succès
fou. Le Recueil général des rencontres et questions tabarinigues, mis en
vente par le libraire Sommaville en 1622, fut bientôt dans toutes les
mains et se débita à des milliers d'exemplaires, si bien qu'il donna lieu
(1) Saint-Saëns, Harmonie et Mélodie (1885); pages 160-161.
LE MÉNESTREL
o9
â des contrefaçons et à des imitations nomljreuses. Entre pitres on se
connaît. II va donc sans dire que Tabarin fréquentait l'Hôtel de Bour-
gogne et les trois farceurs héroïques qui avaient nomGaultier-Garguille,
Gros-Guillaume et Turlupin, lesquels, sans doute, ne se faisaient pas
faute de venir applaudir et admirer leur confrère sur la place Dauphine.
Ce qui le prouverait, c'est le petit document suivant, placé justement
en tète du « Recueil » que je viens de citer et pour lui servir d'intro-
duction auprès du public.
APPROBATION
de messieurs de l'Hostel de Bourgogne.
Nous, soubsiguez, docteurs régens en l'Université de l'Hoitel da Bourgogne,
certifions avoir veu et leu ce présent livre intitulé: Recueil général des Questions
tabariniques, avec leurs responses, etc., etc., auquel n'avons rien trouvé qui soit
contraire aux peuples ordinaires de notre escolle, ains digne de paroistre et
d'estre engravé au dos de la postérité, comme une pièce rare et antique, et
des mieux basties de nostre temps. Enjoignant de plus à tous nos escoliers
jurez, gens tenant nos cours de plaisanteries, de ne venir désormais en nostre
dicte escolle, sans au préalable s'estre garny d'une de ces copies.
Fait le jour de Mardy-Gras, au collège de Bontemps, au susdit.
Signé : G. Garguille,
Gros Guillaume.
Et ce qui prouve encore plus les relations de Tabarin avec ses cama-
rades de l'Hôtel de Bourgogne, c'est que précisément sa fille épousa l'un
de ceux-ci, le joyeux Gaultier-Garguille, celui dont un chroniqueur
disait, peu après sa mort : — « Il ne jouoit jamais sans masque, avec
une grande barbe pointue, une calotte noire et plate, des escarpins
noirs, des manches de frise rouge, un pourpoint et des chausses de frise
noire. Il représentoit toujours le vieillard de la farce, chantoit ordinaire-
ment une chanson, et quoique mauvaise le plus souvent, plusieurs ne
venoient au spectacle que pour l'entendre. Cet homme, si ridicule à la
farce, ne laissait pas quelquefois de faire le roi, et assez bien, dans les
pièces sérieuses, à l'aide du masque et de la robe de chambre que por-
toient alors tous les rois de théâtre. »
Tabarin donc, sa fille mariée, alla se retirer dans ses terres — et c'est
ici que les auteurs, usant de leur droit, se sont écartés de la vérité des
faits, aussi bien qu'en ce qui concerne la mort de Tabarin. On sait au-
jourd'hui que celui-ci, victime d'un guet-apens, fut lâchement assassiné
au milieu d'une chasse, par de prétendus grands seigneurs qu'offusquait
le voisinage de cet ancien baladin parvenu â la fortune.
Les auteurs de la Fille de Tabarin nous le montrent précisément dans
son rôle de châtelain campagnard, cachant soigneusement à tous son
ancienne profession, se faisant appeler le sire de Beauval et ayant auprès
de lui sa fille Diane, qui, chose plus difficile à croire, ignore ce qu'a été
son père. M. de Beauval reçoit chez lui les gentilshommes du voisinage,
et le fils d'un de ceux-ci, le jeune Roger de la Brède, s'est épris de la
jolie Diane, qui n'est pas insensible à son amour. Beauval-Tabarin
surprend le secret de sa fille, et se met en devoir de chercher â assurer
son bonheur en l'unissant à celui qu'elle aime. Après quelques difficul-
tés soulevées par le comte de la Brède, le père de Roger, tout finit par
s'arranger, et le mariage est annoncé dans le repas qui précède une
partie de chasse. Voici qu'au milieu de ce repas, on entend du bruit,
des cris. C'est une troupe de baladins qui vient d'arriver dans le village,
conduite par... Mondor. En entendant le nom de son ancien compagnon,
Tabarin est atterré, craignant aussitôt la divulgation de son secret ; il
pâlit, tombe en faiblesse, et c'est à grand'peine qu'on le fait revenir àlui.
Le second acte nous amène précisément sur la place du village, dont
c'est la fête. Mondor a monté sa baraque, il rassemble ses « artistes »,
fait son boniment à la foule, vante ses onguents et son élixir, mais le
tout en vain. Les villageois songent à toute autre chose qu'à monter sur
ses tréteaux, la recette est absente, et Mondor, resté seul, se lamente à
la pensée que lui et les siens n'auront pas ce soir de quoi diner. Sur-
vient Tabarin, dans son plus beau costume de châtelain. En apercevant
Mondor il veut s'échapper, mais celui-ci s'approche, l'aborde, lui conte
sa misère et le supplie de lui permettre d'installer sa baraque dans
l'orangerie du château, où le public ne pourra manquer d'accourir.
Tabarin refuse et tend sa bourse â Mondor qui, fièrement, lui dit qu'il
ne mendie pas. Mais, quoique Tabarin tourne sans cesse la tête pour ne
point se laisser voir, Mondor croit le reconnaître, Tabarin le prend de
haut en lui disant qu'il se trompe, l'autre insiste, et enfin Tabarin,
vaincu par sa vieille amitié, lui ouvre les bras, dans lesquels Mondor se
précipite.
Nous sommes maintenant dans l'orangerie, où, bien entendu, Mondor
a eu l'autorisation de s'instaUer. Il fait procéder à la répétition, à
laquelle Tabarin vient assister, heureux sans doute de se retrouver
pour un instant dans son ancien milieu. Mais celui qui le remplace
dans son personnage ne le satisfait en aucune façon. Après quelques
mouvements d'impatience, il hasarde discrètement une observation,
que l'autre reçoit avec un haussement d'épaules. Une seconde remarque
n'est pas mieux reçue. A la fin, bouillonnant, n'y tenant plus, Tabarin
s'élance sur l'estrade, qu'il escalade, s'empare du loqueton et du chapeau
de ce pitre indigne, — le fameux chapeau de Tabarin, — et là, emporté
par l'amour de l'art, par ses souvenirs, par ses succès, il lui donne une
leçon de parade avec une ardeur, un mouvement, une chaleur, qui font
pousser des cris de joie à Mondor et à ses acolytes. Mais hélas ! voici
que les portes s'ouvrent et qu'arrivent tous les seigneurs qui, en voyant
le « sire de Beauval » sous les haillons de Tabarin, se retirent plus
indignés encore que surpris.
Bientôt revient le comte de la Brède, qui signifie à Tabarin que le
mariage projeté est devenu impossible et qu'il reprend sa parole. Ta-
barin, désespéré pour sa fille, le prie et le supplie en vain, lui propose
de se cacher, de disparaitre, de quitter la France s'il le faut, de telle
sorte qu'on n'entende plus jamais parler de lui. Le vieillard reste in-
flexible et s'éloigne. Pourtant, si je mourais ! se dit Tabarin une fois
seul. Et, saisissant le fusil de chasse qui est auprès de lui, il se dirige
vers les jardins. A ce moment, Roger vient trouver Diane pour lui jurer
que son amour résiste aux volontés de son père, et qu'il ne cessera
jamais de l'aimer. C'est alors que retentit un coup de feu, qu'on entend
des cris et des lamentations, et que Diane, bouleversée, se précipite vers
la porte, qui s'ouvre justement devant des serviteurs rapportant le corps
de Tabarin mourant. Tout le monde entoure le moribond à qui le comte
de la Brède déclare alors que leurs enfants seront unis, et Tabarin,
consolé sans doute par cette parole, rend son âme au ciel.
M. Gabriel Piernê, grand prix de Rome, très avantageusement connu
par plusieurs compositions symphoniques importantes et par des mélo-
dies d'un tour élégant et délicat, n'a jusqu'ici abordé la scène qu'avec
un grand opéra, Vendée, représenté à Lyon sous la direction de M. Albert
Vizentini, et par deux ou trois ballets joués au Nouveau-Théâtre, entre
autres Bouton d'or, qui fut fort bien accueilli. La Fille de Tabarin est son
véritable début de compositeur dramatique devant le public parisien.
Gomme tous ses jeunes confrères, M. Pierné a voulu tout d'abord
montrer là-dedans ce qu'il savait faire et de quoi il était capable. Il a
entassé Pélion sur Ossa, leitmotif sur leitmotif, modulations sur modu-
lations, effets d'orchestre sur effets d'orchestre, se souciant peu de faire
chanter ses chanteurs, ce qui n'est plus de mode, et étouffant les paroles
sous de formidables dessins symphoniques, de telle façon qu'on n'en
puisse saisir un traître mot. Il a pourtant du talent, M. Pierné, et il l'a
prouvé en plus d'une occasion. Mais pourquoi sacrifier toujours le fond
à la forme, traiter la mélodie, le chant proprement dit, comme une
quantité négligeable, et ne s'occuper que de l'effet matériel? Ayant â
écrire une « comédie lyrique, s, une pièce de genre aimable et léger, le
compositeur traite son sujet avec les éléments qu'il pourrait employer
pour écrire le drame le plus sombre et le plus violent, et il semble,
même quand il a à faire parler deux amoureux, que toutes les puis-
sances de l'orchestre lui soient encore insuffisantes. C'est proprement
prendre un merlin pour écraser une fourmi. Et puis, comme M. Pierné
veut être « dans le mouvement », il se garderait comme du feu d'écrire
une phrase qui ait une tournure naturelle et aisée, qui se poursuive
pendant huit mesures avec un sens mélodique, qui ait un commence-
ment, un milieu et une fin, et quand il parait en vouloir commencer
une. vite, il l'interrompt et la dénature par une modulation ; tout est chez
lui tourmenté et tortillé comme â plaisir. Il va sans dire que tout se passe
chez lui en récits éternels, en dialogues interminables, selon la formule
adoptée, et qu'il se ferait pendre plutôt que de perpétrer un simple
ensemble â deux voix. Notez qu'il a de l'inspiration, M. Pierné, et qu'il
la dédaigne. "Volontairement, arbitrairement, il l'étouffé comme s'il en
rougissait.
Et si je dis cela, c'est qu'il m'en donne la preuve. Voyez le troisième
acte, et la scène de la parade. Le compositeur a voulu faire là un petit
pastiche de musique ancienne, à la manière de Grétry ou de Monsigny ;
il l'a fait avec grâce, avec délicatesse, en traitant les voix comme elles
doivent l'être, en les faisant véritablement chanter, et en consentant à
en réunir plusieurs ensemble. Il y a là un petit trio de femmes d'une
forme charmante, vraiment musicale, et un sextuor excellent, le tout
accompagné par un orchestre allègre, pimpant, chatoyant, un petit
orchestre fleuri, plein de couleur et d'élégance. Enfin nous avions de la
musique, et il fallait voir la surprise et la joie du public â cette nou-
veauté inattendue! Hélas! pourquoi n'a-t-il pas traité toute la pièce de
cette façon? Nous aurions peut-être un petit chef-d'œuvre de plus. Et
il a aussi le sentiment de la scène, M. Pierné. Il l'a prouvé au second
acte, dans la rencontre de Mondor et de Tabarin. L'épisode était inté-
ressant à traiter, il y a mis tous ses soins, et la scène est bien menée et
bien venue, quoique, malheureusement, elle manque essentiellement
60
LE MÉNESTREL
d'émotion, là justement où l'émotion était indispensable. J'en dirai
autant de la scène de Diane et de Roger au premier acte, qui est sèche,
sans chaleur, et complètement dépourvue de passion.
Mais enfin, M. Pierné nous a prouvé, avec ce second et ce troisième
acte (il y a encore, au second, la scène comique du boniment de Mondor,
qui est e.xcellente). qu'il aurait, quand il le voudrait, les qualités du
compositeur dramatique. Qu'il les acquière donc complètement, qu'il se
laisse aller à sa nature, qu'il rompe avec les idées fausses, avec les doc-
trines délétères, avec les tendances funestes qui tueraient la musique
française si elle n'était pas si bien constituée. Qu'il se souvienne que les
grands artistes qui s'appelaient Méhul, Cherubini, Catel, Boieldieu,
Herold. ne méprisaient ni le chant, ni le rythme, ni la tonalité, et que
c'est, au contraire, par l'usage qu'ils en faisaient qu'ils ont conquis la
fortune et la gloire. Quoi qu'en puissent dire les poseurs ou les impuis-
sants, c'est avec ces trois éléments qu'on fait de véritable musique,
c'est de leur réunion que sont sortis ces chefs-d'oeuvre qui s'appellent
Joseph, Lodoïska, la Dame blanche, le Pré aux clercs... Et je voudrais bien
savoir quel musicien oserait rougir aujom'd'hui d'avoir fait Joseph, pour
ue parler que de celui-là?
~Les deux rôles principaux de la Fille de Tabarin, ceux de Tabarin et
de Mondor, sont tenus avec une supériorité éclatante par MM. Fugère
et Périer. à qui reviennent les honneurs de la soirée. Très en dehors et
très amusant dans son boniment aux paysans, M. Périer a joué en vi-ai
grand artiste la scène de la reconnaissance avec Tabarin, avec un senti-
ment, une émotion, et en même temps une simplicité et un naturel qui
montrent tout le fonds qu'on peut faire sur son talent et qui lui ont valu
un succès aussi bruyant que mérité. Quant à M. Fugére. plein de grâce
au premier acte dans la scène avec sa fille, il a montré au troisième,
dans celle de la répétition, un entrain, une verve, une chaleur et un
sentiment comique absolument irrésistibles et qui ont réjoui la salle
entière.
Tous les autres rôles ne font, eu somme, que graviter autour de
ceux-là, bien que celui de la servante Nicole, la confidente de Tabarin,
fort bien tenu par M"'' Tiphaine, ait son importance. Il faut louer
néanmoins comme ils le méritent M"'= Garden (Diane), M""" Landouzy
(Clorinde), MM. Beyle (Roger), Delvoye (frère Éloi), Boudouresque
(la Brède), Cazeneuve (la Roche- Posay), et nommer au moins MM"''' Daf-
fetye, Chevalier, de Craponne, et MM. Mesmaecker et Viannenc, l'en-
semble étant excellent de la part de tous. Il faut louer l'orchestre et les
chœurs de leur solidité, et ailresser à la mise en scène tous les compli-
ments qu'elle mérite.
Arthur Pougin.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVBB SELLE DE 19CO
(Suite.)
En dehors de la rue de Paris, qui en avait accaparé le plus grand
nombre, il n'y avait, dans l'enceinte de l'Exposition, que peu de théâtres
proprement dits. Au Champ-de-Mars, le théâtre exotique du Tour du
Monde, qui ne laissait pas d'être curieux et original, et le théâtre com-
pris dans le Palais de la Femme, qui n'offrait rien d'absolument singu-
lier. Au Trocadéro ou daus ses entours, le théâtre Indo-Chinois, dont
l'originalité résidait surtout dans ce fait que ses principaux sujets étaient
européens; le théâtre Hindou, qui, dans ses commencements au moins,
possédait un personnel plus authentique, et le Grand Théâtre Égyptien,
qui méritait son titre, car il était eu effet le plus vaste de l'B.xposition.
A cela il faut ajouter les théâtres qu'on trouvait, d'une part au Vieux
Paris, reconstitution si cmieuse et si intéressante, d'autre part au spec-
tacle qui prenait le titre de l'Andalousie au temps des Maures, dont le
principe était le même et aussi ingénieux, mais qui fut moins heureux
et dont l'existence fut courte.
En quittant la rue de Paris et en franchissant la passerelle du pont
de l'Aima on arrivait au Vieux Paris, on longeait la Seine et on débou-
chait sur le Trocadéro. Là, on suivait, en remontant à gauche, la ligne
des Colonies françaises, et on atteignait, près de la porte de Passy,
l'admirable exposition de ITndo-Chine, qui était une merveilleuse leçon
de choses. C'est là qu'on rencontrait, en quelque sorte enclavé dans
cette superbe exposition,
Le Théâtre hido-Chinok. — Ce théâtre avait été concédé, dit-on, à un
colon de Saigon. Pénétrons dans la salle, non sans avoir contemplé
d'abord l'extérieur de l'édifice, qui mérite un coup d'œil attentif. La
construction fait honneur à l'architecte. M. de Brossard. L'ensemble
est harmonieux, la façade est ornée de motifs heureusement fouillés, la
grande porte d'entrée, somptueuse, est surmontée d'un frontispice
luxueusement sculpté, et la toiture est originale, avec le haut et gentil
clocheton qui la domine. La salle, assez vaste et décorée avec profusion,
est garnie d'armes, d'instruments de musique, de bronzes, de bibelots,
d'objets curieux de toute sorte, qui donnent une note d'exotisme exact
et original. Elle peut contenir environ deux cent cinquante spectateurs
très confortablement assis dans de larges fauteuils de jonc, sans compter
ceux qui peuvent prendre place, debout, dans un large promenoir for-
mant balcon tout au fond.
On a fait beaucoup de bruit autour de ce théâtre Indo-Chinois. As -
sûrement je n'en veux point médire, et le spectacle qu'il offrait au
public ne manquait pas d'une certaine saveur. Mais enfin, le prix des
places était assez élevé (il y en avait jusqu'à cinq francs) pour qu'on prit
montrer quelque exigence â l'égard de représentations qui ne duraient
guère plus d'une bonne demi-heure. Je sais bien qu'en fait d'Indo-
Chinoises il y avait là surtout M"" Cleo de Mérode, retour d'Amérique,
— à qui l'on faisait son entrée, s'il vous plait, comme sur un vrai
théâtre. Elle est toujours fort jolie. M"'' Cleo de Mérode. avec son corps
svelte, ses membres graciles, âla fois souple, voluptueuse et séduisante,
et. cela va sans dire, portant fort bien le costume. Mais â tout prendre,
malgré sa beauté, ce n'était qu'une Annamite faux teint, une Annamite
de contrebande, dont l'exotisme ne pouvait donner qu'une illusion rela-
tive. Et puis, même en dehors d'elle, j'ai des scrupules sur la nationalité
de certains autres sujets encore. Je me suis laissé dire que les danseuses
annamites ou cambodgiennes faisant partie du corps de ballet du roi No-
rodom, que l'administration du théâtre Indo-Chinois avait engagées, se
sont trouvées involontairement en retard de plusieurs semaines, et qu'on
lésa remplacées au dernier moment par de simples ballerines italiennes
du théâtre Columbia, alors en déconfiture, qu'on a dressées d'une façon
spéciale en les faisant étudier devant le cinématographe de la pagode
voisine, qui reproduisait toutes les scènes d'un ballet â la cour d'Annam.
Aurait-on donc abusé de ma candeur en offrant a mes yeux abusés des
Indo-Chinoises compatriotes de M. Fregoli? Horreur et profanation !
Pénétrons, malgré tout, dans le sanctuaire.
La toile est levée, et le décor, tout rutilant, d'une couleur violente et
d'un aspect farouche, avec les animaux étranges qu'il représente, est
tout à fait « couleur locale ». Pour commencer le spectacle, nous avons
une symphonie avec chœurs qui, j'en atteste les dieux, n'offre aucun lien
de parenté avec celle de Beethoven. Ala rigueur, je préférerais même celle-
ci. Six jeunes filles et dix jeunes gens viennent tranquillement s'asseoir
par terre, face au public, formant deux rangées, les fillettes devant, les
garçons derrière. Tous ont leurs instruments, dont ils jouent tout en
chantant, et exécutent ainsi leur symphonie chorale. Bien que cette
musique soit étrange à nos oreilles, qu'elle dépayse complètement, on
ne saurait la dire absolument désagréable. Elle se tient dans une gamme
empreinte de douceur et affecte un certain caractère mélancolique qui
n'est pas sans une sorte de charme berceur.
Lorsque ceux-là ont fini, ils vont se ranger sur les deux côtés du
théâtre, où leur musique va accompagner les danses cambodgiennes.
C'est ici que je me demande si l'on se joue véritablement de ma crédu-
lité, et si les quatre danseuses qui se présentent sont natives d'un
Cambodge situé sur les rives du Pô ou du Tessin. Ma foi, tant pis ! à
tout prendre elles sont curieuses, ces danses, qui ne sont d'ailleurs guère
autre chose que des attitudes et qui ressemblent de bien près à celles
que nous offraient, en 1889, les adorables petites créatures du Kampong
javanais. Ce sont des exercices de grâce et do souplesse, des fléchisse-
ments de reins, des poses sans cesse changeantes, accompagnés de
lents tournoiements de mains en dedans et en dehors d'un effet vrai-
ment curieux.
Beintôt elles cèdent la place â des danses d'un tout autre genre, celles
des Parsis, « adorateurs du feu » nous dit le programme. Ces Parsis
ont. pour les accompagner, un orchestre â eux, orchestre absolument
rudimentaire, comprenant seulement deux ou trois tambours de formes
diverses et deux ou trois paires de crotales. Quatre femmes d'un noir
assez présentable viennent d'abord nous offrir la « danse des vases d'or »,
c'est-à-dire que chacune d'elles tient en mains un petit vase de métal
avec lequel elle jongle tout en dansant. Deux grotesques chantants et
dansants leur succèdent et nous donnent un intermède original et amu-
sant. Puis, toute la troupe exécute la « danse des bambous », très
caractéristique, avec les tournoiements et les enchevêtrements des dan-
seurs frappant sans cesse les uns contre les autres de courts bâtons dont
ils sont armés et qui donnent avec ensemble un bruit rythmique très
étrange et très curieux. Ce qu'il y a de particulier dans ces diverses
danses, c'est qu'elles commencent dans un mouvement lent et tranquille,
s'animent peu â peu, progressivement, jusqu'à devenir vertigineuses.
LE MENESTREL
61
comme celles des derviches, puis s'arrêtent net tout à coup, chaque
danseur se trouvant immobile à sa place.
Enfin — enfin ! parait la reine du lieu, M"" Cleo de Mérode ( « de
l'Académie nationale de musique », ne manque pas de direl' « aboyeur »
chargé de faire le boniment à la porte du théâtre). Et M"" Cleo nous
reproduit, seule, la danse que les quatre cambodgiennes vraies ou fausses
nous ont offerte au commencement de la séance. Elle y met, je ne le
nie pas, un certain charme, une grâce réelle, se souciant d'ailleurs fort
peu de faire concorder ses pas et ses attitudes avec le rythme de l'or-
chestre qui l'accompagne comme il a accompagné ses devancières. Elle
se déhanche ainsi pendant quelques minutes, se tord les bras, fait
tourner ses mains dans tous les sens, puis remonte lentement la scène
sans cesser ses tournoiements, salue gracieusement et disparait. On
applaudit, on la rappelle, elle se présente de nouveau à la foule enivrée,
dont elle reçoit l'hommage, resalue, redisparaît — et c'est fini !
Il parait cependant que le spectacle du théâtre Indo-Chinois a été par
fois un peu plus corsé et qu'on y a joué, dans les commencements, un
agréable ballet- pantomime intitulé la Bague enchantée, dont le sujet
était tiré d'une légende orientale.
TImHre Hindou. — Le théâtre Indo-Chinois n'était pas le seul de
son genre. Tout auprès de l'exposition des Indes Françaises (qu'il ne
faut pas confondre avec l'Indo-Chine), on avait élevé, à beaucoup moins
de frais, un autre théâtre, dit Théâtre Hindou, construction vaste, mais
banale, sans ornements extérieurs ni intérieurs, et qui n'était autre
chose qu'une sorte de grande halle à peu près nue, de forme carrée,
dont le sol était couvert de stalles. Une galerie en simples planches
contournait cette salle. C'est là qu'on avait amené de Pondichéry une
troupe indienne de 83 sujets : danseurs, danseuses, musiciens, prestidi-
gitateurs, « sorciers », charmeurs de serpents, etc. On avait fait de
grands frais (à telles enseignes qu'on m'a signalé quatre bayadéres en-
gagées à raison de l.SOO francs par mois, logées et nourries), mais le
public resta rebelle à ce spectacle, malgré sa richesse et une authenti-
cité qu'eût pu lui envier son voisin, le tliéàtre Indo-Chinois. Bref, et
comme tout n'est qu'heur et malheur en ce monde la débâcle ne tarda
pas à se produire, et la troupe indienne dut se disloquer. La salle fut
occupée, quelques semaines après, par un groupe d'une dizaine d'Indiens
de couleur, dont deux femmes, qui y restèrent jusqu'à la fermeture de
l'Exposition. J'ai vu là un spectacle qui n'était rien moins que somp-
tueux. Quelques danses plus ou moins pittoresques, j'allais dire plus
ou moins banales, parfois accompagnées de chant par les danseurs
eux-mêmes. La plus intéressante était une danse grotesque qu'exécutait
une sorte de sauvage affublé d'un masque hideux, et qui n'était pas
sans un certain caractère original. Il vaut mieux ne pas parler du
reste.
(A suivre. j Abthur Pougin.
BEVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — M. Félix Weingartner pousse aussi loin qu'on
peut l'imaginer la virtuosité orchestrale; sous le rapport de la technique, il
est parmi les trois ou quatre artistes de l'Allemagne tout à fait incomparables
dans la hranche de l'art qu'ils ont adoptée, branche très différente de celle où
ont excellé, où excellent encore les chefs formés à l'école des Richter et des
Hermann Levi, ces admirables initiateurs wagnériens moins jaloux des suc-
cès personnels qu'on ne l'est généralement aujourd'hui. Ses interprétations
le dépeignent entièrement; c'est un seusitif de la musique. Toutes ses impres-
sions d'àme lui viennent par son entremise, et si parfois il se laisse bercer
par elle dans une mimique dont le caractère peut-être excentrique, dans tous
les cas exceptionnel, n'exclut ni la grâce ni l'élégance, plus souvent il lui
commande en maître, lui impose violemment sa loi et la tient sous sa domi-
nation passionnée et frémissante. Là est le coté sublime et génial d'une exé-
cution musicale ainsi présentée; là aussi en est le danger, si le sceptre tombe
en des mains inhabiles. Ce n'a pas été le cas pour M. Weingartner. Bien
qu'il ait atteint, dans l'ouverture de Léonore, la limite extrême de ce qu'on
pouvait oser comme véhémence, comme vélocité et comme puissance d'en-
traînement, aucune confusion n'a troublé dans son orageuse harmonie l'or-
chestre déchaîné. Il a montré que son audacieux chef n'avait pas eu tort de
compter sur sa solidité, sur son ardeur et sur son aplomb rythmique. La salle
était électrisée; elle a rappelé à deux reprises le jeuue directeur, qui asso-
ciait à son succès son admirable phalange instrumentale. Il fallait applaudir
à outrance parce que c'était plein d'élan, et que l'élan et la foi, l'enthou-
siasme, sont ici-bas parmi les choses les plus rares et les plus précieuses.
Venant après ces ovations triomphantes, dont Beethoven a eu sa part, la plus
large au fond, la symphonie en ut majeur de Schubert n'a pu maintenir l'as-
sistance au même diapason. L'œuvre est pourtant d'une exubérance inouïe;
le maître a jeté là ses richesses avec une prodigalité merveilleuse, mais les
thèmes principaux du premier morceau et de l'andante sont ou de peu de
valeur, ou d'un goût vieilli. Le scherzo, par contre, est ravissant; c'est la
poésie champêtre dans sa simplicité, une églogue. On est délicieusement
impressionné par le trio en la majeur, chef-d'œuvre en seize mesures, dont
Louis Ehlert a pu dire : « C'est si ensoleillé, si chaud et d'une sève si plan-
tureuse que l'on croit respirer, vers l'heure de midi, le parfum des jeunes
sapins élevant leurs jeunes pousses au milieu de la forêt. » Le finale a beau-
coup d'allure, de force et de brio ; M. Weingartner l'a mis en relief avec une
conviction ardente et chaleureuse, mais on aurait voulu de lui un ouvrage
d'un autre caractère, par exemple une vaste composition de Berlioz, de Raff
ou de Liszt, afin que sa fantaisie pût se donner carrière dans une forme d'art
plus originale que celle de la symphonie de Schubert. Le programme com-
prenait encore l'ouverture de la Flûte enchantée et le concerto en ré mineur de
Haendel, pour deux violons, violoncelle et instruments à cordes.
Amédée Boutarel.
— La seconde exécution du concerto pour violon de M. Théodore Dubois
au Conservatoire n'a pas été moins brillante que la première. L'œuvre, d'une
si belle tenue et d'un si haut intérêt, a rencontré le même public enthousiaste,
en compagnie de son prestigieux interprète, M. Henri Marteau.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche ;
Conservatoire : Relâche.
Chàtelet, concert Colonne : Ouverture d'Euryanthe (Weber). — Fragments deiîojnco et
Juliette (Berlioz). — Concerto pour violon (llendelssohn), par M. Jacques Thibaud. —
Fragments de Fervmd (V. d'Indy), par M. Vaguet et les chœurs. — Inlroduction et Jîomto
capriccioso (Saint-Saëns), par M. Jacques Thibaud. — Marche de Lohengrin (Wagner).
Nouveau -Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Weingartner : Ouverture
de Benvenuto Cellini (Berlioz). — Ouverture de Rob-Roy (Berlioz). — Symphonie n- 2
(Weingartner). — Le Venusberg de Tannhiiuser (Wagner). — Siegfried-ldyll (Wagner).
— Ouverture des Maitrei •Chanteurs (Wagner).
— M'"'' Anne de Vergnol nous a donné jeudi dernier, à la salle Hoche,
une bien intéressante audition de quelques-unes des œuvres de M. Léon
Delafosse. C'était d'abord la sonate pour violon et piano exécutée par l'au-
teur et M. Sechiari, puis ce délicieux quintette de fleurs, un véritable bouquet
de mélodies parfumées que M""= de Vergnol a dites à ravir. Venait ensuite un
lot de pièces pour piano, des Préludes, des Etudes, des Ballades écrites dans
la manière de Chopin, où, à côté du talent peu banal du compositeur, s'est
révélé une fois de plus toute la maîtrise de l'exécutant délicat et verveux
qu'est M. Léon Dglafosse, — une figure d'artiste fort attachante.
— Un pianiste et compositeur brésilien, M. Henri Oswald, connu déjà et
apprécié en Italie et en France, où il a longtemps résidé, vient de donner à
la salle Pleyel deux concerts pour l'audition de ses œuvres. M. Os-wald a fait
entendre plusieurs compositions importantes et dignes d'intérêt : un quin-
tette, un quatuor et deux trios pour piano et cordes, exécutés par lui et
MM. Bron, Bertagne, de Villers et R. Schidenhelm, l'andante d'un concerto
de violon qui a valu de vifs applaudissements à M. Edouard Bron, enfin
diverses pièces pour piano, pour violon ou pour violoncelle, qui ont produit
la meilleure impression. Le double succès de M. Oswald a été complet.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (22 février). — Comme je l'avais prévu,
le succès de Louise s'est considérablement confirmé aux représentations sui-
vantes, et il est bien certain que le bel ouvrage de M. Charpentier va tenir
l'affiche plusieurs fois par semaine, jusqu'à la fin de la saison, renouvelant
les triomphales et innombrables soirées de Cendrillon, l'an dernier. On s'est
mis maintenant aux répétitions de ta Walkyrie, qui sera la prochaine reprise
importante, avec M"»* Litvinne et Paquot, M°"= Bastien, MM. Seguin et
Imbart de La Tour. Celui-ci rentre à la Monnaie, après une tournée victo-
rieuse en Amérique ; c'est lui qui reprendra le rôle de Siegmund dans l'œu-
vre de Wagner ; c'est lui aussi qui reprendra celui de Pylade dans Ivhigénie
en Tauride, au mois d'avril ; et l'an prochain il nous restera, en remplace-
ment de M. Henderson, dont l'accent anglais a décidément cessé de plaire.
La semaine prochaine, reprise de Manon, avec M""= Thierry et M. David, et
première des Deux Pigeons, le joli ballet de M. Messager. Puis viendra l'En-
léuement au Sérail de Mozart. — La colonie française à Bruxelles a été l'objet,
tout récemment, de distinctions flatteuses de la part du gouvernement belge,
qui a octroyé à plusieurs de ses membres les plus distingués la croix de
chevalier de l'Ordre de Léopold. Parmi eux, j'ai plaisir à noter spéciale-
ment M. Béon, l'intelligent et sympathique représentant de la maison Erard,
estimé de tous les artistes non seulement pour ses relations charmantes dans
les afl'aires, mais aussi pour ses compositions aimables et très méritantes, et
l'accueil empressé et encourageant que ne manquent jamais de trouver chez
lui les jeunes auteurs et les jeunes virtuoses. L. S.
— Les Anglais ont toujours des idées bizarres. Le Sunday Times, de Lon-
dres, en lance une au moins singulière, celle de commémorer à la fois la
reine Victoria et Verdi, en unissant dans une môme manifestation artistique
les noms des deux illustres défunts. Il s'agirait d'une exécution du Requiem
de Verdi, qui serait donnée en l'honneur de la souveraine et du compositeur
à l'Albert Hall, lequel, on le sait, est ainsi nommé en souvenir du.feu prince
62
LE MENESTREL
Alhert, époux de la reine Victoria. De cette façon les trois noms se trouve-
praient réunis.
— On croit que la season du théâtre Corent Garden s'ouvrira, en une sorte
d'hommage à Verdi, par une représentation i'Otello, chanté par des artistes
italiens.
— Voici une lettre très curieuse de Giuseppina Strepponi , la seconde
femme de Verdi. On sait qu'elle fut une cantatrice de renom et que c'est elle
gui créa à la Scala, en 1842, le rôle d'Abigail dans le Nabucco du maître dont
elle ne se doutait guère alors qu'elle deviendrait un jour la femme. Malgré
son très beau talent elle quitta de bonne heure le théâtre et vint se fixer
comme professeur de chant à Paris, où elle se trouvait en 1848. C'est alors
qu'elle adressait la lettre suivante au compositeur Pietro Romani, le condis-
ciple et l'ami de Rossini, celui qui, sur la demande de ce dernier, écrivit l'air
fameux de Bartolo : Manca un focjlio, que depuis lors tous les bouffes ont subs-
titué, dans le Barbier, à l'air original :
Paris, 3 juin 184S.
Cher Romaai,
Tu m'as procuré une bien douce émotion, et je t'en remercie. Ton amitié pour moi n'a
été changée ni par le temps ni par l'éloignement. Les cordiales et affectueuses expressions
contenues dans la lettre que j'ai reçue ce matin me le prouvent sufQsamment.
Je me serais étendue volontiers sur la recommandation que tu m'as donnée pour
M. Hermann-Léon; mais le connaissant très peu, et l'écrit devant passer par ses mains,
j'ai cru bon de m'en tenir aux phrases de rigueur en semblables circonstances. D'ailleurs
(que ton amilié ne s'en offense pas !), j'étais incertaine de la façon dont j'aurais trouvé mon
ancien maître et ami. Tant de choses que je croyais impossibles sont arrivées, que j'en
suis venue à douter de tout et de tous !
Pnisque tu es toujours le même, je t'écrirai de grand cœur une lettre longue jusqu'à
l'ennui. Et avant tout, pour finir en ce qui concerne M. Hermann, je te dirai qu'il me
fut recommandé par la mère d'une de mes élèves, il y a environ deux mois, afin que je
lui donne quelques lettres et quelques instructions pour l'Italie. Il veut se faire entendre
dans quelque morceau italien, et prononce assez bien pour un Français. Il a beaucoup
d'intelligence et un grand amour de l'art, mais tous les défauts de l'école française. 11 lui
faut une préparation énorme pour tirer la voix, et malgré cela elle sort souvent sombre
et nasale. Il chante en dedans (pour me servir d'une expression françîiise) et se fait vilain.
Je lui ai fait quelques compliments et lui ai dit quelques vérités, te laissant le soin de
les lui dire toutes s'il va en Italie, persuadée que tu pourras en tirer parti. Amen sur cet
article.
Je comprends très bien que les croches et les doubles croches ne peuvent faire d'effet
contre les coups de fusil et de canon, toujours d'après l'antique vérité du plus fort ! Mais
aillent au diable toutes les notes, si l'on pouvait espérer que l'itjilie devienne grande,
unie, forte..., libre ! Jlais trop de têtes couronnées l'oppriment encore ! J'ai eu un moment
de grand espoir, quand les Milanais ont chassé de leur ville il tedeaco ; mais maintenant
les choses vont au pire, et les Italiens ne peuvent renoncer à leur esprit de parti ; ils
discutent, parlent trop et n'agissent pas assez. Le sang court en révolutions impétueuses,
généreuses, mais les hommes n'ont pas assez de fermeté pour conserver le fruit de leurs
sacrifices ! Ils oublient ce que leur coûte le renversement d'un trône et ils en élèvent un
autre, comme si l'on ne pouvait vivre sans roi I II est vrai que nous serons gouvernés
par un roi italien, Charles-Albert... Dieu veuille qu'il n'imite pas le tartuffe qui règne à
Naples !
Je ne connais pas personnellement Vatel, mais je sais qu'il n'est plus directeur du
Théâtre-Italien. Ici, comme en Italie, on ne pense qu'aux affaires politiques. Plusieurs
théâtres sont ou ont été fermés. Les artistes engagés à l'année, sans en excepter ceux du
Grand-Opéra, sont réduits à demi-appointements ou à de grandes diminutions. Je ne te
parle pas des professeurs de chant, de piano, etc., ils ont le temps de se promener autant
qu'ils veulent. J'avais commencé l'hiver plutôt bien, mais la révolution de Février est
venue enlever toute ressource musicale. Je n'ai pas quitté Paris parce que, m'étanl établie
ici, j'aurais perdu énormément en vendant mes meubles dans un moment où l'argent se
fait rare, et j'aurais lait en voyages des dépenses inutiles... Et puis, où serais-je allée
pour faire de bonnes affaires? En Italie?... Il est certain que Lanari (fameux imprésario)
doit faire de grosses pertes, et je m'étonne qu'il ne mette pas ses artistes à demi-appoin-
tements, prenant texte de cas extraordinaires non prévus dans les engagements, guerre,
guerre guerroyante, etc. Tu m'envies par ce que je suis hors d'Italie ? Tu as tort, parce
qu'ici les artistes sont aussi mal qu'en Italie, et par suite des agitations politiques on n'est
jamais sûr de passer la nuit tranquillement... Conserve-moi ta chère amilié, et accepte
une poignée de main de
Ton afi'ectionnée,
G. Strepponi.
— Nous avons parlé de cette délicate affaire de partitions d'orchestre volées
et copiées chez le grand éditeur de IMilan Edouard Sonzogno. On se souvient
qu'une sorte d'agent marron, de connivence avec un employé de cette mai-
son d'édition, se procurait des exemplaires des principaux opéras publiés
chez M. Sonzogno et ensuite, au moyen de copies frauduleuses, passait des
traités avantageux avec nombre de théâtres étrangers. L'affaire vient de venir
devant les tribunaux italiens, et après trois jours de débats les sieurs Peroni
et Magnani ont été condamnés à trois ans et quatre mois de prison. La femme
de ce dernier en a eu aussi pour un an et quatre mois. Cela servira-t-il de
salutaire exemple?
— M. Ippolito Valetta (M. le comte Franchi-Verney) a publié récemment
dans la Nuova Antologia, à l'occasion du centenaire de Cimarosa, une excel-
lente notice sur le vieux maitre, ornée d'un portrait, dont il a été fait un tiré
à part. Ce n'est pas là une notice banale, se bornant à reproduire toutes les
anecdotes, tous les anas plus ou moins connus, mais un travail substantiel
dans sa rapidité, dont les détails sont puisés aux sources mêmes, c'est-à-dire
dans les journaux et les écrits contemporains. Entre autres faits particulière-
ment intéressants, l'auteur nous apprend qu'on ignore aujourd'hui où se
trouvent les restes de Cimarosa, parce qu'ils turent confondus avec ceux
d'autres personnages lors de la destruction, en 1837, de l'église de Sant'An-
gelo, où ils avaient été inhumés. D'autre part, il dément de façon absolue la
légende qui attribuait à la cruelle reine Caroline de Naples (qui avait d'autres
méfaits sur la conscience) la mort de Cimarosa, qu'elle aurait fait empoi-
sonner, tandis que le vieux maitre mourut plus simplement d'une tumeur
cancéreuse. Cette notice est un document fort intéressant sur le glorieux
auteur des Horaces et du Matrimonio segreto. A. P.
— La Reine de Saba, l'opéra de Cari Goldmark, qui n'avait obtenu à Milan,
il y a seize ou dix-huit ans, qu'un simple succès d'estime, vient d'être joué
de nouveau à la Scala, cette fois avec un insuccès complet.
— L'éditeur Barbera, de Florence, vient de mettre en vente un volume de
M. Eugénie Checchi, publié sous ce simple titre : G. Verdi, 1813-1901.
— M. Lorenzo Parodi, auteur déjàd'un oratorio, Joantie Baplisla, qui a été
exécuté avec succès au théâtre Carlo Felice de Gènes, vient d'en terminer un
second, sous le titre de Calvarium. Celui-ci sera de nouveau exécuté à Gênes
prochainement.
— Au théâtre social de Bergame on a joué un nouvel ouvrage dramatique,
il Genio del dolore, i légende biblique en deux actes », paroles de M. Tito
Mammeli, musique de M. Barcone. Le succès a été absolument négatif. —
Au contraire, un petit opéra en un acte, A Posillip, paroles de M. Arturo
Bellotti, musique de M. Silvio Negrini, a été très favorablement accueilli au
Cercle mandoliniste de Trieste.
— Le comité qui s'est formé à Milan pour y ériger un « monument inter-
national » à Verdi, a réussi à former à Berlin un comité qui doit recueillir en
Allemagne les souscriptions pour ce monument. Le comité de Berlin est
présidé par le compositeur comte de Hochberg, surintendant des théâtres
royaux: parmi ses membres se trouvent les musiciens Max Bruch, Auguste
Bungert, Gernsheim, Joachim, Humperdinck et Richard Strauss. Le comité
berlinois a l'intention d'organiser un grand « festival Verdi » dont le produit
sera destiné au monument milanais du maître.
— De Vienne : Très grand succès pour Sibyl Sanderson à son premier
concert. La valse de Roméo lui a été trissée. Ce n'étaient que rappels et fleurs,
lorsque la charmante actrice a dû tout d'un coup, par suite d'un malaise su-
bit, s'interrompre au milieu d'une mélodie de Reynaldo Hahn. Mais elle put
reparaître au bout d'un quart d'heure et le public lui fit une indescriptible
ovation.
— On nous écrit devienne: Une représentation singulière du CosifantuUe,àè
Mozart, vient d'être donnée à l'Opéra impérial. L'orchestre n'y prenait pas part
et les solistes étaient représentés par des figurants qui restaient muets; quant
au public, il consistait en un juge du tribunal de première instance, sou gref-
fier et quelques experts. La représentation était d'ailleurs absolument con-
forme à celle dont le Ménestrel a parlé il y a quelques semaines, y mention-
nant les avantages de la nouvelle scène tournante inventée par M. Bennier,
machiniste en chef de l'Opéra. Il s'agissait en effet de cette scène tournante,
M. Lautenschlaeger, le célèbre machiniste en chef de l'Opéra royal de Mu-
nich ayant déposé une plainte pour affirmer que la scène tournante de
M. Bennier n'était qu'une contrefaçon de celle que lui-même a inventée il y
a longtemps et au sujet de laquelle il a obtenu un brevet allemand qui le
protège aussi en Autriche. M. Bennier, de son côté, prétend qu'il n'a jamais
vu la scène tournante de M. Lautenschlaeger, qui ne ressemblerait d'ailleurs
pas à celle inventée par lui. Pour pouvoir juger ce différend on a joué Cosi
fan lutte devant le tribunal et les experts, au point de vue scénique seule-
ment; sous ce rapport, rien ne manquait, pas même le moindre changement
à vue. L'affaire en est là et on attend, non sans curiosité, la décision des auto-
rités compétentes.
— Le Conservatoire de Budapest a célébré récemment le vingtième anni-
versaire de l'entrée en fonctions de son président, le comte Géza Zichy, com-
positeur et pianiste fort remarquable, comme on sait, bien qu'il soit manchot
du bras droit. Les élèves et les professeurs du Conservatoire ont donné à
cette occasion un concert très brillant, auquel le comte Zichy a pris part
personnellement en exécutant, avec une maestria superbe, son nouveau con-
certo en trois parties pour la main gauche seule, avec accompagnement d'or-
chestre. Ce concerto a obtenu un grand succès, surtout la seconde partie,
que l'auteur a dû redire, aux applaudissements de ses auditeurs. Ij'orchestre
a exécuté ensuite, sous la direction de l'auteur, le prélude d'un ballet du
comte Zichy, qui a été aussi applaudi vigoureusement.
Le Théâtre municipal de Francfort vient de jouer avec peu de succès
une nouvelle opérette intitulée la Bouche de la vérité, musique de M. Henri
Platzbecker. Livret et musique rappellent tous les spécimens d'opérette dont
on a fait la connaissance depuis trente ans.
— Au treizième concert d'abonnement du Gewandhaus de Leipzig, on a
exécuté deux compositions nouvelles : une Cantate funèbre pour baryton,
chœur et orchestre, de M. Cari Gramman, et des Danses athéniennes dans
les fêtes dyonisiaques, de M. J. Frischen. Ces Danses surtout ont été bien
accueillies. — Au septième concert philharmonique de Berlin, M. Arthur
Nikisch a offert à sou public une œuvre inédite, une symphonie (la b«) de
M. Klughardt, dirigée par l'auteur et qui a obtenu un grand succès. A ce
même concert, la fameuse violoniste M™ Norman-Neruda, qui va accomplir
sa soixante-deuxième année, s'est encore fait entendre en jouant avec vigueur
le concerto de Beethoven.
LE MENESTREL
63
— Le théâtre royal de Cassel vient de jouer avec beaucoup de succès un
opéra inédit en quatre actes intitulé Cceur de jeune fdle, paroles de M. Luigi
lUica, musique de M. C. Buongiorno. Les auteurs, qui assistaient à la pre-
mière, ont été rappelés à plusieurs reprises.
— La construction du nouveau théâtre royal d'Athènes, commencée en 1892,
puis interrompue par la malheureuse guerre contre les Turcs, vient enfin d'être
terminée. Le nouveau théâtre contient 1.100 places à l'orchestre et aux deux
galeries; aucune loge n'est réservée au public. Les deux avant-scènes coté
cour sont destinées au roi et au prince héritier, les deux autres, côté jardin,
au corps diplomatique et à la direction du théâtre. Au rez-de-chaussée se
trouve un élégant café et au premier un vaste foyer qui servira aussi de salle
de concert. La scène a une profondeur de 18 mètres et est pourvue de ma-
chines superbes qu'on a fait venir de Vienne. Le théâtre est en général admi-
rablement outillé. Le jour de son inauguration n'est pas encore fixé; il paraît
qu'il n'est pas facile de recruter le personnel artistique.
— On nous écrit de Saint-Pétersbourg : — « M™= Gorlenko-Dolina, notre
grande cantatrice, vient de donner une superbe série de concerts de bienfai-
sance dont le succès a été éclatant, et qui comptent parmi les plus brillants
de la saison. Le premier, dirigé par M. Hermann Zumpe, le hotkapellmeister
de Schwerin, avait lieu avec le concours de votre célèbre pianiste Raoul
Pugno et de l'éminent violoniste Ondricek, qui ont excité l'enthousiasme du
public. Le second, consacré à la musique tchèque, était dirigé par _M. Ned-
bal, et on y entendit le fameux quatuor bohème, dont le succès fut énorme.
La recette de chacune de ces séances, destinée à une œuvre de charité, fut do
20.000 francs. La dernière fut un concert spirituel dans lequel, sous la direction
de l'auteur, l'abbé Hartmann, de Rome, eut lieu la première exécution de son
oratorio Saint-François, dont les soli étaient chantés par M""* Bolska et Gor-
lenko-Dolina, do l'Opéra impérial, avec MM. Senius et Kastorski. Plusieurs
hauts personnages assistaient à cette soirée, dont le triomphe a été complet,
tant pour l'œuvre et l'auteur que pour ses interprètes, et qui a rapporté
33.000 francs pour l'œuvre des crèches. A la suite de ces séances, M""' Gor-
lenko-Dolina a obtenu lapins haute récompense qu'elle pût ambitionner:
elle a été nommée soliste de Sa Majesté l'empereur. »
— On nous écrit encore do Saint-Pétersbourg que M""' Sigrid Arnoldson
vient de chanter au Théâtre-Impérial le rôle d'Ophélie dans VHamlet d'Ambroise
Thomas. Son succès a été des plus brillants. M""^ Arnoldson s'est montrée
vraiment touchante, et son interprétation de la scène de la folie a produit un
effet énorme. La diva a été rappelée plus d'une douzaine de fois, et sa loge
ressemblait à une véritable serre. Le succès artistique à'Uamkt a dépassé
toute attente; la recette a été exactement de 14.331 roubles. C'est joli, Inéme
pour Saint-Pétersbourg.
— A rOpéra impérial de Moscou a eu lieu la première représentation
à'Angelo, l'opéra de M. César Cui. Le livret est une adaptation du drame de
"Victor Hugo. Les deuxième et troisième actes surtout ontjeu untrès vif succès
et le compositeur a dû se montrer au public à plusieurs reprises.
— On a donné cette semaine à Saint-Sébastien, sur le théâtre des Bellas
Artes, la première représentation d'un opéra en trois actes intitulé Marcel
Dmand, dont le sujet est tiré d'un épisode de la révolution française. Le
livret est de M. Manuel Mugica, la musique de M. Alfredo Larrocha, direc-
teur de l'Ecole de musique de Saint-Sébastien. Le succès a été très vif.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le déplacement du monument d'Ambroise Thomas au Parc Monceau
est maintenant accompli. Il n'est plus sur la rive en contre-bas du petit lac
noir et boueux, d'où on ne pouvait nullement l'apercevoir, mais dans un coin
ombreux du Parc, près de la grotte artificielle qu'on connaît. Attendons
maintenant que les « autorités » veuillent bien se mettre eu mouvement pour
organiser un brin de cérémonie. Un de nos confrères fait remarquer qu'on
a gravé sur le socle cette inscription :
A Ambroise Thomas
Les directeurs, les artistes et les abonnés de l'Opéra
et se demande s'il n'y a pas eu d'autres souscripteurs en dehors des trois
catégories désignées sur le marbre. Il y en a eu en effet, nous en connais-
sons. Il eut donc été plus juste d'écrire simplement : Ses admirafeurs e( ses
amis. Mais cela eût gêné M. Gailhard, qui voulait faire de ce monument la
chose exclusive de l'Opéra. C'est même pour cela qu'on n'y voit pas figurer
Mignon à côté d'Ophélie,
— Le monument de César Franck est aujourd'hui presque achevé et on
l'inaugurera vraisemblablement cet été, dans le square de l'église Sainte-
Clotilde. L'œuvre du sculpteur Alfred Lenoir, traitée en haut relief ajouré
d'architecture ogivale, représente César Franck assis devant un orgue, les
mains sur le clavier, et écoutant les chants que lui inspire le Génie de la
musique. Le jour de la cérémonie d'inauguration de ce monument, les élèves
de César Franck iront fleurir sa tombe au cimetière Montparnasse. Cette
tombe, très simple, est ornée, comme on sait, d'un médaillon sculpté par
Rodin.
— Les membres de la commission supérieure de l'enseignement au Conser-
vatoire se sont réunis jeudi dernier, à la direction des Beaux- Arts, rue de
Valois, sous la présidence de M. Henry Roujon, à l'effet de dresser une liste
de candidats à présenter au ministre de l'instruction publique et des beaux-,
arts pour nommer un successeur à M. Raoul Pugno. Les candidats à présenter
au ministre ont été désignés dans l'ordre suivant: MM. Antonin Marmontel,
Philipp et M"" Georges Hainl.
— C'est le jeudi 7 mars, à deux heures de l'après-midi, qu'aura lieu dans
la grande salle de la Sorhonne, sous les auspices de M. Georges Leygues,
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, la cérémonie comme-
morative en l'honneur de Verdi.
— La centième représentation de Louise, vendredi dernier, s'est passée le
plus simplement du monde :
Nous n'avons pas donné de bal, '
Cela nous aurait causé trop de mal,
comme on chante dans Geneviève de Brabant. Le compositeur, M. Charpentier,
avait même quitté Paris, appelé à Nimes pour y diriger les dernières répéti-
tions de son œuvre, ainsi qu'il a fait déjà pour Alger, Lille et Bruxelles.
Mais on attend le printemps pour fêter Louise et son auteur sous quelque
tonnelle en fleurs.
— Savez-vous qu'elles sont rares, les « centièmes » à l'Opéra-Comique.
Voici les seules que nous relevons depuis l'année 1880 (les années indiquées
sont celles de la naissance de ces œuvres privilégiées et non celles de leur
apothéose centenale) :
1880. Jean de Nivelle (Léo Delibes), 100' atteinte en une seule année;
1880. V Amour médecin (F. Poise) ;
1881. Les Contes d'Hoffmann (Ofl'enbach);
1883. Lakmé (Léo Delibes, déjà nommé);
1884. Ma)wn (J. Massenet);
1888. Le Roi d'Vs (E. Lalo), 100« atteinte en une seule année ;
1889. Esclarmonde (J. Massenet, déjà nommé), I0(y atteinte en une année;
1890. Cavalleria Rusticana (Mascagni);
1900. Louise (Charpentier), 100» atteinte en une seule année.
Voilà de beaux exemples et des encouragements pour le célèbre M. Bru-
neau, dont on va représenter prochainement l'Ouragan.
— Il nous faut signaler les excellentes représentations de Mignon que
donne en ce moment l'Opéra-Comique avec M"' Guiraudon, qui a pris posses-
sion du rôle et s'y montre des plus remarquables. L'œuvre, ainsi mise en
plein^e lumière, a tout aussitôt repris son intérêt des anciens temps et retrouvé
sa grâce et son émotion. Elle vit parce qu'elle a rencontré une interprète
vivante, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. A côté de M"» Guirau-
don il faut aussi donner beaucoup d'éloges à M""" Landouzy, une Philine
tout à fait charmante et de haute virtuosité.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée :
Carmen; le soir. Mignon.
— Voici la dédicace incandescente que M. Xavier Leroux a inscrite en
lettres de feu sur une partition à'Astarté adressée au directeur de l'Opéra :
A P. Gailhard, mon cher directeur, en hommage de reconnaissance profonde. En sou-
venir de son incomparable collaboration, qui fit d'Astarté l'œuvre qu'il présente aujour-
d'hui au public. Au merveilleux metteur en scène de la pièce, à celui qui lui a donné
la vie.
Son éternellement dévoué,
Xavier Leboux.
Ce sont de ces dédicaces que l'on ne tarde pas à regretter, quand les en-
thousiasmes du premier moment sont passés. Lorsque M. Leroux verra son
œuvre abandonnée peut-être et écartée de l'affiche pour quelques médiocres
recettes passagères, comme il est arrivé pour Gwendoline, Thamara et la Cloche
du Rhin, qui cependant étaient aussi des ouvrages artistiques fort méritoires,
il envisagera sans doute sous un autre angle, qui sera le vrai, la directio-fl de'
M. Gailhard et ses pompes toulousaines.
— Et déjà, dans les notes envoyées aux journaux, M. Gailhard semble cher-
cher à tirer personnellement son épingle du jeu : « Quoi qu'on pense et quoi
qu'on écrive du nouvel ouvrage donné à l'Opéra, il n'en est pas moins vrai
qu'en montant VAstarté de M. Xavier Leroux, la direction de l'Opéra a réalisé
un effort artistique considérable M. Leroux méritait d'être encouragé et
soumis à une épreuve définitive. C'est ce qu'a pensé M. Gailhard, qui a monté
l'ouvrage de ce jeune musicien tout comme s'il eût été signé d'un nom connu
qui lui assurait à l'avance la curiosité et le succès. » Voilà qui va bien pour
M. Gailbard. Mais M. Leroux ne semble-t-il pas déjà un peu sacrifié? Après
quoi la note insiste sur les merveilles de la mise en scène (les méchantes
langues prétendent que le directeur croit s'être livré là à une « étonnante
reconstitution du moyen âge »), que d'aucuns, tout en la reconnaissant
somptueuse, trouvent cependant entachée de quelque vulgarité, mais tout le
monde est d'accord pour en apprécier les gailhardises, qui font la joie des
abonnés de l'orchestre.
— Peut-être y aura-t-il encore de beaux jours à l'Opéra pour Donizetti. On
raconte en effet — mais qu'y a-t-il de vrai dans cet ana ? — que peu de jours
avant la première représentation à'Astarté, M. Gaillhard, fortement emballé
comme il l'est toujours sur les œuvres qu'il va livrer au public — c'est son
droit et c'est son devoir — se serait écrié : « Ab ! si celle-là ne réussit pas,
je leur f... lanque tout de suite une reprise de la Favorite l » Prenez garde,
monsieur Gailhard; si, le cas échéant, vous ne teniez pas votre promesse,
64
LE MÉNESTREL
l'ombre de Donizetti viendrait, la nuit, vous tirer par les pieds durant votre
innocent sommeil.
— Le Herald annonce que M""îAdelina Patti se fera entendre au printemps
à Paris. La grande cantatrice aurait promis de chanter (pour la première fois
eu public depuis son dernier mariage) à la Comédie-Française, pour la repré-
sentation de retraite de M. Boucher, qui est fixée au mois de mai.
— M. Théodore Dubois quittera Paris jeudi prochain pour aller passer un
mois dans le Midi. Il sera le 10 mars à Toulouse, où il sera donné un grand
festival de ses œuvres, avec le concours de Francis Planté. Au programme
l'ouvertupe de Fri'hiof, le concerto-capriccioso pour piano, les Pièces en
forme canonique pour hautbois, violoncelle et orchestre, les Abeilles et un
Impromptu inédit exécutés par Francis Planté, puis des mélodies interprétées
par M"' Saint-Germier, et, pour finir, le Baptême de Clovis. — M. Théodore
Dubois passera aussi par Pau, où on organise un festival en son honneur.
— Des Petites affiches :
MM. les actionnaires de la société en commandite par actions dite Société des théâtres
populaires (Comédie-Populaire. Opéra-Populaire), existant sous la raison et la signature
sociales : Emile Duret et C'', dont le siège est à Paris, rue de Malte, 50, sont convoqués
en assemblée générale extraordinaire pour le 15 mars 1901, à quatre heures du soir, à
Paris, 40, rue de Bondy (théâtre de la Comédie-Populaire).
Ordre du jour :
Dissolution anticipée de la société.
Nomination d'un ou plusieurs liquidateurs.
Détermination des pouvoirs du ou des liquidateurs.
Constitution d'une société anonyme pour l'exploitation de l'Opéra-Populaire.
— Demain lundi 25 février, à la Sorbonne, à trois heures et demie, notre
collaborateur Arthur Pougin reprendra son cours d'histoire et d'esthétique
de la musique à l'Association pour l'enseignement secondaire des jeunes
filles. Il a pris pour sujet cette année : L'opéra-comique et l'école musicale fran-
çaise depuis la Révolution jusqu'en 182S. Après avoir retracé l'état de la musi-
que en France pendant la période révolutionnaire, il retracera la vie et
analysera les œuvres des maîtres de cette époque si féconde en grands
artistes: Méhul, Cherubini, Berton, Lesueur, Boieldieu, Nicolo, etc.
— M. Julien Tiersot fait aujourd'hui dimanche, à Lyon, une conférence
sur la chanson populaire, à la Société des Amis de l'Université. Il la répétera
à Grenoble et à Roanne, où elle sera accompagnée d'auditions musicales,
particulièrement d'exécutions de ses Danses populaires françaises entendues
pour la première fois l'hiver dernier aux Concerts Colonne.
— La chambre correctionnelle du tribunal de Montpellier vient de statuer
sur une affaire qui intéresse la presse théâtrale. De temps immémorial il
existait à Montpellier de petits journaux particuliers au théâtre, qui, vendus
dans la salle, donnaient chaque soir, avec la distribution des rôles aux
artistes, une analyse succinte de la pièce représentée. Or, ces temps derniers,
une maison d'édition de Paris ayant cédé, pour la ville de Montpellier, ses
droits â l'un des propriétaires de ces journaux, il fut fait par lui défense à
un autre journal de reproduire, à l'avenir, n'importe quelle analyse des pièces
appartenant à cette maison. Sur relus parle directeur du journal en question
de se soumettre à l'ultimatum, une action judiciaire lui fut intentée pour
atteinte à la propriété littéraire, et le différend a été porté devant le tribunal
correctionnel. Le tribunal vient de faire droit aux conclusions de la maison
d'édition de Paris et a condamné le directeur du journal poursuivi à seize
francs d'amende et vingt francs de dommages-intérêts.
— Le Conservatoire de Toulouse, dont la direction était restée vacante
depuis la mort du regretté Louis Deffès, a enfin un directeur. Le choix du
ministre s'est porté sur un artiste fort distingué et très honorablement
connu, M. Léon Karren, chef de la musique des équipages de la flotte à
Toulon. Un comité se forme en ce moment, sous la présidence d'honneur de
l'archevêque et du maire de Toulon, pour ériger un monument sur la tombe
de Louis Deffès, ancien grand prix de Rome, ancien directeur du Conserva-
toire, connu par de nombreux ouvrages et auteur de la Toulousaine, qui est
devenue comme une sorte de chant national du Midi. Enfin on annonce
encore de Toulouse que le théâtre du Gapitole doit donner, dans le courant
du mois de mars, une série de dix représentations de Déjanire, le drame
lyrique de Louis Gallet et de M. Saiht-Saëns.
— De Rouen : Nous avons eu, la semaine dernière, la première représen-
tation au Théâtre des Arts de la CendriUon de MM. Henri Gain et Massenet.
Mise en scène exquise et luxueuse tout à la fois, qui fait le plus grand hon-
neur à la direction, et interprétation musicale supérieure de la part de l'or-
chestre de M. Amalou. On fête tout particulièrement M"» Marguerite Giraud,
engagée spécialement, et qui est une adorable CendriUon. — Un très gros
succès pour le théâtre et, en perspective, une longue et fructueuse suite de
belles représentations.
— Au grand théâtre de Marseille l'André Chénier de Giordano a remporté
un très vif succès. Les deux derniers actes, si émouvants et si passionnés,
ont soulevé l'enthousiasme du public. — Au théâtre du Gymnase, réussite
complète des Fêtards, l'amusante opérette de Victor Roger, Hennequin et Mars.
— Très hon accueil a été fait aux concerts de l'Association artistique de
Marseille -à une nouvelle Suite pittoresque en trois tableaux de M. Jules Gou-
dareau.
— On nous signale de Nice de superbes représentations de Manon données
au Casino avec le concours d'un trio d'artistes parisiens de grand choix :
M"'-' Bréjean-Silver, MM. Clément et Isnardon.
— Du Nouvelliste de Bordeaux : « ... Le puissant attrait du septième concert
donné dimanche par la Société Sainte-Cécile était d'entendre le grand maître
harpiste Hasselmans, dans un clioral et variations pour harpe et orchestre,
écrit spécialement pour lui par M. Widor. Le merveilleux artiste a été éblouis-
sant de virtuosité, de grâce et d'autorité. Celte belle œuvre, si bien écrite
pour l'instrument et l'orchestre, qui se répondent d'une manière des plus
heureuses, a été fort bien comprise et appréciée... M. Widor, qui était venu
conduire ses œuvres, nous a fait entendre toute sa jolie suite d'orchestre Conte
d'Avril. L'ouverture contient de belles phrases bien chantantes; ensuite, une
Sérénade illyrienne d'un grand cachet. "L'Aubade, adorable duo de violon et
harpe, accompagné par un murmure indiqué par les instruments à cordes, a
été redemandée. Ce joli fragment a valu un grand succès à MM. Capet et Jan-
delle, qui l'ont remarquablement bien dit. D'autres parties de l'œuvre, Agitato
et Marche nuptiale, remplies d'inspirations fines et charmantes, sont également
d'un très grand intérêt. » — Au précédent concert, le 3 février, on avait entendu
la belle symphonie en sol mineur de Lalo, une œuvre des plus remarquables
que nos chefs d'orchestre parisiens négligent trop. On doit savoir gré à
M. Gabriel Marie de toutes ces intéressantes manifestations d'art. La musique
à Bordeaux lui doit vraiment beaucoup et ou fera bien de l'y retenir par tous
les moyens possibles.
— De Pau : Grande réussite pour la Sapho de Massenet, Henri Cain et
Bernéde, très remarquablement interprétée par le ténor Leprestre et la char-
mante M"'= Demours, applaudis très chaleureusement.
— A Châlons-sur-Marne, très brillante exécution de la Terre promise, le
nouvel oratorio de Massenet, par cent cinquante e.xécutants sous la direction de
M. Félix Huet. Les soli étaient chantés par MM. Bailly. des Concerts Colonne,
et Moreau. M"=s Cécile et Thérèse Hùet, Putman, Chantreuil, Paul Kraus, la
musique du 106' de ligne, prêtaient leur concours ;i cette belle soirée, donnée
au profit des pauvres de la ville. Le succès a été si vif que deux nouvelles
exécutions de l'œuvre ont été décidées tout aussitôt.
— Le jeudi 7 février avait lieu à Saint-Lambert de Vaugirard l'inaugura-
tion des grandes orgues construites par M. L. Debierre. Les ressources de ce
bel instrument ont été mises en relief par MM. Daëne, Ad. Deslandres, Mar-
son, Maquaire et Berçot, maître de chapelle de la paroisse. M. J. Faure, le
célèbre baryton de l'Opéra, chanta magistralement le Pater noster de Nieder-
meyer et l'O fons pietatù d'Haydn.
— Voici le programme de la 11'' et avant-dernière séance que donnera la a Société des
Matinées populaires ", mercredi prochain à 4 h. 1/2 très précises, à la Renaissance, sous
la direction de M. Jules Danbé. — Trio en si bémol (C.-M. Widor), MM. Soudant, Des-
tombes et l'auteur. — A. La Vaslate (Sponlini, 1774-1851). B. JUilranr, air (TKossi, 1645),
M"*^ Yvonne Saint-André. — Cantablle pour alto (Ch. Lefebvre), M. fliarcel Migard et l'au-
teur. — A. Arietta (Caldara, 1B78-1763). B. Les Noces de Fiçiaro (Mozart, 1756-1791),
M. A. Baldelli. — Quatuor (Tschaïkowsliy, la40-1893), MM. Soudant, de Bruyne, Migard
et Destorabes. — A. Nuit d'étoiles. B. Le Soir et ta Douleur (Widor), M"" Charlotte Lor-
mont et l'auteur. — Polonaise, pour violoncelle et piano (Chopin, 1809-1849), M. Destom-
bes et M"" Hélène Loeb. — A. Vogue léger zéphir. B. Le Bal des fleurs (Mendelssohn,
1809-1847). Duos, M"" Lormont et Saint-André. — 1" Quatuor (Beethoven, 1770-1827),
MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes.
kn piano, MM. Casella, Callamand.
Prix des places : 2 fr., 1 fr. et 50 centimes.
— CoNCEUTS ANNONCÉS. — MM. Cbevillard, Hayot et Salmon donneront trois séances de
musique de chambre, salle Pleyel, les mardis 5 et 26 mars et 16 avril, à 9 heures du soir.
Au programme : des œuvres de Mozart, Mendelssohn, Beetlioven, Schumann, Grieg,
Brahms et Cbevillard.
NÉCROLOGIE
Armand Silvestre s'est éteint cette semaine â Toulouse, où il s'était fait
transporter de Menton, n'ayant plus d'illusions sur sa fin prochaine et dési-
rant mourir « au milieu des violettes » de sa ville natale, qu'il avait tant
aimées et tant chantées. Car c'était un hon poète, bien connu des musiciens,
qui ont beaucoup puisé dans ses volumes de vers pour leurs mélodies. Sil-
vestre fut aussi librettiste; il a signé, entre autres, les poèmes de Galante
aventure, de Dimitri et d'Henry VIIJ. Enfin, une de ses dernières œuvres dans
ce sens fut l'adaptation musicale, en collaboration avec Morand, de Grisélidis,
qu'il avait confiée à son grand ami Massenet. Jusqu'à ses derniers moments,
il s'est inquiété du sort de cet opéra. Et la dernière lettre que nous avons
reçue de lui en parlait encore, inclinant pour qu'on donnât l'ouvrage d'abord
à l'étranger et faisant remarquer qu'Hérodiade, Sigurd et Werther ne s'en
étaient pas mal trouvés. En dehors de tous ses mérites d'écrivain, Silvestre
fut encore un brave homme dans toute l'acception du mot, droit, loyal et
dévoué comme pas un.
— De Reggio d'Emilie on annonce la mort, à la date du 10 février, du
compositeur Magnanini, qui avait fait ses études au Conservatoire de Milan.
Il a écrit beaucoup de musique religieuse et aussi quelques opéras, dont
deux, Giovanna di Casliglia et Giorgione da Castefranco, obtinrent du succès.
Il était âgé de 59 ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
CnALV. RUE
3649. - 67- mm - i\° 9. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 3 Mm i90i.
(les Bureaux, 2"*, rue Vmeime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
lie paméFo : 0 ff. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie liumépo : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.jTe.ile et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en eus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles ^1^^ article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine Lhéâtrale : première représeota'ion de Pow être aimé à l'Athénée, Paul-
Émile Chevalier ; première représentation du Liseron à la Renaissance, 0. Bn. — III. Le
théâtre et les spectacles à l'Exposition (19' article), Arthur Pougin. — IV. Revue des
grands concerts. — V, Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de pianç recevront, avec le numéro de ce jour :
SIMPLE PHRASE
de J. Massenet. — Suivra immédiatement : Danse galicieniie, de Théodore Lack.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour ms abonnés à la musique de chant:
Enfantillage, n" 4 des Vaines tendresses, nouvelles mélodies de Théodore Dubois,
poésies deSuLLY-PBUDHO.MME. — Suivra immédiatement: Pastorale da XVII» siè-
cle, n° b des Chants de France harmonisés par A. Périlhou.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les lémoires les plus récenls et fles docnmenls iDéflits
J'ignore si je suis seul à éprouver cette impression ; mais il me semble
que VBistoire de notre pays se soit brusquement arrêtée en 1870 et
qu'après les lugubres événements dont ce chiffre fatal évoque l' inoubliable
souvenir, elle n'ait repris sa marche qu incertaiite de ses destinées, in-
consciente de son but, traînant derrière soi une cohue, non moins igno-
rante et non moins affolée, dans une voie sans lumière et sans horizon.
Ce qui est certain, c'est que cette date de 1870 a creusé comme un
fossé entre le passé et le présent. Sans doute, l'abime est moins profond,
quoique plus sanglant, que ne fut la séparation entre l'ancien et le nou-
veau régime au lendemain de la Révolution. Mais cette distinction existe
et la langue courante Va définitivement adoptée. Ne dit-on pas tous les
jours : Avant la guerre ou après la guerre, comme pour mieux
accentuer le contraste entre deux époques différentes ?
Or, à cette course depuis plus de trente ans vers l'inconnu, correspond
une poussée fiévreuse de production scientifique, littéraire et artistique.
Est-ce le renouveau qui se prépare ? Est-ce la décadence qui se précipite ?
Le courant est si rapide et l'aUm'e si vertigineuse que les meilleurs esprits
ont peine à s'y reconnaître et, partant, à se prononcer. Toujours est-il que,
dans ce débordement désordonné d'œuvres les plus diverses, les Mémoires,
les Souvenirs, les Correspondances occupent une large place. Le grand
public parait s'y passionner : parfois le passé console du présent.
En lotis cas, on ne saurait imaginer plus vaste champ d'exploration
pour la pensée humaine. Des faits ignorés et des aperçus nouveaux s'y
rencontrent à chaque sillon. C est à ce point de vue que nous y avons
observé le développement de l'art musical depuis deux siècles, examiné
ses oeuvres, étudié ses interprètes. Aussi avons-nous 7'apporté de ce
voyage à travers livres une abondante moisson; mais nous n'avons voulu
en conserver que les pièces les plus originales ou les plus caractéristiques;
et nous avons joint à cette sélection des documents inédits.
A des époques différentes, les hommes et les œuvres dont nous allons
rappeler les noms et les titres ont trouvé ici-même, pour les présenter
au lecteur, des plumes autrement autorisées que la nôtr-e... Mais toutes
ces études, consacrées aux mêmes sujets, n'ont-elles pas abouti à la même
conclusion, qui sera en quelque sorte notre mot de la fin?
On s'est plu à répéter — et la tradition s'en est perpétuée jusqu'à nos
jours — que les Français étaient le peuple le plus antimusical de la
terre. Et cependant c'est encore dans notre cher pays, ouvert à toutes les
écoles et à tous les artistes, que la Musique reçoit l'hospitalité la plus
large, l'accueil le plus empressé, les encouragements les plus flatteurs.
C'est là surtout quelle veut chanter et... vivre.
AU DIX-HUITIEME SIECLE
PREMIÈRE PARTIE
COMPOSITEURS ET ARTISTES
I
La musique de LulU : Grandeur et décadence. — Au clair de la lune et M. Delaunay.
— Lulli enchâssé dans Gluck. — Passiom archaïques. — Le père Ingres converti
à Lulli. — Un triomphe voilé de deuil.
Il semble qu'après les ingénieuses reconstitutions de M. "Wec-
kerlin et les savantes éludes de M. Arthur Pougin ('!) il ne reste
plus rien à dire sur l'œuvre de Lulli. Aussi bien nous ne sau-
rions avoir la prétention de recommencer une tâche faite et
parfaite. Si, pour justifier la lettre et l'esprit de notre pro-
gramme, nous glanons dans des livres nouveaux les impressions
de leurs auteurs sur le plus ancien de nos compositeurs de mu-
sique dramatique, c'est surtout parce qu'elles caractérisent la
mobilité de l'àme française en matière d'art.
Il est certain qu'après la mort de Lulli ses élèves ou ses suc-
cesseurs se tinrent, sauf d'honorables exceptions, fort au-dessous
de leur impérissable modèle. Ceux qui tentèrent de se dérober
à ces traditions ne se distinguèrent ni par leur science, ni par
leur originalité. Rameau était donc devenu le musicien néces-
saire, mais au prix de quels efforts et de qu^les luttes 1 Comme
le constatent des Gazettes à la Main (2) publiées par M. Edouard
(1) Nous rappellerons que les consciencieux et remarquables travaux de M. Arthur
Pougin sur Auber, Bellini, Rosslni, Méhul, Boieldieu, .Vdam, Violti , Rode, Verdi, etc.,
etc.. ont paru, pour la plupart, dans h Ménestrel.
(2) Nouvelles de ta Cour et de la Ville. Rouveyie, 1880.
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Œ MÉNESTREL
de Barthélémy sous ce titre : Nouvelles de la Cour et de la Ville,
Rameau avait délmitivement coiifuis les bonnes grâces eu
public en 1737: et cependant ses adversaires lui opposaient
encore à l'Opéra le répertoire de Lulli. Ce fut d'abord la reprise
de Persée avec des costumes nouveaux et une décoration su-
perbe. Chassé y jouait le rôle de Méduse. Le succès ne répondit
pas à l'attente des metteurs en scène. Atys, que notre gazetier
appelle emphatiquement « le chef-d'œuvre de la poésie et de la
musique françaises », ne fut guère mieux accueilli tout d'abord.
Les jeunes femmes le trouvaient « triste et vieux » et les
petits-maitres baillaient « aux endroits les plus intéressants ».
L'interprétation laissait fort à désirer; et cependant — retour
imprévu des choses d'ici-bas ! — à la quatrième représentation,
Atys avait repris faveur.
M. Delaunay, l'ancien jeune premier de la Comédie-Française,
est du même avis, parait-il, que les abonnés de l'Opéra en...
1737.
— La musique de Lulli, c'est toujours « au clair de la lune »,
disait-il à son directeur d'alors, Arsène Houssaye (1).
Et celui-ci qui, fort heureusement, ne fît jamais autorité
comme critique d'art, commente en ces termes le mot de son
pensionnaire :
— Oui, c'est une musique nocturne et silencieuse que sym-
bolise à merveille la chanson.
Ce qui ne l'empêcha pas, grâce à l'obligeance de Roqueplan,
directeur de l'Opéra, et à la science d'Offenbach, chef d'or-
chestre de la Comédie-Française, de remonter le Bourgeois gen-
tilhomme avec les soli, chœurs, divertissements et entrées de
ballet, tels que la comportait la partition de Lulli en octobre
1670. Les spectateurs furent ravis d'une telle surprise ; les seuls
musiciens de l'orchestre, qu'avait effarouchés ce supplément de
travail, protestèrent contre une innovation aussi intempestive
que préjudiciable à leur tranquillité.
Arsène Houssaye devait se retrouver une fois encore en pré-
sence de la musique « au clair de la lune ». Ce fut pendant le
cours de l'année 187.5, lorsqu'il fut nommé directeur du Théâtre-
Lyrique par M. Wallon, alors ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts. Une tragédie lyrique composée avec les deux
Armides, « Lulli enchâssé dans Gluck », aurait inauguré le nou-
veau règne d'Arsène Houssaye. Etait-ce lui qui avait eu cette
triomphante idée? Et ce singulier amalgame musical a-t-il été
conservé pour l'édification des races futures ? On prétendit, dans
le moment, qu'une illustre virtuose l'avait exigé pour ses débuts
sur la nouvelle scène. Arsène Houssaye affirme, pour sa part,
qu'il vit « les plus belles cantatrices du monde » s'essayer à l'in-
terprétation de ce pot pourri génial. Toujours est-il que les
répétitions ne dépassèrent pas six semaines et que « le rideau
ne se leva pas ».
La direction Arsène Houssaye avait fait long feu.
En s'efîorçant de faire revivre sur la scène du Théâtre-Fran-
çais la musique de Lulli, l'auteur du 4i"" Fauteuil répondait,
inconsciemment peut-être, au vœu d'un dilettantisme qui sem-
blait vouloir s'imposer alors à divers salons parisiens. Eugène
Delacroix remarque, dans son Journal (2), qu'en 18oS des ama-
teurs éclairés et tnéme de distingués compositeurs s'étaient épris
d'une belle passion pour la musique archaïque. Le professeur
Uelsarte entre autres mettait Lulli au-dessus de tous les maîtres
passés, présents et futurs, même de Gluck, qui l'enthousiasmait.
L'illustre peintre ne partageait nullement ces préférences exclu-
sives pour la vieille musique ; et s'autorisant de certaines
excentricités particulières à uelsarte, il plaçait malicieusement
cet ami des mauvais jours à côté de son ennemi professionnel,
le père Ingres, dont les goûts et les antipathies étaient égale-
ment marqués, prétendait-il, au coin de la sottise.
Or, le père Ingres, qui avait, comme Eugène Delacroix, la
passion de la musqué, ne tint fort longtemps celle de Lulli
qu'en très médiocre estime. Ce fut Gounod (3) qui le fit revenir
(î) Arsine Boussuye. — Confessions. Souvenirs d'un demi-siècle. Dentu, 18S5.
(2) E. Delacroix. — Journal (Notes par MM. Paul Fiat et René Piot). E. Pion, 1893.
'3) GouNOD. — Mémoires d'un artiste. C. Lévy, 1896.
de sa prévention, alors qu'il séjournait en 1840 dans la Ville
Éternelle, comme grand-prix de Rome. Ingres, directeur à cette
époque de l'Ecole Française, avait très affectueusement accueilli
le jeune musicien, qui flattait la passion favorite . du vieux
peintre en lui donnant de fréquentes auditions, en accompa-
gnant même sa partie de violon, bien que l'aviteur du Saint-
Sébastien ne fût pas un « exécutant et encore moins un virtuose ».
Un jour que Gounod lui faisait entendre la scène de Caron et
des Ombres dans VAlceste de Lulli, Ingres grommela à sa
manière :
— Mais ce morceau-là, ce n'est pas de la musique, c'est
du fer.
Cependant il ne recula pas devant une seconde audition ; et
cette fois il revint de l'impression de raideur, de sécheresse et
de dureté farouche qui l'avait si péniblement affecté. S'il fut
frappé de l'àpreté mordante qui caractérise l'air de l'immortel
nautonnier, comme d'une réminiscence des dialogues de Lucien,
il s'émut des plaintes touchantes exhalées par les Ombres ; et ce
fragment de Lulli devint un morceau favori de l'artiste.
Au reste, Gounod témoigne à maintes reprises sa profonde
admiration pour l'illustre auteur des premiers opéras français.
Il reconnaît qu'il a voulu s'inspirer de son style dans la partition
de ce Médecin malgré lui qui lui donna tout à la fois une si grande
joie et une si cruelle douleur. Ce fut en effet son « premier
succès de public au théâtre » ; mais, le lendemain de son
triomphe, il perdait cette mère adorée qui avait si puissamment
contribué au développement moral et artistique du célèbre
compositeur.
Lulli fut, de tout temps, l'objet du culte de Gounod. Il nous
souvient d'avoir entendu le maître, à la fin d'une répétition au
Cirque d'Hiver, insister très vivement auprès de Pasdeloup pour
qu'il donnât un concert exclusivement composé d'œuvres de
Lulli. Lui, Gounod, s'engageait à pratiquer cette sélection; mais,
malgré sa grande amitié pour le compositeur, Pasdeloup, qui,
personne ne l'ignore, était formidablement entêté, ne voulut pas
se laisser convaincre.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Athénée. Pour être aimé, comédie fantaisiste en 3 actes, de MM. Xanrof
et Michel Carré.
Bile est charmante, d'un charme reposant, cette nouvelle comédie
<i fantaisiste » que MM. Xanrof et Michel Carré viennent de faire jouer
à l'Athénée. Elle est charmante d'idée et de forme, et elle est surtout
charmante de fraîche simplicité sans banalité, de gentille fantaisie sans
excentricités maladives et de doucereux sentimentalisme sans niaiserie.
Vraiment, l'on peut domc passer, au théâtre, une tout agréable soirée
en compagnie d'auteurs dont la psychologie n'est point qu'amertume
décourageante et dont l'esprit n'est point que rosserie blessante ou
cabrioles charentonesques? Que d'aucuns en seront heureusement éton-
nés!
C'est tout simple, presque naïf, cette histoire moderne, parisienne et
idyllique du jeune roi et de la jeune reine de Stamanie. — un royaume
de féerie qui doit mirer sa polychrome gracilité dans les flots sombres
d'une presque orientale mer Noire. Ils viennent de se marier, encore
tout gamins; ils s'aiment énormément l'un et l'autre; mais ni l'un ni
l'autre ne sait faire comprendre son amour, elle, la trop chaste Nialka,
ne connaissant rien de la vie qu'on lui a stupidement cachée au couvent,
lui. le frustrement ardent Sergius, n'ayant retenu d'une existence étroi-
tement bridée que des l)aisers cantharidés et clandestins payés fort cher
à Paris, voilà deux ans.
Paris ! Pourquoi n'essaierait-il pas, le roitelet, d'y emmener la femme-
enfant? Loin de l'étiquette pudiquement barbare de la cour de Stamanie,
dans cette atmosphère nouvelle de joie, de plaisir et de vie libre, peut-
être éveillera-t-il en l'aimée ce qu'il y soidiaite trouver? Et là, c'est
une magiste, la renommée madame Babylone, qui soufflera à Nialka
comment on s'afiirme femme, c'est-à-dire coquette, et c'est la demi-
mondaine haut cotée, Fleurange, qui, inconsciemment, fera comprendre
à Sergius. qu'elle a dégourdi lors de son premier séjour dans la capitale,
qu'il ne sied pas toujours d'être trop brusque. Les scènes d'initiation
LE MÉNESTREL
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des deux jouvenceaux sont charmantes, — encore ce mot sous la plume,
tant il dit seul et bien ce qu'il faut dire — ainsi que celles où se retrou-
vant, éduqués, ils s'étonnent, lui, des hardiesses de sa mignonne com-
pagne, elle, des délicatesses pusillanimes de son petit seigneur. Peureux
exquisement, chétives fleurs exotiques privées jusque-là de lumière et
d'air, .ensemble ils s'épanouissent délicieusement à, l'amour, se compre-
nant enfin parce qu'ils savent gazouiller la chanson divine.
Nialka et Sergius. deux êtres de réalité nuageusement nimbés de
juvénile poésie, ont rencontré, à l'Athénée, deux interprètes charmants,
— le même mot, toujours — M"° Yahne aux prises, enfin, avec un rôle
dans ses moyens, où elle peut se montrer gentiment enfantine et pudi-
quement coquette, et M. Séverin, de jeunesse agréable et distinguée. Il
y a, bien entendu, dans Pour être aimé, nombre d'autres rôles, dont
quelques-uns de gaie caricature, le grand chambellan Riotor, la magiste
Babylone et la dame d'atours Malgine, sont joués bien en dehors par
M. Hirsch, JSI""'^ Leriche et Marthe Alex, dont quelques autres, de plan
plus effacé, sont silhouettés à souhait, notamment par M. Tréville et
par M"= Bignon. Paul-Émile Chev.vlier.
Théâtre de la Renaissance. Le Liseron, pièce en 3 actes
de M. Daniel I-tiche.
Une vieille famille noble a pour devise une branche de lierre avec
l'exergue : « Je meurs où je m'attache ». Cette devise renferme toute la
thèse du Liseron. Deux jeunes peintres, l'un de famille riche, ancien
pensionnaire de la villa Médicis, titulaire d'une grande médaille au
Salon et levant déjà les yeux vers la coupole de l'Institut, l'autre, pauvre
bohème, Chardin avorté et « peintre de citrouilles ». comme on le lui dit
cruellement, ont vécu pendant quelques années à Montmartre, filant le
libre et parfait amour. Le peintre heureux, pressé par une tante à héri-
tage de se marier, ne trouve rien de mieux pour cela que de passer con-
trat avec le beau modèle qui a passivement collaboré à la fameuse
médaille; son confrère et ami ne tarde pas à l'imiter et épouse la bonne
fille qui est allée lui chercher chez le fruitier les modèles de ses natures
mortes.
Voilà nos liserons transplantés dans un nouveau terroir, celui de la
correcte et normale vie bourgeoise. Les conséquences de ce changement
doivent prouver la thèse de l'auteur et la pièce à faire parait devoir
commencer, mais l'auteur se dérobe tout aussitôt à sa tâche en condui-
sant les deux jeunes ménages dans un milieu fantaisiste et parmi des
snobs de bas vaudeville. Il est joli, le prétendu monde bourgeois : une
aimable farceuse qui fait des victimes parmi les jeunes peintres suscep-
tibles de devenu- des « chers maitres » et les quitte après avoir reçu d'eux
comme hommage in-espectueux un tableau dûment signé; son mari, qui
raconte naïvement que sa femme possède déjà une nombreuse collection
de toiles; un prétendu prince Scandinave, qui se conduit comme un
polisson et parle français comme la proverbiale « vache espagnole ».
On de^dne ce qui arrive : les jeunes artistes courtisent les séduisantes
mondaines qui ne demandent pas mieux, la situation se gâte et finale-
ment les liserons légitimes « cassent les vitres », selon l'expression
populaire d'une d'entre elles. Le divorce est prononcé et les artistes
réintégrent tristement leui'S anciens ateliers, d'où les compagnes aimées
ont disparu. Heureusement, elles y ont laissé des effets personnels qu'il
faut aller chercher. Cet oubli amène un retour d'attendrissement mutuel
et la réconciliation. Les liserons se trouvent de nouveau sur leur ancien
terrain et se garderont bien de repasser â la caisse conjugale où elles
ont été payées en monnaie de singe.
La pièce est correctement écrite ; on y trouve même cette jolie maxime :
Il Les dettes, c'est comme l'enfant : plus c'est petit, plus ça crie. » Schau-
nard, doublé du duc de La Rochefoucauld, n'aurait pas dit mieux. Les
rôles principaux sont confiés à M"" Biana Duhamel en rupture d'opé-
rette, à M"» Janney et â MM. Louis Gauthier et Guyon fils. Ce quatuor
bien accordé a joué la pièce avec talent et dévouement, mais sans
chaleui' communicative. O. Bn.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 19CO
(Suite.)
AU TROCADÉRO
Sur le quai de Billy, à l'extrémité ouest des jardins du Trocadéro,
derrière l'exposition, de l'Inde française, se trouvait, occupant, un vaste
emplacement de plus de 5.000 mètres :
L'Andalousie au temps des Maures, qui ofi'rait un spectacle très varié,
très curieux, et qui sans doute méritait mieux que le triste sort sous
les coups duquel il a succombé. Il y avait là une reconstitution vraiment
intéressante, à laquelle le public ne paraissait pas indifférent, car le
succès sembla tout d'abord l'accueillir. Par malheur, les dépenses d'éta-
blissement avaient été énormes, les frais journaliers étaient de leur
côté très considérables, de sorte que bien avant la fin de l'Exposition la
pauvre Andalousie subissait les lois cruelles de la faillite. Et c'était
dommage, car l'idée, cfui lui avait donné naissance était vraiment ingé-
nieuse, et elle avait été heureusement mise â exécution.
En franchissant la porte de l'Alcazar de Séville, qui servait d'entrée
à cette Andalousie rutilante et curieuse, on se trouvait dans le « patio »
de l'Alhambra de Grenade, qui reproduisait la fameuse cour des Lions,
avec sa fontaine, ses galeries superposées, dont les colonnes légères, les
ogives serties dans un fouillis élégant de losanges et d'arabescpies de
pierres rehaussées d'or et de bleu pâle, produisaient le meilleur effet.
L'aspect était grandiose. De cette cour superbe on pénétrait directement
dans une vaste arène, sorte d'hippodrome d'une étendue de 1.000 mètres
carrés, pouvant contenir 4.000 spectateurs. C'est là qu'avaient lieu non
seulement des corridas, mais des exercices équestres de toute sorte:
fantasias, tournois, scènes de la vie maure et espagnole, aux person-
nages couverts d'armures et vêtus de costumes somptueux. La direction
de ce spectacle spécial avait été confiée à M. Mollier.
A droite de la cour s'élevait, à une hauteur de soixante-dix mètres,
la fameuse tour de la Giralda, au sommet de laqueDe on montait par un
large escaher hélicoïdal. Puis, en poussant plus à droite, on entrait
dans un gourbi, un village arabe tel qu'il en existait au moyen âge en
plein cœur de l'Andalousie, au temps- des rois Maures. On trouvait là
une scène mauresque, où se donnaient divers spectacles : danses des
juives de Tunis et de Tanger, chanteuses kabyles, exercices des sabreurs
du Liban, des Aissaouas de Kairouan, etc.
Et en tournant â gauche, après avoir franchi la Porte de la Justice de
Grenade, auprès de laquelle les rois Maures rendaient leurs arrêts, on
entrait dans une vieille rue pittoresque de village espagnol de la pro-
vince de Tolède, avec ses maisons romanes et renaissance, aux façades
bizarres, dont les boutiques étaient occupées par des ouvriers travaillant
en vue du public. Dans le fond, un âpre coin de « sierra », qui complétait
l'illusion. Puis, ca et là, des chanteurs ambulants, des guitaristes, des
gitanes, des montreurs de marionnettes, des diseuses de bonne aventure. ..
C'est dans ce village, à droite, que se trouvait l'entrée du vrai théâtre,
un vaste théâtre à ciel ouvert, à la décoration mauresque, brillamment
éclairé le soir, et consacré aux danses espagnoles, qui s'exécutaient sur
une scène très suffisamment étendue. Le programme nous apprenait
que le directeur de la musique était M. Paul Lacome, le chef d'orchestre
M. Tavan, le décoratem- M. Abel Truchet, enfin la directrice des danses
de Madrid, la sefiora Maria Fuensenta, et le directeur de celles de
Séville, M. José Segura. Je ne crois pas utile de reproduire ici les
titres de toutes ces danses, qui étaient au nombre de soixante-quatre,
danses d'Aragon, de Biscaye, de Castille, de Catalogne, de Galice, de
Valence, de Salamanque, et je me bornerai à citer la Garbosa, le
Jarabe, la Serrana, la Juerga (danse chantée), la Fiesta Sevillana (id.),
la Macarena, le Jaleo, le Zapateado, la Gaditana, la Manola, la Ter-
tulia, etc., en e.xprimant le regret que cette Andalousie au temps des
Maures, qui méritait la sympathie du pubhc,, n'ait pas eu tout le succès
qu'elle était en di-oit d'attendre et d'espérer.
Le Théâtre Égyptien. — Celui-ci, dont on fit grand bruit un instant,
était assurément moins curieux, et cependant eut la chance de pouvoir
durer jusqu'à la fin de l'Exposition. Il parut avoir, dans ses commen-
cements, comme une sorte de splendem-, mais il faut avouer qu'ensuite
il se laissa déchoir considérablement.
En tant que théâtre, on doit déclarer qu'il était superbe, et le plus
vaste certainement de tous ceux de l'Exposition. <3n s'en rendra compte
en songeant que sa scène occupait une superficie qui n'était pas moindre
de 247 mètres carrés. Compris dans la section égyptienne, qui prenait
place à l'entrée de la porte de l'avenue d'Iéna et à l'angle de la rue de
Magdebourg, en bas du Trocadéro, il était, â l'intérieur comme à l'exté-
rieur, de pur style antique, comme le Temple auprès duquel il était
siué. Un portique étroit à hautes colonnes, rappelant celles du temple
de Medineh-Abou, précédait l'entrée. La façade était ornée de bas-reliefs
empruntés aux plus beaux monuments de la. vieille Egypte, dont les
motifs reproduisaient diverses épisodes de la vie d'Arneuophis ou des
Ramsés. La salle, richement décorée de dessins polychromes, de vastes
fresques évoquant les grands événements de l'existence des anciens
Egyptiens : triomphes de rois, fêtes publiques sur le Nil ou dans les
temples, etc.. pouvait contenir sept à huit cents spectateurs. Le parquet,
garni de fauteuils, tenait toute la longueur de cette salle. Sur les côtés
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LE MÉNESTREL
de ce parquet, uu double couloir-promeuoir, surélevé de façon à atteindre
la hauteur de la scène, avec tablas pour les consommateurs. Au fond,
une galerie en amphithéâtre avec quelques loges. Un théâlre égyptien
où Fou ne fumerait pas serait uu non- sens: on s'en apercevait facile-
ment à celui-là.
La section égyptienne faisait son inauguration officielle le 16 juin
seulement. Dix jours après, le théâtre donnait la première représentation
de Ramsès, pièce en un acte, en vers, de M. .Joseph de Pesquidou.\. avec
musique de M. Paul Vidal, jouée par M"" Nau, du théâtre Antoine,
MM. de Mas, de l'Odéon, Charlier, de l'Ambigu, Béliéres, Livoot, Col-
lin, M'"'* Roulleau, Litty Bossa, etc. Plus tard on y joua un ballet
somptueux intitulé une Xiiit à Bagdad. C'était l'époque de la courte
splendeur de ce théâtre, oii le public elait attiré par les fameuses
« danses nerveuses » que les amateurs vantèrent avec enthousiasme
durant quelques semaines. La troupe comprenait alors jusqu'à 200 ar-
tistes des deus sexes : Égyptiens, Soudanais, Abyssins, Syriens et
.\rabes, et toute la série des danses orientales défilait devant le public,
accompagnées par le singulier orchestre égj'ptien.
Mais il faut dire qu'à la tin, et surtout dans les représentations de
jour, le spectacle perdait beaucoup de sa splendeur première et touchait
à une honnête banalité. Je me rappelle y avoir vu, dans une seule
séance, deux de ces immondes danses du ventre, rappel fâcheux de
l'Exposition de 1889, accompagnées de chœurs (!!) et de claquements de
main, ainsi que d'un trio instrumental qui comprenait un tympanon,
un tambour de basque et un tambour arabe. Puis des danses de femmes
chantées, puis un combat au sabre, puis des tours de bâton assez extra-
ordinaires par un jeune garçon très agile et très adroit, puis — et ceci
était le plus curieux, si ce n'était pas absolument joli — l'e-xercice sin-
gulier d'une jeune femme qui s'étendait à terre, tenant- dans chaque
main une bouteille armée d'une bougie allumée, avec une autre en
équihbre sur la tète, et qui, se roulant sur elle-même, se retournait sur
elle-même sans éteindre ses lumières.
En réalité, le théâtre égyptien n'était plus alors qu'un spectacle
de curiosités, une sorte de succursale, maigre d'ailleurs, des Folies-Bor-
gère ou de l'Olympia. Le prix des places était de soixante-quinze cen-
times, un franc et deux francs,. avec consommation.
(A suivre.'/ .Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — M. Jacques Thibaud a obtenu un succès presque
triomphal. Ce jeune violoniste est doué de jolies qualités de mécanisme, de
justesse et de sonorité. Le concerto de Mendelssohn et l'Introduction el Rondo
capriccioso de Saint-Saëns étaient habilement choisis pour mettre en relief les
qualités du charmant virtuose. A côté de cette gentille voix de délicat instru-
mentiste, M. Colonne a enflé celle de son orchestre dans l'ouverture à'Eu-
ryanthe, qui exige une ferveur musicale intense et profonde, et dans le prélude
du troisième acte de Lohengrin. Les extraits de Roméo et Juliette, interpolés en
dépit de leur magnifique programme shaliespearien, ont été mieux rendus et
longuement acclamés. La beauté de cette musique est telle que, même privée
du prestige de la pensée littéraire qui l'a inspirée, elle élève et transporte,
l'adagio surtout. Il est à remarquer que, parmi les compositeurs, trois seu-
lement, Bach, Beethoven et Berlioz, ont écrit, avec une originalité de forme
dédaigneuse de toute convention, ces contemplations dans l'infini de la nature
et de l'àme que nous appelons des adagios. Mais ce n'est pas le moment d'en-
tamer une digression qui nous retiendrait plus qu'il ne couvient; déjà des
raotifo d'un caractère dramatique nous frappent et nous impressionnent. Il
s'agit de deux préludes et de la scène finale de Fermai, par M. Vincent
d'Indy. Cet ensemble, ainsi présenté, produit un effet considérable; c'est un
effort d'art vraiment digne de toute admiration. Un chef-d'œuvre? Non.
M. d'Indy a des façons de sentir et d'exprimer qui ne sont ni assez simples,
ni assez naturelles pour subjuguer par le seul empire du Beau noble et grand;
mais, dans le genre oxtraordinairement tendu qu'il a choisi, rarement chose
aussi vibrante et d'un coloris aussi vigoureux a sollicité nos suffrages. Au
milieu des splendeurs d'une décoration d'apothéose, cela constitue un spec-
tacle inoubliable; ceux qui l'ont vu à Bruxelles, en mars 1897, et qui surent
y apporter une attention suffisante et un esprit impartial, ont constaté qu'il
provoque de vastes pensées et que la fierté d'une semblable tentative doit en
imposer même aux adversaires. L'aspiration vers les hauteurs, figurée par
l'orchestre autant que par le chant de M. Vaguet, captive irrésistiblement.
La gradation des effets ne laisse rien à désirer, l'inspiration est forte, la sin-
cérité absolue. Les œuvres d'une telle envergure sont rares dans tous les
*^™P^- Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — Tandis que M. Chevillard, à la tète de l'orches-
tre Kaim, récoltait des lauriers à Munich, le chef ordinaire de cet orchestre,
M. Félix Weingartner, a dirigé avec un vif succès deux concerts à la salle
de la rue Blanche. Le programme du dernier de ces concerts était particuliè-
rement intéressant. Berlioz marchait à la tête, Wagner le clôturait, et entre
ces deux prophètes d'un art nouv^'au M. ^Yeiugarlner avait placé une sym-
phonie inédite de sa façon. Nous devons à cet artiste, qui rédige avec notre
collaborateur et ami Charles Malherbe 1' « édition monumentale » des œuvres
de Berlioz, le plaisir d'avoir entendu cette ouverture de Itob Roy, qui n'a été
exécutée à Paris qu'une seule fois, en 1833. comme « envoi de Borne ». L'ou-
verture avait déplu au public du Conservatoire de cette époque, ce qui ne
nous surprend guère, et Berlioz en avait détruit le matériel d'orchestre confié
à Habeneck. Heureusement, la partition autographe en fut conservée, et
M. Malherbe l'a tirée de la Bibliothèque du Conservatoire pour la publier. Si
l'ouverture de Rob-Roy ne porte pas encore la grille du lion, on peut y dé-
couvrir tout de même une patte de lionceau. Presque tous les effets d'orches-
tre qui distinguent les partitions postérieures du maître s'y trouvent en germe,
quoique souvent étouffés sous des formules vieillies; une mélodie d'un roman-
tisme délicieux, exposée par le cor anglais et accompagnée par les harpes,
nous sourit au passage, car elle nous est devenue familière par Harold en
Italie, où elle était destinée à l'alto enchanteur de Paganini. L'ouverture n'a
eu d'ailleurs qu'un « succès d'estime »; à l'heure qu'il est elle arrive trop
tard, comme elle arrivait trop tôt en 1833. Mais Berlioz a eu sa revanche
dans ce concert même avec l'ouverture de Renvenuto Cellini, que M. Wein-
gartner a ciselée d'une manière prodigieuse et qui a été couverte d'applau-
dissements interminables, — Avec une coquetterie bien pardonnable chez
un virtuose de la baguette, M. Weingartner a fait jouer trois œuvres de
Bichard Wagner absolument disparates. Nous avons entendu d'abord la bac-
chanale de 'fanji/iimser écrite pour les représentations parisiennes à l'intention
des II jockeys », comme disait Wagner, qui cependant ne se laissèrent pas
griser par les aphrodisiaques de la pharmacopée orchestrale prodigués dans
ce morceau: ensuite l'Idylle de Siegfried, dont le début exprime la satisfaction
d'un vieux lutteur arrivé, vers le déclin de la force de fàge. à tous les bon-
heurs intimes de la vie de famille, et finalement l'ouverture des Maîtres Chan-
teurs, une des plus remarquables compositions du maître au point de vue
purement musical. M. Weingartner a rendu pleinement justice à ces trois
morceaux; l'ampleur, la souplesse et la verve de sa direction furent vraiment
étonnantes, — La deuxième symphonie, en mi bémol majeur, que M. Wein-
gartner a fait enteudre pour la première fois, nous paraît supérieure à la
première qu'il a fait exécuter autrefois. La première partie a été froide-
ment accueillie, malgré sa grande allure et ses développements intéressants;
la deuxième partie, un Allegro giocoso, où un thème robuste et plaisant, bril-
lamment traité, rappelle les kermesses flamandes, a été saluée par une triple
salve d'applaudissements; l'adagio modéré, un bel et noble cantabile plein
d'un émouvant sentiment pathétique qui est la perle de cette symphonie, a
réuni tous les suffrages, tandis que le finale, malgré son brio et sa facture, a
rencontré une opposition timide, rapidement étouffée par les applaudisse-
ments de la grande majorité du public. Comme compositeur, M. Weingart-
ner a triomphé presque autant que comme chef d'orchestre: c'est tout dire.
O. Berggruen.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en ré mineur (Césfir Franck). — Ecce sacerdos magnus
{P. Vidal). — Coiicerlutiick (Weber), par M. Léon Belafosse. — Je reste avec toi (J.-S. Bach).
— Symphonie en mi bémol (Haydn).
Chàtelet, concert Colonne ; Symphonie écossaise (Mendelssohn). — Variations sympho-
niques (César Franck), par M. Cortot. — ie Tîowcf rf'Orop/iote (Saint-Saéns). — Marche
funèbre (Chopin). — Deux pièces pour piano (Chopin), par M. Cortot. — Fragments de
Fervaal (V. d'Indy), par M. Vaguet et les chœurs. — Ouverture ilLËuryanltie (Weber).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux (sous la direction de M. Chevillard) : Ouvei'ture
du Freyschiitz (Weber). — Concertsiiick pour violon (Saint-Saëns), exécuté par M. Se-
chiari. — A. Marine (Lato) et B. La Cloche (Saint-Saëns), par M"" GerviUe-Réache. —
Faust-Symphonie (Liszt). — Air de Didon des Troyens (Berlioz), p,ir M"" GerviUe-Réa-
che. — Uuhiigungs-Marsch (Wagner).
— Une société de musique de chambre, dite « Société Mozart », s'est
fondée récemment sur l'initiative de M. Adolphe Boschot, avec le concnurs
du Quatuor Parent-Lammers-Denayer-Barettî. Elle est, comme l'indique sou
titre, entièrement consacrée à Mozart, et elle a de quoi faire avec les huit ou
neuf cents œuvres laissées par le maître immortel, pour se constituer un
répertoire suffisamment varié et fertile en chefs-d'œuvre. Chacune des six
séances par lesquelles elle inaugure son existence est précédée d'une confé-
rence se rapportant à l'œuvre ou à la vie de Mozart; les conférenciers s'ap-
pellent Ad. Boschot, Charles Malherbe, Pierre Lalo et T. de Wyzewa. Les
deux premières séances ont obtenu un plein succès. On y a entendu les deux
premiers des six quatuors dédiés à Haydn, un air italien : Alit lo previdi,
chanté par M"« Suzanne Cesbron, une sonate à quatre mains exécutée par
M"»' Condette et Céliny Bichez, un délicieux duo pour violon et alto, par
MM. Parent et Denayer, etc.
— M. ,\ndré Tracol a repris, pour la sixième année, ses séances d'histo-
rique du violon et de musique de chambre, dont le succès ne s'est pas démenti
un instant. Le programme de la séance de réouverture était particulièrement
intéressant et comprenait : quatuor à cordes de M. Debussy (MM. Tracol,
Dulauvens, Monteux et Schneklud), romance du 2" concerto d'IIaheneck et
la Babillarde, étude de Mazas (M. Tracol), air à'Iphigénie en Aulide de Gluck
(M^'^Auguez de Montalant), li^f concerto de Paganini (M. Tracol), Nocturne
et la Jeune Captive de M. Ch. Lenepveu (M"»" Auguez de Montalant), enfin,
l^' trio avec piano de M. IL Dallier (l'auteur, MM. Tracol et Schneklud). Ce
programme, très riche et remarquablement exécuté, a valu de vifs et légitimes-
applaudissements aux artistes qui y ont pris part.
LR MliNESTUEL
69
NOU^^BLLES DIVERSES
ÉTRANGER
La translation du corps de Verdi dans la crypte de la maison de refuge
créée par lui pour les musiciens pauvres a eu lieu à Milan le 27 février, un
mois, jour pour jour, après la mort de l'illustre artiste. Voici la dépêche de
Milan en date de ce jour, 27 février, qui faisait connaître les détails de la
cérémonie, au caractère très imposant :
Le corps de Verdi et celui de sa seconde femme, Giuseppina Strepponi,
ont été transférés aujourd'hui en grande pompe, du cimetière monumental
où ils reposaient provisoirement, à l'asile des musiciens fondé par le grand
compositeur. Un chœur de 900 personnes, sous la direction de Toscanini et
groupé sur les marches du Famedio, a chanté l'air célèbre de Nabuchodonosor :
« Pars, pensée aux ailes d'or. »
L'effet de cet adieu musical a été imposant.
Le cortège s'est déroulé sur 7 kilomètres, dans l'ordre suivant : un escadron
de cavalerie et un de gendarmerie, la musique municipale, les élèves du
Conservatoire, qui porte désormais le nom dj Verdi, les étudiants, les asso-
ciations. Puis venaient les chars, couverts de nombreuses et magnifiques
couronnes, les pompiers, un bataillon d'infanterie avec musique et drapeau
(honneurs militaires rendus au sénateur), enfin le char funèbre, traîné par
six chevaux, surmonté d'un catafalque portant les deux cercueils. Les prin-
cipaux personnages suivant le char funèbre étaient : le comte de Turin,
représentant le roi Victor-Emmanuel III, le consul général allemand, repré-
sentant Guillaume II, M. Henry Roujon, représentant le gouvernement fran-
çais, le maire de Milan, les ministres, les présidents du Sénat et de la
Chambre avec de nombreux sénateurs et députés, le préfet, le conseil muni-
cipal, des centaines de maires et de délégations venues des différentes parties
de l'Italie, parmi lesquelles celle de la colonie française. Au total, plus de
cent mille personnes.
A la remise olBcielle du corps au directeur de l'asile Verdi, aucun discours
n'a été prononcé. Une animation extraordinaire règne en ville en raison de
l'énorme aflluence attirée par les solennelles funérailles.
— Sous ce titre : Notizie suUa vila e suile opère di Domenico Cimarosa, M. Pom-
pée Cambiasi vient de terminer, dans la Gazzetta musicale de Milan, une série
d'articles intéressants et très documentés, qui forment surtout un catalogue
annoté et fort utile de l'œuvre si considérable de l'illustre maître napolitain.
Il est à souhaiter que ce travail consciencieux ne reste pas enfoui dans les
colonnes d'un journal et qu'il soit offert au public sous une forme plus pra-
tique. Pour le terminer, M. Cambiasi reproduit le texte authentique de l'acte
de baptême et de l'acte mortuaire de Cimarosa. Ce dernier, daté de Venise,
le 11 janvier 1801, est ainsi conçu :
// signor Domenico Cimarosa, napolitain, maestro di musica, d'environ 45 ans, lequel,
après une maladie de huit jours, fut attaqué de colique bilieuse, a fini de vivre ce malin
à deux heures après midi, et cela sur la foi du médecin Marco Franco. Il sera inhumé
demain à quatre heures du soir en notre église, avec chapitre.
Cimarosa n'avait point 4b ans environ, comme il est dit ici, mais SI ans,
ainsi qu'il résulte de l'acte de baptême dressé à Aversa, qui constate qu'il
naquit en cette ville le 17 décembre 1749. Dans ce dernier, le nom du com-
positeur est ainsi orthographié : Cimmarosa, et c'est ce qui fait que le muni-
cipe d'Aversa en donnant, en 1866, son nom à une rue de la ville, l'appela
via Cimmarosa. Mais l'usage est resté d'écrire le nom du vieux maître avec
une seule m, d'autant qu'il est constant que lui-même ne l'a jamais autre-
ment écrit, et qu'il a toujours signé Cimarosa. Cimarosa mourut à Venise,
dans le palais Duodo, au Gampo Sant'Angelo, qui servait alors d'hôtellerie,
à l'enseigne des Trois Étoiles. Comme nous l'avons dit dernièrement, il fut
inhumé dans l'église Sant'Angelo, et ses restes furent dispersés et disparu-
rent lors de la destruction de cette église en 1837. Ajoutons enfin que la ville
d'Airersa érigera incessamment à sou enfant le plus illustre un monument
superbe, dû au sculpteur Francesco Jerace,et qu'elle fondera pour les enfants
pauvres un institut auquel elle donnera le nom de Cimarosa.
— Les élèves des écoles communales de Bologne, où l'étude du solfège est
en grand honneur, viennent de représenter une opérette intitulée i Biscoltini
di Clara, dont la musique, « un joyau qui mérite d'être connu », dit un cri-
tique, est due à leur professeur, le jeune maestro Giambattista Alberani.
— Une société musicale de Pesaro, la Terpsychore, avait ouvert un con-
cours pour la composition d'un hymne, concours dont le vainqueur a été
M. Arnoldo Bonazzi, directeur de la musique municipale de Camerino. Il y
avait sans doute quelque mérite, si l'on en juge par le nombre des concur-
rents, qui n'était pas moins de cent quatre-vingt-onze, — ce qui prouve d'ail-
leurs que l'Italie n'est pas encore en peine de compositeurs.
■ — L'histoire est assez piquante. L'Opéra néerlandais d'Amsterdam vient
de représenter avec succès le Samson et Dalila de M. Saint-Saëns, et tout
aussitôt le compositeur enchanté adresse, selon la coutume, ses félicitations
au directeur et aux interprètes. Le directeur s'empresse d'envoyer aux jour-
naux la dépèche de l'ilfustre maître — excellente réclame. Mais dans l'inter-
valle M. Saint-Saèns apprend qu'on joue sur des parties d'orchestre contre-
faites et qu'il est entièrement frustré de ses droits d'auteur. Aussitôt le ton
change et il envoie à son tour aux journaux du pays la très juste réclamation
que voici :
« Lorsque j'ai adressé à M. van der Linden, directeur du tliéàtre communal d'Amster-
dam, une dépêche que vous avez pubhée et dans laquelle je le remerciais d'avoir mis
Samson el Dalila au répertoire de l'Opéra néerlandais, j'ignorais que mon ouvrage avait
été exécuté non sur la musique fournie par mon éditeur, mais sur une copie venue je ne
sais d'où, qui peut être pleine d'incorrections, et qui a été certainement obtenue par des
moyens frauduleux. Permettez-moi donc de m'adreaser à la publicité de votre journal
pour protester contre le préjudice artistique et matériel qui m'est causé et contre un état
de choses qui permet en Hollande qu'une œuvre d'art soit représentée sans l'autorisation
des ayants droit. Si mes remerciements à M. van der Linden doivent être considérés
comme non avenus, il n'en est pas de même de ceux qui s'adressaient aux interprètes,
bien innocents en pareil cas ».
Cela fait naturellement grand bruit dans le landerneau hollandais. M. van
der Linden, qui est coutumier du fait et joue toutes les partitions françaises
au moyen du même procédé, balbutie que c'est bien une orchestration authen-
tique de M. Saint-Saëns qu'il se serait procuré à Vienne (où l'ouvrage n'a
cependant jamais été joué) ! Mais comment et par quel moyen? Il aura beau
se démener, l'intention frauduleuse n'en existe pas moins, et d'autant plus
qu'il s'était mis tout d'abord d'accord avec l'éditeur de Paris, M, Durand,
et qu'il s'était fait envoyer un traité en règle; mais au dernier moment, pris
comme d'un remords de son acte inaccoutumé d'honnêteté, il avait négligé
de retourner signé le contrat cependant sollicité par lui et avait préféré en
revenir à ses anciennes habitudes de piraterie. Qui pourra donc mettre à la
raison tous ces forbans d'art ?
— M. Iiustave Mahler, directeur de l'Opéra impérial, vient de faire exé-
cuter une œuvre inédite intitulée la Chanson plaintive, pour soli, chœurs et
orchestre, qu'il a écrite dans sa vingtième année. C'est une ballade qui se
prête fort bien à la composition musicale, mais M. Mahler a vraiment abusé
des moyens d'expression. Il lui faut quatre solistes di primo cartello, trois
cents voix de chœur, un grand orchestre et un petit orchestre à la cantonade
pour illustrer musicalement sa ballade tirée d'un conte populaire. L'exécution
de cette œuvre sous la direction de l'auteur était admirable, mais le succès
n'a pas correspondu tout à fait à cette mobilisation extraordinaire de forces
musicales.
— On annonce de Munich que M. Siegfried Wagner a été invité officiel-
lement par M. de Possart, intendant des théâtres royaux, à écrire une ouver-
ture solennelle pour l'inauguration du nouveau théâtre du Prince-régent,
construit selon les principes de Richard Wagner et de son architecte Semper.
Le jeune maître n'a pas encore accepté formellement; pour le moment il est
eu froid avec le théâtre royal, qui n'a pas monté avec toute la diligence voulue
son nouvel opéra intitulé le Petit duc Étourdi, dont la première représentation
avait été fixée au 26 février dernier.
— L'orchestre Kaim, de Munich, vient d'exécuter, avec un succès marqué,
une nouvelle symphonie que son jeune auteur, M. Gustave Brecher, a inti-
tulé Symphonie sociale. Ce titre bizarre n'a pas porté préjudice à l'œuvre vrai-
ment intéressante. M. Brecher est actuellement chef d'orchestre à Vienne, où
M. Mahler l'a fait venir.
— Le théâtre municipal de Hambourg a joué avec succès un opéra pos-
thume de Cari Gramman, intitulé Sur terrain neutre.
— Un festival musical aura lieu en juin prochain à Zwickau, ville natale
de Robert Schumann, à l'occasion de l'inauguration du monument de ce
grand artiste. On se propose d'exécuter le Paradis et la Péri, l'une de ses œuvres
les plus exquises.
— Une grève originale bat actuellement son plein au théâtre national de
Prague. Le directeur, M. Kovarovic, ayant renvoyé arbitrairement un mem-
bre de l'orchestre, tous les camarades de celui-ci ont cessé leur service et se
sont mis en grève. Le directeur ayant alors congédié tout son orchestre, les
choristes hommes et les machinistes ont déclaré la grève à leur tour. L'affaire
en est là, et le théâtre ne peut plus jouer, le personnel du théâtre allemand
de Prague, que M. Kovarovic a voulu embaucher, ayant décliné la proposi-
tion, par esprit de solidarité.
— On vient d'inaugurer au foyer du Grand-Théâtre de Varsovie une statue
du célèbre compositeur polonais Stanislas Moniuszko, statue qui est l'œuvre
du sculpteur Marczewski.
— Le compositeur russe Kosatchenko, qui s'occupe depuis plusieurs
années de réunir et de publier les mélodies populaires d'Arménie, dont le
caractère oriental est si piquant, a donné à Saint-Pétersbourg plusieurs
concerts arméniens avec un succès marqué.
— Les jolies admiratrices russes du fameux ténor Masini, les Masinitska,
comme elles s'intitulent, sont frappées d'un coup terrible. Le a divo Masini »,
qui a dépassé la soixantaine, n'est plus en mesure de supporter le climat de
Saint-Pétersbourg et a quitté l'Opéra impérial pour aller se réchauffer dans
sa patrie, qui d'ailleurs est affligée de trombes de neige depuis plusieurs
semaines. Pendant toute la saison courante on n'entendra plus cette voix qui
grise, et peut-être même Masini ne reviendra-t-il plus jamais sur les bords
de la Neva, où il a récolté pendant le dernier quart du dix-neuvième siècle
des applaudissements et des roubles innombrables. Nous ne voyons pas trop
quel ténor italien pourrait prendre sa succession en Russie avec le bonheur
qu'il eut lui-même lorsqu'il succéda au ténor Calzolari, jadis si célèbre et
aujourd'hui si totalement oublié.
— Nous avons déjà dit que M""-' Adeliua Patli avait pris la résolution de
vendre son superbe domaine de Graig-y-Nos, avec le magnifique château
70
LE MENESTREL
qu elle y a fait construire.il est aujourd'hui décidé que la vente aux enchères
publiques aura lieu à Londres, le 18 juin prochain, à deux heures de relevée,
si d'ici là il ne se présente pas un acquéreur. On parle déjà de ducs anglais,
de millionnaires américains et de princes russes qui se préparent à se dispu-
ter les enchères. Ce qui peut paraître singulier, c'est que la diva, en char-
geant une agence de la vente, l'a en même temps chargée de lui acheter un
autre château en Angleterre. M™"^ Patti, après son séjour en Suéde avec son
nouvel époux, se retirerait, dit-on, dans cette nouvelle propriété. Quoi qu'il
en soit, il parait que les habitants du village voisin de Craig-y-Nos sont dé-
solés du départ de la châtelaine, qui s'est toujours montrée très bienfaisante
et très charitable envers les pauvres.
— Un nouveau théâtre vient de s'ouvrir à Londres, l'ApoUo-Theàtre, qui
contient environ 1.200 places, et dont la salle charmante, pleine d'élégance,
est là plus confortable des salles de cette dimension qui existent dans la
capitale anglaise. L'ouverture s'est faite par une bouiïonnerie musicale amé-
ricaine, la Belle of Bohemia, paroles de M. Harry Smith, musique de M. L.
Englander, jouée par des acteurs américains, MM. Dave Lewis, Don et
Richard Carie, et M"°^ Marie George, Laughiin, Thorne et Marie Dainton,
cette dernière se révélant, dit-on, comme une étoile d'opérette de première
grandeur. Pièce, acteurs et théâtre ont obtenu un véritable succès.
— La Gazzella fonografica italiana nous apprend que la plus vieille chanteuse
qui ait fait graver un cylindre de phonographe est M"'^ Peggy 0. Lean, de
Crotthaven (L'iande). Cette très vénérable cantatrice, qui court le risque d'être
la doyenne de la corporation, n'est pas âgée de moins de 1 12 ans. Elle a fait
graver un cylindre qui a parfaitement réussi et qui a été aussitôt envoyé à
Londres, à la compagnie Edison.
— Deux écrivains et deux musiciens espagnols ont eu l'idée au moins
originale de refaire le Barbier de Séville et de le faire représenter au théâtre
de la Zarzuela de Madrid, où leur Barbero de Sevilla parait avoir obtenu un
grand succès. Les deux auteurs sont MM. Perrin et Palacios, les deux com-
positeurs MM. Nieto et Jimenez, et l'ouvrage a pour interprètes M'i^= Arana,
Arrieta et Gonzalez et MM. Romea, Moncayo et Sigler.
— A Madrid aussi, au Théâtre-Comique, on a donné, avec un très vit
succès, une nouvelle zarzuela, la Tia Cirila, paroles de M. Jackson Veyan,
musique de M. Nieto. — Par contre, une revue de MM. Delgado, Arniches
et Lopez Silva, accompagnée de musique de M. Montesinos, el Siglo XIX, a
subi une chute complète, à cause de son « incongruité » satirique.
— Nous disions récemment, en annonçant l'apparition d'un nouveau jour-
nal, Cuba musical, que la grande Antille se reprenait, après tant d'événements,
à la vie artistique. Ce journal précisément nous en apporte une nouvelle
preuve. 11 nous apprend en effet qu'un opéra-comique espagnol inédit en deux
actes, los SaUimbanquis, dû pour les paroles à M. Cathos Ciano, pour la musi-
que à M. Ignacio Cervantes, vient d'être représenté à la Havane. La partition,
il est vrai, ne parait pas meilleure que le livret, et l'une et l'autre accusent
de la part des auteurs une inexpérience un peu excessive. II y a là, néanmoins,
un effort intéressant à signaler.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Donc l'Opéra nous a rendu Thaïs, vendredi dernier, sans même s'in-
quiéter s'il en avait une sortable distribution, sans même attendre le très
prochain retour à Paris de M. Massenet. C'est que M. Gailhard est fort pressé
et cela se conçoit. Nous avons rapporté jadis que les auteurs de ce charmant
ouvrage, mécontents de le voir toujours tenu à l'écart, avaient fait mine d'en
reprendre possession, s'armant du texte même du traité signé par la direction
de l'Opéra avec la-Société des auteurs et qui dit que le compositeur d'un opéra
pourra toujours le retirer du théâtre quand il n'aura pas été représenté au
moins dix fois eu l'espace de trois ans. C'était le cas. Mais M. Gailhard, qui
veut bien ne pas jouer Thaïs mais qui n'entend pas qu'on puisse jouer ailleurs
cette œuvre délicieuse (toujours l'éternelle histoire du chien du jardinier !),
imagina cet étonnant subterfuge : « Les auteurs oublient qu'en avril 1898 ils
ont ajouté un tableau à leur partition. Gela constitue une œuvre nouvelle, et
les délais ne doivent partir que de cette époque ! » Les auteurs, timides, s'in-
clinèrent tout en protestant. Or, même en admettant la thèse soutenue par
M. Gailhard, en faisant dater Thaïs seulement du 13 avril 1898, date de la
reprise avec le nouveau tableau, il se trouve que le délai fatal des trois années
expirera le 13 avril prochain, et que comme six représentations seulement de
la nouvelle version ont été données (13, 18, 22, 30 avril, 27 mai et 14 juil-
let 1898), il faut d'ici là en avoir donné quatre encore. De là la hâte de
M. Gailhard. Mais a-t-il bien réfléchi que, s'il s'en tient à ces quatre repré-
sentations, dès le lendemain du i'i avril, il ne sera plus dans les délais, que
s'il en donne une cinquième, il n'y sera pas davantage après le 18 avril, et
ainsi de suite jusqu'à la fin des siècles. Il ne pourra sortir de là qu'en main-
tenant éternellement Thais sur l'alBche. Thais assurément est une œuvre char-
mante ; mais toujours du pâté d'anguilles ! Qu'en penseront les abonnés ?
— Toutes les foudres de M. Gailhard ne nous ont pas empêché d'aller voir
samedi \a. nouvelle Aslarté de M. Xavier Leroux. Une paire de lunettes
bleues ajustée sur un faux nez nous a permis de passer inaperçu sous l'œil
attentif du contrôleur. Aslarté n'est certes pas une œuvre indifférente. Dans
ces excès de sonorité mêmes elle dénote un tempérament musical vigoureux
et non dépourvu de grandeur, qui pourra donner de beaux résultats, quand
il aura perdu toutes les exubérances de jeunesse qui l'entrainent trop loin.
A remarquer souvent d'excellents effets de coloris. C'est, en somme, une
musique fort décorative. De la mise en scène dans son ensemble nous ne
pouvons rien dire. Placé dans une avant-scène du rez-de-chaussée, pas bien
loin de votre propre loge, ô Gailhard, nous n'avonspu apercevoir que des pro-
fils. Mais quels profils! Un autre soir nous irons juger du coté face. Souhaitons
en attendant que M. Béranger n'aille pas faire un tour dans ces parages
effrontés. Du train où vont les choses, attendons-nous, d'ici quelques années,
à y voir tomber les derniers voiles.
— C'est bien décidément jeudi prochain 7 mars, a deux heures, qu'aura
lieu, dans la grande salle de la Sorbonne, la cérémonie consacrée à la mé-
moire de Verdi. Après un discours de M. Georges Leygues, ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts, parlant au nom du gouvernement,
un discours de M. Jean-Paul Laurens, au nom de l'Institut, et la lecture, par
M. Clovis Hugues, d'une poésie écrite pour la circonstance, le programme
suivant sera exécuté : la Marseillaise, Jane Foscari (fantaisie), et la Marche
royale italienne, par l'orchestre de la garde républicaine ; Ouverture des Vêpres
siciliennes, par l'orchestre de l'Opéra. Prière à la Vierge (paraphrase de Dante),
dernière œuvre de Verdi, quatuor vocal par M"""^» Ackté. Grandjean, Héglon
et Flahaut de l'Opéra. Marche à' Aida, par l'orchestre et la fanfare de l'Opéra.
— On sait qu'un comité s'est constitué à Milan sous la présidence de
M. Mussi, maire de cette ville, pour y élever un monument international à
la gloire de Verdi. A ce comité général vont s'adjoindre d'autres comités
particuliers institués dans chaque pays. Celui de Paris sera sous la prési-
dence de M. Sardou et comprend déjà les noms de MM. Théodore Dubois,
Gailhard, Carré, Camille Beilaigue, Alfred Bruneau, Henri Heugel etCaponi.
On attend les adhésions de MM. Massenet, Ludovic Halévy, comte Isaac de
Camondo et d'autres encore.
— A l'occasion de l'Exposition universelle, ont été nommés : Officiers de
l'instruction publique ; MM. Cuq, directeur de la Société chorale « Clémence
Isaure », à Toulouse; O'Kelly, attaché à la maison Pleyel-"Wo!ff-Lyon (hors
concours); Meister, chef de musique du 1'='' régiment du génie; Papaïx, sous-
chef de musique de la garde républicaine; Suzanne, chef de musique au
89' d'infanterie, à Paris. — Officiers d'Académie: MM. Blin, chef de musique
de 1" classe, à l'école d'artillerie de Vincennes; Bonnelle, chef de musique
du 24" d'infanterie, à Paris; Goldebœuf, ancien président des Sociétés musi-
cales du Bon Marché, à Paris ; Guignard, chef de musique du 46" d'infanterie,
à Paris; d'Haëne, directeur de l'usine Pleyel-Wolff-Lyon, à Saint-Denis;
Heymès, secrétaire du Congrès international de musique, à Paris; M"" Jérôme,
professeur de musique, à Paris; Schmidt, chef de musique au 76'' d'infan-
terie, à Paris; Veluard, fabricant d'instruments de musique, à Paris (maison
Couesnon et C'«, hors concours); Vialelle, chef orphéoniste de la Société
« Clémence Isaure », à Toulouse.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche, à l'Opéra-Gomique : en matinée.
Mignon; le soir, Manon.
— L'Opéra-Comique donnera, le mardi 12 février, une matinée extraordi-
naire au bénéfice de M""» Fanny-Génat qui, pendant cinquante ans, a appar-
tenu successivement à l'Opéra, au Vaudeville et tout dernièrement à l'Opéra-
Gomique. Les organisateurs de cette matinée, MM. Adrien Bernheim, Louis
Varney, Léon Gandillot et M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique,
ont obtenu, dès maintenant, le concours de M">' Bartet et de M. Le Bargy,
qui joueront un acte d'Alfred de Musset, ainsi que de M"" Jeanne Granier et
de M. Brasseur, qui joueront un acte du répertoire des Variétés. Le programme
comprendra en outre un acte de Louise. Le public de ce genre de spectacles
est grand amateur d'inédit. Il veut voir ce que les autres publics ne verront
pas. Il sera servi à souhait, car une représentation unique lui sera donnée
des Refrains d'Ojfenbach, la charmante fantaisie improvisée par MM. Louis
Varney et Léon Gandillot pour une fête oflîcielle de l'Exposition, et dont le
matériel, décors, costumes, etc., a été mis à la disposition de M. Albert Carré
par M. Samuel. L'interprétation réunira sur l'affiche, en plus de M'""' Judic,
Si mon-Girard, Lavallière, de M. Noblet, qui appartiennent aux Variétés, les
noms de Coquelin cadet, des sœurs Mante, de l'Opéra, de M""* Guiraudou,
Craponne, de M. Jean Périer, de l'Opéra-Comique, de M"»' Burty et Debeyre,
de M. Vauthier. Malgré l'attrait exceptionnel de cette matinée, le prix des
places sera celui du tarif ordinaire de l'Opéra-Comique, sauf pour les pre-
miers rangs de fauteuils d'orchestre et les deux premiers rangs de fauteuils
de balcon, dont le prix est porté à vingt francs la place.
— On annonce pour mardi prochain à l'Opéra-Populaire, la première repré-
sentation de Charlotte Corday, le nouvel opéra de MM. Alexandre Georges et
Armand Silvestre.
— Maurel, vous savez bien, le grand Victor Maurel, Eh ! bien, il va s'es-
sayer dans la comédie. Il jouera au théâtre des Capucines, à côté de
M""= Charlotte "Wiehe, un rôle dans une pièce eu trois actes de MM. de Croisset
et de Waleffe : Le je ne sais quoi! Pourquoi cette subite détermination? Est-
ce parce qu'il sent sa voix défaillir et qu'il songe à trouver de nouveaux
débouchés pour son talent? Pas du tout! Si vous l'interrogiez, il vous dirait
qu'il est plus en voix que jamais et qu'on s'en apercevra prochainement à
l'Opéra-Comique, lors Se la reprise de Falstaff déjà annoncée. Quoi, alors?
Une interwiew prise par le Figaro va nous l'apprendre :
. . . Maurel ne rit pins. 11 parle d'une voix sourde, mais d'une vois où l'on devine un
élan contenu, une ardeur qui se retient. Ses jeux s'enllamment et son geste s'élargit : J'ai
trouvé, dit-il, qu'il était de mon devoir d'élucider une question qui a préoccupé, de tout
temps, ceux qui s'intéressent à l'art de la déclaniation pailée et cliantée. Cette question,
LE MENESTREL
71
la voici : « l>eut-oa parier et chanter en même temps, sans que la voix cliantée ait à souf-
Irir d'une manière sensible de ce douille emploi de l'organe? « La voix est une. Les
modes d'emploi seuls varient. 11 est donc de toute importance de se rendre compte, par
la pratique, de la mesure exacte dans laquelle on peut chanter et parler dans une œuvre
de larjîe envergure. J'ai fait un ouvrage, que voici. C'est ma contribution à l'édification
de la science de la voix. Des amis éminents me pressent de le publier. Je n'ai pu m'y
résoudre, car si je connais à tond toutes les difficultés qui se peuvent présenter dans l'in-
terprétation d'un grand drame musical, il reste pour moi bien des points obscurs dans la
pratique de la voix parlée. 11 manquait donc à mon ouvrage ce chapitre. Ce chapitre, je
l'écrirai lorsque, pendant quelque temps, j'aurai joué la comédie. »
Il l'écrirai C'est simple, c'est beau, c'est grand. Gomme son ami G-ailhard,
Victor Maurel ne cessera de nous étonner par ses merveilleuses inventions.
— Et puisque nous parlons par hasard du directeur de l'Opéra, ne manquons
pas de ramasser cette jolie perle trouvée dans une réclame d'un « écho de
théâtre ». Il s'agit ici de l'heureux début d'une basse chantante dans le per-
sonnage de Méphistophélès de Faust, et l'échotier constate que l'artiste y a
déployé beaucoup des qualités qu'y montrait lui-même autrefois M. Gailhard,
« le prototype du roie ». Qui? Quoi? Gailhard le prototype du rôle? ce gros
garçon court et replet, cette voix bourdonnante et empâtée! Eh! bien, et
M. Faure?
— C'est dimanche prochain que sera donné aux Concerts-Colonne le fes-
tival Massenet, dont le programme comprendra l'ouverture de Brumaire
(i" audition), la suite d'orchestre sur Phèdre (1" audition), l'arioso du Roi de
Lahore et le Chant provençal chantés par M. Lassalle de l'Opéra, l'air d'Eve et
l'extase de la Vierge chantés par M"'' Mathieu d'Ancy, la Méditation de
Thaïs, exécutée par M. Jacques Thibaud, et la suite à'Esclarmonde.
— L'Association des jurés orphéoniques a tenu sa quatrième assemblée
générale samedi dernier, salle Pleyel, sous la présidence de M. Emile Pessard.
Après avoir constaté l'importance prise par l'Association des jurés depuis
quatre ans à peine qu'elle est fondée, le président annonce que de nouveaux
concours de composition musicale vont être ouverts par l'Association .
M. Pessard fait savoir aussi que la cantate Fraternité, qui a obtenu le prix de
mille francs au dernier concours, va être exécutée à la fête de jour donnée
au palais des Champs-Elysées par le conseil général de la Seine et le conseil
municipal de Paris. L'exécution sera digne de l'œuvre de MM. Th. Botrel et
Ernest Lefèvre, car Froterraifé aura pour interprètes les chanteurs de la société
« l'Euterpe », l'orchestre des concerts Lamoureux et la musique de la garde
républicaine. En tout, plus de 300 exécutants.
— On vient d'inaugurer à la chapelle des Dames Bernardines, à Cambrai,
un orgue réparti sur deux claviers à main et pédalier, instrument sortant
des ateliers de la maison Merklin et C'" de Paris. La cérémonie était présidée
par Mgr Sonnois, archevêque, et l'orgue était tenu par M. Paul Devred, orga-
niste de la basilique métropolitaine. M. Devred a fait valoir dans des pièces
de MM. Théodore Dubois, Rousseau, Guilmant, etc., et quelques-unes de ses
compositions, les différents jeux de ce charmant modèle. Le hautbois, la flûte,
la voix céleste, ont ravi l'auditoire par leurs jolis timbres, et la belle sonorité
de l'orgue a rallié tous les suffrages. Grand succès pour l'excellent organiste,
et aussi pour les intelligents facteurs, qui ont reçu, avec les remerciements de
tous, les sincères félicitations des experts pour le beau résultat obtenu.
— M. Emile Labussière, maire de Limoges, n'est sans doute pas un dilet-
tante forcené, à en juger par l'arrêté suivant, qu'il vient de prendre pour
réglementer (on ne saurait trop réglementer, dans notre beau pays de France)
l'usage de la musique et des cloches dans sa commune:
Le maire de la commune de Limoges ;
Vu la loi du 5 avril 1884,
Vu le règlement général de police de Limoges :
Considérant que certaines difficultés se sont élevées sur l'application et l'interprétatio n
de l'article 245 du règlement général de police, notamment sur le point de savoir si les
prescriptions dudit article étaient bien applicables aux sonneries de cloches ;
Qu'il importe, afin de faire disparaître toute difficulté, d'adopter un texte précis ne
permettant aucun doute :.
Arrête :
Article premier. — L'article 245 du règlement général de police est modifié de la ma-
nière suivante ;
« Art. 245. De huit heures du soir à six heures du matin, depuis le l"' octobre jusqu'au
31 mars, et de dix heures du soir à cinq heures du matin en tout autre temps, il est
défendu de jouer de tout instrument bruyant et de nature à incommoder les voisins.
» Les sonneries de cloches dans les éghses et chapelles des particuliers ou des commu-
nautés religieuses sont soumises aux susdites prescriptions. »
Art. 2. — JI. le commissaire central de police est chargé de l'exécution du présent
arrêté.
Fait à Limoges, hôtel de ville, le 19 février 1901.
Le maire, Emile Labussière.
L'arrêté en question ne nous semble pas de nature à satisfaire tout le
monde. Bon pour ceux qui se couchent de bonne heure, et qui seront sûrs
d'être tranquilles à partir de huit ou dix heures du soir, selon la saison ; mais
fâcheux pour ceux qui se lèvent tard et qui, dès cinq heures du matin en été
et six heures en hiver, pourront être impitoyablement réveillés par un ama-
teur de trombone ou de contrebasse désireux de s'instruire et de ne pas perdre
de temps pour profiter delà liberté qui lui est octroyée par l'arrêté munici-
pal. C'est égal, on peut croire que M. le maire de Limoges n'aime ni là
musique ni les carillons.
— De Lyon : Le Grand-Thèàtre vient de donner le Siegfried de Wagner.
Si l'on tient compte de difficulté de l'œuvre, tant au point de vue des chan-
teurs qu'à celui de l'orchestre, on peut considérer que l'effort a été énorme
et le résultat des plus artistiques, en dépit des comparaisons oiseuses avec les
exécutions d'Allemagne, ou des plaintes formulées par les snobs intransigeants
à l'égard de coupures, nombreuses il est vrai et pas toujours très adroites, mais
indispensables en raison de la durée inusitée de la partition. Si le sujet lui a
paru obscur (ainsi détaché de l'Or dw Rhin et de la Walkyrie qui le préparent
et l'expliquent) et l'affabulation parfois puérile, le public a souligné par des
applaudissements nombreux les pages maîtresses telles que la scène de la
forge, les murmures de la forêt déjà popularisés ici par les concerts sympho-
niques, la magnifique scène entre Wotan et Erda et tout l'admirable duo
d'amour qui termine l'œuvre. L'interprétation est fort convenable. Il faut
citer M. Hyacinthe, qui a fait de Mime une création remarquable : voix,
scène, mimique, tout est à louer chez cet excellent et consciencieux artiste.
M. Scaramberg supporte sans faiblir le terrible rôle de Siegfried, qu'il chante
avec une ardeur juvénile et une diction excellente. MM. Artus (Albérich), de
Cléry CWotan), Sylvain (Tafuer), M^'s Eva Romain (Erda), Laffargue (Bru-
nehilde), de Gamilli (l'Oiseau), ont droit à des louanges méritées. Mais, par-
dessus tout, il faut féliciter l'orchestre et son chef, M. Miratme, qui ont donné
de cette partition, redoutable entre toutes, une exécution sinon parfaite, du
moins telle qu'avec les éléments dont on peut disposer ici, et le travail et la
fatigue du répertoire quotidien, on n'en saurait désirer de meilleure. On
s'occupe à présent de Princesse d'A.uberge, de Jan Blockx, qui passera bientôt,
et d'une reprise A'Esclarmonde, de Massenet. J. J.
— M. Julien Tiersot a fait dimanche, à Lyon, à la Société des Amis de
l'Université et devant un auditoire exceptionnellement nombreux et brillant,
une conférence sur la chanson populaire qui a obtenu un très grand succès.
Étudiant l'histoire de la chanson à travers les âges, il a montré quel inépui-
sable fonds offre aux compositeurs de tous les temps le folk-lore de tous les
pays, et parlé des emprunts que n'ont pas dédaigné d'y faire les plus grands
maîtres, depuis Bach et Beethoven jusqu'à Lalo et Saint-Saëns. M. Tiersot
avait très judicieusement choisi des exemples qu'il a chantés lui-même d'une
fort agréable voix et avec une expression intense : le Retour du Marin, Passant
par la Lorraine, Pierre et sa Mie, la Maumariée, le Pauvre Laboureur, les Noces
de l'Alouette et du Moineau, etc. — M. Jemain accompagnait au piano ces mé-
lodies harmonisées par le conférencier.
— M. J. Tiersot a continué cette série de conférences et d'auditions à Gre-
noble et à Roanne, où a été également exécutée, sous sa direction, sa suite
d'orchestre ; Danses populaires françaises. — A Grenoble, ayant été amené à
parler incidemment de Berlioz, il a rappelé que l'illustre musicien dauphi-
nois est né en 1803, et qu'ainsi dans deux ans sera l'année de son centenaire,
et il a exprimé le vœu que cette fête de l'art fût célébrée dignement dans le
pays natal du maître comme à Paris.
— La série continue. Encore de très vifs succès pour Cendrillon à Toulon
et à Dijon: « L'interprétation de Cendr/Won, dit un des principaux journaux
de cette dernière ville, est tout à fait remarquable ; c'est M"» Caux qui per-
sonnifie Cendrillon, elle y est tout aimable et charmante, émue et gracieuse,
prodiguant avec vaillance sa jolie voix si fraîche, si richement timbrée.
M"= Caux a été applaudie et rappelée avec enthousiasme à chaque acte ; elle
va conduire la pièce à un nombre de représentations inconnu jusqu'alors à
Dijon ».
— D'autre part on nous écrit de Brest que la première de cette même
Cendrillon a été l'événement capital de la saison. L'œuvre, montée avec « une
intelligente appropriation des moyens dont peut disposer le théâtre, a obtenu
le même grand succès que partout où elle est représentée avec soins. » Une
innovation : le rôle du Prince Charmant avait été confié au ténor léger,
M. Gueury, qui y a énormément plu, grâce à sa jolie voix et à son physique
agréable. Orchestre à féliciter. La belle réussite de l'œuvre exquise de
M. Massenet a valu au directeur, M. Péronnet, sa renomination pour la
saison prochaine.
— De Nantes : Massenet, qui a déjà, cette saison, vu le succès de sa Cen-
drillon sni aotre théâtre Graslîn, vient d'en remporter un nouveau avec Thaïs,
qui n'avait pas encore été donnée ici. L'œuvre, montée avec soin par M. 'Vil-
lefranck et très bien chantée surtout par M"" Cbolain, a su rallier tous les
suffrages. La salle entière a bissé d'acclamation la célèbre Méditation jouée
en perfection par M. Piédeleu. — Ces jours-ci on a fait une très excellente
reprise de Manon avec M'™ Cholain, MM. Codou, Edwy et Féraud de Saint-
Pol, ce qui donne un ensemble comme rarement nous en avions eu un. Et,
entre temps, Cendrillon est arrivée à sa quinzième représentation. Voilà un
chiffre qui se passe aisément de tout commentaire et doit bien étonner quel-
ques niais prétentieux de notre presse locale.
— C'est de Nîmes, cette fois, que nous avons à enregistrer une nouvelle
belle victoire pour la toujours triomphante Louise. Et la réussite complète est
aujourd'hui significative, Nimes-la-protestante n'étant ni un centre artistique
des plus cultivés, ni une ville susceptible de gratifier son théâtre de bien
larges ressources. Mais l'ouvrage avait été monté par un directeur croyant,
M. Valcourt. qui n'a pas ménagé ses efforts, et par un chef d'orchestre très
convaincu, M. Tarlanac, et dès le premier acte le public, si peu habitué
pourtant aux manifestations artistiques nouvelles, était conquis par l'œuvre
de Gustave Charpentier. L'enthousiasme fut tel, au cours de toute la soirée,
■ que l'auteur dut venir sur la scène plusieurs fois. A son triomphe personnel,
Charpentier associa ses vaillants interprètes, M. Rouard, le Père, M"» Fré-
mont Louise, M-"» Darloff, la Mère et M. Zocchi, Julien, avec lesquels il est
LE MÉNESTREL
juste de citer encore M"=s Dupont, Dancourt, Faure, MM. Malzac, Cormetty, etc.
Louise vient donc de recevoir le baptême des « petites villes » ; l'expérience,
si pleinement concluante, était curieuse à tenter.
— De Toulouse : Le théâtre du Capitole vient de nous donner la première
représentation, ici, A'Àndré Ckénier, drame historique de M. Umberto Gior-
dano, qui n'a encore été joué en France qu'à Lyon et à Marseille. C'était donc
une grande nouveauté. Le don de faire vivre les masses, d'animer les tableaux,
de donner le mouvement, que possède à un haut degré le jeune compositeur
italien, a conquis le public toulousain. L'interprétation à'André Ckénier était
d'ailleurs très louable avec M""^ de Meyrianne, une dramatique Madeleine,
M. Beyle, un farouche et vibrant Gérard, et M. Soubeyran, un Chénier de bel
organe. Orchestre excellent sous la direction de M. Tapponier, et mise en
scène curieuse. C'est un succès de plus à l'actif do nos directeurs.
— On vient de représenter à Alger un drame lyrique inédit intitulé la Ven-
detta, dont un jeune compositeur débutant, M. Charles Berlandier, a écrit la
musique sur un poème de M. Eugène Lefebvre. L'ouvrage, dont l'action se
passe en Corse, est d'un caractère très dramatique qui a été très bien saisi,
dit-on, par le musicien, dont la partition est remarquable. La Vendetta a pour
principaux interprètes M°«^ Gervaix, MM. Perrens, Gaillard et Lafont.
— La ville de Pau vient d'acquérir, avec le concours de l'Etat, pour orner
un de ses nouveaux jardins, la statue de Jélyotte, le célèbre ténor du dix-
huitième siècle, qui fut professeur de chant à la cour de Louis XV, et qui
obtint à l'Opéra des succès très retentissants dans les œuvres de Rameau. La
statue est l'œuvre du sculpteur Ducuing. Elle sera élevée sur un socle qui
est dû à l'architecte Bertrand. Jélyotte était un enfant du Béarn (comme les
chanteurs Saléza, Fournets et Bartet). Il vit le jour à Lasseube, dans l'arron-
dissement d'Oloron. Le maire de Pau et le préfet des Basses-Pyrénées ont
convié M. Leygues à l'inauguration de la statue de Jélyotte, et l'Opéra a fait
espérer son concours aux fêtes organisées à cette intention au palais d'Hiver.
— Nous lisons dans le Courrier de la Rochelle : Le dernier concert de la Société
philharmonique a été très brillant. Le succès de M"« Albertine Magnien, la
remarquable violoniste, a été très grand. Elle a joué avec une autorité incon-
testable le concerto en mi de Vieuxtemps, la romance en fa de Beethoven, et
le beau Nocturne-Méditation de Ch. Dancla, qui fait si bien valoir sa belle
qualité de son.
— La ville de Saint-Quentin (Aisne) demande un chef de musique qui serait
directeur de l'École municipale de musique et chef de l'Harmonie municipale
en formation. Ce directeur serait aussi professeur d'harmonie. Les candidats
devront connaître l'orchestration symphonique et militaire. Le choix du
candidat pourra se faire au concours, si l'administration le juge utile. Les
demandes devront être adressées au maire de la ville deSaint-Queniin avant
le 31 mars prochain, dernier délai. Elles seront accompagnées des références.
Les appointements seront de 3.bOO francs par an.
— Beaucoup de monde salle Charras pour M. Paul Seguy, le distingué pro-
fesseur de chant, dans sa causerie-concert sur : c Les moyens de suppléer à
l'orchestre dans l'intimité. » La thèse, très bien présentée, est celle-ci : la
musique moderne, dont la polyphonie est si complexe et souvent si compli-
quée, ne trouve pas dans le piano seul un interprète suffisant; il faut abso-
lument s'adjoindre d'autres instruments; le plus indiqué est l'harmonium
employé avec adresse et discrétion, qui joint à ses timbres variés le rare
mérite d'être expressif et de tenir les sons. — Un très beau concert a permis
de juger de la vérité de ces théories. Au programme, les plus belles œuvres
de Gluck, Massenet, Franck, Méhul, Th. Dubois, Saint-Saëns, etc., etc. —
Parmi les interprètes les plus fêtés, U'"' Blanche Huguet, M"" Laval, MM. P.
Seguy, Letocart, Jullien, Garas, etc., etc.
— MM. Ballard, de l'Opéra, et GouUet, de la Société des concerts, viennent
d'ouvrir à l'Athénée-Saint-Germain, sous le titre d'Institut Saint-Germain,
des cours d'instruction musicale pour lesquels ils se sont assuré la coopé-
ration d'artistes et de professeurs les plus distingués. •
— Voici le programme de la douzième et dernière séance que donnera la « Société des
matinées ai-lisliques Populaires a mercredi prochain à quatre heures et demie ^rés pré-
cises, au théâtre de la Renaissance, sous la direction de M. .Jules Danbé. — Quatuor
(llendelssohn, 180J-1847|, MM. Soudant, de Bruyne, Migard et DestonriD;s. — .\. Appas-
sionato (V. Jonciéres). B. VOndine (id.j, .M"" Bertha Sylvain. — Romance pour violon
<Svendsen), M. Soudant. — Sainle-Agjtès, drame sacré, de Louis Gallet (C. deGrandval),
duo extrait de la 1" partie, M"° Menjaud, JI. Paul Dareaux et l'auteur. — A. Andante,
B. Scherzo, pour instruments à vent (A. Dislandres), MM. Barrêre, Gaudoi'd, Guyot,
Volaire et Fiament. — A. Nocturne (scène d'Hernani, V° acte, Viclor Hugo). — B. La
Jeune captioe, d'André Chénier (Ch. Lenepveu), M"» Auguez de Montalant et l'auteur.
— Scherzo du 1" Quatuor (Schumann, 1810-1856), MM. Soudant, de Bruyne, .Migard et
Destombes. — Septuor, thème ei variations (Beethoven, 1170-182'), MM. Soudant, de
Bruyne, Migari, Destombes, Delahègue, Guyot, Volaire et Flaiiient.
Au piano M. Estyle.
— Soirées et concerts. — Très élégante matinée cliez Jl'"" Tootain pour l'audition
d'œuvres de M. Périlhou. Très applaudis M"'" Jlalhieu d'Ancy, Cahen, M'"" Vicrne et
de jolis ensembles dans Trimou^ett' et Bonde, M. Dareiux dans Vitrait et Complainte de
Saint Nicutas et M"" Juliette Toulain dans deux pièi'es de piano absolument exquises :
Chanson de Guittot Martin et Pastorale. L'auteur, très'fèté, a félicité ses interprètes. —
Salle Erard, bonne audition drs élèves de M™^ Girardin-ilarchal. Parmi les élèves les plus
applaudies, citons M"" Jeanne P., Louise M., Yvonne B. {VaUe caprice, Rubinstein), Ger-
maine G. [Bonjour, CoUneUe, Wachs), Juliette P. et Marie V. {Valse mineure, Pugno). —
Salle Erard, très intéressant concert par M"« M.-L. Blanchard, avec le concours de JI. Wi-
dor cl d'un orchestre merveilleusement conduit par M. Jules Danbé. L'excellente pianiste
s'est fait vivement applaudir dans des œuvres de Widor, Chopin et Bach.— Très brillant
succès pour les œuvres de SI— de Grandval à la matinée Berny avec M' " Menjaud et
.M. Dareaux, qui ont fait acclamer le duo de Sainte Agnès, M.Mauguière auquel on a bissé
le Vase brisé, M. Bleuzet avec les Pièces pour cor anglais et séance, conférence Fuster, où
le Grattas agimus de la Messe avec M"" Smitli et Ador, les pièces pour violon, avec
M. Lederer, ont été chaudement applaudis ainsi que tous les excellents interprètes; les
deux séances étaient à la Bodinière. — Très joli succès pour le concert du jeune vio-
loncelliste Schidenhelni donné à la salle Pleyel. On a beaucoup applaudi au style et
à la virtuosité de cet artiste distingué. — Au concert de M"" Panthès, la remar-
quable pianiste, très grand succès pour le Tlicmc varié de Théodore Dubois, dont c'était
la première audition. — Aux matinées Berny (Biidinière), charmante séance consacrée
aux œuvres de Théodore Dubois. .\u programme d'abord la belle sonate pour violon et
piano, des mélodies (Par le itentier. Prés d'un ruisseau, Matin, à Douwnenez) très joli-
ment interprétées par M. Mauguière et M""^ de Jerlin, les Poèmes s'jlo:Stres exécutés par
M. Berny, et enfin des fragments du Paradis perdu et de l'Enlèvement de Proscrpine. —
La Société chorale d'Amateurs G. de Sainbris nous a donné un concert très remarquable.
Il faut la louer surtout d'accueillir les œuvres des jeunes compositeurs, choisis naturel-
lement parmi les meilleurs, et de nous offr'ir ainsi ce qu'on n'a pas entendu déjà partout.
Bien des ouvrages qui sont nés chez elle depuis une trentaine d'années ont fait ensuite
brillamment leur chemin. Il en sera de même sans doute des pages que nous avons
applaudies, l'autre soir : la Bataille de Taillebourg, de M. W. Cliaumet; la Vision de
i>a/Jfe de M. Max d'Ollone, d'un intérêt puissant; le Psaume IV de M. Henri Rabaud,
d'une noble inspiration, dont une partie a été bissée d'entliousiasme; un chœur char-
mant de M. Th. Bellenot, Brises de mai: et un autre très dramatique de M. Florent
Schmitt, les Funérailles d'un soldat. Avec les auteurs, il convient de féliciter les exécu-
tants, choristes èmérites, orchestre impeccable, solistes parfaits. Comme hommage à
Verdi, le quatuor de Eigoletto a été merveilleusement chanté par M"" A. Duvernoy,
Terrier-Vicini; MM. Félix Lévy et Villard. Mentionnons encore M"" Fournie)', MM. Bou-
crel, Vallade, etc. Cette belle exécution était dirigée par M. Jules Griset, un « amateur »
comme il n'y en a pas beaucoup, qui a mérité tous les 61oge>. Rémi Doré. — Très jolie
matinée donnée par M"' Lemay-Samson et M. Samson. M""* Lemay-Samson s'est fait
vivement applaudir dans O'iyre ies yetic bleus de Massenet et, avec M"*" Rabîer, dans le
Voyayeur de Rubinstein ; on a eu aussi des bravos pour M""' Souligoux dans l'air de Tlui'is
de Massenet, M"' Marialys dans Pholoé de Hahn, M"" Rabier dans Avril est amoureux
de Massenet et M"" de Agreda dans Pensée d'automne de Massenet. — Intéressante audi-
tion des élèves de M"" Cubain parmi lesquelles on remarque surtout M. Ed. R. {Rigaudon, .
Dedieu-Peters), M"" Juliette M. {Gavotte de la Poupée, Mathias), iMarcelle A. (Entr'acte
de Manon, Massenet), Renée R. et Laurence M. {.Mlegro symphonique à 2 pianos, Ma-
thias). — A l'Athénée-Saint-Germain, audition des élèves de chant -de MM. Ballard et
Goullet, avec le gracieux concours de M'"" Laparcerie, Charpentier, Bosio et BronvlIIe-
Ballard, très applaudies. Succès également pour le ténor Gonguet, le violoncelliste Ber-
thelier et M. Th. Laforge. Au programme, les airs de Xavière, de Th. Dubois, du Roi de
Lahore, de Massenet, de Jean de Nivelle, de Delibes, etc., etc. — Bien intéressante la der-
nière séance de la Trompette. Elle était presque entièrement consacrée à l'audition des
Chants de France, si délicatement et si curieusement harmonisés par M. Périlhou. Cela a
été un véritable enchantement. — De même à la matinée donnée par M"" Crabos, où la
même charmante collection a fait florès; à côté de la Musette du XVII' siècle, de MargoUm,
de la Complainte de Saint-Nicolas, de la Pastorale, les petits chœurs de Trinmusett' et
de la Ronde populaire ont mis tout le monde en belle humeur. Au même programme
encore d'autres mélodies de Périlhou, Au-dessous, Vitrail, hCamyc, et une ravissante
Barcaro/fc encore inédite ; puis VHeute rfiuifte de Campana, les Enfanls et le duo de
Werther de Massenet, le Voyageur dans la nuit de Rubinstein, l'air de Lakmé, etc., etc.
NÉCROLOGIE
On annonce, de la Nouvelle-Orléans, la mort de M™' Vianesi, née Marie
Belval, femme de l'ancien chef d'orchestre du Théâtre-Italien et de l'Opéra.
Elle était la fille de Belval, l'excellente basse qui avait pris i l'Opéra la suc-
cession d'Obin et elle débuta elle-même à ce théâtre, dans l'emploi des chan-
teuses légères, le 22 mai 1874, en jouant le rôle de Marguerite des Huguenots.
Elle se montra ensuite dans Robert le Diable et dans Guillaume Tell, et prit
part au spectacle d'inauguration du nouvel Opéra en tenant le rôle d'Eudo.xie
dans un acte de la Juive. Elle ne resta pourtant qu'une année à ce théâtre et
adopta ensuite, croyons-nous, la carrière italienne. M'"'' Vianesi était âgée de
48 ans.
— A Milan est mort ces jours derniers, à l'âge de 12 ans, l'ex-chanteur
Giuseppe Tonelli, qui avait fourni comme baryton une carrière brillante sous
le nom de Cima, qui était celui de sa mère. Il s'était retiré depuis longtemps
du théâtre et avait ouvert à Milan une école de chant d'où sont sortis plu-
sieurs artistes qui depuis lors se sont fait un nom distingué, entre autres les
ténors Gremonini, Dimitresco, Gabrielesco, Apostolu et les barytons Fuma-
galli et Ancona.
— A Tliorn (Prusse) est mort, à l'âge de 86 ans, le compositeur Wilhelm
Hirsch, qui s'est surtout fait connaître par des compositions pour chœurs
d'hommes. Il a aussi publié plusieurs écrits sur la musique, entre autres un
livre intitulé Arisloxénos et ses principes du rythme.
Eenri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître à la librairie Montgrédien et C-, Ad alla |.ar le chevalier des Touclies
(3 francs).
Vient de paraître chez Calmann Lévy lî livret de Lola, scène dramatique de Stéphane
Bordèse ; la musique, par C. Saint-Saëns, est en vente chez A. Durand et fils. Ce petit
acte, très facile à monter dans les salons, necomporte qu'un rôle de chant et danse, celui
de Lola. Le rôle de son partenaire est tout de diction.
Dimanche 10 Mari
3650. - 67- kME - N° iO. PARAIT TOOS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2"^, rue ViTienne, Paris)
(les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux autei
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lie Ilaméro : 0 îf. 30
MUSIQUE ET TIIEATI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
lie ïlaméFo : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEtJGEL, directeur du Mbmesthel, 2 bit, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Ciiant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
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SOMMAIEE-TEITE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (2^ article) , Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : première représentation de Charlotte Cordai/ à l'Opéra-Populaire,
Artbur Pougin; première représentation des Travaux d'Berculeaux Bouffes-Parisiens,
Paul-Émile Chevauer. — III. Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (20' article),
Arthur Pougin. — IV. Le Tour de France en musique ; Bourgogne : les temps héroï-
ques, EnuoND Neukomsi. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ENFANTILLAGE
n° 4 des Vaines tendresses, nouvelles mélodies de Théodore Dubois, poésies de
Sully-Prudhomme. — Suivra immédiatement; Pastorale du XVII" siècle, n° 3 des
Chants de France harmonisés par A. Périliiou.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Danse galicienne, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Pastorale du
XVIP siècle, transcription pour piano de A. Périlhou.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les plus récents et des documents inédits
(Suite.)
II
Premières influences allemandes. — Une lettre de la duchesse d'Orléans. — Déca-
dence de l'Académie royale de musique. — L'Opéra de Londres viendra-t-il à
Paris ? — La troupe de Haendel. — Un idiome anti-musical.
De mémoire d'homme, en France, les diverses écoles du
même art n'ont jamais pu vivre pacifiquement à côté l'une de
l'autre. Leurs rivales sont leurs ennemies. Elles en taisent les
qualités, mais elles en exagèrent les défauts. L'éclectisme, qui
les protège toutes contre un injuste abandon, n'est, pour celles
qui triomphent, qu'un scepticisme de bonne compagnie ou
qu'une ignorance d'amateur, comme si les proscriptions exces-
sives n'appelaient pas tôt ou tard les excessives réactions.
Nous avons rappelé, d'après un contemporain, le regain de
succès qu'avait obtenu la musique de Lulli, en un temps où
celle de Rameau semblait l'avoir à jamais détrônée. Nous ne
reviendrons pas sur les péripéties d'une lutte qui partageait
encore en deux camps le dilettantisme parisien, alors que Gluck
et Piccinni sollicitaient ses suffrages. Et nous ne retiendrons de
cette longue histoire des conflits musicaux pendant le XVIIP siè-
cle qu'un seul fait, passé inaperçu, mais suffisamment signi-
ficatif.
Trente ans après la mort de Lulli, avant même que le nom
de Rameau fût connu, l'école française avait dans bien des
milieux cessé de plaire. Cette défaveur n'était pas absolument
justifiée. Si l'insuffisance de Cotasse et de Destouches faisait
regretter le maître, Campra le rappelait souvent par le senti-
ment dramatique. Mais le style italien commençait à pâlir devant
l'inspiration allemande. Haendel et Sébastien Bach, presque du
même âge et déjà célèbres, ne pouvaient être ignorés en
France, où fréquentaient volontiers les peuples de l'autre côte
du Rhin. Une des grandes dames de la cour, la duchesse d'Or-
léans, mère du Régent, ne se faisait pas faute d'encourager ces
relations par une correspondance des plus assidues avec sa
nombreuse famille, comme elle d'origine allemande. Or, cette
princesse, que son mariage n'avait pas rendue française, du
moins de cœur, ne l'était pas davantage par ses goiits et par ses
habitudes. Rendant compte du ballet des Ages, écrit par Campra
en 1718, elle concluait (1) : « C'est bien maniéré à l'italienne;
je n'aime pas la musique italienne. »
Elle ne devait pas être seule à penser ainsi. Car à cette
époque, et pendant plusieurs années encore, l'Académie royale
de musique ne fit pas ses frais. Les directeurs s'y succédaient
pour s'y ruiner. Ce n'était pas qu'on ne s'ingéniât à chercher des
combinaisons pour ramener un public récalcitrant ; mais la
plupart du temps, elles échouaient devant l'indifférence des
spectateurs ou l'apathie de l'imprésario, .\insi, en 1723, cette
nouvelle, rapportée par la correspondance de la marquise de
Balleroy, avait couru dans tout Paris :
« 26 mars 1723.
« L'Opéra de Londres doit arriver incessamment à Paris pour
jouer 12 représentations. Les acteurs sont au nombre de cinq:
deux femmes, deux castrats et un concordant. Le Roi leur
donne à chacun un habit de théâtre neuf et 35.000 livres de
gratifications. Ils ont la permission de prendre à leur choix
douze violons dans l'orchestre et tels acteurs qu'ils voudront
choisir dans le chœur, et parmi les danseurs. Sa Majesté accorde
aussi 23.000 livres de dédommagement à l'Opéra de Paris, dont
elle sera remboursée ainsi que des 33.000 livres ci-dessus sur la
recette. L'entrée à ce spectacle sera augmenté d'un tiers pour
toutes les places ; personne ne sera exempt de payer, pas même
les seigneurs et les dames qui sont à l'année ; et le droit des
pauvres ne sera pris que du tiers en sus (2). »
Cette troupe était celle qu'avait réunie Haendel à Londres ; et
(1) Correspondance de Madame, duchesse d'Orléans. (Traduction et notes de Jœglé.)
Quantin, 1880.
(2) Edouard de Barthélémy. — Les correspondants de la Marquise de Ballcroij.
Hachette, 1883.
là
LE MÉNESTREL
c'était sur les propositions du financier Crozat, intéressé dans
Tentreprise anglaise, que Francine, directeur de l'Académie
royale de musique, avait accepté cette série de représentations.
Crozat et lui avaient donc signé, le 19 mars 1723, chez le ministre
Maurepas. Mais le traité ne reçut même pas un commencement
d'exécution. Francine trouva le moyen d'en décliner la respon-
sabilité, malgré qu'il eût reçu Fallocation et les habits neufs :
la protection du Régent le mettait à l'abri de toutes revendi-
cations.
Il va sans dire que la troupe de Haendel était italienne : car.
à cette époque, les Anglais ne savaient guère mieux chanter
qu'aujourd'hui : « Est-ce possible d'ailleurs en une langue où
il faut serrer les lèvres ? » observe le baron de Trémont dans
ses Notes et autographes (1) et il ajoute : « Je ne connais pas
d'idiome plus anti-musical. » Cependant, Haendel dut passer à
Londres la majeure partie de son existence. Et qui sait? C'était
peut-être pour cette raison que Fillustre compositeur, qui, tout
en possédant l'œuvre de Lulli et des maîtres italiens, avait un
style très personnel et presque de terroir, se livrait à des empor-
tements restés légendaires.
III
Prouesses artistiques et galantes de Ctiassé. — Portrait d'actriee. — Tribou et
Pélissier. — La véritable biographie de Jélyotte. — Un commis manqué. — Mé-
nages de grands seigneurs et d'artistes. — Jélyotte ambassadeur matrimonial. —
Collections et travaux d'un ténor aux champs. — Dernières heures de Jélyotte.
Les principaux interprètes de Lulli, de Campra et de Rameau
pendant les deux tiers du XTIIP siècle (2) sont assez nombreux ;
et leur biographie n'est pas chose nouvelle. Aussi n'en voulons-
nous donner que des faits ignorés ou inédits, recueillis dans des
mémoires du temps récemment parus ou dans des manuscrits
qui attendent encore les honneurs de l'impression.
Les reprises de Persée et (TAttjs, dont nous avons déjà signalé
les fortunes diverses, subissaient également des chances d'inter-
prétation très variables. Chassé, ce virtuose-gentilhomme, qui,
contrairement à Rodrigue, attendit beaucoup trop le nombre
des années pour se retirer de la scène, avait pris dans Persée le
rôle de Méduse, « écrit pour haute-taille ». Or, Chassé avait une
voix de basse-taille, mais d'un timbre si chaud et si vibrant
qu'il étonna et charma toute la salle par ses « sons d'éclat )>.
Le maréchal de Luxembourg avait parié que le chanteur ne
saurait exécuter ce tour de force (la passion du jeu était telle-
ment intense à cette époque qu'elle tirait parti de toutes les
occasions) : le grand seigneur perdit haut la main sa gageure.
En dépit de son âge Chassé jouait au petit Sultan, et les
actrices qu'il honorait de ses bonnes grâces étaient assurées
d'engagements avantageux. Ce fut ainsi qu'il obtint du prévôt des
Marchands, alors administrateur de l'Opéra, des appointements
annuels de quinze cents livres pour une de ses favorites qui
n'avait pas le moindre talent et dont Finspecteur Meusnier (3)
esquisse l'amusante silhouette :
26 août IToS. « La D"" Betfort, chanteuse à l'Opéra, est la fllle
du nommé Dubourg, musicien dans la musique du Roi à Ver-
sailles. Elle est âgée de 17 à 18 ans, petite, assez bien faite, les
cheveux bruns, la peau extrêmement blanche, la gorge et la
main jolies; les yeux noirs, petits, mais vifs et fort éveillés, pour
ne pas dire effrontés; la bouche grande, le nez épaté, l'air déli-
béré, point jolie; les poings toujours sur les roignons et alfec-
tant de passer continuellement la main de. gauche à droite et de
droite à gauche sur la bouche, comme un grenadier qui voudrait
relever ses moustaches; cela, joint à l'attitude qui lui est natu-
relle. Fa fait surnommer le Suisse de l'Opéra. »
Atys fut inférieur, comme interprétation, à Persée : « Tribou a
chanté en pulmonique » dit le Journal de la Cour et de la Ville,
et la Pélissier en « actrice d'opéra »; Tribou était cependant un
artiste estimé. Quant à M"" Pélissier, elle devait surtout sa répu-
(1) Bahon Dt TnÉMONT. — Noicx et autographes. Manuscrit de la BibliothÈqueNationale.
(2) En 1880, M. de Lyden a fait paraître dans te Ménestrel une série d'études très docu-
nientée3 sur les XVH' et XVIII* siècles sous ce titre : Chanteurs et cantatrices d'autrefois.
(3) Notes de police de l'Inspecteur Meusnier. Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal.
tation à ses magniflques costumes et à la condamnation capitale-
prononcée par contumace contre son ancien amant, le juif Dulys,.
qui avait tenté de la faire vitrioler. Une notoriété aussi tapa-
geuse ne pouvait prévaloir contre le souvenir toujours présent
de Factrice incomparable qu'avait remplacée M''"-' Pélissier; et
chacun regrettait cette capricieuse Lemaure, dont le jeu était si
émouvant dans sa noble simplicité, la voix si égale et si belle
dans toutes les parties d'un registre qui dépassait deux octaves.
(A suivre.) Paul d'Estréis.
SEMAINE THEATRALE
OpÉR.t-PopuLAiRE. Charlotte Corday, drame musical en trois actes et un pro-
logue, poème d'Armand Silvestre, musique de M. Alexandre Georges.
(Première représentation le 6 mars 1901.)
Yoici la première œuvre nouvelle que nous offre l'Opéra-Populaire,
qui jusqu'ici n'a vécu que de reprises. Elle est d'importance et, par
malheur, un de ses autem's, le pauvre Armand Silvestre, n'aura pas eu
la joie de la voir naître à la scène. Son livret, d'ailleurs, qui manque
d'élément théâtral, n'est guère autre chose qu'une tranche d'histoire
dans laquelle il a vainement essayé d'introduire l'élément passionnel
qui ne se trouvait pas dans le sujet.
Prologue. A Paris, à la taverne du Paon. — Marat, assis au milieu
de ses compagnons et partisans, pérore et leur développe ses idées. Il
leur déclare que l'avenir est dans l'écrasement de la noblesse et de la
bourgeoisie, dont le sang fécondera les moissons futures. Ses paroles
sont acclamées, et bientôt il est porté en triomphe par ses amis, aux
acclamations de la foule, qui applaudit à ses discours.
Premier acte. A Caen, chez M"^ de Bretteville, tante de Charlotte
Corday. — Des invités sont réunis. Tandis que quelques-uns déplorent
le malheur des temps, que d'autres jouent, Charlotte, :\ l'écart, relit le
Comte d'Essex de Thomas Corneille (on sait que sa famille descendait
des Corneille) et répète, d'un air inspiré, le vers fameux :
Le crime faitla honte, et non pas l'échafaud.
Un jeune noble, le comte de Lux, en s'entretenant avec elle des
graves événements de l'heure présente, lui en fait ressortir les dangers
et lui offre sa protection en même temps que son amour. Charlotte
décline cette offre, en alléguant que la situation est trop cruelle pour
qu'on puisse et tpi'on ose songer à autre chose. Bientôt, les invités
étant partis, Charlotte, restée seule, entend de la rue retentir des cris
furieux. C'est une bande de maratistes qui poursuit un malheureux.
« Les lâches! » s'écrie-t-elle.
A ce moment la porte s'ouvre, et un homme fait irruption. C'est
Barbaroux. (Que diable allait-il faire à Caen?) C'est lui qui était pour-
suivi. Charlotte l'interroge avec anxiété sur ce qui se passe à Paris.
Barbaroux lui décrit l'état troublé de la capitale, lui fait connaître la
dictature de Danton, de Robespierre et de Marat.
— Quel est le plus cruel des trois? lui demande-t-elle.
— C'est Marat.
Dès ce moment, la résolution de Charlotte parait prise de délivrer la
France du monstre infâme. Pendant tout cet entretien, les paroles de
Barbaroux inspirent à Charlotte un enthousiasme qui semble faire naître
en elle une sorte d'intérêt passionné pour le Girondin. Ils se quittent,
et quand Barbaroux s'éloigne :
— Au revoir, lui dit-elle; au revoir, à Paris!
Deuxième acte. A Paris, au Palais-Royal. — Un coin du jardin. Des
enfants jouent, sous la surveillance de leurs mères. Entre Charlotte, qui
s'assied sur une chaise et caresse un de ces enfants. Des vendeurs de
journaux arrivent, criant le dernier numéro de l'Ami du Peuple, le
journal de Marat, que les promeneurs s'arrachent aussitôt. Charlotte en
prend un et le parcourt, frémissante. L'enfant qu'elle caressait la quitte
et s'échappe pour courir sous les galeries, ofi il entre dans la boutique
d'un coutelier, son père. « C'est l'innocence montrant le chemin à la
justice! 1) s'écrie-t-eUe.
Elle entre â son tour chez le marchand, et en sort avec un couteau.
Elle se trouve alors face à face avec Barbaroux, et cache précipitam-
ment son arme. Longue scène entre tous deux, où parait l'amour en
quelque sorte mystique qui semble les rapprocher el les unir. Puis la
nuit vient. Des garçons des cabarets avoisinants accrochent aux arbres
des lanternes de couleur. Des muscadins et des muscadines, sortant de
ces cabarets, pénètrent dans le jardin, où bientôt la foule accourt et se
presse de tous côtés, foule bariolée, diverse, bruyante, et l'acte se ter-
mine par la ronde de la Carmagnole, chantée et dansée par la populace.
LE MÉNESTREL
75
Troisième acte, promier tableau. Chez Marat. — La cliambre de
r « ami du peuple ». A droite, le coin servant d'atelier d'imprimerie.
Au fond, à travers une baie, on aperçoit Marat dans sa baignoire. Char-
lotte se présente, demandant avec instance à être introduite auprès de
lui. Il consent à la recevoir, et tandis qu'il jette les yeux sur la lettre
qu'elle vient de lui remettre, elle s'approche vivement de lui et lui
plonge son couteau dans le cœur. Elle est aussitôt entourée par la foule
de tous ceux qui attendaient et dont les cris furieux attirent des soldats
qui s'emparent d'elle et l'emmènent en la protégeant contre les insultes
et les violences de tous.
Deuxième tableau. La Conciergerie. — Charlotte est dans son cachot,
attendant la mort. Bile écrit aux siens une lettre d'adieux, et voit
repasser devant ses yeux la figure au moins sympathique de Barbaroux.
La porte s'ouvre. On vient la chercher pour la mener au supplice. On
■entend au dehors les cris funèbres : « A mort! A mort!... »
Troisième tableau. La place de la Liberté. — L'échafaud est dressé
sur la place. Voici que Charlotte apparaît, debout, dans la charrette des
•condamnés. Elle en descend, pour gravir les degrés de la guillotine. A
ce moment parait Barbaroux. Il crie son mépris et sa rage à la foule,
qui le maintient. Charlotte lui dit adieu d'un regard, et le bourreau la
saisit... La toile tombe.
Y a-t-il un sujet d'opéra dans l'histoire de Charlotte Corday ? J'en
doute fort, pour ma part. Le fond est dramatique, assurément; scé-
nique, peu; musical, absolument pas. Charlotte est une solitaire, une
renfermée, une sorte d'hallucinée, intéressante au point de vue psycho-
logique; mais la psychologie n'est pas du domaine du théâtre. Pour lui
prêter un peu d'expansion, Silvestre a été obligé d'imaginer cette espèce
d'amour cérébral pour Barbaroux, qu'il fait naître d'ailleurs d'une façon
assez singulière. Mais de passion, de passion véritable, il ne peut y en
avoir en un tel sujet, et sans la passion il n'est point de théâtre, surtout
de thé:itre musical.
Aussi M. Alexandre Georges, qui n'est point le premier venu, n'a-t-il
tiré qu'un parti médiocre du livret qui lui avait été confié. Organiste de
l'église Saint-Vincent-de-Paul, ancien élève de l'excellente école de
musique classique, où je crois qu'il est aujourd'hui professeur,
M. Alexandre Georges a déjà beaucoup écrit: Axel, musique pour le
drame de Villiers de l'Isle-Adam, représenté à la Gaité ; le Printemps,
opéra-comique en un acte, joué à la Bodiniére; Notre-Dame de Lourdes,
oratorio en trois parties ; te Chemin de ta Croix, drame sacré ; Myrrlia,
saynète romaine en un acte; les Chansons de Uiarka; les Chansons de
Leilah; et un autre recueil de mélodies publié il y a quelque vingt ans,
en société avec le comte d'Osmoy. M. Alexandre Georges a de la grâce,
de la teodresse, il parait manquer de force et de puissance, et son or-
chestre marque encore une - certaine inexpérience dans l'art d'employer
l'ensemble instrumental. Possède-t-il les qualités de vigueur néces-
saires au grand drame lyrique ? Ne serait-il pas plus apte à traiter cer-
tains sujets d'opéra-comique? Diverses pages de sa partition sembleraient
le donner à croire, surtout les scènes entre Charlotte et Barbaroux.
Chez lui le mouvement n'est pas toujours sincèi'e, et semble déceler
l'effort, comme dans le tableau du Palais-Royal. Au reste, si son œuvre
est inégale, la faute en est beaucoup au poème dont il s'est chargé. Elle
n'en reste pas moins celle d'un artiste instruit, distingué, qui sera sans
doute plus complètement heureux le jour où il i-encontrera un sujet
convenant à ses facultés.
L'interprétation de Charlotte Corday fait honneur au théâtre. Char-
lotte, c'est M"' Georgette Leblanc, artiste dont on connaît le remar-
quable talent, cantatrice qui ne redoute aucune comparaison, actrice
intelligente, chercheuse, trouveuse, qui complète ses rares qualités par
un louable sentiment de la plastique et des attitudes. Son succès a été
complet et complètement justifié. M. Cazeneuve est un Barbaroux bien
portant et d'une santé vraiment florissante ; ce qui vaut mieux pour le
rôle, c'est qu'il le chante fort bien, avec une science et une conscience
-auxquelles il n'y a rien à redire. M. Dangés (Marat) montre de la
vigueur, M""^ Sylvain (M"" de Bretteville) de la sensibilité, et l'ensemble
est bien complété par M""" Dulac (Simonne Evrard), et M. Benedict (le
comte de Lux). Enfin les chœurs ont fait de leur mieux, de même que
l'orchestre, dirigé avec habileté par M. Henri Bùsser.
Arthur Pougin.
Bouffes-Parisiens. Les Travaux d' Hercule, opéra-bouffe en 3 actes, de MM. G.-A.
de Caillavet et R. de Fiers, musique de M. Claude Terrasse.
Hercule est de mode. Après l'Héraclès de la Comédie-Française, après
le duc d'Argos de l'Opéra, voici venir, aux Bouffes, un bon petit .Her-
cule, Hercule tout court. Hercule tout simple, et qui, certes, n'est point
le moins gai compagnon des trois. L'originalité de celui-ci est que les
auteurs en ont fait le plus parfait des pleutres — « il a la flôme », dit
son écuyer-valet de chambre, Palémon — et qu'il laisse accomplir ses
terribles travaux par Augias, le fameux roi ans écuries, se contentant
de récolter les lauriers glanés par l'autre. Le point de départ est amu-
sant et de cette jolie fantaisie toute spéciale à laquelle nous devons
l'immortelle Belle Hélène. Malheureusement la situation se repète iden-
tique à elle-même à chacun des trois actes, et tout l'esprit, l'ingéniosité
môme, qu'ont pu dépenser MM. de Caillavet etR.de Fiers ne suffit pas
à rompre l'espèce de monotonie pesant sur une pièce qui, plus courte,
eût été, peut-être, parfaite.
Quelle prodigalité d'esprit, messieurs! Vraiment on est tenté de vous
reprocher d'en avoir exagérément et, sm-tout, de l'avoir, fort souvent,
beaucoup trop facile, et on vous en veut, très sérieusement, de l'abus
incompréhensible d'une grossière trivialité qui ne rime à rien et ne porte
pas sur le public.
La plume du musicien Claude Terrasse, nouveau venu aux théâtres
des boulevards, n'est pas moins souple que celle de ses librettistes. De
faire un peu lâché, sa partitionnette, sans encore dégager de personna-
lité, est du moins, en plus d'une page, de rythme amusant et vif, rap-
pelant d'assez loin Offenbach et Hervé; les finales des premier et
deuxième actes, avec quelques couplets adroitement troussés, permettent
d'espérer en l'avenir.
Hercule, c'est M. Tarride, qui, séduit très justement par le rôle, s'est
improvisé directeur pour monter, avec de grands soins matériels, ces
Travaux d'Hercule; une fois de plus il s'affirme comédien très sûr, très
séduisant, plein dé bonhomie et de finesse, et preste débiteur de ritour-
nelles. A ses côtés on a fait grand et mérité succès à M. Victor Henry,
dont la divertissante fantaisie et l'étonnante adresse, en Palémon, ont
surpris plus d'un spectateur ignorant qu'il fut, ces dernières années, le
meilleur des pensionnaires de Cluny. De la distribution il faut encore
sortir M'" Diéterle, petite Omphale de grand luxe et d'exquise fragilité
et, par-dessus tout, adorable bibelot parisien, et M. Colas, qui a joué
Augias avec beaucoup de rondeur et de bon naturel.
P.4UL-BMILE Chevalier.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVEE.SELLE DE 19CO
(Suite.)
AU champ-de-mars
Nous avons visité les divers théâtres de la rue de Paris, ainsi que
ceux du Trocadéro. Passons maintenant au Champ-de-Mars, où nous
n'en trouvons que deux : le théâtre exotique du Tour du Monde, et le
théâtre du Palais de la Femme.
Le Tour du Monde. — On se rappelle ce monument superbe et gigan-
tesque appelé le Tour du Monde, qui s'élevait majestueusement à l'angle
du quai d'Orsay et de l'avenue de La Bourdonnais. OEuvre très remar-
quable de l'architecte Alexandre Marcel, il contenait à la fois un pano-
rama merveilleux, trois dioramas distincts et un théâtre fort original,
et son établissement n'avait pas coûté, dit-on, moins de deux millions.
Le panorama, de la plus grande beauté, dont l'auteur était M. Louis
Dumoulin, peintre du ministère de la marine, se composait d'une suite
de huit immenses tableaux formant un ensemble vraiment admirable
et d'une harmonie délicieuse. Par une ingénieuse combinaison, toute
la côte de la Méditerranée se déroulait d'abord devant les yeux du spec-
tateur immobile, et tous les pays desservis par les paquebots des Mes-
sac'eries Maritimes paraissaient successivement à ses regards : l'Espagne,
la Grèce avec l'Acropole et le Parthénon, la Turquie, Stamboul, le
Bosphore et la Corne d'Or, la Syrie, l'Egypte, Port-Saïd et le canal de
Suez les Indes, Geylan, le Cambodge, la Chine, le Japon, l'Australie,
avec leurs sites les plus caractéristiques, pour arriver enfin aux rivages
de France. C'était une vision vraiment exquise, dont l'illusion était
encore augmentée par la figuration animée des premiers plans, où l'on
voyait des indigènes de chaque pays se livrer à leurs occupations, à
leurs exercices ou à leurs distractions : potiers égyptiens fabriquant
leurs n-argoulettes. Indiens fumant leurs longues pipes. Chinois travail-
lant en silence. Japonaises préparant leur thé... Pour être moins majes-
tueux, les dioramas n'étaient ni moins intéressants, ni moins curieux,
surtout le charmant diorama mouvant qui représentait un voyage de
Marseille à la Ciotat, avec retour par le château d'If. Les autres nous
offraient des vues de Moscou, de Londres, de Rome, d'Amsterdam, de
Sidney. de New-York, d'un relief superbe et d'une exactitude absolue.
76
LE MENESTREL
C'est au rez-de-chaussée de cet édifice monumental que se trouvait le
théâtre qui avait pris le nom de Théâtre exotique et qui fut, comme le
panorama lui-même, un des succès de l'Exposition. Les bureaux étant
situés à l'extérieur, on y pénétrait immédiatement par une large por-
tière et L'on se trouvait aussitôt dans la salle, salle carrée, très heureu-
sement décorée à l'indo-chinoise et joliment ornée de figures en relief.
Le rideau, rigide et peint dans le même style, ne se relevait pas, mais se
séparait latéralement, comme à Bayreuth. L'orchestre pouvait contenir
environ loO fauteuils ; derrière, un parterre debout ; au premier, une
galerie contournant la salle. La musique était représentée par un piano,
tenu par M. R. Pompilio, aidé d'un quatuor à cordes.
Le théâtre exotique avait la prétention de réunir six troupes diffé-
rentes : troupe espagnole, troupe hindoue, troupe cinghalaise, troupe
javanaise, troupe chinoise et troupe japonaise. C'était beaucoup. La
troupe espagnole comprenait simplement deux danseuses, les sœurs
Lola Moreno et Maria Moreno, l'une brune, l'autre blonde, d'une beauté
radieuse, mais, je dois l'avouer, d'un talent moins radieux. La troupe
hindoue se composait d'un prestidigitateur d'une rare habileté et d'un
prétendu charmeur de serpents qui ne charmait rien du tout et qui se
bornait à exhiber un demi- douzaine de vilaines botes qu'il enfermait
ensuite dans un sac, après quoi il se mettait à cracher du feu tant
qu'on en voulait, spéciale curieux peut-être, mais d'un agrément tout à
fait relatif.
J'avoue n'avoir pas vu la troupe cinghalaise, qualifiée de « danseurs
du diable ». Quant â la troupe javanaise, elle était formée de cinq
petites danseuses, fort vilaines pour la plupart, et qui étaient loin de
nous rendre l'impression délicieuse de celles du Kampong javanais de
1889. Celles-ci appartenaient, parait-il, au personnel dansant du rajah
de Socroebaya. Elles exécutaient d'ailleurs les mêmes danses hiératiques,
accompagnées par un petit orchestre de dix musiciens accroupis der-
rière elles.
Par exemple, il y avait dans la troupe chinoise, composée de deux
seuls personnages, un jongleur d'une adresse absolument prodigieuse,
et dont un exercice surtout était à donner le frisson. Après avoir pré-
paré, sur un côté de la scène, un cercle tout hérissé de poignards dont
les lames aiguôs laissaient bien juste l'espace nécessaire pour le passage
d'un corps, il se plaçait du côté opposé, puis, prenant son élan, il se
lançait la tête la première à travers ce cercle, sans en rien déranger,
bien entendu, et allait retomber dans la coulisse.
La grâce de ce spectacle était dans la troupe japonaise, douze gen-
tilles petites danseuses japonaises, dirigées par l'une d'elles, dont le
programme nous faisait connaître les noms, avec leur signification par-
fois un peu étrange. La directrice s'appelait M"'" Iwama Koumi (Mon-
tagne rocheuse) ; les autres : Yoshiûkié Man (Bienheureuse Longévité).
Maeda Ei (Grande Prospérité), Kôno Tchô (Papillon), Arai Tsouné
(Habituelle), Souzouki Tama (Boule d'épingle), Uesougui Kimi (Excel-
lence), Saito Riou (Saule Pleureur), Saito Kikou (Chrysanthème),
Abayashi Ito (Fil), Nakachima Haron (Printemps), et Idjima Hideno
(Soleil). Elles étaient charmantes, ces petites ballerines, dans leurs
danses chastes et pleines de grâces, que deux de leurs compagnes,
assises par terre derrière elles rythmaient en jouant du siamisen. Après
leurs danses d'ensemble l'une d'elles exécutait, d'une façon très aimable,
une sorte de scène pantomime burlesque oii elle rappelait un peu, par
sa grâce comique, celle de notre Pierrot.
Le spectacle était toujours complété, au théâtre exotique, par une
série de vues cinématographiques de l'Extrême-Orient, dues à M. The-
venon.
Le Palais de la Femme. — Je n'ai â m'occuper du gentil Palais de la
Femme, construit par M. Pontremoli, qu'en ce qui concerne son théâtre,
qui était dirigé par M. Paul Franck. Très aimable, très coquet, ce
théâtre, où l'on jouait la comédie, où l'on faisait voir des ombres, où
l'on donnait des concerts. Il va sans dire que les pièces étaient jouées
uniquement par des femmes et que, seules, des femmes prenaient part
aux concerts. J'ai vu là deux petites comédies qui, je dois l'avouer, ne
m'ont pas paru des chefs-d'œuvre : Marie-Antoinette et son cercle, de
M°"' Jenny Thénard, jouée par M""" Suzanne Aumont, Paule Dartigny,
Marval, Jeanne Berge, G. Baral, Muraour, Enid Eade, Cécile Walbin,
Marcillet et Rosine Ruault, et Frégolili, de M. Max Maurey, prétexte â
danses diverses exécutées par M'"'* Aumont, Irma Perroi, Baral, Mu-
raour, etc.
Le répertoire de ces piécettes se renouvela très souvent au Palais de
la Femme, et j'avoue qu'il me serait impossible d'en donner la liste.
Mais la musique y fut aussi cultivée avec assez de soin. On y eut des
festivals de musique moderne, où furent entendues des œuvres de com-
positeurs féminins : M""" Cécile Chatninade, Gabrielle Ferrari, Cécile
d'Orni, etc., exécutées par M""™ Ritter-Ciampi, Magdeleine Godard,
Louise Marquet, Darlott, Labatoux et la Société chorale des femmes du
monde, dirigée par M. Ciampi. On y eut aussi les séances de la Caméra
musicale, où se firent entendre M"'* Gillard, Richez, Lucile Delcourt,
Éléonore Blanc, Jeanne Ediot, Martin de la Rouvière, Marguerite Del-
court, qui chantaient ou exécutaient des fragments d'œuvres classiques
de Rameau, Scarlatti, Gluck, Chopin, Schumann, etc.
En résumé, le Palais de la Femme avait son originalité et n'eut pas
à se plaindre de son succès.
(A suivre.) Arthur Pougin.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
^3 otX3r@og;xi.^
TEMPS Héroïques
Rassurez- vous, lecteur; nous ne remonterons ni aux Éduens ni aux
Mondubiens, premiers peuples connus du riche pays qu'arrosent
l'Yonne et la Saône, ni aux Burgondes, dont le premier roi, Goadi-
caire, n'était, dit l'histoire, qu'un clerc d'assez piètre renommée, ni
même aux Bourguignons du temps de Boson et de Robert le Vieux;
nous nous tiendrons aux contemporains de la période fastueuse et guer-
rière illustrée par les souverains, aux noms sonores et populaires, de
la noble maison de Valois qui, pendant un siècle, balança le pouvoir
des rois de France.
Philippe le Hardi fut le premier de ces superbes ducs de Bourgogne.
Quand il fit sou entrée â Dijon, ce fut un émerveillement. Les maisons
disparaissaient sous les tentures d'or et les fleurs. De tous côtés des
échafauds étaient dressés pour la représentation de mystères et de
tableaux parlants. Au son de la musique qui, de tous côtés, « s'esbattoit
comme gresle en joye », le duc s'avançait, « désespérément bel et
galand ».I1 était revêtu d'une houppelande de velours cramoisi, brodée
de chaque côté, d'un grand ours d'argent, dont le collier, la muselière
et la laisse étaient en saphirs. Sur la manche gauche étincelait une
branche de rosier dont les fleurs, au nombre de vingt-deux, étaient
composées de rubis entourés de perles. Le collet avait le même orne-
ment et les boutonnières étaient faites en genêt, dont les cosses, de perles
et de saphirs, remémoraient l'ancien ordre de la cosse de genêt, institué
par les rois de France et donné par eux en de rares occasions à leurs
loyaux serviteurs. Il y avait dans cette robe trente-un marcs pesant d'or,
et la façon avait coûté 2.977 livres. ,
A la cathédrale, où il se rendit tout d'abord, le duc fit lire à haute
voix devant le grand autel, par Philibert Paillai't, chancelier de Bour-
gogne, la donation du roi son père et les lettres du roi régnant qui la
confirmaient. Puis éclatèrent chants joyeux et fanfares, auxquels succé-
dèrent les intonations solennelles du Te Dcum.
De Jean sans Peur, le héros de la bataille de Tongres, qui lui valut
son surnom, la postérité n'a guère conserve que le souvenir de sa fin
tragique. Jamais traîtrise ne fut aussi perfidement combinée. Le sire
de Barbazan avait pris soin, pour attirer le duc dans le piège qui lui
était tendu, d'aller lui dire qu'après le roi, son père, il n'était personne
que le Dauphin aimât davantage que lui, et qu'il souhaitait bien fort le
voir et l'embrasser. Il le pressait en même temps d'accepter une entrevue
sur le pont de Montereau. Instances et avertissements ne manquèrent
pas au prince. Un juif qu'il avait dans sa maison et qui se mêlait de
deviner l'avenir, lui prédit que s'il allait à Montereau il n'en reviendrait
jamais. Rien ne put l'arrêter. Il partit avec environ quatre cents hommes
d'armes et arriva le 10 septembre 1419, vers deux heures, dans une
prairie proche la rivière d'Yonne.
Là, le seigneur Tanneguy du Chastel vint le trouver et l'inviter à se
rendre avec lui dans un cabinet en charpente dressé au milieu du pont,
où était déjà le Dauphin. Le duc, sans défiance, l'accompagna, suivi de
quelques seigneurs qui n'avaient que leur cotte et leur épée. Il s'avance
vers l'héritier du trône de France, qui le reçoit souriant. Il met genou
â terre devant lui. Mais, à ce moment, un cri sombre surgit : « Alarme!
alarme! tue! tue! » D'un coup de hache, Tanneguy du Chastel a étendu
le trop confiant duc à terre : — Monseigneur, voici le traître qui vous
retient votre héritage, dit-il... Et, comme il respire encore, deux hommes
s'agenouillent, soulèvent sa cotte d'armes et le percent par- dessous
d'un coup d'êpée dans le corps.
Les assassins voului-ent compléter leur œuvre en jetant le cadavre de
leur victime dans la rivière, après l'avoir dépouillé; mais le curé de
LE MENESTREL
77
Montereau s'y opposa et le fit porter dans un moulin, près du pont. Le
lendemain, il faisait conduire dans son église par quelques mendiants
de la ville le corps du duc Jean, renfermé dans la bière des pauvres,
encore tout souillé de sang et vêtu seulement de ses houzeaulx et de son
pourpoint.
M. de BaranLe cite, dans son Histoire des ducs de Bourgogne, les sires
Olivier Layet et Pierre Frottier comme ayant porté le coup de grâce à
l'infortuné Jean sans Peur. Tel n'est pas l'avis général, et comme une
autre version nous touche plus particulièrement, nous lui donnons la
préférence :
« Un nommé Gillet Bataille, est-il dit dans une lettre publiée par La
Barre, frappa le second coup après Tanneguy du Ghastel; et s'en est
Chariot Bataille, son frère, vanté par plusieurs fois. Et aussy en avoient
faict une canchon les faux traytres, et y avoit comment Regnauldin
l'enferma, Tanneguy le frappa, et Bataille sy l'assomma. »
Cette complainte, nous apprend Leroux de Lincy, n'a pas été retrou-
vée ; mais l'auteur des Chants du temps de Charles VII et de Louis XI nous
en fait connaitre une, conçue dans un sons différent, car elle est une
véritable déploration à la mémoire de l'illustre défunt :
Chi s'ensuit
la Canchon du trépas du duc Jehan de Bourgongne :
Tous seigneurs, prinches terriens,
En sont en tribulacion;
Il n'est grans, petis, ne moyens
Qui n'en soit en confusion.
Moult doublent la pugnission
Du mal qui en porrait yssir;
Se Dieu n'y met provision,
Grant mesquief en poeult advenir.
Las ! que les gens du plat poys
En sont attendans de gueste;
Trestous communs, grans et petis,
En sont grandement destourbé.
Las! ilz ont été desrobé,
Perdu le leur en trestous cas;
Uz se cuidoient reposer,
Mais fortune les met en bas.
La dame qui cœur a vaillant,
Qui fut femme au duc bourguignon,
Ses bons amis va requérant
Disant: Henuyer, Brabançon,
Souviengne vous du bon baron ;
Et aussy entre vous, Flamens,
Que sa mort venhiés de cœur bon
Contre ces Erraignalz pulens.
Le bon conte de CharoUois
Se complaint moult piteusement
De la paix que on fist l'autre fols
Au jour que on tint le parscnant.
Ensemble allèrent au Moustier
Et rechurent leur sacrement.
Et promirent paix sans tricquier,
Et puis l'ont mierdry faussement.
Oncques mais seigneur si puissant
Ne fust par tel parti fine;
Quant par ceux on s'alait fiant
Il a été persécuté.
Chieux Dieu qui en croix fut percé
Lui fâche à son àme pardon,
Et tous ceux qui sont trépassé
Ayent aussi de Dieu le don !
Dieu qui est vray i
Voeulle ceulx en santé tenir
Qui voirront oyr nos recors
Et de voUenté retenir
Dont cliy orés au Dieu plaisir
Pitié recorder playnement
Du bon duc que on a fait moryr,
Dieu mesche s'ame à sauvement.
Sancq et nature vœultfîner.
On s'en peult bien apperchevoir,
Amys font l'un Taulre miner
Et déchéir par noncaloir;
Plainement on voit apparoir
Les signes de mortalité,
Ihésus par son digne pooir
Ayt du povre poeupple pitié.
Que le comte de ChoroUoix
A moult tristesse et doleur!
Madame sa mère, c'est droix.
En aprenent dolent le cœur,
Et aussy a bonne seur
Qui d'Autrisse tient le pays
Et la dame de gi-ant valeur
Qui Haynaut tint au temps jadis.
Celle de Savoie ensement
S'en doit grandement doloser,
Le duc de Brabant proprement
En doit aussi grand doeul mener;
Et Saint-Pol en doit bien plourer.
Et aussi doit plourer Nevers.
Ihésus-Christ lui voeulle ottrier
Vrai pardon de tous ses meffais !
Et lehan de Bavière aussy
En doit être de cœur dolant;
Perdu y a un grand ami
Et qui de cœur lui fut aidant;
Aussi à la dame plaisant
De Guienne qui fille estoit
Au duc qui a fine son temps.
Ihésus miséricors luy soit!
S'y prion Dieu dévoilement
Qu'il vœuille notre duc garder
Et aussi ceux semblablement
Qui Franche doibvent gouverner,
Et vœulle les seigneurs garder
Qui sont au noble prinche amys,
Et paix et paradis donner
Au seigneur dont sommes jubges.
Le successeur de Jean sans Peur, Philippe le Bon, eut aussi les hon-
neurs de l'oraison funèbre en musique. Mais sa complainte est coulée
dans un moule assez ordinaire.
Plus intéressant est l'adieu suprême, qui semble un chant de trou-
badour, adressé à sa seconde femme. Bonne d'Artois.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le dernier concert du Conservatoire s'ouvrait par la sympiionie en ré
mineur de César Franck, qui, à mon sens, n'est pas faite pour passionner. Je
n'ai "lias à dire que c'est le talent qui y manque ; on ne me croirait assuré-
ment pas : c'est l'inspiration, c'est le génie, c'est ce qui fait les œuvres
grandes et fortes et les conduit à la postérité. La symphonie est inégale. Les
thèmes du premier allegro sont sans grande valeur, même le dessin initial,
qui se fait pressentir dans le lento d'inirodaction, et le travail symphoniqiie
ne saurait donner le change sur la faiblesse de l'inspiration. Il y a d'agréables
parties dans l'allégretto, notamment dans le dernier épisode, con sordlni, qui
rst d'un joli sentiment. Mais le finale est bien vide, quoique l'orchestre y soit
particulièrement soigné et produise certains efl'ets qui ne manquent pas de
grandeur. En résumé, je crois que ce n'est pas sur cette œuvre qu'il faudrait
juger la personnalité musicale de César Franck. Le motet de M. Vidal : Ecce
sacerdos rrmgnus est un morceau agréable, sans développements, accompagné
seulement par l'orgue et le quatuor à cordes. Le succès de la journée a été
pour l'admirable concerlsliick de Weber, magistralement exécuté par M. Léon
Delafosse dont le triomphe a été complet et caractérisé par trois rappels.
M. Delafosse a fait preuve, dans l'interprétation de ce chef-d'œuvre, de
qualités éminentes : un joli son, une excellente attaque de la touche, de la
grâce et de l'élégance, de la vigueur et de la puissance, enGn du goût et du
style. Le public lui a prouvé bruyamment sa sympathie et le plaisir qu'il
lui avait procuré. Ce succès s'est renouvelé, dans des conditions différentes,
avec un motet de Jean-Sébastien Bach : Je reste avec toi, qui est une pure
merveille. C'est un double chœur à huit voix, sans accompagnement, qui se
termine par un épisode superbe, un choral d'un accent plein de grandeur
qui réunit les huit voix en un seul chœur à quatre parties, d'une couleur et
d'un éclat prodigieux. L'exécution de cette page splendide était à la hauteur
de l'œuvre. Le concert se terminait par la symphonie en mi bémol d'Haydn
(n" oi du Conservatoire), dite par l'orchestre d'une façon délicieuse. A. P.
— Concerts Colonne. — C'est sans doute la mort de la reine Victoria, à
laquelle la Symphonie écossaise de Mendelssohn est dédiée, qui a paru donner
un regain d'actualité à cette œuvre. Nous ne regrettons pas d'ailleurs de
l'avoir réentendue, car elle reste une des compositions les plus accomplies de
son auteur et offre tout ce que le talent uni au goût, à la science et à la pon-
déralion artistique peut produire, sans atteindre aux sommets qui sont du
domaine du génie. — L'anniversaire contesté de la naissance en 1810 de
Chopin, qui n'est certainement pas né le 2 mars, comme le programme offi-
ciel le prétend, a servi de prétexte pour régaler le public de la transcription
bien connue faite pour orchestre, par Prosper Pascal, de la fameuse Marche
funèbre qui fait partie de la sonate en si b mineur. Nous avouons franchement
que nous préférons à cette transcription la version primitive pour piano. Un
Nocturne et une Polonaise de Chopin, que M. Cortot a joués après la marche,
semblaient quelque peu déplacés dans la salle immense du Châielet: on ne
pouvait en saisir que les forte et les fortissimo, et encore I M. Cortot a cepen-
dant eu l'occasion de se distinguer par son interprétation brillante et impec-
cable, quoique peu personnelle, des Variations sijmphoniques de César Franck,
œuvre d'un tour aussi ingénieux que captivant et d'une alliance parfaite entre
l'instrument concertant et l'orchestre. — C'est aussi avec un véritable plaisir
qu'on a entendu le Rouet d'Omphale, cette fraîche et ravissante œuvre de jeu-
nesse de M. Saint-Saëns, qui, pour l'écrire, n'a pas hésité à commettre un
anachronisme formidable, malgré son érudition bien connue. Le jeune
maître de 1872 n'ignorait certes pas que l'invention du rouet date seulement
du XVI« siècle et que la belle reine de Lydie n'avait à sa disposition que de
simples fuseaux; il n'ignorait pas non plus que le fils de Jupiter, extrême-
ment doué pour filer le parfait amour, l'était bieu moins pouj filer de la laine
au fuseau, car déjà Boileau l'avait dit :
...Hercule filant rompait tous les fuseaux.
Mais le fuseau est silencieux, tandis que le susurrement du rouet se prête si
bien à la musique imitative qui hantait l'imagination de l'artiste ! Remercions-
le donc du courage avec lequel il s'est moqué de tous les Beckmesser de
l'archéologie. — Le programme ofl'rait encore la dramatique ouverture d'Eu-
ryanthe, de V.'eber. et des fragments de Fervaal, de M. Vincent d'InJy. Il a
été parlé de ces œuvres ici même la semaine passée; il ne nous reste donc
qu'à constater leur beau succès renouvelé. 0. Berggruen.
— Concerts Lamoureux. — Les premières esquisses de la Faust-Symphonie
remontent à 4840-1843; elles furent coordonnées de 18S4 à 18o7 et l'exécution
publique eut lieu pendant cette dernière annnée, aux fêtes en l'honneur de
Gœthe et de Schiller. Les chefs d'orchestre les plus célèbres, Hans de Bûlow,
Bronsart, Max Seifriz, Damrosch, Kliudworth, Nikisch, etc.. et aussi
Pasdeloup ont fait de louables tentatives pour initier le public aux beautés
de l'œuvre de Liszt. M. Saint-Saëns avait convié les admirateurs du maître à
une audition de ses grands ouvrages symphoniques au printemps de 1878,
dans la salle Ventadour. A propos de la seconde partie de la Faust-Symphonie^
délicieux fragment dont le charme nous remplit d'une si douce ferveur
musicale, un des représentants les plus autorisés de la critique parisienne
écrivit cette phras3 : « Avec Marguerite, andante de la symphonie, nous
retournons dans les brouillards de la musique descriptive; l'auteur ne paraît
pas avoir voulu raconter l'histoire de Marguerite, mais faire son portrait;
cependant, je n'ose rien affirmer positivement, après une seule audition. »
Que Liszt n'ait pas voulu écrire symphoniquement l'histoire de Marguerite,
cela pouvait s'aflirmer avant l'audition; quant aux brouillards, ou serait biea
en peine d'en découvrir aujourd'hui dans le morceau alors si peu compris, et
qui nous paraît aujourd'hui d'une transparence extrême. Pasdeloup donna
l'œuvre en janvier 1883, au Cirque d'hiver. M. Edouard Risler, secondé par
M. Alfred Cortot, l'a interprêtée, salle Pleyel, en 1897. L'orchestre était
remplacé par deux pianos, mais en revanche, le chœur mystique n'était pas
78
LE MENKSTREL
sDpprimé. Cette tentative mérite d'être rappelée à l'iionneur de ceux qui l'ont
tentée. L'analyse psychologique de la Faust-Symphonie serait d'un grand
intérêt, mais elle demanderait une place dont je ne dispose pas ici. De Liszt
à Berlioz, on peut passer sans transition. L'air de Didon, des Troyens à Car-
thage, était jeté dans ce concert, n'ayant rien pour le préparer, rien pour lui
donner du prestige, si ce n'est le talent de M"<^ Gerville-Réache. Or, cette
jenne fille, chez laquelle des qualités précieuses d'organe, de l'intelligence et
un sentiment juste, cachent encore imparfaitement les lacunes d'un travail
hàtif, a su mettre en relief cet air, et l'impression qu'il a produite a été
profonde, irrésistible. Elle avait été un peu moins heureuse avec la délicieuse
Marine de Lalo et la Cloche de Saint-Saons. L'assurance et une diction aisée
et naturelle lui avaient m.anqué dans ces deux morceaux. L'orchestre a bien
rendu l'ouverture du Freischûiz et Huldir/ungsmarsch de 'Wagner, dans laquelle
OB retrouve des thèmes de Rienzi, de Tristan, des Maîtres Chanteurs, et où l'on
remarque un fragment utilisé plus tard dans la Marche de fête; M. Sechiari
s'est distingué en exécutant avec une belle virtuosité le Concertstûck de Saint-
Saëns. Aîiédée Bol'tarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en ré mineur (César Franck). — Ecce sa^erdos magnvs (P.
Vidal). — Concertsiiick iWeberj, par M. L. Delafosse. — Je reste avec toi (J.-S. Bach). —
Symphonie en mi bémol iHaydni.
Châtelel, concert Colonne, consacré aux œuvres de M, Massenet : Brumaire. — Arioso
du Moi de Lahore. par M. Jean Lassalle. — Phèdre. — A. Air d'Ère et B. Extase de la
Vierge, chantés par M"" Auguez de Montalant. — Méditation de Tlum, par M. Oliveira.
— Chant provençal, par M. Jean Lassalle. — Suite d'orchestre à'Esclannonde.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, dirigé par M. Chevillard : Ouverture du Fre!/.sc/HV;
(W'eber). — Deuxième concerto pour piano iTh. Dubois), par 31"" Kleeberg, — Troisième
acte de Siegfried (Wagner), par M"">" Chrétien-Vaguet et Gerville-Réache, MM. Imbart do
La Tour et Challet, — Marclic Iwngroise de la Damnation de Faust (Berliozj.
— Mardi 12 mars, à 8 heures et demie, salle Pleyel, musique de chambre,
troisième séance Ed. Nadaud. avec le concours de M""" G. Hainl, de IVfM. Cros-
Saint-Ange, Duttenhofer. JMigard et Nannv.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La commission du Reichstag allemand, qui est en train d'élaborer une
nouvelle loi sur les droits d'auteur, vient de prendre une décision fort impor-
tante; elle propose, eu effet, de prolonger à cinquante ans, comme en France,
la durée des droits d'auteur, qui est actuellement fixée en Allemagne à trente
ans seulement. On sait que la famille de Richard 'Wagner a fait de grands
efforts et a mis eu mouvement des influences extraordinaires pour arriver à
ce résultat, qui l'intéresse énormément. Car si la nouvelle loi ne modifiait pas
la durée des droits d'auteur, l'œuvre de Richard Wagner tomberait dans le
domaine public en 1913, juste cent ans après la naissance du maitre. Or,
l'œuvre de "Wagner est encore en plein rapport et les douze années qui s'é-
couleront d'ici à 1913 ne modifieront pas sensiblement les résultats de son
exploitation. Il faut aussi considérer que le théâtre de Bayreuth serait à peu
près perdu si tous les théâtres d'.\llemagne pouvaient jouer Parsifal.
— A l'Opéra royal de Berlin Faust vient d'arriver à sa 300' représentation.
C'est un fait fort rare de l'autre côté du Rhin, oii le répertoire doit changer
beaucoup plus souvent que chez nous.
— Les amis et les admirateurs du fameux pianiste Jules Schulholï, qui
habita longtemps la France et qui mourut à Berlin en 189S, se sont formés
en comité dans le but d'instituer un prix en argent consacré à sa mémoire,
qui portera son nom et qui devra être décerné annuellement au meilleur
élève de piano sortant du Conservatoire Stern, de Berlin.
— L'Opéra impérial de Vienne a célébré la semaine passée le centième
anniversaire de la première représentation de la Flûte enchantée à ce théâtre.
Jouée d'abord au théâtre an der "Wien sous la direction même de Mozart, le
30 septembre 1791, cet ouvrage a en eiîet été représenté pour la première fois
à l'Opéra impérial le 24 février 1801, avec la célèbre M™' Rosenbaum dans le
rôle de la Reine de la nuit. A l'occasion de ce jubilé, M. "Weltner, l'érudit
archiviste de l'Intendance générale des théâtres impériaux, a publié un tra-
vail curieux sur les représentations de la Flâle enchantée à l'Opéra de "Vienne.
L'ouvrage n'a pas fait rapidement son chemin. Ce n'est qu'en 1821 qu'il a été
joué pour la centième fois: il a fallu encore 25 ans pour qu'il arrivât, en
1846, à la 200= représentation ; la .300" n'a eu lieu qu'en 1870 et la 400'^ en 1893.
C'est maigre pour tout un siècle et pour une œuvre pareille! Parmi les artis-
tes qui ont successivement prêté leur concours aux représentations de l'Opéra
impérial nous rencontrons plusieurs noms célèbres et inattendus. C'est ainsi
que Johann Nestroy, le fameux comique et auteur dramatique, a chanté Sa-
rastro en 1821 ; les célèbres basses chantantes Staudigl et Karl Formes ont
également abordé ce rôle. Dans celui de Tamino nous rencontrons les célè-
bres ténors Franz "WUd, Erl et Ander, auquel Richard "Wagner avait attribué
pour Vienne le rôle de Tristan, mais qui mourut avant d'avoir pu l'aborder.
La Reine de la nuit a été confiée, en dehors de M""- Rosenbaum, déjà citée,
à M™™ Hasselt-Barth, Tietjens, lima de Murska et Marie "Wilt. Le rôle de
Paniina peut se vanter d'illustrations comme "Wilhelmine Schrœder, Hen-
riette Sontag, Sophie Lœwe, plus tard princesse Frédéric Liechtenstein, Tiet-
jens, déjà nommée, Meyer-Dustmann et Gabrielle Krauss. Dans les rôles des
trois fées de la reine ont paru M™* Cngher-Sabatier. Bettelheim, Materna
et Marie Wilt. Papagena a été jouée par M""* Henriette Treffss, qui
épousa plus tard l'auteur du Beau Danube bleu. Tagliana, Blanchi. Renard et
Standhartner-Mottl. En 1839 M"!^ Pauline Lucca, qui devait faire plus tard
une carrière si brillante, a débuté modestement dans le rôle d'un des trois
petits génies, après avoir été simple choriste.
— L'Opéra populaire projeté Vienne, dont nous avons déjà parlé, vient de
faire un grand pas vers la réalisation. A une réunion des adhérents qui a eu
lieu la semaine passée, on est tombé d'accord sur l'emplacement du nouveau
théâtre, qui est admirablement bien choisi, et sur les moyens d'action. L'ar-
chitecte qui est désigné pour la construction de l'Opéra assure qu'on pourra
l'inaugurer en octobre 1902. Quant au répertoire, le nombre de partitions
déjà jouées ailleurs avec succès et qui cependant ne peuvent arriver à forcer
les portes de l'Opéra impérial, est énorme. 11 y a là de quoi alimenter dix
saisons consécutives.
— L'Opéra royal de Munich annonce pour le 19 de ce mois la première
représentation du Petit duc étourdi, l'opéra-comique de M. Siegfried "Wagner.
— La question tchèque, qui donne tant de fil à retordre aux ministères
autrichiens, a trouvé une solution inattendue au théâtre de Prague. Le théâtre
allemand de cette ville a, en effet, joué un opéra écrit sur des paroles tchè-
ques par M. Karl Weiss et intitulé le Juif polonais, avec un succès marqué.
Les tchèques se sont rendus en masse au théâtre allemand, ce qui ne s'était
encore jamais vu, et ont applaudi à tout rompre; le compositeur a reçu des
couronnes aux couleurs tchèques et aussi aux couleurs allemandes.
— Un opéra inédit intitulé Durer à Venise, paroles de M, Adolphe Bartels.
musique de M. "W. de Baussnern, a été joué avec beaucoup de succès à
l'Opéra grand-ducal de "Weimar. Grand succès aussi.au théâtre municipal de
Brème, pour un opéra intitulé Gougaeline, paroles de M. O.-J. Bierbaum,
musique de M. Louis Thuille.
— On a célébré récemment à Stockholm le centenaire de la naissance du
compositeur Adolphe-Frédéric Lindblad, qui naquit le l" février 1801 et
mourut le 23 août 1878. Lindblad n'écrivit point pour le théâtre, mais il se fit
une grande renommée par quantité de chants suédois, dont il écrivait sou -
vent aussi les paroles et qui se faisaient remarquer par leur mélodie d'une
expression pénétrante, par leur harmonie savoureuse et par leur caractère
sincèrement national. Ces chants, que la célèbre cantatrice Jenny Lind, qui
fut son élève, interprétait d'une façon délicieuse, valurent à Lindblad le sur-
nom de « Schubert du Nord ».Le programme de la soirée donnée àsamémoire
était entièrement consacré à ses œuvres.
— Les publications sur Verdi commencent à se multiplier en Italie. Deux
ouvrages viennent de paraître : le Opère di Verdi, un gros volume qui a pour
auteur le compositeur Alfredo Soll'redini, ancien rédacteur de la Gaszetia
musicale de Milan, et Verdi, l'uomo, le opère, l'artisia, de M. Oreste Boni. Et
on annonce la prochaine apparition d'un livre de M. Italo Pizzi, professeur
de langues orientales à l'université de Turin. Celui-ci contiendra, parait-il,
des appréciations intéressantes de Verdi sur la musique allemande et le récit
de son ensommeillement ( addormentarsi ) à la première représentation de
Lohengrin.
— On lit dans le Carrière dei Teatri : « Adelina Patti, après s'être présentée
au public génois en décembre 1877, en jouant /a Traviata et le Barbier de Séville
successivement au théâtre Paganini et au théâtre Doria, retourna plus tard à
Gênes pour se produire dans Aida au Politeama. A cette occasion elle insista
vivement auprès de Verdi pour qu'il voulût bien l'entendre dans cet ouvrage,
qui était alors le dernier de l'illustre mailre. Verdi s'en excusa, surtout en
raison de son âge, qui dès cette époque était pour lui une ressource com-
mode. De fait, il était tout autre qu'indifférent à ce nouvel essai de la grande
artiste, et il déclara à ses intimes qu'il était assez curieux de savoir si la Patti
exécuterait véritablement une Aida... de Verdi. Il ne se rendit point à la
représentation, mais il y envoya son secrétaire Corticelli, en le chargeant
de l'informer. Et Corticelli rendit compte ensuite au maitre que l'Aida donnée
par la Patti était proprement de Verdi... avec quelques petites variantes, tin
sait, du reste, que la Patti, incomparable dans la Traviata, son grand cheval
de bataille, n'insista pas pour maintenir Aida dans son répertoire, et que dans
celle-ci eut lieu de se distinguer plus qu'elle son compagnon Nicolini, qui
fut un Radamès exceptionnel. »
— Un baryton qui jouait ces jours derniers, à Sienne, le rôle de Charles-
Quint dans Ernani, a trouvé un singulier moyen de rendre hommage à la
mémoire de Verdi. Dans la grande scène où il doit s'écrier : 0 summo Carlo!
il a changé le nom et a chanté : 0 sommo Verdi!...
— Les Anglais et les Américains n'ont pas, paraît-il, le privilège des idées
excentriques. Un Italien, M. F. Tonolla, directeur du journal il Teatro,
annonce qu'il ouvre un concours entre tous les compositeurs italiens et
étrangers, pour compléter un quatuor de Rossini dont il possède l'autographe.
Le concours sera clos le 30 juin prochain et comportera trois prix, consis-
tant en médailles d'or, d'argent et de bronze, avec diplômes, -Avis aux ama-
teurs.
— On a donné à Rome, sur le petit théâtre particulier du palais Altaemps,
trois exécutions d'un oratorio en deux parties du maestro Lucchesi, il Triotifo
di Giuseppein Egitto. Mais il paraît que l'interprétation, entièrement confiée à
des amateurs, a laissé considérablement à désirer.
LE MÉNESTREL
79.
— A Vercelli, les élèves de l'Institut hospitalier (les pauvres ont exécuté
une petite pièce musicale en deux actes, il Natale d'Airiguccio, écrite à, leur
intention par M. G. Piazzano, et qui a été bien accueillie, ainsi que ses
mignons interprètes.
— De Mnnte-Cario : Très vif succès pour Louis Diémer et le Concertstïick
dont il est l'auteur. On l'a acclamé aussi dans diverses pièces de Chopin.
Daquin, Haendel, Liszt et Massenet (Eau dormante et Eau courante).
— On nous écrit également de Monte-Carlo que M"<= Inez Jolivet, la bril-
lante violoniste, vient de se produire avec succès aux concerts du Casino.
Dans le 3= concerto de "Wienia\Yski elle tut fort applaudie par le public.
— Au Savoy-Théâtre de Londres ont commencé les répétitions de l'opéra
posthume de sir Arthur Sullivan, qui est intitulé l'Ile d'émeraude et dont l'action
se passe en Irlande. L'œuvre passera après Pâques. La partition a été termi-
née par M. Edward German.
— Un ingénieur de Chicago, dont la femme est médecin, s'est trouvé sou-
vent dans l'obligatinn de s'occuper lui-même de son Gis, âgé de quelques mois,
pendant les absences professionnelles du docteur-mère. Comme le petit ne
se tenait tranquille qu'autant qu'il était bercé et qu'on lui chantait certaine
berceuse, le père ingénieu.x inventa un appareil qui, accroché à un commuta-
teur, mettait en mouvement le berceau et faisait marcher en même, temps un
phonographe qui chantait la berceuse favorite de son rejeton. Non content
d'avoir ainsi réduit réleclricité au rùle de nourrice sèche, l'ingénieur a aussi
pensé à ses enfants à venir en faisant construire un nouvel appareil électrique
qui fait sortir le lait d'un biberon et approche un petit récipient destiné aux
fréquentes éliminations physiologiques d'un petit enfant. Une difficulté cepen-
dant existe encore: l'enfaut devrait savoir presser le bouton en temps utile. Ce
problè-me, qui n'est plus du ressort de l'ingénieur, est actuellement étudié par
sa femme; il est cependant peu probable qu'elle en trouve la solution.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Sur la proposition qui lui en avait été faite par la commission supé-
rieure de l'enseignement au Conservatoire, M. le ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts a nommé M. Antonin Marmontel titulaire d'une
classe de piano dans ladite école, en remplacement de M, Raoul Pugno,
démissionnaire. Peu de nominations ont été plus sympathiquement accueillies
que celle de M. Marmontel, qui fait figurer à nouveau dans l'enseignement
du Conservatoire un nom justement célèbre. Où le père a passé passera bien
etdignement le fils, dont les preuves d'ailleurs sontdéjà faites depuis longtemps.
— La cérémonie commémorative en l'honneur de Yerdi a eu lieu à la date
annoncée, jeudi dernier, à la Sorhonne. Dès deux heures, le grand amphi-
théâtre était tellement rempli, enceinte et tribunes, qu'il eût été impossible
d'y trouver la moindre place. L'orchestre était placé sur une estrade, au-dessus
de laquelle, environné de palmes, s'élevait un buste colossal de Verdi, œuvre
de M. CernigUari-Melilli. A deux heures un quart, le cortège officiel fait son
entrée aux sons de la Marseillaise, exécutée par la musique de la Garde répu-
blicaine et écoutée debout par les assistants, ainsi que la Marcia reale. Puis, l'or-
chestre de l'Opéra fait entendre l'ouverture des Vêpres Siciliennes, et M. Georges
Leygues, ministre de l'instruction publique, parlant au nom du gouverne-
ment français, lit un discours bref, solide, dans lequel il fait l'éloge du
maître illustre auquel cette cérémonie est consacrée. M. Delmas, dont le
succès a été très grand, vient chanter ensuite, de sa voix et avec son style
superbes, l'air d'Iago dans Olello. C'est alors le tour de M. Gustave Larroumet,
représentant l'Académie des beaux-arts, qui lit un nouveau discours, un
nouvel éloge de Verdi, qu'il termine, on ne sait trop pourquoi, par un double
hosannah à Verdi et à... Wagner. Peut-être, en ce cas, eùt-il été de bon
goût au moins de ne pas oublier si complètement la France et de prononcer
le nom de Gounod. Mais c'est égal, qu'est-ce que Wagner allait faire dans
cette galère?... On a entendu ensuite la Prière à la Vierge (paraphrase de
Dante), dernière composition de Verdi, quatuor pour voix de femmes, sans
accompagnement, chanté par M"'^ Ackté, Grandjean, Héglon et Flahaut, et
qui peut-être eût eu besoin d'une répétition supplémentaire. Il n'importe,
l'œuvre est d'un style très pur, et l'auditoire l'a redemandée avec insistance,
en applaudissant vigoureusement ses interprètes. M. Clovis Hugues est venu
ensuite lire une poésie ; Hommage à Verdi, dont les vers sonores et pleins
d'enthousiasme ont produit sur l'assistance une impression qui s'est traduite
en applaudissements vigoureux et prolongés à l'adresse du député-poète.
Puis l'orchestre de l'Opéra a joué la superbe Marche A'Aida, la Garde répu-
blicaine a exécuté deux fantaisies sur i Due Foscari et sur le Trouvère, après
quoi M. Raqueni, vice-président du comité de la ligue franco-italienne, est
venu remercier la France du bel hommage qu'elle venait de rendre à Verdi,
et donner lecture de la dépêche adressée au ministre des beaux-arts italien
pour lui rendre compte de cette mémorable séance. Celle-ci a pris fin sur une
nouvelle exécution de la Marseillaise.
— Revu Astarté à l'Opéra, cette fois de face. Mais ne voilà-t-il pas qu'on a
doublé les jupes de ces dames et qu'on y a multiplié les nœuds pudiques et
protecteurs. Et du coup l'œuvre a perdu sa principale attraction auprès d'un
certain public. La présence de M. Affre, qui a succédé à M. Alvarez dans le
rôle d'Hercule, suffira-t-elle pour relever les choses ? Remarqué un nombre
incalculable d'escaliers au milieu des décors. On en a mis dans tous les
taileaux, et ils montent toujours plus haut à mesure que l'action progresse.
C'est un opéra en cinq étages. Et pas d'ascenseur !
— A l'Opéra, toujours, on poursuit activement les études du Roi de Paris,
de M. Georges Hue, sur le Livret de Louis Gallet et Henri Bouchut. Cet
ouvrage, qui ne compte qne quatre personnages, est d'une action très rapide
et ne durera gnère que deux heures ; le spectacle sera donc complété avec
un des ballets du répertoire. Gageons que ce sera la Maladetla. Le seul rôle
féminin, primitivement destiné à M"= Bréval, actuellement en villégiature
américaine, aura pour interprète M™" Bosman.
— Les décors ayant été rapidement réparés et remis à neuf, l'Opéra-
Comique a pu reprendre dès cette semaine les représentations de la triom-
phante Louise, qui a retrouvé de suite ses fidèles et chaleureux partisans.
Vendredi, c'était la 101", et aujourd'hui dimanche on donne la 102=.
— L'Opéra-Coraique fixe au mercredi 13 mars la première représentation
(reprise) de Mireille, opéra en sept tableaux, tiré du poème de Mistral par
Michel Carré, musique de Ch. Gounod. La répétition générale aura lieu le
lundi 11. dans l'après-midi. — On commence â s'occuper de la distribution
de la Troupe Jolicœur de MM. Henri Cain et Arthur Goquard.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, la
Basoche, le Chalet; le soir, Louise (102» représentation).
— M. Massenet a fait jeudi une très courte réapparition à Paris, venant du
ilidi, mais pour se diriger de suite sur Tournai, où on doit exécuter son
nouvel oratorio la Terre promise. Il ne pourra donc assister aujourd'hui au
concert que donne M. Colonne en l'honneur de ses œuvres.
— C'est le IS mars que l'orchestre des concerts Colonne donnera, sous la
direction de son chef, son premier concert à Berlin.
— Nos nouvelles colonies no veulent pas se priver du plaisir du théâtre. On
sait que depuis longtemps déjà il en existe un à Saigon. Hanoï se prépare à
avoir le sien, et la municipalité de cette ville va commencer incessamment
l'édification d'une salle de spectacle dont le prix atteindra bien près d'un mil-
lion. Les plans sont terminés et approuvés. Ce théâtre, qui pourra contenir
huit cents spectateurs, aura une installation conçue d'après les agencements
les plus modernes en matière do machinerie. Les plus sérieux efforts vont
être tentés pour que la construction puisse être achevée au moment de la
grande Exposition d'Hanoi, c'est-à-dire â la fin de 1902. Peut-être est-ce là
l'un des meilleurs moyens de répandre la langue française parmi nos nou-
veaux sujets.
— M. Albert Soubies continue, à l'aide de ses élégants petits volumes, son
voyage musical historique â travers les diverses contrées de l'Europe. Le
dernier est consacré à la Hollande, et vient faire suite à ceux que l'auteur
nous a donnés déjà sur le Portugal, la Hongrie, la Bohême, la Suisse,
l'Espagne et la Belgique. Celui-ci mérite le même sort que ses aînés, et il
sera certainement aussi bien accueilli par le public.
— Mme Andrée-Louis Lacombe a quitté Paris cette semaine, se rendant
à Sondershausen pour assister aux dernières répétitions de Die Wasser Kœni-
gin (ta Reine des Eaux), un des opéras posthumes de Louis Lacombe. dont la
jolie capitale de la principauté de Schwarzburg-Sondershausen va avoir la
primeur. On se rappelle que Wtnkelried fut joué également, et avec succès,
dans plusieurs villes de cette Allemagne, décidément plus hospitalière aux
œuvres du maître disparu que sou pays d'origine.
— La matinée donnée mardi dernier par M'"'^ Marchesi, pour l'audition
des œuvres de MM. Charles Lenepveu et Paul Vidal, a été extrêmement inté-
ressante. On y a entendu de jeunes et charmantes artistes, M"'^ Ada Adams
(Chicago), Lou Ormsby (Omaha), Elisabeth Parkinson (Kansas-City), EUen
Beach Yarv (San Francisco), ainsi que M™^ Florence Rivington et Maggie
Sterling, toutes deux de Melbourne, qui font le plus grand honneur, comme
voix et comme style, à leur éminent professeur, et qui ont obtenu de vifs
applaudissements. Parmi les morceaux qui ont valu à leurs auteurs le plus
grand succès, il faut signaler la charmante Chanson de l'arquebusier, de
M. Paul Vidal, dite à ravir par M"= Yarv, « l'arioso et extase » de Jeanne
d'Arc, belle composition de M. Lenepveu, chantée en perfection par M"'= Par-
kinson, une future étoile, dont l'adorable voix de soprano est soutenue par
un style d'une rare pureté. Son succès a été éclatant. M. LalEtte, de l'Opéra,
a contribué par son beau talent, â l'éclat de cette matinée, dont le public
très choisi a fait une ovation aux deux auteurs, qui accompagnaient eux-
mêmes leurs œuvres.
— De Lyon : Au o" concert de l'Association symphonique, le maître pia-
niste Raoul Pugno a interprété de magistrale façon le 3'= concerte de
Beethoven et son Concertslûck, d'une si originale facture. Rappelé d'.acclama-
tion, l'éminent artiste a ajouté au programme la 13' rapsodie Je Liszt, enlevée
avec une verve prestigieuse. L'orchestre a interprété, sous la direction de
M. Jemain, la Forêt enchantée de Vincent d'Indy. qui a beacoup plu, avec ses
rythmes énergiques et ses curieuses recherches instrumentales, — et sous
celle de M. Mirande l'ouverture de la Flûte enchantée de Mozart et le cortège
de Bacchus de Sylvia. M. F. de la Xombelle a dirigé lui-même sa Suite
d'orchestre Livre d'images, œuvre aimable et de mélodies fraîches et bien
venues. M. Faudray, violon solo de l'orchestre, a l'ait applaudir un style
sobre et une grande pureté de son dans le prélude du Déluge de Saint-Saëns.
-— Le festival organisé à Toulouse pour les œuvres de Théodore Dubois a
eu le plus grand succès : « Planté, nous écrit-on, a été plus prestigieux,
plus merveilleux, plus étourdissant que jamais I II a eu des trouvailles de
sonorités, de finesses, de charme, étonnantes, géniales!... » Il a exécuté le
premier concerto de Dubois, qui lui est dédié, « si classique de style et si
80
LE MENESTREL
moderne de senti.nent ». Puis ce furent tes Abeilles et V Impromptu encore inédit
et des pièces de Chopin, de Brahms, de Liszt, qui ont achevé de mettre la
salle en délire. On a fini par le Baptême de Clovis, dont l'exécution a été
superbe. Bref, le succès a été tel que dès le lendemain il a fallu donner une
deuxième audition du programme tout entier.
— M. I. Philipp vient de prendre part à un des concerts populaires de Lille.
Son succès a été très grand. Des deux œuvres nouvelles interprétées par lui,
concerto de Rimsky-Korsakow et Suite pour piano et orchestre de Paul
Lacombe. c'est cette dernière que le public a semblé goûter tout particuliè-
rement. Rappelé plusieurs fois, M. Philipp a joué, avec une étincelante vir-
tuosité, les Feux follets tirés de ses Pastels. L'orchestre a fait entendre, sous
la direction habite de M, Ratez, l'ouverture à'Egmont, la marche de fiançailles
de Lohengrin et Deux pièces de I. Philipp, orchestrées par Charles Malherbe.
— De Cannes : La soirée donnée en l'honneur de l'archiduc et de l'archidu-
chesse d'Autriche par le comte et la comtesse Vitali a brillamment réussi.
Parmi les grandes attractions : les Bergerettesda XVIII' siècle de Weckerlin, et
les Cftansons d'aïeutes, interprétées en costume parl'excellent baryton Jean Ron-
deau et la grtcieuse M"= Williams, et commentées avec esprit par 'M. Perge-
line. Parmi les plus applaudies ; Au bord d'une fontaine, Bergère légère, l'Amour
au mois de mai, le Chant de il. de Charrette, Maman, dites-moi, l'Amour est un
enfant trompeur. On a fait fêle aussi à M"" Telma. Au piano M. Albert
Frommer.
— La petite ville de Fougères vient de se donner le luxe d'un opéra-comi-
que inédit en un acte, les Dettes de Margot, dont la première représentation a
eu lieu le 10 février. Les paroles de ce pelit ouvrage, qui a été très bien
accueilli, sont de M. Lionel Bonnemère, la musique de M. Louis Nicole, qui
dirigeait en personne l'exécution de son œuvre. Les interprètes étaient
M™ Paul Diey, MM. Gouze et André Dousser.
— La Société des « Matinées artistiques populaires » dirigée par M. Jules
Danbé organise pour mercredi prochain, à 4 heures, une séance extraordi-
naire qui sera donnée au bénéfice de l'Association des Artistes musiciens, avec
l'obligeant concours de la vicomtesse de Trédern, M"» Augusta Holmes,
M"° Caroline Pierron (de l'Opéra-Comique), M"*" Lormont et Yvonne de
Saint-André, MM. W. Chaumet, le comte do Gabriac, R. Le Lubez, Morel
et Catherine. Le prix des places ne sera pas augmenté. — S'adresser, pour
la location, au bureau du théâtre de la Renaissance.
— Soirées et concerts. — Excellente matinée musicale chez M"" Toutain, consacrée à
l'audition d'œuvres de Widor. On a applaudi M"» Demougeot, M. Féline et M"° Juliette
Toutain avec qui le maître a joué la Suite à deux pianos sur Conle d'Avril. — Intéressante
audition des élèves de M""" Le Gris parmi lesquelles on remarque M"" R. L. [Rigaudon,
Dedieu-Peters), C. R. (Le VUrail, Dubois), J. G. (Alléluia d'amour, Faure), G. C. (Paul
et Virginie, Cramer-Massé) et A. S. [iVoël païen, Slassenet). — A la dernière séance de
« la Trompette», M"" Bertrand-Hertzog s'est fait vivement applaudir dans l'air de la Flûte
enchantée et dans des mélodies de Berlioz et de Schubert. — Au concert donné par la
charmante harpiste M"" Ada Sassoli, salle Erard, on a grandement fêté M""" Parkhinson et
Ornsby dans les duos de Lahné et de Cendrillon. — A la dernière matinée dominicale de
la Bodiniêre consacrée à llussetet à Chopin, 11"" J. Delage-Crat a fait app'audir son beau
talent de pianiste en exécutant quatre œuvres caractéristiques de ce maître. — L'excellent
violoniste Ladislas Gorski vient de donner, salle Erard, un concert devant un auditoire
aussi nombreux que choisi. Le concert en ;j!i majeur de J.-S. Bach, la Romance de Richard
"Wagner et plusieurs autres morceaux, parmi lesquels les Variations de Paganini, surchar-
gées de difficultés, et un Boléro de Moszknvski, ont fourni à M. Goraki l'occasion de te
distinguer de nouveau par l'ampleur et la pureté du son qu'il sait tirer de son instru-
ment et par sa virtuosité aussi hardie qu'impeccable. M. de Stojowski a été couvert d'ap-
plaudissements après sa brillante interprétation des Papillons, de Schumann ; il a aussi
accompagné sa belle mélodie : Pleure mon dîne, que M"" Delna a fait bisser. — Samedi
dernier, audition très réussie d'œuvres de Bourgault-Ducoudray dans l'atelier du peintre
Monchablon. Au programme figuraient des compositions vocales et instrumentales du
coloris le plus varié, qui furent chaleureusement applaudies ; une berceuse en quintette,
une K suite d'airs gallois » pour quatuor à cordes et tlùte; des pièces en solo pour piano,
violoncelle, violon et flûte, admirablement exécutées par M"" Gabrielle Monchablon et
Marguerite Chaigneau et MM. Dultenhofer et Blanquart. La partie vocale était brillam-
ment représentée par M"" de Saint-André, l'interprète merveilleuse des « mélodies grec-
ques » et M"* Deville, contralto doué d'une fort belle voix. — M"" Marthe Girod, qui a
donné un récital à la salle Erard, est une pianiste qui unit à une haule intelligence
musicale des qualités techniqiies exceptionnelles ; c'est une vraie virtuose. Ses interpré-
tations de la sonate les Adieux de Beethoven et des Papillons de Schumann sont vérita-
blement de captivantes manifestations d'art. L^ public a chaleureusement témoigné son
plaisir à la jeune artiste dont le programme comprenait encore deux pièces de Chopin, les
Bûefierons de Théodore Uuboij et une œuvre nouvelle de M. Léon Sclilésinger, Delfl.
— Concerts an.nongés. — Le jeuli 21 mars, à 3 heures précises, salle Hoche, matinée-
concert donnée par Adolphe Maton, avec le concours de M""' de Tredern, Renée Richard,
.Chrétien-Vaguet, Georges Marty et de MSI. Vaguet, Challet, Francis ïhomé, Millot, Tou-
che et Coquelin cadet.
NÉCROLOGIE
I ps-TEX^ :Bm^oiT I
On nous télégraphie d'Anvers la nouvelle, malheureusement fondée cette
fois, de la mort du compositeur Peter Benoit, à laquelle on devait s'atten-
dre depuis quelques semaines déjà. Pierre-Léonard-Léopold Benoit est né à
Harlebeke (Flandre occidentale) le 17 août 1834. Ses parents, humbles arti-
sans, voulaient en faire un peintre, mais la musique exerçait un attrait irré-
sistible sur l'adolescent. Il se rendit à Bruxelles vers 1830 et y suivit les cours
du Conservatoire. En lSo7 il obtenait avec sa cantate la Mort d'Abel le grand
prix de composition, qui lui permit d'entreprendre, aux frais du gouver-
nement et pendant quatre années, des voyages d'éludés. Il séjourna à P.ome
et passa quelque temps en Allemagne qui répondait à l'idée qu'il avait déjà
conçue d'une rénovation de l'école musicale flamande à l'aide des vieilles
mélodies nationales. C'était, en somme, la même doctrine que les musiciens
néo-russes ont pratiquée avec le succès qu'on connaît. Peter Benoît l'a exposée
dans une brochure, envoyée d'Allemagne à l'Académie royale de Belgique
sur r « Ecole de musique flamande et son avenir ». Mais cet avenir était
encore éloigné et Peter Benoit trouva si peu d'encouragement dans sa patrie
qu'il partit en 1861, pour Paris. Il emportait la partition du Roi des Aulnes,
un opéra qu'il voulait donner au Théâtre-Lyrique, mais qu'il ne put faire
recevoir. Pour vivre, Peter Benoit dut accepter la direction de l'orchestre
des Bouffes -Parisiens, qui avait alors pour directeur Jacques Offenbach.
Cette occupation aussi peu en rapport avec son talent et ses visées artistiques
qnejadis les fonctions de Massenet et de Goldmark, l'un timbalier, l'autre
violon d'un théâtre d'opérettes, ne l'empêchait cependant pas d'écrire de
bonne musique religieuse, des motets, et notamment une Messe, un Te Deum et
un Requiem. Après son retour en Belgique, en 1863, il fit jouer des composi-
tions terminées à Paris et attira sur lui l'attention du public par sa propa-
gande tendant à fonder un art national et aussi par ses œuvres: plusieurs
concertos pour piano et flûte, l'oratorio flamand Lucifer (1866), l'opéra Isa
et l'oratorio l'Escaut (1867), le drame religieux l'Église militante, souffrante et
triomphante et la cantate la Guerre (1873). Fixé depuis 1867 à Anvers, capitale
de la Belgique flamande, Benoit y fonda une école de musique devenue vile
le centre du mouvement musical flamand. Il ne cessait d'ailleurs pas de pro-
duire. Son drame lyrique Charlotte Corday, bien différent du petit opéra le Vil-
lage dans les montagnes qu'il avait fait jouer à Bruxelles en 1SS6, sa cantate
Rubens (1877), ses cantates patriotiques la Muse de l'Histoire, les Faucheurs, les
Neuf Provinces (1880), la Colonne du Congrès et sa ravissante Cantate pour en-
fants (Kinierkantat) exécutée en 1883 au parc de Bruxelles par 1400 enfants,
son oratorio le Rhin et une grande quantité de mélodies, chants et ballades
que le défunt baryton Blauwaert a fait en partie connaître à l'étranger, notam-
ment en Autriche et en Allemagne, ont établi la grande réputation artistique
de Peter Benoît, même en dehors de sa petite patrie. A ce bagage considé-
rable il faut ajouter quelques écrits du domaine de la musicographie et ses
plaidoyers pour la fondation d'un Conservatoire flamand à Anvers. Peter
Benoît eut, il y a deux ans, la grande satisfaction de voir son école de mu-
sique transformée en Conservatoire national par un vote des Chambres belges
et d'être placé à la tète de ce Conservatoire. Malheureusement, il ne devait
pas jouir longtemps du triomphe de la cause à laquelle il avait voué sa vie;
une maladie implacable, qui le minait depuis quelque temps déjà, l'a enlevé
à la tâche qu'il poursuivait avec une ardeur encore toute juvénile. Son œuvre
est cependant solidement fondée, et il ne dépend que des jeunes talents fla-
mands d'en tirer partie en l'honneur de l'art musical de leur petite patrie,
dont la grande gloire dans le domaine de la peinture reste impérissable.
0. Bn.
— Lundi dernier est mort à Asnières, à l'âge de 73 ans, un auteur drama-
tique bien connu, Adolphe Jaime (de son vrai nom Gem), fils d'un écrivain
de théâtre lui-même très fécond, Ernest Jaime. On lui doit près d'une cen-
taine de pièces, écrites pour la plupart en collaboration et représentées dan^
un grand nombre de théâtres. Il s'est surtout prodigué dans le genre de
l'opérette, où il obtint de grands succès. Il fît avec Offenbach Dragonette,
Croquefer ou le Dernier des Paladins, Geneviève de Brabant, une Demoiselle en
loterie, les Vivandières de la Grande-Armée, avec Hervé le Petit Faust, les Turcs,
le Trône d'Ecosse, avec Léo Delibes l'Écossais de Chatou, la Cour du roi Pétaud,
avec M. Emile Jonas les Petits Prodiges, avec M. Léon Vasseur la Timbale d'ar-
gent, la Petite Reine, avec M. Serpette la Branche cassée, etc.
— De Liège, où il était né en 1824, on annonce la mort du baryton Sébas-
tien Carman, l'un des membres et le dernier survivant du fameux trio belge
"Wicart-Carman-Depoitier, qui durant dix années fit fureur au théâtre de la
Monnaie de Bruxelles. Il avait quitté cette ville pour retourner et se retirer
à Liège, sa ville natale, où il se livra à l'enseignement et où il devint profes-
seur d'une classe de déclamation lyrique au Conservatoire. On cite parmi ses
élèves quelques-uns de nos artistes actuels, M'" Flahaut, de l'Opéra, MM. Ma-
réchal et Delvoye, de l'Opéra-Comique. Sébastien Carman était le père du
compositeur Marius Carman.
— De Milan on annonce la mort, dans des conditions particulièrement pé-
nibles, d'un jeune musicien nommé Carlo Cossa,àgé seulement de 17 ans. Le
pauvre enfant, qui avait voulu jouir pleinement du spectacle du transport des
restes de Verdi, le 27 février, était grimpé sur un arbre, d'où il tomba en se
faisant à la tête une blessure terrible. Le soir même il cessait de vivre.
Henri Heucel, directeur-gérant.
Viennent de paraître :
Chez E. Fasquelle, Lettres à la Fiancée (1820-1822), œuvre posthume de Victor Hugo,
avec deux portraits et un autographe (7 fr. 50).
Chez OUendorf, Claudine à Paris, par Willy (3 fr. 50).
Chez Calmann Lévy, la 35° édition de Acteurs et Actrices de Paris, théâtres nationaux
subventionnés, par Adrien Laroque (Emile Abraham) (0 fr. 50).
L^PAIMERIE (
, 20, 1
. — (Encre LoriUcui).
Dimaoehe 11 Mm 1991.
3651. - 67- AMEE - N° 11. p^RAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2^, rue Vivieime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
lie Ilamépo : 0 fy. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le HuméFO : 0 îr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Ohant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en bus.
SOMMAIRE-TEXTE
l. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (3" article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : reprise de A/iVei^ie à l'Opéra-Comique, Arthur Pougin; reprise
de Patrie à la Comédie-Française, H. Moreko; première représentation des Amants de
Sazy au Gymnase, P.aul-Émile Chev.vlier. — III. Le théâtre et les spectacles à l'Expo-
sition (21" article), Arthur Pougis. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
DANSE GALICIENNE
de Théodore Lagk. — Suivra immédiatement : Pastorale du XVIl" siècle, trans-
cription pour piano de A. Périlhou.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Pastorale du XVII'^ siècle, n"3 des Chants de France harmonisés par A. Périlhou.
— Suivra immédiatement : Avril est amoureux, nouvelle mélodie de J. Mas-
SENET, poésie de Jacques d'Halmont.
L'ART MUSICAL ET SES IiNTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les fflémoires les plus récents et fles flocuments iDéflits
(Suite.)
II (suite)
La véritable biographie de Jélyotte. — Un commis manqué. — Ménages de grands
seigneurs et d'artistes. — Jélyotte ambassadeur matrimonial. — Collections et
travaux d'un ténor aux champs. — Dernières heures de Jélyotte.
La biographie, jusqu'alors fort courte du premier chanteur de
l'époque — j'ai nommé Jélyotte — est aujourd'hui mieux connue
et moins incomplète, grâce aux Souvenirs (1) si curieux et si
piquants de Dufort de Gheverny, introducteur des Ambassadeurs.
Ce personnage frotté de noblesse, qui tenait, de par ses alliances,
ses amitiés et sa fortune, à tous les mondes d'une société aussi
aimable que brillante, professait la plus vive affection et la plus
profonde estime pour Jélyotte. Déjà ses Mémoires ont permis de
fixer exactement des dates jusqu'ici peu précises dans la vie du
célèbre artiste. Né le 13 avril 1713 (2), Jélyotte mourut, non pas
en 1783, comme le dit Fétis, mais en 1797.
Neveu d'un chanoine de Toulouse, enfant de chœur et attaché
(1) Dufort comte de Cheveiinï, Mémoires sur les règnes de Louis XIV et Louis XV
et sur la Révolution (introduction et notes par Robert de Crèvecœur). E. Pion, 1880.
(-2) Nous reproduisons, d'après Dufort, les cbilTres et les dates concernant Jélyotte.
aux archives du chapitre, il fut emmené à Paris par un grand
seigneur que sa voix avait charmé et qui voulut faire la fortune
du jeune virtuose.
Jélyotte débuta vers l'âge de 17 ans à l'Opéra; et jusqu'en
1756, époque de sa retraite, son succès alla toujours en crois-
sant.
C'est du moins Dufort de Gheverny qui l'affirme. Toutefois, un
incident imprévu faillit interrompre la carrière de l'artiste. Au
dire des Nouvelles de la Cour et de la Ville, l'intendant des finances
Fagon, flls du premier médecin de Louis XIV, avait proposé en
1738 à Jélyotte un emploi de quatre mille livres en province :
c'était une place de commis. Le ténor de ce temps-là, car notre
chanteur- avait « le timbre d'une haute-contre parfaite », ne
touchait pas des cachets quotidiens de dix mille francs ; Jélyotte
avait débuté à 2.100 livres par an ; et ses appointements ne dépas-
sèrent jamais cinq mille. Donc l'offre de Fagon était séduisante,
d'autant qu'à cette époque l'Opéra, toujours fort obéré, ne payait
pas très exactement ses artistes. Heureusement Jélyotte repoussa
les présents d'Artaxerce.
Son éducation musicale se fit avec une certaine lenteur. Le
journaliste de la Cour et de la Ville, qui ne paraît pas manquer
de compétence en la matière, disait que depuis 173S les
« cadences » de Jélyotte s'étaient fort adoucies et que « sa voix
ne venait plus du nez, mais de la gorge ».
Dufort de .Gheverny le proclame « le premier chanteur de
l'Europe » et « les délices de la Cour et de la Ville ». Quand il
paraissait, s'écrie cet ami enthousiaste, c'était un silence reli-
gieux dans toute la salle. Certaines notes chez lui avaient « le
son d'une cloche d'argent». Sa diction était très nette et très
distincte . Mais sa voix avait une telle puissance qu'elle couvrait
les chœurs du Zoroaslrede Rameau. Tout Paris courait l'entendre
dans le Pygmalion du même auteur, alors que Jélyotte, au milieu
des grondements du tonnerre, lançait son fameux : « Ciel! Thé-
mire expire dans mes bras ! »
Ce n'était pas qu'il eût toutes les séductions. On sait que les
ténors ont parfois à se plaindre de dame Nature. Jélyotte, lui,
était petit et mal fait, mais ses yeux jetaient des flammes. Il
avait un caractère aimable et doux; et les succès de tout genre
qu'il rencontrait dans les rangs de la haute société ne le ren-
daient ni aussi vain, ni aussi fat que le prétendent ses contem-
porains. Il vivait dans l'intimité de la duchesse de Luxembourg
et du prince de Conti : dans le fameux tableau du Thé à r Anglaise,
représentant une soirée au Temple, c'est lui que le peintre
nous montre, assis devant le clavecin. A Ghantelou, le superbe
château où le duc de Ghoiseul donna si longtemps à la France
le spectacle de sa fastueuse disgrâce, Jélyotte fut toujours traité
sur le pied de l'égalité.
II était la joie des soupers mondains quand il y chantait ses
plus remarquables duos avec Lagarde, une basse profonde. On
&^
LE MES^Mt
sait le mot pijêté;par les Mémoires du marquis d'Argenton au duc-'
de' la 3'aUière, le_jour__où la femme _de ce grand seigneur -
« renvoya » l'amant qui avait cessé de plaire : — Quoique vous._
ne soyez plus des amis de ma femme, dit le duc à Jélyotte, j'en-î^
tends que vous ne cessiez d"ètre des miens : nous vous aurons
quelquefois à souper.
L'heureux mortel q-ui avait su résoudre le problème, considéré
toujours comme insoluble, d'être chéri des dames et ... accepté
des maris, eut le bon :sens fort rare chez les ténors de vouloir
quitter le public' avant d'être quitté par lui. Il songea donc à
prendr-e sa retraite en '170.3. Ce fut un deuil général à la Cour.
Pour que Jélyotte restât encore deux ans à l'Opéra, ses abonnés
convinrent de réunir entre eux un capital de cent mille -livres
qui-assurerait un revenu annuel de dix mille, à l'artiste. Nous
ignorons si cette combinaison réussît; ce qui -est certain; c'est
que Jélyotte se retira en iloU. disent ses biographes, en 1736,* ,
ai'ssureDufort de Cheverny. Le chiffre exact de sa pension de
retraite n'est guère mieux connu, 1.200 livres, prétendent les
uns, 2,300 affirment les autres. En tout cas, ce n'était pas sa
seule ressource, comme le déclare l'un d'entre eux. Dufort de
Gheverny réduit à néant ces allégations par les renseigneœen'ts
qu'il tient de l'intéressé même. Jélyotte, loin d'être dans la
misère, avait une très respectable fortune, grâce à certaine part
que le financier La Borde, son obligé, parait-il, lui avait déléguée
sur l'ensemble de ses opérations. 11 avait une belle propriété à
Oloron, où il devait passer le reste de ses jours et où ses goûts
éclairés de bibliophile avaient su former une magnifique
bibliothèque composée de partitions et d'ouvrages italiens.
En quittant l'Opéra, il y laissait non seulement le renom d'ar-
tiste hors pair, mais encore la réputation fort enviée, quoique
moins glorieuse, d'homme à bonnes fortunes.
Par respect sans doute pour la mémoire de son ami, Dufort de
Cheverny glisse légèrement sur des aventures galantes qui
étaient connues de tous. Il ne parle pas davantage d'un épisode
de cette vie si tourmentée, qui date de 1760 et que nous avons
retrouvé dans un manuscrit de la bibliothèque Sévigné, con-
sacré à la biographie des fermiers généraux. L'un d'eux, Le Riche
de la Pouplinière, protecteur des arts et des artistes, avait perdu
sa femme, qu'il avait surprise certain jour — et l'anecdote est
restée célèbre — avec le maréchal de Richelieu, pénétrant dans
l'appartement de la belle par la plaque mobile d'une cheminée.
Mais laissons notre auteur anonyme raconter les services rendus
au fermier général par Jélyotte qui chantait dans les concerts de
la Pouplinière.
« ... Le ciel venoit enfin de débarrasser le sieur Le Riche du
» soin de payer la pension de sa chaste moitié dans un couvent,
» en la retirant de ce monde, bien repentante, dit-on, d'avoir
» manqué à un si bon mari. On s'attendoit qu'il goùteroit, le
» reste de ses jours, les douceurs du veuvage! Non, il n'a point
» senti le bonheur de son état, et, abusant de la grâce que ce
» même ciel lui avoit faite, il a voulu encore courir les risques
» sur la mer orageuse d'un second hymen avec mademoiselle de
» Mondran, fille d'un capitoul de Toulouse.
» Deux gens à talents, savoir un ex-chanteur (Jélyotte), et un
» violon (Mondonville), de l'Opéra, ont été les entremetteurs de
» ce bizarre engagement d'un homme de soixante-dix ans avec
» une jeune et belle fille de vingt, pleine d'esprit, de mérite, de
» beauté, de grâce et douée de la plus belle voix qu'il y ait en
r France.
» EUe a été aimée et fiancée du marquis de Sallegourde, con-
» seiller au parlement de Bordeaux.
» Ce mariage a été rompu, et celui-ci noué en sa place par
y ambassadeur.
» Les conjoints ne s'étoient jamais vus. Orphée et Amphion
» ont tant vanté à Plutus les mérites et la voix de la Toulousaine,
» que sur leur rapport, à l'imitation des souverains, il l'a
» épousée par procureur. Ils ont été ses ambassadeurs, ayant
» été par lui députés pour l'aller quérir en son pays, la lui
» amener pour consommer cette belle affaire.
» Il n'a pu é\iter le sort de Vulcain n'étant point vieux; il doit
» regarder comme un miracle- s'iléchappe étant septuagé-
» naire .
, » Ce mariage a été annoncé dans les gazettes comme ceux des
» têtes couronnées et grands seigneurs » (1).
Geitte historiette n'est pas inventée à plaisir. Jélyotte connais-
sait assez la famille de Mondraai pour se croire autorisé à une
démarche qu'avait pu réclamer de sa gratitude le fermier général.
Les Mémoires d'un frère de M""' de la Pouplinière, le chanoine
■ tle Mondran, que nous avons également découverts à la Biblio-
thèque Sévigné, témoignent des relations amicales de Jélyotte
avec la famille du capitoul de Toulouse. Le chanoine était lui-
même grand amateur de musique : il composait des chansons
qu'il notait ou faisait noter par des amis. Il vint à Paris, où il
put traverser, en s'y laissant oublier, les orages de la Révolution,
et dans l'intimité 'du grand musicien Lesueur, dont il a écrit en
style dithyrambique un panégyrique enthousiaste. -
Un dernier mot sur la seconde M™" de la Pouplinière. Il ne
parait pas, malgré les sinistres prédictions du pamphlétaire ano-
nyme, qu'elle ait, comme la première, ...vulcanisé son mari.
Mais après la mort du bonhomme, elle eut l'insigne honneur, si
Qu'eus en croyons des notes de police inédites (2), d'être remar-
quée par Louis XV, qui n'eut bientôt plus rien à lui demander.
Cependant Jélyotte vivait dans la solitude et dans l'oubli à
Oloron. Il avait marié une de ses nièces à un Navailles et il
consacrait ses derniers jours au culte d'un art qui avait fait
l'occupation et le bonheur de sa vie. Il jouait de tous les instru-
ments : il était même devenu bon compositeur, dit Dufort de
Cheverny, communiquant ses chansons à Laborde, amateur et
musicien comme lui.
Jusqu'en mai 1797, l'ancien introducteur des Ambassadeurs
échangea tous les mois les lettres les plus affectueuses avec
Jélyotte. 11 remarqua cependant à cette époque, dans la corres-
pondance de son ami, une sorte d'ennui, de dégoût de l'exis-
tence, qu'il s'efforça de combattre par la plus concluante des
démonstrations. Dans une notice biographique qu'il lui adressait,
il prétendait lui prouver par l'histoire même d'une vie aussi
bien remplie, que le passé lui garantissait l'avenir. Or, Jélyotte
avait 84 ans ; Dufort de Cheverny reçut avec un remerciement
très vif une réponse encore attristée; puis les lettres se firent
plus rares, elles cessèrent bientôt; et le 30 octobre de cette
même année, Dufort apprenait la mort de Jélyotte.
(A suivre. } Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
OpÉRA-CoMiQtiE. Reprise de Mireille, opéra en cinq actes et sept tableaux,
paroles de Mictiel Carré, musique de Charles Gounod.
Gounod était dans toute la force de l'âge, il avait quarante-cinq ans
lorsqu'il écrivit cette curieuse et intéressante partition de Mireille, iné-
gale en son ensemble, mais dans laquelle il a donné une note si exquise
de poésie, de couleur et de sentiment pittoresque. Il avait été enchanté
par la lecture du délicieux poème de Mistral, que lui a^ait communiqué
son ami Michel Carré, et aussitôt tous deux avaient eu, avec l'assenti-
ment de l'auteur, l'idée de transporter ce poème à la scène et d'en faire
le sujet d'un opéra.
Il va sans dire que Gounod ne tarda pas à entrer, à ce sujet, en cor-
respondance avec Mistral, et voici la partie la plus importante d'une
lettre qu'd lui adressait à la date du 17 février 4863 :
Monsieur,
J'ai tout d'abord à vous remercier de l'adhésion que vous donnez à mou projet de tirer
de votre adorable livre Afh'eïo une œuvre lyrique. Maintes fois déjà la lecture de votre
poème m'avait fait naître le désir d'entrer en communication avec vous et de vous dire
tout le bonheur qu'il m'avait fait éprouver. Je me réjouis de l'occasion qui s'en otfre
aujourd'hui, et j'ai liAte de vous instruire du parti que nous en avons tiré
Le plus respectueux scrupule et la plus consciencieuse fidélité ont présidé à notre tra-
vail. 11 n'y a dans notre opéra que du Mistral; et si nous avons le regret de ne point
étaler sous les yeux du public la grappe eiitu''re dans toute sa splendeur, du moins pas
un grain étranger ne vient-il se mêler à ceux que nous avons cueillis, et nous avons tûché
que ce fussent les plus dorés. Je le répète, cher Monsieur, je vous remercie de l'œuvre
(1) Jtevuc rélrospecliva. Octobre 1892.
(2) Rapports de police. Manuscrit de la Bibliothèque Nationale.
LE^MÉrSESTREL
m
<ljie. VOUS' avez si profondémenl senlic et des iSmotions qup cette œuvre a provoquées en
moi, Puissè-jc vous en rendre une partie dans une interpiélalion qui, à défaut d'autre
mérite, aura du moins celui d'une conviction sincère et d'une ardente sympatliie.
Vous m'offrez de mettre à ma disposition des renseij^mements sur les sources auxquelles
je-pourrais puiser les types mélodiques qui donneraient à ma partition une teinte pMs
conforme au sujet et ù lii localité : J'accepte votre offre avec grand plaisir. Je vous dirai
toutefois que, quant à la chanson de Magali. elle est déjà coniposée, et que j'<cn ai fait
une sorte de petit roman symbolique d'amour, sous le voile duquel Mireille et Vincent
se déclarent l'un à l'autre leurs vrais sentiments. C'est donc, sous le pseudonyme d'une
chanson à deux voix, un vrai petit duo d'amour.
Pour le reste, je rlemandenii au.x aii-s de voLi-o pays le conseil de leur coloris : ce me
sera, pour la fête des Arènes surtout, où se démène la farandole, un secom-s puissant,-
dont je_n'aurai garde de ne pas user. Donc, pourriez-vous me faire parvenir des faran-
doles? plusieui-s... Je glanerai dans tout cela et, sans copier, je m'assimilerai la teinte et
le caractère des mélodies'. C'est ce qu'a fait si heureusement notre illustre Auber, dans sa
tarentelle de toitPuc/'to...
Mais cela ne suffit pas à Gounod, et il eut bientôt l'idée d'aller dem^ji-
der au soleil ilu Midi l'inspiration d'une œuvre toute méridionale, à la
Provence même la couleur de cette œuvre provençale. Marseille l'avait
sollicité de venir diriger une représentation de FavM. Il se rendit à
cette invitation le il mars; de là il se rendit à Nimes, puis à Avignon,
et le lundi 23, guidé par Mistral en personne, il arrivait à Saint-Rémy
et s'installait au second étage de l'hôtel Ville- Verte, dans un apparte-
ment qu'avait retenu pour lui le jeune organiste du lieu, M. Iltis, un
Alsacien, en la compagnie duquel il allait passer deux mois. Là, Gou-
nod se mit avec ardeur au travail. Il y consacrait toutes ses matinées,
descendant seulement à midi pour déjeuner. Après déjeuner il sortait,
faisait tme promenade jusqu'à cinq heures et rentrait travailler pendant
deux heures, c'est-à-dire jusqu'au souper, comme on appelle là-bas le
repas du soir. Une fois par semaine il s'en allait à Maillane, passer
quelques heures avec Mistral. Parfois aussi il se rendait aux Baux ou à
Sainte-Marie, deux endroits proches de Saint-Rémy et qui lui procu-
raient une promenade délicieuse.
Dans l'espace de deux mois la partition de Mireille l'ut termmée. Le
26 mai, un banquet d'adieu fut offert à Gounod par les habitants de
Saint-Rémy, car le maître,, qui n'avait voulu se faire connaître d'abord
que sous le nom de Monsieur Charles, n'avait pas tardé à voir déchirer,
sou incognito. Ce banquet très brillant, où Mistral lui porta des santés
retentissantes, fut le signal du départ. Le lendemain ou le surlendemain
Gounod regagnait Paris, sa partition dans sa valise.
Des discussions ardentes s'étaient élevées au sujet du dénouement à
donner à l'œuvre. Carré aurait voulu changer celui du poème, oii Mireille
allant en pèlerinage aux Saintes pour les prier de fléchir son père en
faveur de son mariage avec Vincent, est frappée d'insolation en traver-
sant à pied le désert de la Crau et arrive aux portes de l'église pour
tomber inanimée et mourir dans les bras de celui qu'elle aime. U trou-
vait ce dénouement trop cruel, fâcheux à la scène, et aurait voulu lui
substituer le mariage des deux enfants. Mais Mistral, soutenu par
Gounod, tenait à la mort de son héroïne et n'en voulait pas démordre.
Carré dut s'exécuter.
Est-ce ce dénouement qui porta tort à l'ouvrage lorsqu'il parut pour
la première fois au Théâtre-Lyrique, le 19 mars 1864, en cinq actes et
sept tableaux, avec un dialogue écrit en vers? Toujours est-il (ju'après
l'effet prodigieux produit par ce premier acie délicieux, si plein de cou-
leur, de poésie et de lumière, après l'heureuse impression du second,
représentant les fêtes d'Arles dans les arènes, le succès, qui, avait
semblé certain, déclina ensuite, d'abord avec l'acte du Rhône et la vue
des cadavres, qu'une mise en scène fâcheuse rendait répugnante, puis
avec le dernier tableau, et se transforma en une demi-chute.
Dès la seconde représentation on procéda à des coupures, mais l'ou-
vrage ne se releva pas, et après une quinzaine de soirées on dut, y
renoncer. Les auteurs alors se remirent à l'œuvre. On en revint à la
première idée de Carré, au mariage final, on ht des coupes sombres dans
toute la pièce et l'on supprima notamment tout le tableau du Rhône.
Réduite à trois actes et ainsi allégée, Mireille reparut à la scène au bout
de quelques mois, le IS décembre, mais, il faut le dire, sans plus de.
succès que devant. On n'y pensait plus lorsqu'eh 1874, le Théâtre-Ly-
rique n'existant plus, M. du Locle, qui avait pris la direction de l'Opéra-
Comique, eut l'idée de s'emparer de Mireille et de lui rendre sa première
forme en cinq actes. Mais ce fut alors une troisième version, car, malgré
ce re tour aux cinq actes, on renonça à, la mort de Mireille et l'on con-
serva le mariage de la seconde édition. Ce compromis ne sauva pas,
l'œuvre, qui dut encore, être abandonnée après quelques représentations
dont la première avait lieu le 10 novembre. Bile jouait de malheur et
disparut encore ainsi pendant quinze ans.
Enfin, en 1889, M. Paravey, ;i son lour directeur de, l'OpérarComique,
songea, lui aussi, a Mireille et voulut la rendre à son public. Mais il en
revint à la version en trois actes, quoique différente un peu de l'a pre-
mière,; car où y retrouvait le val- d'Enfer, .supprimé lors delà refonte de
1864, mais avec — toujours — le mariage final. C'était donc une qua-
trième édition, distincte de toutes les autres. Et cette fois enfin le
succès vint, complet, éclatant, si bien que depuis le 29 novembre 1889,
date de cette reprise, le nombre des représentations de Mireilie à l'Opé-
ra-Comique s'est élevé à 316 (le total, depuis la création au Théâtre-
Lyrique, est de 380). '
Il eût semblé naturel de la conserver ainsi, puisque ainsi elle plaisait
au public. M. Albert Carré ne l'a pas cru, et il vient de remonter
Mireille dans sa version primitive en cinq actes et sept tableaux, telle
exactement qu'elle fut oiTerte pour la première fois au public du
Théâtre-Lyrique dans la soirée du 10 mars 1864. TJuand je dis exacte-
ment, ce n'est pas tout â fait cela. Car si, d'une part, nous n'avons plus
M""= Carvalho, à laquelle on peut bien succéder, mais que personne,
j'imagine, n'oserait prétendre remplacer, nous avons, d'autre part, une
mise en scène vraiment prodigieuse, et qui laisse bien loin derrière elle
ce qu'on vit naguère à la place du Chàtelet. Le décor des magnanarelles
est absolument délicieux, celui des arènes est flamboyant et la faran-
dole est merveilleusement réglée, celui de la Crau est charmant ; mais
ce qui est admirable, c'est le tableau du Rhône et de la vision d'Our-
rias, avec le courant du lleuve et la vue des spectres ijui se débattent
dans ses ondes, en sortant et s'y replongeant tour à tour, s'accrochant
désespérément aux épaves, etdonnant au rôve du criminel une effrayante
réalité. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que, avec la puissance
intense de ce tableau, il n'offre rien de hideux ni de répugnant, comme
lorsque l'ouvrage fut joué pour la première fois. La seule critique qu'on
puisse lui adresser, c'est qu'il est tellement émouvant que les yeux
font tort aux oreilles, et qu'on oublie d'écouter pour regarder, la musi-
que disparaissant complètement.
Cette musique, du reste,, fait partie du côté purement dramatique de
la partition de Mireille, qui, à mon sens, n'est pas le meilleur. Tout ce
qui est poésie, amour, soleil, lumière, est délicieux dans Mireille: le
tableau enchanteur de la cueillette, avec le chœur des magnanarelles
et le duo dos amoureux ; celui de la fête des Arènes, avec la chanson
de Magali, la farandole, l'air de Mireille; celui de la Crau, avec la
chanson d'Andreloun et le rondeau de Mireille, Ueureuœ jielit herr/er,
tout cela est exquis et enivrant. Tout le reste, tout ce qui est drame
pur, me parait plutôt mélodramatique que vraiment pathétique, plus
bruyant que vraiment vigoureux ; ainsi l'air d'Ourrias au second
acte, le tableau du Val d'Enter et la scène des deux hommes ; ainsi la
vision d'Ourrias ; ainsi môme le finale du second acte, si délicieuse-
ment éclairé pourtant par la phrase si expressive et si plaintive de
Mireille tombant aux genoux de son père : A vos ]}ieds, hélas! me voilà !
Il n'en reste pas moins, en tout cela, que la partition de Mireille est
l'œuvre d'un maitre et qu'elle a, pour qui veut l'entendre, des séduc-
tions à nulle autre pareilles.
L'interprétation actuelle est généralement remarqualDle. M"« Rioton,
qui a bien le physique gracile et candide qu'on rêve pour l'héroïne de
Mistral, a montré de solides qualités dans ce rôle de Mireille, qu'elle
joue avec une grâce charmante et chante avec une incontestable habileté.
Elle y a obtenu un succès complet,. Son partenaire, M. Maréchal, nous
donne un Vincent très sympathique et très sortable, le rôle n'étant pas
d'ailleurs des meillem-s de l'emploi. MM. Dufrane, VieuUe et Jacquin
sont excellents dans ceux d'Ourrias, de Ramon et d'Ambroise, tandis que
Vincenette et le berger sont gentiment représentés par M"^'" de Cra-
poniie et Eyreams. Mais une mention ^toute particulière est due à
M"'' Marié de l'Isle, qui, physiquement et scéniquement, a fait du per-
sonnage de la vieille Taven iin type qu'elle complète enle chantant de
la façon la plus originale et la plus distinguée.
Arthur Pou.gin.
Comédie-Imunç.aise. Pairie! drame en cinq actes et huit tableaux, de
M. Victorien Sardou.
Après toutes les vicissitudes que Fou connaît, Patrie ! a pu enfin
arriver jusqu'à la rampe de la Comédie-Française et passer même par
dessus pour aller frapper au cœur, comme il y a trente ans, tous les
gens de bonne foi qui se trouvaient dans la salle.
J'entends bien que tous nos esthètes modernes vont crier comme des
beaux dialiles et reprocher à cette œuvre puissante sa « psychologie in-
térieure », son manque de « style », son « métier » trop évident. Mon
Dieu! je ne boude pas plus qu'un autre devant une œuvre finement
pensée et d'une écriture précieuse. C'est souvent un régal de délicat,
1 même quand le fonds n'y est pas toujours très solide. Mais je trouve'
I aussi que dans ce genre de drame vigoureux et emporté, une langue
I trop cherchée et maniérée, qui viendrait arrêter l'émotion, serait de grand
i inconvénient. Puisqu'on veut nous y donner des sensations de vieréelle
II et tragique, laissons lés personnages y pai-lec simplement le langage de ■
84
LE MÉNESTREL
leurs passions et sans toutes les recherches, qui seraient ici déplacées,
de nos stylistes du dernier bateau. La langue du théâtre n'est pas celle
du livre.
Quant au « métier » qu'on reproche :i M. Sardou, il n'a vraiment rien
que de très attachant quand il aboutit, par une suite de situations bien
amenées, à nous émouvoir violemment. Le thi-âtre est un art comme
un autre, et c'est une critique singulière que de reprocher à un auteur
d'en connaître toutes les ressources et même toutes les malices.
Aussi, malgré tout, quoi qu'on dise et quoi qu'on écrive, le public
donnera encore une fois raison à M. Sardou et Patrie! va faire très
longtemps les beaux soirs de la Comédie-Française.
Vous irez voir Patrie! et vous ferez bien, car, outre la mise en scène
qui est superbe (;i signaler surtout le cortège de la marche au supplice),
la distribution, malgré sa grandeur un peu calme, est d'ensemble excel-
lent; elle est supérieure même de la part de M. Mounet-SuUy, un Rysoor
de haute et placide allure, de M"' Leconte, adorable Rafaele, de M. Paul
Mounet, un duc d'Albe de farouche et artistique grandeur, de M. Le
Bargy, un La Trémoille d'insolente distinction, de M"'' Delvair, qui a
fait montre d'un étonnant tempérament dramatique dans la scène de
Sarah Mathison, et de M. Albert Lambert, plein de fougue juvénile,
avec de beaux cris, en Karloo. Pour M'"^ Brandès, on l'accusait le soir de
la première de manquer de distinction , sans se rendre compte que
Dolorès n'est nullement une grande dame; Rysoor le dit, insuffi-
samment peut-être, il l'a presque ramassée en un quartier borgne pour
en faire sa femme ; ce qu'il faut donc avant tout à la comédienne
chargée de ce rôle, très lourd et très ingrat, parce qu'antipathique, ce
sont des qualités de force, de résistance et d'emportement qui sont pré-
cisément le meilleur de la nature de M"" Brandès. M. de Féraudy a
joliment campé sou sonneur Jonas et il faut mentionner surtout, encore,
MM. Laugier, Delaunay et Ravet dans des personnages de plan plus ou
moins effacé. H. M.
Gymnase. — Les Amants de Saay, comédie en trois actes, de M. Romain Goolus.
Elle est extrêmement bizarre et prodigieusement malpropre la pièce
nouvelle de M. Romain Coolus que le Gymnase vient de nous donner.
Bizarre, car il n'y a pas là à proprement parler de pièce, que les per-
sonnages sont, tout au moins jusqu'au dernier acte, fantoches ou pitres
Invraisemblables de vaudeville vieillot voulant se hausser au ton de la
comédie ultra-moderne; malpropre, car on ne voit pas d'autre mot pour
qualifier la conduite de ce Santierne qui s'est fait ruiner par Sazy et ne
trouve d'autre moyen pour vivre que d'entrer à son service comme ma-
jordome sans cesser de la serrer de très près. Et, pourtant, ces Amants
de Sasy sont loin d'être ennuyeux : prestige d'un esprit curieux, d'une
langue vive et d'un dialogue ingénieusement amusant. Vous raconter la
chose? Ma foi non. Si vous êtes amateur de polissonnerie genre XVIIP
aggravé du très raide scepticisme boulevardier, faites la course, qui
n'est pas bien longue.
M. Gémier, à force de talent et de naturel, sauve tout ce qu'a de répu-
gnant le personnage de Santierne, et M'"' Mégard tient très adroitement
et non sans cliarme le rôle de Sazy, dont elle doit jouer tout le second
acte couchée. M"= Ryter, qu'on voit trop peu, M. Noizeux, amusant, et
M"' Yvonne de Bray, une gamine très étonnante, se font remarquer à
leur avantage. Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A. L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 19CO
(Suite.)
LE VIEUX PARIS
Voici, qui était certainement l'une des curiosités à la fois les plus ingé-
nieuses et les plus amusantes de l'Exposition : une reconstitution fan-
taisiste et arbitraire dans son exactitude de l'ancien Paris des XV^ XVI°
et XVII' siècles. Je m'explique. En disant « fantaisiste et arbitraire
dans son exactitude », je veux seulement expliquer que dans un espace
relativement restreint (quoiqu'il fut de 6.000 mètres carrés, avec 260
mètres de façade) se trouvait tout ce que le Paris de ces temps éloignés
offrait de curieux à l'œil de l'oisif et du promeneur. Cette reconstitution
était due à M. Albert Robida, le maitre dessinateur qui depuis long-
temps a étudié et connaît dans ses coins les plus reculés le Paris d'au-
trefois, qui n'a pas de secrets pour lui.
Le Vieux Paris, construit entièrement sur pilotis, s'étendait au bas
du Cours-la-Reine, le long de la berge droite de la Seine, à partir du
pont de l'Aima jusqu'à la passerelle qui le reliait au Palais des Armées,
Il était divisé en trois groupes : le quartier Moyen-âge, s'étendant de
la porte Saint-Michel â l'église Saint-Julien-des-Ménétriers, fameuse
dans les fastes de notre histoire musicale ; le quartier des Halles, qui
occupait le centre des constructions, et la rue de la Foire-Saint-Lau-
rent. Anciens monuments, vieux hôtels particuliers, demeures histo-
riques, maisons curieuses et pittoresques, coins d'édilices fameux, logis
bourgeois, vieilles boutiques â auvents et à enseignes, hôtelleries somp-
tueuses, auberges et tavernes populaires, on retrouvait là tous les sou-
venirs de la vieille capitale, restitués jusque dans leurs plus minces
détails, avec leurs ornements les plus typiques, avec un soin, une
conscience, une exactitude, un talent qui en faisaient une révélation.
En franchissant l'entrée, gardée par des hallebardiers en costume, on
se trouvait dans le quartier moyen-àge, où l'on pénétrait en passant
sous la porte Saint-Michel, à laquelle était adossée la Tour du Louvre.
Tout auprès, la maison aux Piliers, puis la place et la taverne du Pré-
aux-Clercs. On entrait alors dans la rue des Vieilles-Écoles, où l'on
voyait la maison natale de Molière, celle de Nicolas Flamel, avec sa
façade ornée de grands bas-reliefs représentant Flamel et sa femme
Pernelle agenouillés devant la Trinité entre deux files d'anges, le Puits
d'amour, la maison de Téophraste Renaudot, le médecin célèbre à
qui la France doit son premier journal, la Gazette, la Tour du collège
Fortet, où s'organisèrent les Seize au temps de la Ligue, la maison de
Robert Estienne, le célèbre imprimeur, le cabaret de la Pomme de Pin
et le Pilori de Saint-Germain-des-Prés, avec, en face, la place et l'é-
glise Saint-Julien-des-Ménétriers,
On passait alors dans le quartier -des Halles, en traversant le cabaret
des Halles, au-dessus duquel s'élevait le Grand Théâtre. On trouvait â
droite le Grand Châtelet. Si l'on suivait à droite son prolongement, on
traversait le Pont au Change, avec ses constructions voisines, et l'on
accédait au bâtiment du Palais, dont la grand'salle, au premier étage,
avait sa décoration du XVIP siècle, avec sa voûte bleue fleurdelisée
d'or et ses statues royales. Si, au contraire, on suivait la rampe du
Châtelet du côté de la Seine, on pénétrait dans la foire Saint-Laurent,
avec ses chanteurs en plein vent, ses loges de saltimbanques, ses
diseurs de bonne aventure, etc., et on arrivait à la cour de la Sainte-
Chapelle, dont les degrés étaient occupés par des échoppes de libraires,
des boutiques de marchands de modes, d'estampes, de gâteaux, de
curiosités. Par là se trouvaient la Tour de l'Archevêché, l'Hôtel d'Har-
court, l'Auberge des Nations...
Le long de cet itinéraire on trouvait d'ailleurs bien d'autres sujets de
curiosité: le Portail do la Chartreuse du Luxembourg, la Tour du
collège de Lisieux, le Grenier des Poètes, la Porte et le clocheton des
Jacobins, le Cloître du collège de Cluny, la Chambre des comptes de
Louis XII, l'Hôtel des Ursins, l'Hôtel Coligny, le Moulin, que sais-je ?
sans compter une grille ornée de pampres et portant cette inscription
— moderne et fautive :
Grille authentique de la maison de Lulli (payée par Molière),
prêtée par M. Charles Normand, de la Société des amis des monuments.
Or, jamais Molière n'a payé la grille de la maison de LuUy. Il
s'est contenté de prêter à celui-ci, avec les intérêts ordinaires, les
11.000 francs dont il avait besoin pour achever de payer la construction
de sa maison.
Mais partout, partout des échoppes, des boutiques, des marchands,
des étalages, avec des enseignes volantes à sujets peints, dont certaines
étaient typiques : A Margot bon bec — A la Guirlande de Flo?-e (modes)
— A la Toison d'or (bijoux) — A la bonne heure (horlogerie) — A la canne
de M. de Voltaire — A l'Éventail des Grâces — Aux Quatre fis Aymon —
A la Coquille d'or — Au Pavillon des Sitiges — Les Trois Écritoires — Au
Roy du Maroc — Le Poteau rose — Au Grand Coq — La Croix de Lorraine
— A la Perruque d'Absalon (coiffeur) — Au Chat qui pêche — Au Cœur
volant — Au bon Coing — Au Chef Saint-Denis — A l'Esquif Saint-
Julien, etc.
Ce qu'on ne peut rendre, c'est l'effet produit par l'aspect général de
ce vieux Paris, si pitoresque et si curieux, qui nous reporte par la
pensée en des temps si éloignés, qui évoque en l'esprit tant de souvenirs
et qui, par les yeux, nous rappelle les mœurs, les coutumes, les usages
de nos pères ; c'est, d'autre part, si de l'ensemble on passe aux détails,
la multiplicité de ceux-ci et leur étonnante exactitude; ce sont les
sculptures, les ornements de toute sorte prodigués sur tous ces édifices,
sur toutes ces vieilles maisons : tours et tourelles, balcons et créneaux,
frontons ornementés, pignons enguii-landès, frises courantes, images de
pierre, statues et statuettes, bas-reliefs, écussons, médaillons, gar-
gouilles et le reste, tout cela donnant une note d'art scrupuleuse et
d'un vif intérêt.
Puis, tout prête à l'illusion. Des sentinelles en casaque de buffle, la
LE MENESTREL
83
bouguignolte eu lête et la vouge à l'épaule , sont postés aux portes ;
d'autres soudards se promènent de-ci de-lâ. A certains moments la
musique du « prévôt des marchands », en costumes de fête, se fait
entendre en parcourant les rues et les places de la vieille cité. Sur la
rampe du Châtelet nous trouvons une baraque où des saltimbanques
font la parade; à la foire Saint-Laurent nous rencontrons deux chan-
teurs, homme et femme, lui en Jeannot avec sa queue rouge, la gui-
tare â la main, elle en casaquin de basin, coiffée d'un gentil bonnet,
tous deux chantant et débitant de vieilles chansons. Plus loin c'est
un nécromancien qui fait son boniment, puis un géant qui distribue des
prospectus. Au cabaret des Halles j'aperçois, sur une estrade, deux
jolies filles et un beau gars, en costume Louis XIH, qui chantent aussi
des chansons du bon vieux temps. Et si j'entre dans l'église Saint-
Julien-des-Ménétriers, dont le portail est accosté des statues de saint
Julien et du roi David, dont l'intérieur forme une chapelle d'une sim-
plicité élégante, avec de jolies verrières de M. Richard, j'entends non
plus des chansons, mais des motets et des morceaux de musique reli-
gieuse chantés par les artistes de la Schola cantorum.
Il y avait encore d'autres distractions au Vieux Paris, entre autres
le Grand Théâtre, qui pouvait contenir quinze cents personnes, où
chaque jour se donnait un concert Colonne et chaque soir un spectacle
varié, et le théâtre du Palais, où la Bodiniére donnait quotidiennement
deux représentations.
Et le Vieux Paris avait son journal, s'il vous plaît, la Gazettedu Vieux
Paris, qui s'imprimait là, dans la maison de Téophraste Renaudot, et
qui paraissait toutes les semaines, en faisant connaître l'œuvre et en don-
nant le programme de ses plaisirs quotidiens. La Galette du Vieux Paris
avait une petite physionomie archéologique très réjouissante, et j'ima-
gine que déjà sa collection ne doit pas être très facile â réunir. Mais les
curieux pourront encore se procurer le Vieux Paris, gentil petit » guide
historique, pittoresque et anecdotique », illustré par Robida et, je le
crois bien, rédigé par lui, quoique ce petit livre soit resté anonyme.
C'est lui qui nous apprend que les architectes de l'entreprise étaient
MM. Benouville, Beitz, Vilain, Gombert, Klinka de Vlastimil et Olaf,
l'architecte paysagiste M. Martinet, que les sculptures et les moulures
avaient pour auteurs MM. Cocchi, Leemans, Lecourt etM"° Emilie Ro-
bida, que les peintures étaient de M. Béra, les vitraux et verrières de
M. Richard, enfin les enseignes de MM. Béra et Fournier. Il me semble
qu'il n'y a que justice à rappeler les noms des principaux collaborateurs
de cette œuvre intéressante.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — CEuvres de Massenet. — Eve, la Vierge, Thaïs,
Mireille, Sita, Esclarmonde! Quel cortège de séduisantes créatures! Toutes
sont délicieusement « nouveau siècle », grâce au prestige d'un art subtil et
ralfiné; toutes semblent nous dire en souriant : Voyez, suis-je assez belle 1
Toutes ont leur originalité distinctive; on pourrait presque dire leur parfum
de prédilection. Voici Mireille, par exemple; quelle simplicité bien proven-
çale, quel charme dans la monotonie d'une tonalité peu variée, et quel trait
pittoresque ajoutent au tableau les indications du lointain, esquissées par le
cor anglais! M. Jean Lassalle a posé cette mélodie avec un talent exquis. Il
a fort noblement exprihié le sentiment large de l'air du Roi de Lahcre : Attx
troupes du sultan Aurait-on oublié que Massenet a écrit pour l'Opéra un
grand ouvrage qui a été son début sérieux au théâtre et qui reste, avec
Sigurd, l'œuvre la plus caractéristique de notre école dramatique française?
Est-ce pour soutenir les opéras qui se soutiennent d'eux-mêmes par ce qui
n'est, pas la musique, est-ce pour glorifier la chorégraphie sui geiieris qui en
tempère l'austérité que nous donnons chaque année un million, sans comp-
ter le revenu des soixante millions et plus qu'a coûtés notre splendide édifice
du boulevard? Mais passons: voici Eve, voici la Vierge, deux ravissantes
figures créées d'hier par l'adorable sensualisme du compositeur. Quand je dis
créées d'hier, c'est par respect pour la haute antiquité de la mère de l'homme
et de la mère de Dieu, car l'Eve remonte à 1875 et la Vierge à 1880. M""-' Au-
guez de Montalant a incarné avec un talent délicat la pécheresse et l'imma-
culée; on lui a fait une petite ovation toute familière et bien méritée. De
même pour M. Oliveira, qui a rendu avec une jolie sonorité la Méditation de
Thaïs. Mais que dire de Phèdre, que je n'ai pas voulu nommer encore? Geof-
froy écrivait ceci pour caractériser la Phèdre de Racine : » La conception du
poète grec me parait plus forte, plus tragique... mais le développement de la
passion de Phèdre, qui eût été pour les Grecs un défaut, a tant de charme
pour les Français... qu'on ne peut se défendre d'une secrète prédilection
pour Racine : c'est le jugement du cœur plus que celui de l'esprit. » On
demandait un jour à Racine pourquoi, contrairement à l'indication d'Euri-
pide, il n'avait pas conservé à Hippolyte son caractère de héros chaste :
« Qu'en penseraient nos petits-maîtres? » répondit-il. Massenet non plus ne
se serait pas soucié d'un Hippolyte trop vertueux à l'âge des passions; il l'eût
peu apprécié comme favori d'Artémis; aussi s'est-il empressé de profiter de
ses amours avec Aricie pour composer le plus caressant de tous les inter-
mèdes. Ce petit duo de clarinette et de cor anglais, d'une expression si timide
et discrète, semble se passer entre deux personnages qui, comme le Chéru-
bin de Beaumarchais « n'osent pas oser », et ont besoin, pour risquer un
aveu, que les tendres langueurs d'un quatuor en sourdine les enveloppent et
les avertissent. L'ouverture de Phèdre est connue depuis près de trente ans
et les entr'actes entendus à l'Odéon récemment ont été appréciés par mon
confrère Arthur Pougin, dans le Ménestrel du 9 décembre dernier. Je passe
donc à Brumaire et je finis parla. Cette ouverture d'un drame de M. Ed. Noël
encore inédit, sonne comme une réponse à ceux dont la prédilection est trop
exclusive pour Massenet féministe. Certes, s'il y a une femme ici, ce n'est
pas une cnnitesse du faubourg Saint-Germain; c'est la Liberté hurlante et
sanguinaire qu'un soldat veut enchaîner. Elle subit le joug, mais l'avenir est
à elle et c'est le cri : Aux armes, de la Marseillaise, qui finit, par une menace,
l'ouverture de Brumaire. Musicalement l'œuvre est tumultueuse, mouvemen-
tée et violente; le chant du Domine salvum fac y produit un effet superbe,
malheureusement passager; mais le plan général de ce morceau ne compor-
tait pai un épisode trop long qui en devait rompre l'unité. Le succès de tout
ce programme a été très vif. On a bissé l'arioso du Roi de Lahore, le Chant
provençal, la méditation de Thàis et les Amours d'Hîppolyte et d'Arîcie.
Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — L'ouverture du Freyschûtz est une œuvre dont
on ne se lasse jamais, surtout quand elle est aussi bien exécutée qu'elle le
fut par M. Chevillard, qui s'est évidemment inspiré de l'analyse admirable de
cette composition fournie par Richard Wagner dans son écrit sur l'art de
conduire l'orchestre. — Grand succès aussi pour le deuxième concerto pour
piano de M. Théodore Dubois, une des meilleures productions modernes du
genre, que M^^^ Kleeberg a interprété avec charme et bravoure; on a fêté
l'œuvre et la soliste, surtout après le scherzo et le finale. — Après nous
avoir donné des auditions intégrales ie l'Or du Rhin, M. Chevillard s'est
attaqué à Siegfried. Malgré la beauté pittoresque du finale de cette œuvre qui
réclame impérieusement l'appareil scénique, le dernier acte de Siegfried se
prête mieux que les deux précédents à l'exécution en forme de concert. La
satisfaction du public aurait donc pu être assez complète si les solistes avaient
été tous à la hauteur de leur mission. Malheureusement le pauvre Wotan
laissait à peu près tout à désirer et M"« Gerville-Réache manquait de l'autorité
nécessaire. Siegfried, c'était M. Imbart de la Tour. Sa voix d'un timbre ju-
vénile et mordant, quoique manquant un peu de fonds, sa diction claire et
correcte, sa manière intelligente de faire ressortir les phrases musicales et
sa compréhension du rôle l'ont tiré hors de pair. Il a trouvé une Brûnnhilde
quelque peu inférieure, quoique encore assez satisfaisante, en M^^ Chrétien-
Vaguet, qui est arrivée, somme toute, à une interprétation acceptable de ce
rôle exceptionnel. Mais le véritable triomphateur a été l'orchestre, qui a joué
avec un éclat et une fusion que nous avons rarement rencontrés depuis les
mémorables premières représentations de l'Anneau du Nibelung à Bayreuth,
sous les yeux mêmes du maître. Dans ces conditions, le grandiose interlude
qui accompage l'ascension de Siegfried au sommet du rocher de BrUnnhilde,
ce tissu orchestral incomparable dans lequel brillent presque tous les joyaux
mélodiques du drame entier, ne pouvait manquer de remporter un véritable
triomphe. Le public a bruyamment manifesté son enthousiasme.
0. Berggruen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la majeur (Mendelssohn). — Nuit persane (Saint-Saëns),
soli ; M"' Héglon, M. Vaguet ; récits parlés : M"' R. Du Minil, — Ouverture de Coriolan
(Beethoven). — Alléluia, chœur (Massenet). — Ouverture du Roi d'Ys (Lalo).
Châtelet, concert Colonne : Faust (Sclmmann), chanté par MM. Daraux, Ballard, Caze-
neuve, Dangès, Berton, Barras, M"" Adiny, d'Ancy, Le Roy, Cahun, Planés et Vati Don-
ghen.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, dirigé par M. Chevillard : Ouverture du Hoi
Lear (Savard). — Deuxième concerto pour piano (Saint-Saëns), par M. de Greef. — Troi-
sième acte de Siegfried (Wagoer), par M"" Chrétien- Vaguet et Gerville-Réache, MM. Im-
bart de la Tour et Challet. — Marche hongroise de la Damnation de Faust (Berlioz).
— Concert dé la Société Mozart. — La troisième séance de la « Société
Mozart » offrait un régal inattendu. Après une conférence spirituelle et d'une
rare compétence sur les « autographes musicaux » en général et sur ceux de
Mozart en particulier, notre collaborateur et ami Charles Malherbe a fait
exécuter deux morceaux absolument inédits et inconnus même au catalogue
de Koechel, dont il possède les manuscrits originaux. L'un est un air pour
soprano, composé par Mozart pour le premier acte de l'opéra Mithridate qu'il
avait fait jouer à Milan en 1770, à l'âge de 14 ans. Cet air n'a jamais été
exécuté; il parait qu'il avait déplu à l'artiste chargé du rôle d'Ismène. C'est
un spécimen typique du style italien de l'époque, mais on y trouve déjà des
tournures mélodiques qui annoncent le futur maître des Noees de Figaro.
M""» Camille Fourrier a interprété l'œuvre dans un style parfait et avec une
virtuosité sufEsante. L'autre morceau inédit nous parait encore plus intéres-
sant. C'est une courte Elégie en fa {« Adagielto »), en fout 32 mesures, que
Mozart a écrite en 1767, à l'âge de onze ans, pour deux voix de soprano, sur
des paroles naïves qu'il avait probablement arrangées lui-même, pour dé-
plorer la mort d'une certaine Josepha, une petite amie de sa sœur, sur la-
quelle il n'a pas été possible de recueillir un renseignement quelconque. Le
manuscrit porte une note autographe de la sœur de Mozart qui certifie que
son frère avait fait cette composition à l'âge de onze ans. Le morceau est
LE fflmSTJlEL
d'uae délicatesse el d'uno omotiou q.ui seraient admirables, même si l'autear
n'avait pas été un enfant. M"" Julie Gahua et M"'" Camille Fooi-rier l'omt in-
terprété d'une façon absolument charmante; elles ont du le répéter et le pu-
blic le demanda une troisième fois, sans obtenir satisfaction. Le programme
offrait encore le 3™° quatuor à Haydn, fort bien interprété par MM. Parent,
Xyammers, Denayer et Baretti, la fantaisie pour piano en ut mineur, agréa-
blement jouée par M"" Bleuzet et le trio dit « des Q)uilles >' en mi [r pour
piano, clai'inetle et alto dans lequel se sont distingués M""> Bleuzet et
iI4[. Pichard et Denayer. La légende raconte que Mozart avait composé ce
trio 'tout en faisant une partie de quilles, et l'aspect du manuscrit que
M. Malherbe possède semble confirmer en effet cette légende, nullement en
qoirtradiction d'ailleurs avec la manière de travailler de Mozart, sur laquelle
il a laissé lui-même des renseignements précis. O. Beuggiu'en.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 mars) :■
La mort de Peter Benoit, le grand musicien, l'homme de volonté et de
lutte, l'initiateur du mouvement vraiment national en Belgique, a occupé la
semaine de la plus douloureuse façon. Le pays est en deuil, peut-on dire, et
pleure très sincèrement une de ses plus pures gloires contemporaines, un
homme de talent, voire de génie, auquel l'avenir rendra justice et dont la,
mémoire sera vengée, avant qu'il soit peu, de l'oubli où l'ont trop laissé (un
peu par sa faute,, il est vrai) ses propres compatriotes. Ou se préoccupe dès i
présent de la succession do Peter Benoit comme directeur du Conservatoire
d'Anvers; et tout porte à croire que ce successeur sera M. Jan Block.x, le
plus digne, le plus méritant à tous égards, celui qui, d'ailleurs, occupait au
Conservatoire la première place après le maître. Le mouvement flamand
national, qui avait en Benoit un chef aimé,, ne pourrait trouver un meilleur
représentant (jue celui-là, dont l'autorité s'appuie déjà sur des oeuvres glo-
rieuses.
A la Monnaie, la marche du répertoire s'est trouvée tout à coup contrariée
par une indisposition de M™ Thiéry, tellement persistante qu'il a fallu renon-
cer à l'espoir d'une prompte guérison et se résoudre à remplacer l'aimable
artiste. C'est M"' Laisné, de l'Opéra-Comique, qui viendra chanter Manon, où
M™ Thiéry était à la veille de paraîtra. Nous avons eu. en attendant, quel-
ques représentations de M. Albers, qu'on a beaucoup apprécié dans Rigoletto,
et un peu moins dans Bon Juan : mais il aura été du moins l'occasion impré-
vue d'un hommage, qui n'avait pas encore été rendu, à la mémoire de Verdi;
sans lui, la Monnaie aurait pu être soupçonnée d'avoir négligé intentionnel-
lement l'ombre du grand mort; voilà qui remet: toutes choses en bon ordre,;
le grand mort, dans sa tombe, pourra dormir content.
Deux concerts intéressants : à la Société Ysaye, M. Mottl est venu diriger
le jiremier acte de la Walkyrie et le finale As Siecjfciei, merveilleusement exé-
cuté, avec le concours de M""^ Mottl et de l'excellent ténor Schmedes; — au
Conservatoire, le troisième concert de la saison nous a fait entendre une
série de «.vieux-neuf » extrêmement curieux, une symphonie et des airs de
ballet de Gluck, des petites pièces charmantes de Haendel et de Bach, extraites
de concertos et contenant toutes un solo conlié à quelque chef de pupitre,
M. Guidé, M. Jacobs, M. Anthoni, et enfin une cantate, presque inconnue
de Bach,7c/ifto((e vid Bekummerniss, tout à fait curieuse et de grand caractère
quoique datant de la jeunesse du maître, — une véritable révélation. Au
Conservatoire aussi, quelques jours après, une exécution que l'on peut dire
unique avait: lieu en petit comité; il s'agit d'une œuvre de J.-S. Bach, un
concerto pour quatre instruments (à savoir : ftùte, hautbois, violon et petite
tromqiette en fa) avec accompagnement d'orchestre et d'orgurf. Gela paraît
invraisemblable au premier abord, mais rien n'est plus surprenant que d'en-
tendre, se mariant au timbre du hautbois et même du violon et de la flûte
le timbre éclatant de la trompette. Il faut dire aussi qu'il s'agit d'un instru-
ment spécial, reconstitué par M. MahiUoQ sur les données de M. Gevaert et
qui a obtenu, auprès des rares privilégiés qui ont entendu ce morceau ori-
ginal, le plus grand et le plus franc succès. Cette audition a été donnée en
présence de MM. Félix Mottl, Kulïerath, directeur du théâtre de la Monnaie
et quelques amatem's. Les exécutants, MM. Anthoni (llùte), Guidé (hautbois),
Colyns (violon) et Goeyens (trompette), ont été vivement félicités par M. Ge-
vaert. La grande curiosité, et la grande difficulté de cette exécution, c'était
la partie de trompette en fu. Ce curieux instrument est encore plus aigu d'une
tierce que la petite trompette eii ré qui a servi jusqu'ici dans les œuvres, de
J.-S. Bach; il donne toujours l'effet, aux auditeurs, d'un homme ivre se prome-
nant sur un loitt.. M. Goeyens en a joué comme s'il n'avait jamais fait que
cela de sa vie. Et peut-être est-il le seul instrumentiste, dans le monde entier,
qui puisse en jouer. Cet éloge, proféré par M. Gevaert, ne semble pas e.xa"éré.
Enûu, autres événements, à Tournai : l'exécution, par la Société de musi-
que, et pour la première fois en Belgique, de ta Terre promise de M. Massenet
précédée de fragments importants de son Roi de Laliorc. Le succès a été
énorme, et M. Massenet, qui assistait au concert, a été l'objet d'enthousiastes
ovations. Son nouvel oratorio a été admiré pour son beau caractère, son
charme intense et sa couleur biblique si pénétrante. Et l'interprétation
nptamracnt par M"» Nervil et M. Tlousselîère, ainsi que par les-, chœurs. de laj
Société de .musique, sous la direction de M. de Loose,,a été vraiment ttèsi t
remarquable.. , ;..-... L.',S. r.-.
— Pendant les quatre jours où le public a été admis, à Milan, à visiter. là
crypte d_e k', easa^ di riposo per musicisti, plus de 40.000. pei-sonnes. ont défilé
devant les tombes de Giuseppe et de Giuseppîna Verdi. C'est uni noble honsir
mage rendu à la mémoire du vieux maitre. — De Gênes sont arrivés à cette
maison de retraite les tableaux, les meubles et le piano qui sont destinés à
former le commencement du musée Verdi. A ces objets viendront s'ajouter
tous les autres souvenirs personnels et artistiques que le maître a désignés
à sa légataire universelle. M"" Maria Carrara- Verdi, laquelle se propose, de
sa propre initiative, d'en envoyer d'autres encore qu'elle juge dignes de
figurer dans ce musée.
— Et voici que les notaires de Parmeiet de Plaisance se trouvent en conflit
au sujet du testament de Verdi, dont le dépôt est réclamé dechacuhdes deu.x
côtés, l'arme soutient que Busseto était le domicile légal du maître, et q'ùe
Sant'Agata. qui est dans la province de Plaisance, n'était que le lieu de sa
demeure. Mais Plaisance ne l'entend pas de cette oreille, et sur un rapport
du notaire Belli, le conseil des notaires de Plaisance a décidé de l'éclamer le
dépôt du testament chez le notaire de l'arrondissement de Monticelli di
Ongina. Les choses en. sont là, une brochure a été publiée à ce sujet et les
débats vont s'ouvrir. Il nous semble que par respect pour la mémoire du
maitre, on aurait dû éviter de telles disputes.
— Il parait que Rome est loin dé s'être distinguée comme Milan dans
l'hommage qu'elle devait à Verdi. Voici comment s'expriment à ce sujet les'
Cronaclie musicati de cette ville : — « 11 est trop clair que la manifestation
pour honorer la mémoire de Verdi n'a pas été digne de Rome. Et encore, si
on a mentionné la grande illumination du trentième jour de sa mort; on la
doit aux étudiants qui, avec l'enthousiasme des jeunes années, en avaient
pris la louable initiative. Mais cette initiative eût dû être prise par les prin-
cipales autorités administratives et artistiques: elles auraient dû organiser le
cortège et le discipliner. Il faisait peine de voir ce buste presque difformo
être porté au Capitole — par bonheur provisoirement; nous disons provisoi-
rement, parce qu'on a réfléchi que pour représenter l'effigie d'un tel artiste
il fallait au moins une œuvre artistique! Mais à Rome tout s'improvise, et il
en résulte d'amères désillusions! Où en est, par exemple, la souscription pour
un monument de caractère international à élever à Rome à Verdi? On n'en'
sait plus rien, ni si on a vu un seul nom important figurer pour une obole
même modeste. Il est vrai qu'une confusion a été engendrée par la fantasti-
que idée mise eu avant de consacrer à Verdi encore un autre monument,...
un théâtre lyrique à construire, comme s'il était possible de réunir des mil-
lions et des millions pour une œuvre d'art! Ces déplorables illusions, enre-
gistrées sérieusement et solennellement, ont créé la confusion, et la souscrip-
tion a avorté ! Il ne reste autre chose à faire désormais que de transporter au
profit du monument international de Busseto les quelques fonds qui ont été
recueillis à Rome. Et quant à la commémoration musicale projetée au théâ-
tre, bien plus significative pour un musicien que tous les discours apologé-
tiques, contentons-nous de la renvoyer au premier centenaire verdien, puisque
les exigences avides de Vimpresa du Costanzi ne permettent point do la faire,
et que l'on ne peut disposer des masses orchestrales pour l'organiser dans un
autre théâtre, puisque la susdite impresa, forte de son traité avec ces masses,
leur défend de se prêter à cette œuvre hautement civique et opportune... »
— On continue de parler à Tarante, ville natale de Paisiello, des honneurs
à rendre à l'illustre auteur de ta Frascatana et de ta Molinara. Un journal de
cette ville écrit : — « Pour Tarante, honorer Giovanni Paisiello est vraiment
un saint devoir de charité patriotique envers ceux qui ont bien mérité de la
patrie en l'illustrant avec leurs œuvres. Certes, parmi les maîtres du dix-
huitième siècle, Paisiello occupe une place très élevée. Emule de Cimarosa
et de Guglielmi, il forma avec ceux-ci et avec Pergolèse ce quadrumvirat qui
releva le sort de la musique et qui, reprenant à Mozart ce que ce dernier
avait pris à l'Italie f?), constitua l'école plus qu'italienne, napolitaine, sans
laquelle Rossini et Donîzetti, Bellini et Verdi, les quatre géants du di,x-neu-
vième siècle, n'auraient pas existé. » Peut-être est-ce aller un peu loin, et en
tout cas, les « quatre géants » nous semblent inégaux en valeur. Qdoî qu'il'
en soit, une agitation s'est créée à Tarante, où le municipe s'occupe non
seulement d'élever un monument au vieux maitre, mais surtout de faire
revenir ses restes, qui sont inhumés à Naples dans l'église de Donnalbina.
— Don Lorenzo Perosi, l'abbé compositeur, continue de tourner sa petite,
manivelle. A peine a-t-il termine son dernier oratorio, Mosè, dont la première'
exécution doit avoir lieu à Milan, dans le salon de la Paix, au. mois de
novembre prochain, sous la direction de M. Toscanini, qu'il en commence
un nouveau soùs le titre de l'Apocatypse. Palestrina lui-même n'allait pas si
vite en besogne.
— Il parait qu'il circule dans les rues de Naples un pauvre diable de men-
diant septuagénaire, du nom d'Ippolito Cimarosa, qui n'est autre qu'un neveu
en ligne directe du célèbre auteur d'ii Malrimonio serjreto et que personne jus-
qu'ici n'a songé à secourir. Le plus curieux, c'est que ce fait a été révêlé par...
le consul du Japon, M.Degoyzueta, qui l'a rendu public à l'aide d'une lettre ■
adressée par lui aux journaux. La publication de cette lettre a amené quel-
ques personnes à se réunir pour venir en aide à l'infortuné porteur d'un si
grand, nom.
. — Voiei encore Molière en opéra-comi'q!ne...:en Italie. On. annonça. la;pro-
cliaine apparition à Parme d'un petit opéra du maestro. rGalliera, intitulé /e .
Ppesiose ridicole. . " ' . : ■ ■ , . ^ „
LE MENESTREL
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— Le célèbre pianiste PadëEewski, qui s'est (prodlii't récemment à Rome,
vient de quitter cette ville pour se rendre à Londres, où il doit donner une
série de quatorze concerts.
— Gela segàte entre Bayreuth et Munich. M. Biegfried Wagner, qui devait
assister, le 19 de ce mois, à la première représentation de son opéra-comique
le Jeune duc étourdi à l'Opéra royal de Munich, a été informé qu'un nouvel
ajournement paraissait nécessaire. Le jeune compositeur s'est fiché tout
rouge et a pris l'express pour Leipzig, où sa nouvelle œuvre est complète-
ment sue et prête à passer, car elle devait y être jouée immédiatement après
la première de Munich. Or, M. Siegfried Wagner avait autorisé le directeur
à jouer le nouvel opéra le 20 de ce mois et il a maintenu cette autorisation
malgré les protestations énergiques de l'intendance des théâtres royaux de
Munich, qui fait valoir son traité. Cette affaire passionne actuellement le
monde théâtral d'outre-Rhin.
— (3n annonce de Bayreuth que les préparatifs pour les représentations
de cette année ont déjà commencé. Les rôles principaux ont trouvé leurs
titulaires. Dans ceux de Siegmund et de Siegfried on verra alterner les
ténors Krauss (Berlin), Burgstaller et Schmedes (Vienne); le rôlede Briinne-
hilde est confié à M'"<i Gulbranson (Berlin), celui de Wotan àM. Van Hooy et
celui d'Albéric à M. Nebo (Berlin). Quant à Parsifal, il sera de nouveau joué
par M. Van Dyck et Gurnemanz par M. Knupfer (Berlin).
— Le monument qu'un comité se propose d'ériger à Munich en l'honneur
du roi Louis II, le grand protecteur de Richard Wagner et de l'art théâtral
en général, est en excellente voie. Le Prince-régent vient de souscrire pour
25.000 francs et les autres souscriptions affluent de toute la Bavière et même
d-es autres pays allemands.
— Nous apprenons de Vienne que M. Edouard Strauss, qui a été telle-
ment blessé au bras droit pendant une collision entre deux trains sur la
route de Chicago à New-York qu'il ne peut plus conduire son orchestre, a défi-
nitivement pris sa retraite. Son orchestre a été congédié et est déjà dispersé ;
M. Strauss a également obtenu sa mise à la retraite comme directeur de la
musique de danse à la cour impériale. Cette place, qui n'existe qu'à la cotir
de Vienne, avait été créée en 1846 sur la proposition du « comte de la musi-
que » Amadée en faveur de Johann Strauss. Cette charge bizarre de « comte
de la musique » (Musikgraf) a été abolie en 1848. C'est après trente ans de
service qu'Edouard Strauss prend sa retraite. Il sera probablement remplacé
par son propre fils. Celui-ci a déjà, pendant le carnaval de cette année, sup-
pléé son père, qui voyageait avec son orchestre en Amérique.
— L'opérette viennoise, qu'on disait morts et enterrée, vient de faire un
retour offensif. C'est en effet avec un succès éclatant que le Carltheàtre de
Vienne a joué la semaine passée une opérette nouvelle, modèle du genre
viennois, qui est intitulée les Trois désirs et dont la musique est due à
M. C.-M. Ziehrer.
— Le théâtre An der Wien de son coté, a joué, non sans succès, une oj)é-
rette inédite intitulée le Précepteur, musique de M. Joseph Stritzko. Ce com-
positeur est un riche industriel qui s'occupe de musique en dilettante.
— L'Opéra royal de Stuttgart jouera prochainement Iphigénie en Tauride, de
Gluck, avec un nouvel arrangement par M. Richard Strauss. Est-ce qu'il était
bien nécessaire de corriger Gluck?
— Un journal allemand fait remarquer que trois morceaux reproduits dans
l'édition monumentale des œuvres de J.-S. Bach sont par erreur attribués à
ce maître. Il s'agit d'un prélude et d'une fugue en mi qui sont l'œuvre de
Jean-Christophe Bach , oncle de Jean-Sébastien, et expressément désignés
comme tels dans un volume conservé à la bibliothèque de la ville de Leipzig;
ensuite d'une passacaille en ré. qui a été composée par l'organiste C.-F. Witt
à Altenbourg, et qui est désignée comme œuvre de ce maître dans un manus-
crit de la bibliothèque de Cassel; enfin d'une Toccata en la qui est l'œuvre de
Henry Purcell et dont le Musée britannique possède deux manuscrits. L'er-
reur est explicable par ce fait que le grand cantor de Leipzig avait dès sa
jeunesse l'habitude de copier et de transcrire les compositions qui lui plai-
saient. En trouvant des morceaux tombés dans l'oubli et écrits par J.-S. Bach,
on les lui a attribués tout naturellement.
— Le conseil municipal de Leipzig vient d'allouer 7.500 francs, le mon-
tant d'un legs inattendu, aux plantes et fleurs du square qui doit entourer le
monument futur de Richard Wagner, square et monument qui ne sont encore
qu'en projet; espérons qu'un nouveau legs fournira à la ville de Leipzig les
moyens d'ériger enfin un monument au plus illustre de ses fils.
— Le théâtre de cour d'Altenbourg vient de jouer avec beaucoup de succès
un opéra en un acte intitulé le Bonlwur, musique du baron Rodolphe de Pro-
chàzka, jeune compositeur autrichien.
— On nous télégraphie de Sondershausen le grand succès remporté par un
opéra de Louis 'Lacombe, la Reine des Eaux. Il y avait eu, la veille, un con-
cert consacré aux œuvres du même compositeur qui avait suscité, paraît-il,
« un véritable enthousiasme ».
— La société chorale d'hommes de Berne vient de célébrer le centième
anniversaire de son existence.
— On a représenté à Zurich, le 27 février, un petit opéra pour enfants, la
Pùncesse Amarantlie, dont les auteurs sont MM. Ulrich Farner pour les paroles
et Francesco Caltabeni pour la musique. Ce dernier est déjà connu par un
autre ouvrage, intitulé /« Dernière Sose, qui a obtenu beaucoup de succès
en 1898.
— Ou nous écrit de Montreux ; Le dernier grand concert symphoniqne
donné au Kursaal, sous l'habile direction de M. Oscar Jtïttner, a été des plus
brillants. Au programme, parmi les œuvres exécutées pour la première fois
à Montreux, figurait le Carnaval d'Athènes (suite de danses grecques) de
Bourgault-Ducoudray, auquel le public a fait un chaleureux accueil.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'issue de la solennité en faveur de Verdi, à la Sorbonne, un télé-
gramme avait été envoyé au maire de Milan et au ministre de l'instruction
publique à Rome par M. Beauquier, député, président du comité frauco^ita-
lien, orgauisateur de la fête.
Voici la réponse qu'a faite à ce télégramme le ministre de l'instruction
publique d'Italie :
Rome, 10 mars.
Votre aim-able dépêche annonçunt l'imposante cérémonie qui a ei lieu en l'honaeur de
Verdi m'a causé la plus grande satisfaclion.
De ma part, et au nom du gouvernemenl que j'ai l'honneur de représenter, je vous
prie de vouloir bien agréer, avec les membres de la patriotique Ligue franco-italienne et
avec toutes les autorités et les illustres citoyens qui se sont associés à cette sympathique
démonstration, l'expression de notre reconnaissance la pins vive.
Le salut qui nous vient de Paris à eette occasion, en même tenips qu'un hommage au
génie de l'art, est l'expression des sentiments d'amilié que l'Italie vous envoie à son tour
et de tout son cœur. Nasi.
— Dans sa dernière séance, le conseil municipal a renvoyé, avec a-vis
favorable, à la 2<= commission, une proposition de M. Labusquière tendant.à
donner le nom de Verdi à une rue de Paris. M. Dausset, président, s'était,
au nom du conseil tout entier, associé à cette proposition.
— Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra on donnera Tha'is, en représentation
gratuite. Donc une de plus à l'actif de M. Gailhard. qui fera bien néanmoins
de ne pas perdre de, vue notre petit calcul de l'autre jour.
Gardez bien la belle I...
Qui vivra verra !
Votre tourterelle
\'ous échappera...
Comme on chante dans un autre ouvrage cher au répertoiie de l'Opéra.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée;
Manon; le soir, Carmen.
— Que lisons-nous dans la chronique musicale de M. André Gorneau au
Matin, à propos de Mireille? que M. Albert Carré serait le « premier metteur
en scène de Paris »! Mais alors M. Gailhard ne serait donc que le second!
Qu'en pensera Toulouse'?
— M. Albert Carré se propose de remettre à la scène prochainement le joli
ballet d'Adolphe Adam Giselle, — charmant prétexte à ces belles décorations
dont notre directeur est si friand.
— • Des pourparlers seraient engagés actuellement entre M. Maurice Grau,
le manager américain liien connu, et MM. Jean de Reszké, Tamagno et
Emma Calvé pour donner l'automne prochain à Paris, au théâtre Sarah-
Bernhardt, une série de représentations de divers ouvrages.
— Les théâtres populaires ont vécu. L'un et l'autre — celui des Folies-
Dramatiques comme celui du Chàteau-d'Eau — ont fermé leurs portes dès
mercredi dernier; tout un personnel important d'artistes et de musiciens aux-
quels il est dû plusieurs mensualités d'appointements se trouve, comme
on dit, sur le pavé. Il est vrai que diverses combinaisons sont en projet et
qu'on va tenter le « repêchage » de cette entreprise folle et téméraire. Il est
toujours des gens que tentent les aventures.
— Les journaux italiens confirment que M. Edmond Rostand a refusé auîs;
maestri Puccini et Leoncavallo l'autorisation de faire de Cyrano une comédie
musicale : « Reste à voir, ajoute l'un de nos confrères transalpins, si Puccini
et Leoncavallo s'inclineront. Il y a des précédents. Victor Hugo aussi avait
interdit à Verdi d'extraire un libretto d'Hernani et du Roi s'amuse; le grand
compositeur passa outre. » Mais les temps ne sont plus les mêmes; et il
faut croire qu'on consentira à présent, de l'autre côté des Alpes, à se mon-
trer un peu plus respectueux de la propriété d'autrui.
— Extrait des Petites affiches :
Il y a société pour l'ciploitation d'un Théâtre Italien à Paris.
La Société prend la dénomination de ; Théiitre d'Opéra Italien.
Son siège social est provisoirement 37 et 39, rUe Chàteau-Landon. La société commen-
cera à partir du jour de l'enregistrement du présent acte, pour finir le jour de sa trans-
formation en société anonyme.
■La société apour but de faire face aux trais et dépenses pour: 1» la location d'un'théà-
tre; 2° les engagements d'artistes, chanteurs, musiciens, clioristeB, etc.
Le fonds social se compose de l'apport fait parle fondateui', promoteur d'un traité passa
entre lui et le comte Alexandre Onofri, dans lequel celui-ci s'engage à apporter à Paris
une troupe complète d'opéra italien de premier ordre.
Paris, le4 mars 1901.
(Signé) : C. Berta.
LE MENESTREL
— Les trois premières séances du cours de M. Arthur Pougia à la Sorbonne
ont retrouvé le succès de leurs ainées. Dans la première, le professeur a
constaté que la Révolution avait créé une ère nouvelle et brillante pour la
musique française, grâce à quatre faits d'une importance capitale : 1° les
grandes fêtes patriotiques et populaires organisées par le gouvernement répu-
blicain, qui y associait la musique d'une façon considérable en faisant exé-
cuter avec éclat des œuvres commandées expressément par lui aux artistes
les plus renommés; 2° l'établissement de la liberté théâtrale, qui. en offraut
à tous les théâtres la faculté de jouer des œuvres lyriques, donna à la musi-
que dramatique une expansion jusqu'alors inconnue et permit à une foule de.
compositeurs de se produire; 3° la création du Conservatoire, qui fonda l'en-
seignement musical sur des bases solides et ouvrit la carrière à un nombre
considérable de jeunes artistes: 4" enfin, la rivalité si brillante des deux
théâtres Favart et Feydeau, rivalité qui fit éclore tous les chefs-d'œuvre de
ces maîtres qui s'appelaient Berton, Méhul, Gherubini, Lesueur, Gatel, Boiel-
dieu, Nicolo, etc. De l'ensemble de ces faits et des conséquences qui en
découlèrent résulte la formation de la véritable école musicale française. On
avait connu jusqu'alors un certain nombre de grands artistes, il n'y avait
pas d'école, au sens propre du mot. Dans sa seconde et sa troisième leçon,
M. Pougin a apprécié la vie et les œuvres de Berton et de Méhul, en appuyant,
comme d'ordinaire, sa démonstration de l'exécution de plusieurs morceaux.
C'est ainsi que M"'î Blanc et M. et M""» Morlet se sont fait vivement applaudir
dans divers fragments à'Aline et de Montana et Stéphanie de Berton, de Stra-
tonice, A'Ariodant, du Trésor supposé et de Joseph de Méhul.
— Au dernier « mercredi-Danbé » à la Renaissance, c'est devant une salle
comble et enthousiaste qu'ont été acclamés la vicomtesse de Trédern,
MmeE Augusta Holmes, C. Pierron (de l'Opéra-Gomique), M"'^^ Lormont et
Y. Saint-André, MM. Lelubez, le comte Arthur de Gabriac, Ch. Morel et
l'excellent quatuor Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes. Quatre mor-
ceaux ont été bissés, plus de deux cents personnes n'ont pu trouver de
places. En présence de ce succès, M. Danbé continuera ses séances jusqu'à
Pâques. — Mercredi prochain, Gustave Charpentier viendra diriger une de
ses belles œuvres, écrite pour huit voix de femmes.
— La Société de musique moderne pour instruments à vent a donné cette
semaine, à la salle Erard, une séance entièrement consacrée aux œuvres de
M. André Caplet. L'audition du quintette pour flûte, hautbois, clarinette, bas-
son et piano a attesté chez son auteur une distinction de sentiment et une
souplesse de facture remarquables chez un jeune compositeur. Une série de
« feuillets d'album » et surtout une Suite persane pour instruments à vent,
d'un riche coloris et d'une variété de rythmes particulièrement piquante, ont
montré les ressources diverses d'un tempérament d'artiste, joignant déjà,
à une technique très sûre, des qualités personnelles qui le placent à un rang
distingué parmi les musiciens sur lesquels la jeune école psut fonder de
sérieuses espérances.
— C'est aujourd'hui, dimanche 17 mars, qu'a lieu à Pau, au parc Beau-
mont, l'inauguration officielle de la statue du célèbre chanteur Jélyotte, une
des anciennes gloires de l'Opéra, où il créa, entre autres, l'opéra en patois
languedocien de Mondonville, Daphnis et Alcimadme, et le Devin du village
de Jean-Jacques Rousseau. Cette inauguration est le prétexte de toute une
série de fêtes qui ont lieu à Pau du 14 au 24 mars : concerts, bals, fêtes popu-
laires et spectacles avec le concours d'artistes de l'Opéra, de la Comédie-Fran-
çaise, de l'Opéra-Gomique et d'autres théâtres : M^s Ackté, Segond-Weber,
Anna Judic, Tessandier, Félicia Mallet, Demours, Sandrini, Jane Mérey,
Jeanne Régnier, MM. Fournets, Leloir, Leprestre, Clément, Bouvet, Théry,
etc. La ville de Pau, ne se contentant pas d'une statue, procédera, samedi
prochain 23, au couronnement du buste de Jélyotte, qui aura lieu avec le
concours de la musique du 18= de ligne et de la Lyre Paloise, une poésie :
A Jélyotte, étant dite par M. Charny.
— On nous écrit de Pau : Le concert du 8 mars au Palais d'Hiver, entière-
ment consacré aux œuvres de M. Th. Dubois, a eu le plus grand succès. L'au-
teur a dirigé lui-même quelques morceaux du programme et a été acclamé
du public. L'ouverture de Frithiof, la Suite Miniature, la Suite sur la Farandole,
la Suite Villageoise et les airs de ballet de Xaviére ont été dirigés supérieure-
ment par M. Brunel, chef d'orchestre de tout premier ordre. M. Bouvet a
chanté l'air d'Aben Hametnwec un talent et une autorité qui lui ont valu les
plus vifs applaudissements, enfin M. Béguin, dans deux mélodies du maitre,
a su mettre en relief et faire apprécier sa belle voix de basse et son intelli-
gente diction. Bref, matinée très réussie qui a fait désirer par tous le retour
de M. Th. Dubois l'année prochaine au Palais d'Hiver.
De Bordeaux : Le comité de la société Sainte-Cécile ayant récemment
décidé de confier désormais aune seule et même personne les fonctions de chef
d'orchestre des concerts classiques et celles de directeur du Conservatoire,
M. Gabriel-Marie, ne désirant pas prendre une retraite qui lui semble préma-
turée s'est vu contraint d'abandonner la direction des concerts auxquels il a
su donner, depuis sept ans, un si grand éclat. Cette détermination, imposée
par les circonstances, sera vivement regrettée par tous ceux qui ont suivi les
efforts du remarquable chef auquel la Sainte-Cécile doit de se trouver au pre-
mier rang parmi les sociétés de province.
— On télégraphie de Roubaix que Louise vient de remporter un immense
succès. Les deux principaux interprètes de l'ouvrage de M. Gustave Charpen-
tier, M™ Mikaelly et M.' Ramieux, ont été acclamés. L'orchestre était supé-
rieurement dirigé par M. Bromet.
— On a représenté récemment avec succès, au théâtre municipal de Calais,
un opéra-comique inédit en trois actes, dont l'unique auteur, pour les paroles
et la musique, est M. Emile Camys, directeur de l'Académie (école) de mu-
sique de cette ville et chef de la rnusique municipale.
— SoïRÉES ET Concerts. — Salle Mustel, la nombreuse assistance réunie pour l'audi-
tion des élèves de M"' M. -F. MerliD, appréciait l'excellence de la méthode de Faure,
appliquée par le sjnipathique professeur, ùlèvc de l'illustre maître. Parmi les chœurs
exécutés avec beaucoup d'ensemble, celui pour voix mixtes, ajouté spécialement pour cette
audition, par Faure, à son hjmne la Charité, dont lés solos étaient chantés par M"" Mer-
lin et sa fille, répété sous la direction de l'auteur, a été lusse par une salle enthousiaste.
Parmi les œuvres les plus applaudies, le Sancta Maria de Faure, chanté par M"° Char-
lotte Merlin; le Printemps, Bonjour Suzon de Faure, l'arioso d'HamIet, les stances de
Lakmé, etc., etc. Grand succès aussi pour M. Bourlinski, M"'Maillefert et M""Duchamp.
— Au Théâtre d'Antin, grande matinée avec le concours de M. Mounet-Sully, M"° Godard,
M°"Telstra, M"" Cl. Deslandrcs, J. Gaigiiière, MM. P. Pccquery, etc. Au programme, le
Cittcifix de Faure, Sérénade de Thomè, Au Printemps de Deslandres, etc., qui eurent très
grand succès. — Au concert donné par la charmante violoniste Jeanne Meyer, salle Erard,
beaucoup de bravos pour M. Mauguière dans les Aii&s, de Diémer, et l'air de Susanne, de
Paladilhe. — Salle Erard, M"" Veyron-Lacroix vient de se faire entendre et comme can-
tatrice et comme pianiste et son succès a été aussi complet dans les Chants de France
(Mu-'ette, Pastorale, Chanson à danser) de Périlhou, accompagnes par l'auteur, que dans
les Abeilles, de Théodore Dubois. — M"" Jeanne Faucher vient de donner, salle Erard, un
fort joli concert au cours duquel elle s'est lait applaudir dans Villanelle et Chanson à
danser, de Périlhou, accompagnées par l'auteur, l'air de Manon, de Massenet, et, avec
M. Guyot, dans le duo de la Flûte enchantée. Des bravos aussi pour M"" Laurent et
M. I. Philipp dans Caprice et Valse'Caprice sur des motifs de Strauss, de Philipp, pour
M"' Laronde dans l'Hermite, pour M"« M.-T. dans Nell, deux mélodies de M. Périlhou,
et, enfin, pour les élèves de M"" Faucher qui ont délicieusement chanté, en chœur, Tri-
mousett^ et Ponde populaire, du même compositeur. — A Nevers, cliez M. et M""^ G. Mar-
que!, très intéressante audition de leurs élèves comprenant une jolie exécution intégrale
de la Vision de la Heine d' Augusta Holmes. M. Blond s'est fait applaudir dans une fan-
taisie sur Coppélia, de Delibes, M"" M. G. dans les Oiselets, de .Massenet, L. dans l'air de
Chimène du Cid, de Massenet, M"'" C. dans l'air d'Uta de Sigurd, de Reyer, M"" C. dans
les Bretonnes, de R. Uahn, et M°« G. et M"" G. dans le duo de Jean de Nivelle, de Delihes.
— Cours et leçons. — M"* Blanche Guérin a repris, 11, rue du Faubourg- Poissonnière,
son cours artistique et élémentaire de solfège et de piano. Examens sous la direction de
M. E.. Pessard.
NÉCROLOGIE
La Belgique et la ville d'Anvers ont fait à Peter Benoit, le grand musicien
flamand, des funérailles quasi royales. Toute la population de la métropole et
tout le monde artistique s'y trouvait. Le bourgmestre d'Anvers avait fait afficher
une proclamation annonçant la mort du maitre et invitant les habitants à pa-
voiser de deuil leurs maisons. Le corps avait été transporté au Conservatoire
et exposé dans la grande salle, transformée en chapelle ardente. C'est là que
sept discours ont été prononcés. Le gouverneur de la province, M. Coges, a
parlé au nom du gouvernement et de la province; le bourgmestre van
Ryswyck, au nom de la ville ; M. Kockerels, au nom du conseil d'adminis-
tration du Conservatoire : M. Marchai, au nom de l'Académie royale de Bel-
gique; un délégué au nom des Conservatoires belges; M. Jan Blockx au
nom du corps professoral; un délégué au nom des élèves de Benoit. D'autres
discours ont été prononcés au cimetière. La levée du corps a eu lieu à onze
heures. Toutes les sociétés anversoises de quelque importance ont pris part,
avec leurs bannières, au cortège funèbre. Le conseil communal de Harlebeke,
le village natal de Benoit, y assistait en corps. A l'église, 100 musiciens ont
exécuté l'un des chants liturgiques du maitre. Au cimetière, les assistants,
défilant devant la tombe, n'ont pas jeté sur le cercueil la traditionnelle pel-
letée de terre, mais un petit bouquet d'immortelles distribué par le syndicat
des fleuristes anversois, qui avait décidé de rendre cet hommage à la mémoire
du compositeur national.
— On annonce de Nice la mort d'une artiste qui fut une cantatrice fort
distinguée. M""" Lnisa Bendazzi-Secchi. Née à Ravenne, en 1833. élève de
Piacenti et de Dallara, elle avait débuté à Venise en ISoi), et ses qualités
de style, son sentiment pathétique, en même temps que la nature de sa
voix, remarquable par un rare velouté et par une puissance étonnante, lui
valurent aussitôt de très grands succès, qui se reproduisirent dans toutes les
villes oii elle se fit entendre par la suite, entre autres Trieste, Naples, lî'lo-
rence, Parme, Vienne, Rome, Milan, Bergame, Gênes, Bologne, etc. Pen-
dant plusieurs années cette cantatrice fut l'idole du public, qui l'accueillait
toujours avec enthousiasme. Elle avait épousé un musicien piémontais,
Benedetto Secchi, dont elle resta veuve.
— A Budapest est mort, à l'âge de 63 ans, le compositeur Jules Kàidy.
Après avoir suivi les cours du Conservatoire de Vienne, il était retourné à
Budapest, sa ville natale, où il donnait des leçons de chant, et fonda avec
M. Nikolios une école de musique hongroise. Il a aussi dirigé l'Opéra royal
de Budapest de 1895 à 1900. Kàldy a fait jouer un opéra-comique intitulé
les Zouaves et s'est fait connaître par ses publications de mélodies, chants,
marches et danses en Hongrie des XVII" et XVIII" siècles.
Henri Heugel, directeur-gérant.
36S2. - 67- mm - îi' 12. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche U Mars 1901,
(Les Bureaux, 2''", rue Virienne, Paris)
(Les manuscrits cloivenl être adressés franco au jour-iial, el, |iLibli6.-. ou ihju, ils mu sonl pns roihhis aux milcur;
LE
Le 5améPo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉATP^ES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 îr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bù, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte el Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris el Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIEE-TEXTE
I. L'Art music<il et ses interprètes depuis dtux siècles (4" article), Paul d'Estiîées. —
IL Semaine théâtrale; premières représentations de Quo Vadis? à la Porte-Sain t-JIarlin
de ta Pente douce au Vaudeville et de l'Écriteau au théâtre Cluny, Paul-Émile Cheva
r.iEU. — IlL Le théâtre et les spectacles à l'Exposition f22" articlei, Arthur I'ougin, -
IV. Revue des grands concerts. — V. IVouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
PASTORALE DU XVII° SIÈCLE
n" 5 des Citants de France harmonisés par A. Périluou. — Suivra immédiate-
ment : Avril est amoureux, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jacques
d'Halmont.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Pastorale du XVII'^ siècle, transcription pour piano de A. Périlhou. — Suivra
immédiatement : Menuet, n" 10 des Neuves do Loois Lacombe.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRETES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les plus récenls el ûes ûocumenls Inédits
(Suite.)
IV
Les caprices d'i U^^' Lemaure. — Les tablettes de For-Lévéque. — M"'' Lemaure
travaille pour li gloire. — Estampe satirique, — Un abbé de coulisses. — Une
quête à l'Opéra. — Le théâtre et le mariage. — La fin d'une étoile.
La curiosité publique, qui s'attacha, dans le cours du
XVIII" siècle, comme elle le fait encore aujourd'hui, aux gens de
théâtre, ne séparait pas, d'ordinaire, l'homme du comédien, ni
surtout la femme de l'actrice. L'histoire de Jélyotte en est la
preuve. Et cette confusion voulue de la vie privée de l'artiste
avec sa vie professionnelle, nous la retrouverons encore dans
chacune des biographies que nous nous proposons de compléter
à l'aide de renseignements nouveaux ou inconnus.
Nous avons raconté ici même, d'après des documents inédits,
les commencements de M"' Lemaure, cette actrice de petite taille,
à la figure noire, aux traits froids et durs, mais dont la voix était
« si ronde, si pleine, si moelleuse, si bien sonnante » au dire du
Président De Brosses, qu'elle l'emportait sur les timbres les
mieux étoffés et les plus vibrants des grandes cantatrices italien-
nes. Malheureusement, l'humeur fantasque et le caractère aca-
riâtre de M"" Lemaure firent le désespoir des directeurs de
rO|iéra. On peut dire qu'elle passa une bonne partie de son
existence à entrer à l'Académie royale de musique et à en sortir.
Comme elle y était indispensable, vu la pénurie de sujets, on se
résigna tout d'abord à subir ses caprices; mais elle finit par lasser
la patience des directeurs et du public.
Les Nouvelles de la Cour et de la Ville rapportent, sur le mode
plaisant, l'incartade qui précéda une des premières retraites de
M"° Lemaure. C'était en 1735. La cantatrice, qui s'était toujours
refusée à jouer dans Jephté, s'y était enfin décidée, par crainte
de la prison. Mais elle remplit son rôle si mollement que le par-
terre la siffla. Alors, ce fut une autre comédie. Elle se plaignit
qu'on la forçât de jouer. Elle prétendit qu'elle « se mourait »;
et, pour qu'il fût impossible d'en douter, elle s'évanouit. Mais
elle avait compté sans un sceptique, depuis longtemps bronzé
sur de pareilles émotions, le ministre Maurepas, qui assistait
précisément à cette représentation tumultueuse. Le secrétaire
d'État envoya sans hésitation l'artiste « toute habillée » au For-
Lévéque. Elle y resta le lendemain pour étudier son rôle, puis
elle fut ramenée à l'Opéra, oit elle chanta si merveilleusement
que « sa punition fut aussitôt levée » .
Eh! ehl dirent alors des plaisantins, les tablettes de For-
Lévêque sont excellentes pour le rhume.
En tout cas. M"' Lemaure ne put les digérer ; car, dans le cours
de cette même année, elle se retirait de l'Opéra.
Jusqu'en 1741, elle partagea ses loisirs entre les divers con-
certs où sa virtuosité attirait la foule et les salons des dilettantes
qui se disputaient Thonneur de l'applaudir.
Nous trouvons dans les Nouvelles à la main de la Bibliothèque
Sévigné (1) le compte rendu d'une de ces auditions:
« 1" avril 1737. — Il y eut hier chez M. Le Guerchois la plus
belle et la plus nombreuse assemblée de Paris au concert qu'il
donne tous les dimanches, où chante M"= Lemaure. Il y avait
princesses du sang, cardinaux, duchesses, évéques et tout ce
qu'il y a de plus brillant en hommes et femmes.
» M"'- Lemaure est fêtée comme la reine et reçoit tous les
hommages avec beaucoup de grâce et de remerciments plus
humbles que les gens à talent n'ont coutume d'en faire quand
on les loue... »
Ce qui n'empêchait pas l'incommensurable orgueil de M"" Le-
maure de se trahir par des manifestations que ne lui pardonnaient
pas ses contemporains. Lorsque M. Le Guerchois, cet amateur
éclairé, voulut offrir vingt-sept louis en guise de remerciment à
M"= Lemaure, qui avait chanté sept fois chez lui, la cantatrice
refusa tout net de les recevoir. Ainsi, soixante ans plus tard,
Pugnani, le maître de Viotti, remettait au valet de pied qui le
pre^cédait un flambeau à la main, les trente louis qu'il avait
reçus, à la fin d'un concert, du grand-duc de Toscane.
La retraite de M"" Lemaure avait pris les proportions d'une
,1) Nouvelles à la main. Bibliothèque de la Ville de Paris (manusciils).
90
Lr. MÉNESTREL
calamité publique. Un jour que la chanteuse avait été aperçue
dans une loge de l'Opéra, tous les spectateurs s'étaient levés
comme un seul homme et n'avaient cessé, pendant cinq mi-
nutes, de battre des mains. Deux ans de suite des pourparlers
s'engagèrent pour préparer la rentrée de l'actrice à l'Opéra .
M""" Lemaure résistait aux propositions les plus séduisantes; et
c'étaient chaque jour, dans les cafés ou dans les salons à la
mode, des discussions et même des paris sur un problème en
apparence insoluble. Roy, le poète-librettiste, affirmait, chez
Procope, qu'en dépit de toutes les sollicitations M"' Lemaure ne
remonterait jamais sur la scène. Par contre, un certain Poquelin,
qui se piquait d'être le confident de toutes les actrices, se fai-
sait fort de ramener celle-ci à l'Opéra si le prince de Carignan,
le directeur de l'Académie Royale de Musique, l'autorisait à
tenter la démarche.
Cet ami des artistes ne devait pas être trop mal renseigné; car
peu de temps après, un gazetier apprenait à ses abonnés qu'il
« courait dans le public une estampe gravée à l'occasion du
changement de M"'' Lemaure. Le sieur abbé Bizot (son confes-
seur) y est représenté. Il parait qu'il fait tous ses efforts par ses
attitudes pour empêcher que cette fille retourne sur le théâtre.
D'un autre côté, le sieur Thuret (gérant du prince de Carignan) et
la Labiée, qui- est dans les bonnes grâces de ces demoiselles,
s'efforcent aussi de leur côté à lui faire connaître l'avantage qu'il
y a d'être applaudi du public. Il y a au bout de cette estampe :
« infer duos litigantes tertius gaudet. » Autrement dit : c'est toujours
le troisième larron qui profite de la querelle des deu.x autres.
Ce troisième larron était l'abbé Bridard de La Garde, une ma-
nière de bel esprit, gazetier à ses heures, futur bibliothécaire
de la Pompadour, qui avait dû à sa mère, une dévote renforcée,
de connaître M"° Lemaure. Ce fut lui qui la fit rentrer à l'Opéra,
dans les derniers jours de janvier 1741. L'enthousiasme des spec-
tateurs ne connut plus de bornes. Le rôle de Cérès dans Proser-
pine fut un des triomphes de l'artiste: « Elle y a donné, dit un
nouvelliste, des ports de voix et des attitudes, les flambeaux à
la main, qui n'appartiennent qu'à elle. » Son influence à
l'Opéra était devenue considérable. Après la mort du prince de
Carignan ce fut elle qui décida, dans le cours d'un souper, son
ancien camarade Chassé à reparaître à côté d'elle sur le théâtre
de ses premiers exploits.
Cependant l'abbé de La Garde, qui était fort jaloux de sa pré-
cieuse conquête, ne la quittait pas plus que son ombre. Sa mère
et lui étaient venus demeurer avec elle au Palais Royal ; et cer-
tain jour, il fit jeter à la porte un respectable capucin, qui s'était
présenté chez l'actrice, chargé d'une mission matrimoniale. Du
reste, de La Garde ne laissait échap[ier aucune occasion d'avouer
hautement sa liaison avec M"' Lemaure. Il s'était institué son
cavalier servant, son sigisbée :
« L'opéra d'/sse a été représenté avec tout le goût possible.
M"' Lemaure était dans sa belle humeur, et dans les scènes
tendres elle les a jouées si naturellement qu'elle les a rendues
lubriques. Dès qu'elle a eu fini son rôle, sans quitter la coiffure
ni l'habit d'/ssf? elle est entrée dans les balcons, la bourse à la
main et conduite par l'abbé de La Garde, pour faire une quête
pour de pauvres gens brûlés dans le cul-de-sac (de l'Opéra).
Elle a parcouru toutes les loges et l'amphithéâtre en disant à
tout le monde : vous sacrifiez de l'argent pour vos plaisirs, j'en
demande pour ces malheureux qui viennent d'être ruinés. Elle
a beaucoup reçu. »
Il était sans doute écrit que M"' Lemaure devait avoir toutes
les prédilections de l'église, car elle fut encore remarquée par
l'abbé de Voisenon, l'oncle de M"'" Favart; elle se montra sen-
sible, parait-il, aux attentions du galant ecclésiastique, malgré
toute la vigilance de M"'" Brigard de La Garde ; mais son carac-
tère difiBcile et quinteux ne s'adoucit pas au contact de l'aimable
esprit qu'était l'abbé de Voisenon.
La prima donna de l'Académie royale de musique devenait
chaque jour plus fantasque. Elle se refusait à chanter tantôt
parce que la pièce ne lui plaisait pas, tantôt parce que son
coiffeur Ricau était en retard.
Enfin elle quitta l'Opéra, en 1745, sur le conseil de Thiriot.
Cet ami et correspondant de Yoltaire avait, paraît-il, la spécialité
de ces... déplacements : c'était lui qui avait contribué jadis au
départ de M'" Salle, la célèbre danseuse ; et le nouvelliste à qui
nous empruntons ces confidences ne ménage pas les brocards
au conseiller intime des nymphes' de l'Opéra. Si Thiriot, dit-il,
« a débusqué l'abbé de la Garde », c'est qu'il veut épouser
M"' Lemaure pour « faire une fin ■». Il n'est pourtant ni jeune,
ni aimable ; il n'a pour lui que la protection de Yoltaire « dont
il est le colporteur depuis trente ans, comme il est le secrétaire
balivernier du roi de Prusse, à qui il envoie toutes les nouvelles
du jour à raison de l.SOO livres; encore est-il mal payé ».
Thiriot n'épousa pas M"" Lemaure, et celle-ci vécut désormais
loin du théâtre. Elle ne devait plus y reparaître qu'une seule
fois, en 1771, et avec quel succès! Ce fut pour l'inauguration du
Cotisée, une sorte de cirque ou de waux-hall, condamné à une
fin prochaine. M"' Lemaure, qui avait alors soixante-huit ans,
s'y fit encore applaudir. Puis elle retomba dans l'oubli.
Un fait-divers, que nous avons retrouvé dans les Mémoires
raisonnes de Lefevre de Beauvray (1), nous apprend la mort de
la capricieuse artiste vers 1786. Elle s'était enfin mariée : elle
avait épousé un industriel « intéressé dans les eaux filtrées »
qui hérita des rentes de M"'^ Lemaure et de sa « vaisselle plate ».
(A suivre. ) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Porte-Saint-Martin. Quo Vadis? drame en S actes et 10 tableaux, tiré du
romau de M. Henrik Sienkiewicz, par M. Emile Moreau. — Vaudeville.
La Pente douce, comédie en 4 actes, de M. l'ernand Vandérem. — Clunï.
L'Écriteau, comédie-boufi'e en 3 actes, de M. Eugène Millou.
On sait le prodigieux succès qui accueillit, dés son apparition en
librairie, la traduction française du roman de M. Sîenkiewîcz, Quo
Vadis? Très vite, très haut, on cria au clief-d'œuvre; les éditions s'en-
levèrent avec une rapidité vertigineuse, — en ce moment même on h'
vend dans les rues en livraison populaire ; — chaque éditeur voulani
avoir son « Sienkie-wicz », tous les traducteurs susceptibles d'entendre
quelque chose au polonais se ruèrent sur ses autres volumes, et, du
jour au lendemain, M. Sienkîewîez fut proclamé, sans qu'on ait même
le temps de dire holà ! le plus grand romancier des temps présenls. |
Il ne m'appartient pas de dire si cette immense vogue qui, cliez nous, '
s'affirme manie assez chronique pour les productions étrangères, fut ou
ne fut pas légitime: ce qui doit nous occuper exclusivement, ;i celte
place, c'est la pièce que M. Emile Moreau, signataire, avec M. Sardou,
de la légendaire Madame Sans-Gêne, a pu tirer du très compendieux
volume. Travail assez aride, plutôt dîfiicultueux, hâtif, car il fallait
profiter de l'engouement qui, à Paris, s'étiole aussi facilement qu'il
éclôt, dont M. Moreau s'est, en somme, aussi adroitement tiré qu'il
semblait possible.
Ce sont, comme il fallait s'y attendre, les amours de Vînicius et de
Lygie, avec la conversion au christianisme du soldat romain, qui
forment l'action mère, l'ambiance étant empruntée à des épisodes dont
les figures principales sont Pétrone et Eunice, Néron et Poppée, l'apôtre
Pierre, le groc Chilonidès. Tout cela, du déjà vu et du déjà entendu,
donne une suite de tableaux s'enchainant tant bien que mal dont le
défaut le plus grand est de ne nous apporter absolument rien de nou-
veau: nous savons de reste la Rome au temps de Néron, et les drama-
turges de tous les temps nous ont saturés d'histoire de martyrs et de
convertis. M. Emile Moreau et la Porte-Saint-Martin ont évidemment
compté qu'une parcelle de la vogue du livre rejaillirait sur la pièce. De
l'ait, si tous ceux qui ont lu, ou fait semblant de lire, Quovadis? voulaient
aller en voir la réalisation scénique, cela promettrait une assez belle
série de représentations. Mais le voudront-ils, et les premiers curieux
ne refroidiront-ils pas quelque peu la curiosité des moins pressés?
Quo Vadis? qu'on a monté assez chèrement, sans que cependant l'œil
ait à se réjouir d'une note vraiment artistique, Quo Vadis? est joué de
bon ensemble sans qu'aucun des interprètes arrive à se mettre hors
page. Les principaux, MM. Dumény, Marquet, Jean Coquelin, Garnier
et M"" Laparcerie sont suffisamment connus pour qu'il ne soit pas
besoin d'insister sur leurs mérites respectifs ; une mention est due à
(1) Beina; d'histoin- lilléndre de hi Fninee. Juillet 1895.
LE MÉNESTREL
94
U"° s. Miens, qui, délDulante, a, dans le tendre nile de l'esclave Bunice,
fait montre de qualités de charme, de jeunesse et de gentille émotion.
M. Francis Thomè a souligné de musique lointaine et fugitive les pas-
sages plus spécialement lyriques.
La Pente douce sur laquelle M. Fernand Vandérem l'ait glisser Gene-
viève Breysson est celle qui, fatalement, amènera la jeune femme dans
les bras grands ouverts de Pierre Clarence. Dune, une petite histoire
d'adultère de plus, toute simple, toute naturelle, cependant que les
intéressés font d'inexplicables façons pour en arriver là où on les
voudrait voir de suite. Un premier acte absolument charmant,
d'agréable exposition, encore que deux personnages dont l'auteur croira
avoir besoin par la suite, Savrillon et M""" Djareskinc, les confidents
(pourquoi, grands dieux!) de Geneviève, soient assez peu clair-ement
posés, un premier acte de joli dialogue, d'élégant mouvement, qui
laissait prévoir une gentille comédie parisienne, do bon ton et d'allure
moderne. Et puis..., et puis cela commence à se gâter dès la seconde
moitié du second acte, pour empirer encore pai' la suite. La psychologie
de M. Fernand Vandérem, subtile jusqu'à en paraître indécise, semble
s'être fourvoyée en compagnie de ses deux héros incertains : peut-être
aussi les protagonistes. M""-' Réjane et M. Dubosc, sont-ils bien pour
quelque chose dans l'espèce de déroute qui s'est emparée des specta-
teurs; elle, trop polissonne toujours de nez, d'yeux et d'attitudes pour
nous faire croire à des accès de pudeur d'honnête femme; lui, accusant
le coté bêla du monsieur qui joue les âmes nobles avec intermittence
d'emballements lourdauds.
Il y a, cela s'entend de reste, le mari indispensable à l'affaire, et
celui-là est vraiment mari plus qu'il n'est raisonnable de l'être; il y a,
en plus des deux confidents déjà nommés, quelques types jetés là avec
une trop apparente inutilité, que ce soit Je maniaque Tassin, récoltant
des documents pour faire un livre sur le peu de fidélité des femmes, ou
les jeunes pécores qui meublent le salon des Breysson. La troupe du
Vaudeville, M'"= Réjane, SJM. Huguenet et Dubosc en léte, est excel-
tente, mais encore faut-il lui donner quelque chose d'un peu consistant
à jouer; MM. Lérand, Maury, Numa, M""^^ Avril, Caron, Duluc, Dar-
court font tout ce qu'ils peuvent.
A Cluny, l'Ecriteau n'est qu'une grosse bouffonnerie de M. Eugène
Milieu, très évidemment un nouveau venu qui doit faire, avec ces trois
actes, ses débuts. Passable devoir de jeune écolier vaudevilliste : du
mouvement, mais l'élève devra s'appliquer à apprendre par la suite
comment il faut tirer parti des quiproquos et qu'on ne doit pas tout le
temps se contenter des premières balivernes qui vous traversent le
cerveau. L'Ecriteau, dont la nouveauté est plutôt sujette à caution, ne
vous sera pas conté, il y faudrait trop de place et aussi trop de lucidité.
Comme d'usage à Cluny, la folie est assez gaiment enlevée: MM. Rou-
vière, Dorgat, Gaillard, Prévost, La Renaudie, Lureau, M«"" Cuinet,
Favelli et Cardin mènent le train. Paul-Emile Chev.^likr.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE
(Suite.)
le VILL.iGE SUISSE — VENISE A PARIS LES VOYAGES ANIMES
Pour ceux qui n'ont vu ni Lucerne et le lac des Quatre-Cantons^ ni
Interlaken et la Jungfrau, ni Berne et ses arcades, ni Fribourg et son
pont suspendu, ni le Saint- Gothard, ni la Furka, ni le col de Maloja,
ni tant d'autres choses, le curieux Village suisse de l'avenue de Suf-
fren a du être une révélation. C'était, établie avec une véritable ingé-
niosité et de façon à donner une illusion complète, quelque chose comme
une réduction Collas de certains aspects typiques de la Suisse. Le Vil-
lage suisse, qui aurait du s'appeler simplement et plus exactement « la
Suisse », car il comprenait trois parties distinctes : la ville, le village,
la montagne, constituait la plus vaste, et de beaucoup, des « attrac-
tions h de l'Exposition, puisqu'il ne s'étendait pas sur moins de
21.000 mètres carrés. Le principe était le même que celui qui avait pré-
sidé à l'exécution du Vieux Paris : réunir arbitrairement, dans un espace
restreint, une foule de choses qui, dans la réalité, sont séparées et
occupent une vaste étendue, mais de façon à donner une impression
vivante, exacte et vraie, à former comme une synthèse du pays dont ou
voulait reproduire l'image.
Trois années do travail et trois millions avaient été dépensés pour
obtenir ce résultat, dû au talent de deux architectes genevois, MM. Char-
les Henneberg et Jules Allemand. Mais, il faut le dire, ce résultat avait
récompensé l'effort, et le succès a été éclatant.
On entre d'abord dans « la ville » par les grandes tours de Berne, qui
sont proches de l'hôtel de ville gothique de Zug; on circule devant les
maisons à tourelles de Schafîhouse, sous les arcades cintrées de Thoune,
garnies de boutiques où trônent des marchandes, où travaillent des
ouvriers et des ouvrières, tous en costume national. On vend là des
bijoux, des dentelles, des broderies, des étoffes, de l'horlogerie, des
boites à musique, de la vannerie, et tous ces menus objets de curiosité
qui font la joie des touristes. Puis, voici des souvenirs historiques : la
maison où Jean-Jacques Rousseau naquit à Genève, celle où Rachel
naquit à Mumpf, l'auberge de Boing-Saint-Pierre, où, eu mai 1800,
avant de franchir le Saint-Bernard, déjeuna Napoléon.
En quittant la ville nous entrons dans le village, que domine une
haute montagne, avec un torrent au bas et une cascade qui tombe de
34 mètres de hauteur. Dans le village, la chapelle de Guillaume Tell,
avec son abreuvoir ombragé de tilleuls; un peu plus loin, l'auberge du
Treib, se mirant dans l'eau d'un petit lac; plus loin encore, un ruis-
seau qui fait tourner la roue d'un moulin... Sur le flanc de la montagne,
dans le creux des vallons boisés, des chalets espacés, puis des vaches
qui montent en faisant entendre leurs sonnailles. Là une otable, plus
loin une laiterie, que sais-je? Et au milieu de tout cela la ^àe, le mou-
vement, l'animation que donnait le personnel nombreux de l'entreprise,
personnel qui ne comprenait guère moins de 300 individus : marchands
et vendeuses, ouvriers et ouvrières, bergers, laitières, serviteurs des
deux sexes, etc.
Sur la place du village, un petit orchestre rustique de musiciens fai-
sant danser les beaux gars et les jeunes filles dans leurs beaux habits
de fête. Le soir, dans la montagne, on entend résonnerlecor des Alpes,
joué par un solide gaillard, ou bien le chant curieux d'un tyrolien qui
se répercute là-bas, au loin, en écho, ou encore le Ranz des vaches,
chanté d'une voix superbe par un notaire dilettante, M. Currat, dont le
succès personnel a été énorme pendant tout le cours de l'Exposition. Si
nous entrons dans l'immense salle de la brasserie-restaurant où eut
lieu, le 24 octobre, le grand banquet de la presse, et dont les parois
sont illustrées de vues des principaux sites de la Suisse, nous y trou-
vons tantôt les concerts d'un gentil orchestre féminin, tantôt les trios
excellents de trois chanteurs mâles qui faisaient entendre de jolies
mélodies populaires, pleines de saveur et de franchise, tantôt le spec-
tacle de luttes athlétiques d'un caractère particulièrement rustique.
Mais c'est le soir qu'une visite au Village suisse était vraiment
attrayante. Les fêtes qui s'y donnaient étaient charmantes, pleines de
couleur et de caractère. Je ne saurais mieux faire que d'en emprunter
la description complète à un de mes confrères :
Pas de mise en scène : la vérité, la nature prise sur le fait. La promenade
des troupeaux menés le soir à l'abreuvoir est telle qu'on la fait dans les cam-
pagnes de Vaud ou de Berne. Les luttes de bergers ont lieu avec le même
entrain et la même sincérité qu'à la fête d'un village d'Unterwald ou de Ttiur-
govie. Les danses et la musique sont celles qu'on exécute là-bas. De ces
danses, il en est une qui, cliaque soir a un succès fou. Cela s'appelle la valse
de Lauterbach. C'est une sorte de danse composite, sur une série d'airs de
valse entrecoupés de mesures tantôt plaintives et lentes, tantôt saccadées,
brusques et joyeuses. Les danseurs exécutent des figures, se prenant succes-
sivement par la main ou par la taille, la danseuse tournant autour du cava-
lier agenouillé, pour venir à son tour s'asseoir et le faire évoluer autour
d'elle. Puis ce sont des voltes, des pirouettes, des pas de bourrée, des défi-
lés... le tout se résolvant toujours par un tour de valse d'une perfection que
possèdent seules les Allemandes et les Suissesses. Avec le mélange des coif-
fures en ailes de papillon d'Appenzell, des petits chapeaux fleuris de Berne,
des dentelles blanches de Schwitz, etc., c'est ravissant!
Et les chants avec l'écho dans le lointain, chants campagnards, rustiques,
d'un caractère qui étonne, et avec des voix merveilleuses de force, de fraîcheur
et de pureté I... Enfin, le clou qui touche au magique, à la féerie, c'est la Fête
dans la vallée. Vers dix heures du soir, quand la fête du village a battu son
plein, le joli vallon vert et fleuri qui se trouve au tond, entre les deux mon-
tagnes, s'illumine tout a coup. A perte de vue, caria perspective est immense,
on voit les bergers et bergères avec leurs troupeaux, les faucheurs, les fa-
neuses, les paysannes cueillant des fleurs. Et tandis que vaches et chèvres
broutent à leur aise le gras pâturage, faisant clocheter leurs sonnettes, le son
du cor retentit au loin dans la montagne. A ce signal, hommes et femmes,
oarçons et jeunes filles entonnent leurs chants joyeux, courent, se lutinent,
s'amusent... sous les rayons de la blanche lumière électrique, savamment
distribués de façon à imiter à s'y méprendre la clarté de la lunel C'est un
tableau d'une étrangeté et d'un charme dont on ne peut se faire aucune idée.
Si le Village suisse partait d'une idée ingénieuse, mise à exécution
avec un talent rare et un réel souci de l'exactitude telle qu'on la pouvait
concevoir dans ces conditions, je n'en saurais dire autant de Venise à
Paris dont le principe était le même sans doute, mais iiui me parut
une aimable et joyeuse fumisterie. Çà, Venise? Çà, la Piazzetta? Çâ,
l'église Saint-Marc, et le Pont des Soupirs, et le Quai des Esclavons. et
le Palais ducal?... Laissez-moi rire.
92
LE MÉNESTREL
Je sais bien qu'il y avait là, pour imiter le fameux vol des milliers
de pigeons qui, chaque joui', au premier coup de midi, s'abattent sur la
place Saint-Marc pour y chercher la nourriture qu'on leur prodigue
avec abondance en souvenir de je ne sais plus quel événement historique,
il y avait là une demi-douzaine de pauvres petites tourterelles efflan-
quées qui venaient se poser sur l'épaule des visiteurs pour vider les
petits cornets do graines que ceux-ci pouvaient se procurer dans l'éta-
blifsemenl ;i raison de deux sols. Mais cette illusion était singulière-
ment relative, comme tout le reste. Cependant, ceux qui avaient l'avan-
tage de connaître la vraie Venise, celle qui n'est pas à Paris, ne
devaient pas faire montre d'un scepticisme trop aigu à l'endroit de ce
qu'on leur offrait: autrement, le cicérone qui avait mission de faire
parcourir le « palais » et qui n'entendait pas raillerie sur ce sujet, avait
bientôt fait de les remettre au pas, et à leur place. Pour un peu je me
serais fait, pour ma part, une affaire avec ce fonctionnaire respectable
et plutôt susceptible. Il est vrai que le pauvre diable devait vire d'assez
méchante humeur en présence du peu de succès de l'œuvre à laquelle
il était attaché et du petit nombre do ses visiteurs. Dans les derniers
temps surtout elle était lamentable, cette excursion à la Venise du
Champ-de-Mars. On se serait plutôt cru dans le Sahara.
Ce qui était charmant, et autrement intéressant que Venise à Paris,
c'était les gentils Voyages animés, dans leur joli petit pavillon du
bord de la Seine, au pied du Trocadéro, près du poiu d'Iéna. Aussi
ceux-là n'ont pas eu à se plaindre du succès, car dans le courant du
mois d'octobre ils donnaient leur m'Hième séance. Ces séances étaient
courtes, à la vérité, et ne duraient guère plus d'une demi-heure. La petite
salle, toute blanche, sans aucune décoration, était comme une sorte de
salon et pouvait contenir une centaine de personnes environ. On y
pénétrait immédiatement du dehors, de plain-pied, en soulevant une
simple portière, ou prenait place, et le spectacle commençait.
Ce spectacle, qualifié do Visions du pays de France, faisait faire au
visiteur un voyage dans une contrée choisie, contrée qui changeait cha-
que jour de la semaine. Il était donc ainsi organisé : le lundi, la Savoie ;
le mardi, l'Auvergne et le Limousin ; le mercredi, la Bretagne ; le jeudi,
la Champagne et les Vosges; le vendredi, la Provence et la Cote d'azur:
le samedi, le Dauphiné ; enfin le dimanche, les Pyrénées. Sous les yeux
du spectateur se déroulaient, soit en tableaux panoramiques, soit en
images cinématographiques dues à MM. Lumière et projetées par les
appareils Molteni, quelques-uns des plus beaux sites et des plusadmira-
rables monuments dont la France est si riche et si justement fière.
C'était, pour la Savoie, les gentils lacs d'Annecy et du Bourget; pour
le Dauphiné Grenoble, les rives de l'Isère, la Grande Cliarlreuse; pour
la Champagne et les Vosges les souvenirs de Jeanne d'Arc à Vaucou-
leurs, à Domrémy et à Reims, Belfort et son lion d'airain; pour l'Au-
vergne ses âpres paysages et ses danses pittoresques ; pour les Pyrénées
Lourdes, Cauterets, le Cirque de Gavarnie et ses montagnes puissantes ;
pour la Bretagne ses plages, ses landes, ses men-hirs : pour la Provence
et la Méditerranée les Arènes d'Arles, Marseille, Cannes, Nice, Monte-
Carlo... Quelques-uns de ces tableaux étaient particulièrement curieux
par leur mouvement. Tels, dans la série du Dauphiné, l'arrivée d'un
train dans une gare et une descente d'alpinistes dévalant de la mon-
tagne, ou, dans celles des Vosges, les très intéressantes manœuvres
militaires. Chaque tableau était expliqué et commenté en vers (quels
vers, par exemple!) par une jeune Muse que représentait soit
M"'* Maryalis, soit M"'= Varly, de l'Odéon, et accompagné d'une musi-
que invisible de M. Francis Thomé. Certaines séances se terminaient
par l'audition de vieilles chansons françaises, quelquefois un peu
légères, qui valaient à la jolie M"« Suzanne Dalbray un succès très
légitime. En somme. le spectacle en son ensemble était neuf, original
et charmant.
(A suivre. J Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est la jolie symphonie en la majeur do MenJelssolin, dite Symphonie
romaine, qui ouvrait le dernier programme du Conservatoire. On assure que
cette symphonie n'eut, du vivant de l'auteur, aucun succès en Allema''ue.
Je n'en fais pas mon compliment à ceu.x qui eurent alors l'occasion de l'en-
tendre et de la juger. Je ne le fais pas davantage à ceux qui, non seulement
en France, mais dans sa patrie même, nient la très haute valeur musicale de
Mendelssoha et contestent son talent plein de grâce, de souplesse, d'élégance,
et parfois de vigueur et d'énergie. En ce qui concerne particulièrement la
symphonie en la majeur, je me permettrai de dire que depuis Beethoven on
n'a pas écrit un morceau aussi dramatique, aussi impressionnant que le
superbe andante conmoto, avec son rythme puissant et singulièrement obstiné
des basses, qui lui donne une si grande couleur et un caractère si pathétique.
(Juant au finale, si vivant, si lumineux, c'est assurément l'une des plus belles
pages de l'art moderne. Qu'on aille donc, après cela, comparer l'art sympho-
nique de Brahms à celui de Mendelssohn, et l'on verra la diftance qui sépare
les deux artistes. Il y a de bien jolies parties dans la Nuit persoiic, composi-
tion que M. Saint-Saéns a écrite, pour soli, chœurs et orchestre, sur des vers
de M. Armand Renaud. La poésie, la rêverie, l'accent, la vigueur, on y trouve
tour à tour les sentiments les plus divers, exprimés parfois de la façon la
plus heureuse et la plus originale. Celte composition a été l'occasion d'un
très beau succès non seulement pour l'auleur, mais pour M. Vaguet, qui en a
chanté la partie do ténor avec un goût exquis et un talent de premier ordre
et qui, après avoir fait bisser l'un de ses morceaux, a été l'objet d'un triple
rappel absolument mérité. Je lui adresse, pour ma part, mon très sincère
compliment. La partie de contralto était fort bien tenue par M™ Héglon, et
c'est M"' Renée du Minil qui avait assumé la tache, assez ingrate, de dire les
récits parlés. L'admirable ouverture de Coriolan, de Beethoven, d'une puis-
sance si prodigieuse dans sou étonnante conci.-ion, d'un sentiment si drama-
tique et d'une couleur si superbe, venait faire contraste avec la composition
poétique de M. Saint-Saéns. li Alléluia de M. Massenet est un chœur fans
accompagnement, qui date du printemps de la carrière du compositeur. Il
n'en est pas moins fort joli, très harmonieux, d'un tour vocal excellent, et sa
fin vigoureuse, sur le mot Alléluia, est d'un grand effet. Les chœurs ont dit ce
morceau en perfection, et ils ont été applaudis avec justice. Le programme se
terminait par la sonnante ouverture du Roi d'Ys, d'Edouard Lalo, suffisam-
ment connue pour que je n'aie plus rien à en dire aujourd hui. A. P.
^ Concerts Lamoureux. — La manière de M. de Greef, en tant que pia-
niste, n'a rien de commun avec la fantaisie capricieuse d'un artiste poursui-
vant son rêve idéal; elle est aussi fort éloignée de la mièvrerie, de l'élégance
affectée, del'alanguissement qui dominent chez les natures ultraféminines. Le
jeu mâle de l'exfellent professeur dans le concerto en sol de Saint- Saëns, sa
technique robuste et la fermeté qu'il a déployée dans certains traits du pre-
mier morceau, réputé difficile, en posant les tierces .avec une égalité rigou-
reuse et en arrivant à la fin sans en avoir ébréché une seule, méritent assu-
rément une complète approbation. Je ne trouve à critiquer que le manque
de transparence dans l'accompagnement de piano au début du second thème
du scherzo; cette faute enlève à l'entrée ravissante du violoncelle sa fluidité
poétique, son coloris et sa grâce aimable et souriante. Le public s'est montré
chaleureux sans toutefois épuiser sa réserve d'enthousiasme, car il ] estait à
entendre le 3° acte de Sirgfried. L'exécution instrumentale et la direction
d'ensemble ont présenté vraiment un intérêt exceptionnel, et lorsque, à la
fin, après les premiers applaudissements, des cris se sont élevés, répétant de
plusieurs cotés à la fois : l'orchestre! l'orchestre! cette ovation peu banale n'était
au fond que justice; depuis longtemps nous n'avions entendu une aussi
remarquable interprétation. Celles de M"'= Chrélien-Vaguet et de M. Imbart
de la Tour n'ont pas alTaibii l'impression; ces deux artistes ont chanté avec
une ardeur et un élan de conviction et de foi dignes des plus grands éloges,
elle, plus fervente et plus convaincue, lui, plus sur de ses moyens et en abu-
sant parfois, notamment dans le point d'orgue en tierces du réveil. Assez do
Wagner maintenant; il est temps d'entrer dans la voie si heureusf meut inau-
gurée Sivecla. Faust-Symplionie. C'est à M.Chevillard d'oser poursuivre les noliles
initiatives de Pasdeloup. Osera-t-il, — l'audace serait peu dangereuse — nous
offrir la Lenore de Raff, une des œuvres modernes les plus fécondes en jouis-
sances poétiques et eu voluptés musicales, un vrai poème d'amour que ter-
mine la célèbre cavalcade nuptiale de Burger :
Hurrah ! les morts vont vitel a-t-elle peur des morts, mon aiiii/^e? —
Ah ! Dieu 1 laisse les morts en paix !
Nous entrerions avec cet ouvrage dans le vrai genre symphonique dos con-
certs, et, la place devenant plus large pour les trop rares essais en ce genre
des compositeurs français, nous aurions à nous prononcer plus souvent sur
des œuvres estimables comme l'ouverture du Boi Lear de M. A. Savard, et
l'avantage serait grand, ne fut-ce que pour permettre à nos jeunes artistes,
lorsqu'ils se laissent entraîner sur une pente fatale, de s'en apercevoir et de
se ressaisir. Amédée Boutarel.
— Les concerts Colonne ont donné une quatrième audition du Faust de
Schumann, sur lequel nous n'avons pas à revenir, nos collaborateurs tn ayant
déjà donné leurs impressions à diverses reprises.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la niajeur (Mt ndelssolinl. — Nuit persane (Saint-Sacns',
soli : M"" Héglon, M. Vagutt; récits parlés ; M"" R. du Minil. — Ouverture de Coriolan
(Beethoven). — Alléluia, chœur (Massenet). — Ouverture du Itoi d'Ys (Laloi.
Chdlelet, concert Colonne, sous la direction de M Oskar Nedbal, clief d'orclieslrc de la
Société philharmonique de Prague : Symphonie en mi mineur (Dvorak i. — Air de
Samson et Datila iSaint-Saënsi, par M"» Emmy Deslinn. — a. La Fiancée de Messine
iFibichi, b. Yllava (Smelanai. — Trois chansons Ichùques : u. Chansons d'amour i Dvorak i,
6. Menuet à deux (frochazkai, c. Scène de l'opéra in Baiser iSmelanai, chanlces par
M"" Destinn, accompagnée par M. Oskar Nedbal. — Sérénade pour instruments à cordes
ijosef Suki. — Air iie-Marie-Mogdeleine (Massenet), par M"° Deslinn. — Deux danses
slaves (Dvorak).
Nouveau-Théàlrc, concert Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Ouverture
de Manfred (Schumanni. - Symphonie en ré mineur (César Francki. — Concerto f onr
harpe (lleniéi, par M'" Henriette Renié. — Chansons de Miarka (Alex. Georges), par
M"' Gaetane Vicq. — Les Murmures de la l'orél de Siegfried (Wagner). — Diverlissement
des Erinnyes (Massenelj.
LE MENESTREL
93
— Sous le titre : Les Grands Concerts symplioniques de Paris, il vient de
se fonder une nouvelle société musicale qui donnera chaque année une série
de concerts d'orchestre, dont la direction sera confiée, à chaque audition, à
un chef d'orchestre difl'érent, toujours choisi parmi les plus renommés de tous
les pays. Ces concerts auront lieu sur la scène du théâtre du Vaudeville, tous
les jeudis en matinée, à partir du 28 mars prochain. Exceptionnellement, il
sera donné un seul concert le soir du Vendredi-Saint, b avril. Voici la liste
des chefs d'orchestre qui conduiront, cette année, les Grands Concerts sym-
phoniques de Paris : F. Steinbach, directeur du fameux orchestre de Meinin-
gen, créé par Hans de Biilow; le docteur Cari Muck (Opéra royal de Berlin);
Max Fiedler (Hambourg); le professeur M. Erdmannsdœrfer (Munich); An-
dré Messager (Opéra-Comique de Paris). Parmi les solistes qui se feront
entendre au cours de cette même saison, on peut déjà citer le célèbre violo-
niste russe Alexandre Petschnikoff et le grand pianiste Maurice Rosenlhal.
Le direcleur des Grands Concerts symphoniques de Paris est M. M. Schiller;
le secrétariat général a été confié à M. A. Mercklein. Voici le programme de
la première séance, qui aura lieu jeudi prochain. -28 mars:
Ouverture (TEgmoiit Beethoven
Connerto n" 3 len st)/ majturj J.-S. Bach
Pour 3 violons, 3 altos, 3 violoncelles, et le continuo par tout l'or-
cheslre à coi-des. Violon solo: M. Wendling. Le concerto de Bach sera
exécuté par 21 violons, 18 altos et 8 violoncelles.
Deuxième Symphonie (en ré majeur) Joh.-Bn.\HMS
Huitième Symphonie len /a majeur) Beethoven
Rosdtnonde. Eotr'acle et Airs de ballet Fr. Schubert
Ou\evi}ire la Fiancée vendue (Prodana Nevesta.) F. Smetan.a
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Plusieurs journaux allemands avaient, en ces derniers temps, propagé la
nouvelle que M""' Cosima Wagner désirait obtenir des titres de noblesse
pour son fils et que le prince régent de Bavière, pressenti à ce sujet, aurait
promis d'anoblir le fils du maitre à l'occasion de l'inauguration du nouveau
théâtre wagnérien de Munich. Or, cette nouvelle est absolument controuvée,
et à Bayreuth on lui oppose un démenti formel ; ni M^^ Wagner ni son
fils ne songent à la moindre particule. Quelle singulière idée que de vouloir
anoblir le fils de Richard Wagner, petit-fils de Liszt, comme on aurait fait
d'un banquier enrichi ou d'un haut fonctionnaire mis à la retraite ! Richard
Wagner est mort sans avoir jamais accroché une décoration quelconque sur
sa poitrine ni ajouté le moindre titre à son nom ; il a donné sous ce rapport
à ses compatriotes un bon exemple à suivre.
— Un autre démenti énergique vient d'être lancé de Wahnfried contre la
nouvelle d'une prétendue rupture entre la famille Wagner et l'Intendant
des théâtres royaux de Munich. La première représentation de l'opéra-comi-
que le Jeune duc étourdi (Herzog Wildfang) de M. Siegfried Wagner a été. il
est vrai, ajournée à plusieurs reprises pour être enfin donnée hier, samedi,
annonçait-on, mais le compositeur se trouve à Munich depuis une semaine et
a dirigé les dernières répétitions. Quelques privilégiés ont même déjà reçu
la partilion gravée, qui ne sera mise eu vente qu'après la première par l'édi-
teur Max Brockhaus, de Leipzig. Nous comptons parmi eux et nous pouvons
ainsi, sans violer le secret professionnel, en ce qui concerne l'œuvre même,
raconter à nos lecteurs qu'elle est dédiée à M"" la comtesse Marie de Wol-
kensteiu-Trostburg, femme de l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie, plus connue
des wagnériens sous le nom de son premier mari, le baron de Schleinitz. La
dédicace est des plus flatteuses et des plus justifiées : « Au plus victorieux et
plus fidèle champion (Vorkaenijjferin) de l'œuvre de Bayreuth. »
— Frédéric II de Prusse fut, comme on sait, un flûtiste passionné et même
un compositeur à ses heures ; or, on n'entend pas en Allemagne que les bonnes
traditions se perdent. C'est pourquoi le kronpriuz Guillaume, quand il ira ter-
miner ses études à l'université de Bonn en automne prochain, sera pourvu
d'un professeur de violon en la personne de M. WiUy Seibert, professeur au
Conservatoire de Cologne. Le jeune prince sera alors dans sa vingtième an-
née; il est donc à présumer qu'il est déjà a'une certaine force sur son ins-
trument de prédilection.
— L'almanach des théâtres allemands que la maison Breilkopf et Haertel
publie depuis quatre ans, vient de paraître pour l'année 190O. Cette publica-
tion nous fait voir que les œuvres françaises se maitiennent fort bien sur les
scènes lyriques d'outre-Rhin. On y a, eu effet, joué Carmen 247 fois, Mignon
241, Faust 187, Fra Diavolo 108, les Huguenots 92, les Dragons de Villars 87, le
Postillon de Lonjumeau 80, l'Africaine 80, la Fille du régiment 79, la Dame
blanche 69, la Juive 07, le Prophète 38, la Poupée de Nuremberg ,'iS, la Muette de
PoTlici 3o, Guillaume Tell di, Joseph 27, Robert le Diable 22, le Maçon 17, la Part
du Diable 16, Manon 16, Sainson et Dalila 14, le Domino noir 11, Roméo et Juliette
10, Werther 7, Djamileh 8, les Deux journées 7, Zampa b, Jean de Paris -t.
Ipkigcnie en Aulide 4, tes Troyens i, Béatrice et Bencdict 3 et Benvenulo Cellini
2 fuis.
— L'Opéra impérial de Vienne a joué avec un succès honorable l'opéra
Lobelanz, musique de M. Thuille, de Munich, qui avait remporté le premier
prix au concours organisé par le prince-régent de Bavière « pour le meilleur
opéra-comique allemand ». L'affiche était complétée par Syluia, le charmant
•ballet de Léo Delibes, dont la reprise a eu un grand succès.
— On a donné dernièrement à Vienne un concert au profit du monument
de Liszt, avec le concours d'un des plus fidèles élèves et amis du maitre. le
comle GézaZichy, qui reste un des meilleurs pianistes de nos jours quoiqu'il ne
dispose que d'un seul bras. Il a interprété un concerto pour piano de sa fac-
ture écrit pour la main gauche seule. Malgré les limites naturelles d'une com-
position de ce genre, le concerto du comte Zichy a produit un grand effet,
— Dans une vente importante d'autographes qui a eu lieu la semaine
passée à Vienne, les musiciens ont eu tous les honneurs de l'enchère; leurs
autographes ont, en effet, été mieux payés que ceux des souverains, poètes
ou peintres qu'on a vendus en même temps. Une Cantate de mariage de J.-S.
Bach, qui est inédite, a été payée 1.980 couronnes; on a donné 2.110 cou-
ronnes pour une simple esquisse do Beethoven pour son lied de Mignon,
paroles de Goethe, et 620 couronnes pour une Polonaise pour musique mili-
taire. Une lettre de Beethoven au compositeur K. Stolz a été payée 432 cou-
ronnes. Le manuscrit de l'Étude, op. 10 N" 2, de Chopin, 790 couronnes, et une
Va'se 420 couronnes. Le chœur final d'une cantate inédite de Joseph Haydn a
atteint 580 couronnes et un air inédit de Gluck 804 couronnes. La couronne
autrichienne vaut un franc cinq centimes. Dans ces conditions, les mil-
lionnaires seuls pourront bientôt s'olfrir le plaisir de posséder des échantil-
lons de l'écriture des grands compositeurs.
— On annonce à Vienne deux concerts dans lesquels seront exécutés deux
anciens oratorios: Jephte, de Carissimi (1600-1674) et les Sept Paroles, de
Henri Schûtz (1383-1672), ainsi que plusieurs compositions du temps de
l'empereur Léopold 1='' (1640-1703).
— On nous écrit de Vienne pour nous signaler le succès sans précédent
que vient d'y remporter la charmante cantatrice Marcella Pregi aux récitals
qu'elle a donnés à la salle Rosé. On l'a justement couverte de fleurs, et à sa
première séance, composée en majeure partie d'auteurs français, Paul Puget,
Fauré, Diémer, Bizet et Massenet, on ne l'a pas rappelée moins de vingt-trois
fois. M"° Pregi, qui devient l'idole du public viennois, chante alternativement
eu français et en allemand.
— Décidément, le féminisme envahit l'art musical. Nous connaissons depuis
longtemps l'orchestre des dames viennoises, le premier de co genre; or, nous
allons avoir un quatuor de dames hongroises; quatre jeunes filles récemment
sorties du Conservatoire de Budapest viennent en effet de former un quatuor
qui donnera prochainement son premier concert. Ce quatuor estainsi composé :
M"" Cornélie Barlok-Goldmark, premier violon; M"' E. Hermann, second
violon; M"° Eva Breuer, alto; M"" 0. de Horvàth, violoncelle. Le premier
violon a de qui tenir, c'est la propre nièce de Cari Goldmark.
— Httbent sua fata carminal Une cantate de Weber qui n'a jamais été enten-
due en public vient d'arriver à sa première exécution. Le 20 septembre 1818,
le roi de Saxe Frédéric-Auguste célébrait le cinquantième anniversaire de
son avènement, et Weber, en sa qualité de kapellmeister royal, dut composer
la cantate obligatoire de l'époque.- Frédéric Kind , l'auteur du poème du
FreyschiUz, lui en fournit les paroles et Weber les mit en musique; mais
l'œuvre n'eût pas l'heur de plaire au vieux roi, qui n'en autorisa pas l'exécu-
tion. Weber fut alors obligé d'écrire en toute hâte la Jubel- Ouverture, qui
est connue de tout le monde. La cantate, œuvre sans prétention mais fort
agréable, pour solo, chœur et orchestre, resta dans les cartons du compo-
siteur. Or, l'Académie royale de musique de Munich, vient d'exhumer cette
cantate à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de la naissance du
prince-régent de Bavière, et l'eft'et produit par l'œuvre encouragera cer-
tainement son exécution parlout où l'on apprécie Weber selon ses grands
mérites. Le chant principal : « Décorez les portes », pour soli et orchestre, a
provoqué un véritable enthousiasme; c'est du reste la perle de la cantate.
— Les concerts en Allemagne. Un nouveau poème symphonique de
M. Anton Dvorak, Othello, a obtenu un très grand succès à l'un des derniers
concerts philharmoniques de Francfort-sur-le-Mein. — On a accueilli avec
une grande faveur, à Budapest, une nouvelle Symphonie palhélique du compo-
siteur croate Edmond Mihailovich, qui a été l'objet d'une véritable ova-
tion. — Grand succès aussi, au « Concert- Verein » de Vienne, pour deux
nouveaux poèmes symphoniques, le Quatrième commandement, de M. Cari
Prohaska, qui dirigeait lui-même l'exécution de son œuvre, et Sacounlala, de
M. J. de Wœss.
— De Dresde au New-York Herald: M. Gunkel, le compositeur bien connu,
auteur de l'opéra Attila, venait de quitter le théâtre et montait dans le tram-
way électrique quand une femme s'approcha, sortit un revolver, et avant que
les spectateurs pussent s'interposer, tira sur lui un coup de revolver qui le
blessa mortellement. La criminelle a été aussitôt arrêtée. Elle a déclaré
s'appeler Jahnel. C'est la femme divorcée d'un directeur de chemin de fer.
Le divorce avait été prononcé contre elle précisément en raison de ses rela-
tions avec l'artiste, qu'elle aimait passionnément.
— On a exécuté pour la première fois à Teplilz. au quatrième concert
d'abonnement, une symphonie inédite en fa mineur, de M. Camille Horn,
ancien élève d'Antoine Bruckner, aujourd'hui professeur et critique musical
à Vienne, connu jusqu'ici par diverses compositions pour le piano et pour le
chant. C'est une œuvre inégale, mais qui ne manque pas d'intérêt et qui a
été bien accueillie.
94
LE MENFSTREL
— Lo théâtre de Rostock i,Mecklembouigi vient de jouer avec beaucoup de
succès un opéra en trois actes intitulé la Femme qui juge, musique de SI. K.
T. Schwab.
— M. Oscar Fleiscber, professeur à l'Université de Berlin, vient de publier
en cette ville et sous ce simple titre : Mozart, un petit volume de 200 pages
qui, dans ce court espace, fait connaître tout ce qu'il est indispensable de
savoir sur ce maitre des maîtres. Ce petit livre, orné de deux portraits, n'est,
croyons-nous, qu'une sorte de réduction d'un ouvrage plus important dû au
même écrivain. Il se termine d'une façon utile par une bibliographie des
écrits publiés sur Mozart tant en allemand qu'en français, en italien, en
anglais et en hollandais. Remarquons toutefois qu'en ce qui concerne la
France, cette iibliographie aurait besoin d'être complétée.
— 'Un journal étranger nous apprend qu'à Constantinople la censure a
interdit la représentation de deux drames de Shakespeare. Hamlet et Othello.
Que diable le doux souverain, protecteur des Arméniens, qui porte le nom de
Commandeur des croyants, peut-il avoir à craindre des chefs-d'œuvre du poète
anglais?
— Nous avons annoncé qu'on avait découvert à Naples un neveu de Cima-
rosa, ■vieillard septuagénaire, qui vivait dans la plus affreuse misère. Quel-
ques personnes bien intentionnées se sont réunies pour venir en aide à cet
héritier d'un grand norn, dont le pè^'e, frère du glorieux auteur du Mafrimonjo
segreto, fut jadis professeur de contrepoint au Conservatoire de Naples.
— Justement, à l'occasion du centenaire de Cimarosa, la Société des auteurs
et artistes dramatiques et lyriques italiens, à Rome, vient d'ouvrir un con-
cours, auquel elle donne le nom de « concours Cimarosa », pour le livret et
la musique d'un opéra giocoso, avec un prix de mille francs pour la musique
et de cinq cents francs pour le livret. Si cela pouvait induire les jeunes com-
positeurs italiens à revenir à l'opéra bouffe, la rayonnante et incontestable
gloire de leurs ancêtres !
— On lit dans le Trovatore : — « M. Castellani, commissaire du gouverne-
ment, s'est rendu à Naples pour procéder à une enquête sur les actes admi-
nistratifs du Conservatoire de musique de San Pietro a Majella, et voici, selon
la Propaganda, ce qu'il aurait découvert. Les peintures célèbres qui existaient
dans l'église annexée, parmi lesquelles des tableaux de LucaGiordono, gisent
à terre, abimés par l'humidité et rongés par les souris; les pierres précieuses
qui étaient inscrutées au centre du maitre-autel ont toutes disparu mystérieu-
sement; le très riche pavement en mosaïque de la chapelle a été la victime
d'un véritable vandalisme, et beaucoup de ses fragments ont été vendus au
Musée national tandis que d'autres allaient enrichir la collection de la maison
d'une princesse napolitaine: des tentures religieuses et des tapisseries d'une
inestimable valeur ornent actuellement les bureaux du gouverneur et du
bibliothécaire, et enfla des meubles en marqueterie et des objets antiques
de grand prix, qu'on savait être là, ont complètement disparu. Le directeur
du Conservatoire, qui est l'illustre maestro Pietro Platania, ignorant jusqu'à
ce jour de tout ce carnage, s'est mis à la disposition du commissaire du
gouvernement pour l'aider dans la recherche des coupables. »
— Le conseil communal de Florence a décidé, à l'unanimité, de donner le
nom de Verdi à la rue del Fosso, où se trouve le théâtre Pagliano. Et celui-ci,
avec le consentement de son propriétaire, prendra aussi le nom de théâtre
Verdi.
— Il parait qu'on vient de découvrir en Italie un nouveau ténor, doué
d'une voix phénoménale. Il s'appelle Isaia Verdiua, et l'on raconte qu'il a
slupéfié ceux qui l'ont entendu chanter récemment dans l'église de Lonato.
Non seulement sa voix est pure et d'une qualité superbe, mais elle monte
sans difficulté jusqu'à \'ut dièse, le fameux ut dièse de Tamberlick, que les
amateurs attendaient à chaque représentation avec une véritable anxiété et
qu'ils couvraient d'applaudissements, sans se soucier d'ailleurs autrement de
l'admirable style de l'artiste.
— Ou vient de construire à Bergame un nouveau théâtre dont le nom n'est
pas encore définitivement arrêté, car on ne sait s'il s'appellera théâtre Tor-
quato Tasso ou Humbert premier. Ce nouvel édifice est d'une grande élégance,
d'une décoration très riche, et conçu de façon à satisfaire les plus grandes
exigences du confort moderne. Détail particulier : toutes les places de par-
terre seront assises, fait nouveau en Italie.
— On a donné le 26 février, à Pérouse, la première représentation d'un
opéra en trois actes, la Contessa Clara, paroles de M"" Maria de Angolis-
Bianchi, musique de son frère. M. Arturo de Angelis, jeune compositeur de
vingt-deux ans. L'ouvrage, joué par M"«Iaes Rosalba, MM. Pintucci, Sabbi et
Malatesta, parait avoir obtenu un plein succès. Quatre morceaux ont été bissés,
et l'auteur a été l'objet d'une vingtaine de rappels.
— A Genève il a été donné un fort intéressant concert, dont toute la
seconde partie était consacrée aux œuvres de Théodore Dubois : I. Ouverture
de Frithioff. — II. Deux pièces en forme canonique. — III. Concerto de violon,
exécuté par M. Henri Marteau. — IV. Intermède symphonique de Notre-Dame
de la Mer. Tout a été applaudi à outrance et on a fait à l'auteur, qui était
présent, de superbes ovations. Vrai triomphe aussi pour Henri Marteau, qui
a joué le concerto avec une maestria incomparable.
— Nous croyons être agréable à nombre de nos lecteurs en les informant
qu'une agence se chargeant de l'organisation complète en Suisse des concerts,
conférences, tournées, représentations, existe maintenant à Genève. M. Henn,
qui en est le directeur, se tient à la disposition des artistes pour tous les ren-
seignements qu'ils pourraient désirer.
— Le théâtre Eslava de Madrid a donné récemment une zarzuela intitulée
Alertai qui, parait-il, n'est qu'une parodie, assez fâcheuse d'ailleurs, du
fameux drame de M. Galdos, Électra, qui passionne et impressionne tonte
l'Espagne depuis quelques semaines. Les auteurs de cette Alerta sont, pour
les paroles, de MM. Muiloz et Escacena, pour la musique MM. Corvino et
Foglietti.
— Autres nouvelles zarzuolas à Madrid, qui fait décidément une étonnante
consommation d'ouvrages de ce genre. Au théâtre Apolo, J(igt(e a lu Reina, un
acte, paroles de M. Sirresio Delgado, musique de M. Eladio Montero. — Au
théâtre Parisli, las Parrandas, trois actes, paroles de MM. Flores Garcia et
Briones, musique de M. Brull: interprètes, MM. Soler, Valentin Gonzalez,
Gamero, Hervas et Figuerola. M'"'" Domingo, Santés et Galan; grand succès.
— Le minisire de l'intérieur de l'Angleterre vient de publier un rapport
sur les théâtres du pays à la fin de 1899. A cette époque Londres comptait
S81 théâtres et music hal's de tout genre. Ces lieux de plaisir étaient un
gagne-pain pour loi. 216 personnes, et le nombre des visiteurs dépassait
généralement cinq cent mille. Dans le Royaume-Uni et en Irlande on comp-
tait à cette époque plus de 3.000 théâtres et music halls qui occupaient
830.000 personnes et étaient visités tous les seirs par plus de 1.230.000 ama-
teurs. Le nombre serait de beaucoup augmenté s'il était permis de jouer le
dimanche ; le nouveau siècle et le nouveau règne amèneront peut-être cette
innovation impatiemment attendue par beaucoup d'Anglais, qui s'ennuient
ferme le « jour du Seigneur ».
— M. Manuel Garcia vient d'entrer dans sa 97" année. L'illustre artiste se
porte admirablement et donne encore des leçons de chant à quelques élèves
démarque; mais il a néanmoins quitté Londres pour passer la mauvaise
saison dans le Midi. C'est la première fois que l'artiste ait cru devoir faire
cette concession à son grand âge.
— La Société philharmonique de Londres a inauguré sa 89" saison de
concerts par une séance dans laquelle elle a e.xécuté l'ouverture de Macbeth
d'Arthur Sullivan, la symphonie en mi mineur de Beethoven, la Tente du
soldai, nouvelle composition orchestrale de M. Hubert Parry. la Sérénade en
fa de Mozart pour quatre orchestres, et un nouveau concerto de violon de
M. Graedmer.
— Un concours est ouvert en Angleterre, avec un prix de SOO francs, pour
la composition d'un trio pour hautbois, cor et piano. La corapotilion doit
être essentiellement originale (c'est-à-dire ne pas être un arrangement d'une
autre œuvre) et n'avoir jamais été exécutée en public. Les manuscrits, avec
une lettre cachetée contenant le nom et l'adretse de l'auteur et sur l'enve-
loppe un mot ou un pseudonyme, devront être adressés avant le 18 jan-
vier 1902 au docteur Yorke Trotter, 22, Prince's street, Cavendish square,
London W. (Angleterre).
— Le troisième concert historique donné à Edimbourg, dans la grande
salle de l'Université, offrait un intérêt très vif et tout spécial. Le programme
ne comprenait que des symphonies de compositeurs antérieurs à Haydn,
exécutées, sous la dirccticm de M. Frédéric Niecks, par un petit orchestre
d'instruments à cordes avec deux hautbois et deux cors. Il était ainsi com-
posé : Symphonie en mi h, de Johann Cari Stamitz (Bohémien, 1717-1761),
auteur de 12 symphonies; Symphonie eu mi ''^, d'Anton Filtz (Allemand,
1733-1760), auteur de 6 symphonies; Symphonie en sol majeur, de Frédéric
Sohwindl (Hollandais, 1740-1786), auteur de 18 symphonies; Symphonie en
mi h, de Johann-Chrétien Bach (Allemand, onzième fils de Jean-Sébastien,
1733-1782), auteur de 16 symphonies; Symphonie en ré majeur, de Cari-
Frédéric Abel (Allemand, 1723-1787): Symphonie vn mi [>, de François-Joseph
Gossec (Belge, 1734-1829), auteur de 26 symphonies.
— Le jour des funérailles de la reine Victoria a eu lieu à Liverpool un
concert uniquement composé de marches funèbres : celle de Saiil, oratorio
de Haendel, celle de la sonate op. 26 de Beethoven, celles de Mendelssohn,
de Chopin et de Wagner, et enfin la Marche funèbre et Chant séraphique de
M. Guilmant.
— Pour rendre hommage au pays qui lui avait donné l'hospilalité, la troupe
italienne du théâtre Tacon, à la Havane, a donné, à la fin de son séjour, la
première représentation d'un opéra en un acte, il Naufrago, dû à un compo-
siteur indigène, M. Edouard Sanclicz Fuentes. Il va sans dire que ce petit
ouvrage a excité l'enthousiasme des compatriotes du compositeur et (|u'il a
obtenu un succès éclatant. Il avait pour interprètes M""* Sartori et Farelli,
MM. Bieletto et Bellagamba.
— Un ouvrage publié récemment à New- York par M. Franklin Fyles
constate que les Etats-Unis possèdent S.OOO théâtres, représentant un capital
de 500 millions de francs. Plus d'un million et demi de spectateurs se trou-
vent tous les soirs dans ces théâtres et la dépense annuelle s'élève de ce chef
à 350 millions de francs. Les appointements des artistes sont en général
élevés. Dix acteurs et cinq actrices gagnent plus de 1.200 francs par semaine.
Les figurants les moins bien payés gagnent encore 60 francs par semaine. Il
faut toutefois tenir compte de ce fait que l'argent ne représente pas en Amé-
rique la même valeur qu'en Europe.
LE ME'NESTllI'L
95
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les adhésions parviennent en foule au comité verdien pour l'érection
d'un mouumeut international à Verdi, à Busseto. Ou a élu un comité d'hon-
neur dont la reine Marguerite a accepté laprésidence, et qui est composé de
MU. Massenet, Tiiéodore Dubois, Garl Goldmark, Joachim, Looncavallo,
Marchetti et Mascagni.
— On sait qae la commission du théàlre antique d'Orange avait organisé,
pour les 4 et S août prochain, une grande solennité lyrique, qui eût été la
consécration définitive du « Bayreuth français ». On devait représenter, en
cette solennelle circonstance, un grand drame lyrique, les Barbares, dont
MM. Victorien Sardou et Gheusi avaient fourni le texte et M. Saint-Saëns la
musique. Mais voici qu'au dernier moment, devant la note à payer pré-
sentée par M. Gailhard, des dissensions se sont élevées au sein tumultueux
de la commission. Il ne s'agissait rien moins que d'un risque d'une centaine
de mille francs : « Cela va hien si le temps est beau, disaient les Cadets:
mais s'il pleut, que faire en ce théâtre à ciel ouvert? » Et on a reculé, faute
de parapluies. On n'en tient pas dans le Midi. Alors M. Gailhard en sera
quitte pour donner la première représentation des Barbares à l'Opéra même
de Paris, au mois d'octobre prochain. C'était bien l'époque promise aux
auteurs du Roi d'Ys. Mais puisque Lilo est mort, on peut sans vergogne lui
manquer de parole une fois de plus. Eu pays de Gascogne, cela ne tire pas
à conséquence.
— Ce n'est pis pour le vain plaisir de jouer sur la rouge ou la noire les
belles recettes d'Àstarté que M. Gailhard s'est rendu à Monte-Carlo. Que non
pas! Notre homme est bien trop pratique pour cela. Du pays de la roulette
il rapporte en sa poche mieux que des louis d'or du banquier: un bel et bon
engagement du splendide ténor Tamagno pour dix représentations à l'Opéra
de Paris, au mois de mai prochain. On nous rendra à cette occasion VOtello
de Verdi, que nous continuons d'ailleurs à ne pas considérer comme l'une
des œuvres maîtresses du grand compositeur italie'n. Mais qu'importe! si nous
y retrouvons les fameux « coups de gueule » du célèbre virtuose: Et puis
Maurel n'en sera pas! c'est déjà quelque chose.
— C'était un canard! M. Albert Carré ne songe nullement à représenter
Giselle, le ballet d'Adolphe Adam. Il n'a pas l'intention d'augmenter son per-
sonnel chorégraphique, déjà très suffisant pour les besoins de la petite scène
si exiguë que lui a livrée l'architecte Beruier.
— Si M. Albert Carré n'a pas de visées sur Giselle, il en a au contraire et de
très hautes sur le Tristan et Yseult de Richard "VVagner. Il est presque d'accord
déjà avec le ténor Van Dyck pour jouer l'ouvrage en novembre prochain et
se préoccupe des artistes qui pourront tenir les rôles d'Yseult et de Brangaine.
C'est le pangermanisme partout, au théâtre comme au concert. Voici mémo
envahi le dernier refuge du fameux « genre national ».
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche, à l'Opéra-Coniique : en matinée,
la Fille de Tabarin : le soir, Carmen.
— On annonce un peu partout que M. Massenet écrira la musique de scène
pour la Belle au bois dormant de MM. Henri Gain et Fernand Gregh, qui
doit former l'un des premiers spectacles offerts au public, lors du retour de
M"" Sarah Bernhardt en son théâtre de la place du Chàtelet. Il n'en est
rien. Malgré son vif désir de satisfaire les deux auteurs, dont l'un au moins
est de ses grands amis, M. Massenet ne peut oublier que l'un de ses élèves,
M. Silver, a écrit sur le même sujet toute une partition d'opéra. Son plus
simple devoir est donc en la circonstance de s'abstenir rigoureusement.
— « Ce que c'est que la célébrité, dit un de nos confrères, et, ilfautbienle
dire aussi, la curiosité du public ! A peine le théâtre des Capucines avait-il
annoncé la répétition générale et la première du Je ne sais quoi I la pièce
sensationnelle qui doit servir de début, comms comédien, au célèbre bary-
ton Victor Maurel, que tout ce qui, à- Paris, porte un nom se précipitait vers
la coquette salle du boulevard des Capucines pour retenir des places pour ces
deux soirées exceptionnelles. » J'te crois! c'est pas tous les jours qu'on
assiste à des spectacles pareils.
— L'Orchestre philharmonique de Berhn vient d'arrêter définitivement l'iti-
néraire de la grande tournée qu'il va entreprendre sous la direction de son
chef, M. Arthur Nikisch, à travers l'Autriche, l'Itahe, l'Espagne, le Portugal
et la France. En ce qui nous concerne, l'orchestre Nikisch se produira à Nice
le 27 avril, à Marseille le 28, à Bordeaux les 14 et IS mai, à Marseille de
nouveau le 16 mai, à Lyon le 17, et à Paris du 19 au 26 mai.
— C'est hier, samedi, qu'a dil avoir lieu, à l'Opéra royal de Budapest, la
première représentation de Louise. Monté, nous écrit-on, avec des soins artis-
tiques tout particuliers, — l'orchestre n'aura pas répété moins de vingt fois,
— et un luxe et une vérité de mise en scène étonnaots, le roman musical de
Gustave Charpentier, dont la traduction hongroise a été faite supérieurement
par l'excellent baryton Guillaume Beck, celui-là même qui interprète le rôle
du Père, s'annonce, d'après les répétitions, comme un succès sans précé-
dent. La direction ayant cru devoir faire une coupure au 2= tableau dans la
scène du gavroche et de la balayeuse, et une autre dans le commencement
du grand duo du 4° tableau, l'auteur a du, à son très vif regret, décliner l'in-
vitation qui lui avait été faite de se rendre à Budapest pour assister aux der-
nières répétitions et à la première.
— Si Budapest est la première ville dans laquelle Louise sera représentée
en langue étrangère. Milan n'aura été devancée que de fort peu puisqu'on
annonce au Teatro Lirico, pour le commencement d'avril, la première de
l'œuvre triomphante. M. Edouard Sonzogno donne tout son temps et tous ses
soins à la mise au point et M. Gustave Charpentier doit, dans le courant de
cette semaine, se diriger sur Milan pour surveiller les dernières répétitions.
La traduction italienne est due au maestro Amintore (îalli.
— Après le renouvellement, en assemblée générale, du premier tiers sor-
tant de ses membres, le comité de l'Association des jurés orphéoniques a
procédé a la constitution de son bureau pour 1901. Ont été élus : M. Emile
Pessard, président; MM. Gastinel et Dureau, vice-présidents; Guilbaut, secré-
taire général; Mas et Simon, secrétaires; Turban, trésorier; Rougnon, archi-
viste; Kaiser, archiviste-adjoint. La date des nouveaux concours de compo-
sition musicale ouverts par l'Association des jurés sera prochainement fixée,
ainsi que les conditions de ces concours. Nous les ferons connaître.
— De Lyon : La première représentation de Princesse d'Auberge de Jan
Blockx a produit une excellente impression. L'œuvre mouvementée et colorée
du musicien flamand a été remarquablement rendue par M°='= Lafargue, Mil-
camps, Eva Romain, MM. Scaramberg, de Cléry, Huguet. L'auteur avait pré-
sidé lui-même au.x dernières répétitions. L'ouvrage a été monté avec grand
soin par M. Tournié, et l'orchestre de M. Miranne a droit à des éloges pour
son exécution soigneuse et nuancée de la partition. J. J.
— Aujourd'hui dimanche M. Théodore Dubois est à Lyon, où il dirige au
6° concert de l'Association Symphonique son 2' Concerto pour piano et orches-
tre, interprété par M"'" Clotilde Kleeberg, et sa suite d'orchestre sur la Fa-
randole.
— De Marseille : Le Grand-Théâtre a donné, la semaine dernière, la pre-
mière représentatioii de Louise. Le succès, qui s'était dessiné très franc et tout
immédiat dès les premiers tableaux, est devenu un vrai triomphe après le
i' tableau — on a dû relever le rideau six fois. — La soirée s'est terminée au
milieu des ovations sans lin faites au chef d'orchestre Michaud, qui a monté
l'œuvre magistrale de Gustave Charpentier avec une ardeur et une foi remar-
quables, aux interprètes, M'i' Marie Bayer -Louise, M. Desmet-le Père,
M"° Dalcia-la Mère, avec lesquels ils convient de citer M. Audisio-Julien et,
en bloc, les artistes chargés des autres nombreux rôles. Mais on s'étonne
grandement que les directeurs, qui ont fait des frais, n'aient, administrateurs
assez mal avisés, trouvé le moyen de monter Louise que tout à fait à la fin de
leur saison, alors que leur théâtre va fermer et qu'ils n'ont matériellement
plus le temps de profiter d'un très gros succès qui aurait, certainement, renou-
velé les belles et fructueuses séries de représentations de Cendrillon.
— Ou nous écrit de Marseille ; V Enterrement d'Ophélieie Bourgault-Ducou-
dray vient d'obtenir un franc succès au dernier concert symphonique. Il
est question de donner l'an prochain la Rapsodie cambodgienne du même
auteur.
— Extrait d'un discours prononcé par M. Adrien Bernheim, commissaire
du gouvernement, au Palais d'hiver de Pau, à l'occasion des fêtes de Jé-
lyotte :
... Il y a quatre mois, j'étais de passage à Pau; j'assistai à l'iDauguration de votre saison
théâtrale. Ou jouait ce chel-d'œuvre dans lequel il semble que Massenet ait mis toute
son âme, Manon. L'exécution fut d'une perfection telle que le soir même j'adressai à
mon grand ami une dépêche enthousiaste. Sa réponse, vous la connaissez. Elle tut immé-
diatement afTichée au loyer de vos artistes : il n'était pas pour eux de plus précieux
encouragement. Il vous porta bonheur, puisque par la suite vous avez offert des repré-
sentations de Saplio qui ont égalé celles de Manon et puisque tout à l'heure vous oiïrirez
la jolie r/t«/s el la troublante Xauarraisc. Vous avez ainsi. Messieurs, donné à Masse-
net la large place qui lui est due, car nul ne compiit mieux que lui que la musique,
loin d'être une science mathématique ou un problème d'algèbre, est l'art le plus récon-
fortant et le plus consolant de tous : l'art du rêve, a dit le poète.
Il y a quelques jours, le directeur respecté de notre grande École de nmsique et de
déclamation, M. Th. Dubois, vous apportait un nouveau témoignage d'admiration, à
vous, mon cher Bouvet, aidé dans votre tâche par votre merveilleux chef d'orchestre,
M. Brunel, l'organisateur de vos Concerts symphoniques, que M. le ministre des Beaux-
Arts a si justement récompensé aujourd'hui, et par tous vos camarades chanteurs et
comédiens.
— M. Broussan, directeur du théâtre de Nancy,, qui, l'an dernier, a créé
en cette ville la belle œuvre de M. Samuel Rousseau : Mérowig, poursuivant
ses idées do décentralisation artistique, ouvre cette année un concours auquel
pourront prendre part les auteurs et compositeurs français. Ce concours com-
porte une comédie en trois actes, du genre gai, et un opéra-cpmique, égale-
ment en trois actes. Les manuscrits et partitions seront reçus jusqu'au
31 juillet inclus et devront être accompagnés de plis cachetés renfermant les
noms et adresses des intéressés. Les sujets primés seront représentés dans le
cours de la saison prochaine. Pour tous renseignements, écrire à la direction,
à Nancy.
— De Toulouse : Le théâtre du Gapitole vient de nous donner la première
représentation, ici, de Sylvia. Mon Dieu, oui I le déhcieux chef-d'œuvre de
Delibes n'avait jamais été joué sur notre scène. Il est presque inutile de dire
que le public l'a accueilli avec des bravos et des bis sans nombre et qu'on a
fait fête aux danseuses, qui ont fait montre de talent et de gentillesse, et à
l'orchestre, très bien conduit par M. Tapponnier.
96
!■: MliNESTilKL
— On nous écrit d'Alger que la première représentation de la Louve, drame
lyrique en deux actes, paroles de M. J. Jacquin, musique de M. Gaston Sar-
reau, vient d'être donnée au théâtre d'Alger, que dirige M. Saugey. L'ou-
vrage a été très applaudi, et la presse algérienne est unanime à en faire l'é-
loge. La partition, toute moderne et très vivante, écrite sur un livret très
dramatique, a été fort bien interprétée par M"« Genain et Bury et MM, Laf-
fon et Perrens, M, Pennequin, un excellent chef, dirigeait l'orchestre,
— De Limoges : Le Cercle ne l'Cnion vient de donner une jolie soirée
avec le concours de M"' Palassara, qu'on a vivement applaudie dans Psijc}ié
et la Fille aux yeux de lin, de Paladilhe, cette dernière mélodie bissée, et
dans rAme des oiseaux. Chant provençal et Avril est amoureux, de Massenet.
— Mercredi prochain, à la salle Érard. concert avec orchestre (sous la
direction de M. Chevillard), donné par M. Léon Delafosse, qui y fera entendre,
entre autres numéros, sa nouvelle Fantaisie pour piano et orchestre, déjà si
applaudie aux concerts Lamoureux.
— M""^ Roger-Miclos, qui vient de remporter un fort beau succès à son
concert classique, donnera avec M. Louis Gh. Battùlle les lundis soirs
2o mars et 1"' avril, salle de la Schola Cantorum, 269, rue Saint-Jacques,
deux séances de musique moderne : celle du 2i3 sera consacrée à Bramhs,
celle du 1" avril à la musique moderne française.
— Le prochain « Mercredi-Danbé » à la Renaissance sera entièrement con-
sacréà la musique française. G'estainsi quenous voyons figurer auprogramme
les noms de Gounod, César Franck, G. Bizet, Massenet, Saint-Saëns, trois
mélodies avec chœurs de Gustave Charpentier, et enfin des fragments de
quatuors d'Eugène d'Harcourt et d'Alexandre Luigini.
— Soirées et Conjebts. — La jeune et charmante pianiste 31"" Lautier, élève très
distinguée de Théodore Lacli.a offert, aux élèves du cjurs qu'elle a fondé, une intéressante
séance de musique classique et moderne. L'entraînante et originale Aubade militaire, une
des nouvelles œuvres de son maître, lui a particulièrement valu un grand et légitime
succès. — Salle Pleyel, brillante matinée donnée par M"" Alliod pour l'audition de ses
élèves, avec le concours de M. Pichon, violoniste. Au programme : Marche des Princesses
de CendriUon, de Jlassene:; Air de ballet, de Roignon; Pizzicati de Sylvia, de Delibes;
S >uvenir d'Alsace, de Lack ; et pirmi les classiques de la collection Marm intel ; la Cliasse,
de Mendelssohn; Concerto en la mineur, de Humrael, et VInvil-ation à la Valse, de
Weber. JI"" Alliod a été très applaudie dans une mélodie de Chavagnat, à Grenade, où
elle s'est révélée cantatrice détalent. — La quatorzième matinée des « Concerts modernes »,
qui était coQïacrée aux oeuvres m isieales d'Ambroise Tliomas et aux œuvres poétiques
d'Eugène Manuel, a eu très granl succès. Des applaudissements très nourris qui ont
accueilli les pièces charmantes du musicien et du poète, une part revient au\ excellents
interprètes. M"» Oswald, M'"" Evon, Dauphin, Kabuleau, MM. Delaquerrièrc, Douaillier,
Davrigny, Céalis, etc. — Très joli concert donné, salle Erard, par M"" Jeanne Faucher et
ses élèves. On a vivement applaudi la charmante cantatrice dans l'air de Manon, de Mas-
senet, et dans Ischia, ViUanelleel Chanson à danser, de Périlhou, que l'auteur lui accom-
pagnait, et, à cuti d'elle, M"" Larronde dans CUermile, de Périlhou, M'"' Laurens et
M. I. Pbilipp dans Caprice et Valse Caprici sur des thèmes de Johann Strauss, de Pbi-
lipp, et M"' M. T. dans Nell, de Périlhou. — Soirée artistique et littéraire chez le peintre
Osbert; grand succès pour M"" Girardin-Marcbal dans des pièces pour clavecin de Haydn
et dans les Poèmîs sylvestres de Théodore Dubois. — A la matinée donnée à Bourges,
par les excellents professeurs M. et M"" Mar,juet, M. .Marquet a été l'objet des plus
flatteuses ovations après l'exécution du duo d'IIamlel, d'A. Thomas, avec M"» M. G. On a
aussi remarqué et applaudi M"'' R. iduo de Jean de NiveVe, Delibes), G.-J. (iVoc7 d'Ir-
lanie, Holmèsi,E. de G. lair de Mayton, Masseneti, M. A. lair de Werther, Massenet),
M"' E. de G. et M. B, iduo de Manon, Massenet), JI"' M. G. (air d'Orphée, Gluck) et
M"'* de C. et V. (duo de Werther, Masseneti. — Brillant concert de charité organisé par
le comte de Thannberg, pour une œuvre militaire; la Mèdilalion de Thais et Elégie de
Massenet, Par le sentier, de Th. Dubois, ont eu leur succès habituel ; Pluie en mer, accom-
pagnée par l'auteur, L. Filliaux-Tiger, et interprétée par M'"" de Banville, a été fort goûtée.
— Lh Société d'enseignement moderne a organisé deux nouvelles conférences sur Mozart
dans les IIP et XV' arrondissements. Grand succès pour le conférencier Villemin et son
interprète M"" Girardin-Marchal. — Très intéressante audition, salle Pleyel, des élèves
des suivis cours Fabre. Parmi les très nombreux élèves entendus, on remarque M""' J. A.
(Clair de lune el Campanules, Delafosse), M. -T. L. (flonmnce, Rubinstein), B. et Y. L.
{Prélude, Th. Duboisi, S.-G. (Werther, Massenet-Périlhoui, G.-M. (Esclarmonde, Masse-
net-Périlhou), M.-B. (Toccata, Massenet). Dans les intermèdes, M. Carembat s'est fait
vivement applaudir en jouant la Jïomance pour violon de R. Fischbof. — A la deuxième
séance de musique de chambre donnée par M. Gaston Courras, salle Erard, on a fêté
M"" Odette Leroy qui a chanté plusieurs œuvre; de Périlhou, accompagnés par l'auteur :
Li Vierge à lacréche. Musette, Nell, Villanelle, Noclurneel Chanson àdans"r. — Au concert
donné sous'le patronage de la comtesse d'Eu, au profit du patronage de ÎS'.-D. de la
Salette,on a applaudi un bon orchestre, très bien dirigé par M. J. Wbite, dans le ballet de
Françoise de Riniini, d'-\mbroise Thomas, M. A. Conte qui a chanté le Petit Jésus, de Mas-
senet, et la princesse Bibosco qui a joué des œ ivres de Ch:)pin et de Liszt.
NÉCROLOGIE
La Comédie-Française a été douloureusement frappée, cette semaine, en la
personne de deux de ses anciens artistes, dont l'un laissera un nom célèbre
dans les annales de ce théâtre et dont l'autre avait tenu pendant quinze ans
une place des plus distinguées. Edmond Got et Sophie Croizette (devenue
M"'= Jacques Stern) ont disparu de ce monde à vingt-quatre heures de dis-
tance, le premier à l'âge de 79 ans, la seconde avant d'avoir atteint sa
54= année. L'espace nous manquerait pour retracer ici la brillante carrière de
deux artistes qui ont occupé une place si importante dans le théâtre contem-
porain et qui — remarque intéressante — n'ont fourni cette carrière qu'à la
seule Comédie-Française. Rappelons seulement que celle de Got s'est pro-
longée pendant plus d'un demi-siècle, car son début remonte à 1841, et il ne
prit sa retraite que le 2û avril 1893, Pendant ce temps, en dehors du réper-
toire, où il continua glorieusement les nobles traditions de la maison, com-
bien établit-il de rôles nouveaux, qu'il marqua àf" sa vigoureuse empreinte,
du sceau de son incomparable talent! A peine pouvons-nous citer les noms
de quelques ouvrages : // ne faut jurer de rien, le Cœur et la Dot, le duc Job,
Maître Guérin, les Effrontés, le Fils deGiboyer... Got était un lettré: c'est lui qui
écrivit pour son ami, l'excellent compositeur Edmond Membrée, les livrets
des deux ouvrages que celui-ci fit représenter à l'Opéra: François Villon et
l'Esclave. — Gomme Got, Sophie Croizette avait fait ses études au Conserva-
toire, comme lui elle avait obtenu un brillant premier prix, comme lui elle
avait, en dehors du théâtre, fait de brillantes études, car elle passa ses exa-
mens d'institutrice. Elle avait 22 ans lorsqu'elle débuta en 1869 à la Comédie-
Française, où elle tint avec l'éclat que l'on sait l'emploi des grandes coquettes
et des premiers rôles. Elle a laissé les traces de son talent peut-être un peu
tapageur, mais très remarquable et très puissant, dans de nombreuses créa-
tions, entre autres l'Été de la Saint-Martin, les Fourchambault, l'Étrangère, le
Sphinx, la Princesse de Bagdad... Elle avait quitté le théâtre dans tout l'épa-
nouissement de sa jeunesse et de sa beauté, pour vivre la vie de famille et se
consacrer aux siens, leur faisant joyeusement le sacrifice de ses succès. Elle
part avant l'heure. Le Destin n'est pas juste...
— Un fin lettré d'esprit délicat vient de s'éteindre en la personne de Phi-
lippe Gille, qui toucha un peu à tous les genres avec un égal bonheur. Après
avoir fait de la sculpture et même de l'administration à l'Hotel-de-Ville,
sous la direction du baron Haussmann, il s'adonna plus particulièrement à
la littérature, et mena de front, toujours avec succès, la chronique parisienne,
les échos, la critique littéraire, la critique artistique, la poésie (on lui doit le
joli volume de l'Herbier) et le théâtre. C'est surtout sous ce dernier rapport
qu'il nous appartient ici, et il suffit de rappeler qu'il collabora aux livrets de
Jean de Nivelle, de Lakmé et de Manon pour montrer que la musique lui doit
de la reconnaissance. Dans l'opérette, il marqua surtout avec les Horreurs de
la guerre, la Cour du roi Pélaud, les Prés Saint-Gervais, le Docleur Ox, Bip et
l'amusante fantaisie des Charbonniers, dont le succès dure encore après plus
de vingt ans. Dans le vaudeville, qui ne se souvient de Cent mille francs et
ma fille, des Trente millions de Gladiator, de Ma Camarade, etc., etc.? Il était un
ami très dévoué et de relations sûres. On l'a enterré samedi en l'église Saint-
François-de-Sales. Avons-nous dit qu'il était officier de la Légion d'honneur
et qu'on l'avait nommé membre libre à l'Académie des Beaux-Arts, il y a
quelques années? Hélas! ce n'est plus que fumée, mais son souvenir vivra
durable dans le cœur de ses amis.
— Le 11 mars est morte à Milan M.''" Chiara Gallignani Bernau, femme de
M, Gallignani, directeur du Conservatoire. Grecque de naissance, fort ins-
truite, parlant également l'italien, le français et l'anglais, c'était une femme
remarquable en même temps qu'une artiste fort distinguée. Elle avait par-
couru comme cantatrice une brillante carrière, s'était fait applaudir surtout
dans Aida et dans l'Africaine et avait été, à Bologne, la première interprète
du Roi de ioAore de M. Massenet. ainsi qu'à Milan celle à'Atala, opéra de M. Gal-
lignani. Elle laisse de grands regrets à tous ceux qui l'ont connue.
— A Saint Pétersbourg est mort, à l'âge de 40 ans. le baron Basile de
Wrangell, qui y comptait parmi les jeunes compositeurs d'avenir. Il a laissé
un opéra en un acle intitulé le Mariage interrompu, un ballet et un grand
nombre de morceaux pour piano et des mélodies qui sont devenues populaires
et ont surtout fait connaître son nom.
— De Malaga. où il était né le 12 janvier 1831, on annonce la mort du
compositeur et organiste Edouard Ocon, directeur du Conservatoire royal
Marie-Chiistine de cette ville. Ocon, qui avait fait son éducation musicale à
la cathédrale de Malaga, où il fut enfant de chœur, obtint au concours, à
l'âge de 19 ans, la place de second organiste de cette église. Il se livra alors
à l'enseignement, puis, en 1858. vint à Paris, où il resta plusieurs années et
où il reçut, dit-on, des conseils de Gounod. Il retourna ensuite à Malaga,
qu'il ne quitta plus. Comme compositeur, il a publié de nombreuses œuvres
de musique religieuse: messes, motets, psaumes, lilanies, hymnes, etc., ainsi
que quelques morceaux de piano et toute une série de mélodies espagnoles,
italiennes et françaises. Le folklore lui est redevable d'un recueil fort intéres-
sant publié sous ce titre : Canles espanoles, colleccion de aires nacionales y po-
pulare.1 formada é iluslrada con notas explicat'was y biographicas (Malaga, 1874).
Ce recueil, le premier de ce genre qui ait été fait en Espagne, contient une
trentaine d'airs populaires espagnols, dont la plupart n'avaient jamais été
notés et qui sont extrêmement curieux. Ocon les a donnés tous avec un
accompagnement de piano, et quelques-uns avec un accompagnement de
guitare.
Henri Heugel, directeur-gérant.
. — (Encra Lerllicuxj.
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^U»^
SOMMAIEE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (5" article), Paul d'Estrées. —
II. Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (23" article), Arthur Pougin. — III. Le
Tour de France en musique; Bourgogne : les temps héroïques l'sMiie^, Edmond NEUKOsnr.
— IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PASTORALE DU XVI|- SIÈCLE
transcription pour piano de A. Périlhoo. — Suivra immédiatement : Menuet,
n" 10 des Naïves, de Louis Lacojibe.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pournos abonnés à la musique de chant:
Avril est amoureux, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jacques d'Hal-
MONT. — Suivra Immédiatement : Quand la nuit n'est pas éloilée, nouvelle
mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de Victor Hico.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRETES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les lémoires les plus récents et des flocments inédits
(Sidle.)
L'amour sur te théâtre. — L'amour laquais. — l'n scandale à Montpellier et une
fêle à Saint-Denis. — La nostalgie des planches. — L'agonie d'une comédienne.
— Deux oiseaux de proie. — fJn amant inconsolable.
La Petitpas offrait un contraste saisissant avec M'" Lemaure.
Elle avait reçu de la nature les dons les plus séduisants : une
ravissante flgiire ; une caractère facile, aimable, enjoué ; toutes
les qualités du cœur et de l'esprit. Si le timbre de sa voix
n'avait pas le volume, l'ampleur et la sonorité qui distinguent
l'organe d'une première chanteuse, elle avait en revanche le
charme et la grâce qui pénètrent le cœur et font couler les
larmes. Les abonnés de l'Opéra se rappelèrent longtemps cette
délicieuse soirée oii la Petitpas et Jélyotte doublèrent à l'impro-
viste M"" Lemaure et ïribou, leurs chefs d'emploi, dans les Fêtes
(jrecqiies et romaines. Les deux débutants tenaient les rôles de
TibuUe et de Délie. Ils s'aimaient tendrement, et leur passion se
donna libre carrière sur la scène. Ils jouèrent avec une émotion
si communicative, et leur étreinte, au dénouement, fut telle-
ment ardente, que toute la salle se leva pour les acclamer. Ce
chapitre n'est pas un des moins intéressants de ce livre toujours
nouveau qu'on pourrait appeler l'Amour sur le théâtre: il en est,
hélas! un des plus courts. ïibulle fut si souvent trompé par
Délie qu'il dut renoncer à l'infidèle.
Les aventures galantes de la Petitpas sont en effet innombra-
bles ; mais, contrairement à M"' Lemaure, dont nous avons
signalé les attaches fréquentes avec le monde du clergé, la
chanteuse légère... à tant de titres se réservait pour le plumet,
la finance et l'étranger.
Jusqu'à la fin de sa vie, si prématurément terminée, la Pelil-
pas fut une héroïne de roman. Un jeune officier s'était épris
follement de la comédienne ; mais il n'avait pas la clef d'or qui
sait trouver la porte de tous les cœurs; aussi, pour jouir libre-
ment de la contemplation de son idole, parvint-il à s'introduire
chez elle en qualité de laquais. Il montait derrière son carrosse
et la servait à table, au demeurant humble, modeste et discret.
Un de ses camarades, qui fréquentait chez la belle, le reconnut
et trahit son incognito. Ce témoignage d'un amour aussi délicat
que sincère toucha profondément la Petitpas. Elle entendit que
ce modèle des serviteurs vint prendre place auprès d'elle dans
la salle à manger, puis au salon, et la légende veut qu'il allât
plus loin encore.
L'exquise comédienne compta également parmi ses conquêtes
lord Weymouth.
Mais la page la plus intéressante et la mieux connue de la vie
amoureuse de la Petitpas, c'est l'histoire de sa liaison si longue
et si tourmentée avec Bonnier de la Mosson, trésorier général
des États du Languedoc. Ce personnage, qui avait, parait-il,
huit cent mille livres de rentes, le train d'un prince et le faste
insolent d'un parvenu, affichait non moins superbement sa niai-
tresse. Il l'emmena aux États du Languedoc et donna des fêtes
magnifiques dont elle était la reine, adulée par les courtisans
du maître et chantée par ses poètes. Ce fut un énorme scandale
dans toute la contrée. L'évêque de Montpellier, Colbert, un fou-
gueux janséniste, qui avait échangé une correspondance aigre-
douce avec Bonnier et qui n'en avait pu obtenir le renvoi de
l'actrice, fulmina l'excommunication majeure contre le financier.
Abreuvée de dégoût et d'humiliations, la Petitpas revint à Paris,
suivie de près par son amant, qui répondit au mandement
exaspéré de l'évêque par une protestation non moins furi-
bonde.
Ses rapports avec sa famille, on le comprend de reste, ne
laissaient pas que d'être fort tenxlus. Les Nouvelles de la Cour el
de la Ville ne donnent pas le beau rôle aux parents de Bonnier :
.< Io-2Û juin 1735.
» Je ne sais si je vous ai fait part d'une anecdote touchant
Bonnier, le receveur général des États du Languedoc.
<J8
LE MÉNESTREL
y> Un oncle qu'il a président au Parlement de Provence, qui
logeait chez lui ainsi que ses fils, craignant la dissipation des
biens de son neveu qu'on prétend lui être substitués, s'était joint
à M. de Chaulnes pour faire interdire M. Bonnier, qui, tout riche
qu'il est, n'a passé ni pour généreux, ni pour, dissipateur. Le
neveu, qui a été informé des intentions de son oncle, l'a mîs
dehors de chez lui aussi bien que ses cousins, et on prétend
qu'il travaille activement à son interdiction.
» Pour se venger, M. Bonnier épousera la Petitpas, dont il est
extrêmement amoureux, surtout depuis que l'on assure qu'ils
ont été se purifier ensemble de foules les taches de leur
jeunesse.
!) Bonnier vient de faire un nouvel éclat pour faire enrager
ses parents et la maison de Chaulnes.
» Il a donné une fête à la Petitpas dans la plaine Saint-Denis
sous des tentes, à son retour de chasse, où il y a eu un ballet en
l'honneur de l'anniversaire de sa liaison avec cette divinité, et
dont le dénouement a été un bracelet de pierreries en forme de
couronne qu'un Amour est venu apporter à sa Vénus : donc il
est plus fou que jamais. »
Que devenait l'artiste dans cette atmosphère surchauffée, où
le plaisir, le luxe et la volupté se disputaient seuls l'emploi de
son temps ? Demandez-le à la fable éternellement vraie du bon
La Fontaine : Le Savetier et le Financier. La Petitpas était riche,
parée comme une chiisse, obéie comme une reine, mais gardée
à vue et plus esclave qu'une femme de harem. Avec sa liberté
la jolie cigale perdit sa voix, cette voix qu'avait si bien préparée
l'adorable Yanloo et qui avait appris à son école, avec la science
du chant, l'art de la vocalisation. ■
Désormais la pauvre Petitpas ne devait plus connaître de la
vie que les amertumes et les tristesses. Après une grossesse pé-
nible et une maternité doultTureuse, sa santé s'altéra profon-
dément. Abandonnée par ses médecins, elle ne put mourir en
paix. Ses derniers jours furent troublés par le zèle trop ardent
de deux prêtres qui se disputaient l'honneur de sa conversion.
Le curé de Saint-Sulpice, Languet de Gergy, faisait valoir l'an-
cienneté de ses droits. Par l'entremise de la Petitpas, qu'il avait
enrôlée comme bienfaitrice de la communauté de l'Enfant-Jésus,
il avait soutiré à Bonnier de la Mosson plus de cent mille francs
pour l'achèvement de Saint-Sulpice, cette œuvre si chère au
cœur de Languet de Gergy. Cependant, ce fut le curé de Saint-
Eustache qui l'emporta sur son confrère. Il vint catéchiser la
mourante, la fit renoncer au théâtre et lui demanda, comme
dernier sacrifice, qu'elle cessât de voir son amant. L'agonie de
la pauvre fille, laissée aux soins de sa mère et de sa sœur, ar-
rachait des larmes. La Petitpas avait conservé toute sa connais-
sance. Elle avait renvoyé à Bonnier les diamants qu'il lui avait
prêtés pour ses parures de théâtre ; et sa pensée se tournait
encore vers lui :
— Ah I disait-elle, si j'avais eu un garçon, il m'eût épousée :
il me l'avait tant promis !
L'ouverture de son testament occupa tout Paris. Petitpas
laissait une fort belle fortune dont hérita sa famille. Le roi y
gagna 120 actions qu'elle avait sur la Tontine, et le curé de
Saint-Eustache dix mille livres pour l'éducation de dix jeunes
filles pauvres.
La vente publique du mobilier, des effets et des costumes de
l'actrice fut très suivie et s'éleva, parait-il, à un chifi're fort res-
pectable. Elle donna lieu à des incidents imprévus. Bonnier de
la Mosson, cet amant inconsolable, qui avait presque joué le rôle
d'un autre des Grieux sur la tombe de cette autre Manon, fit
beaucoup d'emplettes à la vente de Petitpas pour sa nouvelle
maîtresse, M'"' Wavre. Celle-ci le remercia en décampant dès
qu'il lui eut donné mille louis.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
LE THEATRE ET LES SPECTACLES
A. L'EXPOSITION UNIVEB SELLE DE 19CO
(Suite.)
LE PALAIS DU COSTUME
Voici qui était assurément, au point de vue de l'ai-t le plus pur, la
merveille de l'Exposition. Et le Palais du Costume ne nous offrait pas.
seulement, de façon absolument exquise, une histoire presque complète
du costume depuis l'antiquité jusqu'à l'époque présente, dans une série
de tableaux en quelque sorte vivants mis en scène avec le goût le plus
raffiué, mais il le faisait avec un tel scrupule et un tel souci de l'exac-
titude la plus parfaite, d'après les documents les plus sérieux, les plus
précis et les plus récents, que l'archéologue, comme l'artiste, y trouvait
la satisfaction la plus complète, le savoir de l'un n'ayant rien à envier
à la jouissance esthétique de l'autre.
C'est qu'il n'y avait pas seulement, dans ce Palais du Costume, des
reconstitutions historiques singulièrement ingénieuses et d'un intérêt
très vif. Un élément d'information plus sévère y trouvait sa place, le
document y abondait et les témoins authentiques du passé s'y trou-
vaient eu nombre. « Rien ne dépasse en intérêt, à ce point de
vue, disait un critique, les collections de vêtements rapportées par
M. Alexandre Gayet de la double campagne de fouilles entreprises par
lui, durant les deux hivers de 1898 et 1899, en Egypte, et qui figurent
dans les galeries du rez-de-chaussée, en vitrines. On y lit, avec une
certitude absolue, l'histoire complète du costume du troisième au trei-
zième siècle de notre ère, et les renseignements qu'on y trouve sont
d'autant plus précieux qu'ils étaient jusqu'à ce jour inédits. C'est le
secret de la tombe qu'elles nous livrent. » Le congrès ethnographique
international ne s'y est pas trompé, car après avoir visité la masse des
objets recueillis par M. Gayet, il en a constaté la valeur et l'utilité en
exprimant le vœu suivant : — « Considérant que la collection d'anciens
tissus égyptiens, coptes, byzantins et arabes exposée au Palais du
Costume est la seule collection de ce genre qui soit classée dans un
ordre logique, le congrès international des sciences ethnographiques
émet le vœu que cette importante collection ne soit pas dispersée et soit
conservée à la France. >■
Mais je ne saurais entrer dans plus de détails sur cette partie spécia-
lement sérieuse de l'exposition du Palais du Costume. Ontre que ceci
pourrait me mener plus loin que je ne voudrais, je ne dois pas oublier
que je fais surtout ici office de chroniqueur. Il me faut essayer de fah'e
connaître l'œuvre dans son ensemble séduisant.
Le Palais du Costume s'élevait au Champ-de-Mars, à gauche de la
Tour Eiffel, sur un vaste terrain de 300 mètres carrés. Le monument,
d'une architecture pleine à la fois d'ampleur et d'élégance, développait
une large façade, dont la décoration sculpturale était d'un goût parfait,
avec son ornementation de fleurs et de plantes naturelles qui lui don-
nait une grâce et une gaité charmantes. C'était vraiment le temple de
la beauté artistique.
L'idée de cette admirable exposition du costume devait venir d'un
spécialiste. Elle appartient à M. Félix, qui a eu l'heur de pouvoir la
réaliser, grâce aux concours empressés qu'il a trouvés de tous côtés. Il
n'est pas indifférent de savoir de quelle façon :
L'histoire du costume à travers les âges avait sa place marquée à l'Expo-
sition universelle de 1900. La classe 83 (vêtement et ses accessoires) devait
se charger de l'histoire sommaire du siècle (1) ; mais pour présenter au
monde l'Apothéose de la femme, il était indispensable d'aborder un pro-
gramme plus vaste, sinon absolument complet. C'est ce qu'a compris et
voulu Félix. Parcourir toutes les époques et reconstituer pour chacune d'elles
une scène originale, vivante, plaçant la femme dans son véritable cadre,
reproduire avec une fidèle exactitude non seulement le costume et ses acces-
soires, mais l'architecture et le mobilier, tel est le but qu il s'est proposé.
Pour réaliser un projet aussi magistral et grandiose, il fallait s'assurer la
collaboration de financiers et d'artistes. Félix a fait appel aux uns et aux
autres. Sur son initiative, les principales notabilités commerciales et indus-
trielles de Paris ont constitué une Société au capital de deux millions de
francs. Les actions fixées à 23.000 francs indiquent bien qu'il s'agit d'une
manifestation artistique sans préoccupation intéressée. D'accord avec le
conseil d'administration, Félix a chargé M. Théophile Thomas de la compo-
sition des sujets et des dessins des costumes, et M. Charles Hisler, archi-
tecte, de la reconstitution et de l'exécution de l'architecture des tableaux.
Tous les costumes, sans exception, ont été exécutés dans les ateliers de
Félix, sous sa direction personnelle.
Sitôt le projet connu, les personnalités les plus éminentes ont spontané-
(1) On se rappelle l'exposition collective délicieuse des grands magasins de Paris, qui
chaque jour attirait une foule énorme dans tes galeries du Champ-de-Mars.
LE MÉNESTREL
99
ment offert leur gracieux concours à une œuvre destinée à faire sensation.
Toutes les perruques ont été exécutées par Lenthéric. Les tissus de robes,
fabriqués à Lyon et copiés exactement sur des types aullientiques des diverses
époques, ont été fournis par la maison J. Rémond et G''. Les broderies,
nolamment celles du costume de l'impératrice Joséphine dans « la Veille du
Sacre », sortent des ateliers de la maison Dalsace. Les broderies d'or et les
dentelles d'or ont été confiées à la maison A'augeois et Binot. Les broderies
religieuses à la maison Noirot-Biais et Biais aine. Les chapeaux ont été
reconstitués par Caroline Reboux, les articles de bonneterie par madame
Lafont (Maison Milon).'rous les ameublements de la partie rétrospective ont
été reproduits avec une fidélité absolue par Jansen. Les tissus d'ameuble-
ment ont été fournis par MM. Cornille frères. Les tapisseries imitalion ont été
exécutées par M. Stauffacher, les bronzes par les maisons H. Viau et
Denières. L'ameublement et la décoration de la partie moderne sont dus à
MM. Raymond et G'« (Magasins de la Place Glichy). Les treillages artistiques
ont été exécutés par M. E. Bocquet.
On voit quel ensemble de talents et de bonnes volontés avait réuni le
projet si séduisant de M. Félix. Avec de tels concours, sa réalisation
était assurée dans les plus excellentes conditions. On peut dire du
résultat qu'il dépassa les plus grandes espérances ; jamais en ce genre
spectacle plus exquis ne fut offert au public. 11 n'y a donc pas lieu de
s'étonner du succès éclatant qu'obtint ce merveilleux Palais du Costume,
succès tel qu'aux premiers jours d'octobre les tourniquets avaient enre-
gistré l'entrée de plus de l.SOO.OOO visiteurs. Certaines journées en
comptaient jusqu'à 16.000. Le total fut d'environ 2.000.000.
Les visiteurs un peu superficiels, les femmes surtout, se bornaient
volontiers à contempler avec des yeux ravis les trente-cinq scènes déli-
cieusement animées qui leur montraient les transformations succes-
sives du costume dans le monde moderne occidental, c'est-à-dire
depuis le commencement de l'ère chrétienne jusqu'en 1900. Les curieux
réfléchis ne manquaient pas de s'arrêter longuement, au rez-de-
chaussée, devant la collection si bien classée de M. Albert Gayet,
cette série si curieuse, si intéressante, de modes gréco-byzantines, for-
mant un ensemble historique tel qu'on n'en avait jamais vu et qui
arrachait de véritables cris d'admiration. On s'arrêtait aussi volontiers,
au premier étage, devant uue reconstitution amusante et ingénieuse,
celle des fameuses galeriesde bois du Palais-Royal telles qu'elles exis-
taient à la fin du dix-huitième siècle, avec leurs boutiques et leurs
marchandes revêtues des costumes du temps (celles-là n'étaient pas des
mannequins), marchandes de broderies, de rubans, de parfumerie,
d'éventails, « marchandes de frivolités », comme dit M. Sardou. Puis,
à ce même étage, à droite, on s'extasiait encore devant la très jolie
exposition historique de la coiffure de femmes organisée par 1' « Acadé-
mie de coifTure (1) ». Mais tout cela ne pouvait porter tort à la vérita-
ble exposition qui avait donné naissance au Palais et qui excitait
l'admiration générale.
C'est celle-là, si vous le voulez bien, que nous allons enfin visiter
ensemble.
(A suivre.) Arthur Pougin.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
^3 o-u.x*s-o^x3.e
(Suite. )
II
TEMPS HÉROÏQUES
Bonne d'Artois est peu connue dans l'histoire. On sait seulement
qu'elle était fille ainée de Philippe d'Artois et de Marie de Berry, et
que, veuve de Philippe de Bourgogne, comte de Nevers, tué à Azin-
(1) « Lorsque le projet de M. Félix l'ut connu, l'Académie de coiffure manislésta le
désir de collaborer à cette conception artistique par une exposition collective reproduisant
l'histoire rétrospoclive de la coiffure. Elle désigna deux de ses membres, JIM. Camille
Croisât et Auguste Petit, pour s'entendre avec M. Félix. La demande de l'Académie ayant
été admise par le conseil d'administration, une commission d'organisation composée de
JIM. Camille Croisât, président, Doudet et Auguste Petit, directeurs artistiques, Debot,
secrétaire-trésorier, et de MM. Bataille, Boyer, Noirat, Garraud, Francis, J. Loisel,
Maliemont, Nissy, Perrin etRey, lut nommée avec mission d'organiser l'Exposition de
l'Histoire de la coiffure, de Henri II à nos jours. Elle a réuni un groupe de quarante
exposants qui décidèrent d'organiser une galerie de 60 bustes, le tirage au sort désignant
à chacun les coiffures qu'il aurait à exécuter. Le Palais du Costume a mis à la disposition
de l'Académie de coiffure les gracieux salons faisant suite aux galeries des toilettes
modernes : c'est ainsi que le public peut, après avoir parcouru le cycle du costume à
travers les âges, comparer et admirer les moditications et les transformations de la
coiffure de la femme pendant ces trois derniers siècles. »
court, dont elle avait eu deux fils, Charles et Jean de Nevers, elle épousa
Philippe le Bon le 30 novembre 1124, pour mourir, l'année suivante,
d'une fausse couche, dans son palais de Dijon.
Ses vertus étaient grandes. C'est du moins ce que nous apprend cette
complainte, œuvre du poète-chevalier Guillaume Vaudrey, qui jouissait
d'un grand renom de vaillance et de galant sçavoir à la cour de Bour-
gogne :
Hélas, hélas, hélas, Bourgongne,
Trop mal se porte ta besongne
D'avoir perdu Bonne d'Artois
Qui fut ta duchesse neuf mois.
Dame de grant deligence.
Née de la maison de France,
Onques n'araa lirannie.
Larrons, pillards ne roberie.
Ses heures canoniaulx disoit,
Pauvres malades garir faisoit.
Et se estoit grant aulsmônière
Et l'Église ovoit moult chiére.
.lamais n'eust la croys avisée
Que ne feust agenoillée;
Toujours fut bien en compagnit
De femmes en suivant sa vie;
Ne mettoit nul en son service
Quelle sceut blasme ne vice.
Tout son temps fut renômée
Et du menu peuple amée.
Car ferme estoit en justice
Et à grâce dulce et propice.
Et sy heoit moult la guerre
Et paix norrissoit en sa terre.
C'étoit le mirouer des princesses,
Fussent roynes ou duchesses.
Piteuse, fut dévote et saige,
Gente de corps et de visaige.
Ne querest pas habis esti-anges,
Queues, cornes ne longues manches;
Humblement estoit atournée
Et de robes bien ordonéc,
N'amoit point gourmanderic. Sa fin catholique et saincte
Ne par nuit grand veillerie. Monstre quelle amoit Dieu sans faincte ;
Ne vins affectez d'espices. Or, lui prions que par sa grâce
Dont s'ensuivent plusieurs bords vices ; En paradis son lieu ly face,
Et nous doint tost une nouuelle
Dame qui soit pareille à elle
Et nous fasse bonne lignée.
Dicte amen, je vous on prie.
La « nouuelle dame » mit quatre ans à venir. Ce n'est, en effet, qu'en
1429 que Philippe le Bon épousa en troisièmes noces Isabelle, fille du
roi de Portugal, qui fut la mère de Charles le Téméraire.
Ce dernier a laissé des souvenirs guerriers qui sont dans toutes les
mémoires. Son règne évoque la pensée d'un cliquetis d'armes perpétuel
et l'image d'un faste sans pareil. Il voulut éclipser tous les souverains
ses contemporains, et il y parvint. A Aix-la-Chapelle, où il eut une
entrevue avec l'empereur d'Allemagne, il déploya pendant plusieurs
jours un luxe inoui. donnant le spectacle de splendeurs inconnues
juscjue-là.
(I C'était surtout sa chapelle, nous apprend M. de Barante, qui e.xci-
tait l'admiration. Il en avait étalé toutes les richesses dans l'église
Notre-Dame, sur quatre tables couvertes de drap d'or. On y voyait les
douze apôtres en argent doré, dix autres figures de saints en or massif,
un nombre considérable de grands crucifix d'or ou d'argent embellis de
sculptures ou enrichis de diamants, six grands candélabres, dont une
paire était d'or, une châsse couverte de diamants contenant des reliques
de saint Pierre et saint Paul, un tabernacle d'or tout sculpté. Ce qui
était le plus précieux était un lis en diamant renfermant un clou et un
morceau de la vraie croix qui enchâssaient un diamant long de deux
doigts; enfin, ime multitude de relicjues... La musique de sa chapelle,
objet particulier de son gotit et de ses soins, chantait chaque jour à
l'église des hymnes accompagnées du son des instruments et ravissait
les habitants d'Aix-la-Chapelle. »
Vu son humeur batailleuse, les chansons guerrières furent particu-
lièrement en honneur à la cour du Téméraire. Leroux de Lincy en donne
quelques-unes sur l'expédition dirigée contre les villes de la Flandre et
du pays de la Somme par le fouguetLX duc de Bourgogne. L'une se
rapporte aux diverses cités assiégées ou sur le point de l'être, et montre
le sort pitoyable qui les a frappées ou qui les frappera. Charles n'en-
tendait pas raillerie dans les choses de la guerre. Il les menait à la façon
d'Attila, ou peu s'en faut. Donc :
Dignant (Dinaiil) par sa follie Saint-Quentin la jolye
Elle est arse et bruye S'est trop enorguillye
En cendre et en carbon. D'avoir pris garnison :
Liège l'a ensievye, II coustra mainte vye
Car par sa fellonye D'une ou d'autre p.irtye :
Est à perdition. Dieu doist au bon, le bon.
Saintron, quoy que on dye. Elles ont leur foy mentye,
En a eu sa partye. Dont la Vierge Marie
Et Tongre, ce dist-on. En prendra vengison,
Tournay n'y fourra mye : Se loésu preste vye,
Par sa mauvoise envye Au bon duc qui maislrye
Ara son guerredon. Picars et Bourguignons.
Picquigny ne soit mye ; 11 a en son ave
Quant elle fut assegie, Gont de mainte partye :
Fust grant destruxion ; Flajnans et Brabanchons,
Amiens s'est repentye Picai-s, Artisiens,
Qu'elle fist la foUye .\Uemans, Hennuyers,
De la grant trahyson. Et ces bons Boui'guignons.
100
LE MÉNESTREL
Le duc a courtoisie,
Dnnt le doux fnijx de vyt
Lui fera garisoo,
Et s'aversc partve
Conguistra une fie
La uiorlel traïson.
La chose est bien taillié
D'estre toute averye,
Car le bon Bourguignon,
A forclie artillerie
Et de chevallerye,
Eu ara sa raison.
On iist villennyc
Quant par grant triquerie
De Iraistres fclon
Qui firent la follye
Dont Ihésus benoye
Son hault et digne nom.
Pour tant a voix serye
A chascun je supplie
Que par atlexioa
Prient jour et nytye
Dieu et Sainte llarye
Pour le Duc noble et bon.
Tournay, menacée dans cet te chanson d'avoir son guerredon, était dans
une situation particulière. Située sur les confins de la Flandre occi-
dentale et du Hainaut, reconnaissant les rois de France pour seigneurs
suzerains, cette ville s'efforçait vainement de rester neutre entre ses
deux puissants voisins, Louis XI et le duc do Bourgogne. « Affectionnée
au Roy, dit Commines, elle lui payait 6.000 livres parisis, et par là
vivait en toute liberté; mais, par contre, les gens d'église et les bour-
geois de la ville ayant leur revenu vaillant en Hainaut et en Flandre,
elle était accoutumée de donner, pour les anciennes guerres de Char-
les VII° l't du duc de Bourgogne. 10.000 livres à chacun. «
Tournay, — Tournay. <( pleine d'oiitreeuidance et de bonbance », était
donc le point de mire des menaces et des lazzis du parti bourguignon.
Dans une Ballade sur ceux de Tournay, il est reproché aux Tournaisiens
d'avoir laissie leur bonne maîtresse, la vierge Marie, patronne de la ville,
pour l'alyer au Roy de France. Aussi seront-ils punis. Les faucons hardis
leur menglwront char el boiau.r; ils seront trcstous e/fbndrés. et bœufs qui
sont fort encornés ne leur espargncront ventre ni dos... Tout cela parce que
Tournay est hostile aux lîmjlès et à leur bon roi Edounmrt, et iju'elle a
faite une canchon, sans occoiwn. contre le noble Duc de Bourgogne. Cepen-
dant, à la lin, l'auteur s'adoucit. Après avoir fulminé, il implore :
Tournay, je pry la Irenîté
En unyté,
Père, fîlz et sains esperiz,
Qu'il vous ayt si enluminé
De sa bonté
Que vous puyssiez tous estre unys
En délaissant les Heurs de lys
Pour estre aniys
A ce noble lion sans per...
La petite pièce qui suit e.xpose brièvement quelle était la position des
partis en 1472, époque à laquelle remonte la Ballade de ceux de Tournay.
Le frère de Louis XI, Charles, duc de Berry, venait de mourir; Fran-
çois II, duc de Bretagne, principal chef de la fameuse Ligue du Bien
public, s'était empressé de faire la paix avec Louis XI, aux conditions
les plus avantageuses; Charles le Téméraire, abandonné do tous côtés,
rongeait son frein; quant au roi de France, il se recueillait et, tran-
quille pour un moment, ourdissait les fils de nouvelles intrigues :
Berry est mort,
Bretaigne dort,
Bourgongne hongne.
Le Roy besongne.
Til Jar//ues Bonhomme, dira-t-ou, que devenait-il dans tout cela?...
Soyez sans crainte. .lacques Bonhomme n'était pas oublié et payait dur,
de ses écus et de sa peau, l'honneur d'avoir tel ou tel maître à sa tête.
La chanson des Chausses enlevées eu fait foi. Elle n'appartient à aucun
événement particulier et montre comment les choses se passaient ordi-
nairement, même en temps de paix, sur la grande route.
Un homme d'arme.s revenait de la guerre. Il avait méchant habis, et
ses chausses étaient tout en guenilles. Soudain il aperçoit un bon com-
pain, qui bonnes cauches portait. Prestement il descend de cheval et dit
an bonhomme : Mes habis sont desrjuirês; vos cauches certainement convient
que vous me prestes.
De peur, le bon compaignon
Contredire ne l'osa.
Et sans dire mot ne son
Bien envys se descaucha.
Et ses cauches délivra
Au gendarme qui les rechupt;
Très bien gaingnier il y cuida,
Mais il s'en trouva décbupt.
Car le compaignon lui dist,
En priant courtoisement,
Que ses cauches lui volsit
Donner, pour tant que gravement
Ne valoient ne prestement.
L'omme armé, sans panser mal,
Lui ottria bonnement.
Disant : — Tenés mon cheval.
A la terre l'omme armé
S'asist pour soy descaucher
Les cauches dont j'ay parlé ;
Commencha à rpcaucher.
Quand l'autre lui vit muchier
L'autre jambe, il s'avisa
Qu'il faisait bon chevauchier ;
Lors sur le cheval monta.
le compaignon s'en alla
Sur le cheval bien montés.
L'autre crie : holà I holàl
Tenés vos cauches, tenès !
— Certes, vous vous abusés;
Mes cauches vous duisent biei
Vous en estes bien parés.
Mais ce cheval sera mien.
— Vous ostiés très meschamment
Cauchiés comme un gent gallant
Et le cheval vraiment
Me duist très bien maintenant.
Car je ne pooie avant,
Or, 5uy-je très bien montés.
Plus ne me laisseray tant
-V Dieu soies commandes.
Le gciif d'arme ;
— Mon ami, haul reventes,
Et vos cauches reprenés.
Le compaignon :
— Se meshuy vous me tenés.
Au courre le gaîgnerès.
Nos pères aimaient ces petites pièces où ils se donnaient le beau rôle.
Elles leur faisaient oublier la dureté des temps et ne contribuaient pas peu
à entretenir la bonne gaieté française, sans laquelle il n'y aurait pas de
France, — même en musique.
(A suivre.) Eumond Neukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — La musique tchèque, manifestée en Bohème, en
Hongrie ou ailleurs, car le Bohémien « a goûté l'eau de tous les fleuves et le
pain de tous les sillons », a certainement une originalité très prononcée.
Son caractère, accusé dans les Lassan (mot qui signiûe lenteur) et dans les
Frischka (vif, allègre) des Tziganes, tend naturellement à diminuer à mesure
que la culture générale de la musique se développe. On est toujours un peu
tributaire de ses maîtres, et le contact des conservatoires polit les côtés
abrupts du génie. En étudiant les œuvres de tous les pays on subit moins
exclusivement l'ascendant de celles de sa patrie ; mais ce que l'on perd en
verve primesautière se trouve compensé par l'ampleur des connaissances.
D'ailleurs, il y a des influences provenant du climat qui ne disparaîtront
jamais entièrement. Le soleil n'éclaire pas également toute la terre. Com-
ment, d'ailleurs, la musique bohémienne pourrait-elle rester exclusivement
nationale quand la Bohême n'est plus elle-même. Deux millions d'Alle-
mands et cent mille Juifs sont installés dans le pays, où il ne reste que trois
millions d'indigènes. Il a fallu un vrai miracle pour que ce petit peuple, qui est
encore fier de Jean Z'zka, ne périt pas après la guerre de Trente ans. La
dépopulation devint telle qu'il fut « permis à chaque homme de prendre
deux femmes pour repeupler la contrée ». La haine de l'envahisseur est restée
vive : pour le Bohémien, l'Allemand est un <i lourdaud n, une « punaise » ;
pour l'Allemand, le Bohémien est un « menteur f, un « reptile ». Le beau
fleuve même de la Bohême, la "Vltava (Moldau), a été ravi par l'Allemagne,
qui en a fait un aflluent de l'Elbe, bien que, à partir du confluent des deu.x
rivières jusqu'à leur source, la Moldau soit, comme volume d'eau et super-
ficie de bassin, deux fois plus forte que l'Elbe. Ce fleuve, Smétana l'a chanté
dans un poème symphonique dont M. Oskar Nedbal a donné une superbe
interprétation. Après un petit thème ondoyant comme le filet d'eau qui sort
de terre, une mélodie simple et large se développe, pleine de fraîcheur juvé-
nile. Ensuite une polka ravissante rappelle les ébats joyeux d'une population
enivrée du bonheur d'aimer sa patrie, son fleuve, ses prairies, sa ville de
Prague, une des plus belles du monde. Un épisode admirable, c'est la pein-
ture poétique des ondes argentées palpitant doucement sous la clarté de la
lune et se glissant, apaisées et calmes, le long des rochers où de vieilles
ruines dorment leur éternel sommeil. La symphonie en mi mineur de Dvorak
offre un réel intérêt ; elle est dans le caractère des mélodies populaires, sauf
le Largo. La Marche funèbre de Fibich m'a paru d'une valeur secondaire et
j'ai peu aimé la sérénade de Josef Suk. Trois chansons tchèques ont été très
bien dites par M"° Emmy Destinn, qui a voulu se montrer aimable en chan-
tant un air de Samson et Datila et 0 bien-aimé de Maiie-Magdeleine. La canta-
trice a des moyens, maïs elle en abuse, et son style n'est pas irréprochable.
Tous les ouvrages de ce programme tchèque sont particulièrement remar-
quables par le coloris de l'instrumentation. Le Bohémien aime les choses
voyantes ; il ne porte plus le vrai costume national, mais les femmes sont
restées fidèles à la couleur rouge, qui les fait « briller comme des fleurs sur
la verdure de leurs champs ». M. Oskar Nedbal est un chef très autoritaire ;
du reste sans raideur ni brutalité. Il semble guidé, dans ses interprétations,
plutôt par le raisonnement que par le sentiment, mais il est très bon musi-
cien. On sent parfaitement bien, quand il a commencé une phrase, qu'il la
voit tout entière et saura jusqu'à la fin lui donner tout son relief. Dans les
coda, il ne bouleverse jamais le rythme; il reste musical jusqu'au dernier
accord et l'effet en est augmenté. Il a encore le mérite d'être, en tout, très
littéraire ; il comprend et saisit toutes les nuances et possède, à un degré
éminent, l'élégance et la souplesse de la diction orchestrale.
AjiÉnÉiî BouTAUi;!..
— Concerts Lamoureux. — Le concert a débuté par une œuvre d'une valeur
exceptionnelle : l'ouverture de Manfred, de Schumann, qui prime toutes les
autres compositions symphoniques du maître par son unité classique et par
son grandiose effet tragique dû à des moyens relativement simples, mais mis
en œuvre avec un esprit des plus subtils et des plus inventifs. Cette ouverture
forme en même temps une synthèse admirable du poème de Byron. Elle
a été exécutée avec fougue et clarté. — Très grand succès aussi pour la
symphonie en ré mineur de César Franck, dont le ravissant allegretto a,
comme toujours et partout, provoqué des applaudissements interminables. —
Entre cette œuvre puissante et si foncièrement musicale et le merveilleux
fragment de Siegfried qui décrit si poétiquement la vie de la forêt, on a entendu
LE MENESTREL
101
un concerto inédit pour harpe qui fait valoir toutes les ressources de cet
instrument et que son auteur, M"« Henriette Renié, a interprété avec toute
la virtuosité requise. — On a aussi applaudi trois des Chansons de Mîarka, de
M. Alexandre Georges, fort bien dites par M"« Gaetane Vicq. — Le concert
a été brillamment clôturé avec le divertissement des Erinnyes de Massenet,
fleurs de jeunesse sur lesquelles près de trente ans ont pu passer sans leur
enlever le moindre éclat et dont le suave parfum a réjoui toute l'assistance.
0. Berggruen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Re'ftche.
Châlelet, concert Colonne (festival Wagner) : Ouverture do Eien:i. — Ballade de Sema
du Vaisseau-Fantôme, par M"" Adîny. — Bacchanale de Tannltiitiser. — Prélude du pre-
mier acte de Loliengrin. — Tristan et Yseult : Prélude et la Mort d'YseuU, par 51"" Adiny.
— Prélude et fragments du troisième acte des Mai'res Chanteurs. — Troisième tableau de
l'Or du Rhin, chanté par MM. Ballard, Cazeneuve, M"""* Adiny, Planés et Bourgeois. —
La Chevauchée de ta Walliyric. — Les Murmures de la Forêt de Siegfried. — Marche
funèbre du Crépuscitle des Diewr. — Prélude du premier acte de Parsifal.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Dernière
audition de VOr du Rhin (Wagner), chanté par MM. Cliallet, Bagès, BaiUy, Dantu, Albers,
Lubet, Guiod, Sigwalt, M"*' Hayot, O'Rorke, Lorniont, Vicq et Melno.
— La première séance des « Grands Concerts symphoniques de Paris » a
eu lieu jeudi dernier dans la salle du Vaudeville. A trois heures précises, le
chef d'orchestre. M. Steinbacb, faisait son entrée et donnait immédiatement
le signal de l'attaque de l'ouverture A'Egmont, de Beethoven, qui ouvrait le
programme. On sait que M. Steinbach a succédé à Hans de Bfilow dans la
direction de l'orchestre de Meiningen, que celui-ci avait rendu célèbre. C'est
un homme de quarante- cinq ans, de taille moyenne, très replet, à la physio-
nomie intelligente, au geste nerveux. Il a de l'expérience et de l'autorité, et
sait se faire obéir de son armée instrumentale. Sa façon de conduire m'a paru
en général un peu grosse; il a de l'ardeur et du feu, avec une gesticulation
parfois excessive, mais il manque volontiers de finesse et de grâce. Nous
avons pu surtout le juger, par comparaison avec les nôtres, dans la sympho-
nie en fa (N" S) de Beethoven. Là, j'ai trouvé, pour ma part, que l'allégretto
scherzando manquait un peu d'élégance et de délicatesse, et que le menuet
n'était pas sans quelque apparence de banalité; le finale était beaucoup meil-
leur, et enlevé avec chaleur. J'avais préféré l'exécution de l'ouverture d'Eg-
mont, dont le sentiment si profondément dramatique avait été bien rendu, et
qui avait valu au kapellmeister un succès personnel très accentué. Le 3" con-
certo de J.-S. Bach, joué par tout l'orchestre à cordes, est une œuvre déli-
cieuse qui a produit la meilleure impression, bien qu'il me semble qu'on ait
eu tort d'y introduire un morceau étranger. Varia de la Suile en ré mineur du
même maitre, d'autant plus que le violon solo, M. 'Wendling, l'a exécutée
avec un gros son et un style qui manquait autant d'élégance que de sentiment
expressif. La seconde symphonie de Brahms (en ré majeur), la plus rarement
entendue a Paris, est une œuvre profondément inégale; les deux premières
parties, allegro et adagio, en sont singulièrement grises et monotones, d'une
inspiration pénible et sans valeur; par contre, l'allégretto est gracieux,
aimable, souriant, et le finale est vivant et bien mouvementé, bien que, là
encore, l'inspiration manque de substance et de nouveauté. Après la sympho-
nie de Beethoven nous avons entendu une chose exquise, unentr'acte et deux
airs de ballet de Rosamonde, de Franz Schubert. Il ne se peut rien imaginer
de plus jeune, de plus frais, de plus poétique, en un mot de plus enchanteur
que cette musique, si généreusement inspirée et écrite de façon magisirale.
Pauvre Schubert! m rt si jeune, sans avoir pu jouir de sa gloire et de ses
succès, et alors qu'il eût eu tant de choses à dire encore!.-. Le concert se
terminait par l'ouverture très curieuse, très originale en son genre, de la Fian-
cée vendue, de Smetana, le triomphe de tous les instruments à cordes, qui s'y
sont surpassés et qui étaient d'ailleurs très bien guidés par leur chef. — A. P.
Voici le programme du concert de jeudi prochain i avril, qui aura lieu,
à 3 heures, sous la direction de M. Cari Muck, chef d'orchestre de l'Opéra
royal de Berlin :
Le Calme de ta Mer, ouverlure . . " Mendelssohn.
5'' Symphonie {ut mineur) Beethoven.
Ouverture du Vaisseau-Fantôme Wagner.
Maseppa, poème symphonique Liszt.
Symphonie de Jupiter [vt majeur) Mozart.
Ouvenure de Leonore (N° 3) Beethoven.
— Comme on pouvait s'y attendre, le concert donné par M. Léon Delafosse
à la salle Erard a été des plus intéressants, et malgré les rafales de neige
qui sévissaient au dehors, beaucoup de monde s'y était donné rendez-vous.
On peut mettre certainement M. Delafosse au premier rang et à coté des plus
remarquables pianistes de notre époque, tant son jeu est à la fois souple et
vigoureux et son inlelligence artistique fine et déliée. Cela a été un enchan-
tement que de l'entendre interpréter, dans des styles dilVérents et des nuances
si diverses, une romance sans paroles de Mendelssohn, un prélude de Bach,
un allegro de Scarlatli, un chant polonais de Chopin, un nocturne de Liszt et
l'amusante Valse-caprice de Strauss-Tau sig. Il a été élincelant dans le concert-
stûck de Weber et son originale Fantaisie, si bien écrite pour faire valoir
tous ses dons prodigieux de virtuose. M. Chevillard conduisait l'orchestre de
main de mai Ire.
— Nous avons eu le plaisir d'assister à la séance que donnait, salle Pleyel,
le maitre Charles Dancla. Les années semblent n'avoir sur lui aucune prise.
Le mécanisme, la souplesse du bras droit et la pureté du style sont restés les
mêmes. Il était admirablement secondé par des artistes connus ; le remar-
quable pianiste Bernhard Rie, MM. Gibier, Montardon, Cros-Saint-Ange, et
aussi par son fidèle et ancien P. Thibault, le deuxième chef de la Société des
concerts, qui conduisait le petit orchestre. Nous avons entendu de Dancla
un quatuor, un trio et une fantaisie originale. Charles Dancla, dont on connaît
le grand cœur avait promis à notre très regretté collaborateur Barhedette de
jouer sa jolie sonate. La mort de notre ami ne lui a pas fait changer son
programme. Enfin, une élève de Ch. Dancla a joué avec une belle qualité de
son et de justesse la vibrante composition de son maitre. Nocturne- Méditation.
— Fort intéressant, le dernier concert de musique de chambre de M. André
Tracol à la salle Pleyel. Il s'ouvrait par le 2'^ quatuor à cordes du composi-
teur russe Borodine. œuvre savoureuse fort bien exécutée par MM. Tracol,
Dulaurens, Monteux et Schneklud , et se terminait par le 3"= quatuor de
Brahms, où la parlie de piano était fort bien tenue par M. Blitz. M. Tracol
nous a fait entendre, avec le talent et le style qu'on lui connaît, l'adagio du
6= concerto de Spohr, un caprice de Lipinski, la jolie Fantaisie-ballet de de
Bériût, un peu trop négligée aujourd'hui, et. en compagnie de M. Blitz, le
beau rondo de Schubert, op. 70. Et M"« Marie Lasne a chanté avec beaucoup
de goût l'air de Suzanne des Noces de Figaro, une chanson de Grieg et Dormir
et rêver de Th. Dubois. Grand succès pour tous.
— Mardi 2 avril, à 8 heures 1/2, salle Pleyel, musique de chambre, 4" et
dernière séance Ed. Nadaud, avec le concours de M"" Riss-Arbeau, de
MM. Cros-Saint-Ange, Duttenhofer, Bâillon, Féline, Migard, Brun, Four-
nier.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (28 mars) :
La Monnaie a pu enfin nous donner la reprise de Manon, depuis si long-
temps annoncée; mais ce n'est pas avec M"" Thierry, forcée à un repos assez
long, que l'œuvre exquise de M. Massenet est réapparue. Pour ne pas
interrompre davantage la marche du répertoire, les directeurs ont engagé
M""= Laisné, et c'est elle qui a chanté Manon. Elle y a obtenu un aimable
succès dans les parties gracieuses et délicates de l'œuvre, où elle met une
virtuosité et un fignolage d'e.xécution très appréciables; elle a été moins
goûtée dans les parties dramatiques, où elle a forcé la note malencontreu-
sement, d'accord du reste avec son partenaire, M. David, qui, lui aussi, dans
les deux premiers actes avait été charmant, de voix, de style et de sentiment.
M. Pierre d'Assy a fait, de son côté, un père Des Grieux plein d'autorité.
Mais le reste de l'interprétation, détails et ensemble, l'orchestre seul excepté,
a été assez médiocre. — Nous avions eu quelques jours auparavant la pre-
mière des Deux pigeom, le joli ballet de M. Messager, fort bien dansé par
M""* Dethul et Sarcy, et remarquablement réglé par M. Saracco. La fine et
spirituelle musique de l'auteur de Véronique a été très applaudie, — moins ce-
pendant encore qu'elle ne le méritait. — Enfin nous aurons samedi et
dimanche deux représentations curieuses de l' Artésienne de Daudet et Bizet,
avec la troupe du théâtre du Parc et la partition complète, exécutée par les
chœurs et l'orchestre de la Monnaie. Dans ces conditions, l'interprétation
sera un régal, où le plaisir du musicien aura une large part.
L'indisposition de M'" Thierry, la rentrée tardive de M"'' Litvinno, et
d'autres circonstances encore, ont du faire renoncer la direction à monter
cette aunée plusieurs ouvrages annoncés, tels que l'Enlèvement au sérail de
Mozart, la reprise d'Iphigénie en Tauriie et le ballet inédit de M. Paul Gilson,
la Captive. Ce sera pour la saison prochaine. On se bornera à une reprise de
la Walkijrie, et avec les ouvrages courants, ce sera bien assez jusqu'à la fin
d'avril.
La Sclwla Cantorum de M. Vincent d'Indy et plusieurs compositeurs de la
jeune école française ont fait les frais de plusieurs concerts intéressants. A
la Libre Esthétique on a exécuté plusieurs œuvres de M. Pierre de Bréville,
avec le concours de l'auteur, mélodies et chœurs de Çakounlala, drame
indien, un quatuor de M. Vincent d'Indy, une sonate de A. de Castillon, etc.
A la Grande Harmonie on a exécuté des œuvres classiques, et d'excellents
interprètes de la Schola Cantorum des œuvres modernes de MM. Bordes et
d'Indy. Tout cela a obtenu un vrai succès, sinon toujours d'enthousiasme,
tout au moins de sincère intérêt.
Dimanche, M. Gevaert clôture la saison de ses beaux concerts du Conser-
vatoire par une deuxième audition de l'Armide de Gluck, avec la même ad-
mirable interprétation qui a fait sensation il y a quelques semaines. L. S.
— I;a vingt-quatrième année de V Annuaire du Conservatoire royal de musique de
Bruxelles vient de paraître en celte ville. Il contient, outre un portrait très
ressemblant du regretté Joseph Dupont, qui était professeur d'harmonie écrite
au Conservatoire (et à qui on aurait bien pu consacrer une notice nécrolo-
gique), une notice intéressante de M. Alfred Wotquenne, bibliothécaire, sur
un manuscrit précieux de la bibliothèque. Ce manuscrit, acquis à Florence il
y a une dizaine d'années, contient une série de 140 monodies italiennes du
commencement du dix-septième siècle, de trois compositeurs seulement :
Jacopo Péri, auteur, avecCaccini, de la musique à'Euridice, l'un des premiers
opéras connus, d'Alessandro Striggio et de Caccini lui-même. En outre, on
y trouve deux petits fragments de la Dafne de Péri et de Jacopo Gorsi, qui
lOâ
LE MÉNESTREL
est bien le premier opéra écrit à Florence et qui fut représenté chez ce der-
nier en lo9i. Ces deux fragments sont probablement tout ce qui subsiste
aujourd'hui de cet ouvrage célèbre. M. Alfred Wotquenne donne un cata-
logue thématique fait avec soin des 140 monodies contenues dans ce recueil.
— A Vienne aussi on se propose d'élever un monument à Verdi, et un
comité s'est formé à cet etïet, dont l'archiduc Eugène a accepté le protectorat
et le ministre de l'instruction publique la présidence honoraire. Le comte
Nigra, ambassadeur d'Italie, et plusieurs notabilités font partie de ce comité,
qui s'occupe de réunir les souscriptions.
— On nous écrit de Vienne: « Le ravissant petit théâtre qui est installé au
château de Scbœnbrunn, près Vienne, et qui n'ouvre ses portes que fort
rarement pour des « galas » de la Cour impériale, a été mis à la disposition
d'un comité composé de membres de la haute noblesse, qui y donnera une
soirée de bienfaisance. On y jouera, vers le 13 avril, le Domino noir, d'Auber,
et le divertissement de Ct'nrfnV/oH, de Massenet: tous les artistes, hormis un
seul, appartiennent à la haute noblesse de Vienne. Voici la distribution du
Domino noir : Angela, la comtesse Anastasie de Kielmannsegg, une russe
fort élégante, femme d'un ancien président du conseil: Brigitte, la comtesse
Gall; le comte Juliano, comte de Larisch: lord Elford, comte de Geschi. Le
rôle d'Horace de Massarena seul a été confié à un roturier, à M. Rodolphe
Zinld; tous les ténors ne naissent pas marquis, comme jadis le fameux
Mario, et il arrive que plusieurs centaines de jeunes princes et comtes n'ar-
rivent pas â fournir un seul ut de poitrine utilisable. Mais les chœurs nagent
en pleine noblesse. Les chanoinesses du couvent où se passe le dernier acte
de l'opéra seront représentées par six jeunes princesses et quatorze jeunes
comtesses possédant chacune au moins les seize quartiers nécessaires pour
entrer dans certains couvents aristocratiques d'Autriche. Le divertissement
de Cendrillon sera exécuté exclusivement par des membres de la haute no-
blesse et sera donné tel qu'il a été réglé à l'Opéra-Gomique de Paris. »
— Liste d'oeuvres françaises jouées sur les théâtres lyriques d'outre-Rhin
pendant ces dernières semaines : à Vienne : Carmen, Faust, Mignon, Manon,
Werther, Fra Diavolo, Robert le Diable, Coppélia: à Berlin : Mignon, l'Africaine,
le Prophète, Fra Diavolo, Faust; à Dresde : Sammn et Dalila, l'Africaine, la Fille
du régiment. Mignon ; à Munich : Carmen, la Fille du régiment. Mignon, Faust:
à Stuttgart : les Huguenots, la Fille du régiment, les Dragons de Villars; à Hanovre:
Mignon, le Prophète; à Leipzig: Carmen, les Huguenots, Mignon; à Francfort:
Mignon, la Muette de Portici , le Petit Chaperon rouge, les Dragons de Villars, Faust,
la Juive, les Huguenots, la Fille du régiment, Benvenuto Cellini, la Muette de Por-
tici; à Cologne: Carmen, Faust, la Juive, Samson et Dalila; à Bonn : Samson et
Dalila; à Carlsruhe : le Val d'Andorre, Carmen; à Wiescaden: la Juive, le Pos-
tillon de Lonjumeau, les Huguenots, la Muette de Portici; à Mannheim: le Postillon
de Lonjumeau : à Brème : Carmen, Mignon, la Dame blanche, Samson et Dalila; à
Brbslau ; Carmen, l'Africaine, Mignon, Guillaume Tell, le Maçon, les Hugu/inots.
— On télégraphie de Berlin le grand succès remporté à l'Opéra royal par
Samson et Dalila de M. Saint-Saëns. L'empereur et l'impératrice assistaient à
la représentation. — Au West-Theater reprise du Chevalier Jean, le si inté-
ressant ouvrage de M. Victorin Joncières. C'est le ténor Rothmûhl qui tenait
le rôle de Jean, déjà créé par lui à l'Opéra royal.
— La semaine passée a eu lieu le grand festival organisé par la Nouvelle
Société Bacb, qui se propose la propagation de l'œuvre du maître. Avant le
l'estival on a inauguré, dans la salle des fêtes de l'Hùtel de Ville, une fort
intéressante exposition qui ne contient pas moins de 300 pièces se rapportant
à Bach. On y voit une soixantaine de porlraits, statues, bustes et autres docu-
ments iconographiques concernant le grand cantor de Leipzig et ceux de ses
(ils qui ont acquis une notoriété dans l'art musical, des autographes musicaux
ainsi que plusieurs autres documents intéressants, de vieilles copies et
éditions des œuvres de Bach, des partitions gravées et des ouvrages ayant
trait à l'œurae du maître. Au fond de la salle est placé un orchestre dans la
disposition qui était d'usage au temps de Bach; les instruments de l'époque
n'y manquent pas. On y voit d'ailleurs un grand nombre d'instruments de
musique de l'époque, l'orgue de la nouvelle église d'Armstadt qui a si souvent
servi à Bach, et le petit clavecin dont il ne se séparait jamais. La collection
d'autographes n'est pas aussi importante qu'elle aurait pu être si Leipzig et
Dresde avaient pu envoyer leurs trésors; mais les règlements s'y opposaient
formellement. Les trois séances du festival étaient exclusivement consacrées
à l'œuvre de Bach. Le premier concert a eu lieu dans une grande église de
Berlin; les chœurs de la Société philharmonique, dirigés par M. Siegfried
Ochs, exécutèrent admirablement cinq cantates spirituelles du maître. Au
deuxième concert, l'Ecole supérieure de musique de Berlin exécuta plusieui's
œuvres symphoniques de Bach sous la direction de M. Joachim, qui reçut des
ovations retentissantes comme chef d'orchestre et comme violoniste. Les frais
du dernier concert furent faits par l'Académie de chant, qui exécuta, en dehors
de deux petites messes, une cantate profane fort intéressante qui est intitulée
Eole satisfait. Tous ces concerts avaient réuni un public fort nombreux et
enthousiaste : le canior de Leipzig n'a jamais été à pareille fête, surtout de
son vivant.
— On nous écrit de Munich : « La première du nouvel opéra-comique le
Jeune duc étourdi (Herzog Wildfang) de M. Siegfried Wagner a enfin eu lieu.
Le « Tout-Bayreulh » se trouvait dans la salle, et la loge de M'"" Gosima
■Wagner, qui était entourée de ses lilles et gendres, était le point de mire de
toute la salle. Si l'œuvre n'a pas justifié les espérances des amis et partisans
de l'auteur, il faut attribuer cet échec partiel à l'insuffisance du livret. L'action
que nous avons racontée il y a quelque temps, n'a eu aucune prise sur le
public. La partition contient quelques belles pages, comme la grande scène
d'amour, et bon nombre de traits spirituels et réellement comiques. Un parti
peu nombreux mais violent était venu pour manifester contre les partisans du
jeune maître. C'est sous des coups de sifllet stridents, répondant à des applau-
dissements frénétiques, que M. Siegfried Wagner s'est plusieurs fois montré
au public après chacun des trois actes. Sa nouvelle œuvre sera très prochai-
nement jouée à Leipzig et à Hambourg; peut-être y sera-t-elle plus heureuse
qu'à Munich, n
— M"'» Cosima Wagner, qui se trouvait récemment à Berlin pour compléter
ses engagements, s'est assuré le concours de M. Muck, chef d'orchestre de
l'Opéra royal, pour conduire les représentations de Parsifal à Bayreulh. C'est
M. Siegfried Wagner qui dirigera l'Anneau du Nibelung elle Vaisseau-Fantôme.
M. Hans Richter est attendu à Wahnfried pour y célébrer en famille le ib"
anniversaire de la première représentation de l'Anneau du Nibelung (1876), mais
il ne conduira pas une seule fois.
— M. Paderewski, qui avait entrepris une tournée en Espagne et devait
jouer la semaine passée à Madrid, a interrompu sa tournée et est revenu
subitement en Allemagne pour assister aux obsèques de son fils unique, âgé
de 19 ans. Ce jeune homme, qui était fort délicat, se trouvait en traitement
dans un sanatorium bavarois, maïs les médecins n'avaient aucun espoir de
prolonger sa vie. M. Paderewski a fait transporter le corps de son fils à Var-
sovie, où auront lieu les obsèques.
— L'Opéra royal de Dresde vient de jouer un opéra intitulé ]Vn»s/ca«, paroles
et musique de M. Bungert. Ayant déjà fait jouer les deux opéras le Retour
d'Ulysse et Circé, dont le théâtre de Dresde a également eu la primeur, M. Bun-
gert n'a plus qu'à livrer son dernier ouvrage pour terminer sa tétralogie : le
Monde homérique. La presse de Dresde dit que le succès de Nausicaa a été le
plus grand des diverses parties de la tétralogie qui ont été jusqu'ici représen-
tées à Dresde. M. de Schuch, directeur général de la musique, a dirigé en
personne les répétitions et la première; le fameux baryton Scheidemantel s'y
est taillé un grand succès comme chanteur et comme comédien.
— M. Eugène Hubay vient de terminer un opéra-comique en trois actes,
intitulé Rose moussée, sur des paroles de M. Max Rothauser. Cet opéra sera
joué à Budapest au commencement de la saison prochaine.
— De Coblenz : Dimanche, notre théâtre a fait une très bonne reprise du
Winkelried de Louis Lacombe, qui a retrouvé un public des plus chauds.
— Sous le titre d'Histoire du violon (Getchichte des Violînspiels), il vient de
paraître à Cologne (Ende, éditeur) un excellent petit livre de M. C. Witting,
plus substantiel et plus utile que certains gros volumes. Dans le cadre res-
treint de 150 pages în-8°, l'auteur trace un historique complet du répertoire
de la musique du violon dans les trois grandes écoles, italienne, française et
allemande. Il consacre un chapitre à la sonate, un autre aux études et capri-
ces, depuis Locatelli jusqu'à Paganini, un troisième aux Méthodes, un qua-
trième aux concertos, de Viottî à Spohr. Le dernier chapitre présente une
analyse du 22° concerto de Viottî, du concerto de Beethoven op. 61 et du
concerto en sol mineur de Spohr, et passe en revue les duos de violons de
Haydn, Tomasini, Viottî, Kreutzer, Krommer, Spohr, etc. Ce petit volume,
qui donne la preuve de l'érudition sérieuse de l'auteur et de sa connaissance
complète du sujet traité, est un guide précieux pour les violonistes. — A. P.
— Le compositeur danois Auguste Enna, dont l'opéra la Petite Marchande
d'allumettes fait actuellement le tour des scènes lyriques d'outre-Rhin, vient
de faire jouer un nouvel ouvrage intitulé l'Amie, paroles de M. Helge Rode.
L'œuvre de M. Enna a remporté un grand et légitime succès.
— Un de nos confrères étrangers nous apprend qu'il existe en Scandi-
navie trois journaux de musique, tous trois de date récente. La naissance du
premier remonte seulement à l'année 1880. C'est le Suensk Mmik Tidning, qui
paraît deux fois par semaine à Stockholm. Le second, Musik Tidniugen, âgé
de quelques années seulement, se publie hebdomadairement à Gothenbourg.
Enfin, c'est seulement depuis le mois d'octobre 1900 que paraît à Christiania
un périodique mensuel intitulé Nordisk Musik Revue, publié par le libraire
Iver Holter. On voit que la Suède et la Norwège sont, en somme, assez bien
partagées. Il n'en est pas de même du Danemark, où il n'existe pas une
feuille musicale, ce qui peut paraître singulier, le Danemark ayant, avec ses
deux voisins Scandinaves, sa part d'une école musicale glorieuse et digne du
plus vif intérêt. Il suffit de citer les noms de Weyse, de Lindblad, do
Nordblom, de Berggreen, d'Ole Bull, de Franz Berwald, de Niels Gade, des
deux Hartmann, et aujourd'hui ceux de MM. Edouard Grieg, Svendsen,
Christian Sinding, Ivar Hallstroem, Schjelderup, etc., sans oublier ces
grandes cantatrices dont les noms sont dans la mémoire de tous, JennyLînd,
M"'= Nîssen-Saloman, Christine Nilsson
— Notre conbère Rousskyia Viedomosti, de Moscou, constate le succès énorme
remporté au théâtre impérial de cette ville par VHamlet d'Ambroise Thomas,
que M'"" Arnoldson vient d'y jouer au commencement de la nouvelle saison.
Le duo avec Ilamlet a été bissé, ainsi que l'air du dernier acte, après lequel
Mme Arnoldson a été rappelée une vingtaine de fois. La recette a dépassé
40.000 francs.
— Un prix de l.oÛO fro,ncs, offert par la Société de l'Art antique d'Athènes
pour une nouvelle composition des chœurs A'OEdipe roi, a été remporlé par
le jeune compositeur grec Petros Zachariadis, qui habite Constantînople.
LE MENESTREL
103
— Quatre théâlres ont déjà pris le nom de Verdi dans les pays do langue
italienne : le théâtre Pagliano de Florence, le Communal de Vicenee, le
Communal de Trieste et le théâtre neuf de Zara.
— On nous télégraphie de Milan : Brillante reprise de Werllier au Théâtre-
Lyrique. M""^= Bel Sorel (Charlotte) et Minolti (Sophie) et MM. PandolBni
(Werther) et Federici (Albert) formaient une distribution de premier ordre;
l'orchestre, dirigé par le maestro Polacco. n'a rien laissé à désirer. L'œuvre
a triomphé de nouveau sur toute la ligne, et les interprètes ont été rappelés
une douzaine de fois après chaque acte. — Très honne reprise aussi, sous la
direction même de l'auteur, de Eedda, de M. F. Le Borne, bien chantée
par M"=^ Relda, de Lucca, MM. Dani, Federici. Frigiotti et Negrini. C'est
Coppéiia, toujours un des plus gros succès de ballets du I^yrique, qui accom-
pagne Eedda sur l'affiche.
— On a donné au théâtre royal de Parme, le 19 mars, la première repré-
sentation d'un opéra en un acte, le Preziose, œuvre du jeune compositeur
Arnaldo Galliera, élève du Conservatoire de Milan. Ce petit ouvrage paraît
avoir été assez bien accueilli pour lui-même, mais non en ce qui concerne
l'exécution, surtout de la part de l'orchestre, dirigé par l'auteur, qui, dit un
journal, a montré un peu trop d'inexpérience sous ce rapport.
— Toute la presse suisse a constaté, l'an dernier, le succès des fêtes orga-
nisées à Zurich par l'Association des musiciens suisses. Un comité s'est formé
à Genève pour l'organisation d'une seconde fôte de musique suisse, qui aura
lieu en cette ville les 22, 23 et 24 juin prochain. Le programme sera formé de
la façon suivante : vendredi 21 juin, à 8 heures du soir, répétition générale
du concert symphonique; samedi 22, à 2 heures et demie, premier concert de
musique de chambre, et, à S heures du soir, concert symphonique avec solis-
tes; dimanche 23, à 8 heures du matin, répétition générale du grand concert
avec soie et chœurs, et. à 2 heures et demie, grand concert avec so/« et chœurs;
lundi 2i, à 2 heures et demie, second concert de musique de chambre. Les
matinées du samedi et du lundi seront réservées aux travaux de l'Association
des musiciens suisses, et les soirées du dimanche et du lundi seront consa-
crées aux réceptions et aux banquets. Presque toutes les compositions seront
dirigées par leurs auteurs. Les compositeurs et les solistes seront choisis
parmi les artistes nationaux ou parmi les étrangers établis dans le pays.
— Du Messager de Monireux : « Le concert symphonique d'avant-hier s'est
glorifié de la présence de deux coryphées de la science musicale, MM. Salo-
mon Jadassohn, professeur au Conservatoire de Leipzig, et Théodore Dubois,
directeur de celui de Paris. M. Jadassohn est notre hôte depuis plusieurs
semaines, et M. Dubois, dont on se rappelle le superbe concert d'il y a un
an, n'a pas craint le voyage de Genève, où il dirigeait plusieurs œuvres impor-
tantes, pour assister à notre concert. Eu l'honneur de ces deux éminents
musiciens, l'orchestre a joué l'Ouverture symphonique de Dubois et la Séré-
nade en la majeur de Jadassohn. Les deux auteurs, assis dans la même loge,
ont paru enchantés, et de l'adorable symphonie (en mi bémol) de Mozart et
de l'excellente interprétation de leurs propres compositions, due au talent et
à l'amabilité de M. Jïittner. Le public, très nombreux et très satisfait, a
redoublé d'applaudissements en apprenant la présence des deux artistes et
leur a l'ait une ovation chaleureuse et enthousiaste. »
— Première représentation, à l'Apolo de Madrid, d'une zarzuela nouvelle,
Blasones y talegas, livret assez médiocre de M. Eusebio Sierra, musique char-
mante, vivace et bien inspirée, de M. Chapi, l'un des enfants gâtés du public
espagnol. Interprétation excellente, de la part de M"""* Mathilde Pretel et
Pino, de MM. Carreras, Ramiro, Rodriguez et Mesejo.
— La guerre du Transvaal a eu une répercussion déplorable sur la situation
des musiciens anglais, surtout pendant l'hiver dernier, et comme Botha n'a
pas la moindre intention de se rendre, la prochaine season ne sera guère
meilleure. Un chanteur très connu, qui gagnait régulièrement 1.000 livres
par an en se produisant dans les salons du grand monde, a vu ses recettes
tomber à 300 livres. Une chanteuse de mélodies très populaire dans la société
aristocratique, qui gagnait en moyenne 700 livres par an n'a même pas en-
caissé la moitié de cette somme. Ce fait doit être attribué à la rareté des
grands dîners et des soirées dans le beau monde, dont les revenus ont été
singulièrement amoindris par la guerre et qui s'abstient de toute dépense
de luxe.
— Le maire de Leeds a écrit au nouveau roi Edouard VII pour le prier de
garder le protectorat du fameux festival musical de cette ville, que la reine
Victoria avait exercé depuis le premier festival jusqu'à sa mort. Le roi a
donné sa gracieuse acceptation.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Nous avons eu le bonheur d'avoir, ces jours-ci. la présence à Paris de
M. Von Gross, le représentant des intérêts de M""" "Wagner. Il était venu
s'entendre avec M. Gailhard des représentations de Siegfried, qui doivent être
données au commencement de 1902, après celles de Tristan qu'on annonce à
rOpéra-Comique. Un joli hiver pour la musique française 1 Quoiqu'il en soit,
la distribution de Siegfried a été ainsi arrêtée, et elle n'est certes pas à dédai-
gner :
Siegfried MM. Jean de Reszké
Le voyageur Delmas
Albéric Renaud
Mime Laffltte
BriiDDhilde M"" Ackté
M. Jean de Reszké, qu'on avait pressenti â ce sujet, s'est empressé de
répondre par le câble d'Amérique qu'il « acceptait avec joie ». Reste à dis-
tribuer les rôles d'Erda et de l'Oiseau.
— Cette grande et palpitante nouvelle n'empêche pas de continuer les
répétitions du Roi de Paris d'un pauvre compositeur français. M. Georges
Hûe, qui fera de son mieux pour réussir, quoique ayant la défaveur de n'être
pas étranger. La première est, dit-on, fixée au 17 avril.
— M. Gailhard continue avec rage les représentations de Thais, et comme
il n'en possède pas l'idéale distribution, il arrive quelquefois que ces soirées
sont légèrement mouvementées. Malgré tout, l'œuvre reste délicieusement
fraîche et délicatement colorée comme un tauagra. M. Gailhard, s'il faut en
croire les feuilles à sa dévotion, se berce du fol espoir de la « conduire jus-
qu'à la centième ». C'est une illusion.
— M"= Aïno Ackté, la charmante artiste de l'Opéra, qui fut si délicieuse-
ment Juliette, Marguerite, Alceste et Eisa, épousera prochainement M. Ren-
wall, professeur à la Faculté de Droit d'Helsingfors, son pays natal. On dit
qu'à cette occasion et comme cadeau de noce, M. Gailhard mettra dans la
corbeille de mariage les deux rôles d'Ophélie et de Tha'is, où M"° Ackté
serait si remarquable et dont on l'avait écartée jusqu'ici pour de simples
raisons budgétaires. Car, malgré son mariage, M"" Ackté, fort heureusement,
n'abandonnera pas la carrière théâtrale.
— M. Saint-Saëns revient à Paris avec le printemps. Et quel printemps 1
Il apporte toute terminée à M. Gailhard la partition des Barbares, qu'on doit
représenter en octobre prochain.
— A l'Opéra-Comique on a commencé les répétitions d'ensemble de
l'Ouragan, dont M. Albert Carré espère pouvoir donner la première représen-
tation vers le 13 avril.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche â l'Opéra-Comique : en matinée,
Mireille; le soir, la Basoche (avec M'i= Rioton) et les Rendez-vous bourgeois,
— C'était lundi dernier le premier jour de vente à l'Hôtel Drouot de la
bibliothèque de feu M. Guyot de Villeneuve, président de la Société des
bibliophiles français. Un numéro de cette collection célèbre intéressait par-
ticulièrement l'Opéra. Voici la description empruntée au catalogue :
982. Masi:a.hades et iiallets de la cour, 15'ï2-1G71. In-fol. mar. rouge, dos orné, tr.
dorées {Traulz-Bauzonnet).
Recueil de 73 dessins de costumes exécutés pour les ballets de la cour depuis 1572
jusqu'en 1G71. Il a fait partie de la bibliothèque de Lcménie. Ces dessins sont, tous colo-
riés et très finement rehaussés d'or et d'argent. Ce recueil et celui de Leber, actuellemenl
dans la bibliothèque Rothschild, contiennent les plus anciens dessins de costumes pour
ballets connus jusqu'ici. Ceux qui sont conservés au Cabinet des estampes, fonds d'Hennin,
ceux de l'Institut, des Archives, de l'Opéra et du Mobilier national vont de 1651 à 1690.
M. Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra, avait compris l'importance de
cet ouvrage et tenté de l'acquérir pour la Bibliothèque ; il s'était muni de
« la forte somme » : mais ses efforts ont été vains ; il a dû battre en retraite
devant M. Edmond de Rothschild, à qui le recueil a été adjugé pour le prix
de 3.300 francs.
— Nous n'avions pas été conviés à la première représentation du Je ne sais
quoi au petit théâtre des Capucines, où M. Victor Maurel, l'étonnant baryton,
devait faire ses débuts de comédien. Mais comme rien de ce qui touche un
aussi grand artiste ne saurait être indifl'érent, nous sommes bien obligés de
constater, par ce que nous lisons dans les journaux, que la tentative ne paraît
pas avoir été brillante. Voici, par exemple, ce qu'en pense M. Duquesnel, du
Gaulois :
« Je ne m'explique pas bien, je l'avoue, pourquoi M. Maurel a eu la fantaisie de ris-
quer une aventure d'où il n'avait aucun profit à tirer. Excelleût acteur lyrique, ce qui
n'a rien de commun avec un comédien de comédie, au contraire, avait-il donc besoin de
prouver qu'on peut, tout en chantant juste, parler faux? Je suis ennuyé de ce que j'ai à
dire, parce que je fais grand cas de M. Maurel, j'estime l'homme et j'admire l'artiste,,
mais j'ai une amie plus intime encore, à laquelle je ne saurais manquer d'égard, c'est la
vérité. Or, celle-ci m'oblige à reconnaître que celte expédition fut une gaffe, et que
JI. Maurel a eu tort de ne pas méditer la maxime du bon La Fontaine :
Ne foi'çons pas notre talent.
Nous ne ferions rien avec grâce. ..
Aussi, sî j'ai un conseil à lui donner, c'est de retourner au plus vite à l'Opéra-Comique,
où son absence commence à être remarquée. Ici, il n'est vraiment pas à sa place ; dans ce
tout petit cadre, sa stature de grand premier rôle d'opéra déborde, il ne semble pas à
a l'échelle », avec ses airs de Gulliver à Lilliput, à côté des comédiens qui l'entourent.
Il barytonne gravement, et lourdement, d'un accent bordelais aux a brefs, un dialogue
de comédie légère, dit prétentieusement des choses simples et détonne comme un trom-
bone au milieu des petites fiâtes. »
Aussitôt M. Victor Maurel arrache une bonne plume de son chapeau de
mousquetaire et répond à M. Duquesnel une longue lettre curieuse, où il y
aurait beaucoup à glaner, mais la place nous manquerait pour l'insérer ici.
Bornons-nous plutôt à reproduire celle adressée au Figaro qui , pour être
beaucoup plus courte, n'en a pas moins une saveur intense :
.Mon cliei- Delilia,
Dans une récente interwiew, aussi bienveillante que fidèle, vous aviez annoncé au
public le commencement d'une expérience d'art dramatique que je m'apprêtais à tenter.
Voulez-vous bien pousser la complaisance jusqu'à reprendre la plume pour en annoncer,
dès aujourd'hui, la fin. Je cesserai dès demain de jouer au théâtre des Capucines. Je me
retirerai à mon heure après expérience faite. Je quitterai ce « champ clos » après y avoir
terminé ma lâche. Je le quitterai content d'avoir pu rendre service à des amis qui me
104
LE MÉNESTREL
sont chers, content d'avoir recueilli de précieuses observations personnelles sur l'art du
comédien comparé ;i l'art du chanteur. Elles ne seront perdues ni pour moi ni pour le
public, qui s'intéresse aux questions d'esthétique théâtrale.
Vous les retrouverez prochainement résumées dans un cliapitre nouveau du livre que
vous connaissez « sur le fondement scientifique de l'art vocal », résultat sj'nthétique de
toute une vie de praticien et de théoricien de cet art; mais, avant même la publication du
livre, je me ferai un devoir d'en donner la primeur aux lecteurs du Figaro.
Veuillez agréer, avec mes remerciements sincères, l'assurance de mes sentiments alFcc-
toeu\ et dévoués.
Victor Maurel.
Et voilà prévenus les lecteurs du Figaro! Ils vont faire connaissance avec
CI le fondement scientifique de l'art vocal ».
— Cherubini faisait les frais de la quatrième leçon de M. Arthur Pougia à
la Sorbonne, et la cinquième était consacrée à Boieldieu. Le professeur a
rappelé la première partie de la carrière de Cherubini, entièrement italienne,
l'a montré ensuite venant et se fi.xant à Paris, se liant avec sou compatriote
le grand violoniste Viotti et placé par celui-ci à la tète du thcàlra de Mon-
sieur ithéâtre Feydeau), comme directeur de la musique, et y donnant ses
plus beaux ouvrages: Lodoiska, Médée, Étisa . Il Ta montré ensuite d'abord
professeur, inspecteur, puis directeur du Conservatoire, où il rendit d'écla-
tants services, sans oublier de faire connaître ses œuvres admirables de musi-
que religieuse. Chemin faisant, plusieurs airs de Lodoiska et à'Anacréon, supé-
rieurement chantés par M. Laffitte, de l'Opéra, M"« Laflitte et M. Morlet, ont
obtenu le plus vif succès. Avec Boieldieu, M. Pougin n'avait pas à sortir du
pur domaine de l'opéra-comique. Il a tracé en raccourci et de la façon la plus
substantielle la vie artistique de ce compositeur charmant, dont la carrière est
semée de délicieux chefs-d'œuvre. Là aussi, l'audition de plusieurs morceaux
du maître : airs de Beniowski et du Calife de Bagdad par M""^ Morlet, air de
Jean de Paris par M. Morlet, duo de Ma tante Aurore par tous deux, ont pro-
duit la plus vive impression sur l'auditoire et valu aux exécutants de vifs
— Nous n'avons pas à recommander longuement le livre sur Jean Jacques
Rousseau musicien que la librairie Fischhacher vient de mettre en vente et
qui porte la signature de notre collaborateur et ami Arthur Pougin. Les lec-
teurs du Ménestrel ont eu la primeur de ce travail intéressant, et ils n'igno-
rent pas que c'est là la première étude importante et complète qui ail été
publiée sur Rousseau considéré au seul point de vue musical, et avec quelle
impartialité son rôle sous ce rapport a été apprécié dans cet écrit substantiel.
En donnant à cette étude sa forme définitive, l'auteur l'a encore augmentée,
selon son habitude, de quelques renseignements nouveaux, et l'éditeur l'a
accompagnée de trois gravures et d'un superbe portrait qui complètent le
volume de la façon la plus heureuse.
— Le dernier o Mercredi-Danbé » à la Renaissance a été, pour Gustave Char-
pentier, une longue suite d'ovations. Le Jet d'eau, admirablement chanté par
M. P. Daraux, les Chevaux de bois, que M. Emile Cazeneuve a dits à ravir, puis
la Chanson du chemin par ces deux excellents artistes, et enfin la Complainte
et les Trois Sorcières qui, sous la direction de l'auteur, ont été interprétés déli-
cieusement par M™= Lormont, Sylvain, Lasne, Pennequin, Broglia, Allard,
Abraudt, Ménier. Ces huit jolies voix, si bien stylées par le maître, ont pro-
duit une très grande impression. Une causerie de M. Paul Boncour sur
l'œuvre de Mimi Pinson créée par Charpentier a vivement intéressé l'auditoire
qui, malgré un temps épouvantable, remplissait la salle de la Renaissance.
Le public a fait aussi le meilleur accueil à un joli quatuor d'Alexandre Lui-
gini. M. Danbé annonce sa 16« et dernière séance pour mercredi prochain.
M""» C. Pierron (de l'Opéra-Gomique) « dira o une lamentation de Roger Miles
sur la Marche funèbre de Chopin, M"" Lormont fera entendre pour la première
fois deux mélodies de M, Louis de Serres, M. Georges Dantu chantera l'Herbe
d'oubli de notre collaborateur Julien Tiersot, M">' Georgette Leblanc inter-
prétera des fragments de Charlotte Corday d'Alexandre Georges, accompagnée
par l'auteur, et enfin le quatuor Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes
donnera une audition intégrale des Sept paroles du Christ d'Haydn.
Vendredi-Saint, en l'église Saint-Denis du Saint-Sacrement, audition
solennelle des Sept Paroles du Christ, de Théodore Dubois, avec le concours
de M"= AUiod pour la partie de soprano solo.
— Il sera donné un concert très intéressant le l'' avril, au Grand-Théâtre
de Versailles, au profit d'une œuvre de charité, avec le bienveillant concours
de M"" Mathieu d'Ancy, Doby, M""™ Carré, H. Perry, MM. Pruneau, Gack,
F. Lesur, organiste, Carré, accompagnateur. Chœurs, double quatuor et
musique du !='■ génie sous la direction de son chef M. Meister, en tout
70 exécutants. Dans la deuxième partie on entendra pour la première fois
un drame sacré de A. et H. Perry, musique de Henri Perry. On trouve des
billets chez Quinzard, 21-, rue des Capucines.
— De Lyon : Le sixième et dernier concert de l'Association symphonique
lyonnaise a valu à M. Théodore Dubois et à JA^^' Kleeborg de chaleureuses
ovations, le premier conduisant son 2' Concerto et sa suite de la Farandole,la.
seconde interprétant avec son merveilleux talent de pianiste l'œuvre du dis-
tingué compositeur et plusieurs pièces en solo. Rappelée, M'"' Kleeberg a
ajouté au programme les Abeilles de M. Th. Dubois. Au même concert M"=
Janssen s'est fait applaudir dans le Roi des Aulnes de Schubert, orchestré par
Berlioz, et la scène finale à'Armide de Gluck. Le reste de la séance, fort
copieuse, comprenait une sélection du Faust de Schumann et du Requiem de
Mozart interprétés par des chœurs d'amateurs fort bien stylés; les soli étaient
chantés par M">« F. de Thermes. MM. Maurin, Jolly, Milliet et W. L'ou-
verture à'Egmont de Beethoven et celle des Maîtres Chanteurs de "Wagner ont
été aussi fort bien rendues par l'orchestre, dont MM. Jemain et Mirande se
partageaient la direction.
— La Société lyonnaise de musique classique a donné son quatrième con-
cert avec le concours du quatuor Hugo Ileermann, de Francfort, et de M. Noël
Desjoyeaux. Le programme comprenait le quatuor en sol majeur de Haydn,
le i'i' quatuor de Beethoven, et un quintette inédit de Noël Desjoyeaux exé-
cuté par l'auteur et le quatuor Heermann. Ce quintette est une œuvre de
grande valeur, où l'originalité et la hauteur de l'inspiration ne sont pas moins
remarquables que la profondeur et l'habileté de la science harmonique. Le
succès a été très grand pour l'auteur et les interprètes. Le premier mou-
vement et l'andante ont fait particulièrement impression sur le public.
— Très gros succès à Marseille, au 21° concert de l'Association artistique,
pour le grand pianiste Louis Diémer et le remarquable violoniste Jules Bou-
chent. On a fait aux deux artistes un accueil des plus chaleureux.
— On nous écrit de Caen : Succès triomphal, samedi dernier, pour le fes-
tival Holmes, donné par la Société des beaux-arts. D'importants fragments
de la Montagne noire, supérieurement interprétés par M"'^ de Saint-André,
MM. Bérul et O'SuIlivan, ont soulevé la salle. Pologne, Irlande, Au Pays bleu,
la Nuit et l'Amour et plusieurs mélodies pour piano et chant, accompagnées
par l'auteur, complétaient ce magnifique programme. L'orchestre, venu de
Paris, a exécuté avec fougue et précision, sous l'excellente direction du com-
positeur et chef d'orchestre, M. Georges Auvray, les œuvres d'Augusta Hol-
mes, dont la plupart ont été bissées. A la fin du concert l'auteur, entouré de
ses interprètes, a été l'objet d'une enthousiaste ovation.
— On nous écrit de Poitiers qu'un compositeur de cette ville, M. Destenay,
a fait entendre dimanche dernier un oratorio, le Christ, vaste trilogie lyri-
que dont il est l'auteur et qui a obtenu le succès le plus complet.
— L'orchestre municipal de Strasbourg a joué avec succès une nouvelle
œuvre symphonique intitulée te Géant Schtetto, musique de M. J. Erb. Cette
composition a pour sujet une vieille légende alsacienne.
— Soirées et cohcerts. — Salle de Géographie, très intéressante audition des élèves
des cours Sauvrezis. Programme consacré aux danses anciennes et modernes, avec cau-
serie de M. Léo Claretie. Parmi les nombreux élèves entendus, on rema' que Jl"" Alice B.
(Mazurk'j, Trojelli), Alice L. {Souvenir d'Alsace, l.ack), Odette S. [Rigaudon de Xavière,
Th. Duboisi, Suzanne C. (Chaconnc, Th. Dubois), Gabrielle G. {f Gavotte, Bourganlt-
Ducoudray), Germaine et Marie-Thérèse A. (fe Roi s'amuse, Léo Delibes) et dans la série
des classiques empruntés à l'édition Marmontel, M"" Dolly S. (Menuet du Bœuf, Haydn),
Jeanne Sainte-C.-D. [Invitation à la valse, Weber), Jeanne C. {Pokmaisc, Chopin). Grand
succès pour les chœurs et les jeunes élèves des cours de sjlfège. — A la troisième séance
de musique de chambre donnée, salle Erard, par M. Gaston Courras, on a fêté SI'"'-' Dal-
sème-Ribeyre qui a chanté plusieurs mélodies de Diémer, accompagnées par l'auteur.
Menuet, la Fauvette, les Ailes. — Chez M"« Marie-Louise Grenier, très jolie séance consa-
crée aux oeuvres de Théodore Dubois. Les élèves de l'excellent profesîseur se sont fait
apprécier et dans des mélodies et dans des morceaux de piano et ont été vivement félici-
tées par le maître présent. Quarante numéros d'une charmante variété formaient un
pi'û^rainme qui a ra\ i l'assistance. — Intéressante audition des œuvres de Ch. Delioux
par les élèves de M"" Marie Paye; succès pour le compositeur, le professeur et les
élèves, principalement pour M"" Laure C, Germaine "W. (le Petit Berger), Isabelle et
Marie-Thérèse de C, Yvonne de B. (Sérénade, op. 65), Anne-Marie A. {Motif varié,
op. 115). — Gland succès à « la Trompette » pour les Pièces pour cor anglais de il" de
Grandval, interprétées par M. Bleuzet. Du même auteur, au concert de la Société des
Compositeurs de musique, M. Mauguière a fait vivement applaudir le Vase brisé, et
Jl»" de Gésanne, les Trois Oiseaux... et M°" Smith, à son concert, a charmé l'auditoire
dans les Stalactites et le Gratias agimus de la messe chantée avec M"' Mary Ador. —
Très réussie la charmante soirée musicale organisée par M. Bernaux. On a chaudement
applaudi une série d'œuvres de Massenet dont la Méditation de Thaïs, finement txéculoe
par M. de la HauUe, Les Enfants et l'air du Cid, rendus avec un joli sentiment par
M"" Blet, Improvisation, Saltarello bissé et la fine Toccata ont été fêlées comme tou-
jours et, parmi diverses pièces deL. Filliaux-Tiger, citons encore Source capricieme, exé-
cutée par l'auteur.
NÉCROLOGIE
Le malheureux compositeur Adolphe Gunkel, dont nous avons annoncé
la mort tragique dans notre numéro précédent, était né à Vienne en 1807. Il
appartenait à l'orchestre de l'Opéra royal de Dresde depuis 1887 et était un
violoniste fort distingué; son opéra Attila a été joué à Dresde en 1893 avec
un succès fort honorable ; il laisse un opéra-comique intitulé Jean Barl et un
autre opéra, non terminé, dont le régisseur de rOjiéra de Dresde lui avait
fourni le livret. Il parait que la femme qui l'a tué n'a jamais été sa maîtresse
et que Gunkel n'a jamais voulu entrer en relations avec elle; mais elle le sui-
vait partout pour s'imposer à lui. Gunkel n'était pas marié et vivait avec ses
parents à Blasewilz, près Dresde. Dans la soirée qui devait lui être si fatale,
il avait occupé sa place à l'orchestre de l'Opéra pendant la première représen-
tation de Nausicaa, de Bungert, et il rentrait tranquillement chez lui en sor-
tant du théâtre.
Henri Heucel, directeur-gérant.
t
n/
Dimanche 7 Avril 1901.
3fiî54. - (17™» A^EE - Pi° 14. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2'"', rne Vivieune, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
MÉNESTRE
lie HaméFo : 0 îf. 30
MUSIQUE ET TH:EATI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Hamépo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 Ws, rae Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art musical et ses inlerprèles depuis deux siècles (6^ article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : premières représentations du Capilaine Thérèse à la Gaîté, de la
Veine aux Variétés et de Sacré Léonce! au Palais-Royal, Paul-Emile Chevalier. —
IIL Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (24^ article), Arthur Pougin. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AVRIL EST AMOUREUX
nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie de Jacques d'Halmont. — Suivra
immédiatement : Quand ta nuit n'est pas éloilée, nouvelle mélodie de Eeynaldo
Hahn, poésie de Victor Hugo.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Menuet, u" 10 des Na:ives, de Louis Lacombe. — Suivra immédiatement : le
Baptême d'Yvonnette, de Paul Wachs.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les plus récents el d
;
VI
i¥"' de Fel et le librettiste Cahuzac. — La ravissante Coupée. — Comment se ven-
geait tirt fermier-général. — Les nobles conquêtes d'une actrice. — La fin d'une
voix. — Un hôtel original.
Ce fut M"'' de Fei qui succéda en 173S à la Petitpas. Elle aussi
était élève — et l'élève favorite — de M"' Carie Vanloo, qui
savait joindre aux grandes traditions de Marthe Le Rochois les
leçons de son expérience personnelle. M'"^ de Fel était parfaite
comme chanteuse légère. Ses contemporains épuisèrent pour
son beau talent toutes les formules de l'admiration. C'était « le
rossignol qui vocalise... le ruisseau qui murmure... » En no-
vembre 1736, les Nouvelles de la Cour el de la Ville constatent que,
dans Médée el Jason, l'opéra de Pellegrin et Salomon, M'"^ de Fel
chanta un air italien « où il semble qu'elle soit animée du goût
et de l'tune de Farinelli ».
L'inspecteur de police Meusnier, qui lui consacre un de ses
rapports en 1750, en fait un portrait peu flatté. C'est, dit-il, une
petite femme brune, à la peau noire, plutôt laide, mais « qui
n'en veut rien croire ». Par contre, sa voix est superbe. On
assure, dit-il plus loin, que M'" de Fel va se marier avec
Cahuzac, le parolier de Rameau, secrétaire aux commandements
du comte de Clermont, lui aussi un petit homme brun, du
même âge que sa belle, dont il est le proche voisin.
Sa passion fut, hélas ! l'illusion et le désespoir de sa vie.
M"' de Fel refusa d'unir ses destinées à celles de cet amoureux
transi. Et le pauvre Cahuzac, désespéré, affolé, anéanti, fut ren-
fermé pendant quelque temps à Charenton, d'où il ne sortit que
pour revenir mourir à Paris en 17o9.
Cette même année, l'ingrate cédait le premier emploi à Sophie
Arnould.
La ravissante Coupée était, comme M"'' de Fel, une « actrice
récitante » de l'Opéra. Meusnier rend justice aux charmes de la
femme. Elle avait alors 23 à 24 ans ; c'était une blonde aux yeux
bleus, d'une fraîcheur éblouissante, à la taille svelte et bien
prise, célèbre dans les fastes de la galanterie. Le policier, très
exactement renseigné, passe en revue les amis de l'actrice. Lord
Stafîord, follement épris de la Coupée, s'était presque ruiné pour
elle. C'est à cette époque qu'elle « allait prendre le lait » à Passy
chez la Pouplinière, le five o'clock du jour.
M'" Coupée fut l'héroïne en 1745 d'une romanesque aventure.
Elle honorait alors de ses bonnes grâces le fermier général
d'Ogny, qui n'était pas autrement convaincu de la fidélité de sa
belle. Jamais soupçons ne furent mieux justifiés. Des espions du
financier lui apprirent qu'ils avaient vu maintes fois la comé-
dienne sortir en carrosse de sa petite maison de la Garenne avec
le conseiller au Parlement Doublet de Bauche, pour revenir en-
semble à Paris. Un jour, sur la route, la voiture est assaillie par
des hommes armés jusqu'aux dents. De Bauche, quoique robin,
ne manquait pas de vaillance. 11 s'élance, l'épée haute, sur les
agresseurs, qu'il met en déroute. Une nouvelle épreuve, moins
périlleuse mais plus humiliante, attendait nos amoureux à la
barrière. D'Ogny, en sa qualité de fermier-général, avait donné
le mot aux gabelous. Ceux-ci font descendre les voyageurs de
leur carrosse et les visitent. On trouve sur la jeune femme
fichus, mantelets, jupes d'indienne ou de perse, étoffes impi-
toyablement confisquées à la barrière. La pauvre Coupée doit
payer quinze louis d'amende ; et déshabillée, presque nue, elle
rentra toute grelottante à Paris. De Bauche était sorti vainqueur
du tournoi dont Coupée était le prix; mais sa conquête lui coûta
ses soixante mille livres de rente.
La comédienne quitta la magistrature pour la diplomatie. Elle
asservit successivement à ses charmes Mocenigo, l'ambassadeur
de la sérénissime République de Venise, et Durazzo, l'envoyé de
la République de Gênes. Elle monta plus haut encore. Elle cap-
tiva le cœur d'un prince du sang, le duc de Chartres, qui devait
être plus tard le père du futur Philippe-Égalité, mais « qui ne
payait pas en fermier-général » remarque Meusnier. Seulement,
lOG
LE MÉNESTREL
il arrivait avec son grand cordon bleu chez la chanteuse, « ce
qui la flattait infiniment ».
Une vie aussi... occupée, que venaient compliquer encore de
fréquentes grossesses, n'était pas faite pour développer les res-
sources vocales de l'artiste. En 1751, au milieu d'une représen-
tation de Tancrède, M"° Coupée fut prise subitement d'une
extinction de voix : c'était la seconde fois que lui arrivait cette
mésaventure.
Elle s'en consola de nouveau avec l'Amour.
Elle devint la maîtresse du fermier général Roslin le jeune,
qui menait souper chez elle tous les vendredis ses compagnons
de plaisir, leur recommandant une discrétion absolue, car il était
marié. Au dire de Dufort de Cheverny, qui faisait partie de la
bande joyeuse, la Coupée, quoique n'étant plus de la première
jeunesse, était toujours une bonne et aimable fille. Sa maison
de la rue Saint-Marc, en face l'hôtel de Luxembourg, était une
des plus singulières habitations de Paris :
« Elle n'avait que deux croisées de façade, et cinq étages. Au
rez-de-chaussée, la cuisine; au premier, la salle à manger; au
second, le salon; au troisième, la chambre à coucher; au qua-
trième, le logement de ses gens; et au-dessus, un jardin grand
comme le reste, et aussi haut que ceux de Sémiramis. »
(A suivre.) Paul d'Bstrées.
SEMAINE THEATRALE
Gaité. Le Capitaine Thérèse, opéra-comique en 3 actes, de M. A. Bisson,
musique de M. R. Planquelte. — Varikiés. La Veine, comédie en 4 actes, de
M. A. Gapus. — Palais-Royal. Sacré Léonce! comédie en 3 actes, de M. P.
. Wolff.
OEufs de Pâques! Car nos directeurs ont aussi, vers cette époque
chère à ceux qui peuvent encore être gâtés, l'habitude de nous offrir,
sous forme de pièces inédites, de petits cadeaux. Tels des enfants curieux
et impatients de nouveau, brisons vite la coque prometteuse pour voir
ce que contient l'intérieur.
L'œuf de la Gaîté, confectionné par MM. Bisson et Planquelte, faiseurs
souvent mieux inspirés, est plutôt quelconque. Ces messieurs, qui sem-
blent n'avoir travaillé que pour les tout jeunes, n'ont très certainement
pas entendu, cette fois, se mettre martel en tète, les heureux tout gosses
se contentant de peu. Motif principal : une jeune fille se déguisant en
dragon pour éviter toutes sortes d'ennuis à un sien cousin qu'elle épou-
sera au baisser du rideau. Histoire naive, étayée d'un tas d'incidents et
de quiproquos honnêtement vieillots, qui exclut toute prétention à
l'originalité et toute surprise; quelque chose de très bourgeois, scénario
et musique, qui, peut-être, trouvera sa clientèle dans le quartier des
Arts-et-Métiers. Et pourtant, crevant l'ouate qui capitonne lourdement
l'œuf, voici surgir, au milieu de tant d'autres totalement éclipsés par
lui, un pantin courtaud, de belle fantaisie et de comique débordant; ce
turbulent petit bonhomme s'appelle Paul Fugère, et les auteurs du
Capitaine Thérèse, ainsi que M. Debruyère, lui sont entièrement rede-
vables de tous les moments de gaieté et de joie de la soirée.
L'œuf des Variétés est d'or ! Très gros effet qui laisse prévoir un succès
des plus durables, la comédie de M. Capus étant exquise, mise en scène
de charmante mauiêro et jouée d'idéale façon. La pièce? Ah! dame,
vous savez, c'est du tiiéàtre moderne et il n'y en a pas gros; tout juste
une petite amourette de parisiens, une fleuriste aimante, Charlotte, un
avocat paresseux, Julien, qui, voisins, se prennent un beau jour, se
quittent un autre, — .Julien est attiré ailleurs et Chariotte est jalouse,
— et se reprennent finalement pour s'épouser; à peine ce qu'il faut pour
souder entre eux les quatre actes, et aider l'auteur à nous présenter des
personnages absolument vivants, bien de notre époque et étonnamment
vrais. M. Capus a raconté cette fragile historiette boulevardiêre si joli-
ment, si spirituellement, si naturellement que, pas un instant, on ne
pense à lui réclamer quelque invention dramatique. En somme, comé-
die de caractères, de captivante forme et d'aimable analyse, avec une
psychologie dont le scepticisme se garde finement de l'amertume, de la
rosserie et de la grossièreté; et. c'est peut-être ici qu'est la plus grande
originalité de la chose, avec une pointe do bonté, tout à fleur de peau
comme l'amour et les sentiments étudiés, mais qui, doucement tou-
chante, fait pardonner à l'un sa bêtise prétentieuse, à l'autre sa perver-
sion inconsciente, à celle-là sa confiance et à celui-ci son égotsme. Car l
la comédie entière a été bâtie pour encadrer une étude d'homme égoïste,
JuHen, qui esl bien une des choses les plus réussies que le théâtre nous
ail données depuis longtemps. \e pensant qu'à lui, n'envisageant la vie
qu'autant qu'elle pont être utile ou agréable à lui seul, et tout à fait bon
garçon quand même, c'est lui qui prétend que tout individu heurte
fatalement, à un moment donné, la Veine, force aveugl(> et bizarre,
qu'on ne saurait même aider, et qu'en conséquence il est inutile de
peiner pour arriver à se créer une situation que le hasard fera naitre
alors qu'on y comptera le moins. La veine pour Julien, c'est le richis-
sime nigaud Tourneur, poussé dans le cabinet de l'avocat sans causes,
au moment où il va être vendu, par la petite coquette Joséphine,
ancienne ouvrière dans le magasin de fleurs de Charlotte et devenue
l'amie diamantée du jeune milliardaire.
La Veine est, nous l'avons dit, jouée d'idéale façon par M. Guitry qui,
jamais encore, ne fut si surprenant d'aisance et de vérité, et par
M™' Jeanne Granier, absolument parfaite; et remarquez que le mérite
de tels comédiens ne doit rien, ici, à des situations capables de les sou-
tenir; leur jeu doit être uniquement de nuances assez subtiles et de
naturel simple, et ils y excellent complètement l'un et l'autre. M"'' La-
vallière, de spirituelle fantaisie en Joséphine, et M. Albert Brasseur, de
comique très large, méritent aussi des éloges sans restrictions, alors que
MM. Guy, Prince, M'"'* Lender, Thomsen et Delys, entre autres, com-
plètent un ensemble rare.
L'œuf du Palais-Royal est en simUi. Il n'en faudrait pas gratter
beaucoup l'enveloppe portant la marque « comédie » pour ne découvrir
qu'un « vaudeville ». M. Pierre Wolff, que nous connûmes plutôt rosse,
s'essaie, cette fois, au seul rire et, en plus d'un endroit, il atteint très
agréablement le but poursuivi. Son Sacré Léonce/ est un pauvre bêta de
Cahors qu'on envoie à Paris pour épouser sa cousine Cécile. Comme il
est resté foncièrement vertueux en sa petite ville de province, il s'agira,
avant le mariage, de le dégourdir un peu, et c'est le futur beau-père,
Debienne. casanier comme pas un, qui sera chargé de cette délicate
mission. Un familier de la maison, le vieux noceur Seuzy, donne
l'adresse d'une certaine Totole, et c'est Debienne, le rangé, qui sera
pincé par l'émoustillante personne, cependant que Léonce ne tarde pas
aussi à s'émanciper par trop. Scènes de ménage chez les Debienne,
entre monsieur et madame, entre l'oncle-beau-père et le neveu-gendre,
qui finissent, bien entendu, par s'arranger. ■
Sacré Léonce ! qui ne manque ni d'esprit parisien, ni de drôlerie fa-
cile, est enlevé de verve par M. Gh. Lamy, un impayable Léonce, et
par M"'' Cheirel. une Totote très en dehors, et bien défendu par
MM. Boisselot, Félix Lagrange, M"'* Berthe Legrand, A. Samuel et
J. Derville. Paul-Emile CuEVALiEn.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVEB SELLE DE 19CO
LE PALAIS DU COSTUME
(Suite.)
C'était vraiment une leçon d'histoire au point de vue plastique, que
cette superbe e.xposition du Palais du Costume. Les trente-cinq scènes
offertes aux regards du spectateur, dans leur cadre d'une exactitude
absolue, faisaient passer sous ses yeux, dans leur ordre chronologique,
vingt siècles de modes, non seulement en ce qui concerne le costume
proprement dit, mais aussi le mobilier et ses accessoires, l'aménagement
et la décoration des appartements, l'architecture intérieure et extérieure,
et jusqu'aux moindres détails touchant les coutumes familiales ou solen-
nelles des diverses classes de la société. L'illusion était rendue plus ■
complète par la présence de tous ces personnages de grandeur naturelle, 1
à la physionomie vivante, à la ressemblance parfaite lorsqu'il s'agissait
d'une figure historique, dont les poses étaient si naturelles, si justement
étudiées, qu'il semblait qu'on les voyait agir et se mouvoir. |
Au rez-de-chaussée, après un « Intérieur à Antinoé » (Egypte), après-
la vue d'un Atrium romain plein d'élégance à l'époque deTrajan, après
celle d'une Caverne gauloise au temps de l'invasion romaine, venait ua
tableau vaste et plein d'opulence qui empiétait sur le premier étage,
« l'Hommage à l'Impératrice », à Byzance, dans la salle immense d'un
palais d'une splendeur et d'une somptuosité incomparables. Passons,
car d faut être bref, sur les Thermes de Julien et sur sainte Clotilde-
faisant l'aumône aux malheureux, pour arriver au moyen âge et au
superbe Intérieur féodal du XIP siècle, une admirable salle de château
dont le décor et l'ameublement pleins de richesse sont une simple mer-
vedle. Après celui-là nous nous trouvons en présence de Blanche de
J
LE MÉNESTREL
107
Castille ayant à ses côtés son fils Louis IX et la fiancée du jeuue roi,
Marguerite de Provence.
Nous sommes maintenaut en France, et nous n'en sortirons plus
guère. La France n'a-t-elle pas, dans les temps modernes, exercé, sou-
verainement cet empire pacifique de la mode, et pourrait-on chercher
des modèles ailleurs que chez elle? Mais, jadis comme aujourd'hui, cette
mode avait parfois ses ridicules, et en voici un exemple dans le tableau
qui nous représente, accoudées sur un balcon, tout un groupe de jeunes
femmes coiffées de hennins, cette coiffure sans grâce et sans élégance,
lourde, grotesque, incommode, douloureuse même, et qui pourtant
vécut tout un demi-siècle. Passons encore sur les deux lableaux, fort
riches cependant au point de vue du costume féminin, intitulés Acant
le tournoi et la Hccompense du tournoi, et sur celui qui nous représente
Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, en grand costume
d'apparat, pour nous arrêter devant celui qui nous montre les Patri-
ciennes de Venise s'apprélaut à descendre en gondole. On devine le luxe
tout oriental qui caractérise l'ajustement de ces dames de la haute
noblesse vénitienne, toutes couvertes de brocart d'or, de velours, de
satin, de broderies, de perles, de pierreries, de bijoux merveilleux. Il y
a de quoi éblouir les yeiLx.
Nous touchons à l'époque de la Renaissance, époque où le goût s'af-
fine, s'épure, où la recherche de la véritable élégance donne à toutes
choses, particulièrement au costume, le cachet de l'art. Nous en voyons
l'effet dans la scène superbe qui représente l'entrevue du Camp du drap
d'or, où trois grandes dames en habit de cour assistent, dans une tri-
bune, au défilé qui se produit sous leurs yeux. Plus intime, austère
même, est celle qui nous montre l'infâme Catherine de Médicis, mère
de trois rois, l'instigatrice de la Saint-Barthélémy, en conférence, dans
une salle modeste du Louvre, avec le fameux astrologue Ruggieri, son
compatriote et son digne « conseil ». Tout auprès nous pouvons con-
templer une Rue de Paris sous Henri III, tableau pittoresque d'un jour de
procession de la Ligue.
Avec le règne de Henri IV le costume féminin se gâte et se pervertit,
en dépit de sa richesse. La preuve nous en est donnée par les deux
tableaux qui représentent l'un Gabrielle d'Estrées jetant, du haut de
son balcon, une fleur à son royal amant, l'autre Marie de Médicis en
grande toilette de cour, couverte du manteau royal, semé de fleurs de
lis et doublé d'hermine. Jupes énormes, long corsage collant, grosses
manches à crevés qui enlèvent au bras toute sa souplesse, large fraise
qui engonce les épaules et cachent le cou en lui retirant sa mobilité ; en
somme vêtement raide et empesé, sans aisance et sans grâce, qui, fort
heureusement, va faire place au joli costume Louis XIII, si souple, si
dégagé, si harmonieux, qui laisse aux mouvements toute leur liberté, à
la femme toute son élégance et sa grâce naturelle, et qui, avec sa coif-
fure coquette, aux cheveux bouclés autour du front et des oreilles, est
certainement l'un des plus heureux et des plus aimables que nous pré-
sente l'histoire de la mode. Justement nous voici devant Marion de
l'Orme (ou Delorme, selon Victor Hugo), dans la cour de son hôtel,
dont la grande porte est ouverte, donnant congé à un galant, tandis que
ses femmes considèrent curieusement celui-ci.
Puis, la raideur du costume reparait avec le siècle du « grand roi » :
la taille longue, les devants de jupe, la traîne, les manches plates or-
nées au coude de dentelles tombantes, la coiffure haute, dite â la Fon-
tanges, véritable édifice de rubans, de dentelles ou de cheveux associés
en une sorte de monument; c'est ainsi qu'on nous montre « les filles de
Louis XTV surprises par le Grand-Dauphin fumant la pipe », ce qui
: était, il faut en convenir, une bien vilaine occupation pour ces demoi-
/ selles. Avec Louis XV parait la mode des paniers, ces ancêtres de la
crinoline, puis la poudre, puis les mouches. Le costume féminin n'en
est pas moins coquet, élégant, provoquant et souriant. On nous le pré-
sente dans sa grâce en deux tableaux familiers : « la Mode des paniers »
et 8 les Visites », dans sa sévérité avec la figure de la reine Marie
Leezinska, copiée sur le beau portrait du Louvre qm porte la signature
de Carie Van Loo. Il se dégage et s'assouplit sous le règne de Louis XVI,
et devient tout à fait charmant. Nous pouvons le contempler à notre
aise dans la scène délicieuse intitulée « ATrianon », où nous voyons la
jeune reine Marie-Antoinette faisant une promenade sur l'eau en com-
pagnie de la princesse de Lamballe, le comte de Provence faisant office
de rameur et dirigeant la nacelle qui les porte tous trois.
iJeux jolis sujets empruntés â Moreau et â Debucourt et heureu-
sement mis en action, « la Petite Loge â l'Opéra » et « les Deux Baisers » ,
nous conduisent jusqu'au Directoire et à la scène absolument exquise
qui nous transporte dans la boutique d'une « Marchande de modes » en
179b. Là, non seulement les toilettes des élégantes, celles des filles de
magasin qui s'empressent auprès d'elles, celle, si ridicule, du « mer-
veiUeux » qui accompagne ces dames et qui, accoudé â la cheminée, les
regarde faire leurs essais, mais l'aménagement de la boutique, son mo-
bilier, sa décoration, tout est parfait d'arrangement, d'ensemble, de
style et de couleur. Nous avons ensuite, comme contraste â ce joli
tableau de genre, « la Veille du Sacre », Joséphine, entourée de ses
dames d'atour, essayant devant une psyché, en présence de Napoléon,
qui assiste en curieux intéressé à cette importante répétition, le costume
somptueux qu'elle doit porter à la cérémonie, avec le grand manteau
impérial à longue traîne, semé d'abeilles et fourré d'hermine. Deux
petites scènes intimes tout aimables, « le Fiancé (1820) » et <,< un Bap-
tême (1830) », terminent, avec le portrait imposant de la reine Marie-
Amélie en 183.3, la partie proprement historique. Et la série s'achève
dans le mouvement contemporain avec l'exposition des robes de bal en
1867, 1878, 1889 et 1900, avec le portrait de M"'"^ Sarah Bernhardt dans
le costume de la Dame aux Camélias et celui de M'"° Réjane dans le
costume de la Glu, sans compter la vue superbe de la grande galerie
chez Félix en 1900.
Tel était, tel les Parisiens et les étrangers ont pu l'admirer, ce Palais
du Costume, l'une des merveilles, sinon la plus grande des merveilles
accumulées au Champ-de-Mars. Il y a ,eu, non seulement dans la con-
ception, mais dans l'exécution si habile de cette admirable exposition
du costume féminin, œuvre vraiment grandiose et d'une nouveauté
absolue, il y a eu un effort artistique digne des plus grands éloges, et
une recherche de la perfection â laquelle on ne saurait trop applaudir.
Cela était à la fois d'une exactitude scrupuleuse, d'une richesse incom-
parable, en même temps que du goût le plus châtié, le plus exquis et
le plus pur. Ce n'était rien encore que la splendeur des étoffes, que la
beauté des costumes, que la pose et le maintien des personnages, mais
ce qui donnait, dans leur ensemble, tout leur prix à ces tableaux si
divers, c'était leur composition élégante et ingénieuse, c'était la recons-
titution curieuse et si intéressante des milieux, c'était la recherche du
style propre à chacun d'eux, c'était la « mise en scène » avec tous ses
détails, tous ses accessoires, .toutes ses caractéristiques touchant soit
l'architecture, soit la décoration, soit l'aménagement, soit enfin ce qu'on
est convenu d'appeler la couleur locale, en un mot ce qui procure au
spectateur l'illusion et le sentiment le plus complet de la réalité. Aidé,
soutenu par le dévouement et la prodigieuse habileté de ses collabo-
rateurs, M. FélLx peut se flatter d;avoir créé, dans les conditions les
plus parfaites, ce qui n'avait jamais été tenté, et ce qui ne sera pas
de sitôt renouvelé — car un tel effort ne se recommence guère. Il a
donné une preuve nouvelle et éclatante du sentiment artistique de
notre pays, de l'incontestable supériorité de la France en matière de
goût, et pour éphémère qu'elle ait été forcément, l'oeuvre réalisée
par lui portait le témoignage sans réserve de cette supériorité. Il a
lieu d'être pleinement satisfait du brillant résultat obtenu par lui.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — Le dernier concert, •<- festival Wagner », avait
attiré une foule énorme et enthousiaste, car le programme était fort habile-
ment composé et offrait, sous prétexte de donner des échantillons de tous les
drames lyriques du maître dans leur ordre chronologique, plusieurs morceaux
de tout repos que le public pouvait applaudir de conûance. Inutile de dire
que ces échantillons, véritables membra disjecta poetœ, ont paru moins satis-
faisants aux connaisseurs, car il est en effet impossible qu'un fragment puisse
représenter, même à peu près, fœuvre à laquelle il est emprunté. Abstraction
faite des Fées, œuvre réservée à l'Opéra de Munich, qui montre la base clas-
sique sur laquelle le maître a édifié toute sa production, on ne peut admettre
par exemple que l'ouverture de Rienzi représente complètement le Wagner
de 1840. On y recounaît bien l'influence du « grand opéra » de Meyerbeer, de
Spontini, même deDonizetti, mais Rienzi contient aussi des passages comme
Pair d'Adriano ou le chant des messagers de la paix, qu'aucun autre compo-
siteur de l'époque n'aurait pu écrire ainsi. — La ballade de Senta, par contre,
résume beaucoup mieux le Vaisseau-Fantôme; M"'" Adiny en a brillamment
fait valoir le caractère extatique et a été vivement applaudie. — Tannliàuser
n'était représenté que par le célèbre « hors-d'œuvre » ajouté après coup : la
Bacclianule. écrite en vue des représentations parisiennes. Ce superbe mor-
ceau orchestral, agrémenté du chant des sirènes fort bien exécuté, a, comme
toujours, enlevé l'auditoire. - Même succès, naturehement, pour le prélude
du premier acte de Loliengrin, dans lequel l.^s premiers violons ont cependant
paru un peu ternes. - Le niveau de l'exéculion s'est relevé avec le prélude
de Tristan el Yseult, qui était suivi de la fameuse « mort d'amour » (Ltebeslodj
d'Yseult. M'"" Adiny a interprété ce fragment incomparable en tragédienne
lyrique di primo carlelto ; l'eifet énorme qu'elle a produit était d'autant plus
remarquable qu'elle a chanté en allemand et que la grande majorité du
public n'était pas à même d'apprécier les mérites de son style et de sa dic-
tion. Plusieurs rappels de la soliste et une levée en masse de l'orchestre ont
marqué le plus grand succès du concert. - Le prélude du premier acte des
108
LE MENESTREL
MaiIres-ChanleuTs. admirable synthèse de l'opéra tout entier, aurait certaine-
ment mieux représenté cette œuvre que le prélude du troisième acte avec la
danse des apprends et la marche des corporations: Texécution de ces frag-
ments fut assez bonne. — Pour représenter l'Anneau du Nibelung, on a produit
d'aboi-d la scène finale de l'Or du Rhin, dans laquelle la partie vocale n'était
pas bien satisfaisante, ensuite trois des chevaux de bataille des concerts
Colonne : la Chevauchée des Valkyries, les Murmures de la forêt de Siegfried et
la Marche funèbre du Crépuscule des Dieux. Ces morceaux si connus ont trouvé
l'accueil habituel; les galeries ont même obtenu la répétition do la CJwvauchée,
malgré l'opposition des fauteuils. — Le prélude de Parsifal, grandiose par sa
structure magistrale et par la beauté des thèmes qui y apparaissant, a produit
une impression profonde: il nous a laissé le regret que l'Enchantement du Ven-
dredi-Saint, qui était cependant de saison, n'ait pas fait partie du programme.
0. Berggruen.
— Concerts Lamoureux. — Trop de Wagner, cette fois, vraiment trop. La
quatrième audition de l'Or du Rhin n'a excité qu'un enthousiasme doucement
tempéré. L'interprétation orchestrale, très correcte, se classe parmi celles qui,
étant tout à fait impersonnelles, ne se discutent point. II n'y a rien à repren-
dre dans l'ensemble, et rieu non plus n'est rendu avec le sentiment drama-
tique exigé par chaque scène. Les chanteurs disent ce qu'ils ont à dire, les
musiciens jouent ce qui est écrit, et nul ne se préoccupe de rechercher la
caractéristique des choses pour les faire ressortir avec leur relief propre,
avec leur nuances particulières et les dégager de leurs vagues ambiances.
Tout est bien rendu, semble-t-il? Oui, mais pour sortir de la banalité supé-
rieure d'une excellente exécution, il faut que l'individualité de chaque phrase
mélodique et harmonique, que celle de chaque groupe de phrases formant
une période, soient mises en valeur de façon à provoquer immédiatement
l'impression spontanée, à déchirer le nuage comme un trait de feu. A ce
point de vue, l'Or du Rhin est incomparablement plus difficile à mettre au
point que le 3'= acte de Siegfried, dont l'allure en crescendo fait oublier les
monotonies de la diction orchestrale. La conscience ne suffit pas en art. il
faut encore l'étincelle. L'abus delà musique de Wagner a cet inconvénient
d'habituer les orchestres à des interprétations dépourvues de qualités idéales.
Une page de Wagner jouée mécaniquement produit encore un très grand
effet; au contraire, une page de Beethoven soumise à cette épreuve peut à
peine se soutenir et une page de Berlioz s'évanouit entièrement. La différence
est grande entre le sensualisme un peu épais de Wagner, le lyrisme de
Beethoven et le symbolisme intellectuel de Berlioz. Sans reprocher à Wagner
d'exiger de ses auditeurs une culture moins idéale que Beethoven et Berlioz,
je ne voudrais pas lui faire un mérite de cette tendance spéciale de son génie
qui me parait moins noblo qua celle des deux autres maîtres. Il faudrait
maudire la musique de Wagner si elle devait nous priver longtemps dos
ouvrages qui doivent former le répertoire des concerts symphoniques. Mais
la question d'art devient secondaire. Wagner avait souhaité que les repré-
sentations de Bayreuth pussent être gratuites ; ses héritiers sont en instance
auprès de leur empereur, pour obtenir une loi d'intérêt particulier qui
augmente leurs gains déjà énormes en prolongeant leur droit exclusif de
propriété musicale. Quant à nous, puisque la question wagnérienne n'est plus
sur le terrain de l'art, nous détournons les yeux, espérant bien que Paris,
après avoir été la ville où l'on ne jouait pas Lohsngrin, échappera au ridicule
de devenir la capitale du monde où l'on entend le plus de musique de
Wagner. Amédée Boutarel.
— Le programme de la seconde séance des « Grands concerts symphoni-
ques » au Vaudeville était très chargé, trop chargé peut-être, car c'est vrai-
ment trop, avec trois ouvertures, de deux symphonies et d'un poème syni-
phonique. Les trois ouvertures étaient celles de la Mer calme, de Mendelssohn.
du Vaisseau-Fantâme, de Wagner, et de Léonorj (n" 3), de Beethoven; avec
cela la symphonie en ut mineur de Beethoven, Jupiter, de Mozart, et le
Mazeppa de Liszt. Le concert était dirigé cette fois par M. Kirl Muck , chef
d'orchestre de l'Opéra de Berlin. Le « docteur » Karl Muck (docteur en phi-
losophie), né en 1839, fils d'un conseiller ministériel du grand-duché de
Hesse-Darmstadt, est un homme maigre, sec et nerveux, qui dirige d'une
façon sure, avec des gestes sobres et d'une rare précision, et qui sait se faire
obéir de son personnel. Il a certaiuement du savoir et de l'acquis, el l'on
doit croire, avec la haute situation qu'il occupe, que c'est un excellent chef
d'orchestre d'opéra. Je n'en saurais dire tout à fait autant en ce qui concerne
la symphonie. Il a d'abord des mouvements qui nous déroutent complète-
ment. Je ne parlerai même pas de l'attaque si vigoureuse de la symphonie
on ut mineur : nous savons aujourd'hui par expérience qu'en Allemagne ce
début, au rebours de ce qui se fait chez nous, est toujours exécuté d'une
façon absolument mesurée, ce qui lui enlève sa. couleur, sa vigueur et son
éclat. Mais la façon dont tout ce premier morceau a été conduit m'a paru
fâcheuse, entre autres l'enchainement des points d'orgue avec le motif des
violons, qui manquait complètement de distinction. Quant à l'allégretto, non
seulement il était beaucoup trop lent, mais le chef d'orchestre s'y permettait
des nuances et surtout des altérations de mouvement qui sont trop étran-
gères à nos habitudes d'interpréter Beethoven, pour que nous ne nous en
sentions pas choqués. De même, dans la symphonie de Mozart, Jupiter, le
premier allegro manquait essentiellement de grâce et de délicatesse, et le
menuet, ce menuet délicieux, dont le programme lui-mémo constatait et
faisait ressortir « le caractère joyeux », ce menuet était pris dans un mouve-
ment à porter le diable en terre. Tout cela était lourd, sans air, sans saveur
et sans parfum. C'est dans les choses de vigueur surtout que M. Karl Muck
déploie sa virtuosité. Le Mazeppa de Liszt et l'ouverture du Vaisseau-Fantâme
ont été dits avec une véritable crànerie, et l'ensemble était excellent. Mais
cela, je l'avoue, ne saurait me faire passer condamnation sur les graves
défauts que j'ai cru devoir signaler. A. P.
— Le réputé pianiste Edouard Risler, de retour à Paris après une longue
et triomphale tournée à l'étranger, donnera, salle Pleyel, la série des six con-
certs qui lui valut des succès si retentissants à Amsterdam, Vienne, Munich,
Berlin. Leipzig, etc. Ces concerts auront lieu aux dates suivantes : en avril,
le 22 (Couperin à Mozart), le 26 (Beethoven), le 29 (Schubert, Weber, Men-
delssohn); en mai, le 3 (Schumann, Chopin), le 6 (Liszt), le 10 (musique
moderne française).
— Voici le programme du -i» « grand concert symphonique », qui aura lieu
jeudi prochain, an Vaudeville, sous la direction de M. M. Fiedler (de Hambourg) :
Ouverture de l'Inauguration (Beethoven) ; — 4' symphoaie, en ré mineur (Schumann) ;
— Ouverture de Benvenuto Cellini (Berlioz); — Concerto de violon en ré majeur (Tâchaï-
kowsky), par M. Pelschnikoff; — Variations sur un thème de Haydn (Brahms); — Ouver-
ture de Tannhauser (Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Uc notre correspondant de Belgique (4 avril) :
L'heureuse idée qu'ont eue la direction de la Monnaie et celle du théâtre
du Parc de s'associer pour donner, sur la scène de la Monnaie, des représen-
tations de l'Artésienne de Daudet avec la musique de Bizet, a été couronnée
du plus grand succès. L'oeuvre, remarquablement interprétée par la troupe du
Parc, l'orchestre et les chœurs de la Monnaie, sous la direction de M. Dupuis,
a produit une impression profonde et un effet considérable. Aussi, les deux
directions ont-elles décidé de poursuivre leur association et d'organiser, chaque
hiver, deux spectacles semblables qui pourraient aisément fournir plusieurs
soirées. On donnerait, l'an prochain, le Songe d'une nuit d'été avec la musique
de Mendelssohn, et Mara/'rcd avec la musique de Schumann: des artistes spé-
ciaux seront engagés pour remplir les rôles principaux, et la mise en scène
sera aussi complète, aussi artistique qu'ellepeut l'être sur une scène de l'im-
portance de celle de la Monnaie. Puis, viendront \eConte d'Avril de MM. l.'or-
chain et Widor, Pélleas et Mélisande de M. Pierre de Bréville, les Erinnyes et
la Phèdre de Massenet, d'autres encore; les œuvres ne manquent pas.
Le Conservatoire de Bruxelles a terminé brillamment sa saison, dimanche,
par une nouvelle audition de l'Armide de Gluck, avec M'a" Bastien et Bour-
geois, MM. Seguin et Henderson; succès énorme, comme la première fois. —
Le même jour, le Conservatoire de Liège e.xécutait une œuvre non moins
importante, non moins belle, la Messe en si mineur de Beethoven. On ne
pourrait assez dire avec quel talent et quelle volonté son directeur, M. Th.
Radoux, s'attache à réaliser dans la composition de ses concerts des tradi-
tions identiques à celles de M. Gevaert à Bruxelles. Ces concerts sont, comme
ceux de M. Gevaert, de véritables régals d'art, et en même temps K- plus
bel enseignement et la plus féconde initiation. Il a fallu plusieurs mois de
travail pour mettre sur pied l'exécution de celte Messe colossale; mais le
résultat a été la récompense de tant d'efforts; cette exécution a été vraiment
supérieure, et les chœurs et l'orchestre, dirigés par M. Radoux, ont été non
moins remarquables que les principaux solistes, M. Sistermans, M"'* Meta
Geyer, Tilly Koenen et Joliet.
On sait que Peter Benoit, le chef de l'école flamande de musique qui vient
de mourir à Anvers, était membre de l'Académie royale de Belgique. C'est
M. Th. Radoux qui, dans la séance d'hier de la classe des Beaux-.4rts, a
exprimé l'étendue de la perte qu'a faite l'Académie et rendu un solennel
hommage au talent de l'illustre défunt. Cet hommage est d'autant plus carac-
téristique, et il a été d'autant plus touchant que Peter Benoit ne professait
guère, au point de vue du nationalisme artistique, les mêmes idées que
M. Radoux; celui-ci est Wallon, l'autre était Flamand, Flamingant même,
avec intransigeance. Or, c'est au nom de la Wallonie tout entière que
M. Radoux s'est levé pour rendre à la mémoire du mort le tribut d'admira-
tion qu'elle mérite. Puisse ce généreux exemple être un signe d'apaisement
entre deux races, sœurs et trop souvent ennemies ! L. S.
— On ne dira pas du théâtre royal de Liège qu'il fait la mesure chiche à ]
ses spectateurs et à ses abonnés, et si ceux-ci se plaignent de !a maigreur du
festin, c'est que leurs exigences seront vraiment excessives. Voici, pour la
clôture, lundi et mardi dernier, la composition des deux derniers spectacles
de la saison : lundi, Lakmé et Faust; mardi, la Bohème et l'Attaque du moulin.
Pauvres artistes, pauvre orchestre, pauvres choristes l
— Une vingtaine de députés au Keichsrath d'Autriche ont présenté au bu-
reau de cette assemblée parlementaire un projet de loi assez volumineux
tendant à régler la situation des théâtres en Autriche. La nouvelle loi aboli-
rait d'abord la demande de concession qui est encore nécessaire en Autriche
pour entreprendre l'exploitation d'un théâtre. La loi supprimerait ensuite la
censure dans tous les cas où une pièce ne contiendrait pas de passages direc-
tement attentatoires aux lois existantes. Enfin, la nouvelle loi protégerait
efficacement les artistes do théâtres contre l'exploitation éhontée dont certains
LE MÉNESTREL
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directeurs se rendent coupables au moyen de traités iniques. Ces traités, que
les artistes allemands appellent d'une façon pittoresque mais significative
« traités de corsaires », seront déclarés nuls et non valables. La loi protège
aussi les artistes de théâtres contre l'exploitation par certaines agences théâ-
trales. Malheureusement, le Reichsrath autrichien a, comme on dit, bien
d'autres chats à fouetter, et le projet de loi en question dormira probablement
longtemps dans les archives du Parlement.
— L'affaire de la succession de Johannès Brahms, devenue comme une
cause célèbre, s'est terminée la semaine passée par un arrêt de la cour de
cassation de Vienne qui a produit une vive émotion parmi les intéressés. La
cour a purement et simplement cassé les jugements de première et de
deuxième instance et, statuant sur le fond, selon la procédure autrichienne,
a attribué toute la succession à la famille du défunt compositeur. Vingt-deux
collatéraux du côté du père et de la mère de Brahms, tous parents au troi-
sième degré seulement et presque tous petits cultivateurs du Mecklembourg,
se partageront la fortune importante de Brahms. Heureusement, une conven-
tion avait été conclue, il y a quelque temps, entre ces héritiers et la Société
des Amis de la Musique de Vienne, en vertu de laquelle la splendide biblio-
thèque musicale de Brahms et sa fameuse collection d'autographes musicaux
deviennent la propriété de la dite société, qui reçoit en outre cinquante mille
francs. Une autre sotnme de soixante mille francs sera donnée, en vertu de
la même convention, à la Société de bienfaisance Czerny, de Vienne. Et dire
que Brahms aurait pu si facilement éviter ce triste résultat, si contraire à ses
véritables volontés, s'il avait consulté un homme de loi au sujet des forma-
lités à accomplir pour son testament !
— Puisque nous parlons de Brahms, citons un joli mot de ce pince-sans-
rire. Un musicien viennois, devisant avec lui, un certain soir, au cabaret, à
une époque où il était déjà à l'apogée de sa renommée, parlait avec enthou-
siasme de l'immortalité des grands artistes. « Oui, dit Brahms en hochant la
tête, l'immortalité serait une belle chose, si on savait seulement combien de
temps elle dure! »
— La décentralisation d'art en Autriche. Nous savons depuis longtemps
que de l'autre côté du Rhin des villes fort modestes se risquent à la représen-
tation d'opéras inédits; mais voilà qu'elles se lancent même dans l'art choré-
graphique. A Saint-Poelten, petite préfecture de la Basse- Autriche, le théâtre
municipal vient de jouer avec succès un ballet inédit intitulé Quand le chat est
absent..., musique de M. Rodolphe Gutmannsthal. Il est vrai que l'étoile,
M"« Weigang, appartient à l'Opéra impérial de Vienne, que M"<; Stéphanie
Vergé, l'excellente maîtresse de ballet viennoise, a réglé la partie chorégra-
phique, et que M. Joseph Bayer, chef d'orchestre de l'Opéra impérial, a
conduit l'orchestre. Il paraît que la musique de ce nouveau ballet a réuni
tous les suffrages.
— A r « exposition Bach » de Berlin, dont nous avons déjà parlé, se trouve
un document fort curieux qui prouve que le grand cantor a été « jeune » comme
tout le monde. Ce document est le procès-verbal d'une enquête disciplinaire
ordonnée contre le jeune Bach par le consistoire de l'église d'Arnstadt, où il
était organiste. On lui reproche : 1° D'avoir prolongé son congé hors des
dates convenues lors d'un voyage à Lubeck pour y entendre le célèbre orga-
niste Buxtehude. i" D'avoir exécuté « bien des variations bizarres (ivun-
derlich) » en jouant de l'orgue pendant le service divin et d'y avoir introduit
« des modulations dans des tonalités étrangères » ; 3° de ne pas avoir fait
preuve d'une autorité suffisante vis-à-vis de ses élèves; i" d'avoir fait une
visite au cabaret pendant le service; S" d'avoir admis une « demoiselle étran-
gère (eine frembde .lungfer) au chœur de son église pour qu'elle y fasse de la
musique o. L'enquête a duré du 21 février au 11 novembre 1706, et finalement
Bach fut obligé de reconnaître ses torts. Il promit, dans un dernier procès-
verbal, de se corriger.
— De Budapest au Figaro : « L'Opéra royal a donné la première de Louise,
la belle et si originale œuvre de. Gustave Charpentier. Malgré certaines
réserves, le public hongrois, quoique très difficile en matière d'art dramati-
que — et aussi un peu routinier — a apprécié beaucoup le grand talent de
notre jouue et célèbre compatriote. M"= Kaczer (Louise) a chanté et joué son
rôle avec une remarquable intelligence. M""' P. Bartoluci (la mère),
MM. Kertesz (Julien) et Beck (le père) méritent également des éloges. La
direction de l'Opéra royal a monté Louise d'une façon admirable. Décors et
mise en scène sont irréprochables. Quant à l'orchestre, il a été, comme to u-
jours, à la hauteur de son universelle réputation. »
— Une correspondance de Munich nous apporte des détails intéressants
sur les incidents qui ont illustré, au théâtre Royal, la première représentation
du nouvel opéra du jeune Siegfried Wagner, le Jeune Duc étourdi. Depuis
longtemps on n'avait assisté, à Munich, à un pareil spectacle. » Ce fut, dit le
correspondant, une des plus scandaleuses soirées qu'on ait vues à notre grand
théâtre, et il serait arrivé pire encore si le machiniste préposé à l'éclairage
n'avait eu la lumineuse idée de faire cesser tout d'un coup, en supprimant la
lumière électrique, les cris, les hurlements démoniaques, les applaudisse-
ments, les sifflets, les imprécations qui, à la fin de l'opéra, éclatèrent d'une
façon formidable. La chute à Munich du nouvel ouvrage de Siegfried Wagner
n'aurait certainement pas, malgré l'insuflisance du livret et de la partition,
excité de démonstrations si fâcheuses, si les amis du compositeur n'avaient
provoqué le camp opposé par des ovations extravagantes, si le compositeur
lui-même n'avait montré tant d'empressement à se présenter en scène, si à
la fin le rideau, tombé au bruit des sifflets, ne s'était relevépour laisser réap-
paraître Siegfried Vfagner, qui fut accueilli par des sifflets plus stridents
encore. Siegfried Wagner, cette fois encore poète et compositeur tout ensem-
ble, faculté qu'il juge sans doute indispensable en qualité de fils de son père,
s'est trouvé mal de ce double rôle assumé par lui. Le livret du Jeune Duc
étourdi montre la complète incapacité poétique de l'auteur, soit dans la tech-
nique du vers, soit dans sa forme poétique, on ne peut plus fâcheuse. A ceux
qui connaissent la langue allemande, je recommande la lecture de ce livret,
qui pourra leur procurer un moment de douce hilarité. Quant à la partition,
elle ne révèle point le progrès qu'on attendait après l'épreuve favorable du
Bârenhâuter. Abandonnant ici le style de la fable, il a voulu adopter celui de
la » comédie musicale », et il s'est complètement fourvoyé. On peut signaler
pourtant, au second acte, l'air très gracieux de Reinhardt, et même le finale,
qui est d'un heureux sentiment. L'œuvre, qui réclame un grand nombre de
chanteurs importants, a été bien étudiée sous la direction de M. Franz Fischer,
qui a été acclamé ainsi que les interprètes, MM. Walter, Sieglitz, Feinhals,
Klœpfer, et M""^* Koboth et Blank. »
— On nous écrit de Leipzig que ce même ouvrage, le Petit duc étourdi,
de M. Siegfried Wagner, qu'on y a joué quelques jours après la première
de Munich, a remporté un succès assez marqué. Le premier acte a été con-
testé, mais le deuxième, et surtout le dernier, ont été vivement applaudis;
à la fin, l'auteur a été rappelé plusieurs fois et a reçu une couronne de lauriers.
— Un accident qui eût pu être terrible a troublé, la semaine passée, une
représentation de Ritnzi qu'on donnait au théâtre municipal de Hambourg.
Le ténor Birrenkoven venait de faire son entrée à cheval, lorsque le plan-
cher de la scène s'ouvrit tout à coup et l'on vit l'artiste et le cheval dispa-
raître par une trappe. Le ténor fut blessé assez grièvement et devra garder
le lit quelques semaines; quant au cheval, il resta debout sur ses jambes et
exprima son mécontentement par des hennissements prolongés, en réponse
aux déchaînements de l'orchestre. La représentation fut interrompue et une
enquête ouverte sur les causes de l'accident.
— Nous ne sachions pas que jusqu'ici Naples, qui surtout devrait avoir à
cœur d'entretenir la gloire de Cimarosa, ait rien fait pour célébrer son cen-
tenaire, malgré les projets dont on avait parlé naguère. C'est à Milan que le
Conservatoire a pris ce soin, dans une fête intime, mais intéressante. Cette
séance s'est ouverte par une conférence très substantielle de M. Alberto Gio-
vannini sur la vie et les œuvres de Cimarosa, conférence terminée par de
bons et utiles conseils adressés aux jeunes musiciens, qui, a dit l'orateur, ne
doivent rien ignorer de ce qui se passe ailleurs, mais qui en même temps
doivent s'efforcer de conserver dans leurs œuvres le caractère spécial, la cou-
leur et la personnalité de l'art italien. Venait ensuite un concert, uniquement
composé de fragments tirés du répertoire de l'illustre maître, et dont voici le
programme : ouverture du Matrimonio segrelo; air : Tra mille amanti in core,
de l'Olimpiade: duo : Se contro me mugagne macchinale, de Giannina e Bernar-
done; air : Ah! sereiai, o madré, il ciglio, de Pénélope; air : Un cor che tenero, de
gli Ôrazi e i Curiazi; et trio : Dickiaro e mi proteste de le Astuzie femminili;
plus, une sonatine pour piano exécutée par M"« Serafina Orsi, et un air de
violon par M. Scipione Guidi, tous deux élèves de l'école, ainsi que les jeunes
chanteurs, M'is^Zanelli, Rapp, Cernuschi, Valenta et Barasa, et MM. Petrina
et Gianchetta.
— Le Secolo de Milan nous apprend que le maestro Giacomo Orefice vient
de terminer, sur un livret de M. Angiolo Orvieto, la musique d'un opéra
intitulé Chopin, qui doit être représenté au Teatro Lirico au cours de la pro-
chaine saison d'automne. Il va sans dire que le héros de cet ouvrage est
l'illustre compositeur virtuose dont les œuvres sont massacrées sans pitié par
les jeunes pianistes des deux sexes qui pullulent en tous pays. Mais le plus
singulier, pour ne pas dire le plus étrange, c'est que la- partition est formée
uniquement de motifs tirés des propres compositions de Chopin! Et l'on dit
qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil! Voilà pourtant un procédé que
jusqu'ici nul n'avait eu l'idée de mettre en œuvre.
— Il parait, et les journaux italiens expriment à ce sujet des regrets légi-
times, que la pins grande partie des autographes de Donizetti qui dépendaient
de la succession du notaire Dolci sont destinés à passer à l'étranger, et cela
parce que ni le municipe de Bergame, ville natale du compositeur, ni la
congrégation de charité n'ont consenti à faire l'acquisition de ces papiers,
qui "constituent sans doute un document précieux pour l'histoire de l'art et
d un grand artiste.
— On a donné à Rome, au théâtre Adriano, la première représentation de
Forturella, opéra dont la musique a été écrite par le baryton Pignalosa. La
dépêche qui nous apporte cette nouvelle se borne à constater le succès de
l'ouvrage, sans entrer encore dans d'autres détails. — Au théâtre des Muses,
d'Ancône, on a représenté, dans un spectacle de bienfaisance, un « tableau
lyrique » intitulé Quo vadis? dont le sujet, bien entendu, est tire du fortuné
roman de M. Sienldewiez. La musique est l'œuvre du compositeur Giuseppe
Bezzi, et ce petit ouvrage a pour interprètes M"-» Elisa Pétri, le ténor Zonghi
et le baryton Felici.
— L'opéra posthume d'Arthur Sullivan, file d'émeraude, joue de malheur.
Sa représentation avait d'abord été retardée par la maladie et la mort du
nompositeur; elle devait avoir lieu au commencement de la prochame saison
de Londres, au mois de mai, mais voilà que M. D'Oyly Carte, lo directeur du
Savoy-Théâtre, vient de mourir à son tour, et cet incident va retarder encore
la « première ». '
110
LE MENESTREL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Journal officiel du vendredi 29 mars a, enfin, publié la liste des offi-
ciers d'instruction publique et d'académie nommés, par le ministre, à l'occa-
sion du I" janvier. Parmi les noms des nombreux élus, nous relevons les
suivants concernant plus spécialement la musique et le théâtre :
Officiers D'IxsTitucrioN puiiLiQUE : MAI. Allard, prol'esseur au Conservatoire de Paris;
Bachimont, dit Brémont, membre du Coiaité des Artistes di-ama tiques à Paris; M""^Barré-
Sabatier, professeur de musique à Paris; M. Bas, artiste musicien à l'Opéra; JI"'' Boidîn-
Puisais, profc-sseur de musique à Paris; MAI. Bonis-Charancle, auteur dramatiqueàParis;
Ch. Bouvet, professeur de musique à Paris; Bouyer, artiste dramatique à Paris: G. Buon-
sollazi, compositeur à Paris; Cadillon. caissier principal de la maison KrarJ à Paris;
M"'^ Emma Calvé, de rOpéra-Comique; MM. E. Carbonoe, de rOpéra-Comique; Célor-
PirkîD, M"'' M. Chrétien, professeurs de musique à Paris; MM. G. Choisnel, chef de
service à la maison Durand et fils, à Paris; CoUin, dil Ciéves, ancien directeur de théâtre
à Paris; M"' de Corteuil, professeur de musique à Caen; MM. Coustal, professeur de
musique à Paris; Darthu, compositeur à Paria; Deledieque, professeur de musique à
Paris; M"'' Delna, de rOpéra-Comîque; MM. Deremet, dit Dermez, régisseur général du
Châtelel; D'^Dromain, médecin en chef del'Odéon; G. d'Esparbês, homme de lettres à
Paris; H. Eymieu, Fontborme, compositeurs à Paris; L. Garnier, auteur dramatique au
Perreux; M"" Giraud-Latarse, M. G. Girod, professeurs de musique à Paris; M""^ Giry-
Vachot, professeur au Conservatoire de Marseille; MM, P. GravoUet, professeur de décla-
mation à Paris; Herbert, professeur de musique à Paris; Ilaliander, musicien à TOpéra-
Comique; A. Lambert, P. Laugier, sociétaires de la Comédie-Française; E. Laurens, com-
positeur à Paris; M"'' Laurent, professeur de musique à Paris; M. F. Lecocq, professeur
au Conservatoire de Lille; M"*^ Lefebvre-Eyre. M. Le Rey, compositeurs à Paris; M"" E.
Leroux, pensionnaire de la Comédie-P'iançaise; M. A. Lévy, clief d'orthestie à Paris;
M°*"Marie-Rùze, MM. Migeon, R. Moatardon, professeurs de musique à l'^jris; MM. Mul-
1er, dit Monza. ancien directeur de théâtre à Colombes; G. Paulin, compositeur à Pai'is;
PéricaucL, rapporteur de l'Association des Artistes dramatiques à Paris; A. Pradel, profes-
seur à l'École de musique de Dijon ; Régis-Cornu, compositeur à Cran ; E. Risacher, direc-
teur de rUarmonie des artistes à Paris; M°>^' Ritter-Ciampi, artiste lyrique à Paris;
MM. F. Rivière, Ronger, dit Gardel-Hervé. compositeurs à Paris; M"*^ Siiillard-Dietz,
professeur de musique à Paris; MM. Th. Tlnirner, professeur au Conservatoire de Mar-
seille; E. Tréfeu, auteur dramatique à Paris; Vieilh de Boisjolin, chef de chant à TOpéra-
Comique; R. Valladier, Warnecke, professeurs de musique à Paris; J. Weingaertner,
directeur de TEcole de musique de Nantes.
Officiers d'Ac.uïémie : JI"*^ Ador, MM. Adour, professeurs de musique à Paris; Alkan,
professeur de musique à Chelles; Allais, chef de la Fanfare de Sainte-Savine; Amavet,
professeur de musique à Paris; Ambialet, directeur de sociétés musicales à Moissac;
Amici, professeur au Conservatoire de Marseille; Anciaux, président de l'Harmonie de
Meursault; M. André, premier Wolon a TOpéra; Anfossi, dit Valcourt, directeur du
théâtre de Nîmes; Anger, directeur de THarmonie à Méru; Anjubault, dit Maurice Ca-
mime, critique dramatique à Paris; Aubert, professeur à l'École de musique de Cette;
M"" Aubry, professeur de musique dans les écoles publiques à Paris ; M. P. AuLier, régis-
seur de théâtre à Paris; M"' Baffet, professeur de musique à Paris; ^JIM. Bâillon, dit
Barrai, pensionnaire de la Comédie-Française; L. Ballard, professeur de musique à Paris;
J. Bastien, professeur de musique à Bordeaux; L. Baiidin, chef delà Musique de Chàteau-
neuf-sur-Loire; Baylion, dit Reschal, ariisle dramatique à Paris; lîazoche, professeur de
musique à Nantes; Béjot, compositeur à Pamiers; Belfort, violoniste à Toulon; Benoît,
dit Bazile, L. Benoît, compositeurs à Paris; Bérard, pi'ofeijseur à l'Ecole de musique de
Montpellier; Berges, M"'-' Berlin, professeurs de musique à Paris; M. Bernardin, compo-
siteur à Wassy; M"'' J. Berliny, pensionnaire de la Comédie-Française; M. L. Berton,
compositeur à Vincennes; M"'' Beugnon, dite Marié de Tlsle, de TOpéra- Comique;
MM. Beyiard, professeur de musique à Paris; L. Bleuzet, musicien à Paris; Blin, dit
Duberry, contrôleur général delà Comédie-Française; E. Bloch, chef de comptabilité de
la maison Durand et fils à Paris; Bonichon, auteur dramatique à Nantua ; L. Bonnaud,
compositeur à Limoges; L. Bonnet, professeur à TÉcole de musique de Nîmes; M""^ Bour-
ceret, compositeur à Paris; MM. Bourdette, directeur du théâtre de Lille; Bovy, chef d'or-
chestre au théâtre de Nantes; M"*^ de Bray, dite Lauriane, artiste lyrique à Paris; MM. H.
Bressel, professeur de musique à Paris; Brin, dit Dalmorès, artiste lyrique à Paris;
L. Brisset, F. Bronner, compositeurs à Paris; M""^ A, Brucker, professeur de musique à
Paris; MM. Bruder, chef machiniste à rOpéra-Comique; Ed. Brunel, compositeur à
Paris; Ch. Brunet, directeur de la Fanfare de Chàtellbrault; M""= H. Brunot, M"' E. de
BuffoD, professeurs de musique à Paris; M. Bussy, régisseur de la dansp à TOpéra ;
M"" Caillât, professeur de musique à Vernouillet; "MM. Ch. Callon, compositeur à Paris;
L. Capet, professeur au Conservatoire de Bordeaux; A. Capgrand, chef de l'Union musi-
cale de Condom ; G. Carcassonne, compositeur à Nîmes; L. Carpentier, professeur au Con-
servatoire de Lille; J.-B. Carré, directeur de la Fanfare de Nouzon; H. Céard, homme de
lettres à Paris; M"'' A. Chambon, artiste lyrique à Paris; MM E. Chaperon, peintre-
décorateur à Paris; M"'' J. Chateauneuf, professeur de musique à Pau; MM. .V. Chevalier,
professeur de musique à Poitiers; G. Cheviiiot, chef du matériel à l'Opéra ; B. Civatte,
président de la Musique des Pennes; E. Claveau, facteur de pianos à Paris; E. Clérisse,
directeur de la Musique d'Evreux; M""' Cognet, professeur de musique à Cuurbevoie;
MM. L. Coin, directeur de FHarmonie gauloise de Lyon; B. Cuslaud, prol'esseur de musi-
que à Revel; Dahon, directeur de la chorale l'Avenir de Cannes; M""^ Darolle, professeur
de musique à Bordeaux; MM. Daurat, professeur de musique à Chartres; Dauvillier, de
rOdéon; M"" Debarsac, MM. Decaudun, professeurs de musique à Paris; Dehelly, pen-
sionnaire de ];i Cumédie- Française; M"*^ del Bernardi, de l'Opéra-Comique; MM. V. Del-
porte, professeur au Conservatoire de Montpellier; Denayer, Derepas, professeurs de mu-
sique à Paris; DerloD, clief de la Musique de Verneuil; M"" JJerud, MM. Désespringalle,
professeurs de musique à Paris; L. Dessus, chef de la Société Sainte-Cécile d'Uzcrche;
C. Dhorne, de l'Opéra ;M"'-deDotezfic, professeur de musique â Paris; M. Doutrel au, éditeur
demusiqueàParis;M"'Doyen,ditcl)angeville,M. L. Dreyfus, auteurs dramatiques à Paris;
M°"Dubendorfer, dite Dorler, artiste dramatiqueàParis; MM. Dubois, professeur à l'École
de musique du Mans; A. Dubuisson, professeur au Conservatoire de Rennes ;Duchamp, pro-
fesseur à l'École de musique de Tours; M"'^ M. Duchemin, professeur de musique à Paris;
M""^ Biana Duhamel, artiste dramatique à Paris ; M. Ed. Dumas, critique dramatique à
Paris; M""^ Dumoulin, professeur de musique à Paris; MM. E. Duprè, imprimeur de
musique à Paris; D.Dutrey, artiste lyrique à Rouen; i\1""^ Erbeau, professeur de musique
à Paris ; MM. Esquier, pensionnaire de la Comédie-Française; A. Etchecopar, directeur
de la vente à la maison Durand et fils à Paris ; M"' 0. de Fehl, de l'Odéon ; MM. de Fé-
licis, des Concerts Lainoureux; Féret, dit Delacour, directeur du théâtre des Ternes, à
Paris; C. Frichet, directeur de la chorale Sainte-Cécile d'Angei-s; Ci. Fiévet, professeur
à l'École de musii^ue de A'alenoiennes; C. FilJion, administrateur de théâtre à Paris;
Fonarmes, au'eur dramatique à Figeac; L. Fontaine, compositeur à Nimes; Fouroot,
chef de l'Harmonie de CharuUes ; M^'"^ Franquet, de l'Odéon ; MÎH. Froment, professeur de
musique à Paris; P. Gaillard, employé à la Comédie-Française; J.-B. Ganay, compositeur
à Paris ; Gandoin, professeur à l'École de musique de Nancy ; A. Gariel, critique musical
à Paris; M"-^ B. Gautier, professeur de musique à Paris; MM. Gazen, fondateur de la
société musicale les Patriotes des Ternes à Paris; Geay, compositeur à Niort; M"" F.
Génat, de l'Ûpéra-Comique ; MM. E. Geoffroy, professeur de musique à Paris ; R. Gérard,
compositeur de musique à La Seyne ; J. Géraud, chef de la Musique de Cherbourg;
L. Gérin, professeur au Conservatoire de Lyon; F. Giacobini, professeur de musique à
Ajaccio; Gonfrevillc. administrateur de la Cécilienne du Havre; Grégoire, régisseur des
Boulfes-Parisiens ; Grossin, chef de musique au ^9' d'infanterie à Rouen; L. Guéleville,
auteur dramatique au Ferreux; A. Guignard, chef de musique au 46'" d'infanterie;
Guilbou, directeur de la Société musicale de Saint-Jean-de-Bray ; M""' Guillemoteau,
professeur de musique à Fiers; M. L. Hambourg, prolésseur de musique à Paris;
M"= Hatto, de FOpéra; MM. Heuzé, inspecteur principal à la Gaité; L. Huber, directeur
de la Chorale de Melun ; L. Idrac, de FOpéra ; Jacoiilot, dit Brunais, artiste drama-
tique à Paris ; Jacquiet, dit Jacquier, professeur de musique à Arles ; Jammes, directeur
de l'Harmonie à Vichy; M"'' Jaraczewska, dite Bodin, ju-ofesseur de musique à Paris ;
MM. Jombar, luthier à Paris ; Ch. Joseph, soliste à la Garde républicaine; M""^ Jouron-
Duvernay, professeur de chant à Alger; MM. G. Judic, secrétaire général du Châtelet;
Kacynski, chef de la Musique de Mortain; de Keqhel, professeur au Conservatoire de
Bordeaux; Krever-Krieger, compositeur à Paris; Kropiî, ditNertann, artiste dramatique
à Paris; Labey, professeur de musique à Cany ; M"* Lacout, compositeur à Saint-Mandé;
M"'' Laemmel, costumière en chef de l'Opéra ; MM. J. Laûtte, ancien artiste de FOpéra ;
L. Lafl^urance, de la société des Concerts du Conservatoire ; Lajeunesse, dit Labruyère,
administrateur de théâtre à Paris; P. Lan, directeur du Grand-Théâtre de Marseille;
A. Landry, compositeur à Paris; M"" Lara, pensonnaire de la Comédie-Française;
M. Larruel, musicien à Paris; M""^ Lasailly, dite Lormont, artiste lyrique à Paris;
M™'^' Laville-Ferminet, professeur de chant à Alger; Lebas-Maindron, artiste lyrique
à Paris; M'^' Georgette Leblanc, de POpéra-Comique ; MM. B. Lebrcton, auteur dra-
matique à Paris ; Lecœur, chef de la Fanfare de La Fer té-Saint-Aubin ; RF'' M. Leconte,
pensionnaire de la Comédie-Française; M. H. Lefebvre, de l'Opéra: M»"^" Lefebvre
de Grandchamp, Legru, dite Urgel, professeurs de musique à Paris ; M, Lejal,
artiste lyrique à Paris ; M""^ Lemay-Samson, professeur de chant à Paris ; M. L. Leplat,
artiste à l'orchestre de l'Opéra ; M'""^' Leroux-Crozier, Lesseline, Loeper, M"' Long,
professeurs de musique à Paris; MM. Lorant, directeur de la scène au théâtre de
Pau; A. Loubet, professeur à l'École de musique de Saint-Etienne; G. Lucas, de
l'Opéra; H. Lutz, compositeur à Paris ; 0. Lussiez, artiste lyrique au théâtre de
Montpellier; M"'= M. Lynnès, pensionnaire de la Comédie-Française; M. A. Mabille,
jjmc jviaincent-Salagnad, professeurs de musique à Paris ; SI. Malacant, secrétaire
général du Vaudeville; M"'^ L. Mante, professeur de musique à Paris; MM, G. Maquis,
compositeur à Paris; F. Marchai, fondé de pouvoirs de la maison Pleyel, W'olff et C"
à Paris; Margis, compositeur à Paris; M"" Marioton, professeur de musique à Paris;
Marquât, professeur de chant à Bourges; MM. Martinet, président de la Fanfare d'Oui- s
lins; Marx, professeur de musique à Paris; Ch. Masson, compositeur àToul; F. Mau-
zin, professeur de musique à Paris; M""^ Laurent, dite Cécile Max, critique musical à
Paris; MM. Alpiionse Mayeur, artiste de Forchestre de l'Opéra; J. Mélodia, compositeur
àParis; A. Melchissédec, artiste dramatique à Paris; R. Meunier, V. Meyer, compositeurs
à Paris; M"" Michaud, professeur de musique à Paris ; MM. P. Mizon, professeur de mu-
sique à Béthune; A. Moisson, artiste décorateur à Paris; M"" M. de MontalantdeNocé,de
FOpéra; MM.Morizot, professeur de musique à Châtillon-sur-Seine; Morin, directeur de
la Musique de Bayeux; P. Mouren, compositeur à Pau; Muylaert, artiste musicien à
Lille; M""^' Naudin du Teilloy, professeur de musique à Paris; Nicolle. professeur de mu-
sique au Havre; Xouteau, professeur de musique à Paris; M. Ch. Odion, professeur au
Conservatoire de Nantes; M"'' V. Page, de FOdéon ; MM. Parenteau, directeur de la Chorale
de Saint-Macaire; Parouty, professeur de musique àMontargis; Passcpent, professeur de
musique à Paris; Paty, de l'Opéra; P. Paulus, chef d'orchestre à Paris; A. Paz, artiste
lyrique à Paris ; A. Peccatte, directeur de l'harmonie Paul Dupont â Clichy ; Peracchio,
professeur à FÉcole de musique de Saint-Étienne; M"' J. Pernin, artiste lyrique à Paris;
MM. P. Perret, artiste dramatique à Lyon; A. Petit, éditeur de musique à Paris; L. Phal,
violoniste à Paris; M""^ Piallat, compositeur à Paris; M. P. Pierret, artiste musicien à
Paris; M""^ Pigelet, professeur de musique à Pai-is; M. Pion, président de sociétés mu-
sicales à Lezoux; M"'' Plomb, dite Jane Ediat, professeur de musique à Paris; MM. Poggi,
artiste dramatique à Paris; Presteau, chef de musique à Bonnières; Prunelle, président
delà section de musique à la Société des Beaux-Arts à Alger ; Puygauthier, professeur de
musique à Bergerac; M""^ J. Rabuteau, de FOdéon; MM. Rambosson, auteur dramatique
à Paris; Ravet, pensionnaire de la Comédie-Française; Régnier, dit Laurel, artiste dra-
maticpie à Paris; E. Réty, chef de l'Harmonie de Liancourt ; P. Reynand, président de la
Musique de Salon; L.Ribier, artiste musicieu à l'Opéra-Comique; Riboulet, ditMoatîgnac,
auteur dramatique à Paris; M™'' Rideau, professeur de musique à Tours; M"" M.Rioton,
de l'Opéra-Comique; MM. Ristoa, dit Scipion, artiste dramatique à Paris; J. Robert,
professeur de musique à Béziera; P. Roche, professeur de musique à Marseille; Ronsin,
artiste décorateur à Paris; P. Rose, professeur de musique à Paris; Roy, président de la
Philharmonique d'Arles; Saïlcr, artiste musicien à FOpéra et à la Société des Concerts du
Conservatoire; Salbat, administrateur de la Gaité; Samborski, professeur de musique à
Lyon; A. Sax, artiste musicien à l'Opéra; Scelbaum, professeur de musique à Vincennes;
A. Schneider, compositeur à Paris; E. Schneider, professeur de musique à Paris; G. Selz,
compositeur à Paris; Siblot, de FOdéon; M"" Solari, professeur de musique à Paris;
MM. Soubeyran, artiste lyrique à Toulouse; Souplct, professeur de musique à Saint-
Germain; Spazier, artiste dramatique àParis;M"'" Strold, professeur de musique à Paris;
MM. Stuardi, dit Stuart, artiste lyrique à Ruucn; Sujol, M""^ Sureau-Bcllet,M"' Tantens-
teio, M. Tessarech, professeurs de musique à Paris ; M"" Thibaudot, dite Anna Thibaad,
artiste lyrique à l*aris; Thiéry, de FOpéra-Comique; Torel, MM. Touche, professeurs de
musique à Paris; Troly-Tréville, professeur de déclamation à Paris ; Truc, prol'esseur de
musique à Paris; Trutîaut, directeur de FHarmonie de Pontoise; Turlet, compositeur à
Paris; C. Ullmann, fabricant d'instruments de musique à Paris; F. Vargues, compositeur
à Paris; M-""* Cl. Vautier, artiste lyriqueàBondy ; Vôdié, professeur de musique â Reims;
MM. Védier, chef de la Musique de Vimoutiers; Viguier, artiste lyrique à Arcueil-Cachan;
G. Vilain, compositeurà Paris; Villoteaux, chef de musique à Festigny; Vinciguerra,chef
de comptabilité à FOpéra; P. Vîzentini, musicien à l'Opéra-Comique; H. Vizentini, musi-
cien à Bois-Colombes; Volpini, ancien directeur de théâtre à Paris; M""^'\Veil, artiste dra-
matique à Paris; M''"' Weiss, Willard,M'"'' Winlzweiller, professeurs de musique à Paris.
LE MENESTREL
111
— A l'Opéra, la pi-emière représentation Jii Roi. de Paris, de M. Georges
HiJe, parait être fixée au mercredi 24 avril.
— M. Alvarez a repris mercredi à l'Opéra le rôle d'Hercule dans Aslarté.
Gela n'empêche nullement d'ailleurs les pourparlers de la direction avec
M. Tarride, l'Hercule des Boufl'es-Parisiens, que M. Gailhard désirerait atta-
cher à son beau théâtre pour apporter un peu de fantaisie et d'amusement à
l'œuvre nouvelle. Les abonnés, qui n'ont pas souvent l'occasion de se divertir
dans l'académique maison, attendent anxieusement le résultat des démarches
tentées.
— Spectacles des fêles de Pâques à l'Opéra-Gomique :
Aujourd'hui dimanche : malinée, laBasoche, les Rendez-vous bourgeois: soirée,
Louise.
Demain lundi : matinée. Mignon; soirée, Mireille.
Mardi : malinée, Carmen: soirée, Javotte, Haensel et Gretel.
Mercredi : soirée, Manon.
Jeudi : matinée, Mireille; soirée, Haensel et Gretel, Javotte.
— Petites informations sur l'Opéra-Comique: M""= Rose Caron va donner
une nouvelle série de représentations à'Iphigénie. Vers le 25 avril sera repré-
senté pour la première fois l'Ouragan, le nouveau drame lyrique de M. Alfred
Bruneau. Puis viendra la reprise de Falstaff avec M. Victor Maurel et
M»« Delna.
— M. Paul Ginisty donnera cette semaine à l'Odéon une représentation
exceptionnelle iVUlysse, de Ponsard, avec la musique de Gounod. L'exécution
musicale sera dirigée par M. Emile Pessard.
— Gustave Charpentier a quitté Paris, cette semaine, pour se rendre à
Milan, où l'on doit donner prochainement au Théâtre-Lyrique la première
représentation de Louise.
— Le conseil municipal s'est décidé à donner la concession du Cirque-
Palace des Champs-Elysées à M. Henry de Mayrena. Nous allons donc être
débarrassés d'ici peu de cet amas de bâtisses inachevées qui enlaidissent
depuis trop longtemps ce coin si privilégié de Paris, déjà surchargé d'autre
part de tant de constructions plus hideuses les unes que les autres, toutes
dues à la gracieuseté des divers conseillers municipaux qui se sont succédé à
tour de rôle au palais de l'Hôtel-de-Ville. — Voilà, d'autre pari, le noble jar-
din des Tuileries envahi lui aussi, comme tous les ans, par ces vastes et
ignobles hangars de toile qui servent de refuge à un tas d'expositions plus ou
moins florales ou légumières. Quand donc nos maîtres édiles auront-ils un
peu plus le respect des choses artistiques de l'ancien Paris?
— Les théâtres « à côté » continuent d'être volontiers favorables à la mu-
sique. On a donné cette semaine aux Mathurins un acte intitulé Jésus de Bé-
ihanie, paroles de M. Emile Campocasso, fils de l'ancien directeur bien
connu, musique de M. Adalbert Mercié. Au théâtre Maguéra on a joué
le Lys, pantomime en un acte, de M. Jean Laury, avec musique de M. Henri
Cieutat. Enfin on a dû représenter pour la première fois à l'Olympia, hier
samedi, l'Impératrice, de M. Jean fiichepin, musique de M. Paul Vidal.
— Notre collaborateur Julien Tiersot nous communique la note suivante :
M. J. Sérand, archiviste-adjoint de la Haute-Savoie, a publié réceinment divers docu-
ments concernant le séjour de Jean-Jacques Rousseau à Annecy. L'on sait qu'à cette
époque de sa vie le philosophe était presque exclusivement occupé de musique, étant
élève de la maîtrise, faisant sa partie au chœur de la cathédrale ainsi que dans les
concerts de M'"= de Warens. Nous relèverons de ces documents un seul détail, concer-
nant son maître de musique, qu'il appelle dans ses Confessions « Aï. le Maître », mot
dans lequel des écrivains modernes ont voulu voir un titre, au lieu du nom du musicien.
Ces écrivains se sont trompés: celui que J.-J. Rousseau appelle 51. Le Jluître n'était
pas simplement « Le Alaître à chanter », mais s'appelait parfaitement Le Maître. Cela
résulte d'un acte notarié du 16 juin 1728, où son nom et celui de son père est écrit sept
fois. Le détail est de peu d'importance : nous le signalons néanmoins, d'une part, pour
rétablir la vérité sur un fait contesté de la carrière musicale de Rousseau, d'autre part,
parce qu'il n'est point inopportun, en notre. temps où sévit la manie de rectifier les écrits
des grands liommes, de montrer une fois de plus que ce sont souvent les rectifîcateurs
qui ont le plus besoin d'être rectifiées. — J. T.
On se rappelle que dans son étude sur Jean-Jacques Rousseau musicien,
publiée récemment ici-même, notre collaborateur Arthur Pougin, ayant pré-
cisément à parler de Le Maître, mentionnait une rectification faite à son sujet
par iM. Henri Kling, de Genève, et donnait, sans en prendre la responsabilité,
ce renseignement, qu'il ne pouvait, disait-il, « que reproduire avec exacti-
tude » : — « Celui qui se trouvait depuis 17-26 à la tête de la maîtrise d'An-
necy, lorsque Rousseau y fut admis, s'appelait Jacques-Louis Nîcoloz. Rous-
seau ne connut jamais le véritable nom de son professeur de musique, qu'il
appelle toujours « Monsieur le Maître », prenant cette désignation pour un
nom de famille ». On voit que les rectifications sont parfois fâcheuses et que
M. Kling s'était trompé. Les documents mis au jour par M. J. Sérand nous
apprennent d'une façon certaine que le professeur de Rousseau à Annecy
s'appelait bien Le Maitre, ainsi qu'il est dit dans les Confessions, et qu'il ne
peut subsister désormais aucun doute à ce sujet.
— Dimanche dernier, 31 mars, a eu lieu à la Sorbonne l'assemblée géné-
rale de la Société d'histoire de la Révolution, sous la présidence de M. Jules
Glaretie. Parmi les lectures qui y ont été faites, signalons celle de M. Julien
Tiersot sur le couplet des enfants de la Marseillaise. On sait que ce couplet,
qui n'est pas de Rouget de Lisle, a été attribué à deux auteurs, Louis du
Bois, de Lisieux, et l'abbé Pessonneaux, de Vienne. Tout récemment, une
nouvelle brochure, de M. E.-J. Savigné, soutenait l'attribution du couplet à
ce dernier, tandis que M, Anatole France et d'autres écrivains s'étaient pré-
cédemment prononcés en faveur de du Bois. M. J. Tiersot, résumant les
diverses pièces du débat et les rapprochant des faits historiques connus, en
est arrivé â conclure, avec ces derniers, que le couplet des enfants a bien pour
auteur l'iiistorien-poète de Lisieux, Louis du Bois. — La veille, à la réunion
annuelle de la Société, a eu lieu un concert organisé par M. J. ïruffier. de
la Comédie -Franç.aise, au cours duquel M™" Mole -ïruffier a dit Plaisir
d'amour et trois chansons populaires recueillies et harmonisées par M.Julien
Tiersot : Mon père avait cinq cents moutons, Rossignolet du bois joli et la Mau-
mariée;M. Tiersot a fait entendre le Pauvre laboureur; enfin M. Mouliérat a
chanté des airs de Méhul et de Gluck, et, terminant par une note plus
moderne, la sérénade du Roi d'Ys.
— Le dernier « Mercredi-Danbé » a obtenu un grand succès avec un pro-
gramme des plus éclectiques. Des fragments de Charlotte Corday d'Alexandre
Georges, chantés par M"" Georgette Leblanc, ont été acclamés. M™ C. Pier-
ron a produit une grande impression en « disant », avec l'émotion qu'elle sait
y mettre, les beaux vers de Roger-Miles adaptés sur la marche funèbre de
Chopin; M"» Ch. Lormont a chanté, avec un style et un goût parfaits, deux
jolies mélodies de M. L. de Serres. Enfin M. Dantu a interprété à ravir la
Berceuse de Mozart et l'Herbe d'oubli de Julien Tiersot. La séance était termi-
née par une remarquable exécution des Sept paroles du Christ d'Haydn, par le
quatuor Soudant, de Bruyne, Migard et Destombes.
— Brillante soirée mercredi soir au théâtre d'Antin, où M"= Marie Rôze,
qui vient d'êlre nommée officier de l'instruction publique, faisait entendre
ses élèves. Programme des plus fournis : une scène àes Noces de Jeannette,
très bien jouée par M"" Cartaut et M. Taber. Puis une scène du 1" acte de
Mignon, où M'i= Breu, douée d'une belle voix de contralto, a été très remarquée;
MM. Taber et Martin lui flonnaient la réplique. Nous avons été transportés
ensuite en plein pays de Provence avec le l" acte de Mireille. Au lever du
rideau tout un essaim de charmantes petites Arlésienncs nous ont ravi. Char-
mante Mireille que miss Taber, M"" Amaury très bien dans Taven, ainsi
que M. Rivière dans Vincent. Le 'i'' acte du Trouvères, trouvé en M"« Amaury
(Azucena) une interprète de talent et en M. Ducot un Manrique doué d'une
belle voix. L'air du Pardon de Ploërmel a valu à M"* Fish plusieurs rappels.
Une des attractions du programme consistait dans le 1'"' acte de Paillasse, de
Leoncavallo, où M"<= de Laforcade a été charmante dans le rôle de Nedda,
qu'elle a joué et chanté en véritable artiste; M. Ducot (Sylvio) et M. Bouillette
(Tonio) lui ont donné la réplique, Enfin M. Rivière (retour d'une saison bril-
lante à Gand où il a remporté de beaux succès dans Lakmé, Manon, Mignon,
Werther, Princesse d'auberge, etc.), a fait du rôle de Paillasse une création très
remarquée. Le piano était tenu par MM. Rosen et A. Dodement. Cette audi-
tion a fait le plus grand honneur à M""= Marie Rôze.
— M"= Juliette Dantiu est de retour à Paris, après une tournée vraiment
triomphale en Scandinavie où elle a fait entendre le Concerto romantique de
Godard, ainsi que ceux de Beethoven et de Mendelssohn.
— De Nice : Tout à fait en fin de saison, l'Opéra vient de nous donner la
première représentation de Louise. Gomme partout où il fut joué, le roman
musical de Gustave Charpentier a remporté un immense succès d'enthou-
siasme. Il faut féliciter l'orchestre, sous la direction de M. Rey, pour sa belle
exécution instrumentale, et M. Jusseaume, le maitre peintre- décorateur pari-
sien, qui a brossé pour notre scène des toiles remarquables. L'interprétation,
confiée pour les rôles principaux à MM. Cornubert, Ghasne, Paz, M"i=sMadier
de Montjau, Passama, de Véry, n'est point absolument égale et se ressent
peut être d'études un peu bousculées.
— De Nice : Dimanche à Notre-Dame, à l'occasion de la fête des Rameaux,
très belle messe en musique, pendant laquelle M"= Chambellan, de l'Opéra-
Comique, et le baryton Jean Rondeau ont magnifiquement interprété
Crucifix de Faure, des fragments des Sept Paroles du Christ de Théodore Dubois,
et Jérusalem de Gounod. Le lendemain lundi, à l'église Notre-Dame-de-
Bon- Voyage de Cannes, toute la société aristocratique et élégante se trouvait
réunie pour le concert spirituel au profit des écoles. Au programme encore
les Sept paroles du Christ de Théodore Dubois. Les soli ont été magistrale-
ment interprétés par M"= Galavielle, M. le comte de Ghandon de Briailles,
M. Jean Rondeau, M"= Houssin, harpiste, et M. Stiegler, organiste. L'exécu-
tion de cette belle œuvre, soli et chœurs, a été très habilement dirigée par
M. Albert Frommer, l'excellent organiste de l'église.
— Dans un concert donné à la jetée-promenade de Nice, on a fort goûté
une Idylle provençale pour orchestre de M. Jules Goudoreau.
— D'Angers : Nous avons eu dimanche dernier, sous la très artistique di-
rection du comte Louis de Romain, qui fut l'organisateur de cette séance
peu commune, une superbe audition de la Marie-Uagdeleine de Massenet,
interprétée par la vicomtesse de Trédern, la comtesse de Maupeou, M. Le
Lubez et le comte de Gabriac. L'enthousiasme fut immense pour l'œuvre si
belle du maitre français, pour ses illustres interprètes et pourM.de Romain,
qui, avec de tels solistes joints â son bel orcliestre et à des chœurs supérieu-
rement stylés, a obtenu une exécution de tous points merveilleuse.
— On lit dans le Journal de Compiègne, au sujet d'un concert donné par
l'orchestre symphonique: «C'est, tout d'abord, l'Orchestre symphonique qui,
conduit de main de maître par le professeur Desloges, enlève avec une sûreté
112
LE MENESTREL
et un brio remarquables, la Sérénade Badine de G. -Marie, la Sarabande
Espagnole de Massenet, le Menuet de la Symphonie It Surprise d'Haydn, et la
marche héroïque de Jeanne d'Arc de Th. Dubois. Quant au professeur
Desloges, l'âme de ce concert, c'est toujours l'habile artiste au jeu si fin, si
expressit que tout le monde connaît et apprécie. Le Nocturne-Méditation et
l'Aubade de Gh. Dancla. sont tout simplement de petits chefs-d'œuvre de
grâce. »
— Montauban. — Le concours international d'orphéons, musiques d'har-
monie, fanfares, esludiantinas, trompes de chasse, trompettes de cavalerie,
fixé primitivement aux 23 et '20 août prochain, est avancé d'une semaine, en
raison de la convocation des réservistes: il aura lieu les 18 et 19 août.
— SoinÉES ET Concerts. — A l'Institut Rudy, séances des plus attrayantes et aussi des
plus intéressantes donnée par II"' Caroline Pierron et 51. Emile Bourgeois, pour l'audition
des élèves de leur cours d'opéra-comique. Chanteuses en même temps que comédiennes,
les élèves ont prouvé qu'elles étaient à parfaite école et la salle conquise a télé parmi
celles qui sont, dès aujourd'hui, toutes prêtes à aborder la scène avec succès, M"' Margue-
rite Giraud, celle-ci même a déjà triomphé du grand public l'année dernière à Nantes et
cette année à Rouen, oîi elle alla en représentations créer d'exquise façon CendiUlon;
M"" Chapman, qui a dit a\ec sentiment la scène de Saint-Sulpice de Manon, dans laquelle
M. Crémel lui donnait la réplique; M"' Jlénier, dans la scène du 2' acte de Mignon, aidée
de M. Bourgeois, et M""^ Abrandt, dans la scène du 3"^ acte de Werther, M"' Martis chan-
tant Sophie. — Chez M"" Biolay, 1res artistique soirée musicîde, où les mélodies si per-
sonnelles de Moret, très bien chantées par M"" Julie Bressoles, ont obtenu un énorme suc-
cès. Au programme aussi, une jolie causerie de M'"" Eenée Fâche sur le jeune auteur des
Chamons tristes et quelques-unes des plus jolies Bergerettes de Wckerlin, Que ne suis-je
la fougère? le Menuet d'Exaudet, Pauvre Jacques, accompagnées au clavecin par
M"" Fâche. — M. Paul Faguet vient de faire entendre ses élèves de chant dont quelques-
uns ont été particulièrement applaudis. M"» G. {Cecchino, Badia), M. D. (air de Joseph,
MéhuI), M"" P. (air de Louise, Charpentier), M"" V. (air de la cabane de Laknié, Delibes)
et M. S. (air de Sigurd, Reyer). — M"" Be.x a fait entendre à la salle Charras, avec le succès
accoutumé, une première série d'élèves de ses cours de piano. Signalons parmi les nom-
breux morceaux, tous joués avec une sûreté rare : sonate de démenti, menuet, value, baga-
telle de Beethoven, divertimento de Mozart, concerto de Field, faisant partie de la Collec-
tion des Classiques Marmontel, Souvenir d'Âlaace de Lack et Chaconne de Th. Dubois. —
Chez M"'' Vieuxtemps, audition musicale des plus intéressantes. Après l'audition d'œuvres
de Haendel, Schumann, Schubert, Gounod, Massenet (airs de M<inon et du Cidj et Th. Du-
bois (air de Xavière), la seconde partie du programme était consacrée aux compositions
pour chant de Louis Diémer. L'auteur accompagnait lui-même ses œuvres et a ajouté au
programme plusieurs morceaux de piano avec lesquels il a ravi l'auditoire. Parmi les nom-
breuses élèves, nous citerons particulièrement M"'' Méziane, Mary Hella, Tamisier et
d'Oriandal. — Matinée réussie pour l'audition des élèves de M""' Cadot-Laffite ; on a surtout
applaudi à l'exécution de Entr'aele-batlct de Pugno, Berceuse de Diémer, dans les Clas-
siques Marmontel, A//e^ro (/e ctmceri et Po/onaise de'Chopin, le Baptême d'Yvonnette et
Gentil Berger de Wachs, Chant d'Avril de Lack, Valse-Caprice de Rubinstein et ouverture
du Roi d'Ys de Lalo. Comme intermède, le Nil de Xavier Leroux, chanté a\ec succès par
M"" A. — M"" Rose Delaunay a eu une brillante jéuniun de ses élèves, qui ont chanté les
■compositions de M. W'ekerlin.. Les collections de romances et d'ariettes du siècle dernier
ont eu un grand succès, les Bergerettes et les Pastourelles ont fait florès. De jeunes dames,
entre autres M"" David, Kindberg, M"" Esquilar, Chardon, Bertrand et bien d'autres, admi-
rablement stylées par leur maîtresse, ont chanté comme des artistes. MM. Davanne et
Meyer-May, deux belles basses chant^tntes, se sont vraiment distingués. M"' Sylvain (qu'on
appelait M"' Cahen au Conservatoire) a brillé dans la haute difficulté. Entre les deux par-
ties, M. Trutîier a charmé ce jeune auditoire avec des fables qu'il a dîtes avec une grande
verve. Enlin, à la lin des tins, M. Wekerlin a chanté quelques tyroliennes dans le texte
original. Toutes les jeunes fillettes roucoulaient des jodler en descendant l'escalier. — A
l'École Beethoven, dirigée par M"' Balutet, audition des œuvres de Filliaux-Tiger. Parmi
les transcriptions d'œuvres de Massenet, on applaudit Rigaudon, Crépuscule, Sallarello,
Marelle, Elégie, puis la transcription de la Danse russe d'Armîngaud et, enfin, parmi les
compositions originales, Source coywio/euse. — Salle Érai'd, le pianiste M. Montoriol-Tarrès
a donné un concert avec un programme assez intéressant. Le jeune pianiste a d'abord
brillamment exécuté la sonate op. .'>3 de Beethoven et a ensuite fort bien interprété avec
M. Schwab la sonate op. 69 pour violoncelle et piano. M. Montoriol-Tarrès a aussi été
vivement applaudi après l'exécution de la diCQcîle fantaisie /s/a^îey, de Balakîref. M"'' Alice
Deville s'est taillé un succès en interprétant, accompagnée par l'auteur, trois expressives
mélodies de M. Bourgault-Ducoudray. — La 3'^ séance musicale donnée le jeudi 28 mars
dans la salle des Fêtes de l'Ecole Niedermeyer a obtenu le plus grand succès. On a beau-
coup applaudi M"' Claude Ritter, qui a dit des poésies de Th. Gautier et de Victor Hugo.
MM. Defûsse et Le Bouclier ont exécuté des œuvres de G. Pfeiffer, Saint-Saëns et Boéll-
mann, à 2 pianos. L'audition des morceaux a été fort goûtée, grâce à l'incomparable vir-
tuosité de ces deux jeunes élèves. MM. Duhamel, Nîbelle, HaHich et Defosse ont inter-
prété avec succès des œuvres de Bach et de Saint-Sacns. Ce sont de jeunes organistes
d'avenir. M. Borrel s'est surpassé dans la sonate en ré deRalfet la chacoimedeB.ich, pièces
pour violon. La jolie voix de M. Chabanier a été mise en relief dans un 0 Saluiaris de
G. Lefèvre. directeur de l'école. — Dimanche dernier, soirée très i-éussie chez M'"^ Mau-
duit, de l'Opéra, pour l'audition des œuvres de Massenet. Des airs d'Bérodiade, dti Manon
et du Cid ont été très bien chantés par les meilleures élèves de cet excellent professeur.
La fille de la maîtresse de la maison a joué plusieurs pièces de Chopin avec grand succès.
— Séance d'élèves de M"" Isambert: L'ouverture de Mignon à 8 mains produit son effet
habituel. Très applaudis aussi Printemps revient de iïais&nei et le chœur de Guilmant:
Cœur de Jésus enfant. A citer encore le Rondo brillant pour deux pianos et une suîie de
petits morceaux extraits delà nouvelle méthode élémentaire de piano de M"" Isambert. —
Charmante matinée que celle donnée le 31 mars par M"' Lemay-Samson et ses élèves.
Excellent enseignement qui s'est surtout manifesté dans l'interprétation de la mélodie
A'éére de Hahn (extraite des ICtudes tatine^i, de l'air d._' Louise, de VAve Maria de Gounod,
de l'air de Laknié, de plusieurs fragments de Tluns, Je l'aime (la belle mélodie de Mas-
senet), de l'alleluia du Cid, du duo d'JIamlcl, de V Elégie de Massenet, etc., etc. — Superbe
five o'clock chez M"' Dolorès Rigaud, pour l'audition d'œuvres de Georges Boyer et de
Fontenailles. Les interprètes du programme étaient M"'^ .luanita Marquet, M"" Jungmann
Piguet, Lola .Marquet, G. et .«.-T. Lallemao, .MM. .Marvil, de Poumayraf, Edy Toulmouche
et Kerrion. Gros succès pour les exquises poésies de Georges Boyer et pour la charmante
maîtresse de maison qu'on a chaleureusement acclamée. A citer parmi les mélodies: Fleur
dans un livre, le Temps des roses, Sérénade, etc.
— Concerts annoncés.— M"" Anna Laidlaw, pianiste remarquable, qui vientd'obtenir
de grands succès en Allemagne et en Autriche, donnera le mardi 9 avril, à 9 heures du
soir, un concert à la salle Pleyel. L'éminente artiste fera entendre des œuvres de Schu-
mann, Chopin, Henselt, Liszt, Godard et Raoul Pugno. — Le vendredi 12 avril, à 9 heures
du soir, salle Erard, très intéressant concert donné par M"" Jlarîe Lhérie, harpiste, avec
le concours de MM. Gaston Lhérie et Georges Enesco. Accompagnateur : JI. Decreus.
NÉCROLOGIE
A Vérone est mort subitement, le 31 mars, le compositeur sir John Stainer,
qui occupa dans son pays, comme musicien, une situation des plus impor-
tantes. Né à Londres le 6 juin 1840, il entra à l'âge de sept ans dans la
maîtrise de la cathédrale de Saint-Paul. A l'âge de dix-neuf ans il prit ses
inscriptions à l'Université d'Oxford, fut promu, à vingt ans, bachelier en
musique et obtint le poste, fort important, d'organiste et oinformator choris-
torum » à l'Université. Malgré ses occupations multiples, il passa les examens
nécessaires pour emporter de haute lutte, en 18CS, le litre de docteur en mu-
sique, et un an plus tard celui de Magisler artium. Sa réputation était déjà
grande à cette époque, et en 18'72, à peine âgé de trente-deux ans. il gagnait
pour ainsi dire son bâton de maréchal par sa nomination au poste envié
d'organiste à cette même cathédrale de Saint-Paul, où il avait commencé sa
carrière. Pendant seize ans Stainer a occupé ce poste avec éclat, et la maî-
trise de la cathédrale fut portée par lui à un haut degré de perfection. En
1888. le mauvais état de ses yeux le força à donner sa démission. Son bagage
comme compositeur n'est pas fort important. Son oratorio Gédéon est déjà
oublié ; sa cantate la Fille de Juïre (1878) et ses oratorios, Marie-Magdeleine (1883)
et le Crucifiement (1887), ne sont plus exécutés que rarement. Mais ses hymnes,
ainsi que sa musique liturgique en général, sont restées populaires et on les
chante encore dans toutes les églises et chapelles d'Angleterre; son fameux
Amen, qui ne contient que quelques mesures, d'une grande beauté il est vrai,
est probablement la composition moderne la plus populaire d'Angleterre.
En 1888, il avait été créé chevalier (Knight) par la reine Victoria: il fut aussi
promu chevalier de la Légion d'honneur lors de l'Exposilion de 1878. Son
corps a été ramené en Angleterre, où on se propose de lui faire des obsèques
dignes de sa réputation et de ses mérites.
— Un artiste aussi modeste qu'intelligent et distingué, Caliste Borelli, est
mort cette semaine à Paris, à l'âge de 68 ans. Né en Italie, il était venu fort
jeune en France (il ne parvint pourtant jamais à se défaire de sou accent), et
fit partie, comme violoniste, de l'orchestre dn Théâtre-Italien, en même temps
qu'il devenait, au Conservatoire, élève d'Adolphe Adam pour la composition.
Il eut même un instant le désir de concourir à l'Institut pour le prix de
Rome, désir qu'il ne put satisfaire parce qu'il n'était pas naturalisé. Il se
lit plus tard une situation comme chef d'orchestre, d'abord dans diverses
villes d'eaux, puis à Marseille, où il dirigea avec succès, durant plusieurs
années, les concerts symphoniques. Borelli était un galant homme et un
excellent artiste.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître :
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théâtre (les Modernes : le drame et le vaudeville), par Francisque Sarcey (3 fr. 50).
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CHANTS DK FRANCE
R. PÉt^mHot)
1. musiîtte du xvii» siècle * . . 5
2. Chanson a danser (1613) 5
3. Margoton (XV siècle) 4
4. Complainte de Saint Nicolas 5
5. Pastorale (XVP siècle) 4
6. Le premier jour de Mai (vers 1500) 5
7. Brunette (1703) 4
8. Chanson de Guillot Martin (1o2o) 4
9. Ronde l'OfULAiRE (pour 3 voix de femmes) 9
10. Trimousett' (soli et chœur, voix de femmes) 6
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
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I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles [l'^ arliclej, Paul d'Kstri-.es. —
IL Bullelin Ihéâtral : première représealation de Ghello et de Modem style aux Esclio-
liers, Paul-Émile Chev.^lier; reprise de Durand et Durand et première représentation
des Idées de M. Coton à la Renaissance, 0. Bn. — III. Le théâtre et les spectacles à
l'Exposition (25° article), Arthur Pougin. — IV. Le tour de France en musique : Les
Noëls de La Monnoye, Ed:*iond Neukoum. — V. Petites notes sans portée : Résurrection
de la musique, Raymond Boi'yer. — VI. Revue des grands concerts. — VII. Nouvelles
diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos ahrintips à la musique fie piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MENUET
n° 10 des Nàives, de Louis Lacomee. — Suivra immédiatement : le Baph'me
dH'vonnette, de Paul "Wachs.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pournos abonnés à la musique de chant:
Quand la nuit n'est pas étoilée, nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de
Victor Hugo. — Suivra immédiatement : Brutiette (l'ÏOS), n" 1 des Chants de
France harmonisés par A. Péhilhou.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les méinoires les plus récents et des flociiments inédits
(Suite.)
VII
La doyenne des chœurs de l'Opéra et la commensale de trois rois. — Une fabrique
Je traits d'esprit. — La peine et le profit. — La dévotion d'une comédienne. —
Les erreurs d'un joli garçon et la vieillesse de Rhodope. — Comment j1/is Astraudi
met en pratique tes tliéories de la Cartou. — Sérénade de noctambules. — La
petite Antheaume, — Pourquoi Louis XV s'intéresse à la santé de iV" Du
Rocher.
Les Nouvelles de la cour et de la ville, les Mémoires de Dufort de
Cheverny, les Notes inédites de Meusnier, ont accordé une notable
place aux petites étoiles qui fourmillaient alors au ciel de l'Opéra
ou de la Comédie-Italienne, célèbres, les unes par leur éclatante
beauté, les autres par leur luxe tapageur, certaines par leur
verve inépuisable.
Parmi celles-ci figure au premier rang la fameuse Cartou,
qu'on appelait, dans les dernières années de sa vie, la doyenne
des chœurs de l'Opéra et qui, au début de sa carrière, avait
soupe, un soir, avec trois rois. Elle s'en vantait en toute occa-
sion : c'était une suprême inconséquence pour une femme d'es-
prit, qui se piquait de traiter cavalièrement les plus grands
seigneurs. Ses saillies sont restées classiques : quelques-unes
même sont usées à force d'avoir servi un peu partout. Aussi
n'entendons-nous citer que les moins connues. Il est vraisem-
blable qu'elles ne sont pas toutes de son cru; mais, en vertu de
ce principe qu'on ne prête qu'aux riches, il suffisait qu'un mot,
une épigramme, une lettre satirique circulât sans nom d'auteur,
pour que la rumeur publique l'attribuât à la Cartou. L'artiste se
laissait volontiers enrichir de cette façon ; elle avait compris que
la vivacité gouailleuse de son esprit ferait oublier la médiocrité
de son talent.
La « Rhodope moderne », comme l'appelaient les journalistes
du temps, avait eu d'illustres amitiés, le maréchal de Saxe,
milord Kingston, et pour se consoler de la trahison de cet
Anglais, un « intéressé dans les vivres de l'Allemagne », dont
elle disait :
— Je me suis jetée dans les vivres, mais je lui ferai manger
bien des rations.
Elle, qui, par sentiment de son infériorité, supportait aisément
la concurrence sur la scène, n'en voulait pas admettre sur le
terrain de la galanterie, surtout quand ses rivales appartenaient
à l'élite de la société; de ce fait elle se solidarisait avec ses
camarades de l'Académie royale de Musique. Alors que le prince
de Conti était amoureux fou de la belle M"'° Darty, la Cartou
avise le mari de cette dame qui passait devant l'Opéra :
— Eh ! Darty, lui cria-t-elle, dis donc de ma part à ta femme
et à ta sœur que, s'il leur plait de nous enlever nos pratiques,
elles n'ont qu'à venir nous remplacer dans nos rôles, car il n'est
pas juste que nous ayons la peine et elles le profit.
Mais, — contraste qui n'est pas rare chez les femmes de
théâtre, — elle avait, par intermittence, des élans de religiosité
et des accès de dévotion dont les prédicateurs du temps savaient
tirer parti. Ainsi le Père Renaud, cet oratorien qui avait converti
M"" de Mailly, une ancienne maîtresse de Louis XV, se plaisait à
opposer la tenue de la fille d'Opéra suivant ses sermons, à l'atti-
tude des grandes dames dont se composait son auditoire ordi-
naire. Celles-ci étalaient sur leurs chaises leur éventail et leur
boite à mouches, ajustaient ou désajustaient leur tour de gorge,
riaient et caquetaient entre elles. La Cartou était au contraire un
modèle de décence et de modestie ; son maintien, disait le
prêtre, et son attention auraient édifié des religieuses.
Elle poussa plus loin encore l'esprit de sacrifice : n'eut-elle pas
l'idée de « couronner la flamme » d'un jeune franc-maçon fort
épris de ses charmes, pour lui arracher le secret de la nouvelle
secte ■? Les gazettes à la main afiîrment très sérieusement
qu'en 1738 la police dut à cette trahison bien féminine de péné-
trer les « mômeries » des « francs-maçons ».
Toutefois, la conversion de l'actrice ne fut jamais complète.
Bien qu'avec les premières rides et le premier cheveu blanc elle
eût renoncé au théâtre, elle n'avait pas dit adieu au plaisir. Elle
114
LE MÉNESTREL
avait encore cette exubérance d'esprit qui est une seconde jeu-
nesse et qui la faisait rechercher dans tous les soupers galants.
C'est à l'un d'eux que Dufort de Gheverny la vit pour la pre-
mière fois. Roslin l'avait invité chez la Coupé, avec le président
de Rosambô, le marquis de Visé et le fermier général Cramayel,
en compagnie de la Cartou et de la Gar\ille, cette danseuse de
l'Opéra que ses petites amies avaient baptisée du nom de la
Dinde. C'était en quelque sorte le repoussoir de la Cartou. Ce
soir-là il pleuvait à torrents. Roslin pria Dufort de reconduire
en fiacre les deux femmes, qui demeuraient faubourg Mont-
martre. Cartou, qui avait fort amusé les soupeurs, continuait
dans la voiture ses joyeuses histoires et surtout le récit de ses
exploits galants. Carville, arrivée à sa porte, descendit. Sa com-
pagne restait donc en téte-à-tête avec Dufort, qui était un jeune
et joli garçon et à qui déjà elle avait fait les yeux doux. Malheu-
reusement la voisine était un peu mûre, et Dufort, qui s'était
sans doute fort bien soigné au souper, ronflait à poings fermés.
Le fiacre arrivait rue Saint-Lazare, en face delà rue de Clichy,
c'est-à-dire au Château du Coq, où demeurait la Cartou, que celle-
ci causait encore. Mais dès qu'elle s'aperçut des distractions
de son cavalier, elle lui administra deux ou trois bonnes bour-
rades qui le réveillèrent.
Eh quoi .' fit-elle avec indignation, c'est ainsi que tu traites
une femme qui a vu la France à ses genoux et trois rois...
Oui, oui, je sais, l'auberge de Candide! interrompit Dufort,
qui se fâcha pour tout de bon.
La pauvre Cartou fondit en larmes. Notre homme la conduisit
jusqu'à sa porte ; mais il se garda bien de descendre, et il jura
qu'on ne l'y reprendrait plus.
Cartou passa ses derniers jours dans la retraite, n'ayant plus
pour serviteur qu'un vieux domestique ; et,
Triste retour des choses d'ici -bas!
tout le monde la criblait de lardons, elle qui en avait tant har-
celé les autres I Au reste, son cynisme avait fait école.
Mes pauvres filles, disait-elle à ses camarades, vous n'en-
tendez rien à votre bonheur. Dans notre métier, il est bien plus
agréable de faire sa fortune sou à sou que tout d'un coup...
M'" Astraudi, de la Comédie-Italienne, avait adopté cette règle
de conduite; et l'inspecteur Meusnier en convient, lorsqu'il repré-
sente la jolie chanteuse « plutôt faite pour les conquêtes rapides
que durables... un des principes de la Cartou ». Il semble toute-
fois qu elle n'y persista pas jusqu'à la fin de ses jours, puisqu'elle
se maria la nuit, dans l'église de la Madeleine, sur la paroisse
de la Yille-Lévêque, avec Pajot de Villers.
Avant cette suprême aventure, M'"" Astraudi en avait encou-
ragé de... plus extravagantes, s'il faut en croire Dufort de Cheverny.
Celui-ci, avec plusieurs jeunes gens de son âge, entre autres le
futur académicien Chabanon et La Borde, depuis premier valet
de chambre du roi, s'était avisé d'aller donner une sérénade à
M"« Astraudi, vis-à-vis la Comédie-Italienne alors rue Maucon-
seil. Les musiciens se placent : Fonlanier, qui jouait de la basse,
monte sur une borne, et, comme chef d'orchestre, donne le
sioTial. Le concert commence. Mais, un commissaire survenant à
l'improviste, tous les exécutants déguerpissent, oubliant Fon-
tanier sur sa borne. Le magistrat, pour l'en faire descendre, le
tire par la manche.
Mais je suis en mesure, réplique le musicien.
Ébahissement du commissaire, lorsqu'il apprend que cet intré-
pide musicien est le fils d'un conseiller d'État. Aussitôt il renvoie
son escorte et prie Fontanier de vouloir bien accepter l'hospi-
talité dans sa maison. Précisément il y traitait quelques amis.
Notre artiste accepte de grand cœur : il passe sa nuit à boire et
à rire en compagnie de ces braves gens. Puis, à quatre heures
du matin, il reprend le chemin de sa demeure, en battant les
murs et sa basse sur le dos.
Parfois un nom, inconnu la veille, montait soudain jusqu'aux
nues, et, comme ces météores qui jettent le plus vif éclat, retom-
bait presque aussitôt dans l'obscurité. La « petite » Antheaume
connut cette grandeur et cette décadence. En septembre 1736
tout Paris ne parlait plus que de ce « phénomène ravissant »
découvert dans les chœurs de rOpéra. Elle n'était pas belle sans
doute; mais elle avait « une voix qui ferait oublier un jour celle
de M'" Lemaure ». Aussi voulut-on lui donner à doubler le
rôle de la Vertu dans le Persée de Lulli. Mais Jl"° Antheaume le
refusa sous le candide jjrétexte qu'il lui porterait malheur. De-
puis, le « phénomène » disparut, sans laisser la moindre trace.
Mais pour les actrices qui n'ont ni la chance, ni le talent de
se produire, il est encore des grâces d'État !
En août 173.5, Louis XV était descendu chez le duc de Vil-
leroy à Petit^Bourg. Il s'y montra d'une humeur charmante ; et
lorsqu'il entendit raconter, à souper, qu'une actrice de l'Opéra,
la Durocher, qui était à toute extrémité, avait recouvré la santé,
il témoigna toute sa satisfaction en se frottant les mains.
Le duc de Charost s'étonna et prit la liberté grande de de-
mander au roi pourquoi le retour de M"' Durocher à la santé lui
donnait tant de joie.
— Ne savez-vous pas, lui dit le prince, que de tous mes sujets
c'est encore M'" Durocher qui m'aime le plus et à qui j'ai le plus
d'obligation.
— Pardonnez-moi encore cette question. Sire, réplique Cha-
rost absolument ahuri, mais quelle obligation pouvez-vous avoir
à. cette actrice?
Et le roi lui apprit que la Durocher, lors de la convalescence
de Louis XV et de la naissance du dauphin, avait témoigné sa
joie toute patriotique par des largesses exceptionnelles pour ses-
adorateurs.
Le duc de Charost, un saint homme, baissa les yeux en sou-
riant du bout des lèvres.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Les EscHOLiERS. Ghetto, pièce en 3 actes, de M. Heijermanns, adaptation fran-
çaise de MM. J. Lemaire et J. Schurmann; Modem style, comédie en 1 acte
de M. J. Crépet. — Nouveau-Cirque.
Les Bscholiei-s, marchant de plus en plus de l'avant sous l'impulsive
direction de leur très actif et très chercheur président, M. Maurice
Froyez, en peuvent maintenant remontrer à plus d'un théâtre régulier,
qui devrait justement aller apprendre, de ces amateurs, comment on
découvre des auteurs nouveaux, comment on peut faire valoir de jeunes
artistes et comment, bien qu'on ne soit pas du bâtiment et qu'à chaque
nouveau spectacle il faille tout constituer d'éléments pris à droite et à
gauche, on sait mettre en scène.
C'est une pièce d'un autem' hollandais, M. Heijermanns, adaptée en
français par MM. J. Lemaire et J. Schurmann, qu'on nous a donnée
cette semaine dans la salle du Nouveau-Théâtre. Ghetto est œuvre essen-
tiellement philosophique, d'un intérêt indéniable, sinon d'une émotion
très immédiate. Comme tout ce qui nous tombe du Nord, ces trois actes
sont plutôt compendieux, un peu mastocs et d'abusives redites, mais
l'idée en est noble et le plaidoyer très souvent juste et chaleureu.x, Il
s'agit là de l'éternel antagonisme entre race catholique et race juive :
le jeune Raphaël, fils d'un Israélite sordide et voleur dont il sait toute
l'ignominie morale, veut s'évader d'un milieu qui répugne à sa nature
droite, honnête et sociable; il a eu, d'ailleurs, trop à souffrir toujours
de l'ostracisme pesant sur ceux de sa caste, ostracisme qu'il sent bien
n'être pas tout à fait immérité, ostracisme que les siens ont tout fait
pour aggraver en se murant, pour ainsi dire hargneusement, en uu
ghetto moral, encore plus hermétiquement clos, plus sournoisement
dissimulé que l'ancien et infamant ghetto dont la civilisation moderne
a brisé les étroites limites. La pii-'ce, située en un milieu de viles et
âpres brocanteurs d'Amsterdam, d'aspect curieiLx et d'analyse pittores-
quement docimientée , perd de sa haute allure dogmatique lorsqu'elle
s'arrête trop mièvrement aux amours du juif Raphaël et de la catholique
Rose, amours qui ne servent, par ailleurs, qu'assez faiblemeut la gran-
deur des rêves humanitaires du jeune renégat prédisant, pour l'avenir,
une ère d'apaisement qui nous sera donnée par une Religion d'exclu-
sive et unique bonté que nous ne connaissons pas encore.
Ghetto, monté avec un souci de mise en scène très heureux et une
recherche de distribution absolument ctirieuse, est joué, d'ensemble, tout
à fait bien par MM. Albert-Mayer, Vargas, Leubas, remarquable dans
un rôle de rabbin prédicant et bon enfant, Bouchard, Gavary, M""" Lola-
LE MÉNESTREL
115
Noyr, Alice Bonheur, qui s'essaie gentiment à la pure comédie, et
Claude Ritter.
Le spectacle était complété par un petit acte de M. Jacques Crépet,
Modem style, bavardage galant, boulevardier et, surtout, d'évident essai,
que les Escholiers ont coquettement installé en un joli mobilier XVIII "=
et qu'ils ont fait interpréter par de très jeunes comédiens, des espérances
encore, la toute captivante M"° Del Bayé et M. R. Berthelier.
Les tableaux vivants restant à la mode, il appartenait au Nouveau-
Cirque de lancer ceux avec cheval. C'est miss Sidi Nirwana, avec son
arabe Loky, qui, très adroitement, nous présente plusieurs scènes célè-
bres dont l'intérêt principal réside dans le dressage de la Iiète à l'im-
mobilité. Cela complète agréablement un programme où figurent, comme
numéros sensationnels, les gymnastes Boues, les frères Frediani, Thé-
rèze Renz et le Pont Alexandre avec Foottit et son inséparable Chocolat.
PaUL-ÉmILE CllEVALlEK.
Théâtre de la Renaissance. — Durand et Durand, comédie en 3 actes, de
' MM. Ordonneau et Yalabrègue. — Les Idées de M. Coton, comédie en un
acte, de MM. A. Bernède et L. Mize.
La reprise de Durand et Durand, la joyeuse farce de MM. Ordonneau
et Valabrègue, qui a fait, il y a quelques années, les belles soirées du
Palais-Royal, a prouvé que la ris comica fantaisiste de cette pièce n'est
pas encore épuisée. Assez bien interprétée par M""-' Dufay, Janney et
Oromier et par MM. Charpentier, Jannin, Poggi et Paul Jorge, la farce
a provoqué beaucoup d'hilarité et d'applaudissements. BUe était pré-
cédée d'un joli lever de rideau intitulé les Idées de M. Coton, de
MM. A. Bernède et L. Mize. M. Coton, le rempart de la libre pensée de
son quartier, un épicier retiré après fortune faite, qui brigue les fonc-
tions de conseiller municipal, ne veut pas accorder la main de sa fille à
un jeune homme que celle-ci aime, parce qu'une « tache noire» désho-
nore la famille du soupirant. Cette tache, on le devine, est la soutane
d'un oncle qui est curé. La mère s'adresse à un vieil ami de la maison,
coreligionnaire politique de son mari, poui' qu'il intervienne en faveur
de la fille désespérée. L'ami, vollairien, vQit également rouge dès qu'il
apprend l'existence de la soutane noire et refuse tout d'abord, mais
M"'° Coton évoque des souvenirs tendres et l'ami se décide. Les deux
voltairiens ont une discussion peu académique qui semble devoir aller
jusqu'aux voies de fait, quand le jeune homme arrive pour annoncer
que la tache noire est devenue violette. Son oncle, nommé évéque' répu-
blicain, aurait même assez de crédit pour procurer un reflet de sa sou-
tane sous forme de palmes académiques. Cette perspective change les
idées de M. Coton et il donne sa flUe au neveu du « haut fonctionnaire
concordataire de la République ». Cet instantané dramatique, qu'on
aurait facilement pu développer en trois actes, a été fort bien joué par
jyjmes Dufay et Gromier et MM. Paul Jorge et Jannin, et a procuré aux
auteurs et aux interprètes deux rappels. O. Bn.
LE THEATRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 19CO
(Suite.)
LES PANORAMAS, LES DI0H.\MAS... ET I.E RESTE
Il n'est si bonne compagnie qui ne se quitte, dit fort sagement un de
nos vieux proverbes. Je ne saurais donc éterniser cette revue des
théâtres et des spectacles de toute sorte et de tout genre qui ont fait de
l'Exposition de 1900 une immense foire aux curiosités, et il me faut
enfin entamer aujourd'hui son dernier chapitre en y résumant, d'une
façon rapide, tout ce dont je n'ai pu parler encore.
Tout d'abord il me faut signaler les panoramas nombreux (oh ! com-
bien nombreux !) qui étaient semés sur toutes les parties du Champ-de-
Mars et du Trocadéro. Presque tous, il faut le constater, étaient extrê-
mement remarquables, et le public, par son affluence, a prouvé tout le
plaisir qu'ils lui procuraient. C'est d'ailleurs un spectacle non seulement
charmant, mais aussi fort utile, que celui que donnent les panoramas,
et si l'illustre savant Alexandre de Humboldt, qui en était alors forcé-
ment aux premiers perfectionnements apportés par Daguerre et Bouton
â la peinture circulaire de Parker, avait pu considérer les admirables
panoi'amas actuels, il en aurait reconnu sans doute plus encore l'utilité,
ainsi qu'il le faisait dans son Cosmos il y a soixante-dix ans :
Les panoramas circulaires, disait-il, rendent plus de services que les décors
de théâtre, parce que le spectateur, frappé d'enchantement au milieu d'un
cercle magique, et à l'abri de distractions importunes, se croit entouré de
tous cotés par une nature étrange. Ds nous laissent des souvenirs qui, après
quelques années, se confondent avec l'impression des scènes de la nature que
nous avons pu voir réellement.
Tous ces moyens sont très propres à propager l'étude de la nature, et sans
doute sa grandeur sublime serait mieux connue et mieux sentie si, dans les
grandes villes, auprès des musées, on ouvrait librement à la population des
panoramas où des tableaux circulaires représenteraient, en se succédant, des
paysages empruntés à des degrés différents de longitude et de latitude. C'est
en multipliant les moyens à l'aide desquels on reproduit, sous des images
saisissantes, l'ensemble des phénomènes naturels, que l'on peut familiariser
les hommes avec l'unité du monde et leur faire sentir plus vivement le con-
cert harmonieux de la nature.
Ce concert harmonieux de la nature, dont parle Humboldt, on pou-
vait le saisir et l'admirer dans tous ces panoramas qui ont fait l'étonne-
ment et la joie des visiteurs de l'Exposition. On ne savait, entre tous,
lequel choisir et le mieux contempler. Il y avait d'abord le Panorama
de Madagascar, si saisissant, peint par M. Louis Tynaire, qui suivit en
1 89o le corps expéditionnaire. Toile superbe et gigantesque, de i 20 mètres
de tour sur 14 mètres de hauteur, animée par 250 silhouettes dont plu-
sieurs étaient les portraits frappants des officiers qui ont commandé
là-bas, les généraux Duchesne,Voyron, Metzinger, de Torcy, Bizot, etc.
Et il faut au moins signaler les douze dioramas qui frappaient l'œil du
spectateur avant qu'il parvienne à cette page émouvante.
Après celui-là on ne pouvait ne pas visiter celui de la mission Mar-
chand, dit de Fachoda — un nom qu'on ne peut ni prononcer ni écrire
sans un serrement de cœur! C'est le peintre Castellani, qui, lui aussi,
faisait partie de la mission, qui eu a retracé les glorieuses étapes, depuis
Loango jusqu'au retour, à travers le continent noir. Le tableau était
d'un intérêt poignant.
En parlant du théâtre du Tour du monde, j'en ai décrit déjà l'admi-
rable panorama. Je n'ai donc pas à y revenir. Mais je m'arrête devant
le très beau Panorama transatlantique de M. Th. Poilpot, qui nous fait
faire un voyage à travers la Méditerranée en vue des côtes africaines et
nous donne une vue d'Alger prise de je ne sais plus quelle mosquée,
d'où le regard s'étend sur toute la ville, ville européenne et ville arabe,
et embrasse le port, avec les bateaux qui l'animent dans toute son éten-
due, puis les quais, les promenades. les monuments... Tout autour,
onze dioramas dont l'intérêt n'est pas moindre, et qui nous font visiter
Bhdah, Biskra, Tlemcen, Constantine, Tunis, Bizerte, etc. Là où l'in-
térêt fléchissait, par exemple, c'était devant une troupe de danseuses
arabes qui évoluaient dans une salle du rez-de-chaussée, et dans le
spectacle desquelles j'ai retrouvé — horreur! — l'immonde danse du
ventre.
Nous n'avons pas fini. Voici le Maréorama — un nom nouveau pour
une chose nouvelle. Ceci est un spectacle particulièrement curieux. Il
ne s'agit pas ici d'un simple tableau circulaire et fixe, mais d'une im-
mense toile mobile qui se déroule non pas devant, mais autour de nous,
toile vraiment colossale, car elle ne mesure pas moins d'un kilomètre
e< rfe/Ht de longueur sur quinze mètres de hauteur. C'est la plus éton-
nante entreprise de peinture panoramique qui ait jamais été exécutée.
Auteur, M. Hugo d'Alési, qui a dirigé les travaux de toute une escouade
de peintres reproduisant ses maquettes dans les proportions nécessaires.
Nous sommes sur le pont d'un navire — car il y a ici toute une mise
en scène et d'un effet particulier, mise en scène comportant une partie
mécanique très considérable, très délicate et toute nouvelle, et qui exi-
geait une précision minutieuse. La machinerie qui met en mouvement
ce faux steamer, avec ses effets de tangage et de roulis, n'a pas coûté à
elle seule, dit-on, moins d'un demi-million. Le public est placé absolu-
ment comme sous la toile qui abrite le pont d'un paquebot. Le pilote
est placé à la roue de son gouvernail, et autour des « passagers » cir-
culent des matelots et leurs officiers. On part de Villcfranche pour arriver
a Constantinople, en faisant escale à Sousse, à Napleset aussi à Venise,
— ce qui, naturellement, fait faire un crochet. A peine a-t-on « pris le
large « que le roulis se fait sentir (un roulis très doux, qui ne saurait
avoir aucune conséquence fâcheuse pour les cœurs même les plus sen-
sibles). Avec la toile qui se déroule, on a vraiment l'illusion d'un voyage
eu mer, illusion complétée par le vent, qu'on entend par instants souf-
fler en rafales, et par- la sirène, qui siffle d'une façon stridente. On passe
devant Capri, et l'on perçoit les spns lointains d'une tarentelle. Puis
on arrive devant Naples, où toute une escadre est réunie, cuirassés, croi-
seurs, torpilleurs. Une volée de coups de canon satuo notre bâtiment, et
la Marseillaise se fait entendre. Mais voici que peu à peu la nuit vient,
tout s'estompe, tout se fond et se perd dans ie brouillard. Avec l'obscu-
rité le vent souffle de nouveau, le roulis s'accuse, et voici que l'orao'e
éclate, tonnerre, éclairs, etc. Heureusement les nuits sont courtes à
bord du Marrorama. Bientôt le jour reparait, tout s'apaise, le soleil
116
LE MÉNESTREL
brille, et comme nous allons très vite, nous arrivons tout à coup devant
Venise. Nous sommes sur la lagune, entourés de gondoles et de bateaux
de toute sorte, nous longeons le quai des Esclavons. nous passons devant
la Piazzetta et nous voyons, en face, l'église de la Salute. Puis nous
nous éloignons et atteignons enfin Gonstantinople, terme de la traversée,
qui nous fait admirer en dernier lieu le Bosphore et la Corne d'Or, par
un radieux soleil.
C'était un spectacle vraiment original et neuf que celui qu'offrait le
Maréorama. Après y avoir assisté, les esprits curieux pouvaient essayer
de se rendre compte des choses et, avant de sortir, descendre visiter la
machinerie, œuvre de deux ingénieurs distingués, MM. Voirin et
Desbrochers des Loges. Dans les deux dessous, énormes, comme ceux de
certains grands théâtres, ils pouvaient voir le puissant pivot sphôrique
sur lequel était placé le «navire», actionné à volonté par quatre im-
menses pistons qui lui imprimaient ses doubles mouvements de roulis
et de tangage. Un dessus non moins vaste était uniquement consacré à
l'électricité, pour les divers effets de lumière, de nuit et de brouillard.
Quant au beau palais du Maréorama, il était dû àM. Lacau, architecte.
(A suivre.) Arthur Pougin.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
I^ o 11 r s; o g; M- e
(Suite.)
m
LES NOELS DE LA MONNOYE
Dans la seconde moitié du dix-septième siècle, il advint subitement que
la cour et la ville s'engouèrent pour des Noéls à l'allure étrano-e au
pai-ler bizarre, à l'image vive et colorée. Le monde des salons et des
chapelles s'émut; on s'informa, et l'on apprit que ces Noéls, ces Noei
comme ils s'intitulaient, étaient l'œuvre d'un enfant de la Bourgoo-ne.
Aimé Piron, père de l'auteur de la Mctromanie, s'était déjà distino-ué
par la grâce et le piquant de ses Noéls en patois bourguignon. Il les
avait mis à la mode quelques années auparavant. Le terrain était donc
parfaitement préparé pour l'acclimatation des nouveaux venus qui
parurent bientôt sous le nom de Gui Barôzai.
Barôzai, c'était, et c'est encore, le surnom donné aux vignerons de la
Bourgogne, parce qu'autrefois ils portaient des bas couleur de rose. La
signature figurant au bas des Noei Borguignon ne pouvait donc être qu'un
pseudonyme. On sut bientôt qu'il cachait la personnalité d'un sieur de
La Monnoye, <( vseu de lai raice dé bon Barôzai, n'ayant jamoi velu palai
autre langaige que stu de feu son peire et de feu son gran-peire, ai qui J)ei
baille bone vie ». Alors on goûta doublement ses produits, auxquels on
trouvait un bon grain de sd. Et c'était la vérité. « Avec ces subtils cou-
plets, dit un auteur du temps, on est un peu sur le tranchant du rasoir-
on lit, on sourit, on approuve, on interroge... et l'on reste parfois moitié
figue et moitié raisin. »
La Monnoye avait, d'ailleurs, la conscience de sa valeur. En tète de
son Recueil de Noei, il dit, dans son Evartisseman :
Lizé lé, Jaque, Piarre, Antone;
Lai seustance an à belle el, bone ;
Bé dé Prone, bé dé Sarmon
Ne lé vaille pa dan le fon.
Paûdan qu'an cheire un curé braille
Lé3 un dorme, lés autre baille ;
I\la po lé Noei que veci,
Ai n'éténe pa, Dieu marci,
Vo peuvé tôte lai jonée
Chantai gaimau le retonée,
Seur (sûr^, tan que vu lé chanleré,
Que jaimoi vo ne dormiré.
On ne s'admire pas mieux soi-même. Aussi cette belle confiance
attira-t-elle à La Monnoye de nombreuses égralignures. Mais il était
homme à se défendre.
A un personnage qui s'était permis de ne pas trouver ses Noèls excel-
lents, il décochait ce trait :
C'eto lai cas de choisi Beane
Pour y logé tei qui mé condamnai,
ce qui était la plus grave insulte qu'un Dijonnais pût adresser à un
de ses compatriotes, un vieux proverbe de l'ancienne capitale de la
Bourgogne disant :
Un niais est de Beaune, ou il faut l'y envoyer.
Avec cette aimable nature, La Monnoye ne pouvait manquer de se
faire de nombreux ennemis. C'est ce qui advint. Les attaques ne lui
manquèrent pas, et à un moment une véritable tempête se déchaîna
contre lui. Un vicaire de Saint-Etienne tonna du haut de sa chaire contre
ses Noéls. qu'il appelait d'impertinentes et sacrilèges satires. La Sor-
bonne s'en mêla et ses œuvres furent déférées à la censure. L'affaire alla
devant les juges; mais ceux-ci s'abstinrent de le condamner. Sa renom-
mée s'accrut de celte levée de boucliers et lui ouvrit le chemin de la
capitale. Il vint à Paris, s'y enrichit, fut de l'Académie, et finalement se
vit ruiné de fond en comble par la Banque de Law.
Le Recueil des Noei de Gui Barôzai débute par ce qu'on pourrait
appeler un Noël de bravoure :
Ce premei :
NOEI A TO NOVIÏA
Sur un ai' de tromjiaitr.
Gran Dei, riboo ribène, ai fau qu'anlin j'éclaite,
Doussei-je de l'essor en cliantan m'évanlai.
Moi donc lai voi n'a faite
Que po le flaijolai,
Je vai su lai trompaite
Ronflai.
Viennent ensuite des Noëls doux, idylliques, mais, comme dans toute
la Noellerie de La Monnoye, marqués, fouettés d'un refrain à vive allure.
Celui du Cure de Pleu7neire est le modèle du genre. Il commence et finit
par ces couplets :
Su l'ar du Viéled : Je suis la plus contente.
Le curé de Pleumeire Je veu qu'an mon Églize,
Dizô, lai tleùte en main : Depeù lai sain matin
Chanton Borgei, Borgeire, Jusqu'à; Noei, l'on dize,
J'airon Noei demain : Por Antienne, au lutrin :
Robeigne Rabeigoe
Lubeigne Lubeigne
Bereigne Bereigne
Ligei Ligei
Chanlou tû Noei, Noei... Clianton tù Noei, Noei.
Ce curé de Pleumeire était un type populaire dans le Dijonnais. C'était
un amateur forcené de musique. Il jouait du flageolet, de la musette,
du basson, de la cromorne, et à ses moments perdus enseignait des airs
d'opéra à des linottes, qui les redisaient, parait-il, parfaitement.
De la même allure que le précédent est ce Noei, bien scandé, qui se
chante su l'ar : Ma mère, mariés moi :
Guillô, pran ton tambourin,
Toi, pran tai tleùte, Robin ;
Au son de ces inslruraan,
Turelurelu, patapatapan,
Au son de ces inslrunian
Je diron Noei gaiman.
C'étô lai mode autrefoî
De loiié le Roi dé Roi
Au son de ces instruman,
Turelurelu, patapatapan ;
Au son de ces instruman
Ai nos an fau faire autan.
Un autre commence par :
Cejor, le Diale at ai eu,
Randons an graice ai Jésu,
Au son de ces instruman,
Turelurelu, patapatapan;
Au son de ces instruman,
Fezon tai nique ai Satan.
L'homme et Dei son pu d'aicor
Que lai tleùte el le tambor,
Au son de ces instruman,
Turelurelu, patapatapan ;
Au son de ces instruman,
Chanlon, danson, sautoos-an.
Ace ici le Moitre
De tô l'univar?'
Ai fau voi bé clar
t du premei cû requeùnaitir
Le Dei de Jacu,
Fai tù corne no.
Puis, c'est un dialogue entre un borgei, sai fanne et la Vierge .
Le Borgei.
Panne, couraige,
Le Diale a mor.
Aipré l'oraige
J'on lé bia jor.
Dei pré d'ici repôze ammaillO
Su lai frétille;
Les Ainge, ai force de chantai
S'an égôzille ;
Tôt an fremille.
Lai Fanne.
Cal mai gorgeire
Mon jazeran
Mai carceleire,
Mon goudô blari ;
Gai, marchon gai, lûjor gai, n(
Que je m'éréte,
Je meur de voir ce gai-cenû
Don no Prôféte
Fon tan de fête.
Lr Bortjei.
Vé sai cabane
Dreusson no pa,
Antan tu l'ane
Qui fai hin, ha?
Antron : Dei gar, bon jo, moître Jôzai,
Daime Mairie,
Je venon po voi, s'ai vô plai,
Le Fru de vie,
Note Messie.
Lai Fanne.
Su son visaige
T6 clar on li
Que c'a l'ôvraige
Du Saint Esprit ;
C'a, po le seur, un vrai Dei tô naquai
Toù son se gade?
On antre ché lu sans côquai.
Foin d'haulebade,
De rebufade.
LE MENESTREL
117
Lp Borgei.
Çk lai figure
Du Cier ùvar,
Pu de clôture,
Pu de rarapar;
Je triSveron san senai, san
Tôte ébanée
Lai pote de ce graa Palai,
Qui tan d'année
Fu condanfiée.
T6 dcu ansanne.
Vierge parfaite,
Je vous ofTron
Quatre baivaite,
Deu culoron,
Je ne serein faire que dé prezan
De trois ôbôle;
Ç'ù dans lé main dé Graipeignan
Que lé pistôle,
Les écu rôle.
Lai Vierge.
Copie bénie,
Le saint Anfan
Vo remareie,
El â contan.
Ce n'ii ni l'or ni Tarjan, croyé i
Qui l'éfriande,
Un grain de moutade de foi,
Vêlai l'ôfrande
Qu'ai vo demande.
Maintenaût, la note sarcastique :
Su Var du Poulailler de Pantoise .
Lor qu'an lai saizon qu'ai jaule
Au monde Jésu Chri vin,
L'âne et le beu Téchaufin
De lo sôfle dans l'étaule.
Que d'âne lit de beu je sai
Dan ce royaume de Gaule,
Que d'ane et de beu je sai,
Qui n'en ai rein pas tan fai !
On dit que ce pôvre bête
N'ure pas vu le pôpoo,
Qu'elle se mire ai genon,
Humbleman boissan lai tète.
Que d ane et de bea je sai
Qui po tô se l'on de fête,
Que d'âne et de beu je sai
Qui n'an ai rein pa tant fai!
Ma le pu béa de l'histoire,
Ce fu que l'âne et le beu
Ausin passire tô deu
Lai neù san maingè ni boire.
Que d'âne et de beu je sai
Qui n'en ai rein pas tan fai !
Souvent, et c'est là la cause des inimitiés que se cr^a La Monnoye,
des personnalités entrent en jeu dans ses Noëls. Comme exemple, nous
citerons ce début d'une pièce où l'auleur, arborant le ruban vert d'Al-
ceste, voit tout en noir :
Tô les an, quan Noei s'éprôche,
Seigneur i panse an vo bpntai ;
Ma si le sôveni m'an tôche,
Ai fau vo dire, an véritai,
D'autre coûtai, d'autre coûtai.
Qu'an moimo tan ai reproche
L'odon de no niéchaiicetai.
Ti-aïson régné sans vargogoe,
Loyautai n'é ni feù ni leù.
Biaise a reufîen, Piarre at ivrogne,
Alizon passe dans le jeu
Tôle lai neù, tôte lai neù,
Et l'on trôve dans lai Bregogne,
Dé Boivau femelle aujodeù.
Biaise, Piarre nous sont Inconnus; mais La Monnoye lui-même nous
donne, dans le Glossaire qui accompagne son recueil, la clé des person-
nages Alizon et Boivau femelle.
Alizon, c'est le sieur Boivault, président de la Chambre des comptes
de Dijon, l'un des plus grands joueurs de son temps.
« Un jour, veille de Noël, nous apprend La Monnoye, s'étant engagé
au jeu, il joua toute la nuit et même une partie du lendemain, en sorte
qu'il ne rentra chez lui qu'à deux heures après-midi. Il avoua sans
façon à sa femme qu'il venait de l'Académie, où il avait passé la nuit à
jouer jusqu'à l'heure qu'il était, et qu'il avait perdu cent pistoles.
— Vous n'avez donc pas ouï messe, lui dit sa femme ?
— Non, lui répondit-il froidement;
— Ah! malheureux, s'écria-t-elle, il ne faut pas s'étonner si vous
avez perdu!
— M'amie, répliqua le président sans s'émouvoir, celui qui m'a
gagné ne l'a pas ouie non plus. »
Ces épigrammes inoffensives, ces familiarités expansives méritaient-
elles les foudres dont Barôzai fut accablé, nous ne saurions le croire.
Mais n'oublions pas qu'il vivait dans un temps de licence et de pruderie.
Chassé de J'Académie criant à l'impiété et au blasphème pour ses Noëls,
qui allaient tout au plus s'épanouissant en fantaisie, La Monnoye fut
obligé, pour y rentrer, de faire comme Galilée, c'est-à-dire de désavouer
ses innocentes compositions. Et pourtant, d'autres, en Bourgogne même,
en faisaient bien d'autres, témoin ce bout de Noël, d'un auteur inconnu,
cité dans le Glossaire, au mot Oraille, pour Oreille :
Si-tôt qu'eut parlé Gabriel
La Vierge conçut l'Éternel
Par une divine merveille.
L'Arcange ainsi le lui prédit,
Et de là peut-être a-t-on dit :
Faire des enfants par l'oreille.
Qu'eût dit la docte assemblée, si elle avait connu celui-là?
Tous les malheurs de la terre devaient fondre sur l'infortuné La Mon-
noye dans ses vieux jours. Après avoir goûté toutes les joies, il connut
toutes les amertumes. Le dernier coup fut le plus rude. Blaizôte, sa'
compagne depuis un quart de siècle, le quitta brusquement, déclarant
qu'elle ne voulait plus vivre dans le péché.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XIV
RÉSURRECTION DE LA MUSIQUE
aux amis de Mozart.
«... Maintenant, ce que je vais vous dire vous fera bondir peutrétre,
mais je trouve qu'avec la mort de Schumann et de Chopin, c'en a été
fait de la musique : finis musicœ.
— Ha ! lia! ha! quelle bonne plaisanterie !
— Non, je parle très sérieusement; et en disant cela, j'ai en vue la
création, la mélodie, la pensée musicale. On écrit, maintenant, beaucoup
de choses intéressantes sans doute, même des choses de valeur ; mais
du beau, du grand, du majestueux, du profond, on n'en donne plus. Et
cela se remarque sur!;out dans la musique instrumentale, qui reste pour
moi la vraie pierre de touche.
— Comment justi'flez-vous votre jugement ?
— Par ce fait qu'actuellement le coloris prend le dessus sur le dessin,
la technique sur la pensée, le cadre sur le tableau.
— Je réclame une explication plus précise.
— Trois noms apparaissent comme représentant l'ère nouvelle de la
musique, la quatrième époque de l'art musical : Berlioz, Wagner et
Liszt... » (2).
Ainsi dialoguait avec une dame mélomane feu Rubinstein, ici môme,
en 1892, ajoutant mélancoliquement, pour conclure : ,« N'est-ce pas
vraiment le Crépuscule des Dieux qui commence pour notre art?» Eh
bien ! que ses mânes se rassurent, la musique ressuscite ! Le siècle
s'ouvre sur une espérance. Si l'on ne crée plus de belles choses, on en
joue. Les jeunes applaudissent les maîtres. A défaut de créateurs, des
interprètes, du moins, rétablissent le pont qui semblait écroulé dans la
brume entre un passé limpide et l'avenir. A défaut de printemps, un
peu de soleil luit sur noti'e neige...
Avant d'en interroger les causes constatons le fait, acceptons l'augure,
énumérons les eflVts d'une résurrection si désirée ! Le fait est signiticatif .
Et les effets se multiplient. Ce ne sont plus seulement les classiques,
les représentants du noble vieux jeu, comme Rubinstein, qui saluent
leur étoile rajeunie : la preuve serait trop facile et peu décisive. Mais
voici les jeunes, l'avant-garde, la voix juvénile, toujours prête à crier:
« En avant ! », qui semble prêcher, non plus dans le désert, contre les
innovations et les novateurs. Réaction ? Non pas ; mais résurrection,
vous dis-je ! Ce beau mot de résurrection n'est plus seulement l'apanage
des âmes souffrantes et du roman russe, mais il parait caractériser,
désormais, la pensée française et l'art musical tout entier. Si ce n'était
qu'une réaction, la cause serait mauvaise et vite entendue; éphémère,
elle serait défunte avant le plaidoyer de ses défenseurs. Mais en dépit
des snobs versatiles, n'est-ce pas éternellement la bonne cause, qui sait
invoquer Bach, Mozart et Beethoven? N'ya-t-il pas une vraie religion,
du moins en art ? Or, les fidèles reparaissent; et la fausse honte ne
rougit plus des vieux dieux.
Jadis, je parle d'hier, les jeunes partaient en guerre pour glorifier tout
semblant d'innovation : nouveauté, lieauté , synonymes ! Les écoles
sans doute se succédaient, les théories se combattaient, les systèmes,
moins attrayants, vivaient ce que vivent les roses. Qu'importe ? Il fallait,
en tout, observer la mode, afin de la dépasser! On guettait le dernier
« train » pour l'envahir... Dorénavant on a changé tout cela. N'est-il
point de bon ton, dans \&% jeunes revues, de critiquer les caprices et les
dépravations de la mode ? Le réalisme, le naturalisme, il y a beau temps
déjà que la jeunesse les a « débarqués » sur les rives moroses de l'oubli,
comme les Ulysses prudents se débarrassent à propos des Philoctètes
boiteux et plaintifs ; mais, en peinture, l'impressionnisme lui-même est
fortement discuté ; ce ne sont plus uniquement les bourgeois qui s'en
plaignent. En littérature, après le roman documentaire, voici le vers
libre lui-même et le symbole dont l'obscurité dégingandée dêplait aux
jeunes fervents de Racine. Malgré l'B.xposition récente, qui mêlait tant
de nouveautés douteuses en un cadre classique, le modem style est mis
en doute, et Vari nouveau semble aux puristes une alliance de mots « plus
(1) Cf. /(' Ménestrel, année 1900, passiiii: du 28 janvier au i novembre.
i:!) La Musique et ses représentants, enlrelien sui' la musique [Ménestrel, 1891-1892).
118
LE MENESTREL
digne des tréteaux de Tabarin» que des belles divagations esthétiques...
Wagnei-, mais Wagner, ce dieu Richard Wagner, que les outranciers
d'hier introduisaient singulièrement entre les décors impressionnistes et
les divinités japonaises, n'est-il point toujours debout comme un colosse
illuminé pour montrer l'avenir?
Hum ! du train dont va le monde ou sa gloire, je n'en jurerais plus
aujourd'hui... Prenez YErmilage, oyez le jeune chroniqueur du mois
reprendre les arguments du Cas Wagner : « Nous en étions à Nietzsche,
dit-il. parlons donc de Wagner, posément et sans l'a prêté, je n'ose dire
r in justice de son ancien fervent. » Or, a propos de Rheingold en habit
noir, au Nouveau- Théâtre, l'impartial et doux Nietzschéen s'élève,
posément toujours, « contre la musique dramatique », rivale subversive
de la « musique pure ». Tout « poète-musicien » lui parait monslrueiix,
et Richard Wagner, l'Initiateur, le Maître, n'est que le monstre lui-
même... Rheingold, même au concert, au concert surtout, demeure fas-
cinant; mais c'est un art bâtard. — Qu'il est donc loin de nous, le soir
mystérieux où le Wort-ton-drama de Bayreuth semblait vouloir absorber
la nature entière, tel son aine, non moins ambitieux, plus bourgeois, le
roman naturaliste, dans l'exaltation du « tout à l'orchestre » ! Déjà le
byzantin Stéphane Mallarmé n'aimait-il pas mieux le wagnérismeau con-
cert, ajoutant mystérieusement : « Pourvu que Mendés ne soit pas là
pourm'entendrel «Et même au sein de Wagner, la symphonie divorçait
avec le drame.
Aujourd'hui, qu'est-ce â dire? Les Musiciens du temps passé relèYeut
la tête; ces ganaches qui s'appelaient Weber, Môhul.'Mozait et Schubert •
retrouvent de jeunes enthousiasmes pour commenter leurs divins
poncifs; et noire juvénile mentor a conclu : « En un passé certain on se
console d'un douteux avenir... Qui sait? Le goût de la musique de
chambre semble renaître... A l'assirlue fréquentation des vieux maîtres,
les maîtres neufs toujours se sont formés. » Feu Rubinstein n'eût pas
mieux dit. Et ce renouveau, plus réel que notre avril, ne se contente
plus de belles promesses ou des fleurs sans conséquence de la rhéto-
rique: en dépit des « dilettanti du jour », comme disait Nodier, qui
viendront se pâmer à l'antiquité sans oser plus jamais soutenir une
œuvre nou^^elle, de peur d'acclamer une vieillerie déjà, — les preuves
se nomment, diversement, la Société Mozart, à la salle Mustel, le Cycle
du Lied, au Journal, les matinées Danbé, à la Renaissance, les audaces
chorales de l'Euierpe, les trois séances de musique ancienne des XVIP
et XVIIP siècles, enfin, les doctes soirées de la Schola Cantorum, en cette
petite cellule du Faubourg Saint-Jacques où, chaque vendredi, depuis
quatre mois, il est si bon de se cloîtrer avec Bach et Beethoven...
Amis de la « vraie musique », réjouissez-vous !
(A suivre.) Raymond Bouyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le concert spirituel des vendredi et samedi saints, au Conservatoire, s'ou-
vrait par la symplionie en ré de Beethoven, que l'orchestre, chaleureux et bien
en train, a dite avec une ardeur, une élégance et une maestria extraordi-
naires. Venait ensuite la première exécution d'une œuvre importante et tort
intéressante, le Requiem de M. Gabriel I<'auré, composition d'un beau style,
d'une jolie couleur et d'une touchante inspiration. Écrit pour soli, chœurs,
orgue et orchestre, ce Requiem comprend sept morceaux : Introit et Kyrie,
Offertoire, Sanctus, Pie Jesu, Agnus Dei, Libéra me et In parudisum. Il y man-
qne, on le voit, le Dies ira, ce qui s'explique peut-être par le caractère plutôt
tendre et apaisé que l'auteur semble avoir voulu donner à son œuvre, et qu'il
lai a communiqué en elTet de la façon la plus heureuse. L'ensemble de la
composition présente un intérêt très vif, et se fait remarquer par la pureté
des lignes et son sentiment très harmonieux. Entre les meilleures pages, j'y
ai distingué surtout le Sanctus, qui est à la fois très bref, très expressif et
très beau, et que le public a voulu entendre deux fois, et le Pie Jesu, air de
soprano d'une grande simplicité et d'un sentiment exquis, chanté d'une façon
délicieuse par W" Torrès, qui en a fait ressortir toute sa valeur par le fini" de
son exécution. Au reste, l'exécudon générale a été excellente, tant de la
part des chœurs que de l'orchestre, sans oublier M. Daraux, chargé des soli
avec M"» Torrès, et l'œuvre a obtenu tout le succès qu'elle méritait. On a fait
ensuite une ovation à M. Sarasate, qui est venu faire entendre le premier
concerto de violon de M. Saint-Saëns, que le compositeur lui dédiait il y a
déjà plus de trente ans. et qui y a déployé un style magistral et une incom-
paxable virtuosité. Trois rappels bruyants lui ont prouvé toute la satisfaction
du public. Trois chœurs admirables d'Israi-l en Érjypte, de Haendel, ont été
justement applaudis pour leur superbe exécution, et la séance s'est terminée
par la noble ouverture de Ray Blas, de Mandelssobn, où l'orchestre a l'ait
preuve d'une chaleur et d'un élan qu'on ne saurait trop louer. A. P.
— Concerts Colonne. — Vendredi-Saint.- — Le « Morceau Symphonique »
i\& Rédemption était le seul de tout le programme qui fùl de circonstance;
aussi l'a-t-on justement fêté. La grande àme mystique de César Franck se
montre là; on croit en sentir l'influence et l'on comprend comment elle diri
gea la main de ce grand artiste « travaillant toute sa vie comme un saint
qui, de son vivant, ouvragerait son reliquaire ». Le procédé du maître a con-
sisté ici à traiter l'orchestre comme un orgue immense et chaque groupe
d'instrument comme représentant un registre. La mélodie passe d'une famille
à l'autre avec aisance, et un sentiment de piété fervente se dégage, trans
formé bientôt en un acte de foi triomphant. Pour Franck, l'art était une]
autre religion. N'en est-il pas de môme, dans une sphère plus modeste, pour
M. Anton van Rooy? Ce chanteur possède une voix de baryton que l'on ne
peut comparer, pour la sonorité pure et pour la plénitude, qu'à un tuyau d'or-
gue; la netteté de la diction est chez lui vraiment merveilleuse; il a de plus
la fraîcheur d'organe et le naturel, mais surtout un sentiment juste qui pro-
duit l'émotion. Très beau dans l'air de Wolfram de Tannhuuser et dans les
Adieux de Wotan de la Walkyrie, il a détaillé avec plus d'àme encore trois
mélodies de Schubert. Arrivé à ce degré de noblesse et de conviction, l'an
éveille de chaudes .sympathies, quelle que soit sa nationalité. On dit qu'il n'a
pas de patrie; au contraire, il les a toutes. Les Français qui ont été impres-
sionnés par le talent de M. Van Rooy adressent à l'artiste leur salut amical
en répétant, sur la musique de Schubert, les mots qu'il a si bien chantés :
Sei mir gegri'tsst! — M. Ysaye est, lui aussi, un convaincu, et pourtant il ne
semble pas avoir tenu beaucoup à nous en faire souvenir. La Fantaisie russe
de Rirasky-Ivorsakolf et l'arrangement de l'Étude en forme de valse de Saint-
Saëns ne méritent guère de nous arrêter; nous valons mieux que cela,, et le
célèbre violoniste nous avait habitués précédemment à tout autre chose.
M. Raoul PugQo a fait apprécier une fois de plus sa technique extraordinai-
rement brillante, ses qualités de musicien délicat et le charme exquis, les
nuances ravissantes de sa sonorité. Le concerto en mi'p de Mozart lui a offert
mille occasions de délecter son auditoire. Je n'oserais déclarer entièrement
heureux le choix du concerto pathétique de Liszt pour deux pianos. J'aurais
préféré la version avec orchestre, ou, mieux encore, à la place de ce morceau,
quelque fragment grandiose des Harmonies poétiques d'après Lamartine; un
grand artiste comme Raoul Pugno pouvait oser cela. Le concerto patliétique
a produit peu d'effet; Liszt ému, ^^brant, n'est pas là tout entier. MM. Pugno
et Wurmser ont droit, quoi qu'il en soit, à nos remercîments pour avoir fait
connaître cette œuvre intéressante. Le reste du concert ci'mprenail. un con-
certo de Bach pour deux flûtes et violon (M. Cantié, M. Blanquart et M. Ysaye),
ouvrage plein de jeunesse et de verve, qui soutient hardiment son âge,
cent quatre-vingts ans, et l'ouverture de Patrie de G-eorges Bizet.
AmÉDÉE BoiilAIlEL.
— Concerts Lamoureux. — Dans sa curieuse petite autobiographie, qui ne
dépasse malheureusement pas l'année 1842, Richard Wagner a dit : « (Jui
veut faire la connaissance complète de la neuvième symphonie de Beethoven
doit l'entendre aux concerts du Conservatoire de Paris. » C'est encore vrai
aujourd'hui, et pourtant l'exécution fournie par M. Chevillard a été aussi des
plus remarquables. Les trois premières parties de la symphonie ont passé
devant l'auditoire ravi dans leur beauté immaculée; nous n'avons jamais
entendu ces merveilles orchestrales rendues avec plus d'envergure, et bien
rares sont les exécutions d'outre-Rhin qui puissent rivaliser, quant à la déli-
catesse des nuances et au iinî de l'ensemble, avec celle que nous venons d'en-
tendre. Pas le moindre accident aux cors dans le mo(/o vivace, où ces accidents
sont pour ainsi dire de tradition, et une poésie infinie aux instruments à
cordes chantant dans {'adagio cantabile. Mais, hélas! la perfection n'est pas de
ce monde, et la dernière partie a laissé à désirer quant aux solistes. La
célèbre apostrophe du bai^ton a manqué son effet à cause de l'insuIEsance
de fin lerprétalion; le ténor, M. Imbart de la Tour, a également lutté avec
plus de courage que de succès contre les difficultés énormes de sa partie ;
seul, le soprano clair et bien timbré de M""^ Lormont a plané avec correction
et aisance sur l'ensemble. Les chœurs, par contre, surtout les chœurs de
femmes, se sont distingués par la justesse et la sûreté de leur intonation et
par leur puissance, suftnut dans l'hymne final. L'enthousiasme du public fut
très grand et parfaitement justifié. La symphonie était précédée et suivie de
quelques fragments wagnériens qui n'étaient vraiment pas ici à leur place,
malgré leur beauté intrinsèque. Le chef-d'œuvre de Beethoven ne demande
et ne tolère aucun encadrement. 0. BEnooRUEN.
— Le troisième des « grands concerts symphoniques de Paris » au Vaude-
ville, le concert du vendredi-saint, était, comme le précédent, dirigé par
M. Cari Muck, de l'Opéra royal de Berlin. J'ai déjà dit ce que je pensais de
ce chef d'orchestre, et n'ai à m'occuper aujourd'hui que du programme de la
séance. Celle-ci s'ouvrait par la très beUe Symphonie pathétique de Tschaï-
kowsky, œuvre de premier ordre, d'une grande envergure, d'une forme solide
et d'une belle inspiration, tout empreinte du sentiment qui justifie son litre.
Cbtte symphonie remarquable, où l'auteur ne s'écarte guère des formes tra-
ditiounelles qu'en plaçant l'andante à la fin et en en faisant le finale de l'œu-
vre, est d'une rare valeur musicale et souvent d'un intérêt poignant. Le
premier morceau surtout est superbe, d'une ampleur et d'un sentiment
remarquables, et l'orchestre en est d'une richesse incomparable; on y distin-
gue, particulièrement, une noble phrase de violons qui se déroule de la façon
la plus heureuse, avec un accent singulièrement émouvant. Ce qui caractérise
l'œuvre d'une certaine manière, c'est le dédain de l'auteur pour la recherche
de l'elfet : sur quatre morceaux, trois finissent pianissimo; le vivace seul, si
en dehors, si éclatant, se termine d'une façon brillante. Je n'ai rien à dire du
reste du programme, qui comprenait Phaéton, poème symphonique de M. Saint-
Sacns, la symphonie en sol majeur d'Haydn et quatre morceaux de Wagner:
i
LE MENESTREL
119
e prélude de Parsifal, l'Enchantement du Vendredi-Saint du même, Siegfried-
Idyll et l'ouverture de Rienzi. Et voilà justement ce qu'on doit reprocher aux
(1 grands concerts symphoniques ». Alors que nous connaissions ici les grands
chefs d'orchestre de l'Allemagne, ceux dont la renommée est justement écla-
tonte, les Hans Richter, les ï'élix Mottl, les Hermann Lévi, les Félix
"Weingartuer, voire les Arthur Nikisch, on nous amène des artistes esti-
mables sans doute, mais d'une valem- secondaire, qui n'ont point lieu d'ex-
citer notre curiosité: et ces artistes, qui n'auraient d'autre raison d'être
que de nous mettre en contact avec des œuvres nouvelles pour nous, ne
font au contraire que nous ressasser celles que nous savons par cœur et que
nous entendons chaque jour. Alors que nous aurions intérêt à connaître telle
symphonie d'Anton Bruckner, telle page de Goldmark, de Kichard Strauss, ae
Gernsheim. de Max Bruch, d'autres encore, on nous ressert du Beethoven et
du Mozart, du Mendelssohn et du Schumann.... Il y a là une erreur initiale,
qui explique le peu d'empressement du public à se rendre aux séances du
■Vaudeville. — La quatrième était dirigée par M. Max Fiedler, de Hambourg,
un chef d'orchestre ultra-nerveux, aux mouvements désordonnés, grand fai-
seur d'arabesques avec sa baguette, qui dirige avec une précision pleine de
sécheresse, et qui, si l'on ne peut lui refuser la vigueur et l'élan, dont parfois
il abuse, manque essentiellement des nuances délicates et fines qu'exigent
certaines pages musicales. Son programme, à l'exception d'une composition
de Brahms peu connue chez nous (Variations sur un thème d'Haydn), était
aussi banal que les précédents : Ouverture du FreischiUz, 4' symphonie de
Schumann (en ré mineur), ouverture de Benvenuto CcUini de Berlioz, concerto
de violon de Max Bruch , par M. Sarasate, et ouverture de Tannhduser.
Quel diable d'intérêt veut-on que nous prenions à tout cela, que nous n'avons
cessé d'entendre depuis six mois? La seule chose qui pouvait piquer notre
curiosité, c'était les Variations de Brahms. Mais hélas ! elles sont bien grises,
bien monotones, et, par-dessus tout, démesui-ément longues. L'éclair et la
joie de la séance, c'a été la présence de M. Sarasate, exécutant, comme il sait
le faire, le concerto de Max Bruch. Aussi quel succès, quelle ovation ! Cinq
rappels. Si bien qu'à la fin, et comme remerciement au public, il est revenu
jouer un prélude de Bach sans accompagnement, morceau d'une virtuosité
prodigieuse et hérissé de difficultés dont il se tire avec une inconcevable
aisance. A. P.
— Programme du seul concert d'aujourd'hui dimanche ;
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. CheviUard : Ouverture
de Mélusine (Mendelssohn). — Ahlperfidot (Beethoven), par M"" Cesbron. — Concerto en
ré mineur pour piano (Brahms), par II. Diémer. — a. Rosées, h. Retour des Vêpres, et
c. L'Archet (Bûsser), par M"» Cesbron. — Symphonie avec chœurs (Beethoven), soli par
M"" Lormont et Melno, MM. Danlu et Challet.
— Programme du S" concert symphonique qui sera donné au théâtre d u
Vaudeville le jeudi 18 avril, à trois heures, sous la direction de M. Erd-
mannsdœrfer, de Munich ;
1. Prélude d'Œdipe (Max SchUliogs). — 2. Symphonie inachevée, en si mineur (Fr.
Schubert). —3. Prélude de l'opéra te Rubis (Eugène d'Albert), — 4. Symphonie héroï-
que (Beethoven). — 5. Carnaval a Paris (J. Svendsen).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La « première » de Messaline, à la Scala de Milan, comptera parmi les
soirées mouvementées de ce théâtre. De la lecture des journaux italiens il
parait résulter que l'ouvrage de M, Isidore de Lara n'a pas réussi absolument,
malgré les efforts ardents d'un petit nombre d'amis et de partisans. Mais le
ténor Tamagno, qui a eu personnellement un grand succès, a couvert la
retraite et sauvé la situation.
— Voici qu'on commence à s'occuper, à Milan, de l'apparition, l'hiver pro-
chain, du nouvel oratorio de don Lorenzo Perosi, Mosè. L'assemblée géné-
rale de la société de la salle Perosi, dit l'Arpa, s'est tenue récemment à Milan.
La salle sera terminée vers le mois de septembre prochain. Elle s'ouvrira au
mois de novembre par la première exécution de il/osé, poème biblique en
trois actes et un prologue, de Pietro Groci et Agostiuo Cameroni, musique
du maestro Perosi. On annonce quatre exécutions de l'œuvre nouvelle de
don Perosi, qui seront dirigées par le maestro Toscanini. On ne donnera pas
d'autre ouvrage (de lui). La salle Perosi sera ouverte ensuite pour des con-
certs de musique de différents auteurs, et aussi pour des lectures, confé-
rences, etc.
— Il parait que le théâtre San Carlo de Naples, l'une des quatre grandes
scènes lyriques de l'Italie, ne peut pas se relever de l'état de marasme, pour
ne pas dire de décadence, dans lequel il est tombé depuis quelques années.
« A Naples, dit un journal italien, les affaires du San Carlo vont de mal en
pis. A lire les journaux de cette ville, il semble proprement que ce théâtre,
qui a de si glorieuses traditions, est réduit au rang d'un misérable théâtricule
de province. C'est navrant! »
— On nous annonce de Vienne qu'on a trouvé dans la succession d'un
vieux maniaque fort riche l'autographe d'une composition inédite de Schu-
bert. Les détails manquent; nous publions donc cette nouvelle sous toutes
réserves, mais avec le souhait qu'elle se confirme.
— De Vienne : « L'Opéra impérial vient de faire une très brillante reprise
i'Hamlet, qui avait tous les caractères d'une première. L'opéra d'Ambroise
Thomas n'avait pas été joué en effet depuis quatre ans : on l'a revu et réeE-
tendu avec beaucoup de plaisir. M. Reichmaun a été des plus remarquables
et M""» Francès-Saville, une exquise Ophélie, a délicieusement chanté; la
scène de la folie lui a valu de véritables ovations. »
— Le théâtre An der Wien, de Vienne, vient de suspendre ses paiements.
11 est fermé. Après avoir essayé de tous les genres: du drame, de la farce et
l'opérette, le malheureux directeur s'est déclaré vaincu par la mauvaise
chance. Il paraît que Vienne possède actuellement tant do théâtres que la
population ne peut pas les alimenter suffisamment et qu'en dehors des
théâtres impériaux aucune scène viennoise ne se trouve dans une situation
brillante.
— La Société des musiciens de Berlin vient d'exécuter avec succès une
nouvelle symphonie en ut mineur de M. Emile Liepe, que son auteur a inti-
tulée Symphonie baltique.
— Le festival lyrique de Wiesbaden, ordonné par l'empereur Guillaume II,
aura lieu du IS au 20 mai. Guillaume II a choisi Othello, de Verdi, et les
Joyeuses commères de Windsor, de Nicolai, et s'est occupé des décors, que l'in-
tendant, M. de Htilsen, a commandés à un atelier viennois. Les décors des
Joyeuses commères de Windsor seront strictement exécutés dans le style de la
reine Elisabeth; l'empereur en a désigné lui-même les modèles. Quant à
Othello, il a rejeté les décors employés ordinairement et brossés d'après ceux
de la première représentation à Milan, pour en faire exécuter de nouveaux
selon ses propres esquisses. GuillSume II a promis d'assister aux festspiele de
Wiesbaden, comme l'année passée.
— La viUe de Hambourg, qui possède plusieurs beaux théâtres, manquait
encore d'une salle de concerts suffisante pour une population de 800.000 ha-
bitants. Cette lacune vient d'être comblée grâce A un riche citoyen, l'armateur
Charles Laeisz, qui a légué à la ville 1.200.000 marcs, soit l.SOO.OOO francs, à
charge, par elle, de construire avec cette somme une belle et vaste salle de
concerts. Le gouvernement de la ville libre a l'intention de bien faire les
choses, et il ouvrira à cet effet un concours d'architectes dès que l'emplace-
ment de la salle aura été arrêté.
— La grande messe en ut mineur que Mozart n'a malheureusement pas pu ter-
miner vient d'être complétée par M. A. Schmitt, directeur de la Société Mozart
de Dresde, qui s'est servi à cet effet presque exclusivement de diverses com-
positions de Mozart. La Messe a été exécutée à Dresde, pendant la semaine
sainte, et a produit un effet immense.
— Le théâtre municipal de Lubeck vient de jouer avec succès une
opérette intitulée Djellah, musique de M. Rodolphe Weys.
— L'Opéra tchèque de Prague vient de jouer avec beaucoup de succès un
nouvel opéra de M. Anton Dvorak, intitulé Roussalka. Le sujet est em-
prunté à une vieille légende slave. La mise en scène et la distribution de la
nouvelle œuvre ont été des plus brillantes.
— Le théâtre municipal de Stettin a joué avec succès un nouvel opéra inti-
tulé le Juge de Zataméa, musique de M. Georges Jarno.
— Les hirondelles du printemps de 1901 ne sont pas encore arrivées, mais
nous avons déjà reçu l'almanach des concerts d'outre-Rhin pour la saison 1901-
1902 que M. Wolff, de Berlin, publie tous les ans. C'est ainsi que nous
apprenons la série des festivals qui seront donnés en Allemagne au cours de
1901 : festival et musique de chambre à Bonn, à la maison de Beetboven, du
12 au 15 mai, avec le concours du quatuor Joachim et de M. Paderewski;
festival musical à Worms le 26 et le 27 mai; festival musical à Augsbourg le
26 et le 27 mai; assemblée générale de l'Association des musiciens allemands
à Heidelberg du i" au 4 juin; festival musical le 8 juin à Zwickau sous la
direction de M. Joachim. à l'occasion de l'inauguration de la statue de Robert
Schumann. Les représentations de Bayreuth auront lieu du 22 juillet au
20 août. A Genève aussi aura lieu un grand festival musical, du 22 au
24 juin.
— La mode des oratorios s'étend jusqu'en Allemagne, M. Auguste Klu-
ghardt, chef de l'orchestre de la cour à Dessau, vient de terminer la musique
d'un ouvrage de ce genre, Judith, sur un texte de M. L. Gerlach.
— L'Opéra néerlandais d'Arhsterdam a joué avec succès un opéra inédit
(chose rare) intitulé Adjah, musique de M. Charles Dibbern.
— De Kiew : M. A. Winogradsky, — les Parisiens ont certainement gardé
le souvenir des concerts russes qu'il donna à Paris, — vient de diriger
ici, à la Société impériale de musique, un grand festival exclusivement con-
sacré aux œuvres françaises. Au programme les noms de Berlioz, Gounod,
Godard, Massenet {Puisqu'elle a pris ma vie et ouverture de Phèdre), Saint'-
Saëns, Bourgault-Ducoudray, etc. La salle comble a fait grand succès au
distingué chef d'orchestre (presque la moitié des morceaux ont été bissés) ainsi
qu'à M"» Illyua, russe d'origine, mais ayant fait ses études vocales à Paris '
chez M™" Marcbesi.
— Il parait qu'on est sévère, en Espagne, eu ce qui concerne l'heure de la
fermeture des théâtres. Un acteur fort renommé, M. Fernando Diaz de Men-
doza, vient d'être frappé, à Murcie, d'une amende de 230 francs pour avoir
120
LE MÉNESTREL
prolongé le spectacle au delà de l'heure fixée par les règlements de police.
Quoique le chiffre de cette amende puisse sembler excessif. M. Mendoza en
-a accompagné le montant d'une somme supplémentaire de 1.000 francs, des-
■tinée par lui à être distribuée aux pauvres. A ce compte, ceux-ci feront des
vœux pour quç ses spectacles soient à l'avenir d'une longueur démesurée.
— Pendant sa tournée actuelle en Amérique, M"'' Sembrich a été prise
d'an mal à la gorge tenace qui l'a mise dans l'impossibilité de continuer ses
représentations. L'artiste a été obligée de congédier les artistes de sa troupe
et de retourner à Dresde pour s'y faire soigner par des spécialistes.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Depuis bien des années on réclamait de M. Gailhard la pose d'un
ascenseur à l'Opéra, pour les personnes âgées qui ne peuvent gravir qu'avec
beaucoup de peine les rigides escaliers du monument Garnier. L'impétueux
directeur vient enfin de s'y décider. C'est aujourd'hui chose faite. L'ascenseur
fonctionne jusqu'au deuxième étage; on l'a placé dans la rotonde du rez-de-
chaussée, à gauche en entrant. Puisse cet élévateur, en même temps que
les spectateurs, faire monter les actions d'une direction si fort en baisse!
— La première des six représentations d' Iphigénie en Tauride avecM°"Caron
annoncées par M. Albert Carré a été donnée hier à l'Opéra-Gomique. Gelles
qui seront données cette semaine sont fixées aux mardi 16 et samedi 20 avril.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Gomique : en matinée, Haen-
sel etOretel, la Fille du régiment; le soir, Lakmé, les Noces de Jeannette.
— Où diable les journaux italiens ont*ils pris celle-là? Les voici qui ra-
content tous, les uns après les autres, qu'à la représentation de la Damnation
de Faust, qui a eu lieu récemment à Monte-Garlo avec M"»=Caron, MM. Alva-
rez et Renaud, assistait .. la fille de Berlioz, qui est âgée de 83 ans et qui
avait fait un long voyage pour assister au triomphe de son père ». Ils ajoutent
qu'on dut « la porter au théâtre sur une chaise ». Si ladite fille de Berlioz
est âgée de 83 ans, sa naissance doit être fixée à 1816. Or, Berlioz étant né
lui-même le 12 décembre 1803, autant presque dire en 1804, il aurait eu
douze ans environ lors de la venue précoce de cet'e enfant! La vérité est que
Berlioz n'eut point de fille, mais seulement un fils nommé Louis, qui fut
officier de marine, lui causa beaucoup de chagrins et mourut plusieurs années
avant lui.
— Nous n'avons pas eu encore assez de concerts cette année, parait-il!
Voici que l'orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction de M. Ar-
thur Nikisch, va donner du 19 au 26 mai, au Cirque d'hiver, une série de
cinq nouveaux festivals. Kappelmeister, que nous veux-tu?
— Nous apprenons le mariage de M"" Thérèse Ganne, une très charmante
artiste lyrique, premier prix de chant et d'opéra (Conservatoire, 1893), qui,
après être demeurée deux ans à l'Académie nationale de musique et trois
ans au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, vient encore de triompher cette
saison au Grand-Théâtre de Bordeaux. M"' Thérèse Ganne épousera, le 7 mai
prochain, M. Albert Moussoux, industriel belge des plus estimés. Malheu-
reusement pour le public, elle quittera la carrière théâtrale.
— M.'^'Clotilde Kleeberg, après le grand succès obtenu à Lyon par son inter-
prétation du 2" concerto de Théodore Dubois, s'est rendue à Besançon, où
l'on avait organisé pour elle une séance musicale d'un intérêt exceptionnel.
On a fait fête à la charmante artiste, qui donnera, au commencement du mois
prochain, son concert à Paris.
— Un de nos jeunes et meilleurs pianistes, M. Edouard Bernard, donnera
salle Erard, jeudi 18 avril, à 9 heures, un concert dans lequel il fera entendre
des œuvres de Beethoven, César Franck, Tschaïkowsky, Brahms, Chabrier,
Chopin, Liszt, et le 3' concerto de M. de Bériot, accompagné au piano par
l'auteur.
— Le concert spirituel donné mardi dernier au théâtre de la Renaissance
par M. Adolphe Deslandres pour l'audition de son Stabat Mater pour soli,
chœurs et orchestre, a été un véritable succès pour le compositeur et ses
excellents interprètes : M"« Cécile O'Rorke et Clémence Deslandres. MM . Emile
Cazerieuve et Péloga.
— De Marseille : « M"* Wanda de Stajewska, qui obtint un si brillant
succès au Grand-Théâtre, vient de terminer la saison en chantant pour la
première fois Ùphélie, à'Hamlel. avec un charme exquis et une virtuosité
remarquable. Le public enthousiasmé l'a couverte de fleurs. »
— L'Association des concerts classiques de Marseille a donné dimanche
dernier son dernier concert de la saison, saison particulièrement brillante
grâce à l'autorité de M. Paul "Viardot. Aussi, public et orchestre se sont-ils
associés pour témoigner au vaillant chef leur reconnaissance par des ova-
tions répétées et des bouquets.
— De Toulouse : « Un grand concert spirituel a été donné au théâtre du
Capitole. Au programme : la Lyre et la Harpe, de Saint-Saëns; Sainte Agnès,
drame sacré en deux parties de G. de Grandval. Les soli étaient chantés par
Mii« de Méryanne, Bonfils, MM. Gaston Beyie, de l'Opéra, et de Lérick; les
chœurs et l'orchestre, composés de 143 exécutants, étaient sous la direction
d'André Taponnier. — Exécution de tout premier ordre, qui a provoqué un
vif enthousiasme dans le public; M'»" de Grandval, qui assistait au concert, a
du saluer de sa loge à deux reprises. »
— A Toulon, excellente première représentation d'André Chénier, l'opéra si
vivant et si impressionnant de Giordano. L'opéra a beaucoup porté sur le
public, qui l'a salué de chaleureux applaudissements.
— De Bayonne : « La Navarraise, de Massenet, vient d'être représentée
aux Arènes devant plus de six mille spectateurs. Les loges étaient en partie
occupées par l'élite de la colonie étrangère de Biarritz, si brillante en cette
fin de saison d'hiver. L'interprétation a été excellente et d'enthousiastes ova-
tions ont été faites à M""' de Nuovina, qui jouait le rôle d'Anita avec son
talent habituel. Les chœurs et l'orchestre étaient conduits par le maestro
Brument. »
— D'Alger: A l'occasion de la semaine sainte notre actif directeur, M. Sau-
gey, vient de monter ilarie-Magdeleine. Le bel oratorio de Massenet, qui n'avait
jamais été entendu ici, a remporté un succès complet, dont une part revient
à l'orchestre, parfait sous la direction de M. Steck, et aux interprètes, très
applaudis, M"°- Gervaix. Pratt, MM. Flachat et Lataste.
— Du Havre : La Société Sainte-Cécile vient de nous donner la première
audition, ici, de Rédemption, de César Franck. L'exécution a été ( xcellente
sous la direction de M. Cifolelli. qui s'était adjoint les chœurs de la Lyre.
L'effet sur le public a été très grand et une grande part du succès revient et au
chef d'orchestre et à M"" Gogue, qui a fait preuve de talent dans les soli de
l'archange. C'est W^" Larue qui a déclamé les vers du récitant avec intelli-
gence et chaleur. Au même concert, M. Risler a été couvert de chaleureux
applaudissements après l'exécution d'un concerto et de plusieurs pièces de
piano.
— Scola Cantorum. — C'est par erreur qu'on a annoncé pour le mercredi
24 avril le concert que doit donner, à la Scola, M. Henri Casadessus; cette
intéressante audition aura lieu le jeudi 25. Les mercredis 17 avril, 1"^'' et
15 mai, trois séances de cantates d'église de J.-S. Bach : « Ach Gotl vom Ilim-
mel »; « Christus lag in Todesbanden »; « Liebster Gotl ».
— Soirées et concerts. — A la soirée donnée au bénéfioe du patronage de Saint-\'in-
cent-de-Paul on a fait grand succès à M"' Palasara, qui a chanté Inquiétude, de Oiéiuer,
Chant provençal, de IVIassenet, la Cigale, de Paladilhe, et, avec M. Commène, le duo
de Lakmé, de Delibes. M. Commène a eu également sa part personnelle de bravos dans
la Chanson de tOiieleur, de Delibes.
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Abonnemenl complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en BUB.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (8" article), Paui. d'Estrées. —
IL Semaine thcAtrale : premières représentations de Pour l'amour! à TOdéon, de la
Course du flambeau au Vaudeville, de la Joie du talion et de 20.000 âmes au Gymnase,
Paul-Émile Chevalier. — IIL Le théâtre et les spectacles à l'Exposition (26° et dernier
article), Arthur Pougin. — IV. Le Tour de France en musique : la Suche, Edmoxd
Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
QUAND LA NUIT N'EST PAS ÉTOILÉE
nouvelle mélodie de Reïnaldo Hahn, poésie de Victor Hugo. — Suivra immé-
diatement : Brunette (1"03), n° 1 des Chants de France, harmonisés par A. PÉ-
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
le Baptême d'Yvonnette, de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Souvenir.
n° 9 des Nàives, de Lodis Lacombe.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les plus récents et des documents inédits
(Suite.)
VIII
Les éioUes de la danse. — Les scrupules de Javilliers. — ■ Vn château branlant. —
Les élévations de la Camargo. — Un portrait peu (latte. — Carville la dinde. —
Une danseuse sans soucis. — Grandeur et décadence de la Rabon. — Ses origines.
Les deux sultanes du prince de Cariynan. — La constitution de l'Opéra. — ■ La
magnificence de la Rabon. — Folles amours.
II en est, au XVIIP siècle, pour les artistes de la danse comme
pour les artistes du chant. Leur vie privée est intimement con-
fondue avec leur vie publique , et il semble presque que leur
talent soit en raison directe des aventures plus ou moins sca-
breuses dont ils sont les héros. Du reste, pour la plupart des
contemporains la moralité du comédien est un mythe ; ils s'éton-
nent même quand les « histrions » ont le sens de l'honnêteté et
les « filles de l'Opéra » le souci de leur vertu.
Nous trouvons un exemple de cette surprise, peu llatteuse pour
l'humanité, dans une lettre écrite au lieutenant de police, Fey-
deau de Marville, par un directeur de l'Académie royale de
Musique, M. de Bombarde. Le magistrat faisait surveiller par des
agents un étranger d'allures suspectes : il apprend que cet indi-
vidu a pour maître de danse Javilliers, l'aîné, professeur à l'Opéra,
le frère sans doute de ce Javilliers « célèbre violoniste », qui
donnait des leçons de musique à Dufort de Cheverny. Marville
invite donc M. de Bombarde, le directeur de l'Opéra, à réclamer
de son pensionnaire tous les renseignements que celui-ci pour-
rait tirer de son élève, en un mot à proposer à Javilliers d'es-
pionner pour le compte de la police. M. de Bombarde accepte
très volontiers le rôle que veut lui faire jouer son correspondant
et lui donne en ces termes le résultat de son entretien avec le
maître de danse :
« Je n'ai point réussi. Monsieur, dans la négociation que vous
m'avez confiée. Je passais hier chez vous pour vous en rendre
compte. Je vis le matin le sieur Javilliers. Après beaucoup de
propos sur ses écoliers, parmi lesquels il me dit qu'il y avait des
étrangers, je lui dis qu'il devait en venir que je comptais lui
confier. Il me remercia. Je trouvai le moment de lui parler de
l'homme en question, du lieu de sa demeure à peu près. Il me
dit qu'il ne le connaissait nullement. Il en résulterait, Monsieur,
que ce ne serait pas ledit Javilliers l'ainé qui allait chez cette per-
sonne, ou, au cas que ce fût lui, sa façon de nier et son espèce
d'assurance en niant devraient paraître suspectes. Ce sont des ré-
flexions que votre prudence et votre sagacité vous feront faire et
qu'il ne m'appartient pas de vous indiquer. J'ai l'honneur de
« Ce 27 avril 1741. Bombarde. »
Évidemment Javilliers a voulu donner le change à son interro-
gateur : car c'est bien lui le maître de danse de l'étranger ;
l'inspecteur de police qui suit l'affaire l'a parfaitement reconnu.
N'importe, il fallait un certain courage et un grand fonds de
probité à ce petit chorégraphe pour oser résister à l'homme
redoutable qu'était alors un lieutenant général de police.
Un autre danseur du XVIIP siècle, le plus illustre de tous, à
qui nous avons consacré ici-méme une notice, Dupré, était-il le
professeur de la Salle, comme l'a prétendu Dufort de Cheverny ?
Celui-ci, qui vit à Fontainebleau l'ancienne ballerine de l'Opéra,
affirme qu'elle « imitait la danse majestueuse de son maître
Dupré ». Malheureusement, c'était « un vrai chùteau-branlant »;
elle manquait de force et « fît plus de peine que de plaisir dans
deux entrées de cinq minutes seulement ». Elle devait mourir
peu de temps après : mais quel contraste avec M"° Lemaure, sa
contemporaine, qui était venue chanter le même jour devant le
Roi, à Fontainebleau, et dont la voix était encore si belle et si
puissante !
La Camargo, dont « les pirouettes » sont restées aussi célèbres
que la « danse noble » de sa rivale la Salle, occupe une Certaine
place dans les Notes secrètes de Meusnier et dans les Nouvelles de
la Cour et de la Ville. Celles-ci parlent, à la date du 8 mars 1735,
de l'accident qui retint la Camargo six mois au lit, parce qu'elle
avait fait de trop violents efforts pour « s'élever ». En 1736, c'est
un épisode de ses amours avec le comte de Glermont : elle avait
122
LE MÉNESTREL
renoncé à paraître sur la scène tant (|ue son amant resterait ù
Farmée: et celui-ci, l'année suivante, ne voulait même plus
qu'elle rentrât au théâtre.
Meusnier, l'inspecteur de police, qui écrivait « Thistoire-anec-
dote » de la Camargo en 1753, n'embellit guère son héroïne :
« si elle descend, dit-il, d'illustres Castillans, en tout cas la race
a bien dégénéré à Paris, car le sieur Camargo, son père, n'a
jamais été recommandable que dans les guinguettes aux environs
de Paris où il allait racler du violon pendant la belle saison; et^
depuis la fortune de sa ûlle, il a continué à exercer son talent
aux bals de l'Opéra et même dans de moins brillantes assem-
blées ».
Cette mauvaise langue de policier habille de la belle façon la
silhouette de la danseuse : « elle a une figure laide et ingrate que
fait -oublier son talent». Meusnier n'est guère plus indulgent
pour les amis de la Camargo. Le Prince de Melun, dernier du
nom, fut, parait-il, le premier vainqueur de la belle ; puis le
comte de Clermont, le maréchal de Richelieu, le marquis de
Sourdis, pour qui elle renouvelle en 1742 le sacriiice qu'Adrienne
Lecouvreur avait consenti à Maurice de Saxe. La Camargo
engagea ses bijoux pour permettre à Sourdis de monter ses équi-
pages de campagne. Ce fut le 6 mars 1751 qu'elle demanda sa
retraite, à la suite d'un outrage que lui fit essuyer le public,
jusqu'alors idolâtre. Si les calculs de Meusnier sont exacts, la
Camargo s'était retirée avec douze mille livres de rente ; elle en
eût même possédé dix-huit mille sans la Leduc, qui empêcha le
comte de Clermont de lui continuer la pension de six mille livres
qu'il lui avait accordée en la quittant.
La Camargo demeurait alors rue et porte Saint-Honoré, près
du boulevard; son frère Cupis à la Nouvelle France, rue Belle-
fonds. Depuis il alla s'établir à Montreuil, où, suivant les
Mémoires raisonnes de Lefevre de Beauvray, il gagna une jolie
fortune à cultiver et à vendre des pêches.
M"" Carville, que nous avons vu partager avec la Carton les
soupers fins de sa camarade Coupée de l'Opéra, était désignée,
nous l'avons dit, sur cette scène, sous le surnom de la Dinde.
Elle le méritait à plus d'un titre. Elle n'avait pas seulement ce
genre d'esprit particulier, auquel fait involontairement penser
-un sobriquet si fort à la mode aujourd'hui ; elle rappelait encore
par sa taille, sa démarche, sa grasse et blanche carnation de
blonde aux formes opulentes, le gallinacé que les forains font
'parfois danser sur des plaques de tôle rougies au feu. Carville
n'avait pas quinze ans qu'elle débutait à l'Opéra de Rouen. Elle
s'y distingua beaucoup plus par. ses aventures galantes que par
son talent. A Lyon, elle s'avisa de tenir une maison de jeu et dut
payer de ce fait une amende de mille écus. Meusnier signale la
"présence de la danseuse à l'Opéra en 1755. C'était à peu près
l'époque où le grand Dupré, l'amant de la Carville, allait prendre
sa retraite.
Le Journal de la Cour et de la Ville s'enthousiasme pour la danse
d'une iîlle de la Mariette, comme il s'est engoué du chant de
M"" Antheaume. Son nouveau petit prodige « réunit le feu de la
Mariette, la grâce de la Salle et la légèreté de la Camargo ». Ce
fut une révélation quand elle dansa dans le Tambourin de la
Provençale. Nous ne voyons pas qu'elle ait jamais tenu les pro-
messes de son panégj'riste et nous croyons plus facilement avec
lui qu'elle consola le prince de Conti des inlîdélilés de la Rabon,
une autre ballerine dont les exploits de toute nature termineront
notre étude sur les artistes de la première moitié du XYIII" siècle.
Mais avant, donnons un souvenir à M"° Amédée, la danseuse de
l'Opéra, en nous reportant aux croquis laissés par Meusnier et
Dufort de Cheverny.
« On la dit la meilleure fille du monde, écrit le Crozier du
temps, elle est sans souds... » un jeu de mots, par parenthèse
assez mauvais, que se permet notre auteur, pour nous faire
savoir que la « ravissante » Amédée avait perdu ses sourcils et
qu'elle s'en dessinait de superbes avec un pinceau. Meusnier a
relevé également ce même détail dans le portrait de « cette petite
brune aux grands yeux noirs », à la bouche si joliment meublée,
aux « sourdis postiches » .
Elle avait pour ami un admirateur bien gênant... sur le
théâtre : c'était un maréchal de camp, le duc d'Olonne, grand
garçon de 35 ans, blondasse et si fort épris de sa belle qu'il ne
manquait pas un opéra et ne quittait plus les coulisses. Il avait
loué à l'intention de M"'-' Amédée une petite maison rue des
Amandiers.
— « Voir le dossier des petites maisons, feuille du
i" août 1749 », écrit Berryer, le lieutenant de police, qui raffole
de ces notules sur les rapports de ses inspecteurs.
Pour couper court au scandale, le Roi avait e.xilé, paraît-il,
le duc d'Olonne dans ses terres, et la famille avait fait enfermer
la danseuse à Sainte-Pélagie.
Rigueurs superflues, le duc était ruiné, Amédée s'éclipsa dans
une pirouette. Le chevalier Clermont d'Amboise, le philosophe
Helvétius, lui rendirent un peu de lustre. Puis elle courut le
monde; elle était à Londres en 1752 et à Prague en 1754. Elle
sacrifia au prince de Monaco le gros baron allemand qui l'avait
emmenée en voyage pendant que les créanciers de la danseuse
faisaient apposer les scellés sur son appartement. Dufort de
Cheverny affirrhait que le duc de Cumberland l'avait enlevée à
la France, mais qu'elle était restée définitivement à Londres, où
elle vivait presque dans le luxe.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Odéon. Pour l'amour! drame en 4 actes, en vers, de M. Auguste Dorcbain. —
Vaudeville. La Course du Flambeau, pièce en 4 actes, de M. Paul Hervieu.
— Gymnase. 20.000 âmes, pièce en 3 actes, de M. l'ranc-Nohain; la Joie du
Talion, comédie en 1 acte, de MM. F. Bloch et L. Schneider.
Comme par hasard, messieurs nos directeurs parisiens viennent, une
fois de plus, de se donner le mot pour changer lem's affiches tous à la
fois. Tiraillés de droite et de gauche, olîligés de sauter du drame au
vaudeville, sollicités par le vers et par la prose, nous ferons en sorte de
ne point trop se laisser embrouiller nos impressions fugitivement variées
et de dissimuler autant que possible une lassitude qui n'aurait pour-
tant rien que de fort naturel. Cette semaine nous occupera suffisamment
avec l'Odéon, le Vaudeville et le Gymnase, la prochaine se réservant
Cluny, l'Athénée, les Nouveautés, etc., et l'imprévu.
A l'Odéon, drame en vers de M. Auguste Dorchain qui, on le sait de
reste, compte parmi les tout premiers de nos parnassiens modernes,
drame d'amour, de passion et de vengeance, dont l'idée a ét(' empruntée
à Lope de Vega et qui met aux prises un père et un fils épris d'une
même femme. La donnée servit, il n'y a pas bien longtemps, pour le
Duc de Ferrare, de MM. Paul Milliet et Georges Marty, et M. Dorchain
s'en est assimilé l'esprit non sans adresse scénique. Le public du second
Théâtre-Français a accueilli Pour ï amour! avec des bravos répétés.
C'est que vraiment elle est exquise, la langue du jeune poète, et que les
qualités de forme, d'élégance, de correction, d'émotiou, qui firent le
succès de Conle d'Avril, se retrouvent toutes ici. Oh! les jolis couplets
qui émaillent printanièrement les quatre actes de cette histoire
plutôt lugubre. Oh ! le merveilleux duo d'amour du troisième acte !
Divine et idéale musique de poète qui semble appeler la musique du
musicien.
La troupe de l'Odéon a joué Pour l'amour! un peu trop honnêtement,
un peu trop bourgeoisement; il manque là la fantaisie ailée, la jeunesse
ardente et la passion communicative qu'il n'y avait pourtant qu'à puiser
largement dans des vers chantant tout seuls. De l'interprétation
nombreuse, il n'y a guère à louer que M"' Franquet, de douce et liar-
monieuse diction, encore que d'organe bien faible, qu'à signaler M. de
Max, dont les élans assez grandiloquents suffisent à peine à faire par-
donner fhorrîpilant et mièvre maniérisme, et, pour faire la part très
large, qu'à mentionner M. Dorival, de tenue correcte, M"° Dalti, de
silhouette jolie, M. Daumerie et M"» Rabuteau, d'enfantine gaminerie.
Au Vaudeville, pièce « d'idée » de M. Paul Hervieu. Sont-ce les
parents qui doivent, dans la vie, se sacrifier pour leurs enfants, ou sont-
ce, au contraire, les enfants :i qui incombe la responsabilité du bonheur
pour ceux qui les firent naître? M. Hervieu pense que les lois dénature
veulent que ce soient les vieux qui se dévouent aux jeunes et, pendant
LE MÉNESTREL
123
quatre actes de tortui'aiite et pénible analyse, il essaie de nous le prou-
ver. La pièce de M. Hervieu est loin, bien entendu, d'être indifférente;
■mais les nerfs y sdnt si abusivement soumis à une continuelle et excessive
souffrance, que l'intérêt en est sensiblement diminué; l'idée élue,
M. Hervieu la développe et la pousse jusqu'en ses extrêmes limites avec
une opiniâtreté, une volonté, une rigidité qui ne craignent en route
aucun obstacle et qui n'entendent s'effaroucher ni de l'horrible, ni du
brutal, ni même de l'invraisemblable. Et c'est ici qu'on pourrait le
plus justement chicaner l'auteur, car enfin, les êtres qu'il veut nous
imposer comme des généralités ne sont très certainement que des
exceptions et de monstrueuses exceptions. Où donc l'auteur de la Course
du flambeau, un titre symbolique et de très documentaire et savante
érudition, emprunté à un rite de l'Athènes antique, où donc a-t-il connu
l'effrayante famille qu'il nous présente? Où donc a-t-il rencontré, sous
un même toit, une femme qui consent à tuer sa mère pour essayer
de guérir sa propre fille, une grand'mére qui se refuse à sauver les siens
du déshonneur, une fillette qui, minute par minute, martyrise égoïste-
ment, froidement et systématiquement une maman de trop de dévoue-
ment? Trois individus de complète et outranciére exception, vous dis-
je, de si complète exception même qu'ils en sont totalement irréels,
surtout groupés ainsi ensemble et groupés dans le milieu bourgeois,
honnête, aisé, uni, où l'auteur les a murés. M. Hervieu qui, jusqu'à
présent, nous avait habitués à beaucoup d'àpreté et de rude logique dans
les thèses curieuses qu'il porte au théâtre, semble, cette fois, avoir de
beaucoup dépassé le but â atteindre.
La Course du Flambeau est merveilleusement jouée par M"' Réjane,
la maman, qui, au dernier acte, a trouvé des accents de déchirante
émotion qui ont secoué tous les spectateiu-s malgré l'angoissant malaise
qui pesait sur eux, et par M"" Daynes-Grassot, la grand'mére, qui, en
jouant très simplement, très humainement, s'est révélée comédienne
supérieure en un rôle de comédie uniquement dramatique. MM. Lô-
rand, Dubosc, s'embarrassant d'un inutile accent exotique, Nertann,
M"° Bernou, dans le personnage difficile et énervant de la jeune per-
sonne cruellement égoïste, sont à la tête d'un excellent ensemble.
Au Gymnase, très grosse erreur de M. Franc-Nohain qui a voulu,
sans doute, nous gratifier d'une étude de mœurs de province et ne nous
a donné qu'un vaudeville très quelconque, d'un extraordinaire décousu
et d'une fantaisie inquiétante, digne tout au plus d'un vague et lointain
Déjazet. N'attendez pas qu'on vous raconte pourquoi la nouvelle sous-
préfète de la petite ville, où la folie sévit, est prise pour une horizontale
parisienne accourue afin de vitrioler l'ami qui l'a lâchée en vue d'un
riche mariage, qu'on essaie de vous analyser le personnage symbolicpie
et fumiste d'un anarchiste par persuasion, ou qu'on vous dise les admi-
nistratives raisons poussant l'inspecteur de police â aspirer â une giffle
qui lui causera de l'avancement. De tout cela, malgré l'amputation du
dernier acte opérée radicalement et, peut-être, désespérément, dès hier,
vous n'entendrez vraisemblablement plus parler d'ici peu de jours; inu-
tile donc d'insistersi ce n'est pour souhaiter â M. Franc-Nohain une
prompte revanche de ses 20.000 âmes et â ses interprètes, terriblement
désorientés, de prochains rôles dont ils pourront faire quelque chose.
Le spectacle commence par un petit acte amusant, la Joie du Talion,
de MM. Ferdinand Bloch et Louis Schneider. C'est l'histoire d'un mari
très moderne et très rosse qui, posément, cyniquement, force celui qui
a détourné sa propre femme de ses devoirs conjugaux â devenir son
légitime, se réservant pour lui-même, plus tard, la place de larron.
M. Arquillière, M"" Jousset et M. Frèdal animent agréablement ce
tableautin de mœurs ultra-modernes.
Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE ET LES SPECTACLES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900
LES rAKORAMAS, LES DIORAMAS... ET LE RESTE
(Suite.)
Passons au Sléréorama mouvant, qui nous faisait voyager aussi sur
la Méditerranée et qui, pour être de moindres proportions, n'en était
pas moins charmant et foi't intéressant. Il était installé dans un beau
bâtiment de style mauresque qui faisait honneur au talent de M. Albert
Ballu. C'était aussi un panorama mouvant et d'un genre particulier,
qui, par un ensemble de toiles, de reliefs réels, de plans mécaniques et
de trucs divers, donnait au vrai l'illusion de la nature et du mouve-
ment. Parti de la rade de Bône, on voyait successivement le golfe gran-
diose de Bougie, le cap Carbon, le port d'Alger avec l'escadre de la
Méditerranée, et après avoir longé toute la côté algérienne, on arrivait
à Oran au coucher du soleil. Ce panorama était l'œuvre de MM. Fran-
covich et Gadan.
Nous en avons d'autres encore, et d'abord le Panorama Transsibé-
rien de l'exposition russe, mouvant aussi, qui nous transporte aussi,
confortablement assis dans un des admirables wagons de la Compagnie
des 'Wagons-Lits, à travers toute la Sibérie, de Moscou à Pékin, bien
que la dernière partie de la Hgne, celle d'Irkoutsk à Pékin, ne doive
être terminée qu'en 1903 (?). Ici le diorama, peint d'après nature par
MM. Jambon et Bailly, se compose de trois toiles qui se déplacent
parallèlement au sens du train avec des vitesses variables, suivant
Cfu' apparaissent à la vue les premiers, seconds ou derniers plans de la
contrée parcourue. Montée sur des rouleaux mus par l'électricité (par
un système semblable à celui des rampes mobiles de l'Exposition), la
première toile, représentant le ballast et les poteaux télégraphiques, se
déroule â raison de cinq mètres par seconde ; la seconde, montrant les
arbres à une vingtaine de mètres de la voie, marche un peu plus lente-
ment et précède la dernière, de huit mètres de haut, qui ne se déplace
plus qu'avec une vitesse initiale presque imperceptible. L'illusion
d'optique est absolument complète, et elle semble augmentée encore
par le mouvement de trépidation ingénieusement imprimé a,u wagon.
Et le grand panorama du Mont Blanc, au Club Alpin, avec les six
dioramas qui lui faisaient escorte, et le panorama grandiose des Alpes
bernoises, à l'extrémité du Village Suisse, œuvre de MM. Baud-Bovy,
Burnaud et Furet, et le joli Panorama Saharien de MM. Gilbert Gal-
land et Maxime Noire, et le superbe diorama du Palais des armées de
terre et de mer, de M. Ludovic Durand, et la très belle série de diora-
mas peints par M. Dumoulin et placée dans les sous-sols de l'exposition
de rindo-Chine, et encore — car il y en avait vraiment partout — le
gentil diorama du pavillon des vins de Champagne, peint par M.
Deconchy, les deux jolis petits dioramas qui faisaient la joie des visi-
teurs du charmant pavillon de la Suède (représentant l'un une Nuit
d'/w'ucr, l'autre une Nuit delà Saint- Jean a Stockholm ),i}emls parM.Tiden,
celui du pavillon de la Bosnie, qui offrait une fort belle vue de Sera-
jewo, celui de Monte-Carlo, peint par M. Olive, et le diorama de Saint-
Pierre et Miquelon, et celui de Mayotte, dont l'auteui- est MM. Marsac,
et celui de la côte des Somalis, dû à M. d'Estienne!..
Et les cinématographes, si curieux généralement, qui peut se vanter
de les avoir vus tous, bien que tous pourtant fussent gratuits? Le ciné-
matographe géant de la salle des Fêtes, le cinématographe souterrain
de l'exposition da Cambodge, avec ses vues animées de l'Indo-Chine,
celui de la Ville de Paris, avec ses scènes intéressantes de la vie sco-
laire, celui du pavillon de Monaco, celui du Champagne Mercier, que
sais-je?
Que de choses, que de spectacles de divers genres seraient à men-
tionner et à décrire encore, si l'on voulait être complet? mais un
volume n'y suffirait pas. Analysez donc les merveilles multiples que
prodiguaient â vos yeux éblouis cet étonnant Palais de l'Optique, et
dont la plus étonnante n'était certes pas la fameuse « lune à un mètre»,
enseigne inférieure à tout ce qu'elle couvrait. Retracez donc le spec-
tacle si curieux qui vous attirait au Grand Aquarium, avec ses plon-
geurs, ses plongeuses, ses scaphandriers et ses sirènes, et celui que vous
offrait le Monde souterrain! Rappelez-vous les jeux lumineux féeriques
du Palais des illusions, les curiosités de l'e.xposition minière, avec la
descente dans la mine, la promenade des mineurs la lampe au chapeau,
les chantiers d'extraction, les machines en mouvement, et les émotions
relatives du Ballon Cinéorama, et les élégances du joli Palais lumineux
Ponsin...
Je ne saurais parler de ce que je n'ai pu voir : le Théâtre géant
Columbia et ses centaines de ballerins et ballerines, le Combat naval et
ses grandes joutes nautiques, Paris en 1400, qu'on appelait aussi la Cour
des Miracles et qui, comme le Vieux Paris du Cours-la-Reine, était une
reconstitution moyen-âge, avec tournois, cortèges royaux, fêtes popu-
laires et pittoresques, etc. Ceux-là, moins habiles, ou simplement moins
heureux que d'autres, éprouvèrent assez rapidement des malheurs et
périrent avant le temps.
Je n'ai fait que passer, ils n'étaient déjà plus.
D'autres ne m'ont inspiré, je l'avoue, qu'une médiocre sympathie.
Tel le Globe céleste, que je considère comme une immense mystification
ou, si l'on aime mieux, comme une erreur colossale ; telle encore la
Grande Roue, dont la vue me fut toujours désagréable, en raison de
son horrible caractère esthétique, car il était difBcile d'imaginer quel-
que chose de plus barbare au point de vue de l'art. Et puis, pour celle-ci
AM
LE MÉNESTREL
j'étais méfiant, parce qu'on m'avait racontL- l'aventure, à Chicago, d'un
voyageur candide qui, trompé par les assurances de sécurité qu'on pro-
diguait au public, avait failli être victime de sa bénévolence. Il avait
pris place, sans arrière-pensée dans une des ^•oitures de ladite roue et.
une fois bien installé, avait commencé son voyage circulaire et aérien,
lorsque tout à coup, comme il se trouvait juste au sommet du mobile
édifice, c'est-à-dire à quelque cent mètres au-dessus du niveau de la
terre, celui-ci perdit subitement sa mobilité. Un arrêt s'était produit
dans le fonctionnement de l'appareil, qui refusait obstinément de mar-
cher, autrement dit de tourner. On crut d'abord à peu de chose, mais
c'était plus grave qu'on ne le pensait, et malgré tous les efforts, ce ne
fut qu'au bout de dix-huit heures d'un travail opiniâtre qu'on put
retrouver la régularité du mécanisme et remettre enfm la machine en
mouvement. Or, voyez-vous d'ici la tète du monsieur perché là-haut
là-haut, ne sachant ce qu'il allait devenir, se demandant s'il n'était pas
destiné à tomber pile ou face à un moment donné, n'ayant pas l'agilité
du gorille pour essayer d'opérer seul une descente vertigineuse, avec
cela tourmenté de naturels tiraillements d'estomac et réfléchissant, à
l'aurore de la dis-huitieme heure, qu'il y avait longtemps déjà que ça
avait commencé, et qu'il n'y avait pas de raison pour que ça finisse !...
Rien que de penser qu'on peut se mettre dans une telle situation, j'en
ai fi-oid dans le dos. Et vous ?
Je n'ai plus à mentionner maintenant, et d'une façon sommaire, que
quelques petits spectacles d'une importance très secondaire, qui com-
plétaient cependant l'ensemble des c attractions » de l'Exposition. L'un .
des plus agréables, et qui ne fut pas l'un des moins fréquentés, était le
gentil petit Théâtre électrique américain qu'on trouvait à l'entrée de
l'Esplanade des Invalides, tout près du pont Alexandre III. C'était des
fantoches, à l'imitation des bonshommes Holden, très adroits, très amu-
sants et très comiques, qui faisaient la joie des enfants et qui n'en-
nuyaient nullement les grandes personnes. II y avait aussi, au pavillon
de la Perse, un certain Théâtre asiatique où l'on vous présentait une
« Fée aérienne » qui ne laissait pas que d'être assez extraordinaire.
C'était une jeune femme, fort jolie, hypnotisée par son barnuni, —
lequel donnait ses explications en anglais — qui exécutait d'abord toutes
sortes de mouvements de poupée à ressort, puis ensuite, après avoir
trottiné sur un escabeau très étroit, s'élevait tout doucement de terre et,
soit verticalement, soit horizontalement, se mettait à tournoyer dans le
vide, à évoluer, à voleter comme un oiseau tout autour du susdit bar-
num, en des poses gracieuses et charmantes. A l'aide de quel truc ingé-
nieux ce miracle apparent s'opérait-il'? je ne saurais le dire. Toujours
est-il que le spectacle était aimable et curieux. J'ignore d'ailleurs s'il a
fait fortune.
Il y avait encore, au pavillon Ottoman, outre un orchestre d'auto-
mates vraiment original, dont le chef, au bruit des applaudissements
qui accueillaient la fin de chaque morceau, se tournait vers le public et
le saluait gravement, un théâtre dit des Mille et une Nuits, que je n'ai
pas vu, et 011 l'on prodiguait aux spectateurs de luxueuses danses orien-
tales (1). Je n'ai pas vu non plus la loge de « la belle Fatma », qu'on
trouvait au Ghamp-de-Mars, non loin du Palais de l'Optique. Celle-là,
j'y avais été pincé en 1889 et cela me sufiisait, d'autant que onze années
nouvellement accumulées sur son beau front n'avaient pu que lui enle-
ver une partie de sa fraîcheur première. Je n'ai pas vu davantage, au
Trocadéro, en face le palais algérien, le spectacle intitulé les Trésors de
Bou Amama, où les amateurs pouvaient contempler « la Grotte mysté-
rieuse 1) et « la Cascade d'or ». Mais je trouve que j'en ai assez admiré
pour ma part, et je confesse que cette abstention ne me laisse aucun
regret. En fait, je puis me flatter — s'il y a de quoi — d'avoir visité
tout ce qu'il y avait à voir, en fait de spectacles quelconques, jusque
dans les coins les plus reculés de l'enceinte de l'Exposition. Je me suis
efforcé de les faire connaître ici dans tous leurs détails, et à défaut d'au-
tre qualité, la petite promenade quasi artistique dont je termine en ce
moment le récit, a du moins celle d'être exacte et complète.
FIN
AnillUlt PHUGIN'.
(Ij Très curieux, cet orcheslied'auLornales, qui coiiiprenaii, avec le cher, un piano, ud
violon, une contrebasse, une glande ilùte, un piccolu, une clarinette, un trombone, une
cithare, une grosse caisse avec cymbales, une pelilc caisse et un triangle. Placés sur une
estrade, tous étaient vêtus unil'ormément; robe de soie jaune, riclie et longue, recouverte
d'une sorte de manteaa de velours cramoisi, turban or et rouge. Les mouvements de
cbaquc musicien étaient d'une exactitude étounanle. Le chef, qui conduisait debout, por-
tait une robe blanclie avec le manteau bleu. Après le premier morceau d'orchestre, le
flûtiste se levait, saluait, exécutait un solo, puis reprenait sa place.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
o "u. r ë; o
(Suile.)
LA SUCHE
Le Bourguignon est gai par nature ; aussi la Bourgogne est-elle un
des pays où l'on fête le plus joyeusement la Nocl.
Dans plusieurs villes, les hautbois de l'A vent, les Aivan, au.xquels se
joignent d'autres musiciens, parcourent les rues en faisant grand va-
carme les quatre dimanches qui précèdent le saint jour, de neuf heures
du soir à minuit. L'avant-veille les enfants de chœur vont, au son des
crécelles, appelées, selon la contrée , parterelles, naquelles ou craloltcs,
quêter à domicile et recueillir ce qu'ils appellent leur roulée, c'est-à-dire
des œufs, des noix, des sous; on leur fait chanter un 0 Saluturis, puis
ils donnent la croix à baiser aux gens du logis et s'éloignent aux accents
de YO Crux, ave. Enfin, toute la semaine on a chanté à la veillée des
Noèls, de ces bons Noéls « pour chanter au foyer », comme dit Pierre
Dupont, et l'on a coiité dus histoires :
Dans les récits de la plus vieille
La jeune [net son grain de sel.
Les heures joyeuses s'écoulent ainsi. Enfin le grand soir est venu, le
soir de la Suche, chère à tout bon Bourguignon.
La Suche, lai Suche de Noei, c'est la bûche traditionnelle. Lorsqu'on
l'allume, le père de faïuille, sa femme, les enfants chantent solennelle-
ment un Noél, taudis que les plus petits, envoyés dans un coin, prient
Dieu pour que la suche 2J.... (,'es 6o«6o«.s.
Ce Noèl-là, c'est le Noél d'invocation, le Noél qu'on ne débite qu'en
cette occasion. Chaque partie de la Bourgogne a le sien. Voici, en subs-
tance, celui qui se chante dans l'Auxerrois :
Joseph, qui habite Nazareth, apprend, en allant porter de l'ouvrage
de charpenterie, qu'il va être procédé au dénombrement de la popula-
tion. Cette nouvelle le chagrine, car, étant de la race de David, il va lui
falloir se transporter dans la ville de ce roi, Bethléem, pour se faire re-
censer. Mais il faut s'y résigner: L'empereur en a fait une ordonnance qui
fait peur.
A son retour, il annonce ce voyage déplaisant à sou épouse. On par-
tira donc le lendemain au point du jour. Je prendrai, dit Joseph,
... les instruments
De mon métier,
Les outils, les ferrements
De charpentier
Pour y gagner notre vie:
Car je crois
Qae nous y serons, Mai'ie,
Plus d'un mois.
Chemin faisant, pour atténuer les fatigues de la route, nos voyageurs
échangent des récits de la Bible. On ruisseau, qui coule d'une [ontainc de
belle eau, leur inspire un cantique de louanges dans lequel ils célèbrent
les délices du paradis terrestre, déplorant la faiblesse qu'ont eue nos pre-
miers parents de goûter aux fruits de l'arbre défendu. Marie, cependant,
s'en console; car, dit-elle,
... De ce malheur
Dieu sait tirer notre bonheur,
Me faisant mère du Sauveui-,
Jésus-Clirist, notre rédemiiteur.
A Bethléem, les soucis du logement commencent. Nous les avons
déjà vus en Anjou. Dans l'Auxerrois ils s'annoncent aussi déconcer-
tants. Joseph reçoit plusieurs rebuffades, motivées par son apparence
misérable. Désespérant de trouver un abri, les voyageurs s'en remettent
à la Providence. Celle-ci se présente sous les traits d'une femme, qui
prend le frais sur sa porte :
— Madame, a\ant que de l'ei-mir,
Donnez-nous de la chandelle :
Il nous en faut allumer
Pour passer cette ruelle.
Combien la vendez-vous ?
N'est-ce pas cinq ou six sous ?
— C'est un prix fuit t[ue six sous,
Sans en rubaUre une obole.
Je la vends autant à tous.
Je vous donne ma parole.
Mais c|ue cherchez-vous ïi tai-d?
LE MENESTREL
125
— Je cherche un bon logement
Pour mettre à couvert ma femme
Pour cette nuit seulement.
N'en sauriez-vous point, madame ?
La brave femme, prise de compassion, indique aux voyageurs une
grotte oti ils pourront se reposer. Elle leur fait même cadeau do la chan-
delle et d'un petit fagot, pour se réchauffer. Ils arrivent à leur refuge.
— C'est le lieu que nous cherchons. Dieu sera noire hôte, dit Joseph ; mais
je crains que cet endroit pour la nuit ne soit trop froid. — // est fort con-
venable, répond Marie, rendons grâce à Dieu. Et elle se met en devoir
d'accommoder quelque pauvre petit lieu pour mettre son fils coucher, car
elle sent qu'elle va le mettre au monde.
— ...Il faut donc, madame,
Que je coure promptement
Chercher une sage- femme.
Je reviens en un moment;
J'ai remarqué tout exprès
Une enseigne ici fort près.
- Inutile, fait observer Marie.
Elle accouchera sans tourment, sans tranchées, sans douleurs; on n'en-
tendra pas ses pleurs. — Ainsi dit, ainsi fait. A peine le Messie est-il né
qu'une troupe d'anges, faisant retentir les airs de mille charmants concerts,
vient joindre son allégresse à celle de Joseph et de Marie.
Puis arrivent des bergers et des bergères. Les premiers offrent des
prjsenls : un pot de beurre, un pot de lait, — le beurre doit être admi-
rable, car il ne vient que d'être fait; un panier d'œufs, une poule et un
beau fromage, — les œufs marqués sont frais pondus; un gros pain tendre
et un bel agneau, avec un petit pigeonneau. Quant aux bergères, elles
montrent peu d'enthousiasme. Elles sont incrédules. Cependant elles
manifestent à Joseph, qui se lient â l'entrée de la grotte, le désir de faire
leur révérence au bon Sauveur, qui, leur a-t-on dit, sortant d'un humble
et chaste sein, pour elles a pris naissance. Le charpentier leur fait avec
empressement les honneurs de la grotte :
— Vous ne vous trompez pas, mesdames,
Veïïez, entrez, mes honnes âmes,
Vous pouvez, avec liberté,
Saluer l'enfant et la mère;
L'enfant n'a que Dieu seul pour péi-e,
11 est de toute éternité.
La troupe des bergères entre dans la grolte. Là, leur scepticisme se
dissipe peu à peu sous les judicieuses réponses de la Vierge à leurs
questions. Alors, pour ne rien perdre de leur temps et de leur curio-
sité, elles font subir â Joseph, au sujet des perplexités qu'il dut éprouver
en voyant que sa femme allait devenir mère, des demandes d'une indis-
crétion telle, que l'auteur dont nous tenons ce Noël, M. Charles Moiset,
se refuse, par respect pour ses coUi^'gues de la Société des sciences histo-
riques de l'Yonne, à s'en faire l'écho.
C'est ensuite au tour de Maiie de subir un examen en règle. Sa pudeur
est soumise à un rude assaut ; mais elle ne s'en montre point autrement
effarouchée. Nos pères avaient de ces audaces ; elles leur semblaient
naturelles. Comme exemple, nous aurions voulu parler d'un Noël, éga-
lement auxerrois, sur la circoncision, mais il est, parait-il, d'un tel
réalisme, « qu'il est interdit do s'y arrêter ».
Le Noôl de la Sache fini, on gagne l'heure de minuit en mangeant
des foisses, sorte de petit pain souillé qu'on ne cuit qu'à Noèl. et en tour-
nant des crêpes, le tout arrosé de vin chauffé à mémo le choupignot, ou
pichet. Puis, au premier tintement de la cloche lointaine, chacun se
lève et prend son falot :
Garçons joufllus, que l'on s'empresse.
Tout frais rasés, vêtus de drap ;
Filles en blanc, vile à la messe !
Une étoile vous guidera.
Autrefois, dans toute la Bourgogne, la messe de minuit constituait un
véritable spectacle. A la pompe religieuse venait se joindre le divertis-
sement des Intermèdes. Le thème en était généralement la présentation,
à l'offrande, d'un agneau, qui restait la propriété du curé. Bergers et
bergères s'avançaient en deux groupes, les premiers claquant du fouet
pour pousser en avant leurs chiens, qui, dépaysés dans ce milieu de lu-
mière et d'encens, aboyaient furieusement ; les jeunes filles agitant
gracieusement leurs houlettes et leurs quenouilles fastueusement parées
de ileurs et de rubans. Des joueurs de cornemuse les accompagnaient,
faisant entendre des airs profanes qui contrastaient étrangement avec la
majesté du lieu. A Seignelay, à Thorigny, à Sergines, il y avait mieux.
La marche à l'autel s'accomplissait sur des pas de danse; le premier
berger, qui portait l'agneau, le faisait bêler en lui pinçant la queue; il
s'avançait en se dandinant du corps et des jambes, flanqué de deux ber-
gères, dont l'une tenait à bras tendus, avec des gestes d'aimée, lo pain
bénit, et dont l'autre agitait gracieusement l'arbre de Noël consistant
en un beau houx garni de ses baies rouges et illuminé de petites bougies.
Au retour, c'est le réveillon, gai comme le reste. Au milieu du festin,
on souffle le charbon. C'est une vieille coutume, afférente à tout repas de
fête, et à laquelle le Bourguignon ne renoncerait pas facilement. Au-
dessus de la table, le maître du logis a suspendu à un fil de fer un
charbon embrasé sur lequel les assistants soufflent à tour de rôle, cha-
cun s'efforçant de l'envoyer sur la figure de son vis-à-vis, lequel se
défend de la belle façon en cherchant à en faire autant. Celui qui man-
que de souffle est honni... Et de rire !
Puis, les chants reprennent de plus belle, et pour longtemps encore,
car le réveillon dure, en général, jusqu'à la Messe du point du jour. —
Des Noëls toujours, car on ne chante guère autre chose cette nuit-là, —
des Noëls religieux, des Noëls fantaisistes, des Noëls salés, comme ceux
que nous avons indiqués, et surtout le plus populaire des Noëls bour-
guignons: celui du Parrain Biaise, qm fera l'objet du prochain chapitre.
(A suivre.) ' Edmond Neukomm.
NOLT^^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (18 avril) :
On ne reprochera inertes pas à MM. Kafferatli et Guidé, wagnéristes déler-
miués, et qui passaient même pour intransigeants, d'avoir gorgé de Wagner
le public de la Monnaie pendant le cours de leur première année directo-
riale ! Tristan cl heull a été la seule œuvre du maître montée par eux pendant
les premiers mois, et voici seulement, tout à la fia de la saison, qu'ils en
lancent une seconde, la Valkyrie... Si un simple Calabresi, à la tète du
théâtre, eût agi ainsi, on l'aurait certainement voué aux dieux infernaux. Il
est juste de dire que les soins attentifs et le souci artistique ont été prodigués
à ces deux liellos partitions. On sait le succès do la première, au mois
d'octobre ; le succès de la seconde, qui date d'hier, a été également fort
honorable. M. Seguin (Wolan)y a été pour beaucoup, grâce à son admirable
autorité d'artiste, et M""^ Litvinne et Paquot, ainsi que M""*^ Bastien, qui
débutait dans le rôle de Fricka, ont été remarquables ù plus d'un titre;
rarement on vit un phis bel ensemble de voix; le ténor, M. Dalmorès, a seul
laissé â désirer. Quant à l'orchestre, s'il n'a pas fait oublier la chaude et
enveloppante interprétation du regretté Joseph D.ipont, il n'en a pas moins
été, sous la direction de M. Sylvain Dupuis, très satisfaisant. La Valkyrie,
chantée dans la version macaque de feu Ernst, aura été le dernier spectacle
nouveau de la saison. Il est question cependant de donner peut-être aussi
Carmen, avec M"= Maubourg, qui brûle de s'y essayer. Quoi qu'il en soit,
à peine fermée, la Monnaie se rouvrira aussitôt pour deux représentations
extraordinaires de Tristan et heull en allemand, qui seront conduites par
M. Mottl et qui auront pour interprètes MM. Van Dyck, Van Rooy et
Schwegler, M""'* Litvinne et Brema, — de vrais représentations « bayreu-
thieones ». Déjà on se dispute les places, portées naturellement à un [jrix
aussi élevé que le Walhale des dieux wagnériens.
A propos de Wagner, on m'apprend qu'à Anvers une curiosité tout à fait
originale se prépare pour l'an prochain; c'est une version delà Valkyrie en
flamand, que l'on donnerait au Ïhéàtre-Lyrique néerlandais... Wagner en
flamand ! voilà qui sera moins désagréable à coup sûr que le texte de Ernst.
fin traducteur y travaille actuellement, et l'on croit bien que M'"'' Cosima
l'approuvera sans hésitation. Et à propos d'Anvers, d'autre part, on m'ap-
prend que la nominaiion de M. JanBlockx comme directeur du Conservatoire
royal, en remplacement de feu Peter Benoit, e.=t en ce moment à la si£,nature
royale et sera bientôt ofTicielle. Voilà qui réjouira le monde artistique belge
tout entier. L. S.
— Malgré la nouveauté du genre qui l'a tout d'abord un peu surpris,' le
public de Milan a fait en somme excellent accueil à la Louise Je Charpentier,
qui a été représentée dimanche dernier au Ïhéàtre-Lyrique. Il y a eu des
rappels après chaque acte pour les artistes et le compositeur, qui conduisait
lui-même l'orchestre. L'interprétation a été fort louable surtout de la part de
M"=Balendi, qui a été superbe dans le rôle de Louise, et à laquelle on a bissé
le fameux air : Depuis le jour où. je me suis donnée. Mise eu scène trèsartistique.
Le tableau de Paris illuminé a produit un très gros ell'et. Malgré cela, la presse
est franchement hostile ; elle continue sa campagne contre ce qu'elle appelle
le « vérisme » dans les choses d'art, campagne qui avait commencé déjà lors
de la Xavarraise et de Sapho, ce qui n'a nullement empêché le succès de ces
deux œuvres en Italie. Il en sera de même pour Louise. Le public n'a pas
l'air de vouloir suivre l'opiniua de la critique milanaise. Nous avons, en elfet,
les meilleures nouvelles de la seconde représentation, qui a admirablement
marché devant une salle comble, au milieu irapplaudissements nourris et
chaleureux. Tous les journaux, si hostiles la veille, sont eux-mêmes obligés
de le constater, sans la moindre bonne giàce d'ailleurs. Il l'a bien fallu
devant les ovations enthousiastes qui ont salué le compositeur : «Quel triomphe
m
LE MENESTREL
pour le remarquable musicien, écrit le Secolo, et quelle satisfactiou pour ses
admirateurs, qui sont ceux de l'art libre, ainsi que doit être l'art vrai ! »
— On a organisé à Brescia, dans la salle Apollo, une intéressante exposi-
lion d'autographes et de souvenirs relatifs a Verdi, recueillis par un patient
collectionneur qui n'est autre que le ténor Francesco Pasini et réunis en
plusieurs vitrines dans un ordre logique. Dans la première se trouve tout ce
qui a rapport à la naissance de Verdi, à ses premières années, à ses amis;
dans la seconde les autographes d'éditeurs, d'iinprcswi etàe chefs d'orchestre;
de la troisième à la neuvième tout ce qui a trait aux divers ouvrages du
maître, comme portraits d'interprètes, autographes de librettistes, etc.; dans
la dixième les romances, les livrets, les opéras, les morceaux religieux, etc.
Enfin, dans la onzième, vingt lettres autographes inédites de Verdi datées de
1836, 37, 38. 39. 48, 49. 62, 66, 89. 92, 96, 99, 1900, trois portraits signés par
lui, un autographe écrit dans le cabinet d'attente de la direction du théâtre
impérial de Vienne le S juillet 1873. avec le bulletin des répétitions d'Aida
et de la messe de Requiem, des annotations relatives à la messe de Requiem
que Verdi avait proposée en l'honneur de Kossini, douze cartes de visite avec
souhaits et remerciements, etc. En somme, toute une série de documents
intéressants et précieux.
— La commission du Reichstag allemand qui examine actuellement le
nouveau projet de loi sur le « droit d'auteur » vient de prendre une excel-
lente décision. Le projet du gouvernement repoussait toute espèce de droit
d'auteur au sujet de la reproduction des compositions musicales par les
instruments mécaniques, et cela en se basant sur la convention de Berne et
sur la législation française elle-même. Or, plusieurs membres de la commis-
sion avaient eu l'idée de faire placer dans la salle des séances un piano muni
d'un appareil américain récemment inventé, le pianoia, et qui permet d'exé-
cuter, à l'aide de bandes de papier sur lesquelles sont gravés certains signes
de musique, tous les morceaux qu'on veut; la personne qui met en mouve-
ment le pianoia peut même, au moyen d'une pédale, varier l'intensité du son
et changer les mouvements, de telle sorte que les connaisseurs même les
plus exercés seraient bien en peine de distinguer cette reproduction méca-
nique d'une interprétation artistique par un excellent pianiste. Avant la séance
de la commission, le président fit donner une audition; on entendit du
Beethoven, du Chopin et du Liszt avec une perfection telle que plusieurs
membres de la commission, musiciens accomplis, se crurent dupes d'une
plaisanterie. C'était pourtant bien le pianoia qui avait joué mécaniquement.
L'e.xpérience fut décisive et la commission décida de soumettre aux droits
d'auteur les instruments mécaniques «qui permettent la reproduction parfaite
d'une composition musicale. » En même temps la commission a adressé au
chancelier de l'Empire une requête pour l'engager à négocier avec tous les
Etats qui ont signé la convention de Berne de 1886, afin d'y modifier les
articles qui concernent les instruments mécaniques. C'est un commencement
de satisfaction donné aux malheureux compositeurs dont les œuvres peuvent
actuellement être défigurées et mises au pillage par les fabricants et les vir-
tuoses d'orgues de Barbarie. Spolier les compositeurs pour nourrir la jolie
industrie des fabricants de boites à musique, comme on en fabrique en
Suisse, c'est l'application moderne du procédé de saint Crépin qui volait du
cuir aux riches pour pouvoir donner des souliers aux pauvres. Et les fabri-
cants en question n'ont même pas l'excuse d'être pauvres ; ils entendent
tout simplement s'enrichir aux frais des compositeurs de musique.
— La première représentation de Cendrillon, le ballet posthume de Johann
Strauss, aura lieu après-demain mardi à l'Opéra royal de Berlin. Ce ballet
a déjà été l'objet d'une intervention de l'empereur Guillaume. Le deuxième
acte, qui représente un bal masqué à l'Opéra de Vienne, avait été mis en
scène selon les principes du soi-disant « style moderne » qui sévit particu-
lièrement à Vienne et à Munich. Or, Guillaume n'aime pas ce style. Il a
donné ordre de changer complètement la mise en scène. Gela coûtera
fort cher, mais, après tout, c'est Guillaume II qui paie les déficits du
théâtre.
— — Les journaux de Berlin racontent que M. Leoncavallo a terminé son opéra
Roland de Berlin, dont il a écrit lui-même le livret en se servant d'un roman
de W. Alexis. La nouvelle œuvre sera représentée à l'Opéra royal au com-
mencement de la prochaine saison. Guillaume II a ordonné une mise en scène
somptueuse, et la distribution est confiée aux meilleurs artistes.
— On annonce de Berlin que le jeune kronprinz d'Allemagne, qui est,
déjà, parait-il, un bon violoniste et qui va se perfectionner dans son art à
l'université de Bonn, a écrit un joli morceau pour violon qu'il aurait récem-
ment joué avec succès devant Guillaume II, son père. Les éditeurs ne feront
certes pas défaut au jeune compositeur.
— Guillaume II vient de l'aire à son fidèle allié l'empereur François-Joseph
un cadeau assez singulier : il s'agit de quatre trompettes d'une nouvelle cons-
truction; elles sont plus grandes que les trompettes ordinaires et également
munies de pistons, mais leur pavillon est rectangulaire, affectant la forme
d'une gueule de dragon. Un hasard a voulu que ces trompettes fussent son-
nées pour la première fois à l'occasion de la visite que le kronprinz d'Alle-
magne, fils de Guillaume II, a faite à la cour de Vienne la semaine passée.
Selon l'usage, une soirée de gala devant un public d'invités eut lieu à l'Opéra
impérial et on y jouait le premier acte de. la Reine de Saba, de Goldmark,
avec une nouvelle mise en scène d'une richesse inouïe. Or, des hérauts arri-
vent au premier acte pour annoncer, par une joyeuse fanfare, l'arrivée de la
reine orientale, et ces hérauts étaient munis précisément delà nouvelle trom-
pette berlinoise. Il parait que l'effet fut splendide et que le sou surpasse de
beaucoup celui des trompettes ordinaires. Donc, les nouveaux instruments
serviront désormais à la musique de scène de l'Opéra de Vienne.
— Le comité pour l'érection d'un monument à Lanner et à Joseph Strauss
vient de célébrer le centième anniversaire de la naissance de Lanner, eu
déposant une superbe couronne sur son tombeau. M"'" Catheriue Lanner, la
fille septuagénaire du maîU'e de la valse viennoise, assistait à celte manifes-
tation. M"" Lanner a été première danseuse à l'Opéra de Vienne de 1845 à
1833; elle a ensuite déployé ses talents à Londres comme maîtresse de ballet.
Les scénarios de plusieurs divertissements chorégraphiques joués avec
succès dans cette dernière ville sont également dus à la fille du compositeur
viennois.
— Anton Dvorak, le célèbre compositeur tchèque, vient d'être nommé
membre à vie de la Chambre dés Seigneurs d'Autriche. C'est le premier
compositeur qui ait jamais été gratifié d'une dignité pareille ; car le Sénat
italien, dont Verdi fit partie, est beaucoup moins fermé, étant composé d'une
manière infiniment plus démocratique que la Chambre des pairs d'Autriche.
Cette nomination, qui a produit une vive sensation en Autriche, a naturelle-
ment quelque fondement politique à l'empereur François-Joseph devant se
rendre prochainement en Bohème et désirant s'y concilier le cœur des
Tchèques. Pour cela,il a conféré la même dignité à un poète Tchèque presque
inconnu en dehors de son propre pays. Tel n'est pas le cas assurément de
M. Dvorak, qui est le plus célèbre compositeur vivant de l'Autriche, puisque
M. Goldmark est de nationalité hongroise. Nous ne pouvons qu'applaudir à
cet acte qui honore si grandement le gouvernement autrichien; un self made
man qui a commencé sa carrière comme apprenti boucher et qui arrive à la
pairie par son talent et son labeur artistique, c'est vraiment d'un exemple
réconfortant. Quel progrès réalisé, même en Autriche, depuis un siècle! A la
Chambre des Seigneurs le compositeur sera l'égal du successeur de cet
archevêque de Salzbourg, qui avait la fâcheuse habitude de traiter Mozart
comme un simple valet. Et cependant, malgré tout son mérite, M. Dvorak
n'est pas le pair de Mozart.
— M. Cari Goldmark s'est retiré dans sa solitude de Gmunden (Haute-
Autriche) pour y terminer son nouvel opéra Goetz von Berlichingen, dont le
livret est imité du célèbre drame de Goethe. La nouvelle œuvre de M. Gold-
mark sera représentée à l'Opéra impérial de Vienne au cours de la prochaine
saison, probablement vers Noël 1901.
— Le journal Signale, de Leipzig, qui a changé de direction après la mort
de son fondateur si courtois, M. Bartholf Senff, adresse une véritable mercu-
riale à c( ces messieurs du Ménestrel » au sujet d'une note anodine dans laquelle
nous avons constaté que le répertoire lyrique français se maintient toujours
de l'autre côté du Rhin. Cette constatation semble avoir déplu à « ces mes-
sieurs du Signale »; ils ne peuvent nier pourtant les chiffres officiels que nous
avons empruntés à l'excellent Annuaire des théâtres allemands que la maison
Breitkopf et Haertel publie depuis quatre ans, mais ils nous reprochent
d'avoir « annexé à la France » plusieurs compositeurs étrangers. Pour
Meyerbeer, ces « messieurs » ne font aucune objection. Il n'en va pas de
même pour Cherubini, Rossini et Douizetti, Or, nous n'avons jamais prétendu
« annexer » ces compositeurs; nous avons seulement compté parmi les
œuvres lyriques « françaises » les Deux Journées, que les Allemands appellent
le Porteur d'eau (Der Wasseriraeger), Guillaume Tell et la Fille du régiment. Cela
s'est fait dans le Ménestrel depuis bon nombre d'années et jamais le Signale ni
aucun autre journal d'outre- Rhin n'ont protesté contre cette attribution. Car
en cette matière la nationalité du compositeur n'est pas décisive, c'est bien
plutôt le caractère de l'œuvre, et il serait absurde de nier que les trois opéras
mentionnés, écrits sur des paroles françaises, présentent un caractère essen-
tiellement français. Ces « messieurs de Leipzig » semblent ignorer l'impor-
tance du livret dans un opéra, malgré tout ce que Richard Wagner, leur plus
illustre concitoyen, a écrit à ce sujet et prouvé par ses propres œuvres. En
se pliant aux exigences de son poème, le Rossini de Guillaume ITeW est devenu
un compositeur bien différent de l'auteur du Barbier de Sévilte et de Cenerentola :
sa nationalité italienne n'apparait plus que fort rarement dans ce chef-d'œuvre
franç.iis. Nous continuerons donc, n'en déplaise au Signale, de compter,
comme tout le monde, Guillaume Tell et les deux autres opéras susdits parmi
les œuvres lyriques françaises.
— L'Opéra de Dresde jouera prochainement l'opéra de M. Cari Weis, le
Juif polonais, dont nous avons annoncé récemment le grand succès au théâtre
national de Prague, où il a été joué en langue tchèque.
— Le théâtre municipal de Reichenberg (Bohême) vient de jouer avec
succès un opéra intitulé le Comte de Gleichen, musique de M. Franz Mohaupt.
Le livret est tiré de la vieille légende du chevalier croisé revenant de la
Terre-Sainte avec une femme qu'il a épousée là-bas, après l'avoir fait baptiser,
et auquel le pape permet de vivre tout à la fois avec cette nouvelle épouse
orientale et avec l'ancienne, qu'il avait laissée dans son château avant de partir.
— M'"" Darlays a fait, tout cet hiver, une grande tournée 'à travers l'Alle-
magne, donnant ici et là d'intéressants « récitals » sur les maîtres anciens et
modernes parmi lesquels elle a fait particulièrement applaudir nos compo-
siteurs français : Massenet, Reyer et Saint-Saûns. Après quoi, M""= Darlays a
donné à Cologne une représentation des Euguenols, où elle a eu beaucoup de
succès.
LE MENESTREL
127
— La saison d'opéra a brillamment débuté à Lausanne, les 9 et 12 avril,
par deux des œuvres les plus goûtées de M. J. Massenet: Thah, Manon. Dans
l'une et dans l'autre, M"" Marguerite Chambellan s'est montrée artiste de
grande valeur. Le public, nombreux et sympathique, lui a fait grande fête
ainsi qu'à MM. Sentein (basse), Delmas (ténor) et Gadio (baryton), tous
ai'listes des plus distingués, comme on sait. A mentionner aussi l'orchestre,
habilement dirigé par M. Bruni.
— Le théâtre municipal de Zurich était menacé dans son existence même
par uu vote du peuple entier, un référendum, qui lui avait retiré la subven-
tion dont il bénéficiait jusqu'à présent. Or, les bourgeois de la ville ont
ouvert entre eux une souscription qui a déjà produit 230.000 francs et qui
garantit pour longtemps l'existence du théâtre.
— De Monte-Carlo ; i Le concert-festival de M. André Messager avait
attiré un auditoire très nombreux : c'est devant une salle comble que l'heu-
reux compositeur de la Basoche est monté au pupitre, au milieu des applau-
dissements. Il a conduit une sélection de ses œuvres, avec la précision et la
fermeté qui font de lui un chef d'orchestre de premier ordre. La suite
d'orchestre d'Hélène, le passepied de la Basoche, les danses japonaises de
Madame Chrysanthème, les fragments d'une Aventure de la Guimard, les Impres-
sions orientales, la romance et le duo d'Isoline (interprétés par M. Jean Périer
et M""= Mariani) et la suite sur le ballet les Deux Pigeons, ont tour à tour
charmé le public, qui a fait une chaleureuse ovation au délicat et brillant
musicien ».
— La prochaine saison lyrique de Covent-Garden commencera le 13 mai
prochain. Le cartellone est énorme; il promet : Roméo et Juliette, Beaucoup de
bruit pour rien, le nouvel opéra de M. "Villiers-Stanford, Aida, Rigoletto, Ilaensel
et Gretel, Tristan et Yseult, Tannhduser, Faust, les Maîtres chanteurs de Nuremberg,
Otello, la Bohème, la Tosca, Messaline, Lucie de Lammermoor, le Barbier de Séville.
Mefistofele, le Trouvère et enfin le Roi d'Ys. Le tableau de la troupe est non
moins brillant. Le voici :
Sopranos : M""" Suzanne Adams, Bauermeistcr, Lucienne Brévai, Caivé, Emm.T Eames
Gadsk)', Sobrino, Strakosch, Ternina.
Contraltos : M»" Aldrige, Marie Brenia, Georgina Delmar, Maabourg, Olitzka.
Ténors : MM. Anselmi, John Coates, Van Dyck, Forgeur, Knote, Masiero, Mercier
Riess, Saléza, Simon, Tamagno.
Basses et Barytons : MM. David Bispham, Blass, Declery, Dntriche, Hamilton Earle,
Ivor Poster, Gillibert, Isoardon, Journet, Klopfer, Pol Plançon, Van Rooy, Scotti.
Chefs d'orchestre : MM. Flon, Lohse, Maocinelli.
La vieille scène de Covent-Garden a été complètement remise à neuf; elle
est dotée aujourd'hui de toutes les innovations et améliorations modernes.
On n'a pu pourtant faire tout ce qu'on voulait, car le duc de Bedibrd, qui a
une loge spéciale héréditaire, absolument comme la famille de Ghoiseul à
rOpéra-Gomique de Paris, n'a pas voulu abandonner l'antichambre de sa
loge. Mais les progrès réalisés sont néanmoins énormes, surtout en ce qui
concerne l'éclairage de la scène.
— La famille du compositeur John Stainer n'a pas voulu accepter l'hon-
neur d'une sépulture à la cathédrale Saint-Paul de Londres, que le doyen et
le chapitre lui avaient offerte. Les obsèques de l'artiste ont eu lieu au cime-
tière de la Sainte-Croix, à Oxford. Ces obsèques ont été fort simples; la musi-
que eu était complètement exclue.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des Beau.x-Arts a été autorisée, par décret, à accepter le
legs que lui a fait M^^Beulé. Ce legs, consistant eu unerentede 1..500 francs,
est destiné à la fondation d'un prix à décerner annuellement au pensionnaire
de Rome, musicien, peintre ou sculpteur, qui, dans sa dernière année, aura
fait le meilleur envoi. — Dans sa dernière séance, l'Académie areçu,du minis-
tre de l'Instruction publique, l'invitation de lui proposer une liste de cinq
candidats parmi lesquels il choisira celui à qui sera confié la composition
d'un opéra à représenter à l'Académie nationale de musique. On se rappelle,
en effet, que le directeur de ce théâtre est tenu, par une clause de son cahier
des charges, à représenter tous les deux ans un ouvrage dû à un grand prix
de Rome, et que le ministre choisit le compositeur sur la liste qui lui est
présentée par l'Académie.
— L'assemblée générale annuelle des membres sociétaires de la Société
des auteurs et compositeurs dramatiques aura lieu le samedi 4 mai 1901, à
deux heures très précises, à la salle Charras, 4, rue Gharras (ancienne salle
Kriegelstein). La Commission présentera son rapport sur les travaux de
l'année. Après la lecture du rapport, l'assemblée générale examinera la
demande de modifications aux articles 6 et 10 des statuts, présentée par plus
de vingt membres. Il sera ensuite procédé à la nomination de six nouveaux
commissaires, cinq auteurs et un compositeur (art. lî des statuts), en rem-
placement de MM. Georges Feydeau, Ludovic Halévy, Henri Lavedan, E 1-
mond Rostand, auteurs, et J. Massenet, compositeur, membres sortants et
non rééligibles avant une année, et de M. Henri de Bornier décédé. Le
dernier auteur élu en remplacement de M. Henri de Bornier, ne sera nommé
que pour deux années. La séance sera présidée par M. Victorien Sardou.
— Petites nouvelles de l'Opéra : M. Renaud a fait sa rentrée, cette semaine,
dans le rôle de "Wolfram du Tannhduser. Le public et les abonnés ont été
enchantés de retrouver leur barj'ton favori. La troupe de M. Gailhard n'est
pas tellement riche qu'elle puisse se passer, même pour quelques mois, d'ar-
tistes de cette valeur. — Les répétitions du Roi de Paris continuent. La pre-
mière représentation paraît toujours fixée au vendredi 26 avril. — L'excellente
basse Fournets quitte la maison.
— Petites nouvelles de l'Opéra-Gomique : Les représentations d'Iphigénieen
Tauride avec M^^Caron sont toujours très suivies. On jouera encore le drame
de Gluck aux dates suivantes : mardi 23 avril, jeudi 2 mai et jeudi 9 mai. —
La première de l'Ouragan est reportée au lundi 29 avril. — Spectacles d'au-
jourd'hui dimanche : en matinée : Haensel et Grelel, le CcAd; le soir, Carmen.
— A rOdéon, les auditions de l'Ulysse de Ponsard, si admirablement sou-
tenu par la musique et les chœurs de Gounod, ont le plus grand succès. Ce
soir dimanche, à huit heures et demie, nouvelle audition.
— Voilà les concerts Lamoureux qui annoncent encore une série de « soirées
de gala » qui seront données le jeudi soir. Vraiment, c'est beaucoup. On nous
a positivement assassinés de musique, cet hiver.- Il serait temps de nous
laisser respirer jusqu'à l'an prochain. Si encore c'était pour nous donner du
nouveau! Mais toujours le Crépuscule des Dieux l Nous commençons à le
connaître.
— C'est M. Max Erdmannsdœrfer, dont le nom est difficile à écrire et
même à prononcer pour nous autres latins (essayez seulement de le transcrire
de mémoire, vous verrez), qui dirigeait le cinquième concert du Vaudeville,
et, franchement, je crois que sans peine on eût pu mieux choisir. Je ne nie
pas du tout le savoir technique et les qualités musicales de M.Erdmanns...etc.;
quant à son talent de chef d'orchestre, qui seul est en cause ici, je suis bien
obligé de déclarer que je le trouve médiocre, pour ne pas dire plus. Jamais
je n'ai vu diriger un orchestre d'une façon plus lourde, plus empâtée, sans
l'ombre ni l'apparence d'un sentiment artistique quelconque. C'est la bana-
lité poussée à son extrême puissance. Mais cette banalité devient criminelle
quand elle s'attaque à un chef-d'œuvre comme la Symphonie héroïque.
L'ombre de Beethoven a dû, si elle a eu connaissance de cet épouvantable
massacre, frémir dans son tombeau d'horreur et d'indignation. Ce n'était plus
une symphonie héroïque, c'était une symphonie burlesque. Cherchez donc
l'émotion avec une pareille exécution, et tâchez de vous rappeler ce qu'en
d'autres temps un tel chef-d'œuvre vous a fait éprouver d'enthousiasme et
d'admiration... Inutile d'insister. Et le prélude de? Maîtres chanteurs, et la
symphonie inachevée de Schubert, et le Carnaval à Paris de Svendsen!!!
Pour ce dernier, M. Erd... etc., l'a conduit comme s'il dirigeait un quadrille
de bas étage. On se serait cru à BuUier un grand jour de carnaval. Par
extraordinaire, le programme du concert comprenait deux compositions en-
core inconnues à Paris et qui, malheureusement, n'étaient de nature, ni l'une
ni l'autre, à exciter un vif intérêt : le prologue symphonique écrit pourQBrfipe,
la trao-édie de Sophocle, par M. Max Schillings, et le prélude du Rubis, opéra
de M. Eugène d'Albert. Le prologue d'OEdipe est un morceau d'un seul mou-
vement et d'une longueur inusitée, mais sans plan, sans conduite, sans
Icique, et dans lequel l'auteur semble avoir voulu prouver à Wagner
qu'on peut faire encore plus de bruit que lui quand on a un orchestre com-
plet à sa disposition. Oncques n'entendis pareil fracas, sonorité plus effroyable
pour obtenir un effet moins musical. C'est à faire frémir un régiment de
sourds-muets. Le prélude du Ruliis n'est guère plus intéressant, et ce n'est
pas sur de tels échantillons que nous pourrons apprécier la valeur et les apti-
tudes de la jeune école musicale allemande. Il faut l'avouer, le résultat de
cette séance n'est pas heureux, même et surtout avec la présence de M. Er... fer.
A. P.
Programme du concert du Conservatoire d'aujourd'hui dimanche :
Messe solennelle en ré (Beethoven), soli par M"" Éléonore Blanc, Deriijny, MM. Caze-
neuve et Daraux. — Symplionie en ut mineur (Saint-Saiins).
— Programme du concert du Vaudeville, le jeudi 23 avril, à 3 heures, sous
la direction de M. André Messager :
1. La Mort de Wallenstein V. d'indy.
2. Phaélon, poème symphonique Saint-Saêns.
3. Prélude du 4" acte de Messidor Bruneau.
4. Fragments de P(i/«is e( J/e(!sant(e Gab. Fauré.
5. Scènes hongroises J- Massenet.
6. L'Après-midi d'un Faune. .......... CI. Deijussy.
7. ics jBod'des, poème symphonique César Franck.
8. 3" Valse romantique Emm. Chabrier.
<1. Impressims d'Italie (Napoli) G. Charpentier.
— Dans la sixième leçon de son cours de la Sorbonne, M. .\rthur Pougin
a évoqué le souvenir d'un musicien trop oublié de nos jours, Nicole, le digne
émule, sinon le rival de Boieldieu, compositeur charmant et plein de grâce
qui, mort trop tôt sans doute, partagea pendant dix années les faveui-s du
public avec le glorieux auteur de la Dame Blanche, restant avec lui dans les
voies de l'opéra- comique tendre, aimable et souriant. Les œuvres de Nicolo,
qui ne méritent pas le dédain dans lequel on les laisse tomber, firent en leur
temps courir tout Paris, et des trente ouvrages qu'il lit représenter un seul,
' et des moins importants, reste aujourd'hui connu; c'est cette boulVonnerie
charmante qui a nom les Rendez-vous bourgeois. Par l'audition de plusieurs
morceaux heureusement choisis dans les deux partitions do Joconde et de
Jeannot et Colin, M. Pougin a fait ressortir et mis en relief toute la saveur et
128
LE MENESTREL
la fraîcheur de l'inspiralion de Nicolo, et ces morceaux, chantés avec autant
de goût que de style par M. et M""! Morlet, ont été accueillis avec de vifs
applaudissements.
— La Patli, ainsi que nous l'avions annoncé, s'est fait entendre jeudi der-
nier à la Gaîté dans une matinée de bienfaisance. Le fait mérite assurément
d'être noté : » Lorsque l'inimitable artiste, dit le Gauloi;, a paru sur la scène,
une ovation enthousiaste lui a été faite qui s'est prolongée pendant plusieurs
minutes. Elle remerciait du geste et des veux avec une grâce inexprimable.
Puis, lorsque sa voix merveilleuse s'est successivement manifestée dans l'air
de Linda de Chamounix, les Noees de Figaro et dans la Sérénade de Tosti,
l'enthousiasme s'est changé en délire, et l'on ne se lassait pas de la rappeler
et de l'acclamer. » Et pour finir, une bonne nouvelle : M"" Adelina Patti a
promis son concours à la représentation que donnera hientùt l'Opéra au béné-
fice de M""'' Marie Laurent. Elle chantera le quatrième acte de Roméo et Juliette
avec MM. Alvarez et Delmas. — Enfin, annonçons que la recette de la
matinée de jeudi s'est élevée à 20.000 francs en chiffres ronds; ce mot de la
fin en vaut bien un autre.
— Le Wor/d annonce que le Metropolitan- Théâtre, qui sert de Grand-Opéra
à New-York, va changer de destination. Tout millionnaires qu'ils sont, les
propriétaires de l'imaaeuble ne se sentent pas de goût à jouer plus longtemps
le rôle de mécènes; ils trouvent onéreux de payer des frais généraux assez
lourds pendant toute une année pour s'offrir le luxe d'un « opéra-season »
qui ne dure que trois mois. Dorénavant la magnifique salle — l'une des plus
spacieuses du monde — sera transformée en un vulgaire music-hall ; elle sera
louée ainsi à des troupes acrobatiques de passage. Mais pendant une période
annuelle de dix semaines les hommes -serpents, les avaleurs de sabres, les
gymnastes et autres attractions semblables céderont la place à une troupe
d'opéra à bon marché, qui donnera « les meilleures pièces de son répertoire >>.
Ce qu'il importe de retenir de tout cela, c'est que MM. Jean et Edouard de
Reszké, M"'* Melba et Cilvé ne retourneront plus à New- York; et c'est
peut-être autant de gagné pour Paris.
— Il n'y a pas comme les pays républicains, dit notre confrère Nicolet, du
Gaulois, pour créer des titres, des décorations et des brevets. Les Etats-Unis
ne veulent pas faire exception à la règle. Docteur en musique? C'est la der-
nière invention de nos bons amis de l'autre côté de l'eau. Des admirateurs
passionnés de M. Sousa. le chef d'orchestre, viennent d'adresser une pétition
dûment documentée au président de l'Université de Y'ale, grande distributrice
de brevets scientifiques et littéraires, en l'engageant à créer un titre de
« Musical Doctor », dont le premier titulaire serait naturellement le chef de
l'American Band. Dans le monde musical des Etats-Unis on attend avec
impatience la décision du Conseil de l'Université, car les candidats au
nouveau doctorat sont déjà légion.
— Nous sommes heureux d'annoncer l'apparition prochaine d'un Traité de
Contrepoint et de Fugue de M. Théodore Dubois, dir jeteur du Conservatoire. Cet
ouvrage, fruit d'une longue expérience et d'un labeur considérable, est des-
tiné, croyons-nous, à marquer une date dans l'enseignement supérieur de la
musique. Depuis les Traités de Cherubini et de Fétis, que nous n'avons pas à
apprécier ici, aucun ouvrage réellement sérieux n'avait été publié sur ces
matières si intéressantes, si nécessaires, si indispensables même au point de
vue technique et élevé de la composition. Les élèves trouveront là préceptes
et exemples en grand nombre, le tout exposé avec méthode et clarté. — Leur
instruction musicale sera complète, puisqu'elle aura pour point de départ le •
Contrepoint simple à deux parties pour aboutir à la Fugue à 8 parties. Ils
trouveront dans cet ouvrage une doctrine sûre, inspirée des grands classiques,
basée sur des principes sévères, mais non arides, permettant, dans les exer-
cices en apparence les plus scholastiques, de rester toujours musicalement
intéressant. Donc, le Traité de Contrepoint et de Fugue de M. Théodore Dubois
nous semble appelé à un grand et légitime succès, s emblable pour le moins
à celui des Notes et Études d'harmonie du même auteur.
— Le voyage musical à travers l'Europe que notre collaborateur Soubies
a entrepris depuis quelques années vient de s'augmenter d'un nouveau
volume, le tome II de l'histoire de la musique en Belgique, qui comprend le
dix-neuvième siècle. Il n'est pas besoin de faire ressortir tout l'intérél qui
s'attache à cette période si active du mouvement,artistique chez nos voisins.
Il suffirait pour cela de citer les noms de quelques-uns seulement des artistes
qui s'y sont illustrés ou distingués : Fctis, Grisar, Limnanier, Gevaert, Pierre
Benoit, Vieuxtemps, Ch. do Bériot, Léonard, Lemmens, Artot, Th. Radoux,
Ad. Samuel, Jan Blockx, Tnompson, et tant d'autres. Ceux qui voudront
se renseigner consulteront le livre de M. Albert Soubies.
— A signaler une brochure qui vient de paraître à Genève, il/""-" Pauline
Yiardot Garcia, sa biographie, ses compositions, son enseignement, confé-
rence faite par M"' Torrigi-H'irotti, professeur à l'Académie de musique de
Genève, à la salle de l'Athénée, le 8 février 1901. (Genève, imp. Kundig,
in-d2 de 29 pp.)
— La Société Mozart, récemment fondée et dont le litre est suffisamment
significatif, a donné, mardi dernier, sa cinquième séance, dont l'intérêt ne
laissait rien à désirer, non plus que pour les précédentes. Au programme, le
cinquième des six quatuoi's dédiés à Haydn, merveilleusement exécuté par
MM. Parent, Lammers, Denayer et Baretti ; Trennung, lied, et air de l'Enlè-
vement au iiérail, gracieusement chantés par M"« Mathieu d'Ancy; variations
de piano sUr les Mariages samnites, dites avec goût et délicatesse par M"» Char-
lotte Condette ; et pour finir, un bijou exquis, le divertimento pour violon,
alto et violoncelle, qui a valu à MM. Parent, Denayer et Baretti un succès
bien mérité. Voilà une musique qui vous repose avec délices du fracas, de la
nullité prétentieuse et des excentricités ayant cours. Elle est âgée de plus
d'un siècle et elle a tout le charme, la grâce et le parfum pénétrant des
journées printanières. Les assistants à cette séance ont eu le privilège de
pouvoir contempler toute une série d'intéressants autographes de Mozart,
exposés par leur heureux possesseur, notre ami Charles Malherbe. Il y avait
là, entres autres, une symphonie, un air (inédit) de Mithridate, une Élégie à
deux voix, écrite par le futur auteur de Don Juan à l'âge de sept ans, une
feuilles d'esquisses montrant l'écriture de Mozart à l'état de brouillon, et un
trio vocal indiquant la façon dont il préparait sa partition d'orchestre. Une
série de trésors. A. P.
— CoNCEnT ANNONCÉ. — M. Schelling, l'élève de Paderewski, donnera un deuxième
concert à la salle Érard, le lundi 22 avril, à 9 heures du soir.
— SoinÉES ET Concerts. — M"" Anna Laidlaw, dont le talent de pianiste est bien connu
à l'étranger, vient de se faire entendre, pour la première fois à Paris, dans un concert
qu'elle a donné à la salle Pleyel. Drfns l'intfrpréiation d'œuvres de Seliumann, de Chopin,
de Schubert, etc., et, surtout dans la Sonate de Raoul Pugno, qu'elle a admirablemeot
joué ', M'"* Laidlaw a fait montre de qualités éminentes de virtuose et de musicienne qui
lui ont valu un véritable succès. — A la matinée donnée par l'Association des Enfants de
la Seine, beaucoup d'applaudissements pour M"' .Jane Belleinin dans l'air de Manon, de
Massenet, et dans celui de Louise, de Charpentier, ainsi que pour M"^ Sassoli, qui a joué,
sur la harpe, Source capricieuse de l'illiaux-Tiger. — Matinée d'élùves de M"'= A. Manière,
salle Pleyel, parmi lesquels on remarque M. M. Fortitr (Crépuscule, Massenet-Filliaux-
Tiger), M"" S. Lozouet et J. Brouillard (Siflvia, 2 pianos, Ttelibes-Lacki. Dans les inter-
mèdes, M""^ Mauzié se fait applaudir dans les larmes de Werther, de Massenet, et dans
Pluie en mer, de FiUiaux-Tiger. — Matinée musicale chez M"'^ Marie Rûze jeudi dernit-r.
Au programme : le concerto de Golterman et la Berceuse de Ounkler parfaitement exé-
cutés par M. Maxime Thomas; le grand duo de Sir/urd (Reyer) parfaitement chanté par
M"' Amaury et le ténor Ducot; l'air de Louise (Charpentier) par M"" Taber, dit avec le
plus grand charme et une méthode parfaite; l'air de Philémon et Baucis, très bien détaillé
par M"= Cartaux. On a ensuite applaudi M. Gaston Lemaire dans un fragment de son
intermezzo le Sommeil de Marie, la partie de violon a été exécutée avec charme par
M"'" Rigaut Riwinach, qui a également joué avec M. Thomas la gavotte de Rousseau. On
a ensuite applaudi M"'' de Laforcade dans des compositions de Massenet et de Delibes et,
pour finir, La Ballade du Désespéré, de Bemberg, par M"'' Amaury et M. Marion, le
récitant. Au piano M. Rosen. — Une de nos jeunes pianistes. M"* Flora "Weiss, a remporté
un très grand succès, à l'un des derniers concerts de Monte-Carlo, en exécutant d'une
façon extrêmement remarquable le concerto en ut mineur de Beethoven, l'orchestre étant
dirigé par M. Léon Jehin.
NÉCROLOGIE
A Stockholm est mort, après une longue maladie, le compositeur bien
connu Ivar-Christian Hallstrôm. Il était né dans cette ville le 5 juin 1826 et
se destinait à la magistrature, mais il abandonna cette carrière après quel- »
ques années pour se fixer en 18S3 dans sa ville natale comme professeur de
musique. En 1861 il devint président de l'Institut de musique fondé par le
compositeur Lindblad et en 1881 il fut nommé professeur de chant pour les
solistes à l'Opéra royal. Il fut en outre bibliothécaire du roi. Après avoir
débuté par des mélodies et des cantates, Hallstrôm aborda la scène avec un
opéra, le Duc Magnus (1867). qui obtint peu de succès; mais la Montagnarde
enlevée (1874), la Fiancée du gnome (1875) et les Vikings (1877), le mirent hors
de pair. Plus tard il écrivit encore quelques autres opéras, iVéaja, sur un livret
de Carmen Sylva (1885), Per Svinuherde (Pierre, le gardeur de cochons) et Hin
Ondes snaror (les Pièges du Diable). Ses mélodies, dont il a publié un grand
nombre, sont restées populaires dans son pays. Sa dernière composi-
tion, écrite récemment au miUeu de terribles souffrances, est intitulée Valse
mélancolique. Comme professeur, Hallstrôm s'est surtout occupé des artistes
lyriques de son pays; l'Opéra de Stockholm lui doit depuis longtemps ses
meilleurs solistes.
— De Nervi on annonce la mort, à l'âge de 58 ans, du compositeur Marco
Sala, qui s'était fait un nom en Italie comme auteur de musique de danse.
Il avait publié, dit-on, 300 morceaux de ce genre, soit détachés, soit sous
-forme de recueils. On connaît aussi de lui nombre de compositions vocales :
mélodies, romances, barcaroUes, canzonnettes, etc.
— Un chanteur à peine âgé de 40 ans, le ténor Charles Humphrey, bien j
connu en Amérique, s'est suicidé récemment à Saint-Louis (Etats-Unis), dans '
des circonstances morales assez étranges. Dans une lettre laissée par lui, il
déclarait qu'il renonçait à la vie pour trois motifs : premièrement, par cha»
grin d'amour; secondement, par la crainte qu'une maladie vint lui enlever la
voix (il aurait pu attendre); enfin, parce que ses études sur le christianisme
avaient apporté un trouble profond dans sa conscience...
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez F. Fasquellc, dans la Bibliottièque-Charpentier, Travail, par
limite Zola (3 fr. 50 c).
; CnEHlNS DE PER.
, 20, Pinis. — CEicre LuiUcaii.
Dimanche -28 Avril 1901
3657. - 67- mm - 1^° 17. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2*^, rue Tivienne, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
lie Hamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉATJRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le HuméFo : 0 fi*. 30
Adresser franco à M. IIenbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 W», rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
AboDnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (9' article), Paul D'I'^STnÉES. —
II. Semaine théâtrale : première représentation du Roi de Paris à l'Opéra, Abthuu
Pqugin; premières représentations du Vertige à rAlhénée, de la Petite fonctionnaire
aux Nouveautés, de la Dame du commmaire au Théàtrc-Cluny, Paul-Émile Cuevalier.
— III. La musique et le théîUre aux Salons du Grand Palais (1" arUele), Camille Le
Sen.ne. — IV. lîevue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE BAPTÊME D'YVONNETTE
de Paul "Wachs. — Suivra immédiatement : Souvenir, n° 9 des Ndives, de
Louis Lacombe.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
Brunette (1703), u° 7 des Chants de France, harmonisés par A. Périlhou. —
Suivra immédiatement : Au très aimé, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie
d'après Caroline Duer.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les pltts récents et îles dociiments inéflits
(Suite.)
VIII (suite)
Grandeur et décadence de la Rabon. — Ses origines. — Les deux sultanes du prince
de Carignan. — La constitution de l'Opéra. — La magnificence de la Rabon. —
Folles amours.
La biographie de la Rabon est instructive à plus d'un titre.
Ce n'est pas que cette danseuse ait jamais rien eu de commun
avec l'art. Elle était dépourvue de tout talent. Mais, pendant plus
de six ans, ses destinées furent celles de l'Opéra. Il en sera tou-
jours ainsi, tant que les impresarii de notre Académie de Musique
y dresseront des autels à la Vénus Directrix.
La Rabon était un enfant de l'amour et de la misère. A neuf
ans elle, débitait, comme nos camelots fin de siècle, des gazettes
à la main, des chansons et des canards à la foire Saint-Germain
et à la foire Saint-Laurent. Elle n'avait pas atteint sa treizième
année qu'elle était danseuse à l'Opéra-Gomique. C'est là qu'elle
connut l'intendant de Paris, Harlay de Geli, dont elle resta la
maîtresse pendant huit ans. Ce fut peut-être le temps le plus
heureux de sa vie. Son amant, que Saint-Simon appelle un fou
d'infiniment d'esprit, obéissait à tous ses caprices et lui laissa
une fortune honnête.
En 173S la Rabon acceptait les hommages du prince de Cari-
gnan, directeur de l'Opéra. Or, cette Altesse Sérénissime ne con-
nut jamais de son théâtre que les actrices et surtout les dan-
seuses : elle s'était composé un sérail des plus jolies et des plus
attirantes. Rabon y fut « traitée à la Carignan », c'est-à-dire avec
une générosité qui désespérait les créanciers « toujours languis-
sants » du prince. Elle touchait cinquante livres par jour.
D'abord elle partagea les faveurs de son seigneur et maître avec
ses deux camarades, la Richelet et la Breton : « Le prince, écrit
un contemporain, soupe alternativement avec elles ou toutes les
trois ensemble, et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il entretient
la Rabon malgré elle, qui ne peut le souffrir et le lui dit tout
naturellement; mais loin de s'en formaliser, il l'en aime davan-
tage. Il est vrai qu'il est obligé d'en venir quelquefois à de fâ-
cheuses extrémités pour la forcer à venir souper avec lui ; et il
arrive qu'il la fait monter dans son carrosse à force de soufflets et
de coups de pied au ... Mais d'ailleurs il paie bien exactement
tous les mois. »
Ce ... dédommagement se double encore pour l'intéressée
d'une satisfaction d'amour-propre. La sultane favorite du prince
était cette fameuse Mariette, qu'on avait appelée successivement
la Constitution de l'Opéra et la Princesse et qui devait, à la mort de
Carignan, porter le deuil de son amant en longs voiles de crêpe.
Or, la Rabon lutta victorieusement, dans le cœur du prince,
contre une rivale plus âgée peut-être, mais à qui la force de
l'habitude et le prestige du talent donnaient encore une certaine
autorité.
Ce fut désormais un combat sans trêve ni merci entre les deux
femmes, avec des alternatives pour l'une comme pour l'autre
de triomphes ou de défaites, qui d'ailleurs épuisaient de plus
en plus les finances et la santé de ce directeur... dans l'em-
barras.
A vrai dire, la Rabon eût rendu des points à Mariette en ma-
tière d'infidélité. Elle donnait des rendez-vous secrets au comte
de Jonzac chez sa mère, bien que le prince lui eût interdit ces
visites familiales dont il se méfiait à juste titre. Il finit par se
fâcher et retourner chez la Mariette, qui du coup augmenta sa
maison d'un « cocher à moustaches » ; c'était, parait-il, un signe
distinctif pour les favorites du prince. Un mois après, celui-ci
revenait à la Rabon.
■ Elle habitait alors dans une petite maison du Marais, sous le
nom de marquise de Villemont, qu'elle échangeait deux ans
plus tard, rue Meslay, contre le titre de comtesse de Panne, (un
nom bien choisi pour une femme de théâtre!).
D'ailleurs, comme nous l'avons dit, son influence se fit sentir
à l'Opéra, moins pernicieuse peut-être que celle de Mariette,
qui avait jalousé si longtemps la Camargo et ridiculisé si mala-
130
LE MÉNESTREL
droitement ses caleçons. En 1738, Rabon usa de son ascendant
sur le prince pour lui faire rétablir à l'Opéra M"' Vasquin, bien
qu'elle eût reçu son congé de réforme.
Jusqu'à la mort de son magnifique amant, la Rabon vécut en
véritable reine de théâtre. Elle avait des diamants de toute
beauté et portait des robes « à trente écus l'aune », une étoffe à
fleurs d'or. C'est ainsi qu'une année, au Concert spirituel, elle
effaça par sa toilette celle de la duchesse d'Aven, qui était
venue dans tout l'éclat d'une jeune mariée. Une autre fois, elle
se montrait à l'Opéra « parée comme une chasse » et constel-
lée de brillants. Elle relevait de maladie : atteinte de la petite
vérole, elle voulait [irouver urbi et orbi que le terrible fléau
n'avait pas « entamé ses appas », comme disait sa respectable
mère, une ancêtre de M"" Cardinal .
Elle oublia vite le grand seigneur qu'elle n'avait jamais aimé
et que regretta longtemps Mariette, restée avec ses trois enfants,
appelés « les Princes ». La Rabon marcha désormais de con-
quêtes en conquêtes. Elle compta parmi les plus brillantes ce
jeune marquis de Crussol-Montalais que sa délicate santé et ses
excès de toute nature condamnaient à une mort prochaine. Il
avait laissé par testament à sa maîtresse une bonne partie de sa
fortune, quand sa plus proche parente, la duchesse d'Uzès, assis-
tée de <c gens d'église », nous ditMeusnier, décida le mourant à
révoquer ses dispositions premières et à laisser ses cinquante
mille livres de rente à son cousin, le duc d'Uzès.
Cependant l'étoile de la Rabon commençait à pâlir. La dan-
seuse avait conservé des goûts de lu.x;e et de dépense que son
âge et ses ressources ne lui permettaient plus de satisfaire. Tou-
tefois, au dire de Meusnier, elle était encore très séduisante,
malgré qu'elle eût trente-cinq ans largement sonnés. Elle était
grande et bien faite, quoique « extrêmement maigre et plate » ;
mais elle avait « les plus beaux yeux et les plus beaux cheveux
du monde ».
En 1749 elle dut vendre ses diamants contre une rente via-
gère de deux mille livres ; mais eÛe eut la sottise de s'amoura-
cher du chorégraphe Pitrot, dont nous avons déjà parlé, et qui
lui « fricassa » le reste de sa fortune. Elle le suivit à Berlin, où
il était engagé comme premier danseur du roi de Prusse. Elle
passa l'hiver de 1751 avec le fameux aventurier Casanova de
Seingalt, qui « vit actuellement sur le compte de Sylvia (la cé-
lèbre actrice de la Comédie-Italienne) ». Meusnier écrivait ceci
en 17S2. Il ajoute : « La Rabon reste aujourd'hui avec Bellecour
du Théâtre-Français. »
Elle vécut encore cinq années et mourut dans l'oubli et la
misère.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. Le Roi de Paris, drame lyrique en trois actes, paroles de Henry Bouchut,
musique de M. Georges Hile. (Première représeutation le 26 avril 1901.)
Certains spectateurs ont dû éprouver quelque étonnement l'U enten-
dant prononcer, à la fin de la représentation du Roi de Paris, le nom de
Henry Bouchut comnn' aiLteur du poème de cet ouvrage. Ce nom était
en effet totalement inconnu, particulièrement au tliàâtre. C'est celui
d'un jeune hommi; mort il y a quelques années déjà, en pleine jeunesse,
à peine âgé de vingt-quatn' ans, alors qu'il paraissait donner de sérieuses
espérances. Mario-Eugéni'-Henry Bouchut était le tils d'un médecin
distingué, le docteur Eugène Bouchut, bien connu par de nombreux et
solides travaux. H s'était fait remai'quor par une rare précocité et par
son ardeur au travail. A quinze ans il est reçu bachelier avec une dis-
pense d'âge; à dix-huit il est licencié ès-sciences. Il passe son pre-
mier examen de médecine avec la mi-ntion très bien et entre au labora-
toire de M. Wûrtz. Mais les li'ttros l'attiraient aussi, et après un voyage
en Angleterre et en Allemagne, il si' lance dans le flot de la vie pari-
sienne, menant de front le travail et les plaisirs, usant, comme disaient
nos pères, la chandelle parles deux bouts. Il fait des vers, il publie des
romans, Herla, Ames sœurs, les Deux Pères, la Comtesse de Nidolle, il
fonde la Revue libérale, il s'occupe de théâtre, que sais-je? Puis, atteint
d'une maladie grave, il disparaît de &■ monde, n'ayant connu que les
ardeurs et les élans d'une jeunesse infatigable sous tous les rapports.
Par (juel singulier hasard le livret du Roi de Paris, trouvé dans ses
papiers, est-il tombé entre les mains de M. Georges Hûe? c'est ce que
je ne saurais dir(_'. Par quel hasard, peut-être plus singulier encore, ce
livret a-t-il été accepté par la direction de l'Opéra, alors que l'auteur
n'était plus là pour le défendre et que tant d'autres, bien vivants, assiè-
gent inutilement les portes de nos théâtres ? A cette question encore il
me si'rait impossible de répondre. Toujours est-il que ci' poète à la fois
débutant et posthume a trouvé un musicien, un théâtre et un public
pour accueillir son œuvre.
D'ailleurs, ce poème ne vaut ni plus ni moins que tant d'autres que
nous avons vus se dérouler devant nos yeux. Même nous en avons con-
nus de plus maladroits et moins empreints de sentiment dramatique.
Il va sans dire que « le roi de Paris » c'est le duc de Guise, Henri le
Balafré, et ceci indique aussitôt la natiu'e du sujet. De même que Pla-
nard s'était inspiré, pour le Pré aux Clercs, de la Clirmiii/ue du temps de
Châties IX de Mérimée, l'auteur du Roi de Paris s'est inspiré de la Ligue
de Vitet, et principalement di ■ la partie qui a pour titre les Etats de Rlois.
Il a seulement transformé liOignac en Longnac. ce qui est moins eupho-
nique, et de Charlotte de Noirmoutiers, la maîtresse d'Henri de Guise,
il a fait Jeanne de Noirmoutii'rs. Et il a emprunté, à son dénouement,
la réflexion que Vitet prête à Henri III lorsqu'il voit étendu à ses pieds
le corps de son ennemi, tombé sous le ter des assassins : « Qu'il est
grand ! Il ne m'a jamais paru si grand ! » Quand j'aurai dit que le livret
du Roi de Paris avait d'abord pour titre les Deux Henri, et qu'il est écrit
tantôt en vers, tantôt en prose rythmée, il ne me restera plus qu'à le
faire connaître, ce qui n'est ni très long, ni très difficile.
Li' premier acte se passe à Paris, dans un cabaret oii les Ligueurs
sont réunis et passent leur temps à injurier Henri III, après quoi ils
acclament Henri de Guise, qu'ils pressent de se mettre à leur tête pour
aller enlever le Louvre. Henri est encore indécis devant la gravité et les
suites possibles d'un tel projet, et malgré leurs instances il leur demande
une heure de répit et de refli'xion, après laquelle il leur fera connaître
sa décision. Les Ligueurs S(> retirent et Himri, resté seul, est bientôt
rejoint par Jeanne de Noirmoutiers. Ici, scène de tendresse entre les
deux amants, Jeanne suppliant Henri de renoncer à ses projets ambi-
tieux, dont les suites l'effraient, pour être tout à leur amour, et celui-ci
combattant ses terreurs et lui disant qui- l'action dans laquelle il est
engagé doit avoir son dénouement. Cependant il semble près de céder
à ses prières lorsqu'il est réveillé de son extasi ■ par le retour des Ligueurs,
qui viennent chercher sa réponse. C'en est fait, il reprendra son rôle,
il se mettra à leur tète, et tous ensemble viendront à bout du monarque
détesté qui ruine, opprime et déshonon? la France !
Deuxième acte. Au Louvre, le cabinet du roi. Courtisans, seigneurs
et mignons se divertissent en jouant à divers jeux, pendant que Lon-
gnac, nonchalamment assis, chante une chanson en s'accompagnant
sur une mandore. Entre le roi, qui, selon sa coutume, a préparé un
guet-apens. Il sait que Longnac est amoureux fou de la belle Jeanne de
Noirmoutiers, la maîtresse de Guise ; il l'a fait mander, lui disant qu'il
a à lui parler. Mais ce n'est pas lui qu'elle trouvera, c'est Longnac. Il
charge en effet celui-ci de la recevoir, l'excite et lui recommande de
mettre le temps à profit tandis qu'on le laissera soigneusement seul
avec elle. « Prends - la », dit-il, de gré ou de force; c'est une bonne
farce à faire au Balafré. Longnac, qui, pas plus que son maître, n'est à
cela prés d'une infamie, accepte et promet de réussir. On le laisse seul.
Survient Jeanne, un peu surprise de ne ne trouver que lui. Il entame
l'entretien et lui déclare son amour, elle croit d'abord qu'il plaisante ;
il insiste, elle lui répond avee hauteur. Après avoir prié, il menace. Elle
veut fuir, toutes les portes sont fermées. « Lâche! » s'écrie-t-elle. Mais il
la poursuit, veut s'emparer d'elle, et elle est folle de colère et de terreur,
ne sachant comment lui échapper, lorsque, sous les fenêtres du palais,
on entend tout à coup le bruit d'une fusillade. Grande rumeur aussitôt,
les portes s'ouvrent, on accourt de tous côtés, Jeanne est sauvée, et elle
se retire après avoir souffleté Longnac, tandis que le roi, s'approchant
d'une fenêtre, voit en frémissant les révoltés aux mains avec ses
soldats.
Troisième acte. Le château de Blois. Les deiLx Henri semblent au
mieux. Le roi prodigue à Guise les témoignages de son amitié, tandis
que, de son côté, Guise l'assure de son inaltérable fidélité. Les courti-
sans rient sous cape du jeu de ces deux mortels ennemis. Le roi a
préparé une fête en l'honneur de Guise, ce qui donne lieu à un petit
Iballet dont le besoin ne se faisait guère sentir en cet instant. On se
sépare ensuite, et le roi rappelle à Guise le grand conseil qui doit avoir
lieu le lendemain au lever du jour. Quand celui-ci est parti, Henri et
ses serviteurs préparent le nouveau guet-apens dont il doit être la vie-
LE MÉNESTREL
J31
time avant même l'ouverture du conseil. Chacun sera à son poste, et
Guise ne saurait échapper aux poignards de ses assassins.
Deuxième tableau (même décor), séparé du précédent par un entr'acte
symphonique. Le jour va paraître. Les bourreaux sont prêts pour
leur sinistre besogne, prennent leurs dernières dispositions et bientôt
disparaissent. Arrive Guise, parcourant sans s'émouvoir divers messages
dans lesquels on le met en garde contre les dangers qui l'entom'ent.
Survient ensuite .Jeanne, troublée, inquiète, qui croit avoir saisi des
. traces de complot, et qui vient supplier son ami de ne point se rendre
au conseil. Ses prières restent inutiles. Guise ne croit pas au danger, et
quand il y en aurait, dit-il, rien ne peut l'empêcher d'y courir. Son
honneur l'engage. Jeanne a beau insister, il l'éloigné d'un geste, il
s'approche de la salle du conseil. A peine a-t-il disparu qu'on entend
un grand tumulte, des cris, puis il reparait, ensanglanté, chancelant,
tourne sur lui-même et tombe mort. Et le rideau tombe sur ces paroles
du roi, qui est venu contempler l'œuvre de ses amis : « Il ne-m'a jamais
paru si grand ! »
Ce Uvret, je l'ai dit, n'est ni meilleur ni pire que bien d'autres. Il a
une qualité, c'est d'être rapide et bref. Il a un défaut, c'est que le
dénouement est connu d'avance, et que ce dénouement, d'ailleurs, s'il
est dramatique, manque de pathétique. Tel qu'il est, il pouvait, en
somme, inspirer un musicien, si celui-ci avait su mettre en œuvre ses
divers éléments. La scène des Ligueurs, au premier acte, pouvait don-
ner lieu à un tableau pittoresque et mouvementé (qu'on se rappelle
celle des reitres au premier acte du Pré aux Clercs), et la rencontre de
Guise et de Jeanne fournissait au compositeur l'occasion d'un épisode
passionné auquel il pouvait prêter des accents d'une tendresse ardente.
De même, au second acte, la poursuite de Jeanne par Longnac ofl'rait
une situation vraiment dramatique dont il pouvait tirer un utile parti .
On peut regretter qu'il n'en ait rien été.
J'avoue que j'avais plus de confiance en M. Georges Hile, et que ce
que j'avais entendu de lui jusqu'à ce jour m'avait fait espérer tout autre
chose que ce que nous a donné la partition veule et flasque du Roi de
Paris. Celle-ci n'est pas une œuvre de combat, et il n'y a pas ici à partir
en guerre conti-e certaines tendances plus ou moins accentuées, plus ou
moins audacieuses, qui cantonnent et classent un artiste dans un parti
et dans une école. Ce qui est plus grave, c'est que cette œuvre est insi-
gnifiante et morne, c'est que, loin d'exciter, soit la sympathie, soit la
colère, elle n'évoque que l'indifférence par son inconsistance, l'inatten-
tion par sa banalité. On voudrait s'attacher à quelque chose, découvrir
chez l'auteur une doctrine, une direction quelconque de l'esprit, trouver
dans son œuvre une trace lumineuse, et l'on se bute à l'insignifiance, au
vide, au néant. Rien n'est plus vide, en effet, que cette partition, qui
manque à la fois de couleur et d'élan, et dont l'inspiration est vraiment
trop absente. Point de passion, point de chaleur, pas même de sentiment
dramatique, aucune trace apparente d'émotion. Même l'orchestre est
sans vie, sans mouvement, sans action, sans originalité. J'ai peine à
m'exprimer ainsi sur le compte d'un artiste que j'estime. Mais à quoi
bon cacher une vérité que le public, tellement elle est éclatante, ne
saurait tarder à lui faire connaître, à quoi bon, surtout, analyser par le
menu une partition dont rien ne ressort, dont rien n'est mis en relief,
et dont les jours me semblent comptés d'avance. Mieux est d'exprimer
l'espoii' que l'auteur soit misa même de prendre une prompte revanche.
C'est ce que je lui souhaite de grand cœur pour ma part, parce que je le
crois capable de faire plus et mieux.
L'interprétation se ressent un peu de la mollesse de l'œuvre; elle est
parfois froide et languissante, et ce n'est pas absolument la faute de
ceux qui y prennent part. M. Delmas, qu'on voit constamment sur la
brèche, est toujours le beau chanteur et l'excellent comédien que l'on
sait ; il donne au rôle de Guise la couleur et le caractère qui lui con-
viennent. M""' Bosman, toujours estimable, manque sans doute un peu
d'ampleur dans celui de Jeanne, comme M. Noté manque un peu de
désinvolture dans celui de Longnac ; les sacripants de la cour de
Henri III étaient des sacripants pleins d'élégance et de légèreté. Quant
à Henri, précisément, qui est bien le plus mauvais rôle de la pièce, il
est tenu avec beaucoup de soin et de dignité par M. Vaguet. Je m'en
voudrais de ne pas nommer M. Nivette, le Ligueur du premier acte,
qui fait preuve de solidité.
Arthur Podgin.
Athénée. Le Vertige, comédie en 4 actes de M. Michel Provins.— Nouveautés.
La Petite Fonctionnaire, pièce en 3 actes de M. A. Capus. — Cluny. La Dame
du Commissaire, vaudeville en 3 actes de MM. 'V. de Goltens et P. Veber.
C'est à très peu près un gros drame opaquement noir que ce Vertige
dont on attend toujours, après l'épisode de la lettre révélatrice et l'enlè-
vement romantique au clair de lune, le fâcheux coup de poignard porté
à la femme infidèle par le mari outragé. L'occasion était tentante pour-
tant en ce bal costumé du troisième acte,oii loups et dominos sont plus
là pour étouffer les sanglots que pour exciter les rires; M. Michel Pro-
vins n'a pas cru devoir aller jusqu'à cette brutalité dont se seraient
sans doute offusqués le ciel clair et limpide des bords de la Méditerra-
née, l'élégance des personnages mis en scène et la recherche particulière
d'un cadre d'ultra snobisme, mais qui aurait vraisemblablement satisfait
pas mal de nos modernes sceptiques trouvant ce monsieur de Roville —
c'est le mari — d'un amour trop sublimement chevaleresque. Il aime,
cet homme, et il pardonne; cela passe aujourd'hui pour démesurément
antique! Maintenant, aime-t-il bien? J'entends par là adroitement; car
on ne saurait, au dernier acte tout au moins, suspecter son aveugle
passion. Le vertige jette très vilainement, très méchamment même, sa
femme dans les bras du romancier à la mode, Mareuilles, un fat cynique
impertinent et antipathique — les femmes n'aiment les hommes que
pour leurs défauts, a dit un penseur — ; et, au lieu d'essayer, comme il
sera obligé de le faire par la suite, un peu tard de l'avis d'aucuns, de
ramener l'affolée par la douceur, sa tactique est toute de brutalité. Non,
vraiment, iln'est pas adroit, ce taciturne romantique; pas plus d'ailleurs
que son entourage, à commencer par l'ami terre-neuve, Chalelier, qui,
afin de forcer la porte de la fugitive, a cependant assez d'inventions pour
se faire annoncer comme un maître de clerc venant rendre des comptes.
Mélo, Mélo, que nous veux- tu? Chatelier se bat avec Mareuilles, pour
madame de Roville; il a l'épaule cassée et, par-dessus son bandage, les
époux se réconcilient. Aucune des blessures ne sera mortelle, et pour-
tant...
Donc, c'est une impression de drame que nous gardons de ce Vertige,
et la formule dramatique de l'auteur, comme encore le choix d'un
sujet rien moins que nouveau, aggravé par l'emploi de moyens plutôt
vulgaires, ne sont point pour atténuer cette impression ; et, d'autre part, la
forme, l'écriture, la tournure d'esprit de M. Michel Provins font d'évi-
dents efforts pour se garer d'un banal bourgeoisisme et nous amener à
croire que nous assistons à quelque chose d'essentiellement moderne.
Et l'impression est rendue, aussi, plus vive, en ces décors d'exaspéré
parisianisme, par une distribution qui pousse au dramatique, avec
M"" Jane Hading, de vibrante physionomie, avec M. Abel Deval,
farouche et malheureux, tous deux parlant souvent trop bas, et qui
côtoie même le mélodrame avec M"° Suzanne Munte, noire et fatale.
Mareuilles, c'est M. Castillan, adroit et de morgue prétentieuse, tandis
que Chatelier n'offre â M. Tréville qu'un rôle quelconque, deus ex ma-
china pourtant, dans lequel il ne peut utiliser ses qualités plutôt spéciales
de composition. On a fait un succès mérité à M. Levesque, quia campé
plaisamment la silhouette d'un facteur rural.
En moins de six mois, M. Alfred Capus aura fait représenter toBowrse
ou la Vie au Gymnase, la Veine aux Variétés et la Petite Fonctionnaire
aux Nouveautés. Il est à croire que le jeune et heureux auteur ne
pense nullement à se plaindre des directeurs du boulevard qui, par
ailleurs, ne font qu'obéir au goût du public, très séduit par la verve
douce et facile, la philosophie conciliante et la bonhomie spirituelle
d'unécrivainayant su deviner que la rosserie et la psychologie à outrance
étaient en train de finir leur temps. M. Capus a évidemment et très jus-
tement la vogue; mais ne craint-il pas que ses pièces jetées ainsi
l'une sur l'autre, à intervalles trop courts, nese nuisent réciproquement?
« Ça ne vaut pas la Veim », disait-on couramment en s'abordant jeudi
soir aux Nouveautés. Certes non, ça ne vaut pas la Veine, avec son
observation si juste et ses caractères si nettement dessinés, mais la
Veine fut écrite en vue de la Comédie-Française, théâtre de grande
tenue, tandis que la Petite Fonctionnaire était destinée aux Nouveautés,
maison de gi-os rire et de farce tapageuse. Ce n'est pas, au moins, que
M. Capus ait voulu marcher sur les brisées de M. Georges Feydeau.
Que non pas; il s'est tenu fort éloigné du vaudeville à quiproquos,
écrivant une comédie gaie, d'intrigue très simple, comme toujours,
d'entière vraisemblance et d'agrément charmant, qu'on écoute avec
infiniment de calme plaisir et à laquelle on s'égaie de toute décente
manière.
La petite Suzanne Borel est des plus convenables et absolument
honnête, ce qui lui permettra, après avoir été courtisée par M. Lebardin,
un des gros bonnets du trou de province où elle vient d'être nommée
receveuse des postes, d'épouser le jeune vicomte de Samblin, qu'elle
aime. Tout cela est fort plaisamment moral et se déroule en un milieu
de très bonnes gens qui, si par hasard ils veulent faire le mal, le
font toujours avec une entière bonté, sans compter que, tout petits pro-
vinciaux qu'ils sont, ils sont loin de manquer d'esprit parisien.
La Petite Fonct.ommire, qui, naturellement ne vaut pas la Veine, mais
est très supérieure à la Bourse ou la vie, a trouvé aux Nouveautés un
accueil chaleureux dont une part revient à l'interprétation excellente.
132
LE MÉNESTREL
M"'' Thomassin, qu'on avait à peine entr'aperçue au Vaudeville, s'est
révélée, en Suzanne Borel, comédienne exquise, primesautière, de rayon-
nante vivacité et d'adorable émotion, et M. Torin, le vicomte de Samblin,
lui a donné la réplique avec une rondeur et une fantaisie naturelle tout
à fait étonnantes. M. Germain, simiesque et déhanché à son habitude,
M. Golombey, remuant et sautillant. M""- R. Maurelet M"" Doriel ne
méritent, eus aussi, que des compliments.
Cela devait s'appeler /e C/iie/i du Commissaire et , sur une observation
de la préfecture de police, les auteurs baptisèrent leur vaudeville la Da-
me du Commi.ssaire: c'est assez dire que ce chien, prononcez secrétaire,
et cette femme de commissaire ont entre eux des rapports assez étroits.
Comme la chose se passe à Glunj-. MM. Y. de Cottens et P. Veber se
sont hardiment lancés en pleine folie et ils l'ont fait fort adroitement
(le second acte est étonnant sous ce rapport) et de façon très désopilante,
avec, en plus, de drolatiques trouvailles, tels tous ces gens déchaussés
traînés au poste pour soi-disant scandale public en un entresol dans
lequel, par les fenêtres ouvertes, les voyageurs 3'impériale de Batignolles-
Clichy-Odéon jettent, en passant, des regards effarés ou concupiscents.
CluDy doit, cette fois, tenir un succès auquel il faut associer la bonne
troupe du petit théâtre. Aux brûleurs de planches habituels, MM. Rou-
vière, Muffat, Dorgat, Gaillard, Lureau, Prévost, M°"=' Cuinet, Favelli
et Cardin, il convient d'ajouter, cette fois, M. Arnoult, qui s'est montré
de très communicative gaieté.
Pal'l-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU GRAND-PALAIS
(Premier article.)
Si le Graud-Palais — suprême vestige de feue la grande foire de 1900 —
se trouve à faible distance de la place de la Concorde, il n'y est pas tout
à fait situé. Celte constatation topographique, dont l'évidence paraîtra
certainement aveuglante et dont je crains que mes lecteurs n'incrimi-
nent tout d'abord la superfluité, résume la position respective des deux
Sociétés artistiques, la S. B. A. et la S. A. F., la Société des Beaux-
Arts et la Société des artistes français, qui vont se partager le monument
construit sur les ruines du regretté Palais de l'Industrie. Elles touchent
à la Concorde ; elles l'approximent, si j'ose parler ainsi; elles restent
en marge et se refusent à fusionner comme dans l'ancienne galerie des
machines, où pour vingt sous on faisait le tour complet de l'art contem-
porain, de Barrias à Rodin, de Bouguereau à Carolus Duran. Cette
fois il y aura deux exhibitions distinctes, deux entrées, deux tour-
niquets .
C'est la S. B. A. qui a pris possession la première de son lot, je veux
dire de la partie de l'édifice ayant vue sur l'avenue d'Autin. Ce lotisse-
ment s'imijosait: la statuaire est représentée par un petit nombre
d'envois dans la Sécession française ; ceux-ci auraient été perdus dans
l'immense nef de l'autre moitié du palais dont la S. A. F. tirera beau-
coup meilleur parti. Le vestibule placé sous la coupole de l'avenue
d'Antin est d'ailleurs un abri suffisant et môme fastueux, avec sa déco-
ration de marbres et bronzes qui rappelle les splendeurs de Versailles.
Les sculpteurs de la jeune Société s'y trouvent confortablement hospi-
talisés. L'architecture, les dessins, les objets d'art occupent toutes les
salles du pourtour ; leur installation est un peu triste et ne réjouit pas
l'œil comme au Palais des Arts libéraux. En revanche, M. Dubufe a
tiré le meilleur parti des salles du premier étage, toutes réservées à la
peinture. Des bruits assez fâcheux avaient couru sur l'utilisation de ces
salles, où les écoles étrangères s'étaient offert l'an dernier le luxe de
mises on scène variées mais généralement peu avantagées par une
lumière avare. Eh bien, celle nécropole â compartiments, l'organi-
sateur du Salon delà S. B. A. l'adiviséeleplus heureusement du monde
en dix-huit travées très aérées, très claires, meublées de façon peut-être
un peu trop bourgeoise et cossue, mais somptueuse, garnies d'épaisse
moquette rouge, de sièges et de tentures. Aucun entassement : deux
rangées de toiles au-dessus de la cimaise; l'envoi (limité à ciuq toiles)
de chaque artiste convenablement isolé et groupé ; bref, une manifes-
tation d'ensemble qui se compose d'un certain nombre de manifestations
individuelles aisément reconnaissables et donnant â l'avance l'impres-
sion, parfois, mais assez rarement l'illusion de personnalités bien dis-
tinctes.
C'est par un maître disparu, mailre incomplet, discuté, mais qui a
ses fidèles et son culte, par Jean-Charles Cazin qu'il convient de
commencer celte revue. Le peintre mort il y a un mois — et qui fut
surtout un grand paysagiste — s'était épris, sur le tard, de symbolisme
et d'allégorie : il évoquait avec joie, avec passion, des figures mythiques
en de contemporaines décorations. Le tableau que la ville de Paris a
prêté â la Société des Beaux-Arts. Souvenir de fite, remonte à 1880.
C'est une commémoration du premier « quatorze juillet » qui avait alors
l'intérêt et la fraîcheur d'une nouveauté. Pour en perpétuer le souvenir,
Cazin voulut avec raison dégager la fête nationale de tout élément poli-
tique : il assit sur un échafaudage — symbole de la France à réédifier —
trois figures de vertus civiques : le Courage militaire, la Science, l'Art,.
et les plaça sous le patronage de la Concorde, d'ailleurs indiquée dans le
tableau par une simple devise
Beau rêve, d'une àme ingénument attendrie, rêve de paix et de fia-
ternité qui nous aura valu du moins une composition remarquable. Les
figures sont solides, sans être trop précisées, dans le goût du préraphaé-
litismo anglais ; une harmonie légère faite de bleu éteint, de rose
flottant, de buée transparente qui serait une brume de lumière, enve-
loppe ces nobles comparses. Tout au fond, Paris illuminé apparaît, vu
d'une terrasse du quartier du Luxembourg, avec le dôme étincelant du
Panthéon. Au demeurant, quelque maniérisme, mais corrigé par la
sincérité de l'inspiration et la valeur décorative.
L'allégorie et le nu esthétique ne sont guère le fait de la plupart des
peintres de la Société des Beaux-Arts, généralement préoccupés de nota-
tions modernistes et de réalité contemporaine. Il y a pourtant d'hono-
rables et intéressantes exceptions. C'est ainsi que M. ADjert Fourié,
dans la grande toile qu'il intitule Vision antique, s'est efforcé de faire
revivre les traditions des maîtres de la Renaissance : ses nymphes et
ses faunes en païenne nudité dans un sous-bois manquent malheureu-
sement de grâce et de souplesse; le tableau est bien composé; les détails
sont médiocrement écrits. L'ensemble vaut surtout par le mouvement
endiablé, la belle allégresse des demi-dieux fêtards. M. Osberl, plus
symboliste, intitule Sérénité une toile remarquable où la théorie des
vierges drapées dans leurs blanches tuniques s'harmonise avec les
grêles verdures d'un bois sacré et le ciel que la cendre du crépuscule
engrisaille de sa poussière lumineusement tamisée.
Mentionnons encore l'Éclio de M. Koos, l'Age d'or de M. Ruppert-
Bunny, la Clairière et le Papillon bleu de M. Julius Stewart, spécialiste
breveté des taches de lumière que font sur les chairs nues les rayons de
soleil traversant la frondaison des sous-bois, le Châle rose indiscret et
révélateur de M. Lucas, et arrêtons-nous devant un délicat tableau de
M. Georges Callot : la Mort de la petite courtisane. C'est une Thaïs en
fleur qui repose sur le lit de parade; elle apparaît froide et décolorée-,
mais toujours menue et mignonne comme un Tanagra d'étagère; ses
compagnes l'entourent avec plus de mélancolique douceur que de réelle
tristesse; le sentiment antique de la mort considérée comme une simple
péripétie du di'ame humain, un dénouement naturel et simple, sans
tragique au-delà, sans menace de douloureuse survie pour les créatures
de luxe et de plaisir, se dégage nettement de cette courte vision funé-
raire.
M. Louis Deschamps, dont le bagage de peintre est si considérable et
qui avait bien le droit de se permettre une erreur, a usé cette fois, et
largement, voire abusé de la permission. Sa Naissance de l'Amour est le
plus étonnant déballage d'articles de bazar qu'on ait jamais réunis dans
une toile. Tout un rayon â treize; un Eros en cire, aux contours som-
maires, à la figure â peine modelée, et autour de lui un amoncellement
de jouets économiques qui semblent dépendus des branches d'un arbre
de Noël. Le coloris reste fin et nuancé : l'effet général est irrésistible-
ment comique.
On pourrait dire de M. Maurice Desvallières, d'ailleurs excellent artiste
et brillamment doué, qu'il est un peintre collectif malgré sa personna-
lité très réelle. Il résume dans ses envois non seulement son mailre
Gustave Morcau, mais Burne-Jones et bien d'autres peintres pénétrés
d'inquiétudes aussi littéraires qu'esthétiques. Il fait songer à la formule
de Rembrandt : « il m'est impossible de peindre sans penser » ; il a une
foule de pensées de derrière la tête et de par delà le tableau; il aie
goût des mystérieuses figures au sourire de Sulamites, des beautés aux
lèvres sanglantes, aux yeux glauques, aux altitudes hiératiques, aux
formes précisées çà et là par quelques scintillements de pierres pré-
cieuses : il est mythique, érudil, lyrique et parfois laborieux. A la com-
position non sans mérite mais sans clarté où il a groupé des jeunes filles,
des esclaves et une sorte de sultan ennuyé assisté d'un bourreau cou-
peur de tètes, on préférera les toiles délicatement formulées qu'il intitule
Flore, Narcissv et Fleurs de ruines. Autant d'admirables visions d'art où
s'affirme la maîtrise d'un peintre qui serait en même temps un poète
et qui, pour nous arrêter, n'ont aucun besoin de la fatigante sollicita-
tion du rébus.
J'arrive à l'œuvre si personnelle, mais si disculée et si discutable, que
M. Albert Besnard intitule Féerie intime — variation brillante mais
LE MÉNESTREL
i33
inattendue du « Spectacle dans un fauteuil » d'Alfred de Musset. Est-ce
à elle-même, est-ce à un groupe de privilégiés ou à un seul esthète élu
entre les élus que l'héroine de cette petite débauche lumineuse offre
cette féerie intime? On ne le sait pas, on ne le saura jamais. En tous
cas, voici la scène. Au milieu d'une pièce sombre où luisent le long des
murailles de vagues éclairs de dorures, où les glaces, moins vues que
devinées, piquent des notes aiguës, un fauteuil fort large sur le dossier
duquel a été jeté en un désordre pittoresque un grand manteau de den-
telle aux paillettes d'argent, tout à fait à la dernière mode. Dans ce
fauteuil et sur ce manteau s'est pelotonnée une personne grassouillette
dont un audacieux raccourci développe, si j'ose ainsi parler, la surface
charnelle et met l'épanouissement en plein relief. C'est sur cet épa-
nouissement nacré, dont le glacis rappelle les nymphes de Henner,
que le peintre a concentré toute sa virtuosité; l'épiderme du modèle
miroite, scintille, éclaire, en s'harmonisant avec les irisations dilfuses
du manteau. Pyrotechnie, ruggiérisme, feu d'artifice en chambre : en
somme, une composition aussi troublante qu'attirante, où l'on retrouve
les rares qualités avec quelques-uns des défauts de M. Besnard, peintre
exquis et coloriste outrancier.
A titre de contraste, et aussi pour rendre Justice à un ensemble déco-
ratif de l'aspect le plus émouvant, je signalerai, aux dessins, les cartons
des peintures exécutées par M. Albert Besnard pour la « chapelle dos
redressés» dans l'église de Berck-sur-Mer. C'est en quelque sorte un
ex-voto, le témoignage de reconnaissance d'un père dont l'enfant a
retrouvé la santé sur la plage de Berck et qui a voulu glorifier en quel-
ques strophes picturales le Christ des déshérités. Voici la légende de ce
poème d'angoisse, d'une profonde et poignante émotivité : « Huit com-
positions : le Christ en croix accompagne l'humanité souffrante; la dou-
leur et les péchés le crucifient. Résurrectionné, il est présent et parti-
cipe aux œuvres de la science et de la charité; l'humanité fraternelle,
heureuse et inconsciente, est la véritable résurrection. » L'idée générale
ressort plus clairement de l'exécution des cartons que de l'explication
écrite. En fait, M. Albert Besnard a voulu nous montrer le divin Maitre
mêlé et présent à toutes les souffrances de l'humanité :
Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure.
Vous qui soulTrez, venez à lui, car il guérit...
L'enfant qui naît à une vie de souffrances voué par le père à l'éternel
Crucifié; le Christ, sur son gibet, dominant la table d'opération où les
chirurgiens sondent et dissèquent la pauvre chair palpitante; l'éphèbe
moribond, pour qui la mère s'adresse au Dieu de bonté, implore la faveur
d'un miracle, voilà les scènes principales de cette suite remarquable;
il lui manque encore le prestige de la couleur, mais elle s'impose par
l'entente de la composition, le sentiment de la vérité, la distribution de
l'effet.
Autre série, d'un caractère moins âpre mais d'un beau style, la
suite des illustrations de M. James Tissot pour l'Ancien Testament. La
centaine de dessins qui occupent deux salles réservées, F et G, et qui
comportent un catalogue spécial, offre un intérêt particulier, celui
d'une restitution patiente et minutieuse. A défaut des qualités lyriques
que possèdent la plupart de nos néo-mystiques, M. James Tissot a la
conscience et l'érudition. Il dépouille l'Écriture sainte de toute conven-
tion légendaire et rend aux grandes scènes bibliques non seulement
leur décor panoramique immuable, mais les costumes et les accessoires,
nécessairement plus problématiques. Il est, ou il croit être documenté,
non seulement sur le père Noé, sur Jacob, sur Joseph, mais aussi sur
le Paradis perdu et sur ses hôtes. Il a vu Adam, Eve et leur perfide
tentateur le Serpent; peu s'en faut qu'il n'ait analysé la saveur de la
pomme. De là une collection d'images nettement précisées, œuvres plus
instructives qu'édifiantes, où fusionnent l'orientalisme et l'archéologie.
L'ensemble ne va pas sans quelque maniérisme systématique et quelque
fatigue pour le spectateur, mais, prise isolément, chacune de ces aqua-
relles vaut la belle suite de l'Evangile admirée au rez-de-chaussée du
Palais des Arts libéraux.
Les fantaisistes décorateurs sont en nombre au Salon desBeau.x-Arts.
Ils y forment un petit groupe bigarré et diapré. M. de la Touche y
occupe une des premières places, avec les cinq tableaux où il évoque, à
l'aide du coloris le plus rutilant, tantôt l'Or du Rhin, tantôt la population
aux loques ensoleillées d'une rue de Marseille. Il y a là des jaunes, des
verts, des rouges de feu de Bengale qui surprennent par leur intensité,
sans déplaire. M. de la Touche ne se montre pas pyrotechnicien moins
fougueux dans sa très curieuse suite de dessins. Vous y verrez tour à
tour Puvis de Chavannes et le Baiser de Judas, Hamlet et le cinquième
acte de Louise, Rodin et le Versailles miraculeusement doré de la fin de
saison ou merveilleusement argenté des soirs de clair de lune, Venise
et Marseille, une vision antique et une moderne sortie de bal. Album
un peu mêlé, mais dont aucun feuillet n'est négligeable et qui repose,
-par ses outrances mêmes, par son allégresse éclatante, des banalités et
des sécheresses de ce que je définirais volontiers la notation rosse.
M. Jean Veber reste le peintre des héroïnes de légende, des princesses
vêtues de robes de soleil et de lune, des défilés tintamarresques. des
buveurs à la Téniers — et à la Daumier — aux bedaines d'outrés, aux
trognes enluminées. Il a mis un peu de tout cela dans ses envois de
cette année ; il a même ajouté une intention symbolique au plus
caractérisé de ces tableautins : la princesse Joliemine : comprenez la
reine 'Wilhelmine. Pendant qu'au fond de la toile passent des lueurs
d'incendie et se découpent des silhouettes de fantoches sanguinaires, le
président Kruger,sous les espèces et apparences d'un géant barbu, baise
la main de la toute mignonne princesse, un petit Saxe rosé d'un rayon
d'aurore, dont chaque pas fait êclore des tulipes et que suit un lion de
formidable encolure. L'exécution est délicate et fine, traitée en fabliau,
sans àpreté de polémique. On ne Irouvera pas moins de charme fantai-
siste et goguenard dans le Voyaqe de Barbouillote, le Récit, les Buveurs;
mais l'œuvre maîtresse pourrait bien être Madame l'oie. Cette Madame
Oie est un admirable symbole de bêtise et de lourdeur, un animal
magnifique et chamarré qu'un cortège pompeux promène triomphale-
ment à travers la ville. Sur le chemin de l'idole la foule se prosterne ;
les balcons et les toits sont noirs de spectateurs. On ne saurait donner
avec plus d'humour une forme tangible à la morne stupidité des entraî-
nements populaires.
M. Métivet a peint un Retour de Cythère qui est la contre-partie mélo-
dramatique du rêve de Watteau. Tous ces revenants ou tous ces
revenus sont des victimes d'Éros, des damnés de la passion; ceux-ci,
attachés à la même corde, se disputent et se meurtrissent; ceux-là
manient le poignard ou le revolver; d'autres ont l'agitation de la neu-
rasthénie ou le regard fixe du gâtisme. Et voilà bien des éclopés pour
un seul tableau! Plus reposants, les envois de M. 'Willette, encore
qu'on y trouve une Assomption de Marie-Antoinette, tête coupée au-
tour de laquelle voltigent de petits amours dont le dernier arbore le
bonnet rouge, d'une ironie inutile et troublante. J'aime mieux Bébé
bourreau, une fillette serrant à pleins bras un chat qu'elle veut à toute
force plonger dans une cuvette, l'allégorie assez gracieuse : la France
désarmée sera encore la plus belle, qui serait plus justement intitulée la
toilette de Clorinde, et surtout les panneaux des quatre saisons, d'une
joliesse montmartraise. Ces petites toiles fourmillent d'aimables détails;
la verve gamine de Willette s'y donne libre carrière. Quel dommage
qu'étant si bon dessinateur et notateur si personnel, 'Willette se cou-
tente d'un coloris superficiel, et qu'il pastellise quand il devrait
peindre 1
Y/1 suivre.) Camille Le Senne.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Je ne saurais, à propos de sa nouvelle exécution au Conservatoire, eiilrer
dans de nouveaux détails sur la Messe en ré Je Beethoven. Cette œuvre
colossale, si puissante et si émouvante, a été ici-même l'objet d'une analysa
très complète, qu'il serait superflu de vouloir recommencer. Je me conten-
terai d'exprimer une fois de plus à son sujet toute mon admiration et de
constater la très haute valeur de son exécution de la part de tous : l'orchestro,
toujours égal à lui-même et dont l'ensemble était superbe: les chœurs, pleins
de vaillance, sans aucune hésitation, sans une faiblesse, en dépit de la fatigue
et de la difficulté de leur tache (oh! ces infortunés sopranU); les solistes
enfin, W^" Eléonore Blanc, dont le talent déjà si sûr semble grandir chaque
jour, M"= Dorigny, puis MU. Emile Gazeneuve et Paul Daraux, excellents et
solides tous les deux, sans oublier M. Edouard Nadaud, chargé du solo de
violon du Benedictus. En fait, l'exécution générale a été superbe, et certaines
pages, comme le Gloria, dont la puissance et l'éclat sont si merveilleux, ont
produit fimpression la plus profonde. L'interprétation était digne du grand
nom de Beethoven et de son incomparable chef-d'œuvre. Le programme se
complétait par la belle symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns. Le voi-
sinage eût été dangereux pour toute autre œuvre; celle-ci est si noble, si
pure de lignes, d'une ordonnance si pleine d'ampleur, qu'elle n'en a point
souffert. Elle a même été l'occasion et le prétexte d'une manifestation comme
j'en ai vu bien rarement au Conservatoire, où de sa nature le public, on le
sait, est assez guindé. La première partie de la symphonie était à peiae ter-
minée que des applaudissements vigoureux éclataient de toutes parts, et se
continuaient avec une telle persistance que toute une partie de la salle se
demandait ce que cela voulait dire, d'autant qu'à ces applaudissements
venaient bientôt se joindre de vives et bruyantes acclamations. C'est qu'ua
certain nombre de spectateurs avaient aperçu, en quelque sorte blotti dans
l'angle d'une première loge, la personne même de M. Saint-Saëns, se dissi-
mulant de son mieux aux regards. Mais il n'y eut pas moyen de résister, et
les acclamations et les bravos ne voulant décidément pas cesser, force fut
au compositeur de se lever et de saluer l'assistance. Et ce n'était pas fini. Le
concert terminé, une grande partie des spectateurs se massa au pied du grand
13i
LE MENESTREL
escalier, et quand M. Saint-Saëns parut, ce fut une nouvelle ovation mélangée .
de cris et de bravos, toutes les têtes se découvrant et toutes les mains se
tendant vers lui, et la foule lui faisant escorte jusqu'à la sortie. « Bah! me
dit alors un ami, comment"? il y a donc encore de l'enthousiasme en France'?
et pour un musicien français"? Qu'en vont dire les petits messieurs, faiseurs
de petite musique ou de petite critique, qui ne cessent d'éreinter celui-là et
quelques autres avec? Voilà la vo.r populi qui les juge indirectement, et dont
ils feront peut-être bien de reteuir les accents. » .T'en accepte l'augure.
A. P.
— La sixième séance des « grands concerts symphoniques de Paris »,
dirigée par un chef d'orchestre français, était entièrement consacrée à des
œuvres d'artistes français. Elle a pris, pour cette double raison, une tout
autre allure que les précédentes, et je crois bien que le public n'a pas songé
à s'en plaindre. Il l'a prouvé d'ailleurs par l'accueil qu'il a tait aux œuvres et
à celui qui eu dirigeait l'exécution. M. Messager a été salué par d'énergiques
applaudissements lorsqu'il est venu prendre place au pupitre. Le programme
qu'il avait formé, uniquement composé d'ieuvres contemporaines, sinon de
musiciens vivants, était très éclectique : les Éclides de César Franck, qu'on
a bissées, y coudoyaient la troisième Valse romantique de Chabrier, si joli-
ment instrumentée par M. Félix Moltl: les Scènes hongroises de M. Massenet,
d'une si belle venue et d'une orchestration si colorée, applaudies avec vigueur,
y voisinaient avec l'Après-midi d'un faune de M. Claude Dehussy; puis c'était
le superbe Phaéton de M. Saint-Saéns, les fragments de Péléas et Mélisande
de M. Gabriel Fauré (dont l'un, les Pileuses, a été bissé), la dramatique Mort de
Wallenstein de M.Vincent d Indy, le prélude du -i'-' acte de Messidor, de M. Al-
fred Bruneau, le tout terminé par une page étincelante, la Napali des Impres-
sions d'Italie de M. Gustave Charpentier, dont le succès a été complet. En
résumé, séance très curieuse, très vivante, et dont le public s'est montré très
satisfait.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La nouvelle loi sur « le droit d'auteur » que le Reichstag allemand dis-
cute actuellement intéresse particulièrement les compositeurs de musique.
Le Reichstag a décidé que dorénavant l'auteur d'une composition musicale aura
le droit exclusif et absolu de faire exécuter son œuvre et qu'il ne sera nulle-
ment obligé pour cela de se réserver ce droit par une note expresse imprimée
sur le titre. Cet article a été l'objet d'uae lutte très vive dans laquelle le
commissaire du gouvernement a fait ressortir avec beaucoup d'à-propos que
le célèbre compositeur de lieder, Robert Franz, a vécu dans une grande pau-
vreté, taudis que ses trois cents lieder rapportaient des somaiea énormes aux
chanteurs et entrepreneurs de concerts. Une exception a cependant été faite
pour les orphéons, qui pourront, comme par le passé, exécuter toutes les
compositions musicales qui leur plairont sans acquitter aucun droit d'auteur.
On sait quelle large place les orphéons occupent dans la vie allemande et
on comprend que la législation n'ait pas osé les soumettre à la règle générale.
— Le Reichstag a d'ailleurs décrété encore une autre exception en autorisant
les compositeurs à mettre en musique des fragments de grandes pièces de
vers et aussi toutes petites poésies qui leur plairont sans se soucier autrement
du poète. — Le Reichstag autorise ensuite l'usage éhonté que les fabricants
d'orgues de Barbarie et autres instruments aussi barbares font actuellement
des compositions musicales, mais il interdit les mêmes licences quand l'ins-
trument mécanique peut reproduire l'œuvre musicale dans sa puissance, ses
nuances et son mouvement (Zeitmaass), à l'instar d'une exécution personnelle
comme le Pianota, par exemple. Voilà un article de la loi qui va faire les
affaires de la basoche, car il y a là une question de fait qui sera des plus
difficiles à résoudre. Un orateur, le célèbre poète Traeger, a fort habilement
fait ressortir que les cartons perforés des instruments mécaniques étaient
absolument de même nature et de même but que le papier imprimé des
éditions de musique et qu'il était absurde d'autoriser la mauvaise reproduc-
tion mécanique d'une composition tandis qu'on en défendait l'exécution par-
faite. Mais le siège du gouvernement et de la majorité avait été fait par les
fabricants d'instruments mécaniques et le Reichstag a adopté la loi inique
en rejetant la proposition contraire de sa propre commission. — Un vif débat
s'est enfin eng.igé autour de l'article tendant à prolonger à cinquante ans la
durée des droits des compositeurs, actuellement limitée à trente années. Le
rapporteur de la commission a combattu pour cette extension de la durée des
droits; le commissaire du gouvernement a solennellement déclaré eutre temps
que la famille du maître de Bayreuth n'avait fait aucune démarche près du
ministère et que la plaisanterie des journaux qui parlaient d'une lex
Cosima n'avait aucun fondement. Mais le député socialiste Richter s'est élevé
contre le projet; un autre a déclaré qu'il ne voyait aucun motif pour donner
à la famille "Wagner encore quelques millions et pour priver la nation alle-
mande de Parsifat jusqu'en 1933. Une grande majorité a voté alors contre le
projet du gouvernement. La durée du droit d'auteur pendant trente années
seulement est donc maintenue en Allemagne, et Parsifai pourra être représenté
partout dès le 23 mai 1913.
— La décision du Reichstag, iixantà trente ans la durée du droit d'auteur a
provoqué beaucoup de commentaires dans la presse allemande. Il parait que
plasieurs députés auraient l'inteutiou de remettre la question sur le tapis à
l'occasion de la troisième lecture du projet de loi, ce qui serait d'ailleurs con-
traire aux usages parlementaires. Le Freisinnige Zeitung dit que M. Louis
Strecker. chef de la maison Schottde Mayence, avait pris part à l'élaboration
du projet de loi au ministère de la justice et qu'il avait insisté sur la néces-
sité de porter à cinquante ans la durée de ces droits d'auteurs. Or, la mai-
sou Schott étant l'éditeur principal des œuvres de Richard "Wagner, les
journaux n'avaient donc pas tort d'atïubler la nouvelle loi en projet du titre
de lex Cosima. Ce même journal raconte que le gouvernement bavarois défen-
dait aussi la même cause dans l'intérêt de la ville de Bayreuth. La lex
Cosima a. en général, une mauvaise presse; presque tous les grands journaux
allemands désirent que les œuvres de Wagner tombent en 1013 dans le
domaine public. Cela serait, d'après leur manière de voir, d'un véritable
intérêt national. Il ne s'agit cependant en l'espèce que des Fées et de Parsifal,
puisque toutes les autres œuvres de Wagner sont déjà jouées partout en
Allemagne. D'autre part, les journaux allemands nous semblent oublier un
peu l'intérêt des auteurs musiciens, qui est cependant respectable tout autant
que n'importe quel autre. Quand donc s'habituera-t-on à considérer la pro-
priété artistique comme toute autre propriété ? A ce titre, nous ne saurions
trop approuver toutes les extensions qu'on voudra lui donner. Et il nous
semble encore qu'on veut trop faire de tout ceci une question regardant
exclusivement les œuvres de Wagner. Il est cependant d'autres compositeurs,
et la mesure serait d'intérêt général pour toute la gent artistique.
— Un jeune compositeur suisse, M. Frédéric Niggli, a donné à Berlin un
concert consacré à l'audition de ses œuvres. Le programme comprenait une
sonate pour piano et violon, une autre sonate pour piano et violoncelle, plu-
sieurs romances, dont une sérénade sur des vers de LThIand, deux fantaisies
et un thème varié pour piano. Tout cela a été très favorablement accueilli,
notamment la sonate piano et violon, qui est, dit-on, une œuvre fort remar-
quable.
— On nous écrit de Vienne, 50 avril : o Les représentations que la haute
noblesse de Vienne organise au petit théâtre du château impérial de Schœn-
brunn au prolit de quelques œuvres de bienfaisance ont commencé. Mais
comme le kronprinz d'Allemagne devait quitter Vienne avant la première,
une répétition générale a été donnée dès la semaine passée en sa présence.
Lî petit théâtre, construit sous Louis XV, ne contient que quatre cents places,
mais c'est un véritable bijou d'architecture et de décoration. L'aigle d'Au-
triche surmonte la scène; en face se trouvent deux aigles françaises que
Napoléon I" lit placer sur la loge impériale au centre de la salle en 1809 et
que son beau-père, l'empereur François P'', n'a pas voulu enlever. Une
fresque fort belle orne le plafond; cinq lustres en cristal de roche, dont cha-
cun ferait la joie des grands collectionneurs parisiens, et qui portent aujour-
d'hui des lampes électriques, éclairent la salle a giorno. On a joué le Domino
noir, d'Auber, avec la distribution aristocratique que le .Ménestrel a déjà indi-
quée, et on a intercalé dans la scène du bal masqué au premier acte le diver-
tissement de la Cendritlon de Massenet. M. Stoll a fort bien conduit l'orchestre;
M. Godlewski, de l'Opéra impérial, avait préparé une admirable mise en
scène et une exécution brillante du divertissement. Ce n'était pas chose facile,
car les exécutants appartenaient presque tous à ces illustres familles dont le
nom ûgure dans la partie de l'almanach de Gotha réservée aux familles
autrefois souveraines et qui ont été médiatisées lors de la dissolution du
Saint-Empire. La liste de ces seigneurs et nobles dames est si longue que
nous ne pouvons citer toute la distribution. Disons cependant qu'on voyait
parmi les exécutants des jeunes princes et princesses portant les noms de
Liechtenstein, Schwarzenberg, Croy, Furstenberg, Hohenlohe, Auersperg,
Tour-et-Taxis, Montenuovo (Neipperg) et Windisch-Graetz. Voilà un corps
de ballet peu banal. Le kronprinz d'Allemagne a donné le signal des applau-
dissements après le divertissement et exprimé à l'archiduchesse Isabelle, sa
voisine dans la loge impériale, le grand plaisir que lui avaient causé la musi-
que, confiée aux meilleurs musiciens de l'Opéra impérial, et la "virtuosité des
danseurs et danseuses improvisés. Malgré le prix exorbitant des places, le
comité a été véritablement assailli de demandes; on donnera donc cette
semaine encore trois représentations, dont une en matinée. »
— Les manuscrits de Schubert trouvés à Vienne dans la succession de
l'ancien conseiller .Jean Wissiagg, et dont nous avons parlé dernièrement,
viennent d'être examinés par des experts, et leur authenticité ne fait pas
l'ombre d'un doute. L'un des cahiers n'est autre qu'un autographe de la pre-
mière partie du quatuor à cordes qui contient des variations sur la mélodie te
Mort de la jeune tu e ; sur l'enveloppe Schubert a écrit le titre : « ()«arte((o (sici)
pour deux violons, alto et violonclle. Franz Schubert, mars 1824. b M. Wissiagg
a ajouté une note pour constater que le demi-frère du compositeur, André
Schubert, a reconnu en 186"2 l'authenticité de ce manuscrit. Un autre cahier
contient en seize pages un fragment d'un quatuor à cordes dont l'identité n'a
pu être encore reconstituée et qui paraît être inédit. La succession comporte
d'ailleurs une quantité énorme de manuscrits, livres et paperasses qu'on est
en train de classer; on y retrouvera peut-être les trois autres parties du
quatuor qui manquent encore. La petite ville de Radkershurg, en Styrie,
hérite de toute la succession; il faut espérer qu'elle mettra en vente les auto-
graphes de Schubert, qui, autrement, seraient perdus et inutiles.
— Le sculpteur Johannes Benk vient de terminer da maquette du monu-
ment de Johann Strauss. Comme soubassement, un rocher sur lequel s'élève
une ravissante ligure de fem ne aux vêtements flottants, des roseaux dans les
cheveux dénoués, le bras gauche appuyé sur une urne inclinée d'où l'eau
LE MENESTREL
435
coule, et la main droite placée sur les cordes d'une harpe. Poétique person-
niCcation de la nymphe du Daiiuhe, allégorie au titre d une des plus belles
valses du compositeur : ^ Le Beau Danube bleu. » Quatre « putti » en relief,
l'un avec son violon, l'autre chantant, les deux autres dansant en cercle. Puis,
au-dessus, un merveilleux portrait de Strauss dans un médaillon. Le monu-
ment sera exécuté tout en marbre et doit être terminé au mois d'octobre
— A Vienne, pendant la semaine sainte, les théâtres impériaux restent
fermés jusqu'au lundi de Pâques et les artistes ont l'habitude d'aller se reposer
à la campagne pendant ces dix jours, s'ils ne vont pas jouer en province. Les
directeurs profitent de cette trêve de Dieu pour procéder au grand nettoyage
de leurs théâtres. C'est ainsi que le directeur du Burgthéàtre, M. Schlenther,
a entrepris pendant cette période la réfection du « trou » du souflleur, et
il a fait poser sur le pupitre une plaque rie verre entourée d'un beau cadre
sur lequel se trouve gravé en caractères gothiques le vers de Gœthe :
Avec quelques murmures, je le sais, c'est fait!
(Faust, II.)
Le souflleur, en homme avisé, comprit et, modérant son souffle puissant,
ne produisit plus pendant quelques soirées que les « murmures » désirés par
son directeur. Mais le Burgthéàtre compte parmi son personnel une vieille
garde d'artistes inamovibles, grands favoris du public, dont Toreille, déjà
dure, n'entendait rien des murmures du souflleur. Aussi, dans la soirée du
dimanche de Quasimodo, celui-ci trouva-t-il collée sur le vers de Gœthe une
bande de papier avec une autre inscription imprimée en grands caractères
rouges. C'était un vers de Schiller :
Soufflez, soufflez ! Ah, si vous aviez des clairons suédois !
SWaltenstein, II.)
Dès le premier entr'acte, le souffleur avertit aussitôt le directeur de ce
méfait: M. Schlenther se rendit sur les lieux et fit immédiatement enlever
levers de Schiller. L'aventure a défrayé pendant toute une semaine les salons
et les cafés littéraires de la capitale autrichienne.
— La débâcle du théâtre An der Wien, à Vienne, qui est toujours fer-
mé, a provoqué des négociations entre les propriétaires de l'immeuble et
le comité institué pour la fondation d'un Opéra populaire. Elles sont en
bonne voie et tout fait espérer qu'elles aboutiront. En ce cas, le théâtre qui
fut dirigé d'abord par Schikaneder, le librettiste de Mozart, et qui eut alors
la primeur de la Flûte enchantée, serait rendu à ses premières destinées.
Souhaitons qu'il retrouve un nouveau Mozart; les Schikaneder ne lui man-
queront pas.
— Les journaux allemands célèbrent le 25= anniversaire de l'inauguration
du théâtre de Bayreuth. On se rappelle qu'on y a joué en 1876 l'Anneau du
Nibeluncj et que le théâtre est ensuite resté fermé jusqu'en 1882, époque à
laquelle Wagner fit représenter Parsifal. Après sa mort, en 1883, M"'= Cosiraa
Wagner prit la direction des festspiete de Bayreuth, dont l'existence était désor-
mais assurée. On donna encore en 1884 et 1883 Parsifal; en 1886 M™» Wagner
se mit à jouer aussi les autres œuvres de son mari : Tristan et Yseull, les
Maîtres chanteurs, Tannhduser et Lohengrin. En 1896, pour la première fois, le
cycle entier de l'Anneau du Nibelung se déroula sous les yeux des fidèles.
— Voici, d'autre part, les dates définitives des représentations qui seront
données, cet été, aux Festspiele de Bayreuth : 22 juillet, le Vaisseau fantôme ;
23 juillet, Parsifal; 2b, 26, 27 et 28 juillet, première représentation de Z'^nneau;
31 juillet, Parsifal ; 1" et 4 août, le Vaisseau fantôme ; 5, 7, 8 et 11 août, Par-
sifal ; 12 août, le Vaisseau fantôme; 14, IS, 16 et 17 août, deuxième représen-
tation de t Anneau; 19 août, le Vaisseau fantôme; 20 août, Parsifal.
— Liste d'œuvres lyriques françaises jouées de l'autre côté du Rhin pen-
dant les dernières semaines de la saison : à Vienne : .Manon, Carmen, Faust,
Werther, Hamlet; à Berlin : le Prophète, Faust, Mignon, Carmen, l'Africaine, Fra
Diavolo, Sainson et Dalila : à Dresde : Samson et Dalila, Sylvia, l'Africaine.
Mifinon, la Pari du diable, la Muette de Portici, le Postillon de Lonjumeau; à Munich :
la Juive, l'Africaine, la Fille du régiment, Carmen; à Stuttg,\rt : Carmen, les
Huguenots, Mignon, les Dragons de Villars, la Fille du régiment; à WiESB.iOEN :
la Muette de Portici, Faust, le Prophète, Carmen, Mignon: a Cologne : Mignon,
h .luioe, le Prophète, Carmen, la Fille du régiment, les Huguenots; à Bonn : Car-
men, Mignon; à Carlsruhe : Roméo et Juliette, Fantasio, Cannen, Mignon, les
Huguenots, le Domino noir, le Postillon de Lonjumeau ; à Leipzig : Mignon, Carmen,
Faust; à Francfort : l'Africaine, les Huguenots, Benvenuto Cellini, le Prophète,
Guillaume Tell, le Postillon de Lonjumeau ; à Breslaij : la Fille du régiment, le
Postillon de Lonjumeau; à Brème : Carmen, Faust, Fra Diavolo.
— On vient d'inaugurer, à Moscou, la grande salle nouvelle da Conserva-
toire de musique, fondé par Nicolas Rubinstein, en présence de nombreuses
délégations de Sociétés musicales. Des discours ont été prononcés à cette
occasion par le grand-duc Constantin Constantinovitch, président de l'Aca-
démie des sciences, et par M. Safonof, conseiller d'État, directeur du Con-
servatoire, qui a été fait, à cette occasion, grand-croix de l'ordre de Saint-
Stanislas et nommé membre d'honneur de toutes les Sociétés impériales de
musique en Russie. M. Charles Widor, professeur au Conservatoire de Paris,
qui assistait à la cérémonie, a reçu également l'ordre de Saint-Stanislas et a
été nommé membre actif de la Société impériale de musique.
— C'est chose faite ! Jan Blockx, le compositeur de Princesse d'auberge, de
Milenlia, de Thyl Uylenspiegel, est nommé directeur du Conservatoire d'Anvers,
en remplacement de Peter Benoit. Le choix est heureux. A un maître flamin-
gant iUustre succède un autre maître flamand dont la gloire promet de
n'être pas moins grande, si on en juge par celles de ses œuvres si fortement
conçues qui sont déjà arrivées jusqu'à nous.
— Le succès des représentations de Louise a toujours été grandissant au
Théâtre-Lyrique de Milan jusqu'à la clôture. M. Charpentier a donc quitté
la ville, enchanté de l'accueil fait à son œuvre par le public et tranquille sur
ses destinées. Elle sera reprise au début de la saison d'automne.
— On sait que d'après les dernières volontés de Verdi, deux grandes caisses
dûment closes, pleines de manuscrits de toutes sortes et qui étaient dans les
combles de sa résidence de Sant'Agata, devaient être impitoyablement
brûlées après sa mort, avec défense de les ouvrir auparavant. Le vœu dû
maître a été pieusement respecté, le sacrifice est aujourd'hui consommé, et
un journal italien nous donne à ce sujet les détails que voici : — « Le 3avril,
obéissant rigoureusement aux dispositions testamentaires du grand maître
défunt, dans une des prairies de Sant'Agata, en présence de tous les
familiers et de quelques amis, ou a placé sur un haut bûcher de bois rési-
neux les deux grandes caisses qui, par sa volonté expresse, devaient être
détruites, et en peu d'instants cette volonté fut accomplie. Impossible d'ima-
giner la tristesse solennelle de cette douloureuse cérémonie, qui a peut-être
privé le monde de nouvelles œuvres géniales de l'illustre musicien. «Le sort
en est jeté. Il n'y aura pas d'œuvres posthumes de Verdi.
— Les affaires vont mal à Catane pour la préparation des fêtes du cente-
naire de Bellini. Le comité général s'est réuni récemment pour accepter
les démissions de plusieurs de ses membres, et dans cette séance plusieurs
autres membres se sont démis, entre autres le vice-président du comité, qui
se trouve ainsi réduit à sa plus simple expresion. Le Carrière di Catania dit à
ce sujet : — k Gomme les lecteurs auront pu l'observer, lés démissions suc-
cèdent aux démissions, et c'est la meilleure partie du comité qui s'en va, celle
qui aurait pu donner une sérieuse impulsion aux fêtes, mais qui n'a pu rien
faire parce qu'elle est entourée d'éléments très hétérogènes, qui sont un
embarras au lieu d'être une aide. » On demande aujourd'hui que le syndic
dissolve ce comité pour en constituer un autre plus homogène, moins nom-
breux et avec des éléments qui répondent au but, lequel est « de célébrer
l'anniversaire avec dignité et le sérieux qui sont dus au nom de Vincenzo
Bellini. »
— On a donné au théâtre Costanzi de Rome, le 13 avril, la première repré-
sentation de Lorenza, opéra en trois actes, paroles anonymes (que l'on croit
être de M. Luigi lUica), musique de M. EdoardoMascheroni, le chef d'orches-
tre renommé. C'était le début à la scène de M. Mascheroni. qui ne s'était
encore fait connaître, comme compositeur, que par une messe de Requiem,
exécutée en 1899 pour l'anniversaire de la mort du roi Victor-Emmanuel. Ce
début paraît avoir été très heureux, et le nouvel ouvrage a reçu du public
romain un excellent accueil. L'exécution était d'ailleurs au-dessus de tout
éloge. Les interprètes étaient M""^ Gemma Bellincioni et Giacomini,
MM. Bassi, Pessina et Gironi.
— L'heureux auteur d'André Chénier, M. Umberto Giordano — qui vient
d'avoir la douleur de perdre sa mère — a terminé dernièrement son nouvel
opéra, Siberia. Cet ouvrage sera représenté au Théâtre Lyrique de Milan au
cours de la prochaine saison d'automne, avec, comme principaux interprètes,
M"'= Eva Tetrazzini, le ténor Caruso et le baryton Sammarco.
— Don Lorenzo Perosi a un frère, don Marziano Perosi, qui semble vouloir
marcher sur ses traces. Tout en faisant ses études de mathématiques et de
philosophie, celui-ci s'occupe aussi très activement de musique, et il vient
de faire ses débuts de compositeur avec une élégie sacrée, l'Addolorata, qu'il
a fait exécuter le vendredi-saint, sous sa direction personnelle, dans l'église
des Jésuites de Chierî. Cette élégie pour chaut et orchestre, qui semble avoir
l'importance d'un oratorio, est divisée en trois parties : Scène du Calvaire,
Scène de la nuit. Scène du Limbe. « Le style de cette élégie, dit un journal, qui
est tout à la fois éminemment dramatique et classique, a plu beaucoup au
public, qui a exprimé le désir de l'entendre de nouveau. »
— Au concert du Crystal- Palace à Londres, où s'est fait entendre M"'-' Clo-
tilde Kleeberg, la si remarquable pianiste, vif succès pour les Abeilles de
Théodore Dubois et l'étude artistique de Benjamin Godard intitulée iJfisaJ/esf
— Moulai Abdoul-el-Aziz. le jeune sultan du Maroc, est un amateur de
musique bien singulier; l'instrument de musique qu'il préfère à tous les
autres et dont il joue d'ailleurs personnellement est la cornemuse écossaise
(bag-pipe). On vient de lui en livrer une absolument unique, qu'il avait com-
mandée à Glascow: elle est richement incrustée d'or et a coûté la bagatelle
de 7.800 francs. Sa Majesté chérifienne a fait venir d'Ecosse, il y a quelques
années, le plus célèbre joueur de cornemuse, qu'on voit à présent se prome-
ner à la cour de Marakech dans son costume national. Les Arabes ont été
longtemps stupéfiés de sa barbe rousse, de ses gros mollets nus et du tablier
à carreaux qui lui sert de pantalon; mais ils trouvent sa musique délicieuse.
Quel succès pourrait bien avoir dans ces conditions un contre-bassoû 1
— On est en train de construire à Chicago une nouvelle salle de concerts,'
dont les dimensions seront celles de l'Albert H'atrd'ëLondres.Eésîràis'sont
évalués à l.SOO.OOO francs.
136
LE MÉNESTREL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des Beaux-Arts, répondant à la ilemande qui lui avait été
faite par le Ministre de l'instruction publique de lui désigner six anciens
grands-prix de Rome parmi lesquels il choisirait celui dont le directeur de
l'Opéra doit, aux termes de sou cahier des charges, représenter soit un opéra,
soit un ballet, a dressé la liste suivante, eu rangeant les candidats par ordre
d'aucienneté : MM. Paul Hillemacher, grand-prix de 1870; Lucien Ilillema-
eher, grand-prix de 18S0; Georges Marty, grand-prix de 1882; Bachelet,
grand-prix de 1889 ; Silver, grand-prix de 1891 ; Henri Biisser, grand-prix
de 1892.
— Aujourd'hui, à l'Opéra, représentation gratuite. On donnera Thais.
Directeur superbe et généreux, M. Gailhard oilVe au peuple le meilleur de
ses spectacles parmi ceux qui tiennent actuellement l'alliche.
— Petites nouvelles de l'Opéra-Gomique : Demain lundi, première repré-
sentation de l'Ouragan. — Jeudi 2 mai, matinée extraordinaire au profit de
M. Morlet, avec le concours des principaux artistes des théâtres de Paris.
Prix des places au tarif habituel de l'Opéra-Gomique. — M^i^ de Graponne a
pris possession, l'autre soir, du rôle de Mignon. L'intelligente artiste y a eu
grand succès, et comme elle est fort bipu entourée (Philine, M""' Landouzy;
Wilhem Meister, M. Léon Beyle; Lothario, M. Boudouresque; Laerte,
M. Cazeneuve), l'œuvre a énormément porté sur le public. — Spectacles
d'aujourd'hui dimanche : en matinée, Mireille, le soir, Mamin.
— Demain lundi, au Queen's Hall de Londres, M. Edouard Golonne diri-
gera un grand concert symphonique avec le concours de M"'" Blanche
Marchés!.
— Notre confrère italien le Trovatore nous apporte dessouvenirscurieux sur
la carrière « musicale » de la famille Poniatowski, dont le membre le plus
en vue, le prince Joseph, fut, on le sait, naturalisé français après avoir été
naturalisé toscan, et devint sénateur du second empire après avoir été
membre de la Chambre des députés de Florence : « Après la disparition du
royaume de Pologne, dit notre confrère, la famille Poniatowski s'éparpilla
en diverses parties de l'Europe et S-> consacra à la musique. Ayant perdu
tous ses droits au trône, elle voulut remplacer la couronne royale par les
lauriers artistiques. Gelui qui déploya les plus grands talents fut le prince
Joseph Poniatowski, fils de Stanislas et filleul du roi Stanislas-Auguste. Né à
Rome en 181G, mort à Londres en 1873, c'était un compositeur sui generis. Il
écrivit Don Desiderio, Bonifazio de' Geremei et plusieurs autres opéras.
Il assumait les diverses fonctions à'impresario et de chef d'orchestre, il
chantait l'emploi des ténors, il écrivait des poésies... Ses sœurs Elena et
Costanza (marquise Zappi) devinrent chanteuses ; son frèro Garlo devint
basse, et la femme de celui-ci, Elisa, soprano. Li prince Joseph, fils naturel
du héros de L3ipzig, adopté par sa tante, la comtesse Eyszkiewicz, chantait
les ténors dans les opéras-comiques français. Les directeurs se faisaient
concurrence pour engager les Poniatowski, qui non seulement chantaient
gratis, mais payaient tous les frais du théâtre. Le 10 mars 1839, à Florence,
la princesse Elena chantait le rôle de Desdemona dans l'Otello de Rossini,
tandis que son frère, le prince Joseph, faisait Otello. Dans la même année,
le prince Joseph et sa sœur Gostanza, marquise Zappi, débutèrent dans
VElisir d'amore; le prince Garlo recueillait des applaudissements dans G(Ouan?ii
da Procida et dans l'Ilaliana in Algeri de Rossini, où la princesse Elisa chan-
tait le rôle d'Isabelle, le prince Garlo celui de Mustafà et le prince Joseph
celui de Taddeo. Après avoir fait ces débuts sur diverses scènes d'Italie, les
joyeux princes louèrent, en 1844, un théâtre de Florence pour y jouer Linda
de Donizetti, et tous les billets étaient gratuits. Les interprètes de l'ouvrage
étaient la princesse Elisa, le prince Garlo et le prince Joseph. Le succès
devait être colossal. Le public délirait et hurlait d'enthousiasme. La nouvelle
de l'immense triomphe des Poniatowski se répandit en un clin d'œil dans
toute la Péninsule. Le prince Joseph profita de ce moment heureux et partit
pour Ancône afin d'y mettre en scène son opéra de Bonifazio de' Geremei, qui,
on le comprend, eut un succès fou, qui se reproduisit à Lucques et à Venise.
C'est de cette façon que se divertissaient ces princes royaux.. . » Complétons
les détails relatifs personnellement au prince Joseph, qui, une fois arrivé en
France, se mit à envahir nos théâtres d'une façon indiscrète comme compo-
siteur, et se fit jouer partout : à l'Opéra, Pierre de Médias, 1860, au Théâtre-
Lyrique, Au travers du mur (qu'il fit reprendre ensuite à l'Opéra-Gomique),
1860, et l'Aventurier (1865), et au Tbéàtre-ltalien, la Contessina, 1868. Sa fin
n'en fut pas moins mélancolique. Il avait obtenu de l'empereur le privilège
d'une entreprise commerciale qui fut désastreuse; il y avait engagé plus que
les ressources dont il pouvait disposer et vit prendre contre lui des juge-
ments qui amenèrent la saisie de tous ses effets mobiliers. Les événements
de 1870 l'obligèrent à se réfugier à Londres, où il arriva dans un dénue-
ment complet. Il se mit alors à donner des leçons de chant pour vivre, écrivit
un nouvel opéra, Gelmina, qui fut joué à Govent-Garden par M°" Adelina
Patti, Naudin, Gotogni, Bagaggiolo etTagliafico, et se préparait à partir pour
l'Amérique comme chef d'orchestre d'une compagnie lyrique formée par
l'entrepreneur UUmann lorsqu'il mourut presque subitement de la rupture
d'un vaisseau dans la poitrine.
— Dimanche dernier, à Saint-Vincent-de-Paul, M. Théodore Dubois a
dirigé lui-même rexécution de sa nouvelle Messe de Saint-Remi. Excellente
impression.
— M"" Andrée-Louis Lacombe est rentrée à Paris, cette semaine, retour
d'Allemagne, où, après avoir assisté aux représentations de l'œuvre de son
mari, à Sondershausen, elle a fait une petite tournée, semant partout la foi
en la musique de Lacombe et étant, partout, fort bien accueillie.
— Dimanche dernier, dans les salons de la maison Gaveau, M. Antonin
Marmontel a présenté discrètement, à un auditoire choisi, ses nombreuses
élèves, aussi bien celles qu'en m'excusanf j'appellerai anciennes, ne trouvant
pas d'autre mot, que celles de la classe du Conservatoire dont il est titulaire.
Au programme, rien que des œuvres de Théodore Dubois. L'idée était char-
mante de faire exécuter les œuvres exquises d'un maître particulièrement
fin et délicat par de gracieuses jeunes filles. Il y avait mémo quelque chose
d'inattendu à voir la plupart d'entre elles affirmer la diversité de leur talent
et les nuances de leur caractère dans une même composition : ce Thème varié
d'un beau sentiment et d'une facture distinguée, avec lequel des pièces tirées
des Poèmes Virgiliens ont formé une agréable diversion. Quelques mélodies ont
servi d'intermèdes : Par le sentier. Chanson de mai, Au bord de l'eau, et aussi
des fragments à'Aben-Hnmet. Après cette petite fête, quelqu'un faisant remar-
quer que le thème varié qui avait été entendu douze fois, quinze fois, je ne
sais trop, restait aussi frais, aussi délicieux qu'après la première audition,
M. Théodore Dubois ajouta aussitôt : « Oh! interprété comme cela! » Le mot
était dit à propos de l'élève qui avait joué la dernière, mais toutes doivent en
prendre leur part. Le professeur, M. Marmontel, a été hautement compli-
menté des résultats d'un enseignement qui est pour lui une tradition de
famille et dont il peut être fier à bon droit. Am. B.
— Au Nouveau-Théâtre M. Anton Sistermans, une basse-chantante renom-
mée de l'autre côté du Rhin comme chanteur de lieder, a obtenu d'emblée la
consécration parisienne. M. Sistermans dispose d'une voix magnifique, admi-
rablement timbrée, sonore, flexible et malléable, mais qui ne monte pas
facilement au-dessus du mi, ce qui n'est pas sans le gêner parfois. Il conduit
sa voix avec habileté et dans les meilleures traditions du véritable art du
chant; disons tout de suite qu'il est, deparsonmaitre,unpelit-filsartistiquede
Manuel Garcia et qu'il fait honneur à cette filiation. M. Sistermans a chanté
en allemand des mélodies de Schubert, Scbumann et Brahms qu'on entend
fort rarement chez nous et, en français. Oh! quand je dors, de Lalo, l'Heureux
vagabond, de M. Bruneau, et Si tu veux, mignonne, de Massenet, qu'on a
acclamé. Les Parisiens assez rares dans la salle, remplie de compatriotes de
M. Sistermans, se regardaient pourtant avec stupéfaction, car l'artiste pro-
nonce le français avec un accent qui semble plutôt venir des bords de la
Garonne que de ceux du Rhin. Aurait-il pris les conseils de M. Gailhard,
avant d'afl'ronter le public parisien?
— Santiago Riera, le déjà célèbre virtuose, a remporté un grand et légi-
time succès à la salle Erard. Le son est beau et plein, le mécanisme remar-
quable, le toucher plein de variété. Il a admirablement exécuté la Fantaisie
et Fvgne sur 1> thème B. A. G. H. de Liszt, la belle Sonate (op. 33) de
Beethoven, des œuvres de Schumann, Brahms, Chopin, Ruhinstein, de
Bériot, tes Abeilles (poème virgilien) et le Preludio Patetico do Th. Dubois
(première audition) ; ce dernier morceau, dédié par le maitre à M. Riera,
a été très goûté du public et lui a valu de vifs applaudissements.
— Très beau succès, mardi dernier, pour Armand Ferté dans le concert
qu'il donnait à la salle Erard avec le concours de son éminent maitre Louis
Diémer et de l'orchestre dirigé par Ed. Colonne. Après le concerto de
Beethoven, Armand Ferté a joué le concerto de Saint-Saéns en sol mineur
avec un charme, une grandeur et une vélocité incomparables. Les Variations
pour deux pianos de R. Fischhof, exécutées par MM. Louis Diémer et Armand
Ferté, ont été un vrai régal artistique et ont valu au grand maitre et à son
brillant élève maints et maints rappels. A la fin du concert, le jeune artiste
a été acclamé par toute la salle.
— Une de nos grandes Sociétés orphéoniques, « les Amis de la gaîté Gala-
doise », à Villefranche, a donné, avec le concours de l'orchestre du Grand-
Théâtre de Lyon, et sous l'habile direction de M. Walter, le Guillaume le
Conquérant de M. Emile Bernard. L'œuvre nouvelle a fait grand effet.
— M. Silver (prix de Rome de 1891) vient de terminer la partition de la
Belle au bois dormant, féerie lyrique en quatre actes, poème de MM. Michel
Carré et Paul Collin. Cet ouvrage important sera créé l'hiver prochain au
Grand-Théâtre de Marseille. Ce sera une tentative de décentralisation des
plus intéressantes.
— Concerts .vnnonxks. — La Société des InstrumciUs anciens-donnera ses deux séances
annuelles les mardis 30 avril et 7 mai, ù 'i heures de l'après-midi, à la salle Érard, avec
le concours de M"° Marcella Pregi, de M"' Dalseme-Ribeyre et de MM. G. Gillet et Ph.
Gaubert. Les auditeurs ne retrouveront cette année que trois des londateurs de cette
célèbre Société ; MM. Louis Diémer, GriUet et Van Waefelghem. Le quatrième, le regretté
Jules Delsart, est remplacé par SI. Papin, l'érainenl violoncelle-solo de l'Opéra, qui
tiendra la viole de gambe. — M"" Jlalliilde Polack donnera le samedi 'i mai, à la salle
Lrard, un concert avec le concours de M™" la comtesse de Guerne et de M. Léon Delafosse.
L'orchestre, dirigé par M. Camille CheviUard, accompagnera la remarquable cantatrice
dans l'air A'Alceste et celui du Cid. — C'est le jeudi 2 mai que M"" Clotilde Kleeberg, la
charmante et remarquable pianiste, donnera son concert à la salle lirard. Programme
classique exclusivement.
Henri Heugel, directeur-gérant.
. -~ (Encn Lotilicux}.
l/l
DimaDche S Mai 1901
3658. - «7- mm - îi" 48. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2"*, me Tivieniie, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
LE
MENESTREL
Le Huméro : 0 îf. 30
MUSIQUE ET TIIEATK.es
ilENRi HEUGEL. Directeur
lie Kamépo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Hbnri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 W«, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
i. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (10" article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : première représentation de l'Ouragan à l'Opéra -Comique,
Arthur Pougin ; reprise du Tovr du Monde au Clidtelet, P.-E. C. — III. La musique et
le théâtre aux Salons du Grand-Palais (2" article), Camille Le Senne. — IV. INouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
BRU NETTE (1703)
n" 7 des Chants de France, harmonisés par A. Périlhou. — Suivra immédia-
tement : Au très aimé, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie d'après Caroline
DUEB. _^
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublieroas dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Souvenir, n° 9 des Nàives, de Loms Lacombe. — Suivra immédiatement :
Impression de neige, tirée du Poème du silence, d'EsNESi Moret.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et (1
(Suite.)
DEUXIÈME PARTIE
LES ÉTRANOERS EN FRANCE
I
Nouveaux acteurs et nouvelles pièces. — Influences étrangères : les groupes sympa-
thiques et les indépendan's. — Steibelt et ses incohérences. — Un esclandre qui finit
bien. — Jeu diabolique de Steibelt sur le piano. — Sa mise en scène. — Une in-
lervenlion diplomatique. — Basses es sur bassesses. — Sic vos non vobis...
Dans la seconde moitié du XVIII' siècle, l'influence de Rameau,
après avoir prédominé quelque temps sur la scène française,
pâlit, s'efface et disparait. C'est à peine si Castor et Pollux, rema-
nié au point de n'être plus reconnaissable, obtient de maigres
applaudissements d'un public distrait ou ennuyé.
L'œuvre de Lulli jette encore quelques lueurs. Mais le nom
qui domine tous les autres à cette période de notre histoire
m-dsicale est celui de Gluck, de qui Eugène Delacroix a dit si
justement : « Il a donné l'exemple le plus remarquable de cette
force de volonté qui n'était autre que celle de son génie. »
Piccinni, le rival, parfois heureux, de Gluck, n'était certes pas
indigne de lutter contre le maître allemand. En même temps
que lui, ou après lui, Sacchini et Salieri sont les représentants
les plus autorisés du génie musical italien dans ce qu'il comporte
de passion et de force, d'élégance et d'éclat. Paisiello et Gima-
rosa sont la grâce, l'esprit, la gaité de cette brillante école.
Monsigny, Philidor et Grétry créent ou transforment l'opéra-
comique français. Dans les dernières années du siècle, les œuvres
lyriques ou sacrées de Gossec, de Méhul, de Gherubini, de
Lesueur, font l'éternel honneur de l'école française.
Dans les concerts publics et particuliers, le dilettantisme pari-
sien acclamait les compositions d'Haydn, de Mozart, de Hummel.
En dehors de ces groupes, qui synthétisaient des ressem-
blances ou plutôt des tendances communes, sans action cepen-
dant sur l'originalité de chacun, marchaient des esprits indé-
pendants, impatients de toute contrainte, ne reconnaissant ni
règles, ni écoles, s'abandonnant à leur seule inspiration, quel
qu'en fiît l'origine ou le résultat, capables de s'élever jusqu'aux
étoiles quand ils ne s'effondraient pas dans les abîmes, en un
mot les enfants perdus, les irréguliers, les incohérents de l'art
musical.
Parmi eux figurait ce bizarre personnage, né à Berlin, qui
avait nom Steibelt (1). Fétis dans son Dictionnaire et Norvins
dans son Mémorial (2) signalent la présence de ce musicien à
Paris vers 1790, et constatent avec quelle rapidité presque fou-
droyante cet inconnu de la veille devint une célébrité du lende-
main, en dépit du plus détestable caractère.
Le futur historien de Napoléon, Norvins, à qui sa fortune per-
sonnelle et ses relations familiales permettaient de mener la vie
oisive des jeunes gens à la mode, avait rencontré Steibelt chez
M"" de Brunville, « le plus fort amateur de Paris sur le piano
après M°" de Montgeroult ». Le mondain s'enticha de l'artiste et
le mena, un soir d'opéra, à la représentation du Démophon de
A'ogel. Steibelt ne connaissait pas encore l'Académie royale de
Musique. L'ouverture était à peine commencée que la nervosité
maladive de l'Allemand, mise en jeu et bientôt violemment
surexcitée par les timbres de l'orchestre, éclata en applaudisse-
ments, en trépignements, en exclamations enthousiastes. Le par-
terre, le balcon, les loges, toute la salle enfin murmura, puis
protesta plus énergiquement contre l'interrupteur.
— A la porte I à la porte I criait-on de toutes parts.
Il fallut que Norvins le présentât comme un des plus grands
maîtres allemands: l'art germain était déjà en vogue. Les spec-
tateurs se 'laissèrent convaincre. Et Steibelt sut si bien les entraî-
ner par la fougue de son admiration qu'ils réclamèrent tous avec
lui une nouvelle audition de l'ouverture, qui leur fut immédiate-
ment accordée.
(1) Le Ménestrel de 1877 contient une étude du regretté Marmontel sur Steibelt.
(2) Oe Norvins. — Mémorial publié par L. Laozac de Laborie. Pion, 1896.
138
VE MÉNESTRiEL
Le nouveau venu se distinguait par un remarquable talent sur
le piano-forte. Il triompha, dit Fétis, de son compatriote Her-
mann, qui donnait des leçons à Marie -Antoinette et que proté-
geait sa royale élève. Norvins assure qu"il « détrôna Dussek par
sa charlatanerie du.jeu des pédales ». Il est certain que Steibelt
dut une bonne partie de son retentissant succès au savoir-faire
dont il appuyait l'incontestable autorité de son exécution. Peut-
être fut-il rinitiateur de cette mise en scène, pratiquée depuis
par tant de jpianistes. En tout cas, il y apporta la science oon-
sommée d'un homme qui n'ignorait rien des faiblesses de ses
contemporains. C'était l'époque oij les meflleurs esprits se pas-
sionnaient pour les expériences de Mesmer et la fantasmagorie
de Cagliostro ; les francs-maçons tournaient à l'illuminisme ; et
dans cette fin d'un monde, où s'écroulaient, sous les coups de
la philosophie et de l'athéisme, des croyances politiques et reli-
gieuses vieilles de quatorze siècles, les libres-penseurs eu.x-
mémes se laissaient prendre aux illusions de la thaumaturgie.
Steibelt s'était rendu compte de cet état d'àme. S'il en parta-
gea les inconséquences et les entraînements, s'il fut réellement
de bonne foi dans les manifestations de cette imprégnation
cérébrale, ce fut du moins en habile virtuose, qui sait mettre à
profit les engagements de l'heure présente.
Norvins en fut témoin chez sa cousine. M"'" de la Briche, pa-
rente des la Live, une des grandes familles de la finance au
XVIIP siècle.
Dans ces magnifiques salons où se pressait l'aristocratie de la
naissance et de l'argent, dans cette sorte d'académie littéraire
et musicale où fréquentait l'élite de la France intellectuelle,
poètes, artistes et savants, se présenta Steibelt, précédé de sa
réputation de prestigieux et fantasque virtuose, l'oeil sombre et
fatal, le front chargé de nuages, l'allure inspirée. Il marcha
droit au piano, s'y plaça en conquérant et préluda par une
improvisation brillante qui lui valut un tonnerre d'applaudis-
sements.
Puis il se recueillit quelques secondes, et d'une voix brève,
d'un geste impérieux, il ordonna qu'on éteignit le lustre, les
candélabres et jusqu'aux deux bougies fixées sur le piano. Le
feu de la cheminée éclairait seul la pièce, et ses lueurs rou-
geàtres dansaient sur les visages inquiets des dames assises au
premier rang. Chacun, intrigué de ces... préparations jusqu'alors
inusitées dans le monde des artistes, échangeait à voix basse
quelques mots avec ses voisins. Une suite d'arpèges vifs et
saccadés commanda le silence.
Puis une nouvelle pause. Enfin, quand il n'entendit plus le
moindre murmure, Steibelt plaqua de formidables accords sur
le clavier ; et soudain se détacha un véritable ouragan musical,
avec force sifflements sinistres, hurlements lugubres et ricane-
ments sataniques, qui fit courber toutes les têtes et serrer tous les
cœurs.
Une fois l'exécution terminée, et pendant (jue les laquais
rallumaient les bougies, Steibelt, ce petit homme noir, vif, agité,
aux traits d'une mobilité excessive, se glissait de fauteuil en
fauteuil, baragouinant dans une langue moitié française et
moitié allemande des phrases inintelligibles, s'arrêtant avec
complaisance devant les plus jolies femmes et leur baisant les
mains avec effusion.
On comprend de reste que cette séance suffit à la curiosité de
M""^ de la Briche. Cette dame laissa à de plus épris qu'elle
d'harmonies fantastiques le privilège de recevoir ce musicien
démoniaque.
A vrai dire, Steibelt ne se livrait pas toujours aussi facile-
ment. Invité chez la marquise de Brisay, il se défendit absolu-
ment de jouer malgré les instances et même les prières de la
maîtresse de la maison. La situation devenait pénible pour
tout le monde, quand un homme de haute taille marcha droit à
Steibelt, et, lui touchant le bras, lui dit, les yeux dans les yeux:
— Vous allez jouer et sur-le-champ.
Steibelt, comme médusé par cette apparition, pâlit affreuse-
ment et se dirigea, en chancelant, vers le piano. Son jeu ne se
ressentit pas de cette subite terreur. Jamais il n'avait été plus
pathétique ni plus saisissant. L'artiste passa en revue tout son
répertoire : on crut un instant qu'on ne pourrait plus l'arrêter.
Norvins apprit plus tard le mot de cette énigme. Le person-
nage dont l'intervention avait eu si facilement raison de l'entê-
tement de Steibelt était le baron de Goltz, ministre de Prusse à
la Cour de France. Il connaissait, par le menu, toute l'histoire et
tout le passé de son compatriote. Steibelt, d'abord protégé par
le roi Prédéric-GuiTlaume II, s'était vu retirer brusquement la
faveur du prince. Il a^ait commis un vol qui l'avait fait chasser
'de Berlin, et le baron de 'Goltz avait contre le coupable une
demande fl'exitradition qu'il ne tenait qu'à lui de présenter au
gouvernement français.
L'indélicatesse du musicien peut seule excuser le procédé du
diplomate prussien ; autrement, ce serait une page de plus pour
le martyrologe de l'art : en effet, combien d'instrumentistes,
même au XVIII'^ siècle, durent passer par les exigences des
grands, sous peine du bâton ou du cachot I
D'ailleurs, Steibelt était coutumier du fait. Avant de venir à
Paris il avait vendu des sonates que Boyer, le prédécesseur
des frères Naderman, lui acheta comme inédites. Fétis, qui
rapporte le fait, ajoute, sans autres explications, que Steibelt
dut quitter Paris, en 1798, pour de « graves erreurs ». Beaucoup
plus explicite, Norvins avoue qu'il a été bel et bien volé par
l'artiste dont il avait entrepris l'éducation parisienne. Que de
complaisance n'avait-il pas eues pour le compositeur! Il lui
avait écrit, à sa demande, un opéra sur Roméo et Juliette. Et Stei-
belt venait y travailler chez Norvins, qui demeurait alors place
Vendôme. Déjà l'ouverture, un morceau symphonique des plus
brillants, était terminée, quand le librettiste s'aperçut que les
visites de son ami coïncidaient avec la disparition de menus
objets auxquels il tenait fort. Un jour, Norvins ne put même
plus douter : aussi consigna-t-il le fripon à sa porte. Mais Stei-
belt, qui emportait toujours le manuscrit de Norvins, se garda
bien de le lui renvoyer : il le communiqua depuis à Ségur, qui
le mit au point et qui, la partition une fois terminée, fit recevoir
l'opéra au théâtre Feydeau, où le talent de M""' Scio lui assura
un fort beau succès.
Norvins apprit par la suite que Steibelt avait été pendu à
Londres, mais il rectifie presque aussitôt cette information. Le
sacripant, que» son caractère insociable », dit Fétis, avait obligé
à quitter l'Angleterre, était parvenu à s'évader de la prison où
il subissait sa peine.
Ce génie incomplet, aussi fougueux que diffus, incorrect mais
émouvant, devait mourir en 1823, à Saint-PétersbouTg, de misère
et d'épuisement.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Opéra-Comiqiie. L'Ouragan, drame lyrique en quatre actes, paroles de
M. Emile Zola, musique de M. Alfred Bruneau. (Première repriSsentation
le 29 avril 1901.)
MM. Emile Zola et Alfred Bruneau, les deux pontifes de l'art lyrique
(I modem stijle » ne peuvent rien faire comme le commun des mortels.
Comme ils sentent tout naturellement que l'univers entier ne cesse
d'avoir les yeux fixés sur eux, que rien de ce qui les intéresse ne peut
laisser riaumanité iodifférente, qu'ils ne peuvent cracher, ni leur plume
non plus, sans qu'on se demande aussitôt de toutes parts quel événement
va se produire, ils éprouvent un besoin aussi instinctif qu'impérieux de
faire leurs confidences au public avant de lui otfrir un des fruits savou-
reux de leur puissante collaboration. On se rappelle le manifeste majes-
tueux par lequel, à la première page d'un grand journal, ils annoncè-
rent naguère la venue au monde de leur Messidor, que tous leurs soins
pourtant n'empêchèrent pas de mourir de langueur avant l'aurore de
son douzième jour, je veux dire avant sa douzième représentation. Avec
moins de majesté, mais non moins de sollicitude, ils viennent de s'adres-
ser de nouveau aupublicpourlui faire connaître les sentiments très com-
plexes qui les avaient guidés dans l'enfantement de leur dernier chef-
d'œuvre, l'Ouragan . Cette fois, c'est sous la forme d'un simple « aver-
tissement » placé en tète du programme de la première représentation
LE MÉNESTREL
1,3,9
qu'Us ont voulu communiquer avec la foule de leurs admiraleurs, Le
morceau est tellement savoureux que je m'en voudrais de ne point le
communiquer à mon tour à ceux de mes lecteurs qui n'ont pas eu la joie
d'assister à cette folle soirée — qui n'a rien de commun avec « la foUe
journée » de Beaumarchais. Un tel moaument de psychologie artistique
appartient de droit à l'histoire. Le voici dans toute sa beauté :
Les deux auteurs, MM: Alfred Bruneau et Emile Zola, le muaiaien et le
librettiste, sont partis de cette idée d'une œuvre très simple, très une, très
grande, dans laquelle ils mettraient aux prises les passions humaines déchaî-
nées, poussées à leur paro.xysme. D'ahord l'amour, et dans l'amour les divers
amours : L'ingénu et le chaste, le passionné et le sensuel, le dominateur et le
farouche, et, avec l'amour, naturellement, les troubles de l'être qui l'accom-
pagnent : le désir, la volupté, la jalousie. Ensuite, les autres passions, les
autres sentiments: les cœurs qui se sacrifient, les cœurs que rien ne dompte,
la tendresse, la bonté, l'orgueil, la haine, la pitié, l'horreur, tout ce qui est
le meilleur dans l'homme et qui peut en devenir le pire.
Et la pensée des auteurs a donc été de prendre ainsi tous ces facteurs du
drame humain, de les pousser à leur expression la plus tragique, de les
exaspérer (il ne faut jamais exaspérer les facteurs) et de les heurter dans une
action la plus nette et la plus décisive possible. De l'essence d'humanité, si l'on
peut dire (rien que cal). C'est l'ouragan de nos passions qui, tout d'un coup,
sans raison, souffle dans notre ciel bleu, dans le train ordinaire de notre vie,
qui saccage et emporte tout, jusqu'au retour du joyeux soleil (emporter un
retour, l'image est aussi belle que hardie), nous laissant dévastés, saignants,
devant l'existence qui commence. L'horizon de nouveau se déroule, le voya-
geur se remet en marche pour finfini, pour l'inconnu des vastes mers (il
marche donc sur la mer??).
Cet ouragan humain, la soudaine rafale de passion, de folie et de crime
qui parfois nous i-avage, les auteurs ont voulu: lui donner pour cadre un
ouragan des éléments eux-mêmes (nouvelle image : un<)uragan qui est un
cadre), le ciel clair qui brusquement devient noir; le vent qui hurle en tem-
pête (et les chanteurs aussi, hélas!), la mer démontée qui engloutit les barques,
jusqu'au moment où le ciel se remet à resplendù' sur la mer calmée, enso-
leillée. Et dès lors, le sujet et le milieu étaient fixés, ils n'ont plus eu qu'à
créer deux frères, deux sœurs (il n'y avait pas autre chose à faire), à les jeter
dans une situation qui les affole et les brise, puis à dénouer cette situation
sans issue par l'éternel recommencement de la vie, l'éternel voyage.
L'action se passe, dit le poème, « dans l'ile de Goël ». Il est inutile de
chercher cette ile sur la carte, on ne l'y trouverait pas (on fait bien de nous
prévenir). Elle est partout et nulle part; l'intention des auteurs a été delà
situer dans le temps et dans l'espace pour qu'elle soit de toutes les nations et
de toutes les époques (une ile qui est de toutes les nations!...). Il leur a
semblé que leur drame humain gagnerait en simplicité, en clarté et en force,
à rester de l'humanité pure, qu'aucune contingence ne complique ni ne date
(c'est cette phrase- là, qui devrait gagner en simplicité et en clarté). Leur ile
est là-bas (?), où des couples aiment, souffrent, pleurent et espèrent, dans la
tourmente de leurs cœurs et des éléments. Cela ne suffit-il pas à l'envolée
lyrique, cette continuelle bataille où nous laissons tout notre sang et d'où
nous repartons sans cesse avec un nouveau chant d'espérance?
Que de choses dans un menuet! disait le fameux danseur Vestris.
Que de choses dans un opéra! pourra-t-on dire en lisant ce factum pré-
tentieux et obscur. Et il faut avoir vraiment une jolie dose de vanité
pour croire qu'il soit nécessaire de donner tant d'explications au sujet
d'un mélodrame banal, vulgaire dans sa conception, dont l'intérêt est
nul, qui manque autant de poésie que de chaleur, et qui n'apporte à la
scène, lyrique ou autre, aucun élément de nouveauté. Et je parle ici
autant pour le musicien que pour le librettiste, puisque tous deux par-
lent ensemble dans ce morceau de littérature explicative. Je sais bien
que Corneille avait coutume de faire précéder chacune de ses tragédies
d'un « examen » dans lequel il exposait ses idées et indiquait ce qu'il
avait voulu faire. Mais, quoi qu'il en pense, M. Zola n'est pas Corneille
et la prose de l'Ouragan ne vaut pas les vers du Cid. .Te sais bien aussi
que Gluck a mis en tète de sa partition à'Alceste une admirable épitre
dédicatoire, demeurée justement célèbre, destinée à faire connaître ses
sentiments sur la réforme qu'il voulait introduire dans l'opéra. Mais
Gluck avait alors sohxante ans, il avait écrit trente opéras, et il avait
affirmé son génie par d'incomparables chefs-d'œuvre. Or, M. Bruneau
non plus n'est pas Gluck, et ce pygmée a tort de vouloir singer ce
géant. Quant à comparer la musique de l'Ouragan à celle d'Alceste...
L'action se déroule donc dans l'ile de Goél, qui n'est pas une ile dé-
serte habitée par des sauvages, mais où l'on rencontre des marins et des
pécheurs. Parmi ceus-ci uu certain Landry, ivrogne, joueur et débau-
ché, qui passe son temps moitié à s'enivrer, moitié à battre sa femme,
l'infortunée .Jeannine, qui est bien la plus malheureuse de cotte ile ima-
ginaire. .Jeannine a une sœur ainée, Marianne, celle-là méchante et
cupide, qui ne songe qu'à s'approprier entièrement Goël et qui, au lieu
de venir en aide à sa sœur, ne cherche qu'à exciter son mari contre elle
et à augmenter leur détresse pour les ruiner tout à fait à son profit.
Survient un quatrième personnage, Richard, le frère de Landry, un
marin qu'on n'attendait pas, car il était parti en jurant de ne plus reve-
nir. Mais il se trouve que son bateau flânait sans doute autour de l'Ile,
puisque la tempête l'a poussé dans une baie voisine. Il va sans dire que
ledit Richard se trouve aussitôt face à face avec Jeannine, qui pleure
comme une biche. Comme il lui demande la cause de ses larmes, elle
lui fait connaître son infortune. Dans cette scène et dans, une autre,,
nous apprenons alors que Richard est parti depuis plusieurs années
parce qu'il aimait Jeannine, dont il était aimé, mais que Marianne
aussi était éprise de lui et horriblement jalouse, que pour ce fait elle
s'oppoiait à leur mariage, de sorte que Richard n'a rien trouvé de mieux
que de marier Jeannine à son frère Land,ry et de s'éloigner sans espoir
de retour. On se demande pourquoi il n'a pas simplement envoyé pro-
mener Marianne, et épousé la femme qu'il aimait. Mais ça, c'est l'affaire
de M. Zola.
Toujours est-il que Richard et Jeannine se souviennent naturellement
de leur premières amours, que de rappel en rappel, de confidence en
confidence, ils en arrivent à constater qu'ils s'aiment toujours, et que,
finalement ils tombent dans les bras l'un de l'autre. Comme cette situa-
tion ne leur parait pas désagréable, ils y restent assez longtemps non
seulement poui- être surpris par Marianne, mais pour que celle-ci ait
le temps d'aller chercher Landry et de le mettre ainsi au courant des
événements.
.— Je les tuerai! s'écrie alors Landry.
— Non, lui dit Marianne, pas ici ; nous allons arranger ça.
Richard, voulant sauver Jeannine, lui propose simplement de l'enle-
ver à sou frère et de l'emmener avec lui.
Jeannine ne se fait pas prier, et consent tout de suite. Ça n'est peut-
être pas très honnête de la part de l'un et de l'autre, mais enfin ça se
passe comme ça dans l'ile de Goél. Le plus singulier, c'est qu'ils vont
confier leur secret à Marianne, et que celle-ci les réunit tous les deu.x
sous son toit la nuit où éclate le fameux ouragan. Mais il va sans dire
que ce n'est pas par charité pour eux qu'elle a fait ça ; bien au contraire.
Elle les a attirés dans un horrible traquenard, et elle a donné rendez-
vous à Landry, simplement pour qu'U vienne tuer Richard chez elle. Ce
qui dénote de sa part un assez mauvais caractère.
Le fait est que Landry arrive bientôt, au moment où les deux tourte-
reaux se préparent à prendre la fuite. Il n'y va pas par quatre chemins,
empoigne un couteau et dit à son frère de se défendre, sans quoi il le
tuera comme un chien. Richard refuse noblement ce duel fraternel. Et
alors pendant un quart d'heure, montre en main, tandis que Richard
se défend de se défendre, l'autre ne cesse de lui répéter en hurlant qu'il
va le tuer sans pitié. Je vous assure que c'est long, malgré ou à cause
de l'orchestre, qui pendant ce temps-là fait un tintamarre à porter la
rage dans les tempéraments les plus placides. C'est peut-être ça qui
achève d'exaspérer Landry, lequel finit par se ruer sur son frère pour
le û-apper quand tout à coup Marianne , qui pourtant jusque-là n'a
cessé de l'exciter, prend elle-même un couteau et le lui plante dans le dos
si profondément qu'il tombe pour ne plus se relever. Pourquoi diable
fait-elle ça? me direz-vous. C'est que Marianne a changé d'avis, c'est
qu'elle aime toujours Richard, et qu'elle n'a plus voulu le laisser tuer
par son frère.
Au dernier acte, Jeannine aussi a changé d'avis. C'est bien ça, les
femmes ! Elles n'ont pas pour deux sous de tenue dans les idées. Jean-
nine ne veut plus du tout s'en aller avec Richard, elle veut rester
auprès de sa bonne sœur Marianne, et elle le laisse tranquillement
partir en compagnie d'une petite sauvage, Lulu, qu'il a ramenée de
ses voyages et dont nous avions fait la connaissance au premier
acte. Il doit vraiment regretter d'être venu de si loin pour si peu de
chose.
Je n'ai pas besoin de dire que M. Bruneau n'a renié, dans la musique
de l'Ouragan, aucun des principes sévères (oh! oui, sévères!), qui cons-
titue sa brillante et bruyante personnalité artistique. Vous ne trouverez
pas d'ensembles dans cette musique ; rien que des récitatifs succédant
éternellement à d'autres récitatifs, sans une seule petite phrase de
chant qui vienne de temps en temps vous rafraîchir l'esprit et l'oreille.
Le discours musical (si tant est qu'on puisse appeler cela un discours,
car M. Bruneau, étant complètement dépourvu d'inspiration, parle tout
le temps pour ne rien dire), le discours musical se continue éternelle-
ment, sans repos ni trêve, sans césure ni respiration, et quand il est
interrompu par les chanteurs, il est poursuivi par l'orchestre, sans,
pour la même raison, devenir plus intéressant, le compositeur ne
sachant pas plus faire chanter les instruments que les voix. Naturelle-
ment, il y a dans cette musique des motifs conducteurs, la rengaine à
la mode, mais ces motifs, pas plus que le reste, n'ont de saveur, ou de
d40
LE MENESTREL
couleur, ou de relief. L'orchestre, dont je parlais, l'orchestre n'est même
pas symphoai(jue, car alors il pourrait offrir quelque intérêt. Il se
borne le plus souvent à de lourds accords plaqués, avec de pesantes
tenues dans les basses, ou, dans les moments dramatiques, de violents
éclats de cuivre, qui vont jusqu'au déchirement ; parfois, un accompa-
gnement fatigant par son obstination, mais jamais un dessin curieux,
ingénieux ou piquant. Tout est massif, pesant, il n'y a jamais d'air,
jamais une éclaircie dans la sonorité générale, dont la caractéristique
est surtout la brutalité.
Et cette brutalité, on la retrouve dans l'harmonie, qui est presque
toujours dure jusqu'à la cruauté, jusqu'à la sauvagerie, avec des heurts
d'accords et des eochainements de tonalités qui font frémir. On la
retrouve aussi dans la façon de traiter les voix, que le compositeur fait
crier sans cesse, ;i qui il inflige des difficultés inouïes, en les obligeant
à franchir des intervalles impossibles, et en les faisant lutter de violence
avec l'orchestre.
En entendant l'Ouragan, je me rappelais l'axiome célèbre de Théo-
phile Gautier : « La nmsique est un bruit, et de tous les bruits le
plus coûteux et le plus désagréable. «Et je médisais que parfois Gautier
pouvait avoir raison.
Et cependant, où M. Braneau pourrait-il trouver de meilleurs inter-
prètes que ceux que l'Opéra-Gomique a mis à sa disposition. En tête,
M""^ Jeanne Raunay, qui a prêté l'appui de sa beauté et l'autorité de son
talent au personnage de Jeannine, où elle se montre artiste de premier
ordre, cantatrice superbe et comédienne singulièrement intelligente.
Par exemple, elle n'a pas de chance à l'Opéra-Gomique, M""' Raunay.
Tomber de Fervaal en Ouragan, c'est dur! A côté d'elle. M"'- Delna, qui
a tiré du rôle antipathique de Marianne tout ce qu'on peut en tirer ; un
peu lourde parfois, mais toujours avec sa belle voix, si pleine et si
sonore. Richard, c'est un jeune débutant, M. Bourbon, dont je me rap-
pelle avoir fait ressortir vivement les qualités lors des derniers concours
du Conservatoire. Bon physique, belle voix de baryton, chaude et bien
timbrée, conduite avec sûreté, intelligence scénique. de la chaleur et du
mouvement, telles sont ses qualités. Il a été bien accueilli, et méritait
de l'être; c'est un artiste d'avenir. M. Maréchal a donné un aspect
suffisamment farouche au personnage de Landry, qui n'est certainement
pas agréable à représenter, et M. Dufraue est excellent dans le rôle du
vieux Gervais, le serviteur de Marianne ; il a dit avec largeur, avec émo-
tion, la phrase la meilleure peut-être de toute la pièce, l'invocation du
troisième acte. Quant à M"" Guiraudon, qui joue la petite sauvage
Lulu, elle y apporte tout son charme et toute sa grâce aimable et sou-
riante.
Les décors de M. Jusseaume sont merveilleux. A signaler surtout
ceux du premier et du dernier acte, deux vrais chefs-d'œuvre.
Arthur Pougin.
CnATEi.ET. Repri-O da Tour du monde en SO jours.
Et cela fait une reprise de plus de la très fameuse pièce de d'Ennery
et Jules Verne, et ce ne sera vraisemblablement pas la dernière, le Tour
du monde faisant partie du petit nombre des ouvrages qu'un directeur
pris de court peut toujours remonter avec la certitude défaire une assez
bonne série de représentations. Cette fois, M. Rochard a remis tout à
neuf, soignant décors et costumes, qui sont, souvent, de très heureux
effet. Passepartout, notre vieil et bon ami Passepartout, c'est M. Pou-
gaud, brûleur de planches et gavi'oche parisien par excellence, et Cor-
sican et Fog servent la rondeur de M. Decori et la raideur de M. Fon-
tanes. Il faut encore signaler M. Scipion dans le méchant Fix et la jolie
M"'= Jane Heller dans la touchante Aouda. et battre des mains au cha-
toyant ballet des Malaises avec des quadrilles d'enfants tout à fait sur-
prenants. Musique nouvelle et agréable du maestro Marius Bciggers.
P.-E. C.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU O R A N D - P A L A I S
(Deuxième arlicle.)
Décidément, ce qu'il pourrait bien y avoir de plus amusant au Salon
de la Société des Beaux-Arts comme à celui des Artistes français, c'est
l'en- marge et le hors-série. La promenade régulière a son inévitable
monotonie ; les écoles buissonnières sont pleines de charme et d'imprévu .
Bifurquez, dans la section de l'avenue d'Antin, au carrefour de plu-
sieurs travées des salles de peinture où l'expression « œuvres nouvelles »
ne signifie pas toujours inédit et pénétrez dans le salon intime réservé à
la série de dessins de M. Paul Reuouard qui porte ce titre vaguement
funéraire : « En commémoration de l'Exposition universelle ». Le titre
est trompeur et dissimule la gaie surprise d'allègres, de prestigieux
instantanés.
Pendant toute la durée de la grande foire internationale, M. Renouard
était partout, invisible et présent, le crayon à la main, en quête de la
scène non pas à faire mais à saisir toute faite; il multipliait les installa-
tions provisoires, les affûts; il notait les aspects variables et successifs,
les continuelles modifications de la prodigieuse kermesse et les fixait
sur le papier. Plusieurs de ces instantanés serviraient d'illustrations
suggestives à l'Article 330, et pourraient corroborer devant le fantaisiste
tribunal d'Antoine les doléances du héros de Courteline, victime des
mauvais plaisants et des badauds désœuvrés du trottoir roulant ; le
document surabonde dans ces croquis sincères, joyeux sans surcharge
caricaturale. Et voici de jolies scènes de revue, d'excellents numéros
pour les rares théâtres restés fidèles à ce genre agonisant : une averse
au Trocadéro, avec la débandade du public cosmopolite; l'escalier du
palais des Illusions : le grouillement de la foule au palais des Armées
devant les souvenirs historiques, glorieux mousquets ou simples bou-
tons de guêtre, etc., etc. Et dans ce rendu fidèle, exempt de toute tri-
cherie, une prestesse de crayon, une simplification d'effets qui enlèvent
à l'œuvre tout fâcheux rapport avec l'exactitude photographique.
De M. Renouard à M. Raffaelli la transition est facile : tous deux sont
des observateurs subtils, des notateurs singulièrement informés. J'ajou-
terai que cette fois M. Raffaelli s'est élevé au grand style, qu'il a donné
la valeur et le caractère d'une étude â la fois psychologique et sociale
au remarquable tableau intitulé : la Demoiselle d'honneur. Il se peut que
ce soit un portrait; mais le peintre en a fait, avej un art supérieur, une
concentration d'effets, une quintessence de détails évidemment cueillis
ici et là, la représentation collective d'une infinité de demoiselles d'hon-
neur bourgeoises passées, présentes et futures. Cette ingénue rose et
dodue, à l'èpiderme soufflé, aux joues de pomme d'api, aux épaules
rondelettes, aux contours grassouillets, toute raide et toute empesée
sous l'empois apparent de ses jupons qui bouffent, cette jeune personne
aux blancs atours dans la blanche nef d'une chapelle modern-style, est
installée sur un tabouret, dans une pose de poupée hiératique. Elle
n'est pas seulement sérieuse parce qu'elle a peur de froisser sa toilette
et de laisser glisser son aumônière; elle est grave parce qu'elle incarne
plusieurs générations de toutes semblables jeunes personnes, également
roses, également grasses, également confites en bons principes et en
distinction empruntée au code de M""' de Bassanville. — Et quelle ado-
rable page de Maupassant, cette toile de RalTaelli!
De cette symphonie en blanc majeur passons au brouillard d'étuve
de M. Carrière. Dessinateur rare, poète des intimités, maître de ce qu'on
pourrait définir le genre familial, quel peintre serait M. Carrière, quel
artiste complet s'il consentait â peindre autrement et ailleurs que der-
rière ce paravent, pas toujours diaphane, de brumes épandues. Ce qu'on
devine de son Baiser du soir, réunion d'enfants très aimés autour d'une
mère très aimante, est exquis et d'une adorable souplesse dans les con-
tours fuyants, dans le charme des délails â peine entrevus. Mais on se
prend à déplorer, avec un chagrin qui n'est pas exempt d'inquiétude,
qu'une famille aussi tendrement unie échange le baiser du soir dans
une atmosphère aussi chargée de vapeurs, une ambiance do réchaud
et de suicide. On n'a pas le droit de s'exposer à mourir, même en grou-
pement esthétique et en beauté morale, quand on s'aime tant et si bien.
Point de brouillard, pas la moindre buée dans le très curieux envoi
du président de la Société nationale des Beaux- Arts : t'Enseigne du maître
d'armes. C'est une vérilablo enseigne, et qui a sa légende plus vraie que
beaucoup d'histoires : M. Carolus Durau l'avait peinte jadis pour un
célèbre prévôt, alors établi en plein Paris et honoré do la clientèle la
plus sélect. Elle figurait dans la salle d'armes, au milieu des trophées
de fleuret. Mais il en est des prévôts réputés comme des ténors en vogue :
le muscle faiblit presque aussi vite que la voix s'altère, et le public se
tourne vers d'autres favoris. Donc, réalisant son fonds, cédant sou pas
de porte, le modèle de M. Carolus Duran a voulu réaliser aussi l'enseigne,
et le peintre s'est complaisamment prêté â faciliter le transfert. Le Maître
d'armes va figurer dans une collection particulière. En attendant, et par
faveur spéciale, les visiteurs du Salon de la S. B. A. pourront le voir
et l'admirer.
C'est une composition spirituellement délicieuse. Sur le bouclier de
tôle bombée — ohl ce gonflement du métal qui plastronne lui-même et
fait plastronner le prévôt! — « le maître » est debout, en costume d'as-
saut. Il est grave (autant que la demoiselle d'honneur de Raffaelli, mais
autrement); il sent peser sur lui les regards de toute une salle; il est,
dans tous les détails de sa magistrale personne, dans son regard fixe et
I presque méprisant, dans sa poitrine qui se développe et respire sous le
LE MENESTREL
141
plastron, dans ses bras nerveux, dans ses jarrets tendus, il est, lui aussi,
une entité symbolico-réaliste, une tangible abstraction; il synthétise le
prévôt moderne, avec sa majesté, tragique parfois, plus souvent déco-
rative et même d'une paternelle bonhomie.
Le Maître d'armes est très entouré ; il provoque cependant de moins
longs stationnements, des exclamations moins vives que le petit tableau,
je n'ose dire peint (car l'enluminure est criarde et médiocre), mais
plutôt mis en scène par M. Jean Béraud : le Christ lié à la colonne. On
sait avec quel parti pris aussi tenace que discutable M. Béraud s'attache
à moderniser le drame de la Passion et surtout à le socialiser ; on n'a
pas oublié l'épisode de la femme adultère réfugiée dans une salle de
restaurant de nuit et qu'un Christ en costume biblique absolvait d'un
geste bénisseur, tandis qu'un lot de Pharisiens fin dix-neuvième siècle,
dotés de la plus frappante ressemblance avec plusieurs célébrités artis-
tiques et littéraires, le regardait avec une curiosité méchante.
Le Christ à la colonne, figuré avec tous les attributs de la Passion, le
roseau sanglant et la couronne d'épines, et lié â une maçonnerie véri-
table dans un authentique vestibule de prétoire, est entouré de compar-
ses aussi actuels, sinon aussi distingués, que les soupeurs du Café Amé-
ricain. La meute qui l'injurie, qui le frappe, qui encourage ses bourreaux,
est essentiellement parisienne, mais d'un parisianisme populacier :
garçon boucher, au tablier maculé, camelots, vendeurs de journaux à
trente sous le cent, gamin hargneux mal décrassé par la laïque, voyous,
souteneurs, gigolettes de boulevard extérieur. Comme note politique
dans cette évocation socialiste, un député qui arbore le bonnet phrygien
et un franc-maçon à la redingote de conseiller municipal. Le groupe-
ment est adroit, mais les poings tendus, les bouches ccumantes donnent
l'impression d'une foule hurlante prête à lyncher quelque cambrioleur
traqué au fond d'une impasse ; et plus le K-alisme est serré, l'observation
précisée dans ces détails, plus l'œuvre, malgré ses visibles tendances,
apparait irrespectueuse pour ledrame sacré. Quoi qu'en pense M. Béraud,
Montmartre n'est pas le Golgotha et les stations du Calvaire ne sauraient
être étagées sur la pente des Assommoirs.
Plus reposante, mais d'un caractère sacré non moins contestable, la
composition que M. Maurice Denis appelle : Christ aux enfants. Ce
Christ, présenté et vêtu, suivant la tradition, de la tunique à larges
plis, est d'une sufiisante onction et d'un heureux dessin ; mais le décor
dans lequel il prononce le classique sinile 'parvulos venire ad me est la
plantation rectiligne d'un square parisien ; mais les enfants qui vien-
nent se courber sous la caresse du divin maitre portent des complets de
magasins de nouveautés à dix-sept francs cinquante, premier âge; mais
les pères qui ont amené leur progéniture arborent l'odieuse redingote. Et
voilà tout le charme rompu, tout le parfum mystique évaporé. Car enfin,
nous le savons bien, nous le savons trop : les gardiens de square, pleins
d'indulgence pour les possibles et parfois notables électeurs que sont
les rôdeurs de jardins publics, verbaliseraient sans merci contre le
troublant visiteur qui viendrait, en blanche tunique et tête nue, traî-
nant la foule derrière lui, porter la bonne parole aux enfants. Décidé-
ment, cette transposition moderne, ce travestissement d'actualité sontde
médiocres subterfuges pour dissimuler un genre spécial d'anecdotisme.
Un peu d'orientalisme pour varier. M. Dinety fait preuve d'une réelle
maîtrise en même temps que d'un merveilleux talent de coloriste. La
légende qu'il nous raconte: Abd-el-Gheram et Nouriel-Aln, esclave
d'Amour et Lumière des yeux, deux aimables noms de favorites, est un
régal pour les yeux. Une autre composition très mouvementée, le fils
d'un saint arabe porte en triomphe par la foule, rappelle les meilleurs
Dehodencq. Et voici encore deux intéressantes maquettes de décors
réduits aux proportions de tableaux de chevalet, l'Akmar-Kraddon dont
l'aimable traluctioa est : la montagne à la joue rose et le panorama
fuyant du lit desséché d'une rivière saharienne.
Décors aussi, mais d'une sobre intimité en même temps que d'un
grand style, les tableaux de M. Lobre. Ce rare artiste, dont la manière
rappelle sans pastiche celle des maîtres hollandais et qui fait, comme
eux, revivre dans les appartements discrets des maisons historiques
l'âme errante des choses, est devenu le peintre attitré du noble et caduc
château de Versailles; mais il en néglige la majesté extérieure, les
solennelles architectures rendues banales par les photogravures des
guides et les simili-instantanés des cartes postales ; ce qu'il évoque, en
des toiles d'un rendu précieux sans sécheresse et d'une réelle valeuv de
sentiment, c'est la sèiie discrète des petits appartements dont le bagout
des cicérones et les bâillements des touristes surmenés n'ont pu altérer
le caractère : la bibliothèque du Dauphin, l'OEil de bœuf, le petit salon
Lous X'V, le Salon de la pendule.
Autre ville endormie, lùen que de néfastes industriels s'efforcent de
la moderniser avec adjonction de bateaux â vapeur et peut-être — qui
sait ? — de métropolitain sous-canalisé ; oh ! la fuite de Bianca Capello
s'esquivant avec Pietro Buonaventuri par le train ouvrier du Métro !
— Venise continue â inspirer de nombreux peintres aux facultés
visuelles d'ailleurs tout à fait diverses pour ne pas dire contradictoires.
Ainsi le Rio dei barcaroi, le Rio San Severo, le Rio del Albero, le Rio
San- Antonio, le Rio délia Verona apparaissent à M. Smith tous^bai-
gnés d'une lumière glauque et verdâtre, et comme estompés d'une brume
qui grossit les contours des architectures. Avec M. Gabriel, nous reve-
nons à la précision des Canaletti : son Carnaval de Venise est le vrai car-
naval chatoyant, papillotant, déroulé dans le panorama des Procuraties.
Plusieurs bretonneries (il est entendu, n'est-ce-pas, qu'aujourd'hui
nous faisons une excursion en zig-zag, à cimaise rompue), et non parmi
les moindres tableaux du salon de l'avenue d'Antin. Je parlais tout à
l'heure de décors : quel merveilleux entourage de mise en scène de
rOpéra-Comique — pour le deuxième acte, le tableau pittoresque par
essence et par excellence, d'après le Code du bon parolier — les Feux de
la Saint- Jean de M. Cottet! intitulés sur le livret : « au pays de la mer;
nuit de la Saint-Jean » d'après l'étude qui a figuré à l'Exposition uni-
verselle. — Cette étude promettait beaucoup : l'exécution définitive tient
encore plus.
Au fond du tableau, nettement mais discrètement indiqué, le cirque
des falaises basses dont les croupes se succèdent en s'étageant et dont
chaque sommet arbore un feu de joie aux flammes épandues et scintil-
lantes semblables à des phares incendiés. Le premier plan du rivage
est occupé par un petit bûcher de genêts et d'ajoncs aux braises presque
invisibles, mais dont le reflet d'un jaune éclatant illumine tout un cercle
féminin. A gauche de la composition, presque â l'écart, les vieilles
femmes du village, les aïeules, sont assises, les mains croisées sur leurs
genoux ou sur leurs bâtons, le regard perdu dans la nuit, évoquant sans
doute les fantômes des générations disparues qui, sur ce même sable,
allumèrent les mêmes flambées d'une nuit. Moins absorbées, graves
cependant et comme pénétrées d'une sorte d'émotion religieuse, les
fillettes sont groupées autour du feu, et la lueur violente plaque un mas-
que d'or sur leurs fronts étroits, leurs joues en fleur, leurs mentons au
relief volontaire.
Une poésie mélancolique, — celle des feux de joie dont la joie est à
peine d'une heure et luit pour s'éteindre presque aussitôt, comme les
étincelles balayées par le vent du large vers les ténèbres de l'Océan, —
se dégage de cette remarquable conception. Le port de Camaret par temps
gris, les dunes de La Palud par temps de novembre, le cap Saint-Mathieu
sous la menace de l'orage, sont des cadres plus sommaires mais qui, un
jour ou rautre,foumiront au peintre l'ambiance de vêritablescompositions.
M. Lucien Simon appartient au même groupe que M. Cottet; il a
scruté comme lui la rude écorce de la « terre de granit recouverte de
chênes » ; il a passé de longs mois devant cette nature austère, parmi
ces paysans aux âmes simples, aux coutumes déracinées par le passage
brutal de la civilisation, tenaces cependant et aussi résistantes que
l'ajonc. Mais il n'a pas rapporté des impressions aussi uniformément
graves que celles de son confrère en bretonneries bretonnantes; une
pointe d'humour, voire d'observation goguenarde, caractérise en notes
presque allègres les scènes qu'il a prises lâ-bas sur le vif. Rien de plus
frappant, à ce point de vue spécial, que la Procession de gens de mer
où M. Lucien Simon a visiblement réuni une collection de portraits.
Rudes faces de chantres aux pommettes saillantes, figures tannées de
marins entourées de colliers de barbes fauves, bouches ouvertes pour
chanter les psaumes, muscles tendus pour élever au-dessus de la foule
la lourde armature des bannières, tout sent l'effort, la violente et âpre
volonté; mais il s'y joint une certaine joie de vivre, une saine expansion
de belle santé, soulignées par quelques notations amusantes, quelques
détails d'un joyeux réalisme. Plus franchement gaie — mais d'une
gaieté toute bretonne, sans éclat ni tapage, — la Roulotte échouée sur le
sol d'un champ de foire et dont les forains font le boniment devant une
foule aussi méfiante qu'ébahie, sans grande certitude de rentrer dans
leurs frais d éloquence en nature ou en gros sous.
Sur les traces de M. Cottet et de SI. Lucien Simon se pressent beau-
coup d'auti'es artistes consciencieux ou brillants, réalistes ou lyriques,
et dont les envois formeraient un excellent album de la terre celtique;
M. Le Gout-Gérard nous montre un Retour de Pardon, d'exécution très
flue, les laveuses des Sables-Blancs et une étude très suggestive de
ville close par les temps gris; M. Truchet un coin de port â Audierne ;
M. Piet évoque le grouillement des marchés de Pont-Labbé, avec une
curieuse peinture du Lavoir de Lorient; J). Dauchez nous rend, avec
une exactitude méritoire et un souci de l'impression d'ensemble qui
confine au style, la lande et le marais; M. Ivœnig détaille les splendeurs
variées d'une après-midi de fête dans l'ile de Bréhat, y compris un bal
aux lanternes, et des régates de Paimpol; M. Waidmann donne une
note plus poétiquement diffusée avec une soirée d'automne, un soir
d'été et le pittoresque croquis de la vieille église de Saint-Lunaire.
(A suivre.) Camille Le Sj-nne.
142
LE MENESTREL
NOXrVELLES DIVERSES
ÉTRANGER,
De notre correspondant de Belgique ('2 mai) :
La saison théâtrale s'achève sans incident notable et se termine par l'es-
et adieux » traditionnels, même d'artistes qui ne s'en vont pas. M"« Thiéry,
absente depuis deux mois, revient simplement pour dire au revoir, dans une
représentation unique de Roméo et Juliette, au public bruxe-llois. De son côté
iâP" Litvinne nous dira adieu, en français, demain, et reparaîtra, en alie-
maud, lundi, pour la représentation de Tristan et Isolée avec MM. Mottl, Van
Dyck, Van Rooy, M"'= Brema, etc. Les adieux de la Monnaie ne sont pas,
vous voyez,, des adieux éternels. M. Imbart de la Tour, rentré à la fin
de la saison après avoir passé l'hiver en Amérique, prend sa part de ces
soirées cordiales et déchirantes; on l'a revu avec infiniment de plaisir cette
semaine, et l'on est enchanté de savoir qu'il ne s'en ira plus. Pour ce qui est
des spectacles, un fait à noter ici, c'est que Louise n'aura pas un seul instant
quitté le répertoire depuis son apparition; c'a été un succès sans précédent;
celui de la reprise de la Valkyrie même ne l'a pas vu faiblir; au bout de très
peu de représentations on délaissait la Valkyrie, et Louise, dont on ne cessait
de nous dire : « C'est la dernière! », reparaissait constamment sur l'aiïiche,
ne lassant pas le public, même avec des interprétations dans lesquelles étaient
pratiquées, pour cause d'indispositions, des coupures de rôles tout entiers,
celui du Noctambule notamment. L'année s'achève, en somme, fort heureu-
sement et fait espérer aux nouveaux directeurs, pour l'an prochain, une sai-
son plus heureuse encore.
La saison des grands concerts, elle, n'est pas encore terminée tout à fait.
Nous avons eu, au dernier Concert populaire, le Requiem de Verdi, exécuté
avec beaucoup de soin par l'orchestre de M. Dupui3,le C'/iora/miœte et, comme
solistes, M"i' Soetens-Flament. M'^'' Friche, MM. Imbart de la Tour et Danlee;
et le dernier Concert Ysaye nous e»t annoncé pour dimanche en huit, avec
le concours de notre excellent pianiste Arthur de Greef et sous la direction
de M. Vincent d'Indy. Entre temps M. Eugène Ysaye a donné dimanche xm
concert extraordinaire, que dirigeait M. Dupuis et où il s'est fait entendj-e
comme virtuose dans un concerlo de Bach pour violon et deux flûtes et
diverses compositions, qui lui ont valu un succès prodigieux.
Un hommage éclatant sera rendu à la mémoire de Peter Benoît, le 2 juin
prochain, par l'Association de la Presse bruxelloise, qui organise pour ce
jour-là au Parc du Cinquantenaire une audition en plein air de la célèbre
Rubens-Cantate ivL maître flamand, exécutée par un chœur formidable de
plusieurs centaines de voix et un orchestre imposant. L. S.
— On nous écrit de Milan : « Les représentations de Louise et de Sainson
et Dalila qui devaient clôturer la saison au Théâtre-Lyrique n'ont pu avoir
lîeu, la protagoniste, M"" Virginie Guerrini, s'étant soustraite par la fuile à
ses obligatious. On a dû rendre l'argent aux nombreux spectateurs, tous indi-
gnés de la conduite impardonnable de l'artiste, ii'"'^ Guerrini était engagée
depuis le 20 mari et elle avait touché à l'avance les trois quarts de ses hono-
raires, ce qui aggrava sa situation. On dit qu'elle avait contracté ailleurs nn
engagement qui commençait avant l'expiration de celui qu'elle avait signé à
Milan; d'autre part on assure que sa fugue se rattache à toute une suite de
sourdes menées dirigées contre le Théâtre-Lyrique par des adversaires bien
connus et implacables, avant de quitter MUan, M. Charpentier avait adressé
à M. Sonzogno une lettre affectueuse de remerciements qui se termine par
les lignes suivantes :
Merci surtout d'avoir eu confiance en Louise, de l'avoir fait étudier avec amour et de
l'avoir fait aimer du public milanais.
Avec la vive émotion d'nn artiste je salue en vcos, dans la patrie de l'art, un frère
généreux...
La mésaventure dernière survenue dans les destinées milanaises de Louise
n'influera d'ailleurs aucunement sur son avenir en Italie. On peut dire que
notre puilic s'est familiarisé de plus en plus avec 1' « art nouveau » de cette
œuvre et elle figure au premier rang du cartelhiie déjà publié pour la prochaine
saison, à côté de Sapho et de Werther, les deux belles partitions de Massenet, »
— Il circule à Milan une foule d' ». on dit » sur la prochaine saison du
théâtre de la Scala. Ceux qui se prétendent bien informés assurent que le
répertoire de cette saison est déjà établi en parlie et qu'il comprendrait,
entre autres ouvrages, la Valkyrie, Haensel et Gretel, Linda di Chamounix, un
Ballo in masehera, et un opéra inédit, lolatula, paroles de M. Giovanni Borelli,
critique musical du journal tAlba, musique de M. Floridia, et... et... et...
Néron, le fameux Néron, l'opéra-fantôme de M. Arrigo Boitol Parmi les
artistes réengagés, on signale en même temps les noms de M""» Pinto et de
MM. Caruso, Magini-Coletti et Luppi. On ajoute que rien n'est encore fixé
en ce qui concerne le protagoniste de Néron. Je le crois bien. Il faudrait
d'abord être sûr que l'opéra est fait.
— On assure, dit le Mondo arlistieo, que le baron Franchetti père prendra
l'automne prochain la direction du théâtre de la Fenice pour y faire repré-
senter la Germania de son fils, le maestro Alberto Franchetti. Ce n'est pas la
première fois que M. Franchetti se fait imprésario pour faire représenter les
œuvres de son fils.
— Le 29 juillet prochain, triste anniversaire de la mort tragique du roi
Humbert, on exécutera à Rome, au Panthéon, la messe funèbre expressément
écrite pour cette circonstance par M. Leoncavallo. Les artistes choisis pour
chanter cette messe sont M""«s Carelli et, Guerrini, le ténor Bonci et le bary-
ton Pacini. L'exécution sera dirigée par M. Alessandxo Pomè.
— Un journal italien pnblie une lettre signée du nom d'un certain Carlo
Donizzetti (avec deux z), se disant fils de l'auteur de Luàe êe Lammermoor et
de Dan Pasqvale,et qui invoque: à ce titre la charité publique. On ne savait pas
jusqu'ici que Donizetti,. en mourant, ait laissé aucun enl'aut. En tout cas,
celui-ci devrait connaître au moins l'orthographe de son nom.
— On télégraphie de Berlin que le Reichstag a, en troisième lecture, pu-
rement: et simplement voté la loi sur le « droit d'auteur » telle qu'elle avait,
été fixée eu deu.xième lecture. La durée du droit d'auteur reste donc limitée
à, trente ans après la mort du compositeur. Uu journal de Berlin dit cepen-
dant qu'une modification favorable de la loi pourrait encore se produire '
avant 1913, époque à laquelle les œuvres de Richard Wagner doivent tomber
dans le domaine public.
— De Berlin, par dépêche, onnous annonce le suacès remporté par le ballet
posthume de Johann, Strauss : Cendrillon. C'est du « meilleur Strauss », nous
dit-on.
— L'opéra que l'empereur Guillaume II a commandé au compositeur Leonr
cavallo est terminé, parait-il, et la partition se trouverait déjà entre les mains
du comte Hochberg, intendant des tliéâtres royaux de Berlin. On sait que le
sujet de l'ouvrage est tiré du roman de Willibald Alexis, Roland de Berlin,
dont il portera le titre. Le premier acte se passe à Berlin, devant le palais
du margrave; le second chez le bourgmestre Rathenow; le troisième à
l'Hôtel de Ville de Berlin; le quatrième de nouveau chez Rathenow. Le
maestro a fait du margrave Frédéric de Brandebourg un prince énergique,
intelligent, qui se consacre tout entier au bonheur de son peuple. Contraire-
ment à ce qui advient dans le roman, l'opéra se termine par la réconciliation
des deux grands ennemis, le margrave et le bourgmestre. On dit qui la par-
tition contient d'adroites adaptations d'anciens airs prussiens, entre autres
une chanson d'amour de 1332, la « danse des princes » de 1.530, la « danse
des mendiants » de 1514, la chanson du prince Joachim-Ernest d'Anhalt, etc.
On attend comme prochaine la mise à l'étude du nouvel ouvrage.
— « Le lied vivant limited. » Uue société anonyme s'est constituée sous ce
titre bizarre à Berlin; elle se propose de faire chanter des lieder, ballades,
chansons burlesques, etc., par des artistes costumés. La Société a obtenu du
nouvel Opéra impérial (ancien théâtre KroU) une salle contenant trois cents
places environ et les représentations auront heu du 13 mai au 15 septembre.
— Un journaliste viennois publie une entrevue qu'il dit avoir eue avec le
compositeur AntouDvorak, dont on parle beaucoup en ce moment. M. Dvorak,
parait il, se plaint amèrement que son dernier opéra, Russalka, soit négligé
en Allemagne ainsi que ses autres ouvrages dramatiques. Ce manque de popu-
larité de ses œuvres le chagrine, et il déplore de ne pouvoir obtenir un
succès comme celui qu'obtinrent jadis à Vienne Cnn/ien ei la Reine de Saba.
Malgré ce tort que lui font les théâtres allemands en prenant si peu d'intérêt
à ses opéras, M. Dvorak déclare que probablement il se décidera à ne plus
travailler désormais que pour la scène, s'il trouve des livrets qui lui convien-
nent, particulièrement une fable ou un sujet mystique, parce que les sujets
modernes qu'on lui propose ne lui procurent aucune impression musicale.
M. Dvorak annonce qu'il fera prochainement un voyage en Italie, qu'il ne
connaît pas encore.
— Le journal Neue musikalische Presse, de Vienne, avait ofl'ert un prix de
300 couronnes pour la meilleure composition symphonique. Ce prix vient
d'être attribué à M. Franz Schreker, élève du Conservatoire de Vienne, pour
son Intermezzo. Le compositeur n'est âgé que de 23 ans.
— Il paraît qu'on vient de former, pour le Carlthéàtre de Vienne, une
troupe italienne d'opéra-comique. On cite les noms suivants d'artistes enga-
gés : M"""* De' Spada, Gisterna, Almansi, Giardini et Parisotti, les ténors
Armandi, Giannini et Bertini, les barytons Rossini, Zanini et Zara, et les
basses comiques Caiacciolo et Barocchî. Le chef d'orchestre est M. Dufl'au.
— Au nouveau théâtre du prince-régent à Munich, qui est, comme on sait,
construit d'après les principes de celui de Bayreuth, les travaux ont fait des
progrès si considérables que l'inauguration est d'ores et déjà fixée au 'il août
prochain. Jusqu'au 28 septembre, l'œuvre de Richard VVagner fera les frais
du répertoire; on ne jouera cependant que Taiinhduser, Lolwngrin, Tristctn et
Iseult et les Maîtres chanteurs, les autres œuvres étant jouées cette année à
Bayreuth. En dehors des artistes et de l'orchestre de l'Opéra royal de Mu-
nich, plusieurs artistes étrangers chanteront en représentation, entre autres les
ténors Winkelraann et Schroedter, le baryton Reichmann, de Vienne. Les
quatre chefs d'orchestre de l'Opéra de Munich, MM. Fischer, Zumpe, Sta-
venbagen et Roehr, dirigeront les représentations.
— Le théâtre royal de Dresde prépare une reprise du charmant opéra-
comi'iue de Delibes, le Roi l'a dit, avec une nouvelle distribution et une nou-
velle mise en scène. Après celte reprise aura lieu la représentation de l'opéra
inédit de M. Paderewski.
— A l'Opéra municipal de Hambourg, l'opéra-comique le Jeune duc étourdi
de M. Siegfried VVaguor vient d'être joué avec un succès incontesté. La dis-
tribution et la mise en scène étaient excellentes.
— A Francfort a été jouée par l'orchestre du Palmengarten, sous la direc-
tion de M. Kaempfen, une nouvelle symphonie de M. Emmanuel Moor.
I
LE ftffiNESmEL
143
— Un amateur de Kœnigsberg, le docteur Walter Simon (qui n'est
pas docteur en Allemagne?), a annoncé récemment qu'il était prêt à
donner lO.UOO marcs ,(12.S00 francs) pour le meilleur opéra populaire inédit.
Là-dessus, il a déjà reçm cinq cents partitions ! Et le délai fixé n'expire que le
l" juillet prochain, ceiqui offre encore de la marge pour les envois.
— Le théâtre royal de Gassel a fjoné avec succès un nouvel opéra en un
acte intitulé le Ohef-d'œame de Wolfram, muBitfue de M. Rodolphe Ibener.
— Grand succès à Gratz pour M™ Arnoldson dans Mignon. On lui a bissé
d'enthousiasme la romance Connais-tu et la Styrienne, ainsi que le duo des
hirondelles. Ajoutons que la charmante artiste a eu un triomphe aussi grand
avec ta Fille du régiment, qu'elle vient d'ajouter à son répertoire déjà si riche
et si varié.*
— On nous écrit de Saint-Pétprsbourg : La Conjuration des Fleurs, poème
satirique pour orchesti'e et chœurs de Bourgault-Ducoudray, vient d'être exé-
cutée avec un très grand succès au dernier concert de la Cour imjjériale.
— On annonce que M. Hippolyte Ivanoff, qui est en même temps un cri-
tique distingué, vient de terminer un opéra grandiose qui a pour titre le
19 février. Cette date est celle à laquelle fut publié le fameux décret du czar
Alexandre II qui abolissait le servage en Russie.
— Le prix rie SOO roubles, soit 2.000 francs, offert par la Société de musi-
que de chambre de Saint-Pétersbourg pour un quatuor à cordes, a été attri-
bué au jeune compositeur W. Solotaref. Le jury était composé de MM. Rimsky-
Korsakof, Arensky et Napravnik,
— La nouvelle grande salle du Conservatoire de Moscou vient d'être inau-
gurée musicalement par M. Charles Widor. L'excellent artiste s'est fait en-
tendre le premier sur l'orgue superbe qu'un riche citoyen de Moscou a offert
au Conservatoire, et son succès a été extraordinaire. M. Widor a tenu l'audi-
toire pendant plus de deux heures sous le charme de son exécution brillante.
A la demande générale, il a dû donner en plus une matinée populaire à la fin
de laquelle il a été acclamé.
— Nous recevons de Londres les meilleures nouvelles sur le grand ;S.uccès
remporté par M. Colonne, au festival qu'on avait organisé au Queen's Hall en
son honneur. On lui a fait une véritable ovation. Au même concert, M. Bu-
soni a joué très brillamment le concerto en mi bémol de Liszt, etW"" Blanche
Marches! a chanté l'air â.'Akina de Haendel qui lui a valu deux rappels.
— Le Savoy-Théâtre est arrivé à jouer l'opéra posthume de sir Arthur
Sullivan, l'Ile d'émcraude, malgré la mort de l'auteur et celle de l'ancien direc-
teur du théâtre, M. d'Oyly Carte. Sullivan n'avait laissé que plusieurs mor-
ceaux du premier acte emtièrements écrits et orchestrés; toutefois d'autres
morceaux du même acte et quelques passages du deuxième se trouvaient
esquissés par lui. C'est M. Edward German qui a comploté l'œuvre, dont la
majeure partie peut lui être attribuée. La distribulion et la mise en scène ne
laissaient rien à désirer. M. German, qui a dirigé la première représentation,
a été rappelé, ainsi que les interprètes, et on prévoit un grand nombre de
représentations.
— Un journal de Londres, le Morning Post, exprime le désir qu'un réunisse
une somme de ISO. 000 francs pour être distribuée aux compositeurs anglais
qui écriront les meilleurs hymnes de remerciement à la Providence pour
tous les bénéfices que le dernier siècle a apportés à l'Angleterre. Cette
somme devrait être partagée en douze parts égales. Il est à regretter que
M. Chamberlain et son acolyte Jameson ne soient pas compositeurs! Quel
bel hymne d'actions de grâce ils pouri aient écrire sous ce simple titre : La
Guerre du Transuaal!
— La direction du théâtre du Baen Ketiro, à Madrid, vient d'ouvrir un
concours, réservé aux seuls musiciens de nationalité espagnole, pour la com-
position d'un opéra. Le prix est de S. 000 pesetas, soit 5.000 francs.
— C'est, selon les journaux de Madrid, avec un succès d'enthousiasme qu'a
été accueillie, au théâtre de la Zarzuela, une zarzuela dramatique en trois
tableaux, /a Barcaroto, paroles de M. Eugenio Sellés, musique de MM. Cabal-
lero et Lapuerta. L'œuvre, dont l'action se passe à Venise, est très pathétique,
et .a été jouée et chantée à souhait par M"°" Lucrecia Arana, MM. Sigler,
Pablo Arana et Angoloti. Elle est montée avec un grand luxe, et les décors
nouveaux du peintre Muriel ont contribué pour leur part au succès. — Au
théâtre Romea autre zarzuela, el Tio de Alcala, celle-ci d'un genre comique,
paroles de M. Carlos Arniches, musique de M. Montesinos.
— Ce ne sont plus seulement des blés, des jambons et des oranges que les
Etats-Unis expédient en Europe, mais aussi des instruments de musique,
surtout des pianos. En 190O cette exportation d'instruments de musique a
atteint une valeur de 2.1 IS. 516 dollars, soit 10.577.580 francs. Ces dix millions
et demi représentent une concurrence très importante faite aux fabricants
européens. Malheureusement il faut s'attendre avoir le chiffre de cette expor-
tation augmenter encore.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Hier samedi a eu lieu, à la salle Charras, l'assemblée générale annuelle
des membres sociétaires de la Société des auteurs et compositeurs dramati-
ques. Nous en dirons dimanche prochain le résultat. Rappelons que les six
commissaires sortants, non rééligibles avant une année, étaient MM. Georges
Feydeau, Ludovic llalévy, Henri Lavedan, Edmond Rostand, auteurs, et M. J.
Masseuet, compositeur. Plus Henri de Bornier, décédé. Les candidals qui se
présentaient pour les remplacer étaient MM. Eugène Brieux, Alfred Capus,
Pierre Decourcelle, Paul Hervieu, Paul Ferrier, lAndré Sylvane, auteurs, et
M. Louis Varney, compositeur. Le j-apport était présenté par M. Maurice
Donnay.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes musiciens,
fondée par le baron Taylor, se tiendra dans la grande salle du conservatoire
national de musique et de déclamation, le mardi limai, à deux heures pré-
cises. Ordre du jour : 1» Compte rendu des travaux du comité pendant l'année
1900, par M. Auge de Lassus, secrétaire rapporteur; 2° Election de treize
membres du comité.
— L'entrée en loges, au palais de Compiégne, pour le concours d'essai,
des aspirants au Prix de Rome de composition musicale, siest faite hier à
dix heures. Sortie le vendredi 10 mai, même heure. Les concurrents qui
prennent par à ce concours d'essai sont MM. Tîuuc, Crocé-Spinelli, Gallon,
Pech, Domery, Caplet, Bertelin, Biancheri, Dupont-Germain, Laparra, Tré-
misot, Revel, Ducasse, Ladmirault, du Conservatoire, et Bérard, de l'école
Niedermeyer.
— C'est jeudi prochain, 9 mai, que doit avoir lieu au Conservatoire l'exer-
cice annuel des élèves. Dès la fin 'du mois commencera la série des examens
à la suite desquels seront désignés les élèves qui prendront ^art aux pro-
chains concours.
— A la suite de plusieurs plaintes relatives à la concurrence que faisaient
à des musiciens civils les chefs de musique, soit en donnant des leçons en
ville, soit en dirigeant des sociétés locales , le ministre vient de "décider
qu'ayant désormais la qualité d'oflîcier avec toutes ses prérogatives et avan-
tages, ces chefs ne devront plus, à l'avenir, exercer en dehors de l'armée des
fonctions rétrihaées. L'interdiction ne s'étend pas aux droits d'auteur dont ils
peuvent être bénéficiaires pour des morceaux de leur composition, et elle
n'est pas applicable aux sous-chefs de musique.
— La Vision du Dante, la symphonie de M. Brunel, primée au grand con-
cours musical de la Ville de Paris de 1897-1900, sera exécutée dans le courant
du mois d'octobre prochain, au Chàtelet, par l'orchestre Chevillard.
— M. Albert Carré ne s'endort pas dans les délices de l'Ouragan et il a
peut-être raison. Deux nouveaux spectacles — deux reprises — sont au ta-
bleau des études : celle du Falsta/f de Verdi pour la rentrée de l'étonnant
baryton Maurel, le héros du ./e ne sais quoi, et celle du Domino noir, l'œuvre
charmante d'Auber, qu'on n'a pas entendue depuis si longtemps.
— Prochainement, à l'Opéra-Comique, nous aurons la bonne fortune d'en-
tendre, dans une représentation au bénéfice d'une bonne œuvre, la grande
cantatrice Theodorini, qui jouit en Italie d'une si belle réputation. Elle chan-
tera la Navarraise de MM. Massenet et Henri Gain, où elle est des plus remar-
quables.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, la
Basoche et les Amoureux de Catherine: le soir, Louise.
— Le monument élevé à Auguste Vitu, sous le patronage d'un comité
composé de MM. Camille Le Senne, Edouard Noël, Maurice Quentin-Bau-
chard et Maxime Vitu, a été inauguré dimanche matin, au Père-Lachaise.
Malgré l'heure matinale, de nombreux amis s'étaient joints aux membres du
comité et à la famille. MM. Massenet, Alexandre Bisson et Paul Milliet,
représentaient la Société des auteurs dramatiques. Devant le buste en bronze,
œuvre très ressemblante et très appréciée du statuaire Ernest Guilbert,
M. Adrien Bernheim, commissaire du gouvernement, délégué parle ministre
de l'instruction publique et le directeur des beaux-arts, a prononcé une
allocution rapide, mais substantielle et amicalement émue, dont le succès a
été très vif. M. Henry Fouquier, représentant la Société des gens de lettres,
a résumé la carrière de son émineut prédécesseur en le suivant à travers son
œuvre multiple de polygraphe, et terminé par des considérations générales
du plus vif intérêt sur les droits et les devoirs du critique. M. Camille
Le Senne, qui parlait comme président du comité Vitu et comme délégué de
l'Association de la critique, n'a pas été moins applaudi en analysant l'œuvre
littéraire d'Auguste Vitu et en rappelant sur quels principes le brillant
critique avait établi une autorité qui s'est exercée pendant vingt ans.
— Nous empïuntons de 'M. Alfred Delilia du Figaro les intéressants rensei-
gnements qui suivent 1 « A peine avait-il terminé sa partition des Barbares
que le maître Saiat-Saëns, qui est infatigable, écrivait la musique de Bacchus
mystifié, ballet-pantomime inédit en un acte, sur le livret de M. Silva Sicard.
Bacchus mystifié sera donné pour la première fois aux arènes de Béziers, les
23 et 27 août prochains, par les soins de M. F. Castelbon de Beauxhosles. un
organisateur érudit auquel on doit les fêtes d'art précédentes. Ce divertisse-
ment est une fantaisie-boull'e, réglée par M. Bucourt, l'habile maître de ballet
du théâtre de la Gaité.
Il comprend trois personnages principaux :
Bacchus MM. Bucourt (premier mime)
Silène de Gaspari (mime comique)
Eglé ÎU"" lirîanza (première danseuse)
'Plus soixante danseuses et cent coryphées.
Bacchus mystifié accompagnera sur l'affiche une nouvelle représentation de
Prométhée, la tragédie lyrique de M. Gabriel Fauré, qui obtint un si brillant
succès l'année dernière et qui sera ainsi interprétée :
144
LE MÉNESTREL
RÉCITANTS
Prométhée M. de Max
Pandore M"" Laparcerie
CHANT
Andros MM. Eousselière
Cralos Fonics
Hephaïlos Vallier
Gaïa M»" Flahaut
Bia Fierens
Aenœ Armande Bourgeois
M. Gailhard a rais avec la plus grande amabilité ses artistes à la disposi-
tion de MM. Castelbon et Fauré pour cette solennité. M. Jambon travaille à
certains détails de décoration et les costumes seront de M. Cousin. L'orchestre
se composera de 430 exécutants, ainsi établis :
Instruments à cordes 100
Musique du 2= génie 90
La Lyre bitterroise 110
Musique du 17" de ligne. ... 80
Harpes Erard 20
Tromp-iltes d'iiarmonie .... 30
Ajoutons que les arènes, qui étaient eu cours de construction, ont pu être
terminées grâce à un groupe d'amateurs dévoués et à la ville de Béziers, qui
ont réuni les 80.000 francs nécessaires à l'achèvement des travaux. On a
complété la salle en forme d'hémicycle par des loges du plus heureux effet et
d'une réelle utilité. Les représentations des 2b et 27 août auront lieu à trois
heures. »
— On a vendu récemment, dans une vente d'autographes, une pièce inté-
ressante, signée par la célèbre cantatrice Henriette Sontag, la rivale de la
Malibran, et les deux directeurs des théâtres italiens de Paris et de Londres,
Laporte et Lament. Il s'agit du traité par lequel Henriette Sontag s'engageait
à donner à Londres quatorze représentations, pour chacune desquelles elle
devait toucher 90 livres sterling, soit 2.230 francs. Elle avait droit, en outre,
à une représentation à son bénéfice devant lui rapporter au moins 1.000 livres ,
c'est-à-dire 2S.000 francs, minimum qui lui était garanti par se; directeurs.
Si l'on additionne ces chiffres on voit qu'e'le recevait en réalité, pour chacune
de ces quinze représentations, une somme de 4.433 francs, ce qui est un assez
joli denier pour l'époque. Il reste encore un certain nombre de chanteurs qui
s'en contenteraient aujourd'hui.
— Derniers échos de l'Exposition : S. M. le Roi de Suède vient de faire
remettre à M. Laurent de Rillé les insignes de première classe de l'ordre des
chevaliers de Saint-Olaf.
— La Société des concerts du Vaudeville a donné jeudi sa dernière séance
sous la direction de M. Gabriel Marie, qui a conduit avec sa vailla nce accou-
tumée. Il y avait au programme l'ouverture de cette Gweiiloline de Gbabricr
qu'on ouUie trop à l'Opéra, la symphonie en la de Beethoven, l'ouverture du
Carnaval romain de Berlioz, des danses norvégiennes de Grieg, l'oratorio de
Noël de Bach, Musique sur l'eau de Haendel. Un étiucelant virtuose a pris
aussi sa grande part da succès, le jeune violoniste tchèque Kubelik, vrai-
ment extraordinaire dans le concerto de Vieuxtemps et les variations de
Paganini. Le public l'a accueilli avec une véritable frénésie et on peut
dire qu'il a été le grand triomphateur de cette série de concerts donnée au
Vaudeville.
— La première séance annuelle de la « Société des instruments anciens »,
donnée mardi dernier à la salle Erard, a été des plus brillantes. C'est une
délicieuse évocation artistique que de faire revivre ainsi les œuvres des vieux
maîtres sur les instruments du temps, instruments pour lesquels elle furent
écrites. M. Louis Diémer a, comme d'habitude, émerveillé sur le clavecin,
dont il tire des effets si variés : on l'a trissé. Même succès pour MM. Laurent
Grillet, si remarquable sur sa vielle, Van "Waefelghem, avec sa tendre et
poétique viole d'amour, et G. Papin, qui remplace le regretté J. Delsart sur
la « viola di gamba ». M"' Marcella Pregi, l'éminente cantatrice, et M. Gau-
bert ont été également très fêtés. Mardi 7 mai, à quatre heures, salle Erard,
deuxième et dernière séance, avec le concours de M"^ Dalsème-Ribeyre et
de M. G. Gillet.
— Mme Marchesi a donné jeudi dernier une séance d'élèves très brillante,
dont le programme, divisé en deux. parties, était consacré pour la première
à Mozart, pour la seconde à M. Théodore Dubois. Une délicieuse sélection
de M(zart, comprenant des fragments d'il Rc paMore, à'hloineiwo, Titus, Don
Juan, Cosi fan lutte, lu Flûte enchantée et les Noces de Figaro, nous a mis à même
d'apprécier les belles voix et le talent déjà formé de plusieurs jeunes artistes
qui promettent un avenir brillant, tels que M'"^^ Lucie Lenoir, Amélie Molitor,
Florence Rivington, Maggie Scirling, Glacia Galla, Elisabeth Parkinson, ainsi
que M"'s Ellen Jaw et Gertrude Conrad. Le duo des Noces de Figaro par
M"«s Lenoir et Molitor, et le quintette l'e Cosi fan lutte par M"»* Parkinson et
Rivington, avec le concours de MM. LalBlte, Allard et Huberdeau, ont pro-
duit surtout un ell'et d'enthousiasme. On a entendu dans la seconde partie,
consacrée à M. Théodr re Dubois, deux élégantes mélodies : Par le sentier et
Matin d'avril, gracieusement dites par M""» Suzanne Portât, un beau duo de
Notre-Dame de la Mer, qui a fait applaudir M"" Calla et M. Laffitte, et plusieurs
morceaux d'Aben-Hantet (chœur de femmes, prière, arioso, madrigal), par
jfues Parkinson et Claudia Lasell et M. Allard. Le délicieux duelto du pre-
mier acte, chanté par M"« Calla et Conrad, a surtout été acclamé et a retrouvé
tout le succès qu'il obtint jadis au théâtre. L'auteur, qui accompagnait lui-
même ses œuvres, a été vigoureusement applaudi. C'est M. Mangin qui, avec
son habileté ordinaire, accompagnait la première partie du programme.
— M. Edouard Risler a fait entendre, dans les trois premiers concerts
qu'il a donnés cette année, salle Pleyel, plusieurs pièces charmantes des
clavecinistes français Couperin, Daquin, Rameau et des ouvrages de Bach,
Haendpl, Scarlatti, Haydn, Mozart, Schubert, Weber et Mendelssohn; puis
quatre sonates de Beethoven, op. 26, 33, 106 et lil. L'interprétation a été
hautement i atéressante. Chez M. Risler la technique est très ferme, la sonorité
très cherchée, très trouvée, les effets de pédale sont essentiellement person-
nels. Le jeu, toujour.-î limpide et transparent, ne lasse jamais l'attention bien
que son pouvoir évocateur demeure circonscrit; il s'en dégage un sentiment
de fraîcheur agreste, on oserait presque dire un caractère bucolique après
avoir entendu le finale de la sonate l'Aurore. Dans le genre classique, c'est en
cela, semble-t-il, que s'affirme le plus la supériorité de l'artiste. D'une façon
générale, nous pouvons dire que l'interprétation d'ensemble ne fait pas saisir
immédiatement dans un morceau le rapport harmonieux de toutes les parties
entre elles; le contpur chantant, la continuité mélodique sont assez souvent
subordonnés à des recherches pianistiques ayant pour résultat de mettre en
relief des motifs secondaires. Le procédé a son charme, incontestablement.
Le succès de ces séances a été très grand; succès musical et succès d'inter-
prétation. Les trois derniers concerts sont consacrés aux œuvres de Chopin,
Schumann, Liszt, Saint-Saëns, Théodore Dubois, Ghabrier et de quelques
autres compositeurs français. A.M. B.
— Un jeune pianiste et un jeune vidonisle, MM. Gabriel Jaudoin et Louis
Duttenhofer, tous deux également distingués, ont donné une séance de musi-
que de chambre extrêmement intéressante et parla composition du programme
et par le talent qu'ils ont déployé dans son exécution. Ce programme était
ainsi formé : sonate en ré de Haendel, sonate en la mineur de Schumann,
trio avec cor de Brahms (avec le concours de M. Vialet), sonate en la de
M. Gabriel Faui é, sonate de César Franck. On n'a pas applaudi seulement
la remarquable virtuosité de nos artistes, mais le style qu'ils ont su apporter
dans l'interprétation de ces œuvres diverses, en donnant à chacune le relief
et la couleur qui lui convenaient. Leur succès a été très grand.
— C'est à Johannès Brahms, le maître allemand toujours discuté, mais de
plus en plus apprécié parmi nous, qu'était consacrée la matinée musicale du
samedi 27 avril, à la Bodinière : avec le concours de M'^" Marthe Renesson
et du pur violoniste Armand Parent, qui ont fort bien dit la profonde Sonate
en sol majeur, M'"<^ Camille Fourrier s'est fait applaudir dans une série
très variée de lieder qui ont mis en valeur la personnalité du musicien et l'art
très délicat de la cantatrice. R. B.
— M. Pierre Destombes, l'excellent violoncelliste, rentre à Paris après une
série de concerts à Saint-Quentin, Noyon, Arras, Douai, Tourcoing et Evreux.
Le jeune virtuose a remporté de brillants succès, notamment dans l'Andante-
cantabile et la Cavatine de Th. Dubois.
— Les 6, 8, 13 et IS mai, à la Salle Pleyel, a séances de sonates classiques
et modernes » exécutées par Ysaye et Raoul Pugno.
— Voici qu'à peine nommé au poste de directeur du Conservatoire de
Toulouse, M. Karren vient de donner sa démission. Ancien chef de musique
de l'armée, il a voulu introduire dans l'école une discipline toute militaire et
il en est résulté avec le conseil municipal, qui a la prétention de s'ingérer
dans toutes les choses artistiques de la ville, des conflits et des discussions
qui ont abouti à ce regrettable résultat.
— De Lyon : Un public nombreux assistait vendredi dernier à l'auditiondes
œuvres de César Franck organisée par M. Jemain, à la salle Philharmo-
nique. Le programme permettait d'étudier toute l'évolution du talent du
maître français depuis la période des tâtonnements, visible dans le trio en
fa dièse mineur op. ^, jusqu'à l'épanouissement complet dans le quatuor à
cordes et le célèbre Quintette, fort bien rendu par MM. Jemain, Faudray,
Péronnet, Ricou et Araldy. Deux grandes œuvres de piano. Prélude, aria et
finale; Prélude, Choralet Fugue, très fidèlement interprétées parM. Jemain, et les
pièces vocales finement détaillées par M""* Mauvernay et de Lestang complé-
taient la programme de ce concert, précédé d'une intéressante conférence de
M. Baldensperger, professeur à la Faculté des lettres, sur la vie et l'œuvre de
l'auteur de Rédemption.
NÉCROLOGIE
On annonce de 'Vicence la mort d'un jeune ténor à peine âgé de 30 ans,
Antonio Ceppi, à qui ses premiers succès promettaient une brillante carrière.
De l'hôtel qu'il habitait on avait dû le transporter à l'hôpital pour une dan-
gereuse opération, à laquelle il n'a pu survivre. Il devait partir peu de jours
après, pour aller faire une saison à Valparaiso et à Santiago de Chili.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A céder pour cause de santé, grand magasin de pianos, orgues, musi(jue,
et instruments. Station balnéaire, maison de 1"'' ordre fondée en 1812.
3659. — e?"^ mm — 1^° i9.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 12 Mai 1901,
(Les Bureaux, 2"^, rue Yiyieime, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.;
lie Hamépo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie îlamépo : 0 îf. 30
Adresser FRA^•co à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 fris, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musi(^e de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province, — Pour l'Étranger, les frais de poste en bus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses ioterprèles depuis deux siècles (il" article), Paul d'Esthées. —
II. Bulletin théâtral : première représentation de Ma féel à TOdéon, Paui.-Emile Che-
valier. — 111. La musique et le théâtre aux Salons du Grand-Palais (3" article), Camille
Le Senne. — IV. Le nouveau Conservatoire de Moscou, Ch.-M. Widor. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour ;
SOUVENIR
n° 9 des Ndives, de Louis Lacombe. — Suivra immédiatement : Impression dt
neige, tirée du Poème du silence, d'ERNEST Moret.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Au très aimé, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie d'après Caroline Duer.
— Suivra immédiatement: Ricerie, n" 3 du Forme du sileHce, d'ERNEST Moret.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
(Suite.)
II
Voyageur et dilettante étranger. — Le journal de M'°^ Cradock. — Théâtres et
répertoires de province. — M'"' Ponteuil à Marseille en 4785. — Concerts à Mont-
pellier: un programme copieux. — M'"^ Dugazon et les Trois Sultanes au théâtre
de Toulouse. — A Bordeaux : la légende de la loge... demi-mondaine. — Le
Tableau parlant du PetU-Théàtre .
La France eut toujours des trésors de tendresse pour l'art
étranger. Nous avons vu quelle place elle lui donnait sur ses
programmes de théâtre et de concert. Il nous a paru intéressant,
par contre, de rechercher si les autres peuples savaient recon-
naître cette généreuse hospitalité. D'ordinaire, l'étranger qui
daigne vivre ou passer seulement dans notre pays, ne lui pro-
digue pas sa bienveillance. Nos lois et nos mœurs, nos jeux et
nos spectacles, nos hommes politiques, nos soldats, nos lettrés,
nos artistes trouvent rarement grâce devant des voyageurs
qu'influencent déjà des idées préconçues. Ceux qui firent leur
tour de France vers la fin du XVIH'' siècle étaient peut-être
moins prévenus contre une nation que la philosophie avait
transformée ou que la Révolution donnait en exemple à l'Europe.
Leurs récits trahissent en effet l'une ou l'autre de ces impres-
sions, sinon toutes les deux ; et si le narrateur formule encore
quelque critique, c'est du moins sans aigreur et même avec une
réserve qui n'exclut pas une certaine sympathie.
A vrai dire, le dilettantisme étranger aurait eu mauvaise grâce
à dénigrer un art qui, somme toute, était le sien. Car c'était
fort rarement au génie national que les théâtres parisiens de-
mandaient les éléments de leurs spectacles et la composition de
leur répertoire.
Il en allait de même des scènes provinciales, dont l'histoire,
à cette époque, est assez peu connue : elles jouaient le plus sou-
vent les œuvres des maîtres allemands ou italiens. Les relations
des touristes étrangers en témoignent, sans préjudice des
appréciations, favorables ou malveillantes, que nous nous étions
déjà proposé de relever.
Un Anglais, homme du monde, écrivain à ses heures et pos-
sesseur d'une fortune indépendante, M. Cradock, était venu
dans le courant de l'année 1784 en France, autant pour la visi-
ter que pour permettre à sa femme de rétablir sa santé sous un
ciel plus clément. Car nous ne saurions croire que les médecins
de Londres eussent ordonné à cette dame les pérégrinations
incessantes, en tous pays et en toutes saisons, qui marquèrent
ce voyage de deux années. M. Cradock leur a consacré le second
volume de ses Mémoires, mais sa femme en composa plus spécia-
lement un .Journal, dont M'"" Delphine Balleyguier a donné une
fort élégante traduction (1).
Là sont racontés, au jour le jour, les incidents et les surprises,
les plaisirs et les désagréments de cette odyssée, cependant
sans naufrage. Les théâtres n'y sont pas oubliés; évidemment
ces deux Anglais, avec leur scepticisme de bonne compagnie,
sont non seulement des amateurs, mais encore des connais-
seurs.
Ils séjournent à Marseille pendant les premiers mois de 178S.
En janvier ils se rendent au théâtre, et l'aspect n'en est guère
attrayant. La salle est spacieuse, mais d'une vétusté lamen-
table et d'une propreté douteuse. On n'y peut louer que quatre
loges, et au prix de quelles formalités! Nos Anglais assistent à
la représentation de Biaise et Babet. La pièce est fort mal inter-
prétée; les acteurs sont détestables, sauf la jolie M™' Ponteuil,
qui chante et joue à merveille. Cette même actrice devait être,
quelques années plus tard, fort applaudie à Paris.
Elle faillit être brûlée vive, peu de jours après la représenta-
tion de Biaise et Babet, et sous les yeux mêmes des Cradock. C'était
au dernier acte de la Didon de Piccinni. Tout jusque là s'était
fort bien passé. Le public avait fait le meilleur accueil à la voix
pénétrante de l'artiste, au charme de sa diction, à la noble sim-
plicité de son attitude. Mais au dénouement, une main maladroite
renverse l'autel éclairé par une lampe à alcool; le récipient se
(1) Journal de Madai.
•in, 1896.
Crudadc, Iraduit par M"° 0. Delpliine Balleyguier, Per-
d46
LE MÉNESTREL
brise, le liquide prend feu; l'actrice, revêtue d'une robe de gaze
lamée d'or, est enveloppée par les flammes. Heureusement,
elles sont étouffées avant qu'elles aient pu atteindre M"' Pon-
teuil. Mais la représentation s'est trouvée de ce fait brusque-
ment interrompue. Les spectateurs ont cédé à un- sentiment
irréfléchi de terreur ; ils se sont précipités en désordre vers les
portes; et dane l'afîolement d'une telle panique, plusieurs ont
été assez grièvement blessés.
Avant de quitter Marseille, les Cradock y virent jouer le Bar-
bier de Séville de Paisiello. C'était la première fois que ce joli
opéra bouife était représenté sur le théâtre de la ville. La troupe
était sans doute nouvelle ou profondément modifiée, carie Journal
remarque qu'elle s'est tirée avec honneur de ce pas difficile. Par
malheur, la loge de M"" Cradock était tellement bondée de
spectateurs qu'il fallait s'y tenir debout et que l'atmosphère en
était devenue irrespirable.
Pendant la durée, presque aussi longue, de leur séjour à
Montpellier, les touristes anglais jouirent d'un double plaisir.
Ils eurent successivement concert et théâtre. Le Journal nous a
conservé le programme de l'une de ces fêtes musicales :
F-^n, i=ek.m:issioit
GRAND mmi EXTRAORDINAIRE VOCAL & INSTRUMENTAL
Vendredi 1°' Arril 1785
Au bénéfice de M'"^ Julien et des sieurs Rose et Dupuis.
PREMIER ACTE
Un grand fragment à'Iphigénie en AuHcle, du chevalier Gluck, chanté par
M"'* Millet et Julien, et les sieurs Arlabosse, Dupuis et Rose.
SECOND ACTE
Un concerto de violon exécuté par M. Billon, premier violon de M. le duc
d'Aiguillon;
Ariette de Grispin dans la Mélomanie, chantée par M. Gorréard; M"« Billon-
Calvelle jouera un concerto' de piano-forte ; M. et M"" Ducaire chanteront
des ariettes et duos; le sieur CafSo, hautbois du prince de Monaco, jouera
un concerto et plusieurs petits airs en variations.
TROISIÈME ACTE
Un fragment composé des morceaux les plus frappants de l'Infante de
Zamora, du célèbre Paisiello, chanté par M"™ Ducaire et Millet, les sieurs
Ducaire, Rose, Arlabosse et Abadie.
ON COMMENCERA A 6 HEURES PRÉCISES DU SOIR
On prendra 24 sous par personne
C'est à la salle ordinaire du Concert^ près la vorte de Lattes.
Avec son tempérament d'anglaise inséparable de son carnet
et collectionneuse de menus faits. M"" Cradock agrémente le
compte rendu de ce concert de notes topographiques destinées
à lui en fixer le souvenir. La salle est moins vaste que celle de
Marseille, mais mieux disposée pour l'acoustique. Au fond, une
galerie fait face à l'orchestre. Le prix des places étonne agréa-
blement la narratrice, habituée au tarif beaucoup plus élevé des
théâtres de Londres. M"" Cradock a compté trente exécutants et
parmi eux M. Billon, un artiste si bien doué que le célèbre
Giardini ne le dépasse « ni en sonorité, ni en exécution ».
M°" Billon -Calvelle possède un rare talent sur le piano -forte.
M. Caffio est un excellent hautboïste, M. et M™' Ducaire de forts
bons chanteurs.
Un autre concert, donné le surlendemain au bénéfice des
époux Billon, rencontre chez M™ Cradock les mêmes éloges. Le
Journal en publie également le programme, et nous y remar-
quons, entre autres morceaux, le concerto exécuté par M""' Billon
« sur des variations de Marlborough de quatre compositeurs » et
le « duo avec variations exécutées sur le même violon » par
MM. Billon et Calvelle.
Huit jours après, le théâtre de Montpellier ouvrait ses portes
à cinq heures pour la représentation d'un « opéra tragi-comique »
et d'un ballet-pantomime intitulé Mirza. La salle est assez
grande, dit M"" Cradock, mais mal éclairée, et le public s'y
montre plus bruyant que partout ailleurs. Par contre, le spec-
tacle satisfait davantage notre auteur. La musique et les acteurs
de la tragi-comédie méritent leur succès; les costumes sont
élégants, surtout ceux des femmes. Quant à Mirza, la décoration
en est nulle, mais la musique et la chorégraphie ne manquent
pas d'intérêt. Aussitôt le lever du rideau on voit une jeune fille
jouer.de la harpe sur la soène, puis danser « le menuet de la
Cour» avec un premier sujet que rejoignent bientôt d'autres
couples. Ces entrées sont suivies de marches, de danses guer-
rières françaises et africaines, remarquables par leur couleur
locale. Le pas du chef barbare est surtout applaudi. Un combat
simulé entre les deux troupes ennemies se termine par un bal-
labile général.
Ce pot-pourri devait être singulièrement confus et compliqué ;
mais il eut le don de plaire à la spectatrice :
« Ce ballet, bien conduit et majestueusement exécuté, dit-
elle, eut le plus grand succès. Pour ma part, je pense n'avoir
rien vu de mieux dans ce genre. »
Le théâtre de Toulouse allait cependant lui offrir un spectacle
de meilleur goût et d'ordre plus relevé. M""' Dugazon, venue
pour les fêtes du pays, en compagnie d'un anglais « qui l'entre-
tenait dans le grand style », daigna paraître sur la scène à raison
de 10 guinées (250 francs) par soirée. Pour le temps, le cachet
ne laissait pas d'être coquet. Le 31 mai, la direction afficha
l'opéra-comique des Trois Sultanes, « musique de Creste (1) ».
j\|mc Dugazon y remplit le rôle de Roxelane. Le prix des billets
était doublé, — nos impresarii n'ont rien inventé. — La chaleur
était énervante, le public plus énervant encore. Le vacarme
était indescriptible. Heureusement j'avais une bonne loge, dit
M""' Cradock avec cette sérénité britannique qui sait toujours se
mettre à son aise n'importe où.
Le 3 juin, même afîluence, même tapage, .même température
à la Serva Padrona de Pergolèse, que la Dugazon joue à son
bénéfice.
Nos voyageurs arrivent-^à^Bordeaux peu de jours après. Ils
vont revoir, le 12, Biaise et Babel au théâtre de la ville, une des
merveilles de la Guienne. L'extérieur en est gracieux et im-
posant, remarque le Journal. L'intérieur est d'un style grandiose,
mais lourd, l'orchestre trop petit pour une salle aussi vaste. Le
large vestibule qui sert d'entrée est soutenu par d'énormes
piliers : à droite s'ouvre une salle de bal, à gauche une salle
de concert. « De chaque côté de l'amphithéâtre deux loges sont
réservées aux dames d'un certain monde, qui ont toute liberté
de s'y faire remarquer et ne s'en privent guère. » L'histoire de
cette loge où... l'on s'amuse a toujours été fort contestée, mais
nous ne nous étonnons pas autrement qu'elle ait été mentionnée
par notre touriste. M'"" Cradock était femme et... anglaise :
. double raison pour n'être pas douce à son sexe. Elle n'est d'ail-
leurs guère plus indulgente pour les acteurs bordelais. Elle les
trouve exécrables. Elle en dit autant des chanteurs ou des ins-
trumentistes qu'elle a entendus au concert de Lolli le violo-
niste ; lui seul a du talent. Elle parle, pour mémoire, de la
représentation du 13 juillet au théâtre, où il lui fut donné de
contempler sous un dais le duc et la duchesse de Mouchy, « gou-
verneurs de la Guienne ». Le mari était « commandant pour le
Roi ».
Quelques jours auparavant, M™° Cradock était entrée au Petit-
Théâtre — par opposition sans doute au Grand-Théâtre — et là, elle
avait été fort en peine de trouver une place. Tout était plein.
On refusait peut-être du monde. Il est vrai qu'on attendait une
fameuse danseuse de Paris qui ne vint pas. En revanche,
M°"= Cradock vit jouer au Petit-Théâtre le Tableau parlant « ar-
rangé pour des enfants ». Ces acteurs minuscules ne valaient
rien. La danseuse avait un air modeste et sa démarche n'était
pas dépourvue de grâce. La représentation ne se termina pas
avant minuit et demi. Nos Sociétés protectrices de l'Enfance ne
toléreraient pas aujourd'hui qu'un spectacle ainsi composé se
terminât à une heure aussi avancée de la nuit. Et le fait est
(1) Creste, connue pourrait le laisser entendre cette note de l'éditeur, n'était pas un
contemporain de Favarl, l'auteur de la pièce. Il est de notre siôcle. Lorsque Lockroy
remania les Trois Sultanes en 1853, Creste tut chargé d'en écrire la musique.
LE MÉNESTREL
147
d"autaut plus digne de remarque qu'au siècle dernier la ferme-
ture ordinaire des théâtres ne dépassait guère dix heures.
Gomme a pu le laisser pressentir l'itinéraire jusqu'alors suivi
par les Cradock, nos voyageurs revinrent à Paris par la région
ouest de la France. Il semble qu'ils n'y aient trouvé aucun
théâtre lyrique : car leur Journal reste muet à cet égard.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Odéon. Ma fée! comédie en 4 actes de MM. Pierre Veber et Maurice Soulié.
M. Pierre Veber accapare la rive gauche : en compagnie de M. de
Cottens, il y a quelque quinze jours, il entra en vainqueur à Cluny
avec la Dame du commissaire, et voilà maintenant que, aidé de M. Mau-
rice Soulié, il prend très gaiement d'assaut le mastoc Odéon, rappro-
chant tellement les distances morales entre les deux théâtres du quar-
tier latin que, par moment, on se demandait, l'autre samedi, si l'on ne
s'était pas, par mégarde, réintroduit dans la salle du boulevard Saint-
Germain. Donc on s'est amusé au second Théâtre-Français, et on se
serait vraisemblablement amusé plus franchement encore si la chose
s'était passée en maison d'ordinaire moins austère; non que le rire ne
soit partout à sa place, mais bien parce qu'il y a, suivant le milieu,
manière de faire naître le rire et parce qu'aussi les comédiens chargés
d'exciter ce rire semblèrent souvent, au cours de la soirée, intimidés par
de grosses plaisanteries pour lesquelles ils sont modestement entraînés.
Ces messieurs et ces dames sont tous en droit de guigner leur entrée à
la Comédie, et leur demander de s'ébattre follement en simple vaudeville
devait leur paraître manquer, quelque peu à la solennelle dignité dont
ils font profession par anticipation.
Ma fée! débute dans les bureaux du ministère des Aifaires Intéri-
maires, direction du Provisoire, c'est dire le genre d'esprit de la pièce,
qui commence en honnête comédie d'intrigue et s'égare, étant donné,
bien entendu, que nous sommes à l'Odéon, dans la farce facile; le voi-
sin Cluny doit surtout vivement regretter l'acte qui se passe au musée
du Louvre, dans la salle des Lesueur. Le thème s'inspire, sans essayer
de le nier, d'Alfred de Musset : M"° floqueton et M""^ Ancenis, femmes
de gros manitous du ministère, ont des flirts et, pour détourner les
soupçons de leurs maris, choisissent toutes deux le même « chandelier »,
le jeune Champeray, qui adore et qui est adoré de Lucy, la sœur de
M"'" Hoqueton, et qu'elles se mettent, toutes deux toujours, à aimer
pour de bon. Imbroglios sur imbroglios qui sont loin d'être mal con-
duits, pièce à tiroirs rappelant indubitablement la manière ancienne de
Scribe. Et le plus drôle de l'aiîaire, c'est que ce soit précisément M. Pierre
Veber qui, très naïvement, nous ramène à un genre, ayant eu du bon
en son temps, pour lequel, lorsqu'il donnait à la Vie parisienne de spi-
rituelles notes sur le mouvement théâtral, il se montra trop précoce-
ment d'une implacable rosserie !
Sauf les réserves faites plus haut sur le manque de laisser-aller des
interprètes. Ma fée! est agréablement jouée d'ensemble par MM. Albert
Lambert, en un rôle épisodique le plus heureusement trouvé de tous,
Coste, M""*^ Sorel, Mitzy Dalti, MM. Darras, DauviUier, Achard, Siblot,
Laguiche, M"'* Rabuteau et Bonnet; elle l'est tout à fait bien même par
M"° Yvonne Garrick, qui s'est montrée charmante d'esprit, de vivacité et
4e jeunesse dans le personnage de Lucy.
Paul-Émile Chevalier,
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU GRAND-PALAIS
(Troisième article.)
Rien ne conserve un article de mode comme son prix élevé : tous les
commerçants de luxe vous confirmeront cette grande vérité mercantile
avec preuves à l'appui, s'ils consentent à vous ouvrir en même temps
leur cœur et leur grand livre. Le rabais est le commencement de la
décadence. Par exemple, le mobilier modern-style serait depuis quelque
temps beaucoup' moins recherché des snobs si les fabricants n'avaient le
robuste parti pris d'en maintenir la cote à d'invraisemblables hauteurs.
Les amateurs, qui déserteraient à mi-côte, dilatent leurs poumons et
délient les cordons de leur bourse sur ces sommets inaccessibles aux vils
marchandeurs. J'engagerai donc les sincères producteurs de peinture
de même style à ne pas baisser des prix généralement sérieux et même
considérables. C'est le plus sur moyen de garder une clientèle qui, sans
cela, pourrait s'égrener. Car enfin le tableau de M. Edwin-Austin-Abbey :
Galabad le libérateur arrive au château des demoiselles, épisode de la
légende du Saint-Graal et portion d'Une frise de la Isibliothèque publique
de Boston, est certainement encore une œuvre consciencieuse et de réelle
valeur. La composition ne manque ni d'intérêt ni de caractère. Mais'
après quelques minutes d'attention, ces créatures de rêve, en costumes à
longs plis, et dont la plastique presque insexuelle accuse une invraisem-
blaljle uniformité, deviennent bien fatigantes à regarder. On se lasse de
la joie pure, — joie d'esthète I — qu'elles donnent à regarder ; et l'on
échangerait volontiers tout le lot contre une représentation vivante —
fût-elle commune, populacière et mafllue comme la Vénus de M.Guérin,
dont la couleur est plus attrayante que le modèle n'est heureusement
choisi.
M. Jules Flandrin paraîtra beaucoup plus éloigné que M. Abbey des
tendances préraphaélites ; il se rapprocherait plut(:)t de Paul Delaroche,
et de l'école trop diffamée de la grande illustration historique. C'est un
art sans profondeur insondable, ni hautes visées esthétiques, ni docu-
mentation extraordinaire, mais qui a son agrément et qui répond à
l'idéal nécessairement moyen de la moyenne du public profane. Qu'il
consente ou non à l'avouer, rien ne flatte plus le bourgeois que d'être
chatouillé dans son érudition superficielle et mis à même de faire parade
à ses propres yeux d'un fonds d'humanités resté à peu près intact sous
la couche épaisse des préoccupations du métier quotidien. Les tableaux
historiques « qui se comprennent à première vue », comme disent les
chères mesdames des « sociétés » en promenade, ont toujours leurs clients
empressés et reconnaissants. Et les deux envois de M. Jules Flandrin
sont tout à fait ces tableaux-là. Impossible de ne pas reconnaître Dante
reconnaissant lui-même Béatrix au seuil du paradis, car si le costume
est classique, le geste ne l'est pas moins : un enfant de douze ans devi-
nerait le sujet tant il est formulé selon la formule, selon toutes les for-
mules. Et la colère d'Othello ne prête pas davantage au rébus : rien
qu'en voyant la couleur on reconnaît tout de suite le Maure aux gaffes
macabres, le « bouc noir » de la brebis vénitienne.
M. Gustave-Max Steveus, exposant belge, est-il modern-style, est-il -
pseudo-romantique ? Constatons qu'il est plutôt à la fois orfèvre et cos-
tumier. Les Filles de rois arborent de fastueux oi'ipeaux et de notables
bijouteries. Dans le palais des rois leurs pères — lesquels apparemment
sont des rois associés, une entreprise de souverains, — elles forment un
groupe compact mais resplendissant comme une vitrine de joaillier dont
les glaces seraient garnies de brocard. De mauvais plaisants ont baptisé
cette peinture millionnaire : le clan du drap d'or ; un â-peu-près confec-
tionné pour l'exportation.
Non moins éclatantes, les étoffes dont M. Lesrel a vêtu les gentils-
hommes réunis « chez l'argentier du roi ». On ne saurait rien imaginer
de mieux fourni, de plus varié, de plus somptueux en fait de décrochez-
moi-çâ historique. Par malheur, les personnages qui portent cette garde-
robe sont de purs mannequins, d'anatomie sommaire, auxquels M. Lesrel,
artiste consciencieux jusqu'à la minutie, exécutant raffiné jusqu'au
trompe-l'osil quand il s'agit de rendre des accessoires, n'a prêté qu'une
insuffisante vitalité. On trouvera plus d'entente de la composition dans
le Saint-François prêchant aux poissons de M. Eugène Cadel et plus de
style dans le projet de peinture murale oii M. Humphreys-Johnston
évoque la vision de Saint-Paul à Lystra, plus de « fondant » et de déli-
catesse dans la Visitation de M. Aublet, peintre des blancheurs teintées
ça et là de nuances aurorales, des dessous plus solides dans la Bayadére
au repos de M. Courtois et plus de libre fantaisie dans la Carmen de
M. Texidor Y Terres.
Un tableau militaire, un seul ! au Salon de l'avenue d'Antin. On
n'accusera pas les sociétaires de la S. B. A. de chauvinisme outrancier;
il est même assez extraordinaire, en se plaçant au seul point de vue de
la virtuosité décorative, que l'éclat des uniformes, la variété et le pitto-
resque des coiffures, le scintillement des armes paraissent aussi négli-
geables à des artistes généralement plus préoccupés de l'effet que du
sujet. Je me borne à constater cette anomalie sans lui trouver d'expli-
cation raisonnable, et j'ajoute qu'il faut rendre justice à l'elfort très
méritoire de M. Emile Breton pour commémorer un épisode tragique
de la bataille de Saint-Quentin (19 janvier 1871). Il s'agit de l'héroïque
effort du bataillon des cantons de Carvins-Lons, légion de Béthune,
brigade Pauby, dos mobilisés du Pas-de-Calais, qui au chemin creux
de Fayet couvrirent la retraite de l'armée du Nord par les routes de
Cambrai et du Cateau. Ce tableau, dont la composition est intéressante,
sera l'heureux complément du monument élevé à Hénin-Lîétard à la
mémoire des soldats morts pour la patrie.
J'arrive aux études modernistes. C'est la véritable parure de ce
Salon, et une parure d'un goût très délicat, d'une réelle valeur de
148
LE MÉNESTREL
style, qui semble généralement destinée à survivre aux caprices de la
mode. Elle affecte les formes les plus diverses et même celle du pan-
neau décoratif. Un nouveau venu, M. Karbowski, dont l'envoi est très
remarqué, e.xpose un des modèles du genre : la Broderie, composition
sobre et savante, d'un coloris tendre et d'un heureux groupement de
personnages. Avec M. Ignacio Zuloaga : Promenade après la course de
taureaux, l'elfet est plus intense et le relief plus énergique. lie specta-
teur français trouvera même quelque àpreté aux contours, quelque
brutalité aux oppositions de teintes ; mais, par les défauts autant que
par les qualités, cette grande toile produit une durable impression
d'ensemble. La promenade, usuelle en Espagne après les émotions
violentes de l'arène, a lieu dans un paysage grisâtre, aux plans som-
mairement indiqués. Le personnage principal est une amazone, cos-
tumée de rouge. D'autres femmes, en toilettes voyantes, animent la
perspective ; mi nègre, vendeur de friandises, donne la note pittoresque.
Au denK^urant, une œuvre reposante, malgré le caractère aigu de la
vision, car elle change du déjà-vu et des banalités convenues.
Très personnel aussi M. Hochard, peintre Orléanais et qui cherche
autour de lui les sujets de composition. A la fois humoriste, coloriste
et metteur en scène, il fait preuve de la plus étincelante virtuosité dans
la Fête-Dieu et les fêtes de Jeanne-d'Arc (sur le parvis de la cathédrale
d'Orléans, le soir du 7 mai). Les fleurs, les lumières, le papillotement
de la foule, composent une vibrante harmonie, curieusement soulignée
Iiar quelques dissonances volontaires. Quant à la file d'écoliers conduits
par les Frères, au roulement du tambour, c'est une vigoureuse étude,
à la Daumier, mais saus surcharge caricaturale.
M. Muenier, qui n'a pas pas moins de cinq envois, nous montre
égalemi.'nt nos écoliers, retour de la laiqui' ; mais il semble que
la faculté visuelle de cet artiste remarquabL^ment doué ait subi
une profonde et regrettable transformation. Il peignait jadis en
pleine pâte et donnait à ses compositions un inlérêt panoramique ; il
tignole maintenant, il ne fait le sacrifice d'aucun détail, et cet excès
de rendu qui confine au maniérisme réduit toutes ses compositions à
l'état de miniatures préciosées, presque de chromos. Souhaitons que
M. Muenier renonce à cette velléité singulière de ressusciter les Firmin
Girard d'antan, dont la seule vue blessait la rétine, et louons, sous les
mêmes réserves, l'intéressante perspective des rapides du Rhin à
Laufenburg ainsi que le nocturne on pays Badois.
Vous souvient-il encore de ce coin de l'Exposition universelle qui
s'appelait la Rue de Paris? Oui, sans doute, puisqu'à cette même place
Arthur Pougin eu a évoqué les splendeurs, vite éteintes, avec l'intérêt
soutenu de son érudition impeccable et la sympathie communicative
d'un esprit passionné pour toutes les choses du théâlre. Que de décep-
tions et de ruines dans cet étroit couloir, ambitieusement baptisé, qui
aurait été la ruelle de Montmartre bien plutôt et bien plus que la rue
de Paris! En dépit des ballerines de tout ordre et de toute nationalité,
le pas du syndic y fut la danse la plus répétée, à la demande générale
des créanciers ; les enireprises les plus rationnelles et qui pouvaient
escompter une sérieuse moyenne de clientèle y trouvèrent le même
lugubre aboutissement que les improvisations foraines et les spectacles
de rencontre. Quelque peintre symboliste perpétuera peut-être le souve-
nir de cette longue agonie et nous montrera l'Ange de la Guigne pla-
nant sur les Photo-Cinéma, les Auteurs Gais (navrante ironie!), les
Bonshommes Guillaume et autres bâtisses effondrées dont on peut dire
avec le poète que les ruines mômes ont péi'i, etiam. periere ruiiiœ...
M. Morisset a de moindres prétentions ; il lui a suffi de nous rendre
le grouillement di? la foule, le chatoiement des étoû'es, les à-coups de la
lumière sautillante, un soir de fête. L'étude est amusante et réussie.
Du même peintre quelques jolis tableaux d'intérieur, notamment la
danse familiale de « la Capucine ». ronde de jeunes femmes autour
d'une fillette, une gracieuse étude de liseuse et une scène d'intimité.
L'exposition de M. Biessy offre de curieux rapports avec celle de
M. Morisset : elle se compose également d'un tableau de virtuosité pure
et de quelques intérieurs. La toile à effet est un Quatorze juillet popu-
laire, le seul qui subsiste — on a cassé cette vieille lune pour en faire
des pelils bouts d'étoiles — une sorte d'inslanlauô lumineux pris rue
Brise-Miche, dans le quartier duCloitre-Sjint-Merri. Du même peintre,
une Brodeuse de touche délicate et une Partie de daines. Un artiste
espagnol brillamment doué, M. Saglio, nous montre aussi, en une
spirituellr esquisse, un groupe de jeunes femmes attablées devant le
même jeu. M. Rixeus a représenté, avec son vigoureux talent, d'un
réalisme sans vulgarité, un lot de fillettes réunies autour d'un piano.
De M. Borglum, le Rêve de la harpiste; de M. Clark, le Violoniste; de
M. Graner-Arrup, le Pinceur de guitare. M. Armand Berton réclame
une mention spéciale : de ses cinq envois, toutes études d'intérieurs, le
plus appréciable est la Leçon de musique, d'une e.xécution spirituelle et
d'un joli groupement. Et nous en aurions fini avec les peintres
B instrumentistes », catégorie aussi intéressante que l'autre, s'il ne
restait à parler de M. Prinet...
Un excellent peintre, M. Prinet, mais un terrible et hasardeux com-
mentateur de la musique de chambre. La Sonate à Kreutzer — tel est le
titre de son principal envoi, ou du moins do celui qui sera le plus
remarqué — lui a inspiré une composition passionnelle, toute pénétrée
de la fougue la plus romantique. Un violoniste fort chevelu vient do
jouer la sonate, avec, pour accompagnatrice au piano, une jeune femme
ou une femme jeune encore, et la communion esthétique a emporté si
loin le couple de virtuoses qu'ils s'étreignent à plein bras dans le salon,
heureusement désert. Apparemment, assurément, la fièvre artistique
est seule en jeu, la contagion du lyrisme seule en cause. Sans quoi,
M. Prinet nous ferait croire que si la musique adoucit les mœurs, elle
ne les améliore pas toujours. Mais ce serait un blasphème. Signalons
d'ailleurs une exécution très libre, toute personnelle, et un sobre coloris
qui fait penser aux intérieurs de Stevens. Même observation pour la
Femme au canapé, négligemment étendue, et qui parcourt un livre (un
roman, n'en doutez pas, et de Bourget, de Prévost ou d'Hervieu!) avec
l'attention que réclame une cure psychologique.
La vie rustique continue à inspirer nombre d'observateurs patients et
quelques maîtres. M. Lherraitte garde la première place. Œuvres de
grand style, tableaux de musée, je ne saurais trop le répéter, les pages
remarquables qu'il intitule Glaneuse, Jeune mère, l'Enfant et Dernier
rayon. L'observation contingente, anecdotique chez tant d'autres fami-
liers de l'existence champêtre, y prend un caractère d'absolue et perma-
nente vérité; le peintre dégage des accidents ou des hasards de la ren-
contre une série de types fortement simplifiés, puissamment rendus,
qui survivront comme ont survécu les modèles de Millet et fixeront
pour la postérité la physionomie du paysan français au vingtième siècle.
Le chemineau de M. James Lignier (à qui l'on doit aussi un intéres-
sant portrait de M. Duberry, le nouveau et sympathique secrétaire géné-
ral de la Comédie-Française) est d'un réalisme assez serré. La, Pêcheuse du
Morbihan de M. Delécluse, le Vieux pécheur de M. Hagborg, la Bretonne
sur la falaise de M. Le Fournis, la Petite ménar/ère de M. Pelecier, méri-
teraient mieux qu'une mention.
Le paysage considéré au point de vue de la grande décoration est
amplement fourni. Il faut citer tout d'abord le Fleuve, de M. René Mé-
nard, d'une profondeur, d'une perspective, d'un style également admi-
rables. La Terre antique (le Temple), du môme artiste, est encore une toile
merveilleuse. On rêve de faire passer dans ces compositions, où la
cendre fine du crépuscule voile sans la cacher la traînée d'or du soleil
couchant, les faunes, les dryades, les sylvains, « tous les dieux sans
nombre-fuyant le jour » delà romance de Pohjeucte. Passons sans tran-
sition au séduisant panorama Saint-Cloud s'allume, de M. Eugène d'Ar-
gence, pour revenir à l'Acropole d'Athènes vue du Pnyxde M. Paul Au-
bin, et à l'Estaque, vue la nuit. M. Baron évoque le soleil matinal sur
le vieux port de Marseille et M. Chevalier le soleil couchant sur le vieux
bassin de La Rochelle. De M. Damoye, maître si pur, si hostile aux
effets faciles, cinq toiles d'un beau caractère : lever de lune on Sologne,
dunes à Beg-Meil, l'Ile fleurie au printemps, effet gris et effet de soleil
sur Sainte-Marguerite. Le Château-Gaillard des Andelys, tant de fois
reproduit, a cette année pour portraitiste M. Etienne Moreau Nélaton,
tandis que M. Dolance s'attaque aux Pyrénées avec la Route de Pierre-
ftlle et Hendaye sur la Bidassoa.
M. Montenard et M. Dauphin restent fidèles à » l'implacable azur »
de la Méditerranée, et s'il leur est difficile de trouver des effets nou-
veaux, du moins tirent-ils un excellent parti d'effets déjà connus. Aussi
bien, convient-il de signaler une sorte d'effort de renouvellement et
même quelques emprunts aux marinistes du nord dans la composition
robuste que M. Montenard intitule Par vent de mistral et qui représente
un groupe de matelots souquant dur sur les volutes d'émeraude d'une
mer remuée jusque dans ses profondeurs. Le vieux pont, la route de
Villefranche à Nice et le coin de village sont des feuillets moins impré-
vus d'un album qu'on ne cessera de parcourir avec int 'rôt. Quant au
Toulonnais Dauphin, il garde sa virtuosité un peu plus àpro, son goût
plus marqué pour le relief et le détail caractéristique dans Saint-Tropez,
le Fort Saint-Louis et le Cap Sicié.
La plage de Biarritz de M. Lèopold Stevens ne fait pas mauvaise
figure auprès de ces envois d'un lurninisme intense. Maison revient avec
plaisir aux tonalités fines, aux sobres harmonies du paysage des régions
moins ensoleillées, telles que la vue de Gennevilliers de M. Ilaffaelli,
la fin du jour aux bords duLoing deM. RenéBiUotte, lamatinêe d'orage
en Savoie où se complaît la fantaisie vagabonde de M. Carolus Duran.
On est même satisfait de suivre M. Fayet dans une excursion en Angle-
terre et de se plonger avec lui en plein brouillard de Londres : Brouillard
gris, Brouillard rouge, les deux tons dominants de la suie britannique.
(A suivre.) C.\milli; Le S.':nne.
LE MENESTREL
149
LE NOUVEAU CONSERVATOIRE DE MOSCOU
Un bâtiment superbe encadrant une vaste cour et dessinant les trois
côtés d'un rectangle; du côté de la rue, une longue grille qui forme le
quatrième côlé et relie les deux aiies du monument. Au fond, au milieu
de la façade principale, une rotonde en saillie supportée par des colonnes
sous laquelle pénètrent les voitures : c'est l'entrée de la grande salle.
Quarante ou cinquante équipages évoluent à l'aise dans la vaste cour;
ils entrent par la droite et sortent par la gauche; nul encombrement,
nulle incertitude pour le public, nulle cohue; un seul homme de police
se tient là, immobile sur son cheval, simplement pour la forme: il regarde
ou il dort...
On entre dans un vestibule entouré d'un vestiaire disposé pour rece-
voir et restituer en moins de cinq minutes plus de deu.x mille manteaux,
pardessus, chapeaux et fourrures le plus commodément du monde, ainsi
que cela se fait partout, d'ailleurs, en .Allemagne et en Russie. Un esca-
lier monumeulal conduit au premier étage dans un autre vestibule très
luxueux sur lequel s'ouvrent de vastes foyers où se promène le public
dans les entr'actes. et qui précède la salle de concert.
Celle-ci est magnifique, claire, gaie, uniformément peinte en blanc
majeur, très confortable, admirable de proportions, merveilleuse do
sonorité : 18 mètres de haut, 22 de large, 40 de long dans le bas, mais
seprolongeant de 20 mètres encore dans le haut, à partir de la galerie
du 1" étage, grâce au vaste amphithéâtre qui part de là pour se perdre
vers les sommets de la construction. De toutes les salles de concert
connues, celle-ci me parait la plus réussie comme acoustique. La puis-
sance et le charme de l'orchestre, la splendeur de l'orgue, la délicatesse
et la beauté do la voix, la plénitude de sou d'un piano ou d'une harpe
s'y manifestent avec une intensité sans pareille. Je me suis amusé plu-
sieurs fois, après la répétition, à jouer le Schrôder demi-queue qui se
trouvait sur l'estrade, et pas un instant je n'éprouvais le besoin de for-
cer l'attaque de la touche pour en augmenter l'effet. C'était, dans cet
énorme vaisseau comme dans un salon ordinaire, la même clarté, la
même plénitude sonore.
On ne construit plus aujourd'hui, pour la musique, que des salles
rectangulaires. Depuis longtemps l'e.vpérionce a été faite; les résultats
sont concluants. Allez à Berlin, à Rome, à Vienne, à Saint-Pétersbourg,
dans toutes ces villes d'Allemagne grandes et petites oiï fonctionnent
des orchestres, partout la môme formule, partout des surfaces planes,
des plafonds plats ou à pans coupés: cela ne trompe jamais; mais nulle
part des courbes, des voûtes, des parois circulaires ou elliptiques: cela
trompe toujours. L'architecte qui, là-bas, présenterait dans ses plans des
lignes arrondies serait justement traité d'imbécile. J'ai le regret de
constater qu'en France beaucoup d'architectes semblent ignorer ces
vérités élémentaires, cette loi absolue que, chez nous, Cavaillé-CoU a
passé sa vie à proclamer et à défendre. Les salles construites d'après ses
indications sont toutes excellentes : vides, elles restent claires pour la
parole; pleines, elles ne deviennent jamais sèches, témoins la salle de
concert de Sheffield et celle du Conservatoire de Bruxelles.
Le seul point délicat, encore un peu énigmatique pour le construc-
teur, réside dans la judicieuse proportion des lignes. Celles de Moscou
sont admirablement équilibrées. Moins heureuses m'ont semblé celles
du Conservatoire de Saint-Pélersbourg,dont la salle est trop longue pour
la hauteur et la largeur; de là une sonorité plus mate, plus éteinte, de
l'orchestre et des voix. Et cependant cotte dernière ne contient que
1.800 auditeurs, alors qu'il y a 2.o00 places à Moscou.
L'orgue qu'on vient d'iuaugurer, en même temps que les bâtiments
du Conservatoire de Moscou, est celui que nous avons pu voir dans la
tribune de la salle des Fêtes à l'Exposition dernière. Il est d'une perfec-
tiou mécanique, d'une sympathie, d'une variété et d'une richesse de
timbres qui l'ont fait immédiatement classer parmi les plus beaux de
l'Europe : cinquante jeux répartis sur trois claviers manuels d'ul à sol
et un pédalier de deux octaves et une quinte, d'ut à sol également. Son
effet a été extraordinaire. Après un long programme exclusivement com-
posé de pièces anciennes ou modernes spéciales à l'instrument, sans
aucun concours de chauteurs ou de virtuoses étrangers, il a fallu pour
ainsi dire recommencer la séance et jouer encore et encore pour répon-
dre aux appels d'un auditoire insatiable. Et de même deux jours après,
au concert populaire: la séance, qui devait durer une heure et demie,
s'est trouvée prolongée par le fait jusqu'à près de trois heures. On ne
connaissait guère en Russie que des instruments médiocres, de méca-
nisme incertain, de sonorité sans caractère, de justesse douteuse : jugez
de la surprise et de l'émotion de ces deux mille cinq cents auditeurs en
présence de l'orgue construit par la maison la plus célèbre, la plus jus-
tement admirée du monde entier, la maison CavaiUô-Coll, que dirige
actuellement M. Ch. Mutin et qui ne déchoit pas en ses mains; jamais
pareil triomphe pour l'industrie française.
Orgue superbe à coté d'un admirable orchestre. Déjà, il y a quatre
ans, j'étais allé, sur l'invitation de l'éminent directeur M. Safonoff, diri-
ger ma 'i.' Symijhonie à Moscou : les concerts se donnaient alors salle
de la Noblesse; l'orchestre était bon, mais sans se distinguer d'autres
bons orchestres que je pourrais citer çà et là. Je ne le reconnaissais pas,
l'autre jour, en lui faisant répéter ma 3" Symphonie : brillant quatuor;
violons, violoncelles (école de Davidoff) di primo cartello; puissantes
contrebasses; bons instruments à vent, flûtes, hautbois, clarinettes,
bassons; cuivres d'une sûreté rare, d'une incomparable douceur dans le
pianissimo; ensemble très discipliné, obéissant au moindre signe, ner-
veux et enthousiaste. Est-ce la sonorité de la salle, est-ce le résultat des
artistiques efforts de Safonoff"?... Toujours est-il que l'orchestre du
Conservatoire de Moscou compte aujourd'hui parmi les plus remar-
quables et fait honneur à son chef.
A côté de la salle des Fêtes, deux autres salles de concert ou d'exa-
men, — la plus élégante contient plus de cinq cents places; elle a
douze mètres de haut, dix-huit de long et neuf de large. — Deux salles
de récréation. Trente-quatre classes isolées les unes des autres de façon
que les professeurs ne se gênent pas mutuellement comme dans notre
vieille maison vermoulue du faubourg Poissonnière où l'on ne peut lire
une fugue sans entendre ànonner sur sa tête une leçon de solfège.
Quant aux programmes d'études, ils sont assez semblables aux nôtres:
je signalerai toutefois quelques intelligentes idées mises en pratique là-
bas et qui donneraient chez nous aussi d'excellents résultats: c'est
d'abord, chaque semaine, une soirée « fermée » où se produisent les
élèves ; ceux qui sont reconnus les meilleurs peuvent alors se produire
dans les huit ou dix soirées publiques de l'année. Ensuite, les élèves
des classes supérieures de piano sont obligés de donner des leçons de
piano à leurs camarades étudiant les iiistrumenls d'orchestre. Ensuite
encore, deux foh par semaine, classe d'orchestre, dirigée par le directeur
ou un professeur, ou un élève; — de là cette habileté dans l'art d'or-
chestrer qui caractérise l'école russe contemporaine.
Pas de prix ici, pas plus qu'en Allemagne; mais seulement des
diplômes constatant que l'élève sait son métier; les diplômes sont décer-
nés par un jury après concours public. Voulez-vous savoir ce qu'on
exige d'un candidat au diplôme de pianiste? Un concerto étudié sous la
direction du professeur, puis une fugue et puis du Schumann. du Cho-
pin, du Liszt, du « Russe », et enfin un morceau d'ensemble, trio ou
quatuor, tout cela étudié loin du professeur, en toute liberté — on s'en
rapporte à la parole du maître et du disciple, — total : sept ou huit
pièces pour la plupart très importantes. Moyenne de chaque concur-
rent: une heure environ. Le dernier concours a duré doux jours; il v
avait vingt candidats. A la fin de la saison, représentation théâtrale
donnée par les élèves : un opéra joué en costumes et dans le décor, le
ballet lui-môme dansé par les élèves de chant fréquentant les classes de
mimique. Voici la liste des ouvrages ainsi représentés ces dix dernières
années : Fidelio, Cosi fan lutte, IphUjénie en Tauride, Feramors, le Chalet
Frcischûtz, les Joyeuses commères, deux opéras en un acte Musses, l'Enlè-
vement au sérail (en préparation pour cette année).
Ils sont très pratiques, nos sympathiques amis slaves. En visitant, la
semaine dernière, la salle des concerts du Conservatoire de Pétersbour"-
je trouvais l'estrade transformée en théâtre, un décor tout planté, des
machinistes s'exerçant aux jeux de lumière, l'orchestre en sous-sol et
la musique sur les pupitres: — e Qu'est-ce cela? » demandai-je...
— « Daus une heure nous avons la représentation à huis clos d'un opéra
que vient d'écrire un jeune musicien ; il s'entendra et pourra se juger
lui-même... » N'est-ce pas admirable? N'est-ce pas fait pour rendre fous
de jalousie tous les compositeurs français présents et â venir? Cela ne
coûte presque rien, quelques centaines de francs pour la copie seule-
ment ; et un compositeur de vingt ans devient en deux ou trois heures
un homme d'expérience. La subvention accordée au Conservatoire par
l'État est relativement minime, vingt-cinq mille roubles, m'a-t-on dit;
mais les élèves payent tous, et, de plus, les Conservatoires ont la. per-
sonnalité cioile, c'ust-à-divo le droit de recevoir des dons, des legs, des
cadeaux importants, de pouvoir devenir riches. C'est ainsi qu'on exécute
immédiatement, sans difficulté aucune, sans intervention des bureaux
administratifs, sans sollicitations, sans mendicité quelconque, tout ce
que produit l'école: symphonies, opéras, oratorios.
C'est ainsi ijue Safonolf a pu élever ce très vaste édifice de Moscou.
L'Empereur a commencé par donner quatre cent mille roubles sur sa
cassette, puis les dons particuliers sont venus parfaire la somme néces-
saire pour la construction d'un terrain de cinq mille mètres. L'orgue a
été offert par un banquier bien connu chez nous, M. Van derWies, dont
le père habitait Nice où il entretenait un orchestre de soixante musiciens
qui, chaque jour, lui donnait un concert. Aménagements des salles et
JoO
LE MENESTREL
des foyers très luxueusement disposés, mobiliers des liureaux et du
cabinet de la direction, tableaux, glaces, tapis, fauteuils, tout provient
de l'initiative privée. Si le directeur est sympathique, s'il ne fuit pas les
responsabilités, s'il ne craint pas de s'engager et d'aller de l'avant, les
cadeaux affluent, l'argent abonde. On croit en lui ; l'œuvre est d'intérêt
public, tout le monde donne.
En ne voyant dans la salle des Fêtes qu'un seul médaillon, celui du
fondateur du Conservatoire, Nicolas Rubinstein, je faisais remarquer
à Safonoff l'injustice que sa modestie lui avait fait commettre en laissant
à son prédécesseur toute la gloire et en s'effaçant absolument derrière
lui. Il est bien certain qu'il ne pouvait s'élever à lui-même un monu-
ment commémoratif. Il est non moins certain que sa vraie récompense
consiste dans la satisfaction d'avoir heureusement terminé l'œuvre
colossale qu'il avait osé entreprendre. Mais il n'en est pas moins vrai
que si Nicolas Rubinstein a été le fondateur du vieux Conservatoire,
Safonoff a créé le nouveau de toutes pièces, et qu'il restera à la postérité
le devoir de mettre les choses à leur juste place, de réparer les oublis
et de dresser autel contre autel.
Ch.-M. WlDOR.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Ceiidrillon, le ballet posthume de Johann Strauss, vient d'être joué pour
la première fois à l'Opéra royal de Berlin, et les journaux de cette ville
insistent, non sans orgueil, sur le fait que l'œuvre de l'auteur du Beau
Danube bleu a vu la lumière de la rampe sur les bords de la Sprée. On sait
que le scénario de Cendrilkm accepté par Strauss était tellement mauvais qu'on
a dû le remplacer par un autre, mais le nouveau ne semble pas être bien
supérieur à l'ancien. Geudrillon est letrottin d'un grand magasin dontle prince
Charmant est le jeune chef: M'"" de La Hallière est une modiste qui travaille
avec ses deux filles favorites pour le magasin en question. En dehors de cette
transformation, tout se passe comme dans le vieux conte; c'est la pantoufle
du trottin qui amène finalement son mariage avec le jeune et riche pro-
priétaire du grand magasin. La musique consiste dans une suite de danses,
dont plusieurs sont fort jolies, comme la Valse des PUjeons et la Polka des
Amours; le côté dramatique est fortement négligé, ce qui s'explique par la
mauvaise qualité du livret. M. Joseph Bayer, chef d'orchestre à l'Opéra im-
périal de Vienne, a fort habilement complété et mis sur pied les fragments
de la partition laissée inachevée par Strauss. Le succès a été honorable;
après le premier acte on n'a applaudi que tort modérément, mais après le
dernier les applaudissements furent assez vifs.
— M""' Marcella Sembrich organise une saison lyrique italienne au nouvel
Opéra royal (ancien théâtre KroU) de Berlin; la première représentation a
dû avoir lieu hier samedi.
— Une cantate profane (Liederspicl) intitulée Printemps et Amour, pour soli
et chœurs, musique de M. Georges Hartmann, vient d'être exécutée pour la
première fois à Kœnigsberg. La nouvelle œuvre a obtenu un grand succès.
— Au spectacle de gala qui a été donné récemment à l'Opéra de Vienne
en l'honneur du prince impérial d'Allemagne, le programme comprenait un
acte de la Reine de Saba, l'opéra de Garl Goldmark. La direction du théâtre
crut de bon goût, à cette occasion, d'inviter le compositeur à la solennité, et
elle adressa à Goldmark... un billet de cinquième rang à la troisième galerie.
Le vieux maître, quoique ému d'un si gracieux hommage, s'abstint de profi-
ter de la faveur qui lui était faite et ne parut pas à la représentation.
— Le comité qui s'est formé à Vienne pour contribuer au monument inter-
national qu'on veut élever à Milan en l'honneur de Verdi vient de faire
exécuter le Bequiem du maître. La recette a été brillante. M, Mascagni était
venu expressément à Vienne pour diriger le concert et y a eu son habituel
succès de curiosité. L'ambassadeur d'Italie à Vienne, comte de Nigra, lui a
offert une canne dont Rossini se servit, parait-il, pendant les dernières an-
nées de sa vie.
— On nous écrit de Budapest que M'"'' Arnoldson a inauguré une série de
représentations à l'Opéra royal par Mignon. La charmante artiste a rem-
porté un succès énorme; on lui a bissé la romance Connais-tu, le duo des hi-
rondelles et la Styrienne. Une seconde représentation de Mignon est d'ores et
déjà annoncée.
— L'œuvre de Massenet triomphe actuellement en Italie. On nous annonce
de Gênes que Cendrillon, représentée pour la première fois dans cette ville, a
eu un succès éclatant au théâtre Politeama. Nombreux rappels après chaque
acte; le divertissement du deuxième et le finale du troisième acte ont provo-
qué un véritable enthousiasme. Après le dernier acte on a fait une véritable
ovation à M"'^ Toresella, Fabbri, Pollini e Hizzini et au chef d'orchestre
maestro Pomé. De Bologne, on nous écrit d'autre part que Manon a obtenu
un succès immense au théâtre communal. On a bissé d'enthousiasme tous
les morceaux principaux, entre autres le duo de Saint-Sulpice, et on a
rappelé une dizaine de fois M^^ Storchio, le ténor Pandolflni et le baryton
Buti. L'orchestre n'était que sullîsant, mais les solistes ont tait merveille. Le
théâtre était comble (a/foltatissimo).
— Le succès matériel des oratorios de don Lorenzo Perosi ne parait pas
égaler en Italie leur succès artistique. On sait qu'une société s'est formée à
Milan pour aménager, sous le nom de salon Perosi, une salle destinée à l'exé-
cution de ces oratorios. Or, la j Société du Salon Perosi », constituée au
capital de 230.000 francs, a convoqué récemment ses actionnaires pour leur
présenter le rapport relatif au dernier exercice, et il résulte de ce rapport que
ledit exercice accuse une perte nette de 34.073 fr. 8S 0. Les frais d'exécu-
tion ont été, pour l'année, de 37.428 fr. 34 c. et les recettes ont produit seu-
lement une somme de 28.621 fr. 18 c.
— A l'occasion des fêtes projetées à Gatane pour le centenaire de Bellini,
le comité directeur du Cercle Bellini de cette ville a ouvert un triple con-
cours de composition. Ce concours comprend : 1" un quatuor pour instru-
ments à cordes ; 2" une « pièce vocale pour chambre » (c'est-à-dire une
mélodie) avec accompagnement de piano ; 3° un solo de piano à deux ou
quatre mains, caprice, nocturne, fantaisie, etc. Pour chacune des branches
de ce concours il sera attribué un diplôme d'honneur, un diplôme de mé-
daille d'or et deux de médailles d'argent. Il pourra être décerné des mentions
honorables.
— Un émule du P. Hartmann, qui a fait exécuter récemment avec succès
un oratorio. Celui-ci, qui appartient comme lui à l'ordre des Mineurs obser-
vants, s'appelle Pierbattista da Falconara, et a fait exécuter le 21 avril à
Rome, dans l'Eglise de Sauf Antonio, une messe à trois chœurs [Angeli,
Chiesa militante et Chiesa sojferente) de sa composition. Il dirigeait lui-même
l'exécution de son œuvre, qui réunissait 130 chanteurs, dont 60 enfants,, très
bien. instruits, pour le chœur des Anges. L'œuvre est écrite en style sévère,
avec prépondérance du genre fugué. Elle a produit la meilleure impression.
— Le 21 avril 1801 on inaugurait à Trieste le théâtre Nuovo, qui devint
plus tard le théâtre communal et qui s'appelle aujourd'hui théâtre Verdi, et
cette inauguration se faisait avec la première représentation d'un opéra nou-
veau de Jean-Simon Mayr, Ginevra di Scozia. On a célébré récemment le
centième anniversaire de l'existence de ce théâtre, et à cette occasion l'édi-
teur Carlo Schmidl a publié en une élégante édition trois morceaux de l'opéra
en question, l'ouverture et les deux airs d'Ariodant et de Polynice, en les
faisant précéder d'une biographie de Mayr et d'une étude critique sur la par-
tition de Ginevra di Sco:ia.
— On vient d'ouvrir un concours littéraire, à Milan, pour la composition
d'une Vita di Giuseppe Verdi, avec un prix de 3.000 francs pour le vainqueur.
L'ouvrage, écrit en langue italienne, doit être original; les publications faites
avant l'ouverture du concours en sont exclues. La Vita di Verdi, conçue dans
une forme populaire, aura surtout, dit le programme, un but d'éducation, de
telle sorte qu'elle puisse servir d'exemple à la jeunesse studieuse et coopérer
au raffermissement des caractères, à l'incitation au travail, à l'amour de la
patrie, à l'exercice de la bienfaisance. Elle ne devra pas comprendre moins
deSOOpages d'impression, type courant, format in-8°. Le concours reste ouvert
jusqu'au 27 janvier 1903, deuxième anniversaire de la mort du maître. Le
vainqueur recevra la somme de 3.000 francs, en conservant la pleine et en-
tière propriété de son travail. Le côté assez original de ce concours, c'est
qu'il est ouvert par les soins et aux trais de « la Société de produits chi-
mico-pharmaceutiques A. Bertelli et C'', de Milan ».
— Les écrivains italiens continuent de s'occuper avec activité de l'histoire
des théâtres de leur pays. C'est ainsi que M. Giuseppe Radiciotti vient de
publier coup sur coup deux brochures substantielles et utiles, l'une sous ce
titre : Teatro, musica et musieisti in Sinigaijlia, l'autre : Contributi alla storia del
teatro e délia musica in Urbino. On trouve dans ces deux écrits nombre de ren-
seignements intéressants peu connus sur les compositeurs et les chanteurs.
M. Radiciotti, qui n'en est pas à son coup d'essai, prépare en ce moment un
Dictionnaire des musiciens marchesans.
— C'est demain lundi que s'ouvrira la saison de Covent-Garden à Londres
avec Roméo et Juliette et sous la nouvelle direction artistique de M. André
Messager. Dès à présent on s'est mis aux études du Roi d'Ys, qui sera la « nou-
veauté française » de la campagne 1901.
— Les journaux anglais annoncent que le roi d'Angleterre est entré en
pourparlers avec M™' Adehna Patti pour l'achat de son château de (^-raig-
y-Nos. Au cas où les négociations aboutiraient, M"'" Adelina Patti irait
habiter définitivement la Scandinavie, la patrie de son troisième mari, M. le
baron de Cederstroem.
— M. d'OyIy Carte, le défunt directeur du Savoy-Théâtre de Londres, a laissé
une fortune considérable qu'on évalue à la somme de 2.40.817 livres, soit plus
de six millions de francs environ. C'est coquet pour le directeur d'un théâtre
d'opérettes, surtout quand on pense qu'il lui a fallu à peine un quart de siècle
pour amasser cette jolie somme.
— Le chef d'orchestre et compositeur Luigi Arditi, l'auteur du Bacio, la
valse vocale rendue célèbre naguère par M"« Piccolimini et M™" Adelina Patti,
vient de relever d'une maladie dont la gravité était encore augmentée par
son âge avancé, car M. Arditi compte aujourd'hui 78 ans. On lui a conseillé
d'aller achever sa convalescence dans le Leicestershire, où il passera sans doute
l'été. On annonce qu'un concert sera donné prochainement en son honneur,
concert pour lequel M^^ Patti a promis son concours.
LE MENESTREL
151
— On sait que le 23 avril est considéré comme la date probable de la nais-
sance de Shakespeare. A cette occasion on a donné en Angleterre toute une
série de spectacles consacrés à l'illustre poète. Le grand tragédien Henri
Irving, de retour d'une tournée en Amérique, a mis en scène Coriolan au
Lyceum. De son côté. M. Beerbohm Tree, l'un des acteurs les plus réputés
du Royaume-Uni, a remis en lumière l'une des comédies les plus délicates
du vieux maître, la Douzième Nuit, et il a voulu que cette histoire d'amour
simple et poétique fut entourée d'une mise en scène digne d'elle au Her Ma-
jesty's Théâtre. Sur un autre théâtre on a donné Henri ¥ avec un très grand
succès. Mais la commémoration la plus intéressante du poète est colle qui a
eu lieu dans son pays natal, à Stratford-sur-Avon. Là, l'acteur Benson
a donné le cycle entier de ses drames historiques : le Roi Jean, Richard II,
Henri IV, Henri Y, Henri VI et Richard III. Un grand cortège a été aussi orga-
nisé pour porter des fleurs sur la tombe de Shakespeare.
— La propriété du joli titre « le rossignol de Galles » va devenir vacante.
Mme Mary Davies, qui en a hérité après la mort de M°"= Edith Wynne, se
retire en effet après plus d'un quart de siècle d'exercice pour se vouer à l'en-
seignement. Les Gallois auront à décerner le titre en question à une nouvelle
candidate: le choix sera difficile, caries rossignols sans plumes se font rares,
même au pays de Galles.
— M. Mac-Kinley, président de la République américaine, montre-t-il un
goût particulier pour le théâtre et la musique? On annonce de Canton (état
de l'Ohio) qu'il est devenu récemment propriétaire du grand théâtre de
l'Opéra de cette ville, et qu'il vient d'en nommer directeur son propre beau-
frère, M. G. Barker.
— Un fait assez rare vient de se produire à New-York. La troupe d'opéra
de M. Maurice Grau a clôturé la saison lyrique par une représentation au
bénéhce de son manager, en renonçant à ses cachets. Le spectacle coupé ,
auquel M""' Sarah Bernhardt et M. Coquelin ont pris part en jouant un frag-
ment dramatique, a produit la bagatelle de 100.000 francs environ, qui ont
été rerais entièrement à l'heureux directeur.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les jeunes compositeurs légistes dé Compiègne ont terminé leur cou-
cours d'essai pour le grand prix de Rome. Hier samedi, au Conservatoire, a
eu lieu l'exécution de leurs œuvres. Puis interviendra le jugement et, dès le
samedi 18 mai ceux qui seront sortis victorieux de ce premier concours
devront rentrer en loges, toujours à Compiègne, pour n'en sortir que le lundi
17 juin. Et ce sera, cette fois, l'épreuve définitive.
— L'exposition des travaux des pensionnaires de l'Académie de France à
Rome s'est ouverte au palais Médicis, et elle a été inaugurée par une séance
musicale dontle programme comprenait plusieurs compositions symphoniques
dues à trois de nos jeunes prix de Rome : Traversée heureuse et Fêle septentrio-
nale, de M, Florent Schmitt, Entrée, Sarabande et Bourrée, de M. Charles
Levadé, et l'Amour sacré et l'amour profane, de M. Edmond Malherbe.
— M. Alfred Capus, le spirituel et heureux auteur de la Veine et.de la Petite
Foiicfionnoire, vient d'être nommé par le ministre des beaux-arts membre' dé
la commission du Conservatoire. Voilà qui s'appelle rajeunir les cadres.
— Le programme de l'exercice' d'élèves qm a eu lieu jeudi dernier au Con-
servatoire était très bien fait et tout particulièrement intéressant, en ce sens
qu'à part celui de Roland de Lassus il ne comprenait absolument que des
noms de musiciens français, à commencer par ceux des trois directeurs du
Conservatoire : Gherubini, Auber et Ambroise Thomas. Et en ce qui concerne
ceux-là le choix n'eût pu être plus heureux. Pour Gherubini, c'était deux
fragments du Requiem en ut, dont un Aijnus d'un caractère superbe ; pour
Auber, qui savait construire des ouvertures, celle, délicieuse, de Zanetta, si
complètement inconnue de la génération actuelle; et pour Ambroise Thomas
le prologue magistral de Françoise de Rimini, l'une des plus belles et des plus
nobles pages de la musique dramatique contemporaine. Je me rappelais à ce
propos l'un des mots les plus expressifs d'un de nos aimables et présomp-
tueux prix de Rome, de ceux pour qui la musique n'existe que du jour de
leur venue en ce monde et qui se distinguent par leur remarquable modestie.
Celui-là disait un jour : « Il y a trois sortes de musique : la bonne, la mau-
vaise et... celle d'Ambroise Thomas ». Je n'ai pas besoin de dire avec quelle
nuance de dédain il prononçait le nom du grand artiste qui a signé, entre
autres, les partitions de Mirjiion, à'IIamlet et du Songe d'une nuit d'été. Je ne crois
pas que M. Marty, qui a dirigé avec une rare vigueur le beau prologue de
Françoise, partage l'opinion ainsi exprimée. En tout cas, le public a prouvé
par ses applaudissements que cette opinion n'était point la sienne. Entre le
Requiem et Françoise, nous avions l'exquise suite d'orchestre du Roi s'amuse, de
Léo Delibes, si charmante qu'on a dû redire le Passepied. Trois « pièces en
concert » de Rameau, ta Livri et l'Indiscrète, pour piano, flûte et violoncelle,
ont été dites ensuite avec grâce et délicatesse par M"'' Novello, MM. Bau-
duin et Minssart, et après elles esl venu le premier allegro du trio en la
mineur de Théodore Gouvy, exécuté avec chaleur par M. Edger (piano),
M"" Forte (violon) et M. JuUien (violoncelle). Puis l'orchestre est rentré en
ligne avec l'ouverture d'Arteveld d'Ernest Guiraud, page nerveuse, vivante et
colorée, d'une allure superbe et d'un effet immanquable. C'a été ensuite le
tour des chœurs,- qui nous ont fait entendre une jolie chanson française à
quatre voix de Roland de Lassus. Bonjour, mon cœur, et une charmante can-
tilène, aussi à quatre voix, d'Antoine Boèsset, Diviuc AnianjHis, dont la cou-
leur est délicieuse. Mais où diable le rédacteur du programme a-t-il pris la
fantaisie d'écrire Boisset le nom de ce compositeur, que tous les historiens,
contemporains ou autres, n'ont jamais écrit autrement que Boësset? Le pro-
gramme se terminait par la cinquième Béatitude de César Franck, choix fort
heureux fait dans l'œuvre inégal du vieux maître, car les Béatitudes sont, à
mon sens, avec Rulh, ce qu'il a fait de plus accompli. Les soU en étaient fort
bien dits par M"' Revel, MM. Granier et Baêr. Je m'aperçois, en citant leurs
noms, que j'ai oublié de mentionner ceux de M"''* Ceabron et Dorigny, de
MM. Rigaux et G. Dubois pour les soli de Fraiurtisv de Rimini. Tous se sont
bien acquittés de leur tâche. Mais il faut féliciter aussi l'orchestre et les
chœurs, qui se sont distingués par leur soin, leur ensemble et la chaleur
toute juvénile dont ils ont fait preuve. Quant à M. Marty, qui dirigeait le
concert, on ne saurait lui accorder trop d'éloges pour sa fermeté, sa précision
et sa solidité. Celui-là a le tempérament et toutes les qualités du vrai chef
d'orchestre. A. P.
— M. Paul Taffanel vient de donner sa démission de chef d'orchestre de la .
Société des concerts du Conservatoire, et malgré la démarche très pressante
des membres du comité de la Société, il n'a pas cru pouvoir, en raison de son
état de santé, revenir sur sa détermination d'abandonner ce haut poste. Le
comité do la Société des concerts,, tout en regrettant vivement la perte de son
éminent chef, s'est vu contraint d'accepter cette démission. L'élection du
successeur de M. Taffanel aura lieu dans le courant de juin.
— On vient encore de réviser la Marseillaise, s'écrie VÉ''ho de Paris ! « Il y
a une douzaine d'années, semblable travail avait été exécuté par quelques
compositeurs sous la haute direction d'Ambroise Thom"as, et la nouvelle
orchestration, qui s'inspirait de celle de Berlioz, avait été proclamée version
officielle et obligatoire pour toutes les musiques militaires. Mais il parait'
qu'elle a cessé de plaire en haut lieu; on la trouve maintenant démodée,
réactionnaire, et il a fallu l'accommoder au goût du jour. Jeudi, la nouvelle
Marseillaise a été expérimentée en présence du général André par la musique
de la garde républicaine. L'innovation principale consiste en l'adjonction
d'une formidable batterie de tambours et d'une colossale sonnerie de quarante-
cinq clairons, soulignant — ou plutôt étouffant — certains passages. L'audi-
tion en a eu lieu dans la cour de la caserne; et le ministre de la guerre s'est
déclaré fort satisfait de ce qu'un de ses voisins n'a pas craint de qualifier « un
horrible travestissement ».
— La bibliothèque de l'Opéra va bientôt entrer en possession d'un intéres-
sant objet d'art ; une pendule en forme de lyre supportant le médaillon de
Tamburini, qui fut une des gloires du Théâtre-Italien de Paris : « Je donne
ma pendule-lyre avec médaillon au musée de l'Opéra, en souvenir de mon
père qui a chanté à l'Opéra (rue Le Peletier) pour tant d'teuvres de bienfai-
sance, lit-on dans le testament du fils du grand artiste ».
— A l'Opéra la reprise de l'Africaine est remise au début de la saison pro-
chaine, en raison du congé de M. Alvarez, qui doit chanter le rôle de Vasco
de Gama. Le rôle de Selika sera chanté par M"''' Jane Marcy et celui d'Inès
servira de début à une jeune cantatrice, M"» Dereims, fille de l'ancien ténor
de l'Opéra et de l'Opéra-Gomique, élève de son père. Les trois rôles de
Nélusko, de l'amiral Don Pedro et du grand inquisiteur seront repris par
MM. Renaud, Ghambon et Paty.
— M. Jean de Reszké est dans nos murs : « Un de nos amis, dit Nicolet
du Gaulois, qui a eu l'occasion de voir hier M. Jean de Reszké, a trouvé le
brillant artiste en parfaite santé et très heureux des grands succès que lui a
valus sa dernière saison en Amérique. C'est pendant que M. Jean de Reszké
était à New-York que la direction de l'Opéra traitait avec les représentants
de la succession de Richard Wagner pour les représentations de Siegfried. La
combinaison s'est faite tout entière sur son nom. Et ce sera une joie, au mois
de février prochain, pour les Parisiens, d'applaudir le merveilleux chanteur
qui ne s'était pas fait entendre à Paris depuis plusieurs années déjà et qui
trouvera certainement dans le personnage de Siegfried l'occasion d'un nou-
veau et éclatant triomphe. » N'eùt-il pas été préférable de voir le glorieux
artiste, se souvenant de l'accueil qui lui fut fait ici et qui consacra ses débuts,
rentrer dans sa bonne ville de Paris avec une œuvre française ? Il eût fait
ainsi acte de reconnaissance complète.
— Il ne faut rien perdre des grands actes, ni des grandes paroles. Le mer-
credi 6 mai était célébré à Helsingfors, en Finlande, le mariage de W" Aïno
Ackté avec le docteur Renwald, et, dans la journée même, nous apprend Le
Figaro, le directeur de l'Opéra, Pedro Gailhard en personne, recevait cette
courte, mais expressive dépêche: « Au seuil de l'église, vous envoie tout mou
dévouement. » Pauvre enfant !
— Petites nouvelles de l'Opéra-Comique : M'" Guiraudon, assez gravement
indisposée (on parle d'une fièvre muqueuse), a dû laisser son gracieux rôle de
Lulu dans l'Ouragan à M"« Eyreams. — Début remarqué de M"'' Camille
Borello dans Michaela de Carmen. — Engagements nouveaux : M""= Lydia
Nerville, qui fera son début au mois d'octobre prochain dans Lakmé;
M'i<= Marguerite Giraud, si remarquée à Rouen cet hiver dans Cenirillon, qui
paraîtra dans la Vie de Bohème. — Réception d'un petit ouvrage en deux actes
de M. Gustave Doret, jeune compositeur genevois ; sujet tiré par M. Henri
Gain d'une nouvelle suisse : Le Vacher assassin. — Spectacles d'aujourd'hui
dimanche: en matinée, Louise; le soir : Mireille.
152
LE MENESTREL
— Nous sortoQS à peiae des tourmentes de l'Ouragan et déjà l'impitoyable
collaboration de MM. Emile Zola et Alfred Bruaeau nous menace d'une nou-
velle création symbolico-lyrique : L'Enfant roi. Et cependant vous verrez
qu'il se trouvera encore un directeur, non suffisamment échaudé, pour faire '
risette au futur marmot de ces messieurs. Mais gare la fausse couche!
— L'Assemblée générale annuelle de la Société des auteurs et compositeurs
dramatiques a eu lieu samedi 4 mai, comme nous l'avions annoncé, sous la
présidence de M. 'Victorien Sardou. Le rapport de la commission, présenté
par M. Maurice Donnay, constate que les droits perçus pendant le dernier
exercice s'élèvent à 4,369.207 fr. 69 c. L'Assemblée a ensuite procédé à
l'élection des six nouveaux commissaires. Ont été élus : MM. Paul Ferrier,
Pierre Decourcelle, Alfred Capus, Eugène Brieux, Paul Hervieu. auteurs,
M. Louis Varney, compositeur.
— Les deux premiers concerts de MM. Raoul Pugno et Eugène Ysaye ont
eu lieu les 6 et 8 mai, salle Pleyel. Ils étaient consacrés aux ouvrages de
Bach, Mozart, Schubert, Brahms, 'V. Vreuls et Saint-Saëns. M. Ysaye, avec
l'ampleur d'interprétation qu'on lui connaît et la puissance de sonorité qu'il
voudrait indéfiniment augmenter, en est arrivé à la limite extrême que l'ins-
trument, même dans ses mains, ne saurait dépasser sans que le son devienne
moins agréable, le jeu moins naturel et moins pur. Cette limite sera respectée
et notre admiration pour les deux artistes dont les talents s'harmonisent si
bien pourra rester la même. M. Raoul Pugno, par le sentiment musical, le
tact et la distinction qui constituent sa personnalité de pianiste, donne en
quelque sorte, à ces séances, leur style et leur caractère. La simplicité pleine
de charme, le velouté du son, le toucher captivant, et, à l'occasion, la force
imposante et grandio'se, il réunit toutes ces qualités en y ajoutant une intel-
ligence supérieure du côté idéal des œuvres. Parmi les ouvrages entendus se
trouvait le rondeau, op. 70, de Schubert. Il a paru long. Toutes les composi-
tions instrumentales du maitre ont ce défaut. Schubert mettait une fois son
àme dans chacune d'elles, mais ne l'y mettait qu'une fois. Il fautlesjouer eU'
vue d'un passage, d'un thème, d'une phrase; on est largement récompensé.
Am. B.
— Depuis que M""= Marie Jaëll a fait entendre, en janvier, février, mars 1892,
salle Pleyel, tout l'œuvre original pour piano de Liszt, jamais les grandes
compositions du maitre n'ont trouvé un interprète aussi pénétré de leur haute
signification que M. Risler. Sa Soirée-Liszt a été une suite de rappels et d'o-
vations. Le programme était des mieux compris : Pensées des morts et Bénédic-
tion de Disu dans la solitude (d'après Lamartine); sonate en si mineur; deux
légendes : Saint François d'Assise prècliant aux oiseaux et Saint François-de-Paule
marchant sur les flots; Étude en ré bémol (un sospiro). Soirée de Vienne et Rap-
sodie n" 19 (?). Wagner écrivait à Liszt à propos de la sonate :
La beauté de celle sonate dépasse toute imagination,. Elle est grande, affable, profonde, noble,
sublime comme toL Elle a remué toutes les profondeurs de mon ùtre.
Marie Jaëll disait à propos de la deuxième légende :
On se demande ce qui est le plus beau de marcher, par la foi, réellemenl sur les nots, ou d'évoquer,
par l'art, cette vision avec l'intensité que Liszt lui donne? Ce sont lii deux miracles.
M. Risler est véritablement le pianiste de Liszt: profond, intellectuel, puis-
sant comme lui. Il réalise ce que beaucoup d'autres n'osent pas envisager.
C'est un artiste dans la plus noble acception du mot. — Dans l'interpréta-
tion des œuvres françaises modernes auxquelles son dernier concert était
consacré, il a su se montrer souple, varié, délicat, intuitif et brillant. Ces
œuvres étaient signées Saint-Saëns, Fauré, Chevillard, Dukas, Enesco, Rey-
naldo Hahn, Chabrier et Théodore Dubois. De ce dernier, M. Risler avait
choisi le Thème varié ^i simple, si finement ouvragé et dont certaines varia-
tions sont d'un coloris si chatoyant. Le charmant Caprice mélancoiique de Hahn
pour deux pianos a été joué en perfection avec le concours de M. Cortot.
Am. B.
—;■ A son concert du 4 mai, M. E.-M. Delaborde a retrouvé tous ses admi-
rateurs et ceux-ci ont retrouvé en lui le virtuose si remarquable, l'artiste au
style noble, pur et sobre. L'op. 57 de Beethoven, six œuvres de Schubert
(dont deux des belles marches transcrites par Liszt), trois autres de "Weber
ont été dites par le maitre pianiste avec une ampleur et une sensibilité, une
émotion communicative, une entente de la sonorité vraiment superbes. Le
programme était complété par deux valses de Chopin, deux jolis préludes
d'Alkan, deux des mazurkas si délicatement ciselées de G. Saint-Saëns, la
Valse-impromptu de Liszt, et la Valse-caprice d'après Strauss, de \. Philipp.
M. Delaborde a ébloui ses auditeurs par la grâce, l'esprit, la finesse qu'il a
su mettre dans l'interprétation de ces courtes pièces.
— Le concert donné à la salle Erard par M°'= Glotilde Kleeberg a été un
nouveau triomphe pour la grande artiste. On lui a fait de véritables ovations.
— De Bourges: Grand succès pour le festival A. Holmes et ses interprèles,
M"' 'Valdys, MM. 0. Sullivan et G. Marqiiet. On a bissé la Belle du roi et le
Noël d'Irlande. L'orchestre et les chœurs ont été remarquables dans Au pays
bleu. Deux superbes palmes ont été offertes à A. Holmes, l'une par la Société
philharmonique, l'autre par la Patrie française. I
— SoiHÉES ET CosCERTS. — lii-illant succès pour le charmant compositeur Esleban Marti,
dont un cerlain nombre d'œuvres ont été exécutées à la <i Bodiniére ». On a applaudi avec
enthousiasme l'excellent chanteur Paul Pecquerydans Mieux que jolie. La toute gracieuse
Rachel-Launay a détaillé avec beaucoup de finesse Tes yeux, M. Georges lilval a chanté
avec beaucoup de charme l'Éternel cantique. Le puhlic a fort goûté également la voix
chaude de 51"' Crabos ainsi que les instrumentistes ; M"" Kdmée de BulTon, Juliette
Coudart, Lise Blinoff, JuUa Manl'redi et M, Périnot. L'auteur lui-même tenait l'orgue et
a remporté un grand succès personnel. Ce concert, des plus intéressants, avait été précédé
d'une charmante causerie de M. ,Tean Bernard, — A l'audition des élèves de M""" Le Grix,
très grand succès pour le si joli tableau du chêne des fées de Cendrillon, de Massenet,
que l'excellent professeur était arrivé à mettre au point avec beaucoup de soins; on y
applaudit >!■"• Laprie dans ia l'éc. M'"' Savaroc dans Cend.'illon, I''i'oraent dans le Prime
Charmant et des chœurs charmants. Applaudissements mérités ponrla scène des vendan-
geuses de Jean de Nivelle, de Delibes, bien chantée pur les chœurs et par M""' Schalhar
chargée du solo-de la Mandragore, et aussi pour M"' Lopisgicle (|ui a joué Source capri-
cieuse, de Tilliaux-Tiger, et le Cavalier fantastique, de B, Godard. — M""" Amélie Sarrut
et Adanison- Laudi viennent de l'aire entendre leurs élèves de piano et de chant. On a
remarqué de fraîches voix dans les Nijmpltes du hois, de Delibes, et applaudi M"" M. 0.
dans l'air d'Héroiiade, de Massenet, et R. et A. G.-T. dans le duo de la grive de Xavière,
de Théodore Dubois. — A la Bodiniére, oii les Matinées-Berny sont toujours fort suivies,
la dernière, consacrée aux œuvres d'Alph. Duvernoy a valu grand succès à l'auteur pré-
sent et à ses interprèles, M"« Aekté, MM. Affre, Berny, qui a très bien joué Barcarolle
et Moment de caprice, Baer, qui a chanté la Caravane humaine et le Bateau rose, Hcnoe-
bains. Van Waefelghem et Griset. — La Société « la Marmite » a donné, dans le hall du
Grand-Uôtel, une superbe soirée artistique en l'honneur de M. Doumer : succès pour la
virtuosité de M"' Lydia Nervil dans l'air d'entrée de Manon et Sevitlana de Massenet,
pour la Méditation de Tlmis pir le vio'onisle Soudant et pour M-" FiUiaux-Tiger dans
Source capricieuse. — An théâtre du Grand Guignol, audition des élèves du cours de diction
et de déclamation de M""" Victor Roger. Grand succès pour les jeunes gens et les jeunes filles
que l'excellent professeur destine au Conservatoire et au théàtr ■, et dont la plupart sont
déjà prêts à débuter. 51'°» Victor Roger s'est elle-même fait vivement applaudir dans H
faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, de Musset, qu'elle a délicieusement jouée avec
.5L Colin, un jeune premier de grand avenir. Lecloude la matinée était la première repré-
sentation d'une pièce écrite spécialement pour la circonstance, les Passe-temps de la fieine,
de 51"" Jeanne Paul-Ferrier, fille de l'auteur bien connu, et qui marche sur les traces
brillantes de son père. Ce petit acte, d'une saveur exquise et d'une grâce parfaiie, a été
brillamment enlevé par tous ces artistes amateurs, en costume Louis XVI. Un joli menuet
de Victor Roger, arrangé pour piano et instruments à corde, et très gracieusement réglé
pai- M*"' Rat, a ravi toute l'assistance. M"" Stella a été couverte de bravos dans ses chan-
sons anciennes; enfin gros succès pour le violoniste Brice dans deux œuvres de Charles
Dancla, son maître, et le violoniste Casadesus. Cette matinée a fait le plus grand honneur
à M""" Victor Roger qui compte déjà de nombreuses et brillantes élèves dans les théâtres
subventionnés et parisiens. — M. Delaquerrière, de l' Opéra-Comique, a fait entendre
dans son hôtel de la rue Ballu ses élèves, ilont quelques-unes sont déjà de véritables
artistes. Grand succès dans Trimazo, deTh. Dubois, pour 51"" Fcrrand, Carmen de Villers,
Suzanne Djlbray, M'"" Leboucq, 51"*" Huguet, Knoth, Turlo, 5Iarre, Patey et Warley^
Très applaudis, 51. Casalone dans l'air do Suzanne, de Paladilhe, M"" Féraud dans l'air
de Sigurd, de Reyer, 51. Boursier-Montlbrt dans Chant féodal, de Delaquerrîère, 51"' Turlo
dans l'air de la folie d'HamIet, d'A. Thomas, M'"'= Leboucq dans Ouvre les yeux bleus, de
Massenet, M"" Suzanne DalDray et 5L Guiraud dans le duo de Cendrillon, de Massenet.
51. Delaquerrîère s'est lui-même fait entendre dans des mélodies de Gabriel Fabre, accom-
pagné par l'auteur; on lui a bissé d'acclamation Bouche close. En somme début très
brillant de l'école Delaquerrîère qui nous promet une pépinière d'artistes, — M"«ThuiHier
vient de donner une très jolie séance d'élèves consacrée à l'audition des œuvres de
Trojelli dont le plus grand nombre ont été vigoureusement applaudies; citons Valse de la
Petite École élémentaire à A mains (51"' Yvonne R.), Marche lirée du même recueil
(51. Jules 51.), Valse des poupées {51"' Gîselle B. de L.), Ciel azuré (M. Jean et M"" Ger-
maine!.), Valsedu /ïé!)edeGastinel(M"" BlancheS.), ta Guitaredema Tante (M"' Alice D.),
Aubade prinlanièrc de Lacome (51"° Jacqueline N.), Retraite aux flaniheiux (M"' Made-
leine M.), Brune et Blonde (W" Slarguerite 0. et Jeanne B.), Dansons la Tarentelle
(M"" Pauline M.), Dans la Savane (M"" Germaine B.), Capriee-Tarcntelle (M"° Jeanne B.),
Pendant la Fête (M"" Giselle B.), Fête des Fleurs (M"" Laure D.), Menuet du Dauphin
fM"** Suzanne R.) et Menuet du Couromiement (51"" Marguerite K.i. On a fait fête h
M. Talamo dans l'exécution de ti-anscriptions pour mandoline. — A Nice, la dernière réu-
nion d'élèves donnée par l'excellent professeur M"'" Perny a été des plus brillantes ;
exécution très remarquable de la Suite Villageoise et des Poèmes Virgiliens de Théodore
Dubois, de On Valsait de Philipp, du Baptême d'ïvonette de Wachs, etc. Très excellent
résultat pour le cours de musique d'ensemble que M""" Perny a eu l'excellente idée d'or-
ganiser cette année.
NÉCROLOGIE
De Milan nous arrive la nouvelle de la mort de M. Giovanni Trisolini,
directeur du Trovatore, l'un des journaux artistiques les plus intéressants de
l'Italie, Il a succombé à une courte maladie, en recommandant que son corps
soit incinéré et que sa famille seule assiste à ses obsèques, qui devront avoir
lieu sans fleurs ni discours,
Henri Heugel, directeur-gérant.
Etude de W Monlargis, notaire à Caen.
Liquidation de la Société Antrêas et C'=.
Vente de fonds MITOIAITF VT DIAIVAC e'^P'o't'5 à tlaen,
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL;
lie Haméro : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie fnmén : 0 ff. 30
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bà, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 tt., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIEE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux sièi-les (la' article), Paul d'Estrées. —
II. La musique et le théâtre aui Salons du Graod-Palais (4° article), Camille Le Senne.
— m. Petites notes sans portée : les enseignements de la saison, Raymond Bouyeh. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de cmant recevront, avec le numéro de ce jour :
AU TRÈS AIMÉ
nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie d'après Caroline Uuer. — Suivra
immédiatement: Rêverie, n° 3 du Poème da silence, d'ERNEST Moret.
- iMUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Impression de neige, tirée du Poème du silence, d'ERNEST Moret. — Suivra immé-
diatement : Promenade, de A. Périlhou.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
(Suite.)
III
Karamsine en France. — A Lyon : vue de coulisses ; Vestris en berger : une apo-
théose. — Raoul Barbe-Bleue à Lyon et l'Allemand Halem. — Réclamation du
parterre à Strasbourg. — Les troupes allemandes à Strasbourg. — Le Ça ira
obligatoire. — Reichardt et Edelmann. — La politique et la musique à Lyon
en 1792.
Si, dans certains milieux de l'Europe, les premiers actes de la
Révolution française soulevèrent un vif enthousiasme, l'impres-
sion générale à l'étranger fut surtout la curiosité. On vint de
Londres, de Madrid, de Vienne à Paris, pour voir si le nouveau
régime en avait changé l'aspect. Les penseurs de l'Allemagne et
les rêveurs des pays septentrionaux ne se déterminèrent peut-
être pas d'après les mêmes motifs ; mais ils n'en notèrent pas
moins fort attentivement leurs sensations d'artistes, de mon-
dains, de badauds même, et certes la musique y contribua pour
sa bonne part. Le russe Karamsine (1) ne put se soustraire à
cette influence. Celui qui devait enrichir un jour sa patrie de si
remarquables travaux historiques, complétait alors, comme tant
d'autres jeunes gens de famille, son voyage d'éducation.
(1) Karamsine. Voyagé en France. Traduction Legrelle, Hachette, 1886.
11 s'était arrêté à Lyon le 9 mars 1790, le jour même où Ves-
tris y donnait sa dernière représentation. Naturellement Karam-
sine, qui avait, comme tous ses compatriotes, un goût prononcé
pour la danse, voulut connaître celui qui en était, par droit de
naissance, le second Diou. Notre jeune étranger entra donc au
théâtre, déjà bondé et fort bruyant. Dès qu'une dame, pour
mieux voir, se levait dans une loge ou au parquet, tout le par-
terre hurlait en chœur :
— Assis, assis ! à bas !
Ces énergumènes ne payant pas de mine, Karamsine opta
pour le parquet. Mais, là encore, pas de place. L'étudiant russe
dut se résigner à monter aux troisièmes loges. Seulement,
comme il s'y trouvait gêné en même temps qu'il y gênait les
autres, il se décida définitivement pour une petite loge sur la
scène. Et il n'eut pas à se repentir de sa détermination. Les cou-
lisses devaient lui réserver un spectacle qui valait bien celui
promis par l'affiche. Le lever de rideau, — les Plaideurs, — était
terminé et la toile baissée. Tous les artistes avaient envahi la
scène et, « se prenant par le corps », s'étaient mis à danser.
« Vestris, en costume de berger, bondissait comme une chèvre
folâtre ».
Mais la musique avait attaqué l'ouverture. Aussitôt toute la
bande joyeuse de se disperser. Le ballet commence.
Vestris déploie un merveilleux talent. « Il a l'àme dans ses
jambes I » s'écrie Karamsine enthousiasmé. Et, comme pour
mieux lui donner raison, éclate un tonnerre d'applaudissements
dont le fracas couvre la voix de l'orchestre. Après une dernière
pirouette exprimant, parait-il, un amour passionné, Vestris dis-
parait embrassant sa bergère, et dès qu'il est rentré dans les
coulisses, se laisse choir sur un petit banc pour reprendre
haleine.
D'ailleurs la représentation d'un intermède, une nouvelle
comédie — on en avait alors pour son argent — permet à Vestris
de se reposer plus longuement.
Puis le virtuose reparaît dans un autre ballet, encore plus
chaleureusement acclamé. Le rideau est à peine tombé que
des loges, du parquet, du parterre, de toute la salle enfin,
partent ces cris mille fois répétés : « Reste ici, Vestris! reste
ici! ». La toile se relève, et le triomphateur, après un profond
salut et le chapeau sur son cœur, prononce un discours. Les
séances de l'Assemblée Nationale avaient acclimaté cette mode
un peu partout.
— Hélas! dit en substance Vestris, mon congé était d'un mois
seulement, et ce soir il expire.
Sa voix, sur ces derniers mots, se mouille de larmes ; il lève
les yeux au ciel.
Applaudissements effrénés.
Mais Vestris reprend courage et, dans un profond silence
laisse tomber ces bonnes paroles :
iU
LE MÉNESTlltL
— Afin de vous témoigne!' toute ma gratitude, je danserai
encore demain.
La joie des spectateurs était devenue du délire, à ce point,
ajoute Karamsine, que pour un peu « les Français » — les Lyon-
nais, voulait-il dire — eussent été capables de « proclamer Yes-
tris dictateur » .
Ce compte rendu est d'autant plus intéressant qu'un journal
du temps, le Courrier de Lyon, cité par M. Legrelle, le traducteur
de Karamsine, consacre tout au plus quinze lignes au triom-
phe de Yestris . La besogne était évidemment indigne d'un
génie tel que le rédacteur en chef, l'avocat « Chapagneux »
(lisez Champagneux), ami de Roland, le futur ministre.
A « la dernière » — et sans aucune remise — de Yestris, ce
furent les mêmes bravos, les mêmes trépignements, Ja même
ovation. Mais cette l'ois le danseur resta court... comme orateur,
s'entend. Le public fut pris d'impatience, et peut-être eùt-il
donné des marques non équivoques de sa mauvaise humeur,
— tant il est vrai que la roche Tarpéienne est voisine du Capi-
tole — si Yestris n'avait recouvré assez à temps ses esprits pour
crier à ses admirateurs :
— Messieurs, je suis pénétré de vos bontés, mais mon devoir
m'appelle à Paris.
Son séjour à Lyon dut laisser au danseur un souvenir inou-
bliable. L'heureux mortel y trouva l'honneur et l'argent. Dans
les rues et dans les promenades, les citadins se disaient en
l'apercevant: «Yestris! Yestris! » Et chaque représentation lui
rapportait un cachet de 520 livres.
Quelques mois après, Halem, le publiciste allemand qui, lui.
visitait la France, par... esprit philosophique, s'arrêtait un cer-
tain temps à Lyon (I). 11 y passa toutes ses soirées au théâtre.
Une fois qu'il était entré dans une première loge, un domestique
y conduisit un vieillard aveugle de soixante-dix ans, qui prit
place à côté de lui. Le voyageur allemand n'eut qu'à se féliciter
de la rencontre. L'inconnu avail. cette aménité obligeante parti-
culière aux Français qui se savent en présence d'un étranger.
C'était un habitué du théâtre, car il n'avait pas d'autres distrac-
tions, et comme il reconnaissait tous les acteurs à la voix, il les
Bommait à son voisin en agrémentant cette énumération de telle
et telle anecdote concernant l'un ou l'autre des artistes.
La direction avait donné Raoul Barbe-Bleue, de Sedaine et
Grétry, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre
de la Comédie-Italienne, le 2 mars 1789. Halem, aussi indul-
gent que Karamsine, bien qu'il se plaigne co.mme lui de l'éner-
vement du public,,, est ravi de la représentation. La pièce, « la
meilleure peut-être qu'ait composée Grétry (?) ». est fort bien
montée. Si l'actrice principale n'est pas belle, son jeu est du moins
excellent. Et voilà notre journaliste s'embarquant dans un compte
rendu interminable de ce mauvais mélodrame. Au reste, ces
analyses à perte de vue sont dans la manière allemande ; Halem
s'y complaît plus que personne. Quand il arrive au dénouement,
l'entrée des frères et le châtiment de Barbe-Bleue « alors, dit-il,
la musique éclate avec bruit et le son aigu des flûtes produit
un grand effet. » Halem avoue ingénument qu'il en a « frémi
de ciËfinte et de plaisir », pendant que l'aveugle, se penchant
vers lui, lui demandait « d'un ton léger » comment il avail
trouvé le coup de théâtre.
En repartant pour l'Allemagne, Halem s'arrêta à Strasbourg.
Cette ville comptait, en 17^9., une troupe française et une trtiupe
allemande. Celle-ci devait donner à celle-là le sixième de ses
recettes ; mais elle ne parvenait pas à faire ses fi'ais, malgré que
la population atteignit cinquante mille âmes. Aussi, (juand
Halem passa par Strasbourg, le théâtre français avait-il seul
survécu; et encore avait-il du plomb dans l'aile.
La salle de spectacle était spacieuse, mais peu éléganle. Notre
voyageur la vit un dimanche, le seul jour où la direction fil
recette. Presque toutes les places, étaient occupées. L'affiche an-
nonçait deux comédies de Florian et Sargines, l'opéra-comique de
Dalayrac. Mias le programme n'était pas du goiit des specta-
il) Ualesi. Paris en ITJO railuction Cliu<|uel, Cliaillej, 1896.
leurs, car ils réclamèrent à grands cris une tragédie de Yoltaire,
Brutus, qui était alors fort courue à Paris. Le « Pantalon qui fait
les annonces » vint, pendant un entr'acte, parlementer avec
le public; mais comme ses explications étaient aussi pénibles
qu'entortillées, la salle se fâcha. Et pour que la représentation
s'achevât paisiblement, la direction dut promettre la pièce dans
la quinzaine.
Dix-huit mois après, en janvier 1792, un nouveau théâtre
allemand s'était fondé à Strasbourg ; mais son répertoire et ses
artistes étaient si outrageusement mauvais que Reichardt n'y
voulut pas aller. Ce Reichardt n'était autre que le compositeur
né à Kœnigsberg, qui jouissait déjà d'une certaine notoriété et
commençait alors son troisième voyage de France (1). Il préféra
donner foules ses soirées au théâtre de la ville ; et ce fut sans
arrière-pensée qu'il applaudit au grand et légitime succès d'jB»-
phrosine, « début du jeune compositeur Méhul ». lien admire
l'inspiration vigoureuse et la pénétrante mélodie. Mais il ne
professe pas le même enthousiasme pour les interprètes de cet
opéra-comique, qu'il appelle une « opérette ». Le tyran est
« une basse-contre qu'on n'entend pas », et la chanteuse, quoique
lionne comédienne, est trop grosse, et son organe vous perce le
tympan.
Un autre jour, Reichardt, littérateur ingénieux autant que
savant musicien, assiste à la représentation d'une pièce de cir-
constance, les Rigueurs du Cloître, dont les transparentes allusions
sont accueillies tantôt par des applaudissements, tantôt par des
sifflets. L'effervescence révolutionnaire a gagné le théâtre. Dans
les enfr'actes le public ne cesse de réclamer le Ça ira. D'ailleurs,
dit Reichardt, ce refrain populaire est joué à tout propos par
la musique de la Garde Nationale, il est sifflé du matin au soir
par les gamins, et dans les bals il est adapté à toutes les figures
de contredanses.
Le touriste prussien rencontre à Strasbourg un de ses con-
frères, le compositeur Edelmann, qui, après avoir amassé, comme
pianiste, un fort joli pécule, était venu se retirer dans sa ville
natale. C'est le type des musiciens révolutionnaires. Il est un
des plus fougueux partisans de la Constitution, et Reichardt,
qui l'a vu de près, le croque en deux traits de plume avec ses
cheveux bruns taillés court et son frac marron, un montagnard
de la veille. On sait comment finit Edelmann. Après avoir dé-
noncé plusieurs de ses compatriotes, entre autres Dietrich, le
maire de Strasbourg, qui mourut sur l'échafaud, le délateur y
périt à son tour, avec son frère, en 1794, comme complice de
Robespierre.
A Lyon, où Reichardt se trouvait le 20 février 1792, la fièvre
populaire était moins ardente qu'à Strasbourg. 11 était facile d'y
pressentir, même au théâtre — souvent la pierre de touche de
la politique ambiante — le courant de réaction qui devait un
peu plus tard mettre la ville en révolte contre la Convention.
Reichardt assista à une représentation, d'ailleurs exécrable, de
Richard Cœur de Lion. Les aristocrates acclamaient, bien entendu,
l'air classique : « 0 Richard, etc. ! » Par contre, le populaire ne
pouvait obtenir le Ça ira pendant les entr'actes. La ville, con-
cluait Reichardt, ne veut pas s'occuper de politique, mais de
ses affaires.
(.1 s(',«'i.'c. ) Paul d'Estriies.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU O R A N D - P A L A I S
[Quatrième article.)
Comme la peinture d'iatimité avec laquelle il se confond pai-fois, la
tendance générale étant à la représentation des entours familiers, à
l'accumulation des accessoires, de fa vie quotidienne, à l'évocation de
i'ambiance, fe Portrait occupe une place considcrabfe au Safoiide l'ave-
nue d'Antin. Les œuvres intéressantes surabondent; if en est même de
remarquables, au moins comme eiîort de renouvelfement. C'est ainsi
ili Reiciiakdt. Vn Prussien en France. Traduction Laquianle, PCrrin, 1892.
LE MÉNESTREL
155
que M. Jacques Blanche a fait un curieux essai de groupement dans la
toile où il a réuni M. André t4ide — l'auteur du symbolique Roi Can-
daule i-eprésenté l'autre soir au Nouveau-Théâtre par la troupe de
rOEuvre — des écrivains, des artistes, autour d'une table de café arabe
de l'Exposition universelle. L'ordonnance du tableau est simple, l'exé-
cution vigoui-euse, et l'ensemble accuse une réelle maîtrise. On n'appré-
ciera pas moins l'exquise composition que M. Jacques Blanche intitule
Réveil et qui représente une fillette, en peignoir de soie, s'étirant dans
un fauteuil. Par contre, le portrait de M'"° Jeanne Raunay, l'inoubliable
Iphigénie du feu Lyrique de la Renaissance, d'un travail très poussé,
d'une bonne ressemblance, manque un peu de tenue et de style: il
n'est pas sufQsamment caractérisé. Cette personne en robe sombre,
debout devant un piano, serait bien plutôt une dame en visite dans un
salon bourgeois que la tragédienne lyrique et l'interprète de Gluck.
M. Anquetin, faisant trêve cette fois aux visées ambitieuses des
grandes compositions historiques, n'expose que des portraits. Celui de .
M. Zo d'Axa est consciencieux et d'une notation juste; dans une autre
toile le peintre a réuni les deux auteurs des Tronçons du Glaive, Paul et
"Victor Margueritte, les Goncourt du roman militaire. Pour décor un
cabinet de travail tendu de tapisseries à sujets belliqueux; sur ce fond
caractéristique se détachent en vigueur les physionomies assez contras-
tées des deux frères, l'un plus Imaginatif et rêveur, l'autre plus exécu-
tant, plus homme d'action.
M. Edelfelt, le linlandais Edolfelt, natif de Helsingforset maintenant
naturalisé Plaine-Monceau, expose une effigie olïicielleet un portrait d'ar-
tiste, sans doute pour montrer toute la souplesse deson talent. L'artiste
est M"' Ackté, l'exquise cantatrice, dont la physionomie si personnelle, la
ligne élégante et souple sont rendues avec autant de charme que de
justesse. L'autre modèle ne se contente pas d'être ofHciel, il est pos-
thume : c'est feu le comte de Molkte-Huitfeldt, ancien ministre du
Danemark à Paris. Le peintre a lutté sans trop de désavantage contre
les difficultés presque insurmontables qu'offre le rendu d'un uniforme
à collets et à parements chargés de broderies, matière peu esthétique !
Sur une frise de dimensions gigantesques, M. Delance a représenté le
père Didon et ses collaborateurs (Arcueil en J89b) conversant dans le
parc de la maison d'Albert-le-Grand. Le célèbre Dominicain est debout
au milieu du groupe; son bras tendu développe un geste oratoire; deux
auti'és éducateurs se tiennent à l'écart. L'œuvre, bien comprise, parait
de couleur un peu grisâtre, mais il y a là sans aucun doute une har-
monie voulue, un sacrifice aux exigences architecturales. De M. Arne-
sen, artiste norvégien, l'intéressant Porlrait d'un organiste; de M. Sain,
M"" Juliette Blum, du Gymnase; de M. Bellery-Desfontaines une inté-
ressante étude d'OEdipe-Roi interprété par M. Mounet-Sully, avec le
geste classique du pasteur de peuples :
Enfants, du vieux Cadmus jeune poslérilc.
Pourquoi jusques à moi vôa cris ont-ils riionté?...
M. La Perche-Boyer a fixé dans une composition qui ne manque ni
de pittoresque ni d'agrément la suggestive silhouette de M"" Réjane
interprétant le Lijs rouge. M. 'Weerts expose une série de portraits d'une
tenue magistrale et d'une intéressante variété, et tous d'une indivi-
dualité typique; le plus remarqué est celui de M. Gréard, l'éminent
vice-recteur de l'Université.
La virtuosité si personnelle de M. Antonio de la Gandara s'exerce
cette année avec beaucoup d'éclat et de fantaisie. Son meilleur envoi
est assurément le beau portrait de M. Paul Escudier, d'une franchise et
d'une robustesse dignes d'éloges; mais la duchesse de Mecklembourg
et M°"= Morlet ne sont pas des œuvres négligeables, malgré quelques
néghgences de facture, et deux études de modèles anonymes : jeune
femme endormie, jeune femme et vieille femme dans un parc, sont des
notations de la plus moderne acuité, avec une pointe d'humour satirique.
Dans une note plus douce et même délicatement attendrie la Rêverie
du suédois Osterlind, portrait de jeune fille bien harmonisée avec la
transparence bleutée d'une atmosphère lumineuse. Autre portrait de
jeune fille en atours printaiiiers, du au souple talent de M"'" Madeleine
Lemaire, infidèle cette année à ses modèles préférés de fleurs éclatantes
et de fi'uits savoureux. Le portrait de jeune femme, en robe noire décol-
letée avec une guimpe de tulle, de M. Dagnan-Bouveret, a déjà eu les
honneurs et le succès de mondanité transcendantale d'une Exposition
de Cercle : il est d'un ton très fin et d'un bel éclairage. M. Amuu-Jean
témoigne d'un louable désir de varier le décor dans son étude déjeune
fille assise sur un banc, avec, pour toile de fond, un panorama de mon-
M. Gustavi,' Courtois nous ramène aux groupements avec le portrait
de M"° Sanders et de ses enfants. M. Carolus Duran a peint avec sa
prodigalité fastueuse de grand coloriste un modèle en robe de satin
blanc, aux chaudes carnations. M. Aimé Perret nous montre un couple
parlemi'utaire, « M"'" et M. le sénateur Edouard Millaud »; M. Louis
Picard appli(iue son luminisme intense à une étude de jeune fille et au
portrait de M. Henri Pereire. M. Maurice Denis fait un effort, malheu-
reusement quelque peu caricatural, pour rattacher à l'école de Manet son
hommage à Cézanne dont les multiples personnages paraissent affligés
de jaunisse. M. Leempoels auréolise comme une sainte de mosaïque
byzantine le portrait de jeune fille qu'il intitule « rêverie >>. Et pour
terminer cette revue des reproductions de la figure humaine je signa-
lerai, dans la suite des dessins, Ji"'' Juliette Scgond de M. Aman-Jean, le
général Dodds de M. Auguste Berthon, Anatole France de M. Braun,
Liane de l'ougy de M. Antonio de la Gandara, iW"" Sarah-Bernhardt dans
« l'Aiglon » de M""= Jeanne Denné-Ceyras, un pastel d'après M'"" Jane
Hadingie M"'= Claude Marlef, M. Besnard par son fils Robert, M. Catulle
Mendès, en miniature genre Louis XV, par M""= Jeanne Catulle.
Eu dehors des portraits, j'ai déjà parlé des œuvres les plus marquantes
de cette section des dessins du Salon de la Société des Beaux-arts : les
Renouard, les Tissot, les Besnard, les La Touche, qui forment autant
de petites expositions particulières. Il reste la menue monnaie, et dans
le nombre quelques pièces intéressantes. M. Baseilhac a envoyé une
suite fort bien venue d'Ulustrations pour la C/ia«so;îrfes Gueux de M. Jean
Riehepin; la verve de M. Albert Guillaume s'est exercée sur des sujets
dont le libellé paradoxal rappel le les fantaisies inexécutèes de Théophile
Gautier, telles que le Traité de V incommodité des commodes et le mémoire
relatif à l'influence des queues de poissons sur le mouvement des marées.
M. Albert Guillaume, à peine moins outrancier, nous invite à méditer
avec lui sur les inconvénients de la boue parisienne, antique institution
maintenue depuis les temps déjà pluvieux de Lutèce, sur les risques
du jour de l'an, sur le printemps (expression purement historique d'une
saison abolie) et sur les Quat'z avis à l'Opéra. M. Delaspre évoque le Sou-
venir d'un des rares succès livresques et dramatiques de l'année avec
son frontispice pour le Quo Vadis étrangement surfait, prodigieusement
lu d'un auteur Polonais (ah ! qu'il fait bon n'être pas français quand
on veut réussir en Francel).
M""-' Jessie-Douglas et M"" Dubos nous montrent des nymphes;
M. Gregorio une Manola: M. Eugène Grasot expose un pot-pouri où
fusionnent la Diinsct Napoléon, une étude de harpiste et d'autres sujets
éminemment variés; M. Minartz esquisse le grouillement de la M-
Carême et les silhouettes falotes de tsiganes. Parmi les pittoresques
impressions parisiennes, il convient de citer les ours au Jardin des
Plantes de Daniel Vierge, d'une joyeuse fantaisie en môme temps que
d'un réalisme serré, et un excellent nocturne de M. Sohn-Retel, Paris
le soir. Quant à la meilleure Venise, c'est, en 1901, celle de M"= Mercier,
notamment le soir à la Giudecca et la Piazza après la pluie. Et M. Félix
Regamey, grand évocateur de paysages exotiques, nous conduit à
Bangkok.
La statuaire n'occupe qu'un emplacétnéht assez exigu au Salon de
l'avenue d'Antin, le cirque creusé devant la gi'ande porte et qui, l'aûtiée
dernière, hospitalisait déjà un certain nombre de sculptures de laCen-
tennale. Le décor est somptueux, grâce aux marbres rares et aux appli-
cations de bronze qui garnissent le pourtour, la place médiocre et la
lumière un peu trop tamisée; mais on sait qu'une très faible quantité
de sculpteurs ont déserté la Société des Artistes Français pour celle des
Beaux-Arts, et que leur groupe ne s'est pas notablement accru au coui'S
de ces dernières années. Ici du moins la qualité l'emporte sur le noffl^
bre, et c'est une compensation appréciable.
Commençons par la statuaire monumentale, ou, si l'on préfère,- par
la statuaire pour monuments. Voici d'abord le Victor Hugo de Rodiù,
fragment d'un ensemble que verra — peut-être — le vingtième Siècle.
Je dis peut-être, car rien n'est moins sûr, et je ne voudrais pas hasarder
de pronostic téméraire. Notez que ce fragment même ne constitue pas
une nouveauté, étant le marbre du plâtre exposé déjà en 1897. Notez
aussi quo malgré les quatre ans révolus la mise au point de ce seul
morceau reste incomplète: malgré le travail du praticien ce n'est
encore qu'une ébauche. Elle a du caractère et de l'allure, une sorte de
grandeur sauvage i^ui convient au Hugo du rocher de Guernesey con-
versant avec le flot et entouré par les Ocêanidos. Il est nu — comme le
premier Voltaire de lloudou, mais d'une nudité olympienne sans sur-
charge réaliste, d'une nudité d'apothéose; la tête, penchée, est traitée
avec Un art supérieur; le geste, vraiment dominateur et souverain,
comptera parmi les meilleures inspirations de Rodin!... Souhaitons que
le travail complet do la pratique n'alfaiblisse pas cette impression, d'ail-
leurs plus réfléchie qu'immédiate, et que le cortège des Océanides
s'harmonise pleinement avec le personnage principal du groupe; le
chantre de la Légende des siècles aura alors une double commémoration
digne de lui, le monument académique de M. Ernest Barrias, le monu-
ment romantique de Rodin. L'éclectisme y trouvera son compte, et aussi
la gloire du poète.
J56
LE MENESTREL
M. de Sainl-Mai'ceaux avait accepté une tache assez délicate au point
de vue esthétique : celle d'étendre sur une dalle funéraire et de repré-
senter en tenue otficielle de Président de la République, je veux dire
en habit uoir. le signataire de l'alliance franco-russe. La grande taille
de Félix Fauro et l'inélégance de ce costume banal étaient une double
difficulté que le statuaire a très heureusement surmontée. Il a masqué,
sinon diminué la longueur du cadavre, du a gisant t, comme l'appelaient
les tailleurs de marbre de la Renaissance, en recouvrant le bas du corps
des plis des deux étendards ; il a même triché en évidant la pierre, en
creusant une pente douce, d'ailleurs très peu sensible mais qui permet
de dissimuler la saillie toujours désagréable des e.xtrômités grossies par
le relief des bottines. Au demeurant, l'ensemble, sans être un chef-
d'œuvre, a cependant le grand mérite de paraître en parfaite concordance
avec le modèle. Plus de tenue que de style, plus de correction savante
que d'individualité caractéristique. Ce monument de Félix Faurecst Félix
Faure tout entier.
Du même artiste un Alphonse Daudet commandé par la Société des
gens de lettres. On sait que la Société n'est pas toujours heureuse dans
ses choix, ou plutôt n'est pas toujours bien servie par ses fournisseurs
esthétiques : les mésaventures successives du Balzac par souscription,
enguignonné depuis la statue jusqu'au piédestal, sont présentesà toutes
les mémoires. Le monument d'.41phonse Daudet ne connaîtra pas les
mêmes vicissitudes : M. de Saiut-Marceaus l'a exécuté avec simplicité,
gravité, et nuancé d'une teinte de mélancolie qui est bien le reflet am-
biant de l'àmo du « petit chose ». — Pour compléter ces deux remar-
quables envois, un buste en bronze du docteur Pozzi, le célèbre opérateur,
et un sphinx.
Mentionnons encore quelques spécimens de statuaire sinon tout à fait
monumentale, le mot serait un peu trop ambitieux, du moins commé-
morative : le Louis Galkt de M. Injalbert, le fragment du monument de
Paul Verla'hie du statuaire suisse Niederhauser-Rodo (... et maintenant,
par une ironie de la destinée, tout n'est que sculpture pour le Diogène
errant d'hôpital en hôpital dont le pessimisme se résumait dans la for-
mule « tout n'est que littérature »). Le peintre Jean Gigoux, dont la verte
vieillesse survécut si longtemps aux temps héroïques du romantisme,
Jean Gigoux, l'ami et le contemporain de Balzac, resté pendant un
demi-siècle l'ermite du quartier Beaujon, revit, resurgit avec sa figure
énergique, son masque aux moustaches épaisses de Vercingétoris, dans
le buste puissamment modelé par M. Dalou.
M. Bartholomé s'est imposé à l'attention des contemporains, à force
de travail et de volonté, par le monument aux morts devenu la plus
importante décoration du très décoratif et décoré Pêre-Lachaise; mais
il ne se considère pas comme voué à la sculpture funéraire, et ses envois
de cette année au Salon de l'avenue d'xVntin-: le marbre du Secret, le
plâtre de la Baigneuse sont de la plus gracieuse et la plus exquise moder-
nité. M. Escoula, autre artiste épris d'idéal, nous rend, au marbre, son
beau groupe Vers l'Amour; le touchant bas-relief de M°"= Cazin, Vie
obscure, d'une sensibilité si féminine et en même temps d'une exécution
si virile, est une œuvre achevée ; M . Constantin Meunier ne nous montre,
au contraire, qu'à la demi-grandeur d'e.xécution son hauL-relief Dans la
mine, partie d'un projet de monument à la glorification du travail. Le
souple talent de M. Pierre Roche s'applique à des sujets variés, entre
autres une amusante étude de la Loïe Fuller et de curieux médaillons
destinés au théâtre de Tulle.
Un artiste américain, M. Borglum, expose le Retour du Boër : c'est
de l'indéniable actualité, presque du reportage sculptural. Lo sphinx en
granit du passionné modeleur et fervent ciseleur qu'est M. Dampt, un
épisode de Quo Va/iis? déjà nommé, Ursus et l'Auroch de M. Devreese,
exposant belge, la Sortie de bal de M. Louis Dejean, le relief du sculp-
teur finlandais Forselles, la Lutte, épisode du Crépuscule des dieux, la
Guerre de M. Ringel d'IUzach, chercheur infatigable sinon toujours
heureux, la Psyché de M. Le Roy. le délicat Porteur de rêves de M. Mau-
rice Maignan, les figurines de la danse de l'écharpe de M. Léonard, la
Femme aux rubans de M. Fix-Masseau, la Danseuse de M. Voulot, sont
encore des œuvres intéressantes, pour la plupart de petit format. La sta-
tuaire de la S. B. A. est la meilleure statuaire d'appartement, la seule
qui meuble sans encombrer.
Très riche et très garnie la section des objets d'art, déjà si remarquée
au Palais des Arts libéraux. M"" Auge y e.xpose une curieuse reproduc-
tion fragmentaire de la Porte de l'Enfer de Rodin. M. Carabin, dont
l'imagination est plus vive et le talent plus consciencieux que le goût
n'est toujours sur, a ciselé une Otero en argent et pierres précieuses,
une Otero de vitrine et des danseurs espagnols d'un mouvement assez
heureux! Sa caisse de piano, dont le clavier est supporté par deux chats
que gêne visiblement cette occupation anormale, pa raitra plus discutable.
A mentionner encore les neuf cadres de M. Eugène Morand pour Grisé-
lidis, Iz-eil, Hamlet, Messuline, etc., une tapisserie de M. Riom, Guignol
aux Champs-Elysées, le luminaire électrique de M. Wolfers : la Fée au
Paon, et toute une série de reliures artistiques, généralement exécutées
par des artistes femmes : M"'° Jeanne RoUince pour Anlar et Aucaussin
et Nicolette, M""- Vallgren pour le Pater de Mucha, M""'Thaulow, M"'«Faure-
Dujarric pour Hamlet et les vers de Pétrarque. L'envoi le plus ori-
ginal (classé d'ailleurs à la statuaire) est le meuble pour quatuor à
cordes exécuté par M. Alexandre Charpentier, avec accompagnement de
quatre bas-reliefs : le violon, la contrebasse, deux danseuses en bronze
doré. Cette vitrine est fastueuse, mais l'ornementation témoigne d'une
élégante simplicité.
(A suivre.) Camille IjE Senne.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XV
LES ENSEIGNEMENTS DE LA SAISON
Aux compositeurs.
« Âpr(i'S les Fleurs du Mal, il n'y a plus que deux partis à prendre pour
le poète qui les fit éclore: ou se brûler la cervelle... ou se faire chré-
tien,! »
Barbey d'Aurevilly posait ce dilemme, le 2i juillet 1837. Or, après
Wagner, que faire ? Quelle issue possible encore pour lé musicien qui
l'admire? Se suicider en l'imitant... ou redevenir classique. — Le pas-
tiche, alors, et l'archaïsme, après une débauche de la couleur? — Nul-
lement ! Ce serait un autre genre de suicide. Mais, de toutes parts, avec
le printemps retardé, ne sentez-vous pas que la conscience de la forme
renaît? Belles-lettres et beaux-arts, — prose, vers, toile bise ou papier
réglé, — notre impressionnisme se fait dessinateur et décoratif, c'est-à-
dire qu'il revient à « l'esprit classique », et sans renier ses « dons de
peintre ». Et le chroniqueur de la revue jeune a conclu: » Peintres,
romanciers, dramaturges, tous y viendront... »
Avec l'analyse, qui répugne à l'enthousiasme, on a prédit l'avenir où
le soleil wagnérien se noierait dans les rubis figés de son sang. Le leit-
motiv du « crépuscule » circule déjà. Dés 1893, quand il suivait de loin,
par la pensée, les funérailles de Gounod en rêvant à l'automne dans la
solennité mélancolique de Versailles, le psychologue entrevoyait ce
déclin fatal... (2) Wagner ! Ce nom n'en restera pas moins, — tel celui
d'un Dédale ou d'un Homère, — comme le symbole le plus complet
d'un grand âge troublé. Despotique comme son art, il personnifiera
l'influence la plus irrésistible du siècle qui vient de finir. Sœur de la
politique d'outre-Rhin, l'influence wagnérienne n'est-elle point devenue
véritablement mondiale, selon le néologisme à la mode en nos chancel-
leries ? Toutefois, il y a Wagner et Waguer : celui de Tristan ne prosage
guère celui de Parsifal; celui de 1876 ne rappelle que vaguement celui
de 1840... Et quelle plus admirable progression que l'opiniâtre et lente
montée du génie conscient de soi, depuis les balbutiemeuts des Fées ou
l'italianisme de Riensi jusqu'au style à la fois impérieux et tumultueux,
tout allemand, dès quatre premiers soirs de Bayreuth ?
Mais il y a, peut-être, un spectacle plus émouvant encore que cette
mélodieuse métamorphose qui prit un aspect de marée montante : et
c'est la crise subie par la musique européenne depuis le mort immortel.
Il fut <c l'Initiateur n ; il est le « Maitre ». Et déjà sa gloire est discutée
derechef. Oui, nos jeunes classiques traitent déjà son art « bâtard » de
« monstruosité », tout comme Baudelaire étiquetait le paysage histo-
rique (ce genre qui refleurit à son tour, avec René Ménard, jeune héri-
tier de notre vieux Nicolas Poussin). Très bien! Mais que devenir et
que faire, après le « monstre lui môme » ? Quel nouveau Siegfried
ravira l'anneau sanglant de Fafneret comprendra spontanément le chant
des oiseaux dans la Forêt verte?
L'opéra revit; nous l'avons vu. Du moins, il cherche à revivre. Et
pour renaître, ne fût-ce qu'une heure, il se transforme. Il revêt l'ar-
mure de son rival, le drame musical, pour partir à la conquête de la
Beauté qui sommeille... Parfois, Hercule succombe aux pieds blancs
d'Omphale ; mais il se purifie dans les flammes... Jamais, au grand
jamais, le majestueux Wort-toz-drama de Bayreuth ne s'acclimatera
définitivement et complètement dans notre moderne Pompéi de grâce
et de lu.xe, où l'opérette est choyée. Petites-cousines des héroïnes d'Aris-
tophane et de Ménandre, nos Parisiennes sacrifieront toujours moins
volontiers aux dieux germaniques, si farouches, qu'à Vénus, môme
quand elle se nomme Astarté ! Le vent d'est nous rapporte les parfums
(1) Voir le Ménestrel du dimanche 14 avril 1901.
(2) Maurice Barrés, dans un des vendredis du Journal. — Cf., dans le beau livre inti-
tulé du Sang, de la Volupté et de la Mort, les Larmes de Kimdrij.
LE MENESTREL
157
grisants de l'Orieûl ; Wagner lui-même, après son étliéré Parsifal,
allait finir par le drame hindou des Vainqueurs... Alors, quoi? Doser,
instinctivement ou sournoisement, le wagoérisme, l'adapter à notre ame
moins vaste, à notre ciel plus clément? Ce ne sont plus seulement les
théâtres musicaux, mais c'est la musique même qui périclite. L'angoisse
se trahit dans l'écriture. L'âme bégaie et la main tremble. Le parafe
dissimule. Les plus sincères sont dévoyés. Les passionnés dépassent le
but; les timorés restent en deçà. Los uns crient ; les autres murmurent.
Tous hésitent... Mais la sincérité, comme la vertu, ne serait-elle pas,
en fui de compte, aujourd'hui surtout, l'habileté souveraine?
Et la sincérité, vertu classique, ne la trouverons-nous point chez les
maitres, chez les anciens qui furent les jeunes? C'est fait: bon gré,
mal gré, nous sommes classiques. Los preuves se multiplient et se pres-
sent. Nous les collectionnons pour notre gouverne. Le jeune naturiste
de la revue l'Ermitage a parlé d'or, en affirmant qu'un passé certain
peut consoler d'un douteux avenir : « Pour nous répondre de l'Art
épuisé, n'y a-t-il l'inépuisable Nature ? » Le Faust de Gœthe ne disait
pas mieux, au déclin tourmenté d'un siècle frivole. Tout revient. Et que
les snobs eux-mêmes se rassurent, puisque c'est Wagner en personne
qui les autorise à ch:rir Mozart ! Imprévu bienfait du wagnérisme et
corollaire inespéré ! Miroir transQguré du monde, le drame lyrique
nouveau, qui se croyait tout, n'a pas aboli notre foi dans ces petits mor-
ceaux, sonates ou lieder, qui recèlent une grande âme céleste : il les
contenait. Écoutez, au printemps, le Prcislied de Walther! Et, dans
sou noble écrit sur Beethoven, la perle érudite de ses vieux ans (1),
Wagner ne célébrait-il pas « le délicat génie de vie et d'amour » qui
s'appelle Mozart? Moins puritain que notre Berlioz, — en faveiu- de ce
génie, il excusait tout dans son œuvre : c'était l'Oiseau qui parle au géant
Siegfried !
Bien entendu, nos bons snobs rassurés vont exagérer du premier
coup : Mozart, for ever, il n'y aura plus que Mozart au monde ! Puisque
le maître de Bayreuth l'a permis, vive le maître de Salzbourg 1 Magister
dixil... La pâmoison, cependant, n'aura même plus l'attrait du fruit
défendu: c'est pourquoi je doute qu'elle se prolonge... Et les cœurs
vraiment épris se reconnaîtront très vite : ils ne seront jamais légion.
Tant mieux !
D'ab'ord, ici comme ailleurs, il faut « distinguer », sans hypocrisie.
N'est-il pas également dangereux, pour ne pas dire plus, de s'écrier :
« Il n'y a, désormais, qu'un art, le drame musical, le théâtre ! » — Ou bien :
« Il n'y a que la musique pure, la vraie musique, goûtée des seuls
musiciens » ? Les deux musiques n'ont-elles point toujours coexisté?
Ne se sont- elles point développées toujours parallèlement, comme le ly-
risme et le drame ? La « musique appliquée » n'a-t-elle pas déroulé
son évolution grandiose aux feux de la rampe, comme « l'art décoratif»
dans nos palais, tandis que, plus humble et plus flère, la « musique
pure » étincelait dans l'obscurité? La musique do chambre, c'est une
sanguine de Raphaël, un sonnet de Ronsard, c'est le dessin de maître,
d'autant plus attachant qu'il est privé du maquillage de la couleur ;
loin d'être hostile â la grande fresque, il la devance, la prépare et l'an-
nonce. Tel quatuor immortel a-t-il empêché la Flûte Enchantée?
Fidelio n'a pas étouffé le feu qui couvait de \& Neuvième... Le cri du
cœur anime l'un et l'autre chef-d'œuvre, expression d'une âme.
Et pendant que le papillon Rossini se brûlait cavalièrement à tous les
sourires du théâtre, — seul, dans l'ombre, à l'écart, songeait le dieu
Beethoven.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
ISrOXJA^ELLES DI^^ERSKS
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (16 mai). — Des circonstances indé-
pendantes de ma volonté m'ont empêché de vous dire, il y a huit jours, le
succès qu'ont obtenu les deux représentations extraordinaires en allemand
de Tristan et Isolde, organisées par la direction de la Monnaie au' lendemain
de la clôture annuelle. Ces représentations ont été un événement trop consi-
dérable pour ne pas être mentionnées ici. C'est la première fois qu'une œuvre
de Wagner était jouée, en dehors du théâtre de Bayreuth, dans ces conditions
exceptionnelles d'interprétation, avec des artistes comme M. Van Dycl;,
jjmes I3fema et Litvinne, et sous la direction d'un chef prestigieux comme
M. Mottl. Le résultat a dépassé toute attente malgré la petite déception
causée par l'absence de M. Van Rooy, qui devait compléter cette incompa-
rable distribution et qui, au dernier moment, n'a pu venir, retenu en Alle-
magne par une indisposition.
(I) Écrit datù de Triebsclien, 1870, où Wagner appelle Beelliovcn «le Jlage divin». —
Cf. Teodor de Wyzewa, Deethomi et Wagner, pages 154-167 (l'aris, Pcrrin, 1898j.
Le dernier concert Ysaye — sans Ysaye — a clôturé dignement la saisin
des matinées symphoniques, avec un programme exclusivement consacré
aux œuvres françaises de MM. Vincent d'Indy et Guy Ropartz, qui en diri-
geaient eux-mêmes l'exécufon. On a entendu, de M. Guy Ropartz, une sym-
phonie correctement et purement écrite, et de sentimentaux et distingués
Poèmes chantés, d'après l'Intermezzo de Henri Heine, très bien dits par
M. Daraux. De M. Vincent d'Indy, outre de simples mélodies, on a réentendu
la première partie de Watlcnstein et l'étourdissante symphonie pour piano et
orchestre sur un thème montagnard, qui a valu à son auteur et au pianiste,
M. Arthur de Greef, des ovations enthousiastes. L. S.
— Gomme nous favions annoncé, l'Opéra de Govent-Gardea de Londres a
rouvert ses portes lundi dernier. On jouait Roméo et Julielte en français avec
M°i'! Eames et M. Saléza comme protagonistes, et M. Journet dans le rôle de
frère Laurent; au pupitre du chef d'orchestre se trouvait M. Mancinelli. Le
théâtre a été transformé, comme nos lecteurs le savent, et il pirait que les
dépenses énormes de cette transformation, qui montent à 750.000 francs,
n'ont pas été faites en pure perte. On s'étonne cependant que les entr'actes
restent aussi longs qu'auparavant, malgré l'annonce qu'on avait faite que
les nouveaux arrangements permettraient de planter les décors les plus
compliqués en quelques minutes. Un public fort nombreux et élégant assistait
à cette première de Govent-Garden ; les dames de la colonie américaine, qui
s'y trouvaient en nombre, portaient le deuil de la reine Victoria absolu neat
comme les dames anglaises.
— La « Loi Parsifal ». Une circulaire extraordinaire vient d'être adressée
par M"»" Cosima Wagner aux 397 députée du Reichstag allemand ; on devine
qu'il s'agit du rejet de la proposition du gouvernement de fixer à cinquante
ans la durée du « droit d'auteur ». La veuve du raaitre de Bayreuth déclare
regretter qu'un député ait parlé au Reichstag de la famille Wagner, et elle
se croit obligée de rectifier les assertions de cet orateur. Il est exagéré de
dire que chaque année rapporte un million de marks aux héritiers du
maître, mais d'autre part, on reste au-dessous de la vérité en affirmant qu'un
entrepreneur a offert un million de marks seulement pour pouvoir disposer de
Parsifal pendant cinq ans dans le monde entier. M™ Wagner expose ensuite
longuement, mais par des arguments suffisamment connus, que le droit d'au-
teur devrait durer cinquante ans et dit: « Je n'hésite pas à avouer qu'il
s'agit pour moi uniquement de Parsifal et je demande uniquement la pro-
tection de cette œuvre. C'était le désir et la volonté de Richard Wagner que
son théâtre s'élève uniquement sur la collline de Bayreuth et que Parsifal
soit uniquement représenté sur cette scène. Ceci est son testament pour la
nation allemande. » Après avoir brièvement rappelé avec quelles difficultés
et aux prix de quelles luttes Wagner avait pu enfin inaugurer son théâtre
en 1876, elle ajoute : « L'art de Richard "VA^agner est devenu comme un lien,
un messager de paix entre l'Allemagne et l'étranger. Je m'adresse donc aux
représentants de la nation allemande pour les prier de réparer finjustice
qu'ils ont commise et d'honorer leur plus grand maître par l'exécution de sa
dernière volonté.... Nous abandonnerons les revenus provenant d'une exten-
sion de nos droits, si on nous les envie, mais nous demandons la protection
définitive de Parsifal, »
Inutile de dire que M""' Wagner ne peut se faire aucune illusion sur l'effet
de sa circulaire et qu'elle n'ignore pas que les députés actuels, dont le mandat
expire en juin 1903, ne peuvent se déjuger aussi vite et changer une loi
qui vient à peine d'être votée. Mais la veuve du maître a bien fait de pro-
tester immédiatement contre la « loi inique t, et comme Parsifal est encore
protégé pendant douze ans, elle reviendra certainement à la charge lorsque
le Reichstag actuel sera remplacé par une Chambre nouvellement élue. Mais
un argument très grave sera certainement et toujours opposé par tous les
légistes à la demande de M'"= Wagner. Peut-on raisonnablement créer une
loi d'exception, une lex Parsifal? Evidemment non. 0. B.v.
— Un jubilé qui n'est pas à la portée de tout le monde. M. Hermann Friese,
inspecteur musical de l'intendance générale des théâtres de Berlin, vient de
fêter le soixante-dixième anniversaire de son entrée dans la carrière, à-dmis,
le 24 avril 1831, à faire partie des chœurs de l'église de la Garnison, il a
chanté dans toutes les circonstances solennelles de la cour impériale, aux
funérailles de Guillaume I"', au baptême de l'empereur Frédéric, aux noces
de l'empereur actuel et en beaucoup d'autres occasions. Pensionné en 187'2
en sa qualité de chanteur de fOpéra, il prit alors les fonctions d'inspecteur
musical, qu'il a remplies jusqu'à ce jour.
— M. Anton Dvorak, le nouveau pair d'Autriche, vient de siéger pour la
première fois à la Chambre des Seigneurs, après avoir prêté serment. Il a,
dit-on, l'intention de remplir assidûment ses devoirs de membre de la haute
Chambre et de voter avec le parti de ses compatriotes tchèques. M. Dvorak
a d'ailleurs eu le plaisir de voir se réaliser en sa faveur le vieil adage: « A
tout seigneur tout honneur». En effet, le musicien a reçu au débotté la visite
de M. Mahler, qui lui a demandé son dernier opéra, Roussalka, pour le théâtre
impérial. M. Dvorak a naturellement accepté cette proposition, et Roœsalka
sera jouée au cours de la saison prochaine. L'auteur dirigera en personne les
dernières répétitions.
— M. Mascagni a quitté Vienne, après y avoir dirigé quatre concerts au
profit de différentes œuvres. L'empereur lui a envoyé les insignes de com-
mandeur de l'ordre de François-Joseph avec plaque. C'est une façon comme
une autre, mais celle-ci fort agréable, de plaquer les gens.
138
LE MENRSTKIiL
— Lors de la tlernicre reprise de Tamilianxir à 1 Opéra impérial de Vieime,
le public a fort admiré une vingtaine d'artistes extraoï'diQaires qui débutaient
pour la première fois sur la scène. On avait remarqué eu haut lieu, parait-il,
que les chiens de chasse qui figuraient au premier acte, loi'sque le landgrave
trouve dans la forêt Tannhiiuser sorti de l'antre de Vénus, n'étaient pas dignes
de ce beau théâtre. Ordre fut donc donné par le grand-veneur de mettre à la
disposition de l'Opéra la meute impériale. Les chiens les plus beaux et les
plus intelligents qui soient, dressés à courre le cerf, furent donc amenés à
Vienne par plusieurs piqueurs. et on les fit répéter trois fois de suite la courte
scène de leur apparition. Les merveilleux artistes surent ainsi leur rôle au
bout des pattes et firent entendre leur voix au moment voulu, sur le taïaut
proféré h mi-voix par les piqueurs grimés et costumés. La meute impériale a
fait la joie du public, mais sa collaboration a Tinconvénient d'être assez coû-
teuse, car ces artistes habitent à deux cents kilomètres de l'Opéra, à Goe-
ding, en Moravie.
— Le théâtre An der Wienà Vienne, qui avait été fermé pondant quelques
semaines, vient d'être loué à MM. Lang et Karczàg, et les nouveaux directeurs
ont publié une longue annonce dans laquelle ils déclareut qu'ils ouvrent
» un théâtre international «Sur leur scène doivent se produire les plus grands
artistes d'Allemagne, d'Angleterre, de France, d'Italie et de Russie, et beau-
coup de traités seraient déjà signés à cet effet. Reste à savoir si la ville de
Vienne possède un assez grand nombre d'amateurs polyglottes pour alimenter
un théâtre jouant en quatre langues étrangères,
— Un concert original vient d'être donné à Vienne. La maîtrise de la
chapelle orthodoxe de l'ambassade de Russie, sous la direction de son chef,
M. Archangelsky, a l'ait entendre des compositions liturgiques, hymnes et
motets, avec un succès énorme. Cette maîtrise compte peu de chanteurs,
mais les voix sont triées sur le volet. Tous les morceaux ont été exécutés
a capella, la maîtrise ne disposant ni d'orchestre ni d'orgue; on a admiré la
justesse impeccable du chant et la finesse des nuances. Les compositions
étaient presque exclusivement prises dans le répertoire des compositeurs
russes; elles ont vivement intéressé à cause de leurs harmonies orientales et
de la grande habileté avec laquelle des effets superbes y sont amenés.
— On vient de publier un document très curieux au sujet de Liszt. L'artiste
se trouvait en avril I83S à Vienne et y avait donné un concert au profit des
Hongrois, ses compatriotes, qu'une terrible inondation avait fortement
éprouvés. Le succès du jeune artiste fut tellement extraordinaire que l'impé-
ratrice Marianne, femme de l'empereur Ferdinand, désira l'entendre à la cour.
L'archiduc Louis, qui régnait alors véritablement, de connivence avec le vieux
prince de Metternich. au lieu et place du bon Ferdinand, avait conçu des
doutes sur les idées politiques de Liszt, qui habitait Paris, et s'adressa au
chef de la police pour obtenir des renseignements. Le comte Sedlnitzky, le
tout-puissant Foucbé viennois de l'époque, adressa alors à l'aichiduc un
rapport d'autant plus remarquable que le préfet de police l'avait rédigé dans
les vingt-quatre heures sur commande. Tous les faits de cette petite biographie
de Liszt sont exacts, à l'exception des prétendues relations intimes qui
auraient existé entre lui et George Srnd, qui avait trouvé en Chopin, on
le sait, le pianiste de son cœur. Le policier dit encore en passant que l'abbé
de Lamennais était mal famé, et que la comtesse d'Agoult (Danitl Stern)
était de mauvaise compagnie. Il constate d'ailleurs que les idées politiques de
Liszt n'avaient jamais formé l'objet d'aucune plainte, o Liszt, ajoutait- il.
parait plutôt un jeune homme vaniteux et léger, affectant les manières
fantaisistes des jeuues français de l'époque, mais il est de bonne composition
et, en dehors de sa valeur comme artiste, tout à fait insignifiant». Le policier
conclut donc que rien ne s'oppose à ce que Liszt produise devant l'impératrice
" son talent artistique, qui est réellement extraordinaire », mais que la police
ne pourrait pas admettre qu'on lui conférât le titre de virtuose imp. et roy.
de la chambre. Celait la récompense ordinaire qu'on donnait aux grands
artistes admis à jouer aux concerts de la C'our, car à cette époque on ne
décorait pas enco're en Autriche les simples artistes. Liszt joua donc le
17 mai 1838 à la Cour de Vienne, où sa transcription de la Sérénade de
Schubert et sa Valst- de braooure enthousiasmèrent tout le monde. Mais,
contrairement à l'usage, il n'obtint pas le titre de virtuose do la chambre. Le
policier si bien renseigné sur la vie privée de Liszt ignorait, comme on
voit, que l'artiste avait publié dans la Guzelle inusicrile une suite d'articles
assez jacobins, qu'il avait écrit eu juillet 1830 une Sym/rlioiiic révolulioiinuirr,
et en 1S3Î, lors des troubles ouvriers de Lyon, un morceau pour piano intitulé
Lyon. Les mouchards avaient si peu de littérature qu'ils ignoraient même
qu'Henri Heine avait écrit, quelques années avant 1838 : « Il va de soi que
Liszt ne peut pas être un pianiste de tout repos pour les citoyens tranquilles
et pour des bonnets de nuit familiers (GamuelhUdie Sfhlafmuelzen). » Liszt
n'est cependant pas devenu un révolutionnaire dangereux. Sa liaison avec la
princesse VS'^iltgenstein, sur laquelle on trouve tant de documents dans la
correspondance dont nous avons déjà souvent parlé, a, au contraire, pous.é
l'artiste dans une direction absolument contraire. Il est, en elfct, devenu un
artiste de tout repos au point de vue poliiiquc et social, tout en devenant
l'apôtre de ce grand révolutionnaire artistique que fut Richard 'Wagner.
— A l'Opéra royal de Budapest, M""» Arnoldson continue la série de ses
représentations avec un énorme succès. La semaine passée elle a chanté
rOphélie A'HainU't, où elle a obtenu de nombreux rappels. Le dernier acte lui
a valu de longues ovations et une véritable pluie de fleurs. La représentation
du chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas a été d'ailleurs fort réussie sous tons les
rapports.
— Grand succès au théâtre de Francfort pour la Mendiante du Pont-des-ArIs,
le nouvel opéra de M. de Kaslcel. L'auteur, qui assistait à la promiôrp. a été
rappelé plusieurs fois.
— Bon chien chasse de race. On annonce le succès de pianiste que vient
de remporter à Stockholm, à son premier concert, M"» Teresita Carreiio, fille
de M'"" Teresa Carreno, elle promet de marcher sur les traces de sa mère.
— On vient d'inaugurer à Bergen (Norvège) la statue du célèbre violoniste
Ole Bull, due au ciseau du sculpteur Etienne Sinding, frère du compositeur
de ce nom. M. (îrieg a composé pour la circonstance un chœur en l'honneur
de Bull, quia été exécuté par trois cents chanteurs dirigés par le compositeur
lui-même. Ce fait prouve heureusement que M. Grieg, qui a été gravement
malade, -s'est enfin remis et que son état n'inspire plue aucune inquiétude.
— En présence de l'avalanche d'écrits wagnérieus de toute sorte qui s'est
abattue sur l'Europe entière depuis un quart de siècle, on ne saurait repro-
cher aux Italiens leur empressement à glorifier de toutes laçons la mémoire
de Verdi, comme ils le fout depuis la mort de l'illustre artiste. Non seule-
ment les publications de tout genre se mulliplient sur l'auteur de Rigolello et
d'.lido, mais un grand nombre de journaux ont publié des « numéros spé-
ciaux » richement illustrés et généralement très curieux. Nous citerons
entre autres la Scnia illustrala de Florence, la Gazzetla musicale de Milan, le
Cronachc musical! de Rome, // Secolo illuslrato de Milan, Naiura ed Arle, et le
dernier numéro de la liifiila musicale italiana de Turin, qui contient toute
une série d'articles fort intéressants consacrés au vieux maitre: l'Opéra di
Giitseppe Verdi e i suoi caratleri principali, de LuigiTorchi, Verdi e la caricatura,
de G. Bocca, Aneddoti Verdiani, de G. Monaldi, la casa di riposo pei inusicisU,
de L. de Cujos, Saggio di hibliogralia Verdiunu, de L. Torri. Les biographies et
études critiques sont nombreuses ; nous nous bornerons à signaler les plus
importantes: le Opère di Verdi, de M. Soffredini (Milan. Aliprandi, in-8") :
r Anima di Giuseppc Verdi, de M. Sicchirollo (Milan, iu-16) ; liicorjii Verdiani
inedili. de M. Pizzi (Turin, Roux, in-16) ; Verdi, 'IS39-tS9S, de M. G. Monaldi,
(Turin, Bocca, in-12) ; G. Verdi, IS13-HJ0I, de M. E. Checchi (Florence, Bar-
bera, in-16) ; G. Verdi, il rjenio, la vita, le opère, de M. Cavaretta (Palerme,
in-16) ; Verdi, l'uomo, le opère, l'artisla, de M. 0. Boni (Parme, Battei, in-16) ;
Per Giuseppe Verdi, de M. G. de Arcangeli (Lanciano, Masciangelo, in-16).
— Dans une revue chonologique du dernier siècle relative à l'art musical,
que publie en ce moment la Gazzetla musicale de Milan, nous trouvons les
dates précises, inconnues jusqu'ici, de l'apparition des premiers ouvrages de
Rossini. Nous apprenons ainsi que « le 11 août 1808, Rossini fait sa première
apparition parmi les compositeurs de musique à 16 ans, avec la cantate il
Piuniii d'Armonia per la morle d'Orfen. exécutiîe par les élèves du Lycée musical
à Bologne et composée en juillet 1808; et l'essai est jugé digne de la licence i>.
Nous trouvons ensuite, à la date du 3 novembre 1810, la première représen-
tai ion au théâtre San Moisè de Venise, avec un excellent succès, de la « farsa
nuova » intitulée /" Cambiale del iiialrimonio, première composition théâtrale
de Rossini, sur poésie de Gaelano Rossi ; interprètes, la Morandi, Raffaelli,
de Grecis et Ricci. Et le 26 octobre 1811, première représentation au théâtre
du Corso de Bologne de l'opéra-boulïe l'Equivoco siravagante de Rossini, sur
libretto de Gasparri; interprètes, la Marcolini, Berti, Vaccani et Rosich. —
Nous continuerons cette série, s'il y a lieu.
— Le Mondo artislico nous donne ces détails sur une exposition qui \ient
de s'ouvrir à Milan. Le Cercle féminin milanais Gaetana Agnesi, dit-il, a
organisé une exposition de souvenirs de femmes illustres italiennes qui est
vraiment intéressante. Une des salles est consacrée aux femmes de théâtre
et renferme des souvenirs, vêtements, costumes, lettres, portraits d'actrices
et de cantatrices. Une vitrine entière fait revivre la douce figure de Giuditta
Pasta, la raerveillouse interprète de Bellini. Ses portraits sourient douce-
ment, d'une physionomie délicate et mélancolique. Caterina Lipparini, autre
chanteuse distinguée, figure largement dans cette exposition. Sa beauté res-
plendit encore, dans le souvenir, après trente années. Llne fleur de beauté ne
doit pas avoir été la cantatrice et musicienne napolitaine Teresa Santi, qui
sut cependant « tenir les clefs du cœur du public ». Voici l'irrésistible Mad-
dalena Grossi, qu'on appelait « sirène », tant était grande la magie de son
chant; et voici encore la laide et célèbre Augclina Serassi, qui quitta le théâtre
pour le couvent, où elle mourut en odeur de sainteté. C'est une exposition
qui mérite d'être vue.
— U parait que le jeune compositeur qui a donné deux ou trois opéras sous
le nom d'Alfredo Donizetti, et qui dirigeait récemment l'orchestre du théâtre
Rossini à Venise, n'était qu'un faux Donizetti. Le petit-neveu de l'auteur de
Don Pasquale et de la Farurilr, M. Giuseppe Donizetti, lui a intenté dernière-
ment un procès pour lui interdire de porter un nomglorienx quine lui appar-
tient pas, attendu qu'il s'appelle simplement Ciummei. Et le tribunal de
Bologne a donné raison à M. Giuseppe Donizetti.
— Un petit opéra en deux parties, Dun Bosco fanciuUo, paroles de M. TeoQlo
Romano, musique de M. Attilio Garlaschi, a été représenté à Turin, dans la
salle Bassi, sous la direction de l'auteur. L'exécution était confiée àdes enfants,
au nombre de plus de cinquante, car la musique comprenait des chœurs
importants. Le succès a été complet, et le compositeur, rappelé à la fin de
l'ouvrage, s'est présenté sur la scène entouré de lous ses interprètes.
— La commune de Gasalbuttano, où Bellini écrivit sa Xorma. se prépare,
tout comme Catane, à fêter le centenaire du célèbre compositeur. Une pierre
sera placée dans l'hôtel de ville, les élèves des écoles exécuteront un chœur
LE MENESTREL
159
« bellinien », et sur la demande de la junte municipale l'avocat Attilio
Bolzani fera une conférence commémorative.
— A Roca San Casciano première représentation, fort bien accueillie
du public, d'une opérette nouvelle, la Fata bianca. musique du maestro
Isidori.
— M°"^ Sada Yacco, la grande actrice japonaise dont le succès fut si grand
parmi nous, avait entrepris, après l'Exposition, une grande tournée avec sa
troupe à travers l'Europe, après quoi elle alla se faire applaudir aux Etats-
Unis. Avant de s'embarquer récemment à San Francise ) pour retourner au
Japon, elle a déclaré à un reporter américain qu'elle était on ne peut plus
satisfaite du résultat matériel de sa campagne hors de son pays et que, toutes
dépenses payées, elle remportait au Japon une somme ronde de 190.000 dol-
lars, soit environ un million de francs. Il semble qu'elle n'ait pas lieu, en
efîet, d'être trop méconter.te.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Théodore Dubois, membre de l'Institut, qui avait été nommé, à la
suite de la mort de M. Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire national
de musique et de déclamation pour une période de cinq années, vient d'éti'e
confirmé dans ces fonctions, qu'il remplit si dignement, pour une égale période
par le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts.
— M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts vient de
nommer membre du comité d'examen des classes du Conservatoire, pour la
déclamation IjTique, M. Lucien Fugère, le si remarquable artiste de l'Opéra-
Cumique. Tout ïe monde applaudira à cette excellente nomination .
— C'est hier matin que sont partis pour Compiègne les jeunes musiciens
admis au concours définitif pour le grand prix de compositioa musicale. Ces
concurrents sont :
1" M. Kuuc, élève de M. Leoepveu.
2' H. André Caplet, élève de M. Lenepveu.
3' M. Gabriel Dupont, élève de M. Widor.
4" M. Albert Bertelin, élève de IIM. Théodore Dubois et Widor.
S'' M. Crocé-Spinelli, élève de M. Lenepveu.
6" M. Jlaurice Ravel, élève de iT. Fauré.
La scène lyrique choisie pour être traitée leur a été donnée à leur entrée
en loge. Sortie le lundi 17 juin, à neuf heures du malin. Audition, au Con-
servatoire, le vendredi 28 juin. Jugement, à l'Institut, le samedi 29 juin.
— Le jeudi 6 juin sera célébré, dans la salle des fêtes du Trocadéro, un
festival civil et militaire à la gloire du général Lazare Hoche. Le général
André, ministre de la guerre, en a accepté la présidence. La musique de la
garde républicaine y exécutera VJhjiniie funibvi' sur la iiioi-t du gi'iii'nU Huiiw,
par Chesubini, qui a'a élé entendu qu'une fois, au Champ-de-Mars, en octo-
bre 1797, en vertu de la lai du 27 septembce précédent, o.rdionnant à Paris,
puis dans les communes de la République et dans tous les camps des armées
françaises, des cérémonies funèbres à la mémoire ijamortelle' dai héros enlevé
à la pati'ie. Au l'Imnl ilii cUpiiri, représenté avec la Ëg.uration, qui a obtenu
un si grand succès, sera ajouté le Chant âa reloar, paroles de M.-J. Chénier,
musique de Méhul. Cet « liymne sur la paix » n'a jamais été exécuté depuis
1797. Le festival du 6 juin servira pour ainsi dire de préface à l'inauguration
du monument de Hoche à Quiberon, l'un des premiers dimanches du mois
de septembre prochain. La statue est un nouveau chef-d'oeuvre de Dalou.
— L'Assemblée générale annuelle de l'Association des artistes musiciens a
eu lieu mardi dernier, dans la grande salle du Conservatoire, sous la prési-
dence de M. Emile Réty. Le rapport sur les travaux du comité pendant l'année
écoulée a été présenté par M. Auge de Lassus et fréquemment souligné par
les applaudissements de l'auditoire. M. Emile Réty a ensuite présenté quel-
ques considérations intéressantes sur l'a situation moral'e et financière de
l'Association, qui n'a jamais été plus satisfaisante, ce qui n'empêche nulle-
ment, comme il l'a fait fort justement observer, qu'on ne doive travailler à la
rendre plus florissante encore, les besoins augmentant sans cesse et les mi-
sères à soulager devenant de plus en plus nombreuses. Bien qu'elle possède
aujourd'hui, grâce surtout à la libéralité de généreux donateurs, près de
130.000 francs de rente, l'Association n'est pas encore à même de venir aussi
efficacement qu'elle le voudrait en aide à toutes ces misères, et c'est à attein-
dre ce but que le comité doit s'efforcer sans cesse. Ancune peine, aucun effort
ne doivent lui coûter pour obtenir ce résultat. Il faut faire connaître l'Asso-
ciation, son but moral, social' et humanitaire, pour lui créer de nouvelles et
effectives sympathies, provoquer ainsi la bienfaisance el augmenter ses res-
sources. Les paroles généreuses de M. Réty ont été couvertes d'applaudisse-
ments. On a procédé ensuite au scrutin pour l'élection de treize membres du
comité. Oiit été élus : MM. Marcelin Laurent, J. Danbé, Taffanel, Pickaert,
Edmond d'Ingrande, Gabriel-lUarie, Decq, Ed. Guinaud, Ed. Colonne, Goul-
let, Evette, Chandon de Brailles et Barutel.
— Au déjeuner offert à M. Goquelin par le comité de l'Association des
artistes dramatiques, le principe de la fondation d'une maison de retraite
pour les vieux artistes a été posé par M. Goquelin, qui a associé à son vœu
M. Albert Carré, lequel, a-t-il ajouté, lui en avait suggéré le premier l'idée,
bien avant qu'il ne devint le président de l'Association. \ la suite de cette
déclaration, M. Péricaud s'est levé et a annoncé, de la part de M. Jean Coque-
Un et de M. Hertz, ce dernier directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin,
que la première représentation de la première pièce nouvelle donnée sur ce
théâtre aurait lieu au bénéfice de cette fondation, qui prendra le nom' de
Fondation Goquelin. Plusieurs membres du comité ayant émis le vipu qu'une
situe fût élevée, à Paris, au baron Taylor, M. Goquelin a répondu qu'il y
songeait depuis longtemps et qu'il était prêta prendre en main la réalisation
de ce projet, auquel seraient appelées à concourir les différentes associations
fondées par le célèbre philanthrope. Cette statue aurait son emplacement sur
le terre-plein situe en face du théâtre de l'Ambigu.
— La sixième chambre du tribunal civil, présidée par M. Dubost, vient de
statuer sur un dilTérend qui s'était élevé entre M. Romain et la Société des
auteurs dramatiques au sujet de la perception des droits d'auteur et de l'éten-
due de cette perception. Elle a jugé que les droits d'auteur devaient être
perçus non seule«ent sur la recette effective, mais encore sur toute place
occupée, que ce soit après paiement de la place ou en vertu d'un billet de
faveur. M'' Raymond Poincaré, l'avocat de la Société, interrogé par quel-
ques journalistes sur « l'usage » qu'on allait faire du jugement, a répondu
que la Société « ne comptait pas en abuser, en s'élevant contre la distribution
de billets gracieux que les théâtres ont l'habitude do l'aire à la presse et aux
artistes. » La nouvelle mesure vise surtout les « tournées de province ». dont
les directeurs prenaient le moyen détourné de payer beaucoup de leurs petites
dettes au moyen de billets de faveur, et cela sur le dos des autours.
— La municipalité d'Amiens engageait dernièrement des pourparlers avec
la Société des auteurs,, compositeurs de musique et éditeurs, sur la demande des
sociétés locales, auxquelles la Société des auteurs réclamait des droits, non seu-
lement à l'occasion des concerts gratuits, mais aussi à l'occasion des répéti-
tions. Ces pouii'parlers n'ayant pas abouti aune entente, M.Tellier, sénaleuiiràe
la Somme et maire d'Amiens, vient d'adresser la lettre suivante au ministre
de l'instruction publique :
Amiens, le f& mai 19011.
Mbasienif te ministiie ,
.l'aurai riionmeuT de vous signaler, dès- la rentrée du Sénat, la situailion pésulOnt pour
les mimœipiilitésdes prétewlions nouvellement émises par la Société des auteurs, éoJrteurs
et compositeurs de musique, à l'occasîon des eoocerts gratuits organisés par les soeicCés.
locales.
Je me- propose de vous demander, monsieur le ministre, de vouloir bien examiner les
mesures qu'il importe de prendre, dans- le bnt d'épargner- aux municipalrtés l'es consé-
quences des poursuites j'adieiaires aucîqaelles elles sont exposées.
Je vous serais très obligé, monsieur le ministre, de vouloir bien me faire Gonna-itlpe h
date qui vous convieroiraill pour la question que f aurai l'honneur de vous aduessor à b
tribnne.
Veuillez agréerj monsieur le miiiistre, l'assurance de ma haute cansidérafiioni.
Le sénateur, maire d'Amiens,
Tellier.
— L'O^éra-Co-mique ne veut pas attendre' plus longtemps pour offrir i'Ou, -
rar/an à son public des matinées, qui réclamée avec acha)raemeut. pa-raît-
il. l'œuvre nouvelle de M. Bruneau. Donc, aujourd'hui dimanche, à 2 heures-,
l'Ouragan; le soir : Carmen.
— Conseil d'un directeur fort peu évangélique: à sa pensionnaire,, qui vient
de convoler en justes- noces : - Croissez si vous voulez, mais ne multipliez
pas. C'est mauvais pour la marche du répertoire. » Anthentiqne.
— M. A. Catherine, le jeune et distingué professeur du Conservatoire,
entre à l'Opéra en qualité de chef de chant, fonction qu'il avait déjà remplie
à l'ancien Théàtre-Lvi-ique de l'a Renaissance.
— Programme du premier concert donné aujourd'hui dimanche, à deux
heures, au Cirque d'hiver, par FOrchestre philharmonique de Berlin sous la
direction de M. Arthur Nikisch :
Les MaUres Climiteiim, prélude (R. Wagner). — Ciaquième- symphonie en- ut mineur,
op. 6*? (Beetho\^en) : I. Allegro cort brio; ït. .Andante con moto-; III, iVllegro, Scherzo,
Finale. — Symphonie en si mineur (i-nacbevée) (F. Schubert) : 1. Allegro moderato;
IL Andante- con molo. — Les Équipées de « Tid Euhnspiegeh -> (Rich, Strauss), poème
symphonique en l'orme de rondeau, op. 2S. — TuniikUnser, ouverture (lî. Wagner).
— Les deux dernières séances de MSI. Ysaye et Pugno ont eu lieu les 13 et
15 mai. Un changement de programme nous a procuré la joie d'entendre la
sonate en .si mineur de Bach. Il règne, depuis le début jusqu'à la fin de cette
œuvre, un sentiment calme et simple qui enveloppe et subjugue, sans que le
génie qui l'a créée laisse apparaître jamais aucune trace de gène o-u d'effort.
Les trois sonates de Beethoven, op. 96, 30 n° 2 et 47. à Kreutzer, portent des
traces beaucoup plus sensibles du combat pour la vie. de mouvement, et
d'action. La sonate de Franck, avec son ravissant finale, appartient au genre
tempéré. Ces cinq sonates sont écrites dans le style instrumental classique, et
si M. Pugno les a interprétées en musicien particulièrement versé dans l'art
de poser le discours musical avec une distinction et une élégance incompa-
rables, il faut louer aussi sans réserve, chez M. Ysaye. le tact, la mesure,
l'aisance et aussi la suavité, la justesse et l'ampleur du son. La sonate, op. 2i,
de M. Lazzari comportait une interprétation d'un caractère différent. Elle est
d'une belle architecture musicale, logique dans ses développements. plein«3
d'élans chaleureux et de mouvements pathétiques. C'est une sorte d'expan'-
sion d'àme e.rh'Tinrisir par dos moyens d'expression différents de ceux don-t
s'étaient contentés lès grands classiques. Dans cette œuvre, qui a obtenu un
succès très brillant. M. Ysaye a poussé jusqu'aux extrêmes limites la recherche
de l'effet par la véhémence du jeu et par la puissance de la sonorité. M. Pugno
a laissé sa verve s'épanouir el a donné toute La force d int il dispose pour
produire une impression vraiment saisissante. Ils ont réussi supérieurement
t'a-n- et Pautre.--mai3 il faut avouer que l'auteur leur ava-ilr-iïHS. en luam un-e
composition d'une valeur exceptionnelle. Am. B.
160
LE MÉNESTREL
— -Le Théâtre des Aris de Rouen donnera, au cours de la saison prochaine,
la première repiésentalion d'un grand opéra inédit de Benjamin Godard,
les Guelfes, poème de Louis Gallet.
— Les journaux de Rouen nous font connaître le grand succès obtenu dans
cette ville par l'audition d'un oratorio inédit : la Vision de Jacob, dû à un
musicien compositeur de 16 ans, M. Marcel Dupré. Elève de sou père et de
M. Guilmaut, ce jeune homrrle est, depuis quatrj ans déjà, organiste de
l'église Saint- Vivien.
— Concerts et SoinÉES.— Au coDcert donné, salle Erard, par l'excellente violoncelliste,
M"' Cécile Larronde, qui a obtenu grand succès, le clou du programme était l'exécution
de la Méditation de Tha'is, de M;issenet, par " l'ensemble De'sart '' qui a été tout à l'ait
surprenant. — L'École Classique de la rue de Berlin, dirigée par M. Ed. Chavagnat, vient
de donner sa 9* et dernière audition de la saison. S'y sont fait vivement applaudir pour
léchant: 51"" Jourda, Pouiliot et Pothin, JIM. Max-Comte, Rebuffel et Monys; pour le
piano; M"''' Lucas, Boi\in, Lavarenne et Bosque ; pour le violon : M"=' Guignard, Pouiliot
et Ratchinko ainsi que M. Sinanian; pour l'ensemble instrumenfal: JI"" Bonenfant et
M. Rudie; et pour la déclamation : M"' Pâli. — \ la dernière séance d'auditions Emile
Pichoz, salle Muslel, vif succès pour MAI. Delpouget, d'Yunno et W' Holinstrand inter-
prétant des fiagmenls de l'Étoile et de Daphnie et Chloé de M. Henri Maréchal. — TrèsjoUe
matinée chez M°" Pépin née AUou; grand succès pour le délicieux Irio de Cendrillon
(M"" Dussèrtet M"'Pepin)etla mélodie A mu/es, de Charpentier, parfaitement chaulée par
M'*' M. Dussert. Succès aussi pour les mélodies anglaises transcrites par "Weclterlin et la belle
o entrée de Virgile B extraite de Françoise de Eimini d'A. Thomas. — A la Bodinière,
matinée Berny consacrée aux œuvres de H. de FontenaiUes dans lesquelles se font en-
tendre, avec succès. M""* D^laspre-Guyon, M"" Jolivet, 51. Mauguière, etc. — A la repré-
sentation donnée, à l'Institut Rudy, par 51'"" Marthe Dufrène, beaucoup d'applaudis-
sements pour 51. Delaquerrière dans Bowhe close, de Gabriel Fabre, que l'auteur lui
accompagnait. — Salle Herz. Jolie audition des élèves de 51™* Jules Egly. On remarque
il"" R. B. (le Baptême d'Yuomt:e, AVachs), J. R. (Marche chinoise, llatliiasj, A. 51.
{Danse Galicienne, Lack), J. R. {Entr'acte-gavoUe de Mignon, A. Thomas), 51. 51. et S. B.
(Le Roman d'Arlequin, 5Iassenet-Filliaux-Tiger), M.-B. (Caprice pastoral, Mathias), M.
51. (Phrase d'orchestre de Louise, G. Charpentier). Dans la parrie concert on a applaudi
51"' Egly et 51. Buonsolazzi dans le larghetto et finale du /" Concerto de 51athias, 51""
Créhange dans la ballade de Maître Ambros, de Widor, et dans Myrto, de Delibes. — 51"'
Cubain a fait entendre ses élèves salle Plpyel ; il fjut signaler M"" B. L., M. A., G. J.,
G. B. (Chaconne, Th. Dubois), A. de B. (Nocturne, Mathias), Jl. A.-T. (Tziginyi, Lack),
L. J. (Impromptu, Rubinstein) et A. B. (Les Rêves, Bizet). Succès pour 51. Cottin qui a
chanté Pépa, de 5Iathias. — Audition des élèves de 51"" Barbier-Jussy, consacrée en
majeure partie aux œuvres de Lack. Parmi celles qui sont le plus goûtées, citons Valse
arabesque, Mazurka éolienne. Chant des ondines, Ma^vrJœtta, le Bêve du prisonnier,
d'après Rubinstein, Valse rapide, etc. — Audition des cours de musique vocale d'en-
semble de M"' Emili? Leroux, salle Hoche. Les gros effets d'un programme très nourri
sont pour le duo de Lakmè, de Delibes (51"' TestuI, M— Passé), la scène de Ctndrillon,
de Slasseuet, (51"' Saulnicr, 51. Pierron, les chœurs), le duo de Thaïs, de Jlassenet
(51"" Collin, 51. Faurens), le duo de Manon, de 5Iassenet (M"' Poulin, 51. Mauguière) et
le duo i'Eve, de 5Iassenet (51'" Saulnier, 51. Jlorelj.— Le 24' «oncert de la société instru-
mentale d'amatturs « la Tarentelle », donné àla salle d'Horticulture, a pleinement réussi.
L'orchestre bien dirigé par 51. Edouard Tourey, avec la symphonie en si mineur, ina-
chevée de Schubert, et le menuet de jl/a)io)i, de 5Iassenet, a justifié sa bonne réputation.
Le violoniste Bâillon, le violoncelliste Feuillard, 51"' Blanche Slarot, 51. 51auguière, ont
eu leur part de succès. — Très exquise soirée musicale chez 51. et M— Louis Diémer,
dans leur bolel de la tue Blanche. Au programme le mailre de la maison toujours
merveilleux exécutant, 51— la comtesse de Maupeou qui se fait bisser le Rouet, de Paladdhe,
et applaudir très vivement dans /es Ailes, de Diémer, et dans le duo de Marie-Magdelelne,
de 5Iasseuet, avec 51. Le Luhez, 51"" Lydia Nervil qui enlève avec brio le Sentier et
3' mozurka, de Diémer, et Sevillana, de 5Ias5cnet, M. Robert Le Luhez, chanteur exquis
dans Si je savais et Sérénade espagnole, de Diémer, et enfin 5IM. Boucherit et Casais,
virtuoses accomplis. — Le concert que Bl"' 5Ialhilde Polack vient de donrer à la salle
Érard a été un des plus beaux de la sason musicale. La remarquable cantatrice, par sa
belle interprétation et sa voix faite de charme et de puissance, a fait sensation dans l'air
d'Alceste, celui du Cid, deux charmantes mélodies de Léon Delafosse et YAgnus Dei de
Mors et Vita, qui a été bissé. 51. Léon Delafosse qui prêtait son concours à cette belle
séance a exécuté le Conceristûck de Weber de magistrale façon, et l'orchestre, sous la
direction de 51. Camille Chevillard, a été, comme toujours, de premier ordre. — A la
matinée donnée psr 51"" Hejmet-Dabernat on a été très chai mé par 51"" di Slarco qui
a chanté l'air du livre d'Eamkt, d'A. Thomas, et la Rosée étincelle de Rubinstein, et
51"" Filliaux-Tiger a eu son succès accoutumé avec sa Source capricieuse et sa trans-
criftion de la iJonse « «(se d'Armingaud. — M. de Stojowski s'est produit, salle Erard,
comme pianiste st comme compositeur. En celte dernière qualité il a joué devant un
auditoire ravi et composé en grande partie de ses compatriotes ses Idylhs poknaises, une
suite inédite de cinq morceaux fort agréables et d'une facture excellente. En dehors de
cette œuvre nouvelle, M. de Stojcwski a magistralement interprété la sonate op. 111 de
Beethoven, les Variations symphoniques de Schumann et plusieurs morceaux de Schubert
et de Chopin. 11 a clôturé le concert avec l'étourdissante 4' Rapstdie de Liszt. — Très
charmante audition, salle Érard, des élèves de M"' Jeanne Faucher qui s'est fait vivement
applaudir dans Nocturne et le Premier jour de May, de Périlhou, accompagnée par l'au-
teur. On a aussi très justement complimenté 11"" L., de L., G., R., de la B., de la M., de
F. dans la Complainte de saint Nicolas, S. E. dans Pastorale du X\' siècle, 51. G. dans
le Vitrail, 51"" A. M. et G. dans to Rende populaire, 51. T. dans Ischia et, enfin, de jolis
chœurs dans Trimovsett', toutes œuvres de Périlhou. — Au concert donné, salle du
Journal, par M"' Edith 5Iar'in, qui s'est fait applaudir dans une transcription pour
harpe sur Sylvia, succès pour M"^' 51augué-Blin dans Chanson russe, de Paladilhe, et l'air
de Lobise, de Charpentier. - M"" de Tailhardat vient de faire entendre ses élèves à la
salle Hoche en une audition-concert dont les numéros les plus goûtés ont été iVuiJi'Espaj/ie
de 5Iassenet (51"' B. R.), VAlkhia du Cid de Massenet (51"' G.), te Abeilles de Dubois
(5I-' M. D.i, Noël paien de Massenet (M"' d'A. et les chœurs), Bergerette de Dubois
(51"' L. R. et les chœurs). — Chez 51-' Suzanne Bozzani, en son hôtel de la rue JoulTroy,
première représentation du Poète che% la Guimard, un joli acte très adroitement conçu et
joliment rimé par la maîtresse de la maison, mis en musique fort agréable par M. Gas-
ton Paulin, et délicieusement chanté par 51"' Eyreams, à qui 5I5I. Viannenc et Caze-
neuve donnaient très artistiquement la réplique. Au cours de la soirée, 51»' Bozzani
s'est montrée tout à fait exquise dans une sevillana classique dansée avec M. Soria et on
a justement applaudi, en plus des artistes plus haut nommés, 51"" Blanche 5Iarot et
Depeintier, 5IM. Grivot, Bèral, Rieu et Lucien Grus. — A la soirée de 51. de 51., grand
succès pour M"' Palasara dans Purgatoire et la Fille avj: cheveux de lin de Paladilhe et
dans l'Ame des ois aux, el Avril est amoureux de 5Iassenct. — Salle Érard, 51"' Jumel
et 51"" Legrand ont donné une audition d'élèves qui a parfaitement réussi et mis princi-
palement en lumière 51"" 51. M. (air d'entrée de Manon, Massenet), 51- G , 51"' A. F. et
les cha-urs (Trimousetf, Périlhou), 51"' J. G. (air de Manon, 5I«ssenet), 51"" H. G., L. T.,
51"' L. (Dans la rue de Pénestin, Périlhouj et 51-' E. (le Nil, Lerouxl.
NÉCROLOGIE
GODEFROY DE PREYER
A Vienne est mort, le 9 do ce mois, le doyen des compositeurs, Gode-
froy de Preyer, âgé de 93 ans. Il était né à Ilausbrunn (Basse Autriche),
le IS mars 1807; son père, maitre d'école et chef de la maîtrise, comme on
disait alors, lui enseigna le chaut, le violon et l'orgue. Dès l'âge de dix ans
le petit Godefroy possédait une véritable réputation d'organiste, et on l'in-
vitait à jouer de cet instrument dans toutes les églises du pays. En 1823, il
se rendit à Vienne pour étudier l'harnaonie et le contrepoint chez le savant
et célèbre théoricien Simon Sechter; il y vivait fort mal de quelques leçons
de musique, mais ses progrès dans son art étonnaient même son maitre. En
1833 Preyer fut nommé organiste au temple protestant de Vienne, mais il
abandonna ce poste pour devenir, en 1839, professeur d'harmonie au Conser-
vatoire. En 1840 il fut nommé directeur de ce Conservatoire et sollicita la
place d'organiste à la chapelle impériale. Mais après l'exécution de son
oratorio iVdé, Preyer fut nommé, en 1841, vice-kapellmeister de la cha-
pelle impériale et immédiatement après kapellmeister à la cathédrale Saint-
Etienne. C'est la seule place qu'il ait gardé jusqu'à sa mort, remplissant
ses fonctions arec le plus grand zèle jusque dans les derniers mois de sa
longue vie.
Son bagage artistique est considérable. Il laisse trois opéras romantiques,
dont les titres : Valladinor, l'Antre du bourreau et Ainaraiitiu' marquent suffi-
samment l'époque, un grand oratorio, A'oé, une symphonie, quatre grandes
Messes et environ deux cents compositions liturgiques, des chœurs et des
lieder qui ont eu une grande vogue au temps de Louis-Philippe. Le nombre
de ses œuvres diverses dépasse trois cents, mais un tiers à peine en a été
publié, Preyer étant de lui-même son critique le plus sévère.
Il s'est distingué par la dignité de sa vie autant que par son talent. On
savait, et il ne s'en cachait pas, qu'il n'avaitjamais approché de femme ni hu
de vin pur; il était végétarien et la viande ne parut jamais à sa modeste
table. Il n'avait qu'une passion : la peinture et le « bibelot ». Ayant com-
mencé à. collectionner à une époque où les Lacaze, les Sauvageot, les de
Concourt achetaient des chefs-d'œuvre pour un morceau de pain, Preyer a
donc pu, malgré la modicité de ses ressources, réunir une collection dont la
valeur dépasse un million de francs. On y trouve entre autres un grand
Rembrandt comptant dix-huit figures, un portrait de Hans Holbein le jeune,
un portrait de Van Dyck, un Rubens et toute une série de maîtres français
de l'École dite de 1830. Son mobilier Louis XV et Empire a également une
grande valeur.
Avec Preyer est mort le dernier camarade de Franz Schubert; c'est lui qui
avait présenté l'immortel artiste à Sechter pour qu'il piit compléter près de
ce maître éminent ses connaissances théoriques, mais Schubert mourut après
quatre leçons seulement. Preyer est aussi le dernier artiste viennois qui ait
vu Beethoven, ainsi que l'aimable vieillard a bien voulu nous le raconter
dans une lettre que nous avons publiée dans le Ménestrel, l'année passée. Il
avait conservé toutes ses facultés et même sa jolie voix de ténor, jusqu'aux
dernières semaines de sa vie. Sa simplicité, malgré sa brillante carrièro — il
avait été décoré, annobli, nommé conseiller impérial et citoyen d'honneur
de la ville de "Vienne — était vraiment touchante. Non moins touchant est
son testament. Lui, le célibataire endurci, le catholique fervent, a destiné sa
grande fortune à la construction d'un orphelinat qui doit recueillir des en-
fants sans distinction de religion. Il avait même résolu de se séparer de ses
collections pour savoir au juste de son vivant de quelle somme il pouvait
disposer pour cet orphelinat. Il était entré en négociations avec un million-
naire américain qui désirait acheter les tableaux en bloc. La mort de Preyer
a empêché la conclusion de cette alTaire; espérons que les trésors artistiques
du défunt musicien resteront de ce coté de l'océan. 0. Berggruen.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A CÉDER au centre de VicuY, fonds de musique, pianos, lutherie. Pour
tous renseignements s'adresser Maison musicale, 39, rue des Petits-
Champs, Paris.
Viennent de paraître :
Chez Alphonse Lemerre, Pour l'amour! drame en 4 actes, en vers, de M. Auguste
Dorchain, représenté en ce moment A l'Odéon (3 francs).
Chez E. Fasquelle, VOuragan, drame lyrique en 4 actes, de M. Emile Zola (musique de
51. A. Bruneau), représenté en ce moment à l'Opéra-Comique fl franc).
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3661. - 67- ANNEE - ^"21. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimaoche 26 Mai 1901.
(Les Bureaux, 2'>'", rue Vivienne, Paris)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie Hamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie îluméro : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bit, rue Vivienue, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et l'rovince.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (13° article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale: premières représentations du Prestige au Gj'mnase et delà Pipe
à la Renaissance, Paol-Émile Cbevalier. — 111. La musique et le théâtre aux Salons
du Grand-Palais (5' article), Camille Le Senne. — IV. Le Tour de France en musique :
le parrain Biaise, l';D>ro?)D Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
JSos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
IMPRESSION DE NEIGE
tirée du Poéine du silence, d'ERNEST Morei. — Suivra immédiatement : Prome-
nade, de A. PÉRiLHOu.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Rêverie, n° 3 du Poème du silence, d'EaNEST Moret. — Suivra immédiatement :
la Chère blessure, nouvelle mélodie de Revnaldo Hahn, poésie de M"'« Blan-
CBECOITE.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
â'après les mémoires les plus récenls et îles ilocQinenis inûflils
(Suite.)
IV
Gluck plus apprécié en France qu'en Allemagne, — Vesthétique de Halem. —
Morel, le bouc émissaire de la chule de Paiiurge. — La couleur locale dans les
pièces russes en 1790. — Grétry et les livrets d'opéra- comique. — La patraque
du compositeur. — Vn aphorisme de Grétry. — La musique, c'est moi! —
Grétry paie sa place à l'Opéra-Comique. — Un souvenir de l'Ermitage.
Nous retrouvons nos voyageurs à Paris. Leur nombre s'est
même augmenté d'un Allemand, gouverneur d'une province
russe, qui est venu tout d'une traite à Paris pour s'y consoler à
l'avance de la mort imminente de sa femme. A ce trait, le lec-
teur aura peut-être reconnu le célèbre Kotzebue, dramaturge par
goût et politicien par circonstance, qui poursuivit la France de
sa haine, trahit l'Allemagne et paya sa félonie d'un coup de
poignard.
Nous avions déjà lu, dans la traduction de Pixérécourt, le
voyage de Kotzebue en France, vers 1802, voyage que cet homme
d'État entreprit pour se distraire encore de la perte de sa seconde
femme. Mais le premier, qui date de 1790-1791, n'est traduit que
depuis environ six ans; et l'honneur de ce travail, publié par
la Nouvelle Revue Rétrospective, revient tout entier à M. Rabany,
qui a fait de Kotzebue le sujet d'une thèse de doctorat, aussi
agréablement écrite qu'abondamment documentée.
Trop indulgent pour son auteur, M. Rabany dit que le voya-
geur allemand fut moins acrimonieux en 1802 qu'en 1790. Je
croirais plutôt le contraire. Bonaparte et la France effrayaient
l'Europe quand Kotzebue revint à Paris. Lors de son premier
voyage, on n'en était encore qu'à la curiosité... malveillante il
est vrai; et certes, l'administrateur, autant que l'écrivain,
n'épargne pas à ses hôtes les plus désobligeantes remarques,
alourdies encore de gros sel tudesque.
Kotzebue ne malmène pas trop cependant nos théâtres lyri-
ques. Il est vrai que Gluck y dominait toujours en maître; et
comme le dit notre voyageur à propos d'une représentation
iVArmide : « le nom seul de Gluck en garantit l'excellence ».
Cet engouement des Français pour le grand musicien alle-
mand nous vaut même du judicieux Halem un aveu bon à retenir
et surtout à opposer aux snobs qui gourmandent notre esprit de
routine et vitupèrent notre force d'inertie.
Même, à la fm du XVIIP siècle, Gluck était méconnu de ses
compatriotes — c'est du moins Halem qui l'affirme. Le génial
auteur (TOi-phée, d'Alceste, à'Armide, était considéré comme un
compositeur incorrect, en opposition constante avec « les règles
de l'école ». Ses œuvres n'étaient exécutées en Allemagne que
par fragments, alors qu'elles étaient jouées intégralement en
France. A ce propos, Halem fait sa profession de foi musicale.
S'il reconnaît que Paris est fier, à juste titre, de l'orchestre de
son Opéra, il n'en veut pas moins la subordination de la
musique à la poésie. C'était la question du jour. Toutefois, le
savant critique félicite Gluck d'avoir présenté comme deux
sœurs les éternelles inspiratrices de la pensée humaine. Par
contre, il traite plus sévèrement Reichardt et Schultz, le maître
de chapelle du roi de Danemark. « Ces deux musiciens, dit-il,
s'efforcent déjà d'égaler Gluck... car le compositeur allemand a
bien aussi de temps en temps de bonnes idées. Mais quand il les
a conçues, il ne les lâche plus, et il ronge, et il ronge jusqu'à ce
qu'elles dégoûtent. » Halem est tellement pénétré de son sujet
qu'il lui consacre tout un chapitre de ses souvenirs de voyage
sous ce titre : « Les opéras de Gluck sur la scène parisienne » ;
et sa conclusion, après une très longue analyse d'Orphée et
d^Iphigénie, tient dans cette prédiction, que l'avenir a justifiée :
« Piccini a le malheur de survivre à ses œuvres, tandis que
Gluck ne mourra jamais ».
Au reste, dès son arrivée en France, l'auteur d'Jphigénie avait
rencontré l'attention la plus respectueuse et les sympathies les
plus vives, en dehors de ses panégyristes non moins intransi-
geants que ses détracteurs. Nous avons retrouvé un écho de cette
opinion moyenne dans une lettre de Turgot à Condorcet (1) datée
(f) CoriCipondaace
(Cliai-avay, 1882).
élite de Tun/ot et de Condorcet, puljliée par Chai-liis Henry
162
LE MÉNESTREL
du 26 avril 1774 (la première représentation (Tlphigénie en Aulide
était du 19) :
a. J'ai vu enfin cet opéra de Gluck. Il y a des morceaux qui
m'ont fait le plus grand plaisir : tels sont le chœur de l'arrivée
d'Iphigénie, les adieux d'Achille et d'Iphigénie des deux parts;
les morceaiix que chante Clytemnestre à la fin du troisième
acte et le quatuor de îa un. Ces morceaux m'ont paru de la plus
grande beauté. Il y em a d'autres qui m'ont fait plaisir, mais je
n'y ad pas trouvé en général assez de morceaux de chant; et tant
de récitatifs parlés ou obligés, ou d'airs qui se rapprochent
beaucoup du récitatif, m'ont laissé désirer quelque chose. C'est
peut-être la faute du poète qui n'a point donné au musicien des
paroles bien coupées, liées à l'action et propres au chant. Peut-
être aussi le musicien a-t-il sur cela un faux système. Je trouve,
comme l'abbé Arnaud, que les chœurs gagnent plus à être en
action qu'ils ne perdent à être moins compliqués que ceux de
Rameau. L'ouverture m'a plu comme chant, mais je n'ai rien
vu de tout ce que l'enthousiasme de l'abbé Arnaud lui a fait
voir. »
En tout cas, elle avait été bissée le soir de la première.
Depuis nombre d'années, Grétry, le compositeur belge, parta-
geait avec Gluck, le compositeur allemand, les faveurs du dilet-
tantisme parisien. Les directeurs de théâtres lyriques recher-
chaient avec empressement ses moindres œuvres ; et si quel-
qu'une comptait parmi « les erreurs d'un auteur qui saura
prendre sa revanche », le public ne lui en gardait jamais ran-
cune. Il faisait, au contraire, peser toute la responsabilité de
l'insuccès sur le librettiste que le parterre vouait aux dieux
infernaux. La chute de Pamirge dans l'Ue des Lantet-nes ne démontre
que trop la cruauté d'une telle injustice. Si le poème, signé par
Morel de Ghefdeville, est détestable, la partition, écrite par
Grétry, ne vaut guère mieux. Or, ce fut le librettiste qui reçut
à lui seul la bordée traditionnelle de vaudevilles et d'épigrammes
réservée à tout auteur malheureux. Encore, s'il faut en croire
les Mémoires du général ThiébauU (i), Morel était-il bien innocent
de ce crime littéraire. 11 avait acheté Panurge six cents livres à
un pauvre diable de versificateur nommé Rossel ; et ce qui donne
à cette révélation un caractère assez piquant, c'est que, dans
tous les dictionnaires de musique, on veut que Morel ait eu pour
collaborateur... le comte de Provence, frère du Roi. Un mauvais
plaisant avait remarqué, dans la pièce, un acteur qui frappait à
coups redoublés sur une grosse caisse ; et bientôt le quatrain
suivant circulait dans le théâtre :
D'où Tiennent la fureur, la rage
De cet intrépide fouetteur ?
Ah! c'est le Diea du goût, je gage,
Qui prend son tambour pour l'auteur.
Le même motif dicta cette parodie de l'inscription classique
qui décorait le rideau de la Comédie-Italienne : « Gastigat ridendo
Morel ».
A cinq ans de là, le mélodrame de Pierre le Grand n'ajoutait
aucun fleuron à la couronne de Grétry. Et cependant, Karamsine,
qui l'analyse avec amour, dit le plus sérieusement du monde :
« il y a des scènes fort émouvantes pour un Russien ». Ce qui
ne l'empêche pas de formuler une critique assez juste contre de
graves infractions à la couleur locale. La direction n'a-t-elle pas
eu la singulière idée d'affubler Pierre le Grand et Mentschikoff
de costumes polonais et d'habiller les Préobrajenski, officiers et
soldats, en paysans portant des caftans verts et des ceintures
jaunes?
Grétry avait une telle réputation, justifiée par de tels succès,
que tous les auteurs dramatiques aspiraient à l'honneur de sa
collaboration musicale. Ils lui adressaient à l'envi opéras, opéras-
comiques, tragédies lyriques, mélodrames, si bien que le com-
positeur, encombré, finissait par se débarrasser des livrets les
moins intéressants au profit de confrères moins privilégiés.
Ce fut cette faveur que M"" de Chastenay alla solliciter un
il) Le liÉsÉn^L Thiéballt. MemoîVps, publiés sous les auspices de sa fille M"' ïhiébaull,
par M. Calmettes i E. Pion, 1»93,i.
jour chez Grétry,_qui demeurait alors (1803) boulevard des Ita-
liens. Cette dame, grande amie du directeur Barras et plus
encore de Real, le conseiller d'État, nous a raconté dans ses
Mémoires (1) son entrevue avec l'illustre compositeur. Elle avait
déjà mis en. musiquie des romances et des chansons : son rêve
était d'écrire un opéra. Quand elle fut introduite dans le cabinet
de travaiil de Grétry, le sexagénaire fit le simulacre de se lever
de son immense fauteuil. Mais la Jeune femme l'arrêta de la
main, non sans le prier d'excuser sa liberté grande : il était si
indulgent pour les dames auteurs ! Grétry parut insensible à ces
compliments insidieux : il flairait sans doute quelque piège ; ce
n'était pas hélas 1 le premier. Cependant, il ne tarda pas à s'hu-
maniser; il devint même aimable et voulut montrer à la visiteuse
son piano, « une vieille et mauvaise petite patraque, montée à
coulisses sur une table ». Celle-ci, surchargée de paperasses, res-
tait immobile, pendant que le prétendu piano se manœuvrait
comme un tiroir. Lé clavier en était faux, mais M'"" de Chaste-
nay le fit si bien chanter que M"'^ Grétry sortit en toute ht'ite de
la pièce voisine pour féliciter l'exécutante : elle avait cru recon-
naitre le jeu de la célèbre M""= de Montgéroult. Le maître de la
maison prit à son tour la place de M""" de Chastenay, pour lui
accompagner ses romances. Il la félicita, l'engagea vivement à
revenir le voir, mais ne lui donna pas le moindre « petit poème ».
Sa sympathie pour le baron de Trémont paraît avoir été, sinon
plus vive, du moins plus sincère. L'homme qui avait déjà dit:
« Ma musique n'est pas aussi énergique que celle de Gluck,
mais je la crois la plus vraie de toutes les compositions drama-
tiques », s'était prononcé encore plus catégoriquement avec
l'amateur qu'il honorait de ses confidences. Il s'était approprié,
en le modifiant, le mot de Louis XIV : « L'État, c'est moi I » Lui
pensait : « La musique, c'est moi I » Et tous ses actes confirmaient
cette conviction de son naïf orgueil. Lorsque Elleviou fil remettre
à la scène la plupart des ouvrages de Grétry, celui-ci, qui boudait
la direction de l'Opéra-Gomique, lui renvoya régulièrement les
loges qu'elle lui adressait. Mais chaque fois que l'affiche annon-
çait une de ses œuvres, il louait une avant-scène, et Trémont,
qu'il voulait bien y admettre, se faisait un plaisir de lire sur le
visage du maître l'expression de sa béatitude pendant le cours
de la représentation; ce n'était plus Elleviou qu'entendait Gré-
try, c'était sa musique.
Celle-ci avait rencontré des détracteurs. Le comte de Vau-
dreuil disait plaisamment de l'orchestration un peu vide du
compositeur : « Entre le premier violon et la basse, il passe un
carrosse à six chevaux». Et Trémont, qui visitait l'Allemagne
en 1802, put constater que des spécialistes avaient renforcé les
parties d'orchestre de Grétry : Mozart avait bien ajouté des ins-
truments à vent au Messie de Haendel.
Notre compositeur écrivait des livres aussi facilement que des
partitions. Mais il se plaignait à Trémont que sa famille ne les
appréciât pas. Il est certain qu'il a laissé six volumes de philoso-
phie voltairienne dont ses héritiers n'ont jamais voulu consen-
tir l'impression : que sont devenus ces manuscrits?
Les Notes de Trémont confirment cette remarque, très juste,
de M'"° de Chastenay, que Grétry, si aimable qu'il fût, n'était pas
toujours ce que nos modernes appellent un féministe. Un jour
que M°"=de Montgéroult jouait à l'Hermitage, devant le proprié-
taire de cette demeure historique, un adagio de Mozart qui eiit
arraché des larmes aux pierres mêmes, Grétry, se penchant à
l'oreille de Trémont, lui murmura :
— Mon ami, je ne mourrai que d'un adagio.
C'était sous une forme plus âpre et dans une note peu flatteuse
pour l'excellente pianiste, le : « Sonate, que me veux-tu? »
(A suivre.) Paul d'Estriîes.
( I) M"" ne Chastenaï. Mémoires publiées par Fosurol (E. Pion, 1896).
LE MÉNESTREL
163
SEMAINE THEATRALE
Gymnase, if Prcsiige. comédie en 3 actes, de M. Ambroise Janvier. — Renais-
sance, la Pipe, vaudeville en 3 actes, de MM. A. Bernède et E. Mize.
Le Pt-estiffe, qui permet toutes les folies, fait admettre toutes les
excentricités, aide à absoudre toutes les fautes, le plus bel écran que la
société hypocrite ait inventé pour dissimuler ses besoins d'immoralité
et son penchant inné pour le vice, le Prestige, devant lequel chacun se
courbe, contre lequel toute velléité d'honneur ou simplement de bon
sens se brise irrémédiablement, le Prestige, cette stupide force de tous
les temps qui hypnotise les races de toutes les latitudes, a servi de
thème, ou de thèse, à la nouvelle comédie de M. Ambroise Janvier.
Thème de haute allure morale que l'auteur a judicieusement pressenti,
mais dont il semble n'avoir pas su tirer tout le parti voulu, sa pièce
s'alTu'mant de métier facile, quelconque et piétinant bourgeoisement sur
place, les types choisis s'accusant souvent de vieillotte convention.
Et puis trop de personnages de môme plan et de même répulsif carac-
tère, ce qui interdit à la sympathie du spectateur de se donner a aucun
d'eu.x. Voici M'"^ Hélène Sterch, autorisée par son grand talent de pein-
tre à faire parade de ses liaisons; voici la duchesse de Villeguérac,
autorisée par sa colossale fortune à entretenir ouvertement le piètre
musicien Legru; voici la rigide M"'° Bathérieu.x qui, après avoir mora-
lement tempêté, arrive à admettre et finit par encourager sa fille, Jeanne
de Gournay, petite niaise abandonnée par son mari accaparé par Hélène,
à continuer ses relations avec M. Charles Morin, parce que ledit Charles
Morin est en passe de devenir un des hommes politiques les plus en
vue du moment; voici, même, le petit modèle montmartrois, Georgette,
qui s'éprend de façon toute désintéressée du ridicule Legru parce que
les grandes dames du monde ont de pécuniaires bontés pour lui. Et tout
ce vilain monde barbette dans une vilenie dont il a quelque peu cons-
cience, mais dont il a su trouver l'excuse admirable : le Prestige! Que,
du jour au lendemain, Hélène Sterch perde la vogue et ne soit plus
tenue que comme une barbouilleuse quelconque, que la duchesse soit à
peu près ruinée, que Morin fasse un pouf politique, et voilà, subitement,
tous nos bonshommes, dépouillés du prestige rédempteur, tombés à
l'état de vulgaires déclassés qu'on mettra, sans égards, au ban d'une
société dans laquelle, avant tout, il faut sauver les apparences. Pour-
quoi M. Ambroise Janvier n'a-t-il pas cru devoir pousser sa comédie
jusque-là? C'eût été la morale très frappante qu'on y cherche en vain.
Le Prestige, dont aucun des rôles n'est absolument original, est joué,
au Gymnase, d'ensemble sans qu'aucun des interprètes arrive, cette
fois, à sortir du rang. Il faut nommer M""^'* Mégard, Ryter, Samary,
Henriot, Mylo d'Arcile, MM. Gémier et Noizeux.
La Pipe, dont la Renaissance a donné la première représentation
l'autre samedi, s'étant assez subitement cassée, il n'y a plus lieu de s'y
arrêter longuement. Marmottons un discret De profundis sur le vaude-
ville de MM. Bernède et Mize, qui n'était pas plus méchant — j'entends
aussi inoffensif — que beaucoup d'autres ayant eu la vie plus dure.
Cela se passait en une toute petite ville de garnison, ce qui expliquait,
jusqu'à un certain point, la façon terriblement provinciale dont c'était
joué. De ce joujou trop friable, détruit si vite par le public, ce grand
enfant terrible, le seul M. Poggi devra garder un tout petit débris eu
souvenir du succès personnel qu'il remporta en roucoulant très joliment
une romance sentimentale.
Paul-Emile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU ORAND-PALAIS
(Cinquième article.)
Le Salon des Artistes français, la vieille et vénérable Association pré-
sidée par M. William Bouguereau, a pris le plus gros morceau du
Grand-Palais, le premier étage et la nef centrale plus vaste que le
vaisseau de l'ancien Palais de l'Industrie : au demeurant, quarante
salles, dont une véritable travée de cathédrale. Et s'il a le local imposant
il a aussi les gros chiffres : 2.906 toiles; un millier de dessins; 746 envois
de statuaire. Je néglige ce qu'on appelle les « menuailles » en néo-style:
gravure, architecture, art décoratif. Ce n'est plus seulement le hall, c'est
bien réellement la halle aux productions artistiques, le grand dépotoir,
le déballage d'une industrie de luxe. Il est facile de comprendre que
dans ces conditions l'agréable, l'élégant, l'article de demi-caractére et
de facile écoulement l'emportent sur les œuvres de style. Les comman-
des sont en nombre, qu'elles viennent directement du public, ou qu'elles
se produisent par l'intermédiaire des marchands; on s'applique à fabri-
quer le tableau meublant, la statuette pour tablette de cheminée, voire
pour vitrine, et les neuf dixièmes des œuvres exposées ne s'élèvent pas
au-dessus de l'honorable niveau d'une moyenne de consommation
bourgeoise.
On n'en compte pas moins au Salon de la S. A. F. une sérieuse quan-
tité de compositions échappant à ce pur mercantilisme. La Bucolique de
M. Henri Martin figure parmi les plus appréciées. Le décor n'a pas
changé : toujours le même bois de pins dont les lueurs rougeoyantes du
crépuscule frôlent l'écorce lisse et qui semblent des colonnes de porphyre
marquant l'emplacement des ruines de quelque temple; dans ce cadre,
dont le peintre a souvent tiré de beaux effets, apparaît toute une simple
et noble humanité, mères, enfants, pîitres, l'existence primitive en son
harmonieux développement. Une muse plane au-dessus du tableau et le
poète, prosterné, s'associe à l'universelle joie de vivre par une prière
fervente qui va devenir un chant lyrique. Au demeurant, du Puvis de
Chavannes, d'envergure moins panoramique, de facture plus ressentie
et d'une inspiration reposante. M. Henri Martin est à l'apogée de son
talent et en pleine possession de toutes les œssources d'un art de haute
tenue poétique et picturale. Il a légitimement associé à cet envoi son
propre portrait, œuvre fine et de distinction savante.
M. Gabriel Ferrier connaît toujours la joie de peindre et même son
ivresse : il manie, il étend, il combine les pâtes colorées avec un entrain
qui ne cesse pas d'être juvénile. Les grandes surfaces à couvrir restent
son domaine préféré; il lui plait de déployer un pan de ciel sur les
architectures compliquées des modernes salles de spectacle. C'est ainsi
qu'il a peint cette année un plafond pour le théâtre de Nimes. Sujet :
la Poésie provençale présentant Mireille à la Poésie française. La tona-
lité générale est rose et bleiie, l'ambiance légère et bien aérienne. Ajou-
tons que Carmen a été invitée à la fête de famille et qu'elle fait pendant
à Mireio.
Le Rythme de M"' Dufau est un des gros succès esthétiques du Salon^
la plus remarquable composition due au groupe des femmes peintres où
se rencontrent déjà tant de talents virils. L'œuvre a le charme lyrique,
la délicate envolée des églogues des maîtres de la Renaissance, sans
aucune note moderniste qui en complique ou en gâte l'inspiration. Un
jardin êdcnique, aux molles verdures, aux massifs fleuris, avec perspec-
tive fuyante de collines ondulées aux tonalités chaudes où l'ombre
blonde apporte une harmonie complémentaire. Dans ce décor, trois
femmes nues, très finement modelées, entourent une vasque d'eau dor-
mante ; la première joue île la flûte, la seconde rythme un pas de danse,
la dernière s'alanguit en un recueillement attentif. L'interprétation de la
beauté antique ramenée à un petit nombre de souples formules et enve-
loppée d'une atmosphère Corrégienne, et un sentiment très noble, très
pur du lyrisme païen, telles sont les qualités maîtresses de cette œuvre
vraiment exquise où la décoration s'élève au style.
M. Marioton est moins préoccupé des idées générales ; on n'en trou-
vera pas la plus petite trace ou la plus faible lueur dans le plafond qu'il
intitule Symphonie des fleurs. Visiblement le peintre n'a songé qu'à
faire œuvre de coloriste, qu'à combiner sur le même fond crémeux les
o-ris, les roses, les bleus mourants, les verts apaisés des floraisons épa-
nouies, et les carnations féminines « chair de la femme, argile idéale,
ô merveille! ». Mais cette argile idéale, M. Marioton l'a passablement
amollie et détrempée ; elle ne se distingue guère de la pulpe des fleurs;
et, quand on s'attarde à contempler l'œuvre, après une première satis-
faction du regard elle donne l'impression monotone d'un chromo. Pein-
tre plus robuste, mais exécutant moins simpliste que M. Marioton,
l'auteur du grand plafond intitulé Papillons de nuit, M. Edgar Maxence,
se rapproche de l'art japonais. Il y a des empâtements laqués, des
dessous métalliques ressortant par transparence dans cette composition
allégorique où voltige le peuple des phalènes ; les personnages et les
accessoires s'enlèvent en relief comme sur un panneau d'absolue opa-
cité. L'effet n'est pas banal et retient par son étrangeté, car le véritable
repos visuel, pour le spectateur qu'ont blasé tant de Salons consécutifs,
consiste dans la nouveauté des sensations de la rétine, mais il faut bien
avouer que ce plafond plafonnant aura le grand tort de ne pas plafonner;
j'entends par là qu'il ne donnera aucune illusion d'air et de lumière,
qu'il n'ouvrira aucune baie sur le firmament. En somme, c'est uu décor
Je signalerai sans insister quelques œuvres de moyenne valeur telle
la Ronde des vendanges de M . Michel Lançou , plafond destiné à la grande
salle du Conseil municipal de la mairie deSuresnes et dont le réalisme
allégorique est assez banheusard ; Corinne (la muse lyrique) et ses sui-
vantes, de M. Danguy, pour arriver à la massive commande officielle
exécutée par M. Donnât, robuste constructeur, infatigable Limousm du
grand art. Il s'agit d'un plafond pour la première chambre de la Cour
464
LE MENESTREL
d'appel de Paris. La classique Thémis y joue le rôle principal et en
occupe le point central: « Éclairée par la Vérité, la Justice protège
l'Innocence contre le Mensonge et la Calomnie ». (Prière de ne pas
oublier les majuscules : elles ne sont pas seulement l'ornement typogra-
phique, mais la substance et, si j'ose dire, l'armature de ces abstractions
picturales.)
Donc la Justice, bien en chair, plutôt dodue, repose, ainsi qu'il con-
vient pour une aussi forte personne, sur un matelas de nuages fraiche-
mënt cardés. Une mère, prêtée par l'Ambigu, lui tend un enfant que
M"" Marie Laurent a dû serrer dans ses bras. Thémis étend une dextre
protectrice sur cet indispensable comparse de tous les drames lar-
moyants. La Vérité, en costume de sortie de puits, assiste à ce dénoue-
ment moralisateur, sou miroir à la main, tandis que le Mensonge et la
Calomnie se précipitent en bas de la toile dans la hâte, d'ailleurs légi-
time, d'aller retrouver leur habitat ordinaire, par où j'entends les
grandes décorations de Rubens. Les tonalités principales sont le bleu
pour la Justice, l'écarlate pour la Vérité, le jaune dore pour l'Innocence
et sa maman. Le Mensonge et la Calomnie se culbutent dans une mar-
melade de ces mêmes dominantes... Et avec tous ces ingrédients, tous
ces accessoires, toute cette dépense de matériau.x agglomérés, c'est
toujours de l'art supérieur puisque c'est de Bonnat, et qui s'enca'Irera
noblement parmi les sculptures très chargées du plafond de la Cour
d'appel.
M. Godeby a pris pour sujet l'illustration d'un te.xte de La Fontaine :
la Fortune et le jeune enfant. La Fortune éveille doucement le marmot
endormi sur la margelle d'un puits béant
Lui disant: mon mignon, jo vous sauve la vie:
Soyez une autre fois prudent, je vous on prie :
Si vous fussiez tombé, l'on s'en lut pris à moi.
et la donnée reste décorative bien qu'ayant beaucoup servi. Mais l'allé-
gorie n'est pas nécessairement mythologique ; elle peut revêtir un
costume moderne. Et quand je dis un costume, c'est toute une garde-
robe, tout le décrochez-moi ça des déguisements pastorau.Y du di.x-
huitième siècle qu'évoque M. Avy dans le cadre mi-soleiinel, mi-galant
d'un coin du parc de Versailles. Deux de nos contemporains, couple
idyllico-romantique. jupe claire, sombre veston, y lisent — sans livre —
la page que ne finirent jamais Paolo et Francesca. Autour d'eux sur-
gissent, témoins souriants, complices amusés, les divers personnages
que la fantaisie de Watteau embarque si souvent pour Cythère en des
paysages de rêve. L'idée, assez neuve pour une conception allégorique,
a été réalisée par M. Marius-Joseph Avy, peintre marseillais et jeune
peintre, médaillé en 1898, titulaire du prix Marie Bashkirtseff, avec un
intéressant mélange d'érudition papillotante et de fougue passionnelle.
La tonalité gèniralo demeure fine et claire malgré quelques brutalités
de coloris.
M"" Virginie Demont-Rreton, la digne fille de Jules Breton et dont le
souple talent se prête à toutes les métamorphoses, passe cette année
de l'Étoile du matin, inspiration Lamartinienne, à un sujet d'actualité
pure malgré le symbolisme éternel de l'épigraphe :
Même au foyer détruit la flamme peut renaître.
La scène se passe au Transvaal. Parmi les ruines d'une de ces hum-
bles maisons de ferme, dont on a pu voirie très exact modèle sur la
pente du Trocadéro pendant toute la durée de l'Exposition universelle,
une veuve de combattant Boerest debout près de la pierre du foyer. Sju
costume tricolore symbolise la patrie et elle sourit, à travers les larmes,
à l'espoir d'un avenir meilleur. Le sujet était dangereux ; le peintre
pouvait glisser aux fadeurs de la vignette pour romance, ou céder à la
tentation de l'emphase déclamatoire. M'" Virginie Demont-Bi'eton a
évité ce double écueil. L'œuvre est fine, distinguée, nullement tapa-
geuse, et le symbolisme y reste discrètement voilé comme l'évocation de
la République Sud-Africaine.
Actuelle aussi ou du moins d'un rétrospectif si proche, si immédiat
que nous le touchons encore, « du spectacle d'hier affiche déchirée ! »,
la donnée traitée parM.Duvent enun triptyque assez original. L'artislu
a voulu maguitier ou plus simplement célébrer la participation du pro-
létariat à la grande œuvre de l'Exposition universelle. La Seine l'ait
l'unité de cette composition en partie triple dont l'ouvrier est le personnage
principal ; le décor variable des rives du fleuve au cours sinueux indique
les phases de la fête de 1900. « Avant « c'est l'assemblage des arches
métalliques qui vont servir d'armature aux palais et que boulonne un
peuple de travailleurs. » Pendant » c'est la féerie prestigieuse d'un soir
d'illumination; les arcs électriques, les globes opalisés se reflètent dans
Je flot dormant ou glissent sur les ombres falotes des promeneurs en-
fiévrés dont la ruée lumultueuse est très heureusement rendue. « Après »,
— • fini de rire, il faut se remettre à l'ouvrage ! — novembre est venu
avec sa tristesse et ses brouillards ; on a fermé le caravansérail interna-
tional ; les provinciaux affaires, les étrangers en groupes presque imper
mcables ne se pressent plus sur les berges de la Seine ; les ouvriers
rentrent en causant, le long des quais noirs de gravats, dans les ateliers
aux rigides silhouettes, aux profils géométriques... Tel est le progi'amme.
M. Duvent l'a rempli sans lacunes, sans défaillances, sinon avec un
éclat toujours soutenu ; il a été lui-même l'artisan tranquille et patient
de cette apothéose de l'ouvrier.
(A suivre.) C.^.mille Le Senne.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
IS o "u. X- s; o S' XL e
(Suite.)
LE PARRAIN BLAISE
Le Parrain Biaise, qui de sou vrai nom s'appelait Lhuillès, vivait au
commencement du dix-huitième siècle. Il était curé de Fuisse, pra-
tiquait l'escrime avec passion et composait à ses heures perdues des
Xoêls, vrais modèles de bonhomie et de naïveté, qui, partis du Ma-
çonnais, ne tardèrent pas à se répandre dans toute la Bourgogne.
M. Delon, qui les a publiés il y a une vingtaine d'années, les fait
précéder de cette très juste appréciation :
« Les anachronismes fourmillent dans les compositions du parrain
Biaise. Hérode y joue au tonton, aux cartes, aux dés et au brelan; ses
soldats y sont armés de mousquetons; les mages y ont des louis d'or
dans leurs poches; les bergers y chantent en latin; mais ces détails ne
choquent point, ils sont presque un charme de plus, on sent que l'au-
teur les a voulus ainsi pour donner â ses récits une couleur locale. C'est
pour la couleur locale aussi que la plupart des personnages sont de
Fuisse; bergers, bergères, le parrain Biaise lui-môme, qui s'est taillé un
rôle, sont de Fuisse, et Fuisse est devenu Bethléem. »
Le plus connu de ces Noëls, celui qu'on chante avant d'a'.ler à la
messe du point du jour est une vévita.h\e pièce de comédie en trois dia-
logues, — j'allais dire en trois actes.
Au premier, le parrain Biaise et Tliine, son épouse, arrivent à
Bethléem, après un long et pénible voyage. Ils sont accompagnés de
Philibert et de sa ])eli\.ebregire(po\ir bergère). Chemin faisant, ils se sont
concertés sur ce qu'ils diraient au Dieu nouveau-né pour se faire bien
venir de lui. Ils se sont répartis les rôles afin de briller par l'ensemble
et la spontanéité de leurs aperçus. — Moi, je dirai ceci, dit l'un. — Moi,
je dirai cela, dit l'autre. — Et moi, déclare le parrain Biaise, je lui ferai
un si joli discours qu'il en aise à sa mère : — Recommencez-le encore.
Mais, au seuil de la crèche, toute cette belle faconde tombe subi-
tement. Chacun a oublié son rôle, et l'envie leur prend, un moment, de
retourner chez eux sans avoir vu l'enfant Jésus. Cependant ils s'enhar-
dissent, et il est décidé que Philibert, le berger, entrera le premier. Il
ôte ses souliers, pousse la porte, et parle comme un ange :
Je vous souluiite bien lo bonjour,
Et à la bonoe compagnie;
Nous sommes venus, dame Marie,
Pour faire à vou-fi fils la cour.
En présence du bon accueil qui leur est fait, le parrain a retrouvé
toute son assurance. Il débite son couplet, plus fort qu'un sifflet, et la
Vierge le recommence, comme il l'avait prévu, sur la demande expresse
de son fils. Ensuite il inspecte le pauvre logis, qu'il trouve misérable,
et, mù dé pitié :
— L'aimable poupon, assurément plus joli que personne, n'est pas
liien ainsi. Il n'a lit ni feu pour se chauffer. Venez avec nous à Fuisse,
vous y serez mieux qu'ici.
— Oui, venez donc chez nous, insiste sa femme.
Joseph et Marie se récusent. Ils ne veulent point causer un si grand
embarras à leurs aimables visiteurs; et puis, lo voyage est bien long, et
Marie est déjà bien fatiguée.
Mais ces raisons ne trouvent pas créance aux yeux du parrain Biaise
et de Thine. La route est beaucoup moins longue de Bethléem à Fuisse
que de Nazareth à Bethléem, et le voyage n'est pas fatigant. Josepli
et Biaise porteront alternativement la sainte Vierge, et les autres, pour
amuser Je petit, joueront avec lui au rencati (à cligne-musette) en lui
chantant des motets o en brave latin ii.
Devant tant de cordialité, les époux nazaréens se laissent séduire. Ils
iront en Bourgogne; on partira le lendemain.
Au second dialogue, nous sommes à Fuisse. Thine raconte à S£S
LE MÉNESTREL
d65
compatriotes émerveillés l'arrivée des Rois-Mages à Bethléem. Elle les
a vus, elle a causé avec eux et elle leur a entendu chanter,
Comme aux grandes fêtes,
Chacun, en français, deux chansons,
Aussi fort qu'un Kyrie eleison.
Elle fait aussi à ceux qui l'entourent, bergers pour la plupart, le por-
trait de la Vierge et de l'enfant Jésus, qu'ils verront quand ils seront
reposés. Ce qu'elle leur dit du petit les enthousiasme surtout, et ils se
mettent à chanter sur l'air de Eh frou, frou, frou :
C'est ma foi ben le bon Dieu
Qu'est venu dans ce pays,
Et bon, bon, bon, et li, li, li,
Nous en sommes bien aise,
Nous irons en paradis
Tous bien à notre aise.
Le lendemain, à l'aube, ils envoient leurs présents. Joseph et Marie
en sont éblouis, et c'est Joseph qui vient les en remercier :
Quand Jonsai voyi que sans feinte
On le s'y baillai lu pre ron
Pre li, sa femme et son anfan,
Se levi de poaiste
Et bé content le-s-y dessi :
A Di vos queman : grand marci!
Quand Jotepk rit que sans feinte
On leur donnait tous présents
Pour lui, sa femme et son enfant.
Il se leva de suite
Et, bien content, leur dit :
De la part de Dieu je fous dis : grand merci!
Les bergers alors dansent le branle-gai, qui « tourne » sur l'air lon-
lan-lire-lay, et l'on passe au troisième dialogue, intitulé Coinptainle pour
se lamenter dévolemenl le jour des Saints-Innocents, se chantant sur l'air
Oh, raguingay.
Le ciel s'est assombri, et ce dialogue évoque des tableaux pleins
d'horreur. Nos personnages sont changés. Hérode a ordonné à ses ser-
gents d'aller tuer le saint enfant. Ces brigands arrivent à Bethléem
plus vite que le vent, « comme un régiment de di-agons qui va au pillage ».
Ils s'introduisent dans les maisons comme un loup dedans une grange,
qui prend les moutons et les mange, ou comme de grandes buses qui se
jettent sur les poussins et effrayent le coq et toutes les poules. C'est si
plein d'épouvante que Benoit s'interrompt pour dire :
— J'en grêle d'itô raconter. (J'en tremble de tout raconter.)
Ces impies tuent les enfants comme des mouches; ils grincent tous des
dents comme des chiens sur les passants. Il y en avait un surtout si
grand qu'on l'aurait pris pour un géant. « Il dépaissait les enfants devant
leurs pères qui frémissaient de colère, mais ne résistaient pas. » LTne
femme fut plus brave. Elle était dans son curli (son jardini lorsqu'elle
vit venir le géant qui guettait de carre (qui regardait de côté) son enfant.
Elle le menaça de sa pioche, derrière un tas de sarments le prit par les
cheveux, et appela au secours sa cousine qui vint avec ses voisines.
Armées, les unes de fourches, les autres de grands grappins, de serpes
ou de hachettes, elles le frappèrent sur le dos; une le prend par la
jambe, si bien qu'il tombe par terre. Alors toutes lui éborgnent un œil,
le piétinent sur le cou, et l'auraient mis en capilotade si, par malheur,
trois gens d'armes n'étaient arrivés qui, à leur tour, battirent tellement
les femmes qu'ils les laissèrent tout en sang; puis ils prirent l'enfant et
le coupèrent en morceaux.
Les rigoles, pleines de sang,
Dans la ville et dans les champs
Hélas, mon Dieu, en ruissellant
Rougissaient tous les chemins
Jusqu'au milieu de la rivière.
Tous les maux de la terre s'abattent sur l'humanité. Tout briile ; le
ciel est rouge de sang; la peste s'en mêle. C'est un cataclysme général.
Je crois que le ciel en tremble,
Que le toleil en blêmit,
Hélas ! mon Dieu ! tous les rochers
Pour cela devinrent si tendres
Qu'ils en craquaient jusqu'à se fendre.
S'ils eussent eu des yeux comme nous,
lis en auraient pleuré tous.
A la suite de ce couplet, le parrain Biaise déclare :
Ye-t-ice la chavon.
Ce qui veut dire en bourguignon : C'est ici la fin.
Alors, mes chers lecteurs, quittons la place, et allons ailleurs.
(A suivre.) Edmond NEuiiOMM.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
L'Association générale allemande de musique {AUrjeinrinf Denlsche
Musikverein) tiendra cette année sa trente-septième réunion à Heidelberg, du
l"' au 4 juin prochain. L'orchestre municipal se verra renforcé, à celte occa-
sion, de divers éléments empruntés à ceux de Carisruhe, de Dresde et de
Meiningen. Le chœur sera composé des Sociétés orphéoniques locales. Les
chefs d'orchestre seront MM. Wolfram, l'élix Motll, Schillings et Engelbert
Humperdinck.
— D'autre part, aujourd'hui dimanche 26 et demain lundi 27, aura lieu à
"Worms uue grande solennité musicale à laquelle prendront part un chœur
de 400 chanteurs, un orchestre de 74 exécutants et des solistes choisis dans
les plus grands théâtres de l'Allemagne. On exécutera, sous la direction de
M. Kiebilz-Worms, le nouvel oratorio de M. Klughardt, la Deslrurliou de
Jérusalem.
— La coutume allemande assez ridicule de la célébration des « jubilés i>
entraine parfois avec elle certains inconvénients, dont M"» Pauline Lucca, la
célèbre cantatrice, ressent aujourd'hui les efl'ets. Il parait qu'en ces derniers
temps M""^ Lucca, baronne V.'allhofen (on va voir qu'elle n'oublie pas son
tilre), a reçu toute une collection de félicitations épistolaires, à l'occasion du
soixantième anniversaire de sa naissance. Or, M'"" Lucca se refuse absolument
à accepter les soixante années que lui accordent ses admirateurs et ses amis;
c'est à peine si elle consentirait à été majeure. En tout cas, voici la lettre
de protestation (moitié sourire, moitié ( épit)qu'àce sujet elle adresse aux jour-
naux et qu'entre autres publient les Sif/nale de Leipzig :
Remerciement général.
N'étant pas en mesure de répondre personnellement à toutes les félicitations qui m'ont
été adressées pour mon « supposé soixantième anniversaire », je m'empresse de déclarer
que je conserverai toutes les carte? de visite, les lettres et les télégrammes qui me sont
parvenu-, pour les remettre sur ma table dans quelques années, quand j'aurai vraiment
accompli ma. soixantième ùunée.
Vienne, 26 avril 1901.
Pauline, baronne Wallhofen-Lccca.
Le malheur est que les artistes de théâtre peuvent difficilement tromper le
public sur leur âge, surtout quand ils ont commencé de bonne heure leur
carrière, parce que ces gredins de journaux, qui sont d'une indiscrétion ter-
rible, enregistrent leurs faits et gestes avec une exactitude qui rend plus tard
leur témoignage désagréable. Ce ne serait rien en la circonstance, de constater
que le supplément Fétis-Pougin (Biographie des Musiciens) donne le 26 avril
1841 comme date de la naissance de M'"'-' Lucca, que le Dictionnaire de musique
de M. Hugo Riemann la fixe au 23 avril de la même année, et que le
Handiexiron der Tonknusl de M. Auguste Reissmann, variant un peu, inscrit
pour cette date le 2S avril ■SSiî. ce qui est peut-être une faute d'impression.
Après tout, tous ces gens-là ont pu se tromper, de bonne ou demauvaise foi,
et leurs renseignements pourraient être tenus pour erronés. Seulement, on sait
à n'en pouvoir douter, que M"" Pauline Lucca se fit remarquer à Vienne, dès
le commencement de 1839, comme coryphée dans le chœur des jeunes filles
du Freischiit:; que ce premier succès lui valut d'être engagée ;u théâtre
d'Olmûlz; où elle débuta, le 4 septembre de la même année, dans le rôle
d'Elviro dEriniui: qu'en mars 1860 elle jouait Valentine des lliigneiiols au
au théâtre allemand de Prague; enfin, qu'à l'instigation de Meyerbeer elle
débutait en 1861 à l'Opéra royal ne Berlin, où bientôt elle était fngagée à
vie. Il semble bien qu'en débutant ainsi, dès 1839, dans l'emploi des grandes
chanteuses dramatiques. M"" Pauline Lucca ne devait guère être âgée de
moins de dix-huit ans, que par conséquent elle devait bien être née, cjmme
on l'a dit, aux environs du 26 avril iSil, et qu'enfin M°" la baronne
Wallhofen-Lucca n'a pas de longues années à attendre pour pouvoir célébrer
son jubilé soixantenaire.
— Et voilà Manon mariée!... M'"» Renard, de l'Opéra impérial de Vienne,
une des meilleures interprètes de la ravissante partition de Massenet et
l'inoubliable créatrice de la Charlotte de Werlher, vient de se présenter devant
l'officier de l'état civil du sixième arrondissement de Budapest. Son heureux
époux est le comte Rodolphe Kinsky, membre de la famille princière de ce
nom, qui possède des propriétés immenses en Bohême. Raconter les péri-
péties de ce mariage, qui a dû être conclu sur le territoire hongrois, car la
loi autrichienne n'admet pas le divorce entre catholiques et le comte était
déjà marié avec une haute dame appartenant à une des plus grandes familles
d'Autriche, équivaudrait à un cours complet de législation autrichienne et
hongroise sur une matière des plus épineuses; nous nous bornons à dire
qu'il a fallu deux ans et le concours de deux maîtres de la chicane à Vienne
et à Budapest pour arriver aux « justes nopces ».
— Le théâtre du Jubilé de Vienne a joué avec peu de succès un nouvel
opéra populaire intitulé .losépha, musique de M. A. Maurice.
— Un arrangement singulier vient d'être conclu à Munich. Les deux ténors
de l'Opéra royal, MM. Walter et Knote. qui chantent à tour de rôle le rôle
de Walther dans les Maîtres ihunleurs. désirent naturellement tous les deux
interpréter ce rôle lors de l'inauguralion du théâtre vvagnérien du prince-
régent. Les deux ténors ont assailli de leurs demandes l'intendant général
M. de Possart qui, en sa qualité d'ancien acteur, était à même d'apprécier
l'importance de la question et la difficulté de la résoudre sans blesser l'un ou
l'autre de ses précieux sujets. Il convoqua donc les deux ténors et leur dit
avec bonhomie : « Mes enfants, je vous aime également et je ne saurais faire
de choix entre vous pour la soirée mémorable. Voici ce que je vous propose :
l'un de vous chantera à la soirée de gala devant les invités et la cour; l'autre
!e lendemain à la première représentation publique. Que le sort décide ».
C'était parler d'or, et les artistes acceptèrent sur-le-champ. M. de Possart tira
alors de sa poche des dés pour faire parler le sort selon la vieille coutume
des lansquenets allemands; mais M. Knote, qui doit chanter pendant quel-
ques semaines à Covent-Garden, pria alors son chef d'ajourner la décision
166
LE MENESTREL
jusqu'après son retour o ne voulant pas. dit-il, perdre sa belle humeur dans
le cas où le sort lui serait défavorable ». Les paris sont ouverts parmi les
artistes des tbéàtres royaux de Munich.
— On signale un retour offensif du vieux répertoire italien à Berlin et à
Vienne. Dans la capitale de Prusse c'est M™= Sembrich qui est l'étoile et en
même temps l'imprésario d'une troupe d'artistes italiens qui chantent au
nouvel Opéra royal (ancien théâtre KroU). A Vienne c'est l'imprésario Ernest
Caracciolo qui présente en liberté, au Carlihéàtre. une troupe modeste dont
l'étoile est. parait-il. une basse-bouffe. L'opéra qui a jusqu'à présent rem-
porté le plus grand succès sur les bords de la Sprée comme sur ceux du
Danube serait ce brave Don Pasqiiale. de Uonizelli. qui faisait les délices des
habitués du théâtre italien sous Louis-Philippe et qui s'est maintenu à la
salle Ventadour jusque vers la fin du second Empire. A Berlin, c'est iVI"» Sem-
brich qui attire le public dans le rôle de la coquette Norine; à Vienne, c'est
Don Pasquale lui-même, joué avec une force comique étonnante, à ce qu'il
parait.
— A Czernowitz (Autriche) vient d'être joué avec beaucoup de succès un
opéra inédit en langue roumaine. Titre : Mosoul Ciocâiian. La musique est due
à M. Jean Flondor.
— Les lauriers et les recettes d'Oberammergau ne laissent pas dormir les
braves paysans de Salzach, près de Soleure (Suisse). Ils organisent pour l'été
de 'cette année des représentations de la Passion avec Je concours de trois
cent cinquante personnes et sont en train de construire un théâtre pouvant
contenir 1.400 personnes et pourvu d'une scène très vaste. La musique sera
empruntée à l'oratorio la Passion du doyen H. -F. MuUer.
— Une grosse nouvelle qui nous vient de Milan ; Le livret de l'opéra-
fantôme Néron de M. Boïto existerait véritablement; plusieurs journalistes
en auraient même reçu les bonnes feuilles, ce qui leur a permis d'en publier
l'argument. C'est un grand opéra en cinq actes, composé d'une suite de tableaux
étourdissants. Mise en scène des plus compliquées et fort coûteuse; la distri-
bution n'en parait pas facile par suite du grand nombre de personnages. De
la musique, on ne dit pas un mot.
— M. Vittorio Veneziani, le jeune auteur de la Badia di Poinposa, le mono-
logue musical dont nous avons annoncé la récente exécution, vient de rem-
porter, au concours ouvert par le Conservatoire royal de Naples, le prix
Bellini de 600 francs pour un poème symphonique sur /es Adelchiie Manzoni.
Les concurrents étaient très nombreux.
— Le théâtre Guillaume, de Brescia, a donné la première représentation
d'un opéra en un acte intitulé Céleste, paroles de M. G. Menin , musique
de M. Giuseppe Orsini. C'est encore un de ces mélodrames rapides et
violents, genre Cavalleria ruslicana, où le couteau joue un grand rôle et qui
se termine par un meurtre. Il semble pourtant que le public italien devrait
commencer à être rassasié d'ouvrages de ce genre, qui tournent tous dans le
même cercle etqui n'ont plus l'attrait de la nouveauté. Celui-ci semble néan-
moins avoir été assez favorablement accueilli. — On annonce, d'autre part,
l'apparition à Noto d'un opéra-comique, Stadenti e sartùie, musique de
M, Pierantonio Tasca, et à Ancône celle d'une opérette, una Lezione riman-
dala, paroles de M. Ugo Mariani, musique de M. Getullo Mariani.
— Grand succès, au théâtre Apolo de Madrid, pour une nouvelle zarzuela
intitulée la Buenaventara, dont le livret, tiré de la Gitanilla de Cervantes, est
dû à MM. Fernandes Shaw et Lopez Ballesteros, et la musique à MM. Vives
et Guervos. Interprétation excellente, confiée à M"»^ Matbilde Pretel, Isabel
Bru, Joaquino Pino et Vidal, MM. Rodrignez, Carreras et Ontiveros.
— C'est jeudi prochain que sera donné au théâtre Covent-Garden de Londres
la première représentation de l'opéra nouveau de M. Villiers Stanford,
Beaucoup de bruit pour rien, livret de M. Julien Sturgis.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les membres de la section de musique de l'Académie des beaux-arts ont
donné, pour sujet de leur composition, aux six concurrents pour le grand-
prix de Rome, actuellement en loge à Compiègne, un poème de M. Fernand
Beissier intitulé Myrrha.
— Nous avons donné dernièrement la liste des compositeurs «prix de Rome»
désignés par l'Institut au choix du- ministre des beaux-arts, pour l'œuvre
inédite qui doit être représentée à l'Académie nationale de musique en 1902,
ainsi qu'il est inscrit au cahier des charges de ce haut théâtre subventionné.
Le choix du ministre, se conformant à une tradition constante, s'est arrêté sur
le premier nom de la liste, — celui de P.-L. Hillemacher (prix de Rome en
1876 et 1880), dont la signature, comme on sait, est celle des deux frères Paul
et Lucien Hillemacher, prix de la Ville de Paris en 1882, avec Loreley, auteurs
de Saint-Mégrin (Bruxelles 1886), /(■ Drac (Carlsruhe 1890), Circé, qui doit
passer à l'Opéra-Comique, etc., etc. MM. P.-L. Hillemacher ont soumis au
directeur de l'Opéra un drame lyrique en trois actes auquel ils travaillaient.
Cet ouvrage, qui, dans la pensée des auteurs, n'était point spécialement des-
tiné à l'Opéra, ne comportant pas de cbieurs, a été reçu pourtant par
M. Gailhard sans modifications essentielles. La pièce est de M. P.-B. Sheusi,
a pour titre Orsolasi se passe dans les Cyclades, au XIII= siècle, pendant l'oc-
cupation vénitienne.
— A l'Opéra, les études des Barbares, l'opéra nouveau de Camille Saint-
Saéns, sont déjà commencées. En voici la distribution :
Marcomii- MM. .Mvarez
Le récitant J
Scaurus ! ^'^"'^'
Le veilleur Rousselière
Hildibralh Riddra
Le grand sacrificateur DoiiailMer
Florin M— ■ Jeanne Hatio
Livie Héglon.
Le sujet de la tragédie lyrique de MM. Victorien Sardou, P.-B. Gheusi et
Camille Saint-Saéns se déroule un siècle avant le Christ, dans la ville d'O-
range, mise à sac par les Teutons; cette tragédie comporte trois actes et un
prologue, dans quatre décors confiés au pinceau Je M. Jambon : les trois pre-
miers mettent en scène le théâtre antique sous trois points de vue différents,
le dernier figure une porte de la ville haute, avec, dans le fond, la plaine du
Rhône. Un grand ballet est intercalé au dernier acte.
— Ce bon M. Gailhard vient de se laisser souCQer le Roi d'Vs dont il ne
tenait qu'à lui d'enrichir le répertoire de l'Opéra, comme ses prédécesseurs,
MM. Bertrand et Campocasso, avaient eu la bonne idée de faire pour Sanison
et Dalila, C'était une partie identique à jouer, avec les mêmes chances. Aussi
l'ingénieux directeur s'en est-il détourné avec empressement. Il perd le Roi
d'i's, mais il garde jalousement Tlia'is dont il ne peut rien faire sur la vaste
scène de son Académie. Quel flair! quel tact !
— Donc le Roi d'Ys repasse à l'Opéra-Comique, où l'intelligent directeur
Albert Carré lui prépare dès à présent une rentrée triomphale, au cours de
la prochaine saison, avec la distribution que voici :
Mylio JIM. Maréchal
Karnac Dufrane
Le roi VieuiUe
-Margared M"" Deliia
Rosen Rioton
— Hier samedi, à l'Opéra-Comique, tout une sorte de petit festival o en
l'honneur de Verdi ». Le morceau principal en était la reprise deFalsta/f, avec
M. Victor Maurel et M""= Delna, mais il y eut aussi une sorte de « cérémonie » :
en face d'un buste de Verdi, dû au statuaire Calvi, M"' Segond-'Weber de
la Comédie-Française récita une pièce de vers écrite pour la circonstance par
M. Edmond Haraucourt. Toute la troupe de l'Opéra-Comique, dans les cos-
tumes des œuvres de l'illustre maître, entourait la récitante.
— Spectacles de l'Opéra-Comique pour les fêtes de la Pentecôte : Diman-
che, en matinée, la Basoche, les Noces de Jeannette; le soir, Laknié, le Portrait
de Manon. — Lundi : en matinée, Mignon, le Clialet ; le soir, Carmen.
— M. Albert Carré a décidé de donner I3 13 juin une représentation
extraordinaire au bénéfice de la veuve de Taskin et de son enfant, dont la
situation est précaire. A cette occasion , la grande cantatrice italienne
Theodorini, qui désirait se faire entendre à Paris au service d'une bonne
oeuvre, chantera la Navarraise en français. C'est là un concours inestimable,
qui, à lui seul, assure le succès de la représentation.
— Planté n'a fait que passer par Paris, mais on peut dire que cette courte
apparition a été fulgurante. Il est tombé comme à l'improviste au milieu de
la classe d'orchestre du Conservatoire, où on avait réuni eu toute hâte aussi
les élèves des classes de piano, et là, en présence de quelques avertis, dont
M°'° Leygues, il a donné à tous ses jeunes camarades une admirable leçon
de grande exécution. Ce fut un délice continu, deux heures d'enchantement.
On peut dire que le prodigieux virtuose, depuis si longtemps éloigné de
Paris, a trouvé le moyen de progresser encore dans son art. C'est à présent
quelque chose d'idéal, d'immatériel tout à fait extraordinaire, le mécanisme
complètement asservi à l'âme même de l'artiste. Bach, Beethoven et Chopin
n'ont jamais trouvé pareil interprète. C'est eux-mêmes qu'on voit revivre
dans toute leur pensée, leur profondeur et leur poésie. Et dire que tout cela
reste enfoui à Mont de-Marsan ! Planté, vous êtes un grand criminel.
— M. A. Sujol, de l'Opéra-Comique, vient d'être nommé professeur de sol-
fège au Conservatoire.
— Voici dans ses grandes lignes le programme de la représentation qui
sera donnée, le 6 juin, à l'Opéra, au bénéfice de M""= Marie Laurent :
Quatrième acte de Roméo et .Juliette :
Juliette M"" Adelina Patti.
Roméo M. Alvarez.
Deuxième acte i'Otello :
Otello
MM. Taraagno.
lago
Delmas.
Cassio
Vaguel.
Desdemona
M" Ackté.
Deuxième partie des Er
iinyes :
Klyteranestre
M"" Marie Laurent.
Cassandre
Segond-Weber
Oreste
M. Paul Mounet.
Jloniniage à M'"'' .Marie Laurent, poème de M. Catulle Mendès, dit par M. Mou-
net-Sully, doyen de la Comédie-Française. — Cérémonie du Bourgeois gentil-
lunnim, par M. Coquelin cadet, entouré des principaux artistes de Paris, et le
ballet de Don Juan par les artistes de la danse de l'Opéra. — En outre,
LE MENESTREL
167
M. Tristan Bernard a écrit spécialement pour la représentation un acte qui
sera joué dans la salle et dont la distribution est des plus imprévues. —
M. Roty a exécuté à l'occasion de cette solennité une superbe médaille à
l'elBgie de M°" Marie Laurent. Des exemplaires en argent, de cette médaille,
dont le nombre est très limité, seront offerts comme prime à toute personne
abonnée ou non qui prendra une première loge, une baignoire ou une seconde
loge. — On peut dès maintenant s'inscrire au bureau de location.
— L'Odéon donnera le 6 juin, pour l'anniversaire de Corneille, un à-propos
en vers de M. Henri Jouin. intitulé: Corneille ri Lulli.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association de secours mutuels des
artistes dramatiques (fondation Taylor) se tiendra, le samedi l"' juin 1901,
au théâtre des Nouveautés, 28, boulevard des Italiens, à une heure et demie.
Ordre du jour de la séance : Rapport des travaux de l'exercice 1900-1901
rédigé et lu par M. Péricaud. Élection du président et de six membres du
comité. Membres sortants rééligibles : MM. Maubant. Goquelin aine, Alexan-
dre, Micheau, Guyon fils, Amaury.
— Dans sa dernière séance, le comité de l'Association des artistes musi-
ciens a procédé au renouvellement de son bureau pour l'année 1901-1902.
Ont été élus: Président, M. le comte de Franqueville ; vice-présidents,
MM. Emile Réty, Migeon, Edmond d'Ingrande, Le Brun, Arthur Pougin,
Tubeuf ; secrétaires. Gallon, Guilbaut, Auge de Lassus, Paul Rougnon, Ver-
naelde, Edouard Nadaud : archiviste, Marcelin Laurent; archiviste-adjoint,
Papin : bibliothécaire, Charles Malherbe; bibliothécaire-adjoint, Henry Noël.
— ■ La Société des compositeurs de musique vient aussi, à la suite de son
assemblée générale, de renouveler son bureau, qui se trouve ainsi constitué:
Président, M. Victorin Joncières; vice-présidents, MM. Léon Gastinel, Guil-
mant, Georges Pfeill'er, Weckerlin; secrétaire-général, Henry Cieutat;
secrétaire-rapporteur, Arthur Pougin; secrétaire-trésorier, M. Vinée ; secré-
taires, Henri Bûsser, Charles Malherbe, Samuel Rousseau; archiviste-
bibliothécaire, Weckerlin. Ont été élus comme nouveaux membres du comité
MM. Vierne et Wiernsberger.
— Ladite Société des Compositeurs de musique nous communique, d'autre
part, le résultat de ses concours pour l'année 1900 :
1^ Quintette pour piano et instruments à vent; prix de 500 francs offert par M. le
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts : M. André Caplet. Mention hono-
rable à l'envoi portant la devise : Le Compositeur propose el te Jury dispose.
2" Œuvre symphonique pour piano et orchestre; prix de 500 l'rancs, olTert par la mai-
son Pleyel, Wolff, Lyon et C"" : JI. Pierre Kunc. Mention très honorable avec félicitations
du jury à l'envoi portant la devise : Chantons doncques Bergers, etc.
3" Scène lyrique à deux ou trois voix avec accompagnement de piano; prix unique de
500 francs, offert par II. Ernest Lamy : AI. Gabriel Dupont. Mention honorable à l'envoi
portant la devise : Une fois n'est pas coutume.
■4° Notice sur la vie et les œuvres de MondoviUe; prix unique de 200 francs, offert par
la Société, prix ex cequo : MM. Hellouin et Emile Tyr.
Les auteurs des œuvres mentionnées devront se faire connaître en écrivant
le plus tôt possible à M. Henry Cieutat, secrétaire-général de la Société,
22, rue Rochechouart. s'ils désirent que leurs noms soient publiés. Les ma-
nuscrits sont dès à présent à la disposition des auteurs pendant un an; passé
ce délai, ils seront brûlés.
— Après avoir vu défiler au cours de cette "saison saturée de productions
orchestrales presque tout l'état-major des batteurs de mesure d'Allemagne,
comme Richard Wagner s'est exprimé plaisamment, nous venons de revoir,
au Cirque d'hiver, M. Nikisch à la tête de l'orchestre philharmonique de Ber-
lin. M. Nikisch avait sur ses confrères un avantage inappréciable : il condui-
sait au feu une phalange de musiciens triés sur le volet, qu'il connaît autant
qu'ils sont habitués à leur chef, à telle enseigne qu'il cesse parfois complète-
ment de leur indiquer le mouvement, comme un cavalier émérite lâche la
bride à un noble coursier. M. Nikisch, qu'on connaissait déjà chez nous, a de
nouveau fait preuve des qualités maîtresses qui le distinguent; il a conduit
avec une sûreté calme, une clarté lumineuse et une énergie sobre d'indica-
tions qui ont, à juste titre, réuni tous les suffrages. Il a aussi brillé par son
art incomparable de préparer et d'amener les nuances dynamiques. Si son
fortissimo n'arrivait pas toujours au maximum voulu de l'effet, la faute en
incombait au nombre relativement restreint de l'orchestre qui, à Berlin, ne
joue pas dans un local aussi vaste que le Cirque d'hiver; mais la gradation
du piano et surtout cette nuance que Bûlow appelait pianississimo étaient sim-
plement admirables. Il faut cependant remarquer que M. Nikisch obtient ses
nuances eu ralentissant généralement le mouvement, quelquefois même à un
point que le public, habitué aux bonnes traditions du Conservatoire, en
paraissait déconcerté. Citons comme exemple la symphonie en ut mineur de
Beethoven et l'ouverture de Léonore (a'^), voire même le prélude de Parsifal.
Par contre, plusieurs œuvres dont le succès était auparavant douteux chez
nous, comme la symphonie en ni mineur de Brahms et le Tusse de Liszt, ont
trouvé, grâce à la limpidité de l'interprétation, une compréhension parfaite
et un accueil chaleureux. Les cinq concerts que M. Nikisch a donnés au cours
de la semaine passée oat trouvé leur point culminant, quant à l'aftluence du
public et à son enthousiasme, dans la soirée du 22 mai, consacrée au maître
de Bayreuth dont on fêtait en même temps l'anniversaire de la naissance.
0. Berggruen.
— Le concert annuel donné jeudi au théâtre de la Renaissance, par la
Société des concerts de chant classique, sous la direction de M. Jules Danbé,
a obtenu un grand succès. L'exécution de /«rfas Macchabée, le jiagniUque
oratorio d'Haendel, qui n'avait pas été entendu depuis les si artistiques
séances de l'harmonie sacrée, fondée en 1874 par Ch. Lamoureux, a fait
triompher une fois de plus le bel orchestre de M. Danbé, les chœurs de
M. Bordes, les solistes : M"«'^ Marie de la Rouvière, Joly de la Mare, le
ténor Gazeneuve et la basse Gébelin. L'orgue était tenu par le' maître
Guilmant.
— C'a été une soirée sensationnelle que le 18'' concert annuel donné par
M°"= Mathilde Marchesi, au profit des œuvres de Montmartre. Le programme,
auquel on n'aurait pu reprocher que d'être trop riche, présentait un intérêt
exceptionnel. Chanteurs et virtuoses y alternaient pour la joie des auditeurs,
qui ont applaudi tour à tour M"« Elisabeth Parkiiison et Lou Ormsby dans
le duo de Lakmé, cette dernière dans l'air de Sirjurd et dans le Noël pcâen de
Massenet, M. Léon Lallitte, dont l'effet a été très grand dans l'air _d'W«-orfî«(fe,
enfin M"^' Ada Sassoli, MM. Hardy-Thé, de Reverseaux, Pablo Casais etHen-
nebains. Deux intermèdes charmants variaient ce programme opulent :
l'Aventure de M"' Sylvie, monomime avec prologue, de M. Georges Boyer,
musique de M. Al. Tariot, gracieusement interprété par M"'° Marianne Chas-
saing, et Ballet d'autrefois, scène à deux, de M. Georges Boyer, déjà nommé,
musique de Benjamin Godard, dansé par M"« Charlotte Zambelli, de l'Opéra,
et chanté par M"^ Darmières, de l'Opéra-Comique, à qui l'on a fait un succès
bruyant. Les « œuvres de Montmartre » n'auront pas à se plaindre du résul-
tat de cette soirée brillante.
— A la salle des fêtes du .Journal, M"""^ Signe Lund Skabo a donné une
audition assez intéressante de ses œuvres. Elle a fait preuve dans une série
de morceaux pour piano, interprétée avec goût et charme par M"« Hanka
Schjelderup, d'un joli talent qui s'inspire de Schumann auquel d'ailleurs
plusieurs titres des morceaux sont empruntés, tels: Novelelte, Légende ei
/fomorcsAe ; malheureusement ce talent manque quelque peu de souffle et
plusieurs morceaux, comme le Thènn avec variations et la Légende, auraient
exigé un développement plus ample et un traitement plus large qui les aurait
mis en pleine valeur. h'Idylle et le Menuet en ré majeur ont été vivement
applaudis, et avec raison. Mé.me succès pour une charmante Berceuse pour
violon que M""= Magnus-Malkine, accompagnée par l'auteur, a fort agréable-
ment interprétée. Nous avons aussi entendu une série de mélodies Scandi-
naves, allemandes et anglaises, qui se distinguent presque toutes par leur
expression poétique et par un accompagnement d'une distinction et d'un
effet peu communs. Sous ce rapport nous citerons surtout la mélodie Sur la
mer étoilée (O'er the starlit sea) pour baryton, fort bien interprétée par
M. Francis Harford, et trois mélodies auxquelles M'"' Aîno Ackté, de l'Opéra,
a prêté sa voix pure et généreuse et tout le charme de son débit. On lui a
bissé d'enthousiasme Petite Colombe (Lille Due) et En effet (Wahrliaflig), ravis-
sante poésie d'Henri Heine. 0. Bn.
— Les Chanteurs de Saint-Gervais exécuteront demain lundi, à 10 heures,
à Saint-Gervais, une des plus belles œuvres de leur répertoire : la Messe
« Nos aulem gloriari », de Francesco Soriano, célèbre maître romain du
XVI" siècle, émule de Palestrina.
— D'Aix-les-Bains : Dès les premiers beaux jours, la musique a repris ses
droits au grand Cercle et l'orchestre de M. Provinciali sollicite heureusement
les baigneurs craignant la cohue de la grande saison. t>e fort jolis pro-
grammes très bien exécutés valent aux interprètes leurs succès habituels.
Massenet triomphe avec Werther, la Pastorale à'Esclarnionde, le Roi de Lahore.
les Erin}ijies. l'air du Cid « Pleurez mes yeux », celui de Marie-Magdeleine et
Ouvre tes yeux bleus, chanté par M'i'Trannoy, puis le succès va aussi à Ambroise
Thomas avec l'ouverture et l'entr'acte de Mignon, à Delibes avec l'entr'acte de
Lakmé et Myrio, également chanté par M""= Trannoy, à Dubois avec la pre-
mière audition de la Su'de Miniature, et à Widor avec la romance de Conte
d' Avril. Voilà d'agréables préludes aux grandes fêtes de l'été,
— Soirées et Concerts. — Chez M. et M»' Adolphe Brisson, exquise séance de musique
consacrée aux œuvres de Théodore Dubois. Au programme M"° Henri Lavedan, qui a
délicieusement chanté avec Fugère le duo de la Grive de Xavière, bissé d'acclamation, comme
on bisse d'ailleurs la Légemle de saint François de cette môme Xaviéi'e au même Fugére,
toujours remarquable, et encore Trimazôk M"" LydiaNervil, accompagnée par des chœurs
charniajits. On fait fête à M. Enesco dans l'adagio et le finale dii concerto pour violon, à
JIM. Bleuzet et Enesco dans la Méditation pour violon et hautbois, à M"-^ Robillard à
li"" Paul Thomas et à M"« Cazalis, à qui l'auteur présent n'a pas ménagé ses très justes
félicitations. — La soirée donnée par M'"" Ed. Colonne, salle Pleyel, pour l'audition des élèves
de son excellente école de chant a valu de très nombreux bravos au renommé professeur
et à ses élèves dont elle sait faire des artistes. Signalons surtout, ne pouvant malheu-
reusement nonuuer tout le monde. M"' Jeanne Lambel dans l'air du Tasse de Benjamin
Godard, M"° Olga Fékèté dans la scène d'Orplu'e de Gluck et dans l'Heure rose et
l'Heure d'azur d'Augusta Holmes, M. Alfred Lœwenstein dans l'air d'IIérodiacle de
Mussenel, M"" Marie lasne dans l'air de Louise de Charpentier et l'air de Zerline de
Don Jiiiin de Mozart, et, enfin. M"" Hildur-Fjord à qui on a bissé l'air de Manon de
Massenet. Gros succès aussi pour la charmante harpiste. M"" Lueile Deleourt, qui prélait
son concours à cette belle séance. — A l'Institut Rudy, séance en l'honneur de Louis
Lacombe qui a été un immense succès pour les œuvres du maître disparu très bien
interprétées par M"" Pacary, Tassart, MM. A. Brun, Ch.iiniine d'Avranches, de Lausnay,
Delacroix. Bis pour le Cluint d'étndimiis, ,-\[v:xi\ '!.■, ^mr -, l'I.'iiide en octaves et ta
Cigale. M. de Solenière, en une vuh.i;inii' II' / f i i, injjai'avant, présenté
l'œuvre toute de probité et de gr;inil( ur ;irLi<iii| 1- L-m L:ir(.mbe aux nombreuf
auditeurs. — Séance consacrée aux œuAres de Tiiéitdoi-e Duljois chez M'"" Georgette
Cebi'on, professeur de chant. On bisse l'Hymne nupliat, joué en perfection par-M"" La-
roclie de Larzes, MM. de la Tombelie, Martinet, Dumas et Denayer, et on l'appelle
M. Clayes après l'air d'Abcn-Hamet et M. Mazalbert après les mélodies qu'il chante.
M"" Cebron récolte de nombreux bravos en chantant, avec M. Mazalbert, le duo de la
i()6
LE MtNESTREL
Grive de Xavière. — Chez M~* Toutaio, soirée également consacrée à Théodore Dubois.
Le succès va sans conleste à M"' Toutain qui joue supérieurement les Préludes caracté-
ristiques. Thème vari-J et, avec M. Enesco, la Sonate pour violon et piano. — M. Georges
Falkenberg a donné à l'Institut Rudy une très brillante audition de ses élèves de piano
et de sa classe au Conservatoire, dont on a chaudement applaudi rexcellent mécanisme
et l'interprétation toujours musicale ; au programme, outre les classiques. Th. Dubois
tes Abeittes, Scherzo et Choral}, Saint-Saëns, G. Mathias (Marche de l'opéra le Bœuf-gras,
à 8 mains), etc. Énorme succès pour M. Hardy-Thé dans une mélodie de M. Falkenberg,
dans Je t'aime (bissée) de Massenet, ainsi que pour M. Falkenberg dans son numéro de
piano. — Nombreuse assistance, à lu salle Erard, pour l'audition des élèves de M"'° Bex
dont l'excellent enseignement donne de brillants résultats. Très beau programme juste-
ment applaudi, notamment Gaillarde de Dolmetscb, Impromptu de Chopin, Air de ballet
de Massenet, Gavotte d'Iphirjcme à 18 mains de Gluck et 2" fantais'e de Périlhou.— Intéres-
sante audition des élèves de M"*' Willard et Destéract, à la salle Riidy, sous la présidence
de M. Falkenberg. Excellente exécution des morceaux de piano. Les élèves des cours de
solfège se sont également distinguées dans plusieurs chœurs. Grand succès pour M"' Ba-
baïan dans plusieurs morceaux de chant et pour la mandoliniste, Mimi Joubert. — Le
concert donné, salle du Journal, au proflt de l'ex-régisseur Peri-enot, offrait une agréable
diversité. M. Paul Seguy s'est fait applaudir dans l'arioso de Boi do Lahore; M"*"* Poncin
et Herpin dans le duo du Roi d'Ys; M*"^ Lherbay dans Lucie, d'Alfred de Musset, avec
adaptation musicale de B. Godard et M*"' .Tane Arger dans trois chansons dans \i style
ancien de M. Léon Schlesinger. — Dans la même salle, très beau concert donné par le
baryton Paul Seguy, qui a défrayé à lui seul une douzaine de numéros, dont plusieurs lui
ont été bissés, notamment la Belle du Bol, d'A. Holmes, accompagnée sur la harpe par
M»" Tassu-Spencer. Il s'est aussi fait acclamer avec l'arioso du Roi de Lahore et Bonsoir la
Compagnie, de M. Léon Schlesinger. M""' Blanche Huguet a partagé son succès dans le
duo du Roi de Lahore. — Au Trocadéro, à l'occasion de la distribution des prix de la
Société des Alsaciens-Lorrains, très important programme musical dont les numéros les
plus applaudis sont Bouche close, de Gabriel Fabre, par M. Delaquerrièrc, le Crucifix, de
Faure, par MM. Oumirof et Morati, Pensée d'Automne, de Massenet, cl Chant d'exil, de
Vidal, par M"* J. Grétry, duo de Sigurd, de Reyer, par M"' B. Huguet et M. Séguy, et
Stances de Gilbert, de Massenet, par M. Tordo. —Au concert donné par M'" Leroy-Détour-
nelle, on applaudit la charmante pianiste, notamment dans la Valse aérienne, de Lack.
M. Séguy obtient aussi grand succès dans l'arioso du Roi de Lihore, de Massenet. — La
Société chorale d'amateurs (GuiUot de Sainbris) vient de donner, dans la salle du Conser-
vatoire, sous la direction de M. Jules Griset, un concert qui a prouvé une fois de plus com-
bien sa réputation est bien et justement établie. M. Uiémer a été acclamé dans la Fan-
tais'ie de A. Périlhou qu'il a supérieurement exécutée. — M. Georges Amirïan vient de
donner, salle Pleyel, un concert où il a fait applaudir sa jolie voix, notamment dans le
Rêve du prisonnier, de Rubinstein. Bravos aussi pour Louis Diémerdans Gavotlepour tes
Heures et les Zéphyrs, de Bameau, et Réveil soui bois de sa composition, pour M. F. Baer
dans la Caravane humaine, d'Alph. Duvernoy et pour le violoniste Paul Viardot dans ses
œuvres. Berceuse triste et Gavotte.
— Concert annoncé. — Samedi 1" juin, salle Érard, concert du jeune violoniste
Henri Opienski, avec le concoui-s de M"" Teresita Tagliapietra, pianiste-compositeur, fille
de M™' Carrefio, de M"'^ Marie Langie et de M. Cari Furstenberg. Le p'ano d'accompagne-
ment sera tenu par M'" Marguerite Duchemin.
NÉCROLOGIE
L'autre samedi est mort à Joinville, âgé seulement de 46 ans, un artiste
que le public de l'Opéra-Comique n'a certainement pas oublié, Arthur Com-
balet. dit Cobalet, qui appartint pendant di.x ans à ce théâtre. Bordelais de
naissance et ami de son compatriote Talazac, c'est par l'entremise de celui-ci
qu'il vint débuter en 1882 à l'Opéra-Comique, dans le Chalet. Peu de temps
après il jouait Jacob dans /osc/i/i, puis reprenait divers rôles du répertoire.
Son grand succès fut celui de Nilakhanta dans Lnhmc, qu'il créa avec un
véritable talent et qui faisait valoir sa superbe voi.v; de baryton. Plus tard il
créa aussi avec bonbeur le rùle du roi dans le Roi d'Ys. Peu après il quittait
Paris et allait continuer sa carrière en province et à l'étranger. 11 avait,
depuis quelques années, abandonné le théâtre, et s'était retiré à Joinville-le-
Pont, où il avait été élu conseiller municipal.
— Ces jours derniers est mort à Paris, à l'âge de 64 ans, M. Léon Garnier,
ancien directeur à la préfecture de la Seine, frère de l'illustre explorateur
Francis Garnier, auquel la France doit la cinquète du Tonkin et qui périt
victime de sa bravoure. M. Léon Garnier, qui avait voué un véritable culte
à la mémoire de son frère et qui ne cessa de travailler à sa gloriDcalion,
était passionné de musique et de théâtre, et sa haute situation administrative
ne l'empêchait pas de s'en occuper avec ardeur. Il avait suivi dans sa jeu-
nesse les cours de l'école de Duprez, et pendant près de trente-cinq ans, de
1865 à 1899, il prit une part active de collaboration au journal l'Europe
itrliste, où il rendait compte régulièrement des représentations de l'Opéra et
de l'Opéra-Comique.
— De Berlin on annonce la mort, à l'âge de 4S ans, de l'excellent pianiste
Franz Rummel, petit-fils de Chrétien Rummel, l'ami de Beethoven. Il était
né à Londres le 11 janvier 1833 et avait fait ses études au Conservatoire de
Bruxelles, dans la classe de Louis Brassin. De 1872 à 1878 il se fit entendre
avec beaucoup de succès en Angleterre, eu France, en Allemagne et en Bel-
gique. Il se rendit ensuite en Amérique, où il resta plusieurs années, puis,
de retour en Europe, se fixa à Berlin, où il devint professeur de piano au
Conseri'atoire Stern.
Henri Heugel, directeur -gérant.
A CÉDER aa centre de Vichy, fonds de musique, pianos, lutherie. Pour
tous renseignements s'adresser Maison miisicale, 39, rue des Petits-
Champs, Paris.
Jiji pente AU MÉNKSTREL, s"', rue Vivieiine, HÊUGEL et G'e, Éditeurs.
TRAITÉ DE CONTREPOINT & DE FUGUE
THÉODORE DUBOIS
Membre de l'Institut — Directeur du Conscrratoire.
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Du même auteur : NOTES ET ÉTUDES D'HARMONIE, net : 15 francs. — 87 LEÇONS D'HARMONIE (basses et chants), net : 15 francs.
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Sous-clief du Secrétariat, lauréat de l'Institut.
Un fort volume in-i" carré de 10©0 pages, pulblié par l'impi-liTierle nationale.
DOCUMENTS HISTORIQUES
1. L'Ecole royale de chant, 1784-1795; — IL L'École royale dramatique, 1786-178!); — III. La musique et l'École de la garde nationale, 1789-1790;
"IV. L'Institut national de musique, 1793-179o; — V. Le Conservatoire, 1795-1813; — VI. L'Ecole royale de musique, 1816-1822.
DOCUMENTS ADMINISTRATIFS
VIL Actes organiques : règlements, arrêtés, rapports concernant l'enseignement; projets de réorganisation; — Vllt. Conseils d'enseignement et comités d'examens,
arrêtés, états périodiques, liste alphabétique; — IX. Personnel administratif et enseignant, 1795-1900, états périodiques, liste alphabétique; — X. Exercices des
élèves : notice historique, programmes 1802-1900; — XL Palmarès des concours, liste des professeurs et lauréats par branches d'études, morceaux de concours;
dictionnaire des lauréats (6.090 notices biographiques); statistiques, élèves, aspirants, classes, concours, répartition des lauréats par lieux d'origine :
— XII. Distributions des prix; discours 1797-1864; programmes des concerts 1797-1900; — XIIL Budgets : crédits, dépenses; — XIV. Legs et donations en
faveur des élèves; — XV. Ecoles de musique des départements. — Tables chronologique, analytique et des noms.
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Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en ans.
SOMMAIRE-TEXTE
. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (14' article), Paul d'Estrées. —
II. Bulletin théâtral ; première représentation de Pour le monde, à l'Athénée, Paul-
Émile Chevalier. — IH. La musique et le théâtre aux Salons du Grand-Palais {6' arli-
cle), Camille Le Senne. — ÏV. Le Tour de France en jmisique ; musique d'église et
de ville, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
RÊVERIE
n" 3 du Poème du silence, d'EENEST Moret. — Suivra immédiatement : la Clién
blessure, nouvelle mélodie de Revnaldo Haiin, poésie de M°"= Blanchecotte.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Promenade, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement : Meiiuel Roccoco, de
Théodore Lack.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et i
(Suite.)
V
Etoiles disparues avant la Révolution. — Le bon ton de Sophie Arnould. — ■ La
Reine de Carlhage et la déesse de la Raison. — La reine de Carthage et la reine
de France. — Épllre de Gossec à la Saint-Huberli.
Les époques troublées, où les questions politiques dominent
toutes les autres, peuvent avoir leurs lettrés et leurs artistes,
dont elles éveillent, encouragent ou réchaufîent l'inspira-
tion ; mais elles ne favorisent guère l'éclosion des virtuoses de
la scène, qui, pour atteindre toute sa plénitude et tout son éclat,
réclame des régions plus sereines, inaccessibles aux tumultes
des discordes civiles. Cette vérité apparaît en quelque sorte à
chaque page de l'histoire révolutionnaire. Sauf de très rares
exceptions, les chanteurs et les comédiens qui brillèrent le plus
dans cette période de dix années avaient été fort appréciés et
fort applaudis sous le régime précédent.
Déjà deux gloires de l'Académie Royale de Musique n'étaient
plus au théâtre : Sophie Arnould, qui l'avait quitté en 1778, et la
Saint-Huberti, la future comtesse d'Antraigues, qui, par roya-
lisme ou par loyalisme, avait bruyamment rompu avec l'Opéra
au lendemain de la Révclulion.
Plusieurs de nos contemporains ont nié le talent et la beauté
de Sophie Arnould. Peut-être le succès de ses mots à l'emporte-
pièce a t-il fait tort à sa double réputation de jolie femme et de
grande artiste. 11 n'est pas douteux, cependant, que sa figure
éclairée par des yeux merveilleusement expressifs et que sa
voix où passait tout le feu de son âme, produisaient l'impression
la plus vive sur un public d'ordinaire difficile et peu bienveil-
lant... il est vrai que « nous avons changé tout cela ».
Quand Sophie Arnould se retira, encore jeune, mais fatiguée
par les émotions inséparables, paraît-il, de la vie d'actrice, elle
garda du moins de ses relations extra -théâtrales une fleur de
politesse, une élégance de bon ton, un sentiment de tenue qui
n'étaient pas rares chez les comédiennes d'autrefois.
M°"= de Ghastenay eut cette impression de Sophie Arnould,
quand elle la rencontra au Luxembourg chez Barras, qui recevait
ce jour-là à sa table la vieille actrice, avec son antique amant
le duc de Lauragais. Sophie Arnould avait encore les yeux fort
beaux, mais elle n'avait plus de dents, infirmité que trahissait
un sifflement fort désagréable chaque fois qu'elle voulait parler.
Elle portait une toilette appropriée à son âge et ses manières
étaient marquées au coin d'une distinction parfaite, cette distinc-
tion des grandes dames du XV11I« siècle, qui se retrouvait chez
la Guimard, si embarrassée, dit M'"' de Ghastenay, le jour où elle
dut se risquer dans les rues de Paris seuls, à pied et sans
domestique.
M'"" de Ghastenay revit Sophie Arnould chez M"" de Bruix.
L'ancienne cantatrice se tint un peu moins sitr la réserve. Elle
se montra fort aimable et ne se refusa pas à chanter avec Lays,
de l'Opéra, qui l'accompagnait, plusieurs scènes de VIphigénie de
Gluck. Sa voix était chevrotante, mais encore passionnée.
Norvins, quand il parle de Sophie Arnould, s'accorde avec
M'"= de Ghastenay pour reconnaître le grand air et l'irréprochable
tenue de l'actrice. Il signale la même attitude chez la Guimard
et chez la Duthé, celle-ci une courtisane de première marque.
Les jeunes gens admis à leurs réceptions eussent été impitoya-
blement congédiés, s'ils avaient manqué le moins du monde aux
lois de la correction.
Mais si ces « belles et honnestes dames », eût dit Brantôme,
observaient, même dans les écarts. de leur vie privée, les règles
du bon ton, elles ignoraient absolument celles de l'économie. On
sait quelle fut leur gêne, leur misère, leur détresse. Le ministre
Ghaptal (1) apprit celle de Sophie Arnould, alors qu'elle demeurait
à l'hôtel d'Angivilliers. 11 voulut lui venir en aide, tout en lui
donnant une de ces satisfactions d'amour-propre qui tiennent si
fort au cœur des comédiens.
Il proposa donc à l'ancien premier sujet de l'Opéra une repré-
sentation, à bénéfice, de la ûidon de Piccinni. Sophie Arnould
(I) CiiAPT.iL. Mes Souvenirs sur Napoléon, Pion, 1893.
170
LE MÉNESTREL
devait revêtir le costume de Tamante d"Énée, pour reparaître
une dernière fois sur la scène. Elle accepta tout d'abord sans
plus de réflexion, mais le lendemain elle écrivait à Chaptal
« qu'elle venait de voir, la veille, la reine de Carthage monter
dans son lit, et que si le public l'avait vue conime elle il en
aurait pitié. Il faut donc abdiquer à temps, surtout lorsque,
comme moi, on a eu un règne brillant. »
Paroles vraiment sensées, qu'on ne saurait trop recommander
à la méditation des vieux comédiens et que semblerait démentir
une étrange anecdote contée par M. de Mazade(l), cousin de
l'académicien du même nom, dans ses Lettres et Notes intimes.
Sophie Arnould retirée, pendant les fureurs de la tourmente
révolutionnaire, à Luzarches, aurait consenti, dit M. de Mazade,
à figurer, en déesse de la Raison, à la cérémonie célébrée en
l'honneur de l'idole des Hébertistes, dans la chapelle de l'ab-
baye de Panthémont.
Est-il admissible que, foncièrement royaliste comme elle
l'était et, de plus, ayant largement dépassé la cinquantaine, Sophie
Arnould se soit prêtée à une pareille mascarade"? En tout cas
les Goncourt, historiens autorisés de la célèbre actrice, n'en ont
pas soufflé mot.
Le rôle de Didon, qu'elle avait si sagement décliné, était le
triomphe de la Saint-Huberti. Le 11 juin 1784, M°"= Gradock put
admirer dans l'opéra de Piccinni la grande tragédienne lyrique
dont le tempérament dramatique transfigurait le masque vul-
gaire. G 'était représentation de gala à l'Opéra. L'Académie royale
de musique recevait dans cette soirée le prince de Suède, hôte
de la France, et la reine Marie-Antoinette, que les Parisiens accla-
maient encore :
« ...Sa Majesté de Suède, écrit M""' Cradock, donna plusieurs
fois le signal des applaudissements. Un des spectateurs occupant
avec nous notre loge fit la juste remarque qu'aucune des deux
reines, celle de France et celle de Carthage, n'était ni poudrée,
ni fardée. »
Nous ne serions pas autrement étonné que la réflexion fut de
mislress Cradock elle-même. Cette dame était de ces Anglaises
indépendantes, déjà légion, qui tenaient en médiocre estime la
poudre, le fard, les mouches et autres ajustements féminins bons
tout au plus pour des Françaises. L'impératrice d'Autriche,
Marie-Thérèse, avait élevé sa fille Marie -Antoinette dans les
mêmes principes. Et la Saint-Huberti, une enfant de la balle,
habituée dès l'âge le plus tendre aux misères du roman comi-
que, n'avait pas oublié que la nature, sa meilleure éducatrice,
a l'horreur des artifices mondains.
Le jeu à la fois simple et fort, mais si vrai et si pathétique,
d'une artiste dont la voix ardente remuait tous les cœurs, avait
soulevé l'enthousiasme des foules. La gloire de la Saint-Huberti
lit naître même des poètes. C'est ainsi que la cantatrice reçut
un jour cette pièce de vers :
REMERCIEMENTS ADRESSÉS A M°"° SAINT-HUBERTY APRÈS PLUSIEURES (sic)
REPRÉSENTATIONS DE Phèdre (2)
Saint-Huberty, connais ton art magique,
Vois à quel point ses elt'ets sont puissants.
Huit lustres bien comptés, j'adorai la musique.
Te le dirai-je enfin? Depuis plus de dix ans
Cet art me suscitait un someil (sic) léthargique.
Je n'i (sic) trouvais plus ces plaisirs
Qui charmaient jadis mes loisirs.
0 prodige étonnant qu'il faut que je publie!
Dans Phèdre tes divins accents
M'ont tiré de cette apathie
Où s'étaient livrés tous mes sens.
Vois de ton art ce que peuvent les charmes.
Mon àme était fermée aux plus sublimes chants,
Tes talents immortels m'ont offert tous leurs charmes.
Je l'ai payé du tribut de mes larmes.
Et ton art enchanteur, en ces heureux moments,
Seul vient de rendre au mien mes premiers sentiments.
Ne pense pas qu'ici la basse flatterie
T'élève des autels et t'offre de l'encens.
De l'adulation je hais le vil langage.
Rien ne m'a pu jamais faire trahir ma foi.
(1) fJE Mazade. — Lettres et Notes intimes. Frémont, 1891.
(2) Collection d'autographes Lefèvre. — Manuscrit de lu Bibfiothèque nalioiialc.
Et je rends à ton art le plus sincer (sic) hommage.
C'est sans nul intérêt, jo n'attends rien de toi.
Puisque enfin je te dois une nouvelle vie,
Que par toi de mon art le goût renait en moi.
Permets. Saint-Huberty, que je t'en remercie.
Désires-tu savoir quel est l'écrivain sec
Qui charpente si bien ce grifl'onage étique
Et dont le style n'est français, latin, ni grec'?
Tu trouveras son nom inscrit dans la musique.
Mais, sans aller plus loin, il se nomme Gossec.
Nous avions ignoré jusqu'alors que le compositeur belge, futur
inspecteur de notre Conservatoire de musique, fût également un
poète. Ce n'est pas que ses vers soient bons, et il est heureux
pour sa mémoire qu'il ait produit d'autres œuvres, mais cette
pièce, que nous croyons inédite et qui, en tout cas, est restée
inconnue aux Goncourt, biographes de la Saint-Huberti, nous
donne de précieux renseignements sur la vie de Gossec. Que,,
dans le cours de sa longue et belle carrière, le fécond musicien
ait eu, comme tant d'autres de ses confrères, des heures de
découragement ou de défaillance, c'est possible et même vrai-
semblable; mais la durée n'en fut pas telle qu'il veut bien le
dire. Il n'existe guère d'intervalle entre ses diverses œuvres
dramatiques ou sacrées et cet opéra de Thésée qui valut à la
Saint-Huberti des « remerciements » si poétiques. En revanche,
pour un homme qui sort de léthargie il ne nous parait pas que
son réveil, s'afEirmant par l'apparition de Thésée, ait eu, comme
Gossec le laisse entendre, l'éclat d'une apothéose.
(A suivre. } Paul d'Estrées.
BULLETIN THEATRAL
Athénée. Pour le inonde, comédie en 4 actes, de M. Henri Lyon.
« Pom- le monde », le duc Jacques de Trèmes, ruiné par les excentri-
cités de feu son père, n'aura pas le droit d'épouser M™" veuve Rose
Gharvey, de très grande fortune, alors que leur liaison est admise de
tous, mais il aura le droit de prendre pour femme M"'^' Geneviève
Saulnier, qu'il n'aime pas, et qui lui apportera cinq millions. Énorme
subtilité de moralité mondaine, que l'avoué Pierre Landry et M°'= Lan-
dry se chargeront de faire comprendre au.x deux intéressés, si bien que
Rose Gharvey sacrifiera son amour. Jacques, après avoir beaucoup
pleuré sur l'abandon de celle dont il eut peine à comprendre la
conduite, circonvenu de tous côtés par ses amis. Unit donc par accepter
Geneviève et sa dot, et le monde est content. Et le monde n'en restera
pas moins content et n'aura, de nouveau, nul reproche, lorsque Rose,
revenue en France après une longue absence, se rencontrera avec
l'ancien aimé, aura avec lui l'explication nécessaire et retombera fata-
lement dans ses bras.
Petite chiquenaude donnée à l'hypocrisie de bon ton par M. Henri
Lyon qui, pour encadrer sa thèse, a construit une pièce de faire
adroit encore que d'allure un peu lente dans le début et quelquefois
surannée dans les détails. Cela fait, parfois, songer à du Georges Ohnel
qu'aurait essayé de retaper un écrivain rosse d'arriérée timidité. Deux
scènes sont, surtout, de très excellente venue théâtrale, celle dans
laquelle Rose Gharvey se fait violence pour quitter Jacques el celle où
les deux sacrifiés se retrouvent. Il est juste do dire qu'elles sont mises,
l'une et l'autre, en merveilleuse valeur par M"° Jane Thomsen. tout â
fait exquise d'émotion contenue et communicative. M. Louis Gauthier
lui donne juvénilement et ardemment la réplique. Le reste de la distri-
bution, plutôt grise, — est-ce la faute de l'auteur ? est-ce celle des
interprètes ? — met en avanl les noms de MM. Dieudonné, Séverin,
Tréville, de M""=' Saulaville, Suzanne Demay et Bignon, entre autres.
Pal'l-Émile Ghevaher.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU GR A N D - P A L A I S
(SiA'lèmr article.)
Chaque époque a ses modes pour l'ameublement, mais le résultat
est toujours le même. Il faut bien que les grandes surfaces à couvrir
soient couvertes et que les panneaux à garnir soient garnis : rien ne
saurait prévaloir contre cette nécessité architecturale. Jadis on y satis-
LE MÉNESTREL
171
faisait par l'emploi des grandes tapisseries décoratives, des amples et
majestueux Gobelins, des vastes et anecdotiques Beauvais ; aujourd'hui
les dernières manufactures de haute lisse ne servent plus guère qu'à
alimenter le protocole de cadeaux diplomatiques, d'étrennes pour sou-
verains amis ; mais aux tapisseries absentes et qui seraient trop coû-
teuses se substitue la simili-fresque de dimensions économiquement
gigantesques. C'est à ce point de vue qu'il convient de considérer une
toile aussi démesurément étendue que l'Enlèvemetil de l'Amour par les
sirènes de M. Lalire ; elle donne, grosso modo si j'ose ainsi parler, l'équi-
valent d'une tapisserie exécutée d'après des cartons de l'école deRubens.
Ces nymphes mafflues, d'un dessin correct et parfois élégant sous leur
boursouflure, cet Éros bouffi, aux chairs débordantes, tout ce groupe
adipeux fardé du plus riche vermillon rempliraient à merveille le fond
d'un hall d'hôtel fraîchement construit dans quelqu'un de nos quar-
tiers neufs; et malgré la vulgarité de certains accessoires, la conven-
tion des attributs classiques y donnerait une suffisante impression
d'art.
Même remarque pour la Phryné aux fêtes de Vénus de M. IjOuis Cha-
lon, épisode du culte de Cypris. Le vieux marcheur de M. Lavedan
n'hésiterait pas à la préférer, dans sa garçonnière du quartier Marbeuf,
aux meilleures reproductions par la tapisserie des cartons de Raphaël.
Ce n'est pourtant pas un chef-d'œuvre, le tableau de M. Chalon ; mais
il a des qualités décoratives, en dépit du coloris sans chatoiement et des
figures sans relief. Phryné s'apprête à aller prendre son bain, en cos-
tume Evaïque, dans le sein du flot qui vit surgir Aphrodite; elle tra-
verse, dans cet étal de nature, les rues d'Eleusis, aux acclamations des
peuples accourus pour la voir — ne doutez pas qu'on n'organisât des
trains de plaisir! — sans qu'aucune trace de pudit[ue incarnat
vienne roser la blonde harmonie d'un ensemble très académique. Le
peintre nous rappelle (dois-je avouer qu'il m'apprend?) l'origine de cette
cérémonie, dont on n'oserait plus donner l'équivalent même au bal des
Quat'-z-Arts. « Cette représentation de la naissance de Vénus se passait,
avant Phryné, dans la piscine du temple, et c'est pour l'avoir rendue
publique qu'elle fut accusée de dénaturer les cérémonies de la reli-
gion . )) Phryné en tenait pour la grande publicité et ne se contentait
pas d'une salle de répétition générale quand elle jouait Aphrodite. Nos
modernes théàtreuses ont hérité pour la plupart de cette préférence
explicable mais parfois dangereuse.
Si le personnage déjà nommé du répertoire de M. Lavedan voulait
donner un pendant à la pseudo-tapisserie de M. Chalon, il n'aurait
qu'à prendre la composition de M. Gervais : Fête en l'honneur de Bacchus
et d'Ariane :
Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée...
mais nous n'en sommes pas au mélancolique final de l'idylle. M. Ger-
vais nous montre au contraire le début, les accordailles. Rien d'intime
ni de discret. En leur qualité de personnages mythologiques, vivant au
grand plein air, dans l'ambiance la plus azurée, Ariane et Bacchus ne
sauraient se contenter d'un petit cercle d'assistants. La prêtresse, à
peine plus vêtue que Phryné, se fiance au jeune dieu dans un cirque
immense formé par la ceinture des collines qui s'étagent jusqu'au bord
de l'horizon; et sur ces gradins naturels est assemblée la foule innom-
brable des bacchants et des bacchantes en tenue hiératique. Cette
réunion fait la pige aux plus copieux défilés de nos mariages les plus
courus. Inutile d'ajouter qu'elle l'emporte par l'intérêt décoratif, sinon
par la variété des costumes généralement réduits à quelque bout de peau
de tigre, à quelque pan de draperie volante.
Plus sévère, et d'ailleurs destinée au grave encadrement architec-
tural du bâtiment de la Faculté de Droit de Paris, la vaste scène murale
où M. Abel Boyé a représenté Télémaque expliquant les lois de Minos,
en style de catalogue : « Devant les juges des peuples, gardes des lois,
Télémaque s'exprime selon le recueil des lois de Minos. » Traduction
libre : « l'élève Télémaque (institution Mentor) passe son premier
examen de droit ». La scène se passe en plein air, cocnme pour Ariane
et Phryné, mais avec un entourage moins suggestif. Le Tout-Eleusis
aux vêtements de pourpre, et 1 es Bacchantes sans costumes sont rem-
placés cette fois par d'austères vieillards installés sur des bancs de pierre
et qui déroulent de volumineux parchemins réprésentant le recueil
hypothétique des lois de Minos. En des poses assez heureusement
variées et qui font honneur à la science de composition de M. Abel
Boyé, ils travaillent à pousser des colles au malheureux candidat, vu
de dos par la galerie. Comme décor, un paysage assez réussi et que les
modernes impétrants préféreraient certainement à l'amphithéâtre gla-
cial de la Faculté : une vallée enserrée par de hautes montagnes dont
les derniers rayons du couchant empourprent la cime.
L'Adam et Eve chassés du paradis de M. Louis Bèroud, autre grande
toile, conviendraient plus particulièrement au hall d'un salon d'esthètes.
Ils y mettraient un dosage très britannique de lueurs vives et de fonds
bituminés. C'est d'ailleurs un bon dernier tableau de mélodrame bibli-
que. Aux éclairs du magnésium, le père-grand et la grand'mère de toute
l'humanité font leur entrée dans cette vallée de misères où il faut arro-
ser les pommie'rs de la sueur de son front pour avoir des pommes. Le
retour est interdit et — détail significatif — les fauves jadis apprivoisés,
■ les tigres doux comme des caniches avant le péché originel, montrent
les dents, aiguisent leurs griflés. C'en est fini de la paix edenique; en
route pour l'Ambigu. Composition inégale et tapageuse, au demeui'ant
d'un certain intérêt.
C'est dans une des grandes salles vides de la nouvelle Sorbonne, et
plus spécialement dans celle où l'on passe le baccalauréat, que je vou-
drais voir exposer le gigantesque envoi de M. Chartran qui représente
Richelieu et le père Joseph, l'Éminence grise, en conversation politique.
Rien ne répondrait mieux que cette peinture vide et creuse à l'histoire
toute conventionnelle du grand cardinal, telle qu'on l'enseigne dans les
collèges; rien ne serait en plus parfaite harmonie avec les racontars
des pamphlets devenus le texte ne varielur de l'enseignement officiel;
M. Chartran, dont le grand talent n'est pas en cause, et qui avait bien
le droit de se tromper sous les auspices de Paul Delaroche, semble avoir
pris à plaisir d'accumuler les poncifs, de multiplier les accessoires de
théâtre, de nous présenter deux fantoches aussi éloignés que possible de
la réalité humaine comme de la vraisemblance historique. Mais la
formule est commode pour les candidats, et le tableau de M. Chartran,
bien â plat sur un mur, leur rafraîchirait utilement la mémoire.
Voici encore une énorme surface employée au commentaire pictural
d'un thème cher à l'enseignement officiel, qui n'en a qu'à demi vérifié
l'exactitude : l'atrocité des Césars représentés par les historiens de l'op-
position (nous n'avons guère d'autres documents que leurs libelles)
comme des monstres â face humaine. M. Surand a feuilleté Suétone et
choisi pour donnée le passage où l'auteur des Douze Césars raconte un
des plus barbares caprices de Caligula : « Comme la viande coûtait trop
cher pour nourrir les animaux destinés aux spectacles, il les fit rassasier
de la chair des criminels et des esclaves qu'on leur donnait à déchirer
tout vivants ; et il marqua lui-même ceux qui leur devaient être livrés. »
M. Surand a choisi l'instant, éminemment dramatique mais difficile â
mettre en scène, fût-ce dans un autre Quo vadis? où les fauves font
irruption. Les bonds des tigres et des lions ne sont pas mal rendus ;
mieux encore la terreur des captifs atTaissés contre la muraille du cachot
ou s'accrochant aux grilles, pendant qu'une vieille femme, résignée sous
ses voiles de deuil, attend la suprême délivrance. Le Caligula, qui
assiste â la scène posté derrière les barreaux, est malheureusement d'une
anatomie douteuse et d'un médiocre intérêt. ,
Vous souvient-il de Balkis, reine de Saba, qui, aux temps bibliques,
quitta sa cour pour aller rendre visite au roi Salomon alors dans tout
l'épanouissement de sa gloire"? Gounod lui a donné l'immortalité musi-
cale; Flaubert lui a fait jouer un rôle de somptueuse comparse dans sa
féerie sans musique de la Tentation de saint Antoine. M. Rochegrosse,
toujours épris des prétextes à colorations éclatantes, â mise en scène de
cortèges de grand opéra, l'évoque à son tour pour en faire l'héroïne d'un
triptyque moyen, aux panneaux bien concordants. C'est d'abord la
reine, songeuse, hypnotisée â distance, les yeux noyés de langueur dans
une chambre de son palais aux muraiUes fleuries de pierres précieuses.
Elle rêve au roi-poète dont la renommée s'est répandue sur tout l'Orient.
Le deuxième volet nous montre l'arrivée de l'auguste voyageuse chez
Salomon, qui, en bon régisseur de son prestige, a sorti toutes les splen-
deurs de sa cour. Troisième panneau et conclusion de l'idylle : Balkis
et Salomon, enfin seuls, modulent un prélude au Cantique des canti-
ques sous le ciel diamanté d'étoiles. Rien de plus ingénieusement com-
posé que cet aimable triptyque, où s'affirme une fois de plus la souple
virtuosité de M. Rochegrosse.
De la légende merveilleuse de la reine de Saba et du roi Salomon,
sujet composite qui tient de la Bible et de la féerie, M. Bouguereau nous
ramène à une donnée plus simple, déjà traitée par des maîtres tels que
Prudhon : Zéphyr voltigeant sur l'eau dormante d'un lac et suspendu
aux branches d'un saule. La conception est classique ; elle fait naturel-
lement suite à l'œuvre du président de la Société des Artistes français ;
elle s'y encadre d'elle-même. Prudhoniens aussi, mais avec un arran-
gement tout personnel, un goût original mis en valeur par le métier le
plus sûr, Psijdté et l'Amour de M. Léon Comerre, une des compositions
les plus délicatement suggestives de la série allégorique, celle qui donne
dès â présent l'impression la plus nette du tableau de musée tout prêt
pour la cimaise du Luxembourg. Du regretté Jules Machard, artiste si
brillamment doué, dont l'exposition du quai Malaquais contenait plus
d'une œuvre remarquable et digne de survie parmi les concessions for-
cées à la mode du jour, un Réveil d'Éros de facture magistrale. Même
172
LE MÉNESTREL
sujet traité par M. Lenoir. Et voici encore un Amour endormi de
M. Georges Jouve, une Andromède de M. Pierre Dupiiis, une Léda de
M. Calbet, un Hylas de M. Lois-Pennroze, une AsLarté de M. Numa
Grillât, un Amour prisonnier des nymphes de M. Scalbert, le « Jour
mourant dans les bras de la Nuit » — quel Joli titre pour une gravure
en couleur du dix-huitième siècle! — de M. Léon Printemps.
Deux artistes appartenant au petit bataillon sacré des doyens méri-
tent une mention particulière pour leur incursion dans le domaine
allégorique. M. Alexandre Séon et M. Jean Paul Laurens. Ce dernier
expose un carton du plus beau caractère — carton de tapisserie, classé
comme tel â Tart décoratif, mais qui est bien réellement du grand art :
Hercule délivrant Hésione, et cet envoi consolera le public de son absten-
tion à la section de peinture, où il est représenté d'ailleurs par une bril-
lante lignée. Quant à M. Alexandre Séon, qui donne depuis tant d'années
le méritoire exemple d'un talent très pur mis au service d'une conviction
très haute, et dont la réputation, ignorée du vulgaire, est grande auprès
d'une élite àv délicats, son exposition est double. A la peinture il évo-
que « la Beauté » et une « Nymphe des bois » de style vraiment esthé-
tique ; il a envoyé aux dessins un pastel de Sphynge et une « Pureté » ,
remarquable couverture pour une revue artistique de Bucarest. Signa-
lons encore les deux Henner, si curieusement contrastés par un simple
hasard, n'eu doutez pas, car le vieux maître retiré dans sa tour d'ivoire
ne songe guère â frapper l'attention du public par une facile antithèse :
une étude de jeune femme rousse, en corsage noir, dont le profil se
détache sur un fond de fresque azuré, et sa classique femme nue aux
chairs argentées de lumière dans un paysage que pénètre lentement la
cendre grise du crépuscule,
(A suivre.) Caaulle Le Ssnne.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
^ o -UL r s o g; M. e
(Suite.)
vr
MUSIQUE D'ÉGLISE ET MUSIQUE DE VILLE
Au septième siècle vivait à Sens l'ermite Saint-Bond. Un jour que le
diable était venu le troubler pendant qu'il disait son office, il enleva le
fàcheiLx par les oreilles et le plongea dans un bénitier qui était près de
lui. Môme, pour s'assurer une trêve de quelque durée, il plaça son bré-
viaire sur son dos de façon à le faire rester dans son bain pendant plu-
sieurs jours... Le plaisant chroniqueur qui a conté celte aventure
affirme que rien n'était plus comique qae de voir la figure de ce démon
qui levait, le plus qu'il pouvait, ses grandes oreilles d'âne hors de l'eau;
car il craignait plus l'eau bénite que le feu de l'enfer.
Sens est donc flére d'avoir donné naissance au dicton : S'ai/iter comme
un diable dans un bénitier, comme elle est orgueilleuse, à juste titre, de
sa cathédrale et de la figurine de Jean du Cognot qui s'y trouve, de ses
tapisseries, de son manuscrit de la jo/we de l'Ane, de ses cloches et de
ses tambours.
De sa cathédrale nous n'avons pas <à parler, si ce n'est pour vanter la
musique qu'on y faisait. Alors qu'à Beaune le chant d'église était dans
son enfance et qu'à Auxerre le Chapitre en était réduit, aux jours
de fête, à faire cométer et chalemetler des ménestrels devant le corps de
N. S., en attendant qu'un de ses chanoines semi-prébendés, du nom
d'Edme Guillaume, le dotât du serpent, instrument de son invention,
qui révolutionna le monde musical, Sens possédait une maîtrise mo-
dèle dont la réputation éclipsait toutes celles de France :
« La métropole, dit Montalembert, ayant adopté le déchant, qui
était la musique du douzième siècle et des suivants, s'appliqua à en as-
surer l'exécution par tous les moyens possibles, et fit dresser des
nausiciens spéciaux pour vaincre sa rivale d'Orléans. La semaine de
Pâques on chantait les morceaux d'église sur une note plus élevée, ce
qui attirait force amateurs, donnait au chant un attrait tout particulier
et faisait dire que Sens donnait le ton à tous les autres Chapitres. «
Aussi les habitants de Sens étaient-ils surnonunés /i Chanteor, « a
cause de la culture savante donnée aux chantres de cette ville ». C'était
un vrai et rigide Conservatoire que la maitrise sénonnaise! Tout y était
réglé, spécifié, jusque dans les moindres détails :
« On doit, dit une Instruction, chanter les psaumes et les cantiques,
excepté le Marpiificat et le Benediclus, d'un ton moyen et égal, de sorte
que la dominante du premier psaume serve do règle pour tous les
autres, quoiqu'ils soient de dilîérents modes ou tous, et on y doit aussi
observer la pause. »
De même, tout était prévu dans la sonnerie des cloches : Tant de
coups ci, tant de coups là, piano, dolce, amoroso, fulgurante. Elle est
encore fort belle la sonnerie de Sens, mais, par économie, parait-il, on
ne lui donne son franc essor qu'à de rarissimes intervalles. Le reste du
temps on dirait d'une pauvre église paroissiale. Le bourdon a pourtant
un son magnifique. Mais voilà, disent les Sénonnais, « nos cloches por-
tent le deuil de Marie ».
Marie, c'était la cloche qui, dès les premiers siècles, annonçait au
peuple, du haut de la tour de Plomb, les offices et les événements heu-
reux ou néfastes. En 613 Clolaire II, roi de Soissons, voulant s'emparer
des états de Thierry II, roi de Bourgogne, qui venait de mourir, dirigea
sur Sens une armée considéralile. A son approche l'évéquc Saint-Loup
fit sonner jV«7'/(' pour appeler les fidèles, qui vinrent se mettre en prières
avec lui. Le son de la cloche, tout nouveau pour l'ennemi, l'épouvanta,
et il prit la fuite. Clotaire, cependant, s'empara de Sens, et son premier
soin fut de faire enlever la délinquante, pour la transporter à Paris.
Mais là. ô miracle! Marie devint tout à fait muette. "Voyant qu'il n'en
pouvait tirer aucun parti, le roi la renvoya à Sens. Elle y parvint, ma-
gnifique comme avant, car à Pont-sur-Yonne déjà elle avait recouvré
sa voix.
Bien d'autres fois 3Iarie soutint sa réputation de cloche surnaturelle.
Un jour d'alarme elle se mit à sonner d'elle-même pour rassembler la
population, et souvent elle indiquait, avant qu'on la mit en branle,
par un frémissement accompagne d'une sorte de bruissement métal-
lique, qu'un incendie ou une émeute venait de se déclarer dans la ville.
A l'entrée d'Henri IV Marie fit grand vacarme, pour remplacer le
canon, qui manquait. Le roi s'était aperçu de cette lacune et s'en était
montré surpris, d'autant qu'on lui avait affirmé précédemment que le
Conseil de Ville avait fait tirer le canon sur les troupes royales. Ques-
tionné à ce sujet, le premier échevin se récria bien fort et se fit fort
d'établir par dix-neuf bons arguments la fausseté de l'accusation. Il les
développa l'un après l'autre, consciencieusement... Le dix-neuvième
était que Sens ne possédait point de canon.
— Vous pouviez commencer par là et vous dispenser du reste, dit en
souriant le roi Henri, qui avait écouté patiemment tout le discours du
bonhomme.
Marie se fêla au champ d'honneur, en 1792, dans une sonnerie pour
l'appel des électeurs. Deux ans plus tard elle fut descendue de sa tour,,
avec les sept compagnes qui. tant de siècles durant, n'avaient cessé de
lui prêter assistance, pour faire le voyage de Paris, où toute la belle
sonnerie de Sens fut convertie en sous de billon.
Avec Marie disparurent bien des coutumes, bien des fêtes auxquelles
elle avait présidé. La procession de Saint-Èlernon fut surtout regrettée
des Sénonnais. Saint-Éternon, qui n'est autre que Saint-Arnould, était,
nous apprend le moine Cardoni dans sa Vie des Saints, né dans le dio-
cèse de Sens. Il avait fait le pèlerinage de Rome, où il épousa une
femme très jolie, mais aussi très légère. Le mari supporta son sort avec
patience et résignation, et sa dévotion devint si exemplaire qu'il fut
canonisé dans la suite. Louis-le-6ros, ajoute notre auteur, fut le pre-
mier qui fit célébrer la commémoration de Saint-Éternon. Elle eut lieu
à Villeneuve-le-Roi, d'où elle .se répandit dans tout le diocèse.
A Sens elle donnait lieu à des fêtes extraordinaires, qui succédaient
à la procession solennelle à laquelle prenaient part le sérénissime arche-
vêque, primat des Gaules, et tout le Chapitre, en grand habit de gala.
Aussitôt le clergé rentré à la cathédrale, les hommes se répandaient en
différentes auberges, où ils soupaient, les hommes mariés dans les unes,
les célibataires dans les autres. Après le repas les garçons portaient en
triomphe, en plusieurs cortèges, par les rues bondées d'une foule joyeuse,
une corne de cerf illuminée et parée de fleurs et de rubans, qu'ils allaient
offrir aux maris, encore à table. Ceux-ci, loin de se fâcher, accueillaient
avec empressement leurs visiteurs et leur présentaient une corne de
bœuf garnie d'argent, servant de gobelet, en les invitant à boire avec
eux, en qualité de membres futurs de la grande confrérie do Saint-
Éternon. Puis, à chaque table, le dernier marié se levait et plaçait la
ramure, flamboyante de lumière, sur sa tête. 11 sortait ainsi, deux gars,
places il ses côtés, soutenant cet échafaudage. En route la foule les
acclamait, les applaudissait. Les lazzis allaient leur train. Puis, le
convoi général se formait. A la lueur rouge des torches, aux feux do
couleur des lanternes, et finalement les cortèges se soudant l'un à
l'autre, la promenade, la par-tie, comme on dit en Bourgogne, et riiêmei
â Sens, qui était en Champagne, mais dont les affinités avec la Bour-
gogne furent si grandes que nous avons cru devoir l'y admettre, se dé-
roulait, éclairée a i;'.u éblouir le ciel lui-même, à travers les méandres
de la cité. Finalement on s'arrêtait devant la cathédrale, et les jeunes
épouses venaient baiser dévotement les cornes de leurs maris. Le tout
se terminait par un bal en plein air.
Le mercredi des cendres, c'était l'enterrement de Crrijoire. c'est-à-dire
LE MÉNESTREL
173
du Carnaval, auquel le clei'gé prenait part, malgré la bouffûunerie qui
présidait à la cérémonie. Tout d'abord les jeunes gens, vêtus d'une
chemise de femme et portant un bonnet de coton, parcouraient la ville,
un soufflet à la maiu, en chantant :
Nous vendons des prières;
Soufflons, souillons, mordieu ;
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu .
La marche, d'abord paisible, s'animait. Puis, le délire naissant, les
coureurs pénétraient dans les maisons, parcouraient toutes les chambres
et sortaient en file indienne par la môme fenêtre, « car il est de prin-
cipe que là où le premier a passé, tous doivent passer à leur tour ».
Ensuite, la foule promenait le « carnaval à l'agonie », le suivait jusqu'à
l'église et l'attendait, à sa sortie, sur le parvis, où il était ardé ou tué à
coups de fusil.
A Chàlon quatre hommes étendaient Grégoire dans le chœur de la
cathédrale, sur la pierre où l'on déposait habituellement les corps des
chanoines, lors de leurs obsèques; et devant ce fantôme en paille, re-
vêtu d'habits lugubres, le prêtre, en présence de Monscignem' et de son
clergé, célébrait une messe de Requiem qui ne dilférait du service ordi-
naire des morts que par quelques petites particularités dans la forme.
Ainsi, l'officiant portait la chasuble à l'envers, avec l'étole derrière le
dos, ainsi que ses diacres et sous-diacres, et les chanoines, vêtus de
longues robes noires, avaient le visage recouvert d'un voile. Un unique
cierge éclairait ce funèbre appareil; il servait, après la cérémonie, à
mettre le feu au bûcher sur lequel on brûlait le mannequin. A Avallon,
au siècle dernier encore, les prêtres marchaient en procession derrière
le fantôme de Carême-prenant, comme à un véritable convoi, et s'arrê-
taient, suivant l'usage en ces occasions, à toutes les auberges sur la
route, pour se réconforter à l'aide d'un bon cordial de vin blanc. A
ChabUs les choses se passaient plus gaiment : l'autodafé avait lieu le
soir, à la suite d'une partie illuminée, et, pour le bouquet, des entrailles
de Grégoire s'élevait un brillant feu d'artifice. A Sens, c'était du délire.
Aussitôt la cérémonie religieuse finie les tambours, jusque-là recou-
verts de crêpe, recommençaient à résonner, clairs et vibrants, dans les
rues et sur les places, en tous endroits, et la joie revenait au cœur des
habitants.
C'est que, sans tambours, Sens n'est plus Sens. Ses tambours, c'est
son âme, c'est sa vie, et les Sénonnais se font gloire de pouvoir, au pied
levé, fournir de lapins loute l'armée française. Autrefois ils formaient
une puissante confrérie dont le siège était dans la rue qui s'appelle
encore Rue du Tambour. A la moindre fête religieuse, populaire ou
intime, c'était une levée de caisses à faire trembler les vitres des mai-
sons. Le soir, elles couvraient le bruit des orchestres, et longtemps
encore après que Marie avait sonné le couvre-feu, les ran ran et les
fia fia remplissaient les airs, au grand désespoir du veilleur de nuit,
qui ne parvenait pas à faire entendre son cri lamentable :
Réveillez-vous, gens qui dormez,
El priez pour les trépassés . . .
et surtout sa variante finale :
Réveillez-vous, gens qui dormez,
Prenez vos femmes, embrassez-les.
(A suivre.)
Edmond Neukomm.
NOUA^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
A l'Opéra royal de Dresde ou vient de jouer -pour la première fois
l'opéra depuis longtemps attendu, Maiiru, paroles de M. Alfred Nossig, mu-
sique de M..J.-J. Paderewski. Le directeur général delà musique, M. de Schuch,
dirigeait en personne la première et avait consacré à la nouvelle œuvre une
distribution et une mise en scène des plus brillantes. Le succès a dépassé
toute attente; le compositeur a été rappelé plusieurs fois après chaque acte.
— L'Opéra royal de Berlin vient de jouer avec un succès énorme la Fille
de mmliime Aiiyol, de Charles Leoocq, après l'avoir baptisée du titre de Mnm'zrl/r
Aurjot tout couit et lui avoir conféré le titre d'opéra-comiquo. Baplisu h/ rurpidii
avait déjà dit le brave Gorenfiot en mangeant, le vendredi-saint, une pou-
larde succulente. Il est vrai que « les os de la carpe » n'ont pas dû beaucoup
gêner les Berlinois, car la fameuse partition de Lecocq est plus Une et plus
musicale que maint opéra-comique allemand, et quant à la pièce, si amusante,
on peut dire vraiment « qu'ils n'en ont pas comme cela de l'autre coté du
Rhin ». Inutile d'ajouter que la traduction allemande avait soigneusement
éliminé du livret les expressions et les mots qui auraient pu choquer les
spectateurs les plus rigoureu.\ de l'Opéra royal. Une surpriseleur était cepen-
dant réservée : les artistes de l'Opéra, les mêmes qui chantent les Siegfried,
les Valkyries et les Eva, ont chanté et joué l'opérette comme s'ils n'avaient
jamais fait que cela toute leur vie. Citons surtout M™' Goetze (M"= Lange) et
Mme Herzog (Clairette). Les journaux de Berlin sont très fiers de ce succès et
disent que l'opérette de Lecocq n'a jamais eu d'interprètes doués de voix
aussi magnifiques.
— C'est le 8 et le 9 juin qu'auront lieu àZwickau, ville natale de Schu-
mann, les fêtes pour l'inauguration du monument élevé à la mémoire du
maitre. On y exécutera, entre autres, son grand poème lyrique le Paradis et
la Pvri. L'orchestre sera formé de trente artistes de la ville auxquels s'en
joindront trente-six autres venus de Leipzig, Berlin, Dresde, Ghemaitz,
Wiesbade et Munich. Les cuivres seront les meilleurs de l'orchestrti du
Gewandhaus de Leipzig. Parmi les solistes on signale les membres des qua-
tuors Pétri et Joachim.
— On vient de publiera Bayreutble programme des représentations de cette
année. Nous avons déjà donné la liste des ouvrages qui seront joués, avec
les dates respectives. Ajoutons que l'orchestre sera dirigé par MM. Haas
Richter, MottI, Muck (Berlin) et Siegfried Wagner. La régie générale est
confiée, comme auparavant, à M. Jules Kniese. En dehors des artistes qui
ont déjà joué à Bayreuth les années précédentes, on a engagé M""î» Marie
Wittig (Kundry), Destinn (Senta) et Verhunk(Freya)etMM.Bertram(Wotan),
Blass et Knûpfer (Gurnemanz). Le chef machiniste et plusieurs artistes sont
déjà arrivés à Bayreuth, ainsi que deux des dix répéUteurs qui doivent tra-
vailler avec les solistes. Parmi eux se trouve aussi le gendre de M'"» Wagner,
le chef d'orchestre Franz Beidler. Tout annonce une saison fort brillante au
théâtre de Bayreuth. qui célébrera le 25" anniversaire de son e.xistence.
— M. Hermann Zumpe, le nouveau chef d'orchestre du théâtre royal de
Munich, a inauguré sa direction le 8 mai par une représentation de Lohengrin.
Le choix de cet ouvrage, après lequel il a dirigé, huit jours après, les Maiires
chanteurs de Nureinberej, indique les tendances du nouveau kapellmeister. Né
le 9 avril 1850 à Oppach, en Saxe, M. Hermann Zumpe. qui fut d'abord maître
d'école, est un des rares élèves de Wagner qui l'aidèrent à Bayreuth, de
•1873 à 1876, dans la préparation des études du cycle de l'Anneau du Xibelung.
On assure que son engagement promet la rénovation de la gloire musicale de
Munich, qui a quelque peu périclité dans ces dernières années. M. Zumpe,
qui a été longtemps chef d'orchestre des concerts Kaim, qu'il quitta pour
remplir les mêmes fonctions à Sohwerin, a été l'objet de bruyantes ovations.
— Brillante reprise à l'Opéra impérial de Vienne de la Manon de Massenet,
avec M™ Saville; le nouveau ténor M. Slezak et M. Frauscher, qui chantaient
pour la première fois les rôles de des Grieux père et fils, ont eu aussi un
grand succès.
— M. Mahler, directeur de l'Opéra impérial de Vienne, ayant formellement
décliné sa réélection comme chef de l'orchestre philharmonique de cette ville,
a été remplacé par M. Joseph Hellmesberger, chef d'orchestre de l'Opéra
impérial.
— I/opéra Obéron vient d'arriver à sa cinquantième représentation dans la
version nouvelle commandée par Guillaume II et dont nous avons déjà parlé
l'année passée. A cette occasion un enthousiaste a fait remettre, corain publico,
une énorme couronne de lauriers au chef d'orchestre, M. Schlar ; sur un
large ruban le public a pu lire, non sans stupéfaction, les mots : « Au
compositeur de génie. » Eh bien! et Weber? qu'est-ce qu'on en fait?
— De Budapest : Cette semaine a eu lieu, au Théâtre royal de Budapest,
une reprise sensationnelle de Lalinié, le ravissant ouvrage du regretté Delibes.
C'est avec un luxe extraordinaire que la direction a tenu à remonter le chef-
d'œuvre du charmant compositeur français. M""" Sigrid Arnoldson, qui
donne actuellement une série de représentations extraordinaires au Théâtre
royal de l'Opéra, a chanté le rôle de Lakmé en franeais et y a obtenu uu
succès enthousiaste. Le public lui a fait bisser plusieurs morceaux et l'a
rappelée plus de quarante fois au courant de la soirée. Depuis M™ Adelina
Patti, enthousiasme pareil ne s'est pas vu ici. La salle a été louée d'avance
pour plusieurs jours.
— Un procès curieux va être plaidé à Salzbourg au sujet du crâne de
Mozart. Le célèbre anatomiste Hyrtl. qui le possédait depuis fort longtemps,
— il en était absolument convaincu — avait déclaré dans son testament que
ce crâne illustre devrait être rendu à la ville natale du célèbre musicien. La
ville de Salzbourg exige donc que ce glorieux débris lui soit délivré, tandis
que le Moznrteum de la méihe ville (musée dédié à la mémoire du grand
musicien) élève la même prétention. Quant à l'objet du procès, son authen-
ticité n'est pas tout à fait hors de doute. Hyrtl avait reçu ce crâne de son
frère Jacques, qui l'avait sauvé au moment où le tombeau de Mozart avait
été ouvert. Le fossoyeur l'avait presque brisé. Ceci se passait bon nombre
d'années après la mort de Mozart, et si l'on se rappelle dans quelles
circonstances Mozart fut enterré et comme peu de temps après sa mort le
lieu de sa sépulture n'était même plus connu exactement, on est en droit de
se demander si c'est bien véritablement le crâne de Mozart autour duquel se
livre toute cette discussion. Comme pour tant d'autres reliques, c'est la foi
qui sauve.
174
LE MENESTREL
— Le théâtre grand-ducal de Weimar prépar? la première représentation
d'un opéra inédit intitulé Manfrnl musique de M. H. de Bronsart. L'affiche
sera complétée par le Départ, le charmant opéra-comique que M. Eugène
d'Albert a déjà fait jouer avec beaucoup de succès sur plusieurs scènes alle-
mandes.
— M. Max Abraham, le chef défunt de la maison d'édition Peters de
Leipzig, a légué une somme de SOO.OOO francs à la Bibliolhèquc de musique Peters
qu'il avait fondée et déjà largement dotée. Cette nouvelle donation assure à
tout jamais l'esistence de cette institution fort utile.
— A Cologne aura lieu un concours international d'orphéons entre les 4
et 6 août de cette année. On attend plus de trois mille chanteurs. Les prix
sont fort nombreux et comportent quatre classes différentes : •). Classe d'hon-
neur (internationale). 2. Première classe (internationale). 3. Deuxième classe
(Allemande). 4. Troisième classe (Allemande). On a déjà choisi les œuvres
qui seront chantées au concours.
— On continue à discourir à Milan de la prochaine saison de la Scala. On
croit qu'elle sera basée sm-tout sur la première représentation du Néi-on de
M. Boito, dont, ainsi que nous l'avons dit, l'auteur vient de publier le livret.
Sera-t-il joué, ne sera-t-il pas joué, cet opéra qu'on attend avec impatience
depuis trente-quatre ans? On l'espère: cependant il parait que M. Boito n'a
pas dit encore son dernier mot. On donnera ensuite tu Viill.iirie. Liialti di
Chamounix, qui n'est pas absolument une nouveauté, Hâiiscl et Grelet et un
Ballo in maselwra. On parle aussi d'un opéra nouveau de M. I-'ioridia. Parmi
les artistes réengagés sont la signera Pinto, le ténor Caruso et M. Magini-
Coletli. On cite comme nouvellement engagés ^V""^ Dardée, Uffreduzzi et
Lavin, le baryton Sammarco et le bouffe A. Rossi.
— Notre confrère le Trovatore réclame avec raison contre un tapsus qui nous
est échappé récemment. Ce n'est point en effet, comme nous l'avons dit, la
Ga:zetta musicale, mais le Trovatore lui-même, qui publie une revue musicale
chronologique du dernier siècle, à laquelle nous avons emprunté les détails,
intéressants par leur précision, relatifs aux opéras de Rossini. Nous conti-
nuons aujourd'hui nos emprunts à la suite de son travail, en enregistrant les
premières représentations des ouvrages suivants. — 7 janvier 1812, au théâtre
San Moisè de Venise, l'Inganno feliee, « farsa», libretto deFoppa; interprètes,
Morelli, Galli, Rafanelli, M^^ Teresa Belloc; 14 mars, au théâtre communal
de Ferrare, Ciro i)i Babilonia, ossia la Caduta di Baldassare, oratorio, poésie
d'Aventi, exécuté par Eliodoro Blanchi et Layner, la Marcolini et la Manfre-
dini ; 26 septembre, à la Scala de Milan, la Pietra del paraijone, opéra bouffe,
libretlo de Romanelli; interprètes, Bonoldi, Galli, Parlamsgni, Vasoli et la
Marcolini: le succès est tel qu'on en donne 33 représentations. 6 février 1813,
à la Fenice de Venise, Tancredi, « opéra séria », libretto de Rossi ; interprètes,
Todran, Luciano Blanchi, la Malanotte et la Manfredini; 22 mai, au théâtre
San Benedetto de Venise, l'Italiana in Algeri, opéra bouffe, libretto d'Anelli;
interprètes, Gentili, Galli, Rosich et la Marcolini ; 6 j uillet. au théâtre Carcano
de Milan, Dtmetrio e Polibio, cantate, exécutée par la compagnie Mombelli,
c'est-à-dire Mombelli père et ses deux tilles Maria-Ester et Anna; 26 décem-
bre, pour l'inauguration de la saison à la Scala de Milan, Aureliano in Pal-
mira, « opéra séria », libretto de Feliee Romani (c'était le premier de ce
poète, qui en écrivit plus de cent); exécution faible de la part de Velluti,
Mari, Botticelli et de la Gorrea.
— Il y a donc encore de vieux violons en Italie, malgré l'ardeur avec
laquelle ce pays a été exploré et exploité sous ce rapport? Nos confrères de
là-bas nous apportent ce petit récit. LTn artiste de l'orchestre du théâtre de
la Scala, nommé Righetti, se rendait il y a quelques jours, avec un de ses
camarades, de Milan à Monza en tram électrique. En cours de route le tram
éprouva un accident qui l'obligea à s'arrêter dans un endroit inhabité. La
réparation n'était ni prompte ni facile, et exigeait un certain temps. Au lieu
d'attendre sans savoir que faire, nos deux amis entreprirent une petite pro-
menade dans les environs et s'arrêtèrent, pour se rafraîchir, dans une petite
auberge de campagne. Là, tout en causant, M. Righetti avisa, pendu à un
clou, un vieux violon, sale et couvert de poussière. Il le regarda, fut séduit
par sa forme et demanda à l'acheter, ce à quoi l'aubergiste consentit. Le
marché fut bientôt conclu, et pour quelques francs l'acquéreur partit avec
. l'instrument. De retour chez lui, M. Righetti se mit en devoir de nettoyer le
violon, et quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu'il l'eut débarrassé de sa couche
de crasse, de pouvoir lire sur l'étiquette intérieure, cette inscription qui le
combla de joie : Guaruerius, 'I7S3! C'était bien en effet un Guarnerius très
authentique, dont la valeur se monte à un certain nombre de milliers de
francs. D'oii il suit qu'il ne faut pas hésiter à acheter un vieux violon, quand
on le rencontre dans une auberge de campagne.
— La chaire et le théâtre. C'est le Trovatore qui nous apporte l'anecdote
que voici. « Un incident très curieux, dit ce journal, s'est produit ces jours
derniers à Milan. Dans l'église de San Carlo prêchait un prêtre fougueux et
batailleur, qui ne recule pas devant la polémique et la discussion. Un de ces
soirs derniers il eut des paroles très vives contre les danseuses, et le hasard
voulut que parmi ses iidèles auditrices se trouvât justement une dame qui
fut une ballerine célèbre, Claudina Cucchi, aujourd'hui veuve du baron Zeni.
Cette dame, offensée d'ime telle attaque, adressa aux journaux une lettre de
protestation contre les affirmations du prêtre et de défense pour la gracieuse
classe des danseuses. La lettre était écrite avec grâce et avec esprit. Le jour
suivant, le prêtre ne crut pas devoir passer sous silence cette contre-attaque,
encore, dit-il, qu'elle provînt d'une dame, et voulut expliquer sa pensée, en
affirmant que jamais il n'avait entendu porter atteinte à l'honorabilité de
toute une catégorie de personnes, et qu'il avait seulement déploré que beau-
coup d'hommes qui ne s'inclinaient pas devant le Christ ne rougissaient
pourtant pas de s'agenouiller devant une danseuse. » Et le combat finit faute
de combattants. Nous devons à cette historiette le souvenir d'une artiste
aimable que Paris a connue naguère et qui y obtint quelques succès il y a
près d'un demi-siècle. M"° Claudina Cucchi, née à Milan en 182S, élève de
l'école de danse de la Scala. débuta avec succès à ce théâtre en 18ol, et en
ISbS fut engagée à notre Opéra, où elle francisa la forme de son nom sans en
altérer la prononciation, en l'écrivant Couqui. M"' Couqui parut d'abord dans
le divertissement des Yipres sieiliennes, -(mis créa deux rôles dans deux ballets,
les Elfes, du comte Gabrielli, et le Corsaire, le dernier ouvrage en ce genre
d'Adolphe Adam. Après deux années passées à l'Opéra. M'" Couqui partit
pour l'étranger, et obtint surtout de véritables triomphes à Vienne et à Berlin.
On a vu. par le récit qui précède, que, comme tant de danseuses et de can-
tatrices, elle devint grande dame et entra dans la noblesse par le mariage. On
avu aussi qu'elle ne rougit pas de son ancienne profession, et qu'à l'occasion
elle prend la défense de la corporation.
— Au théâtre de La Fenice de Sinigaliia (province d'Ancone) vient d'être
apposée une plaque commémorative en l'honneur de Verdi, qui y a dirigé
personnellement les représentations de son opéra / Lombardi. A cette occa-
sion M. Mascagni a prononcé le discours officiel en présence du sous-secré-
taire d'État du ministère de l'instruction publique et des beaux-arts.
— A Londres, jeudi dernier, a eu lieu à Covent-Garden la première repré-
sentation du nouvel opéra Beaucoup de bruit pour rien, musique de M. Villiers
Stanford, dont l'exécution était dirigée par M. Mancinelli. Excellente distri-
bution avec M""'* Suzanne Adams et Brema, MM. Plançon, Blass, Coates et
Bispham. Brillant succès, surtout pour les deux premiers actes.
— M. Jan Kubelik, le jeune violoniste, qui se produit en ce moment à
Londres avec un succès énorme, vient de recevoir un joli cadeau. M"'» Pal-
mer, une dame richissime, d'origine américaine, lui a envoj'é un violon de
Stradivarius qu'elle avait payé 2.000 livres, soit SO.OOO francs !
— Le musicographe J.-S. Shedlock vient d'avoir la bonne fortune de retrou-
ver la partition de l'opéra la Beiiie des fées, œuvre célèbre de Purcell qu'on
croyait perdue depuis deux cents ans. Déjà, en 1701, la London Gazette avait
publié une annonce offrant, de la part du théâtre de Covent-Garden, une
prime de b2S francs à celui qui rapporterait au théâtre cette partition. La
prime ne fut gagnée par personne, et cependant la partition n'était pas per-
due. Elle se trouvait tout simplement depuis 1837 à la Bibliothèque de l'Aca-
démie royale de musique de Londres, à laquelle le compositeur R.-J. Stevens
l'avait léguée avec un lot de musique, sans que les conservateurs de cette
bibliothèque eussent jamais pensé à la « découvrir ï ; personne ne s'était
donné la peine de dresser le catalogue du legs en question. On croit qu'une
partie de la partition est écrite de la main même de Purcell.
— Les journaux anglais annoncent le prochain début, à Londres, d'un
jeune ténor qui porte un nom cher aux amateurs de l'art du chant. Ce jeune
chanteur, nouveau venu dans la carrière artistique, n'est autre en effet,
parait-il, que le frère de M™° Nellie Melba, la célèbre cantatrice. On ne peut
que lui souhaiter la voix, le talent et les succès de sa sœur.
— On vient de vendre à Londres, à des prix fort élevés, une collection de
violons et violoncelles dont plusieurs avaient appartenu à Sir Arthur Sulli-
van. Un violon attribué à Antonio Stradivarius, daté de Crémone 1692, a été
poussé jusqu'à IS.OOO francs; un autre du même, daté de 1714, avec sa
boite, a atteint le prix de 14.500 francs. Un violon de J.-B. Guadagnini de
Turin, daté de 1780, avec sa boite, a été vendu 6.S00 francs : un violoncelle
de Guarnerius daté de 1719 a été payé 4. SOU francs. Un violon de F. Ruggeri
daté de 1684 n'a été poussé que jusqu'à 1.4S0 francs et un violon de Nicqlas
Amati que jusqu'à l.bOO francs. Un archet de F. Tourte a été adjugé
375 francs.
— Pour pouvoir jouer d'un orgue de Barbarie dans les rues do New-York
il faut obtenir une autorisation spéciale, que l'administration de la ville
n'accorde pas facilement. On compte cependant actuellement trois cents con-
cessions, ce qui n'est pas peu, même pour une ville aussi vaste que New-
York. La plupart des titulaires pour ces concessions sont des Italiens ; ils
gagnent en moyenne 23 francs par jour, car dans les rues populaires de
New-York les amateurs généreux de cette musique ne sont pas rares.
— Le World de New-York publie une statistique des théâtres et cafés-con-
certs de cette ville, de laquelle il résulte que la métropole américaine est
sous ce rapport la première du monde. En effet, tandis que Londres offre
chaque soir au public 120.930 places assises dans ses lieux de plaisir et Paris
seulement 82.331 (voilà de la précision), le nombre des places assises dans
les diverses salles de spectacle de New-York s'élève à 123.793. Néanmoins
Londres surpasse New-York pour le nombre des théâtres, car elle en compte
39 contre 31, taudis que Paris n'en possède que 24. Ajoutons que le théâtre
de l'Opéra de New-York contient 3.549 places, la salle du Grand Central-
Palace 8.O0O, et la salle de concert de Madison Square 9.000. Ces Américains
sont gigantesques en tout.
LE MENESTREL
175
— Les journaux américains racontentrexploitsingulierd'uneartiste connue,
M™ Jessie Bartlett Davis. Elle devait chanter à Buffalo deux nouvelles mé-
lodies qu'un éditeur de Chicago lui avait envoyées, mais n'ayant pas reçu
cette musique la veille de son concert, elle demanda par téléphone à l'éditeur
de faire chanter les mélodies dans sou magasin, afin qu'elle put par ce moyen
les étudier sans musique. Après une répétition qui ne dura pas moins de
deux heures et demie, la chanteuse et son accompagnateur savaient par
cœur les nouvelles mélodies, et l'artiste remporta un hrillant succès. La
location du téléphone entre Buffalo et Chicago avait coûté 125 dollars, soit
62b francs, mais la chanteuse avait gagné un cachet supérieur à cette somme
et... une fameuse réclame par-dessus le marché.
— Encore une excentricité américaine. On vient de former à New-York,
sous le nom de New-York Boy's Symphony Orchestra, un orchestre entièrement
composé d'enfants et de tout jeunes gens. Il y en a de toutes les nationali-
tés, mais surtout des Italiens. Le chef de cet orchestre s'appelle Pinto et est
âgé de 18 ans. Il a commencé fort jeune à étudier la musique et a acquis
une grande hahileté sur la harpe, mais on le dit capable de jouer de tous
les instruments. Le maitre de concert et violon solo a nom Nicola G-aragusi et
ne compte encore que onze ans quoique son talent soit, parait-il, remarqua-
ble. Le violoncelle-solo s'appelle William Fedder. Le plus jeune soliste est
Nathan Schildkrant; il se distingue sur la clarinette, et, comme il n'a que
neuf ans, son instrument est presque aussi grand que lui. Un autre « vail-
lant » soliste, Francis Sabatino, qui n'a que quatorze ans, exécute sans broncher
les morceaux les plus difficiles de Paganini. Gomme flûte-solo on nomme
Giuseppe Giaramella, âgé de seize ans, élève du Conservatoire de Home, et
le cornet solo, Capodiferro, se montre si habile qu'il y a peu de temps on le
demandait comme soliste pour la bande Rossa. Enfin, le plus vieux de tous
est le premier alto, Nicola Briglia. Si avec tout cela l'entrepreneur ne fait pas
fortune, c'est que les Américains manqueront à toutes leurs traditions.
— Les journaux américains nous apprennent que l'on construit en ce
moment à Chicago un nouveau théâtre exclusivement destiné à des repré-
sentations d'acteurs nègres. Ils ajoutent que l'inauguration de ce théâtre se
fera avec un spectacle composé de VHamlel de Shakespeare. Mais alors, la
blonde Ophélie paraîtra sous les espèces d'une amoureuse au teint... bronzé,
avec des cheveux crépus !
— Le théâtre municipal de Santiago de Chili s'est donné le luxe d'un opéra
inédit. Il a offert à son public la première représentation de la Salinara, opéra
italien entrois actes, dont la musique est due à M. Domeuico Brescia, direc-
teur du Conservatoire de Santiago. Il va sans dire que le public a fait un
accueil chaleureux à cet ouvrage.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a renvoyé à l'exa-
men de la section de composition musicale l'avis suivant, que le ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts lui transmet relativement à la parti-
tion d'un ancien pensionnaire que, suivant son cahier des charges, le direc-
teur de l'Opéra est tenu d'exécuter :
Il serait, dit le ministre, préférable de jouer moins souvent des œuvres des peosio n-
aaires musiciens de Rome, mais de les Jouer dans de meilleures conditions.
Au lieu d'un petit ouvi-age en un, deux ou trois actes imposé tous les deux ans à la
direction de l'Opéra, il vaudrait mieux inscrire dans le cahier des charges l'obligation de
jouer, tous les trois ans, un grand ouvrage eu quatre ou cinq actes. Cette modification
aurait un double avantage. Tout d'abord elle éviterait les inconvénients d'un spectacle
coupé ; la représentation de l'œuvre se suiiïrait à elle-même sans qu'il fût nécessaire d'y
ajouter celle d'un ballet. D'autre part, elle encouragerait la direction de l'Opéra à donner
à cette représentation toute l'importance et tout l'éclat désirables.
— Voici les principaux résultats du tirage de la loterie des artistes. Les
deux numéros qui suivent gagnent chacun 100.000 francs :
301173 S079S7
Les 50 numéros suivants gagnent chacun 1,000 francs :
101S234 217777 703891 1017159 1417434
119121 375709 1424275 1414262 281360
323360 524285 273673 S10200 3Ô6S82
680961 624640 920252 1517024 19397
381756 1273960 171953 1472674 1125149
10380U4 493576 1599984 412567 182077
1588064 276849 1583471 727167 1538972
1153958 281685 347054 653996 701160
413126 11*1188 766848 512967 402982
535925 712637 1043141 423693 314384
Cent autres numéros gagnent chacun .500 francs et les 500 derniers numé-
ros chacun 100 francs.
— L'Association syndicale professionnelle de la Critique a tenu hier son
assemblée générale annuelle, salle Pleyel, sous la présidence de M. Catulle
Mondes, président sortant. L'Assemblée a entendu le rapport du secrétaire,
M. Maxime Vitu, et celui du trésorier, M. Edmond Théry, qui a constaté
l'existence en caisse d'une somme de 30.000 francs. On a procédé ensuite à
la réélection du bureau. M. Adolphe Aderer a été élu président. Pour les
vice-présidents, il a fallu procéder à deux tours de scrutins, M. Camille
Le Senne a été seul élu vice-président dramatique au premier tour, M. Albert
Soubies lui a été adjoint, au second tour, comme vice-président musical.
Ont été nommés : secrétaire, M. Maxime Vitu; archiviste, M. Edmond
Stoullig , — Six candidatures étaient proposées pour le sociétariat, entre
autres celle de la rédactrice musicale d'un journal féministe. Il n'y a eu de
majorité que pour MM. Lalo et Richard O'Mouroy, Tous les autres candidats
ont été ajournés.
— Petites nouvelles de l'Opéra-Gomique : on a lu cette semaine aux artistes
la partition du Légalaire universel, opéra-comique en trois actes, d'après la
comédie de Regnard, musique de M. Georges Pfeiffer. Les interprètes dési-
gnés sont MM. Jean Périer, Grivot, Cazeneuve, M^'s de Craponne, Pierron
et Eyreams, La comédie de Regnard a été arrangée en livret d'opéra-comique
par MM. Adenis et Bonnemère. Cet ouvrage va entrer immédiatement en
répétition, pour être donné au courant du mois de juin, — Cette semaine
aussi, au studio da l'Opéra-Comique, lecture, par M. Arthur Coquard, de sa
nouvelle partition, la Troape JoUcœur, trois actes, dont un prologue, dont il a
lui-même écrit le livret, d'après une nouvelle de M. Henri Cain et avec la
collaboration de ce dernier. C'est la fille du compositeur, une délicieuse mu-
sicienne, qui tenait le piano et a chanté, d'une très jolie voix, les rôles de
femmes. Les rôles de cet ouvrage sont distribués à M""^ Marie Delna, Rioton,
Tiphaine, MM. Léon Beyle, Jean Périer, Dufrane, AUard, Rothier, Gaze-
neuve, Mesmaëcker et Huberdeau. Excellente impression. L'ouvrage de
MM. Ai'thur Coquard et Henri Cain va être mis immédiatement à l'étude,
mais ne sera donné qu'au mois d'octobre de la saison prochaine. — Au
courant de la même saison, dit-on, seront données aussi la première repré-
sentation du petit ouvrage de MM. Doret et Henri Gain, dont nous avons
déjà parlé et dont le titre n'est pas encore arrêté, et celle du Pelléas et Méli-
sandre de MM. Mœterlinck et Claude Debussy. — Spectacle d'aujourd'hui
dimanche : en matinée (représentation populaire à prix réduits), Lakiné et le
Cludel ; le soir, Manon.
— La Louise de Charpentier va commencer son tour d'Allemagne par
l'Opéra royal de Berlin, dès le commencement de la saison prochaine. Vien-
dront ensuite les villes de Hambourg, Cologne, Brème, Nuremberg, Tîlberfeld.
D'autres pourparlers sont encore engagés avec plusieurs villes et vont
aboutir très prochainement. La traduction allemande a été confiée au docteur
0. Neitzel, le célèbre critique musical de la Gazette de Cologne.
— Le ténor Tamberlick, le fameux propriétaire d'un ut dièse i-esté légen-
daire, est, comme on sait, mort à Paris en 1889 sans avoir laissé de testament.
Sa succession est pourtant importante et on en était encore jusqu'à présent à
chercher ses héritiers naturels, son véritable état civil restant inconnu. Or,
on vient enfin de constater que Tamberlick était né à Jassy (Roumanie) et
s'appelait de son vrai nom Nikita Torna ; aussitôt plusieurs parents se sont
mis sur les rangs pour réclamer l'héritage.
— M. Julien Tiersot vient de donner une nouvelle série de conférences-
auditions consacrées à la chanson populaire française dans plusieurs villes
de la région du sud-est : Lyon, Vienne, Saint-Etienne et Màcon, avec le
concours d'une jeune cantatrice du talent le plus gracieux et le plus fin,
Mme Bertholon-Mauvernay. Ces conférences étaient précédées d'une partie
purement musicale donnée par M"" Marguerite Mauvernay, qui a chanté
avec une grande autorité des compositions vocales de César Franck, Reynaldo
Hahn, et d'expressives mélodies de M. .loseph Jemain, Ces concerts, formés
d'éléments aussi artistiques que variés, ont obtenu partout le plus grand
succès.
— Le livre de notre collaborateur Arthur Pougin sur Jean-Jacques Rousseau
musicien est accueilli avec autant de faveur par la critique étrangère que par
la critique française, aussi bien en Allemagne qu'en Italie et en Suisse. Pré-
cisément il s'en prépare en ce moment, avec le consentement de l'auteur,
une traduction allemande, qui vraisemblablement ne tardera pas beaucoup à
paraître.
— Un musicien qui fait des vers! Il s'appelle Maurice Ghassang, et le
volume qu'il vient de publier a pour titre les Musiques du rêue et de l'espoir.
Ils sont jolis, ses vers, tendres, colorés, harmonieux. Ils sont mélancolique»,
iU sont honnêtes. On les lira avec plaisir.
— De Saint-Quentin : La Société chorale de dames vient de donner un fort
beau concert qui, grâce à son excellente organisation et aux concours qu'elle
s'était assurés, a obtenu un succès immense. M"" de Lavallée, l'âme de la
Société, avait fait venir M"'" la comtesse de Maupeou, MM. Louis Diémer,
R. LeLubezet IM.Nadaud, c'est dire si les œuvres exécutées le furent excellem-
ment. De nombreux ()is pour des compositions de Diémer, qu'il accompagne,
telles la Fauvette chantée par M""« de Lavallée, la Sérénade espagnole chantée
par M. Le Lubez, les Ailes chantées par M"" de Maupeou, et la grande Valse
de concert qu'il joue lui-même. Ou fait fête aussi au merveilleux virtuose dans
des pièces de clavecin, entre autres la GamI.le pour les Heures et les Zéphyrs, à
M. Le Lubez dans l'aubade du Roi d'Ys, de Lalo, à M'"= de Maupeou dans le
grand air à'Alceste, au très distingué violoniste Nadaud, à M"»" Malézieux et
à M"™ Cautelon et Lefèvre, qui soutiennent des chœurs charmants.
— De Clermont (Oise) : La Société chorale « La Glermontoise » vient de
célébrer le 40= anniversaire de sa fondation au milieu d'une aCHuence consi-
dérable. Le matin, à l'église Saint-Samson, messe solennelle au cours de
laquelle 300 exécutants se font entendre et font très grand effet dans Sancla
176
LE MENESTREL
Maria et Crucifix de Faure: dans la journée, grand concert donné au Chàtel-
lier qui met en ligne toutes les Sociétés dont les nuniéros les plus applaudis
sont Nuit d'Orient de Luigini et le Beau Danube bleu de Johann Strauss.
— Brillant concert donné à Verdun parla Société philharmonique, dirigée
par M. Didier. Deux solistes originaires de la ville; Mi'«^Joly de la Mare
interprétant VAlltluia de Schutz, du seizième siècle, M. MarescUal, pianiste,
jouant la huitième polonaise de Chopin. De son côté M. Gebelin, basse de
la Schola Cantorum, chantant l'admirable Ovulnera doloris de Carissimi, a fort
impressionné le public.
— Soirées et Concerts. — A l'Inslilut Ruii.v. soirée de bienlaisance au cours de
latiuelle on entend avec grand plaisir 51"' llaric Lasne dans Clianson à danser , de
Périlhou, Plaisir d'amour, de Martini, Dites, que faut-il faire? de Pauline Viîir.101, et
M"' Rancet-Banès dans Tes yeux, de Estéban Marti. — Charmante audition des élèves de
M"' Crabos, salle Érard. Sont très justement remarquées et applaudies M"" Suzanne L. et
Blanche H. i les Colombes, Rubinstein), Germaine L. [Pitchounette, Massenet), Margue-
rite M. ile Petit Jésus, Massenet), Jeanne G. (Cft7n( provençal, Massenet), Eugénie M.
<Alleluia du Cid, Massenet), M"' du V. et M"' Eugénie M. (duo du JîoJ dTs, Laloi,
M'" Germaine L. iBrunette, Périlhou), M- V. {l'Hermite, Périlhou), M"" M.-A.-G. (la
Mirabilis, Périlhou), Marie A.-G., M»' V., Renée G., Eugénie M. {Trimousetf, Périlhou),
M""' M. G. (air de Marie-Magdtkine, Massenet), R, (air de Jean de Nioelle, Delibes),
M"" Madeleine V. lair de Cavalleria, Mascagni), Hélène D. [Ischia et Chanson à danser,
Périlhou). Le morceau de résistance était la Vision de la Reine, d'Augusta Holmes, qui a
été chantée en perfection par toutes les élèves. M"' Houssin tenant la partie de harpe, et
M"' Baude celle de violoncelle. Très gros succès pour M"° Crabos qui, prêchant
d'exemple, a chanté Nocturne et Yillanelle, de Périlhou, accompagnée par l'auteur. —
Grand succès, à la salle des fêtes du Journal, pour une toute .jeune et chaj'minte artiste,
M"" Wittich, qui conduit sa voi-x superbe avec une sûreté et un goût rares, surtout à son
à"e. Elle a été vivement applaudie après un air des Noees de Figaro et après le grand air
du Freyschiit:- qu'elle a brillamment détaillé. — Audition des plus remarquables cliez
M. et Jl"" Escalaïs, de l'Opéra, qui faisaient entendre leurs élèves pour la dernière fois
de la saison. M"" Douglas LelCarroll dans leCidel flamZe( ont été chaleureusement applau-
dies- très fêtées aussi M"" Dubel, Séguin, Harel, Monteithet la toute gracieuse Miss Bard
dans Aleeste, Eérodiaie, l'Ave Maria de Gouncd, etc. ; M. Minirague a chanté avec une
'■rande autorité et un style parfait Sardanapale et Bérodiade. — M. Jules Berny vient de
donner, salle Erard, sonconccrt annuel qui lui a valu très grand succès; la salle a vigou-
reusement applaudi à son interprétation d'œuvres classiques et modernes, parmi lesquelles
il faut mentionner Barcarolleel Moment de caprice, d'Alph. Duvernoy. — En six grandes
séances très chargées, M"" Hortense Parent a fuit entendre, salle Pleyel, ses nombreuses
élèves qui ont témoigné, une fois de plus de l'excellence de son enseignement et de celui
des professeurs placés sous sa direction. On a remarqué parmi les meilleurs interprètes,
M. Etienne P. {Chanson de Giiillot-Martin, Périlhou), M"" Jeanne P. {Chant d'Avril,
Lack), Florie W. (Toise joyeuse, Rougnon), Kathleen S. {Polichinelle, Rougnon), B. G.
{Fantaisie-impromptu, Chopin), Mirabel 0. [Scherzo et Clwral, Dubois), Hélène de la
Q. {Elégie, Massenet), Madeleine H. {Bras dessus, bras dessous, Wachs),M. Jacques deB.
(Aragonaise, Massenet), M'" Marguerite D. [Romance de Conte d'Avril, 'Widor), Marie P.
(Menuet XVIII' siècle, Périlhou), Germaine B. {le Rèvi du prisonnier, Rubinsteln-Lack),
Éléonore E. [Romance, Rubinstein), Élisa V. {Aragonaise, Massenet), Marcelle R. {Sou-
venir de Menne, Lack), Marguerite D. (Chœur et dimie des lutins, Duboisi et Margue-
rite 0. B. {Scherzo valse des Pensées fugitives, CastiUon). — Le concert annuel (salle
Érard) donné par M"" Berthe Kohi, l'excellent professeur de chant, a été cette année
d'une importance exceptionnelle. Cinq premières auditions y ont eu lieu, avec grand
succès. Un beau fragmeni de l'Apollonide, de Eranz Servais, délicieusement chanté par le
ténor Rousseliére et les chœurs composés des <i Enfants de Lutèce » et des élèves de
M"' Kohi, a été applaudi avec enthousiasme. Le piano était tenu par M"''Augusla Holmes,
qui avait voulu présenter elle-même cet extrait d'une admirable partition encore inconnue
en France, et dont l'auteur, mort en pleine force, tout récemment, n'a jamais eu la joie
d'entendre une seule exécution parmi nous. Puis vinrent : une charmante Aubade de
LéonMoreau; Violon d'amour, mélodie d'AugusIa Holmes, pour chant, violon et piano,
chantée à ravir par M"" Huet, accompagnée par M. Bron, le délicat violoniste, et l'auteur;
et iîosa Benedicla, Au Pays, deux nouvelles mélodies d'A. Holmes qui ont valu à
M. Vieuille un ti-iomphe. Ajoutons, parmi les œuvres déjà connues, la Scène des Anges et
l'Air de l'Archange (Rédemption, de César Franck) chanté avec une grande aulorité par
M"' Huet; VAir de Jason (les Argonautes, d'A\igusla Holmes) superbement déclamé par
le ténor Vianova; le Chevalier au lion et les Cas d'Irlande, du même auteur, lancés parla
voix ma"nilique du jeune ténor irlandais O'Sullivan. Enfin, signalons l'accueil absolument
sympathique, pour tout le reste du programme, fait par le très nombreux public à tous
les élèves de M"° Kohi, de qui l'excellente méthode a déjà produit des célébrités. — La
matinée d'élèves donnée par M"" Augustine 'ion, chez elle, a été des mieux réussies. Les
nombreuses élèves de piano et de chant ont été toutes très applaudies. M. René Bâton,
aidé de M"' Yen, a fait apprécier plusieurs de ses œuvres. — M. Gigout a dirigé, avec
tout son talent et tout son cœur, deux séances consacrées aux œuvres de son neveu, le
regretté compositeur Léon Boëllmann. Dans ces programmes où figuraient des pièces
d'orchestre des mélodies vocales, des morceaux d'orgue et des fragments de musique de
chambre, il faudrait tout citer, comme on a tout applaudi. Une fois de plus on a constaté
que la mort prématurée de Léon Boëllmann a été une vjaie et grande perte pour l'art
musical qu'il a bien, mais trop peu longtemps, servi. Nous tenons du moins à dire le suc-
cès touchant qu'a obtenu la gentille orpheline Marie-Louise Boëllmann en jouant, avec
une de ses peliles amies, un morceau de son père. — Salle Érard, séance d'élèves de
M"" Girardin-Marchal consacrée aux œuvres de Périlliou, Rougnon et FiUiaux-Tiger.
Parmi les élèves les plus applaudis, citons M. D. (Pastorale, Périlhou), M"" M. D. (Clian-
son de Guillot-Martin, Périlhoui, A. V. (Thais, .Massenet-Périlhou), M. T. (Eselarmonde,
" Massenet-Périlbou), L. M. (^ Fantaisie, Périlhou:, M. L. ('.S'owrce cojjn'ciease, FiUiaux-
Tiger), J. B. (Ballerine, Rougnon ,i, J. P. (A Grenade, Rougnon), C. P. et M. -T. F. (Wer-
ther et le Roi de Lahore, Massenet-Périlhoui, H. -A. et M. -A. (Roman d'Arlequin, Masse-
net-Filliaux-Tiger), F. M. (Hérodiade, Jlassenel-Périlhou), H. -A. (Navarraise, Massenet-
Périlhouj. Beaucoup de Ijravos aussi pour de jolis chœurs dans la Légende de saint Nicolas
de Périlhou, pour M"« Girardin-Marchal et M"' Filliaux-Tiger dans la Marche de
Szabady, de Massenet, et pour Jl"" Jeanne Faucher dans plusieurs mélodies de Périlhou,
accompagnées par l'auteur. — Au concert donné par la Fédération féministe, salle du
Journal, gros succès pour M. Delaquerfière dans Bouche close àe Gabriel Fabre et dans le
duo de Sigurd, chanté avec M-' Savai-i. — A la dernière conférence de la Société d'ensei-
gnement moderne, M"" Girardin-Marchal a interprété avec succès plusieurs œuvres de
Chopin. — M"' Henriette Coulon \ient de donner, salle Érard, un fort joli concert au
cours duquel l'excellente pianiste s'est fait vivement applaudir, notamment dans les
Myrtilles de Théodore Dubois. On fêle aussi M"" C.onneau dans Chinoiserie d'Alph. Duver-
noy. — Même salle Erard, grand succès pour M. -Vrnold Reitlinger qui a joué, en musicien
consommé, toute une importante série d'œuvres classiques et modernes. Parmi ces der-
nières, il faut signaler, pour leur remarquable exécution, Phalènes de I. Pbiïipp, les
Abeilles de Th. Dubois et Étude de concert d'Antonin Marmontel. — Salle Lemoine, inté-
ressante malinée-c.oncert donnée par M. E. Aider. Pai-mi les numéros du programme qui
ont 1 e plus porté, nommons les Irios composés par Aider sur les opéras en vogue, Sigurd,
Hamlet, Manon et encore, les Enfants, de Massenet, chantés par M. Montesi, et l'air de
Louise, de Charpentier, chanté par M"" Poulet. — Los noms de Lamartine et de Massenet
étaient réunis au dernier programme d'un superbe festival qui a été donné au palais du
Trocadéro pour la plus grande gloire de la poésie et de la musique françaises. M"" Jane
Rahuteau et M. Ramea\i, M. Brémont et M"° Renée de Pontry ont fait applaudir les
meilleurs morceaux du chantre d'Elvirc. Le ténor Mouliérat, qu'on regrette de ne plus
e ntcndre à Paris, a chanté de sa belle et puissante voix l'air de Werther et l'air de Sapho,
qu'il a dû Lisser aux applaudissements de toute la salle. Coquelin Cadet a l'éjoui l'assis-
tance avec ses inénarrables monologues dits et chantés. Enfin, le programme était com-
plet é par des Danses anciennes et dillérenls autres intermèdes qui ont pleinement justifié
le succès de ce brillant concert. — Une charmante pianiste, M°" Deblauwe-Querrion, a
do une récemment un concert qui lui a valu un très \iï succès. Après le trio de M. Saiut-
Saëns, remarquable ment exécuté en compagnie de MM. Besnier et Deblauwe, elle s'est
fait chaleureusement applaudir dans la Fantaisie de Schumannet trois ballades de Cbopin,
di tes avec un rare sentiment et un tjdent plein de distinction.
NÉCROLOGIE
A 'Vienne est mort, à 82 ans, le compositeur et critique musical Henri-
Joseph Vincent. Il était né dans les environs de 'Wurzbourg et avait fait son
droit à l'Université de cette ville, mais sa splendide voix de ténor l'encoura-
gea à quitter la carrière de magistrat et à débuter à l'Opéra. En 1847 il fut
engagé à l'Opéra impérial de Vienne et chanta ensuite sur différentes scènes
d'Autriche, d'Allemagne et de Suède, mais la perte de sa voix le força bien-
tôt à renoncer au théâtre. Il s'adonna alors à la cotnposition musicale et à la
musicographie; plusieurs de ses mélodies eurent un grand succès et son opéra
la Mendiante fut joué en 18(36 avec une réussite honorable. En 1862 il publia
un écrit sur un nouveau système musical et en 1874 un écrit sur un nouveau
clavier; ces deux opuscules excitèrent l'attention des musiciens, et le clavier
de Janko est en partie fondé sur les idées mêmes de Vincent.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A CÉDER au rentre de Vichy, fonds de musique, pianos, lutherie. Pour
tous renseignements s'adresser Maison musicale, 39, rue des Petits-
Champs, Paris.
Viennent de paraître :
Chez Pugno, Cent années de musique française, par Eugène de Solenière.
Chez Stock, Ghetto, pièce en 3 actes, de H. Hcijermanns, adaptation française de
J. Lemaire et J. Schurmann, représentée aux Escholiers.
Chez E. Flammarion, Histoire de la musique; États Scandinaves des origines au .YhV"
siède, par Albert Soubies (2 francs).
A la Société libre d'édition des gens de lettres. Trois moutures du même sac, comédie
en 1 acte, de Gabriel Martin (2 fr. 50 c).
Chez Alcan, la Spthère de la Beauté, lois d'évolution, de rythme et d'harmonie dans les
phénomènes esthétiques, par Maurice Griveau, avec 51 gravures et nombreux tableaux
synoptiques et schémas (10 francs).
Chez E. Fasquelle, Vieux ménages, comédie en 1 acte, de Octave Mirbeau, repré-
sentée au Grand-Guignol (1 franc); Amoureuse amitié, comédie en 1 acte, de Maurice
Vaucaire, représentée à la Comédie-Française (1 franc) ; le Sang français, récils et nou-
velles, par Jules Claretie (3 fr. 50 c).
Chez Fischbacher, Jephtah victorieux, drame lyiique en 3 tableaux, de Roger de Goeij.
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(Poésies de Sully-Prudhomine)
1. Prh're ■ 3 »
2. L'Étoile au cœur 6 »
3. Au bord de l'eau 5 »
i. Enfantillage 5 »
5. Pèlerinage 5 »
6. Sur un album 5 »
Le recueil gr. in-4", net 3 »
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de CImnt et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (15° article), Paul d'Estrées. —
II. La musique et le théâtre aux Salons du Grand-Palais (7" article), Camille Le Senne.
— III. Le Tour de France en musique : musique d'église et de ville, Edmond Neukomm.
— IV. Pensées et Aphorismes d'Antoine Rubinstein. — V. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour ;
PROMENADE
de A. PÉaiLHOU. — Suivra immédiatement : Menuet Rococo, deTnÉouoRE Lack.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
la Chère blessure, nouvelle mélodie de Revnaldo Hahn, poésie de M"": Blanche-
COTTE. — Suivra immédiatement : Soir d'été, n° 2 du Poème du silence, d'EnNESX
MORET.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et
(Suite.)
VI
Les préférences politiques de la Dugazon. — Fleurs poétiques du Palais-Royal. —
Différences d'appréciation chez un Rordelais et chez un Allemand. — Jeunes
Dugazon et Mères Dugazon. — Comme on écrit l'histoire de la politique au
théâtre l — Rose Renaud et ses panégyristes.
Aristocrate comme la Saint-Huberti, M""= Dugazon devait
quitter en 1792 la Comédie-Italienne, dont sa grâce, sa finesse
et sa gaité l'avaient rendue, à défaut de voix, la souveraine in-
contestée pendant près de vingt ans. Ce n'était pas, il est vrai,
sans esprit de retour, puisqu'elle reparut, vers ITiiS, sur la
scène de ses premiers triomphes. Mais l'heure était alors plus
propice pour la reprise ou la continuation d'un répertoire que
la charmante comédienne interprétait avec tant d'expression et
un si joli sourire. De fait, nous ne la voyons pas dans ces pièces
• de circonstance, ni dans ces à-propos révolutionnaires que la
Terreur avait mis à l'ordre du jour. De telles émotions étaient
trop violentes pour le talent délicat de M'"'= Dugazon, qui savait
bien pleurer avec Nina, mais n'aurait jamais pu maudire avec
les Ennnyes. Aussi, pour se soustraire sans péril à des obliga-
tions qu'il lui répugnait de remplir, allégua-t-elle comme
excuse son état maladif : excellent préte.xte, qui servit de tout
temps aux actrices impatientes de reprendre leur hberté.
En effet, madame Dugazon était indépendante de caractère,,
comme elle l'était déjà d'esprit et de mœurs. Son mari, le co-
médien-français, l'avait appris à ses dépens. Mais le Tout-Paris
mondain appréciait la sémillante artiste à un point de vue moins
exclusif. L'étoile de la Comédie-Italienne partageait volontiers les
égarements qu'elle encourageait. Suivant le mot du poète, elle
traînait tous les cœurs après soi; et la voix publique, qu'en-
chantaient tant de séductions, leur rendait les hommages les
plus imprévus.
Thiébault en fut témoin au Palais-Royal, en 1784. Le vicomte
de Léomont s'y promenait avec l'abbé Delille, l'aimable versifi-
cateur des Jardins, et le coup de canon traditionnel attendu des
habitués venait de leur annoncer qu'il était midi. Le gen-
tilhomme l'accueillit par ce quatrain bien connu, dont l'auteur
était retjté jusqu'alors ignoré:
Dans ce jardin tout se rencontre,
Hors les ombrages et les fleurs.
Si l'on n'y règle pas ses mœurs.
On y règle du moins sa montre.
Or, M"' Dugazon, qui traversait le Palais-Royal, aperçoit les
deux amis et s'en approche. Léomont, qui était décidément en
verve, salue la jolie femme de cet autre quatrain :
Qu'importent les ileurs et l'ombrage?
Dans ce jardin où tout égare la raison.
Point ne faut à l'amour l'abri d'un vert feuillage...
Il lui suffit d'y trouver du gazon.
L'artiste se composait un public d'admirateurs moins...
folâtres parmi les provinciaux et les étrangers de passage à
Paris. E. Géraud consigne, dans son Journal d\m étudiant (1),
l'impression qu'elle lui laissa lorsqu'il visita Paris en 1789. La
Comédie-Italienne donnait Barbe-Bkuc, « le conte suivi de point
en point ». M°"^ Dugazon en était la principale interprète. Son
jeu, dit Géraud, est « aussi bon dans son genre que celui de
M'" Sainval (la célèbre artiste de la Comédie-Française) ». Mais
un regret gâte la satisfaction de notre étudiant. Il a vainement
cherché dans le monument de construction récente, qui a réuni
les Italiens de la rue Mauconseil et l'Opéra-Comique de la Foire,
« les belles colonnades du Théâtre de Bordeaux élevées avec tant
de hardiesse ». Qu'aurait dit ce Girondin renforcé, s'il avait pu
connaître l'opinion de mistress Cradock sur son cher théâtre?
Et voyez la différence du point de vue entre un fils de Bor-
deaux et un enfant d'Oldenbourg dissertant sur le même sujet.
Halem revoit à Paris M'"" Dugazon, qu'il avait déjà entendue à
Lyon dans le mélodrame de Barbe-Bletje : et « l'effroi le saisit
(1) E. Géraud.
at d'un étudiant, 1890, Flammarion.
178
LE MÉNESTREL
plus fortement » quand l'actrice, sortant de la chambre, mur-
mure, dans un frémissement bien légitime, ces vers de mirliton :
Ah ! quel sort
Le barbare
Me prépare !
C'est la mort!
Mais TAllemand, avec sa franchise d'une bonhomie légèrement
brutale, se retrouve tout entier dans cette conclusion, très flat-
teuse peut-être pour l'artiste, mais peu aimable pour la femme :
« Comme elle n'est plus jeune, elle se rejette avec un succès
surprenant sur les rôles de mères. » Ce qui explique son éclatant
triomphe dans l'Incertitude maternelle, comédie en vers de
Dejaure.
Halem vise là une des phases critiques de la vie théâtrale de
l'actrice. La langue des coulisses a donné depuis le nom de
mères Dugazon au nouvel emploi auquel s'était résigné la sédui-
sante virtuose, après avoir créé celui des jeunes Dugason.
Cependant, elle jouait encore celles-ci en septembre 1791, à
la reprise des Evénements imprévus de Grétry, le jour où les Jaco-
bins firent un si beau tapage aux Italiens. Le comte de Paroy, qui
assistait à cette représentation tumultueuse, l'a racontée par le
menu dans ses Mémoires (1). Elle est du reste classique. Les
démocrates n'avaient pu trouver place à la Comédie -Française,
ni à l'Opéra, où Louis XVI s'était rendu après l'acceptation de
la Constitution. Ils arrivèrent donc en masse aux Italiens, et
jy[nie DQgazon avait à peine commencé son fameux duo : « Ah !
que j'aime ma maîtresse I » que des voix du parterre lui
crièrent violemment : « pas de maîtres ! pas de maîtresses ! »
Il est vrai qu'à l'occasion les royalistes prenaient leur revan-
che et répondaient, en chœur, par ce couplet du Troubadour
béarnais, dont les intentions étaient meilleures que les rimes :
Un troubadour béarnais.
Les yeux inondés de larmes,
A ses montagnards chantait
Ce refrain, source d'alarmes :
Louis, le fils de Henri,
Est prisonnier dans Paris.
Mais, en vérité, auquel croire"? Celui qui devait être un jour
le chancelier Pasquier et qui assistait, lui aussi, à la reprise si
agitée des Evénements imprévus, affirme, dans ses Souvenirs (2),
que le public, tout bouillant de royalisme, ht une ovation indes-
criptible à M°"= Dugazon.
La Comédie-Italienne possédait une autre étoile, celle-ci nais-
sante à peine, mais déjà d'une clarté si douce et si pure qu'elle
était adorée de tous les Parisiens; c'est du moins Karamsineqai
l'affirme, avec la fougue chevaleresque dont il est coutumier.
Cette jeune et jolie actrice appartenait à une famille d'artistes :
elle s'appelait Rose Renaud et devint plus tard la femme de
l'auteur dramatique d'Avrigny. Karamsine, qui rend justice au
jeu de la Dugazon, exalte la voix de Rose Renaud, « en réalité,
dit-il, la meilleure chanteuse de Paris ». Était-ce uniquement
pour ce motif que la Comédie-Italienne était devenue son
théâtre de prédilection?
Halem affiche les mêmes préférences ; mais les raisons qui le
déterminent sont d'ordre purement philosophique : il trouve
que le répertoire des Italiens est essentiellement humain. Il
applaudit à la grâce pudique et à la voix ravissante de Rose
Renaud. S'il n'assure pas, avec Karamsine, qu'elle débuta dans
sa douzième année, il lui croit seize ans au plus, alors que,
vers la même époque, le voyageur lui en donne vingt. Kotzebue,
qui la voit six mois après, n'en fait pas un moindre éloge ; mais
le scepticisme malveillant qui le caractérise se trahit par une
arrière-pensée quelque peu désobligeante pour la vertu de la
comédienne. Le Parisien a volontiers le culte de ses héros de
théâtre : un voisin de Kotzebue entame le panégyrique de Rose
Renaud.
— Certes, réplique l'Allemand : cette charmante fille a la
(1) Le Comte de Paroy. — Sféinoires, publiés par Charava.v, Pion, 1895.
(2) Le CHANCELiEn Pasquier. — Mémoires. Pion, 1894.
figure la plus candide du monde ; mais est-elle donc si innocente
qu'on veut bien le dire?
Le voisin en mettrait sa main au feu.
Mais la chanteuse est en scène : comme le conscrit au début
de la bataille, elle éprouve un moment d'angoisse : sa voix
tremble. Evidemment elle subit ce phénomène bien connu dans
le monde des artistes sous le noni de trac. Mais enfin elle re-
prend courage ; ses accents, mieux assurés, vous pénètrent le
cœur. Malheureusement elle ne sait pas jouer.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU G R A N D - F A L AI S
(Septième article.)
La mythologie de livret musical est accommodée à plusieurs sauces-
dans le menu de la Société des Artistes français : c'est ainsi que
M. Henri Lévy a évoqué le Dieu et la bayadére, d'antique mémoire, en un
commentaire assez animé du texte de Goethe : « Elle se précipite
sur son corps dans une mort de feu ; mais voilà que du sein des flam-
mes s'élève le dieu et que sa bien-aimée s'élève avec lui dans l'air ».
Nous avons encore, plus près de terre, une Sapho pleurant Phaon, de
M. Achille Varin, qui exhume pieusement, avec le décor obligé, la clas-
sique ambiance, les mânes de la poétesse ; une Thais, nou sans mérite,
de M. Alexis VoUon; enfin une Chrysis tirée par M. Richard-Putz de
l'Aphrodite de M. Louys, décidément très exploitée par les peintres.
Quant à la fantaisie proprement dite, elle est représentée par le docteur
Faust de M. deConinck, d'une exécution très ressentie; le Méphistophélès
chez le docteur Faust de M. Warden. « ... C'est moi qui te convie à'
vider cette coupe où fume en bouillonnant...» Vous savez le reste.
La Zuleika tirée par M'"" Consuelo Fould, une virtuose de la palette, de-
la Fiancée d'Abydos, et révaut au déclin de la journée, pendant que
l'ombre descend sur la mer, « à ce que peut être le paradis dans l'inflni
descieux », est une devinette passionnelle que se repassent les amoureux
de génération en génération ; autre genre de course du flambeau.
Les peintres d'histoire proprement dite ont, par contre, modéré leur'
production : les sujets de colles pour bachot n'apparaissent que de loin
en loin sur la cimaise. Cependant M. Dessertenne a visiblement peiné
pour nous représenter au naturel, avec la dose convenable de terreur
tragique, le meurtre de Sennachérib, sans peut-être assez envisager la
profonde, l'insondable indifférence des parisiens du vingtième siècle à
l'égard des dynasties Assyriennes, autocratiestempôrées par l'assassinat,
comme on l'a dit de plus modernes royautés. M. Mehille du Moud,
peintre habituel des fauves et qui les fait d'ordinaire bondir dans
l'enceinte du cirque, les griffes plantées dans la chair saignante des
condamnés ou des esclaves, nous montre cette fois « les plaisirs féroces
de l'antiquité chez les princes Indiens » ; mais c'est toujours la même
ménagerie en éveil et en appétit, une sorte d'instantané, nécessairement
truqué (l'observation directe du fauve entre ciel et terre présentant
certaines difficultés), impressionnant malgré tout et d'une grande har-
diesse de pinceau, une œuvre qui arrête le visiteur au passage et lui
donne la petite secousse. M. Lecomte du Nouy, dont le talent reste si
curieusement parisien, je veux dire si épris du détail, de l'accessoire, du'
bibelot, bien que son imagination le reporte toujours vers les hôtes
momifiés du musée de Boulaq, commente un passage du Homan de la-
momie de Théophile Gautier, la tristesse de Pharaon.
L'antiquité romaine a inspiré peu d'artistes. Pour la première fois
depuis tant d'années le peintre des Vestales, M. Hector Leroux, manque
au rendez-vous du Salon, avec l'excuse trop légitime d'une mort qui
laisse un vide réel dans le groupe des bons peintres d'histoire de second
ordre. En revanche, un jeune évadé du concours de Rome, un artiste
brillamment doué, M. Azéma, n'a pas craint de représenter Mcssaline
en ses fâcheuses écoles buissonniéres, avec un mélange point banal
d'observation réaUste et de coloris romantique. M. Piatti s'est efforcé de
ressusciter l'austère figure de Caton assistant aux fêtes florales, dont le
pendant moderniste serait M. Bérenger aux bals populaires du qua-
torze juillet. De M. Charles Landelle, dont le dessin probe et savant, la
couleur un peu terne perpétuent la tradition de ses maîtres Ary Schelfer
et Paul Delaroche, une Lygie suffisamment vierge chrétienne et barbare
assagie.
L'histoire religieuse proprement dite a pris cette année une impor-
tance digne de remarque dans la série des illustrations picturales. Et elle
commence tout à fait par le commencement, je veux dire par grand-père
LE MÉNESTREL
179
Adam et par grand'mère Eve, dont M. Arthur Midy montre la stupeur
■atterrée devant le cadavre d'Abel : « Et pour la première fois le sang
coula sur la terre, qui allait devenir le royaume de la mort ». M. Roger
Maillard raconte une légende de Terre-Sainte peu connue mais vraiment
caractéristique, et que commente sa composition intitulée : « Sépulture
des restes d'Adam ». Sem et Japhet, les fils de Noé, conduits par un
ange, donnent une sépulture à la dépouille d'Adam que Noé, sur
l'ordre de Dieu, avait emportée dans l'arche pendant le déluge. C'est
dans les flancs du Golgotha qu'ils ensevelissent l'ancêtre des généra-
tions. La légende ajoute que lors du crucifiement le Golgotha s'en-
tr'ouvrit et que le sang du Sauveur coula par cette fissure jusqu'au
•crâne d'Adam, enlevant ainsi la trace du péché originel. Telle esl
l'explication iconographique du crâne figuré au-dessous du Christ sur
les anciens Calvaires; et elle ne manque pas d'intérêt
A l'Ancien Testament appartiennent encore le Job insulté par sa
femme de M. Bille, d'arrangement assez ingénieux; la théâtrale appa-
rition de l'ange au prophète Elle de M . Georges Dilly ; la fille de
•Jephté de M. Thivier, s'offrant en involontaire holocauste au guerrier
revenu victorieux du pays des enfants d'Ammon. Hérodiade et Salomé
ne sauraient manquer au rendez-vous : ils nous sont présentés avec une
égale virtuosité par M. Edmond Rickter et M™' Camille Henriot. Mais
l'illustration des Évangiles est plus abondante et plus variée: Visitation
de M. Darviot, d'une souplesse d'exécution qui confine au style; Repos
en Egypte de M. Cornellier, et Fuite en Egypte de M. Arlin ; la Vierge
et l'Enfant Jésus revenant de la fontaine, de M. Benner ; la Vierge,
curieusement flamande, de M. Lybaert. La perle de cet écrin mysti-
que est l'exquise composition de M. Tattegrain intitulée l'Image mira-
culeuse :
Comment la Vierge à Boulogne arriva.
En un bateau que la mer apporta,
En l'an de grâce ainsi que l'on comptait
Pour lors, au vray, six cens et trente-trois.
Le prestigieux et presque féerique rendu de la barque où l'image
miraculeuse de la madone se dore du rayonnement des cierges, l'émoi
des matelots qui se pressent contre les bastingages des bateaux de pèche,
la finesse des détails, la couleur joliment archaïque de l'ensemble font
de ce petit tableau une des œuvres les plus réussies de l'auteur du Sac
■ de Saint-Quentin. Je mentionne encore le charme réel du Sommeil de
■l'enfant de M"' Sédillot et de la Vierge aux anges de M""' Sonrel. Voici
maintenant une étude conforme au parti pris de beaucoup de nos pein-
tres de renoncer à la convention religioso-classique du costume et
•d'arabiser à outrance les acteurs du drame de la Passion : le remar-
quable^ Jésus chez Marthe et Marie de M. Taupin. M. Eugène Bérin-
guier représente aussi Jésus guérissant un aveugle ; M. Boisselier un
Christ marchant sur les eaux ; M. Rouault un Jésus et Judas.
M. Pavec a peint un Samaritain, l'un des bons morceaux d'exécution
du Salon. Et maintenant, vous souvient-il de la scène exquise de cette
Samaritaine qui pourrait bien être le chef-d'œuvre de M. Rostand où
Jésus, entouré par la foule, murmure : « Laissez venir à moi les tout
petits... » M. Wencker, qui joint un sens religieux visiblement sincère
à un vif sentiment décoratif, l'a modernisée dans une toile très remar-
quée. Le Christ, un peu théâtral, mais d'un beau dessin, distribue le
viatique à tout un peuple en émoi : paysans, prolétaires, enfants,
infirmes, tous ceux qui doivent trouver dans le royaume des cieux la
■consolation des misères d'ici-bas :
Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure,
Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit...
La parabole de l'enfant prodigue, dont les innombrables variantes
Tondraient une monographie spéciale, nous a valu une curieuse com-
position de M. Vayson et un tableau de M. Benoit Lèvy. L'indispen-
sable Tentation de saint Antoine ne pouvait manquer à l'appel ; nous la
devons cette fois à M. Mège-du-Malmont.
Jeanne, la Bonne Lorraine, « qu'Anglais brûlèrent à Rouen » a,
comme toujours, son groupe de peintres. M. Carl-Rosa, le remarquable
paysagiste, a eu l'inspiration délicate d'évoquer le panorama de Dom-
rémy, village natal de notre héroïne nationale. L'œuvre est d'une
excellente venue et mériterait d'être popularisée par la gravure : je
voudrais même que sa reproduction figurât en tète de toutes les biogra-
phies de Jeanne d'Arc, car la contrée où elle entendit ses voix, où elle
fut visitée par l'inspiration patriotique, le pays frontière, la « marche ■••
qu'avaient ravagée tant d'invasions successives, fait partie intégrante
de sa Chronique, en explique le début et en complète le décor.
Mme Boyer-Breton, en artiste bien documentée sinon pénétrée du
souffle lyrique qui seul pourrait élever au-dessus du domaine anecdo-
tique l'interprétation de pareils sujets, a représenté Jeanne « avant
l'épopée », dans la période ingrate des tâtonnements, chez les Baudri-
court. L'héroine, plus conventionnelle, de M. Michel fait bénir son
étendard par l'évèque de Blois au moment de partir pour porter
secours à Orléans. Et voici maintenant, avant d'arriver aux temps
modernes, quelques essais de peinture historique d'un réel intérêt. Le
plus remarquable est une esquisse de M. Cormon qui nous promet une
œuvre de grand caractère quand l'artiste se décidera à la mettre au
point, une impressionnante illustration pour la chronique italienne du
seizième siècle : les terribles bandes du connétable de Bourbon qui
promenèrent à travers toute la péninsule le pillage et le massacre.
M. Duffaud, en une composition à la Delacroix qui demanderait aussi
quelque développement, a voulu synthétiser la grande crise de 1798 en
Irlande, les violences et les excès de la répression britannicpe ; une
brillante A'irtuosité de coloris, une fièvre d'exécution qui s'élève presque
au style compensent l'arrangement, un peu trop scénique et déclama-
toire. Un artiste autrichien qui a gardé la tradition de Matejko, M. Jean
Styka, a peint avec plus d'abondance documentaire que d'émotion
communicative un tableau d'histoire intitulé « Par le fer et par le feu »,
VVitold, prince de Lithuanie, jurant devant Kowno en feu de tirer une
vengeance éclatante de l'Ordre teutonique.
Vif regain de production et de succès pour la peinture militaire. Il
convient de citer, tout à fait hors ligne, le décoratif maréchal Masséna
de M. Edouard Détaille, qui semble foncer sur le public à la tête de son
état-major; le Premier consul de M. Sergent, à Marengo, assis sur la
levée de la grande route d'Alexandrie, au milieu des boulets qui rou-
lent sur le sol, et attendant sa réserve avec une angoisse grandissante ;
l'émouvant Soir de Borodino de M. Lalauze : le général Caulaincourt tué
à la prise de la grande redoute et rapporté par ses hommes ; le ^812 de
M. Faber du Faiu' et son Entrée du vainqueur dans une ville. A mention-
ner encore l'escorte des étendards à Tilsitt de M. Jean Rosen, la mort
de Desaix à Marengo de M. Albert Ledru, le Bonaparte en Egypte
méditant la conquête des Indes de M. Alphonse Monchablon, le Marbot
à léna de M . Boutigny. Quant à l'Année Terrible, elle est dignement
commémorée par l'artillerie de la garde à Gravelotte de M. Bujon, les
cuirassiers de M. Jules Rouffet, l'épisode de Frœschwiller de M. Petit-
Gérard et une scène anecdotique de M. Alphonse Chigot : le général et
son ordonnance.
(A suivre.) Camille Le Senne.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
1^ oixx-^'o^xxe
(Suite.)
VII
MUSIQUE D'ÉGLISE ET MUSIQUE DE VILLE (suite)
Comme Sens, Beaune était fière de ses cloches, de son carillon sur-
tout, au Beffroi. Il a été célébré sur tous les modes, et le Chant du
Trézéleur est populaire dans toute la Bourgogne. Il n'est, d'Auxerre à
Dijon et de Cliàtillon à Mâcon. en passant par Beaune, naturellement,
de bonne noce ou de gai festin de vigneron, où un convive, au bon
moment, ne se lève, et, la serviette sur l'épaule, n'entonne, à la plus
grande joie de tous:
Bons habitants de Beaune,
Je suis le Trézeleur ;
C'est moi qui carilloQne
Les fêtes à\\ Seigneur.
Quand survient une fête
Je monte à mon clocher ;
Dès le soir je m'apprête
A la carillonner.
Sonnez, cloches joyeuses.
Vos plus beaux carillons.
Car les âmes pieuses
En aiment les doux sons.
Il sonnait donc en toutes occasions, ce carillon célèbre, et c'était fort
heureux, car il était à peu près le seul divertissement musical que la ville
de Beaune eût à offrir à ses habitants et aux hôtes de marque qui lui
rendaient visite. Cette pénurie d'instruments est suffisamment indiquée
dans l'intéressant livre de M. Charles Aubertin, la Musique à Beaune:
« Chacun a pu lire qu'à l'occasion du passage à Beaune d'Henri II,
roi de France, le 18 juillet 1548, les rues avaient été nettoyées et
sablées, l'artillerie mise à contribution pour les salves; qu'il avait été
dressé trois eschaffauds ornés de belles sentences; que lé spectacle
d'une petite guerre fut la grande attraction de la fête; mais aussi que
le corps de ville avait acheté deux tabourins pour mener la joïeuse venue
d80
LE MÉNESTREL
du roy, payé un flfre pour ouvrir la marche et habillé deux garçons pour
sonyier les tabourins. »
Un fifre et deux tambours pour une entrée royale, c'était piètre, on
en conviendra. Heureusement le Irézéleur veillait. Dans la suite, le
progrès musical s'accentue. Nous voyons, on effet, qu'un peu plus de
cent ans après, lors de l'arrivée de la reine Christine de Suède, le
26 août I606, une réception pompeuse fut faite à cette princesse, où
l-'on remarquait, avec un étonnement mêlé d'admiration, quatre tam-
bours, puis un autre tambour, puis trois tambours et deu.x tambours
venus de Nolay, battant à qui mieux mieux en tête du cortège.
Deux ans plus tard, à l'entrée de Louis XIV, il n'est question d'au-
cune musique, pas même de tambours. Pour les retrouver il nous faut
sauter jusqu'en 1729, époque à laquelle eurent lieu de grandes fêtes à
Beaune à l'occasion de la naissance du Dauphin : on vit, ce jour-là,
parader, précédés de tambours, les soldats de la garde urbaine C[ui, d'après
un opuscule du temps, « étoient habillés comme des banqueroutiers et
se rentloient dans leurs casaques vertes dans lesquelles, depuis cent
cinquante ans, les araignées sont en possession de faire leurs toiles et
leurs nids ».
■Vers le même temps naquit la fanfare des Chevaliers de l'arc, qui fut
une révélation pour les Beaunois, auxquels la musique d'église était
seule connue. Il faut dire qu'on leur en donnait d'excellente, et depuis
longtemps, car nous lisons qu'en 1340 déjà la musique était en plein
exercice à l'insigne Collégiale Notre-Dame. Aux siècles suivants, les
instruments et les voix semblent avoir fait merveille. « Mais, est-il
ajouté, ce qui fournissoit les chœurs et en faisoit paraître le travail,
c'étoit la décharge continuelle de l'infanterie rangée sous le portail, qui
faisoit un graud feu dans l'église. Cinq cens ou mille pieds plats rem-
plissoient la nef. ouvrant de grandes oreilles et avallant les notes et la
fumée avec un appétit sans pareil .»
Cette débauche de mousqueterie, passée dans les mœurs, dura jusqu'à
la Révolution. Elle avait lieu même aux fêtes ordinaires; aux jours ca-
rillonnés cela devenait de la démence. Ainsi, le jour où l'on célébra par
un- Te Deum la victoire d'Avein, on put croire à une émeute en ville.
Les habitants des campagnes voisines accoururent à tout ce bruit...
Mais c'est toute une histoire que ce Te Deum. Il nous la faut conter :
Depuis trois ans l'Espagne se préparait à la guerre, et, de son côté,
Richelieu armait et se faisait des alliés. La rupture eut lieu le 19 mai
1633, et les hostilités commencèrent aussitôt. Le lendemain même, les
troupes françaises rencontrèrent les Espagnols dans les plaines d'Avein
et remportèrent une victoire complète. Louis XIII, voulant remercier
Dieu du succès de ses armes, manda aux évêques de France assemblés
à Paris d'écrire à leurs grands vicaires en leur donnant des instructions
pour le chant du Te Deum et l'établissement des prières des quarante
heures.
Or, en ce temps-là, messire Bernard, premier après Monseigneur,
était officiai et chantre en l'église de Màcon. Au reçu des instructions de
son évèque il s'empressa de les communiquer aux échevins de la ville
en leur annonçant que, pour obéir à Monseigneur, un Te Deum, auquel
il leur enjoignait d'assister en corps, serait chanté le soir même à Saint-
Vincent.
Contre son attente, sa démarche n'obtint pas le résultat qu'il était en
droit d'en espérer. Les échevins, après en avoir délibéré, lui firent savoir
qu'ils avaient résolu d'en référer au lieutenant-général et aux officiers du
roi, attendu que de temps immémorial, en pareille occurence, ils rece-
vaient les commandements du Roy par Lettres de cachet. Cependant,
« pour qu'aucune faulte ne leur soit imputée comme très humbles, très
obèyssans et fidèles subjects du Roy », ils ajoutaient qu'ils allaient faire
publier leur proclamât au son du tambour pour inviter tous les citoyens
à se rendre à Saint- Vincent « entre les six et sept heures du soir de ce
jour, au son des cloches a, pour assister au Te Deum. Ils se feraient,
d'ailleurs, comme leurs concitoyens, une obligation de prendre part à
cette solennité, mais isolément, et non en corps.
Devant cette décision messire Bernard, très en peine et ne pouvant
demander d'instructions immédiates, car il n'existait ni télégraphe ni
téléphone en l'an de grâce 16-3.5, résolut de suspendre provisoirement
son Te Deum. Mais alors commencèrent des récriminations et des pro-
cédures à remplir cent rôles et autant de registres. Pour commencer, le
Parlement réprimanda vertement le Corps de Ville, qui, d'ailleurs, se
montra fort indiffèrent à cette mercuriale. D'autres sommations ne pro-
duisirent pas plus d'effet. Le ministre Phillypeaux vint à la rescousse,
mais sans plus de succès. Finalement, le roi s'en mêla. Il donna des
ordres précis, envoya une Lettre de cachet, et les consuls de la cité mà-
connaise durent céder.
Mais alors commença une nouvelle comédie. L'official, après avoir
déclaré qu'il ne réitérerait pas le Te Deum, et obtenu de ses chanoines la
promesse qu'ils ne le chanteraient pas, s'était retiré à la campagne fjour
se soustraire à l'effervescence qu'avait créée cette situation. C'est là que
les échevins allèrent le trouver pour lui annoncer qu'ils étaient prêts à
prendre part officiellement à la cérémonie. Ils ne l'y rencontrèrent pas
et, revenus à Beaune, firent sommation sur sommation à sa porte. Eu
désespoir de cause ils s'adi'essérent au doyen Chandon, son représen-
tant, (ju'ils sommèrent de commander le Te Deum, sous la menace de le
faire chanter dans une autre église.
Les choses en étaient là lorsqu'un écrit pastoral de l'archevêque de
Sens vint, à propos, les remettre en ordre. Tout s'arrangea; le l'e Deum
fut chanté solennellement, pour la plus grande gloire du Roy, de ses
armées, de ses prêtres et de ses échevins; et après cette grande fête
improvisée, « le soir, s'éleva un bûcher sur lequel estoit ung tableau
dans lequel estoit peint une aigle suspendue en l'air, tenant de son bec,
de ses griffes, un étendart renversé, en forme du Labarum des Romains,
au millieu desquels estoit une croix rouge, et tout autour des trophées
comme d'épées, albardes, mousquets, tambours et aultres instrumens de
guerre, pour estre bruslés et consommés ».
Màcon n'était point restée isolée dans cette campagne. Les villes d'une
même province, jalouses de leurs franchises, se tenaient alors étroite-
ment liées d'intérêt et de solidarité. C'est ce qui explique le retard de
l'exécution du Te Deum à Beaune et l'effrénée escopetterie qui s'en
suivit. A Chàlon, les Gaillardons ou Compagtions de la Mère folle firent
des réjouissances organisées à la sortie de l'église. Ils y parurent, leur
capitaine pacifique en tête, montés dans des charrettes ornées de bande-
rolles aux couleurs de la Compagnie; mais comme ils étaient en état
d'ébriété, suivant leur habitude, et qu'ils tenaient à la foule des propos
d'un goût douteux, ils furent contraints de reprendre le chemin de leur
lieu de réunion, ce qu'ils firent en chantant malgré tout leur refrain,
véritable cri de guerre :
Aux armes, aux armes, compagnons !
Puisque l'on "veut violenter Gaillardons,
Et l'empescher de vivre en paix,
Il ne le faut endurer.
Ce refrain, ils le chantèrent pour la dernière fois ce soir-là. Depuis
longtemps le Corps de Ville se plaignait de leurs licences et des désor-
dres qu'ils provoquaient ; mais il demeurait désarmé par l'attitude de
la population, qui tenait à ses Gaillardons. La Majesté royale ayant été
cette fois offensée par leur seule présence à la sortie du Te Deum, sa tâche
lui fut rendue facile. Toutes autorités s'en mêlant, les Compagnons de la
Mère folle eurent vite vécu.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
PENSÉES ET APHORISMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Traduit du russe par Michel Delines.)
En Russie, j'habite ; en .\llemagne, je pense; en France, je m'amuse ;
en Italie, en Espagne et en Suisse, j'admire ; en Angleterre, en Hol-
lande, en Belgique, je travaille ; en Amérique, je fais des affaires ;
partout j'aime. Mais je ne saurais dire où je me trouve le mieux ; peut-
être partout également bien et également mal.
On admet, pour toutes les branches de la science, que la raison de
l'homme a un commencement et se développe peu à peu jusqu'à l'épa-
nouissement complet. Aussi n'enseigne-t-on pas aux enfants ce qu'ap-
prennent les adultes.
Tel n'est pourtant pas le cas dans l'enseignement de la religion :
dans cette branche des connaissances humaines, tous sont égaux, l'ea-
fant et l'adulte, le savant et l'ignorant, le philosophe et l'idiot. On
enseigne à tous la même chose, et l'on exige de tous les mêmes pra-
tiques.
Si nous admettons qu'aller à l'église, communier, jeûner, etc., etc.,
sont choses également utiles aux enfants et aux ignorants, peut-on
admettre qu'il on est de même pour les hommes dont la raison a atteint
sa maturité? Si cependant l'Etat et l'Eglise exigent de ces derniers les
mêmes pratiques religieuses, n'est-ce pas une preuve que ces deux insti-
tutions aimeraient assez retenir les hommes en état d'enfance?
Le public dit: la vie seule est sérieuse, l'art est frivole. L'artiste
répond : l'art seul est sérieux, la vie est frivole.
« Le style, c'est l'homme », affirmation encore plus véridique quand il
s'agit de musique et de composition.
LE MENESTREL
i81
Je suis d'avis que tout être humain arrivé à uu âge avancé, quand il
ne peut plus douter qu'il lui reste peu de temps à vivre, a le devoir de
laisser par écrit l'histoire de sa vie. Ce serait une manière de rendre ses
comptes à la société.
Aucun roman ne présenterait plus de détails intéressants et instruc-
tifs au point de vue de la psychologie et do la civilisation. Il ne serait
pas nécessaire de publier ces relations, mais on pourrait les conserver
dans les archives des bibliothèques publiques pour les tenir à la dispo-
sition des gens qui voudraient les consulter.
Ces autobiographies, en tout cas, enrichiraient la littérature de chaque
peuple de façon très originale.
Le succès encourage et stimule l'artiste vjritable; il ne sert qu'à
exalter l'amour-propre de l'artiste médiocre et à le mener souvent vers
sa ruine.
L'insuccès aigrit le premier, mais ne le désespère pas et le pousse
tout au contraire à la lutte; il anéantit complètement le second.
Le dilettante cultive l'art pour son plaisir, l'artiste pour le plaisir des
autres ; c'est une différence capitale qu'on ne doit pas perdre de vue,
quand on les juge l'un et l'autre.
Le XIX' siècle est remarquable, entre tous, par ceci qu'il a ruiné
toutes les institutions qu'on avait considérées jusque-là comme iné-
branlables et qu'il a éclairé l'humamtc sur leur inconsistance.
Maintenant, il n'est pas impossible de prévoir la marche des choses
dans l'avenir, abstraction faite de la durée de temps.
Il ne faut pas s'attendre à voir surgir quelque chose d'absolument
nouveau ; il semble plus probable que l'humanité tournera toujours
sur la même et sempiternelle roue. L'Europe marche peu à peu vers la
république fédérative, l'Amérique vers la monarchie, pour revenir
ensuite chacune à son point de départ : l'Europe à la monarchie et
l'Amérique à la république, en jetant la monarchie constitutionnelle
comme un pont entre les deux régimes.
En Europe commencera la grande guerre des races, après laquelle
les peuples se constitueront de nouveau en nations, plus tard en com-
munes et ensuite en familles, c'est-à-dire que l'humanité refera toute
la route historique qu'elle a déjà parcourue.
Il en sera de même pour la religion. Les hommes se tourneront de
nouveau vers le panthéisme pour revenir ensuite à Dieu. Peut-être
finalement atteindront-ils l'âge d'or et deviendront-ils une humanité
fraternelle, ayant une seule religion, une seule forme de gouvernement,
sans guerre, sans socialisme, sans veau d'or... mais ce ne sera que lors-
que le monde sera vraiment près de sa fin.
Je pourrais m'e.xpliquer l'immortalité de l'àme, si celle-ci pouvait de
l'autre monde conserver quelque relation avec les êtres chéris qu'elle a
laissés sur la terre.
Mais je ne peux pas concevoir que l'âme puisse vivre dans d'autres
mondes avec des intérêts n'ayant rien de commun avec ceux des per-
sonnes aimées qu'elle a quittées sur cette terre.
NOUA^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Art et politique (rien de Richard Wagner). On a inauguré à Berlin un
monument à la mémoire du prince de Bismark, et à cette occasion un chœur
d'enfants des écoles devait chanter une cantate patriotique ; mais celte can-
tate a été fortement maltraitée et mutilée par la censure, qui a simplement
supprimé des strophes dans lesquelles un éloge excessif de Bismark aurait pu
éveiller les susceptibilités de S. M. Guillaume II, qui sans lui ne serait
pourtant pas empereur. — D'autre part, un citoyen Israélite de la ville d'Er-
langen (Bavière) ayant légué à cette ville une somme de 30.000 marcs pour
l'érection d'un monument au grand poète Henri Heine, l'auteur des Reise-
bilder, la municipalité a refusé d'accepter ce don, eu motivant son refus sur
la tendance antiallemande de Heine, qui, on le sait, se qualifiait lui-même,
lors de son séjour en France, de « Prussien libéré ». Selon la volonté du
testateur, la somme sera transmise alors à la ville de Budapest, qui s'est
déclarée prête à l'accepter aux conditions indiquées. — Euhn, le ministre
des cultes et le ministre de l'intérieur du royaume de Bavière ont adressé
une circulaire aux autorités de police d'après laquelle les représentations
publiques de pièces de théâtre dont le sujet est emprunté à l'histoire biblique
ne doivent pas être autorisées. Les ministres se réservent le droit d'accorder,
à titre exceptionnel, une autorisation pour la représentation des pièces de
ce genre.
— De Berlin : Le concours pour le monument de Richard Wagner, qui sera
érigé dans la Thiergartenstrasse, vient de s'ouvrir. Soixante-seize sculpteurs
— pas un de moins — ont envoyé des maquettes représentant le génial
maître allemand debout, assis, avec et sans pupitre, avec et sans bâton de
chef d'orchestre. Les esquisses resteront exposées jusqu'au 12 juin, où un
jury international fera choix des dix meilleurs envois, dont les auleurs —
qui toucheront chacun 2.000 marks — seront admis à un concours restreint.
Trois prix seront attribués aux lauréats de ce dernier concours. Ces prix
sont de 2.Fi00, 1.500 et 1.000 marks. Le tolal des frais du monument de
Richard Wagner est évalué à 123.000 marks.
— ■ M"'= Lilli Lehmann vient de donner à Berlin une représentation de Norma,
œuvre dans laquelle elle est restée célèbre. A celte occasion elle raconte, dans
un journal berlinois, un joli souvenir de sa carrière .11 y a un quart de siècle
elle avait joué Norma à Stettin, et on lui avait confié, pour représenter ses
enfants, deux jumeaux, fils d'un machiniste, qui étaient fort sages et habitués
déjà à la scène, malgré leur tout jeune âge: trois ans seulement 1 A la répé-
tition tout avait marché à souhait, et les enfants n'avaient rien laissé à
désirer : mais à la représentation l'un des garçons, en voyant s'avancer tout
à coup une Norma en costume et brandissant un poignard, tandis que l'ar-
tiste avait joué à la répétition en toilette do ville et munie d'une ombrelle,
s'effraya et rentra d'un bond dans la coulisse en s'écriant dans un affreux
patois que nous traduisons dans la divine langue de la Butte sacrée : « Zut !
ma vieille, Bibi ne se laissera pas chouriner par toi! ». Inutile d'ajouter que
le marmot remporta le plus gros succès de la soirée.
— L'Opéra impérial de Vienne a joué Faust, la semaine passée, pour la
403= fois. Un semblable « jubilé » est des plus rares de l'autre côté du Rhin,
où le répertoire varie beaucoup plus qu'à Paris. M. A.-J. Weltner, le savant
archiviste de la surintendance générale des théâtres impériaux, consacre donc
à cet événement un 'article substantiel auquel nous empruntons quelques
détails intéressants. L'œuvre de Gounod a été jouée pour la première fois à
l'ancien théâtre de l'Opéra, près la porte de Carinthie, le S février 1862, et y
a atteint sa 103» représentation le 13 janvier 1870. Repris le 2S mars 1870 au
nouvel Opéra, Faust vient d'y parvenir à sa 400' représentation. La liste des
artistes qui ont prêté leur concours à cette longue série de représentations,
qui s'étend sur un espace de presque quarante ans, ofl're des noms retentis-
sants : Niemann (1869), Nicolini (1877), Capou! (18715), Masini (1878) et Van
Dyck (1890) dans le rùle de Faust; M°'« Arlot (186D), Minnie Hauck (1870),
Lucca (1872), Heilbronn (1876), Christine Niisson et Adelina Patli (1877) et
Saville (1898) dans le rôle de Marguerite; Scaria otJ.-B. Faure (1878) dans
le rôle de Méphistophélès; Padilla dans le rôle de Valentin et M"" Zelia
Trebelli (1877) dans celui de Siebel. Les autres opéras de Gounod sont loin
d'avoir eu pareille fortune à Vienne. On n'a joué Roméo et Juliette que 73 fois,
Mireille 2 fois seulement, Philémon et Raucis 24 fois et te Tribut de Zamora
2b fois. Pour les autres ouvrages de Gounod, ils n'ont jamais été représentés
à Vienne. •
— L'art théâtral est largement subventionné de l'autre côté du Rhin, et
même les petites villes ne manquent pas d'y soutenir leurs théâtres. Ainsi
M. Grégor, directeur du théâtre municipal d'Elberfeld, \ille de ISO. 000 habi-
tants, vient de recevoir une subvention annuelle de 7.3.000 francs. Dans ces
conditions il peut cultiver le grand opéra et se permettre le luxe de monter
des œuvres nouvelles, comme la Louise de M. Charpentier. L'existence de ces
théâtres municipaux, même dans des villes modestes, explique l'abondance
des œuvres lyriques allemandes, dont le succès, il est vrai, dépasse rarement
la ville qui les vit naître.
— La saison des festivals a commencé de l'autre côté du Rhin. Quatre fêtes
musicales ont eu lieu la semaine passée àCologne, à Worms, à Heidelberget à
Augsbourg. Partout l'alïluence du public a été énorme et la consommation de
musique vraiment extraordinaire. A Augsbourg, M. Siegfried Wagner a conduit
le prélude de Parsifal et a été applaudi comme s'il en était l'auteur; à Worms,
l'oratorio de M. Klughardt, lu Destruction de Jérusalem, a remporté un grand
.succès; à Cologne, c'est à M. Raoul Pugno que sont allés les applaudisse-
ments du public. La presse est unanime à constater, non sans étonnement,
que le concerto en mi\) majeur de Mozart (n" 9) a obtenu un grand succès,
grâce à son interprétation par le grand pianiste français.
— M. Eugène d'Albert, l'auteur de l'excellent opéra-comique le Départ,
est en train de terminer un nouvel opéra-comique en trois actes dont le titre
n'est pas encore fixé. L'Opéra royal de Berlin aura la primeur de cette œuvre
au commencement de la saison prochaine.
— Le père Hartmann (comte An der Lan-Hochbrunn), l'auteur des orato-
rios Saint-Pierre et Saint-François d'Assise, vient d'être nommé directeur de
l'École papale de musique à Santa-Chiara.
— Le tsar Nicolas II a ordonné l'érection d'une statue du compositeur
Glinka sur une place publique de Saint-Pétersbourg et autorisé une sous-
cription nationale à cet effet, souscription à laquelle il a d'ailleurs très large-
ment contribué.
— On annonce de Saint-Pétersbourg que le théâtre allemand de cette ville
restera clos pendant la prochaine saison. Dans l'assemblée générale de la
Société protectrice de l'art dramatique en Russie, on a décidé que, vu le
déficit de plusieurs milliers de roubles qu'a laissé l'exploitation de ce théâtre
pendant la dernière saison, on prierait les acteurs allemands de rester chez eux.
[8-2
LE MENESTREL
— On annonce la prochaine apparition à Genève d'un nouveau journal spé-
cial, la Musique en Suisse, qui sera dirigé par M. Jaques-Dalcroze, professeur
au Conservatoire. M. Jaques-Dalcroze a déjà publié en cette ville, il y a
quelques années, une Ga:etle musicale de la Suisse romande, dont l'existence
a été courte.
— On a représenté au théâtre Minerve d'Udine, au profit d'une œuvre de
bienfaisance, un petit opéra écrit pour des enfants et e.xécuté par des enfants.
Ce petit ouvrage a pour titre il GioicUo riirovalo et pour auteur le maestro
Domenico Montico.
— S'il fallait en croire une dépêche du Daily Express, une grève de journa-
listes se préparerait en Espagne, et tout d'abord à Saragosse, où nos con-
frères réclameraient une augmentation de traitement. Ceux de Madrid se
préparent à suivre leur exemple, en exigeant surtout le repos dominical.
— De Lisbonne : La « Société artistique de concerts de chant » vient de
donner, dans la salle du Conservatoire et en présence de la Reine, la dernière
de ses très intéressantes séances de la saison. Le succès, comme toujours, a
été très grand, et on a fêté l'excellent maestro Alberto Sarti, qui la dirige
avec tant de dévouement et de goût artistique. La Société annonce pour la
prochaine saison, dans le courant de décembre, la première audition, ici, de
la Terre Promise, le nouvel oratorio du maître Massenet.
— Du Gaulois: « Un imprésario de New-York est entré en pourparlers avec
une compagnie transatlantique allemande pour établir à ses frais un théâtre
sur chacun des paquebots qui font le service régulier entre l'Europe et
l'Amérique. On ne peut que s'étonner que cette idée ingénieuse n'ait pas été
plus tôt émise. L'ennui des sept jours de traversée est mortel sur ces grandes
villes flottantes, et depuis que certains scandales retentissants obligèrent la
compagnie à interdire le poker et le baccara à bord de ses navires, elle avait
imaginé de n'engager comme garçons de cabine ou maîtres d'hôtel que des
jeunes gens sachant jouer d'un instrument, ce qui permettait au capitaine
d'offrir à ses passagers un concert quotidien. Mais le voyage de retour de
Sarah et de Coquelin a ouvert les yeux à l'imprésario en question. On sait
qu'au cours de la traversée nos deux compatriotes, qui avaient pour com-
pagnons de voyage les deux de Reszké, le pianiste russe Gabrilowitsch et
plusieurs chanteurs et chanteuses, organisèrent une représentation qui pro-
duisit plus de huit mille francs, et dont le produit fut versé dans la caisse
de retraites de la compagnie. Les nouveaux théâtres... en pleine mer seront
inaugurés d'ici quelques semaines: le prix des places sera de six francs; des
troupes françaises, anglaises et allemandes sont déjà engagées. »
— Un spectateur grincheux et un procès original. La chose se passe à
Ne-w-York, où un amateur susceptible a cité devant le tribunal le directeur
du Garrick-Théâtre, parce que celui-ci a annoncé sur l'affiche la 137» repré-
sentation du Capitaine Jinks alors que, selon lui, cet ouvrage n'avait pas encore
atteint la centième. Il affirme avoir été ainsi trompé sur la qualité de la
marchandise vendue et réclame, en conséquence, le remboursement du prix
de sa place pour dommages et intérêts. On ne nous dit pas encore quelle a
été la sentence du tribunal.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Jeudi, à cinq heures, dans la galerie des tableaux du théâtre de l'Odéon,
s'est tenue la première réunion de la Société d'histoire du théâtre. La
Société, dont le président d'honneur est M. Henry Eoujon, directeur des
beaux-arts, est constituée sous la présidence de M.Yictorien Sardou et sous
la vice-présidence de MM. Détaille, Henry Fouquier et Gustave Larroumet.
Elle se compose de vingt membres : MM. A. Arnault: Henri Bouchot, conser-
vateur du cabinet des estampes à la Bibliothèque nationale ; Cain, directeur
du Musée Carnavalet ; de Curzon, des Archives nationales ; Edouard Détaille,
de l'Institut ; d'Estournelles de Constant, chef du bureau des théâtres ; Mau-
rice Faure, vice-président de la Chambre; Henry Fouquier; Paul Ginisty,
directeur de l'Odéon; G. Larroumet, de l'Institut, secrétaire perpétuel de
l'Académie des beaux-arts; G. Lenôtre ; H. Lavedan, de l'Académie fran-
çaise ; Ch. Malherbe, archiviste de l'Opéra ; Henri Martin, bibliothécaire à
l'Arsenal ; Monval, archiviste à la Comédie-Française ; G. Montorgueil ;
Gustave Roger, agent général de la Société des auteurs dramatiques ; Saint-
Saëns, de l'Institut ; Albert Soubies ; Weckerlin, bibliothécaire du Conser-
vatoire. M. Paul Ginisty a été élu secrétaire général. La Société, qui, en
l'absence de M. Sardou, empêché, était présidée par M. Maurice Faure, a
délimité l'objet de ses travaux et a formé deux commissions. La première,
sous la présidence de M. Henry Fouquier, s'occupera de l'histoire générale,
orographie, bibliographie, iconographie du théâtre. La seconde, sous la pré-
sidence de M. Ed. Détaille, étudiera l'histoire des monuments et du matériel
théâtral. MM. Lenôtre et Malherbe sont les secrétaires de ces deux com-
missions.
— Samedi a eu lieu dans la salle du théâtre des Nouveautés l'assemblée
générale annuelle de l'Association des artistes dramatiques, au milieu d'une
assistance plus nombreuse qu'aux réunions précédentes. M. Coquelin aîné
présidait. M. Péricaud a ouvert la séance par la lecture de son rapport, duquel
il résulte que les recettes se sont élevées à 4.'Î6.034 francs, les dépenses à
3S6.643 francs. Les rentes de la Société sont de '208.192 fr. 92, M. Péricaud
donne ensuite la liste des dons divers, dans lesquelles M™" veuve Bertrand
figure pour 17.800 francs et M. Chauchard pour sa contribution annuelle de
5.000 francs. Le triomphe du rapport est surtout pour le passage où il est
rendu compte de la loterie. M. Coquelin aîné prend easuite la parole pour
annoncer qu'il projette la création d'un asile pour les artistes nécessiteux, et
qu'il a même déjà une partie des fonds nécessaires à cette fondation. Cette
bonne nouvelle est accueillie, comme bien l'on pense, par une salve d'applau-
dissements. Il est ensuite procédé à l'élection du président et de six membres
du comité : le dépouillement du vote donne les résultats suivants : M. Coquelin
aîné est réélu, pour une année, président à l'unanimité des 372 votants, et
MM. Maubant, Coquelin cadet, Alexandre, Henri Micheau, Guyon fils,
Amaury, membres sortant;, sont réélus membres du comité pour une période
de cinq années.
— Nous avons dit que M. Tellier. sénateur de la Somme et maire d'Amiens,
avait écrit dernièrement au ministre de l'instruction publique pour l'infor-
mer de son intention de le questionner à la tribune du Sénat au sujet des
droits réclamés depuis quelque temps par la Société des auteurs, composi-
teurs et éditeurs de musique, droits qui auraient été augmentés ou réclamés
injustement. Le ministre vient de faire parvenir à M. Tellier la réponse sui-
vante :
Monsieur le sénateur,
Vous avez bien voulu me faire part de votre intention de me questionner à la tribune
du Sénat sur les exigences de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
^is-à-vis des municipalités, en ce qui concerne les auditions publiques et gratuites don-
nées par les sociétés musicales.
J'ai examiné la question avec le plus grand soin et j'estime comme vous que l'inter-
prétation qui a été donnée à l'accord intervenu en 1894 et consacré par une circulaire en
date du 21 mai de la même année est critiquable. La concession faite par la Société des
auteurs aux sociétés musicales s'applique à a toutes les auditions publiques et gratuites ».
Ni dans les travaux préparatoires, ni dans le texte de l'accoi'd, il n'y a trace de cette
distinction entre une audition donnée par la Société musicale sur sa propre initiative ou
sur l'initiative -d'une municipalité.
J'ai, en conséquence, l'honneur de vous informer que je viens d'écrire à M. le prési-
dent de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, pour le prier de
renoncer à l'interprétation toujours admise jusqu'ici. Je ne doute pas qu'entière satisfac-
tion ne soit accordée aux légitimes recommandations dont vous vous êtes fait l'interprète.
Agréez, monsieur le sénateur, l'assurance dfi ma considération la plus distinguée.
Georges Leï>;ues.
A vous la parole, ô Souchon !
— M^'s Sibyl Sanderson va donner â l'Opéra-Gomique six représentations
de Phryné qui sont fixées aux 11, 13, IS, 18, 20 et 22 juin. M. Fugère repren-
dra son rôle de Dycéphile et M. Ed. Clément fera, en même temps, sa rentrée
à l'Opéra-Comique dans le rôle qu'il a créé.
— L'Opéra-Comique ne donnera pas de matinée aujourd'hui. — Ce soîr,
Louise.
— En raison de la chaleur persistante, M. Carré remet à l'automne la ma-
tinée qu'il devait donner le IS juin au bénéfice de M""^ veuve Taskin. Les
personnes ayant loué leurs places pour cette matinée pourront se faire rem-
bourser au bureau de location si elles ne préfèrent maintenir leur inscription
pour ce bénéfice, qui n'est qu'ajourné et qui aura lieu en octobre ou novem-
bre prochain avec un magnifique programme qui réunira sur l'alfiche les
noms de nos principaux artistes.
— M. Albert Carré vient de recevoir, pour être représentée prochainement,
une tragédie lyrique populaire en 3 trois actes de M. Henry Bataille, musique
de M. Sylvio Lazzari. Titre : la Sorcière.
— Les abonnements de l'Opéra-Comique formeront pour la saison 1901
1902 deux catégories distinctes : la première, des jeudis et des samedis, aux
conditions anciennes, ira du 7 novembre 1901 au 14 juin 1902 et comprendra
deux séries de quinze représentations, composées de quinze programmes
différents. Les abonnés du jeudi et du samedi ont la primeur des œuvres
nouvelles, et c'est en leur honneur que chaque année la direction met à la
scène un des chefs-d'œuvre de la musique. La seconde catégorie, de création
nouvelle, constituera un abonnement de famille, comprenant quinze repré-
sentations qui auront lieu tous les lundis du 11 novembre au 16 juin, en
deux séries A et B. Le tarif réduit de cet abonnement, calculé sur le prix
de bureau, de même que le choix des spectacles, composés d'œuvres du
genre et du répertoire de l'Opéra-Comique, justifieront le titre de « lundis de
famille », qui est donné à cet abonnement spécial. — Les inscriptions sont
reçues dès à présent. Il y sera fait droit dans la mesure des places vacantes,
dans l'ordre des inscriptions. Le bureau des abonnements (entrée rue Mari-
vaux) est ouvert tous les jours, de dix heures à midi et de une heure à six
heures.
— Au mois de mars dernier, comme nous l'avons dit, le conseil municipal
avait autorisé M. de Mayrena à construire sur l'emplacement de l'ancien
Cirque d'Été un cirque nouveau où auraient été données, à certains inter-
valles, des auditions musicales. On annonce aujourd'hui que le concession-
naire n'a pu mettre son projet à exécution. MM. Ghassaigne-Goyon etQuentin-
Bauchart proposent donc la résiliation du traité signé. Ils demandent, en
outre, l'installation sur le terrain rendu libre d'un kiosque à musique, où
seront donnés des concerts publics.
— Une protestation signée de MM. Maurice Faure, Benjamin-Constant,
Deluns-Montaud, Henry Fouquier, Ch. Formentin, Albert Tournier etSextius
Michel, vient d'être adressée à M. le ministre de l'instruction publique et au
maire d'Orange. Il paraît qu'un entrepreneur de spectacles se propose — sans
la moindre autorisation officielle — de s'installer au Théâtre antique et d'y
LE MENESTREL
183
donner des représentations pour faire concurrence à celles autorisées par la
commission ministérielle. Les cigaliers et les félibres, qui ont la tête chaude,
ne sont pas d'humeur à se laisser ainsi envahir. Comme ils savent que
MM. Mouzin et Emile Fabre ont seuls été désignés par la commission minis-
térielle, ils n'en veulent pas d'autres.
— La représentation des « Escholiers » aura lieu mercredi prochain 12juin,
à 8 h. 1/2 très précises, au théâtre Sarah-Bernhardt. La veille et à la même
heure, répétition générale. Au programme : Conle de Fée, un acte en vers,
avec ballet, de M. Maurice Froyez, musique de M. Maurice Depret :
La princesse 51""' Sandrini
Le prince Charmant H. Régnier
La fée Urgèle L- Piron
Le meneur de jeu Clary
L'Ile heureuse, poème dramatique en trois actes, en vers libres, de M. Eugène
Morand, musique de M. Ernest Moret :
Joris MM. Pierre Magnier
Yanko Albert Mayer
Kornick Garbagni
Joss Le Breton
Claess Ramel
PériUus Carlo
L'évêque Arsène Ragot
Liïoe M"" Moréno
Hillys Renée Parny
Le Prologue et l'Epilogue, en prose, seront dits par MM. Gavarry, Des-
planques, Guirand et Charly. L'orchestre, composé de cinquante musiciens,
sera dirigé par M. Tourey.
— Le théâtre du Vaudeville paraît vouloir faire, l'hiver prochain, une
place à l'opérette au milieu de ses programmes littéraires. C'est ainsi qu'on
annonce déjà la réception par M. Porel d'une pièce de MM. de Caillavet et de
Fiers, musique de M. Claude Terrasse, dont le principal rôle serait créé par
M. Tarride. Des pourparlers seraient aussi engagés avec une de nos plus
charmantes étoiles d'opérette. M"' Germaine Gallois.
— M. Albert Soubies, toujours infatigable, en est au onzième volume de
son Histoire de la musique chez tous les peuples européens. Ce dernier venu
nous entretient des États seandinaues, « des origines au dix-neuvième siècle ».
Ici le sujet est neuf, et n'avait guère été abordé jusqu'à ce jour. L'auteur a
publié d'abord ce travail dans la Rioista musicale italiaiia, puis il l'a complété
pour le donner sous sa forme présente. La musique a toujours été très en
honneur chez les peuples du Nord, et cultivée par eux avec amour et avec
succès; mais les œuvres de leurs artistes n'ont guère dépassé, à part de rares
exceptions, les frontières de leur pays, si bien qu'historiquement elle est peu
connue. Les curieux qui voudront se renseigner à ce sujet, au moins d'une
façon sommaire, liroiït le nouveau volume de M. Soubies.
— Le correspondant du Ménestrel à Londres, M. Léon Schlésinger, vient,
sur la proposition de l'ambassadeur de France, d'être nommé officier d'Aca-
démie. Titres : compositeur de musique, critique musical et services rendus
à la musique française eu Angleterre.
— Le violoniste J. Boucherit donnera, le mercredi 12 juin, un concert
avec le concours de M. Louis Diémer. Au programme, œuvres de Saint-Saëns,
Fischhoff, etc. M. Boucherit partira ensuite pour l'Angleterre, où il a plusieurs
engagements.
— Soirées et Concerts. — ChezM™^ Paul Poirson toute une soirée, consacrée à l'art de
la chanson, depnis Martial d'Auvergne, c'est-à-dire depuis le XV" siècle jusqu'aux jeunes
chansons de nos provinces françaises si habilement reconstituées et recueillies par Julien
Tiersot. C'est à la grande science du charmant causeur Maurice Lefèvre que M"" Poir-
son a en recours pour organiser cette soirée. Maurice Lefèvre a su, avec un soin judicieux
et un goût très averti, composer un programme dont l'éclectisme et l'élégance, ainsi que
l'art véritable, ont été acclamés par un public d'élite. Dans la série consacrée aux poètes
du XV°, XVl°, XVII" et XVIII» siècles, des danses avaient été intercalées sur le Menuet
d'Exaudet et sur un Menuet et un Tambourin Régence, qui furent dansées par M""' Pierre
Girod et M. Royer. Les Vieilles chansons françaises de Julien Tiersot ont été, comme
toujours, fêtées, comme on fête les précieuses petites fleurs des champs qui sentent bon et
qui sont, comme les « arondelles » de Remy Belleau, les messagères des beaux jours.
Pierre et sa Mie, Quand tu tenais la caille, Là-haut sur la montagne, le Roy Loys
VAne de Marion, que M"" Cruppi a détaillé avec une exquise finesse, et tant d'autres
encore, ont rencontré près d'un public de race, un accueil chaleureux. La soirée commen-
çait par une partie de concert entièrement consacrée à Maurice Rollinat, le poète qui vit
son rêve, au fond de sa Creuse chérie. C'est dans cette partie que M"" Camille Robert
s'est affirmée, dans Ylnvilaiiûn au voyage, le Hecueillement, la Causerie, les Pêchers
roses, le Cimetière aux violettes et la Mort des Fougères. — Les soirées vraiment artisti-
ques se sont succédé rue d'Athènes, à la Salle des Agriculteurs : dernièrement
c'était M"" Teresa Tosti, qui faisait applaudir son beau sentiment dramatique et son art
vibrant dans plusieurs beaux lieder de Schubert ; M. Rodolphe Panzer, qui l'accompa-
gnait, a magistralement exécuté des morceaux de haute virtuosité, tels que les Variations
en ut mineur, de Beethoven, les Davidshiindlertaenze, de Schumann et la Valse de
Mèphisto, si singulière, de Liszt. j| — Puis ce fut M. Léon Moreau qui se montra favo-
rablement sous les deux aspects du compositeur et du pianiste; avec MM. G. Enescoet
Casais, il a fort bien dit le trio en fa majeur, de Saint-Saëns, et M""" Litvinne, qui venait
d'interpréter avec succès plusieurs de ses gracieuses mélodies, a dramatiquement chanté
toute la scène finale de la Walkyrie avec le ténor C. Rousselière : belle soirée d'art ! R. B^
— En diverses églises de Paris, et notamment à Saint-Vincent-de-Paul, vient d'être
exécuté un très intéressant Andante religioso pour violon et grand orgue, qui a pour
auteur l'éminente pianiste M"" Delâge- Prat. — Salle Pleyel, matinée d'élèves de
M"" Steiger. Succès habituel pour les excellents professeurs. Parmi les
remarqués citons la Marche de Ssabady à huit mains, jouée avec un ensemble i
M"° Juliette Dantin a exécuté avec maestria la Sonate de Rubinstein, avec M"° Gab.
Steiger qui a tenu sa partie en excellente pianiste. On a bissé à M"" Dantin une mélodie
de Ch. Steiger pour violon et piano.— Salle Pleyel, M. Jean Canivet a donné, avecle
concours de M. Paul Oberdoerffer, deux intéressantes séances de musique de chambre
moderne. En dehors des sonates pour piano et violon en sol mineur de Grieg et en ré
mineur, de Saint-Sacns, les jeunes artistes ont excellemment interprété la sonate en sol
majeur de M. Lekeu et la Suite de M. Ed. Schûtt, deux morceaux qui mériteraient d'être
joués plus souvent. Le trio en fa de Godard, avec SI. Feuillard au violoncelle, a égale-
ment été applaudi. M"° Cormon a fort agréablement chanté plusieurs mélodies ; on lui a
bissé Pensée d'automne, de Massenet, et la jolie mélodie Promenade, de M. Jean
Canivet. — MM. Gustave et Joseph Baume, les renommés professeurs de Toulon, ont fait
entendre leurs nombreux élèves en deux séances qui ont pleinement réussi. On a remar-
qué la très bonne exécution de Jeunes cliasseurs, Trojelli (M. H. R.), Souvenir d'Alsace,
Lack (M"" L. R.), Souvenir d'Antan, Lack (M"" F. L.), Intermezzo de CaîjaZ/en'a, Mascagni
(M"* L. F.), Menuet de Manon, Massenet (M. J. E.), Grenade, Rougnon (M"" M.), Gavotte,
Dedieu-Pèters (M"» A.), Paul et Virginie, Massé (M"° L. G.), Méditation de Thaïs, Masse-
net (M"" M. R.), Minuelto, Colombine, Castillon (M"" F. L.|, Danse Galicienne, Lack
(M"' Y. T.), Libelhde, Pugno (M"» C. P.), Danse flamande, Blockx (M"°I.), Sorentirui,
Lack (M"' J . D . ), Solo de concours, Lack (M"' A. S.), Marclie de Jean de Nivelle, Delibes
(M. J. E.), Valse pimpante, Lack (M"° J. M.), Sérénade, Schubert-Lange (M"° H.D.), non-
soir Colin, Wachs (M"" C), Les noces d'Yvonette, Wachs (M"" M. E.),Airâ danser, Pugno
(M"' R. G.), Polichinelle, Rougnon (M"" M. A.), Aubade militaire, Lack (M"° S.), Cha-
conne, Dubois (M"' B.), Sérénade du Roi d'Ys, Lalo (M"" M. J.), air de Manon, Massenet
(M"° M. B.) etc. — Au concert qu'elle a donné salle Pleyel, M"" Astrue-Doria a remporté
grand succès en chantant l'air d'Eve, de Massenet, et, avec M. Paul Pecquery, le duo du
même mystère. — M. Louis Diémer a fait entendre les élèves de sa classe du Conserva-
toire pleine de belles promesses, comme toujours. 11 faut signaler tout particulièrement
MM. J. Masson {Les Myrtilles, Dubois), V. Gille ILa Neige, Delibes), A. Turcat {Le Banc
de mousse, Dubois), Boschard {Prehidio-Paletico, Dubois), Lortat-Jacob(Gafa(éa, Dubois),
Garés {Thème varié, Dubois) et Billa {Les Abeilles, Dubois). — Quelques jours après
l'excellent maître recevait chez lui où l'on a fait de très exquise musique avec son pré-
cieux concours etceluideM'""deLaboulaye,Terrier-Viccini, de M"" de Cazotte, de MM. Gé-
lose, Casais et Monteux. — A Saint-Louis d'Antin clôture superbe du mois de Marie avec,
pour les fidèles, une surprise peu commune : Faure, notre grand et incomparable chan-
teur qui, sans prévenir personne, est monté à l'orgue et a chanté son Ave Maria, accom-
pagné par le violon de M. Denayer, son Crucifix, et, avec M"" Sureau-Bellet, son Sancta
Maria et son 0 Salutaris. On juge de l'émotion de toutes les personnes qui emplissaient
l'église de la rue Caumartin. — Matinée d'élèves chez M""^ Laënnec, au cours de laquelle
on remarque M""" R. F. {Allegro du 3" concerto, Dubois), A.-M.-G. {Le Retour, Bizet).
M"" Laënnec prêche d'exemple très heureusement en jouant la Légende de Saint-François
de Paule, de Liszt. — Salle de la Schola Cantorum, M"" Dijonnet a présenté à son maître,
M"" Pauline Viardot, tout un groupe d'élèves en très bonne voie. M"" Pauline Viardot
accompagnait elle-même ses œuvres, A la Fontaine, la Dinderindine. On bisse Mai,
Quand je fus pris au pavillon. Si mes vers avaient des ailes et Troia jottrs de vendange, de
Reynaido Hahn, et on applaudit Musette, de Périlhou, l'air de Louise, de Charpentier et
le trio de Cendrillon de Massenet. — Le concert donné par M. A. AVeingaerlrter a été très
brillant. Les noms réunis de M"" Agussol, Marie Weingaertner, Dartigue, de Loubières,
Marthe Leuclud, de MM- Boudouresque, Bruzzi, Marcel Legay, Feuillard, H. Rossi,
Lemercier, unis à celui du bénéficiaire, assuraient d'avance le succès de cette soirée.
Parmi les nombreux numéros du programme, mentionnons la première audition d'un
caprice pour piano et violon, du jeune compositeur Emile Bourdon. Comme toujours,
accueil triomphal aux fragments d'œuvres de Massenet, Delibes, Reyer et Gounod. —
Soirée musicale annuelle des élèves de M"" Lafaix-Gontié, salle Érard, qui vaut de nom-
breux applaudissements au professeur et au compositeur. Très jolie exécution d'Avril est
amoureux, de Massenet, par M"'' P. de G . , et de VEntr'acte Sevillana, de Massenet, joué
par M""' H. B. de D., C. C., C. H et G. D. — M"" Henriette Coulon, l'éminente pianiste,
vient de donner, salle Érard, son concert annuel. Le programme débutait par un trio de
Brahms supérieurement interprété par M"" H. Coulon, MM. Gorski et Salmon. Succès
aussi pour la Sonate appassionata de Beethoven et pour les charmants Myrtilles, de Théo-
dore Dubois, rendus avec une finesse, une grâce et un charme incomparables.
NÉCROLOGIE
Le compositeur Georges Vierling est mort à Wiesbaden, à l'âge de
81 ans. Il était né à Frankenthal (Palatinat) le S septembre 1820, reçut l'ins-
truction musicale de son père et devint plus tard élève du professeur
A.-B. Marx de Berlin. Il obtint la place d'organiste à l'église Sainte-Marie de
Francfort-sur-l'Oder, ensuite celle de chef d'orchestre à Mayence, et se fixa
finalement à Berlin, où il fonda, en 18S7, la première Société Bach, qu'il
dirigea fort longtemps. Parmi ses nombreuses compositions il faut surtout
citer ses oratorios : l'Enlèvemeul des Sabines, Alaric et Constantin ; plusieurs can-
tates lyriques, parmi lesquelles Iléro et Léandre; ses ouvertures pour la Tempête,
pour Marie Sluart, et celle intitulée Au printemps. On lui doit aussi des motets
et d'importantes compositions religieuses, telles que les psaumes 100 et 137,
diverses œuvres instrumentales, des lieder et une série de chœurs sans accom-
pagnement qui ont été chantés par tous les orphéons d'outre-Rhin.
— A Londres est mort le mois dernier, à l'âge de S3 ans, Henry Frost,
artiste fort habile, qui fut pendant longtemps organiste de la chapelle royale
et qui s'est fait remarquer comme critique musical du journal le Standard.
— De Turin on annonce la mort, dans un âge avancé, deM^i^ Angola Teja-
Unia, veuve depuis trente ans du pianiste compositeur Giuseppe Unia, qui
avait naguère le litre de pianiste du roi d'Italie. Excellent professeur elle-
même, elle avait eu pour élèves la reine Marguerite, qui, on le sait, est une
musicienne fort instruite, et la princesse Clotilde, épouse du prince Napoléon.
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TRAITÉ DE CONTREPOINT & DE FUGUE
THÉODORE DUBOIS
Membre de l'Institut — Directeur du Conserratoirc.
Un fort volume grand in-4'' de 300 pages. — Prix net : 25 francs.
Du même auteur : NOTES ET ÉTUDES D'HARMONIE, net : 15 francs. — 87 LEÇONS D'HARMONIE (basses et chants), net : 15 francs.
En vente AU MÉNESTREL ^^^ , rue Vivienne (tirage limité)
LE CONSERVATOIRE NATIONAL DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
.— DOCUMENTS HISTORIQUES & ADMINISTRATIFS —
Recueillis , établis ou rédigés
PAR
C: O ^M" ^ Tu^T^iff" T I=»IE3m=tE2
Sous-chef du Secrétariat, lauréat de l'Institut.
Un fort volixcne in-i" carré ae loeo pages, pnlblié par l'Imprimerie nationale.
DOCUMENTS HISTORIQUES
I. L'Ecole rovale de chant, 1784-1795; — II. L'École royale dramatique, 1786-1789; — III. La musique et l'École de la garde nationale, 1789-1790;
'IV. L'Institut national de musique, 1793-1795; — V. Le Conservatoire, 1793-1815; — VI. L'École royale de musique, 1816-1822.
DOCUMENTS ADMINISTRATIFS
VII. Actes organiques : règlements, arrêtés, rapports concernant l'enseignement; projets de réorganisation; — VIII. Conseils d'enseignement et comités d'examens,
arrêtés, états périodiques, liste alphabétique; — IX. Personnel administratif et enseignant, 1793-1900, états périodiques, liste alphabétique; — X. Exercices des
élèves : notice historique, programmes 1802-1900; —XI. Palmarès des concours, liste des professeurs et lauréats par branches d'études, morceaux de concours;
dictionnaire des lauréats (6.090 notices biographiques); statistiques, élèves, aspirants, classes, concours, répartition des lauréats par lieux d'origine;.
— XII. Distributions des prix; discours 1797-1864; programmes des concerts 1797-1900; — XIII. Budgets : crédits, dépenses; — XIV. Legs el donations en
faveur des élèves; — XV. Ecoles de musique des départements. — Tables chronologique, analytique et des noms.
Prix net : 35 francs.
Adresser les demandes AU MÉNESTREL, HEUGEL ET C'-, i lis, rue Vivienne, à Paris.
CENTRALE DES t
Dimanche 16 Juin 1901.
3664. - 67- mm - fi'U. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(les Bureaux, 2 *", rue TiYienne, Paris, u« «w)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL.
lie HaméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flaméPo : 0 îv. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (IG' article;, Paul d'Estrées. —
U. Semaine théâtrale : premières reprcEentations de Conte de fée et de T/fc heureuse,
^u théâtre des Escholiers, Paul-Éuile CHEV\LtER. — III. L;t musique et le théâtre aux
Salons du Grand-Palais (8" article), Camille Le Senne. — IV. Petites notes sans portée :
Bourses de voyages wagnériennes, Raymond Bouyer. — V. Le Tour de France en mubi-
que : la fête de l'âne, Edmond Xeuromm. — VI. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour
LA CHÈRE BLESSURE
aouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de M"' Blanchecotte. — Suivr;
. immédiatement : Soir d'été, n" 2 du Poétne du silence, d'ERNEST Mobet.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublieroasdimanciie prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Menuet Rococo, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Sous bois, de
A. PÉRILHOU.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les pins récents et îles documents inédits
(Suite.)
VII
Les artistes révolutionnaires. — Lays dans Castor et PoUux. — Lays missionnaire
de la République à Bordeaux. — Le Réoed du peuple. — L'orage d'Iphigénie et
le calme plat de la Vestale. — Un descendant de Lays. — Les chanteurs roya-
listes. —Lainez dans Ipbigénie en Aulide. — Ln loge de la duchesse de Biron et
l'autel de la pairie. — La revanche de Lainez. — Vestris et Gardel. — L'enlhou
siasme débordant de Karamsine. — La sage pondération d'flalein. — L'esprit de
dénigrement de Kotzebue. — L'adroite critique de Reichardt.
Si l'on veut étudier avec fruit l'histoire de nos artistes pen-
dant la Révolution française, il faut tenir compte de cette parti-
cularité que leur notoriété est moins en raison de leurs qualités
naturelles ou acquises que de leur participation plus ou moins
directe aux' actes de la vie politique. Sans doute, les contem-
porains rendent justice au talent et à la science de ces acteurs,
lors même que ceux-ci se désintéressent des agitations populaires ;
mais, il mérite égal, leurs préférences vont tout droit aux pas-
sionnés qui se jettent tète baissée dans l'arène. Combien de noms
viennent se presser sous notre plume à l'appui de notre thèse !
Nous nous contenterons de retenir ceux qui rentrent plus spé-
cialement dans le cadre de notre travail.
Or, s'il est un artiste patriote qui doive y figurer en première
ligne, c'est assurément Lays.
Ce merveilleux baryton, ou « concordant », comme on l'appe-
lait encore, qui avait la faiblesse de se prétendre une profonde
basse-taille, faisait les délices de tous les connaisseurs, depuis
son entrée à l'Opéra en 1779. L'illustre comédien Samson (1) — il
était alors bien jeune — affirme l'avoir entendu dans les AJijslère.s
d'fsis (la Flûte enchantée). Lays y tenait le rôle de Bocclioris, et la
salle restait suspendue aux lèvres du chanteur, quand il disait :
« Soyez sensible à notre peine » .
Je ne sais s'il était un républicain de la veille, mais il fut cer-
tainement un des plus ardents démocrates du lendemain. Il ne
laissa passer aucune occasion d'affirmer sa foi civique. Et le
public, qui lui était tout acquis, en acclamait avec frénésie les
ardentes manifestations. E. Giraud en fut témoin dans une de
ces journées historiques qu'enregistrent les Annales de la Révo-
lution. C'était pendant la représentation gratuite de Castor et
Pollua:, récemment remis à la scène, que donna l'Académie
nationale de Musique, en septembre 1791, pour fêter l'achève-
ment de la Constitution... la première, bien entendu. Nous avons
dit précédemment que Louis XVI assistait à cette cérémonie. La
reine l'accompagnait. Et quand les souverains arrivèrent au
théâtre, la foule les acclama. Au lieu de l'ouverture, les specta-
teurs entonnèrent à l'unisson, sur l'air du quatuor de Lucile :
Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?
Pendant toute la durée de la représentation, la moindre allusion
était saisie au vol et bruyamment applaudie. Mais lorsque Lays
se mit à chanter : « Tout l'univers demande ton retour », ce fut
de l'ivresse, du délire; l'artiste, l'orchestre, le roi, la reine, la
Constitution, la France étaient tour à tour accueillis par d'inter-
minables bravos; et Marie-Antoinette, dont ce fut peut-être la
dernière joie, s'écriait avec émotion : « Ah ! quel bon peuple,
qui ne demande qu'à aimer! »
Le « bon peuple » — et Lays avec lui — ne devait plus « aimer »
longtemps sa souveraine. Bientôt il ne sulEt plus au chanteur
d'affirmer sur la scène ses convictions révolutionnaires. Mission-
naire de la Montagne, il s'eiforça d'en propager l'évangile dans
divers départements, et plus particulièrement dans la Gironde.
La Marquise de Volage de Lude écrivait à l'une de ses amies que
le Comité de Salut public avait envoyé le chanteur Ha'/ (le véri-
table nom de Lays était Lay) à Bordeaux, avec « plusieurs mil-
lions pour y révolutionner les sections ». Le Comité de Salut
public eût été bien embarrassé de trouver d'aussi grosses sommes
dans les caisses de l'État, plutôt vides. Toujours est-il que Lays
apporta tant de zèle à l'accomplissement de sa tùche, qu'après
la réaction thermidorienne ses ennemis lui firent cruellement
sentir le poids de leurs rancunes. Certaines biographies assurent
Samson <1ù l.i Coniédie-Fr
s: OlhnilorIT, ISSfî
186
LE MÉNESTUEL
que les réactionnaires, persuadés de la bonne foi de Lays, se
contentèrent de hii réel-amer à maintes reprises, dans les
entr'actes, la chanson des aristocrates, le Réveil du peuple. L'ar-
tiste dut, il est vrai, subir cette humiliante obligation, mais après
quels orages 1 Dufort de Gheverny, à qui la mort de Robespierre
avait rouvert la route de Paris, ifut témoin d'une de ces tem-
pêtes.
D'accord avec ses camarades, Lays s'était décidé 4 reprendre,
pour sa rentrée à l'Opéra, le rôle d'Oreste dans Vîphigénie de
Gluck, rôle qui était un de ses triomphes. Dès qu'il parut des
sifflets, et même des « hurlements » , partirent de tous les points
de la salle. Lays attendait, les bras croisés, qu'une éclaircie lui
permit de commencer. Mais à peine ouvrait-il la bouche que le
tumulte redoublait. Dans les loges, les femmes agitaient leurs
mouchoirs d'un geste qui semblait le chasser. Enfin, il se retira,
et des applaudissements unanimes saluèrent son départ. Mais,
sur ces entrefaites, arrive un officier municipal.
— Au nom de la loi... dit-il, dès qu'il eût dépassé la rampe.
Tout le monde se tait: et voilà notre homme qui réclame le
même silence pour Lays. Le tapage recommence; et pour que
la représentation pût suivre son cours, il fallut (ju'un autre chan-
teur reprit le rôle d'Oreste.
D'après les Souvenirs du prince Galitzine, confirmés d'ailleurs
par les journaux du temps, Lays se vit imposer des couplets
royalistes, le 2 avril 1814, après la représentation de la Vestale
devant les Bourbons et les souverains alliés. Heureusement pour
lui, la présence de ces augustes spectateurs lui épargna les vio-
lences dont les représailles de la réaction l'avaient rendu victime
en 179S.
Existe-t-il aujourd'hui encore quelque descendant de ce fameux
artiste? On peut se poser cette question quand on a lu les Sou-
venirs (1) d'Élie Berthet. Ce romancier, presque oublié aujourd'hui,
prétendait avoir connu un fils ou un petit-flls de Lays, portant
le même nom, que l'indigence avait fait engager parmi les cho-
ristes de l'Opéra et qu'une méprise avait signalé comme valet
de bourreau.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Les Escholiers (Théâtre Sarah-Bernhardt). Conte de fée, ballet en vers, en
1 acte, de M. Maurice Froyez, musique de M. Maurice Depret : l'Ile heu-
reuse, poème dramatique eu 3 actes et 4 tableaux en vers libres, un pro-
logue et un épilogue en prose, de M. Eugène Morand, musique de
M. Ernest Moret.
« Les Escholiers », que le succès grandissant de leur intéressante
association d'amateurs épris des choses du théâtre a, non sans raison,
ajnenés à ne douter de rien et qui entendent toujours faire davantage,
non contents de monter de grands ouvrages d'auteurs dramatiques
nouveaux, avaient, pour leur dernier spectacle de la saison, pris la
résolution très hardie d'ajouter de la musique à leur programme. On
avait fait appel, dans des genres diamétralement opposés, à deux jeunes
compositeurs encore inessayés au théâtre. M. Maurice Depret, le
signataire tout mondain du populaire Sourire d'avril, et M. Ernest
Morel, un musicien de race, formé dans la célèbre classe de Massenet
au Conservatoire, dont les fort expressives et musicalement originales
mélodies sont prometteuses d'un avenir peu banal. Malheureusement,
« les Escholiers », habitués pourtant aux étonnants tours de force,
avaient, cette fois, un peu présumé de leurs forces et malgré les efforts
et la bonne volonté de tous et de l'orchestre d'amateurs — cinquante
exécutants — réuni pour la circonstance, il a fallu, au dernier moment,
faute du temps nécessaire pour des répétitions indispensables à la
bonne exécution de l'œuvre importante et complexe de M. Ernest
Moret, renoncer à faire entendre la partie symphonique de l'Ile heu-
reuse. Et c'est grand dommage, car la partition du jeune compositeur
contenait plus d'une page de valeiu-, d'une tenue très noble, d'un sen-
timent très personnel et d'une instrumentation heureuse qui, aux
répétitions, auxquelles il nous a été donné d'assister, même au travers
des tâtonnements de lectures assez difficiles, avaient produit grand effet.
Donc, l'Ile heureuse a été jouée sans musique — sauf cependant les
jolis chœurs de coulisse qui avaient été conservés — et M. Morand a
dû le regretter plus que personne, car son ouvrage avait été construit
pour ainsi dire musicalement. Quoi qu'il en soit, son « poème drama-
tique » demeure œuvre de haute valeur poétique et de large portée
philosophique. L'Ile heureuse, c'est celle que souhaitent habiter les
hommes voués au malheur. On sait qu'elle existe quelqu' part, on la
cherche avec des clameurs d'espoir suivies de cris de désespérance, et
c'est le pécheur .îoris qui, guidé par une sirène, la découvre et veut la
conquérir pour, dans son immense piété pour l'humanité, la donner à
cette humanité. Mais si Joris a conipris que le seul amour doit faire le
bonheur des êtres, ses compagnons, qui l'ont suivi et rejoint, ont des
idées frustes et mauvaises et, de par leur instinct méchant, amèneront
la disparition du séjour enchanté d'amour éternel. L'Ile heureuse, pour
échapper au mal contagieux et hideux, est engloutie, avec ses hôtes de
perfection, dans la mer ensevelisseuse. Et les hommes contiaueront
leur course folle, anxieuse et douloureuse, sans jamais atteindre à
l'idéale félicité qu'ils sont incapables de se donner ou de conserver, si,
par hasard, ils parviennent à y atteindre.
C'est en vers libres que M. Eugène Morand a écrit sa fable de bonté
et de beauté, et sa poétique, vive, prompte, amuseuse et fantaisiste dans
les passages d'exposition ou d'explication, se grandit avec les situations
(ît, avec les idées, se hausse à la pleine et à la belle grandiloquence de
l'alexandrin magistral. La salle a souligué chaleureusement nombre de
couplets d'envolée, dont ceux sur l'amour, au troisième acte, sont, entre
autres, d'inspiration superbe.
Suivant leur habitude, « les Escholiers » ont monté l'Ile heureuse
avec un goût intelligent et ont réuni une interprétation supérieure avec
M. Pierre Magnier et M""^ Renée Parny, et excellente avec M"^ Moréno,
MM. Albert-Mayer, Garbagni et Gavarry.
Conte de fée, qui commençait le spectacle, donné au Théâtre Sarah-
Bernhardt, est un tout agréable et aimable badinage chorégraphique
que M. Maurice Froyez a poétiquement encadré de gentils prologue et
épilogue, légèrement versifiés et gracieusement dits par M"'-" Clary, et
que M. Maurice Depret a commenté de musique légère, douce et
facile. M"''" Léa Piron, Sandrini et H. Régnier, toutes trois de notre
Académie nationale de danse, s'il vous plait, ont déployé dans cet
ingénieux petit divertissement, dont la fortune est assurée dans les
salons, toute leur grâce et tous leurs charmes,
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU G R AN D - F A LAI S
(1) lîlie Beuthet. — Histoire îles uns et des autres ; Deritu, 1878.
(Huitième article.)
Les peintres de mœurs auraient-ils une crampe d'observation com-
parable a la fameuse et trop réelle crampe des écrivains qui ont abattu
trop de copie, ou les sujets trop exploités se décoloreraient-ils devant
l'observateur? Question délicate. Quoi qu'il en soit, l'anecdotisme parait
en baisse. Il n'en faut pas moins signaler un certain nombre d'œuvres
de grand mérite, et tout d'abord le Repas des servantes de M. Joseph Bail.
On sait quelle note à la Chardin M. Bail apporte dans la peinture
moderne : nous lui devons déjà plusieurs petits chefs-d'œuvre d'intimité
savante et de discrète virtuosité. Ces trois servantes assises dans un
ollice faiblement éclairé, mais que leurs jupes claires illuminent d'un
reflet, sont un véritable tableau de musée. On l'attend au Luxembourg;
on le voit au I^ouvre.
M. Berges a peint une visite à l'usine après une soirée chez le direc-
teur : impression rendue par un artiste brillamment doué et dont
l'observation ne manque pas d'une certaine profondeur. Le directeur a
donné une soirée et, sans doute, un souper par petites tables ; les invi-
tées, en toilettes suggestives, ont demandé à visiter les ateliers pour
compléter la petite fête, et elles se répandent, avec une curiosité mêlée
d'inquiétude, au milieu des ouvriers intimidés ou gouailleurs, sinon
hostiles. Le contraste est adroitement rendu. M. Caro-Delvaille, un des
triomphateurs du Salon, n'a pas mis d'intention aussi marquée dans sa
Manucure, dont le réalisme intense est cependant d'une grande vigueur.
Plus d'antithèse sociale cette fois ; rien qu'une opposition purement
matérielle entre la manucure à toilette grave, à visage austère et neutre,
usé comme un vieux sou, et la mondaine en robe blanche, étendue sur
sa chaise longue, qui abandonne distraitement ses mains aristocratiques
à l'opératrice et semble poursuivre quelque rêve intérieur. Du même
artiste une réunion de jeunes femmes rieuses, dans un intérieur élé-
LE MÉNESTREL
187
gant, mais sans surchargi;> de modern-style : le Tlii-, composition gra-
cieuse, d'une exécution fine et ""d'un réel intérêt malgrél'apparente bana-
lité du sujet.
Un peintre écossais, élève d'Herkomer, M. Georges Harcourt, a peint
une scène qui lui vaud.ra sans aucun doute, de l'autre coté du détroit,
d'innombrables reproductions par la gravure ou la lithographie : le
■départ du pauvre Tommy, du soldat Anglais expédié au Transvaal et
destiné à tomber obscurément dans une rencontre avec quelque com-
mando, ou à périr de la dysenterie dans une ambulance. L'œuvre est
à la fois fine et forte, d'un beau caractère. Et voici, comme contraste,
Het Volsklied (le chant national) de M. Brispot, épisode du voyage en
France du président Ivriiger. Dans le vestibule de l'hôtel ouest descendu
M. Kriiger accompagné du docteur Leyds, les enfants de M. Piersoa, le
consul général des Républiques Sud-Africaines, chantent l'hymme
Transvaalien.
M. Gueldry garde tout le charme et toute la virtuosité d'un talent
indéfiniment juvénile, quoique l'artiste soit maintenant en pleine pos-
session de sa manière. Le Laminoir et le Repos de l'équipe sont deux
œuvres d'une réelle maîtrise. On goûtera moins l'anecdotisme un peu
banal de la Restitution de M. Remy Cogghe, une jeune femme chargeant
son confesseur de restituer des bijoux volés, de ï Embarquement pour
Cythèi-e de M. Avy, ou de la Mauvaise iwuveUe de M. Mestrallet, tragi-
que rentrée de l'ouvrier blessé â l'usine. Ni cette sentimentalité de
romance, ni cette brutalité de fait-divers ne s'imposent au spectateur.
En revanche, l'Adieu de M. Ridel, étude de femme debout au bord d'un
quai et regardant fuir dans le lointain le bateau qui emporte toute sa
tendresse, est une œuvre exquise, d'émotion communicative, ainsi que
l'illustration pour la nouvelle de Flaubert, le Cœur simple de M. Troncy
et les RouiUeurs de cru de M. Buland, d'une vérité saisissante, d'une
exécution ressentie. La Soubrette de M. Alexis VoUon a du charme, et
l'Élégante de M. Btcheverry, montant dans son automobile, avec accom-
pagnement de petit groom portant des fleurs, a été prise sur le vif. On
goûtera aussi la légèreté aérienne des Plaisirs de l'été de M. Guinier, le
fin parisianisme du Mannequin de la rue de la Paix de M. Fernand Bri-
sard, la solide construction des Savants de M. Roybet, l'humour et le
délicat rendu du déjeuner d'ouvrières aux Tuileries de M. Léonce de
Joncières, devenu un de nos meilleurs peintres de mœurs.
De toutes les études inspirées par le théâtre, et elles sont nombreuses
■au Salon de 1901, la plus remarquable est la Première au théâtre Mont-
mirtre de M. Dewambez. Depuis Daumier, qui a laissé une documen-
tation si abondante de types directement observés dans le tripot comi-
que de la première moitié du dix-neuvième siècle , on n'a pas noté
avec plus de bonheur, traité avec plus de maîtrise le « jeu de massacre »
du public des scènes populaires, bon public dans toute la force du terme,
sensible jusqu'à la terreur, impressionnable jusqu'à l'angoisse, et d'une
■étonnante variété. Les fortes humanités esthétiques de M. Dewambez,
prix de Romea donné au réalisme, lui ont permis d'ajouter du style â ces
notes rapidement croquées, et le résultat est excellent. M. Mesplès
mérite d'être placé sur le même rang que M. Dewambez : son Divertis-
sement chorégraphique indique un observateur merveilleusement doué et
un exécutant de premier ordre : l'instantané artistique n'a jamais trouvé
de plus suggestive réalisation. A mentionner encore la Musique profane
— et même très profane ! — de M . Ruel ; la Joueuse de guitare de
M. Brunet, V Audition chez le harpiste de M"'' Pillini, ÏEnlr'acte de
M"« Porter.
On connaît la maîtrise de M. Moyse, qui se consacre ordinairement à
l'élude figurative des cérémonies rituelles du culte Israélite. Elle s'af-
firme cette année encore non seulement dans une curieuse étude de noce
juive au moyen âge, mais dans un Joueur de flûte de la plus intéressante
facture. Pas de bon Salon sans Cigale : nous avons celle de M. Brman
Parini. L'Étude du rôle de M. Ballavoine est un tableau de genre d'un
anecdotisme amusant et M. Henri Alberti a fidèlement noté, sans
abus de détail, l'aspect papillotant d'une Répétition aux Folies-Bergère.
Les peintres de la vie rustique ont, comme toujours, une préférence
«arquée pour les bretonneries. C'est ainsi que Jean-Pierre, — pseudo-
nyme du plus jeune fils de M. Jean-Paul Laurens, — nous montre en
un tableau d'excellente \enue le Retour des barques. M. Dabadie a peint
au contraire une illustration très étendue (je ne dis pas délayée) pour
le roman de Pierre Loti : le départ des Islandais, baie de Paimpol. Le
panneau n'est pas seulement important comme dimensions : il offre
l'intérêt, il a pour ainsi dire la saveur d'une étude documentée sur
place. A mentionner aussi la Légende bretonne de 11. Désiré Lucas et son
Bénédicité. Et c'est encore tout un défilé de mariniers : M. Gustave
Ravanne avec un intéressant retour des pêcheurs , M. Ravaut et sa
pêcheuse de Berck-sur-Mer, solidement campée, M. Howard et ses
pêcheurs de Cancale surpris par le mauvais temps, M. Diéterle et ses
Terre-Neuviers dans le port de Fécamp.
En attendant que Venise soit la proie de l'industrialisme et qu'on
desséche le Grand-Canal, la cité des Doges inspire d'innombrables
panoramistes. Que M"'"Ci'utchley nous montre l'aube irisant le flot des
lagunes, M. Paolo Baroni Saint-Marc, l'église d'or, M. Maurice Bom-
pard SS Giovanni et Paolo, M. Olive la courbe auguste du Grand-Canal,
M. Rosier le soleil couchant et ses reflets métalliques, M. Saint-Gei'-
mier l'humble poésie d'un petit canal et le marché aux herbes, M. Yarz
la nuit fleurie d'étoiles, M. Allègre Murano de San Michèle, c'est la
même fête des yeux, la même évocation di3 splendeurs. Mais on revient
avec plaisir à notre Midi si riant, lui aussi, et d'un charme si varié : le
fort carré d'Antibes, de M. Damerou, l'église des Saintes-Mariés de la
Mer, de M. Joseph Garibaldi, l'Estérel â l'heure dorée, de M. Cogniet,
le Port de Cannes au soir, de M. CoUinet, les Tours de Venasque, de
M. Jules Laurens.
Une des espagnoleries les plus caractéristiques est la Fête-Dieu à
Sèville (1900); danse de Los Suses. M. Guillonnet a peint avec une
remarquable virtuosité cette réminiscence de la danse de David devant
l'arche, dernier vestige des fêtes mi-paiennes, mi-religieuses qui avaient
lieu au moyen âge, chant et danse devant l'autel, sur un air de pavane,
d'enfants qui s'accompagnent de castagnettes. Le Picador de M. Scot,
et les Picadors entrant dans k place des taureaux à Madrid, de
M""" Mary Cameron, sont adroitement mis en scène. La Gitana de
M. Maxime Gaballero a été prise sur nature. M. Paul Chabas, dont on
n'a pas oublié l'éclatant succès aux derniers Salons, nous transporte en
Grèce : ses Propfjlées sont une œuvre de grand style, austr^rement impres-
sionnante. M. Paul Mathio évoque l'Ame de t'Aci-opole. En tête de l'orien-
talisme, la très curieuse composition de M. Gêrôme représentant la
plaine de Thèbes pendant l'inondation du Nil, avec la morne solennité
des coloss(;'S se mirant dans le flot épandu. Les études algériennes de
M. Bridgman mériteraient mieux qu'une mention, malgré leurparti pris
de manque de relief, et le souvenir des environs de Bou-Médine de
M. Saintpierre témoigne d'une observation soutenue.
Les portraits exposés au Salon des Artistes rempliraient à eux seuls
toute une galerie. Beaucoup d'envois plus ou moins officiels : deux
études d'après M. Loubet, celle de M. Bonnat et celle de M. Layraud;
S. S. le pape Léon XIII par M. Benjamin Constant, notateur conscien-
cieux du vénérable nonagénaire, moins heureux avec la nouvelle reine
d'Angleterre, qu'il n'a pas flattée! De M. Paul Chabas un robuste por-
trait de M""" Constans. De M. Dreyfus-Gonzalès, M""' Waldeck-Rous-
seau et un autre portrait du Saint-Père. M. Henry Farrô, un peintre
Ariégeois, expose une excellente étude d'après M"'= Georges Leygues et
sa fille. Péle-méle, le président Magnaud, chef de l'école tendre des
justiciards, par M. Dastagne; M. Benjamin Constant par M°"= Angéle
Delasalle; M. Antonin Marmontel, le digne héritier d'un grand nom,
par M. Félix Barrias; l'explorateur Foureau par M. Lazerges; M. Albert
Christophe par M. Lemeunier; M. Eugène Ledrain par M. Aressy ;
M. Le Grand par M"' Abbéma; M'"" de Saint-Marceaux par M. Jacques
Baugnies.
La contribution du théâtre dans cette série d'efiigies est assez impor-
tante. M. Henri Guinier a peint, avec excès de chromo,' M"'^' Cécile
Sorel, la nouvelle pensionnaire de la Comédie-Française, la Chloé du
Chérubin qui sera peut-être représenté en septembre. M.Zier nousmontre
jyjme Segond-'Weber dans le Moineau de Lesbic; M. Amaran M"" Réjane,
à propos de la fameuse « date heureuse » ; M""' Bourrillon-Tournay
jypiie Delphine Renot dans la Bande à Fifi; M. Hall, Coquelin cadet ;
M. Leroy, M""' de Ternoy; M"» Térouanne, M"'- Charlotte Isart de
l'Opéra. Et je me reprocherais d'oublier la si vivante étude de M. Vic-
torin de Joncières par son fils Léonce, le Fernand Beissier de M'"^ Ja-
min, le Charles Dancla de M. Jamet.
(A suivre.) Camille Le Senne.
PETITES NOTES SANS PORTÉE'"
XVI
BOURSES DE VOYAGE WAGNÉRIENNES
Je dînais, l'autre soir, avec de vieux amis : de jeunes mariés qui
raffolent de musique. Ces jeunes gens sont arriérés : ils sont wagné-
riens !
Ne viennenL-ils pas de faire tout exprès le prompt voyage de Bruxelles
pour s'enivrer une fois de plus, dans l'ombre complice, du radieux
nocturne de Tristan et Yseult? Invisible et présent, le kapellmeister
(1) Voir le .Wiiestri'l .la l.'i avril cl du 19 mni.
d88
LE MENESTREL
Félix Mottl leur a versé le philtre divin ; M. Van Dyck el M""^^ Litvinne
n'ont pas vocalement ruiné leur illusion ; pendant quatre heures, dans
le demi-jour où l'on s'aime silencieusement des yeux, ils se sont grisés
de sonorités : cette soirée de printemps subsistera parmi leurs souve-
nirs. Mais les arriérés ont du bon, puisqu'en général ils se montrent
plus raisonnables; et ces wagnériens m'ont fait relire, après diner, ces
lignes sages de Wagner : « Au lieu d'étudier les vieux mailres, qui sont
solides et de bon conseil, nos jeunes compositeui-s se sont mis à tout dédaigner
pour ne suicrc que moi! Ils ne raient point que îîion Tristan était une ex'.ra-
ragance bonne à faire une fois, mais bien dangereuse ù recommencer ».
— Ah! l'argument topique et la citation bienvenue, m'écriai-je en
reposant ma lasse de café sur un délicieux petit meuble que le modem
shjle n'a pas encore trop anémié. Mais où donc avez-vous déniché ce
verset de la sagesse?
— Dans les Propos de table de Richard Wagner, ou mieux (soyons
savants 1), Erinnerungen an Richard Wagner...
— Une brochure de l'apOtre Hans de Wolzogen?
— C'est cela ! Une plaquette de la collection populaire Reclam (Leip-
zig, 1891 1, et que Teodor de Wyzewa commente si joliment dans son
ouvrage que vous aimez à citer : Beethoven et Wagner.
— Votre érudition. Madame, en remontrerait ;i toutes les lunettes
vermeilles d'outre-Rhin! Soit dit sans compliments, car je les déteste
comme indignes de vous. Et, si le grand Alexandre tuait Clitus en
dinant, il faut avouer que le plus grand Richard Wagner improvisait à
table de merveilleux apoplithegmes... Ce passionné fut un sage. « On
ne refait pas Tkistan et Yseult! .. O la belle épigraphe rêvée pour l'évo-
lution présente, et que je voudrais lire en tête d'un philanthropique
projet, récemment élaboré, qui s'intitule lui-même : Bourses de voyage
wagnérienncs...
— Que dites-vous. Monsieur? Généreuse utopie ou brillant paradoxe,
quel est ce rêve?
— Une prochaine réalité. Madame. Vous qui paraissez tout savoir et
même quelque chose de plus, n'avez-vous poiut rencontré des yeux,
dans les journaux, ce projet tout féminin puisqu'il a pour instigatrice la
charité de nobles dames, sous le haut patronage d'une jeune douairière?
Il s'agirait do grouper des fonds pour faciliter le voyage, je veux dire le
pèlerinage de Bayreuth. aux jeunes musiciens peu fortunés (il y en a)
que leur dénûment retient aux rives de la Seine...
— Parfait! Mais un peu chimérique peut-être... D'abord, où décou-
vrir ces pèlerins vraiment iutéressanls, parmi les « pauvres honteux »
de l'évolution musicale? Les plus fiers ne crieront point sur les toits
leur détresse. Et les malins, les roublards (comme vous voudrez), les
jeunes arrivistes ne vont-ils pas accaparer le moyen pratique de suivre
la modo, en traversant la vieille Allemagne sans bourse délier? Mais je
ne suis ni juriste ni psychologue, et je ne sais pas élaborer des statuts.
Au strict point de vue musical, l'aventure me parait spécieuse. Le projet
séduit, puis déconcerte... Et puisqu'on ne refait point Tristan et Yseult...
— Sans doute. Madame! Le Maître l'a dit. Retenons-le. Qu'elle
déverse dans la symphonie les ambitions du drame ou dans le drame
les complications de la symphonie, notre époque n'a que trop de pen-
chant pédant à tout embrouiller; plus royaliste que le roi, son désir
dépasse la pensée do Wagner. Loin de sacrifier, en effet, comme à tort
on le prétend, aux songes littéraires de la musique à programme, le poète-
musicien de Bayreuth ajoutait : « Les jeunes tran-^portent mes procédés
dramatiques dans la symphonie; et ils font ainsi ces choses monstrueuses, les
poèmes symphoniques, ni chair ni poisson! »
— Encore un propos de table! Et c'est Wagner qui parle, c'est le gen-
dre de Liszt ! J'y songeais naguère, en observant l'eurythmiquo Arthur
Xikisch conduire Mort et Transfiguration de Richard Strauss, que les
enthousiastes, pourtant, nomment « un miracle instrumental»...
— Miracle ou chimère, il ne s'agit point, à l'heure qu'il est, de dis-
_cuter ex cathedra ce grave problème d'esthétique musicale, mais de voir
clair, de jeter une étincelle ou, plus familièrement, de maintenir une
allumiUte dans l'obscurité compliquée des tamps présents...
— Vous voulez dire ceci : que les fameuses bourses de voyage ris-
quent d'arriver trop tard et que c'est là leur moindre défaut? Doréna-
vant, en effet, la note remarquable, à l'aube d'un siècle, n'est-ce point
la persistance de la musique pure et sa renaissance? Le Wort-ton-drama
de Bayreuth, qui semblait vouloir tout confondre dans son océan sonore,
n'a pu bannir la distinction des genres. Wagner omnipotent n'est plus
seul. Sans doute, et plus d'une fois, le théâtre s'est transporté cet hiver
au concert, comme le concert se transportait jadis au théâtre au temps
des roulades ; et nous avons applaudi sans remords le TÎ/iCi/zi/oW en habit
noir, et tutti quanti! Mais, renouvelé par la venue de tant de kapellmeis-
ter pour la plus grande joie des badauds et des snobs, le répertoire
classique se maintient avec le regain de l'esprit classique. Beethoven
demeure le « Mage divin », et iz, Neuvième nous verse intarissablement
la Joie souveraine. AVagner s'est donné des verges pour se fouetter, de
même qu'il hùtait la réaction, peut-être, en exaltant Mozart. Et main-
tenant, vive le maître de Salzbourg, sous les auspices mêmes du maiire
de Bayreuth! Ainsi va le monde... Inutile, ici, de mettre les points sur
les i, puisque vous avez scrupuleusement suivi les mardis de la Société
Mozart ou du Cycle du Lied et, non moins fidèlement, les chers vendre-
dis de la Schola Cantorum... Mais il n'est que temps de laisser reposer
les violons : ils ont diablement chanté, cet hiver!
— Alors, selon vous, les jeunes eux-mêmes, qui déjà traitent Wagner
de monstrueux dans leurs jeunes revues, refuseront d'aller à Bayreuth?
Nietzsche leur a soufflé que cette musique était un art « malade »; et le
Cas Wagner a fait école. Le D'' Nordau, qu'on insultait, doit se frotter
les mains... Ce qu'il faut redouter maintenant, ce sont les excès accou-
tumés de la contre-révolution! Ou bien encore, le théâtre de Bayreuth
fera sur les compositeurs la même impression que la Villa Médicis sur
les lauréats des arts du dessin. Vous croyez qu'ils y viennent avec le
désir fou de copier les maîtres et d'adorer la Sixtine? Eh bien ! regardez
leur contribution présente au Salon : sans parler de Besnard, qui fut
invoqué longtemps comme exemple, l'un fait chatoyer un nu très
impressionniste, l'autre décrit la misère d'une vieille Espagnole, celui-ci
brosse magistralement le portrait de son père avec la familière énergie
d'un sociétaire du Champ-de-Mars, celui-là, plus ironique, analyse un
soir de première au Théâtre-Montmartre... Voilà les fruits de l'ensei-
gnement officiel. A force de voir Michel-Ange, ils aspirent à rejoindre
notre Gustave Charpentier sur l'Acropole narquoise de la Butte Sacrée..
Ils rêvent tous de Louise. Napoli les attire. Et c'est l'envolée de nos éco-
liers studieux vers la Vie I
— Corollaire : si je vous ai bien compris, Richard Wagner deviendra
fatalement le Michel- Ange décadent de la musique, dés que son théâtre
sera la pépinière ou le séminaire. Son art cessera d'être « despotique »
en devenant officiel. On reviendra de là-bas avec des fringales d'opérette
et de plein-air... C'est grave! Mais puisqu'il est interdit, ou plutôt
malaisé, de refaire Tristan et Yseult, Wagner lui-même ne devrait-il
pas se montrer satisfait? Ne sentirez vous point, dans l'air frais du
matin, sa bénédiction posthume? Aujourd'hui peut-être, il dirait à ses
fidèles, comme Gustave Moreau dans son atelier, « que tout se trouve
dans Don .Juan »... Et Wagner nous aura guéris du wagnérisme...
— Ainsi soit-il!
(A suivre.) Raymond Bouïer.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
^3 oxLxrg^ogfxi.e
(Suite.)
TIII
LA FÊTE DE L'ANE
Durant tout le moyen âge, et même après, la Fête des Fous ou de
l'Ane, aussi nommée Fête des Sous-Diacres et des Innocents, a été l'une
des joies populaires les plus vives et les plus exubérantes.
D'aucuns l'ont mise en doute. Lorsque Dulaure et Michelet publièrent
la Prose de l'Ane, ce fut un toile général, et même un auteur irrévéren-
cieux s'oublia jusqu'à dire qu'en cette occasion l'àne, c'était Dulaure.
Depuis, des chercheurs ont ressuscité de la poussière des bibliothèques
et remis en lumière des manuscrits contenant des oflices complets de la
Fête des Fous, qui ne laissent aucun doute au sujet de son existence et
des singulières pratiques qui l'accompagnaient.
Ces fêtes, lisons-nous dans un ancien Bulletin de la Société archéolo-
gique de Sens, semblent de joyeuses représailles du peuple contre les
grands, du bas-clergé contre les hauts dignitaires. L'Église s'efforce de
régulariser l'épanchement souvent grossier de la gaîté populaire. Elle
cherche à la sanctifier en se l'appropriant, comme elle avait fait en bé-
nissant les temples païens. Guillaume d'Auxerre, :'i une époque déjà
reculée, a rendu ce sentiment d'une manière frappante :
« Avant la venue du Sauveur, dit-il, on célébrait des fêtes appelè'es
Sarentalia. Dans ce jour, les croyants se figuraient que s'il leur arrivait
quelque heureuse fortune, il en serait de même pendant le reste de
l'année. L'Eglise voulut supprimer cette fête, qui est contraire à la foi.
Ne pouvant l'extirper entièrement, elle la remplaça par une autre qui
l'elFaça. De sorte que, si ce jour-là se fait quelque chose en dehors de la
foi, ii ne se fait rien du moins contre la foi; et ainsi l'Église a converti
des réjouissances contraires à la foi en réjouissances qui ne sont pas
contraires à la foi. »
i
LE MÉNESTREL
489
Le côté païen indiqué dans ce passage ressort de plusieurs singula-
rités qu'on peut remarquer dans les Offices des Fous. On y retrouve no-
tamment, à tout instant, le mot eaouae, evoue ou evorve, c'est-à-dire
l'réo/ie (courage, mon fils!) crié par Jupiter à Bacchus, en le voyant
combattre avec ardeur les géants révoltés contre le ciel. Jivan (bon fils)
était un surnom de Bacchus. Dans un de ses morceaux, Lucien, racon-
tant la conquête des Indes par ce demi-dieu et décrivant le cortège
attaché à ses pas, fait allusion à Pan : « Bouillant de colère, il court,
dit-il, par tout le camp en sautant et en dansant; il épouvante les
femmes, qui, à son approche, agitent leur chevelure épaisse et crient de
toutes leurs forces : Evohé ! mot par lequel elles semblent appeler leur
général ». Dans un livre de piété, manuscrit, qui se trouve à la Biblio-
thèque de Provins, les premiers mots de chaque prière sont précédés
de l'exclamation Evolié I Enfin, le même mot frappe les yeux, à plusieurs
reprises, dans YO//icecn usage à Beauvais le jour de la Circoncision, dans
le Rituel des Fous do Bourges, dans le Programme de la fête des Anes de
Rouen, dans VÉpitre qui se chantait à Amiens à la fête des sous-diacres,
et dans les Offices de La on, Noyon et Châlons -sur-Marne.
Ce sont là des manuscrits connus, probants en la matière; mais le
plus curieux, le plus complet et le plus édifiant de tous, est celui dont
s'enorgueillit la Bibliothèque de Sens.
Il est superbe d'aspect et d'une parfaite conservation. Son véritable
titre est Circoneisio. C'est un livre oblong, dont l'un des côtés a 35 cen-
limètres d'étendue et l'autre un peu plus de 16. Les trente-trois feuillets
de parchemin dont il se compose sont renfermés dans une couverture
formée de deux tablettes en bois très épaisses, et ces tablettes elles-
mêmes, bordées d'ornements en argent du plus fin travail, servent de
cadre à des planches d'ivoire qui ne sont autres qu'un de ces diptyques
que les consuls romains s'envoyaient, non comme cadeau, mais en
quelque sorte comme ''arle de visite ou comme lettre de faire part. Leur
richesse en a sauvé plusieurs; ils ont été appliqués à des reliures de
manuscrits pendant le moyen âge, et c'est à cet emploi que nous devons
leur conservation. Les plaques de Sens représentent le lever du soleil et
celui de la lune sous les traits de Bacchus et de Diane. On a pu voir ce
chef-d'œuvre à la dernière Exposition, où il tenait son rang parmi les
merveilles de l'art a tous les âges.
Le texte et la musique sont de Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, qui
vivait à la fin du Xtl'' siècle et au commencement du XIII". Les grandes
lettres et les rubriques sont tracées à l'encre rouge et l'office est noté,
sauf plusieurs morceaux abrégés et indiqués seulement par les premières
notes se rapportant aux formules ordinaires et bien connues de la li-
turgie, le tout réglé soigneusement et, sous sa forme austère, renfermant
un appel constant aux chants et à la joie, des invocations évidemment
païennes, de véritables chansons à refrains latins ou français, des jeux
de mots, des rimes singulières, des tours de force de versification, des
pièces destinées à former des images, et des détails d'une crudité toute
moyenâgeuse, répétés avec insistance, sur les circonstances les plus
intimes du mystère de la conception.
« Cet office, dit l'abbé Lebceuf, est une véritable rapsodie de tout ce
qui se chante dans le cours de l'année. Toutes les pièces des autres
offices, au moins les principales, y passent en revue ; celles des fêtes de
saints comme celles des mystères, les chants de Pâques comme ceux du
Carême. Le gai est mêlé indifféremment avec le triste, le lugubre avec
le joyeux; c'est un assemblage le plus hétéroclite que vous puissiez
imaginer, et il fallait que cet office durât deux fois plus que ceux des
plus grandes fêtes. Jugez si les gosiers n'avaient pas besoin d'être hu-
mectés de temps en temps. »
Et ils l'étaient, en vérité! ce qui ne contribuait pas peu à faire dégé-
nérer la fête en orgies rappelant les saturnales antiques. L'arrivée de
maitre Aliboron était tout d'abord saluée de joyeuses exclamations et de
lazzis sans lin. Dans certains endroits, un seul âne ne suffisait pas. A
Rouen, par exemple, c'était tout une chevauchée, — on dirait aujour-
d'hui une ânalcade — où figuraient, dans un pêle-mêle des plus bizarres,
les prophètes de l'Ancien Testament, Virgile, Elisabeth, Nabuchodo-
nosor, qui, précédée de la Sibylle et suivie de soldais armés, faisait son
entrée solennelle dans la cathédrale. Mais, généralement, un seul indi-
vidu représentait l'animal cher à Silène.
L'âne arrivé dans la nef, conductus ad ludos, le peuple et le clergé
dansaient autour de lui et le faisait braire en cherchant à l'imiter. Il
était ensuite introduit en grande pompe dans le chœur, où le Chapitre
entonnait le Te Deum en son honneur.
.Vprès, il était conduit vers une table, conduclus ad iabulam, sur
laquelle était inscrit le programme de la fête, ainsi que la liste des
officiants. 11 pouvait en prendre connaissance, et pour qu'il n'en
ignorât, lecture lui en était faite â haute voix. Puis, c'était la prose, la
fameuse prose.
En voici la traduction, par Leber. d'après le manuscrit de Sens :
Des Jïoniins de l'Orieni, Des trésors de l'Arabie,
En ce lieu arrivant. Des parfums d'Etiiiopie
Un âne beau, gras, luisant, L'église s'est enrichie
Portant fardeau lestement. Par la vertu d'ânerie.
Sur les coteaux de Sichem Sous le faix le plus pesant,
Il fut nourri par Ruben, Jamais il n'est mécontent,
Il passa par Jordanem Et broyé patiemment
Et sauta par Bethléem. Le plus grossier aliment.
Sa marche vive et légèi-e D'un chardon il fait ripaille,
Effleure à peine la terre; Et c'est en vain qu'on te raille;
11 ruin'rait dans la carrière Si dans la grange il travaille,
La biche et le dromadaire. Il démêle et grain et paille.
Bel âne, répète amen ,
Maintenant la panse est pleice :
Bfl âne, répète amoi,
Xe songe plus à la peine.
Après avoir dit, un peu à la légère peut-être, au bel âne que sa panse
I tait pleine, il était assez juste qu'on songeât à le restaurer. Tandis que
le peuple allait, selon l'expression de l'abbé Lebœuf, s'humecter le go-
sier, le héros de la fête était ramené vers la table, mais, cette fois, ad
poculum, c'est-à-dire pour s'y régaler de fin chardon et, suivant une
autre prose, de foin assez et d'avoine à plante-: .
Puis c'étaient des chants sans fin: Cumprosa, Ver-sus eum organo, Anti-
phona, Capitulum, Yersiculus, Ymnus et tout ce que le latin d'église a pu
voir naître. De temps en temps, et de plus en plus fréquemment, au fur
et à mesure qu'on avançait dans l'office, on retournait ad poculum, non
seulement dans l'église, mais encore au dehors. Ainsi, l'âne était conduit
successivement ad presbglerum, ad subdiaoonum, chez le prêtre officiant,
chez le sous-diacre et chez d'autres personnages du Chapitre. Finalement
on le ramenait ad vesperas, c'est-â-dire aux vêpres.
Celait le dernier tableau de la comédie burlesque qui se jouait depuis
le matin. Maintenant venait le tour de la fête populaire dans la rue. La
dernière note des Compiles â peine achevée, messire le préchantre pro-
menait par la ville, au milieu de l'allégresse publique, l'âne et sa suite.
Les esprits s'échauffaient. On allait voir représenter des Farces égril-
lardes sur un tréteau dressé devant l'église. On chantait, on dansait
ensuite, et quand le délire était â son comble, la foule s'amusait a jeter
des seaux d'eau au préchantre. Il en recevait, sans pouvoir s'en défen-
dre, dans les jambes, à travers le corps et sur la tête. Il se fâchait,
s'exaspérait. Cela faisait rire davantage. L'autorité finit cependant par
s'émouvoir de ce scandale. Elle intervint. Et il fut convenu que la
quantité des seaux destinés au préchantre ne pourrait dépasser le
nombre de trois.
Comment se terminait la soirée? Comment finissait la nuit? La chro-
nique n'a jamais osé approfondir ce mystère. Quant â l'âne, cause de
toutes ces extravagances, il disparaissait, le plus souvent, â la faveur
d'une bagarre. Alors, on disait :
— Il a repris le chemin des coteaux de Sichem.
Et l'on ne s'en occupait plus.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOXJA^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (13 juin) :
L'Association de la presse belge a voulu honorer ta mémoire du grand
musicien que la Belgique a perdu récemment. Peter Benoit, en organisant
une fête qui a consisté en une exécution colossale d'une des œuvres les plus
célèbres et les plus caractéristiques du compositeur, la Ruhens-Caiilalc . Celte
cantate fut écrite, on se le rappelle, à l'occasion des fêtes du troisième cente-
naire de Rubens qui eurent lieu à Anvers en 1877. L'œuvre fut exécutée en
plein air, sur la place Verte, le soir, par une masse imposante de voix sou-
tenue par un orchestre formidable, avec, à certains moments, des canons
tonnant dans le lointain, le carillon de la cathédrale tintant joyeusement et,
dans la lour de Notre-Dame, des fanfares éclatantes. L'elïet fut immense.
Depuis, on n'avait jamais plus entendu cette oeuvre de musique décorative,
de grande allure, puissante comme une fresque. L'exécution nouvelle qui on
a été donnée dimanche dernier dans l'immense hall du palais du Cinquante-
naire (on avait renoncé au plein air, de crainte des coups de soleil) a été,
sinon aussi impressionnante que la première, du moins remarquable à tous
égards. Les exéculanis — tous Anversois — au nombre de 8oO. sous la direc-
tion de M. Keurvels, l'ancien chef d'orchestre du théâtre lyrique néerlandais
d'Anvers, ont donné à l'œuvre toute son ampleur, tout son élan et toute sa
superbe sonorité. Par malheur, il n'y avait ni carillon, ni coups de canon.
Cela manquait évidemment. Le linale de la 2» partie, un chant populaire
plein de couleur, répété malheureusement sans nouveiu développement à la
fin de la 3" et dernière, n'en a pas moins enthousiasmé le public, comme
jadis, par son caractère entraînant et pittoresque. Le roi. le comte et la com-
190
LE MENESTREL
tesse de Flandre et la prijicesse Clémentine honoraient la fête de leur pi-é-
sence et ont donné le signal non seulement des applaudissements, mais encore
du bis! Comme on lui présentait M. Keurvels. le roi lui dit : — « Vous savez
que je n'aime pas beaucoup la musique; mais j'avoue que ceci me plaît assez. »
A quoi M. Keurvels s'est empressé de répondre : — « Sire, si vons veniez
souvent à Anvers boire de notre bonne bière blanche vous deviendriez sans
tarder un lier musicien! » Le roi suivra-t-il le conseil de M. Keurvels:' Il en
est bien capable. Souhaitons-le sincèrement.
Puisque je parle d',A.nvers. je ne veux pas oublier de noter ici l'installation
officielle du nouveau directeur du Conservatoire flamand, mon e.xcellent ami
et collaborateur Jan Blockx. qui succède, comme on sait, à Peter Benoit. La
cérémonie, présidée par les autorités communales anversoises, a été à la fois
très touchante et très enthousiaste. Après un échange cordial de discours,
on a exécuté de la musique de l'ancien directeur et du nouveau, et M. Jan
Blockx a été l'objet d'ovations sans nombre.
Enfin, aujourd'hui même a eu lieu à Matines une autre fête musicale
importante : l'exécution complète du beau drame lyrique et religieux de
M. Edgar Tinel, Sainte Godeliiv. sous la direction de l'auteur, à l'occasion du
centième anniversaire du Dai-iilsfomls. L'œuvre n'avait été entendue encore
qu'une fois en Belgique, et cela dans d'assez mauvaises conditions, au palais
du Cinquantenaire, lors de l'exposition de Bruxelles de 1897. Aux Etats-Unis
et en Allemagne, elle a été exécutée depuis avec un grand succès. (îràce à
l'initiative d'une société louvaniste flamande, Mt-I Tijd eu Vlijt, il a été
pei'mis enfin d'apprécier, chez nous aussi, à sa juste valeur, ce drame d'un
sentiment très pur et 1res élevé, d'une conception très moderne et très claire
cependant, et qui forme le digne pendant d'une œuvre similaire, le Saint-
FniiK-ois, qui lit, il y a vingt ans. la réputation de M. Tinel. L'interprétation,
avec des solistes dévoués, en a été très soignée, très honorable, et l'auteur a
goûté une fois de plus les douceurs du triomphe. L. S.
— Nous avions bien raison de traiter « d'opéra-fantôme » le Néron de
iL Boito, et d'exprimer des craintes au sujet de la prochaine apparition de
cet ouvrage à la Scala de MiJan, apparition annoncée depuis quelques se-
maines au bruit des fanfares. Voici les nouvelles que nous apporte à ce sujet
un journal de Milan ta Gazzetla teatrale, en nous faisant savoir tout d'abord
que l'ouvrage n'est pas terminé : — « Il est désormais établi que le Néron
de Boito ne sera pas représenté dans la prochaine saison de la Scala. Arrigo
Boito a adressé le 8 juin une lettre à M. le duc Visconti di Modrone pour se
délier de son engagement, après quoi il est parti pour une destination in-
connue. Que M. Boito soit parti ou qu'il se dissimule à Milan dans quelque
cachette, nous ne savons; ce qui est certain, c'est qu'il est introuvable, et
que son frère l'architecte ne sait où le découvrir. On sait en outre positi-
vement que l'opéra n'est arrivé qu'au troisième acte; il est donc impossible
qu'il puisse être terminé et présenté au public dans la prochaine saison; et
l'on sait aussi que M. Boito a été pris de scrupules et de craintes après la
publication de son poème, publication qui, comme nous l'avons déjà dit, n'a
pas impressionné le public d'une façon très favorable, malgré ce que les
thuriféraires on dit d'admirable de ce travail littéraire. Certainement le
maestro a agi trop à la légère en s'engageant comme il l'a l'ait avec le duc
Visconti di Modrone, et ses scrupules deviennent aujourd'hui une sorte de
plaisanterie. Après avoir donné à l'art un chef-d'œuvre comme son iV/c/ts-
tofete, Boito peut bien penser que son nom impose le respect au public et à
la critique, et si, après avoir tant fait parler de son nouvel ouvrage, il n'a
pas le courage de le présenter, il montre bien peu de confiance dans ses
propres forces, dans son talent et dans l'estime du public. Libre au maestro
Boito de ne plus donner son trop fameux Néron, mais, en ce cas, qu'il nous
fasse au moins la grâce d'empêcher que ses amis en parlent encore et qu'ils
aillent encore vanter sa grandeur et son immense puissance lyrico-drarna-
tique. Nous voudrions espérer, bien que vaguement, que les faits viennent
démentir le prochain hiver les fâcheuses nouvelles d'aujourd'hui; mais si
l'on pense qu'il a fallu un tiers de siècle pour écrire le livret et composer la
musique de trois actes, on ne peut supposer qu'en peu de mois Boito
réussisse à écrire le quatrième acte, à faire l'instrumentation et à pourvoir à
cette '.I mastodon tique ji mise en scène, tout aidé qu'ilpuisse être par l'érudit
peintre Pogliaghi... » Un peu dure, la Gazzetta !
— Xous retrouvons l'excellente coutume des Conservatoires italiens de
faire entendre, dans leurs exercices de fin d'année, les travaux des élèves
des classes de composition, qui peuvent ainsi se rendre compte de ce qu'ils ont
fait et voir les résultats des effets qu'ils ont cherchés. C'est ainsi qu'au
Conservatoire de Milan quatre élèves viennent de se produire des classes de
contrepoint et fugue de MM. Saladino et Mapelli. M. Berlendi a fait entendre
une Gavotte pour orchestre, M. Dante CipoUini un Menuet pour quatuor à
cordes, M. Enrico Soro un Aiidanle appassionato pour violoncelle et orgue et
un Scherzo pour deux violons, violoncelle et piano, enfin M. Sibella un
Coltoquio sentimentale pour soprano et un Madrigal pour chœur de femmes à
deux voix.
— Nous continuons à donner, d'après le Trovalore, les dates précises des
premières représentations des opéras de Rossini. — 14 août 1814, à la Scala
de Milan, il Turco in Italia, opéra bouffe, libretto de Felice Romani; grand
.succès; interprètes, David, Galli et Pacini, la Festa-Mafi'ei et la Carpani;
:26 décembre, à la Fenice de Venise, Sigisntondo, o opéra séria », libretto de
Foppa; succès médiocre; interprètes, Bonoldi, la MarcoUni et la Manfredini.
— 4 octobre 181S, au San Carlo de Naples, Elisubellu, regina d'Jnghitlerra,
« opéra séria », libretto de Felice Homaui; grand succès; interprètes, Noz-
zari, Garcia et Isabella Colbran, qui allait devenir la femme du compositeur;
26 décembre, au théâtre Valle, de Rome, Torvaldo e Dorlisku. opéra boull'e,
libretto de Sterbini.
— A Rome trois députés, MM. Maino, Cabrini et Chiesi, ont présenté à la
Chambre, à l'occasion de la discussion du budget de l'instruction publique,
un ordre du jour ainsi conçu : « La Chambre invite le ministre de l'instruc-
tion publique à présenter promptemeut un projet de loi à l'elVet d'apporter
dans le règlement organique du Conservatoire de musique (îiuseppe Verdi
^Milan) les réformes nécessaires, afin qu'il réponde entièrement au rùle de
haute culture musicale qui lui est confié. » Nos confrères italiens annoncent
que « le ministre a fait, comme de coutume, les plus belles promesses ».
— Une commission composée de vingt généraux et présidée par le minis-
tre de la guerre d'Italie, a décidé de rétablir le tambour dans les régiments
d'infanterie de l'armée italienne. Le modèle adopté pèsera 2900 grammes.
Une maison de Milan a reçu l'ordre de fournir douze cents tambours dans un
délai de 80 jours.
— Le Conseil d'État du royaume d'Italie, après examen du statut du Lycée
musical de Pesaro, dont le directeur est M. Pietro Mascagni, a exprimé
l'opinion que les fonctions administratives de l'établissement devaient être
distinctes des fonctions directrices, et que le directeur du Lycée ne devait
point faire partie du conseil d'administration. Il a émis aussi l'avis que le
Lycée de Pesaro étant une institution d'intérêt public, ne devrait pas être
abandonné à l'exclusive vigilance de la commune, mais soumis à la surveil-
lance du gouvernement, c'est-à-dire du ministère de l'Instruction publique.
La junte communale pésaraise a formulé sur ce dernier point une très vive
protestation.
— Oii commence à donner des nouvelles de la future grande saison du
théâtre San Carlo de Naples. Sauf modifications éventuelles, le répertoire
comprendra les ouvrages suivants : la Xamrraise et Manon de Massenet, Ft'-
dora de Giordano, Carmen, Otello, Lohengriii, Gioconda, Mefislofele et la Favorite.
Sont engagés déjà la Bellincioni, MM. de Lucia et Garuso, et le seront presque
sûrement la Oe Macchi et MM. Ancona et Searneo. Le chef d'orchestre sera
M. Edoardo Mascheroni.
— Dans l'église Saint-François-de-Paule, à Turin, on a exécuté le 30 mai
une cantate biblique intitulée lialtassar, dont la musique a pour auteur
M. Giovanni Quarter». Bien que l'œuvre ait reçu un bon accueil, la critique
fait des réserves sur le livret, qui interprète en mauvais vers l'ingénue mais
solide prose biblique, et aussi en ce qui concerne la musique, qui manque
de couleur et d%nité dans la variété. L'exécution a été fort honorable.
— On a donné le 31 mai, au théâtre Gimarosa de Caserte, la premiers
représentation d'un opéra en deux actes, Daniella, du maestro Mariano Mar-
zano, joué par M""' Nicosia, le ténor Quadri, le baryton Montella et la basse
De Falco. L'ouvrage a été accueilli très favorablement. — Au Politeama de
Pise on a donné un autre opéra nouveau, Marianila, du compositeur G. Si-
meoni, sur lequel les détails nous manquent encore. — Et à Montevarchi, on
enregistre l'apparition d'une opérette intitulée Ereditù appropriata. dont la mu-
sique est due à M. Giuseppe Galeffi.
— Le compositeur et critique musical si distingué M. Laurent Pai'odi, de
Gênes, vient d'être nommé officier d'académie. C'est le consul de France,
M. le comte de Clercq, qui lui a remis le diplôme avec un petit speech de
circonstance, fort bien tourné, rappelant combien la musique française était
redevable à M. Parodi qui fut toujours, en son pays, l'un de ses plus chauds
partisans.
— L'Opéra impérial de Vienne fermera ses portes aujourd'hui dimanche,
pour ne les rouvrir que le 10 août. Ce théâtre annonce comme nouveautés
pour la saison prochaine : Goetz de Berliehingen, de Goldmark, Ronssalka, de
Dvorak, le Feu, de Richard Strauss, et la Boliènie, de Puccini.
— On nous écrit de Vienne que la surintendance des théâtres impériaux,
qui est actuellement sous les ordres du grand-maitre de la cour, sera suppri-
mée et que les affaires de ces théâtres seront désormais traitées directement
par le grand-maitre. A cet effet, un bureau spécial sera créé, dont M. V\'las-
sack, actuellement chef des bureaux de la surintendance générale, prendra la
direction sous les ordres immédiats du grand-maitre.
— Le musée d'instruments de musique de Berlin s'est enrichi d'une petite
trompette et de deux timbales de l'antiquité grecque. M. François de Men-
delssohn a ollert au musée une collection de plus de quatre cents portraits
de compositeurs, musiciens et artistes lyriques, dans laquelle ne manque
aucun nom important du xix« siècle. Plusieurs pièces sont absolument
uniques. Une collection pareille existe à Paris, à la Bibliothèque de l'Opéra,
dont le conservateur zélé, notre collaborateur et ami Charles Malherbe, s'oc-
cupe spécialement et qu'il a considérablement augmentée dans ces derniers
temps.
— Les amis du malheureux compositeur autrichien Hugo Wolf ont obtenu
du ministre de l'instruction publique une petite pension pour subvenir aux
frais de son entretien dans un asile d'aliénés.
LE MENESTREL
491
— On vient d'inaugurer à Zwickau (Saxe) le monument de Kobert
Schumann. Le grand artiste est représenté assis, appuyant la tète sur sa
main gauche; l'attitude est celle d'un rêveur; onvante la grande ressemblance
de la ligure. Un assez grand nombre de parents ont assisté à l'inauguration,
dont la partie musicale était peu importante. On a joué l'ouverture de la Clian-
soii sur le l'iii tin Rhin de Schumann dans une transcription pour musique mili-
taire, et on a exécuté un hymne composé spécialement par M. Garl Reineclie,
qui n'a d'ailleurs produit aucun effet. L'inauguration du monument de
Schumann fut suivie d'un festival musical en son honneur. On y a exécuté
d'abord le Panidis et la Péri avec des solistes venus de tous les pays alle-
mands, sous la direction de M. VoUhardt; la deuxième soirée a été consa-
■ crée aux liecler du maître et à sa musique de chambre. Le quatuor Joachim
s'y est tout particulièrement distingué. Au troisième concert. Joachim a joué
magistralement la Fnnfrt/sfV pour violon (op. 131) et a ensuite conduit la sym-
phonie en ut. Malheureusement, M. Maurice Rosenthal, de 'Vienne, qui devait
jouer quelques morceaux pour piano de Schumann, s'était excusé au dernier
moment, et l'œuvre du maître n'a pas été dignement représentée sous ce
dernier rapport.
— Le "il" festival de l'Association générale des musiciens allemands, qui
vient d'avoir lieu à Heidelberg et dont nous avons déjà parlé, a élé clôturé à
Carlsruhe, où M. Félix Mottl avait invité ses confrères pour jouer à leur
intention Béatriri' et Bénédiet. de Berlioz, et son propre ballet Pau au bosquet.
Les musiciens allemands ont vivement applaudi l'œuvre de Berlioz, qui a en
un succès beaucoup plus grand que jadis, en 1862, lors de sa première repré-
sentation à Baden-Baden. Dans son ravissant ballet. Pan au bosquet, M. Mottl
a rompu avec les usages modernes du ballet en attribuant le rôle d'.\phrodite
à M"= Mottl, l'artiste bien connue. Le rôle ne comporte aucune danse: il est
seulement mimé. M'"<' Mottl a donc pu représenter la déesse de la beauté
avec un succès considérable. Inutile d'ajouter que M. Mottl, qui conduisait en
personne, a été fêté comme corapositeur et comme ehef d'orchestre.
— Manrii, le nouvel opéra de M. Paderewslri, vient d'être joué au théâtre
de Leraberg. Les Polonais n'ont pas manqué de fêter avec enthousiasme leur
célèbre compatriote, et toutes les autorités assistaient à la première. On avait
éclairé la salle a giorno et des fleurs ornaient les premières loges. Les musi-
ciens et directeurs de théâtres de toutes les provinces de l'ancien royaume de
Pologne étaient présents. L'enthousiasme fut naturellement très grand; le
compositeur reçut plus de soixante couronnes, dont deux en argent, offertes
par la ville de Lemberg et par la délégation de la Diète du pays.
— La reine de Roumanie, Carmen Sylva, a l'intention d'organiser plusieurs
troupes ambulantes qui doivent donner des représentations de pièces popu-
laires et morales dans toutes les agglomérations rurales de la Roumanie.
Cela serait en effet un excellent moyen de relever le niveau intellectuel et
moral des paysans roumains.
— L'orphéon de Zurich, fondé par le compositeur snisse Jean-Georges
Naegeli (1773-1836), vient de célébrer le 73» anniversaire de son existence.
Le compositeur Attenhofer, qui dirige l'orphéon depuis 1S66, a organisé un
concert en l'honneur de cet anniversaire et a offert au public de Zurich une
excellente interprétation de l'œuvre chorale de Max Bruch, FrUhjof.
— Le jeune violoniste Jan Kubelik est devenu le favori du roi Edouard VII
d'Angleterre. Deux fois de suite il a été invité à jouer devant Sa Majesté,
qui lui a offert, en dehors des cachets, une magnifique bague en diamants
et rubis.
— Un nouveau ballet, très luxueux, intitulé Inspiration ('S), vient de faire
son apparition à l'Alhambra, de Londres. L'auteur du scénario est M. Mal-
colm Watson, écrivain dramatique et critique très connu, celui de la musique
M. Byng. Les pères et l'enfant se portent bien.
— 11 parait qu'un nouveau u trust o vient de se former aux États-Unis. Le
New-York Times annonce en eff^t que les principaux éditeurs de musique de
la grande République se sont associés sous le titre i' American Music Publishiug
Company, avec un capital d'un million de livres sterling, soit 23 millions de
francs. Il est évident qu'on peut faire quelque chose avec ça. Mais quel est le
but principal que se propose ladite Compagnie ? Ce but, dit-elle, est de se
sauvegarder des productions étrangères. Alors, l'Europe peut dormir tran-
quille pendant quelque temps. D'ici à ce que les compositeurs américains
aient produit un Faust, une Manon, une Mignon, un RigoleUo ou un Lokenyrin,
les vagues ont le temps de courir d'une rive à l'autre de l'Océan.
— Le juge King, du tribunal civil de la Nouvelle-Orléans, vient de pro-
noncer un jugement qui fait beaucoup de bruit dans le Landerneau artistique
des Etats-Unis. L'imprésario Henry Berriel avait engagé, sur photographie,
une artiste lyrique du nom de Gabrielle Stervel, qui est, parait-il, d'origine
française et qui chantait non sans succès à l'Opéra de San Francisco. A peine
arrivée au théâtre de laXouvelle-Orléans l'artiste fut renvoyée par l'imprésario,
qui déclara qu'elle était afUigée d'un embonpoint trop considérableptmrpouvoir
débuter dans un rôle de son emploi. L'artiste assigna alors l'imprésario, qui
plaida en personne et d'une façon fort amusante : « Regardez-moi cette
jeune lady et dites-moi si je peux construire sur la scène un balcon assez
solide pour la porter, même sans compter mon Roméo, qui est aussi d'un
poids assez sérieux. Et comment m'y prendrais-je pour faire débuler cette
jeune lady dans les pantalons du page des Jlugnenols ou de l'étudiant .Siebel
dans Faust, rôles qu'elle doit chanter d'après son conti-at? Toute la salle
s'esclafferait, même si elle chantait comme un ange ». Le juge, après avoir
regardé longtemps l'artiste, la débouta de sa demande en la déclarant
« trop grasse pour remplir ses devoirs professionnels ».
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les dates des concours, au Conservatoire, viennent d'être ainsi Iixées
pour la série des concours à huis clos.
Dimanche 30 .juin, de 6 heures à minuit, mise en loge, harmonie hommes.
Dimanche 7 juillet, de 6 heures à minait, mise en loge, harmonie, femmes, liigue.
Mercredi 26 juin, à 10 heures, dictée et théorie, solfège chaoïteurs.
Jeudi 27 juin, à raidi, lecture, tolfège chanteurs.
Lundi l'"" juillet, à midi, harmonie, hommes (jugement;,
Mardi 2 juillet, à 9 heures, lecture, dictée, théorie, sttlfège instrumentistts.
Mercredi 3 juillet, ii 9 heures, lecture, solfège instrumentiste,'.
Jeudi 4 juillet, à 1 lieure, accompagnement au piano.
Vendre li 5 juillet, à 1 heure, orgue.
Samedi 6 juillet, à 9 heures, violon, classes préparatoires.
Lundi 8 juillet, à 1 heure, harmonie, femmes (jugement).
Mardi 9 juillet, à midi, fugue (jugement).
Mercredi 10 juillet, à 10 heure?, piano, classes préparatoires.
— Mercredi a eu lieu, au Conservatoire, en assemblée générale, l'élection
pour la nomination du chef d'orchestre de la Société des concerts du Conser-
vatoire, poste devenu vacant par la démission de M, Taftanel. Les votanls
étaient au nombre de 101. M. Georges Marty, un des chefs d'orchestre de
l'Opéra-Gomique, a été nommé au cinquième tour de scrutin par 54 voix,
contre 37 données à M. Sam;nel Rousseau (dix bulletins blancs).
— Wecfcerliu est dans une joie profonde. Il a reçu les autographes musi-
caux de Chopin que la baronne Nathaniel de Rothschild avait légué à la
bibliothèque du Conservatoire. Ils sont au nombre de huit et comprennent:
une Berceuse en quatre grandes pages ; la première « Walse » ainsi intitulée
de la main de Chopin, qu'ait écrite le maître ; trois autres valses plus
récentes ; puis celle qu'il dédia et signa ainsi : « A M"= Charlotte de Rothschild,
hommage, Paris 184"2, F. Chopin »; puis un nocturne, et enfin la célèbre
valse en ré h, toute de sa main et signée, — un véritable trésor !...
— M''" Lucienne Bréval rentre.... à l'Opéra-Gomique! Voilà un véritable
coup de maître de la part de M. Albert Carré, et même un coup double, car
en même temps il s'assure de la nouvelle partition de M. Massenet, Grisélidis,
dont la belle artiste créera le principal rôle. A coté d'elle, le merveilleux
Fugère jouera le persoirnage du diable. La première représentation est d'ores
et déjà fixée pour le commencement du mois de novembre. — Ce n'est pas
tout : au printemps, M^^' Bréval sera également l'Yseult au cours des repré-
sentations de Tristan que donnera M. Albert Carré. Voilà donc en prévision
pour la prochaine saison de grandes soirées artistiques.
— Peadant ce temps, le bon M. Gailhard s'en était allé marier une de ses
petites nièces à Toulouse, Heureux homme ! Il perd le Roi d'Ys, il perd anssi
M"= Bréval, il va perdre Alvarez, bientôt il perdra Thais, il perd surtout la
tète. Mais il est content d'avoir vu ça!
— Toujours à l'Opéra-Comique, très brillante rentrée de M"' Sibyl San-
derson dans Pliryné, toujours belle et avec le même charme qu'autrefois. On
lui a fait un chaleureux accueil, en même temps qu'à Fugère et à Clément,
qui reprenaient leurs anciens rôles. L'Opéra-Comique est décidément le
théâtre des soirées sensationnelles.
— L'Opéra-Comique donnera ce soir dimanche les Noces de Jeannette et la
Basoche, en représentation populaire à prix réduits.
— La Société des compositeurs de musique met au concours, réservé aux
musiciens français seuls, pour l'année 1901 :
1" Quatuor pour instruments à cordes, prix de 500 francs offert par M. le
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts;
2° Trio pour piano, violon et violoncelle, prix de .oOO francs offert par la
maison Pleyel, Wolff, Lyon et G'" ;
3" Saynète musicale de deux à quatre personnages, pouvant être jouée dans
un salon, durant une demi-heure environ, accompagnée par un petit orches-
tre de huit à dix musiciens et sans piano, prix de .300 francs offert par
M. A. Glandaz ;
4" Romance pour cor, accompagnée par une harpe chromatique (Lyon),
prix de 100 francs offert par la Société ;
o" Un morceau pour grand orgue, prix de 100 francs offert par la
Société.
Pour le règlement et les renseignements s'adresser à M. Henry Gieutat,
secrétaire général, 69, rue des Batignolles, ou au siège la Société, 22, rue
Rochechouart, Paris.
— Nouvelles installations au musée Guimet. Ce qui attire surtout la curio-
sité des savants et même des amateurs, c'est, dans la rotonde, le résultat des
fouilles d'Antinoé et surtout la tombe de Thaïs et celle de l'anachorète Sera-
pion qu'on y a découvertes. La fameuse courtisane grecque, popularisée par
192
LE MÉNESTREL
Anatole France etqu'asi bien chantée Massenet, repose là. momiliée, entourée
de tous les bijoux et même des fleurs sèchées qui lui furent chers, tandis que
l'anachorète en son tombeau, maigre et décharné, porte encore autour des
reins les corselets de fer et aux pieds les chaînes dont il s'était chargé. Con-
traste qui porte à la méditation et fait revivre en notre esprit les belles pages
du maître écrivain et du maître musicien.
— La statistique a toujours du bon, pour les gens qui n'ont rien à faire.
L'un ce ces excellents inoccupés n'a trouvé rien de mieux, pour employer
son temps, que de calculer celui qu'exige l'exécution de chacun des dix
grands drames de Wagner, et il a travaillé en conscience. D'après son
calcul très précis il apparaît que, en faisant abstraction des entr'actes, il faut
compter 2 heures 44 minutes pour l'exécution intégrale de Rienzi ; 2 heures
21 minutes pour celle du Vaisseau-fantôme : 3 heures 8 minutes pour
Tannhamer ; 3 heures 7 minutes pour Loliengrin ; 2 heures 17 minutes pour
Tristan et Yseult (ça m'a pourtant paru plus long que ça !) ; 2 heures 28 mi-
nutes pour l'Or du Rhin; 3 heures 33 minutes pour les Maîtres chanteurs de
Nuremberg ; 3 heures 18 minutes pour la Valkyrie : 3 heures 44 minutej pour
Siegfried; enfin, 3 heures 31 minutes pour le Crépuscule des Dieux. Noire
homme a calculé que pour l'exécution successive et immédiate des dix
ouvrages (perspective horrible!!), il ne faudrait pas moins de 1.911 mi-
nutes, c'est-à-dire 1 jour, 7 heures et SI minutes. Et sur cette découverte,
l'homme qui n'avait rien à faire s'est montré satisfait de lui et de la façon
dont il avait employé son temps. Ci ne vaut-il pas mieux, comme disait
l'autre, que d'aller au café ?
— M. Alexandre Guilmant,réminent organiste qui a fondé les Concerls du
Trocadéro, vient de faire installer chez lui, à Meudon, parla maison Cavaillé
Coll, un bel orgue à trois claviers dans une salle élégante, construite à cet
effet. Tous les jeudis, de 4 heures et demie à 6 heures, M. Guilmant y fait
entendre des œuvres d'auteurs anciens et modernes. Les premières séances
ont eu lieu avec le concours de M""^ Vierne-Taskin, de M. Paul Viardot et
de M"» Joly de la Mare.
— Le Midi en a de bonnes! Ne voilà-t-il pas que le conseil municipal
socialiste de Marseille, qui a mis la main sur le Conservatoire de cette ville,
avait imaginé de faire juger le concours de piano sans qu'on puisse voir les
candidates, afin que les jurés ne soient pas influencés plus ou moins par la
vue d'un joli minois. Donc, le piano était placé dans une pièce à côté, toutes
portes fermées ! Le jury a protesté et s'est retiré en masse. Parfaitement
authentique.
— Je voudrais pouvoir dire beaucoup de bien du petit livre que M. Eugène
de Sûlenière vient de publier sous ce titre : Cent années de ninsiqiie française
(Pugno, in-12), mais cela est difficile. Tout d'abord, réduire en cent pages —
— juste une page par année — l'histoire artistique d'un siècle aussi actif que
le dix-neuvième siècle musical français, c'était un projet un peu ambitieux et
d'une réalisation malaisée. Et puis, je ne suis pas très sur de la solidité des
opinions de l'auteur, qui me paraissent un peu vagues, en dehors de son
dédain très accentué pour la forme de l'opéra-comique, et qui lui font dire à
la fois blanc et noir lorsqu'il les exprime sur le compte de toi ou tel artiste,
de telle sorte qu'on ne sait au juste ce qu'il en pense, témoins ses jugements,
entre autres, sur Rossini, sur Auber et surHalévy. Il est très carré, par exemple,
sur Meyerbeer, pour lequel son mépris est profond. D'autre part, il appuie
un peu trop ses appréciations relatives à quelques-uns de nos musiciens sur
celles de Schumann, qui n'a jamais rien compris à la musique française. De
plus encore, il y a quelques petites erreurs de faits qui sont fâcheuses,
comme quand il attribue /(■ (iuilarero à Auber et la Nuit de la Sainl-Jecm à
M. Henri Maréchal. J'apprécie la bonne volonté de l'auteur, mais la bonne
volonté n'est pas sullisante lorsqu'il s'agit d'apprécier, d'une façon aussi
sommaire, tant d'artistes qui, à des degrés divers, ont fait après tout preuve
de talent, et le mépris exprimé sur des musiciens comme Adolphe Adam,
Grisar, Victor Massé et autres, ne me parait pas le produit d'une esthétique
absolument irréprochable. A. P.
— SoiBÉES ET CoNCEiiTS. —Une audition des élèves de M'"" Rosine Labordeest toujours
un régal artistique. On cq peut Juger pac la foule qui se pressait dernièi'ement rui? de
Ponthieu. Au début, nous avons applaudi M"" Frammerie qui a chanté l'air de Mignon
avec un Rrand sentiment dramatique, M— Heller et M. Ania qui ont dit de façon
exquise le duo de Manon. L'air de Tha'is a été interprété de façon tout à fait magistrale
par M"' Van Reehl, et M"" Porta a fait admirer sa belle voix de soprano dans l'air de
FreyschUz. Très applaudies également M"" Jennings, dans le duo de Lakmé avec M. Ama,
Gour, Rajé, puis M'" Potron-Laborde etiM. Dupont dans le ravissant duo de de Xavib\\
La matinée comportait ensuite des œuvres de Diémer accompagnées par l'auleur et inter-
prétées par M. Fernand Leoomlo, qui a dit avec beaucoup de charme A une étoile et
Dernières roses, W' Ughetto, longuement applaudie dans Inquiétude, et M"' Pages, Fram-
merie et Kaulfmann. On a fait une longue ovation au maitre après une remarquable exé-
cution de Fa Grandevttlse deconcert. Grand stccès égalenunt pour Jl. Hilleniachcr et M'""
Mauroux. Deux agrùaWes surprises nous étaient réservées : M. Gibert dans l'air des Maî-
tres Chanteurs et M"' Sylva, du Théâtre rojal de La Haji-, élé\e de l'éminent professeur,
dans l'air de la folie d'Ilimlet. L'audition s'est terminée par le quatuor de Rigoletlo,
brillamment enlevé par M"" Ughetto, Gour, MM. Ama, Bogoumiroff et la toute spiri-
tuelle M"' Jeanne Depping dans son spirituel adieu. Tous nos compliments à M"" Rosine
Laborde qui ne compte que des admirateurs. — Chez -M"" la baronne Piérard, concert de
musique ancienne exécutée par des chœurs mondains, sous l'arlislique direriion de M"-
Julie Bressoles. Tous les numéros étaient empruntés au\ Gloires de l'Italie de Gevaert et
aux recueils de Weckerlin. Le succès de la soirée a été au d-uo 0 Fortunnto de Mai-cello.
— Brillante matinée des élèves de M— Gonzal, dans les ateliers du peintre Cesbron.
A signaler : l'.lmjon aise du Cid, de Massenet, Polkeltina, de Lack, Va'se cliromatique,
de Godard, et la Dame des Saturnales des Erinnyes, à huit mains, de Massenet. Cette
jolie matinée a été couronnée par M"" Cesbron, qui a chanté avec son talent habilnel la
prière de la Vestale, de Spontini, et le chant de la Naïade d'.lrmirfe, de Gluck. — Jolie
audition d'élèves chez M"' Marthe Rennesson, qui fait justement applaudir M"" M. S.
{Passepied, Delibes), S. S. [Crépuscule, Massenet), M. B. (Pas des esclaves, Dclibes), A. P.
I Taise des heures, Delibes), M. B. {Barcarolle, Delibesi, F. D. [Air à danser. Pugno),
A. D. (Aragonaise, Massenet), M. A. C. lentr'acte de Lnlané, Delibes), M"" 1'.. L. IDallel-
vatse, A. Marmonlel), A. L. (Valse du pas des /leurs, Delibesl, B. M. (Prélude à'Bérodiade,
Massenet), A. D. (Danse rustique, Dubois), A. H. [Sérénade à la lune, Pugno). Dans les
intermèdes, on fête M"' Baux dans une mélodie de M"' Rennesson, Viens.' et M. Boyer
dans Crépuscule de Massenet. — M. Chavagnat, directeur de l'Ecole Classique, vient de
donner salle Érard une soirée musicale pourl'audition de quelques-unes de ses meilleures
élèves pianistes. Le public très nombreux et choisi y a particulièrement applaudi JI"" de
Grandsagne, Toussaint, Branchery, Favre, Boivin Lavarenne, Lucas, Réveillé et Bosque,
ainsi que M'" Jouve et M. Max-Comie, qui ont délicieusement interprété des mélodies
de M. Chavagnat. N'oublions pas non plus MM. Neuberth et Maçon, deux excellents violo-
nistes, 1"' prix de l'École Classique.— Une matinée fort brillante a eu lieu dans les salons
du violoncelliste Maxime Thomas, en l'honneur et avec le concours du maître Augusta
Holmes. M"' Georgette 'i'aldys, de l'Opéra-Comique, s'y est fait applaudir dans les Contes
de fées; M"" Huet, contralto, a divinement chanté plusieurs autres mélodies. Le ténor
O'SuUivan, M"« Franconi, ÎI"" Jane Debillemont, Biau-Bussière et Denyse Taine prê-
taient également leur concours. On a particulièrement applaudi la transcription de
« En Mer » pour violon, violoncelle et piano, interprétée par MM. Brun, Maxime Thomas
et l'auleur. — Lundi dernier, M'"^ Marie Rôze donnait sa dernière audiiion d'élèves au
Théâtre de l'Athénée Saint-Germain; plus de six cents personnes étaient venues applaudir
de charmantes jeunes filles dans des scènes d'opéra, en costumes. Fort remarquée M""
Ulma Fish, charmante de grâce dans des scènes de Manon et de Galatliée: M. Taber,
jeune américain, lui donnait la réplique avec succès dans le rôle de Pygmalion. Le grand
duo d'Aida nous a fait apprécier les belles voix de M"" Germaine et Andrée Alaux.
Ensuite l'acte du jardin de Faust a été fort bien chanté par Miss Taber, puis venait la
scène de la folie d'tiamiet, par Ml''' Carlaud, qui possède une voix d'une grande pureté. Une
scène de Cavalleria Rusticana nous a révélé une jeune fille douée d'un véritable tempéra-
ment artistique, M"*-" de Laforcade qui a chanté la romance et le grand duo avec un grand
sentiment dramatique! Magdeleine Godard était venue prêter le coni-ours de son grand
talent et a obtenu comme toujours un triomphe. N'oublions pas une scène du 1»^ acte
de Carmen foi-l bien jouée par M"= Lyon, qui a également bien dit un à-propos de
M. Michel Rosen, dédié â son professeur. On a également applaudi MM. Bouillelte et
Ducot, deux barytons doués de belles voix. M. Rivière, qui a eu la douleur de perdre son
père il y a peu de temps, avait bien voulu cependant venir donner la réplique à ses
anciennes camarades; il a été parfait comme toujours. M"'* Marie Rôze a été couverte de
fleurs. — Salle comble, chez Érard, pour entendre deux artistes : une pianiste russe,
M"^ de Muthel, et une jeune anglaise. M"" Lydia Nervil. Comme nous aurons l'occasion
d'applaudir cette dernière la saison prochaine, sur la scène de l'Opéra-Comique, nous
remettons nos éloges à cette époque. Pour M"' de Muthel, nous l'avions entendue l'an-
née dernière. Elle jouait du piano comme en jouent mille autres: « légion d'automates
fastidieux auxquels ou peut, sans injustice, préférer l'babilelé et le charme des pianos
mécaniques — invention progressive — dont, pour ma part_ je recommanderais volon-
tiers l'emploi exclusif à beaucoup de prétendus pianistes », a dit Liszt. Eh bien, M'"'' de
Muthel ne fait plus partie de cette légion. Aujourd'hui elle fait chanter son piano et en
tire des effets d'un charme infini. Douée d'un mécanisme vertigineux, elle alafacultédc
deviner toutes les virtualités psychiques cachées sous les notes et les manifeste avec un style
sobre et correct, avec une expression empoignante. D'où lui vient cette transformation?
De la Méthode de Villoing, du Traité de l'espre'ision musicale de Mathis Lussy, que Jl''e
de Muthel a travaillés depuis un an avec une persévérante passion, et que tous les artistes
devraient lire et relire et connaitre par cœur. Nous pouvons prédire, sans crainte de nous
tromper, un avenir brillant aux deux jeunes artistes, qui nous ont fait un si ^it
plaisir.
NÉCROLOGIE
A Reims vient de mourir, à l'âge de 80 ans, un violoniste, Frédéric-
Auguste Bftnzli. qui s'était fixé depuis plus d'un demi-siècle en cette ville, où
il avait acquis une grande réputation de professeur. Il fut, entre autres, celui
de deux artistes qui obtinrent ensuite le premier prix au Conservatoire de
Paris, M"'* Blouet-Bastin et M. Ilenii Marteau. Bûnzli, qui était né à Eoge,
près de Zurich, le 5 août 1820, avait été lui-même élève du fameux Mnlîque.
Il était le père de M'"' Rose Delaunay, la cantatrice renommée, que nous
avons connue naguère à l'Opéra-Comique.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez Stock, Corneille et Lulli. comédie en 1 acte, en vers, de lien
Jouiii, représentée àl'Odéon.
3iite AU mij>i:stri:l. a bi
cH- M. miDot^
Choral et Variations pour harpe et orchestre, dédiés à M. Hasselmans.
PiuLilion d'orchestre, net : 15 francs. — Parties séparées, net ; 30 fraiK^.
Chaque pallie siip|)lémcnlaire, iiel : 1 fr. 50 c.
Les mêmes, réduction pour harpe et piano 9
(Morceau désigné pour les concours du Conservatoire de Paris.)
Dinianclie 23 Juin 1901.
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(les Bureaux, 2 "'", rue ViTienne, Paris, u- m')
(Les manuscrits doivent être adresses franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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lie Haméi'o : 0 îv. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Hamépo : 0 fp. 30
Adresser fbanxo à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménesthel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
^
SOMMAIRE-TEXTE
. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles (17" article), Paul d'Iistrèes. —
IL. Bulletin théâtral : l'Auberge du Tuhu-Bohu à la Gaité, P.-E. G. — 111. La musique
et le théâtre aux Salons du Grand-Paldis (9° et dernier article), Camille Le Senne. —
IV. Petites notes sans portée : Méditation devant Thms au musée Guimet, Raymond
Bouyer. — V. Pensées et Aphorismes d'Antoine Rubinstein. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MENUET ROCOCO
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Sous bois, de A. Périlhou.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour n )s ahonnés à la musique de chant:
Soir d'été, n" 2 du Poème du silence, d'ERNEST Mohet. — Suivra immédiate-
ment: Iscliia, barcaroUe de A. Périlhou, poésie de Lamartine.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les lénioires les plus rÉcenls et fles flocoients inéflits
(Suite.)
VII (suite)
Les pièces de tliéàtre ont, comme les livres, leurs destinées.
Celle des deux Iphirjénies de Gluck était sans doute d'être ballottée
par la tempête; car, plusieurs années avant la tourmente qui
avait submergé Lays, un autre orage, non moins violent, s'était
déchaîné dans la salle de l'Opéra, pendant une représentation
i'Iphigénie en Aulide. Cette fois, c'étaient deu.x aristocrates mili-
tants, un ténor et une grande dame, qui avaient attiré la foudre
sur leur tête.
Kotzebue, débarqué quelques jours après à Paris, note cet
épisode de la politique au théâtre, épisode d'ailleurs connu, mais
que nous rappellerons, parce que le voyageur allemand consigne
dans son récit diverses particularités jusqu'alors inédites.
Le tragédien lyrique Lainez, et non Henné comme l'appelle
Kotzebue, vient d'enlever, avec sa furia ordinaire, sa partie de
choryphée : « Chantons, célébrons notre reine... », quand la
duchesse de Biron et ses voisins de loge, se penchant avec affec-
tation vers la scène, applaudissent à outrance et veulent faire
bisser le morceau, « ce qui arrive rarement à l'Opéra ». Bien
mieux, la grande dame jette au chanteur une couronne de lau-
riers. Le parterre se fâche ; des spectateurs traitent la duchesse
de c...; d'autres vont chercher des oranges, des poires, des
pommes crues ou cuites, et bientôt la loge est assaillie de nom-
breux projectiles. Il y tombe même un couteau — le digne
pendant de ce sitllet à roulettes que nous avons vu effleurer le
nez de Coquelin, à la mémorable seconde de Thermidor. — Des
forcenés avaient même apporté des verges pour fouetter en plein
théâtre la manifestante... C'était, parait-il, une... contre-mani-
festation à la mode. Heureusement la duchesse eut le bon esprit
de se tenir tranquille ; autrement, si elle fut sortie de sa loge,
elle eût été écharpée. Mais le lendemain, elle y lit ramasser les
présents de la foule et donna l'ordre de porter le tout chez
Lafayette, le commandant de la Garde nationale, avec prière de
déposer sur l'autel de la patrie < ces preuves frappantes de la
liberté française ».
Il est vrai qu'elle n'attendit pas la réponse du peuple, car
elle partait le lendemain pour l'étranger. Ce fut Lainez qui paya
pour elle. Il dut, aux représentations suivantes, demander par-
don et fouler aux pieds la couronne de lauriers. Sa revanche
coïncida précisément avec la disgrâce de Lays. Lui aussi, Lainez,
chanta le Réveil du Peuple, mais avec quelle conviction et quel
débordement de malédictions contre les Jacobins! Le général
d'Andigné (1) va nous en donner la note vibrante comme
un appel de clairon :
« Lorsque j'entendis pour la première fois son antidote (de la
Marseillaise), le Réveil du Peuple, ]e pus me faire une idée de l'effet
qu'elle avait produit. C'était à l'Opéra. Lainez, qui le chantait à
la demande de tous les assistants, y mettait son âme toute
entière. Un chœur de soixante voix répétait le refrain. Dans ces
moments, qui se renouvelaient chaque jour et toujours deux
fois de suite, les assistants paraissaient tellement électrisés qu'un
Terroriste, reconnu au milieu d'eux, eût été incontestablement
mis en pièces. L'émotion que me causa, la première fois, cette
scène à laquelle je ne m'étais pas attendu, me fit comprendre les
effets prodigieux des chansons guerrières sur les Grecs.
» ... Avant la Révolution, un beau morceau de musique eût
été admiré; on aurait couru pour l'entendre; il eût éveillé un
grand enthousiasme pendant quelques jours, mais la sensation
produite n'aurait été que passagère. A cette époque, la vive
expression d'objets trop présents inspirait une telle fureur qu'elle
tenait du délire. Les âmes paraissaient en feu. »
On ne saurait mieux dépeindre l'influence de la politique sur
l'interprétation des œuvres musicales et Taction réflexe de
celles-ci sur l'âme populaire. Il ne parait pas que Vestris ait pris
parti dans aucune de ces manifestations, ni que ses contempo-
rains lui aient jamais demandé raison de son indifférence en
matière politique. Ce n'est pas qu'on ne vit alors beaucoup de
(I) Mémoires du général d'Andign
■ introluction et noies d'F. Biré (Pion, 1900).
194
Lli MÉNESTREL
choses dans un menuet; mais, par bonheur, on n'y décoavril ni
fanatisme, ni fédéralisme. Aussi Yestris put-il sauter et pirouetter
sous tous et pour tous les gouvernements, sans que personne y
trouvât jamais rien à redire.
Géraud, qui était allé l'applaudir à l'Opéra « avec des billets
d'auteur », ne tarit pas d'éloges sur la souplesse de ce prestigieux
danseur. Il n'admire pas moins le chorégraphe Gardel, qui, lui
non plus, ne s'occupait pas de politique, mais représentait à
l'Opéra le genre noble et majestueux. Il avait bien essayé
d'imiter les tours de force de son rival ; seulement il avait gagné
à ces acrobaties un tour de reins qui l'avait rendu à sa première
manière.
Karamsine a retrouvé Vestris à Paris, et son enthousiasme
atteint les dernières limites du lyrisme. A l'entendre, « Vestris
brille parmi ses camarades comme Sirius parmi les autres é toiles. . .
En le regardant je m'étonne toujours, sans pouvoir m'expliquer
à moi-même le plaisir que me cause ce danseur unique » .
Karamsine a des fleurs pour tout le monde. Gardel est « un
disciple des muses solennelles », Nivelon « un autre Vestris » et
le corps de ballet « forme un beau groupe de figures pittoresques
ijui captive la vue » .
Halem, moins épris de la danse, reconnaît cependant l'incom-
parable talent de Vestris. En sa qualité de critique judicieux et
sensé, il caractérise comme il convient la manière de l'artiste,
mais il raille à souhait la sotte vanité de l'homme et le ridicule
snobisme de ses admirateurs.
« Vestris, dit-il, possède un art, qui est propre à lui seul, de
tomber comme de haut et de se tenir en mesure, incliné et pen-
ché sur la pointe du pied comme s'il était cloué... Parmi les
autres danseurs il y en a d'aussi forts, et de plus forts que lui
pour sauter; mais il les surpasse tous par la grâce. On le dit
d'ailleurs insupporlablement orgueilleux de son art, et comment
ne le serait-il pas? La première fois qu'il parut sur la scène de
Londres, les Anglais suspendirent la séance du Parlement. Lorsque
Vestris ne danse pas, il a coutume de s'asseoir au balcon et de
se moquer des efforts de ses collègues. »
Kotzebue, qui est toujours en contradiction avec tout le monde,
ne peut pas souffrir Vestris : d'abord il n'aime ni les sauts, ni
les pirouettes, ni les mouvements de bras et de jambes. Il est
cependant bien diiBcile de danser sans remuer les bras ni les
jambes. Donc, Kotzebue est resté absolument froid devant un
solo et un pas de deux de Vestris. Car il a vu pour la première
fois le célèbre artiste dans un ballet de Gardel, Psyché, dont
quelques scènes seulement et les décors ont eu l'heur de lui
plaire. Ce fut à l'occasion de ce gracieux divertissement, nous
dit le Comte de Paroy, que Madame Royale, la fille de Louis XVI,
vint pour la première fois à l'Opéra. Elle était comme en extase,
mais elle ne put retenir un cri d'effroi quand elle vit Zéphire
enlever Psyché.
Toutefois, pour un homme qui semble faire li de la danse et
des danseurs, Kotzebue ne laisse pas que de traiter le plus
aimablement du monde la ballerine chargée du rôle de Psyché.
Il en admire le charme et la légèreté. C'est une ravissante créa-
ture, dit-il, qui « peut représenter l'innocence avec autant d'il-
lusion que si jamais de sa vie elle n'eut dansé au grand Opéra ».
Or, l'artiste qui a su trouver grâce devant le sévère critique
n'est autre que la Miller, M"'" Gardel, une fort remarquable dan-
seuse et une très honnête femme assurément, mais oubliée par
la nature dans la distribution des avantages physiques. Reichardt,
qui la vit un an après dans ce même ballet de Psyché, la dit fran-
chement laide : « C'est dommage, le tableau de l'enfer, monté
avec autant de luxe que de goût, y perd beaucoup ». Il est vrai
qu'il ajoute ce correctif tout à l'honneur de l'artiste : « Sa mer-
veilleuse exécution fait passer sur son air vulgaire ».
Reichardt, comme Halem, se prodigue en éloges d'ailleurs
mérités. Il trouve Vestris admirable, quoique un peu uniforme;
il vante l'exquise souplesse de Nivelon, et Psyché est « un déli-
cieux ballet, triomphe du machiniste et du metteur en scène ».
(A sriivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Ctaité. l.'Aubt'igc du Tohu-Hohu. vaudeville-opérette en 3 acles, de M. Maurice
Ordonaeau, musique de M. Victoc Roger.
La maison Labi-uyère-Gaité et G'", spécialité aniverselle pour agran-
dissements garantis, vient d'ajouter à son répertoire l'Auberge ilu Tohu-
Bohii qui fut donnée, voilà deu.x ou trois aus, et avec succès, au.\
Folies-Dramatiques. On ne voyait pas trop, de prime abord, comment
les auteurs de cette grosse et très inconsistante bouffonnerie pourraient
l'amplifter pour le cadre assez vaste du théâtre du square des Arts-et-
Métiers. Mais MM. Maurice Ordonneau et Victor Roger, en gens de
ressources, ont plus d'un bon tour dans leur sac et n'entendent s'em-
barrasser de rien. Pour l'opération nécessaire, la maison Debruyère
mettait à leur disposition un petit lot de danseuses, et, vite, on les
utilisa en intercalant un divertissement de clowns, au premier acte,
devant la baraque de saltimbanques de Flora, et en inTentanfe une
entrée de sœiu'S Clarisson's, au dernier acte, dans la salle à manger
envahie des malheureux Moulinet.
L'important était que l' Auberge du Tohu-Bolai ne perdit rien de sa
folie extravagante qui déchaîne le rire quoi qu'on en ait dit, et le public
n'a eu nul motif de regret à ce point de vue. En tète de la distribution
plutôt estivale, qui joue cependant avec entrain, ce qui est déjà quelque
chose, il faut nommer M"" Rosalia Lambrecht, M™'' Virginie Roland,
MM. Landrin, Perrin, Larbaudière, Ogereau et Kerny. P.-É. G.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AUX SALONS DU GRAND-PALAIS
(Seuvième et deniier article.)
Avaut d'aborder la statuaire, qui occupe, — avec plus d'autorité que
d'éclat, — la meilleure partie du Grand-Palais, je veux dire l'immense
nef un peu servilement copiée sur celle du défunt Palais de l'Industrie,
une courte visite s'impose aux arts moindres, relégués dans un certain
nombre de salles également propices aux flirts et à la rêverie solitaire.
On sait que l'architecture détient le record de cette tranquille ambiance;
rien de plus curieux à observer que le manège des visiteurs lancés par
une brusque impulsion jusqu'au seuil des pièces glaciales, des galeries
désertes où les émules de Duc, de Nénot et de Garnier e.xposent leurs
gigantesques cartons. Si quelque raison parallèle sinon étrangère à
l'esthétique no leur a pas fait prendre ce chemin, ils s'arrêtent sur la
frontière, écarquillent les yeux, froncent les sourcils en apercevant une
restauration de temple grec ou un projet d'école laïque, regardent avec
une hébétude de consommateurs troublés dans leur digestion, puis,
tout à coup, prenant une résolution peut-être héro'îque, font une rapide
volte-face.
Avec un peu plus de patience et moins de parti pris ces promeneurs à
la bouscule feraient d'intéressantes découvertes parmi les cartons des
architectes. J'ai noté au hasard quelques bons envois : deux remar-
quables vues de l'intérieur de Saint- Marc de Venise d'un artiste améri-
cain, M. Andersen, et une autre aquarelle très panoramique, le Pont des
Soupirs, d'un exposant anglais, M. Edward Bennett; des croquis de
voyage aux Pays-Ras et en Espagne de M. Bouti-on; le Trimion, de
M. Louis Brunet. et la célèbre façade de l'iiotel Jacques Cœur à Bourges,
de M. Rousseau; la curieuse restauration, par M. Vorin, du prieuré
de Saint-Arnouet, près Touques, bien connu de tous les baigneurs
trouvillais; la cour des Myrthes à l'Alhambra do Grenade, de M. André
Suréda; les ruines du théâtre de Taormina, en Sicile, par M. Recoura;
deux études de la Villa Mèdicis, par M. Patouillard. qui ne sauraient
laisser indifférents les ex-pensionnaires do l'Etat jadis loges à cette belle
enseigne; l'Iiôtel de Ville deLens, de M. Jules Doré. Les « projets » sont
nombreux: projet de théâtre pour Pontivy, de M. Bouvier; projet de
Conservatoire de musique et Ecole des Beaux -Arts pour une région, de
M. Dehaudt; projet de théâtre populaire pour drames et comédies, de
M. Gosset; projet de théâtre iiour une petite ville, de M.Huillard: projet
d'atelier pour un peintre-décorateur de théâtre, de M.Gaston I/efol;
projet d'une manufacture de pianos et salle de concerts, de M. Risler;
projet d'aulierge pour des artistes, de M. Tierce. Parmi ces études, gé-
néralement bien comprises et d'un caractère pratique qui n'enlève rien
à leur mérite artistique, combien resteront de simples croquis, combien
passeront dans le domaine des réalisations définitives ? C'est le secret
dos entrepreneurs... et celui des municipalités.
Le public ne stationne guère plus dans les salles de la gravure et de
LE MÉNESTREL
195
la lilhographic que dans celles de l'ai-chitecture, et celte fois encore il a
tort. Le Torquemada d'après J.-P. Laurens, de M. Baiiangue; la Salomé
d'après Juana Romani, de M"" Barraine; la Dnuso d'après la maquette
de Carpeaux, de M. Bazin; la belle lithographie de M. Agricol Bénard
reproduisant le Victor Hugo sur son lit de mort de M. Bonnat; le Daphnis
et Chloé de Louis Français, lithographies par M. Vernhes; la Danseuse
espagnole de Boldini et le danseur antique japonais de M.Ounno, eaux-
fortes en couleur de M. Thévenin; le Cyrano de Bergerac en pointe
sèche de M. Seuseney; les eaux-fortes de M. Robida, poèmes et ballades
du temps passé; la curieuse gravure de M""' Franziska Redelsheimer
représentant la construction du nouveau Ihéàlre de Francfort-sur-le-
Mein; les contes d'Andersen de M. Plat; l'histoire d'Esther burinée par
M. Patricot, d'après Filippo Lippi; les quatre eaux-forles originales de
M. Oudart pour illustrer les œuvres d'Alexandre Dumas père; la
Carmencita d'après Sargent, de M. Massot; les eaux-fortes de M. Ija-
lauze. pour illustrer la Grenadière de Balzac et le Petit Chaperon rouge ;
la Sauvageonne ào, M. Hodebert : la Leçon de chant de M. Maule; le
Polichinelle au tambour, d'après Meissonier, de M.Claude Lafontaine,
mériteraient mieux qu'une mention.
La section des portraits est très fournie. Péle-méle une intéressante
gravure, eau-forte et burin de M. Chenay : la « Joséphine, impératrice
des Français » du baron Gérard ; MM. Jacques Normand, Victor de
Swarte, Monchablon, Lhermitte, SavorgnandeBrazza,Dagnan-Bouveret,
de M. Lucien Dautrey ; M"« RoUa, de l'Athénée, de M. Dupont;
Carolus Duran et John Sargent par M. Eugène Froment ; S.S. le pape
Léon XIIL d'après Chartran, par M. Georges Sauvage; également un
Léon XIU de M. Gélardy; un Falguière de M"" Jacob-Bazin, d'après
le bronze de Rodin; le portrait de jeune homme, présumé de Mozart,
d'après Prud'hon, de M. Abel Jamas; le Puvis de Chavannes de
M. Lhommo ; le roi des Belges et la princesse Clémentine à la fête dos
Automobiles au Grand- Palais, de M. Louveau-Rouveyre; iVI. Gaston
Courras de l'Opéra, de M. Victor Mathieu ; trois études d'après M. Loubet,
une lithographie de M. Pirodon, une autre de M. Ménin. représentant
le président dans son cabinet de travail à l'Elysée d'après M. Dornac et
une eau-forte de M. Henri Lefort; un Gambetta de M. Taverne, d'après
un petit pastel de Forain fait d'après nature à la Chambre des Députés,
en 1881 ; une bonne eau-forte de M. Barré : portrait de M. Georges
Leygues, d'après Carolus Duran, pour l'album de l'Artiste; M. Léon
Bourgeois, de M"" Sevrin ; M. Louis Barthou, de M. Renault, sans
oublier le très ressemblant Jean Richepin de M. Louis Sivé. yuantà la
gravure en médailles, ses envois sont assez restreints. Je ne vois à citer
qu'un fort beau camée de M. Domas, Daphnis et Chloè, sur pierre
sardoine à trois couches ; Deffès composant la Toulousaine de M. Four-
cade, qui expose aussi les portraits d'Antonin Mercié et de Benjamin
Constant; l'Aristide Bruant de M. Levillaiu; l'Alfred de Musset de
M. Mouchon ; la 'Walkyrie de M. Perron ; la Sainte-Cxile et la Psyché de
M. Pillet.
Arrivons au Salon de la statuaire. J'ai dit qu'en dépit de la multi-
plicité des envois il témoignait moins d'éclat que d'autorité: en effet,
les œuvres robustes y abondent ; les morceaux brillants sont plus rares.
Signalons cependant parmi les sujets allégoriques l'Isis se dévoilant de
M. André Allar, qui nous revient au marbre sans avoir rien perdu de sa
grâce ni de son style. La Muse d'Orphée de M. Berge est un plâtre d'assez
bonne venue dont les qualités dénotent l'excellent enseignement de
M. Verlet. M. Bartholdi évoque en un groupe dont la composition ne
manque ni de sincérité ni d'intérêt « les grands soutiens du monde » :
le Travail, le Patriotisme, la Justice. Le Génie du Sommeil éternel de
M. Daillion a de la grandeur et de la simplicité: je préfère pourtant,
du même artiste, la statue en bronze de Pasteur, fragment du monu-
ment à ériger à Marbois. M. Delagrange a voulu repréienler le Mystère
des ruines : la statuette est plus aimable qu'impressionnante : feu M. de
Volncy ne la trouverait pas assez philosophique. M. Drouot expose un
groupe destiné à l'hôpital de Vichy, qu'il me.ublera tout comme un
autre : la République protégeant la Jeunesse cl l'Enfance. L'Ouragan et la
Feuille de M. Antonin Forestier ; le haut-relief de la Vérité de M. Fui •
conis; l'Europe et l'intéressante statue de l'Histoire de M. Raoul de
Gontaut-Biron ; l'Ame s'éveillant de M. Lachaise ; Diane et Eniymion de
M. Morice ; la Muse de M. Emile Picot ; l'Étoile du berger de M. Paul
Roussel ; la Musique sacrée de M. Sudre et la Nuit d'octobre de M'"" Sya-
mour ; le Prométhée de M Villeneuve, se recommandent par des qualités
diverses et un égal souci d'atteindre au grand art. M. Schuler, un
artiste américain, donne, avec ion Ariane abandonnée, une interprétation
très personnelle de l'admirable distique racinien:
Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée....
V Aurore, de M. Denys Puech (qui expose aussi un « portrait ofUciel »,
ainsi déani par le catalogue, de M. le Président de la République)
compte parmi les meilleurs envois du Salon ; l'œuvre est délicate et
fine, .sans mièvrerie. M. Labatut expose une Chrysis, tirée de l'Aphro-
dite de M. Pierre Louys, qui a décidément produit une vive impression
sur les statuaires, et encore, et surtout uue commande de l'Etat qui le
rattache à l'école de Falconnet, d'ailleurs sans trace de pastiche : les
Heures, cire perdue et marbre, délicieux modèle de pendule esthétique.
M. Frémiet, lui aussi, a raffiné et presque préciosé sa manière en com-
posant le groupe eu bronze doré, d'une élégance fastueuse, qu'il intitule
l'Amour et le Paon de Vénus. M. Déplechin a mis beaucoup de fine ironie
en même temps que les plus rares qualités d'exécutant dans sa Fontaine
de Bacchus, où l'on voit le dieu du \in, terrassé par l'ébriétê, dormir
d'un sommeil profond sous le filet d'eau tombant dans une vasque. Le
Washington de M.Gérôme, qui retrouve décidément comme sculpteur
ses premiers succès de peintre, a du caractère et de l'allure : le héros de
l'indépendance américaine est représenté en pacificateur ; le geste
large commande et domine. On reverra avec plaisir la Frise du traçait
de M. Anatole Guillot, un des détails sculpturaux les mieux réussis de
r Exposition de 1900, et les types d'ouvriers adroitement diversifiés par
le statuaire. M. Marquet de Vasselot expose les bas-reliefs composés
pour la Comédie humaine et qu'il proposait à la Société des gens de
lettres d'incruster dans le piédestal de l'œuvre de Falguière, laquelle
n'est pas un chef-d'œuvre. Ces bas-reliefs sont ingénieusement traités :
le refus du comité ne s'explique pas ou ne saurait s'expliquer que par
des raisons à côté. M. Edouard Houssin commente, dans une délicate
statuette, un paysage de l'Impossible de Marceline Desbordes- Valmore :
Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes.
Et vole, vole, ainsi que l'alouette au.'C cieux,
Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux.
Qu'elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
Qui parfument son nid, son àme, son sommeil,
Et lustrent son plumage ardé par le soleil....
Les monuments patriotiques, si nombreux chaque année, dépassent
cette fois la quantité moyenne. A peine me reste-t-il assez de place
pour signaler le groupe de M. Sicard, Pour la Patrie, monument élevé
aux anciens élèves du lycée de Tours victimes de l'Année Terrible ; le
monument aux enfants de l'arrondissement de Sens de M. Peynot; le
monument dédié aux enfants du Gard, de M. Antonin Mercié ; le
groupe en bronze de M. Maillard à la mémoire des enfants d'Asnières;
le Pro Patria de M. Levasseur, dont la réduction appartenant à l'État est
placée dans le jardin du Lu.xembourg; la statue en marbre de
M. Locomte du Nouy, Pour la Liberté, dédiée aux enfants de Paris; le
motif principal du monument en l'honneur des enfants de Seine-et-
Marne morts pour la patrie de M. Desvergues, sans oublier la grande
héroine nationale, la statue équestre de Jeanne d'Arc à Patay, de
M. Le Bourg, commandée par le comité des fêtes de Jeanne d'Arc de
Nantes .
L'anecdotisme sculptural est assez agréablement représenté. L'Orchestre
des Amours de M. Auguste Paris, l'Amour en Hercule de M. Chrétien,
le Sanison de M. Chassaigne, la Fin de la Cigale de M. Coutheilas, le
groupe on cire de M. Georges Colin : la Course à l'abîme, VOndine de
M. Charles Breton, la Danseuse de M. Bastet, d'un charme d'exécution
si pénétrant, la Phryné de M. Bulloni, VHamlet de M. Astruc (scène des
comédiens), ne sont pas des œuvres négligeables. Mais le temps me
presse, et à peine puis-je me mettre en règle avec l'innombrable galerie
des effigies plus ou moins historiques. Voici les morts illustres, célèbres
ou simplement notoires : Beethoven, de M. Breitel; Baudin, de M. Bo-
verie; Emile Brckmann, de M. David, pour son tombeau de Lunéville;
Paul de Kock, de M. Descoups; Lalo, de M. Feinberg, commandé par
l'Etat pour l'Opéra; Chardin, de M. Paul Fournier; Léo Delibes, de
M. Guglielmo; Jean Macé, de M. Massoulle; le buste de Falguière et
la statue eu pierre de Victor Hugo commandée à M. Marqueste par la
Ville de Paris pour la cour d'honneur de la Sorbonne; le Père Didou,
de M. Félix Martin; l'Armand Silvestre, de M. Rivière-Théodore; le
buste du colonel de Villebois-Mareuil, par M. Raoul Verlet, destiné à
Grez-en-Bouère. Parmi les portraits olliciels, un buste en terre cuite
d'après M. Loubet de M. Euderlin et S. M. la Reine Régente d'Espagne,
un remarquable envoi de M. Pallez; un buste de M. Mougeot, le sous-
secrétaire d'État des Postes et Télégraphes, par M. Paul Auban;
M. Caillaux, ministre des finances, par M. Bernslamm, qui expose aussi
une très ressemblante Sada Yacco; le commandant Marchand, de
M. Choppin; M""= (Georges Leygues, intéressante étude de M. Edmond
Desca; le président Kruger, de M. Achard. Et j'allais oublier le Chau-
chard de M. Weigele, le comte Lavedan de M. Ernest Dubois, l'Eugèno
Ledrain de M. Capellaro, le Gabriel Fauré de M. Frémiet, le Camille
Saint-Saèns de M. Paul Dubois. Le monde des théâtres est représente
496
LE MÉNESTREL
par l'Engel de M. Yselin, le Paul Ferrier de M. Eniest I.eioux, le Ma-
noury de M. Vincent et deux suggestives études féminines : M'"* Amy,
du théâtre national de l'Odéon, de M. Ferrand, ut M"" Carrèrc-Xanrof,
l'excellente artiste du non moins national théâtre de l'Opéra, par M. Badin.
Cajulle Le S. nne.
PETITES NOTES SANS PORTEE
XVII
MÉDITATION DEVANT « THAÏS », AU MUSÉE GUIMET
A nos maîtres Analole France et J. Massenet.
Est-ce vous, Thaïs?
La science l'affirme ; elle a ses preuves, que l'artiste accepte d'autant
plus volontiers qu'elles viennent dramatiser son rêve. Je veux me per-
suader que je suis en présence de votre néant, et loin d'oser discuter
les doctes témoignages, je les invoque passionnément, puisque ce n'est
plus, hélas ! la splendeur de votre beauté mortelle ni le doux éclat de
vos chers yeux de violettes qui peuvent me démontrer d'abord votre
identité! Vous êtes en tous points semblable, ô belle entre les bulles ! à
ces dépouilles anonymes qui vous entourent, à ces humbles momies
noircies dans l'ombre des siècles et qu'un humble détail usuel do leur
sépulture nous révèle musicienne ou brodeuse! Un autre corps, qui
serait le votre, offrirait à nos yeux pareille amertume sans nom. Les
accessoires seuls restent éloquents. Le poète l'a dit :
La matière demeure et la forme se perd...
N'allons pas, toutefois, vous confondre, comme le voudraient les
ignorants, avec votre royale homonyme, avec cette Alhénienne plus
lointaine, la Thaïs amie du poète Ménandre ou du s'atuaire Praxitèle,
qui sut conquérir le plus artiste des conquérants, cet Alexandre le Grand
qui pourtant tuait ses amis et brûlait des villes... Celle-là, l'Egypte
aussi la possède, puisqu'elle devint la femme de Plolémée; mais ce n'est
pas à travers les douze kilomètres du cimetière profond d'Antinoé que
l'archéologue retrouverait sa trace : son sarcophage est ailleurs, non
moins silencieux.
Mais vous. Thaïs martyre, sainte Thaïs, vous voici donc exhumée
sous une claire vitrine du Musée Guimet, — venue de la patrie du mys-
tère : et la plus frêle statuette a conservé plus de galbe authentique et
riant que votre chair merveilleuse qui troublait les saints ! Cependant
votre tombe est récente, puisqu'elle ne remonte qu'à seize siècles envi-
ron : qu'est-ce que cela pour la terre des Pyramides? Et quand vous
mourûtes en l'honneur de votre Dieu plus puissant qu'Éros, n'y avait-il
point deux grands siècles déjà que le bel Antinous, aimé d'un empereur,
s'était noyé là dans les roseaux du Nil? Si leurs noms parvinrent à vos
oreilles pieuses, les Pharaons des dynasties séculaires devaient vous
paraître plus éloignés de votre temps que vous ne nous paraissez loin-
taine. Autour de vous l'archéologie n'était point née. Vous ne seriez pas
venue contempler les cadavres oubliés de vos aïeules avec la même
curiosité qui rappelle maintenant prés de vos restes nos belles mondaines
savantes, dont le face-à-main reflète encore les chatoiements du Grand-
Prix... Votre luxe même dévoile votre époque, déjà byzantine, en attes-
tant votre conversion.
Cejourd'hui, mardi 18 juin de l'an de grâce 1901, passant obscur au
seuil d'un siècle incertain, j'analyse respectueusement votre poussière.
Thaïs, l'harmonie en cerise et en or de la robe allongée comme une dal-
matique, avec le mantelet en gaze de soie à bourrelet laineux, qui reste
intact sur la triste métamorphose de vos formes momifiées... C'est la
séduction de l'Orient : ainsi le peintre-décorateur Brangwyn nous mon-
tre-t-il encore ses modèles favoris. Un collier d'amulettes, peut-être,
avoisine le chapelet primitif et la croix grecque; des bouquets, livides
comme vos membres, alternent avec des pièces religieuses, unecorbeillc
à pain, de frustes céramiques. Des babouches carrées, tissées de flis d'or,
bâillent sur ces pieds vermoulus qui furent si beaux... Et vous dormez,
défigurée, dans le cadre harmonieux des palmes blondes. Est-ce donc
la l'exquise passante imperceptible, dont l'apparition révolutionnait le
théâtre, parmi les nouveautés des danses mièvres et des tuniques mauves.
— le « petit grain de riz », cause de tant de larmes et de ruines?
Auprès de vous, sous le même verre, rigide en son néant, toujours
grandiose, est étendu l'Anachorète : un carcan de for, des bracelets, de
rudes anneaux, mortifient toujours son squelette de leur poids rouillé;
et la cuirasse lourde de la pénitence émerge du cilice noir.
Contraste sensible, ce deuil pesant auprès de cet incarnat de fête !
(1) Voir le Ménestrel des 14 avril, 19 mai et 16 juin 1901.
Sérapion, Thaïs, vous êtes idéalement unis dans la mort ! L'insouciance
de la courtisane fut convaincue par ranstèrité du moine. .\h! si les
portraitistes du temps, qui commençaient à peindre les effigies des défunts
sur leurs tombeaux, nous avaient transmis votre double image, comme
le peintre Jean Veber marie vos profils sur la première page illustrée
d'une partition! Mais, dès hier, pour animer par avance ces vestiges
muets, j'avais rouvert le conte le plus exquisement philosophique d'un
conteur qui fait penser : et la pluvieuse après-midi m'avait paru brève;
dès hier soir, pour prévenir ces images funèbres, j'avais requis, à l'Opéra,
les éphémères délices de l'art musical (1); et j'en prolonge l'austère
enchantement devant la vitrine silencieuse, puisque l'amour est vain-
queur de la mort.
Non, Thaïs, vous n'êtes point morte, et vous ne sauriez mourir, puis-
que l'Art a mis ses limpides hiéroglyphes sur la page blanche afin de
ressusciter dans l'avenir le fragile parfum de votre àme. Votre corps,
sans doute, votre corps divin n'est plus qu'une ruine qui doit périr à
son heure; m.ais déjà, quand il resplendissait de tous les feux harmo-
nieux de la chair, la mystique parole de l'ascète ne l'appelait-ilpas « un
tombeau »? Aux yeux scandalisés de l'apôtre, ce corps mortel et fugitive-
ment parfait n'était-il pas aussi méprisable que l'icône adorée d'Éros?
C'était la tombe, puisque l'esprit divin l'avait déserté. C'était la rose
fugitive, privée des senteurs du ciel. La fleur passe; et l'arôme est par-
venu jusqu'à nous.
Harpe céleste ou lyre païenne, — le corps no doit-il pas, d'ailleurs,
être considéré par toutes les philosophies comme par toutes les luxures
comme un éphémère instrument sur lequel un invisible et terrible artiste
essaie des mélodies tour à tour sensuelles ou purifiées? La matière
périssable n'est que le clavier d'un virtuose intérieur et présent, peut-
être immortel comme la pensée même. Les lèvres unies par le baiser
sont du même limon que les bouches qui pi-ient... Oui, Thaïs, « l'amour
est une verlu rare », et votre instinct de femme avait aussitôt rattrapé
les longues veilles des sages. Quand, déjà convertie, vous vouliez pro-
téger contre la loyale fureur du moine la fluette statue d'Kros, présent
de Nicias, vous pressentiez, peut-être, la grande loi d'unité de la Vie,
sœur de la Mort. Avant l'aube de la foi, vos nuits inquiètes interrogeaient
voluptueusement votre miroir fidèle ou Vénus, parfum de l'ombre : « Dis-
moi que je suis belle -- et que je serai belle éternellement... » Mais une las-
situde singulière envahissait votre époque et votre àme : votre beauté
devinait ce qu'elle serait bientôt, ce qu'elle est aujourd'hui. . « Qui te
fait si sévère? » Une énigme terriblement égalitaire : la Mort.
Mais vous êtes deux fois immortelle, puisque vous êtes trépassée jadis
en murmurant : « .fe vois Dieu! », et que, désormais, la plus poétique
des proses a fixé votre souvenir. Le fait est là, brutal : quelques débris
sous des lambeaux. Mais qu'importe le fait? La pensée seule existe. Rien
n'est, tout devient : mais l'Art n'est-il pas le plus durable des amours?
Et quand même la foi ne serait qu'un rêve, u'est-elle point vraiment la
vie éternelle? La minute radieuse, avant la nuit du néant, où vos grands
yeux virent le ciel, apparaît elle-même une éternité. C'est pourquoi je
ne m'attriste ni ne m'épouvante devant cette vitrine funèbre; au con-
traire, du sein des clameurs cuivrées d'un orchestre invisible où se
débattent furieusement tous les conflits humains de l'àme et de la chair,
où tant de passion contraste avec tant de repos, je pen;ois encore,
d'abord si frêle, la victorieuse Méditation de celui que son inspirateur
nomme lui-même, à bon droit, « le maître adorable » ; j'entends distinc-
tement le violon solo de la Vie nouvelle s'élever en ré majeur \ers
l'Amour inconnu : ce chant suave, c'est lui qui vous accompagnait au
seuil du monastère, quand le sombre moine vous remit aux mains des
Filles blanches; c'est lui qui berçait votre dernière extase, tandis que le
regard noir de votre beauté blonde incendiait le cœur trop longtemps
dompté de votre mystique amant...
Mystère plus redoutable que les profondeurs de l'antique Egypte!
Votre conversion. Thaïs, devait-elle avoir pour prix la perdition de l'.Vnn-
chorète? Tandis qu'un ange se réveillait dans la courtisane, fallait-il
que Vénus Astarté se ranimât dans son être? « Thaïs va mourir! » Alors,
à quoi bon l'univers? Et le cénobite éperdu s'est abimé dans la nuit...
Sa chair matée se révolte. « Qui veut faire l'ange fait la bête », a dit la
sagesse morose : mais les Anges, plus charitables que les hommes, ont
eux-mêmes murmuré : « Pitié! »
Tout n'est que rêve; et ce réve-là n'est qu'un roman : qu'importe, si
sa vraisemblance est plus vraie que la réalité?
Thaïs va mourir, elle est morte... Et dans ce musée discret, comme
Tannhauser maudit sur le cercueil de sa fiancée, mes lèvres ne peuvent
que balbutier : « Sainte Thaïs, priez pour lui, priez pour moi ! »
(A suivre.) Raymond Bouykr.
1
(1) Lundi soir 17 juin 1901 : brilliuite
MM. Dtlmas et Vaguet.
e|)résontation de Tliuh avec M"" t.. Berlliet,
LE MENESTREL
197
PENSÉES ET APHORISMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Traduit du russe par Michel Delines.)
« Chacun peut obtenir le salut à sa manière » est une expression
pleine de bon sens, car en chaque homme est inné le sentiment qu'il y
a au-dessus de lui quelque chose ou quelqu'un d'invisible et d'inexpli-
cable, mais de puissant et do définitif, à qui il peut s'adresser dans la
détresse et dans la joie.
Il est absolument indifférent qu'il voie cette divinité dans la pierre ou
dans l'animal, dans un être naturel ou surnaturel, dans Jéhovah ou dans
le Christ, dans Allah et Mahomet, Bouddha, Ormuzdeet Ariman, Brah-
ma et Vichuou, pourvu qu'il reconnaisse une morale qui l'épure et
l'inspire pour le bien. Pas une religion, mais une morale.
Aussi je me représente le pasteur et le missionnaire comme dos
maîtres de morale et non de religion. Ce que je ne comprends pas, c'est
pourquoi tous les hommes doivent être chrétiens, juifs ou mahomé-
tans, et encore moins catholiques, orlhodo.xes ou prolestants.
Combien ces hommes seraient plus heureux et meilleurs, si on ne
leur enseignait qu'à penser et agir dans la voie du bien, de la justice,
de l'amour du prochain, et si on leur laissait la liberté de croire et de
prier à leur manière, c'est-à-dire si on ne leur imposait pas une
religion !
Tant que ce principe n'aura pas triomphé, il ne peut être question de
progrès vérilable.
Lequel de ces deux compliments est le plus flatteur pour un artiste :
« Voire exécution merveilleuse m'a rendue tout à fait malade! » ou
« Votre merveilleuse exécution m'a guérie du coup! » ?
Le plus souvent ces compliments divers sont adressés à l'artiste dans
une même soirée par des dames reconnaissantes. N'est-ce pas étrange?
Quel honneur pour un art qui peut produire des effets aussi contraires !
Lorsque involontairement je mets le pied sur une fourmilière et que
je vois l'affolement des malheureux insectes qui courent en tous sens, je
songe que quand un malheur semblable, — tremblement de terre, peste
ou inondation — arrive aux hommes, c'est sans doute un dieu qui a, sans
le vouloir, posé aussi un pied sur le lieu de la catastrophe. La distance
entre un dieu et moi est sans doute aussi grande qu'entre moi et la
fourmi, et les villages, les bourgs et les villes ne sont après tout que
des fourmilières.
Un petit État au point de vue politique est ridicule, et cependant
c'est aux petits Klats que l'humanité doit la civilisation. Ne sommes-
nous pas beaucoup plus redevables à la petite Grèce des anciens temps
qu'au grand empire romain? Ne devons-nous pas davantage aux petits
États de l'Italie et de l'Allemagne d'autrefois qu'aux grandes puissances
de nos jours?
N'est-il pas curieux qu'on n'ait pas réussi jusqu'ici à définir la nature
du rêve? D'après une expérience personnelle, je suis disposé à croire
que le rêve est tout le contraire de la réalité. Chaque fois que j'ai rêvé
de beauté, de bonheur ou de gloire, il m'est survenu des événements
désagréables et même douloureux, tandis que lorsque je rêvais de choses
terribles et mauvaises, je me réveillais souvent avec des surprises char-
mantes.
Quand il est question du rôle de la nature dans l'art je dis volontiers :
le raisin, voilà la nature, le vin, voilà l'art. Tout autre commentaire
me semble superflu.
La nature a des formes assurément, mais elle n'a pas de limites; or
l'art ne peut se passer de limites. Ainsi il faut au drame des tréteaux,
il lui faut encore la division par actes; le tableau ne peut se passer
de cadre, ni la symphonie de jxirties distinctes. Voilà pourquoi le réa-
lisme poussé à l'extrême dégénère et semble précisément un art contre
nature.
De nos jours on modifie l'aspect des anciennes villes d'Europe par
raison d'hygiène. Peut-être fait-on bien. Tout de même, je ne peux
m'empêcher de dire que c'est dommage. Les anciennes villes de Rome,
Moscou, Prague, disparaissent peu à peu et prennent la physionomie
banale de toutes les autres villes. Au reste les hommes aussi perdent
leur individualité. Ils ne sont plus qu'un troupeau vulgaire et les villes
que des casernes. Mais comme les uns et les autres deviennent forts et
résistants, matériels en un mot!
(A suivre.)
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nous avons racouté les raésaven tares du ^Vitoi» de M. Arrigo Boito. A
ce sujet un critique italien, JVT. Lorenzo Parodi, publip, dans le supplément
du Caffaro, le résultat des rechercties faites par lui sur les rares compositions
éparses de l'auteur de Mi-pstofclr. Rares en effet, comme on va le voir, car
elles se bornent à ceci : une cantate, le Soirlle d'Italie, dont il n'est même
que pour une moitié, car elle fut écrite en collalioration avec le regretté
Franco Faccio et exécutée au Conservatoire de Milan dans l'année scolaire
1860-61 ; une Marche pour l'Association triestine de gymnastique, publiée à
Trieste en 1878 ; UQ canon, à lire même à rebours, écrit pour un album d'é-
tudiants ; quelques mesures pour orgue, pour le numéro unique consacré à
Donizetti en I8&7 ; enfin une Barcarolle, chœur à quatre voix, publii5e dans
la Bibliolbèque chorale de la maison Ricordi. Et c'est tout ! Toute la renom-
mée de compositeur de M. Boito s'appuie donc sur une seule œuvre, son
Mepstofele, et l'on voit tout ce qu'il a produit dans le cours de quarante
années. On n'accusera pas celui-là d'une fécondité fâcheuse.
— Pour suppléer à l'absence du Néron de Boito, qui devait être l'opéra
d'obligo de la prochaine saison de la Scala de Milan, et qui, n'étant pas ter-
miné, ne peut pas être représenté, le ducVisconti di Modrone, administrateur
de ce théâtre, vient de s'assurer d'un autre ouvrage, qui sera l'opéra nuo-
vissimo de cette saison. Son choix s'est porté sur Germania, opéra en quatre
actes, paroles de M. Luigi Illica, musique de M. Alberto Franchelti, l'auteur
applaudi déjà d'Asrael et de Crisloforo Colombo. Le traité a été signé, ces jours
derniers, entre le théâtre, le compositeur et l'éd.teur. M. Franchetti va se
retirer pendant quelque temps en Suisse, pour faire quelques retouches à sa
partition, qui est prête d'ailleurs à mettre à la scène.
— M. Leoncavallo avait été chargé par le gouvernement d'écrire une
messe pour l'anniversaire de la mort tragique du roi Humbert, messe qui
devait être exécutée le 29 juillet à Rome, au Paulhéon. Mais le compos leur
recevait récemment une lettre du ministre (îiolilti, qui l'avisait que la curie
romaine refusait absolument de laver à ce sujet l'interdiclion qui exclut les
voix de femmes dans les églises. Or, il y a des solos et des chœurs de fem-
mes dans la messe de M. Leoncavallo, d'où il résulte qu'elle ne pourra pas être
chantée. Un journal italien dit fort justement à ce propos : « Il est étrange
que M. Leoncavallo se soit mis à écrire une composition sacrée, sans aupa-
ravant s'informer des coutumes de l'église »,
— C'est au mois d'octobre prochain que sera exécute à Milan, dans le Salon
Perosi, le nouvel oratorio du compositeur, Mosè. L'exécution sera dirigée
par M. Arturo Toscanini, qui n'a voulu s'engager qu'après avoir eutendu
l'œuvre au piano. Les solistes seront M""" Pinto, le ténor Mannucci et le
baryton Sammarco. On ne donnera pas cet hiver, au Salon, d'autres oratorios
do don Perosi, mais on donnera des concerts de musique sacrée d'autres
auteurs.
— Suite des renseignements donnés par le Trovatore sur les premières
représentations des opéras de Rossini. — 5 février 1816 : au théâtre Argen-
tina, de Rome, il Barbiere di Siviglia ; interprètes, Garcia, Zamboni, Vitta-
relli, Botticelli et la Giorgi-Righetti. 24 avril, au théâtre du Fonde de Naples,
à l'occasion du mariage de la princesse Caroline avec le duc de Berry,
exécution de la cantate Teli e Peleo, chantée par Nozzari, David, la Colbran,
la Dardanelli et la Ghambrand. i décembre, au ihéàtre du Fondu de Naples,
Otello, K optra séria », poème dj Berio ; interprètes, Nozzari, Garcia, David.
Benedetti et la Colhran. 26 décembre, au théâtre Valle de Rome, Cenerentola
(Cendrillon), opéra bouffe, libretto de Ferretti ; interprète s, Galli, De Begnis,
Giulielmi, la Giorgi-Righetti, la Rossi et la... — 31 mai i817, à la Scala de
Milan, grand succès de la Gazza ladra, opéra bouffe, libretto de Gherardini ;
interprètes, Monelli, Galli, Botticelli, Ambrosi, la Giorgi Belloc et la Gal-
lianis. 7 novembre, au San Carlo de Naples, Armida, « opéra séria », libretto
de Scbmidt.
— Encore un prince dilettante et musicien pratiquant. Le prince Mirko de
Monténégro, amateur passionné de musique, a composé, parait-il, une marche
militaire intitulée Souvenir de Rome (Ricordo a Roma}. Cette marche a été
e,xécutée récemment au Pimio, à Rome, au concert des élèves carabinier.-',
sans qu'on en connût l'auteur, et a produit beauc.iup d'effet.
— Le jury international constitué pour le monume..t de Richard Wagner
à Berlin a terminé ses travaux et a désigné les sculpteurs, presque tous de
Berlin, parmi lesquels un nouveau concours sera ouvert ; le premier prix de
ce concours est fixé à LriOO marcs. Parmi ces élus ne se trouve aucun sculp-
teur connu, à l'exception de M. Ernest Herler. La presse berlinoise est plutôt
désenchantée et dit que parmi les soixante et un projets soumis au jury il ne
s'en trouve aucun qu'on désirerait voir exécuter et figurer sur l'emplacement
du Thiergarten que Guillaume II lui a destiné. Le jury international a d'oil-
leurs été fort bien reçu. Au banquet donné en l honneur des membres étran-
gers de ce jury, le sculpteur Antonin Mercié, de Paris, a prononcé en fran-
çais un intéressant discours et a porté « un toast à l'art ». Un autre orateur,
le littérateur .Iules Stinde, a raconté ses impressions sur la personnalité de
Richard Wagner, qu'il avait eu la bonne fortune de connaître à Hambourg.
Il a notamment cité un mot du raaitre qu'on ne connaissait pas encore. Un
jour, Wagner dit à Stinde : « Une œu>re d'art est un livre fermé par sept
198
LE MENESTREL
cachets; elle est comme le bouquet que porte ma femme. Personae ne suit
comment il est composé en dehors du jardinier et de quelques amis qui s'en
sont occupés avec prédilection : quant aux fleurs en elles-mêmes, elles res-
tent un mystère éternel, u
— Les affaires sont les affaires. Le théâtre du prince-régent à Munich, qui
est, comme on sait, construit d'après las plans mêmes de celui de Bayreuth
et qui doit ouvrir le 21 août prochain, a fait à ce dernier la concession de ne
pas jouer pendant cette saison les mêmes ouvrages qu'on pourra voir à
Bayreuth, mais il n'a pas abaudonné pour cela toute idée de concurrence.
Dès à présent l'intendant des théâtres royaux de Munich. M. de fossart,
annonce dans les grands journaux de Londres l'inauguration du théâtre du
prince-régent en publiant le programme de ses représentations pjndant les
mois d'août et septembre, qui sont particulièrement propices aux touristes.
L'intendant n'oublie pas d'ajouter que la nouvelle scène de Munich est en
tous points conforme à celle de Bayreuth, que la salle est disposée en
amphithéâtre et que l'orchestre sera invisible. Il annonce en même temps
qu'on peut dès à présent louer des places non seulement à Munich, mais
aussi à Londres. Paris, Berlin et Vienne. Ce fait prouve que la direction des
théâtres royaux de Munich est placée entre les maius d'un excellent homme
d'affaires ; mais pour le théâtre d'une cour allemande, cette manière de
pousser les étrangers à la consommation de la musique wagnérienne parait
un peu trop américaine.
— Immédiatement après la clôture annuelle de l'Opéra impérial de Vienne,
le Journal ojjioiel d'Autriche a publié un décret impérial conférant le titre
d'artiste de la chambre à trois chanteurs et à quatre chanteuses apparteoant
à ce théâtre. Une fournée pareille est absolument sans précédent, car
le titre en question n'est conféré que fort rarement. Même après ces sept
nominations, on ne compte en Autriche que 17 artistes du sexe masculin et
27 de l'autre, qui possèdent ce titre. Cette grande différence provient en
partie de la longévité des cantatrices; M™^ Patti, Artôt, Lucca, Materna,
par exemple, possèdent le titre depuis un nombre d'années que la galanterie
nous empêche de constater, tandis que deux artistes du sexe fort à peine
peuvent être comparés aux dames sous ce rapport. Parmi les nouvelles
cantatrices de la chambre se trouve M"'^ Frances Saville, la charmante
Manon, qui a obtenu ce titre si convoité en trois ans à peine.
— Antoine Bruckner a laissé la partition de sa neuvième symphonie abso-
lument terminée, à l'exception de la dernière partie. Dans son testament il
en parle 'ît exprime le désir que son œuvre, qu'il a dédiée « au bon Dieu »
(dem Heben Gotl), soit terminée par son célèbre Te JJeum en ut. C'est Munich
qui aura la primeur de cette symphonie ; on l'y exécutera pendant la saison
prochaine, en la terminant selon la dernière volonté du maître. La neuvième
symphonie de Bruckner finira donc, comme celle de Beethoven, par une
partie pour soli, chœurs et orchestre.
— La ville natale de Mozart, Salzbourg, organise un festival musical qui
aura lieu les 6, 7 et 8 août; on y donnera trois concerts et ;ieux représen-
talions de Don Juan avec des artistes venant de toutes les grandes scènes
lyriques d'Allemagne et d'Autriche.
— La veuve du défunt compositeur russe Barchansky a donné la belle bi-
bliothèque musicale de son mari au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Elle
a aussi donné un capital de 10.000 roubles dont les intérêts doivent être em-
ployés à l'achat de nouvelles publications musicales pourla dite bibliothèque,
et un autre capital, également de 10.000 roubles, dont les intérêts doivent être
distribués tous les deux ans en prix pour compositions de musique de
chambre ou pour œuvres symphoniques.
— On vient d'inaugurer à Bauen, village pittoresque situé aux bords du lac
des Quatre-Cantons, un monument orné d'un portrait en relief du père Al-
beric Zwyssig, auquel on doit plusieurs compositions sacrées qui sont restées
populaires en Suisse.
— Le collège royal de musique de Londres vient d'inaugurer sa nouvelle
salle de concerts, qui est située derrière les bâtiments de l'école. Cette nou-
velle salle, œuvre de l'architecte Sidney S.nith, contient 900 places; sur
l'estrade pour les exécutants, 233 personnes peuvent être placées. L'acous-
tique ne laisse rien à désirer. A l'inauguration, qui était présidée par le duc
de Cambridge, les élèves ont exécuté un vaste programme; ils ont chanté en
anglais, en français et en italien, mais leur bonne volonté fut plus louable
que leur accent, surtout en ce qui concerne le français. Une nouvelle Ode
à la musique, pour soli, chœur et orchestre, écrite spécialement pour cette
fête par sir Hubert Parry, a terminé le concert. Les Anglais sont vraiment
heureux ; leur vœu de posséder une salle moderne et bien organisée pour les
concerts de leur Conservatoire a été finalement exaucé. Quand pourra-t-on
dire la même chose pour notre Conservatoire de Paris ?
— On lit dans un journal de Milan : « La diva Patti favorisera les Londo-
niens d'une apparition extraordinaire dans un concert de jour donné à
l'Albert Hall. ïamagno se produira à l'Opéra la semaine suivante dans VOtelto
de Verdi. La Melba, reproduisant ses triomphes de New-York, chantera la
Bohême et la J.u''ie. Et quand la Galvé aura réuji sa compagnie pour monter
Aida, ce qui ne tardera guère, nous pourrons dire que la liste des grands
astres musicaux à Londres sera complète cette année «.
— Les musiciens de Londres n'ont pas tardé à représenter l'opéra la Reine
des Fées, de Purcell, dont la partition a été retrouvée récemment. La reprise
de cette œuvre est assez mémorable, car sa dernière représentation avait eu
lieu au XVII= siècle, exactement en 1093. L'opéra de Purcell unit le nom du
plus grand compositeur anglais à celui du plus grand poète, car le livret
n'est qu'une adaptation du Songe d'une nuit d'été, de Shakespeare. A la reprise
qui vient d'avoir lieu, les rôles de femmes ont pour la première fois été
confiés à des artistes du sexe faible. Au temps de Purcell, ils étaient forcé-
ment confiés à des hommes affublés de costumes féminins. La « prima
donna » de 1693 n'était autre que le fameux chanteur Pâte, une fée exquise,
qu'on dut renvoyer du théâtre pour avoir pris part à une rixe sanglante dans
la " Taverne du Chien ».
— Le Lyric Théâtre de Londres a donné la première représentation d'une
opérette nouvelle, la Panlou/le d'niyent, qu'un journal qualifie «d'extravagance
musicale » et qui ne semble pas destinée à un brillant avenir. La musique,
puérile et vulgaire, dit un critique, est due au compositeur Leslie Stuart.
L'accueil du public a été plutôt frais.
— Il parait qu'une campagne très active est menée en ce moment en
Espagne en faveur de l'opéra national. On annonce, pour le mois de novem-
bre prochain, l'inauguration à Madrid d'un nouveau théâtre lyrique exclusi-
vement destiné aux représentations d'opéras espagncds.
^ Deux nouvelles zarzuelas à Madrid. Au théâtre Moderne, los lionigoles
del Cliico, revue, paroles de M. Nararro Gonzalvo, musique de MM. Barrera
et Galleja. Et dans un autre théâtre los Mainelucos, paroles ne MM. Sanchez
Calvo et Mendez Vigo, musique de MM. Mario, Caballero et Taboada Steger.
— De Barcelone : M. Eugel et M"'° Bathori viennent de donner ici une
série de concerts et récitals qui ont obtenu le plus grand succès. Le salon
Parés était trop petit pour contenir, chaque fois, les nombreux dilettauti
venus pour applaudir les excellents artistes qui, naturellement, chantaient en
français. C'est le récital d'œuvres de l'école moderne française qui a surtout
gagné tous les suffrages, avec des numéros comme le Poème du souvenir, de
Massenet, D'une prison et l'Incrédule de Hahn, des mélodies de Saint-Saéns,
Godard, Hillemacher, etc. Ajoutons que ftl'"' Bathori a joint à son succès
personnel de cantatrice celui, non moins mérité, de pianiste remarquable.
— Les excellents anarchistes de New- York avaient conçu la pensée, en
apprenant la mort volontaire de Bresci, l'assassin du roi Humbert d'Italie,
d'élever un monument à sa chère mémoire. A cet elïet. ils avaient organisé
une représentation ihéâtrale au profit de l'œuvre. Maisvnici que la police de
New- York s'est mise brutalement en travers de ce projet généreux et qu'elle
a simplement défendu ladite représentation, pour laquelle 4.000 billets avaient
été déjà placés.
— Une nouvelle opérette, intitulée Complication de cuivres, paroles de miss
Rebecca Lane Hooper, musique de miss Mabel D. Daniels, a été jouée avec
succès au théâtre de Brooklyn (Etats-Unis).
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a attribué le prix
Chartier, de bOO francs, destiné à encourager la musique de chambre, à
M. Le Borne. Elle a partagé le prix Trémoni, de 1.000 francs (à décerner à
un musicien à titre d'encouragement) entre deux anciens prix de Rome,
MM. Bûsser et Bachelet. Enfin, elle a accordé la pension de 300 francs fondée
par Théodore Gouvy « en faveur d'un musicien nécessiteux, de préférence un
musicien d'orchestre », à M. Garimond, qui compte vingt-huit ans de service
comme musicien d'orchestre.
— Ils sont sortis de loges, nos candidats pour le prix de Rome, section
musicale. MM. Kunc, André Caplet, Albert Bertelin, Gabriel Dupont,
Crocé-Spinelli et Maurice Ravel feront entendre leurs œuvres au Conserva-
toire, le vendredi 28 juin, à midi; le jugement définitif sera rendu le lende-
main, à l'Institut.
— Quelque bruit au Conservatoire, après la série des examens semestriels.
M. Lhérie, professeur d'une classe d'opéra-comique, peu content des déci-
sions du jury, avait donné sa démission; il l'a reprise et tout va bien de
ce coté. Mais M. Duprez, titulaire d'une classe de chant, s'en va pour de
bon, se déclarant très au-dessus des jugements rendus sur ses élèves. Chose
curieuse, on dit qu'une pétition aurait été adressée à M. Théodore Dubois
par ces élèves mêmes à seule lin qu'on leur donne un autre jjrofesseur.
Comme tout s'arrange ! — Enfin M. Achard, titulaire de l'autre classe
d'opéra-comique, atteint par la limite d'âge, a résolu de prendre sa
retraite. On espère décider M. Lucien Fugère â accepter sa succession. Ce
serait pour le Conservatoire une précieuse acquisition.
— Le Festival Hoche a fait salle comble jeudi au Trocadéro, avec un pro-
gramme dont la partie principale était consacrée à la musique des maîtres
de la Révolution française. Journée d'art républicain, ce qui est chose rare,
même en République. Que la cause soit en cette rareté même, ou dans la
valeur des œuvres, il est certain que ce programme a été écouté avec un
intérêt soutenu, et que ces musiques ont évoqué avec autant de lidélilé que
de force l'impression de l'époque précise qui les a vues et fuit nnitrc. La Marche
funèbre et l'Hymne à la mémoire du général Jloche, de Cherubini, sont deux
pages d'une réelle beauté, encore que les productions d'autres maîtres, de
style peut-être moins pur, aient plus de relief et de caractère. Nous ne pou-
vons nous empêcher de regretter en passant que ce morceau ait élé mutilé
par de graves modifications à la partie chorale, qui en ont dénaturé quel-
LE MENESIREL
199
ques-unes des périodes les plu^ expressives. Ce sont là des procédés qu'on ne
saurait trop vivement blâmer. Cterubini est un maître: l'on n'a pas plus le
droit d'y toucher qu'à Beethoven. L'on objectera que ces parties sont écrites
trop haut. Plaisante critique, dont la c mséquence est que Gherubini ne
savait pas écrire pour les voix ! La vérité, toute simple, est que, le diapason
ayaat monté depuis la fin du XVIII» siècle, certaines notes se trouvent en
effet trop aiguës; le remède est de transposer le morc'eau : c'est ce que je
n'avais pas hésité à faire il y a quelque, quinze ans, lorsque je donnai la pre-
mière audition contemporaine de ce chant, qui fut ainsi parfaitement res-
pecté. Je m'empresse d'ajouter que M. Constant Pierre, au recueil duquel on
a dû emprunter ce document, ne saurait être rendu responsable du méfait:
sa transcription étant parfaitement fidèle. La Ronde pour ta 2>'aiiiaUoii de l'arb-c
de la Liberté, de Grétry, datant des derniers mois de la première République
(1799). a la franchise populaire qui convient au sujet. Inutile de redire
les mérites du Chant du Départ, de iVIéhul, dont l'impression est toujours pro-
fonde. Notons au passage que l'on a sagement rétabli la modulation majeure
sur le vers : « Le peuple souverain s'avance » qui apporte là un éclat imprévu.
Quant à la Marseillaise, dont on entendait pour la première fois le nouvel
arrangement officiel, no us avouons n'être pas choqué par l'adduiou des tambours
au refrain (il n'y aura jamais trop de tambours dans In Marseillaise), et le
clairon semble avoir été inventé tmt exprès pour accentuer la reprise : h Aux
armes, citoyens! » Nous irons plus loin même, et exprimerons le regret que
l'on continue à confier le chant viril aux clarinettes pleurardes, au lieu de le
faire lancer à toule volée par les trombones aux voix triomphantes ! Le
concert, continué par un long intermède dans lequel se sont fait entendre
et applaudir les meilleurs artistes de Paris, s'est terminé par une autre Mar-
seillaise, l'à-propos de MM. Georges Boyer et Lucien Lambert, représentépour
la première fois le 14 juill't dernier à l'Opéra-Gomique, et qui nous otïrc
un tableau toujours saisissant de cet étonnant épisode où l'histoiro de la
musique et celle de la nation se trouvent pour une heure si intimement
confondues. J. T.
— La direction de l'Opéra-Comique a publié récemment les conditions de
ses abonnements pour la saison prochaine. Donnons un aperçu du pro
gramme que M. Carré compte olfrir à ses abonnés de 1901-1902 : La première
nouveauté de la saison sera la Troup: Jolirœur, de Coquart, avec M""^ Delna,
Rioton, MM. Beyie. Péri -r et Dnfranne. — Le second tour, dès les premiers
jours de novembje, est réservé à la Grisélidis de Massenet, avec M'"^ Bréval,
MM. Fugère et Maréchal. — Viendront ensuite, dans un ordre qui n'est pas
encore arrêté : Titnnia, de Georges Hué; Circé, des frères Ilillemacher: Mu-
guette, do Missa: la CarmélUe, de Reyuald > Hahn: Pelléas et Mélisande, de De-
bussy. — On reprendra le Domino noir, le Roi d'Vs, avec la h^Ue distribution
qui a été annoncée, et le Pré-aux-Clercs, |iour lequel M. Carré prépare une
mise en scène très curieuse. Il est aussi .luestiou d'une reprise de Werther.
— Tristan et Yseult étant subordonné à l'engagement de M. Van Dyck en
Amérique, il se peut que l'œuvre de 'Wagner soit reculée à 1902-1903 et
remplacée au programme par quelque grand ouvrage classique : Alceste, Ar-
mide ou FreischiHz.
— Au même théâtre, on répète activement le Léijataire universel, la co-
médio lyrique en trois actes, d'après Regnard, de M. Georges Pfeiffer, dont
la première représentation sera donnée très vraisemblablement le 28 de ce
mois de juin.
— Qu'on se le dise ! L'Ouragan n'aura plus qu'une seule représentation,
pour cette saison tout au moins, et elle est fixée au lundi 1='' juillet, —
M"" Marie Delna devant prendre son congé très prochainement, ce qui d'ail-
leurs ne l'empêchera pas de nous donner encore une représentation de
Carmen avant son départ.
— Speclacies d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
Mireille; le soir, Manon.
— Dégustons, mes frères : « M. Gailhard, directeur de l'Opéra, quitte Paris,
se rendant à Berlin, où il ne fera que passer la nuit. Il se dirigera dès le len-
demain sur Dresde, où il va entendre le Siegfried de Richard Wagner, qu'il
compte monter à l'Opéra dès les premiers jours de l'an prochain, ainsi que
nous l'avons déjà annoncé. On sait du reste que c'est à Dresde surtout que se
sont conservées les plus pures traditions wagnériennes, et que déjà, pour
les Maîtres chanteurs de Nuremberg, M. Gailhard y était allé chercher des ren-
seignements relatifs à l'exécution de cet ouvrage. A Dresde M. Gailhard se
rencontrera avec le baron de Seebach, qui n'est pas seulement un adminis-
trateur intelligent, mais encore un dilettante consommé, un homme d'un
gdùt parfait et sur lequel il compte pour lui donner toutes les traditions de
la mise en scène et de l'exécution de Siegfried ». La rencontre de ces deux
parfaits gentlemen, de ces deux hommes de goût ne pourra en effet enfanter
que des merveilles.
— C'est au maître Camille Saint-Saëns que M. Glaretie s'est adressé pour
la musique des choeurs ot chansons à écrire pour la prochaine reprise des
Ihirgraves qui se prépare à la Comédie-Française.
— Voici, définitivement et officiellement, quelle sera la prochaine « saison »
au théâtre Sarah-Bernhardt : Le 1"' octobre, réouverture par la continuation
des représentations de l'Aiglon. Puis, r.'prise de Théodora, de M. Victorien
Sardou. En troisième lieu. Sainte Thérèse, drame en vers, inédit, de M. Ca-
tulle Mendès, pièce à grand spectacle, qui comporte un prologue, cinq actes
en sept tableaux et un épilogue. Cimme spectacle classique, on donnera
des représentations de Phèdre, avec la musique de Massenet. Enfin, pour une
époque plus éloignée, on parle d'une Belle au Bois dormant de MM. Henri
Cain et Fernand Gregh, et d'une reprise de la Princesse lointaine, que M. Ed-
mond Rostand récrit en quatre actes appropriés au magnifique cadre du
théâtre Sarah-Bernhardt.
— Nous recevons la lettre de faire part suivante:
Madame Eudore Soufié, Monsieur Victorien Saidou, de l'Académie française, et Madame
Victorien Sardou ont l'Iionneur de vous l'aire part du mariage de Mademoisefie Geneviève
Sardou, leur petite-flUo et fiUe, avec le comte Robert de Fiers, et vous prient d'assister
à la bénédiction nuptiale qui leur sera donnée le lundi 24 juin 1901, à midi très précis,
en l'église Saint-Augustin.
— On annonce le prochain mariage du jeune compositeur déjà en si bonne
réputation, M. Henri Rabaud, avec la fille de M. Mascart, membre de
l'Institut.
— La dernière et la plus brillante audition des élèves de M"" Marchesi,
celle de fin d'année, a eu lieu cette semaine à la salle Hoche. La séance était
divisée en deux parties, cours de concerts et cours d'opéra, aussi intéres-
santes l'une que l'autre. Il faut signaler surtout, dans la première. M"' de
Krasiriska, qui s'est fait justem nt applaudir dans la romance de Mignon et
un air de Cosi fan lutte, M"« Sigrid Soehli, qui a montré de charmantes qua-
lités de diction dans trois romances de Brahms, de Kjerulf et de Martini,
M"» Lucie Lenoir, qui a dit avec style et d'une façon exquise un air d'A/o-
ménée de Mozart. En citant aussi les noms de W"^ Constance Neumann
{Psyché, le Cid), May Livan (les Noces de Figaro), Suzanne Pertat (Ccndrilton),
Claudia HockenhuU (le Nil), Margaret Claire, Marie Fovelin, EUen Yaw, je
ne dois pas oublier le délicieux efl'et produit par M"« Lenoir, HockenhuU
et Conrad dans le trio de la Finie enchantée, qui a été bissé, et par M"''* Par-
kinson et Rivington, qui ont chanté avec rheureu.x concours de MM. Laf-
filte, AUard et Huberdeau le quintette exquis de Cosi fan lutte La partie
d'opéra a fait applaudir surtout M"« Lou Ormsby, fort intéressante dans une
scène d'Iphigénie en Tauride, M"'' Kathryn Coven, qui a montré de la chaleur
daTis le duo de Manon, où M. Laffitte lui servait d'excellent partenaire,
Mlles Ormsby et Coven dans le duo du Cid, M"» Parkinson, fort aimable dans
le duo de ta Bohème avec M. Gautier, enfin M'Im Parkinson et Ormsby dans
le duo de Lahiné, et M'is Rivington dans le duo de Paillasse avec M. AUard.
Eu résumé, succès éclatant pour les élèves et pour leur e.xcellent professeur.
— Nous avons parlé du nouveau ballet Bacchus mystifié, que M. Saint
Saëns se proposait d'écrire pour les arènes de Béziers. Voici, à ce propos, la
lettre que l'illustre musicien vient' d'adresser à M. Castelbon de-Beau.xbortes,
l'organisateur de ces grandes cérémonies musicales :
Paris, 16 juin 1901.
Mon cher ami.
Vous savez si je me faisais une fête d'écrire la musique de Bacchus mystifié, dontj'avais
dpmandé le livret au docteur Sicard, si je me réjouissais de donner un pendant à Javotle,
dont la composition m'avait tant amusé; mais le destin ne le voulait pas.
11 me fallait d'abord songer à écrire la partition des Barbares, promise à l'Opéra. Tout
d'abord je fus retardé par mes collaborateurs, qui, reculant de semaine en semaine, me
donnèrent à la fin d'uctobre un livret qui m'avait été prjmis pour la fin d'août.
Ce retard, tout en me contracant, ne m'inquiétait pas encore. Je me mis à la besogne
au commencement de novembi'e, et parvins à m'isûler dans Paris pour travailler.
A la fin de décembre je me réfugiais à Bùoe, en Algérie, où je passai dans le calme et
le travail les mois de Janvier, février et mars. Si j'avais pu y rester plus longtemps,
j'aui-ais eu termiaé mon opéra à la fin d'avril et j'aurais pu \enir facilement à bout de
toule ma lâche. .Mais président, cette année, de l'Académie des beaux-arts, j'avais dû
promettre de revenir pour le mois d'avril. Je revins donc, pour trouver à Paris un temps
aO'reux, la grippe, des deuils de famille et des affaires innombrables. Il me fallait aller
en Belgique, en Angleterre; le 15 avril je n'avais pas encore écrit une note! et alors la
grippe funeste, que je n'avais pas eu le temps de soigner, me donna une maladie connue
depuij peu, Vinfection grippale, se traduisant par une fièvre incessante, la tou.x, la perte
de l'appétit. Je me remis pourtant au travail, mais j'avais trouvé le bout de mes forces,
j.i m'alitai ci tombai gravement malade, avec la perspective d'une très longue convales-
Dès lors, je compris que j'avais perdu la partie. Je fis appel au dévouement et au talent
de M. Max u'Ollone, un de nos plus brillants prix de Rome, qui voulut bien quitter ses
travaux en cours pour venir à mon aide et sauver la situation compromise. Comme il
n'avait pas assisté aux fêles de Béziers, il eut la modestie de suivre mes conseils et mes
indications au sujet des conditions toutes particulières dans lesquelles se produit la
musique aux Arènes.
lia écrit une partition exquise, tout imprégnée de la fraîcheur de la jeunesse que je
n'ai plus, et pleine d'une habileté déjà consommée. Je ne doute pas que l'on rende justice
non seulement à son mérite, mais aussi au dévouement dont il a fait preuve, et qui est
au-dessus de tout éloge.
Il va sans dire que je serai à Béziers au mois d'août et que je participerai au travail
d'.s répétitions, ainsi que je l'ai fait pour Promclhée, que nous allons revoir dans de
meilleures conditions encore que l'année dcrnièi-e.
L'an prochain nous aurons Parijsatis, un drame étincelaot et terrible de M"" Dieulafoy,
qui en a trouvé les éléments dans l'histuire de la Perse antique. Conçu dans la forme de
Dpjanire, avec des chœurs évoluant dans l'arène et des danses, ce sera un merveilleux
spectacle. J'en écrirai la musique l'hiver prochain, dans le doux climat des Canaries, et
comme je n'aurai pas autre chose à fair.', il serait bien étonnant que je n'en vinsse pas
à bout.
Vous me pardonnerez, je l'espère, de n'avoir pas tenu mes promesses. J'y ait fait tous
mes elforts, et il a fallu un concours vraiment extraordinaire de circonstances pour venirà
bout de mon vouloir et de ma ténacité.
Agréez mes meilleures amitiés.
C. S.\ixr-S.vi;NS.
Donc, bo;ino chance au j.Minc musicien d'UHouo.
200
LE MÉNESTREL
— Xicolet, du Gaulois, toujours si bien informé, dil qu'il se pourrait très
bien qu'avant peu M""' Sibyl Sanderson entreprit une longue tournée aux
Étals-Unis et que des négociations sont engagées à ce sujet entre elle et
M. Maurice Grau, le célèbre imprésario américain. La tournée commencerait
par San Francisco, pour continuer par Chicago, New-York et les grandes
villes américaines. Le répertoire comprendrait Manon, Roméo et Juliette, la
Traviata et Tha'is.
— Nous avons découvert récemment, dans Iv Mercure de France de décem-
bre 17.3", un petit document intéressant et qui nous semble à peu près
inconnu. C'est l'annonce d'un cours de composition proposé par Rameau.
Cette annonce est faite en ces termes :
École de composition dramatique. — M. Rameau donne avi:? aux amateurs de musique
qu'il va établir une école de composition trois fois la semaine, depuis 3 heures jusqu'à 5,
pour douze écoliei-s seulement, à un louis d'or cliacun par mois, pouvant les enseigner
tous ensemble et même davantage s'il en étoit besoin ; il sera libre d'ailleurs à un moindre
nombre de s'associer pour la totalité.
11 assure que six mois au plus suffiront pour se mettre au fait de la science de l'har-
monie et de sa pratique dans tous les cas où l'on voudra l'employer, quand même on ne
sçauroit qu'à peine lire la musique ; à plus forte raison encore si on étoit plus avancé.
C'est pour satisfaire à l'empressement de quelques personnes qui se sont déjà aggrégées
dans celle classe, que M. Rameau a crû devoir en faire part au public, espérant que par
ce moyen le nombre en seroit plutôt (sic) rempli ; ainsi ceux qui souhaiteront s'y joindre
auront la bonté de lui envoyer leur nom et leur demeure par écrit, à l'hôtel d'Etliat, rue
des Bons Enfans, pour qu'il puisse les avertir du jour auquel on commencera.
Lorsqu'il publiait cette annonce, Rameau, qui avait débuté à l'Opéra en
1733 avec Hippolyte et Aride, suivi en 173) des Indes galantes, venait d'y
donner, le 24 octobre 1737. Castor et Pollux, un de ses plus beaux chefs-
d'œuvre. Il travaillait à un opéra intitulé Samson, dont Voltaire lui avait
fourni le livret et qui ne fut jamais représenté. Il venait de soutenir l'année
précédente, dans le Journal de Trévoux, une vigoureuse polémique avec le
P. Castel, ce jésuite qui voulait parler musique sans y rien comprendre.
Enlin, en cette même année 1737, où il voulait ouvrir un cours de compo-
sition, il publiait sa Génération harmonique ou Traité de musique théorique et
pratique. Et il était âgé alors dj cinquante-quatre ans ! On ne dira pas de
celui-là que c'était un paresseux. A. P.
— Nous avons assisté a la première audition, donnée au Gymnase, de frag-
ments de Bianca Torelli, drame lyrique de M™* de Fontmagne, écrit sur un
livret du regretté Armand Silvestre. L'opéra est de style purement italien.
Après la sérénade et le duo des deux hommes (Stenio et Alfonso), le Finale
du premier acte a été fort bien accueilli du public. Au cours de l'ouvrage,
nous signalerons entre autres ua quatuor, « Dans les senteurs du bois », qui a
eu les honneurs du bis. L'interprétation a été très satisfaisante sous l'excel-
lente direction de M. Gabriel Marie. Remarqués tout particulièrement
M"« Hélène Terry et M. Maxime Viaud.
— A peine rentrée de sa tournée en Allemagne, M""' Darlays, l'intéressante
cantatrice, vient de repartir pour ce même pays, où elle est engagée dans
plusieurs grands kursaals. Elle chantera entre autres à Hombourg, à Ems, à
Wiesbaden, à Baden-Baden, ainsi que dans toutes les autres stations estivales
allemandes. L'intrépide artiste, poursuivant toujours avec le même programme
le même but, interprétera exclusivement nos grands maîtres français depuis
le XVIP siècle jusqu'à nos modernes: Massenet, Saint-Saëns, Reytr, etc.
Darlays fut unanime-
Intéressant cycle musical dans lequel le talent de
ment louange.
— Le 19 mai dernier, à Fontainebleau, à l'inauguratitm du monument
élevé à la mémoire de Rosa Bonheur (lequel, entre parenthèses, est fort
intéressant), on a exécuté, avec le concours de l'Union musicale et de la
chorale Alliance, une Ode l'i Rosa Bonheur, dont les paroles, dues à M. Alexis
Buffîère, ont été mises en musique par M. Pierre Girard, ancien chef de la
musique du génie, directeur de l'Union musicale. — Le même jour, à Grez-
en-Bouère, on inaugurait un monument à la mémoire de l'héroïque co'onel
de Villebois-Mareuiljtué au Transvaal en combattant pour la cause des Boers.
L'orphéon de Chàteau-Gontier a chanté à cette occasion une cantate écrite
pour la circonstance par M. l'abbé Jamain, vicaire de Grez, pour les paroles,
par M. Paul Fabre, président de la fanfare, pour la musique.
— Soirées et Co.nxerts. — Une séance musicale, tout entière des œuvres de Louis
Lacombe, chez M""" Cornélius. Cette séance fut précédée d'une causerie sur le maître par
M. de Soleniére. L'enthousiasme a été des plus grands et c'est justice, car artistes et con-
férenciers se sont surpassés : M. Weîngaertner a joué la belle Étéfjïe pour violon, op. 4,
et Une Chanson des chainps; M. Chanoine d'Avranches a interprété A un passant et la
Ville prise. M. Georges a étonné et ravi avec VÉtude en octaves et tes Conscrits, de^ Na'ives.
M"" Tassart a charmé avec Aime celui qui taime, te Banquet, ta Nuit, l'Amour. M"» de
Banville s'est montrée chanteuse dramatique de premier ordre dans : Au pied d'un cru-
cifix, avec orgue, violon et piano. Le public était transporté et ému au plus haut point.
— Très agréable soirée des élèves de M"^' Bongrain, salleHoche. On bisse le duodeLak7né
à Al""' D. et R'., et on fait grand succès à M. G. dans des fragments A'Hérodiade et à
M'"" G. dans la polonaise de Mignon. — Brillante séance de clôture des cours de M™" Lamou-
reux-Brunet-Lalleur, consacrée aux œuvres du mai re Massenet; parmi les élèves les plus
remarquées, nous citerons M"' Marek Onyszkiewicz dont la superbe voix a fait merveille
dans la scène de Manon, M"" et M"" Piotrovvska, Pichon, de Séllanoff, Costallat, Caze-
neuve. Rocheux, Barau, Loire, etc., etc., très applaudies tour à tour dans les scènes et
les airs de Werther, Thaïs, Ilérodiade, Marie-Maydetcine, le Cid, ainsi que diverees mélodies.
Tous nos compliments à l'éminent professeur pour les remarquables élèves qu'elle nous a
fait entendre.
NÉCROLOGIE
De Berlin on annonce la mort, à l'âge de quatre-vingts ans, de Guillaume
Pfeiflêr, compositeur et pianiste qui s'était aussi distingué comme écrivain
et comme professeur de piano.
— A Baltimore (États-Unis) est mort le compositeur et professeur de
musique James Deem. Il était né en 1818 et fut engagé à treize ans comme
corniste; en 1839 il put aller en Allemagne pour se perfectionner dans l'art
musical. A son retour il fut nommé professeur de musique à l'université
Virginia. En 1858 il entra dans l'armée des États du Nord, et pendant la
guerre de sécession son avancement fut si rapide qu'il quitta l'armée avec le
grade de général et une sérieuse pension de retraite, pour se consacrer de
nouveau à la musique. A Baltimore, où il s'était fixé après la guerre, sa popu-
larité était très grande.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez E. Fasquelle, les Aventures du roi Pausole, par Pierre Louys
(3 fr. 50 c ).
En Teulc AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienoe, IlEllfiEL cl t'=, édileurs-proprlélaires pour tous pays.
GUSTAVE CHARPENTIER
POÈMES CHANTÉS
(avec commentaires de Camille Mauclaih).
Un volume in-8° avec couverture en couleurs de Grasset et un beau portrait
de l'auteur. — Prix net : 10 francs.
1 . La petite Frileuse.
2. Prière.
3. A une Fille de Capri.
4. A mules.
5. Chanson d'automne.
6. La Cloche fêlée.
7. Parfum exotique.
8. La Chanson du chemin.
9. Complainte.
10. Les trois Sorcières.
11. Les Chevaux de bois.
12. Allégorie.
13. La Musique.
14 La Veillée rouge.
1o. La Ronde des Compagnons.
IB. Sérénade à Watteau.
Deux tons : Lettre .1 pour Mezzo-soprano ou Baryton.
Lettre B pour Soprano ou Ténor.
Du même auteur :
LES FLEURS DU MjJL
sur des poésies de Baldelaiiœ.
1 . Les Teux de Berthe .... 6 » 1 3 . La Mort des amants . .
2. Le Jet d'eau 9 » | 4. L'Invitation au voyage .
ite AU MENESTREL, 3 bis
VINCENT P'INpy
I. LA FORÊT ENCHANTÉE
Légende symphonique d'après une ballade d'Uhland.
II. KARADEC, musique de scène
(prélude et entr'actes formant suite).
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Chaque réduction, prix net : 3 francs.
CHARLES GOUNOD
IVIÉliODiES
1 . Ave Maria.
2. L'Aveu.
3. Mon habit.
4. Soir d'automne.
5. Deux vieux amis.
G. Notre-Dame de France.
Recueil grand in-4'', net
Dinianciie 30 Juin 1901.
36(16. - 67- mîË - I\°26. PARAIT TOUS LES I>IMANCHES
(Les Bureauï, 2 "'", rue TiTienue, Paris, n- m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HE^UGEL, Directeur
Le JJuméPo : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Mé.nestrel, 2 bis, rue Vivieiine, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (18' article), Paul d'Estrées. —
II. Bulletin théâtral : reprise du Papa de Francine à Parisiana, P.-E. C. — 111. Petites
notes sans portée : Mozart inconnu, Raymond Bouyer. — IV. Le Tour de France en
musique ; Eho! Eho! Eho! Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SOIR D'ÉTÉ
n° 2 du Poème du silence, d'EaNEST Moret. — Suivra immédiatement : hdiia,
barcaroUe de A. Périlhou, poésie de Lamartine.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublieronsdimanclie prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Sous bois, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement : Landler alsacieiu
(i'« suite), de Charles Malherbe.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
el 11
(Suite.)
VIII
Une soirée à l'Opéra : propos de loges ; les larmes de Jean-Jacques et le sourire
d'une parisienne. — Le balcon de l'Opéra en 4790 : Kotzebue passe les loges en
revue ; sortie de l'Opéra ; courants d'air et odeur de lampes. — Passion des pari-
siens pour le théâtre. — tes tics d'acteurs. — Le répertoire de l'Opéra pendant les
premières années de la Révolution. — Reprise de Tarare, accommodée au goût du
jour. — Le buste de Voltaire et M"^" Ponteuit. — Impressions d'un Anglais et
d'un Italien.
Notre étude sur le dilettantisme des voyageurs étrangers qui
séjournèrent à Paris pendant la Révolution serait incomplète
si, après avoir donné leur appréciation sur les virtuoses du chant
et de la danse à cette époque, nous ne montrions ces intelli-
gents touristes dans les milieux où ils formulaient leurs éloges
ou leurs blâmes, c'est-à-dire à l'Opéra, à la Comédie-Italienne,
au Théâtre de Monsieur et dans les différentes salles de concert
de la capitale.
Tels nous les avons vus en province et tels nous les retrouvons
à Paris.
Karamsine bondit toujours vers les sphères éthérées. Mais,
pour être spontanés, ces élans n'en sont pas moins la résultante
de connaissances spéciales et de l'expérience que donne tout
voyage d'éducation. Ce raffiné en matière d'art a beaucoup vu,
beaucoup entendu et beaucoup comparé. Or, jamais VOrphée de
Gluck ne l'avait remué aussi profondément que le jour (29 avril
1790) où il l'entendit à l'Académie Nationale de Musique. Là,
l'orchestre est composé des premiers instrumentistes de Paris ;
avec les décorations et les machines, le corps de ballet et les
choristes, les premiers sujets du chant et delà danse, l'ensemble
est merveilleux.
Notons une seule dissonance dans cette symphonie laudative :
depuis le départ de la Saint-Huberti, « que l'on dit folle » (était-
ce parce qu'elle devait épouser d'Antraigues?), l'Opéra n'a plus
qu'une chanteuse, la Maillard, un assez maigre régal, par
parenthèse.
Quelle différence avec les artistes hommes! « Jamais Mar-
chesi, s'écrie Karamsine, n'a su m'émouvoir comme Laïs et
Ghénard m'émeuvent. » Et quel Italien — « un demi-homme I »
— pourrait chanter « J'ai perdu mon Eurydice » avec autant
d'expression et de cœur que Rousseau, « le jeune, le beau,
l'imposant Rousseau ! »
Cette audition s'est offerte à Karamsine dans de singulières
conditions. La scène — un tableau de genre 1 — vaut la peine
d'être rapportée :
« J'ai été à l'Opéra avec l'Allemand A... — Entrez dans cette
loge. Messieurs. — Dans la loge étaient assises deux dames avec
un chevalier de Saint-Louis. — Restez-ici, Messieurs, nous dit
l'une d'elles; vous voyez que nous n'avons rien sur la tête : dans
les autres loges vous trouverez des femmes avec des parures très
hautes qui vous cacheront tout à fait le théâtre. — Nous vous
remercions, répondis-je; et je m'assis derrière elles. »
Aussitôt ces avenantes Parisiennes de reprendre leur conver-
sation interrompue ; et de causer, et de causer 1
Ne se croirait-on pas à un jour d'Opéra en l'an de grâce 1901?
Karamsine écoute, non sans plaisir, toutes ces futilités; l'une
de ces dames est d'ailleurs une fort jolie blonde. A son tour il
risque un mot, pas très heureux, cependant: ne dit-il pas que
« la pâleur a son charme » et que « les femmes ont tort de se far-
der? » Quelle était alors la Parisienne qui n'avait recours à ces
artifices de toilette? Heureusement la ^a^e passa inaperçue, car
le rideau venait de se lever. Notre étranger en oublia son ai-
mable voisine ; il est transporté au septième ciel ; et ses souve-
nirs lui représentent Jean-Jacques Rousseau, qui à l'issue d'une
représentation i'Orphée, sortait, la ligure inondée de larmes et
chantant à voix basse : « J'ai perdu mon Eurydice! » Plût au ciel
qu'il eût perdu la sienne! remarque malicieusement Karamsine.
Mais tout à coup la jolie blonde interpelle son voisin :
— Gomment, Monsieur, vous n'avez pas applaudi !
— J'ai senti, Madame, fait gravement notre Russe.
Les dames et leur cavalier se lèvent: ils ne veulent pas assis-
ter au ballet de Gardel, Calypso et Télémaque.
202
LE MÉNESTREL
Mais Karamsine a rimagination encore toute troublée de la
vision des Parisiennes. Et ne cherche-t-il pas à retrouver, ne
croit-il pas revoir, parmi les demoiselles du corps de ballet, son
inconnue? — Toujours les beaux romans de la jeunesse!
Huit mois plus tard, Kotzebue assistait à une représentation
de l'Opéra comportant le même programme.
Il arrivait au théâtre avec une certaine appréhension. Lorsqu'il
s'y était présenté quelques jours auparavant pour voir les Pré-
tendus, l'opéra de Lemoine, et Psyché, le ballet de Gardel, il ne
restait plus de place qu'au balcon, « grande loge aux deux côtés
du théâtre » . Le prix lui en avait semblé exorbitant, « un demi-
louis d'or !» et il n'avait aperçu que la moitié de la scène ! 11
s'était consolé de ce petit mécompte en lorgnant les dames dans
leur loge : tous ces visages, « même artificiels », étaient char-
mants, surtout celui de M""' de Gouvernet, la plus belle femme
de Paris. La sortie de l'Opéra avait laissé à Kotzebue des souve-
nirs encore plus fâcheux que l'entrée. Il dut attendre une demi-
heure dans les couloirs ou dans les escaliers; et pour se sous-
traire aux courants d'air qui s'y livraient bataille, il se réfugia
dans une loge d'où le chassa bientôt une odeur atroce de lampes
éteintes.
Donc, averti par l'expérience, il est parti de chez lui à quatre
heures, le jour où l'Opéra donnait Orphée et Télémaque. Arrivé en
avance, puisque le spectacle ne commence qu'à cinq heures, il
a pu se choisir une bonne place. Il a emporté un livre qui doit
lui épargner les ennuis de l'attente jusqu'au lever du rideau.
Cette fois, Kotzebue daigne se montrer satisfait. 11 se rencontre
avec Karamsine pour dire que l'orchestre, les chœurs, les so-
listes, les costumes et les décors « rivalisent de goût et de ma-
gnificence ». Il compte 80 instrumentistes, et plus de cent per-
sonnages, acteurs ou figurants, -sur la scène : ceux-ci seraient
absolument dans la couleur locale s'ils n'étaient coiffés à la
mode du jour, avec de longues boucles.
Le ballet de Télémaque et Calypso, où figurent seulement trois
représentants du sexe fort, Cupidon, Mentor et Télémaque, n'a
pas moins charmé Kotzebue, surtout au point de vue plastique...
Le vertueux Allemand, car il se pique parfois de pudibonderie,
se complaît aux danses voluptueuses des ballerines, aux capri-
cieux dessins de ces théories de jeunes beautés, presque nues
sous leur maillot de soie de couleur claire; et l'ébahissement du
« valet esthonien » qu'il a emmené avec lui égaie d'une note
originale cette soirée un peu longue, car, remarque fort juste-
ment Kotzebue, un Parisien ne saurait être content à moins de
quatre heures de spectacle. Il a bien changé depuis; mais une
autre habitude, celle-ci de mise en scène et qui n'a pas complè-
tement disparu, c'est le tic, relevé par notre voyageur, des acteurs
se tournant le dos pour mieux témoigner de leur dédain et
« s'adressant à la muraille ».
Le 6 mars 4792, Reichardt avait eu à l'Opéra un spectacle ana-
logue : VAlceste de Gluck et la Psyché de Gardel. C'étaient en
quelque sorte les pièces... de résistance du répertoire. Moins
heureux que Kotzebue, Reichardt, arrivé même une demi-heure
avant le lever du rideau, n'avait pu trouver de place dans les
loges, si ce n'est « sur un banc de troisième rang et à raison de
six livres ». Il était redescendu au parterre, mais celui-ci était
déjà tellement bondé que notre étranger jura bien de n'y plus
retourner. Cependant, il avait été satisfait du spectacle." Nous
avons dit son impression sur Psyché. Celle que lui a fait éprou-
ver l'audition cVAlceste est toute différente. La partition, écrite
pour des chanteurs italiens, contient beaucoup de morceaux
conformes aux traditions de cette école surannée et « les gosiers
français l'interprètent d'une façon déplorable ». La Maillard a
massacré son rôle. Un jeune artiste a « crié horriblement » celui
d'Admète, destiné primitivement à un ténor. Seul, Chéron (Her-
cule) a sauvé la situation par l'autorité de sa mâle prestance, de
son jeu puissant et de sa belle voix de basse-taille.
Halem avait vu à l'Opéra une assez curieuse reprise du Tarare
de Salieri, reprise très chaleureusement approuvée par les
journaux démocrates du temps. Beaumarchais, toujours... oppor-
tuniste, avait approprié en effet le scénario au goût du jour. Au
couronnement de Tarare, on dressait sur la scène l'autel de la
liberté avec le livre de la Loi. Arrivaient alors des bonzes et des
vierges brahmines demandant à être relevés de leurs vœux,
des époux qui réclamaient le bénéfice du divorce et des nègres
du Zanguebar qui célébraient par leurs chants et par leurs
danses leur affranchissement. Malheureusement la licence, trop
souvent compagne de la liberté, déchaînait l'insurrection; la loi
martiale était proclamée, mais l'apparition du drapeau (il était
rouge alors) calmait cette effervescence; et bientôt Tarare était
couronné sur l'air :
La liberté consiste à n'obéir qu'aux lois.
Au reste, ce sentiment de l'actualité, de l'à-propos, domine
tout le théâtre de la Révolution.
E. Géraud en signale une manifestation curieuse, lors de la
translation des cendres de Voltaire au Panthéon. La première
sfation à laquelle s'arrête le char triomphal est précisément
devant l'Académie Nationale de Musique. Comme pièce de cir-
constance, les chœurs chantent l'hymne de Voltaire dans son
opéra de Sarnson :
Peuple éveille-toi; romps tes fers,
Reprends ta grandeur première.
Chéron et M"'° Ponteuil couronnent le buste du grand homme.
Plus exaltée encore. M'"" Ponteuil l'embrasse par deux fois.
L'histoire de l'orchestre de l'Opéra n'a pas été faite, que je
sache, et c'est grand dommage, car le curieux y trouverait des
documents du plus haut intérêt. Voici, par exemple, qu'un An-
glais, Sir John Carr (1), profitant de la trop courte paix d'Amiens,
vient à Paris, en 1803, au moment où Kotzebue s'en éloigne, et
signale, lui aussi, l'incomparable virtuosité des instrumentistes de
l'Opéra: « L'orchestre, très bon, est composé de quatre-vingt-dix
excellents musiciens » . A sept ans de là un autre voyageur étran-
ger, le député piémontais Gaspare Gregori (2), qui est allé entendr e
à l'Académie Impériale de Musique Iphigénie en Aulide, rend pareil-
lement hommage à la supériorité de l'orchestre français, mais
avec ce correctif que les « instruments militaires » y sont en trop
grand nombre : la surabondance des fifres et des trompettes,
ajoute-t-il, fait regretter la douceur de l'orchestre italien, d'au-
tant que le clavecin, si utile pour l'intonation, en est exclu .
C'est toujours, comme l'on voit, l'interminable querelle des
deux écoles allemande et italienne.
Sir John Carr avait composé presque un dithyrambe en l'hon-
neur du corps de ballet de l'Opéra :
« Il comprend entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix sujets
remarquables, dont le principal est M. Deshayes. Ses mouvements
sont très gracieux, son agilité très surprenante, et son pas plus
léger, plus ferme, plus élastique que ceux d'aucuns danseurs que
j'aie vus. On le regarde justement comme le premier de l'Eu-
rope. »
(A suivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Pamsiana. Le Papa de Franchie, opérette en 4 actes et 7 tableaux, de MM. V. de
Cottens et P. Gavault, musique de M. Louis Varney.
MM. Varney, de Cottens et Gavault qui, à la très grande joie du
public, avaient si adroitement fait « faire la chaîne et la montre » par
leurs trois inénarrables cambrioleurs, viennent, à leur tour, de « l'aire
un café-concert ». Vendredi soir, ils ont victorieusement escamoté le
music-hall du boulevard Poissonnière et, avec la baguette magique, qui
a nom succès, l'ont transformé, séance lenante, en vrai théâtre. Souhai-
tons que la réussite très brillante, très amusée, de cette reprise du
Papa de Francine décide tout à fait le directeur de Parisiana à aban-
donner les « numéros » presque toujours aussi stupidement pareils,
(1) Impressions de voyage de Sir John Carr, traduction Babeau; Pion, 1898.
(2) Carnet historique et littéraire du 15 février 1899, Paris en 1810.
LE MÉNESTREL
^03
pour s'adonner carrément à l'opérette. D'autant qu'en ce moment la
concurrence ne serait guère dangereuse.
Monté avec beaucoup de soins de mise en scène et distribué agréable-
ment — voici revu l'étonnant Prévost de la création, G-aloppe-
Chopine chantant et sifflant toujours aussi habilement, flanqué de son
inséparable Houssaye, « Pour sur alorss! », — le Papa de Franchie va
certainement retrouver à Parisiana toute la vogue d'autrefois à Cluny ;
M'"'' Tariol-Baugé, MM. Maurice Lamy, Gibard, M"° Deliane, M. Gi-
rier, M""^ Girard y contribueront pour leur part.
P.-É. G.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XVIII
MOZART INCONNU
Aux assidus de la Société Mozart.
« L'histoire d'aucun art n'a de plus touchant, de plus noble exemple à pré-
senter ». C'est Wagner qui parle; il s'agit de Mozart, « cet artiste unique
qui résume l'histoire de l'art allemand tout entier ».
Et quelle meilleure épigraphe, en effet, non seulement au si vivant
recueil de ses trois cents lettres (2), mais à toute glose nouvelle sur le
maître divin? Quelle surprise aussi, tout d'abord! Anti et îiftra-wagné-
riens, wagnérophobes et wagnéromanes se rapprochent un instant dans
un étonnement profond; et cela, non sans une apparence de raison.
Toujours est-il que nul panégyriste ne parlera jamais mieux de son
devancier dans l'évolution mystérieuse, et que le Raphaël de Salzbourg
ne trouvera jamais, dans ce monde ni dans l'autre, d'avocat plus éloquent
que le Michel-Ange de Bayreuth. Point de jalousie posthume entre les
deux maîtres! Wagner novateur ne semblait point redouter les morts.
Et, — si contraire aux premières hypothèses qui tombent sous le sens, —
l'idée que Wagner historien se faisait naturellement du génie de Mo-
zart n'est-elle pas, à nos yeux, comme un nouvel aspect de ce portrait
à peindre, comme un nouveau chapitre de ce livre à faire, qui s'intitu-
lerait : Un Mozart inconnu"?
Tel était, le lundi 22 février 1897,1e titre alléchant d'une subtile con-
férence faite à Paris pai- M. Teodor de Wyzewa (3) : spirituellement,
après avoir expliqué, dans un amusant exorde, comment lui, wagnérien
récent, était devenu, soulignait-il, « un effroyable réactionnaire », et
pourquoi son culte aspirait sans trêve à redescendi'e de l'intense vers
l'harmonieux, — l'ex-rédacteur de la farouche Revue wagiiérienne déve-
loppait son piquant leit-motiv : « Mozart inconnu. »
Inconnu, se peut-il? Mais, certes, parce qu'il est trop connu, parce que
la gloire de son nom provoque l'oubli de son oeuvre. On ne joue plus
Mozart; ce qui est plus grave, on le joue mal; la tradition semble per-
due; ses éditions fourmillent d'altérations, d'interpolations. Qui connaît
ses opéras, ses messes, son admirable Requiem, toujours fragmenté,
défiguré, sa musique de chambre, si riche, sou Don Juan, presque aussi
cavaliéremeut maltraité par la double reprise de 1896 que par le cente-
naire piteux de 1887 ? Partout et toujours, Mozart inconnu : malgré ses
portraits authentiques depuis 1764 jusqu'à 1790, de Carmontelle à
Tischbein, sa figure vive, non moins sentimentalisée que le front promé-
théen de Beethoven, ne donne plus du tout l'idée de ce bon gros garçon
naif, toujours enjoué; son caractère n'est pas moins suspect : auxquels
entendre, des propos d'hagiographe du chanoine Goschler (4) qui faisait
de Mozart « une manière de sainte -nitouche, bon fils, bon époux, bon
père, gardant à travers la vie les allures dévotement ingénues d'un élève
du catéchisme de persévérance » (c'est Wyzewa qui parle), — ou des
affreux commérages de sa veuve, qui disait à tout venant, de son im-
mortel époux : « n me trompait avec mes bonnes! » Son œuvre... Nous
venons de voir ce que sa gloire eu a fait! Et son génie? N'est-il point
devenu synonyme banal de perfection, c'est-à-dire d'élégant ennui, puis-
que, du moins en ce bas monde, la perfection semble ennuyeuse? En
présence de la monumentale Tétralogie de Bayreuth (1876), comme au
souvenir de la fine Flûte enchantée de Vienne (1791), les snobs se pâment
de confiance :
(1) Voir le MéiKsIrd des 14 avril, 19 mai, 16 et 23 juin 1901.
(2) Cf. Muskiciis du temps pcasé, par Heari de Curzon, qui cite Ricliard Wagnei' (Nou-
velle édition ; Paris, Fischbacher, 1899).
(3) Cf. Troia profils du musiciens, à la fin du volume Beethoven et Wagner (Paris,
Perrin, 1898).
(4) Mozart, Vie d'tm arikle chrétien au XVIII' siècte, extraite de sa Correspondance
authentique traduite et publiée pour la première fois en français (Paris, Douniol, 1857).
Et vous, gens de l'Art,
Pour que je jouisse,
Si c'est du Mozart,
(Joe l'on m'avertisse.
Le bourgeois de Béranger semblait plus franc. Mais, depuis, le phi-
listin s'est fait snob... Et tout espoir de guérison parait perdu!
Mozart inconnu ! Mais l'étrange mélancolie de ce titre si profondément
paradoxal ne conviendrait-elle pas encore à un tout autre chapitre que
le conférencier ne pouvait aborder, ne s'applique-t-elle pas à la personne
même du suave maître, à l'enveloppe mortelle de son génie? Je ne dis
point à sa vie, qui apparaît non seulement dans sa correspondance enfin
traduite (1), mais dans la longue biographie de Nissen et dans les tra-
vaux d'Otto Jahn, à travers les Mosartiana récents de Nottebohm aussi
nettement qu'au Mosarteum de Salzbourg. Notre temps commence à
multiplier les musées individuels autant que les statues : toutefois,
l'hommage rendu si délicatement par ses compatriotes à Mozart dans la
chambre natale qui reçut son premier cri le 27 janvier 1786, un tel hom-
mage, qui devrait être exceptionnel, ne peut rencontrer que l'approbation
Mais ses restes? Vous savez que, le S décembre 1791, quand il mou-
rut à Vienne épuisé par son génie même, avant la trente-sixième année
révolue, l'auteur du Requiem, était si pauvre qu'il ne laissait pas de quoi
se faire enterrer... La fosse commune l'attendait. Et, bientôt, toute trace
demeurait perdue de sa sépulture ! Pas un nom, pas une croix! Le néant
pour son être, mais l'immortalité pour son œuvre ! Et, pour comble d'amer-
tumes, le prêtre, mandé pour apporter à l'artiste chrétien les dernières
consolations de sa foi, s'était reçus ■, parce que Mozart était franc-maçon...
L'autre après-midi, dans le clair silence du Musée Guiraet, devant
Thaïs et l'Anachorète, j'évoquais ce destin sans pareil, dont personne
ne semble s'être souvenu le 3 décembre 1891, lors du centenaire oublié!
Naguère, on nous parlait des vestiges de Mozart... Mais quelles fouilles
certaines, quelle méthode vraiment scientifique pourrait nous mettre en
présence de sa dépouille travestie au gré de la terre natale, — tandis
que le cimetière lointain d'Antinoé nous restitue presque intacts les
corps moins glorieux de ses croyants? Méditons encore... Et n'oublions
jamais, pour l'heure du jugement dernier de l'art et de l'histoire (puis-
que l'avenir incertain semble toujours un peu moins injuste que l'aveugle
présent) qu'un Mozart est mort d'inanition !
Quelle antithèse, quel contraste, cet œuvre impondérable et la chape
de plomb d'une vie de misère! Les lettres, les naïves lettres sont terri-
bles sur ce point; et cet aristocrate de la pensée pure est contraint, de
jour en jour, à la discrète mendicité qui révolte si fortement les âmes
bien nées ! Il tend la main du côté des grands; il dévoile ses difTicultés
pressantes; son dènùment augmente avec sa gloire; ses sollicitations
sont continuelles. La mort? Ce n'est pas elle, à coup si'ir, qui le trouble ;
et le bon abbé Goschler nous prévient qu'il la regardait, au milieu de
ses fièvres, comme le but même de la vie, comme la compagne idéale
qui le suit dans son repos et le saisit à son réveil, sans le rendre jamais
ni triste ni morose, parce qu'il l'a toujours envisagée <i comme la véri-
table amie de l'homme, comme la clefde la vraie béatitude, dont l'image,
loin d'être effrayante, n'a rien que de doux et de consolant... » Voilà
bien l'ange du Requiem. Mais quelle vie, pour le frêle rossignol de la
Flûte encliantée! Quelle existence de privations et de sourires! Et l'oiseau
chante, et l'ange rêve pour assurer péniblement le pain quotidien ; ses
divines mélodies, qui lui survécurent et qui nous enchantent, il les a
toutes dispersées aux quatre vents du siècle pour gagner plus tôt sa mort
en gagnant à peine sa vie! Et, malgré tout, souriant toujours, candide,
pimpant comme les phrases enchanteresses émanées sous ses doigts
trapus de son clavecin vieillot; toujours confiant, toujours limpide!
Toujours l'enfant prodige qui avait étonné l'Europe en faisant croire à
quelque métempsycose! Et comme il travaille, acharné, pour les toi-
lettes modestes de cette Constance qui le paiera de la plus sotte ingrati-
tude ! Comme il reste continuellement, dans ses lettres sans rhétorique,
le génie affectueusement badin que sa musique seule révélerait I Comme
ce chrétien semble harmonieusement antique, comme cet Allemand du
XVIIP siècle conserve d'enjouement grandiose et de sentimentalité
riante au milieu de ses durs travaux qui deviennent, en traversant son
àme, des gazouillements inédits !
Quelle antithèse, vous dis-je! La surdité seule de Ludwig van Beetho-
ven nous offre un drame plus poignant. Et quelle variété dans la grâce,
quelle saveur dans ses défauts mêmes, et le crescendo méconnu, depuis
les enfantines Sonates jusqu'au Schwangesang simplement éloquent de
ce Requiem/
La prochaine fois nous comprendrons, avec les vrais wagnériens,
pourquoi WoKgang Mozart est exalté par Richard Wagner.
(A suivre.} Raymond Bouyer.
(1) Par M. Henri de Curzon, après l'abbé Goschler, et plus complètement.
204
LE MÉNESTREL
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
^3 o Tx I" S" o s aa. e
(Suite.)
IX
EHO! BHO! EHO!
En' nul pays plus qu'en cette Bourgogne, si injustement qualifiée
d'aqueuse par Shakespeare, le culte de Bacchus n'est célébré plus digne-
ment et plus dévotement. Dès son âge le plus tendre le petit Bourgui-
gnon a sucé, en guise de lait, le vin de l'enfance. Allez au fin fond de
la Bresse, vous y entendrez la mère, berçant son nourrisson, demander
à Dame Sainte-Marguerite
Una gota de ven bilan
Por endremi xtil enfan,
Una poma rodza
Po 11 bêta à la botée.
(Une goutte de vin blanc pour endormir cet enfant, une pomme rouge
pour lui mettre à la bouche.)
Tenez pour certain que toute sa vie le Bourguignon se souviendra de
la chanson qui le berça. En toute occasion il l'évoquera. Voyez ce
Barozai trônant à table avec la majesté d'un roi de féerie. Depuis Noël
il ne cesse de lever sa coupe en l'honneur de Yaguilan, et pour le moment
il s'apprête à célébrer avec pompe la cérémonie de son couronnement.
La tête ceinte de pampre, il chante :
Puisque le sort favorable
M'adjuge la royauté,
Je veux profiter à table
De ma souveraineté.
Songez à me satisfaire ;
De commander j'ai le droit :
Sujets, remplissez mon verre.
Et criez tous : le Roi boit !
Aussitôt on s'empresse autour de lui. Ses deu.x voisins se sont consti-
tués en pages d'honneur. Ils le font boire à satiété; car il doit l'exem pie
à ses sujets. Les chansons vont leur train et les brocs succèdent aux
brocs. Tout le monde boit, et ceu.x qui viennent demander la part à
Dieu ne sont pas oubliés. Ce sont les pauvres, d'abord; puis les jeunes
filles, enveloppées dans une mante à capuchon assez fermée pour qu'on
ne puisse pas les reconnaître; puis les enfants. Ils chantent :
Guyonnet, jambe rôtie,
Je vois la tarte qui reluit.
Le couteau sur le gâteau ;
Donnez-m'en un bon morceau.
Si vous ne voulez pas l'entamei-.
Donnez-le moi tout entier.
Si VOUS ne voulez nous le donner, disent les filles, ne nous faites pas
attendre, car il fait bien froid: voyez j'ai ma camarade qui tremble...
Exprès, on fait attendre les uns et les autres. Ils s'impatientent : Gui en
lai un petit trou, que le diable vous tortille le cou, disent les garçons ; Au
grilanlai n'aurai cha7'don, ici des ânes et des ànons plein la maison, sou-
pirent les filles. Seuls les pauvres se taisent. Enfin, on fait entrer tout le
monde, et la fête se poursuit, plus joviale, plus bruyante que jamais.
Eho! Eho! Eho! crie la compagnie.
— Vous le vouiez ? allons-y ! dit le souverain.
Et il commence :
Tant qu'au bord des fontaines
Ou dans les irais ruisseaux
Les moutons baign'nt leur laine,
l'dansont au préau.
Eho! Ebo! Eho!
Les agneaux vont aux plaines,
Etio! Eho! Eho!
Et les loups sont au boa.
Et ces ombres lointaines
Leurs y cach'nt leurs bourreaux.
Car malgré leurs plaint's vaines
Les loups croquent les agneaux,
Eho! Eho! Eho!
Les agneaux vont aux plaines,
Eho! Eho! Eho!
Et les loups sont au bos.
Jlais queuqïois par vingtaines
1 s'éloign'nt des troupeaux,
Pour aller sous les chênes
Qu'ri des herbag's nouviaux.
Eho! Eho! Eho!
Les agneaux vont aux plaines,
Eho ! Eho ! Eho !
Et les loups sont au bos.
T'es mon agneau, ma reine.
Les grand'vill's, c'est les bos,. . .
Par ainsi donc, Mad'leine,
N't'en va pas du hameau !
Eho! Eho! Eho!
Les agneaux vont aux plaines ,
Ebo! Eho! Eho!
Et les loups sont au bos.
Le public délire. Eho! Eho! E/w! il n'y a que ça en Bourgogne !
'Pardon!... Bien fâché! Mais ce Elio! si populaire chez les fils des
anciens Burgondes, ne remonte pas précisément au temps des rois de
la première, ni même de la deuxième dynastie. Il est l'œuvre, tout sim-
plement, d'une sorte de Lermice-Termieux qui s'appelait Fertiaull et
vivait en 1840.
C'est cette année-là, du moins, que ce dilettante, chargé par l'éditem'
des Finançais peints par eux-mêmes de lui fournir la partie d'histoire
musicale pour la Bourgogne, lui envoya trois pièces, dont l'une, Cain-
pagnarde, recueillie aux environs de Chalon-sur-Saône, était de sa
propre invention.
Fertiault, pris de remords, s'est donné la peine, ce que nul ne lui
demandait, de dévoiler dans la suite, en une plaquette expiatoire, les
détails de sa ténébreuse machination. Nous ne le suivrons pas dans sa
prose contrite. Il était, parait-il, en retard avec son éditeur, Léon
Curmer. Prié « de ne pas perdre une minute », il rentre chez lui, un
soir, affolé. Rien dans ses cartons ! Alors, nouveau Rouget de l'Isle, il
sent l'Esprit Saint s'abattre en lui, et, tout d'une pièce, il compose son
Eho! qu'il envoie comme l'expression la plus authentique des vieux
chants de son pays. Ce morceau n'en est d'ailleurs pas plus mauvais pour
cela. Il a trouvé place dans le Piano de Berthe, un vieux vaudeville du
Gymnase; Weckerlin et Champfleuryluiont donné ses lettres de grande
naturalisation dans leurs Chants et Chansons populaires de France; et tel
était son succès, que l'auteur, écrivant à un de ses amis dans les
Ardennes, pour le prier de lui transmettre quelque échanlillon de la
poésie populaire de sa localité, en reçut, à son grand ètonnement, son
propre Eho ! qui s'était acclimaté sournoisement aux environs de Ghar-
leville et de Mézières. Il s'appelait, dans sa nouvelle incarnation, les
Agneaux des Ardeniies.
Mais revenons à nos Barozais. Après les chansons, la bourrée. Chaque
coin de Bourgogne a la sienne ; mais la bourrée charoUaise est la plus
intéressante. Les danseurs sont placés en face l'un de l'autre ; ils tour-
nent et sautent alternativement sur chaque pied et vont ainsi, par figures
symétriques, sans discontinuer, et cela pendant dos heures entières. C'est
à en perdre la respiration. A la fin de chaque reprise, un iou! iou! éner-
gique se fait entendre, et le danseur, quand il le peut, applique un gros
et sonore baiser sur la joue ou sur l'épaule de sa danseuse... Et la bourrée
de reprendre :
Mon petiot frère,
01 est amoureux,
01 est amoureux,
Le petit gueux.
Le petiot drôle,
01 est amoureux.
Le petiot drôle,
Le petiot gueux !
Après la bourrée la calibourdine, la mise en flirte et autres danses
locales. On s'en donne à cceur joie, et on boit... à répandre, comme disait
l'abbè de Voisenon. Pas plus que les hommes, les femmes ne dédai-
gnent le divin nectar. Volontiers elles chantent : Tandis que nos hommes
sont à la moissone, vidons-y le tonneau de ce bon vin nouveau, — ^ ce à quoi
les gamins, irrévérencieux, ne manquent pas d'ajouter :
Elles en sont toutes beuvées.
Qu'elles se sont enivrées.
Allant de quatre pieds.
Aussi bien, les hommes sont les premiers à reconnaître le péché
mignon de leurs femmes, auxquelles ils pardonnent volontiers. Ils en
rient même. Ainsi, le Bressan vous chantera, sans se faire prier, sa
fameuse chanson : Con le bun omo ven du bu, trouve xa fena xula :
Quand le bonhoinm' revient du bois,
Trouve sa femme saoule,
Il fait quérir le médecin.
Le plus grand de la ville...
Quand le médecin fut venu.
Connut la maladie...
— Mettes de l'eau dans votre vin, dit le médecin.
— Si je mets de l'eau dans mon vin, demain je serai morte, répond la femme .
De l'eau dans son vin, voilà ce que n'admettra jamais un Barozai
vraiment digne de ce nom. On lit à ce sujet dans le Pot-Poun-i de Ville-
d'Avray, de Jacob Moreau :
« La ville de Goulanges, qui fournit un des meilleurs vins de l'Auxer-
rois, et où jusqu'au bas des murs il n'y a pas un pouce de terre qui ne
soit couverte de vignes, avait beaucoup de vin et pas une goutte d'eau.
Le chancelier d'Aguesseau, qui possédait ce vignoble, y avait envoyé un
ingénieur, auquel on dut la découverte d'une source. Un ecclésiastique
du diocèse d'Auxerre fit cette inscription latine :
Hic Bacchum et Lymphas conjunxit fœdera certo
Connubialis amor ; tu semper utrumque marita
que l'auteur traduisait par :
Un grand hymne éternel, sur ces riches coteaux.
Unit le Dieu du vin à la Nymphe des eaux.
Habitans fortunés de ce séjour aimable,
Ne séparez jamais, — ah! ces divinités;
lit que toujours Bacchus, au bout de votre table,
Ait son épouse à ses côtés.
(
LE MÉNESTREL
205
A la lecture de ces vers, toute la Bourgogne bondit d'indignation. Les
reproches les plus amers assaillirent Moreau, qui, tout historiographe de
France et avocat aux Finances qu'il était, ne sut comment se garer des
coups les plus cruels. On l'attaqua non seulement dans sa vie privée,
mais encore dans sa vie publique. Publiciste àel' Observateur Hollandais,
dont l'objet était de réagir contre la politique de la cour de Londres et
de faire que la Hollande cessât de n'être, selon le mot du roi de Prusse,
qu'une chaloupe à la remorque d'un vaisseau de ligne, il fut traité
d'espion, de vendu à l'étranger. Auteur du Nouveau Mémoire pour servir
à l'histoire des Cacouacs, il reçut tous les horions qu'un chroniqueur en
disgrâce peut attendre de ses lecteurs habituels ; et pourtant ce Mémoire
est resté comme l'un des plus curieux pamphlets de la fin du di.x-hui-
tième siècle, où, ce qui nous intéresse particulièrement, la controverse
sur la musique italienne et la musique française n'est pas oubliée. Enfin,
où le toile fut général, c'est lorsqu'on eut connaissance de ses Nouvelles
Découvertes sur la Tragédie, ou l'Art de composer de belles scènes de gri-
maces. Pour le coup, le bon Moreau n'y put tenir. Il avait toute la
Bourgogne sur le dos. A Paris, on en jasait. Finalement, il se résolut à
faire amende honorable et déclara en une pièce, tirée à part, tout le
contraire de ce qu'il avait dit :
Quel hymea triste et sauvage
Pour un dieu tel que Bacclius !
Amis, de ce mariage
Appelons corame d'abus.
C'est sans doute un Janséniste
Dont la muse rigoriste
Imagina tout cela.
Je veux qu'en moins d'une année
Cette belle union-là
Ait le sort de l'hyraénée
Du noir époux d'Horesta.
Mais si Bacchus à la belle
Pour jamais était lié,
Serait-il toujours fidèle
A sa trop froide moitié ?
Un époux de sa naissance
D'une sotte dépendance
Ne s'affranchirait -il pas?
Et pénse-t-on que sa femme
Ait pour lui de tels appas
Qu'il ne puisse sans la dame
Paroitre dans un repas ?
Non, le dieu de la vendange
Est un dieu trop bien appris
Pour ne pas suivre à Coulange
Lesmsages de Paris.
Que la déesse de l'onde
Contre lui tempête et gronde,
Bacchus s'en consolera ;
, Et tandis qu'à la fontaine
La nymphe murmurera,
A_ cette table sans peine
Son époux nous servira.
Infortuné Moreau ! Cette rétractation fut son coup de grâce. La Dau-
phine, Marie-Antoinette, dont il était bibliothécaire, l'avait depuis
quelque temps déjà pris en grippe, â cause d'un cours d'histoire et d'un
plan d'études qu'il avait préparés à son intention, et qui l'ennuyaient .
Un mot d'un courtisan, tempérant par nécessité sans doute, acheva de
la convaincre, de sorte que, le jour même, elle fit enjoindre â son trop
zélé précepteur d'avoir à remettre les clés de sa Bibliothèque à un
homme qui entendait d'une façon moins rébarbative l'éducation d'une
princesse.
De par ce caprice, Campan lui fut substitué. Ainsi finit cette tempête
dans un verre d'eau rougie.
(A suivre.) - Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
A Londres, à l'Opéra royal de Govent-Garden, véritable triomphe pour
la rentrée de M"" Galvé dans Carmen. — Les représentations du Roi rï Ys seront
données au courant de cette semaine.
— La semaine passée, le fameu.x château de Graig-y-Nos, appartenant à
M™ Patti, a été mis aux enchères à Londres, mais il est resté pour compte à
l'artiste. La vente avait attiré beaucoup de curieux, mais peu d'acheteurs. Le
commissaire-priseur demanda d'abord 100.000 livres, soit deux millions et
demi de francs, mais on n'offrit que 10.000 livres, que le commissaire refusa
avec indignation. Après quoi un vieux monsieur alla jusqu'à 50.000 livres ;
mais au moment où le château lui était adjugé, l'amateur se précipita vers le
commissaire et lui expliqua qu'il s'était trompé et que son intention n'était
nullement de posséder Graig-y-Nos. Le commissaire recommença alors ses
opérations, mais le château ne put aller au-dessus de 4j.000 livres qui ne
furent pas acceptées. M™' Patti reste donc en possession de son immeuble, qui
est un ver rongeur terrible, car il y faut soixante domestiques pour le rendre
babitable et pour soigner le parc. Un farceur avait proposé à M""* Patti, dans
un journal, de se rendre à la vente et d'y chanter Hoine, sweel Iwme pour
attirer les amateurs ; elle aurait bien fait de suivre ce conseil bienveillant.
Graig-y-Noa sera d'un placement difficile.
— Au dernier concert de la saison à Queen's-hall, on a exécuté une ouver-
ture inédite, Cockaigne, que l'auteur a conduite en personne. Cette ouverture
est à « programme »; elle se propose de peindre la vie dans les rues de
Londres. L'élément comique est fourni par l'inévitable german baitd, une de
ces bandes de musiciens allemands qui infestent tous les quartiers de la ville
avec leurs terribles instruments à vent, et l'élément sentimental par un couple
d'amoureux qui finalement entrent dans une église, peut-être pour y convoler
en justes nopces. Cette ouverture a remporté un grand succès.
— Le nouveau théâtre du Prince-Régent, à Munich, lance son petit factum
à l'occasion des représentations wagnériennes qu'il va donner aux mois
d'août et septembre prochains :
... Le théâtre du Prince-Régent est construit sur le modèle de celui de Bayreuth, avec
orchestre invisible; les places sont en amphithéâtre, toutes de face; la scène est d'une très
grande profondeur, avec de larges dégagements de chaque côté et derrière, permettant
ainsi les mises en scène les plus compliquées. C'est un des praticiens les plus renommés
dans l'art du théâtre, M. Karl Lautenschlager, qui a la direction de la machinerie, de la
planlation des décors et de l'éclairage. MM. Anton Fuchs et Robert MûUer sont chargés de
la mise en scène. Des décors nouveaux et très artistiques ont été brossés par les peintres-
décorateurs Mettenbeiter, Brttckner et Frahm. Quatre chefs d'orchestre se remplaceront au
pupitre; ce sont MM. Hermann Zumpe, Franz Fischer, Bernhard Stavenhagen et Hugo
Rohr. La troupe ordinaire de Munich sera renforcée de plusieurs artistes d'autres théâtres,
comme M.M. Anthes et Wachter, de Dresde, Griining et Hoffmann, de Berlin, Schrodter,
Reichmann et Winkelmann, de Vienne, Gerhaûser, de Carlsruhe, M"'' Andriessen, de
Francfort, Hilgermann, de Vienne, Staudigl, de "Wiesbadon, etc., etc.
M. Ernàt von Possart n'a rien négligé pour procurer aux spectateurs du nouveau théâtre
toutes leurs aises et toutes leurs commodités. Les représentations commençant à cinq heures,
on trouvera dans un grand café et dans un vaste jardin-restaurant attenant au théâtre de
quoi se rafraîchir et souper pendant les entr'actes. Le vestiaire est également .très spacieux,
et pour en faciliter le fonctionnement, le numéro de la place occupée servira en même
temps de numéro de vestiaire. Le prix des places, comme à Bayreuth, est fixé à 25 francs,
et on peut les retenir dès maintenant soit à Paris chez l'éditeur Durand, place de la Made-
leine, soit à Munich, à l'administration du théâtre du Prince-Régent. — Voici quelles
sont les dates des représentations ; tes Maîtres Chanteurs, 21 et 25 août, 2, 10, 14 et
26 septembre; Tristan, 23 et 27 juillet, 4, 12 et 20 septembre; Tannhailser, 29 juillet, 6,
16, 22 et 2i septembre; Lohengrin, 31 août, 8, 18 et 24 septembre.
— Le comité pour le monument de Brahms à Hambourg a reçu jusqu'à
présent treize projets. Comme il ne dispose encore que de 40.000 marcs,
somme insuffisante pour le monument, le choix entre ces différents projets
n'est pas bien pressant.
— Le théâtre royal de Wiesbaden vient de jouer un opéra romantique en
deux actes intitulé le .Jeune Henri, dont la musique est due à M. Karl de Per-
fall. Cet ouvrage a déjà été joué dans une version différente sous le titre de
Junker Heinz.
— M. Hofmann, directeur de l'Opéra de Cologne, a reçu un nouvel opéra en
quatre actes intitulé Gitana, paroles de M. J. Wildenrath, musique de M. Max
Oberleithner.
— Le célèbre théâtre du château de Totis (Hongrie), qui appartient à la
famille Esterhazy et qui a été illustré par Joseph Haydn, va disparaître d'ici
peu. Son dernier propriétaire, le comte Nicolas Esterhazy, y avait fait jouer
pendant un quart de siècle le drame et l'opérette et avait dépensé beaucoup
d'argent pour maintenir le niveau artistique de son théâtre; mais le comte
est mort l'année passée, et son héritier n'a malheureusement pas hérité de
la passion de son oncle pour l'art dramatique. Il a, au contraire, donné ordre
de transformer le théâtre en chapelle, eta vendu le matériel, qui représentait
une grande valeur, à M. Ivan Relie, directeur du théâtre municipal de Pres-
bourg. Sic transit gloria. .
— L'Opéra royal de Copenhague a reçu un nouvel opéra intitulé Waar
(le Printemps), musique de M. Marquard-Rasmussen, à Aarhus.
— Le dernier exercice du Conservatoire de Milan a mis en relief le nom
d'une jeune élève, la signorina Elisabetta Oddone, qui s'est produite à la fois
comme chanteuse et comme compositeur. Elle a fait entendre une Suite pour
petit orchestre, plus deux romances chantées par elle-même. Cette jeune
personne appartient à la classe de composition de M. Gaetano Goronaro.
— Bu moins d'une année la ville de Milan, qui s'accroît chaque jour, a vu
percer vingt-six rues nouvelles. Quatre de ces rues ont reçu les noms de
musiciens plus ou moins célèbres : Pierluigi da Palestrina, Benedetto Mar-
cello, Saverio Mercadante et... Errico Petrella.
— La Gazwtta musicale de Milan publie à sa première page le fac-similé
d'une partie d'une liste de souscription ouverte le 20 juin 1859, à Sant'Agata,
par Verdi, au profit des combattants pour l'indépendance italienne. L'appel,
écrit tout entier de la propre main de Verdi, est ainsi conçu :
Les victoires obtenues jusqu'i.i par nos valeureux frères n'ont pas été sans que leur
sang soit répandu, et par conséquent sans de, suprêmes douleurs pour des milliers de
familles ! En de tels moments, tout ce qui a un cœur italien doit aider, dans la mesure
de ses forces, la sainte cause pour laquelle on combat.
Je propose une souscription en faveur des blessés et des familles pauvres de ceux qui
sont morts pour la patrie.
Sant'Agata, 'iO juin ISôO. G- Verdi.
Les premiers noms inscrits sur la liste sont les suivants :
Giuseppe Verdi, pour 25 napoléons d'or 550 francs.
Giuseppina Verdi, pour 4 napoléons d'or 88 —
Carlo Verdi 22 -
Giovanni Menta 5 —
Angiolo Carrara 88 —
Antonio Barezzi, pour 4 napoléons d'or 88 —
206
LE MENESTREL
« Non seulement, écrit à ce sujet la Gazzctta, non seulement les paroles
avec lesquelles Verdi ouvre sa souscription sont remarquables et émou-
vantes, mais elles sont une preuve de courageux patriotisme, car la date
indique clairement que l'État de Parme existait encore alors, sous la haute
surveillance politique du gouvernement autrichien. Non moins remarquables
sont les souscriptions qui succèdent immédiatement à celle de Verdi, c'est-à-
dire : sa femme et son père ; puis le docteur Carrara, dont le fils est aujour-
d'hui l'époux de M"^ Maria Verdi, nièce du maitre ; enfin Barezzi, son
bienfaiteur (père de sa première femme). »
— Suite des renseignements du Trovalon- sur les représentations des opéras
de Rossini. 3 décembre 1818. Au théâtre San Carlo de Naples, succès de
Bicciardo e Zoraide, opéra sérieux, libretto du marquis Berio : interprètes,
Nozzari, David, Cicimara, la Colbran et la Pisaroni. — 24 avril ISIO, au
théâtre San Benedetto de Venise, Eduardo e Cristina, opéra sérieux; inter-
prètes, Eliodoro Bianchi et Luciano, Rnsa Morandi et la Cortesi. 26 dé-
cembre, à la Scala de Milan, Bitinca e Faliero, opéra sérieux, libretto de
FeUce Romani ; interprètes, Bonoldi et Fioravanti, la Camporesi et la Bassi;
grand succès, 39 représentations. — Nous trouvons encore, dans cette revue
chronologique, quelques faits intéressants ou curieux. Le 2'2 janvier 1818 la
censure autrichienne de Milan supprime, comme excessives, quinze lignes
d'une critique de la Gazzetta, comparant l'allemande Metzger à l'italienne
Marconi dans Ciro in Babilonia de Rossini. Le 10 juin on inaugure le nou-
veau théâtre de Pesaro avec la Gazza ladra remaniée (rifoniiala). dirigée par
Rossini. Le 20 février, à la Scala de Milan, le premier mime Molinari est
sifQé par le public, celui-ci ayant appris qu'il a battu la première danseuse
a ux répétitions, et il lui manque de respect; le lendemain 21, l'avis suivant
est affiché au théâtre : « L'acteur Molinari, qui hier soir a rencontré la
dés approbation du public dans ce théâtre, se présentera sur la scène pour
offrir ses excuses à ce public ».
— Dans l'église San Francesco de Bologne, qui, dit un journal, fut au
seizième siècle le berceau de la grande école bolonaise, à laquelle l'Italie doit
les noms d'artistes illustres, a eu lieu un grand concert religieux dont le
programme était particulièrement intéressant. Ce programme comprenait les
œuvres suivantes : Concerto d'église en la mineur pour orchestre d'archets et
orgue, de Dall'Abaco; Antiphonie à deux chœurs, de Palestrina; Canzone et
Toccata pour orgue seul, de Frescobaldi; Prière à la Vierge, de Durante; Qua-
trième Psaume, de Benedetto Marcello; Te Oeum laudarmis, de M. Sgambati.
Les solistes étaient M"'^ Giovanni-Zacchi et Alice Zacconi, l'orchestre était
dirigé par M. Fano, l'orgue était tenu par M. Filippo Sussarri, et les chœurs
étaient chantés par des dilettantes et des dames de la meilleure société de
— Un incident as sez singulier s'est produit récemment à Trévise. Un pia-
niste nommé PoUini donnait un concert au Cercle social, et pendant qu'il
exécutait un morceau un autre artiste, M. Pietro Loredan, manifesta à
diverses reprises son mécontentement. Or, ceci ne plut pas à un journal du
lieu, qui releva le fait avec quelque vivacité. Sur quoi l'artiste mis en cause
jugea à propos de se défendre par une lettre adressée à ce journal et dans
laquelle il s'exprimait ainsi : « Si j'ai exprimé ma désapprobation à diverses
personnes durant l'exécution de la sonate op. 27 n" 2 de Beethoven, cette
désapprobati on était motivée par l'altération que M. PoUini faisait subir à la
musique, où, arrivant à la 8= ou 10= mesure, il sauta à la 30', et ensuite,
arrivé à la 44", il i-etourna à la 10= pour la seconde fois; il joua alors ce qu'il
avait omis, puis, arrivé pour la seconde fois à la 44" mesure, il retourna
encore en arrière, rejouant de nouveau tout l'adagio. » Il faut avouer que ce
massacre était de nature à courroucer un auditeur un peu expérimenté. Quelle
diable de bouillie le virtuose faisait-il ainsi de la musique de Beethoven"?
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est vendredi, comme nous l'avons annoncé, qu'a eu lieu, au Conser-
vatoire, l'audition des six cantates des concurrents au prix de Rome, et c'est
hier samedi que cette audition s'est répétée à l'Institut, devant l'académie
de s beaux-arts, appelée, toutes sections réunies, à juger le concours.
Voici le résultat de ce concours :
/'"■ grand prix : M. Caplet, élève de M. Lenepveu.
<=' second grand prix : M. Dupont, élève de M. Widor.
2* second grand prix : M. Revel, élève de M. Fauré.
— Nous savons dès maintenant à quoi nous en tenir sur le nombre des
élèves qui ont été admis à prendre part aux prochains concours publics du
Conservatoire. Pour les classes de piano nous trouvons 18 concurrents hom-
mes et 29 femmes ; pour les classes de violon, 30 concurrents, dont 11 femmes;
pour l'alto, 7 concurrents; pour le violoncelle, 12, dont 2 femmes; pour la
contrebasse, 4; pour la harpe, 7, dont un seul homme. Le concours de chant
proprement dit réunira 17 hommes et 18 femmes, celui d'opéra 7 hommes et
8 femmes, celui d'opéra-comique aussi 7 hommes' et 8 femmes. Enfin, pour
la déclamation, le concours de tragédie nous présentera 5 hommes et 3 fem-
mes, et celui de comédie 9 hommes et 11 femmes. En résumé, en mettant à
part les instruments à vent, pour lesquels le nombre des concurrents est
toujours à peu près le même, les concours publics feront défiler devant le
jury et devant le public un total de 104 jeunes hommes et de 96 jeunes
filles.
— Un fait assez rare et peut-être sans exemple se produit cette année dans
le concours de fugue. Bien que les femmes parfois y prennent part, leur pré-
s ence pourtant y est assez peu commune. Or, cette fois il ne s'en trouve pas
moins de quatre pour afl'ronter les sévérités et les difficultés de ce concours :
M"= Fleury, élève de M. "Widor, et M"=^ Campagna, Toutain et M"'» Herscher-
Clément, élèves de M. Fauré.
— Voici les récompenses décernées hier pour le concours de solfège des
chanteurs :
HOMMES
1" Médaille: M. Baer (classe Vernaelde).
2"" Médailles ; MM. Billot CVemaelde), Mallet (de Martini i.
3""" Médailles: MM. de Poumayrac (Vernrelde), Bourilkm (Vernaelde), Casella (Ver-
naelde), G. Dubois (de Martini).
FEMMES
l'" Médailles: M"'" Carré (classe Mangin), Ruper (M"° Vinol i, Jullian (Mangin), Tvan-
noy (M°" Vinot), Bérysa (Mangin).
2"" Médailles: M"" Maurice (M"" Vinot), Gaillard IM. Mangin i, Huchet (M"' Vinol),
Dorigny (M"' Vinot).
3"'- Médailles : M"" Thiesset (M. Mangin) et Genevois (M"' Vinoti.
— Voici quels sont les morceaux de concours choisis pour les élèves des
classes de chant, d'opéra, d'opéra-comique, de tragédie et de comédie :
Chaut.
Classe de M. Crosti. — M. Geyre : les Abencérages.
31"'^ Dorigny : Samson et Dalila.
M"" Cauchois : îphigénie en Tauride.
Classe he M. Wabot. — M. Rigaux : le Tribut de Zamora.
M. Herbulot : Raynwnd.
M. Granier : Guido et Ginevra.
M"" Demougeot ; Iphigénie en Tauride.
JI"» Gonzalès : le Billet de loterie.
Classe de M. Edmond Duvernoï. — M. G. Dubois : le Freischiitz.
M. Baer : Iphigénie en Tauride.
M. Jean : Iphigénie en Tauride.
M"' Lassara : Don Juan.
M"' Péart : Perfide et parjure.
Classe de M. Masson. — M. Minvielle ; Hérodiade,
M. Aumônier : la Reine de Saba.
M. Triadou ; le Pardon de Ploërmel.
AI. Gilly : Iphigénie en Aulide.
M"' Van (Jelder : Hippolyte et Ariciê.
M"' Foreau : Proserpine.
M"° Gril : Alceste.
M"' Vergonnet : Ilamlet.
Classe de M. Dupbez. — M"' Revel : le Freiscliiitz.
. Classe de M. Vergnet. — M. Réchencq : les Abencérages.
M. Billot ; la Fête d'Alexandre.
M"' Grazide : le FreiscMtz.
M"» 'Weyride : Hamlet.
M'i" Billa : Fidelio.
Classe de M. Aogoez. — JI. de Qynsen : Iphigénie en Aulide.
M. Sayetta : Iphigénie en Tauride.
M"' Jullian : Obéron.
Classe de M. Duruli.e. — M. Sigwalt : le Siège de Corinthe.
M. Ferrand : le Songe d'une nuit d'été.
M. Guillamat : Dardanus,
M"' Huchet : le Pardon de Ploërmel.
M"" Meynard : Iphigénie en Tauride,
M"" Ruper : les Htiguenots.
W' Cortez : Alcesle.
Opéra.
Classe de M. Melchissédec. — M. Rigaux: Patrie I
JI. Azéma : Œdipe.
M. Dubois : Salammbô.
M"" Gril : Roméo et Juliette.
W Billa : Alceste.
W" Cauchois : la Favorite.
Classe de M. Gibaudet. — M. Baei- : les Buguenots.
M. Aumônier : les Huguenots.
M. Granier : la Juive.
M. ïriadou : Rigolello.
M"" Demougeot ; le Cid.
W Jullian : les Euguenots.
JI"» Lassara : Faust.
JI"" Cesbron : Armide.
M"" Féart ; les Dandides.
Classe de M. Lhérie. — M. Bae
JI. Guillamat : le Val d'Andorre.
JI. Dubois : Werihir.
M. Jlinvielle : llaijdée.
M"" Van Gelder : Manon.
M"" Revel : Manon.
M"" Cesbron : Wertlwn:
M"* Cortez: les Dragons de Villars.
M"" Gonzalès : le Barbier de Séville.
Classe de M. Achard. — M. Higar
M. Geyre : Lakmé.
M. Jean : Hai/dée.
Opéra -Comique.
ir : le Caïd.
: le Médecin malgré lui.
LE MENESTREL
207
M'" BiUa : Psyclié.
M"« Huchet : Manon.
iViiie Foreau : la Servante maitresse.
Tragédie.
M. Garry (classe Féraudj), 1" ace. 1900 : la Fille de Roland, rôle de Chai-lemagne.
M. Larmandie (Sllvain), 1" ace. 1900 : Antigone (3" acte), rôle d'Hémon.
M. Juobé (Silvain) : Louis XI (2' acte), rôle de Nemours.
Jt. Capellani (Le Bargy) ; Hamlet (%' acte), rôle d'Hamlet.
Jl. Gorde (Paul îlouneti : les Burgraves, rôle de Magnus.
M"" Carmen de Raisy (Paul Mounet), 1" ace. 1900: Anr/elo, rôle de Catarina.
M"'' ^lerviUe (Paul .Mounet i : Lucrèce Borgia, rôle de Lucrèce.
iM"' Jlargel (Georges Berr) : Bérénice (!"■ acte), rôle de Bérénice.
Comédie.
Classe de M. de Féraudy. — M. Garry (2° prix 1900) : le Père prodigue, rôle de .\L de
la Riviounière.
M. .Monteaus (1" ace. 1900 1 : l'Ami des femmes, rôle de Ryons.
M. Holtzem : la Coupe enchantée, rôle de Jousselîn.
M"" Dayez (2^ prix 1900) : Denise (2" acte), rôle de Denise.
M"" Vielle : un Mariage som Louis XV, rôle de la baronne.
M"" Piérat : le Mariage de Victonne, rôle de Victorine.
Classe de 51. Silvain. — M. Boulhors (2« ace. 1900) : Mercadet, rôle de Jlercadet.
M. Larmandie : Diane de Lys, rôle du comte de Lys.
M"" Sylvie : le Barbier de Séville (l"*" acte), rôle de Rosine.
Classe de M. Leloir. — M. Chaumont : le Juif polonais, rôle de .Mathis.
M"« Lincoln ; Rui/ Bios, rôle de la Reine.
Classe de M. Le Baugy. — M. Capellani (2" ace. 1900) : On ne badine pas avec l'amour,
rôle de Perdican.
M. Liser : les Femmes savantes, rôle de Chrysale.
W" Mathot (!«' ace. 1900) : la Cliance de Françoise, rôle de Françoise.
M"'' Chesnel : la Coupe enchantée, rôle de Leslie.
Classe de M. Paul Mounet. — Jl. Brûlé (2° prix 1900) : le Menteur, rôle de Dorante.
M"" Martlie Lambert : le Fil^ mitnrel, prologue, rôle de Clara Vignot.
Classe de II. Georges Berr. — M"° Jlargel (1" ace. 1900) : Amoureuse, rôle de
Germaine.
M"" Spindler (2" ace. 1900) : le Jeu de l'amour et du hasard, rôle de Sylvia.
M"" Grimbert ; Arlequin poli par l'ammi/r, rôle de Sylvia.
— Voici maintenant la liste des morceaux choisis pour les concours des
classes instrumentales :
PuNO (hommes). — Étude en );( dièse mineur de Chopin et 11" Rapsodie de Liszt.
Piano (femmes). — Étude symphonique de Schumann et Sonate en rê majeur de (VIozart.
Violon. — Symphonie espagnole de Lalo.
Alto. — Concerto en ut majeur d'Arends.
Violoncelle. — l^"" Concerto de Davidow.
Contrebasse. — 1" Solo de concours de Verrimst.
Harpe. — Choral et Variations de M. Widor.
Selon l'excellente coutume adoptée depuis quelques années on a demandé,
pour les classes d'instruments à vent, des morceaux nouveaux à plusieurs
compositeurs. Us ont été ainsi distribués :
Flute. — M. Ganne.
Clarinette. — M. Henri Rabaud.
Hautbois. — M. Henri Biisser.
Basson. — Jl. Charles René.
CoB. — Jl. Bruneau.
Cornet a pistons. — Jl. Silver.
Trompette. — Jl. Erlanger.
Trombone. — M. Bachelet.
— M. Samuel Rousseau, chef des chœurs à la Société des concerts du Con-
servatoire, a donné, cette semaine, sa démission de ses fonctions. L'assemblée
convoquée pour l'élection de son successeur a d)i avoir lieu vendredi dernier.
— On assure que M. Gailhard est de retour à Paris, venant de Dresde. Ne
serait-ce pas plutôt de Pontoise? Toujours est-il qu'on lui a pris de suite une
interview, oii on l'invitait « à se reposer » après les fatigues d'un tel voyage:
« IMe reposer, a-t-il répondu, pourquoi faire? »
... Et avec un sourire qui fleure la Garonne, il ajoute:
— C'est trop fatigant de se reposer. Non! je vais m'occuper de la préparation de Sieg-
fried et au commencement du mois prochain je partirai...
^ Pour la mer ?
— Non! pour Bayreuth, où Von organise une représentation solennelle de S^'e(//î■ierf.
J'ai vu Siegfried sur toutes les scènes allemandes, hormis sur celle de Bayreuth. Vous
pensez bien que je ne manquerai pas l'occasion qui m'est offerte de compléter ma collec-
tion !
Donc, M. Gailhard ne se sent nullement fatigué. 11 n'y a que les autres qui
s'en aperçoivent.
— Du reste, c'est un homme parfaitement heureux. Il a fait débuter ces
jours-ci la gentille M"« Dereims dans les Huguenots (rôle de Marguerite) et il a
reçu tout aussitôt les félicitations... des ambassadeurs marocains qui assis-
taient à la représentation. De tins connaisseurs, apparemment!
— Autre bonheur : « Il a rencontré à Dresde Jean de Reszké qui doit créer
Siegfried à Paris, et qui était venu le rejoindre pour s'entendre avec lui sur
les modifications que peut-être son rôle et même certains autres auront à
subir. » Du tripatouillage, alors!
— Cueilli dans la même interview sur le voyage à Dresde : « Quant à
l'orchestre, il était dirigé par le célèbre kapellmeister Scheidemantel ».
Mais non, Gailhard, vous faites erreur! Scheidemantel n'est, qu'un vulgaire
baryton, de très grand talent d'ailleurs. Oh ! ces cervelles du Midi !
— M. Albert Carré, profitant de la présence à Paris de M"!* de Nuovina, a
obtenu qu'elle veuille bien donner, à l'Opéra-Gomique, avant la fermeture,
six représentations, dont trois de Cavatleria rusticana et trois de la Xavarraise.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
Carmen (représentation populaire à prix réduits); le soir, Mireille.
— La magnifique collection d'autographes musicaux de notre collaborateur
et ami Charles Malherbe vient de s'enrichir d'un nouveau manuscrit de
Beethoven qu'on croyait perdu. C'est la Polonaise pour musique militaire,
connue seulement par la copie qu'on en a conservée aux archives de la Société
des Amis de la musique à Vienne. Beethoven a écrit en français le titre de
cette composition : « Polonaise, par Beethoven, 1810. Baden ». Nous appre-
nons ainsi que la composition est née au cours d'une des promenades soli-
taires aux environs de Baden que Beethoven aimait à faire pendant sa villé-
giature dans cette jolie ville d'eaux. Pour ceux qui connaissent les manuscrits
de Beethoven, l'aspect de celui de la Polonaise est entièrement intéressant.
Rarement, presque jamais, Beethoven n'a écrit une composition avec autant
de soin et si lisiblement; même les instruments sont désignés en toutes lettres
dans la partition. Une indication très explicite de supprimer une mesure à
la répétition, avant la coda, est d'une écriture merveilleuse pour le maitre,
surtout à l'âge de 40 ans. Le manuscrit, écrit sur un papier de choix, est
dans un état de rare conservation; il avait appartenu au compositeur et col-
lectionneur viennois Aloys Fuchs , et depuis sa mort' on n'en avait plus
entendu parler.
— La Société d'histoire du théâtre a tenu cette semaine sa seconde réunion
àl'Odéon, M. Henry Fouquier présidait. On a décidé la création d'un bulletin
et adopté le principe de concours, à l'occasion desquels la Société décernera
des prix à des travaux inédits concernant les institutions, la biographie, la
bibliographie ou l'ethnographie théâtrale. — Une personne, qui désire ne pas
être nommée, a fait don à la Société d'une somme de 1.000 francs. —
M. Henri Martin, bibliothécaire de l'Arsenal, a donné communication d'un
rapport des plus intéressants sur un manuscrit du commencement du quin-
zième siècle, dit le Térence, de Jean de Berry. Ce manuscrit est orné de
miniatures précieuses pour l'histoire de la mise en scène au moyen âge. — La
question a été agitée de la fondation d'un musée théâtral.
— Retour à Paris de M"= Juliette Dantin, venant de Londres, où elle s'est
fait entendre dans plusieurs concerts avec le plus grand succès.
— Les fêtes de Béziers se préparent superbes, dit M. Delilia, du Figaro.
Nous allons compléter par des détails officiels les promesses faites aux ama-
teurs de belles choses lyriques et chorégraphiques. Ces fêtes auront lieu les
dimanche 23 et mardi 27 août, dans les Arènes, sous la présidence « effective »
de M. Camille Saint-Saëns, au profit d'œuvres de bienfaisance et patriotiques.
On y donnera Promélhée, tragédie lyrique en trois actes, poème de MM. Jean
Lorrain et A. Ferdinand Herold, musique de Gabriel Fauré, sous la direction
des auteurs, avec la distribution suivante:
Rôles parlés.
Promélhée Jl. de Max (Odéon)
Pandore M""X...
Hermès Louise Dovve (Odéon)
Par suite d'un dissentiment avec M. Jean Lorrain, M"' Cora Laparcerie-
Richepin, qui devait créer le rôle de Pandore, a demandé la résiliation de
son engagement. Il est question, pour remplacer la très regrettée artiste, soit
d'une remarquable et belle tragédienne lyrique, soit d'une fort intéressante
pensionnaire nouvelle de l'Odéon. Des pourparlers sont activement entamés
par le tout dévoué promoteur de. ces fêtes, M. Castelbon de Beauxhostes.
Rôles chantés.
Bia M'"^^ Fierens-Peters (Opéra)
JEuoé Armande Bourgeois (Opéra)
Gaïa Flahaut (Opéra)
Kratos JIJI. Fonteix aine (Grand Théâtre
de Marseille)
Hephaïs los Vallier (Monnaie de Bruxelles)
Andros Rousselière (Opéra)
Et le spectacle sera complété par Bacdius mystifié, grand ballet-pantomime
inédit en un acte, livret de M. Silve-Sicard, musique de M. Max d'OUone,
chorégraphie de M. Bucourt, de l'Opéra, maître de ballet du théâtre de la
Gaîté :
Bacçhus MJI. Bucourt (Opéra)
Silène De Gaspari (Scala de Milan)
Eglé JI"»LinaCampana (Scala deJIilan)
et 60 danseuses sous la direction de M. Bucourt: Sylvains, nymphes, faunes,
corybantes, bacchantes, satyres, dryades, naïades, etc., etc. Orchestre d'har-
monie, sous la direction de M. Eustace ; orchestre d'harmonie, sous la direc-
tion de M. Weinberger; orchestre d'harmonie (lyre biterroise), sous la
direction de M. Alicot ; orchestre à cordes; 20 harpes, sous la direc-
tion de M. Hasselmans, professeur au Conservatoire ; 30 trompettes d'har-
monie (Rallye biterrois), chef : M. Aussenac; 2S0 choristes hommes et femmes,
dont la Chorale biterroise, chef : M. Thalie, et amateurs de Béziers : 450 ins-
trumentistes ; chœurs de femmes de Paris et Monte-Carlo ; chef du chant et
des chœurs : M. Jean Nussv- Verdie.
208
LE MÉNESTREL
— De Vichy. Le premier concert classique de la saison vient d'avoir lieu,
et le nom de Danbé sur l'aiBche avait attiré au Casino une foule nombreuse.
On a fêté le remarquable chef d'orchestre à son arrivée au pupitre, et on l'a
applaudi chaleureusement après l'irréprochable exécution de chacun des
morceaux d'un beau programme dont le clou a été Taudition des Impressions
d'Italie de Gustave Charpentier.
— De Luchon. Les concerts du Casino viennent de reprendre sous la direc-
tion de M. Emile Boussagol, et leur début nous promet une bonne saison
musicale. Aux premiers programmes, très éclectiques, nous relevons parmi
les numéros à succès une Fantaisie et le Pas guerrier de Sigurd, de Reyer, les
Mandores de Cendrillon, VEntr'acte-Sévillana de Don César de Bazan, Parade mili-
taire,'àe Massenet, Salut à Copenhague, marche de Fahrbach, Sérénade, valse
de Métra, Près de toi, valse de Broustet, etc.
— Soirées et Concerts. — Très charmante et tout à fait réussie audition, à la Bodinière,
des cours d'opéra-comique de M. Emile Bourgeois et de M™" Caroline Pierron. Des scènes
Jouées en costumes permettent non seulement d'apprécier la voix des élèves des excellents
professeurs, mais aussi de se rendre compte avec quel soin et quel goût on leur apprend
leur métier de comédiens. Le succès de la matinée est allé à ftl"' Marguerite Giraud,
engagée récemment à rOpéra-Comique, et qui a très bien clianté et joué le 1" acte de
Manon, M. Crémel lui donnant la réplique. Puis on a justement applaudi aussi M"" Bro-
gha et Rolland, celle-ci déjà à l'Opéra-Comique, dans Werther, JI"" Aron et Broglia dans
Lakmé, M"" Ménîer, Abrandt, avec le concours de M. Le Riquer, dans Caualleiia rusti-
cana. M"" Chaumeton dans Mireille, etc. — Au concert qu'elle a donné salle Pleyel,
^I'" Maria Pimbel a obtenu grand succès avec Tair de Sigurd et Crucifia:^, de Faure, chanté
avec M. Chanoine d'Avranches. Ce dernier fut aussi applaudi dans Pluie en mer, de
Filliaux-Tiger. — M"» Biau-Bussière vient de faire entendre, salle Pleyel, ses élèves en
une matinée entièrement consacrée aux œuvres de Weckerlin et de Filliaux-Tiger qui ont
tenu le public sous le charme. — Les cours Sauvrezis viennent de faire entendre une
série d'élèves dans une séance consacrée en partie à l'étude de Chopin : notice historique
parM'"'Sauvrezis. M°"=MarieMockel, M"" Louise Sandre, M. Armand Parent prêtaient leur
concours à cette belle matinée. — La séance de musique donnée à Meudon par- M. Guil-
mant a été d'un haut intérêt artistique. M. Guilmant a fait sensation avec une œuvre de
Bach et une pièce dont il est l'auteur. Le grand succès cependant a été pour : Au pied
d'un crucifix de Louis Lacombe, chanté par M™" de Banville et accompagné par M"' Tou-
tain au piano, M. de Brou au violon et par M. Guilmant à l'orgue. Le maître de la mai-
son, qui avait retenu ses artistes et quelques amis à dîner, a dû, à leur prière, faire en-
tendre une seconde fois, après dîner. Au pied d'un crucifix, qui a absolument enthou-
siasmé, M"= de Banville y a joint une autre profonde et touchante inspiration de Louis
Lacombe, le Bouquet, qui a ému profondément. — Grande solennité musicale dimanciie
dernier à Saint-Ge.rmain-en-Laje. M. Albert Renaud y faisait exécuter sous sa direction
une a Messe solennelle )> pour soli et chœur à 4 voix, orgue, orchestre et grand orgue.
Le grand orgue et le chœur d'enfants placé dans la tribune dialoguent avec l'orchestre
et les chœurs. Œuvre de caractère très personnel. Les soli étaient interprétés par M°" la
vicomtesse de Tredern, M"« Thomas, MM. Rinaldi et Rigaux. Le grand orgue était
tenu par M. le baron F. de la Tombelle. Les chœurs composés de dames et d'amateurs
de l'orchestre de la Société des concerts symphoniques formant un ensemble de cent cin-
quante exécutants ont fort bien marché.
NÉCROLOGIE
Une dépêche de Moscou a apporté cette semaine la nouvelle de la mort
foudroyante du baryton Jules Devoyod, frappé en scène en jouant Rigoletlo,
d'une paralysie au cœur. On raconte que le matin même, il s'était réveillé en
disant à sa femme : « Sais-tu que j'ai fait un étrange rêve ! J'ai rêvé qu'un
changement radical va s'opérer dans mon existence ». Puis, se sentant d'ail-
leurs très bien, il sortit, malgré une forte chaleur, et fit sa longue promenade
habituelle à pied à travers la ville. Le soir il paraissait également en bonne
santé. Pendant qu'il se grimait, dans sa loge, au théâtre, il riait et plaisantait
avec, un de ses enfants, âgé de neuf ans. Au second acte, comme il venait
d'achever le fameux duo avec Gilda et s'avançait vers la rampe pour remer-
cier le public de ses applaudissements, on le vit chanceler et tomber sur la
scène, en murmurant ces mots : « C'est mon rêve! » Le rideau fut aus-
sitôt baissé et le pauvre artiste transporté dans sa loge, où l'on s'empressa de
le dépouiller de son costume de boull'on. Quand sa femme lui enleva sa per-
ruque et dénoua le bandeau que lui avaient mis les ravisseurs de Gilda, ses
yeux étaient déjà vitreux. Les médecins constatèrent qu'il avait succombé à
la rupture d'un anévrisme. La direction voulut continuer le spectacle en
remplaçant le défunt par un autre artiste, mais le public, profondément
attristé, refusa d'entendre le reste de la représentation.
Devoyod, né à Lyon en 1836, fit son éJucatiou musicale au Conservatoire,
où il eut pour maitres Vauthrot, Levasseur et Couderc. Il en sortit en 1866
avec un second prix de chant et les deux premiers prix d'opéra et d'opéra-
comique. Le 24 août de l'année suivante, il débutait brillamment à l'Opéra
dans Nélusko de l'Africaine, puis dans Valentin de Faust. Mais il resta peu
de temps à cethéàtreet partit pour l'étranger, embrassant la carrière italienne,
où il obtint de très grands succès. Depuis quinze ans il appartenait aux théâtres
de Moscou et de Saint-Pétersbourg, ayant d'ailleurs épousé une Russe, qu'il
laisse veuve avec six enfants dans une situation difficile, dit-on. Devoyod,
que nous avons revu à Paris il y a trois ou quatre ans, au Nouveau-Théâtre,
dans une représentation de la Vie pour le czar, où il fit preuve d'un véritable
talent, était le neveu d'une tragédienne, W" Devoyod, douée d'une beauté
rare, qui, après avoir obtenu au Conservatoire les deux seconds prix de tra-
gédie et de comédie, passa deux années à l'Odéon, puis fut engagée à la
Comédie-Française, où elle tint le grand emploi tragique.
— Nous apprenons aussi la mort de M'"" Théodore, mère de M'" Adeline
Théodore, l'excellent professeur de danse à l'Opéra. Après avoir dansé avec
le plus vif succès à Saint-Pétersbourg , elle était revenue à Paris, où, pendant
plusieurs années, elle fut titulaire d'une classe de danse à l'Opéra. M'"" Théo-
dore mère est décédée à l'âge de soixante-seize ans.
— De Londres on annonce la mort, à l'âge de quatre-vingt-sept ans, du
doyen des compositeurs anglais, Charles Kensington Salaman, fondateur de
la Royal Society of Musicians. Il s'était fait surtout connaître par d'exquises
chansons. Ami personnel de Mendelssohn, de Moschelès, de Schubert, de
Chopin, de Meyerbeer et de Gounod, il compta parmi ses élèves le composi-
teur sir Arthur Sullivan, qui le précéda de quelques mois dans la tombe.
C'est le seul musicien anglais qui ait jamais pu se vanter d'avoir composé
des chansons pendant quatre règnes consécutifs. Georges IV était encore sur
le trône quand il publia ses premières compositions, et le mois dernier il
dédiait ses deux dernières œuvres à Edouard VIL
Henri Heugel, directeur-gérant.
Pour paraître AIJ MÉNESTREL, 2"'% rue Vivienne, HEUGEL et C'=, éditeurs
LE JOUR DE LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION A L'OPÉRA -COMIQUE, AU COMMENCEMENT DE NOVEMBRE
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Prix net : 20 fr.
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DE
MM. ARMAND SILVESTRE & EUGÈNE MORAND
Musique de
J. JV\ASSENET
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Prix net : 12 fr.
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AVIS AUX DIRECTEURS. — Les Éditeurs du « Ménestrel » traitent dès à présent de cet important
ouvrage avec les entreprises théâtrales de la province et de l'étranger, — l'orchestration pouvant être
livrée aussitôt après la première représentation à l'Opéra-Comique, au commencement de novembre.
36U. - 67- AME - f\°27. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 "'"j rue TiTienne, Paris, n- «•)
Dimanche 7 Juillet/ 1901.
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.) \C& z
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lie KaméPo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Kuméfo : 0 fr. 30
Adresser rn.iNco à M. Hekbi HEUGEL, directeur du Ménestoel, 2 bis, rue Vivieime, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Ahonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (19" article), Paul d'Estrées. —
II. Scliumann révolutionnaire, 0. Berggruen. — III. Le Tour de France en musique :
Boiium vlnum, Edmond Neukomm. — IV. Pensées et Aphorismes d'Antoine Rubinstcin.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
SOUS BOIS
e A. PÉRiLHOU. — Suivra immédiatement : Laiidler akacieius (1"= suite), de
Charles Malherbe.
MUSIQUE DE CHANT
iStous publierons dimanche prochain, pour nis abonnés à la musique de chant:
Ischia, barcaroUe de A. Périlhou, poésie de Lamartine. — Suivra immédiate-
ment : Mes vœux, mélodie de Paul Puget, poésie de Jules Barbier.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRETES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les ffléioirei les plus rûcenls et i
(Suite.)
IX
La Comédie-Italienne et ses tendances au genre larmoymt. — La troupe d'opéra-
bovffe au Tliéâtre de Monsieur et aux Variétés amusantes. — Inauguration de la
salle Feydeau en 1791. — Les concerts et leur répertoire — Haydn toujours en
vogue. — Le Concert olympique et sa mise en scène. — Concerts spirituels de
l'Opéra. — Métaphysique allemande et mysticisme russe. — Caféiconcerts : le
God save the liing. — Le cirque national.
Nos voyageurs étrangers visitèrent fréquemment les autres
théâtres lyriques de la capitale.
Kotzebue passait plus volontiers encore la soirée au Théâtre-
Italien. La salle est belle, écrit-il; les places sont commodes et
les acteurs excellents, mais les auteurs sont médiocres et les
décors détestables. Il traite de « sotte pièce » la Fausse magie, et
déclare « insignifiante » la partition composée par Grétry sur ce
triste livret. Par contre, il revoit avec plaisir Sargines de Monvel
et Dalayrac, opéra-comique bien connu en Allemagne, dont le
poème est amusant et la musique agréable. Mais, comme Kot-
zebue ne saurait faire un compliment sans y mettre une goutte
de fiel, il s'en prend cette fois au jeu de l'acteur qui tient le
rôle de Sargines. Il lui reproche d'exagérer le mouvement de
ses bras dans les situations pathétiques : il lui semble que le
comédien veut fendre l'air à coups de sabre et qu'il respire
comme s'il avait le hoquet. Et notre Teuton fait cet aveu, qui a
du moins le mérite d'accuser nettement un contraste maintes
fois signalé : « Je riais à tous les endroits où les Françfiis pleu-
raient et applaudissaient. » Kotzebue reconnaît cependant que la
pièce est souvent émouvante, dans ce passage par exemple :
« Il faut vaincre ou mourir pour son Roi » ; et là, il consigne
une observation qui ne manque pas de justesse : « Ces mêmes
Parisiens qui acclament avec transport une déclaration aussi
franchement royaliste, ne cessent de répéter que Louis XVI est
un pauvre homme. »
Mais voyez comme l'impression de la foule est contagieuse
même chez les gens qui s'y prétendent réfractaires ! Aux Derniers
moments de Jean-Jacques Rousseau la salle entière pleure, « et moi
tout le premier », ajoute Kotzebue. Il est vrai que la sensiblerie
était à l'ordre du jour dès qu'il était question du philosophe de
Genève et que l'écritoire de Bouilly, auteur du mélodrame, était
en quelque sorte une urne lacrymatoire.
Kotzebue recouvre sa belle humeur à Félix ou l'Enfant trouvé
— toujours au Théâtre-Italien. — Cet opéra-comique de Sedaine
et Monsigny est « fade de paroles et de musique ». Ce qui met
surtout notre spectateur en gaité, c'est que l'actrice chargée de
jouer le rôle d'une nourrice allemande écorchait à plaisir le peu
de mots qu'elle avait à prononcer dans la langue maternelle de
Kotzebue.
Une troupe italienne d'opera-6oi(/fe, qui était à Paris depuis 1780
et qui avait ouvert, dans la salle des Tuileries, le Théâtre de Mon-
sieur, sous la protection du comte de Provence, avait dû se trans-
porter aux Variétés amusantes de la Foire Saint-Germain, quand
Louis XVI avait quitté le château de Versailles pour le palais
des Tuileries. Halem et Karamsine ne virent la troupe italienne
qu'après son emménagement dans la nouvelle salle : ils en font
le plus grand éloge. Le voyageur russe épuise toutes les formules
de l'admiration pour Raffanelli, Mandini, Viganoni et principa-
lement pour la prima donna, la signora Baletti, d'origine alle-
mande : voix superbe, figure admirable, conduite irréprochable ;
« les lords anglais disent avec un soupir que c'est un phénix ».
L'installation de ces artistes italiens aux Variétés amusantes n'é-
tait que provisoire : ils attendaient impatiemment l'achèvement
du théâtre qu'on leur construisait rue Feydeau. Il ne leur fut
livré que dans les premiers jours de janvier 1791. Lors de l'inau-
guration Kotzebue était à l'Opéra, à la représentation d'Armide,
dont les décors et surtout la pluie de feu l'avaient hypnotisé. Il
y avait fort peu de monde dans la salle : le Tout-Paris des pre-
mières était, bien entendu, rae Feydeau : ce qui n'empêcha pas
les artistes de l'Opéra de jouer aussi consciencieusement que si
la salle eût été comble. Quelle différence avec nos troupes alle-
mandes I remarque Kotzebue, qui a de ces éclairs de bonne foi.
« Nos acteurs, quand le public fait défaut, galopent leur rôle
210
Ll' MÉNESTREL
comme s'il s'agissait pour eux de se débarrasser d'une corvée
assommante ».
A cette époque, les concerts avaient au moins autant de vogue
que les théâtres et pour composer leurs programmes puisaient
largement dans le répertoire d'Haydn.
Les premières symphonies du maître allemand furent exé-
cutées à Paris dès 1770.
Il ne faut donc pas prendre au pied de la lettre l'assertion
du baron de Trémont, assertion qui depuis a fait fortune :
— Nous sommes arriérés en musique, s'écrie l'intéressant
musicographe.
Halem, nous l'avons vu, se charge de le démentir, lorsqu'il
avoue qu'à l'heure oi^i la France était familiarisée avec le réper-
toire de Gluck, l'Allemagne en avait à peine entendu quelques
fragments.
Néanmoins, nous aurions mauvaise grâce à discuter les ser-
vices que rendit à l'art musical le distingué connaisseur qu'était
M. de Trémont. Chargé par l'administration impériale d'une
mission en Autriche, il arrivait à Vienne en 1809, quand Haydn
venait d'y expirer. De ce voyage d'aiîaires, qui fut pareillement
un pèlerinage artistique (nous le verrons à propos de Beethoven),
le baron de Trémont rapportade précieux souvenirs sur l'illustre
compositeur allemand, divers épisodes de sa glorieuse histoire
et des œuvres inédites du maître. Haydn, dit-il, synthétisait dans
un mot unique, piano, l'idéal de l'exécution musicale : aussi,
quand il faisait jouer ses^ morceaux et surtout ses quatuors,, ne
cessait-il de répéter à ses concertants : « Chut I chut ! » Sa plus
grande, sa seule admiration était pour Mozart, et plusieurs de
ses contemporains ont prétendu qu'il était jalou.x de l'auteur de
Don Juan ! La déclaration de M. de Trémont met donc à néant
cette absurde calomnie, en même temps que ses notices biogra-
phiques nous signalent d'intéressantes particularités sur les pre-
mières auditions des quatuors d'Haydn à Paris. Un amateur les
avait communiqués à ces remarquables virtuoses qui avaient nom
Mestrino, Imbault, Duport et Gramagnac. Dépités par les diffi-
cultés: de la première heure, ils avaient rendu chacun, leur partie
en, disant : « Jouera qui voudra cette maudite musique ! » L'a-
mour de l'art eut raison de leur découragement; et bientôt,
revenu de ses préventions, le célèbre quatuor s'était passionné
pour Haydn au point d'en préférer la musique de chambre à celle
des autres compositeurs.
Mais avant cette révélation, l'élève de Porpora était, nous
l'avons déjà dit, fort apprécié dans les cercles parisiens. Norvins
en signale les nombreux succès, au Concert Olijmpique ou Concert
des Amateurs, que M.. d'Ogny avait fondé en 1775 et qui apparte-
nait alors à la Loge maçonnique. L'orchestre, où figurait l'élite des
musiciens de la capitale, était fameux entre tous. Haydn le pro-
clamait supérieur à celui devienne, et composait à. son intention.
Les séancesi du. Concert Olympique se donnaient, au Palaisr-RoyaL,
et l'entrée s'en annonçait par un vaste décor où se détachait,
sur un fond bleu-ciel,, une grande lyre d'argent. On n'y était
reçu qu'en toilette de soirée, et Norvins y vit diriger l'orchestre
par Viûtti, en habit brodé, avec manche.ttea garnies de, dentelles
et l'épée au c6té.
Reichardt ne jouit pas de toutes ces élégancfis, en, mars 1792,,
quand il assista aux « Concerts de la Loge Olympique ». Néan-
moins, il lui en reste d'inoubliables souvenirs. Dans cette salle:
d'une sonorité parfaite. M""' Baletti, « séduisante créature venue,
de Stuttgard », a « fort bien chanté » des airs de Cimarosa et de
Pugnani, avec accompagnement de violon par Rode, un jeune
artiste «qu'on dit élève de Viotti». Le ténor Simoni, qui suit la
méthode de Marchesini, s'est tiré à merveille d'une scène, de
Ferrari, un compositeur que Reichardt ne connaît pas. A défaut
de Viotti, Kreutzer, dont les, mélodies sont universellement
applaudies, a brillamment enlevé un concerto pour violon.
Punto, le célèbre cor, s'est fait acclamer par l'auditoire, mais
Reichardt n'apprécie pas la bizarrerie d'une exécution éprise
uniquement des difficultés. Il n'éprouve pas non plus un enthou-
siasme excessif pour le flûtiste Hugot; ce n'est pas que l'artiste
soit sans valeur, mais notre compositeur allemand avoue naïve-
ment que la flûte ne l'intéresse pas : « Cette musique, dit-il,
m'eiileure la peau ». Par contre, son admiration ne connaît plus
de bornes à l'audition du Démophon de Vogel et de l'Iphigénie en
Aulide de Gluck. Jamais, en son pays,.on n'a su atteindre à cette
perfection. D'ailleurs, les Français n'ont pas la patience des
Allemands: ils n'attendent jamais la fin du morceau pourapplau-
dir. Un voisin de Reichardt, qui est en même temps son compa-
triote, profite de cet échange d'observations pour esthétiser sur
l'intelligence musicale des deux nations, et pour définir le
contraste de la manière allemande avec la manière italienne. La.
conclusion de cette dissertation presque philosophique, c'est que
les Allemands ne savent pas, comme les Italiens, tirer parti de
la voix humaine (et Mozart que vous oubliez, ô Reichardt !),
mais qu'aussi, pour être faciles et agréables, les mélodies ita-
liennes n'ont « aucun caractère ». Ah ! le bon billet qu'a la sym-
phonie allemande I
Karamsine n'avait pas fait passer ses sensations par le crible
d'une métaphysique aussi transcendantale lorsque, dans l'hiver
de 1790, il avait entendu un des concerts spirituels de l'Opéra.
Après le Stabat d'Haydn et le Miserere de Hummel, son enthou-
siasme s'était traduit par cette explosion d'allégresse qui porte
bien le caractère du temps : « Ma poitrine était arrosée de
larmes brûlantes; je ne les essuyai point, car je ne les sentais
pas». Et, dernier hommage au plus entraînant des arts, hommage
profondément sincère, en dépit de la phraséologie dont il s'en-
veloppe, Karamsine termine sur cette prosopopée :
m Musique céleste, quand je jouis de toi, mon àme s'élève et
je n'envie pas les anges I Qui me démontrera que mon âme,
accessible à des joies aussi saintes, aussi pures, aussi éthérées,
n'a pas en elle quelque chose de divin, d'incorporel? Ces tendres
sons, soufflant comme le zéphyr sur mon cœur, peuvent-ils être
l'aliment d'un être mortel, grossier ?
» Rien, toutefois, dans ce concert, ne m'a ému aussi fortement
qu'un duo de Laïs et de Rousseau. Ils chantaient, l'orchestre
faisait silence, les auditeurs respiraient à peine ; c'était incompa-
rable. »
Des entreprises de moins haut vol sollicitaient encore la curio-
sité des Parisiens et des visiteurs étrangers. Le XVIII" siècle (et
ce sujet a été maintes fois traité) avait ses cafés-concerts. Le
Palais-Royal, les boulevards, les foires Saint-Germain et Saint-
Laurent voyaient surgir chaque jour d'éphémères établissements,
où la limonade et les refrains de vaudeville faisaient également
les délices des consommateurs.
M. et M""" Cradock, qui devaient entendre, au Concert spirituel
du 15 août 1784, le jeune violoniste Alexandre Boucher et la
vieille cantatrice M°" Mara, nous donnent ce croquis de leur
promenade du 29 juillet à la foire Saint-Laurent:
« Au café. Sur une immense estrade, trente musiciens tour à
tour chantaient ou faisaient entendre leurs instruments. Nous
reconnûmes les deux jeunes filles qui avaient déjà joué du cor
français et à qui nous avions fait une légère offrande. De leur
côté elles nous remarquèrent, et à notre intention on entonna'
le God save the King au grand amusement des auditeurs, qui joi-
gnirent leurs applaudissements aux nôtres. »
Aujourd'hui ce serait l'Hymne russe.
Kotzebue, en 1790, passa une de ses soirées au Cirque National,.
immense construction,, en partie souterraine, qu'une Société
venait d'édifier dans le jardin du Palais-Royal comme salle de
spectacle, de concert, de bal et de conférences. « Jamais, dit le
voyageur allemand, je n'ai vu de plus grande salle. Elle mesure
cent cinquante pieds de long et s'éclaire par une immense cour-
pole vitrée. Elle est garnie de gradins en amphithéâtre et com-
prend, à titres d'annexesj, des boutiques,, des jeux de billard et
un temple indien où l'oni sert des rafraîchissements. La salle:
peut contenir environ quatre mille personnes. »
Ce jour-là Kotzebue n'y rencontra, parait-il, 'que des gens ea
costume négligé, gardant tous leur chapeau sur la tête. Il suivit,
leur exemple; mais à peine le concert était-il commencé, qu'un
garde national, s'approchant de l'étranger, l'invita poliment à,
retirer son chapeau. Kotzebue remarque que ses voisins se sont
LE MÉNESTREL
211
découverts. « Et cependant, objecte-t-il, dans celle salle, ce
n'est pas comme au théâtre où les chapeaux sur la tête peuvent
gêner la vue des spectateurs. » Toutefois, il demande au garde
national si cette mesure est à l'adresse de la musique, qu'il faut
saluer. Son interlocuteur ne lui répond pas. Kotzebue trouve
néanmoins sa plaisanterie fort spirituelle, à tel point même qu'il
la renforce de cette observation : « C'est la première fois de la
vie que j'ai salué une symphonie en re majeur ».
L'orchestre était nombreux, mais inférieur aux orchestres
allemands, celui de Mayence entre autres. Kotzebue avait payé
sa place 36 sols et il avait le droit de rester pour le bal; mais,
toujours vertueux et conservant le souvenir de sa femme, qui se
mourait, il préféra rentrer chez lui.
On sait que le Cirque National ne survécut pas à la Révolution.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SCHUMANN RÉVOLUTIONNAIRE
Le monument qu'on vient d'ériger à Robert Schumann, dans la pelite
ville saxonne de Zwicicau qui l'a vu naître, donne un regain d'aclualité
à la personnalité de ce grand artiste dont les œavres se maintiennent
depuis un demi-siècle, et nous a inspiré le désir d'examiner ses auto-
graphes dans la magnifique collection de notre collaborateur et ami
Charles Malherbe. C'est avec un vif intérêt que nous avons revu l'écri-
ture fine et claire de Schumann, si facilement reconnaissable, et que
nous avons pu relire mainte page célèbre sur la feuille même qui servit
à fixer l'inspiration de ce poète musical. Puis un petit cahier de seize
pages attira surtout notre attention. Il porte, de la main môme de Schu-
mann, ce titre, dont nous reproduisons le texte et la disposition :
ZU DEN WAFFEN
von
SCHWARZ-ROTH-GOLD
FREIHEITSSANG
F. Freiligrath J. Furst
FUER IIAENNERCHOR
mit Regleîtung von Harmoniemusik
(ad libitum}
componirt.
Op. 63.
Le nom du compositeur n'est pas indiqué ; on verra que ce n'est pro-
bablement pas un oubli, mais que Schumann a voulu rester couvert
du voile de l'anonymat.
Il s'agit, comme on voit, de trois compositions pour chœurs d'hommes
avec accompagnement d'instruments à vent ad libitum : Aux armes/
Noir-Rouge-Or et Chant de liberté. On ne s'attendait vraiment pas à
rencontrer de pareils titres dans l'œuvre de Schumann, et c'est avec une
certaine méfiance que nous avons feuilleté le cahier; mais à la dernière
page nous avons trouvé la date : 19 avril 1848, qui donne la clé du mys-
tère. La révolution de 1848, qui provoqua en Allemagne un enthou-
siasme dont les générations qui suivirent peuvent à peine se former
une idée, a certainement pu saisir aussi l'esprit de Schumann. D'autre
part, ces compositions sont restées absolument inconnues, et dans l'œu-
vre de Schumann l'Op. 63 est attribué aux chœurs : Ritournelles en forme
de canon, pour plusieurs voix d'hommes, paroles de Fr. Rueckert.
Cependant Wasielewski (1), son biographe amical, auquel presque rien
n'a échappé, raconte que dans la liste des compositions que Schu-
mann a laissée se trouve, pour l'année 1848, un numéro ainsi désigné :
5 Chants de T. UUrich, F. Freiligrath et J. Fûrst pour chœurs d'hommes,
avec accompagnement d'instruments â vent (ad libitum).
Schumann a d'abord mis en musique les vers de J. Fûrst, qui sont,
dans la partition même, intitulés : Chant de la liberté allemande, tandis
que le mot « allemand » est supprimé sur le titre du cahier. A la fin de
la composition l'artiste a mis la date: 3 avril 1848 et ses initiales
R. Sch., qu'on ne retrouve plus sous les deux autres morceaux du
cahier. Les vers de Ptlrst sont vraiment déplorables ; c'était sans doute
un de ces poètes de rencontre qui poussèrent alors en Allemagne pen-
dant la révolution, comme les champignons après une pluie chaude.
Le poème commence et finit par ces mots : « La victoire est à toi, ô
mon peuple de héros! » Ce chœur doit être chanté « avec feu » (feurig)...
et la musique, en effet, correspond tout à fait à cette indication.
(1) Voir la biographie dcSthumannpar W. J. de Wasielewski (Bonn, Emile Strauss, 1880),
3' édition, p. .224.
Tout autre est le deuxième chœur, qui porte la date du 4 avril. Les
paroles de Fredigrath sont d'un véritable poète et rappellent, toutes
proportions gardées, par le choix du sujet, par la langue imagée et par
la brillante allure des vers à rimes étincelantes, les poésies de Victor
Hugo. Freiligrath célèbre les couleurs de cet idéal empire germanique
dont les Allemands rêvaient alors. Cet empire, bien différent de celui
des Bismarck et des Moltke, n'a jamais existé, mais ses couleurs :
noir, rouge, or, sont restées chères aux survivants de 1848 qui n'ont
pas oublié leurs idées de jeunesse; ceux qu'on nomme en France irré-
vérencieusement les « vieilles barbes » ne peuvent regarder ces couleurs
non officielles sans une douce émotion. Aujourd'hui même on les arbore
encore quelquefois comme symbole du pangermanisme, et tout récem-
ment les étudiants allemands de Prague ont dû être empêchés par la
police de les exhiber à l'occasion de la visite de l'empereur François-
Joseph. Le poète explique ainsi ces couleurs : « Noire est la poudre,
rouge est le sang, comme l'or brille la flamme » ; ces vers servent de
refrain à la composition pathétique de Schumann, la plus réussie de
ces trois pièces révolutionnaires.
Le dernier chœur : Aux armes! daté du 19 avril 1848 et dont les
paroles sont d'une facture assez médiocre, exprime le désenchantement
du peuple, auquel la révolution n'a pas donné ce qu'elle avait semblé
promettre. Il finit par un appel aux armes que le rythme de la musique
accentue â souhait.
On se demande par quelles circonstances Schumann a été amené à
mettre en musique ces trois poésies, si disparates en dehors de leur com-
mune tendance révolutionnaire. Or, nous savons que, tout en travaillant
à Dresde à son opéra de Geneviève, commencé en 1847, Schumann avait
pri s la direction de l'orphéon Liedertafel que Ferdinand Hiller avait aban-
donnée pour aller se fixer à Dusseldorf . En même temps Schumann avait
fondé â Dresde une nouvelle société chorale : Chorverein. A ce sujet il
écrivait à Hiller, le 1" janvier 1848 :
La société chorale (Chorverein) entrera dans la vie seulement le 5, pour la première
fois. Jusqu'à présent nous avons 117 membres, c'est-à-dire 57 qui chantent; les autres
payent. Tout cela m'a beaucoup occupé. Avec le travail augmente tout de même ma con-
fiance en mes forces; je vois cela très clairement. Et si je ne peux encore me maintenir
tout à fait en bonne santé, je ne vais pourtant pas si mal que l'hypocondrie me le fait
croire quelquefois.
La direction de cette société chorale, à laquelle Schumann resta fidèle
jusqu'à son départ de Dresde, dans l'été de 1830, lui donnait beaucoup
de satisfaction. Le 10 avrd 1849, il écrivait (1) de nouveau à Hiller :
Ma société chorale (60 à 70 membres) me cause une grande joie ; selon mon bon plaisir
je peux y faire toute sorte de musique, celle que j'aime. Par contre, j'ai abandonné
l'orphéon (Maennergesangverein) : j'y ai trouvé trop peu d'efforts réellement artistiques
et je sentais que ce n'était pas mon affaire....
C'est sa chère société chorale qui a certainement déterminé Schumann à
écrire en 1849 un assez grand nombre de compositions chorales, entre
autres les Chants d'amour allemands (Deutsches Minnespiel, paroles de
F. Rueckert (huit numéros, op. 101) et te Cinq Chansons decha.ue pourvois
d'hommes avec accompagnement dequatre cors (op. 137). Quant aux trois
chants révolutionnaires, ils étaient probablement destinés à l'orphéon que
Schumann dirigeait encore en avril 1848 ; on comprend facilement que
les hommes qui le formaient et au.xquels Schumann reproche leur
manque d'efforts artisticpies avaient dii faire, au printemps de cette
môme année, des efforts politiques que leur chef musical encouragea â
sa manière.
Schumann était cependant loin de posséder un tempérament de poli-
tique ; il n'était nullement combatif, pas même homme d'action, et son
biographe a pu dire avec raison : « Il appartenait, au point de vue politique
comme au point de vue reUgieux, au parti libéral. Dans son intérieur,
il s'intéressait beaucoup aux événements, mais dans ses rapports avec
le monde il évitait d'exprimer ouvertement son opinion et n'était pas
disposé à prendre part personnellement à une action politique quelcon-
que. Schumann était donc intérieurement libéral, mais extérieurement
tout à fait conservateur. Il ne faut pas se le figurer dans une réunion
populaire, mais bien devant son bureau, tenant la plume de laquelle
émanèrent à cette occasion les marches op. 76, dont la naissance a été
marquée par Schumann sur le titre qui porte la date 1849 ». Si Wasie-
lewski avait eu entre les mains le manuscrit de la collection Malherbe,
il aurait sans doute également cité les trois chants révolutionnaires, qui
sont autrement significatifs que les marches.
Dans ces conditions on ne doit pas s'étonner que l'insurrection de
Dresde en mai 1849, cette fameuse insurrection que le long exil de
Richard Wagner, chef d'orchestre du roi de Saxe, a rendue célèbre,
chassât aussi Scliumann de la capitale saxonne. Il se réfugia à Kreischa,
village des environs de Dresde, et y travailla avec acharnement pour
(I) Voir la biographie déjà citée, pages 404 et 414.
212
.!•: mêm;stiU':l
oublier tout ce qui se passait autour de lui. C'est dans cet ordre d'idées
qu'il écrivit à Hiller, en parlant des années ISiS et 1849 : « J'ai énor-
» jnément travaillé pendant tout ce temps : ce fut une période féconde.
» Comme si les tempêtes extérieures forçaient l'homme à rentrer eu lui-
» même, je ii'ai trouvé que dans le travail un refuge contre tous 1rs
» événements terribles qui arrivaient au dehors ».
Les trois chœurs non publiés que nous connaissons aujourd'hui
par l'autographe de la collection Malherbe sont sans doute la seule
offrande de Schumann à la révolution. Il est presque certain que ces
compositions n'ont jamais été exécutées en public ; autrement, les jour-
naux de l'époque n'auraient pas manqué d'en parler, car ils ont eu à
enregistrer des incidents bien moins inipoitanls pour l'histoire de l'in-
surrection de Dresde. On aurait retrouvé aussi depuis longtemps quel-
ques parties copiées, car chacun des membres nombreux de l'orphéon
aurait du eu être muni et il n'est pas probable que toutes ces copies
eussent disparu entièrement.
A ce sujet, nous ne pouvons cependant passer sous silence un détail
assez intéressant. Dans deux des chœurs dont il s'agit les paroles et le
chant sont écrits par un copiste ; Schumann n'a ajouté de sa main à la
partition que la partie orchestrale ; un chœur seul est écrit entièrement
par le compositeur. Cela semble indiquer que Schumann avait d'abord
écrit le chant de ces trois chœurs et que, l'idée lui étant venue après
coup d'y ajouter une partie orchestrale ad libitum, il chargea alors un
copiste de transcrire le chant dans la partition pour ne pas y perdre son
temps.
L'autographe primitif des deux chœurs en question exisle-t-il encore?
Il n'est pas tout à fait impossible qu'on le troitve un jour inopinément
comme tant de trésors de la collection Malherbe, à laquelle nous devons
en tout cas la bonne fortune d'avoir fait la connaissance d'unSchutcann
chantre de révolution.
0. Beuggruex.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite. j
X
VINUM BOXUM
Les Rois passés, on met une chantepleure au tonneau. Mais il en
découle encore assez de vin pour ne pas faire oublier que Bacchus, mal-
gré la froidure, reste Adèle à sa vaillante Bourgogne. Après souper,
chaque soir, les Barozais s'assemblent dans Yécraigne, hutte faite avec
des perches fichées en rond et recourbées sur le haut, le tout couvert
de gazon et de fumier, pour y veiller jusqu'à minuit, avec femmes et
filles. Et là on boit, en mangeant des châtaignes, après chaque histoire
et chaque couplet. Les vieilles y coûtent des légendes à faire frémir :
Jacquot et Jacquette, Colas Brorià, et tant d'autres, dont les Vivres, qui
sont les fées de Bourgogne, font les frais.
» La "Vivre, nous apprend Xavier Marmier, est un serpent ailé, un
être magique, qui se glisse dans les airs comme une lueur rapide, se
baigne dans les flots comme une autre Mélusine et porte à son front une
escarboucle plus précieuse que tous les diamants de la couronne de
France... Avant de se plonger dans les sources solitaires et les ruisseaux
voilés dont elle aime à fendre l'onde limpide, la Vivre dépose sur le
rivage cette spilendide escarboucle qui est son œil, sa prunelle, sa
lumière. Si, dans le moment où elle s'abandonne ainsi à la volupté de
son repos, quelqu'un pouvait s'emparer de ce diamant inappréciable,
qu'elle a soin de cacher entre les roseaux les plus élevés ou dans le
gazon le plus touffu, ah! celui-là serait assez riche, car ni les mines du
Brésil, ni les montagnes de l'Oural n'ont jamais livre aux regards avides
des hommes un diamant pareil. »
Mais le printemps s'approche : il va falloir piocher dur et se préparer,
par des libations nouvelles, aux rudes épreuves de l'automne. A l'ap-
proche du carnaval on songe à se remettre à la table. Cela commence
par la Marque des pâtés : Le dimanche qui précède le dimanche gras, les
jeunes gens se rendent aux demeures des époux mariés depuis le der-
nier carnaval, des jeunes filles qui ont atteint leur vingtième année et
des personnes qui ont fait construire ou qui ont changé d'habitation
dans le même temps. Ils écrivent sur la porte le mot Pâté et dessinent à
côté une bouteille pour indiquer que celui-ci doit être arrosé. Huit jours
après le cortège revient lever les pâtés, escorté d'une voiture ornée de
feuillage, dans laquelle trône un Bacchus sur un tonneau. Devant le
dieu la bonde est ouverte, et chacun y vient verser son offrande. C'est
un coupage dont Bercy lui-même n'a pas idée; mais c'est sublime,
parait-il, et cela dure jusqu'au 3 mai, jour de Ylurention de la sainte
Cro-x, où les vignerons renouvellent leur provision, par le même pro-
cédé, en revenant faire bénir de petites croix en noisetier ou en aubé-
pine, qu'ils distilbuent pour être plantées dans les champs ou dans les
vignes. Dans la suite, tout moissonneur ou vendangeur qui rencontrera
dans sou sillon une de ces croix devra payer un litre. Aussi ses voisins
l'entourent-ils avec respect ; ils se découvrent, s'agenouillent et chantent
VO crux, are.
Puis c'est la Saint-Jean, fêtée par toute la province avec un entrain
tout bourguignon. A Auxerre principalement, cette solennité prend la
proportion d'un délire public. C'est que les Auxerrois ne badinent pas
avec leur vin. Dés le XII' siècle on les appelait i; buveor d' Auxerre, et
depuis ils sont toujours restés, suivant le dicton de chez eux, ...enfants
du vin, âpres de la gueule, et légers de la main. Ils sont fiers de leurs bons
crus de Chaînette et de Migraine et chantent :
De tous les vins de la Bourgogne,
Vive le bon vin d'Auxerro's!
Qui le méprise est un yvrogne,
C'est le breuvage de nos Roys.
Donc, à la Saint-Jean, tout Auxerre est en liesse. La veille, les gens
vont chez les vignerons s'approvisionner de javelles, de sarments et de
souches de vigne, qu'on brûlera au rond-point de la porte de Paris en
dansant des rondes autour du pétillant brasier qui en résulte. Quelques
jours plus tard, c'est le feu de saint- Pierre qui flambera non moins
joyeusement que le premier au delà du faubourg Saint-Martin, sur la
route de Coulanges. 11 s'agit ce jour-là de se faire bien venir du portier
du paradis. On se figure les libations organisées en son honneur à ce
sujet. Entre temps, c'est-à-dire entre les deux fêtes, les vignerons des
deux quartiers s'unissent pour exécuter une sorte de farandole par la
ville. A certains moments, la queue du cortège se porte en courant
vers la tête pour donner raison au dire de saint Pierre : » Voilà la parole
du maître accomplie sur terre : les premiers seront les derniers, les
derniers seront les premiers. » Tout cela sur l'air : Au bois, au bois, mes-
dames, oh! le joli bois!
Mais qu'est-ce que ces réjouissances à côté de celles qui accompa-
gnent ce que nous appellerons les Fêtes de Raisin. A la Saint-Vincent, les
vignerons s'assemblent dès le matin et conduisent en grande pompe,
chez celui qui doit la conserver durant l'année, une statuette du saint
enchâssée dans une tourelle à jour garnie de rubans et de pampres. C'est
le mirlousé, auquel de grandes vertus sont attachées. Arrivés à desti-
nation, tous les membres du cortège s'agenouillent et entonnent cette
complaiate :
Et \ùUi, messieurs les vignerons, Et vous, lemra's qu'a d'mauviiis maris,
Faites rémoudre vos sarpions. Il ne faut pas vous réjouir
Vous taillerez les lignes; Dans une bonne année;
Nous mangerons de bons cliassouas Car vous aurez le dos talé
A la sauce au verjuré. Et la têle cassée.
Et vous, messieurs les tonneliers. Saint Vincent, notre bon patron,
Faites remoudre vos dalloirs; Mouille, mouille, mouille,
Vous cognerez les tonnes. Mouille-nous les dents.
Le reste de la journée se passe en bombances. Il en est de même à la
Saint-Martin et pendant la récolte, qui n'est qu'une longue suite do
beuveries. Huit jours avant le ban des vendanges, on fait la cueillette
pendant un jour : c'est le tavillon, le vin pour les vendangeurs. Ils y
feront honneur, n'en doutez pas, car après une journée de travail à la
grappe ou au pressoir la soif est intense. Puis, aussitôt le moment venu,
et tandis que dans les villes les petites marchandes modulent sur une
voix de fausset : Raisin, raisin à bon marché; les quatre cents pour un
denier, les vendangeurs et les vendangeuses ayant revêtu la gipe, sorte
de souquenille en grosse toile, entonnent à plein gosier leur hymne
professionnel :
Allons en vendange pour gagner cinq sous,
Coucher sur la paille, ramasser des poux.
On se barbouille ensuite mutuellement le visage avec du gros raisin
de teinture, dit teinturier. C'est le genre, et cela s'appelle se faire le nez
de vendange. Et alors commence la besogne, rondement et gaiement
menée. A la première cuvée, monsieur YÉchcvin, ainsi nommé « pour
ce qu'il doit tâter le vin, pour commencement de bonne police, afin
qu'on n'en vende de mauvais », hume et déguste en gourmet de profes-
sion le jus nouveau qui, selon ses paroles, « coule au même moment,
par toute la Bourgogne, en cascades torrentielles, sous d'innombrables
pressoirs ». Après, il vide d'aflilée quelques verres de vin, et les autres
l'imitent, saul les pressureurs qui ont, dans la journée, contrevenu, par
ignorance ou négligence, au code d'usages réglant la matière, et sont,
LE MÉNESTREL
213
de ce fait, condamnés, avant qu'il leur soit servi du vin, à absorner une
quantité d'eau proportionnée à la gravité de la faute commise.
Le vin est-il bon, c'est du Creux d'enfer. Est-il mauvais, c'est du
Paradis. — Le crô d'aiifan vau meû que le Pairaidi, dit un proverbe ori-
ginaire du vignoble de Dijon, un endroit nommé Paradis produisant de
méchant vin, tandis qu'un autre, appelé le Creux d'enfer, en livre d'ex-
cellent. — Et le pressoir de presser, de presser sans cesse jusqu'au
moment où il livre le dernier marc. C'est alors un redoublement de
réjouissances et de bombances. Pendant le repas qui clôt cette mémo-
rable journée, les hommes, débarrassés de leur gipe, et les femmes,
apparaissant avec leur goudôt, jupe plissée, faite de bandes de velours
de diverses couleurs, chantent à pleine voix en frappant à tour de bras
sur la table avec les chevilles de la roue. Puis, celui qui alvoi la plus
belle lûquaiice, qui s'e.xprime avec le plus de grâce, harangue solennelle-
ment le maître du pressoir. Celui-ci est ensuite promené triomphalement
dans une tinne, que des hommes portent sur leurs épaules. Des violoneux
marchent en tète, et le peuple chante l'hymne héroïque des Lanturlus.
— Laniurlu-lanlure était le refrain d'un fameux vaudeville de 16i9. L'air
en est brusque et baroque. 11 plut aux vignerons, qui, dans un mouve-
ment séditieux provoqué par eux à Dijon l'année suivante, le prirent
comme cri de guerre. Scandé par les tambours, il fit merveille; plusieurs
maisons furent pillées à ses mâles accents; maintenant, il ne sert plus
qu'à célébrer la gloire des pacifiques Barozais de la bonne terre bour-
guignonne.
Au retour a encore lieu, dans quelques endroits, la cérémonie de
la Croix- Pucelle. Les jeunes gens, montés à un diapason que n'eussent
pas désavoué les comp;!gnons de Silène, s'emparent d'une jeune fille,
retendent â terre et, de gré ou de force, lui font avec une pierre angu-
leuse, le dos d'un couteau, ou même leurs ongles, une croix sur le front.
Le sang coule vermeil et d'heureux augure pour la vendange pro-
chaine.
Il n'y a que le vin de Bourgogne pour donner de ces idées rouges.
(A suivre.) Edmond NeukoiMM.
PENSÉES ET APHORISMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Ti^aclait du russe par Michel Delines.)
Le plus grand malheur qui puisse arriver â un artiste est de se sur-
vivre â lui-môme. Et combien cette infortune est fréquente!
Il n'y a que les caractères vraiment forts qui puissent vivre dans la
solitude : il est en effet plus facile de supporter les autres que soi-même
à la longue, — peut-être parce qu'on ne passe avec les autres qu'une
partie de son temps, tandis qu'on doit se subir soi-même toute la vie.
L'Église est la puissance la plus forte qui existe sur terre, car sa force
est fondée sur la faiblesse des hommes.
Contre l'Église toute lutte est inutile. Elle ne craint que l'action de
l'intelligence, mais elle en triomphe facilement en lui opposant toujours
son mystérieux cri de guerre : l'au-delà !
Pour les juifs je suis chrétien, pour les chrétiens je suis juif; russe
pour les allemands, allemand pour les russes; classique pour les
avancés, musicien de l'avenir pour les rétrogrades. Donc je ne suis ni
chair ni poisson, — rien qu'un piteux individu !
Le fait que le Christ n'a pas aboli l'esclavage, mais qu'il a donné
comme consolation aux esclaves la promesse d'une vie future, me
semble le comble de l'opportunisme.
Le marin qui n'est séparé de l'abime que par une planche craint
Dieu ; le mineur enfoui au fond du gouffre le craint aussi ; le paysan de
même est croyant, mais, toujours calculateur, il a comme une velléité
de vouloir compter avec Dieu.
Comme l'homme vit entouré de mystères qu'il ne peut pénétrer, il
devient forcément superstitieux. Même ceux qui voient le plus clair
ramènent toutes choses à la Providence, au Destin, à Dieu, ce qui
n'est autre chose, en somme, que de la superstition.
Je connais des hommes qui, bien que fort distingués en leur profes-
sion, gardent une attitude effacée de subalterne. J'évite volontiers leur
compagnie, car cette attitude me semble tenir beaucoup plus de l'hypo-
crisie que de la sincérité.
J'ai grande compassion des Jeunes filles qui doivent gagner leur vie
on qualité d'institutrice; c'est le gagne-pain le plus rude et le plus
ingrat.
Veulent-elles gagner la sympathie do leurs élèves, elles éveillent la
jalousie des mères; sont-elles belles ou jolies, elles éveillent la jalousie
de la femme ; y a-t-il dans la maison quelque grand jeune homme, elles
éveillent aussitôt les soupçons des parents.
Et lorsque l'institutrice a heureusement contourns tous ces obstacles,
voilà qu'on a assez d'elle et qu'on la congédie. La malheureuse entre
dans une nouvelle famille, où elle doit lutter de nouveau contre les
mêmes obstacles.
Comment l'homme, cliez qui l'estomac joue un rôle si prépondérant,
peut-il être considéré comme un être supérieur? On n'a qu'à le voir se
lever de table après un bon diner.
Manger et digérer sont des fonctions tellement importantes que, lors-
quelles sont normalement remplies, l'homme n'est plus ni révolution-
naire, ni anarchiste, ni athée, ni pessimiste, ni socialiste, il est simple-
ment un être vivant, heureux de vivre !
Les gouvernements ont tort délaisser la question sociale se développer
de bas en haut. Elle est si importante que, dans leur propre intérêt, les
gouvernements, s'ils ne veulent être submergés par le courant, devraient
l'aborder de front pour s'en rendre maîtres.
Personne ne peut dire d'emblée si cette question en soi est bonne ou
mauvaise. En tout cas elle est de caractère volcanique, et son explosion
n'est plus qu'une question d'années.
Certaines nations, pour excuser leurs défauts, disent qu'elles sont « les
plus jeunes » ; mais ne prouvent-elles pas ainsi qu'elles n'ont pas su pro-
fiter de l'expérience des autres, qui devaient leur servir d'exemple ?
(A suivre.)
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La première du Roi d'Ys, à Coveat-GarJen, aura heu la semaine pro-
chaine. Elle est attendue avec une certaine impatience, car on sait que le
théâtre fait de grands préparatifs pour cet ouvrage, surtout au point de vue
de la mise en scène. Le régisseur général a l'intention de montrer au public
la perfection du nouvel outillage de sa scène, et comme le dernier tableau du
Roi d'Ys, avec ses elTets aquatiques, est très propice à des magnificences scé-
niques, ledit régisseur compte surtout sur ce tableau pour briller devant le
public. Les répétitions font espérer que l'interprétation musicale de cette
belle oeuvre sera excellente sous tous les rapports.
— Au Gaiety-Theatre de Londres, première représentation et succès d'une
opérette en trois actes, te Toréador, musique de MM. Ivan Caryll et Lionel
Monckton. Intrigue très compliquée, servant surtout de prétexte à une
exhibition de décors et de costumes espagnols luxueux, illustrant les aven-
tures d'un Anglais qui se travestit en matadore. Il va sans dire qu'un des
tableaux représente une brillante corrida. On reproche à la musique, assez
brillante, de se souvenir un peu trop de Carmen.
— De Londres : « Le dernier concert donné au Gallery-Glub a valu à
M. HoUmann un succès considérable. L3 célèbre violoncelliste s'est t'ait
applaudir, comme auteur et comme exécutant, par un public absolument
enthousiasmé. On lui a bissé sa fameuse Romance. A côté de lui, W^" Élise
Roger a remporté sa bonne part de bravos en chantant d'une voix superbe
plusieurs mélodies. »
— L'Opéra royal de Berlin a fermé ses portes le 1" de ce mois, et ne les
rouvrira pas avant le 1'^'' septembre; le nouvel Opéra royal à l'ancien établis-
sement KroU donnera, en attendant, des représentations lyriques.
— Le Conservatoire royal de Berlin a exécuté avec succès un oratorio inti-
tulé la Fête de la MoiSSo;î,Jqui est la dernière œuvre importante du défunt
compositeur Henri de Herzogenberg.
— Une espèce particulière de cafés-concerts qui a été créée récemment à
Berlin et dans plusieurs autres grandes villes allemandes sous le nom
d'UeberbreUl (tréteau supérieur), a rapidement gagné la faveur du public, et
tout le monde veut se lancer daus des entreprises de ce genre. La semaine
passée le préfet de police de Beriin a reçu 42 demandes de concessions pour
des établissements de cette sorte, et plusieurs petits théâtres annoncent leur
transformation pour la saison prochaine.
214
LE MENESTREL
— On travaille ferme à l'Opt^ra royal de Dresde. Pour la saison prochaine,
ce théâtre, supérieurement dirigé, annonce quatre nouveautés : Cœur de jeuiK
fille, de Buongiorno, le Feu, de Richard Strauss, Ruebe:ahl, pièce lyrique d'a-
près une -vieille légende allemande, de M. Alfred Stelzner, et le Juif polonais,
de M. Weis.
— Une statue de Lortzing vient d'être inaugurée à Pyrmont, sa ville natale.
A cette occasion on a joué un opéra totalement oublié de ce compositeur; il
est intitulé Casanova.
— Les bourgeois de laville libre de Hambourg ont accordé une subvention
annuelle de SO.OOO marks, soit 62.500 francs, pour une durée de dix ans, an
théâtre municipal de cette ville.
— La société musicale Maatschappy lot bevordering der Toonkunst, d'Utrecht,
vient de donner un festival sous la direction du vieux chef Richard Hol.
Grand succès pour les Béatitudes de César Franck, dont l'interprétation a été
excellente. Une nouvelle Rapsodie hollandaise, de M. 'Van Anrooy, a également
été applaudie.
— Un journal norvégien raconte que le Musée de Bergen, ville natale du
célèbre violoniste Ole Bull, vient de recevoir de la veuve de cet artiste son
fameux violon. Cet instrument avait été fait en 1532 par Gaspard da Salo,'et
ses riches ornements sont attribués à Benvenuto Gellini. Le cardinal Aldo-
brandini l'avait acheté au prix de 3.000 ducats et donné au Musée d'Innspruck,
d'où il fut enlevé par un de nos soldats lors de l'occupation du Tyrol par
l'armée de Napoléon. Le précieux instrument fut ensuite acheté par un ban-
quier viennois du nom de Rehaczek, qui possédait une collection de deux
cents violons. En 1830 Ole Bull, qui donnait alors des concerts à Vienne,
pria le banquier de lui montrer le célèbre violon et fut tellement enthousiasmé
par sa beauté qu'il offrit en vain, pour l'acheter, une somme véritablement
folle, presque toute sa fortune, à l'heureux collectionneur. Quelques années
plus tard Ole Bull reçut à Leipzig, en présence de Liszt et de Mendelssohn,
une lettre du fils du banquier viennois lui annonçant que son père lui avait
légué le violon. Ole Bull ne s'est plus jamais séparé de cet instrument, qui
est maintenant condamné à la réclusion perpétuelle dans une salle de Musée.
— On annonce de Saint-Pétersbourg que le compositeur russe lanovski
vient de terminer un opéra en trois actes intitulé ll'i;'. Le compositeur en a
écrit lui-même les paroles en se servant d'une nouvelle bien connue de Gogol.
— Rome va décidément célébrer le premier centenaire de la mort de Gima-
rosa. Un comité international s'était formé l'année dernière à cet effet, mais
l'événement tragique de la mort du roi Humbert avait retardé son œuvre,
par ce fait que la reine Marguerite avait accepté la présidence honoraire de
ce comité. Celui-ci a enlîn décidé que la commémoration aurait lieu inces-
samment au Théâtre-National, avec ce programme : Ouverture du Malrimonio
segreto; discours commémoratif de M. Pietro Rosano, président du comité;
exécution de Giannina e Bernardone, opéra bouffe en deux actes du vieux maî-
tre; et, comme intermède, pièce de vers de circonstance de M°" Clelia Ber-
tini-Attilj dite par M™ Virginia Marini.
— On a donné le 2S juin à Rome, sur le théâtre Adriano, la première
représentation d'un opéra sérieux en quatre actes, intitulé Friedmann Bach,
dont le livret, tiré d'un drame du duc de Maddaloni et signé du nom d'Alma
Solinas, qui est le pseudonyme de deux écrivains, MM. Scalinger et Conforti,
a été mis en musique par un jeune pianiste napolitain, M. Luigi Gustave
Fazio, dont c'est le début au théâtre. C'est une singulière idée d'aller prendre
pour héros d'une action dramatique la figure historique d'un grand artiste et de
la présenter au public d'une façon absolument contraire à la vérité. On sait que
Friedmann Bach, l'aîné des vingt enfants issus des deux mariages du grand
Sébastien, mourut à 14 ans, pauvre et malheureux, en dépit d'un génie que
son fâcheux caractère n'avait pas su imposer à l'admiration qu'il méritait.
Inutile d'ajouter que jamais il n'aborda le théâtre. Or, les auteurs de l'œuvre
nouvelle, qui le représentent jeune et amoureux, le donnent en même temps
comme prêt à faire jouer un opéra. Friedmann aime une jeune fille, Esther,
dont il est aimé et que poursuit un autre soupirant. Celui-ci trouve le moyen,
d'accord avec les exécutants (?), d'altérer la partition du compositeur de façon
à la rendre méconnaissable, si bien que le soir de son apparition, Friedmann
étant présent, elle tombe misérablement. Friedmann devient littéralement fou
de honte et de douleur, et sa raison succombe. Mais la jeune Esther, qui lui
est toujours fidèle, trouve, de son coté, le moyen de rétablir la partition (??)
et de faire représenter l'ouvrage à Berlin, où il obtient un succès éclatant,
toujours en présence de Friedmann. L'émotion, la joie, le désir de la gloire
agissent sur l'âme de l'artiste et le rendent un instant à lui-même, mais
cette émotion est telle qu'elle le tue et qu'il tombe en murmurant â celle. qui
a voulu le sauver une dernière parole d'amour. A quoi bon, nous le répétons,
prendre une figure historique et le nom d'un grand artiste pour travestir ainsi
la vérité, sans aucun profit pour une action dramatique qui n'a nul besoin de
cet élément? Néanmoins l'ouvrage a, paraît- il, obtenu un vrai succès, grâce
surtout à la musique, qu'on dit remarquable surtout pour un début, et grâce
aussi à une excellente interprétation, confiée à M™« Inès De Frate et Torretta,
au ténor Malesci, au baryton Arcangeli et à la basse Sabellino.
— Les exercices coutinuent.au Conservatoire de i\Iilan, au grand profit des
élèves des classes de composition. Aux deux derniers on a entendu un con-
certo de piano en ré mineur avec orchestre, exécuté par l'auteur, M. Umberto
Moroni, un Adagio et Scherzo de M. Luigi Galassi, un quatuoren ut mineur
pour instruments à cordes de M. Adolfo Bossi, et une légende suisse pour
soli, chœur et orchestre, (7 Calvario, écrit par M. Edoardo Belliui sur des
paroles de M. F. Fontana. L'orchestre était dirigé par l'élève TuUio Seraûn.
— S'il faut en croire le correspondant romain de la Pall Mail Gazette,
MM. Mascagni, Puccini et Leoncavallo auraient résolu de se mettre en grève,
c'est-à-dire de ne plus donner désormais aucun opéra nouveau à Milan,
n'étant plus certains de pouvoir trouver un auditoire équitable, tellement
sont nombreux « les courants et les sous-courants qui cherchent à faire
crouler les mérites de la bonne musique ». Ledit correspondant assure tenir
cet intéressant renseignement de la bouche de M. Leoncavallo en personne.
— En conformité des dispositions d'un legs dont il est bénéficiaire, legs
Bonerba, le Conservatoire de musique de Palerme ouvTe un concours pour la
composition d'un oratorio pour soli, chœurs et orchestre, avec un prix de
1.000 francs pour l'œuvre couronnée. Ce concours, d'après le programme,
semble réservé à tous les compositeurs qui ont reçu leur éducation au Con-
servatoire à titre gratuit. Il sera clos le 31 mai 1902.
— Deux nouvelles zarzuelas à Madrid. Au Théâtre-Moderne la Tremenda,
paroles de M. Jackson, musique de MM. Quinito et Barrera. Et sur une autre
scène Correo interior, revue musicale en trois tableaux, paroles de MM. Per-
rin et Palacios, musique de MM. Gereceda et Jimenez.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici les dates officielles des concours publics au Conservatoire :
Hardi 16 juillet, à neuf heures : Conlrebasse, alto, violoncelle.
Mercredi 17 juillet, à une heure : Chant (hommes).
Jeudi 18 juillet, à une heure : Chant (femmes).
Vendredi 19 juillet, à midi : Harpe, piano (honynes).
Samedi 20 juillet, à midi: 'Violon.
Lundi 22 juillet, à une heure : Opéra-comique,
Mardi 23 juillet, à midi : Piano (femmes).
Mercredi 24 juillet, à neuf heures : Tragédie, comédie.
Jeudi 25 juillet, à une heure : Opéra.
Vendredi 26 juillet, à midi : Instruments à vent (bois).
Samedi 27 Juillet, à midi ': Instruments à vent (cuivre).
— Les concours à huis clos ont continué cette semaine au Conservatoire.
Voici les résultats du concours de solfège des instrumentistes, pour lequel
le jury était composé de MM. Théodore Dubois, président directeur, La-
vignac. Ed. Mangin, de Martini, Vernaelde, Léon Gastinel, Ad. Deslandres,
Ganoby et Braud:
MM. Moral, élève de M. Bondon ; Schwaab (Schwartz) ; Bauduin
(Kaiser) ; Théroïne (Cuignache) ; Guyon (Rougnon) ; Saury (Cuignache) ; Verd (Rougnon).
g" médailles. — MM. Lestringant (Schwartz) : Bloch (Kaiser) ; Gallon (Rougnon); Dusau-
soy (Kaiser); Laporte (Rougnon).
3" médailles.— MU. Vizentini (Schwartz) ; Grandjany (Rougnon) ;Bellicord (Cuignache);
Toulmouche (Rougnon) ; Besnard (Schwartz),
■/"■ médailles. — M"" Langée, élève de M"' Marcou ; Vargnes (M"° Roy) ; Abadie
(M"" Marcou) ; Bréau-Bussière (M"" Roy) ; Lamy Antoinette (M"" Meyer) ; Riehet |M'»° Mar-
cou); Sabatier (M"" Roy); Seillier (M"' Lhéle); Meuret (M"" Seveno du Minil); Fourgeaud
(M"" Lhote); Merlon (M"" Marcou); Réol (M"' Lhôte); Cleret (JI»' Seveno du Jlinil).
^' médailles. — W" Merlin (M"" Seveno du Minil); Noedts (M"" Renard); Arabrosetti
Juliette (M"" Meyer); Soudant (M"° Renart) ; Gommas (M"° Boy) ; Popik (M»" Meyer);
Motlu (M"' Marcou); Dubettier-Plat (M"' Meyer); Geoffroy (M"» Marcou); Julien
(M"' Renart); Legros (Î\I"" Renart).
S=' médaiiles. — M"*' Bligne (M°° Hardouin); Lapie (M°« Renart); Vendeur (M"" Mar-
cou) ; Schwizguebel (M"' Meyer) ; Renault (M"* Meyer) ; Baudot (M"' Roy) ; Morhange
(M"" Roy) ; Coctteux (M""' Meyer) ; Groos (M"" Roy) ; Angel (M"'^ Marcou) ; Manger
(M»' Lhôte) ; Delhorme (M"" Hardouin) ; Astruc (M"' Lhôte) ; Bouché (M"" Roy) ; Mondou
(M"» Seveno du Minil); Smemotf (M"' Marcou); Wollï (M"° Marcou); Gonet (M"" Roy).
Concours d'harmonie (hommes). Jury : MM. Théodore T)ubois, président,
Ch. Lenepveu, Ch. Lefebvre, Marty, Schwartz, Hillemacber, Pierné,"Wormser
et Dalher :
/" prix. — M. Jourdain, élève de M, Taudou; M. Dumas, élève de M. Leroux.
3' prix. — M. Casella, élève de "M. Leroux.
i'" accessits. — M. Kousseau, élève de M. Lavignac; M. Maillcux, élève de M. Leroux.
3" accessits — M. Joseph Boulnois, élève de M. Taudou; M. Adalbert Mercier, élève
de M. Leroux; M. Lély, élève de M. Taudou.
Concours d'accompagnement au piano (M. Vidal, professeur). Jury ;
MM. Théodore Dubois, président, Ch. Lefebvre, Albert Lavignac, Samuel
Rousseau, Marty, HîUemacher, Pierné, Fr. Thomé et André Wormser :
joTi .prix. — MM. Caplet et Chadeigne.
2" prix. — M. Estyle.
1" accessit. — M. Wagner.
Pas de 2° accessit.
FEMMES
/"' prix. — M"" Toutain.
i- prix. — M"- Chéné.
Pas de 1" ni de 2- accessit.
Concours d'orgue. (Professeur, M. Guilmant.) Jury, M. Th. Dubois, prési-
LE MENESTREL
215
dent; MM. Fauré, Samuel Rousseau, Pugno. Pieraé, Gigout, Deslaades,
Dallicr, Alexandre Georges, membres.
i" prix. — M. Andlauer et M"" Juliette Toutaiu.
S' pi-ùc. — M. FourdraiD.
^T accessit. — M. Aviné.
— Extrait du Journal officiel :
« Le président de la république française,
» Sur le rapport du ministre de l'instruction publique et des beaus-arts,
» Vu le décret du 17 février 1900, perlant création d'une caisse de pensions viagères et
de secours au théâtre national de l'Opéra ;
» Décrète :
» Article premier. — Les tributaires de la caisse de pensions viagères et de secours
inscrits avant le l" octobre 1901 pourront, au moment de leur inscription, demander à
faire compter, mais uniquement pour compléter la durée de dix ans sans interruption
prévue à l'article 6 du décret du 17 février 1900, tout ou partie du temps déjà passé par
eux à l'Opéra. Ce temps sera compté à la condition qu'ils verseront à leur livret indivi-
duel, avant le 31 décembre 1906, les retenues correspondant à la durée de service qu'ils
auront demandé à racheter.
B Art. 2. — Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts est chargé de l'exé-
cution du présent décret. »
— Hier samedi a été donnée à l'Opéra-Gomique la première représenta-
tion du Légataire universel, l'opéra-comique de M. Pfeiffer. Notre collaborateur
Arthur Pougin en rendra compte à nos lecteurs dimanche prochain.
— Au même théâtre, M.'^^ de Nuoviua vient de faire une très brillante
rentrée dans Cavalleria rusticana et s'apprête à chanter la Navarraise.
— Nous relevons dans V Annuaire de la Société des auteurs et compositeurs
dramatiques pour l'exercice 1900-1901 l'état officiel des recettes brutes réalisées
par les théâtres durant la période administrative qui va du 1" mars au
28 février. Nous plaçons, en regard, le bilan de l'exercice précédent ;
Opéra
Comédie-Française ,
Opéra-Comique. . .
Odéon
Sarab-Bernhardt . .
Vaudeville
Variétés
Gymnase
Palais-Royal ....
Nouveautés . . , .
Porte-Saiut-Martin .
Gaité
Ambigu
Châtelet
Renaissance . . . .
Bouffes
Folies-Dramatiques .
Cluny
République . . . .
Athénée
Déjazet
Antoine
Bouffes-du-Nord . .
Folies-Marigny . . .
Olympia
Casino de Paris. . .
Folies-Bergère . . .
873.916
.881.240
.979.681
692.595
729.795
.007.947
.406.495
453.706
656.902
.190.084
901.817
702.021
468.970
.214.793
475.848
380.741
120.836
283.287
292.701
210.227
171.985
492.059
168.112
386.994
891.978
652.329
.178.374
4.090.014
1.992.810
2.440.768
710.991
2.498.954
1.579.489
1.407.543
614.610
853.423
1.043.211
1.275.381
946.274
532.565
2.230.012
396.261
202.545
203.571
290.773
331.727
471.341
207.954
764.14'.
202.489
748.691
1.960.575
991.735
1.944.601
-f 1.216.098
-t- 108.570
-f 46'. 085
+ 18.396
-I- 1.769.159
-I- 571.542
+ 1.048
-f- 160.924
+ 196.521
— 146.873
+ 3 3.564
+ 244.253
-I- 63.595
-I- 1.015.219
— 79.587
— 178.196
-t- 82.735
-I- 7.486
4- 39.026
+ 261.114
+ 35.969
-t- 272.085
+ 34.377
+ 361.697
+ 1.068.597
+ 339.406
4- 766.227
Il est bon de rappeler que l'exercice 1900-1901 comprend la saison d'expo-
sition universelle.
— Nous devions avoir la suite de l'Opéra-Populaire au.Chàteau-d'Eau. sous
la direction nouvelle de M. Romain. Mais voici que ce dernier, pris de
crainte sans doute au dernier moment, passe la main à M. Victor Sylvestre,
l'audacieux directeur bien connu, qui, lui, se proposerait de jouer l'opérette
à grand spectacle — simple concurrence au théâtre de la Gaité.
— De l'Annuaire de la Société d'Encouragement au bien nous détachons avec
plaisir la note suivante, qui concerne ime des. plus sympathiques artistes de
l'Opéra :
SEINE
Médaille d'or spéciale offerte par M. Stéphen Liégeard, président de la Société. .
W' Grandjean (Louise), de l'Académie nationale de musique.
Nous avons couronné successivement, aux années précédentes, deux aimables sociétaires
de la Comédie-Française, M"" Renée du Minil et Adeline Dudlay, pour un désintéresse-
ment qui, chez elles, n'a d'égal que lo talent. Les Muses passant pour sœurs, la .Musique,
à son tour, ne pouvait qu'être bienvenue à revendiquer ses titres sous ce rapport. Aussi
faisons-nous acte de justice en lui décernant une médaille spéciale dans la personue d'une,
de nos artistes les plus goûtées du pubbc parisien.
Comme ses camarades de la Maison de Molière, M"" Louise Grandjean, du temple de
Charles Garnier, prête gracieusement le concours d'un talent hors de pair à toutes les
œuvres de bienfaisance qui la sollicitent, et celles-ci peuvent, en vérité, s'appeler
légion.
La médaille d'honneur si méritée que nous remettons aujourd'hui à la grande artiste
lui rappellera peut-être que c'est parmi nous et au profit de nos lauréats que s'essayèrent
ses premières vocabses, avant les succès du Conservatoire, bien avant les triomphes de
l'Opéra ; et sa modestie voudra reconnaître que nous n'avions pas été trop mauvais pro-
phètes en lui prédisant alors un brillant avenir.
Ajoutons qu'à la dernière séance, M'>" .Tjouise Grandjean avait interprété
avec son magistral talent la Charité, de Faure, accompagnée par M. Bernar-
del, pianiste, et M. Denoyer, premier violon à l'Opéra.
— A l'école Beethoven, examens très brillants passés par les élèves se pré-
parant au professorat du piano. Des certificats ont été décernés par un jury
composé de MM. Guilmant (président), Bûsser, Maréchal, Ch. René, Rou-
gnon et Viardot.
— Un troisième concours de composition musicale est ouvert, à dater de
ce jour, par l'Association des Jurés orphéoniques. Il comprend des œuvres
pour sociétés chorales, pour harmonies et pour fanfares. Tous les composi-
teurs français peuvent y prendre part. Le programme contenant les conditions
de ce concours sera adressé à toute personne qui en fera la demande à
M. E. Guilbaut, secrétaire général de l'Association, 47, boulevard Magenta,
Paris.
— Une fête populaire dans laquelle la musique tiendra la large place
qu'elle devrait toujours avoir dans ces sortes de manifestations aura lieu le
14 juillet prochain dans le département de l'Ain. Les anciennes provinces
dont se compose aujourd'hui ce département, Bresse, Bugey, etc., auront à
célébrer cette année le 3'= centenaire de leur réunion à la France (traité de
Lyon, 1601). Sur l'initiative de M. Julien Tiersot, il a été décidé qu'à cette
occasion aurait lieu, dans toutes les écoles du département, une cérémonie
commémorative dont le programme sera composé de lectures historiques, de
vers et de chants. On y e.xécutera notamment un Chant du Centenaire, spécia-
lement écrit par M. J. Tiersot, des chants populaires français auxquels
M. Maurice Boucher a adapté des paroles pour les écoles, et VHymne des temps
futurs, que le même poète a écrit sur le chant de ['Ode à la .foie de Beetho-
ven, lequel va devenir ainsi populaire dans les villages les plus reculés du
pays. M. Julien Tiersot dirigera l'exécution d'ensemble à Bourg, où toutes
les ressources musicales de la ville, écoles, sociétés, musique militaire, ont
été mises à sa disposition.
— A Marseille M. Vizentini prépare sa saison au grand théâtre. Artistes
déjà engagés : MM.Scaremberg, Gornubert, Gulk, Caydan, Dufour, Vallier,
Seiuten, M™s Bréjean-Gravière, Tberry, Passama, etc., etc. — Nouveautés
promises : le Crépuscule des Dieux, de Wagner; Sapho, de Massenet ; la Statue,
de Reyer ; Mefistofele, de Boïto et un ouvrage inédit : la Belle au bois dormant,
de Silver.
— Soirées et Cosqerts. — Charmante réunion des élèves de M., M'»' et M"" Weingaert-
ner consacrée, en majeure partie, à l'audition d'œuvres de Massenet. Pianistes; et violo-
nistes se font souvent applaudir au cours de la réunion pendant laquelle les auditeurs
entendent, bien exécutés, des fragments des Erinnnyes, à'Esclarmonde, de la Navarraise,
du Cid, des Scènes alsaciennes, de Werther, de Don César de Bazan, des Scènes pittores-
ques, du Caritlon, de Uarie-Magdeleine et Eau donnante et Eau courante. — A Mantes,
bonne audition des élèves de AI"" Nicolini. Au programme. M"" Capoy et les choeurs, sous
la direction de M. T. Maurizio, qui ont été fort appréciés. — M. et M"» Mârquet, les excel-
lents professeurs de Bourges, viennent de faire entendre leurs élèves de cette ville et
aussi ceux qu'ils ont à Nevers. Succès très vifs pour les maîtres et pour les interprètes,
parmi lesquels il faut citer les choeurs dans les Nymphes des bois, de Delibes, et le Che-
valier Belle Étoile, d'Holmes, le solo chanté par M"" L. puis M"" R. (duo du Roi d'Ys,
Lalo), M'i" R. (En chemin, Holmes), M"" G. du L. (Psyché, A. Thomas), L. (Xaviére,
Dubois), iM. A. (le Roi d'Ys, Lalo), M"" C. (le Poète et le Fantôme, Massenet), M"" B. (Héro-
diade, Massenet), de G. (Hamlet, Thomas), C. du L. (ta Belle du roi, Holmes), M- M.
(Marie-Magdeleine, Massenet), M"" G. (Orphée, Gluck), A. (Élégie, Massenet), G. (duo
de Werther, Massenet), M"' G. (Paul et Virginie, Massé), M"°L. (Mai, Habn) et M"» A. M.
(duo du Roi d'Ys, Lalo). A l'issue de la séance, toutes les élèves ont remis à M'"" Marquet,
qui vient d'être nommée officier d'académie, de jolies palmes en or et brillants. — Très
brillantes, les dernières soirées musicales de M"' C. Baldo. Tout le succès est allé à Esclar-
monde, Hérodiade (Massenet), Sigurd (Reyer), Lakmé (Delibes), ainsi qu'aux principaux
interprètes ; MM. Plamondon et Vidal, M"' Bocquet et M"" Baldo elle-même qui s'est pro-
diguée et dont l'enseignement continue à être si recherché. M"° Jôubert, avec le Prélude
de Massenet pour mandoline, et M. Léon^Bertonr; avec ses monologues, ont été acclamés.
NÉCROLOGIE
Un galant homme et un excellent artiste, le compositeur belge Joseph
Mertens, est mort cette semaine à Bruxelles, , à l'âge, de 67 ans. Né à Anvers
le 17 février 1831, il avait fait partie de l'orchestre du Théâtre royal de cette
ville comme premier violon, puis était devenu professeur au Conservatoire.
Il s'était produit ensuite comme compositeur, et avait fait représenter à Aut
vers plusieurs opéras flamands ou français : De Vrijer in de strop (1866); la
Méprise (1869); l'Egdisa (1873); Thècla (1874); Liederik l'intendant (187S); te Car
pitaine noir (1877); les Trois Étudiants; le Vin, le Jeu et le Tabac: le Capitaine
Robert; les Evincés. Il a fait exécuter enfin un oratorio intitulé V Angélus. Dans
ces dernières années Mertens avait pris la direction du théâtre royal de La
Haye. Il était inspecteur des écoles de musique de Belgique.
— A Altona, près de. Hambourg, est mort, à l'âge de 82 ans, le composi-
teur, pianiste et professeur de musique Cornélius Gurlitt. Il était depuis 1865
organiste de l'éghse protestante d 'Altona, et s'est surtout fait connaître par
ses compositions pour piano.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Très appréciée au théâtre Marigny la brillante marche triomphale composée
par le jeune violoniste virtuose Rupert Hazelton.
216
LE MENESTREL
Pour paraître AU MÉNESTREL, 2*"% rue Vivienne, HEUGEL et C'", éditeurs
LE JOUR CE LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION A L'OPÉRA -COMIQUE, AU COMMENCEMENT DE NOVEMBRE
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AVIS AUX DIRECTEURS. — Les Éditeurs du « Ménestrel » traitent dès à présent de cet important
ouvrage avec les entreprises théâtrales de la province et de l'étranger, — l'orchestration pouvant être
livrée aussitôt après la première représentation à l'Opéra-Comique, au commencement de novembre.
PARIS, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Yivienne, HEUGEL et C", éditeurs-propriétaires pour France et Belgique.
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— DROITS D'EXÉCUTION LIBRES —
(Aucune redevance à payer à la Société des Auteurs.)
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1. Op.
2. Op.
3. Op.
4. Op.
5. Op.
6. Op.
7. Op.
8. Op.
9. Op.
10. Op.
11. Op.
12. Op.
13. Op.
10. Valse des Etincelles 0
12. Charmante Hélène, polka b
15. Au temps joyeux du carnaval, valsa 6
n . Printemps au cœur, valse <i
19. Les Châteaux en Espagne, valse 6
21. La Petite Rosemonde, polka S
23. Les Noctambules, valse 0
26. La Blonde Gretchen, valse 6
27. Mascarade, polka 3
31 . A l'aube, valse G
35. Valse espagnole 6
36. Pyramides de fleurs, valse 6
40. Les Enfants de Hambourg, valse 6
14. Op. 43. Sous sa fenêtre, valse 6
15. Op. 44. La Rose rouge, polka mazurka 5
16. Op. 45. En ton honneur, polka 5
17. Op. 50. Violettes des bois, valse . 6
18. Op. 52. Par la nuit et le brouillard, valse 6
19. Op. 55. Chagrins d'amour, valse 6
20. Op. 60. Clair de lune sur l'Alster, valse 6
21. Op. 63. Les Rêves de Marie, valse 6
22. Op. 67. Valse bachique 6
23. Op. 70. Parmi les roses, valse 6
24. Op. 72. Badinage, polka g
25. Op. 75. Tes yeux bleus comme les cieux, valse 6
26. Op. 80. Idylle sur la plage, valse 6
Les valses N" 4, 13, 17, 20, 23 et 2S, pour Piano 4 mains, cliaque 9 »
Les vakes N"' 13, 17, 20, 23 et 2S pour Violon et Pisno, cliaque 7 50
Les mêmts valses pour Violon seul, cliaque 3 »
Édition pour Cithare des N»' 1, 4, 6, 12, 13, 11, 20 et 23.
Édition slmiiliHée pour piano des principales valses, chaque N" o »
Édition avec chœur des N" S, 12, 19, SO, 23 et 23.
Orchestre : Valse, net 2 francs ; polka ou mazurka, net 1 »
Chaque partie supplémentaire, net » 20
. — (Encre Lofilleuj^
- 67- ANNÉE - N° 28.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2"'°, rue TiTieime, Paris, n-uf)
Dimanche 14 Juillet 1901.
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
Le HaméFo : 0 îf. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
IieKaméïo: Ofp. 30
Adresser fhanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivieiine, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEÏTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (20° article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : premières représentations du Légataire nniuersel et de la Sœur
de Jocrisse^ à rOpéra-Comique, Arthuh Pougin; reprises de la Case de l'oncle Tom, à la
Porte-Saint-Martin, et des Provinciales à Paris, à Cluny, Paul-Émile Chevalier. —
III. Petites notes sans portée : Mozart et Wagner, R.vymond Bouyer. ~ IV. Le Tour de
France en musique : En justes nopces, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ISCHIA
barcaroUe de A. Périlhou, poésie de Lamartine. — Suivra immédiatement :
Mi>s vœux, mélodie de Paul Puget, poésie de Jules Barbier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Landler alsaciens {i'" suite), de Charles Malherbe. — Suivra Immédiatement :
Landler alsaciens (2= suite), de Charles Malherbe.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les lémoires les plus récents et des ilociiiiients Inéflits
(Suite.)
AU DIX-NEUVIEME SIECLE
PREMIÈRE PARTIE
CONSULAT, EMPIRE, RESTAURATION
I
L'art et ses conquêtes. — Le salon de Talleyrand : la lecture de Fernand Cortez. —
Chez Fonchr : aclrices et évègues. -~ Chez Sauary : concerts réglés au chrono-
mètre. — Répertoires et artistes mondains. — Les Bourbons à l'Opéra. —
Metternich mélomane.
Avec le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration,
l'art n'est plus assujetti à une estiiétique spéciale. S'il ne peut
aborder encore tous les sujets qui lui plaisent, ni les traiter dans
la note qui lui convient, il n'est pas tenu du moins de se
restreindre à ceux qui l'écœurent ou qu'il abhorre. Sans doute,
il lui est difficile de se désintéresser absolument de la politique
courante et de négliger l'actualité qui s'impose. Déjà il avait dû
compter avec ces facteurs de la notoriété publique sous l'ancien
régime ; et voici que, sous le nouveau, il voit s'ouvrir devant
lui des horizons jusqu'alors interdits à ses espérances ; il sera
désormais admis, avec ses multiples manifestations et ses nom-
breux interprètes, dans les divers milieux du monde oiïiciel.
Jadis la faveur, la protection, le caprice même décidaient de
son entrée chez les grands ; aujourd'hui, l'art a conquis son
droit de cité dans les sphères les plus hautes et les moins acces-
sibles de la société parisienne.
Cette impression très caractéristique se dégage des Mémoires
du temps : ceux de M"" de Ghastenay, pour ne citer que cet
exemple, suffiront amplement à notre démonstration.
Gomme la plupart des jeunes filles appartenant à l'aristocratie,
M"' de Ghastenay avait reçu une forte éducation musicale. Dès
l'âge le plus tendre, elle avait eu pour professeurs d'éminents
artistes. C'étaient l'organiste Séjan, Rodolphe, à la fois cor et
violon, puis, plus tard, le pianiste-compositeur Pradher. M""' de
Ghastenay fut un petit prodige : elle en convient sans le moindre
embarras. A dix ans elle jouait à ravir un « duo de Bach » .
Séjan, un maître fort patient, mais qui « ne donnait pas » ses
leçons, « lui avait mis les mains sur le piano » . Une virtuose de
■cette envergure ne devait pas ne point composer. Pradher lui
accompagna une petite sonate qu'elle avait écrite et qu'elle
« joua en tremblant », dans un concert donné par elle en plein
Directoire.
Délivrée des afl'res de la Terreur, M""' de Ghastenay, jeune,
très mondaine et quelque peu coquette, fréquentait volontiers
chez les puissants du jour, où l'attrait du plaisir se doublait pour
elle de la satisfaction de ses goûts préférés.
Les soirées de Talleyrand lui laissèrent d'agréables souvenirs.
L'adroit diplomate n'aimait pas les « concerts d'apparat », lui,
cette vivante incarnation de l'étiquette, ce rempart du proto-
cole ! Il préférait « la musique orientale » ; et le compositeur
Dussek, le violoniste Lebon, le harpiste Nadermann étaient
toujours fort bien accueillis du maitre de la maison et de ses
invités.
Chez un autre ministre, Fouché, les artistes étaient également
en faveur, bien que les auditions n'y fussent pas très régulières.
M"' de Ghastenay y rencontra M""" Armand, M"'= Duret et M"''
Saint- Aubin, sa mère: ces actrices, continuant les traditions d'un
autre âge, avaient une tenue irréprochable ; ce jour-là, Fouché
les avait reçues à sa table avec des évèques. Ce fut encore chez
le ministre de la police que M"'= de Ghastenay vit pour la pre-
mière fois la femme de Talleyrand, cette Américaine divorcée
qui était aussi sotte qu'elle était belle ; cette soirée fut consacrée
à la lecture du Fernand Cortez de Spontini : tous les morceaux en
furent répétés sous la direction de l'auteur et de Kreutzer, alors
premier violon de l'Opéra.
Le général Savary, qui succéda par la suite à Fouché et ne le
fit pas oublier, donna, lui aussi, des concerts d'une rare et
savante ordonnance, mais trop officiels pour n'être pas quelque-
fois monotones. Les programmes en étaient peu variés ; et les
218
LE MÉNESTREL
solistes étaient presque toujours les mêmes: d"Alvimare, rem-
placé depuis par Nadermann, et Frédéric, le cor sans rival ; la
« musique d'étiquette » n'était jamais si bien représentée,
paraît-il, que par ces artistes. Ils avaient d'ailleurs un très grand
mérite, celui de jouer des morceaux fort courts. Leurs variations
avaient été calculées montre en main, et de telle sorte que
l'exécution n'en devait pas durer plus de dix minutes. Ainsi
l'avait ordonné Bonaparte, lorsqu'il fut question d'organiser des
concerts à Saint-Cloud et à la Malmaison. Ceux de Savary,
devenu duc de Rovigo, étaient invariablement terminés, même
aux plus beaux jours de l'Empire, par la chanson de Roland,
dont le refrain : « Vive le Roi ! Vive la France 1 » était repris en
chœur par tout Fauditoire.
M""' de Chastenay entendit plusieurs fois le compositeur Catel
et l'ineffable Garât aux réceptions de la comtesse Regnauld de
Saint-Jean d'Angely. Cette dame, une des plus illustres beautés
de la cour impériale, ne dédaignait pas, à l'occasion, de soupirer
quelque romance sentimentale ; et son mari, qui n'était pas
cependant un naïf, en confirmait la bonne nouvelle dans cette
phrase qu'il murmurait mystérieusement à l'oreille de chaque
invité :
— Vous entendrez M""' la comtesse, qui chante toujours par-
faitement bien.
En effet, les grandes dames prenaient volontiers leur part de
ces succès intimes. M"'" de Chastenay, qui en avait savouré
l'ivresse pour son propre compte, célèbre la voix exquise de
M""^ Lacuée, qu'elle a entendue chez le comte Real, accompagnée
sur le piano par Plantade. D'autres chanteurs mondains, M"" de
Nansouty, M. de Flahaut, partageaient avec les professionnels.
Garât et M"° Duchamp, sa future femme, les applaudissements
des salons à la mode. Les exploits des chevaliers de la Table
ronde, les mystères des vieux châteaux, les infortunes des trou-
badours, qui alimentaient la littérature musicale de l'époque,
préparaient l'invasion de ce romantisme de mauvais aloi dont
la friperie a été si pieusement recueillie de l'autre côté du Rhin.
Il n'était pas jusqu'aux princesses du sang qui ne fussent
atteintes de cet esprit de cabotinisme dont les traditions sont
encore aujourd'hui si vivaces. M""' de Chastenay s'en explique
assez amèrement dans le récit d'une soirée où elle ne put donner
la mesure de son talent, malgré le très grand désir qu'elle en
avait. C'était pendant la Restauration, au Palais-Royal, chez le
duc d'Orléans, le futur roi des Français. M'"= Thibault de Mont-
morency s'y fit entendre dans un morceau à quatre mains, avec
son accompagnateur Lebon : encore « joua-t-elle très ordinaii-e-
ment». Ce fut le tour de «Mademoiselle » (Adélaïde), la sœur de
Louis-Phihppe et l'ancienne élève de M"" de Genlis. Elle exécuta,
avec Paër, un duo qui fut, comme on pense bien, frénétique-
ment applaudi. Or, elle avait déjà répété ce duo avec M"" de
Chastenay, « à qui l'on ne fit aucune proposition » ; et ce qui
mit le comble à son dépit, d'ailleurs mal dissimulé dans ses
Mémoires, c'est qu'une grande Allemande, attachée au service de
Mademoiselle, « automate pianiste et fille d'un général autri-
chien », fut invitée à jouer un morceau. La voix superbe et la
diction parfaite de M"" Camporesi, « une excellente chanteuse »,
purent seules consoler M""' de Chastenay d'une disgrâce infligée
beaucoup plus à Fartiste qu'à la femme.
Bien que les manifestations politiques au théâtre, pendant les
premières amiées du XIX" siècle, aient déjà trouvé beaucoup
d'historiens, Fintérêt qu'elles présentent n'en saurait être dimi-
nué par une narration nouvelle, surtout si elle émane d'un
témoin oculaire.
C'est à ce titre que nous rappellerons, d'après les Mémoires de
la duchesse de Beggio (1), la touchante manifestation de l'Opéra en
1814, le soir où Louis XVIII se rendit au théâtre avec sa nièce,
la duchesse d'Angoulème, fille de Louis XVI. La direction faisait
jouer OEdipe à Colone. Toutes les allusions à la famille royale que
purent y relever les spectateurs furent accueillies avec trans-
port. Aux applaudissements succédèrent les acclamations, les
[1) Ot'DlNOT, DUCHESSE DE ReGC.IO. — Le
, dur de Keggio ; Pion.
cris, les trépignements si nourris et si frénétiques que l'or-
chestre et les chanteurs durent s'arrêter. Ce délire atteignit son
maximum d'intensité après le couplet d'LEdipe à Antigone, en
qui chacun saluait la duchesse d'Angoulème :
Elle m'a prodigué sa tendresse el ses soins,
Son zèle dans mes maux m'a fait trouver des charmes ;
Elle les partageait, elle essuyait mes larmes.
Son amour attentif prévenait mes besoins.
Viens, o mon digne sang ! ù mon guide fidèle !
Que ton père attendri te presse sur son cœur !
Les Mémoires de M°"= de Gontaut (1) confirment l'exactitude de
cette scène en l'agrémentant de détails peu connus ou inédits.
Lorsque l'acteur eût dit : « Elle m'a prodigué sa tendresse et ses
soins », Louis XVIII se tourna vers la duchesse d'Angoulème et
lui tendit sa main, que la princesse baisa respectueusement.
Etait-ce une allusion... machinée, comme un autre coup de
théâtre ?
Par contre, un effet qu'on n'attendait pas, ce fut l'évanouisse-
ment, dans une loge voisine, d'une belle jeune femme, toute
blanche et toute pâle. M""' de Gontaut la nomme, ou peu s'en
faut : cette dame si impressionnable n'était autre que M"" Brovvn,
la maîtresse, la femme légitime, assurent des historiens autori-
sés, du duc de Berry, à qui elle avait déjà donné deux filles.
Un an plus tard, c'est-à-dire après les Cent-Jours, après le
désastre de "Waterloo, le prince de Metternich (I) écrivait, dans
la note d'impertinence aristocratique qui lui est familière, ce
compte rendu d'une autre soirée triomphale :
12 juillet 1813.
Le roi a été hier pour la première fois à l'Opéra. Il a été accueilli comme
tout souverain assis sur le trône de France. Si demain je m'y plaçais, je
ferais fureur. Les cris et les airs de Vive Henri IV. In Chariiianle Gabrivlle,
tout a été UD train terrible. On a donné Ipliigénie et la iJnnsoinanie, la der-
nière à merveille. Les Gosseiin ont dansé comme des anges, M. Anatole et
Antonia, les Delille, les Gardel, les Manille, etc., etc., comme toujours.
Metternich avait un goût prononcé pour la musique, le goût
d'un diplomate reconnaissant ; l'histoire de l'art et la politique
de l'histoire n'ont-elles pas souvent des dates communes ? Celle
du congrès de Rastadt qui se termina, en 1799, par le massacre
des négociateurs français, rappelait à Metternich, débutant alors
dans la carrière diplomatique, un joyeux souper chez le pléni-
potentiaire autrichien Gobenzl, où furent invités tous les acteurs
de l'Opéra. La jolie M""' Hyacinthe fut la seule femme admise à
ce gai festin.
Vingt-trois ans plus tard, en 1822, à propos de l'antagonisme
qui s'accentuait à Vienne entre les deux écoles italienne et
allemande, Metternich constatait une fois de plus, et non sans
un certain humour, les rapports intimes de la politique avec la
musique :
« Ce soir j'ai été pour la première fois à l'Opéra allemand. Ces
voix allemandes sont pourtant bien pitoyables à côté des voix
italiennes. Nos chanteurs n'ouvrent pas la bouche et semblent
croire que le nez est aussi un organe de la voix humaine... Tous
les mécontents professent l'horreur de la musique italienne... Il
existe ici une minorité qui voudrait se faire passer pour la
majorité, qui est libérale, radicale et doctrinaire, et qui par suite
déteste aussi le chant italien. On devrait s'attendre à voir cette
minorité courir à l'Opéra allemand, mais il n'en est rien. Le
théâtre reste vide. »
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Opéra-Co.iiiqd£. Le Légataire umvc'i'set, opéra bouffe en trois actes, livret
(d'après Regnard) de MM. Jules Adenis et Eugène Bonnemère, musique de
M.Georges Pfeiirer(l" représentation le 6 juillet 1901). — La Sœur deJocrisse,
opéra-comique en un acte, livret (d'après Duvert et Varner) de M. Albert
Vanloo, musique de M. Antoine lianes (I'" représentation le 9 juillet 1901).
Voilà la troisième comédio de Regnard qui se voil transformer en
(l) Dbcmesse de Gostact. — Miimoirei ; E. Pion, 1891.
(2] Le PKINCB DE, Mettebnich — Mémoires publiés par son fils; E, l'Ion, ltj7S.
LE MÉNESTREL
i219
opéra-comique, et je crois qu'elle ne s'en trouvera pas plus mal. La
première était la Sérénade, que M'"=Sopliie Gay avait arrangée à l'inten-
tion de son amie, l'aimable M""= Sophie Gail, et qui fut ainsi représentée
à rOpéra-Comique le 2 avril 1819. La seconde, c'était les Folies amou-
reuses, que l'intrépide Castil-Blaze, qui ne doutait de rien, trouva le
moj'en de réduire en un acte à l'usage du Gymnase, en y adaptant
quelques morceaux de compositeurs célèbres, et qu'il lit jouer sous
cette forme le 3 avril 1823. Comme ce pastiche avait à peu près réussi
de la sorte, il le reprit en sous-œuvre, le mit alors en trois actes, y
ajouta de nouveaux morceaux et le donna ainsi, le S juin de l'année
suivante, à l'Odéon, qui était à cette époque un théâtre semi-lyi-ique.
Ces mêmes Folies amoureuses, mises aussi en trois actes par MM. Lenéka
et Matrat, avec musique, nouvelle celte fois, de M. ÉmUe Pessard,
parurent à l'Opéra-Comique le lo avril 1891. Et voici que le Légataire
universel, réduit de même en trois actes, y passe à son tour.
Peut-être Regnard, s'il pouvait revenir en ce monde, se montrerait- il
médiocrement satisfait de ces transformations, qui d'ailleurs ne détruisent
pas ses œuvres et n'empêchent pas qu'on les puisse admirer sous leur
forme originale. Au surplus, il était musicien, et, comme Molière, il
l'a prouvé plus d'une fois dans divers passages de ses comédies. Ill'était
même plus que Molière, en ce sens que lui-mi''me il composait. La
Sérénade, mise plus tard en musique par M""' Gail, se terminait par un
divertissement chanté et dansé, dont il avait personnellement écrit la
musique. Les annalistes du temps nous apprennent, il est vrai, que
cette musique avait été « retouchée » par Gilliers, qui avait à cette
époque la spécialité de composer celle des divertissements très nombreux
qui se trouvaient dans les pièces de la Comédie-Française et de la
Comédie-Italienne. Il est probable que Gilliers aura eu surtout à orches-
trer la petite partition de Regnard. Il n'est pjas inutile, à ce sujet, de
remarquer que Regnard a fait, une fois, œuvre de véritable librettiste.
C'est lui qui fournit à Campra le livret d'un de ses plus jolis ouvrages,
le Carnaval de Venise, qui fat représenté à l'Opéra le 28 février 1699 et
dont le succès fut éclatant.
Bref, nous voici, grâce à M. Georges Pfeiffer, à la tête d'un Légataire
universel en musique, et je vous assure qu'il n'est nullement désagréable,
tout au contraire. Ses deux collaborateurs ont désarticulé très propre-
ment l'amusant chef-d'œuvre de Regnard pour faire tenir ses cinq actes
en trois, tout en faisant à la musique la place qu'elle devait occuper.
Ils ont conservé toutes les situations essentielles, ont laissé â la pièce
son caractère absolument fantaisiste, et l'ont en quelque sorte désossée
sans nuire à sa charpente solide. Elle reste folle et réjouissante, et de
nature à faire rire un hypocondre. Par exemple, ils ne se sont pas mis
en quatre pour tâcher d'ajuster leurs vers à ceux de leur modèle. Je
vous assure qu'il y a une différence appréciable de forme et de style
entre ceux destinés par eux à la musique et ceux de la pièce qu'ils ont
dû conserver.
Il n'importe ; tel qu'il est, adroitement agencé, le livret qu'ils ont
tiré de la comédie a suffi pour inspirer heureusement le compositeur et
pour lui permettre d'écrire une partition fort aimable, d'un excellent
sentiment comique, et précisément écrite dans le ton, dans la forme et
dans les proportions qui convenaient. M. Pfeiffer n'a pas cherché la
petite bête et n'a pas visé à faire plus qu'il ne fallait. Sa musique, très
fine, très élégante, mais surtout très discrète, composée de morceaux
courts pour la plupart, reste toujours en situation et ne ralentit jamais
l'action, qu'elle se borne â encadrer en quelque sorte et à souligner
légèrement.
Je n'ai pas à tracer ici une analyse détaillée du Légataire, qui est
suffisamment présent à toutes les mémoires. Qui ne connaît la sottise
naive du vieux Géronte, et la tendresse mutuelle d'Eraste et d'Isabelle,
et la malice spirituelle de Lisette, et les audacieuses fourberies de Cris-
pin"? Tout le monde sait cela par cœur ; mais peut-être est-ce une rai-
son pour que tout le monde en veuille jouir de nouveau. Car, si depuis
tantôt deux cents ans ce spectacle a réjoui nombre de générations, il
n'y a pas de motif pour qu'il ne continue de faire de même, dans la
nouvelle forme où l'œuvre se présente aujourd'hui. Et je crois d'ail-
leurs qu'arrangeurs et compositeur imiteraient volontiers le « comé-
dien » de la Critique du Légataire ■ — car Regnard a fait la critique de sa
pièce, tout comme Molière avait fait celle de l'École des Femmes — et
j'imagine qu'ils n'auraient pas de peine à dire comme ce personnage :
« Quelque succès qu'ait notre pièce nous n'espérons pas qu'elle passe
aux siècles futurs ; il nous suffit qu'elle plaise présentement â quantité
de gens d'esprit, et que la peine de nos acteurs ne soit pas infructueuse ».
Et elle plaira certainement, et le compositeur pourra revendiquer sa
part personnelle du succès. Si la muse de M. Pfeiffer ne s'est pas débri-
dée comme celle de Regnard, si elle n'a pas le diable au corps et le feu
aux trousses, elle n'en a pas moins de vraies et sérieuses qualités : un
sentiment bouffe plein de grâce et de légèreté, le sens de la scène et des
situations, un gentil flux mélodique à qui l'on souhaiterait parfois un
peu plus de nouveauté, une sobriété rare fpii ne porte préjudice ni â
■l'élégance des harmonies ni à la finesse de l'orchestre, enfin une cons-
truction solide et rationnelle des morceaux. Car, l'œuvre ayant pris la
forme dialoguée, la partition se compose naturellement de morceaux
détachés; et ce n'a pas été, je vous assure, une surprise fâcheuse pour
le public, qui a eu le plaisir d'entendre non seulement des ariettes et
des couplets, mais encore des morceaux d'ensemble : duos, trios et le
reste, avec celui, dont il est sevré depuis si longtemps, de jouir de
l'alliance de plusieurs voix résonnant de concert.
Et puis, M. PfeilTer a vraiment des idées singulières, et singulière-
ment arriérées. Non seulement il écrit des morceaux, non seulement il
n'hésite pas à nous faire entendre plusieurs voix â la fois sans les faire
toujours chanter à l'unisson, mais ne s'est-il pas encore avisé d'écrire
une ouverture, une véritable ouverture, fort agréable, ma foi, au lieu
de se borner paresseusement à faire lever le rideau sur une série d'ac-
cords dont il est impossible de fixer la tonalité ?... Quel original! Après
cette ouverture nous trouvons, au premier acte, un gentil trio d'intro-
duction, finement travaillé, à la manière de Grisar, avec son orchestre
alerte et pimpant. J'aime moins la romance d'Eraste, de même que son
duo avec Isabelle, où l'inspiration me semble être restée rétive. Mais
la petite ariette de Géronte : Je suis sûr qu'étant marié, que le public a
voulu entendre deux fois, est d'un tour charmant, et le trio final, avec
son anathème burlesque, est très scénique et d'un style bouffe excel-
lent.
A. citer particulièrement, au second acte, le quatuor de la veuve, vif
et mouvementé, où la verve du compositeur s'est déployée en toute
liberté. Au troisième, qui est peut-être le meilleur, il faut signaler,
après un joli entr'acte où brillent un violon et un violoncelle solos (ou
sali, — ad libitum), la scène du testament, qui est très bien traitée, bien
en scène, avec un orchestre élégant et vivace, le petit trio qui suit, et
le quintette de la léthargie, écrit en imitations, sur un rythme piquant,
amusant et plein de franchise.
M. Pfeiifer peut rendi'e grâce à ses interprètes. Rarement pièce a été
mieux jouée, mieux chantée, avec un ensemble plus parfait, que son
Légataire, jusque dans les rôles les moins importants. M. Périer est un
Crispin excellent et plein de fantaisie, au jeu large et sur de lui. Comé-
dien alerte, chanteur éprouvé, avec cela plein de tact et de mesure, il a
su ne point verser dans la charge, tout en restant franchement comique,
dans ses deux travestissements du bonhomme Choupille et de la jeune
nièce qui a eu un enfant posthume après deux ans de veuvage. M. Gri-
vot, toujours tin et spirituel, rachète l'ampleur qui lui manque par un
jeu plein de naturel et de bonhomie; il fait un Géronte très amusant.
M"' de Craponne est une Lisette à la mine éveillée, â la voix chaude,
une vraie soubrette de comédie, respirant à la fois la franchise, la malice
et l'esprit. M. Carbonne, qui a pris le rôle d'Eraste â la dernière heure,
au défaut de M. Cazeneuve, que la maladie obligeait d'y renoncer, s'en
est tiré à son avantage. Quant à M""=* Eyreams et Pierron, il faut sur-
tout les louer du soin avec lequel elles ont rendu les deux personnages
un peu sacrifiés d'Isabelle et de madame Argante. Mais je m'en vou-
drais d'oublier M. Mesmaker, qui a été désopilant dans l'unique scène
de l'apothicaire Clistorel, et M . Jacquin, qui a fait du nommé Scrupule
un partait notaire.
Nos librettistes actuels sont-ils donc si à court d'idées, qu'ils trouvent
plus commode de s'adresser à leurs aines que de puiser dans leur pro-
pre fonds? Toujours est-il qu'après l'adaptation du Légataire universel,
une comédie qui remonte â 1708, nous avons eu celle de la Sœur de
Jocrisse, un vaudeville qui date de 1841.
Jocrisse!... Après Nicodême, après Janot, après Cadet Roussel, ces
types de la bêtise, de la maladresse et de la niaiserie, on abusa un peu
de celui-là, et pendant plus d'un demi-siêcle il occupa la scène, où les
auteurs le montrèrent sous toutes les formes et dans toutes les condi-
tions. C'est Dorvigny qui l'inventa, c'est Brunet qui d'abord le person-
nifia. Pendant la Révolution, sous l'Empire, â l'époque de la Restaura-
tion, on voyait Jocrisse partout, au théâtre Montansier, à la Cité, aux
Jeunes-Artistes, aux Jeunes-Élèves, â Louvois, aux Délassements, puis
au Vaudeville, au Palais-Royal, que sais-je? C'était Jocrisse presque
seul. Jocrisse congédié. Jocrisse maître et valet, le Désespoir de Jocrisse,
Jocrisse changé de condition. Jocrisse marié. Jocrisse dans son ménage,
Jocrisse père, /ils et petit-fils, les Deux Jocrisses, Jocrisse au bal de l'Opéra,
Jocrisse au sérail de Constantinople , Jocrisse chef de brigands, Jocrisse
apprenti cornac, les Premières armes de Jocrisse, Jocrisse millionnaire,
Jocrisse commissionnaire. Jocrisse cuisinier... combien d'autres encore"?
L'un des derniers fut précisément la Sœur de Jocrisse, où un comique
fameux alors, Alcide Tousez, était inénarrable et fit courir ton' Paris.
220
LE MÉNESTREL
La pièce n'a pas le sens commun, mais elle est amusante; c'est une
simple fantaisie, imaginée pour faire briller un artiste. La raconter
serait aussi difficile qu'inutile. Comment vous narrer toutes les sottises
inconscientes de cet infortuné Jocrisse, qui prend le contrat de mariage
de son maitre pour allumer une bougie; qui renverse un encrier sur
un dessin pi-écieux qu'il flanque ensuite, pour le faire sécher, dans la
corbeille de noces, où l'encre se répand généreusement sur tous les
objets; qui laisse envoler un perroquet et le remplace dans sa cage par
un chat ave^; l'espoir que la substitution paraîtra toute naturelle... Il faut
voir cela pour rire de toutes ces folies qui n'ont ni queue ni tête, et qui
valent surtout par le jeu de l'artiste chargé de représenter le personnage.
Était-ce une idée heureuse de transformer ce vaudeville à couplets,
dont la marche doit être surtout rapide et serrée, en un véritable opéra-
comique, dnns lequel la musique ralentit je ne dirai pas l'action, celle-
ci n'existe pas, mais simplement le jeu scénique ? Je n'en suis pas bien
sûr. Certains morceaux, particulièrement, tels que le quintette de la ta-
ble, me semblent sous ce rapport, en dehors des bonnes conditions Ihéà-
trales. Ceci n'est point pour critiquer la musique en elle-même , qui
est aimable et gentiment venue, mais la façon dont elle a été employée.
La mignonne partition de M. Banès est en effet agréable à entendre,
écrite avec goût, orchestrée avec soin ; mais je lui reprocherai peut-être
un peu trop d'ambition, et de ne pas s'effacer parfois comme il eût fallu.
De petites ariettes, des couplets rapides eussent suffi. Mais des morceaux
d'ensemble, mais des cocotes, comme celles que M. Banès a introduites
dans le rôle de Charlotte, la gentille sœur de Jocrisse !...
Il est juste de dire que le public n'a point paru se soucier de ces
remarques chagrines. Il a ri, il était désarmé, et les bêtises monu-
mentales de Jocrisse l'ont mis simplement en belle humeur. M. Mes-
maker a représenté ce personnage falot avec un ahurissement plein de
naturel et de couviction ; à lui revient une bonne part du succès.
M'" Baux est tout aimable et toute charmante sous les traits de Char-
lotte, et M. Allard a déployé une bonhomie très sympatique dans le rôle
de Duval, le maitre très patient de son domestique imbécile. Et l'inter-
prétation est heureusement complétée par M. Gourdon dans le rôle de
Béchamel et par M"' Chevalier, qui a donné un très bon type à celui
d'Herminie, la fiancée qui ne se marie pas.
Arthur Pougin.
Porte-Saint-Mariin. ia C«se c/e /'Oncte Tom, drame eu 8 actes de Dumanoir
et d'Ennery. — Gluny. Les Provinciales à Paris, vaudeville en 4 actes, de
E. de Najac et M. P. Moreau.
Homériquement braves les théâtres qui, à cet époque de l'année,
renouvellent leur affiche pour tenter une lutte inégale avec le soleil.
Découvrons-nous et souhaitons-leur bonne chance, encore -que la Case
de l'Onde Tom ou les Provinciales à Paris soient d'intérêt plutôt fragile
pour contrebalancer l'appât d'une soirée passée à chercher quelque air
respirable au Bois.
Mais il y aura quand même, peut-être, des amateurs pour aller
pleurnicher à l'histoire humanitaire, exotique et sentimentale des bons
nègres que Dumanoir et d'Ennery recueillirent, voilà un demi-siécle
déjà, en un roman américain de vogue universelle. Ah ! les bords de
rOhio ! (la Porte-Saint-Martin ne s'est vraiment pas foulé pour la mise
en scène ; sans doute crainte de transport au cerveau. Dame par ces
chaleurs!) Ah! la chasse à l'homme! Ah ! la vente des esclaves ! Palpi-
tant, palpitant! Surtout cette dernière scène fort adroitement traitée.
C'est joué très estivalement par MM. Jean Coquelin, Volny, Guyon fils,
Gravier, Péricaud, M"' Gilda Darthy, etc., agrémenté par une bande
de Minslrels qui chantent a capella en obtenant des pianos surprenants
et dont l'étoile. Miss Sields, a, dans le grave de la voix, des notes fort
agréables. Terriblement dommage qu'elle se croie obligée de faire admi-
rer son timbre plus qu'aigrelet de soprano.
Les Provinciales à Paris sont de pas mal les cadettes de l'Oncle ïom,
puisqu'elles ne naquirent qu'avec l'E-xposition de 1878. Elles firent beau-
coup rire lorsqu'on les exhiba pour la première fois, au Palais-Royal;
n'étaient les .30 degrés à l'ombre, il n'y aurait nulle raison pour qu'il
n'en soit pas de même, cette fois, à Cluny, d'autant que MM. Dorgat,
Mufïàt, Arnould, Villaret, Gaillard, M"'=' Cuinet, Dupeyron, Foucher,
Cardin, marchent d'ensemble, comme c'est de bon usage au bon théâtre
Gluny.
PauL-ÉmILE ClIiiVALIER.
PETITES NOTES SANS PORTEE
XIX ,
MOZART ET "WAGNER
Pour Adolphe Bosclwl.
Imaginez-vous la stupeur d'un Eugène Delacroix dilettante en lisant
ces deux noms réconciliés? Comment! Ce fou de Wagner pouvait ad-
mirer Mozart? Mozart, « la perfection même », et le Beau qui est la
simplicité !
Sans doute, ajouterait le peintre mélomane, « les émotions usent la
vie autant que les e.xcès » : voilà pourquoi le maitre de Salzbourg dispa-
rut si tôt ! Mais son art qui plane appelle l'évocalion des grands siècles ;
son sourire atteste la régularité des belles époques. On dirait la politesse
française incarnée, qui régnait alors sans tyrannie sur l'Europe entière,
en lui conseillant la douceur de vivre. Son expression semble trop déli-
cate et trop rare pour devenir jamais populaire et conquérir d'emblée le
gros du. public. Gluck lui-même, après Mozart, « sent un peu le plain-
chant... » Comment les sans-culotte de l'art contemporain devineraient-
ils « cette perfection, ce complet, ces nuances légères »? Beethoven, le
premier, ne prend-il point l'aspect de ruines sauvages, auprès de ce
Mozart passionné qui disait : « Les passions violenter ne doivent jamais
être exprimées jusqu'à provoguer le dégoût : même dans les situations hor-
ribles, la musique ne doit jamais blesser les oreilles, ni cesser d'être de la
musique (2) » ? Et le plus classique des romantiques invoquait à l'appui
de ses citations la Revue des Deux-Mondes du IS mars 1849, page 892,
afin d'écraser Berlioz en glorifiant Mozart...
C'est le goût qui classe les talents, poursuivait le peintre, et l'adora-
teur du suave Mozart n'aurait pas manqué d'exiler le shakespearien
Wagner parmi ces « hommes sublimes, remplis d'excentricité, qui sont
comme ces mauvais sujets dont les femmes raffolent: ce sont autant
d'enfants prodigues, auxquels on sait gré de certains retours généreux
au milieu de leurs déportements... » S'il avait pu connaître son
Tannhauser en 1861, nul doute qu'il aurait ri, tout comme Berlioz, en
accusant ce « besoin de raflnement » qui caractérise les décadences, et
le temps « qui marche vite pour les modes dans les arts... » Mais le
peintre ne connaissait pas une note du musicien; Delacroix n'entre-
voyait Wagner qu'à travers les divagations pédantes d'un bas-bleu de
son entourage : o M""= Kalergi me parle beaucoup de Wagner; elle en
raffole comme une sotte, et comme elle raffolait de la République. Ce
Wagner veut innover; il croit être dans la vérité; il supprime beaucoup
des conventions de la musique, croyant ijue les conventions ne sont pas
fondées sur des lois nécessaires. Il est démocrate : il écrit aussi des livres
sur le bonheur de l'humanité, lesquels sont absurdes, suivant M°"= Ka-
lergi elle-même... «
Telle était l'opinion française, vers 185S: on s'explique aisément les
sifflets qui suivirent. Mais, quoi! « ce Wagner » serait le meilleur avo-
cat de l'immortel Mozart, « qui respire le calme d'une époque ordonnée »?
— Frappe, mais écoute! dirai-je au dilettante, héritier des Delacroix
et des Stendhal, dont l'étonnement n'est pas éloigné de faire chorus
avec les rancunes de plusieurs jacobins du wagnérisme qui reproche-
raient volontiers à Wagner son culte pour Mozart... Antis et ultras.
wagnérophobes et wagnéromanes, il faut en prendre votre parti : Wa-
gner adorait Mozart. Tout comme Delacroix lui-même, ce novateur parle
en classique. Dès qu'il prend la plume de l'écrivain, le compositeur se
calme; le passionné devient un sage. Est-ce Delacroix ou Wagner qui
s'en prend à notre Berlioz, affirmant qu'il ne peut écrire pour l'art pur,
que le sens du Beau lui manque ? Est-ce Delacroix ou Wagner que ra-
vit le Don Juan de 1787, si personnel, si parlant, si vivant, si varié sur-
tout, avec une admirable fusion de tous les caractères, — œuvre « par-
faite » qui est eu même temps le plus « romantique » des chefs-
d'œuvre? Perfection, romantisme, voilà deux termes encore à réconci-
lier, et nous allons voir comment... Mais quel plus édifiant spectacle
qu'une telle parenté d'opinions? Peintre ou compositeur, les deux révo-
lutionnaires s'accordent pour exalter la Beauté. C'est bon signe!
Et, pour s'en tenir au musicien, n'est-ce pas, à son tour, un Wagner
INCONNU que cette antithèse dévoile? Oui, le plus fervent des Mozartiens,
c'est celui que les caricatures germaniques ont si longtemps appelé Der
grosse Componist Rumorli'àuser , le Rubens du Venusberg qui a fait de
l'opéra le drame musical et du drame musical un paroxysme, un abime
où la pure statue de la forme se fond sans trêve dans les ondes incan-
descentes de l'orchestre, sous les remous indéfinis des leit-motive qui
s'entre-dévorent? Son admiration, pourtant, ne saurait être soupçonnée.
(1) Voir h Ménestrel des 14 avril, 19 mai, 16, 23 ft 30 juin 1901.
(2) Extrait d'une lettre de Mozart, deux l'ois cité dans le Journal d'Eugène Delacroix
LE MÉNESTREL
221
Après Weber, dont le fantastique a fasciné son enfance, c'est Mozart
qui le transporte à vingt ans, à l'âge même où le printemps parle au
printemps. Écoutons de près ce qu'il eu dit. La nature de son admira-
tion nous révélera le pourquoi de cette admiration. C'est un cas psy-
chologique, un chapitre inédit du Cas Wagner. A ses yeux, Mozart
n'est pas seulement l'étonnant précurseur de la Zauberflote, le génie
qui réalise un pas de géant en créant du premier coup « le type le plus
accompli de l'opéra allemand », qui n'existait pas encore; Mozart est,
d'abord, « ce très grand et très divin génie, en qui la musique fut,
complètement, ce qu'elle peut être en une créature humaine, précisé-
ment quand elle est la musique selon son entière et pleine essence et
qu'elle n'est rien que musique... » (1). L'art de Mozart n'est pas seule-
ment « de la musique de l'avenir s, mais « la musique même ». Aux
yeux du géant de Bayreuth, le rossignol de Salzbourg semble surtout
« le délicat gcnie de vie et d'amour » dont il excuse les trilles les plus
italiens en faveur de leur pureté même, et qui, de tous les génies
chanteurs, lui procure clandestinement « la souveraine jouissance ».
Retenons ce propos de table, car cet aveu contient la clef du mystère.
En dépit des systèmes et des temps, Mozart et Wagner sont deux
génies fraternels. Tous deux magiciens, tous deux poètes, — puisque
c'est Delacroix encore qui nous invite à discerner, parmi les artistes,
« des prosateurs et des poètes ». Tous deux ne sont-ils pas des hommes
de théâtre avant tout, souverainement et diversement expressifs, qui,
par des moyens divergents, selon les vœux secrets de leur époque et de
leur âme, ont exprimé victorieusement sur la scène la poétique vérité
par la séduction sans pareille de la féminine musique? Et quelle plus
légitime reconnaissance que l'affection du tumultueux poète pour son
riant ancêtre?
Mozart, lui, n'a pas été victime de sa propre magie, comme Wagner
le sera plus tard, — au dire morose des philosophes (2) : car l'auteur si
méconnu d'Idoménée n'a jamais prétendu se dresser en réformateur;
l'opéra lui suffit pour s'exprimer; les airs ni les ornements ne lui font
peur; il ignore le Drame musical. N'écrit-il point, l'année même, en
1781 : 0 Dans un opéra, je sais qu'il faut absolument que la poésie soit
la fille obéissante de la musique... Quand la musique domine, elle fait
tout oublier. » Partagé délicieusement entre le siècle et son âme, qui
fut divine, entre la mode et le style, le candide poète a butiné toutes les
fleurs, souvent améres, de la Vie; et cet hiver, à la Société Mozart, ses
amis inconnus ont pu sentir un instant ce génie aérien, sensuel, céleste,
ineffable, dont l'âme toujours mélodieuse nous apparaît comme une
oasis de fraîcheur, comme un autre monde plus parfait qui ne ferait
cependant que transfigurer nos désirs et transposer nos sentiments.
Delacroix l'appelait « romantique ». Et ce paradoxe est profond.
Eh bien! le poète plus subtilement décadent, Richard Wagner, n'a
pas été moins musical : de là sa religion pour Mozart. Il aurait pu dire,
comme l'Italien Rossini du chevalier Gluck, qu'il continuait â sa ma-
nière l'auteur de Don Juan. Dans ses violences les plus audacieuses,
Wagner est un voluptueux. Et sa volupté native entraine souvent son
idéal dans le tourbillon de ses vagues. Est-il musicien? demandaient les
pires sourds qui ne voulaient pas entendre... Et, maintenant, le musi-
cien parait avoir dominé le dramaturge, plus d'une fois infidèle à sa
propre mission. Sa muse est une Loreley doctement enchanteresse, dont
la voix tonne ou se pâme, toujours langoureuse, et parfois pénible, —
une Fille-Fleur, maligne enfant du vieux Klingsor. Ses trop puissants
parfums ne triomphent pas du blanc Parsifal, mais dans quelle atmos-
phère grisante ils baignent le Pur Simple/ Point efféminée, mais essen-
tiellement féminine, l'âme wagnérienne a chanté le plus vibrant Can-
tique des Cantiques. Et les puritains de son temple lui reprochent des
italianismes... Mais voilà pourquoi le philtre d'Yseult, inspiré des tièdes
nuits de Venise, a si violemment charmé les névroses contemporaines ;
voilà pourquoi, dans une situation pareille et quand l'action suspendue
fait place au lyrisme, le révolutionnaire des Maîtres-Chanteurs recourt
aux triomphants essors d'un quintette canonique, à l'instar du classique
de Cosi fan tulte! Le théoricien du Drame musical ne déclarait-il pas
lui-même, sans arrière-pensée ni remords : « La musique n'est que mé-
lodie »?
Ainsi parait se rétablir la tradition de la musique allemande, logique
comme la statuaire grecque et la peinture italienne. Et cela, grâce au
plus original admirateur de Mozart,
Ricliard Was
(A suivre.)
^rand homme et peu wugnérien...
Raymond Bouyer.
(1) Belle déBnUion de Mozarl par Wagr
(2) Nietzsche et M. Teodor de Wyzewa.
r, citée par -M. Henri de Curzon.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
XI
EN JUSTES NOPCES
Ils ont des peines de cœur, tous deux. Amoureux éconduit, il chante
tristement :
Quand ils étaient tous deux dedans la chambre,
On n'entendait que des emhrassements
Entre la belle et son fidèle amant.
.... Grand Dieu, que je suis malheureux
D'avoir aimé une si jolie brune,
Lui avoir donné tout c'que son cœur charmait 1
Dire qu'aujourd'hui il me la faut quitter.
Elle a plus de raisons, peut-être encore, de se plaindre ; mais elle
prend son parti en philosophe :
J'avais un' ros' nouvelle,
Rin, din, di, di, di di, diou,
Fia, la, la, la, la,
Rin, din, di, di, di, di, diou.
J'avais un' ros' nouvelle,
Galant, tu ra'l'as volée ;
Galant, tu m'I'as volée.
C'est pas des chos' qui s'rendent
Comm' de l'argent prunté.
Uniront-ils leurs deux infortunes? Saluera-t-elle d'un air joyeux...
le mois des fleurs, des chansons et des chanteurs? Et dira-t-elle d'un cœur
ému, trois fois de suite, en regardant la nouvelle lune, avant d'aller se
coucher :
Salut, beau croissant,
Fais-moi voir en rêvant
Qui j'aurai dans mon vivant?
Pourquoi pas ? La campagne, en Bourgogne comme ailleurs, a d'in-
finies miséricordes. Elle tentera donc le sort la première fois qu'on
jouera à la Pucelle.
La Pucelle, c'est la pierre de touche des filles à marier. La curieuse
d'amour, a conté Rétif de La Bretonne, est couverte de tabliers de ses
compagnes, ainsi que des chemisotles ou vestes des garçons, le tout
formant pyramide. Les filles cherchent â défendre leur compagne...
« Noui la voulons l'épouser par mariage », disent les garçons. — « Non,
non, mariée, vous la battrez avec rage », répondent-elles... L'adresse des
assiégeants consiste à enlever, sans qu'aucune fille ne parvienne à les
toucher, tout ce qui couvre la pucelle. Alors elle leur appartient, et les
filles se lamentent :
Comme la rose effeuillée,
Elle sera bientôt ;
Comme la prune secouée
Elle sera mangée
Par le ravousiaul
La pauvre infortunée
EUe sera fanée
Comme la fleur de choqueriau
Qui teint les roulées.
Le ravousiau c'est le rat des champs, et la fleur du choqueriau c'est
la fleur de l'anémone pulsatile, qui sert à teindre en rouge les œufs de
Pâques. L'infortunée sera-t-eUe mangée par l'un, fanée par l'autre,
l'avenir le dira. Entre temps, les garçons protestent eu chantant :
Viens, viens, mieux te garderons
Que ces filles à cotillons.
Et ils entraînent la pucelle, à qui ses compagnes ont, en signe de
désespoir, éparpillé les cheveux sur la nuque. Elle pousse les hauts
cris, se jette â genoux, lève les bras au ciel ; mais ses ravisseurs sont
inflexibles. Finalement la belle se rend, et le garçon qui l'a remarquée
— s'il en est un — l'entraîne vers le bal, tandis que ses compagnes lui
chantent :
Il faut suivre l'époux,
Mais vous serez pleurée
Toute l'année
En entendant les coups.
L'une après l'autre, les filles résolues à subir l'épreuve dont elles
connaissent bien d'avance le résultat, et qui n'est autre, sidvant Rétif
de la Bretonne, que l'ancienne cérémonie du mariage chez les Gaulois,
passent à la pyramide... Et ensuite, on se réjouit au son de la corne-
muse et de la vielle ou des violons et de la grosse caisse, avec accompa-
LE MENESTREL
gnement obligé de triangle, suivant le mode d'orchestre en usage dans
la contrée.
Les danses varient aussi, de pays à pays. En Puisaye les villageois
donnent la préférence au quadrille, avec (juelques modifications, cepen-
dant, dans l'observation rigoureuse du Code de la dame suivant Perrin
et Cellarius. Ainsi, daus Yavaiit-deux, chaque fois que les vis-à-vis
s'approchent, le danseur embrasse sa danseuse. De plus, après chaque
figure, quand les couples se retrouvent en place de repos, le musicien
principal, celui « qu'ai meime lai fête », imite avec sa musette le cri de
la chouette, Ihiou, th'ou, ou, si c'estun violoniste, fait, par un démanché
sur la chanterelle, rendre à son instrument un son filé, qu'on appelle
bibi ; et les embrassades de recommencer, cette fois longuement, et
copieusement.
La danse finie, l'ère des négociations commence. Biles sont menées
d'ordinaire par un individu qui s'en est fait une spécialité, et qu'on
appelle Croque-avoine, désignation qui parait venir de ce que ce négo-
ciateur est de tous les diners, avant, pendant et après la noce. Il y
occupe toujours la première place. Pour la conduite des pourparlers, le
siège de ces séances diplomatiques est en général le cabaret. Mais,
rentré chez lui, le futm' beau-père entend souvent dans la campagne
cette sérénade, à lui adressée, qui n'est pas de la voix de Croque-avoine :
Nous ne venons pas céans,
Maintenant,
Ni pour chanter ni pour rire;
Nous venons vous demander,
Vous l'entendez,
La plus joli' de vos filles.
Vous lui donn'rez, s'il vous plaît,
Pour bien fait,
En très riche mariage,
Une charrue et des bœufs
Tous frais neufs,
Pour la mettre au labourage.
Moi qui suis bon garçon,
Chez Simon,
J'y gagnerai bien ma vie,
En jouant du vl-o-lon
Chez Simon,
Dessus l'herbetle jolie.
Vaincu par ces accents, le lîeau-père s'est rendu, et sa fiUe « la plus
jolie » a envoyé à son galant, en signe d'acquiescement, la galetle-nigaud,
dont la pâte doit receler des os de grenouille pulvérisés. Il l'a mangée
vivement, car c'est le signal qu'on l'attend pour le diner d'accordailles.
11 y trouve nombreuse compagnie, et le festin, où l'on sert, paré comme
le paon dans les repas du moyen âge, le eoué, c'est-à-dire le plus beau
coq de la basse-cour, se prolonge fort avant dans la nuit, grâce à la
quantité prodigieuse de vin sucré qu'on absorbe en ces occasions.
Maintenant tout est en ordre, et il ne reste plus qu'à fixer la date du
mariage. Elle est vite choisie et les jeunes gens du pays chargés des
invitations vont inscrire à la craie sur les portes des privilégiés l'heure
du déjeuner, avec cette recommandation : Apportez vos couteaux.
Le jour de la noce ils formeront l'escorte d'honneur qu'on appelle la
BUlarde, et à la sortie de la messe ils offriront aux mariés un potage
dans lequel flotte une queue de cochon, ou une carotte, que ceux-ci se
partageront en signe de communion nuptiale.
Puis on se met à table. Les mets, les piots s'engouffrent, et les
chansons s'égrènent. Après le repas on chante le Cantique des (Grâces,
entonné par le père de la mariée. Les assistants, debout, reprennent le
refrain en choem-, avec accompagnement de violon. Après chaque
couplet on boit pleine rasade aux accents de V Alléluia, scandé sur les
verres ;ivec les couteaux requis à cet effet: Alléluia/ Alléluia/ Kyrie
eleison, Christe eleison/ Puis, le maître du logis, quand il peut encore se
tenir debout, dit, d'une voix grave :
— Grâces soient rendues à Dieu; à son fils Jésus qui naquit sans
corruption; à Adam, bien qu'il nous ait mis en damnation par la
pomme chère qu'il voulut manger; à notre bon roi (ceci autrefois): a
père, mère, frères, sœurs et parents; à voisins et voisines, bien venus
pour boire chopine !
Finalement, de sa voix la plus mâle il entonne :
Avant que de partir
De cette maison.
Vous veux avertir
Qu'avec raison
Chacun verse à boire,
Puis, que l'on s'en aille,
Et qu'à Dieu l'on soit
Alléluia!
C'est l'heure des adieux, et chacun se conforme à la règle. Le lende-
main, les Billardiers vont porter la trempette aux mariés et planter le
laurier sur lem- toit. Ils se font la courte échelle, et on leur passe l'ar-
buste cher aux grands hommes et précieux aux bonnes cuisinières,
planté dans une caisse, oii il s'épanouira côte à côte avec le corps de
cheminée. Un à un, tous les gens de la noce sont promptement sur le
toit. Les dives bouteilles les y ont précédés, et le vin coule « à ce qu'y
dégouline le long des murs » . On y danse même. En tous cas. on y
chante une ronde : la Ronde du Laurier :
n est planté, le laurier ;
Le bon vin l'arrose.
Qu'il amène aux mariés
>Iénage tout rose.
Tout rose.
Tout rose.
Autour, buvons et chantons ;
Ayons l'âme en joiel
Qu'en un gentil rejeton
La mère se voie.
Se voie,
Se voie !
Que leur rejeton grandi
Plus lard se marie,
Pour qu'un laurier reverdi
Leur clÈarme la vie,
La vie,
La vie !
Que des ans et puis des ans
Passent sur leur tète!...
Et nous, sur ce toit plaisant,
Célébrons la fête,
Lii fête,
La fête !
A la descente, les libations continuent. Souvent elles durent jusqu'au
soir, et même après.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
s=;-©^iS^;:-©^=S
Î^OXJVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (11 juillet). — Les concours publics
du Conservatoire de Bruxelles viennent de se terminer, De tous les concours
similaires en Belgique, ce sont les plus intéressants, et ceux dont les résultats,
plus difficilement obtenus, ont assurément le plus de réelle valeur. Le
Conservatoire de Bruxelles est — avec celui de Liège — une très féconde
pépinière d'instrumentistes, celle qui forme nos orchestres le plus abondam-
ment. Il n'en sort pas toujours des virtuoses très brillants, mais toujoursd'ex-
cellents musiciens. L'école de violon y est particulièrement remarquable.
Maint étranger, déjàcouronné lauréat dans son pays, vient s'y perfectionner
et y chercher une suprême consécration. A cet égard, ' un » sujet » s'est fait
acclamer surtout cette année, un jeune allemand, M. Weingard. La classe
de piano (spécialement le cours de M. De Greef) s'est, elle aussi, comme tous
les ans, fort distinguée, sans cependant mettre en relief de tempérament
extraordinaire. Nous pourrions en dire autant de la classe de chant de
M™" Cornélis-Servais, l'excellent professeur qui a donné l'an dernier, au
Théâtre de la Monnaie, M™ Bastion et M"*" Paquot. Cette fois, l'attention
s'est fixée sur une élève dont le nom est à retenir. M"» Bourgeois; ce n'est
encore qu'une belle promesse ; mais tout fait espérer qu'elle sera tenue.
Attendons.
A propos d'enseignement du chant, la nouvelle de la nomination de
M. Henri Seguin, l'admirable artiste de la Monnaie, comme professeur de
chant et de déclamation lyrique du Conservatoire de Liège, est un petit
événement musical qui a son importance. M Seguin quitte le théâtre, qu'il
a honoré pendant de nombreuses années de son talent si sobre et si puissant,
et où, cet hiver encore, il produisait, dans le rôle de Wotan de la Vulkyric
et dans celui du père de Louise, une si profonde sensation. Ce sera pour la
Monnaie une perte considérahle. Mais, pour l'enseignement, la conquête
de cet artiste éminent, de ce chanteur pénétré des plus hautes traditions
musicales et dont toutes les créations ont révélé une admirable probité d'art,
est infiniment précieuse. M. Seguin continuera à habiter Bruxelles ; il prendra
part sans aucun doute aux concerts du Conservatoire, et, selon toutes proba-
bilités, un cours de déclamation lyrique sera créé dans cet établissement à
son intention; souhaitons que ce projet se réalise. — L. S.
— La première représentation du Roi d'Ys, de Lalo, qui devait avoir lieu
la semaine passée au théâtre Govent-Garden de Londres, a été remise à la
semaine qui vient. On répète tous les jours sous la direction de MM. A. Mes-
sager et Ph. Flon et on espère passer le IC.
— L'Opéra de Berlin prépare pour le commencement de !a saison pro-
chaine la représentation d'un opéra intitulé Matteo Falcone, dont la musique
est due à M. Théodore Gerlach.
— Treize artistes seulement ont pris part au concours ouvert pour la statue
de Brahms, à Hambourg. Des prix ont été décernés aux sculpteurs Fel-
derhof et Bernewitz; à l'un d'eux sera probablement confiée, l'exécution de la
statue.
■ — L'Académie musicale de Munich a élu directeur M. Zumpe, chef d'or-
chestre de l'Opéra royal de cette ville.
— L'empereur Guillaume II a donné 3.000 marcs à la caisse fondée à Bay-
reuth pour l'acquisition de places au théâtre wagnérien en faveur de musi-
ciens pauvres.
— Il s'est formé à Francfort un comité pour l'érection d'un monument
funéraire à Joachim Ralï. Ce monument, dont la consiruction a été confiée
au sculpteur Sand, de Munich, sera inauguré le I" mai 1903.
— Le conseil communal de Baden a refusé de souscrire au désir exprimé
par la ville de Vienne, qui aurait voulu acquérir pour son Musée une partie
des partitions originales laissées par le compositeur Garl Millœcker, celui-ci
ayant formellement exprimé, dans dans son testament, sa volonté de les des-
tiner au Musée de Baden. Ces partitions sont au nombre de trente-deux.
LE MENESTREL
223
— Une exposiliou de guitares aura lieu à Munich au commencement du
mois de septembre. Elle doit offrir une revue de tous les progrès réalisés
dans la construction de cet instrument, et aussi du luth. Cette exposition com-
prendra aussi des cithares, mandolines et harpes. A cette occasion aura lieu
une réunion internationale des guitaristes européens.
— Encore un jubilé! On ne fait que ça en Allemagne. Le violoniste Joa-
chim vient de célébrer le 70" anniversaire de sa naissance. Il a reçu des féli-
citations de toutes les parties du globe, ses élèves étant disséminés un peu
partout.
— Un nouveau journal de musique hongrois vient de paraître sous le titre
Magyar Lant. Il est publié à Gyœr (Raab), et paraît une fois par mois.
— On a exécuté à Florence, dans l'église de l'Annunziata, une messe iné-
dite d'un jeune compositeur, M. Alberto Bimboni. Tout en constatant la
valeur de cette composition, on lui reproche sa trop grande difficulté d'exé-
cution en ce qui concerne les voix, qui sont écrites de façon à exiger des
efforts excessifs et fâcheux.
— Le « Comité pour la musique sacrée », à Florence, met au concours,
entre les compositeurs italiens, une Messe à quatre voix mixtes, avec quatuor
et orgue ad libitum, de style liturgique, avec un prix de 300 francs. L'article
premier du programme de ce concours est ainsi conçu : « La Messe qui rem-
portera le prix aura l'honneur de porter la dédicace suivante, gracieusement
autorisée : A sa Majesh- la Reine-Mère Marguerite de Savoie. Haute Patronne du
Comité pour la Musique Sacrée à Florence. Cette dédicace devra être main-
tenue, même si l'oeuvre primée devait être ensuite publiée par l'auteur ou
par une autre personne en son nom ».
— Les exercices annuels des Conservatoires italiens continuent d'être pro
lilables à leurs élèves compositeurs. A Bologne on a exécuté un Prélude,
choral et fugue pour orchestre de M. Ottorino Respighi, élève de M. Martucci.
Au lycée Marcello, de Venise, on a fait entendre des compositions de quatre
élèves de M. Bossi : Air de danse, de M. Ermanno Leban; Épisode dramatique,
de M. Livio Loro; Sous la neige, chœur, et Fantaisie symphonique, deM.Renzo
Bossi; et le Branle des Centaures, de M. Maffeo Zanon. Enfin, à Parme, exé-
cution d'une ouverture pour VŒdipe à Colone de Sophocle, de M. Ildebrando
Pizzetti, et de l'introduction de la Tour de Nesie, opéra de M. Gustave Cam-
panini.
— Le Théâtre-National de Rome a donné, le 3 de ce mois, la première
représentation d'un opéra en trois actes, Marianila, dont la musique est due
à un jeune compositeur encore inconnu, M. Gordiano Simeoni. Malgré les
dix-huit rappels dont l'auteur et ses interprètes ont été l'objet, la critique
l'ait d'expresses réserves au sujet de la valeur de l'œuvre, à qui elle reproche
une grande inexpérience, certaines puérilités et un trop grand nombre de
réminiscences d'ouvrages connus. Elle exprime l'espoir que l'auteur « pren-
dra sa revanche », ce qui n'est pas pour attester un succès. Cette Marianita
était chantée par M^'^ Baroni et Torchio, MM. Franceschetti et Schiavazzi.
— Une clarinette d'orchestre à transposition, qui a été inventée par
M. Leoni, vient d'être perfectionnée par M. A. Rampone, de Milan. Le nou-
vel instrument ne subit aucun allongement pour passer d'une tonalité à
l'autre. Muni d'une double mécanique, la détente d'un simple outil suiSt
pour que la clarinette en si bémol devienne instantanément une clarinette en
la sans aucun déplacement de la main de l'artiste. D'autre part, elle ne diffère
en rien des clarinettes ordinaires, en ce qui concerne les positions, tandis
qu'elle a l'avantage d'une parfaite intonation.
— On annonce que le gouvernement russe vient d'acheter la célèbre col-
lection d'instruments de musique formée avec une rare sollicitude par le
défunt notaire Snœck, à Gand. Cette collection contient un clavecin décoré
de peintures de la main même de Rubens, quelques harpes authentiques des
anciens trouvères, les plus anciens archets d'instruments à cordes et une
quantité d'autres curiosités rarissimes. On y trouve aussi les modèles qui
ont servi à Adolphe Sax pour la construction de ses instruments. La collec-
tion Snœck est destinée à former le noyau d'un musée d'instruments de mu-
sique que le gouvernement russe se propose d'établir à Saint-Pétersbourg.
— Un riche bourgeois de Moscou, M. Morozof, a légué à la ville un mil-
lion de roubles or, soit 4 millions de francs, pour la construction d'un grand
théâtre, sous condition que les prix d'entrée offrent aux classes peu fortunées
de la population la possibilité de visiter ce théâtre. Voilà une application fa-
vorable des idées socialistes de Tolstoï, dont le défunt millionnaire moscovite
semble s'être inspiré.
— On annonce de Saint-Pétersbourg que le compositeur Dlussky, auteur
connu de chansons devenues très populaires, a donné, d'une façon privée,
une exécution avec orchestre d'un opéra en deux actes, Vrvàsi, récemment
terminé par lui. Abondant en mélodies savoureuses et de couleur orientale,
cet ouvrage a produit une vive impression sur les auditeurs. On pense que
la représentation en aura lieu au cours de la saison prochaine.
— La Société des artistes lyriques de Kiew a donné, le mois dernier, la
première représentation d'un opéra intitulé le Chant de l'Amour triomphant. Le
livret, tiré d'un roman de Tourgueuiew, est, dit- on, très beau et présente un
vif intérêt. Il ne parait pas en être de même de la musique, première œuvre
d'un compositeur nommé Gartefeld, et qu'on dirait écrite par un simple
amateur, tellement elle est faible, lâche, sans saveur, sans relief et sans per-
sonnalité, offrant une flagrante imitation de Meyerbeer, de Verdi et d'autres
artistes célèbres.
— Les compositem's espagnols n'ont jamais reculé devant une collabora-
tion même nombreuse, à propos d'œuvres même peu importantes. Nous en
avons une nouvelle preuve dans une zarzuela que vient de donner à Madrid
le théâtre Apolo, los Niîios llorones. Ce petit ouvrage est en trois tableaux, et
la Espana artistica nous apprend que la musique a pour auteurs « MM. Paso,
Alvarez, Valverde Torregrosa, Barrera, etc., etc. ». Ce double etc. rend
rêveur.
— Autre zarzuela au même théâtre Apolo, Doloreles, paroles de M. Carlos
Arniches, musique de MM. Vives et Quinslants. Celle-ci, d'un genre émou-
vant et pathétique, paraît avoir obtenu un succès éclatant.
— Un compositeur américain, M. Glay M. Greene, ancien élève du collège
de Sainte-Claire, petit bourg situé à peu de distance de San Francisco, a tait
exécuter par les élèves de ce collège, a l'occasion du jubilé de sa fondation,
un grand drame religieux intitulé la Passion du Christ. Cet ouvrage, qui a
obtenu un grand succès et dont l'exécution a dû être renouvelée trois fois,
est divisé en quatre époques et en dix épisodes ainsi distribués : l'Étoile de
Bethléem — ■ le Massacre des Innocents — l'Entrée à Jérusalem — la Conjuration —
le Baiser de Judas — l'Appel à Hérode — Abandonné à Barrahas — C'est fini —
In Résurrection. Chose singulière : dans ce drame dont le Christ est le héros et
dont il devrait être le protagoniste, il ne parait pas. On a déjà tenté plusieurs
fois, â San Francisco, de représenter la Passion: mais l'autorité civile, sur la
prière du clergé, s'y est toujours opposée, et, du reste, il paraît que l'opinion
publique est opposée à la représentation de l'Homme-Uieu sur la scène. Quoi
qu'il en soit de cette réserve, l'œuvre nouvelle, nous l'avons dit, est remar-
quable et a été accueillie avec la plus grande faveur.
— Malgré la chaleur torride, qui atteint 40 degrés à l'ombre, tout New-
York discute la grave question de savoir si la prima-donna M"' Schumann-
Ileinck a réellement embrassé le « maître des bagages » de la ligne Buffalo-
New-York. L'artiste, en arrivant le 4 de ce mois àNew-York, venant de Buffalo,
apprit qu'elle n'avait que fort peu de temps pour gagner le vapeur allemand
qui devait la transporter. Par précaution, elle prit dans sa voiture le a maître
des bagages » de la gare et promit à son cocher, pour filer plus vite, un pour-
boire extraordinaire. Le brave automédon irlandais fit tout son possible pour
le gagner, mais malheureusement il prit en écharpe une voiture de tramway.
Les chevaux se cabrèrent, le cocher fut projeté sur le trottoir et l'artiste
effrayée voulut sauter par terre. Mais le « maître des bagages », qui s'appelle
Edward Muliehill, la saisit dans ses bras herculéens et la força à rester dans
la voiture; il prit ensuite la place du cocher et eut bientôt maîtrisé les che-
vaux effrayés. A ce moment un sergent de ville s'approcha de la voiture pour
dresser procès-verbal, mais le vaillant « maître des bagages » l'écarta d'un
mouvement de bras, fouetta les chevaux et aiTÎva avec l'artiste au port juste
au dernier moment, car le capitaine du vapeur avait déjà donné ordre de se
mettre en route. Avant de monter sur le bateau, l'artiste remit à son sauveur
un billet de cent dollars et l'embrassa énergiquement. Elle expliqua ensuite
aux passagers stupéfiés que le brave homme lui avait sauvé la vie. a Honni
soit qui mal y pense ! » c'est bien le cas d'appliquer cette fameuse devise;
car M"" Schumann-Heinck, quoique ayant à peine dépassé la trentaine, a
déjà donné huit enfants à son mari et à son pays. Et puis, un baiser devant
la galerie est-ce que cela compte dans la vie d'une artiste de théâtre ? Parions
cependant que le » maître des bagages », ce pauvre ver de terre, n'oubliera
jamais le baiser de la célèbre prima-donna.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Suite des résultats des concours à huis clos au Conservatoire :
VIOLO^' PRÉPARATOIRE. — Jury : MM. Théodore Dubois, président, Berthelier, Lefort,
Rémy, Nadaud, White, Heymann, Willaume, Touche.
/'" Médailles. — M"" Lapié, élève de M. Desjardins ; M. Bastide (Desjardios) ; M"' Bau-
dot (Brun).
â" Médcdlles. — M. Lestringant (Brun) ; M"' Morhange (Desjardias) ; M. de Monture ux
(Desjardins).
3" Médailles. — M"" BUlai-d (Brun) ; M. Burgat (Desjardins).
FuGUK. — Jury : MM. Théodore Dubois, président, Taudou, Lavîgnac, X. Leroux,
Paul Vidal, Raoul Pugno, Charles René, Dallier, Pierné.
Pas de premier prix.
'2"- PrLv. — M. Tricon, élève de M. Lenep\eu.
/"'' Accessits. — MM. Laisné (Widor) et Goupil (Lenepveu).
Pas de 2'^ accessit.
HARMOïiiE (Femmes). — Jury: MM. Théodore Dubois, président, G. Fauré, Charles
René, Fr. Thomé, Raoul Pugno, X. Leroux, G. Caussade.
/■" Priœ. — M"" Pair, élève de M. Chapuis.
.2" Prix. — M"" Boulanger (Chapuis).
-/" Accessit. — M"° de Orelly {Samuel Rousseau).
2" Accessit. — M"" Réchez (Samuel Rousseau).
PiASo préparatoire. — Jury ■: MM. Théodore Dubois, président, Lavignac, Diémer,
Antonin Marmontel, Charles René, Braud, Riera, Nollet, A. Duvernoy, Anatole Bernardel.
— Morceau à déchilïrer, de M. Nollet.
HOMMl^S
/" Médaille. — M. Besnard, élèvL' de M. Falkenherg.
i" Médailles. — MM. Florian et Pilot, élèves de M. Falkenherg.
Pas de 3' médaille.
224
LE MÉNESTREL
FEMMES
J" Médailles. — M"" Le Son, élève de M"" Tarpet; Bieau-Buspère (51"' Tarpet) ; Weiss
(M« Chéné); Fagel (M" Chéné).
2" Médaaies. — W" Debrie(M-' Tarpet); Abadié(M-TroQillebert); Vendeur (M»" Ché-
Lé) ; Rossak (M- Trouillebert).
S" Médailles. — W" Biot(M»' Tarpet); Arnaud (M"' Chéné); Journal (M— Chéné).
C'est par suite d'une erreur typographique que dans le compte rendu du
concours d'accompagnement M"« Chéné a été indiquée comme ayant ohtenu
le second prix. C'est un premier prix qui lui a été décerné.
— A l'occasion de la Fête nationale du 14 juillet, des matinées gratuites
auront lieu aujourd'hui dimanche dans les théâtres suivants : Opéra {les Hugue-
nots, h Marseillaise, chantée par M. Bartet), Comédie-Française, Opéra-
Comique, (les Dragons de Villars, la Marseillaise, épisode lyrique de MM. Georges
Boyer et Lucien Lambert)," Odéon, Gaité, Chàtelet, Théâtre Sarah-Bernhardt,
Porte-Saint-Martin, Ambigu, Cluny. De plus, des matinées sont organisées
par les délégations d'écoles de Paris à l'Hippodrome, au Cirque d'Hiver, au
Cirque Médrano, au Nouveau-Cirque, à l'Olympia et au Gymnase Huyghens.
— Vendredi, àl'Opéra, réapparition de M.Ibos dans Roméo et Juliette. L'excel-
lent ténor avait déjà chanté sur cette même scène, il y a quelques années, et
on se rappelle que c'est lui qui créa, à l'Opéra-Comique, le Werther de Mas-
senet.
— L'Opéra-Gomique a fermé ses portes hier soir samedi pour ne les rou-
vrir (exception faite pour la matinée gratuite d'aujourd'hui) que le 15 sep-
tembre prochain. Les chœurs, qui, habituellement, rentrent un mois avant la
réouverture, ne reprendront leur servicepour les répétitions que le P^septembre.
M. Albert Carré a tenu à leur donner ce petit supplément de congé de quinze
jours qu'ils ont largement mérité, le théâtre n'ayant pas du tout fermé l'année
dernière à cause de l'Exposition Universelle. Pendant ces dernières semaines
on a commencé à leur apprendre le Roi d'Ys, qui sera remonté au mois de
janvier, ainsi que nous l'avons dit: pour cette reprise on rétablira très heu-
reusement le grand ensemble vocal du dernier acte, alors que la ville est
envahie par les flots. M. Albert Carré, qui nous a habitués à des merveilles
et à des tours de force de mise en scène, trouvera certainement pour cette
scène, qui avait effrayé la direction Paravey, d'où la coup ure, quelque effet
nouveau de grande impression.
— En même temps que l'Opéra-Gomique fermait ses portes, pour sa clôture
annuelle, M'"'= de Nuovina donnait la dernière de ses belles représentations
qui ont attiré, salle Favart, un public nombreux qui a fêté l'émouvante artiste
dans la si poignante Navarraise de Massenet.
— On reparle des fameux candélabres que la façade de l'Opéra-Gomique
attend depuis sa reconstruction, soit depuis 1898. On en reparle, mais pour
dire qu'ils ne seront pas encore prêts au moment de la réouverture du théâ-
tre au mois de septembre prochain, M. Germain, qui a été chargé de leur
exécution, venant seulement d'en terminer les maquettes. On espère pouvoir
les offrir aux habitués de la salle Favart pour leurs étrennes de 1902.
— C'est folie de vouloir se garer des indiscrétions de la presse parisienne.
Ehl bien oui, il est vrai que M. Massenet donnera, cet hiver, à l'Opéra de
Monte-Carlo, la primeur d'une œuvre nouvelle en trois actes, le Jongleur de
Notre-Dame, sur un livret fort curieux de M. Maurice Lena, le distingué pro-
fesseur de philosophie du Lycée Condorcet. Il est vrai également que cet
ouvrage ne compte pas de rôle de femme, bien qu'il y en ait une fort impor-
tante qui domine toute l'action, mais à l'état symbolique. Le ténor Maréchal
(de rOpéra-Comique) et le haryton Renaud (de l'Opéra) sont déjà engagés
pour jouer et chanter les deux principaux personnages. Les maquettes des
décors ont été demandés à M. Jusseaume.
— On annonce déjà pour l'hiver prochain, à la Comédie-Française, trois
représentations de retraite, celles de M""= Worms-Baretta, de MM. Prudhon
et Boucher.
— La circulaire suivante vient d'être adressée aux commissaires de police
(le la ville de Paris :
Paris, 6 juillet 1901.
A l'occasion de la i'ermeture annuelle des théâtres et cafés-concerts pendant la saison
d'été, je vous prie de rappeler aux directeurs de ces établissements que la réouverture ne
pourra avoir lieu qu'après examen de la sous-commission chargée de constater si toutes
les prescriptions imposées dans l'intérêt de la sécurité du public sont exécutées.
Vous les inviterez à m'aviser, au moins quinze jours à l'avance, de la date à laquelle
ils voudraient fixer cette réouverture, et vous les préviendrez que, dans le cas où ils
omettraient de remplir cette ibrmalité, ils ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes si la
réouverture de leur salle est retardée.
Vous voudrez bien, d'ailleurs, vous tenir de votre côté au courant des dates de réou-
verture et me les faire connaître dès que vous en serez informé.
Le Préfet de police,
LÉPISE.
— Le comité des fêtes deBôno avait décidé d'offrir la présidence d'honneur
du concours musical qui doit avoir lieu prochainement en cette ville à
M. Saint-Saêns. Avisé de cette décision, l'auteur de Samson et Dalila a répondu
par la lettre suivante :
Mon cher confrère,
Avant tout, mes remerciements à qui de droit pour la présidence d'iionneuj- qui m'est
oiîerte.
Oui, je suis revenu trop tùt à Paris, j'y étuis l'orcé, j'ai trouvé un temps liorrible, des
tracas sans nombre et j'ai été fort malade, avec une convalescence 1res longue. Je n'ai pas
pu faire Bacchm mijsti/ié, c'est un jeune prix de Rome de beaucoup de talent, M. Max
d'Ollone, qui l'a fait à ma place.
Je n'ai pas non plus écrit un 0 Salutaris pour le mariage de M'" Sardou ; c'est un ancien,
très ancien, que M. Delmas a chanté. Moi, j'ai terminé entièrement les Burtares, et, depuis,
j'ai écrit une mélodie sur un sonnet de mon vieil ami Charles Lecocq (l'auleur de la Fille
de Madame Angot lui-même) et je suis en train de travailler à la musique nécessaire à la
reprise des Burgraves, que prépare la Comédie-Française pour le centenaire de Victor
Hugo. Tâche ingrate autant qu'honorifique, car la musique, à la Comédie-Française, est
dans des conditions déplorables.
Rassurez vos inquiétudes sur ma sanlé : elle est tout à fait rétablie, mais je l'ai échappé
belle.
Veuillez agréer, etc. S.u.nt-Saens.
— MM. Carolus Duran, Moyaux, membres de l'Institut, Widor, Diémer et
un groupe d'amis de Jules Delsart, le regretté professeur du Conservatoire,
décédé l'an dernier, viennent de se réunir pour élever un monument au Père-
Lachaise sur la tombe de l'éminent artiste. C'est à M. Moyaux qu'en a été
demandé le modèle : sur une stèle est placé un huste de Jules Delsart par
M. Vernhes et, eu avant, M. Moyaux a groupé une immense lyre, qui forme
comme la charpente de l'ensemble qu'elle entoure et domine symbolique-
ment, le violoncelle de l'artiste, des fleurs et un rameau de laurier. Tout cet
ensemble est en marhre.
— Voici les résultats des concours de l'Ecole classique de la rue de Berlin,
dirigée par M. Ed. Chavagnat, qui viennent d'avoir lieu au Théâtre des Bati-
gnolles :
Ensemble Instrumental, section piano : 1" prix, M"" M. Lavarenne et Bonenl'ant ;
second prix, JI"" Choquart et Branchery; 1" accessit. M"" Kouchner, Besagni et Bosqae;
2' accessit; M"" Lucas et Réveillé. Section Violon ; 1" prix, M. Durand; 2' prix, MM.
Tapponnier, CoifTier et Fontenelle; 2° accessit, M. Beau. Section Violoncelle : 1" accessit,
M. Rudie, tous élèves de M. Chavagnat.
Comédie: 1" prix. M"" Schlosberg et Carreau; 2' prix. M"' Dorgère; 1" accessit,
M"= Simons ; 2" accessit. M"" Gomez et M"" Bourson, élèves de M. Sadi-Pety.
Accompagnement: 1'' prix, M"''Lévy; 2" prix. M"" Métivier; 1"" accessit. M"" Gau-'
thier ; 2" accessit. M"' Godlstein, élèves de M. Gréiry.
Chant, (Classes hommes) : 2° prix, M. Max-Comte, élève de M. Paty ; 1" accessit,
M. Laurens, élève de M. Genevois ; 2' accessit, M. Rebuffel, élève de M. Genevois, et
M. Ribière, élève de M. Paly. (Classes femmes) : 1" prix, M"'' Jourda, élève de M. Paty;
2" prix, M"" de Villers, élève de M. Balanqué, et M"" Laurens, élève de M. Genevois ; 1"
accessit. M"» Dorgère, élève de M. Paty ; 2» accessit. M"" Rousseau, élève de M. Paty.
— Soirées et Concerts. — Très brillante la dernière audition des élèves de Pécule de
chant de M'"° Ed. Colonne et beaucoup d'applaudissements pour l'excellent professeur et
ses charmantes élèves. 11 faut signaler surtout M"' H. de Lancry qui s'est vivement fait
remarquer dans les fragments de jUif/non, puis M"'' Hildur Fjord qui a clianté de façon cris-
talline des mélodies suédoises, M"'Gita de Walsh, une gentille Lakiné de seize ans seule-
ment, M"" Fékété, dans Marine de Lalo, M"' Gaston Lacroix, dans VE.ftase de la Vierge
de Massenet, M"" J. Mouren, d'organe superbe dans le grand air de Sigurd, et M"" Julie
Cahun, dans Myrto de Delibes. 11 faut encore féliciter le maître artiste du choix des œu-
vres apprises à ses élèves, parmi lesquelles nombre de classiques, tels Piccinni, Lotti,
Campra, Haendel et Gluck. — .Brillante audition d'œuvres de Th. Dubois chez M"" Ton
tain. M"' Demougeot a remarquablement chanté Dormir et Rêver et Prière, puis le duo
à'Aben-Hatnet avec M. Rigaud; M"" Huchett a été charmante dans le Baiser et Par le
sentier et le duo de Xavière avec le même, M. Rigaud, qui a triomphé seul dans A Douar-
nenez ; M. Enesco a mei-veilleusement joué Hymne nuptial, Saltarelle et la sonate avec
M"" Juliette Toutain qui a été absolument exquise dans Thème varié, Preludio pathetico et
Prehidio saltarello, qiii a été bissé d'enthousiasme. L'assistance a fait les plus chaleureuses
ovations au Maître qui a félicité ses interprètes. — La séance annuelle donnée au Cirque
d'hiver par l'orphéon municipal de la ville de Paris a été des plus i-emarquables. Les
quinze cents choristes dirigés par M. Auguste Chapuis (enfants des écoles et élèves-
adultes des cours du soir) ont interprété des œuvres du caractère le plus différent avec
une justesse, une précision et un charme qui leur ont valu des applaudissements aussi
chaleureux que mérités. Ceux qui ont eu la bonne fortune, trop rare en France, d'enten-
dre cette imposante phalange chorale, i-endent hommage au talent de M. Chapuis et au
zèle de ses professeurs. Parmi les morceaux les plus applaudis, citons la Clmnsoji des
Rabots de Maréchal, A^os Pères de Bourgault-Ducoudray, (es Abeille'^ de Delibes, VBymne
au Soleil de Chapuis et une vieille chanson française du XVIII" siècle. On doit de vifs
éloges au directeur de l'Enseignement, M. Bédorez, qui depuis trois ans a réorganisé avec
tant d'éclat cette belle fête annuelle. — Chez M"" Félicienne Jarry audition d'élèves consa- '
crée en majeure partie à l'audition d'œuvres d'Emile Passard. On est charmé par de jolis
chœurs qui disent de façon charmante les Moissonneurs de Lacome et le Sancta Mana de
Faure et on applaudit M. de Montlaur dans l'Heure d'azur d'Holmes et M"" F. Jarry,
MM. Laforge et Courras dans le Trio, op. 32, de Lalo. — Clôture du cours de M"" Gom-
bert avec une audition des œuvresdeFilliaux-Tiger qui réussit brillamment. On applaudit
Source capricieuse et les transcriptions de Danse russe, d'Armingatid, et du Roman
d'Arlequin, de Massenet.
NÉCROLOGIE
Cette semaine est morte à Paris, à l'âge de 79 ans, une artiste modeste
dont le nom était bien oublié, M"'= Mercié-Porte, qui fut pendant plus de
quarante ans professeur de solfège au Conservatoire. Née à Toulouse en
1822, elle avait été admise elle-même fort jeune au Conservatoire. Elle avait
à peine terminé ses classes lorsqu'on 1842 elle fut nommée professeur. Elle
prit sa retraite ve.-s 188.5.
Henri Heugel, directeur-gérant.
. — IMPRIMERIE <
Dimanche 21 Juillet 1901.
3669. - 67- mm - N°29. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 *"", rue Tivienne, Paris, n^ m-)
(les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
lie Haméfo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flamépo : 0 îf. 30
Adresser FRA^■co h M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 his, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (21* article), Paul d'Estrées. —
n. Les Concours du Conservatoire, Arthur Pougin. — HL Le Tour de France en musi-
que : Chansons bressanes, Edmond Neukomm. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LANDLER ALSACIENS 1" suite)
par Charles Malherbe. — Suivra immédiatement : Landler alsaciem (2= suite),
par Charles Malherbe.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Mes vœux, mélodie de Paul Puget, poésie de Jules Barbier. — Suivra immé-
diatement : les Portraits, mélodie de Joanni Perronnet, poésie de Antonin
Ldgnier.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les lémoires les plus récents et ûes ûociimenls iDèflits
(Suite.)
II
Mémoire autobiographique de Piccitmi: — Théories musicales de Bonaparte; opposi-
tion de Clierubini. — Pourquoi Cherubini déplaisait au maître? — Sa maladie
nerveuse. — Elle déteint par la suite sur son caractère. — Ses bons moments et
ses mauvais quarts d'heure. — La voiture de Zimmermann et le parapluie de Che-
rubini. — En famille. — Entre confrères.
Avec le XYIIP siècle devait iînir un homme qui en avait été
une des gloires, le compositeur Piccinni. Après avoir lutté, sans
trop d'infériorité, contre le colosse qu'était Gluck, après avoir
fourni une carrière que la fortune, les honneurs, la considération
rendaient enviable pour tous, Piccinni traînait une vie obscure
et misérable, loin du pays qui négligeait d'acquitter une dette
de reconnaissance contractée en des temps moins troublés. A
vrai dire, le musicien ne cessa de la réclamer : il fatigua de ses
suppliques les gouvernements qui se succédaient en France et
l'abusaient de vaines promesses. Nous avons retrouvé une de ces
requêtes autographes et nous la publions intégralement, à la fois
comme une biographie qui doit faire autorité, et comme le plai-
doyer qui donna gain de cause à son auteur :
« Mémoire pour le sieur Piccinni père :
» Le sieur Piccinni père, compositeur de musique, était à
Naples en 1774, occupé des progrès de son art. Louis XV lui fit
proposer par son ambassadeur M. de Breteuil de venir à Paris
et lui offrit en même temps un brevet de 12.000 livres de pen-
sion annuelle, la jouissance d'une voiture, d'un logement avec
la table.
» La mort de Louis XV empêcha l'effet de tant de promesses.
Mais bientôt, son successeur Louis XVI fit faire de nouvelles
instances au sieur Piccinni père par son ministre Glermont
d'Amboise; et un nouveau brevet de 6.000 livres de pension,
avec l'expectative d'un traitement supplémentaire de 3.OO0 livres
de récompense pour le premier qui ferait six opéras qui reste-
raient au répertoire, fut offert au sieur Piccinni père.
» Persuadé que la France était l'asile le plus inviolable pour
des étrangers, des artistes, persuadé que Paris était le temple
■ des arts, le sieur Piccinni partit de Naples en 1776. Il emmena
avec lui toute sa famille.
» Il ne parle pas de ce qu'il y fit; mais il y gagna la récom-
pense de 3.000 livres de pension par le succès constant de sept
opéras.
» La Révolution vint. Son traitement, qui avait la forme de
pension et qui était sur le trésor ci-devant royal, fut transporté
sur la caisse de la liste civile.
» On ne le paya pas. Il n'avait rien, puisqu'il laissait toujours
la moitié de son revenu à la Caisse pour devenir capital et lui
produire une augmentation de ressources pour sa famille et sa
vieillesse. Il s'adressa à l'Assemblée Nationale pour demander
son paiement, le prix de son art et de son travail. L'Assemblée
ordonna trois fois de faire un rapport. Il ne se fit jamais : les
directeurs ,de la liste civile l'empêchaient. En attendant une
décision, Piccinni vendait son mobilier, pour exister lui et sa
nombreuse famille. Enfin, n'ayant ni ressource ni réponse, il
profita de sa qualité d'étranger qu'il ne croyait jamais reprendre
et il retourna à Naples en 1791.
» L'abandon oii on le laissa en France lui fit naître l'envie de
revenir à Naples; et à Naples son attachement connu pour la
France le fait persécuter, proscrire, calomnier.
» Il demande aux sages qui composent le Gouvernement de la
République Française, de vouloir bien considérer :
» 1° Que les pension et traitement avaient été mal à propos
imputés à la liste civile ;
» 2° Qu'ils auraient dû rester à la Trésorerie nationale, puis-
qu'ils étaient le prix d'une propriété acquise par la France au
moyen d'un contrat solennel ;
» 3° Qu'ils ne devaient donc pas éprouver de réduction comme
ils en ont éprouvé sur la liste civile, étant confondus avec les
honteuses prodigalités à des courtisans.
» En conséquence ordonner : 1° que ce traitement, qui n'est que
l'intérêt annuel du capital formé par des ouvrages qu'il a placés
sur la nation française et qu'il a confiés à sa loyauté, lui soit
restitué conformément à la loi de juin 1793 relative aux
â26
LE MÉNESTREL
auteurs, compositeurs de musique, ou qu'il soit rétabli dans la
nouvelle forme ordonnée par les lois;
» 2° Que la décision lui soit transmise, d'une manière officielle
et sûre, par le ministre de la République française à Naples ou à
Rome.
» Si son existence est assurée, il ne balancera pas alors à con-
sacrer à la France ses talents et sa vie ; sa reconnaissance sera le
dernier et le plus doux de tous ses chants; sa famille formera
avec lui un concert de bénédictions.
» Naples, ce 30 thermidor, an VI.
» Nicolas PicciNNi. »
Les Melations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le
Consulat, publiées par le comte Remàcle (1), se préoccupent
fréquemment des goûts artistiques de Bonaparte. Ainsi, le
1" août 1803, l'un des rédacteurs de ces rapports s'étonne de l'ar-
deur qu'apporte le premier consul à soutenir « le misérable opéra
de Proserpine de Paisiello ». Le bruit public prétend que Bona-
parte a remanié le poème de Quinault. Mais l'agent de Louis XVIII
n'y croit pas; peut-être s'agit-il de « changements » indiqués seu-
lement par le premier consul, qui se pique en cela de suivre
l'exemple du cardinal de Richelieu, dont il est « grand admira-
teur ».
En juin 1802, toujours au dire de ces nouvellistes du trône et
de l'autel, Bonaparte traite assez durement l'Opéra, après avoir
fait à Méhul le mauvais compliment que l'on sait :
11 juin 1802.
Le Premier Consul a le défaut de faire des plaisanteries ou même de dire
de dures vérités à des gens qui n'osent répliquer. Méhul fut un jour invité à
dîner chez lui comme membre de l'Institut. Bonaparte lui dit : « Citoyen
Méhul, votre réputation est au-dessus de votre talent. Je n'aime pas votre
talent, je n'aime que la musique italienne. »
Les acteurs de l'Opéra étant allés le féliciter d'avoir échappé à l'attentat du
3 nivôse, il s'adresse à Gardel seul et lui dit : « Citoyen Gardel, faites-nous
donc des ballets. A l'Opéra je n'aime que les ballets, on n'y chante pas. on
y crie. »
Quelques jours après, le futur maître de la France la traite
avec une désinvolture qu'apprécient comme il convient les
Relations secrètes :
17 juillet 1802.
Les Bouffons avaient annoncé qu'ils donneraient ce jour-là la première
représentation de l'Inganno felice, opéra de Paisiello. Le jeudi, l'affiche avait
confirmé cette annonce. Les loges étaient louées, les places retenues. Le
vendredi, à dix heures du matin, Bonaparte envoya chercher toute la troupe
pour jouer les Noces de fJorine à la Malmaison. La plupart des spectateurs ne
connurent leur déception qu'en lisant à la porte du théâtre l'affiche nouvelle.
Six mois environ avant l'envoi de la requête de Piccinni, un
autre musicien, dont la France admirait depuis dix ans les
savantes et majestueuses compositions, Cherubini, s'entendait
rudement malmener à l'occasion d'une de ses œuvres, la Pompe
funèbre du général Hoche :
- — Vous faites trop de bruit, lui disait Bonaparte ; la vraie
douleur est monotone.
De cette époque date une antipathie restée légendaire, qu'en-
venima encore la fameuse riposte de Cherubini à une nouvelle
boutade de son contempteur :
— Certes, général, il vous faut une musique qui ne vous
empêche pas de penser aux affaires de l'État.
Bonaparte, « renvoyé aigrement au tambour », suivant le mot
pittoresque de M"^ de Chastenay, ne pardonna pas la leçon à
son interlocuteur.
Le baron de Trémont, qui raconte ces diverses anecdotes,
comme s'il eût été le premier à les tenir de Cherubini, semble
croire que Bonaparte était de bonne foi dans ses critiques. Et,
pour preuve de cette sincérité, il allègue la stupéfaction de l'em-
pereur, qui avait conservé les préventions du premier consul,
le jour où le diplomate Maret et le chanteur Crescentini lui
affirmèrent à Vienne, en 1805, le fier et noble talent de Cheru-
bini. Séance tenante, Napoléon daigna penser au grand compo-
(1) Relations secrètes des agents de Louis AT/// à Paris som le Consulat, publiées par
le comte Remûcle; Pion, 1899.
siteur : faveur insignifiante et passagère, qui dut faire paraître
plus amer encore au génie dédaigné le "retotir d'une disgrâce
désormais immuable.
Nous croyons, avec Fétis, dont la notice diffère assez sensible-
ment de celle de Trémont, que dans Cherubini le musicien
déplut peut-être moins au maître que l'homme, indépendant,
peu maniable, irritable et même grincheux.
Fut-ce cette fâcheuse disposition d'esprit, aggravée par une
indifférence plus injurieuse encore que le mépris, qui détermina
la maladie nerveuse dont Cherubini souffrit en 1808? Fut-ce, au
contraire, cette affection qui développa chez lui l'humeur atra-
bilaire dont devaient se plaindre si amèrement ses contempo-
rains? Il nous serait bien difficile de nous prononcer à cet égard.
Toujours est-il qu'à cette époque l'état mental du compositeur
donna de sérieuses inquiétudes. Cherubini s'était presque désin-
téressé de la musique. Il prenait plaisir à mille bagatelles très
appréciées dans les cercles mondains. Possédant ce qu'on est
convenu d'appeler des talents de société, il s'amusait à « faire
des dessins avec des cartes »; car, avec ses connaissances uni-
verselles, dit très sérieusement Trémont, il eût été capable d'être
indifféremment « peintre, ingénieur ou botaniste ». Mais, ce qui
était beaucoup moins indifférent, c'était la phobie — pour nous
servir du terme technique — dont le compositeur était aflligé.
— Tenez, disait-il à Trémont, voyez-vous là-bas ce nuage, il
est en marche sur nous, il vient, il passe; je vais horriblement
souffrir.
Et, de fait, sa figure pâlissait, ses traits se contractaient, ses
yeux se fermaient; il semblait qu'il allât tomber en défaillance.
{A suivre.) Paul d'Estrées.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE
C'est précisément à l'époque si intéressante des concours annuels de
notre glorieuse école de musique qiie vient de paraître un livre d'une
importance capitale pour son histoire : Le Conservatoire de musique et de
déclamation, documents historiques et administratifs recueillis ou reconsti-
tués par Constant Pierre, sous-chef du secrétariat (Paris, Heugel, in-4° de
XXVIII-1031 pages). Les travailleurs n'avaient jusqu'ici pour se guider
dans leurs recherches que le livre informe de Lassabathie, livre incom-
plet, fait sans soin, sans ordre et sans méthode, et qui cependant, tout
imparl'ait qu'il fût, avait encore son utilité, parce qu'il était le seul que
l'on pût consulter. Les plus exigeants trouveront désormais, dans celui
que j'annonce ici, de quoi satisfaire amplement leurs désirs ou leur
curiosité. Remontant jusqu'aux origines premières, l'auteur y a retracé
l'histoire de l'Ecole royale de chant et de déclamation, de l'École royale
dramatique, puis, arrivant à Sarrette, celle de l'École de la garde natio-
nale, de l'Institut national de musique, et enfin du Conservatoire propre-
ment dît, le tout à l'aide de précieux et innombrables documents officiels,
dont on ne connaissait jusqu'ici qu'une infime partie. Chemin faisant,
nous avons des renseignements utiles sur le Magasin d'édition des musi-
ciens delà garde nationale, surl'ancien pensionnat, sur l'établissement de
laSûciélé des concerts, sur les legs et donations faits en faveur des élèves,
sur les Écoles de musique des départements, sur les anciennes classes
annexes des écoles militaires, etc. Puis viennent les palmarr_'s complets
à partir du premier concours de l'an V, la liste générale des professeurs,
des morceaux de concours pour chaque branche d'études, les discours
officiels des distributions de prix avec les programmes des concerts, un
dictionnaire des lauréats, puis encore le chapitre des budgets, le traite-
ment du personnel, les pensions ou allocations accordées aux élèves des
classes de chant ou de déclamation, les questions relatives à la biblio-
thèque, au musée instrumental, que sais-je? Ce livre est en son genre
un véritable monument. Je me borne à l'annoncer aujourd'hui. J'y
reviendrai sans doute. Mais il m'a semblé que le moment était oppor-
tun pour le faire connaître à tous ceu.\, et ils sont nombreux, que le
sujet intéresse. Je ne crois pas qu'il en existe un seul du mil^me genre à
l'étranger, si ce n'est celui que Francesco Florimo a publié il y a quinze
ans sur les anciens Conservatoires et le Conservatoire actuel de Naples.
Encore celui-ci est-il conçu sur un tout autre plan et beaucoup moins
complet. Nous avons maintenant les véritables annales de notre Conser-
vatoire et son histoire authentique pendant plus d'un siècle, depuis sa
création jusqu'à l'heure présente. C'est une source unique de renseigne-
LE MÉNESTREL
227
ments, à laquelle on ne se fera pas faute de puiser et dont on ne saurait
exagérer l'utilité.
J'entre maintenant dans le vif de mon sujet, et je passe au compte
rendu des concours de l'an de grâce 1901, les premiers du vingtième
siècle.
CONTREBASSE
Toujours bien faible, la classe de contrebasse, et, au point de vue
général, donnant toujours lieu aux mêmes remarques, à la constatation
des mêmes défauts : justesse douteuse quand ce n'est pas plus, manque
de puissance dans la sonorité, de fermeté dans les attaques, c'est-à-dire
absence des qualités primordiales nécessaires en ce qui concerne cet
instrument, qui doit être à la fois la base et le métronome de l'orchestre.
Pourtant, sur quatre élèves participant à l'épreuve, le jury a trouvé
le moyen de décerner trois récompenses, dont un premier et un second
prix. Il a des élans de générosité, le jury. Le morceau de concours était
le premier solo de Verrimst, morceau bien fait, écrit avec style, avec
des doubles cordes, d'un usage peu ordinaire sur l'instrument. Le mor-
ceau de lecture à vue était de M. Paul Vidal. C'est M. Alexandre
Schmitt qui s'est vu décerner le premier prix. Ses progrès sur son second
prix de l'an dernier sont incontestables. Il joue presque juste, ses
doubles cordes sont bonnes, il a acquis de la solidité dans les attaques,
enfin il ne manque pas de style. Assez bonne lecture. C'est « à l'unani-
mité » que le second prix a été attribué à M. Gasparini. Il avait com-
mencé bien mollement, et on aurait dit qu'il craignait de réveiller un
malade. Il a trouvé par la suite un peu de vigueuj-, et il a prouvé qu'il
avait des doigts. En somme, l'ensemble de l'exécution n'est pas mau-
vais. Lecture convenable. Le jury n'a pas trouvé matière à un premier
accessit, mais il en a octroyé un second à M. G-augin. J'ai dit que
M. Schmitt joue presque juste ; M. Gaugin, lui, joue presque faux : on
sent la nuance, qui n'est pas à l'avantage de celui-ci. Les doigts sont
assez bons, mais l'archet est flasque et la sonorité manque absolument.
Lecture suffisante. Du quatrième concurrent, il vaut mieux ne pas
parler.
ALTO
Ici. c'est différent. Nous avons une classe superbe, et M. Laforge peut
être fier de ses élèves. Sur sept cpii se sont présentés il n'y en avait pas
un de faible, et plusieurs étaient excellents. Cinq récompenses ont été
distribuées, et les juges eussent pu être plus généreux encore. Ils ont
laissé de côté deux concurrents de premièi'e année, que cet échec ne doit
pas décourager, car ils ont tout ce qu'il faut pour briller l'année pro-
chaine, et ils n'y manqueront cei'tainement pas. Ce concours, dans son
ensemble, a été l'un des plus brillants que l'on puisse imaginer: mais
il n'était pas seulement brillant, et il donnait une haute idée de la soli-
dité de l'enseignement du professeur.
Le morceau choisi était un concertino (et non concerto, comme disait
le programme) de H. Arends. Qui ça, Arends? Malgré toutes mes
recherches, je n'ai pu le découvrir. Seulement, comme son concertino
est publié chez l'éditeur Jurgenson, à Moscou, j'en conclus que l'auteur
est contemporain, sans doute vivant, et que probablement il est russe.
Ce choix est-il un nouveau résultat de l'alliance?... Toajours est-il que
ledit concertino, qui a un caractère un peu romantique et qui, en
somme, n'est point désagréable, est un morceau de virtuosité pure,
hérissé de difficultés, fertile en doubles cordes, sixtes, dixièmes, etc., et
même en cjuadruples cordes, quelque chose comme du Vieuxtemps pour
l'alto, et dont les sept concurrents se sont tirés à leur plus grand hon-
neur. Comme pour la contrebasse, le morceau à vue était écrit par
M. Paul Vidal.
Un très beau premier prix à M. Michaux, second prix de l'an dernier.
Grande justesse, de la facilité, de l'élégance, de bons doigts, un joli
phrasé, telles sont ses qualités. L'ensemble est excellent. Lecture d'ar-
tiste. — Deux seconds prix, l'un à M. Drouet, 2° accessit de l'an dernier,
l'autre à M. Marchet, 2*^ accessit de 1899, tous deux en très grands pro-
grès. Chez M. Drouet, intonations très sûres, bonnes qualités d'ensemble,
avec une certaine élégance de phrasé. Manque encore un peu de fini.
Très bonne lecture. Chez M. Marchet, que je lui préfère, belle justesse,
joli son, archet solide, de l'acquis, de la sûreté, de la hardiesse. Lecture
excellente. — Un premier accessit à M. Vieux, qui, en dépit de son
nom, est précisément le plus jeune de la bande. Jeu un peu inégal,
manquant parfois de fini, mais non d'une certaine grandeur; d'ailleurs
un tempérament d'artiste, avec de la flamme et de l'élan. Mais pour-
quoi se tenir si mal, et coucher ainsi la tôte sur son instrument, d'une
façon si disgracieuse? Très bonne lecture. — Enfin, un second accessit
à M. PoUain. Exécution correcte et sûre, très propre et très honorable
dans son ensemble, sans caractère particulier. Très bonne lecture aussi.
Les deux dédaignés sont MM. Roelens et Meynard. M. Roelens a un
jeu solide, qui manque peut-être un peu d'air et laisse à désirer un peu
de finesse, mais qui est très estimable. A soigner l'élégance du son.
M. Meynard s'emballe un peu, mais il a du bon; il phrase bien et joue
très juste. L'ensemble est estimable, sans qualités particulières. Remar-
quable comme lecture.
VIOLONCELLE
Séance intéressante. Douze concurrents nous faisant entendre le pre-
mier allegro du premier concerto de Davidow, concerto dans la forme
et dans le style, un peu modernisé, de ceux de Viotti. Le morceau à
vue, de M. Charles Lefebvre. Sur ce nombre, sept récompenses, dont
trois premiers prix, à MM. Fournier, élève de M. Cros-Saint-Ange,
Jullien et Gaudichon, élèves de M. Loeb, tous trois seconds prix an-
térieurs.
M. Fournier est un artiste formé, dont l'exécution est excellente. Du
son, des doigts habiles, un très beau mécanisme, avec cela un phrasé
ample et limpide, un archet ^à la fois solide et moelleux, de l'élégance
dans le chant, du goût et du style. Très bonne lecture. — Chez M. Jullien
du goût et du style aussi, un archet élégant, un joli son, un heureux
phrasé, de la sohdité. Quelques petits défauts de justesse dans le premier
trait, mais la fin du concerto brillante, chaleureuse, excellente. Lecture
parfaite. — M. Gaudichon, qui, cette année encore, a concouru en uni-
forme de troupier, a de bons doigts, un archet facile, un bon mécanisme,
de la sûreté et de l'expérience, et chante avec goût. L'ensemble est très
bon, tout en manquant un peu d'éclat et de personnalité. Chose assez sin-
gulière, M. Gaudichon, qui était le dernier l'an passé, était le premier
cette année. Il n'a pas eu à s'en plaindre, puisqu'il a eu le second prix
Fan dernier et le premier cette fois. On voit que le fétichisme des places
n'a pas toujours de raison d'être.
Deux seconds prix ont été décernés à l'unanimité à M. Bedetti, élève
de M. Loeb, et à M"= Clément, élève de M. Cros-Saint-Ange. Un em-
ballé, M. Bedetti, ce qui n'est pas pour me déplaire lorsque, comme
c'est le cas, cet emballement a pour cause un véritable tempérament.
On peut constater des inégalités et des faiblesses dans le jeu de ce jeune
homme, mais aussi des choses excellentes et, ce qui est mieux encore,
une personnalité. La vérité est qu'il a un beau son, un phrasé bien
senti, le goût du chant, et surtout de l'ampleur, de la flamme et de l'élan.
A soigner tout à fait la justesse. — Chez M'" Clément un bon bras
droit, un jeu facile, du son et un certain style. Justesse... facultative
dans les traits. En résumé, pas de supériorité, mais des qualités appré-
ciables.
C'est aussi à l'unanimité que M. Minssart s'est vu attribuer un pre-
mier accessit. Exécution propre et impersonnelle. Bon bras droit, jus-
tesse généralement satisfaisante, phrasé agréable. On souhaiterait plus
de son, et aussi plus de chaleur. Lecture faible. — Un second accessit
(est-ce de consolation?) a été accordé à M. Cuelenaere, élève, comme
M. Minssart, de M. Cros-Saint-Ange. Il me semble qu'il abuse un peu
de la faculté de jouer faux. A part cela, un archet assez large, du son et
un chant bien posé. En fait, quelques qualités ordinaires; mais c'est la
justesse qui est extraordinaire!
Je regrette qu'on ait laissé sur le carreau M. Lafarge, qui en était à
sa dernière année, et qu'on laisse partir avec son premier accessit. Je
sais bien qu'il mancpre un peu de chien, et que la fin de son concerto
aurait pu être meilleure. Mais il a du son, de l'ampleur dans le jeu,
un phrasé limpide, de l'expérience, un ensemble net et solide. — Je
signalerai en terminant M. Casadesus, qui ne manque pas de qualités,
mais qui manque de justesse, condition première de toute bonne exécu-
tion. Qu'il travaille surtout de ce côté, il a de quoi faire par ailleurs
avec son bras droit élégant, son chant gracieux et son bon sentiment
musical.
Le jury, pour les trois concours de contrebasse, alto et violoncelle,
était composé de MM. Théodore Dubois, président, Charles Lefebvre,
Paul Vidal, Loys, Van Waefelghem, Salmon, de Bailly, Ed. Colonne
et Taffanel.
CHANT (Hommes).
Concours sans éclat, en ce sens qu'il n'a mis eu lumière aucune per-
sonnalité brillante, aucun de ces sujets dont l'autorité s'impose et qui
excite vivement l'intérêt, mais, en somme, d'une bonne moyenne et
donnant une heureuse impression d'ensemble. Quelques bonnes voix,
du reste, et qui promettent pour l'avenir.
Un bon point, avant de parler des élèves, à messieurs les professeurs,
pour le choix des morceaux et pour leurs tendances classiques . Le pro-
gramme comprenait cette fois les noms de Rameau, de Gluck, de
Haendel, de Cherubini, de Grétry, de Weber, de Rossini. A la bonne
heure, et voilà qui va bien. Mais pourquoi ne pas joindre aussi un peu
â ces noms celui de Mozart? Il me semble qu'il y a dans Idoménée, dans
Don Juan, dans les Noces de Figaro, dans la Flûte enchantée, voire dans
LE MÉNESTREL
Cosi fan iutte et dans l'Enlèvement au sérail, certains morceaux qui ne
seraient pas déplacés dans le répertoire des concours et prouveraient
qu'un élève sait poser la vois, chanter et vocaliser. Ce dernier point
surtout ne manque pas d'importance et me parait avoir été un peu
négligé dans l'épreuve dont j'ai à parler. Je sais bien qu'avec la musi-
que de Wagner et de ses imitateurs il n'y a plus besoin de savoir voca-
liser; mais on ne chantera pas toujours que de la musique du Maître
(une grande M, s. v. p.) et surtout de ses congénères, et il viendra bien
un moment où l'on pensera à autre chose. Et alors, ou ne sera pas
fâché de rencontrer quelques chanteurs qui aient un peu de légèreté et
d'agilité dans la voix. En tout état de cause je vous assure que Mozart a
du bon, et que ce serait dommage de le laisser oublier complètement.
Le jury de ce concours, qui comprenait les noms de MM. Théodore
Dubois, Victorin Jonciéres. G. Marty, Delmas, Vaguet, Escalais, Four-
nets et Gailhard, a distribué ainsi les récompenses :
./ers pyj^^ — j^jj^j_ j^igaiix, élève de M. Warot. et Geyre, élève de
M. Crosti.
2"^' prix. — MM. Gaston Dubois, élève de M. Edmond Duvernoy,
Guillamat, élève de M. DubuUe, et Granier, élève de M. Warot.
/"" accessits. — MM. Billot, élève de M. Vergnet, et Ferrand, élève
de M. Dubulle.
2'' accessits. — MM. Gilly, élève de M. Masson, et de Glynsen, élève
de M. Auguez.
Ni M. Rigaux ni M. Geyre ne sont des artistes formés, et leur fortune
n'a pas été sans provoquer quelque étonnement. Non qu'ils manquent
de qualités, mais ces qualités sont encore d'un ordre secondaire. M. Ri-
gaux a chanté l'air du Tribut de Zamora avec un baryton vigoureux et
parfois un peu gros. II prononce bien et phrase heureusement. Il y a
du bon chez lui, et l'on peut croire à son avenir; mais il me semble
qu'il a encore beaucoup à apprendre. — C'est dans l'air superbe des
Abencérages, de Cherubini : Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière,
que M. Geyre s'est fait entendre. Sa voix de ténor est suffisamment
solide, tout en sortant un peu de la gorge ; il a tout à la fois du sentiment
et de la vigueur. Mais son premier prix n'est-il pas un peu prématuré ?
Je sais bien que, personnellement, il ne doit pas être de mon avis.
Aussi n'est-ce pas à lui que je le demande.
Par exemple, l'annonce des trois seconds prix a paru rencontrer l'ap-
probation générale. M. Gaston Dubois, qui est en progrés sur l'année
dernière et qui parait s'éti-e débarrassé d'un chevrotement précoce et
fâcheux, a déployé sa jolie voix de ténor, fraîche et flatteuse, dans l'air
du Freisckiitz. Au point de vue vocal, il ne manque pas de vigueur
lorsqu'il est nécessaire ; au point de vue du chant proprement dit, il a
du goût et de la grâce, et il a dit cet air avec un heureux sentiment.
Mais, pour Dieu! qu'il consente à ouvrir la bouche, car il est impossible
d'entendre un traître mot de ce qu'il dit. — M. Guillamat est certaine-
ment l'un des meilleurs sujets du concours. Il a dit d'une façon remar-
quable l'air si dramatique et si admirable du Dardanus de Rameau :
Monstre affreux, monstre redoutable. Voix bien posée, belle diction,
bonne articulation, de la largeur dans le débit, de la noblesse dans le
style, de la chaleur, de l'expression, de l'inteUigence, c'était complet.
Celui-là a de l'avenir, ou je serais bien trompé. — C'est dans l'air
célèbre: Quandr renaîtra la pâle aurore, de Guido et Ginevra, qui était,
dit-on, l'un des triomphes du grand Duprez, que M. Granier s'est fait
entendre. Sa voix est un peu gutturale, ce qui, d'ailleurs, ne lui enlève
pas sa vigueur. Chanteur adroit et déjà d'une certaine habileté, il a
montré de la sensibilité, de l'émotion, et a fait preuve de goût. L'en-
semble était très satisfaisant. Mais, hélas ! qu'il se mette en garde
contre l'horrible chevrotement, monstre affreux, monstre redoutable. . .
Il me semble qu'on aurait pu élever d'un cran la récompense attri-
buée à M. Billot sous forme de premier accessit. Ce qui est certain,
c'est qu'il a chanté de façon à satisfaire les plus exigeants l'air majes-
tueux et si plein de noblesse de la Fête d'Alexandre, de Haendel, où il a
développé, avec une belle voix de basse chantante, un style large et
plein d'ampleur, particulièrement dans l'andante, ce qui ne l'a pas
empêché de briller dans les vocalises. De la vigueur, de l'autorité, une
bonne diction, une articulation nette, le vrai sentiment du rythme,
telles sont ses qualités. Avec un bon travail encore, il y a là un sujet
précieux pour les concours futurs. — Son camarade, M. Ferrand, a dit
le joli air de Falstaff du premier acte du Songe d'une nuit d'été. C'est
propre, honorable, sans personnalité et manquant un peu de verve. 11 s'est
échauffé pourtant à la fin et a enlevé les vocalises avec un certain brio.
Les deux seconds accessits, MM. Gilly etdeClynsen, ont chanté tous
deux un air d'Iphigénie en Aulide. M. Gilly se sert avec habileté de sa
jolie voix de basse; il phrase bien, avec goût, il a du sentiment, de
l'émotion et le sens du style scénique, et avec cela une sobriété louable.
Il a de quoi faire. — M. de Glynsen ne dépasse pas un bon ordinaire.
Ni qualités ni défauts appréciables, pas de personnalité.
M. Baer a manqué le premier prix auquel il lui fallait aspirer. Pour-
quoi ? Peut-être parce que le morceau qu'il avait choisi, l'air de Thoas
au premier acte d'Iphigénie en Tauride, n'était pas heureux comme mor-
ceau de ooncours. Il y a montré pourtant de l'élan, de la chaleur et du
style. C'est une épreuve à recommencer. Qu'il ne se décourage pas. Il
a de quoi faire, et largement.
Quelques-uns de ces jeunes gens se sont encore plus ou moins dis-
tingués. M. Sigwalt dans l'air du Siège de Corintlte; superbe basse chan-
tante, bien développée et sortant bien; de la vigueur, une bonne articu-
lation, du style, de la solidité dans le phrasé. — M. Minvielledans l'ah-
d'Hérodiade; jolie voix de ténor, à la fois flatteuse, solide et étendue ;
bon phrasé, du sentiment et du goût. — M. Triadou dans l'air de
Richard Cœur de Lion: 0 Ricliard, 6 monroi! de la chaleur, de l'élan, de
la vigueur. — M. Rechencq dans l'air diiAbencérages; voix malheureu-
sement sans caractère; mais de l'âme, de l'émotion, de l'e.xpression. —
M. Aumônier dans l'air de la Reine de Saba: basse solide et bien posée,
bonne articulation, de la sagesse, de la largeur, du style, très bon
ensemble. Qu'ils travaillent et qu'ils espèrent. Nous les retrouverons
l'an prochain.
CHANT (Femmes).
Bonne séance, qui nous a présenté plusieurs sujets intéressants et
qui est fertile en heureuses promesses pour un avenir prochain. Nous
n'avons eu qu'un seul premier prix, en la personne de M'"^ Huchet,
l'unique second prix de l'an passé, mais parmi les autres élèves cou-
ronnées, et même parmi celles qui ne l'ont pas été, peut-être à tort, on
a pu distinguer d'heureuses natures, des jeunes femmes bien douées et
qui paraissent destinées à briller plus tard.
Voici la liste des récompenses décernées :
/" prix. — M"'= Huchet, élève de M. Dubulle.
2" prix. — M'"'* Féart, élève de M. Duvernoy, Revel, élève de M. Léon
Duprez, Gril et Van Gelder, ilèves de M. Masson.
I"' accessits. — M""' Billa, élève de M. Vergnet, et Cortez, élève de
M. Dubulle.
2" accessits. — M"'' Ruper, élève de M. Dubulle, et JuUian, élève de
M. Auguez.
C'était justice d'attribuer le premier prix à M"' Huchet, une gentille
blondinette qui a chanté d'une façon vraiment charmante la valse de
l'Ombre du Pardon de l'ioermel. Elle a du goût, de la grâce, de l'agilité,
un bon sentiment musical, avec de jolis détails d'exécution. Ses vocalises
sont brillantes et généralement très satisfaisantes. Il est évident qu'elle
n'a plus rien à apprendre à l'école, et qu'il ne lui reste qu'à profiter de
l'exemple de ses aînées.
Les quatre seconds prix sont de mérites divers. W^" Féart, une brune
à l'œil sévère, s'est fait entendre dans le Per^rfo,pnrg'ràro, de Beethoven.
C'est ce qui s'appelle prendre le taureau par les cornes. Audaces fortuna
juvat! Elle n'a pas eu à regretter sa hardiesse. Sa belle voix de mezzo-
soprano, vigoureuse et étendue, d'un velouté superbe dans les notes
graves, est pleine d'éclat dans le registre élevé. Il y a mieux, et son exé-
cution est fort intéressante. Bon phrasé, sage et sobre dans les moments
de tendresse, prenant de l'accent et de la chaleur dans le pathétique.
Bonnes qualités d'émotion. Cela n'est pas parfait sans doute, mais c'est
déjà beaucoup de chanter ainsi ce chef-d'œuvre. — M"° Revel avait
choisi l'air du Freisclwtz. Elle l'a chanté dans une teinte un peu blonde,
comme ses cheveux. L'andante n'était pas mal dit, mais avec trop do
placidité; elle a trouvé un peu de chaleur dans l'allégro, pas beaucoup,
pas assez. Tout ça était bien, vocalement; mais l'émotion, mais la pas-
sion, qu'est-ce que vous en faites, mademoiselle? Et si vous n'en trouvez
pas dans la musique de Weber... — A la bonne heure, M"'^' Gril, qui
s'est présentée dans l'air d'Alccste : Divinités du Sty.v. Ici, non seulement
je trouve une fort jolie voix, ferme et étendue, habilement conduite,
mais du style, un rythme précis, et avec cela le sentiment dramatique,
une véritable intelligence scénique, l'émotion, et parfois la grandeur.
Bu un mot, une nature d'artiste. — J'hésite à porter un jugement for-
mel sur M'" Van Gelder, qui semble intelligente, mais qui me parait
avoir eu tort de choisir un air superbe d'Hippolyte et Aricie, le premier
opéra de Rameau. A mon sens elle n'a rien compris à cette musique,
extrêmement difficile d'accent et si complètement inconnue de nos jeunes
chanteurs. Je suis obligé de croire que c'est moi qui me trompe, puis-
que le jury lui a donné raison en lui décernant un second prix. Ne me
croyant pas infaillible, je ne discuterai pas sur ce sujet.
Ce concours de chant semblait presque un concours d'opéra. Sur dix-
huit concurrentes, nous n'avons eu que quatre morceaux légers. Les
deux premiers accessits, M""* Billa et Cortez nous ont fait entendre, la
première l'air de Fidelio, la seconde celui d'Orphée : J'ai perdu mon
Eurydice. Dans Fidelio, M"° Billa a montré une réelle habileté de can-
tatrice ; mais, saprelotte ! qu'elle a besoin de s'échauffer ! Technique-
LE MÉNESTREL
229
meut, c'était très bien, mais ça manquait rudement de chien, et les
« transports » qui étaient censés l'animer ne l'animaient guère. On ra-
conte que M"° Clairon, donnant un jour une leçon à une jeune femme
qui manquait absolument de ce que Voltaire appelait « le diable au
corps », et ne sachant comment la dégeler, finit par lui dire : — « Mais
enfin, mademoiselle, nous jouons la tragédie, l'héroine que vous repré-
sentez est dans le désespoir, et il faut que vous le fassiez sentir au
public. Supposez que vous perdiez votre amant, que feriez-vous ? —
Moi ? répond l'élève sans s'émouvoir, je tâcherais d'en trouver un autre.
— S'il en est ainsi, reprend la Clairon, nous faisons toutes deux un
travail inutile, et vous ferez mieux de rester chez vous. » Je ne ferai
pas à M"« Billa l'injure de lui adresser une semblable question; mais,
si la musique de Beethoven ne suffit pas à l'entrainer, je l'engagerai à
relire attentivement les paroles de Fidelio, si mauvaises qu'elles soient,
de façon à se pénétrer de la situation terrible de Léonore. Elle en com-
prendra le pathétique, et elle s'efforcera de le traduire. — M"' Gortez,
dont le mezzo-soprano est d'une belle qualité, a mis de bonnes inten-
tions dramatiques dans l'air A'OrpMe, qu'elle a dit avec émotion.
L'e.xécution était encore un peu sage peut-être, mais intelligente.
M"^ Ruper a obtenu son second accessit avec l'air de Marguerite des
Huguenots, qu'elle a dit d'une façon un peu insignifiante, mais avec
une certaine bravoure dans les vocalises. — Sa camarade, M"" Jullian,
dont la voix est fort belle, a chanté l'air si émouvant d'Obéron sans style
et sans chaleur.
Nous avons eu cette fois encore, comme tous les ans, notre petit
semblant d'émeute. A peine M. Théodore Dubois avait-il fait appeler
M"=' Ruper et Jullian, qu'un certain nombre de mécontents se sont mis
à crier : Foreau ! Foreau ! avec une insistance et un bruit tels que
M. Dubois s'est trouvé dans l'impossibilité d'annoncer à ces jeunes
filles que les seconds accessits leur étaient décernés. Heureusement,
cela n'a pas été plus loin, et le sang n'a pas coulé. J'avoue que je ne
m'explique pas très bien cette manifestation. Mon Dieu, je ne mécon-
nais pas que M"' Foreau ait fait preuve d'une belle voix et de qua-
lités très appréciables dans un air d'ailleurs assez pâle de Proserpine, de
Paisiello. Je l'avais, pour ma part, remarquée, et les notes que je re-
trouve sur mon carnet lui sont favorables. Mais elle n'était pas seule,
parmi les élèves non couronnées, qui parût digne d'encouragement. Je
citerai M"" Demougeot, à qui, en ce qui me concerne, j'aurais donné
volontiers le second prix auquel elle aspirait, pour la façon émue et in-
telligente dont elle a chanté l'air du songe d'Iphigénie en Tauride, avec
un style bien lié et une voix bien posée ; M"° Cauchois, qui, immédia-
tement avant elle, avait dit ce môme air avec de l'accent, de la fermeté
et un sentiment très e.xpressif; M"' Gonzalez, qui a chanté avec esprit
et en vocalisant gentiment l'air jadis si fameux du Billet de loterie, de
Nicolo; M"' Grazide, dont la jolie voix, bien posée et habilement con-
duite, s'est développée dans l'air du Freisckûtz, où elle a mis de l'élan
et de la chaleur; enfin M"' Yergonnet, qui a chanté gentiment l'air du
Pré aux Clercs. Que ces enfants ne se découragent pas, y compris
M""^ Foreau ; qu'elles prennent de la peine, qu'elles continuent de tra-
vailler, l'avenir est à elles.
Le jury était le même pour ce concours que pour celui de la veille.
Arthur Pougin.
P. S. — L'heure avancée à laquelle fiait le concours de piano (hommes) ne
me permet pas d'en rendre compte aujourd'hui. (Nous enverrons bien d'autres
avec le concours des femmes, qu'onn'espère pas voir terminé avant neuf heures
du soir.) En attendant, voici les résultats de la journée pour les deux con-
cours de harpe et de piano :
HARPE
ysfs Prix. — M"° Sassoli, M. Salzédo.
2' Prix. — M"= Pestre.
4"'^ Ace. — M"'* Pouilain et Meunier.
2r- Ace. — M"" Lipschitz.
Tous élèves de M. Hasselmans.
PIANO (■ifommes.J
/ers Prix. — MM. Lortat-Jacob, élève de M. Diémer, et Salzédo, élève de
M. de Bériot.
2«» Prix. — MM. Borchard, Billa et Arcouet, élèves de M. Diémer.
i" Ace. — MM. Garés, élève de M. Diémer, et Dumesnil, élève de M. de
Bériot.
Sf^ Ace. — MM. Turcat, élève de M. Diémer, et Galland, élève de M. de
Bériot.
A. P.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite,)
L'aluetta lo pUnta;
Lo polé prin savoteia,
Et la volaia sinta...
Xlf
CHANSONS BRESSANES
Les chansons bressanes se distinguent par une naïveté toute parti-
culière. Ce sont des mélodies lentes, monotones et psalmodiées, dans un
patois lourd et traînard, d'une voix uniforme qui laisse la plupart du
temps l'auditeur à la devinette des sentiments qu'elles expriment.
L'une des plus connues est celle des Fiancés du mois de Mai. Elle
commence ainsi :
Vekia veni lo zouli ma,
L'aluetta planta lo ma ;
Vekia veni lo zouli ma ,
Voici venir le joli mois, — L'alouetle plante le mai ; — Voici venir le joli mois, —
L'alouette le plante ; — Le coq a pris sa volée, — Et la volaille chante...
C'est une ballade qui, dans les couplets qui suivent, énumère les
curieux effets des eSluves printaniércs, et en conclut qu'il faut marier
les filles de bonne heure.
Celles-là ne demandent pas mieux, car en aucun pays les demoiselles
n'ont aussi hâte de tenir ménage qu'en Bresse.
Mais, d'abord, ce joli portrait de la Bressane, par Francis Wey, dans
Les Français peints par eux-mêmes :
« Peu de provinces françaises possèdent des jeunes filles aussi bien
costumées que le pays qui nous occupe. Rien de plus galant que leur
corset lacé par devant comme celui de cette bergerette que Greuze a
peinte au moment où elle vient de casser sa cruche; rien de plus har-
monieux à l'œil que leur robe de drap bleu que recouvre jusqu'à mi-
jambe une jupe ornée, sur toutes les coutures, de galons de soie et de
passementeries pailletées d'or ou d'argent. Leur tablier, plus court en-
core que la jupe, est d'une coupe élégante. Leurs bavolets, ainsi que la
plupart de leurs ajustements, sont frangés de dentelles noires qui, se
mêlant avec celles dont leur feutre de bergère est inondé, encadrent la
tète dans la profondeur de leurs ombres, sur lesquelles les lignes pures
de l'ovale ressorteut avec fermeté, et d'où se détache dans toute sa fraî-
cheur leur figure douce et rêveuse. »
Donc, on marie les Bressanes fort jeunes. Quand un père juge à
propos d'établir sa gachenotte. lien fait part aux garçonsdu pays. Ceux-ci
d'accourir aussitôt, et chacun de chanter à la belle :
Vo disiez, bargerette, To çouqui u'a que bosse,
Qu'aimour et in offiin, Vo n'I'aimus'ro po tant
Qu'aivo eunn' sinsonnette Vo lo voites que tosse,
Vo l'aimus'ro in an. Demain i sero grant...
Vous disiez, bergerette, — Qu'amour est un enfant, — Qu'avec une chansonnette —
Vous l'amuseriez un an. — Ceci n'est que sornette, — Vous ne l'amuserez pas tant, —
Vous le voyez qui tette, — Demain il sera grand...
L'amour grandit, c'est certain, mais aucun des soupirants no peut
savoir en faveur duquel se produit l'heureux présage de bonheur. La
gachenotte, élevée jusque-là dans la réserve la plus absolue, est devenue
subitement libre. Elle reçoit ses prétendants, seule, sans que personne
ne la surveille. Peu importe qu'elle soit cajolée ; elle a acquis le droit
d'être courtisée. Son honneur est engagé dans cette lutte, et elle saura
le défendre. Ne lui demandez pas de se déclarer, de montrer à la troupe
de ses amoureux de quel côté son cœur incline. Elle aura pour tous des
sourires, des minauderies identiques. Et jusqu'à la veille de Noël, nul
ne connaîtra, l'un sa bonne fortune, les autres leur grand désastre.
Entre temps, tous sont de la veillée qui précède la messe de minuit.
On boit, on mange, et l'on chante... des Noëls, naturellement.
Il en est de très jolis en Bresse. L'un se chante communément à
Bourg et dans la contrée :
Noël, Noël est venu, on fera la bourdifaille. . . Noël est venu et il a
frappé ses mains quand il a vu que dans la crèche il n'y avait qu'un peu
de foin. Vite il a sorti de sou sachet du guinguet et des Mtelets, des
rësouV et dupa;; blan (du petit vin et des rôties, des rissoles et du pain
blanc), qu'ils ma«... qu'ils man... qu'ils manzironsu la fan (qu'ils man-
geront à leur faim).
Mais ce menu ne peut suffire. Et Noël crie l'alarme en Bresse. Aus-
sitôt il vient quatre bergers, et quatre jolies bergères, qui portent des
paniers plin de biau frui per confire. Trois Dombistes les suivent, avec
rôtis dans des corbeilles, et trois Maçonnais munis chacun de vin blanc
six bouteilles. Mais ce n'est là que l'avant-garde. Au pays, dray qu'an
apressi la navela, on a fait batre le tambor, per bato to per ecuala (pour
230
LE MENESTREL
mettre tout par écuelles). Bécasses, levrauts, cailles sont pris chez
Cornillon, Goy se charge de trois dindonneaux et d'une longe de veau
dont il a fait un bon ragoût, tandis que sa femme confectionnait du boudin
et prenait chez M. de Chom uue grande bassine d'argent pour y mettre
son présent.
A l'hôte de la Bonne École est revenu l'honneur de fournir Na balla
zanzoula (la belle andouille) et trois barillets de maude mau, — de inau-
tarda de Dijon. Alors, le tavernier de Saint-François, entendant qu'on
faisait braire le cass' e lou lécefratj (les poêles et les lèchefrites), a fait faire
à son valet une poitringne de poulet (na potringa de palet), qu'on s'en
leçove to draij le baben elou cin day. Pour le coup, le patron de l'Hôtel de
l'Écu, en voyant qu'on partait au clair de lune, mit en toute hâte pour
quatre écus de sucre dans de la farine pour faire des gâteaux qui sem-
blaient des châteaux. Et ce n'était pas quasi jour qu'on vit l'hôte de la
Pomme, qui. piqué d'honneur, buiovait dans son for deux tartes à la
grande forme.
A l'aube tout le monde est en route, jusqu'aux chiens, aux chins, qui
ont suivi par chemins l'hôtelier de la Navette, fourni de vray fromazo puri.
Entre temps le Régent des Écoliers, le pore Bégat, et le pore Alexis,
moine, qui ne portent rien, et qui, même, de faim so fi pelo lo ba (se font
claquer le bec) en route, se sont dit, après avoir dormi près d'une heure
sur le foin : — Il faut faire une offrande... Et pour ce, si joignirent cinq
ou sis compagnons per tore no sarabonda (pour' toucher une sarabande)
avec leur grand bourdon, ou grand chalumeau, qui fait la basse con-
tinue.
Ils seront les musiciens de la fête, et, pour de bon, chanteront. Les
rôles sont ainsi distribués par le Régent, qui se garde la place d'hon-
neur :
Lo poro Bista so bin
.4ri tore de la flauta ;
Mario fredonera bin ;
Seron conduira la fêta.
Zé peurterai lo Ray bay !
Per bali çoqu'on son dray,
No c;mteron broveman ;
Lo Ray tête ! lo Ray tête 1
No canteron broveman :
Lo Ray tête su lo fan !
Le père Bista saura bien
Des airs tirer de sa flûte ;
Mario fredonnera bien ;
Seron conduira la fête.
Et moi, je porterai : le Roi boit!
Pour donner à cbacun son droit,
Nous cbanterons bravement :
Le Roi tête ! le Roi tête !
Nous cbanterons bravement :
Le Roi tette sur le foin !
Mais la cloche résonne, appelant les paroissiens à la messe nocturne.
Et à ce moment la jolie Bressane va droit au garçon qu'elle a choisi,
et met son bras sous son bras pour qu'il la mène à l'église. Les autres
n'ont qu'à s'incliner : le verdict est sans réplique.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On nous écrit de Londres: « L'Opéra de Covent-Garden vient déjouer eu fran-
çais, avec un très grand succès, le bel opéra d'Edouard Lalo, te Roi d' ¥s. Le livret
de M. Edouard Blau, construit sur une vieille légende bretonne qu'on raconte
aussi en Ecosse, se distingue par l'adresse avec laquelle il est composé et la
pleine mise en valeur de plusieurs scènes remarquables. La musique est ori-
ginale et fraiche, l'orchestration superbe ; on comprend facilement pourquoi
le Roi d'Ys est considéré en France comme un opéra classique et comme
l'une des meilleurs œuvres lyriques produites pendant le dernier quart du
XIX'= siècle. Le duo entre Margared et Rozenn et la scène des fiançailles du
premier acte ont produit un très grand effet ; au deuxième acte la scène de
Margared, l'air de Mylio « sur l'autel de Saint-Corentin », le duo entre Mar-
gared et Kamac ont également réuni tous les suffrages ; an dernier acte le
succès est surtout allé à la ravissante scène de mariage, au duo d'amour
entre Mylio et Rozenn et au dernier tableau avec ses grands effets scéuiques.
L'interprétation a été excellente en ce qui concerne le rôle de Margared
(M."" Paquotj, de Rozenn (M""» Suzanne Adams), et du roi (M. Plançon) ; le
Mylio de M. Jérôme n'a pas été moins satisfaisant, de même que le Kamac
de M. SeveUhac. Dans les autres rôles se sont distingués MM. Rea (Jahel) et
Jonrnet (Saint-Corentin). M. Flon a dirigé la représentation avec brio et
élégance. L'opéra a été monté avec soin et habileté; au dernier tableau le
saut de Margared dans la mer, le mouvement des flots et l'apparition du
saint apaisé, ont été réglés très habilement. Malheureusement la saison de
Covent-Garden touche à sa fin et le directeur ne pourra pas profiter de ce
beau et grand succès d\i Roi d'Ys, qui aurait pu fournir une série de représen-
tations très importante pour le théâtre.
— Une jeune fille. Miss Gwendolen Johnston Watson, vient de faire jouer
à Londres, salle Cavendish, une féerie intitulée Sneewitkhen (Princesse de
neige), dont les paroles sont tirées du fameux conte allemand des frères
Grimm. L'œuvre a remporté un grand succès; son interprétation, par une
troupe de dilettantes enthousiastes, a été remarquable. On dit que Sneewittclwn
sera jouée à Noël sur une des grandes scènes de Londres avec uae mise en
scène de premier ordre.
— Lundi dernier ont commencé à Bayreuth les répétitions en scène du
Vaisseau fantôme. Cette œuvre n'a pas encore été jouée au théâtre Nvagnérien,
et le régisseur lui consacre la plus grande sollicitude: on a dès à présent
arrêté le nombre très important des répétitions. C'est M. Félix Mottl qui
s'est chargé de la direction du Yaissemt fantôme; il s'est complètement récon-
cilié avec M'"« Cosima Wagner, qu'il avait quittée fort mécontent il y a deux
ans. M. Hans Richter est également arrivé à Bayreuth; il s'est engagé à
diriger le cycle de l'Anneau du Kibelung. MM. Van Dyck et Schmedes, de
l'Opéra de Vienne, ainsi que plusieurs autres artistes notables sont déjà à
Bayreuth pour prendre part aux répétitions. Une activité fébrile règne au
théâtre; on désire que le io' anniversaire de son inauguration soit fêté par
des représentations impeccables.
— La ville de Bayreuth prépare une grande solennité en l'honneur de
M"" Cosima Wagner et de sa famille, à l'occasion du '23" anniversaire de
l'inauguration du théâtre wagnérien. M"" Cosima Wagner a invité tous les
solistes et musiciens d'orchestre qui ont pris part aux représentations de
1876 à assister à la première représentation de 1901. Plusieurs solistes sont
encore de ce monde: mais, en dehors de M""' Lili Lehmann, aucun d'eux
n'appartient plus à la scène. Les musiciens d'orchestre de 1876 ont été aussi
l'orlement clairsemés par la mort : les survivants viendront à Bayreuth et
porteront la médaille en argent que Richard Wagner avait offert en 1876 à
tous ses collaborateurs.
— L'Opéra royal de Berlin a fermé ses portes, mais l'opéra estival, si cher
aux Berlinois, fait florès. Les habitants de la capitale allemande ont actuel-
lement le choix entre trois théâtres qui jouent l'opéra malgré la canicule, et
partout c'est notre bon vieil opéra-comique qui tait les frais du répertoire.
Au théâtre Schiller, qui n'était pas construit pour cela, on entend presque
tous les soirs Vut de poitrine et le fouet du ténor Boetel, ancien cocher de
fiacre de Hambourg, qui possède une voix de ténor magnifique et adore par
esprit de corps le brave Postillon de Lonjumeau; les artistes du théâtre Garl
Weiss jouent avec un succès énorme la Part du Diable, dont la vogue n'a pas
encore cessé de l'autre côté du Rhin.
— Il s'est formé à Munich une société pour les représentations wagué-
rienues, à l'instar de celle qui existe pour le théâtre de Bayreuth. Moyennant
une cotisation de 2S francs, chaque membre pourra assister à une des repré-
sentations solennelles (festspiel) à son propre choix: le surplus servira à
l'achat de billets pour les musiciens pauvres. Les musiciens recommandés
par un des membres de la Société seront admis en première ligne. La Société
espère aussi recevoir des dons pour pouvoir procurer à beaucoup de musiciens
pauvres la possibilité d'assister aux représentations du théâtre du prince-
régent qui, décidément, va faire une concurrence loyale mais redoutable à
Bayreuth.
— On annonce de Munich que le compositeur Karl de Perfall, ancien inten-
dant général des théâtres royau.x, qui avait conservé la présidence de l'Aca-
démie de musique de Munich, a donné sa démission à cause de son grand
âge. M. de Perfall vient en eft'et d'entrer dans sa 79» année.
— A l'occasion du 2S» anniversaire de la mort du compositeur Joseph
Dessauer, un journal allemand raconte une jolie anecdote. A Paris, Dessauer
s'était brouillé avec le célèbre poète Henri Heine, et celui-ci poursuivait dans
la presse le malheureux compositeur. Un jour, Heine écrivit de Paris à son
journal allemand que Dessauer avait vendu à l'éditeur Maurice Schlésinger,
que le poète n'aimait pas non plus, deux douzaines.de lieder moyennant une
montre en or. Quelques jours après, Dessauer se rendit chez Schlésinger
pour lui annoncer que la fameuse montre ne marchait pas. Schlésinger répon-
dit tranquillement : « Vos lieder lui rendent la pareille. Est-ce que votre
musique marche? Regardez-moi ce tas; aucun exemplaire n'est parti. » Inu-
tile d'ajouter que Heine avait inventé ce dialogue de toutes pièces, car il fut
un temps où les compositions de Dessauer se vendaient assez bien.
— L'Opéra impérial de Vienne manque de deux chefs d'orchestre, et la
direction a invité plusieurs candidats à venir en automne pour diriger des
représentations à titre d'essai. Parmi ceux-ci se trouvent MM. Blech et
Gille.
— Au Conservatoire de Vienne les concours de fin d'année ont pris fin la
semaine passée. On élève du compositeur Robert Fischhof, professeur de
piano audit Conservatoire, a fait sensation; ce jeune pianiste, qui s'appelle
Bruno Eisner, est considéré comme le plus grand talent que le Conservatoire
ait formé depuis un quart de siècle et a reçu tous les premiers prix, ainsi que
le piano de concert d'une valeur de 3.000 francs que M. Boesendorfer offre au
meilleur élève du Conservatoire.
— M. Antoine Dvorak a accepté les fonctions de directeur du Conserva-
toire de Prague, devenues vacantes par la retraite de M. Bennewitz. Il est
vraiment regrettable que l'artiste, qui n'est plus jeune, se soit chargé de cette
besogne au lieu de consacrer toutes ses forces et tout son temps à la compo-
sition musicale.
— On vient de jouer à l'Opéra de Gracovie, avec un très grand succès,
.Janek (Jeannot), un nouvel opéra dont la musique est due à M. L. Zelenski,
directeur du Conservatoire de musique de cette ville.
LE MENESTREL
231
— On vient de constituer à Bruxelles un comité Peter Benoit, qui, d'accord
avec le comité central établi à Anvers et avec les autres groupes régionaux
déjà formés ou à former dans les autres provinces du pays, a pour Lut :
1. La publication de l'œuvre complète du maître défunt, avec la participa-
tion et le contrôle des pouvoirs publics;
2. L'érection à Anvers d'un monument public;
3. L'érection sur sa tombe d'un monument funéraire.
Voici la composition du comité, auquel il est laissé la latitude de s'adjoin-
dre, par la suite, de nouveaux membres, au mieux de ses travaux et de sa
propagande : comité exécutif : président d'honneur, M. Huberti; présidents,
MM. Dedeken et A. Wilfcrd; vice-présidents, MM. Arthur Degreef, Lagye,
Edm. Hendrickx, Fr. Reinhard; secrétaires, MM. A. Dejaegher, W. Gijssels
et H. Teirlinck; trésoriers, MM. 't Sjoen, E. Deveen et II. Vanderseypen. Le
comité d'honneur est en formation. Il sera formé également un comité de la
presse.
— A Sturla, station balnéaire voisine de Gênes, un groupe de dilettantes
vient de représenter, au bénéfice d'une œuvre de bienfaisance, une comédie
lyrique en trois actes. Maria Amata, œuvre d'un ingénieur, M. Arturo Pier-
rottet, qui, non content d'en avoir écrit les paroles et la musique, en a encore
dirigé l'exéculion. Il va sans dire que, dans ces conditions, l'œuvre et l'au-
teur ont obtenu un succès complet. — D'autre part on a donné à Caserte la
première représentation d'un drame lyrique en deux actes, Daniella, paroles
de M. Golisciaui, musique d'un jeune compositeur, M. Mariano Marzano,
qui n'était encore connu que par de la musique de salon et des œuvres reli-
gieuses. Gomme toujours, on annonce un grand succès. Cette Daniella avait
pour interprètes M™s Lucia Nicosia et Masula, MM. Quadri, Montella et De
Falco.
— Le premier vendredi de novembre cominencera, au théâtre Costanzi de
Rome, une série de concerts symphoniques qui se prolongera pendant tout
le mois de décembre. Le personnel exécutant sera formé du grand orchestre
romain, qui sera dirigé tour à tour par divers chefs, MM. Mancinelli, Mas-
cagni, Perosi, peut-être M. Siegfried Wagner et quelques autres directeurs
renommés.
— Sous ce titre : Un outrage à la mémoire de Cimarosa, la Gazzetta musicale de
Milan publie la correspondance suivante, qui lui est adressée de Rome :
Je vous disais, dans ma dernière lettre relative au centenaire de Cimarosa, que le peu
qui s'était préparé à Rome pour commémorer ce maître illustre valait mieux que rien.
Laissez-moi me repentir qu'une telle phrase me soit échappée; jamais alïirmation ne fut
plus fausse et insensée. Mieux, mieux mille fois rien que le peu qui s'est fait en l'hon-
neur (? 1) de l'immortel compositeur d'Aversa. On avait préparé, au Théâtre National,
l'exécution de Giannina e Bernardone, une des meilleures œuvres de Cimarosa. mais non
certainement la meilleure ; nous ne savons pour quelle raison on avait laissé de c6té
il Matvimonio segreto, œuvre plus récente et de facture plus soignée ; peu l;-être voulait-on
justifier ce choix par l'assertion, inexacte, que Giannina e Bernardonc n'avait jamais été
représenté à Rome (tandis que, en tait, il le fut au théâtre Valle, en 1790). On pria
l'honorable Rosano, président du comité international ad hoc, de lire un discours. Mais
qu'arriva-t-il ? La représentation eut lieu vendredi. Le soin de monter l'ouvrage avait été
confié à un violoniste romain connu, très habile dans son art, mais très peu propre à
diriger une partition ; l'orchestre, excepté quelques artistes excellents, contenait des élé-
ments faibles et liétérogènes ; les interprètes, tous amateurs, dépourvus de voix, man-
quant d'action et incertains de leurs rôles, excitèrent la risée universelle dès les pre-
mières notés. Le discours de l'honorable Rosano resta à rétâf de pieux désir, et à sa place
on donna la comédie Esmeratda. Je n'ai pas réussi à comprendre, je confesse mon inca-
pacité, quel rapport il y avait entre la comédie de Giacinto Gallina et Cimarosa. Il y eut
éiïcore l'ouverture du jl/a/rimonio seiyrefo et une poésie de circonstance, inspirée parla
distinguée autant qu'immanquable poétesse Bertini-Attili et récitée par Virginia Marini,
ce qui valut à Vaulrice quelques rappels, toujours à la gloire de Cimarosa ! Le centenaire
du fécond compositeur ne fut donc que troublé par cette plaisanterie appelée commémo-
ration. Des ambitions mesquines et des vanités msatiables ont souvent besoin d'un pié-
destal pour satisfaire leurs appétits. Mais qu'on laisse au moins dormir en paix les
hommes illustres du passé, et qu'on leur épargne de tels outrages ! Ne suffisait-il pas au
pauvre Cimarosa les menaces d'une diminutio capitis par les Bourbons de 1799?
— L'administration du théâtre du Buen Retiro de Madrid avait ouvert un
concours pour la composition d'un opéra espagnol qui devait être représenté
à ce théâtre, et dont l'auteur bénéficiait, en outre, d'un prix de 2.O0O francs.
Le jury chargé de juger ce concours était formé de trois compositeurs :
MM. Fernandez Caballero, Thomas Breton et Zubiaurre, et de trois critiques :
MM. Mufioz, Saint-Aubin et Arimon. Sept œuvres avaient été présentées.
Parmi ces sept œuvres, le jury en avait surtout distingué deux comme dignes
de la récompense, l'une portant pour épigraphe : Morir es Iriimfar, l'autre :
Pro patria. Mais comme il était absolument limité par les conditions du
concours, il dut, quoique à regret, faire un choix entre les deux, et il se
décida pour la première. Il ouvrit alors l'enveloppe qui contenait le nom de
l'auteur, avec le titre de l'ouvrage. Celui-ci était intitulé Marcia, et il avait
pour auteur un compositeur de Bilbao, M. Gleto Zavala. Cet opéra va entrer
immédiatement en répétitions, de façon à pouvoir être représenté dans le
cours du mois prochain.
— Un opéra-comique intitulé te fioz Dodo, musique de M. Gustave Lueders,
vient d'élre joué avec beaucoup de succès à Chicago. Les journaux améri-
cains parlent d'un nouveau Mikado, mais on connaît leur exagération habi-
tuelle, et il faut atteadre le Roi Dodo à sa millième représentation.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministère de l'instruction publique et des beaux-arts n'a pas encore
fait paraître à VOfficiel les promotions dans la Légion d'honneur, à l'occasion
du li juillet, mais les indiscrétions vont déjà leur train. Pour ne point causer
de grosses désillusions, ne parlons ici que des nominations qui paraissent
tout à fait certaines; parmi les officiers, figureront M. Faure, notre célèbre
baryton, qui, malgré la carrière unique qu'il fit et les longs et brillants ser-
vices qu'il rendit, n'était encore, depuis longtemps, que chevalier, M. Albert
Carré, l'actif et si artiste directeur de l'Opéra-Comique, les poètes Jean Aicard
et Léon Dierx; parmi les chevaliers, on cite M. Xavier Leroux, l'auteur
à'Astarté, M. Maurice Desvallières, l'auteur, avec M. Georges Feydeau, de
Champignol, M. Victor Capoul, directeur de la scène à l'Opéra, MM. Edmond
Duvernoy et Crosti, professeurs au Conservatoire. Ces deux dernières nomi-
nations seront rendues publiques le jour de la distribution des prix.
— Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a élu correspondant
libre, en remplacement de M. Venturi, élu associé étranger, M. le comte di
San Martino, président de l'Académie de Sainte-Cécile de Rome, auteur
d'écrits intéressants sur l'art musical.
— A peine de retour de Dresde, M. Pedro Gailhard, l'infatigable directeur
de notre Académie nationale de musique et de danse, a rebouclé sa valise
pour aller, entre deux trains, assister à une répétition de Siegfried, à Bay-
reuth. Il avait emmené avec lui son électricien. Espérons qu'à eux deux, ils
auront pu se rendre compte comment, aujourd'hui, on doit éclairer une scène.
Et voilà que les feuilles publiques annoncent que l'intrépide glob-trotter, dès
après le concours d'opéra va passer quelques jours seulement à Luchon, d'où
il filera en auto pour faire son tour de France. Soyez prudent, ami Gailhard.
Que deviendrait le palais Garnier s'il vous arrivait malheur en route! Nous
savons bien qu'il nous resterait M. Victor Capoul, qui fait déjà souvent
votre intérim; mais nous avons assez mauvaise souvenance de la piteuse
mise en scène de certain Roi de Paris, dont, dans votre maison, on voulut
bien rendre responsable votre inoffensif et toulousain bras droit. Pas de cent
vingt à l'heure, n'est-ce pas, Pedro? Soyez aussi sage que lorsque derniè-
rement vous étonniez les promeneurs du bois de Boulogne en chevauchant,
enfoui dans vos caoutchoucs, votre teuf-teuf paternel.
— A l'Opéra-Comique engagement de M"s Marthe Gaux, une très char-
mante élève du Conservatoire, que de mauvaises dispositions avaient empê-
chée, aux concours de l'année dernière, de décrocher le prix qu'elle aurait
dû avoir et qui était allée donner des représentations en province, notamment
à Dijon et à Reims, où elle créa la Cendrillon de Massenet et chanta Mignon.
M. Albert Carré, ayant appris ses succès, l'attache heureusement à son théâtre
et compte la faire débuter par le rôle d'Angèle du Domino noir, lors de la
reprise prochaine de l'œuvre d'Auber entièrement remontée à neuf.
— Pendant la fermeture de l'Opéra-Comique le bureau des abonnements,
situé rue Marivaux, restera ouvert tous les jours de deux heures à cinq heures.
Rappelons que, par une innovation heureuse, la saison des abonnements ne
comprendra plus, dorénavant, que les jeudis et les samedis, les mardis étant
supprimés. Cette saison commencera le 7 novembre 1901 pour prendre fin le
14 juin 1902 et sera composée de deux séries de quinze représentations cha-
cune, alimentées par quinze programmes différents. Les conditions restent
les mêmes que pour les saisons précédentes. M. Albert Carré a, de plus, créé
nue nouvelle catégorie d'abonnements dit de famille, comprenant également
quinze représentations qui auront lieu, eu deux séries A et B, tous les lun-
dis, du 11 novembre au 16 juin, et au prix ordinaire du bureau.
— Grâce à la bienveillance du ministre de l'instruction publique et de la
direction des beaux-arts, Paris aura prochainement au Grand-Palais, tous
les dimanches, pendant la belle saison, des concerts populaires accessibles
aux bourses les plus modestes, où un orchestre de choix fera entendre les
œuvres des maîtres anciens et modernes les plus célèbres. Ces concerts,
dont l'inauguration aura lieu très prochainement et qui se continueront tous
les dimanches, seront dirigés par M, Louis .Pister.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, c'est M. Victor Silvestre, dont le pas-
sage à la direction de diverses scènes parisiennes a plutôt marqué, qui prend
le Château-d'Eau, en lui rendant son ancien nom, — pour y exploiter l'opé-
rette à spectacle. Ajoutons que l'audacieux directeur a l'intention, à l'instar
des petites villes du Nord et pour donner satisfaction à la clientèle populaire
du quartier, d'adjoindre, le samedi et le dimanche, à l'opérette en cours un
drame du répertoire. Littérature, musique et cervelas. Notre confrère M. Paul
Lordon est d'ores et déjà chargé du secrétariat général et c'est M. Léon
Vasseur qui sera chef d'orchestre.
— D'autre part, c'est M. Richemond, qui fut de l'administration de
l'Athénée avec M. Deval, qui prend possession des Folies-Dramatiques. Le
directeur du square de l'Opéra et celui de la rue de Bondy ont l'intention de
marcher la main dans la main et de s'entr'aider eu se prétaijt mutuellement
leurs artistes. C'est dire que le genre exploité aux Folies sera la comédie, avec
incursion dans le domaine du vaudeville à couplets.
— Le Bulletin municipal a annoncé que l'administration examine un projet
d'Opéra International à installer sur l'ancien emplacement du Cirque des
Champs-Elysées et présenté par M. Léon Carvalho. C'est par M. Leoncavallo
qu'il faut lire. L'auteur de Paillasse et son frère, qui chercha déjà à monter à
Paris un théâtre lyrique, ont eu effet, paraît-il, réuni des capitaux qui leur
permettraient -de mettre-à-exéeution un projet de théâtre où l'on jouerait des
œuvres musicales françaises, italiennes et allemandes.
232
LE MENESTREL
— Le second des gros lots de cent mille francs de la loterie de l'Association
des Artistes dramatiques qui n'avait pas encore été réclamé — on se rappelle
que l'autre avait été gagué par le coiffeur du Grand Théâtre de Bordeaux —
vient, enfin, de trouver son beureux possesseur. C'est à MM. de Rothschild
qu'il échoit et l'on peut dire, cette fois encore, que la fortune a bien fait les
choses, puisque les célèbres banquiers ont immédiatement avisé le Comité
qu'ils abandonnaient la somme totale au profit de l'œuvre de la maison de
retraite que l'Association va fonder pour les vieux comédiens.
Peu à peu la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de mu-
sique, dont les appétits apparaissent trop souvent tout à fait injustifiés, en
est arrivée même à toucher régulièrement des droits d'auteur sur des auditions
entièrement gratuites. M. Adrien Jlithouard, comme pas mal d'auteurs avant
lui. s'est ému de cette situation, qu'il considère comme absolument injuste,
et, tout en reconnaissant la parfaite légitimité du principe de la perception
sur les exécutions publiques dès qu'elles sont susceptibles de rapporter, il
voudrait voir ramener à la sagesse et à l'équité la Société qui semble outre-
passer ses droits. Il vient donc d'é.mettre, au Conseil général, le vœu suivant
tendant à obtenir une réforme qu'il juge nécessaire et qui a été renvoyée à
la quatrième commission :
1" Qu'une disposition législative inlarvienne pour dispensjr les musiques des armées
de terre et de mer, les musiques des éliiblissements scolaires, les sociétés musicales auto-
risées, chorales ou instrumentales, de l'acquittement de droits d'auteurs ou de compo-
siteurs et de l'obligation d'une autorisation pré.ilable, pour les exécutions en plein air et
à huis clos qui ne donnent lieu à aucune recelte directe ou indirecte;
2° Que les auditions gratuites desdites sociétés ne soient plus considérées comme
payantes par le seul fait de l'établissement d'un vestiaire ou de la vente d'un programme ;
3' Que les redevances dues pour des exécutions donnant lieu à une recette soient mo-
dérées dans le cas où elles incomberaient, à défaut des entrepreneurs ou organisateurs,
aux musiques et sociétés ci-dessus désignées.
— Le Journal officiel, dont ce n'est pas l'habitude, nous apporte une nou-
velle, et, qui plus est, une nouvelle originale. Qu'on en juge. Il nous annonce
qu'un habitant de Nice, M. Verda, demande, dans les formes, à changer son
nom de Verda en celui de "Verdi. Pas dégoûté ! h'Ofliciel ajoute que le pos-
tulant « remplit toutes les formalités exigées par la loi pour atteindre ce
résultat ». Moi, ça m'est égal: mais si j'étais de la famille Verdi, je ne serais
peut-être pas content. En tout cas, je trouverais cela singulier.
H. Albert Soubies vient de publier, chez Flammarion, dans sa char-
mante et si utile collection de l'Almanach des Spectacles, un nouveau volume
(le xxixS année 1900) orné, comme les précédents, d'une jolie eau-forte de
M. Lalauze. Entre autres documents inédits, nous y trouvons cette curieuse
nomenclature des pièces qui. l'an dernier, ont réalisé, dans les théâtres de
Paris, les recettes les plus élevées :
Les Huguenots [Opérai Fr. 22.926 90
La Poudre de Peilinpinpiii {ChdleM) 13./i79 50
Le Dépit amoureux et le Bourgeois gentilhomme (Comé-
die-Française) 12.166 .
L'Aiglon (Th. Sarah-Bernhardt) 11.778 »
L'Assommoir (Porte-Saint-Martin) 9.680 »
Louise (Opéra-Comique) 9.634 60
Éducation de prince {Variétés) 8.351 »
JV/odame Saiis-Géiie (Vaudeville) * ■ 8.038 »
La Bourse ou la Vie (Gymnase) 6.725 »
ies Aforis de Lconiine (Nouveautés) 6.655 •>
Clidteau historique (Oiéoa] 6.432 »
Moins Cinq (Palais-Royal) 6.366 »
Les Saltimbanques (Gaîté) 6.365 50
Tête de linotte et l'Anglais tel qu'on le parle (AthSn ei . 4.586 »
Les Deux Gosses (Ambigu) 4.357 50
Iphigénieen Tauride (Renaissance) 4.404 50
ia iîeiîje de Sate (Th. de la République) 4.093 »
La Parisienne, Main gauche et l'Artide 330 (Théâtre
Antoine) 3-961 50
Les Dragons de Villars (Folies-Dramatiques) 2.852 25
François ies £as-Bteis (Boutfes-Parisiens) 2.850 50
Le Fiancé de Thylda (Cluny) 2.349 «
Le Sous-Préfet de Chiiteau-Buzard {Déjazel) 1.644 75
Ce petit document nous fait connaître qu'en dépit de la maladie wagnérienne
qui sévit depuis si longtemps à l'Opéra, la musique de Meyerbeer n'a pas
perdu tout attrait pour le public, puisque la plus forte recette de l'année —
une recette de près de 23.000 francs ! — a été faite par les Huguenots, ce chef-
d'œuvre honni aujourd'hui par une certaine école.
— De Royat. M. Edouard Colonne, venu, ici, en villégiature avec M"" Co-
lonne, vient, sur la pressante sollicitation des personnages notables de la
ville, de donner, au théâtre municipal, un grand concert qui n'a été qu'une
longue suite d'avations pour l'éminent chef d'orchestre. M. Daniac et M. de
Villers les directeurs du Kursaal, avait mis à sa disposition leur orchestre
auquel s'étaient adjoints, avec empressement, tous les artistes et amateurs
clermontois. Inutile de dire avec quelle perfection, sous la direction d'un tel
chef tous les numéros du programme furent exécutés et quel succès on fit
notamment au Dernier sommeil de la Vierge de Massenet, à la suite de Sylvia
de Delihes à la marche de la Damnation de Faust de Berlioz, etc. A l'issue du
concert, l'administration supérieure des eaux à laquelle s'étaient joints le
IMPRIMERIE CENTRALE DES CBEHI.VS DE FER,
préfet du Puy-de-Dôme et quelques amis ont bu une coupe de Champagne et
porté la santé du célèbre chef d'orchestre français.
— De Boulogue-sur-Mer: La troupe d'opéra du Casino municipal a débuté
mardi dernier dans Manon, interprétée par M"»* Marignan, Rousseau, Meis-
sonnier, Ferdique, MM. Boulo, Féran et Sainprey. Le menuet fort bien réglé
par M""= Rozier. l'orchestre parfait, tout a été digne des applaudissements
qui ont salué les interprètes. Mamzelte Mtouclw fait les brillants lendemains
de ces beaux débuts.
— Soirées et Coscerts. — En deux séances très chargées, .M"'Hungera faitentendre,
à la salle des Ingénieurs civils, les élèves de ses cours de rau5i([ue placées sous la ha\ite
direction de M. Alph. Duvernoy. Beaucoup d'applaudissements pour les jeunes élèves,
parmi lesquelles on remarque, entre autres. M"" Renée !.. i Entracte Gavotte de Mignon,
A. Thomas), Gilberte d'E. {Aragoitaise du Cid, Massenet), Jeanne B. [Clair de lune de
Werther, Massenet), Yvonne D. {Air à danser, Dubois), Geneviève de M. iHoman d'Arle-
quin, Massenet), Germaine de Saint-D. {Source capricieuse, FiUiaux-Tiger), Alice R. {Man-
dolinata. Paladilhe-Saint-Saëns), Germaine D. {Valse chromatique, Godard), Gabriel L.
{Ma:urlia élégante, Lack), Armande J. {Valse chromatique, Godard), Claire de K. {Étoiles
/liantes, Lack), Germaine P. (Mandolinata, Paladilhe-Saint-Saëns), Madeleine R. {Valse
caprice, Rubinstein), Odette L. {Polkeltina, Lack), Yvonne M. [Valse arabesque, Lack),
Marie L., lïhsabeth L., Julie L., Henriette L. {Cortège de Bocc/ihs de Si/d'ia, Delibes),
Marguerite B. (Aragonaise du Cid, Massenet), Marie-Louise M. de la P. {Valse arabesque,
Lack), Marie-Louise M. de la P., Suzanne M., Isabelle G. du R., Y'vonne L. {Enlr'acte
scvillana de Don César de Ba:!an, Massenet), Florine S. {Le Retour, Bizet) et Marie L.,
Marguerite H., Suzanne M., Germaine L. [Saturnales des Erinnyes, Massenet). — Au
foyer du théâtre de Saumur, très bonne audition des élèves de M"° Raynaud-Yvon à qui
le public a fait un succès mérité. Parmi les numéros du programme les plus appréciés,
citons le Coucou de Daquin, Danse rustique de Dubois, Valse slgrienne de Lack et l'air
de Marie-Magdeleine de Massenet qu'on a bissé.
NÉCROLOGIE
Un des derniers représentants de la grande école italienne de chant
dramatique, le fameux baryton FrancescoGraziani, vient de mourir, le 30 juin,
à l'âge de 72 ans, dans sa villa de Grottazzolina, près de Ferme, où il était né
le 26 avril 1829. Après avoir débuté à Ascoli, puis s'être fait entendre à Ma-
cerata, à Ghieti, à Pise et à Florence, il vint à Paris en 1834, fit presque
aussitôt un voyage à New-York, puis, de retour en Europe, fut attaché à
notre Théâtre-Italien jusqu'en 1861 tout en faisant, chaque été, la saison du
théâtre Covent-Garden, à Londres. Son talent de chanteur était des plus
remarquables, et il ne se montrait pas moins habile sous le rapport du jeu
scénique. Son triomphe était éclatant surtout dans le rôle de Rigoletlo, où
ses qualités dramatiques se montraient en pleine lumière. En 1862 il obtint
d'énormes succès à la Scala de Milan, puis il fut engagé pour trois années à
Saint-Pétersbourg. On le revit en 1866 à Paris, mais sa voix était déjà fati-
guée, et il ne retrouva qu'une partie des succès qui l'avaient fait acclamer
naguère dans il Trovatore, Don Giovanni, Maria di Rohan, Luciadi Lammermoor,
Ernani, Otello, il Giuramento, il Barbiere, la Traviata, etc. Il quitta le théâtre
peu d'années après, et se retira à Grottazzolina, où il devint conseiller com-
munal, puis syndic (maire). « Les honneurs que sa ville natale lui a rendus,
dit un journal, ont été imposants par le grand nombre de sociétés accourues,
de maestri, de professeurs et d'amis, qui ont prononcé sur sa tombe des dis-
cours inspirés de sentiments artistiques et patriotiques. »
Henri Heugel, directeur-gérant.
e AU MENESTREl-., 3 l>is, rue Vl-rl*
PROPRIÉTÉ POXJR, TOUS P.A.-VS
i
THÉODORE DUBOIS
Sonate pour violon et piano, dédiée à MM. Ysaye et Raoul Pugno, net 6 »
Deux Pièces en forme canonique pour hautbois, violoncelle et piano,
dédiées à MM. GiUet et Delsart 7 bO
Menuet dans le style ancien pour violoncelle et piano, dédié à M. Loeb. 6 »
cH-lvr. miDot^
Choral et Variations pour harpe et orchestre, dédiés à M. Hasselmans.
ParLilion d'orcliesLre, net ; 15 francs. — Parties sijparées, net ; 30 francs,
chaque partie supplémentaire, net : 1 fr. 50 c.
Les mêmes, réduction pour harpe et piano 9
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nimaiiclie 28 Juillet 1901:
3670. - «7- mm - I\»30. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 '"', rue Tivienne, Paris, «• «■)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTR
Le HaméFo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET TIIEATI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
lie flamépo : 0 fp. 30
Adresser fran-co à M. Hekri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an,Te.\te seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIEE-TESTE
I. L'Art musical et ses ioterprètes depuis deux siècles (22" article), Paul d'Estrées. —
II. Les Concours du Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MES VŒUX
mélodie de Paul Puget, poésie de Jules Bardier. — Suivra iramédiateraent :
les Portraits, mélodie de Joanni Pkrronnet, poésie de Antonin Lugnier.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Ldndler alsaciens (%" suite), par Charles Malherbe. — Suivra immédiatement :
la Flûte et le Luth, de A. Périlhou.
L'AKT MUSICAL ET SES INTERPHÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les mémoires les plus récenls et des docnmems inéilits
(Suite.)
H (suite)
De cette maladie bizarre, qui dura plus d"un an, il ne devait
rester à Cherubini que ses allures brusques, bourrues, chagrines,
devenues brutales et tyranniques quand il fut nommé directeur
du Conservatoire. Il était la terreur de la maison, injuste pour
les anciens pensionnaires et décourageant pour les nouveaux.
Nous devons constater toutefois que, dans de récentes publica-
tions, une réaction s'est produite en sa faveur. Cherubini nous
apparaît sous un autre jour. Il est encore peu accueillant et
même désagréable, mais il est plus équitable, il encourage
même... à sa manièr-i, le vrai mérite.
Une petite protégée d'Élie Berthet passait devant le terrible
maitre un examen de piano. La fillette ne manquait ni d'aplomb,
ni de doigté; le maitre ne sourcillait pas. Tout à coup l'élève
fond en larmes.
— Perché plorez-vous? fait Cherubini.
— J'ai beau jouer de mon mieux, vous ne me dites rien.
— Si ze ne dis rien, c'est que ze zouis content. Autrement, ze
parlerais.
Nous allons l'entendre parler, mais, ô merveille! pour com-
plimenter un « zeune imprudent », qui était allé lui porter un
quatuor de sa façon, un quatuor, cette pierre de touche du com-
positeur, comme Cherubini aimait à le répéter.
Charles Dancla (1), patronné par Turcas, musicien distingué et
gendre du directeur du Conservatoire, avait obtenu, grâce à lui,
de présenter son œuvre à Cherubini. Quand la classe de com-
position d'Halévy est terminée, Dancla, précédé de ses artistes
et tenant en main sa partition, pénètre tout tremblant dans
l'antre du lion.
— Ahl coquin, dit Cherubini, en jetant les yeux sur les
feuilles, qui étaient très nettement écrites, tu copies bien, mais
nous allons voir si le ramase il ressemble au plumaze.
La comparaison, paraît-il, se justifiait le mieux du monde,
car le directeur se lève, serre la main de Dancla et le félicite
chaleureusement :
— Redis-moi ton quatuor.
Après une nouvelle exécution :
— Continoue... ma, attends «m poco.
Et Cherubini, qui était entré dans sa bibliothèque, en sort
avec son Traite de Fugue et de Contrepoint qu'il donne au compo-
siteur-violoniste :
— Ze l'ai corrizé de ma main, ma l'esemplaire il est bon.
Gounod se rappelle également avec émotion l'intérêt que Che-
rubini prit à ses études. Après la mort de Reicha, un des profes-
seurs de Gounod, le directeur du Conservatoire, qui prisait peu
la manière et le style allemands du défunt, voulut que « le petit »
suivît la méthode italienne. Il le mit dans la classe de fugue et
de contrepoint d'Halévy, son élève, c'est-à-dire à l'école de
Palestrina. En même temps Gounod étudiait avec Berton, un
adorateur exclusif de Mozart : le jeune élève était aux anges,
lui qui appelait les Noces de Figaro « le bréviaire des musiciens ».
Mais, Berton étant mort (2) deux mois après, Cherubini place
Gounod dans la classe de Lesueur, à qui sa haute taille et sa
grande figure pâle donnaient l'aspect d'un auguste patriarche. Il
était écrit que le futur auteur de Faxist ne devait pas garder
longtemps ses professeurs. Lesueur eut à peine le temps de lui
faire apprécier les hautes qualités de son rare esprit, de sa
science incomparable, de son cœur aimant et généreux.
Le baron de Trémont, qui ne parait pas avoir connu ce Che-
rubini nouvelle manière, nous trace au contraire un portrait peu
flatté du maître dans ses rapports avec ses élèves : c'était le pire
des despotes, comme nous l'apprend la mésaventure de Zimmer-
mann.
Cet artiste était professeur de piano déjà connu quand il
étudiait l'harmonie avec Cherubini : les exigences de sa clientèle
l'obligeaient à prendre un cabriolet qu'il laissait deux fois par
semaine à son professeur, alors que celui-ci allait au Jardin
des Plantes composer son fameux herbier. Or, un jour que la
(1) Dancla. — Noies et souvenirs ; Delamotlc, 1893.
(2) Nous nous expliquons difficilement l'erreur de Gounod. Berton ne mourut que cinq
ins après.
234
LE MÉNESTREL
pluie tombait à torrents, Zimmermann demande timidement à
garder le cabriolet pour se rendre à ses leçons.
— Z'en souis bien face, répond Cherubini; ma ze ne puis
manquer ma séance.
— Alors, prêtez-moi votre parapluie.
— Amico, le saze dit: ne prête ni ta femme, ni ton seval, ni
ton rasoir ; moi z'azoute le paraplouie.
Et le pauvre Zimmermann dut partir sous la pluie battanle
pour aller donner ses leçons.
Cherubini n'avait pas non plus la réputation d'être un parent
fort tendre, ni un ami foncièrement dévoué. Adam, le composi-
teur, en donnait une preuve bien topique au peintre Eugène Dela-
croix. Un graveur avait obtenu de Cherubini, mais avec quelle
difficulté, l'autorisation d'exécuter la médaille du maître d'après
un de ses portraits. L'artiste, pour lui témoigner sa gratitude,
crut devoir lui apporter plusieurs exemplaires de son travail.
Mais Cherubini les refusa en ces termes :
— Je ne donne rien à mes parents et je n'ai pas d'amis.
Peut-être gardait-il rancune aux siens des sacrifices qu'ils lui
avaient involontairement imposés pendant les heures si difficiles
pour lui de l'Empire. Les Deux Journées étaient le seul de ses
ouvrages qui se jouât encore, et la moins aléatoire de ses res-
sources était la place d'inspecteur du Conservatoire qui lui per-
mettait de faire vivre sa femme et ses trois enfants.
Musicien, il était entré dans une famille de musiciens, et il
devait marier sa fille à un musicien. M°" de Chastenay, toute
fière encore d'avoir été applaudie par l'illustre maître dans un
concert d'une élève de Garât, nous dit que le beau-père de Che-
rubini, compositeur des plus savants, avait écrit la musique
d'un Te Deum pour le rétablissement de la monarchie. Cheru-
bini, qui lui témoigna toujours la plus complète indifférence,
n'aimait pas du tout son gendre Turcas. Après la mort de celui-ci,
un ami vint présenter au beau-père ses compliments de condo-
léances et crut devoir ajouter :
— Eh bien I Comment allez-vous?
— Mal, très mal.
— Ah ! je comprends, une perte si douloureuse !
— Si ce n'était encore que ça 1
— Quoi donc, grand Dieu I
— Mon çocolat, il ne passe pas bien.
Mais Cherubini est tellement l'homme des contrastes inatten-
dus que, même après avoir lu ces témoignages contemporains
dignes de toute créance, on ne saurait s'étonner d'une lettre,
d'esprit absolument opposé, adressée par lui à £. Bérat, le
25 juillet '1827 et publiée par le chansonnier dans ses, Mélanges
littéraires (1).
Cherubini, qui signe « in œternum. Votre dévoué », remer-
cie avec effusion « son cher ami Bérat, du charmant bonjour en
paroles et en effigie que lui a remis de sa part Panseron ». Il est
vrai qu'il a un service à lui demander. 11 prie son correspondant
de s'inquiéter de M-'^ Cherubini, de sa fille Zénobie et d'une femme
de chambre, parties de Paris pour Dieppe et passant à Rouen
où elles doivent débarquer au bureau des Vélocifères. Lui les ira
chercher à la fin d'août, peut-être au commencement de sep-
tembre ; et il compte bien, à l'aller et au retour, avoir le plaisir
de chanter: « J'ai retrouvé mon Bérat », allusion aux couplets
du chansonnier comique « j'ai retrouvé mon coutiau ».
Si les contemporains ne sont pas toujours d'accord pour juger
l'homme, ils sont unanimes pour célébrer' le musicien.
Haydn et Beethoven le tenaient en très haute estime : celui-ci,
dit Gounod, l'appelait le premier compositeur de son temps et
lui soumit le manuscrit de la Messe solennelle (œuvre 123). Ber-
lioz, pour quiBellini n'était qu'un « petit polisson », le traitait
d' « illustre vieillard ».
Eugène Delacroix ne le vénérait pas moins. En 18S3 il enten-
dait avec plaisir la Marche du Sacre, bien qu'il trouvât le Credo
« bruyant etpeu touchant ». Un air de Cherubini lui parait « un
foudre d'invention » à côté de « l'éternelle musique primitive
sans interruption et monotone », dont Delsart bourre le pro-
gramme de son concert.
Un an après, Delacroix discutait avec le violoncellisle Fran-
chomme des mérites respectifs de Spontini et de Cherubini. 11
mettait la Vestale an-dessus des œuvres dramatiques de celui-ci.
Franchomme protestait. Et Delacroix concluait : « Mon adversaire
a peut-être raison comme facture ; mais certainement le célèbre
« contrapuntiste » n'eût pas traité le même sujet avec autant
de passion et de simplicité ! »
(A suivre.) Paul d'Estrées.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE
HARPE
(Il E, BÉBAT. — Mélanges liitéraires; Rou
Celui-ci comptera certainement parmi les plus brillants de la série,
et, de fait, il a été d'une valeur absolument exceptionnelle. La classe de
M. Hasselmans, toujours si remarquable, si distinguée dans ses résul-
tats, s'est montrée cette fois supérieure encore à elle-mùine, si bien que,
sur sept élèves qui se présentaient au concours, six se sont vu décerner
des récompenses, dont trois prix et trois accessits. L'élément féminin
était prépondérant cette fois, car sur ces sept élèves il n'y avait qu'un
seul mâle, le jeune Salzédo; ce qui ne l'a pas empêché, d'ailleurs,
d'emporter l'un des deux premiers prix.
Le morceau d'exécution était un joli morceau de M. Widor, intitulé
Choral et Variatiom. avec accompagnement de quatuor et de piano, qui,
je pense, n'était que la réduction de l'orchestre complet. Il était bien
écrit pour mettre en relief tous les avantages et toutes les ressources de
l'instrument, et pour permettre à l'exécutant de déployer lui-même
toutes ses qualités et toute son habileté. Le morceau de lecture à vue
était aussi de M. Widor.
Deux premiers prix, à M"" Sassoli et à M. Salzédo. M"' Sassoli, une
enfant de quatorze ans, en était à son premier concours et a enlevé son
prix haut la main. C'est une délicieuse petite nature musicale, douée
d'une étonnante façon. Un jeu perlé, une sonorité argentine, délicate
et moelleuse, des nuances bien senties et charmantes, une dextérité
remarquable, un sentiment rare, avec cela de la vigueur à l'occasion ;
le tout complété par une bonne lecture. On peut se faire une idée du
succès qui l'a accueillie. Son compagnon, M. Salzédo, à qui la journée
était favorable puisque, quelques heures plus tard, il joignait à son
premier prix de harpe un premier prix de piano, ce qui, je pense, est
sans exemple au Conservatoire, a brillé par d'autres qualités : de l'expé-
rience, une sonorité bien ronde, un bon mécanisme, une exécution
solide et sûre, avec moins de charme que sa petite émule. Lui aussi a
très bien lu.
M"° Pestre, l'unique second prix, se distingue aussi par la solidité et
l'autorité. Jeu habile et ferme, mécanisme excellent, de la vigueur,
avec un son parfois un peu gros. Bonne lecture.
Les deux premiers accessits sont deux enfants charmantes, l'une âgée
de quinze ans, M"° Poullain, l'autre de treize. M"'' Meunier. Chez
j^ue Poullain un bon mécanisme, de la sûreté, une exécution ferme, un
jeu brillant; pour ce qui est de la lecture, la meilleure de la journée.
Chez M"' Meunier un jeu brillant et tout plein de grâce, un joli son,
délicat et pur, des doigts, agiles, un bon sentiment musical, bref un
ensemble charmant, avec de jolis détails d'exécution.
Peut-être eût-on pu joindre à ces deux enfants M"= Lipschitz, au lieu
de lui accorder un simple second accessit. Elle a bien des qualités
aussi : de la grâce et du goût, un joli son, de Jolies nuances faites avec
délicatesse, enfin une exécution parfois séduisante. Elle sera plus heu-
reuse l'an prochain.
PIANO (Hommes).
Qui est-ce qui choisit les morceaux destinés aux concours? Je l'ignore.
Mais je me permettrai de trouver que le choix, qui n'est pas toujours
heureux, était cette année particulièrement déplorable. Il s'était arrêté
sur l'étude en ut mineur de Chopin et sur la H= Rapsodie de Liszt.
Passe encore pour Chopin. Je dis «passe encore», non que je sois
assez niais pour contester le génie de Chopin, mais parce que, au Con-
servatoire, j'estime qu'on devrait écarter sa musique pour deux raisons :
la première, c'est que, en thèse générale, les élèves sont trop jeunes
pour la comprendre, par conséquent pour la bien rendre; la seconde,
c'est que la musique de Chopin est conçue dans un style admirable,
mais absolument personnel, et qui n'est pas « le style », au sens
large du mot. Quant à la 11'= Rapsodie de Liszt, j'avoue que cela me
LE MÉNESTREL
233
parait une mauvaise plaisanterie, et je n'en veux pas dire davantage.
Qu'est-ce que la musique, au point de vue de l'exécution? C'est, avec
l'art dephraser, l'art d'atteindre l'émotion par la manière de chanter, et
d'atteindre la beauté par la noblesse du style. Et c'est avec la 11° Rapso-
die, c'est avec ce tableau incohérent, c'est avec ce déluge de notes dont
l'assemblage n'a parfois ni queue ni tête, que vous saurez si l'élève a du
sentiment, s'il a quelque chose dans le cœur, et s'il peut s'élever jusqu'à
la splendeur du style! Je vous en défie bien. Pour ma part, j'ai bien
pu juger ce que peuvent ces élèves au point de vue de la gymnastique
des doigts, — et ils peuvent beaucoup — mais je me déclare inapte à
discerner ce qu'ils sont capables de faire sous le rapport du chant, de
l'émotion et du style. Je connais des musiciens qui se sont appelés
Beethoven, Hummel, Dussek, Moscheles, Weber, voire Mozart, sans
compter les autres. Ceux-là ont écrit pour le piano de la musique parfois
assez difficile au point de vue technique, me semble-t-il, mais qui reste
de la musique et qui ne se borne pas à amonceler les notes, à accumu-
ler des tours de force pour eux-mêmes et à transformer les exécutants
en autant d'acrobates. De même que dans la composition on pousse
tout à la complication, dans l'exéculion on pousse tout au virtuosisnie
à outrance; toujours les doigts,jamais le cœur, jamais l'àme. La musique
devient simplement de la gymnastique, un sport d'un genre particulier,
on y remplace le charme par l'étonnement, l'émotion par la stupéfac-
tion. Cela ne me paraît pas être absolument son rôle. Nous aurons à
revenir tout à l'heure sur ce sujet, à propos du concours de violon et
du singulier morceau que. là encore, on a choisi.
Le morceau à déchiffrer, écrit par M. Gabriel Fauré, était conçu de telle
façon et avec de telles difficultés de surprise que l'on peut presque dire
que pas un seul des concurrents n'a pu le lire saas fautes. A quoi bon?
Cela prouve-t-il qu'aucun d'eux n'est bon musicien? Cela prouve sim-
plement qu'ils ne sont pas accoutumés à deviner des rébus, et que les
notes de musique ne sont pas faites pour être transformées' en hiéro-
glyphes.
Le jury était composé de MM. Théodore Dubois, G. Fauré, Raoul
Pugno, Widor, I. Philipp, Henri Ravina, Riera, Geloso et Chollet. Il
a décerné deux premiers prix à MM. Lortat-Jacob, élève de M. Diémer,
et Salzédo, élève de M. de Bériot.
La supériorité de M. Lortat-Jacob est éclatante. Du style, un joli
phrasé dans l'étude de Chopin, de la grandeur, de l'éclat, de l'élan dans
la Rapsodie, avec de jolies oppositions; dans l'ensemble des doigts
superbes, de l'ampleur et une sûreté magistrale. — M. Salzédo, un peu
tranquille, un peu pâle dans le Chopin, très chaud au contraire dans la
Rapsodie, avec une grande netteté et d'heureux détails d'e.xécution.
Trois seconds prix à trois élèves de M. Diémer : MM. Borohard, Billa
et Arcouet. M. Borchard a bien dit l'étude, mais sans chaleur et sans
couleur; plus heureux dans la Rapsodie, il y a montré du feu et du
brillant, et l'a dite d'une façon presque entraînante. — M. Billa, l'un
des meilleurs sujets du concours, a bien phrasé l'étude, en lui donnant,
d'une façon originale, une sorte de caractère mystérieux ; dans la Rapso-
die il a apporté de la couleur et de l'élégance, avec une virtuosité qui
avait de l'éclat sans dureté.
M. Garés, élève de M. Diémer, et M. Dumesnil, élève de M. de Bériot,
se sont partagé les premiers accessits. J'avoue qu'après trois années
(il avait obtenu un second accessit en 1898), les progrès de M. Garés ne
m'ont pas paru suffisants. Son exécution ne dépassait pas l'ordinaire
dans les deux morceaux, et ce n'est pas assez. — Le jeu de M. Dumesnil
est plus personnel et plus intéressant; on y trouve du brillant, un bon
mécanisme, et l'ensemble est heureux.
Et les deux seconds accessits sont allés trouver MM. Turcat, élève de
M. Diémer, et Galland, élève de M. de Bériot. Ordinaire et assez inco-
lore en interprétant Chopin, M. Turcat a montré de l'agilité dans la
Rapsodie, dont il a perlé certains traits avec finesse. — On sent chez
M. Galland les fruits d'un bon travail, conduit avec soin; point d'éclat,
mais un jeu bien équilibré, avec delà dextérité et parfois un certain feu.
A signaler, en dehors des heureux du jour, M. Bérard, qui a un joli
son, un jeu délicat, des doigts excellents, et qui réunit le goût à la
vigueur; M. Garziglia, qui ne manque point de qualités et quia joué la
Rapsodie d'une façon entraînante; enfin M. Hérard, dont la netteté et
la légèreté d'exécution sont remarquables.
VIOLON
Nous voici au concours de violon, et j'ai à renouveler, en ce qui con-
cerne le choix du morceau, les critiques que je viens d'exposer en par-
lant du concours de piano. Il s'agit de la Symphonie espagnole de Lalo,
dont on avait adopté le premier solo, et je n'ai pas besoin de dire que la
valeur musicale de l'œuvre n'est pas en question. C'est son cai-actère
technique que je prétends uniquement discuter ici pour démontrer
qu'elle ne réunit aucune des conditions qui peuvent faire apprécier les
qualités d'un élève. Je ne parle donc ni de sa nature mélodique, ni de
son style, qui n'ont rien à faire en l'occurence, mais simplement de la
façon dont elle est conçue au point de vue des ressources de l'instrument,
et de l'impossibilité où l'on est, après l'avoir entendue par un écolier,
déjuger de ses aptitudes et de ses facultés au point de vue général.
Je vois bien qu'en exécutant ce morceau, les élèves prouvent qu'ils
peuvent fournir une effroyable quantité de notes dans un mouvement
rapide, mais qu'est-ce que cela me fait? Le violon, instrument à sons
soutenus et prolongés, ce qui fait sa force et sa beauté, n'est pas fait
pour ca, tout au moins uniquement pour ça. Or, dans le premier mor-
ceau de la Symphonie espagnole, où trouvez-vous l'emploi des moyens et
des procédés qui peuvent faire juger du degré d'éducation d'un élève?
Où le développement de l'archet, signe de grandeur et de puissance
dans le style? Où le grand détaché, si noble et si brillant? Où les sons
filés, sans lesquels vous ne pouvez atteindre l'émotion et l'expression
dans le chant? Où la double corde, nouvelle source de grandeur et de
noblesse? Ils peuvent avoir tout cela, nos jeunes concurrents, ils peuvent
avoir aussi celte qualité rare que nous appelons, nous autres violonistes,
« l'archet à la corde », et qui donne tant de puissance à la liaison des
différentes périodes d'une phrase musicale, mais il leur est impossible
de le montrer, et il nous est impossible de le savoir lorsqu'ils exécutent
une œuvre comme la Symphonie espagnole. Et ce sont précisément ces
qualités-là qu'ils doivent posséder pour être de véritables violonistes, et
ce sont celles qu'on devrait les obliger à mettre en évidence.
On joue la Symphonie espagnole ou d'autres œuvres du même genre
quand on sait jouer du violon, mais ce n'est pas avec cela qu'on apprend
à en jouer; c'est avec nos grandes œuvres classiques. Prenez les trente
jeunes gens qui l'autre jour ont pris part au concours, et mettez-leur
dans les mains le 19" concerto de Kreutzer, le 22= ou le 29= de Viotti,
le i", le 7= ou le 8'= de Rode, et vous verrez combien s'en tireront à leur
avantage. C'est que là-dedans on trouve l'emploi de toutes les qualités
que doit posséder un violoniste, et qu'il lui est loisible de donner la
vraie mesure de sa valeur.
Lin de mes confrères, et qui n'est pas des moindres, mais qui n'est
point violoniste, et devant qui j'exprimais ces idées, me disait, en reve-
nant à la Symphonie espagnole : « C'est possible, mais que voulez-vous?
je ne suis pas fâché d'entendre un peu de musique. » Alors, c'est que
nos pères étaient des imbéciles, qui pendant quatre-vingts ans ont jugé
que la musique de Viotti, de Kreutzer, de Rode, de Baillot était de la
musique, et qu'on y trouvait les qualités de facture, de mélodie et de
style qui distinguent les bons ouvrages; c'est que ces grands violonistes
qui s'appelaient Habeneck, Lafont, Artot, Alard, Maurin, n'y enten-
daient rien; c'est que ceux qui s'appellent encore aujourd'hui Sarasate
et Joachim (Joachim ne se croit pas déshonoré en jouant volontiers en
public des concertos de Viotti) ne s'y connaissent pas davantage.
Qu'on le croie bien, il ne s'agit pas, pour le violon, de pouvoir faire
beaucoup de notes. La belle affaire! c'est la moindre des choses, et cela
regarde uniquement la main gauche. Mais l'autre, vous êtes-vous jamais
rendu compte de son rôle et de son importance? Le grand violoniste
Léonard me disait un jour : « La main gauche, c'est l'ouvrier; la main
droite, c'est l'artiste. » Et il avait cent fois raison. La main droite, celle
qui tient l'archet, est la grande magicienne; c'est elle qui joue du vio-
lon, c'est elle qui chante, c'est elle qui soupire et qui pleure, c'est elle
qui tour à tour a la grâce et la délicatesse, la grandeur et l'énergie, la
noblesse et l'enthousiasme, le sentiment et l'émotion, c'est elle qui va
jusqu'au fond de votre âme pour en tirer des larmes. Eh bien, cette
main droite, cette enchanteresse, elle n'a rien à faire avec la Symphonie
espagnole et les œuvres de même nature. Si la virtuosité, œuvre de la
main gauche, est une des facultés du violon, elle en est une des moin-
dres; elle excite seulement l'étonnement, et le violon est fait pour autre
chose. Il est fait pour charmer, pour émouvoir, pour chanter, pour
pleurer, il a la tendresse et la fierté, la noblesse et le pathétique, et
c'est la main droite seule qui lui permet et lui communique ces facultés.
Voilà pourquoi, j'en reviens à mon dire, la Symphonie espagnole, superbe
au point de vue de ses qualités propres, était l'un des plus mauvais
choix que l'on pût faire pour permettre de juger le talent de nos jeunes
violonistes.
Ce qui revient à dire qu'en rendant compte du dernier concours, on
ne peut guère apprécier les qualités des jeunes combattants qu'au seul
point de vue de la virtuosité pure. J'ajoute que sous ce rapport ils sont
généralement remarquables, ce que prouve la libéralité du jury, qui, sur
trente concurrents, n'a pas décerné moins de dix-sept récompenses, dont
trois premiers et cinq seconds prix, quatre premiers et quatre seconds
accessits. Ce jury comprenait les noms de MM. Théodore Dubois,
Jacques Thibaud, Geloso, Tracol, Ed. Colonne, Raoul Pugno, Garem-
bat. Parent et Schwartz. Le morceau de lecture à vue, écrit par M. Pugno,
était accompagné au piano par l'auteur.
236
LE MÉNESTREL
Premiers prix, tous trois à l'unanimité : M"' Forte t-l M. Dufresne.
élèves de M. Lefort. et M. Luquin, élève de M. Rémy. On n'eût su
mieux choisir, et tous trois sont remarquables. M"= Forte, mécanisme
très habile, archet bien conduit, sûreté, acquis, ensemble brillant. —
M. Dufresne, doigts superbes, phrasé élégant, bras droit excellent, de la
grâce et du goût, du style et de la couleur. — M. Luquin, archet large,
grande habileté, sûreté rare, jeu hardi, grande expérience. C'est le
charme qui manque un peu.
Seconds prix : M. Qaesnot et M'" Playfair, élèves de M. Lefort,
M'" Chemet, élève de M. Berthelier. MM. Tourret, élève de M. Lefort.
et Féline, élève de M. Nadaud. }.[. Quesuot se distingue par un son élé-
gant, une grande netteté, un bon archet, des doigts agiles, un ensemble
e.\:cellent. — Je regrette de n'en pouvoir dire autant de M"'^ Playfair.
qui manque de finesse et de grâce, dont le son est gros et qui fait tout
par â peu près; elle a cependant quelques détails heureux. — M"'^^ Che-
met a de bonnes qualités, de la vigueur, de l'habileté, de la facilité. —
C'est par le goût et la délicatesse, un bon sentiment musical, un son
agréable, un archet bien conduit, un jeu soigné qui n'escamote aucune
difficulté, que se distingue M. Tourret. — M. Féline, qui joue un peu
du coude et dont la justesse n'est pas toujours absolue, n'en est pas
moins un violoniste solide, aux doigts habiles et à l'exécution brillante.
Seulement, il abuse vraiment du vibrato.
Cinq premiers accessits, dont les bénéficiaires sont M'" Schuck, élève
de M. Lefort, M. Chailley et M"^' Lipmann, élèves de M. Berthelier,
MM. Bloch et Elcus, élèves de M. Nadaud. Chez M"'^' Schuck de l'éclat,
de la chaleur, de la virtuosité, un ensemble très intéressant. — Chez
M. Chailley de l'expérience, un archet assez élégant, une certaine habi-
leté. — L'archet est bon chez M"= Lipm.nnn, les doigts ne sont pas mau-
vais, le phrasé non plus; un ordinaire assez distingué. — L'exécution
de M. Bloch est convenable, très propre, sans présenter rien de parti-
culier. — Bonnes et solides qualités d'ensemble chez M. Elcus, archet
bien posé, doigts agiles et obéissants, exécution sûre et bien équilibrée.
Enfin, quatre seconds accessits, à M. Bilewski. élève de M. Rémy,
M'"' RfOl, élève de M. Berthelier, M'" Gaudefroy, élève de M. Rémy, et
M. Arthur, élève de M. Nadaud. M. Bilewski, qui a l'air d'être bien
content de lui, a d'ailleurs de la chaleur, de l'assurance et de la facilité.
— Le jea de M"'' Réol, assez expressif et d'un bon ensemble, se distin-
gue par la justesse et une certaine virtuosité. —Assez bon ensemble
aussi chez M'"' Gaudefroy. dont l'exécution est d'une bonne moyenne.
— Quelques notes fausses à la fin de son morceau ont sans doute nui à
M. Arthur, qui aurait mérité d'être mieux classé. Ses qualités sont
remarquables : joli son, jeu élégant, bon bras di-oit, justesse rare, beau-
coup d'habileté, une grande franchise dans l'exécution des plus grandes
diificultés. Une faute accidentelle lui a porté tort; il se rattrapera l'an
prochain.
A signaler, parmi les élèves non couronnés : M. Denain, qui est un
véritable artiste et l'un des sujets les plus brillants et les meilleurs du
concours; puis M"» Wallerand, MM. Manso et Dorson, qui on fait
preuve, chacun en leur genre, de qualités très estimables.
OPÉRA-COMIQUE
Voici qui donne raison à ceux qui prétendent que plus les concours
sont faibles, plus se multiplient les récompenses. Il est difficile en effet
d'imaginer séance plus vide, plus nulle sous tous les rapports, plus
incolore et plus insignifiante que ce concours d'opéra-comique qui a
illustré la journée dn 22 juillet de l'an 1901. Or, que voyons-nous? Sur
quinze élèves, dont sept hommes et huit femmes, qui prenaient part à
cette épreuve, treize récompenses décernées, dont huit à ces demoi-
selles, c'est-à-dire que pas une d'elles n'est restée sur le carreau. Et sur
ce total de treize récompenses, quatre premiers et cinq seconds prix.
C'est à confondre! Notez que de ces treize élèves, sur qui s'est abattue
cette bienveillante avalanche, il n'y en a pas deux qui soient prêts pour
la scène et qui soient en état d'y tenir une place quelconque. Je ne
voudrais pas chagriner ces jeunes gens; mais franchement, quand je
vois qu'on est si cruel parfois et si sévère pour certjins de nos pauvres
instrumentistes, je me demande où le ju.-y va prendre les trésors d'in-
dulgence dont il entoure amoureusement de jeunes chanteurs qui ne
savent pas le b, a, ba de leur métier.
Quoi qu'il en soit, voici la liste des récompenses décernées par le jury,
qui se trouvait composé de MM. Théodore Dubois, Capoul, Charles
Lenepveu, Widor, Gabriel Fauré, Charles Lefebvre, Henri Maréchal
Albert Cai-rè, Alexandre Bisson, D'Estournelles et Bernheim.
Hommes.
■/" x>rix. — M. Gaston Dubois, élève de M. Lhérie.
2'' prix. — MM. Geyre, élève de M. Achard, Guillamat, élève de
M. Lhérie. et Rigaux, élève de M. Achard.
/" accessil. — M. Baér, élève de M. Lliérie.
Pas de second accessit.
Femmes.
i"^ pria: — M"°^ Cesbron, élève de M. Lhérie, Huchet, élève de
M. Achard. et Revel, élève de M. Lhérie.
2'' prix. — M"« Van Gelder, élève de M. Lhérie, et Biila, élève de
M. Achard.
/" accessit. — M"= Gonzalez, élève de M. Lhérie.
2" accessits. — M"'* Foreau, élève de M. Achard, et Cortez, élève de
M. Lhérie.
Il est évident que le seul sujet qui soit dès aujourd'hui prêt à aborder
la scène, c'est M. Gaston Dubois. Il est d'âge à le faire d'ailleurs, car il
aura tantôt vingt-huit ans. Il n'a pas ce qu'on appelle de tempérament;
mais c'est un bon travailleur, qui est toujours en progrès et qui, d'année
en année, a enlevé ses récompenses à laforce du poignet. Le voici évidem-
ment au bout de sa carrière scolaire, et il n'a plus rien à apprendre de
ses maîtres. Il lui faut maintenant de vraies planches et un vrai public.
Après avoir donné plusieurs bonnes répliques, il est venu, presque à la
fin de la séance, jouer pour son compte personnel la scène du rêve du
premier acte d'Haydée. II y a montré de l'aisance, de l'expérience, un
bon sentiment de la scène et certaines qualités de comédien. Tout cela
n'est pas supérieur en son genre, mais en somme, comme disait l'autre,
« c'est de la bonne ouvrage » .
Des trois seconds prix, celui que je préfère, c'est M. Rigaux, parce
qu'en lui perce une certaine originalité, et que c'est le seul en qui l'on
trouve quelque chose de personnel. Il a joué avec une certaine ampleur
la scène de la consultation du Médecin malgré lui. Une diction juste,
de la facilite, de la verve, de la couleur, un bon oj'gane et un geste
naturel, telles sont ses qualités. Il a de quoi faire. ■ — M. Guillamat
m'avait paru meilleur en donnant la réplique à M"" Cortez dans les
Dragons de Villars que dans sa scène du chevrier du Val d'Andorre. Ici,
malgré une assez bonne diction et certaines qualités scéniques, l'en-
semble, bien que satisfaisant, ne dépassait pas un bon ordinaire. —
M. Geyre s'est montré dans le premier acte de Lakmé, dont il a chanté
l'air avec une grâce un peu efféminée. Pour le reste, cela ne sortait pas
non plus d'une assez bonne moyenne, et c'était bien inexpérimenté.
M. Baër a donné de la verve et de la-chaleur à la scène du tambour-
major du premier acte du Caïd. Il a de l'aisance et do la facilité.
Mais puisque le jury était en si grandes dispositions de générosité, je
ne vois pas pourquoi il n'u pas cru pouvoir accorder un second accessit
à M. Minvielle, quia montré du mouvement, de la chaleur et de l'ex-
pression dans un fragment du troisième acte d'Haydi'e.
Côté des dames. On l'a vu. trois premiers prix. Ici, je ne cache pas
mon embarras. Ces trois premiers prix m'ont paru si ex traordin ai rement
extraordinaires que je ne sais comment m'y prendre pour e-\primer mon
sentiment à leur sujet. Voici M"" Cesbron, pour qui j'ai la plus grande
estime, car je me rappelle son concours de chant de l'année passée et le
très beau premier prix qu'il lui a valu très légitimement. Je la vois ici
dans la scène de Saint-Sulpice do Manon. Elle est certainement intelli-
gente. Eh bien, ce n'est pas bon, et ce n'est pas ça du tout, mais du
tout. Pourquoi? Pour une foule de raisons qu'il serait trop long d'énu-
mérer. Mais la vérité est que c'a été tout le temps à côté de ce qu'il eût
fallu. — C'est dans une scène de Manon aussi, celle de l'arrivée, au
premier acte, que s'est présentée M"'^' Huchet. Ble est très gentille,
M"' Huchet, mignonne et gracieuse, et puis c'est tout. Mais comme tout
ce qu'elle a fait là était petit, étroit, mesquin, inexpérimenté, et que
nous sommes loin de son joli concours de chant! — Troisième prix
M"'' Revel, troisième Manon, dans la même scène que la précédente.
Même observation, môme résultat. De la grâce, de la gentillesse, mais
pas de fond, pas de fini, nulle expérience, surtout pas de personnalité.
Passons aux seconds prix avec M'"-' Van Gelder, qui nous oll're une
quatrième Manon, cette fois au second acte, dans la scène de la lettre et
de la table. Ceci n'est pas mal, et elle fait preuve â la fois de sentiment,
de goût et d'expression. Mais elle est bien courte ainsi, la scène, pour
donner la mesure de la valeur d'une artiste. — M"= Billa nous montre
un aimable Eros dans le second acte de V.syché. Diction â peu près juste,
quelque chaleur, pas trop de maladresse. Comme tout ça est faible
pourtant, sans nerf et sans couleur!
C'est la scène du second acte du Barbier de Séville qui a valu à
M"" Gonzalez son premier accessit, et peut-être est-ce là la récompense
la plus légitime qui ail été accordée. Elle a chanté l'air d'une façon
charmante, en le vocalisant avec une véritable habileté, et de même
le duo avec Figaro. Elle n'est certainement pas encore comédienne, et
pourtant elle a eu quelques intentions et quelques détails heureux. En
somme, c'est l'un des concours les plus intéressants.
Bien novice encore M"" Foreau. dans la Servante maîtresse, mais gra-
LE MÉNESTREL
237
cieuse et intelligente, gentille et spirituelle, et, au résumé, prometlant
pour l'avenir. — M""= Cortez, qui n'est pas absolument maladroite en
scène, m'a paru néanmoins bien insignifiante au premier acte des Dra-
gons de Villars. La scène est facile pourtant, mais il y faut de la verve,
un peu d'éclat, et c'est ce qui manquait le plus.
En fait, je ne crois pas que le concours d'aujourd'hui enrichisse nos
théâtres d'une façon appréciable.
PIANO (Femmes).
Une séance dont on se souviendra! Commencée à midi précis, elle
s'est terminée par l'annonce des prix à huit heures et demie passées,
avec seulement une interruption de dix minutes dans la journée et une
de cinq minutes avant l'épreuve de lecture à vue. Et on l'avait menée
tambour battant, les concurrentes ayant à peine le temps d'entrer et de
sortir, et l'appariteur pouvant lui-même à peine annoncer leurs noms.
On avait été surpris évidemment par le temps inusité qu'exigeaient les
deux morceaux d'exécution, qui, à eux deux ne demandaient guère moins
de quatorze minutes. C'était, d'une part le premier allegro de la jolie
sonate en ré majeur de Mozart, de l'autre une partie des Etudes sympho-
niques de Schumann, comprenant l'introduction et les numéros 1,2,
y, 9, U et \t, ce dernier avec de larges coupures. Vingt-neuf élèves se
présentaient, sur lesquelles seize ont été couronnées.
Nous avons d'abord quatre premiers prix : M"'" Boutarel, élève de
M. Ii'Iarmontel, Jacquet (Duvornoy), Nosny (Delaborde) et Schnitzer
(Marmontel). M"= Boutarel, de l'élégance dans le style en ce qui con-
cerne la sonate, avec quelque inégalité dans les traits; dans les études
du goût, de l'agilité, du charme avec de la vigueur à l'occasion, et de
bons traits des deux mains. — M"' Jacquet, des doigts exquis, un jeu
élégant, soigné, bien équilibré, siir de lui. avec de l'autorité et une jolie
couleur, bien personnelle; une nature d'artiste. — M"' Nosny, un mé-
canisme très habile, un jeu solide et corsé, avec de bonne qualités
d'ensemble; par-ci par-là quelques notes à côté. — M'" Schnitzer, une
enfant de quatorze ans, joliment douée; exécution jeune, aimable,
manquant encore un peu d'expérience, mais brillante, avec des doigts
excellents, une sonorité pleine et bien ronde, un bon phrasé et de la
largeur dans le jeu. 'La fin des études remarquable par son éclat et sa
vigueur.
Quatre seconds prix aussi, à M''''^ Dehelly et Lemann (Delaborde),
Neymark (Marmontel) et Mallet (Delaborde). M"' Dehelly, de la grâce
et de r légance, de la vigueur et du brio, des doigts agiles, du son et
im joli son, un jeu bien d'aplomb, avec parfois de jolies nuances bien
personnelles. — M"'= Lemann, des doigts pleins de grâce et de délicatesse,
une exécution à la fois solide et variée, bien sentie, avec une vigueur
étonnante et des détails bien â elle. — M"" Neymark, un jeu bien fondu
dans la sonate, de l'élégance et du style, une exécution charmante;
dans les études un son bien clair, de la vigueur sans dureté, des doigts
solides sans roideur, tous les détails bien rendus, avec de jolies opposi-
tions de toucher; sort complètement de l'ordinaire.
Trois premiers accessits, àM"''*Drewet, Chaperon et Charlotte Lamy.
élèves de M. Alphonse Duvernoy. Ici nous touchons â une erreur com-
mune à toutes les élèves d'une même classe, erreur dont M""^ Jacquet
elle-même n'a pas été exempte. Je veux parler du mouvement de la so-
nate, qui a été pris deux fois trop vite. Avec cette rapidité folle, où rien
ne respire et où les silences même disparaissent, il n'y a plus de style
possible. Étant donné le rythme particulier du morceau, ce n'est plus
un allegro de sonate, cela devient une fanfare pour courre le cerf. Quant
aux notes qui tombent sous le piano, impossible de les dénombrer ;
c'est une hécatombe. Cette remarque, toutefois, ne doit pas nous rendre
iujuste pour les qualités déployées par ces jeunes filles. M"' Drewet,
qui me semble supérieure â ses deux compagnes, a de la grâce et de la
dèlicat..'sse dans les doigts, des traits perlés, elle phrase bien, et ne
manque ni de vigueur ni de vivacité; l'ensemble est très distinguo. —
Le jeu de M"' Chaperon a du corps et de la vigueur, avec un phrasé
parfois heureux dans ses détails. — M"" Charlotte Lamy, qui ne man-
que ni de légèreté ni d'élégance, oiïre une bonne moyenne dans l'en-
semble de son exécution.
Ciuii seconds accessits ont été attribués à M'"^* Atoch et Heschia,
élèves de M. Marmontel, Rolier, élève de M. Delaborde, Franquin,
élève de M. Duvernoy, et Lipmann, élève de M. Delaborde. Tout aima-
ble, M"« Atoch ; une gi'ande égalité dans les doigts, de la solidité, delà
sùi'eté. de la couleur, un ensemble de jolies qualités. — Chez M"' Hes-
chia, qui joue la sonate un peu trop vite, mais non sans élégance, de
bonnes qualités de vigueur et de sûreté, avec un joli sentiment dans les
passages de douceur. — M"'= Rolier présente un bon ensemble, sans
qu'où puisse signaler chez elle de qualités particulièrement saillantes.
— De M"'^ Franquin, j'aime mieux ne point parler. — Quant à M"^' Lip-
mann, elle me semblait mériter mieux. Si le son chez elle est un peu
gros, elle a un mécanisme excellent et des doigts d'une rare agilité; si
l'exécution n'est pas parfaite, elle est bien travaillée et intéressante, avec
une certaine couleur personnelle.
Parmi les élèves non couronnées qui se sont plus ou moins distin-
guées, je citerai M"" Neyrac, qui a du son, de bons doigts, une certaine
sûreté dans l'exécution, sans personnalité ; M"" Kastler, dont le jeu
bien fondu, bien assis, n'est pas sans quelques jolis détails, et qui
phrase gentiment ; M"" Roger, qui, à part une certaine inégalité dans
les doigts, plus de solidité peut-être que d'élégance, a un jeu bien équi-
libré, avec un beau son et une attaque franche de la touche ; enfin
M"^ Bittar, qui s'est peut-être fait du tort en galopant la sonate comme
ses camarades de classe, mais qui n'en a pas moins de bonnes qualités
de mécanisme et de sonorité, avec des doigts agiles et des détails pleins
de délicatesse.
Le jury de ce concours comprenait, outre M. Théodore Dubois,
MM. Riera, Ravina, Raoul Pagno, Auzende, Pierné, Gabriel Fauré et
Widor. Le morceau à déchiffrer était de M. Gabriel Pierné,
TRAGÉDIE — COMÉDIE
Naïvement, je m'étais figuré jusqu'ici que le concours de tragédie
avait été institué pour familiariser les jeunes élèves des classes de
déclamation non seulement avec les chefs-d'œuvre de nos grands
classiques. Corneille et Racine, voire Rotrou et Voltaire, mais encore
avec cette noble et vigoureuse langue du vers, dont l'ampleur, la cou-
leur et la sonorité obligent l'apprenti comédien d'abord à articuler avec
fermeté et précision, ensuite â développer de longues périodes qui lui
apprennent â respirer, à ménager et mesurer sa voix, â assouplir enfin
son organe et à le rendre obéissant à toutes les inflexions.
Il parait que nous avons changé tout cela. Sur les huit scènes qui
composaient cette fois le programme du concours, nous en avions tout
juste deux empruntées â Racine (dont une n'a pu être dite par suite de
l'absence d'une concurrente) et aucune de Corneille. En revanche, nous
en avons eu trois en prose, une d'Angelo, une de Lucrèce Borgia et une
d'Hamlet. Ah ! ça, est-ce un concours de tragédie, ou simplement un
concours de drame qu'on fait passer aux élèves ? Comment saurez-vous
si la jeune personne qui joue Catarina d'Aiigelo sera capable d'aborder
Phèdre, ou Hermionc, ou Athalie? Et êtes-vous sûr que celui qui nous
donne Hamlet dans une traduction en prose fera un Rodrigue ou un
Horace seulement supportable? Pour moi, pauvre diable de critique, je
l'ignore absolument et n'en voudrais jurer. Ce que je sais, c'est qu'un
concours de tragédie devrait comprendre de la tragédie, et pas autre
chose.
Et dans la comédie, qu'avons-nous vu? Ici encore, il semble que le
classique soit bien démodé. Ces messieurs et ces demoiselles nous ont
offert une scène de Molière (je dis vue), une de Corneille, deux de La Fon-
taine, d'ailleurs sans importance, une de Marivaux et une de Beaumar-
chais. Tout le reste était pris au répertoire moderne. Et sur les vingt
scènes de la séance, deux seulement en vers : le Menteur et les Femmes
savantes. Quelque admiration que je puisse éprouver pour Musset, pour
les deux Dumas, pour Balzac, pour George Sand, je persiste â croire
que ce n'est pas dans leur commerce qu'on doit apprendre son métier de
comédien. Aussi, qu'arrive-t-il ? C'est que nos jeunes gens, voulant
jouer naturel, voulant être modem ityle, poussent à l'excès la familia-
rité, parlent comme dans leur chambre, mangent la moitié des mots,
bredouillent à dire d'expert et prennent si peu la peine d'élever leur
voix qu'elle ne dépasse pas la rampe.
Quoi qu'il en soit de ces réflexions, voici les résultats du double
concours. Pour la tragédie :
Hommes .
I^as de premier prix.
'2' prix, à l'unanimité. — M. Garry, élève de M. de Féraudy.
■J"^ accessits. — MM. Gorde, élève de M. Paul Monnet, et Capellani,
élève de M. Le Bargy.
2' accessit. — M. Joube, élève de M. Silvain.
Femines.
Pas de premier prix.
2e p,.j-^_ _ Mlle ^e Raisy, élève de M. Paul Mounet.
Et pour la comédie :
Hommes.
4"-sp,-i.i; — MM. Garry, élève de M. de Féraudy, et Bouthors, élève
de M. Silvain.
Pas de 2= prix.
1"" accessits. — MM. Capellani, élève de M. Le Bargy, et Larmandie,
élève de M. Silvain.
Pas de "2" accessit.
238
LE MENESTREL
Femmes.
/"'prix. — M"' Piérat, élève de M. de Féraudy.
3'^ prix. — M'"^ Margel, élève de M. Georges Berr.
/"^ accessih. — il"'^ Ghesnel, élève de M. Le Bargy, et Marthe Lam-
Bert, élève de M. Paul Mounet.
2" accessits. — M"'' Sylvie et Vieille, élève? de M. de Féraudy, et
Grimberl, élève de M. Georges Bcrr.
M. Garry a montré, dans une sct'ne de la Fille de Roland, de la sagesse
et de l'émotion avec une articulation très uette, mais sans personnalité.
Il semble un peu l'écho de son professeur, mais un écho intelligent.
Nous le retrouverons dans la comédie, beaucoup plus personnel et plus
intéressant.
M. Gorde a mis de l'élan, de la chaleur, de bonnes qualités dans une
scène des Bto-graves. Il chante un peu parfois, et parfois aussi crie avec
quelque excès. — M. Capellani a dit la scène d'Hamlet avec sa mère.
II ne manque ni de chaleur ni d'action, et ne serait vraiment pas mal s'il
prenait la peine de se faire entendre. — M. ,Toube me semblait mériter
mieux qu'un second actessit pour sa scèue de Louis XI. Bonne diction,
bon sentiment dramatique, de la sobriété même dans la force.
L'unique femme récompensée. M"' de Raisy, a paru dans le troisième
acte A'.ingelo. Qael dommage qu'elle parle si vite qu'elle en arrive par-
fois au bredouillement! Douée d'un beau physique, elle est bien eu
scène, elle a du mouvement et de la chaleur, de l'àme. del'émolion, des
larmes. Elle est bien intéressante.
Arrivons à la comédie. Nous y retrouvons M. Garry, au quatrième
acte du Père prodigue, dans la scèue de La Rivonuière avec son fils. Il
y a été excellent. Une dignité froide et sévère, de l'àme, de l'émotion,
de l'ironie, de la grandeur, avec des mots trouvés et d'un accent saisis-
sant. Celui-là est un comédien et fera un premier rôle remarquable. —
M. Bouthors a produit un grand effet dans une scène relativement
facile, celle de Mercadet avec le père Violette, au premier acte du chef-
d'œuvre do Balzac. Mais il y a déployé, de la verve, de la vivacité, du
naturel, de la rondeur, avec un organe excellent. Il lance bien le mot
et trouve bien l'effet. Toutefois j'ai trouvé singulier, et je ne suis pas le
seul, qu'on l'ait mis," comme récompense, sur la même ligne que son
camarade Garry. C'est qu'en vérité il y a, au point de vue de la difliculté
vaincue, une différence singulière aussi entre l'un et l'autre.
M. Capellani a dit la scène suffisamment connue au Conservatoire,
où les professeurs ne prennent viaiment pas la peine de les varier assez,
du second acte d'0« ne badine pas avec l'amour. Il y a montré de bonnes
qualités, de la chaleur, de la passion, le désir de bien faire; mais il a
besoin de travailler encore . — M . Larmandie avait choisi celle du
comte avec sa femme et celle qui suit au quatriémeacte de Diane de Lys.
Il l'a jouée avec une dignité froide, avec une sobriété remarquable,
sans rien de criard ni d'excessif, avec l'énergie concentrée qui convient
au personnage. La diction est bonne, mais hélas! il est de ceux, si nom-
breux, qui parlent trop bas et qu'on a peine à entendre.
Côté des femmes. L'héroïne de la journée a été M''= Piérat, une in-
génue gracieuse et touchante, qui a joué avec une sensibilité exquise
la grande scèue du troisième acte du Mariage de Victorine. Elle s'y est
montrée très émouvante et puissamment dramatique, sans cesser un
instant d'être simple, sobre et naturelle. C'a été une surprise à la fois
et une révélation que l'apparition charmante de cette jeune fille à la
physionomie intelligente et douce, qui n'a pas seize ans et qui semble
vraiment douée d'une façon particulière. Elle a de qui tenir d'ailleurs,
ayant pour mère une comédienne aimable, qui fut elle-même élevée au
Conservatoire, qu'on a connue pendant quelque temps à l'Odéon et qui
depuis lors a disparu de la scène. Le succès très légitime de M""^ Piérat
ne me laisse pas moins regretter que le jury n'ai pas cru devoir accorder
aussi un premier prix à M"' Dayez, qui avait obtenu le second l'an
dernier. Cette jeune fille a joué avec une rare ampleur une scène de
Denise. Elle dit avec justesse et vigueur, elle a le don du pathétique et
des larmes sans jamais rien exagérer, et sa voix est d'un heureux timbre.
Elle est très émouvante et très intéressante. Son seul défaut est de parler
parfois un peu vite.
Mais que dire alors deM"« Margel, que nous avons vue dans une scène
à' Amoureuse. Elle ne parait pas manquer non plus de qualités drama-
tiques, et ce qu'elle fait serait bien sans doute si l'on pouvait entendre
un seul mot de ce qu'elle dit. Mais elle bredouille, elle bredouille, elle
bredouille!...
M'" Marthe Lambert, qui n'a pas encore dix sept ans, a montré, dans
une scène du Fils naturel, des aptitudes scéniques au-dessus de sonâoe:
de l'âme, de l'expansion, de la vérité, une diction juste, sage et péné-
trante, avec une véritable force dramatique. Elle a excité un très vif et
très légitime intérêt. — M"« Chesuel a joué une scène de la Coupe
enchantée, de La Fontaine, avec de la gaité et une grâce souriante. Mais
e'est encore bien jeune et bieu incolore.
C'est dans la scène de Rosine avec Figaro, au second acte du Barbier
de Séville, que s'est montrée M"'" Sylvie. Cette scène était bien insuffi-
sante, l'interprète aussi. — Gentille, aimable, avec de la grâce et de
l'ingénuité, de la tenue, une assez bonne action, telle avons-nous vue
M""' Vielle au premier acte du Mariage sous Louis XY. — On peut en
dire autant de M"' Grimbert, pour la façon tout aimable dont elle a joué
une scène charmante d'une comédie de Marivaux bien oubliée aujour-
d'hui, Arlequin poli par l'amour. Elle y a mis de l'adresse et de l'esprit,
du naturel et de la grâce, et l'on a bien fait de l'encourager.
Je ne vois pas, en dehors de M"" Dayez, que j'ai signalée, que le jury
eut pu se mettre eu frais d'autres récompenses pour les femmes. Il s'est
montré plutôt généreux.
Le jury de ce double concours de déclamation, dans lequel on ne ren-
contrait qn'vn seid comédien, réunissait les noms de MM. Tliéodore
Dubois, Jules Claretie, Paul Ginisty, Ludovic flalévy, Jules Lemaitre.
Alfred Capus, de Porto-Riche, Mounet-Sully, Bernheim et d'Estour-
nelles.
OPÉRA
Une belle séance, vraiment intéressante, et qui nous a montré non
seulement nombre de bons élèves, mais, ce qui vaut mieux encore,
quelques tempéraments remarquables, quelques natures d'artistes qui
semblent devoir se distinguer au théâtre d'une façon particulière. Ce
qui est certain, c'est que les deux classes de MM. Giraudet et Melchis-
sédec ont donné l'une et l'autre les preuves d'un excellent enseignement.
Le jury, composé cette fois de MM. Théodore Dubois, Saint-Saêns,
Charles Lenepveu, Victorin Joncières, Delmas, Renaud. Escalais, Mau-
rel, Gailhard et Albert Vizentini, a décerné les récompenses suivantes :
Hommes.
i"'^ prix. — MM. Rigaux et Gaston Dubois, tous deux élèves de
M. Meichissédec.
5's prix. — MM. Azèma, élève de M. Meichissédec, et Baër, élève
de M. Giraudet.
/"■ accessit. — M. Granier^ élève de M. Giraudet.
2" accessits. — MM. Aumônier et Triadou, tous deux élèves de
M. Giraudet.
Femmes.
/" prix. — M"' Cesbron, élève de M. Giraudet.
2°' jmx. — M"'^ Billa, élève de M. Meichissédec, et Demougoot. élève
de M. Giraudet.
■1" accessit. — M"' Féart, élève de M. Giraudet.
Parmi les hommes, nous avons tout d'abord un tempérament superbe,
M. Rigaux, qui, je le confesse, m'a fiit revenir sur le jugement que
j'avais porté à son égard dans le concours de chant. Celui-là a tout
pour lui : une voix de baryton d'une beauté rare et d'un timbre mer-
veilleux, qui semble sortir toute seule tellement elle est facile, la pres-
tance physique, la démarche aisée, le geste nolile, juste et plein d'am-
pleur, une articulation splendide, enfin le regard comme enflammé, qui
commande aussitôt l'attention sur sa personne. Ce sont là ses avantages
en quelque sorte naturels. Mais il y a mieux. M. Rigaux avait très
heureusement choisi un fragment important du quatrième acte de
Patrie : l'air de Rysoor, C'est ici le berceau de notre liberté, et la sc^'ue si
dramatique dans laquelle il reconnaît en Karloo l'amant de sa femme.
Dès les premières mesures du récitatif, posé avec une ampleur, une
puissance et une autorité incontestables, l'opinion semblait faite sur son
compte (d'autant qu'il avait donné une superbe réplique à M""= Billa
dans Alceste). Il a chanté l'air avec une vigueur et un style remarquables,
et il s'est encore surpassé dans le duo avec Karloo, où il a déployé un
profond sentiment pathétique, tour à tour énergique et douloureux, avec
des élans de sensibilité qui montrent dans le chanteur toutes les nobles
qualités qui font le vrai tragédien lyrique. Le succès de ce jeune artiste,
car c'en est un déjà, a été aussi éclatant que mérité. — Son camarade
de classe et de récompense, M. Gaston Dubois, qui lui servait précisé-
ment ici d'excellent partenaire, avait concouru pour sa part dans
Salammbô. M. Gaston Dubois n'a pas les mêmes dons naturels que
M. Rigaux, et en particulier sa voix admiralile. Mais il a acquis par le
travail de précieuses qualités, et il a montré dans cette scène de la cha-
leur et du mouvement, de l'élan et de la passion, et il a justifié pleine-
ment la récompense qui lui a été attribuée.
M. Azéma s'est fait entendre avec avantage dans une belle scène
d'OEdipe à Colone, de Sacchini, un chef-d'œuvre qu'il est inutile de deman-
der à l'Opéra de nous rendre et ijui égale les plus belles œuvres de Gluck,
que le même théâtre persiste à ne connaître que de réputation. Il y a
fait preuve d'intelligence, en même temps que d'énergie et d'un bon
sentiment dramatique. — M. Baër a donné un excellent concours danslc
rôle do Saint-Bris au quatrième acte des Huguenots. Doué par la nature
d'une belle voix et d'un beau physique, il y joint d'heureuses qualités :
\
LE MÉNESTREL
239
de la noblesse, de l'autorUé, de l'ampleur, du mouvement, le geste sûr
et la véritable intelligence de la scène. Peut-être méritait-il plus que
ce qu'on lui a donné.
M. Granier doit peut-être plus son succès aux deux répliques qu'il a
données fort intelligemment dans le Cid et dans les Hugmnols qu'à son
concours personnel dans la Juive, où il avait paru bien insuffisant. Il
avait sans doute besoin de s'échauffer, et il s'est heureusement rattrapé
dans ces deux répliques. — M. Aumônier, lui aussi, a été meilleur en
lui servant de second dans la Juive qu'en paraissant pour son compte
dans Marcel des Huguenols, où nous l'avons vu simplement très propre
et très honorable. — Un peu vulgaire M. Triadou, dans la scène de
Rigoletto avec les courtisans, mais non sans quelques qualités de cha-
leur.
M"' Gesbron semble née sous une lieureuse étoile. Sou premier prix
d'opêra-comique n'a pas été sans exciter quelque étonnement, et elle
obtient l'unique premier prix d'opéra pour un fragment d'Armide dans
lequel elle manque absolument d'action scénique et où le chant propre-
ment dit manque de l'ampleur et de l'énergie nécessaires. Je n'ai pas
retrouvé là les qualités si remarquables qu'elle avait déployées l'an
passé dans le superbe concours de chant qui lui avait valu un si beau
premier prix. Il me semble qu'elle a encore bien à travailler.
Je ne sais, en vérité, pourquoi on n'a pas attribué aussi la récompense
suprême à M"' Billa pour sa superbe interprétation du premier acte
cVAleeste. On me dit que sa nature physique et le caractère de sa voix
ne conviennent pas au drame lyrique; j'en suis d'accord. Mais du
moment qu'on la fait concourir dans l'opéra, cette objection doit dispa-
raître, au point de vue des récompenses, si elle fait montre de qualités
supérieures, et c'est précisément le cas. Non seulement elle nous a
donné dans Alcesle un récitatif vigoureux, bien phrasé, bien senti et
remarquablement e.xpressif, mais elle a chanté l'air : Divinités du Styx
d'une façon superbe comme style et comme diction, avec une véritable
grandeur scénique et en lui donnant une couleur dramatique d'une rare
intensité. Elle se montait à mesure qu'elle avançait, sa physionomie
s'animait toujours davantage, et la fin de la scène nous donnait vrai-
ment le sentiment de la beauté pure et accomplie. — C'est dans le
second acte du Cid que M'" Demougeot a déployé sa voix si admirable
et si solide. Elle ne s'est pas contentée de cela : elle a chanté avec émo-
tion, avec sentiment l'air délicieux : Pleure:-, mes ijeux, et elle a joué
très convenablement, non sans éclat et sans chaleur, la scène avec
Rodrigue. L'ensemble était très satisfaisant.
M"'- Féart a fait preuve d'intelligence dans une scène des Danaïdes,
de Salieri. Si son récitatif, d'ailleurs bien dit, manquait parfois un peu
de mordant, le chant ne manquait point de style, et l'action scénique
ne manquait ni de vigueur ui de chaleur. Tout cela était encore un peu
jeune, mais fort intéressant.
Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On nous écrit de Bayreuth : a Le jubilé du" théâtre wagnérien, c'est-à-
dire le 25= anniversaire de son existence, a été fêté ici avec tout l'éclat dési-
rable. Toute la ville est pavoisée et les rues sont très animées. Une députation
du conseil municipal, ayant à sa tète le bourgmestre, s'est rendue à la villa
Wahnfried et a adressé une harangue à M"'' Gosima Wagner, qui était en-
tourée de M. Siegfried Wagner, de ses autres enfants el de quelques amis.
Après cette réception a eu lieu un pèlerinage au tombeau de Wagner. Dans
la soirée une retraite aux flambeaux a défilé devant la villa Wahnfried et
l'orphéon de Bayreuth a offert une sérénade à la famille du maître. Le prince-
régent de Bavière a distribué aux artistes quelques décorations et titres ho
norifiques. Les représentations ont commencé par le Vaisseau- fanlùme, qu'on
n'avait encore jamais joué à Bayreuth et dont l'interprétation musicale a été
confiée à M. Félix Motll. Les chœurs et la mise en scène n'ont rien laissé à
désirer et on peut dire que, sous ce rapport, l'œuvre de jeunesse du maître
n'a encore jamais été aussi bien reproduite. Quant aux solistes, il faut avouer
que Munich, Vienne, Berlin et Dresde ont déjà fourni des représentations
supérieures. A Bayreuth, le Vaisseau-fanlôme était ainsi distribué ; Le Hol-
landais, M. Van Rooy; Erik, M. Burgstaller; Daland, M. Heidkamp; le
Pilote, M. Petter; Senta, M"s Destinu; Mary, M""» Schumann-Heink. La
salle était comble, et cette fois-ci la langue allemande dominait; les Fran-
çais et Anglo-Américains ne formaient qu'une petite minorité. Parmi les
hôtes de M™ Wagner on remarquait M"' Materna, la première Bpunnhiide
et la première Kundry, et M"' Sucher, l'inoubliable Isolde. Jja loge des sou-
verains était occupée par la reine de Wurtemberg et par plusieurs petits
princes et princesses d'Allemagne; le gouvernement bavarois était repré-
senté par M. de Landmann, ministre de l'instruction publique. Inutile
d'ajouter que l'enthousiasme a été grand et que le public a fait une ovation
aux artistes à la lin du spectacle. A noter que le Vaisseau-fanlôme a été joué
dans sa version originale, sans aucune coupure et sans aucune interruption.
Les trois actes, ou plutôt les trois tableaux, se sont succédé avec une rapidité
qui a fait honneur au chef-machiniste, et l'effet a été immense. La durée de
l'œuvre, jouée sans interruption, dépasse d'ailleurs à peine celle de l'Or du
Rhin, qu'on à toujours joué à Bayreuth sans entr'acte. Le lendemain on a
joué Parsifal avec MM. Van Dyck (ParsifaI), Schuelz (Aml'ortas), Knuepfer
(Gurnemanz), Berger (Klingsor), et M"'» Wittich (Kundry). La représen-
tation, dirigée par M. Muck, de l'Opéra de Berlin, a été bonne, mais ceux
qui ont assisté à la première de cette œuvre, du vivant de Richard Wagner,
l'ont trouvée inférieure. Après Parsifal commence la série de l'Anneau du
Nibelung, sous la direction de M. Hans Richter.
— On apprend de Bayreuth que M. Hans Richter fixera son domicile dans
cette ville, pour assister M™' Gosima Wagner dans la direction du théâtre
wagnérien. Le célèbre chef d'orchestre passera l'hiver en Angleterre pour y
remplir ses engagements.
— La Société pour les représentalions wagnériennes au théâtre du prince-
régent de Munich s'est constituée et a élu président M. Karl de Perfall,
surintendant général honoraire, et vice-président M. de Brunner, bourgmestre
de Munich. M. Karl de Perfall a été remplacé, comme intendant général de la
chapelle royale de Munich, par M. Bernard Stavenhagen, chef d'orchestre de
l'Opéra de celte ville et directeur de l'académie de musique. M. Stavenhagen,
qui frise la quarantaine, est un des pianistes les plus célèbres d'outre-Rhin
et a été un des élèves les plus intimes de Liszt. C'est lui qui a prononcé,
en 1886, l'oraison funèbre lors de l'enterrement de Liszt à Bayreuth. M. Sta-
venhagen s'est aussi fait connaître comme compositeur.
— Le compositeur Georges Vierling, dont nous avons annoncé la mort, il y a
quelques semaines, a laissé un testament par lequel il lègue à quelques œuvres
charitables de Berlin la somme rondelette de 1.500.000 marks (1.87S.0O0 fr.).
De son vivant personne ne se doutait que Vierling était, à l'exception de
M. Siegfried Wagner, le plus riche compositeur d'Allemagne.
— Le nouveau théâtre municipal d'Erturt a reçu un opéra inédit intitulé
Kyffhaeuser (Barberousse), musique de M. Fritz Baselt. Cet ouvrage sera joué
au commencement de la saison prochaine.
— L'auberge « Au chef mineur » dans le val de Plauen, près Dresde,
vient de célébrer le centenaire de son existence. A cette occasion, le proprié-
taire aciuel a publié une brochure commémorative dans laquelle se trouve
un joli et fort peu connu souvenir de Richard Wagner. Le 9 mai 1849, au
matin, la propriétaire entendit des coups de fusil lointains. Elle se précipita
vers la fenêtre et aperçut des bandes d'insurgés en pleine fuite. Les soldats
prussiens qui avaient maîtrisé l'insurrection de Dresde les poursuivaient avec
acharnement. Tout à coup elle vit entrer dans sa chambre un petit bon-
homme, encore jeune, dont la figure et les mains étaient noires de poudre.
Il portait le costume des francs-tireurs insurgés (freischaerler) allemands
de 1848 : un veston giis avec revers et passepoils verts et un petit chapeau
tyrolien, agrémenté d'une ganse grise, c Pour l'amour de Dieu, s'écria-t-il,
vite un peu d'eau pour que je me lave et un peu de pain et de viande froide;
chaque minute peut m'apporter la mort ! » La brave femme apporta sur-le-
champ ce que le franc-tireur lui demandait et celui-ci lui dit : « Vous ne me
reconnaissez donc pas ? » La femme le regarda non sans méfiance et répon-
dit : « Je vous ai déjà vu plusieurs fois, mais... » Le franc-tireur déclara
alors qu'il n'avait pas un sou sur lui, mais qu'il s'acquitterait certainement de
sa dette. La femme hospitalière servit néanmoins an fugitif une bouteille de
bière et ordonna à son fils de le conduire, selou sa demande, à travers la
forêt jusqu'à Freiberg. C'est ainsi que Wagner échappa aux Prussiens. Qua-
torze ans plus tard, en été 1S63, l'aubergiste vit entrer dans sa cuisine un
monsieur très élégant qui paraissait connaître la maison et lui dit en sou-
riant : « Bonjour, patronne, je viens finalement payer ma dette ». La vieille
femme ne reconnut pas l'étranger, qui avait assez grand air, et secoua la tête.
« C'est vrai, dit celui-ci, notre affaire date de fort longtemps et je comprends
que vous m'ayez oublié. Mais moi, je n'ai point oublié le service immense
que vous m'avez rendu le 9 mai 1849 ». — « Ah ! mon Dieu, s'exclama la
bonne femme, le petit bonhomme noirci qui n'avait pas de quoi payer son
déjeuner! » L'étranger paya la petite somme due qu'il accompagna d'un joli
cadeau : « Maintenant je me suis acquitté de cette dette à laquelle j'ai sou-
vent pensé. Vous avez rendu un fameux service à l'ancien kapellmeister de
votre roi, qui s'appelle Richard Wagner, et qui a été exilé jusqu'à présent ».
— La ville de Baden, près Vienne, a fait ériger un monument à Cari Mil-
loecker, l'auteur de la Demoiselle de Jielleville, qui lui a légué ses manuscrits
avec une somme importante. Ce monument, œuvre du sculpteur Bock, sera
prochainement inauguré.
— On a représenté à Sienne, le 12 juillet, un drame lyrique en un acte -sut
un sujet fantastique, Anaiike, dont la musique est due au maestro Gesare
Flavoni, chef de musique du 32" régiment d'infanterie. Le livret, dont on ne
nomme pas l'auteur, est, parait-il, d'une tristesse excessive, mais la musique
a obtenu un plein succès. Ce petit ouvrage était joué par M™» Pasini, An-
ceschi (Ananke), Cecchi et le ténor Gavara.
— Un vent de grève souffle à Rome parmi l'importante corporation des
chantres d'église. Ces messieurs se sont coalisés pour refuser de chanter le
29 juillet au Panthéon, à l'occasion d,; l'anniversaire de la mort du roi, si
240
LE MtNESTREL
leur salaire n'est pas augmenté. Ils demandent tout simplement que leur
cachet soit porté de 4 francs à 5 fr. 50.
— On vient d'apposer une plaque commémorative à la petite maison située
dans le faubourg Lambeth de Londres, maison où Arthur Sullivan est né en
1842. C'est la Corporation des musiciens de Londres qui en a fait les frais.
M. Cummings a présidé la cérémonie d'inauguration et a prononcé un
discours.
— Le prix des autographes musicaux reste en hausse et il ne parait pas
devoir devenir de sitôt plus abordable. On vient de vendre à Londres douze
menuets de Mozart pour orchestre, partitions entièrement autographes du
maître, au prix de 37 livres, soit 9"2o francs. Ces menuets ont été composés en
1772 et 1773; ce sont donc des œuvres de jeunesse qui n'ofl'rent pas tout l'in-
térêt des compositions classiques de Mozart.
— Le prince Serge Valkonsky, directeur du théâtre impérial de Saint-
Pétersbourg, s'est démis de ses fonctions. Il a pour successeur dans ce poste
important M. Telyakowsky, ex-directeur du théâtre impérial de Moscou.
— Le prix triennal fondé par M.Paderewski en faveur de compositeurs de
nationalité américaine, a attiré un grand nombre de concurrents. Soixante-
huit compositions sont entre les mains du jury, parmi lesquelles 31 œuvres
pour orchestre, 9 œuvres chorales et 28 compositions de musique de chambre.
Le jury doit rendre son jugement au commencement de l'automne.
— M. Carlos de Mesquita, un jeune artiste qui fit ses études musicales
à Paris et qui obtint de jolis succès de compositeur, vient de prendre
dans sa ville natale, à Rio-de-Janeiro, la direction de la quatrième session
des «Concerts populaires ». Les séances, qui ont lieu dans la salle du théâtre
San Pedro de Alcantara, sont fort suivies par un public qui sait apprécier
la façon dont sont exécutées les œuvres que le jeune compositeur fait figurer
sur ses très beaux programmes. Trois concerts ont déjà eu lieu, depuis le
5 mai dernier, et la musique française y a tenu la place d'honneur avec
Massenet (Sévillana de Doti César de Bazan, Scènes pittoresques. Divertissement
des esclaves persanes, Fête bohème. Scènes napolitaines), Gounod, Benjamin Go-
dard, Bizet, Guiraud, Saint-Saëns, Delibes (Suite de Sylvia), Charpentier
(Impressions d'Italie) et Lacome. Le public a même redemandé les Scènes
pittoresques de Massenet et les Impressions d'Italie de Charpentier qui, ainsi,
ont été jouées deux fois déjà.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Journal officiel d'hier samedi a publié la liste des croix de la Légion
d'honneur données à l'occasion du 14 juillet. Ainsi que nous l'avions annoncé
dès dimanche dernier, sont nommés officiers : MM. J.-B. Faure, artiste lyri-
que et compositeur de musique, Albert Carré, directeur du théâtre national
de rOpéra-Comique, Jean Aicard et Léon Dierx, hommes de lettres; cheva-
liers : MM. Xavier Leroux, compositeur de musique, Maurice Lefebvre-
Desvallières, auteur dramatique, et Victor Capoul, directeur de la scène de
l'Académie nationale, de musique.
— La distribution des prix aura lieu au Conservatoire jeudi prochain
1" août, à une heure et demie. La séance sera présidée par M. Leygues,
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. La rentrée des classes
est fixée au lundi 7 octobre.
— Les concours du Conservatoire à peine terminés, on parle déjà de l'en-
gagement des principaux lauréats. C'est ainsi qu'on annonce que l'Opéra
prendra MM. Rigaux, Dubois et Granier, tandis que l'Opéra-Comique s'atta-
cherait M"=^ Gesbron à moins que la maison Gailhard ne la subtilise, ce qui
serait grand dommage pour l'intelligente artiste, Huchet et M. Geyre. A
rOdéon on réclamerait M"«Piérat, dont la mère, M""= Panot, débuta sur cette
même scène, et M. Bouthors. Tout cela, bien entendu, subordonné à la rati-
fication du ministère des beaux-arts.
— Dans sa dernière séance l'Académie des beaux-arts a élu M. Paul Lacombe,
de Carcassonne, membre correspondant de l'Institut, en remplacement de
Peter Benoit. M. Paul Lacombe est un musicien de très grande valeur dont
nos grands concerts symphoniques ont plusieurs fois présenté des œuvres
importantes et dont uae délicieuse Aubade printanière a rendu le nom populaire.
— M. Maurice Grau fait sa moisson d'étoiles pour sa prochaine saison
américaine. Il s'est déjà assuré du concours de M"" Calvé — chiffre de
l'engagement 300.000 francs, — de M"'' Sibyl Sanderson, qui chantera pour
la première fois dans sa ville natale, San Francisco, de M. Alvarez, à partir
du mois de janvier, et de M. Gibert, le créateur à Paris à'Esclarmonde, de
Cavalleria, de Kassya, qui ne fera qu'un mois, devant être, dans le courant de
novembre, à l'Opéra de Nice, où, chose assez rare, il va faire sa troisième
saison.
— Au Chàtelet, l'assemblée générale des actionoaires, sur la proposition
de M. Rochard, a ratifié à l'unanimité le choix de MM. Fontanes et Judic
comme codirecteurs de ce théâtre. La signature sociale est dorénavant :
« Rochard, Fontanes, Judic et C'° ». Nul doute qu'à la rentrée le conseil
municipal n'approuve à son tour cette association, car la deuxième commis-
sion, pressentie trop tard, ne pourra examiner la question qu'au mois de
novembre. M. Fontanes est un artiste consciencieux que nous connûmes aux
théâtres du boulevard, et M. Georges Judic, fils de l'irremplaçable diva des
Variétés, électricien de mérite, faisait déjà partie de l'administration du
Chàtelet.
— Suite des réclamations auxquelles donne lieu la rigueur de la Société
des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique dans la perception des
droits. M. Tellier, sénateur, maire d'Amiens, qui avait adressé à ce sujet
une requête au minisire de l'instruction publique et des beaiix-artî, vieut
de recevoir la lettre suivante :
Palais-Royal, le 2U juillel 1P01.
Monsieur le sénateur,
Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous l'annoncer dans ma lettre du 29 mai dernier, j'ai
immédiatement engagé des pourparlers avec la Société des auteurs, compositeurs et édi-
teurs de musique, pour établir un nouveau modus Vivendi qui donnât satisfaction aux
légitimes réclamations des Sociétés musicales et des municipalités. Ces pourparlers ont
abouti à une entente qui sera, j'espère, très prochainement définitive, et que consacrera
une circulaire à laquelle je ferai donner la plus grande publicité.
Agréez, monsieur le sénateur, l'assurance de ma haute considération.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
G. Leygues.
— D'autre part, en province, les représentants de ladite Société ont
droit, indépendamment de leur entrée personnelle dans chaque théâtre, à
quatre billets de faveur, qui donnent accès aux premières places et dont
ils peuvent disposer à leur gré. Nombre de ces représentants, se souciant
fort peu de faire des gracieusetés à des amis, font vendre moins cher qu'au
bureau leurs billets devant la porte des théâtres. Cette vente est-elle licite"?
Où no constitue-t-elle pas, au contraire, une concurrence déloyale faite au
directeur de théâtre? C'est cette dernière solution que vient d'adopter fort
justement, croyons-nous, le tribunal de commerce de Nice au sujet d'un
différend survenu entre la Société des auteurs et le directeur d'un grand
cirque en représentation dans cette ville.
— On annonce le mariage de M. Léon Rothier, de l'Opéra-Comique, avec
M"» Charles, de l'Opéra. M. Léon Rothier appartient à l'Opéra-Comique de-
puis sa sortie du Conservatoire et vient de signer, avec M. Albert Carré,
un nouvel engagement de trois années, en même temps que sa jeune femme,
quittant l'Opéra, s'engageait également avec le directeur de la salle Fa\art à
partir du l"'^ septembre prochain. M"' Charles interprétera les rôles drama-
tiques du répertoire tels que Carmen, la Navarraise et Cavalleria , sans compter
les créations qui pourront lui échoir.
— De Vichy : Au dernier concert classique de M. Jules Danbé, auquel
Mme Roger-Miclos et M"' Mary Garnier, de l'Opéra-Comique, prêtaient leur
gracieux concours, on a exécuté les Impressions d'Italie, de M. Gustave Char-
pentier, une œuvre inédite de M. Henri Busser : A la villa Médicis, et un
nouveau Cantique, écrit par Massenet, pour deux flûtes et instruments à cordes,
qui ont produit un très grand effet.
— De Luchon : La saison bat son plein en ce moment et les jolis concerts
de M. Boussagol, au Casino, sont suivis par une foule élégante qui apprécie
comme il convient l'éclectisme de programmes d'audition très agréables.
Parmi les numéros à succès des dernières séances il faut relever la Lèf/ende
languedocienne de Broustet, Salut à Copenhague et Clianteurs du bois de Fahr-
bach. Sarabande espagnole, le ballet du Cid et Devant la Madone de Massenet,
/« Suite pour instruments à vent de Théodore Dubois, la Vague et la Kait de
Métra, le Cortège de Bacchus de Sijh'ia de Delibes, Retour au camp et les Amou-
reuses de Gung'l, la Zamacueca de Ritter, etc.
— De Trouville : Les messes en musique de N.-D. -de-Bon-Secours ont
repris leur éclat renommé sous la direction de M"= Juliette Toutain, qui
vient d'obtenir un brillant prix d'orgue. Remarqué au programme : des Pièces
d'orgue de Périlhou, le Sommeil de la Vierge de Massenet, pour violon, par
M"« Daumain, Osalutaris de Faure, par M"<î J. S., et des Pièces brèves de Gigout.
NÉCROLOGIE
De Mozzo, près Bergamo, nous arrive la nouvelle de la mort du célèbre
violoncelliste Alfredo Piaiti, qui était né à Bergame le 8 janvier 1822. Fils
d'un violoniste distingué, il était encore au Conservatoire de Milan lorsqu'on
1834, à peine âgé de douze ans, il fit en cette ville sa première apparition en
public, dans un concert que laMalibran rendit mémorable par la part quelle
y prit, et qui devint fameux encore par ce fait qu'on y fit connaître la mort
de Bellini. (Un an après la Malibran mourait elle-même à Manchester.)
Après avoir quitté le Conservatoire, où il était élève de Mcrighi, Piatli entre-
prit toute une série de voyages et se fit entendre successivement à Venise,
Vienne, Francfort, Berlin, Breslau, Dresde, Saint-Pétersbourg, Paris, exci-
tant partout l'enthousiasme par ^on talent remarquable et plein de séduction.
En 1816, après avoir refusé la place de professeur qu'on lui ofi'rait au Con-
servatoire dont il avait été l'élève, il se rendit en Angleterre et se fixa à
Londres, où il se maria et où il devint l'un des héros des fameux concerts
populaires du samedi et du lundi. Depuis quelques années il s'était retiré
dans sa patrie. Piatti a composé de nombreuses œuvres pour son instrument :
deux concertos, un concertino, beaucoup de fantaisies et de morceaux de
genre, ainsi que plusieurs mélodies vocales avec violoncelle obligé.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Dimanche 4 Août 1901,
3571. - 67- mm - [VSi. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(les Bureaux, 2 ■"", me TiTienne, Paris, u- m')
(les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MÉNESTREL
^
-ïec '
Le Hamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET TPIÉ^TRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie ïlamépo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Hekri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Ahonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux sièc'es (23* article), Paul d'Estrées. —
II. La distribution des prix au Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Le Tour de France
en musique : Cliansons bressanes {suite}^ Edmond Neukomm. — IV. Pensées et Apho-
risnies d'Antoine Rubinstein. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LANDLER ALSACIENS (2° suite)
Suivra immédiatement : la Flûte et le Luth, de
par Charles Malherbe,
A. PÉRILHOU.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
■les Poi'trails, mélodie de Joanni Perronnet, poésie de Antonin Lugnier. —
Suivra immédiatement : Seule I valse de I. Philipp, d'après Chopin, paroles
de Jules Ruelle.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les méinoires les plus récents et îles ûocuments InÉilits
(Suite.)
III
La pension de Monsigny. — Le mmicien des anges et les largesses de Louis Bona-
parte. — Le ballet des Noces de Figaro à la Cour du roi Jérôme. — Une paco-
tille musicale de Nicolo. — La Romance de Mignon. — La tragédie lyrique en
prose de Champein.
Tous les musiciens n'avaient pas, comme Gherubini, le malheur
de déplaire au maître du monde. Il en est bien peu, au contraire,
que Napoléon n'ait comblés de pensions et d'honneurs. Ceux
même qu'avaient oubliés ou négligés l'ancien régime et la
Révolution obtenaient de l'Empire de justes compensations.
■C'est ainsi que le vénérable Monsigny, l'un des créateurs du vieil
opéra-comique, dut à la munificence impériale une pension sur
laquelle il ne comptait pas.
L'histoire, telle que la rapportent les mémoires de M""= de
Ghastenay, mérite d'être connue.
Napoléon avait gratifié M'"' de Genlis d'une rente annuelle de
six mille francs et d'un logement à l'Arsenal. En échange, il
devait recevoir, tous les quinze jours, de l'ancien « gouverneur »
des princes d'Orléans, une lettre très détaillée sur les « aiîaires
du temps » etM"'= de Genlis, poussant la franchise jusqu'au bout,
avouait humblement — ce qui était fort rare — à M"'° de Ghas-
tenay ;
— Je me suis aperçue, une fois seulement, que l'Empereur
lisait mes lettres; ce fut quand Monsigny, pour qui j'avais solli-
cité une pension, la reçut peu de temps après mon dernier
rapport.
Les frères du grand homme ne se montraient pas moins géné-
reux envers les représentants de l'art musical. Lucien Bona-
parte, envoyé en ambassade extraordinaire à Madrid, déployait
un faste extraordinaire à la cour d'un prince dont le Premier
Consul recherchait l'alliance. Le nouveau ministre plénipoten-
tiaire prodiguait les réceptions et les fêtes. Boccherini, le com-
positeur favori d'un roi dont la mélomanie était proverbiale,
dirigeait lui-même, dans les concerts donnés par Lucien, l'exé-
cution de ses célèbres quintettes ; et, pour remercier « le musicien
des anges », l'envoyé français lui envoyait, à lui, à son orchestre
et à ses chanteurs, des bijoux d'une valeur bien supérieure au
cachet qu'auraient pu espérer ces artistes.
Blangini, le Dieu de la Romance, comme l'appelaient ses con-
temporains, était traité avec la même distinction à la cour de
Jérôme, le roi de Westphalie. Norvins, qui occupait un poste
officiel auprès du plus jeune frère de Napoléon, cite dans son
Mémorial un épisode intéressant du séjour de Blangini à Gassel
pendant le carnaval de 1810. Le roi autorisa le compositeur à
monter comme il l'entendrait le ballet des Noces de Figaro,
qu'il avait écrit, puis remanié pour les fêtes de la cour. Blan-
gini dirigeait l'orchestre, pendant que le grand maître de ballet,
Tagiioni, le père de la future danseuse, s'occupait de la choré-
graphie. Jérôme et sa femme décidèrent, après une longue et
mûre délibération, que tous les costumes seraient en velours et
en satin. Cette fantaisie ruineuse fut amèrement reprochée, avec
combien d'autres, au prince dissipateur par le grand frère, qui, à
vrai dire, lui avait donné l'exemple d'une telle prodigalité avec
ses luxueux ballets des Tuileries.
Nicolo était un autre Dieu de la romance. Le général Thié-
baud semble cependant lui contester ce titre. Grand amateur de
musique, il s'était entretenu de sa passion favorite avec l'auteur
de Joconde, pendant tout un dîner chez Junot. Le lendemain Nicolo
lui envoyait « une pacotille de romances, notamment /«mène, qu'il
regardait comme un morceau d'heureuse inspiration et que
Zozotte (la femme de Thiébaud), l'admiratrice de plusieurs de
ses ouvrages, trouva pitoyable » .
En vérité, ce siècle devait être, dès son aurore, le siècle de la
romance. Thiébaud cite encore, parmi les maîtres du genre,
Lejeune, et les Mémoires de la comtesse Dash (I) signalent éga-
lement, à Poitiers, un certain Samparelli, artiste italien, qui
écrivait les plus jolies romances du monde, entre autres celle-ci
sur Mignon :
Laconuais-tu cette heureuse contrée
Où croit l'olive et l'orange dorée ?
(1) Comtesse Dash. — Mémoires des autres; Librairie illustrée, 1895,
242
LE MÉNESTREL
Par contre, uu compositeur des moins connus eut l'étrange
idée, reprise depuis, de mettre de la prose en musique. Cham-
pein (1) — c'est son nom — sollicita en ces termes le patronage
de Napoléon pour l'adoption de son idée.
Paris, le S janvier 1813.
Sire, la reconnaissance que je dois aux bontés de Votre Majesté m'a fait
entreprendre un ouvrage extraordinaire.
Sire, je viens d'achever de mettre en musique la belle tragédie d'Electre,
de Sophocle, en cinq actes et en prose avec le chœur, personnage essentiel
des tragédies grecques.
Ce spectacle nouveau et imposant sera peut-être digue de délasser Votre
Majesté de ses immortels travaux, et c'était sous son règne unique qu'un
pareil ouvrage devait être conçu et paraître.
Mettre en musique cinq actes en prose! Mais cette prose harmonieuse, tra-
duite littéralement des vers de Sophocle, elle est si poétique ! Les sentiments
et les passions des personnages sont si beaux et si pleins d'intérêt, si na-
turels ! L'entente théâtrale est si belle et d'un si grand effet!
Ah! Sire, que la puissante protection que Votre Majesté ne cesse d'accor-
der aux arts me soit favorable aujourd'hui !
Je viens supplier Votre Majesté qu'elle veuille bien donner l'ordre au surin-
tendant de ses spectacles que mon Electre soit de suite mise à l'étude, au
théâtre de l'Académie impériale de musique. Cet ordre fera le bonheur de
toute ma vie et celui de ma jeune famille.
Je suis. etc.
GhampeiiN,
pensionnaire de Votre Majesté, auteur de la Mélomanie, des Dettes, du Nouveau
Don Quichotte, de Menzikow.
Le comte Bertrand, à qui le placet fut renvoyé, rappela que si Cham-
pein se félicitait de son innovation, La Motte Houdard avait écrit de
même façon une tragédie qui, d'après Voltaire, suffit pour discréditer le
genre. Bertrand proposait en conséquence de faire e.vécuter une scène
de cette « belle Electre », soit devant Napoléon au concert des petits
appartements, soit au Conservatoire, soit enfin devant le jury de l'Opéra.
Nous ignorons si l'épreuve fut tentée.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
LA DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE
C'est jeudi dernier qu'a eu lieu, au Conservatoire, la séance solen-
nelle de la distribution des pris attribués aux derniers concours. Elle
était présidée par M. Leygues, ministre de l'instruction publique et des
beaux-arts, qui, à une heure précise, faisait son entrée et prenait place
sur l'estrade, où, en petite masse compacte, étaient déjà rassemblés
tous les élèves appelés à prendre part à cette heureuse journée, jeunes
hommes et garçons d'un côté, jeunes femmes et fillettes de l'autre.
M. Leygues s'assied à la table d'honneur, ayant à sa droite MM. Théo-
dore Dubois, directeur du Conservatoire, Jules Glaretie, A. Bernheim,
Charles Lenepveu, Victorin Joncières, à sa gauche MM. Henri Roujon,
directeur des béaux-arts, porteur de la cravate de commandeur de la
Légion d'honneur, Camille Saint-Sacns, d'Estournelles, Pol Neveu,
Louis Diémer, Gabriel Fauré et Albert Carré. Derrière sont groupés
tous les professeurs de la grande maison.
Le ministre se lève, ouvre la séance et prend aussitôt la parole. Point
de discours écrit. Quelques notes seulement sous ses yeux, pour se
rappeler la marche à suivre, et il se livre à l'improvisation. Il com-
mence par un remerciement chaleureu.x à l'adresse des professeurs et
surtout au directeur du Conservatoire, M. Théodore Dubois, au talent
et à l'expérience desquels est due la continuation de la renommée de
l'illustre école. Quelques réflexions esthétiques viennent ensuite, tou-
chant le rôle de la France en matière d'art et de création artistique. La
France, dit l'orateur, ne doit pas s'isoler du reste du monde ; elle doit
accueillir avec curiosité, avec intérêt, toutes les osuvres qui se produi-
sent en dehors d'elle, elle doit les connaître, les étudier pour s'impré-
gner de leur esprit dans la mesure de ce qui peut lui convenir, mais à
la condition de rester elle-même, de rester le pays de la clarté, de la
mesure et du bien-dire.
M. Leygues rappelle alors le rôle joué par la musique française à
l'Exposition de 1900, grâce aux travaux de la commission musicale
présidée par M. Camille Saint-Saens — à qui il rend un hommage que
soulignent les applaudissements de l'assemblée ; il rappelle les séances
officielles données au palais du Trocadéro par l'admirable orchestre de
la Société des concerts, dirigé par M. Tafîanel. Il n'a pas moins d'éloges
(1) Nouvelle Revue Rétrospectice. — 10 jain 1898. — ConiiauDicalion du vicomte de
Grouchy.
à l'adresse de nos grands théiïtres, et particulièrement de la Comédie-
Française, qui, dans les circonstances si cruelles et si difUciles oii elle
se trouvait, après le désastre qui l'avait atteinte, n'en a pas moins, par
un effort immense, fait honneur à la France en présence des étrangers
l'éunis en foule à Paris.
Après des félicitations adressées à MM. Xavier Leroux et Gabriel
Piernè, à l'occasion des deux ouvrages donnés par eux à l'Opéra et à
l'Opéra-Comique, Àstarlé et la Fille de Tabarin, M. Leygues donne un
souvenir ému aux morts de l'année, en rappelant lés services rend\ts
par eux à l'art. C'est Sophie Croizette, c'est Got, c'est Sauzay, c'est Jules
Cohen, ces trois derniers anciens professeurs de la maison, c'est Phi-
lippe Gille, « l'heureux auteur des livrets de Lakiné et de Manon ». Et il ne
veut pas oublier de rendre l'hommage qui lui est du à un illustre artiste
étranger qui a d'ailleurs travaillé pour la France, à Verdi, dont il a eu
l'occasion de prononcer l'éloge dans une autre enceinte (à la Sorbonne)
et dont, en quelques mots, il caractérise la carrière et l'admirable génie.
Après ce discours, dont la péroraison est accueillie par de vifs applau-
dissements, le ministre annonce la nomination de M. Crosti, professeur
de chant, comme chevalier de la Légion d'honneur, et celle, comme
officiers de l'instruction publique, de M. Chapuis, professeur d'harmo-
nie, de .M""^ Hardouin, Marcou et Roy, professeurs de solfège, et de
M. Granier, accompagnateur de la classe d'opéra-comique.
Mais ce n'est pas fini, et après un temps et un semblant d'hésitation,
M. Leygues s'adresse de nouveau à ses auditeurs et s'exprime en ces
termes :
« Mesdames et messieurs, nous espérions vous offrir une agréable
surprise, et M. Planté, pour célébrer l'anniversaire du prix qui lui fut
décerné, il y ajuste cinquante ans, nous avait gracieusement promis
son concours pour cette séance, oii il devait tenir la partie de piano dans
le septuor de M. Saint-Saëns qui figure sur le programme du concert.
Malheureusement M. Planté, pris d'une indisposition subite, se trouve
dans l'impossibilité de tenir sa promesse. Mais tout pourtant n'est pas
perdu, et notre illustre maître Camille Saint-Saëns a bien voulu se
charger de remplacer M. Planté dans le septuor dont il est l'auteur. »
Et le ministre ajoute malicieusement : « M. Saint-Sacns ne met qu'une
condition au concours qu'il veut bien nous prêter en cette circonstance :
c'est que je réclame pour lui toute votre indulgence ». Et les rires elles
applaudissements d'éclater.
C'est fini, et la parole officielle a cessé de retentir. Voici venir la
proclamation et la distribution des récompenses. La lecture du palmarès
est faite d'une bonne voix par M. Garry, premier prix de comédie et
second prix de tragédie, chaque élève se présentant à l'appel de son nom.
Lorsque le défilé est terminé, on vide la scène, le ministre se rend avec
ses assistants dans la loge officielle, et le concert commence, dont voici
le programme exact :
1" Onzième Rapsodie hongroise ... Liszi
M. Lortat Jacob.
2° Air du Pardon de Ploërmel Meyerdeer
M"'! Huchet.
3° Glioral et Variations pour harpe et orchestre Gn.-M. Widor
M"« Sassoli,
4» Scène de Manon (3= acte, 'i' tableau) Massenet
Manon Mi'= Gesbron
Des Grieux M. Gaston Dubois
ô" Scène du Mariage de Yicloriiie (3* acte) Georoe Saxd
Victorine M"'^ Piérat
Sophie De Raisy
Antoine MM. Garry
Alexis Marey
6° Scène de /"«trie (i» acte) Paladilhe
Gomte de Rysoor M. Rigaux
Karloo M. Gaston Dubois
7" Septuor, fragments (op. 65) Gam. Saint-Saf'nst
a. Préambule; b. Menuet: c. Gavotte et Finale.
Violon M"= Forte
Violon MM. Dufresne
Alto Michout
Violoncelle Julien
Contrebasse C. Schmitt
Trompette Lécussant
Piano X.
8° Pièces pour piano seul.
U va sans dire que tous les numéros de ce programme ont eu leur
succès ordinaire. Il faut toutefois faire remarquer que la gentille
M"" Piérat a été accueillie avec une sympathie effective toute particu-
lière dans la scène du Mariage de Vicloriiie, qu'elle joue d'une façon si
délicieuse, et que M. Saint-Saëns a été l'objet d'une ovation formidable
LE MÉNESTREL
243
lorsqu'il s'est présenté avec ses jeunes partenaires pour exécuter son
septuor.
On remarquera que le programme indiquait seulement M. X... pour
cette partie de piano du septuor, et qu'il annonçait, sous le numéro 8,
des « pièces pour piano seul « qui n'ont pas été exécutées. C'est qu'en
effet on avait voulu tenir secrète jusqu'à la fin la présence de M. Planté,
«t que c'est lui qui, sous espèce de « pièces de piano » , devait terminer
le concert. Cela, on l'a vu, n'a malheureusement pas été possible.
Planté, arrivé la veille de Mont-de-Marsan à Paris, s'est trouvé le matin,
à sa grande désolation, dans l'impossibilité de se mouvoir et cloué dans
son lit par une attaque subite de rhumatisme. Ainsi a disparu la joie
■qu'il voulait se donner en la donnant aux autres, de célébrer ainsi le
cinquantenaire du premier prix de piano qu'il remportait d'emblée à
l'âge de onze ans, à son premier concours, dans la classe de l'excellent
Marmontel.
Je n'ai plus, pour terminer ce compte rendu, qu'à faire connaître
l'attribution des dons et legs affectés à divers élèves :
Legs Nicodami (7S0 fr.), partagé également entre MM. Salzédo, V"
prix de harpe et de piano, Lécussant, 1" prix de trompette, et Dufresne,
1" prix de violon.
Prix Guérineau (210 fr.). partagé entre M. Rigaux et M'" Huchet,
tous deux l""^ prix de chant.
Prix George Hainl (700 fr.), à M. Fournier, 1"'' prix de violoncelle.
Prix Ponsin (435 fr.), à M"' Piérat, 1" prix de comédie.
Prix Henri Herz (300 fr.), à M"' Boutarel, 1" prix de piano.
Prix Doumic (120 fr.), à M"« Pair, 1"' prix d'harmonie.
Prix Jules Garcin (200 fr.), à M"' Forte, 1" prix de violon.
Prix veuve Gérard (300 fr.), à M"= Dehelly, 2° prix de piano.
Prix Sourget de Santa-Coloma (150 fr.). à M"= Boutarel, i^' prix de
piano.
Prix Tholer (290 fr.), à M"= Margel, 2« prix de comédie.
Prix Monnot (570 fr.), à M"= Forte, i."' prix de violon.
A ajouter à cela le prix Popelin (1.200 fr.), que l'Association des
artistes musiciens a charge de distribuer aux premiers prix de piano
(femmes) et qui sera partagé cette année entre M"*' Boutarel, Jacquet, ,
Nosny et Schnitzer.
Arthur Pougin.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
xir
CHANSOXS BRESSANES (suite)
Aussi bien, comme nous l'avons indiqué, les filles de la Bresse ont
Sainte-Catherine en grande terreur. Une jouvencelle qui n'est pas
mariée à vingt ans est vieille. Elle en souffre, et quand, ayant atteint
ses vingt-cinq ans, elle a perdu tout espoir de trouver époux à son choix,
elle se résigne, et, pour mettre son esprit en repos et sa vanité à l'aise,
procède à l'enterrement du mariage.
« Un beau jour elle se rend chez les voisins et les invite à assister à
ses noces. Un banquet se prépare, et l'heure de la fête ayant sonné,
notre épousée donne la main au compère qu'elle a choisi pour l'assister
en cette affaire ; puis elle se rend à l'église, suivie d'un nombreux cortège
et en blanche toilette de mariée, la fleur d'oranger sur le front et un
bouquet de myrte fleuri à la ceinture. Après la messe, la belle fait vœu
de n'avoir jamais d'autre époux que celui qu'elle vient d'accepter ficti-
vement, et après l'avoir entendue renoncer ainsi au mariage, les témoins
la suivent au banquet, dont elle fait les honneurs avec son marieur. Le
soir venu, ils sont conduits en grande pompe à la chambre nuptiale, où
cet époux d'un jour arrache à la fiancée son bouquet de myrfe, et le
jette sur l'oreiller; après quoi, il se retire avec les assistants et. va se
coucher chez lui.
« A dater de cette journée, la jeune fille est mise au rang des femmes,
elle commande aux valets, se gouverne à sa guise, et remplace par
certaines tresses de toile exclusivement réservées à la femme marioe, le
ruban noir attaché à son chapeau de future. Sa condition devient ana-
logue à celle des veuves. »
Et ainsi elle traînera une existence calme, normale, mais dépoétisée.
Elle ne prendra qu'avec un regret au cœur et un soupir aux lèvres sa
part des événements joyeux qui l'entourent. Aux noces, elle aura la
chanson triste. Alors que les autres entonneront des airs de bravoure
ou des couplets badins, elle chantera Manette, navrante histoire d'uù
soldat qui vient s-en congé pour revoir sa fiancée que son cœur aime
tant. Hélas! Nanette est morte. Tout autour de sa tonibe les rosiers sont
plantés. Alors il retourne au régiment : — Bonjour, mon capitaine, me
voilà de retour; Ma Nanette, elle est morte; je servirai toujours. Ou bien
encore, la délaissée débitera cette autre complainte, la Belle Geôlière,
recueillie comme la précédente par M. Charles Guillon dans ses Chan-
sons populaires de l'Ain :
C'est la fille d'un geôlier;
Grand Dieu ! qu'elle est donc belle !
Elle est plus belle que le jour.
Un prisonnier lui fît l'amour (bis).
Ils se sont assis sur un banc
Pour deviser ensemble.
Tournant la tète derrièr'lui,
Aperçoit le bourreau veni (bis).
— C'est à présent qu'il m'faut mouri.
François', belle Françoise,
Prenez l'anneau que j'ai au doigt;
Cherchez un autre amant que moi (bis
— Je n'veux pas d'autre amant que v<
Pierre, mon ami Pierre.
Je m'irai mettr' dans un couvent,
Et prierai Dieu pour mon amant (bis)
Après les chants, la bourrée, alerte, étrange, accompagnée par la
cornemuse ou la vielle, et que les Bressans dansent d'une façon si
particulière sur le talon. La fausse mariée ne s'y mêlera pas; elle tien-
dra sa place parmi les matrones, surtout parmi celles qui sont dans son
cas. Et il en sera ainsi toute sa vie, jusqu'au jour où, à bout d'ans, elle
s'agenouilleradevantl'auteldeNotre-Dame et, pour la dernière fois peut-
être, chantera d'une voix tremblante la vieille prière de la Bresse :
La razon du bon Dieu
Sacrement de Dieu
Reusa da mé, reusa d'avri,
Uvro-me le peurte du paradi.
Aile sont uverte d'emp' hie à médi;
Dieu béni cho que le z'a uvri ;
Dieu béni cho que le froumera.
On zou viendra,
Dieu pourtera ma plance
Po pie greussa qu'on pâ de tête.
Tui cô que saran la razon du bon Dieu pocheront,
Tui ce que ne la saran po obérant,
Crieront, tra cô abouzheront
Et diront: mon Dieu!
Qu'a z'ou don fait en cely mondon
Que ze n'a po appri la razon du bon Dieul
Que se retonrnova dans l'otrou mondon
Ze l'apprendra ben.
En pochant per ou chemin
Za ^'û santa Madeleinna
Après la santa quaranteinna ;
Ze l'y a demando : n'êtes vou po vt Jésus?
Ou a ze l'a vu
Sur l'arbre de la crui
Leu bras en cruizon, leu pié étendu,
La tête encourenô d'épene.
I\lon dieu abregio l'arma
De mon grant, de ma granta.
De mon père, de ma mère,
De meseroux, de meu frère...
Tui ce que saran ce la praire,
Que la réciteront tra co lou matin,
Tra co lou cha,
Ne verran jamais lou fua
De l'enfa.
Traduction : — La raison du bon Dieu , sacrement de Dieu , rosée de mai , rosée
d'avril, ouvrez-moi les portes du paradis. Elles sont ouvertes depuis hier à midi. Dieu
bénit celui qui les a ouvertes ; Dieu bénit celui qui les fermera. Un jour viendra, Dieu
apportera une planche pas plus grosse qu'un cheveu. Tous ceux qui sauront la raison du
bon Dieu passeront; tous ceux qui ne la sauront pas tomberont, crieront, blasphémeront
trois fois et diront: Mon Dieu! qu'ai-je donc fait dans ce monde que je n'ai pas appris la
raison du bon Dieu! Si je retournais dans l'autre monde, je l'apprendrais bien. En pas-
sant par un chemin j'ai vu sainte Madeleine, après la sainte quarantaine. Je lui ai
demandé : n'avez-vous pas vu Jésus? Oui, je l'ai vu, sur l'arbre de la croix, les bras en
croix, les pieds étendus, la tête couronnée d'épines. Mon Dieu recevez l'àme de mon
grand-pêre, de ma grand'mère, démon père, de ma mère, de ma sœur, de mon frère...
L'abbé Nyd, qui entendit chanter cette prière par une petite vieille
à cheveux blancs, à Notre-Dame de Vaux, et qui l'a consignée dans ses
Souvenh's historiques du Pont de Vaux, demanda, sa chanson finie, à la
bonne femme d'où elle la tenait.
Elle n'en savait rien; elle l'avait entendu chanter de tout temps aux
petites vieilles comme elle, et elle l'avait retenue. Cequ'elle savait bien,
par contre, c'est que tous ceux qui connaissent cette prière et la récitent
trois fois le matin, trois fois le soir, ne verront jamais le feu de l'enfer,
comme il est dit dans les vers de la fin.
C'est dans le même but que les Bressans ne manquent pas, après les
funérailles de leurs femmes, de boire en abondance, pour assurer leur
salut, d'un certain petit vin funéraire, exquis, récolté tout exprès sur les
coteaux du Maçonnais.
Tout ne flnit-il pas par des libations en Bourgogne ! Les anciennes
244
LE MÉNESTREL
chansons en font foi, témoin cette ballade chevaleresque, recueillie par
M. Edmond Guimet et qui doit remonter à l'époque où les ducs de
Savoie possédaient la Bresse :
Neutron bon du de Savoya
N'éli po dzanti galan?
El a fa fore n'armeya
De quatrevin payijan
Lironfa! Gara, gara, gara.
Lironfa! Gara de devan.
La chanson se poursuit. C'est une expédition contre la France en
douze couplets. Mais dès le septième, la prudence bressane se révèle :
No vetia su la frontière %
0, o! que la mound' é gran.
No no pora bin morfondre
N'e nos avanchon po tan
Halte là! cara. gara, gara.
Halte là! Gara de devan.
Les Bressans battront donc en reti-aite. Après quelques évolutions
militaires, — ti-ay po an dérire, tray po an avan, — trois pas en arrière,
trois pas en avant, — l'armée se retire. Le duc fait son allocution à ses
troupes : — Vos estes de brave djan, leui' dit-il. Et l'incident se termine
dans les bugnettes, les matafau et les verres de vin.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
PENSÉES ET APHORISMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Traduit du russe par Michel Delines.)
La distance de l'ambition à l'amour-propre, de la force de caractère à
l'égoismc, n'est pas plus grande, selon moi, que du sublime au ridicule.
Les traits saillants du caractère sont innés chez l'homme ; heureuse-
ment l'éducation est là pour le modifier s'il a un penchant pour le mal.
Assurément, les mauvais penchants ne sauraient être entièrement sur-
montés et les Français l'ont depuis longtemps reconnu dans leur dicton :
« chassez le naturel, il revient au galop ». Mais n'est-il pas attristant
de constater que les mauvais instincts, l'égoisme, la cruauté, la convoi-
tise, sont les premières manifestations de la nature humaine, tandis que
l'amour du prochain, la compassion, la générosité, doivent lui être in-
culqués?
La sympathie et l'antipathie sont le nœud des liens entre les hommes,
et comme la plupart du temps ces sentiments ne sont pas motivés, c'est
l'injustice et l'indifférence qui règlent les rapports dans le mondé. Un
être intelligent, robuste, actif, se voit souvent rebuté parce qu'on ne le
trouve pas sympathique, tandis qu'une personne indolente, sans déci-
sion, obtiendra nos faveurs parce que nous la proclamerons sympa-
thique. On rencontre souvent dans la vie de ces malentendus !
L'enfant s'attache naturellement à sa mère parce qu'elle le nourrit-
tandis que l'amour pour le père doit lui être inculqué. Plus tard, il est
vrai, il aime aussi son père, mais c'est alors parce que c'est lui qui le
nourrit.
Dieu a laissé à l'homme le libre chois entre le bien et le mal; mais
en même temps il lui a mesuré le .discernement, d'où l'incertitude dans
laquelle l'homme se trouve éternellement pris; car, outre les dix com-
mandements et les préceptes du Christ, il y a encore beaucoup de choses
que l'homme devra juger par lui-même.
Les hommes agissent le plus souvent en pensant & Dieu. Ils agiraient
plus sagement en pensant au.Y hommes, car Dieu est miséricordieux et
les hommes ne le sont pas.
Manger et se nourrir sont en apparence chose identique- il faut
cependant établir une distinction entre les deux termes : c'est le riche
qui mange, tandis que le pauvre se nourrit.
On me reproche de ne pas prendre assez d'exercice ; c'est que je ne
peux penser que lorsque je suis assis ou couché. Quand une idée me
vient en chemin, je suis forcé de m'arréler pour y réfléchir et la déve-
lopper. La marche gôue l'accumulation des idées, le mouvement les
précipite les unes sur les autres. Quant à la promenade hygiénique
sans pensées, je l'abandonne volontiers aux promeneurs de nrofes-
sion. '^
L'aristocratie, ce mal social qui a existé de tout temps, n'est admis-
sible qu'autant qu'elle est riche et puissante; c'est pourquoi elle ne me
parait équitable qu'en Angleterre, bien qu'elle soit absolument contre
nature. En Russie, c'est tout le contraire; dans ce pays les fils d'un
prince sont tous princes et les biens du père après sa mort sont partagés
également entre tous ses enfants. En Russie l'aristocratie n'est donc
que de nom seulement. Au point de vue humain, c'est la seule logique;,
mais au point de vue des institutions existantes, c'est un vrai non-
sens.
Il arrive souvent à un grand artiste d'entendre quelqu'un lui décerner
les éloges les plus enthousiastes, et immédiatement après ce même
quelqu'un en dit autant d'un autre artiste qu'il juge, lui, très inférieur
à lui-même. Et alors on le traite d'orgueilleux ou de blasé, s'il reçoit,
d'un air indifférent les louanges dont on l'accable.
De tous les paysans des différentes nations que j'ai eu l'occasion de
connaître, le grand Russien me semble le plus intéressant, bien qu'il
soit paresseux comme une brute, ivrogne fieffé, rusé, bigot et monar-
chique jusqu'à l'esclavage. Il est cependant si richement -doué par la
nature qu'il est capable de tout. Sa hache, dont il ne se sépare point,
lui tient lieu de machine, son bon sens le tire d'affaires dans toutes
les circonstances de la vie et sa force naturelle lui permet de vaincre
tout obstacle.
Il peut devenir ce qu'il veut: domestique, seigneur, poète, savant,
inventeur, pope, sectaire, soldat, général, musicien, ingénieur, etc., etc..
Il a cependant dans son caractère une particularité qui lui nuit en bien
des cas : ou il est humble au point d'en perdre sa dignité, ou il est arro-
gant au point que le diable lui-même n'est plus son égal. Étrange-
peuple que ces Russes ! (A suivre.)
s=i^
NOUVELLES DI^^ERSES
ÉTRANGER
On nous écrit de Bayreuth : La tétralogie l'Anneau du Nibelung, qui fêtait
le 25' anniversaire de sa première représentation, vient d'être jouée sous la
direction de M. Hans Richter, et ces quatre soirées ont marqué l'apogée des
assises wagnériennes de cette année. La mise en scène a certainement fait
de grands progrès depuis 18'76; cette fois-ci l'arc-en-ciel de la lin de l'Or
Rhin, obtenu par une projection de lumière électrique muUicoloro, a été fort
beau, et le fameux dragon de Siegfried s'est présenté de façon beaucoup moins
ridicule. Mais les solistes n'étaient nullement à la hauteur de ceux dont
Richard "Wagner avait disposé 'en 1876, et M. Schmedes, de l'Opéra de
Vienne, dans le rôle de Siegfried, a paru absolument insuffisant, malgré sa
belle prestance et la vivacité de son action. L'orchestre et les chœurs ont fait
merveille: les Elles du Rhin ont donné une interprétation d'une rare pureté.
— Plusieurs vieux parlisans du maîlre, et parmi eux MM. Humperdinck et le
ténor Niemann, ont voulu faire signer, par les visiteurs de Bayreuth, une
pétition au Reicbstag demandant une protection spéciale de cinquante ans-
pour Parsifal. Malgré une propagande active, les visiteurs étrangers ont été
récalcitrants et ont presque tous préféré ne pas se mêler de ce qui ne les
regarde pas. — On annonce d'ores et déjà des représenlalions pour l'année
prochaine. Parsifal figure au programme provisoire, mais l'Anneau du Nibelung
en est exclu, à cause des frais énormes que causent ses représentations. Bay-
reuth laisse donc pour 1902, au théâtre wagnérien de Munich, la chance de
jouer la tétralogie.
— La direction de l'Association générale Richard Wagner vient d'adresser
au comte de Bûlow, chancelier de l'empire allemand, un mémoire qui expose
la nécessité de fixer la durée du droit d'auteur à cinquante ans et insiste tout
particulièrement au sujet de Parsifal. L'Association prie le chancelier de.
redresser ce prétendu tort. On ne voit pas trop ce que le chancelier pourrait]
faire actuellement pour changer les idées- du Reichstag, dont le siège est fait
sur celte question.
La fondation Richard Wagner, destinée à offrir aux musiciens pauvres
des places gratuites aux représentations de Bayreuth, a reçu comme don da
jubilé la somme de 17.000 marcs environ, soit plus de 2i.000 francs. L'em-
pereur Guillaume II a envoyé personnellement à Bayreuth 3.000 marcs.
— On nous écrit de Munich : L'inauguration imminente du théâtre du
prince-régent, que les malveillants appellent le simili-Bayreuth, excite l'in- '
térêt général. Les billets pour les premières soirées du nouveau théâtre wa-
gnérien font prime; le.s grands hôtels reçoivent continuellement des demandes
d'appartements et de billets. Tout ce qu'on entend au sujet de la nouvelle
scène est très favorable; on loue surtout l'acoustique et l'effet produit par
l'orchestre invisible, dont les instruments à archet font merveille. Quant à
l'appareil scénique, entièrement aménagé par le célèbre machiniste Lautens-
chlaeger, il offre tous les progrès modernes et surpasse tout ce qui existe
ailleurs. L'éclairage de la scène produira, dit- on, une véritable sensation.
LE MÉNESTREL
245
— L'octogénaire princo-régent de Bavière a visité la semaine passée le
nouveau théâtre wagnérien pendant une répétition et en a été tellement satis-
fait qu'il a octroyé, sur place, une haute décoration à l'intendant M. de
Possart, auquel revient le mérite d'avoir réalisé l'aménagement de ce théâtre.
A Bayreuth on est fort mécontent de cette prétendue concurrence, et l'Asso-
ciation générale Richard Wagner a exprimé, dans une adressée envoyée à
M°" Cosima "Wagner, ses vifs regrets à ce sujet. Nous croyons, au contraire,
que le maître serait très heureux, s'il vivait encore et s'il pouvait voir cette
victoire de ses idées dans la ville même qui a été privée, par quelques me-
neurs Ijigots et bornés, de tous les avantages que le roi Louis II avait voulu
lui procurer et que Bayreuth n'a recueillis qu'en petite partie. Car il ne faut
pas oublier que Munich est une ville des plus attrayantes, surtout pour ceux
qui aiment les beaux-arts, et qui offre, au point de vue matériel, toutes les
ressources et tous les agréments d'un grand centre, tandis que Bayreuth n'a
rien pour occuper agréablement le visiteur étranger avant et après les repré-
sentations; sans compter que les hôtels et la cuisine y laissent beaucoup à
désirer. A Bayreuth on ne reste que juste le temps indispensable; à Munich
on s'attarde volontiers dans les musées. La capitale bavaroise aura encore un
grand avantage : son théâtre wagnérien sera permanent et jouera pendant
toute l'année. Ceux qui ne peuvent quitter leur domicile à l'époque des repré-
sentations de Bayreuth pourront toujours trouver à Munich celles du théâtre
wagnérien. Celui-ci contribuera donc dans une mesure, beaucoup plus large
à la propagition de l'art wagnérien. On a tort d'ailleurs de s'alarmer à Bay-
reuth; les représentations espacées dans cette ville comme par le passé atti-
reront toujours un nombre suffisant de ces pèlerins qui ne se contentent pas
de simples impressions artistiques, mais désirent fouler le « sol sacré » de la
colline des bords du Mein et visiter le tombeau du prophète.
— Un théâtre original vient d'être fondé dans la capitale de l'Allemagne sous
le litre de « la Scala de Berlin ». Ce théâtre jouera, contre remboursement
des frais, les œuvres inédites des auteurs dramatiques et des compositeurs
qui voudront voir leurs œuvres produites à la scène. Le prospectus de l'entre-
prise garantit l'exécution impeccable des opéras, opérettes, drames et comé-
dies par de bons artistes, sous la direction de régisseurs et chefs d'orchestre
avantageusement connus. La salle du théâtre, qui est déjà construit, contient
I.SCO places; la scène est vaste; l'orchestre est composé de soixante musi-
ciens, dirigés par deux chefs pour l'opéra et deux chefs pour l'opéra-comique
et l'opérette. L'entreprise se chargera aussi de l'exécution d'oratorios et autres
œuvres symphoniques et chorales, et s'engage à fournir les chœurs et solistes.
Pour les œuvres de musique de chambre et les conférences, on a construit
une petite salle qui ne contient que 400 places et se distingue par l'excellence
de son acoustique. L'entreprise s'engage enfin à faire, sur demande spéciale
des auteurs, un service complet de presse et à mettre ceux-ci en rapport avec
les directeurs de théâtre, entrepreneurs et agents divers. Dans ces conditions,
les jeunes auteurs n'auront rien à faire qu'à délier les cordons de leur bourse
si celle-ci est suffisamment garnie, et à attendre le succès.
— Le kronprinz allemand, qui est actuellement étudiant à l'Université de
Bonn, a commencé ses leçons de violon. Deux fois par semaine le violoniste
Seibert, professeur au Conservatoire de Cologne, se rend à Bonn pour donner
des conseils au jeune prince, qui est déjà d'une jolie force sur son ins-
trument.
— Un nouvel opéra, intitulé l'Improvisateur, dont M. Eugène d'Albert est
l'auteur, sera joué pour la première fois à l'Opéra de Berlin dès le commen-
cement de la saison prochaine. Dans la même soirée on donnera, pour la
première fois aussi, un opéra en un acte de M. Richard Strauss, qui est inti-
tulé le Feu.
— Un éditeur de Leipzig, qui n'est d'ailleurs pas connu à Paris, annonce
une Valse du krach de Leipzig pour chant et danse. Les paroles sont un per-
siflage de la catastrophe financière qui a récemment affligé Leipzig et le
commerce saxon. C'est assurément une œuvre de fort mauvais goùl, sinon
une mauvaise action, de se moquer ainsi d'un désastre national qui a frappé
les riches comme les pauvres et dont les suites funestes se feront sentir pen-
dant longtemps. Quand un éditeur parisien de « petit format » publie des
drôleries plus ou moins grivoises, mais inofîensives, les journaux d'oulre-
Rhin déblatèrent contre la prétendue immoralité parisienne. Que dire de ce
spécimen de la « culture » allemande qui nous vient du « Petit-Paris n saxon,
ainsi dénommé par Gœthe ?
— Le ministère de l'instruction publique a accordé une subvention au
Conservatoire de Vienne pour organiser un cours supérieur de piano dont la
direction a été confiée à M. Emile Sauer, virtuose de chambre du roi de Saxe.
L'admission à ce cours supérieur (Meisterschule) sera entourée de garanties
spéciales; on veut y former de véritables maîtres (Meister). Rien que cela I
— L'Académie de Sainte-Cécile de Rome, qui est le Conservatoire de cette
ville, vient de créer deux nouvelles classes dans son enseignement. Elle a
chargé le critique Edouard Boutet de faire un cours d'histoire du théâtre et
un autre cours de leçons sur la théorie de l'interprétation dramatique.
— Le jury du concours ouvert par la même Académie pour la composition
d'un chœur à quatre voix sur la Prière de Giusti a attribué à l'unanimité le
prix à M. Luigi Mapelli, professeur au Conservatoire de Milan, qui avait été
déjà vainqueur d'un concours ouvert l'an dernier par l'Académie. Le chœur
de M. Mapelli sera exécuté dans la séance solennelle de l'Académie, le
22 novembre prochain, jour de la fête de sainte Cécile.
— Un décret du roi d'Italie vient de modifier la composition des musiques
d'infanterie et de constituer, près de l'Académie de Sainte-Cécile de Rome,
une commission dépendante du ministère de la guerre qui est chargée de
s'occuper de la partie technique de ces musiques et de leur répertoire. Cette
commission est composée de M. le comte de San Martino, président de l'Aca-
démie, du maestro Versella et de deux chefs de musique miUtaire. Elle
exercera l'office de » consultant » près du ministère de la guerre pour toutes
les questions concernant les musiques militaires. Celles-ci seront composées
de 46 musiciens réunis de façon homogène. Toutes les marches et composi-
tions destinées à l'armée devront être approuvées par la commission.
— Suite et fin des renseignements donnés par le Trovatore à propos de
Rossini et de ses œuvres. — 3 décembre 1820, première représentation au
théâtre San Carlo de Naples, de Maomeito II, opéra sérieux, poème de Venti-
gnani, dont le rôle principal est tenu par Filippo Galli. — 3 mars 1821, pre-
mière représentation et succès contesté, à l'ApoUo de Rome, de Matilde di
Shabran (et non Maria, comme le dit notre confrère), poème de Ferretti, joué
par Fusconi, Fioravanti, Moncada, Ambrosi, Beuedetti, la Parlamagni et la
Lipparini. — 27 décembre, au théâtre San Carlo de Naples, grande soirée de
gala, eu présence du roi et de la cour, et exécution de la cantate intitulée la
Riconoscenza par Rubini, Benedetti, la Dardanelli et la Chaumel. — 16 fé-
vrier 1822, au même San Carlo, Zelmira, opéra sérieux, livret de Tottola,
chanté par Nozzari, David, Ambrosi, Benedetti, la Colbran et la Cecconi.
16 mars, dans la villa de Casteuaso, près de Bologne, appartenant à Isabella
Colbran, célébration de son mariage avec Rossini. — 3 février 1823, au théâtre
de la Fenice, de Venise, Semiramide, opéra sérieux, poème de Rossi, chanté
par Galli et Saint-Clair, Isabella Colbran et Rosa Mariani. Succès éclatant.
On sait qu'avec cet ouvrage se termine la carrière italienne de Rossini.
— Le conseil communal de Rome a ouvert un concours entre les sculp-
teurs italiens résidant en cette ville pour l'exécution d'un buste en marbre
de Verdi, qui devra être placé au Pincio.
— Un nouvel opéra, intitulé Ordinanza, dont le livret est tiré d'une nou-
velle de M. Alfredo Testoni et dont la musique est due à un jeune composi-
teur bolonais, M. Ugo Dallanoce, sera représenté prochainement à Sienne,
où il aura pour interprètes MM. Barbaini et Anceschi et M°"=Camilla Pasini.
— Et voici qu'on reparle de nouveau — encore! — du yéron de M. Boito.
Voici ce que nous en apprend un journal italien, l'Alba : — « Arrigo Boito a
travaillé en ces derniers jours avec une activité extraordinaire. Son Néron est
presque complètement terminé. D'ici un couple de mois, selon la prévision
circonspecte de l'auteur lui-même, l'opéra pourra être prêt pour la gravure.
De façon que, si même il ne peut être prêt pour la prochaine saison de la
Scala, à cause des grands préparatifs de la mise en scène, et surtout de l'en-
gagement des. interprètes, son apparition est matériellement assurée pour la
saison de 1902-1903. Je crois même ne pas être éloigné de la vérité en affir-
mant que de tout le vieux matériel lyrique élaboré par l'auteur dans les pre-
mières années, le Ni'ron qui verra la lumière ne conservera presque rien.
L'œuvre a été écrite de jet, presque complètement, dans ces deux ou trois
dernières années, et si, en parlant d'Arrigo Boito, il est licite de se montrer
indiscret, on peut jurer qu'elle révélera des formes lyriques absolument
neuves et personnelles. » Attendons l'apparition tant annoncée de l'opéra-
fantôme. C'est le cas de dire, plus que jamais : Qui vivra verra — et enten-
drai
— Un poème symphonique sur Quo Vadis, auquel il ne manque plus que
d'être mis en opéra, ce qui ne saurait tarder, en attendant qu'on en fasse un
ballet. On a exécuté avec beaucoup de succès, au Grand Théâtre de Palerme,
des Impressions symphoniques de M. Sandron, inspirées par les scènes princi-
pales du fameux roman de M. Sienkiewicz. Elles se composent de quatre
morceaux ; Lidia, Orgia, Incendia di Roma et Morte di Nerone, « que le maestro,
dit un journal, a heureusement rendus sans s'abandonner au vol effréné de
la fantaisie, mais en donnant une preuve splendide de sobriété et de fine
génialité. »
— Il n'y a pas, en pays musulman, que le Sultan qui soit un musicien
distingué. Sous ce rapport même son vassal, le jeune khédive d'Egypte, lui
rend des points, comme on va le voir. Un journal étranger nous rapporte
que, récemment, ledit khédive avait invité toutes les notabilités indigènes et
étrangères du Caire à un grand concert qui devait avoir lieu au palais de
Ras-El-Tin. Dans ce concert le corps musical, exclusivement formé d'artisles
arabes, a donné des preuves d'une grande habileté, sous la direction de
M. Faites, ex-chef de musique dans l'armée autrichienne. Mais la surprise,
pour les auditeurs, a été l'exécution d'une grande valse dont l'auteur n'est
autre que... le khédive en personne. Enfoncé, le Sultan!
— Pendant la saison prochaine, l'Opéra que M. Maurice Grau dirige à
New-York aura une concurrence ; M. Henry Savage annonce en effet qu'il
jouera l'opéra au Broadway Théâtre et que ses représentations seront popu-
laires. Il laissera de côté le système dit des étoiles et offrira au public un
bon ensemble qui jouera en langue anglaise, ce qui n'empêche pas le pro-
gramme d'annoncer Faust, Roméo et Juliette et Carmen. Les prix de l'Opéra de
M. Savage, qui ouvrira le 19 septembre, seront au moins de moitié inférieurs
à ceux exigés par M. Grau.
— Celle-ci émane d'un journal américain, il est à peine besoin de le dire.
On sait que l'auteur de Cavalleria rusticana a été engagé pour une grande
tournée dans l'Amérique du Nord; or, d'après un de nos confrères de là-bas,
246
LE MENESTREL
son voyage serait retardé pour un motif aussi imprévu qu'original. En ell'el,
les managers de M. Mascagni, MM. Klam et Erlanger, exigeraient qu'il donne
ses auditions musicales avec une chevelure » absalonique », prétendant que
la plus grande part des succès du fameux pianiste Paderewski revient à son
opulence sous ce rapport. Et comme M. Mascagni porte d'ordinaire les che-
veux en brosse, il lui faut un certain temps pour atteindre un certain point
de ressemblance avec Clodion le Chevelu.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici les résultats des concours d'instruments à vent, qui ont terminé
la série des concours publics au Conservatoire. Le jur5', présidé par M. Théo-
dore Dubois, était composé de MM. Emile Jonas, H. Dupont, ïh. Dureau,
G. Parés, Camille Erlanger, Alfred Bachelet, Charles Silver et Bruneau.
Flûte. — Professeur, 31. Taffanel. .Morceau de concours : .\ndante et scherzo de
M. Louis Ganne: morceau à vue, du même.
/" prùc. — M. Bauduin.
Pas de H" prix.
/'" accessits. — MM. Grisard et Cardon.
â" accessits. — MM. Delangle et Huet.
Hautbois. — Professeur, M. Gillet. Morceau de concours ; Pièce en si \) de M. Biisser ;
morceau à vue, du même.
1" pria;. — M. Huron.
^■' prix. — Sm. Mercier et Gobert.
Pas de 1" accessit.
*" accessits. — MM. Balout et .isselineau.
Clarinette. — Professeur, M. Turban. Morceau de concours : Solo de concours de
M. Henri Rabaud ; morceau à vue, du même.
•/'" prix. — MM. Costes et Villetard.
3^ prix. — M. Arambourou.
Pas de 1" accessit.
2" accessits. — 3IM. Loterie et Périer.
Basson. — Professeur, M. Bourdeau. Morceau de concours : Solo de concert de M. Charles
René; morceau à \Tie, du même.
1'" prix.. — MM. Alibert et Carlin.
Pas de 2' prix.
/" accessit. — il. Oubranous.
Pas de 2*^ accessit.
Cor. — Professeur, M. Brémond. Morceau de concours : Fantaisie de M. A. Bruneau;
morceau à vue, du même.
1" prix. — M. Mellin.
â* prix. — M. Alphonse.
Pas de 1=' accessit.
2"' accessits. — MM. Bernât et Antraigues.
Cornet a pistons. — Professeur, M. Mellet. Morceau de concours ; Scherzo de M. Charles
Silver; morceau à vue, du même.
Pas de 1" prix.
$• prix. — M. Sarrazin.
i" accessit. — M. Radraux.
2^' accessiis. — MM. Blancbetière et Mauclair.
TR0.MPETTE. — Professeur, M. Franquin. Morceau de concours : Solo de trompette de
M. Camille Erlanger; morceau à vue, du même.
^"' prix. — MM. Liécussant, Couzin et Lamouret.
â" prix. — MM. Bailleul et AUard.
Pas de 1" accessit.
2* accessit. — M. Blzet.
Trombone. — Professeur, M. .iiiard. Morceau de concours, de M. Bachelet; morceau à
vue, du même.
I'" prix — MM. Buffet et Martin.
Pas de 2' prix.
1" accessit. — M. Delbos.
2* accessit. — M. Job.
— M. Giraudet désirant se mettre sur les rangs pour la place de professeur
de chant, laissée vacante par le départ de M. Léon Duprez, a envoyé au
directeur du Conservatoire sa démission de professeur de l'une des classes
d'opéra. Cette démission ne pourra, administrativement, être acceptée qu'à
la rentrée.
— A l'Opéra :
M. Gailhard est parti cette semaine se dirigeant sur Biarritz, où il est allé,
disent les feuilles publiques, surveiller les dernières répétitions d'un diver-
tissement inédit dû à sa plume féconde, mais auquel travaillèrent cependant
M. Gheusi pour l'argument, M. Vidal pour la musique, M. Plansen pour
la chorégraphie et M. Chaperon pour les décors. Ou se demande quelle part
de collaboration reste, dans ce spectacle qui doit inaugurer le nouveau Casino,
au plus illustre de nos « chauffeurs b.
Avant son départ, M. Gailhard a signé l'engagement de M. Baër, premier
accessit d'opéra-comique et second prix d'opéra aux derniers concours du
Conservatoire, et s'est entendu avec M. Ibos qui, étant donné le bon accueil
qu'il vient de recevoir du public, reviendra, la saison prochaine, donner
quelques représentations dans les intervalles de liberté que lui laisseront les
engagements qu'il a déjà signés avec l'étranger.
Il est question de reprendre, l'hiver prochain, la Statue de M. Ernest Reyer,
qui fut créée en avril 1861 au Théâtre-Lyrique et reprise à l'Opéra-Comique
en avril 1870. En attendant pourrait-on, peut-être, nous donner de temps à
autre Sigurd, dont on semble avoir perdu le souvenir.
Cette semaine ont eu lieu les examens de danse, en suite desquels
M"i^ Rouvier, H. Hugon, Moormans et Sirède ont été nommés sujets.
Une commission a été formée, qui s'est réunie pour la première fois
ces jours-ci et qui a pour but de reconstituer, sur de nouvelles bases, la
caisse des retraites des artistes et de tout le personnel de l'Opéra.
— A l'Opéra-Comique :
M. Albert Carré a signé, cette semaine, les engagements de M"'^ Cosbron
et Hucbet, l'une et l'autre autorisées par le ministre. M"« Cesbron débutera
par le rôle de Charlotte dans le Werther de Massenet, qu'on reprendra, enlin,
la saison prochaine.
Changement de distribution dans la Troupe Jolicœur, de M. Arthur Goquard;
ce n'est plus M"'' Delna, mais M™° Deschamps-Jehin qui créera le rôle de
mezzosoprano.
M. Auguste Chapuis a été chargé d'écrire la partition des Demoiselles de
Saint-Cyr, que MM. Lenéka et Bernède ont tirées de la comédie d'Alexandre
Dumas.
M""^ Sibyl Sanderson, qui vient de signer avec M. Grau pour la prochaine
saison américaine, se fera réentendre à l'Opéra-Comique vers le printemps.
De même M. 'Ed. Clément, qui est engagé au San-Carlos de Lisbonne,
donnera quelques représentations salle Favart, avant son départ, au mois de
novembre.
— Un concours pour les emplois de chef et de sous-chef de musique dans
l'armée sera ouvert dans les premiers mois de l'année 1902. La date des
épreuves éliminatoires de ce concours, qui seront subies aux chefs-lieux de
corps d'armée, sera prochainement fixée après entente entre le ministre de
la guerre et le directeur du Conservatoire national de musique, président de
la commission d'examen.
— M. Schiller, le mari d'Yvette Guilbert, qui avait organisé la saison der-
nière, au Vaudeville, une série de concerts dont nous avons parlé, compte
poursuivre son idée la saison prochaine, mais à l'Opéra-G imique, cette fois.
Quatorze concerts auront lieu tous les quinze jours, le jeudi, en matinée. On
cite déjà comme devant tenir la baguette de chef d'orchestre MM. Messager,
Taffanel, Luigini, Richter, VS'"eingaertner, Strauss, Muck, Sembach, Zump,
Panzuer, Mottl, Nikisch et MuUer.
— Ce n'est plus au théâtre Sarali-Bernhardt, mais, plus modestement, au
Chàteau-dEau que doivent avoir lieu, du lo avril au 1«'' juin, les représen-
tations du Crépuscule des Dieux organisées par MM. A. Cortot et W. Schutz,
sous le patronage de la Société des grandes auditions.
— A la Comédie-Française, engagement de M. Garry, premier prix de
comédie et second prix de tragédie. — Au dernier comité de lecture il a été
fortement question d'apporter, en ce qui concerne ces séances, une légère
modification au règlement. Plusieurs sociétaires trouvent abusif d'entendre
trois, quatre et cinq actes d'auteurs qui n'ont eu précédemment dans la maison
qu'un seul acte représenté. Il faut dire que chaque auteur joué a droit à un tour
de lecture, sans être obligé (comme il est d'usage la première fois) d'envoyer
le manuscrit aux lecteurs qui le transmettent, s'il y a lieu, à la commission
d'examen et, en dernier ressort, au comité de lecture. Les sociétaires en ques-
tion désireraient que désormais les auteurs joués, ayant droit par ce fait à un
nouveau tour de lecture, ne puissent envoyer au comité qu'une pièce d'un
nombre d'actes correspondant au nombre d'actes que comportait la comédie
précédemment représentée. Dans le cas contraire, ils devraient passer de
nouveau par l'examen préliminaire des lecteurs.
— D'une petite enquête poursuivie par notre excellent confrère du Figaro,
M. Alfred Delilia, au sujet de . l'éventuelle production dramatique pour la
prochaine saison, il résulte ceci : 84 auteurs ont répondu à la demande de
l'aimable enquêteur, et voici comment se devraient répartir leurs ouvrages :
Opéra, 2 ouvrages comportant 7 actes. ,
Comédie-Française, 13 pièces, 42 actes.
Opéra-Comique, 11 pièces, 33 actes.
Odéou, 4 pièces, 13 actes.
Sarab-Bernhardt, 2 pièces, 10 actes.
Vaudeville, 10 pièces, 30 actes.
Variétés, 8 pièces, 23 actes.
Gaîté, 5 pièces, 15 acies.
Chatelet, 1 pièce, 5 actes.
Porte-Saint-Martin, 4 pièces, 21 actes.
Gymnase, d pièces, 31 actes.
Palais-Royal, 3 pièces, 12 actes.
Bouffes-Parisiens, 12 pièces, 30 actes.
Ambigu, 6 pièces, 29 actes.
Alhénèe, 6 pièces, 24 actes.
Nouveautés, 2 pièces, 6 actes.
Antoine, 21 pièces, 68 actes.
Renaissance, 12 pièces, 34 actes.
Déjazet, 2 pièces, 6 actes.
Cluny, 2 pièces, 6 actes.
Chàleau-d'Eau, 1 pièce, 4 actes.
Maguèra, 1 pièce, 3 actes.
A cette nomenclature, plutôt imposante, il convient encore d'ajouter
82 pièces donnant 283 actes, qui n'ont point de destination arrêtée. Et dire
que M. Delilia n'a reçu de réponse que de 84 auteurs dramatiques I
LE MENESTREL
247
— M. Riéger, l'armurier bien connu, grand amateur de théâtre, a eu
l'idée de rafraichir en été les salles de spectacle, comme on les chauffe en
hiver, en envoyant par les conduites de calorifère de l'air froid au lieu d'air
chaud. On va expérimenter prochainement cet original procédé devant les
représentants de la commission d'hygiène et les directeurs.
— Ravissante petite fête, il y a quelques jours, au restaurant Notta.
M. Antonin Marmontel offrait un déjeuner à ses élèves du Conservatoire. Il
avait cédé, avec une bonne grâce charmante, la présidence d'honneur à
M. Raoul Pugno. La gaieté la plus cordiale n'a cessé de régner pendant tout
le repas. M. Marmontel, complimenté sur les succès de sa classe, a fait
remarquer avec modestie que son prédécesseur lui avait laissé un nombre
respectable de sujets d'élite. On a bu à la santé de Raoul Pugno, dont le
passage au Conservatoire a été marqué par la réussite brillante et complète de
son enseignement. Quelqu'un a rappelé cette phrase d'un bel ouvrage d'An-
toine Marmontel : « La source expansive et véritablement pure de l'expression
est dans l'àme de l'artiste.... Si ce livre a une prétention, c'est de remettre
sous les yeux de ceux qui l'ouvriront le but toujours présent, l'éternel idéal :
Sursum corda. » Un double toast a été proposé ensuite : « Au souvenir indé-
finiment prolongé d'Antoine Marmontel!... Au professeur éminent, à l'artiste
qui sait faire comprendre, par le jeu du piano, les grandeurs et les élégances
de la musique, et qui possède aussi le sentiment exquis des délicatesses du
cœur, à Antonin Marmontel I... » M. Marmontel. qui avait déjà adressé à ses
jeunes élèves un petit discours simple et plein d'à-propos, a présenté quel-
ques aperçus sur la carrière du professeur; M. Raoul Pugno a caractérisé
celle du virtuose. On s'est séparé eu se donnant rendez-vous pour octobre.
— C'est par le Tour du monde que la nouvelle direction du Ghàtelet fera sa
réouverture vers fin août. Viendra ensuite le Voyage de Suzette, qui sera am-
plifié pour la circonstance. On parle de l'engagement d'une lauréate des
derniers concours du Conservatoire pour le rôle principal.
— Ce n'est point, comme on l'a dit par erreur, par Orphée aux enfers qu'ou-
vrira le Ghàteau-d'Eau, sous la nouvelle direction de l'étonnant M. Silvestre,
mais bien par la Fille du Tambour-Major.
— Un théâtre à côté de plus pour la saison prochaine. Le besoin s'en fai-
sait vraiment sentir. La société d'auteurs dramatiques et de compositeurs de
musique « les Inconnus « vient en effet de fonder le « Théâtre des Arts »,
qui donnera ses représentations quotidiennes à la Bodinière pendant la sai-
son 1901-1902.
— Résultats des concours de l'École classique de la rue de Berlin :
Déclamation lyrique. .Tury : M. Chavagnat, président, M"« Agussol,
MM. Ghambon, Clayès, Grivot, M. et M"»" Blancard. Opéra (classe hommes),
2'»« prix, M. Monys: 1" accessit. M. Rebuffel. (Classe femmes), l"" prix,
M"' Laurens ; S"" prix, M"« Dorgère ; 1*'' accessit, M"'= Rousseau. — Opéra-
comique (élèves hommes), 2"'« prix, M. Rebuffel; 1"'' accessit, M. Monys ;
2""! accessit, M. Ribière. (Classe femmes), 2""î prix, M"<! Dorgère et
M"»" Laurens, tous élèves de M. Paravey.
Violon et violoncelle. Jury: M. Chavagnat, président, MM. Nadaud, Lefort
Laforge, Viardot, Geloso, Roillet, Oberdoerffer, Mnntena et G. Courras
Violon : 1"' prix spécial à l'unanimité, M. Dnisemont, élève de M. Berges
!='■ prix, M"= Bacque, élève de M. Candéla ; 2"= prix : MM. Tapponnier, élève
de M. Watel, Curcio, élève de M. Candéla, et Coilfier, élève de M. Berges
l" accessit, M"« Barbazanges, M. Durand, élèves de M. Candéla, M"« M. La-
varenne, élève de M. Berges ; 2">' accessit, M. Sinanian, élève de M. Berges
M. Paris et M'" Lhermitte, élèves de M. Candéla. — Violoncelle : 2""' prix à
l'unanimité, M. Rudie. élève de M"° de Buffon.
Piano supérieur. Jury : M. Louis Diémer, président, M^^* Caramba, Mon-
teux, MM. Descombes, Anthiome, Falkenberg , Riera, Ph. Courras et
Nimez. (Classe femmes), 1«" prix, M"=' Kennett et de Grandsagne; 2""=^ prix,
M"» Marcelle Lavarenne et Bonenfant ; 1»" accessits, M"=s Kouchner et
Charlotte Lavarenne ; 2™s accessits. M"»' Bosque et Réveillé, élèves de
M. Chavagnat. Classe hommes, l"prix, M. Terras; 2""! accessit, M. Rolande,
élèves de M. Rosen.
— La distribution des prix de l'École de musique classique fondée par
Niedermeyer et dirigée par M. Gustave Lefèvre a eu lieu le 27 juillet, sous
la présidence de M. Henri Ravina, à la suite de concours qui ont été très
brillants. Le prix d'excellence a été attribué à l'unanimité à M. H. Defosse,
qui a obtenu deux premiers prix de piano et d'harmonie et un accessit d'or-
gue: le prix d'honneur donné par le ministre de l'instruction publique a été
décerné à M. Maurice Le Boucher, qui a remporté les premiers prix de sol-
fège et d'orgue et les seconds prix d'harmonie et de composition. Les élèves
les plus souvent nommés avec ceux-ci sont MM. Asbton. Lenormand, Nibelle,
Bruxer, Ritz et Renard. — M. Saint-Saëns a accepté la présidence du comité
des études de l'école, qui vient de s'adjoindre plusieurs nouveaux professeurs
en la personne de MM. Gabriel Fauré, Eugène Gigout et André Gedalge,
nommés respectivement professeurs de composition, d'orgue et de contre-
point et fugue.
— De Lyon : Concours du Conservatoire. Contrairement aux errements
ordinaires, qui veulent que l'on attache une médiocre importance aux mor-
ceaux de lecture à vue écrits pour les concours des classes d'instruments, les
journaux de Lyon ont parlé cette année avec les plus grands éloges des petites
pièces composées pour la circonstance par M"""! Himbert-Kiemlé.
— D'Aix-les-Bains. An Cercle, très intéressante et très substantielle confé-
rence, donnée par M. Julien Tiersot, sur la chanson populaire en France.
M"e Costès a dit de façon charmante les jolies choses recueillies par M. Tier-
sot, et le succès a été complet. Le lendemain, à ce même Cercle, un concert-
festival de musique populaire française a été conduit par M. Léon Jéhin. On
y a réentendu les chansons de M. Tiersot, chantées par M"« Costès et
M. Dangès, et plusieurs oeuvres dont les thèmes sont empruntés à des motifs
populaires, tels la Marche des Batteurs et V Entracte-rigaudon de Xavière de
Théodore Dubois.
— De Montauban : Inauguration du buste du compositeur Armand Saintis.
La commission du monument Saintis a accepté à l'unanimité dans sa der-
nière séance le projet présenté par M. Maurou, architecte de la Ville. D'autre
part, le conseil municipal vient de concéder le terrain nécessaire et les travaux
vont commencer immédiatement. Le socle qui supportera le buste de Saintis
est sobre de lignes, mais d'une composition très artistique; l'auteur du projet
avait eu à se préoccuper tant de la question de l'emplacement que des res-
sources disponibles; malgré ces difficultés le projet qu'il va mettre à exécution
est de nature à rallier tous les suffrages. L'inauguration aura lieu le dimanche
18 août.
— De Wimereux : M"'= Eugénie Mauduit, de l'Opéra, a organisé une messe
en musique où elle s'est fait entendre dans VAve verum de Haydn et un
0 Snlutaris de Faure; elle était accompagnée sur l'harmonium par M"= Made-
leine Mauduit; ces deux morceaux ont été très appréciés.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître à la Bibliothèque des Annales politiques et littéraires le 5" volume de
Quarante ans de théâtre (feuilletons dramatiques), par Francisque Sarcey (3 fr. 50 c).
Pour paraître AU MÉNESTREL, 2"'% rue Vivienne, HEUGEL et 0'% éditeurs
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AVIS AUX DIRECTEURS. — Les Editeurs du « Ménestrel >> traitent dès à présent de cet important
ouvrage avec les entreprises théâtrales de la province et de l'étranger, — l'orchestration pouvant être
livrée aussitôt après la première représentation à l'Opéra-Comique, au commencement de novembre.
248 LE MENESTREL
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles i24" article), Paul d'Esthées. —
II. Notes d'ethnographie musicale : la Musique dans l'Inde (1" article), Julien Tiersot.
— III. Le Tour de France en musique : le Canut, Edmond Neukouh, — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LES PORTRAITS
mélodie de Joanni Piîrbonnet, poésie de Antonin Ldgnier. — Suivra immé-
diatement : Seule ! valse de I. Philipp, d'après Chopin, paroles de Jules Ruelle.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
la Flûte et le Luth, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement : la File des
Vignerons, de Paul Wachs.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les ménioires les plus rÉcents et fies ilocuffleiits Inéilits
(Suite.)
IV
Viotti, l'Homère du violon. — Rode incapable de jouer une contredanse. — L'art
plébéien. — Vn mot de Chateaubriand sur le violon.. — Baillot déplaît à M™' Ca-
vaignac. — Un portrait de Reicim. — Reicha et i\f"= Gounod. — L'Institut Elisa
et Nadermann. — Le triomphe de Metternich à Vienne.
Les premières années du XIX'= siècle furent une heureuse
époque pour les compositeurs-virtuoses. Combien d'entre eux y
virent consacrer leur réputation par les suffrages, toujours re-
cherctiés, du dilettantisme parisien ! Yiotti, qui avait si profon-
dément ému Voltaire, et qui, malgré l'adorable souplesse de son
vigoureux talent, s'était vu discuter à Paris, y cueillit enfin,
en 1802r les lauriers du triomphe. Dancla, dans ses Souvenirs,
l'appelle « l'Homère du violon et le chef de l'école française ».
Viotti, qu'il considère encore comme « le génie incarné de la
mélodie » prisait peu les développements scientifiques ; et Che-
rubini, qui avait à cœur la renommée de son ami, dut travailler
à l'accompagnement des 19% 22' et 24" , concertos de Viotti,
accompagnement quelque peu négligé par l'auteur.
M™' de Chastenay rencontra, un soir, chez le général Dessoles,
l'illustre violoniste qui était seulement de passage à Paris. Il
avait apporté des quatuors de sa composition, et cédant aux
instances du général, qui lui réclamait, à titre d'ami, une de
ses soirées, il allait s'exécuter, quand il s'aperçut qu'il avait
oublié son violon. Mais Dessoles lui tendit le sien et Viotti se
surpassa, dans ce concert improvisé qui avait pour auditeurs
Cherubini, Baillot, Duport, Libon , Nadermann, Frédéric et
Norblin, c'est-à-dire autant d'amis que d'admirateurs. Car Viotti
savait joindre au charme d'un incomparable talent, les délica-
tesses d'une âme généreuse , comme l'a si bien démontré
M. Arthur Pougin dans le livre où il rend doublement justice à
l'homme et à l'artiste.
Rode, l'élève de prédilection de Viotti, atteignit presque à la
gloire de son maître avec une existence moins agitée. Le baron
de Trémont vante en lui l'enjouement de l'esprit et la parfaite
distinction des manières; il aurait pu ajouter l'ingénuité du
caractère, si la réponse qu'il prête à son héros en certaine cir-
constance n'est pas tant soit peu enjolivée pour les besoins de
la cause. Rode était premier violon de la musique de Bona-
parte pendant le Consulat; et il venait à ce titre se faire entendre,
soit aux Tuileries, soit à la Malmaison, dans les concerts où figu-
raient pareillement les plus célèbres instrumentistes de Paris.
Un jour, au moment où l'orchestre attaque l'ouverture qui sert de
début au concert, le Premier Consul quitte la salle, mandé par
d'importantes dépêches de ses collègues. Les musiciens s'interrom-
pent; mais le temps se passe et Bonaparte fait annoncer à ses
hôtes qu'il ne peut revenir, .loséphine restée seule, ses belles-
sœurs et les jeunes femmes, composant la nouvelle Cour, con-
sultent pendant quelques secondes la maîtresse de la maison ; et
celle-ci les approuvant d'un signe de tête, une de ses dames s'ap-
proche de Rode et lui demande très sérieusement « s'il ne pour-
rait leur jouer, avec ses camarades de l'orchestre, les contre-
danses du jour ».
Rode, interloqué, balbutie et, devant l'attitude non moins
déconcertée des autres musiciens, finit par répondre, avec une
candeur parfaite, qu'ils sont tous incapables de jouer le moindre
quadrille.
Le baron de Trémont, qui suivit le violoniste dans toutes les
phases de sa brillante carrière, le retrouva un jour à Bordeaux,
son pays natal, où Rode s'était retiré, fatigué, vieilli avant l'àgè,
frappé par la paralysie, attristé d'une déchéance que le souve-
nir de ses anciens succès lui rendait plus pénible encore. Mais,
en dépit de son état maladif et de son incurable mélancolie.
Rode s'intéressait toujours aux choses de l'art; et les jeunes
musiciens ne faisaient pas vainement appel à ses bienveillants
conseils. C'était à l'époque où Charles Dancla, « un enfant du
Bigorre », en était une des gloires naissantes. Il avait à peine
huit ans qu'il connaissait déjà tout le répertoire de l'Opéra-
Coiuique et qu'il faisait la partie de deuxième violon au théâ-
tre de Bagnères. Ses dispositions étaient tellement remarquables
que plusieurs amateurs de la ville engagèrent très vivement le
père, bon musicien lui aussi, à conduire son fils chez Rode à
250
LE MÉNESTREL
Bordeaux. Dès que le grand artiste eût entendu le jeune vir-
tuose, « Continuez votre voyage jusqu'à Paris », dit-il au père. Et
il lui donna des lettres de recommandation pour Clierubini,
Baillot et Kreutzer. Celui-ci était absent; mais Cherubini et
Baillot, à la considération de Rode, accueillirent avec bienveil-
lance son jeune protégé.
Baillot, qui remplaça Rode au Conservatoire, « s'était fait une
spécialité de l'interprétation des Andantes », prétend un de ses
contemporains. Moins exclusive, M™"' de Cbastenay, qui avait été
pendant un an son élève, lui voue une admiration sans bornes.
Quoi qu'il joue, elle est en extase : « J'étais toujours montée
dans les sphères célestes et toute à l'barmoide la plus parfaite et
la plus pure... » Et, dans la ferveur de son enthousiasme, M"" de
Ghastenay confond l'homme avec l'artiste : « Le noble carac-
tère et les vertus touchantes de M. Baillot prêtent à la profonde
admiration dont me pénètre son talent. La musique bien sentie
élève l'àme à une exaltation que j'oserais dire éthérée ».
Mais, pourquoi, aussitôt après cette envolée vers l'idéal, la
grande dame retombe-t-elle si lourdement sur terre avec cette
réflexion ;
« L'art, depuis la Révolution, a été en défaveur parce qu'on
lui a prêté quelque chose de plébéien? » Il est certain qu'à partir
de cette époque V aristocratie ne contribue pas, personnellement
du moins, au développement de l'art et que les plus illustres
d'entre tous les artistes furent des plébéiens; mais, abstraction
faite des divagations intellectuelles que put enfanter une période
de folie sanguinaire, est-il admissible que ces destinctions
d'ordre politique, représentées par les termes nettement déflnis
A\iristocratie et de démocratie, soient reconnaissables dans les
manifestations d'un art empruntant, comme la musique, ses sen-
sations multiples au domaine de l'imagination et du rêve ?
Un des plus grands politiciens de son temps. Chateaubriand,
avait bien compris le rôle sensuel, et non métaphysique, de l'art
musical, le jour oi^i, se trouvant précisément chez M°"^ de
Ghastenay pour y entendre Baillot, il s'écriait : « Le violon est
le seul instrument qui ait une passion dans le corps ». Peut-être
l'amant platonique de M""' Récamier était-il trop exclusif; car
l'orchestre tout entier, quand il chante les beautés de la nature,
comme dans la Symphonie pastorale, ou quand il pleure la mort
d'un grand homme comme dans la Symphonie héroïque, vibre de
joie et d'allégresse, de douleur et de désespoir; il est, en un mot,
l'écho des passions humaines.
M'"" Cavaignac (1), la mère du général, rend hommage à l'idole
de M"" de Chastenay, avec moins d'emphase, mais avec autant
de sincérité. Elle l'appelle « le bon Baillot». Elle se souvient
qu'il a été longtemps son professeur et que si elle n'a jamais
fait grand honneur à ses leçons, sa sœur, une très remarquable
pianiste, en a largement profité. Cette dame donnait tous les
samedis des concerts auxquels coopéraient Garât, M"'" de Montge-
roult et de Chevilly, Rode et Baillot qui faisaient alternativement
la partie de premier violon.
M°" de Chastenay, qui, à l'entendre, aurait accompagné sur le
piano tous les grands artistes de l'Empire et de la Restauration,
parle avec complaisance d'une soirée musicale dont elle partagea
le triomphe avec Duport, le fameux violoncelliste. C'était chez
la duchesse de Bourbon, mère du duc d'Enghien. Le vieil artiste
fut accueilli avec une rare distinction par la noble assemblée ;
etla duchesse d'Orléans, Marie-Amélie, future reine des Français,
« se fit présenter à Duport pour être à la mode ». Quel honneur
pour un plébéien'. Ses variations pour piano et basse furent
précisément le morceau capital qui valut à M""" de Chastenay
cette ovation dont elle se montre si touchée.
Reicha était surtout un harmoniste : ses études scientifiques,
ses connaissances en algèbre et en physique, le destinaient à
remplir dignement cet emploi dans le monde musical. Ses vingt-
quatre grands quintetli pour instruments à vent démontrèrent tout le
oarti qu'on en pouvait tirer. M. de Trémont, qui l'admettait dans
ses quatuors, nous trace un piquant portrait de cet excellent
(1) M- C.v
d'une inconnue ; E. PloD, 1894.
violoniste pendant l'exécution de chaque morceau. A la première
partie, Reicha restait froid et tranquille ; il semblait comme en-
dormi ; à la seconde, il était en proie à une agitation extraor-
dinaire, il témoignait ainsi de l'envahissement de tout son être
par les développements de la pensée musicale.
Reicha, que son origine et sa méthode rendaient peu sympa-
thique à Cherubini, aida puissamment à la vocation de Gounod.
Celui-ci assistait tous les dimanches aux leçons particulières
d'harmonie données par le savant professeur. M"' Gounod mère,
daiis son appréhension d'une carrière dont elle connaissait par
expérience toutes les difficultés, eût voulu que Reicha en dé-
courageât son élève. Mais lui de se récuser avec son flegme
ordinaire :
— Cet enfant sait déjà beaucoup de ce que je dois lui
apprendre...
M""^ Gounod se résigna.
La comtesse de La Place, femme de l'illustre savant, donne
dans sa correspondance (1) avec la princesse Bacciochi (Elisa
Bonaparte), de qui elle était dame d'honneur, d'utiles rensei-
gnements sur Nadermann et sur l'instrument que cet artiste
connaissait si bien comme fabricant, comme virtuose et comme
compositeur.
M""' de La Place était toujours à la recherche, pour le compte
de son auguste maîtresse, déjeunes personnes «sachant jouer de
la harpe ». Elle s'était d'abord adressée à Sarrette, directeur
du Conservatoire, qui la renvoya à Nadermann. Celui-ci lui de-
manda « les conditions de Son Altesse et le sort qu'elle ferait à
ces institutrices », car la princesse, qui rêvait- sans doute d'un
Saint-Denis en Toscane, les destinait à l'Institut Élisa.
Or, toutes les candidates avaient « des e.xigences ridicules ».
L'une d'elles. M"" de Villemagne, nesavaitpas accorder les harpes,
« étude très longue et très difBcile » dit Nadermann. Et, à ce
propos, le savant professeur entre dans des considérations qui
attestent sa rare probité. Il n'est certes pas indulgent pour l'ins-
trument dont il vit. Les anciennes harpes, prétend-il, sont bien
mauvaises ; et ce sont pourtant les meilleures, car l'artiste qui
les possède est accoutumé à leurs défauts. Et, d'autre part, qui
serait capable d'accorder les nouvelles, celles par exemple qui
appartiennent à la princesse? En somme, la harpe est « un ins-
trument naturellement imparfait que l'on gâte en voulant le
perfectionner » . Alors que pouvaient bien valoir celles des frères
Nadermann ?
Toutefois, M""" de La Place finit par découvrir une perle,
M""' de Blair, la veuve d'un officier supérieur, qui sait « pincer »,
avec le même talent, harpes anciennes et harpes nouvelles.
Nadermann est son professeur. Une dernière lettre de la dame
d'honneur, à la date du '18 septembre 1808, apprend à la prin-
cesse Élisa que toutes les négociations sont heureusement ter-
minées. M"'° de Blair se contentera d'une pension annuelle de
2000 francs, dans l'espoir que ces appointements seront bientôt
augmentés : elle demande toutefois une allocation sérieuse pour
ses frais de voyage, pour le transport de sa harpe et de sa mu-
sique, toujours fort coûteux. M"" de Blair emportera en même
temps avec elle « un choix de petits morceaux très agréables »,
que le complaisant Nadermann a mis de côté à l'intention de la
princesse et qui lui coûteront 144 francs.
Que devinrent l'Institut Elisa, les harpes de Son Altesse et M°"
de Blair? Le cataclysme qui balaya toutes les créations impériales
dut les entraîner dans le même désastre, et le chant de victoire
que nous trouvons dans les Mémoires de Mellemich lui oppose,
nouvelle page de la vieille histoire des vicissitudes humaines, le
plus instructif des contrastes.
Metternich rentre, en triomphateur, à Vienne, après la conclu-
sion de la première paix de Paris en 1814.
Le comte PalS'y a organisé une sérénade devant le palais de la
Chancellerie d'État. Les artistes des Théâtres de la Cour et de la
"Wien enlèvent avec vigueur l'ouverture de Prométhèe de
Beethoven. Le flûtiste Bayer et le violoniste Spohr — celui-ci ur
(I) Lellies (le M'"deLa Place à Élisa Napoléon, publiées par M. Marmottanl; Charlei
1897.
LE MÉNESTREL
Û-6\
virtuose entre les virtuoses — jouent leurs grands morceaux
de concerts. La cérémonie se termine sur une cantate, dont la
musique est de Kinsky et le poème du D"" Weilh, alors tout jeune
et à qui l'avenir réservait une notoriété considérable.
(A siiivre. ) Paul d'Estrées.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
V
LA MUSIQUE DANS L'INDE
Le problème de la musique hindoue otfre plus d'incertitudes encore
que celui de la musique grecque. Pour celle-ci, au moins, les docu-
ments tliéoriques ne manquent pas, et quelques débris, rares mais
précieux, nous ont donné d'éprouver une impression directe, si faible
fût-elle, des formes de cet art sur lequel ont circulé tant de légendes.
La civilisation hindoue est bien plus antique encore, et les indianistes
ont cherché passionnément à en retrouver les éléments primitifs : en
musique, cependant, ils n'ont pu, jusqu'ici, nous révéler presque rien.
Fétis est à peu près le seul homme en France qui ait tenté de soulever
une partie du voile qui nous cache les secrets de l'antique musique hin-
doue. Il a consacré à' « la Musique des habitants de l'Inde » tout un
livre, le cinquième, de son Histoire générale de la Musique depuis les
temps les plus anciens jusqu'à nos jours, ce singulier ouvrage, aussi peu
lu que la Biographie des Musiciens est fréquemment consultée, tentative
presque gigantesque, avortée, arrêtée en pleine nuit, parmi des
tâtonnements sans nombre, au moment précis où la lumière allait jail-
lir, au seuil de ce XV" siècle avec lequel l'art de la musique moderne
allait commencer. L'on ne sait, lorsqu'on étudie les cinq volumes de
cet ouvrage qui, s'il avait été achevé avec un pareil développement, en
aurait dû comprendre cent, ce dont il faut le plus s'étonner, de la gran-
deur de la conception ou des aberrations extraordinaires dont l'examen
des détails nous offre d'inquiétants témoignages. Certes, c'est une idée
admirable, presque géniale, d'avoir voulu comprendre dans l'histoire de
la musique l'humanité tout entière, au lieu de la restreindre, comme
on lé fait d'ordinaire, aux manifestations produites en un petit nombre
de siècles dans trois nations de l'Eui-ope. Mais, au moment où Fétis
l'entreprit, combien la tentative était prématurée ! Que de régions obs-
cures il lui fallut traverser, sans guide, abandonné à ses propres forces,
à sa seule inspiration ! Et aussi à combien de fausses inductions, d'hy-
pothèses que l'avenir ne devait pas confirmer, il fut forcé de se livrer,
pour aboutir à un résultat qui vraiment ne valait pas tant de peines ni
d'efforts !
A l'égard de la musique de l'Inde, Fétis a formulé quelques réserves,
avoué qu'il n'avait pas pu tout savoir, et cela n'était pas trop dans ses
habitudes. « Je dois déclarer, écrit-il, que nonobstant mes efforts pen-
dant plus de vingt ans, je n'ai pu pénétrer certains points de la théorie
et de la pratique de la musique en usage dans l'Inde antique. Des diffi-
cultés de tout genre se présentent à quiconque essaye de se livrer à cette
étude; d'une part la rareté des manuscrits, de l'autre, les obscurités de
■ langage des auteurs de ces traités de musique, obscurités si profondes
qu'elles ont découragé les sanscritistes qui avaient eu le dessein de tra-
duire ces ouvrages » . Et encore : « Toutes les recherches faites dans
l'Inde pour découvrir, dans les diverses provinces, des traditions des
chants des hymnes védiques et des mélodies appliquées aux drames et
à la danse antiques chez les Indiens ont été infructueuses ». Il conclut
enfin : « Espérons qu'un jour un sanscritiste, bon musicien et pourvu de
tous les documents nécessaires, comblera les lacunes que je suis obligé
de laisser (1) ». Comment l'homme qui a écrit ces sages paroles n'a-t-il
pas été plus loin dans le doute et le sentiment de son ignorance ? Com-
ment n"a-t-il pas compris que ce n'était pas en compulsant un écrit
anglais du XVIIP siècle, rédigé par un homme qui n'était pas musi-
cien (2), fût ce en le complétant à l'aide d'une analyse d'un ouvrage
hindou, sur l'ancienneté duquel il sait des choses très vagues (3), qu'il
pouvait dégager la vérité entière sur une partie très importante et très
obscure de l'histoire de la musique, et, comme il prétend le faire, « dé-
terminer avec exactitude les intonations de l'échelle enharmonique des
hindous, représenter en notation européenne les trente-six modes pra-
tiques de la musique indienne, etc. » ? Comment a-t-il pu croire qu'il
donnerait « une traduction satisfaisante des deux plus anciennes mélo-
(\) FÉTIS, Uist. rfén. de la Musique, t. II, pp. 109 et suiv.
fâj Jones, On the Musical Modes of Ihe Hindîts, 22 pages dans les AsUitic Rfj^eatrlies,
TOl. m, pp. 55 à S7, Calcutta, 1792.
(3j Sringila Diimodara, analysé par Paterson dans la même colleclinn, t. IX.
dies dont l'histoire de la musique puisse faire mention », — traduction
qui d'ailleurs ne ressemble en rien cà celle que d'autres indianistes ont
donnée des mêmes textes, — alors qu'il reconnaît dans la même phrase
que « la signification de certains signes d'altération tonale et d'orne-
mentation du chant est restée un mystère, qui se dissipera peut-être si
un traité de musique pratique est traduit quelque jour du sanscrit » °!
Voilà liien des causes d'incertitude à ajouter à celles qu'il avait déjà
avouées lui-même.
Deux idées fausses devaient principalement empêcher Fétis d'élucider
les questions que comprenait cette étude.
La première est sa conviction que la musique de la plupart des
peuples primitifs et exotiques est basée sur une division de la gamme
différente de la gamme naturelle, et particulièrement sur l'usage immo-
déré des quarts de ton ou tiers de ton, idée que nous discuterons,
en un examen d'ensemble, à la fin de cette étude, mais que, sans atten-
dre davantage, nous n'hésitons pas à déclarer être une pure aberration,
au moins dans les termes dans lesquels Fétis l'e-^pose avec insistance
presque à chaque chapitre de son livre.
Aussi bien, à l'égard de la question connexe des modes, sans être
aussi inexact, il n'est pas beaucoup plus instructif. Certes il nous
éblouit par l'accumulation des mots étrangers qu'il nous sert : sa joie
est immense s'il peut les multiplier à l'infini, et si, après avoir dénom-
bré les degrés Joubhunca, Ouggra, Roummaja, Rohiny, et une vingtaine
d'autres, il peut passer au Mode bengali, au Mode ranameri, au
bhairavi, au nettà, au taccà, etc.. etc. Cela est fort beau, et nous dirions
volontiers avec M. Jourdain : « Voilà une langue admirable que cet
hindou ! » Mais, le premier étonnement passé, nous voudrions bien
savoir ce que cela veut dire, et surtoutconnaltrel'application pratiqueet
esthétique de ces belles choses. Or, c'est ce dont notre auteur se soucie
le moins. Après avoir cité Molière, il nous sera bien permis de rap-
porter un mot de Balzac : « Toute la science humaine : une nomen-
clature! » Certes, une pareille définition est une calomnie pour la
science. Mais n'est-elle pas pour certains savants une critique trop sou-
vent justifiée, et ne trouve-t- elle pas, dans le cas présent, une applica-
tion trop naturelle?
L'autre erreur de Fétis, commune à beaucoup d'hommes qui,
étudiant le passé, en voudraient pouvoir pénétrer les mystères jusque
dans les temps les plus reculés, est celle qui consiste à vieillir outre
mesure les documents dont il lui est donné de taire usage. Qu'il
rapporte les légendes relative? aux origines divines de la musique, rien
de mieux, puisqu'il est entendu que ce sont des légendes. Il nous mon-
trera ainsi la musique inventée par Saraswàti, épouse de Bràhma, et
cette invention complétée par leur fils Naredâ, qui, ayant tendu des
cordes sur l'écaillé de la tortue qui porte le monde, en forma la Vina,
l'instrument hindou par excellence. Il nous dira encore que les sept
sons de la gamme sont sept déesses ; que les légères Apsaras, créées pour
charmer le paradis d'Indra, y forment des concerts avec les Gandliârbas,
musiciens célestes, au nombre de sept, lesi;|uels président à l'iiarmonie
des astres ; que d'autres fils et filles des dieux sont les Ragâs et les
Rdginis, qui gouvernent les modes musicaux, expressions naturelles des
passions. Cela est en effet intéressant à connaître, nous montrant quelle
idée l'imagination des peuples se fait de l'essence mystérieuse et du
prestige de la musique. Mais voici que notre auteur prétendra nous appor-
ter des éclaircissements positifs en remontant jusqu'aux Védas, en com-
mençant par l'étude de ces poèmes son histoire musicale. Le Sama-Véda,
notamment, l'arrête longuement. « Les hymnes sont métriques, et
n'étaient pas récitées, mais chantées, et c'est précisément à cette desti-
nation au chant qu'est attachée l'eflicacité des prières de ce Véda ; car,
dans les conceptions védiques, toutes les parties de la musique sont
d'origine céleste. » Et là-dessus il se livre à des considérations diverses
et à des inductions vraiment hasardées, avouant d'ailleurs qu'il n'est
rien resté, nulle part, du chant des hymnes védiques.
La vérité est que nous ne savons rien, ce qui s'appelle rien, de l'anti-
quité de la musique dans l'Inde, et cela est d'autant moins étonnant
que nous n'en connaissons pas beaucoup plus sur l'histoire générale ou
n'importe quelle partie de la vie de ce pays aux époques anciennes.
Ne savons-nous pas que la première communication des européens avec
les habitants de l'Inde ne remonte pas plus haut que la campagne
d'Alexandre, c'est-à-dire à la fin du IV' siècle avant Jésus-Christ, ce qui
est vraiment peu de chose au regard de l'antiquité d'un peuple qui fait
remonter l'histoire de ses rois à plus de cinq mille années!
A l'égard des écrits hindous sur la musique, Fétis voudrait bien leur
assigner des dates très anciennes, et, sans d'ailleurs rien dire de positif,
il ne craint pas de faire entendre qu'il en est ainsi. C'est ainsi qu'il
attache une importance primordiale au Ragavibodha (doctrines des
modes musicaux), de Soma, qu'il déclare être un très ancien auteur ;
dans sa pensée, cette ancienneté est évidemment celle de l'époque où la
2oii
LE MÉNESTREL
civilisation brahmanique existait encore dans sa pureté native. Par
malheur, la critique moderne, revenue à des vues plus sages et plus
exactes, est loin de confirmer ces hypothèses complaisantes. C'est ainsi
qu'un liiTe anglais paru quelque vingt ans après l'Histoire générale de la
Musique rétablit la vérité en affirmant que le plus ancien écrit sur la
musique hindoue qui nous soit connu est le Saiigita Ratnâlera, ou Océan
de musique, de Sârnga Deva, dont la rédaction ne remonte pas plus
haut que l'an 200 après Jésus-Christ (1) : cela ne constitue pas une anti-
quité considérable, et l'Europe a des matériaux plus anciens. Le Mga
Yivhada, de Somanath ou Soma Raj (c'est ainsi qu'orthographie l'au-
teur anglais) est postérieur. C'est dans ce livre qu'est notée la mélodie
que Fétis s'est donné tant de peine à transcrire, et qu'il qualifie « la
plus ancienne mélodie de l'humanité ». Mais outre que sa notation,
très différente de celle des indianistes anglais qui ont étudié le docu-
ment original, est incertaine, il est évident que celui-ci perd beaucoup
de son intérêt s'il est établi qu'il ne remonte pas plus loin. Les hymnes
de Delphes et le fragment mutilé de YOresle d'Euripide restent jusqu'à
présent « les plus anciennes mélodies de l'humanité » qui nous soient
parvenues.
(A suivre.) Julie.n Tiehsot.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
I-i y o nxi El i s
LE CANUÏ
A tout seigneur, tout honneur !-
Le Canut est le maitre de Lyon, comme il en est le roi. Ne lui parlez
pas des ouvriers qui vont s'embaucher autre part que chez eux pour
faire leur métier. Ce sont des galvaudeux, a ses yeux. Lyonnais il est,
Lyonnais il vivra, et Lyonnais il revivra dans ses enfants. La Guil-
lotière, Vaise, la Crois-Rousse, Saint-Just, les Broteaux sont sa patrie.
C'est là que de sa grosse main sortent ces merveilleuses soieries, qui
font l'admiration du monde entier. Il a conscience de ce qu'elles valent
et, en les admirant, s'accoudant sur sa barre, il rêve, dans son humble
échoppe, aux destinées qui les attendent. Il voit la foule parée s'agiter
dans des palais magnifiques. Tout luit, tout chatoie. L'air semble semé
d'or. Mais ce n'est qu'un instant de délire, et tout cet or, et toute cette
soie, le canut ne les donnerait pas pour ses métiers, d'où s'échappe un
bistanclaque, bistanclaque, pan. monotone et continu, pour ses chaises
boiteuses et son garde-manger à grillage, pour sa commode en noyer et
pour son grabat dressé sur une soupente à laquelle on accède au moyen
d'une échelle.
Au physique, comme au moral, le canut est rude. Il a le visage pâle,
maigre, le cou long et tendu, le dos voûté, le corps grêle, les bras osseux,
les genoux saillants, toutes difformités résultant de son métier. Son
courage est proverbial : laborieux, économe, maitre en sa demeure, il
ne souffre aucune marque de dédain et dit leur fait aux gens dont il
croit avoir à se plaindre, crûment, vertemement, et pittoresquement.
car son langage est émaillé d'expressions spéciales et vigoureuses, pour
ne pas dire triviales, qui en font un jargon à part.
Ses jours de récréation sont le dimanche et le lundi. Ces jours-là, do
bon matin, après avoir passé sa lévite (sa redingote) et s'être reïiuclé
(regardé) dans son miroir, il s'est escané (il s'en est allé) pour se lanti-
bardaner (pour se promener) et chongner et fioler (manger et boire) en
plein air. C'est l'usage ;i Lyon, et nul n'y manquerait. Une vieille
chanson le consacre :
Altons aux Broteaux,
Ma mie Jeanne,
Allons aux Broteaux,
Car il l'ait beau.
Nous y mangerons
Une salade,
Nous y danserons
Un rigaudon.
Allons aux Broteaux,
JMa mie Jeanne,
Allons aux Broteaux.
Tortillez-vous donc,
Mam'selle Jeanne,
Tortillez-vous donc
Sur vos rognons.
Monsieur Nicolas
Lui verse à boire,
Son p'tit cœur mignon
Lui rend raison.
Allons aux Broteaux,
Ma mie Jeanne,
Allons aux Broteaux.
(1) C. R. Dat, The Music and Musical Instruments of Soutliern India and ttie Decran.
Londres, Novello, 1891. Nous aurons par la suite à emprunter plus d'un renseignement à
ce beau livre.
Le canut va donc aux Broteaux avec sa canuse et ses gonnes. Là, les
guinguettes regorgent de monde et les chants se croisent en tous sens,
rudes comme ceux qui les débitent, et toujours très pimentés. A mesure
qu'on arrose cadette [cadette signifie dalle) les gognandises (les bêtises)
s'accentuent. En même temps d'interminables conversations s'engagent
sur le cours de la soie, sur les prétentions des marchands, sur les affaires
publiques; car le canut est frondeur, et il ne lui déplaît pas de faire à
l'occasion son procès au gouvernement. D'autres jouent aux boules, aux
palets, à la bourre. Et toujours les chants de retentir : chants de mé-
tier, chants de bravoure et chants d'amour aussi. Car le canut a l'àme
tendre aussi, surtout lorsque le petit Beaujolais commence à lui taper
snr la. tronche (sur la tête). Alors il chante, d'une voix émue, sur l'air do
Marianne :
Fanthon, du haut de ta banquette,
l^scoute la voix de l'amour.
Car tout en passant ma navette,
Je pensons à loi chaque jour.
Oui, je t'aimons,
Je te l'disons,
J'souhaitons ben que t'en fasses de même :
Ah ! quand on s'aime,
C'est si canant.
L'on va toujours se lanii-burdananl .
Fanchon, pour toi mon cœur souspire
Va, ne prends pas ça pour un' crac.
En ce moment il fait tic-tac,
Et je viens te le dire.
Quand j'aperçois ma Fanclionnette,
Je m'escrtn' sur la port' d'allé',
J'quitt' mon bonnet, j'prends ma casquette.
Pour avoir l'air mieux endrôté.
Et quand, le soir.
Un sommeil noir
S'en vient fermer Yagnotet d'ma paupière,
Quand pour jouir d'un doux repos,
Tout doucement je m'étends sur le dos,
Moi, qui couche sur la suspente,
Ah ! je voudrais, pendant la nuit,
Pour dégringoler sur ton lit,
Voir tomber la charpente.
Cette chanson a mis toute la compagnie en tendre humeur. Chacun
sent la galanterie lui monter à l'âme. On se dirait en une Cour d'Amour,
au temps du roi René, et l'un des buveurs, après s'être essuyé les lèvres
du revers de sa manche, entonne, en regardant tendrement sa voisine,
cette chanson toujours la bienvenue dans les réunions lyonnaises :
Nous estions troys galans
De Lyon la bonne ville,
Nous en allons sur mer.
N'avons ne croix ne pile.
La bise nous fait mal,
Le vent nous est contraire,
Nous a chassé si loing
Dedans la mer salée.
— Ne ferons pas pour toy,
Ny pour tout's tes galères :
Nous nous rendons à Dieu,
A la vierge Marie.
a Monsieur Sainct Nicolas,
Madame Saincte Barbe,
Rossignolet du Boys,
Ya-t-en dire à ma mye
a L'or et l'argent que j'ay
En sera tresoriere,
De trois chasteaux que j'ay
Aura la seigneurie.
Voicy venir Préjean (Uncorsiiirc fameux)
A (et) toutes ses galères :
— Vous vous rendez, enfants
De Lyon la bonne ville.
<i L'un est dedans Milan,
L'aultre est en Picardie,
L'autre dedans mon cœur,
Mais je ne l'ose dire. »
Saluons cette chanson au passage. C'est une douairière ; car elle figure
déjà dans un Recueil du seizième siècle, où s'ensuyvent plusieurs belles
chansons nouvelles, nouvellement imprimées, avec cette indication : On les
vend à Lyon, en la maison de feu Claude Nourry, dit le Prince, près Noslre
Dame de Confort.
Le Confort au seizième siècle, et sous l'invocation de Notre-Dame
encore, voilà qui est fait pour surprendre. On croit généralement ce mot
anglais. Erreur! On trouve déjà dans la Chanson de Roland : Entr' els en
ont et orguel et confort... Confort est donc un mot bien français.
Entre temps, le ciel s'est assombri dans le clan de la clientèle des
Broteaux. Les cervelles ne sont plus bien nettes, et les langues s'em-
pàteut. L'heure des querelles est proche, car il est rare que ces agapes se
terminent sans horions. En attendant, le feu s'engage par une chanson
railleuse contre les « Auvergnats » qui viennent exercer leurs nulle
industries dans Lyon. Comme nous l'avons dit, le canut n'aime pas
l'ouvrier étranger, l'Auvergnat surtout, son voisin. Celui-là, sa bête
noire, sert de cible à ses plaisanteries. Dans la chanson (jui nous
occupe, et à laquelle Champfleury et Weckerlin ont offert l'hospitalité,
ce qui montre sa valeur, il s'agit de maçons en goguette, venus au
cabaret pour s'égayer. Ils chantent, en terminant chaque couplet par
une imitation, très amusante, de la musette :
LE MENESTilËL
253
Chet donc demain la dimanche
Que nous chavons resoulu
De nous mettre quatre ensemble
Pour dispencher un escu.
Nous en fCim's à Ville urbanne
Chez le boulanger Lefay,
Celui qu'a la renommayo
De fair' de chi bon pain bis.
Ah hi hou ha! ah hi hou ha, hia.
Bonjour, madame l'hochtesse :
Voudriez-vous apporter
Une bonn' soupe à la graisse
Et du bon lard fricassé?
Surtout prenez-y bien garde,
Nous espargnez pas le pain,
y en faudra pour nous quatre
Cinquante livres la moins!
Ah hi hou ha ! Ah hi hou, hia.
Puis nous nous somm's mis à table
Et nous nous sommes resgalés
Autant qu'nous estions capables,
Même à nousestrangouiller,
Et quoil qu'il eût la colique,
Nostre bon ami Gaspard
Nous a chanté le cantique
Du grand bon saint Lienard.
Ah hi hou ha ! ah hi hou lia, hia !
Après avoir bu la goutte.
Nous sont partis pour Lyon,
Nous ons rencontrés en route
Trois chapeliers bons lurons,
Ils nous ont cherché dispute,
Nous leurs avons répondus;
Nous nous sommes mis en butte
Et nous les avons battus.
Ah hi hou hal ah hi hou ha, hia.
Passant près d'un corps de garde,
On voulut nous arrester,
Nous disant : « Chers camarades,
En prison il faut aller •> ;
Mais nous qu'avons fait ribotte,
Et qu'étions des entêtés
Nous avons battu le poste
Et nous nous somra's escannés.
Ah hi hou ha! ah hi hou ha, hia.
En entrant dedans la chambre,
Nous aperçûmes passer
Nostre maîslre l'aschitecte;
Nous lui dîmes de monter ;
Voyant tant de pain sur table,
11 en parus estonné,
Nous lui dîmes qu' pour nous quatre
Y en faudrait un' fournée!
Ah hi hou ha! ah hi hou ha, hia!
Arrivés à la Croix-Blanche,
Il fallut nous séparer,
Promettant que l'austr' dimanche
Nous faudrait recommencher;
Au revoir, chers camarades,
Et surtout n'oublions pas
Qu'il nous faut bien prendre garde
De ne pas nous fouchtre en bas.
Ah hi hou ha ! ah hi hou ha, hia !
Quand le canut, après deux jours de libations, n'en peut plus, sa
canuse le ramène, comme elle peut, au logis. Il a chongné et fiole à
loisir; mais il n'en a pas assez. Et, titubant dans la bassouille (dans la
boue), et chéant (tombant) à l'occasion dans la rase (dans le ruisseau), il
chante, en scandant d'un hoquet chaque période, ces versets funé-
raires :
Ail! si je meurs, que Ton m'enterre
Les pieds contre I
Et la tête sous le i
(A suivre.)
.ille,
Que l'on mette dans mon tombeau
Un saucisson, une salade,
Une bouteiir de vin d'Mâcon,
Pour passer la barque à Caron.
Edmond NEuttoMM.'
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
L'Opéra impérial de Vienne a rouvert ses portes; les programmes de la pre-
mière semaine de la nouvelle saison contiennent presque exclusivement des
œuvres françaises : Mignon, Faust, Carmen et le Propliète, On voit que notre
vieux répertoire est loin d'avoir dit son dernier mot dans la capitale autri-
chienne.
— M"' Saville rentre à l'Opéra impérial de Vienne la semaine prochaine
et on reprendra, avec elle, Manon, ce rôle étant un des meilleurs de la char-
mante artiste. Le chef-d'œuvre de M. Massenet peut d'ailleurs se vanter d'une
belle carrière sur les bords du Danube. Jouée pour la première fois à Vienne
en novembre 1890, Manon y compte déjà 91 représentations et arrivera selon
toute probabilité à la centième dans le courant de la présente saison théâtrale.
C'est un grand succès pour Vienne, où le répertoire est tellement varié ; les
œuvres lyriques arrivées à l'Opéra impérial à cent représentations en onze
ans, peuvent, en effet, se compter sur les doigts d'une main.
— L'empereur d'Autriche vient d'envoyer un présent à M°"= Goncha Men-
dez. célèbre cantatrice américaine, à l'occasion du 80= anniversaire de sa
naissance. On raconte que peu après l'exécution de l'empereur Maximilien et
la folie de l'impératrice Charlotte, les spectateurs d'un théâtre de Mexico, où
jouait M""= Goncha Mendez, alors en pleine vogue, lui demandèrent de
chanter une chanson injurieuse pour les malheureux souverains: « Non,
s'écria-t-elle, je n'insulte pas aux morts et aux malheureux ! » L'empereur
François-Joseph n'apprit que récemment cette noble réponse de la cantatrice
et il a saisi l'occasion de son 80" anniversaire pour lui envoyer un présent.
— L'Académie de musique de Munich a rejeté la demande qu'on lui avait
faite d'organiser un cours de cithare ; elle a déclaré que cet instrument
n'oIVre point un caractère suHisamment artistique pour qu'elle s'occupe de
son enseignement.
— Les représentations de la saison d'inauguration du nouveau théâtre
wagnérien de Munich dureront jusqu'à la fin de septembre et la direction a
engagé pour ces soirées exceptionnelles M"« Hilgermann et MM. Schrodter,
Winkelmann et Reichmann, de Vienne, MM. Anthes etWachter, de Dresde,
M. Staudigl, de Carlsruhe, M. Gerhaeuser, de Garisruhe, et M. Audriessen,
de Francfort. L'orchestre sera dirigé par MM. Stavenhagen, Zumpe, Franz
Fischer et Rohn. En vertu de la convention avec Bayreulh, on ne jouera à
Munich que Tannhàuser, Lohengrin, les Maîtres Chanteurs et Tristan. Plus tard
on montera les autres œuvres de Richard Wagner, à l'exception de Parsiful;
on donnera même les Fées avec une mise en îcène grandiose.
— A Bayreuth, presque tous les visiteurs portent cette année l'insigne du
jubilé. C'est une médaille en argent à l'efSgie du maître, avec les dates
1876-1901. Inutile de dire que ce sont particulièrement les visiteurs qui
n'ont pas été à Bayreuth en 1876 qu'on voit afl'ublés de cette médaille,
qui est d'ailleurs d'un travail fort médiocre. L'autre bibelot à la mode est
une cravate en soie rouge avec, bien au centre, le portrait du maître tissé
en or. L'ingénieux industriel qui a trouvé cette cravate fait, paraît-il, des
affaires d'or.
— Une nouvelle extraordinaire nous arrive de Bayreuth. Le bourgmestre
de la cité wagnérienne a été mis en émoi par les plaintes des pèlerins mélo-
manes au sujet de leur exploitation par les hôteliers et restaurateurs, et der-
nièrement il a prononcé publiquement, en plein conseil municipal, un discours
bien senti contre ces agissements. C'est surtout contre le fermier du fameux
hôtel « Au Soleil », où Wagner a reçu les hôtes des fêtes de la pose de la
première pierre, que le bourgmestre a dirigé ses attaques. Une toute petite
chambre coûte 30 marcs dans cet hôtel; une chambre de domestique 20 marcs;
un simple bock 7S centimes. C'est principalement le prix de la bière qui a excité
l'indignation des braves Bavarois du conseil municipal de Bayreuth. Le bourg-
mestre a déclaré que le fermier en question est heureusement un étranger;
un bourgeois de Bayreuth n'aurait jamais commis la mauvaise action de léser
ainsi la bonne renommée et les intérêts de la ville. Finalement, le bourg-
mestre, M. Gasselmann, a demandé et obtenu l'autorisation de publier une
déclaration officielle pour mettre en garde les visiteurs étrangers contre les
exactions de l'hôtel «Au Soleil». Les plaintes contre cet hôtel sont assez
anciennes; il paraît que la concurrence de Munich commence déjà à porter
des fruits.
— A Salzbourg vient d'avoir lieu un festival Mozart, avec le concours de
l'orchestre de l'Opéra impérial de Vienne, sous la direction de M. Hellmes-
berger, et des solistes venus d'Allemagne, d'Autriche et de Hongrie. On a
donné deux représentations de Don Juan et trois concerts dont le programme
n'offrait que des œuvres de Mozart. Le violoniste russe Petchnikof a remporté
un grand succès. Beaucoup d'Anglais et d'Américains, venus en partie de
Bayreuth, assistaient au festival.
— On vient d'inaugurer, à Dusseldorf, une statue de Félix Mendelssohn-
Bartholdy, œuvre du sculpteur Buscher. Cérémonie musicale assez maigre;
on a joué la fameuse marche nuptiale du Songe d'une nuit d'été, et c'est tout!
— Le conseil municipal de la ville d'eaux de Teplitz (Bohême) vient de faire
apposer des plaques commémoratives aux deux maisons que Richard Wagner
avait habitées lors des séjours qu'il y fit en 1834 et en 1843. Schopenhauer,
le philosophe favori de Wagner, qui avait fait un séjour à Teplitz en 1816, a
été honoré de la même façon.
— L'orphéon « Polyhymnia » de Cologne vient de célébrer le oO' anniver-
saire de sa fondation. A cette occasion a eu lieu un concours d'orphéons alle-
mands auxquels ont été distribués plusieurs prix assez importants. Deux des
fondateurs de « Polyhymnia » sont encore de ce monde : l'un d'eux, un cha-
noine, a célébré la messe chantée par l'orphéon en l'honneur de sa fête.
— Le ténor Rothmùhl, qui était l'étoile de l'Opéra royal de Sluggart, a
quitté ce théâtre et a donné sa soirée d'adieu. On l'a fêté d'une façon extra-
ordinaire et le roi lui a envoyé sa photographie avec sa signature. Mais cette
soirée triomphale devait mal finir pour l'artiste ; avant de quitter le théâtre
il s'est disputé avec sa camarade M""' Sutter et l'a gravement injuriée. Les
témoins racontent même que le ténor a craché à la figure de sa camarade.
L'aft'aire doit être assez grave, car le parquet de Stuttgart en est saisi et a
ouvert une instruction contre M. Rothmùhl.
— Une curieuse application de la nouvelle loi sur le droit d'auteurs vient
d'être faite à Kolozsvàr (Klausenbourg) en Transylvanie. Le directeur du
théâtre municipal de cette ville avait porté plainte contre le directeur d'un
petit journal qui reproduisait tous les jours l'atriche du théâtre avec la distri-
bution des rôles, en prétendant que l'affiche était une œuvre littéraire pro-
tégée par la loi. Le tribunal a été assez naïf pour admettre cette théorie
bizarre et a condamné le journaliste à une amende de 200 couronnes! II est
à présumer que la cour d'appel réformera ce jugement, car on peut se deman-
der comment l'idée de voir une œuvre littéraire dans un imprimé indiquant
la distribution d'une pièce de théâtre, ait pu germer dans le cerveau d'un juge.
— L'Opéra de Gracovie vient déjouer avec un succès extraordinaire il/onon
de Massenet. La protagoniste, M"|= Irène Bohussowna, a été fêtée tout spécia-
lement ; il paraît que cette jeune artiste est excessivement jolie, ce qui n'a
jamais rien gâté.
— On annonce de Prague que le jeune violoniste Jan Kubelik vient de
signjr avec deux imprésarios américains un traité qui lui assure la somme
LE MEP^ESTREL
de 500.000 couronnes, soit 323.000 francs, pour une tournée de quatre mois,
à travers les États-Unis. Un cautionnement de 100.000 couronnes serait déjà
déposé dans une banque de Prague. M. Kubelik s'embarquera à Liverpool le
20 novembre. La somme mentionnée semble exagérée, mais un simple calcul
le rend vraisemblable. M. Kubelik pourra parfaitement donner 100 concerts
en 4 mois ou 122 jours, après déduction de 18 dimanches ; chaque concert
coûtera donc aux imprésarios o.2o0 francs, soit 1.030 dollars, ce qui n'est pas
énorme pour un concert à sensation en Amérique.
— Le 29 juillet, anniversaire de l'horrible assassinat du roi Humbert, ont
eu lieu dans toute l'Italie des commémorations auxquelles la musique a pris
une large part. A Monza, durant le pèlerinage au lieu même où le forfait
s'est accompli, le corps civique musical a exécuté un intermède funèbre de
la composition du maestro Baroncini; dans le gymnase de la rue Matteo da
Campione le corps musical Umberto 1" a fait entendre une Élégie funèbre du
compositeur Badiui, et les Sociétés chorales Verdi, Menzise, Arcore et Bru-
gherio ont chanté la prière de la reine Marguerite mise en musique par
M. Gerosa: le soir eut lieu un concert dans lequel, entre autres morceaux,
on exécuta une cantate du maestro Alessi. A Milan, dans l'église Saint-
Alexandre, fut chantée la messe de Witt,. réduite pour le rite ambrosien par le
maestr.) Gorio. A Rome on exécuta au Panthéon la messe de Requiem de
M. Sgambati. avec solo par le baryton Mattia Battistini. Et à Turin on célé-
bra en public une messe solennelle, avec le concours de l'école de chant et
des musiques des i¥ et 43* d'infanterie dirigées par le maestro "\'annetti.
— Le municipe de Gênes vient de commander au sculpteur Augusto
Rivalta un buste en mémoire de' Verdi, qui est destiné à être placé dans le
vestibule du théâtre Garlo-Fehce. — Au théâtre de Voghera on doit inaugurer
aussi prochainement un buste du vieux maître.
— Au cours de la saison prochaine on donnera au théâtre de Lucques le
Werther de Massenet, avec le ténor GaruUi comme protagoniste.
— Nous avons rapporté dernièrement, d'après un journal norvégien, en
l'accompagnant de tous ses détails, la nouvelle que la veuve du grand violo-
niste Ole Bull venait de léguer au musée de Bergen, sa ville natale, le violon
du célèbre artiste, violon dû au fameux luthier Gaspard da Salô. Celte nou-
velle a donné lieu aux intéressantes observations suivantes, que M. Pio
Bettoni, professeur à Brescia, ville où Gaspard da Salo exerça son industrie
pendant un demi-siècle, publie dans un journal de cette ville :
« Pour ceux, dit l'écrivain, qui s'intéressent aux choses de l'art de la
lutherie, la nouvelle n'est certainement pas dépourvue d'importance, et elle
devrait être particulièrement agréable à tous ceux qui, comme moi, sont les
compatriotes du grand luthier. Mais... il y a un « mais » qui peut tout gâter.
Métaphore à part, si ce violon porte réellement la date de 1332, il ne peut
provenir de Gaspard da Salo, par la seule raison que celui-ci naquit environ
dix ans plus tard, ainsi que M. Lévi l'a démontré à l'aide de dates et d'argu-
ments dont la lumière est éclatante. Il ne serait pas permis de nier, pourtant,
jusqu'à preuve contraire, qu'Ole Bull ait possédé, comme je le montrerai plus
loin, un violon de Gaspard, lequel, à la forme gracieuse et à la souveraine
douceur du son, selon qu'il a été dit, ajouterait un prix plus unique encore
que rare, celui d'avoir des ornements ciselés, parait- il, de la main de Benve-
nuto Cellini. Mais lorsque ce précieux instrument fut confié, en 1S76, au
vaillant luthier brescian Giuseppe Scarampella, conservateur du musée mu-
sical de Florence, pour être restauré, il ne conservait plus aucune trace d'or-
nements. Je suis tenté pourtant, cela dût-il diminuer la valeur inestimable
de cette merveille musicale, de douter que soit le cardinal Giovanni Aldobran-
dini, soit aucun des trois autres cardinaux du même nom, ait pu avoir chargé
Cellini du soin d'orner de ciselures la tête du manche d'un violon construit
par Gaspard da Salo, parce qu'il semble certain qu'aucun de ces quatre
(1 empourprés » n'ait revêtu la dignité cardinalice au temps où se dévelop-
paient le génie et l'activité de l'illustre artiste. Des critiques et des historiens
ont pourtant affirmé récemment que, vers 1809, Rhehazek, de Vienne, — le
plus grand collectionneur de violons de ce temps — aurait acquis d'un soldat
français, pour une somme très minime, un violon de Gaspard qui fut enlevé
du musée d'Inspruck lors du sac de cette ville. En 1841, le fils de Rhehazek
le vendit à Ole Bull pour 1.866 livres sterling (46.666 fr. 2b c). James
M. Fleming, dans son livre intitulé Old violins and Iheir makers, écrit qu'Ole
Bull laissa un de ses meilleurs violons à un ami, et un autre au musée de
Bergen. Ce dernier pourrait être, par aventure, le fameux instrument que la
veuve du célèbre violoniste a, comme on l'a annoncé, confié au susdit musée;
mais à condition pourtant qu'il ne porte aucune date ou qu'il en ait une pos-
térieure à 1332, puisque l'invention du violon remonte au dernier quart du
seizième siècle. On ne connaît pas avant cette époque de véritables et authen-
tiques exemplaires du violon. J'ai cru opportun, dans l'intérêt de la vérité
historique, de tracer ces quelques lignes ; et je saisis cette occasion de démon-
trer comment désormais, dans toutes les parties de l'ancien et du nouveau
monde, est reconnue la très haute valeur de Gaspare Bertolotti (Gaspard da
Salù), auquel, surtout depuis les patientes et sagaces recherches entreprises
au cours du siècle dernier dans les pays les plus cultivés d'Europe, on assigne
l'honneur j1 avoir donné à la musique le prince des instruments, celui que le
divin art des sons a rendu l'interprète des passions humaines. »
— Les collectionneurs d'instruments anciens ont manqué, la semaine pas-
sée une belle occasion d'acheter pour un morceau de pain des morceaux de
choix. MM. Puttick et Simpson, de Londres, ont vendu, devant un nombre
très restreint d'amateurs, toute une collection d'instruments anciens, pour la
plupart fort curieux; si les prix obtenus sont dérisoires, il faut attribuer cela
à la saison qui éloigne de la capitale les principaux amateurs. Une épinette
italienne de 3 octaves et demie signée : Dominicus Pisaurensis 1375, avec
jolies peintures de l'époque sur le bois, a été payée 36 francs; un ottavino
(toute petite épinette) en bois de cèdre finement sculpté du XVU siècle a été
adjugé à 136 francs; une harpe française Louis XVI, signée Lépine, finement
sculptée et dorée, n'a rapporté que 38 francs; une ravissante harpe Empire a
été payée 28 francs; une vielle française du XVIIP siècle, en bois d'ébèna
avec marqueterie en ivoire, signé Le Bas n'a rapporté que 28 francs, une
autre, signée par le célèbre facteur A.-F. Lovet, de Paris, 37 francs ; un olifant
(petit cor d'ivoire) français, finement sculpté, a été poussé à 29 francs; une
demi-lune (trompette) française du XVIIL' siècle, à 42 francs: un eliùfar (ins-
trument à vent en corne des Juifs) très ancien a été payé 32 francs. La plu-
part de ces instruments étaient fort connus et avaient passé par des collections
célèbres.
— L'Association des musiciens de la cité de Londres vient d'ollrir un prix
de 1.300 francs pour la composition d'une marche solennelle qui doit être
exécutée au couronnement du roi Edouard VII. Les compositeurs anglais
seuls sont admis au concours. Le jury est composé de sir Hubert Parry, direc-
teur du Collège royal de musique, de sir Frédéric Bridge et de sir "Walter
Parrat.
— L'enfer serait-il pavé... d'Anglais ? A une représentation de Faust donnée
à Dublin, d'après le livret allemand, la machinerie fonctionna mal à l'instant
où Faust et Méphisto devaient disparaître dans l'Enfer. Le ténor P. O'Meara
planait au-dessus de la trappe. Silence pénible dans l'assistance. Tout à coup,
on entendit une voi.x du « paradis » : « Dis donc, Patrick, il y a donc telles
ment d'Anglais en enfer que tu ne puisses trouver la moindre place? » La
pièce se termina ainsi sur un éclat de rire général.
— Un comité s'est formé à Saint-Pétersbourg, sous la présidence du
grand-duc Constantin Constantinovitch, pour ériger une statue à Glinka. Le
comité a déjà réuni une somme assez importante et se propose d'inaugurer
la statue le l"' juin 1904, centième anniversaire de la naissance de Glinka.
— L'Opéra de Varsovie prépare pour la saison prochaine la représentation
du nouvel opéra Manru dont l'auteur, M. Paderewski, a vécu quelque temps
dans cette ville.
— On vient d'orner la façade principale du nouveau Palais de la Société
philharmonique de Varsovie de deux statues de Mozart et de Beethoven,
œuvres du sculpteur Ladislas Mazur. L'orchestre de la Société a été complété
et compte maintenant 74 musiciens.
— De Vevey : Le congrès international de la propriété littéraire et artis-
tique a été ouvert le 7 août, à trois heures. Il durera jusqu'au 13 août.
M. Camille Decoppet, chef du département vaudois de l'instruction publi-
que, a souhaité la bienvenue aux congressites. M. Pouillet, ancien bâton-
nier, président de l'Association internationale, a remercié en termes éloquents.
La première séance a eu lieu jeudi matin.
— Nous demandions dernièrement : à quand un ballet sur le sujet de (^uo
vadis? A défaut de ballet, voici que le roman trop fameux de M. Sienkiewicz
a donné naissance à un exercice de cirque. La scène dans laquelle Ursus
combat victorieusement le taureau sur lequel est attachée la fille de son roi
a donné en effet l'idée, au directeur d'un cirque en ce moment à Genève,
d'un spectacle qui, paraît-il, attire une foule avide d'émotions violentes. Un
hercule du nom de François lutte chaque soir contre un taureau qu'il saisit
par les cornes et qu'il réussit à renverser sur le sable de l'arène. Il parait que
jusqu'à ce jour le susdit François est resté vainqueur de tous les taureaux
qu'on lui a opposés.
— Les petits ruisseaux font les grandes rivières. La municipalité d'Ostende
s'est évidemment inspirée de cet adage en accordant, moyennant 1.360 francs
par an, à deux imprésarios italiens, le droit exclusif de faire jouer de l'orgue
de Barbarie dans les rues d'Ostende. Il faut croire, puisqu'il y a eu deman-
deurs, que le monopole n'est pas à dédaigner, malgré la rétribution que les
concessionnaires devront donner aux « musiciens » chargés de l'exploitation
de ce nouveau monopole.
— Un jeune élève de composition du Conservatoire de Lisbonne, M. José
Henrique dosSantos, écrit en ce moment, sur un poème de M. Alfredo Pinto
Sacavem, la musique d'un oratorio intitulé Jésus et la Samaritaine. Cet
ouvrage sera exécuté au cours de la prochaine saison d'hiver.
— Un fait assez singulier vient de se produire en Amérique. Les journaux
de là-bas nous racontent qu'un certain Samuel Wood, de Long Island, avait
laissé en mourant, il y a déjà nombre d'années, une somme d'un demi-mil-
lion de dollars (deux millions 500.000 francs), pour la fondation d'un Institut
de musique. Mais le testament fut attaqué par les héritiers directs, et, bien
que ceux-ci aient perdu leur procès, l'afl'aire dura si longtemps et les frais
furent si considérables qu'ils absorbèrent la plus grande partie du legs et
- qu'aujourd'hui il ne reste plus de quoi ell'ectuer la fondation désirée par le
testateur.
LE MENESTREL
23S
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Ainsi qu'il est d'usage, l'Olpciet a publié, cette semaine, une petite liste
complémentaire de croix données par le ministère de l'instruction publique
et des beaux-arts sur laquelle nous relevons les noms de M. Edmond Du-
vernoy, professeur de chant au Conservatoire, et de M. Albert Guillaume,
le charmant dessinateur dont tout le monde connaît les exquis «Bonshommes ».
— D'autre part, dans les nominations faites par le ministère des afïaires
étrangères, nous relevons celle de M. Van Waefelghem, violoniste, sujet
belge, qui reçoit la croix de chevalier.
— A l'Opéra :
Avant son départ pour Biarritz, M. Gailhard a renouvelé, pour deux ans,
l'engagement du fort ténor Affre. Les belles madames qui fréquentent notre
Académie de musique ne se tiennent pas de joie.
Mercredi, M"' B. Mendès, que nous connûmes danseuse, et qui se révéla
chanteuse dans la partie de chant que M. Massenet avait intercalée dans son
ballet de Tliais, a chanté très gentiment le rôle de Siebel dans Faust.
— Avant de repartir pour Houlgate, d'où il était revenu pour assister à la
distribution des prix du Conservatoire, M. Albert Carré a arrêté avec
M. Jusseaume les décors du prologue et du l'^'' acte de la.' Grisélidis de
M. Massenet: la « lisière d'une forêt » et 1' «oratoire de Grisélidis», dont les
maquettes sont d'un effet nouveau et tout à fait joli. Le maître décorateur
travaille en ce moment à celui du 2» acte.
— Au Vaudeville qui, ainsi que nous l'avons annoncé, compte, la saison
prochaine, faire les doux yeux à dame opérette, on procède déjà à l'installa-
tion de l'orchestre qui sera nécessaire pour les représentations de la Première
d'Hernani, la fantaisie de MM. de Fiers et Caillavet, musique de M. Terrasse.
— M. Victor Charpentier, violoncelliste à l'Opéra, frère cadet do M. Gus-
tave Charpentier, veut faire renaître les « Grands concerts populaires ». A
cet effet, M. Victor Charpentier réunit un excellent orchestre de 90 musiciens
avec lequel il donnera, de novembre à avril, de grandes auditions sympho-
niques, à prix excessivement réduits, qui auront lieu le mardi et le jeudi
soir, très probablement au Cirque Médrano et au théâtre du Château-d'Eau.
C'est là une très excellente idée, Paris ne possédant aucun concert de cette
importance le soir. Ajoutons que M. Victor Charpentier compte diviser ses
programmes en deux parties, la première étant dirigée par lui, la seconde
par nos compositeurs en vue.
— Nous aurons, paraît-il, à Paris, au printemps prochain, toute la troupe
d'opérette du Carltheater de Vienne. Cette troupe, formée par le célèbre
directeur Jauner et dont les représentations ont lieu depuis deux ans en
Russie, sous la direction de M. Vladimir Schultz, viendra donner une série
de vingt représenlations consacrées à un Strauss Cycle. L'ensemble se com-
pose de quatre-vingts artistes, ayant à leur tète 'M.'^" Betty Stojan, la première
chanteuse d'opérette de langue allemande, MM. Streitman et Steiuberger, qui
interpréteront toutes les opérettes si renommées de Strauss dans leur saveur
originale. Décors, costumes et accessoires les accompagneront. Le traité vient
d'être signé entre l'imprésario J. Schûrmann et M. Vladimir Schultz.
— La Société des Artistes dramatiques, outre ses ressources personnelles,
possède, comme la plupart des œuvres de bienfaisance, un certain chiffre de
revenus provenant de dons personnels. Voici l'instructif relevé des généreux
fondateurs de prix, pensions et rentes annuels, en faveur de sociétaires
malheureux :
1860 Pension de 350 fr. — Fondateur : JI. le baron de Tréraont, membre de l'Instilut.
1862 Pension de 200 fr. — Fondatrice ; 31"" Cazot.
1811 Prix de 1.000 fr. — Fondateur : M. Félix Cellerier, artiste du théâtre du Vaude-
ville.
1873 Fondation de 500 fr. — Fondateur : M. Cantin, directeur de théâtre.
1882 Fondation de 360 fr. — Fondatrice : H"" Castellano, suivant le vœu de feu son
mari, artiste et directeur de théâtre.
1883 Pension de 300 fr.— Fondatrice ; M"' Surville, suivant le vœu de son mari, artiste
du théâtre de la Gaîté.
1884 Pension de 400 fr. Fondatrice : M""' Larochelle, suivant le voeu de son mari,
artiste et directeur de théâtre.
1884 Pension de 311 fr. — Fondateur : M. Delacroix, dit Lacroix, artiste du théâtre du
Palais-Royal.
1884 Rente de 300 fr. — Fondatrice : M"° Lemaire, artiste du théâtre de l'Ambigu.
1885 Fondation de 1.200 fr. — Fondateur : M. Garnier-Berthier, artiste du théâtre de
l'Opéra.
1888-1898 Fondations de 50O et 1.500 fr. : 2.000 fr. — Fondateur : JVI. Eugène Ritt,
directeur de théâtre.
1892 Pension de 191 fr. — Fondatrice : M"" J.-Baptiste Deshayes, vœu de son mari,
■ artiste du théâtre de la Gaîté.
1892 Fondation de 300 fr. — Fondateur : JI. de Charnage, avocat à la Cour de
1893 Fondation de 600 fr. — Fondatrice : M"' Bellon, artiste chorégraphique.
1894 Fondation de 726 fr. — Fondatrice ; M"» Champreux, vœu de son oncle Geoffroy,
artiste des théâtres du Gymnase et du Palais-Royal.,
1894 Rente de 261 fr. — Fondateur : M. de Plunkett, directeur de théâtre.
1897 Fondation de 1.000 fr. — Fondatrice : M-" Michaux-Château.
1897 Pension de 500 fr. — Fondateur : .\I. Halanzier, directeur de théâtre.-
1899 Pension de 314 fr. — Fondateur : .M. Pellerin, artiste du Palais-Royal.
1899 Pension de 314 fr. — Fondateur : JI. Saint-Germain, artiste du Vaudeiille.
1899 Fondation de 2.500 fr. — Fondatrice ; M-" Arnould-Plessis, artiste de la Comédie-
Française.
1900 Fondation de 600 fr. — Fondatrice ; M»« veuve Albert Thiry.
1900 Fondation de 500 fr. — Fondateur : M. Eugène Bertrand, directeur de théâtre.
— Pour ne pas venir d'Amérique, la nouvelle que voici est assez extraor-
dinaire pour être mise délibérément en quarantaine. Elle nous est apportée
par un petit journal de Naples, ÏArlecchino, qui n'y va pas de main morte,
car il annonce simplement connaître une personne qui possède et est dis-
posée à céder la partition autographe (1) et authentique ( !!j d'un opéra en
quatre actes de Meyerbeer, laquelle partition serait non seulement entière-
ment instrumentée, mais encore accompagnée de tous les dessins coloriés
des costumes de l'ouvrage (!!1). Ce n'est pas tout. L'authenticité de la partition
et les droits de son possesseur actuel seraient établis par des documents inat-
taquables, parmi lesquels une lettre de la veuve de Meyerbeer et... un certi-
hcat du compositeur Ponchielli, dont la présence en cette affaire peut exciter
quelque étonnement. C'est égal, on ne s'ennuie pas à Naples, quand on a
un journal à remplir 1
— C'est par erreur qu'on a annoncé que M. Clément Loret avait donné sa
démission de professeur d'orgue à l'École Niedermeyer. L'e.xcellent organiste
nous écrit pour nous dire qu'il n'en a pas la moindre intention.
— Décentralisation. Les directeurs du théâtre des Arts de Rouen viennent
de recevoir, pour être jouées la saison prochaine, deux œuvres inédites : la
Fille du Calife, opéra en deux actes de M. P. Collin, musique de M. Lacheu-
rié; l'Idole aux yeux verts, ballet en 2 actes de M. R. Lefebvre, musique de
M. Le Borne. La triomphante Louise de M. Gustave Charpentier, qui n'avait
pas été jouée à Rouen, fait également partie du programme et sera montée
dans les premiers mois de l'exploitation.
— Le « Théâtre du Peuple » de M. Maurice Pottecher, à Bussang, annonce
ses représentations, qui seront ainsi composées: le 15 août. Poil de Carotte,
joué par M. Antoine et sa troupe, et l'Héritage, tragédie rustique en prose de
M. Pottecher ; le 2b août, première représentation de C'est le vent, comédie
villageoise en 3 actes ; le l" septembre, représentation gratuite de l'Héritage.
— De Boulogne-sur-Mer : Samedi dernier, au Casino, très belle première
représentation de la Cendrillon de Massenet qui a remporté un succès presque
sans précédent ici ; la direction n'a pas à regretter les grands frais qu'elle a
faits pour monter dignement l'œuvre du maître français. Très bonne inter-
prétation, avec, en tête, M"'"^ Cholain et Marignan. Orchestre e.xcellent. A la
seconde représentation, mardi, on a dû encore refuser plusieurs centaines de
personnes.
— Le tribunal civil de Montpellier, présidé par M. Molière, vient de rendre
une décision intéressante en matière d'accident du travail et d'application de
la loi du 9 avril 1898. Un machiniste du théâtre municipal de Montpellier
avait eu la jambe cassée, au cours de son travail, tandis qu'il hissait à l'aide
d'une corde, iîxée à une poulie, un décor sur la scène du théâtre. La corde
se rompit, la chute du décor lui cassa la jambe. Il actionna devant le tribunal
civil le directeur du théâtre, M. Henri Mirai, par application de la loi de
1898. M. Mirai avait pris soin de s'assurer à une compagnie et son assurance
était prévue et contractée en vertu de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents
du travail. Cependant sa Compagnie, qui, suivant l'usage, avait pris son lieu
et place au procès et plaidait sous son nom, fit soutenir, devant le tribunal de
Montpellier, que la profession de directeur de théâtre ne tombait pas sous
l'application de la loi de 1898 et n'était pas assujettie à ses prescriptions,
une entreprise théâtrale étant une entreprise commerciale et artistique,
et non point industrielle. Le tribunal n'a point admis cette thèse. Il a
reconnu, au contraire, qu'il fallait faire une distinction conforme au droit et
au bon sens et que, si la profession de directeur de théâtre n'est pas en soi
et par elle-même soumise à l'application de la loi nouvelle, il est, parmi les
employés du directeur, des salariés qui sont des ouvriers manuels proprement
dits ; tels les machinistes. Eu conséquence, le tribunal, en conformité de la
loi de 1898, a condamné le directeur, en vertu de cette loi, à payer une pen-
sion au machiniste blessé.
— Le théâtre municipal de la petrite ville de Semur vient d'être détruit par
un incendie. La veille du sinistre, une troupe parisienne avait joué Don César
de Buzun et, après la représentation, avait eu lieu un bal qui avait pris lin à
deux heures du matin, sans que personne ait pu remarquer rien d'anormal.
Ce n'est qu'à cinq heures du matin qu'on aperçut les premières fumées
s'échapper du toit qui ne tarda pas à s'effondrer, malgré les efforts des pom-
piers. Le théâtre est complètement détruit, ainsi que les décors, appartenant
à la ville et estimés 30.000 francs. Les causes du sinistre sont inconnues.
NÉCROLOGIE
Une des personnalités les plus répandues de la société parisienne, le
prince Edmond de Polignac, est mort, cette semaine, âgé de soixante-sept
.ans, dans son hôtel de la rue Gortambert. Doué de réelles dispositions musi-
cales, il fut, tout jeune, l'élève de Reber, et obtint, avec aes compositions,
des succès mondains très mérités.
— M. Emile Paladilhe, l'auteur de Patrie, vient d'avoir la très grande dou-
leur de perdre une fillette âgée de treize ans. On sait que M. Paladilhe a
épousé M"" Desvallières, petite-flUe de M. Ernest Legouvé.
256
LE MÉNESTREL
— Un deuil cruel vient de frapper l'excellent artiste M. Charles René, dont
la mère est morte ces jours derniers. Suivant le désir exprimé par la défunte,
aucun billet de faire part n'a été envoyé à cette occasion et le service funèbre
a été célébré dans la plus stricte intimité, le lundi 29 juillet, en l'église
Saint-Pierre de Neuilly.
— M"= Marthe Rigaldy, de son vrai nom Rigaut, vient de mourir à peine
âgée de vingt-huit ans. Après avoir passé par l'Opéra-Comique, il y a environ
quatre ans, elle chanta successivement à Lille, Dijon et Montpellier, où elle
obtint des succès.
— A Moedling, près Vienne, est mort à l'âge de 74 ans le compositeur
Joseph Kaulich. Pendant trente ans, de 1834 à 1883, il a été chef de la
musique de scène à l'Opéra impérial devienne et en même temps chef de la
maîtrise de l'église Saint-Léopold. Il a aussi été directeur d'une prospère
école de musique qu'il avait fondée il y a quarante ans. Pirttîi; ses- nom-
breuses compositions, dont les danses sont même célèbres, plusieurs mar--
ches et chansons pour chœurs d'hommes ont obtenu un certain succès ; il-a
aussi publié plusieurs messes et autres compositions liturgiques.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Librairie A. Picard et fils, rue Bonaparte, 8"2, Paris, ti'.
Demandes :
BounGAULT-DucouDn.w. Mvlodies populaires de la Bassr-Bretagiie. 1S7C.
B. D. Clioix chansons poésies wallonnes. Liège. 18i4.
CÉs.\R Cm. Musique en Russie. Fischbacher. 1881.
FuLGENCE. Chants populaires dioerses nations avec airs. 4 livr.
Gbosjean. Airs des A'oëts lorrains. Saint-Dié. 1862.
Recueil des Noëls patois de Besançon. 18S2.
RiBAULT DE LANOAivDiÈnE. A'oëls nouveaiix. Bourges. 18b7.
Rolland. Recueil de Chansons. 6 tomes. 1883.
Salvador Daniel. Airs of Songs Turtis y Algeria. Richault.
SowiNSKY. Chants polonais. Paris. 1830.
CHANTRES bbris'.appoiiitéînènts' .'demandés cathédrale Lisieux.
adresser. ■ " ' ' '^
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue ïivicune, HEUGEL ET C,' éditeurs-propriclaircs.
REYNALDO HAHN
I . Sopra l'acqua indormenzada S
II. La Barcheta S
III. L'ATcrtimento 5
IV. La Biondina in Gondoleta 5
V. Che Peca! S
VI. La Primavera S
Le recueil complet, format cavalier, prix net : 5 francs.
Paris, AU lUÉNESTREL, 2 bis, rue Vivieniie, HEUGEL ET C'=, Édilciirs-iiropriclaires.
J. KAULICH
de 'S/ienne
tos§ MwïB^n ûu ^mnuhm
DANSES CELEBRES
, Halte sur les somraetB, valses.
. A l'Absente, mazurka. . . . . .
, Vol de colombes, valses . . . .
,' Le Train de plaisir, valsi's. . ,
, Le Chant de la caille, polka. .
. Le Bouquet, valses
,■ Les Fantoches, ^'alop
. Coucher de soleil, valses . . . .
. A Lisette, polka
. Au Moulin de la forêt, valses .
. Les Célibatairea. valses
. Candeur, mazurka
. Les Sportmen, valses
1G. Bamboche, polka . .
n. Paroles dorées, valse;
la file. L'alop
Le Cœur ■
Tirée à quatre épingles, valses .
Philippine-polka
Sur un fil télégraphique, valses.
*" ■ le gazon vert, mazurka . . .
Près d'ËUe, valses
25. L'Ingénue, polka ..._....
26. La Vie militaire, valses. . . .
27. Béatitude, valses
28. Caprice d'artiste, polka . . .
29. Fleurs de givre, valses. . . .
30. Au pas gymnastique, galop .
Le recueil complet, format iQ-8o,-avec ua-fjortrak de l'aute-ur/prix net : 10 fr.
En vente, AU MENESTREL, 2 his, rue Vivienne, HEUGEL et C'% Éditeurs-Propriétaires.
LES PETITS DANSEURS
ColleclioD de Danses célèlires arraigées et doigtées Ms facilement pour les petites malDs
PAR
L. STREABBOG, A. TROJELLI, FAUGIER, H. VALIQUET, ETC.
1 . STREABBOG.
ii«. STREABBOG.
2. FAUGIER. .
TROJELLI. .
TROJELLI. .
STREABBOG.
FAUGIER . .
— 7. FAUGIER. .
— g. FAUGIER. .
_ 9. STREABBOG.
— 10. STREABBOG.
— 11. FAUGIER. .
— 12. FAUGIER. .
N'
— 3.
— 6.
Le beau Danube bleu, valse (Johann Strauss). 4
La même à 4 mains 6
Tout à la joie ! polka (Ph. Fahrbach) i
Valse du Couronnement (Strauss) -i
Orpliée aux Enfers, qaadriUe (Offenbacb). . . 4
La Vie d'artiste, valse (Johann Strauss). ... 4
Pour les Bambins, polka (Ph. Fahrbach) ... 3
Les Ivresses, valse (S. Pillevesse) 6
La Dame de cœur, polka (Ph. Fahrbach) ... 4
Les Feuilles du matin, valse (Johann Strauss). 4
Le sang viennois, valse (Johann Strauss) ... 4
Mam'zelle Nitouche, quadrille (Hervé) .... 4
Le Retour du Printemps, polka (Schindler) . . 4
S[»'i 13.
VALIQUET. .
— 14.
TROJELLI. .
- IS.
VALIQUET. .
— 16.
STREABBOG.
— 17.
VALIQUET. .
— 18.
FAUGIER. .
— 19.
STUTZ. . .
- 20.
STUTZ. . .
— 21.
GODARD . .
— 22.
GODARD . .
- 23.
VALIQUET. .
— 24.
VALIQUET. .
- 25.
TROJELLI. .
Le Petit Faust, ouverture-valse (Hervé) ... o »
G/oi)-e aux da)nes/ mazurka (Strobl) 3 n
La Journée de SI"" Lili, valse. . . " 3 »
A imer, boire, chanter, valse (Johann Strauss) . 4 »
Le Petit Faust, quadrille (Hervé) 4 »
Le Verre en main, polka (ï'ahrbach) 4 »
Les Petites Reines, valse 3 »
Les Jeunes Valseurs, valse 3 »
Bébé-Polka 2 50
Bébé-Valse , 2 50
Dans mon beau château, quadrille 4 »
La Journée de Af" ' Lili, polka 3 a
Les Cancans, galop (Strauss) 3 »
L'ALBUM COMPLET CARTONNÉ (25 numéros à 2 mains), avec une couverture en couleurs de BOUISSET, prix net: #0 fr.
X, RUE BERGÈRE, 20,
Dimanclie 18 AoiU 1901,
3673. - 67- A.^^EE - [V°33. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 "", rue Tivienue, Paris, u- m')
(Les manuscrits doivent être adresses franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
Le HaméFo : 0 îf. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le HuméFo : 0 fF. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles i25e arLicle), Paul d'Estrées. —
11. Bulletin théâtral : reprises de Prêle-moi ta femme! et de Joies du foyer, à Cluny,
P.-E. C. — III. Notes d'ethnographie musicale : la Musique dans l'Inde (2" article),
JuLiKN TiEHSOT. — IV. Petites notes sans portée: Une reprise qui s'impose, Raymond
Bouyer. — V. Nouvelles divei-sen et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LA FLUTE ET LE LUTH
de K. PÉRiLiiou. — Suivra immédiatement : la Fête des Vignerons, de Paul
Wachs.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Seule I valse de I. Philipp, d'après Chopin, paroles de Jules Ruelle. — Suivra
immédiatement : .1 une Étoile, nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de
Alfred de Musset.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les pins récents et fles flocuments inédits
(Suite.)
V
Garât: sa fidélité et ses épreuves pendant la. Révolution. — Garât « traîneau
piano » chez le directeur Treilltard. — De l'influence des explosifs et des bons
diners sur la voix d'un ténor. — La poésie du comte Regnauld de Saint-Jeati-
d'Angely. — Un dîner diplomatique à grand orchestre. — Réclamations de Hum-
boldt. — Le Borysthène à Poitiers. — Elleviou le hussard mauvais sujet. — Une
confidente de .M"^ Visconti. — Au foyer de l'Opéra -Comique.
Les chanteurs, à cette époque, étaient peut-être encore plus
fêtés que les instrumentistes.
. Garât, à qui Piccinni avait dit le premier: « Toi tou es la mou-
sique I » Garât justifiait sous tous les rapports l'engouement de
ses contemporains. Outre qu'il chantait et disait avec une voix
et une science incomparables, il avait toujours témoigné d'une
inaltérable fidélité à la plus grande des infortunes du siècle.
Dès son arrivée à Paris, il avait dû succès et faveurs à la pro-
tection de Marie-Antoinette, et il s'en était toujours souvenu
pendant les heures les plus sombres de la Révolution.
M""" de Chastenay rappelle divers épisodes du séjour de Garât
en Normandie pendant la Terreur. Après l'exécution de LouisXVI,
le chanteur s'était réfugié à Rouen avec le cor Punto et Rode.
Celui-ci avait même dû partir aux frontières en qualité de cla-
rinette et n'avait pu obtenir son congé définitif que par l'inter-
vention d'un conventionnel. Garât était parvenu à donner des
leçons à Rouen; il avait déjà trois écolières qui chantaient avec
lui, quand il fut incarcéré. Il ne sortit de prison que pour être
interné à Saint-Iiô, dont il fit les délices.
Aussi, sous le Directoire, Garât fut-il plus que jamais le ténor
préféré des salons et la coqueluche des dames de tous les mondes.
Cette vogue inouïe l'avait rendu le plus fat des hommes et le
plus capricieux des chanteurs.
M'"" de Chastenay en fit l'expérience dans un dîner, auquel
l'avait conviée le directeur Treilhard. Garât l'administrateur,
qui était au nombre des invités, n'avait cessé d'affirmer que son
neveu viendrait, et celui-ci n'apparaissait pas.
En attendant, le compositeur Martini, qui donnait des leçons
à M"'" Treilhard, se mit au piano ; et Lays et Chéron chantèrent
des morceaux traduits d'Ossian et arrangés pour eux par le musi-
cien Fontenelle.
Garât n'arriva qu'après le premier service ; il prétendit s'être
perdu dans le quartier. Il parcourut la table d'un rapide coup
d'œil, comme pour y chercher des personnes de connaissance.
Il salua d'une légère inclinaison de tête M"' de Chastenay qu'il
avait déjà rencontrée dans divers salons; mais sa figure sou-
cieuse ne s'éclaira d'une lueur de satisfaction qu'à la vue du
vieux Piccinni. Il avait l'air cependant las et ennuyé. Il fallut en
quelque sorte « le traîner au piano ». Sa maussaderie se dissipa
aux premières notes; il chanta divinement; et en même temps
que le morceau se développait, Garât « s'électrisait » au son de
sa propre voix. Ce fut alors une pure merveille, et M"' de Chas-
tenay, désagréablement impressionnée dès le début, compta cette
soirée parmi les meilleures de sa vie mondaine. Elle n'en rend
pas moins justice aux autres artistes, à Chéron par exemple,
qu'elle revit chez le ministre des finances Ramel, et qu'elle
entendit chanter un duo de l'OEdipe de Sacchini avec la jeune
femme d'un banquier, M"" Roch, une Antigone exquise et tou-
chante, comme elle n'en connut jamais au théâtre.
Garât, accusé d'avoir manifesté... musicalement pour le
général Moreau, fut quelque peu taquiné par le gouvernement
impérial. Déjà, quatre années auparavant, le Premier Consul
avait été pour notre artiste la cause, bien innocente il est vrai,
d'un accident physiologique qui aurait pu briser tout net la
carrière du chanteur. Garât était engagé à l'Opéra pour l'audition
de la Création d'Haydn, arrangée par Steibelt et Ségur, le jour où
la machine infernale de la rue Saint-Nicaise éclata sur le pas-
sage de Bonaparte qui se rendait au théâtre. Norvins, un des
témoins de cette soirée historique, constata que la voi.x de Garât
en fut altérée pendant toute la durée de la représentation,
« trouble » qui d'ailleurs persista plusieurs jours.
Norvins rencontra encore, chez M""^ Gay, Garât avec d'Alvimare
et Frédéric.
258
LE MÉNESTREL
Thiébault le vit souvent chez ^1"°= Regnauid de Saint-Jean-d'An-
gely, dont Garât aimait et prisait la voix. Mais, malgré qu'il y
fréquentât volontiers, il déconcertait toujours par ses caprices
l'aimable accueil de la maîtresse de la maison. Dn jour que cette
jolie femme le priait de chanter, Garât lui répondit de son air
sufBsant :
— Impossible, je viens de faire un diner de godailleurs et je
n'en puis plus.
A force de supplications, il finit par se décider; et sa voix ne
se ressentit guère d'un surmenage qu'il n'avait peut-être ima-
giné que pour se mieux faire applaudir.
Le 8 avril 1813, nous dit le maréchal de Castellane, Garât
chantait, avec quatre de ses élèves, chez M'"" Regnauid de Saint-
Jean-d'Angely, des couplets écrits pour la fête de cette dame ;
et l'un d'eux, — œuvre du maril — était ainsi conçu :
Pour celui que la destinée
Dota des trésors de ton cœur,
La tâche qu'il s'est imposée
Est de veiller à ton bonheur.
Heureux, si, pour y satisfaire.
Tant qu'un souffle doit t'animer,
Il est aussi sûr de te plaire
Que de t'aimer!
Adhuc sub judice lis est.
Si Garât était l'hôte assidu des salons du Consulat et de
l'Empire, c'est qu'il y trouvait un accueil empressé et courtois,
digne de son talent et de son mérite ; car, malgré que toute son
affection fût acquise à l'ancien régime qui avait préparé sa gloire,
il témoignait d'une certaine sympathie pour le nouveau, qui
donnait libre accès à l'art dans tous les rangs de la société. Et
cependant, voyez les petites faiblesses de la nature humaine.
Garât admettait dans le monde des comédiens des distinctions
qui sentaient terriblement son aristocrate, comme le laisse
entendre le carnet du danseur Despréaux, retrouvé par M. Albert-
Firmin-Didot (1).
Le mari de la Guimard avait été chargé d'organiser la fête,
donnée le 27 novembre 1801, à Morfontaine, chez Lucien Bona-
parte, pour célébrer les préliminaires de la paix signée entre la
France et les États-Unis. Garât, un des solistes du concert
annoncé sur le programme, avait été placé avec les autres exé-
cutants, à la seconde table, où figuraient déjà des militaires et
des magistrats, français et étrangers. Or, le chanteur, « quoique
professant très haut l'égalité », écrit malicieusement Despréaux,
refusa de s'asseoir à cette seconde table ; il voulait être convié à
la première.
Ses camarades ne se résignèrent pas à une telle abstention :
ils prirent joyeusement leur part du festin, pendant qu'un
orchestre d'instruments à vent jouait le Ça ira, singulière mu-
sique de circonstance. Mais les chanteurs se rappelèrent les prin-
cipes de Garât, lorsque, au dessert, Despréaux les pria de monter
sur l'estrade pour le concert; « en vertu de l'égalité », ils pré-
tendirent « digérer » tranquillement leur diner, comme les
autres convives restés à table. Ils ne se décidèrent à en sortir
cp' après le café, les liqueurs et les glaces. Aussi « la Comédie-
Française ne joua-t-elle qu'à minuit ».
La Restauration donna enfin à Garât la situation officielle qu'il
était digne d'occuper. Car, bien qu'il n'eût pas sur son art des
connaissances techniques très approfondies, il avait une telle
intuition de la musique qu'il en raisonnait avec justesse et qu'il
composait même avec agrément. Pendant ses voyages dans le
Midi, il avait recueilli des notes sur les Basques ses compatriotes,
notes qu'il dut réunir en un volume ; car le savant Guillaume
Humboldt le réclamait instamment à son correspondant Schweig-
hausen (2). 11 priait donc celui-ci d'aller voir tout à la fois
Oarat et « une certaine dame basquaise » (sans doute sa future
femme, M"' Duchamp) pour leur réclamer les chants populaires
du pays avec « la musique que Garât lui a toujours promise sans
lui tenir parole ». Notre ténor n'était pas Gascon pour rien.
(1) A. FiBMiN-DiDOT. — Souvenirs de J.-Et. Despréaux : Issoudun, 189V
(2) GuiLLAUsiE DE HuMBOLDT. — Lettres à Schweighausen, publiés par Laquiante.
Paul de Kock le vit pour la première fois en 1818 (1), alors
qu'il faisait répéter au Théâtre Feydeau sa pièce de début. Garât,
qui avait dépassé la cinquantaine, avait encore des prétentions
d'incroyable : le sourire sur les lèvres, il grasseyait à tout propos,
mais son rire rappelait le grincement d'une porte dont les gonds
n'ont pas été huilés depuis longtemps. Son élève, M'"" Boulanger,
phrasant mal, au gré du professeur, un couplet de la pièce, la
Nuit au château, Garât le chanta à son tour et Paul de Kock resta
émerveillé du sentiment qu'y mettait le vieux chanteur.
La comtesse Dash note, dans ses Mémoires, la tournée que
Garât fit en province, et principalement à Poitiers pendant la
Restauration. Il donnait ses concerts soit à YOlymiie, soit aux
Jacobins, « deux affreuses salles » de la ville. Il était accompagné
de Lavigne, un singulier acteur. Ce ténor, célèbre par « un ré
superbe », avait débuté à l'Opéra en 1809, puis il avait couru la
province pour rentrer en 1819 à l'Académie royale de musique
qu'il abandonna de nouveau. C'était un protégé de la reine ■
Hortense qui avait l'àme essentiellement royaliste. Quand il vint
à Poitiers avec Garât, il chanta : Charmante Gabrielle. Mais la
salle voulut entendre le Borysthène, des couplets sur la Grande
Armée.
— Bo-rys-thène ! fit Lavigne, en appuyant sur chaque syllabe,
connais pas.
Une tempête de sifflets le releva du péché d'ignorance : il
fallut que la police vint disperser les spectateurs. Garât était
resté prudemment dans les coulisses.
Si Garât était ténor de salon, Elleviou était ténor de théâtre.
Ce fut sur la scène de l'Opéra-Comique qu'il remporta toutes ses
victoires. 11 avait fait oublier Clairval, son chef d'emploi ; il fut,
comme lui, le bourreau des cœurs. Castellane, qui le vit en 1812
dans Trente et Quarante, le proclame « le plus agréable housard
mauvais sujet qu'on pût rencontrer ». Il jouait le même rôle à
la ville. Boussingault raconte dans ses Mémoires (2) qu'EUeviou
s'introduisit, sous le déguisement d'un rétameur de casseroles,
chez un maître de forges de la Haute-Loire, pour lui enlever sa
femme. Est-ce assez opéra-comique? Par contre, la fin du roman
fut quelque peu prosaïque. Boussingault assure qu'une fois le
divorce prononcé en faveur du mari, Elleviou épousa la femme.
Le baron de Trémont, l'ami perpétuel des artistes, affirme de
son côté que l'irrésistible ténor se maria, en 1800, avec M""^ Jars
qui l'adorait et qui bientôt ne fut plus à compter les infidélités
de son galant époux.
Un jour que le général Thiébaut était honoré des confidences
de M°"' Visconti, l'indigne maîtresse de Berthier, cette belle per-
sonne, dont la bêtise était proverbiale, énumérant ses bonnes
fortunes à son interlocuteur, terminait sur cet aveu : « Elleviou
était charmant, j'en ai eu la fantaisie, mais il avait un drôle de
goût... » N'insistons pas.
Elleviou était non seulement un artiste hors pair, mais encore
un homme d'esprit, « un causeur aussi agréable que Garât »j
déclare Paul de Kock, qui aimait à se rencontrer au foyer de
l'Opéra-Comique avec les deux chanteurs, dont la conversation,
s'inspirant de leur haine commune contre les terroristes, évo-
quait volontiers les souvenirs révolutionnaires. Mais dès qu'ap-
paraissait l'auteur Hoffmann, tous deux se taisaient : « il n'y en
a plus que pour lui », grommelait Garât; et, de fait, Hoffmann,
malicieux jusqu'à emporter le morceau, défilait le chapelet de
ses épigrammes, ânonnant et bégayant « pour se donner le
temps de remâcher ses impertinences » disait l'excellent Picard.
On sait qu'EUeviou prit sa retraite, parce que l'administration
de l'Opéra-Comique ne voulut pas porter à cent vingt mille francs
les appointements annuels du chanteur qui étaient de quatre-vingt-
quatre mille. Dès qu'il eût quitté le théâtre, Elleviou défendit qu'on
lui rappelât jamais la suite ininterrompue de ses succès: car il
aimait encore passionnément la musique ; mais il ne voulut plus
chanter que dans la plus stricte intimité .
Retiré dans sa propriété des Roncières, près de Tarare, il ne
retourna plus à Paris que de loin en loin « et pour entendre la
(1) Paul de. Kock. — Mémoires; Dentu, 1873.
(2) Boussingault. — Mémoires; Chamerot et Renouard, 1892.
LE MÉNESTREL
259
musique d'Auber », affirme le baron de ïrémont. Elleviou aspi-
rait aux honneurs : maire de sa commune et membre du conseil
général, il brigua la députation. Mais il en revenait toujours à
la Muse qui avait fait le bonheur et la gloire de sa vie. Il écri-
vait, en 1834, à un de ses amis, le châtelain de Civrieux : « On
m'appelle pour un whist; et quoique je l'aime beaucoup, j'aime
encore mieux qu'on m'appelle pour entendre de la musique
chantée par vous et par Madame » .
Naturellement bon et généreux, l'ancien ténor de l'Opéra-
Comique était resté en relations suivies avec ses camarades de
théâtre. Martin, qui avait partagé ses triomphes à la salle Favart,
était malade à Genève : Elleviou l'emmena aux Roncières ; et le
Frontin des Visitandines y mourut en 1837, les yeux fermés par
une main amie.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Théâtre Clony. Prête-moi ta femme! comédie en 2 actes, de M. Maurice
Desvallières ; Les Joies du Foyer, pièce en 3 actes, de M. Maurice Hennequin.
Cluny qui est, avec les Nouveautés, la Gaîté et l'Ambigu, parmi les
■ quatre théâtres très braves qui, n'y étant pas tenus par leur cahier des
charges comme l'Opéra et la Comédie-Française, ont osé affronter .l'été
sans fermer leurs portes, ce dont les Parisiens condamnés à la morne
capitale du mois d'août devraient leur savoir gré, Cluny, continuant
ses emprunts au répertoire heureux du Palais-Royal, vient de monter
Préte-moi ta femme! de M. Maurice Desvallières. le tout récent décoré,
et les Joies du Foyer, de M. Maurice Hennequin, composant ainsi un
spectacle très divertissant bien fait, alors que la température se montre
plus clémente, pour lui ramener une partie du public égaré, faute de
mieux souvent, dans nos vraiment trop insipides cafés-concerts.
On a ri dans la petite salle du boulevard Saint-Michel et ri de très
bon cœur aux deux amusantes fantaisies de MM. Maurice Desvallières
et Maurice Hennequin. qui sont jouées de fort bon ensemble, surtout
celle de M. Hennequin, Prêle-moi ta /ejîWîîe.' mettant en vedette M. MuE-
fat, et les Joies du Foyer donnant à M. Gaillard et à M""= Cuinet l'occa-
sion d'être fort drôles. Un nouveau venu à Cluny, M. Villaret, a prouvé
qu'il avait « des planches ». P.-E. C.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
LA MUSIQUE DANS L'INDE
(Suite.)
Laissons donc de côté la musique antique, et tenons-nous en aux ren-
seignements sur l'état de la musique dans l'Inde moderne que nous
tenons soit des voyageurs européens, soit des indigènes venus dans
notre pays pour s'exhiber à la curiosité publique, soit encore — ■ et ce
seront nos meilleures sources — aux savants spéciaux; européens ou
asiatiques, qui ont étudié la question sur place.
Parmi ces derniers, l'un des plus autorisés est le Ràja Comm. Sourin-
dro Mohun Tagore, Docteur en musique, qui, depuis plus de trente
ans, a employé la meilleure partie de son activité à étudier la musique
de son pays et à la faire connaître au dehors. Nombreux sont les ouvra-
ges qu'il a publiés (pour la plupart imprimés à Calcutta) en Anglais, en
Bengali et en Sanscrit. L'on voudra bien nous excuser si nous ne tirons
pas de ceux de ces dernières catégories les conclusions que nous
ne doutons pas qu'ils comportent ; mais les livres écrits en anglais nous
sont plus accessibles, d'autant mieux que la plupart renferment des
notations musicales (1).
(1)11 n'est peut-être point nécessaire que nous reproduisions ici tousles tilres lionoriliques
du Râja Comm. Sourindro Moliun Tagore, qui ne tiennent pas moins de vingt-cinq lignes,
accompagnés de nombreux etc., sur la couyerture de ses principaux ouvrages. Nous croyons
mieux faire en donnant de préférence les noms de quelques-uns de ses livres les plus im-
portants :
Six principal Ragas wilh a Brief View of Bindu Mmic, 2" édition, Calcutta, 1877.
Bindu Music frmn varions Anthors, en deux parties, Calcutta, 1875, 2" édition, 1882.
Cet important ouvrage donne la réimpression des premiers écrits des européens sur la
musique hindoue (WiUard, .lones, Paterson, etc., cités par Fétis) et quelques autres plus
récents, avec quelques notations musicales et ligures d'instruments.
A Few Spécimens of Indian Sonr/s, Calcutta, 1879, contenant la notation de trente et un
airs ou Ragas, avec explications sur le genre de chacun.
The Musical Seales of Ihe Eindus, Calcutta 1884. Explication, par la pratique, dos diver-
Nous aurons le regret de ne pouvoir pas faire usage des études du
Râja Râm Dàs Sen, écrites en bengali.
Mais nous trouverons notre guide le plus pratique en la personne du
capitaine Day, dont le livre sur la musique dans l'Inde méridionale,
imprimé à Londres en ISQl, a été cité dans une des précédentes notes.
Nous préférons le suivre plutôt même que le savant Ràja, d'une part
parce que, venu après lui, il a pu profiter de ses lumières fil le cite fré-
quemment), ensuite parce que, dans les écrits de ce dernier, il est bien
des parties dont le sens musical reste vague pour nous. Nous y relevons
en effet, à côté de subtilités qui auraient besoin de nous être mieux
expliquées, des indécisions de notation qui nous empochent de nous
rendre compte exactement des formes musicales, surtout au point de vue
des rythmes, trop souvent figurés de façon insuffisante ou arbitraire.
Les notations du capitaine Day donnent mieux l'impression de lacliose
entendue. L'ensemble du livre est clair et méthodique, l'auteur ne
prétendant à rien autre qu'à rapporter ce qu'il a vu, connu et étudié.
Nous allons en donner un bref résumé.
Dès son premier chapitre, il pose en principe que la musique dans
l'Inde s'est grandement modifiée au cours des temps, et qu'elle a perdu
depuis longtemps sa pureté primitive. Sa décadence, assure-t-il, a com-
mencé au temps des invasions des Mahométans; et il ne cèle rien des
difficultés qu'il y a pour les chercheurs modernes â retrouver les traces
des anciennes traditions.
Considérant les quelques rares documents sauvés du naufrage, il
étudie les anciennes gammes, les échelles modales, et expose la théorie
des s'rutis ou quai'ts de ton approximatifs (au nombre de 22 daus
l'octave). Il s'empresse d'ajouter à ces observations la déclaration
suivante :
« La division de l'octave en vingt-deux parties ou s'rutis n'existe pas ■
dans la pratique. »
Il affirme en effet que la gamme hindoue, comme toutes les gammes
du monde, — la gamme, — se compose de sept degrés, dont deux, àsavoir
le degré fondamental et sa quinte, sont immuables, tandis que les
autres sont susceptibles de subir plus ou moins d'altérations : principe
qui n'a rien que de parfaitement conforme avec ce que nous avons pu
olîserver partout ailleurs. Les modes, assez compliqués, diffèrent suivant
la distribution de ces altérations dans la gamme : le livre (p. 32 à 35
ipclus) en donne un tableau complet, divisé en douze groupes de six,
au total 72 modes, — calculs de mathématiciens, casse tète phinois (ou
hindous) sans intérêt dans la pratique de l'art musical, — desquels res-
sort d'ailleurs l'observation, toujours renouvelée, que,-dans ces soixante-
douze combinaisons, la fondamentale et sa quinte restent intangibles.
Arrivant â l'examen des productions musicales en usage sur le terri-
toire de l'Inde et paraissant appartenir en propre aux indigènes, il défi-
nit d'abord les Ragas, qui ne sont autre chose que des mélodies types.
Certains auteurs, par une confusion assez fréquente en cet ordre d'idées,
ont confondu ces types mélodiques avec les modes ou échelles musicales :
mais le mot « mode » n'a pas plus ici un sens tonal qu'il ne l'a dans
certains écrits du moyen âge, ou, pour préciser, dans le répertoire
musical des Meistersinger, où les « modes » étaient tout simplement des
« airs connus ».
La musique hindoue est purement mélodique, et ne connaît pas
l'harmonie (p. S7). La vina, qui accompagne habituellement la voix,
ne fait que doubler le chant (p. 61). A en juger par les nombreux et
souvent très intéressants textes musicaux notés dans les derniers chapitres
du livre, aussi bien que dans les écrits du Râja S. M. Tagore, les
mélodies sont constrtiites sur des échelles strictement diatoniques. Loin
d'employer le quart de ton, elles sont parfois basées sur l'échelle incom-
plète de cinq notes à l'octave usitée dans l'Extrême-Orient : nous en
donnerons plus loin quelques exemples, renvoyant pour le moment aux
pp . 68 et 69 du capitaine Day. Les rythmes, dit l'auteur, sont générale-
ment très marqués; mais, ajoute-t-il, ils sont fréquemment irrèguliers.
Il suffit en effet de lire ces notations pour se rendre compte de la liberté
presque psalmodique de certains développements, liberté qui rend le
plus souvent plus qu'inutile l'emploi des barres de mosm'e. Enfin
l'étendue de Vambitus mélodique est généralement considérable, étant
donnés le caractère assez primitif des chants et le peu de développement
ses combinaisons modales de la musique hindoue, avec illusiralion^, c'est-à-dire notation
de mélodies appartenant à ces divers modes.
Tlie twenty-two musical Slrulis of Ihe Bindus, Calcutta, 1886. Résumé de la théorie de
la division du ton enseignée par les anciennes écoles musicales de ITnde.
Divers écrits sur les instruments de musique des Hindous, notamment un catalogue de
la collection d'instruments dont le RSja Sourindro iJIoliun Tagore a fait don, en 1889, au
Président de la Képublique française.
Un autre don, non moins important, avait été fait précédemment par lui au Musée du
Conservatoire de Paris : les instruments qui le composent sont cotés et décrits dans le
catalogue du Musée du Conservatoire de musique, de Gustave Chouquet, 1884.
260
LE MÉNESTREL
des voix des chanteurs hindous. Le capitaine Day insiste sur leurs défauts
d'émission, dit que les voix sont généralement grêles et manquent de
volume, ce qui résulte de leur méthode, par laquelle un sou n'est
jamais franchement posé, mais modifié incessamment par des inflexions
diverses. Les chanteurs aiment à faire usage du fausset artiliciel, dont
ils marquent les changements de timbre par des grimaces qu'ils jugent
fort expressives. Enfin leur chant est surchargé d'un luxe d'ornements
tel que souvent la ligne mélodique primitive et les paroles elles-mêmes
en sont complètement recouverte; (pp. 60 et suiv.).
Les formes musicales sont soumises à certaines règles dont la prin-
cipale consiste en une division par périodes fixes avec reprises obligées.
La période principale est une sorte de refrain, exposé au début même
du morceau, et portant le nom de Pallen. Une période complémentaire
VAnupallevi, lui succède, et s'enchaine elle-même avec une reprise du
Palleri'. Puis commencent les Stanzas. de forme plus ou moins libre,
mais toujours terminées par une reprise du Pallevi : elles sont généra-
lement assez nombreuses, toutes différentes les unes des autres. La
forme rythmique et mélodique du Pallevi et de l'Aintpallevi est généra-
lement mieux définie que celle des Stansas, dont leldéveloppement est
souvent irréjulier et dont le chant est surchargé de roulades : tel est
le cas presque toujours pour les Ragns chantées en solo, qui, à certains
moments, semblent être tout à fait sans mesure.
Certaines de ces Bagas sont des thèmes universellement populaires
dans telle ou telle région de l'Inde, et sur lesquels les chanteurs adap-
tent des vers de diverses significations. Quelques-unes sont plus parti-
culièrement consacrées à chanter les dieux ou les héros. Voici par
exemple un chant destiné à cet usage, populaire entre tous dans la partie
méridionale de l'Inde, et qui passe pour très ancien (1). Le rythme, au
début, en est très marqué, dit le capitaine Day (nous en avons déplacé
les barres de mesure pour en mieu.x mettre en relief les temps princi-
paux); quant aux développements, suivant les principes du genre, ils
sont plus libres (aussi avons-nous supprimé de cette partie les barres de
mesure qui ne font que servir d'entrave à cette liberté).
PALLEVI.
Allegro moderato
ANV PALLEVI.
Celte mélodie, très franchement en ut majeur et construite dins
l'échelle complète de ce ton, offre en même temps, au point de vue
tonal, certaines particularités propres à la musique d'Extremî-Orient.
Sans doute le fa et le si y sont utilisés; mais il est facile d'apercevoir
que le rôle de ces noies est tout à fait secondaire, car très fréquem-
ment le dessin mélodique, sautant par-dessus, procède par l'intervalle
disjoint mi sol ou la do : la cadence finale du Pallevi est cà cet égard très
caraclérislique. Si ces notes avaient été complètement supprimées, l'on
aurait eu, pour cotte mélodie, la gamme de cinq sons : dire mi sol la-do;
sans aller aussi loin, du moins la contexture de la mélopée témoigne
que l'influence de cette gamme est encore sensible (1).
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE'^'
XX — UNE REPRISE QUI S'IMPOSE
à M. E. de Solenière.
— Inutile de vous questionner! Votre physionomie parle pour vous :
c'est une indiscrétion complète...
(Ij La mélodiiî intilulée Saml dia Mera, notée à la p. 68 du mùine livre, estenlièremenl
construite sur la gamme de cinq notes : -sol la si ré mi - sol.
(2) Voir le Ménestrel du 1 1 juillet 1901 .
— Dame! quelle revanche meilleure contre un été silencieux que de
s'expatrier pour entendre un peu de musique? Je l'avoue : je reviens
de Bayreuthetj'y retourne. Le Vaisseau-Fantôme et l'Anneau du Nibelung,
avant Parsifal; l'œuvre de jeunesse et la Tétralogie formidable, avant
l'indicible chant du cygne : c'est un assez beau programme! Ce jubilé
me séduit.
— Je l'avais deviné dans vos yeux. Habemus confitentem reani... Croyez
bien, Madame et chère wagnérienne, que je ne vous garde point ran-
cune. Et, si j'étais présomptueux, j'ajouterais que notre conversation
sous ces grands arbres, à l'abri des snobs, me rappelle les entretiens
de feu Rubiustein avec une aristocratique inconnue de son entourage!
— Je les ais lus dans le Ménestrel (2), ces doctes parado.xes, et la pré-
somption nous ferait du tort... Mais, mon cher Aristarque, veuillez
peser le sens profond de cette double date : 1,376- 1 HO I ! La « première »
de Bayreuth est à la fois récente et lointaine. Vingt-cinq ans ont coulé
depuis, et, avec eux, bien des choses...
— Nous en causerons une autre fois, voulez-vous? Mais si nous_ par-
bons un peu de notre musique française? Ce serait original et, ma foi,
presque héroïque! Et vous qui savez par cœur les douze partitions de
Richard 'Wagner, y compris les Fées, connaissez- vous aussi parfaite-
(1; Tlie Munie... of Soulhern India, p. 66.
(S!) La Musique et ses représenlunls, traduction Jlichel Delines (.Ménestrel, 1S91-18
LE MÉNESTREL
2G1
ment notre état d'ànie aux alentours de cette année 1876 dont le timbre
seul vous émeut?
— 1876? N'était-ce pas l'âge d'or candide où tout le monde se croyait
wagnérien et passait pour tel. où l'épithète avait encore l'honneur
d'être une injure, où, comme dit un maître qui, depuis... mais passons,
le mot wagnérisme était le « tarte à la crème » de la critique musicale?
Alors, Carmen tombait parce qu'elle était wagnérienne. On découvrait
du wagnérisme en l'ouverture brillante du Dinitri de M. Joncières, tout
comme Raspail aurait trouvé de l'arsenic dans le fauteuil du président...
C'était le bon temps, vous dis-jel
— Madame, décidément, vous savez tout, et même quelque chose de
plus, puisque vous n'ignorez pas tout à fait ce qui se passait loin de
Bayreuth... Et je vous fais toutes mes excuses! Mais, cette fois, vous ne
me contredirez plus, car je vais invoquer votre jeunesse : aussi bien
vous êtes trop jeune pour avoir applaudi la « première » d'un remar-
quable opéra qui vit le jour l'année suivante et que la jeune génération
ne connaît point...
— Le Roi de Lahore, n'est-ce pas? L'œuvre juvénile de Massenet, que
notre Académie nationale de musique a donnée le vendredi 27 avril 1877?
— Votre érudition me passe ; et, quand il évoque Erda fatale au fond
des ténèbres, le Wotan de Wagner ne ressent pas un trouble plus grand !
— Rassurez-vous, mon cher critique! Je ne suis pas Erda, vous n'êtes
point Wotan... Je ne suis qu'une simple mortelle, niais douée de quel-
que mémoire, voilà tout ! Je pourrais même, si vous y consentez, vous
rappeler la distribution de l'ouvrage : M"^ de Reszké faisait Sitâ, la prê-
tresse qui devient reine; M"^ Fouguet fut remarquée, dit-on, sous le
travesti do Kalcd; le ténor Salomon fut critiqué dans AUm, le roi qui
meurt et qui demande à revivre inconnu pour revoir celle qu'il aime;
mais il n'y eut qu'un cri pour exalter le baryton Lasalle dans le rôle
farouche et caressant de Scindia, son rival, et tel connaisseur vous dira :
« M"' de Reszké avait une voix superbe, mais un talent peu dramatique
et encore moins charmeur; seul. M. Lasalle était excellent et il obtint
un véritable triomphe. Si cet artiste fut pour beaucoup dans le succès
du Roi de Lahore, le Roi de Lahore fit beaucoup pour la réputation de
M. Lasalle...» (1). Soyons complets : M. Boudouresque incarnait à
souhait Timour, le grand-prêtre, et M. Menu, bientôt remplacé par
M. Bataille, était majestueux sous les espèces du divin Indra. La presse
fut hostile, ce qui démontre a priori la valeur de l'œuvre; ei l'excellente
Revue des Deux-Mondes du Ib mai 1877 voulait bien découvrir, dans le
plus suave des airs de ballet, « des convulsions d'orchestre » (sic); le
bon Scudo n'était point mort : comme le prince Alim, il revivait sim-
plement sous les traits plus fins de M. de Lagenevais (lisez Blaze de
Bury); et bon sang ne saurait mentir! Néanmoins, la partition, qui
avait failli passer à Vienne, l'année précédente, l'année même de Bay-
reuth, eut trente soirées, en 1877, onze, en 1878, dix-sept, en 1879; total,
cinquante-huit représentations. Consécration définitive, elle fit son tour
d'Europe, acclamée partout; l'Italie, particulièrement, la fêta; Lyon la
connut en 1880, au théâtre Bellecour, grâce à ce même M. Guimet dont
le Musée recueille aujourd'hui les restes de Thaïs... Décoré déjà, bien-
tôt membre de l'Institut, à peine âgé de trente-cinq ans, Massenet, dans
toute la charmante force du terme, était le « jeune maître ».
— Votre mémoire me stupéfie! Ne seriez-vous point quelque magi-
"cienne échappée du Paradis d'Indra?
— Je ne suis pas même une des néréides de cette infortunée, mais
chatoyante Coupe du Roi de TIndé, dont la musique inédite servit à la
géante apothéose de ce Paradis sonore! Et tenez. Monsieur, je suis
jalouse de vous, oui, jalouse : je donnerais volontiers toute mon érudi-
tion pour votre souvenir, puisque vous assistiez, sans doute, à la « pre-
mière » de ce bel ouvrage oublié?
— En effet, j'étais bien jeune; mais, toute ma vie, je me rappellerai
l'éclat diamanté de ce grand soir. Fin avril, c'était le printemps déjà,
lueurs et parfums; et les crépuscules de printemps sont tout-puissants
sur l'adolescence. Et puis, l'Opéra, le Grand-Opéra me fascinait comme
un paradis; c'était le temple de toutes les voluptés orientales, alternant
avec les arômes plus austères de la récente Semaine sainte; l'Opéra,
c'était le rêve réalisé des premiers désirs; dans l'ombre commençante,
les petites femmes alignées des lampadaires de bronze me semblaient
eurythmiques comme autant de Vénus; dés que j'approchais de la Danse
de Carpeaux, il me semblait défaillir. J'ignorais, même de nom, Bay-
reuth et sa grande ombre; le sanctuaire d'Orange n'avait encore pour
témoin que la nuit constellée; l'Opéra, c'était du nouveau, c'était l'art
et la vie, avec je ne sais quelle saveur de fruit défendu! Donc, j'étais à
la « première » du Roi de Lahore! J'avais oublié le jour et la date; mais
(1) Lrj Musique française moderne, par Georges Sei'vières (l'aris, G. Havard fils, 1S97) ;
cf. Massenet, étude critique et documentaire, par E. de Solenière (Paris, 1897) et Psycho-
logie inusical>i, par Camille Beilaigue (1893), page 14A.
les moindres détails n'ont cessé de palpiter en moi. Je fus conquis dès
V Ouverture : ah! le beau fracas guerrier, qui s'éteint dans la suavité
d'un andante, pour renaître sauvage et mineur encore, et plus accentué!
Puis le temple, l'Inde étincelante comme un collier de sequins, et les
déclamations vigoureuses, et les dessins pittoresques, et les enlaçantes
mélodies! Les prêtresses blanches mêlaient leurs voix argentines; mais
le drame élevait sa rauque voix. Bientôt la guerre, le soir fauve au
désert de Thàl, l'histoire vague avec la légende; et les cuivres alternant
avec les brises, les souffles enflammés comme des baisers de haine ou
de compassion. Alim, le Roi, succombe. Mais le voici. qui vient au
seuil du riant Paradis, sur un océan de délices. Que veut-il? Revivre
infortuné près de Celle qu'il aime ; comme le Siegmund de la Waikûre,
il préfère la dure vie réchauffée par l'amour. Et le tonnerre de VJncan-
talion le renvoie sur la terre. Le songe traverse le drame : prélude du
dernier acte, une superbe page symphonique évoque l'au-delà dont nous
sortons, où notre couple amoureux retourne...
— Ma suffisance livresque envie chacune de vos chaudes impressions !
— Et songez que c'était l'Orient qui se dévoilait, monde magique,
alors magnifié par les Leconte do Lisie, les Renan, les Flaubert, inspi-
rateurs de notre Parnasse. Nous ne rêvions que lumière et couleur : la
prose de Daudet nous reflétait la poésie de Mistral; le souvenir du jeune
Henri Regnault, chanté par le vieux Gautier, survivait dans nos espé-
rances. Le romantisme venait de jeter un dernier éclair. Et Massenet,
vous l'avez dit, c'était le jeune maître, parce qu'il personnifiait à nos
sens le coloriste attendu : « J'aurais tant voulu être peintre! » s'écriait
l'enthousiaste musicien; mais n'est-ce pas en peintre qu'il subjuguait
notre jeunesse, mariant la flamme à la grâce, l'orchestre incandescent
au féminisme le plus subtil, le rêve sentimental à la clarté sensuelle,
invoquant un coffret magique afin d'évoquer l'Orient, comme il avait
contemplé telle Tanagra souriante avant d'achever fes Erinnyes ou l'Ou-
verture de Phèdre, comme il avait retenu de naïves mélodies anciennes
pour parfumer Eve ou Marie-Magdeleine? C'était lui, toujours lui, qui
notait son rêve d'amant et de peintre dans son nouvel opéra que les
gens positifs traitaient « d'oratorio », pour se dispenser d'en écouter la
poésie tour à tour vaporeuse ou grandiose. Et le Roi de Lahore restera
comme une des plus nerveuses productions de Massenet.
— Vous attisez mon désir de l'entendre !
— Unissons nos voix pour que ce vœu ne demeure point platonique.
La saison prochaine nous proaiet les Rarbares, et Siegfried, et l'Africaine,
dont les décors furent brûlés dans l'incendie du samedi soir 6 jan-
vier 1894. Jamais, non plus, je n'oublierai cette nuit-là, ce ciel d'amé-
thyste sur les tourbillons orangés des hautes lueurs : voisin du maga-
sin des décors de la rue Richer, je croyais assister à la fin d'une cité
maudite, je songeais aux chefs-d'œuvre dont le vêtement brûlait pour
toujours; et notre Roi de Laliore était peut-être parmi les victimes !
— Qu'importe? Une reprise du Roi de Lahore n'est pas impossible.
Et, de plus, elle s'impose. Évolution et tradition, l'ouvrage devrait figu-
rer au répertoire vraiment français avec le Joseph de Méhul, les Troyens
de Berlioz, le Roi d'Ys, de Lalo, « ce pur échantillon de musique exclu-
sivement française », comme dit à propos M. Jean d'Udine, non loin
de Samson et Dalila, prés de Sigurd. Rappelons à la direction présente
qu'en 1879.au souper de la cinquantième, un -directeur de l'Opéra
déclarait tout haut qu'avoir monté le Roi de Laliore serait son litre de
gloire... (1).
(A suivre.) Raymond Bouyek.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le grand nombre de conservatoires d'outre-Rhin sera augmenté à partir
du !"■ octobre par celui qu'on vient de fonder à Dortmuad et qui se propose
surtout de fournir des musiciens d'orchestre, sans négliger pour cela les
autres branches de l'art musical. Le nouveau conservatoire sera dirigé par
MM. Hnettner et HolUschneider.
— La mort de l'impératrice Frédéric, dont les obsèques ont bu lieu la
semaine passée, a causé en Prusse un énorme préjudice aux théâtres, cafés-
concerts et autres établissements de ce g^nre, qui ont dû fermer pendant
plus d'une semaine. Il existe, en effet, une vieille ordonnance royale qui
prescrit un deuil du pays (Laiiieslrauer) pour le cas de la mort d'un membre
ds la famille royale et exige que tous les lieux de plaisir ferment depuis le
jour de la mort jusqu'au jour des obsèques. Un théàlre estival de Breslau
s'est adressé au ministre de l'intérieur pour lui exposer le grand préjudice
(1) Document cité par M. Georges Servières.
262
LE MENESTREL
que la fermeture pendant toute une semaine lui causait, étant donnée la
courte durée de sa saison; mais le ministre a répondu qu'il ne pouvait pas,
à son grand regret, autoriser des représentations théâtrales avant le jour
des obsèques. Inutile d'ajouter que la cour royale n'accorde aucune indemnité
aux intéressés.
— A l'occasion du deuil du pays, en suite de la mort de l'impératrice
Frédéric, un journal de Berlin rapporte un joli mot du roi Frédéric II, l'ami
de Voltaire. Un prince de la maison de Prusse était mort et le gouvernement
avait ordoané le « deuil du pays ». Or, un musicien, qui avait annoncé une
série de concerts à Berlin, adressa directement au roi une requête afin qu'il
lui fût permis dé donner ses concerts pour éviter la ruine. Le roi écrivit en
marge la décision suivante : « Ce musicien n'est pas, que je sache, parent
ni allié du défunt prince; on doit l'autoriser à donner ses concerls. »
— La prochaine saison enrichira Berlin de deux nouvelles entreprises de
musique symphonique. M. Richard Strauss s'est placé à la tète d'un orchestre
de cent musiciens pour donner une série de concerts consacrés presque exclu-
sivement à la musique rnoderne, surtout aux œuvres inédites. A cet effet, le
célèbre artiste a aussi engagé plusieurs solistes remarquables. Les concerts
de M. Strauss seront inaugurés par l'interprétation, dans leur ordre chrono-
logique, de toutes les œuvres symphoniques de Franz Liszt. Une tentative
absolument nouvelle dont l'effet sera en tout cas fort curieux, — L'autre
entreprise est d'un ordre moins relevé. M. Einoedshofer, un chef d'orchestre
assez connu, donnera, à partir du mois de septembre dans la nouvelle salle
de concerts du Grand Hôtel de Berlin, une série de concerts dont les pro-
grammes seront voués à la musique « facile, amusante et piquante ». C'est
une imitation de l'orchestre Strauss, de Vienne, qu'on servira aux Berlinois
qui, d'ailleurs, ont connu autrefois un orchestre analogue, celui de feu
Bilse.
— Les autorités de Dresde viennent de donner à deux entrepreneurs la con-
cession pour deux nouveaux théâtres; la capitale saxonne comptera donc
désormais cinq théâtres parmi lesquels le célèbre théâtre de la Cour.
— Le célèbre compositeur théoricien et écrivain musical , Salomon
Jadassohn, a célébré le 13 de ce mois le 70= anniversaire de sa naissance. A
cette occasion, il a reçu beaucoup de témoignages d'estime bien mérités.
M. Jadassohn est depuis plus d'un quart de siècle professeur au Conserva-
toire de Leipzig où il représente l'élément conservateur, sans cependant
aucune animosité contre l'évolution moderne de l'art musical.
— D'autre part, M. Jules Stockhausen, professeur de chant bien connu en
Allemagne, ancien élève, à Paris, de Manuel Garcia, vient, lui aussi, de célé-
brer son anniversaire de naissance, mais le 7S«. Ses anciens élèves et ses
amis lui ont offert une grande médaille d'or à sou effigie ; mais rien n'a fait
plus de plaisir au vieux professeur que les félicitations de son ancien maître
Garcia, qui marche résolument vers son centenaire.
— Toujours et encore les anniversaires. M. Otto Schelper, de l'Opéra de
Leipzig, a célébré récemment le 40= anniversaire de son début sur la scène
lyrique et le 23= anniversaire de son engagement à Leipzig. L'artiste a reçu,
en dehors de couronnes de lauriers, une somme de 70.000 marcs, soit
87.bOO francs, que les abonnés et habitués de l'Opéra avaient réunie à Fin
tention de leur chanteur favori.
— Le théâtre municipal de Leipzig vient de jouer avec beaucoup de succès
une opérette inédite intitulée la Débutante, musique de M. Alfred Zamara.
— L'Opéra de Leipzig annonce pour la saison prochaine la représentation
d'un opéra inédit en un acte intitulé l'Ombre de Werther, musique de M. Albert
Randegger.
— A Munich, les fervents de la cithare — plus de deux mille s'il vous
plaît — ont adressé une pétition au prince régent de Bavière pour protester
contre l'exclusion de l'enseignement de cet instrument à l'Académie de mu-
sique. Le prince héritier, Louis de Bavière, l'octogénaire grand -duc de
Luxembourg et le prince héritier d'Anhalt ont signé cette pétition que le
régent a simplement transmise au ministre de l'instruction publique. La
cithare est un instrument assez agréable à entendre dans les montagnes du
Tyrol et de la Bavière, surtout quand elle accompagne une voix fraîche qui
chante ces couplets qu'on appelle là-bas schnadahuepfl, mais l'opportunité de
créer des chaires de cithare dans les Conservatoires allemands apparaît tout
à fait contestable. C'est donc, croyons-nous, avec raison qu'a agi l'Académie
de musique de Munich.
— Les archives de "Wabnfried, jalousement gardées par M™ Cosima 'Wag-
ner, s'ouvrent quelquefois devant les rédacteurs de la, revus Bayreuther Blaitter
qui viennent d'y puiser trois lettres intéressantes à publier. La première a
été adressée au maître par Bismarck; elle est datée de Versailles, 21 février 1871
et est ainsi conçue :
Très estimé Monsieur,
Je vous remercie d'avoir dédié à l'armée allemande un poème et de me l'avoir fait
présenter. Tout en me croyant fort honoré de ce que vous ayez, d'après ce qu'on me dit
voulu que ce poème patriolique ne fiit destiné qu'à moi seul, je me réjouirais beaucoup
de le voir publié.
Vos œuvres auxquelles j'ai de tout temps voué un intérêt vif, quoique parfois mélan"é
d'une tendance à l'opposition, ont aussi vaincu,, après une dure lutte, la résistance des
Purisiens. Je crois et je souhaite qu'elles remportent encore beaucoup de vicloircs cbez
nous et à l'étranger.
Agréez l'assurance de ma considération distinguée.
V. Bismarck.
Le poème dont parle le chancelier de fer est la pièce de vers intitulée A
l'Armée allemande devant Paris, que Wagner a publiée dans ses Écrits réunis
(tome IXj. L'intérêt de la lettre réside en cette opposition contre les œuvres
de Wagner que Bismarck avoue avec tant de franchise. Quant à la prétendue
« victoire » de Wagner à Paris, en 1871. on peut se demander comment Bis-
marck a pu qualifier ainsi la lamentable aventure de Tannhuuser à l'Opéra de
la rue Le Peletier. — La seconde lettre a été adressée au prince de Bismarck
par AVagnér, de Bayreuth, le 24 juin 1873; elle accompagnait l'envoi de la
brochure Art allemand et politique allemande. Le but de cet envoi est naïvement
expliqué par le maître; il espère obtenir du gouvernement allemand, avec
l'aide du chancelier, une subvention pour ses grandes entreprises, dont il
avait bien besoin à cette époque. La lettre n'a pas produit l'effet voulu. La
troisième lettre a été adressée par Wagner, de Munich, le 28 janvier ISUS, au
prince Hohenlohe, qui fut à cette époque ministre de la maison de Bavière et
devint plus tard chancelier de l'Empire allemand. Cette lettre annonce l'envoi
de plusieurs chapitres non publiés de son écrit Art allemand et politiqw alle-
mande; le maître déclare expressément qu'il ne demande rien d'autre au
prince que la lecture de cette dissertation.
— Le conseil municipal de Frankenthal (Palatinat) a décidé d'ériger une
statue du compositeur Georges Vierling, qui avait été citoyen d'honneur de
cette petite ville.
— Le village saxon, Zsohieren, a donné à sa plus belle rue le nom de
M™" Malten, la première artiste de l'Opéra royal de Dresde, qui compte
encore parmi les favoris du public de la capitale saxonne. Mais ce ne sont
pas les qualités artistiques de M™ Malten qui lui ont valu cet honneur, c'est,
ce qui est mieux encore, sa grande bienfaisance dont les habitants profitent
continuellement.
— L'organisation du nouveau cours supérieur de piano au Conservatoire
de Vienne, dont la direction a été confiée à M. Sauer, a eu une conséquence
inattendue. Les principaux professeurs de piano du Conservatoire, MM. Epstein ,
Door et Fischhof, ont donné leur démission par lettre collective ; ils ne peu-
vent pas admettre qu'on ait organisé le cours supérieur sans les consulter.
MM. Epstein et Door appartiennent au Conservatoire depuis plus de trente
ans ; le nombre de leurs élèves est énorme et plusieurs d'entre eux ont acquis
une grande réputation. M. Fischhof, élève de M. Door, a également eu beau-
coup de succès comme professeur; encore tout récemment un de ses élèves
a fait sensation et a remporté les premiers prix. Si ces maîtres maintiennent
leur démission, leur remplacement sera tort difficile. Dans les cercles artisti-
ques de Vienne on désapprouve généralement la mesure prise par la direction
du Conservatoire qui pourrait bien sortir de cette crise fortement diminuée.
— La lutte autour de la fortune de Brahms n'est pas encore terminée et
les bravos campagnards qui ont obtenu gain de cause, comme parents du
défunt compositeur, ne sont pas encore entrés en possession du magot. On
vient, en effet, de retrouver un document que Brahms avait soigneusement
caché et dans lequel il explique ses volontés. Il résulte, dit-on, de cette pièce
inattendue que Brahms n'avait pas voulu priver les sociétés musicales qu'il
avait instituées légataires en biffant dans son testament le paragraphe qui
les concerne. C'est ce malheureux trait de plume qui avait causé, selon l'arrêt
de la cour de cassation de Vienne, la nullité du testament. On annonce un,
pourvoi en revision de toute la procédure à cause de ce fait nouveau et les
maîtres de la chicane viennois pourront s'escrimer à nouveau dans un tournoi
de procédure fort intéressant.
— Le théâtre de la ville de Zurich annonce, pour sa prochaine saison
théâtrale, la première représentation du \¥erther de M. Massenet.
— Un opéra-comique inédit de trois auteurs belges, Bonhom,meNoël, paroles
de MM. Théo Hannon et Léo Diensis, musique de M. Louis Hillier, sera
représenté le mois prochain au théâtre de Spa.
— On a représenté sans succès, à l'Alhambra de Florence, une opérette
nouvelle intitulée Frugolina, due à la collaboration de MM. Francesco Gargano
pour les paroles et Alfredo Grandi pour la musique.
— On sait que chaque année Verdi allait passer une partie de l'été dans
la petite ville thermale de Montecalini, non loin de Florence. Il occupait là
un appartement composé de quatre pièces dans la Locanda Maggiore. C'est
sur la porte de cet appartement que tout récemment, sans solennité et d'une
façon intime, comme il convenait en la circonstance, on a placé et inauguré
une pierre commémorative avec cette inscription, dictée par M. Raffaele
Melani :
C'est ici que fut, pendant de nombreux étés, jusqu'à l'année ■1900, la demeure
chère à Giuseppe Verdi alors que, presque fatigué de gloire, il cherchait, entre la
verdure des •champs et la splendeur du ciel, la quiétude sereine de l'esprit, qu'il pré-
féra toujours à tous les fracas du triomphe.
— Il ne faut pas plaisanter, en Italie, avec les sociétés musicales, dont
certaines paraissent se prendre vivement au sérieux. L'une d'elles, la bande
musicale de Locali Varesino, a intenté un procès à un journal de Lecco, il
Resegone, parce qu'un rédacteur de celui-ci, don Gereda, avait traité les mu-
siciens de bufj'oni pour avoir, dans une fête nationale, exécuté l'hymne de
LE MENESTREL
263
Garibaldi. Or, le tribunal de Lecco, juste peut-être, mais assurément sévère
comme M. Petdeloup, a condamné ledit don Cereda à 400 francs d'amende,
le gérant du journal à 300 francs, et tous deux solidairement aux frais du
procès. « Quelle sonate ! » s'écrie à ce sujet le Trovatore.
— De Saint-Pétersbourg : Les 11 et 12 de ce mois ont eu lieu deux grands
concerts de bienfaisance organisés par M"» Gorlenko-Dolina, et dirigés par
M. Edouard Colonne. Massenet, Saint-Saëns, Bizet, Delibes, Dubois, Bour-
gault-Ducoudray et d'autres, font triompher la musique française que la
célèbre artiste M"'= Gorlenko-Dolina chante aussi supérieurement que l'émi-
nent M. Colonne la conduit merveilleusement. Quatre mille personnes accla-
ment la cantatrice et le chef d'orchestre et la recette se monte à 40.000 francs.
Immédiatement M. Colonne a été demandé pour diriger trois autres concerts.
— On nous écrit de Stockholm : Notre pays possède actuellement une
entreprise qu'on peut considérer comme une concurrence faite aux représen-
tations d'Oberammergau et de Bayreuth. L'ancienne ville hanséatique de
Visby, qui possède tant de monuments et ruines historiques et dont la situa-
tion sur les bords de la mer est des plus pittoresques, a organisé des festspiele
dans les admirables ruines de l'ancienne église Saint-Nicolas. Le chœur
gothique dont les voûtes, en partie ébréchées, laissent entrer l'air et la
lumière, forme la scène; pas d'autre décor que les murs et les bouleaux et
les lilas qui eu ont pris possession et poussent librement parmi les lézardes.
On joue Sancta Maria, mystère de Topelius, musique de M. André Hallèn.
La pièce est tirée d'une légende du temps des premières croisades des Sué-
dois en Finlande. Tous les artistes, acteurs, chanteurs et musiciens, sont
des dilettantes; l'acteur Hamrin, de Stockholm, dirige la mise en scène et
l'appareil théâtral. On joue tous les dimanches, et les représentations attirent
une foule de visiteurs de Stockholm et des autres grandes villes du pays. Ce
succès a tellement encouragé les dilettantes de Visby qu'ils se proposent de
répéter les représentations l'année prochaine et de faire une certaine publici té
pour attirer un public international. Peut-être verrons-nous un jour des
yachts français, anglais et américains amarrés d3.ns le joli petit port de
Visby; leurs propriétaires y vivront plus agréablement et à meilleur marché
qu'à Bayreuth ou à Oberammergau.
— Où trouver un plus grand e.Kemple de bon marché en matière de spec-
tacles ? Un journal de San Francisco nous apprenti qu'au Central Théâtre de
cette ville, où « d'excellents artistes » interprètent d'intéressantes œuvres
dramatiques, le prix des places varie de 10 à SO centimes !
PARIS ET DÉPARTEMENTS
MM. Leygues, ministre de l'instruction publique ; Roujon, directeur
des beaux-arts; Dislère, conseiller d'état; d'Estouruelle, chef du bureau des
théâtres; Ghauvière, député de la Seine, et une délégation du petit personnel
de l'Opéra, se sont réunis, au ministère de l'instruction publique, pour exa-
miner le projet de décret constitutif d'une caisse de retraite. Après une longue
série d'observations, dont on a promis de tenir compte, M. le ministre a
décidé de présenter, dans un délai très court, le projet modifié à la signature
de M. le président de la République. — Dans une réunion ultérieure, la majo-
rité des employés de l'Opéra a décidé de demander à M. le ministre et aux
députés qu'ils proposent à la direction des mesures réglementaires, protec-
trices des petits ouvriers et employés.
— M. Albert Carré a abandonné Houlgate pour Ai.x-les-Bains où là, du
moins, il y a des théâtres et où il écoute d'une oreille attentive les étoiles du
Casino, tout prêt à s'attacher ceux ou celles capables d'enrichir sa troupe de
l'Opéra-Comique. Il a de longs conciliabules, dans la journée, avec son
directeur de la musique, André Messager, qui se trouve également en villé-
giature à Aix, et avec son peintre de prédilection, Lucien Jusseaume, venu
pour régler les décors de Louise, dont ou a donné la première cette semaine.
— Et pendant ce temps-là, M. Pedro Gailhard qui, d'après les feuilles à sa
dévotion, est arrivé sain et sauf à Biarritz après avoir sagement traversé en
automobile toute la France, pendant ce temps-là le « premier directeur de
France » — quel joli titre de vaudeville vous avez trouvé là, mon cher
Delilia ! — bien convaincu que rien ne laisse à désirer dans sa navrante Aca-
démie de musique, oublie totalement la place de l'Opéra, achète des villas,
meublées de grosses caronades marines, s. v. p., et y convie ses nombreux et
méridionaux amis à chasser royalement des lapins de choux, mis en cruelle
liberté au moment même de la fusillade. D'aucuns même lui jouent d'assez
mauvaises farces, pas les lapins, les amis si nous en croyons le Figaro qui
doit avoir, pour être toujours aussi ponctuellement et aussi rapidement ren-
seigné, un reporter spécial attaché à la. noire personne de l'illustre directeur-
chauffeur-tueur de lapins.
— Tous nos grands confrères quotidiens annoncent les uns après les autres
que c'est le théâtre d'Elbeïfeld qui aura la primeur de la Louise de Gustave
Charpentier en Allemagne. Le directeur d'Elberfeld, qui est un des premiers
que l'on trouve toujours quand il s'agit de marcher de l'avant et de faire
œuvre artistique a, en effet, acquis l'œuvre nouvelle, mais, tout en la mon-
tant la saison prochaine, il ne la donnera qu'après l'Opéra de Berlin qui, par
traité, s'en est réservé la primeur. A Berlin et à Elberfeld, et à Nuremberg,
Cologne et Bonn, ainsi que nous l'avons déjà annoncé, il convient main-
tenant d'ajouter Leipzig qui annonce aussi la première de l'œuvre de Char-
pentier pour le courant de l'année 1902.
— Notre confrère Delilia, du Figaro, qui est un de nos plus impénitents
enquêteurs, rassemble, en ce moment, les devises de nos artistes célèbres.
Parmi celles qu'il a déjà livrées au public, relevons les suivantes :
Emma Calvé ; Mieux vaut briser son cœur qur: le fermer!
Lucien Fugère : Je m^eii... moque!
EDima Nevada ; J'ai foi!
Marie Delna : Sincérilé.
Sigrid Arnoldson : Tout ou rien!
.Teanne Leclercq : Loyauté.
Louise Théo : Toujours la même !
Marguerite Ugalde : Vaincre... et viure.
Thérésa : Pkis penser que dire.
Germaine Gallois ; Chi va piano, va sano.
Mathilde de Craponne ; Fiat voluntas mea.
Blanche Deschamps-Jéhin : Aide-loi.
Véra Nimidoir ; Qui vivra, Véra.
Meyriane Héglon : Il faut savoir vouloir.
Louis Morlet : Faire ïiwun},
Max Bouvet; Bien faire et laisser dire.
A. de Merengo; Rire, chanter, aimer et souffrir.
— On a parlé, il y a quelque temps, de l'édification d'un nouveau théâtre-
modèle qui serait construit à la place des immeubles occupant l'angle du
boulevard des Capucines et de la rue Louis-le-Grand; on dit, maintenant,
que les promoteurs de ce projet ne sont autres que les frères Isola qui com-
mencèrent fort modestement, voilà quelques années, en donnant de curieuses
séances d'hypnotisme et de transmission de la pensée dans la petite salle
des Capucines. Avec le succès, la fortune est venue les chercher dans le fond
de leur petite cour et les a suivis dans leurs heureuses directions de Parisiana
et de l'Olympia.
— Nous recevons la lettre suivante de M. Gustave Lefèvre, directeur de
l'Ecole de musique religieuse, en réponse à une note que nous avions insérée
sur la demande même de l'intéressé :
14 août 1901.
Les Courtils, Provins (Seine-et-Marne).
Cher monsieur.
Il n'a jamais été dit ni imprimé que M. Loret, professeur d'orgue à l'école, avait donné
sa démission ; j'ai annoncé, et je le confirme, que, en raison de l'importance de l'ensei-
gnement de cet instrument, j'avais dédoublé le cours et que mon beau-frère, M. Eugène
Gigout, avait accepté de faire l'un des cours. Les élèves pourront choisir leur maître.
En vous priant, cher monsieur, de vouloir bien donner place dans votre journal à ces
lignes, ce dont je vous remercie à l'avance, j'ai l'honneur de vous offrir les assurances de
mes sentiments les meilleurs.
Gustave Lefèvre.
— La reconnaissance des Toulousains à leur compatriote Louis Deffés. En
attendant le monument qu'on a projeté de lui consacrer, on vient de placer à
Toulouse sur la façade de la maison Cibiel, portant le numéro .54 de la rue
Peyrolières, une plaque de marire rappelant la naissance du distingué com-
positeur qui fut, en dernier lieu, directeur du Conservatoire de cette ville.
Cette plaque porte l'inscription suivante :
Louis Deffès
Compositeur de musique
Correspondant de l'Institut
Auteur de
La Toulousaine
Est né dans cette -maison
Le 23 juillet 1819.
C'est de cette maison, où il naquit et où il fut employé chez le grand mar-
chand de draps Gibiel, que Louis Deffès, après avoir commencé ses études
musicales, partit pour Paris, où il les termina et où, tout en occupant une
place d'alto dans l'orchestre du théâtre du Gymnase, il remporta en 1847 le
premier grand prix de Rome à l'Institut.
— Lyon : La distribution solennelle des prix du Conservatoire vient d'avoir
lieu au Grand-Théâtre sous la présidence de M. Lavigne, adjoint aux beaux-
arts. Dans un discours fréquemment applaudi, M. Lavigne a rappelé que ce
Conservatoire, si florissant et qui va être installé magnifiquement à une date
prochaine, fut fondé en 1872 et créé de toutes pièces grâce au dévouement
infatigable, à l'abnégation absolue de M. Ed. Mangin, devenu aujourd'hui le
distingué chef d'orchestre de l'Opéra et professeur de solfège pour les
chanteurs au Conservatoire de Paris.
Il n'est point sans intérêt, d'ailleurs, de rappeler quelles furent les étapes
parcourues par^cette institution créée par la bonne volonté d'un seul, qui sut
grouper autour de lui des confiants et des désintéressés .
Le Conservatoire de Lyon, fondé par arrêté du maire, M. Barodet, le
24 mai 1872, fut immédiatement placé sous la direction de M. Edouard Man-
gin, son vrai créateur. Les professeurs (24), nommés par arrêté du maire en
date du 2 juillet 1872, s'engagèrent envers la municipahté à consacrer leur
temps gratuitement et jusqu'au moment où le Conseil municipal, reconnais-
sant l'utilité de l'École et les services rendus par elle, voterait une subven-
tion. A l'ouverture des portes, le 8 octobre 1872, 312 élèves se présentèrent,
qui suivirent les cours durant la première année.
FM 1874, le Conseil municipal, voulant reconnaître les services rendus,
vota une subvention de 13.000 francs. Le 14 avril de la même année, par
arrêté ministériel, qui renommait en même temps M. Mangin directeur, il
est reconnu succursale du Conservatoire de Paris.
En 1878, le ministère des beaux-arts accorde une subvention de Ei.OOO francs.
264
LE MENESTREL
Enfin, en 1901, la Ville, se rendant compte de son utilité et des services
qu'il rend, n'hésite pas à construire un immeuble qui coûtera la jolie somme
de 2 millions. ■
— D'Aix-les-Bains : Louise, le roman musical de M. Gustave Charpentier,
vient de remporter au grand Cercle d'Aix un éclatant succès. Il est inutile de
parler de la valeur indiscutable d'une œuvre que plus de cent représentations
à rOpéra-Comique ont consacrée; ce qu'il faut dire et louer sans réserves
c'est l'inlerprétalion hors ligne qui réunissait les noms de M"'=s Garden,
Dhumont (remplaçant M""' Deschamps-Jéhin, indisposée), Tiphaiue, Costès,
MM. Fugère, Beyle, Boudouresque, c'est l'orchestre, admirable de précision,
d'énergie, de variété, de souplesse, sous l'éminente direction du maître Léon
Jéhin; c'est un fini remarquable jusque dans les plus petits rôles, si nom-
breux et si divers; c'est une mise en scène d'une saisissante réalité, une dé-
coration merveilleuse qui, telle l'illumination de Paris, arracha des bravos
à l'assistance entière. ,\ussi ovations et rappels furent nombreux et pro-
fonde l'impression produite. On ne saurait trop remercier M. Gandrey, le
sympathique directeur artistique du grand Cercle, de nous avoir procuré
cette inoubliable soirée. J- Jemain.
— M. Saugey, qui sut mettre le théâtre d'Alger au rang des toutes pre-
mières scènes de province, vient de publier le cartelhne pour la prochaine
saison de l'Opéra de Nice, dont il a été nommé directeur. Il annonce, parmi
ses nouveautés, Grisélidis et Sapho de Massenet. La première de Griséiidis aura
lieu de suite après celle de Paris; les décors en sont déjà commandés à
M. Lucien Jusseaume, qui les fait pour l'Opéra-Comique. M. Saugey reprendra
aussi, dès le début de la saison, la triomphante Louise de Gustave Char-
pentier, qui avait été si malencontreusement montée, la saison dernière,
quelques jours seulement avant la fermeture du théâtre.
— M"« Louise Masson, qui, en ces dernières années, a obtenu le premier
prix de piano au Conservatoire de Paris après avoir remporté la même
récompense au Conservatoire de Lille, vieut d'élre nommée professeur de
piano eu cette dernière école, en remplacement de M""! Français.
— De Trouville : La saison bat son plein, c'est la grande semaine des
courses, et les représentations du Casino sont très suivies. Dans Werther,
gros succès pour M. Delmas et M''^ Therry. M. Massenet, de passage à Trou-
ville, a félicité ses interprètes. Hamlet a valu aussi de nombreux bravos à
M"« Mastio, à M. Cadio et à M"« Therry.
— D'Évian-les-Bains. L'orchestre du Casino sous la très active direction
de M. Miranne, chef d'orchestre du Grand-Théâtre de Lyon, tait merveille et
attire à lui la foule des amateurs de bonne musique. Répertoire tout à fait
choisi dans lequel figurent la Fête du printemps â'Hamlet d'Ambroise Thomas,
Suites sur Coppétia et sur Sylvia de Delibes, l'Ave Maria de Gounod, le Sommeil
et le Menuet de Cendrilloii, le ballet du Cid, le Dernier sommeil de la Vierge, les
Scènes alsaciennes, le divertissement des Erinnyes de Massenet, VAndfinte canla-
bile de Théodore Dubois, la suite sur Milenka de Blockx, le Snng viennois de
Johann Strauss, Danse des bergers hongrois de Gung'l, T'es yeux bleus de Fetràs,
etc. Parmi les solistes, il faut signaler tout particulièrement M. Pierre Des-
tombes qui obtient dans les soli de violoncelle un des plus grands succès de
la saison.
— De Vichy : Très gros succès pour les représentations de Sylvia, l'ado-
rable ballet de Léo Delibes, dansé à ravir par M"» Briarza, bien réglé par
M. Saracco et monté avec un grand luxe de décors et de costumes par le
Casino.
— Le livre de M. le marquis Gino Monaldi sur Verdi (Verdi, 1839-1898,
Turin, Bocca frères, in-8") est un des meilleurs qui aient été écrits sur le
glorieux maître. L'affection qui unissait l'auteur au compositeur ne nuit en
aucune façon à son impartialité, et si le livre est surtout anecdotique, la
critique ne laisse pas d'y trouver sa place et se fait remarquer par sa jus-
tesse. M. Monaldi n'a pas voulu tracer un panégyrique, et son admiration
pour les grandes œuvres de Verdi ne lui laisse montrer aucune indulgence
pour celles qui n'en méritent point et dont il fait aisément bon marché. J'ai
dit que ce livre est surtout anecdotique ; il l'est au point de vue des œuvres,
et non de la vie du maître, qui est volontairement et de parti pris négligée.
Il n'en est pas moins fort intéressant à divers égards : d'abord par les ren-
seignements curieux qu'il nous donne sur la plupart des chanteurs qui furent
les interprètes favoris du compositeur; ensuite par les citations souvent pré-
cieuses qu'il emprunte aux journaux du temps et qui nous montre de quelle
façon la critique italienne appréciait tel ou tel ouvrage de Verdi à sou appa-
rition ; enfin, par la publication de toute une série de lettres inédites, qui,
pour la plus grande partie, étaient adressées à son vieil ami le sculpteur
Vincenzo Luccardi, professeur à 1 Académie de San Luca à Rome. Quelques
autres de ces lettres avaient pour destinataires Donizetti, le sénateur Piroli
et le marquis Monaldi lui-même. De ces dernières j'en voudrais citer une,
particulièrement intéressante, relative à Falslulf. C'était à l'époque où, à la
suite de quelques paroles prononcées par M. Boito, la presse italienne com-
mença à répandre le bruit que Verdi s'occupait d'un nouvel ouvrage. On n'en
parlait cependant encore que d'une façon en quelque sorte dubitative, et
M. Monaldi, désirant être informé sûrement à ce sujet, écrivit à Verdi. pour
lui demander si la nouvelle ainsi répandue était exacte ; celui-ci lui répondit,
deux jours après, par la lettre suivante :
Gènes, 3 décembre 189t).
Excellent marquis Monaldi,
Que puis-je vous dire? Il y a quarante ans que je désire écrire une œuvre comique, et
il y en a cinquante que je connais les Joyeuses Commères de Windsor. Pourtant, les ordi-
naires mais qui sont partout s'opposaient toujours à ce que je puisse satisfaire mon désir.
Maintenant Boito a dégagé tous les mais et m'a fait une comédie lyrique qui ne ressemble
à aucune autre.
Je m'amuse à en faire la musique, sans projets d'aucune sorte, et je ne sais même pas
si je finirai... Je le répèle : je m'amuse...
Falsta/f est un triste qui commet toutes sortes de mauvaises actions, mais sous une
forme divertissante. C'est un type. Les types sont si divers !... L'opéra est compléleœcnt
comique.
CroyezM
i toujours
Votre dévoué
Le livre de M. Monaldi est fertile en renseignements peu connus, surtout
en France, et en documents inédits du plus réel intérêt. J'ajoute qu'il est
écrit dans une langue claire, élégante et limpide, et qu'il se fait lire avec le
plaisir le plus facile et le plus sincère. Il mérite le grand succès qui l'a
accueilli. A. P.
NÉCROLOGIE
D'Angleterre on annonce la mort, à l'âge de 64 ans, de l'organiste John
Farmer, qui était aussi un compositeur de talent. Il était organiste duBalliol
collège d'Oxford, et il avait fait représenter, en 1882, un opéra intitulé
Cinderella (Cendrillon).
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musiciil et ses interprètes depuis deux siècles {26" article), Paul d'Estbées. —
IL Notes d'ellinographie musicale ; la Musique dans l'Inde (3" article), Julien Tiersot.
'— III. Petites notes sans portée : une Musicienne, Raymond Bouyer. — IV. Le Tour de
France en musique : la « Vogue » du Cheval fol, Edmond Neukom.m. — V. L'inaugura-
tion du Théâtre wagnérien de Munich, R. T. — VI. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SEULE!
valse de I. Philipp, d'après Chopin, paroles de Jules Ruelle. — Suivra immé-
diatement : A une Étoile, nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de
Alfred de Musset.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
la Fêle des Vignerons, de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Valse en
sourdine, de A. Périlhou.
L'iVRT MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
; plus récents et des flocuments inédits
(Suite.)
YI
Un grand homme console d'un autre. — Les anges de M">« Grassini. — Concerts
officiels du Consulat et de tEmpire. — Un petit homme qui console d'un grand
homme. — Les amours du général Brune. — ^1/""" Catalani : la légende de
l'histoire. — Saison musicale à Carlsbad : une jolie gaffe. — En Toscane. — Les
trucs de Valabrégue. — L'opéra au siège de Hambourg. — LaBarilli et lacampagne
de Russie. — Ne vous gène:- pas! — La fricassée de Napoléon. — Une mésaven-
ture de Bigaré.
Si M"'" Grassini ne fut pas une des plus nobles conquêtes qu'ait
jamais faites Bonaparte, elle en fut assurément une des plus
savoureuses. Malheureusement pour elle, elle ne sut pas user de
sa. . . défaite. Son vainqueur, doublement victorieux, puisqu'il
venait de triompher à Marengo, lui avait donné rendez-vous à
Paris; elle y vint, mais avec des malles bourrées de pétitions
des Milanais. Dès que Bonaparte en fut averti, il la consigna à
la porte des Tuileries. M"" Grassini se consola de sa mésaven-
ture avec Rode. Elle n'était pas cependant une de ces politi-
ciennes dont le Premier Consul avait instinctivement l'horreur.
Elle était beaucoup plus une Phryné qu'une Egérie. Ce n'était
pas qu'elle fût passionnée, comme semblaient l'annoncer son œil
de feu et le chaud coloris d'une peau sous laquelle bouillonnait
un fleuve de sang. M'"" Grassini était, au contraire, d'un tempé-
rament de glace : ce qui ne l'empêchait pas d'être infldèle et
changeante. La coquetterie, la joie d'être courtisée déterminaient
seules l'instabilité de ses affections. Et elle s'en serait volontiers
tenue aux. . . préliminaires. Quand un de ses amants s'attardait
aux démonstrations platoniques :
— Oh! disait-elle, c'est un ange!
D'ailleurs, elle n'était pas vénale. Un autre amour la dominait
plus impérieusement, celui du jeu.
Elle avait un superbe contralto, mais elle ignorait l'art de
chanter. Sa science dépendait de son inspiration ; et le genre
bouffe était pour elle lettre morte.
Norvins apprécia, en deux circonstances bien différentes, le
talent de la Grassini. Ce fut, la première fois, à l'un des derniers
14 Juillet de la Révolution. Donc, le 14 Juillet 1800, le ministre
Lucien Bonaparte était venu présider la cérémonie officielle, qui
se tenait dans la chapelle des Invalides, depuis sept ans le Tem-
ple de Mars. Trois orchestres de musiciens avaient pris place
en cette enceinte, et leurs symphonies y développaient des
sonorités extraordinaires. C'est aussi qu'elles célébraient, non
seulement l'anniversaire du 14 Juillet, mais encore la victoire
toute récente de Marengo. Lucien prononça un discours entre
deux intermèdes ; le premier, chanté par Blanchi et la belle
Grassini, était une hymme guerrière, commémorative de la
prestigieuse campagne qui rendait la liberté à l'Italie. La seconde
partie du concert était consacrée à l'audition du Chant du
25 Messidor, une cantate de Fontanes mise en musique par
Méhul.
C'était le temps de ces concerts du Premier Consul, où l'éti-
quette, déjà revenue, interdisait tout applaudissement. Cette
mode, empruntée à l'ancienne Cour, déplaisait singulièrement à
M""" Grassini et surtout à son ami Crescentini, ce merveilleux
soprano dont les imperfections physiques étaient pour l'actrice
italienne l'occasion de plaisanteries difficiles à traduire. Crescen-
tini touchait quarante mille francs pour chanter dans ces con-
certs, mais il ne se consolait pas de n'y être pas applaudi, bien
que la Grassini eût trouvé une explication à ce silence officiel :
« C'est favourable à la médioucrité » , disait-elle philosophiquement
à son camarade.
Norvins la revit, dix ans après le 14 juillet, à un concert dans
les appartements de Marie-Louise. Ce jour-là. M"" Grassini détona
de la plus belle façon du monde — était-ce un vieux levain de
jalousie qui lui avait tourné la voix? — Toujours est-il que Napo-
léon, qui, pour chanter horriblement faux, n'en avait pas moins
l'oreille juste, décampa au plus vite, faisant retomber toute sa
mauvaise humeur sur le grand écuyer de Westphalie, Morio.
Mais, M""' Grassini se remettant de son émotion, Napoléon ren-
tra dans la salle de concerts et daigna ne plus molester per-
sonne.
266
LE MÉNESTREL
Son caprice d'une soirée ne devait guère rester fidèle à sa
mémoire. M"'' de Ghastenay, qui n'est pas suspecte de tendresse
pour le grand capitaine, constate en ces termes une liaison dont
l'éclat offusqua même les royalistes : « On ne s'accoutume pas à
voir le duc de '^^ellington à l'Opéra avec M"" Grassini ».
Le général Brune trouva sa Grassini, en 1798, dans une jolie
prima-donna de Padoue, qui avait nom Bertinotti. Cette actrice,
au dire de Thiébaut, avait tout pour elle, le talent et la voix, la
grâce et la beauté. Malheureusement elle était affligée d'une
vanité excessive, et ne l'avait que trop prouvé, dans un bal, en
refusant de danser avec des officiers de la 73" demi-brigade.
L'état-major s'était fâché ; mais le général Brune, qui protégeait
la cantatrice avait pris parti pour elle, et, comme lui-même
n'était pas sympathique à ses officiers, ceux-ci avaient résolu de
faire d'une pierre deux coups, c'est-à-dire de se venger de leur
chef en montant une cabale à sa maîtresse. Le complot devait
éclater le soir d'une représentation de gala où chanterait la
Bertinotti. Les conjurés, au nombre de 200, étaient munis de
sifflets, de crécelles, de fifres, de trompettes d'enfants qui s'uni-
raient en une cacophonie indescriptible, pendant que « par le
trou du lustre » descendrait sur la salle une pluie d'épigrammes
oîi le dieu Apollon vouerait au mépris des Muses l'actrice indi-
gne de la faveur publique.
Brune eut vent du complot et manœuvra pour le faire
échouer. Il invita Masséna à rejoindre la division le jour même
où la Bertinotti devait chanter, et laissa courir le bruit que son
camarade serait très désappointé, s'il ne pouvait entendre une
virtuose célèbre dans toute l'Italie. Les officiers aimaient alors
Masséna : ils prirent en considération l'expression de son pré-
tendu désir ; et ce fut à peine si, dans le cours de la soirée, on
entendit « quelques bruits de crécelles et quelques sons de ca-
nard», de ceux que Brune appelait dédaigneusement «la faction
des imbéciles » .
Avant la Restauration, M'"' Catalani avait été à peine entrevue
en France. Elle n'avait fait qu'une très courte apparition à Paris,
où l'admirable timbre de sa voix claire et souple, évoluant sur
une étendue de trois octaves, lui avait valu d'unanimes applau-
dissements. Sa grande et légitime célébrité avait été consacrée
par les suffrages de toute l'Europe, en dépit d'absurdes lé-
gendes qui défiguraient sa véritable histoire et dont le Journal du
lieutenant Woodberrij (l)nous transmet un des plus ridicules échos.
Pendant son séjour en France, se rattachant à l'invasion de
1814, l'officier anglais, logé chez le maire d'Abbeville, y rencontre
un lieutenant italien qui lui fait mille questions sur M"'' Cata-
lani. Le mari de la cantatrice, le capitaine de Yalabrègue avait
été, prétendait l'italien, son brosseur. Quant à la virtuose elle-
même, cet étonnant officier assurait qu'elle avait chanté et joué
sur un petit théâtre aux aj)pointements de trente-cinq sous par jour.
Nous n'avons pas à raconter ici la biographie de l'artiste qui
donne un formel démenti à ces racontars de table d'hôte : les dé-
buts si retentissants de M'"" Catalani, âgée de quinze ans à peine,
et surtout ses triomphales saisons à Londres, où sa haine contre
Napoléon semblait prêter à sa voix plus d'ampleur et plus
d'éclat. C'est, après la chute du maître, qui voulut un jour la
retenir à Paris par des chaînes d'or, que nous suivrons la canta-
trice en Allemagne, avec Metternich qui, nous ne l'avons pas
oublié, se piquait d'être aussi fort en musique qu'en diplomatie.
Yoici tout d'abord l'impression produite par la Catalani sur
son aristocratique auditoire :
20 Juin 1817.
Hier nous avons passé une soirée charmante, arrangée en tout petit
comité ctiez M"' d'Apponyi pour y faire chanter la Catalani. Les deux archi-
duchesses y sont venues et toute notre suite. Elle a chanté de manière à
rendre folle toute la société. Elle avait toute sa voix et vous eussiez été en
état de béatitude comme nous l'avons tous été. Assurément, si la sainte
Vierge se mêle aux chœurs des bienheureux, elle doit chanter comme cette
femme qui n'est pas vierge.
Le mot de la fin toujours un peu lourd, comme il arrive à nos
aimables voisins quand ils cherchent à faire de l'esprit !
(A suivre.) Paui. d'Estrées.
(Ij Journal du lieutenant Woodberry (Traduction Georges Héliej; Pion, 1896.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
LA MUSIQUE DANS L'INDE
(Suite.)
Les livres du Ràja S. M. Tagore renfermeut de nombreux et impor-
tants spécimens de ces chants-récitatifs sur lesquels les hindous disent
leur épopées. Il s'en trouve notamment d'assez développés dans l'appen-
dice du curieux album contenant Six principal Ragas of the Hiiidus,
chants à la signification symbolique, qui pai'aissent être d'une grande
ancienneté. Les longues mélopées notées à la fin du livre sont assez diffi-
ciles à comprendre pour nous qui n'en avons point entendu chanter d'ana-
logues et n'en connaissons pas la langue; quanta leur transcription pu-
rement musicale, elle est vraiment trop indécise pour q\ie nous en
puissions dégager autre chose que de vagues formules sans mouvement,
qui sans doute reprendraient vie si elles nous étaient chantées par ceux
qui possèdent les traditions. Un peu plus précis sont les airs notés au
début de cet autre livre du même auteur ; ,1 Few spécimens of Indian
Songs. Et déjâla première mélodie, quoiqueassez différente au point de
vue de la transcription rythmique, nous rappelle d'assez près celle que
nous venons de donner intégralement d'après une aulre source. Cer-
taines sont curieuses au point de vue tonal. Voyez par exemple cette
psalmodie d'un liymme que l'auteur nous dit être très populaire parmi
les hindous. Diiîérente par la forme du précédent morceau, elle se
compose de deux formules qui se succèdent et se reprennent incessam-
ment, presque sans modification (1).
Mais que dire de cette autre formule mélodique, servant à chanter
les actions mémorables des héros, ou la gloire des dieux, ou quelque
sujet didactique, et dont l'auteur déclare le style « très mâle, grave, et
éminemment convenable aux occasions solennelles » (2)?
La psalmodie s'élève un peu aux versets suivants, où, notons-le,
la note fa apparaît fréquemment diésée, le ré étant toujours bémol et le
si naturel, et qui, sauf une seule exception, se terminent inexorable-
ment par celte chute bizarre : la sol fa mi ré bémol. Faut-il croire que
le sentiment musical des hindous est si dilTérent du nôtre qu'ils puis-
sent admettre ce qui nous parait constituer d'aussi graves anomalies,
ou bien est-ce la notation qui donne de leur chant une idée imparfaite?
De formes plus précises, sans être très variées d'accent, les mélodies
hindoues notées tout au long du livre du capitaine Day ont souvent un
caractère intéressant. Quelques-unes ont une expression poétique et
sentimentale qui réalise assez bien l'idée que nous nous faisons des
langueurs du style oriental. Comme telles nous pourrons citer par
exemple les deux Ragas notées à la page 81, la première d'un rythme
à la fois libre et ferme, la seconde, une mélopée rêveuse que traverse de
loin en loin un dessin ascendant d'une e.xpression vraiment suave. Une
nous est pas possible de multiplier les citations d'un livre auquel nous
nous bornons à renvoyer les lecteurs que la question intéresserait.
Voici cependant encore un petit fragment d'une Ragâ dont la mélodie,
vraisemblablement moderne, a bien l'aspect extérieur des chants orien-
taux : ou lui attribue pour auteur un pandit ou chanteur populaire de
la cour de Mysore, nommé Telugu. C'est un simple thème, bien
rythmé et dansant, qui circule d'un bout à l'autre de la Ragà, parfois
(1) Raja SouniNono Mohun Tagore, A Few spécimens of Jndian Songs, n" 8, p. 25.
(2) Raja SouniNono Mohun Taooiie, A Feio ^pecimem of Indian Songs, d' 6, p. 18.
(
LE MÉNESTREL
267
varié par le chanteur, et repris incessamment parmi les épisodes secon-
daires, généralement courts :
Allegro.
Voici un exemple du style des parties intermédiaires ainsi que des
variations du chant principal.
Nous avons retrouvé des formules analogues parmi les chants exo-
tiques qu'il nous a été donné d'entendre pendant l'Exposition. Voici par
exemple l'air d'une danse que chantaient et exécutaient tout ensemble,
avec une volubilité tout à fait horriflque, trois Cinghalais évoluant dans
un décor qui représentait je ne sais quel temple en l'honneur du Feu.
■ Le premier des dauseurs l'entonnait à pleine voix, dans le registre aigu,
et les autres reprenaient après lui; le thème était varié peu à peu et
progressivement animé; il était accompagné par des tambours frapp;'s
avec les mains, et dont le mouvement se conformait à celui du chant.
Formules successives d'accompagnement des tambours :
Les artistes hindous, chanteurs et danseurs, qui sont venus s'exhiber
à Paris pendant l'Exposition de 1900 (il s'en trouvait dans plusieurs
établissements de la section coloniale, ainsi qu'au théâtre du Tour du
Monde) n'ont pas paru appartenir à un rang fort élevé dans quelque
hiérarchie que ce soit, sociale ou artistique. Aussi n'avons-nous pu
entendre de leur bouche aucun chant de haut style ni de quelque
développement. Ils ne se sont guère montrés à nous que dans des danses
et évolutions plus ou moins accompagnées de chant et d'instruments
à percussion, et souvent, dans le tumulte, la musique était assez ma-
laisée à percevoir distinctement. Il nous a paru cependant que leurs
airs de danse n'étaient en général que de très courtes formules ryth-
miques, roulant sur quelques notes, si simples, et d'ailleurs d'un
-caractère si spécial que nous en avons parfois retrouvé les mêmes
successions dans les divers spectacles. En voici un exemple que nous a
fourni le théâtre Indo-Chinois, où nous avions trouvé précédemment un
intéressant morceau de musique cambodgienne : un groupe d'hindous y
«xécutait, avec beaucoup de précision, une danse d'ensemble, dont le
son principal était produit par des baguettes d'un bois très sonore que
les danseurs frappaient l'une contre l'autre à chaque temps Je me rap-
pelais, en les écoutant, ce vers de Verlaine décrivant les bruits populaires
•dont s'animent les bords du fleuve Ganga :
Au claquement massif des cymbales de bois.
Mais, si dominant que fût le bruit de cette percussion, il n'empêchait
pas d'entendre un chant bref, au rythme net, qui se répétait indéfini-
ment d'un bout à l'autre de la danse, attaqué par une voix seule, repris
par le chœur des danseurs, et s'animant progressivement sans cesser
■d'alterner du soliste à l'ensemble des voix:
Assez animé.
Quelquefois le chanteur ajoutait des notes d'ornement qui n'allaient
pas à moins qu'à former de véritables variations, modifiant jusqu'au
temps principal :
Dans un autre spectacle exotique (le Théâtre Hindou), j'ai retrou vêla
même danse et, à quelques notes près, le même thème, mais avec cette
particularité singulière que, l'alternance ayant lieu, non entre un soliste
et le chœur, mais entre deux chœurs, le second chœur répétait le chant
à la quarte supérieure : ébauche de modulation qu'il était intéressant
de retrouver ici.
Ces petites formules mélodiques, si rudimentaires, sont bien, en
vérité, l'enfance de l'art. Pourtant un sentiment tonal très net s'en
dégage. Celles qui viennent d'être notées sont û'anchement dans le
mode majeur; mais il suffit d'un simple déplacement de la note finale
pour modifier la tonalité. Dans l'exemple suivant — un thème et sa va-
riation — évoluant sur quatre notes, nous ne saurions trop dire si la
finale la doit être prise pour tonique, ou si ce rôle ne reste pas plutôt
au sol par lequel se termine le premier membre de plu'ase :
Mais le suivant est décidément un mineur ayant la pour tonique :
Il nous semble qu'il en doit être de même du thème suivant, malgré
l'alternance déjà constatée du sol et du la aux deux cadences
successives.
Telle est la seule musique vocale qu'il nous ait été donné d'entendre
et de noter à l'audition des sujets hindous venus à Paris l'an dernier, et
l'on ne peut nier que cette musique soit simple, simple à. l'excès. Elle
ne le cède en rien, à cet égard, à celle des peuples les plus sauvages. Les
nègres perdus dans les classiques ténèbres de l'Afrique ont parfois des
formes musicales plus riches et moins élémentaires. Décadence, ou
survivance d'un art primitif dans les classes inférieures de la société
hindoue? C'est là un trop grave problème pour que nous songions à le
résoudre, et nous nous contentons de le poser.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXI
UNE MUSICIENNE
à M'^" Renée d'Ulmés.
— « Fous êtes musicienne », — disait une tireuse de cartes à une belle
jeune fille russe, il y a vingt-cinq ans. C'était le mercredi 19 juillet 1876.
Et la jeune russe s'appelait Marie Bashkirtseff.
La cartomancienne continuait, dans son taudis : « Vous êtes faite
pour être artiste de premier ordre... Vous devez chanter, vous arriverez
à une grande gloire. Vous devez peindre, vous aurez un grand succès...
1) Voir te Ménestrel du il juillet et du 18 août 1901.
268
LE MÉNESTREL
Du reste, les cartes sont très brillantes! » L'horizon s'ouvrait, vaste et
varié. Mais, alors, c'était la musique qui tourmentait une vanité puérile
et géniale. Et comme l'a dit si délicatement notre cher Anatole France,
qui, l'un des premiers, a deviné cette àme : « Elle était plus vaine de
sa voix que de sa beauté. Cette vois s'étendait à trois octaves moins
deux notes. Un des premiers rêves de Marie Bashkirtseff fut de devenir
une grande cantatrice... » (1). Huit jours avant sa visite à la Moreau,
élève de M"» Lenormand, la jeune fllle ne répondait-elle pas à l'espoir
d'un brillant mariage : « Ah! non, dis-je, en me renversant sur la
chaise longue; c'est difficile! Et puis, je veux me faire chanteuse. »
Réponse d'artiste, que je cueille aux premières pages d'uu volume nou-
veau (2) qui se distingue d'abord des banalités imprimées de la saison :
ce livre posthume est comme une efflorescence nouvelle d'un bel arbre
mort; c'est un chapitre nouveau d'une résurrection. Il y avait de l'iné-
dit, nous le savions. Il y a quatorze ans déjà, — quand parurent les
deux tomes du Journal de Marie Bashkirtseff, — nous n'ignorions point
combien de pages manuscrites sommeillaient encore dans les nombreux
cahiers de l'exquise morte : ces « gros cahiers, noirs de notes » qui,
dans l'atelier, faisaient l'admiration du visiteur, quand il se trouvait
être un poète... En 1887, le Journal compacte, en 1891, les rapides Lettres
avivaient notre désir de pénétrer plus avant le secret d'un moi : grâce
au dévouement jamais las d'une mère admirable, la nouvelle publica-
tion projette des rayons inédits sur l'alpha et l'oméga d'une carrière
unique, et si brève ! Voici le printemps, le spirituel avril, avec les années
1876, 1877 et 1878; voici l'automne et le mortel octobre aux lueurs de
gloire et de pourpre, avec les années 188.3 et 1884. Aucun poème, aucune
fiction ne vaudrait ce roman vécu par une artiste.
Et quelle artiste! Eblouissante et fine, insaisissable, cette mondaine
devenue artiste par un sursaut de volonté fière. sans flétrir le charme
tout spécialement subtil de son àme docte et hardie, austère comme un
musée, badine comme un fîve o'clock, expansive dans ses contradictions
conscientes ! Son Journal la dépeint non moins vivement que son regard
analysé par elle-même en tel Portrait parlant. Le son de voix est inou-
bliable :' on croit l'entendre avec cette « jactance » mousseuse qui con-
quiert; on la revoit telle que l'aperçurent les poètes en visite à l'heure
du samovar, dans l'atelier de la rue Ampère (3), près du piano complice,
de la toile commencée, de la maquette en progrés, de la table studieuse
où se heurtaient les livres latins et grecs, lus dans le texte, Zola voisin
d'Homère. Psychologue et superstitieuse, philosopheetpeintre, mondaine
toujours, sans être ni dupe ni coquette, aimant tout, cultivant tout, arts,
pohtique, frivolités, riens charmants ou profonds, passant de la méta-
physique à la blague...
Est-ce l'amour qui va séduire cette âme de vierge? NennilTel grand-
duc, le neveu d'un cardinal, un homme célèbre passeront comme des
fantômes, bien qu'elle souhaite « devenir la confidente d'une belle àme ».
Elle ajoute : « Aussi je vous présente Anatole ou Oreste comme des Iwrs-
d'œuvre, et ils ne m'occupent que dans mes loisirs. C'est ainsi que ca
doit être chez les gens occupés. On dit que Michel-Ange n'aima jamais.
Bh bien! je comprends ça! Et si jamais j'ai des succès vraiment encou-
rageants, je serai capable de n'aimer que mon art... » Ailleurs, elle se
sent respirer dans l'atmosphère supposée des génies. Et vivre? Elle y
songera, quand elle aura du talent... Et s'il faut mourir avant? Point
de regrets! Au seuil de l'année qui devait être la dernière, elle conclut :
« Je n'aime que ma gloire. » Mais cette mondaine, qui crée la mode, jette
un cri devant de muets paysages : « C'est beau la nature ! » Cette jeune
étrangère, ravie d'essayer des robes « sublimes », n'a qu'une passion,
qu'un désir, qu'un but : rester, se survivre ! « Toucher à tout, et ne rien
laisser après soi! » C'est la grande appréhension, la seule vraie. Un
pressentiment l'agite : à tous ces beaux projets, « une vie ne suffirait
pas ; la mienne surtout... » Et, quand le succès se dessine : « Vous com-
prenez, ce n'est pas le moment de mourir! »
Son génie, qui couve en maintes esquisses, se révèle brusquement au
tournant d'une phrase : « Je hais Paris! » s'écrie- t-elle; mais Rome
l'appelle : « Je retiens mon souffle et je m'étire comme si je voulais
m allonger ]-aiq\i' il Rome! » Le Salon n'est, à ses yeux, qu'un « amas de
peintures sans conviction, sans pensée, sans àme... » Tite-Live lui
semble aussi captivant qu'Alexandre Dumas : « Ne riez pas de la com-
paraison, vous autres pédants et fichus ignorants! » A côté du lyrisme
de Gambetta qui l'exalte, tel discours de Clemenceau lui parait « serré
comme un Holbein ». Et le perpétuel sautillement d'Alphonse Daudet
l'énervé; elle le définit joliment : « Un pizzicato sans fin. »
(\) La Vie lilléraire, dans le Temps du 12 juin 1887 et tome I, pages 167-176.
(2) Marie BaslikirtsefT, Nouveau Journal inédit, suivi des lettres Guy de Maupassant-
Bastiliirtseff; avant-propos de Reuée d'Ulmès. (Éditions de U Revue, 1901.) — Une table
et un index alphabétique seraient les bienvenus dans une prochaine édition...
(3) Cf. la préface des Lettres (Paris, 1891).
Ici, la musicienne est pressentie dans l'àme peintre (1). En cette cor-
respondance aussi brève qu'humoristique, oit son incognito pétillant
intrigue une seconde l'ennui solitaire d'un maitre-écrivain que la desti-
née n'épargnera point davantage, elle écrit au grand homme de ses
rêves : » Oserais-je vous demander quels sont vos musiciens et vos pein-
tres? » Et Maupassant répond : « Vous me demandez quel est mon
peintre parmi les modernes? Millet. — Mon musicien? J'ai horreur de
la musique! » Désillusion... C'est à Zola qu'il fallait écrire! « J'ai lu
t'Attaque du Moulin. Il m'a semblé entrer dans une magnifique forêt qui
embaume et oii les oiseaux chantent. « Jamais une paix plus large n'était
descendue sur un coin plus heureux de nature... » Cette phrase magistrale
rappelle les fameuses quelques mesures du dernier acte de l'.ifricaine. »
De tels rapprochements peignent l'artiste. La voix de Gayarré, « l'in-
comparable ténor espagnol », la transporte : « On lui fait une ovation
dont il se souviendra. Les gilets en cœur et les femmes les plus serrées-
étaient dans l'enthousiasme. Il aune voix miraculeuse. » Est-ce la verve
de Gayarré, mais la musique de Lucie de Lammermoor lui parait divine,
incapable de vieillir, parce qu'elle exprime des sentiments éternels...
Le peintre Eugène Delacroix n'aurait pas mieux dit.
La page capitale sur la musique est datée du dimanche 3 février 1884.
La voici :
<i II est près de deux heures et j'écris dans mon lit, de retour des
Italiens où l'on chantait Hérodiade de Massenet. J'étais avec la maré-
chale de Canrobert et Claire. Le premier acte surprend par la nom'eauté
et la largeur des sons. Ça ne ressemble à rien de ce que je connais.
C'est vraiment neuf et plein et sonore et harmonieux. Et tout l'opéra
s'écoute avec ravissement. C'est la musique qui fait corpsavec le poème,
c'est l'absence d'airs et de remplissages. C'est large, magnifique, gran-
diose. Massenet est un grand artiste et, désormais, une gloire nationale.
On prétend que la belle musique ne se comprend pas du premier coup.
Allons donc! Ici, on comprend tout de suite que c'est admirable et
mélodique, malgré une orchestration très savante. (Mais je ne connais
pas même Wagner.) Il y a, à la fin du premier acte, un accompagne-
ment d'une telle beauté que j'en suis restée saisie. Et, plusieurs fois,
on se regardait avec des yeux prêts à pleurer d'enthousiame. Si ces
chiens de spectateurs étaient sincères, ils auraient pleuré. Sans doute,
ma musique italienne ne peut pas lutter contre cet éblouissement :
Massenet est un Wagner mélodique et français. La comparaison, la
voici : Wagner, c'est Manet, c'est le père incomplet de la nouvelle école,
de ceux qui cherchent le talent dans la vérité et le sentiment. Il y a
toujours eu de nouvelles écoles: seulement depuis une centaine d'années,
la peinture s'était dévoyée; on la remet dans le bon chemin. Donc,
Wagner, c'est Manet. La note amoureuse manque dans Hérodiade, mal-
gré la stupide invention de faire de saint Jean l'amoureux de Salomé.
Je le verrais mieux eu exalté prophète, et elle exaltée. Pourtant, l'amour
serait inévitable. Moi, j'aurais aimé Jean. Oui, Massenet est un ?j^em-
a'iriste, il veut de l'air dans un opéra, il veut que ça se tienne d'un
bout à l'autre, et que les personnages et les mélodies se meuvent dans
une atmosphère musicale qui les enveloppe et les fassent vivre... »
Quelle rare qualité d'intuition! Certes, il y aurait un volume à écrire
pour et contre le parallèle un peu jeune entre Wagner et Manet. N'im-
porte! Massenet peintre devait émerveiller cette àme essentiellement
musicale : c'est dans l'ordre. Les coloristes se reconnaissent au premier
abord. Mais toute cette belle fièvre venait d'aboutir à ces trois mots, qui
disent tout : « Je suis poitrinaire... » (2).
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
II
LA « VOGUE » DU CHEVAL FOL
La Vogue, c'est, au pays lyonnais, la fête, l'assemblée, la foire. Et la
Pogue du cheval fol, qui se tient à Lyon le dimanche et le lundi de la
Pentecôte, donne le signal des Vogues pour le reste dala saison.
La Vogue du. cheval fol a son histoire. On lit dans un livre publié par
un voyageur, en 1811 :
« Sous Charles VI, les gens du peuple, excités par une troupe de sédi-
(I) Voir le l'i" article de nos Peintres mi-lomanes, dans le Ménestrel du 17 février l'JOl.
[i] Hiioveau Journal inédit, mercredi 18 octobre 188.'.
LE MÉNESTREL
269
tieux, se révoltèrent contre les autorités et commirent plusieurs excès.
Les habitants de Bourghanin, loin de suivre cet exemple, prirent les
armes pour sauver l'abbaye d'Alnay du pillage.
1) Ces désordres ayant été réprimés avec sévérité, les habitants de
Bourghanin imaginèrent d'en tourner les auteurs en dérision, dans une
fête qui répandait beaucoup de gaité parmi les gens du peuple. On y
voyait un homme portant un manteau royal et un sceptre. Un cheval
en carton était adapté à sa ceinture. Il parcourait la ville de Lyon avec
ce costume bizarre, accompagné d'instruments et suivi d'un nombreux
cortège, en sautant en cadence au son de la musique, et en se moquant
des mutins. La fête du cheval fol se terminait au confluent du Rhôue et
de la Saône, où l'on précipitait un mannequin en paille sur un cheval
en carton, après y avoir mis le feu. »
Voici quelques vers quel'on fit à ce sujet, vers la fin du XVP siècle :
Quant à ce clieval fol, qui sautille, qui danse,
Qui, au son des hautbois, cabriole en cadence,
C'est une dérision de ces fous mutinés
Qui, comme chevaux fols, courent la ville,
Voulant, à qui mieux mieux paraître plus habiles
A s'enrichir des biens qu'ils avaient butinés.
» Cette fête, ajoute notre auteur, ayant dans la suite donné l'essor à
la licence populaire, fut supprimée, et on ne laissa subsister que les
foires établies à cette occasion. »
Ces foires se tenaient à l'ile Barbe, ou Saint-Rambert, dans la Saône,
près de l'endroit où cette rivière se jette dans le Rhône. Le site est char-
mant. Couvert de demeures historiques, de châteaux, de monastères et
d'églises, il tient, d'une ancienne forêt druidique, qui s'y trouvait, les
charmes d'une végétation luxuriante. De même, la Saône, qui serpente
non loin de là, dans les prairies de la Bresse et du Beaujolais, forme des
sinuosités, ombragées de verdure, qui charment le voyageur.
Pour être moins exubérantes que la Fête du cheval fol, telle qu'on la
célébrait au moyen âge, qui était le temps de toutes les licences publi-
ques, la foire du même nom n'en était pas moins joyeuse, et même, par
tradition, irrévérencieuse quelque peu, ainsi que nous l'indique un
Lyonnais du siècle dernier :
« On voyait, dit-il, venir à l'ile Barbe, dans toutes les fêtes, lorsque le
temps était beau, les habitants de Lyon, les Italiens, les Allemands, les
Flamands et autres marchands, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs
familles. Ils amenaient des tambourins et d'autres joueurs d'instru-
ments, et aussi venaient des bandes des métiers de la ville, armées,
portant arquebuses, hallebardes, épées, dagues, javelines, avec tambou-
rins et les insignes déployées; les laboureurs et autres, tant des villes
voisines que des villages, venaient en foule, les uns par passe-temps,
les autres par dévotion, lesquels dansaient aux monastères et dans les
maisons même des religieux. Un des abbés ayant voulu faire clore le
pré pour faire cesser ces amusements profanes, le peuple renversa les
murailles. »
Le même chroniqueur nous donnera des renseignements précieux
sur le costume des femmes de la ville et de la campagne, dans le pays
lyonnais, à son époque :
« La coiffufe des Lyonnaises est un bonnet de dentelle dont les deux
bandes, qu'on appelle barbes, sont pliées et fixées dans la partie supé-
rieure ; elles forment deux papillons arrondis â petits plis qui flottent
de chaque côté ; les cheveux sont relevés derrière en chignon et font le
crochet vers la tempe. Le fond du bonnet est transparent et laisse voir
un peigne qui tient les cheveux retroussés ; ce bonnet couvre une partie
du front en bandeau.
« Le cou est paré d'un large collier en or avec une plaque carrée,
composée de dessins èmaillés, et attachée avec trois rangs de chaînons
en or. Plusieurs autres rangs pendent en dessous en festons. L'habille-
ment se compose d'un corset uni, dont la couleur est différente de la
jupe, et le tablier est généralement de cotonnade amarante ou autre
couleur, qui tranche avec celle de la jupe. »
Maintenant, il faut bien en rabattre. Ces jolis costumes ont disparu.
Les modes lyonnaises se sont, comme à peu près partout en France,
uniformisées, enlaidies, et la foule qui se porte, les jours de Pentecôte,
à l'ile Barbe, pour assister aux fêtes nautiques et à la foire qui s'y tien-
nent, ne diffère pas sensiblement des foules ordinaires.
Comme la plupart d'entre elles, celle-là s'amuse, du reste, de tout son
cœur et déplus se pâme aux lazzis connus, mais toujours les bienvenus,
des types populaires, Gnafron et le Marchand de marrons.
Les deux compères sont des marionnettes incarnant le citadin lyon-
nais, avec ses costumes, son langage et ses manières. Le premier a le
couvre-chef en manière de bonnet phrygien, tel que le portaient autre-
fois les ouvriers de la soie, nos amis les canuts. Le second, casquette
enfoncée jusqu'aux oreilles, représente l'honnête industriel dont l'arri-
véepériodiqueà Paris nous annonce, chaque année, l'approche de l'hiver.
Gnafron, cordonnier de son état, ou plutôt ressemeleur, a un précieux
acolyte en Guignol, lyonnais aussi, quoique d'origine italienne ; mais
celui-là mérite les honneurs d'un c'napitre à part ; pour le moment, ne
nous occupons que des gens en liesse qui s'entassent dans les cabarets,
pour y rire et chanter, sur le champ de foire. Ils fêtent la dive bouteille
et célèbrent en mélodies, martelées comme à la forge, leurs amours,
leurs désirs et leurs plaintes. Car l'ouvrier lyonnais se plaint toujours.
Rien ne marche à son gré, et « s'il était gouvernement » tout irait
mieux. La Vogue, par l'endroit où elle tient, lui remet en mémoire une
récrimination, vieille de 160 ans, mais toujours présente â son esprit.
Que si un buveur entonne, par hasard, la vieille chanson :
— Charbonnier, mon ami.
Combien vends-tu ta braise?
— Mademoiselle, je la vends quinze francs.
Et mes amours sont dedans...
vite, un homme grave de la société lui coupera la parole pour rappe-
ler l'ordonnance rendue le 26 juillet 1740 par maitre André Perrichon,
demeuré légendaire à Lyon, qui, de son vivant, procureur du Roi, fai-
sant fonctions de lieutenant de police, défendit aux Lyonnais, sous peine
de 130 francs d'amende, de se baigner tout nus dans l'intérieur de la
ville, soit dans le Rhône, soit dans la Saône. Il en résulta une chanson
imaginée par le chirurgien Pierre Laurès, autre célébrité locale, dans
laquelle les charbonniers se plaignaient de la mesure draconienne dont
ils avaient particulièrement à souffrir.
— Ah! que fera chaud ojordi! — Que fera bon après-midi -— se jeta la
tëtepremire — de dessus l'arcade du pont, Ht l'un. — Je son cinquanta
charboni... — l'iau no raf raidie et no décrasse,... je lavions notre tiso-
nasse, dit un second. Alors un troisième : — Crey mi, ne va pas te
bagni... Perrichon y a défendu. Et il e.xplique l'ordonnance nouvelle.
Pour le coup c'est un toile, dont aucune imprécation ne peut d(Dnner
l'idée, et dans un langage, — oh! mais, dans un langage... Le Lyon-
nais est féroce en matière de crudités oratoires, et les mots les plus
orduriers lui viennent à la bouche, quand il veut dire sa pensée.
Notre homme grave les mâche comme fondants à la crème en débi-
tant la Chanson des Charboni, et il fera de même pour les suivantes. La
plus présentable est encore celle des Taffetatiers, que nous devons citer,
parce qu'elle est bien dans la note de l'esprit de révolte inhérent à la
nature lyonnaise. Elle a, comme beaucoup d'autres, pour origine une
amélioration de métier préjudiciable à la besogne journalière, ou crue
telle, de l'ouvrier. La chanson des Taffetatiers visait, en effet, une ma-
chine inventée par Vaucanson et qui diminuait la manœuvre. Elle a été
imprimée à Lyon, chez Aimé de La Roche, en 1744, et reproduitejuste
cent ans après dans un opuscule intitulé Vaucanson à Lyon. L'auteur
du fameux canut automate y est, comme on va voir, assez maltraité, et
même menacé :
Un certain Vocanson,
Grand garçon,
Un certain Vocanson
Allons chez Montessuy,
Ujord'hui,
Allons chez Montessuy.
A reçu la patta
De los maîtres marchands
Gara, gara la gratta
S'y tombe entre nos mans.
Ma fay, si nos échappe,
Lo bogre sera lin,
Lo faut mettre en éclappe,
Faisons-en puttafin.
Il a un grou g
Rataplon,
Percia de petits plombs
Il a ficha lo camp,
Ralaplan,
11 a ficha le camp ;
long.
Y faudra l'assomma.
Ha ! y est un vilain traître,
Qu'a fait los plus grou ma ;
Si tout que va paroîlre,
a.
Prions Dieu par fortuna.
Que quoque bon gaillard
Venne trova sa fuma
Per lo faire c. .
Que n'ont-ils dit, depuis Vaucanson, qui n'ont-ils chansonné, les
pauvres canuts, lésés dans leur besogne ? Ils ont vu dépérir leur indus-
trie, au point que nous parlons presque du passé, en nous occupant
d'eux. La fabrique a remplacé, presque partout, le travail à domicile.
Le bistanclaque, bistanclaque, pan, des vieux jours ne se fait plus en-
tendre que de place en place dans les rues faubouriennes, et bientôt ce
bruit, vraie fanfare de travail, n'existera plus qu'à l'état de souvenir.
Alors Lyon aura perdu sa physionomie originale. Mais la Vogue ne
désarmera pas pour cela. Les têtes survivent à tous les cataclysmes et
consolent de toutes les misères. Gnafron et le Marchand de marrons ne
cesseront pas de lancer à la foule leurs lazzis. Et les joyeux couples con-
tinueront à chanter follement, au retour de l'ile Barbe, leur refrain
favori :
Liron, lirette,
Rouli, roulon, roulette,
Pimpiroulé, tendon à l'épinci,
De la piro, de lulu,
■ De la piro, hiroulé,
Bibelin, bibelo, popo lagamago.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
270
LE MENESTREL
L'INAUGURATION DU THEATRE WAGNÉRIEN DE MUNICH
Munich, 22 août.
Le Théâtre du Prince-Régent, ainsi qu'on appelle officiellement le théâtre
■^agnérien de notre ville, ce théâtre que l'infortuné Louis II avait voulu
construire selon les idées de son musicien favori et les plans du célèbre
architecte Semper, s'élève finalement, après plus de trente ans d'attente, sur la
hauteur-est de Munich, désignée dès le principe pour son emplacement. La
nouvelle avenue du Prince-Régent, destinée à devenir la plus belle rue de
Munich, sa via triumphalis, conduit du centre de la ville au théâtre; les quel-
ques terrains inoccupés, en bordure de cette avenue, seront bien vite couverts
de constructions superbes ; l'inauguration du nouveau théâtre y contribuera
pour beaucoup.
L'architecte, M. Max Littmann, auquel était dévolue la tâche de réaliser
les idées de Wagner et de Semper, s'est montré à la hauteur de l'œuvre. Si
le nouveau théâtre ne séduit pas précisément par sa façade, l'intérieur en
est un vrai chef-d'oeuvre. La salle, plus vaste que celle de Bayreuth, ne con-
tient cependant qu'un millier de fauteuils disposés en forme d'amphithéâtre
et fort commodes. Les loges, réservées surtout à la famille royale, ne com-
portent même pas autant de places que la fameuse « galerie des princes »
de Bayreuth. La décoration de la salle est simple et sobre, l'éclairage doux,
et pourtant presque aussi puissant que la lumière du jour, et l'acoustique ne
laissant rien à désirer. De « l'abime mystique », ainsi que "Wagner a nommé
la fosse de l'orchestre invisible, les voix des instruments montent avec une
puissance et une fusion admirables. La scène est la plus vaste et la mieux
outillée de tous les théâtres existants; notre théâtre de la cour, salle et scène,
pourrait y être placé tout entier sans la couvrir entièrement. M. Lautens-
chlaeger, le machiniste en chef, a de nouveau prouvé sa grande capacité ;
cette scène est le digne couronnement de sa brillante carrière.
La soirée d'inauguration a cependant manqué un peu de cet éclat qu'on
avait espéré, car le deuil de la cour avait empêché le prince-régent et les
membres de la famille royale d'assister à la fête. Le corps diplomatique, les
autorités et les invités étrangers étaient, bien entendu, tous venus. On remar-
quait le directeur Pierson de Berlin, l'intendant général comte Seebach avec
SI n directeur général de la musique, M. de Schuch, de Dresde, les directeurs
MM. de Putlitz (Stuttgart), Stœgemann (Leipzig), Loewe (Breslau), Jensen
(Francfort) et Werner (Darmstadt). La presse allemande était fortement
représentée: parmi les journalistes on remarquait beaucoup d'Italiens.
M. Max Schillings avait spécialement composé une « musique inaugurale »:
on attendait mieux de l'auteur d'Ingwelde. Une pièces de vers, de M. Hans
Hopfen, fort bien dite par M"" Swoboda, la tragédienne du théâtre royal, a
paru d'un byzantinisme achevé et d'une insignifiance complète. Richard
Wagner ne prit la parole qu'après toutes ces inutilités et l'ouverture des
Maîtres Chanteurs, magistralement interprétée par l'orchestre invisible sous
la direction de M. Zumpe, provoqua des applaudissements enthousiastes.
L'enthousiasme resta le même après le dernier tableau de cette même œuvre qui
formait l'unique spectacle de la soirée. Ce tableau se prête, comme on sait,
à une mise en scène éclatante et on n'avait jamais vu à Munich rien, au point
de vue scénique, d'aussi riche et d'aussi pittoresque. L'éclairage surtout a
réuni les suffrages de tous les hommes du métier présents.
Après ce tableau des Maîtres Chanteurs, une triple salve d'applaudissements
a salué les artistes, le vieil Eugène Gura, le célèbre Hans Sachs, qu'on re-
voyait pour la première fois depuis sa retraite datant de 189b, MM. Walter
(chevalier de Stoltzing), Geis (Beckmesser) et Schrôdter, de 'Vienne (David),
et M°><' Koboth (Eva). Le public a ensuite acclamé MM. de Possart, le direc-
teur du théâtre, et MM. Zumpe et Lautenschlaeger. M. de Possart a dû pro-
noncer un petit discours bien tourné et rappelant les traditions de Wagner à
Munich et l'exemple de Bayreuth. Ce fut sa petite vengeance, car la famille
Wagner avait décliné l'invitation qu'on lui avait envoyée.
Au lendemain de la soirée d'inaugaration a eu lieu la première représen-
tation publique devant une assistance en partie cosmopolite. Quelques étran-
gers de marque ont du payer leurs places à des prix qu'on trouverait exor-
bitants même à New- York; c'étaient les c< tards venus ». On jouait les Maîtres
'Chanteurs en entier et on peut dire que la soirée n'a été qu'un long triomphe.
Les vétérans de la première représentation à Munich en 1868 ont bien
déclaré que l'exécution de 1901 était inférieure quant aux solistes; mais ils
restèrent émerveillés de la mise en scène et de l'effet orchestral. Un artiste
de la première i}e 1868, un seul, a pris part à celle du nouveau théâtre :
M. Schlosser, auquel on a fait fête dans son rùle secondaire.
Dans deux jours le nouveau théâtre nous offrira Tristan et Yseult, une œuvre
qui évoquera également le glorieux souvenir de sa création à Munich. Ce
qu'on reproche amèrement au nouveau théâtre, c'est la cherté des places; on
n'est pas habitué chez nous au prix unique de 2b francs pour un fauteuil et
on oublie que l'égalité de toutes les places, basée sur la disposition amphi-
théâtrale de la salle, exclut les « petites places ». Un plaisant a proposé
d'ajouter à l'inscription « A l'art allemand », qui brille sur le fronton du
théâtre, le mot : « cher » ; mais cet inconvénient ne comporte pas d'autre
solution que l'organisation de représentations populaires à prix réduits et la
fondation d'une « œuvre de Mimi Pinson » pour les pauvres sœurs d'Eva qui
ne peuvent même pas débourser cent sous pour aller voir les Maîtres Chan-
teurs. Elles désirent le Charpentier qui leur ouvrira les portes du sanctuaire;
en attendant elles se rassemblent devant ces portes pour admirer les trom-
pettes costumés en hérauts moyenâgeux qui sonnent l'appel avant chaque
acte, absolument comme à Bayreuth. R. t.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La crise du Conservatoire de Vienne continue. Après la démission des
trois principaux professeurs de piano, MM. Epstein, Door et Robert Fischhof,
trois autres professeurs viennent de signifier leur intention de partir égale-
ment : M. Joseph Hellmesberger, chef d'orchestre de l'Opéra impérial,
M. Arnold Rose, premier professeur de violon, et M. Stoll, régisseur général
de l'Opéra impérial et professeur à la classe de tragédie. On considère ces
démissions comme une protestation contre la direction qui ne se trouvera
pas en bonne posture lors de la rentrée des classes et ne pourra pas facile-
ment remplacer les six titulaires des chaires ainsi abandonnées.
— A l'Opéra impérial de Vienne, M""^ Kaulich-Lazarich, fille du composi-
teur Kaulich dont nous avons-récemment annoncé la mort, vient de célébrer
le Sb" anniversaire de son engagement à ce théâtre, où elle entra à l'âge de
19 ans. Cette excellente artiste est douée d'une sûreté remarquable et con-
naît admirablement tout le répertoire: non seulement ses propres rôles, mais
aussi ceux de ses camarades, lui sont tellement familiers qu'elle a pu, à
mainte reprise, remplacer une camarade subitement indisposée sans aucune
répétition et dans un rôle qu'elle n'avait jamais joué. Celte faculté, qui a
sauvé plus d'une représentation bien compromise, lui a valu au théâtre le
sobriquet de o Terre-neuve ». M"" Kaulich-Lazarich a reçu du surintendant
général, du directeur, de ses camarades et de beaucoup d'artistes de l'Opéra
des marques flatteuses d'estime,
— A l'occasion du centième anniversaire de la naissance du compositeur
Adolphe MûUer, qui est mort il y aquinze ans, son fils, également compo-
siteur et portant le prénom de son père, a offert aux archives de la ville
de A ienne six cents partitions autographes de son père. Le bagage musical
d'Adolphe MûUer père est encore bien plus considérable, il faut notamment
ajouter, aux six cents partitions d'opérettes et de musique de scène pour
différentes pièces de théâtre, plus de quatre cents lieder et de nombreuses
compositions diverses.
— A Berlin, un gros scandale a éclaté la semaine passée à l'Opéra estival
du théâtre berlinois. On y a joué Guillaume Tell avec M. Otto Brucks, artiste
de chambre du roi de Bavière, comme protoganiste. Ce baryton dont le ma-
riage avec la comtesse de Larisch, nièce de la malheureuse impératrice
Elisabeth d'Autriche, a produit une si grande sensation il y a quelques
années, a été autrefois trompette et a gardé la fâcheuse habitude d'humecter
son gosier. A breslau et à Elberfeld, cette habitude lui a déjà joué d'assez
mauvais tours, et àBerlinle scandale, causé par l'artiste titubant, fut si grand
qu'on dut baisser le rideau et rendre l'argent. Le public, qui s'était d'abord
fâché, a fini par rire à gorge déployée parce qu'un loustic le pria d'attendre
le moment solennel de la remise d'une superbe couronne qui attendait sur
la scène. Le directeur du théâtre a intenté à l'artiste un procès en dommages-
intérêts. M. Brucks déclare dans les journaux qu'il a été pris d'un accès de
'colique.
— Ou vient de placer au nouveau théâtre du prince-régent de Munich un
orgue superbe, le meilleur dont un théâtre allemand puisse se vanter.
— La cathédrale de Wurzbourg (Bavière) possède le premier organiste en-
juponné que les féministes puissent citer. Le chapitre vient en effet de confé-
rer cette place à U'"" Hoeller, fille et élève du défunt organiste de la cathé-
drale.
— La Société Mozart de Salzbourg a constitué un fonds pour pouvoir orga-
niser tous les cinq ans des festivals Mozart dans la ville natale du maître.
L'Empereur François-Joseph y a contribué pour 2.000 couronnes ; plusieurs
archiducs ont également offert des sommes assez considérables. Dans ces
conditions l'entreprise semble à peu près assurée.
— Le superbe théâtre des anciens margraves de Bayreuth, un vrai bijou
de style Louis XV, s'est ouvert la semaine passée pour une matinée de bien-
faisance organisée par les artistes du théâtre wagnérien au profit des vic-
times de la récente inondation de Bayreuth. La matinée a rapporté plus
de cinq mille francs qui ont été remis au comité de secours.
— L'orchestre grand-ducal de Meiningen donnera au théâtre municipal
d'Eisenach, les 5, 6 et 7 octobre prochain, sous la direction du chef d'or-
chestre Fritz Steinbach et avec le concours de solistes distingués, un grand
festival exclusivement consacré à la mémoire de Beethoven. Ce festival com-
prendra quatre concerts dans lesquels seront exécutées, entre autres œuvres,
les première, troisième, cinquième et septième symphonies, ainsi que les
ouvertures i'Egmont, de Coriolan et de Léonore. D'autre part, MM. Halir et
Frédéric Lamond feront entendre les deux concertos de violon.
— Le Conservatoire royal de Dresde vient de nous envoyer son rapport,
pour la dernière année scolaire, qui montre son état florissant, malgré le
voisinage dangereux des Conservatoires de Berlin et de Leipzig. L'établisse-
ment a été fréquenté par 1286 élèves, dont 827 Saxons, l!28 Prussiens,
se Austro-Hongrois. 68 Anglais, 30 Danois, 46 Américains du Nord et le
reste de nationalités de toutes les parties du globe, même d'Australie et des
Républiques Sud-Américaines. On compte, en chiffres ronds, 500 élèves du
sexe masculin contre 800 élèves femmes; ces élèves se sont naturellement
surtout consacrés au piano, au violon et au chant.
LE MENESTREL
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— La chapelle du prince souverain de Schwarzbourg-Sondershausen vient
de célébrer le centième anniversaire des concerts classiques qu'elle donne
pendant l'été gratuitement au superbe parc qu'on nomme Loh. Toute la popu-
lation de la principauté — elle n'est pas très nombreuse — adore ces concerts
Loh, comme on les nomme, concerts qui n'ont pas peu contribué au dévelop-
pement de l'art musical dans la région.
— Un singulier usage existe à Potsdam, résidence royale près de Berlin.
A la mort d'un roi de Prusse, le carillon de l'église de la cour de cette ville
qui fait ordinairement entendre deux cantiques, toujours les mêmes, est trans-
formé et sonne pendant toute une année, entre midi et une heure, six chorals
différents du XVII« siècle. En 1888, à l'occasion de la mort de Guillaume I",
suivie trois mois après de la mort de son fils Frédéric III, cet usage fut
observé fidèlement. Or l'empereur Guillaume II a ordonné de rendre le même
honneur à sa mère, qui vient de mourir, mais seulement pendant quinze
jours. Les habitants de Potsdam ont donc entendu de nouveau les chorals
funèbres qui étaient muets depuis vingt ans.
— Le compositeur et chef d'orchestre Benjamin Bilse vient de célébrer à
Liegnitz, sa ville natale, le 8S= anniversaire de sa naissance. C'est M. Bilse
qui a fondé, à Berlin, les concerts d'orchestre populaires, qui ont rendu son
nom célèbre; à la tête de ses instrumentistes, il a traversé presque tous
les pays d'Europe avec un succès énorme et mérité. M. Bilse, un grand fa-
vori de l'empereur Guillaume I™, dirigea même scm orchestre à Paris, pen-
dant l'exposition de 1867. C'est lui qui joua, au bal de l'ambassade de Prusse,
la fameuse polka que le kronprinz de Prusse, devenu plus tard le malheu-
reux empereur Frédéric III, dansa avec l'impérati'ice Eugénie. En 1883, la
maladie força M. Bilse à abandonner ses musiciens; il se retira dans sa ville
natale où il vit agréablement, quoique devena presque aveugle. Sa retraite
est tellement profonde qu'on croit généralement à Berlin qu'il n'est plus de
ce monde.
— La reconstruction complète du théâtre municipal d'Aix-la-Chapelle est
tei-minée; elle n'a pas coûté moins de 800.000 francs. Le nouveau théâtre
sera inauguré le 15 septembre.
— Dans le courant du mois de septembre, M. Colonne viendra à Prague
pour diriger un unique concert de musique française.
— Le couronnement du roi Edouard VII, qui aura lieu en 1902, fait déjà
beaucoup de bruit parmi les musiciens anglais. Deux questions les agitent;
ils désirent savoir à quel musicien on s'adressera pour la composition de
l'obligatoire hymne spécial et quel organiste sera placé à l'orgue de l'abbaye
de Westminster. Par une de ces nombreuses fictions du droit coutumier dont
la constitution anglaise abonde, le chœur de l'abbaye appartient au roi le
jour de son couronnement, car il est considéré comme « chapelle royale ». Le
reste de l'abbaye, surtout la nef, est à la disposition du chapitre de AVest-
minster. Or, l'évêque de Londres, en sa qualité de doyen des chapelains
royaux, a le droit de nommer un « compositeur de la chapelle de Sa Ma-
jesté » aux appointements de mille francs par an, et ce compositeur a le pri-
vilège déjouer de l'orgue le jour du couronnement, sans se soucier de l'or-
ganiste ordinaire. Déjà, au temps de Purcell, cette disposition provoqua des
conflits au couronnement de Guillaume III et Mary II. Purcell garda bien
sa place à l'orgue, mais il avait eu l'idée de vendre, à des prix énormes pour
l'époque, quelques places derrière le buffet de son instrument, et le chapitre,
ayant eu vent de cette bonne affaire, obligea l'artiste à restituer ses petits
hénéfices. Les successeurs de Purcell ont dû céder leur place au « composi-
teur » nommé par l'évêque de Londres. Lors du couronnement de la reine
Victoria en 1838, on a gratifié du titre de « compositeur de la chapelle de Sa
Majesté » sir George Smart, qui remplaça pour quelques heures l'organiste
habituel. Ce musicien obscur eut une idée de génie pour tirer quelque
argent de ses fonctions fort temporaires et fît honneur à son nom qui indi-
que en anglais un grand degré d'habileté et de crànerie. Sir George Smart
plaça, moyennant 1.230 francs par tête, une douzaine de riches particuliers
parmi les musiciens de l'orchestre. Il donna à chacun un violon et un archet
et ces virtuoses de paille, qui n'étaient pas capables de tirer un son de leur
instrument, firent semblant déjouer. Le chapitre ne réussit pas à faire ren-
dre gorge à l'ingénieux k compositeur x et sir George Smart empocha une
somme assez rondelette. Le scandale fut grand et on espère que le privilégié
de 1902 ne renouvellera pas cet exploit de son prédécesseur de 1838. Mais
quel sera ce « compositeur » ? That is the question.
— L'Académie des beaux-arts de Brera a consacré cette fois son concours
annuel à Verdi, et il ne parait pas qu'elle ait lieu de s'en grandement féli-
citer, si nnus nous en rapportons au compte rendu que donne le Trovatore de
l'exposition des esquisses de ce concours : — a Gomme nous l'avons annoncé
naguère, dit notre confrère, les concours de Brera ont eu cette année Verdi
pour sujet. En fait, il était intéressant de voir comment de jeunes artistes
auraient synthétisé dans le dessin et dans la plastique la figure de Verdi,
comprise comme marque de son œuvre vaste et puissante. Hélas! nous devons
confesser que c'a été une désillusion énorme surtout du côté des idées. Nos
jeunes artistes ont prouvé qu'ils ne savaient trouver une expression neuve et
forte, qu'ils n'avaient aucune idée formelle du phénomène artistique. Les
choses les meilleures se trouvent du côté de la sculpture : les meilleures,
entendons-nous, je veux dire comme facture, car, quant à l'idée, c'est la
même pauvreté partout. Verdi est en continuelle compagnie des arts : ou il est
au bord de la mer ou tout au plus non lom de sa modeste maisonnette de
Roncole, sur laquelle brille un soleil d'autel et volent des anges d'étable. Un
concurrent de belle humeur nous montre un Otello chantant son Esultate, un
Otello de théâtre de province en pose à'ut de poitrine avec, tout autour de lui,
des chœurs et des comparses. Assez bonne est une médaille de M. Sarronni,
simple et bien gravée. Mais si quelqu'un voulait, d'après ce concours, com-
prendre quelle trace a laissée sur les jeunes âmes le formidable esprit verdien,
il ne saurait réussir à s'en faire une idée, ou il se la ferait bien, bien mes-
quine. »
— Grâce à Victor Hugo, nous avions le Roi s'amuse, dont, grâce àVerdi, les
Italiens se sont emparés en en faisant Rigoletto. Ceux-ci vont avoir, de leur
côté, le Roi s'ennuie, qui eu est comme une sorte de contre-partie. Il s'agit
encore ici d'un roi de France, mais non plus de François ï". C'est Sa Majesté
Louis XV, dit le Bienairaé (!), que les auteurs ont mis en scène, en compa-
gnie de madame de Pompadour. L'œuvre est un opéra, dont le livret a été
écrit par M. Taddeo "Wiel, la musique par M. Antonio de Lorenzi-Fabris, et
qu'on espère voir représenter prochainement, peut-être avec le fameux
baryton Kaschmann comme principal interprète.
— Le théâtre Arena de Vérone a donné, le 14 août, la première représen-
tation d'une comédie lyrique en un acte, la Figlia di Jefte, dont le sujet est
tiré d'une des plus aimables comédies de Felice Cavalotti. Le livret est dû à
M. Giuseppe Pistelli, la musique est due à M. Giuseppe Righetti, ancien élève
du Lycée musical de Pesaro, alors que celui-ci était dirigé par Carlo Pedrotti.
Ce petit ouvrage, dont l'exécution était dirigée par le compositeur en per-
sonne, parait avoir été, favorablement acneilli.
— Si les généraux s'en mêlent... A Padoue, la musique du 62» régiment
d'infanterie a exécuté ces jours derniers une composition intitulée Tnide
(Thaïs), dont l'auteur n'est autre que le général C.-F. Crema. Les journaux
locaux, nous reportant au temps des évocations mythologiques, assurent que
« ce mariage de Mars avec Euterpe s'est trouvé heureusement assorti ».
— De Saint-Pétersbourg : « Il est question de transformer en théâtres
impériaux tous les théâtres municipaux qui reçoivent une subvention de
l'Etat, tels que ceux d'Odessa, Tiflis, etc. Tous ces théâtres seront placés sous
le contrôle de l'intendance générale des Théâtres impériaux, u
— Ce sont des triomphes que M. Colonne a remporté à Saint-Pétersbourg.
Aux trois concerts qu'il vient de donner à Paolosk, il a été littéralement accla-
mé et couvert de Heurs. A ses programmes, qui sont avant tout bien français,
figuraient, de Massenet, les fragments symphoniques à'Hérodiade, inconnus à
Saint-Pétersbourg, et qui tous trois ont été bissés d'enthousiasme, ainsi que
le solo de violoncelle des Erinmjes, très bien joué par M. Jacobs de Bruxelles,
et VOuuerture de Phèdre i de Lalo, l'ouverture du Roi d'Ys; de César Franck,
l'intermède symphonique de Rédemption.
— On a donné le 9 août, au théâtre de l'Eldorado de Madrid, la première
représentation d'une saynète lyrique en un acte et trois tableaux, el Beso de
Judas, dont les auteurs sont M. Prieto pour les paroles et MM. Cereceda et
Arnedo pour la musique. Ce petit ouvrage, interprété par M^^^ Alvarez,
Lopez Martinez et Gonzalez et MM. Moncayo et Pablo Arana, paraît avoir
été bien accueilli.
— Nous avons dit qu'on se préoccupait activement, en Espagne, de faire
revivre l'opéra national. Les choses ont été bon train et un de nos confrères
de Madrid, la Espana artistica, nous apprend que le Théâtre-Lyrique, choisi
pour champ de cette expérience intéressante, inaugurera sa saison dès les
premiers jours de novembre prochain, et que le premier ouvrage mis à la
scène sera Circé, paroles de M. Ramos Carrion, musique de M. Ruperto
Chapi. Viendront ensuite les opéras suivants : Raimundo LuUo, paroles de
M. Dicente, musique de M. Vila; ta Renta de tos gatos, paroles de M. Alvarez
Quintero, musique de M. Serrano; Magdalena, paroles de M. Flores Garcia,
musique de M. Brull; Fariiielli, paroles de M. Cavestany, musique de M.Tho-
mas Breton; la Maja de rumbo, paroles de M. Fernandez Shaw, musique de
M. Serrano; Rodrigo de Vivar, paroles et musique de M. Manrique de Lara;
et enfin un ouvrage de titre encore inconnu, paroles de M. Sinesio Delgado,
musique de M. Saco del Valle. La saison durera trois ou quatre mois, et il
est possible qu'on la termine par la mise à la scène d' « une zarzuela, du
grand genre ».
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, les chefs d'emploi commencent à rentrer de leurs vacances ;
cette semaine, M"= Louise Grandjean et M"" Aïno Ackté ont repris, et nul
ne s'en est plaint, les rôles de leurs répertoires. La semaine prochaine ce
sera le tour de MM. Alvarez et Renaud. Entre temps M"" de Noce a chanté,
pour la première fois, Mathilde de Guillaume Tell et y a été accueilli des plus
sympathiquement. — Dans la journée on est tout au.x études des Barbares de
M. Saint-Saëns et de Siegfried de Wagner; dans les premiers jours de sep-
tembre, M. Gailhard étant de retour, l'ouvrage de M. Saint-Saëns « descen-
dra en scène ».
— M. Albert Carré a quitté Aix-les-Bains pour faire un petit voyage en
Allemagne. Il s'est dirigé sur Wetzlar où il a été prendre, de visu, des ren-
seignements pour la prochaine reprise du Werttier de M. Massenet à l'Opéra-
Comique. Il a pu visiter, là-bas, la maison de Charlotte qui existe encore. —
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LE MENESTREL
Après avoir traversé Paris cette semaine et s'être rencontré, dans son cabinet
directorial, avec son administrateur, M. Gandrey, et son secrétaire, M. Eicou.
M. Albert Carré est reparti pour Houlgate.
L'empereur Guillaume vient de nommer M. Camille Saint-Saéns cheva-
lier de l'ordre » Pour le mérite », à titre étranger et dans la classe des
sciences et beaux-arts. Cette décoration n'est conférée que fort rarement et
M. Saint-Saëns est le premier musicien français qui l'ait jamais obtenue:
depuis la mort de Johannès Brahms aucun musicien allemand ne la possédait.
C'est à Béziers, où il est allé, dès le commencement de cette semaine,
surveiller les dernières répétitions du spectacle qui aura lieu les 2S et 27 août,
que M. Saint-Saéns a dû apprendre la gracieuseté de l'empereur d'Allemagne.
Les journaux allemands annoncent déjà que le maître français fera le voyage
de Berlin tout exprés pour aller remercier Guillaume II.
— C'est 1res prochainement que le Grand-Palais des Champs-Elysées,
prêté par le ministre de l'instruction publique, va ouvrir ses portes pour les
grands concerts populaires que doit y donner M. Louis Pister.
— Suite des devises de nos artistes de chaut :
Louise Grandjean : Aimons-nous, Aidons-nous!
Jane Marignan : Tout ou rien.
Henri Albers : Mettre la vie dans l'art et l'art dans la vie.
— On annonce le mariage prochain de M. Louis Ganne, le charmant com-
positeur de nombre de morceaux populaires, avec M"' Jeanne Massador, de
Sétif.
M°"= Bolska de retour de Bayreuth vient de traverser Paris pour aller se
reposer en Bretagne, après une longue et brillante saison d'hiver à l'Opéra
impérial de Saint-Pétersbourg, suivie de non moins brillantes représentations
à Tiflis, Baku, Kharkow, Kieff, etc. Au commencement de novembre,
M""= Bolska fera sa rentrée à l'Opéra impérial pour y chanter entre autres
ouvrages Esdarmonde, Roméo et Juliette, te Freyschûtz et les Noces de Figaro, ces
deux derniers ouvrages n'ayant pas été joués depuis vingt ans.
Dimanche dernier, dans la petite ville de Condé-sur-l'Escaut, située à
une douzaine de kilomètres de 'Vaienciennes. avait lieu une cérémonie inté-
ressante : l'inauguration d'un joli monument élevé à la gloire et à la mé-
moire d'une des plus grandes tragédiennes françaises. Hippolyte Clairon,
que certains de ses contemporains surnommèrent Frétillon, on ne saurait
trop dire pourquoi, et qui s'appelait réellement Claire-Josèphe-Hippolyle
Lervs. La Clairon, dont Edmond de Goncourt, dans son style d'une précision
sèche et sans enthousiasmé, a retracé la vie et la carrière, dont Marmontel,
dont elle fut la maîtresse, a rappelé -avec complaisaace, dans ses Mémoires, les
souvenirs de sa liaison avec elle, fut, on le sait, l'une des gloires les plus
éclatantes de la scène française et l'interprète admirable et préférée de
Voltaire. Elle méritait bien l'hommage qui vient de lui être rendu par sa
petite ville natale, peu de temps après que, dans le Nord aussi, à Saint-
Saulve, un hommage du même genre allait trouver une autre grande tragé-
dienne, Mi'= Duchesnois. La cérémonie a eu lieu avec une véritable solen-
nité, accompagnée de discours, de pièces de vers de Voltaire à Clairon, dites
par W"' Dudlay et Moreno et M. Leitner, d'une Ode à Clairon de M. Clodomir
Rûuzé, eniin de l'exécution, par l'orphéon Clairon et la société philharmo-
nique, d'une Cantate à Clairon mise en musique par M. Abel Estyle sur Jes
vers du même poète. Le monument, dû à la collaboration du statuaire Gau-
quié et de l'architecte H. Guillaume, se compose d'une gaine souple et
coquette ; sur un large cartouche Louis XV se lit cette inscription : «A Clairon,
1723-1803. » De chaque côté de ce cartouche, des amours joufilus tendent à
l'actrice des couronnes et des guirlandes de fleurs ; sur le socle est accroché
le masque tragique. Enfin, au sommet est placé le buste de la tragédienne,
dans une altitude d'orgueilleuse élégance. L'ensemble, très harmonieux, est
du plus pur dix-huitième siècle et digne de l'admirable artiste dont le monu-
ment consacre la mémoire.
De Chàtel-Guyon : Très beau Feslival-Massenet, très bien dirigé par
M. Domergue de la Chaussée. On applaudit et on bisse toute la soirée. Au
programme : Marche de Szabadi, Angélus et Fête Bohème des Scènes pittoresques,
Entr'acte-Sévillana de Don César de Bazan, Méditation de Thaïs jouée par le
violoniste M. Torfo, ballet du Cid, Ouverture de Phèdre. « Pleurez mes yeux »
du Cid, fort bien chanté par M""' Domergue de la Chaussée, et une suite
symphonique sur Werther arrangée par l'excellent chef d'orchestre.
— De Royat : On vient de jouer au Casino une comédie-opérette inédite,
en un acte, de M. Amédée Marandet, musique de M. F. de Ménil, qui a été
fort bien accueillie.
De Bayonne ; Le grand succès de laKavurraiseeiie Carmen, jouées aux
Arènes, a décidé le Comité à donner, le 8 septembre prochain, une nouvelle
représentation qui sera, cette fois, composée d'Aida.
De Luc-sur-Mer : De passage ici. M"' Fanny Créhange a donné trois
concerts qui ont attiré beaucoup de monde et lui ont valu grand succès. La
charmante cantatrice s'est fait applaudir dans l'air à'Hérodiade, l'air du Cid
et l'air de Manon, de Massenet.
NECROLOGIE
C'est avec un vif sentiment de regret que j'enregistre la mort de mon
vieux camarade Edmond Audran, aux débuts duquel je me trouvai un peu
mêlé lorsqu'il vint, pour la première fois, essayer de se produire à Paris,
dans un genre bien différent de celui auquel il dut plus tard sa réputation. Il
habitait alors Marseille avec son père, qui avait tenu avec une sorte d'éclat
l'emploi des seconds ténors à l'Opéra-Gomique. où, entre autres, il obtint un
vrai succès en créant le rùle d'Andréa dans Haijdée. Je me trouvais alors en
correspondance avec lui, et il m'écrivit pour me recommander son fils et me
prier de lui être utile, celui-ci venant à Paris pour faire exécuter une messe
de sa composition. La messe fut en effet exécutée à Saiut-Eustache, et bien
accueillie, après quoi Audran retourna à Marseille, où il avait déjà donné
deux petits ouvrages en un acte, entre autres, la Chercheuse d'esprit, de Favart,
arrangée en opérette.
Son père était lié avec Chivot et Duru, qui, sur sa demande, confièrent à
Edmond le livret d'une opérette en trois actes, le Grand Mogol, qui, repré-
sentée à Marseille, y obtint un succès retentissant. Cantin, alors directeur
des Bouflés-Parisiens, eut connaissance de ce succès et ouvrit les portes de
son théâtre au jeune musicien. Celui-ci, avec le concours de ses deux col-
laborateurs, lui apporta les Noces d'Olivette, que le public reçut avec beaucoup
de faveur, et que suivit de près la Mascotte, dont on sait le triomphe légen-
daire ; pendant trois années consécutives la Mascotte ne quitta pas l'affiche
des Bouffes, tout en faisant son tour de France. A partir de ce moment le
compositeur était classé. Il ne s'arrêta plus ; peut-être pas assez, car il arriva
parfois que la rapidité du travail ne lui laissait pas assez de solidité. Audran
devint envahisseur et se fit jouer de tous côtés : aux Boufi'es, aux Folies-
Dramatiques, à la Renaissance, aux Nouveautés, à la Gaité, et jusqu'aux
Menus-Plaisirs et au petit théâtre installé un instant à feu l'Alcazar du Fau-
bourg Poissonnière. On connaît les titres de ses pièces : Gillette de Narbonne,
Pervenche, la Dormeuse éveillée, la Cigale et la Fourmi, les Pommes d'or, le Puits
qui parle, la Fiancée des Verts-Poteaux, la Fille à Cacolet, Serment d'amour.
Miette, l'Oncle Célestin, Article de Paris, Miss Helyctt, dont le succès égala celui
de [à Mascotte, qu'elle était poui'tant loin de valoir, puis Sainle-Freya, Madame
Suzette. Mon Prince, la Duchesse de Ferrare, Pholis, Monsieur Lohengrin, l'Enlève-
ment de la Toledad, sans compter ce que j'oublie. Dans tous ces ouvrages on
rencontre une mélodie aimable et facile, à laquelle on souhaiterait parfois
un peu plus de nouveauté, la chaleur, l'entrain, la verve unie à la grâce, et
un bon sentiment de l'orchestre.
Edmond Audran était né à Lyon le 11 avril 1842 et était, par conséquent,
dans sa soixantième année. Il avait fait ses études à l'Ecole de musique
religieuse fondée et dirigée par Niedermeyer, et il y avait obtenu le prix de
composition. Son éducation était donc sérieuse et solide, et il prouva dans
la suite qu'il connaissait son métier. Il fit partie de ce gentil petit groupe de
compositeurs qui, succédant à Hervé et à Offenbach, maintinrent l'opérette
dans les bonnes traditions du genre, en respectant l'art qu'ils pratiquaient
et qui est une des formes actuelles, quoique secondaire, de la musique fran-
çaise. Son nom s'inscrit à côté de ceux de MM. Charles Lecocq, Louis
Varney, Gaston Serpette, P. Lacôme, etc., que le public a appris à estimer
et à aimer. Il est mort dans la nuit du 16-17 août à Tierceville (Seine-et-Oise),
près de Gisors, où il avait l'habitude de passer tous les étés. On sait que la
Gaité prépare, pour sa prochaine réouverture, une dernière pièce de lui, te
Curé Vincent, sur laquelle elle compte beaucoup. Ce sera, hélas ! une œuvre
posthume. Arthur Pougin.
— M. Louis Marsick, violoniste, professeur de musique à l'Académie de
Hasselt, vient de mourir à Liège à l'âge de S8 ans. Comme son frère, le célèbre
virtuose Martin Marsick, Louis Marsick était un musicien solide, digne repré-
sentant de la célèbre école de violon de Liège. Professeur dans les écoles de
la Ville, il faisait aussi partie de l'orchestre du Théâtre Royal depuis 1834 et
composa quelques cantates qui ne passèrent pas inaperçues.
— A Charlottenbourg, près Berlin, vient de mourir, à l'âge de bB ans, le
compositeur Richard Kleinmichel.. Né à Posen le 31 décembre 1846, il fut
d'abord élève de son père, chef de musique militaire, et ensuite du Conser-
vatoire de Leipzig. En 1876, Kleinmichel fut engagé comme chef d'orchestre
du théâtre municipal de Hambourg; il quitta cette place en 1801 pour se
consacrer exclusivement à la composition musicale. Il laisse des opéras :
Manon, le Fifre de Dusenbach et le Château de Lorme, plusieurs symphonies et
morceaux pour piano et un certain nombre d'éditions d'anciens opéras pour
piano. En 1900 il fut placé à la tète du journal de musique Siyimle, de
Leipzig, en remplacement de son défunt fondateur M. Bartholf Senff.
Henri Heugel, directeur-gérant.
CHANTRES bons appointements demandés cathédrale Lisieux. — S'y
adresser.
Vient de paraître chez E. Fasquelle, les Vingt-et-un jours d'un Neurasthénique, par
Octave Mirbeau (Bibliothèque Charpentier, 3 fr. 50 o.).
3675. — 67"^ A^^ÉE — 1\° 3S. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Diraauelie i" Septembre 1901,
(Les Bureaux, B""", rue Ymeime, Paris, tt-m>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pus rendus aux auteurs.)
MÉNESTREE
lie JlaméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lieJlamêFo: Ofr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Te.\te et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en BUS.
SOMMAIEE-TEXTE
K L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (27^ article), P.\ul d'Estrées. —
II. Courte monographie de la Sonate {1"^ article), Arthur Pougin. — IIL Notes d'ethno-
graphie musicale : la Musique dans l'Inde (^^ article), Julien Tiersot. — IV. Le Tour
de France en musique : Guignol, Edmond Neuromm. — V. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LA FÊTE DES VIGNERONS
de Paul'Wachs. — Suivra immédiatement : Valse en sourdine, de A. PÉaiLHOu.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
A une Étoile, nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de Alfred de Mus-
set. — Suivra immédiatement : Cloches d'automne, nouvelle mélodie de Noël
Des.ioyeaux, poésie de Paul Mariéton.
L'ART MUSICAL ET SES LNTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les plus récents et des documenls inédits
(Suite.)
VI (suite)
Nous retrouverons un autre exemple de cette délicatesse toute
germanique dans le croquis tracé, l'année suivante, par Metter-
nich, de son séjour à Garlsbad. Le premier ministre autrichien
'y revoit M"" Catalan! ; et le médecin de l'établissement, le
D' Staudenheim, ordonne à la chanteuse de prendre les eaux
trente jours de suite : « c'est un sujet classique pour Garlsbad ».
En ce temps-là, les baigneurs ne comptaient que sur leur
initiative pour se procurer les distractions musicales destinées à
leur rendre moins monotone le séjour des stations balnéaires :
« Pour le concert d'après-demain, dit Jletlefoitb, l'orchestre sera composé de la
manière suivante :
» Chef d'orclteslre, un ancien maître de chapelle qui, depuis trois ans, n'est
pas encore parvenu à guérir sa maladie de foie ;
» Clavecin, le prince de Biron qui ment toujours, excepté quand il dit qu'il
joue bien de cet instrument;
» Premier violon, un colonel saxon;
» Second violon, un capitaine prussien;
» Violoncelle, le général prussien comte de Hacke.
» Nous sommes encore à la recherche des autres instruments; les joueurs
de trompette sont seuls arrêtés, ce sont les gardiens de la grande cour qui
annoncent l'arrivée des étrangers à son de trompe... »
Un autre jour, la matinée musicale se donne chez Metternich
lui-même; et ce sera encore un Français que ridiculisera le
prince en lui attribuant une de ces gaffes qui donnent la mesure
d'un homme et la capacité de son intelligence.
<i A la première représentation du concert qui a eu lieu chez moi, arrive
Goethe. Se le présente à M""" Calalani et lui dis que c'est un homme dont
l'Allemagne s'honore. 'Valabrègue demande :
— » Qui est Goethe ?
» Je lui dis qu'il est l'auteur de Werther. Le malheureux ne l'a pas oublié.
Ne voilà-t-il pas qu'il va à lui quelques jours après et lui dit:
— » Mon cher Goethe, combien il est dommage que vous ne puissiez voir
jouer Potier (l'acteur comique) dans le rôle de Werther : cela vous eut fait
pouffer de rire. »
Assurément, le baron de Bonnefoux, ancien capitaine de vais-
seau, ne compte pas à côté du prince de Metternich, le glorieux
diplomate : mais comme son éloge (1) del'illustre cantatrice, qu'il
s'obstine à nommer, je ne sais trop pourquoi M'"" Calalini, est de
bon goût à côté de l'excessif dithyrambe, si platement'terminé,
de l'homme d'Etat autrichien !
Bonnefoux était alors prisonnier en Angleterre, à Birmingham
(1808). Il avait certaines connaissances musicales, puisqu'il
jouait agréablement de la flûte ; et son goût, non moins que son
talent, s'accrut encore d'une audition qu'il ne devait jamais ou-
blier.
Cl La célèbre cantatrice de l'époque, M""^ Catalini, qui réunissait les moyens
de M""' Casimir au goût exquis de M^^ Damoreau, était alors dans cette ville
et nous allâmes l'entendre. Pour la première fois, mon âme fut enthousiasmée
par l'impression profonde que produit souvent le chant italien; et jusqu'à
présent ce plaisir éprouvé en entendant les magnifiques voix de ce pays de
l'harmonie musicale n'a fait que s'accroître en moi. »
M. de Puymaigre (2) ne connut M'"' Catalan! qu'à la fin de sa
carrière, alors qu'elle s'était retirée à Florence, après son
désastre des Italiens. Elle occupait, avec son fils et sa fille, une
fort jolie villa aux environs de la ville. Quoique Valabrègue,
joueur malheureux autant qu'incorrigible, lui eût dévoré une
partie de sa fortune, la Catalan i avait encore quatre-vingt mille
francs de rente. Elle était restée l'artiste nerveuse, impression-
nable, passionnée, inégale, que l'Europe avait tant applaudie, et
la femme flère de ses avantages physiques dont le monde entier
avait célébré l'éclatante beauté. C'était tout au plus si elle
avouait cinquante ans; et ses yeux ne pouvaient retenir ses
larmes, quand elle rappelait l'enthousiasme — cette folie de Met-
ternich — excité par le charme de sa voix et les audaces de ses
vocalises.
La Catalani était admise aux bals du grand duc de Toscane.
La princesse Colloredo, l'y voyant un soir, demande au comte
de Puymaigre qu'il la lui présentât. Celui-ci s'empresse d'aller
(1) Mémoires du baron de Bonnefou>^ publics par E. Jobbé-Duval ; Pion, 1900.
(2) Comte Alexandre de Puïmaigre. — Souvenirs sur l'Émigration, l'Empire et 'la
Restauratifin publiL-s par sou fils; Pion, 1884.
274
LE MÉNESTREL
trouver la cantatrice et de lui exprimer le désir de la grande
dame.
— Ah! diavolo, non andro (Ah! diable, je n'irai pas), répond
vivement la Catalani, en lui désignant du regard le siège de la
princesse.
Puymaigne comprit à demi-mot. M°" de GoUoredo était assise
sur le sopha que l'étiquette archiducale réservait aux princesses
sans quïl îùt permis aux profanes de s'en approcher.
L'obligeant intermédiaire avise aussitôt la grande dame du
scrupule qui paralyse le bon vouloir de l'artiste.
— Qu'à cela ne tienne, réplique gaiment la princesse, en se
levant, liais elle n'a pas fait le premier pas que M°" Catalani
<! se précipite à sa rencontre ».
Valabrègue, le prince-époux de cette reine du chant, l'exploita
toute sa vie, comme une mine féconde, où il trouvait de quoi
satisfaire sa ruineuse passion. Aussi, pendant qu'il en réglait le
rendement par un industrialisme anti-artistique, avait-il soin de
diminuer par des manœuvres mesquines la valeur de concur-
rents qui pouvaient lui porter un sérieux préjudice. Ce procédé
fut assurément une des causes déterminantes du départ pour
l'Italie de M°"= Mainvielle-Fodor qui, après avoir succédé à
M°" Barilli, comme prima-donna, sur la scène de l'Odéon, était
passée au Théâtre Favart. Mais avant, à la suite sans doute d'un
refus de service, l'ancien premier sujet du Théâtre de la Cour de
Russie avait dû subir une peine disciplinaire, empruntée aux
traditions du siècle précédent. Nous avons sous les yeux une
lettre, où Valabrègue, sur le ton badin de la rancune amplement
satisfaite, apprend à M. de la Ferté, intendant des Menus-Plai-
sirs, l'ordre du comte de Pradel, directeur général du ministère
de la Maison du Roi, transmis par M. Gourtin à M"' Mainvielle-
Fodor, de venir subir la peine des arrêts à l'Abbaye :
27 Décembre 1895.
... « Gette invitation ayant occasionné à M"' Fodor quelques
convulsions, elle a demandé qu'il fût sursis à l'exécution de
l'ordre jusqu'à ce matin. M. Gourtin n'a pas cru devoir y obtem-
pérer; et, prenant ces convulsions pour un refus d'obéir, il a
réclamé,, en vertu de l'ordre dont il était porteur, l'assistance
de la police; et, au moment où il l'avait obtenue, M"" Main vielle
avait totalement recouvré l'usage de ses sens; elle a été con-
duite en conséquence à sa destination vers 6 heures du soir. »
Cette cantatrice, qui eut aussi son heure de gloire, avait bril-
lamment débuté à Pétersbourg; mais elle avait dû quitter la ville,
pendant l'expédition de Russie, quand Alexandre avait licencié
ses troupes d'artistes français. M"' Mainvielle-Fodor voyagea en
Europe ; et le général Thiébault la connut au siège de Hambourg
en mars 1814. Les opérations militaires n'avaient pas interrompu
les représentations théâtrales: bien mieux, celles-ci étaient
suivies très assidûment par les officiers; car non seulement
M°" Mainvielle, le premier sujet, était excellente, mais encore la
troupe tout entière était parfaite : « l'Opéra, dit Thiébault, fut
le seul qui gagna à notre blocus ». La jeune cantatrice y fit éga-
lement fortune, et dut, parait-il, à son succès obsidional,de débu-
ter à Paris. Qui sait même si le fait seul d'avoir chanté pour les
soldats du grand capitaine ne fut point, par la suite, une des
causes des nombreux conflits qui s'élevèrent entre la Catalani et
M°"= Mainvielle? En tout cas, le départ de celle-ci fut considéré
par certains amateurs comme une calamité publique. Ainsi,
Delacroix dans son Journal, à la date du 30 août 1822, s'écriait :
« Qui fera le rôle de la comtesse dans les Nozze di Figaro, main-
tenant que M"" Mainvielle n'y est plus? »
Le souvenir de M"" Barilli, dont elle avait hérité les rôles et
le succès, avait inspiré à Napoléon un des mots les plus atroces
qu'il eût jamais prononcés. C'était aux Tuileries dans le mois qui
suivit son retour de Russie: il parlait des misères subies pen-
dant cette désastreuse retraite. Un des courtisans crut se mettre
à l'unisson du maître, en disant d'une voix dolente :
— Nous avons fait une bien grande perte.
— Oui, répliqua Napoléon, M"" Barilli est morte.
Sarcasme abominable, que l'initiateur de cette campagne, où
s'était fondue en (juelque sorte la plus belle armée de la France,
devait être le dernier à se permettre I
Les réminiscences artistiques de Louis XVIII évoquaient de
moins lugubres spectacles. Le trop succinct journal de Mahul (1)
publié par M. Pélissier, en cite une qui semble détonner dans la
bouche d'un impotent tel qu'on se représente d'ordinaire le
frère de Louis XVI.
La ravissante Saint-Aubin avait sollicité et obtenu une audience
du Roi, pour le remercier de l'appoint... sérieux — une pension
— qu'il avait apporté à la représentation donnée au bénéfice de
l'artiste. Dès que celle-ci fut entrée dans le cabinet du mo-
narque :
— Ne vous gênez pas! lui dit Louis XVIII, sans lever les yeux.
M""' Saint-Aubin, déjà fort embarrassée pour tourner son com-
pliment, demeura interdite. Le roi recommença, mais en la
regardant de son œil narquois :
— Ne vous gênez pas !
Pour le coup, l'actrice perdit la tête. Mais le prince l'eût bien
vite rassurée, en lui racontant une anecdote vieille au moins de
trente années. Un soir, à la sortie d'un spectacle, quelqu'un avait
pris M"" Saint-Aubin par la taille, dans l'obscurité, et elle de
riposter vivement :
— Allons ne vous gênez pas !
A l'intonation du conteur, Saint-Aubin devina le nom du cou-
pable.
Celui qui écrit ces lignes a connu, tout enfant. M"" Saint-
Aubin, demeurant alors près de la place Royale ; c'était une
petite vieille, aux joues ridées comme une pomme de reinette,
toute rondelette, mais encore très vive et très alerte, malgré ses
80 ans, et très gaie en dépit d'une surdité à peu près complète.
Des relations familiales me conduisaient souvent chez elle; et là,
je me rappelle fort bien l'avoir entendue chanter et dire des
romances du siècle précédent, avec cette finesse de nuances et
de sous-entendus, que, depuis, nos contemporains ont si chaleu-
reusement applaudie chez M"" Judic.
M"' Saint-Aubin était un recueil vivant d'anecdotes ; et
comme elle aimait fort à causer, elle ouvrait complaisamment
son trésor d'historiettes pour les « bons voisins » que n'elîrayait
pas la solitude d'un « vieux pot fêlé ». C'est ainsi qu'elle se
nommait, de même qu'elle désignait sous l'appellation, plus
aimable, de « bons voisins » mes parents qui, en effet, la fré-
quentaient volontiers. Elle se répétait bien par-ci par-là ; mais,
en général, ses souvenirs étaient assez précis et presque toujours
exacts. Ainsi elle avait conservé de ses relations avec la Gui-
mard l'habitude d'inviter à dîner deux fois par an le chorégraphe
Despréaux , quand il devint veuf de la danseuse. Celui-ci lui
conta la première leçon qu'il donna à l'impératrice Marie-Louise.
Napoléon avait voulu y assister. Le préfet du palais n'ayant pas
convoqué de violoniste à cette séance. Despréaux, qui s'était
muni à tout hasard de sa pochette, se mit à en jouer. Et voilà
l'Empereur qui prend la mesure et » saute comme un cabri ».
Mes parents, qui tenaient l'anecdote de M""^ Saint-Aubin, en rap-
pelaient souvent l'expression pittoresque caractérisant la danse
de Napoléon, grand amateur, comme chacun de la Fricassée et
des Tricotets. Or, l'historiette est racontée tout au long dans les
Souvenirs de Despréaux.
Par contre. M'"" Saint-Aubin se défendait très fort d'avoir été
jamais l'objet de ces augustes distinctions, qui donnaient jadis
tant d'orgueil à la Cartou et qui, de nos jours, valut à une
actrice très en vue le surnom de Passage des Princes.
La confidence, terminée par une Lapalissade, que le général
Gourgaud (2) tenait de Napoléon en route pour Sainte-Hélène,
justifie la sincérité de M'"" Saint-Aubin déclinant l'honneur
d'avoir fixé, ne fût-ce que pour un moment, le cœur d'un grand
homme :
Sa Majesté me raconte, que de toutes les actrices de Paris, elle n'a voulu
avoir que M"" Georges, que tout ce qu'on a raconté de la petite Saint-Aubin
(1) Mahiu,. — Souvenirs d'un collénii'ii, publiés par Pélissier ; Montpellier, 1895.
(2) Journal inédit du général baron Gourgaud avec préface et notice du vicomte de
Grouchy et Antoine Guillois; Flammarion, 1899.
LE MÉNESTREL
2T6
est faux, que les femmes les plus jolies sont celles qui sont les plus difficiles
d avoir.
Ne laissons pas s'éloigner la figure originale de Despréaux sans
noter le souvenir que lui a consacré M"" de Rémusat (1). Cette
dame qui avait vu le mari de laGuimard aux Tuileries pendant
les beaux jours de l'Empire, le retrouva en 1818 loin de la cour,
très vieilli et « radotant toutes les jolies choses qu'il disait
autrefois ». 11 avait imaginé un jeu de fantoches, que les salons
parisiens remirent en honneur, il y a quelques années, comme
une nouveauté sans précédent. Sur un théâtricule, avec sa toile à
demi baissée , Despréaux faisait manœuvrer des marionnettes,
dont les jambes évidées étaient occupées par ses doigts, et dont
chaque tête représentait un danseur ou une danseuse à la
mode.
.\cteurs de bois aussi peu redoutables pour le repos des femmes
et des maris que l'était la fameuse Léoni, cette cantatrice en chair
et en os dont parlent les Mémoires du. général Bigaré (2).
Ce vaillant guerrier, qui fut cependant malheureux sur tous
les champs de bataille, était allé à Vérone pour voir et pour en-
tendre cette Léoni, célèbre en Italie par le charme et l'étendue
de sa voix. Bigaré en fut tellement enthousiasmé qu'il l'invita,
le soir même, à souper. Les soldats de la République et de l'Em-
pire emportaient toujours d'assaut les places les mieux défen-
dues. Celle-ci ne voulant pas capituler au dessert, Bigaré brusqua
la manœuvre : mais horreur ! cette incomparable artiste — ici
nous laissons la parole au général — « était... à peu près du
même sexe que le mien ».
(A suivre.) Paul d'Estrées.
COURTE MONOGRAPHIE DE LA SONATE
On peut dire de la sonate qu'elle est une des plus belles, des plus
nobles et des plus pures manifestations du génie musical, et on le peut
aujourd'hui sans attirer le saiVasme après soi. Le temps n'est plus où
un homme d'esprit, comme Fontenelle, pouvait faire la fortune d'une
boutade absurde et s'écrier, sans danger pour sa renommée : Sonate, que
me venx-tu? Fétis, il y a soixante ans, pouvait s'écrier à son tour, avec
un chagrin plus réel et surtout plus artistique : Sonate, où es-tu? C'est
qu'à cette époque en effet, où la musiquette envahissait tout, et où les
formes sévères et régulières de l'art semblaient complètement délaissées
pour taire place à des productions misérables dans lesquelles le savoir-
faire remplaçait le savoir, et où la rouerie du métier suppléait au génie
absent, les modèles de l'art paraissaient abandonnées au profit de
niaiseries sans valeur et sans saveur, que le moindre musicastre rou-
girait aujourd'hui de signer de son nom. Il n'en est plus ainsi, grâce
au ciel ; une réaction salutaire s'est opérée, et depuis longtemps déjà
l'esprit public, en France, revient aux saines doctrines musicales et se
reprend aux œuvres véritablement artistiques.
La sonate, on le sait, est une pièce de musique écrite pour un ou deux
instruments (quelquefois trois, comme Haydn nous l'a montré dans
une série d'œuvres charmantes), et divisée le plus généralement en trois
ou quatre morceaux. La division en quatre parties est aujourd'hui la
plus usitée, et la sonate comprend alors : 1° un allegro brillant; 2° un
adagio ou un andante con variazioni; 3° un minuetto suivi d'un trio;
4° un finale en mouvement rapide, parfois en forme de rondo. Il va sans
dire que cette division est loin d'être stricte, et qu'elle comporte de
nombreuses modifications. Beethoven surtout, avec son génie indépen-
dant et audacieux, l'a souvent bouleversée d'une singulière façon.
Le genre de la sonate est noble, poétique, fier, élevé, parfois tendre,
touchant et ému, souvent fougueux, pathétique et passionné. Aussi
a-t-il tenté presque tous les grands compositeurs, depuis Scarlatti,
Haendel et le vieux Jean-Sébastien Bach, en passant par Haydn,
Mozart et Beethoven, qui l'ont portée à son plus haut degré de splen-
deur, jusqu'à Weber, Schubert, Mendelssohn, Hummel, Chopin, Schu-
mann et Rubinstein. La sonate se rapproche du concerto tel qu'on
l'écrit de nos jours, en ce sens qu'elle est conçue de façon à faire briller
le talent d'un ou de deux exécutants; mais eUe en diffère en ce sens
qu'elle ne supporte point d'accompagnement et se passe du secours de
l'orchestre. Elle tient surtout de la symphonie au point de vue de la
(1) M"° DE RÉMUSAT. — Mémoires; Calmann-Lévy, 1819-1880.
(2) Le Général Bigabé. — Mémoires; Kolb, 1893.
structure générale et de la forme des morceaux, aussi bien que du
caractère de ceux-ci et de leur développement normal, sévère et logique.
Boileau a dit dans son Art poétique :
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.
On pourrait dire, avec moins d'exagération, qu'une bonne sonate vaut
mieux que bien des opéras qui pourtant ne sont pas sans valeur. Ce
qui est vrai surtout, c'est que bien des auteurs d'opéras médiocres
seraient incapables d'écrire correctement un bon morceau de sonate.
Cependant, si l'on ne renouvelle pas aujourd'hui les exploits merveilleux
de ces maîtres immortels qui s'appelaient Haydn, Mozart, Beethoven,
il ne s'en trouve pas moins quelques musiciens sérieux et instruits qui
ont donné, dans ce genre de composition, des preuves d'un talent véri-
table et d'une heureuse inspiration.
Il serait sans doute fort difficile de dire maintenant à quel artiste,
célèbre ou obscur, on doit ce genre de composition; on peut affirmer
qu'il est déjà ancien, c'est-à-dire qu'il remonte à plus de deux siècles;
mais il a subi évidemment, depuis cette époque, des modifications et
des transformations nombreuses, et la sonate, telle que nous la com-
prenons actuellement, sévère dans son style quoique libre dans sa
coupe, ne ressemble assurément pas à ce qu'elle était il y a deux cents
ans. A cette époque d'ailleurs, où elle était presque uniquement culti-
vée par les Italiens (Paganelli, Paradies, Scarlatti, Galuppi...), elle
était beaucoup plus fantaisiste que de nos jours. On en trouve la preuve
dans Brossard, auteur du premier Dictionnaire de musique français, qui
en parlait ainsi dans son livre, publié pour la première fois en 1703 :
Les sonates sont proprement de grandes pièces, fantaisies ou préludes, etc.,
variées de toutes sortes de mouvemens et d'expressions, d'accords recherchez
ou extraordinaires, de fugues simples ou doubles, etc., et tout cela purement
selon la fantaisie du compositeur, qui sans être assujetti qu'aux règles géné-
rales du contrepoint, ny à aucun nombre fixe ou espèce parliculière de
mesure, donne l'essort au feu de son génie, change de mesure et de mode
quand il le juge à propos, etc. On en trouve à 1, 2, 3, i, 5, 6, 7 ou S parties,
mais ordinairement elles sont à violon seul ou à deux violons différens avec une
basse continue pour le clavessin, et souvent une basse plus figurée pour la
vioUe de gambe (instrument qui précéda le violoncelle), le fagot (basson), etc.
Il y en a pour ainsi dire d'une infinité de manières, mais les Italiens les
réduisent ordinairement sous deux genres.
Faut-il inférer, do ce que dit ici Brossard, que les premières sonates
seraient dues à des violonistes ? Cela n'aurait rien d'impossible si
l'on se rappelle que Corelii naquit en 16S3 et que le premier recueil de
sonates de cet admirable virtuose (XII suonate a tre, due violini e violon-
cello, col basso per l'organo) parut à Rome en 1683, l'année même de la
naissance de Domenico Scarlatti et deux ans avant celle de Jean-Sébas-
tien Bach. Il y a mieux. Un grand violoniste italien, Antonio Veracini,
né à Florence dans la première moitié du dix-septième siècle, publiait
en cette ville, dès 1662, un recueil de sonates ainsi intitulé : Sonate a
Ire, due violini e violone o arciliuto, col basso continua per l'organo. L'admi-
rable forme musicale qui est la gloire et le triomphe du piano moderne,
pour lequel elle a inspiré tant de chefs-d'œuvre, aurait donc été ima-
ginée pour un autre instrument ? Il me semble que nul jusqu'ici ne
s'était avisé de cette réflexion.
Mais continuons de laisser parler Brossard, qui nous a dit que les
Italiens traitaient surtout la sonate « sous deux genres » :
Le premier comprend les sonates da chiesa, c'est-à-dire propres pour l'église,
qui commencent ordinairement par un mouvement grave et majestueux, pro-
portionné à la dignité et sainteté du lieu ; ensuite duquel on prend quelque
fugue gaye et animée, etc. Ce sont là proprement ce qu'on appelle sonates.
Le second genre comprend les sonates qu'ils appellent da caméra, c'est-à-
dire propres pour la chambre. Ce sont proprement des suites de plusieurs
petites pièces propres à faire danser, et composées sur le même mode ou ton.
Ces sortes de sonates commencent ordinairement par un prélude ou petite
sonate qui sert comme de préparation à toutes les autres ; après viennent
l'Allemande, la Pavane, la Courante et autres danses ou airs sérieux, ensuite
viennent les (jigues, les Passacailles, les Gavottes, les Menuets, les Chacones et
autres airs gays ; et tout cela, composé sur le même ton ou mode, et joiié de
suite, compose une sonate da caméra.
Ce que dit ici Brossard s'applique précisément, et de la façon la plus
exacte, aux sonates de Corelii, ainsi qu'à celles d'un autre illustre vio-
loniste, Tartini, son compatriote et son contemporain. Mais j'aurai à
parler plus loin de la sonate de violon.
En ce qui concerne le piano, ou, pour parler plus exactement, le
clavecin, c'est à un compositeur allemand, Johann KUhnau, qu'on
attribue les premières sonates, car son premier recueil de ce genre fut
publié par lui une vingtaine d'annres avant celles de Scarlatti. Ce recueil,
daté de 1696, avait pour titre : Die Clavier-Friichten aus 7 Sonaten (les
Fruits du clavecin en 7 sonates). Kuhnau, qui était né en 1667 et
27(i
l,i: MKNKSTISKL
mourut en 1722, fut un dos prédécesseurs de Jean-Sébastien Bach
comme cwito)- à la Thomasschule de Leipzig. Lettré instruit en même
temps que musicien habile il donna, en 1700, un second recueil de
sonates sous ce titre assez singulier: Explication musicale de quelques
histoires de la Bible en 6 sonates pour le clavecin. Fétis apprécie ainsi les
sonates de Kiihnau: — « Les pièces de KUhnau, dit-il, particulièrement
les sonates, sont d'un beau style, où se fait reconnaître la tradition de
la grande école des organistes allemands du dix-septième siècle. Le
caractère en est plus religieux que passionné. Il n'y faut chercher ni les
formes, ni le caractère de la sonate moderne, dont le modèle primitif
n'existe que dans les œuvres de Charles-Philippe-Emmauael Bach. Les
sonates de Kiihnau sont l'ancienne pièce sérieuse qu'on opposait autre-
fois à ce qu'on appelait tes- suites, c'est-à-dire les recueils de morceaux
courts composés dans les mouvements des divers caractères do danses ».
Peut-être l'éloge de Fétis est-il un peu excessif. Quelques-uns n'attri-
buent aux sonates de Kiihnau qu'une importance purement historique,
en ce sens qu'elles sont simplement une première tentative pour doter
le clavecin d'une forme d'art plus noble, plus indépendante et plus per-
sonnelle, cet instrument ne servant jusqu'alors que comme accompa-
gnateur, à l'aide de la basse chiffrée, dans la rousique d'ensemble. Il est
vrai qu'à ce seul titre, Kuhnau aurait bien mérité du clavecin.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
LA MUSIQUE DANS L'INDE
(Suite.)
Comme musique instrumentale, les Hindous que nous avons enten-
dus ne connaissent rien que les instruments à percussion : tambours de
diverses sortes, parfois des clochettes, rythmant les temps principaux du
chant. Le théâtre hindou possédait, il est vrai, un joueur d'une espèce
de hautbois criard, qui marchait en tète de la troupe dans les cortèges.
J'ai noté d'après lui le thème suivant :
Il est patent que cette mélopée n'est pas hindoue, mais arabe, et nous
savons qu'en effet les Arabes ont exercé une grande influence sur la
pratique de la musique dans l'Inde, aussi bien que sur la plupart des
éléments de la civilisation de ce grand pays.
Voici pourtant un autre dessin instrumental dont l'apparence exté-
rieure ne semble pas fort différente de celle du précédent. Je l'ai oui
exécuter par un charmeur de serpents sur le (uftrz, instrument populaire
(sorte de musette) dont se servent ces sortes d'opérateurs.
Mais notons que, sous la multiplicité des notes, nous distinguons
l'échelle incomplète des cinq sons («i et ?m faisant défaut dans la gamme
dans laquelle est formée la mélopée ci-dessus), tandis que le précédent
dessin faisait appel aux ressources plus variées des échelles chères anx
orientaux proprement dits. Le chant du charmeur de serpents hindou
nous rapproche de l'Extrême-Orient. C'est ainsi que les moindres détails,
lorsqu'ils sont attentivement observés, nous permettent de nous rendre
compte de la diversité de physionomie musicale des races souvent les
plus voisines et les plus étroitement confondues.
Le Ràjà S. Mohun Tagore donne la notation complète d'un chant ne
charmeur de serpents : c'est une sorte de psalmodie, dont les paroles
sont une invocation â la divinité qui commande aux serpents, pour la
pi'ier de garantir le charmeur contre les morsures. Elle est accompa-
gnée, dit notre auteur, par l'instrument pastoral déjà mentionné, le lubri.
En voici la principale formule (I) :
Le 'ivre donne la notation des versets successifs, lesquels ne différent
entre eux que par quelques noti s sans importance. Observons cepen-
dant qu'à la première attaque de la deuxième reprise, le mi (2' note) est
naturel et n'est bémolisé qu'aux reprises suivantes.
Voici une autre mélodie, de caractère plus particulièrement rustique,
qui présente un exemple d'altération analogue (2") :
Il est à remarquer que, dans la seconde strophe notée, semblable à
celle-ci à quelques notes d'ornement prés, le mi, d'abord bémol, naturel
à la fin, se trouve altéré par le bécarre dès la première note à la seconde
période, qui prend ainsi dès l'abord une physionomie toute différente de
la première.
Je ne puis m'empècher, en lisant ces mélodies auxquelles l'altération
d'un même degré donne un caractère si particulier, de songer à un air
de flûte que j'ouïs jadis, joué par M. Taffanel sur les notes les plus
graves de son instrument, sous le nom de mélodie hindoue, dans le
ballet du Hoi de Lahore. Je ne sais trop si cette mélodie, d'accent vrai-
ment suggestif, avec son passage incessant du majeur au mineur et ré-
ciproquement, est vraiment uu air hindou, ou s'il n'a pas été composé
de toutes pièces par M. Massenet: j'inclinerais plutôt vers cette seconde
hypothèse; mais il est constant que les procédés employés sont tout à
fait semblables à ceux dont nous reconnaissons l'emploi dans les nota-
tions authentiques d'un notable habitant de l'Inde; et cela est tout à
l'honneur du compositeur, soit qu'il ait su en faire usage à l'aide d'une
documentation fidèle, soit qu'il lésait retrouvés par la simple intuition.
Léo Delibes aussi, dans Lakmé, s'est servi de quelques mélodies hin-
doues : l'on a rapporté le nom de la personne qui les lui a communi-
quées, et à qui un attentat célèbre, dont elle fut victime, a valu, il y a
plusieurs années, une peu enviable renommée. Bien que l'auteur, que
son génie particulier prédisposait à l'emploi de ces notations pittores-
ques, se les soit si bien assimilées qu'il est difficile de distinguer ces
thèmes exotiques de ceux qui sont de lui, il nous semble qu'il serait
possible d'en dégager quelques-uns de leur brillant vêtement de musique
française. C'est surtout dans le second acte qu'on les pourrait trouver.
Je ne parle pas de la marche des fifres, qui n'est évidemment qu'un
refrain militaire anglais. Mais, dans le ballet, les airs de danse portent
des noms de danses hindoues, et il est clair que c'est là que les airs du
pays ont été le plus utilisés. Le premier, intitulé Terâna, a pour thème
un motif à six-huit dont on retrouve la ligne presque semblable dans un
exemple de Terâna donné par Fétis (3) : dans ce dernier, il est vrai, la
mélodie est â deux-quatre, mais il est facile de reconnaître dans l'arran-
gement ternaire le tour de main du compositeur. Les autres airs de
ballet se nomment Rektah et Persian : dans ce dernier, le hautbois exé-
cute des glissades en petites notes rapides, assez analogues à celles d'un
exemple de musique instrumentale précédemment donné.
(1) SomiiNDBO Mohun Tagore, A Few spécimens of Indian Songs, n" 22, p. 74.
(2) SouRiNDBO Mohun Tagore, A Few spécimens of Indian Songs, n" 21, p. 73,
3) Histoire qénéraie de la Musique, II, 271.
LE MÉNESTREL
S'il faut en croire Fétis (et il n'y a point de raisons pour ne pas le
faire), la plupart des airs de danse répandus présentement dans l'Inde
seraient d'origine étrangère. « Les rektahs sont persans, les touppahs,
mongols, et les terânas, arabes (1) ». Les exemples notés qu'il donne à
k suite de cette déclaration semblent établir en effet une influence assez
notable de la musique arabe.
L'on a peu recueilli de chansons populaires dans l'Inde, — car les
citations ci-dessus appartiennent, en somme, à un art savant, si diffé-
rent soilil de celui de nos pays occidentaux. Voici pourtant une chan-
son tamoule, notée par un Français sur la cote orientale de l'Inde il y
a plus de quarante ans, et qui a été imprimée depuis lors dans un
périodique français (2) :
lun tl . la.dù
Traduction. — Sœur, sœur, le beau frère est venu. — l'orte du vin
que nous nous réjouissions! — L'amour d'un beau frère — ne finira pas
même à la mort.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
Xje 31-iyoxi.ii.si.is
(Suite.)
GUIGNOL
On juge des peuples par les marionnettes qui les incarnent. L'Italie
a. Pulciiielto, ou Polichinelle; l'Anglais Punch, dont le portrait en tète
d'un journal satirique a popularisé la physionomie; l'Allemagne, Hans-
wurst, le type du bourgeois lourdaud, lançant la pointe à la manière de
Berlin ou de Stuttgard; l'Autriche, Kaspeii, le joyeux drille, le Gigerl
viennois, ami de la gaité, des plaisirs, du bruit, de la valse, et dont les
échos du Prater, qui est une sorte de Bois de Boulogne forain, redisent
les saillies... Et Lyon, laissant au reste de la France, qui n'est pas à
court de marionnettes, le soin de se choisir ses modèles, a Guignol.
Guignol, le grand Guignol, le Guignol lyonnais, n'a, je commence
par le dire, rien de commun avec le Guignol de nos promenades pari-
siennes. Celui-là est un Guignol abâtardi, qui a perdu la bonne senteur
du terroir et qui n'a pas su s'assimiler la finesse, la goguenardise pari-
siennes. L'autre, le vrai, est né tout d'une pièce; il s'est du premier coup
imprégné du milieu où il fréquentait, et il a, en plus, le mérite d'avoir
existé en chair et en os.
Guignol, c'est la corruption de Chignolo, nom d'un village piémontais
où naquit, vers le milieu du dix-huitième sièoXe, un gai compagnon qui,
venu à Lyon pour y travailler dans la soirie, s'acquit parmi les canuts
une grande réputation pour sa verve et l'éclat de ses saillies.
Ayant monté, pour l'amusement de ses voisins, un castelletto ou
théâtre de marionnettes à la manière italienne, l'idée vint à un de ses
auditeurs, Laurent Mourguet, également facétieux et grivois, d'utiliser
ce spectacle pour incarner dans une marionnette tous les déboires et tous
les espoirs, toutes les rancœurs et toutes les aspirations que faisait
naître en lui la situation précaire du tisseur lyonnais.
« Si la poupée est d'origine antique, a dit un auteru', si la marotte
qui plus tard, devint un attribut grotesque, commença par n'être qu'un
bâton garni de chiffons informes, la marionnette n'a guère d'âge.
Quelque joyeux drille romain ou grec, gaulois ou plus récent, dut avoir
l'idée de s'emparer d'une de ces jolies petites tètes grecques que nous
(1) FÉTIS, Bist. de la Musique, II, 267.
\%) Annuaire dus IradUitms populaires, 1887, p. 23, cli. i-ecueillie par JI. Eug. Sicé, à
Karikal, ea 1860, et publiée par M. Julien Vinson.
pouvons admirer au musée du Louvre, ou d'une de ces caricatures si
expressives dont on a retrouvé des spécimens à Pompéi, de la draper
d'une étoffe, de passer la main sous cette façon de jupe et de se servir
de ce jouet pour donner de la vie à des histoires au gros se! ou pour
mimer des scènes qu'il racontait après boire. »
Guignol, la plus renommée des marionnettes modernes, naquit de
l'effort commun de Chignolo et de Mourguet. Et ce fut de la part de l'un
et de l'autre assaut d'imagination et de conscience pour faire de leur
personnage un type achevé d'humour et de vérité. La légende lyon-
naise raconte que chaque fois que Mourguet avait inventé une saillie
amusante, son associé se tordait de rire et lançait le juron : Per Chi-
gnolo! qui était pour lui l'indice de la bonne humeui et de la gaité. De
même, Mourguet lui rendant la pareille, s'écriait, quand l'Italien avait
trouvé quelque nouveauté : C'est chignolant! expression restée dans le
langage lyonnais. Mais Mourguet ne s'en tint pas k ces essais. Laissant
à Chignolo le soin de diriger seul, pendant quelque temps, leur Cas/eHc/,
il fit le voyage de Paris, vers 1786, et travailla chez Séraphin, où il
s'approvisionna de lazzis et de satire politique.
Alors Guignol atteignit la perfection. Il fut une façon de Panurge,
mais un Panurge qui ne trompe son débiteur que parce qu'il n'a pas le
sou; une espèce de révolté, si l'on veut, mais seulement quand il n'a
pas de travail; en tout cas un révolté gai, qui a quelquefois faim, mais
qui a toujours soif.
Guignol est le type de l'ouvrier bohème, fêtant le lundi, ne craignant
point les demi-chômages les autres jours, mais brave homme et bon
mari, encore que sa femme Madelon, una grossa laida, qui rendrait des
points à Xantippe, coure sans cesse après lui, pour l'arracher à Gnafron,
son mauvais génie, qui l'entraine au cabaret. Guignol taupe (frappe) à
bras raccourcis sur Madelon; mais cela se termine par des raccommode-
ments d'une ineffable tendresse... Qui aime bien châtie bien!
Guignol a toutes les incarnations. Dans une pièce intitulée le Conscrit
de IS09, sac au dos et le chef coiffé d'un superbe shako, surmonté d'un
énorme plumet, il chante :
Mon pauv' Guignol, te v'ia donc militaire.
Le sac sur Tdos, te vas fair' ben du chemin.
11 tïaut quitter Vuissieux, la Gnillotière,
Le marché d'Vaise, la Croix-Rousse et Serin !
On n'sait pas ce qu'on attrape à la guerre.
Ton "vieux Lyon, dis-moi, le reverrastu?
Reviendras-tu liu côté de Fourvière?
Reviendras-tu du côté de Saint-Just?
Nombreuses sout les pièces du Gastellet. Un Lyonnais qui sous le
voile de l'anonymat cache la personnalité d'un grave conseiller à la cour
de Lyon, M. .I.-B. Ouofins, en a publié un recueil en deux volumes, l'un
paru en 186S, l'autre en 1870. Tous deux ont pour titre : Théâtre lyonnais
de Guignol. On y voit figurer : les Frères Coq, le Pot de confitures, le
Déménagement, le Testament, le Marchand d'aiguilles, et tant d'autres
facéties qui ont fait la joie de plusieurs générations de Lyonnais. Dans
les Couverts volés. Guignol chante, sur l'air du Juif errant, ce couplet,
populaire entre tous, qui célèbre le bon vin de Mornant :
Est-il rien sur la terre
Qui soye plus cannant
Que de siffler un verre
De bon vin de Mornaut?
Mais c'est encor' bien mieux
Quand on en siffle deux.
Au moment où le rideau va tomber, il s'avance vers le public, et,-
sur l'air Patrie, Honneur :
Vraiment, messieurs, si j'n'avais pas si faim,
Je vous cbanl'rais tout de suUe une ariette :
Mais mon gosier réclame uo verre d'vin,
Et j'craindrais pas d'sifller une omelette.
Permettez-moi d'm'arroser le fanal,
Et je r'viendrai chanter l'couplet final.
Le Déménagement est presque un petit chef-d'œuvre de verve.... et
sans coups de bâtons encore ! Guignol y est goguenard et facétieux. A
un moment, ce dialogue s'engage entre lui et M. Ganezou, son pro-
priétaire :
M. C.VNEzou. — Monsieur Guignol ! monsieur Guignol !
GuiGîSOL ("de l'intérieur). — Je n'y suis pas.
M. Ganezou. — Comment! vous n'y êtes pas, et vous me répondez !
Guignol. — Je peux pas sortir; je mets une pièce à mon pantalon, qui est déchiré au
coude.
M. Ganezou. — J'ai à vous parler, voulez-vous descendre?
Guignol (à la fenêtre). — Si je veux des cendres ?... J'en ai pas besoin, j'en ai plein
mon poêle.
Ganezou. — Le drôle ne viendra pas tant qu'il saura qu'il a affaire à moi. U faut que
je déguise ma voix et que je lui fasse croire que le facteur lui apporte une lettre. (U
frappe neuf coups avec rouleini'nl.)
Guignol (de l'intérieur). — Que que c'est ?
278
LE MENESTREL
Canezou (contrefaisint sa voU). — C'est le facteur... Je vous apporte une lettre, une
lettre chargée; il y a de l'argent dedans.
Guignol. — De l'argent 1 je dégringole! {On l'entend descendre ses neuf étages) arrivant:
Ah! nom d'un rat! le propriétaire!... Je suis pince!... ^l Canezou) On n'a pas besoin de
vous, mon brave homme! On a ramoné les cheminées il y a huitjours.
CiKEZou. — Sapristi, je ne suis pas le ramoneur, je suis votre propriétaire... et je
Guignol. — Ah ! c'est vous, m'sieu Canezou ; je vous remettais pas, je vous demande
pardon. Comment ça va-t-y?
GiNEZoo. — Ça ne vas pas mal. Je viens savoir, monsieur Guignol...
Guignol. — Ah! y a fait un bien grand vent l'autre jour. Je me suis laissé dire qu'y
avait un homme que le vent lui avait emporté son chapeau, ses bas et tous les boutons
de son pantalon; ça le gênait pour marcher. Ça serait pas vous, par hasard ?
C.AAEZou. — Il est vrai que le venta été très forL.. mais il ne s'agit pas de cela... Je
viens savoir quand nous en finirons pour notre compte.
Guignol. — Notre compte!... Oh ! si vous me devez quéque petite chose, ne vous gênez
pas : je suis pas pressé.
Canezou. — Mais je le suis, moi ! C'est de mon loyer que je veux parler.
Guignol. — Vous voulez payer votre loyer? Ah! vous avez bien raison... faut jamais
rien devoir...
(Canezou fait cesser le quiproquo, et Guignol finiipar avouer qu'il na pas d'argent ^your
payer son loyer.)
Canezou. — Vous n'avez pas d'argent? Je vous en ferai bien trouver.
Guignol. — Vous me rendrez service, par exemple.
Canezow. — Vous avez un mobilier?
Guignol. — Oui, oui, un mobilier de luxe. On m'en donnerait bien trente sous au
mont-de-piété.
Canezou. — Vous avez une commode?
Guignol. — Je ne Tai plus: elle m'était devenue incommode... Les logements sont si
petits aujourd'hui !
C.\NEzou. — Et votre miroir antique?
Guignol. — Je l'ai vendu cet été pour boire à la glace.
Canezou. — Vous aviez une garde-robe?
Guignol. — Elle était un peu cassée. Je l'ai donnée à un ébénistede la rue Raisin pour
l'arranger ; on a tout démoli dans cette rue, et ma garde-robe avec.
Canezou. — Ta, ta, ta... Et votre table en noyer, a-t-elle été démolie aussi?
Guignol. — Non, mais un jour on a mis la marmite dessus... La marmite fuyait; çaa
fait un trou, et la table s'est tout écloppée.
Canezou. — Vous me faites des contes à dormir debout.
Guignol. — Vous avez raison... Allons nous coucher.
Le Pot de confitures serait également à citer. Prenons-en au moins
cette fin de scène : Guignol est accusé par son maître d'avoir goûté à
ses confitures. A une réception à laquelle il avait invité des dames, il
n'y avait pas un pot entier.
Guignol. — Le confiseur les avait pas remplis. Il y a si peu de bonne foi dans le com-
merce à présent.
Octave. — N'accuse pas le confiseur... Le coupable s'était trahi; on voyait la trace de
ses doigts.
Guignol. — Par exemple!... Je les avais touchées qu'avec la langue!
Octave. — Tu l'avoues donc, malheureux!
Guignol (à part). — Gredine de langue, scélérate, va! je te loge, je te nourris et tu
parles contre moi! sois tranquille!... fil se soufflette et se cogne contre le montant.)
Par ces échantillons on juge du reste. Mais pour se rendre un compte
exact du théâtre de Guignol, il faut avoir assisté à Tune de ses repré-
sentations, avoir suivi le jeu de ses personnages et s'être imprégné du
patois lyonnais, à l'accent traînard, mélange de latin corrompu, d'ita-
lien vicié et de langage dauphinois. Il faut aussi s'être mêlé au public
de ce spectacle, avoir vécu de son effervescence, de sa joie bruyante, de
sa grosse hilarité. Alors, on comprend Guignol, et on l'apprécie à sa
valeur. Il y a quelques années, Coquelin s'attarda, en pleine tournée,
pour assister à une représentation au Gastellet. Il fut si enchanté de ce
qu'il avait vu et entendu qu'il resta à coucher à Lyon pour applaudir
à nouveau, le lendemain, dans une matinée organisée en son honneur,
son bon ami Guignol, tout fier d'avoir pu arrêter, nouveau Josué, l'idole
du jour dans sa course.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVEIiSES
ÉTRANGER
On nous écrit de Munich : La seconde soirée du théâtre du prince-régent
a été moins brillante que la première. On jouait Tristan et YseuU, et tous ceux,
assez nombreux, qui assistèrent à la création avaient certainement raison de
dire que les protagonistes étaient loin de valoir les artistes auxquels Richard
Wagner avait confié la tache ardue de donner la vie à son oeuvre, tellement
hérissée de difficultés qu'à Vienne on l'avait jugée injouable. Or, toute l'œuvre
repose sur les interprètes des rôles que le titre met en vedette; le reste n'est
qu'un remplissage dramatique. Dans ces conditions on comprend facilement
que ni les beautés admirables de l'orchestre, ni le charme des tableaux scé-
niques, auxquels les ressources extraordinaires du nouveau théâtre ont prêté
un concours merveilleux, ni même l'interprétation relativement excellente des
rôles secondaires n'ont pu élever la représentation au niveau artistique voulu.
La Direction peut bien, pour se disculper, invoquer le fait que M. Senger-
Bettaque et M. Gerhaeusor ont interprété Tristan et Yseult au sanctuaire de
Bayreuth, mais cet argument ne peut suffire qu'aux pèlerins ad limina. Nous
savons d'ailleurs que l'Allemagne possède au moins un fort ténor et deux
falcons bien supérieurs aux interprètes que nous venons d'entendre; il fallait
les engager pour arriver à une représentation satisfaisante sous tous les rap-
ports. La question des sohstes est grave pour le théâtre wagnérien de Munich,
car l'attraction exercée par sa nouveauté ne durera pas longtemps. Il faudra
offrir aux amateurs étrangers, et à plus forte raison aux indigènes, des repré-
sentations vraiment supérieures... pour vingt-cinq francs. Ces malheureux
vingt-cinq francs oS'usquent les braves bourgeois de Munich qui n'ont jamais
payé que le quart de cette somme pour aller à l'Opéra de leur roi. Vingt-
cinq francs, c'est une somme; un député français a même montré comment
on meurt... pour vingt-cinq francs.
— L'Opéra de Cologne, qui a réouvertses portes, après sa clôture annuelle,
vient de publier son cartelhne pour la prochaine saison. On jouera Louise
de M. Charpentier ; Manru de M. Paderewski ; Le Juif Polonais de M. Weis ;
Ghitana de M. Oberleithner et Lorenza, de M. Mascheroni. Inutile de dire que
Louise ne sera jouée qu'au commencement de 1902, le droit de la première
représentation en Allemagne étant réservé jusqu'à la fin de 1901 à l'Opéra
royal de Berlin.
— Le théâtre allemand de Hambourg jouera pendant la prochaine saison
un « opéra parlé » intitulé Tableaux de la mer du Nord, musique de M. Théo-
dore Gerlach. Il paraît qu'il s'agit d'un drame dans lequel la musique et le
chant souligneront les paroles et l'action, c'est-à-dire d'une pièce avec une
musique de scène qui sera plus développée qu'à l'ordinaire. On verra bientôt
quel efl'et ce genre mixte produira. Ce même compositeur a d'ailleurs publié,
sans beaucoup de succès, des « lieder parlés ».
— Notre confrère le Signale, de Leipzig, joue de malheur. Après la dispa-
rition de son foudateur, Bartholf Senfi', en 1900, il passa sous la direction du
compositeur Richard Kleiumichel, dont nous avons dernièrement annoncé la
mort. C'est M. Max Steuer, de Berlin, qui vient d'être chargé provisoirement
de la rédaction.
— Les amateurs allemands de cithare sont dans la joie depuis quelques
semaines : ils possèdent un journal spécial intitulé la Cithare que M. Félix
Wolff publie à Hambourg. La cithare, aux bords de la mer du Nord, cela
parait bien déplacé; nous aurions plutôt compris ce journal naissant sur les
bords de risar ou de l'Inn. Le premier article du nouvel organe préconise les
mérites de l'instrument cher aux Styriens et dit que la cithare développe cette
qualité bien allemande de la Gemuethlichkeit, pour laquelle notre pauvre lan-
gue française n'a que les équivalents insuffisants de cordialité, bonhomie, joie
de vivre, etc. Cette psychologie de la cithare serait moins suspecte si le rédac-
teur n'avait pas ajouté qu'un bon cigare augmente également la Genmethlichkeit
et n'avait pas recommandé une maison hambourgeoise qui en vend d'exquis.
Les jolies Tyroliennes qui pincent si gentiment la cithare, pour accompagner
leurs chansons sentimentales, vont protester; elles sont gemuetlich sans l'ap-
point des cigares de Hambourg.
— Ces mêmes citharistes allemands se remuent d'ailleurs énormément
pour se faire prendre au sérieux. Ne voilà-t-il pas qu'ils se sont réunis en
congrès et que c'est précisément la ville de Goethe et de Liszt qu'ils ont
choisie pour y tenir leurs assises. Le nombre des membres du congrès est
très grand ; tous les virtuoses de cet instrument ont tenu à honneur d'aller à
Weimar. On les a d'ailleurs fort bien reçus ; le bourgmestre les a salués au
nom de la ville et le grand-duc a mis à leur disposition son théâtre pour
qu'ils puissent s'y produire. Le congrès y a donné un grand concert avec un
programme extraordinaire ; un numéro surtout a fait sensation, car il a été
exécuté par 300 citharistes à l'unisson. Bcati absentes!
— La Société philharmonique de Laybach, fondée en janvier 1702, va
célébrer le 200= anniversaire de son existence par un grand festival musical
dont le programme n'est pas encore fixé, mais qui contiendra en tout cas la
symphonie avec chœurs.
— Du Berliner Lokalanzeiger : « M. Edouard Colonne, le célèbre directeur
des concerts du Chàtelet de Paris, vient de faire un séjour à Berlin, où il
s'est entendu avec le directeur des concerts Hermann Wolff au sujet de la
tournée qu'il fera en Allemagne, en automne, avec son orchestre parisien. Ce
sera la première fois qu'un orchestre parisien — et un des plus importants
— se fera entendre en Allemagne. La tournée comprendra, outre Berlin :
Garlsruhe, Francfort-sur-Mein, Wiesbaden, Leipzig, Dresde, Vienne, Mu-
nich, etc. 1)
— La crise du Conservatoire de Vienne devient plus sérieuse encore qu'on i
ne l'avait pensé tout d'abord. Les directeurs ont interrompu leurs vacances
et sont rentrés dans la capitale pour transiger avec les professeurs démis-
sionnaires. Deux seulement sont disposés à rester ; l'un, si on augmente ses
appointements ; l'autre, si on lui accorde le titre convoité de professeur im-
périal et royal. Car il ne faut pas oublier que les professeurs démissionnaires
sont surtout outrés de ce que M. Sauer a reçu d'emblée le titre de professeur
et 15.000 francs d'appointements, somme inouïe dans les annales des Conser-
vatoires autrichiens. Les autres professeurs maintiennent leur démission. On
dit que le ministre de l'instruction publique aurait l'intention de transformer
le Conservatoire de Vienne en une institution d'Etat, à l'instar du Conser-
vatoire de Paris, dont l'organisation servirait de modèle au nouveau
Conservatoire impérial et royal. Actuellement l'Etat ne lui accorde qu'une
LE MENESTREL
279
subvention assez modeste et la question budgétaire deviendrait importante
s'il prenait. l'institution à sa charge.
— L'Opéra royal de Budapest jouera pendant la saison prochaine un drame
lyrique intitulé Lisbeth, musique de M. J. J. Major.
— A Orienenbaum, très grand succès toujours pour M""* Gorlenko-Dolina
qui a chanté en artiste la Pensée de la Conjuration des fleurs de M. Bourgault-
Ducoudray.
— Le prince Nicolas de Grèce, troisième iils du roi des Hellènes, vient
d'être désigné comme lauréat d'un concours dramatique ouvert par l'Univer-
sité d'Athènes et de voir couronner sa comédie, les Réformateurs. Suivant
l'usage, les concurrents avaient signé de pseudonymes et l'on n'a connu le
nom véritable de l'auteur des Réformateurs qu'après ouverture du pli cacheté
traditionnel. '
— La question de la Scala de Milan est entrée dans une nouvelle phase.
On se rappelle qu'il y a trois ans, le conseil communal ayant tout à coup
refusé de continuer la subvention accordée de temps immémorial à ce théâtre
glorieux, celui-ci se serait vu dans la nécessité de fermer ses portes, ce qui
eût été une calamité non seulement pour lui, mais pour l'art musical italien,
dont il est le plus noble et le plus actif représentant. C'est alors que se forma,
sous la présidence du duc Visconti di Modrone, une société de dilettantes
actionnaires qui en assuma, à ses risques et périls, la direction pour une
période de trois années. Il ne nous appartient pas de dire ce que fut, au point
de vue artistique, cette direction, qui ne parait pas toutefois avoir été des
plus heureuses au point de vue matériel. Toujours est-il que, ce triennal
étant expiré, sesmembres n'ont pointjugé à propos de recommencer l'épreuve.
Les sociétaires se sont réunis récemment dans le foyer du théâtre, sous la
présidence du duc Visconti, pour régler la situation, entendre la lecture du
rapport des syndics et procéder à la nomination du liquidateur. Après un
vote d'applaudissement et de reconnaissance au duc Visconti et aux action-
naires pour leur abnégation, les syndics relevèrent la parfaite tenue de l'ad-
ministration, puis on choisit le liquidateur eu la personne de M. Gazzaniga.
Ceci fait, que va devenir la Scala? Au mois d'avril dernier le conseil com-
munal, saisi de la question, approuva une proposition de « référendum popu-
laire 1) destiné à décider si, oui ou non, il devait rendre à ce théâtre la sub-
vention dont il avait joui jusqu'à ces derniers temps. Maintenant, la junte a
nommé une commission chargée d'étudier l'organisation de ce référendum .
Tout cela parait bien compliqué, et le temps marche vite. Qui vivra verra,
mais il faudrait voir promptement.
— On prépare au Théâtre royal de Turin, pour le prochain mois de
novembre, des exécutions de la Messe de Requiem de Verdi et de l'oratorio de
M. Luigi Mancinelli, Isaias. qui est nouveau pour l'Italie. Les solistes seront
des artistes en grand renom. L'ensemble choral comprendra 160 voi.x fournies
par l'Académie Stefano Tempia, et l'orchestre sera l'orchestre municipal.
L'exécution sera dirigée par M. Mancinelli.
— Les théâtres chôment en cette saison, à Rome comme à Paris. Ils ont
presque tous fermé, dans la ville éternelle, les uns après les autres. Le Cos-
tanzi est clos: le Valle est clos; le Nazionale est clos. Au Manzoni une
troupe d'opéra brave les chaleurs caniculaires eu jouant les oeuvres les plus
populaires de Verdi, du Trovatore à Rigoletto et i'Ernani au Ballo in maschera :
au Quirino on voit alterner l'opérette, la comédie et la musique sérieuse; à
l'Adriano on a des représentations équestres; à l'Argentina le populaire va
voir danser des souris savantes... Mais déjà le Gostanzi annonce son pro-
gramme pour la saison lyrique de carnaval et carême. Le répertoire com-
prendra les Maîtres Chanteurs, l'Etisir d'Amore. Iris, la Tosca, il Trillo del Dia-
volo, Mefistofele, la Bohême, la Favorite et un opéra nouveau qui sera le début à
la scène d'un jeune compositeur, M. Bustini. Parmi les artistes engagés on
cite M°"=* Emma Carelli et RegiuaPinbert et MM. Alessandro Bonci et Arturo
Pessina.
— La Société des auteurs et artistes dramatiques et lyriques italiens à
Rome, désirant concourir dignement à la solennisation du centenaire de la
mort de Domenico Cimarosa, ouvre un concours national portant son nom
pour la composition d'un « opéra giocosa ». Le prix, adjugé par une commis-
sion, consistera en une somme de 1.000 francs. La commission pourra attri-
buer un prix de 500 francs au meilleur livret présenté, indépendamment de
la valeur de la musique. Les ouvrages inédits seront seuls admis, et le der-
nier terme fixé pour la réception des envois est le 30 juin 1902.
— Eu suite de l'exécution de sa Messe de Requiem au Panthéon pour l'an-
niversaire de la mort du roi Humbert, le compositeur Sgambati a été nommé
commandeur de l'ordre des SS. Maurice et Lazare. La même distinction
vient d'être accordée au fameux ténor Angelo Masini.
— Le nouveau drame de M. Gabriel D'Annunzio, Francesca da Rimini, qui
doit être représenté prochainement à Rome avec M"^ Eleonora Duse et
M. Gustavio Salvini pour principaux interprètes, aura une partie musicale
assez importante qui a été confiée au compositeur Antonio Scontrino, pro-
fesseur à l'Institut musical de Florence. Cette partie comprend une ouverture,
quatre entr'actes ou intermèdes et quatre chœurs de peu de développements.
— Le fameux ténor de Lucia s'est retiré de la Société directrice du théâtre
San Carlo de Naples, où il demeure toutefois engagé pour la saison, pro-
chaine. C'est au maestro Carlo Superti qu'est confiée la direction artistique
de ce théâtre, en remplacement de M. Marine Villani, qui en était primiti-
vement chargé. On cite déjà les noms de trois ténors engagés conjointement
avec M. de Lucia : MM. Caruso, Vignas et Mariacher, puis M'"'^ Gemma
Bellincioni et Giacchetti ; et parmi les œuvres devant former le répertoire.
Don Carlos, Otello, Lohengrin, l'Elisir d'amore, ainsi que Manon, et la Navarraise
de Massenet. Le chef d'orchestre sera M. Mascheroni.
— Le Sta/file, de Florence, se croit en mesure de pouvoir annoncer que
M. Pietro Platania, le vénérable directeur du Conservatoire de San Pietro a
Majella de Naples, abandonnera prochainement ce poste important pour
prendre sa retraite. Il serait remplacé dans ses hautes fonctions « par un
maestro très estimé qui occupe une charge importante à l'Institut musical de
Florence », mais dont notre confrère n'est pas autorisé, dit-il, à faire con-
naître le nom quant à présent.
— On a donné à Barga (province de Lucques), le 14 août, la première
représentation d'une « idylle champêtre » en un acte, il Sogno di Rosetta,
paroles de M. Giovanni Pascoli, musique de M. Carlo Mussinelli. Le compo-
siteur est un jeune aveugle de naissance, natif de Spezia, qui fut élevé à
l'Institut des aveugles de Milan et qui étudia la musique avec le maestro
Soladino. Son petit opéra, qui a été fort bien accueilli et qui doit être joué
prochainement à Lucques, avait pour interprètes le ténor Eresto et la signo-
rina Maria Favilli.
— Voici les noms des artistes qui, ce mois-ci, seront les interprètes de
Werther au Grand-Théâtre de Lucques : W» Bendazzi-GaruUi (Charlotte),
M. Alfonso Garulli (Werther), M"»» Maria Leonardi, MM. Luigi Baldassari,
Auguste Pasti, Oreste Masi et Eugenio Grassi. L'orchestre sera dirigé par le
maestro Sturani.
— De Chesières-Vaud : On vient de donner à l'hôtel du Ghamossaire, grâce
à ses généreux propriétaires, M. et M"" Amiguet, et au concours de M. An-
touin Marmontel, en villégiature dans le pays, une fort belle soirée artistique
dont le produit est destiné à la construction d'une église. Au programme,
très joliment illustré, des pièces pour piano jouées avec goût par M''^ Lom-
broso, une élève de M. Antonin Marmontel, des pièces pour violoncelle par
M"» Cornish, pour flûte par le docteur Meystre, des tableaux vivants et im
chœur de femmes que M. Antonin Marmontel avait fait travailler, et on
devine comment, par de charmantes chanteuses d'occasion qu'il inventa
presque. '
— Voici le tableau complet de la troupe formée par l'imprésario Pacini
pour la prochaine saison du grand théâtre San Carlos de Lisbonne : Prime
donne. M""' Regina Pacini, Gemma Bellincioni, Maria Gorti,Febea Strakosch,
Adalgisa Minotd, Gloé Marchesini, Clorinda Pini-Corsi et Maria Grasse ;
ténors, MM. Edoardo Garbin, Giuseppe Anselmi, Edmond Clément (de
rOpéra-Gomique), Alessandro Bonci, Giuseppe Borgatti et Giovanni Zenna-
tello ; barytons, Giuseppe Kaschmann, DefEno Minotti, Antonio Pini-
Corsi et Vincenzo Ardito ; basses, Oreste Luppi, Edoardo Giccolini, Franca-
lancia et Garbonetti. Les chefs d'orchestre, au nombre de quatre, sont
MM. Luigi Mancinelli, Ettore Perosio, Marco Foa et Beniamino Lombardi.
— La troupe d'opéra Moody Manners, qui joue dans toutes les villes impor-
tantes du Royaume-Uni et est actuellement la plus importante troupe lyrique
ambulante d'Angleterre, vient d'ouvrir un concours pour deux grands opéras
inédits. « Excusez du peu », aurait dit Rossini. Un de ces opéras, paroles et
musique, est exclusivement réservé à des auteurs anglais; pour l'autre peu-
vent concourir les auteurs de toute nationalité, hormis les compositeurs
anglais. Chaque œuvre doit avoir au moins deux actes et suffire pour rem-
plir toute la soirée. Le prix est de 6.'250 francs pour chaque opéra, mais les
auteurs, librettistes et compositeurs, doivent prendre l'engagement de céder
à la compagnie Moody Manners, moyennant ce prix et un droit de 10 0/0 sur
les bénéfices nets, le droit exclusif de représenter et de publier leurs œuvres
et d'opérer dans la partition tous les changements que la direction de la com-
pagnie jugerait utiles. Nous ne croyons pas que beaucoup de compositeurs
français soient tentés de concourir dans ces conditions. Ajoutons toutefois
que les manuscrits doivent être adressés à M. Manners jusqu'au l^rnai 1903
et que les jurys sont ainsi constitués : sir Alexander Mackenzie, M. Prout
et M. Joseph Beunet, pour les opéras anglais ; MM. Ed. Colonne, Mancinelli
et Lohse, pour les opéras étrangers. Il y a dix ans, M. Manners avait déjà
ouvert un concours analogue pour un opéra anglais, mais l'œuvre couronnée
le Petruccio, de M. A. Maclean, a eu si peu de succès qu'on n'en parle déjà
plus.
— Encore un Bayreuth I La direction générale du Kurhaus de Scheveningue
est en pourparlers avec le prince de Wied pour l'achat de la villa qu'il pos-
sède à Scheveningue. La direction du Kurhaus a l'intention de faire construire
sur l'emplacement de la villa, un théâtre dans le style de celui de Bayreuth,
« dans lequel on donnera, avec le concours d'artistes de premier ordre, des
représentations modèles des œuvres de Richard Wagner. » Bayreuth, Munich,
Scheveningue, cela ne fait-il pas un peu beaucoup de temples wagnèriens?
ajoute très justement notre confrère Nicolet du Gaulois.
— De La Haye : M. K.-F. Van Bijleveldt, qui dirige, en collaboration
avec M. Lel'èvre, l'Opéra royal français, terminera le l'' septembre sa vingt-
cinquième année de direction. MM. Bijleveldt et Lefèvre, dont l'association
fut très heureuse, surent conserver à l'Opéra sa renommée de scène artisti-
que et furent de toujours très éclairés partisans de l'école musicale française.
280
LE MÉNESTREL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A rOpéra-Comique :
M. Albert Carré, qui ne reste jamais bien longtemps éloigQé de son
théâtre, est venu d'Houlgate y passer quelques heures au commencement de
la semaine, juste assez pour s'entretenir avec M. Lucien Jusseaume des
décors de Grisélidis et pour y apprendre une très fâcheuse nouvelle — pour
lui s'entend — le prochain mariage de W^' Marthe Rioton à qui il a dû, très
courtoisement, mais non sans regrets, accorder la résiliation de son enga-
gement.
C'est, en effet, une grosse perte que t'ait l'Opéra-Comique, d'autant que
c'est M"« Rioton qui devait créer le rôle principal de la Troupe Jolicœur et
chanter celui de Rozenn dans la reprise très prochaine du Boi d'Ys. Et puis
elles sont désespérément rares les chanteuses, qui, eu plus d'une jolie voix,
ont été douées d'une vraie nature de théâtre, et M"» Rioton, avec des moyens
assurément pas très grands, mais d'une si exquise et si courageuse person-
nalité, était certainement parmi ces très rares privilégiées; elle l'a prouvé
de reste pendant le trop court espace de temps qu'elle passa place Favart et
surtout dans cette création de la ioui'se de Gustave Charpentier, où, débutante,
elle affirma si crânement son adorable tempérament d' « artiste ». A peine
âgée de vingt et un ans, M"« Marthe Rioton a la grande sagesse de renoncer
au plus décevant des métiers, dont elle ne connaît pourtant encore que les
côtés séduisants et grisants ; nous l'en félicitons sincèrement, sans cependant
pouvoir nous empêcher de le regretter très vivement.
Dès demain lundi, les chœurs reprendront leurs leçons sous la direction
de leur excellent chef M. Henri Carré, secondé par M. Marietti. Ils continue-
ront les études de la Troupe Jolicœur et du Roi d'Ys, interrompues par les
vacances, et, en plus du répertoire, se mettront à celle de Grisélidis, dont la
partie chorale est, d'ailleurs, fort peu développée.
La réouverture du théâtre aura lieu lundi en huit, 14 septembre, avec un
ouvrage du répertoire.
— Du correspondant du Figaro, spécialement attaché, à Biarritz, à la per-
sonne de M. Gailhard :
« M. Gailhard, directeur de l'Opéra, reatrera à Paris dans les premiers jours de septembre,
après avoir traversé la France en automobile avec quelques amis. Il partage ses loisir.s à
la villa des Sables, entre : les études graphiques de la ini.se en scène des Barbares, dont il
note minutieusement les mouvements en marge de la partition, la pêcbe à la fronde ou à
l'arbalète selon la pittoresque méthode basque, et... l'aquarelle, JI. Gailhard, est, en effet,
un virtuose de la peinture à l'ejiu ; ses marines, très habilement nuancées, font honneur à
l'ancien élève de l'École des beaux-arts de Toulouse et c'est en délayant l'ocre, le vermillon
et le cobalt que l'ex-Méphisto de l'Opéra retrouve et lance encore aux échos de Gailhard-
Plage ses plus belles notes graves, v
Et dire que toutes ces belles choses sont, peut-être, écrites le plus sérieuse-
ment du monde !
— M. Théodore Dubois qui n'avait pu se rendre dans sa propriété de Ros-
nay, dans la Marne, que fort tardivement, retenu à Paris par les examens de
son fils, reçu très brillamment à l'agrégation des lettres, travaille, en ce
moment, à un grand poème symphonique qu'il compte rapporter complète-
ment terminé à la fin de ses vacances.
— "Voici septembre, on rouvre ! Cette semaine ce fut encore modeste avec
seulement le Chàtelet reprenant l'éternel Tour du Monde et Parisiana conti-
nuant l'heureuse série de représentations du populaire Papa de Francine.
Mais, dès maintenant, presque chaque jour, surtout si la température
demeure fraîche, verra quelque buraliste se réinstaller derrière son guichet
grillagé. Ce soir ce sera le tour de l'Olympia, le 3 septembre celui
du Théâtre Sarah-Bernhardt avec la Darne aux Camélias, interprétée par
Mi'= Renéj Parny, le C celui du Nouveau-Cirque, l'Athénée annonce des repré-
sentations de l'étonnante Sada Yacco devant commencer du 5 au 10. Enfin
on nous promet pour le 10 les Folies-Dramatiques avec l'Étu(k Tocasson, pour
le 14 l'Opéra-Comique avec une pièce du répertoire, pour le Ib le Palais-
Royal avec Bichetle et le Château-d'Eau avec la Fille du Tambour- major, pour
le 20 la Porte-Saint-Martin avec Quo vadis ? Toutes les autres scènes pari-
siennes ne tarderont pas à en faire autant.
— C'est aujourd'hui dimanche que commence au Grand-Palais des Champs-
Elysées la série des concerts populaires que va y donner M. Louis Pister. Le
prix d'entrée a été fixé à 0 fr. SO c. Au programme, dont l'exécution com-
mencera à 3 h. 1/2, figurent des œuvres de Meudelssohn, Bizet, Gounod,
Léo Delibes, Proch, Saint-Saëns, B. Godard et Ambroise Thomas.
— Nous avons annoncé dernièrement que M. Leoncavallo, le frère de l'au-
teur de Paillasse, avait sollicité du conseil municipal la concession du terrain
sur lequel s'élevait l'ancien cirque des Champs-Elysées, pour y installer un
théâtre lyrique. Il parait que la demande vient d'être agréée et que le traité
est même signé. Est-ce pour de bon, cette fois? M. Leoncavallo ferait do
son théâtre un théâtre essentiellement international, où, il n'est pas besoin
de le dire, la musique italienne se trouverait nécessairement avoir la place
prédominante.
— Les représentations wagnériennes, organisées par la Société des Grandes
Auditions du Château-d'Eau, commenceront le 13 avril 1902. On jouera le
Crépuscule des Dieux et Tristan et Yseult alternativement en français et en alle-
mand. Les principaux interprètes seront MM. "Van Dyck, Schmedes, M™» Lit-
vinne, Gulbranson et Bréma; l'orchestre sera dirigé par MM. MottI, Richter
et Cortot.
— Le lieutenant-colonel Freyman, de l'armée russe, vient d'envoyer au
général de la Noë, directeur du musée de l'armée aux Invalides, une collec-
tion d'environ 4j0 marches militaires usitées dans les régiments d'infanterie
russe, à la condition que ces marches ne pourront élre ni publiées ni
exécutées en public en France. Chaque régiment d'infanterie français a reçu,
de même source, la marche du régiment russe dont le numéro correspond
au sien.
— De Béziers : Pour la quatrième année, les Arènes viennent d'être enva-
hies par une foule toujours saisie par le décor vraiment grandiose et subju-
guée par un spectacle dont l'âme demeure le distingué dilettante M. Cas-
tellane de Beauxhortes. La nouveauté de l'année est le ballet Bacchus mystifié
dont la musique a été composée, an défaut de M. Saint-Saëns empêché, par
un jeune prix de Rome sur lequel on compte justement, M. Max d'Ollone.
Lui-même a conduit son œuvre très distinguée et a été l'objet de chaudes
ovations. D'ores et déjà, on nous promet pour l'année prochaine Parysatis,
poème de M"" Dieulafoy, musique de M. Saint-Saëns, qui ne fera que
confirmer, une fois dé plus, la belle œuvre de décentralisation arlistiquo si
noblement entreprise ici.
— De Vichy : Le succès de Ruth, de Franck, a été considérable jeudi
dernier au dernier concert classique dirigé par M. Danbé. L'exécution en a
été remarquable par M"'« Fiérens (de l'Opéra), M"= Charlotte Lormonl (des
Concerts Lamoureux), MM. Boulogne et Lafarge. Les, chœurs et l'orchestre
acclamés par la salle entière.
— De Biarritz : Le grand succès du nouveau Casino municipal est pour les
concerts symphoniques que dirige, avec une maestria superbe, M. A. Luigini,
le remarquable chef d'orchestre de l'Opéra-Comique. Une foule d'amateurs
se presse à chaque audition dont les programmes sont composés avec un goût
parfait. Très bonne série de représentations d'opéra-comique aussi, dont une
des meilleures fut celle de Mignon, chantée par M""i Thiéry,"VVyns, MM. Clé-
ment et Dufour.
— D'Aix-les-Bains : An Cercle, très beau concert symphonique, sous la
magistrale direction de M. Léon Jehin, cohsacré, dans sa première partie, à
l'audition d'œnvres d'Augusta Holmes. On a fait grand succès à Vlhjinne à
Vénus, chanté par M. Bruzzi, et à la suite symphonique Au pays bleu. Dans
la seconde partie le ballet du Cid, de Massenet, a produit tout son efl'et
habituel.
— De Fréjus : Le conseil municipal vient de décider d'élever un monument
à Désaugiers, le célèbre chansonnier, qui naquit dans cette ville en llli. Sur
une fontaine en marbre s'élèvera une colonne entourée d'un cep de vigne,
d'une grappe s'échappera un filet d'eau. Le buste en bronze sera placé sur
la colonne. L'exécution en a été confiée au jeune sculpteur Louis Maubert.
— De Lille : La ville organise un grand Concours international de musique
pour orphéons, harmonies, fanfares, musiques militaires, trompettes, trom-
pes de chasse, raandolinistes et accordéons, pour les IS et 16 août 1902. Le
conseil municipal a voté une somme de loO.OOO francs pour l'organisation de
ce concours.
— Un nouveau livre vient de paraître en Italie sur "Verdi. Il a pour titre
"Verdi a Gi-I^es, souvenirs, anecdotes et épisodes, et pour auteur M. F. Resasco. Il
est publié à Gènes, chez les éditeurs Pagano frères.
NÉCROLOGIE
Le poète et compositeur Gunnar Wennerberg vient de mourir à l'âge de
84 ans. Né à Upsal le 2 octobre 1817, il avait obtenu très jeune une chaire
d'histoire de l'art à l'université de cette ville et devint rapidement populaire,
parmi les étudiants, par ses belles poésies, qu'il a pour la plupart mises en
musique lui-même et qui ont presque toutes un caractère patriotique, tel le
célèbre hymne ffoer oss, Sfea que tous les orphéons suédois chantent encore
aujourd'hui. En 1870, il fut nommé ministre de l'instruction publique, et
après avoir abandonné son portefeuille en 187S, il le reprit en 1881, pour
l'abandonner tout à fait en 181)1. Les étudiants suédois ont adoré ce poète et
musicien national et on toujours célébré son anniversaire; ils défilèrent, il
y a quelques semaines, tristes et silencieux devant la maison du poète qui
luttait depuis quelque temps contre un mal fatal.
— Ces jours derniers est mort à Parme le docteur Primo Crotti, bibliothé-
caire et doyen des professeurs du Conservatoire de cette ville. Né à Parme
en 1825, il étudia l'harmonie avec le maestro Giuseppe Alinovi tout en fré-
quentant les cours de l'Université, et en 1848 se fit nommer docteur en
pharmacie. Il revint toutefois à la musique, en 18ti4 devint professeur de
littérature, d'histoire et d'esthétique musicale au Conservatoire, et de 1870 à
1887 tint l'archive musicale de cet établissement. Chargé ensuite, conjoin-
tement avec le professeur Caputo, de l'organisation de la section musicale de
la bibliothèque Palatine annexée à cette même école, il se chargea des
fonctions de bibliothécaire. Il consacra à cette institution trente-sept aonées
de sa vie et de son activité. Très instruit en matière d'acoustique, le docteur
Primo Crotti a publié quelques écrits intéressants sur ces questions spé-
Henri Heugel, directeur-gérant.
3676. - 67'"'= ANNÉE — !\° 36. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 8 Septembre I90i.
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
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Adresser franxo à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestiiel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art nuisical et ses interprètes depuis deux siècles (28° article), Paul d'Estrées- —
IL Courte monographie de la Sonate (2° article), Arthur Pougin. — III. Notes
d'ethnographie musicale: la musique dans l'Inde (5° article), Julien Tiersot. —
IV. Petites notes sans portée : La statue de Mozart, Ratsiond Bouyer. — V. Nou-
velles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
A UNE ÉTOILE
nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de Alfred de Musset. — Suivra
immédiatement : Cloches d'automne, nouvelle mélodie de Noël Desjoyeaux,
poésie de Paul Mariéton.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Valse en sourdine, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement: Chanson à danseï',
de A. Périlhou.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et
(Suite.)
VII
Le triomphe de l'école italienne. — Déchéance de Sponlini. — Son orgueil déme-
sure. — Un marchand de vulnéraire à l'Institut. — Une défaillance de Spontini.
— La première de la Vestale et les bottas de Berryer. — Pair antirossiniste. —
Une symphonie canine. — Delacroix et Paêr.
Le grand événement musical de la Restauration fut, sans con-
tredit, l'apparition triomphante de la nouvelle école italienne, sa
vogue extraordinaire, son intluence despotique, quoique passa-
gère, sur l'esthétique contemporaine.
Les compositeurs qui se partageaient alors les faveurs du
public parisien virent bientôt faiblir leur prestige. Spontini fut
un des plus sérieusement atteints. Depuis quelques années déjà
son étoile avait pâli. Olympie était loin de tenir les promesses
de la Vestale; et son auteur dut céder la place à ceux que ses
partisans appelaient la cabale des Viottistes et des Rossinistes.
Le baron de Trémont ne s'en montre pas autrement désolé.
Peu indulgent et parfois même injuste pour Spontini, qu'il met
néanmoins « au premier rang des compositeurs de second
ordre », il attribue l'infériorité du maître italien à son outre-
■cuidante présomption. Spontini, prétend-il, ne profita qu'à
moitié de l'excellente éducation musicale donnée dans les diffé-
rents Conservatoires de son pays, parce qu'il crut toujours son
instruction égale, et même supérieure à celle de ses professeurs.
Aussi ne fut-il jamais qu'un pauvre harmoniste : ses partitions
les plus importantes doivent leur cohésion et leur solidité à la
science de Cherubini. Ses prétentions n'en étaient que plus
plaisantes. Dans un voyage qu'il fit à Paris en 1843, il disait à
Rossini :
— Maestro, il faut convenir que vous et moi avons rendu de
grands services à l'art.
Son orgueil démesuré éclatait jusque sur ses vêtements et
dans les soins apportés à sa toilette, surtout les jours de séance
solennelle à l'Institut. Le compositeur entrait des premiers,
invariablement coiffé de sa perruque à boucles d'un noir cho-
colat, et il avait soixante-dix ans ! Son frac, son gilet, son pan-
talon étaient chamarrés de broderies beaucoup plus larges que
celles de ses collègues. On eût dit un marchand de vulnéraire.
Heureusement, ajoute Trémont, les mesquineries de cet esprit
envieux et tracassier trouvaient une notable atténuation dans
les aimables qualités de M"' Spontini, née Erard, dont la grâce,
toujours accueillante, faisait oublier l'égolsme revêche du mari.
Egoïsme que caractérise une anecdote topique d'E. Géraud (1)
et qui a peut-être inspiré cette jolie scène des Faux Bonshommes,
où Dufouré, le tartufe, manque de s'évanouir, non pas parce
qu'il vient de perdre sa femme, mais parce que le pan de sa
redingote a été frôlé par un omnibus !
Devenu rêveur et mélancolique à la suite de cruels chagrins,
Legouvé, le père de l'académicien à qui le Ménestrel doit de si
intéressants Souvenirs, était tombé par mégarde dans un saut-
de-loup bordant le parc de M"° Contât. Transporté mourant chez
la célèbre comédienne, qui donnait une fête à une réunion d'ar-
tistes et de gens de lettres, Legouvé reçoit les soins les plus
touchants. Tout à coup Spontini, qui était au nombre des invités,
pâlit, chancelle, et finalement se laisse choir sur une chaise. On
s'empresse autour de lui, on l'interroge :
— Ah ! dit-il, je frémis à l'idée que cela pouvait m'arriver !
Les critiques tant soit peu acerbes de Trémont ne doivent pas
faire oublier que la partition de la Vestale est une œuvre des
plus honorables; et Eugène Delacroix, qu'on ne saurait suspecter
de tendresse pour Spontini, bien qu'il eiit demandé à lui être
présenté en 1847, reconnait dans la Vestale, « à travers sa vétusté,
un souffle original » qui explique de reste l'engouement des
Parisiens de 1807 pour ce drame lyrique.
Berlioz y signale des « lueurs de génie » ; et Wagner lui-
même, dépassant comme toujours la mesure, écrit qu'il faut
s'incliner avec respect devant le cercueil du créateur de la Ves-
(1| E. Géraud. — Un homme de lettres sous l'Empire et la Restauration, publication de
H, .\lbert, 1893.
28i2
LE MÉNESTREL
taie, de Fernand Cortez et d'Ohjmpie. Il est vrai que Spontiiii avait
été une des gloires... tumultueuses de Berlin.
Par un de ces privilèges particuliers à l'esprit gaulois, la
parodie de la Vestale devint presque aussi célèbre que l'opéra
même ; et qui sait si Désaugiers n'en prit pas l'idée à la première
représentation, à laquelle il assistait avec Berryer, le futur avocat?
Celui-ci, déjà très épris de musique, aimait à rappeler les
épisodes de cette soirée mémorable; mais je croirais volontiers
qu'il les amplifiait à plaisir. Il avait alors ce que notre argot
moderne appelle un tempérament de fumiste et il avouait, dans
l'intimité, qu'il était l'auteur de la fameuse complainte de
Fualdès. En tout cas, ce fut pour lui une double première que celle
de la Vestale : il essayait ce soir-là une magnifique paire de
bottes à revers qui lui coûtaient soixante-douze francs ; malheu-
reusement elles étaient beaucoup trop justes, et la torture
qu'elles lui infligeaient — le vrai supplice des brodequins —
l'empêcbait de goûter tout le charme de la musique. Il prit un
parti héroïque : il emprunta un canif à un de ses voisins et
trancha le nouveau nœud gordien. Désaugiers, qui était derrière
lui et suivait toutes les péripéties de ce drame intime, lui dit
dans cette note que ne ménage pas Cadet Buteux :
— Eh mais ! cher Monsieur, vous devez être content de votre
cordonnier, il vous sert bien.
A l'exemple de Spontini, Paër fit assez grise mine à la Muse
de Rossini, quand elle eut accaparé presque pour elle seule la
clientèle parisienne. Mais la jalousie de l'ex-impresario des spec-
tacles de la Cour impériale ne se donna vraiment carrière que
le jour où Paër eût succédé, comme directeur des Italiens, à
Rossini, dont il avait été quelque temps l'auxiliaire au même
théâtre. Pour satisfaire au goût du jour il fut bien forcé de jouer
les œuvres de son prédécesseur, mais il n'en produisit que les
plus faibles. Naturellement, le procédé indigna les amateurs.
Alors, Paër reprit le Barbier de Paisiello. Les récriminations des
abonnés s'accentuèrent. Paër, poussé à bout, dut enfin donner
le Barbier de Rossini.
Ce n'était pas qu'il ne fût un excellent musicien, sachant
allier la grâce à la finesse, possédant toutes les ressources de son
art, et, qui sait, peut-être assez favorisé de la nature pour créer
des chefs-d'œuvre, s'il avait eu la patience et le courage de les
écrire. Mais il avait trop l'amour du plaisir et la soif des honneurs,
préoccupations qui excluent toute idée de travail et de recueille-
ment. Très bon accompagnateur, délicieux chanteur bouffe, il
n'était de belle fête à la Cour qu'il n'en fût l'organisateur. Et puis,
quel endiablé viveur! Il avait une égale tendresse pour les grands
dîners, les vieux vins et les jolies filles, qu'il choisissait aussi
jeunes que possible. Il ne s'en portait pas mieux, car il était
rudement travaillé par la goutte. Comment eût-il trouvé le temps
de faire de la bonne musique? D'ailleurs, dit Trémont, « il aimait
trop les singeries italiennes et ne se respectait pas assez comme
artiste ». N'eut-il pas l'idée, dans un concert chez la princesse
de Vaudemont, de vouloir noter le tumulte d'une bataille de
chiens qui avait interrompu brusquement la séance? Naturel-
lement, Paër fut mordu par les carlins de la grande dame, beau-
coup plus éprise de l'espèce canine que des hommes en général
et des artistes en particulier.
Cuvillier-Fleury note minutieusement, dans son Journal (1) tle
1829, les qualités et les défauts du musicien, qui était un des
familiers du Palais-Royal, où, lui, Cuvillier-Fleury, était pré-
cepteur du jeune duc d'Aumale. Il rend pleine justice aux ta-
lents de société de Paër, improvisant mille symphonies char-
mantes sur le piano tout en se mêlant à la conversation générale
et accompagnant d'harmonies expressives ses anecdotes les plus
piquantes. Mais c'est surtout au château de Randan, où Guvillier
a suivi le fils de Louis-Philippe, que Paër se montre sous ses
multiples aspects. Il charme les soirées un peu longues et un
peu tristes de l'automne par la bouffonnerie spirituelle de ses
inspirations, auxquelles il fait succéder soudainement les sublimes
accents de la Marseillaise. Mais il donne en même temps la mesure
de son antipathie contre Rossini en ne jouant de lui qu'un seul
(1) Cmillier-Fleury, Journal intime, publié par E. Berlin; Pion, 1900,
morceau. Son extraordinaire gourmandise n'a de comparable
que sa rare poltronnerie. Il brandit son épée — un cure-dents —
contre des loups (en Auvergne ! s'écrie Cuvillier) dont il a horri-
blement peur et qu'il n'a pu voir que dans son imagination. Qui
sait si ce n'était pas encore là une de ce& mystifications dont il
était coutumier et dont il voulait donner la comédie à son audi-
toire?
Mais, de ce que Paër fût assez insoucieux de sa gloire pour se
dépenser en fantaisies indignes de son talent, il ne faudrait pas
conclure qu'il doive être condamné à l'oubli. Comme Spontini,
il eut des éclairs de génie. Le Maître de Chapelle, Agnese contien-
nent des pages dignes de mémoire. Delacroix, en 1824,
parlait d'une sérénade de Paër qui l'avait « frappé ». Quatorze
ans après, lorsqu'il briguait l'honneur d'entrer à l'Académie des
Beaux- Arts, il priait Alfred de Musset de solliciter pour lui la
voix de Paër.
Un autre musicien qui paraît avoir eu, lui aussi, un tempé-
rament de fumiste, c'est le flûtiste Tuiou, à qui le Journal de
Cuvillier-Fleury prête une fantaisie d'assez mauvais goût. Le
26 décembre 1828, l'artiste conviait l'élite de la société pari-
sienne à une soirée où il se mit à exécuter des variations bur-
lesques sur le violon, après que Vidal eut joué de la flûte. Puis,
les musiciens de l'orchestre, s'inspirant du même procédé, s'em-,
parèrent chacun d'un instrument qui leur était étranger et orga-
nisèrent la plus étrange des symphonies, avec accompagnement
de casseroles, de lèchefrites et d'harmonicas. L'auditoire ne prit,
comme on pense bien, qu'un médiocre plaisir à cette chariva-
rique mystification.
(A siiivre.) Paul d'Estrées.
COURTE MONOGRAPHIE DE LA SONATE
(Suite.)
Mais, comme le dit Fétis, la sonate ne doit sa forme moderne, celle à
laquelle nous devons tant d'admirables chefs-d'œuvre, qu'à Philippe-
Emmanuel Bach, le second fils, justement célèbre, du grand Sébastien.
Jusque-là les compositions publiées sous ce titre, même par les plus
grands maîtres: J.-S. Bach, Haendel, Durante, Scarlatti, Porpora,
n'étaient autre chose que des suites, comme nous les avons vu caracté-
riser par Brossard. Du grand Bach on connaît trois sonates pour piano,
six pour orgue, six pour violon, trois pour viole de garabe, six pour
piano et violon, six pour piano et flûte et une pour deux violons. Du-
rante a écrit huit sonates de piano, Domenico Scarlatti en a publié
trente en deux suites, et de Porpora on en connaît neuf pour piano et
violon et douze pour piano et basse. Du même temps il en e.xiste du
Père Martini, de Marcello, de Galuppi et de quelques autres.
Dans un travail excellent de M. Dino Sincero, La Sonata di Filippo
Emaimele Bach, publié il y a quelques années par la liivista musicale
italiana, l'auteur caractérisait ainsi le rôle de ce compositeur dans l'his-
toire et la formation de la sonate :
Au premier coup d'œil, la sonate de Philîppe-Emmanuel Bacli laisse
l'impression de quelque cliose de superSciel. Un relàcliement et une indéter-
mination dans les divers morceaux, une indécision dans leur caractère, qui
parfois ne semble pas parfaitement déâni, les allegri n'étant pas toujours
nettement séparés par un adagio ou un andante, laissent dans l'esprit de l'au-
diteur une sorte de doute sur les intentions de l'auteur. La plupart (des
sonates) sont formées de trois morceaux, quelquefois de deux, il y en a d'un
seul. Elles commencent et finissent tour à tour par un allefiro. un adagio, un
andante, sans aucun ordre. Il manque encore le troisième mouvement ou
minuetlo, qui, grâce à Beethoven, doit plus tard se transformer en scherzo.
Ces trois parties qui doivent toujours, quoique bien distinctes, former un
tout homogène et uni, manquent encore de ce contraste dans le mouvement,
dans la tonalité, dans le caractère, qui est inhérent à l'essence de cette
forme. Elles ne sont pas toujours séparées par une pause, et, par le fait de
l'indécision ci-dessus mentionnée, celui qui écoute ne pourrait pas toujours
comprendre s'il se trouve au commencement, au milieu ou à la fin de l'œuvre;
et en certains cas on pourrait très bien intervertir l'ordre des morceaux en
mettant, par exemple, le dernier à la place du premier, sans que l'ensemble
ait à en souffrir. Surtout la clarté manque dans l'accord de repos, et aussi
dans la conclusion de la composition, ce vivacr crescendo qui est pourtant une
règle de l'art et qui seul peut donner pleine et parfaite satisfaction dans le
sens de la tonalité, source principale ne la vraie jouissance musicale.
Mais si nous faisons abstraction de ces questions et de ces détails de
LE MÉNESTREL
283
forme, et si nous jugeons la sonate de Philippe-Emmanuel dans son ensemble
et dans sa situation historique, elle prend une importance capitale dans
l'histoire de cette forme artistique et elle attire vraiment toute l'attention
des esprits studieux. La polyphonie absolue cède le pas à l'homophonie, la
modulation se fait libre et hardie, on voit abonder les surprises harmoniques,
les passages enharmoniques, les répercussions de thèmes dans des tonalités
éloignées et disparates; an sérieux grave et compassé de la musique anté-
rieure se substitue Vm's nova et apparaît ce hadinage, cet humour de Heine
éminemment moderne et qui, avec le grand Beethoven, surgira plus tard
dans des proportions si épiquement gigantesques. Cette technique harmo-
nique plus riche et plus moderne est encore plus grandement soulignée par
de rapides changements de forle et de piano, par de beaux contrastes esthé-
tiques et par une certaine élégance fine et aristocratique qui représente à
merveille la société musicale au milieu de laquelle s'est développée l'activité
de Philippe-Emmanuel.
Et l'écrivain ajoute : — « Mais où Philippe-Emmanuel se montre
vraiment novateur, c'est en donnant au premier morceau de la sonate
son véritable développement et cette unité provenant de la réunion de
deux thèmes, dont le second est le contrepoids du premier, et dans les
développements et déductions de ces thèmes avant de les faire réappa-
raître dans leur tonalité initiale. »
Philippe-Emmanuel doit donc bien être considéré comme le père de
la sonate telle qu'elle est constituée depuis uu siècle et demi, telle qu'on
la pratique depuis lors. Il peut la revendiquer comme son œuvre propre,
et il lui doit une partie de la gloire qui s'attache à son nom. Il en a écrit,
je crois, environ une centaine, toutes pour piano seul, à l'exception de
treize en trios pour piano, violon et violoncelle. Haydn, qui ne tarda
pas à le suivre dans la route qu'il avait ouverte, en a composé plus de
soixante, soit pour piano seul, soit pour piano et violon, soit pourpiano,
violon et violoncelle (sans compter quelques-unes pour baryton); toutes
sont des chefs-d'œuvre d'élégance, de style, de mélodie et d'origina-
lité. Les sonates d'Haydn sont généralement divisées en trois morceaux
seulement. Mozart en a fourni un nombre presque aussi considérable,
dont les deux tiers environ pour piano et violon, le reste pour piano
seul ; il a mis dans ces œuvres adorables toute la tendresse mélanco-
lique, tout le charme pénétrant, toute la fleur de jeunesse qui distinguent
son admirable génie; ces diverses pièces se font surtout remarquer par
une fraîcheur d'inspiration et une pureté de lignes vraiment antique,
qui en font des modèles absolument inimitables. Dans le même temps
Sacchini, Paradies et Rutini, en Italie, Rust et Schobert en Allemagne,
publiaient un certain nombre de sonates.
Enfin vint Beethoven, qui donna à la sonate, comme à la sym-
phonie, une ampleur et des développements inconnus avant lui, qui en
fit un poème toujours dramatique et touchant, souvent hardi et pas-
sionné, parfois d'un accent déchirant et désespéré. Qu'il s'agisse de
sonates pour piano seul ou pour piano et violon, peut-on citer, sans
évoquer immédiatement des souvenirs bien chers chez ceux qui ont eu
le bonheur de les entendre, l'admirable Sonate pathétique, qui justifie
si bien son titre, celles dédiées à la comtesse de Brown, celles à l'em-
pereur Alexandre, les trois éclatantes et splendides sonates dédiées à
l' archiduc Rodolphe? Et la sonate à Kreutzer (1), et la sonate en la b,
et celle ente majeur, et celle en ut dièse mineur !...
Spécialement, les sonates que Beethoven écrivit pour piano et violon
sont presque toutes d'immenses chefs-d'œuvre. Le caractère noble et
chevaleresque du violon, la sonorité tantôt pénétrante et pure, tantôt
éclatante et héroïque de cet instrument merveilleux, conviennent si
bien aux élans passionnés, aux accents dramatiques et touchants! Il est
c ependant curieux de voir comment, en Allemagne même, on appré-
ciait, quand elles commencèrent à se produire, les premières composi-
tions en ce genre de Beethoven. Nul n'est prophète en son pays, dit la
sagesse des nations. Voici, pour donner raison à ce proverbe, le juge-
ment que portait, enl79y, la brave Gozette musicale universelle de Leipzig
sur l'œuvre 12 de Beethoven, contenant les trois sonates pour piano et
violon en ré majeur, en la majeur et en mi majeur. .
Le critique commence par dire qu'il ne connaissait pas encore les
œuvres de piano de Beethoven; puis il avoue que ce n'est pas sans
peine qu'il est parvenu à se rendre compte de ces sonates, selon lui
surchargées d'étranges difficultés. — « Il est incontestable, dit-il
ensuite, que M. Beethoven suit une route à part, mais quelle route
(1) .Je ne sais où l'écrivain fantasque qui avait nom W. de Lenz a pu prendre que
II Kreutzer ne comprit rien à cette œuvre colossale qui perpétue encore son nom quand
l'auteur de Lodontia est oublié depuis longtemps " (Beetlioven et ses trois styles). Kreutzer
est oublié comme compo&iteur dramatique, c'est vrai, quoiqu'il n'ait pas laissé que de
prouver du talent sous ce rapport (Berlioz, chez qui la louange est rare, en témoigne
d'une façon éclatante) ; mais il ne l'est point en tant que violoniste, et soit comme virtuose,
soit comme compositeur pour son instrument, il a montré une valeur assez exceptionnelle
pour que l'assertion de 'W. de Lenz, que n'appuie aucune preuve, paraisse singulièrement
sujette à caution.
pénible et bizarre I Beaucoup de science et toujours de la science, mais
peu de nature et pas de chant. L'ensemble est savant, hérissé de diffi-
cultés, mais on voudrait plus de méthode pour soutenir l'intérêt ; au
lieu de cela l'auteur recherche les modulations extraordinaires; il a une
répugnance visible pour les résolutions habituelles (des accords) et se
plaît à entasser difficultés sur difficultés, ce qui ôte tout plaisir et toute
patience pour les travailler (?). Déjà un autre critique a fait les mêmes
reproches à M. Beethoven, et nous sommes d'accord avec lui.
Cependant ce travail ne doit pas être entièrement rejeté; il a son
mérite et' peut servir pour l'éducation des pianistes d'une certaine
force. »
Les Allemands, ceci le prouve, ne sont pas plus malins que d'autres
en matière d'appréciation et de critique musicales : ils ont presque laissé
Mozart mourir de faim ; ils ont, comme on le voit, contesté jusqu'au
magnifique, au resplendissant génie de Beethoven; aujourd'hui ils rail-
lent Mendelssohn et le traitent volontiers de « perruque ». Quand on a
de tels péchés sur la conscience on est mal venu, sans doute, â railler
son prochain et à le prendre de haut avec lui.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
LA MUSIQUE DANS L'INDE
Nous connaissons mi autre livre de musique tamoule, mais qui n'est
pas une œuvre originale ; c'est un recueil de cantiques c omposés par les
missionnaires chrétiens en langage et sur des airs du pa ys, suivant une
coutume très ancienne : l'on sait qu'en tout temps et dans tout pays les
prosélytes de la religion chrétienne ont adapté des paroles religieuses
à des airs profanes, se servant ainsi de la musique comme d'un moyen,
certainement très efficace, de propagation des idées. Nous avons donné
assez d'extraits d'autres publications, plus authentiques, de l'art lyrique
de l'Inde poiu- nous croire autorisé à négliger celle-ci, que nous n'avons
pourtant pas voulu passer complètement sous silence (1).
Du théâtre dans l'Inde, les auteurs précédemment cités ne nous par-
lent guère. De fait, cet art parait être aujourd'hui tombé en désuétude,
après avoir connu des époques d'une existence brillante. C'est un écri-
vain français qui nous renseignera le mieux sur son caractère et sur le
rôle qu'y joue la musique. M. J. Grosset, qui faisait suivre son nom,
en 1888, du titre de « Boursier d'études près la Faculté des Lettres de
Lyon », a publié à cette époque, sous le nom de Contribution à l'étude
de la musique hindoue, un important document qu'il dit remonter à une
époque indéterminée, entre les deux derniers siècles avant l'ère chré-
tienne et les trois ou quatres siècles après : le vingt-huitième chapitre
du Traité sur le Théâtre (NàtyaçâMra) de Bharata, chapitre consacré â
V Instrumentation musicale. Il en donne un texte critique, suivi de la tra-
duction, le tout accompagné d'un avant-propos de cai-actère général, et
de notes nombreuses et circonstanciées (2).
Le livre en question est ancien, mais on peut trouver encore dans
l'Inde quelques survivances des coutumes qu'il rapporte. C'est ainsi
qu'aujourd'hui encore il se donne dans le Bengale des représentations
populaires, appelées yâtras, où se jouent des pièces en bengali moderne,
composées par des lettrés sur certains épisodes du Râinâyana et du
Mahàbhârata, à l'imitation des antiques drames sanskrits. Le chant et
l'élément lyrique y tiennent une place importante : tandis que le
dialogue est souvent laissé â l'improvisation de l'acteur, les vers, la
musique, la mimique et la danse sont traités avec un souci tout
particulier.
Dans les provinces occidentales existent des productions analogues,
les rasas, sortes de ballets accompagnés de chansons et de gestes
mesurés, représentant également les aventures de Ràma ou de Krisna.
Plusieurs pièces de l'ancien théâtre hindou comportent des parties
(1) Ce livre (in-8° oblong, 1892) imprimé entièrement en langue tamoule, mais conte-
nant quelques notes en français, en anglais et en latin, a été relié à la Bibliothèque du
Conservatoire sous ce simple titre : Airs indieTis publiés à Madras.
(2) Nous avons eu grand'peine à trouver ce livre, sur lequel nous avions pourtant une
indication bibliographique parfaitement exacte. C'est que, bien qu'il forme un tout et qu'il
ait une pagination spéciale, il est imprimé dans un recueil intitulé Mélanges de Philologie
indo-européenne, par M. Paul Kegnaud, professeur de sanslu-it, et MM. J. Grosset et
Grandjean, étudiants, etc., formant le t. VI de la Bibliothèque de la Faculté des Lettres de
Lyon, Paris, Leroux, 1888. Nous en donnons le titre complet afin d'éviter à ceux qui vou-
draient le connaître la peine des vaines recherches que nous avons dû faire avant d'eii
avoir communication.
284
LE MÉNESTREL
lyriques auxquelles la musique était certainement associée dans la
pratique. Il est question d'orchestres, de chants, de mimique et de
danse ; la scène est encombrée d'instruments de musique qu'une voix
ordonne d'enlever à un moment donné, etc.
Les prologues, notamment, paraissent avoir eu un caractère spé-
cialement musical. Voici comment un ancien poème raconte le com-
mencement d'une pièce légendaire, le Reniez-vous de Rambhû :
9 Ils font retentir les cymbales, les instruments à vent accompagnés
du bruit des tambours, les divers instruments au.x cordes sonores, aux
notes harmonieuses.
0 Alors les femmes delà race de Bhima chantent l'air appelé Châlikya
sur le mode gàndhâra usité chez les dieux, véritable ambroisie de
l'oreille, charme à la fois de l'esprit et des sens.
» Elles chantent la « Descente du Gange », elles exécutent avec un
ensemble parfait cet àsârita. combinaison d'agréables mélodies.
» Les Asuras subissent le charme de leur chant que cadencent les
layas et les tàlas: ils écoutent cette œuvre magnifique, « la Descente du
Gange », et, ravis, se lèvent à plusieurs reprises.
» ... On exécute le nàndi. Cette bénédiction terminée, le fils de
Rulîmini récite une çloka relatif à la « Descente du Gange », qu'il
accompagne d'un jeu savant.
» Après quoi vient la représentation de la pièce « Les Entretiens
amoureux de Rambhà et du fils de Kuvera... »
Combien il serait intéressant pour nous d'avoir un texte exact et
accessible d'une de ces pièces, anciennes ou modernes, avec la notation
musicale, — ou, mieu.x encore, d'en voir la représentation ! Malheureu-
sement cela ne nous a pas été donné, et ne le sera probablement jamais.
Il faut donc nous en tenir à ces explications lointaines, desquelles ressort
du moins cette observation, que le rôle de la musique dans le théâtre
hindou est, â peu de chose prés, semblable à celui qui lui appartient
dans tout le théâtre d'Extrême-Orient, et que ce njle (les formes étant
mises â part) ne parait pas très différent non plus de celui qui lui était
assigné dans l'antique tragédie grecque.
Les instruments y tiennent une grande place, accompagnant l'action
d'une musique de scène appropriée. Dans le chapitre du Traité sur le
théâtre de Bharata, qui forme la base du savant travail de M. Grosset
et traite de Y Instrumentation musicale, l'auteur, dès la première phrase,
divise ces instruments en quatre classes : instruments à cordes, tam-
bours, cymbales, flûtes; puis il ajoute: « Dans le drame, ces quatre
espèces su réduisent à trois : les instruments à cordes (y compris les
voix), les tambours, et, chose singulière, l'exécution scénique (diction,
gesticulation, danse) ». Ainsi, ce qui constitue l'interprétation même du
drame est considéré par les hindous comme un élément musical. Au
reste, il y a parfois dans leur esprit d'étranges confusions. C'est ainsi
que, la base delà musique étant représentée à leurs yeux par un instru-
ment, la vina, d'origine divine, la voix humaine, le corps humain tout
entier n'est plus pour eux qu'un instrument de musique : la vina cor-
porelle! (1)
Du moins, à défaut de la musique même, nous connaissons aussi
bien qu'il est possible de le souhaiter les instruments destinés â lui don-
ner la vie sonore. Grâce à l'intelligente générosité du Ràja Sourindro
Mohun Tagore et à l'amour qu'il professe pour son art national, qui lui
fait chercher tous les moyens pour en répandre la connaissance en Eu-
rope, il nous est permis de contempler au moins les formes des instru-
ments en usage dans l'Inde moderne : le savant musicographe hindou
a fait don au gouvernement français, à des époques différentes, de deux
collections qui sont conservées au Musée instrumental du Conservatoire.
L'une est exposée, en belle place, dans une des salles du cabinet du con-
servateur, en attendant un agrandissement des locaux, qui permettra
de la mettre plus immédiatement sous les yeux du public. L'on y voit,
au centre, toute la série des instruments â cordes, quelques-uns à
archet, le plus grand nombre pinces à l'aide des doigts ou avec un plec-
tre. En haut s'étale la légendaire Vina, qui n'a plus pour caisse sonore,
comme au temps où l'inventa le fils de Brâhma. la tortue symbolique
sur laquelle repose le monde, mais qui aujourd'hui s'appuie, à ses deux
extrémités, sur deux calebasses. Prés de là, un petit tableau de sainteté,
évidemment destiné par celui qui l'a peint à orner quelque pagode, nous
montre la déesse Saraswàti, flottant sur la mer, au milieu des lotus, et
tenant serré contre elle un de ces instruments à la forme si différente
de tout ce que le matériel musical nous montre en tout autre pays. Puis
ce sont des espèces de violons à la table d'harmonie évidée, au fond
.irrondi comme celui du luth, ayant des oiseaux sculptés sur le manche.
L'un a la forme d'un paon, l'autre d'un poisson; un autre encore a pour
caisse sonore une coquille de nacre. Certains ont la simplicité toute
rudimentaire des instruments nègres : pourtant la facture en est plus
(Il Voy. GiiossET, ouvrage cUé, p. 5i, el noie 22, p. 82.
fine et plus soignée. Tel est le Pinaka, formé par une corde tendue sur
un arc, et dont la sonorité doit être dos plus frêles : il n'en a pas moins
pour inventeur, disent les bonnes gens, le dieu Siva en personne. Puis
ce sont quelques petites flûtes à bec, en bois blanc très léger et très sec,
au tube mince, aux sous doux, — et des instruments à anche, au
pavillon de cuivre mobile, — et le tubri, cet instrument rustique dont
se servent les charmeurs de serpents, —et des trompettes recourbées et
peintes, — et des conques au son rauque, dont certaines ont servi à
des guerriers notables pour rallier leurs troupes sur les champs de
bataille. Et maintenant voici les tambours, de toute forme et de toute
dimension, depuis les énormes tambours de guerre jusqu'aux instru-
ments destinés à rythmer la danse, en passant par une paire de petites
timbales en terre cuite que l'on bat avec les mains, — et de petites cym-
bales minuscules, au son argentin et suraigu, et des clochettes de bronze
surmontées par la figurine d'une divinité, et des grelots que les danseurs
s'attachent aux chevilles (1).
Certes il y a là de quoi recontituer toute la vie musicale de l'Inde. Ce
serait nous répéter que d'exprimer le regret que ces instruments si
nombreux et si oi-iginaux, quelques-uns si beaux, restent muets. Expri-
mons plutôt un espoir: qu'ilnous vienne quelquejourdu pays asiatique
un groupe de musiciens habiles en leur art, qui les décrochent de leurs
vitrines et leur rendent la vie. Ainsi nous serait-il donné de connaître
nous-mêmes des productions très vraisemblablement différentes des
nôtres, d'en éprouver peut-être des sensations inconnues, enfin d'avoir
une connaissance directe d'un art qui, qui malgré tant de pages écrites,
reste jusqu'ici pour nous, dans une large mesure, lettre morte.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXI [
LA STATUE DE MOZ.\RT
à M. Teodor de Wyzewa.
— La Statue?... Celle du Commandeur, qui vient si brusquement
solenniser le plus allègre des festins? Di rider finirai pria deW aurora...
Ah! ces trombones, ce formidable assaut du ton de ré mineur, qui
dominait déjà la svelte ouverture! Oui, le spirituel Auber, ce Don Juan
de l'art, en était saisi lui-môme, et sa remarque était profonde : cette
musique-là « sent le fantôme... »
— Parfait; mais vous n'y êtes pas du tout! Il s'agit aujourd'hui, dans
l'espèce, de la statue de Mozart en personne...
— De Mozart?
— Assurément, ma chère wagnérienne! De la statue de Mozart, qui
nous manque et que réclame un sage poète. Tous les poètes ne sont pas
de ces fous qui feraient, pieds nus, comme Tannhiiuser, le pèlerinage
de Rome on de Bayreuth... Et loin de la Mecque du wagnérisme, un
sage poète entretient son paisible auditoire d'un sujet bien rebattu : Les
œuvres de Mozart en France (.3). Après avoir discrètement cité ses pro-
pres rimes, il termine en demandant aux Parisiens la statue de Mozart.
N'y a-t-il un précédent? Shakespeare, génie étranger, mais universel ?
Et depuis un siècle, l'influence d'un Mozart n'a-t-elle pas été plus
salutaire tout ensemble et plus vive sur l'esprit français que la romau-
tifiue influence d'un Shakespeare?
— Est-ce vous, cher panégyriste de Mozart, ou le sage poète en ques-
tion qui soutient ce gracieux paradoxe ?
— C'est M. Hippolyte Buffenoir qui conclut de la sorte : suum cuiquef
Et je gage que la citation classique n'est point pour lui déplaire. Une
lacune, je l'avoue d'abord, m'a quelque peu déçu. Le titre de l'étude
m'avait alléché. Je m'attendais, après une brillante revue des adapta-
tions plus ou moins heureuses et des admirations plus ou moins sin-
cères, à trouver au moins quelques mots de procès-verbal sur cette
brave petite Société Mozart qui, le printemps dernier, faisait appel au
quatuor le plus solide ainsi qu'aux plus êrudites fauvettes (sans parler
du savoir charmant des conférenciers) pour réveiller le culie légèrement
assoupi du rossignol de Salzbourg... J'ai cherché, je relis : rien, pas
une ligne! La présence des strophes discrètes et le joli mirage de la
statue compensent médiocrement cet oubli. Le poète, évidemment, n'aura
point reçu de prospectus; aucune note des journaux ne retint ses yeux;
(1) Le Calalogae du Conservatoire, de Gustave Chouquet, donne la nomenclature com-
plète de ces instruments.
(i) Voir le Ménestrel du 1 i juillet, des 18 et 25 août 1901 .
(3) 'Voir, sous ce titre, l'article illustré du Monde moderne (n" d'août 1901;.
LE MÉNESTREL
285
et les soirées de la salle Mustel (1) furent si recueillies que nul écho
n'en sera parvenu pour se glisser parmi ses rimes.
— L'explication me parait juste : et, comme les absents, les gens
modestes ont toujours tort!
— Certes! Mais l'omission n'infirme pas la thèse. Vous ne pourrez
nier, non seulement la secrète influence du maître depuis sa mort, mais
la sympathie tacite de son àme immortelle avec le génie prime-sautier
de notre langue et de notre race. Après Gluck, Mozart : c'est la loi des
évolutions mystérieuses. Après Corneille, Racine, répondraient les gens
de lettres. Et les peintres : après un Prud'hon tragique, un Watteau
sublime... De bonne heure, et par sa grâce plus italienne, ce Watteau
style Louis XVI devait impressionner la gravité plus froidement pom-
peuse du style Empire aux lignes tristes : en France, à Paris dés 1803,
malgré la félonie des traducteurs et les attentats de Kalkbrenner, aux
Italiens dés 1811, et dés lors mieux respecté dans son idiome, Do/i
Giocanni devait doublement séduire les âmes déjà romantiques par sa
musique pure et son action troublante. Rossini n'était encore qu'un
écolier lointain. Et je voudrais bien savoir quelle impression fit sur la
ti'istesse de notre Méhul ou de notre Herold le sourire de cette aérienne
mélancolie... Plus tard, en 1834. malgré Castil-Blaze et le ballet para-
site qu'il se croyait le droit d'ajouter, notre Auber goûtait cette musique
qui le forçait à réfléchir : c'était une perfection qui ne bouleversait pas
trop éloquemmeut sa frivolité. Cinq ans après, je crois, un poète qui
n'était guère sage puisqu'il passait pour « le poète de la jeunesse »,
Alfred de Musset, ne craignait point d'écrire : « Ce qu'il y a d'inouï dans
ce temps-ci, c'est qu'on nous donne Doîi^uaTi et que nous y allons...» (2).
— N'èlait-co pas le beau temps du grand opéra meyerbeeresque, avec
des orgies, des armures et tout l'enfer au grand complet? Mais le goût
français restait fidèle à l'œuvre audacieuse et cavalière, et si vivante
en sa perfection, divinement libertine, malgré la victoire ultime de la
morale...
— Prenez garde ! A vous entendre on supposerait que c'est ici le
sujet qui fit passer la musique, et que l'àme parisienne s'est moins
engouée de Mozart que de son Don Juan, que réprouvait Beethoven : Il
dmoluto pwiilo, op. 67, dans l'italien du signer abbate Da Ponte, un
Casanova liljrettiste aussi cavalièrement taré que son héros !
— Vous parlez aussi bellement que la statue du Commandeur; mais
soyez sans crainte pour notre salut!
— Vint enflu Charles Gounod, non moins français, qui parle en pro-
phète : « La partition de Don Juan a exercé sur toute ma vie l'influence
d'une révélation ; elle a été, elle est restée pour moi une sorte d'incar-
nation de l'impeccabilité dramatique et musicale... Il y a, dans l'his-
toire, certains hommes qui semblent destinés à marquer, dans leur
sphère, le point au delà duquel on ne peut plus s'élever : tels Phidias
dans l'art de la sculpture, Molière dans celui de la comédie. Mozart est
mi de ces hommes; Don Juan est un sommet. » Victor Hugo parlait sur
ce ton de WiUiam Shakespeare : et, pour nous, Mozart ne serait-il pas
un petit Shakespeare, mieux approprié par la Providence à la taille de
ses posthumes admirateurs? Cela est si vrai que notre Berlioz, qui
faisait profession d'adorer le grand Shakespeare sauvage d'outre-Manche,
ne partageait nullement l'admiration germanique du sombre Hoiîmann
pour le musicien lumineux de Don Giovanni : son oreille morose n'en
percevait que les fioritures. Et d'autre part, sans invoquer aujourd'hui
Richard Wagner, on ferait un volume savoureux rien qu'en liant une
gerbe de toutes les litanies enthousiastes qu'un peintre dilettante réser-
vait à son dieu : Delacroix s'interroge, et s'il préfère successivement
Mozart à Rossini, à Weber, à Beethoven, c'est toujours « au point de
vue de la perfection » (.3). Son Don Juan ne lui semble pas seulement
un chef-d'œuvre de romantisme, mais le reflet le plus certain de la
politesse française.
— Wolfgang Mozart, musicien français ! Mozart de Salzbourg, le plus
musical des musiciens, soit! mais le plus français des compositeurs!
Voilà du nouveau...
— Du nouveau moins neuf que vous ne l'imaginez, puisque notre
mélomane Delacroix l'avait pressenti ! N'était-ce pas la France, en cet
heureux temps, le génie de la France qui semblait éclairer le monde?
Chaque époque favorise l'apogée d'une race ; et l'esprit français, au XVIII'
siècle, est le papillon qui voit éclore les roses de son choix : l'accord est
merveilleux entre l'âme et la fleur, entre le décor ou l'instant et la
pensée qui les anime. Si bien que la Muse de Mozart nous apparaît
sous les espèces capiteuses d'une blonde jeune fille autrichienne, pou-
drée comme un. pastel de La Tour. Son teint de fée se devine sous le
(1 ) Six séances, du 12 février au 30 avril 1901.
(2) Le 1" janvier 1839, à propos du Cùncei't de M"" Garcia (daus les Mélanges de UIW-
rature et de crUique],
|3) Journal d'Eugène Delacroix lUimanclic 2'i lévrier 1850), tODie I, page 'il9.
fard discret et la mouche gaillarde; l'éclat voluptueux des vives pru-
nelles dit la pensée, l'amour, la fièvre, le symptôme inconscient d'une
mort précoce : l'enfant est aimée des dieux ; et son regard embrase tout
l'idéal sourire où l'ironie s'éteint dans le rêve. Mais elle ne permettra
jamais à cette « pointe de délicieuse tristesse » qui ravissait Delacroix
de bannir l'élégante sérénité d'un temps qui croit encore à la douceur de
vivre. Passante exquise à travers les orages prochains, adorable canta-
trice qui a l'âme sage et l'allure fringante : et dans l'intimité familiale
comme aux feux du théâtre, sa grâce douloureusement spirituelle est
plus belle que la beauté. C'est Zerline, c'est la Suzanne des Noces de
Figaro, fleur épanouie dans une serre d'amour : Beaumarchais ne l'avait
pas devinée si désirable; et la gracieuse artiste a pour frère cadet Ché-
rubin, gamin céleste, qui, l'œil noir, le nez au vent, les lèvres grasses,
peut rivaliser avec le profil plus athénien des Lysis et des Phèdres.
Chérubin : Wolfgang à Paris, quand il habitait Chaussée d'Antin, chez
le baron Grimm !
— La voilà, la statue rêvée! Mais je doute fort que vous puissiez déni-
cher le sculpteur capable de réaliser le groupe idéal. La meilleure œuvre
d'art en l'honneur du maître, ce serait une parfaite exécution de sa
musique. Et puisque vous avez laissé passer l'heure du centenaire, je
ne suis pas sans inquiétudes... De plus, votre Mozart français ne se
donnait-il pas comme un ennemi juré de la musique française? Ouvrez
simplement sa correspondance. Dés son premier séjour parmi nous, en
1764, c'est son père, le violoniste Léopold Mozart, qui, en bon dévot,
ne se montre guère indulgent pour son prochain. Tenez, voici le Mozart
du chanoine Goschler; et tant pis pour nous si sa traduction conscien-
cieuse ne calque pas absolument l'original! Ici, je le crois fidèle. Le
1^' février, le père écrit à Madame Hagenauer : « Pourquoi n'écrire qu'aux
hommes et ne pas se souvenir du beau sexe, du sexe dévot? Les femmes
sont-elles, en effet, belles à Paris? Impossible de vous le dire, car elles
sont peintes comme des poupées de Nuremberg et tellement défigurées
par ces dégoûtants artifices qu'une femme naturellement belle serait
méconnaissable aux yeux d'un honnête Allemand. Quant à ce qui est
de leur dévotion... » Mais il se fait tard; et nous ferions bien de remettre
la suite au prochain dialogue...
— A votre guise ! Mais si nous entrons dans cette voie, qui me semble
celle des aveux, je vous obligerai courtoisement de convenir que votre
Richard Waguer en a dit bien d'autres !
— Croyez-vous? Et puis, il ne s'agit pas encore de lui dresser un
bronze expiatoire sur la plus avantageuse de nos places vacantes...
— Qui sait? Ce sera peut-être pour 1976, pour le centenaire de Bay-
reuth... alors que nos théâtres, toujours capricieux, joueront déjà de
moins en moins sa musique! Tout arrive.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (5 septembre). — Le théâtre de la
Monnaie a rouvert ses portes ce soir. La troupe est complète, et en partie re-
nouvelée. Si l'on n'y trouve plus le nom de certains artistes qui, comme
M. Seguin, nommé professeur de chant à Liège, ont largement contribué à
l'intérêt des soirées artistiques de l'an dernier, d'autres éléments importants
nous restent acquis. M. Sylvain Dupuis et M. Kuhlmann occupent toujours
le pupitre de chef d'orchestre; et nous gardons M. Saracco, l'excellent maître
de ballet, les ténors Dalmorès, David et Forgeur, les basses Pierre D'Assy
et Danlée, le baryton Badialî, les chanteuses M"'^ Litvinne, Paquot, Dhasty.
Maubourg, Friche et Thiéry. Parmi les nouveaux venus, il faut noter surtout
M. Imbart de la Tour, qui rentre dans les rangs, MM. Séveîlhao et Albers,
barytons, MM. Belhomme et Sylvain, basses, et tout un bouquet de chan-
teuses en tète desquelles figure la gracieuse M.""» Landouzy, que l'on sera
charmé de revoir, suivie de nombreuses débutantes, M"><i5Feltesse-Ocsombre,
de Véry, Loriaux, Tourjaue, Dolmée, Strasy et de M"= Verlet. Enfin, dans la
danse. M"» Brianza est chargée de consoler les abonnés du départ de
i\l"» Dethul.
Les premiers spectacles seront surtout, comme tous les ans, des spectacles
d'essai. Lohengrin, Rigoletto, Faust, la Traviata, les Huguenots, Lakmé, etc., ser-
viront aux débuts et au.x rentrées. Parmi les plus prochaines reprises d'ou-
vrages courants, figureront celles de Tannhuuser, de iVerlker et i'Iphirjénie en
Tauride. Et parmi les ouvrages d'intérêt plus « nouveau » nous aurons tout
d'abord Djamileh, de Bizet, et le Crépuscule des Dieux, qui sera un des gros
« morceaux » de la saison. Nous verrons après. Le Soi Arlhus àe feu Chausson
ne sera pas oublié, et l'on parle déjà de la GriséUiis de Massenet, avant
même qu'elle n'ait paru.
La réouverture, avec Lohengrin, préparé et présenté comme un petit évé-
nement artistique, a été, ce soir, très satisfaisante. L'œuvre avait reçu des
soins parliculiers; costumes et décors en partie nouveaux, et mise en" scène
286
LE MENESTREL
modifiée, d'après les plus fidèles traditions de Bayreulh. C'est ainsi que le
décor du deuxième acte ne représente plus une place publique, mais la cour
intérieure d'un burg roman. De la Kemenate, ou palais réservé aux femmes,
une longue galerie ajourée descend par degrés vers le fond où se trouve le
palais du roi et la partie du burg réservée aux hommes. C'est par cette ga-
lerie que descendent les princesses et dames nobles de la compagnie d'Eisa
pour se rendre à l'église, non pas, à proprement parler, en cortège, mais en
formant un défilé. Le balcon sur lequel Eisa chante son hymne à la nuit est
reporté tout à l'avant-plan. C'est là, au moment de partir pour l'église, qu'elle
reçoit les hommages des nobles et guerriers réunis dans la cour. Le premier
tableau de l'acte III, la chambre nuptiale, est aussi en partie modifié. Il a
été réduit de façon à conserver à la scène le caractère intime que "Wagner a
voulu lui donner. L'épithalame ne se chante plus tout entier en scène, comme
cela s'est toujours fait précédemment, mais, suivant les indications de Wa-
gner, la première partie se dit dans la coulisse, puis le chant semble se rap-
procher avec les deux cortèges, celui des suivantes d'Eisa et des nobles ac-
compagnant Lohengrin, qui entrent enfin pour se grouper autour des deux
héros et les congratuler. Puis le chœur. se relire et les amants restent seuls.
Chose curieuse, la partition est remplie de notations scéniques qu'il eût suffi
d'observer pour obtenir les effets voulus par "Wagner et éviter la banalité
des mises en scène traditionnelles. Quant aux costumes, il ont été reportés à
l'époque du X» siècle, qui est celui du règne du roi Henri l'Oiseleur, sous lequel
se passe l'action. Les comtes et barons de Saxe et deThuringe, les nobles du
ban brabançon, les guerriers et les écuyers n'ont plus tous le même costume
et le même casque, ce qui leur donnait l'air de pelotons d'une garde civique
médiévale. Cette fois, chacun a son costume spécial. De même pour les dames,
qui, autrefois, portaient à peu près toutes la même coiffure et des robes de
même coupe, comme un uniforme de pensionnat. On a varié, suivant les do-
cuments, du reste assez rares, de l'époque, la coupe et les ornements des
manteaux, les tuniques longues et les coiffures. En général, l.i variété était
très grande dans les costumes tant masculins que féminins du X= siècle, bien
qu'ils fussent conçus tous d'après des costumes byzantins. Tout cela forme
un agréable spectacle. Quant aux interprètes : M"" Litvinne, Eisa, Mm= Bas-
tien, Ortrude, et JI. Dalmorès, Lohengrin, forment un trio de stature excep-
tio nnellement... héroïque et de bonne qualité au point de vue vocal.
M"» Litvinne est toujours la cantatrice adroite, qui charme par la facilité
extrême de son organe cristallin, et M. Dalmorès, très en progrès, a de la
distinction et de l'intelligence. L'ensemble de l'interprétation a été très bon.
La saison des concerts s'annonce, de son côté, par des promesses nom-
breuses. Au Conservatoire nous entendrons Armide. Aux Concerts Ysaye le
pro gramme est aussi compact qu'alléchant. Aux Concerts populaires on dé-
butera par une séance consacrée à la mémoire du regretté Joseph Dupont et
au bénéfice du monument qui doit être élevé à Bruxelles, au coin de la rue
qui porte son nom ; puis viendra, le 8 décembre, un concert avec le concours
du violoniste Jacques Thibaud ; un autre nous fera entendre la fameuse sym-
phonie de M. Gustave Mahler, chef d'orchestre de l'Opéra de Vienne; et enfin,
au troisième, nous aurons la Prise de Troie de Berlioz, qui n'a jamais été exé-
cutée à Bruxelles. L. S.
— Le théâtre de la ville de Hambourg annonce la représentation de Louise
pour le courant du mois de janvier prochain. La troupe complète ira, avec le
matériel, donner des représentations du roman musical de M. Gustave Char-
pentier au théâtre d'Altona.
— D'autre part, le théâtre municipal de Magdebourg promet aussi, pour le
courant de la saison prochaine, cette même triomphante Louise, qui, étant
déjà annoncée dans huit théâtres d'Allemagne, sera certainement la nou-
veauté sensationnelle de toutes les grandes scènes d'outre-Rhin.
— Le théâtre municipal d'Elberfeld jouera pendant la saison prochaine un
opéra-comique intitulé les Juges secrets, musique de M. Otto Klauwell.
— L'Opéra de Francfort a reçu un opéra inédit intitulé Claude Monteverde,
musique de M. Adolphe Arensen. Il s'agit de l'illustre compositeur qui a été
un des fondateurs du drame lyrique.
— Il vient de se tenir à Francfort-sur-le-Meiu une sorte de congrès (la
mode est aux congrès) des maîtres de ballet allemands. Cette noble assemblée
s'est occupée de divers sujets plus ou moins intéressants, et elle a exprimé le
vœu de la création d'une « Université de la danse », subventionnée par l'État.
On voit que ces messieurs n'y vont pas de main-morte — j'allais dire de pied
mort. Ils ne rêvent qu'une université pour leurs entrechats I Louis XIV, au
temps de sa splendeur, s'était contenté d'une Académie de danse. Et Dieu
sait si l'on s'en est gaussé !
— On apprend de Darmstadt que le compositeur Arnold Mendelssohn a
presque terminé un oratorio intitulé Samson, paroles de M. Hermann "VVette.
Que de Samsons, avec ou sans Dalila!
— A l'Opéra de la Cour de Dresde débutera prochainement, dans le rôle
de Lohengrin, un docteur en médecine, M. Alfred de Bary. M. de Bary était,
il y a peu de temps encore, assistant du professeur docteur Flechsig à l'Uni-
versité de Leipzig. Il possède, dit-on, une voix superbe, que le professeur
Muller, du Conservatoire de Dresde, est en train de former.
— Les journaux anglais racontent une jolie histoire où se trouve en scène
le célèbre violoniste Joachim. Il avait faitla connaissance de lord H., gen-
tilhomme très sympathique mais absolument réfractaire à la musique. Ayant
appris, à table, que Joachim, avec lequel il s'était lié, devait jouer en mati-
née, lord R. dit à l'artiste qu'il irait entendre un de ces fameux quatuors de
Beethoven dont on parle tant. L'artiste répondit en souriant qu'il serait
curieux de connaître les impressions que le dernier quatuor de Beethoven
produirait sur le noble lord. Peu après le concert, le virtuose rencontra son
ami dans une soirée et lui demanda si le quatuor ne lui avait pas déplu.
Cl Mais je me suis fort bien amusé, répliqua lord R., je ne vous ai pas re-
connu d'abord sous votre masque de nègre, mais plus tard j'ai ri d'autant
plus, 1) Etonnement général de l'artiste et de l'assistance. Après quelques
questions posées par la maîtresse de la maison, on apprit que lord R. s'était
trompé d'étage à Saint-James Hall ; au lieu de monter au premier, où
Joachim donnait son concert, il était entré au rez-de-cbaussée dans une
salle où des « ménestrels r nègres se faisaient entendre.
— On vient d'ériger au cimetière de Tutzing, près Munich, un monu-
ment funèbre en l'honneur du célèbre ténor wagnérien Henri Vogl, mort
l'année passée. Un médaillon montre les traits de l'artiste ; un autre à côté
est destiné à sa femme, qui désire partager plus tard la tombe de son mari.
Mais ce qui donne au mausolée un cachet particulier, c'est une croix entourée
de rayons au pied de laquelle est placée le calice du Saint-Graal et au-dessus
de laquelle plane la colombe. C'est une touchante allusion à ce rôle de Lohen-
grin que Vogl a interprété avec tant de poésie et qui a compté, avec celui de
Loge dans l'Or du Rhin, parmi les plus étonnantes créations de l'artiste.
— Le surintendant général des théâtres impériaux de Vienne a fait trans-
porter sa collection de portraits, plus de 20.000 feuilles, â la Bibliothèque
impériale, qui possédait déjà une collection déplus de SO.OOO numéros divers.
Une salle sera spécialement organisée et le public pourra désormais utiliser
cette collection de plus de 70.000 documents. La collection de la Surinten-
dance est déjà pourvue d'un catalogue dressé par le chef des bureaux de la
Surintendance, M. "Wlassack, avec le concours de l'excellent archiviste
M, 'Weltner et de MM. Bermann et Paul. La collection ne renferme que des
portraits de personnes tenant à l'histoire du théâtre et de la musique dans
tous les pays. C'est ainsi que la reine Marie-Antoinette, dont la collec-
tion contient un grand nombre d'images, est désignée comme « chanteuse,
virtuose de harpe et danseuse », Le sultan Abdul-Medjid, qui est mort en
1861, est désigné comme pianiste, élève et protecteur de Donizetti. La reine
Marie Stuart est désignée comme « chanteuse et virtuose sur le luth ».
Luther se trouve représenté comme compositeur de musique. La direction de
la Bibliothèque impériale a adressé à toutes les personnes qui possèdent des
portraits d'artistes de théâtre et de musiciens la demande de les céder aux
collections de la Bibliothèque, et M. Mahler, directeur de l'Opéra impérial,
s'est déjà dessaisi de sa propre collection, assez importante, pour l'offrir à la
Bibliothèque. Ajoutons qu'à la bibliothèque de l'Opéra de Paris, notre collabo-
rateur et ami Charles Malherbe a organisé une collection de portraits analogue
qui est déjà assez nombreuse, mais qui est loin d'égaler la collection extraor-
dinaire de la Bibliothèque impériale de Vienne.
— L'Opéra impérial de Vienne a reçu tin petit ballet intitulé Divertissement
espagnol, musique de M. Joseph Bayer, scénario de M"'= Sironi, première
danseuse de ce théâtre. Inutile de dire que M''" Sironi mettra en scène son
ballet et le dansera.
— Le théâtre An der Wien rouvre ses portes en novembre. Un groupe
d'artistes qui s'intitulent les « Jeunes Viennois » a loué le théâtre pour y jouer
un opéra intitulé la Sorcière de la danse, paroles de M. Biesbaum, musique de
M. Thuille. Le théâtre An der "Wien, qui peut se vanter que la Flûte e7ichantée
y a été jouée pour la première fois, retourne ainsi au genre pour lequel il
avait été construit.
— Le Trovatore nous annonce que M, Edouard Sonzogno est en pourparlers
avec la direction de ce même théâtre An der "Wien, pour y faire repré-
senter, pendant la prochaine saison, l'André Chénier de M. Giordano et la
Zaza de M. Leoncavallo.
— Le conseil municipal de Prague a voté, dans sa dernière séance, des
félicitations à son compatriote M. Antoine Dvorzak, le célèbre compositeur
tchèque, dont on s'apprête à fêter le soixantième anniversaire de naissance.
Le théâtre national tchèque organise à cette occasion toute une série de repré-
sentations populaires consacrées à l'exécution des principales œuvres du
maître, entre autres son oratorio Sainte LudmiUa et son dernier opéra, Rom-
salka, dont un acte a été représenté devant l'empereur-roi, François-Joseph,
dans le spectacle qui lui a été offert lors de son récent séjour dans la capitale
de la Bohême. Roussalka sera d'ailleurs montée cet hiver au théâtre impérial
de Vienne.
— On a commencé, à Oberammergau, la construction d'un petit théâtre
sur lequel les acteurs désignés pour les prochaines représentations de 1910
pourront s'exercer. On y donnera d'ailleurs tous les ans, en été, quelques
représentations pour attirer les étrangers et faire d'Oberammergau un lieu de
villégiature. Le potier Lang, le représentant du Christ en 1900, a été à
Bayreuth avec une famille anglaise qui l'y avait invité et est revenu enthou-
siasmé de Parsifal; il dit qu'il y a beaucoup appris et qu'il jouera, en 1910,
le Christ beaucoup mieux que la dernière fois.
— Au Grand-Hôtel d'Aigle, très jolie soirée musicale donnée par M. Paul
Séguy et M"" Blanche Huguet accompagnée du pianiste Lautermann, qui font
une tournée de « diffusion musicale ». Grand succès pour lu Charité et Prin-
temps de Faure, l'air à'Iphigénie en Tauride de Gluck, les Petites Pièces pour
piano de Théodore Dubois et le duo du Roi de Laliore de Massenet.
LE MENESTREL
287
— Grand succès au théâtre del Giglio de Lucques pour Werther de
Massenet. Le ténor Garulli, dans le rôle de Werther, et M""» Bendazzi-GaruUi
(Charlotte) ont réuni tous les suffrages; les rôles secondaires étaient égale-
ment fort bien distribués. L'orchestre s'est tenu vaillamment sous l'excellente
direction du maestro Sturani, qui est à peine âgé de vingt ans et dont le rare
talent fait espérer une carrière brillante. Le public nombreux et élégant —
tous les baigneurs et baigneuses de marque ont tenu à assister à cette première
— a chaleureusement applaudi l'introduction, l'air du ténor, qui a été hissé,
le finale du premier acte, l'air de Charlotte et le grand duo. Nombreux rappels
après chaque acte, surtout après le dernier. La mise en scène a été d'une
rare splendeur pour l'Opéra de Lucques.
— Un congrès international de sciences historiques aura lieu à Rome au
printemps prochain. Une section du comité qui prépare ce congrès a eu la
pensée d'organiser à ce propos une Exposition du spectacle théâtral et vient
de publier une circulaire qui donne une idée de son projet. L'Exposition com-
prendra tout ce qui se rapporte aux œuvres, aux acteurs, aux costumes, aux
décors, aux accessoires, au matériel, aux aCQches, etc. « Des illustrations gra-
phiques devront faire connaître les transformations du théâtre italien depuis
le moyen âge jusqu'à nos jours ; puis, avec diverses espèces de documents,
on devra rappeler les divers genres de spectacles : pastorale, danse, œuvres
lyriques, spectacles de cour, allégoriques, patriotiques... » Une section parti-
culière de l'exposition sera consacrée à Verdi.
— Ces jours derniers, dit un journal italien, arrivait d'Alexandrie à Naples
le paquebot Umberto. Il avait à bord un artiste romain, Romolo Balderi, âgé
de 43 ans, qui était parti pour le Caire avec son père et sa femme, engagé
dans une troupe d'opérette. Son père était mort peu après son arrivée au
Caire, et lui-même donna bientôt des signes de folie. Le consul italien donna
alors l'ordre de le rapatrier, et à peine l'artiste était-il débarqué àNaples qu'on
dut l'enfermer dans une maison de santé.
— Une manifestation musicale qui n'est point commune. A Trévise, la
musique du 67= régiment d'infanterie a exécuté en public la partition entière
de la Tosca, l'opéra de M. Puccini, ainsi arrangée pour bande militaire par le
maestro Colucci. Le succès, parait-il, a été complet. C'est égal, ça devait être
un peu long.
— Au théâtre Gostanzi de Rome vient d'avoir lieu une reprise brillante
de ta Belle Hélène d'Offenbacb. Cette œuvre pimpante a retrouvé son succès
énorme d'antan, grâce à la fraîcheur de la musique et à l'excellente inter-
prétation qu'en a donnée la troupe d'opérette Marchetti.
— On lit dans le Mondo artistisco : « Vient de mourir à Naples Domenic o
Morelli, le plus grand peut-être, pour la robustesse de conception et l'ori-
ginalité, des peintres italiens. Sa mort vient à peu de distance de celle de
Verdi. Nos grands hommes s'en vont et nous laissent un monde mesquin
et lamentable. Le peintre et le musicien s'étaient connus et étaient devenus
intimes. Voici l'anecdote qui les unit. Morelli, lorsque Verdi se rendit à
Naples pour mettre en scène le Ballo in maschera, fit du maître un portrait à
l'huile pour lui-même, dans son atelier. Sur cette toile un autre peintre
célèbre, Palizzi, peignit autour du portrait une fraîche couronne de laurier.
Puis, ainsi que l'écrivit plus tard Morelli quand Eduardo Ximenes lui
demanda de quelle façon il avait connu Verdi, comme Palizzi, avec sa cou-
ronne de laurier, avait acquis un droit sur la toile, il fut convenu entre les
deux illustres artistes que chacun d'eux l'aurait à tour de rôle pendant un
mois dans son atelier. Plus tard Vincenzo Torelli, le père de l'auteur drama-
tique Achille Torelli, pria Morelli de lui prêter ce portrait pour le faire
figurer dans sou salon un jour de réception, — et il ne le rendit jamais. »
— De Saint-Pétersbourg : Le Petit-Théâtre vient d'être détruit par un
incendie. Géré par le directeur du journal Novoié Yremia, le Petit Théâtre,
auquel on venait de faire des réparations, n'avait pas encore rouvert ses
portes.
— A Volo vient de se fonder une société musicale qui a pour but de
répandre le goùtdela musique, et surtout de la musique, classique et moderne,
en donnant des concerts et en faisant des conférences. La Société musicale a
même l'intention de créer une sorte de Conservatoire en instituant des cours
pour tous les instruments. Elle a engagé comme directeur musical M. Pâque,
pianiste-compositeur, qui était professeur au Conservatoire de Liège.
— Le dernier annuaire de la Société des auteurs de Madrid, d'une part,
et, de l'autre, un journal de cette ville, el Economista, nous apportent des
détails intéressants sur la vie théâtrale en Espagne. On sait que les Madri-
lènes, comme, d'ailleurs,' tous les Espagnols, ont pour le théâtre une passion
ardente et que rien ne semble pouvoir assouvir. C'est ce qui fait que la capi-
tale du royaume, dont la population ne dépasse guère 300.000 habitants, ne fait
pas vivre moins de quatorze théâtres de divers genres : le théâtre Royal et
les Jardins de Buen Retiro, où l'on joue l'opéra sérieux; le théâtre espagnol,
la Comédie, le théâtre de la Princesse, le Lara, consacrés au drame et à la
comédie; le Politeama Parish, qui cultive la grande zarzuela en trois actes ou
plus; et enfin, la Zarzuela, l'Eslava, l'Apolo, le Romea, le théâtre Moderne,
l'Eldorado, le théâtre Comique, où florissent le vaudeville et la zarzuela en
un acte. Et tous ces théâtres, dont les deux premiers ont surtout pour clien-
tèle la haute aristocratie et la bourgeoisie riche, tous ces théâtres sont si fré-
quentés que, d'une statistique publiée par el Economista, il résulte que dans un
espace de quinze mois, du l"^' janvier 1900 au 31 mars 1901, la population
madrilène n'a pas dépensé pour les spectacles moins de 1.900.000 francs!
D'autre part, l'annuaire de la Société des auteurs nous apprend que dans le
cours de la dernière saison, c'est-à-dire du l" septembre 1900 au 31 juil-
let 1901, il n'a pas été mis à la scène, dans les divers théâtres, moins de
quatre-vingt-treize ouvrages nouveaux, soit vingt-deux drames ou comédies et
soixante et onze saynètes ou zarzuelas. Il va sans dire que tous ces ouvrages
ne sontpas des chefs-d'œuvre, loin de là; seulement, la concurrence est telle
entre toutes les entreprises dramatiques qu'elles sont tenues, pour conserver
leur public respectif, à une activité infatigable, et qu'il leur faut, pour sup-
pléer à un grand succès qu'elles ne rencontrent pas toujours, rafraîchir tou-
jours leur afEche et attirer les spectateurs par d'incessantes nouveautés. On
conçoit facilement que la prospérité des théâtres a sa répercussion sur la
situation des auteurs et des compositeurs, et celle-ci, en effet, ne laisse pas
d'être assez agréable. Au théâtre Lara, les droits d'auteur sont fixés à
28 francs par acte; ils sont de 30 francs à la Comédie, au théâtre Espagnol
et à celui de la Princesse: enfin ils atteignent 40 francs sur les théâtres de
zarzuelas; de plus, ces chiffres sont doublés pour les trois premières repré-
sentations d'un ouvrage. Une pièce en un acte jouée seulement une trentaine
de fois rapporte donc à son ou à ses auteurs de 800 à 1.300 francs, selon le
théâtre; si elle obtient cinquante représentations, ce sera de 1..300 à2.000 francs
et proportionnellement si elle tient l'afEche pendant cent ou deux cents soi-
rées. Et si l'on réfléchit que toute pièce créée à Madrid avec un succès même
médiocre fait ensuite le tour de toutes les scènes de province, on comprendra
que le métier d'auteur a du bon. C'est ainsi que certains écrivains drama-
tiques renommés, comme MM. Echegaray, Perez-Galdos, Benavente, gagnent
bon an mal an de 80 à 100.000 francs; que d'autres, de moindre réputation,
tels que MM. Selles, Cavestany. Alvarez Quintero, encaissent encore chaque
année de 30 â SO.OOO francs; enfin que certains compositeurs populaires de
zarzuelas, parmi lesquels on peut citer MM. Ruperto Chapi, Fernandez Cabal-
lero, Thomas Breton, Ghueca, Valverde, se font entre 60 et lOO.COO francs,
tandis que leurs collaborateurs librettistes, MM. Ramos Carrion, Ventura de
la Vega, Paso, Lopez Silva, Fernandez Shaw, etc., doivent se contenter de
40 à 50.000 francs, ce qui peut sans doute encore passer pour raisonnable.
— M. Grau vient de clore ses engagements pour la prochaine saison d'opéra
du Metropolitan Opéra House de New-York. Parmi les prime donne, citons
M"es Teruina, Gadsld, Schelï, Suzanne Adams, Marcella Sembrich, Galvé,
Eames, Schumann-Heint et une débutante, M°>e Preuss-Balce. En outre,
M™« Sybil Sanderson engagée pour quelques représentations. Les ténors
sont moins nombreux que l'année dernière; ce sont MM. Alvarez, Van
Dyck, Dippel, Salignac, Bars, de Marchi, Gibert et Reiss, les trois der-
niers débutant à New-York. Au nombre des barytons figurent MM. Scotti,
Gampanari, Bispham, Van Rooy, Gilibert, Muhlmann, de Cléry, ce dernier
nouveau. A part M. Peretto, nouvellement engagé, les basses, MM. Edouard
de Reszké, Plançon, Journet et Elass sont connus du public new-yorkais.
Kapellmeisters: MM. Segilli, qui remplace M. Manciuelli, Damrosch et Flon.
— On sait que les citoyens de Campinos (Brésil) ont décidé d'élever un
monument au fameux compositeur Carlos Gomes, leur compatriote, l'auteur
de Guarany et de Fos<:a, et qu'ils ont ouvert un concours à cet effet. La com-
mission chargée de juger ce concours a choisi le projet présenté par le sculp-
teur Rodolfo Bardinelli. La statue de Gomes sera en bronze et représentera
l'artiste la main gauche appuyée sur le côté, tandis que la droite fera le geste
de diriger une exécution. Le piédestal, de forme quadrangulaire, sera en
marbre; à la base, une figure de femme, personnifiant la Patrie, étendra le
bras, prête à poser une couronne de laurier. Le monument, dans son
ensemble, mesurera huit mètres de hauteur.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A rOpéra-Comique :
C'est samedi prochain que l'on rouvre et, dès maintenant, le spectacle est
ainsi arrêté pour les premiers jours: le 14, Carmen avec M"<î Delna; le 15,
Mignon; le 16, Lakmé pour les débuts de M'i^^Lydia Nervil (Lakmé) et Valdys
(Mallika).
Dès lundi dernier, en même temps que les chœurs, on avait convoqué les
artistes faisant partie des premières soirées ; c'est ainsi que, toute la semaine,
on a fait des raccords sur Mignon, lakmé, Carmen, Manon et Louise.
En l'absence de M. Albert Carré, en ce moment aux grandes manœuvres
de l'Ouest, auxquelles il prend part en quahté de commandant d'infanterie
territoriale, et dont il reviendra demain, c'est M. André Messager qui est
venu mettre en train et surveiller le travail préludant la réouverture.
M. Gandrey, de son côté, a également déjà repris en main l'administration
du théâtre.
Parmi les artistes engagés récemment on prévoit, outre ceux de M"=s Ner-
vil et Valdys dans Lakmé, les débuts assez prochains de M"= Gaux qui, en
suite du départ de M"» Rioton, chantera probablement Mireille, avant la
reprise du Domino Noir, de M"« Marguerite Giraud qui, en suite de ce
même départ de M"» Rioton et de l'éloignement momentané de M"= Guirau-
don, héritera les rôles de Mimi de la Vie de Bohème et de Colette de la Basoche,
de M"" Frandaz dans Philine de Mignon, de M»« Gesbron dans Charlotte dé
Werther, de M"= Huchet dans la reine de la Basoche, de M. Père dans Vincent
de Mireille. Enfin M"" Garden abordera le rôle de Manon, M"» de Graponne celui
àe Mignon ut M"|= Gerville-Réache, qui rentre au bercail, celui de la Mère dans
Louise. Voici le programme des œuvres parmi lesquelles seroutchoisies les pièces
que M. Albert Carré offrira au public durant le cours de la saison 1901-1902.
Œuvres nouvelles : La Troupe Jolicœar (3 actes), de M. Goquard ; Grisélidis
288
LE MÉNESTREL
(4 tableaux), de JI. Massenet: Tilania (4 tableaux), de M. G. Hïie: Circé
(3 actes), de MM. Hillemacher; Muguelte (3 actes), de M. Missa; la Carmélite
(4 actes), de M. Reynaldo Haha ; Peléas et Mêlisande (6 tableaux), de M. De-
bussy; la Petite Maison (3 actes), de M. W. Chaumet: les Pécheurs de Saint-
Jean (4 actes), de M. Widor; le Beau Noureddin (4 tableaux), de M. Levadé;
le Maître (3 actes), de M. Le Borne; l'Étranger (2 actes), de M. Vincent d'Indy;
la Coupe ciu-hantée (i actes), de M. Pierné; Hyrtil [fi actes), de M. Gar-
nier, etc., etc. CËuvres classiques : Alceslc, Armide, Freischiitz, les Noces de
Figaro, Don Juan, Iphigénie en Tauride, Fidelio, Orphée, Joseph. CEuvres étran-
gères : Tristan et Yseult, la Tosca, Paillasse, Falsta/f, Haenselet Grelel. Reprises :
le Roi d'Ys (5 tableaux), de Lalo; le Pré aux Clers (3 actes), d'Herold; le Do-
mino noir ^3 actes), d'Auber; Werther (5 tableaux), de Massenet: Richard Cœur
de Lion [3 actes), de Grétry. Répertoire : Mireille, Carmen, Mignon, Lakmé,
Manon, Phryné, Louise, la Vie de bohème, la Xavurraise, la Basoche. Philémon et
Baucis, Galathée, etc., etc.
— A l'Opéra on ne semble rêver, en ce moment, que de danse. On tra-
vaille bien toujours les Barbares, dont on a commencé la mise en scène ven-
dredi, et Siegfried, et on attend patiemment Orsola. i'opéra auquel travaillent
MM. Hillemacher, désignés par le ministre des beaux-arts; mais on parle
surtout de reprises prochaines de tout un lot de ballets, tels que le Fan-
dango de M. Salvayre, les Deii.c Pigeons de M. Messager et, chose tout à fait
extraordinaire, Sylvia, le délicat chef-d'œuvre de Léo Delibes: tout cela sans
compter Bacchus, commandé à M. Alph. Duvernoy et dont la musique sera
écrite sur un scénario posthume du compositeur Mermet. Peut-être serait-
il amusant • — et fort peu difJQcile — de découvrir la cause de cet amour subit
et envahissant pour la chorégraphie.
— Des journaux allemands ont annoncé récemment que M. Camille Saint-
Saëns avait l'intention de composer un opéra sur un texte allemand. Le
maître vient de prendre soin de démentir lui-même cette nouvelle : « Je suis
d'avis, écrit-il, que pour écrire la musique sur un texte étranger, il faut
connaître à fond la langue du texte, son accent, sa déclamation. Sinon on
risque de faire ce que nous appelons à Paris «de la bouillie pour les chats...»
Du reste, je n'éprouve nullement le besoin d'écrire un opéra ni sur un livret
allemand ni sur un livret français ».
— Si M. Camille Saint-Saêns ne pense pas à écrire un opéra, il n'en com-
pose pas moins, en ce moment, pour le théâtre, puisqu'il met la dernière
main à une partition destinée à être jouée à la Comédie-Française lors de la
prochaine reprise des Burgraves. Cette partie musicale comprendra au l°''acte
des chœurs et un solo de coulisse et une marche: au 2" acte, la chanson du
roi Lupus, que chantera M"" Bertiny; au 3" acte, enfin, une fanfare.
— Les Concerts- Colonne donneront leur premier concert de la saison pro-
chaine, au Chàtelet, le dimanche 20 octobre à 2 heures 1/4. Les demandes
d'abonnements et de renseignements sont reçus dès aujourd'hui au siège
administratif, nouvellement transféré 13, rue de Tocqueville.
— La prochaine saison des Concerts Lamoureux s'ouvrira le 30 octobre;
elle sera, comme d'ordinaire, divisée en deux séries de douze concerts cha-
— Le premier des concerts populaires donnés par M. Louis Pister dans le
Grand-Palais des Champs-Elysées avait attiré une foule énorme; plus de
mille personnes n'ont pu trouver à s'asseoir. Le second a lieu aujourd'hui,
également à 3 h. 1/2 et toujours au même prix d'entrée, 0 fr. SO. Au pro-
gramme, les œuvres de Nicolaï, Gustave Charpentier, Haydn, Wormser,
Gounod, Massenet, Bolzini, Léo Delibes et Bizet. Gomme solistes, M"= Lise
d'Ajac et M. Lubet.
— Nous trouvons, dans le catalogue d'une vente récente d'autographes,
une lettre typique d'Alexandre Dumas père, lettre bien caractéristique de
cet esprit si naïvement orgueilleux, dans laquelle il se glorifie avec une sorte
de candeur d'avoir fait vivre avec ses ouvrages dramatiques une foule de
braves gens, artistes, employés, etc., qui, peut-être, sans lui (il ne le dit pas,
mais il le pense), seraient morts de faim. Le plus curieux, c'est qu'il a raison
jusqu'à un certain point. Mais c'est la façon dont il le dit, et les calculs
auxquels il se livre à ce sujet, qui sont vraiment amusants. Qu'on en juge
par ce fragment :
... Le théîUre est un immense levier industriel. Laissez-moi vous dire combien j'ai
fait vivre de musiciens, acteurs, machinistes, décorateurs, comparses, éclaireurs, ou-
vreuses, etc., combien, dis-je, j'ai tait, avec les drames, les comédies, les tragédies que
j'ai donnés en France, combien j'ai fait vivre d'individus, dont presque tous avaient une
famille. Écoutez ceci.
J'ai donné soixante pièces de Ihédtre à peu près; réduisons ces soixante pièces à cin-
quante; supposons que chacune d'elles n'ait eu que deux-cents représentations (une seule,
la Tour de Nesle, en a eu 900); mais, je le répète, supposons que chacune d'elles n'ait eu
que deux-cents représentations. Cinquante fois deux-cents font 10,000jours, 10,000 jours
font vingt-sept ans et cent-quarante-cinq jours. 250 personnes à peu près vivent d'un
grand théâtre. J'ai donc, pendant vingt- sept ans et cent quarante cinq jours, avec mes
cinquante drames et mes 10,0tO représentations, donné leur pain quotidien à 250 indi ■
vi dus, sans compter leurs familles. Or, 250 individus par jour, pendant vingt-sept ans et
cent quarante-cinq jours, correspondent à 6,850 individus pendant un an ou à 2,500,000 in-
dividus pendant un jour, — et à Paris seulement, remarquez bien cela, je ne parle pas
de nos cinq-cfuls théâtres de province.
Jlaintenant, que ces 10,000 représentations n'aient donné chacune que l.jOO francs de
recettes, voilà un mouvement commercial de quinze millions, c'est assez joli, pour un
poète! sur lesquels le onzième, un million 363,636 francs 36 centimes, a été prélevé pour
les pauvres en vertu de notre loi sur les Hôpitaux. J'ai donc fait payer, avec mes cin-
quante drames et mes 10,000 représentations, un million 363,636 francs 36 centimes aux
Hôpitaux, à Paris seulement. Quadruplez ou quintuplez pour la province, vous le voyez
donc, l'art qui nourrit 250 personnes pendant 27 ans et 1A5 jours, qui produit un mouve-
ment de fonds de 15 millions, qui donne aux pauvres 1,363,636 francs 36 centimes, et
tout cela dans une seule capitale, n'est pas une chose qu'il faille écarter comme vaine et
frivole...
— Le dimanche l'"' septembre a eu lieu, dans l'église d'Enghien-les-Bains,
l'inauguration de l'orgue de Tribune sorti des ateliers de la maison Merklin
et C'° de Paris dont l'éloge n'est plus à faire. Ce bel instrument, dû au zèle
de monsieur l'abbé Simonin, curé de la paroisse, a été tenu par M. Dallier,
organiste de Saint-Eustache. M. Melchissédec, de l'Opéra, et M. Paul Viardot
ont bien voulu prêter leur concours pour cette belle cérémonie. On a admiré
aussi la belle voix de M"» Vila dans le Panis angelicus de Franck. Tous nos
éloges et nos remerciements à ceux qui ont contribué à nous faire goûter les
délices d'une belle musique et nous ont permis d'apprécier les qualités supé-
rieures de l'instrument qu'on inaugurait.
— DeRoyan : Très suivis, les intéressants concerts symphoniques très bien
dirigés par M. J.-G. Pennequin. Aux derniers programmes, grand succès pour
les Erinnyes de -Massenet, l'ouverture du Roi d'Ys de Lalo, la suite sur la
Farandole de Théodore Dubois, qui ont été exécutés de façon irréprochable.
— DeTrouville; Trèsbelles messes en musique à Notre-Dame de Bon Secours.
M. Gadio y chante VAve Maria de Mascagni et, avec M. Dumontier, le Crucifix
Je Faure et M"' Bocquet VO Salutaris de Niedermeyer. l'Ave Maria de Tha'is
de Massenet et Sancta Maria de Faure. M"'" .Juliette Toutain, qui est aussi
remarquable virtuose de l'orgue que du piano, a joué avec une grande auto-
rité des pièces de Bach et de M. Périlhou.
— D'Alger: Une société d'instruction et de vulgarisalion artistique, le
t< Petit Athénée », vient de faire construire une charmante salle de spectacle
pouvant contenir '700 personnes. Ija nouvelle salle vient d'être inaugurée
par une grande solennité artistique au cours de laquelle les sociétaires du
« Petit Athénée » ont joué la Coupe enchantée de La Fontaine, le Devin du
Village de J.-J. Rousseau, et exécuté plusieurs œuvres de Beethoven, Weber,
Mendelssohn, etc., chœurs et orchestre. On annonce une soirée exclusive-
ment consacrée aux compositeurs algériens.
NÉCROLOGIE
A la dernière heure nous apprenons la nouvelle de la mort, à Bergedorf,
d'un des écrivains musicaux les plus justement fameux de l'Allemagne, le
docteur Friedrich Chrysander. Né à Lilbtheen (Mecklembourg) le 8 juil-
let 1826, Chrysander, après avoir obtenu le grade de docteur en philosophie,
ne tarda pas à se passionner pour les études relatives à la musique et à quel-
ques musiciens illustres, entre autres Haendel, pour lequel son admiration
était profonde. Il s'attacha à retracer la vie de ce grand homme, fit à ce sujet
un assez long séjour en Angleterre, puis, de retour en Allemagne, fut l'un
des fondateurs de l'Association Haendel, destinée à entreprendre une édition
complète de l'œuvre colossale du vieux maître. Chrysander fut l'àme de cette
association, et prit, sous tous les rapports, une part importante à cette publi-
cation monumentale, faite par la maison Breitkopf et Haertel. H fut ensuite
rédacteur en chef de VAIlgemeine Musikalische Zeitung, multiplia ses travaux et
ses écrits et donna des éditions des œuvres de piano de J.-S. Bach, des ora-
torios de Carissimi, des concertos et sonates deCorelli, des pièces de clavecin
de Couperin, etc. Il donna enfin avec Philippe Spitta, dont il fut le collabo-
rateur et qui mourut avant lui, un élan considérable à la littérature musicale
en Allemagne. Son fils fut, pendant plusieurs années, le secrétaire intime du
prince de Bismark dans sa retraite grincheuse de Friedrichsruhe.
— Dans sa villa de Pausilippe, près de Naples, est morte une danseuse
naguère célèbre en Italie, Caroliua Pochini, qui avait épousé le fameux
chorégraphe Borri et qui était la helle-sœur d'un autre chorégraphe, Achille
Coppini. Elle brilla au temps de l'aimable Boschetti, que nous avons connue
à l'Opéra de Paris. Née à Milan en 1836 et élève de l'école de danse de la
Scala, elle débuta à ce théâtre en 1834 et se fit aussitôt remarquer par la
grâce et la correction de sa danse. Après sept saisons passées à la Scala, elle
se fit applaudir sur plusieurs autres grandes scènes italiennes, Bergame,
Naples, Florence, et obtint aussi do grands succès à, l'étranger, entre autres
à Vienne et à Londres.
— De San Salvador (Amérique du Sud) on annonce la mort de M. Alfred
Gorè, pianiste distingué et chef d'orchestre habile, qui était directeur du
Lycée musical de cette ville.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Nous apprenons le départ pour le Mexique de M. Mauoel Torre Anaya
dans le but d'y donner des leçons de piano et d'y propager l'école française.
M. Manoel Torre Anaya est un élève distingué de M. Delaborde et part
muni des meilleures références.
ni;>aiiiERiE centrale i
3677. - 67°-^ mm — 1^37. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 15 Seplenibre 1901,
(Les Bureaux, 2 "'•, rue Viyienne, Paris, u> m')
(Les manuscrits doivent être adresses frwtco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
.^'
LE
ENESTREL
lie 5améFo : 0 îp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flaméFo : 0 fp. 30
Adresser rnANco à M. Henhi HEUGEL, directeur du MÉNESTnEL, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Te.\ te et Musiijue de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'.\rl musical et ses interprèles depuis deux siècles (29° article), Paul d'Estrées. ■
II. Bulletin théâtral : première représentation de l'Élude Tocasson aux Folies-Drain;
tiques, A. P. — lu. Petites notes sans portée : Mozart à Paris, Raymond DouvEn. •
IV. Le Tour de France en musique : un Concours académique, Edmohd Neukomm. ■
V. Courte monographie de la Sonate (S*" et dernier article), Arthuu Pougin. — VI. No
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
VALSE EN SOURDINE
e A. PÉRILHOU. — Suiv ra immédiatement : Chanson à danser, du même auteur.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
Clochts d'automne, nouvelle mélodie de Noël Desjoïeau.v, poésie de Paul
Mahiéton. — Suivra immédiatement : le Récit de l'Aurore, n" 2 des Chansons
couleur du temps de Léopold Dauphin, poésie de J.-B. Molière.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
à'après les inénioires les plus récents et des flocuients inéflits
(Suite.)
YIII
L'Andante de l'ouverture de la Dame Blanche. — Un autographe de Boieldieu. —
Auber et la lutte pour la vie. — Inquiétude et insouciance. — Auber homme du
monde. — Nouveau chapitre sur le traité des chapeaux. — Parisianisme d'un
bas-normand occasionnel. — Un mot de Rossini. — Confidences d' Auber à Dela-
croix. — Scrutins académiques. — Auber avec ses élèves et ses collègues. — Ro-
bitslesse et courtisanerie. — Le véritable dernier jour de bonheur du maître (2 dé-
cembre iS70). — La mort du «. vieux cerf ». — Le 46 juillet 'IS7I et le 29 jan-
vier 1877. — Un coup de pied ministériel. — Panégyristes d'hier et d'aujourd'hui.
Après l'excellente et substantielle étude consacrée par
M. Pougin à l'œuvre et à la vie de Boieldieu, peut-être paraitra-
t-il téméraire autant que superflu d'y vouloir ajouter un nouveau
chapitre. Aussi bien, ce n'est point notre intention. Nous nous
bornerons à constater, avec M. Pougin, l'influence très mani-
feste de la méthode rossinienne dans la Dame Blanche, et la col-
laboration indiscutable apportée au chef-d'œuvre du maitre par
ses élèves favoris, Adolphe Adam et Théodore Labarre. Les témoi-
gnages du premier concordent d'ailleurs avec ceux de Jouvin
tels que les rapporte Villemessant dans ses Mémoires d'un Jour-
naliste (1). Labarre était revenu d'Ecosse avec trois airs nationaux
qui figurent dans la Dame Blanche; et plus exclusif encore
qu'Adolphe Adam, Jouvin assure que de tous les morceaux de
la fameuse ouverture, ÏAndante est le seul qu'ait écrit Boieldieu.
11 est enfin un document, émané du célèbre musicien, que
nous croyons inédit et que nous avons trouvé dans les Auto-
graphes de Lefèvre (2), document digne d'intérêt, une actualité
rétrospective en quelque sorte, qui ne prouve pas chez son
auteur un enthousiasme bien vif pour la liberté des théâtres
A Son Excellence le Ministre de l'Intérieur,
Monseigneur,
MM. les Auteurs et Compositeurs dramatiques viennent d'avoir l'honneur
de vous adresser une demande pour obtenir de Votre Excellence la permission
d'ouvrir un second théâtre d'opéra-comique. La commission nommée en 1816
par M. Laine, alors ministre de l'intérieur, composée de cinq membres de
l'Institut, avait émis le même vœu, mais avec une restriction d'une haute
importance pour l'intérêt de l'art et celui des théâtres royaux, celle que l'on
obtînt la fermeture de deux théâtres de mélodrame et d'un de vaudeville et
le rappel de l'arrêté qui forçait chaque théâtre à se restreindre à son .'enre
,J'ai donc l'honneur de vous supplier, Monseigneur, de ne compter ma
signature valable relativement à la demande d'un second théâtre d'opéra-
comique que dans le cas où il y aurait possibilité de remplir les désirs de la
commission de l'Institut; car, sans celle suppression de théâtres qui ne peu
vent que propager le mauvais goût en France, un second Théàtre-Urique ne
pourrait qu'être nuisible aux théâtres royaux, sans que l'art dramatique y
puisse rien gagner, puisqu'une plus grande quantité de théâtres ne pourrait
qu'affaiblir les moyens d'amélioration que les auteurs et le public réclament
depuis longtemps.
J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,
Monseigneur, de votre Excellence,
Le très humble et très obéissant serviteur,
Boieldieu.
Auber subit à son tour l'imprégnation rossinienne; et ses
œuvres en conservèrent longtemps les traces, alors que cette
influence avait déjà disparu. Dans le principe, cet opportunisme
musical fut une nécessité pour le jeune maître, bien qu'il n'eut
pas oublié ses débuts au théâtre sous les auspices de Gherubini
son professeur. Mais il fallait alors, comme aujourd'hui, plaire
avant tout au public, et la lutte pour la vie voulait qil'Auber
tint compte d'un engouement que nous appelons aujourd'hui
du snobisme.
Le baron de Trémont en prend occasion pour argumenter
contre un préjugé qui l'exaspère. D'après lui, une opinion géné-
ralement reçue veut que le cerveau humain ne puisse produire
une œuvre de valeur sans le feu sacré, c'est-à-dire sans une
puissante inspiration, dégagée de toute préoccupation des inté-
rêts matériels. Or, Trémont énumère plusieurs exceptions à cette
prétendue règle. Haydn prenait la plume à heure fixe, comme
(1) ViLLEMtssANT. — .S'ouoenirs d'un Journalisme : Dentu, 1873-1878.
i'2j Autographes Lefévie, Manuscrits de la Bibliothèque Nationale.
290
LE MÉNESTREL
l'employé i]ui s'assied à son bureau. Rossini et Auber « n'ont
composé que par nécessité et non pour leur plaisir » .
Le second avait charge de famille : il travaillait pour nourrir
sa mère. Après le succès d'Emma (1821) il disait au baron de
Trémont :
— Pour un contrat de mille écus de rente, je serais heureux
de pouvoir jeter mon piano par la fenêtre.
Quelque temps après, il exprimait la même pensée sous cette
forme un peu moins vive :
« L'amour-propre musical me manque; si j'en avais plus, j'au-
rais plus de talent. »
Les exigences du pain quotidien lui donnaient la lièvre; il lui
fallait produire sans relâche : cette lettre qu'il écrivait avant son
éphémère succès de Fiorella indique assez son état d'àme :
3 septembre 1823.
J'étouffe de travail... Dieu veuille que je ne me sois pas échigné pour
des prunes... Ma pièce n'est pas encore lue: je ne sais si elle sera mise en
répétition ce mois-ci: et malgré cela il faut que je me dépêche comme si
l'on attendait après moi. Enfin mon sort va être bientôt décidé. Dans 8 jours
je saurai à quoi m'en tenir. Je n'ai plus que 3 morceaux à faire pour avoir
fini. Te souviens-tu -du temps où je mettais un an à faire un concerto?
Cet homme, toujours cité comme le parfait modèle de l'insou-
ciance et du scepticisme, fut longtemps anxieu.\ sur son avenir.
Sa lettre du 48 aoilit -1829, adressée à Trémont, dit assez quelles
étaient ses inquiétudes pour sa fortune et la ferveur de son
admiration pour Eossini. Et pourtant Auber avait déjà fait repré-
senter la Muette :
Mes ouvrages se jouent beaucoup, cela me rapporte de l'argent, mais ce
n'est pas décisif, je ne serai jamais riche... Guillaume Tell a déjà rempli la
salle de l'Opéra 7 à 8 fois. La musique est fort belle. Elle est digne de figurer
à côté de tout ce qu'a fait l'auteur.
Décidément on n'est pas prophète, ni dans son pays, ni pour
soi. Quand la fortune sourit au compositeur qui avait si longtemps
désespéré de la fixer, Auber dit à Trémont, avec cette philoso-
phie souriante et quelque peu égoïste qui devait être désormais
le fond de son caractère :
— Gluck vivait dans un troisième étage, et moi j'ai un salon
doré et des chevaux anglais !
Le mot était flatteur pour Gluck.
Au reste, Auber mettait une certaine coquetterie à se dépré-
cier. Lui qui avait tant produit se disait paresseux de nature et
prétendait le démontrer, pièces en mains, le jour où il tendait à
Gustave Glaudin (1) son premier brouillon de Fra Diavolo. Une
des pages du manuscrit portait, encore l'énorme pâté qu'y avait
laissé la plume du compositeur vaincu par le sommeil. D'ailleurs
Auber n'avait pas la vanité de ses œuvres. Gependant, s'en désin-
téressait-il assez pour s'abstenir d'aller les entendre dans la salle
comme l'afErme Trémont, et pour refuser obstinément de les
admettre aux exercices du Conservatoire? A vrai dire, G. Glaudin
assure qu'Auber n'allait jamais à l'Opéra quand on y jouait de
sa musique. Toujours est-il que son opinion sur la musique en
général et la sienne en particulier se résumait dans cet alexan-
drin, le seul peut-être qu'il ait jamais commis :
C'est un art fugitif que la mode détruit.
Élait-ce modestie sincère ou fausse bonhomie? mais le juge-
aient qu'il portait sur ses œuvres était plus sévère encore, s'il
faut en croire l'auteur anonyme d'un Anglais à Paris (2). Auber
prétendait que « ses opéras étaient autant de bassinoires pour
les grands musiciens » ; et volontiers il eiit parié d'en faire jouer
les rôles les plus difficiles, sauf peut-être celui de Masaniello, par
tout amateur « pourvu d'une intelligence et d'une voix hon-
nêtes ». Il préférait néanmoins les compositions de sa jeunesse;
c'est vraisemblablement pour cette raison que nous lui enten-
dions appeler le Premier jour de bonheur son avant-dernier opéra-
comique : « mon vieux petit Benjamin ». Combien de fois, dans
l'espace de quarante ans, cette partition fut-elle laissée, reprise,
abandonnée par le maître! Cependant, s'il afi'ectait de tenir en
(Il Gustave Claudik. — Souvenirs: M. Lévy, 1884.
(2) In Anglais à Paris; Pion, 1894.
médiocre estime sa musique, il n'ignorait pas qu'elle plaisait au
public et n'avait pas la faiblesse de croire, avec Meyerbeer, que
le succès de ses pièces dépendait uni(iuement de leurs inter-
prètes. Aussi reprochait-il au maître allemand de « trop dor-
loter » de capricieuses cantatrices ou des ténors plus que légers.
Par contre, les autres, — j'entends les chanteurs qui avaient le
sentiment du devoir et le respect de l'art — trouvaient dans
Auber le plus bienveillant des amis- 'C'est ainsi que Roger,
l'admirable ténor, était toujours gracieusement accueilli du
compositeur; si celui-ci, à l'exemple du grand romancier Dumas,
oubliait telle ou telle de ses œuvres, Roger la lui rappelait
aussitôt : il prétendait même posséder la nomenclature complète
de tous les morceaux écrits par Auber.
— Et vous, maitre? lui demandait-il malicieusement.
(A suivre.) Paul d'Estrkes.
BULLETIN THÉÂTRAL
FoLiES-DiiAjuTiQiF.s. Réouverlurc. Le Peigiu; comédie en un acte, de M. Geor-
ges Docquois. L'Élude Tocassoii , comédie-vaudeville en trois actes, de
i\lM. Albin Valabrègue et iVIaurice Ordonneau.
Pauvres Folies-Dramatiques, qui auraient pu célébrer au commence-
ment de cette année le soixante-dixième anniversaire de leur fondation !
Car c'est le 22 janvier 1831 qu'elles ouvrirent pour la première fois
leurs portes au public. Hélas! les pauvres, elles étaient dans un trop
triste état pour songer à une fête quelconque. Fermées pendant toute la
seconde moitié de l'année 1899, puis pompeusement rouvertes au com-
mencement de 1900 sous le titre d'Opéra-Populaire, elles redevenaient
un instant, au bout de quatre mois, simples Folies-Dramatiques, pour
se transformer de nouveau, après cinq autres mois, en Comédie-Popu-
laire. Ce nouvel avatar n'ayant pas été plus heureux que les précédents,
elles n'eurent d'autre ressource que de disparaître encore pendant un
certain temps. Les voici qui renaissent à la vie, abandonnant l'opérette,
qui pendant vingt-cinq ans leur avait été profitable, abandonnant l'opéra,
qui les avait laissées languissantes, abandonnant la comédie, qui les
avait achevées, et revenant à leur genre primitif, celui qui naguère et
durant si longtemps avait fait leur fortune. Est-ce tout de bon, cette
fois? Peut-être, si elles trouvent de bonnes pièces jouées par une bonne
troupe d'ensemble, puisque, par une intelligente et importante réduc-
tion du prix des places, elles semblent décidées à revenir ce qu'elles
étaient au temps de leur jeunesse, un gentil théâtre populaire, presque
un théâtre de quartier, mais ayant son utilité en ce sens qu'il peut servir
à former, comme autrefois, des auteurs et des artistes pour des scènes
plus relevées. Qui ne se rappelle les noms de tant de comédiens et de
comédiennes qui commencèrent par les Folies pour s'en aller ensuite
aux Variétés, au Vaudeville, au Gymnase, au Palais-Royal, et jusqu'à
la Comédie- Française : Lassagne, Christian, Charles Potier, Calvin,
M. Boisselot, et Nathalie, et Judith, et Thaïs Petit, et Angélina Legros I ...
II faudra donc leur faire un peu crédit, et ne pas trop s'étonner si
elles ne triomphent pas absolument du premier coup. La troupe, telle
que nous l'avons vue à cette soirée de réouvertiu'e, renferme de bons
éléments, qui peuvent être heureusement employés. Quant aux pièces...
nous allons voir.
La première, le Peigne, est une petite « rosserie » qui semble, révé-
rence parler, un peu inspirée du genre des petits proverbes de Musset.
C'est une querelle d'amants, tirée par un cheveu trouvé dans un peigne,
et qui finit par un racommodement plus ou moins solide. Le tout gen-
timent agencé, non sans légèreté et sans esprit, et agréablement joué
par M"' Delmay, MM. Frey et Six.
La seconde, le gros morceau, qui a pour titre l'Elude Tocasson, dame,
elle est un peu plus difficile à avaler. Il s'agit d'un jeune viveur, André
Bernard, qui a reçu de son oncle, notaire en province, la bagatelle de
.3.50.000 francs pour acheter une étude à Paris et s'y établir. Or, ledit
André a trouvé plus pratique de faire la noce avec le magot, et il est
naturellement fort empêtré quand l'oncle Bernard vient le trouver pour
voir comment les choses se passent. Alors, c'est un tohu-bohu d'aven-
tures impossibles. André « emprunte » l'étude de maitre Tocasson, alors
en voyage, à, Grésillon, premier clerc de celui-ci. Et comme l'oncle
découvre vite que son neveu n'entend rien aux affaires, il s'installe lui-
même dans l'étude, bouleverse les papiers, fait gaffes sur gaffes, loue
une partie de l'immeuble à un couple burlesque et finit par vendre
l'étude, si bien que quand Tocasson revient inopinément, la situation
est indescriptible. Tout cela n'a pas le sens commun, tout cela est inco-
i
LE MÉNESTREL
i291
hérent, et, avec quelques scènes drôles, tout cela ne tient pas, pavce
qu'il faut encore que la fantaisie paraisse vi'aisemblable, ce qui n'est
pas ici le cas. On rit parfois d'une situation grotesque, mais c'est un
rire de surprise, et qui ne dure que le temps de cette surprise.
La pièce a été très convenablement défendue du coté masculin, et il
n'y a que des éloges cà adresser à MM. Hirch, Véret, Violette, Mondos,
Pons-Arlés et Lévesque. Quantau côté féminin, les rôles sont tellement
nuls qu'il n'y a qu'à féliciter M™'^ Demougey, Clairville, Arnous-
Riviére. etc.. de leur grâce et de, leur beauté. A. P.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXIII
MOZART A PARIS
A Paul Fiat.
Recevoir des lettres, n'est-ce pas la meilleure des rares joies du cri-
tique ? L'injure anonyme est préférable au silence ; et combien cette
communion ajpparait comme une récompense, alors qu'une sympathie
spontanée se livre en gardant son incognito ! Le divin Mozart me vaut
une l'ongue épitre dont l'auteur, plus mystérieux que Lohengrin, neutra-
lise son écriture et recourt au dactylographe pour dérober son sexe. Je
E6 saurais donc lui répondre que par la voie du journal : et cela d'au-
tant plus volontiers que le début de son envoi réveille quelques pro-
blèmes toujours subtils de psychologie musicale. Le voici :
« Moi non plus. Monsieur, je ne puis séparer Wagner de Mozart.
J'admire Wagner et j'adore Mozart. Je me méfie très fort de ces wagné-
riens qui traitent Mozart de perruque ou de catogan ; mais je ne crois
pas que les snobs de la dernière heure, i buoiiguslai (comme disait
Gluck), qui recommencent à traiter Wagner de monstrueux, soient très
aptes à pénétrer la poéiie vivante du classique Mozart. Qu'en pensez-
vous ? Ah ! ce pauvre Mozart ! Ne le met-on pas, comme on dit vul-
gairement, à toutes les sauces ? Mozart wagnérien, parce que le dieu
de Bayreuth a daigné reconnaître la force intérieure et la « personnalité »
du précurseur de la ZauberflMe ! Mozart italien, parce que, sauf ce der-
nier chef-d'œuvre, ses principaux opéras soupirent la langue harmo-
nieuse! Mozart, musicien français, parce que cet ennemi de la musique
française retient dans son àme et dans sou art le délicieux parfum
d'atticisme de l'ancien régime ! Vous aussi. Monsieur. . . Mais comment
pourriez-vous expliquer cette antinomie? Gomme disait Ponce-Pilate,
ubi verum?. . .»
Ce n'est pas d'aujourd'hui que les poètes ont remarqué ces affinités
françaises de l'immortel Salzbourgeois : ils font trêve à leurs luttes
prosodiques et autres pour reconnaître sa poésie souveraine : « Plus de
définition, plus de formule abstraite ; il ne serait plus besoin de tenter
en vain de dii-e ce qu'est la Poésie : chaque homme la sentirait vivre
en lui au seul nom de Mozart. . . » (î) Dans le chaos contemporain, les
esthétiques se rapprochent pour retrouver en lui « l'élégante et douce
politesse de la fin du règne de Louis XV avec un fonds de mélancolie
et de sensibilité germaniques qui nous émeuvent.-. » Les modernes
contradictions semblent prendre leurs discordes en horreur en présence
de ce style surnaturel qui nous agrée « par je ng sais quoi de net, d'ar-
rêté, de précis », par une « désinvolture discrète » que Mozart avait sans
doute admirée, dans son enfance et dans sa jeunesse, à travers les salons
de Versailles et de Paris.
Et le poète de la Vie ardente (3;, qui réclamait naguère pour lui les
honneurs du bronze ou du marbre, s'appuyait sur ses devanciers pour
affirmer ce génie français de Mozart, sans peut-être se rappeler que le
peintre mélomane Eugène Delacroix, — qui reconnaissait deux divinités :
Mozart et Rubens, — avait joliment souligné ce double caractère de
l'inimitable auteur des Nozz-e di Figaro : c'était un soir où le hantait le
souvenir de la Fantaisie de Mozart, « morceau grave et touchant au ter-
rible par moments, et dont le titre est plus léger que ne le comporte le
caractère du morceau. . . » (4) Encore enivré par la musique délicate
entendue chez l'aimable princesse Marcellini, le peintre ajoutait :
« Beethoven est toujours triste. Mozart est moderne aussi, c'est-à-dire
qu'il ne craint pas de toucher au côté mélancolique des choses ; mais,
comme les hommes de son temps (gaieté française, nécessité de ne s'oc-
cuper que de choses attrayantes, bannir de la conversation et des arts
(Ij Vuir le Ménesiret du 14, juillet, des 18 et 25 août, du 8 septembre 1901 (La statue
de Mozart)
1,2) Adolphe Boschut, Poèmes dialogues, préface, pages IG-IT (l'aris, Perrin, 1901 1.
(3) M. Hippulyte Buttenoir.
{'0 Journal d'Eur/éne Delacroix, annoté par 5I1I. Paul Fiat et René Piot (Paris,
, Pion, 1893-95); tome H, pages 222-223 (Mercredi 29 juin 1853).
tout ce qui attriste et rappelle notre malheureuse condition), Mozart
réunit ce qu'il faut de cette pointe de délicieuse tristesse à la sérénité
et à l'élégance facile d'un esprit qui a le bonheur de voir aussi les côté?
C'est Delacroix encore, ce lettré, qui soutenait que toute question
d'art est une cause où deux avocats hostiles peuvent être entendus. Et
l'avocat de Mozart musicien français en viendrait à nous rappeler, dans
l'espèce , que les « œuvres de Mozart en France » apparurent bien
antérieurement à cette exécution capitale du Mariage de Figaro, en 1793
(Notharis était le bourreau, substituant la prose de Beaumarchais aux
recitativi de Mozart...) Les Français, qu'il n'aima point, ont pu le pres-
sentir et le choyer de son vivant même.
C'est en 1764, à Paris. Le compositeur a huit ans; et le père écrit :
« Actuellement, M. Wolfgang Mozart a quatre sonates chez le graveur. ..
Figurez-vous le bruit qu'elles feront dans le monde... S'il y a des incré-
dules, on les convaincra... » Suivent, bientôt, deux dédicaces de grati--
tude pompeuse de l'autem'des Sonates pour /e cfauecin à Madame Victoire
de France, ainsi qu'à Madame la comtesse de Tessé, dame de Madame
la Dauphine. Et l'avocat de la partie adverse se lève immédiatement
ici pour faire remarquer que cette lettre du père est précisément celle
du l'^' f.'vrier 1764, où l'auteur de la Méthode de violon décrit les Pari-
siennes à une bonne dame de Salzbourg en les comparant à des poupées
de Nuremberg... Et leur dévotion vaut leur maquillage: « Chacun, vit
à sa guise; et sans une miséricorde toute spéciale de Dieu, il en
arrivera du royaume de France comme autrefois de l'empire des
Perses... « Ce prophète est sévère pour le pays qui l'accueille: « A
Versailles, j'entendis une bonne et une mauvaise musique. Tout ce
qui se chantait par une voix seule, et devait ressembler à un air, était
vide, froid, misérable, par conséquent français. Mais les chœurs sont
tous bons et très bons... »
Quatorze ans plus tard, en 1778 : Mozart séjourne encore à Paris, du
'±'i mars au 26 septembre. Ce n'est plus « le petit homme » que son père
emmenait tous les jours à la messe de la chapelle pour y entendre les
chœurs des motets, le petit prodige qu'un peintre a représenté tendant
ses menottes vers le clavecin d'un grand seigneur (1) ou s'inclinant
devant « Madame la marquise de Pompadour » que le père appelle
étourdiment « une chose ravissante » ; c'est un jeune homme souriant ,
que suit de loin l'anxiété paternelle : Mozart a vingt-deux ans. Et quelle
déjà grande Babylone que ce Paris ! Que d'aventuriers, « sans parler
des femmes »! Le bon Salzbourgeois frissonne, à Salzbourg... Et puis,
cent démarches pour rien : « Les Français payent en compliments... »
Le fils rassure le père de son mieux : il ne se plaît guère à Paris ! Il est
fêté, mais déçu. Ne faut-il pas toujours affronter la boue ou semer
l'argent par les fenêtres pour récolter quelques bravos polis ? Et encore...
La politesse française est menacée ; la grossièreté vient, conduite par
l'orgueil : « En général, Paris a beaucoup changé... »
Cependant, quel peintre évoquera ce grand garçon prodigieux et
charmant ? Qui profilera sa riante silhouette sur les lambris des salons
grandioses? L'œil intérieur de l'imagination l'aperçoit dans la maison
de M'^ d'Épinay et de M. le baron de Grimm, où il obtient une claire
chambrette « avec une vue fort agréable », mais, le soir, un tiède soir
de juillet, à la lueur étrange d'une chandelle, annonçant la mort chré-
tienne de sa mère bien-aimée à l'abbé son meilleur ami : « Pour vous
tout seul ! » écrit-il à travers ses larmes, afin de ménager la douleur
lointaine du père... Et quelle merveille d'intimité, quel tableau tout
fait, ce jeune professeur inspiré, dévoilant les techniques secrets de la
composition, le développement d'une idée ou la transposition d'une
basse, à une élève aristocratique, à la fille du duc de Guines qui n'a
aucune pensée , qui ne trouve rien , mais « qui m'aime par-dessus
tout », dit le spirituel et candide maître à son père absent! On assiste
à cette leçon... La jeune lille écoute et sourit, très attentive; le grand
petit-maître parle au clavecin. Quelle aisance et quel abandon dans la
droiture, quelle délicate finesse, quel doigté ! Des mots français émaillent
la correspondance, que le traducteur ne saurait endommager, ceu.\-là, et
qui prouvent, non seulement la souplesse d'assimilation, d'intuition, du
génie jeune, mais la permanence de notre manière d'être et d'exprimer.
C'est fort piquant !
Dans la frivolité comme dans la douleur, on retrouve, en un milieu
qui nous parait familier, le délicieux Wolfgangerl qui, s'étant laissé
choir sur le parquet luisant de la cour de Vienne et ramassé, caressé
par la future reine de France, lui dit tout bas : « Vous êtes bonne... Et
je veux vous épouser! — Pourquoi? — Par reconnaissance... »
(A suivre.) R-A-ymond Bouyer.
(l\ Michel-Barthélémy OUivier, le Thi à l'anglaise, dans le salon des quatre glaces au
Temple, avec toute la Cour du primée de Conll (salon de 1777 ; Musée du Louvre).
292
LE MÉNESTREL
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite. }
IV
UN CONCOURS ACADÉMIQUE
L'Académie de LyoQ mit au concours, en 1880, le sujet suivant :
Recueil et appréciations critiques, avec preuves à l'appui, des citants
populaires, tant anciens que modernes, du Lyonnais et des provinces limi-
trophes (Beaujolais, Forez, Vivarais. Dauphiné, Bresse, Maçonnais).
Les concurreats ne furent pas nomlireux. On pouvait même craindre
que l'amplitude du sujet fit reculer les plus hardis ou n'obligeât le jury
à remettre le concours à une époque ultérieure. Mais un beau jour, tant
il est -STai qu'il ne faut jamais désespérer de rien, le secrétaire reçut un
volumineux colis. C'était l'œuvre d'un candidat, et l'Académie avait la
"bonne chance d'avoir cà juger un travail digne du sujet proposé.
Tels sont les termes du rapporteur, qui n'était autre que M. Guimet,
fondateur du curieux Musée des Religions qui porte son nom, et, comme
on sait, excellent musicien. Mais il faut en rabattre, car son rapport,
renfermé en quelques pages dans le Bulletin de l'AcadémicTi'iaàiqxiequ'nn
nombre restreint de numéros dans les diverses parties qui le composent.
La place est d'abord aux Cliansons religieuses populaires. Elles débutent
par deux pièces sur le Paradis terrestre. L'une a été appréciée par
Champfleui-y... « C'est, dit l'auteur du Violon de Faïence, la complainte
dans toute sa naïveté, avec ses mots touchants, avec sa musique douce
et plaintive, avec ses puérilités, avec ses beaux vers quelquefois, avec sa
poésie, quoi qu'en disent les poètes. » L'autre, beaucoup moins relevée,
a de très heureuses vérités d'e.xpressions. Le mouvement d'Eve, après
la faute, est pris sur nature :
Elle dit, comme une enragée :
— Ce qui est fait, tant pis, est fait.
Mangeons-en encore ;
Que pourra-t-il arriver?
Plus loin. Dieu ajoute l'ironie à la colère :
... Où es-tu, Adam?
Je sais une nouvelle.
Tu est si savant! Tu dois lu savoir.
Vient ensuite une Salutation angélique d'un sentiment contenu et
délicat et une histoire de Marie-Magdeleine, singulièrement embrouillée,
d'abord au point de vue géographique, car la sainte s'en va, de ville en
ville, à la ville de Nantes, pour chercher Jésus-Christ, et puis sous le rap-
port des incidents, dans lesquels le nombre sept revient ci, chaque
instant. Finalement, la pénitente se lave les mains avec le reste de sept
tasses d'eau, et ses mains deviennent noires. L'auteur a, parait-il,
entendu chanter ce cantique par une petite bergère qui voulait faire
lever le brouillard.
— Quand le brouillard ne se lève pas tout de suite, disait-elle, on le
chante trois fois, et à la fin le brouillard est presque toujours parti.
Une chanson raconte la Passion de Jésus-Christ. Puis ce sont des
Noéts, composés pour la plupart en l'honneur de la crèche. L'un tait
naitre Notre Seigneur à Bourg, « vers le faubourg de Belley, proche la
grange ». La splendeur du nouveau-né avertit les voisins : — Bon Dieu!
quelle grande lumière, prés de la Pigeonnière!... Et chacun d'accourir!
Les mélodies de ces pièces populaires sont le plus souvent des airs de
danses, et parfois le couplet devient égrillard. Mais à travers cette gaité
perce un mouvement de commisération pour la divine mère :
Elle n'a ni vaisselle.
Ni cuiller, ni méchante éeuelle ;
Eli' n'a pas seulement un' cbaise,
Pour un peu s'asseoir.
Dans une autre complainte du même genre. Noël devient un être vivant
qui agit et pense. Use fait faire un habit de drap de Romans pour aller
à l'établo sacrée.
Et se met à genoux
Pour bais'r notre Seigneur.
En soufflant ses petits doigts
Qui grelo, qui grelottaient.
En souillant ses petits doigts
Qui grelottaient de froid.
Là s'arrête dans le rapport académique l'e.xposè des pièces religieuses.
La récolte est maigre, comme on voit. Il en est de même pour le reste.
Heureusement, nous avons sur la matière un sac assez bien fourni, ce
qui nous permettra de combler les lacunes du concours lyonnais ne 1880.
Et d'abord, nous tombons sur deux Noëls, très différents par la forme
et par l'idée. L'un est attribué au chirurgien Laurés, l'auteur de la
Chanson des Charboni, et l'autre remonte â une époque indéterminée de
la bonne gaité française.
Le premier, dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître le
rythme de la vieille chanson Si le Eoij m'avait donné Paris sa grand'
ville, est coulé dans un moule qui ne nous est pas inconnu. Aussi ne
nous y arrêterions-nous pas, s'il n'était conçu daas un esprit sarcasiique
qui lui mérite bien au moins les honneurs du résumé. L'auteur fait,
pour commencer, appel au'c Meignias (ensemble dos gens composant
une maison), pour adorer YEnfan novio-na. — De rotre vie, vous n'avez vu
un si gro petit monsuieu, leur dit-il,
Et Ion, Ion, la lu relilonla,
El Ion, Ion, la lerira.
Il leur faut bien se ranger, couper au court, gagner le sentier. —
Diable! souvenez-vous bien de l'appder : Sire!... Ils arrivent à Rèthleem,
où les Rois-Mages les ont précédés d'huer a soi (d'hier au soir). Grand
étonnement : — Qu'était celi charbony qu'avise la mère, et l'autre, qu'est par
devant, qu'empoisonne l'encens?... Mais ils se rassurent: — Forts enfans,
n'ayons pas peur: entrons lourde file et mettons-nous derrière le bœuf.
Mais, taisez-vous, car voilà les comtes, Saint-Paul et Saint-Just, les
nouveaux nobles d'Ainay, — puis les Innocents, les Carmes, les Augus-
tins, qui s'y prennent de bon matin pour boire à leur aise; les Minimes,
qui ont fouetté le moutardier, comme on dit : fessé la pinte, la bouteille;
les Jacobins, avouaicque lieu ronfle (avec leur gros nez) ; les Cordelitrs, —
Jésus Maria! qu'eu gonsi, o qu'eu grossa pance! — les Récollets : — Qui lieu
baret à dina ne les fait pas plura! — les jolis Feuillants, tout blancs, leur
barbebien faite; — les Genovévains, qui en bailla la pala (la pelle) à c!
des chanoines qui sont vieux; les Capucins, qui ont laissé en leur logis
les Frères, restés au soleil pour se pouiller: — les Pérès camelots de la
Guillotière et les Augustins dechaux de la bonne Croix-Rousse, de jolis
mogno (moineaux) qui boivent du bon pinoy (pineau, cépage renommé);
— les Trinitaires, les Cliartreux, les Célestins; — puis notre bon maréchal
de Villeroy, sur son petit clieval.
Na, qu'étay dm celo grou gra, ces gros gras?... Eh! c'est la Justice:
Il on le gon pava, na vivant qu''. d'épice (Vépice d'autrefois répondait au
pot de vin d'aujourd'hui) ; lais.ti lo passa; quy a ren à s'y frotta.
0 queue tropa de corbiau! A quel lo Jesuislo: la sala sorti d'isifi (d'oi-
seaux)! Alsa sint-y tôt passa, lo prétro d'église!... Puis, voilà tretous los
art de mety (les arts de métier), les arquebusiers, les ménétriers, les
échevins, gros marchands, qm ulor de l'en/an densi tos un branlo (qui
danseront tous un branle autour de l'enfant)... Et enfin, les chenapans
du guet, — qui aiment tant la lun; et mettraient deux cen poches à sec, san
en manquer une.
Tout cela n'est pas pour séduire beaucoup l'auteur. Il pense à
rebrousser chemin et dit à ses meignias :
Et ça eyet ben tentou tem
Que Fenfant repose,
Crayi-m.', allons-nos-en,
Tirons notre cliosse.
Baison so pour paton.
Prenant sa bénédixion.
Et Ion, ton, la la relilonla,
Et Ion, Ion la îerii-a.
L'autre Noël, en aacten patois du bas peuple de Lyon, encore parlé
dans plusieurs villages lyonnais, s'occupe moins des petits côtés de la
vie de ce monde. Cependant il no vole pas eu plein idéal pour cela. Par
une innovation, le diable s'y montre. Et mal lui en prend, comme on
va voir :
Qu'étay donc cela novela Lo guiablo entend la léLa ;
Que dit maître Jean Capon? Il est venu par la vey,
Etay vray qu'una pucela S'est alla forra la teta
Vin d'acuchi d'un popon? Per un trou de la parey (muraille).
Que tôt la mondo s'apprêta Saint Joset prit sa verlopa,
Per vey lo novio venu : Li foiti una vertolia (un bon coup);
Nos en seran de la fêta, Il en a yu, la cliaropa (charogne),
Dussian no alla pi nu. Lou grouin tôt écarmailla (meurtri).
Qu'étay donc celo grans home La mare s'épouventave.
Que son bio commo de ray? Se rangeave dans un coin ;
Il an tous tray de corone ; A gran coite elle enfonçave
Y en a un qu'est to nay (tout noir). L'enfant dans un pou de foin :
Grou Guillot, pren ta musela, L'ano a pou (peur), le bon (bœufj se gonfla
Et tay ton obois, iUichi ; Per venir sota dessus ;
No denseran à fêta ; En sellant coram' una ronfla (toupie)
J'ay mon lambor per toehi. Ly roili se corne u eu.
Saint Joset prit se lunettes Lo Guiablo, ben en cotera,
Per avisa qui état. Se veyant traita ainsy.
■y cherchi des alumettes Va ronflant pei' la charera (rue)
Per atisy son cruzet; Comme un fouet de charety,
Mais la biza que soflave Et veyant ben qui n'avave
Per mais de trenla golet. Gin d'endret (point d'endroit) per sc'logi,
Chaque fuy qui se baissave, Y Irovit una boutasse (pièce d'eau),
Fesave chey (choir) son bonet. Y s'y alli dangogli (s'y plonger).
LE MENESTREL
293
Une chanson publiée dans les Facéties lyonnaises, de Montfalcon, peut
aussi rentrer dans la série des Chansons religieuses populaires, encore
qu'elle soit quelque peu frondeuse, comme toutes les chansons du pays
de Lyon, d'ailleurs. C'est le Din din dindon, chanson de cloches, dont le
refrain est le carillon Z)m din, din din, dindon, dindon. L'auteur veut faire
cadeau des cloches de son village au bon philocloche, son patron, grand
liomme. vraiment digne de Rome, et de Lyon. Le Paradis est son royaume,
la République son fantôme... Ne m'en demandez pas plus long : le
diable lui-môme n'y comprendrait plus rien. Mais le bon Lyonnais est
content de son œuvre : il nargue brocards et calomnies, son onction a
terrifié tous les impies, et le père Hilarion lui-même est en feu pour
sa motion.
Le père Hilarion, c'était La Harpe. Nous voilà donc fixés sur l'époque
de cette fantaisiste ôlucubration. Il s'agit de la première République.
Qu'eùt-dit l'auteur à la secoude? Et donc, à la troisième ?
(A suivre.) Edmond Neukomm.
COURTE MONOGRAPHIE DE LA SONATE
(Suite et fm. )
Avec et après Beethoven il faut citer, parmi les compositeurs qui ont
écrit des sonates de piano, iVIuzio Clementi, à qui l'on en doit d'un
style si élégant, si correct et si pur; Dussek, Hummel, Czerny, Cramer,
HuUmaudel, Lauska, Pleyel, Himmel, qui apportèrent dans ce genre de
compositions leurs qualités ordinaires; Steibelt, toujours incorrect, mais
puissant, fougueux et inspiré; enfin Weber, qui a publié des sonates
empreintes de tout le feu de son incomparable génie, entre autres une
admirable sonate à quatre mains. Parmi les musiciens plus modernes
de l'Allemagne on ne saurait oublier Mendelssohn, Ferdinand Ries,
l'élève de Beethoven, Franz Schubert, Robert Schumann, Pixis, Joseph
Wœlfl. Moscheles, iVIayseder, Raff, Rosenhain, Johannes Brahms, et
pour les vivants MM. Ignace BrûU, Heinrich Hofmann, Xavier Schar-
wenka et Anton Krause. En dehors de l'Allemagne on trouve Chopin,
Stephen Heller, John Field, Niels Gade, M. Edouard Grieg et le maître
superbe de la sonate moderne, Antoine Rubiustein. Pour la France on
doit signaler surtout Edelmann, l'un des maîtres de Méhul, qui a écrit
plus de quarante sonates. M"" Julie Candeille, Louis Adam, le père
d'Adolphe Adam, Alexis de Garaudé, M"" de Montgeroult, Louis Jadin,
Ladurner, qui fut le premier maître d'Auber, Rigel, Pradher, Onslow
(sans compter Méhul, Boieldieu et Herold, à qui l'on doit quelques
sonates); puis, plus prés de nous, Léon Kreutzer, M'"^ Louise Farrenc,
Henri Herz, Marmontel, Valentin Alkan, Théodore Gouvy, Amédée
Méreaux, Edouard Lalo, Alexis de Caslillon, Vaucorbeil, et aujourd'hui
MM. Saint-Saëus, Georges Malhias, Gabriel Fauré, Théodore Dubois,
Raoul Pugno, Charles René, Georges Pfeifîer, Paul Lacombe, sans
compter ceux que j'oublie.
Le genre de la sonate tend évidemment à disparaître pour les instru-
ments autres que le piano. Le violon, jadis privilégié sous ce rapport,
est mainlenant bien délaissé ; et pourtant le caractère fier et élevé de
cette sorte de composition convient merveilleusement au caractère mâle
et noble de l'instrument. H est vrai que le violon ne saurait se suffire
à lui-môme et qu'il exige un accompagnement; et alors, l'accompagne-
ment de basse usité jadis étant devenu pour nos oreilles maigre et
insuffisant depuis la naissance du piano, on se sert de celui-ci; et alors
eucore, l'imporlance prise aujourd'hui par le piano en raison des res-
sources infinies qu'il offre au compositeur ne saurait le laisser réduire
au rôle de modeste accompagnateur, et la simple sonate de violon cède
naturellement la place â la sonate concertante pour les deux instru-
ments.
Mais au temps où le violon régnait en muitre et où il était l'instru-
ment de concert par excellence, tous les grands virtuoses écrivaient
pour lui des sonates en grand nombre. Ceux de nos violonistes qui
tiennent à se familiariser avec le répertoire de leur instrument n'igno-
rent point celles de Corelli, de Tariini (qui ne connaît le fameux 'ïrille
du Diable?), de Locatelli, de Vivaldi. Mais ces sonates n'étaient autres
alors que des « suites », comme nous l'avons vu déjà, la forme de la
vraie sonate étant encore inconnue à l'époque où elles ont vu le jour.
Il faut cependant remarquer que celles do Tartiui s'éloignent déjà, par
leur genre et par leur coupe, de celles de Corelli, car elles ne contien-
nent guère, comme ces dernières, d'airs de danse tels que courantes,
gigues, gavottes, passacaiUes, allemandes , etc. Généralement elles
commencent par un largo d'introduction qui s'enchaine avec un pre-
mier allegro â quatre temps, après quoi vient un très court adagio que
suit le second allegro, celui-ci prenant parfois la forme du rondo. Tar-
tini varie d'ailleurs volontiers la coupe et l'allure de ses sonat s, jusqu'à
y introduire à l'occasion des thèmes variés.
A la suite des grands artistes que je viens de nommer et qui furent
les fondateurs de la grande école ilalienne de violon, beaucoup d'autres
se distinguèrent dans le genre de la sonate. Il faut surtout nommer
Giardiui, Somis, Chiabran, Nardini, Pugnani, Lolli, Mestrino, Ferrari,
Moriani, Fiorillo, Campagnoli
Eu France, nos violonistes suivirent longtemps le modèle donné par
Corelli. Ainsi Guignon, Senaillé et Leclair prodiguèrent encore les
menuets, les sarabandes, les chaconnos, etc., ce qui n'empêche pas les
sonates de Leclair, particulièrement, d'être fort remarquables, en môme
temps que de donner, par les difficultés qu'elles présentent, une haute
idée de son talent d'exécutant. Il faut arriver à Viotti pour voir la
sonate de violon se transformer, se modeler sur la sonate de piano et,
en prenant un caractère sérieux, adopter tout à fait la forme moderne.
La noble inspiration de cet artiste admirable se déploie à loisir dans
ses douze sonates avec accompagnement de basse, d'un style si noble et
d'une si belle couleur; enire autres, les deux premières du second
livre, d'un accent mâle et plein de fierté, sont des cbefs-d'œuvre en leur
genre(l). Gaviniès, dont le talent étaitsi pur, suivit l'exemple de Viotti,
et aussi Le Duc, qui adopta la même forme. Un grand nombre de nos
violonistes composèrent et publièrent des sonates à cette époque : Ber-
thaume. Chapelle. Guénin, La Houssaye, Rodolphe Kreutzer
Mais les autres instruments n'étaient pas pour cela négligés. L'ita-
lien Francischello, l'allemand André Romberg, les français Janson,
Baudiot, Levasseur, les deux Duport, ont laissé de très belles sonates
pour le violoncelle ; pour la harpe il faut signaler celles de Krumpholz,
de Dalvimaro, de Bochsa et de Joseph Naderman ; Devienne, l'aimable
auteur des Visitandines, on a écrit de charmantes pour la flùle, ainsi
que Hugot, Berbiguier et Etienne Gebauer; pour la clarinette c'est
Xavier Lefèvre et Charles Duvernoy, pour le basson Delcambre et
François Gebauer, pour le cor Frédéric Duvernoy... Je ne saurais tout
citer.
Eu rosumé, on peut dire de la sonate qu'elle est le type â la fois
rudiiiienlaire et parfait de toutes les grandes compositions inslrumen-
tales dans lesquelles la liberté du style s'allie à la sévérité de la forme.
C'est de la sonate que sont dérivés non seulement le concerto, mais le
duo, le trio, le quatuor, le quintette, le sextuor, le septuor, l'ottetto, et
enfin jusqu'à la symphonie telle que nous la comprenons aujourd'hui,
telle que nous l'ont fuit admirer les grands maîtres allemands. Mainte-
nant que le goût du public est revenu à la musique sérieuse, c'est-à-
dire à 1,1 musique vraie, tout porte à croire et fait espérer que la sonate
repreudia faveur auprès des compositeurs et qu'il se trouvera bien
quelques artistes de talent, peut-être de génie, pour s'inspirer d'elle,
pour la remettre en cours à l'aide de productions nouvelles et — qui
sait ? — rajeunies par un caractère particulier et un style inconnus
jusqu'ici. Le monde marche sans cesse, l'art est de sa nature essentiel-
lement renouvelable, et c'est à lui surtout qu'il est impossible de dire,
même en présence d'admirables chefs-d'œuvre : — « Tu n'iras pas plus
loin ! »
Arthur Pouûin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De noire correspondant de Belgique (13 septembre). — Les premières
soirées, quoiqu'un peu contrariées par de passagères indispositions, ont été
fort satisfaisantes pour tout le monde, et l'année s'annonce bien jusqu'à pré-
sent. Aprèi la bonne impression produite par la reprise très soignée de
Lokengrin, la rentrée de M. Imbart de la Tour et de M"» Paquot dans Faust a
été fêtée chaleureusement. M. Imbart nous revi-nt plus « artiste » et plus
adroit chanteur que jamais, et M"» Paquot lient toutes les promes.=es de ses
débuts, avec sa belle voi.K assouplie et son remarquable instinct scénique
double d'exquises et précieuses qualités ex|ire.-sives. Puis non.; avons eu
higotetto pour la rentrée de M. Albers, dont on n'a pas moins goûté l'intelli-
gence et l'art de bien dire, et pour les débuis de M"' Verlet, qui a montré
des mérites du chanteuse légère vraiment peu ordinaires, une voix charmante,
habilement conduite, et de l'émolion dramatique. Le CImlet a mis en relief -
l'expérience et l'autorité de M. Belhomme. Il faudra attendre d'autres épreuves
(1) Je pense qu'il est inutile de pi-otesler lui contre les prétendues appréciations de ceiv
lains critiques actuels, qui, sans avoir peul-éliv entendu une seule des compositions de
VioUi, concertos ou sonates, en parient avec uu dédain superbe et s'en vont disant que
" Cl' n'est pas là de la musique ". Mieux vaut sans doute constater leur ignorance sous ce
rapport (|iie s'attaquer à la sincérité de leur jugement.
294
LE ME^JRSTREL
pour apprécier eu connaissauce de cause M. Seveilhac, qui partaye avec
M. Albers l'emploi de baryton d'opéra, la basse de M. Sylvain. Enfin, il y a
encore d'autres nouveaux venus et nouvelles venues, dont le tour n'est pas
venu. L- S.
— L'Opéra de 'S'ienne vient de publier son carteltone pour la saison pro-
chaine. On jouera, eu 1901, l'opéra Roussalka, d'Anton Dvorak, sous la direc-
tion même de l'auteur; ensuite les Conles d'Hoffmann, sous la direction de
M. Mabler, puis le Feu de M. Richard Strauss, probablement sous la direction
de l'auteur, et pour finir, en février 1902, le nouvel opéra Goetz de Berlkhingen
de M. Goldmark, d'après le drame de Gœthe. M. Goldmark se trouve encore
dans sa petite maison de Gmunden (Haute-Autriche), où il passe la majeure
partie de l'année, et y termine tranquillement sa partition.
— Le nouvel opéra le Feu, de M. Richard Strauss, qui devait être joué à
l'opéra impérial de Vienne, n'a pas reçu l'approbation de la censure spéciale
des théâtres impériaux. Ou trouve l'un des tableaux trop risqué et onnégocie
avec l'auteur des paroles pour des changements. En attendant, l'œuvre reste
en suspens^ et ne sera pas jouée à l'époque fixée tout d'abord.
— L'archiduc Eugène, un amateur de musique distingué, qui possède une
splendide voix de baryton et chante fort agréablement, vient d'accepter la
dignité de protecteur de la Société des amis de la musique de Vienne.
— La crise du Conservatoire de Vienne n'a pu être terminée par la direc-
tion; les professeurs démissionnaires maintiennent leur décision et devront
être remplacés. On est fort mécontent, dans les cercles des amateurs de mu-
sique viennois, de la tournure que les affaires du Conservatoire ont prise sous
la direction actuelle, et la prochaine assemblée générale des membres de la
Société des amis de la musique, de laquelle dépend le Conservatoire, sera
probablement très agitée.
— Le tombeau de Mendelssohn au cimetière de la Trinité de Berlin vient
d'être restauré. On a aussi planté quelques pieds de lierre autour de la croix
en marbre qui s'élève sur le tombeau.
— A Berlin ont commencé les concerts d'orgue gratuits que M. Irrgang
donne chaque jeudi dans l'église du Sacré-Cœur et qui sont très suivis d'un
nombreux public.
— A Berlin a commencé la construction du monument pour l'Institut royal
de musique liturgique. Ce monument s'élèvera dans la rue Hardenberg.
— Un marchand de Bayreuth vient d'exposer une relique de Richard
Wagner : les épreuves complètes de la première édition, piano et chant, du
Vaisseau fantôme corrigées par le maître en personne. Le nombre de ces cor-
rections autographes est assez considérable; le prix de 2.S00 francs qui est
demandé pour cet exemplaire unique ne paraît donc pas trop élevé. Pourvu
que ce « vaisseau » ne prenne pas le chemin de l'Amérique ! les collectionneurs
américains commencent à faire une concurrence terrible à leurs confrères
européens.
— M. de Possart prépare déjà la saison 1902 du nouveau théâtre du prince-
régent qui continue à faire florès. Il s'est, à Munich, déjà assuré le concours
de plusieurs artistes importants qui chanteront en représentations, entre
autres de M""" Milka Ternina, qui fut jadis une pensionnaire de l'Opéra de
Munich, et du baryton Reichmann, de l'Opéra de Vienne, qui a également
commencé sa carrière à Munich.
— Au théâtre royal de la place des Jardiniers de Munich une opérette iné-
dite du compositeur Ziehrer, devienne, intitulée le Chemineau, a remporté un
succès brillant.
— Le théâtre d'Elberfeld prépare actuellement la première représentation
d'un opéra inédit de M. Ilans Pfîtzner, qui est intitulé la Rosç du seiUier
d'amour.
— La Société philharmonique tchèque de Prague, qui se propose de donner
des concerts d'orchestre voués à la musique classique à des prix populaires,
vient d'engager comme chef d'orchestre M. V. Celausky, ancien directeur de
l'Opéra de Lemberg.
— Le théâtre de Mannheim prépare la première représentation d'un opéra
inédit intitulé Herbert et Uilda, musique de M. Valdemar de Baussnern.
— L'Opéra de Leipzig vient de jouer deux œuvras nouvelles. L'une, qui
est intitulée l'Ombre de Werther, musique de M. A. J. Randegger, a subi un
échec complet. .Le livret est des plus insipides : "Werther ne peut dormir
tranquillement dans sa to nbe parce qu'il se reproche d'avoir cueilli un
baiser sur les lèvres de Charlotte, et celle-ci se fait des reproches de ne pas
avoir couronné la flamme de Werther, comme ou disait au siècle galant !
L'autre opéra est intitulé la Surprise, musique de M. Henri Zoellner, et a
remporté un gros succès. Il s'agit d'un épisode de l'année terrible.
— Le violon de faïence cesse d'être une fantaisie de « bîbelolîer », et
Champlleury, s'il revenait au monde de la haute curiosité, pourrait voir réalisé
son rêve. On annonce, en effet, qu'un fabricant de porcelaine à Meissen
(Saxe) vient de construire plusieurs violons en terre cuite qu'il a exposes et
pour lesquels il a déjà pris un brevet d'invention. Nous demandons à les
voir et surtout à les entendre, mais il n'est pas impossible que nos arrière-
petits-neveux achètent dans les ventes de l'an 2n00 des violons vieux-saxe.
Enfoncés les Stradivarius et les Amati !
— On vient de terminer l'instruction au sujet de l'assassinat du composi-
teur et violoniste GunU.d, de Dresde, sur qui, on s'en souvient, une femme
amoureuse lira deux coups de feu dans un wagon de tramway. Le juge a
conclu à un non-lieu, car il a été constaté que M""^ Jahnel était atteinte
d'aliénation mentale au moment où elle a commis son crime; son père d'ailleurs
est également mort fou. M'"= Jahnel a été internée dans un asile d'aliénés.
— Plusieurs admirateurs et compatriotes de Cbopin ont commandé à un
sculpteur de Varsovie un buste du compositeur qui sera apposé, avec une
plaque commémorative, sur la maison que Cbopin habita, en 1836. à Marienbad
(Bohème), lors de son séjour dans cette station thermale.
— Le théâtre Phantaisie de Varsovie a joué avec succès une nouvelle
opérette intitulés les Ramoneurs, musique de M. François Domnik.
— Un journal d'Athènes, VAsty. nous apporte une nouvelle d'un caractère
assez étrange. Il prétend qu'un avocat de cette ville, M. Ijatrokos, vient de
se rendre à Rome comme représentant et pour défendre les intérêts d'une
famille Verdi existante à ïhèbes, et qui prétend avoir des droits sur l'héri-
tage de l'illustre compositeur. Il est probable que ledit avocat en sera pour
ses frais de voyage.
-^ La Rivisia melodrammatica apprend à ses lecteurs que le ténor Giacchero
se présentera de nouveau, l'automne prochain, au théâtre Dal Vernie dans le
rôle d'Arnold de Guillaume Tell, et que, « outre qu'il chantera entièrement le
rôle dans le ton original (c'est une concession dont il faut lui savoir g('é), sans
rien transposer ni supprimer (un fcrano encore), il ajoutera d'autres ui aigus
aux dix qu'écrivit Rossini ». Voilà où nous ne sommes plus d'accord avec le
chanteur. C'est très honorable de vouloir bien condescendre à chanter le rôle
d'Arnold dans le ton où il est écrit ; c'est digne de louanges de n'en rien
transposer ni supprimer: mais il nous semble tout aussi utile de n'y rien ajouter,
même des ut de poitrine. Est-ce que les ténors vont se mettre à arranger
Guillaume Tell comme les cantatrices arrangent te Bariiicr rfe Seui/fe? Pauvre
Rossini !
— Gomme il arrive pour tous les grands artistes, les souvenirs et les anec-
dotes pleuvent au sujet de Piatti depuis la mort du fameux violoncelliste. En
voici une relative à l'admirable instrument qu'il jouait de préférence lorsqu'il
se faisait entendre en public et qu'il tenait d'un général anglais. Ce général,
ex-gouverneur des Indes, traversait l'Espagne pour retourner à Londres. Très
amateur de musique et dilettante consommé, il resta en extase devant un
magnifique violoncelle qu'il entendit jouer par un artiste distingué, et n'eut
de cesse que celui-ci n'ait consenti à le lui céder. Il acheta donc l'instrument
et, arrivé à Londres, se rendit chez Piatti pour le prier de lui donner des
leçons. Piatti fut un peu étonné d'une telle demande à lui faite par un homme
dont il considérait l'âge déjà vénérable; mais le général le conjura de con-
sentir, en lui disant qu'il apprendrait facilement parce qu'il avait un instru-
ment excellent (!). En fait, quand Piatti vit cet instrument il resta stupéfait
de sa beauté, car c'était un Stradivarius admirable, et peut-être unique en sou
genre. Il prit pour lui tant d'affection que même il prolongeait les leçons
pour pouvoir jouir davantage de sa merveilleuse sonorité. Cependant le
général finit par se fatiguer de prendre des leçons; il aimait mieux entendre
Piatti jouer son instrument. Un beau jour il lui dit enfin : — Tenez, prenez-
le ; vous, au moins, vous savez en tirer le parti qu'il mérite. — Piatti, ouvrant
de grands yeux, lui répond : Pardon, mais vous plaisantez; vous ignorez sans
doute que je n'ai pas d'argent pour le payer ce qu'il vaut? — Qu'importe!
lui dit l'autre, je vous l'olfre et je vais l'envoyer chez vous. — Ah! pour ça
non, réplique Piatti; puisqu'il en est ainsi, je vais l'emporter moi-même, au
lieu de le confier à d'autres mains. On ne sait pas...: un accident est si vite
arrivé; j'aime mieux m'en charger. — Et après avoir remercié son ex-élève
de sa générosité, il mit bravement l'instrument sur sou épaule et s'en retourna
chez lui, enchanté. On raconte que plusieurs tentatives furent faites dans la
suite pour lui ravir le fameux Stradivarius; mais Piatti avait l'œil ouvert, et
il ne manquait pas de surveiller ceux à qui il était parfois obligé de le con-
fier. D'autre part on assure qu'un neveu de Mendelssohn, grand amateur de
musique quoique banquier à Berlin, étant venu à Bergame en 1897 à l'occa-
sion des fêtes du centenaire de Donizetti et y rencontrant Piatti, le supplia
de lui Vendre son violoncelle et, sur son refus, lui remit un reçu en blanc en
l'engageant, si jamais il se décidait, à inscrire dessus la somme qui lui con-
viendrait pour la cession de l'instrument. Le reçu fut inutile et Piatti ne se
décida pas. Et maintenant on sait que la fille uni(iue du grand artiste, M""' la
comtesse veuve Lochis. de Bergame, a vendu le fameux violonce'le au susdit
Mendelssohn pour la somme ronde de 100.000 francs en or.
— Cette histoire du violoncelle de Piatti nous rappelle celle de la contre-
basse de Bottesini, que racontait un jour un journal italien. Cette contrebasse
sur laquelle Bottesini jouait des morceaux de violon et avec laquelle il rem-
porta tant de succès par toute l'Europe, avait été achetée par lui 900 francs
lorsqu'il sortit du Conservatoire de Milan en 1839; c'était un Charles-Antoine
Testore excellent, qui datait de la première moitié du XVIII= siècle. Il ne
LE MENESTREL
29o
s'en sépara jamais et la garda jusqu'à son dernier jour. .[I eut été désirable
que ce superbe instrument, précieuse relique d'un grand virtuose, trouvât sa
place au Conservatoire de Parme, dont Bottesini fut l'illustre directeur. C'est
ainsi que Gènes conserve le violon de Guarnerius de Paganini, Venise la
contrebasse de Gaspar de Salù de Dragonetti, Florence les admirables Stradi-
varius de la cour des Médicis. Les héritiers de Bottesini olVrirent en vain de
céder sa contrebasse au Conservatoire de Pai-me, celui-ci ne voulut rien
entendre; si bien qu'en 1894 l'instrument fut acheté 1.200 francs par un
avocat de Turin, M. Emilio Henry, amateur très curieux de tout ce qui se
rapporte à la lutherie. Un luthier de Londres, M. Hill, l'ayant appris, lit à
M. Henry des offres séduisantes pour l'acquérir. Celui-ci, avant de consejitir,
proposa au Conservaloire de Parme de le lui céder au prixqu'il lui avait coûté,
mais cette olTre n'eut pas plus de succès que les précédentes, fje Testore de
Bottesini prit donc le chemin de Londres, où il devint, peu de temps après,
la propriété de M. Claude Hohday, élève du Conservatoire de cette ville.
Quant à M. Henry, il a conservé, avec les deux archets de Bottesini, qui sont
l'œuvre de Voirin, luthier de Paris, le chevalet de sa fameuse contrebasse.
Ces objets font partie du petit musée de lutherie qu'il a organisé chez lui.
— Signalons quelques travaux intéressants publiés dans diverses revues
étrangères. Dans le Sainnwlbdnde dcr InU'niatiotKden Musik-Geseltschaft de Leip-
zig, une curieuse étude (en français) de M. J. Ecorcheville sous ce titre :
Quelques documents sur la musique de la Grande-Ecurie du Roi; dans la Rivista
musicale italiana de Turin, un travail fort important de M. E. Adaïewsky (en
français aussi, avec citations musicales) sur les Chanls de l'église grecque; et
dans la Rassegna internazionale de Florence un article très étudié et d'une
admiration un peu excessive de M. (îuido Gasperini sur Don Lorenso Perosi.
— Nous recevons le premier numéro d'un journal spécial, la Musique en
Suisse, annoncé depuis plusieurs mois et qui paraît à Neuchàtel, sous la direc-
tion du compositeur Jaques-Dalcroze, professeur d'harmonie au Conservatoire
de Genève. Ce sera là le moniteur musical de la Suisse française, qui depuis
plusieurs années n'avait plus d'organe de ce genre.
— La place d'inspecteur de musique au département de l'instruction publi-
que d'Angleterre, laissée vacante par la mort de sir John Statuer, vient de
recevoir un nouveau titulaire en la personne de M. Arthur Somervell, com-
positeur dont on connaît surtout une Ode à la mer, produite au festival de
Birmingham en 1897. Cette petite place n'est pas à dédaigner; elle rapporte,
avec les frais de déplacement, 2S.0OO francs par an.
— Au congrès panceltique qui vient d'avoir lieu à Dublin, M. iNIalcolm
Macfarlane a donné lecture d'une étude sur la musique galloise et a constaté
qu'il n'y a pas bien longtemps encore personne ne savait chanter en langue
galloise, tandis qu'actuellement beaucoup de bons chanteurs existent qui
chantent dans cette langue. On a même publié un assez grand nombre de
mélodies galloises. Néanmoins beaucoup de ces mélodies restent dissémi-
nées dans des revues et autres publications périodiques. Il serait désirable de
les voir réunies dans une bonne édition.
— Noua recevons de Guadalajara (Mexique) le premier numéro d'un journal
de musique publié sous le titre d'Eco artistico et qui paraîtra mensuellement.
A défaut d'autre mérite, dont nous ne pouvons encore juger par ce spécimen,
celui-là aura au moins une originalité : il est gratuit et n'a point de prix
d'abonnement.
— iMusique et cuisine. Un pasteur américain qui faisait à pied une e.xcur-
sion dans un pays isolé de "West-Virginia entra dans la maisonnette d'un
fermier pour demander quelque chose à manger, ne fût-ce que des œufs à la
coque. Quelques instants après il entendit dans la cuisine la première strophe
du cantique Rock of Ages (Rocher des siècles), dhantée très lentement; puis,
quand le chant cessa, la fermière apporta les œufs. Le pasteur, un peu intrigué,
lui demanda pourquoi elle avait chanté si lentement le cantique et pourquoi
elle n'avait pas entonné la seconde strophe : « A cause des œufs, répondit la
brave femme; si je chantais la première strophe aussi vite qu'à l'église, les
œufs ne seraient pas assez cuits, et, si je chantais la deu.xième strophe, ils
seraient durs. Je n'ai pas de montre. » Voici une application ingénieuse de
la musique à l'art culinaire. Peat-étra verrons-nous un jour le métronome
appliqué par des « chefs » musiciens à la fabrication d'un plat dilUcile qui
exige une durée exacte de cuisson.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Adrieu Bernheini, commissaire du gouvernement près les théâtres
subventionnés, de retour d'une cure qui n'avait été interrompue que par
l'inauguration du monument Clairon à Condé, s'est immédiatement mis à la
disposition de M. Roujon,qui l'a prié de veiller aux détails de la représenta-
tion de gala qui sera donnée à Compiègne le 20 en l'honneur du tzar, et dont
le programme vient d'être fixé de façon définitive par M. le ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts.
— A l'Opéra les répétitions des Barbares marchent bon train sous la double
direction de MiM. Saint-Saëns et Victorien Sardou, malgré l'absence de deux
des principaux artistes, MM. Delmas et Vaguet, encore en congé, mais qui
ne tarderont pas à revenir. Rappelons à nos lecteurs que les Barbares compor-
tent trois actes et un prologue. Premier décor : le Théâtre antique d'Orange
avec les lauriers sacrés vus de face à la tombée du jour. Second décor : le
Théâtre d'Orange, vu de profil, à la clarté de la lune. Troisième décor: devant
une des portes d'Orange. Ils sont signés Jambon. Au prologue, même décor
qu'au premier acte, mais dans une sorte de buée, avec apparition du Réci-
tant, de mystérieuse façon. Le décor du troisième acte aurait été dessiné par
M. Sardou lui-même. Pour ce même acte, méfions-nous, M. Gailhard réser-
verait aux spectateurs une «surprise». Hélas! nous savons ce que sont le
plus souvent les « surprises » de M. Gailhard! Quoi qu'il en soit, le bouillant
direcieur se prépare à repartir pour le midi (encore !) afin d'y chercher cette
■i originale attraction ». Il fera sans doute le chemin en automobile, puisqu'il
est devenu le premier chauffeur de France. Lavera-t-il en route quelques-
unes de ces charmantes aquarelles dont il a le secret? — Ce serait vers le
iS octobre, sans plus tarder, que nous verrions toutes ces merveilles annon-
cées, dont la primeur serait cependant réservée, dans une répétition à huis
clos, aux membres de la commission du théâtre antique d'Orange. Comme on
se tient, dans le midi !
— L'Opéra a donné, cette semaine, la 986»- représentation des Huguenots.
Avant qu'il soit bien longtemps, le chef-d'œuvre de Meyerbeer aura donc
accompli son cycle de mille représentations, et pour cela il ne lui aura pas
fallu moins de soixante-six ans, puisqu'il parut pour la première fois en public
le 29 février 1836. Les succès et même les triomphes vont lentement sur notre
(I première scène » lyrique. C'est le théâtre colimaçon.
— Puisque tout à coup M. Gailhard a été pris d'un amour frénétique pour
les ballets et qu'il annonce coup sur coup les prochaines reprises du Fandango,
des Deux Pigeons, de Sylvia, etc., etc., nous lui demanderons pourquoi il oublie
dans cette atlluence de jolies soirées eii perspective le charmant ballet de
Théodore Dubois, la Farandole, un des plus délicieux du répertoire. Il semble
que la situation du compositeur et son bon renom indiquent tout naturelle-
ment cette reprise parmi les premières. Le directeur n'a aucune raison spé-
ciale pour l'écarter, puisque la chorégraphie de la Farandole est aussi bien
de Mérante (ce maître!) que celle des autres ballets annoncés.
— Une activité fiévreuse règne à l'Opéra-Gomique depuis le retour de
M. Albert Carré. C'est hier qu'a dû avoir lieu la réouverture avec Carmen et
M"e Delna. Nous allons avoir successivement, cette semaine, les débuts de
M"= Nervil dans Lakmc et ceux de M"= Giraud dans la Vie de Bohème. Les
bruits de coulisses sont excellents pour les deux débutantes. A la fin de la
semaine, nous aurons la prise de possession du rôle de Manon par M"'= Gardons.
Encore une soirée bien intéressante. Dans Louise, prochainement. M"» Charles,
qui a pu si heureusement s'échapper de l'Opéra, prsndra la succession de
Mu« Rioton et Gardens. — On commence aussi un peu à parler des
prochaines reprises du Roi d'Vs, avec M"« Guiraudon qui prendrait la place
de M»= Rioton dans le rôle de Rozenn, et de Werther avec la remarquable
M"= Gesbron. Mise en scène, de part et d'autre, des plus curieuses. Voilà enfin
un théâtre qui a de la vie et où l'art seul règne en maître.
— M. Massenet a passé quelques jours à Paris, pour donner toutes ses
indications aux interprètes de Grisélidis. M"' Bréval, MM. F'ugère, Maréchal,
Bourbon, M''^ Tiphaine connaissent à présent toutes les intentions, toutes les
nuances, tous les mouvements désirés par le compositeur et vont pouvoir
travailler seuls leurs rôles jusqu'au retour du maître, dans les premiers jours
d'octobre.
— Petite lettre-circulaire envoyée à la presse par M. Félix Mottl, le chef
d'orchestre allemand bien connu :
Lugano, 5 septembre 1901.
Cher ami,
M. Siegfried Wagner me charge de vous informer qu'il renonce à diriger les représen-
tations du Crépuscule des Dieux que l'on songe à donner à Paris l'an prochain, bien iiue
continuant à s'intéresser vivement à cette tentative artistique...
Amitiés,
' Félix Mottl.
Siegfried, vous avez raison.
— Curieuse et longue circulaire musico-littéro-parlementaire qu'on envoie
actuellement à tous les intéressés, avec enrtéte dela« Chambre des Députés ».
Monsieur,
Les associations ou les personnes qui donnent des auditions ou des repré,entations
musicales on liltéraires sont victimes d'abus sans nombre de la part de la Société des
auteurs.
Les plaintes incessantes qui parviennent tous les jours à ce sujet aux membres du
Parlement nous ont déterminés à entreprendre une campagne énergique pour obtenir la
réforme complète de la perception des droits d'auteur.
Dans notre pays, si remarquable par la quantité de ses vocations artistiques et musi-
cales, il convient de briser les entraves mercantiles qui en arrêtent le meilleur essor.
C'e^t par la crainte des procès dont vous menacent les agents des Sociétés d'auteurs que
vous laissez peser sur vous une dîme exagérée.
AJin dentoui-ager à la résistance contre un pareil système d'intimidation, notre
journal la Réforme du droit d'auteur se substituera gratuitement à ses abonnés pour sup-
porter les frais des procès qu'ils auraient à soutenir contre les deux puissantes Sociétés
des droits d'auteur
Ijans l'attente d'une répocse, nous vous adressons, etc..
CahNAUD, ClDE.XAT,
député des Bouclies-dur-Hlwnc. député d-s Ilouchus-du-IViûne.
296
LE MÉNESTREL
Cette circulaire est accompagnée de l'instruction suivante:
Le journal la Réforme du droit tf auteur fe snbstiluera graïuit'meot à ses abonnés pour
supporter les frnis des ['rocès qui pourraient leur être intentés dans les cas suivants:
1» Lorsque les Sociétés des auteurs réclameront des droits pour des œuvres tombées
dans le domaine public;
2° Lorsque les œuvres représentées appartiendront à des auteurs et compositeurs
n'ayant pas donné leurs pouvoirs aux Sociétés des auteurs;
3- Lorsque les piécédeiits juridiques (précédents que publiera notre journal) auront
établi que les prétentions de perception des Sociétés des auteurs ne sont pas fondées.
4° Lorsqu'il stra reconnu qu'il y a illégalité dans la perception.
Suit un bulletin d'abonnement au journal la Réforme du droit d'auteur,
directeurs : MM. Carnaud et Cadenat, députés des Bouches-du-Uhone, dont
le coût est de dix modestes francs par an. Qu'en pensera le bouillant
M. Souchon (Victor) ?
— A quoi la musique peut servir. En 1407, une plainte fut adressée à
l'archevêque de Cautorbéry parce que les pèlerins — l'Angleterre était encore
catholique à cette époque — faisaient trop de bruit sur les routes en jouant
de la cornemuse [baypipe) et en chantant à tue-téte, ce qui faisait hurler les
chiens partout où ils passaient. L'archevêque répondit que cette musique
était chose fort louable, car elle faisait oublier aux pieux pèlerins les fatigues
du long chemin et couvrait les cris de douleur de ceux qui avaient heurté
contre une pierre leurs pieds nus. C'est déjà toute la théorie de l'utilité des
musiques militaires.
— Le Nouveau-Cirque a fait, la semaine dernière, une très brillante réou-
verture avec plusieurs numéros sensationnels, tels que le vertigineux cycliste
Johnslone, M. Alaska JuJge et ses phoques étonnants et l'X incompréhen-
sible, vision aérienne de femme dont, à l'aide d'un truc de glaces d'autant
plus merveilleux qu'il semble inexplicable, on ne perçoit que le buste et les
bras. Si, pour ces premiers spectacles, on n'a malheureusement pas utilisé
la piste nautique, on a du moins pris soin de nous rendre notre inimitable
Foottit dans une scène de « leçon de panneau » d'une irrésistible drôlerie.
— A lire, une brochure intéressante et substantielle de M. Léon Gastinel,
publiée à Nice sous ce titre : Influence des Expositions universelles et inlernatio-
nal-.s sur l'art musical français.
— Notre confrère Albert Soubies fait paraître une nouvelle édition de sa
remarquable Histoire de la Musique en Russie ; cette publication vient bien à
son heure au moment de l'arrivée du Tsar.
— Ces temps derniers, quelques personnes de Rodez offraient un banquet
à leur gracieuse compatriote M"" Emma Calvé. Bouquets, acclamations et
toasts furent naturellement de la partie. L'un de ces derniers fut prononcé
par M. Joseph Fabre, sénateur de l'Aveyron, et de ce toast, reconstitué après
le banquet, on a retenu cet intéressant et joli passage : — « ... Je veux, mes
amis, vous répéter un mot que M"= Calvé nous disait tout à l'heure et qui
mérite de vous toucher comme il nous a touchés. Elle nous montrait son
père, paysan de quatre-vingts ans, naïvement 6er de sa fille, la paysanne de
jadis, devenue une grande princesse de l'art, et elle nous citait ce mot du
bon vieillard : « Ma fille, regarde ces rosiers; ils comptent plusieurs roses.
Mais en voici un qui n'en a qu'une. Il a dépensé toute sa sève à faire cette
rose unique, et celle-là est incomparablement la plus belle. C'est là l'his-
toire de tes humbles ancêtres et de toi-même. Tu es la suprême fleur de
tant de générations oubliées ».
— De Royan nous viennent les échos d'un triomphe retentissant pour
Thalis, superbement interprétée par Delmas et Georgette Leblanc. Cela a été
un véritable enthousiasme, et il y a de quoi. Si M. Gailhard avait quelque
initiative, ou mieux, quelque liberté du côté de ses commanditaires, il devrait
nous donner à Paris l'œuvre charmante de Massenet avec cette double inter-
prélalion, et l'on aurait ainsi un spectacle peu banal. M. Leprestre a été très
bien aussi dans le rôle de Nicias.
— M. Victor Maurel vient de louer, disent nos confrères, un superbe hôlel
avec salle d'études « pour y apprendre à chanter ». A qui? A lui ou aux
autres ?
NÉCROLOGIE
Un de mes vieux camarades, un condiscip'.e de la classe d'harmonie de
M. Reber au Conservatoire, le compositeur Eugène Diaz, vient de mourir à
Colleville, dans le Calvados, où il était en villégiature. Brave garçon, bon
compagnon, franc du collier, c'était une bonne et honnête nature, qui n'avait
qu'une haine au monde, celle de Wagner, et l'on se rappelle ses incartades
lors de l'affaire de Lohengrin à l'Eden-Thédtre avec Lamoureux. Fils du
fameux peintre romantique, il cultivait la peinture en même temps que la
musique, et y trouva même une partie des ressources de son existence. Comme
je le rencontrais justement il y a quelques semaines, au moment de panir
en vacances, et que je lui demandais s'il songeait encore au théâtre : —
« Ah! non, me dit-il; tu comprends que j'en ai assez. J'aime mieux faire de
la peinture, qui me sert à gagner ma vie. Je fais des tableaux pour l'Amé-
rique, et ca me rapporte plus que de faire jouer des opéras. » Il n'avait pas
été heureux, en efl'et, au théâtre. Il avait débuté en donnant, non, comme lo
dit un de mes confrères, dans la cave de l'Athénée, qui n'existait pas alors,
mais au Théâtre-Lyrique de Carvalho, en 1863, un opéra-comique en deux
actes, le roi Candaule, qui ne fit que paraître et disparaître. Puis, étant resté
vainqueur du concours ouvert en 1867 pour un ouvrage destiné à l'Opéra,
la Coupe du roi de Thulé, il vit représenter celui-là le 10 janvier 1873, sous la
direction Halanzier. Malgré une interprétation superbe qui réunissait les noms
de Faure, de Léon .\chard et de M™ Gueymard, malgré la splendeur d'une
délicieuse mise en scène, l'ouvrage ne put se soutenir et ne dépassa pas une
quinzaine de représentations. Enfin, en 1880, il abordait l'Opéra-Comique
avec un drame lyrique eu quatre acies, Renvenulo, qui ne fut pas plus heu-
reux. Il était évident que Diaz n'avait pas ce qu'il fallait pour le théâtre, et
surtout pour le genre vraiment dramatique. Il s'en consola, je l'ai dit, en se
rejetant sur la peinture, et se borna à publier quelques mélodies, quelques
morceaux sans importance. J'ai rarement vu, d'ailleurs, artiste plus modeste
et parlant si peu de lui-même. — Eugène-Emile Diaz de la Pena était né
à Paris le 27 février 1837. Il avait été admis en 1852 dans la classe de
M. Reber, où il avait eu un premier accessit d'harmonie en 18S6 et un second
prix en 1838. A. P.
— Le 31 août est morte à Milan l'une des plus grandes cantatrices que l'Ilalie
ait connues dans la seconde moitié du dernier siècle, IsabeilaGalletti-Gianoli,
qui était née à Bologne le 11 novembre 1833. Elle était fille d'Antonio Gal-
letti, gardien de la basilique de San Petronio de cette ville, avait étudié le
chant avec Gamberini, et à peine âgée de quinze ans fit apprécier sur des
scènes secondaires sa voix légère, caressante et d'une adorable pureté. Chose
assez singulière, cette voix sonore, grasse, souple, étendue, conduite d'ail-
leurs avec le goût le plus parfait, se transforma successivement avec l'âge,
de soprano léger devint soprano dramatique, puis mezzo-soprano, puis enfin
contralto. C'est ce qui lui permit de briller tour à tour dans tous les rùles et
tous les emplois, et, après s'être fait applaudir dans Don Bucefalo et Gemma
di Vergy, de chanter Anna Bolena, Xorma, Lucrezia Borgia, Semiramide, il Tro-
valore, Otello, un Ballo in Maschera, l'Africaine, et enfin Don Carlos, la Favorite
et le Prophète. Elle parcourut toutes les grandes scènes de l'Italie, le Regio de
Turin, la Pergola de Florence, le Fenice de 'Venise, le San Carlo de Naples,
la Soala de Milan, partout applaudie, fêtée, acclamée, en raison de son rare
talent de chanteuse et de ses remarquables qualités dramatiques, puis se pro-
duisit à Londres, à Madrid, à Lisbonne, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, tou-
jours avec le même succès. Je me rappelle l'avoir entendue à Milan dans
divers rôles, entre autres dans la Favorite, et en avoir reçu une impression
profonde, bien que dès cette époque un embonpoint excessif vint porter tort
aux superbes facultés de l'artiste, dont la respiration s'en trouvait parfois
gênée et embarrassée. Depuis longtemps déjà la Galleiti avait dit adieu au
théâtre pour ouvrir à Milan une école de chant où elle avait formé d'excel-
lents élèves. De son mariage avec M. Gianoli, de Pesaro, elle eut quatre
enfants, trois fils et une fille, qui tous sont atiachés au théâtre à divers titres :
Antonio est chef d'orchesire, Luigi, agent théâtral, Fernando joue les basses
comiques et Carolina tient l'emploi de soprano.
— De Trieste on annonce la mort d'un compositeur, G. -F. Zingherle, très
renommé surtout comme professeur de chant et qui s'était particulièrement
occupé de l'éducation musicale des enfanis. Il avait publié une Méthode élé-
mentaire de chant à l'usage des enfants, ainsi que des Canzonicri per fanciulli
qui avaient obtenu une grande, vogue.
— A Croce Fieschi (province de Gênes) est mort ces jours derniers un des
plus vieux et, dit-on, des plus habiles luthiers italiens, Eugénie Praga, l'un
des derniers représentants de cet art jadis si glorieux en son pays, où il est
depuis longtemps tombé dans un état lamentable. Ses violons, parait-il, étaient
surtout recherchés, et l'on cite un beau quatuor qu'il fit paraître à l'Exposi-
lion universelle de Paris en 1878, et qu'il exposa ensuite à Turin et à Gènes.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
. L'Art musical et ses interprèles depuis deux siècles (30" article), Paul d'Estrées. —
IL Bulletin théâtral : Sada Yacco à la Renaissance, A. P. — III, Notes d'ethnographie
musicale : Quelques mois sur les musiques de l'Asie centrale, les chants de l'Arménie
(6° article), Julien Tiersot. — IV. Petites notes sans portée: Mozart et la musique
française, Raymond Bouter. — V. Le Tour de France en musique : le Paj'san lyonnais,
Edmond Neukomm. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CLOCHES D'AUTOMNE
nouvelle mélodie de Noël Desjoyeaux, poésie de Paul Mariéton. — Suivra
immédiatement : le Récit de l'Aurore, n" 2 des Chansons couleur du temps de
Léopold Dauphin, poésie de J.-B. MoLiiinE.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Chanson à danser, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement : Le diable est
mort! galop de Heinrich Strobl.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et d
VIII (suite)
L'Anglais à Paris afBrme que notre compositeur ne se mettait
en frais de conversation que pour la musique. Tel n'est pas notre
avis. Auber était un fort aimable causeur et, comme tel, disser-
tait aisément sur tous les sujets. Quand Paul de Kock nous
parle des petites méchancetés bégayées par l'auteur dramatique
Hoffman au foyer de l'Opéra-Gomique, il ajoute qu'Herold et
Auber rivalisaient de verve caustique avec lui. La galanterie,...
même platonique, du directeur du Conservatoire est restée clas-
sique. Il fut, en effet, toute sa vie charmant pour les femmes,
qui savaient apprécier ses qualités d'homme du monde. Auber
était la correction même; sa mise était élégante et sa tenue im-
peccable. Mais il avait une légère manie dont il ne put jamais
se guérir. Il semblait que son chapeau et lui fussent insépa-
rables. Il l'avait toujours sur la tête. Il composait, déjeunait et
dînait avec ce fidèle compagnon ; et s'il se risquait au théâtre,
c'était toujours dans quelque loge où il n'était pas forcé de se
découvrir : aussi des plaisantins afflrmaient-ils très sérieu-
sement qu'il était juif; en tout cas, voilà un nouveau chapitre
pour l'histoire, éternellement ouverte,... des chapeaux.
Il avait encore une autre manie... non pas, une vertu, diront
peut-être certains de nos lecteurs : il adorait Paris et ne le quitta
jamais qu'à son corps défendant. Et cependant il était né en
Basse-Normandie ; aussi reprochait-il en riant à sa mère le voyage
à Gaen qui l'avait fait compatriote du poète Malherbe. Il en
mourut, de ce parisianisme, car, avec sa vigoureuse constitution,
il aurait pu vivre encore plusieurs années, s'il ne s'était obstiné
à subir les privations du siège et les horreurs de la Commune.
Ainsi que Boileau, Roqueplan, Meilhac et tant d'autres pari-
siens, Auber avait l'aversion de la campagne. C'était surtout
la solitude et le calme des champs qui l'etïrayaient. Et cette ter-
reur de l'isolement dans la tranquillité ne l'abandonnait pas à
Paris. Ce qu'il aimait dans la capitale, c'était l'animation, l'agi-
tation, l'intensité de la vie qui s'y dépense chaque jour. Tou-
tefois, même quand il professait son amour pour Paris, il exprimait
le regret de n'avoir point connu l'Italie; Rossini n'avait-il pas
déclaré qu'un « musicien doit avoir erré et rêvé sous ce beau
ciel ■? » Et le Cygne de Pesaro était pour Auber une autorité qui
faisait loi, au même titre que son maître Cherubini, le seul
musicien auquel il ait dédié un de ses opéras-comiques,... le
premier de la série.
A vrai dire, Rossini le payait de retour. Un jour qu'on disait
devant lui :
^— Auber écrit joliment, mais c'est un petit musicien.
— Soit, répliqua l'auteur de Guillaume Tell, c'est un petit mu-
sicien qui fait de la grande musique.
Le mot est cité par le baron de Trémont et le peintre Jean
Gigoux(l).
Rossini reconnaissait également à son confrère et ami le sen-
timent très prononcé de la couleur locale.
— Carafa, disait-il, a mis dans Masaniello de véritables airs
nationaux; ceux d' Auber sont encore plus napolitains.
De fait, les contemporains s'y trompèrent; le compositeur de
la Muette avait écrit pour les demoiselles Noblet un Jaleo di Jérès
qu'on prit longtemps pour un pas du crû et dont il fit plus tard,
sur le désir de M"" Damoreau-Ginti, un air du Domino noir.
En raison même de son caractère facile, souple et conciliant,
qui, pour être légèrement teinté de scepticisme, n'en était pas
moins dépourvu de cette combativité particulière à l'espèce,
Auber était sympathique aux diverses classes de la société. Il
était persona grata pour tous les gouvernements, et compositeur
de cour, comme jadis on était poète de cour. Le prince de
Joinville (2) signale sa fréquente présence au château d'Eu et
surtout quand la reine d'Angleterre y séjourna en -1843. Auber
y vint avec les artistes de l'Opéra-Gomique : Roger, Chollet,
(1) Jean Gigoux. — Causeries sur les artistes de mon temps; C. Lévy, 1885.
(2) Prince de Joinville. — Vieux souvenirs; C. Lévy, 1894.
298
LE MÉNESTREL
Anna Thillon. Les prûgrarames des concerts et des représen-
tations étaient splendides. Les chœurs du Conservatoire chan-
taient le fameux air d'Armide : « Jamais en ces heaux lieux... » ;
l'orchestre jouait VAndante de la symphonie en la de Beethoven ;
et Tivier, qui n'était fumiste qu'à ses heures, se fit applaudir
dans un fort beau solo de cor.
Auber était également appelé aux. Tuileries par Louis-Phi-
lippe, et le ministre Montalivet (1) nous dit dans quelles con-
ditions. Ses renseignements sont d'autant plus instructifs qu'ils
nous apprennent les opinions spéciales du roi sur la musique et
sur les musiciens. Seulement il est regrettable que, pour un
ministre dont ses panégyristes vantent la haute compétence et la
vaste érudition, M. de Montalivet parle des opéras de Rameau joués
sous le règne de Louis XIV ; peut-être a-t-il voulu écrire LuUi :
C'était l'histoire qui l'attirait (Louis-Philippe) dans la musique, non
plus celle des temps reculés, par exemple des opéras de Rameau sous
Louis XIV (! !) mais l'histoire de la musique des temps de sa jeunesse.
La première l'ois qu'il m'en parla, je le trouvai tout rempli des sou-
venirs de Grétry, de Monsigny, de Dalayrac, etc. Tels étaient ses préférés,
quoiqu'il prononçât avec plus de respect les noms de Mozart, de Gluck, de
Piccinni et de Beethoven. Il allait parl'ois jusqu'à fredonner avec plus ou
moins d'exactitude des airs de Ricliard Cœur de Lion et du Déserteur.
Aussi s'empressa-t-il de saisir la pensée de faire exécuter une ou deux
fois par semaine par les élèves du Conservatoire, comme chant, et par les
premiers instrumentistes de cet établissement, comme orchestre, les morceaux
les plus célèbres do ces grands musiciens. Mais le roi ne se borna pas à
cette musique de chambre, qui était admirablement exécutée sous la direction
d' Auber. Il ht représenter sur le théâtre de Saint-Cloud d'abord, et ensuite
dans les autres palais, quelques opéras de sa jeunesse, tels que Richard Cœur
de Lion et le Déserteur.
Une note de l'éditeur ajoute que le directeur de rOpéra-Comique,
Crosnier, s'inspira de cette idée et lui dut une belle fortune, dont sut
profiter cet homme de théâtre, « devenu depuis un député influent sous
l'Empire ».
Montalivet complète d'intéressants détails ses indications sur la mu-
sique telle que la comprenaient Louis-Philippe et sa famille. Après
Paêr, Auber organisa et dirigea aux Tuileries des petits concerts in-
times, dont M°"= Adélaïde avait arrêté le programme et qui avaient pour
auditoire la famille royale. Le compositeur avait pour mission d'en
choisir les exécutants — ils étaient au nombre de vingt-quatre, comme
sous l'ancien régime — parmi les élèves les plus distingués du Conser-
vatoire. Et Louis-Philippe avait doté cette institution d'une allocation
annuelle qui dépassa cent mille francs en 1847. Plantade, « secrétaire
de la Musique du Roi », écrivait au jour le jour le « procès-verbal » de
ces concerts, en même temps que celui des grandes fêtes lyriques exé-
cutées depuis 1840.
Nous retrouvons Auber dans d'autres cérémonies, mais offi-
cielles celles-là : un dîner à l'hôtel de ville en 1856. Il a pour
voisin Eugène Delacroix, qui reçoit avec empressement ses con-
fidences et s'empresse de les consigner le lendemain sur son
Journal. Le directeur du Conservatoire lui avoue qu'à l'heure
présente sa vie est aussi fortunée que possible; et cependant le
souvenir d'un passé difficile et douloureux lui ôterait toute envie
de la recommencer. Delacroix, qui fit peut-être un retour sur
lui-même, envie ce « voluptueux complet », dont les soixante-
douze ans ignoraient encore les défaillances amoureuses.
L'illustre peintre s'exprime plus énergiquement. Si nous
croyons devoir gazer les termes de cette... révélation, nous ci-
terons, sans l'affaiblir, une autre anecdote, empruntée au Journal
d'Eugène Delacroix, qui témoigne, contrairement à des traditions
trop accréditées, de l'obligeance confraternelle d'Auber.
Quand le peintre se présenta pour la première fois à l'Institut
il n'obtint qu'une voix, et, à l'issue de la séance, cinq des
académiciens présents vinrent lui serrer fortement la main, en
lui glissant chacun dans le tuyau de l'oreille qu'ils avaient voté
pour lui. Or, Delacroix racontait cette plaisante historiette dans
un salon, lorsque aussitôt un petit homme se lève furibond :
— Ah ! c'est trop fort, s'écrie-t-il, vos cinq amis sont autant
de menteurs; c'est moi seul, entendez-vous, moi, Auber, qui ai
voté pour vous.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
(1) Montalivet. — Fragments et souvenirs: C. Lévy, 1900.
BULLETIN THÉÂTRAL
L'Athénée, pour sa réouverture, nous a rendu la gentille Sada Yacco et
son mari, M. Otoju-o Kawakami, dont on se rappelle lo succès l'an
dernier à la rue de Paris de l'Exposition. Il nous a rendu la Lole Fuller
et ses adorables danses lumineuses. Et il nous a rendu tout cela dans
un spectacle composite, assez étrange, qui comprenait : 1° La SouHciére,
comédie en un acte de M. Hem-i Pain, jouée par les acteurs du lieu ;
2° la scène du jugement du Merchant of Veiiice, par les comédiens japo-
nais (Shakespeare eu Japonais!); 'à° les danses de la Loïe Fuller; 4° la
Gheslia et le Chevaliei-, par les japonais.
De la Souricière il n'y a pas grand'chose à dire. C'est un de ces levers
de rideau comme on nous les offre aujourd'hui, sans couleur, sans
saveur et sans valeur ; une machine quelconque qu'on écoute sans atten-
tion parce qu'elle est sans intérêt. Cela a été joué sans élan et sans con-
viction par M"° Hélène Dumont, MM. Terof et Pérée.
Ce qui nous a paru bizarre, c'est cette scène du Marchand de Venise,
où M . Kav\'akami faisait Shylock, transformé en Sauroku, et M"'° Sada
Yacco Portia, devenue Osode. Je ne crois pas que ces pièces européennes
soient l'affaire de nos acteurs exotiques. Et cependant, il faut le dire,
M. Kawakami s'y est montré bien remarquable à certains points de
vue, avec un sentiment tragique incontestable. Mais ce n'est pas ainsi
que nous comprenons Shakespeare. Quant à M""' Sada Yacco, qui n'avait
pas à faire de curieux effets de mimique, comme son mari, et qui avait
simplement à parler, ce n'était plus ça du tout.
Heureusement, nous allions la revoir dans son triomphe, là où elle
est charmante, la Gheslia et le Chevalier. Remarquons d'abord qu'ici la
pièce est encadrée dans des décors appropriés et charmants, et que la
mise en scène n'est plus rudimentaire comme à l'Exposition. Remar-
quoîis aussi que la pièce est plus longue qu'elle n'était là-bas, où l'on
avait dû pratiquer de larges coupures. Toutefois la durée en est raison-
nable. Mais ce qui ne l'est pas, et ce qui lui fait le plus grand tort, c'est
la longueur d'entr'actes interminables, qui indisposent et mettent en
humeur le spectateur le plus indulgent. Néanmoins il y a un second
acte comique, dont nous n'avions naguère qu'une sorte d'ébauclie, et
qui contient des scènes vraiment amusantes. Et M"" Sada Yacco a
retrouvé là tout son succès, succès très légitime, car, charmante de
grâce et de légèreté dans les deux premiers actes, elle est vraiment terri-
fiante et d'un réalisme effrayant dans la scène de la mort, au troisième.
Elle a vraiment bien du talent. Son mari aussi, d'ailleurs, et il est très
curieusement dramatique dans le rôle de Nagoya Sauza, l'amoureux
jaloux et haineux. Justement je trouve à son sujet, dans un livre fort
intéressant et daté de 1898, Promenades en Extrême-Orient, de M. le
commandant de Pimodan, quelques détails qui nous font savoir, ce qui
me semble n'avoir pas été dit jusqu'ici, que M. Ka^^-akami était venu à
Paris bien avant l'Exposition et connaissait déjà nos artistes.
Parlant du théâtre au Japon, M. de Pimodan écrit ceci : — « Le plus
célèbre acteur classique se nomme Danjuro et, si étrange que semble
son jeu, il est impossible de ne pas lui reconnaître beaucoup de talent.
Son rival, dans l'école réaliste, est Kawakami, étudiant devenu acteur
par goût, intelligent, novateur, s'occupant de littérature, de sport, voire
de politique et ayant môme, à l'étonnement railleur de ses concitoyens,
brigué leurs suffrages pour je ne sais quelle élection municipale ou
législative dans un quartier populaire de Tokyo. Kawakami connaît
Paris; ila vuMounet-Sully, Sarah Bernhardt, Cleo, danseuse à l'Opéra,
dont le portrait orne sa loge. Les pièces qui l'ont particulièrement frappé
pendant son séjour dans notre pays, sont : OEdipe-Hoi, la Dame aux
camélias et le Juif polonais. Il compte revenir en France, pendant l'Expo-
sition de 1900, et espère que ses confr(;'res parisiens lui feront bon accueil.
Comme Danjuro, Kawakami a du talent, beaucoup de talent même,
mais son jeu, pour être plus naturel, ne serait guère mieux compris de
nos compatriotes. » Ici, l'écrivain s'est trompé, et M. Kawaliami a été
compris aussitôt qu'il s'est montré.
Retrouvera-t-il à l'Athénée, ainsi que sa femme, le succès matériel
qui signala leur présence à l'Exposition? Rien sans doute ne permet
d'en douter. Ils ont été très chaleureusement accueillis l'autre soir. Et
aussi M""' Loïe Fuller. Seulement, la pauvre femme a eu uue décon-
venue. Elle n'avait point terminé ses danses lorsqu'un accident survenu
à l'électricité l'a mise dans l'impossibilité de les achever. Elle était
désolée, et elle en pleurait de dépit. Une ovation de toute la salle a dû
sécher ses larmes. D'ailleurs, ce qu'elle nous avait montré était délicieux.
A. P.
LE MÉNESTREL
"299
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
(Suite.)
VI
QUELQUES MOTS SUR LES MUSIQUES DE L'ASIE CENTRALE
LES CHANTS DE L'ARMÉNIE
Nous ne pouvons, à l'occasion de ces simples notes d'ethnographie
musicale, songer à parcourir tout l'univers. Bien des peuples devront
nous rester ignorés au point de vue spécial qui nous occupe.
C'est ainsi que nous ne savons presque rien de la musique des races
dont la connaissance serait peut-être pour nous la plus précieuse, celles
qui peuplent les régions asiatiques, où l'on a coutume de reconnaître
le berceau de l'humanité.
La Perse même, pays où règne une civilisation différente de la nôtre
sans doute, mais réelle, qui a produit des artistes et des poètes juste-
ment renommés, est parmi ceux dont nous ignorons le plus la nature
de l'esprit et des formes musicales.
Espérons que les relations qui doivent s'établir de plus en plus inti-
mement dans l'avenir, grâce aux voies de pénétration qui font commu-
niquer aujourd'liui ces pays avec nos régions occidentales, permettront
sous peu de combler cette lacune. Déjà un musicien français fixé depuis
plusieurs années à la cour du Shah de Perse, par lequel il fut chargé
d'organiser à l'européenne les musiques militaires, M. A. Lemaire, nous
a donné quelques cahiers d'airs populaires persans (chez Choudens). Il
est regrettable, à la vérité, qu'il ait cru devoir ajouter aux mélodies ori-
ginales des accompagnements en un style de polka ou de pas redoublé peu
compatible avec les formes de la musique orientale. Je croirais volontiers
aussi que l'ugage immodéré qu'il fait des barres de mesure, et l'emploi
d'un deux temps inexorable et continu, ne nous permettent pas de nous
faire une idée tout à fait juste de ces musiques aux langueurs subtiles. Il
faut souhaiter qu'un travail analogue soit recommencé dans un esprit
plus exact, et qu'aux notations musicales viennent se joindre des écrits,
conçus dans un esprit vraiment scientifique et sans hypothèses incon-
sidérées, qui nous donnent la connaissance des théories musicales des
Persans et sachent en dégager les éléments vraiment primitifs et indi-
gènes.
Pour l'instant, nous sommes bien obligés de nous contenter des
quelques rares publications existantes : quelques récits de voyageurs,
généralement fort superficiels à notre point de vue, — quelques airs
notés au XVIIP siècle dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau et de
La Borde et rentrant dans la catégorie des choses négligeables, — puis
le 6' livre de l'Histoire de la musique de Fétis, qui n'est pas le plus
mauvais de son ouvrage-capharnaiim : le 4' chapitre est fort intéressant
pour nous, avec des notations, qui semblent très fidèles, de plusieurs
chants écrits par l'historien sous la dictée d'un Persan attaché à l'ambas-
sade de France en 1808.
Au fond, la musique persane n'est guère connue de nous autres occi-
dentaux que par Lalla-Roukh de Félicien David, ou Thamara de
M. Bourgault-Ducoudray, ou encore par les Mélodies persanes que
Rubinstein a écrites sur des adaptations du poète Mirza Scliaffy, et la
ravissante et poétique Nuit persane de M. Saint-Saëns; et tout cela est
charmant, plein de grâces et de suggestions ; mais c'est de la musique
persane qui nous vient des bords de la Seine ou de la Neva 1
Peut-être trouverions-nous quelques éléments plus authentiques dans
les compositions des maîtres de la nouvelle école russe : l'Esquisse des
steppes de l'Asie centrale, de Borodine, Sadko, la si remarquable sym-
phonie de M. Rimsky-Korsakoff, ou telles autres pages que nous ont
fait entendre les concerts. C'est bien en effet par la Russie que la
lumière doit nous venir de ce côté. C'est à ses ingénieurs que nous
devons désormais de pénétrer sans danger ni peine parmi des peuples
qui nous étaient restés presque inconnus ; ce sera sans doute aussi par
ses artistes et ses savants que nous apprendrons â connaître les produc-
tions de leur génie.
Et c'est précisément dans un pays limitrophe de la Russie, et dont
une partie est soumise à son empire, que nous allons faire une nouvelle
incursion musicale.
L'Arménie est un des plus anciens territoires dont il ait été fait posi-
tivement mention dans l'histoire de l'humanité. Tandis que les régions
qui serviront de théâtre aux premiers chapitres de la Genèse sont vague-
ment définies, par contre il est spécifié qu'à la fin du déluge universel
l'arche qui préserva de la noyade quelques couples d'animaux repro-
ducteurs, humanité comprise, s'arrêta au sommet du Mont Ararat —
5.248 mètres d'altitude, — ce qui fut un très beau résultat au point de
vue de la navigation préhistorique ! Or, cette montagne est le point cul-
minant de l'Arménie. Irons-nous y rechercher les traces de la musique
que l'on chantait dans l'arche de Noé? Peut-être aurions-nous â craindre
d'être déçus... Moins aventureux, nous ne demanderons même pas si,
dans cet antique royaume qui a connu tant de vicissitudes historiques,
partagé aujourd'hui entre trois puissances étrangères, Russie, Perse,
Empire Ottoman, et dont la portion soumise â ce dernier a récemment
souffert tant de misères, les chants traditionnels ont conservé la pureté
primitive d'une race autochtone : nous nous bornerons à écouter ces
chants et â les transcrire tels que nous les avons entendus, sinon dans
leur pays, qu'il ne nous a pas été donné de visiter, du moins de la
bouche de plusieurs de ses enfants, fidèles aux souvenirs de la terre
natale.
Nombreux sont les Arméniens que des circonstances diverses, parti-
culièrement les massacres qui ont marqué les dernières années du
XK' siècle (âge de civilisation, comme chacun sait), ont amenés à se
fixer parmi nous. L'un d'eux, un artiste qui, habitant depuis plusieurs
années en France, a étudié au Conservatoire de Paris les principes du
chant classique, M. Ijéon Eghiasarian, a entrepris de nous faire con-
naître la musique de sa patrie; et déjà il a publié une première livrai-
sou d'un Recueil de Chants pojmlaires arméniens pour lequel des maîtres
tels que MM. Vincent d'Indy, Georges Marty, Ernest Reyer, Ch. Bordes
Bourgault-Ducoudray, Weckerlin, etc., ont mis au service de ses mélo-
dies nationales leur talent d'harmonistes. Une seconde livraison paraî-
tra bientôt, à la préparation de laquelle j'ai donné quelques soins.
Profitant de l'occasion qui s'offrait ainsi, j'ai interrogé M. Eghiasarian
et ceux de ses compatriotes avec qui je fus mis en relation, sur certaines
particularités musicales : c'est d'après leurs souvenirs personnels et les
documents imprimés qu'ils eurent l'obligeance de me communiquer
que je puis donner le succint aperçu qui va suivre des chants de
l'Arménie.
Tout d'abord, ce pays, un des premiers où le christianisme ait été
embrassé avec ferveur par les habitants (Corneille l'a glorifié en pre-
nant pour un de ses plus sublimes héros le martyr Polyeucte) est aussi
un de ceux où la liturgie musicale a été le plus anciennement fixée. Je
ne veux qu'eflleurer en passant ce côté très important de l'histoire
musicale de l'Arménie : d'une part, ce serait sortir du sujet si, dans ces
brèves notes d'ethnographie (qui doivent être nécessairement limitées
â l'art populaire), j'abordais l'étude de la musique religieuse ; d'autre
part, je n'ignore pas qu'au moment où j'écris ces lignes un jeune savant,
M. Pierre Aubry, connu par d'intéressants travaux de musicologie
médiévale, revient d'Arménie où il a été l'étudier sur place, ce qu'il a
dû faire évidemment de façon beaucoup plus approfondie. Je lui
laisse donc le soin de traiter la question aussi compendieusement qu'il
sera nécessaire, et je me bornerai à faire à ce sujet une simple observation.
L'on sait que la musique religieuse arménienne a une notation parti-
culière, qu'on dit être d'origine très ancienne, et qui n'est point
inconnue parmi nous, car elle a été étudiée par plusieurs auteurs,
notamment dans l'Histoi?'e de la notation musicale d'Ernest David et
Mathis Lussy. Cette notation a servi, dès l'origine, à transcrire les
Canons et les chants religieux dans le livre intitulé Charagan, à la
constitution duquel ont travaillé d'illustres prêtres de l'église armé-
nienne, saint Saak, Parfianine, Mesrop, Moïse de Choren au cinquième
siècle, Vardan-le-Grand, Joann Erzenkaiysk au huitième, etc.
« Afin de transmettre les mélodies du Charagan, dit un écrivain
moderne, il existait des signes spéciaux. Ceux-ci n'exprimaient pas
exactement la hauteur et la durée des sons, mais indiquaient seulement
à peu près la direction de la voix, quelques inflexions, et le temps pour
garder le son. En un mot, si l'on peut s'exprimer ainsi, ils ne servaient
pas à transmettre la mélodie, mais seulement â la rappeler. Ce système,
vu sa difficulté et le grand nombre de gens qu'il fallait instruire, n'était
pas le plus généralement répandu : il y avait un autre moyen, plus
vulgaire, pour enseigner ces mélodies. Les religieux du monastère
d'Etchmeatzin, qui avaient la charge de préparer les prêtres et chan-
teurs pour les églises, convoquaient les jeunes gens des différentes pro-
vinces pour leur apprendre ces mélodies de vive voix ; après quoi ils les
envoyaient dans différentes localités pour remplir l'emploi de chanteurs
d'église (1). » Il y eut plus tard de véritables inspecteurs, qui se trans-
portaient de ville en ville, exerçant leur surveillance pour établir ou
conserver l'unité de la liturgie.
Ce système de transmission orale administrativement organisé n'est-il
pas chose intéressante â noter pom- ceux que préoccupe la question de
la tradition populaire ?
(1) Ces détails sont empruntés à un livre de vulgarisation traitant des particularités les
plus divei-ses de la vie et de l'histoire arménienne, publié en Russie, après les massacres,
par un réfugié, et mis en vente au bénéflce des victimes sous le titre de YAide fraternelle
aux Arméiiiens, par Grégoire Djanchian, Moscou, 2" édition, 1898.
300
LE MÉNESTREL
Ce qui nous est dit de 1' « à peu près » de la notation musicale pri-
mitive en Arménie n'est pas moins digne d'attention, car cela s'accorde
le mieux du monde avec ce que nous savons d'autre part de la nota-
tion, également primitive, de l'Occident, celle des neumes qui, eux
aussi, ne faisaient qu' « indiquer seulement à peu près la direction de
la voix. — n'exprimaient pas exactement la hauteur et la durée des
sons », et. en un mot, « ne ser^'aient pas à transmettre la mélodie, mais
à la rappeler ». Tant il est vrai que tout se passe partout de même
manière, simultanément et parallèlement.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
MOZART ET LA MUSIQUE FRANÇAISE
A Madame Ch. Colin.
Et la musique ? Et le problème musical ?
Il est amusant, certes, et non moins touchant d'évoquer le jeune
Mozart dans ce grand Paris, de surprendre le génie besoigneux prenant
(I un iiacre » (sic) pour courir le cachet à travers « la plus boueuse » de
toutes les capitales, conciliant curieusement l'art et l'intérêt, la gloire et
l'argent, la désinvolture et la dévotion, le siècle et la foi, recevant trois
louis pour douze leçons (tout a fort augmenté, depuis Mozart, sauf le
génie). Sa mère, la douce Anna Bertlina (selon la forme italienne) (2),
écrit, avec un juste orgueil : « Notre Wolfgang est de nouveau célèbre;
on l'aime ici à un point indescriptible... » Et cette mère, cette noble
compagne de voyage va succomber loin de Salzbourg, et la prose hâtive
du fils ne sera pas moins éloquente que la plus poétique de ses
mélodies : « Pleurez avec moi, mon ami! — Je vous écris à deux heures
du matin. — Ce jour est le plus triste de ma vie... » (3). On est en
juillet, au seuil du mois et de l'été, l'aube approche :
« La mère est morte hier ; le fils est seul et pleure. . . »
Mais il faut répondre à l'objection, expliquer la contradiction ; Mozart
musicien français, — ennemi de la musique française ! De toutes parts
j'entends des voix, tel Oreste, et qui me pressent de m'e.xpliquer...
Le père avait dit, en 1764 : « Il y a ici une guerre incessante entre la
musique française et la musique italienne. Toute la musique française
ne vaut pas le diable. Mais il s'opère de grands changements. Les Fran-
çais commencent à tourner, et dans dix ou quinze ans, je l'espère, le
goût fi-ançais aura complètement fait volte-face. Les Allemands sont les
maîtres par les œuvres qu'ils publient. On compte, parmi eux,
MM. Schoberth. Eckard, Hannauer pour le clavecin, MM. Hochbruc-
ker et Mayr pour la harpe. Ils sont fort aimés. M. Legrand. un clave-
ciniste français, a complètement changé son style, et ses sonates sont dans
le genre allemand... » (4). Entre parenthèses, que ceux qui recherchent
avidement les origines lointaines du romantisme reconnaissent le
succès de la harpe romanesque et de l'influence germanique dès les
jours sémillants du règne de Louis XV!
En 1778, à l'heure majestueuse où le style si vraiment national de
notre vieux Rameau s'anime aux éclairs allemands du grand Gluck
(encore un génie naturalisé ù-ançais!). Paris a-t-il décidément changé en
bien, sur ce point ? Le fils, hélas ! ne parait pas moins découragé ni
décourageant que son père; malgré ses quelques succès personnels,
l'amitié de Grimm et la gloire de Gluck, il ne saurait se plaire à Paris:
moins de quinze jours après son arrivée, le .j avril, il s'écrie en sortant
du Concert spirituel : « Le baron Grimm et moi, nous nous sommes sou-
vent laissé aller à notre colère contre la musique de ce pays, entre nous,
s'enlend; car, en public, on crie: bravo, bravissimo, l'on applaudit à se
brûler les doigts. — Ce qui me fâche le plus, c'est que MM. les Fran-
çais n'ont fait d'autre progrès que de savoir écouter enfin la bonne
musique. Mais d'entrevoir, de se douter que leur musique est détes-
table, — mon Dieu, non ! » Cette sortie vise la musique instrumentale
où, de tout temps, l'Allemagne a cru l'emporter sur ses voisins. Et le
chant? Toujours défectueux! Le jeune Salzbourgeois se fâche contre les
« criailleries françaises » qui s'en prennent aux plus beaux airs italiens :
« Gâter de la bonne musique, c'est insupportable ! »
Le père est contrarié, mais prudent: il exprime son déplaisir de la len-
teur des Français â s'amender musicalement ; mais patience ! on ne cor-
Uj Voir le Ménestrel du 14 juillel, des 18 et 25 aoùl, du 8 et du 15 seplembre 19U1 (La
status de Mozart et Mozart à Paris).
(2) De son vrai nom î*Iarie-Anne Péril ; elle était née à la fin de 1720.
(3) Lettre du 3 juillet 1778 à M. l'abbé BuUinger, son a excellent ami ».
f'i) Lettre du 1" février 1764 à M»' Haguenauer, de Salzbourg.
rige pas tout un royaume en un jour! : « N'est-ce pas déjà beaucoup
qu'ils puissent écouter ce qui est bien? ». Le mentor ne se montre pas
seulement prudent, mais habile : apprenant que son fils retouche une
grande composition religieuse du maître de chapelle Holzbauer, avant
de s'attaquer à une Symphonie concertante, à un opi'ra, vile il lui con-
seille de se conformer au goût des Français : « Avant d'écrire pour leur
théâtre, observe à loisir ce qui leur plait! » Léopold Mozart devient tout
à fait pratique : pourvu qu'on réussisse et qu'on soit justement payé,
« que le diable emporte le reste », et nargue à l'Archevêque de Man-
heim! M. de Vollaire, qu'il invoque plus loin, comme poète, n'aurait
pas mieux dit, comme philosophe!
Le fils, plus jeune, est plus difficile: oui, qu'importent les ennemis et
les cabales? D'ailleurs, c'est « un bon signe ». Qu'importent les lenteurs
du librettiste Noverre, la sécheresse du compositeur Gossec, maitre de
musique à l'Opéra, la versatilité du ténor Legros, directeur du Concert
spirituel ? S'il y avait à Paris un refuge où quelques gens eussent des
oreilles pour entendre et un cœur pour sentir, on se moquerait volon-
tiers de toutes ces misères; mais hélas ! musicalement les Français sont
des « brutes ». Dans un salon des compliments, de grandes exclama-
tions platoniques ; à la répétition du Concert spirituel, grande approba-
tion : mais que pèsent les éloges des Parisiens? (Le mot est en français
dans l'original.) Et la symphonie, comme ils l'ont raclée ! La belle
œuvre que nous appelons encore la Symphonie parisienne est terminée
pour le jeudi saint, et les ânes mêmes de la capitale y trouveront ce qui
leur suffit, car l'auteur s'est bien gardé de manquer « le premier coup
d'archet / » (Encore cinq mots en français...) « Et comme ces animaux
en font une affaire! Que diable! — Je n'y vois pourtant aucune mer-
veille. Ils commencent ensemble, — comme jiarlout ailleurs. C'est à
crever de rire! » Ou de rage, et l'Ariel de la musique s'exprime un tan-
tinet comme un Caliban d'outre-Rhin...
Quanta l'Opéra, c'est une autre affaire : où dénicher un bon poème?
Les vieux, les meilleurs, sont hors d'usage; et les nouveaux ne valent
plus rien, « car la poésie, qui était la seule chose dont les Français
pussent être fiers, devient de jour en jour plus mauvaise, et c'est préci-
sément la poésie qui est la seule chose qui soit nécessaire ici, puisqu'ils
ne comprennent pas la musique... ». N'y aurait-il pas. entre les lignes,
quelque allusion malicieuse au grand Gluck, non seulement aux diffi-
cultés dont il triomphait alors à Paris, mais â la nature même de ses
innovations dramatiques ? En 1778, le jeune Mozart ne serait-il point,
aux yeux de l'avenir, le rival muet du vieux Gluck, tel un jeune Ana-
créon, rival inconscient d'Homère ? Sans doute il écrit plus loin :
« Si seulement cette maudite langue française n'était pas aussi abomi-
nable pour la musique ! C'est l'adversaire véritable ! — L'allemand est
divin, en comparaison... Et les chanteurs donc, et les cantatrices ! On
ne devrait pas leur donner ce nom, car elles ne chantent pas, elles
crient, elles hurlent, du nez, du gosier, de toute la force de leurs
poumons... » Parfait! et la boutade trouverait des applications récentes !
Mais comment oser dire encore : Mozart musicien français ?
Avec des poètes nous avions risqué ce paradoxe, car l'indéfinissable
de sa perfection, de sa grâce ailées semble d'accord avec notre goiït
(encore un mot significatif qui se glisse plusieurs fois dans l'allemand
familier de la Correspondance !). Ces affinités ne pouvaient empêdier le
docte voyageur d'être sévère pour l'enfance de notre musique instru-
mentale, en progrés cependant, et surtout pour le style de notre musique
vocale « qui ne s'améliorera point de si tôt ! » Dans ces critiques, le
musicien par excellence apparaît. Haendel contrapontiste n'était guère
plus indulgent pour les incorrections tragiques de Gluck... Mais, en
dernière analyse, est-ce bien seulement parce que le divin Mozart a le
cœur plus ardent et l'oreille plus fine qu'il dédaigne de si haut la
musique française ? Est-ce parce que le jeune prodige a été nourri, dès
l'enfance, du savoir sublime des Haendel et des Bach ? Est-ce seulement
sa délicatesse ou son dépit qui lui dicte d'aussi dures invectives, â tra-
vers la ville boueuse et la société légère ?
Non, je crois entrevoir une cause plus profonde.
Sans contredit, la musicale Allemagne a toujoursjugéplus que sévère-
ment ses rivales frivoles. Et ce dédain pour notre art, n'est-ce pas encore
un trait commun qui rapproche le petit Mozart du géant Wagner? (1)
On m'objectera, c'est vrai, que le pamphlétaire de sanglantes brochures
datées de 1870 et de 1871 n'a jamais entendu combattre que l'influence
française, que la séduction du génie latin, et que ce réformateur essen-
tiellement germanique qui s'écriait, vexé : « Qu'aurais-je fait d'un suc-
cès â Paris? », s'est toujours montré plus déférant que Mozart et que
Weber, son héritier collatéral, pour l'intelligence des Français, des
Parisiens, qu'il définit « le public le plus compréhensif qui soit ». Et
n'avouait-il pas que personne au monde n'avait mieux compris aussitôt
(1) Cr. te Ménestrel du 14 juillet 1901. — (Mozart et Wagner.,'
LE MÉNESTREL
301
sa volonté que MM. Ghampfleury, Baudelaire et Schuré ? Mozart
serait-il donc plus waç/nérien que Wagner ?
Tout au contraire, et c'est là le nœud du problème.
Mozart, en sa jeunesse, apparaît moins allemand qu'italianisant;
Mozart est le contraire de Gluck. De Manheim, le 7 février 1778, le
virtuose pauvre écrivait : « Je suis né compositeur : soit dit sans orgueil,
car je sens en moi plus que jamais la flamme. J'ai fortement en tête
de composer des opéras français plutôt qu'allemands, et italiens plutôt
que français et allemands ». Sa souplesse, d'ailleurs, est telle qu'il
emprunterait tous les styles ! Et son père, d'accord avec son ami
Wendling, lui concède ce talent troublant : « Je te connais, tu peux
tout imiter! » Il vient d'écrire deux airs français... (1). Mais son cœur
bat pour l'Italie. Ses vingt-deux ans soupirent après elle. Commence-t-il
un opéra : « Je crois » , écrit-il, « que cela ieviendra, Alexandi'e et Roxane. . . » .
Aveu perlé d'un rossignol qui considère la poésie comme «la fille obéis-
sante de la musique » ! En cette immortelle querelle qui divise déjà
Paris, Mozart, — la musique môme, — sera donc un peu piccmm'sie...
J'allais écrire un peu rossinien, si l'anachronisme no se compliquait pas
d'un blasphème ! Et le succès du sage Bokmd doit le toucher plus vive-
ment que la chute de l'ambitieuse A;-mirfÉ'...Piccinni? Mozart cause avec
lui poliment, au Concert spirituel; mais il ne veut se lier avec personne :
chacun pour soi ! C'est égal, avec son compatriote le baron Grimm,
auteur du Petit Proplicte, le futur musicien d'Idomeneo regrette l'Italie.
Et cet amour l'indispose non seulement contre les imperfections de notre
art et les candeurs de nos petits maîtres, mais contre l'austérité de la
grande tradition française. La tragédie lyrique n'est pas son fait. Elle
est trop peu musicale et trop littéraire, elle ne chante pas assez, pour
son âme éprise d'absolu. Mozart est un poète, et nos musiciens doivent
lui sembler des prosateurs. Seul, au Palais-Royal, après le succès de la
symphonie, il songe à son projet d'opéra : « J'ai pris une glace; j'ai dit
le chapelet, selon ma promesse, avant de rentrer... » Mais ce n'est pas
Gluck révolutionnaire, encore moins Rameau, très oublié, qu'il invoque !
Le jeune Mozart va quitter la France pour toujours. En 1778, à Paris,
le vrai musicien français s'appelle Gluck.
(A suivre.) R.«'mond Bouyeb.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
LE PAYSAN LYONNAIS
Le Lyonnais n'est pas à Lyon seulement. Il est dans la campagne, où
il a importé comme l'esprit de la ville, encore qu'il s'en défende bien;
car il est du terroir de l'ancienne Lyonnaise et n'entend pas être con-
fondu avec le canut ou tout autre citadin. Paysan il est et paysan il
restera. Convaincu de sa supériorité grande, il accueillera le Tjyonnais
assez osé pour le venir troubler en sa quiétude par sa vieille chanson
de combat, dont le refrain est : Les payjans valant bin lou mousus.
Le Lyonnais sait cela. Aussi, quand il se paye une partie fine au
loin, va-t-il dépenser son argent et sa bonne humeur dans les départe-
ments limitrophes, quelquefois jusqu'à Bourg ou à Beaujeu.
Le paysan, son voisin, reste donc seul, et il ne s'en plaint pas. Il est
heureux comme il est, et il chante son bonheur en chansons qui ont
bien leur saveur.
L'amour, l'éternel amour y tient naturellement le haut pas, et cela
depuis longtemps, car on trouve dans un Recueil des Chansons nouvelles,
publié à Lyon en ISIS, cette chanson d'une tendresse infinie, intitulée
Le Messager.
Aurai-je de mes amours — jouissance, la belle?
Rossignolet du boys — qui chante sur l'herbette
Sois messagier pour moy — et me porte une lettre
A ma mye par amour — dont tant je la regrette,
Qu'en ce printemps d^été — aura sa cotte verte.
Elle et moi la feront — d'une façon nouvelle,
Au cliant du rossignol — prince des amourettes.
Et puys nous en yrons — passer en Angleterre,
Là où de nos amours — jouirons à notre aise.
Dame, de mes amours — dites moy des nouvelles,
Aurai-je de mes amours — jouissance, la belle?
Refrain :
Hélas ! que dict-il? que dict-on? — Hélas! que dict-on? que dict-elle ?
(1) Datés de Manheim, 1777 et-de Paris, 1778, et chantés par Hl'" de Jerlin à la pre-
mière séance de la Société Mozart, le mardi soir 12 février 1901, salle Mustel.
Toutes les fois qu'il est question de l'Angleterre dans une chanson
on peut tenir pour certain qu'elle date du temps des grandes guerres.
Le Messager était donc ancien déjà quand il fut imprimé pour la pre-
mière fois. Les bonnes vieilles chansons portent d'ailleurs souvent
l'étiquette deleur époque. Ainsi n'est-il pas besoin de chercher longtemps
pour attribuer une date à ce frais bouquet de paysannerie, recueilli par
Weckerlin :
Nous étions deux ûUes dans un pré.
Le fds du Roi vint à passer;
Salua Dine,
Salua Chine,
Salua Claudine et Martine,
Ah : Ah !
Catherinette et Gatherina;
Salua la belle Suzon,
La duchesse de Montbazon ,
Salua Madeleine...
A toutes il fit un cadeau :
Bague à Dine,
Bague à Chine;
Puis il leur offrit à coucher :
Paille à Dine,
Paille à Chine;
Puis toutes il les renvoya :
Chassa Dine,
Chassa Chine;...
Embrassa la Du Maine ;
Diamants à la Du Maine;
Beau lit à la Du Maine;
Et garda la Damain.
Vieille, aussi vieille peut-être que le Messager, — elle a été imprimée
la même année à Lyon chez Jean d'OgeroUes et a été reproduite dans
les Facéties lyonnaises, de Montfalcon, — la chanson de la Belle Cordelière
a traversé les ans et fait encore le bonheur des gens réunis pour boire
et chanter. Son âge est dans la hardiesse de ses propos. Mais le Lyonnais,
vieux Gaulois, ne s'efiarouche pas pour si peu. Nous, nous gazons.
Donc :
L'autre jour je m'en allois
Mon chemin droict à Lyon ;
Je logis chez la Cordière,
Faisant du bon compagnon.
— Approchez-vous mon amy,
S'a dit la dame gorriere ;
Approchez-vous, mon amy,
La nuit je ne puis dormir.
Elle dict à son mary :
— Jan, Jan vous n'avez que faire ;
Je vous prie, allez dormir,
Couchez-vous en la couchette.
Notre compagnon est au comble de ses vœux. Il compte sur des jours
tissés d'or et de soie; mais il faut bientôt en rabattre... Il y vint un
advocat, venant de Forvières, guy monstra tant de ducats, s'a dit la dame :
Prenons nous deux nos ébats... Il y vint un procureur, qu'estait de bonne
sorte; il y a laissé sa robe, et sa bourse qui vaut mieux... Il y vint un cor-
donnier, qui estait amoureux d'elle; lui donne un chausse-pied, mais elle
n'en avait que faire... Il est venu un meusnier, le col cliargé de farine;
Il a tout enfariné
Cette gentille cordière :
Il la faut espousseter
Tous les soirs après souper.
Conclusion :
Le but où elle prétend.
C'est pour avoir de l'argent.
Toutes les Lyonnaises ne sont heureusement pas comme la belle
Cordière. Voyez plutôt cette petite maman, qui berce doucement son
nouveau-né :
Riguinguette, riguingot,
Girofle, girofla,
Le mimi vo bien dromi.
Bergère, laissée seulelte au bois cueillir la violette, elle a su se défendre
des galants : Monsu, gardez vos airs, à vous; si fan gardia mes moutons,
leur disait-elle; batelière, elle jetait à l'eau ses passagers trop entrepre-
nants; fermière, escortée par un cavalier, elle le fait, devenue plus
pratique, descendre de sa monture, enfourche son cheval et s'éloigne
au galop. Vainement, l'autre :
Arrête, la belle, arrête.
Tu emmènes mon chevaux,
Ma selle et ma vahse,
Mon or et mon argent
Qu'est renfermé dedans.
Elle fuit et bientôt a disparu à ses yeux. Ah, maisi c'est que la
matrone n'entend pas raillerie en matière de sentiment.' Ses amours
ont été contrariées; elle s'est enfermée dans une tour et a fait semblant
de mourir. Ses funérailles vont avoir lieu ; le cortège se met en route,
et son amoureux montre une douleur à fendre l'âme. Alors elle se
) réveille; ce sont des étreintes sans fin, et, tout ébahis,
302
LE MENESTREL
Les quinze curés disent aux abbés :
— La belle chose que de s'aimer !
Nous la portions enterrer,
Maintenant il faut les marier. »
Et Tun d'eus, se tournant galamment vers la ressuscites :
Il y a sept ans que vous l'aimiez,
Il est bien just' qne vous l'épousiez.
Les fiançailles ont eu lieu sur l'heure. Les indiscrets ont demandé :
Quel habil mcttrez-vozis?
— Le jour (le votre noce.
Et elle a répondu :
Habit de blanc, habit de noir,
CoilTure de pénitence;
Mon mari y' mettra
Chapeau de patience.
Malgré ces réserves, tout s'est bien passé pendant les fêtes nuptiales.
Les jeunes gens ont tiré les salves obligées devant Téglise; les violoneux
ont fait rage, en tête du cortège; et pendant le repas, les chansons du
cru se sont succédé au milieu du fou rire provoqué par les refrains
qui sont, dans le pays lyonnais, pétillants comme un feu de sarment.
Comment résister à ce méli-mélo, qui n'a ni rimes ni raison, mais qui
s'égrène comme les clochettes d'un carillon en goguette :
Qui charme le chœur d'Élise?
Son mistigon darda tire lire
Au clin clin cla té clarïra
Fortairire, l'ortaira,
Risandan son ribibi, ribibi, riboulette.
C'est M. G-uimet qui nous fournit cet alerte morceau. Weckerlin,
grand ami des rythmes grésillants, nous donnera la chanson, populaire
entre toutes : Plngo les noix. Elle dit en substance :
Derrièr' chez nous il y a t-un bois,
Pingui, pingo, pingo les noix.
Deux lièvres sont dans le bois
Bibelin, bibelo, popo la guenagu,
Pingui, pingo,
Pingo la guénago, pingo les noix.
Pour les chasser, m'en fus au bois,
Ils sont partis en tapinois
Morale
Ne courez jamais dans le bois,
Pingui, pingo, pingo les noix,
Après deux lièvres à la fois,
Biielin, bibelo, popo la guénagu,
Pingui, pingo,
Pingo la guènago, pingo les noix.
L'entrée en ménage a donc été gaiment fêtée et scandée en musique.
Ils seront heureux, n'en doutons pas, ces bons paysans lyonnais, qui
commencent la vie sur de si vifs refrains. Élise aura vite dépouillé sa
coiffure de pénitence, et son mistigon accrochera son chapeau de patience
à la patère du parfait bonheur.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIV^ERSES
ÉTRANGER
n est écrit que Beethoven n'aura pas de repos, même après sa mort.
Ses restes ont été exhumés il y a un quart de siècle et transportés solennel-
lement au cimetière central de Vienne, où la tombe du grand artiste occupe
une place privilégiée dans la section attribuée aux hommes célèbres. Et
voilà qu'il est question de déplacer son monument, qui fut érigé en 1880. A
cette époque le monument se trouvait au milieu d'un square tranquille et
avait, comme fond, les vieux arbres du bord de la petite rivière Vienne qui
coulait doucement ses flots... quand elle avait de l'eau. On a transformé tout
l'entourage du monument; la Yienne est couverte et on se promène mainte-
nant au-dessus d'elle, les arbres sont coupés et la circulation est devenue
assez importante à cet endroit. Les Viennois ne veulent pas que Beethoven
leur tourne le dos, et le conseil municipal a décidé de faire faire volte-face à
la statue. Au lieu de regarder vers l'ouest, vers la patrie rhénane, elle regar-
dera dorénavant vers l'est, du coté de la Hongrie. Ce changement dans la
position de Beethoven doit avoir lieu avant le commencement de la mau-
vaise saison. L'auteur de la statue, le sculpteur Zumbusch, est heureusement
encore de ce monde et pourra surveiller la petite opération, qui n'offre d'ail-
leurs aucun danger. Espérons à présent que les restes de Beethoven et sa
statue jouiront désormais d'un repos bien mérité. Requiescanl iiipacc!
— Le comité qui s'est formé à Hambourg pour l'érection d'un monument
à Johannès Brahms n'a pas ouvert de concours pour en obtenir le modèle
mais a confié l'exécution du monument à M. Max Klinger, ami personnel de
Brahms. Cet artiste s'est d'abord distingué comme peintre et comme gra-
veur; il a ensuite abordé la sculpture et s'est toujours montré très original
dans ses conceptions, qui pourtant ne sont pas toujours très heureuses.
M. Klinger a publié, encore du vivant de son ami Brahms, une série d'eaux-
tortes inspirées par des mélodies du compositeur qui ne manquent ni de
charme ni de saveur. On peut s'attendre à ce qu'il quitte, comme on dit, les
sentiers battus dans son projet pour le monument qui doit orner la ville na-
tale de Brahms.
— L'intendant de l'Opéra royal de Budapest, comte Etienne de Keglevich,
vient de donner sa démission. Il n'aura pas de successeur. Dorénavant le
directeur de l'Opéra royal sera placé directement sous les ordres du ministre
de l'instruction publique.
— On apprend de Munich que M. Siegfried Wagner aurait déclaré qu'il
ne permettrait à aucun nouveau théâtre allemand, construit selon les prin-
cipes de celui de Bayreuth, de jouer les œuvres de son pète avant l'année 1913,
époque à laquelle la protection de ces œuvres expire selon la nouvelle loi
allemande. M. Siegfried Wagner prétend que les directeurs allemands n'ont
acquis le droit de jouer lesdites œuvres que pour les théâtres qui existaient
au moment du traité et que ce droit n'est pas transmissible à de nouvelles
constructions! Cette théorie est fort contestable et pourra donner lieu à des
procès curieux. Il est évident qu'un théâtre municipal qui a acquis les droits
de représentation d'une œuvre lyrique peut très bien eu profiter dans une
nouvelle salle, si par exemple l'ancienne a brûlé. Et qui peut l'empêcher
d'abandonner un ancien théâtre pour en construire un autre selon un modèle
différent?
— Chose incroyable, dit un de nos confrères belges, c'est un musicien
français qui détient le record du chiffre de représentations pour une de ses
œuvres pendant la dernière saison de l'Opéra de Dresde. Saint-Saêns a
« dégoté » Wagner, dont le Tannhduser n'est arrivé qu'à douze représenta-
tions, alors que Samson et Balila — il est vrai que c'était une nouveauté pour
les Dresdois — a pu être donné vingt fois.
— On écrit de Prague : « Les journaux tchèques racontent la façon excep-
tionnellement amicale avec laquelle le pape a reçu récemment en audience
privée le jeune mais déjà célèbre violoniste tchèque, Jan Kubelik. Le vieux
pontife alla droit au jeune artiste et l'embrassa en s'écriant : « Je vous
connais déjà sous le nom de // Pacjanini redevivo ». Puis il continua : « Le
cardinal Vaszary m'avait demandé pour vous la grand'croix de Saint-Gré-
goire: je vous trouvais cependant encore bien jeune pour mériter cette dis-
tinction (Kubelik n'a que vingt ans) et je déclinai la proposition; mais le
cardinal insista et me dit : o Sans doute Kubelik est très jeune, mais comme
artiste c'est un maître de par la grâce divine. » Je ne pouvais rien objecter
contre un tel argument et je me suis décidé alors à vous accorder la grand'-
croix de Saint-Grégoire, en souhaitant que vous continuiez à développer votre
art pour l'honneur de votre patrie, s A la Un de l'audience le pape a béni
Kubelik et lui a remis deux rosaires, « un pour lui, a-t-il dit, et un pour sa
petite mère, à laquelle il sait qu'il porte une grande affection ».
— La nouvelle Société Bach qui s'est formée à Leipzig compte déjà plus de
SOO membres et reçoit constamment de nouvelles adhésions.
— La ville de Catane s'apprête décidément à fêter lo centenaire de la nais-
sance de son plus glorieux enfant, Vincenzo Bellini, l'auteur de Xorma et de
la Sonnambula. Le programme des fêtes est très fourni et comprend, entre
autres choses : un discours commémoralif prononcé par un écrivain distingué;
l'inauguration d'une plaque commémorative dans le palais où naquit le
compositeur; une exposition de souvenirs de Bellini au Musée des Béné-
dictins et l'inauguration de la Bibliothèque communale dans le même
édifice; un grand cortège pour déposer une couronne sur la tombe de Bellini
et une autre sur le monument de la place Stésichore; l'exécution d'une
grande élégie musicale, Hymne à Bellini, dont l'auteur, M. Pietro Platania,
directeur du Conservatoire de Palerme, est né à Catane ; grand concours
régional de bandes musicales; grand concours entre toutes les musiques
militaires de la Sicile, avec l'autorisation du ministre de la guerre ; grande
illumination allégorique; fête musicale au Jardin Bellini; distribution de
médailles commémoratives: repas offert pendant deux jours aux pauvres;
inauguration d'une grande saison musicale au théâtre Bellini, saison pendant
laquelle on ne représentera que des leuvres du maître, etc. Et pour terminer,
il y aura durant les fêtes tir aux pigeons, tournoi d'escrime, concours .de
cyclistes, grande fête des fleurs, bals, concerts, lâcher de pigeons voyageurs,
etc., etc., etc.
— Voici qu'on annonce à Milan la publication d'unopéra posthume du com-
positeur Ponchielli, l'auteur de la Gioconda, mort depuis quinze ans. Cet
opéra, dont nul n'avait entendu parler jusqu'ici, aurait été écrit sur un livret
d'Antonio Gbislanzoni, lequel est mort aussi, et a pour titre i Mori di Valenza.
La partition toutefois est restée inachevée, et l'instrumentation doit en être
faite par M. Annibale Ponchielli, fils du compositeur. L'ouvrage vient, dit-
on, d'être acquis par un éditeur milanais qui va le publier et se propose de
le faire représenter prochainement.
— Le théâtre National de Bome, en ce moment fermé, a rouvert ses por-
tes pendant deux soirées pour faire place à une troupe d'enfants qui es
venue donner, les 24 et 28 août, deux représentations d'un opéra-comique
inédit en quatre actes, Carmelita, paroles de M. G. Fatti, musique de M. Ce-
1
LE MENESTREL
303
sarini. L'œuvre el ses mignons interprètes, très adroits, paraît-il, ont obtenu
un vrai succès.
— Le théâtre du Buen-Retiro, à Madrid, vient de donner la première
représentation de Marcia, l'opéra qui a obtenu le prix du concours ouvert
entre les musiciens espagnols par la direction de ce théâtre. L'ouvrage est en
trois actes, et ses auteurs sont MM. Gonzalo Canto pour les paroles et Cleto
Zavalà pour la musique. Le livret, très dramatique, met en scène un épisode
de la conquête romaine en Espagne: l'incendie de Numance par ses habitants
patriotes, qui préférèrent détruire leur ville que la rendre auxvainqueurs.il va
sans dire qu'une histoire d'amour est greffée sur ce sujet héroïque. Bien que
la musique mérite des éloges, il ne semble pas que le succès ait été éclatant,
surtout pour deux raisons : la faiblesse générale de l'exécution et l'excessive
maigreur de la mise en scène, qui, au contraire, eût exigé un effort consi-
dérable. Les interprètes principaux étaient MM. Albiach, Blanco, Fuster et
M"": Petrowski.
— Il est question, à Genève, de donner l'hiver prochain deux œuvres
lyriques nouvelles importantes : la Fille de Jeplilé, opéra eu trois actes de
M. Pierre Maurice, et Lois, opéra de M. Gustave Doret.
— Une nouvelle salle de concerts a été construite à Saint-Gall (Suisse). Les
fonds nécessaires ont été réunis par les bourgeois de la ville.
— On a donné récemment, à Spa, la première représentation d'un opéra-
comique inédit en un acte, Bonhomme Noël, dont le succès paraît avoir été
très vif. Le livret est de MM. Léo Diensis et Théo Hannon, la musique de
M. Louis Hillier, un violoniste de Bruxelles, connu déjà par quelques compo-
sitions, mais qui abordait le théâtre pour la première fois. Sa partition est,
dit-on, fine, élégante, légère et point du tout banale. Interprètes : M"« Mort-
main et M. Delpret.
— Dans un grand concours national entre les sociétés chorales du Royaume-
Uni qui vient d'avoir lieu à Londres, un concert de clôture très brillant a été
donné au Crystal Palace. A ce concert a été exécuté, par toutes les sociétés
inscrites, un oratorio inédit d'un compositeur italien, M. Franco Leoni, an-
cien élève du G mservatoire de Milan, établi en Angleterre depuis plusieurs
années. Cet oratorio, intitulé the Gâte of life (l'Entrée de la vie), paraît avoir
obtenu un grand succès.
— Un directeur de théâtre de Saint-Louis (Etats-Unis) vient d'inaugurer
un système qui a pour but d'éviter aux spectateurs la prolongation de l'ennui
d'une pièce qui leur déplaît, et aux acteurs l'octroi de pommes cuites, dont
l'usage est encore vivace dans certaines villes américaines. La méthode
employée par le manager en question consiste dans le fractionnement du
prix des places pour chaque acte de la pièce représentée. Chaque spectateur
doit, naturellement, payer à l'entrée le prix total de la place qu'il veut occuper.
Mais si, par exemple, la pièce est en cinq actes et qu'il en ait assez après le
premier, il n'a qu'à se présenter au contrôle, où, sur sa demande, on lui rem-
bourse les quatre cinquièmes de son billet; s'il a eu la patience d'entendre le
second et qu'il n'en veuille pas davantage, il a droit à un remboursement
équivalant au reste, et ainsi de suite. Il paraît que ce procédé, qui a au moins
le mérite de l'originalité et de la nouveauté, a été très bien accueilli par le
public, on assure que phisieurs directeurs de théâtres de New- York seraient
disposés à l'expérimenter pendant la très prochaine saison d'automne.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Pas bien corsé, le programme donné en l'honneur du tsar à Compiègne.
Il comprenait, après im compliment en vers adressé à l'impératrice de Rus-
sie, dit par M"^ Bartet et écrit par M. Edmond Rostand : 1° Deux actes i'Il
ne faut jurer de rien d'Alfred de Musset, le 2= et 3' (Il parait que le premier
est inutile à l'intelligence de l'action); 2° quelques menus divertissements
chorégraphiques tels qu'un menuet à'Haendel et une sarabande, où triom-
phaient les sœurs Mante. — Les organisateurs, comme on voit, ne se sont pas
donné, comme on dit, de méningite aiguë. Les spectacles les plus courts ne
sont-ils pas d'ailleurs les meilleurs. C'est probablement l'avis du Tsar.
— Les inscriptions des aspirants au Conservatoire pour les prochains
concours d'admission seront reeues à partir du l*^"^ octobre, de neuf heures à
quatre heures, sauf les dimanches et fêtes, jusqu'aux dates ci-après où se fera
la clôture des listes :
HarpL^, piano (hommes), mercredi 9 octobre.
Violon, lundi 14 octobre.
Piano ïfemmes), jeudi 17 octobre.
Contrebasse-alto-violoucelle, mercredi 23 octobre.
Déclamation dramatique (hommes^, lundi 28 octobre.
Déclamation dramatique (fenimesj, mardi 29 octobre.
Flûte, Iiautbois, clarinette, basson, mercredi 30 octobre.
Cor, cornet à pistons, trompette, trombone, jeudi 31 octobre.
Chant (hommes el femmes), lundi 4 novembre.
Les concours pour l'admission ont lieu dans la huitaine qui suit la clôture des listes
d'inscription.
Les aspirants inscrits sont prévenus, par lettre, du jour et de l'heure où ils
seront entendus par le jury. Ceux qui, trois jours après la clôture des ins-
criptions, n'auraient pas reçu de convocation, sont invités à en aviser le secré-
tariat.
— Toujours amusantes et pittoresques, les notes sur l'Opéra qui courent les
journaux. Quel en est donc l'ingénieux rédacteur, un pince-sans-rire de
premier ordre ?
« M. Gailhard, dit l'une, tenant à ce que les Barbares soient présentés dans
le courant d'octobre et Siegfried à la fin de l'année, l'orchestre répète de la
sorte concurremment les deux ouvrages ». Concurremment, un rêve! Pourvu
grands dieux! qu'avec leur nonchalance habituelle les musiciens n'aillent pas
embrouiller les deux partitions et mettre du Saint-Saëns là où il faudrait du
Wagner et vice versa, comme dirait le chauffeur-aquarelliste de l'Opéra, très
ferré sur le latin.
« Grand émoi hier dans les coulisses du théâtre, dit l'autre. Après le pre-
mier acte à'Aïda, M. Gailhard tint à honneur de faire visiter les coulisses aux
chefs arabes qui assistaient à la représentation. L'aimable directeur leur fit
d'abord traverser la scène, où les machinistes plantaient le décor du doux;
puis il les conduisit au foyer de la danse, où ils durent défiler devant le corps
de ballet, dégringolé à la hâte de toutes les loges. Et c'était un spectacle
curieux, celui de ces hommes superbes drapés dans le burnous et coiffés du
turban, s'avançant gravement au milieu de ces petits rats parisiens qui les
regardaient l'œil éveillé et le nez effronté. Mais la fête eiit été complète si
dans le cortège du deuxième acte on avait pu voir défiler ces admirables figu-
rants du désert »!!! — Les « chefs arabes « qu'on aurait voulu voir réduits
à l'état de choristes ! Voilà bien une idée toulousaine. Mais l'idée la plue
comique est encore celle-ci. Le jeune ténor Rousselière, qui chantait le
rôle de Radaraès, où il était facile de le doubler, avait demandé un congé
qu'on aurait pu certainement lui accorder en d'autres circonstances. Mais
comme il est « natif d'Alger », on n'a pu le lui octroyer! Ce n'était pas au
moment où les « chefs arabes » venaient visiter le monument Garnier
qu'on pouvait vraiment se priver d'un véritable algérien ! N'était-ce pas le
cas ou jamais de le produire? Ce que les «chefs» ont du être flattés de cette
délicate attention!
— L'Opéra-Gomique, toujours fort vivant et animé, a passé en revue, toute
cette semaine d'ouverture, les'principaux ouvrages de son répertoire tels que
Mignon, Carmen, Lakmé, Manon, Louise, Mireille, la Basoche et autres. On devait
même donner la Vie de Bohème, pour les débuts de M"" Giraud ; mais l'indis-
position d'un ténor a tait remettre cette intéressante soirée à mardi prochain.
Tous ces divers spectacles ont été fort bien présentés et on a particulièrement
goûté M"' de Craponne dans Mignon, M"<= Tiphaine, qui a pris possession du
rôle de Colette dans la Basoche, l'originale et intelligente M"<= Garden dans
Manon, et tous les excellents interprètes de Louise, M"« Garden, déjà nommée,
MM. Fugère et Maréchal tout en tète. Nous insisterons particulièrement sur la
soirée de Lakmé, parce qu'elle a servi de début à M"'= Lidya Nervil, qui nous
vient d'Amérique, une bonne marque pour les cantatrices, comme on sait.
Et de fait, M'"^ Nervil a déjà dans le gosier tout le cristal, toutes les facilités
d'oiseau qu'on trouve d'ordinaire chez les grandes « étoiles » de son pays. En
cherchant bien on y trouverait aussi, tout au fond encore, mais ne demandant
qu'à émerger bientôt, des liasses de banknotes, comme on en a trouvé dans
l'œsophage des Patti et des Melba. C'est vous dire qu'on peut compter sur
l'avenir de la nouvelle artiste. H ne lui manque que l'assurance que donne la
pratique de son métier et, intelligente et habile, elle en montrera beaucoup
avant peu, nous n'en doutons pas. En attendant, le public, déjà séduit par ses
grandes qualités, lui a fait le plus chaleureux accueil. L'acquisition est excel-
lente pour le théâtre Favart.
— Il peut être intéressant de connaître le tableau de troupe au complet de
rOpéra-Comique pour la prochaine saison. La voici dans son abondance et
aussi dans sa qualité : M"" Delna, M""= Sibyl-Sanderson, Lucienne Bréval,
Jeanne Raunay et Deschamps-Jehin. en représentations; M"''' Guiraudon,
Charles-Rothier, Garden, Thiéry, Gerville-Réache, Tiphaine, Eyreams, de
Craponne, Courtenay, Marié de l'Isle, Baux, Mellot, Vilma, Cesbron, premier
prix du Conservatoire (début), Nervil (début), Giraud (début), Caux (début),
Valdys (début), Duffetye, Pierron et Chevalier. — MM. Fugère, Maréchal,
Clément, L. Beyle, Gautier, Peyre (début), Carbonne, Gazeneuve, Jabn, Jean
Périer, Dufranne, Delvoye, Bourbon, Mondaud, Allard, Boyer, Vieuille,
Boudouresque, Rothier, Jacquin,Huberdeau, Grivot, Gourdon etMesmaecker.
— L'orchestre, sous la direction de MM. André Messager, directeur de la
musique, Alexandre Luigini et Georges Marty. — Le ballet, sous la direction
de M"' Mariquita ; M"' Chastes, première danseuse.
— Spectacle d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-comique : Matinée : La Ba-
soche, les Noces de Jeannette; soirée : Lakmé, le Maître de Chapelle.
— M. Henri Carré, qui depuis vingt-cinq ans occupait à l'Opéra-Comique
la fonction de chef des chœurs, vient, pour raisons de santé, de donner sa
démission. Il aura pour successeur M. Henri Bùsser, un jeune musicien fort
distingué, grand prix de Rome, qui fit avec succès, l'hiver dernier, ses dé-
buts comme chef d'orchestre à l'Opéra populaire.
— Les cours de l'école des chœurs, à l'Opéra-Comique, recommenceront
le l" octobre. Des examens d'admission auront lieu à la fin de ce mois; les
candidats sont priés d'adresser leur demande au secrétariat du théâtre, en
donnant leurs nom, âge et adresse. La qualité de Français est indispensable,.
Les femmes sont admises jusqu'à 22 ans et les hommes jusqu'à 26 ans.
— M. Maurice Grau, le grand imprésario américain, a quitté Paris cette
semaine pour s'embarquer à Cherbourg sur le Kronprinz-Withem à destina-
304
LE MÉNESTREL
tion de New-York, où il précède la belle compagnie artistique qu'il a formée
pour la saison 1901-1902 :
Prime-donne, sopranos : M^^' Suzanne Adams, Bauermeister, Bréval, Calvé, Eames,
Gadski, Marjlli, Reuss-Belce, Sybil-Sanderson, Sembrich, Frilzischofî, Ternina, Van
Cauteren.
Contraltos : M"' Carrie-Bridowell, Louise Homer, Schumann-Heink.
Ténors : Mil. Alvarez, Bandrowski, Bars, Van Dyck, Dippel, Gibert, de Marchi, Reiss,
Salignac, Varmi.
Barytons ; MM. Bispham, Campanari, De Cléry, Dufriche, Gilibert, Muhlmann, Van
Rooy, Scotti, Viviani.
Basses ; MM. Blass, Plançon, Perello de Segurola, Edouard de Reszké, Jlarcel Journet.
Cliefs d'orchestre : 51M. Walter Damrosch, Ph. Flon et Seppilli.
Outre le répertoire, M. Grau donnera comme nouveautés Manru, le nouvel
opéra de Paderewski, et Thaïs de Massenet. — M"« Calvé chantera notam-
ment la Navarraise et Valentine des Buguenots; W" Eames, Il Trovatore;
M"" Sanderson, Manon, Roméo et Juliette et Thaïs; M°"= Sembrich, Ernani,
VElisire d'Amore et Eisa de Lohengrin; M"": Terninfi, Gioconda, Un Ballo in Mas-
chera et donna Anna de Don Giovanni, etc. — M. Alvarez, chantera le Cid,
Salammbô, Otello et l'Africaine; M. Van Dyck, Siegfried de la Gœlterdœmme-
Tung; M. Plançon, Thaïs et Gioconda; M. Edouard de Reszké, "Wotan de la
Valkyrie et Ernani. — M"" Bréval, qui n'arrivera que fin janvier (après ses
représentations de Grisélidis à l'Opéra-Comique de Paris), chantera la Tosca et
Brûnhilde de la Valkyrie. — Avant la saison de New-York, qui ne s'ouvrira
que le 23 décembre, la tournée commencera le 7 octobre et jusqu'au 20 dé-
cembre traversera tous les Etats-Unis. C'est le 180" voyage effectué par
M. Maurice Grau à travers l'Atlantique et l'avant-dernière saison qu'il orga-
nise en Amérique. Le courageu.x et habile imprésario songe, en efi'et, à se
reposer après tant de brillantes campagnes. En 1903, donc, il reviendra s'ins-
taller définitivement à Paris et à Croissy — à moins que... l'amour du métier
ne l'emporte encore!
— On se rappelle les infortunes de la construction qu'on avait commencé
à élever aux Champs-Elysées, sur l'emplacement de l'ancien Cirque d'hiver,
construction dont le vaste entourage en planches a si longtemps déshonoré
la plus admirable promenade de Paris et peut-être de l'univers. On se rappelle
aussi que, faute de fonds, cette construction d'un nouveau lieu de plaisir dut
tout d'un coup être abandonnée, et que le conseil municipal eut à s'occuper
de ce qu'il en allait advenir. C'est alors qu'un projet surgit, consistant à éle-
ver sur l'emplacement en question un grand théâtre lyrique international,
destiné à apporter une note nouvelle dans les jouissances artistiques de la
grande capitale que d'aucuns appellent la nouvelle Athènes tandis que d'au-
tres la traitent de moderne Sodome. Quoi qu'il en soit, le projet dont nous
parlons, dû à l'initiative de M. Léon Leoncavallo, frère du compositeur Rug-
gero Leoncavallo, l'auteur des Paillasses et de la Bohême, paraît sérieux et
semble devoir prendre corps. Le correspondant parisien d'un journal italien,
l'Àlba, envoie sur ce projet, à sou journal, des détails précis et circonstanciés
qu'il assure tenir de son auteur, M. Leoncavallo lui-même. Puisque c'est du
midi qu'ainsi cette fois nous vient la lumière, recueillons-en les rayons et
empruntons à l'Alba les renseignements qu'elle nous apporte. Le projet de
M. Leoncavallo, dit ce journal, est sorti de la période de préparation pour
entrer dans celle d'expérimentation prochaine. En fait, le conseil municipal
de Paris, dans sa séance du 13 juillet dernier, ayant été saisi du projet de
M. Leoncavallo, a décidé de faire suspendre la démolition du bâtiment des
Champs-Elysées, en autorisant l'autorité compétente (il fallait dire la com-
mission) à présenter un contrat de location avec M. Leoncavallo pour la
jouissance de ce bâtiment et des terrains adjacents. C'est en cet endroit, en
effet, que doit surgir le Théâtre International. Le contrat de location est déjà
en grande partie établi, et M. Leoncavallo deviendra locataire des terrains
pendant vingt-cinq ans. Une société a été constituée entre M. Leoncavallo
et un établissement financier parisien, lequel s'engage à construire le théâtre
à ses frais en cédant, moyennant une compensation déterminée, la gestion à
M. Leoncavallo. Le théâtre doit être grandiose, la dépense est évaluée à
un million et demi environ, et il doit être construit dans le style, si heureux,
du petit Palais des Champs-Elysées. Le projet de la construction est dû à
l'architecte Umbdenstock, l'auteur du beau Palais des armées de terre et de
■ mer à l'Exposition de 1900. En ce qui concerne la partie artistique de l'en-
treprise, le nouveau théâtre aura une saison lyrique de six mois d'hiver,
comprenant deux mois d'opéra italien, deux mois d'opéra allemand et deux
mois d'opéra français. L'opéra italien se basera sur le répertoire de la maison
Sonzogno, avec laquelle M. Leoncavallo est en train de négocier un traité.
L'opéra allemand comprendra uniquement des œuvres de "Wagner, exécutées
en allemand, avec un orchestre allemand et sur l'initiative d'une entreprise
allemande qui s'est déjà entendue avec M. Leoncavallo pour la location du
théâtre. Quant à l'opéra français, on ne représentera que des œuvres de jeu-
nes musiciens de la nouvelle école encore inconnus du public. D'autre part,
l'orchestre Lamoureux donnera vingt matinées dans le nouveau théâtre, où
il transportera ses pénates, et l'on donnera, dans le courant de l'hiver, cinq
grandes fêtes artistiques. Enfin, pendant l'été, le théâtre subira uue transfor-
mation et deviendra un théâtre à ciel ouvert, dans lequel ou représentera de
grands ballets italiens et français, comme à l'ancien Eden et dans les Music-
Halls de Londres. On espère que dans six mois le théâtre pourra être inau-
guré (?) et que l'inauguration se fera avec une campagne d'opéra italien.
Tel est le projet dont VAlba nous fait connaître les éléments. Nous lui souhai-
tons, pour notre part, grand succès, mais ,
— Très justes observations de M. Auguste Germain dans l'Écho de Paris : !
A l'occasion de l'arrivée du tsar en France, certaines coriioralion' industrielles doivent
adresser des vœux à Nicolas II, afin que celui-ci revienne sur les droits d'enirée en Russie
qu'ils estiment exagérés.
Les auteurs dramatiques ne pourraient-ils pas se joindre à ces honorables industriels? :
Us ne sont pas lésés, eux, par les droits de douane.
Cela va plus loin. En fait de droits, ils n'en ont aucun. Les théâtres russes peuvent
faire traduire et représenter nos pièces sans boui-se délier. Il n'y a aucune convention ,
littéraire entre la France et la Russie. Par conséquent on peut nous piller autant qu'on '
le veut. Nous n'avons qu'à nous incliner.
En revanche, nous touchons intégralement nos droits d'auteurs en Allemagne, en
Autriche, — à peu près en Angleterre. Quant à l'Amérique, elle a rapporté de petites
fortunes à un certain nombre d'auteurs connus.
Il n'y a que notre alliée qui, malgré toutes les démarches faites, prive les auteurs,
comme les romanciers, des gains auxquels ils ont droit.
Il serait temps en effet que notre « petit père » le tsar voulut bien, sous
ce rapport, faire rentrer la Russie dans le giron des nations civilisées qui
respectent la propriété artistique à l'égal d'une autre. C'est vraiment assez
faire le jeu des quelques éditeurs marrons et des quelques traducteurs véreux
qui fleurissent sur les bords de la Neva. Pour l'honneur de la Russie, une
telle situation doit cesser au plus vite. Le tsar est tout-puissant, dit-on. Il
devrait bien le montrer dans cette circonstance et rappeler à son pays les
principes de stricte honnêteté dont il n'aurait jamais dû se départir.
— Le tribunal de Nice a rendu récemment un j ugement déclarant abusive
la vente, par les agents de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique, des places qui leur sont remises pour leur permettre le contrôle
des auditions soumises au paiement des droits d'auteur.
— M. Adrien Mithouard vient de déposer au conseil général de la Seine
le vœu qu'une disposition législative soit adoptée, ayant pour effet de dis-
penser les musiques des établissements scolaires et les sociétés musicales
auto risées du paiement des droits d'auteur et de l'obligation d'une autori-
sation préalable pour les exécutions en plein air ou à huis clos ne donnant
lieu à aucune recette directe ou indirecte. Dans l'Éclair, M. Alphonse
Humbert appuie ce vœu et estime que si les exigences de la Société des
compositeurs continuent à être sanctionnées par la loi, les sociétés musicales
qui n'ont ni caisse ni recelte ne joueront plus que des œuvres tombées dans
le domaine public, et ce seront les musiciens qui l'auront voulu. M. E. Mas
a déjà signalé à maintes reprises, dans l'Instrumental, cette infiltration de la
musique étrangère, et il est temps que les Pouvoirs publics mettent un frein
salutaire aux exigences de la Société des auteurs.
— La ville de Lille organise pour les iS et 16 août 1902 un grand concours
international pour sociétés orpbéoniques, harmonies, fanfares, musiques
militaires, trompes de chasses, mandolines, etc. Pour l'organisation de ce
concours, qui doit avoir un éclat exceptionnel, le conseil municipal a voté
une somme de ISO. 000 francs.
— A G ayeux-sur-Mer vient d'être célébré le mariage de la fille aînée du
sympathique compositeur-pianiste A. Trojelli. Assistance choisie et des plus
nombreuses à la cérémonie religieuse. L'orchestre du casino y prétait gra-
cieusement son concours. Pendant la messe, M"= Hélène Lehian a fait ad-
mirer sa magnifique voix de soprano; M. Hubault, violon-solo du Casino, a
tenu l'auditoire sous le charme en jouant avec un sentiment exquis l'Inter-
mezzo de Cavalleria rusticana.
— Cours et Leçons. — M"" Donne reprendront, 18, rue Moncey, leurs leçons le
1" octobre et leurs cours de piano et de solfège le 5 octobre. — M"' Dehermann-Roy,
élève de Marie Sasse, de l'Opéra, reprendra ses cours et leçons de chant chez elle, 41, rue
Claude-Bernard, à partir du 1" octobre. Cours et leçons de harpe chromatique, système
Lyon.
NÉCROLOGIE
Un artiste fort distingué, l'excellent violoncelliste Richard Loys, bien
connu et depuis longtemps du public de nos concerts, vient de mourir, après
une courte maladie, au château de Vaugien, à Saint-Rémy-lez-Chevreusé. Il
était âgé de 65 ans.
— On annonce de Lausanne la mort de M. Fritz Simrock, le chef d'une
des plus anciennes et des plus importantes maisons d'édition musicale de
l'Allemagne. Cette maison avait été fondée à Bonn il y a plus d'un siècle,
par Nicolas Simrock, un artiste qui avait appartenu à la musique de l'élec-
teur de Cologne, et grâce à son intelligence et à son activité, elle était bien-
tôt devenue florissante. Elle passa de père en fils jusqu'aux mains de Fritz
Simrock, qui lui avait maintenu sa grande renommée. Il fut surtout l'éditeur
de Brahms, qui avait pour lui une vive affection. Fort intelligent et doué,
dit-on, d'un esprit critique très fin, Simrock avait horreur de la banalité et
ne publiait que des œuvres sérieuses et châtiées. Il donnait des soirées mu-
sicales fort intéressantes et qui étaient très recherchées des amateurs.
Henri Heugel, directeur-gérant.
3679. — 67"= ANIMÉE — [\1»39. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimaiiclie 29 Septembre 1901.
(Les Bureaux, 2 "'", rue TiTiehne, Paris, n- m>)
(les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
ménestre"
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MUSIQUE ET TIIE^TI^E^
Henri HEUGEL., Directeur
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Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du jréNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an.Te.xto seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEITE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles {31" article), Paul d'Estrées. —
II. Bulletin tliéâti'al : première représentation de Bichetle au Palais-Boyal, A. P.; pre-
mière représentation du Fi/s siirnaliirel au Théâtre Cluny, H. M. — III. Petites notes
sans portée : Berlioz et Delacroix à propos de Mozart, Raymond Bouyer. — IV. Notes
d'ethnographie musicale : Quelques mots sur les musiques de l'Asie centrale, les chants
de l'Arménie {ï" article), Julien Tiersot. — V. Pensées et Aphorismes d'Antoine
Rubin&tein. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CHANSON A DANSER
de A. PÉRILHOU. — Suivra immédiatement : le Diable au corps, polka de
Heinrich Sthobl.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
le Bécit de l'Aurore, n° 2 des Chansons couleur du temps de Léopold Dauphin,
poésie de J. -B. Molière. — Suivra immédiatement : Chanson d'automne
d'ANDRÉ Messager, poésie de Paul Delair.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
â'après les lémoires les plus récents et fles flociiients inédits
(Suile.)
VIII (suite)
Non, certes, Auber n'était pas un indifférent. Il faut voir avec
quelle émotion Anatole Lionnet (1) rappelle le cordial accueil
qu'il reçut du compositeur, le jour où il chanta chez lui un air
de la Favorite et la romance de Paul Henrion Loin de sa mère.
L'enfant — Anatole avait dix-sept ans à peine — était de petite
taille, très mince et très fluet. Auber s'étonnait de la voix qui
sortait d'un corps aussi frêle.
— Très bien ! dit-il, tu seras un artiste.
Et il fit entrer l'adolescent dans la classe du chevalier Pastore
pour le solfège et dans celle de Banderali pour le chant.
Il savait encourager ses élèves partis sur la voie du succès, ou
les réconforter dans les heures difBciles. Coquelin cadet, à
l'issue d'un de ces concours du Conservatoire, dont les résultats
sont toujours discutés, n'avait pas obtenu le prix de comédie
qu'il était en droit d'espérer et protestait les larmes aux yeux
contre un tel déni de justice.
(1) Les Frères Ltonnet. — Souvenirs et anecdotes; OUendorff, 1888.
— Allons, lui dit Auber pour le consoler, suivez l'exemple de
Figaro; et, comme lui, riez d'une injustice plutôt que d'en
pleurer.
Il est certain qu'il avait une conception très élevée du travail
pénible, ingrat et même rebutant, lui dont ses Aristarques fou-
droyaient la « déplorable facilité ». Quand un des professeurs du
Conservatoire, l'honnête et consciencieux Panseron, vint lui de-
mander, après onze mois d'un labeur continu, quelques semaines
de congé pour se remettre de ses fatigues.
— Mais, lui dit son directeur, lorsqu'on a beaucoup travaillé
pendant onze mois, il faut encore travailler pendant le douzième
pour ne pas se rouiller et se tenir en haleine.
Peut-être aussi faut-il voir dans cette rude réponse, si opposée
à l'aménité coutumière du maître, quelque peu de cette malice
anodine à laquelle il sacrifiait si volontiers.
Au commencement du siège de Paris, c'est-à-dire en septem-
bre 1870, Auber ne paraissait pas sensiblement plus âgé qu'en
1842, époque à laquelle l'Anglais à Paris, qui nous apprend ce
détail, rencontra le compositeur pour la première fois. Celui-ci,
au début de la guerre, supportait encore assez bien un régime,
peu fait pour un vieillard, d'ailleurs doublé d'un sybarite.
Mais, un jour, les exigences de la défense nationale lui impo-
sèrent le sacrifice de son cheval, vieux serviteur de vingt ans,
auquel il tenait beaucoup. Il ne put s'en consoler. Cependant, il
ne restait pas confiné dans son appartement du Conservatoire.
Il assista même à la fête que donna Arsène Houssaye, la veille
de la bataille de Champigny. Il fut le « lion » de la soirée, affirme
l'amphytrion, qui, dans l'élan d'une fidélité reconnaissante,
évoque de récents souvenirs, où le compositeur, le Fontenelle
du second Empire, joue le rôle d'un courtisan aussi adroit (Jue
respectueux. A. Houssaye le voit encore conduisant l'orchestre
aux « lundis de l'impératrice ». La gracieuse Majesté s'approche
du musicien debout sur la brèche, et l'invite à s'asseoir. Auber
n'y saurait consentir.
— Oh ! madame, répond-il, devant Votre Majesté, j'ai toujours
vingt ans.
La fête d'Arsène Houssaye fut la dernière à laquelle ait pris
part le directeur du Conservatoire. Lui aussi parlait du passé,
mais d'un passé lugubre, dont le présent, non moins sombre, lui
rappelait les sanglantes annales :
— Tenez, disait-il, j'étais à la dernière marche de l'église
Saint-Paul, quand je vis passer André Ghénier et Roucher sur la
fatale charrette.
Mais de gracieuses images, telles que les chérissait l'illustre
vieillard, vinrent dissiper ces sinistres fantômes. Blanche d'An-
tigny, cette blonde éblouissante, olïrait ses joues et... un verre
d'eau à qui voulait payer cette double faveur de cinq louis...
au bénéfice des pauvres; car la misère récolta une moisson
superbe dans cette fête à laquelle étaient conviées toutes
306
LE MÉNESTREL
les richesses, celles de l'esprit, de l'art, de la beauté, de la poli-
tique et de la finance. Coquelin et Saint- Germain, MM"" Sarah
Bernhardt, Marie Colombier, Pierson avaient répondu à l'appel
du maître de la maison. Marie Roze chantait le Premier jour de
bonheur; Auber l'accompagnait au piano.
Il n'était plus que l'ombre de lui-même, lorsque Maxime
Ducamp (1), qui se rappelait l'avoir vu pour la première fois
chez le sculpteur Pradier, le rencontra pour la dernière au
commencement de mai 1871. Le triomphe de la Commune, maî-
tresse de Paris, l'avait mortellement touché. Auber était « toujours
correct, propret, élégant » ; mais il était comme tassé sur lui-
même, les yeux vagues, perdu dans « une résignation déses-
pérée ». Les souvenirs de la Terreur continuaient aie hanter...
— J'avais neuf ans alors, disait-il à Maxime Ducamp; je
m'étais échappé, le 21 janvier 1793, du magasin de mon père,
pour voir passer Louis XVI dans le carrosse qui le menait à la
guillotine .
Maxime Ducamp s'efforça de le réconforter.
— Au revoir, lui dit-il respectueusement.
— Non, adieu. Je vais finir. Le vieux cerf est forcé.
Le mot, très authentique, nous fait involontairement penser à
celui, non moins réel de vieux... daim qu'une petite chanteuse
du Conservatoire lui lança en 1869 — nous l'avons entendu —
après avoir... raté un accessit que d'ailleurs elle ne méritait pas.
Ducamp voulut continuer son rôle de consolateur.
— Merci, interrompit Auber, je mourrai jeudi, peut-être
mercredi prochain.
Et il tint parole.
Le Journal de la Comédie-Française (2) d'Edouard Thierry
constate que, dès la première quinzaine d'avril, la santé d' Auber
donnait de graves inquiétudes : « II se plaint d'avoir trop vécu ;
il ne mange pas et s'aiïaiblit tous les jours ».
M"* Edile Ricquier, la sociétaire du Théâtre-Français, le veillait
chaque nuit.
Les funérailles ofBcielles d'Auber ne furent célébrées que le
16 juillet 1871, à la Trinité. Hostein (3) en donne un instantané
très réussi. C'est un fouillis de toilettes claires, un fourmillement
d'alertes parisiennes trottant sous des feux croisés de lorgnettes.
Il semblait que, par un rapprochement fatal, les obsèques du
plus mondain et du plus galant des compositeurs fussent comme
« un trait-d'union entre les deuils passés et les espérances de
l'avenir ». Sept discours, — cinq de trop dit Hostein, — furent
prononcés au cimetière Montmartre.
Le 29 janvier 1877, le monument élevé au Père-Lachaise, en
l'honneur d'Auber — une pyramide piquée d'une étoile d'or, —
fut inauguré avec force chœurs et musique militaire. Cette céré-
monie était un « enterrement dans une cave » observe Marc
Bayeux, boutade fort juste qu'appuie Hostein, en homme du
métier. C'était dans la cour même du Conservatoire qu'il eût
fallu rendre ce suprême hommage à la mémoire du génie facile,
dont la gaîté pétillante et communicative avait si longtemps
charmé ses contemporains.
Quelques-uns d'entre eux ne laissèrent pas reposer en paix
ses cendres. On sait comment Jules Simon, grand-maître de
l'Université, traite le petit-maître du Conservatoire. Auber, dit-il,
n'a jamais travaillé, et il fallait en vérité « qu'il sût sans avoir
appris ». Notre étude a dû démontrer sufHsamment l'erreur du
ministre, qui, du reste, en porta presque aussitôt la peine. Des
amis et des critiques autorisés relevèrent Jules Simon du péché
d'ignorance ; et Jouvin rappela, à ce propos, qu'un musicographe
nommé Maurel, avait affirmé, avec Fétis, en 1848, que Mozart
était un compositeur médiocre et de second rang.
En revanche, Auber eut, dès ses premières œuvres, des admi-
rateurs fanatiques.
Le bizarre chevalier de Livry, qui avait élevé, en 180S, à
Grétry, une statue effondrée dans un des derniers incendies de
(1) Maxime Ducamp. — Souvenirs littéraires ; Hachetle, 1893.
(2) ÉDOUABD Thierry. — La Comédie-Française pendant les deux sièges: Tresse et
Stock, 1887.
(3) Hostein. — Historiettes et Souvenirs d'un homme de théâtre; Denlu, 1878.
rOpéra-Comique et qui écrivait au compositeur des épitres si
extravagantes, avait continué à l'auteur d'Emma le bénéfice
d'hommages souvent intempestifs. Il l'accablait de salamalecs au
théâtre , et dès qu'il s'éloignait de Paris, il envoyait à son idole
des lettres provinciales aussi insupportables pour Auber que ses
adorations parisiennes. Un jour qu'il était à cinquante lieues de
son musicien favori, dans un château où des amateurs chantaient
<c un de ses airs », Livry n'écrit-il pas: « Le charme du motif me
fait précipiter à vos genoux et vous admirer ».
Plus récemment, le style d'Auber rencontra des panégyristes
non moins enthousiastes, mais s'exprimant en termes plus
mesurés.
« A cinquante ans passés, nous dit Sarcey (1), je suis un vieux
fou; j'admire notre vieil opéra-comique et trouve qu'Auber a
fait des chefs-d'œuvre. » Et comme le bon oncle aurait estimé
sans doute l'éloge insuffisant, s'il n'eût été contrasté par quelque
critique, il ajoute qu'aux premières de l'Opéra, occupant un
fauteuil derrière Reyer, celui-ci se retourna brusquement, dès
qu'il entendit Sarcey applaudir une mélodie bien rythmée, pour
s'exclamer :
— J'en étais sûr !
Mais ce qui semblera plus étonnant encore que les préférences
musicales de Sarcey, c'est le goût particulier que M. Robert de
Bonnières prête à nos voisins d'Outre-Rhin dans ses Mémoires-
ci' aujourd'hui :
« Les Allemands, dit-il, aiment Auber autant que Wagner. »
(A suivi-e.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THÉÂTRAL
Palais-Royal. — Bichette, vaudeville en trois actes de MM. A. Fontaues
et Adrien "Vély.
Si vous croyez que je vais dire... tout ce qu'il y a dans la pièce que
vient de nous offrir le Palais-Royal, vous vous trompez étrangement.
D'abord il y a, à satiété, à vous donner des nausées, la répétition mala-
droite et obstinée d'un mot que, je le sais bien, Molière a employé pour
caractériser certains maris malhem-eux, mais qu'il se serait gardé de
prodiguer de la sorte pour produire uu effet grossier et malsain, et qui
d'ailleurs, par l'abus, finit par perdre même cette saveur grossière. Et
celui-là n'est pas le seul, vous pouvez m'en croire. Et les situations sont
à l'avenant, aussi libres que le dialogue est coloré. Je me demande, en
vérité, le plaisir que peuvent éprouver des auteurs à placer dans la
bouche d'une femme mûre s' adressant à un jeune homme, cette phrase
madrigalesque : — « Ah! vous êtes encore unb... dej... f..., vous! »■
S'il y a des gens que ça amuse, même avec Vassent marseillais, j'avoue
que je ne suis pas du nombre.
Le vaudeville (sans couplets), avec lequel le Palais-Royal vient de
faire sa réouverture, n'est pas « rosse »; il est simplement malpropre.
Passe pour les situations. Au théâtre on peut tout oser, avec de l'adresse
et de l'esprit, et bien que ces deux condiments manquent un peu, il y
aurait encore moyen de s'entendre. Mais à quoi bon — je ne dirai pas
même ces gravelures et ces grivoiseries — mais ces expressions cyni-
ques, ces tours de plu-ase licencieux que vous n'oseriez pas employer
dans une société même légère sans être absolument corrompue? Encore
un coup, où est le plaisû-, où est l'agréable sensation? Le rire que vous
arrachez ainsi parfois est un rire malsain et dont vous ne recueillez
même pas personnellement le fruit, car il n'est que le témoignage des
pires instincts de la bête humaine.
En peu de mots la pièce peut se raconter, car, à part les incidents —
incidents qui n'ont malheureusement rien de neuf ni d'imprévu — elle
peut se résumer en ceci. Gotonnet. le mari de Bichette, qui a le tort
d'être trop vieux pour sa femme, n'en est pas moins un époux exemplaire,
qui la met dans du coton et auquel elle n'a rien à reprocher. D'autre
part, Dutilleul, l'époux de Jeanne, est un fringant qui continue imper-
turbablement de faire la fête, de courir après les cocottes et de mener
ce qu'on appelle une vie de polichinelle. Il est évident que si, la morale
faiblissant, l'un des deux devait éprouver des infortunes et rappeler les
malheurs que l'antiquité attribue au roi Ménélas, ce serait Dutilleul,
qui l'aurait bien mérité. Or, c'est tout le contraire qui arrive. M"'° Du-
(1) Francisque Sabcey. — Souvenirs de jeunesse; OUendorf, 1885.
LE MÉNESTREL
307
tilleul reste irréprochable malgré tout, tandis que Bichette en fait voir
à Cotonnet de toutes les formes et de toutes les couleurs. Ça, c'est le
droit absolu des auteurs, à charge par eux de nous amuser. Le malhem-
est qu'ils ne nous amusent pas, et qu'ils se contentent de nous écœurer
à force de dévergondage et de polissonneries. Ah! décidément, il y en a
trop.
Bornons-nous à constater que la pièce est très convenablement jouée,
quoique sans l'entrain indispensable en pareil cas, par MM. Cooper,
Boisselot, Francès, Hamilton, Charles Lamy, et M""* Viviane Laver-
gne, Berthe Legrand, Jousset et Jeanne Derville. A. P.
Le Théatre-Cluny nous parait tenir un vif succès avec le Fils surna-
turel, un vaudeville bouffe très gai et plein d'entrain de MM. Grenet-
Dancourt et Maui'ice Vaucaire. La donnée en est plaisante. Un petit
rentier de province a imaginé, pour justifier près de sa femme des
fugues assez répétées vers la capitale et les dépenses qui s'ensuivent,
l'existence d'un fils naturel — un péché de jeunesse — dont il doit
moralement s'occuper et aux besoins duquel il faut subvenir. Le sub-
terfuge réussit très bien, jusqu'au jour où M"'- Montarbourg se prend
elle-même d'intérêt pour ce fils supposé, demande à le voir et, grande
et humanitaire, propose de lui ouvrir ses bras et de l'admettre au foyer
familial. On devine toutes les situations drolatiques qui peuvent décou-
ler d'un tel point de départ. Les auteurs n'en ont pas manqué une et,
comme ils ont beaucoup fait l'ire, on leur doit de la reconnaissance.
L'interprétation est d'une bonne moyenne, sans grand éclat, comme
à l'ordinaire dans ces parages odéoniens. H. M.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXV
BERLIOZ ET DELACROIX, A PROPOS DE MOZART
à M. Julien Tiersot.
— « Berlioz insupportable, se récriant sans cesse sur ce qu'il appelle
la barbarie et le goût le plus détestable, les trilles et autres ornements
particuliers dans la musique italienne ; il ne leur fait même pas grâce
dans les anciens auteurs, comme Haendel ; il se déchaîne contre les
fioritures du grand air de Donna Anna... » C'est Delacroix qui parle de
son confrère de l'Institut. Je lis cela dans son Journal (2) que les raflnés
trouvent supérieur à son art...
— Delacroix? Se peut-il? J'avais toujours oui dire : Berlioz est le
Delacroix de la musique et Delacroix le Berlioz de la peinture... Je les
considérais comme deux frères en religion romantique!
— Il faut déchanter. Voulez-vous, mes chers amis, un rapide portrait
de Berlioz par Delacroix, son confrère? J'entends un portrait écrit, car
c'est Gustave Courbet, le réaliste, qui nous a laissé vigoureusement, en
pleine pâte, la ressemblance peinte de sa pâleur. Le Journal m'en four-
nit les traits épars. Je les rapproche à votre intention. Berlioz, aussi
bien que son rival Mendelssohn, « manque d'idées » : celui-ci, pédant,
donne dans l'archaïsme; l'autre, emporté, produit l'illusion d'un génie
fougueux ; mais « ils cachent de leur mieux cette absence capitale par
tous les moyens que leur suggèrent leur mémoire et leiu- habileté... »
Le pauvre Chopin, que Delacroix fait causer au premier soleil du prin-
temps, le 7 avril 1849, vous dira que Berlioz, en fait de contre-point,
« plaque des accords et remplit comme il peut les intervalles... « Gar-
dons-nous d'écouter les Hugo, les Berlioz, « tous les réformateurs pré-
tendus » qui s'élèvent inconsidérément contre les « lois éternelles de goilt
et de logique qui régissent les arts » : ceci à propos de « l'affreux Pro-
phète », toujours en 1849! Bref, « ce bruit est assommant; c'est un
héroïque gâchis... (3) » Tel est Berlioz. Et l'Ouverture de Léonore est non
moins « confuse ». Berlioz n'est qu'une caricature de Beethoven. Parlez-
nous de Mozart!
— Hum ! 11 n'est pas tendre, votre puriste des Massacres de Scio/
— Et vous donc? Votre antithèse, pour être involontaire, est une
ironie féroce !
— Je ne sais trop ce que Berlioz pensait d'Eugène Delacroix, lui qui,
même devant le Jugement dernier de la Sixtine, faisait profession de ne
pas écouter la poétique éloquence des arts silencieux... Mais aussitôt,
pour faire contrepoids, rappelons-nous que Victor Hugo, ce génie
« brouillon » comme ses dessins, avait surnommé les femmes d'Eugène
(1) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15 et 22 septembre 1901
(Mozart et la rmtdque française).
(2) Journal d'Eugène Delacroix, tome III, page 127 (47 janvier 48Se},
Id., tome I, page 417 {lO février 1SS0).
Delacroix « des grenouilles » — Ainsi va le monde... des arts et des
lettres !
— Allons ! Il reste entendu qu'en ces milieux du moins, le débinage
est de bonne guerre. Le divin Mozart n'a pas, semble-t-il, épargné les
musiciens français de son temps... Que dirait-il des nôtres? Mais ces
coups d'épingle ont, le plus souvent, des causes profondes et dépassent
l'épiderme susceptible de l'amour-propre ; si je voulais, à mes risques
et périls, continuer la métaphore, j'ajouterais : ils vont jusqu'au sang
de nos convictions mêmes. La seule jalousie n'explique pas le trait, ni
la seule vanité la blessure. Retenons bien les faits, qui ne sont jamais
méprisables : où et quand Delacroix traite-t-il Berlioz « d'insupportable » ?
A une soirée de Madame Viardot. Et le génie fait cantatrice vient de
chanter du Gluck. On lui redemande l'air à'Armide : Sauves-moi de
l'Amour! Alors, Berlioz, exalté, transporté, fanatisé, se déchaîne contre
les fioritures au nom de ce grand style. On entend sa voix mordante...
Et la sortie d'Hector Berlioz contre la triste Donna Anna, qui n'en peut
mais, parait tout aussi justifiée, séance tenante, que l'irritation du
peintre mélomane à l'endroit du musicien difficile. Les deux maîtres
vieillis ne peuvent se comprendre. Si Delacroix attaque Berlioz, c'est
parce qu'il chérit la a perfection » dans Mozart ; si Berlioz s'en prend à
Mozart lui-même, c'est qu'il a trouvé son idéal souverain dans Gluck.
L'avocat A'Armide doit fatalement se rencontrer avec l'avocat de Dm
Juan. Ici, Berlioz et Delacroix n'incarnent plus seulement deux catégories
de Français, avant 1860, dans le Paris étourdiment musical d'Auber et
d'Adolphe Adam; mais ils symbolisent, à leur insu, deux tendances
contraires, j'allais dire deux arts. Ce sont des philosophes sans le savoir.
Gluck et Mozart, le piccinniste, rivalisent une fois de plus, idéalement,
dans leurs âmes d'artistes, par leurs voix différentes, en leurs pensées.
— Sous l'anecdote, vous aimez toujours à dénicher le fond des choses
et des êtres...
— Je m'efforce, du moins ; car n'est-ce pas l'intérêt de toutes ces que-
relles d'Allemands... ou de musiciens français? Et l'impressionnisme de
nos bavardages ne saurait nous faire oublier la ligne.
— C'est parler d'or : et tâchez vous-même de ne jamais perdre de vue
un aussi beau programme ! Donc, Eugène Delacroix méconnaît Berlioz.
Cela veut dire...
— Que Delacroix dilettante a toujours préféré le sourire de son cher
Mozart à la majesté du grand Gluck et que, réciproquement, notre cher
Berlioz, le gluckiste, sera plutôt injuste envers Mozart. En effet ! Le
peintre, assurément, est né trop artiste pour ne pas s'incliner devant
cette force de volonté toujours grandissante qui fit du vieux chevalier
poudré, Cristofano Gluck, un génie mâle, opiniâtre, unique. Et la santé
qu'il admire si fort, lui malingre, chez Auber et chez Rubens, n'en
dêcouvre-t-il pas un nouvel exemple, plus fier, chez l'immortel auteur
d'Iphigénie en Tauiide? M<iis, vite, il conclut : « Il faut tout dire : toutes
ces qualités vous saisissent fortement, mais la monotonie vous endort
un peu. Pour un auditeur du XIX' siècle, après Mozart et Rossini, cela
sent un peu le plain-chant. Les contre-basses et leurs rentrées vous pour-
suivent comme les trompettes dans Berlioz... »
— Encore Berlioz ! C'est de l'acharnement ! Champfleury, le wagné-
rien, ne dirait pas autrement...
— Delacroix poursuit, décisif : « Tout de suite après, venait l'ouver-
ture de la Flûte enchantée; à la vérité, c'est un chef-d'œuvre. J'ai été
aussitôt saisi de cette idée, en entendant cette musique qui venait après
Gluck... Mozart est vraiment le créateur, je ne dirai pas de l'art mo-
derne, car il n'y en a déjà plus à présent, mais de l'art porté à son
comble, après lequel la perfection ne se trouve plus... Que faire pour
être ému de nouveau?... surtout surpris ? » (1).
— Ici, notre Berlioz aurait pu lui répondre par ses propres œuvres...
— Mais Delacroix l'aurait arrêté d'un mot d'académicien : Que ferez-
vous, « cjuand les modèles semblent n'être là que pour montrer ce qu'il faut
éviter?... » Vous serez, Berlioz, un héroïque gâchis...
— Héroïque! Mais c'est déjà mieux que rien, dites-moi, même pour
le gâchis du romantisme... Et la réciproque attendue?
— La réciproque? Ouvrez A travers Citants : elle se lit presque à cha-
que page ! Sans doute, le peintre de l'art musical, le coloriste Berlioz,
qui trouvait, pourtant, dans un quatuor la pierre de touche d'un musi-
cien, n'était pas assez aveuglé par la couleur pour mépriser la fugue
merveilleuse qui s'appelle l'ouverture de la Flûte endiantée! Et lui, bee-
thovénien, lui, gluckiste, il convenait sans peine que les premières
scènes de son bien-aimé Fidelio se rapprochaient, par leur forme mélo-
dique, « du style des meilleures pages de Mozart... » Mais, d'abord,
savourez l'accent de ce mot : meilleures! Et puis, fidèle à la tradition du
grand art « sévère, expressif, noblement beau », le shakespearien fré-
(1) Journal d'Eugène Delacroix, tome I, pages 422-423 (Dimanche 3 mars ISSO).
308
LE MÉNESTREL
mit de la tète aux pieds quand son idole même, M"" Yiardot, se per-
met quelque ornement inédit, dans Orphée; à la moindre appogiature,
il crie au sacrilège. Les traits de VEnlèvemint au Sérail et les roulades
du jeune rossignol de Salzbourg le laisseraient indifférent si ces « voca-
lisations grotesques » ne se retrouvaient pas « dans les plus magnifi-
ques ouvrages » de Mozart. « C'était le goût du temps, dira-t-on; tant
pis pour le temps et tant pis pour nous, maintenant ! Mozart, à coup
sûr, eût mieus fait de consulter son goût à lui... » Et plus loin : « Les
mêmes juges qui dénigrent... la grande, la sublime, l'entraînante ouver-
ture de Léonore, de Beethoven,... applaudissent et crient bh, fort sou-
vent, après l'ouverture de Don Juan de Mozart, où il n'y a pas de trace
de ce qu'ils appellent mélodie ; mais c'est de Mozart, le grand mélo-
diste!... Ils adorent, à juste titre, dans ce même opéra la sublime
expression des sentiments, des passions et des caractères; et, quand
vient l'allégro du dernier air de Donna Anna, pas un de ces aristarques
si sensibles en apparence à la musique expressive, si chatouilleux sur
les convenances dramatiques, n'est choqué des abominables vocalises que
Mozart, poussé par quelque démon dont le nom est demeuré un mys-
tère, a eu le malheur de laisser tomber de sa plume... »
, — Delacroix n'avait pas menti...
— "\'ous en doutiez ? Oui, ce romantique est lui-même un classique,
mais tout autrement que le puriste Eugène Delacroix (quand, pour
écrire son Journal, le peintre jette son balai ivre...) Et, décidément, tous
ces mots d'école n'ont pas de sens... Oui, ce soi-disant révolutionnaire
est un intransigeant. Ce tumultueux est un pur.
— Tout comme les émeutiers de 1830 et de 48, qui se réclamaient des
grands principes absolus de 89... Et ce que je vois de plus clair, ici,
c'est que Berlioz et Delacroix, frères ennemis, rêvaient tous les deux la
perfection...
— Sans doute; mais chacun si différemment! Ilalianisant comme
Mozart lui-même, dilettante à la Stendhal, à la Musset, le peintre éna-
mouré de mélodie ne dédaigne jamais ni le bel canlo ni l'ornement; il
ne craint pas la grâce, et même l'abus de cette grâce. Il passe volontiers
de Mozart à Rossini (qui continuait le chevalier Gluck à sa manière). Il
eût dit, avec Rossini : « Beethoven fut le plus grand musicien; Mozart
fut le seul. » Il eût dit, avec Hérold : « Penser toujours à Mozart, à ses
beaux airs de mouvement! » Delacroix, dans l'immortel Don Giovanni,
perçoit aussitôt le frisson romantique, étrange, hoffmannesque ; mais il
en admire avant tout la musicalité, comme nous disons, la plasticité
musicale.
— Et Berlioz ?
— C'est la fioriture qui l'indigne; il en fait un grief sanglant, un
0 crime » d'art et d'amour. Donna Anna vocalisante lui répugne : pauvre
fille deux fois outjragée! Dans la grande querelle, dont ces aménités
entre confrères ne sont qu'un nouveau chapitre, Berlioz, tout franc, se
serait déclaré contre Mozart en faveur de Gluck. A ses yeux, Mozart est
toujours un peu le petit Mozart, à la perfection puérile, le musicien des
sonatines et des bachelettes. Mais l'art de Gluck ! De la « musique de
géant » ! Berlioz ne peut se consoler de n'avoir point connu Gluck; et le
grand Gluck l'aurait aimé, lui qui « préféra les Muses aux Sirènes »...
Le révolutionnaire Berlioz incarne la vraie tradition française, latine,
gluckiste. Il est le musicien français, fils des révolutions, issu des chants
révolutionnaires à grand orchestre, libre héritier de nos Lesueur et de
nosMéhul(l). Ce shakespearien raffole de Virgile. Son âme est un volcan
sous une pure lumière. Et quand il évoque ses Troyens avec la grande
ombre de son vieil homonyme Hector, c'est pour honorer les classiques
transports de sa pâle jeunesse. Mozart n'est pas son dieu.
~ Ce qu'il fallait démontrer, disent les géomètres.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
Vf
QUELQUES MOTS SUR LES MUSIQUES DE L'ASIE CENTRALE
LES CHANTS DE L'ARMENIE
(Suite.)
A côté de sa musique religieuse, l'Arménie possède un répertoire
aussi intéressant qu'abondant de chants populaires. Ces chants consti-
tuent pour elle tout l'art musical, mais un art vraiment complet et
répandu dans toutes les classes de la société. Car, c'est chose déjà
(1) Remarque déjà faite par M. Julien Tiersol, dans le IHénestrel, k propos de la Sym-
phonie funibre et Iriomplwle (1840) et du Requiem (1836), de Berlioz.
maintes fois constatée, et que nous observons une fois de plus, il n'existe
pas, parmi les peuples ayant conservé leur physionomie primitive, la
ditférence si tranchée dans nos pays ultra-civilisés entre l'art des classes
supérieures et celui du peuple. Là-bas, il n'y a qu'un art, le même
pour les grands et pour les humbles. En Russie même, malgré l'in-
fluence si efficace de la civilisation occidentale depuis le milieu du.
dix-huitième siècle, toute trace des antiques influences n'a pas disparu.
Nous savons avec quel bonheur les maîtres musiciens que possède
aujourd'hui ce pays ont su s'inspirer de leurs mélodies populaires.
Mais voici un autre fait qui montre bien mieux combien ces chants
font partie intégrante du patrimoine national : on les enseigne à l'école,
dans les classes de musique, cola non seulement dans les écoles pri-
maires, mais jusque dans celles où se donne l'enseignement le plus
élevé, au même titre que les productions de la littérature classique et
nationale que tout homme cultivé doit connaître ; de telle façon que les
mêmes chants sont méthodiquement inculqués dés l'enfance à tous les
futurs citoyens de l'Empire, depuis le plus petit moujik jusqu'à ceux
qui sont destinés à occuper les plus hautes fonctions.
Je ne sais si, à ce point do vue particulier, il en est de même en Ar-
ménie; toujours est-il que les chants des fêtes, des noces, des banquets
et des diverses autres manifestations de la vie publique sont communs
au peuple et aux classes supérieures, et constituent la seule musique du
pays. Et si nous remontons à une époque ancienne, nous pourrons voir,
nous dit un auteur déjà cité, que ces chants n'étaient pas seulement
destinés aux réjouissances publiques, mais qu'un certain nombre étaient
regardés comme devant servir à l'éducation du peuple, et si hautement
appréciés que ceux qui les faisaiententendre n'étaient pas considérés seu-
lement comme des chanteurs, mais comme des maîtres. C'est ainsi que
les Aciioug étaient entourés d'une grande considération : c'étaient des
chanteurs, souvent aveugles (la tradition en a été inaugurée dés
Homère), que l'on peut rencontrer encore aujourd'hui, soit fixés dans
une ville, soit errant de canton en canton, chantant, en s'accompagnant
sur le Thar à huit cordes, ou sur le Saz à cinq cordes, les œuvres des
poètes arméniens, composant des mélodies et des vers, improvisant
même, suivant les circonstances. On a vu des Achoug ne pas craindre de
sortir des frontières de l'Arménie et d'aller se faire entendre dans les
cours des rois de Perse ou de Géorgie; malgré cela ils n'ont jamais'
cherché à modifier leur manière dans un sens aristocratique; leur art
est resté essentiellement populaire; c'est au milieu de la nation d'Arr,
ménie, dont la vie est toute démocratique, que leurs chants ont toujours
été et demeurent à leur vraie place.
Ces chants sont d'espèces assez variées. Au point de vue miisical,
nous ne saurions dire qu'ils introduisent chez nous une note abso-
lument nouvelle : familiers que nous sommes depuis longtemps avec
les chants orientaux, nous en avons retrouvé les inflexions favorites dans
la plupart des chants arméniens. Avec eux nous nous rapprochons no-
tablement de l'Europe, dont nous avaient tant éloignés les musiques de
l'Extrême-Orient et des Indes. Les mélodies ont un développement
vocal mieux en rapport avec celles de l'Italie, ou de l'Espagne, ou des
peuples tchèques ; d'autres nous rappellent plutôt celles des Arabes. Les
tonalités sont mieux définies, sans pourtant connaître les limites par
trop étroites de notre majeur et notre mineur : beaucoup de ces chanta
s'achèvent sur des degrés autres que la tonique (la dominante surtout,
ou bien le second degré appelant harmoniquement l'accord de domi-
nante); mais, dans leur développement général, il est rare que nous
soyons embarrassés à déterminer pour chacun un mode conforme à
notre sentiment. La famille mineure y domine dans des proportions
plus considérables encore qu'il n'est coutume, malgré son importance
dès longtemps constatée dans le chant populaire de tous les pays.
Un grand sentiment de mélancolie règne en effet sur l'ensemble de
ces chants. Dans certains, la tristesse est mêlée de langueur; mais dans
beaucoup d'autres elle n'exclut pas la vivacité ni surtout l'énergie.
Quelques-uns sont d'un développement assez considérable : tel celui
qui ouvre le recueil de M. Eghiasarian, les Larmes de l'Arax, harmonisé
par M. Vincent d'Indy : ce sont bien les mêmes formules qui circulent
d'un bout à l'autre; mais, distribuées irrégulièrement, et non suivant la
coupe habituelle du couplet, elles donnent au chant une apparence de
liberté de laquelle il prend une envergure assez rare.
Un autre, Zim Gw.'lkhine, harmonisé par M. Bourgault-Ducoudray, —
un dialogue d'amour d'une saveur très particulière — ■ est bien divisé
en couplets, mais ces couplets sont chacun d'assez longue haleine, com-
portant deux périodes qui, se répondant symétriquement l'une à l'autre,
semblent appartenir à deux tons différents. M. Bourgault-Ducoudray
les a en elfet harmonisés en commençant en sol bémol majeur et en ter-
minant en mi bémol mineur, et il ne pouvait faire autrement, vu les né-
cessités, parfois trop étroites, de nos principes harmoniques. La vérité
est pourtant qu'au point de vue mélodique pur, F unité tonale est
LE MÉNESTREL
309
entière : la mélodie appartenant à la gamme correspondant à notre
premier ton du plain-chant, la première période évolue simplement
entre le 7" et le 3^' degré, tandis que la deuxième lui répond en repro-
duisant presque intégralement le même dessin une tierce au-dessous, du
S" degré à la Ionique; il n'y a donc poiut ici de modulation, — et de
fait on peut poser en principe que la modulation est chose inconnue ;i
la mélodie populaire.
Une troisième chanson, Hairik, harmonisée par M. Ch. Bordes, est
un parfait exemple de langueur orientale, non dénuée de quelque mono-
tonie, on même temps qu'elle nous offre un type caractéristique de ce
modo, comprenant l'intervalle de seconde augmentée, et concluant sur
la dominante, généralement désigné parle nom de chromatique oriental.
Cette formule mélodique est tellement populaire que nous la retrouvons
presque identique, mais dans un tout autre mouvement (vif au lieu
d'être lent), sur un air de danse instrumental (la chanson au contraire
a des paroles rêveuses, où il est question de la hrise et des bruits mys-
térieux de la mer), noté dans le livre déjà cité, l'Aide fraternelle aux
Armemen-s, lequel comprend quelques pages de notations musicales.
Nous ne reproduirons ici aucun de ces chants, les lecteurs qu'ils inté-
resseraient ayant toute facilité pour les connaît re, ceux surtout du recueil
de M. L. Eghiasarian, édité à Paris (chez Costallat). Nous leur en
communiquerons de plus inédits, pris d'ailleurs à la même source.
Voici d'abord un chant d'amour qui m'a été dicte par un des chan-
teurs arméniens qui ont contribué à la formation de ce recueil, M. Ga-
loust Boyadsian, lequel présentement étudie le chant à Paris. Je crois
le pouvoir donner comme un des modèles les plus remarquables que
l'on puisse offrir du chant populaire en quelque pays que ce soit. D'ac-
cent lyrique au début et d'expression sentimentale, il prend peu à peu
plus de précision rythmique, et devient une vraie chanson de danse,
avec certains détails d'interprétation, qu'accentue la mimique, d'une
fantaisie charmante : à la fia de la période, la voix glisse en une roulade
descendante, sans intervalles définis, s'arrètantau hasard sur une finale
inarticulée (serait-ce point là, enfin ! un exemple du fameux quart de
ton?...); puis le chant redevient plus libre et d'accent mélancolique,
comme au début, et s'achève sur une tonique franche et nettement
posée. La tonalité générale est un premier Ion des mieux caractérisés.
Fidèle aux principes de notation rythmique déjà exposés, nous n'en-
fermons dans des barres de mesure que les parties de la mélopée qui
sont nettement cadencées, laissant le reste sans aucune autre indication
que celle qui résulte expressément de la valeur comparée des notes.
-hin, ko h;vjani - ha .11 lou sohiii lo.rlU,
llhrrw^nl.
djanéni lo- rik, djaném lorik
Plus animé.
djaném lo-rik.
Zouriia lliulr Icliale . Isoulstn, kaiialcli kapéu liaké Isoutsin,
i" Mouvl fj/iis libre.
dj^iiiéiii lo - lili, iiuiléuiloj'ik,_
(A suivre.)
ia_iénilo.rlk._
Julien Tieesot.
PKNSÉES ET APHORTSMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Traduit du russe par Michel Delines.)
De nos jours, nous sommes très fiers des progrès de l'instruction et
de la science. Toutefois, bien que l'instruction soit plus rjpandue, il est
permis de se demander si nos illustrations pourraient supporter la
comparaison avec les grands artistes de la Ren lissance ou du « cinque
cento 11 pour l'universalité des connaissances .
Je n'en fais pas un reproche à nos artistes du jour, parce que cette
universalité n'est pas une condition nécessaire à la création artistique;
mais cette remarque est intéressante au point de vue de l'histoire de la
civilisation.
Les croyants admettent encore maintenant que Dieu, pour nous faire
connaître sa volonté, peut se manifester sous la forme d'un être humain.
Mais comment accueillerions-nous de nos jours un tel messager? Si
nous n'allions pas jusqu'à le crucifier en le déclarant sacrilège, nous le
ferions tout au moins enfermer dans un asile de fous !
Pourquoi donc on voulons-nous tant aux Juifs pour s'être refusé à
reconnaître en Jésus le fils de Dieu, dix-neuf siècles avant nous, et pour
l'avoir soumis aux châtiments qu'on infligeait alors?
Le repos du dimanche est-il une mesure philanthropique, économi-
que ou religieuse? Au point de vue philanthropique, je trouve qu'il y a
là excès de zèle; au point de vue économique, je ne peux que le regret-
ter; au point de vue religieux, je le trouve tout à fait blâmable, car,
forcer les gens à se rendre à l'église, c'est les obliger souvent à un acte
de mensonge.
Interdire le travail n'est pas une idée moralisante, et défendre les
amusements après le travail confine à la cruauté.
N'aurions-nous vraiment rien de mieux à emprunter à l'Angleterre
que le repos du dimanche?
Si l'on ne veut pas qu'un acte soit mal interprété, il faut proclamer
hautement ses intentions. Dés qu'on s'entoure de mystère, on excite la
curiosité, on éveille les soupçons et l'on devient l'objet de la malignité
publique.
Les nations européennes, chez lesquelles les classes supérieures tien-
nent encore aux costumes nationaux, ne sont pas encore mures pour la
civilisation.
"L'Allemagne doit son unité et sa puissance actuelles en grande partie
à la neutralité de la Russie en 1870. La preuve qu'elle s'en doute, et
qu'elle voit en la Russie le Dem ex machina de l'avenir politique, est le
coup génial de la « triplice » qu'elle imagina. Mais la « double alliance »
que ce coup même fit naître ne semble pas de bon augure pour l'Alle-
magne.
NOUVELLES r>I^^ERSES
ÉTRANGER
fISDe notre correspondant de Belgique (26 septembre). — Le théâtre de la
Monnaie est tout à Verdi. Après avoir été pendant plusieurs années éloigné
de « notre première scène lyrique », l'auteur du Trouvère y rentre triompha-
lement et accapare le répertoire. Ce que c'est pourtant que d'être mort I
Nous avons eu, ces jours derniers, coup sur coup, Rigoletto, la Trauiatii et
Aida; il est question de Don Carlos, et déjà l'on prépare Othello. Attendons-
nous à une reprise du Trouvère. Les spirituels directeurs de la Monnaie
prennent plaisir ainsi à dépister leurs plus farouches ennemis, ceux qui
prétendaient mordicus que l'avènement de MM. Kufferath et Guidé était le
signal de la wagnérisation complète et absolue du théâtre de la Monnaie.
Combien ces trembleurs avaient tort! Les soins qu'ils ont donnés, cette
année déjà, à reprendre Lohengrin, ceux dont ils sont en train d'entourer
une prochaine reprise de Tannhàuser, et tous ceux qu'ils vont prodiguer
ensuite au Crépuscule des dieux, qui paraîtra en décembre prochain, pour la
première fois sur une scène française, ne les a pas empêchés de montrer
que les œuvres italiennes susdites, la Muette, jouée patriotiquement pour
les « fêtes de septembre », que Samson et Dalila, où M"= Dhasty est admiraljle,
que Mireille et Faust, i^qui ne 'quittent pas le répertoire, sont de leur part
l'objet d'une sollicitude dont les applaudissements du public constituent la
douce récompense. Et bientôt nous reviendront aussi les Huguenots. La troupe
est maintenant à peu fprès tout entière d'aplomb et prête [à engager de
sérieuses batailles. Il s'en faut encore du début d'une couple de nouvelles
venues, sur qui l'on compte, "M""»^ Feltesse-Ocsombus, jolie voix et bonne
musicienne, et M"" Strasy, un soprano dramatique n'ayant jamais vu le feu
310
LE MÉNESTREL
de la rampe, et de la rentrée en cage
M"» Landouzy.
deux oiseaux, M"» Thiéry et
L. S.
— Les dix artistes allemands qui ont été invités, après le premier concours
resté sans résultat, à prendre part au nouveau concours limité pour la cons-
truction d'un monument à Richard "Wagner au Thiergarten de Berlin, ont
presque tous terminé leurs maquettes et le jury pourra commence! ses opé-
rations dès le l^"" novembre prochain. Presque tous les artistes ont représenté
"Wagner assis, afin de surmonter la difficulté que présentait à la sculpture
son corps petit et replet; ils ont tous tâché de concentrer dans la tête de
Wagner l'eflet principal du monument. Les dix concurrents recevront
chacun une indemnité de 1.300 marcs et trois prix seront alloués aux meilleurs
projets.
— M. Mahler, directeur de l'Opéra impérial de Vienne, a envoyé à tous les
membres de son orchestre une circulaire pour leur interdire de « se faire rem-
placer ». Jusqu'à présent chaque membre de cet orchestre pouvait se faire
suppléer, à ses frais, par un de ses collègues pour pouvoir, le cas échéant,
prêter son concours à un concert; dorénavant les artistes seront obligés de
faire en personne leur service. Inutile d'ajouter que cette mesure n'est pas
vue d'un bon œil par les membres de l'orchestre de l'Opéra impérial qui
vont être ainsi privés de petits bénéfices fort appréciables.
— Le 7 septembre a eu lieu, au Théàtre-Royal de Dresde, la première
représentation d'un opéra en deux actes, le Juif polonais, tiré, bien entendu,
par ses auteurs, MM. Léon et Richard Batka, du roman célèbre d'Erckmann-
Chatrian, musique de M. Cari Weis. Le succès parait avoir été au moins
douteux, surtout pour cette raison que la musique est en complet désaccord,
par sa nature,avec le caractère sombre et dramatique du sujet. Sans le talent
du chanteur Scheidemantel, qui jone le rôle de Mathis, la partition, dit-on,
ne pourrait se soutenir, non qu'elle soit entièrement dépourvue d'intérêt,
mais parce qu'elle manque complètement d'harmonie avec le texte qu'elle est
chargée d'interpréter.
— On annonce justement, au Théàtre-Royal de Dresde, le très prochain
début, dans Loliengrin, d'un nouveau ténor qui n'a jamais paru à la scène.
C'est un docteur en médecine, M. Alfred de Bary, ex-assistant, à l'Univer-
sité de Leipzig, du professeur Flechsig, qui s'est découvert tout à coup une
voix splendide et qui travaille en ce moment avec M. MuUer, professeur au
Conservatoire de Dresde.
— Un journal allemand vient de publier une lettre inédite de Mozart qui
ne manque pas d'intérêt. Elle est écrite dans le patois de Salzbourg auquel
Mozart était resté fidèle jusqu'à la fin de ses jours et avec l'orthographe un
peu fantaisiste qu'on rencontre dans la plupart de ses lettres, surtout dans
celles de sa jeunesse.
Municli, le 14 janvier 1775.
Mon cher ami.
Dieu soit loué ! Mon opéra a été mis en scène hier le 13 et a tellement réussi qu'il
m'est impossible de le décrire le bruit qu'il a fait. Après chaque aria, il y avait toujours
une salve formidable d'applaudissements. A la fin deVopéra,\e public, d'ordinaire si calme
jusqu'au moment où le ballet commence, n'a cessé d'applaudir et de crier bravo!
.ï'ai baisé la main de l'Électeur et des autres Altesses, qui ont été tous fort gracieux.
Aujourd'hui, de grand matin. Sa Grâce princière l'évèque de Ctiiemsee a envoyé
quelqu'un pour me féliciter.
Vendredi proeliain on donnera encore une fois l'opéra et je suis très nécessaire à cette
production.
iles compliments à tous les bons amis et amies.
Adieu. WOLFGANG.
L'opéra dont il s'agit est la Finta Giardiniera, écrit à Salzbourg, par ordre
de l'Électeur de Bavière (qui n'avait pas encore le titre de roi), pour le car-
naval de Munich. Mozart se rendit à Munich en décembre 1774, après avoir
terminé sa partition, et son œuvre fut jouée le 13 janvier 1773 avec un succès
énorme. Il n'avait à cette époque que dix neuf ans. La lettre est évidemment
écrite à un de ses amis de jeunesse de Salzbourg; l'adresse s'est malheureu-
sement égarée. On est quelque peu étonné de nos jours de voir l'évêque de
Chiemsee parmi les enthousiastes de la « première » ; mais, au XyiIIi^ siècle,
le haut clergé allemand ne dédaignait pas les délassements de la musique.
— On vient de retrouver dans le Journal de musique allemand de 1813 l'an-
nonce suivante :
învitalion.
Le soussigné désire obtenir aussi vite que possible un bon livret d'opéra qu'il mettra
en musique et qu'il paiera honnêtement fanstamdirjj. Il invite par la présente les poètes
d'Allemagne qui veulent bien s'astreindre à ce travail à lui envoyer aussitôt leurs manus-
crits avec les conditions, en s'engageant à renvoyer aux auteurs ceux qu'il ne pourrait
utiliser, sans le moindre abus.
Prague, le 12 mars 1813.
Karl-Maria von Weber,
Chef d'orchestre, Directeur de l'Opéra du Théâtre royal
de Bohème, à Prague.
Les'compositeurs lyriques d'Allemagne avaient donc de grandes difficultés
au commencement du XIX' siècle pour se procurer des livrets d'opéra. Ces
difficultés n'ont pas diminué au vingtième siècle, malgré le procédé inauguré
par "Wagner d'écrire à la fois le livret et la partition d'une œuvre lyrique.
— Au temple israéUte de Reichenberg (Bohême), on vient d'exécuter pen-
dant le service du nouvel au Israélite le 92'= psaume de Schubert pour quatuor
d'hommes et solo de baryton après avoir adapté à la musique les paroles
originales en hébreu. Cette belle composition de Schubert n'avait encore jamais
été exécutée publiquement; elleest inconnue de la plupart de ses admirateurs.
Il paraît que la composition de Schubert est reproduite sans indication d'au-
teur dans un recueil de musique liturgique Israélite qui a été publiée après
la mort de Schubert à Vienne sous le titre Chir Zion (Chants de Jérusalem)
et que le canlor Israélite de Reichenberg ne se doutait guère que le beau
psaume qu'il faisait exécuter ne venait pas de la terre promise.
— Une nouvelle qui pourrait bien être un canard est celle qui attribue à
MM. Giacomo Puccini et Pietro Mascagni l'intention de travailler en collabo-
ration à un opéra dont deux librettistes, MM. Luigi lUica etGiuseppe Giacosa,
auraient emprunté le sujet à un fameux roman o sentimental » français.
— Les journaux italiens nous apportent des détails sur le nouvel ouvrage
de don Lorenzo Perosi, il/osé, qui doit être exécuté prochainement à Milan,
pour la première fois, dans le « salon Perosi ». Ledit Mosè prend la qualifi-
cation de « poème symphonico- vocal » et a été écrit sur des paroles de
MM. Agostino Cameroni et Pietro Croci. Il est divisé en trois parties, pré-
cédées d'un prologue. Les personnages sont Moïse, Pharaon, Aaron, Rachel,
Sephora, Marie et un chef de famille hébreu, plus « la voix de Jehova ». Les
chœurs sont variés et nombreux. Les sources du poème sont les 2°, 3', i", 3%
12", 13", 14" et 13<= chapitres de l'Exode. La forme de ce poème est, paraît-il,
remarquable par sa grandeur et son élévation.
— A peine cet ouvrage est-il terminé et prêt à être offert au public que
M. Lorenzo Perosi, annonce-t-on, a déjà mis la main à une œuvre nouvelle,
qui aura pour titre l'Apocalypse. Décidément, ce compositeur est inépuisable.
— Un de nos collaborateurs, de passage à Rome, nous communique avec
indignation un fait qui prouve combien une œuvre musicale peut être mal-
traitée par manque de goût. Se trouvant sur la terrasse d'un café de la fameuse
place de la Colonne où jouait une musique militaire, il entendit une marche
dont les premières mesures évoquaient comme un vague souvenir de la Val-
kyrie. Il croyait d'abord s'être trompé, mais quelques instants plus tard aucun
doute n'était possible; c'était bien le chant d'amour de Siegmund au premier
acte de la Valkyrie que la musique jouait en tempo di mania. Vivement
intrigué, il acheta à un camelot le programme et put lire, à sa grande stu-
péfaction, que la musique du 64'' régiment d'infanterie avait annoncé comme
premier numéro de son concert : « Wagner, / Nibelungen-marcia. ». Le maître
ne détestait pas d'ailleurs les arrangements de ses œuvres pour musique
militaire, et un jour, se trouvant à Venise, il fut même très flatté de voir que
le chef d'une musique militaire jouant sur la place de Saint-Marc avait
emprunté tout son programme à son œuvre propre. Il s'approcha, se fit
connaître, et remercia vivement lé chef d'orchestre. Mais cela n'autorise
nullement les musiques militaires de faire un pas redoublé d'un chant
d'amour.
— Le théâtre communal de Bologne doit donner, au cours de sa prochaine
saison d'hiver, un opéra nouveau, Massias, du compositeur Stefano Gobatî,
qui, tout jeune, a débuté dans la carrière par un succès retentissant, i Goti,
et qui depuis plus de vingt ans n'a pas reparu à la scène.
— On a donné le 11 septembre, au Théàtre-Donizettî de Bergame, la pre-
mière représentation de Marcello, « scènes parisiennes » en deux tableaux,
paroles de M. Zanardini, musique d'un jeune compositeur à ses débuts,
M. Mario Terenghi, jouées par M"""^ Gabbi et Campodonica, MM. Mori et
Fabbri-Boesmo. Cet ouvrage, couronné il y a huit ans dans un concours,
paraît avoir obtenu un médiocre succès. Le livret, d'un caractère dramatique,
est <i pauvre et commun », dit un critique, et la musique manque à la fois
d'équilibre et de nouveauté. On reproche surtout au compositeur d'avoir
sacrifié la partie vocale à la partie instrumentale et de faire parler l'orchestre
plus que ses personnages.
— On a joué à Vimercate, au profit d'une œuvre de bienfaisance, une
opérette en un acte intitulée Annina, dont la musique est due au « docteur »
Déola. Ce petit ouvrage était joué par des dilettantes.
— Au prochain festival musical de Leeds on pourra entendre plusieurs
nouvelles œuvres : un chant funèbre de M. Charles Wood, une cantate de
M. Glazounof et une « cantate tragique » intitulée la Jeune Fille aveugle de
Castel-Cuillé dont les paroles sont empruntées à une poésie de Wordsworth
qui est elle-même basée sur un poème gascon de Jasmin. L'auteur de cette
cantate est M. Colerîdge Taylor, l'auteur de Hiawalha.
— La question de la musique à composer pour le couronnement du roi
Edouard "VU d'Angleterre continue à agiter les cercles musicaux du Royaume-
Uni. En Ecosse, le roi Edouard est déjà pourvu d'un « compositeur royal »
en la personne de sir Herbert Cakeley, mais en Angleterre ce poste n'existe
pas. La Cour possède seulement o un maître de la musique », sir Walter
Parratt, dont le titre pompeux ne correspond guère d'ailleurs avec les fonc-
tions artistiques plutôt modestes, et un « organiste et compositeur de la
chapelle royale », M. Creser. On croit que l'honneur d'écrire la musique
pour l'hymne du couronnement sera dévolu à l'un ou à l'autre de ces
musiciens officiels et que le poêla laureatus sera chargé d'en fournir les
paroles. Ce poète n'a pas ramassé jusqu'à présent beaucoup de lauriers,
malgré son titre moyenâgeux; c'est donc sans aucune impatience que
nous attendrons les paroles et la musique de l'hymne du couronnement
d'Edouard VII.
LE MENESTREL
311
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Gailhard (toujours lui!) a reçu de Saint-Pétersbourg le télégramme
suivant :
Eq ces jours mémorables de communioii d'âme entre nos deux grandes nations, les
artistes des théâtres impériaux de Pétersbourg et de Moscou, résumant le sentim ent
de tous les artistes de l'Empire, éprouvent le besoin de fraterniser avec les artistes
lyriques et dramatiques de France et envoient un salut cordial et ému à leurs collègues
de l'Opéra, de l'Opéra-Comique, de la Comédie-Française et de l'Odéon, en les priant de
transmettre leur sympatliie à la grande famille artistique française. Vive l'immortelle
France! source intarissable d'aspirations nobles et généreuses !
Vive l'admirable France, flambeau rayonnant d'un incomparable éclat dans la sphère
sereine de l'art.
Les artistes des théâtres impenatix de
Pétersbourg et de Moscou.
M. Gailhard a répondu :
Au lendemain de la visite inoubliable de Leurs Majestés impériales, les artistes lyriques
et dramatiques de France, unis dans un même sentiment d'amicale solidarité, remercient
les artistes des théâtres impériaux de Pétersbourg et de lUoscou et les prient d'exprimer à
leurs collègues de l'Empire la chaleureuse ferveur de leur fraternité.
Au nom de tous les théâtres de France, les pensionnaires de l'Opéra, de la Comédie-
Française, de rOpéra-Comique et de l'Odéon adressent à leurs camarades de Russie le
témoignage ému de leur sympathie. Vive la Grande Russie! où l'art universel est honoré
sous toutes ses formes. Vive la nation sœur ! dont le nom acclamé rallie nos enthousiasmes
et exalte le lyrisme ardent de tous les artistes français I
Les artistes des théâtres nationaux de Paris.
Oh ! ce « lyrisme exalté » ! et cet « art universel honoré » dans un pays qui ne
reconuaîtpas la propriété artistique et frustre les auteurs de tous leurs droits!
— D'ailleurs le « lyrisme exalté » de M. Gailhard s'explique aisément
puisque l'Empereur de toutes les Russies vient de lui conférer, dans un de
ses nombreux ordres, un nouveau grade qui élève le directeur de l'Opéra
«au rang de général». Quel rêve! Gailhard général ! Oui, le voilà avec « deux
étoiles » sur le parement de ses habits. Cela fait deux de plus que sur la scène
de l'Opéra.
— Indiscrétion de Nicolet dn Gaulois sur les Barbares dont on annonce la
première représentation à l'Opéra pour le 15 octobre : « Depuis trois jours,
les Barbares sont répétés activement. Dimanche soir, — en présence des
auteurs, MM. "Victorien Sardou, P.-B. Gheusi et Camille Saint-Saëns —
M. Gailhard a réglé les trois décors de Jambon et leurs éclairages successifs.
M. Philippon, le chef machiniste, et sa vaillante équipe ont été vivement
félicités : toutes les manœuvres étaient irréprochables. En témoin indiscret,
nous avons noté quelques particularités de l'ouvrage : l'apparition soudaine
du Récitant (Delmas) au prologue; — au premier acte : un saisissant tableau
de panique et d'assaut victorieux au pied du mur gigautesq ue, qui barre
toute la scène de sa formidable masse, et une fin en coup de théâtre très
inattendue; — au deuxième, le clair de lune sur les gradins mystérieux,
dans le même décor, vu, cette fois, de la scène même, un débat tragique
entre Marcomir (Vaguet) et Floria (Jeanne Hatto), suivi d'un duo passionné ,
dont il n'est certainement pas téméraire d'annoncer déjà le succès; — au
troisième, dans un paysage étincelant de soleil, tout dramatisé par les traces
du combat de la veille, un défilé de chars guerriers, chargés de butin, —
une farandole endiablée dans le carrefour et, surtout, une scène finale, d'une
ampleur superbe, où Livie (M"' Héglon) dénoue la pièce d'un geste meur-
trier... Jambon, présent aux essais, a été chaleureusement complimenté par
les auteurs et par la direction. »
— L'Opéra a repris cette semaine Asiarié, l'œuvre intéressante de M. Xavier
Leroux. Elle vaut assurément mieux que sa renommée et que tout ce qu'on
a écrit sur son compte.
— Continuation à l'Opéra-Comique des débuts de la saison. II faut signaler
dans Mireille celui de M"° Caux, gentille petite personne accorte, de voix
menue, mais fraîche et gazouillante, vraie nature de théâtre. Encore que le
rôle de Mireille ne soit pas trop son affaire, W^" Caux n'a pas laissé pourtant
d'y montrer des qualités qui trouveront certainement leur emploi dans le
répertoire de la maison. — Très chaleureux a été l'accueil qu'on a fait à
M"'' Garden dans Manon. Elle est aujourd'hui une artiste en pleine possession
de ses moyens, très personnelle et très intelligente, et de plus la femme
est de silhouette fine et charmante. En voilà plus qu'il n'en faut pour
justifier la prise triomphale du rôle de Manon par W" Garden. Recette :
7.895 francs, un joli chitfre pour une rentrée d'automne.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
Mireille ; le soir, la Basoche et le Maître de Chapelle.
— Sollicité par M. Albert Carré, M. Henri Carré qui, pour raison de santé,
s'était vu obligé de renoncer à ses fonctions de chef des chœurs de l'Opéra-
Comique, a bien voulu accepter la direction de l'école des chœurs, afin de
continuer à apporter son concours à ce théâtre, auquel il appartient depuis
vingt-cinq ans.
— L'Opéra-Comique nous communique le tarif de l'abonnement du jeudi
et du samedi donnant droit à quinze représentations composées de quinze
spectacles différents :
Avant-scène de rez-de-chaussée, 180 francs la place.
Loges de balcon, fauteuils de balcon (!•-■' rang), 180 francs la place.
Baignoires, fauteuils d'orchestre, fauteuils de balcon (2" et 3= rangs), 1-^0 francs la
place.
Avant-scènes et loges de face (2° étage), 120 francs la place.
Loges de côté du 2" étage, 90 francs la place.
Fauteuils de 3" étage (trois premiers rangs), 75 francs la place.
Avant-scènes et loges du 3° étage, 60 francs la place.
Stalles de 3" étage (quatre derniers rangs), 32 fr. 50 la place.
La série A des jeudis est établie par quinzaine du 7 novembre au 5 juin
inclus; par suite la série B du 14 novembre au 12 juin.
La série A des samedis commence le 9 novembre par quinzaine jusqu'au
7 juin, et la série B va du 16 novembre au 14 juin.
Voici également le tarif de l'abonnement du lundi (abonnement de famille
à prix réduit) donnant droit à quinze représentations composées de quinze
spectacles différents :
Avant-scène de rez-de-chaussée, loges de balcon et fauteuils de balcon (1"' rang),
150 francs la place.
Baignoires, fauteuils d'orchestre, fauteuils de balcon (2° et 3° rangs), 120 francs la
place.
Avant-scènes et loges de face du 2° étage, 90 francs la place,
Loges de côté du 2° étage, 75 francs la place.
Fauteuils de 3° étage (trois premiers rangs), 60 francs la place.
Avant-scènes et loges du 3" étage, stalles du 3" étage (quatre derniers rangs), 45 francs
la place.
La série A du lundi commence le 11 novembre et va par quinzaine jusqu'au
9 juin inclus.
La série B du 18 novembre au 16 juin, par quinzaine également.
Les abonnés de l'Opéra-Comique sont priés de faire savoir à l'adminis-
tration s'ils désirent conserver pour la saison 1901-1902 les places qu'ils
occupaient pendant la saison dernière. Les inscriptions nouvelles sont reçues
dès à présent. Le bureau des abonnements (rue Marivaux) est ouvert tous
■ les jours, de dix heures à midi et de une heure à six heures.
— Plusieurs journaux ont publié cette semaine une lettre qu'aurait adressée
M. Saint-Saëns aux Nouvelles de Hambourg. Cette lettre, authentique, a été adres-
sée en réalité au correspondant du Bœrsen-Courier , de Berlin. Elle tait partie
d'une correspondance qui s'est engagée récemment entre ce correspondant
et l'auteur de Samson et Dalila. M. Levin, correspondant du Bœrsen-Courier,
avait écrit à M. Saint-Saëns pour lui demander une entrevue, afin d'obtenir
de lui des renseignements sur un opéra que le compositeur, avait-on dit,
allait écrire sur un livret allemand : nouvelle qui, d'ailleurs, tut bientôt
démentie. M. Saint-Saëns envoya d'ab ord la lettre suivante :
8 septembre.
Cher monsieur.
Il vous aurait été bien facde de me vol r à Béziers; il n'était pas besoin pour cela d'une
lettre d'introduction.
Le Bcersen-Courier, qui fut naguère mon ennemi le plus acharné, veut bien changer
d'attitude ; je lui en suis reconnaissant; quant à vous donner une audience, je ne le puis,
car ce serait forcément une interview, et je n'en accorde jamais, pas plus aux journa-
listes français qu'aux étrangers. Veuillez m'excuser et accepter mes remerciements pour
vos marques de syTnpathie, ainsi que mes compliments très empressés.
C. Saint-Saens.
Le correspondant du journal berlinois répondit que, collaborateur du
Bcersen-Courier depuis onze ans, il n'y avait jamais écrit ni lu aucune ligne
« irrévérencieuse » pour le maître; pour sa part, au contraire, il avait pu-
blié, à l'occasion des soixante ans de M. Saint-Saëns, un article fort élogieux.
La-dessus, seconde lettre de M. Saint-Saëns.
9 septembre.
Cher monsieur,
N'ayez pas de moi si mauvaise opinion, je vous en prie. .Te suis fort peu sensible à la
critique et même à l'éloge, non par sentiment exagéré de ma valeur, ce qui serait une
sottise, mais parce que, produisant des œuvres pour accomplir une fonction de ma
nature, comme un pommier produit des pommes, je n'ai pas à m'inquiéter de l'opinion
que l'on peut formuler sur mon compte.
Le Bœrsen-Courier s'était mis à la tète du mouvement dirigé contre moi, lorsque je
tus accueiUi à Eerhn par des sifflets et une véritable émeute ; c'était, je crois, en 1887.
Depuis lors, je n'avais plus voulu retourner à Berlin, ni même en Allemagne. Mainte-
nant, ma nomination comme membre de l'académie, le succès de Samson et Dalifa, enûn
la haute distinction dont l'empereur a bien voulu m'honorer ont effacé tout cela.
Avec mes remerciements pour vos marques de sympathie, veuillez agréer l'expression
de mes meilleurs sentiments.
C. Saint-Saens.
M. Levin demande alors l'autorisation de publier ces deux lettres, « qui
ont, dit-il, un caractère documentaire ». Et alors, troisième lettre de M. Saint-
Saëns, ainsi conçue :
Paris, 11 septembre 1901.
Cher monsieur.
Vous pouvez publier mes lettres si bon vous semble, mais je ne voudrais pas qu'on
attribuât à mes paroles plus de portée que je n'ai voulu leur donner.
Je puis oublier les injures personnelles; je pnis être reconnaissant au public de ses
applaudissements, aux artistes de leur précieux concours, à Sa Majesté de son impériale
courtoisie; mais il y a autre chose que je ne dois pas oublier, et que jen'oiiblierai jamais.
J'ai eu trois généraux dans ma famille; chauvin je suis né, chauvin je resterai jusqu'à
mon dernier soupir.
Agréez mes meilleurs sentiments.
C. Saint-Saens.
M. Levin, en communiquant ces documents au Temps, qui les a publiés le
premier dans leur ensemble, déclarait qu'il ne pouvait que s'incliner devant
les décisions de M. Saint-Saëns, mais qu'il les regrettait d'autant plus qu'il
est sur que l'accueil tait pas ses compatriotes à M. Saint-Saëns aurait été
chaleureux et cordial.
Et c'est alors que venait, le lendemain, une dernière lettre de M. Saint-
su
LE MtNESTREL
SaêDs, celle-ci adressée directement au Ttmps, et qui sert en quelque sorte de
post- scriptum aux précédentes :
Cher monsieur,
En vous remerciant d'avoir publié mes lettres adressées à SI. Lévin, je riens vous prier
d'y ajouter un mot d'explications à propos des conclusions qu'il en tire. JI. Lévin paraît
croire que je refuse de retourner en Allemagne, ce qui s'accorderait peu avec les senliments
de reconnaissance exprimés dans mes lettres.
n est vrai que j'ai refusé des propositions d'engagement, mais bien contre mon gré ; je
suis cloué à Paris jusqu'à la fin d'octobre par les répétitions des Barbares, et, plus tard,
je serai forcé, comme chaque année, d'aller chercher plus près de l'Équsteur la tempé-
rature qui m'est nécessaire. Pour la même raison, je ne puis plus aller en Russie pendant
la saison des coccerls.
Veuillez croire, etc.
C. S-ilNT-SAKNS.
— En reproduisant la nouvelle d'un journal allemand qui nous apprenait
que le chapitre de la cathédrale de Yurzbcurg (Bavière) venait de faire choix
d'un organiste féminin, on nous fait remarquer que nous avons eu tort
d'ajouter, avec lui, que c'était la première fois que pareil fait se présentait.
En effet nous en avons, en France, plus d'un exemple dans la famille célèbre
des Couperin, qui forme, on le sait, une longue dynastie où les deux sexes
sont représentés musicalement. D'abord Marie-Anne Couperin, fille de
François 1" Couperin. née le 11 novembre 1677, qui, organiste et claveciniste
remarquable, se fit religieuse et devint organiste de son couvent. Ensuite
Antoinette-Angélique Couperin, fille d'Armand-Louis Couperin, née en 1754,
qui était à la fois harpiste, chanteuse et organiste habile, élève de son père
et de sa mère, et qui, dès l'âge de seize ans, touchait l'orgue à l'église Saint-
Gervais. Elle épousa plus lard, en 1780, Pierre-Marie Soûlas, fils du trésorier
de France, qui était « commis de la grand'posle aux lettres ». Enfin, la mère,
de celle-ci, Elisabeth- Antoinette Blanchet, fille du fameux facteur de cla-
vecins et femme d'Armand- Louis Couperin, qui, pour n'avoir pas été orga-
niste en titre, ne s'en fît pas moins entendre à l'église, ainsi que le prouve
cette lettre que son fîls, François-Gervais Couperin, adressait, pour lui
annoncer sa mort, à la Gazette de France, qui la publiait le 16 septembre ISl.j :
Messieurs, accordez-moi, je vous prie, une place dans voire journal, pour faire con-
naître au public amateur des arts la grande perte qu'ils viennent de faire dans la per-
sonne de M'"" Couperin, veuve d'Armand-Louis Couperin, organiste du roi. M"" Couperin.
née Blanchel, fit ses études en musique comme aurait fait un jeune homme destiné à cet
art. Elle acquit un talent supérieur pour l'exécution, pour l'harmonie et pour improi iser
sur l'orgue des morceaux d'une composition remarquable. Elle épousa en 1751 M. Cou-
perin, organiste du roi (comme l'avaient été ses ancêtres depuis deux cents ans) ; elle eut
de ce mari quatre enfants, dont un seul lui survit dans ce nom. Elle a fait d'excellents
élèves entre autres son neveu, M. Pascal Taskin, professeur de piano à Paris. 11 y a cinq
ans que, se trouvant à l'église Saint-Louis de Versailles, lorsqu'on essayait l'orgue, Mon-
sei'^neur l'évêque, 51. le préfet et les autorités l'invitèrent à en toucher, et elle enleva
t ous les suffrages. Elle avait alors quatre-vingt-deux ans. Sa modestie la fit se cacher, au
point qu'on ne put jamais la retrouver pour la complimenter. Huit jours avant l'attaque
qui vient de la conduire au tombeau, elle fit les délices d'une société qui l'avait priée de
toucher un piano que l'on voulait juger; elle avait pour lors quatre-vingt-sept ans. Ses
vertus, ses qualités aimables et ses rares talents hi font vivement regretter. Sans que
mon témoignage soit suspect, je crois qu'il est dilficile de trouver une femme plus
accomplie. ■ , , „ ■
Couperin, organiste du Roi.
On voit, par ce que nous venons de rappeler, que dans cette question
des organistes féminins, la France était singulièrement en avance sur
l'Allemagne.
De M. Alfred Delilia du Figuro : « Notre ami Charles Bianobini va offrir
sous peu au public boulevardier un théàtriculet qui l'intéressera certaine-
ment. Sa troupe, la plus considérable qui soit, comprend déjà deux cent
cinquante artistes pour commencer. Je me bâte d'ajouter qu'ils sont en bois,
mais combien vivants i J'ai vu dans l'atelier de l'artiste ses marionnettes
représentant tout ce qui compte ou qui marque à Paris: Hommes politiques,
journalistes, clubmen, comédiens, théàtreuses et cocottes; les physionomies,
malgré leur côte caricatural, sont vivantes de vérité et habillées avec le goût
que vous savez. Le répertoire'/ Nous l'indiquerons plus tard. Disons seule-
meni que chaque soir on jouera une fantaisie nouvelle sur le fait du jour
avec les personnages qui l'auront occasionné. N'est-ce pas là une sorte de
journal joué et vécu ? Et quand j'aurai dit que cela s'appellera lesTétvsde Bois,
j'aurais tout dit... pour aujourd'hui ».
— La sempiternelle question de l'origine de la Marseillaise vient d'être rou-
verte à l'étranger par la publication à Berlin d'un recueil de chants nationaux
et celle d'un article de revue anglaise, où la vieille attribution du chant de
Rouget de Lisle à Grisons, le maitre de chapelle de Saint-Omer, est présentée
comme une découverte récente et des plus authentiques; ces assertions n'ont
pas manqué d'avoir un écho en France, où il se trouve toujours, l'on ne sait
pourquoi, des personnes disposées à les enregistrer complaisamment. Par
contre, elles ont donné lieu à une manifestation autrement significative en
faveur de la vérité. M. William Tappert, le critique berlinois bien connu,
qui jadis fut de ceux qui élevèrent des doutes à l'égard de la paternité de
Rouget de Lisle, vient de consacrer à cette querelle deux de ses feuilletons
musicaux {Kleine Journal, £6 août et 2 septembre), dans lesquels, après avoir
raillé comme il convenait les prétentions des nouveaux découvreurs, il se
prononce définitivement en faveur de Rouget. Il s'appuie particulièrement
sur le livre que notre collaborateur Julien Tiersot a consacré à l'auteur du
chant national, livre dont il fait l'éloge (vorlrefftiches Buch, eine mit Liebe,
Wiirme und ausserordentlicher Sachkenntniss geschriebenen Vertlwidiginig Rovgel's),
et dont il adopte entièrement les conclusions.
— Nous rappelons que les envois destinés au troisième concours de com-
position musicale ouvert par l'Association des jurés orphéoniques doivent
être adressés à M. PaulRougnon, archiviste de l'Association, au siège social,
2-2, rue Rochechouart, dans les délais ci-après: jusqu'au 30 octobre 19M
pour les œuvres chorales ; jusqu'au 13 octobre pour les morceaux destinés
aux Fanfares ; jusqu'au 31 octobre pour les morceaux destinés aux Harmonies.
Les œuvres présentées devront être écrites pour des sociétés de la 3"= divi-
sion, 2' ou 3' section. Pour recevoir le programme détaillé de ce concours, il
sulïît d'en faire la demande à M. Guilbaut, secrétaire général, t7, boulevard
Magenta, Paris.
— Jeudi, à midi, en l'église Saint-François de Sales et dans la plus stricte
intimité, a été célébré le mariage de Louis Ganne, le sympathique et charmant
compositeur, président du Syndicat des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique, avec M'" Jane Massador. Aucune invitation n'avait été faite et seuls
assistaient à la cérémonie les parents des deux familles.
— Du journal l'Étoile de l'Est : « Dans un de nos derniers numéros, nous
avons annoncé que M. Albert Jacquot, luthier à Nancy, avait reçu avis du
directeur de l'orchestre de la cour impériale de Russie que le tsar avait agréé
l'hommage de son violoncelle, exposé en 1900 à Paris. Nous sommes heu-
reux d'apprendre que l'empereur de Russie, désireux de rendre un hom-
mage mérité à la lutherie lorraine, si universellement réputée, a aussitôt
adressé à M. Albert Jacquot, l'un des maîtres luthiers les plus compétents,
la croix de chevalier de Sainte-Anne. »
— C'est dans son nouvel hôtel, 10, rue Montchanin (l'ancien hôtel de Guy
de Maupassant), que M'"= Edouard Colonne va reprendre ses cours et leçons
de chant, dès le l" octobre.
— Une école, l'École Humbert de Romans, s'ouvrira, à partir du 13 octobre,
dans les locaux construits pour elle, 5S, 60, rue Saint-Didier. La musique
sacrée dans ses différentes formes, plain-chant et musique figurée, occupera
le premier rang dans l'enseignement de la nouvelle école.
— Couns ET Leçons. — L'École classique de musique et de déclamation de la rue de
Berlin, dirigée par M. Ed. Chavagnat, rouvrira ses cours le mardi l*-"" octobre prochain.
Les inscriptions sont reçues dès à présent au siège de l'école, 20, rue de Berlin, tous les
jnurs, de 8 h. 1/2 du matin à 7 heures du soir, les dimanches et fêtes exceptés. —
M. Georges Falkenberg reprend le 1" octobre, cliez lui, 8, rue Poisson, ses cours et leçons
particulières de piano et d'harmonie. — Le cours de M. Antonin Marmontel, j, rue de
Stockholm (près la gare Saint-Lazare), reprendra dans la première quinzaine d'octobre.
S'adresser, pour tous renseignements, chez M""^ Bonnard, 5, rue de Stockholm, tous
les jours de 4 à 7 heures. — Le I" octobre, réouverture des cours de iMi"*^ Girardin-
Marchal. sous la direction de M. Santiago Riera. Cours spéciaux pour les jeunes filles
se destinant au professorat. S'adresser, le lundi, de 5 à 7, avenue de l'Observatoire, et
le vendredi, de ! à 3, rue d'Aboukir, 21. — M"' A. Ducasse, professeur de chant,
reprendra tes leçons le jeudi 3 octobje, 13 bifi, rue d'.\umale. — M. et M"" Henry
Clément-Comettant reprennent leurs leçons, à dater du !■■' octobre, ?, avenue de Petorhof
(villa des Ternes). — M'"" Tarpet-Leclercq reprend ses leçons, 69, rue de Chabrol. — Les
cours pour b préparation aux examens pour l'obtention du certificat d'aptitude à l'ensei-
gnement du chant dans les écoles de la ville de Paris et dans les écoles normales et les
écoles supérieures, dirigés par M""" Morhange, rouvriront le jeudi 17 octobre. Pour les
renseignements, s'adresser chez M"" Morhange, 25, rue Croix-des-Petits- Champs. —
M"' Ed. Lyon reprendra ses cours de piano (comprenant tous les degrés) et ses leçons
particulières le l"' octobre. M"" Jeanne Lyon reprendra ses leçons de chant le 1" octobre
et ses cours de chant, de chœur et de musique d'ensemble le 1^' samedi de novembre,
13, rue de Londres. — M"'" Roger-Miclos, de retour d'une tournée triomphale d;ins le
Midi, annonce la réouverture de ses cours de piano en octobre, chez elle, 27, avenue de
Mac-Mahon. Elle y adjoindra cette année un cours d'accompagnement par M. Lefori, pro-
fesseur au Conservatoire, un cours d'harmonie et de solfège, par M"" Renaud Maury, et
un cours de chant, par M. Louis-Ch. Baltaille. — M"" BoUaert-Plè, professeur de chant,
reprendra ses cours et leçons le 1'" octobre, 16, avenue Trudaine. — M. et M"" Jlenant
reprennent leurs cours et leçons particulières, de piano, harmonium et lecture musicale
à deux pianos, 18, rue du Val- de-Grâce.
NÉCROLOGIE
De Lyon, où il élait né en 1837, nous arrive la nouvelle de la mort d'un
artiste fort distingué, Victor-Aimé Gros, directeur du Conservatoire et chef
d'orchestre des Conceits populaires de cette ville. Il avait fait son éducation
musicale à Paris et avait obtenu au Conservatoire un premier accessit de
piano en 1854, le second prix en 18S6 et le premier en 18S8, ainsi qu'un acces-
sit d'harmonie en 18.'37. Il était retourné se fixer dans sa ville natale, où il
s'était fait une situation artistique importante et où il avait été, pendant
plusieurs années, directeur du Grand-Théâtre.
A. Lille est mort, ces jours derniers, le compositeur et éditeur de musique
Charles Volcke, ancien élève du Conservatoire de cette ville, où il avait obtenu
un premier prix d'harmonie. Il avait été professeur à l'Ecole de musique de
Mauheuge et directeur de plusieurs sociétés musicales. Depuis une dizaine
d'années il était devenu aveugle.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— A vendre d'occasion un harmonium Mustel, neuf jeux, complètement
neuf. Écrire à M. Jean, 34, rue Cardinet.
3(80. - «7- mU — NMO. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 6 Octobre 190!.
(Les Bureaux, 2'"', rue TMenne, Paris, n-m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENES
Ite HaméFo : 0 ff. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri PIEUGEL, Directeur
lie flumépo : 0 ff. 30
Adresser fbanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestiiel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
■I, L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (32' article), Paul d'Estrées. —
IL Stmainc Ihcâlrale : premières représentations de Manovne et d'Hermance a de la
vertu au G}mn9se, premières représentalionsdesAfa2/(;û7'S et deFowsse T-oi/ie àVOdéon,
Maurice Fbovez; premières repj-ésentations de ïa Vie en voyage au Vaudeville et de
l'Jiislaiitanêùux Bouffes-Parisiens, H. M. — IlL Notes d'ethnographie musicale: Quelques
mots sur les musiques de l'Asie cenliale, les chants de l'Arménie (8' article), Julien
TiERSOT. — IV. Le Tour de France en musique : les Jasseries du Forez, Edmond Xeu-
KOsiM. — V. Nouvelles di\erses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour ;
LE RÉCIT DE L'AURORE
n" 2 des Chansons couleur du temps, de Léopold Dauphin. — Suivra immédia-
tement : CImnson d'automne, d'ANDRÉ Messager, poésie de Paul Delair.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
le Diable au corps, polka de Heinrich Strobl. — Suivra immédiatement : Valse
capricante, de Théodore Lack.
L'ART MUSICAL ET SES LNTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
â'après les mémoires les plus récents et fles flocuments inéis
(Suite.)
IX
L'ignorance savante de Rossini, — Sa 2)aresse laborieuse. — Rossini chez les grands :
dans le palais du prince Belgiojoso et à la table de Rothschild. — Un cadeau de
Marrast. — Rossini imprésario. — Harmonie de locomotives et symphonie de
canons. — hemariage d'Olympe... Pelissier. — Un passé tragique. — Un chapiire
des Mémoires d'un omnibus. — Une soirée rue de la Chaussée-d' Antin. — La
sonate royalement faite. — Les frères Lionnet à la cour de Russie. — Oruile et
neveu. — Lettres de et à Balzac. — Les derniers jours de Rossini : la boulette du
prince Poniatowski ; la foi d'un grand musicien. — iaMarclie funèbre de Cliopin.
Autant, et peut-être plus qu'Auber, Rossini se distingue par
son extrême facilité; et Dieu sait si elle lui fut reprochée par les
harmonistes sévères de son temps 1 Ceux de notre époque se sont
mis, il est vrai, à l'unisson, pour lui infliger le même blâme.
S'ils n'ont peut-être pas tout à fait tort, ils n'ont peut-être pas
tout à fait raison.
Pour n'être pas taxé de pédantisme, ou mieux, pour se moquer
de ses contempteurs, Rossini exagéra dans ses compositions sa
-négligence et sa> légèreté. Ileut en quelque sorte la coquetterie
de sa prétendue ignorance. Il lui importait peu qu'on l'accusùt
de ne pas savoir le premier mot du contre-point, et prenait sa
revanche dans l'intimité. II disait à Trémont qu'il avait appris la
composition en écoutant les quatuors d'Haydn et de Mozart. Il
possédait à fond la musique instrumentale des maîtres allemands,
et il savait les distinguer entre eux à l'aide de ces aphorismes
qu'il prodiguait si volontiers. Comme on disait devant lui que
Beethoven était le plus grand des musiciens :
— Certes, répliqua-t-il, mais Mozart est le seul.
Dancla affirme que Rossini avait « mis en partition dans sa
jeunesse » les quatuors d'Haydn et de Mozart, ses auteurs préfé-
rés, ce qui ne l'empêchait pas de convenir qu'on pouvait écrire
de l'excellente musique de scène et ignorer toute sa vie l'art de
composer un quatuor.
Dans son admiration pour Rossini, dont il ne connaissait sans
doute pas les habitudes de travail, Auber assurait que l'auteur
de Sémiramis avait deviné ce qui lui manquait de science
musicale.
La jeunesse de Rossini fut en quelque sorte la réduction d'une
vie qui devait être un tissu d'inconséquences apparentes. Très
épris d'indépendance, paresseux avec délices, avide de toutes
les jouissances, il ne voulut jamais aller à l'école, mais comme
il entendait ne pas rester ignorant, il s'apprit tout seul à lire et
à écrire.
Puis, adolescent, il courait les campagnes, d'auberges en cafés
et de cabarets en hôtelleries, chantant, improvisant, jouant à la
façon des troubadours, ou plutôt de ce Figaro à qui sa verve
devait prêter un charme de plus. II connut, disent les biographes
de ses jeunes années, les meilleures tables et les plus jolies
femmes. Aussi, conclut l'un d'eux, sa vie n'a jamais été qu'une
longue gastrite; d'où, prétend un autre, cet instrument d'ordre
intime qui amusa tant les habitués de l'Hôtel Drouot pendant
la vente après décès de Rossini. Tous ces menus détails, les der-
niers surtout, sont inexacts. Le maître n'avait pas un mauvais
estomac, et son fameux... cylindre d'ivoire lui servait à...
irriguer le parmesan dans son macaroni.
En somme, sa vie aurait pu se recommander de cette devise :
Liberté, travail, plaisir.
Il fréquentait volontiers chez les grands, oia ses goûts trouvaient
leurs plus sensuelles satisfactions, sans que son amour-propre les
achetât au prix de concessions humiliantes. Sa gaité, son bel
appétit, ses travaux marchaient de pair. Le prince de Belgiojoso,
un Mécène artiste à ses heures, aimait à parler de ce Rossini
première manière dans le salon de M""* Jaubert(l). Il le connut
pendant la gestation de Taricrèrfe : elle fut presque aussi courte
que celle du sonnet d'Oronte. Rossini ne mit que six jours à
écrire une partition dont le prince conservait le manuscrit dans
son palais de Milan. Le jeune maître la faisait déchiffrer par ses
(1) M- G. Jaubert. — Souvenirs: Helzel, 1881.
314
LE MÉNESTREL
amis. Dans la journée, tous allaient à la chasse, et le soir chacun
se remettait à la partition.
Pompeo Belgiojoso chantait merveilleusement les airs du fiacôi'er.
— Ah! mon ami, soupirait l'auteur, tu m'as compris!
— Mais oui, répliquait d'un ton indulgent le prince, tu as fait
un chef-d'œuvre sans t'en douter.
Castellane (1) consigne dans son Journal cet écho des relations
mondaines de Rossini.
40 novembre yS27. — « J'ai diné chez le fameux banquie r
Rothschild. On a voulu, avant le diner, pour l'édification du célèbre
Rossini, faire chanter la petite Rothschild, qui a deux ans et demi.
M. Rossini, d'une taille moyenne, assez gros, ne m'aurait pa s
donné, en le voyant, l'idée d'un homme de génie, si je ne
l'avais pas su. Il a chanté et joué du piano. Il était à table, à côté
de Rothschild de Vienne; sa femme chanta. »
Il n'était pas toujours d'aussi bonne composition. Guvillier-
Fleury le \\i en 1829, à un diner chez Bertin de Vaux, qui avait
invité en même temps Boulanger et Victor Hugo et qui les pré-
senta tous trois à ses invités, comme les maîtres de la musique ,
de la peinture et de la poésie. Or, Rossini n'eut garde, ce soir-là,
de justifier l'admiration de son hôte: « Il n'a dit mot, mais au
salon il a constamment refusé de chanter sous prétexte d'un
violent rhume. Une fois parti, sur l'escalier tout le monde a pu
l'entendre entonner d'une voix forte et articulée le grand air de
Figaro; c'est ainsi qu'il s'est vengé de la flagornerie de Bertin. »
Rossini était encore un des familiers d'Aguado, et ce fut,
parait-il, à la participation que ce banquier et Rothschild lui con-
sentirent dans leurs opérations financières que le compositeur
dut sa belle fortune. Car ses œuvres ne l'avaient pas jusqu'alors
enrichi. Sémiramis, l'opéra dont il avait tiré le meilleur parti, en
le vendant à Vienne ne lui avait même pas rapporté dix mille
francs.
Ce fut chez Aguado qu'il connut Marrast, alors précepteur des
enfants du banquier, qui lui donna pour Gnillaume Tell les paroles
du fameux air : « Amis, amis, secondez ma vaillance » .
Rossini, imprésario, avait eu l'insigne honneur de fixer les
sufi'rages de Metternich, dont nous connaissons les prétentions
musicales : « La troupe, dit le grand seigneur en parlant d'une
tournée entreprise par le maestro, la troupe est composée de
M"' Colbran, aujourd'hui M""-' Rossini, d'une charmante chanteuse,
M"' Eckerlin, de M"'° Monbelli, de David, Nozzari, Botticelli....
David les surpasse tous. A la tête se trouve Rossini lui-même,
avec un orchestre et des chœurs qui lui valent l'admiration
de tous. On comprend qu'un mélomane comme moi soit dans le
ravissement ».
Une note curieuse du Père Enfantin sur la constance en amour
(on ne s'attendait guère à voir le grand pontife du Saint-Simonisme
prêcher sur pareille matière), note qui date de 1832 et qui parut
dans la Nouvelle Revue rétrospective du 10 octobre 1898, met en
scène, elle aussi. M"" Colbran, la première femme de Rossini,
mais pour les besoins d'un parallèle établi entre les trois princi-
paux compositeurs du temps.
«Gherubini est rangé dans son intérieur, qui ne le croirait? Il
resterait un an à retourner la même idée dans une fugue ; il
peut bien ne pas avoir couru beaucoup .les femmes; mais
qu'Auber se marie, ce sera le diable se faisant ermite; et quant
à Rossini, il doit avoir eu à raconter à sa femme de gros péchés,
s'il n'en commet plus, ce dont je ne répondrais ni pour lui, ni
même pour sa femme, qui avait, dit-on, une voix riche, variée,
flexible, légère, e le, une voix toute pleine des joies et des dou-
ceurs de la multiplicité...
« Il est possible que chez lui la multiplicité selon la chair ne se
traduise que par la gourmandise. »
Elle se traduisait encore par un silence que des petits-neveux
de Mirabeau taxèrent de malheur public et qu'ont prétendu
expliquer de vaines hypothèses.
La moins invraisemblable de toutes repose sur cette considé-
ration physiologique que le cerveau du musicien avait subite-
(1) Maréchal de Castellane. — Mémoires; Pion, 1895.
ment perdu ses facultés créatrices : peut-être cette catastrophe
était-elle le contre-coup de l'amère déception éprouvée par
Rossini, le jour oîi il se vit refuser par le gouvernement de
Louis-Philippe le bénéfice d'engagements contractés par la
Restauration. De mauvais plaisants allèrent jusqu'à dire que le
règne de la machine à vapeur avait tué la verve rossinienne. Le
maestro avait en effet la plus profonde horreur pour l'industrie
des chemins de fer.
— Comment, déclarait-il, écouter la musique après avoir eu
tout le jour le tympan déchiré par le sifflet des locomotives?
Composer dans de telles conditions devrait être plus difficile
encore. Ce n'était pas que l'oreille de Rossini fût réfractaire
aux harmonies assourdissantes ; dans un de ces rares intervalles
oi^i la Muse de l'illustre maître sortait de son léthargique som-
meil, n'a-t-il pas écrit pour l'E.xposition universelle de 18S5 une
symphonie à grand orchestre où le canon jouait sa partie?
Hippolyte Lucas (1) cite encore, parmi les fantaisies posthumes
de cette gloire volontairement éteinte, un « morceau d'une seule
note soutenue par les plus riches accompagnements ». Rossini
avait écrit également pour M""^ Olympe Pelissier, dont il était
professeur de chant, la cantate de Giovanna d'Arco, où le compo-
siteur avait éloquemment traduit les visions delà jeune inspirée.
L'Alboni l'interpréta dans une des soirées du maître et devait
la faire entendre à Londres, l'année suivante. Le concert n'eut
pas lieu et la cantate resta dans le portefeuille du compositeur.
(A suivre.) . Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre du Gymnase. Manoune, comédie en 3 actes , de M'^' Jane Marni ;
Hermance a de la vertu, comédie en 2 actes, de M. André de Lorde. — Théâ-
tre DE l'Odéon. Les Maugars, pièce en quatre actes de MM. André Theuriet
et Georges Loiseau; Fausse Route, comédie en un acte de MM. Albert-
Émile Sorel et Paul Acker.
Pour sa réouverture, le théâtre du Gymnase vient de nous donner
une pièce curieuse à plus d'un titre. L'auteur, M°"= Jane Marni, s'était
déjà fait connaître par de nombreuses petites comédies pleines d'esprit,
et d'observation; aujourd'hui elle vient de faire représenter Manoune,
trois actes, inégaux peut-être, mais d'un liaut intérêt.
Un homme, dans un moment de folie, a abusé d'une jeune bonne à
son service et l'a rendue mère; sa femme a pardonné et s'est imposé le
devoir d'élever la fille de son mari comme son propre enfant, elle l'a
élevée dans le sens strict du mot par charité, mais sans autre tendresse
nî affection maternelle.
L'enfant est arrivée à l'âge où le cœur de la jeune fille s'ouvre et a
besoin de trouver en celle qui lui a donné le jour la confidente de ses
premiers troubles et le guide qui l'aidera à éviter bien des écueils. Gene-
viève, qui s'est lieurtée à la sécheresse de sa mère officielle, a trouvé
auprès de Manoune, la vieille bonne qui l'a élevée, toute la tendresse
discrète et le dévouement caché d'une mère anonyme.
La comédie de M""-' Marni est bien l'œuvre d'une femme ; un homme
certainement n'aurait pu écrire certains passages comme l'auteur a su
le faire; il semble qu'il y ait des choses que les femmes seules peuvent
écrire sur elles-mêmes. La scène où la jeune flUe apprend la vérité, où
le cœur de la véritable mère se trahit devant la sécheresse de la mère
putative, est de tout premier ordre; la sincérité et l'intensité des senti-
ments en font une des choses les plus remarquables que l'on ait entendues
au théâtre en ces dernières années.
Plus e.xpérimentée, l'auteur, après un premier acte intéressant et
d'une jolie couleur, eût sans doute resserré le second et développé un
peu plus l'action, qui semble s'attarder en des détails secondaires. Quoi
qu'il en soit, Manoune est une œuvre d'un puissant intérêt, eUe fait le
plus grand honneur et à l'autem- qui l'a écrite et au théâtre qui l'a
représentée.
Ijjmc Marni a rencontré trois interprètes de tout premier ordre en la
personne de M""' Suzanne Desprès, Lucienne Dauphin et Samary,
M. Arquillière est tout à fait remarquable; M. Huguenet intéressant et
de curieuse silhouette ; M . Coquet, M""'' Laporte et Andral se sont tait
justement applaudir.
Après une pièce d'émotion intense, la soirée s'est terminée par un
(1) HippOLïTE Lucas. — Portraits et souvenirs; 1890.
LE MÉNESTREL
315
éclat de rire eu deux actes : Hermance a de la vertu, tel est le titre allé-
chant de l'hilarante comédie de M. André de Lorde. La pièce tient ce
que le titre promet.
Après avoir débuté par une symbolique et sombre comédie en cinq
actes : Dans la nuit, dont le succès fut retentissant, M. André de Lorde
tient à nous prouver qu'il peut également écrire une pièce de gaieté et
de douce philosophie, il y a pleinement l'éussi : il a été d'ailleurs mer-
veilleusement secondé par ses interprètes. MM. Huguenet, Noizeux et
M"° Maggie Gauthier.
La nouvelle pièce de l'Odèon, les Maugars, a été tirée d'un roman de
M. André Theuriet par M. Georges Loiseau; ce jeune auteur a réussi à
souhait cette tâche délicate et nous a donné une comédie intéressante,
écrite dans une belle langue.
Les Maugars et les Déroches sont deux familles des plus notables de
Saint-Florentin ; une haine politique les sépare à jamais, et leurs enfants
viennent à s'éprendre l'un de l'autre, comme Roméo et Juliette. Ce qui
fait ici l'intérêt de cette donnée, qui n'est pas très nouvelle, est le milieu
dans lequel s'agitent les personnages de la pièce à la veille du coup
d'état de 1851.
Il y a là une reconstitution des plus remarquables; il convient d'en
louer d'une façon toute particulière M. Ginisty. Le troisième acte, qui se
passe dans un bal la nuit du 2 décembre, avec des émeutes dans le loin-
tain, est du plus saisissant effet et a vivement impressionné les spec-
tateurs.
La pièce est d'ailleurs jouée d'une façon remarquable : M. Janvier a
toute la roublardise voulue; M. Dorival nous a donné un tribun éton-
nant d'intonation, de gestes et d'attitudes; M. Vargas, le sympathique
jeune premier, s'acquitte à souhait du rôle ingrat d'un Roméo second
empire. MM. Cèalis, Coste, Siblot, Daumerie, Duparc, M'"''' Bonnet,
Marcilly, Fontenag, Leyriss, Vellini, Duran, sont tous excellents dans
des rôles souvent trop courts; mais dans une bonne pièce il n'est pas de
petit rôle.
La soirée commençait par une comédie en un acte, de MM. Albert-
Emile Sorel et Paul Acka : Fausse Route; cette aimable comédie ren-
ferme de jolis mots et des coins de fine observation; c'est un heureux
début pour ces jeunes auteurs, qui tiendront certainement tout ce qu'ils
promettent.
Maurice Froyez.
* *
Au Vaudeville, nous avons eu une sorte de fantaisie en cinq actes de
M. Maurice Desvallières, la Vie en voyage. Il est bien clair que cela
n'est relié au théâtre que par un fil bien ténu; mais, si l'on veut faire
abstraction de tout intérêt scénique et ne voir là qu'une suite de tableairx
amusants, une sorte de lanterne magique, il faudra convenir qu'on y
peut trouver de l'agrément et qu'en somme la soirée passerait encore
assez vite, si l'auteur pouvait se résoudre à faire ici et là quelques
entailles utiles. Il y a même dans sa fantaisie une idée philosophique
qui n'est pas négligealjle, quand il nous montre l'influence des climats,
des sites et des milieux sur les états d'âme des voyageurs, et combien
ils deviennent divers selon les températures. Il y a là de l'observation.
Il n'en va pas de même pour l'InMantané, le vaudeville de MM. A. de
Cavaillet et Hugues Le Roux qui a servi de réouverture au théâtre des
Bouffes-Parisiens. Là l'erreur est complète, le néant absolu, et il y
aurait de la cruauté à y insister. H. M.
NOTES D'ETHNOGRAPHIE MUSICALE
VI
QUELQUES MOTS SUR LES MUSIQUES DE L'ASIE CENTRALE
LES CHANTS DE L'ARMÉNIE
(Suite.)
Émanation du génie populaire, la chanson arménienne s'associe cons-
tamment aux coutumes et aux superstitions nationales.
Il est, dans l'année, une date qui a donné lieu, toujom-s et en tout
pays, à des fêtes populaires auxquelles le chant s'est trouvé naturelle-
ment mêlé : c'est celle qui marque le retour du printemps. La France
avait autrefois ses fêtes de mai. La « Nuit de Walpurgis » chantée par
Goethe, la 'i Nuit d'été » dont Shakespeare a conté « le Songe », nous
ont représenté le spectacle enjolivé de traditions semblables.
En Arménie, cette nuit de féerie est celle de l'Ascension.
Deux jours avant cette fête, les jeunes filles s'en vont par petits
groupes dans les champs pour y cueillir les fleurs symboliques et pré-
parer leurs « Djan-Gulum ».
Ce vocable bizarre est le refrain de la Chanson de l'Ascension. Il se
compose de deux mots persans, Djan, qui veut dire « âme » (dans le
sens tendre de l'adjectif « cher », comme Corneille écrivait : « Ma chère
âme), et Gui, qui signifie « rose ».
Jja veille de l'Ascension, le même chœur de jeunes filles s'en va pro-
cessionnellement à une source. L'une d'elles porte un vase, auquel on a
donné aussi le nom de la chanson : Djan-Gulum; elle le purifie dans
l'eau en prononçant des prières, l'essuie, puis chacune des jeunes filles
l'orne des fleurs cueillies et jette dans l'intérieur un objet lui apparte-
nant : une bague, une broche, ou tout autre bijou. Puis, après avoir
achevé de le garnir de fleurs et l'avoir recouvert d'étoffes brillantes, elles
reviennent au village en chantant. Celle qui porte le vase en a la garde
et doit veiller précieusement à ce que les jeunes gens n'en dérobent
rien pendant la nuit de l'Ascension.
Enfin, le jour de la fête, les jeunes filles se rassemblent de nouveau.
Elles s'assoient dans un jardin, à l'ombre d'un arbre. Celle à laquelle a
été confié l'honneur de veiller à la garde du Djan-Gulum retire successi-
vement chaque objet qui y est caché; pendant ce temps une autre dit la
bonne aventui'e : « Je vois un beau jeune homme qui chevauche à
travers la plaine, etc. » L'objet est montré et rendu à celle à qui il
appartient : c'est elle qui doit avoir le beau jeune homme; et, joyeuse-
ment, avec une grande vivacité, toutes chantent le refrain du jour :
,Vif
tsuguili, Djaii, Djan.
Traduction. — Sous mon arbre il y a des violettes, — Ame Rose, Ame Rose, — Je veux
plutôt mon bien-aimé que toi, Violette, — Ame fleur, Ame fleur, Âme, Ame.
Je me priverai plutôt de huit touman, — Ame Rose, Ame Rose, — Je te ferai esclave
de mon bien-aimé, — Ame fleur, Ame fleur, Ame, Ame.
Ce petit refrain nous offre un type fidèle de la chanson de danse armé-
nienne. Le recueil déjà cité en donne une autre, un peu plus développée :
Boïd Bartsî; harmonisée par M. J.-B. Weckerlin. M. Galoust Boyadsian
m'en a dicté une troisième, plus longue encore et composée de la répé-
tition des mêmes formulettes, mais dans un ordre irrégulier et non dans
la forme du couplet. Je n'en donne que la principale formule
r ythmique. Remarquons en passant que la succession : croche, noire,
dans la mesure à trois-huit, c'est-à-dire la note d'attaque des temps forts
plus courte de moitié que celle qui représente le temps faible, rythme si
c ontraire au sentiment des peuples latins, est, dans la chanson armé-
nienne, employée de façon aussi fréquente que naturelle. L'accent de ces
c hansons est bien moins lyrique que celui des précédentes, et ne tarde-
rait pas à engendrer la monotonie. Au reste, malgré leur vivacité, ces
mélodies mêmes ne connaissent pas le mode majeur : les trois que nous
avons considérées appartiennent uniformément aux groupes mineurs.
, Vif.
Mais la chanson arménienne ne se tient pas exclusivement dans ces
régions simplement agréables. Elle sait s'élever jusqu'à celles où léchant
populaire devient chant national. La poésie épique y est cultivée encore,
sous une forme peut-être rudimentaire, pourtant non encore absolu-
ment indigne des nobles traditions^, de l'antiquité. Il est telle ville où,
jadis, lorsqu'un habitant se faisait remarquer par une action d'éclat, les
aédes locaux composaient sur le héros une chanson qui se répandait
vite parmi le peuple; aux jours do'fête, les hommes et les jeunes flUeS)
se tenant par la main, à la manière des anciens chœurs de danse, la
chantaient en s'avançant d'un pas cadencé.
316
LE MÉNESTREL
L'amour de la nature en général, mais bien plus encore l'amour du
pays natal, se peint dans un grand nombre de chansons arméniennes,
même parmi celles qui n'ont pas cet objet comme principal. Parmi les
morceaux du l'ecueil de Chants populaires arméniens, il en est un, qu'a
harmonisé M. Ernest Reyer, et dont le sentiment était en accord parfait
avec celui qu'on pouvait supposer à l'auteur de la Statue et du Selam :
c'est une charmante mélodie rêveuse, en mineur naturellement, évo-
quant de très près le souvenir d'une mélodie de Lalla Itoukh, de ce Féli-
licien David qui avait eu une si géniale intuition de la musique orientale.
Les paroles sont des paroles d'amour : elles célèbrent le printemps, le
ciel bleu, la douceur du chant de la tourterelle, la splendeur des forets
de cèdre, et le poète subordonne toutes ces beautés à celle d'un objet
dont la fin du couplet va nous révéler le nom. Ce uom, quel sera- t-il?
Kilikia, nous dit enfia le poète; et nous songeons déjà à nous demander
quelle femme aimée ces trois syllabes veulent désigner. Mais non :
Kilikia, ce n'est point une femme, c'est un pays, la Cilicie; et l'exilé,
devenu Arménien, ayant adopté les idées de cette nouvelle patrie, évo-
que par le chant la pensée de l'ancienne : c'est vers elle que va sa rêverie.
M. Georges Marty a harmonisé un autre de ces chants : Berik Vordeak.
et celui-ci est un véritable cri de bataille. On chantait autrefois en
France, sur une musique fâcheusement banale : « Guerre aux tyrans,
etc. » Le chant arménien est comme une paraphrase de la même idée,
mais avec un accent musical d'une autre énergie! Je ne vois guère que
certains chants hongrois, comme ceux dont la Marche de Racoksy offre le
prestigieux modèle, qui puissent l'égaler. — et, de fait, par un rapproche-
ment que je ne chercherai point à expliquer, non seulement l'accent,
mais même certains rythmes présentent quelques analogies avec le
chant de guerre arménien.
Voici enfin une dernière mélodie, proclamant l'indépendance de la
pati-io, que m'a dictée M. Eghiasaran : il en a conservé pieusement le
souvenir car elle se rattache pour lui à de chères affections.
Andante Moderato.
Hah- rènik SOUP, pa . zan, im. si", roun ach.harh,
Thir-tchoomem dè.bi . kez bog-vovés an-da . dar.
Tr.iDuCTiox. — Sainte Patrie, ô mon pays aimé, — mon âme s'envole vers toi sans cesse.
Ta destinée fait toujours mon tourment; en mon cœur résonne le bruit de tes fers. '
Près de braves compagnons il est doux de combattre, — et pour l'œuvre sainte il est
doux de mourir.
Mais bêlas! dans cette prison enfermé, loin du monde, — sur les cbamps de bataille je
manque à l'appel !
Par sa forme, sa tonalité, son aspect général, cette mélodie pourrait
nous sembler moderne, — inspirée de quelque « hymne russe », expri-
mant au moins des sentiments de l'âme contemporaine. Or, celui qui me
l'a chantée m'afûrme l'avoir entendue, dans sa plus tendre enfance,
dite par des vieillards, qui eux-mêmes l'avaient toujours connue, et
n'en savaient point l'âge. C'est le chant d'amour des Arméniens pour
le pays natal, et ils le répètent avec ferveur dans l'adversité comme dans
la joie. Sous sa forme très simple, ce chant a de l'envergure, de l'envolée.
Il exprime une foi sincère : il vibre! Puisse-t-il être, pour ceux qui en
ont conservé la mémoire, un gage d'espérance ; puisse-t-il avoir pour
eux cette signification, qu'ils seront bientôt appelés à le chanter joyeu-
sement en des jours meilleurs !
Julien Tiersot.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
Hj y o n. u. gi i s
(Suite.)
VI
LES JASSERIES DU FOREZ
Dans le charmant pays du Forez, la perle du Lyonnais, où les collines
hautes, première avancée des monts d'Auvergne, encadrent des prai-
ries verdoyantes et des champs florissants, nous retrouvons la poésie,
et avec la poésie les bergères, qui sont l'âme de la vie champêtre.
Populaires dans le Forez, dans le Berry ou dans la Marche, elles y
sont regardées comme d'aimables petites sorcières, conteuses de sor-
nettes aux étoiles, rêveuses suivant la saison, et le plus souvent joyeuses
comme lutins en maraude. Dans la campagne, vers le soir, leurs chan-
sons s'égrènent alertes, et le paysan, si pressé qu'il soit de rentrer au
logis après une rude journée de labeur, ralentit son pas pour écouter
les voix qui, pures, argentines, s'élèvent de la clairière. Ces chansons,
il les connaît, il les a dites en duo avec les bergères de son enfance,
mais il ne se lasse pas de les entendre. On lui fait son procès, cepen-
dant, en quelques-unes, mais il n'en a cure :
Ringeons-nous, car v'ia qii'on va plore,
Et point n'allons vé qu'à maudits garçons,
Tant qu'y pouiont a font de mau è filles,
Puis y risont, y s'en mouquont et s'en allont.
Les bribes succèdent aux bribes, emportées par la brise du soir. Puis,
c'est tout une petite légende pastorale qui sonne clair la vertu sans
tache de la bergère forézienne :
Mon père ayot sept cents moutons,
Y n'essien la barrière,
Don, daine, don don don !
Y n'essien la bai-gière,
Don!
Lou premier cop qu'y les ai menas,
Y ai pardu la quinzaine,
Don, daine, don, don, don I
Y ai parda la quinzaine.
Don!
— La belle que me biillerez-vous,
Ah ! pre ma récompinse.
Don, daine, don, don, don !
Ah ! pre ma récompinse ?
Don!
— Quand y tondrai mu blancs mutans,
Y te donnerai de la lene,
Don, daine, don, don, don!
Y le donnerai de la lene,
DonI
Un biau monsieur vint à passa
Que me les ramena tout quinze,
Don, daine, don, don, don !
Que me les ramena tout quinze,
Don!
— De youtre lene je n'en vous gin ,
Mais voulre cœur, la belle.
Don, daine, don, don, don!
Jlais voutre cœur, la belle,
Don!
— Ah ! pre mon cœur, te Tairas pas :
Y suis encaire trop jeunette.
Don, daine, don, don, don !
Y suis encaire trop jeunette,
Don!
A défaut de son cœur, la bergère a offert de la laine au biau mon-
sieur. C'est qu'à ses yeux, rien n'est plus précieux que la laine. La
laine, pour elle, c'est l'idéal, c'est le but de la vie. Tout le jour elle
passe sa main dans l'épaisse toison de ses moutons, supputant lo beau
tas qu'elle fera le jour de la toute. Et en la serrant, en la caressant
avec amour, elle chante la Chanson de la Laine :
La lana do mouton
Demanda à tondasou ;
La tondon, la tendon,
La lana do mouton.
La lana do mouton
Demanda à lavasou ;
La lavon, la lavon,
La lana do mouton.
La laine du mouton
Demande à être tondue;
On la tond, on la tond,
La laine du mouton.
La laine du mouton
Demande à être lavée;
On la lave, on la lave,
La laine du mouton.
Suivent toutes les opérations qui président au traitement de la laine.
C'est un vrai cours de lainographie appliquée : La lana do mouton de-
mande à scelsasou (à être sêchêe), à scarpisou (à être étirée), à startasou
(à être cardée), à fialasou (à être filée), à tortsasou (à être tordue), à
bretsasou (à être brochée ou tricotée), à portasou (à être portée),... à
tsabasou (à s'user),... et, la scetson, ta scetson, la lana do mouton (on la
sèche, on la sèche, la laine du mouton), et l'escarpon (et on l'élire), et la
etardon (et on la carde), et la fialon, et la troHson, et la trotson,... et la
porta, et l'atsabon, la lana do mouton.
Comme on pense, la laine, honorée comme elle l'est, a sa, férié. Celle-ci
se place au 16 aoiit, et ce sont alors des réjouissances auprès desquelles
pâlissent celles qui accompagnent les autres fêtes. On l'appelle les Jas-
scries. A celte occasion, partout oii il y a des bergères, et il y en a par-
tout dans le Forez, le peuple s'assemble. On festoie sous la coudraie.
Et les rires et les chansons de s'envoler comme abeilles en liesse, et les
récits aussi, car nous sommes en plein pays de légendes et d'histoires
merveilleuses. Pour peu qu'il y soit question d'une bergère, une de
celles-ci se lèvera bien vite et prendra la parole. Elle annoncera, par
exemple : Le Roi et ses trois fils (1), et commencera :
Un roi avait trois fils. Il voulut se défaire de la couronne en faveur
de l'un d'eux. Or, il était très embarrassé pour cela; car l'usage était
que la couronne revint à l'ainê, et il aimait également ses trois enfants.
Alors, il décida que la couronne appartiendrait à celui qui lui appor-
terait la plus belle fleur. Ils partirent tous trois et se donnèrent rendez-
vous pour le jour suivant. Le premier qui arriva fut l'ainé : il apportait
une belle fleur; le cadet arriva second avec une fleur encore plus belle;
le plus jeune vint le dernier : sa Heur éclipsait les autres en éclat et en
parfum. — Je n'aurai pas la couronne, pensa Falné, plein de colère; et,
(I) Extrait de l'excellent recueil périodique Mélmine, qui s'occupe, à l'occasion, de
curiosités musicales, et auquel il nous est arrivé déjà de faire d'intéressants emprunts.
LE MENESTREL
317
saisissant le couteau qui pendait à sa ceinture, il en frappa mortelle-
ment son jeune frère.
Le père, nouveau Jacob, se désola de ne point voir revenir son enfant
chéri et attendit son retour pour se démettre de ses droits. Les années
s'écoulèrent, car le cadet, par peur de son aîné, n'osait parler, quand
une bergère, qui gardait ses moutons dans le champ où les trois frères
s'étaient donné rendez-vous, trouva un os fait comme une flûte... Elle
l'approcha de ses lèvres et j souffla. Il en sortit comme une voix hu-
maine qui chantait :
Souffle dOLicenient, bergère,
Souffle, souffle doucement;
Le couteau de la ceinture
M'a tué cruellement.
Le roi, ayant appris qu'une bergère avait trouvé une flûte rendant dos
sons harmonieu-Y, voulut voir cet instrument. Il se le fit apporter, et les
premières notes qu'il en tira lui dirent :
Souffle doucement, mon père,
Souffle, souffle doucement ;
Le couteau de la ceinture
M'a tué cruellement.
Le roi appela son fils cadet, lui présenta l'os merveilleux et lui dit de
souffler dedans; et l'os répétales mêmes paroles. Et quand ce fut le tour
de l'ainé, qui ne se doutait de rien, la flûte, élevant le verbe, dit d'un
ton martelé :
Souffle doucement, mon frère,
Souffle, souffle doucement ;
Le couteau de ta ceinture
M'a tué cruellement.
A ces mots, le roi comprit. Il fit, sur l'heure, écarteler le coupable, et
son fils cadet, quoique l'ayant peu méritée, ceignit la couronne.
Mais la musette a retenti. C'est la danse qui commence; et après les
Auvergnats, auxquels ils tiennent sous tant de rapports, ce sont les
Forézieus qui sont les plus enragés danseurs de la terre. La Bourrée a
pour eux des attraits sans bornes; ils la danseraient sur le faite d'un
toit, sur le bord d'un précipice... Trois jeunes gens et trois jeunes filles,
rapporte une vieille légende, dansaient, un jour de fête, sur la place
publique. Vint à passer la procession. Ils ne s'en émurent aucunement, et
quand le Saint-Sacrement parut, ils continuèrent à danser... Lors , quand
ils furent las, ils voulurent s'asseoir et se mirent en quèle d'une place
pour se reposer; mais une force irrésistible les retint à l'endroit où ils
étaient et les contraignit à continuer à danser... Ils dansèrent ainsi une
année de suite... Etpiaintenant encore, certains soirs de bal ils se fau-
filent parmi les danseurs, et alors chacun est pris d'une fringale de
Bourrée, qui ne cesse qu'avec le chant du coq, bête diabolique aussi,
— et encore !
Devant la Bourrée tous sont égaux, et à ce sujet une autre histoire
s'impose :
Un soir, comme le maréchal d'Albon Saint-André, qui devint dans
la suite l'un des fougueux triumvirs de la minorité de Charles IX, don-
nait en son château de Saint-André-d'Apchon une fête en l'honneur
d'Henri II, son hôte, il entendit soudainement, d'une fenêtre dont il
s'était approché pour prendre l'air, les sons de la musette et les rires
joyeux des paysans et des bergères qui célébraient les Jasseries. Tout
un monde de souvenirs roula dans son esprit à ces accents, et, n'y
pouvant tenir, il descendit par un escalier de service et courut jusqu'au
village où la Bourrée battait son plein.
Le père La Janette était monté sur son tormeau... Et gai, Ion là!
Arrondissez les bras, les gars! Le pied gauche enavant! Et aile! allel...
Sa musette à la peau de chevreau se gonflait et se ridait. Quand il ne
soufilait plus, la chanson sonnait encore dans son sac, et l'on eût dit
que le diable dedans chantait et sifflait, et que les lutins s'y trémous-
saient à cœur joie... Et aile! aile! aile!
— Eh oui, aile! aile! aile! crie le seigneur en tombant dans un groupe.
Chantez, dansez, je veux, mes amis, chanter, danser avec vous.
Mais le père La Janette s'est tu. Les lutins ne sortent plus de sa
musette, et filles et garçons se sont sauvés comme si le diable les em-
portait.
— Hélas! Hélas! soupira le maréchal; et il reprit tristement la route
du logis... Mais, chemin faisant, il dressa tout à coup l'oreille. Il n'en
pouvait douter; c'était bien l'air de la Bourrée qui résonnait au châ-
teau. A travers les vitraux peints on voyait, à la lueur vive des flam-
beaux de cire, des couples non enlacés, mais sautant et so trémoussant
surplace. Il activa le pas et reparut dans les salons, où son absence
n'avait pas été remarquée, toute l'attention se portant sur le jeune sou-
verain. Celui-ci assistait ravi au spectacle do la Bourrée organisée en
son honneur par une troupe de ménestrels. Des filles et des garçons,
costumés très luxueusement en gens du pays, dansaient aux sons d'un
orchestre où la musette s'égarait dans les fioritures des violes et des
rébecs... A un moment, les dames et les seigneurs de la cour voulurent
prendre leur part du plaisir. Alors on les chaussa de sabots mignons,
mais ces sabots claquaient mal sur le parquet ciré. Et puis, il manquait
le bruit des gros baisers sans lesquels la Bourrée n'existe pas.
Quand le bal fut fini, on dansait encore au village. Alors le maré-
chal, n'y tenant plus, endossa la livrée d'un de ses valets et alla deman-
der à la joyeuse compagnie de se mêler à elle. Non reconnu cette fois,
il fut accueilli à bras ouverts, dansa tout son saoul, et donna baisers
doubles à Fanchon, à Margot, à Jacqueline, qui riaient à gorge déployée
de son inexpérience et de ses bévues.
Quand le jour pointa, il s'éloigna, pensant :
— Je dois une heure de bonne joie à ces braves gens, et j'ai bien em-
brassé leurs filles.
Aux Jasseries, les baisers vont encore grand train le soleil levé, et
quand les bergères retournent à leurs moutons, elles ont pour longtemps
les joues rouges comme des pommes d'api.
(A suivre.) , Edmond Neuhomm.
NOUVELLES DIA^ERSES
ÉTRANGER
La Bibliothèque royale de Berlin vient de recevoir la partition auto-
graphe des iVoces de Figaro de Mozart qui lui a été léguée par le défunt éditeur
de musique Simrock.
— M. Bruno Waltor, chef d'orchestre de l'Opéra de Berlin, vient d'être
nommé chef d'orchestre de l'Opéra impérial de Vienne. Ce théâtre aura donc
désormais cinq chefs d'orchestre en dehors du directeur, M. Mahler, qui prend
lui-même le hàtoa assez souvent.
— Encore un souvenir viennois de Beethoven qui s'en va. On vient de
commencer la démolition de la maison « Au chameau noir » dans la Bogner-
gasse (rue des Archers), qui joua un certain rùle dans l'existence de Beetho-
ven. Dans celte maison se trouvait depuis la guerre de Trente ans une épi —
cerie réunie, selon l'usage viennois, à un débit de vins fins, où Beethoven
aimait à fréquenter et où il avait sa place d'habitué. Le maître y venait assez
souvent, occupait sa place ordinaire, dégustait silencieusement sa petite
bouteille de vin et s'en allait sans avoir causé avec personne. Dans la famille
d'un ancien associé de la maison se trouvent encore deux autographes du
maitre. L'un est un autographe musical, l'autre un billet laconique ainsi
conçu ;
Estraordinaires et meilleurs (amis),
Envoyez s'il vous plaît deux maaa et demi (environ 5 litres) de 3 florin!', autrichien
blanc (vin), une livre de sucre fin et une livre de sucre ordinaire avec une livre de café
fin. Tout cela bien muni du sceau d'Etat. J'espère vous voir bientôt erf apaqarei coiiti (ces
mots en italien). Mille belles choses à monsieur Arlet. En bâte et en grande vitesse. Votre
Beethoven.
Ce monsieur Arlet était un des chefs de la maison du Chameau noir, et sa
bru, qui vit encore, possède actuellement lesdits autographes. Deux choses
nous frappent dans le billet que nous reproduisons. D'abord la méfiance de
Beethoven, qui recommande de bien cacheter l'envoi afin qu'on ne puisse
pas changer la marchandise ; ensuite son honnêteté bien connue au sujet de
tous les paiements qui lui incombaient. En faisant sa petite commande, qui
ne dépassait pas quinze francs, il n'oublie pas de dire qu'il viendra bientôt
pour « apurer les comptes » !
— Une lettre intéressante, que la veuve de Weber adressa à Meyerbeer et
que les journaux allemands viennent de publier, nous montre que le grand
compositeur fut terriblement exploité par son éditeur ordinaire, Schlesinger
de Berlin. Pour son fret/scAîiis Weber a reçu en tout lasomme de 220 Ihalers,
soit exactement 82b francs ; moyennant cette bagatelle l'artiste avait aban-
donné tous ses droits de reproduction, d'arrangements, etc., à l'e.xception du
droit de représentation. On a calculé que la seule vente de l'ouverture a
rapporté plus de 400.000 francs à l'heureux éditeur. En 184b, Maurice Schle-
singer arriva de Paris et proposa à la veuve de Weber la somme de
mille thalers, soit 3.7bO francs, pour une nouvelle édition des cinq opéras de
Weber, mais en exigeant la remise des partitions autographes. Cette condi-
tion fit échouer l'affaire, et la veuve garda les partitions. On sait que celle de
Freijschûlz appartient aujourd'hui à la Bibliothèque royale de Berlin, tandis
que la partition autographe à'Euryanthe a été donnée par le fils de Weber à
la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Quant au produit de la repré-
sentation de Freyscliûtz, il n'avait pas dépassé la somme de 4.6S7 thalers.
L'Opéra royal de Berlin, auquel les cent premières représentations avaient
rapporté du vivant de Weber la somme de 3b0.000 francs, n'avait payé à
l'artiste, au total, que 060 thalers, soit 2.473 francs; en Allemagne, les droits
d'auteur n'existaient pas à cette époque et les théâtres achetaient le droit de
représentation à forfait, dans des prix doux. C'était ce qu'on appelle, par un
euphémisme singulier, « le bon vieux temps ».
318
LE MENESTREL
— L'Opéra de Cologne a joué avec beaucoup de succès ud opéra inédit en
i actes, intitulé Ghilana, paroles de M. Jean de "Wildenradt, musique de
M. Max dOberleithner. Il s'agit d'une prétendue aventure amoureuse du
peintre florentin Fra Filippo Lippi dont les œuvres sont actuellement fort à
la mode. Le compositeur est un élève du défunt maître ■^dennois Antoine
Bruckner.
— De Prague : <i M. Ed. Colonne a donné un concert dont le programme,
exclusivement composé d'ceuvTes françaises, comprenait les noms de Berlioz,
Bizet, Lalo, Franck, Saint-Saéns, Massenet. Le succès de ce concert a dépassé
toute attente, et la direction du Théâtre national tchèque n'a pas voulu laisser
partir M. Ed. Colonne sans lui faire promettre de comprendre Prague dans
la prochaine tournée qu'il doit entreprendre avec son orchestre et qui compte
déjà les villes de Metz, Carlsruhe, Wieshaden, Leipzig, Berlin, Dresde,
Vienne et Munich. »
— La petite ville de Jauer (Silésie prussienne) peut se vanter d'une repré-
sentation extraordinaire de Carmen ainsi annoncée par une troupe ambulante :
« Ce soir, représentation de la troupe du théâtre de la Résidence de Berlin :
. Carmen, la belle bohémienne. Spectacle romantique en 4 actes, de Meilhac
et Halévy, musique de Bizet et Raida. » Voilà de l'inattendu.
— Une institution musicale qui s'est constituée récemment à Varso^'ie, dans
d'excellentes conditions et sous le nom de Philharmonie Varsovienne, va se
mettre prochainement en contact avec le public. Le palais que l'on construit
depuis deux années à son intention et dans lequel elle s'installera, est aujour-
d'hui presque complètement terminé. La nouvelle Philharmonie compte inau-
gurer ce palais le 8 novembre prochain par une grande fête solennelle, et
elle annonce une série de dix grands concerts symphoniques avec le concours
de plusieurs artistes célèbres, parmi lesquels, tout naturellement, le pianiste
Paderewski, qui ne pouvait se soustraire aux désirs de ses compatriotes.
— A Varso^Tie, précisément, la Société musicale a donné dans ces derniers
temps un grand concert exclusivement consacré aux œuvres de son excellent
directeur, M. Sigismond Noskowski. « Son très beau poème symphonique
les Steppes, dit un journal, a enthousiasmé les auditeurs par ses merveilleux
efîets de coloris orchestral. Un parfum de véritable poésie émane de ces pages
inspirées, qui transportent la pensée dans les immenses landes, sans fin
comme les rêves. » Un accueil chaleureux a été fait aussi à d'autres compo-
sitions du maître, de genres très divers, parmi lesquelles une Fantaisie mon-
tagnarde, deux morceaux de l'opéra Livia Quintilla, une Cracowiak, une Mazurke
symphonique, etc. M. Noskowski a été l'objet de bruyantes ovations.
— Au théâtre de Moscou, dirigé par M. Schulz, sera jouée prochainement
une opérette inédite intitulée l'Aztèque, paroles de M. Eugène Brûll, musique
de M. Joseph Bayer. Le compositeur viennois se rendra à Moscou pour diri-
ger la première de son œuvre.
— Les Romains vont avoir, au théâtre Adriano, une saison lyrique d'au-
tomne qui promet d'être brillante. Le tableau de la troupe comprend les noms
suivants : soprani, M"'"^ Adèle d'Albert et Amelia Mélani; mezzo-soprani,
Virginia Guerrini et Maria Pozzi; ténors, MM. Signorini, Bici et Roussel;
barytons, Brambara et Di Laudadio; basses, Francesco Navarrini et Umberto
Cocchi. Le répertoire comprendra, entre autres ouvrages, Scimson et Dalila,
Carmen et Guglielmo Raldiff de M. Mascagni, ce dernier dirigé par l'auteur,
qui fera violence à sa modestie bien connue pour se présenter devant le
public. La saison commencera demain lundi 7 octobre avec Carmen.
Au Politeama de Trieste, c'est avec la Manon de Massenet que va être
inaugurée la grande saison d'automne, qui se continuera avec André Chénier,
le bel opéra de M. Umberto Giordano. Parmi les artistes engagés on signale
les noms des époux Garulli, de M"":^ Perosio et Curellich et du baryton La
Puma.
Au théâtre dramatique de Vérone on a exécuté, le 26 septembre, une
grande cantate ou scène lyrique avec chœurs et orchestre, la Cruxipcion, dont
la musique a été écrite, sur un poème de M. Giuseppe PistelU, par M. Giu-
seppe Righetti, auteur d'un tableau lyrique, la Fille de Jephté, représenté récem-
ment au théâtre Arena de la même ville. La nouvelle œuvre du compositeur,
de facture très ample, a été fort bien accueillie. Elle avait pour interprètes le
ténor Parola, le baryton Bellagamba et deux jeunes cantatrices, M"== De
Stefani et Barbarini.
Une véritable invasion de virtuoses européens menace l'Amérique pour
cet hiver. Des tournées sont annoncées dans toutes les villes à peu près impor-
tantes des États-Unis par les pianistes Paderewski, Maurice Rosenthal, Joseph
Hofmann, Gabrilovitsch, Bauer, Zeldenrust, Burmeister, Bloomiield-Zeisler
et Gertrude de Betz et par les violonistes Kubelik, Gregorovitch, Fritz
Kreisler, FlorizelReuter (enfant prodige, élève de M.Henri Marteau), Tividar
Nachez et William Worth Bailey, qui est aveugle. Il y en a pour tous les
goûts.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est dimanche dernier qu'a eu lieu à Valence (Drùme), sous la prési-
dence de M. Maurice Faure, député, l'inauguration du monument élevé, sur
la place du Champ-de-Mars, i la mémoire de l'excellent poète Louis Gallet,
notre ami regretté. Louis Gallet fut le librettiste vainqueur et favori du dernier
quart du dix-neuWème siècle, et cet hommage lui était dû au nom de l'art. Il
n'est presque pas un musicien de ce temps dont il n'ait été le collaborateur,
collaborateur tout à la fois très distingué, très souple et très dévoué. C'est en
sa compagnie que Massenet fît son vrai début au théâtre avec le Roi de Laliore,
qu'une administration soucieuse de ses devoirs et des plaisirs du public aurait
dû depuis longtemps remettre à la scène. Puis, soit à l'Opéra, soit à l'Opéra-
Comique, c'est Gallet qui fournit à Eugène Diaz le livret de la Coupe du roi de
Thulé, a M. Saint-Saëns celui à'Ascanio, à M. Joncières celui du Cliecalier Jean,
à M. Théodore Dubois celui de Xaviére, à M. Bourgault-Ducoudray celui ds
Thamara, à M. Massenet encore celui de Thais, à M. Bruneau ceux du Rèue et
de l'Attaque du moulin, à M. Lucien Lambert celui du Spahi, au pauvre Alix
Fournier, disparu si jeune, celui de Stratonice, sans compter ceux que j'oublie.
Les artistes et le public doivent donc être reconnaissants à ce poète qui s'est
multiplié pour eux et pour lui. Cette reconnaissance a été fort bien exprimée
dans les discours prononcés à la cérémonie, à laquelle le gouvernement s'était
fait représenter par M. Henri Roujon, directeur des beaux-arts, qui a parlé
en fort bons termes au nom du ministre de l'instruction. M. Maurice Faure,
qui ne se contente pas d'être député, tnais qui est aussi un lettré (on n'en
saurait dire autant de tous les députés I), a, de son côté, caractérisé comme il
fallait le talent de Gallet et fait ressortir toute sa valeur poétique et littéraire.
Le monument de Valence, élégant et d'une originalité piquante, est l'œuvre
de l'excellent sculpteur Injalbert, qui a rarement été mieux inspiré. Il repré-
sente une faunesse légère qui, dans une pose pleine de grâce, joue de la flûte
champêtre en regardant malicieusement le buste de Gallet, qui lui sourit
au haut d'une stèle de pierre appuyée sur des rocaiUes. L'ensemble est d'une
simplicité et d'une délicatesse exquises.
— Le même jour on inaugurait, en un autre endroit, un autre monument.
C'était à Romainville, et il s'agissait de fêter la mémoire du romancier popu-
laire et égrillard et de l'excellent homme qui fut Paul de Kock. Si nous en
parlons, ce n'est pas que nous ayons à nous occuper ici de l'auteur de Monsieur
Dupont et de Gustave le mauvais sujet. Mais c'est que Paul de Kock a appartenu,
lui aussi, au théâtre, et même à la musique, tout comme Louis Gallet, ce
qu'on a certainement oublié. Avant même de publier ses romans, il fit repré-
senter (qui croirait cela de 1 a part de cet écrivain erotique?) des mélodrames
sombres et sanglants à la mode de l'époque. C'est à l'Ambigu qu'il perpétra
ces péchés scéniques et qu'il donna successivement Madame de Valnoir et
Catherine de Courlande, la Bataille de Veillane, le Troubadour portugais, le Molin
de Mansfeld... Puis, ne réussissant que médiocrement de ce côté, il se tourna
vers le vaudeville, en faisant représenter Femme à vendre, Monsieur Mouton,
Monsieur Graine de lin, etc., et enfin, il se mit à faire des livrets d'opéras-
comiques, aujourd'hui bien oubliés parce que ses collaborateurs musiciens
sont, à part un seul, tombés dans l'oubli le plus profond : les Enfants de
maître Pierre, de Frédéric Kreubé, te Philosophe en voyage, de Kreubé et
Pradher, Ethelivina, de Batton, le Camp du drap d'or, de Rifaut, Leborne et
Batton, l'tle de Babilary et une Nuit au château, de Mengal, l'Orphelin et le Bri-
gadier, de Prosper de Ginestet, et enfin le Muletier, de notre grand Herold,
qui, du livret grivois de son collaborateur, sut faire un délicieux chef-d'œuvre.
Voilà comment le souvenir de Paul de Kock se rattache au théâtre, et pour-
quoi nous avons cru devoir le rappeler ici.
— La reprise de Louise à l'Opéra-Comique a été fort brillante et s'est
donnée devant une salle comble et enthousiaste. C'était la 119" représentation,
et elle servit de début à M°"^ Charles, cette jeune artiste, lauréate du Con-
servatoire, qui a pu si heureusement s'échapper de la nécropole de
M. Gailhard pour entrer en ce temple de vie et d'art qu'est actuellement
l'Opéra-Comique. M"" Charles a de la chaleur ; sa voix est vibrante et géné-
reuse. C'est dire que c'est surtout dans les passages de force qu'elle a triom-
phé. La grâce et le charme lui viendront tout naturellement, quand elle sera
moins émue et moins préoccupée de l'effet à produire quand même. L'admi-
rable Fugère était là à ses côtés, si grand dans sa simplicité, et aussi le
charmant ténor Beyle, — Messager solide au poste à l'orchestre. La soirée
fut belle et émotionnante.
— Un jeune ténor, M. Peyre, élève de M. Vergnet, a fait aussi des débuts
remarqués dans Mireille. Sa voix est jolie et bien timbrée. — Au même
théâtre ou répète Galathée pour la rentrée de M"» Gerville-Réache dans le rôle
de Pygmalion, qui, on le sait, fut créé par une femme. M"" 'Wertheimber.
Les autres rôles seront interprétés, celui de Galathée parM"|= Courtenay, ceux
de Ganymède et de Midas par MM. Jabn et Mesmaecker.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche : matinée, Lakmé, la Sœur de Jocrisse;
le soir, Mireille.
— Rappelons que la réouverture des concerts Colonne aura lieu au Chà-
telet le dimanche 20 octobre, à deux heures et quart. Les matinées au Nouveau-
Théâtre recommenceront le jeudi 14 novembre, à trois heures et demie.
— L'Association Philotechnique (section Victor Cousin) vient de donner sa
séance d'ouverture de cours en la mairie du Y" arrondissement. Beau concert
organisé par M. Paul Seguy, de l'Opéra, qui a fait une fois de plus applaudir
LE MENESTREL
319
le bel air à' Ilérodiade ; à coté do lui M™ B= Haguet a superbement chanté
le Cid et Printemps de J. Faure, et tous deux la Charité de Faure.
— Un directeur qui ne parait pas disposé à flâner, c'est celui du théâtre
des Arts à Rouen, qui vient de publier le programme de sa prochaine saison,
programme singulièrement chargé, en tête duquel se trouve l'annonce triom-
phante de la Louise de Gustave Charpentier, mais qui est surtout intéressant
en ce qu'il indique l'apparition de tout un lot d'œuvres inédites et dénote un
vigoureux elTort de décentrahsation lyrique. Voici la liste des ouvrages dont
le public rouenuais aura ainsi la primeur : tes Guelfes, grand opéra en cinq
actes, paroles de Louis Gallet, musique de Benjamin Godard; la Fille du Calife,
opéra en deux actes, paroles de MM. Paul GoUin et Charles Jacomet, musique
de M. Lacheurié; Mimi la Provençale, comédie lyrique eu trois actes, paroles
de MM. Maurice Lecomte et A.-P. de Lannoy, musique de M.Georges Palicot;
le Clocheton de Paimpol, légende bretonne, paroles de MM. Eugène Lemercier
et Raphaël May, musique de M. Charles Hess; V Idole aux yeux verts, ballet
de M. Raoul Lefebvre, musique de M. Fernand Leborne; le Faune, divertis-
sement, musique de M. Edouard Kann; Conte de mai, divertissement de
M. J. Bernac, musique de M. Gaston Paulin: enfin, le Réeeil des Nymphes,
divertissement de M. C. Rozier, musique de MM. Louis Ganne et Turlet.
'Voilà assurément de quoi occuper sérieusement une saison.
— M. Carboni, le directeur du Conservatoire de Rennes, annonce, pour
cet hiver, toute une série de concerts intéressants, où on exécutera tour à
tour des œuvres de Schumaun, Mendelssohn et Beethoven, la Vierge de Mas-
senet, fe Miracle de Naïm d'Henri Maréchal, le troisième actu du Taunlmuser ,
des œuvres de Bourgault-Ducoudray, Widor, César Franck, Fauré, Marty,
etc., etc.
— Il nous faut signaler au Casino de Biarritz de très intéressantes exécu-
tions, sous la direction de M. Steck, des deux oratorios de Massenet, Eve et
Marie-Magdekine, avec le concours de M""* Talexis et de MM. David et Gri-
maud. Étudiées avec grand soin et remarquablement chantées, les deux belles
œuvres ont produit un tel effet qu'il a fallu eu donner plusieurs auditions
successives, très suivies d'un nombreux public.
— A Aix-les-Bains, en l'église paroissiale, très beau concert religieux,
sous la direction de M. Provinciali, où on a entendu le beau Panis angelicus
et le Sancta Maria de Faure, remarquablement chantés par M"": Pauline
Smith. Miss Burke Irvin tenait la partie de violon dans le premier de ces
morceaux, dont l'effet a été très grand. Au même concert, le violoncelliste
Hasselmans a joué merveilleusement l'Invocation de Massenet.
— On vient d'inaugurer, dans la superbe église de Montfort-l'Amaury, un
orgue de tribune construit par la maison Abbey. C'est M. de Bricqueville
qui a joué le nouvel instrument, entouré d'artistes d'élite. Au nombre des
morceaux qui composaient un programe artistique , on a remarqué la
transcription pour orgue de la Marche héroïque deSaint-Saëns, la fugue en sol
majeur de Bach, le Crucifix de Faure et l'air de Marie Magdeleine de Massenet,
admirablement interprétés.
— Vit succès au Nouveau-Cirque pour la nouvelle pantomime équestre et
nautique l'Estafette, qui couronne admirablement un programme très varié et
très divertissant.
— Cours et Leçons. — M'"' Blanche Delilia, l'escellent professeur de chant, a repris
ses leçons, 37, rue des Martyrs. — il" Renée Richard, de l'Opéra, a repris ses leçons de
chant chez elle, 8, rue d'Aumale. — M-= Gaulet-Tesier reprendra le lundi 7 octobre,
19, avenue de Tourville, ses cours de chant et ses leçons particulières. — 51. et M"' Steiger
reprennent leurs leçons et cours de piano, 31 , rue de Moscou. A partir du 15 novembre,
cours d'accompagnement par M. Nadaud, professeur au Conservatoire. — M"" Lherbay-
Fiorentino, de la Comédie-Française, a repris ses cours et leçons de diction, 13, rue de
Tocqueville. — M. Paul Séguy reprend ses cours et leçons de chant en ses salons de la
rue de la Neva. — C'est le 8 octobre que M"' Pierre Petit reprendra ses cours et leçons
de chant (par l'exemple), 14, rue Laferrière. — M"* Fanny Créhange a repris depuis le
1" octobre ses leçons de chant, 57, boulevard Péreire. — M"' Bertrand-Hertzog reprend
le 7 octobre ses leçons de chant, 24, rue de Dnnkerque. — M"" Henriette Thuillier a
recommencé ses cours de piano chez elle, 39, rue Latayette, et au cours d'éducation de
M"" Roche, 15, rue Cortambert (Passy). Elle donnera cette année une série d'auditions
formant l'histoire de la musique, depuis Scarlatti et Bach jusqu'à l'école moderne. —
Reprise, 53, boulevard Pereire, des cours de musique de M"' Laming, cours très com-
plets dans toutes les branches de l'enseignement. — M"» Charlotte Vormèse, 88, boule-
vard de Conrcelles, annonce pour le 15 octobre la reprise de ses leçons de violon et
d'accompagnement, auxquelles elle adjoint cette année un cours de musique d'ensemble,
sonates et trios. — M"' Caroline Martel a repris, le 1" octobre, ses leçons particulières
de chant et de piano chez elle, 60, boulevard de Clichy. Elle a également ouvert son
cours de chant dans les salons de la maison Alph. Blondel, rue Duperré, 14, où les ins-
criptions sont reçues.
NÉCROLOGIE
A Berlin est mort, à l'âge de 43 ans, le ténor Emile Goetze, qui a eu
son heure de célébrité. Doué d'une admirable voix de ténor, il fut d'abord
engagé à l'Opéra de Dresde et en 1880 à celui de Cologne, où il devint rapi-
dement le grand favori du public. En 1883, les dames de cette ville se
réunirent pour offrir au « divin Emile » une armure en argent destinée à être
portée dans Lohengrin. C'était l'apogée de l'artiste, qui avait aussi acquis une
grande popularité en Allemagne et en Autriche, où il chanta eu représenta-
tions avec un succès énorme qui rappelait les triomphes du ténor "Wachtel.
Vers 1886 on put constater les commencements de la maladie de larynx qui
devait terminer sa carrière, et en 1890 le ténor quitta l'Opéra de Cologne
pour subir un long traitement. Goetze chantait encore de temps à autre,
mais le charme de sa voix était rompu et dans ces dernières années on n'a
plus entendu parler de lui.
— A Exmouth est mort, â l'âge de 90 ans, le plus ancien élève vivant de
l'Académie royale de musique de Londres, le pianiste Kellow John Pye. Il
entra en 182.3 à l'Académie, dont il était le premier élève reçu, et la quitta en
1829. En 1832 il gagna le prix Gresham avec un cantique de sa facture et en
1842 il obtint le titre de bachelier es musique à l'Université d'Oxford. Il
quitta ensuite la musique pour s'adonner au commerce, mais pendant long-
temps il fit partie du comité exécutif de l'Académie royale de musique.
— De Naples on annonce la mort, à l'âge de 84 ans, d'un vieil artiste qui
fut compositeur, chef d'orchestre et professeur de chant, Giuseppe Calveri-
Winter. II parcourut l'Europe et l'Amérique, où il résida longtemps et où il
fit représenter, il y a quarante-huit ans, un opéra intitulé Matilde. On en con-
naît d'autres de lui; mais le théâtre n'était pas son fait et il y réussit peu. H
fut plus heureux avec ses compositions vocales de chambre, qui n'avaient que
le défaut d'être d'une exécution très difficile. Il avait formé pour la scène sa
sœur Emilia, qui fut une cantatrice distinguée et qui se fît applaudir notam-
ment au théâtre San Carlo de Naples.
— A Milan vient de mourir, à 33 ans seulement, Gaetano Falda, professeur
de trompette et de trombone au Conservatoire de cette ville, qui appartenait
aussi à l'orchestre du théâtre de la Scala et au corps de la musique munici-
pale. C'était, dans sa spécialité, un virtuose d'un talent exceptionnel.
— De Lenno, sur le lac de Gôme, on annonce la mort de M°"= Maria- Anna
Piatti, veuve du fameux violoncelliste Alfredo Piatti, mort lui-même au mois
de juillet dernier et à qui elle n'aura pas longtemps survécu.
Henri Hehgel, directeur-gérant.
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études de petite vélocité 12 »
— 7» vol. Op. 178. Vingt petits préludes .... 10 »
— 8' vol. Op. 179. Les Petites concertantes,
(1" livre) 25 études très faciles, 4 mains. ... 15 »
— 9' vol. Op. 180. Les Petites concertantes,
(2" livre), 25 études faciles, 4 mains 15 »
FÉLIX CAZOT. Méthode de piano, complète. ... 25 »
— 1" partie (élémentaire), les cinq doigts ... 12 j»
— 2' partie (degré supérieur), extension des
doigts 18 »
CR. CHAULIEU. Z<7ndi5peftsa6/e, manuel des jeunes
pianistes, études journalières de gammes et
exercices. 10* édition 20 »
F. CHOPIN. — Op. 10. Grandes études (1" livre) . 18 »
— Op. 25. Grandes études (2° livre) 18 »
— 54 préludes, 2 livres, chaque 9 »
— 3 études 7 50
J.-B. CKk'^'ER. Études pour le piano (2' livre) . . 18 »
CH. CZERNY. Op, 337. Exercice journalier, 40 études 12 =
— Op. 139. 100 exercices doigtés et gradués pour
les commençants :
1", 2" et 3" livraisons, chaque 6 »
4" livraison 7 50
— Op. 261. Etudes élémentaires, 2 livres, chaque 9 »
3. DECOMBES. Petite méthode élémentaire de piano,
édition cartonnée, net 3 50
Edition brochée, net 2 50
HENRI DECOURCELLE. Introduction aux exercices
de Maurice Decourcelle, en 2 livres, chaque . 7 50
MAURICE DECOURCELLE. Trois cahiers d'exercices:
— 1" cahier. Op. 11. Exercices progressifs divi-
sés en 15 journées d'études 9 »
— 2" cahier. Op. 41. Exercices et préludes dans
■^ tous les tons les plus usités 9 »
— 3' cahier. Op. 30. Répertoires d'exercices dans
tous les tons majeurs et mineurs 12 »
LÉON DELAFOSSE. Études pittoresques, net. . . 12 »
— Vingt préludes net 6 »
— Valses-préludes (12 numéros) net 5 »
V. DOURLEN. Traité d'accompagnement pratiqite
de la basse chill'rée et de la partition à l'usage
des pianistes 24 »
CH. DUVOIS. Le mécanisme du piano appliqué à
l'étude de l'harmonie (enseignement simultané
du piano et de l'harmonie) :
Introduction. Principes théoriques et pra-
tiques de la musique, net 3 »
l*' cahier. Exercices de mécanisme, sans dé-
placement de main, net ........ 3 »
2' cahier. Progressions 7nélodiqu£S, exercices
pour la progression de la main, net. . . 3 »
3" cahier. Les gammes, d'après une notation
qui en facilite rétuae 3 j>
i4' cahier. Harmonie, théorie et pratique des
accords etarpèges appliqués au piano, net. 5 »
5" cahier. Ettide des douoles notes. Jeu lié,
jeu du poignet, tierces, sixtes, octaves et
accords, net 4 »
6* cahier. Marches d'harmonie, exemples
pris des grands maîtres, net 4 »
?• cahier. Appendice à l'étude de l'harmonie,
net 3 B
8' cahier. L'art de phraser, net 3 »
L'ouvrage complet, net 25 ^
H. ENGKAUSEN. Op. 63. Les premiers exercices du
jeune pianiste:
1" Livre. Très facile 6 »
2" Livre. Facile 7 50
3" Livre. Petite moyenne force 7 50
4" Livre. Moyenne "force 7 50
— Op. 58. Les premiers éléments, études à
quatre mains :
1" Livre. Petits exercices pour la main au
repos 6 »
2' Livre. Exercices pour les cinq doigts, dépas-
sant peu rétendue d'une octave 7 50
2' Livre bis. Complément du livre précédent. 7 50
3" Livre. Exercices un peu plus difficiles avec
l'usage de la clef de /a 7 50
4* Livre. Variations faciles et brillantes ... 7 50
G. FALKENBERG. Les pédales du piano, avec
17U exemples, net 10 »
BENJAMIN GODARD. Op. 42. /2 études artistiques,
net 15 »
— Op. \Q1. 12 Twuvelles études artistiques, net. 15 »
Les 24 études réunies, net 25 »
F. GODEFROID. L'école chantante du piano :
1" livre. Théorie et 72 exercices et mélodies-
types 25 »
2" livre. 15 études mélodiques pour les pe-
tites mains 12 »
3" livre. 12 études caractéristiques (plus
difficiles) 12 »
F. HILLER. Op. 15. 33 grandes études d'artiste . . 20 »
KALKBRENNER (FR.). Op. 108. Méthode complète
de piano, 20' édition 25 »
— Petite méthode (extraite de la grande) .... 12 »
— Gammes dans tontes les positions 7 50
— Op. 20. Étitdes dédiées à démenti 25 «
— Op. 88. Vingt-quatre préludes 25 »
— Op. 108. Douze études pour l'indépendance
des doigts 9 »
— Op. 126. Douze études préparatoires .... 12 »
— Op. 161. Douze autres études préparatoires . 12 »
— Op; 169. Vingt études progressives 12 »
KESSLER. Études 24 »
KOSZUL. Préludes, 2 livres, chaque 12 »
THÉODORE LACK. Cours de piano de W^" Didi:
Exercices de M"" Didi 10 »
Gammes de M"" Didi 5 »
Etudes de M"» Didi (1" livre) 10 )>
Etudes de M"« Didi (2" livre) 10 »
LEBOUC-NOURRIT (M""' CH.). Petit manuel de me-
sure et d'intonation à l'usage des jeunes enfants :
60 tableaux calques en 5 cahiers, belle édition.
Chaque, net 2 »
— Les mêmes tableaux, édition populaire. Chaque
cahier, net 1 »
MATHIS LUSSY. Exercices de piano dans tous les
tons majeurs et mineurs, à composer et à écrire
par l'élève, précédés de la théorie des gammes,
des modulations, etc., etc., et de nombreux
exercices théoriques, net 7 »
— Carton-pupitre-exercice du pianiste, résumant
en six pages toutes les difficultés du piano et
donnant toutes les formes de gammes et d'exer-
cices, net 3 »
— Traité de l'expression musicaie, accents, nuan-
ces et mouvements dans la musique vocale et
instrumentale, net 10 »
— Concordance entre la mesure et le rylhme, net. 1 »
— Le rythme mîisical, son origine, sa fonction et
son accentuation, net 5 »
G. MATHIAS. Études spéciales de style et de méca-
nisme, 2 livres, chaque 15 »
— Op. bS. 12 jjièces symphoniques 10 »
A. MARMONTEL. Op. 60. L'art de déchiffrer,
100 petites études de lecture musicale, 2 livres,
chaque 12 » et 18 »
— Op. 80. Petites études mélodiques de méca-
nisme, précédées d'exercices-préludes 18 ' »
— C -. 85. Grandes études de style et de bravoure,
net 12 »
— Op. 108. 50 études de salon, de moyenne force
et progressives, net 15 »
— Op. 111. L'art de déchiffrer à quatre mains,
50 études mélodiques et rythmiques de lecture
musicale, 2 livres, chaque 15 »
— Op. 157. Enseignement progressif et j'ationnel
du piano, école de mécanisme et d'accentuation :
1" cahier. Tons majeurs diésés, net . ... 4 »
2* — Tons majeurs bémolisés, net . . 4 i>
3" — Tons mineurs diésés, net ... . 4 »
4° — Tons mineurs bémolisés, net . . 4 »
5" — Gammes cliromatiques 1 »
L'ouvrage complet, net 15 »
A. MARMONTEL (suite). Le mécanisme du piano^
7 grands exercices modulés, résumant toutes les
difficultés usuelles du piano :
I. Les cinq doigts 9
II. Le passage du pouce 9
III. L'extension des doigts 9
IV. Les traits diatoniques 9
V. Nouvelle étude journalière 9
VI. Difficultés spéciales 9
Les 3 premiers exercices élémen-
taires réunis, net 7
Les 3 exercices supérieurs réunis,
net 7
Les 6 exercices réunis, net 12
VII. Gammes en tierces etarpèges (exercice
complémentaire) 9
— Conseils d'un professeur sur l'enseignement
technique et l'esthétique du piano, net 3
— Vade-mecumdu professeur de piano, catalogue
gradué et raisonné des meilleures méthodes,
études et œuvres choisies des maîtres anciens et
contemporains, net 3
, Conseils et Vade-mecum réunis, net. . . . ' 5
— Eléments d'esthétique musicale et considéra^
tiom sur le beau dans les arts, net 5
— Histoire du piano et de ses origines, net ... 5
N. NUYENS. Avant la gamme, 6 petits morceaux
faciles 7
— Les fêtes de famille, 6 petits morceaux faciles. 7
— Esquisses 7nusicales, 12 études de style. . . .12
LVEILI^F. Exercices de virtuosité, net 3
H. ROSELLEN. Méthode élémentaire 25
— Manuel du pianiste, exercices ioxii-nalievs . . 12
J. RUMMEL. 24 préludes dans tous les tons .... 7
A. SCHMIDT. Études et .
C. STAMATY. Le rythme des doigts, exercices-types
à l'aide du métronome 15
— Abrégé du rythme des doigts 10
— Chant et mécanisme :
1" livre. Op. 37. 25 études pour les petites
mains 12
2' livre. Op. 38. 20 études de moyenne diffi-
culté 12
3° livre. Op. 39. 24 études de perfectionne-
ment 18
— Les concertantes, 24 études spéciales et pro-
gressives, à quatre mains, 2 livres, chaque 15 et 18
— Op. 21. 42 études pittoresques 20
FR. STRŒPEL. Méthode complète de piano .... 24
— Ouvrage complet pour les cours de piano, ren-
fermant l'enseignement mutuel et concertant
pour plusieurs pianos, 3 livres, chaque, net . . 5
— Enseignemeiu indiînduel et collectif, 3 suites,
chaque, net 5
A. TROJELLI. Petite école élémentaire du piano à
4 mains (la 1" partie d'une extrême facilité, sans
passage de pouce et sans écarts; la 2° partie
écrite dans la moyenne force pour le professeur
ou un élève plus avancé), 2 cahiers de 12 n"',
chaque 7 5D
H. VALIQUET. La mère de famille, alphabet des
jeunes pianistes ou les 25 premières leçons de
piano, tliéorie élémentaire de A. Elwaht, net , 3 »
— Exei'cices rythmiques et mélodiques du p7'emier
âge 12 =•
— Le premier âge ou le Berquin des jeunes pia-
nistes :
1. Op. 21. Le premier pas, 15 études très ''
faciles 9 »
2. Op. 17. Les grains de sable, 6 petits mor-
ceaux sur les cinq notes 7 50
3. Op. 22. Le progrès, 15 études faciles pour
les petites mains 9 »
4. Op. 18. Contes de fées, 6 petits morceaux
favoris 9. »
5. Op. 23. Le succès, 15 études progressives
pour les petites mains 10 »
6. Op. 19. Les soirées de famille, 6 petits
morceaux brillants 12 »
Les brins d'herbe, 6 petits morceaux faciles. 7 50
VIGUERIE. Méthode 15 »
— l'" partie de la méthode, augmentée de 12 ré-
créations très faciles par A. Thys 9 *
A. VILLOING. École pratique du piano, net ... . 20 »
GÉZA ZICHY. fi études pour la main gauche seule,
net 10 »
**• Le piariiste lecteur, 2 recueils progressifs de ma-
nuscrits autographiés des auteurs en vogue, piour
apprendre à lire la musique manuscrite, chaque
recueil, net 7 »
CLAVIER DÉLIATEUR de JOSEPH GREGOIR — VÉLOCE-MANO de M. FAIVRE
IMPRIUERIE CEHTRALB I
i DE FER. —
; BERGÈRE, 20. PARIS.— n^-i^'-IO f" Œûcre Lormeiu).
Dimanehe 13 Octobre 1901.
3681. - 67- mm - ^'U. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 "•, rue TiTienne, Paris, n- m»)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
Le HuméPo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie KatnéFo : 0 fr. 30
Adresser franco h. M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6m, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEITE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (33' article), Paul d'Estrées. —
II. Petites notes sans portée: La statue de Gluck, musicien français, Raymond Bouyer. —
III. Le Tour de France en musique : En pays noir, Edmond Neukomm. — IV. Richard
Wagner révolutionnaire, 0. Berggruen. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE DIABLE AU CORPS
polka de Heinrich Strobl. — Suivra immédiatement : Valse capricante, de
Théodore Lack.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Chanson d'automne, d'ANDRÉ Messager, poésie de Paul Delaih. — Suivra im-
médiatement : Le Marquis à la Marquise, sonnet de Rodolphe Bringer, mis en
musique par Gabriel Vehdalle.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les mémoires les plus recenls et ûes flocemenls iiiMits
(Suite.)
IX (suite)
En somme, du jour où il se retira sous sa tente, Rossini pro-
duisit fort peu ; et pour donner de ce quasi-mutisme une expli-
cation plus... acceptable que celle adoptée par la physiologie,
ses amis racontaient l'historiette suivante. Un soir, après avoir
joué les premières mesures du sextuor de Don Juan sur son piano,
Rossini avait fermé l'instrument et déclaré :
— Musiquer après ceci, c'est porter de l'eau à la rivière.
Vraiment, il avait mis du temps à s'en apercevoir. Désormais,
nul mieux que lui ne justifia l'expression proverbiale s'endormir
sur ses lauriers. Il vécut de sa gloire passée; et son indolence
naturelle, qui avait repris le dessus, s'accommoda d'un far niente
auquel un second mariage allait ouvrir des horizons encore plus
dorés.
Il épousa en effet, vers 1864, cette belle Olympe Pélissier,
dont la vie romanesque agrémente de piquants détails les notices
de Trémont et les Souvenirs (1) beaucoup plus récents de
M"'" Tascher de la Pagerie.
(1) M"* Tascher de la Pagebie. — Mon séjour aux Tuileries; OUendorlI, 1893.
La future femme de Rossini avait pour mère une M°" Cardinal
qui avait élevé la carrière de la galanterie à la hauteur d'une
institution. Aussi trouva-t-elle pour sa fille un magnifique
protecteur dans la personne d'un anglais qui lui constitua
25.000 francs de rente. Olympe, très indépendante de caractère
et d'allures, s'afîranchit alors de tout servage; mais son bien-
faiteur s'étant ruiné, elle lui restitua le quart de son revenu.
Sa liaison célèbre avec Horace Vernet date de cette époque.
Leurs amours furent passionnées et farouches. Olympe était la
femme de toutes les querelles et de toutes les violences. Une
nuit, le peintre, dans un demi-sommeil, la voit arriver sur lui,
dans sa longue robe blanche, les cheveux épars, et le poignard
à la main. Horace s'arrache résolument à la torpeur qui l'en-
gourdit et saisit sa maltresse au poignet.
— Ah ! ça, lui dit-il, pas de bêtises. Olympe I
C'était à se demander si la jeune femme ne voulait pas réa-
liser la scène du tableau de son amant, Judith et Holoijherne,
où elle posait précisément pour la Juive homicide.
Une autre fois, Horace passant sous sa fenêtre, elle le bom-
barda d'oreillers. L'artiste estima sans doute que son duo
amoureux avait duré suffisamment, car, à quelques jours de là,
il disait à Schickler, le Grésus de la place Vendôme :
— Tenez, la voilà, je vous la donne.
Son interlocuteur prit le mot et la chose au sérieux. Mais
Olympe n'était pas de cet avis et découragea les espérances de
ce successeur imposé. A l'issue d'une visite où il avait supplié
vainement l'inflexible, Schickler avait glissé sous la pendule du
salon soixante billets de mille francs. Olympe s'aperçut du
stratagème, et, rappelant le donateur, elle l'accabla du poids de
sa colère. Schickler, irrité à son tour, jeta la liasse de billets
dans le feu ; mais déjà Olympe opérait le sauvetage des pré-
cieux chiffons; elle en put ressaisir quarante, qu'elle obligea le
prodigue à reprendre. Lui partit furieux.
M'" Pélissier fut pareillement l'inspiratrice et l'amie du roman-
cier Eugène Sue. Au reste, elle était très répandue dans le
monde des arts, et nous avons découvert, parmi les autographes
de Trémont, le billet qu'elle adressait en 1843 à Auber — billet
d'autant plus intéressant qu'il nous montre le musicien sous
l'aspect, jusqu'alors peu connu, d'écrivain et d'écrivain... spé-
cialiste.
Grand Maître,
Je viens vous rappeler votre gracieuse promesse : je me réjouis de pouvoir
offrir à la princesse quelques-unes de vos délicieuses pensées. Les noms de
la princesse sont ceux-ci: Dona Maria Hercolani, née Mulvezzi.
Recevez à l'avance, maître, l'expression de ma vive gratitude.
Votre affectionnée,
0. PÉLISSIER.
Dans les Lettres à l'Étrangère, lettres inédites, adressées à la
comtesse Hanska et récemment publiées par le vicomte de
322
LE MENESTREL
Spœlberch de Lovenjoul (1). Balzac est amené à parler d'O-
lympe. Rossini Ta « fait diner (17 novembre 1833) avec sa mai-
tresse, qui est précisément la belle Juditb, l'ancienne maîtresse
d'Horace Yernet et de Sue, lu sais? » Le peintre puissant de la
Comédie humaine ne dédaignait pas les pointes.
Olympe n'était pas toujours une tigresse; elle était parfois une
chatte. On m vu comment elle caressait doucement le « Grand
Maître » Aiiber; elle sut prendre à ce jeu raflîné Rossini, qui
répousa et ne vit bientôt plus que par ses yeux. Avant de plaire
au seigneur du logis, il fallait avoir charmé la maîtresse
de la maison.
Or, le meilleur moyen d'y parvenir, c'était de continuer
autour du maestro cette adoration qu'entretenait savamment
jjme Olympe et dont M"" Récamier avait donné l'exemple à: ses
contemporains, dans le sanctuaire de l'Abbaye-aux-bois , où
trônait Chateaubriand.
Gustave Glaudin a signalé sur le mode plaisant cette idolâtrie,
qui était peut-être sincère, mais qui s'afHrmait par un exclusi-
visme particulier contre toute autre musique que « la musique
du propriétaire ». La maîtresse de la maison le fit aigrement
sentir à Gounod, qui s'était avisé de jouer, dans le petit hôtel de
Passy, une sonate de Chopin. Mais certains visiteurs du maestro
savaient lui faire comprendre qu'ils n'étaient pas dupes de cette
petite manie concertante : témoin Meyerbeer, à qui Gustave Clau-
din prête un mot bien connu dont, par parenthèse, lui, Glaudin,
pourrait bien être le père. Rossini disait à son confrère, qui s'infor-
mait des nouvelles de sa santé ;
— Hélas! mon pauTFe ami, je vieillis bien.
— Mais non, mais non, repartit. Meyerbeer; seulement, vous
vous écoutez trop.
(A suivre.) Paul D'EsTRiiES.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXYI
LA STATUE DE GLUCK, MUSICIEN FRANÇAIS
A Madame Jeanne Raunay.
— L'autre soir, en tâchant d'élucider la rupture entre Berlioz et
Delacroix à l'occasion de Mozart, vous prétendiez intituler un nouveau
chapitre et définir une phase nouvelle d'un grand débat; mais n'est-ce
pas Victor Hugo qui a dit, ou à peu près : « Les misérables mots à que-
relle, classique et romantique, sont tombés dans l'abîme de 1830, comme
gluckiste et piccinnlste dans le gouffre de 1789. L'art seul est resté... »
— Parfaitement! C'est, je crois, dans la préface même de Cromioe!/,
l'Art poétique du romantisme; non, je me trompe, dans la préface de
Marion Delorme (3). Et, libéral, l'auteur ajoute : « Maintenant, l'art est
libre; c'est à lui de rester digne ». La liberté vient, les étiquettes s'ef-
facent, les querelles s'oublient; mais, par cela même que l'art seul de-
meure, que
Rien ne reste, que la splendeur de notre rêve (4),
les -grandes réTolutions qui le travaillent intérieurement sont éternel-
les. Le mot change et la chose persiste. Il y aura toujours des Piccin-
nistes et des Gluckistes, parce qu'il y aura toujours des compositeurs
ou des mélomanes qui tiendront pour la beauté pm'e et d'autres pour
la force expressive. Éternellement il y aura des plastiques et des pathé-
tiques.
— Affaire de nuances !
— Mais ces nuances-là sont les catégories mêmes des arts et des âmes.
Il n'y a plus d'art ni de sentiment humains sans ces nuances. Observez
n'importe quelle époque, à travers toutes les métamorphoses du cos-
tume et de la voix : vous y retrouverez toujours en présence Gluck et
Piccinni. C'est la loi fondamenlale des intelligences tournées vers le
Beau. C'est la logique dédoublée- qui se fait chair. Et quand je traite le
dilettante Eugène Delacroix ou Mozart lui-même de;)iccTO«is/e.je m'en-
tends, je sais ce que parler veut dire. Tenez, Wagner aussi...
(1) H. DE Balzac. —Lettres à l'ÉlraïUjère; C. Lévy, 1899.
(2) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15,22 et 29 septembre 1901.
_ (3j Préface datée du mois d'août 1831.
(4) Vers du regretté poète Albert Samain, dans une Symphonie héroïque.
— Quoil ^Yagner yj(Vci««iVe à son tour? Ce serait trop fort, bien que
les paradoxes entassés vous pèsent si légèrement sur le front !
— Frappe, mais écoute.,.
— Je vous écoute, monsieur. Je frapperai plus lard...
— Il ne sera plus temps! Soyons sérieux. Savez-vous bien, mes chers
contradicteurs, où notre Berlioz s'emportait si méchamment contre les
fioritures intempestives de l'orpheline Donna Anna?
— Oui! N'est-ce pas, curieusement, dans le feuilleton qu'il intitule :
Concerts de M. Richard Wagner et la Musique de l'Avenir? Ou le trouve
reproduit dans A travers chants. Berlioz et Wagner : les frères ennemis,
ceux là, sans conteste, malgré l'usage de toutes les belles protestations
réciproques et la majesté de la dédicace de Tristan : « Au grand et cher
auteur de Roméo et Juliette, l'auteur reconnaissant de Tri.slan et Isolde ! »
— Une telle dédicace en si beau français promettait mieux...
— En face de Tamihàuser, l'auteur des Troijens discute âprement « la
musique de l'avenir », en concluant : « Non credo/ » C'est net. Et,
d'autre part, Richard Wagner écrivait d'Hector Berlioz : « En dépit de
son caractère déplaisant, il m'attira beaucoup plus ; il y a entre lui et
ses confrères parisiens cette énorme différence qu'il ne fait point sa
musique pour s'enrichir. Mais il ne peut écrire pour l'art pur; le sens du
Beau lui manque... » (1).
— Bravo! Bravissimo! comme dirait Mozart... Quand je vous l'affir-
mais, qu'au lieu de me frapper vous me fourniriez dos armes! Écoutez
bien les derniers mots que vous venez de proférer : « Berlioz ne peut
écrire pour l'art pur et le sens du Beau lui manque... » L'art pur/ Le
sens du Beau, mais cela, c'est tout le Piccinnisme et le Mozartisme en per-
sonne ! Si Berlioz, musicien français, s'est déclaré contre Mozart en
faveur de Gluck, Wagner, compositeur essentiellement allemand, tient
pour Mozart contre Gluck, moins national et moins pur. Et si le géant
des Niebelungen met au-dessus de tous le précm-seur de la Zauberflote,
ce n'est pas seulement parce que cette Flûte enchantée devance le cor du
Freischillz et qu'elle est le premier des opéras allemands tant par la
grâce naïve de ses lieder que par la science dissimulée de ses fugues.
Non ! L'Allemand Wagner adore l'Allemand Mozart parce que le rossi-
gnol de Salzbourg est né le plus mélodieux des êtres. Ije magicien du
drame musical ne s'est-il pas laissé prendre lui-même à son propre
piège : la musique, et les Murmures de la Forêt n'ont-ils pas sulijugué
Siegfried? Et voyez comme tout s'enchaine et se tient mystérieusement!
Berlioz est dur pour le petit Mozart; mais Wagner est injuste pour le
grand Gluck : assurément, il ne le traite point de haut en bas comme
' l'osait une certaine marquise de Bayreuth...
— Un nom prédestiné!
— N'est-ce pas? Cette dame, une vol tairienne et la sœur du grand
Frédéric (excusez du peu!), traitait le chevalier Gluck de monstre et de
Thersite musical parce qu'il fut robuste et militant. « Sa musique me
-tue », soupirait-elle dans ses Mémoires... Aveu précieux! La marquise
pensait comme M. le baron de Grimm écrivant : « Je viens d'entendre
Orphée. Cet ouvrage m'a pai'u à peu prés barbare. La musique serait
perdue si ce genre pouvait s'établir. Mais j'ai trop bonne opinion des
Italiens, nos maîtres, pour craindre... »
— L'orage de 89 ne dut point surprendre plus magnifiquement les
galants bergers de Trianon... Mais la bridante M'"' de Lespinasse n'au-
rait-ellepas riposté de verve à ses amoureux transis : « Je sors d'Orphée...
il a calmé mon âme... » Puis, brusquement, avec un revirement si
féminin : « Je vais sans cesse à Orphée et j'y suis seule... Cette musique
me rend folle ; elle m'entraîne ; je ne puis plus manquer un jour : mou
àme est avide de cette espèce de douleur. Ah! mon Dieu! que jesuis
peu au ton de tout ce qui m'entoure!... » (2).
— Sans doute! Mais la pauvre mondaine passionnée communiait
avec le génie naissant dans le monde. Et ses paroles mêmes auraient
prêté des arguments à ses adversaires. Tout germaniques qu'ils étaient,
le baron de Grimm et la, marquise de Bayreuth ipeusaient alors comme
tant de personnages qui, certes, n'étaient pas des imbéciles, mais des
gens de lettres qui préféraient, de père en fils, la médiocrité poudrée, la
suave élégance aux sublimes éclairs de la Lyre. Déjà le feu sacré de
Julie de Lespinasse aurait pu leur suggérer le mot de Nietzsche sur' le
philtre d'Yseult : « Cette musique est un art malade... » Pour le baron
comme pour la marquise, Gluck était d'avance un wagnérien ...
— Je vous y prends ! Vous aussi, fatalement, vous rapprochez Wagner
de Gluck, l'héritier puissant de son noble ancêtre!
— Tout beau! Nous allons bien voir... Oui, Richard Wagner aurait
_pris parti pour le. grand Gluck contre toute la gent trotte-menu de ces
, petits Piccinnistes qui n'arboraient guère, pour excuse, le génie de Mozart :
(1 1 Dans V Esquisse biographique, traduite par M. Camille Benoît (1883). — Cf. le Ménes-
trel du 8 aVi-iri900 : Enire génies; Berlin:, et Wngner.
(2) Letirei de M"' de Lespinasse (septembre-octobre 1174), Tannée (VOrpliéel
LE MÉNESTREL
323
tel M. Camille Saint-Saêns, peu wagnérien cependant, qui résolument,
dès le premier accord, a pris fait et cause pour le Prélude de Lohengrin
contre les rires des Philistins... Assurément, le dieu de Bayreutli ne
parlait point comme la marquise : toujours est-il que Wagner fut
injuste envers son maître. Il fut ingrat ; délit plus grave! Ne lui refuse-
t-il point « toute innovation dans l'air aussi bien que dans le récitatif»,
en incriminant ces ballets, divins hors-d'œuvre, dont Gluck rasséré-
nait sa Melpomène? Divin de même, en son genre, avec plus de savoir
et moins de majesté, le Mozart de Cosi fan tutte et même de la surnatu-
relle Zauberflole s'est-il manifesté plus novaleur? Les révolutions
n'étaient pas son fait. Il est vrai qu'il est mort si jeune, et que son
dernier soupir fut celui-ci : « J'allais écrire selon mon cœur! »
— Contentons-nous du peu qu'il nous laisse...
— Résignation facile, au sein des chefs-d'œuvre ! A force de répéter
que Mozart est mort à trente-sis ans, on souligne sa grîice en oubliant
sa puissance. Mais Gluck et Mozart n'en symbolisent pas. moins
deux esthétiques et deux destinées : la volupté jeune en face de la
vieillesse éloquente. Une certaine Lettre, datée de Vienne et du 27 sep-
tembre 1781, n'est-elle point la négation même de ces fiéres Épllres
dcdicaloires où le créateur à'Alcesle entrevoyait des horizons si nou-
veaux en plaidant simplement sa cause? Ces Épitres sont la poétique
sublime du vieux maître. Et la jeunesse mélodieuse de Mozart les
biffait cavalièrement d'un trait de plume en sacrifiant tout à la mu-
sique... Aussi les musiciens purs lui décernent-ils, reconnaissants, le
prix de la Beauté. Gluck, musicien français, fat l'B-\pression même; et
ce mot ne résume-t-il pas tout Berlioz, le plus convaincu.de ses adora-
teurs et le plus religieux des Gluckistes? L'Expression, c'est-à-dire
l'essence et la raison. d'être de la tragédie lyrique. Au dire même de ses
admirateurs et de Berlioz, la musique absolue du chevalier Gluck parait
très inférieure à la perpétuelle invention de sa musique scénique, et
ses graves ouvertures pâlissent étrangement auprès des badinages érur
dits du nerveux Mozart. Mais quel plus vivifiant exemple que celui de
ce pauvi-e compositeur allemand, longtemps chétif, inconnu, bafoué,
dans l'incertitude même de son avenir, et dont Haendel pouvait dire :
(( Mon cuisinier est plus musicien que ce monsieur! f S'il échoue dans
l'opéra italien, c'est que l'opéra italien lui répugne. Il y a des aversions
natives. Et, peu à peu. Gluck devient Gluck, il échappe à l'afTêterie
napolitaine pour ne garder de ses mauvais souvenirs que le sentiments
latin de la forme; il vient en France, et ce Grec en exil a reconnu sa.
patrie. Ses œuvres italiennes, il les épure, il les échauffe, il les ennoblit,
pour transfigurer le goût des auditeurs nouveaux de son choix. Lutteur,
il chérit la lutte : d'abord, il a combattucontre soi-même pour se refaii'e
naïvement grand; puis, il intimide ses adversaires à coups de chefs-
d'œuvre. Et sa verte vieillesse ne fut qu'une âpre victoire. Et toute la
vraie lignée française a raison de saluer ce continuateur éloquent de
Rameau; c'est Grétry, précurseur des innovations wagnériennes, et
Lesueur et Méhul, et Berlioz et Reyer, et Saint-Saêns, qui tient de
notre Berlioz cette foi gluckiste, et le Massenet des Erinnyes, et le
Bruneau de la Musique Française, qui reconnaît l'héritage (1). Que di-
riez-vous, non loin de Mozart, de la statue de Gluck, nuisicien fran-
çais (2)?
— Je n'y verrais nul inconvénient, pourvu que le bronze ne devint
pas un bon prétexte à délaisser l'œuvre...
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
vn
EN PAYS NOIR
Deux races caractérisent l'ouvrier stéphanois : la race blanche, qui
tisse les merveilleux rubans, orgueil de notre industrie, et la race noire,
qui travaille le fer et lire de la mine la houille aux reflets sinistres. A
cette catégorie appartiennent aussi les charbonniers, hôtes des grands
bois. Nous les retrouverons.
C'est à la race blanche qu'appartient l'alerte ourdisseuse qu'on voit, à
l'heure de midi, se précipiter hors de son atelier, pour remplir la rue
de son babil et de ses refrains. L'ourdisseuse, c'est le sourire de Saint-
(I) .\lfrud Druneau, lu Musique Française (Paris, rasquelle, 1901).
'il Voir le Ménestrel du 8 seplemjjrc 1901 : lu slutue de Mozart.
Etienne, ville triste par nature. Partout des bruits de ferraille, des coups
de marteau. Passez dans une rue, la plus large comme la plus étroite,
ce n'est qu'un vaste atelier. Puis, tout autour de Saint-Étienne, c'est
la mine, la funèbre mine, la mine de Germinal, dont l'idée seule vous
fait monter une sueur noire au front.
Eh bien, n'en déplaise à l'auteur de l'Assommoir, les mineurs, malgré
la vie de ténèbres et de dangers qu'ils mènent, ne sont pas, leur travail fini,
aussi sombres (.pi'il veut bien les dépeindre. Ils ont leurs réunions, leurs
veillées, comme les gens de la campagne, et les histoires n'y chôment
pas. Les légendes y vont aussi leur train, car la mine a ses légendes, le
plus souvent d'une naïveté enfantine, comme celle du Lajyin blanc, qui
reste en plan faute de dénouement, mais qu'il ne ferait pas bon de
mettre en doute devant ces braves gens : Un jour, un mineur s'imagine
voir un corpsblanc courir et se blottir dans un conduit de fonte. — Tiens,
un lapin qui vient d'entrer lâ-dedans! pense-t-il; et il court au tuyau
dont il bouche une extrémité en criant à un de ses camarades de regar-
der par l'autre bout. Celui-ci se penche, approche sa lampe de l'orifice
et ne voit rien... Les deux amis restent confondus : un lapin blanc est
entré dans la conduite, dont les deux extrémités ont été fermées de,
suite, — et rien!... Le lapin est un esprit!... Autrement, comment
expliquer sa disparition?
La légende du Petit Mineur a une physionomie plus piquante. Le
petit mineur est un gnome à l'air mutin, qui fait des niches aux ouvriers,
les taquine, les tourmente. Un outil se casse, une lampe s'éteint, un
vêtement se déchire, une pierre se détache, tout cela est l'œuvre de
l'espiègle esprit, provient de liulluence narquoise du petit mineur. Son
intervention, maligne est surtout redoutable pour l'ouvrier qui s'est laissé
aller à travailler le dimanche. Par contre, il se fait le compagnon familier
du minem' en son logis, surtout lorsqu'on y est en fête, ce qui est fré-
quent. A la Sainte-Barbe surtout, il se manifeste sous les formes les
plus aimables. C'est lui qui insuffle aux convives les traits les plus gri-
vois et les refrains les plus en situation. A ce compte, il nepeut manquer
d'avoir été le parrain d'une chanson de circonstance que les mineurs
entonnent au dessert, après chaque repas de fête.
C'est un curieux morceau de littérature souterraine. Les règles, de la
prosodie la plus élémentaire y sont traitées avec un réel dédain, et le
nombre des pieds dont se compose chaque vers n'arrête en rien dans son
essor l'imagination de l'auteur. L'orthographe esta l'avenant, elle dépasse
de beaucoup les licences permises par les réformes édictées en ces der-
niers temps ; quant à la musique, c'est une suite incohérente de sons
lents et traînards, faits bien plutôt pour endormir que pour égayer l'au-
ditoii'e. Elle se chante le plus souvent avec accompagnement de gonfle
ou musette, qui la rend supportable. Enfin la voilà :
Braves mineurs, puisque nous somm' ensemble,
...0 bé! 0 hé! il faut nous divertir.
Dans ces rocbers
Nous sommes exposés ;
Malgré le danger,
11 nous faut travailler.
Mais quante nous sommes de sincenpiéesen terre,
Nous ne crégnions ni grêle ni tonner';
Mais souvent la pluit
Nous tose de l'ennuie ;
Tout cela ne fait pas-peur
A, ces brave mineurs.
Mais- quante je suis dans un ci beaut fonsçage,
...A! qp.e le temps il me deviea charmant 1
Auprès d'une métresse
Qu'ell et jolie et belle...
Quante j'ai charger mon charmant coup de mine.
Et que la poudre et prête à éclater,
A ! par une canette
Qui é toujours prête.
Dans un peut de temps '
11 y a du changement.
J'ai parcquourûe les puissance étranger',
... Mais s'est la France la plus belle;
Mineur de ouille,
Mineur de plâtre auç.ie,
Dans ce département
On le sais bien soizir.
Si vous cquonnesçier le directeur des mine,
...Oui, sais t'un brave et beaune entaat;
Qu'ante il vois veuire
Tous ces mineur charmant,
Mais cela lui fait plaizir
De leur conttev de largeans.
Quisqu'a composser cette èmable chanssonnette?
...Sais trois mineur du renom, et pas Ijète,
324
LE MÉNESTREL
En venan de Bianzie
Pour venir à caintétiene,
Tenant sur ces jenoue
La plus belle de ces amie.
Qu'on ne croie pas que les passages et les mots remplacés par des
points soient contraires à la morale. La plus parfaite décence n'a cessé
de présider à l'élucubration de cette pièce poétique, et le goût épuré des
trois auteurs du renom sort indemne de cette supposition. Leur calligra-
phie est seule en jeu, le copiste chargé de transcrire pour les Français
peints par eux-mêmes cette émable chansonnette n'ayant pu en déchiffrer
tous les détails. Pour les variantes dont elle est susceptible, inutile de
dire que l'avant-dernier couplet subit des changements, suivant que le
directeur s'est montré plus ou moins généreux dans la répartition de ses
pourboires.
Et maintenant, allons voir d'autres noirs : les charbonniers.
Le charbonnier est un nomade, doublé d'un indépendant. Calfeutré
dans sa cabane couverte de mousse il nargue l'intempérie des saisons,
et quand le temps est beau , il hume avec délices l'air vivifiant des grands
bois. Il est gai par nature et ne dédaigne pas la gaudriole. Écoutez-le,
lorsque dans sa main noire reluit l'argent blanc que vient d'y verser le
commis de vente, il chante sa chanson de la bonne recette (1), contem-
plant avec amour sa meule où ronronne la braise, source de bénéfices
toujours nouveaux :
— Ctiarbonnier, mon ami,
Combien vends-tu ti charge?
— Hélas, madame,
J'en veux bien quinze francs...
Et vos amours compris dedans.
— Charbonnier, mon ami.
N'en veux-tu rien rabattre ?
— Hélas, madame.
J'en rabats un écu;
C'est du charbon de bois menu.
— Charbonnier, mon ami,
Monte-le à ma chambre;
Monte-le vite,
Et vite et promptement.
Que je l'y compte de l'argent.
— Charbonnier, mon ami,
Que ta chemise est noire I
— Hélas! madame.
C'est l'état du métier :
Chemise noire au charbonnier!
L'argent ne fut pas compté,
Cliarbonnier la regarde :
— Hélas, madame,
Reprenez votre argent.
De vos amours j'y suis content.
— Charbonnier, mon ami.
Où ce donc que tu demeures?
— Hélas, madame.
Le long du bois tout rond.
Là où ce que les bons enfants y s
— Charbonnier, mon ami,
Tu as une jolie fille?
— Hélas, madame.
L'est belle comme le jour !
Le fils du roi lui fait la cour!
— Charbonnier, mon ami.
Tu as une jolie femme?
— Oh ! oui, madame.
Sans dire du mal de vous,
L'est cent fois plus belle que vous !
Il chante cela, le charbonnier, quand il a fait honneur au Petit Châ-
teaumorand, le cru guilleret de Saint-Haon, et le jour seulement, car la
nuit, et même le soir, sitôt que la meule fumante commence â répandre
une rouge lueur dans les profondeurs du taillis, et que souffle le vent,
et que frémissent les feuilles sèches, il se sent pris d'épouvante, et
après avoir donné le coup d'œil du maître à ses feux couverts, il revient,
en courant, se blottir en sa tanière où les apparitions les plus terrifiantes
hantent sa couche de fougères. Il a rencontré, il en est sûr, Gabriel le
Loup près des pierres grises ; et il en est tout tremblant encore, quand
soudain, de la rafale qui mugit des grondements sourds s'élèvent. Ils
se rapprochent, on entend des cris, des aboiements. C'est la Chasse ma-
ligne, la chasse menée par Satan lui-même sous la forme du Marmouton,
le mouton mâle, « qui parle entre ses dents » . Son gibier favori, c'est
le sorcier maudit qui se cache au fond du bois et sent sa fin approcher.
Halali! Halali! A moi chiens, loups et vautours! Quelles brâmées!
Les fanfares déchirent l'air, les fouets claquent, et les arbres, courbés
par l'infernale tourmente, s'inclinent sur le passage du cortège fantas-
tique.
Et il entend tout cela, le malheureux charbonnier, couvert de sueur
la tête enfouie dans ses herbes, égrenant fébrilement les boules de son
chapelet. La chasse le frôle. Une voi.x de stentor lui crie : Enfourche ta
maigre cavale, et viens avec moi; le sorcier t'attend, tu seras de la
curée. Et il lui semble qu'il est transporté dans les airs, qu'il vole avec
des ailes de chauve-souris I Haloh! le vent mugit! Sous ses yeux
cent chiens enragés, la gueule ensanglantée, fondent .sur leur proie
palpitante, le sorcier dont le jour est venu !.. .
Haletant, le pauvre diable sort en se débattant de son horrible
cauchemar. Il fait encore nuit; à peine l'aube commence-t-elle à des-
siner de hâves percées à travers les arbres, et les objets ont encore des
contours fantastiques. Mais le devoir appelle au-dehors le tremblant
charbonnier. Il sort, la tête encore pleine de vertige. Heureusement la
clairière ne tarde pas à s'inonder de soleil, et ses idées sombres com-
mencent à se dissiper. Le Petit Chu teaumorand fera le reste. Puis la
chanson reprendra :
(1) Cette clianson est extraite des Légendes foréziennes, par Frédéric Noëlas
— Charbonnier, mon ami.
Combien vends-tu ta charge?
Charbonnier, mon ami.
Où ce donc que tu demeures?
Mais que le vicaire, qui fait sa ronde dans les meules, ne l'entende
pas! Il est à cheval sur les principes, le bonhomme, et quand son
pénitent viendra le supplier de le débarrasser du Marmouton, il lui
chantera, à son tour :
Quand il s'agit d'aller au mal,
La femme est un prompt animal ;
Quand le diable la met en danse,
La femme a mitle pas d'avance.
C'est vrai, le calcul est bon :
La femme a mille pas peut-être
Mais si prompte qu'elle puisse êtra,
L'homme les fait en un seul bond I
Et il ajoute sentencieusement :
— Si le diable en braie est malin, défie-toi du diable en cotte.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
RICHARD WAGNER RÉVOLUTIONNAIRE
Tout a été dit au sujet de la fameuse aventure de Richard Wagner
qui fit un exilé politique de l'ancien hofkapellmeister du roi de Saxe et,
après la nouvelle édition de la biographie du maître par M. Glasenapp,
on pouvait croire qu'aucun détail vraiment intéressant ne serait plus à
glaner sur un champ aussi exploité. Mais voici que sous la signature de
M. Louis Schmidt, nous trouvons dans le dernier fascicule de la
Revue de l'Association musicale internationale (Zeitschrift der Interna-
tionalen Mtisikgesellschaft. — Année III, 1902, fascicule I), deux docu-
ments inédits qui jettent une nouvelle lumière sur le rôle que Richard
Wagner a joué en réalité pendant cette révolution de Dresde, dont il
devait subir si longtemps les conséquences et qui finalement a eu sur
sa vie et son œuvre une influence salutaire.
C'est d'abord une lettre adressée de Berlin par Richard Wagner, le
20 février 1863, à son avocat M. Schmidt de Dresde, lettre qui fut versée
après la mort de ce juriste à la Bibliothèque royale de Dresde. Dans
cette lettre Wagner donne à son avocat des instructions au sujet d'un
procès civil qu'un libraire de Dresde avait intenté â l'artiste et à sa
femme Minna. Il dit ensuite :
. . . Maintenant, j'ai encore une prière à vous adresser, très estimé Monsieur. Voudriez-
vous accepter la mission de vous procurer par des moyens appropriés un extrait des
chefs d'accusation concernant ma participation au soulèvement de Dresde en 1849 qui
sont contenus dans le dossier déposé au tribunal. Des amis haut placés et bienveillants
m'ont conseillé de m'opposer à la calomnie continuellement propagée que j'aurais tenté à
cette époque d'incendier le château royal de Dresde, ce qui parait un acte tellement fort
qu'on répond à chaque intervention en ma faveur dans les cercles les plus élevés qu'on
ne peut pas avoir atfaire à un homme pareil, etc. Or, il est absolument impossible
qu'une semblable dénonciation existe contre moi ; je pourrais donc, par l'extrait que je
vous demande, mettre mes bienveillants protecteurs en état de répondre à ces insi-
nuations. Mais si une accusation semblable existait réellement dans le dossier, il me paraî-
trait nécessaire de demander qu'on ouvre une instruction nouvelle quant à ce chef
d'accusation. Peut-être vous parattra-t-il utile de vous aboucher pour cette affaire avec
le ministre d'État baron de Beust (1). Déjà, dans l'audience qu'il m'a accordée en no-
vembre dernier à Dresde, je fus amené à le prier instamment de tranquilliser, par une
déclaration favorable, le gouvernement du duc de Saxe-Weimar si bienveillant pour moi,
qu'au cas où le duc se déciderait à ni'attacher d'une façon quelconque à son service, on
n'y verrait aucune offense de la part de la coîir royale de Saxe. M. de Beust m'a promis
sérieusement d'en référer à Sa Majesté, mais on m'annonce de Weimar que cette décla-
ration calmante n'a pas du tout été faite au ministre de Watzdorf, et plusieurs indices
me font craindre qu'une grande anxiété règne encore sous ce rapport à la cour de
Weimar. Il serait donc très utile, et je vous en serais reconnaissant, si vous pouviez
obtenir de M. de Beust une intervention arrangeante et tranquillisante en ma faveur...
Cette lettre, qui nous fournit un commentaire vraiment amusant de
l'état d'àme des petites cours allemandes, même avant leur diminution
par le nouvel empire, produisit l'effet désiré. En juin 1863, son avocat
lui envoya l'extrait du dossier en forme de certificat. Voici la teneur de
ce document :
j! Sur la demande du compositeur et ancien chef d'orchestre Ricliard Wagner, et après
avoir pris connaissance du dossier de l'instruction criminelle ouverte contre lui par
l'ancien tribunal royal en suite de sa prétendue participation au soulèvement de Dresde
en mai 1849, je certifie par la présente que le dossier ne contient que les accusations sui-
vantes contre M. Richard Wagner et que ces accusations, pour la plupart, ne sont basées
que sur la déposition d'un seul témoin non assermenté ;
(1) Le baron de Beust, le ministre saxon devenu, après 1870, ministre des affaires étran-
gères d'Autriche-Hongrie, comte et chancelier de cet empire, était un bon pianiste et
aimait à composer de petits morceaux, valses, mélodies, etc. 11 était d'un abord facile et
très serviabie, mais peu sûr.
J
LE MÉNESTREL
325
a) Avant le soulèvement.
M. Wagner aurait pris part, dans l'année qui a précédé le soulèvement, à des pour-
parlers dans son jardin qui ont plus tard servi de base au traité su^ l'armement du
peuple publié par le directeur de musique Roeckel (1); il aurait assisté vers Pâques 1849
à des réunions chez Bakounine (2) ; il aurait aussi commandé vers la même époque à un
potier de Dresde 500 grenades à la main qui, d'après la déposition de ce potier, étaient
absolument sans danger, et il aurait pris livraison d'une partie au moins de ces grenades.
b) Pendant le soulèvement.
Pendant le soulèvement M. Wagner a été vu par différentes personnes dans la salle du
soi-disant gouvernement provisoire. Il aurait aussi excité une troupe de gardes commu-
nales (3) de Chemnitz, d'Œderan et de Freiberg à marcher sur Djesde et aurait conduit
par les rues une troupe venue de Zittau. Il aurait écrit à Roeckel, qui se trouvait à Prague
pendant les premiers jours du soulèvement, une lettre dans laquelle se trouverait le
passage suivant ; « On n'a qu'une peur, c'est que le soulèvement éclate trop tôt ». Le
6 mai 1849, c'est-à-dire le jour même du soulèvement, on a vu M. Wagner sur la tour
de l'église de la Croix; il y aurait observé la position des troupes et la marche du
peuple, il aurait ensuite rédigé par écrit le résultat de ses observatons et descendu le
billet attaché à une pierre. Des sentinelles l'auraient recueilli et apporté au gouver-
nement provisoire. Enfin on a transporté à son domicile, sans que le consentement de
M. Wagner soit prouvé, une malle qui appartenait à M. Bakounine.
c) Après le soulèvement.
Après la répression du soulèvement, M. Wagner a quitté Dresde. Il a rencontré Bakou-
hine et Heubner entre Tharand et Freiberg et est allé avec eux à Freiberg ; il est resté
quelque temps au logement de Heubner.
Aucune autre accusation ayant trait à la participation de M. Richard Wagner au soulè-
vement ne se trouve dans le dossier ; on n'y trouve notamment nulle part la moindre
indication que M. Wagner aurait fait une tentative ou aurait eu l'intention d'incendier le
château royal de Dresde ou tout autre monument public ou particulier.
Cette instruction criminelle contre Richard Wagner ne nous apprend
rien de nouveau, en dehors du détail fort amusant des grenades à la
main qu'il aurait commandées à un potier de Dresde et dont il aurait
pris livraison. Le brave industriel semble avoir été aussi circonspect
qu'un pharmacien auquel un inconnu commande un poison violent, car
il a déclaré que ses grenades étaient absolument sans danger. On se
demande ce que l'auteur de Rienzi a pu bien faire de ces pétards de tout
repos. Après sa fuite de Dresde il a lancé, du bout de, sa plume, plus
d'un pétard retentissant, mais on n'a jamais entendu la détonation des
fameuses grenades à la main et personne n'en a jamais parlé. Du dossier
de l'instruction criminelle contre l'ancien hofkapellmoister du roi de
Saxe se dégage d'ailleurs l'impression que celui-ci n'a nullement joué
un grand premier rôle dans le soulèvement de Dresde et que la cour de
Saxe ne l'aurait pas poursuivi avec tant d'acharnement s'il n'avait eu
contre lui la circonstance aggravante d'avoir épousé la cause de la Révo-
lution, malgré sa qualité de fonctionnaire de la cour ayant droit à un
uniforme. Inde irœ.
0. Bergguuen.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 octobre) :
Toujours, à la Monnaie, les débuts, les rentrées et les reprises; et cela nous
vaut, malgré tout, des soirées parfois intéressantes, avec des plaisirs quand
même variés et un répertoire que l'on croyait mort et qui, soudain, revit.
Nous avons eu ainsi une reprise du Barbier de Séville, qui a été un vrai régal
de jeunesse et de lumière. M'"'' Marie Thiéry, dont on avait fêté la rentrée
quelques jours auparavant dans Mireille, s'est révélée une des plus pétu-
lantes Rosines que nous ayons vues, une des plus adroites et des plus spiri-
tuelles vocalistes que nous ayons entendues; à l'acte de la leçon de chant elle a
détaillé la brillante « Sevillana » de Massenet avec un art exquis; et autour
d'elle M. David, un séduisant Almaviva, M. Badiali, un excellent Figaro,
M. Belhomme, un étourdissant Bartholo, sans oublier M. d'Assy-Basile, nous
ont donné du vieux chef-d'œuvre une interprétation verveuse et amusante au
possible, un des meilleurs spectacles de l'année. Une reprise de Coppélia,
remontée avec un soin tout à fait attentif, n'a pas eu un sort moins heureux;
et c'a été un vrai succès pour la nouvelle danseuse. M"" Brianza, et pour le
maître de ballet M. Saracco, qui n'en est pas à son coup d'essai.
Je vous ai déjà parlé de quelques projets pour la saison des grands con-
certs, qui ne tardera plus guère à commencer. Les Concerts populaires débu-
teront, le premier dimanche de novembre, par la Prise de Troie, dont le rôle
(1) Auguste Roeckel, né en 1814, a été nommé presque en même temps que Wagner
directeur de musique à l'Opéra de Dresde. Il comptait parmi les partisans et admirateurs
les plus convaincus de Richard Wagner.
(2) Michel Bakounine, le célèbre révolutionnaire russe, s'était caché à Dresde chez
Roeckel depuis le mois de mars 1849. La maison de Roeckel dans la Friedrichstrasse se
trouvait en face de celle de Wagner.
(3) Ce nom désignait en Saxe ce qu'on nommait en France la garde nationale.
principal sera chanté par M"= Paquot. Les Concerts Ysaye se proposent aussi
de s'atteler à quelques grandes œuvres chorales et symphoniques ; la première
de ces auditions exceptionnelles sera consacrée à l'oratorio De Schelde de
Peter Benoit (soli, chœur, orchestre, deux cent cinquante exécutants). La
seconde sera très probablement consacrée au Déluge de Saint-Saëns. Parmi
les premières auditions que donnera la Société des Concerts Ysaye, citons :
Symphonie de Witkowski, Symphonie de Paul Dukas, Symphonie de François
Rasse, Trois nodurnes de Debussy, Fantaisie en ré de Guy Ropartz, Danses
norvégiennes de Grieg, Variations symphoniques de G. Elgar, prélude à'Ingwelde
de Max Schilling, ouverture du Tasse d'A. de Castillon, Poème pour orchestre
et alto solo de Théophile Ysaye, Concerto pour violoncelle d'Eugène d'Albert,
Concerto pour violon de Jaques-Dalcroze.
On a jugé hier le grand concours de composition musicale (prix de Rome),
qui a lieu, comme vous savez, tous les deux ans. La cantate à mettre en
musique, pour soli, chœurs et orchestre, avait pour titre Œdipe à Colone et
pour auteur M. Sauvenière. Le jury, composé de MM. Gevaert, président,
Jan Blockx, Mathieu, Tinel, Van den Eeden, Hubert! et Sylvain Dupuis a
décerné le !«■' prix à M. Biaran, qui avait concouru déjà il y a quatre ans et
obtenu une mention honorable; 1^ prix à M. Delune, et mention honorable à
M. Charles Radoux, le fils du directeur du Conservatoire de Liège. L'exécu-
tion des cantates a eu lieu, selon les usages, à huis clos: la partition du lau-
réat classé premier, non exécutée, a été jugée à la simple lecture. Une paraît
pas, si j'en crois les indiscrétions, que ce concours ait été fort brillant; une
honnête moyenne de talents, simplement. Nous en jugerons quand les œuvres
des deux lauréats principaux seront entendues en public, ce qui aura lieu,
pour la première, le mois prochain. L. S.
— Conformément à la nouvelle loi allemande sur les droits d'auteur, le
chancelier de l'Empire a ordonné la formation de commissions d'experts. Dans
chaque état de la Confédération germanique sera donc formée une commis-
sion pour les œuvres littéraires et une autre commission spéciale pour les
œuvres musicales. Chacune de ces commissions comprendra sept membres
actifs et un certain nombre de suppléants. Le registre destiné à fixer les noms
des auteurs, ainsi qu'il est prescrit par la loi, sera établi à Leipzig, centre des
éditeurs allemands.
— Après avoir hérité de la partition autographe des A^oces de Figaro, de
Mozart, la Bibliothèque royale de Berlin peut se vanter de posséder beaucoup
plus d'autographes musicaux du maître que n'importe quelle autre collection
publique ou particulière. On y compte exactement 220 pièces, parmi lesquelles
les ouvrages dramatiques suivants: Apollon, et Hyacinthe, Bastien et Bastienne,
la Finla Semplice, Ascanio in Alba, il Sogno di Scipione, Lucio Silla, la Finta Giar-
diniera, il Re Pastore, Zàide, le roi Thamos (entr'actes et chœurs), îdomeneo,
l'Oie du Caire, le Fiancé trompé, les Noces de Figaro, Cosi fat tutte, la Flûte en-
chantée, la Clemenza di Tito. La Bibliothèque royale possède aussi les parti-
tions autographes des deux oratorios : la Betulia Liberata et Davidde pénitente.
Parmi les autres autographes, citons Celui de la fameuse symphonie dite
« Jupiter ». Mais Berlin ne possède heureusement pas le chef-d'œuvre des
chefs-d'œuvre de Mozart: la partition autographe de Don Juan, dont la biblio-
thèque du Conservatoire de Paris peut s'enorgueillir, grâce à la générosité
éclairée de M""» Viardot.
— On vient d'approuver le plan d'une reconstruction de la scène de
l'Opéra royal de Berlin, qui comprendra aussi la partie extérieure du monu-
ment.
— Les concerts de la Société philharmonique de Berlin, sous la direction
de M. Arthur Nikisch, commenceront leur saison le 14 octobre. Ou entendra
comme solistes, au cours de cette saison, M^i^Teresa Carreno et MM. Eugène
d'Albert, Raoul Pugno, Burmester, Jacques Thibaud, Élouard Risler,
Wedekind, Ysaye et Godowski. Six grands concerts seront dirigés par
M. Richard Strauss, qui, entre autres œuvres, se propose de faire exécuter
tous les^poèmes symphoniques de Liszt dans leur ordre chronologique.
— Le comité pour l'érection d'un monument à Lortzing a adressé à tous
les théâtres allemands la prière d'organiser le 23 de ce mois, centième anni-
versaire de la naissance de l'artiste, des représentations au profit de son
monument. L'intendance générale des théâtres royaux de Berlin a fort bien
accueilli cette demande; on sait que l'empereur Guillaume II protège les
œuvres de Lortzing. Le comité a aussi décidé d'apposer sur la maison natale
de Lortzing, dans la Breitestrasse de Berlin, une plaque commémorative avec
le portrait en relief du compositeur.
— A Vienne, la terrible catastrophe duRingthéàtre semble être définitivement
oubliée. On se rappelle que l'incendie de ce théâtre, qui coûta la vie à plus
de 800 personnes et fit plus de 2.00.0 orphelins, avait éclaté au milieu de la
première représentation des Contes d'Hoffmann; depuis ce sinistre effroyable,
aucun théâtre n'avait osé jouer la pièce d'Offenbach. Or, le théâtre An der
Wien vient de donner une excellente représentation des Contes d'Hoffmann,
et Offenbach peut se vanter d'un joli succès posthume. Ce n'est pas tout.
L'Opéra impérial de Vienne annonce également la représentation de l'œuvre
d'Offenbach, qui doit avoir lieu prochainement. Les Viennois auront donc le
choix entre deux distributions différentes de l'ouvrage. Cet embarras de
richesse ne profitera malheureusement pas aux héritiers d'Offenbach, car en
Autriche son œuvre est déjà tombée dans le domaine public en ce qui con-
cerne le droit de représentation.
326
LE ME,^ESTREL
— Il était écrit que cet opéra d'Offenbach, les Contes d'HolJinann, amènevait à
Yienne des incidents remarqualiles. Après la tristecatastrophe du Ringthéâtre,
voici que les représentations des Contes d'Holfmann au théâtre An der
Wien viennent d'être interrompues par l'arrestation provisoire du ténor Karl
Meister, l'interprète du rôle d'Holfmann. L'affaire cause à Vienne une sensa-
tion énorme dans le monde des théâtres et aussi au Palais, car c'est la pre-
mière fois qu'un article du nouveau code de procédure, autorisant une arres-
tation provisoire sous certaines conditions, a été appliqué. Le ténor Meister,
qui a signé un contrat avec le (^arlthéàtre à partir du IS mars 1902, s'est
aussi engagé à aller à Moscou avec la troupe d'opérettes Schulz-"Wailner
vers la même époque. Meister est de natioualité allemande. Or, la loi autri-
chienne permet l'arrestation provisoire d'un citoyen qui s'est obligé par
contrat à rendre certains services ou à payer une certaine somme, si sa
situation personnelle et les circonstances autorisent la présomption que le
citoyen a l'intention de se soustraire à ses obligations par la fuite à l'étranger.
Cet article élastique, qui soumet la liberté des citoyens a.ux présomptions
arbitraires des magistrats, vient d'être appliqué au malheureux ténor. Il doit
fournir un cautionnement de dix mille couronnes (!) pour rassurer les direc-
teurs du Carlihéàtre au sujet des représentations qu'il doit fournir sur leur
scène ou rester en prison jusqu'au lo mars 1902, jour où commence son
traité avec eux. Les directeurs du Carlthéâtre sont obligés de nourrir
leur pensionnaire en prison à raison de dix-huit francs par semaine, ce qui
est parfaitement odieux et inflige à l'arrestation provisoire le caractère d'un
chantage légal. Le ténor arrêté, dont la prison n'est pas celle ia Réveillon que
Johann Strauss a si agréablement mise en musique, a d'ailleurs le droit de
se procurer, à ses frais, un supplément de nourriture. Il en a usé dés la
première nuit qu'il a passée sous les verrous, car sa camarade, M"'= Stojan,
l'étoile du théâtre An der Wien, lui a envoyé immédiatement un souper que
BriUat-Savarin n'aurait pas dédaigné. Le ténor a été arrêté au théâtre An
der "Wien pendant la représentation des Contes d'Hoffmann; des agents de la
sûreté avaient été placés dans les coulisses, dans la loge de l'artiste et à
toutes les issues du théâtre pour empêcher sa fuite. Après la représentation,
Meister a été mis dans un fiacre et transporté à la prison. Ses camarades et
tout le personnel du théâtre lui ont rendu les honneurs; une haie avait été
formée depuis la scène jusque dans la rue, et on criait ; « Vive Meister! A
has le Carlthéâtre! » Toute la rue était dans la jubilation. Les amis de l'ar-
tiste s'efforcent maintenant de réunir le cautionnement de dix mille couronnes
exigé par le tribunal pour rendre la liberté à cette malheureuse victime
d'une procédure barbare qui cependant ne date pas du temps de Shylock,
mais bien de la fin du XIX'^ siècle. Summum jus, summa injuria!
— Entre la cotrp'6 et les lèvres. Les. parents éloignés de Brahms, qui ont
gagné lenr procès en dernière instance et espéraient déjà toucher le magot,
viennent d'éprouver une amère déception. On a, en effet, retrouvé un nou-
veau papier caché d.ans un tiroir du bureau de Brahms, et les sociétés Liszt
et Gzerny. se basant sur ce fait nouveau, ont recommencé la procédure. Le
tribunal de Vienne a déjà ordonné à la banque où la fortune de Brahms est
déposée de la. garder jusqu'à nouvel ordre. Les parties adverses épuiseront
naturellement tous les moyens de procédure, et deux, ou trois ans passeront
jusqu'à la nouvelle décision, dite définitive. Peut-être trouvera-t-on alors^ un
nouveau document dans les papiers inépuisables de Brahms, et tout sera à
recommencer. En attendant, la fortune de Brahms augmente continuellement
par les revenus accumulés et placés; les vainqueurs définitifs seront large-
ment récompensés de leur longue attente.
— Le Carlthéâtre de Vienne vient de jouer avec succès une opérette inti-
tulée la Débutante, musique de M. Alfred Zamara. Les paroles, de MM. 'Will-
ner et 'Waldberg, ne sont qu'une adaptation d'une pièce française, le Mari de
la débutante.
— La place de président du Conservatoire dei masique de Budapest, restée
vacante par la mort de M. Jules Kàldy, , a reçu ua no.uveau, titulaire en la
personne de M. Georges Lang.
— Le musée Beethoven de Bonn, qui est installé dans la maison natale du
maître — la chambre où il est né est située au deuxième étage et donne sur
le jardin — a récemment acquis plusieurs pièces intéressantes. On y trouve
actuellement les esquisses autographes pour le quatuor op. 130, pour la.
1" symphonie et pour le Benedictus et le Credo de la grande Messe. Trois pia-
nos et les instruments à archet de son quatuor, prêtés par la collection royale
de Berlin, y sont également exposés. On y voit encore plusieurs objets per-
sonnels du maitre, entre autres ses lunettes, son rasoir, sa pendule, sa
canne, etc. Les visiteurs du musée sont assez nombreux.
— -Aux concerts Kaim, de Murnich, M.' Félix 'Weingartner fera jouer pour
lapremière fois une œuvre inédite, et M. Gustave Mahlersa quatrième sym-
phonie.
— Un descendant direct de J.-S. Bach, M. Ilermann Bach, vit acluelle-
ment à Erfurt, où il exerce la modeste profession do professeur de piano,
qui ne l'a. pas beaucoup enrichi. M. Ilermann Bach est célibataire et âgé de
cinquante ans. Il possède une mémoire remarquable qui lui permet de repro-
duire immédiatement n'importe quelle composition, ne l'eùt-il entendue
qu'une foisi.
— M^^ Arnoldson vient de commencer une tovirnée, artistique en Alle-
magne par le théâtre ducal de Brunswick. La charmante artiste a joué Mignon
avec un succès énorme; elle a dû bisser le duo des hirondelles, la romance
et la styrienne.
— Il s'est formé à Dresde une nouvelle Société chorale qui se propose
d'exécuter les grandes œuvres chorales tant religieuses que profanes. Le
compositeur VS''aldemai- de Baussnern a pris la direction musicale de cette
Société.
— Le théâtre de la cour de Cassel jouera prochainement deux opéras en un
acte : Amour maternel, musique de M. Gustave Dippe. et Narodal, musique de
M. Otto. Dorn.
— A Frihourg. (Suisse) s'ouvriront prochainement les cours de l'Académie
grégorienne, fondée dans le but de propager le chant grégorien. Les cours
traiteront de la théorie dudit chant et de son histoire; d'autre part les élèves
apprendront le chant même, son accompagnement et sa direction musicale.
Un cours spécial est destiné à la connaissance des manuscrits nouveaux se
rattachant au chant grégorien. Ajoutons que les cours de cette académie sont
absolument gratuits.
— La direction du Théâtre impérial de Moscou a décidé d'employer des
étudiants comme figurants et de leur offrir un rouble, soit 4 francs, par
soirée. Il parait que les figurants de Moscou laissaient beaucoup à désirer au
point de vue de l'intelligence et de la tenue.
— Les trois théâtres impériaux de Varsovie: le Grand Théâtre, le Petit
Théâtre, qui cultive l'opérette, et le Théâtre d'Eté, seront dorénavant soumis
à une direction centrale. Sur ordre du gouvernement russe, les artistes do
ces trois théâtres seront obligés de jouer sur toutes ces scènes sans distinc-
tion.
— Une première représentation à Constantinople I C'est celle d'un opéra
sérieux, Amor fatale, donnée par la troupe italienne. Le livret de' cet opéra
sérieux est l'œuvre du buffo de la troupe, M. Luigi Grassi, la musique celle du
chef d'orchestre, M. Eduardo Sassone. Les rôles principaux étaient tenus par
M"" Linda Morosini, le ténor Marconi et le baryton Farri. Le succès, parait-il,
a été complet.
— A l'occasion des fêtes prochaines qui auront lieu à Gatane pour le cen-
tenaire de la naissance de Bellini, un éditeur de musique de Florence se pré-
pare, parait-il, à publier cinq morceaux inédite de l'auteur de Norma et de
la Sonnambula. « Cette publication, dit un de nos confrères italiens, est due
aux recherches faites par le maestro F. -P. Frontini,qui, parmi les nombreux
autographes belliniens que possède l'avocat Francesco Ghiarenza Astor, a su
découvrir ces perles musicales jusqu'ici inconnues et qui font partie des pre-
mières compositions du maître ». Il s'agit sans doute de morceaux avec or-
chestre, puisque notre confrère ajoute que « le maestro Frontini les a réduits
pour chant et piano ».
— Le Théâtre-Lyrique de Milan donnera, pour l'inauguration de sa saison
d'hiver, la première représentation de l'opéra qu'on a déjà signalé, Chopin,
dont la musique, exclusivement tirée des œuvres de l'illustre artiste, est
arrangée par M. Orefice sur un livret de M. Orvieto.
— Le chef d'orchestre Luigi Mancinelli donnera au théâtre Royal de Turin,
du 10 novembre au 9 décembre prochain, une série de grands concerts a^vec
le concours de l'orchestre de ce théâtre et des 140 chanteurs de l'Académie
Stefano Tempia. M. Mancinelli doit faire exécuter, entre autres œuvres, la
Messe de Requiem de Verdi, la seconde partie du troisième acte des Maîtres
Chanteurs, et une « cantate sacrée » de sa composition, Isa:ie, dont il a écrit la
musique sur un texte latin emprunté aux Écritures par M. G. Albini. .Cette
cantate est divisée en deux parties et comprend cinq personnages-: le pro-
phète Isaïe, le roi Ezechias, Judith, fille d'Isaïe, A'nna, sœur d'Ezechias, et
Sennachérib', roi des Assyriens.
— Décidément, certains artistes trop nerveux.ses.foatunei singulière Idée
des sentiments qu'ils doivent nourrir à l'égajd de la critique et des droits de
celle-ci quant aux jugements qu'elle est appelée à porter sur eux. Samedi
dernier, dit un journal italien, à Acqui, une cantatrice russe, M"'" Lydia,
Coctko, protagoniste dans li Norma, se jugeant offensée par la critique du
chroniqueur du journal la Bollente, l'avocat S..., le gifla publiquement. Le.
journal ajoute que « cette agression inqualifiable a provoqué un profond,
dégoût ». Je te crois.
— On a représenté ces jours derniers à Medicina une nouvelle opérette
intitulée Silvano da Montedoro, dont la musique est due à M. Auguste Forni.
— On a donné aw Polileama d'Alexandrie, le 21 septembre, la première
représentation d'un opéra en quatre actes, Ginevra, dont le maestro Giuseppe
Vigoni, qui en dirigeait lui-même l'exécution, a écrit les parides et la mu-
sique. C'est encore un souvenir des romans- de la Table-Ronde, les amours
de la reine Gincvre et du chevalier Lancelot. L'œuvre est médiocre et le
succès a. été maigre. La critique a la dent dure à son sujet, reprocliMnt à
l'auteur le peu de valeur de son livret en 'même temps que « les lieux com-
muns » et la prolixité, de sa musique, dont la forme, d'ailleurs, retarde d'un
demi-siècle. Si l'on ajoute à cela une mise en scène misérable et une exécu-
tion fâcheuse à beaucoup de points de vue, il est facile de se rendre compte
du résultat.
LE MENESTREL
327
— Sont engagés, pour la grande saison tVopéra français qui va être donnée
cet hiver à l'Opéra de Madrid, M. Viannenc, le baryton que les Parisiens
connurent à l'Opéra-Comique, et le ténor Furstenberg, un des meilleurs
élèves de M. Manoury. C'est M. Fournets, de l'Opéra, qui est chargé de la
partie artistique de l'entreprise, tandis que M. Paravey, qui iiut directeur de
rOpéra-Gomique, s'occupera du coté administratif.
— Le journal Aiie, de Lisbonne, nous fait connaître la composition de la
troupe du théâtre San Garlos de celte ville pour la prochaine saison d'hiver.
La voici : soprani, M"" Gemma Bellincioni, Regina Pacini, Febea Strakosch,
Adelina Stehle, Emma Gaselli, Adalgisa Minotti et Adami-Gorradetti ;
mezzo-soprano, Marchesini ; ténors, MM. Bonci, Borgatti, Garbin, Clément,
Anselmi, Zanatello ; barytons, Menotti, Kaschmann, Pini-Gorsi, Vincenzo
Ardito et Ferruccio Gorradetti ; basses, Oresle Luppi et Ciccolini. Les chefs
d'orchestre sont MM. Luigi Mancinelli et Ettore Peroni.
— Les journaux portugais nons apprennent que M. Auguste Machado,
directeur du Conservatoire de Lisbonne et l'un des premiers compositeurs
de ce pays, et M. Lopez de Mendoza, écrivain dramatique renommé, associent
en ce moment leurs efforts pour fonder à Lisbonne un théâtre lyrique national,
sur le modèle de l'Opéra-Comique de Paris.
— M. Frédéric Cowen a terminé une grande oeuvre symphonique intitulée
Fantaisie sur ta vie et l'amour, qui sera exécutée pour la première fois au
festival musical de Gloucester et ensuite au Queen's Hall de Londres.
— Au Palais de Cristal de Londres vient d'avoir lieu un concours d'or-
phéons pour instruments à vent. Vingt-sept orphéons ont pris part à ce
concours. Le prix d'honneur a été décerné .à l'orphéon Lee Mount, qui a son
siège à Halifax.
— Un mamiger anglais, M. Charles Manners, directeur du théâtre de Bir-
mingham, voulant célébrer la première représentation du Sipj/'rierf de Richard
"Wagner, non encore joué en cette ville, a fait cadeau à chacun des inter-
prêtes de l'ouvrage, y compris le chef d'orchestre, d'une coupe d'argent,
comme souvenir de cet événement artistique. Sur chacune de ces coupes
était gravée une dédicace appropriée à l'artiste, rappelant l'œuvre, avec le
lieu et la date de la représentation. Voilà un directeur qui fait bien les
choses.
— Ces Américains sont gourmands, et tout en faisant état de mépriser
l'Europe, s'efforcent de la mettre au pillage de toutes façons. On sait ce qu'il
advient de nos livres rares et de nos objets d'art de toute sorte, qui, par la
puissance de Sa Majesté Dollar, s'en vont chaque jour faire la traversée de
l'Atlantique sans espoir de retour. Voici qu'aujourd'hui les journaux de Géues
nous font savoir que la municipalité de cette ville a reçu de Chicago l'offre
d'une somme de 100.000 francs pour l'achat du célèbre violon de Paganini
qui y est religieusement conservé depuis la mort de l'illustre artiste. La
municipalité a répondu simplement qu'elle ne consentirait à aucun prix à se
séparer de la précieuse relique qu'elle tient de son grand compatriote. Europe,
défends-toi contre les Barbares !
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Samedi prochain 19 octobre, à deux heures de l'après-midi, l'Académie
des beaux^-arls tiendra sa séance publique annuelle, qui sera présidée par
M. Camille Saint-Saëns, président actuel, assisté de M. Jean-Paul Laurens,
vice-président, et de M. Gustave Larroumet, secrétaire perpétuel. Voici le
programme de cette séance :
\' Exécution du prélude de l'Oratorio SaiiU-François-d'Assise, composé par M. Max
d'Ollone, pensionnaire de Rome;
2° Discours de M. le Président ;
3° Proclamation des grands prix de- Rome ^peinture, ^sculpture, architecture, composi-
tion musicale) et des prix décernés en vertu des diverses fondations;
4° Lecture par W. Larroumet de sa notice sur la vie et les œuvres du célèbre peintre
Gustave iloreau, membre de l'Académie;
5" Lecture du rapport sur les envois des pensionnaires de la Villa Médicis;
6° Exficut'ion de la scène lyrique qui a remporté le premier grand prix de Rome (com-
position musicale) et dont l'auteur est M. André Léon Gaplet, élève de. M. Cliarles Lenep-
veu.
— Le conseil supérieur du Conservatoire vient d'arrêter la liste des candi-
dats qu'il propose au Ministre pour les emplois vacants de professeurs. Vien-
nent en tète de liste : 1° pour la classe d'opéra, M. Lhérie, qui laisserait pour
ce nouvel emploi la classe d'opéra-comique qu'il dirigeait; 2" pour la classe
d'opéra-comique (en remplacement de M. Achard atteint par la limite d'âge),
M. Isnardon, qui a certainement toutes les qualités pour le poste; 3" pour la
classe de chant, en remplacement de M. Léon Duprez, M. de Martini, qui
était déjà professeur de solfège au Conservatoire et inspecteur du chant dans
les écoles de la Ville de Paris. Il restera à pourvoir l'autre classe d'opéra-
comique que dirigeait M. Lhérie, puisqu'il passe à la classe d'opéra.
— Pas mal de bruit cette semaine autour de la Comédie-Française, à la
suite d'incidents douloureux ou comiques où MM. les Sociétaires ont montré,
à propos de la nouvelle pièce en répétition {Le Roi, de M. Schefer), leur rare
compétence pour le choix des pièces à représenter, comme ils avaient déjà
fait d'ailleurs lors du Chérubin de M. de Croisset dont, après une répétition
générale curieuse, on attend toujours lapremière. Il parait qu'on commencer
se lasser dans les régions administratives et qu'où va en finir une bonne fois
avec le comité de lecture, en le supprimant purement et simplement. On
n'attendrait plus pour cela que le retour très prochain du ministre à Paris.
M. Jules Huret, du Figaro, a ouvert une enquête à ce sujet et consulte les
grands comédiens et les grands auteurs sur l'opportunité de cette mesure.
L'interview avec M. Roujon est particulièrement caractéristique. Le directeur
des Beaux-Arts s'y exprime ainsi:
Je suis cliargé de surveiller l'administration du Tixcâtre-Français, qui est un théâtre
naiiûnal : j'ai la responsabilité des deniers publies qu'on sert à cette institution, je vois
qu'elle ne prospère pas, je cherche pourquoi : je constate que les receltes diminuent, et
je découv re — ce n'est pas bien malin — que si le public ne vient pas, c'est que les pièces
reçues ne l'attirent pas...
Gomme ce langage sagace et avisé pourrait également s'appliquer à l'Opépa
de M. Gailhard ! et M. Roujon continue :
» D'où vient le mauvais choix des pièces ? Bu comité de lecture, qui -n'a pas ce qu'il
faut pour faire ce choix. Est-ce à dire qu'il n'est composé que d'imbéciles, comme -ilit
Slounet? Pas du tout ! J'ai la prétention de n'être pas un crétin, de savoir ce quec^t
qu'une pièce de théâtre, puisque je passe ma vie, en qualité de chef de la censure, à en
lire depuis des années. Eh bien, je le déclare modestement, je ne suis pas.ûchu, vous
m'entendez bien, pas fichu de décider à Ja lecture si une pièce aura ou n'aura pas de
succès !
» Or, on peut être un grand comédien et n'avoir pas plus que moi ce flair particulier,
ce don inné qui fait l'imprésario sagace et avisé. Or, le comité prouve à Chaque instaût
qu'il n'a pas, dans sa collectivité, ce flair subtil si nécessaire. La preuve en" a été cent
fois faite ! Je vous ai dit qu'il recevait de mauvaises pièces, qu'il n'osait même pas jouer;
mais, de plus, il en refuse de bonnes! Pour fa Couronne fut présenté à la Comédie-'
Française, refusé, et 'joué à l'Odéon plus de cent fois! Même sort pour le Cheniineaul
De plus en plus applicable aussi à la direction actuelle de l'Opéra, qui a
représenté ce que l'on sait, mais qui a laissé échapper Sigurd, Salammbô (les
deux belles partitions de Reyer d'abord représentées àBruxelles, sur le refus
de l'Opéra), le Roi d'Vs (retoqué deux fois), Louise et tant d'autres œuvres
intéressantes. Et M. Roujon conclut :
. . . Donc, M. Claretie aura le pouvoir, seul, et seul la responsabilité. . . Ce sera à luii.à
s'en servir. Ah ! il faudra pai- exemple que la maison prospère... Il en répond d'ailleurs.
S'il se trompe, je veux dire si la Comédie-Française ne se relève pas comme elle peut,
comme elle doit le faire, je lui dirai, lien qu'il soit mon ami et que je l'aime beaucoup :
» — L'épreuve est faite, laissez la place ! '»
Et vous aussi, Gailhard ! Nous aimons cette belle énergie chez le directeur
des Beaux-Arts. Mais il ne doit pas avoir deux poids et deux mesures. Il
fera bien de tourner aussi ses regards courroucés du côté de l'Opéra et d'ou-
vrir une enquête qui le renseignera sur le mal presque irrémédiable fait depuis
vingt ans à la musique française par une direction malavisée, de gros esprit
et de culture nulle. De ce côté aussi un coup de balai salutaire, quoique tar-
dif, serait bien accueilli de l'opinion.
— La répétition générale des Barbares parait être fixée irrévocablementà
l'Opéra au dimanche 20 octobre et la « première » au mercredi 23. Toute une
véritable ménagerie répète maintenant sur la scène. Il y aies bœufs quitrainent
les chars de guerre, les chevaux des chefs barbares, les biches et les agneaux
destinés aux sacrifices. On se croirait à l'Hippodrome. Par mesure de précau-
tion on a puissamment élayé le plancher de la scène, qui cependant en a vu
bien d'autres. Quand on a eu l'honneur de supporter le poids des forts ténors
de la maison, celui des basses profondes, celui des partitions de "Wagner, le
corps de ballet, la personne même de M. Gailhard qui n'est pas mince, etc., etc.
on est à l'épreuve, et ce n'est pas quelques bœufs de plus échappés des pâtu-
rages toulousains qui peuvent vous faire grand'peuri
— M. Albert Carré vient d'arrêter définitivement ainsi la dislribution da
Grisélidis, la pièce en trois actes et un prologue d'Armand Silvestre et Eu-
gène Morand, musique de Massenet :
Le Diable MM. Fugère
Alain Maréchal
Le Marquis Dufrane
Le Prieur Jacquin
Gondebaud Huberdeau
Griséiidis M»" L. Bréval
Fiamina Tiphaine
Bertrade J- Grandjean
— Enfin ! nous allons avoir à l'Opéra-Comique quelques nouvelles repré-
sentations de Falstaff et du Juif polonais, avec M. Victor Maurel.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Phi-
lémon et Baucis, Haensel et Gretel; le soir, ies Dragons de Villars, la Sœur de
Jocrisse.
— Aujourd'hui dimanche, en matinée, avec l'orchestre et les chœurs de
M. Edouard Colonne, l'Odéon donnera une représentation de l'Arlésienne. —
Deux autres ireprésentations en seront données le soir, le mardi IS octobre
et le jeudi 17 octobre.
— Dans le Guide ■musical au 6 octobre dernier M. Henri deCuraou, en
reproduisant entièrement la lettre de Mozart que nous avons publiée le
27 septembre dernier (n" 39 du Ménestrel) en conteste l'authenticité. Notre
32>8
LE MÉNESTREL
bonne foi est hors de cause et aussi notre expérience en matière d'autogra-
phes, car nous avons déclaré que nous n'avons pas vu la lettre en question
et que notre traduction a été faite d'après le texte donné par un journal alle-
mand. Nous pouvons donc examiner avec une impartialité parfaite les argu-
ments que M. de Curzon fait valoir contre l'authenticité de cette lettre, et nous
avouons qu'ils ne nous paraissent pas suffisamment concluants. M. de Gurzon
trouve d'abord étrange qu'on ne sache pas à quelle personne la lettre aurait
été adressée, puisque c'est au revers de la lettre même que se trouvaient à
cette époque les adresses.. Il est vrai que les enveloppes n'étaient pas encore
d'usage en 177b et qu'on écrivait les adresses sur le papier même qui conte-
nait la lettre; mais ce papier était ordinairement plié en deux feuilles, ce qui
donne quatre pages, et c'est sur la quatrième page que se trouvait l'adresse.
Si la troisième page était restée vide, ce qui arrivait souvent, car une lettre
de deux pages suffisait dans la plupart des cas, la seconde feuille seule com-
prenait l'adresse. Or, le papier était à cette époque plus cher qu'aujourd'hui
et on utilisait souvent cette feuille de papier à lettre restée à peu près vierj.e.
C'est pourquoi à tant d'autographes de l'époque manque précisément l'adresse.
Ce fait ne prouve donc absolument lien. Il est vrai aussi qu'on ne connaît pas
une seule lettre de Mozart adressée à un ami quelconque tant qu'il vécut avec
ses parents, mais en 1775 Mozart avait déjà dix-neuf ans, et rien ne s'oppose à
ce qu'il ait annoncé son triomphe à un ami. Il en possédait plusieurs, car il
oublie rarement dans les lettres à sa sœur de la charger de compliments pour
eux. La phrase consacrée : » Mes compliments à tous nos bons amis et amies »
se trouve ainsi dans la lettre que Mozart a écrite à sa sœur de Munich, le
30 décembre 1774. Et dans la lettre du 14 janvier 1773 adressée à sa mère,
Mozart dit également : « Mes compliments à tous nos bons amis ». Il néglige
les amies pour ne pas choquer sa mère, qu'il traite avec beaucoup de respect et
à laquelle il n'écrit jamais autrement qu'à la troisième personne, selon l'usage
de l'époque. C'est précisément cette lettre qui fournit à M. de Curzon un argu-
ment qu'il croit des plus forts et qui est en réalité des plus faibles. La lettre à
sa mère, datée également du 14 janvier 1775, contient, dit-il, toutes les phrases
qu'on trouve dans la lettre inédite adressée à un ami. Cela ne prouve rien du
tout. En écrivant le mêm3 jour, en même temps, à sa mère et à un de ses
amis sur le même événement, il est absolument naturel que Mozart, qui ne
se piquait pas d'être un maître en l'art épistolaire, se soit servi de phrases
presque identiques. Il est aussi bien naturel que Mozart ait donné plus de
détails à sa mère qu'à son ami; c'est à sa mère seulement qu'il raconte que
le public a crié : Viva maestro! Cette lettre à sa mère n'exclut donc nullement
l'authenticité de celle que nous avons reproduite, et rien, absolument rien, ne
nous autorise à contester a priori, et sans en avoir examiné l'autographe,
l'authenticité de la lettre à l'ami.
— On lit dans la Semaine musicale de Lille : « La société des concerts popu-
laires de Lille fêtera, le 3 novembre prochain, sa vingt-cinquième année
d'existence. M. Théodore Dubois, l'éminent directeur du Conservatoire de
Paris, viendra diriger ce concert jubilaire, auquel M°"' Clotilde Kleeberg, la
célèbre pianiste, et notre compatriote M. Riddez, de l'Opéra, prêteront leur
concours ».
— Dijon. — Un grand concours international de musique, auquel pourront
prendre part les chorales, harmonies, fanfares, trompettes, trompes de chasse,
estudiantinas, etc., est organisé par « l'Harmonie du Commerce » de Dijon
et aura lieu les 13 et 16 août 1902. Pour tous renseignements, s'adresser à
M. A. Meullenot, secrétaire général du concours, à Dijon.
— Brillante réunion à Bernay, pour l'audition des élèves de M""« M. -F.
Merlin, qui a prouvé, comme à Paris, l'excellence de la méthode de Faure,
si bien appliquée par le sympathique professeur. La Charité à deux voix avec
chœurs et le Crwifix de Faure, interprétés par M."^ et M"= Merlin, ont obtenu
leur succès habituel. Parmi les œuvres les plus applaudies, citons la cavatine
du Songe d'une nuit d'été, d'A. Thomas, chantée par M"= Merlin, Expansion de
Xaxih-e, de Dubois, le duo de Cendrillon, de Massenet, l'air d'Hérodiade, du
même maitre, etc. Grand succès aussi pour M. Bourlenski, 1" violon des
ConcerlsColonne, et pour M"« Legros, du Conservatoire de Paris.
— Les concours annuels pour l'obtention de bourses aux classes de chant,
déclamation lyrique, tragédie et comédie, piano, harpe, violon, violoncelle
et instruments à vent de l'école classique de la rue de Berlin, dirigée par
M. Ed. Chavagnat, auront lieu très prochainement. Pour renseignements,
s'adresser au siège de l'école, 20, rue de Berlin, où les inscriptions sont
reçues tous les jours, dimanches et fêtes exceptés, de 9 h. du matin à 7 h.
du soir.
— Cours et Leçons. — M"" Virginie Haussmann a repris ses leçons de chant, ehez
elle, 8, rue de Milan. — W' M. Henrion-Berlbier, de l'Opéra-Comique, a repris ses
leçons de chant et de diction, chez elle, 86, avenue de ViUiers. — M"' C. Luigini, des
Concerts-l amoureux, reprendra, le 15 octobre, ses leçons de harpe, 46, rue La Bruyère.
— La réouverture des cours Sauvrezis a eu lieu le 7 octobre. A ajouter aux noms des
éminents professeurs de ces cours celui de M"' Marie Mocltel chargée du chant. —
M"" Eugénie Mauduil, de l'Opéra, reprend, à partir du 15 octobre, ses leçons et cours
de chant, 160, rue de la Pompe. — M"" Delphine Ugalde reprendra, à partir du 15, ses
cours et leçons particulières, 26, rue de Navarin. — M"' Racapé-Séguin a repris ses
leçons de piano, chant, mandoline, solfège, théorie, dictées musicales (préparation au
Conservatoire), 118, rue d'Assas, à Paris, et 11, rue d'Aulnay, près Robinson. —M. Emile
Bourgeois et M"' Caroline Pien'i>n, do l'Opéra-Comique, reprennent à l'Institut Rudy
leurs leçons particulières et leurs coui'S d'opéra-comique, chant et déclamation, étude et
mise en scène du répertoire et des ouvrages nouveaux. — M"» Jeanne Faucher reprend
ses leçons de chant et ses cours d'ensemble, 6, rue de Savoie. — M. Gaston Courras, vio-
lonoellisle à l'Opéra, reprend, le 15 octobre, ses leçons de violoncelle et d'accompagne-
ment, 23, rue de Montenotle (Étoile, avenue Carnot, 17" arr.). — M"» Julie Calien, des
Concerts Colonne, reprend ses cours et leçons de piano et de chant, Î3, rue de Seine. —
Les cours de piano de M. André Wormser (degré supérieur) reprennent du !•''■ novembre au
30 juin, 83, rue Demours. — M"" Mathieu d'.\ocy, des Concerts-Colonne, a repris ses
cours et leçons de chant, 7, rue Geoffroy-Marie. — M. Armand Gauley, de l'Odéon, a
recommencé ses cours et leçons de diction et de conversation française, 19, avenue de
Tourville.
NÉCROLOGIE
L'Italie vient de perdre encore une des artistes qui lui ont fait le plus
d'honneur. M""-" Borghi-Mamo, une cantatrice dont les vieux Parisiens n'ont
pas perdu le souvenir, est morte ces jours derniers à Bologne, où elle était
née en 1829. Artiste d'une rare intelligence, douée d'une superbe voix de
mezzo-soprano, M"= Adélaïde Borghi reçut, dit-on, des conseils de la Pasta.
Elle débuta en 1846 à Urbino dans le Giuramento de Mercadante. En 1849 elle
était à Malle, où elle épousait M. Mamo, et sa renommée devenait bientôt
telle qu'en 18S3 elle était appelée à noire Théâtre-Italien, alors encore dans
toute sa splendeur. Elle s'y faisait applaudir pendant trois années, chantant
successivement il Trovatore, Malilde diSabran, Semiramide, gliArabi nette Gallie,
il Crociato, puis, en 1856, était engagée à l'Opéra. Elle débutait à ce Ihéàtre
dans le rôle de Fidès du Prophète, chantait ensuite la Favorite, qui lui valait
un succès éclatant, établissait le rôle d'Azucena dans la traduction française
du Trovatore, devenu le Trouvère, puis créait ceux de Mélusine dans la Magi-
cienne d'Halévy et d'Olympia dans Herculanum de Félicien David. En 1860
elle retournait au Théâtre-Italien pour représenter le principal personnage de
Marghcrita la mendicante, opéra nouveau de Gaetano Braga, son accompagna-
teur et son protégé, et peu après quittait Paris pour aller se faire applaudir
en Angleterre et en Russie. Elle se retira du théâtre, je crois, vers 1873,
ayant déjà lancé dans la carrière sa fille. M"" Erminia Borghi-Mamo, qui,
douée d'une fort jolie voix de soprano, suave et pénétrante, conduite avec
goût, s'est révélée elle-même comme une cantatrice fort distinguée, que nous
avons connue aussi dans les derniers temps de notre Théâtre-Italien, en 1876
et 1877. A. P.
— Bureaucrate, un instant comédien, puis chansonnier, et enfin auteur
dramatique, telle fut l'existence du brave garçon que nous avons connu sous
le nom de Paul Burani, qui s'appelait réellement Urbain Roucoux (Burani
était l'anagramme d'Urbain) et qui vient de mourir tristement, à la suite
d'une longue et douloureuse maladie, à la maison municipale de santé
Dubois. Après avoir été commis Ai l'enregistrement, il avait joué quelque
peu la comédie à Belleville, puis s'était mis à faire des chansons, particuliè-
rement pour Thérésa au moment de sa grande vogue. On se rappelle les
fameux Pompiers de Nanterre, Pour 25 francs, le Sire de Fichetongkan, etc.
Ensuite il travailla pour le théâtre, la plupart du temps en collaboration, et
fit jouer nombre de vaudevilles et d'opérettes qui souvent obtinrent de grands
succès : le Cabinet Piperlin, la Fattvette du Temple, le Puits qui parle, Fran-
çois les bas bleus, la Cantinière, le Droit du Seigneur, le Billet de logement,.,
Burani était né le 26 mars 184S.
— L'excellent comédien Mesmaécker, père du jeune artiste de l'Opéra-
Comique, est mort ces jours derniers près de Metz, où il s'était retiré depuis
quelques années. Né à Bruxelles en 1826, il avait commencé sa carrière en
province, appartint pendant quelques années aux Bouffes d'Offenbach, puis
retourna en province et à l'étranger jusqu'en 1881, où il revint à Paris et
parut tour à tour à Cluny, aux Bouffes, au Palais-Royal et à laGaité. C'était,
dans l'emploi des ganaches et des caricatures, un artiste fantoche et amusant.
Il avait épousé naguère une de ses camarades des Bouffes, M"" Dalmont,
une artiste fort aimable et une chanteuse agréable.
Henri Heogel, directeur-gérant.
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LOUER tout agencée, très grande salle pour cours de musique
S'adresser à M""» Bonnard, S, rue de Stockholm, Paris.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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MUSIQUE ET TIIÉA.TR,ES
Henri HEUGEL. Dirjcteur
Le IlaméFo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6ts, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. •- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (34' article), Paul d'Estiiées. —
IL Semaine théâtrale : premières représentations du Roi, à la Comédie-Française, et
du Soffkitii, à l'Athénée, Paul-Émile Chevalier: première représentation du BUfet du
logement, aux Folies-Dramatiques, A. P.; première représentation de t' Amour du
pmliaiii, aux Boulles-Parisiens, 0. Bx. — UL Petites notes sans portées : Schumann
critique musical, Raymond Bouyer. — IV. Le Tour de France en musique : La Reboule
Edmond .Xeukomm. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CHANSON D'AUTOMNE
cI'Andbé Messager, poésie de Paul Delair. — Suivra immédiatement : Le
Marquis à la Marquise, sonnet de Rodolphe Bringer, mis en musique par
Gabreel Verdai.le.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Valse capricante, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Entr'acte-
Idylle, extrait de Grisétidis, musique de J. Massenet.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les lémoires les plus récents et des Aoeomeots inédits
(Suite.)
IX (suite)
Les Souvenirs des frères Lionnet, qui sont surtout ceux de leurs
représentations à bénéfice, ont pittoresquement décrit une de
ces soirées rossiniennes dans l'appartement de la rue de la
Ghaussée-d'Antin (ancienne maison Bignon).
Anatole avait vu pour la première fois l'illustre compositeur
en une singulière circonstance. Il revenait de passer la soirée
chez Delsarte avec Georges Bizet. Il monte e,n omnibus ; et là —
ah! les petits mémoires à. faire de ces démocratiques véhicules
— Anatole trouve un monsieur fort empêché à compléter la ré-
tribution traditionnelle : le voyageur n'a dans son porte-monnaie
- que vingt^cinq centimes et un louis dont le conducteur n'a pas la
monnaie. Anatole offre courtoisement le sou qui manque et se
fait connaître. A son tour le monsieur se nomme : c'est Rossini ;
et, quelques jours après, les frères Lionnet reçoivent une invita-
tion de M. et de M"'° Rossini.
Anatole remarque que le maître avait, comme Gounod, admi-
rablement chanté dans sa jeunesse et qu'à ce titre il ne pouvait
souffrir « les hurleurs » ; par contre, il appréciait les fins diseurs.
Il adorait les chansons de Nadaud ; et il eût voulu les voir figu-
rer sur ses programmes, où, à son humble avis (!!!), M""' Rossini
mettait trop de grande musique, celle de son mari; ce soir-là,
« par dérogation », elle permit à Anatole de « dire » Une bonne
fortune de Musset.
Une autre fois, le maître accompagna les deux frères chantant
le duo de XduSerenala « Mira la bianca luna ».
Puis il leur ouvrait le trésor de ses anecdotes, car il avait
toujours excellé dans l'art de conter. C'est ainsi qu'il leur parlait
de ce souverain dont il était professeur d'harmonie et qui se
croyait un compositeur di primo cartello.
— Voyons, Rossini, lui disait le monarque, renouvelant, sans
le savoir, la scène classique du Misanthrope, vous vous rappelez
nos conventions : vous devez être sincère ; que pensez-vous de
cette sonate?
— Sire, répliquait le musicien avec cette bonhomie narquoise
qui lui était familière, c'est royalement fait.
Rossini, malgré qu'il fut le modèle du parfait égoïsme, avait
pris les frères Lionnet en affection. Il les présenta à Meyerbeer;
et quand, en 1862, ils entreprirent leur tournée de Russie, il
leur donna des lettres de recommandation pour le grand écuyer
de l'impératrice. Aussi furent-ils admis à un concert de la cour,
où leur interprétation d'un duo de Glinka fut très chaleureuse-
ment applaudie par l'empereur Alexandre.
Dans ses Lettres à l'Étrangère, Balzac ne rend pas moins justice
à la courtoisie et à l'aménité de Rossini : « son esprit et sa bonté
sont également supérieurs ». Il est vrai que le romancier, pour
flatter une manie de sa chère correspondante, partagée par un
parent de celle-ci, avait sollicité un autographe du composi-
teur, qui le promit et tint parole. Balzac considérait le fait comme
une victoire remportée sur la paresse, déjà légendaire, de Rossini;
les autographes du maestro sont très rares : « il n'écrit pas, il
chante ». Ce cri de triomphe éclate, sur « le revers même » de
la lettre du compositeur, comme le remarque le savant éditeur
du nouveau livre de Balzac, heureux propriétaire d'un auto-
graphe, dont la suscription rappelle celle d'un billet à l'adresse
de Voltaire :
A Balzac, en Europe.
Mon cher Balzac,
Vous me demandez un autographe? Eh bien, le voilà. De quoi vous
parlerai-je? Est-ce de vous, vous qui marquez le siècle par des chefs-d'œuvre?
Vous êtes, mon ami, un trop grand colosse, pour que je puisse vous entre-
prendre; et d'ailleurs, que vous ferait le suiVrage d'une naïveté étrangère? Je
me bornerai donc à vous dire que je vous aime avec tendresse et que vous,
à votre tour, ne devez pas dédaigner d'avoir ensorcelé le Pesariote.
Paris, ce 17 novembre 1831).
Ro&si.vi.
Ces relations amicales se continuèrent. Balzac, dont le cerveau
ne cessait de bouillonner sous le ferment de combinaisons tou
jours nouvelles, avait projeté de travailler avec Rossini. Inépui-
330
LE MÉNESTREL
sable dans sa complaisance, le compositeur lui avait « promis
de la musique » : et Balzac, s'autorisant de ce bon billet, lui
avait aussitôt envoyé une romance, dont nous ne citerons que le
premier couplet, par respect pour la mémoire de l'auteur :
Rive chérie
Où sont nés mes amours,
Sois ma patrie.
Là, mon amie,
Des cieux la fleur
S'est attendrie
De mon malheur.
C'était une allusion discrète à l'amour de Balzac pour
M°" Hanska, circonstance atténuante qui rendra le lecteur indul-
gent, mais qui n'eut pas raison de l'indolence rossinienne, car
nous ne voyons pas que le maître ait jamais écrit la moindre
note pour la mélodie troubadouresque du pauvre poète.
En somme, sauf ces rares exceptions, Rossini n'avait pas
l'âme bienveillante, et ses compliments mêmes, dont il était pro-
digue, comme tout bon Italien, étaient souvent marqués au coin
d'une plaisanterie macabre. Villemessant en cite un exemple
depuis longtemps tripatouillé par tous les fabricants d'anas. Qui
sait si Rossini ne puisait pas à cette source ses traits d'esprit?
Il reçoitunjour la visite de Jules Béer, neveu du compositeur,
qui lui demande la permission de lui faire entendre la marche
funèbre qu'il a écrite pour la mort de son oncle.
— Bien volontiers, mon bon ami.
Le jeune compositeur joue son morceau.
— Excellent, superbe, magnifique! Mais ne croyez-vous pas,
mon cher, qu'il eiit été préférable que ce fiit vous qui fussiez
mort et que la marche funèbre eût été de votre digne oncle?
Le génial bouffon ne pressentait guère celle que l'avenir réser-
vait à sa grande ombre.
Sa fin fut atroce. La souffrance lui arrachait des cris qui
déchiraient le cœur de ses amis. L'un deux, le 'prince Ponia-
towski, disait à maintes reprises — du moins M"'= Tascher
l'affirme :
— Mais ce serait une charité de « lui donner une bou-
lette ».
Le nonce était venu préparer Rossini à recevoir la visite d'un
prêtre. L'ecclésiastique demanda au moribond s'il avait la foi.
Et le pénitent de répondre :
— Celui qtii a composé le Slabat devait avoir la foi !
Une réponse bien héroïque pour un agonisant et... bien spé-
cieuse! Car nous pourrions citer tel auteur de musique sacrée,
du caractère religieux le plus pénétrant, qui fut le pire des
athées.
Rossini avait fixé une somme de deux mille francs pour le s
frais de ses obsèques : sa veuve n'eut garde de dépasser ce
chiffre. Mais l'art rendit à la mémoire d'un de ses plus glorieux
interprètes un hommage qui aurait peut-être manqué aux plus
grands rois de la terre. La cérémonie funèbre fut en quelque
sorte une représentation théâtrale avec billets d'entrée. Faure,
Adelina Patti, MariettaAlboni, Nilsson y chantèrent des so&. Nous
avions reçu, pour notre part, une invitation; mais il en était
déjà de ces cartes, comme il en est aujourd'hui des billets que
certains concerts distribuent en nombre double et triple des
places à remplir. Nous ne pûmes donc entrer à l'église, dont la
foule débordait de toutes parts, mais une hospitalité plus sûre
nous permit de voir d'une fenêtre défiler le cortège qui condui-
sait le maitre à sa dernière demeure. L'harmonie, derrière le
char, jouait sans discontinuer la marche de Chopin, — M°" Ros-
sini ne protesta pas — mais dans ce ton et avec cette allure que
devait donner plus tard au même morceau l'inoubliable chef
d'orchestre des Fêtards, une pièce bouffe du Palais-Royal.
(A suiwe.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Comédie-Franc.use. Le Roi, pièce en 3 actes de M. Gaston Schefer. — Atoénée.
Le Shogun, drame du vieux Japon eu 4 actea ; la Loïe FuUer.
Pièce historique, ce Roi! Non point par son sujet, mais bien par l'ef-
fervescence qu'elle a causée dans notre délicieux Cabotinville si facile-
ment en ébuUition, par le bruit qu'elle a fait dans un public qui, au
théâtre, semble de beaucoup préférer, à ce qu'on lui montre, ce qui doit
se passer derrière le rideau, et surtout, par les conséquences, peut-être
graves, qu'elle a entraînées après soi. Il n'y a pas place, ici, pour épi-
loguer sur la foudroyante suppression du fameux comité de lecture qui
semble avoir, celte fois, quelque peu joué le rôle désobligeant de bouc
émissaire; la parole, en l'espèce, appartient à l'avenir, qui seul pourra
prouver quelque chose.
Donc, la Comédie-Française, après pas mal de heurts, quelques retards
et beaucoup de discussions, a joué le Boi de M. Gaston Schefer, nouvel
engagé sur la galère théâtrale. Comme l'on sait par quelles vicissitudes
passa le malheureux néophyte condamné à voir opérer sur l'enfant de
sa chair de douloureuses amputations, on n'ose trop le critiquer person-
nellement et on hésite à trouver sa pièce de construction parfois malha-
bile, d'analyse trop électriquement hâtive et de dénoùmeut bien vieillo-
tement factice. Est-ce la faute des rebouteux, est-ce celle de l'autem' si
les caractères apparaissent à peine esquissés, si les « entrées » et les
« sorties « sont naives, les « situations » gauchement amenées quand
elles ne sont pas totalement esquivées, la conclusion brutale?
Ce qui, cependant, appartient en propre ;î M. Gaston Schefer, sans
qu'il soit loisible d'en douter, c'est l'idée de sou drame, — car c'est bel
et bien un drame, évocateur même de tragédie — et c'est aussi la phi-
losophie qu'il comporte. Là, il n'y a qu'à féliciter l'écrivain. On sait la
donnée, plutôt empêtrée d'événements d'intérêt quelconque et de nou-
veauté sujette à caution. Le Roi — la pièce devait primitivement s'appe-
ler l'Esclave — le roi d'un pays qu'on ne nomme pas, et pour cause,
veut sacrifier à la raison d'état, au salut d'un peuple auquel s'est déjà
dévouée une longue et noble ascendance, et l'amour d'une fille qu'il
chérit et son propre honneur cruellement atteint. Étude psychologique
en même temps que de mœurs, qui devait donner lieu à des développe-
ments attachants et camper des êtres d'élection...
Le Roi est, cela va sans dire, bien joué par la troupe de la Comédie-
Française, encore que le manque de relief des caractères et la rapidité
de l'examen de sentiments pourtant coniple.xes gazent tout l'ensemble de
vague et d'hésitation. Il n'en est pas moins que M"' Marie Leconte est
délicieuse en noble petite princesse marchant royalement au martyre,
silhouette jolie qu'on aurait aimé voir plus poussée, que MM. Paul
Mounet, Fenoux, Maj'er, Dessonnes sont de tenue, que M. Delaunay a
marqué de charmante bonhomie le rôle d'un prince très bourgeois, tan-
dis que M""^^ Segond-Webern'arien pu tirer du personnage tout mauvais
de la reine.
M""" Sada Yacco est revenue donner une série de représentations
dans la joUe salle de l'Athénée, en modifiant son spectacle avec un drame
non encore joué à Paris. Cela s'appelle le Sof/hmi et fait partie, dit le
programme qui doit être notre trop, incomplète documentation, de la lit-
térature théâtrale du « Vieux Japon ». C'est fort vague comme indica-
tion; mais peu nous importe, d'ailleurs, cette histoire invraisemblable
et enfantine, empruntée, paraît-il, à l'histoire japonaise et qui sert aux
grimaces expressives et aux ébats curieux de ces hystériques de la pan-
tomime, la voix n'ayant qu'un rôle très inférieur, nul même pour ainsi
dire, dans ce théâtre tout à la fois si prodigieusement arriéré et si
cruellement réaliste.
Vous vous rappelez, Rue de Paris, la mort extraordinaire de M""^Sada
Yacco dans la Ghesa et le Chevalier ; eh bien, dans le Soghwi elle meurt
encore, et comme cette fois c'est de joie et non plus de rage, elle a su
trouver des effets nouveaux. Vraiment c'est une grande artiste, mer-
veilleusement douéi;' par la nature, que cette petite poupée chétive et
menue qui, rien qu'avec des jeux de physionomie, arrive à vous donner
ainsi le frisson. Elle vaut la peine qu'on aille à l'Athénée — qui sait
quand elle reviendra en France ! — rien que pour la minute d'indicible
émotion qu'elle sait vous imposer. M. Otojiro Kawakami, son mari, lui'
donne la réplique de toujours véhémente façon — il joue, en lever de
rideau, Kesa, dans lequel on le revoit, vision d'effroyable réalité, prati-
quer l'horrible Hara Kiri — et l'on remarque encore dans la troupe,
assez nombreuse et vraiment disciplinée de merveilleuse façon, la joliesse
souriante et juvénile de M""-' Tsuru, l'adresse de M""= Nakakichi et la
conviction de M. Fusijawa.
Comme à l'Exposition, la Loie Fuller corse le programme avec ses
LE MÉNESTREL
331
éblouissantes danses lumineuses, complétées maintenant par des pro-
j ections murales nouvelles qui ajoutent à la fantasmagorie en l'auréo-
lant de plus de rêve et de plus de fantastique.
Paul-Émile Chevalier.
Folies-Drajiatiques. Le Billet de Logement, vaudeville en trois actes,
de MM. Antony Mars et Henry Kéroul.
Je commence par déclarer que cette pièce, très folle et très amusante,
n'est point faite pour les pensionnaires des couvents de jeunes filles. Et
c'est une faute de la part des auteurs, qui auraient pu, avec un peu de
peine, rendre très acceptable la scène très, trop scabreuse, qui termine
le second acte, la seule qu'on leur puisse reprocher et qui est jouée
d'ailleurs avec un tact exquis par M"" Milo d'Arcyle. A part cette scène,
la pièce est d'un « bon enfant » complet, en môme temps que d'une
gaité franche et parfois ahurissante.
Le point de départ qui établit le quiproquo est celui-ci. Dans la petite
ville d'Évreu.x résident deux dames Martin, toutes deux veuves, toutes
deux portant le nom d'un ancien magistrat, toutes deux ayant une nièce
appelée Pauline. L'une de ces dames JSIartin est une femme d'âge, abso-
lument honorable et respeclable, dont la nièce aime un jeune officier
de la garnison qui ne demande qu'à l'épouser. L'autre, jeune encore, a
mené jadis une vie de polichinelle, a dansé la danse du ventre aux
Folies-Bergères, et, entourée de ses six nièces, dont la jeune Pauline,
tient à Évi eux une maison où les beaux messieurs de la ville viennent
s'amuser ferme en taillant un bac qui est la ressource de la dame du
lieu.
Or, c'est cette confusion des deux dames Martin, toutes deux veuves
de magistrat, toutes deux tantes d'une Pauline, qui amène les quipro-
quos les plus burlesques et les plus réjouissants. Celui-ci se présente
chez l'ancienne danseuse croyant avoir affaire à une matrone éminem-
ment vénérable, et n'en revient pas de ce qu'il voit et de ce qu'il entend.
Cet autre, au contraire, ayant affaire â la vieille dame, la traite cava-
lièrement en raison de ce qu'il croit être son passé, et aux yeux de tous
lui fait les avanies les plus étonnantes, jusqu'à ce qu'enfin tout s'éclaire
et tout s'arrange.
Je ne saurais raconter l'intrigue tout au long. Ces choses-là ne se
racontent pas. C'est trop compliqué, et j'en aurais jusqu'à la prochaim?
Exposition. Mais la pièce est charmante, d'une gaité folle, pleine d'es-
prit, et jouée avec un ensemble parfait par M"'" Augustine Leriche,
Milo d'Arcyle, Louise Bignon et MM. Hirch, Coquet (celui-là même qui
fut, il y a trois jours, l'objet d'une tentative de meurtre de la part de sa
maîtresse), Violette, Milo, Véret et Mondes, sans compter les autres.
Les Folies tiennent, avec le Billet de Logement, une ample revanche de
leur four précédent. A. P.
Bouffes-Parisiens. L'Amour du Prochain, comédie en 4 actes,
de M. Pierre Valdagne.
Un de ces romans qui donnent à l'étranger une idée aussi fausse que
singulière de la véritable vie parisienne a fourni la trame de la pièce
que viennent de nous offrir les Bouffes-Parisiens. Une jeune femme du
meilleur mijnde, M""^ de Réserve, est tellement heureuse en ménage
qu'elle s'efforce de procurer à ses amis des deux sexes un bonheur ana-
logue au sien, même par la voie extra-conjugale; son proxénétisme phi-
lanthropique n'admet en effet qu'un seul but de la vie, l'amour. Or, il
se trouve qu'elle héberge dans son château deux ménages mal assortis :
celui d'un vague poète planant éternellement au-dessus de la réalité des
choses et négligeant par conséquent sa charmante femme, très réaliste
et très moderne, puis le ménage d'un vague député qui ne s'occupe que
de sa situation politique et néglige également sa femme, âme tendre et
poétique mais peu platonique. Rien à faire avec le député toujours
absent, mais sa femme pourrait être rendue heureuse par le poète, tan-
dis que la femme de celui-ci pourrait faire l'aiîaire d'un jeune et aima-
ble clubman attiré à cet effet de Paris. Tout semble marcher à souhait :
le poète a trouvé son àme sœur en la femme du député et le clubman
est presque immédiatement au dernier mieux avec la femme du poète.
Mais il était écrit que ces unions si bien arrangées par la châtelaine
n'aboutiraient pas. Le poète se dérobe d'une façon ridicule au moment
décisif et le clubman s'oublie dans les marivaudages. Tout sera à recom-
mencer l'année prochaine et la morale est sauvée provisoirement.
La pièce, qui offre un joli troisième acte, celui de l'illégitime mariage
blanc du clubman, et un épisode égayé par un hobereau du voisinage
en quête d'une épouse digne de son chien de race qui lui est naturel-
lement accordée par la bonne châtelaine, a été assez bien interprétée.
Citons M"' Samé dans le rôle de M°" de Réserve, ensuite M'"" Maud-
Amy, qui a joué avec beaucoup de brio et de bonne humeur communi-
cative la femme du poète platonique, et M. Honteux en hobereau
adonné â tous les sports qui exhibe avec orgueil ses mollets de cycliste.
La mise en scène a été une surprise; on n'est plus habitué à tant de
splendeur aux Bouffes-Parisiens. O. Bn.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXVII
SCHUMANN CRITIQUE MUSICAL
-4. SI. Henri de Curzon.
— « Que dirai-je de l'opéra ? Tant que durera le monde, une pareillt
musique reparaîtra toujours sans jamais vieillir... »
— Ah ! le beau jugement, dans sa majesté simple ! (En mon émoi, je
viens de faire un vers...) Mais, ce jugement, quel en est l'objet et
l'auteur? Et comme on voudrait être l'un ou l'autre, si l'œuvre est
digne de la sentence !
— Le 13 mai 1847, c'est Robert Schumann qui juge Iphigénie en
Aulide. Et le critique-musicien poursuit : « Gluck ? LTn grand artiste
original. Mozart a certainement profité de ses lumières. Spontini le
copie souvent mot pour mot... Le finale de l'opéra demeure du plus
grand effet, comme celui d'Annide ...»
— Notre vieil ami Berlioz le gluckiste applaudirait, lui qui jetait ce
cri d'alarme: « Gluck se meurt ! Gluck est mort! » (2), à l'heure où la
foi de M'"' Fanny Pelletan n'avait pas encore entrepris d'édition défini-
tive, et qui, pour définir le Beau, disait : Gluck. Puisque, à défaut de
génie, votre conscience m'oblige à répondre à vos citations par des cita-
tions et à causer, pour ainsi dire, â coups de petits papiers, voici. Vous
ne regretterez point la citation, qui me paraît suggestive entre toutes.
C'est Berlioz qui parle: « Qu'est-ce que le génie? Qu'est-ce que la
gloire? Qu'est-ce que le beau? Je ne sais; et ni vous, monsieur, ni
vous, madame, ne le savez mieux que moi. Seulement il me semble
que si un artiste a pu produire une œuvre capable de faire naître en
tous temps des sentiments élevés, de belles passions dans le cœur d'une
certaine classe d'hommes que nous croyons, par la délicatesse de leurs
organes et la culture de leur esprit, supérieurs aux autres hommes, il
me semble, dis-je, que cet artiste a du génie, qu'il mérite la gloire,-
qu'il a produit du beau. Tel fut Gluck. »
— A la bonne heure ! Gloire à ces gluckistes ! Et leur instinct ne les
trompait guère quand leur noble romantisme les ramenait éloquem-
ment vers la source grecque. Berlioz et Schumann ! Je les évoquais
vendredi soir, à l'Opéra-Comique, au début d'Or^j/iee.- inspirés et lettrés
tous deux, créateurs et critiques, cherchant et défendant, chacun selon
son rêve, ce que nous appelons plus emphatiquement, aujourd'hui, « la
vérité musicale ». Au temps des grands musiciens de la petite musique,
ne fraternisaient-ils pas, de trop loin, dans la beauté, ne partageaient-
ils pas cordialement les mêmes adorations, les mêmes répugnances ?
Leurs dieux? Beethoven, Gluck et Weber ! (S) Leur panthéon ? Les
deux IiMgénies, Euryanthe, ta Neuvième ! Et, avec cela, pas plus wagné-
riens l'un que l'autre, pas plus wagnérieus que Delacroix, l'ami des
« conventions nécessaires » ; bien que, vers 184o. leur idéal dramatique
se rapprochât singulièrement de celui de Richard Wagner, et que nos
deux minnesinger, qui allaient entonner, l'un, la panthéiste et sublime
Invocation de Faust à la Nature, l'autre, le suave et puissant Chorus
mysticus du Second Faust en l'honneur de l'Éternel Féminin, fussent les
rivaux secrets de Tannhâuser à la Wartburg...
— L'image est plaisante. Mais cette rivalité, cette jalousie fraternelle
n'explique-t-elle pas suffisamment les divergences des chanteurs ?
— Je ne crois pas. Et, plus nerveux qu'impérieux, le tempérament
de Schumann devait pencher plutôt du côté de Berlioz. Tous deux
rêveurs admirables, avec des lacunes, celui-ci très peintre, et celui-là
si poète !
— Malgré votre chauvinisme musical et bien entendu, vous n'allez pas
faire de Schumann un musicien français, je l'espère, comme de Mozart et
de Gluck?... Schumann ! Le plus allemand des compositeurs et des cri-
tiques musicaux (je n'excepte point Wagner et Beethoven), l'àme la
plus allemande qui ait fleuri musicalement dans cette vallée de larmes !
Lui, l'Obermann profond des Lieder à la senteur alpestre, le poète des
(1 ) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 22 et 29 septembre, du
13 octobre 1901.
(2) Dans les Grotesques de la musique (Paris, 1859), cités par Camille Saiol-Saêns dans
Harmonie et Mélodie (1885), page 116.
(3) En 1845, l'année dé J'fmH/iaîf.ser. Berlioz publiait, à Paris, un volume qui portait
comme titre ces trois noms.
332
LE MÉNESTHEL
Frauenliebe et des Diclilerliebe, si poignants, que notre Saint-Saëns
appelle un peu bizarrement, j'en conviens. « une sorte d'Alfred do
Musset musical », parce qu'il est « l'homme des choses exquises », qui
sait 0 être grand dans les petits genres et dans les petits cadres » (1),
et qui n'a pas moins réussi, au moins une fois, dans les dimensions
plus vastes, témoin ce Faust si délicatement grandiose! Un chef-d'œuvre
inégal, mais son chef-d'œuvre, assurément, ce Fmi.st que je préfère
même à Manfred (l'ouverture à part)! En tous cas, une des plus puis-
santes affirmations de la musique depuis Beethoven ! En son àme sin-
cère et subtile, discrètement exaltée toujours, le critique musical est
d'accord avec le compositeur : je ne vous ferai pas l'injure de supposer
un seul instant que vous n'avez jamais lu ses Écrits, le recueil qu'il
avait formé lui-même, en 18o4, avec ses anciens articles enflammés de
la Neue Zeitschrift fiir Musik de Leipsig (2) ?
— Je les connais. Et si la « divine » symphonie en In, de Beethoven,
est « l'apothéose de la danse », ce recueil est l'apothéose du dialogue,
du genre que nous cultivons ici plus modestement, pour marier l'en-
thousiasme avec l'ironie... Dans la traduction, si loyale, je regrette seu-
lement de ne plus retrouver le profil délicieux de Stephen Heller... Une
autre fois, en nous racontant l'àme de Schumann, qui tressaillait tout
entière sous le voile pudique de la Muse, il faudra que vous évoquiez
l'origine de ce recueil célèbre au delà du Rhin.
— Vous la connaissez mieu,x; que moi, puisque vous jouez les Davkls-
bwidlerlanze ! Et donnez-leur pour épigraphe ce fragment de lettre à
Dorn, daté de 1833 : « Le Davichbund n'est autre chose qu'une confrérie
d'esprits romantiques, comme vous l'avez depuis longtemps reconnu.
Mozart élait tout aussi bien un DavidsbumUer en son temps que l'est
aujourd'hui Berlioz, que vous l'êtes vous-même, et sans qu'il soit besoin,
pour cela, de diplôme... »
— Mais c'est le mot d'Eugène Delacroix : Mozart est un romantique,
et Don Juan un chef-d'œuvre de romantisme !
— Non loin des Écrits de Robert Schumann, j'aime à placer le Jour-
nal du peintre mélomane et lettré qui s'accorde mystérieusement avec
lui pour deviner « son cher petit Chopin » comme pour enterrer « l'af-
freu.\ Prophète » ; et le compositeur inspiré, qui a prédit trop lyrique-
ment la vocation plus rassise de Johannès Brahms, ne conclut-il pas
lui-même : « A chaque époque, une secrète alliance d'esprits parents
domine » ?
— Sans doute ils n'auraient pas mieux demandé que de s'entendre
pour ranger sans façon Meyerbeer parmi les « écuyers de Franconi » .
Mais Delacroix n'aurait-il pas bondi devant cette image : « Le papillon
vola sur le chemin de l'aigle, mais celui-ci se rangea pour ne point l'é-
craser d'un battement d'aile »? Il s'agit de Rossini, « le peintre-décora-
teur », qui n'a pu rendre visite à la vieillesse de Beethoven... Mais
Schumann admire Gluck et même Gherubini plus que Cimarosa, dont
il apprécie pourtant l'écriture ; il ne trouve pas Beethoven « toujours trop
long » ; il n'appellerait point la mélodie de Schubert « l'école de l'amour
malade » ; Eurijanthe le passionne autant que ks Hw/uenots l'horripilent ;
il voit enfin, dans Berlioz, d'autres horizons qu'un « héroïque gâ-
chis »...
— De Mozart à Wagner, eu passant par Weber, le génie allemand a
montré toujours une tendresse parcimonieuse pour l'art français: aussi,
quelle réconfortante surprise de trouver Robert Schumann symphathi-
que cà Hector Berlioz! Ce n'est pas qu'il ne blâme ses écarts, qu'il
accorde par surcroit son indulgence au goût néo-français de ses prosély-
tes, qui sentent l'Eugène Sue et le George Sand...
— Le romantique Delacroix applaudirait encore à cette satire du
romantisme!
— Lisez : « On reste saisi devant une telle absence d'art et de natu-
rel. Liszt charge au moins avec esprit. Et Berlioz, en dépit de toutes
ses aberrations, montre eà et là un cœur d'homme; c'est un libertin
plein de force et d'audace... »
— Vous prétendez assez justement que Schumann est le plus germa-
nique des musiciens : il faut donc s'attendre à son excessive sévérité
pour notre art; ses jugements seront allemands, tout comme ses Liebes-
lieder espagnols... Classique d'éducation, romantique de sentiment, si
Schumann est plus favorable à Berlioz, n'est-ce pas que Berlioz, alors
« trop escarpé » pour être prophète en son pays, semblait alors très
allemand lui-même? Ce « Beethoven français » (3) ne connut qu'au delà
du Rhin les triomphes...
(1) Harmonieet Mélodie, pages 195-197, à propos de la lenleur de la SocH-: dn Concerts
à s assimiler Schumann.
li, Robert Schu.mann, Écrits sw la Musique et te Musieiens traduits par Henri de
Cu,-.on ; deux séries. (Paris, Fischbacher; 1894 et 1898.) - Cf. Jean Hubert, Autow dune
bouille, Etude sur Robert Sclmiimnn [id., 1898;.
(3) Déanilion de Reyer à rinauguration de la statue de Berlioz par Allred Lenoir, au
Square^ Vintiraille, le dimanche 17 octohic 1886.
— Et la France musicale de 1830 se partage entre l'école d'Auber et
la personne de Berlioz : « Autant l'une est légère comme plume , à la
Scribe, autant l'autre est farouche, à la Polyphème... »
— Joli mot, pour un contempteur soi-disant obtus de l'art français !
— Clairvoyance pareille à l'occasion de la Symptionie fantastique, une
« date » musicale, un drame instrumental en cinij actes. Ce n'est
peut-être plus de la musique; mais c'est beau, do la beauté de l'àme.
Depuis Beethoven, à part l'élan méconnu de Schubert (1) et les élégies
de Spohr. la symphonie était en décadence : « virtuose-né sur l'or-
chestre », Berlioz lui souffle une vie nouvelle, celle de son être inégal et
volcanique. Le tourment du siècle vibre en lui. Oui, souvent il est plat,
crispant, grimaçant, réaliste, trop littéraire et mal développé, avec des
rythmes à cloche-pied de Corybante en goguettes ; Vidée fixe, qui traverse
l'œuvre, est « triviale » ; mais aussi, quelle intelligence, quelle convic-
tion généreuse et flère, quel essor constant vers l'idéal ! Où donc ce bon
Fétis a-t- il découvert son indigence harmonique et mélodique ? Laissons
(I les cantors crier au sans-culottisme » : Schumann défend son confrère
d'outre-Rhin sans le connaître, puisqu'il se trompe et sur la date de son
œuvre et sur le lieu de sa naissance. Mais qu'importe? Le génie seul
parle au génie.
— L'étude entière sur Berlioz est probante. Et, maintenant, puisque
tout portrait est « un modèle compliqué d'un artiste » (2), cherchez-nous
donc, pour définir à la fois Wagner et Schumann, les fameuses lignes,
si malveillantes, sur Taniihduser...
— Sont-elles si malveillantes? En tout cas, les voici. C'est à Dresde,
le 7 août 1847 : « Un opéra sur lequel on ne peut s'exprimer ainsi en
deux mots. Il est certain, qu'il a une couleur géniale. Si le musicien
était aussi mélodique (melodiôs) qu'il est riche d'idées ((geislreich), ce
serait l'homme de l'époque... »
— Je ne saisis pas très clairement l'antithèse. Il y faudra revenir.
Melodios et geislreich, où réside vraiment l'opposition? Grammatici
certanl... Mais Schumann le gluokiste ne pouvait pardonner à Wagner
son extrême sans-gêne à l'égard d'Iphigénie en, Aulide et ses additions.
Il ajoute finement : « Gluck ferait peut-être aux opéras de M. Wagner
le procès inverse; il retrancherait, il couperait... » Et, de même,
Wagner plus tard, en ses Bayreulher Bliilter. sera sans merci pour
l'instigateur de Brahms...
— N'oublions pas que, trois ans après, la Geneviève de 1830 sera la
rivale du Lohengrin de Weimar. Richard Wagner n'était point seul à
se préoccuper « d'un nouvel opéra allemand... »
— Et, de peur d'une injustice, Robert Schumann n'a-t-il pas dit :
« La meilleure critique musicale est le silence » ?
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
LA REBOULE
La Reboule, c'est, dans le Forez, la fête des batteurs de blé.
Avant de battre dans l'aire la dernière couche de grains ils préparent
une gerbe, faite des plus beaux épis, qu'ils décorent de rubans, de
fleurs et de petites croix. Ils l'emmaillotent dans une longue tresse de
paille nouée et renouée à divers intervalles, et dont les bouts sont si
cachés qu'on ne sait ni où elle commence ni où elle finit. Ainsi prépa-
rée, ils disposent ce monument, vrai chef-d'œuvre de maîtrise, sur les
bras de quatre fléaux, qui s'adaptent aux quatre bâtons correspondants,
de façon à en former comme un dais superbe qu'ils portent solennelle-
ment à la ferme.
Chemin faisant, la procession a soif, comme on pense bien, et les
verres, abondamment remplis, circulent dans les rangs, aux accents
joyeux de la chanson de la Reboule, qu'on appelle aussi la chanson de
la Rançonnetle ou de la Rinçonnelte :
— Camarade, qu'apportes-tu ?
— J'apporte une gerbe .
— Camarade, que payes-tu ?
— Je paye une bouteille.
(1) La grande Symphonie en ut, découverte par Schumann, exécutée pour la première
fois à Leipzig, le 22 mars 1839.
(2) Définition du portrait par Baudelaire dans son Salon de ISH.
LE MÉNESTREL
333
— La bouteille, il est bu',
Encore une cbopine.
La cbopine, il est bu',
Encore-z-un plein verre.
Le plein yerre, il est bu,
Encore un demi-yerre.
Le demi-verre, il est bu,
Encore un quart de verre.
Le quart de verre, il est bu,
Encor' la rançonnette...
Et comme il n'y a plus rien à boire, on hâte le pas pour arriver à la
ferme, oii, sur le seuil, attend la maîtresse du logis, parée de ses plus
beau,x atours et coiffée du monumental bonnet forézien, emblème de sa
toute-puissance. C'est la coiffure des riches matrones du moyen âge,
brodée au tamis ou au carreau, ornée d'une profusion de dentelles, et
dont les ailes en bandeaux sont relevées par des épingles d'or. La belle
fait bon accueil à ses batteurs, prend la gerbe qu'ils lui offrent et
cherche à découvrir les bouts de la cordelette qui l'enserre. Naturelle-
ment elle n'y peut parvenir et n'arrive à ses fins que par un procédé
renouvelé du nœud gordien. Alors les libations commencent, mais
elles n'ont qu'une courte durée, car à la grange la besogne n'est pas
finie. Le dernier paillier, la dernière couche de blé, reste à battre, et
celle-là donne lieu à un jeu propre â faire valoir l'adresse des travail-
leurs. Ils ne battent pas selon les règles et lancent le lléau suivant un
mode qui échappe au vulgaire. Cela s'appelle guiller, et c'est, parait-il,
très difficile.
« On ne se contente pas, dit M. Victor Smith, auquel nous emprun-
tons la plupart des indications employées dans ce chapitre, de lancer à
tour de bras le fléau ou de viser un but. La souplesse des membres est
mise à de rudes épreuves : parfois le batteur, accroupi, lance le fléau
latéralement, en passant ses bras derrière ses jambes et en ramenant
ses mains devant soi ; parfois il le lance par derrière la tète, â l'aide du
pouce et de l'index, sans cesser de tenir chacune de ses oreilles entre
l'annulaire et le petit doigt ; d'autres fois, le jet du fléau se fait par
l'orteil, qui se meut comme un ressort ; enfin, un organe, fort dévié de
sa fonction, le nez, sert à son tour de propulseur ; le batteur se couche
et, d'un vigoureux coup de nez, chasse le fléau aussi loin qu'il peut. :>
Le vainqueur s'appelle le Bourreau, — le Bourreau des cœurs, sans
doule, car il a le droit d'embrasser toutes les filles qu'il rencontre ; et si
celles-ci se montrent rébarbatives, son aide, le Valet di Bourreau, a
mission de s'emparer de la récalcitrante et de la maintenir pendant que
son maitre accomplit son sacerdoce. Quant au.x vaincus ils sont nom-
breux, et leur chef, c'est-à-dire le plus maladroit d'entre eux, s'intitule
le Cochon. Une queue en paille au derrière, et à la tète deux feuilles de
chou en guise d'oreilles, il marche tantôt debout, tantôt à quatre pattes,
effrayant les filles sur lesquelles il tente d'exercer les privilèges du
bourreau.
Devant le cortège, au retour, le ratisseur et le balayeur de la grange
font chemin net, et chacun de se presser, car un repas somptueux
attend tout le monde à la ferme.
On dit que la grive
Aime le raisin ;
Je ne suis pas grive,
J'aime le bon vin,
chante un convive. C'est le signal des libations, qui se succèdent, cou-
pées par des intermèdes de chant et de danse. Par moments c'est une
cacofjhonie à ne pas s'entendre. Le merle blanc va boii'e à la fontaine...,
entonne l'un, ... Benoîte, quand vous danserez. Tenez-vous droite, dégagez
vos pieds..., commence l'autre... Et les filles: Derré vé nous Y a-t-un
ozelou. Toute la net tsaiita Pour les amou7-eux (Derrière chez nous il y a
un oiseau, toute la nuit il chante pour les amoureux). Mais soudain
une voix claire s'élève d'un groupe, et l'on fait silence. C'est Madelon
qui chante la légende du Tremble de Saint-Pardoux, sans laquelle il n'est
pas ds bonne fête dans le Forez :
Noutre patran in vouïàge
Passot pre le travars d'in boës.
Le-z-âbres, su san passage.
Se torsiant tous à la vais.
Quemme devint l'Evingile,
Les chréquins se signent tous.
Se tint raid' tout seul, l'beb'cile,
Le Tremble de Saint-Pardoux.
Lou ban saint se prest à rire .
Et in dict : — Abre orgueilleu,
Y ves ben qu'y suis ch'ti sire,
Mais sui l'ami du ban Dieu.
Devint in, plie l'esquinel
Et te cres-tu qu'y badine,
Vieux Tremble de Saint-Pardoux !
Ah ! tu ne vou\ pas pincher la tête,
Ch'ti 4bre que vauls pas in liard !
Pourtant y te crairen pas si bête !
D'abord que te fais ton fiar,
Te-même t'auras la iiëvre,
Iquin, tujou et pretout ;
Te trembleras quemme in Iiëvre,
0 Tremble de Saint-Pardoux !
Mais la musette a retenti, et c'est la bourrée, la bourrée de plusieurs
espèces : la Montagnasse; ÏAuvergnasse; la Bourrée douce, qui tend mal-
heureusement à disparaître : — Que ce venia tsertsà, Garçoun de la mon-
tagno. Que ce venia tsertsà, Si voulu pas dansa, — Si vourià ma dormi
(Qu'est-ce que vous venez chercher, garçon de la montagne, si vous ne
voulez pas danser, si vous ne voulez que dormir), disent le's filles. Mais
â la Bourrée douce, les garçons s'amadouent, car la bourrée douce, c'est
celle où l'on se fait des douceurs, des œillades, des entrelacs. En voici
une, elle est en patois de la campagne d'Arfeuilles qui se comprend
aisément :
Les filles
De Saint-Niconlas
Sanl amoureuses,
Qu'an n'y dirait pas.
La deri ri ri ri la ri la la !
Le sautent
Avé lous garçans,
Counie les chèvres
Après lous boëssans.
Lous houmes
Qui danser vous faut
Sant pas lous voustres ;
Ménagez-lous danc !
Chacune
A près son chacun.
Lou bland la brune,
La blande lou brun.
La deri ri ri ri la ri la la !
Les flUes
Quand vous danzerez,
Tenez-vous draites,
Deimenez lous doigts.
La deri ri ri ri la ri la la !
Les femmes,
Passant pré devant,
Coume da folles.
An en fa autant.
Mauvaises,
Lous houmes vaut loin
. Leurs jambes plient;
Avez-en donc soin!
Petites,
A deux mains prenez
La devantière,
Cotillons troussés,
La deri ri ri ri la ri la la !
Lou monde,
Voilà le moment,
Faites la vire
Un peu joliment.
Li deri ri ri ri la ri la
Trop vite.
Frappez vos deux maïn
Ces pieds sant raides...
Ou vé d'un bon train.
Les fille--.
On est ban pr' euneu,
On-z-a prou d'roses
Sur vos poulis yeux.
Bourreïe
En train de cesser.
Toujours demande
In cent de baisers.
La deri ri ri ri la ri la a !
Après chaque bourrée, après chaque chanson on reprend le repas
interrompu, de sorte qu'il dure autant que la fête elle-même. Puis on
s'en retourne chez soi en se donnant rendez- vous pour la vendange. La
sortie n'est pas bruyante, car on est sage dans le pays forézien. Les
garçons, à peine leur besogne de récolte finie, pensent â celle du labour
qui va commencer; et en vue du sillon qu'ils traceront demain, ils
entonnent la Chanson du Laboureur. Au travail ils l'écourtent souvent,
suivant la longueur ds la tâche à remplir; la voici dans son entier,
d'après Mélusine. Elle se coupe deux vers par deux vers :
Qui veut savoir la vie du pauvre laboureur?
Le jour de sa naissanc' ne fut bien malheureux.
Qu'il pleue, qu'il vent', qu'il neige, orage ou autre temps.
On voit toujours sans cess' le laboureur aux champs.
Le pauvre laboureur est tout décourlisan (déchiré);
N'est habillé en toil' comme un moulin à vent,
N's'fait faire des arsoulett's (des chaussettes) en toile de métier
Pour empêcher la terr' d'entrer dans ses souliers.
Le pauvre laboureur n'ayant que deux enfants,
L's a mis à là charrue à l'âge de dix ans.
Passant devant sa porte, un gros riche sergent
Lui crie à haute voix : — Apportez votre argent !
Moins positives, les filles, après les avoir taquinés â la danse, pensent
aux garçons en retournant au logis. Enlacées par leurs mains jointes
derrière le dos, elles cheminent, tenant toute la route, et regardant avec
mélancolie les collines noyées tout autour d'elles dans la lumière argentée
du clair de lune, elles chantent ce doux refrain, dont la poétique pensée
se retrouve en tous pays de montagnes, des Cévennes aux Pyrénées :
Abaissa, montagne,
Que tant nauta se
M'empêcha de veire
Moun amant Dzozet.
Baisse-toi, montagne,
Qui tant haute es
Que tu m'empêches de i
Mon amant Joseph. ■
Et derrière les filles s'avancent à petits pas les vieilles, pour lesquelles
le clair de lune n'a plus d'attraits. Elles marmottent cependant une
sorte de litanie qui se perd dans les échos lointains des chants et des
musettes. Qu'ànonnent-elles ? Que signifie cette mélopée traînarde, faite
pour endormir les gens les plus éveillés?... C'est leur prière, à ces
bonnes vieilles, la prière que chacune d'elles dit habituellement en se
couchant, et que ce soir-là toutes récitent en commun :
Jésus m'endort.
Si je trépasse, mande mon corps,
Si je trépasse, mande mon âme,
Si je vis, mande mon esprit.
J'prends les anges pour mes amis.
Le bon Dieu pour mon père,
334
LE MENESTREL
La sainte Vierge pour ma mère.
Saint Louis de Gonzagoie,
Aux quatre coins de ma chambre,
Aux quatre coins de mon lit,
Préservez-moi de l'ennemi.
Seigneur, à l'heure de ma mort!
Mais bientôt toutes les vois s'éteignent. Ça et là, à la tombée de la
lune, des petites lumières s'allument au loin, sous le chaume; elles
brillent un moment, et l'une après l'autre disparaissent. Déjà le coq a
chanté trois fois, et l'alouette prélude, en un léger gazouillis, à sa
chanson du matin. A peine couché, il va falloir se lever.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
N^OXJVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Avec l'autorisation de l'empereur Guillaume II, le surintendant des
théâtres royaux de Berlin a invité M. Colonne à venir donner, avec son
orchestre, im concert dans la salle du théâtre de l'Opéra. Ce concert est fixé
au 2 novembre prochain.
— Il s'est formé à Berlin, sous le titre d'Association pour, musique de
chambre, une société musicale à l'instar de notre société de musique de
chambre pour instruments à vent. MM. Prill (flûte), Bundfuss (hautbois),
Es berger (clarinette), Guetter (basson), Littmann (cor) et Fuhrmeister (piano),
sont les membres de cette société, qui vient de donner, avec beaucoup de
succès, son premier concert. On a surtout applaudi le ravissant petit trio en
sol majeur pour piano, flûte et basson, de Beethoven.
— Un concours original vient d'être ouvert à Berlin. Le 11 novembre aura
lieu un banquet en l'honneur du célèbre médecin et savant Virchow, et ce
banquet sera naturellement suivi d'un commers, selon la coutume des étu-
diants allemands. Il est, comme on sait, d'usage que les étudiants, jeunes et
vieux, chantent inter pocula leurs classiques lieder que là-bas tout le monde
sait par cœur. Or, le comité Virchow désire qu'on puisse entendre quelques
nouvelles chansons au banquet en question, et il a ouvert un concours pour
les obtenir. Les prix ne sont pas bien engageants : 100, SO, 30 et 20 marcs;
mais l'honneur d'enteudre ses paroles et sa musique chantées en une sem-
blable circonstance tentera sans doute beaucoup de poètes et de compositeurs
d'outre-Rhin.
— On va jouer au théâtre grand-ducal de Carisruhe, sous la direction de
M. Félix Mottl, le Rigoletto de Verdi. Si nous mentionnons ce fait, d'appa-
re nce fort simple, c'est que les habitants de Carisruhe ne connaissent encore
Rigolelto que de réputation, l'ouvrage n'ayant encore jamais été représenté en
celte ville, ce qui peut paraître au moins singulier.
— Le conseil d'administration de la Société Liszt vient de se réunir à
Weimar et de décider d'inaugurer l'année prochaine la statue du maître
dans cette ville. Le conseil a aussi décidé d'entreprendre une édition com-
p lète de l'oeuvre de Liszt à prix réduits, pour propager ses compositions.
Ajoutons qu'un comité s'est formé à Stuttgard pour ériger également dans
cette ville un monument à Liszt. Le roi a accordé à ce comité un très bel
emplacement dans le parc qui entoure le château royal.
— On vient d'inaugurer à Coblenz une magnifique salle de concert que les
bourgeois de la ville ont payée de leurs deniers : un seul amateur de musique
y a contribué pour 125.000 francs et a, de plus, offert un excellent orgue.
L'acoustique de la salle ne laisse rien à désirer. Les bourgeois de Coblenz
s'occupent de réunir une nouvelle somme importante pour améliorer et
augmenter l'orchestre de la ville, aûn qu'on puisse donner au printemps pro-
chain un festival musical. Les parois latérales de la nouvelle salle de concert
sont mobiles et on peut les descendre- par une trappe dans le sous-sol ; après
la séance, la salle peut être ainsi évacuée dans quelques secondes. C'est une
innovation qui mériterait d'être appliquée dans toutes les salles de spectacle.
— Le théâtre de la Résidence de Dresde vient de jouer avec un très vif
succès une opérette inédite intitulée Hecivige (Jadwiga), paroles de MM. Hirsch-
berger et PohI, musique de M. Rodolphe Dellinger. Ce compositeur est né
en 1857 à Grasslitz (Bohême) et a été élevé au Conservatoire de Prague.
— La maison natale de Mendelssohn à Hambourg est sérieusement mena-
cée. Par ordre de la justice, sa vente aux enchères aura lieu dans quelques
semaines, et l'on craint que le nouveau propriétaire fasse démolir cette
vieille masure pour la remplacer par une maison de rapport. La maison
natale de l'auteur de Paulus n'a jamais été bien brillante; elle est située dans
la Michaelisslrasse, petite rue d'un quartier de la vieille cité de Ilambour"
qui était principalement habité par les Israélites. Les admirateurs anglais et
allemands de Mendelssohn devraient se réunir pour sauver de la destruction
la maison où il est né.
— L'orchestre des théâtres de Meiningen, dirigé par M. Fritz Steinbach
vient de donner à Eisenach' un festival Beethoven qui a obtenu un vif succès.
Beaucoup d'artistes étrangers ont prêté leur concours à cette solennité et
l'orchestre avait été augmenté de plusieurs musiciens étrangers. Le pro-
gramme, dans lequel la Symphonie avec chœurs occupait une place éminente,
a aussi offert un ravissant rondino pour huit instruments à vent, œuvre pos-
thume du maître. Ce rondino a dû être bissé. Espérons que nous aurons
bientôt le plaisir de l'entendre à Paris.
— Le nouvel opéra Cœur de jeune fille, paroles de M. Illica, musique de
M. Buongiorno, qui avait été représenté pour la première fois à Cassel au
mois de février dernier, vient de remporter un succès éclatant à l'Opéra royal
de Dresde sous la direction éminente de M. de Schuch. La presse allemande
s'étonne de ce retour aussi victorieux qu'offensif de la bonne vieille mélodie
italienne, voire même des fioritures rossiniennes, en plein wagnérisme;
depuis cinquante ans ou n'avait plus osé écrire de cette musique. Ce compo-
siteur est né à Bonito, près Naples, en 1864, et a été élève du Conservatoire
de Naples, où le professeur Serrao s'était beaucoup occupé de lui.
— Le crâne de Mozart, que le défunt professeur d'anatomie Joseph Hyrtl
avait possédé, vient d'être remis à la ville de Salzbourg, qui le fera conserver
dans le musée Mozart installé, comme on sait, dans la maison natale du
maitre. Il nous parait inutile de revenir encore une fois sur les circonstances
qui font mettre en doute l'authencité de ce crâne; c'est une relique, et il faut
Henvisager avec crédulité, comme toutes les reliques.
— Cinq orphéons de Francfort-sur-le-Mein se sont réunis et ont formé une
association qui se produira quelquefois avec l'ensemble de tousses membres,
sans que ces orphéons renoncent à leur existence et à leurs manifestations
artistiques individuelles. C'est, croyons-nous, la première tentative de cette
nature.
— Le foyer de la célèbre salle des concerts du Gewandhaus de Leipzig vient
d'être ornée des bustes de Mozart et de Beethoven. Déjà!
— Le prince-régent de Bavière a fait exprimer ses félicitations à M. de Pos-
sart au sujet du brillant résultat obtenu par les représentations wagnériennes
du nouveau théâtre du prince-régent. La courte saison a fourni une recette
totale de 240. OCO marcs, qui a couvert non seulement tous les frais courants,
mais aussi presque tous les frais des nouveaux décors etcostumes, qui ser-
viront naturellement l'année prochaine. Les héritiers Wagner n'auront pas
non plus à se plaindre; les droitsd'auteurdedixpour cent qui leur sont garan-
tis leur ont fourni en moyenne mille marcs par soirée, ce qui est énorme
pour l'Allemagne.
— A l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Lortzing s'ou-
vrira la semaine prochaine, à Berlin, une exposition qui offrira au public toute
une collection d'objets et de documents se rattachant à la vie et à l'œuvre du
compositeur. La riche collection de M. Georges Richard Kruse, de Berlin, a
fourni le fonds de cette exposition, et la famille de Lortzing a envoyé plu-
sieurs objets intéressants: un bâton en argent et une coupe d'honneur; la
Bibliothèque royale deBerlin, le Théâtre royal de Wiesbaden et la collection
royale d'instruments de musique de Berlin ont également prêté des docu-
ments précie ux. Grâce à la prédilection de l'empereur Guillaume II, ce pau-
vre Lortzing entre, un peu tard, c'est vrai, dans la gloire; la faveur des puis»
santi du jour est un bienfait des dieux.
— Un oculiste, le docteur Hermann Cohn, de Breslau, a examiné les
lunettes de Beethoven qui se trouvent dans sa maison natale à Bonn, et
donne dans une revue spéciale quelques renseignements curieux sur la myopie
du maître. On s'est toujours occupé de la surdité de Beethoven et fort peu de
sa vue: il est cependant certain qu'il était myope. Son « ami » Schindler en
parle à peinedans sa biographie, mais le docteur Gérard de Breuning, qui
le vit souvent dans les dernières années, a raconté que le maitre portait dans
la rue, suspendue à un cordon autour du cou, une lorgnette double ou un mo-
nocle, et qu'il s'en servait constamment pour voir à distance. Mais il paraît
qu'à cette époque il ne portait pas de lunettes ; aucun de ses portraits ne
l'orne de cet instrument. On a cependant trouvé chez lui, après sa mort, deux
paires de lunettes, d'où il faut tirer la conclusion qu'il s'en servait en écri-
vant. L'écriture fine de ses manuscrits musicaux, si bien connue des collec-
tionneurs, prouve également qu'il était myope. Ses lunettes et son monocle
à verres concaves dénotent une myopie moyenne. Le poète viennois Grillpar-
zer, qui a vu Beethoven pour la première fois en 1805, à l'occasion d'une
soirée chez son ami Sonnieithner, l'a ainsi décrit: « Beethoven était à cette
époque encore maigre et noir; contre son habitude postérieure, il était vêtu
fort élégamment et portait des lunettes, ce qui m'est resté dans la mémoire,
parce que plus tard Beethoven ne se servait pas de cet instrument des
myopes. » Il paraît que Beethoven avait, jusqu'en 1817, l'habitude de porter
seulement de temps à autre des lunettes. Après 1817, c'est-à-dire dans les dix
dernières années de sa vie, il ne les portait plus en dehors de son cabinet.
Faut-il attribuer cela au l'ait que les hommes ont une tendance à devenir
presbytes vers la cinquantaine et que, par conséquent, la myopie de Beetho-
ven aurait diminué au déclin de sa vie"? Aux oculistes d'approfondir ce côté
de la myopie de Beethoven.
— On vient de retrouver un exemplaire d'une publication fort curieuse, qui
avait entièrement disparu et dont personne ne se souvenait plus. C'est une
collection de dix-huit compositions différentes sur des paroles rendues
fameuses par un célèbre air de Beethoven, collection qui porte le titre
suivant :
LE MENESTREL
3m
Arietta
« In qiiesta tomba oscuro ? »
Coa accompagnamento
di Pianoforte
in XVIII composizioni
di divers! maestri :
Beethoven, Danzi, Ecerl, HiMireL, Hofmann, Kozeluch, Paer, Bighint,
RoESLER, Salieri, Sterkel, Terziani, Weigl, Lenner, Zingarelli.
Lipsia
Presso A. Kûhnel.
La date manque, selon l'usage, mais il paraît que cette publication a paru
entre 1820 et 1823 et que c'est au duc Frédéric IV de SaxeGotha-Altenbourg,
compositeur et chanteur qui est mort en 1823, auquel on doit attribuer ce
concours extraordinaire. Paer a envoyé deux compositions diltérentes de cet
air que Beethoven a immortalisé.
— M. Joseph Hellmesberger vient d'être nommé premier chef de la cha-
pelle impériale, à Vienne, en remplacement de M. Hans Richter.
— La Société philharmonique de Vienne vient de publier le programme des
concerts qu'elle donnera pendant la prochaine saison à partir du 3 novembre.
Nous y trouvons l'ouverture de Phèdre de Masseuet, qu'on n'avait pas encore
jouée dans ces concerts. l'Artésienne de Bizet, plusieurs œuvres nouvelles de
Dvorak, entre autres sa symphonie en sot majeur (n" 4), son poèm3 sympho-
nique le Rouet d'or et son ouverture Mo» pays, et une symphonie nouvelle de
M. Gustave Mahler, en sot majeur. Parmi les artistes étrangers qui prêteront
leur concours à ces concerts, figurent MM. Raoul Pugno et Jacques Thibaud.
— L'affaire du ténor Meister, arrêté à Vienne pendant une représentation
des Contes d'Hoffmann au théâtre An der Wien sur la demande du Garltheater,
est terminée. Les directeurs de la troupe d'opérette qui devait aller en Russie
ont payé pour leur ténor une rançon de 4.000 couronnes, et le Garltheater a
abandonné tous ses droits sur l'artiste, qu'on a remis en liberté. Le chantage
légal — il n'y a pas d'autre expression pour cette procédure inqualifiable —
a donc parfaitement réussi à Vienne. Cette affaire a produit une sensation
énorme, et on parle sérieusement d'une réforme du nouveau Gode de procé-
dure qui autorise de pareils méfaits légaux.
— Une affaire tragique s'est déroulée la semaine passée à Vienne. Le com-
positeur et pianiste Leschetitzky, auteur d'un opéra, la Première ride, et de
plusieurs morceaux pour piano, qui compte parmi ses élèves MM. Pade-
rewsky et Robert Fischhof, s'était séparé de sa première femme, la célèbre
pianiste M"'« Essipof, et s'était remarié il y a trois ans, quoique déjà sep-
tuagénaire, avec une de ses élèves qui ne comptait que vingt printemps. Le
ménage semblait fort uni et heureux, mais voilà que le vieil artiste fit inopi-
nément la découverte qu'il était complètement remplacé près de sa femme
par un de ses meilleurs disciples, un jeune français, M. Gaston Lhérie. Les
paroles de reproche que le vieux maître prononça au moment où, seul, il
constata le flagrant délit firent une si grande impression sur le jeune cou-
pable qu'il se suicida immédiatement après.
— L'Opéra impérial italien de Saint-Pétersbourg jouera pendant la saison
prochaine Manon. Mignon. Latimé, Faust, Hainlcl. Curnwn. Ruinéo el Juliette et.
pour la première fois, Wertlier. G'est M"'=Sigrid Arnoldson, l'étoile de la
brillante troupe italienne, qui créera dans la belle œuvre de Massenet le
rôle de Gharlotte, tandis que le rôle de Werther sera chanté par le célèbre
baryton Battistini. dans la version spéciale qu'en a faite M. Massenet.
— M. Edouard Sonzogno publie le carteltone pour la prochaine saison d'au-
tomne de son Teatro-Lirico de Milan. Les ouvrages représentés seront :
CItopin, opéra nouveau en 4 actes, poème de M. Angiolo Orvieto, musique de
M. Giacomo Orefice, composée sur des motifs de Ghopin ; Cendrillon et
Wertlïer, de Massenet, et Samson el Datita, de Saint-Saëns. Sont engagés :
Mmes Beltrami, Botassi, Cucini, Dorelli, Fabri, Ferrani, Flori, Theodorini,
Toresella et Trentini ; MM. Barrera, Delmas, Negrini, Paroli, Angelini-
Fornari, Arcangeli, Wigley, Brancaleoni et Frigiotti. Le chef d'orchestre est
M. Zuccani.
— Encore le Néron de Boito !... Un journal de Vérone donne force détails
sur un séjour que M. Boito se prépare à faire à Sirmione, où, pour pouvoir
terminer en paix son Néron, il a loué toute la dépendance récemment cons-
truite d'un hôtel important (il parait qu'il lui faut de la place !J. « Son cabi-
net de travail, dit le journal, meublé avec soin, regardera le lac du côté de
la rive bresciane. Notre hôte illustre restera ici jusqu'au printemps pro-
<;hmii... » A quoi, en reproduisant ces nouvelles, la Gazette de Venise répond
ceci : a Ou c'est une plaisanterie, ou c'est une satire. Selon les saints pères
du journalisme milanais, Arrigo Boito a depuis longtemps terminé son Néron.
Donc on veut plaisanter sur cette épée de Damoclès artistique qui est sus-
pendue depuis plus de cinq lustres sur la tête du peuple italien. Franchement,
et avec tout le respect qu'on doit à l'illustre Boito, il nous paraît que la plai-
santerie passe toutes les bornes et qu'il serait vraiment temps de la finir. »
— Un monument, œuvre du sculpteur Danielli. vient d'être inauguré à
Grema, à la mémoire du célèbre contrebassiste Giovanni Bottesîni, né en
cette ville le 24 décembre 1823, qui ne fut pas seulement un grand virtuose,
mais aussi un remarquable compositeur, auteur de plusieurs opéras, et un
excellent chef d'orchestre, comme il le prouva naguère à notre Théâtre-
Italien. On sait que Bottesini, devenu directeur du Conservatoire de Parme,
mourut en cette ville en 1889.
— On sait que quelques cas de peste qui se sont produits re'cemment à
Naples sur des navires venant d'Orient ont très légitimement ému les popu-
lations. Le danger semble aujourd'hui conjuré, grâce à de rigoureuses précau-
tions sanitaires, mais il n'en a pas moins eu des conséquences singulières au
point de vue artistique. G'est ainsi qu'à Gatane, on a, du coup, ajourné la
grande saison d'opéra d'hiver, en même temps qu'on remettait à des 'temps
meilleurs, c'est-à-dire au printemps, les fêtes du centenaire de Bellini, qui
devaient avoir lieu en novembre. En ce qui concerne la résolution prise par
la junte municipale pour ces dernières, le public pourtant reste sceptique,
ainsi que nous l'apprend la Gazzetta musicale, qui s'exprime à ce sujet en ces
termes : — « Certains on-dit courent sur cette prorogation, entre autres celui-
ci, que l'administi-ation communale aurait saisi la balle au bond des nouvelles
napolitaines pour se soustraire au fiasco que lui préparait un programme de
fêtes peu sérieux. Si cette prorogation doit rendre plus dignes les hommages
dont on doit entourer l'illustre Gatanais, elle sera la bienvenue. Mais on craint
que ce soit une échappatoire en vue de l'enquête gouvernementale imminente
sur nos affaires municipales. »
— Nous avons raconté l'histoire de cette cantatrice russe, M'i= Lydia
Goctko, qui s'était permis, à Acqui, de gifler publiquement un journaliste qui
s'était permis lui-même de la trouver insuffisante dans Norma. Gomme ledit
journaliste ne pouvait lui envoyer ses témoins, il se contenta d'assigner son
ennemie en justice; seulement, celle-ci était déjà retournée en Russie. La
cantatrice, « longue de main, mais courte de voix », dit un journal n'en a
pas moins été condamnée, par contumace, à 500 francs d'amende et aux
— On a inauguré le 26 août dernier, à l'église San Pedro de Gijon (Astu-
ries), un grand orgue de tribune construit par la célèbre maison Cavaillé-
Goll de Paris. C'est M. Louis Vîerne, organiste de Notre-Dame de Paris, qui
a été chargé de faire entendre l'instrument. Il a donné dans cette église deux
concerts devant un auditoire très nombreux, auquel il a remarquablement
fait apprécier les merveilleux timbres de l'orgue. Les programmes étaient
composés d'œuvres de l'école ancienne et moderne : on y lisait les noms de
Bach, Franck, Widor, Saint-Saëns, Guilmant, Tournemire, etc. Au cours du
même voyage, M. Vierne a fait entendre les orgues de San Anton de Bilbao
et de l'église paroissiale de Valmaseda, que M. Mutin, de la maison Gavaillé-
Goll, a édifiés en même temps que l'orgue de Gijon. En somme, gros succès
pour la facture française et aussi pour l'école d'orgue de notre pays, dont
M. Vierne est un des représentants les plus éminents.
— La troupe française d'opéra qui, sous la direction artistique de M. Four-
nets, débutera, au Theatro de la Princesa de Madrid, dans les premiers jours
de novembre, vient de publier son programme, sur lequel figurent, comme
principales nouveautés : Hérodiade et Tliais de Massenet, le Roi d'Ys de Lalo
Salnminbo de Reyer et Samson et Datita de Saint-Saëns. L'orchestre sera
composé de soixante musiciens ; les choristes seront au nombre de
soixante-dix.
— Le nouveau Théâtre-Lyrique de Madrid, dont nous avons déjà parlé et
qui est la propriété de M. Berriatua, n'est pas encore terminé, mais on assure
que son inauguration pourra avoir lieu le 13 novembre prochain. Ce théâtre
ainsi que nous l'avons dit, sera exclusivement consacré à l'opéra espagnol,
et sa troupe sera presque entièrement composée d'artistes espagnols.
— Parmi les artistes engagés pour 1' a imminente » saison du théâtre
Royal de Madrid, on cite en première ligne les noms de M"'«EvaTetrazzini,
Barrientos, Leonilde Gabbi, Hericlea Dardée, Arkel, Blasco, Timroth, et de
MM. Bieletto, Dufriche, Garbin, Granadfls, Ventura et Blanchart. Le chef
d'orchestre sera le maestro Gampanini.
— De Barcelone : «Le troisièmeet dernier grand concert donné par le maître
Raoul Pugno a été un véritable triomphe pour l'éminent compositeur et pour
l'art français. Le succès, toujours en progression dans cette brillante série, a
pris des proportions inconnues depuis Rubinstein. Ce dernier grand concert
de Raoul Pugno s'est terminé sur d'enthousiastes et indescriptibles ovations.»
— On annonce, pour le prochain festival musical de Leeds, l'exécution de
trois grandes compositions inédites et importantes : un chant funèbre de
M. Charles Wood, une cantate de M. Alexandre Glazounof, le jeune musi-
cien russe, et une cantate tragique intitulée la Jeune Aveugle de Castet-CuUté,
dont les paroles sont empruntées à une poésie de Wordsworth et dont la
musique a été écrite par M. Coleridge Taylor, le compositeur américain.
— On nous télégraphie de New-York que M"» Sibyl Sande rson vient de
remporter un succès triomphal dans la Manon de Massenet. La salle, archi-
comble, lui a fait un vrai triomphe : quatre ou cinq rappels à chaque acte,
sept à la fin. Ovations, fleurs, rien ne manquait, et pour les prochaine s repré-
sentations tout est loué, ce qui démontre le franc succès.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a signé lundi
dernier l'arrêté nommant les professeurs à trois des classes vacantes du
Conservatoire. Ce sont M. de Martini, depuis longtemps professeur de solfège
336
LE MÉNESTREL
pour les chanteurs dans la maison, qui, comme professeur de cliant. rem-
place M. Léon Duprez : M. Lhérie devient titulaire de la classe d'opéra que
tenait M. Giraudet, et enfin M. Isnardon, qui, vraisemblablement, va se
trouver être un des plus jeunes professeurs, fera la classe d'opéra-comique
en place de M. Achard. Espérons que cette dernière nomination n'éloi-
gnera pas complètement du théâtre l'excellent et personnel artiste qu'est
M. Isnardon. Reste à jourvoir la classe d'opéra-comique de M. Lhérie,
devenu professeur d'opéra.
— Résultat des examens d'entrée qui ont eu lieu au Conservatoire. Sont
admis à suivre les cours :
Piano (hommes). — MM. Bataila, Boscoff, Claveau, de Francmesnil, Dorival, Elle,
Swirsky, Théroine, Augieras, Lafon.
Classes préparatoires. — M.M. Bournonville, Crassous, Levi, Schwaab, Vivarès.
Ainsi que nous l'avons déjà annoncé, les examens pour le piano (femmes)
auront lieu les jeudi 24 et vendredi 2o octobre, à midi. Celui pour les admis-
sibles, le lundi 28 octobre, à midi également. Pour la contrebasse, l'alto, le
violoncelle, mercredi 30 octobre, à dix heures.
— A l'Opéra, la répétition générale des Barbares est toujours fi.xée à ce soir
dimanche et la première représentation à mercredi prochain. L'ouvrage nou-
veau de M. Saint-Saëns, de durée assez courte, sera pourtant joué seul pen-
dant les premières représentations; le lever du rideau aura lieu à 8 h. 1/2
très exactement.
— A rOpéra-Comique :
Lundi dernier, fête intime et toute de cordialité dans le foyer du public,
où tout le personnel de la maison s'était réuni, sous la présidence de l'excel-
lent Fugère, pour fêter la croix d'officier de la Légion d'honneur de M. Al-
bert Carré. Les artistes donnent en souvenir à leur directeur, très ému de
cette touchante manifestation, un exemplaire en bronze du Cmnarjc militaire
de Paul Dubois, tandis que M. Italiander, au nom de l'orchestre, lui remet
sa croix d'officier enrichie de brillants.
Mardi, M"'Garden, rétablie complètement, faisait sa rentrée très applaudie
dans Manon. L'affiche portait le nombre 399 pour cette représentation du
chef-d'œuvre de Massenet. Voilà, en perspective et tout à fait proche, une
fort belle -iOO''.
Jeudi, reprise de la Vie de Bohème pour les débuts de M"= Marguerite
Giraud qui, dès ce premier soir, malgré beaucoup d'émotion, a conquis le
public de la salle Favart. Douée d'une jolie voix au timbre sympathique et
adroitement conduite, et, qualité de plus en plus rare, d'une exquise nature
de théâtre, M''* Marguerite Giraud, qui a de qui tenir, puisqu'elle est la fille
du baryton Giraud, qui eut de grands succès de chanteur avant de s'adonner
à la direction théâtrale, la nièce de M'"'= Vaillant-Couturier et la filleule de
M"= Pierron, M"" Marguerite Giraud a joué le joli rôle de Mimi en petite
comédienne pleine de sentiment et d'expression ; nul doute qu'elle ne prenne
•assez vite dans la troupe de M. Albert Carré une place prépondérante. A
côté d'elle M. Gautier, remplaçant presque à l'improviste M. Maréchal,
indisposé, a fait valoir la générosité de son organe, tandis que MM. Fugère,
Perrier, Delvoye et M"* Tiphaine retrouvaient leur succès habituel.
Le même soir, débutait dans l'Amoureuse de la. Guimard une gentille dan-
seuse-mime qui vient de l'Opéra, k'" Georgette Jougla, qu'on a très juste-
ment fêtée.
Les études en scène de Crisélidia se continuent régulièrement. Cette
semaine l'orchestre lira, sous la direction de M. Messager, la partition de
M. Massenet.
Le public des représentations populaires à prix réduit se plaignait, ajuste
raison, de n'être pas admis à s'assurer ses places à l'avance et de se voir obligé
de faire, sous la pluie ou la neige, de longues stations à la porte du théâtre
avant d'arriver à ses places. M. Albert Carré, pour remédier à cet état de
choses, a sollicité du ministre des beaux-arts l'autorisation d'ouvrir son bu-
reau de location aux représentations populaires, moyennant une légère sur-
taxe. Cette autorisation lui ayant été accordée, la prochaine « populaire »,
fixée à demain lundi, aura lieu aux nouvelles conditions qui sont les suivantes :
ïatir ordinaire
dos LocaUoo.
n populaires ».
Avant scènes de rez-de- chaussée 4 » 5 »
Loges de balcon, baignoires 4 » 5 »
Fauteuils de balcon 1" rang 4o 5»
Fauteuils d'orchestre et de balcon {!'= et .3" rangs) 3 50 5 »
Loges de face de 2- étage 3 » 4 »
Avant-scènes et loges de côté du %•" étage 2» 3»
Stalles de parterre ^ 2 » s. loe.
Avant-scènes, fauteails et loges du S'^ étage 1 50 2 »
Stalles du 3- étage 1 » 1 50
Fauteuils et stalles d'amphithéâtre 0 50 s. toc.
— Une grosse révolution, à la fin de la semaine dernière, dans le gouver-
vernement de la Comédie-Française. On a porté la main sur le sacro-saint
décret de Moscou, qui était la charte de la maison, et à la suite d'incidents
que chacun se rappelle, de plaintes publiques de divers auteurs plus ou moins
légitimement froissés des procédés employés envers eux, d'une violente
campagne de presse qui sans doute n'était pas sans quelque raison d'être,
M. Leygues, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, a cru devoir
agir avec une vigueur exceptionnelle. Bref, un décret en date du 12 octobre.
signé par le Président de la République et contresigné par le ministre, a
purement et simplement supprimé le comité de lecture, de la Comédie-Fran-
çaise. Désormais plus de responsabilité collective et anonyme, c'est-à-dire
il lusoire, mais une responsabilité personnelle et réelle, celle de l'adminis-
trateur, seul chargé de la réception ou du re fus des pièces présentées. De cette
façon, les auteurs sauront à qui s'adresser et à qui se prendre des mesures
dont ils seront l'objet. C'est, nous l'avons dit, une grosse révolution dans la
marche habituelle des choses de la maison, et une main-mise sur une des
plus importantes prérogatives de messieurs les sociétaires. Ou a cru un
i nstant que, dans un premier mouvement de dépit, lesdits sociétaires allaient,
eu x aussi, proclamer la grève générale. Il n'en a rien été, fort heureusement.
— Le jugement, pour les œuvres chorales, du 3» concours de composition
ouvert par l'Association des jurés orphéoniques, a été rendu le 16 octo-
bre 1901 :
l""" prix à l'unanimité, chœur intitulé : Pardon de liretaijne. .\uteur : M. Fai-igoul,
chef de musique des équipages de la flotte, à Brest.
2' prix à l'unanimité, chœur intitulé : Patrouille. Auteur : M. Henri Jlaréchal, inspec-
teur de l'enseignement musical au ministère de l'instruction publique et des beaux-arts.
Jlention avec diplôme, eho'ur intitulé : Pèelietini d'htande.
Le jury déclare que c'est à son vif regret qu'il a du écarter le chœur ayant
pour titre : Jésus dans la tempête. Cette œuvre, dont il reconnaît la valeur
musicale et la belle facture, a du être mise hors concours parce qu'elle pré-
sen te des difficultés d'exécution qui ne sauraient convenir à un chœur écrit
pour la 3= division. Deux séances ont été consacrées à l'examen des œuvres
chorales; le jury était composé de MM. Emile Pessard, président, Auguez,
Chevé, Duprez, Gastinel, d'Ingrande, Kaiser, Roger-Miles et Paul Rougnon.
— Au .Ihéâtre du Chàteau-d'Eau on a commencé les répétitions de
Muni'zelle Nitouche, dont la reprise semble assez prochaine. Les deux princi-
paux interprètes seront M'"^ Simon-Girard, qui sera Nitouche, et M. Paul
Fugère, obligeamment prêté par le Vaudeville, qui jouera Floridor.
— C est aujourd'hui qu'a lieu simultanément la réouverture des concerts
Colonne et des concerts Lamoureux. On parle beaucoup de la richesse et de
1 a nouveauté des programmes qui seront offerts au public au cours de celte
saison, et des surprises qui nous attendent. Il est certain qu'on travaille en
ce moment avec ardeur de tous cotés, et que le Conservatoire lui-même, sous
l'impulsion de son nouveau chef, M. Marty, semble vouloir sortir de sa tor-
peur. En attendant les événements, voici les programmes des concerts d'au-
j ourd'hui dimanche :
Châlelet, concert Colonne : Ouverture de Léonore n° 3 (Beethoven). — Concerto en fa
pour violon (Lalo), par M. Jacques Thibaud. — Symphonie la Chasse (Gossec). — Concerto
en la pour piano n° 2 (Liszt), par M. Arthur de Greef. — Symphonie enso( n° 13 (Haydn).
— Concerto pour deux violons (Bach), par MM. Thibaud et Oliveira. — Scène du Venus-
berg de Tanulmuser (R. Wagner).
Nou\ eau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Ouverture de
Iknvemilo Cellini (Berlioz). — Danse polovtsienne du Prince Ir/or (Borodine). — Concerto
eu fa mineur pour piano (Lalo), par M. Louis Diémcr. — Symphonie avec chœurs (Beetho-
ven) : solistes, M"' Lormont et Mclno, MM. Feodorow et Challet.
Concert du Grand-Palais :
Loreh'i (Wallace). — Sapho (Gounod), stances chantées par M"° Minne. — Première
.^l/mijhonie (Beethoven). — Impromptu- Caprice (Fierné), harpe ; M"' Lucie Delcourt. —
tes Eri«»;/ra (Massenet), violoncelliste, M. Feuillard. — La Belle fille {G. Pfeifferi, M. L.
Bataille. — Rêverie (Schumann). — Lu Jolie fille de Pi-rth (Dizct), par M. L. Batiiille. —
Lu Belle au Bois, valse (Tschaïkowsky). Orchestre dirigé par M. L. Pister.
— MM. Gortot et Schutz viennent d'engager en vue des représentations du
Crépuscule des Dieux, en plus de M. Van Dyck, M"'^ F. Litvinne et Schuman-
Heinck.
— De Strasbourg: Les pianistes Paderewsky, Pugno et Risler et les vio-
lonistes Marteau et Halir seront, cet hiver, les principaux solistes des
concerts d'abonnement de l'orchestre municipal.
— Cours et leçons. — M"' JI.-L. Grenier vient de reprendre, 47, rue Latïitte, ses cours
de piano, de musique d'ensemble, de solfège et de clumt, placés sous le haut patronage
de M. Massenet et dont les examens sont passés par M. Ch.-M. Widor. — Ln Société de
musique vocale, dirigée, pour l'enseignement du chant, par M"" Julie Bressoles et, pour
celui du piano, par M^'R. Fâche, reprend ses intéressantes et instructives séances;
s'adresser 62, rue de la Faisanderie.— M"" Bernamoiit, élève de Marmontel, a repris chez
elle, 7, rue Coëtlogon, ses leçons et cours de chant, piino, solfège et ensemble à 2 pianos.
— M"" L. >Iendès, de l'Opéra, i-eprend chez elle, 32, rue Laugier, ses leçons de chant et
réunions chorales. — JI. Léon Dupi-ez a repris ses cours et leçons de chant, 96, rue de
Maubeuge. — M"'' M. Fayé reprend ses cours et leçons de musique dans son nouvel appar-
tement, 22, rue Vaneau.
Henki TIeugel, directeur-gérant.
A
■VENDRE violon de PETRIS (lARJiEBU S, amto l69o, réparé par Gand frères en
18oC. — S'adresser à M. Derisbourg, 17, rue Pottier, à Villemomble (Seine).
Viennent de paraître :
Chez Chamuel et C'", Contes Amoureux, par Ch. Grandmougin (2 francs).
Chez Bossard-Bonnel, à Rennes, la Musiqueà vol d'oiseau, par ProsperMorton (1 fr. 50).
Chez Durand et fils, les Barbares, tragédie lyrique en 3 actes et 1 prologue, poème de
M.M. V. Sai'dou et Gheusi, musique de M. Saint-Saëns, qui va élre représenté à l'Opéra.
Pa ilition piano et chant, net : 20 francs.)
- (EDcre Lorllleui).
3683. — 67""=
- ^"43. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 27 Octobre 1901.
(Les Bureaux, 2 ""i rue Tirieime, Paris, n> m»)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
B.P-L.
lie Haméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Ite HaméPo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGBL, directeur du Ménestrel, 2 &ts, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
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SOMMAIEE-TEÏTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (35' article), Paol d'Estrées. —
IL Semaine théâtrale : première représentation des Barbares à l'Opéra, Arthur Pougin ;
premières représentations de Briguai et sa fètle et de PoiiH de Lendemain à l'Odéon, et
du Curé yince/if à la Gaîté, Paul-Émile Chevalier. — lU. Petites noies sans portée:
L'art des programmes, Raymond Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
VALSE CAPRICANTE
de Théodoiie Lack. — Suivra immédiatement : Enlr' acte-Idylle, extrait de
Grisélidis, musique de J. Massenei.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant ;
Le Marquis à la Marquise, sonnet de Rodolphe Bringer, mis en musique
par Gabriel Verdalle. — Suivra immédiatement : // partit au printemps,
chanté par M"= Lucienne Bréval dans Grisélidis, poème d'ARjuND Silvestre et
Eugène Morand, musique de J. Massenet.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
; plus récents et d
(Suite.)
L'opéra- comique à son apogée. — La voix de Ponchard. — Un habit de mousque-
taire pour deux. — La métamorphose d'un opéra-comique. — Paul de Kock et
la duchesse de Berry. — Le noyau de pêche de la Sontag. — La Malibran et
l'imprévu de son jeu. — Origine d'une amitié à toute épreuve. — Elisabeth Lebrun.
— Les larmes de la Malibran. — La j^remière de Henri III et sa cour. — Fan-
taisie vénitienne. — La Malibran magnétisée par le vicomte Sosthénes de La Ro -
chefoucauld. — Déceptions mondaines. — Critiques d'E. Delacroix contre la
Malibran, défendue par son frère Garcia. — La Pasta au théâtre de Vienne et
chez jl/"» de Rumford. — Le petit diable. — Gounod et M"" Viardot à Rome. —
La mort de la Malibran. — Émotion de Delacroix et de Flaubert.— La Genèse de
Sapho, de Gounod. — Un croquis de M'"" Viardot.
Les artistes lyriques — j'entends les bons, et même les excel-
lents — étaient légion sous la Restauration.
Les Souvenirs de la comtesse Dash citent volontiers la troupe de
rOpéra-Comique, bien oubliée aujourd'hui, et pourtant l'élite des
chanteurs ou plutôt des diseurs de la phrase musicale.
Gavaudan n'était plus qu'une « ruine » ; mais Ponchard
« chantait comme un ange » avec peu de voix, et moins de figure
encore, quoi qu'il n'eût pas l'air de s'en douter. Il me souvient
que son fils, dont la méthode était si sûre et l'organe si faux,
amena un jour aux concerts de Louis-le-Grand le vieil artiste,
retiré depuis plusieurs années de la scène. Il ne fallut pas le
prier longtemps pour le faire monter sur l'estrade et chanter l'air
classique de cette Dame Blanche qui fut toujours le premier de
ses triomphes. Le bonhomme n'avait plus qu'un filet de voix
chevrotante ; eh bien! la flamme qui l'animait encore lui donnait
une telle puissance que pas un mot, pas une note, pas même
une nuance ne fut perdue pour l'auditoire juvénile dont je fai-
sais alors partie.
La comtesse Dasli cite également parmi les chanteurs d'opéra-
comique de l'époque Lafeuillade et Lemonnier, qui n'étaient
rien moins que virtuoses, mais qui savaient charmer leur public.
Le premier était un fort joli garçon d'une distinction parfaite ;
le second n'était pas moins privilégié sous le rapport des avan-
tages physiques, mais sa tournure était absolument vulgaire.
Ils n'avaient pour eux deux qu'un habit de mousquetaire dans
une pièce Louis XV, et ils faisaient courir tout Paris.
M""" Boulanger était délicieuse dans le rôle de Jenny de la
Dame Blanche, écrit spécialement pour elle; M"" Pradher, « la plus
jolie créature du monde », formait avec Lemonnier et Lafeuil-
lade un ravissant trio dans la Vieille.
— Quelle femme adorable ! s'écrie Paul de Kock quand il
rappelle que le mari, élève de M°" de Montgeroult et père du
fameux Bouton de Rose, écrivit, en collaboration avec Kreubé, la
musique du Philosophe en voyage. Cet opéra-comique, œuvre de
Paul de Kock, eut cent représentations, et ses avatars sont peut-
être uniques dans l'histoire du théâtre. La direction en avait
supprimé peu à peu tous les airs, si bien qu'un jour la pièce fut
jouée en comédie. L'intendant des spectacles de la cour, qui
jusqu'alors avait toujours refusé de l'y admettre, la fit paraître en
1825 à Saint-Cloud. La duchesse de Berry la trouva exquise et
parut désirer en connaître l'auteur. Paul de Kock fut mandé en
conséquence à Rosny, résidence de Son Altesse. Il s'empressa
de s'y rendre; mais la duchesse était absente. Le jeune auteur
visita le château et se promena dans le parc. Il reprenait le che-
min de Paris quand la princesse apparut. Elle insista beaucoup
pour que Paul de Kock revint une seconde fois à Rosny. Le visi-
teur se savait bien en cour ; les Bourbons, nous disait-il, ne
pouvaient avoir oublié que mon père, le banquier, un de leurs
plus fidèles serviteurs, avait été guillotiné comme tel pendant
la Révolution.
Castellane, que nous avons déjà vu fréquenter assidûment le
monde des théâtres, en rapporte d'intéressantes nouvelles. Il
était à l'Opéra-Comique le jour (11 février 1813) où M"" Duret
s'évanouit dans le Calife de Bagdad, parce que le public lui criait
de chanter plus fort.
Beaucoup plus tard, c'est la grande Sontag qui est en scène,
ou plutôt qui n'y est plus. En 1829 elle garda la chambre pen-
338
LE MÉNESTREL
dant trois mois, et le prince Tuffiakin, le défenseur convaincu
de la vertu des actrices, donnait à cette réclusion forcée un sin-
gulier motif: la prima donna était tombée, prétendait-il, en
glissant sur un noyau de pêclie ; et tout le monde, affirme cette
mauvaise langue de Castellane, savait que ce faux pas était
purement et simplement une grossesse... bien terminée. C'était
encore JP" Sontag qui, au commencement de cette même année
1829, avait été plus applaudie, dans une soirée de gala, que le
roi Charles X, malgré que cet auguste spectateur eût payé dix
mille francs sa loge pour la représentation donnée par l'Opéra
au bénéfice des pauvres de Paris.
Cuvillier-Fleury parle à cette époque (29 novembre 1829) delà
Sontag dans les termes les plus élogieux et les plus attendris.
11 rentre des Italiens encore tout ému. L'artiste chantait dans
Don Juan, où elle était admirable de passion : elle était sous l'im-
pression d'un « amour malheureux ». Le comte Rossi, secrétaire
d'ambassade, qui devait, l'année suivante, lui faire quitter le
théâtre pour l'épouser, était alors presque hésitant. Ses collè-
gues avaient, parait-il, demandé et obtenu sa destitution.
M""" Marie Colombier, qui eut les meilleures raisons du monde
pour se dire bien informée, assure, dans ses Mémoires (1), que la
Sontag s'était éprise, sans être payée de retour, de Charles de
Bériot, et que cette déception n'avait pas été une des moindres
causes de sa rivalité avec la Malibran. Le mariage de celle-ci
avec l'illustre violoniste fut suivi, ajoute M"'"= Marie Colombier,
de la réconciliation des deux ennemies. Certes, la comtesse
Rossi et M""' de Bériot oublièrent un jour, dans l'élan d'une
générosité réciproque qui devint bientôt une solide amitié, les
motifs de leurs anciennes querelles; mais il est plus vraisembla-
ble que l'art fut la seule cause de cette célèbre rivalité. Cuvillier-
Fleury ne souffle mot, d'ailleurs, de la prétendue passion de la
Sontag pour de Bériot; mais en notant, le 23 mars 1831, que la
Malibran, attendue au concert du Palais-Royal, s'est dispensée
d'y paraître, il ajoute malicieusement, car il n'est pas toujours in-
dulgent pour elle, que « le général Lafayette s'est chargé de l'excu-
ser. La Quotidienne prétend qu'il est amoureux d'elle et qu'il veut
l'épouser. C'est une bonne bêtise dont on s'amuse fort dans le
monde où l'on ne respecte rien. Il est certain que cette folle est
éprise du général et qu'elle cherche à obtenir de son crédit un
divorce avec son mari ».
Évidemment, Cuvillier critique de parti pris la Malibran. Au-
cun des actes de la femme ne trouve grâce devant cet austère
censeur. Ya-t-elle au bal masqué? Elle « danse le galop en
courtisane » . Et l'artiste même se trouve enveloppée dans cette
réprobation. Sans doute, Cuvillier-Fleury est bien obligé de
reconnaître que la Malibran a chanté « d'une façon ravissante »
le duo du Maître de Chapelle avec Zucchelli. Mais il poursuivra de
ses épigrammes le jeu de l'actrice jusque dans ce répertoire ros-
sinien, où la gloire de l'interprète semble indiscutablement liée
à celle du compositeur :
o: J'ai accompagné le duc de Chartres aux Italiens, écrit cet
impitoyable Aristarque. La Gaszaladra a été exécutée avec ensem-
ble. M"' Malibran a chanté à ravir d'enthousiasme M. Artaud
lui-même. Elle joue trop. Ses intentions sont d'une artiste ; mais
l'exécution est souvent chargée et hors de proportion avec le
r6le. Elle multiplie les gestes et les mouvements de physionomie
avec une mobilité fatigante pour le spectateur et pour elle-
même. Il y a plus, elle communique et semble commander aux
'autres cette intempérance de mouvements, à ce point qu'elle a
failli se brouiller ce soir avec le parterre. Un gendarme, qui la
saisissait à bras-le-corps avec un peu trop de zèle, fut sifflé par
quelques personnes, mais il fut obligé de revenir à la charge sur
l'injonction muette de M"'" Malibran, qui avait décidé de se
débattre sans mesure dans les mains de la force armée ... et
cette fois le parterre se fâcha. »
(A suivre.) Paul d'Estrées.
(1) Marie Colombieb. — Mémoires; Flammarion, 1898-1899.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. — Les Barbares, tragédie lyrique en trois actes et un prologue, poème
de MM. Victorien Sardou et P.-B. Gheusi, musique de M. Camille Saint-
Saëns. (Première représentation le 23 octobre 1901.)
Un siècle avant le Christ, Rome trembla. Contre elle
Trois cent mille Germains, géants aux cheveux roux,
Chassés du Nord brumeux que l'ouragan harcèle.
S'abattirent soudain, hurlant comme des loups.
Les légions fuyaient devant eux. L'épouvante
S'emparait des cités aux clameurs de leurs voix.
Les Gaulois, qu'affolait cette houle grondante,
Cherchaient leur salut dans les bois.
Dans Orange investie une jeune vestale,
Seule, arrêtant le flot impur,
Maîtrisa la tourbe brutale
Par l'auguste fierté de son regard d'azur.
Vierge, elle se donna pour racheter la ville ,
Cypris, malgré Vesta, s'éveilla dans son cœur ;
Mais la chaste déesse, à tout amour hostile.
Vengea l'outrage aux dieux dans le sang du vainqueur.
Ainsi s'exprime, au prologue des Barbares, le « Récitant », sorte
d'aède qui résume en ces quelques vers, avec une exactitude parfaite,
néghgeant les détails, l'action d'ailleurs peu incîdentée qui va se dérou-
ler devant les yeux du spectateur. C'est ainsi que Berlioz avait procédé
dans ses Troyens à Carlhage, où, précédant l'œuvre, un Rapsode venait,
lui aussi, sa lyre à la main, résumer le drame qui allait se dérouler
devant les spectateurs (1). Le regret que j'éprouve devant ce hors-d'œuvre
poétique, c'est que le compositeur n'en ait pas profité pour nous donner,
lui, l'admirable symphoniste, ce que nous entendons aujourd'hui si
rarement : une ouverture. Nos musiciens, non sans quelque apparence
de raison, se refusent à écrire maintenant des ouvertures, parce que,
disent-ils, le public n'arrive jamais à l'heure et que ce serait peine per-
due. Je croîs bien qu'ils e.Kagèrent un peu, car enfin, s'il y a des spec-
tateurs retardataires, à l'Opéra comme partout, il en reste un bon nom-
bre aussi qui sont exacts et pour qui l'audition d'une belle ouverture
serait un véritable régal. Or, M. Saint-Saèns, faisant précéder son pro-
logue d'une introduction, a écrit ensuite, pour servir de préface au
premier acte, un prélude instrumental très développé, qui ne compte
guère moins de trois cents mesures, qui a, par conséquent, toutes les
proportions d'une ouverture sans en avoir la forme, et qui ne procure
pas à l'auditeur la même sensation. Je crois que le regret que j'exprime
ici est partagé par beaucoup, quelle que soit d'ailleurs la valeur de la
page symphonique très intéressante qui précède l'action des Barbares.
On sait que l'ouvrage a été écrit d'abord à l'intention des fêtes théâ-
trales d'Orange et pour être joué sur l'amphithéâtre de cette ville,
comme la Déjanire de M. Saint-Saêus et le Prométhée de M. (3-abriel
Fauré avaient été composés en vue de celui de Béziers. C'est sans doute
pour cela que les autem'S ont placé la scène de leur drame à Orange, et
précisément dans l'amphithéâtre, au moins pour les deux premiers actes.
Un siècle avant Jésus-Christ, nous dit le prologue. C'est l'époque de
la terrible invasion des Teutons, qui, comme une horde de ijrigands,
se ruèrent en masses innombrables sur l'Europe occidentale, tuant,
pillant, brûlant et dévastant tout sur leur passage. A l'entrée du drame,
les Barbares sont sous les murs d'Orange, aux prises avec les Romains
faiblissant sous le nombre. Floria, la grande prêtresse de Vesta, entou-
rée des vierges ses compagnes, s'est réfugiée dans l'amphithéâtre avec
les femmes et les enfants, implorant la déesse en faveur des armes
romaines.
Des deux consuls qui combattent désespérément à la tète des légions,
l'un, Euryale, vient d'être tué, et sa veuve, Livie, jure de le venger.
L'autre, Scaurus, pénètre dans l'amphithéâtre et engage les femmes à
s'enfuir, tandis qu'avec une poignée de braves il se fera tuer pour leur
donner le temps d'échapper à la mort. Mais Floria résiste, espérant
encore. Bientôt cependant les Germains, ayant vaincu toute résistance,
envahissent l'arène et, le fer à la main, leur chef Marcomir à lem' tête,
vont se ruer sur les vestales pour les massacrer. Soudain Floria, de
l'autel sacré fait jaillir de hautes flammes, devant lesquelles reculent
les Barbares, adorateurs du feu sous le nom de Thor, Marcomir lui-
même, fasciné par la fière beauté de Floria, après lui avoir adressé
quelques paroles, chasse ses guerriers avec défense pour eux de pêné-
(t'
Après dix ans de guen-e et d'un siège inutile.
Les Grecs désespérant de renverser Ja ville
De Friam, renonçant à venger Ménélas,
Feignirent de partir en implorant Pallas.,.
LE MÉNESTREL
339
trer de nouveau dans l'enceinte, et le rideau tombe sur un regard silen-
cieusement échangé entre la Vestale et le héros germain.
Le second acte nous mène en un autre point du théâtre d'Orange. La
nuit est venue. Femmes, enfants et vestales, tout dort, à l'exception de
Livie, toujours hantée par la pensée de venger sur son meurtrier la
mort de son épou.x, et de Floria, qui l'engage inutilement à la résigna-
tion. Voici de retour Scaurus, qui, blessé, vient conjurer de nouveautés
femmes de s'enfuir et s'ofîreà les guider. Floria refuse encore, confiante
en la parole de Marcomir. Mais Scaurus a été reconnu et suivi par les
sentinelles germaines. Il se livre alors à l'un de leurs chefs, Hildibrath,
qui s'apprête à l'égorger. Sur un cri de Floria accourt Marcomir, qui
lui accorde la grâce de Scaurus, en dépit des objurgations de celui-ci,
qui ne veut pas devoir la vie à son ennemi.
Mais, resté seul avec Floria, dont il s'est vivement épris, Marcomir
exige la récompense de sa conduite. Qu'elle consente à le suivre, et le
salut sera assuré des femmes, des enfants, de ses compagnes La
vierge résiste, s'indigne, mais lui, toujours plus pressant, lui fait enten-
dre au loin les chants de mort de ses guerriers ivres. Qu'elle cède enfin,
qu'elle consente â lui appartenir, et son sacrifice épargnera l'incendie
de la ville et l'existence de toute une population. Floria. éperdue, ter-
rifiée, sans défense, succombe enfin pour sauver Orange du massacre et
de la destruction. Marcomir donne alors â ses soldats l'ordre d'épargner
la ville et de partir au point du jour. Puis, revenu prés de Floria, il se
transforme. Il n'exige plus, il prie, lui déclare qu'il ne veut la tenir que
de sa libre volonté, et elle, touchée de sa magnanimité, son âme envahie
d'ailleurs par un amour dont elle se défendait en vain, finit par tomber
ans bras de son vainqueur.
Le dernier acte nous fait assister aux préparatifs de départ des Bar-
bares. Floria s'apprête elle-même à. suivre son époux, tandis que la foule,
informée par Scaurus du sacrifice qu'elle a fait pour la sauver, s'incline,
reconnaissante, et se prosterne devant sa libératrice. Les vestales
demandent à l'accompagner, à la suivre, mais elle refuse et ne veut, sur
sa prière, emmener que l'infortunée Livie, qui, toujom-s farouche, est
toujours en proie à l'idée de sa vengeance. Puis, comme elle apprend
tout à coup de Marcomir que c'est de ses mains qu'Euryale a reçu le
coup mortel, craintive pour sa vie, elle revient sur sa parole et engage
Livie à rester. Ce revirement soudain fait naître le soupçon dans l'àme
de celle-ci ; elle croit entrevoir la vérité, mais elle use d'un stratagème
pour en acquérir la certitude. « Je veux, dit-elle, je veux punir le lâche
qui, feignant de se rendre à mon époux vainqueur, l'a frappé dans le
dos. » Marcomir, indigné de cette accusation, ne peut se retenir d'y
répondre et s'écrie : « Tu mens! c'était au cœur. » Et Livie, se jetant
alors sur lui, le poignarde en disant : « Au cœur, donc! »
En résumé, peu d'action dans cette pièce, je l'ai dit. Et l'on doit le
regretter d'autant plus que l'œuvre du musicien s'en est assurément
ressentie, et que la partition des Barbares, en dépit de son style superbe
et de sa magistrale « écriture », pour parler le baragouin de l'heure
présente, est loin de compter parmi les meilleures du grand artiste
qu'est M. Saint-Saëns. Mon l'egret est profond d'être obligé de le dire,
mais à quoi bon déguiser ce qu'on croit être la vérité? J'ai donné sans
doute ici, depuis longtemps, assez de preuves non seulement de mon
respect, mais de mon admiration pour le magnifique talent de M. Saint-
Saëns, pour qu'on ne puisse m'accuser d'injustice ou de parti pris â son
égard. Or, ce que je reproche à l'auteur des Barbares, c'est, après un
manque trop évident d'inspiration, l'incertitude où nous jette son œuvre,
par suite de l'incertitude où il parait s'être trouvé lui-même en l'écri-
vant. Qu'a-t-il voulu faire"? de quel côté a-t-il voulu se tourner? On n'en
sait rien, nul ne le pourrait dire, le but qu'il poursuit reste inconnu, et
il semble, par son indécision, par l'hésitation dont témoigne son œuvre,
avoir manqué de l'audace nécessaire et de franchise envers lui-même.
On se rappelle involontairement, en entendant cette musique, la
fière déclaration faite naguère par M, Saint-Saëns : — « Je n'ai jamais
été, je ne suis pas, je ne serai jamais de la religion wagnérienne (1) ».
Assurément son œuvre n'est pas wagnérienne par certains côtés : on
n'y trouve guère trace de leitmotive, et l'orchestre se tient à sa place, n'ac-
capare pas insolemment l'attention et ne s'elïorce pas d'étouffer les vois
sous son fracas instrumental. Mais d'autre part, l'auteur emprunte aux
procédés wagnériens le système détestable de la déclamation continue,
la volonté de ne point construire de morceaux et celle d'éviter avec soin
les ensembles — car même dans la grande scène de Floria et de
Marcomir, au second acte, c'est à peine si pendant une vingtaine de
mesures il a consenti à faire entendre les deux voix simultanément.
C'est cette façon d'agir que je blâme pour ma part, parce qu'elle a eu
(1) llannonie et viétodw : Introduction.
pour résultat de produire une œuvre sans caractère, sans couleur et
sans portée. M. Saint-Saëns ne nous a pas habitués â le voir mancpier
de franchise; à tout le moins il a manqué ici de volonté et de décision.
On attendait mieux de l'auteur de Samson et Dalila et de la symphonie
en ut mineur.
Il me parait donc (jue la partition froide et incolore des Barbares ne
saurait rien ajouter â la renommée et â la gloire de M. Saint-Saëns.
Ai-je besoin, après cela, de constater de nouveau qu'elle est écrite de
main de maitre? Cela mo semble superflu, et il serait assurément peu
croyable qu'il en fût autrement. Mais c'est au théâtre surtout que la
forme ne suflit pas, et que le fond importe avant tout. Or, c'est le fond,
c'est-à-dire la véritable inspiration, qui fait ici le plus complètement
défaut, et j'ai dans l'idée que la pauvreté du sujet n'est pas étrangère à
ce fait. Cependant, là même où la situation aurait pu le porter, comme
dans la scène de Floria et de Marcomir, que j'ai déjà eu l'occasion de
citer, le compositeur n'a pas trouvé un accent, un élan, un cri du cœur
pour souligner cette situation. Il y a certainement quelques pages heu-
reuses dans la partition, comme l'introduction symphonique du premier
acte, après les strophes du Récitant, puis, dans ce premier acte, la jolie
scène de Floria et des femmes, où le chœur de celles-ci reprend d'une
façon poétique chacune des phrases é.tablies parlaprêtresse, puis encore
le chant vigoureux de la délivrance, au troisième acte : Divinité libéra-
trice ! et enfin, de côté et d'autre, quelques phrases bien venues, avec,
parfois, certains effets d'orchestre inattendus ou délicieux. Mais tout
cela ne constitue pas, à mon sens, une œuvre sérieuse et viable, et je crains
bien que celle-ci n'ait qu'une existence courte et sans retentissement.
Elle a été bien défendue par ses interprètes. M"" Hatto représente bien
la vierge pudique et poétique que doit être la noble prêtresse de Vesta.
Sa beauté pleine d'élégance, complétée par la façon merveilleuse dont
elle est drapée, nous donne une Floria idéale. Elle joue le rôle avec
intelligence et le chante avec un goût très sûr, bien qu'on éprouve par-
fois la crainte que sa voix, si harmonieuse, soit un peu frêle poui- cer-
tains accents énergiques. Il n'y a que des éloges à adresser aussi à
M. Vaguet, qui personnifie Marcomir, le grand chef germain. Sa voix
claire et vibrante s'y meut â l'aise, et chez lui le talent du comédien,
plein de verve, de chaleur et de passion, est égal â celui du chanteur,
qui se dépense sans compter et fait preuve d'une vigueurpeu commune.
C'est M°'° Héglon qui représente la farouche Livie, l'épouse vengeresse;
elle lui prête, avec son admirable voix, d'un métal si riche et si solide,
ses belles qualités de tragédienne lyrique, avec des accents pleins de
désespoir ou d'âpreté. Quant à M. Delmas, assez mal partagé, il faut
bien le dire, par le rôle ingrat de Scaurus, il y est, comme toujours,
excellent, plein de conscience à la fois et de talent. C'est aussi lui qui
représente le Récitant du prologue. Je ne veux pas oublier les deux jeu-
nes débutants, M. Riddez (Hildibrath), et sm-tout M. Rousselière (le
Veilleur), qui ont fait preuve de bonnes qualités dans ces deux rôles,
dont le dernier, particulièrement, a une très réelle importance. Encore
deux élèves de ce Conservatoire tant décrié par quelques-uns.
Que dire de la mise en scène? A part le troisième acte, dont le décor
est joli, elle est peu compliquée. Je sais bien qu'il y a dans le cortège
de ce troisième acte des bœufs et des moutons ; cela n'excite point mon
enthousiasme, ni, je crois, celui du public, d'autant que la présence de
ces aimables mammifères n'est nullement essentielle â l'action. Mais
quelle singulière idée d'orner les visages des danseuses de ces horribles
muselières qui, toutes dorées qu'elles sont, font un si vilain efi'et. Pau-
vres filles! Est-ce qu'on les avait menacées de leur jeter des boulettes?
Arthur Pougin.
Odéon. Point de lendemain, comédie en 2 actes, de M. P. Hervieu, d après le
conte de Vivant-Denon; Brignoletsa fille, comédie en 3 actes de M. A. Gapus.
— Gaité. Le Curé Yiiicent, opéra-comique en 3 actes et 4 tableaux, de
M. Ordonneau, musique d'Edmond Audran.
L'Odéon vient de se passer la coquetterie de mettre sur une même
affiche les pièces de début de deux auteurs arrivés aujourd'hui l'un et
l'autre au succès et â la notoriété, MM. Paul Hervieu et Alfred Capus.
Du premier on nous a représenté Point de lendemain, qui, écrit pour un
cercle privé, n'y fut donné qu'une seule fois; du second, Brignol et sa
fille, qui fit partie des matinées organisées, voici quelques années déjà,
au Vaudeville.
Les deux actes de M. Hervieu sont inspirés d'un célèbre conte du
XVIII" siècle de Vivant-Denon. Si, saynète de paravent, ils n'offrent
qu'un intérêt dramatique tout à fait mince, il faut au moins reconnaître
que l'adaptateur a su dire le plus galamment du monde des choses
exquisement raides. Ce marivaudage très leste, dans lequel une baronne
volage et indifférente trompe â la fois, et sans espoir de lendemain, et son
mari et son amant, demandait, de la part des interprètes, infiniment de
340
LE MÉNESTREL
légèreté, de grâce et de désinvolture, et, seule, M"= Mitzy-Datti a su mi-
nauder presque ainsi qu'il convenait. MM. Laumonier, Dauvillier et
Céalis ont semblé affligés d'une grosse prétention mal en situation.
Bt-ignol. ce Mercadet du dernier bateau mais bon enfant, qTii ne fourre
les gens dedans qu'avec la plus entière bonhomie, — s'illusionnant lui-
même sur son « étoile en affaires » — laissait déjà pressentir les qualités
qui firent de M. Alfred Capus l'auteur dramatique le plus à la mode du
moment. Toute sa philosophie clairement bourgeoise et doucement
ironique, toute la bonté dont il se plait à sympathiser ses personnages
sujets à caution, toute la justesse de son observation simple et précise,
tout l'agrément de son dialogue prime-sautier et joliment spirituel, se
peuvent déjà facilement trouver dans ces trois actes qui, au point de vue
strictement théâtral, ne sont ni supérieurs ni inférieurs au.\ Veine et
autres Pelile Fonctionnaire d'invention et d'intrigue plutôt modestes.
Brignol et sa fille, accueilli par le public de l'Odéon avec des marques
certaines de contentement, servait de début à deux des lauréats des der-
niers concours du Conservatoire, M"» Piérat et M. Bouthors, qui ont
complètement réussi, M'" Piérat avec sa grâce mignonne et fraîche de pres-
que encore petite fille, avec sa voix jolie et son exquise nature de théâtre,
M. Bouthors avec une rondeur pleine et bien portante et un comique
discret de belle aisance. MM. Séverin, venant de l'Athénée, Coste, Siblot,
Janvier. M'"" Bonnet et Dehou, complètent un ensemble satisfaisant.
Cette histoire du Curé Vincent, que viennent de nous conter, en une
assez longue soirée, les artistes de laGaité est simple, simple, si simple
même qu'on est très tenté de dire qu'elle l'est vraiment trop. Dans un
village de Bretagne, sous les guerres de la République, vit tout heureux
le bon prêtre entouré de sa nièce, Thérèse, et de son sacristain, Pierre. Les
jeunes gens s'aiment sans doute, mais l'un des deux seulement, le gars,
se rend compte du sentiment dont il est animé, tandis que la demoiselle
reste complètement indifférente. Passe un régiment, dont le beau ser-
gent Bernard courtise la fillette, qui se laisse prendre à son parler cajo-
leur et militaire, et persuade Pierre qu'on ne peut être aimé que si l'on
porte un uniforme. Et voilà nosdeuxinnocents qui désertent le toit de calme
et de paix, l'une pour essayer de rattraper son éloquentcasse-cœur, l'autre
pour s'engager; et voilà, bien entendu aussi, notre curé Vincent qui re-
trousse sa soutane et court les routes pour joindre les enfants prodigues.
Après quelques péripéties d'intérêt médiocre — la figure de cet abbé
tout de candeur et de bonté eût pu donner heu à de jolies scènes que
M. Maurice Ordonneau n'a fait qu'entr'apercevoir — tout le monde se
retrouve et le Curé Vincent bénit l'union de Thérèse et de Pierre.
Si l'auteur des paroles n'a eu que peu de soucis d'originalité, on en
peut dire tout autant du musicien, Edmond Audran, mort avant d'avoir
pu s'occuper des études de sa pièce. Partition très volumineuse, bourrée
de musique, mais dans laquelle on a peine à retrouver même le charme
de l'auteur de la Mascotte; les numéros s'ajoutent aux numéros et pas-
sent indifférents, sauf peut-être au dernier acte, où le trio de la table est
agréablement traité et suivi d'une phrase de bonne venue qui relève
hem-eusement le temps de valse très vulgaire du duo des aveux.
L'interprétation du Curé Vincent est de teinte grise, encore que
M"' .Jeanne Petit y déploie ses charmantes qualités vocales rehaussées
par la joliesse de sa gentille personne. M. Ville, le curé Vincent, dit de
très exquise façon, mais sans l'ombre de voix, M. Soums, Pierre, lance
son tenorino en des notes de tête très hardies et MM. Lucien Noël et
Landrin restent tels que nous les connaissons depuis quelque temps
^^i^- Paul-Emile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXVIII
« L'ART DES PROGRAMMES »
A Mademoiselle Eva Boutarel.
— Assez causé I Nos chefs d'orchestre remontent au pupitre. La
musique revient. EUerenait avec les jours courts, afin de glorifier notre
silence et la poésie des dimanches d'automne...
— Vous parlez, plus clairement, comme feu Stéphane Mallarmé
célébrant le « plaisir sacré ». C'était au beau temps, qui parait si loin-
tain déjà, des grandes « premières » à nos concerts dominicaux ! Doré-
navant on vit surtout de « reprises ». Mais il est des chefs-d'œuvre
qu'on peut réentendre... Et parmi cette marée montante d'auditions
et de sociétés de toutes sortes, vous avez dû songer, plus d'une fois à
l'ai-t des pivgrammes?
(1) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 16, 22 el 29 senlembi-e dp«
13 et 20 octobre 1901. Iieuiuie, aes
— Vous parlez de l'embellissement du menu, selon les derniers
canons du modem style et de l'art décoratif, puisque l'Art dans tout veut
consoler aujourd'hui les plus humbles de la vieillesse de la Beauté?...
Vous voudriez confier à un maitre-artiste la lettre et l'ornement de ces
petites feuilles éphémères dont la collection réserve à notre avenir de si
bonnes heures mélancoliques? Oui-da! Pourquoi ne point marier le
texte à l'image, ni recourir à l'ingéniosité d'un Rassenfosse ou d'un
Rochegrosse qui s'est distingué dans l'affiche de Louise et dans le fron-
tispice plus classique de la partition des Barbares?
— Votre idée n'est pas une chimère et je la renvoie à l'idéale com-
mission formée par les amis inconnus des peintres mélomanes. Mais ce
n'est pas cela! Non. Je vise le programme lui-même et je médite, pour
ainsi dire, la philosophie du programme. Je me préoccupe moins,
aujourd'hui, de la décoration que de la composition du menu...
— Vous êtes un gourmand 1
— Vous voulez dire un gourmet! Et je ne m'indignerais nullement
d'être par vous appelé le Brillât-Savarin de la musique... D'abord,
qu'est-ce qu'un programme? Quel est votre idéal de programme?
— Le menu mérite mon estime quand il est à la fois abondant et choisi.
— C'est vague! Et, sauf son respect, vous imitez Aristote en sa Poé-
tique, qui consacrait simplement l'usage.
— Vous devenez impertinent pour Aristote !
— Je ne crois point. En tous cas, en suivant votre méthode je pré-
vois ce qui, d'ailleurs, hélas ! est fréquent, une sorte de salade musicale,
mi-classique, mi-romantique, moitié latine et moitié slave, avec force
ingrédients d'outre-Rhin. Le programme, alors, ne sera plus qu'un pot
pourri plus ou moins heureux, un arlequin plus ou moins subtil, un
adroit rifacimente, comme Quo Vad-is...
— Vous êtes sévère pour Sienkiewicz !
— Transportons-nous aux Pyrénées, en 1838, à Luchon. Nous
sommes, non pas avec l'admirable Alfred Tonnelle, l'amant de la
lumière (1), mais avec le penseur plus sédentaire et plus caustique,
M. Taine (2). L'humoriste regarde le monde, écoute un concert. Et je
vous recommande la scène crayonnée par un fervent de Balzac : l'im-
payable satire d'un programme chargé copieusement autant que varié !
Un jeune créole présent n'en revient pas. Quoi! En moins de deux
heures un public a digéré tant de morceaux si différents? Notez que
ces bruits sont très chers; et cependant le public a payé, puis applaudi!
Donc, il a goûté du plaisir... En cette catégorie de touristes casaniers,
qui préfèrent l'art à la montagne, que de physionomies béates, que
d'extases, pourtant, peintes sur les visages, à tenter le crayon non moins
mordant d'un Eugène Lamy (3) ! Le grave M. Taine raisonne et badine :
« La musique » dit-il, « éveille toutes sortes de rêveries agréables...
Tel air fait penser à des scènes d'amour ; tel autre fait imaginer de grands
paysages, des événements tragiques. — Et si l'on n'a pas ces rêveries,
la musique ennuie? — Certainement; à moins qu'on ne soit professeur
d'harmonie... » De sorte que ce bon public a dii passer par toutes ces
belles rêveries en question, voluptueusement amoureux avec la sérénade
de Don Pasquale, transcendant avec un adagio de Beethoven, sentimen-
tal avec un duetto de Mozart... Et n'y a-t-il pas sept ou huit morceaux
par concert? « Au moins! Ajoutez que, ces morceaux étant pris dans
trois ou quatre pays et dans deux ou trois siècles, il faut que les audi-
teurs prennent subitement les sentiments si opposés et si nuancés de
tous ces siècles et de tous ces pays... » Dans les entr'actes on potine,
on cause bourse et toilette... Et, conclut le sage créole : « Je m'y perds.
Moi, quand je rêve, j'ai besoin d'être seul, à mon aise, tout au plus
avec un ami. Si la musique me touche, c'est dans un petit salon sombre,
quand on me joue des airs de même espèce et qui conviennent à mon
état d'esprit. Il ne faut pas qu'on me cause de choses positives. Les
songes ne me viennent pas à volonté; ils s'en vont malgré moi. Je vois
bien que je suis sur un autre continent, avec une race toute différente.
On s'instruit à voyager... »
— Vieux à présent, votre jeune créole doit compter parmi les abonnés
de la Schola Cantorum.
— Il n'est plus seul à préférer l'unité du récital à la variété moins
intransigeante du concert accoutumé. C'est, au fond, l'antithèse entre
le concert purement esthétique, qui n'a d'autre intention que la Beauté
pure, et le concert historique, qui mélange les doses, même en trans-
gressant habituellement l'ordre des dates. Et le créole de M. Taine est
un précurseur inconscient d'un musicien qui s'y connaissait! Antoine
Rubinstein, ici même, il y a neuf ans, n'approuvait point les programmes
(1) Cf. le grand ouvrage de M. Henri Beraldi ; Cent ans aux Pijnniies (tome H; 1900).
(2) Voyage aux Pyrénées, par H. Taine ; édition illustrée par Gustave Doré (Paris,
Hachette, 1858) ; pages 452-465.
(3) Impressions musicales, aquarelle de la collection de M"' Esnault-Pellerie, exposée à
la Centennale de 1900 sous le n° 1124. — Cf. le IV« article de nos Peintres mélomanes
(Ménestrel du 2 décembre 1900).
LE MENESTREL
341
en usage dans nos concerts symphoniques : « J'avoue », disait-il, « que
le caractère tuni frutti de ces programmes ne m'est pas sympathique.
Il m'est désagréable d'entendre une symphonie de Haydn et, tout de
suite après, l'ouverture de Tannh'à'user, non pas que je préfère une de ces
œuvres à l'autre, mais à cause de la différence trop frappante de leur
sonorité. Je préférerais un concert entier formé des œuvres d'un même
auteur... »
— C'est radical, celai Mol, tout au contraire, et peut-être vais-je sou-
tenir une esthétique de vandales, analogue à celle qui donne rendez-
vous, dans le salon carré d'un musée, à des toiles de tous les siècles :
mais après une primitive Symphonie de chasse du vieux Gossec, le tor-
rentueux Venusberg, à la Ru'oens, ne m'apparait que plus impérieuse-
ment romantique...
— C'est qu'avec le romantique en personne vous donnez raison, tout
bas, au génie contre le goût. Et puisque, en toutes causes, on peut plai-
der le pour et le contre, vous êtes l'avocat de la force; au charme rétros-
pectif des vieux maîtres d'Occident vous préférez la moderne expression,
l'intensité dynamique, qu'elle soufle des buissons de la Forêt noire ou
des steppes de l'Orient fauve... Pour vous, Gossec devient le repoussoir
souhaité de Borodine ou de Wagner. L'intransigeant, dans ce débat,
n'est point celui qu'on pense. . . Mais écoutez Rubinstein. Il vous répond :
« Le public va volontiers aux conférences, et, qu'il soit ou non de l'avis
du conférencier, il l'écoute. De même, on visite les ateliers de peintres
et de sculpteurs dont les œuvres ne plaisent pas toujours, et on les
regarde quand même. Le public devrait se comporter de la même façon
avec les compositeurs de musique. Mais si, enfin, cela était absolument
impossible, je proposerai au moins la division en deux époques : de
Palestrina inclusivement jusqu'à Schumann et Chopin, et de Berlioz
jusqu'à nos jours. Je rattache Brahms et quelques autres à la première
époque, tant par le caractère de leur création que par leur éducation
musicale. Pour les séries de concerts par abonnements, on pourrait
faire alterner un concert de la première époque avec un concert de la
seconde j.. » (1).
— C'était parler d'or et tout prévoir! Mais c'est égal, la musique n'est
pas la peinture, elle n'en possède point la discrétion silencieuse; et plus
d'une séance homogène, Beethoven à part, mettrait en effet la patience
du public à une rude épreuve.
— Qui sait? L'éducation musicale de la foule a progressé si rapide-
ment, d'accord avec les complications de la musique ! Et puis, il faut
se renouveler, « inventer ou périr « : on ne pourra pas jouer toujours les
Murmures de la Forêt ou la Marche hongroise...
— Évidemment! Des nouveautés sont promises. Mais, que je consi-
dère la musique comme une magicienne, une évocatrice, ou, plus sim-
plement, comme le rêve abstrait d'un pur architecte, je ne puis m'ins-
crire en faux contre le mélange des styles. C'est affaire de proportion.
Tenez, aux derniers concoui-s de piano du Conservatoire, je trouvai du
plaisir à entendre de savantes petites mains passer d'une discrète sonate
de Mozart aux bouillonnantes Études symphoniques de Schumann. Et
Liszt lui-même, après les maîtres...
— Ah! celui-là, c'est une autre affaire! Et l'on pourrait dire, avec
la gaieté d'une certaine ouvreuse : Grammatici certant, et adhuc sub
judice Liszt esti
(A suivre.) Raymond Bodyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — On avait été un peu étonné de trouver au pro-
gramme de la matinée inaugurale des concerts Colonne les noms des deux
pères de la symphonie moderne : F.-J. Gossec et Joseph Haydn. Les
notices substantielles que notre savant confrère Charles Malherbe offre depuis
bon nombre d'années aux amateurs nous explique ce parallélisme par ce
fait que les concerts Colonne doivent désormais, dans leur première série,
nous présenter un résumé historique et clironologique de la symphonie en
reproduisant chaque fois une œuvre française du genre et une œuvre due à
un compositeur étranger. Les amateurs sérieux ne manqueront pas d'approu-
ver hautement cette idée, si le choix parmi les symphonies à produire dans
de telles conditions est fait judicieusement. Pour le commencement de cette
histoire de la symphonie moderne le choix des auteurs au moins était tout
indiqué ; Gossec en France et .Joseph Haydn de l'autre côté du Rhin parais-
saient inévitables. Quand on entend la symphonie de Gossec intitulée la
Chasse, on pense involontairement que les A'ies tout entières de Joseph Haydn,
Mozart, Beethoven, Schubert et "Weber se sont déroulées pendant l'existence
(1) La Musique et ses 7-eprésentants, Entretien sur la musique (traduction Michel Delines);
Ménestrel du 28 février 1892. — Sous ce titre, l'Art des programmes, notre confrère
Adolplie Boscliot a fineiïient soutenu la même thèse dans la Revue Bleue du 5 jan-
vier 1901 : les concerts dominicaux devraient ressembler moins à la foire de nos Salons
annuels qu'à la collection bien ordonnée d'un amateur.
prasque séculaire de Gossec, qui aurait pu ainsi assister aux obsèques de
tous ces maîtres de la musique moderne, lui qui avait déjà pu applaudir
à Paris les premières représentations des principaux drames lyriques de
Gluck. On cherche alors une trace de l'influence de tous ces maîtres contem-
porains dans la symphonie de Gossec et on n'en trouve aucune; le programme
de la symphonie, exprimé seulement dans le premier et dans le dernier
morceau, basés sur des thèmes cynégétiques, est bien naïf et n'a rien de
commun avec la musique de nos jours dite « à programme ». Ces morceaux
ont d'ailleurs beaucoup plus vieilli que l'andante, romance agréable pour le
quatuor à cordes, que les instruments à vent soulignent quelquefois, et le
menuet, de tournure élégante. Le public a bien accueilli cette symphonie
exhumée, qu'on n'avait jamais entendue au cours du XIX"! siècle, et a ensuite
fait fête à la symphonie en sol (n" 13) du bon « papa Haydn » comme on
l'appelle dans son pays ; on en a même bissé le pimpant mais loquace finale.
Le concerto pour violon en fa de Lalo, une des meilleures sinon la meil-
leure composition de ce genre dans la seconde moitié du siècle passé, a
trouvé en M. Jacques Thibaud un digne interprète dont l'éloge n'est plus à
faire et quia été couvert d'applaudissements. Le même artiste a ensuite joué,
avec le concours de M. Oliveira, l'un des deux concertos pour deux violons
de J.-S. Bach, qui a valu aux interprètes des applaudissements intermi-
nables, surtout après l'admirable Largo en fa, d'un sentiment si intense et si
élevé. Grand succès aussi pour le concerto pour piano en la (a" 2) de Liszt,
magistralement interprété par M. Arthur de Greef, que l'orchestre a fort bien
secondé, si cette expression peut être admise en face du rôle important de la
partie sympbonique de cette œuvre intéressante, mais déjà un peu marquée.
La grande ouverture de Léonore, de Beethoven, et la fameuse scène orgiaque
qui ouvre Tannhauser ont commencé et clôturé le concert; voisinage dur et
intempestif pour le père Gossec et le papa Haydn. 0. Behggktjen.
— Concerts Lamoureux. — Il y a un bon combat à soutenir, c'est pour la
musique saine, claire, ayant son rythme et son ossature, sa mélodie bien
en dehors. C'est celle-là que nous voulons défendre, quelles que soient sa prove-
nance et sa nationalité. Espérons que l'art de Gluck, Spontini, Berhoz et
Reyer, tronc robuste sur lequel Gounod, Saint-Saêns et Massenet ont greffé
avec génie des rameaux pleins de sève, prendra une place considérable au
répertoire de nos concerts; espérons que nos jeunes artistes suivront la voie
qui leur est ouverte par ces nobles devanciers. 'Wagner, musicien universel et
poète allemand a produit, comme tous les novateurs que l'on imite trop, une
école décadente qui aura le sort de l'école littéraire dont elle mérite de par-
tager le nom ridicule. Nos traditions françaises ne doivent pas être oubliées.
Qui peut dire ce que deviendrait, entre les mains d'un musicien comme
celui de Sigurd, un poème grec écrit en tenant compte des découvertes de ces
trente dernières années, découvertes qui ont renouvelé la physionomie du
monde antique et celle des héros d'Homère! Nous avons bien de quoi tenir
tète à Siegfried, le héros germanique. Venons maintenant au premier pro-
gramme de M. Chevillard. L'ouverture de Benvenuto Cellini a fourni à l'orches-
tre l'occasion de montrer sa consistance solide et ferme. Le concerto en fa
mineur de Lalo est une œuvre d'une beauté sérieuse et d'une excellente fac-
ture. Il a été interprété par M. Diémer, dont l'autorité superbe a imposé cha-
que phrase, mis en valeur chaque morceau sans rien laisser à dire, sinon que
c'est la perfection dans le rendu, qu'il s'agisse de mélodie à poser, de transi-
tions à ménager, de trilles à égrener ou de sons à conduire en capricieuses
arabesques. Un air de ballet de l'opéra le Prince Igor, de Borodine, a paru
charmant; l'appoint d'un chœur à plusieurs parties en rehausse très agréable-
ment l'allure. La Symphonie avec chœurs est le plus grand miracle de Beetho-
ven avec la messe en ré. Pour avoir pu écrire, sans autres ressources que
celles de l'orchestre d'Haydn et de Mozart, une œuvre d'un coloris aussi varié,
chatoyant, étincelant, il fallait un génie divin. Les mouvements du finale
m'ont paru généralement un peu trop rapides. Le Tempo di marcia, notamment,
ne devrait se précipiter qu'à partir du petit ensemble symphonique figurant
la bataille. Le quatuor vocal a besoin de beaucoup de tenue, et sa conclusion
magnifique exige un sentiment poétique développé de la part des chanteurs.
Il y a là une étude d'esthétique à faire ; il y a aussi une jolie légende à racon-
ter : « 0 joie, fille de l'Empyrée! » s'écrie Schiller ; « 0 Joie, flamme prise
au front des dieux ! » répond Beethoven. Un jour, c'était à Gohlis, près de
Leipzig, dans la vallée de Rosenthal, Schiller, dont le cœur longtemps
lacéré s'épanouisssait à la joie sous l'égide de sa première grande amitié, se
promenait au lever de l'aurore sur les bords de la Pleisse. Il entend les
gémissements d'une voix qui priait : « Notre père, toi qui es aux cieux... » ;
il s'approche sans bruit et aperçoit, derrière un buisson d'églantiers, un
jeune homme à demi dévêtu, prêt à se jeter dans la rivière. « Non, dit-il,
intervenant soudain, je ne veux pas que vous commettiez ce crime, dites
pourquoi tous voulez mourir, je vous sauverai. » C'était un étudiant en théo-
logie réduit à la plus extrême misère. « Retardez de huit jours votre projet,
dit Schiller, vous reviendrez ensuite à cette place; en attondant voici ma
bourse, o Le lendemain, le poète assistait à Leipzig au banquet de noces d'une
fille de l'aristocratie. Au moment où la joie était la plus vive et où les coupes
circulaient, il demande la parole, il veut porter un toast. Chacun faitsilence.
Il raconte alors l'histoire de l'étudiant, son suicide retardé, son dénùment
atroce. Ensuite, prenant une assiette, il la présente à chaque convive, faisant
lui-même la quête autour de la table. La collecte fut superbe et, plein d'émo-
tion, il s'écria : « 'Vous avez rendu la vie à un malheureux; maintenant,
buvons tous à la Joie, au bonheur des nouveaux époux. > L'étudiant fut sauvé;
on lui trouva facilement une place. Ainsi fut créée l'Ode à la joie de Schiller,
et c'est bien aussi la joie qu'a chantée Beethoven. Ajmîdée Boutarel.
342
LE MENESTREL
— ■ Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châtelet, concert Colonne: Symplionie en ut majeur, Jupiter (Mozart). — Impres-
sions d'Italie iCtiarpentier'. — Concerto en ut mineur n^ 4 iSaint-Saëns), par M°" Klee-
berg. — Préludes de l'Ouragan iBruneaui. — Symphonie en ré n" 2 (Méhul). — Scène
du Venosberg de TannbiUtser iR. ^Yagne^l.
Nonveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard. —
Omerture des Maitres-Chanteurs i Wagner). — Danse polovtsienne du Prince Igor
(Borodine). — Nocturnes i Debussy). — Symplionie avec chœurs (Beethoven) : solis-
tes, M"" Lormont, Jlelno, M5I. Feodorow et Cliallet.
Grand-Palais ; Pa(rie iBizel); la Surprise i Haydn); le Prophète (Meyerbeer), arioso,
chanté par M. Greyge; Polyeucte iGounodi; Pourquoi les oiseaux chantent (Théodore
Dubois), Berceuse de l'Enfant-Jésus iCharles Lecocq), deux mélodies chantées par
M"" Gellée ; la Zamaeuecfi iTh. Ritteri; .\'oël païen (Massenet), chanté par M. Greyge;
Romance (Saint-Saëns), violon solo, M. Fernandez : Marche et cortège de la Reine deSaba
(Gounod).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On vient d'inaugurer au cimetière central de Vienne le monument fu-
néraire de Johann Strauss. Il consiste en un bloc de marbre tyrolien haut de
quatre mètres et figurant un rocher près duquel est placée une figure allé-
gorique : la Nymphe du Danube. Cette nymphe porte une longue tunique
plissée; elle tient dans la main droite une lyre antique, tandis que la main
gauche est appuyée sur un vase duquel s'échappe un petit jet d'eau, tout
près de l'inscription : Johann Strauss, IS2S-IS99. Au-dessus de la Nymphe du
Danube on voit un groupe de petits génies: un couple de bambins charmants
est en train de valser, tandis qu'un petit ange joue du violon en jetant un
regard sur une feuille de musique qu'un petit camarade lui présente. Les
lauriers plantés à côté de ce groupe encadrent l'excellent portrait en mé-
daillon de l'artiste; au-dessus de sa tête voltige une chauve-souris, allusion
à l'opérette qui fut le plus grand succès théâtral du compositeur, à cette
Ftedernidus (la Tsigane) qui a obtenu droit de cité même sur les plus grandes
scènes lyriques d'Allemagne et d'Autriche. Ce monument compliqué, dont
en dit beaucoup de bien, est dû au ciseau du sculpteur viennois Johannès
Benk,
— • L'opération consistant à tourner le monument de Beethoven à Vienne,
pour lui faire faire volte-face, a commencé ces jours derniers. Elle est plus
compliquée qu'on n'avait pensé d'abord, car il faut aussi changer la position
du socle afin que les petits génies qui l'entourent représentant les neuf sym-
phonies du maître, correspondent à la nouvelle position de la statue. A cette
occasion, on s'est aperçu que le monument exige quelques réparations et un
nettoyage à fond. On a donc construit tout autour un de ces fameux murs en
bois chers aux architectes et derrière lesquels les choses sapassent lentement.
Et voilà que Beethoven est devenu invisible ! On espère le revoir au prin-
temps prochain, regardant, avec sa misanthropie ordinaire la foule qui se
pressera sur le nouveau boulevard.
— Une crise singulière menace l'Opéra impérial de Vienne ; sa caisse de
retraites est sur le point de ne plus pouvoir faire face à toutes les obligations
qu'elle a jusqu'à présent très correctement remplies. La cause de cet état de
choses n'a rien de désobligeant pour l'administration de cette caisse ; c'est,
au contraire, la trop grande libéralité de son organisation qui a amené ce
résultat inévitable. Tous les membres de la caisse payent la même cotisation
très modeste, sans aucune difïérence d'âge ; or, il est évident qu'un artiste
engagé à l'Opéra à 35 ans devrait payer plus que celui qui y est entré à l'âge de
23 ans et a, par conséquent, payé sa cotisation dix ans avant son confrère.
Malgré une subvention de 100. OOO couronnes que la direction de l'Opéra
verse tous les ans à cette caisse de retraites, malgré quelques dons occasion-
nels et le produit des représentations que la caisse organise à son profit tous
les ans, le déficit augmente continuellement. Il va falloir augmenter la sub-
ïention et réformer les statuts en ce qui concerne les nouveaux membres,
sans rien toucher aux droits acquis des anciens.
— Le 23 de ce mois, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance
de Lortzing, a eu lieu l'inauguration de la plaque commémorative apposée
sur sa maison natale, qui appartient actuellement au négociant Rodolphe
Hertzog. L'unique fils survivant du compositeur assistait à la cérémonie. Par
ordre de Guillaume II, le comte Hochberg, surintendant général des théâtres
royaux, a déposé une grande couronne de lauriers avec un large ruban blanc
sur lequel les initiales de l'empereur étaient brodées en or. Les chœurs de
l'Opéra royal ont exécuté plusieurs morceaux et le président du comité a
ensuite prononcé l'éloge de Lortzing.
— L'Académie de chant de Berlin (Siugaaulemiej prépare pour cet hiver
un riche programme de concerts, particulièrement intéressant, qui com-
prendra, entr,,' autres œuvres, les Béatitudes de César Franck, la Tour de Babel
àe Rubinstein, Acis et Gulathée de Haendel et la Messe en si bémol mineur
d'Albert Becker. La Trauer-Odee de Jean-Sébastien Bach et le Requiem alle-
mand de Brahms seront exécutés le jour des Morts; à Noël on entendra
l'Oratorio de Noël de Bach, le vendredi-saint ce sera sa Passion selon saint
Mathieu, et enfin on aura, pour fêter le printemps de 1902, les Saisons
d'Haydn. Il serait assurément difficile de faire plus et mieux.
— Il s'est formé à Berlin un comité pour ériger dans cette ville une
statue au compositeur Lortzing. On espère que l'empereur Guillaume II, qui
s'intéresse vivement à cette entreprise, y contribuera pour une somme con-
sidérable.
— Des nouvelles de Munich nous apprennent que l'intendance du théâtre
du Prince-régent, voulant alterner ses programmes d'une façon intéressante,
vient de remettre à la scène, entre autres ouvrages, le Parleur d'eau (les Deux
Journées) de Cherubini, qui n'avait plus été représenté depuis 1888 malgré la
très grande valeur de l'ouvrage et l'estime en laquelle le tiennent artistes et
public. Celui-ci a salué sa réapparition par de vifs applaudissements. Le
succès a été complet. Le chef d'orchestre, M. Zumpe, avait apporté le plus
grand soin à la direction des études, et des acclamations ont accueilli tous
les interprètes. MM. Bamberger, Walter, M"« Brener et leurs compagnons.
On nous écrit que le premier finale et le second acte ont surtout provoqué les
applaudissements et que l'accueil fait par les spectateurs à cette musique
saine et robuste peut servir à prouver que le public munichois n'est pas aussi
exclusivement wagnérien qu'on pourrait le croire. — Qui donc aura enfin
l'idée de nous rendre, en France, l'un des admirables chefs-d'œuvre de Cheru-
bini, écrits pour nous et abandonnés chez nous, alors qu'ils sont restés si
populaires en Allemagne ?
— Ou prépare la prochaine représentation à Leipzig de la trilogie de
M Félix Weingartner, Oreste. Cette trilogie, divisée en trois parties : Aga-
memnon, le Sacrifice, les Erinnyes, constitue un seul opéra et se joue en une
seule soirée.
— L'Opéra grand-ducal de VVeimar jouera prochainement un opéra inédit
de M. Hans de Bronsart, qui est intitulé Manfred.
— LTue cantate inédite pour soli, chœurs, orchestre et orgue, de M. Auguste
Wolff, qui est intitulée le Printemps, vient d'être exécutée avec beaucoup de
succès aux concerts philharmoniques de Cologne.
— Un de nos amis, qui revient d'une excursion en Bosnie, nous raconte
qu'il a trouvé dans la capitale, Seraïevo, un orphéon intitulé la Lira, sociedad
de cantar de los ludios espanoles. Cette « lyre » de juifs espagnols eu plein pays
slave l'a vivement intrigué; ce qui nous étonne, c'est que ces juifs aient
fondé un orphéon. Car nous n'ignorions pas qu'une partie des 150.000 juifs
chassés d'Espagne à la fin du XV' siècle s'était réfugiée en Turquie et que
presque tous les juifs fixés dans les pays des Balkans sont d'origine espa-
gnole. Notre ami est malheureusement trop peu musicien pour pouvoir nous
fournir des renseignements exacts sur cet orphéon hispano-israélite. Il nous
dit seulement que cet orphéon chante en langue espagnole. Les juifs du rite
espagnol, qui se nomment Sephardim pour ne pas être confondus avec ceux
du rite allemand, qu'ils nomment Achkenasim, parlent en effet la langue
espagnole du XV« siècle, comme les Canadiens parlent encore le français du
grand siècle. La musique des morceaux qu'ils chantent lui a semblé pourtant
être d'origine allemande : il a aussi été frappé par la belle qualité des voix,
surtout des premiers ténors. Il serait intéressant de savoir si les juifs espa-
gnols des pays balkaniques possèdent des compositeurs de leur race ou s'ils
se contentent de chanter les morceaux favoris des orphéons allemands après
en avoir traduit les paroles en espagnol. Nous nous proposons de faire une
petite enquête à ce sujet.
— Le général Kleigels, préfet de police de .Saint-Pétersbourg, a adressé à
la douma (conseil municipal) de cette ville l'invitation de souscrire au monu-
ment de Glinka qui doit orner une place publique de la capitale russe. On
peut s'étonner que la douma ait eu besoin de cette invitation qui, eu Russie,
équivaut à un ordre, pour penser au premier compositeur national dont les
œuvres aient été jouées à l'étranger et dont la statue doit faire honneur à
Saint-Pétersbourg. Ajoutons que les sculpteurs de nationalité russe seront
seuls admis au concours pour le monument Glinka.
— Chopin, qui a déjà son buste à Paris, va avoir sa statue à Varsovie. Le
gouverneur de cette ville a en efl'et accordé au comte Brochowski et à sa
femme, plus connue comme artiste lyrique sous le nom de M"'« Bolska, l'auto-
risation de former un comité et de recueillir les souscriptions pour le monu-
ment de Chopin. Les plus grands noms de la haute noblesse polonaise se
trouvent parmi les membres du comité et les premiers souscripteurs. Le
comité se propose d'inviter tous les grands artistes polonais à donner des
concerts au profit de ce monument; M"= Sembrich et MM. Paderewski, de
Stojowski et Huberman se trouvent à la tête de cette liste. Les sculiiteurs
polonais, russes et français seront seuls admis au concours; l'admission des
artistes français est un hommage dti à l'origine française de l'artiste aussi
bien qu'à son long séjour à Paris, berceau de sa gloire comme compositeur
et comme pianiste.
— Nous avons annoncé dernièrement qu'une offre de cent mille francs était
parvenue d'Amérique à la municipalité de Gènes pour l'achat du fameux vio-
lon de Guarnerius qui a appartenu à Paganini et que la ville conserve reli-
gieusement. Une première offre de 15.000 dollars (et non de 15.000 livres
sterling, comme le disent les Cronache musicali) avait été faite d'abord; puis,
celle-ci ayant été repoussée, une nouvelle proposition fut faite, et voici la
correspondance échangée à ce sujet :
Chicago, 10 juillet 1901.
Illustre syndic de la ville de Gênes,
Nous nous adressons à Votre Seigneurie pour obtenir le précieux Giuseppe Guarneri
de 1742 que votre ville conserve si religieusement en souvenir de l'immortel violoniste.
Ce serait pourtant notre désir que M. Freeman, qui est une autorité dans la matière,
LE MÉNESTREL
343
examinât d'abord la célèbre relique el en référât aux acquéreurs, lesquels, le sachant en
de bonnes conditions, oUriraient à la ville, pour son acquisition, mil mille francs.
Avec cette somme, les acheteurs désireraient avoir aussi la boite, les papiers et tous les
documents qui, en somme, appartenaient au grand magicien de l'archet.
Nous avons déjà dans nos collections, outre deux autres violons très rares, un Stradiva-
rius qui appartint un certain temps au même Paganini.
Nous attendons une réponse. LvoN et Healy.
On remarquera la désinvolture de cette lettre, dont les signataires, se con-
sidérant aussitôt comme acquéreurs, veulent avant tout prendre leurs précau-
tions et s'assurer, par les soins d'un e-^pert à leur choix, de la bonne qualité
de la « marchandise » convoitée par eux. On n'est pas plus américain.
Voici la réponse, très digne, du syndic de Gènes :
La junte municipale, à laquelle j'ai soumis votre demande pour l'achat du violon de
Paganini, a décidé à l'unanimité qu'elle ne pouvait prendre en considération ni la
demande, ni par conséquent l'offre, ne pouvant, pour quelque somme que ce soit, priver
la ville d'un semblable souvenir.
Avec un profond respect. Le syndic,
F. Pozzo.
Cette réponse contient même une leçon indirecte de politesse aux signa-
taires de la lettre, qui n'avaient même pas pris la peine de la terminer par
une formule de salutation à l'adresse du destinataire, tandis que celui-ci les
assure de son respect.
— On annonce la procliaine publication, à Bologne, de toute une série de
lettres inédites de Verdi à son collaborateur le poète Antonio Ghislanzoni à
propos du livret A: Aida et lorsque celui-ci y travaillait. Dans ces lettres, très
importantes, Verdi expliquait ses volontés, dictait des scènes et allait jusqu'à
proposer des vers à son collaborateur.
— La saison n'est pas commencée, et voici deux opéras nouveaux qui
viennen t d'éclore en Italie. A Este, Leggenda d'amore, opéra en deux actes,
paroles de M. Morpurgo, musique de M. le comte G. Corinaldi, sans doute
un riche dilettante, dont l'œuvre, malgré l'accueil d'un public ami, ne paraît
pas d'une valeur transcendante. Et à Borgo San Donnino lo Zio d' America
(l'oncle d'Amérique), opéra en trois actes, musique d'un compositeur napo-
litain, M, N. Gialdi. Celui-ci semble avoir obtenu un certain succès.
— Un décret royal régularise, dit-on, la situation et établit le nouveau
statut du Lycée musical de Pesaro, au sujet duquel son directeur, M. Mas-
cagni, a soutenu, on se le rappelle, de si vives polémiques. Le décret sépare
nettement les fonctions administratives de la direction artistique. « En subs-
tance, dit un journal, M. Mascagni doit en être satisfait. » Qui sait?
— La petite ville d'Adria (Vénétie) vient de consacrer par un hommage
ému le souvenir d'un de ses enfants, Antonio BuzzoUa, artiste fort distingué,
qui tut maître de la célèbre chapelle de l'église Saint-Marc à Venise, où il
mourut le 20 mai 1871, âgé seulement de o6 ans. Sur la maison où il est né
on a placé une plaque commémorative avec cette inscription: En cette maison,
le 2 mars 'ISIS, naquit à l'art musical italien Antonio BuzzoUa. Élève de Donizetti
au Conservatoire de Naples, BuzzoUa, qui tut chef d'orchestre à l'Opéra
italien de Berlin, qui voyagea en l'rance, en Pologne et en Russie, fit re-
présenter à Venise plusieurs opéras : Faramondo, il Masiino debba Scala,
gli Avventurieri, Ainleto, Elisabetla di Valois. Il fit exécuter plusieurs cantates
et une Messe de Requiem. Il devint surtout populaire par la composition de
nombreuses et charmantes Ariettes vénitiennes. Ses compatriotes ont donné à
l'École musicale d'Adria le nom à'Istituto musicale Antonio BuzzoUa.
— On vient de représenter à Londres sous ce titre bizarre, the Shadoïc Dance
(la Danse des Ombres), une comédie musicale dont le sujet n'est autre que
celui du roman célèbre de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. L'auteur du
livret est M. Ben Landeck, celui de la musique M. Napoléon Lambelet. On
a reproché au premier les libertés trop grandes qu'il a prises avec l'œuvre
originale, particulièrement en supprimant le supplice d'Esmeralda, qu'il fait
enlever par Phœbus pour s'enfuir avec elle en Angleterre. Néanmoins, l'ou-
vrage paraît avoir obtenu un grand succès.
— Une nouvelle assez singulière nous arrive de Londres, où l'on annonce
officiellement que le théâtre Covent-Garden ne jouera plus, d'ici longtemps,
les opéras suivants : l'Africaine, la Somnambule, le Pardon de Ploërmet, la Na-
varraise, Uamlet, le Prophète, la Favorite, Norma, Fra Diavolo, le Freischûtz et
l'Attaque du moulin. Et quelle raison donne-t-on pour justifier la disparition
du répertoire de ces divers ouvrages, si populaires à Londres ? C'est que tous
les costumes ont été vendus récemment aux enchères. Bizarre !
— De New-York, par cable : « Triomphe de M™ Sibyl Sanderson dans
Manon. La salle archicomble lui a fait un succès fou : quatre et cinq rappels
après chaque acte, sept à la fin; ovations et fleurs. Tout est loué pour les
prochaines représentations. »
— Le feu président Mac Kinley avait une belle voix de basse. C'est du
moins ce que pous apprend miss Elisabeth Banks dans un article anecdotique
publié récemment dans la Saint-James Gazette. Le révérend Johnston, dit l'au-
teur, qui était, il y a quatre ans, « pasteur du Président», discutant avec Mac
Kinley sur son habileté de chanteur, lui montra un numéro d'un journal de
New- York contenant un article ainsi intitulé : The Président sing fine bass (la
belle voix de basse du Président). « Très bien, lui dit en riant Mac Kinley,
au moins maintenant je connais ma voix. Je suis très obligé au reporter
qui a télégraphié cette nouvelle à son journal, parce que, ayant chanté pres-
que toute ma vie, je n'ai jamais su quelle voix j'avais, bien que je me flatte
de n'avoir jamais détonné. »
— Une riche propriétaire de New-Jersey, près New-York, qui a récemment
perdu une chienne bien-aimée du nom de Jennie, lui a fait des funérailles
superbes. L'animal a été placé dans un petit cercueil en bois de rose capi-
. tonné de salin et couvert de fleurs; les amis et tous les enfants de la ville
ont été admis dans la « chapelle ardente » où la chienne resta exposée pen-
dant deux jours. Au moment de la levée du corps — qu'on nous permette
cette expression — un orgue placé dans le salon contigu a fait entendre un
cantique selon l'usage, et finalement la marche funèbre de Beethoven, qui ne
se doutait vraiment pas à quel» héros» sa composition ferait un jour honneur,
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Congrès international d'histoire de la musique, qui a tenu pour la
première fois ses assises à Paris en 1900, vient de réunir l'ensemble des tra-
vaux qui lui ont été présentés en un fort volume in-8" de plus de 300 pages
(librairie Fischbacher). Les séances de ce congrès, qui, on se le rappelle,
avaient eu lieu à la Bibliothèque de l'Opéra, ne furent pas sans' donner Tira-'
pression d'une certaine confusion, et cela s'e.xplique assez, non seulement
par le fait qu'une telle réunion était chose absolument nouvelle, qu'elle se
tenait au milieu de la cohue de l'Exposition universelle, pendant une période
de chaleur excessive, mais surtout parce que les membres qui s'y étaient
rendus arrivaient de tous les coins du monde, parlant des langues différentes
et faisant du Congrès musical une véritable tour de Babel. Cette impression
disparait en présence du livre, qui témoigne de l'état d'esprit extrêmement
sérieux avec lequel sont abordées aujourd'hui les questions les plus ardues
de l'histoire de notre art. M. Bourgault-Ducoudray a dit dans son discours
d'ouverture : « Il y a vingt ans, à peine aurait-on pu rencontrer dans Paris
dix personnes s'intéressant à l'archéologie musicale. Aujourd'hui l'on peut
bien dire que l'étude du passé de la musique est entrée dans l'éducation
et jusqu'à un certain point dans la pratique de l'art. » Il y a lieu de penser
que la suite des délibérations a causé à l'éminent président français du Con-
grès l'agréable surprise de lui révéler que le progrès était plus grand encore
qu'il n'avait dit. Il est certain qu'un tel résumé de travaux si spéciaux mar-
que une tendance très méritoire et indique une orientation toute nouvelle.^
L'histoire de la musique ne sera donc plus désormais un simple prétexte à
anecdotes plus ou moins amusantes, à impressions plus ou moins superfi-
cielles, à jugements plus ou moins bornés : il lui faudra un aliment plus
substantiel et plus solide. Ce n'est pas à dire que tous les articles contenus
dans le livre épuisent l'intérêt des sujets qu'ils traitent, ni que leurs conclu-
sions doivent toujours être tenues pour inattaquables : il s'en faut même de
beaucoup ; mais dans tous on sent un effort de sincérité et un besoin de
savoir des plus méritoires. Nous ne citerons aucun titre, nous bornant à indi-
quer les grandes divisions du livre en cinq parties : I, Musique grecque ; II,
Musique byzantine: III, Musique du moyen âge (a, religieuse, b, profane);
IV, musique moderne; V, Varia, et à mentionner les noms des principaux
auteurs, MM. Camille Saint-Saëns, E. Ruelle, Poirée, Julien Tiersot, Th.
Reinach, R.-P. Thibaut, Dom Gaïsser, Pierre Aubry, Michel Brenet, Ghile-
sotti, Lindgren, Georges Humbert, Bonaventura, Ilmari Krohn, Gérold, Ro-
main Rolland, Schedlock, Hellouin, Combarieu, etc.
— La troisième commission du conseil municipal a décidé de proposer,
dès la rentrée, la démolition des constructions, encore en place, de l'ancien
Cirque d'été. Des jardins seront donc établis sur l'emplacement où, il y a
trois mois encore, on comptait édifier soit un nouveau cirque, soit une salie
de concerts, voire un théâtre lyrique international sous les auspices de
M. Leoncavallo. Ainsi s'en vont les rêves en fumée. Ce sont toujours les fonds
qui manquent le plus.
— Aujourd'hui dimanche, à 2 heures, le conseil de la Société historique
d'Auteuil et de Passy fera apposer une plaque commémorative sur la maison
qu'habita le bon et doux poète Eugène Manuel. La cérémonie sera présidée
par M. Adrien Dupuy, délégué du ministre de l'instruction publique.
— Après avoir eu ce flair particulier d'aller chercher à Orange une pièce
et une partition conçues pour le plein air, afin de l'enfermer dans les quatre
murs de son « Académie » où elle étouffe, après avoir fourvoyé dans cette
aventure et Saint-Saëns et Sardou, voici enfin M.Gailhard revenu à ses chères
études wagnériennes. La place est nette; on a repris les répétitions de Sieg-
fried, dont les lectures d'orchestre ne tarderont pas à commencer. On veut
passer au plus vite, cela se comprend. Voilà enfin le lourd directeur dans
son élément, aux prises avec la lourde partition de son maître favori : mu-
sique d'enclume et vocalises de dragon.
— Toute la semaine, à l'Opéra-Gomique, on a fort poussé les répétitions
de Grisélidis qui marchent facilement et sans encombre. Lectures d'orchestre
déjà avancées. On a le ferme espoir, dès à présent, de pouvoir arriver à la
première, avant même le douze novembre, date primitivement arrêtée.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée Edl^
taff; le soir, Manon.
— Lettre de « faire part » :
Monsieur et Madame François Rioton ont l'honneur de vous faire part du mariage de
Mademoiselle Marthe Rioton, leur ûlle, avec Monsieur Félix Lœvenslein, avocat à la Cour
d'appel de Paris.
La bénédiction nuptiale leur sera donnée le lundi 28 octobre 1901, en l'église_parois-
siale de Beaumont-lès-Valence (Drôme).
LE MÉNESTREL
— Grand succès remporté dimanche dernier à Bâle par M"" Glotilde Klee-
berg, qui a exécuté avec sa maestria habituelle le 2^' concerto, en fa mineur,
de Chopin. Parmi les soli, prélude et fugue de Bach, impromptu de Schubert
et Des Ailes, de Godard, ont provoqué l'enthousiasme d'un public ravi. La
célèbre artiste se fera entendre aujourd'hui dimanche aux concerts Colonne
dans le concerto en ut mineur de Saint-Saëns, et le dimanche 3 novembre, à
Lille, au Festival Théodore Dubois, dans le S» concerto et les pièces pour piano
du maître.
— A Lille, toujours même succès pour la triomphante Princesse d'Auberge
de Jan Blockx. Voici trois années sans désemparer qu'elle tient l'affiche avec
des distributions diverses. La dernière parait surpasser les précédentes, s'il
faut en croire le Réveil du Nord : « L'opéra de Blockx a obtenu son grand suc-
cès habituel et M°"î et M. Mikaelly une ovation triomphale après le fameux
tableau du Carnaval. M. Gadio a été très apprécié dans le rôle de Marcus; il
accentuait mieux la perfidie de l'amoureux de Reinilde que ne l'avait fait
M. Tricot, et l'intrigue de la pièce s'en ressentait heureusement. M"" Delorme
avait été goûtée dans le rôle de Reinilde, mais M""^ Marly donne à la jeune
fiancée beaucoup plus de sensibilité et de tendresse: elle a été fort applaudie,
jjme Patoret nous a présenté une Kateleyne fort touchante. M. Ramieux a
chanté et joué en maître et tout particulièrement le dernier tableau : la salle
d'auberge chez Rita et la rixe mortelle. »
— Lille. — La Société « Orchestre et chœur d'amateurs » que Maurice Ma-
quet fondait il y a six ans et qu'il dirigeait avec beaucoup de talent, vient,
après son grand succès, de se transformer eu « Société de musique de Lille ».
Le choral mixte reste composé d'amateurs seuls ; il compte 110 dames et
100 hommes. L'orchestre, d'environ 120 musiciens, est composé de profes-
sionnels et d'amateurs. La nouvelle société annonce pour l'hiver 1901-1902
les concerts suivants: Quatre grands concerts. — 1. Vendredi 20 décembre.
Chœur et orchestre. Le Déluge, de Saint-Saëns, et finale des Maîtres Chanteurs,
de Wagner. — 2. Dimanche 26'janvier. Orchestre, avec le concours de Raoul
Pugno. — 3. Dimanche 16 février. Orchestre, avec le concours de Jacques
Tbibaud. — 4. Vendredi 21 mars. Chœur et orchestre. Cantate Wacht Auf, de
Bach, et Rédemption, de Gounod. Deux séances de musique de chambre,
mercredi 20 novembre, avec le concours du quatuor Parent, lundi 7 avril,
avec le concours de MM. Gabriel Fauré et Paul Viardot.
— Les fêtes musicales que la ville de Lille organise pour le mois d'août
1902 promettent d'être exceptionnellement brillantes. Elles comprendront
trois journées, les vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 août. Le 15 et le 17
seront consacrés aux concours orphéoniques : la journée du 16 sera réservée
à l'inauguration du monument élevé à Desrousseaux. le chanteur lillois popu-
laire, à la pose du buste du grand compositeur- Edouard Lalo, et à un grand
concert artistique. M. Théodore Dubois a bien voulu accepter la présidence
d'honneur des concours, qui seront effectivementprésidés, celui des orphéons
par M. Henri Maréchal, celui des harmonies et fanfares par M. Gabriel Parés.
M. Henri Roujon, directeur des beaux-arts, a promis de venir présider lacéré-
monie d'inauguration du monument de Desrousseaux et du buste de Lalo.
Enfin, les chœurs et morceaux à imposer aux divisions d'excellence seront
écrits par MM. Théodore Dubois, Henri Maréchal et Gabriel Parés.
— Concerts du Conservatoire de Nancy. — Les dix concerts d'abonnement
de la saison 1901-1902 seront donnés aux dates ci-après : 10 et 24 novem-
bre, 8 et 22 décembrel901, 12 et 26 janvier, 9 et 23 février, 9 et 16 mars 1902.
M. J.-Guy Ropartz, pour faire suite à l'Histoire de l'Ouverture, qui fut un des
points principaux du programme de la précédente saison, se propose d'étu-
dier cette année la Musique à programme au XIX' siècle, en faisant entendre
la Symphonie fantastique de Berlioz, la Faust-Symphonie de Liszt et des poèmes
symphoniques de Saint-Saëns, Franck, Duparc, d'indy, R. Strauss, etc. L'his-
toire de la symphonie classique et romantique en Allemagne comprendra
des œuvres de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Schu-
mann, etc. En outre, comme œuvres avec soli et chœurs, seront montées
la Passion selon saint Jean de J.-S. Bach et Rebecca de C. Franck. Enfin un
programme consacré à l'audition d'œuvres d'auteurs lorrains réunira les
noms de Charpentier, Pierné, Bréville, Max d'Ollone, Florent Schmitt, etc.
Parmi les solistes déjà engagés, citons les pianistes Raoul Pugno et Arthur
de Greef, le baryton Daraux, le ténor Daniel, M""' Lombroso, cantatrice, etc.
Le grand violoniste Eugène Ysaye se fera de nouveau entendre à Nancy, mais
il a tenu à réserver son concours au concert donné en dehors de l'abonnement
au bénéfice de la caisse de secours de l'orchestre.
— Cours et leçons. — Les salles d'auditions et de cours des éditeurs Lemoine,
rue Pigalle viennent d'ouvrir leurs portes. M'"" Renée Richard, de l'Opéra, et M. de Fé-
raudy, de la Comédie-Française, ont commencé leurs cours d'opéra et de comédie
— M. Lassalle, de l'Opéra, ouvre en janvier son école de chant. — Aux cours Cho-
pin, 9, avenue Hoche et 35, rue d'Hautevîlle, dirigés par M"'" Maria Samuel, c'est
M. Georges Mathias qui s'occupera de l'enseignement tcut spécial des œuvres du maître.
— M. et M"" Georges Clément ont repris leui-s leçons de chant à leur nouveau domicile,
23, avenue Trudaine. — M'"' Claire Lebrun reprendra, le 5 novembre, 5, place de la Sor-
bonne, ses leçons d'orgue et de piano et son cours de solfège. — M. Emma, de l'Opéra, a
repris, 2i9, faubourg Saint- Honoré, ses cours et leçons de guitare, mandoline et mandola.
— M"' Claire Vautier a repris, 27, rue des Petits-Hôtels, ses cours de chant (français et
italien;, déchiffrage, répertoire, et y a adjoint un cours de chœurs gratuit. — M'""deJour-
nel, de retour à Parii, a repris ses leçons de chant, 18, avenue Kléber. — M""' Isambert
reprennent 37, rue de Passy, leurs cours et leçons de solfège, piano, harmonie et de sol-
fège à deux pianos. — M. Marcel Herwegh a repris ses leçons particulières de violon,
accompagnement et musique d'ensemble, 3, avenue Bosquet.
NÉCROLOGIE
PAUL HENRION
Un artiste charmant, qui eut son heure de grands succès et de très légitime
popularité, l'excellent compositeur Paul Henrion, vient de mourir à l'âge de
82 ans, ayant conservé jusqu'à l'extrême vieillesse, avec la jouissance de
toutes ses facultés,la gaieté, la grâce et la bonté qui le caractérisaient. H était
né le 20 juillet 1819, et après avoir essayé d'être horloger, puis comédien, il
trouva sa voie en étudiant la musique. Après avoir reçu des leçons de piano
d'Henri Karr, le père du romancier Alphonse Karr. des leçons d'harmonie de
Moncouteau, l'organiste aveugle, il devint un instant chef d'orchestre d'un
bal de barrière, pour lequel il écrivit quelques morceaux de danse, puis il se
mit à composer des romances, il en composa douze cents !... C'était l'époque
de la dernière et brillante floraison du genre de la romance, dont il fut assu-
rément l'un des champions les plus aimables et les plus distingués. C'était
l'époque où brillaient encore Clapisson, Abadie, Etienne Arnaud, Amat,
Albert Grisar, Théodore Labarre, Masini, M""-' Victoria Arago, M'"' Loïsa
Puget et bien d'autres. Paul Henrion prit aussitôt place à côté d'eux, et d'une
façon victorieuse. Ses gentils petits poèmes, d'une inspiration facile et élé-
gante, gracieusement tournés, suffisamment harmonisés, obtinrent un succès
fou, d'autant que leur auteur, très distingué de sa personne et doué d'une
voix charmante, les chantait lui-même dans le monde aux applaudissements
de tous. Pendant une vingtaine d'années, à partir de 1845, Henrion publia
chez l'éditeur Colombier un album de douze romances et chansons qui lui
était payé, je crois, 6.000 francs et qu'il faisait entendre dans un concert
spécial où ses interprètes étaient MM'^KGaveau.x-Sabatier et Iweins d'Hennein,
Saiute-Foy, Lincelle, Gozora, etc. Combien de ces binettes devinrent-elles
populaires et furent-elles chantées non seulement dans les salons, mais dans les
ateliers, dans les chambrettes,dans les réunions intimes, partout enfin? Leurs
titres ne sont pas tous oubliés. C'était Loin de sa mère. Bouquet fané, la Manola,
les deux Mules du Basque, Vive le Roi, le Bon Curé, Travaille et prie, les Vingt
sous de Périnetle, le Pamlero
Puis la romance déclina, déclina... Les formes musicales se transformaient,
et la pauvre romance, battue en brèche d'un côté parla mélodie aux accents
nouveaux, fut tuée ensuite par la chanson bête, inepte et malpropre du café-
concert. Henrion avait trop la dignité de lui-même pour suivre cette pente
ignoble. Tout en écrivant encore quelques chansons — propres! — il se sou-
vint qu'il avait un jour abordé la scène en donnant au Théâtre-Lyrique de
l'ancien boulevard du Temple, en 1854, un opéra-comique en deux actes inti-
tulé une Rencontre dans le Danube. Il se mit à composer des opérettes et en
écrivit toute une série, qu'il fit représenter à l'Eldorado, à la Scala, à la
Pépinière et jusqu'aux Variétés. C'était Estelle et Némorin, Cupidon, Paolo et
Pietro, A la bonne franquette, les Suites d'une polka, Balayeur et Balayeuse, l'Étu-
diant de Heidelberg, etc. Puis enfin, l'âge vint, Henrion avait eu la sagesse de
mettre de côté de quoi vivre tranquille, il avait besoin de repos, il se reposa.
Il avait été l'un des fondateurs et le président, scrupuleusement honnête, de
la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs, dont il resta le président
honoraire. Il avait noué là de solides amitiés, qui ne lui manquèrent pas
jusqu'à ses derniers jours. Homme de cœur et galant homme, travailleur
acharné, ami dévoué, bon compagnon, toujours prêt à être utile et à rendre
service, Henrion, on peut le dire sans crainte de se tromper, ne laissera que
des regrets profonds à tous ceux qui l'ont connu. Arthuh Pounm.
— A Rome vient de mourir le pianiste et compositeur Achille Lucidi, qui
avait été le professeur de la reine Marguerite d'Italie et qui tenait une classe
de piano a l'Académie de Sainte-Cécile. Il est l'auteur d'une messe exécutée
au Panthéon aux funérailles de Victor-Emmanuel, et il a publié quelques
morceaux fort estimés. Il avait en portefeuille un opéra intitulé Ellore Fiera-
mosca, qu'il ne voulut jamais faire représenter parce que, dit-on, il n'eu était
pas satisfait. Voilà un exemple de modestie qui trouvera peu d'imitateurs.
— De Hubertusfer (Saxe) on annonce la mort du pianiste Georges Leitert,
qui était né à Dresde le 29 septembre 1852. Dès l'âge de treize ans il se fai-
sait entendre en public avec succès. Il devint ensuite, à 'Weimar, élève de
Liszt, qu'il accompagna même à Rome. Il passa ensuite plusieurs années à
Paris, puis fit à l'étranger de grandes tournées artistiques, entre autres avec
le fanjeux violoniste "Wilhelmy, qui consacrèrent sa réputation. Il est mort
dans ulne maison de santé.
— Un artiste populaire, Nicolas Rodoc-Biernacki, à la fois poète et compo-
siteur de chansons charmantes qui l'avaient fait surnommer « le Béranger
polonais », s'est suicidé récemment à Lemberg dans un accès de mélancolie.
Henri Heugel, directeur-gérant.
ON REPRENDRAIT, en le payant comptant, un cours de musique en
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Theuriet et Georges Loîseau, représentée à l'Odéon (2 fr. 50).
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Henri HEUGEL, Diracteur
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Giiant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Cliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (36" article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine Ihéàtralc : première représentation d'YivUe au Vaudeville, reprise du
l'oi/nf/e de tiiizelle au Chàtelet, reprise de la Tortue au Théàtre-Dèjazel, première
représentation de la Bancule au Gymnase, Paul-Émile Chevalier. — 111. Petites notes
sans portée : Le renouvellement des concerts, Raïmcnd Bodïer. — IV. Pensées et
.\pliorismes d'Antoine Rubinstein. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE MARQUIS A LA MARQUISE
sonnet de Rodolphe Bringer, mis en musique par Gabriel Verdalle. — Sui-
vra immédiatement : Il partit au printemps, chanté par M"" Lucienne Bréval
dans Grisélidis, poème d'ARiuAND Silvestre et Eugène Morand, musique de
J. Massenet.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublieronsdimancheprochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Scaramouthe, caprice de Théodoue Lack. — Suivra immédiatement : Entr'acte-
Idylle, extrait de Grisélidis, musique de J. ]\I.\ssenet.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
1 plus récents et fles flocmnenls inéflits
(Suite.)
X (suite)
Le baron de Trémont a jugé plus impartialement la femme et
la virtuose. Il rappelle — et nous glissons sur ce sujet bien
connu — les brutalités du père de la Malibran, le savant chan-
teur Garcia, qui avait érigé la schlague en système d'éducation.
Sa fille, arrivée à son complet développement, « eût été un ravis-
sant petit garçon » dit son biographe. Quant à l'artiste, elle avait
des soudainetés d'inspiration qui déroutaient les classificateurs
les plus sagaces. Elle ne chantait et ne jouait jamais deux fois
do la même façon le même rôle. C'était cette diversité d'inter-
prétation, remarquée déjà chez la Pasta, qui impressionnait si
fortement le public, mais qui épuisait souvent les forces de la
tragédienne lyrique : « l'action théâtrale animée fatigue la voix»
dit le baron de Trémont. Aussi, les Italiens, même dans les situa-
tions les plus pathétiques, restent-ils relativement calmes.
Le panégyriste de la Malibran devait au hasard de la con-
naître.
La cantatrice, appelée à Londres par un engagement, faisait
ses préparatifs de départ, quand Trémont lut dans un journal
anglais un foudroyant réquisitoire contre l'artiste, sous prétexte
qu'elle avait tourné en ridicule les filles d'Albion. Remontant
aux sources de ce racontar, Trémont en découvrit l'indigne
fausseté. Dans une de ses réceptions, où elle n'admettait qu'un
très petit nombre d'élèves, d'autant que son appartement était
fort e.xigu, la Malibran avait tout simplement joué un rôle
d'anglaise. Trémont, voyant que cette malveillante nouvelle res-
tait sans démenti, s'improvisa le champion de la cantatrice et,
sous l'empire de son indignation, écrivit une lettre de rectification
à la gazette anglaise, qui dut l'insérer, mais de fort mauvaise
grâce. La Malibran s'était fait une loi de ne lire aucun journal.
Aussi apprit-elle tout à la fois l'injure et la réparation. Elle vou-
lut remercier son défenseur inconnu ; et de cette époque data
une amitié qui fut toujours sans nuages.
Ce mépris de la flagornerie ou de la malignité publique, qui
faisait rejeter à la cantatrice la lecture des journaux, lui dictait
la même ligne de conduite pour sa correspondance : elle n'ou-
vrait jamais les lettres qui lui étaient adressées. La plupart
étaient des épitres enflammées, se terminant par des rendez-
vous grotesques ou par d'écœurantes propositions.
M°" Malibran se réservait pour de plus nobles émotions, car
elle fut toujours la sensitive par excellence. Un jour, elle expri-
mait devant le baron de Trémont le désir d'assister à un bal
costumé que donnait M'"° Vigée-Lebrun. L'ami de l'art et des
artistes sollicite une seconde lettre d'invitation pour cette soirée.
M"^ Malibran y vint en Muse de la peinture. A l'heure classique
de la présentation, la maîtresse de la maison tendit la main à la
prima donna, en lui disant avec son plus gracieux sourire :
— Ma chère madame Malibran.
— Vous vous trompez, répUqua la chanteuse, je suis Elisabeth
Lebrun.
Et les deux femmes s'embrassèrent.
Trémont vit chez lui la Malibran pleurer à chaudes larmes, à
l'audition d'un morceau du compositeur Fesca joué par de Bériot,
son futur mari — Fesca, un nom ignoré que caractérisait, aux
yeux de Trémont, cette noble devise : « Science et génie ! » Ce
musicien est si peu connu que les biographes ne se sont ja-
mais mis d'accord sur les dates extrêmes de sa vie. Fétis donne
celles-ci : 1820-1849. Trémont prétend que cet enfant de la bohème
vécut de 1784 à 1826. C'était, dit-il, une belle figure animée par
une belle àme. A quatre ans « il jouait de petites pièces » sur
le piano. Son style, d'une rare sensibilité, était difiicile à saisir
et à rendre. Fesca mourut phtisique, tué par son violent amour
pour sa femme.
Dans ses Souvenirs d'un homme de théâtre (1), Séchan raconte
qu'à la première représentation de Henri III et sa cour, M"'° Ma-
libran, qui n'avait pu trouver de place qu'aux troisièmes, « se
(1) SÉCHAN. — Souvenirs dun homme de IhéiUre, recueillis par A. Badin; C. Lévy,
346
LE MÉNESTREL
tenait penchée tout entière hors de sa loge et se cramponnait
de ses deux mains à une colonne pour ne pas tomber », tant
elle suivait avec une attention fiévreuse les péripéties du drame
d'Alexandre Dumas 1
C'était ce même amour, ce même respect de l'art, joint au
sentiment de sa dignité personnelle, qui la faisait fondre en
larmes devant sa charge exécutée par Dantan. Le caricaturiste
brisa aussitôt, parait-il, la statuette.
Le noble et légitime orgueil que donne aux grands artistes la
conscience de leur valeur, suivit la Malibran dans toutes les phases
de sa vie et la mit au-dessus des mille petites compromissions qui
répugnent aux natures généreuses. La dernière année qu'elle
passa en Italie elle osa, dans les lagunes de cette Venise fana-
tique de son talent, faire draper sa gondole en rouge, alors que
des ordonnances sévères obligeaient, sous prétexte d'égalité, les
propriétaires d'embarcations à les revêtir d'une couleur uniforme,
fixée par les mêmes règlements. L'administration autrichienne
et la population, quise chargeaient d'en faire respecter l'humi-
liante manie égalitaire, fermèrent les yeux sur la fantaisie de la
virtuose.
Les triomphes de la Malibran n'étaient pas moindres dans les
salons qu'au théâtre. Gastellane les note exactement dans son
Journal, avec le prix de chaque cachet, une bouchée de pain
si l'on considère les exigences de nos contemporaines. M'"" Mali-
bran touchait trois cents francs par concert. La nervosité qui
la soutenait souvent dans les circonstances les plus critiques
provoquait quelquefois chez elle des défaillances inattendues. En
1828, au concert donné par M. de la Ferronays, ministre des
affaires étrangères, la grande artiste s'évanouit brusquement, et
l'on vit ce curieux spectacle de M. Sosthènes de La Rochefou-
cauld, le surintendant des beaux-arts, s'efîorçant de lui faire ve-
prendre connaissance par des passes magnétiques.
Le noble faubourg, qui accueillait avec des pâmoisons de
dilettante la Muse de la tragédie iyrique, n'était pas aussi bien-
veillant pour la femme. En mars 1S29, au bal du baron de
Vertpré, où se pressait l'élite de l'aristocratie, des grandes dames
se retirèrent aussitôt qu'elles virent paraître dans un quadrille
la Malibran et la Montessu, une danseuse de l'Opéra, ravissante
sous son costume de Suissesse. C'étaient de pures grimaces, car
ces dames, si rigides sur le chapitre de l'étiquette, n'avaient pas
bronché, une heure auparavant, quand elles s'étaient croisées
avec M"" Naldi de l'Opéra bouffe etM"'Leclerc, une autre actrice
de Paris : il est vrai qu'elles étaient toutes deux au bras de leurs
maris respectifs, le général de Sparre et le vicomte de la Ferté.
Une épreuve, plus mortifiante encore, attendait M'"" Malibran
et M"' Mars en février 1830. L'administration donnait à l'Opéra
un grand bal au bénéfice des pauvres; l'entrée était de vingt-
cinq francs pour les hommes et de vingt francs pour les dames.
Les deux actrices demandèrent des billets qui leur furent re-
fusés.
La Malibran se consolait de toutes ces petites vilenies par le
travail et l'étude approfondie de son art. Or, bien que son talent
fût universellement admiré, il rencontrait, comme nous l'avons
vu par l'exemple de Cuvillier-Fleury, des critiques qui en niaient
la spontanéité.
Mais ce qui semblera peut-être plus difiicile à croire, c'est
qu'Eugène Delacroix se rangea parmi ces incrédules. Son culte
pour la Pasta explique sa sévérité à l'égard de la Malibran. Et
la longue conversation qu'il eut, en 1847, avec le frère de celle-
ci, professeur de chant au Conservatoire depuis 1835, résume tous
les griefs du peintre contre la cantatrice. Son jeu factice était,
prétendait-il, une conséquence de la loi d'hérédité. Elle tenait
ce défaut de son père, le grand comédien, qui restait invaria-
blement le même et comme dénué de toute inspiration. Son fils
n'avait-il pas avoué à Delacroix qu'il l'avait vu étudier longue-
ment devant la glace une grimace d'Othello. Bien entendu, le
vieux Garcia discutait la manière de la Pasta : il classait la ri-
vale de sa fille parmi « les talents plastiques », c'est-à-dire froids
et compassés.
Mais, s'écrie impétueusement Delacroix, ce plastique, c'est
l'idéal.
Et si bien l'idéal qu'à Milan, où la Pasta avait créé le rôle de
Norma, les abonnés ne donnaient pas d'autre nom à l'actrice que
celui de l'héroïne de Bellini. II est vrai que la Malibran, sou-
cieuse d'interpréter le même personnage, y fit oublier la Pasta ;
« mais ce n'est pas la nature! » On comprend si Garcia, le pro-
fesseur du Conservatoire, prit parti pour sa sœur. Les deux
interlocuteurs avaient escarmouche tout d'abord sur le terrain
des généralités. Delacroix reprenant pour son compte le para-
doxe de Diderot, Garcia soutenait, au contraire, que, chez le
comédien, la sensibilité et la passion peuvent très bien n'être pas
simulés. Il avait, à l'appui de sa thèse, l'exemple de sa sœur, qui
ne savait jamais le matin comment elle jouerait le soir. Ainsi,
tel jour, dans Roméo, elle s'arrêtait accablée devant la tombe
fatale; le lendemain elle se jetait en sanglotant sur la pierre.
— Sans doute, répliquait Delacroix, elle déchaînait alors un
courant d'émotion d'une rare intensité; mais souvent aussi elle
dépassait le but, et cette exagération devenait intolérable.
Et le peintre qui, dans ses œuvres, ne fut ni moins fougueux,
ni moins outrancier, ouvre une parenthèse pour faire le procès
de la Malibran, Il « ne l'a jamais vue noble » ; elle « manquait
d'idéal » , elle ne touchait pas complètement « au sublime » ; chez
elle, l'inexpérience et l'emphase de la jeunesse n'avaient pu la
dépouiller entièrement d'un fonds « bourgeois ». Au contraire,
l'artiste consommé, dès que son but est atteint, ne s'en écarte
plus. Telle la Pasta, et la distance qui la sépare de la Malibran
est la même qu'entre Raphaël et Rubens.
Garcia, qui défendait toujours sa sœur, en démontrait la pro-
bité artistique par des arguments de réelle valeur. Chez elle,
disait-il, « la fatigue morale se joignait à la fatigue physique ».
Eut- elle échappé à sa fin tragique, qu'elle aurait succombé pré-
maturément au surmenage dont elle s'était fait une loi. Toujours
préoccupée de ses effets, elle consultait volontiers M"" Naldi, la
mère de M™"* de Sparre', la femme de l'excellent chanteur qu'avait
tué l'explosion d'une marmite autoclave. M"" Naldi avait eu jadis
une inspiration géniale, quand elle avait créé le rôle de Galathée
dans Pygmalion : immobile, sous l'aspect d'une rigide statue,
elle avait si merveilleusement révélé la soudaine présence de
l'étincelle vitale, que toute la salle lui avait fait une des plus
belles ovations qu'on ait jamais signalées au théâtre.
Mais Delacroix mettait toujours en doute la sincérité du jeu de
la Malibran. Il rappelait, pour les blâmer, certains effets scéni-
ques de Ma7'ie Stuart, dont il semble que se soit souvenue, dans
de récentes créations, la plus grande de nos actrices contempo-
raines. Obéissant aux suggestions de Leicester, la reine d'Ecosse
courbait le genou devant Elisabeth ; mais, outrée de la vindica-
tive attitude de sa rivale, elle se relevait impétueuse, et sous
l'empire de l'indignation elle déchirait par morceaux son mou-'
choir et ses gants.
— Les loges en trépignaient, s'écrie Delacroix; or, une véri-
table artiste ne s'abaisse pas à ces misérables effets. La Pasta
les eût répudiés, mais l'engouement pour la Malibran a pris de
telles proportions que la postérité, privée de tout élément de
comparaison, préférera peut-être celle-ci à celle-là.
Delacroix cependant n'allait pas jusqu'à dire, avec certains
gazetiers, queDesdémone se grisait avant d'entrer en scène, pour
obtenir par cette exaltation cérébrale son maximum d'intensité
tragique. Trémont proteste énergiquement contre une telle
légende. La Malibran, dit-il, mettait quelques gouttes de Porto
et de Xérès dans un peu d'eau, pour rafraîchir avec cette boisson
son larynx surmené par les vocalises. Elle usait encore, dans le
même but, d'une décoction d'orge additionnée de miel et de
goudron. Lui, Trémont, a goûté ce mélange, qu'il déclare exé-
crable. En tout cas, ce breuvage était autrement inoffensif que
le pot de moutarde dont elle absorba un jour le contenu sous
prétexte de s'éclaircir la voix. Bériot, son second mari, lui repro-
chait vivement ces extravagances, et surtout les effrénées caval-
cades qui devaient la conduire à sa perte.
Après l'horrible chute dont elle devait mourir le surlende-
LE MÉNESTREL
347
main, elle avait voulu dissimuler à Bériot la blessure qu'elle
s'était faite à la tempe, en la couvrant d'un enduit de blanc et
de rouge. Elle joua le soir même. Il fallut baisser la toile avant
la fin du premier acte; elle eut encore le courage de paraître
au second; elle y fut sublime, mais ce fut le chant du cygne.
Le baron de Trémont, fort au courant de tous ces détails,
assure que M""" Malibran, malgré son excessive prodigalité, laissa
sept cent mille francs à ses deux enfants.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
SEMAINE THÉÂTRALE
Vaddeville. Yvette, comédie en 3 actes et 6 tableaux, tiré du roman de Guy
de Maupassant, par M. Pierre Berton. — Chatelet. Le Voyage de Suzette,
pièce en 4 actes et 20 tableaux, de Chivot et Duru. — Déjazet. La Tortue,
ccmédie-boufl'e en 3 actes, de M. Léon Gandillot. — Gymnase. La Bascule,
comédie en 4 actes, de M. Maurice Donnay.
Vous rappelez-vous, dans les courriers de théâtre de la fin de l'été,
l'enquèle menée par de subtils reporters qui nous énumérèrent, avec une
complaisance estivalement prolixe, les pièces innombrables que nos
directeurs avaient reçues pour cette saison d'hiver? Cela semblait une
gageure. Est-ce que vraiment Paris était capable de digérer, sans
encombre, une quantité d'actes aussi pharamineuse? Il parait que oui,
puisque le grand déballage a commencé et que voici un mois bientôt
que presque chaque soir voit surgir un titre nouveau et que ce n'est là
qu'un départ. C'est la floraison chère aux Parisiens; foin des vertes
têtes chenues des arbres de nos grandes voies et vive l'éclosion multico-
lore des colonnes Morris!
Au Vaudeville M. Pierre Berton, qui eut déjà la main heureuse,
l'année dernière, avec Zaza, nous présente la petite Yvette de Guy de
Maupassant. Vous en savez la donnée : la fille d'une femme entrete-
nue, d'une aventurière, préfère, alors qu'elle se rend compte de toutes
les difficultés qu'elle aura à rester honnête, se donner la mort plutôt
que de marcher sur les traces d'une mère qui, cependant, ne deman-
derait qu'à la voir s'amuser en amassant beaucoup d'argent. Vous
savez aussi qu'on arrive à temps pour empêcher le chloroforme d'ache-
ver son œuvre fatale et qu'Yvette, devenue pratique, acceptera une vie
à laquelle rien ne la peut soustraire. M. Pierre Berton, qui a cru, par
convenance sans doute, devoir supprimer le mot si cruellement vrai
par lequel se termine la nouvelle de Maupassant, M. Pierre Berton a
très adroitement découpé ses sis tableaux, y distribuant, à dose juste, le
mouvement, la gaité et l'émotion, et maintenant tout le temps en haleine
l'intérêt du spectateur.
C'est à M"'' Blanche Toutain qu'est échue la tâche de créer le person-
nage à' Yvette et elle s'y est montrée très experte comédienne, ayant
bien su mettre en double lumière et la gaminerie de la fillette mal élevée
et volage et le sentimentalisme révolté de la jeune fille qui souffre de sa
destinée mauvaise. Par ailleurs, lapièceestescellemment jouée parM.Tar-
ride, un Jeau de Servigny de naturel et de simplicité, par MM. Lérand,
Nertann et M""' Rosa Bruck, et aussi par d'autres innombrables inter-
prètes, parmi lesquelles se font remarquer M"" Daynes-Grassot, MM. Gil-
dès. Baron fils, Ripert, M'^^Caron, Darcourt, Bernou et Degaby.
Au Chatelet, édition considérablement augmentée du Voyage de Suzette.
Il n'y a pas, maintenant, moins de vingt tableaux. La fantaisie déam-
bulante et panoramique de Chivot et Duru y a-t-elle gagné? Oui, s'il
ne s'agit que du plaisir des yeux; et m'est avis qu'on serait assez mal
venu d'exiger autre chose dans un théâtre où l'on jette l'or par les fenêtres
pour nous éblouir. L'esprit et l'adresse des auteurs n'ont que faire â vou-
loir lutter contre les changements à vue et aussi contre la richesse et
l'éclat de défilés et de ballets tels que ceux des Écossais, des pierres
précieuses et du cirque Blackson. Oncques ne vimes autant de qua-
drupèdes variés sur une scène, chevaux, ânes, dromadaires, bisons,
zèbres, autruches, etc. ; on doit, tous les soirs, dévaliser le Jardin
d'Acclimatation. Et dans cet indescriptible tohu-bohu se démènent, relé-
gués à un pian secondaire, l'amusant Pougaud et la délm-ée M°"^ Tariol-
Baugé, qu'entourent MM. Vandenne,René, Scipion, DureletM"''Faurens.
Le petit et lointain Déjazet a emprunté au répertoire des Nouveautés
la Tortue, de M. Léon Gandillot, et, si l'interprétation du boulevard du
Temple est loin d'égaler celle du boulevard des Italiens, elle est du
moins, â défaut de fantaisie et de véritable entrain, de convenable
ensemble et il n'y a aucune raison pour que ces trois actes de verve
amusante et d'adroite contexture ne retrouvent leur succès d'antan.
cette fois auprès d'un public tout bon enfant qui rit de cœur sans crainte
de déranger de savants maquillages ou de froisser de rigides plastrons.
Une grosse poutre et, jetée en travers, une longue planche en équi-
libre, telle est la classique et enfantine bascule. Mettez, à l'une des extré-
mités de la planche, M""= Marguerite de Plouha, à l'autre, la célèbre
comédienne Rosine Bernier et installez au milieu, essayant de maintenir
l'équilibre, M. Hubert de Plouha, amant de l'une, époux légitime
de l'autre, et vous verrez de suite comment est composée la comédie
que M. Maurice Donnay vient de faire représenter au Gymnase.
Il aime et sa femme et sa maîtresse, ce bon Hubert, brave garçon
sans malice et sans volonté qui, tenant avant tout â sa tranquillité, se
lance naïvement dans des situations qu'il a le chic pour rendre compli-
quées. Comme les quatre actes de M. Donnay sont farcis de moralité,
tout finit le mieux du monde après une alerte assez chaude née d'un
traquenard comique dans lequel la jolie Rosine a fait gracieusement
culbuter son ami timoré. Monsieur, tout honteux, reviendra exclusive-
ment â Madame, qu'il n'essayera probablement plus de tromper.
Il est inutile de dire que l'auteur a dépensé là, et toujours sans
compter, son esprit facile et parisien ; il a même essayé de corser son
intrigue dramatique, ce qui n'est nullement pour nous déplaire,
puisque nous n'y perdons rien d'un dialogue vif, amusant et capiteux.
La Bascule a trouvé, au Gymnase, une troupe d'ordre dont l'étoile
redevient M. Huguenet, comédien tout à la fois de natm'el et de fantai-
sie, et dont M"™ Rolly et Ryter demeurent le charme plein de talent.
Il faut complimenter MM. Le Gallo, Noizeux, Paul Plan, M"""^ Dozziat,
Andral et Gauthier et, aussi, la direction, qui a monté la pièce avec
énormément de goût.
Paul-Émile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
LE RENOUVELLEMENT DES CONCERTS
A Monsieur Charles Malherbe.
— Eh bien ! mon cher contradicteur, qu'en pensez-vous ? La jeunesse
des Concerts-Colonne découvrant le vieil Haydn et bissant le finale de
la symphonie en sol (n° 13), n'est-ce pas une merveille imprévue?
— Je pense et je dis que ce « chef-d'œuvre d'ordre et de grâce » (selon
le mot de notre Delacroix) devait avoir son heure de résurrection ; car,
depuis tant d'années, il n'était plus guère connu que des abonnés du
Conservatoire ou des passants du Palmarium ; deux façons de mourir,
de s'éteindre doucement dans une lumière tempérée... Aujourd'hui, il
brille soudain. Il plait, non seulement parce qu'il est beau, mais parce
qu'il est nouveau. Il ressuscite à son heure, à côté de la Chasse en ré de
son rival F.-J. Gossec, le précurseur déjà descriptif, â l'orchestre res-
treint, mais puissant, aux paisibles paysages oit sonne le cor qui fera
tressaillir bientôt le Jeune Henri du vieux Méhul... Vieux, par rapport à
notre vieillesse, en l'an de grâce 1901 ! Ces anciens furent les vrais jeu-
nes. Et leur grâce renaissante devait nous séduire, après tant de fi'acas!
Tout arrive, parce que tout revient...
— Oui, mystérieusement, tout s'enchaine. Et ce n'est pas seulement
aux séances plus intimes de musique de chambre que la musique renaît.
Sa résurrection, que nous avons proclamée d'accord, au printemps (2),
en saluant la Société Mosart, le Cycle du Lied ou les vendredis soirs de
la Schola Cantorum, s'impose avec l'automne : allez au théâtre, à nos
grands concerts: retenez la Société Rameau, qui débute; écoutez l'an-
nonce et l'acte de naissance d'une Nouvelle Société philharmonique, apo-
théose du quatuor. « Les présages sont heureux » comme on dit au
Grand-Opéra.
— Les présages abondent à tel point que c'est peut-être le cas de vous
rappeler l'opinion de notre organisateur des programmes. Presque éso-
térique, Rubinstein écrivait, en 1892 : « En vérité, l'on entend trop de
musique... L'art musical devrait avoir quelque chose de sacré, pour
ainsi dire... Il faut l'entourer de mystère... Pour ma part, je ne vou-
drais pas entendre dans un festival ou dans un jardin public les derniers
quatuors de Beethoven, non parce que le public ne les comprendrait pas,
mais au contraire, de peur qu'il ne les comprit! »
— D'autres fervents ont partagé la même crainte. Mais l'êcueil n'est
point là d'abord, semble-t-il. Rassurez-vous ! Je n'appréhende guère les
( 1) Voir le Ménestrel du U juillet, des 18 et 25 aoùl, des 8, lô, 22 et 29 scplciuinr,, des
1 3, 20 et 27 octobre 1901.
(2) Cf. le Ménestrel du Vi avril et tlu 19 mai 1901 : La résurreclîon de la ntvslfjue et
la saison.
348
LE MÉNESTREL
temps prochains où tout mélomane de casino fredonnera la Sijmphonie
avec chœurs ou la Sonate en ut diè:e mineur. El s'il est vrai que la Jo-
conde est aux Folies-Bergère tous les soirs, Dieu merci sa grâce divine
passe inaperçue, même des peintres...
— Le Beau se défend lui-môme. Mais la lassitude peut survenir à
la longue de la monochromie des programmes, répertoires périodiques
qui ont l'imprévu des saisons... Oui, bienheureux les premiers wagné-
riens français. Christophes Colombs des divines sonorités fugaces, qui
ont tressailli du séraphique et hautain prélude de Lohengrin, à travers
l'italianisme de 1860 (1). parmi les injures ou les rires! L'âge d'or, le
voilà! Et puisque nous évoquons ces heures lointaines où furent révé-
lés tour à tour Joseph Haydn et Richard Wagner, n'oublions pas que la
première séance dès Concerts populaires de musique classique eut lieu le
dimanche 27 octobre 1861, à deux heures. Quarante ans révolus, depuis
ce grand jour! L'éducateur, le bienfaiteur s'appelait Jules Pasdeloup.
Son monument devrait se dresser à la porte du Cirque d'Hiver, sur la
place même qui, tardivement, porte son nom : « A Pasdeloup, la foule
reconnaissante! » Gardons la religion des héros obscurs. Le souvenir
honore celui qui se souvient.
— Je ne veux plus vous contredire, à mon tour. Et ma vengeance la
meilleure sera de vous tendre la main. Une date, en effet, le dimanche
d'automne où le public fut mis en présence de la Pastorale! Et depuis
quarante ans, si Joseph Haydn avait disparu lentement de nos concerts
au point d'être obligé de ressusciter, Richard Wagner, d'abord suspect,
a pris sa revanche... Haydn, aujourd'hui, pour le modérer, se relève
immortel de son tombeau. C'est la loi des métamorphoses. Mais cette
évolution fatale doit devenir un renouvellement volontaire. Il faut com-
mander à l'histoire de l'art et diriger les faits. Il est temps d'émonder
la forêt confuse. Et que l'on réclame, avec vous, le mélange harmonieux
des styles ou qu'on plaide, avec Rubinstein, pour la séance homogène,
consacrée à un seul maitre, à une seule époque, l'heure est venue de
« composer » un programme comme on compose un poème, de lui don-
ner une « signification ». Notre confrère musical parle en poète (2);
réformateur de la prosodie, il applique son libre goût à transformer nos
concerts en musées de la musique. Qui pourrait lui dire qu'il a tort?
Assurément on jouera toujours les mêmes choses, mais dans un ordre
prémédité qui les fera valoir (songez à la nouvelle disposition desRubens,
au Musée du Louvre). Et ce n'est pas tout : il est non moins permis d'en-
trevoir cette introduction de l'art dans l'ordonnance des programme.?
comme un acheminement vers des révélations inédites. Que d'ouvrages
de maîtres et que d'auteurs oubliés ! Le répertoire est despotique. La
Société des Concerts, par exemple, qui dispose de choristes musiciens,
d'un nouveau chef juvénile, et de quel orchestre! n'aurait-elle pas le
droit et le devoir de renouveler l'afiiche?
— La Société l'a tenté : de 1885 à 1892, n'a-t-elle pas eu son Pasde-
loup ? Déjà, comprenant l'heure, le trop modeste Jules Garcin, trop tôt
démissionnaire et souffrant, aujourd'hui trop oublié malgré la recon-
naissance de tous ceux qui connurent de près son grand cœur, avait fait
applaudir l'Ode pour la Sainte-Cécile, de Haendel, la Messe en si mineur,
de Bach, la Messe solennelle, de Beethoven, l'Or/i/ie'e, de Gluck, l'épilogue
mystique de Faust et le délicieux Chœur des Bohémiens, de Schumann.
Et du Wagner, ô prodige, en cet oratoire : le tableau iinal des Mattres-
Chanfeurs, le premier acte de Parsifal, le prélude de Tristan (3)... Vous
ne frémissez pas ? Et aussi de la haute musique franckaise ou française,
la symphonie en ré mineur, du bon père Franck, et la grande sympho-
nie en ut mineur, avec orgue, du maitre Saint Sacns, le grand sympho-
niste, de qui les Barbares reçoivent un vaste prélude...
— Vous avez de la mémoire !
— L'ingratitude seule a le droit d'oublier les noms et les dates. La
collection de nos programmes revit sous mon front comme un musée
muet dont le néant parfois s'illumine... Et de lointaines séances s'é-
veillent comme en un rêve. Ah! musiciens du Conservatoire, que de
découvertes encore possibles, dans la silencieuse poussière du passé,
depuis Palestrina jusqu'à M. Claude Debussy, le Whistler des impres-
sions murmurantes, depuis Adam de la Halle, Clément Jannequin,
Lassus, Beaujoyeux, Campra, Pergolése et Rameau, jusqu'à Méhul,
Cherubini, Berton, liCSueur et Gossec, gloires de l'Institut naissant
(restons classiques Ij, jusqu'au dieu Beethoven, dont on ne connaît un
peu familièrement que les neuf Muses symphoniques! En art, comptent
seuls les chefs-d'œuvre; mais, pour l'histoire de l'art, certaines résur-
rections sont des documents. Et, sans parler des jeunes, qui peuvent
encore attendre à la porte et rester debout, que de restaurations à pro-
{!) -\ux trois concei-ts dunnés au ThéAtre-Italien par AVagner.
(2) .M. Adolphe Boscliot, qui a publié, chez Perrio, la Crise poélir/iie en 1897 et la
Réforme de la prosodie dans la Revue de Paris du 15 août 1901 .
(3) Cf. notre chronique musicale de VErmitaje, n° du 15 oclobre 1892.
poser pour l'intelligence de la Musique, architecture éphémère dont le
temps ne nous laisse, comme de l'amour, qu'un nom, qu'un souvenir !
Les programmes, ce sont les lettres gardées, seules survivantes, et sou-
vent relues...
— L'archéologie vous rend poétique ! Et pour vous contredire encore
un peu, sans malice, à seule lin de ne pas laisser déchoir les bonnes
habitudes de nos dialogues, si je vous demandais d'accorder quelques
grains de votre lyrisme à la louange de la jeunesse trop inconnue qui
lutte ?
— J'obéirais aussitôt pour vous démentir. Mais permettez-moi de
commencer par le commencement, et puisqu'il faut ordonner doréna-
vant nos programmes, d'inscrire la Messe du pape Marcel avant nos im-
pressionnistes...
— Je vous permets cet... anachronisme, si les anciens furent les
jeunes!
— Je suis vraiment confus de votre grandeur d'àme. Les héros corné-
liens sont moins magnanimes... Et songez-vous à la province qui tra-
vaille plus obscurément pour notre art? C'est Louis de Romain, à
Nantes et à Angers; c'est Guy Ropartz, à Nancy, qui a présenté, dans
sa dernière saison, l'histoire de l'ouverture et de la symphonie, de
notre symphonie française qui existe pourtant ! Et sachez, dès aujour-
d'hui, que la Société de Musique de Lille se transforme et pi'épare un
savant menu grâce à l'entrain de Maurice Maquet... Or, je méconnais
si peu la tradition nationale et l'effort des jeunes que j'allais invoquer
avec vous la Symphonie après Beethoven et rappeler, avec un docte ama-
teur (1), nos trouvailles dans cette voie, depuis quarante ans, depuis
Pasdeloup !
— Un beau sujet, que nous discuterons un soir d'hiver, les pieds sur
les chenets. . .
— En attendant, je reviens doublement satisfait d'avoir oui parler,
aux Concerts-Colonne, d'un résumé historique de la Si/mphonie : un
Cycle encore, et qui, chaque fois, met heureusement en regard le génie
instrumental de deux races.
— On reproche à ce parallèle ingénieux de ne point respecter rigou-
reusement la chronologie, qui seule eût manifesté l'évolution, progrès
ou décadence, à votre gré! Puis, des omissions importantes : Félicien
David, par exemple, qui fut un « précurseur » au temps où Berlioz était
« trop escarpé » (2).
— La perfection n'est d'aucun monde... Mais ne marchandons plus
notre plaisir de pénétrer enfin la symphonie avant Beethoven, avec
Gossec, devancier d'Haydn à Paris, avec Méhul, l'austère amoureux
des tulipes, et qui fut si pur, avec Herold, l'élève de Méhul, qui fut aussi
mélancolique et moins grand. Et puisque vous parlez d'oublis, nom-
mons Gounod, chez Seghers, à la Société de Sainte-Cécile, avant Pas-
deloup. On arrive ainsi, pas à pas, jusqu'à la docte symphonie en ut
majeur de Paul Dukas, que doit nous servir Chevillard après sa belle
série chronologique des neuf Muses beethovénieunes. Les deux sociétés
rivales se complètent. Et voici Ropartz, à Nancy, qui vient d'annoncer
l'histoire de la Musique ù programme au X[X' siècle, pour faire suite à
la série des Ouvertures. La saison 1901-1902 ne sera pas une sinécure.
Je demande à l'Ouvreuse le don d'ubiquité...
— Mais cela ne vous étonne point, cet évangile nouveau de la musi-
que instrumentale, « un pur rêve », en effet, « qui ne copie rien », dans
cette France frivole où l'artiste pouvait dire, au temps dont nous célé-
brons aujourd'hui l'anniversaire : « Nous ne. sommes pas musiciens, mais
nous pourrions le devenir. . . »?
(A suivre.) Raymond Bouyer.
PENSÉES ET APHORISMES
D'ANTOINE RUBINSTEIN
(Traduit tlu russe par Michel Delii
Il arrive souvent que des hommes d'âge mùr s'éprennent de jeunes
filles, attirés par leur inexpérience même; mais il arrive souvent aussi
que des jeunes filles s'amourachent d'hommes âgés, attirées tout au
contraire par leur expérience!
(Jn peut admettre qu'avec le temps les savants finiront par faire
connaître aux hommes tout ce qui existe dans la création; mais deux
il) il. Hugues Imbert, qui a pulilié chez Fischbacher, en 1900, une brochure portant
ce titre : La Symplionie après Beellwveii, « réponse à M. Félix Wcingartner », qui, dans
son discours, ne citait que Berlioz comme symphoniste français.
(2) Expressions de Saint-Saëns dans Harmonie et Méiodie (1885), page 131.
LE MÉNESTREL
349
choses leur resteront toujours fermées : le commencemeat et la fin.
Aussi l'humanité aura-t-elle toujours un dieu, une religion et une église .
Le style gothique me semble le mieux approprié pour les églises, car
il exprime bien les aspirations mystiques vers le ciel.
Le style byzantin, qui est devenu celui des églises russes, me semble
l'expression d'un ritualisme pompeux mais figé; les innombrables cou-
poles me font l'effet de mitres sur des tôtes de prêtres.
L'ancien style grec des temples a quelque chose de mythologique,
d'olympique, de rayonnant, de serein et de beau! Il est en contradiction
avec le service religieux chrétien, qui contient des éléments dramatiques
et tragiques.
Aussi l'église de la Madeleine de Paris me semble-t-elle un véritable
anachronisme ; mais ce qui me frappe le plus, c'est que la Bourse et la
Madeleine sont des édifices jumeaux, comme si l'une était la Bourse
de la dévotion (pom' Dieu) et l'autre la dévotion de la Bourse (pour le
Veau d'or).
Il est erroné de croire qu'un artiste doit être dévot et croyant pour
bien traiter des sujets religieux. Est-ce qu'on demande à un artiste qui
traite de sujets mythologiques d'être païen ?
L'art est panthéistique, il voit un dieu dans chaque brin d'herbe et
pour cette même raison il y voit un sujet d'art.
Sa religion est l'esthétique. Il n'exige de l'artiste aucune pratique
religieuse. L'artiste peut lui-même sanctifier ses créations.
Je dis tout cela pour ceux qui s'étonnent de me voir, malgré mon irré-
ligiosité, traiter avec prédilection des sujets religieux.
La musique instrumentale est la plus intime amie de l'homme. On
le constate surtout lorsqu'on souffre.
Mais de tous les instruments, c'est le piano qui répond le mieux à ce
sentiment.
Aussi, je considère l'étude du piano comme un bienfait de l'huma-
nité, et je la rendrais obligatoire dans les programmes des écoles, pour
procurer une jouissance personnelle aux élèves.
J'ai joué en public tant que j'ai remarqué que je jouais au concert
mieux qu'à la maison pour moi seul. Et j'ai cessé de jouer en public
le jour où j'ai remarqué que je jouais mieux pour moi que pour les
autres.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — Les Impressions d'Italie de M. Charpentier figuraient
au programme à côté de la symphonie en ut majeur (Jupiter) de Mozart et de
celle en ré (n" 2) de Méhul. Il pouvait paraître non sans quelque intérêt
d'exhiber ce dernier ouvrage, auquel nuit singulièrement le voisinage de Mo -
zart. L'important est de juger Méhul d'après ses drames lyriques, d'après
Joseph principalement, et d'oublier ses symphonies. Elles ne brillent ni par
l'invention, ni parle coloris, ni par l'ingéniosité des développements; elles
ne méritent qu'une place secondaire dans l'histoire de l'art; elles font nom-
bre. Une tâche utile serait de remettre en lumière les airs de ballet et quel-
ques ouvertures ou marches de LuUi, Rameau, Gluck, Piccinni, Sacchini,
Sponlini, etc.; cela pourrait, après avoir servi à notre plaisir, encourager un
théâtre à remettre en scène un opéra de ces maîtres, ce qui n'a pas trop mal
réussi quand on l'a essayé dans de bonnes conditions. M. Colonne a trans-
formé en adagio l'andante cantabile de la symphonie de Mozart. L'effet,
assez fâcheux dans les premières mesures, où la mélodie devient étirée à l'ex-
trême, s'améliore quand la figuration se fait plus riche et que les notes se
multiplient. Le public a paru goûter ce changement. Les Impressions d'Italie
ont plu beaucoup. Le n° 2, supprimé parfois, a été réintégré. Sans être le
meilleur, il ne fait pas tache, est très court et a fourni au peintre Clairin un
bien joli motif de couverture; raisons déterminantes pour le maintenir, car
celles qu'on peut opposer sont encore plus laibles. Sur tes cimes demeure le
morceau capital. Rien ne peint mieux les vibrations de l'air, l'immense
horizon, le son des cloches et l'insaisissable harmonie des choses. Le con-
traste est frappant si l'on passe au concerto en ut mineur de Saint-Saëns.
Nous avons là une des plus belles productions pianistiques de l'école fran-
çaise, je dirais volontiers la plus belle. On s'étonne parfois d'y rencontrer un
sentiment plus expansif, quelque chose d'affectueux qui ne se trouve pas dans
les autres ouvrages du maître. Cette impression est due au motif principal
en la bémol, repris, en ut majeur, avec un rythme ternaire, dans le finale.
Ce motif a le caractère d'un thème délicieux du Ckristus de Liszt, et ne lui
est pas inférieur. Les deux ou trois dernières pages de la première partie
sont de toute beauté, mais M"" Kleeberg n'en a pas mis en relief la simpli-
cité calme et impressionnante qui en constitue le côté vraiment admirable
et plastique. Elle a été remarquable principalement dans le second morceau.
dont elle a parfaitement bien surmonté toutes les difBcultés techniques,
cefies du début, par exemple, qui sont considérables. Sa virtuosité a été étin-
celante dans la péroraison. Le jeu a été net, clair et cristallin. La pianiste
possède une grande expérience et sait se maintenir résolument sur le terrain
qui lui est favorable. On lui a fait un beau succès. Les fragments de l'Oura-
gan de M. Bruneau ont été appréciés par mon confrère Ch. Malherbe, dont
les programmes sont si précieux et instructifs : « Le compositeur a tenté de
résumer ici tout à la fois l'idéale poésie et la farouche réalité de son drame.
Et ce qu'il sent, ce qu'il pense, il le réalise avec la vigueur de son tempéra-
ment, la hauteur de ses vues, la sincérité de sa foi. » On a entendu pour
finir le Venusberg de Tannhâuser. Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — Deux œuvres nouvelles nous ont été offertes
au dernier concert. L'une n'est inédite qu'en France: en Russie, elle est
connue par les représentations de l'opéra posthume te Prmoe /jor, deBorodine.
Le sujet de cette œuvre est emprunté à la fameuse épopée la Guerre d'Igor
contre les Polovlsiens, l'un des plus anciens monuments littéraires de la langue
russe, quelque chose comme l'Iliade des Russes. Rien d'étoùnant, par consé-
quent, que la Danse polovtsienne, extraite de la partition de f opéra, présente
un caractère essentiellement slave. L'orchestre de M. Rimsky-Korsakof, qui
a prodigué toutes les couleurs de sa palette plus que vénitienne, à l'esquisse
de Borodine, a encore accentué le caractère national de ce morceau. Ce n'est
pas précisément un air de ballet, mais un chant populaire, entonné par un
chœur de femmes, qui accompagne des danses et s'y mêle d'une façon sur-
prenante.Le public a fort bien accueilli cette œuvre exotique. Plus contestée
a été une nouvelle composition intitulée Deux Nocturnes, de M, Debussy. Au
programme, le jeune artiste nous expUque d'abord que ses Nocturnes ne sont
pas ce qu'un vain amateur pourrait penser; il s'agit ici « de tout ce que le
mot contient d'impression et de lumières spéciales » (.sic.'j. Heureusement, la
musique de M. Debussy est autrement captivante que sa prose, et nous avons
goûté le charme qui se dégage de ses trouvailles orchestrales et de son coloris
délicat. Nous ne sommes pas de ceux qui prétendent, en s'appropriant un
mot célèbre du père îngres, violoniste à ses heures, que le dessin mélodique
est la probité du compositeur; nous allons, au contraire, jusqu'à accepter
l'impressionnisme en musique, pourvu qu'il soit de bon aloi, et celui de
M. Debussy ne nous effraie pas autrement, — ceci dit pour les deux premiers
morceaux de ses nocturnes. Quant au troisième, intitulé les Sirènes, l'orchestre
y cède la parole aux voix de femmes, qui égrènent des solfèges savamment
gradués et assez mélodieux sur une voyelle flottant entre l'a et Vo. Si cela est
l'Alpha et l'Oméga de leurs moyens de séduction, nous connaissons plus d'un
auditeur qui serait resté aussi réfractaire aux charmes des Sirènes que le
prudent Ulysse. Nous avons le regret de constater que des partisans inconsi-
dérés du jeune crmpositeur, par leur emportement même, ont déchaîné à la
fin des Nocturnes un ouragan de protestations qui n'était pas dans le pro-
gramme et dans lequel une petite flûte obstinée taisait entendre des notes
suraiguës fort désagréables. Le concert débutait par l'ouverture des Maîtres
Chanteurs et se terminait par la Symphonie avec chœurs, où l'orchestre a été
superbe, les chœurs convenables et les solistes insuffisants, à l'exception de
M"= Lormont, qui a très habilement conduit son soprano clair et mordant
aux sommets de la partition. 0. Berggruen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Chàtelet, concert Colonne : Relâche.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux, sous la direction de 51. Chevillard : Première
symphonie, en ut majeur (Beethoven). — Concerto pour violon et orchestre (Beethoven)
par M. Hayot. — Le Rouet d'Omphak (Saint-Saëns). — Symphonie pathétique (Tschaï-
kowsliyi. — Marche hongroise de (a Damnation de Faust (Berlioz).
Au Grand-Palais (entrée avenue d'Antin), concert populaire dirigé par M. Louis Pister :
/îieiui (R. Wagner). — ia Traviata (Verdi). — ieCirf (Massenet), air chanté par M"" Char-
lotte Greyge. — Suite algérienne (Saint-Saëns), alto : JI. Pichon. — La Jmne Captive
(Ch. Lenepveu) ; Le Doux Appel (C.-M. Widor), mélodies chantées par Jl'"" Auguez de
Jlontalant. — Le Roi s'amuse (Léo Delibes). — Pensée d'automne (Massenet), M"" Char-
lotte Greyge. — Jocelijn, berceuse (Godard), violoncelle : M. Amato. — Marche de Jeanne
d'Arc (Gounod).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La protection posthume que l'empereur Guillaume II accorde à Lortzing
est fort utile aux descendants du malheureux compositeur. Tous les théâtres
lyriques d'Allemagne et d'Autriche viennent de donner des représentations
des œuvres de Lortzing à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance
et ont pour la plupart versé des droits à ses héritiers, sans y être obligés.
L'unique fils survivant du compositeur, M. Hans Lortzing, qui est acteur,
mais qui n'avait pas d'engagement, vient d'être engagé comme régisseur au
Théàtre-Royal de Berlin; ses vieux jours sont donc assurés. Moins fortunée
est l'unique fille survivante de Lortzing, U"'" Krafft, qui vit à Vienne et est
àfée de 70 ans. Malgré son âge. M»": Krafft, qui ressemble étonnamment
à son père, donne encore des leçons de piano; son fils, M. Charles Kraff't-
Lortzing, est musicien ; il dirige des concerts d'été à Innspruck et a fait jouer-
des opéras-comiques dans plusieurs petites villes. La faveur de Guillaume II
le tirera peut-être de l'obscurité dans laquelle il vit actuellement.
330
LE MENESTREL
— Le conseil d'administratiùii du théâtre de Bayreuth vient de publier son
programme pour 1902. On jouera le Vaisseau-Fantôme le 2'2 juillet, les 1", 4,
12 et 19 août; Parsifaile -23 juillet et les S, 7, 8, H et 20 août; l'Or du Rhin
le 25 juillet elle 14 août: la Valkyrie le 26 juillet et le 13 août, et leCrépuscule
des Dieux le 28 juillet et le 17 août. On voit que le théâtre du Prince-Régent
à Manich sera de nouveau réduit aux œuvres de ^Vagner qui ont été jouées
pendant la dernière saison; c'est surtout l'Anneau du Nibelung dont le théâtre
de Bayreuth désire priver la concurrence de Munich.
— M. de Possart, intendant des théâtres royaux de Munich, vient de célé-
brer le quarantième anniversaire de son début dans la carrière dramatique.
A cette occasion il a reçu beaucoup de témoignages d'estime et de sympa-
thie. Le conseil municipal de Munich a décidé de donner le nom de M. de
Possart à une rue située aux environs du théâtre du Prince-Régent, qui doit
son existence surtout à l'énergie de cet habile artiste.
— Une discussion curieuse s'est engagée dans la presse allemande au sujet
de l'éclairage des salles de concert. Depuis le commencement de la saison
actuelle, plusieurs artistes ont imité l'exemple de Bayreuth et ont joué, voire
même chanté, dans une salle obscure ; la lumière électrique n'a fait son appa-
rition que dans les intervalles, entre les numéros du programme. Cette in-
novation est hautement approuvée par certains journaux, tandis que la
plupart des autres et la majorité du public font entendre des protestations.
Un journal cite, à l'appui de sa thèse, que la musique produit plus d'efl'et
dans une salle obscure, un passage des Années de pèlerinage de Wilhelm
Meister, de Goethe, où il est question d'un riche baron, grand mélomane, qui
faisait jouer et chanter chez lui des artistes dans une salle obscure, afin
qu'il pût jouir de la musique sans voir ceux qui la produisaient. Gœthe
semble approuver ce procédé, qui est d'ailleurs de son invention. Mais
Gœthe aura-t^il raison contre les femmes, qui ne prennent pas la peine de
s'habiller le soir pour être noyées dans une obscurité profonde? Il parait
que les allemandes sont les adversaires les plus acharnées de la musique
sans lumière, et dans ces conditions les salles de concert allemand ne feront
pas longtemps leur petit Bayreuth.
— Le sculpteur Schaper, de Berlin, a été chargé du monument qui sera
prochainement érigé à Halle en l'honneur du compositeur Robert Franz. Le
monument sera composé d'un buste placé sur un cippe élevé.
— Les habitants du 13' arrondissement de Vienne se sont réunis pour
faire apposer une plaque commémorative sur la maison habitée en 1862 et
1863 par Richard Wagner dans la rue Hadik, n" 72. C'est dans cette maison
qu'il a écrit la plus grande partie des Maîtres Chanteurs avant d'aller se fi.xer
à Tribschen, près Lucerne.
— Le Carlthéàtre de Vienne vient de jouer avec beaucoup de succès une
opérette intitulée la Jeune fille charmante (eu patois viennois intraduisible :
Dns suesse Maedel), paroles de MM. Landesberg et Stein, musique de M. Henri
Reinhardt. Les couplets de la jeune fille charmante et une grande valse —
quelle opérette viennoise n'aurait pas sa valse ? — ont été bissés.
— Ud. nouveau ballet, intitulé Au bal masqué, musique de M. Auguste Ber-
ger, vient d'être joué avec succès au Théâtre-Royal de Dresde.
— Le Théâtre-Royal de Copenhague a joué avec succès un nouvel opéra de
M. Enna, intitulé la Bergère et le Ramoneur, écrit sur un livret tiré d'un conte
d'Andersen.
— Le 17 mai dernier, le pape Léon XIII adressait un bref élogieux à l'abbé
des bénédictins de Solesmes au sujet des travaux que cette abbaye a entre-
pris soit pour rétablir scientifiquement, dans toute sa pureté, le chant grégo-
rien tel qu'il nous est transmis par les manuscrits du moyen âge, soitpour en
faciliter l'exécution pratique.
Frappé de cette indication donnée par le pape, le docteur Pierre Wagner,
professeur d'histoire musicale et de musique sacrée à l'université de Fribourg
et maitre de chant liturgique au séminaire épiscopal, a formé le projet [de
fonder une chaire où serait enseigné dans toute sa pureté primitive l'antique
chant liturgique.
Mais, auparavant, M. Wagner voulut s'assurer l'acquiescement exprès de
Rome. C'est à la sacrée congrégation romaine des études qu'il s'adressa. Sa
demande fut favorablement accueillie et le docteur Wagner a reçu du Cardi-
nal SatoUi, préfet de la congrégation des études, la lettre suivante :
Le saint-père a daigné accueillir très favorablement la demande que vous lormuliez ;
cette fondation s'ajoutera à toutes les chaires de science sacrée que compte déjà l'univer-
sité catholique dé Fribourg; elle servira à développer les splendeurs du culte; elle accroîtra
encore chez les jeunes gens, surtout s'ils se destinent au sacerdoce, l'amour de la liturgie
sacrée, qui se rattache si étroitement au chant vénérable de l'Église romaine; elle en pro-
pagera l'étude et la pratique dans les divers centres où ces mêmes jeunes gens, leur scola-
rité académique une fois terminée, donneront libre cours à leur activité religieuse et
sociale.
Récemment le saint-père, par son bref aux bénédictins de Solesmes, a recommandé ces
mélodies grégoriennes. Cette auguste parole est une haute indication ; elle constitue un
stimulant efficace à l'étude de ces mélodies. Je puis vous en donner l'assurance : de môme
que le saint-père se réjouit grandement de la restauration de la philosophie de saint
Thomas, à laquelle se consacrent, avec de si splendides succès, les fils de saint Dominique
dans l'université pontificale de Fribourg, de même c'est avec une grande satisfaction qu'il
verra marcher de pair avec la restauration philosophique la restauration de cet autre
enseignement traditionnel de l'Eglise, à savoir du chant liturgique ramené à sa primitive
pureté.
— Pendant que la ville de Catane, qui n'a pas su, parait-il, élaborer un
programme convenable pour célébrer le centenaire de Bellini. et se voit
obligée de reculer indéfiniment les fêtes projetées à cet effet, voici qu'on
s'occupe, en Italie, de rappeler le souvenir du poète Felice Romani, qui fut
précisément le collaborateur préféré, presque unique, du chantre de Norma
et de la Sannamhula. Romani fut, on peut le dire, le roi des librettistes ita-
liens, et son talent fait pâlir singulièrement celui de ses confrères, les Piave,
les Cammarano, les Solera et IMti quanti. Ecrivain instruit, lettré délicat,
versificateur habile, l'ancien directeur littéraire de la Gazzetta Piemonlese, le
journal officiel du royaume de Sardaigne, ne se contenta pas d'être un cri-
tique très fin et un prosateur plein d'élégance, il fut aussi un poète dans là
véritable acception du terme, ainsi que le prouvent ses jolies cansone au
sculpteur Pompeo Marchesi, à Paganini, à la Pasta et à la Malibran. Un
autre grand écrivain, qui avait été son adversaii'e, Angelo Brolferio, s'expri-
mait ainsi au lendemain de sa mort, en parlant précisément de ses librelli
d'opéras, dans lesquels Romani avait renouvelé et perfectionné le genre : —
« La plus grande puissance du génie de Romani se révélait dans la représen-
tation qu'il faisait des délires, des extases, des fureurs, des voluptés, des
désespoirs de l'amour, comme Byron, comme Foscolo, comme Lamartine,
comme Victor Hugo. Qui ne se rappelle les magnifiques strophes de la Stra-
niera, d'il Pirata, de Lucrezia Borgia, de la Sonnantbula, d'Anna Bolena, de Nor-
ma, de Béatrice di Tenda, revêtues par Bellini et par Donizetti de si merveil-
leuses harmonies?... Tant que l'amour palpitera dans les poitrines humaines,
les vers de Romani vivront et résonneront sur les lèvres plaintives comme
étant l'expression la plus ardente, la plus passionnée des tempêtes secrètes de'
l'âme. » Romani était, en effet, plus qu'un librettiste ordinaire; c'était, il
faut le répéter, un vrai poète, ainsi qu'en témoignent encore quelques livrets
non cités par BrofCerio, tels que la Solitaria délie Asturie, Cristofo Colombo, et
surtout Torquato Tasso et Parisina. Aussi fut-il, on peut le croire, recherché
pendant plus d'un quart de siècle par tous les musiciens, et son nom est-il
intimement lié à ceux de Rossini, Meyerheer, Bellini, Donizelti, Mercadante,
Coccia, Pavesi, les deux Ricci, Pacini, Morlacchi, Mayr, Niccolini, Majocchi,
Soliva, Pugni, Litta et tant d'autres. C'est cet écrivain fort distingué dont
ses compatriotes veulent aujourd'hui rappeler le souvenir, mêlé à tant de
gloires musicales. On se propose de placer prochainement une plaque com-
mémorative sur la maison où il vécut et mourut à Moneglia, pays de la
rivière du Levant, en même temps qu'on déposera des couronnes sur le tom-
beau qui lui a été élevé à Staglieno, où repose son corps. C'est un hommage
qui lui est bien dû et qu'il mérite à tous égards. . A. P.
— La musique continue d'adoucir les mœurs. Dans une ville italienne, à
Desenzano, on se préparait à terminer une courte saison lyrique par une
petite solennité commémorative en l'honneur de Verdi. Un avocat, M. A. Za-
dei, qui avait déjà parlé du maître dans une occasion semblable, avait été
chargé de prononcer un discours. Mais, ohimi ! la politique, la vilaine poli-
tique se mêla de 1' affaire. L'avocat en question s'était fait, dans une circons-
tance récente, des ennemis sous ce rapport, si bien que, ceux-ci s'étant ren-
dus en masse au théâtre, firent un tel charivari lorsqu'il se présenta sur la
scène, tapant des pieds, poussant des cris, sifflant avec rage, qu'il fut obligé
de se retirer sans avoir pu prononcer une parole.
— La direction du grand théâtre du Lycée de Barcelone vient de publier
son cartellone pour la prochaine saison d'hiver. Voici le tableau de la troupe :
soprani, M"""* Bel Sorel, Usa Bardi, Concetta Bordalba, Isabella Grassot, Giu-
l'ia Biondelli, Elisa Laveroni, Onorina Popovici, Margherita Picard ; mezzo
soprani, Armida Parsi, Giuseppina Giacconia, Paolina SchoUer, Wanda Bor-
'rissoff; ténors, MM. RafTaele Grani, Giuliano Biel, Luigi Iribarne, Giuseppe
Palet; barytons, Maurizio Bensaude, Alessandro Arcangeli, Luigi Baldassari;
basses, Agostino Calvo, Luigi Rossato. Le répertoire comprendra Aida, Gio-
cenda, Carmen, Hdnsel et Gretel, Mefistofele, Siegfried, il Trovatore, l'Africaine,
Lohengrin, le Crépuscule des Dieux, et un grand ouvrage nouveau de M. Felipe
Pedrell, i Pirenei, trilogie lyrique avec un prologue, écrite sur un poème de
M. Victor Balaguer traduit en italien par M. José Pereira. La saison com-
mencera au milieu de novembre.
— Une nouvelle zarzuela en un acte, el Jilguero chico, a vu le jour au Théâ-
tre Comique de Madrid. Les auteurs sont, pour les paroles, M. Adolfo
Luna, rédacteur du Heraldo, et pour la musique MM. Galleja et Lleo, sorte
de raison sociale bien connue et très appréciée du public madrilène.]
— Un comité s'est formé à Londres pour ériger une statue à Sir Arthur
Sullivan dans la cathédrale de Saint-Paul. L'idée d'un monument de cet
artiste à placer dans la crypte de la cathédrale a dû être abandonnée. L'au-
teur du Mikado, qui a à son actif plusieurs importantes composilions de
musique sacrée, entre autres le Te Deum écrit pour célébrer la « conquête du
Trausvaal » qu'on n'a pas pu exécuter faute précisément de cette conquête,
sera le premier musicien honoré d'une statue à Saint-Paul. Jusqu'à présent
on n'a placé dans cette cathédrale, à quelques exceptions près, que des sta-
tues de généraux et d'amiraux.
— A l'Exposition panamêricaine de Buffalo (États-Unis) est arrivé récem-
ment un quintette caractéristique de Colombie dont les cinq exécutants, tous
excellents, parait-il, ont un répertoire de plus de 200 morceaux, et excitent
une grande curiosité. Ce quintette comprend trois mandolines, une guitare
semblable à la guitare portugaise à quatre cordes, jouée par un aveugle, et
une guitare moderne à six cordes. Mais pourquoi le Cronache musicale quali-
fient-elles ce quintette do « quintette à archet » ? Est-ce que la mandoline et
la guitare se jouent maintenant avec un archet?
LE MENESTREL
35d
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra, représentation gratuite : Astarté. On
commencera à 7 heures, ouverture des portes à six heures et demie.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Gomique : en matinée, Lakmé
et le Légataire universel ; le soir, Carmen.
— Cette semaine, à l'Opéra-Comique, très gentil début, dans la Basoch£, de
M"'" Huchet, un des derniers prix du Conservatoire. La voix est menue, mais
fraîche et juste, la façon de la conduire déjà délicate et une. La comédienne
semble avoir beaucoup à apprendre,- mais il faut faire la part de l'émotion
bien naturelle chez une débutante. Au résumé, beaucoup d'excellentes pro-
messes.
— Derniers tressaillements de la crise de la Comédie-Française, dernières
vagues minuscules de « la tempête dans un verre d'eau » : M. Claretie, dans
la dernière séance du comité, a déclaré aux « Sociétaires » qu'il renonçait a
la « part de bénéfices » que lui avaient attribuée généreusement autrefois
MM. les comédiens et qu'ils semblaient lui reprocher amèrement aujour-
d'hui. On ne pouvait attendre moins du caractère de M. Claretie. — Enfin
l'administrateur général, désirant sans doute trouver des appuis chez les
petits, puisque les grands le lâchent si ostensiblement, se préoccupe de créer
à la Comédie-Française une caisse de retraites sur le modèle de celles qu i
existent à l'Opéra et i l'Opéra-Comique, et il a eu déjà à ce sujet plusieurs
conférences avec M. Paul Dislère, président de sectiou au eoaseil d'Etat et
président de la Société des caisses de retraites de nos deux scènes lyriques.
— Au théâtre Sarah-Bernhardt on prépare une série de superbes « mati-
nées du jeudi » qui seront données avec le concours de M. Coquelin, de
M™e Sarah Bernhardt et de toute la compagnie du théâtre Sarah-Bernhardt :
Mmes Dufrène, Parny, Marcya, Patry, DoUey, etc., MM. Brémont. Magnier,
Schutz, Desjardins, Deneubourg, Schiler, etc., etc. Parmi les pièces repré-
sentées on jouera : Phèdre, le 14 et le 21 novembre, avec la musique de Mas-
senet exécutée par l'orchestre de Colonne; puis Magda, Lorenzaccio (avec la
musique de Paul Puget), les Précieuses ridicules, avec Sarah pour la première
fois dans le rôle de Madelon et Coquelin dans son incomparable Mascarille;
la Tosca, avec Coquelin dans Scarpia ; Andromaque, la Ville morte, la superbe
pièce de d'Annunzio, dans laquelle Sarah joue une si touchante aveugle;
Médée, de Catulle Mendès ; Ilamlet et le Médecin malgré lui, et tant d'autres
chefs-d'œuvre. Vu l'affluence des demandes d'abonnements pour ces mati-
nées, M™' Sarah Bernhardt a décidé de fermer les feuilles d'abonnement le
dimanche 10 novembre.
— Aujourd'hui dimanche, en raison des tètes de la Toussaint, M. Colonne
ne donnera pas de concert au Chàtelet. Il met à profit cette interruption pour
donner avec sou orchestre une série de concerts à l'étranger. L'itinéraire
comprend les villes de Metz, Carlsruhe, Wiesbaden, Leipzig, Berlin, Dresde,
Vienne et Prague. ^
— A son concert du 24 novembre, M. Ed. Colonne fera entendre une
nouvelle et importante composition symphonique de M. Théodore Dubois,
Adonis, divisée en trois parties : I. Mort d'Adonis (douleur d'Aphrodite): II.
Déploration des nymphes; III. Réveil d'Adonis (Renouveau de la vie, le
printemps) — le tout inspiré des belles poésies de Leconte de Liste.
— M. Théodore Dubois n'a pas rapporté que cette suite symphonique de
ses vacances de Rosnay. Parmi ses manuscrits nouveaux, il faut signaler
toute une série de « scènes mignonnes pour le piano » réunies sous le titre
à'Au Jardin : les Oiseaux, Roses et Papillons, Gouttes de pluie, les petits
Canards, etc., etc.
— M. Désiré Thibault vient de donner sa démission de second chef d'or-
chestre de la Société des concerts du Conservatoire, pour signer un engage-
ment avec l'administration du casino de Monte-Carlo, où il dirigera exclusi-
vement les représentations d'opéra-comique, d'opérette et de ballet. Le direc-
teur du Conservatoire vient à ce propos d'adresser la lettre suivante à l'excel-
lent chef d'orchestre :
Mon cher Thibault,
Votre lettre me cause un véritable désappointement et un véritable chagrin.
Je comprends les motifs qui vous font prendre une aussi grave détermination; ils sont
d'ordre intime contre lesquels on ne peut élever d'objection, mais je déplore qu'un artiste
de votre valeur ne puisse trouver à Paris une situation digne de lui !
Tout le monde à la Société vous regrettera sincèrement.
Les services que vous y avez rendus, l'affabilité de vos manières, le long temps que vous
y avez passé, vous avaient conquis la sympathie de tous.
Personnellement, mon cher Thibault, je vous prie de croire à mon bien vif regret et à
l'expression de mes affectueux sentiments.
Théodore Dubois.
L'assemblée générale de la Société du Conservatoire, dans sa dernière
séance, a élu comme second chef d'orchestre M. Victor Casser, membre de la
Société.
— C'est M. Auzende, le pianiste-compositeur bien connu, qui est nommé,
au Conservatoire, professeur de la classe de solfège des chanteurs en rempla-
cement de M. de Martini, devenu professeur de chant.
— De l'Écho de Paris : « Et l'on revient toujours... M. André Lénéka, après
le jVe: qui remue, a l'intention de faire revenir le théâtre des Bouffes à ses
anciennes traditions. A la pièce de MM. de Gorsse et Soulié succéderaient
des opérettes signées Louis Varney, André Messager, Edmond Diet, Louis
Ganne, Missa, Emile Pessard, etc. L'orchestre serait probablement dirigé
par M. Letombe. La décision de M. Lénéka nous semble excellente. Les
Bouffes sans musique, ce ne sont plus les Bouffes. Et il y a tant de théâtres
de comédie ou de vaudeville! »
— Mais M. Lénéka ne se rend pas encore tout à fait. Il répond à notre con-
frère qu'il n'en est encore qu'au « vaudeville à couplets ». De là à verser
complètement de nouveau dans l'ornière de l'opérette, il n'y a plus que l'in-
tervalle d'un ou deux nouveaux insuccès de comédie. Pauvre théâtre, qui la
tant de mal à trouver sa voie !
— Ce n'est pas en quelques lignes rapi(les qu'on peut rendre compte d'un
livre aussi important et aussi remarquable que celui que vient de publier sous
ce titre : L'Arle del clavicembalo (l'Art du piano), M. Luigi-Alberto Villariis
(Turin, Bocca, in-S"). Un volume de 600 pages, qui nous donne, non l'his-
toire de l'instrument, mais l'histoire artistique du piano par ses virtuoses et
ses compositeurs, chez chacune des nations européennes. Ce qui parait sin-
gulier au premier abord, c'est que l'auteur commence par l'Angleterre; mais
c'est parce que, en fait, l'Angleterre peut être considérée comme ayant mis
la première en honneur les instruments à clavier. Ceci admis, l'auteur divise
son livre en cinq parties, consacrées à l'Angleterre, à l'Italie, à la France, à
l'Allemagne et aux Pays-Bas (cette dernière en appendice). Et après s'être
occupé des primitifs et des précurseurs, il met en lumière l'artiste célèbre
qui, dans chaque pays, a atteint le premier les sommets de l'art : pour l'An-
gleterre Henri Purcell, pour l'Italie Domenico Soarlatd, pour la France
François Couperin, pour l'Allemagne Jean-Sébastien Bach. Il étudie le mi-
lieu général, constate les progrès successifs ob tenus dans la virtuosité, carac-
térise les qualités et les particularités de chaque école, et tait connaître les
successeurs de chacun des grands artistes qu'il considère comme le premier
représentant fameux de chacune de ces écoles. Il résulte de cette façon de
procéder une vue d'ensemble général extrêmement intéressante et qui laisse
dans l'esprit une réelle satisfaction. En réalité, le livre de M. Villanis est un
livre neuf, qui témoigne d'une grande érudition, d'une connaissance complète
du sujet et qui, ce qui ne gâte rien, est écrit avec autant de clarté que d'élé-
gance. „
° A. P.
M. Edouard de Hartog, le compositeur néerlandais, vient d'être nommé
par le gouvernement français officier de l'instruction publique.
— Sur la demande qui lui en avait été faite. M»» Gounod Et parvenir
récemment au conseil municipal de Marseille le superbe buste de l'auteur de
Faust dû au sculpteur Carpeaux, dont elle faisait hommage à la ville. Aussitôt,
dans sa dernière séance, le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses •
membres, M. Martin Boyer, a voté l'adresse suivante :
A Madame Gounod.
Madame,
Le conseil municipal de Marseille, réuni en séance publique, vous adresse, en son nom
et au nom de la population marseillaise tout entière, ses meilleurs compliments et l'ex-
pression de ses plus chaleureux remerciements pour l'attention très flatteuse que vous
avez eue pour la ville de Marseille en lui offrant le buste de l'une des plus sympathiques
gloires de la France.
Avec l'approbation du conseil, le buste du grand compositeur Gounod sera placé, au
Grand-Théâtre, auprès de notre concitoyen Reyer.
Nous croyons savoir que, très prochainement, le buste de M. Massenet,
demandé aussi par la municipalité de Marseille, ira rejoindre ceux de ses
deux illustres confrères, pour être placé au foyer du Grand-Théâtre.
— Le jugement des morceaux pour fanfare, présentés au 3« concours
de composition musicale ouvert par l'Association des jurés orphéoniques,
vient d'être rendu. En voici les résultats : 1" Prix à la partition (sans titre),
ayant pour épigraphe : Advienne que pourra, dont l'auteur est M. Paul André,
chef de musique au 28"= de ligne, à Paris ; i' Prix, à l'unanimité, à la partition
intitulée Ouverture de Concert, composée par M. Louis Boyer, directeur de la
Musique municipale d'Angers; Mention, avec diplôme, à la partition; la Grotte
des Muses (épigraphe : Fais ce que dois, advienne que pourra), dont l'auteur ne
sera désigné que s'il se fait connaître. Le jury était composé de MM. Emile
Pessard, président. Boisson, Canoby, Ghandon de Briailles, Bureau, Guil-
baut, Kaiser, G. Parés et Georges Sporck. — L'auteur du chœur : Pécheurs
d'Islande, qui a obtenu la mention pour les œuvres chorales, s'est fait con-
naître; c'est M. Louis Blémant, chef de musique au 145<= d'infanterie, à
Maubeuge.
— Les concours pour l'obtention de bourses à l'École Classique de la rue
de Berlin auront lieu aux dates ci-après : lundi 11 novembre, violon et vio-
loncelle (hommes et femmes) ; jeudi 14, piano et harpe (hommes et femmes) ;
samedi 16, tragédie et comédie (hommes et femmes); jeudi 21, chant (hom-
mes et femmes). Les inscriptions sont reçues dès à présent au siège de l'é-
cole, 20, rue de Berlin, tous les jours de S h. 1/2 du matin à 7 heures du soir,
les dimanches et fêtes exceptés.
352
LE MÉNESTREL
— A Auteuil, le lundi 14, à la fondation Rossini, les vieux artistes pension-
naires ont été en fêle; M"' Marguerite Achard, la harpiste si distinguée, leur
offrait, comme en 1S98, une matinée musicale avec le gracieux concours de
ses aimables camarades : M^'^Oadard, Mary Mauroux. MM. Georges Clément,
Bertagne et Priad. Ce fut un gros succès: les applaudissements fréquents et
les superbes fleurs offertes par l'administration et par les dames pensionnaires
ont prouvé à ces artistes que leur attention délicate et leur talent avaient
été appréciés à leur valeur.
— Coins ET Leçons. -- JI. A. landely-Hettich a repris, chez lui. 33, boulevard des
Batignolles, ses leçons de ehant. — M"" Véras de la Bastière et Hamburg de la Bastière
ont repris leurs leçons de piano et de chant, 155, faubourg Poissonnière et 23, rue de
Bocroy. — ^I"-- Jeanne Pauvre vient de fonder un cours d'ensemble (dames et messieurs)
qui aura lieu tous les jeudis, à l'Institut Rudj, 4, rue Caumartin. — M., M^^et M"" Wein-
gaertner ont repris leurs cours et leçons de piano, musique d'ensemble et violon, auxquels
sont adjoints des cours de chant, diction, solfège, harmonie et langues étrangères, 24, rue
de Saint-Pétersbourg. — M"^ Delaspre Guyon a repris ses cours et leçons de chant, 54, rue
des Saints Pères. — W' Sophie Tritant a repris ses cours et leçons particulières de piano
et de solfège chez elle, 19, me Molière. — Institut Wertey, M, faubourg Poissonnière,
ouverture des cours de solfège, harmonie, piano, violon, violoncelle, harpe, chant, décla-
mation lyrique et dramatique, avec auditions publiques d'élèves. Professeurs : MM. Sa-
muel Rousseau, E. Decombes, Llorca, "Wîllaume, Loeb, Ulysse du Wast, Ad. Maton,
M""^* du Wast-Duprez, Coedès-Campagna, M"" J. Wertey, Marguerite Achard et Jeanne
du Wast.
NÉCROLOGIE
On annonce de Rome la mort, à l'âge de 46 ans seulement, du compo-
siteur Ettore Ricci, chef de musique du 94" régiment d'infanterie. Il était
auteur de quelques opérettes applaudies et de nombreux morceaux de musique
do danse.
Henri Heugel, directeur-gérant.
IN DEMANDE à l'Ecole Humbert de Romans, GO, rue Saint-Didier, des
instrumentistes et des choristes pour les Concerts historiques.
Vient de paraître, chez Baudoux et C'% le 2^' volume des Airs ctassiffues (Haendeli, édi-
tion A. Landely-Hettich (6 fr.).
Pour paraître AU MÉNESTREL, 2'''", rue Vivienne, HEUGEL et C", éditeurs
LE JOUR DE LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION A LOPÉRA-COMIQUE
^}/>
CHANT ET PIANO
Prix net : 20 fr.
lilBl
Conte lyrique en trois actes et un prologue
DE
MM. ARMAND SILVESTRE & EUGÈNE MORAND
■partition
PIANO SOLO
Prix net : 12 fr.
Jflopeeauji détachés
Musique de
J. A^ASSENET
Transcriptions diverses
MORCEAUX DE CHANT DETACHES
VOIR GRISÉIIDIS ! Ouvrez-vous sur mon front, portes du Paradis! T. 6
bis. Le même pour baryton G
CHANSON D'AVIGNON : £nJmgnon, pat/s d'omowî'. Soprano .... 5
bis. La même pour mezzo-soprano 5
RÉCIT DU DIABLE : ,1'avais fait, comme on dit, le diable sur la terre. B. 6
TRISTESSE : Oiseau qui pars à tire-d'aile. Baryton 3
bis. La même pour ténor 3
LE SERMENT TE GBISÉLIDIS : Devant le soleil clair. Soprano .... 3
bis. Le même pour mezzo-soprano 3
ADIEUX DU MARQUIS A SON FILS. Baryton 4
bis. Les mêmes pour ténor 4
, LOIN DE SA FEMME QU'ON EST BIEN! Baryton 6
LE DIABLE ET SA FEMME. Duo pour baryton et soprano 9
9. IL PARTIT AU PRINTEMPS ! pour soprano
9 bis. Le même pour mezzo-soprano
10. TRIO : Merci du grand honneur! 2 sop. et baryton
H. ÉVOCATION : Des bois obscurs, des blanches grèves. Baryton ....
11 bis. La même pour ténor
12. CHANSOV D'ALAIN : .Te suis l'oiseau que le frisson d'hiver. Ténor .
12 bis. La même pour baryton
13. GRAND DUO : Rappelle-toi le jour. Ténor et soprano
liî bis. Rappelle-loi, pour ténor seul. — 13 ter. Pour baryton seul .
11. PRIÈRE DE GRISÉLIDIS : Des larmes brûlent ma paupière
15. DUO DU RETOUR : A vant de vous parler. Baryton et soprano . . ,
16. L'OISELET EST TOMBÉ DU NID ! à deu.v voix pour sop. et baryton.
16 bis. Pour voix seule (sopr. ou tén.) — 16 te-. Mezzo-sop. ou bar.
9 »
5 »
5 »
3 »
3 »
7 50
3 »
4 »
7 50
3 .1
3 »
TRANSCRIPTIONS pour piano et autres instruments.
PRÉLUDE pour piano à 2 mains 5
Le même pour piano à 4 mains G
ENTR'ACTE-IDYLLE :
a. Édition originale pour piano. . 5
6. Pour piano 4 mains 6
c. Pour violon et piano 6
d. Pour flûte et piano ' 6
e. Pour violoncelle et piano 6
f. Pour mandoline et piano 6
Partition d'orchestre, net G
Parties séparées d'orchestre, net 10
Chaque partie séparée, net 1
CHANSON D'AVIGNON, pour piano à 2 mains 5
La morne à 4 mains 6
VALSE DES ESPRITS :
a. Édition originale pour piano 5
b. Pour piano 4 mains 6
c. Pour violon et piano G
d. Pour flûte et piano 6
e. Pour violoncelle et piano G
/'. Pour mandoline et piano G
Partition d'orchestre, net G
Parties séparées d'orchestre, net 10
Chaque partie séparée, net 1
AVIS AUX DIRECTEURS. — Les Éditeurs du « iVIénestrel » traitent dès à présent de cet important
ouvrage avec les entreprises théâtrales de la province et de l'étranger, — l'orchestration pouvant être
livrée aussitôt après la première représentation à l'Opéra-Comique, au courant de novembre.
: — (Eocre Lorillcux).
3S85. — 67"=
Diinanclic 10 iVoYciiibre 1901,
- ^Vi- PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2*", rae TiTieuue, Paris, n-in-)
(Les manuscrits doivent être adresses franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ESTREL
Le llamépo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET TIIEA.TRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie îlaméFo : 0 fp. 30
Adresser pnANCo à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Provim-e.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (37" article), Paul d'Estbées. —
II. Semaine théâtrale : premières repi'ésentations de l'Énigme, à la Comédie-Française,
de le Ne:: qui remue, aux Boulïes-Parisiens, et de A nous la veine, à la Cigale, Paul-
l')jiiLE Chevalier. — III. Petites notes sans portée : Souvenirs et évocations, Ratmono
BouYER. ^IV. Le Tour de France en musique : Chansons de vignes, Edmond Neukomm.
— V. Revue des grands concerts, — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
SCARAMOUCHE
caprice de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: Entr' acte-Idylle, extrait
de Grisélidis, musique de J. M.\ssenet.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Il pnrtit au printemps, chanté par M"« Lucienne Bréval dans Grisélidis, poème
d'ARMAND SiLVESTRE et E. MoRAND, musique de J. Massenet. — Suivra im-
médiatement : Rappelle-toi, chanté par M. Maréchal dans le même opéra.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'aprÈs les lÉmolres les plus récents et fles documents inédits
(Suite.)
X (suite)
Après avoir donné une si grande place à la Malibran, nous
estimons qu'il ne sera pas inutile de consacrer quelques lignes
à la Pasta, qu'Eugène Delacroix exaltait si fort aux dépens de sa
rivale. Mais Norma, la casla diva, pour rappeler l'hommage des
Milanais, avait aussi ses détracteurs. L'ami, aux griffes acérées,
des artistes, Metternich, pour l'appeler par son nom, lui décoche,
dans ses Mémoires, ce petit alinéa :
» 26 mars 1829.
» M"" Pasta vient de nous quitter; elle emporte les regrets et
l'argent des Nimois. Elle a récolté en quatre semaines, et au
moyen de pitoyables représentations, au delà de 40.000 francs.
L'Empereur l'a nommée première cantatrice de sa chambre.
Tout se trouve ainsi bien de son voyage, sa bourse et sa
vanité. »
Peut-être, pour trouver la note juste, entre l'éloge outré et le
blâme excessif, serait-il sage de s'en tenir à l'appréciation de la
comtesse Dash sur la Pasta.
Le célèbre bas-bleu entendit pour la première fois la fameuse
cantatrice chez M'"'' de Rumford, la veuve de Lavoisier. La Pasta,
dit-elle, est une belle personne, aux traits réguliers, son atti-
tude est noble et son geste majestueux. Sa voix est superbe et
l'expression en est passionnée. Tout le temps qu'elle chanta, je
fus comme en extase.
La comtesse Dash termine sur un piquant croquis de ces con-
certs. M"" de Rumford n'y admettait comme virtuoses du chant
que des artistes italiens, Garcia et Bordogni. Elle n'aimait pas les
français. Elle ne daignait supporter que « les princes des instru-
mentistes », Tulou, Bériot, Paganini, Baillot.
M'" Naldi, la future comtesse de Sparre, eut aussi son heure
de gloire et d'engouement. Elle était persona grala au faubourg
Saint-Germain. Elle se trouvait à Londres quand la bourrasque
des Gent-Jours y ramena la duchesse de Gontaut. Cette grande
dame, qui appréciait fort le talent de l'artiste, promettait tous les
jours aux amies de sa fille de leur faire connaître la belle voix
de M"" Naldi. Et comme ces jeunes personnes ne cessaient d'en
réclamer l'audition. M"" de Gontaut dut se décider à donner ce
fameux petit concert :
« M"° Naldi fut entendue avec ravissement, ainsi que Sor,
maître de guitare de ma fille. C'est au milieu de ces douces
romances que la rumeur d'une grande victoire se répandit à
Londres, celle de Waterloo... La plume s'échappe de mes mains
pour décrire les détails de ce moment : mon cœur tout français
en fut profondément ému. »
De douleur, sans doute... La duchesse de Gontaut n'accom-
pagne d'aucun commentaire ces lignes énigmatiques : mais, bien
que le désastre de Waterloo rouvrit aux émigrés les portes de la
patrie, il est permis de croire que « le cœur tout français » de
l'exilée dut saigner d'une telle blessure.
Peut-être s'étonnera-t-on qu'à côté de gloires disparues nous
en placions une que ses lauriers semblent rendre invulnérable.
i\Iais le nom de Pauline Garcia n'est-il pas inséparable de celui
de Marie? La sœur cadette de la Malibran a toujours été digne
de son ainée. Si elle n'en avait ni les inspirations soudaines, ni
la puissance dramatique, elle avait une science musicale, une
perfection de mécanisme que ne possédait pas Marie.
— Mais voyez donc ce petit diable, disait-elle au baron de
Trémont ; elle trouve des traits qui m'échappent.
En 1841, au lendemain de son mariage avec Viardot, Paulina
fit son voyage de noces en Italie. Pendant son séjour dans la ville
éternelle elle rencontra Gounod, qui était pensionnaire de l'Aca-
démie, en qualité de prix de Rome. Le jeune compositeur lui
rappela l'émotion qu'il avait éprouvée, dans sa prime jeunesse,
à une représentation à'Otello où la Malibran s'était surpassée ;
puis il risqua une discrète allusion aux débuts très remarqués,
à la salle Ventadour, de Pauline, qui avait dix-huit ans à peine.
Le même jour, la jeune femme le priait de lui accompagner l'air
354
LE MÉNESTREL
d'Agathe du Freiischiitz, qu'elle chanta dans le salon de TAca-
démie, à la villa Médicis.
M""' Viardot ne fit que passer aux Italiens. La jalousie de
Giulia Grisi — une écolière à côté d'elle — avait exigé le sacri-
fice d'une artiste dont elle sentait la supériorité.
S'il faut en croire les Souvenirs de ÂJ"" Jaubert, le talent de
M"' Viardot eut le privilège d'éveiller dans le cœur de Musset
les dernières flammes de l'amour. C'est ainsi que le poète écri-
vait à (1 sa chère marraine » qu'il avait maudit dans un concert
le pianiste Osborne, « échangeant avec Desdémone des compli-
ments anglais qui luidéplaisaient ».
Peut-être était-ce une de ces plaisanteries galantes dont ce
dandy sur le retour était facilement coutumier. Nous aurions
plus confiance dans l'enthousiasme réfléchi (si les deux mots
peuvent s'accorder) d'Eugène Delacroix, qui, en sortant de chez
Viardot, où la jeune femme a chanté plusieurs morceaux de
Gluck, avoue qu'il doit à cette merveilleuse audition sa passion
. pour le compositeur allemand auquel il reprochait d'ordinaire
« des allures de plain-chant » .
Notons une impression et une confession analogues chez Flau-
bert (1). Dans sa correspondance de '1860, l'éminent romancier,
par parenthèse un pauvre tempérament de musicien, dit que,
pendant son voyage à Paris, il n'est allé que deux fois au
théâtre, et encore pour entendre M"" Viardot dans Orphée, « une
des plus grandes choses que je connaisse ».
De même, en 4872, lorsqu'il écrit à George Sand : « M'"' Viar-
dot a chanté VIphigénie enAulide. Je ne saurais vous dire combien
c'était beau... Quelle artiste que cette femme-là! De pareilles
émotions consolent de l'existence ! »
Un autre succès non moins retentissant de Pauline Garcia fut la
création du rôle de Fidès dans le Prophète {i8i9). Et ce triomphe
marqua en quelque sorte l'entrée de Gounod dans la carrière
dramatique. Le jeune compositeur avait été mis en rapport par
le violoniste Seghers, directeur de la ;S0ciété Sainte-Cécile, avec
M"' Viardot, encoire toute fiévreuse de ses belles soirées de
l'Opéra. Elle reconnut son accompagnateur de la villa Médicis.
— Pourquoi, lui dit-elle impétueusement, .n'écrivez-vous pas
pour le théâtre ?
Et Gounod, qui n'avait pas de plus ardent désir, va, sous les
auspices de M""' Viardot, demander un poème à Emile Augier.
Puis parolier et compositeur se rendent, toujours avec la même
recommandation, chez Nestor Roqueplan, alors directeur de
l'Académie impériale de Musique. Ils lui proposent un opéra.
— Volontiers, leur répond cet original, mais j'entends qu'il
soit sérieux, court (Roqueplan trouvait toujours les pièces trop
longues), et je ne veux qu'un principal rôle, encore .sera-,t-il
écrit pour une femme.
Les deux collaborateurs souscrivirent à ces singulières condi-
tions. Telle fut l'origine de Sapho. W"' Viardot déchiffra et
accompagna toute la partition sur le piano.
« Ce ne fut pas un succès », dit modestement Gounod, Sapho
ne fut jouée que six fois. Le public bissa le finale du premier
acte, sur lequel les auteurs ne comptaient pas, l'ariette du pâtre :
« Broutez mes chèvres », chantée par Aymès, et les fameuses
Stances restées immortelles comme la lyre qu'elles célèbrent.
M. Saint-Saëns rend hommage, dans les Portraits et Souve-
nirs (2), au sentiment musical si vrai et si intense chez M""' Viar-
dot. Il a entendu et admiré l'artiste, non seulement comme
cantatrice hors pair, mais encore comme pianiste de premier
ordre, alors qu'elle interprétait Beethoven, Mozart, Reber, un de
ses auteurs préférés.
Nous avons relevé dans les Mémoires d'aujourd'hui (3) de M. de
Bonnières ce portrait à la plume de M""- Viardot qui fut longtemps
de la plus scrupuleuse exactitude.
t Figure mobile, sourcils bruns qui s'élèvent tout d'un coup
jusqu'au milieu du front, bouche puissante, yeux myopes qui
voient au delà, masque dramatique, etc.. »
(1) Flaubert. — Correspondance (1887-1899, Charpentier etFasqucUe.)
(2) Salnt-Saëns. — Portraits et Souvenirs (1*900, librairie d'édition artistique).
(3) De Bonnièives. — Mémoires. d'aujourcChui. — Années 1896 et sui.vantes,! OHendorff.
N'est-ce pas ainsi qu'on l'a toujours vue, cette muse de l'art
classique, surtout dans les concerts où elle chantait invariable-
ment, et avec quelle autorité, l'air A'Alceste : « Divinités du
Styx... » Car, il faut bien en convenir. M'"" Viardot n'eut pas au
théâtre la place qui lui était légitimement due. Elle n'y parais-
sait que par intermittences. La plupart du temps ses envolées
de lyrisme n'avaient d'autre horizon que le ciel étroit et bas
des salles de concert. Il est toutefois un côté de ce remarquable
talent qui n'a pas été, que je sache, sufBsamment étudié.
M""" Viardot ne se contentait pas d'avoir la force, elle savait, à
l'occasion, avoir la grâce. Nous nous rappelons l'avoir entendue,
dans un concert du regretté Louis Lacombe, détailler avec une
sensibilité exquise une vieille chanson de France, simple et
naïve comme la plupart des échos lointains de l'antique terre
gauloise.
Pauline Garcia eut toute sa vie de ces contrastes qui retien-
nent la pensée de l'observateur. Malgré qu'elle dût à d'inalté-
rables amitiés des audaces d'opinions qui justifieraient presque
ce paradoxe de M. de Bonnières : « elle eût peut-être été moins
tragique, si elle avait été un politicien plus raisonnable », elle
ne se faisait pas faute, à l'occasion, sinon de brûler, du moins
de railler les dieux qu'elle adorait. La lettre suivante n'est pas
précisément aimable pour cette vieille Pologne qu'elle honorait
dans son ami des bons et des mauvais jours, le romancier
TourguenefF :
Mon cher M. Troupenas,
Étant arriyée cette nuit .de la campagne, et mon mari étant très occupé,
c'est moi qui veux répondre à voti'e lettre et à vos inquiétudes au sujet de
l'Exilé polonais. Tout ce que vous en dites est parfaitement juste, et je l'avais
pensé avant vous, puisque je ne voulais pas que le morceau fût dans l'Album.
Je vous demande donc d'en exiler l'Exilé polonais, dont vous ferez une
romance séparée ou des allumettes chimiques. Quand vous viendrez me voir,
je vous proposerai des remplaçants.
Mes souvenirs,
Pauline Viardot.
Rue FavaTt, 1%
(A suivre. ) Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Comédie-Frakçaise. L'Énigme, pièce en 2 actes, de M. Paul Hervieu. —
Bouffes -Parisiens. Le Nez qui remue, comédie-houlïe en 3 actes, de
MM. Maurice Soulié et H. de Gorsse. — La Cigale. A nous la veine,
revue-féerie en 2 actes et 8 tableaux, de MM. Fabrice Lémon et Harry
Blount.
En un rendez-vous de chasse féodal vivent étroitement unis, d'une
vie calme et saine de gentilshommes chasseurs, Raymond de Gourgi-
ranet sa femme'&isëlle, 'Gérard de Gourgiran et sa femme Léonore. Les
deux ménages semblent profondément heureux; les deux frères s'aiment
autant cpi'ils aiment leurs femmes et leurs enfants, et leur amour est
d'aussi robuste constitution que leur moral et leur physique. Et cepen-
dant, l'une des deux châtelaines trompe celui dont elle porte le nom.
Le coupable, Vivarce, découvert, au petit jour, dans le corridor qui des-
sert les appartements des jeunes mères, sans qu'on ait pu savoir de
quelle chambre il s'enfuyait, l'énigme terrible prend à la gorge les deux
maris. Quelle est la coupable? Giselle? Léonore? Bieu entendu
Vivarce, violemment sommé d'avouer, ne dit rien. Bien entendu
encore, les deux femmes se défendent, l'une comme l'autre, mais sans
pouvoir donner, de leur innocence, de preuves précises. Et les deux
hommes se débattent désespérément en cette indécision martyrisante,
essayant de saisir au vol des indices, épiant les mots, étudiant les phy-
sionomies, affolés à la pensée de découvrir la vérité qu'ils veulent et
redoutent également l'un et l'autre.
Et au milieu de ce drame d'émotion poignante, d'intérêt constant,
d'effet subit et inéluctable, et d'adresse scénique tout à fait remarquable
dans sa concision voulue et son intensité d'expression, se dresse, très
belle, une figure de noble bonté et de douce philosophie, celle du vieuï
marquis de Nesle, qu'une existence légère et mouvementée a rendu
compatissant. Le hasard lui a fait découvrir que Vivarce avait comme
.maitresse l'une des deux femmes sans qu'il ait pu deviner laquelle.
-Comme fil connaît les théories sans merci de ses cousins Gourgirau, il
s'emploie généreusement pour prévenir la catastrophe qu'il pressent
LE MÉNESTREL
3S5
et, alors que l'heure de la vengeance terrible est venue, il plaide la
sublime pitié avec toute l'ardeur de sa vieille àme bienveillante.
L'Énigme de M. Paul Hervieu, qui a eu un très gros succès de pre-
mière représentation entièrement justifié, est jouée en perfection par
M"" Bartet, qui a trouvé des accents déchirants dans la scène où elle
apprend la mort de son amant, par M. Le Bargy, s'attaquant, en marquis
de Nesle, aux rôles marqués et y apportant ses grandes qualités de
composition et de diction, par M"° Brandès, par MM. Silvain et Paul
Monnet et, aussi, par M. Henri Mayer, qui a su maintenir aussi effacé
que possible le personnage tout ingrat, mais indispensable, de Vi-
varce.
Ce Ne^ qui remue n'est point, ainsi que vous pourriez vous l'imaginer,
jolie madame, le vôtre lorsque vous essayez de faire avaler quelque
fine couleuvre à, votre seigneur et maître, mais bien celui de votre
époux lui-même quand il lui passe par la tcte des idées folichonnes.
Vous le connaissez bien, n'est-ce pas "? ce mouvement précipité des
narines palpitantes. Or, Roméo a, d'une façon exagérée, ce défaut phy-
sique et nerveux, ce qui rend très soupçonneuse sa femme llortense, si
soupçonneuse même qu'elle en devient insupportable et que le mari, à
bout de patience, déserte le toit conjugal pour aller couler des jours
moins acariàtes auprès de M'" Miche, étoile de café-concert.
Vous devinez qu'on ne l'y laissera guère tranquille. Un ami intime,
terre-neuve encombrant, des cousins crampons et ridicules, puis sa
femme elle-même le relanceront, le poursuivront, le manqueront, le
rattraperont au milieu d'imbroghos dont quelques-uns ne manquent
pas de gaité, mais dont l'ensemble demeure bien quelconque.
Est-ce cette fois, que M. Lenéka, directeur des Bouffes, aura mis dans
le mille ? On n'oserait l'aiïirmer, et cependant celui-là n'aurait pas
YOlé un succès pour la somme de travail qu'il a dépensé déjà depuis le
commencement de la saison théâtrale.
Le Nez qui remue est très agtèablemeiit joué, avec, très souvent de
l'entrain et de la fantaisie, par une troupe bien en scène en tête de
laquelle on remarque la charmante M"° Diéterle, M. Gobin, M"'* Samé
et Jeanney, MM. Garbagni, Matrat, Bouchard, Monteux, Belluci et
Rablet.
Où diable s'arrêtera le luxe que déploient maintenant nos grands
music-hall? Une fois de plus, la Cigale, coutumière du fait, vient de
faire défiler sous nos yeux des costumes et des costumes tous plus
éblouissants les uns que les autres, et, tout au moins, un tableau, la
scène de séduction de Thaïs, dû aux pinceaux de M. Ménessier, qui est
absolument réussi. C'est la revue de l'année, A nous la veine/ signée,
cette fois, des noms de MM. Fabrice Lémon et Harry Blount, quia
bénéficié des largesses des directeurs de l'établissement montmartrois.
Je ne vous dirai pas, et pour cause, le défilé des actualités, ce sont
choses qu'il faut voir; mais je m'en voudrais de ne point signaler les
amusantes scènes qui se passent à la « caserne Servatoire » et de ne point
nommer parmi les innombrables interprètes, d'abord Jeanne Bloch,
l'imposante étoile, la fantaisie étonnante de la maison, puis M"" Gillet,
t ransfuge de l'Opéra, qui est la grâce même, M. Gabin et M"°Marquet,
c ompére et commère d'entrain, M"* Allems, gentiment chantante, et
MM. Girault, Féréol et Danvers.
Paul-Emile Chevalier.
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PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXX
ÉVOCATIONS ET SOUVENIRS
A Monsieur Georges Marty,
— Je crois bien que la preuve est faite. Et comme notre pauvre grand
Méhul avait triste mine entre deux tempêtes, entre les préludes de
VOuragan et l'orchestral brio du Venusberg/ Plus que jamais, sa pâle
symphonie en ré, n" 2, parut un devoir d'élève. Je regrettais les viriles
énergies de l'ouverture de Timoléon! Mais vous, le romantique impéni-
tent, vous bénissiez tout bas ce modeste voisinage qui rehaussait bon
gré mal gré vos chers tumultes, telle la Législative estompée entre la
Constituante et la Convention (2)...
— Je ne suis pas un Conventionnel aussi sanguinaire. Et je plaignais
Méhul. Bien qu'en désaccord avec votre goût sur les voies et moyens,
(1) Voir le Ménestrel da U jiiillel, des 18 et 25. août, des 8, 15, 22 et 29 septembre, des
13, 20 et 27 octobre, du 3 novembre 19U1.
(2) Cf. L'art des prorjrammes et Le renouvellement des concerts, dans les précédents
numéros.
je reste persuadé plus que vous-même qu'il faut non seulement renou-
veler, mais composer nos programmes.
— A la bonne heure ! Il n'est rien de tel que de s'entendre. Le beau
fracas du Venusberg avait un peu brouillé votre réponse... La clarté
renaît avec Mozart. Mais convenez que son Jupiter, que sa merveilleuse
symphonie en ut ne semblerait plus « un peu vieillie » si l'art des
programmes la remettait dans son jour : c'est-à-dire comme la couronne
de son œuvre symphonique et la cime de la fameuse trilogie de 1788.
Nous sommes à Vienne; l'auteur improvise eu deux mois sa trinité
gracieuse et parfois gi-andiose : et pourquoi, le 25 juin, fait-il précéder
la virgilienne symphonie en mi bémol d'une large introduction qui
semble annoncer Beethoven et le poco sostenulo de la divine symphonie
en la? Parce que l'aînée est la première du groupe, le péristyle du
temple. Le 25 juillet, naissance de la galante symphonie en sol mineur.
Enfin, le 10 août, Jupiter! Relisez votre Otto Jahn... Or, dans cette
quarante-huitième et dernière symphonie, le jeune maestro de Don Gio-
vanni donne liln-e cours à son aisance riante, à sa vivante poésie qui
frémit sous la formule et qui la transforme, à mille de ces beaux traits,
aujourd'hui trop méconnus, mais que Richard Wagner a su retenir...
— En wagnérien que je suis, je vous donne raison. Delacroix ne pour-
rait plus dire, en fumant avec ses intimes, que « Mozart, ainsi qu'Haydn,
n'a pas mis la passion dans la symphonie » (1)...
— C'est Beethoven, avec ses noirs élans, qui a favorisé cette légende.
Et combien serait instructive aussi, dans une même séance, la série
chronologique des quatre ouvertures beethovéniennes, Léonore ou Fi-
delio ! De 180S à 1814, quelle métamorphose ! Le sage Mendelssohn,
au GewandhauSi avait risqué cette audace. Et croyez que mes désirs
d'unité ne réclament point radicalement de pareilles séances; je ne
voudrais accaparer ni la saison, ni la matinée ; on ne peut recommencer
tous les ans le cycle Berlioz ou le festival César Franck 1 La variété dans
l'unité : vous savez bien...
— Je respire.
— Mais saviez-vous que, dès les origines de la Société des Concerts,
l'art inconscient des programmes s'était manifesté par des séances
homogènes ?
— Je savais qu'Habeneck, pour apprivoiser son auditoire et lui
ménager Beethoven, substituait, dans la symphonie en ré, l'allégretto
de la Septième au délicieux larghetto en la majeur...
— Pardon! Tons les mélomanes et musicographes répètent le fait,
d'après Berlioz. Mais cela se passait très antérieurement, aux Concerts
spirituels de l'Opéra, vers le début de la Semaine sainte et de la Restau-
ration. C'étaient les musiciens qui réclamaient la métathèse, peut-être
les mêmes qui trouvaient injouable la Symphonie pastorale! Et le public
du lieu ne se plaignit point de l'échange. Vous citiez la légende; et
voilà le vrai. Mais je vous parle, moi, des premiers après-midi du Con-
servatoire, je suis, sous Charles X, à l'École Royale de Musique et de
Déclamation.
— Quelle évocation ! J'allais m'écrier : quel souvenir ! Car, en cette
petite salle exquisement sonore, et même transformée par la lignée des
architectes plus récents depuis Delannois et 1806, le rêve me prend ; je
crois touiovLFS- me rappeler distinctement les premières séances; il me
semble avoir connu, vu de mes propres yeux, les premiers soldats haut
cravatés de cette petite phalange unique sous un commandement impé-
rieux. Debout, dans les coulisses austères de ce théâtre en miniature,
quand j'écoute l'Héroïque, la sublime Eroica de 1803, il me semble être
entouré de fantômes ; un parfum d'Institut morose et de mâle génie
ennoblit ^atmosphère ; la vétusté du milieu se fait majesté ; là-bas,
cette ombre adossée au portant poudreux de ce vermoulu décor, n'est-ce
pas le quasi centenaire F.-J. Gossec ou Cherubini, quelque paisible
contemporain du dieu Beethoven? Beethoven! Ce nom seul, au pro-
longement mystérieux, qui faisait frissonner Schumann ! Je suis en
1828... Depuis un an seulement le génie a disparu de la terre : et le
voilà ressuscité dans la voix de son œuvre. Beethoven ! Quelle évoca-
tion, vous dis-je! Mon hallucination d'aujourd'hui devine la révélation
d'alors. Moins frappante apparut, au Salon de 1824, la romantique
peinture de l'école anglaise qui iMuléversa pourtant notre Delacroix.
Beethoven avait tracé le fulgurant chemin de Damas. Et son buste régne
toujours dans le foyer calme, auprès du classique portrait d'Habeneck...
— C'est l'Héroïque, en effet, qui magistralement ouvrit la séance
d'inauguiution, le dimanche 9' mars 1828, à deux heures précises (on
était exact en ce temps-là) ; c'est elle, la troisième Muse, Clio majes-
tueuse et tendre, qui se dressa sur le seuil. Par un curieux phénomène
de télépathie, votre divination voyait juste. Et les gazettes jaunies du
temps nous rapportent que l'op. oS de Beethoven saisit l'auditoire avec
sa poignante Uurcia fimebre.
(1) Journal d'Eurjèni! IMac.
, pages 32&-326 ,'7 .
3ofi
LE MÉNESTREL
— Quelle mélancolique joie de ranimer tous ces détails muets pour
toujours!
— Maintenant elle vous est permise, grâce à un modeste recueil qui
contient de meilleurs prétextes de rêverie que tant de romans plus
ambitieux ! (1). Et si vous relisez la suite de votre premier programme
(puisque vous étiez là le 9 mars 1828), notez cette étrange mixture qui
admet avec l'Héroïque un duo rossinien de Sémimmis, puis un solo de
cor à pistons ! N'est-ce point le cas de rappeler, avec le maître Saint-
Sacns, qui ne dédaigne jamais de cultiver l'humour, la néfaste exhibi-
tion d'un concerto pour trombone, encore aux environs de 1830, avec
les grands bras désespérés de l'exécutant et le rire homérique de l'assis-
tance pour accompagnement des arpèges cruels... Notre grand sympho-
niste ajoute vite que. malgré sa vénération pour le statu quo, la Société
des Concerts a subi la loi de l'évolution, qu'elle s'est modifiée comme
tout organisme, mais dans le sens de la perfection, stj'Ie et programmes.
— Je me souviens de cet article concis comme son liouet d'Omphale,
où le compositeur-écrivain parle de cette petite affiche jaune et grillagée,
grande comme la main, où tant de compositeurs défunts n'ont jamais
lu leur songe exaucé... La Société des Concerts, disait-il, est inexorable:
elle n'accueille plus que l'excellent. Ses portes évoquent l'épigraphe
dantesque, si noblement chantée par son ancien directeur (2) : « Vom
qui voulez- entrer, laissez- toute espérance ! » Et j'ai retenu la réponse d'un
membre du terrible comité: « Nous avons cherché dans Schumann,
sans y rien trouver... » Cette sévérité, qui désormais ne saurait ex-
clure la largeur, était absolument, dans les premières années, lettre
morle. Je m'en aperroisl Et les solistes de vos premiers programmes
sont assez folâU-es... Mais ne m'aviez-vous point promis une démons-
tration ?
— Sans les digressions inhérentes à l'innocent plaisir de causer, je
vous aurais déjà montré, tout simplement, le programme de la seconde
matinée et celui de la quatrième : deux séances homogènes! L'une
consacrée tout entière au sourcilleux Beethoven, avec l'Héroïque rede-
mandée et rejouée au début du concert, selon le conseil manuscrit
du maître de Bonn; l'autre, à cet angélique abbé de cour de l'art mu-
sxal, qui mourut en chantant son Requiem avec un surcroit d'élo-
quence et que les destins ont nommé Wolfgang Mozart... Le concert
uniquement beethovénien comprenait, après l'Héroïque : un Benedictm
avec chœurs (sic), celui, sans doute, de la Messe en ré; le premier mor-
ceau du concerto pour piano en ut mineur, joué par M"" Brod; le qua^
tuor vocal de Fidelio; le concerto pour violon, par Baillot; l'oratorio
moins audacieux : Le Christ au mont des Oliviers, avec M°" Damoreau,
MM. Levasseur et NoruTÎt, La séance avant-cou rrière de la Société Mo-
■iart avait inscrit à son programme : la symphonie en mi bémol; un
concerto pour piano, joué par Kalkbrenner; chœur et marche A'ido-
mcneo; finale de la symphonie en ut (la fameuse fugue); fragments du
Requiem; ouverture de la Flûte enchantée : encore une fugue, et combien
chantante !
— C'était copieux et choisi! Mais â présent, on ne détacherait plus
un temps d'une symphonie classique.
— Ensuite, en 1830, je retrouve une séance « â la mémoire de Méhul » ;
plus tard, en 1848, un premier concert « â la mémoire de Mendelssohn-
Bartholdy ». Voilà ma démonstration. Rien de nouveau sous le
soleil des lustres ! Et rappelez-vous encore que la farouche Ut mineur
parut dès la troisième matinée de 1828; qu'en dépit des légendes, aussi
tenaces que l'erreur, un événement signala le cinquième concert de la
quatrième saison : dès le 27 mars 1831, pour la première fois en France,
a retenti la « grande Symphonie avec chœurs », incomprise il est vrai,
malgré le choix di primo cartello de son quatuor vocal : MM. Dupont,
Derivis, M"''^ Dorus et Falcon. Voilà des solistes! Ils compensent bien
des virtuoses...
— Ces noms possèdent une vertu magique. A leur sonorité se réveille
en moi le divin quatuor, aussi ardu que divin; je revois Habeneck,
petit et laid, mais inspiré, lançant des éclairs sous ses larges besicles
et paraissant avoir six pieds... Tel est le pouvoir des souvenirs et du
dieu Beethoven.
— A vous entendre, il me semble croire vraiment à la métempsycose,
à la réminiscence de Platon ! Et quasi cursores, quelle plus imposante
course au flambeau que ces quelques héritiers se transmettant le bâton
d'Habeneck : Girard, Tilmaut, George Hainl, Deldevez, Garcin, Taffa-
nel, Marty? L'àme du dieu Beethoven ne s'éteindra qu'avec le soleil.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
(1) La Société des Concerts du Conservatoire, de ISiS à 1807, et les grands concerts
sijniplioniriues de Paris, par A. Daadelot (Paris, G. Havard flls, 1898). — Cf. le travail
cité d'Elwart sur les programmes de la Société; Hector Berlioz, A travers Citants;
Camille Saint-Saëns, Harmonie et Métodie.
{i) Ambroise Thomas, dans le prologue de Françoise de Piniini.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
CHANSONS DE VIGNES
Ne parlez pas à un Forézien d'un vin autre que le sien. Son vin, c'est
le vin par excellence; ce n'est pas le Vinum bonum, c'est le Vinum bonis-
simum. Aussi faut-il voir de quels soins il entoure sa vigne. Dès la
veille du dimanche des Rameaux, « le buis étant en fleurs sur la mon-
tagne w, le vigneron part de bon matin, pic et pelle sur l'épaule, pour
miner la rase; — la rase, c'est le fossé qui sépare les uns des autres les
agger comprenant plusieurs rangées de ceps; il s'agit de nettoyer la
rase, et d'en relever les terres : c'est le premier travail de la vigne, après
l'hiver.
Tous les gars sont d'humeur gaie. Ils semblent humer en cette pre-
mière besogne le doux nectar qu'ils dégusteront aux vendanges, et c'est
d'une voix qui sonne bruyante dans l'air encore glacé des premières
heures du jour qu'ils entonnent, en se mettant à l'ouvrage, après avoir
déposé leurs vestes de bure sur la chave, sur le talus, la vieille Chanson
de la Vigne, transmise de père en fils, depuis des siècles, et conservée
pieusement, de génération en génération :
Plantins la vigoe, ma mère, ze vous priou, •
Plantins-la donc,
Et ne berrins {nous boirons) de bon.
N'avins une vigneroune qu'èrne lou bon vaïn,
N'avins in grand varre, le lou bail tout pleïn.
Eh! handri, drîn, drio!
Ze m'eïn voues demain,
Eh! oh! lan la!
Demain ze m'eïn vas.
— Ma fille, voux-tu in coutillon?
— Ma mèie, oua, ma mère, non :
Z'êmou mieux planter la vigne,
Et beire bon, et beire bon!
Plantins la vigne, ma mèrCj ze vous priou,
Plantins-la donc,
Et ne berrins de bon !
Les-z-ouvris sont à la vigne,
Les musses lus piquont,
La raze (l'ardeur) lus teint.
Ah ! handri, drin, drin !
Ze m'eïn voues demaïn,
Eh! uh! lan la!
Demaïn ze m'eïn vas.
De ràze eïn râze, mon Guieu, la zolie ràze!
Râziz, rûzins, râzins queu vaïn,
Queu joli vaïn de râze!
En vaïn !
Queu joli vaïn de râze !
De râze ein dézùne (on déchausse le cep), mon Guieu, la zolie dézônc!
Dézûniz, dézônins, dézônins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de dézône !
En vaïn,
Queu zoli vaïn de dézône !
De dézône eïn taille, mon Guieu, la zolie taille I
Tailliz, taillins, taillins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de taille!
En vaïn.
Queu zoli vaïn de taille !
De taille eïn bierse, mon Guieu, la zolie biei-se!
Biersiz, biersins, biersins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de bierse !
En vaïn,
Queu zoli vaïn de bierzel
De bierse eïn acoule (lier la vigne), mon Guieu, la zolie coule!
Couliz, coulins, coulins queu vaïn!
Queu zoli vaïn de coule!
En vaïn,
Queu zoli vaïn de coule!
D'acoule eïn bine, mon Guieu, la zolie bine!
Biniz, binins, binins queu vaïn!
Queu zoli vaïn de bine 1
En vaïn,
Queu zoli vain de bine!
De bine eïn veindinze, mon Guieu, la zolie veindinze
Veindinziz, veindinzins, veindinzins queu vaïn!
Queu zoli vaïn de veindinze!
En vaïn,
Queu zoli vaïn de veindinze!
LE MÉNESTREL
357
De veîndtnze eïn mène, mon Guieu, la zolie mène!
Meniz, menins, raenins queu vaïn ;
Queu zoli vaïn de mène!
En vaïn,
Queu zoli vaïn de mène!
De mène en ciie (en cuve), mon Guieu, la zolie ciie !
Cuviz, cuvins, cuvins queu vaïn;
Queu zoli vaÏQ de ciie !
En vaïn,
Queu zoli vaïn de etie !
De ciie eïn presse, mon Guieu, la zolie presse!
Presslz, pressins, pressins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de presse !
En vaïn,
Queu zoli vaïn de presse !
De presse eïn tonne, mon Guieu, la zolie tonne!
Touniz, tounins, tounins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de tonne!
En vaïn,
Queu zoli vaïn de tonne !
De tonne eïn veinte, mon Guieu, la zolie veinte!
Veindiz, veindins, veindins queu vaïn;
Queu zoli vaïn de veinte!
En vaïn,
Queu zoli vaïn de veinte!
De veinte eïn bourse, mon Guieu, la zolie bourse!
Boursiz, boursins, boursins queu vaïn ;
Queu zoli vaïn de bourse !
En vaïn,
Queu zoli vaïn de bourse !
Cette chanson, tirée des Légendes fmv siennes, est le type de plusieurs
autres, oit le travail de la vigne est également exalté. Car il est curieux
que le Forézien s'attache plutôt â l'exaltation laborieuse qu'à la célébra-
lion bachique du jus de la treille. A la Saint- Vincent, qui donne lieu à
une fête qu'on ne peut comparer qu'à la Reboule, le buveur, en levant
son verre, ne cesse d'énumérer les peines qu'il a prises pour le remplir
à souhait. De paroisse à paroisse la chanson varie pour les détails, pour
le pittoresque des refrains, mais le fond reste le môme. A Saint-Priest-
la-Roche, c'est La voilà ta jolie plante, plantez, planions, plantons le vin,
— La voilà la jolie pousse, poussez, poussons, poussons le vin, - - La voilà la
jolie feuille, feuilles, feuillons, feuillons le vin. — Puis, c'est la jolie forme,
la jolie grappe, ta jolie vendange, — formes, formons, grappes, grappons,
vendanges, vendangeons le vin. — Et ensuite la foule, la ft're, la fûte et la
aave, où l'on pivce en bouteille, et la salle, ornée de pampres, où l'on
trinque, le joli verre en main.
Tout cela coule, roule, se heurte, se choque. C'est un bris de syllabes
qui fait image. Mais toujours, aux fêtes de vendanges, l'honneur revient
à la Chanson de la Vigne : Plantins la vigne, ma mère, se vous priou. Celle-
là est de fondation, et d'obligation. C'est un vieux vigneron qui la
chante habituellement, et il l'accompagne de gestes propres à chaque
travail. Celte mimique est des plus amusantes. Et chacun de rire!
Car on ne se prive pas de rire, en ces fêtes de vignes. Tout le monde
y est en grand gala. Les mions, les filles, ont tiré de la vieille armoire,
pour la circonstance, des bonnets qui ressemblent presque à ceux de
leurs grand'méres, et les flandrins. les beaux du village, ont arboré le
costume chanté dans un vieux couplet :
La vesta roudza,
Lo dzilet blanc,
Acou é la moda
Dau paysan.
La veste rouge.
Le gilet blanc.
C'est la mode
Du paysan.
Au moment des chansons, si quelque ancien, respectueux des anciens
usages, veut imposer à l'assemblée quelque air des temps héroïques,
comme la Ballade de Jacques Cœur rappelant les vertus de l'argentier de
Charles VII, ou la Complainte de Christine de Pisan sur le combat de
sept Français contre sept Anglais, le jour même où, suivant Froissart,
les armées d'Auvergne et de Forez n'étaient séparées des troupes an-
glaises que par une étroite prairie, — la jeunesse aura vite ramené
l'ambiante humeur au diapason normal de la bruyante gaieté. Dans le
cliquetis des refrains s'épanouira Je rire jovial des convives, et quand
viendra la danse, le ménétrier n'aura pas longtemps à couïner son fion-
fion, à faire grincher son instrument, pour réunir son monde.
Les sabots se lèveront d'eux-mêmes, et les joues se tendront toutes
seules, pour les embrassades qui sont l'âme de la Bourrée.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — Dès 1794 Beethoven avait noté, pour une sym-
phonie en ut majeur qui ne fut jamais achevée, des esquisses dont la plupart
n'offrent pas même l'intérêt d'une curiosité artistique. Une seule fait excep-
tion: c'est un thème pi'ésenté sous deux formes, la première assez insigni-
fiante, la seconde renfermant un contour expressif formant une double répé-
tition. C'est ce motif précisément, qui, destiné à un ouvrage abandonné, sert
maintenant de début au finale de la Première symphonie. Il a élé débarrassé
de son accent passionné; chaque valeur de note a été raccourcie de moitié;
de quaternaire qu'elle était la mesure est devenue binaire, et Beethoven,
après l'avoir commencé avec une gravité relative, semble secouer cavalière-
ment toute pensée sérieuse et sourire à Haydn en essayant d'être aussi fin,
aussi pimpant, aussi spirituel que lui. Il y réussit d'ailleurs, sauf quelques
basses qui l'ont l'effet d'une marche en sabots au milieu d'une danse de syl-
phides. En somme, après un siècle révolu, l'auditoire est encore charme de
cette première symphonie qui, dès l'abord, s'affirme audacieuse. Elle s'ouvre
en effet par un accord de septième, et dans la tonalité de fa, tandis que nous
sommes en ul. Plus tard le maître osera davantage, par exemple en plaçant
l'un sur l'autre, dans le finale de la Pastorale, les accords d'ut et de fa; mais
le public wagnérien du Nouveau-Théàlre s'est contenté à moins de frais pour
cette fois; une dame disait : « On prétend que ce n'est pas du Beethoven;
alors, moi, j'aime quand ce n'est pas du Beethoven. » — Le concerto de
violon a été l'occasion d'un triomphe pour M. Ilayot. Cet artiste de tempé-
rament, que l'on a connu parfois plus fougueux, a voulu jouer Beethoven
avec le grand style qui lui convient. Même à l'entrée du finale, où l'écriture
est si caractéristique, il est resté simple et calme tout en exécutant avec une
sonorité chaude et colorée. Son jeu, d'une autorité incontestable, a produit
la plus vive sensation. — La Symphonie pathétique de Tschaïkowsky renferme
quelques jolies idées, mais, le plus souvent, elle ressasse des formules habi-
lement développées et savamment enchaînées. MM. Richter et Nikisch l'ont
déjà fait entendre en France, le second avec certaines fantaisies de rythme
qui ne venaient pas mal à propos pour en rompre la monotonie ; M. Chevillard
ne les a pas imitées. — Le Rouet d'Omphale reste parmi les œuvres les plus
étincelantes de Saint-Saëns; bien rarement une aussi heureuse combinaison
des ressources musicales a été tentée avec un aussi rare bonheur: ici la
mélodie, l'harmonie, le coloris instrumental, le rythme, tout intéresse, voire
même la fable de cet Hercule lydien, distinct de l'Héraklès grec Filant aux
pieds dlOmphale. — Pour finir, belle exécution de la Marche hongroise de
Berlioz. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châtelet, concert Colonne : Rcdemption (César Franck). — Symphonie en re, n" 2 (He-
rold). — Concerto en fa mineur pour piano (Schumann), par IVI. Joseph Thibaud. — Sym-
phonie en ut mineur, n" 5 (Beethoven). — Impressions d'Italie (Charpentier). — ftapsodie
norvégienne (Lalo).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux ; Deuxième symphonie, en ré majeur (Beethoven).
— Ouverture de Manfred (Schumann). — Premier concerto pour piano (Saint-Saëns), par
jimo Bertlie Marx. — Symphonie pathétique (Tschaïkowsky). — Finale du divertissement
des Erinnijes (Massenel).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (7 novembre). — L'indisposition per-
sistante de M. Sylvain, la basse de grand opéra, compromettait depuis le
début de la saison la marche de toute une partie du répertoire. Finalement,
la direction est parvenue à persuader M. Sylvain d'aller se soigner, et elle a
eu recours à l'inépuisable obligeance de M. Gailhard, qui a ouvert aussitôt
au théâtre de la Monnaie un crédit de basses-profondes illimité. C'est ainsi
que nous avons entendu tour à tour, mardi M. CUiambon, et aujourd'hui
M. Paty dans le rôle de Marcel des Huguenots et que, grâce à cela, l'œuvre de
Meyerbeer, prête depuis si longtemps, a pu nous être rendue. Les Huguenots
ne sont pas, je l'avoue, une nouveauté : mais il y avait quelque intérêt à
entendre M. Imbart de la Tour et à réentendre M'i^Llivinne dans cet ouvrage
qu'ils animent d'une chaleur vraiment romantique et qu'ils chantent admi-
rablement. — Hier, fête nouvelle : la rentrée de M"'= Landouzy, qui vient
prendre la place de M"° Thiéry. On rossignol parti, un autre arrive; la cage
ne reste jamais vide. Le public fidèle des débuts de M'"- Landouzy a montré
combien il avait de plaisir sans cesse à la revoir; et il l'a acclamée dans
Mireille, où elle est si charmante, avec enthousiasme, pour sa jolie voix, sou
art de bien dire, sa méthode impeccable, et le goût exquis que son talent
met en toutes choses. La présence de l'aimable cantatrice va permettre à la
direction de réaliser un de ses plus curieux projets, l'exhumation, dans toute
sa grâce originale, de l'Enlèvement au Sérail, ce petit chef-d'œuvre, presque
inconnu tant il est oublié, et tant surtout il a été transfiguré, du divin
Mozart. Et coup sur coup, nous allons avoir bientôt aussi les reprises, retar-
dées par mille obstacles et mille soins, du Tannliaûser, de Werther et à'Iphigé-
nie en Tauride. Tout cela nous promet enfin un peu de musique.
Le premier concert Ysaye, qui a inauguré dimanche la saison des grands
concerts, a été fort intéressant — et fort mouvementé... Programme varié de
358
LE MENESTREL
symphonie et de virtuosité: le pianiste Busoui, très applaudi dans le concerto
en mi bémol de Beethoven et le concerto, en mi bémol aussi, de Liszt ; la
merveilleuse fantaisie orchestrale de M. Pa,ul Dukas, l' Apprenti sorcivr. et
une symphonie-poème inédite, tout à fait remarquable comme forme et comnie
sentiment poétique, d'un récent prix de Rome. M. François Basse. Il y avait
aussi, inscrites à la fin du programme, les Danses norvégiennes de Grieg ;
mais au moment où leur tour était venu, voici que M. Ysaye se tourne vers
le public et, dans un speech imagé et touchant, annonce (nouvelle destinée
à remplir de joie le cœur des mères) que la princesse Albert de Belgique, la
femme de l'héritier présomptif du trône, vient, à trois heures sonnant, de
mettre au monde un prince... Certes, le public ignorait encore cette nou-
velle, et elle ne pouvait que lui faire grand plaisir; la nouveauté, la sponta-
néité de cette communication d'un ordre si peu musical, ne laissa point
cependant que de produire dans la salle un grand effarement ; on applaudit,
et peut-être allait-on même un peu s'embrasser lorsque M. Ysaye, reprenant
la parole, ajouta que, pour célébrer l'heureux événement, il allait remplacer
\es, Danses norvégiennes par... la Brabançonne ! Personne ne se fût plaint, cer-
tainement, d'entendre l'hymne national à la fin du concert, mais l'impatience
de M. Ysaye à le jouer tout de suite en sacrifiant Grieg au profit de Van
Campenhout. faillit tout gâter : cris, protestations, acclamations, indigna-
tions, sifflets ; puis, finalement, sortie bruyante des protestataires, tandis
que l'orchestre, M. Ysaye en tète, plein d'une noble ardeur, faisait retentir
la salle des accents patriotiques du vieil air révolutionnaire devenu monar-
chique, comme beaucoup d'autres. C'est par ce tableau pittoresque que le
concert s'est terminé. Il va sans dire que l'idée ingénieuse et spirituelle de
M. Ysaye est, depuis, fort discutée. On se demande ce qui serait arrivé si
le jeune prince, au lieu de naître à trois heures, était né une heure et demie
plus tôt... M. Ysaye, sans aucun doute, eût supprimé le concert tout entier
et l'eût remplacé par la seule Brabançonne ! Comme régal artistique, c'eût été
un peu mince. L. S.
— L'Annuaire des théâtres allemands publié depuis: quelques années par
la maison Breitkopf et Haertel, de Leipzig, vient de paraître, et nous y
trouvons que l'art français s'est vaillamment maintenu sur les scènes lyriques
d'outre-Bhin pendant l'année passée. C'est encore Carmen qui marche à la
tète avec 277 représentations, après Lohengrin (294) et le Freyschiilz (278). La
seconde place revient à Mignon avec 214 soirées et Faust se trouve relégué au
troisième rang avec i'M représentations. Citons encore la Fille du régiment (122),
les Huguenots (104), la Juive (100), le Poslillon de Lanjumeau (99) et Fra Dia-
voio (84).
— Le jury institué pour juger le concours relatif au monument de Richard
Wagner à Berlin vient de terminer ses opérations. Les dix artistes invités à
prendre part au concours limité avaient envoyé quinze projets. Le premier
prix a été décerné à M. Gustave Eberlein, le deuxième à M., Freese, le troi-
sième à M. Hosaeus. Les projets couronnés seront; soumis à Guillaume II,
qui se prononcera en dernier lieu.
— Le dilettantisme des peintres en matière d'art musical est bien connu
et le violon d'Ingres a même joui d'une grande notoriété. Mais les peintres
compositeurs sont néanmoins excessivement rares. C'était pourtant le cas du
célèbre peintre Boecklin, qui vient de mourir. Son fils a en effet trouvé parmi
les papiers du défunt une mélodie sur des paroles de Gœthe, que Boecklin
écrivit en 1889. Son médecin et ami se rappelle parfaitement que l'artiste lui
avait chanté cette mélodie en s'accompagnaut lui-même. L'œuvre posthume
sera publiée prochainement; parions qu'elle aura moins de retentissement
que les peintures posthumes du même Boecklin, qui vont être exposées pro-
chainement en vue d'une vente.
— On nous écrit de Vienne : « Nous venons d'assister, à l'Opéra impérial,
à une brillante reprise dm Werther de Massenet, avec M""= Foerster-Lauterer
dans le rôle de Charlotte. Cette artiste, qui est très douée, a trouvé des
accents absolument personnels, surtout dans le troisième acte, et a obtenu un
grand succès; elle est la digne remplaçante de M""' Renard, qui a créé chez.
nous le rôle de Charlotte et, dont le départ avait interrompu depuis une année
les représentations de Werther, M. Naval a joué le rôle de "Werther avec
l'excellent elfet habituel. »
— Le Théâtre du Pï-ince-Régent, à Munich, vient de publier le programme
des représentations -wagnériennes qu'il donnera entre le 7 août et le 11 sep-
tembre 1902. Il y aura 21 représentations de Lohengrin, Tannhâuser, Tristan
et Yseult et les Maîtres chanteurs; les autres œuvres du maître sont monopoli-
sées par le théâtre de Bayrouth. M. de Possart a déjà engagé M^'^ Nordica,
dé Mildenburg et Ternina et MM. Reichmann et Bertram, qui chanteront à
Munich en représentations.
— Le théâtre national de Prague vient de représenter un opéra sacré en
trois actes intitulé Sainte-Ludmille, paroles de M. Jaroslav Vrchlicky, musique
de M. Antoine Dvorak. Cet opéra n'est qu'un arrangement pour la scène de
l'oratorio du même titre que M. Dvorak a écrit, il y a quelques années, sur
des paroles anglaises pour le festival musical de Birmingham. On ne peut
pas dire que l'œuvre ait gagné en vitalité par sa transplantation sur la scène;
l'action est presque nulle et les beautés musicales, qui ont produit un assez
grand effet lors de l'exécution sous forme d'oratorio, ne peuvent plus être
appréciées à leur juste valeur dans une salle de spectacle. M. Dvoralc avait
ajouté à son œuvre quelques scènes nécessitées par le drame: mais ce sont
surtout les cljœurs qui ont sauvé l'honneur du drapeau. Inutile de dire que
les Tchèques ont.fété selon son mérite leur célèbre compatriote.
— l'n nouvel oratorio, intitulé ./m^i7/i, de M. Klughardt, vient d'être exécuté
pour la première fois à Dessau avec le concours de l'orchestre ducal. La nou-
velle œuvre, dont l'exécution était dirigée par l'auteur, a obtenu un très grand
succès. La critique assure avec une rare unanimité que cette œuvre surpasse
la Deslruclion de Jérnsalcni, le premier oratorio de M. Klughardt, qui a été
exécuté dans presque toutes les villes allemandes.
— Le théâtre national d'Agram (Croatie) vient de jouer pour la première
fois, avec un énorme succès, le Weriher de Massenet. M"« Duce (Charlotte) et
M. Cammarota (Werther) ont été couverts d'applaudissements.
— Grand succès à l'Opéra do Breslau pour Mignon avec M""^ Arnoldson.
La charmante artiste a dû bisser trois morceaux et a été couverte de fleurs
et d'applaudissements.
— Le Mondo artistico de Milan se plaint amèrement, et non sans raison, de
l'oubli dans lequel on laisse tomber en Italie le centenaire de Bellini. « Les
fêtes belliniennes, dit-il, annoncées avec tant de pompe par l'administration
communale de Catane, sont renvoyées à l'année prochaine pour cette simple
raison qu'il y a, c'est-à-dire qu'il y avait la peste à Naples. Ce sont choses
de l'autre monde ! Devons-nous donc avoir en Italie la primauté de l'oubli
et de l'ingratitude? L'an dernier on a oublié Cimarosa. Cette année, c'est
Bellini. Mais... il y a la peste I Non; c'est une pire maladie, qui tue tout
idéalisme et qui nous rend chaque jour plus apathiques, plus grossiers, plus
ennemis de toute coutume généreuse. Donc, à Catane on se taira. Mais à
Rome, à Milan, à Turin, à Venise, dans les grandes villes italiennes il n'y
a pas de peste, que nous sachions. Et que fera-t-on là pour Bellini? Devrons-
nous rougir encore une fois? »
— Le même journal nous donne la statistique des représentations données
à la Scala de Milan des opéras de BeUini. Pour huit ouvrages (un seul,
Zaira, n'y a jamais été joué), le nombre total de ces représentations s'élève
à 649. Le plus fortuné a été Norma, qui, donné pour la première fois pendant
le carnaval de 1831-32, a reparu pendant vingt saisons et a été joué 238 fois.
Ses principales interprètes ont été la Malibran, la Pasta, M'"»* Schoherlechner,
Sophie Gruvelli, Marie Lafon, Galletti-Gianoli, Fricci et Ferni. Jm Sonnambula
a eu 9b représentations en quinze saisons. Elle fut chantée en 1878 par la
Patti et sa dernière interprète fut, en 1897, M"'= Regina Pinkert. Les Puritains
ont été joués 100 fois, i Capuleti ed i Monlecclii 78, la Straniera 62, il Pirata 39,
Béatrice di Tenda 'Ai et Bianca e Fernando 10. Ce dernier ouvrage n'a paru que
dans une seule saison, en 1829.
— A l'occasion précisément du centième anniversaire de la naissance de
Bellini, on a constaté que le maître avait gagné beaucoup d'argent pour l'é-
poque, bien que les droits d'auteur n'existassent pas encore en dehors de la
France et que les compositeurs cédassent leurs œuvres, une fois pour toutes,
moyennant une indemnité. Bellini a reçu pour :
Bianca e Fernando 300 ducats.
Il Pirata 500 —
Ln Straniera 1.000 —
Zaira 1-135 —
[ Gapuleti ed i Montecchi 1.800 —
La Sonnambula 2.000 —
Norma 3.000 —
Béatrice di Tenda , 3.050 —
I Puritani 2o0 —
Cela donne un total de 13.035 ducats.
Le ducat valait 12 francs. Bellini a donc encaissé, pendant les neuf années
qu'a duré sa courte carrière de compositeur, la somme de 156.420 francs,
assurément importante pour l'époque.
— A l'occasion du centenaire de la naissance de Bellini, le théâtre Verdi
de Trieste a inauguré un, buste de ce compositeur en présence du maire, qui
a prononcé un discours. Le buste de Bellini fait face à celui de Rossini.
Les artistes du théâtre assistaient à la solennité, mais aucune exécution
musicale n'a eu lieu pour la circonstance.
— De précieux souvenirs, dit un journal italien, arrivent chaque jour au
musée Verdi : Outre les moulages du masque et de la main, droite de l'illustra
maître, offerts par les héritiers, on y voit un buste, don de M. Giulio Ri-
cordi, qui le représente à l'âge juvénile. Dans les vitrines ont pris place
diverses lettres autographes et quelques passages choisis de sa correspon-
pondance, recueillie par M. Carlo Vanhianchi, qui attestent son amour de
la patrie. Plusieurs morceaux de musique de signification patriotique com-
plètent cette série considérable de reliques verdiennes.
— Avis aux claqueurs exigeants. Trois de ces honorables, les nommés
Borresi, Touley et Toci, viennent d'être arrêtés à Florence, par ordre du
délégat. Ces aimables industriels, racontent les journaux italiens, molestaient
depuis quelques jours le représentant d'une toute charmante cantatrice espa-
gnole, Mi= Huguet, qui chantait le Barbier et l'a Sonnambula au théâtre
Pagliano, réclamant avec effronterie non seulement une somme d'argent,
mais un certain nombre de billets d'entrée, sous la menace de siCQer vigou-
reusement l'artiste si on ne leur donnait pas satisfaction. Une menace égale
avait été adressée par eux au ténor Pandolfini. Les voici maintenant sur la
paille humide des cachots, où il leur est loisible de siffler ou d'applaudir —
au choix.
LE MENESTREL
359
— L'Association des Musiciens suisses vient de décider que la prochaine
fête musicale aura lieu à Aarau en 1902; elle sera consacrée à l'exécution
d'oeuvres de musique de chambre, d'orgue et de chœurs. Quant à la prochaine
fête avec orchestre, c'est en 1903 qu'elle aura lieu, soit à Neuchàtel, soit à
Bàle.
— Un grand festival de musique néerlandaise, qui durera trois jours, aura
lieu à Amsterdam les 10, 11 et 12 janvier 1902. On n'y exécutera que des
œuvres de compositeurs nationaux, avec le concours d'artistes d'origine
néerlandaise. La direction de ce festival est confiée à M. Mengelberg, chef
de l'orchestre du « Concerlgebouw ».
— Au Théàtre-Gomique de Madrid, première représentation d'une zarzuela
nouvelle en un acte, la Perla de Oriente, paroles de M. Farnosa, musique de
M. Hermoso.
— L'église de Saint-Dunstan de Londres, qui avait été construite en 960,
vient d'être complètement détruite par un incendie. L'orgue célèbre de cette
église n'a malheureusement pu être sauvé.
— Gomme toujours, les grands festivals anglais d'automne ont fait con-
naître au public quelques œuvres nouvelles de compositeurs nationaux. A
Glowcester c'a été d'abord la Fantaisie de la vie et de l'amour de M. Frédéric
Cowen, dans laquelle l'auteur a entendu tracer une peinture symbolique de
la vie avec ses affections, ses passions, ses aspirations, ses espérances;
puis un grand prélude symphonique intitulé Song of the morning (chant du
matin), de M. W. H. Bell, un débutant en ce genre, et une cantate sacrée,
Emmaûs, de M. Herbert Brewer, organiste de la cathédrale, qui, surmené
par les préparatifs du festival, n'a pas eu le temps de terminer l'orchestration
de son œuvre, et a dû prier le docteur Elgar de se charger de ce soin. — A
Leeds, l'œuvre importante était une cantate tragique de M. Coleridge Taylor,
la Jeune Aveugle du château Cuillé, pour soprano et baryton solos, chœur et
orchestre, cantate écrite sur des vers de Wordsworth, qui avait emprunté son
sujet à un poème de notre Jasmin. L'autre composition, Chanson funèbre de
deux vétérans, due à M. Charles Wood, est une mélodie pour voix de basse
avec accompagnement de chœurs.
— Le sultan Abdul-Hamid est un homme heureux. Malgré les soucis poli-
tiques qui l'accablent, malgré les conspirations du palais, malgré l'escadre
française qui se promène dans les eaux ottomanes, le sultan est tout fier d'un
succès qu'il vient de remporter. La semaine passée, lors d'une visite que lui
fit le jeune prince Adalbert de Prusse, le sultan put montrer à son hôte, avec
orgueil, le premier piano sorti des ateliers impériaux qui sont installés dans
le palais des étoiles; ce piano avait été terminé le jour même. Le sultan fit
aussitôt venir son fils favori, le prince Bournah-Eddin, pianiste excellent;
celui-ci joua devant le prince prussien plusieurs morceaux de Liszt et de Chopin
et exécuta finalement des variations de sa facture sur le chant national de
Prusse. L'Altesse prussienne fut ravie et admira beaucoup le luxe de l'instru-
ment. Le lendemain le prince avait regagné sa frégate la Charlotte et était sur
le point de quitter Gonstantinople lorsqu'une barque battant le pavillon dii
padichah s'approcha du navire allemand; un aide de camp du sultan monta
à bord accompagné de quatre harnais (portefaix) qui apportaient le piano
fabriqué au palais du sultan. Les petits cadeaux entretiennent l'amitié.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Georges Leygues, ministre de l'instruction publique et des beaux-
arts, vient de présenter à la signature de M. le président de la République
tm décret qui détermine la situation des sociétaires de la Comédie-Française
après les vingt ans de service obligatoire. Avant le décret, chaque socié-
taire pouvait prendre sa retraite, mais il pouvait aussi continuer ses services
et il fallait — sauf les cas d'infirmité constatée ^ prendre une mesure désa-
gréable, la mise à la retraite prononcée d'office par l'autorité supérieure, pour
renouveler les cadres du sociétariat. M. Glaretie avait plus d'une l'ois souligné
cette situation devant le comité, à qui il proposait de décider qu'après vingt
ans de service il serait statué à nouveau sur la situation de chaque sociétaire,
qui pourrait alors être réélu de cinq ans en cinq ans et, au besoin, en chan-
geant d'emploi. Quelques membres du comité ont fait observer que cette
période de cinq ans paraîtrait parfois un peu longue et ont demandé pour-
quoi, après vingt ans, on ne statuerait pas sur chaque associé d'année en année.
C'fist ce mode de revision que l'administrateur a soumis au ministre et que
M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts vient de formuler
en décret signé par M. le président de la ftépublique.
— Tout n'est pas fini et M. Leoncavallo se rebiffe ! Le cirque des Champs-
Elysées paraissait condamné à disparaître irrévocablement, et déjà le préfet
de la Seine avait présenté au conseil municipal un mémoire concluant à ce
.que l'édifice fût livré aux démolisseurs... lorsque M. Leoncavallo fit entendre
une réclamation bruyante. Des explications contradictoires fournies à la troi-
sième commission, il résulta qu'il y avait eu entre l'administration et l'inté-
ressé une sorte de malentendu : d'une part, le préfet de la Seine déclarait
qu'il n'avait pas préparé le projet de bail consenti à M. Leoncavallo parce
que celui-ci n'avait pas versé les 300.000 francs exigés avant toute négocia-
tion, et, d'autre part, M. Leoncavallo répondait que s'il n'avait pas fait ce
versement, c'est qu'on ne lui avait pas notilié la délibération du conseil ap-
prouvant le projet de bail. Le conseil municipal a jugé que l'administration
avait mal interprété la convention en exigeant du futur concessionnaire un
versement anticipé : il a donc invité le préfet de la Seine à présenter à la pro-
chaine séance le bail à intervenir pour que l'assemblée en délibère. Leprojet
de bail, s'il est approuvé, sera notifié officiellemjnt à M. Leoncavallo, et si —
dans la huitaine — il n'a pas versé le cautionnement exigé, 300.000 francs,
les constructions seront démolies. M. Leoncavallo, on le sait, se propose de
nous montrer, sous la rotonde des Champs-Elysées, un théâtre d'opéra inter-
national fcançais-italien-allemand.
— Il y aura demain lundi vingt-cinq ans qu'Ernest Reyer est entré à l'Ins-
titut, qui se prépare à célébrer dignement les noces d'argent , académiques de
l'illustre musicien de Sigurd et de Satammbù. L'Opéra saisira-t-il l'occasion
pour nous donner quelques belles représentations de ces œuvres qui honorent
si grandement notre école française et qu'on voit cependant si rarement sur
ses affiches'?
— L'arrivée très prochaine à Paris de M. Jean de Reszké va encore activer
les études de Siegfried à l'Opéra. On compte donner la première représentation
du IS au 18 décembre, et, comme dit un de nos confrères, « nous savons par
expérience que lorsque M. Gailhard s'est engagé pour une date, il n'a pas
l'habitude de manquer à sa parole ». Ah! mais ! Après avoir chanté Siegfried^
M. Jean de Reszké, paraît-il, se ferait entendre dans quelques autres rôles de
son répertoire, tels que le Cid, qu'il créa à Paris, Faust, Roméo et Juliette et
d'autres encore.
— Pendant .ce temps, les Barbares poursuivent paisiblement le cours de
leurs représentations. Un incident amusant pourtant. Il paraît que les dan-
seuses sont furieuses contre l'espèce de muselière disgracieuse dont on
affuble leur minois, joli parfois, sous couleur de vérité historique. Quelques-
unes avaient jugé bon de s'en débarrasser. Mais M. Gailhard, qui ne badine
pas avec l'érudition, les a vivement rappelées à l'ordre, à coups d'amende,
les pauvres! Nous voudrions bien voir M. Gailhard avec une de ces muse-
hères, qui viendrait arrêter le flux de sa parole inlassable! Mais que de
perles on y perdrait, que d'images colorées, d'aperçus ingénieux, d'apostrophes
picaresques et odorantes, bien faites pour réjouir l'humanité!
— A rOpéra-Comique, les dernières répétitions de Grisélidis se poursuivent
sans incident, au milieu du contentement général. Pas de nerfs, pas de
mauvaise humeur. Cette partition parait devoir être heureuse, car elle n'aura
pas eu d'histoires. Le goût très sûr et la main ferme de M. Albert Carré
mènent toutes choses au but final, qui ne se fera plus attendre. On fixe dès
à présent la première représentation au 19 novembre.
— Aujourd'hui dimanche, à cause des répétitions de Grisélidis, l'Opéra-
Gomique ne donnera pas de matinée. Le soir. Mignon.
— Demain lundi, pour la première représentation de l'abonnement de famille
du lundi : Lakntë pour la rentrée de M""= Thiéry et de M. Ed. Clément. On
commencera par /<• Mriiire de Chapelle, interprété par M"": de Craponne et
M. Delvoye.
— L'excellent ténor Clément a l'ait sa rentrée cette semaine, place Favart,
dans Mignon. On lui a fait un accueil des plus chaleureux, comme à l'enfant
prodigue. Il est vraiment charmant d'ailleurs dans ce rôle de "Wilhem
Meister, si bien fait pour mettre en lumière toutes ses qualités d'élégant
comédien et pour faire valoir sa voix jeune et fraîche.
— Une nouvelle mesure artistique des plus justifiées vient d'être prise par
M. Albert Carré. L'affiche de l'Opéra-Gomique portera désormais, au bas de
la distribution, le nom du chef d'orchestre chargé de diriger la représentation.
■C'est le nom de M. Georges Marty qui a inauguré cette nouvelle mesure,
vendredi dernier, avec la 127^ représentation de Louise.
— L'Opéra-Gomique reste toujours par excellence le théâtre des fiançailles et
des mariages. Seulement, à présent, ce n'est plus dans la salle que cela se
passe, c'est sur la scène et en réalité. Après M"° Rioton, voici W^' Jeanne
Huchet, la très sympathique débutante dont nous parlions dimanche dernier,
qui va convoler en justes noces avec son camarade Rousselière, de l'Opéra.
— Le célèbre baryton italien Battislini a passé ces jours-ci par Paris,
pour y travailler, avec M. Massenet, la nouvelle version établie pour Werther
en vue des barytons di cartello qui désirent jouer ce rôle si attachant. Il ne
s'agit pas, comme on pourrait le croire, d'une simple transposition de voix..
Non, tout le rôle a été entièrement récrit par le maître-compositeur. Et dans
cette nouvelle version, Werther devenant baryton, Albert devient ténor. C'est
un chassé-croisé. M. Battistini va chanter ainsi l'ouvrage à Varsovie d'abord,
puis à Saint-Pétersbourg et à Odessa. On ne pouvait mettre la partition ainsi
transformée sous l'égide d'un plus grand talent.
— Des différentes correspondances qui nous parviennent, il paraît résulter
que la petite tournée de concerts entreprise par M. Colonne avec son
orchestre, à travers l'Allemagne, a réussi partout brillamment. Les œuvres
françaises portées au programme ont eu leur grande part du succès. La
deuxième symphonie de Saint-Saëns, les Impressions d'Italie de Charpentier.
le Dernier Sommeil de la Vierge de Massenet, et Lalo, et Berlioz paraissent
avoir réuni tous les suffrages. Seul, le savant théoricien Wilhem ïappert de
Berlin s'indigne en termes violents et ne comprend rien à ces clartés musi-
cales. Mais M. Tappert n'est pas ù proprement parler un critique d'art.
C'est, nous l'avons'dit, un savant vieilli dans l'étude des problèmes musicaux
les plus ardus et il n'est pas étonnant que son cerveau tudesque s'y soitc
quelque peu épaissi.
360
LE MENESTREL
— La première « niatinée du jeudi », au Ihéàtre Sarah-Bernhardt, aura
lieu jeudi prochain 14 novembre avec Phèdre et la musique de Massenet exé-
cutée par l'orchestre Colonne. Naturellement c'est la grande artiste fjui inter-
prétera le rùle de Phèdre, son triomphe.
— La température oblige M. Louis Pister à cesser en plein succès et mo-
mentanément ses concerts du Grand-Palais: donc, aujourd'hui dimanche, der-
nier concert populaire, avec le concours do il"'" Revel, i"' pri.x du Conserva-
toire, et de M. Amalo, violoncelliste de l'Opéfa. Au programme : Gounod,
Massenet, Delibes, Boccherini, Haydn, A. Thomas, Mendeissohn, Ruhinstein.
On commencera exactement à 2 heures 1/2.
— Heureuse reprise, au théâtre du Chàteau-d'Eau, de l'amusante opérette
d'Hervé, Manizelle Nilouche, où M"": Simon-Girard et Paul Fugère ont déchaîne
des rires inextinguibles. En voilà bien pour cinquante nouvelles représenta-
tions, après les mille déjà données rien qu'à Paris.
— L'école Humbert de Romans, l'institu'ion si intéressante du Révérend
père Lavy, prépare, dans sa belle salle de la rue Saint-Didier, toute une série
de' « Grands concerts historiques et populaires », de récitals d'orgue et de
séances de musique de chambre d'un haut intérêt. Le premier festival, avec
cent cinquante exécutants, sera donné le 21 novembre prochain sous la direction
de M. Théodore Dubois. On y exécutera le poème légendaire Notre-Dame de
la Mer et la grande Fantaisie Irioinpliale pour orgue et orchestre. Nous voyons
encore annoncés, pour de prochains programmes, la Résurrection de Naim
d'Henri Maréchal, et tout un mystère du moyen âge, Pastorale de Noël, recons-
titué par MM. de la.Tourrasse et Gailly de Taurine, avec une partition nou-
velle de Reynaldo Hahn, qui sera joué et mis en scène avec des costumes.
Nous connaissons cette petite œuvre et pouvons lui prédire un véritable
succès d'art et de haut goût.
— La nouvelle Société philharmonique, dont nous avons déjà parlé, inau-
gurera à la fin du mois dans la salle des Agriculteurs, rue d'.ithènes, la série
des douze concerts qu'elle donnera pendant cette saison. Celte société s'an-
nonce comme devant apporter dans le domaine delà musique de chambre en
France la nouveauté que les concerts Pasdeloup ont jadis apportée dans le
domaine des concerts symphoniques. Cette tentative est très importante, très
artistique et très désintéressée: Très importante, car près de cent virtuoses
se feront entendre pendant la saison; très artistique, car tous les virtuoses et
tous les programmes ont été choisis avec un soin méticuleux, afin de faire de
ces séances un véritable enseignement au point de vue de l'art; et enfin très
désintéressée, car, obligés de prendre une salle qui ne soit pas trop grande
pour le genre de musique interprétée et voulant à tout prix offrir au public la
plupart des places à un prix exceptionnel de bon marché, les organisateurs
de cette société ont sacrifié, sans hésiter, la question recette à la question
artistique. Il saSit^ pour- s'en yeaàxe iomple, de lir« Ja liste suivaote-das .ar-
tistes engagés. Quatuors Rosé (Vienne). Hallr (Berlin), Heermann (Francfort),
Tchèque (Prague), Ysaye, Schorg, Zimmer (Bruxelles), Marteau (Genève),
Hayot, Geloso (Paris); trioChaigneau, trio de Francfort, etc., etc. Pianistes :
d'Albert, Risler, Bauër, Cortot, Lamond, Godouwsky, Stavenhagen. Chant :
Mme p-élia Litvinne, Brema. Gaétane Vicq, Thérèse Behr, Faliero-Dalcroze,
Olénine, H. Menjaud, etc Violonistes : les Henschel, M. von zur Muhlen,
Rivarde, Jean Ten Hâve, Ysaye, Hugo Heermann. Maud Powel, Rebner, etc.
Violoncellistes : Hugo Becker, J. Klengel, Marguerite Chaigneau, etc.
— Les B cinq lieures » des Bouffes-Parisiens, qui nous promettent une inté-
ressante série de matinées, vont commencer très prochainement. Nous don-
nerons le programme de la première séance. Disons déjà qu'on y entendra
des conférenciers comme George Yanor, le quatuor Parent, avec la colla-
boration de M"" Mockel, des artistes comme Lassalle, de l'Opéra, M"'* Amel,
de la Comédie-Française. Citons aussi l'Histoire de la Clianson, avec con-
férence de notre confrère E. Mas, et auditions de M°"= Hachel de Ruy;
deux amusantes comédies de M. Montignac, avec M"« Eveline Jeanney et
Merelli, et M. Garbagni: Galant chevalier, opéra-comique de M. de Dubor,
musique de M. Eugène Mestre ; Pour la lune, de M. Guillaumet, joué par
M""-' Lebey ; et enfin inauguration des matinées Offenbach avec le Mariage aux
lanternes, interprété par M""'=s Eveline Jeanney, Humbert et Henriette Gué-
rin, et M. Bouchard.
— Ainsi parle le Progrès du Nord: « Le premier Concert populaire à l'Hip-
podrome, sous la direction de Théodore Dubois, a été fort brillant, et en écri-
vant cesmols je n'exagère rien et ne « brûle point un encens de complaisance ».
Cette belle audition a débuté -paxV Ouverture de Frithiojf, et sous la baguette de
M. Ratez, dont les gestes nous ont paru plus élargis, plus significatifs, nos
musiciens ont montré une cohésion, une netteté d'attaque et un véritable
souci artistique des nuances. Les applaudissements qui ont souligné cette
interprétation très colorée et très nuancée ont repris de plus belle à l'arrivée
de Riddez, notre compatriote, baryton à l'Opéra de Paris; l'air d'Aben Hamet
lui a permis de faire sonner généreusement sa belle voix. Un instant après
il est revenu, accompagné par l'auteur, chanter avec des demi-teintes char-
mantes deux jolies romances : Dormir et Rêver, délicate pensée musicale, et un
Rondel fort original très applaudi ; il le fut encore dans son Apostrophe à
l'Océan, dont Théodore Dubois nous avait réservé la première audition. Un
des grands attraits de cette belle séance fut la présence de M"" Clotilde
Kleeberg, une pianiste remarquable que les vieux dilettantes lillois ont entendue
alors qu'elle était encore une enfant. Dès les premières notes du beau con-
certo pour piano et orchestre de Théodore Dubois, elle s'est révélée avec des
qualités de son, une précision et une délicatesse de toucher absolument
remarquables. Le jeu ravissant de finesse, de netteté de M™' Kleeberg s'est
de nouveau déployé dans toute sa perfection en interprétant trois petites
pièces de Théodore Dubois : Allée solitaire, Chaconne et notamment Abeilles.
Elle s'est montrée absolument merveilleuse en faisant ressortir des nuances
exquises dans des traits de haute virtuosité. Deux pièces en forme de canon,
pour hautbois et violoncelle avec accompagnement d'orchestre, ont permis
aux deux solistes, MM. Deren et Plaquet, d'y faire assaut de virtuosité exer-
cée et de pureté de son. L'Intermède symphonique de Notre-Dame d: la Mtr est
une sorte de poème musical, dans lequel l'auteur a su allier la plus élégante
correction à toutes les ressources de l'orchestration moderne ; les épisodes
s'y déroulent très variés. Deux fragments de Xavière : Danses Cévenoles et
Marclie des Batteurs, terminaient ce festival tout entier composé des œuvres de
l'éminent directeur du Conservatoire de Paris, qui, nous le savions déjà par
l'audition du Rapléme de Clovis, est un remarquable chef d'orchestre ; avec une
artistique sobriété de gestes, il sait tout obtenir des musiciens qu'il dirige,
et jamais l'orchestre des Concerts populaires n'a été meilleur. »
— On nous écrit de Marseille : Au dernier concert classique, la Rapsodie
Cambodgienne de Bourgault-Ducoudray a été superbement exécutée sous
l'habile direction de M. P. Viardot. Cette œuvre colorée, qu'on n'avait pas
encore entendue à Marseille, a rencontré le meilleur accueil auprès du public
et figurera de nouveau dans quinze jours sur le programme de nos concerts.
— L'Association des concerts symphoniques de Marseille se propose de
donner, cet hiver, des auditions de fragments du Crépuscule des Dieux, de la
Symphonie légendaire, de B. Godard, de lu Terre promise, de Massenet, et de
Tobie, de Ch. Silver. Comme solistes engagés, citons MM. Raoul Pugno,
'Wurmser, Jacques Thibaud, Hugo Heermann, Vl'"' de Nuovina, etc. L'or-
chestre sous la direction de M. Paul Viardot.
— Le quatrième concert populaire organisé par M.O. Schitf, à l'école com-
munale de la rue Saint-Ferdinand, aura lieu le dimanche 24 novembre, à
.3 heures précises. Entrée : 0 fr. 75 c. à toutes les places.'
— De Saint-Quentin : Samedi dernier, à la soirée donnée par la réunion
des Anciens élèves du Lycée, grandsuccès pour M"» Palasara, qui a dit avec
beaucoup de talent et une jolie voix : Chant provençal et Avril est amoureux, de
Massenet, et la Fille aux cheveux de lin, de Paladilbe, qu'elle a dû bisser.
Mme Varly et M. Darras, de l'Odéon, prêtaient également leur concours à
cette fête de famille.
— Cours et leçons. — M. Léon Achard, professeur honoraire du Conservatoire, a repris
chez lui, 38, avenue 'Wagram, ses leçons de chant particulières (étude spéciale du méca-
nisme de la voix). — M"" Kephallinidi, née Coyon-Hervix, de retour de Buenos-Ayres où
elle a proft^sé pwidaTrt douTe ans, vient ^'ouvrir mn corrrsde chant et de reprendre ses
leçons particulières : 46, boulevard Pereire. — M. Ad. Maton a repris chez lui, 5, rue
NoUet, ses leçons de chant et son cours de chant d'ensemble. — L'excellent violoniste
.Joseph White a repris ses cours et leçons, chez lui, 9, rue Bugeaud.
NÉCROLOGIE
Un excellent artiste, le compositeur Laurent Grillet, est mort lundi der-
nier à Paris, à l'âge de bl ans. Bon violoniste, il fit d'abord partie de l'or-
chestre du Grand-Théâtre de Lyon, puis, venu à Paris, il devint chef d'or-
chestre aux Folies-Bergères, et plus tard au Nouveau-Cirque. Il écrivit pour
l'un et pour l'autre, et aussi pour divers théâtres « à côté », la musique d'un
certain nombre de saynètes, opérettes et pantomimes : Dagobert, Papa Chry-
santhème, etc. On lui doit aussi un livre intéressant dont il a été rendu compte
ici-même : Les Ancêtres du violon et du violoncelle, fait un peu sur le patron de
celui d'Antoine Vidal : tes Instruments à archet. Laurent Grillet avait fondé
avec MM. Diémer, van 'Waefelghem et le regretté Delsart, la Société des
instruments anciens, dont le succès est si grand depuis quelques années. Il
y tenait avec une grande habileté la partie de vielle, mais comme cette par-
tie n'existait pas dans la musique exécutée, il avait supprimé le bourdon de
sa vielle et faisait, en réalité, une partie de par-dessus de viole, qui cadrait
merveilleusement avec les autres instruments.
— A Munich vient de mourir, à l'âge de 84 ans, un artiste fort distingué,
Benno Walter, violoniste remarquable, professeur au Conservatoire. Élève
de son père, qui était lui-même un violoniste de talent, à seize ans il faisait
partie de l'orchestre du Théâtre-Royal. Il acquit par la suite une grande
renommée en fondant une société de musique de chambre, le quatuor Wal-
ter, dont, grâce à l'excellente direction qu'il lui imprima, les succès furent
considérables, non seulement à Munich, mais dans de grandes tournées en
Allemagne, en Autriche, en Suisse et jusqu'en Amérique.
Henri Heugel, directeur-gérant.
CONCERTS ROUGE (\'i' année), 6, rue de Tournon. Tous les soirs,
concert à 8 h. 1/2; dimanches et fêtes, matinée à 3 heures.
Vient de paraître chez E. Fasquelle, le Voile du bonheur, pièce en 1 acte de JI. Georges
Clemenceau, représentée à la Renaissance (2 francs).
; DES CHEMINS DE I
CH\1X, RUE BERGÈRE, 20 PARIS. — Œac« LotHIMJ).
368C. - 67- ANNÉE — 1\°46.
Dimanche 17 Novembre 1901,
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 "'", rus ViTienne, Paris, n- m>)
fl/es manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie KuméPo : 0 fp. 30
Adresser fkanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chiant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. ■- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (38* article}, Paul d'Estbées. —
II. Semaioe théâtrale : premières représentations du Bon moyen! aux Nouveautés,
et de la Pompadour, à la Porte-Saint-Martin, P.vul-Émile-Chevalier. — III. Les Clian-
son s populaires des Alpes françaises (1*'' article), Julien Tiersot. — IV. Petites notes
sans portée : Où les Parisiens réclament un Gewandhaus, Raymond Bouyer. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
BERCEUSE
de Camille Erlangeb, poésie de Charles Uelacour. — Suivra immédiate-
ment : Il partit au printemps, chanté par M"« Lucienne Bréval dans Grisélidis,
poème d'ARMAND Silvestre et E. Morand, musique de J. Massenet.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Entr' acte-Idylle, extrait de Grisélidis, musique de J. Massenet. — Suivra im-
médiatement : Valse des Esprits, extrait du même opéra.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
fl'après les léniiiires les plus récenls et te Socumenls inéflits
(Suite.)
DEUXIEME PARTIE
LE JOURNAL D'EUQÈNE DELACROIK
I
L'esthétique musicale d'E. Delacroix. — Son illogisme en matière d'art. — Peinture
et musique. — Cimarosa, pour Delacroix, est le premier des musiciens. — Sa
haine de ïarchdisme. — Mozart et la princesse. — Mozart symphoniste et auteur
dramatique. — Le romantisme de Mozart et le romantisme de Beethoven. — Un
agenda de Mozart. — Mozart plagiaire. — Comparaisons familières de Delacroix.
— Passion de Gounod pour Mozart. — Musique ridée.
Pour l'hisloire de l'art en général et de la musique en parti-
culier pendant la première moitié du XIX« siècle, le Journal
d'Eugène Delacroix est une mine de précieux documents, mettant
à nu l'état d'âme, non seulement de l'écrivain qui les expose
au grand jour, mais aussi des contemporains groupés autour du
glorieux peintre.
Il n'est pas indifférent en effet de constater par quelle suite
d'étapes et d'imprégnations musicales ont dii passer, pour arri-
ver de Rossini à Mozart, Beethoven et Chopin, toutes les géné-
rations qui se sont succédé en France, depuis la Restauration
jusqu'aux dernières années du second Empire.
D'autre part, l'analyse que donne Eugène Delacroix de ces
multiples sensations est un exemple topique de l'inconséquence
humaine en matière d'art.
S'il fut jamais un peintre dédaigneux de la ligne et soucieux
jusqu'à l'outrance du coloris, ce fut assurément l'auteur de tant
de tableaux mélodramatiques, qui secondèrent si énergiquement
le développement du romantisme tenté par Chateaubriand et
continué par Hugo dans le monde des lettres et du théâtre.
Eugène Delacroix fut un des adversaires les plus résolus de la
tradition classique, le démolisseur attitré de ce moule académi-
que qui, par parenthèse, a déjà résisté à tant de furieux assauts.
Et cependant, par un de ces illogismes que peut seule expliquer
l'infirmité de notre nature, nul n'encouragea moins les novateurs
de la musique. Pour lui, l'idéal du grand art se résumait dans
l'œuvre de Mozart. Il admirait celui de Beethoven, mais sous
certaines réserves. S'il n'en admettait aucune dans son fana-
tisme pour Cimarosa et s'il aimait passionnément la grâce
piquante de Rossini, il discutait Meyerbeer, niait le génie de
Berlioz, méprisait celui de Richard Wagner.
Sa passion pour la musique n'était pas aussi platonique qu'on
serait tenté de le croire. Il s'exerça sur le violon dans les pre-
mières années de sa jeunesse, à l'exemple de Girodet, qui était
un détestable râcleur, et du bonhomme Ingres, dont, malgré
toute son indulgence, Gounod est bien obligé de reconnaître l'in-
sufEsance.
Combien d'autres peintres — et cette nomenclature devrait
tenter un érudit (1) — ont professé avec plus ou moins de
bonheur, et plus ou moins de succès, le culte de la musique 1
Au reste, nous nous expliquons un tel entraînement! La peinture
ne fut jamais ce qu'on pourrait appeler un art communicatif.
Lors même qu'ils atteignent les limites de la perfection en repré-
sentant une merveille de la nature, une scène pathétique, un
paysage sublime, les plus grands maîtres ne parviennent jamais
à les animer de toute la flamme dont leur cerveau est embrasé.
Et les spectateurs, si perspicaces, si intelligents soient- ils,, éprou-
vent fort rarement devant ces manifestations de la couleur les
sensations délicieuses qu'éveille l'audition d'une belle page
musicale. Aussi, certains peintres ont si bien compris l'infériorité
de leur art dans la transmission des facultés émotives qu'ils
n'ont voulu produire leurs œuvres devant le public qu'au son
(1) C'est fait! — Les lecteurs n'ont pu oublier la remarquable étude de M. Raymond
Bouyer sur les Peintres mélomanes publiée dans le Ménestrel (fin décembre 1900-jan-
vier 1901). — Notre travail était alors à l'impression. Mais, depuis, j'ai découvert dans des
notes inédites du grand critique d'art Théophile Thoré, qu'a publiées la Nouvelle Revue
Rétrospective de septembre 1901, cette assertion, assurément fort disculable, mais bien
piquante, sur la compétence musicale de Delacroix : « 11 n'est pas rare qu'un homme de
génie soit absolument crétin sur tout ce qui est hors de la spécialité de son génie : oblus '
bouché, borné, inepte, Gautier — De Musset — Hugo — Delacroix — Doré. »
362
LE MÉNESTREL
d'une musique dissimulée, de tonalité joyeuse ou mélancolique,
suivant le sujet de leur tableau.
Il n'est donc pas extraordinaire qu'eux-mêmes subissent une
semblable impression. Leurs créations présentent un caractère
précis, exact, pour ainsi dire mathématique : elles sont visibles,
palpables et tangibles, si le terme n'est pas trop risqué pour
définir l'action, prenante en quelque sorte, des yeux. Tout au
contraire, les œuvres de la musique, bien que fixées elles aussi
en des signes intelligibles pour les seuls initiés, n'apparaissent
que sous des formes vagues, flottantes, insaisissables; à moins
qu'elles ne recherchent exclusivement l'harmonie imitative, — ce
qui est très rare et ne réussit pas toujours — elles agissent sur
le cerveau en s'associantà ses impressions : c'est un état de rêve,
mais de rêve toujours poétique, qui exalte les joies les plus vives
et tempère les plus amères douleurs.
Le peintre réalise, parles sensations que lui donne la musique,
l'idéal qu'il n'a pas atteint par son pinceau.
Ce fut certainement le cas d'Eugène Delacroix, qu'une sym-
phonie de Mozart ou une valse de Chopin enthousiasmait bien
autrement que la plus belle toile de ses maîtres favoris.
Cimarosa tenait encore le premier rang dans ses préférences.
Delacroix sort des Italiens, oi^i il vient d'entendre le premier
acte du Mariage secret, qui « lui a paru plus divin que jamais;
c'est la perfection. »
Dans un concert, un air du Sacrifice d'Ahraham, chanté par
Garcia père, lui dicte ce dithyrambe : « Je n'ai dans la tête
qu'accords de Cimarosa. Quel génie varié, souple et élégant I
Décidément il est plus dramatique que Mozart. »
Cette idée sur laquelle il revient à maintes reprises le mène
à des conclusions que l'avenir n'a pas sanctionnées :
« Du temps de Mozart et de Cimarosa on compterait quarante
musiciens qui paraissent de leur famille, dont les ouvrages con-
tiennent à des degrés divers toutes les conditions de la perfection.
A partir de ce moment, tout le génie des Rossini et des Beetho-
ven ne peut les sauver de la manière. »
Sa passion, quelque peu chagrine, pour Cimarosa — car l'amer-
tume est souvent le fonds de tous ses amours et de toutes ses
haines — fait partir Delacroix en guerre contre une manie que
nous avions déjà, signalée : « Aujourd'hui (18S5), écrit-il, une
chansonnette de 1S80 est mise au-dessus de tout ce que Cima-
rosa a produit. »
Il lui reste toutefois une consolation : « Antony Deschamps est
le seul homme avec qui j'aime à parler musique, parce qu'il
aime Cimarosa autant que moi. »
Il est certain que Delacroix est fanatique de Mozart par goût
et par conviction ; mais sa passion trouve un singulier encoura-
gement dans le milieu musical oii il fréquente. Or, l'auteur de
Don Jimn est traité à l'égal d'un Dieu « chez la Princesse » —
sous-entendez Czartoryska; on se faisait déjà à ces désignations
familières. — Et comme Delacroix est un des plus fidèles habi-
tués de ce précieux cénacle, il en accepte la psychologie subtile
et raffinée. S'il est vrai que le souple génie de Mozart a des
grâces particulières pour chaque état d'âme, notre artiste, qui
a doublé à cette époque le cap de la cinquantaine, « cet âge de
la vie où le tumulte des passions folles ne se mêle pas aux déli-
cieuses émotions des belles choses j>, notre artiste, dis-je, retrouve
dans la musique du maître l'apaisement qu'il sent régner en
lui; et il en goûte librement la calme sérénité, la sérénité qui
a conscience de sa force! Car Mozart pourrait revendiquer la
formule ambitieuse du poète :
Je suis maître de moi comme de l'univers.
Il ne s'ensuit pas qu'il ne subit point par intermittences les
exigences de la tradition : cette sujétion aux formules courantes,
il l'accuse très nettement dans ses symphonies; là, il se répète
à satiété; ainsi le veut l'usage, pédantesque d'ailleurs. L'abus
du leil-motive ne date donc pas d'hier, comme on voit.
(A suivre.) Pacl d'Estrées.
SEMAINE THÉÂTRALE
Nouveautés. Le Bon moyen! pièce en 3 actes, de M. A. Bisson. — Pohte-Saint-
Martin. La Pompndour, pièce en 5 actes et 7 tableaux, de M. E. Bergerat.
Ce Bo7i moyen est celui qui doit préserver l'homme des accidents con-
jugaux inhérents à la fonctiou de mari, — nous sommes, bien entendu,
en plein vaudeville, car chacun sait que, dans la réalité, l'épouse est.
à si rares exceptions près qu'il ne vaut pas la peine d'en parler, un
modèle de parfaite lldélité et d'inébranlable honnêteté. Donc, Dulacq et
Desroziers se sont promis de u'ctre jamais « combattus « et ils s'ingé-
nient à y arriver chacun par une voie différente : le premier par une
sm'veillance de toutes les minutes, c'est un jaloux au dernier degré; le
second par une confiance sans bornes, c'est presque un complet imbé-
cile. L'un et l'autre frisent de si prés la catastrophe redoutée — et s'ils
l'évitent ce n'est pas précisément de leur faute — que leurs moyens
respectifs apparaissent aussi défectueux l'un que l'autre. Alors le bon?
C'est tout simplement le docteur Babiole qui le découvre sur l'estomac
de sa légitime, où son prédécesseur — M"" Babiole est veuve et remariée
— avait pris soin de faire tatouer en belles majuscules : « J'adore Ana-
tole ! Qu'il est beau ! » Allez donc vous décolleter avec une inscription
pareille qu'aggrave la présence des deux cœurs obligatoires liés par la
flèche amoroso-symbolique. Maris inquiets, à vos aiguilles!
M. Alexandre Bisson en composant ses trois actes n'a évidemment eu
d'autre but que d'essayer d'amuser son public par tous les moyens pos-
sibles. A-t-il, lui aussi, trouvé le bon? Il y a un premier acte char-
mant et, chemin faisant, des trouvailles drolatiques, sinon toujours
d'une nouveauté bien fraîche, qui ne manqueront pas de faire rire les
braves gens pour qui le théâtre est sagement resté une simple distrac-
tion. Et puis, le Bon moyen est joué de verve fantaisiste tout à fait com-
municative par MM. Germain, Torin, Victor Henry — on demande un
vrai rôle pour ce comédien de composition — et Colombey, tandis que
M"™ Fériel et Lucy Gérard sont adroites artistes et tout ce qu'il y a de
plus plaisantes à regarder.
La Pompadour, un drame ! Est-ce que vraiment l'exquis modèle de
La Tour n'est pas plutôt, à distance, évocatrice de grâce, de légèreté,
d'intrigue galante? Ne sont-ce pas surtout les ris et les froufrous des
amples jupes de soie brochée qu'évoque ce nom printanièrement son-
nant! M. Bergerat, qui est un documenté, a vu toute autre chose dans
la figure chiffonnée de la favorite du roi Louis le Bien-Aimé; il y a
voulu avant tout trouver la psychologie de la jalousie et, pour corser
ses effets dramatiques, il a enfermé, dans le même cadre, une effigie très
sombre de ce Le Normant d'Etiolés, dont il a fait un mari amom'eux et
grandement malheureux, alors que d'aucuns l'ont nettement traité de
simple crapule, profitant joyeusement des largesses octroyées par
Louis XV à M™" d'Etiolés, née Poisson, et faite marquise de Pompadour.
Que M. Bergerat ait pris, avec l'histoire ou la légende, les libertés
qu'il lui a plu de prendre, cela, d'ailleurs, nous importe peu; il pour-
rait, en la circonstance, répondre à ceux qui se croiraient autorisés à lui
reprocher quelques inexactitudes, qu'il n'a fait, en cela, qu'imiter le
modèle élu, Alexandre Dumas père. De fait, la Pompadour procède
visiblement des procédés scéniques qui firent la gloire du dramaturge
populaire; mais ce que l'on y trouve en plus, c'est une langue exquise
et châtiée qui, souvent même, emprunte des ailes à la poésie jolie; écoutez
les couplets du grave Jacques Guay sur les gemmes précieuses.
La Pompadour, montée par la Porte-Saint-Martin avec un souci assez
artistique de vérité dans les décors et un grand luxe de costumes, a heu-
reusement trouvé le charme exquis et la troublante féminité de M""-' Jane
Hading, à qui est allé, très justement, le succès de la soirée. D'une inter-
prétation aussi nombreuse qu'elle est lourdement banale et monotone,
il faut cependant sortir d'abord M""' Marie Magnier, une maréchale de
Mirepoix vivante, puis M. Rozenberg, un Richelieu galantiu, et M. Jean
Coquelin, un Jacques Guay d'exubérance.
Paul-Émile Chevalier.
LES CHANSONS POPULAIRES DES ALPES FRANÇAISES'
C'est une manière d'alpinisme assez inédite que celle qui consiste à
courir la montagne à la recherche des chansons populaires. Loin de
s'en tenir â une observation superficielle, d'ailleurs sans négliger de
(1) Extraits de la l'rélaci; d'un livre de notre rullaborateuv Julien Tiersot (enquête faite
I sous le patronage du ministère de l'instruction publique), qui paraîtra prochainement.
LE MÉNESTREL
363
contempler en passant les merveilles de la nature, l'on entre dans
les chaumières, l'on s'entretient avec les habitants, ou apprend à
connaître leur vie, leurs mœurs, on évoque avec eux les souvenirs
du passé de la race, et l'on pénètre ainsi dans la complète intimité
du pays. Des recherches analogues aboutissent au même résultat :
j'ai fait, au cours de mon exploration, maintes rencoutres qui me le
prouvèrent. Un jour, au pied des glaciers du mont Blanc, tandis que
je conférais avec un instituteur sur les chansons d'autrefois, un étu-
diant en philologie d'une Université allemande -s'approcha et, se
mêlant à notre entretien, vint demander des éclaircissements sur des
particularités des patois savoyards. Ailleurs, une aimable hospitalité
m'avait amené sous le même toit qu'un éminent naturaliste; chaque
jour nous partions ensemble, lui étudiant la flore alpestre, cherchant
des traces de la chimérique manne de Briançon, tandis que, de mon
côté, j'allais cueillir la fleur de la chanson, toujours vivace dans le
jardin des vieux souvenirs. Et je tiens que, de part et d'autre, cette
recherche était en tout point digne de la gravité de la science. Est-il
rien de plus méritoire, en effet, que de chercher à surprendre sur place
le secret de la uature? Une telle étude n'est-elle pas aussi féconde que
celle qui prétend s'en tenir exclusivement aux vieux bouquins? Le
Wagner de Goethe dit : « On est bientôt las des forêts et des campagnes.
Ali ! quand vous déroulez un vénérable parchemin, c'est le ciel toat
entier qui s'abaisse sur vous». A quoi Faust, en proie à sa pensée
intérieure, répond avec dédain : « C'est le seul désir que tu connaisses?
Oh ! n'apprends jamais à connaître l'autre! » Le famulus n'est pas un si
beau modèle :i suivre : cherchons à pénétrer plus loin, et considérons
la vie dans la vie même.
A vrai dire, et puisqu'il s'agit simplement ici des chants du passé, on
ne saurait trop répéter le cri d'alarme poussé depuis longtemps par
ceux qui ont à cœur de sauver de l'oubli les vestiges de ces antiques
manifestations de notre esprit national, car ils disparaissent de jour en
jour, et je ne crois pas être prophète de malheur en prédisant que la
génération qui naît actuellement n'en connaîtra plus rien. Le mal sera
moins grand si les livres les ont conservés : encore, est-il bien sîir que
nous soyons venus à temps? Que de fois n'ai-je pas vu des gens faire de
vains efforts de mémoire et s'écrier, découragés : « Mon père chantait
ceci! Ah! si vous aviez entendu ma graud'mère! » Mais les ancêtres
sont morts depuis longtemps ; les vieux n'ont plus que de vagues sou-
venirs, et les jeunes encore moins. J'ai vu des octogénaires disant qu'ils
avaient ouï parler dans leur enfance, à leurs anciens, de coutumes dont
eux-mêmes n'avaient jamais été témoins^ par exemple les fêtes de Mai,
si antiques, et auxquelles sont associées de si poétiques chansons. Il
était nécessaire de noter ces souvenirs de choses abolies depuis un siècle
et plus. Mais combien d'autres qu'on ne retrouvera jamais!
Sauf quelques rares exceptions, et si je mets à part le répertoire des
danses populaires du sud du Dauphiné, encore généralement pratiquées
et connues de tous, c'est donc à des vieillards, quelques-uns très
avancés en âge, que je dois les plus intéressantes communications.
Encore n'avais-je que trop raison de m'écrier : « Il n'est que temps ! Il
est trop tard! », car, depuis les cinq années que cette recherche fut
entreprise, plusieurs de ces vénérables collaborateurs ont disparu de ce
monde.
La première personne que j'entendis, le premier jour de mon entrée
en Savoie, fut la vieille Fanny Roux, de Bonneville, née en 1803. Cette
brave femme a passé toat le dix-neuvième siècle à olfrir des gâteaux et
des fruits aux Anglais traversant la ville pour se rendre au mont Blanc,
jusqu'au jour où le chemin de fer lui à ravi ce gagne-pain. C'était
jadis une chanteuse renommée. Elle commença par me déclarer ses
préférences pour les romances d'Estelle et Némorin, et me communiqua
une liste des principaux chants de son répertoire, parmi lesquels je
remarquai : // j^leut bergère, Dormez mes chères amours, Paul et Virginie;
elle put aussi retrouver dans sa mémoire quelques vieilles chansons
locales, en patois, et même un ou deux vrais airs populaires. Elevée à
la ville, elle connaissait peu les chansons rustiques; elle n'en fut pas
moins intéressante à observer, comme un véritable type d'un autre âge.
Elle est morte peu de temps après mon passage.
Je trouvai mieux encore à Cervières, près Briançon, en la personne
de M""" Faure Vincent, pauvre vieille impotente, clouée par la paralysie
dans sa sombre maison de bois à demi-enfouie sous terre, mais ayant
gardé toute sa lucidité d'esprit. Je lui dois toute une collection de
chansons, qu'elle me dit d'une voix faible, mais très juste, et dans le
meilleur style du chant populaire : j'en ai extrait plusieurs perles,
notamment une intéressante version de la chanson de Renaud, et une
chanson de Mai admirable de conservation et de caractère primitif. J'ai
appris sa mort il y a deux ans.
J'avais reçu longtemps de bonnes nouvelles du père Paulin, de La
Mure, le dernier homme de France, à coup siir, qui ait vu Napoléon.
Au retour de l'île d'Elbe, l'Empereur s'était arrêté quelques instants à
La Mure : ses grenadiers, pour le soustraire à une curiosité trop indis-
crète, faisaient ranger les habitants sur son passage; mais lui, jugeant
le moment particulièrement opportun pour se rendre sympathique au
peuple, avait fait approcher des enfants qui le regardaient avec de
grands yeux, et leur avait parlé. Le père Paulin fut de ceux qui recueil-
lirent cette auguste parole!... Il eût été déplacé de ne pas lui deman-
der quelqu'une de ces chansons sur Napoléon dont le souvenir n'est pas
effacé dans les vallées alpestres, et il s'exécuta de bonne grâce ; mais il
me dit bien d'autres choses encore, des rigodons en patois du pays, des
chansons populaires françaises, qu'il débita avec une bonne humeur
entraînante et une voix encore belle dont l'âge avait à peine altéré le
timbre. Il a survécu plus longtemps que les précédents ; cependant,
l'hiver dernier a fini par l'emporter à son tour (1).
Dois-je citer encore M"" Guichard, de Mens, dont le fils a publié d'in-
téressants travaux sur les patois du Triêves? Elle voulut bien, à mon
appel, venir dans un rnilieu beaucoup plus juvénile, dont les représen-
tants me chantèrent force rigodons. Mais elle fut la seule à savoir
retrouver la mélodie de la vieille complainte du Maure Sarrasin, à
laquelle son chant très lié et l'accent un peu indécis de sa voix prêtaient
un charme archaïque très pénétrant.
A noter encore une observation faite dans cette même réunion : il s'y
trouvait un joueur de violon qui exécutait avec la plus grande sûreté
les airs de danse. Or, à une observation que je lui fis, il m'apparut
qu'il ne savait pas une seule note de musique, et ne connaissait même
pas le nom des cordes de son instrument ! Cela soit dit en passant, pour
répondre à ceux qui ne veulent pas admettre que l'art populaire soit un
art purement instinctif, n'exigeaut dans sa pratique ni effort ni étude.
L'exemple est bien significatif, puisqu'il s'agit ici d'un talent essentiel-
lement technique, et que cependant l'artiste populaire n'avait rien
appris de personne, qu'il ignorait tout.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXXI
ou LES PARISIENS RÉCLAMENT UN GBWANDHAUS
A Sloasieur Paul Viardot.
— Allons, très bien! Renouvelons nos concerts et composons nos
programmes ! Grande ou petite, que chacune de nos séances de l'après-
midi dominical ou du soir ressemble, dorénavant, à un poème régulier
qui donnerait un sens au rendez-vous de ses poésies fugitives, à la col-
lection préméditée d'un amateur qui serait la preuve d'un choix diffi-
cile! Quand l'Histoire de la Sijmphonie nous offre, au Chàtelet, des
parallèles dont le bon Plutarque n'avait pas eu le pressentiment, ou
l'audition chronologique des neuf symphonies beethovéniennes au
Nouveau-Théâtre, applaudissons! Nos vœux ne sont plus purement
platoniques... Et notre patriotisme ne s'alarme guère, si la seconde
symphonie d'Herold ne parvient pas à détrôner l'Ut mineur! Récipro-
quement, ta symphonie en ut majeur (n" /), datée 1800, et qui représente
encore la symphonie auajîi Beethoven, nous fait mieux apprécier, par
antithèse, la réelle majesté bretonne des préludes marins de l'Ouragan,
le singulier « ronron chromatique » des Sirènes impressionnistes de
M. Claude-Achille Debussy : tort bien, tout cela! Mais, il y a un gros
mais qui s'impose : si le contenu vous agrée, ne déplorez-vous donc
pas, avec moi, les défectuosités du contenant, du cadre indigne habituel-
lement de ce tableau sonore? Au fait! Une salle de concerts nous
manque; et les Parisiens réclament un Gewandhaus...
— Il est assez bizarre, en effet, que la première année du XX= siècle
soit encore dépourvue de cet oratoire nécessaire, maintenant que nous
communions, tous et toutes, dans la religion de l'orchestre. Vous parlez
de Paris?
— Je parle uniquement de notre Paris : car, sans avoir autant voyagé
que feu Rubinstein ou M. Pugno, je n'ignore pas que la plupart des
(1) Par le t'ai!;, — j'ai regret ù le constater, mais un dernier séjoui- fait dans le pays en
octobre 1900 m'en a donné la triste certitude, — l'énumération des chanteurs dauphinois
et savoyards qui m'ont aidé dans ma récolte n'est plus aujourd'hui, hélas I qu'une longue
nécrologie. Cette constatation établit du moins que je suis arrivé à temps, mais bien au
dernier moment, car, désormais, il serait impossible de retrouver dans la mémoire popu-
laire le quart des documents que j'ai pu réunir.
{■1} Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 22 et 29 septembre,
des 13, 20 et 27 octobre, des 3 et 10 novembre 1901.
364
LE MÉNESTREL
villes étrangères possèdent depuis longtemps ce qui nous manque. Que
dis-je? La province même aurait des modèles à proposer aux conserva-
teurs de la capitale : je me rappelle Bordeaux, l'aristocratique cité,
Nancy, de même. Hors de France, la démonstration serait trop com-
mode; elle n'est compliquée que par l'abondance des exemples. Londres
ne recèle-t-il pas le type achevé de la salle vraiment digne des chefs-
d'œuvre : Saint- Jame's Hall, sans compter les autres? Pétersbourg et
Stockholm sont mieux partagés que ce Paris dont ils imitaient jadis la
moindre innovation. Scandinaves et Russes pourraient en remontrer
aux Français dont le bon ton fut leur premier maître... Inutile de
vous nommer les villes allemandes, « qui ont toutes une salle avant
d'avoir une crèche! » (1) Et vous connaissez, au moins de réputation,
le merveilleux, le nouveau Gewandhaus de Leipsig, où les kappelmeisler
les plus illustres ont mimé tour â tour les symphonies les plus magis-
trales ?
— Il faudrait pouvoir, avec le concours gracieux des Esprits de l'air,
le démonter nuitamment, pièce â pièce, comme ou a disloqué subito
la Salle d'Harcourt qui, malgré ses bonnes intentions, ne le valait pas,
et le transporter, sur le manteau de Faust, au_beau milieu du rond-
point des Champs-Elysées, à la place de cette ruine peu grandiose qui
les déshonoi'e...
— Mes compliments pour votre imagination ! Bienvenue serait la
0 folle du logis » qui réaliserait sans encombres une telle conquête,
aussi pacifique que magique !
— Votre énumération trop précise augmentait mes regrets, qui sont
trop réels ; et j'avais besoin de m'échapper dans la féerie... Mais reve-
nons aux faits positifs. Vous parlez de Paris : eh bien ! ce n'est pas une
salle parfaite de concerts qu'il nous faudrait, mais plusieurs, vu
l'accroissement des sociétés rivales et la bienfaisante invasion de la
musique...
— N'allons point trop vite! La France passe toujours, avec désin-
volture, de l'ancien régime le plus étroit à la révolution la plus radicale.
Et vous êtes si pressé que Méphistophélès, le prince des Esprits que vous
évoquez, n'aurait nulle peine à vous traiter de Français... Moi, je me
contente de suffoquer au promenoir du Nouveau-Théâtre, alors que
s'éternisent les ruines banales du Cirque d'Été qui fut, musicalement,
si glorieux ! Dans ce théâtre, si voisin d'un music-hall que les tympa-
nons de la danse du ventre se perçoivent quand la grande âme du dieu
Beethoven condescend à s'apaiser en un pianissimo divin, dans ce théâ-
tre étouffant, il me semble toujours que la grande ombre du maître
Lamoureux, ce bourru bienfaisant de la musique, nous reproche nos
lenteurs bureaucratiques et nos architectures provisoires en évoquant
TiHstan et Yseult... Son rêve réalisé dans cette élégante prison, ce rêve
dont il est mort, devrait avoir la secrète puissance de vos Esprits de l'air
et nous souffler leur énergie pour inaugurer magistralement un Gewan-
dhaus. Les ruines de là-bas n'ont que trop duré : qu'attendez-vous
donc?
— Vous aussi, vous vous emportez, vous devenez lyrique. Ce sujet,
purement administratif en apparence, aurait-il les vertus d'une bouteille
de Leyde ? Quel magnétisme impérieux s'en exhale ? Quelle électricité,
plus persuasive que les mélodieuses fadeurs de la Symphonie palhétique,
chant du Cygne inégal qu'était feu Tschaikowsk'y, cet éclectique qui
passionna surtout les dilellanli cosmopolites de Chicago... (2) Mais, pour
attendre moins impatiemment les résolutions de nos édiles, pour mêler
uu peu d'eau rafraîchissante au vin pur de vos rêves d'avenir, regardez
le passé. Contemplez, avec moi, le panorama du siècle dernier : j'entends
le XIX' siècle, qui restera comme le siècle de la Musique. Qu'y décou-
vrons-nous ? Des victoires musicales, remportées en des espaces ridi-
cules. Le plus amusant de tous les siècles en apparaît parfois le plus
navrant. L'autre dimanche d'automne, nous étions les seuls à célébrer
ici l'anniversaire du brave Pasdeloup : eh bien! le 27 octobre 1861, â
deux heures, où conviait-il la foule à découvrir la Pastorale beethové-
nienne, ce chef-d'œuvre du paysage, et le fin Concerto pour violon, de
Mendelssohn, perlé par Alard ? Dans une écurie, dans un cirque !
Nouvelles épées de Damoclès, des trapèzes menaçaient le front déjà
chenu du lutteur pour l'art. Un demi-jour désagréable combattait les
feux incertains des lustres. Et dix-huit ans plus tard, avant les beautés,
alors confuses, du Faust de Schumann, qui semblait gris au souvenir
étincelant de la Damnation de Faust, je me souviens du bon Pasdeloup
appelant éperdument le lampiste...
— N'était-ce pas l'âge d'or? Vous l'avez dit ! Le boulevard du Crime,
(1) M. Paul Viardot, dans ses Notes et croquis d'art sur la musique (Le Petit Poucet,
n" 14, 15 et 16 ; — 1901). — Cf. l'ouvrage, précédemment cité, de M. Dandelot, sur la
Société des Concerts.
(2) Cf. La Musique a Paris, IV' année (1807-98}, où notre confrère Gustave Robert
oppose les jugements français à l'engouement de M. H. -T. Finclc, de V Eveniruj-Post de
New- York, qui nous reproche de méconnaître un chef-d'œuvre.
disons le boulevard du Temple, s'ennoblissait d'une foule pieuse. Ce
quartier populeux, presque faubourien, devenait auguste, comme un
Bayreuth avant la lettre. Et c'est dans l'atmosphère de ce crépuscule
trivial que le rêve d'un peintre-mélomane tel que M. Fantin-Latour
ébauchait ses premières impressions ailées... (1)
— Bénissons alors le Cirque d'Hiver : mais tout aurait-il été perdu,
si l'acoustique eût été meilleure?
— Notez seulement le contraste : depuis plus de trente ans, depuis le
fameux dimanche -9 mars 1828, à deux heures plus que précises, la
Société des Concerts trônait délicatement dans cette bonbonnière aristo-
cratique, qu'à la même époque, vers 1863. le goût qui nous revient sur
le tard et le piuceau joli de MazeroUe allaient nous restituer jBompci'eHfie;
salle exquise, et qui n'a jamais eu d'autre défaut que d'être trop petite,
au point de rendre longtemps la Société trop exclusive en sa perfection.
C'est une heureuse faute, un brillant défaut : la musique avait trouvé
son Louvre en miniature. Et psychologiquement, comme toujours,
l'âme sympathisait avec le décor : d'une part, dans le salon de la rue
Bergère, les élégants de la symphonie poudrée, enclins aux pensées
conservatrices, et ravis discrètement de se retrouver dans une succur-
sale du noble Faubourg où l'on peut applaudir avec des gants si distin-
gués que les bravos à peine se distinguent... Là-bas, au boulevard cher
à Frederick Lemaitre, au grand Frederick du mélodrame de pourpre et
de sang, la foule, la jeune foule enthousiaste, heureuse naïvement de
découvrir à la fois les jeunes et les maîtres, tous les jeunes, puisque les
classiques furent les bourgeons harmonieux du printemps de l'Art...
Deux quartiers, deux camps. Ici, le Conservatoire, un coin d'aristocratie
légère, que Gluck et David ont magnifié d'un parfum d'Institut gran-
diose; là-bas, un Cirque, où la chaste Muse était forcée de « signer un
bail avec la Femme-Canon » (2)...
— Pauvre Euterpe ! Délicieuse Muse de la mansarde et rédemptrice
d'un cirque malsain! Sa persévérance a fait notre éducation musicale!
Elle a bravé nos engouements comme nos dégoûts, l'excès des siffleurs
et des ovations aveugles. Elle a transfiguré la Gaule des romances lar-
moyantes et des couplets grivois. Elle a substitué le dieu Beethoven
aux sensibleries de Loisa Pujet, aux gaillardises du Caveau. Puis, chez
Colonne, au Chàtelet du Tour du Monde et de Rothomago, parmi les
carabins échevelés, elle a soutenu leur génial confrère, le romantique
par excellence, Hector Berlioz. Puis, en dépit des snobs, elle acclama
Wagner et Lamoureux dans un promenoir encore profané par des
vestiges d'encens païen... Partout l'effort! Et après un demi-siècle de
batailles et de victoires, elle n'a pas encore obtenu le temple digne
d'elle! Vous avouerez que l'auditeur français et la Muse française
forment un couple accommodant...
— Rêveriez-vous, pour leur apothéose, un palais modem style, avec
des parafes de Guimard et des affiches de Mucha?
— Je préférerais, pour ma part, la bonne salle idéale, le vaisseau
parfait, mais « nu comme le discours d'un académicien ». N'est-ce pas
Beethoven en personne qui savait déjà combien l'acoustique ou la super-
ficie peut influer sur les mouvements à prendre, sur la composition, la
disposition d'un orchestre? Avis aux amateurs, les musiciens-archi-
tectes! Mais notre conversation me rappelle le brave Pasdeloup, l'ini-
tiateur, tel que Bruneau le rencontra sur le boulevard, un lointain
mercredi d'octobre, arrêté devant une colonne Morris, « et constatant
la première absence, depuis vingt-cinq ans, du petit carré de papier
rouge, annonciateur de ses programmes à lui, pauvre être vaincu.... » (3).
— Je devine sa fuite et ses larmes...
(A suivre.) Raymond Bodyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — Un peu après 1812, i l'époque où Beethoven avait
composé ses huit premières symphonies, Herold en écrivait une en ré, que
M. Colonne vient de faire entendre. Le musicien charmant de Zampa et du
Pré aux Clercs en était encore à la forme primitive en trois parties, un demi-
siècle après l'introduction du menuet par Mozart, en 1707. Le petit ouvrage
du jeune maitre n'offrait d'intérêt réel ni au point de vue des idées, ni au point
de vue de l'orchestration. On doit le considérer comme l'exercice très louable
d'un lauréat de l'Institut, désireux de se rompre la main en pratiquant un
genre étranger à ses tendances véritables. Le coté fâcheux de l'essai, c'est
que l'auteur semblait ne pas soupçonner quel essor magnifique venait de
prendre la branche de l'art dans laquelle il s'essayait. Mais, par la plus
bizarre des coïncidences, ce maitre français, délicieux quand il est resté dans
(1) Voir les chapitres X et XI de nos Peintres mélomanes (Ménestrel, 1900-01).
(2) .Mot de JI. Paul Viardot, toc. cil.
(3) La Musique Française (Paris, Pasquelle, 1901); pages 96-97.
LE MENESTREL
365
sa sphère, surprenait sons sa plume en 183'2 ua thème que nous pouvons
retrouver dans un minuscule ouvrage publié en 1783 sous le titre : Trois Sona-
tines pour piano, dédiées à Son Éminence l'Archevêque Electeur de Cologne,
Maximilien Frédéric, mon digne Seigneur, et cotnposées par Louis van Beethoven à
l'âge de onze ans. Si l'on se reporte à l'andante de ia seconde sonatine, écrit
à deux temps, et si l'on dédouble le second temps en remplaçant les croches
égales par une blanche dans les deux premières mesures et, dans la troi-
sième, les quatre doubles-croches par quatre croches, on a exactement le
motif de la romance célèbre : Rendez-moi ma pairie, du Pré aux Clercs. C'est
d'aulant plus curieux qu'aucun soupçon de plagiat ne peut être accueilli sans
invraisemblance. D'ailleurs, si le contraste est grand sous certains rapports
de la romance ou fragment de sonatine, il devient vraiment extraordinaire,
quand nous passons de la symphonie d'Herold à celle en ut mineur de Bee-
thoven. Pourtant, l'interprétation de la seconde ne valait pas celle de la pre-
mière. J'avoue ne pas aimer, dans les œuvres classiques, les tempo rubato
qui ne sont pas ménagés avec un tact exquis et une absolue discrétion; j'ap-
précie surtout, dans le système d'instrumentation en usage à l'époque de
Mozart et de Beethoven, l'équilibre calme et noble de la polyphonie. L'or-
chestre du Châtelet a été de beaucoup supérieur dans le morceau sympho-
nique de Rédemption par César Franck, et tout à fait excellent dans les
Impressions d'Italie de M. G. Charpentier. L'accueil qu'ont reçu ces deux
ouvrages constitue un succès considérable et des mieux mérités. La Bapsodie
norvégienne de Lalo renferme un premier morceau qui est une merveille
d'ingéniosité et où se rencontrent deux mélodies ravissantes. Quelques audi-
tions seraient encore nécessaires pour nous habituer à cette musique où
l'orchestre alErme sa virtuosité avec tant de délicatesse, de finesse et de
charme. Le concerto en la mineur de Schumann a été joué par M. Joseph
Thibaud. Cet artiste a fait preuve de qualités au point de vue du mécanisme.
Son jeu a beaucoup de netteté naturelle et ne manque ni d'éclat, ni de pré-
cision. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — Après avoir commencé la production des sym-
phonies de Beethoven par la dernière, c'est-à-dire par une œuvre symphoni-
que telle qu'aucune autre ne saurait y atteindre, M. Chevillard a entrepris de
nous faire à présent entendre les huit premières symphonies du maître dans
leur ordre chronologique. Au dernier concert la deuxième symphonie en ré,
qu'on entend trop rarement, a ravi l'auditoire ; le noble larghetto surtout et
le scherzo débordant de belle humeur ont été vivement applaudis. L'ouver-
ture de Manfred, de Schumann, dims laquelle les deux génies de Byron et de
Schumann, marqués au coin de la fatalité et pourtant si profondément cap-
tivant», semblent se marier si opportunément, a été rendue dans la perfection
et a produit une grande impression. La pièce de résistance était la Symphonie
pathétique de Tschaïkowsky , encore un peu contestée chez nous, mais
qui est visiblement en passe de gagner la place qu'elle mérite et qu'on
lui accorde déjà depuis quelques années en Angleterre et en Allemagne. Et
ce sera justice, car depuis Schumann aucune autre symphonie n'est arrivée à
se maintenir aussi rigoureusement dans les formes classiques de la sym-
phonie, avec autant d'esprit nouveau, que cette dernière œuvre du compositeur
russe. On y chercherait en vain les thèmes slaves qu'on trouve si souvent
dans ses compositions lyriques : cette symphonie est bien internationale,
comme les productions classiques du genre. Cela ne l'a pas empêché de
traiter l'orchestre avec tout le piquant et tout le raffinement des musiciens
néo russes. Le plus grand succès a été obtenu, comme toujours et comme
partout, par l'allégro con cjrazia, dans lequel un ravissant thème, frais et
mélodieux comme une inspiration de Schubert, est développé d'une façon
absolument charmante et souligné par des effets d'orchestre poignants,
comme par exemple le pizzicato si heureusement employé. L'adagio lamen-
toso qui clôture l'œuvre a été également fort goûté et quelques marques
isolées de mécontentement ont été vite réprimées par les applaudissements
bien nourris de la grande majorité de l'auditoire. Encore quelques exécutions
aussi impeccables que la dernière et l'œuvre aura conquis droit de cité
dans les programmes de nos grands concerts. Deux œuvres françaises ont
complété celui-ci : le premier concerto pour piano, de Saint-Saêns, correc-
tement interprété par M™= Berthe Marx, et le superbe finale du diver-
tissement des Erinnyes, de Massenet, admirablement joué et accueilli avec
une satisfaction très légitime. 0. Berggruen.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Châtelet, concert Colonne : Rédemption (César Franck). — Première Symphonie (We-
ber). — Fantaisie pour piano (Louis Aubert), par JM. Louis Diémer. — Symphonie fan-
tastifjue (Berlioz). — Ouverture de Phèdre (Massenet).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux : Troisième symphonie (Beethoven). — Stella
(H. Lntz), chantée par M"" Polack. — Fantaisie pour piano et orchesti'e (Em. Bernard),
par M. Philipp. — Siegfried-Idyll (Wagner). — Air d'Alceste (Gluck), par M"" Polack.
— ■ Invitation à la valse (Weber).
NOUVELLES DIA^ERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 novembre) :
La reprise de Werther, annoncée depuis longtemps et attendue non sans
impatience, à la Monnaie, a obtenu un vif succès. Après les débauches de
Verdi et de Meyerbeer dont nous fûmes régalés, un peu de la musique ex-
quise, rafûnée, tendrement féminine de M. Massenet devait plaire particuliè-
rement. Et cette reprise de l'œuvre expressive et charmante du maitre, souvent
jouée à Bruxelles par des interprètes divers, nous apportait un intérêt spé-
cial, celui d'une distribution cette fois encore complètement nouvelle et com-
posée d'éléments bien faits pour piquer notre curiosité. On était curieux en
effet de voir le rôle de Charlotte — qui fut créé ici, presqu'en même temps
qu'à Paris, par M"°= Chrétien- Vaguet, et où, ensuite. M"": Lejeune fut si
remarquable, si idéalement sentimentale et touchante — chanté par M"« Pa-
quot, dont la voix admirable pouvait y paraître mal à l'aise, et peu faite pour
en rendre toutes les délicatesses. Avec une rare intelligence et un instinct
scénique qu'elle avait fait deviner dès ses premiers débuts, la jeune artiste a
bravé ce péril et en est sortie victorien sèment. Elle adonné à certaines pages
de l'œuvre un éclat et une intensité superbes, notamment la magnifique scène
du troisième acte, dans laquelle M. David, un "Werther plein de jeunesse et
de chaleur, lui adonné la réplique excellemment. Une Sophie gentillette, un
peu timide, M"= Tourjane, un bailli tout à fait bien, M. Belhomme, et
M. Badiali, dans le rôle d'Albert, complétaient cette interprétation très soi-
gnée, à laquelle l'orchestre a apporté l'appoint d'une exécution nuancée et
vibrante.
Cette soirée n'a pas été la seule où M. Massenet ait triomphé, cette semaine,
en Belgique. Il a triomphé aussi, quelques jours auparavant, au Théâtre-
Royal d'Anvers, où a été donnée la première de Sapho, qui n'avait été jouée
encore qu'à Tournai, fort imparfaitement. Cette fois, l'œuvre était défendue
par des artistes de réel talent, tels que M"« Marignan, une Sapho extrême-
ment distinguée, et M. Boulo, un Jean Gaussin plein de mérite, sans oublier
M""^ Tony (Divonne), MM. Lequien (Césaire) et Rossel (Caoudal), et elle a
produit un effet considérable. La scène finale du troisième acte a été saluée
d'un triple rappel, et les deux derniers actes ont fait verser des déluges de
larmes. Très bon orchestre, dirigé par M. Bruni, et chœurs vaillants. Les
Anversois sont très fiers de ce succès, qu'ils o.nt enlevé disent-ils, aux Bru-
xellois pour se venger de tous ceux que les Bruxellois leur prsnnent. On sait
que lorsque les Anversois se mettent à être enthousiastes, ils ne le sont pas
à demi. Ce sont les Marseillais de la Belgique. Et déjà ils se préparent à
s'offrir une autre primeur, celle du nouvel opéra de MM. Nestor de Tière et
Jan Blockx, la Fiancée de la mer (De Brind der Zee), qui verra le jour à la fin
du mois au Théâtre flamand. L'œuvre est, dit-on, très dramatique, et la par-
tition, très pittoresque et très vivante, tout à fait digne du compositeur de
Princesse d'auberge et de Thyl Vylenspiegel L. S.
— En Belgique, les directeurs de troupes, les sociétés dramatiques, les
propriétaires ou locataires de salles de spectacles désireux de faire admettre
leurs salles comme théâtres réguliers, doivent en faire la déclaration à l'ad-
ministration communale de la localité où la salle est située. Le gouverne-
ment vient de publier le relevé des théâtres admis comme réguliers pour
l'année théâtrale 1901-1902. Il en résulte que le nombre de ces théâtres s'é-
lève, pour tout le royaume, à 237. La ville qui en possède le plus grand
nombre est Liège, qui en compte 8. Viennent ensuite Bruxelles et Anvers
avec chacune 7 théâtres, puis Gand avec b, et Limbourg avec 2. Ua seul
chef-lieu de province, Bruges, ne possède aucun théâtre régulier, et une seule
province, celle de Luxembourg, est dans le même cas.
— Les théâtres d'outre-Rhin ont rouvert leurs portes, et leur répertoire
lyrique montre qu'ils ne cessent de jouer les œuvres françaises. On a, en
effet, représenté, à Vienne : Faust, Carmen, Mignon, te Prophète, Roméo et Juliette,
Manon, Guillaume Tell, Werther. Robert le Diable, l'Africaine ; à Berlin: Carmen,
Faust, Guillaume Tell, Mignon, l'Africaine, le Prophète, Samson et Dalila, ia Fille
du Régiment ; à Dresde : Samson et Dalila, la Fille du Régiment, Fra Diavolo,
Mignon, le Prophète, l'Africaine ; à Leipzig: Guillaume Tell, le Prophète, le Pos-
tillon de Lonjumeau, Mignon, Faust, Carmen; à FRANCFonT : La Poupée {Audrein),
Faust, Guillaume Tell, les Huguenots, Benvenuto Cellini, Carmen ; à Hanovre : les
Huguenots; à WiESHADEN : Mignon, le Prophète, Carmen, Djamileh; à Carlsruhe :
Carmen, Fra Diavolo, Guillaume Tell; à Cologne: le Postillon de Lonjumeau,
Carmen, Faust, lés Huguenots.
— Jacques Ofîenhach vient de remporter un triomphe posthume à l'Opéra
impérial de Vienne, où il n'avait été joué, jusqu'ici, qu'une seule fois, son
opéra les Nixes du Rhin ayant subi à la première repré.sentation un échec
tellement formidable que la direction avait dû l'abandonner tout aussitôt.
Cette fois les Contes d'Hoffmann, admirablement interprétés et favorisés d'une
brillante mise en scène, ont obtenu un succès complet; nombreux rappels et
applaudissements retentissants après chaque acte. Le directeur de l'Opéra,
M. Mahler, conduisait en personne ; il avait aussi dirigé les repétitions avec
un zèle fort louable. Le troisième acte a cependant paru un peu long ; on dit
que quelques coupures seront pratiquées pour la troisième représentation.
— Le festival lyrique du théâtre royal de VSTeshaden, si favorisé par l'em-
pereur Guillaume II, est déjà annoncé pour le printemps prochain. On pré-
pare une représentation A'Arm'ule de Gluck, avec une mise en scène superbe,
dont Guillaume II aura à payer les frais, et une reprise de la Muette de Por-
tici, d'Auber, avec un Vésuve flambant neuf et le reste à l'avenant;
— Le malheureux compositeur Hugo 'VVolf, dont les lieder se propagent de
plus en plus en Allemagne, se trouve dans un triste état dans l'asile de
Doebling, près de Vienne, où, des amis l'ont placé; il passe ses journées dans
366
LE MENESTREL
un état d'apathie complète; il ne reconnaît plus personne. Dans ces derniers
temps sa santé physique s'est profondément altérée, et les médecins pensent
que les jours de l'artiste sont comptés. Wolf a à peine dépassé la quarantaine.
. — Une mésaventure piquante est arrivée à la chanteuse M"»^ Aranka
Hegyi. de Budapest. Un sculpteur, chargé par le conseil municipal de cette
ville de fournir une statue de Csnrdcis, la danse nationale des Magyars, pour
la salle des redoutes, avait réussi à produire, d'après la charmante artiste,
une œuvre qui a réuni tous les suffrages. Mais lorsqu'il s'agit de placer la
statue contre le pilier qu'elle devait masquer, on s'aperçut qu'elle ressemblait
trop a l'Aphrodite Calljpyge, et que cette ampleur des formes ne permettait
pas son placement contre un pilier. Le président de la commission des heaux-
arts, qui est en même temps le chef de la commission des denrées alimentaires,
— quel joli cumul! — prit alors une résolution énergique; il fit venir un pra-
ticien à qui il ordonna d'enlever à la pauvre M™' Hegyi in l'Ifif/ie la partie plan-
tureuse de son corps qui l'empêchait de décorer la salle sous forme de statue.
L'.^phrodite Callipyge l'ut ainsi transformée en Aphrodite apyge, et les citoyens
de Budapest, en regardant de près la statue du Csardàs, ne seront pas peu
étonnés de voir qu'elle manque tout à fait d'une partie de corps qui est pré-
cisément essentielle pour bien danser le csardâs.
— Un événement terrible' s'est produit le I" novembre au concert de l'Aca-
démie de musique de Munich. C'était un concert en dehors de l'abonnement,
et le public arrivait très nombreux lorsque, quelques minutes avant le com-
mencement de la séance, un fou, placé au haut des marches de l'escalier de
la salle, tira sur la foule quatre coups de revolver, blessant mortellement
deux distributeurs de billets et légèrement deux autres personnes, après quoi
il se tua lui-même d'un cinquième coup de son arme. On devine la stupeur
et l'effroi des assistants en présence d'un tel fait. Le meurtrier, dont on recon-
nut l'identité, était un sculpteur, nommé Johann Hoffmann, habitant Munich
depuis peu de temps et auquel on n'avait rien reproché jusqu'alors. Ce qui
est assez singulier c'est que l'événement resta ignoré des spectateurs placés
dans la salle, et que le concert eut lieu comme si rien ne s'était passé.
— On prépare à Mayence, pour le mois de mai de l'année prochaine, un
grand festival Berlioz-Liszt- Wagner, qui comprendra quatre concerts dirigés
par M. Félix Weingartner. C'est M. Fritz 'Volbach qui préparera le travail
des chœurs et M. Weingartner amènera de Munich son orchestre de la salle
Kaim.
— Le théâtre municipal d'Elberfeld vient de jouer, non sans succès, un
opéra intitulé Ja Base du jardin d'amour, paroles de M. James Grun, musique
de M. Hans Pfitzner. C'est un opéra très romantique, pourvu d'un prélude
qui dure une heure et dans lequel dominent les chœurs. L'œuvre a paru
originale, mais les critiques ne pensent pas qu'elle puisse se maintenir au
répertoire.
— La Société philharmonique de Varsovie vient d'inaugurer son nouveau
palais, qui contient deux salles : une grande, pouvant contenir deux mille
personnes, et une petite pour la musique de chambre. La Société a réorga-
nisé son orchestre, qui est placé sous la direction du compositeur Emile
Mlynarski. A l'occasion de l'inauguration du nouveau monument, qui est
magnifiquement décoré de fresques et de statues, la Société a donné un
concert de gala avec le concours de M. Paderewski. Ce célèbre pianiste, qui
est membre de la Société et actionnaire du nouveau monument, a été
bruyamment fêté par ses compatriotes et a reçu une couro nne de lauriers en
bronze doré.
— Quelques vUles italiennes ont célébré — célébré discrètement — le
centenaire de Bellini. A Milan, la société chorale « Vincenzo Bellini » a
donné un médiocre concert auquel on s'est gardé, dit un journal, d'inviter la
presse. Au théâtre Verdi, de Florence, on s'est borné à donner nne repré.
sentationde la Soimambula, en y ajoutant l'ouverture du Pirate; les principales
autorités politiques et administratives assistèrent à ce spectacle dans les
formes officielles. Ce n'est pas beaucoup pour honorer un génie comme
Bellini, dit un autre journal, mais c'est toujours quelque chose. A Naples, le
théâtre Bellini a donné dans la même journée la Sonnainbtila en matinée et
le soir Norma. A Catane, où l'on sait que les fêtes officielles ont été remises
un cortège nombreux s'est formé pour aller déposer une couronne sur la
tombe de Bellini ; puis il y a eu discours, concert de bande, et le soir illumi-
nations. A Palerme on a inauguré une pierre commémorative en son
honneur; M. Zuelli, directeur du Conservatoire, a prononcé quelques paroles,
et au Cercle de culture le professeur Cesareo a fait une conférence sous ce
titre : Bellini après cent ans. A Casalbuttano, où Bellini demeura longtemps
on a découvert aussi une pierre commémorative. A Gênes on a organisé une
cérémonie dans la salle Angelo Gasparino, avec inauguration d'un buste
exécuté par le statuaire Achille Ganessa, discours de M. Ferdinando Resasco
et concert bellinien. A Trieste on a placé dans le vestibule du théâtre Verdi
un beau buste en marbre, œuvre de M. Rathmann, sculpteur triestin on a
exécuté au Politeama les ouvertures de Normu et des Capulels et le conseil
communal a décidé de donner à une des rues de la ville le nom de Bellini.
Enfin, quelques conservatoires et quelques municipalités ont adressé des
dépêches à la ville de Catane. « Enregistrons encore, dit le Mondo artistico
quelques autres manifestations de ce genre, c'est-à-dire quelque chose de
moins que le bruit que l'on fait pour inaugurer la bannière d'une société de
blanchisseuses ou de portefaix. Belle Italie! » Notre confrère ajoute que
u n'étaient les journaux, qui ont parlé de Bellini avec une émotion profonde.
le grand public aurait ignoré ce souvenir sacré». Remarquons à ce propos que
les Cronnchc nnisicali de Rome ont consacré leur dernier numéro entièrement
à Bellini, en joignant au texte un portrait du compositeur, un autre de son
collaborateur Felice Romani, et la musique d'un motet à deux voix, inédit,
avec accompagnement d'orgue. Enfin, nous avons reçu le tirage à part d'une
intéressante biographie publiée par M. Ippolito Valetta dans la Niiom
Antoloi/ia. et que nous ferons connaître prochainement.
— Les trois «claqueurs» florentins dont nous racontions il y a huit jours
les exploits et l'arrestation, à propos de leur tentative de chantage envers
une jeune cantatrice du théâtre Pagliano, M"° Huguet, et envers le ténor
Pandolfini, n'ont pas tardé à passer en jugement. Traduits devant le tribunal
de Florence, ces trois gentlemen ont été condamnés chacun à deux ans de
réclusion et un an de « surveillance spéciale ». Avis aux amateurs.
— Le compositeur et pianiste Edouard Silas, né à Amsterdam en 1827 et
fixé depuis cinquante et un ans en Angleterre, recevra, selon la mode an-
glaise, un testimonial, c'est-à-dire un cadeau de valeur, pour lequel M. Cum-
mings. directeur de l'école de musique de Guildhall. à Londres, a ouvert une
souscription. M. Silas a publié plus de deux cents compositions de tout
genre: opéras, oratorios, symphonies, morceaux de piano, orgue et musique
de chambre, chœurs, mélodies, etc.
— Le prix de 2.500 francs offert à New-York par M. Paderewski pour une
œuvre de musique de chambre composée par un musicien de nationalité
américaine a été remporté par M. Arthur Bird, avec une suite pour instru-
ments à vent. Cette composition sera exécutée prochainement à New-York.
— M""« Lillian Nordica, la cantatrice bien connue, s'apprête à lancer dans
le monde un livre qui aura pour titre Bints to singers (Conseils aux chanteurs).
Cet ouvrage sera publié par les soins de M. William Armstrong, ex-critique
de la Tribune de Chicago.
— Le culte des célébrités est poussé en Amérique à un degré extravagant.
C'est ainsi qu'une dame de la plus haute société de Philadelphie porte dans
une petite breloque de cristal ce qu'elle prétend être une larme du fameux pia-
niste Paderewski, qui a fait fureur aux Etats-Unis. Elle ne souffre point qu'on
plaisante sur ce point et elle a rayé de sa liste de visites une jeune personne
qui s'est permis de rire de cette larme peut-être empruntée à un crocodile.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Il fut un [temps où l'administration de l'Opéra montrait une activité
plus grande que celle qu'on lui voit déployer aujourd'hui. Il est vrai que ce
temps est un peu éloigné. Voici ce qu'on lisait dans le Calendrier musical de
1788: — t( Jamais peut-être aucune année dramatique n'a offert un plus
grand nombre de nouveautés. L'Académie a donné six grands ouvrages neufs
à Paris, et deux à la cour. Ceux qui savent combien la mise d'un opéra exige
de tems, de soins, de peine et de dépenses, concevront dilBcilement comment
les sujets de tous les genres ont pu tenir à un si prodigieux travail et applau-
diront aux efforts de l'administration actuelle, qui n'épargne rien pour donner
à ce spectacle plus d'éclat qu'il n'eu a jamais eu. Les ouvrages nouveaux sont
Tliémistocle, musique de M. Philidor, Bosine, musique de M. Gossec, la Toison
d'or, musique de M. Vogel, Phèdre, musique de M. Lemoyne, les Boraces,
musique de M. Salieri, et enfin Œdipe à Colone, musique de Sacchini. Outre
ces six ouvrages, on a appris et répété pour la cour Stratonice, tragédie, et
Alcindor, comédie héroïque, musique de M. Dézèdes. On a, de plus, fait une
répétition préliminaire de l'opéra d'Evélina, musique de Sacchini. Le réper-
toire habituel, composé des deux Iphigénies, de Bidon, A'Armide, de Panurge,
de la Caravane, a été enrichi â'Alceste, de Boland, du Devin du village et du
Seigneur bienfaisant. » Voilà qui s'appelle travailler. En 1901, le grand effort
de l'Académie nationale de musique aura réussi à nous donner Astarté et les
Barbares. Il est vrai que l'année précédente, le public avait dû se contenter
de Lancelot. Il y a donc progrès de 1901 sur 1900.
— Demain lundi, à l'Opéra-Comique, répétition générale de Grisclidis, et
mercredi première représentation. — Hier samedi, pour la première soirée de
l'abonnement du samedi (série B), on a donné Manon avec W^" Garden et
M. Léon Beyle. A cette occasion la plupart des costumes avaient été renou-
velés. — Spectacles d'aujourd'hui dimanche : en mâtiné, Carmen; le soir, la
Vie de Bohème et les Noces de Jeannette.
— Un artiste qui tint à l'Opéra-Comique une place brillante, qui laissa
dans tous les rôles qu'il créa ou reprit le souvenir de son grand talent, est
mort trop tôt pour assurer l'existence des siens. Il s'agit de ïaskin. M. Albert
Carré, pour assayer de venir en aide à la veuve et aux enfants de celui qui
fit grand honneur à l'Opéra-Comique, a résolu d'organiser une matinée à leur
bénéfice. Il a donc formé un comité dont ont bien voulu faire partie M. Mas-
senet, membre de l'Institut, M. Adrien Bernheim, commissaire du gouver-
nement, représentant le ministre de l'instruction publique; MM. Delmas
et Georges Boyer, représentant l'Opéra; M. Baillet, représentant la Comédie-
Française; MM. Fernand Bourgeat et Vergnet, représentant le Conservatoire,
dont Taskin fut l'un des plus éminents professeurs, et MM. Fugère et Albert
Carré, représentant l'Opéra-Comique. Le comité s'est réuni et a fixé au samedi
14 décembre cette représentation, dont nous donnerons le programme.
LE MENESTREL
367
— L'Association des Artistes musiciens, fondée par le baron Taylor, célébrera
cette année, selon sa coutume, la fête de Sainte-Cécile, en faisant exécuter
en l'église Saint-Eustache, le vendredi 22 novembre, à onze heures du matin,
la messe d'Ambroise Thomas, sous la direction de iVI. André Messager. Les
soli seront chantés par MM. Carbonne et Vieuille. A l'Offertoire: Prière pour
violon, d'Ambroise Thomas, exécutée par M. Edouard Nadaud, professeur au
Conservatoire. Le Credo de Dumont sera chanté par M. Philippe Maille. Le
grand orgue sera tenu par M. Henri Dallier.
— La première matinée d'abonnement au théâtre Sarah-Bernhardt, qui a
été donnée jeudi dernier avec Phèdre de Racine et la partition de M. Massenet,
a remporté un succès considérable. Jamais peut-être la grande artiste n'avait
été plus admirable et l'émotion a été profonde. Il y a eu après chaque acte
des rappels et des ovations interminables. Quant à la partition, rendue
par l'orchestre Colonne avec plus de perfection peut-être qu'à l'Odéon. elle
a retrouvé tous ses admirateurs. La >< Marche Athénienne » et ses belles
sonorités ont porté comme au premier jour, et le délicieux entr'acte d' « Hyp-
polite et Aricie » a été bissé. Le « récit de Théramène s, si ingénieusement
souligné parla musique, qui en fait disparaître toutes les longuem's en l'animaat
et le poétisant d'une façon singulière, abeaucoup impressionné. Bref, superbe
matinée, qui s'est déroulée devant une salle comble (8.000 francs de recette)
et qui sera renouvelée jeudi prochain 21 novembre.
— « Qui aurait pensé, ditun journal italien, que l'archiduchesse Elisabeth
d'Autriche deviendrait un jour la bellc-fîUe de la célèbre danseuse Marie
Taglioni, qui il y a cinquante ans (il y en a soixante-dix), à Paris, inspirait
à Henri Heine quelques-uns de ses meilleurs vers, et à Villemessant, fonda-
teur du Figaro, l'idée d'intituler un journal la Sylphide, journal imprégné du
parfum favori de la danseuse? Ceci parce que le ballet dans lequel elle faisait
fureur portait ce titre de la Sylphide. La Taglioni inspira une passion
ardente au cœur du prince Joseph de Windischgraetz, chambellan de l'em-
pereur, au point qu'en 1866 il l'épousait à Berlin. Le hls né de ce mariage,
le 3 juillet 1867, est l'actuel prince François de Windischgraetz, époux de
l'archiduchesse Elisabeth. » Notre confrère tombe ici d'erreur en confusion.
Ce n'est point Marie Taglioni la grande, la créatrice de la Sylphide, qui
épousa le prince Joseph Windischgraetz en 1866. Née à Stockholm en 1804,
elle était alors âgée de soixante-deux ans, et il est rare qu'à cet âge une
femme donne des enfants à son époux. Mais à cet époque elle était mariée
depuis longtemps — depuis 1832 — avec un gentilhomme français, le comte
Gilbert des Voisins, dont elle eut effectivement un fils, qui, blessé pendant
la guerre franco-allemande, fut emmené en captivité à Dusseldorf. Elle
est morte à Marseille, auprès de ce fils qu'elle adorait, en ISSi. L'autre
Marie Taglioni, celle qui épousa le prince Windischgraetz, était la nièce
de celle-ci, la fille de son frère Paul. Danseuse aussi, ce n'est pas la
première fois qu'on fait confusion entre l'une et l'autre, grâce à la simi-
litude du prénom. Marie Taglioni II=, née à Berlin en 1838, est morte
en son domaine de la Basse-Autriche le 27 août ls91. Une remarque assez
curieuse est à faire au sujet des membres féminins de cette famille. Taglioni-
Marie la grande eut non seulement un fils, mais une fille, qui épousa le
prince Troubetzkoy, de sorte que cinq Taglioni sont devenues grandes dames :
1» Luigia (tante de « la S_,lphide »), qui fut comtesse du Bourg; 2° Giusep-
pina, sa sœur, qui devint comtesse Contarini: 3° Marie la grande, qui fut
comtesse Gilbert des Voisins; -i° Marie deuxième, sa nièce, devenue prin-
cesse Windischgraetz; S" et enfin, la fille de Marie la grande, épouse du
prince Troubetzkoy. Un fait si rare vaut la peine d'être signalé. — A. P.
— M. Bourgault-Ducoudray a été invité par M. Félix Huet, directeur de
l'école Humbert de Romans, à donner une audition de ses œuvres, avec
orchestre et chœurs, dans la magnifique salle qui vient d'être érigée
60, rue Saint-Didier, vaste salle de concert bien aménagée et munie d'un
grand orgue. M. Bourgault-Ducoudray fait appel aux dames et aux jeunes
filles musiciennes pour concourir à l'exécution de la partie chorale. Au pro-
gramme; une Symphonie religieuse, en cinq parties, pour chœur à toutes voix,
sans accompagnement ; trois hymnes pour chœur de voix de femmes et
orchestre ; un chœur sur un poème de V. Hugo et les chœurs d'aimées de
Thamara. Le concert sera donné fin janvier, pour une œuvre de bienfaisance.
Les personnes qui voudraient bien accepter de concourir à cette exécution
sont priées d'envoyer leur adhésion à M. Bourgault-Ducoudray, 41, rue d'Au-
teuil, en y joignant leur adresse et la désignation de leur genre de voix. Les
répétitions commenceront le 1" décembre sous la direction de M. Bourgault-
Ducoudray.
— La direction du Théâtre des Arts (la Bodinière), 48, rue Saint-Lazare,
a accepté et met immédiatement en répétitions les Aventures de Télémaque,
opérette-bouffe de Gh. Lancelin, musique de O.-V. Sehiff.
— Brillante matinée chez l'éminent professeur Rosine Laborde pour la
réouverture de ses matinées musicales. Une foule nombreuse s'y pressait pour
applaudir les élèves, M"«' Ducoudray, Gour, qui a fait entendre une jolie voix
de contralto dans Hymne d'amour de Massenet et Werther, M"=s Pornot,
Ughetto, Garelly, Heller, une Manon d'avenir, qui a détaillé l'air avec beau-
coup de finesse; M™» Gauley-Texier, Potron-Lahorde, Jennings, délicieuse
dans Louise et le Sais, Priad, Maurouf, très dramatique dans Bérodiade. —
M°" Heller et M. Ama ont dit de façon exquise le duo de Manon et M. I''er-
nand Lecomte, avec son charme habituel, a brillamment enlevé l'air de Jean
>y Bérodiade.
— Le programme de la direction du théâtre des Arts, à Rouen, pour la
saison qui vient de s'ouvrir, porte décidément les titres de six ouvrages
inédits : les Guelfes, opéra en cinq actes, paroles de Louis Gallet, musique de
Benjamin Godard; la Fille du Calife, opéra eu deux actes, paroles de MM. Paul
Gollin et Charles Jacomet, musique de M. Lacheurié; Mimi la Provençale,
comédie lyrique en trois actes, paroles de MM. Maurice Lecomte et A. P. de
Lannoy, musique de M. Georges Palicot; le Clocheton de Paimpol. légende bre-
tonne, paroles de MM. Eugène Lemercier et Raphaël May, musique de
M. Charles Hess ; l'Idole aux yeux verts, ballet en deux actes de M. Raoul Le-
febvre, musique de M. Ferdinand Leborne; le Faune, ballet en un acte, mu-
sique de M. Edouard Kann.
— On nous communique la note suivante. — Le maire de Toulouse a
l'honneur de faire savoir que deux concours sur titres auront lieu par les
soins du conseil d'administration du Conservatoire de musique pour la dési-
gnation, 1" d'un professeur de trombone, 2" d'un professeur de hautbois.
Chacun de ces ces concours sera suivi d'une épreuve pratique. Les demandes
doivent être adressées à la mairie de Toulouse (bureau de l'instruction publi-
que et des beaux-arts) avant le 26 novembre courant.
— On s'occupe beaucoup en, ce moment, à Nice, de la fondation d'un
conservatoire. La question est sérieusement à l'édude et, dit-on, en très
bonne voie d'exécution, grâce aux efforts de plusieurs personnalités très
compétentes qui se sont mises à la tête du mouvement. On espère une
solution dans un avenir très prochain.
NÉCROLOGIE
A Vienne est mort à l'âge de 82 ans le célèbre harpiste Antoine Zamara.
Il était né â Milan et s'était rendu très jeune à Vienne, où il entra dans la
classe de composition du célèbre théoricien Sechter. A cette époque il était
déjà un excellent artiste et donnait des concerts avec un grand succès. En
1842 il fut engagé en qualité de premier harpiste à l'orchestre de l'Opéra
Impérial, auquel il appartint pendant cinquante ans. En 1892 seulement
Zamara avait pris sa retraite, mais il continuait adonner des leçons; pendant
une vingtaine d'années il avait aussi été professeur de harpe au Conserva-
toire de Vienne. Parmi ses élèves compte son fils Alfred, qui s'est déjà dis-
tingué comme compositeur. Antoine Zamara laisse beaucoup de compositions
pour son instrument et aussi pour violon, violoncelle et cor.
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1. VOIR GBISÉLIDIS ! Ouvrez-mus sur mon front, portes du Paradis! T. 6
1 bis. Le même pour baryton 6
2. CHANSON D'AVIGNON : En Avignon, pays d'amour. Soprano .... 5
2 bis. La même pour mezzo-soprano 5
3. RÉCIT DU DIABLE : J'avais fait, comme on dit, le diable sur la terre. B. 6
4. TRISTESSE : Oiseau qui pars à tire-d'aile. Baryton. . . . ... .3
4 bis. La même pour ténor .• ■ • ^
5. LE SERMENT lE GRISÉLIDIS : Devant le soleil clair. Soprano. ... 3
o bis. Le même pour mezzo-soprauo 3
6. ADIEUX DU MARQUIS A SON FILS. Baryton . 4
6 bis. Les mêmes pour ténor ■ • ■ • ^
7. LOIN DE SA FEMME QU'ON EST BIEN ! Baryton 6
8. LE DIABLE ET SA FEMME. Duo pour haryton et soprano 9
9. IL PARTIT AU PRINTEMPS ! pour soprano
9 bis. Le même pour mezzo-soprano
10. TRIO : Merci du grand iwnneur! 2 sop. et baryton
11. ÉVOCATION : Des bois obscurs, des blanches grèves. Baryton ....
11 bis. La même pour ténor
12. CHANSOV D'ALAIN : Je suis l'oiseau que le frisson d'hiver. Ténor .
12 bis. La même pour baryton
.13. GRAND DUO : Rappelle-toi le jour. Ténor ot soprano
13 bis. Rappelle-toi, pour ténor seul. — 13 ter. Pour baryton seul .
14. PRIÈRE DE GRISÉLIDIS : Des larmes brûlent ma paupière
IB. DUO DU RETOUR : A vant de vous parler. Baryton et soprano . . .
16. L'OISELET EST TOMBÉ DU NID ! à deux voix pour sop. et baryton.
16 bis. Pour voix seule (sopr. ou tén.) — 16 ter. Mezzo-sop. ou bar.
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5 »
5 »
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7 50
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4 »
7 50
3 »
3 »
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Le même pour piano à 4 mains 6
ENTR'ACTE-IDTLIE :
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b. Pour piano 4 mains 6
c. Pour violon et piano. 6
d. Pour flûte et-piano 6
e. Pour -violoncelle et piano G
f. Pour mandoline et piano 6
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Chaque partie séparée, net. I
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VALSE DES ESPRITS :
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b. Pour piano 4 mains 6
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d. Pour flûte et piano 6
e. Pour violoncelle et piano 6
f. Pour mandoline et piano 6
Partition d'orchestre, net 6
Parties séparées d'orchestre, net 10
Chaque partie séparée, net '. 1
AVIS AUX DIRECTEURS. — Les Éditeurs du « Ménestrel » traitent dès à présent de cet important
ouvrage avec les entreprises théâtrales de la province et de l'étranger, — l'orchestration pouvant être
livrée aussitôt après la première représentation à l'Opéra-Comique, au courant de novembre.
THÉRTl^E de Ii'ODÉON
Partition piano solo
net : 5 francs
PM6DMB
Tragédie de RACINE
OUVERTURE, ENTR'ACTES & MUSIQUE DE SCÈNE
composés par
J. f^ASSENET
Exécutés par l'ORCHESTRE COLONNE
Partition piano solo
net : 5 francs
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO : I. Ouverture, 7 fr. 50 c. — II. Offrande, 3 fr. — III. Hippohjle et Aricie, entr'acte, 3 fr. — Marche. Athénienne, 6 fr.
ARRANGEMENTS DIVERS — SUITE D'ORCHESTRE.
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Abonnement complet d'un an, Texte, M.isique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (33" article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : première représentation de Giisélidis à l'Opéra-Comique, Arthur
Pougin; première représentation de V Auréole à l'Athénée, Paul-Émile CHiivALrER. —
III. Les Chansons populaires de? Alpes françaises (2" article), Julien Tiersot. —
IV. Petites notes sans portée : Berlioz vengé par Flaubert, Raymond Bouïer. — V. Revue
des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le auméro de ce jour :
ENTR' ACTE-IDYLLE
extrait de Grisélidis, musique de J. Massenet. — Suivra immédiatement :
Valse des Esprils, extraite du même opéra.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublieroas dimanche prochain, pour n js abonnés à la musique de chant ;
// partit au printemps, chanté par M"" Luc.ie.\ne Bréval dans Griséiidis, poème
d'ARMAND SiLVESTRE et EuGÈNE MoRAND, musique de J. Massenet. — Suivra
immédiatement: Rappelle-toi, chanté par M. Maréchal dans le même opéra.
L"iVRT MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
i'après les mémoires les plus récents et Ses flocuments ioéflits
(Suite.)
I (suite)
Mozart se dégage de cet'.e tyrannie de l'usage dans ses œuvres
dramatiques : ses airs sont d'une logique et d'une déduction
merveilleuses, sans qu'il ait besoin d'y introduire toujours le
même motif. Delacroix continue son panégyrique par l'analyse
des deux opéras auxquels il semble donner la palme. Don Juan
et U Flûle enchantée. Il vient d'entendre cette dernière partition,
et il en apprécie l'auteur dans ces termes enflammés : « Il est
vraiment le créateur, je ne dirai pas de l'art moderne, car il
n'y en a déjà plus à présent, mais de l'art porté à son comble,
après lequel la perfection ne se trouve plus... Tout ce qui a été
fait à son imitation et dans ce style ne le vaut pas et nous a
d'ailleurs fatigués ou rassasiés. »
L'audition de Don Juan laisse à Delacroix une impression ana-
logue, avec une nuance de plus. Le compositeur, dit-il, s'afBrme
toujours par une rare élégance et par la variété qu'exige la con-
naissance des caractères, mais il donne à l'expression des senti-
ments les plus tendres une teinte de mélancolie et cette allure
« qu'à tort ou à raison on appelle rowand'swe ». Delacroix, qui
devait connaître mieux que personne la propriété d'un terme
autour duquel s'étaient déchaînées de si rudes batailles, croyait-
il sincèrement au romantisme de Mozart? En tout cas ce 7-oman-
tisme lui semblait bien mitigé, puisqu'en mars 1847 il écrivait à
George Sand que Beethoven « remue » tout autrement que
Mozart, car « il est l'homme de notre temps, romantique au
suprême degré ». Là, évidemment, Delacroix a saisi, pressenti,
si l'on aime mieux, les dissemblances des deux grands musi-
ciens, et plus loin, comme s'il eût voulu préciser nettement ce
que nous avons appelé le romantisme mitigé de Don Juan, il cite
cette phrase de Mozart qui est en quelque sorte un programme :
«Les passions violentes ne doivent jamais être exprimées jusqu'à
provoquer le dégoût; même dans les situations horribles, la mu-
sique ne doit jamais blesser les oreilles, ni cesser d'être la
musique ».
L'idée que Delacroix s'est faite du génie de Mozart se fortifie
encore d'observations consignées dans son journal de 18S3. Il a
entendu chez la princesse Czartoriska une fantaisie du maître al-
lemand, « morceau grave et terrible » qui contraste avec la légè-
reté du titre; et il le compare avec la fameuse « sonate de
Beethoven », cette œuvre admirable d'un homme toujours triste,
dont l'imagination ne cesse de vibrer douloureusement. Or, sa
conclusion est, sous une forme nouvelle, ce qu'elle était il y a
dix ans : Mozart est un moderne « en ce qu'il ne craint pas de
toucher au côté mélancolique des choses »; mais « il a le bonheur
de voir aussi les choses agréables » : en un mot, c'est un musi-
cien gai, « avec une pointe de délicieuse tristesse ».
Les amis de Delacroix, qui savaient son engouement pour
Mozart, ne manquaient pas de lui communiquer, sur son auteur
préféré, les indications biographiques et bibliographiques qu'ils
croyaient susceptibles de l'intéresser ; et le peintre les transcrit
pieusement dans son journal. C'est ainsi qu'en 1849 Bertin des ■
Débats doit lui prêter un livre fort rare « sur la vie de Mozart,
une sorte de « compilation de tout ce qui a été écrit sur lui ».
En 1854, S... parle à Delacroix d'un volume bien autrement pré-
cieux : c'est un agenda de la main même de Mozart, où le com-
positeur note ses travaux ; il passe souvent des mois sans rien
produire, mais quand il se remet à l'œuvre, le labeur d'une
seule journée est parfois prodigieux.
Delacroix ne rencontre pas toujours des amis qui entretiennent
son enthousiasme : ce fou de Delsarte, dont nous avons déjà
signalé les goûts archaïques, n'est-il pas venu lui conter que
Mozart avait pillé Galuppi?
— Certes, réplique le peintre, comme Molière a pillé.
Delacroix se plaît d'ailleurs à ces comparaisons, à ces analo-
gies ou à ces contrastes que notre esprit français recherche vo-
lontiers entre artistes et lettrés. Il dit quelque part que Mozart
et Racine paraissent naturels; aussi étonnent-ils moins que
Shakespeare et Michel-Ange.
370
LE MÉNESTREL
De même il écrit, pour bien caractériser rindépendance et le
désintéressement du génie : « ni Mozart, ni Molière, ni Racine,
ne devaient avoir de sottes préférences, ni de sottes anti-
pathies ».
Nous retrouvons une comparaison non moins curieuse, tou-
jours à propos de Mozart, chez un contemporain de Delacroix,
Gounod, que les opéras du maître allemand faisaient presque
tomber en pâmoison. Encore enfant il assiste, avec sa mère,
dans une petite loge des quatrièmes aux Italiens, à une représen-
tation de Don Giovanni.
« Dès le début de l'ouverture, je me sens transporté par les
solennels et majestueux accords de la scène finale du Comman-
deur dans un monde absolument nouveau... Je fus pris d'un tel
effroi que ma tête tomba sur l'épaule de ma mère... « Oh! ma-
man, quelle musique! c'est vraiment la musique... »
Il semblait au jeune dilettante qu'entendre Don Giovanni après
Otelto, c'était « passer du contact des maîtres vénitiens à celui
de Raphaël, de Léonard de Vinci, de Michel- Ange... »
Cette soirée aux Italiens avait laissé Gounod sous l'impression
de sensations tellement exquises, que longtemps après, en 1839, '
quand sa mère voulut le récompenser de son prix de Rome,
elle lui donna la grande partition de Don Juan.
Ce fut également du haut des régions paradisiaques que Gou-
nod entendit pour la première fois cet opéra de la Flûte enchantée
qui faisait les délices d'Eugène Delacroix. A peine sorti de l'école
de Rome, il avait entrepris le voyage d'Allemagne. De passage
à Vienne, il était entré, le soir, au Grand-Théâtre, où la modi-
cité de sa bourse ne lui permettait pas d'occuper les premières
places. Il n'en resta pas moins émerveillé. L'exécution était
excellente. Otto Nicolaï dirigeait l'orchestre ; M"'" Hasselt-Barth
tenait le rôle de la Reine de la Nuit et Staudigl celui de Sarastro,
Staudigl avec son admirable voix et sa méthode plus admirable
encore. Gounod fit passer sa carte au directeur, qui, très cour-
toisement, dans l'intervalle d'un entr'acte, le présenta aux ac-
teurs sur la scène. Ce fut à cette circonstance qu'il dut d'entrer
en relations avec le comte Stockhammer, président de la Société
Philharmonique, qui fit exécuter dans l'église Saint-Charles la
messe de Rome du jeune compositeur. Gounod y gagna en outre
la commande d'un Requiem, qui fut chanté le 2 novembre suivant
dans la même église.
N'oublions pas de citer parmi les fanatiques de Mozart le baron
de Trémont, qui affirme avoir fait connaître le premier les qua-
tuors du maître. Il avait réuni chez lui Rode, Auber, Lamarre et
Baillot : celui-ci « fit la grimace » quand il fallut déchiffrer cette
musique nouvelle pour lui. On comprend de reste que sa résis-
tance ne fut pas de longue durée et que bientôt le quatuor
formé par le baron de Trémont se mit de grand cœur à
l'œuvre.
Notre devoir d'historien nous oblige de signaler une ombre à
ce clair tableau.
Dans Choses Vues (1), Victor Hugo n'écrit-il pas (il est vrai
qu'il passa toujours pour un musicophobe) que le Requiem de
Mozart, «joué pour le retour des cendres de Napoléon », n'a
produit aucun effet, que « c'est une musique ridée » ?
Ah! si Gounod avait entendu un tel blasphème!
fA suivre. ) Paul d'Estrées.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique. Grisélidis, conte lyrique en trois actes, avec un prologue,
poème d'Armand Silvestre et M. Eugène Morand, musique de M. J. Mas-
senet. (Première représentationje 20 novembre 1901.)
La Fontaine disait :
H nous faut du nouveau, n'en fùt-il plus au monde,
mais le nouveau n'est pas toujours absolument neuf, et la séduisante
Grisélidis que l'Opéra-Comique vient de nous offrir en est une preuve
(1) ViCïOn Hugo. — Choses Yves: C. Lév^, 1898-IS99.
convaincante. C'est assurément une œuvre nouvelle que cet opéra écrit
par M. Massenet sur un livret charmant que le regretté Armand Sil-
vestre et son compagnon M. Eugène Morand ont tiré pour lui du joli
(i mystère » que, voici dix ans, ils donnaient tous deux à la Comédie-
Française. Mais le sujet lui-même, bien que de naissance essentielle-
ment française, était loin d'être inédit, puisqu'on en fait remonter l'ori-
gine à plus de neuf cents ans, c'est-à-dire en plein moyen àgo. Marie
de France, le gentil poète en langue d'oil, parait être la première qui,
dès le treizième siècle, s'est inspirée de la légende populaire, et on en
trouve le récit sous ce titre : le Lai du Frêne, dans son recueil de lais et
de fabliaux intitulé Ysopet; Boccace ensuite l'immortalise en italien
dans sou Décaméron (dixième journée), tandis que Geoffroy Chaucer s'en
empare en Angleterre; Pétrarque à son tour la raconte en latin, et elle
ne revient en France qu'après plus de trois cents ans, avec notre aima-
ble Perrault, qui prélude à ses jolis contes de fées en prose : k Petit
Poucet, le Chat botté, etc., par un conte en vers intitulé la Marquise de
Salusse.i ou la Patience de Grisélidis, plus connu depuis lors sous la sim-
ple appellation de Grisélidis. Enfin, au dix-huitième siècle, Hamilton
d'un côté, Imbert de l'autre, reprennent, en prose, le sujet de Grisélidis
et le traitent chacun à sa manière. On a dit à tort que l'Opéra avait tiré
un ballet de la légende ; c'est une erreur, causée par une quasi simili-
tude de nom. Le ballet de l'Opéra, dû à Dumanoir et Adolphe Adam et
représenté le 16 février 1848, avait pour titre non Grisélidis, mais Gri-
seldis, et son sous-titre : « ou les Cinq Sens », aurait dû suflfire à éloigner
toute supposition d'analogie. De fait, il n'y en a aucune entre ce ballet
et la légende depuis si longtemps fameuse.
Ce n'est pas qu'on n'ait essayé de transporter au théâtre ce sujet
devenu si populaire. Sans parler de « Grisélidis ou la Marquise de Saluées,
histoire mise par personnages et rimes, l'an 1395, par J. Bonfons », on
connaît une comédie en cinq actes et en vers de M""^ de Sainlonge, la
Griselde ou la Princesse de Saluées, qui fut jouée et imprimée à Dijon
en 1714. Dans le même temps, c'est-â-dire en 1717, on jouait en Italie
une tragi-comédie intitulée Grisélidis. Un siècle et demi se passe, et
nous voyons représenter à Naples, sur le théâtre Nuovo, le 6 janvier 1878,
Ch'iselda, o la Marchesana di Saluzzo, opéra semi- sérieux, livret de
M. Enrico Golisciani, musique de M. Oscar Scarano, et enfin, le
3 mars 1898, on joue au théâtre municipal de Troppau Grisélidis, « mys-
tère », paroles de M. O. Mayer, musique de M. Clément Frankenstein,
qui est une imitation bien évidente du « mystère » de MM. Armand
Silvestre et Eugène Morand.
Ou sait la légende, telle que Perrault Fa recueillie. Le comte de
Saluées rencontre aux champs, dans une chasse, une jeune bergère,
Grisélidis, dont la beauté l'éblouit à tel point qu'il en fait sa femme et
l'épouse. Mais ce comte, être bizarre, dur et ombrageux, ne tarde pas,
sous prétexte d'éprouver la patience et les vertus de celle à qui il a
donné son nom, à la rendre aussi malheureuse que possible. Il la con-
fine et la tient d'abord étroitement enfermée dans ses appartements, lui
refusant tout plaisir et toute distraction; il lui supprime ensuite ses
bijoux, ses parures et ses ajustements; puis il lui enlève jusqu'à son
enfant, dont peu après il lui annonce faussement la mort; non content
de cela, il lui apprend bientôt qu'il la répudie pour se remarier, qu'elle
ait donc à quitter le palais et à reprendre son ancien état ; puis enfin il
la rappelle pour l'obliger à servir celle même qui doit prendre sa place.
Ce n'est qu'après cette dernière épreuve, où la patience de l'infortunée
n'a pas faibli un instant, que, satisfait de son obéissance, le comte, avec
son amour, lui rend son rang et sa situation.
En tête de son récit, Perrault place une dédicace à une demoiselle***,
dédicace qu'il termine, après avoir fait ressortir la patience de son
hérome, par une épigramme un peu bien impertinente :'i l'adresse des
Parisiennes :
Eu vous offrant, jeune et sage beauté.
Ce modèle de patience.
Je ne me suis jamais flatté
Que par vous de tout point il seroit imité;
C'en seroit trop, en conscience.
Ce n'est pas que la patience
Ne soit une vertu des dames de Paris;
Mais, par un long usage, elles ont la science
Do la faire exercer par leurs propres maris.
Les auteurs du « mystt'.re » de la Comédie-Française transformé en livret
d'opéra n'ont emprunté à la légende que son point de départ: le mariage
du marquis avec la bergère Grisélidis, et un incident : renlèvement de
son enfant, en le transformant lui-même. Ils ont introduit le fantastique
dans l'action, en y plaçant le diable, et même la femme de celui-ci, et
ils ont supprimé la persécution de l'époux sm' l'épouse, en remplaçant,
pour conserver l'intérêt de la situation, cette persécution par celle du
LE MÉNESTREL
371
diable eu personne. Je rappelle rapidement les faits, pour ceux de mes
lecteurs qui n'auraient pas vu la pièce à la Comédie- Française.
En un prologue qui n'existait pas à la Comédie, nous voyons le ber-
ger Alain, attendant, dans la forêt, la venue de Grisélidis, dont il est
épris et dont, avec enthousiasme, il vante la beauté. Parait le marquis,
qui, en chassant, vient d'entrevoir la chaste bergère. La voici elle-
même, et le marquis, transporté à sa vue, lui demande aussitôt si elle
veut être sa femme. Elle répond avec modestie qu'elle est sa servante et
qu'elle ne peut que lui obéir. Le marquis la fait alors conduire au châ-
teau, tandis qu'Alain est au désespoir. .
Quelques années se passent et nous voici au premier acte, dans le
château. Le marquis va partir pour la Terre Sainte, où il doit combattre
les Infidèles, laissant sa femme et son fils sous la garde du prieur.
Celui-ci émet des doutes sur la fidélité des femmes en l'absence de leurs
époux. Le marquis répond qu'il ne redoute rien quant à la sienne, et le
diable lui-môme serait là... Aussitôt le diable se présente, un assez bon
diable en apparence, hilarant et de joyeuse humeur, mais qui n'en est
que plus redoutable, et qui raille le marquis sur sa confiance, on l'as-
surant qu'il n'est point de femme qui ne soit prête à pécher. Un pari
s'engage alors entre lui et le marquis, qui le met au défi de faire fléchir
Grisélidis et, pour lui prouver sa quiétude, lui donne en gage son anneau
nuptial. Le diable parti, le marquis fait ses adieux à Grisélidis, em-
brasse son enfant, puis s'éloigne avec ses chevaliers.
Deuxième acte, une terrasse devant le château, en vue de la mer.
Scène comique, querelle de ménage entre le diable et sa femme, qui se
raccommodent à la seule pensée du mal qu'ils vont faire en s'elTorçant
de perdre Grisélidis. Tous deux se présentent à elle comme arrivant
d'Orient et lui apportant des nouvelles du marquis. Grisélidis tres-
saille de joie, mais sa joie est de courte durée lorsque le faux Oriental
lui apprend que la femme qui l'accompagne est une esclave qui a été
précisément achetée par le marquis, que celui ci doit l'épouser à son
retour et qu'il ordonne, en attendant, que tout le monde lui obéisse et
qu'elle soit la maîtresse au château. Incrédulité de Grisélidis, qui
demande une preuve. Le diable alors lui montre l'anneau du marquis.
L'infortunée, après un sentiment de révolte, courbe la tête et se sou-
met à ce qu'elle croit être la volonté de son époux. Ce n'est pas l'afifaire
du diable, qui pensait la mettre en fureur. Il essaiera d'un autre
moyen. Il met Grisélidis en présence d'Alain, espérant qu'à l'aide des
souvenirs il la fera faillir. Peine perdue. Malgré tous ses artifices,
malgré toutes les embûches, la seule pensée de son enfant sauve
Grisélidis. Alors le diable, pour se venger, lui vole son enfant et l'em-
porte.
Nous trouvons, au troisième acte, Grisélidis en son oratoire, priant
devant le triptyque de sainte Agnès, qu'elle conjure de lui rendre son
fils. Tout à coup, présage funeste, la statue de la sainte a disparu. C'est
alors que, sous un nouveau déguisement, le diable vient encore la ten-
ter, en lui donnant l'espoir de retrouver son enfant. Elle s'éloigne avec
cet espoir, et bientôt voici le marquis de retour, surpris de ne point
trouver Grisélidis. Le diable, toujours déguisé, lui insinue qu'en son
absence sa femme a bien pu le tromper, et glisse le soupçon en son
àme. Mais le marquis reconnaît son anneau au doigt de cet inconnu.
C'est le diable, se dit-il. Et pourtant, si l'infâme lui disait la vérité I...
Il doute encore quand reparait Grisélidis, ivre de joie de revoir son
époux, et qui n'a pas de peine à se disculper. Mais elle lui apprend
qu'on lui a volé leur enfant. Fureur du marquis, qui cherche une arme
et va pour arracher une épée à une panoplie, lorsque toutes les pano-
plies disparaissent. La prière seule lui reste pour conjurer l'esprit malin.
Il se jette à genoux avec sa femme devant le triptyque, et tous deux
prient avec ferveur. Bientôt la croi.Y placée devant l'autel se transforme
en une épé e flamboyante dont le marquis s'empare. Puis, nous dit le
livret, « tous les cierges de l'oratoire d'eux-mêmes s'allument à la fois ;
an dehors, dans- le clocher de la chapelle, les cloches sonnent l'allé-
gresse; tout l'oratoire étincelle de lumière, et, d'un coup, le triptyque
s'ouvre avec fracas, la sainte est de nouveau sur son piédestal, tenant
l'enfant endormi devant elle. Les gens du château, les hommes d'armes,
accourus, demeurent sur le seuil immobiles, bras levés et mains jointes,
en extase ».
Tel est ce poème curieux, d'une saveur toute particulière, que ses
auteurs avaient justement qualifié de « mystère »et qui, par sa nature,
semblait précisément fait pour appeler et exciter l'inspiration d'un
musicien. Outre son caracti-'re mystique, le mélange très original de
tendresse, de comique et de surnaturel fournissait â celui-ci tous les
contrastes qu'il pouvait désirer et lui donnait la faculté de varier, avec
ses moyens d'expression, toute la richesse des couleurs de sa palette.
Nul autre, semble-t-il, ne paraissait plus apte que M. Massenet à tirer
d'un tel sujet tout le parti qu'il comportait, et je crois bien qu'il y a
réussi à souhait.
Toute cette partition de Grisélidis estd'un bouta l'autre si mélodieuse,
si chantante, si inspirée, que j'éprouve quelque difliculté â choisir, parmi
les pages qui la composent, celles qui sont le plus dignes d'exciter et
de retenir l'attention. Il est convenu aujourd'hui, pour une certaine
critique, qu'il n'y a plus ni opéra ni opéra-comique, et que le premier
doit être remplacé par le drame musical, le second par la comédie mu-
sicale. C'est une question de mots, béte comme toutes les questions de
mots. Mais enfin, puisque quelques-uns veulent une transformation
dans la forme lyrique, puisqu'ils prétendent absolument proscrire, avec
le dialogue parlé, la division nette en morceaux séparés, puisqu'ils
établissent comme un dogme la continuité du discours musical, il me
semble que dans sa nouvelle œuvre M. Massenet, par un mezzo termine,
a trouvé la véritable forme â adopter pour satisfaire les plus exigeants.
Son discours ne s'interrompt jamais, mais il nous fait grâce de ces
récitatifs insupportables, lourds, sans valeur et sans saveur, qui « or-
nent » certaines œuvres prétendues musicales que vous connaissez bien.
Il écrit en réalité de véritables morceaux, car il y a, dans la partition
de Grisélidis, des airs, des duos, des trios d'une forme précise, mais ces
morceaux sont reliés entre eux non par les récitatifs amorphes dont je
parlais, mais par des séries de phrases vraiment musicales, ayant un
sens, une forme et un contour appréciables, qui chantent toujours, et
qui parfois nous offrent des épisodes exquis, comme la délicieuse can-
tilène du marquis au premier acte: Traiter en prisonnière Grisélidis!
dont la suavité est telle que la salle entière l'a redemandée tout d'une
voix, comme le chant merveilleux de GriséUdis â son entrée au deuxième
acte : La mer, et sur les flots toujours bleus..., chant d'une poésie péné-
trante et d'une touchante mélancolie, dont la séduction est telle qu'on
a voulu l'entendre aussi une seconde fois. En un mot, ce n'est plus ici
de la musique désarticulée comme on nous en offre, hélas! trop souvent;
non, cette musique-là a des muscles, elle a des nerfs, elle est vivante,
elle est palpitante, c'est de la musique enfin, et elle nous mène loin des
productions aussi nulles qu'irritantes de compositeurs qui remplacent
le chant par du bruit, la mélodie par des cris et le sentiment dramatique
par des éclats et une violence qui n'ont même pas l'excuse de la logique
et de la vérité.
Le prologue, pour court qu'il soit, est à lui seul un enchantement
pour les oreilles . Il l'est aussi d'ailleurs pour les yeux, et tout se réunit
ici pour donner au spectateur une impression de poésie exquise. Le
décor, la mise en action de ces personnages qui se parlent au milieu des
arbres de la forêt, l'appel amoureux d'Alain, l'apparition de Grisélidis,
l'extase du marquis â sa vue, le court dialogue qui s'établit entre eux
sur une harmonie délicieuse, tout cela est d'une séduction qui vous
transporte dans des régions inconnues. C'est le parfait dans l'idéal.
Le premier acte s'ouvre par une sorte de fabliau, d'un gentil tour
archaïque, que chante Bertrade, la suivante de Grisélidis. A signaler
ensuite l'ariette d'entrée du diable, sur un rythme gaillard et plein de
franchise, la cantilène si touchante du marquis que j'ai déjà mention-
née et que M. Dufranne a dite avec un sentiment exquis, une autre
phrase charmante du même : Oiseau qui pars à tire-d'aile, en fa majeur,
d'un accent plein de mélancolie, enfin le serment de Grisélidis : Devant
le soleil clair, accompagné d'abord par un seul violoncelle concertant
avec la voix, puis, chaleureusement, par tout l'orchestre, pour se termi-
ner smorzando avec le même procédé.
On peut dire du second acte qu'il ne laisse pas à l'oreille un moment
de répit ou de distraction. Après l'air bouffe du diable, dont le dessin
si franc se trouve en germe dans le joli entr'acte qui le précède, après
son duo comique avec sa femme, plein d'entrain, de verdeur et de viva-
cité, le contraste est frappant lorsqu'on voit Grisélidis descendre du
château, s'asseoir sur la terrasse et, en contemplant la mer, e.xhaler sa
mélancolie dans ce chant caressant et délicieux : Il partit au printemps,
voici venir l'automne, que l'orchestre souligne avec tant de bonheur. Mais
que dire ensuite de la prière que Grisélidis fait faire à son fils, tandis
qu'on entend au loin les échos d'un chœur invisible, soutenu par les
cloches de l'angelus? A cet épisode d'une douceur et d'une suavité
angêliques succède la scène en trio de Grisélidis, du diable et de sa
femme, divisée elle-même en plusieurs épisodes et dont l'ensemble est
excellent. Puis, la nuit venue, nous avons l'évocation du diable, auquel,
dans l'obscurité, répondent des voix invisibles, l'apparition et la valse
des Esprits, tout un tableau étrange et fantastique dont la musique est
pleine de couleur et de caractère et que suit bientôt la grande scène de
la tentation entre Alain et Grisélidis, leur duo passionné, aux accents
pleins de chaleur et d'émotion, jusqu'au moment où Grisélidis, qui
semble près de succomber, est sauvée par l'arrivée de son enfant, qui
la rend à elle-même et à la raison. Et enfin, pour terminer, l'enlève-
ment de l'enfant par le diable, les cris de la mère éperdue, ses appels
372
LE MÉNESTREL
désespérés et la venue de tous les serviteurs accourant de tous côtés à
sa voix et s'élancant à la poursuite du ravisseur. Tout cela est très beau
musicalement, d'une inspiration et d'une facture magistrales, tous ces
contrastes sont traités d'une façon saisissante, tout cela est d'un
maître .
Le troisième acte est court. Il faut pourtant y sigtialer encore l'entrée
du marquis, sa scène avec Grisélidis, puis leur phrase touchante eu
duo : L'oiseau est tombé du nid, et leur prière devant le triptyque de
sainte Agnès.
Les paroles sont impuissantes à rendre certaines impressions. J'ai
essayé de déterminer les miennes. Mais ce que je ne puis dire, c'est le
charme de cotte musique, c'est la séduction qu'elle opère sur l'esprit,
c'est la volupté qu'elle procure à l'oreille. Comment faire comprendre la
grâce de ces mélodies tantôt poétiques, tantôt pathétiques, tantôt sou-
riantes, toujours savoureuses et substantielles? Comment donner une
idée de la finesse, de la fraîcheur, de la nouveauté, du piquant de ces
harmonies? comment surtout caractériser l'étonnante maîtrise de cet
orchestre, sa variété, son éclat sans brutalité, sa sonorité sans bruit,
cet orchestre à la fois substantiel et discret, toujours présent, toujours
actif, avec des accointances de timbres délicieuses, cet orchestre vrai-
ment prodigieux, qui n'empiète jamais sur les voix et dont on perçoit
jusqu'aux moindres détails, sans que pourtant, un seul instant, on cesse
d'entendre distinctement les paroles?
La partition de Grisélidis est-elle un chef-d'œuvre? On me l'a dit ; je
n'en sais rien. Mais ce que je sais et ce que j'afflrme, c'est que c'est
une œuvre charmante, séduisante, vivante, chantanti par-dessus tout,
et pour ma part je m'estime satisfait de la joie profonde qu'elle m'a
causée, de l'émotion qu'elle m'a procurée.
L'interprétation est à la hauteur de l'œuvre, et on ne saurait la
souhaiter plus parfaite et plus homogène. M"' Bréval, dont l'Opéra a
jugé bon de se séparer, peut-être parce qu'il n'avait parsoune pour
la remplacer, nous a donné une Grisélidis pleine d'élégance, de grâce
et de poésie. Elle a été vraiment, à tous les points de vue, l'héroïne idéale
de ce roman de naïveté et d'amour. Comme femme, comme cantatrice
comme comédienne, son succès a été aussi complet que mérité. Elle
avait pour partenaire, dans le rôle du marquis, un jeune artiste,
M. Dufranne, qui s'est révélé du premier coup chanteur accompli,
aussi bien par le charme de sa voix chaude et vibrante que par ses qua-
lités rares de goût, de style et de diction. L'éloge n'est plus à faire de
M. Fugère, qui a donné au personnage du diable une couleur orjo-i-
nale, tout à fait caractéristique et pleine de fantaisie, et qui a été très
bien secondé par M'i^Tiphaine, diablesse pleine d'entrain et de vivacité.
M. Maréchal a montré, dans le personnage d'Alain, ses qualités ordi-
naires de chaleur et de passion, et M"« Daffetye a donné â celui de Ber-
trade la grâce et la simplicité qui lui conviennent. MM. Jacquin et
Huberdeau complètent avec conscience un ensemble parfait.
Il faut faire aussi à la mise en scène la part qui lui convient dans un
ouvrage où elle acquiert une si grande importance. Le décor et la mise
eu action si nouvelle du prologue sont pour les yeux un charme sans
pareil; le premier est l'œuvre de M. Jusseaume, la seconde est le fait de
M. Albert Carré ; l'un et l'autre méritent les éloges les plus complets.
On n'en saurait moins dire en ce qui concerne le deuxième acte. I,à, le
tableau du peintre est une merveille de poésie, et l'épisode de l'appari-
tion des Esprits est d'une couleur vraiment prodigieuse. Complétons
enfin la part de tous et de chacun en déclarant que l'exécution d'en-
semble, orchestre et chœurs, sous la direction moelleuse et souple de
M. Messager, est au-dessus de tout éloge. En vérité, le spectacle de
Grisélidis, sous quelque point de vue qu'on l'envisage, est d'une absolue
perfection.
^ Arthur Pougin.
Athénée. V Auréole, comédie en h actes, de MM. Jules Ghancel et H. de Gorsse.
L'auréole, c'est tout ce qui reste à l'officier supérieur sans fortune
arrivé à la terrible limite d'âge. Le général Servin, encoi-e vert et vibrant
à soixante-deux ans, pour qui, comme le dit un des personnages de la
pièce, l'heure de la retraite a sonné, mais non celle de l'extinction des
feux, le général Servin, n'ayant que sa modeste pension pour vivre et
doter sa grande fille Germaine, jeune cheval échappé, superficiellement
dressé au milieu des fringants officiers d'ordonnance de son papa veuf
depuis fort longtemps, le général Servin essaie de vivre oublié chez une
sœur à lui, vieille fille bigote et tout ce qu'il y a de plus de sa petite
ville de Figeac. L'ennui le ronge, l'inaction le mine, aussi acceptc-t-il
avec empressement la situation que vient lui offrir un certain Aguilar
financier véreux s'il en fut, d'autant que la proposition arrive au moment
où le pauvre homme apprend que sa Germaine s'est laissée séduire par
le lieutenant Dalbigny. Aguilar ramasse l'auréole du vieux soldat que
l'effondremeut rend incapable de volonté; elle lui servira à éblouir les
gogos et â masquer ses tripotages plus que louches. Servin, trop brave
homme et n'ayant, comme la plupart de ses camarades, connu de la vie
que son régiment, la discipHne et les galons, se laisse rouler avec une
naïveté toute militaire. On l'arrête, et grâce à la libéralité d'un honnête
financier, le baron Danheim, très amoureux de Germaine, grâce aussi
à sa parfaite innocence, on l'acquitte. Et le vaincu de la vie, qui avait
chassé sa fille déshonorante, lui rouvre les bras ne se croyant plus le
droit de juger les faiblesses d'autrui.
Ceci, c'est le fond de la pièce nouvelle de MM. Ghancel et de Gorsse,
qui, en plus d'un endroit, 1res habilement, très théâtralement traitée,
avec une sobriété d'effet immédiat, contient encore des épisodes char-
mants, tel l'intérieur de Figeac dans lequel trône la tante Emilie, per-
sonnifiée en perfection par M"'= Madeleine Guitty, une artiste de com-
position svire et originale que, jusqu'à présent, aucun théâtre n'avait su
mettre en lumière. L'Auréole est, par ailleurs, très agréablement jouée
par la troupe de l'Athénée: M. Deval, qui a trouvé dans le général
Servin l'un des meilleurs rôles de sa carrière, M. Gauthier, qui sauve
tant qu'il peut ce qu'a de répugnant son lieutenant Dalbigny, M"' Duluc,
qui a de l'émotion, M. Lortheur de l'acquit, M. Tréville de la tenue,
M"' Suzanne Demay de la fantaisie naïve et MM. Huilier et Severin-
Mars du naturel.
P.\ul-Émile Chevalier.
LES CHANSONS POPULAIRES DES ALPES FRANÇAISES
(Suite.)
Je voudrais clore la série de ces souvenirs d'exploration en contant
un épisode qui me procura une occasion, que je n'avais point cherchée,
de recueillir des chansons. Son véritable héros fut un maître illustre,
gloire du Dauphiné et de la France, sous l'invocation de qui je suis
heureux de mettre cette étude dés ses premières pages : Hector Berlioz.
Son nom devait, â tous égards, avoir sa place ici. Berlioz vivait dans
un temps où les artistes ne se préoccupaient guère de la chanson popu-
laire, qu'ils dédaignaient et ignoraient: on peut dire cependant qu'il
en eut l'intuition. En Italie, où la musique qu'on faisait dans les
théâtres vers 1830 ne lui inspirait que du dégoût, il alla chercher des
impressions plus pures dans la monlagne. « Je m'en tins â la musique
des paysans, a-t-il écrit; au moins a-t-elle, celle-là, de la naïveté et du
caractère. » Il donne en effet, dans ses Mémoires, des notations d'airs de
pifferari dont il a reproduit les formes et les rythmes dans plusieurs de
ses grandes œuvres : Benvenuto Cellini, la symphonie à'Harold. Et si, de
retour à Paris, il n'eût eu â s'occuper de Beethoven, de Gluck, — et de
Berlioz lui-môme, — qui sait s'il ne se fût pas tourné vers l'étude
de l'art populaire, et ne fût devenu ainsi le premier de nos folkloristes?
Car il sentait très vivement ce qu'il y a de vivace dans les mélodies
rustiques : cela transparait même â travers ses boutades. Veut-il parler
du style volontairement archaïque dans lequel il a écrit son Mystère de
la Fuite en Egypte, il s'exprime en ces termes : « L'ourerture est en fa
diéze mineur sans note sensible, mode qui n'est plus de mode, qui
ressemble au plain-chant, et que les savants vous diront être un dérivé
de quelque mode phrygien, ou dorien, de l'ancienne Grèce, ce qui ne
fait absolument rien â la chose, mais dans lequel réside évidemment le
caractère mélancolique et un peu niais des vieilles complaintes popu-
laires. » La vérité est que ces vieilles complaintes populaires, dont il
parle d'un ton si dégagé, mais non sans une seci'ète sympathie, l'ont
inspiré directement, peut-être sans qu'il s'en doutât, dans la composi-
tion du Mystère. Le récit du Repos de la Sainte Famille n'est-il pas d'une
conception toute primitive ? Je retrouve dans le thème initial : « Les
pèlerins étant venus », la ligne mélodique d'une chanson de Mai popu-
laire dans tout l'Est, et que peut-être il entendit chanter en son enfance
aux paysans de la Côte-Saint-André. Il a écrit quelque part: « Je ne
veux pas faire une réputation aux Dauphinois, que je tiens, au
contraire, pour les plus innocents hommes du monde en tout ce qui se
rattache â l'art musical » ; cependant, après cet e.xorde, il fait l'éloge
d'une mélopée « douce, suppliante et triste » qu'il leur entendait chan-
ter aux processions des Rogations, et qui est une vraie mélodie popu-
laire, le fameux tonus pereyrinus de la psalmodie ; et il en avait reçu si
vivement l'impression qu'il l'introduisit dans l'œuvre capitale de son
âge mûr, la Damnation de Faust: preuve certaine qu'il av.dt su bien
écouter les chants de son pays natal.
Longtemps avant de songer â recueillir les chansons populaires dau-
phinoises, j'avais visité les lieux décrits par Berlioz dans ses Mimoires,
entre autres Meylan. L'on sait qu'en ce village, s'étageant sur le flanc
LE MÉNESTREL
373
du Saint Eynard, habitait, au temps de son enfance, une belle jeune
fille qui fut sa première passion. Le jour où j'y fus pour la première
fois, un orage me retint plusieurs heures à l'auberge. C'était dimanche;
la salle était pleine de gens attendant comme moi un rayon de soleil :
j'imaginai, pour passer le temps et chercher à faire revivre les vieux
souvenirs, de leur lire le chapitre dans lequel leur compatriote raconte
le pèlerinage d'amour que, déjà vieux, il fit en ces lieux où son cœur
avait subi le iwernier éveil. « Je sens bondir mes artères à l'idée de
raconter cette excursion », écrit-il en commençant son récit. Cependant
il s'étend plusieurs pages sur ce souvenir amer et doux : les événements
de la douzième année reviennent à sa mémoire; il semble, dit-il, un
homme mort qui revient à la vie. Le voilà gravissant la montagne : il
s'égare, interroge les paysans ; tous ont oublié : une vieille cependant
se souvient; elle a vu autrefois cette « Mam'zelle Estelle si jolie que
tout le monde s'arrêtait à la porte de l'éghse, le dimanche, pour la voir
passer. » Il monte encore, il se reconnaît, il arrive enfin. « Dieu! l'air
m'enivre... la tète me tourne... je m'arrête un instant, comprimant les
pulsations de mon cœur. » Il revoit tout, la vieille tour, la maison
sacrée, le jardin, les arbres sous lesquels il jouait de la flûte, et plus
bas la vallée, l'Isère qui serpente, au loin les Alpes, la neige, les gla-
ciers. « Saigne, mon cœur, saigne, mais laisse-moi la force de souffrir
encore. » Bile est montée sur cette pierre; elle a cueilli des fruits à ce
buisson de ronces ; sur ce cerisier sa main s'est appuyée ; et qu'est-ci •
encore? Un plant de pois qui fleurit à la même place. « Éternelle
nature I... Les pois roses y sont encore, et la plante plus riche, plus
touiFne qu'autrefois, balance au souffle de la brise sa gerbe parfumée.
Temps! faucheur capricieux! la roche a disparu et l'herbe subsiste...
Je suis sur le point de tout prendre, de tout arracher... Mais non, chère
plante, reste et fleuris toujours dans la calme solitude... sois-y l'emblème
de cette partie de mou âme que j'y ai laissée jadis et qui l'habitera tant
que je vivrai ! Je n'emporte que deux de tes tiges avec leurs fleurs-
papillons aux f]-aiches couleurs, papillons constants ! . . . adieu ! . . . adien ! . . .
bel arbre aimé, adieu!... monts et vallées, adieu I... vieille tour, adieu!...
vieux Saint Eynard, adieu!... ciel de mou étoile, adieu!... Adieu ma
romanesque enfance, derniers reflets d'un pur amour! Le flot du temps
m'entraîne; adieu. Stella!... Stella!...
a Triste comme un spectre qui rentre dans sa tombe, je descendis la
montagne.
« Et partout un doux soleil, la solitude et le silence. »
Le silence, il était dans la salle, où peu à peu tout le monde s'était
rapproché pour écouter la lecture : silence profond, complet, pareil à
celui qui régne au concert quand les sourdines murmurent la danse des
Sylphes... L'admirable public que le peuple ! Le chapitre fini, tous se
taisaient encore, dans une attitude de recueillement, pénétrés de cette
poésie qui venait de se révéler inopinément dans le terre à terre de leur
vie quotidienne. Un vieux parla le premier, disant ces simples mots,
d'un ton presque craintif, comme s'il osait à peine exprimerune opinion,
pourtant avec un air de conviction intime : « C'est beau cela, Monsieur. »
Et tous s'éloignèrent, émus. Je ne crois pas que Berlioz ait été souvent
si bien compris dans son pays natal, et je me féhcite grandement d'avoir
été ce jour-là son porte-parole .
Or, douze ans plus tard (on voudra bien excuser cette longue digres-
sion en faveur du sujet), me retrouvant à Grenoble, inoccupé pendant
la fin d'un jour d'été, je voulus revoir ce village de Meyian, aussi beau
par le site qu'intéressant par le souvenir. Arrivé près de la vieille tour
dont la ruine se cache parmi les herbes hautes, je rencontrai un homme
qui gardait un troupeau en lisant un livre d'agriculture. Il faut s'habi-
tuer à vivre avec son temps. Autrefois les bergères aux champs filaient
leur quenouillette : aujourd'hui les bergers lisent des livres d'agricul-
ture. Nous liâmes conversation, et j'appris que j'avais afîaire au posses-
seur actuel de cette terre jadis féodale. De mon côté, je lui parlai de ma
recherche de chansons. Il était au courant; un journal de Grenoble
avait publié naguère un article annonçant ma venue, et dans lequel
était professée cette double opinion : qu'il était urgent en effet de
recueillir les chansons populaires, mais que le ministère de l'instruction
publique avait eu le plus grand tort de s'intéresser à la mission que
j'avais entreprise et de m'en faciliter l'accomplissement, — conclusion
dont personne ne contestera la logique admirable. L'homme avait lu
l'article, et il faut avouer que les paroles amères ne l'avaient aucunement
ému, tandis qu'il avait été séduit par l'idée du recueil de chansons dau-
phinoises : il se mit donc tout spontanément à ma disposition. Décidé-
ment la presse a du bon. Il me conduisit dans sa maison, voisine de
celle où jadis avait vécu la belle Estelle, fit venir sa vieille mère, et lui
demanda de chanter ses chansons, dont elle avait un répertoire nom -
breux et des mieux choisis. Et, tandis qu'auprès de l'antique donjon,
dans le lieu qui avait été témoin des amours z'omantiques du maître
musicien, la paysanne redisait les airs d'autrefois, j'écrivais, assis sur le
seuil, dominant la vallée qui peu à peu s'emplissait d'ombre, levant
parfois les yeux pour contempler au loin la ligne brisée des Alpes se
découpant sur un ciel très pur : la croix de Gharaprousse, les trois pics
de Belledonne, le sombre Taillefer, maintenant colorés d'un rouge
ardent par les derniers rayons du soleil, puis s'éteignant à leur tour
dans le gris crépusculaire. Je restai là plusieurs heures, jusqu'à ce que
la nuit complètement tombée interrompit notre commun travail, e.xécuté
de part et d'autre avec une égale gravité, et je rapportai encore de Mey-
ian une dizaine de chansons, sur lesquelles je n'avais pas compté. C'est
à Berlioz que je les dois.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXXII
BERLIOZ VENGÉ PAR FLAUBERT
à Madame Lucie Delai'ue-Mardrus.
— A propos de symphonies, notez que notre Herold était un ma-
sicien . . .
— Est-ce une découverte ?
— Féru de belles audaces musicales, je n'ai jamais éprouvé qu'une
très relative tendresse pour Zampa: j'avoue sincèrement mes torts...
En écoutant cette inédite et proprette symphonie en ré (n°2), qui fut un
envoi de Rome, je trouve que le lauréat, disciple de Méhul, a dégénéré
depuis 1812. Et je maudis plus que jamais les Italiens qui ont étouffé
dans son berceau notre école de symphonistes français...
— Oui. C'est un point de vue ! Mais oubliez-vous donc le prix de
Rome de 1830 et la Fantastique?
— Dieu me garde d'être injuste pour le galvanisateur de notre art et
pour son étrange vision ! Mais quel abime entre ce merveilleux mélo-
drame instrumental et la binette académique qui a le parfum décent
d'un Boilly ! Et comment comparer le clair de lune timide avec la fou-
dre? Sagesse avant 1830 ; cauchemar au delà... D'Herold à Berlioz, la
transition parait manquer sous nos pas... L'évolution se dérobe, incom-
préhensible...
— Parce que les détails vous échappent! Et vous croyez, à chaque
instant, que l'échelle va céder parce que vous n'en connaissez pasencore
tous les échelons, dans l'ombre. Mais l'histoire, pas plus que la nature,
ne fait jamais d'enjambées. Les prodiges les plus surprenants naissent à
leurs heures. Hector Berlioz ne fut qu'en apparence un miracle. Assu-
rément, dl était « trop escarpé » pour devenir prophète en son pays dès
l'abord et pour ne pas apparaître soudain comme une « exception » dans
la France de Louis-Philippe au romantisme bourgeois. Tenez, seize ans
plus tard, à la naissance obscure de sa classique Damnation de Faust, le
maître méconnu passe encore pour un charlatan, aux yeux du moins
des réalistes qui dessinent malicieusement déjà la caricature du roman-
tisme. Oyez plutôt ces médisances, «ans vous étonner de rien : après
une loterie. M"' la princesse Flibustofskoy médite un festival au béné-
fice des inondés du Borysthénes...
— Cela promet.
— Cela va tenir. La princesse ne s'est-elle pas adressée « à l'artiste
breveté qui exécute ce genre de plaisanteries ? » Après avoir quatre fois
secoué sa crinière, l'artiste annonce son menu. Billets à quinze francs ;
972 exécutants ; tous les cuivres disponibles mobilisés pour la circons-
tance ; programme court, mais significatif : une Misse des morts et le
Combat des Uoraces et des Curiaces mis en musique. « Princesse, criait
l'artiste, en agitant sa chevelure, je retrouverai pour vous t'hymme de la
création perdu depuis le déluge/ » L'artiste tient parole et conduit lui-
même. Au pupitre, à cinq mètres au-dessus du niveau des flots de
l'orchestre, il nage avec sa mèche récalcitrante en pleine harmonie,
« lui, l'Artiste, le révélateur musical et l'aigle de la clef de fa... » Les
ailes toutes grandes, il plane dans l'èther et sonde l'assemblée d'un
regard profond. Pariez-moi du génie pour exalter les courages ! Le voilà
qui règne. Le festival a commencé. Les trompettes de Jéricho n'étaient
que des joujoux auprès de sa première note... La salle est solide : elle
résiste.. Les oreilles seules sont endommagées. Sans accident, la ilfme
funèbre en douze parties se déroule. Et maintenant, au fameux Combat !
Procédé de l'invention du grand maître et qui consiste « à mettre en
musique la vie publique et privée ». Je vous fais grâce des exemples. . .
Mais le voyez-vous, l'auteur, au pupitre, avec son « aspect ébouritîé et
(1) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 22 et 29 septembre des
1.3, 20 et i7 octobre, des ?, 10 et 17 novembre 1901. '
374
LE MENESTREL
malheureux » ? Sa coquine de mèche, vendue à ses ennemis, ne peut le
décontenancer. L'orchestre dépeint les phases du Combat : triolet pour
dire la douleur des femmes, point d'orgue pour souligner le vieillard
inflexible. Bientôt Rome est fort compromise, comme le témoignent les
trombones : mais, seul en face de ses trois adversaires, le jeune Horace
a son plan. D'autre part, les ophicléides entonnent le triomphe des
Sabins, non sans y mêler quelques réticences de contrebasses, qui ont
l'air de vous dire : « — Rira bien qui rira, le dernier... » Ainsi dit, ainsi
fait. Le stratagème a réussi. Le dernier Curiace mord la poussière avec
une rentrée d'altos; et des trilles de flageolets en font compliment au
dernier Horace... Chœur général et tiitli. « On entend tirer le canon
pour préluder à l'invention de la poudre » . L'analyse ne saurait donner
du Combat qu'une idée fort imparfaite. Cependant, vaincu par l'émotion,
le maestro s'esquive sous les applaudissements et court rédiger l'article
de la même main qui avait écrit l'œuvre et tenu le bàlon. Le génie seul
peut cumuler...
— Mais èles-vous sur qu'il s'agisse d'Hector Berlioz ?
— Regardez, je vous prie, les bois de Grandville...
— Berlioz chef d'orchestre n'était point cet énergumène. Et d'où
tirez-vous la pochade de ce « concert à mitraille » ?
— De Jérôme Palurot à la recherche d'une position sociale, par Louis
Reybavd, auteur des Éludes sur les réformateurs ou socialistes modernes
(édition illustrée par J.-J. Grandville. Paris, Dubochet, 1846). Pages 202-
205... Je cite mes auteurs.
— Ahl oui, cette vulgaire épopée qui débute par l'éloge du bon-
net de coton, avant de montrer Madame de Paturot devenue dame pa-
tronnesse... Permettez-moi seulement de vous repondre par un croquis
non moins expressif et plus rare encore. Il est signé Flaubert...
— Mais votre immortel Flaubert n'entendait rien à la musique! Il
était fermé totalement à sa voix de sirène, comme son cher Maupassant,
comme les Goncourt, comme tous les romanciers précis du groupe...
— N'empêche que l'impassible et parfait rhéteur était sensible à
l'athénienne beauté d'Orphée, qu'il vibrait sous l'archet du grand Gluck
aux soirées épiques de M™"-' Viardot, et qu'il exécrait trop vivement la
bêtise infinie du bourgeois pour ne pas s'emballer devant la douloureuse
et rayonnante odyssée de l'artiste. S'il n'était pas assez musicien pour
disséquer le Berlioz des Troyens, Flaubert était le vrai romantique né
pour pressentir l'ardent écrivain des Mémoires et le venger d'un trait de
toutes les satires triviales. Delacroix était trop dandy pour comprendre
sous les éclats révolutionnaires cette virgilieune beauté. Mais l'adorateur
de nos maîtres, l'étincelant avocat de Gluck, de Beethoven et de Weber,
le romancier de sa propre vie qui a bouleversé nos enfances devait
plaire au Flaubert précurseur, qui s'écriait dans le désarroi du siècle :
« Tout est brouillé... L'ineptie consiste à vouloir conclure! » Et c'est
pourquoi je retiens avec joie ces brèves lignes, qu'un amateur vient d'ex-
traire à point de ses autographes : « Connaissez-vous la Correspondance
de Berlioz? Je suis en train de la lire. Elle me retape. Il avait de belles
rages esthétiques et une jolie haine des bourgeois. Peu de livres sont
plus édifiants. Cela vous enfonce un peu les lettres de Balzac... » (1).
(A suivre.) Raymond Bodyek.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concert Colonne. — Le programme du dernier concert Colonne était
éminemment français, ce qui ne lui est pas arrivé depuis longtemps et ne lui
a aucunement fait tort. An contraire : la séance était fort intéressante d'un
bout à l'autre. Le concert débutait par l'intermèdesymphoniquede la Rédemp-
tion de César Franck, qu'on avait redemandé, et clôturait par l'ouverture de
Pliédre, de Massenet. Plus d'uQ quart de siècle a passé sur les partilions de
ces deux chefs-d'œuvre sans leur ravir la moindre parcelle de leur fraîcheur
ni de leur effet de bon aloi; le public les a accueillis comme de vieilles et
chères connaissances dont la visite fait toujours plaisir. La captivante ouver-
ture de Massenet fêtera d'ailleurs sous peu ses noces d'argent avec les concerts
Colonne : elle est arrivée, chose rare, tout près de sa vingt-cinquième exécu-
tion à ces concerts. Entre les œuvres de ces maîtres, un jeune composi-
teur, M. Louis Auhert, risqua, avec une Fantaisie inédite pour piano, une
ascension vers le Parnasse qui serait devenue icarienne si le talent d'exé-
cutant de son ancien professeur de piano, M. Louis Diémer, ne lui avait
servi de parachute. Le mérite de M. Diémer, qu'on applaudit et rappela
comme de raison, tut d'autant plus grand que dans cette fantaisie le piano
n'est nullement coucertant, mais seulement un instrument de plus ajouté à
l'orchestre habituel. El pour cause, car l'auteur n'ignore certes pas que
ses moyens personnels résident surtout dans le maniement de l'orchestre
et dans n l'acquis », beaucoup plus que dans l'iuveution. — La compa-
(.1) Fragment d'une lettre inédite de Flaubert (1879) et publiée pai' M. Hugues Imbert
dans le Guide .Musical du 10 novembre 1901.
raison entreprise par M. Colonne entre la symphonie en I^rance et celle
do l'étranger a été illustrée cette fois par la première symphonie de Weber,
en ut, et, nous le donnons en mille, par la... Symplwiiic faiilasliqiic, de Ber-
lioz. Alas, poor Weber! A l'époque où le futur auteur de Frcischûts offrit ces
prémices symphoniques, le bon papa Haydn était encore de ce monde; au
moment où le futur auteur de Benvenulo CiHlini composa sa symphonie,
Beethoven était déjà mort et avait dans l'intervalle rempli le monde mu-
sical de sa grande àme. Rien à glaner dans la grêle et vieillote symphonie
du jeune Weber. en dehors du sdierzo pimpant que Joseph Haydn aurait signé
des deux mains. Quant à la symphonie du jeune Berlioz, œuvre qui fut
comme le départ de tout un art nouveau, on n'a plus à la découvrir ni à
l'admirer. 0. BEnoGRUEN.
— Concerts Lamoureux. — La génération présente a-t-elle oublié l'Invita-
tion à ta valse au point de ne plus savoir que ce gracieux rondo se termine
par le retour du mouvement lent qui lui sert d'introductioa? On aurait pu le
croire dimanche dernier, en voyant une partie de l'assistance gagner bruyam-
ment les couloirs tandis qu'il restait encore deux bonnes minutes de musique
à entendre. M. Weingartner a voulu rajeunir par une orchestration nouvelle
ce petit ouvrage de Weber. Il était dans son droit. Malheureusement, il a cru
devoir, sous prétexte d'exposer les vrais principes d'une adaptation orches-
trale, entreprendre un plaidoyer pro domiinctita, et, en quarante lignes écrites
d'une plume légère que u'ont dirigée ni un tact exquis, ni une modestie
ingénue, essayer de démolir à son profit la maison du voisin. En pensant à
l'orchestration de Berlioz, si respectueuse et si discrète, on se rappelle invo-
lontairement le mot de Schumann : « Peut-être le génie est-il seul à com-
prendre entièrement le génie. » M. Weingartner a travesti le gentil chef-d'œuvre
et en a fait un papillotage de sons et de traits où il n'y a plus ni âme, ni
sincérité. Quand l'auteur dirige lui-même, cela éblouit au premier abord,
mais on en revient très vite. La juxtaposition des deux thèmes est du plus
triste eil'et. Le programme nous dit que cette fantaisie baroque, sorte d'ana-
chronisme musical, se justifie par « l'élargissement occasionnel de la réunion
de thèmes entiers qui se produit à la fin ». Comprenne qui pourra ce pathos.
M. Chevillard n'a pas eu la main assez délicate pour sauver cette étrange
version de Weber, mais il a dirigé fort bien la Symphonie héroïque et
Siegfried-Idi/ll. M. I. Philipp a interprété, avec les grandes et sérieuses qua-
lités de pianiste que chacun se plaît à lui reconnaître, une Fantaisie pour
piano et orchestre de M. E. Bernard, ouvrage d'une facture très libre, écrit
d'ailleurs avec ingéniosité. M. Lutz, cherchant un sous-litre à opposer à celui
de poème sijmphonique , a trouvé l'expression jracme lyrique et l'applique à une
sorte de symphonie avec partie de chant principale, sur les paroles de la
pièce des Cluitiments intitulée : Stella. Les instruments, par la variété de leur
coloris; la mélodie, par des oppositions de caractères; le rythme, par des
contrastes fréquents, sont employés pour souligner les mots et les phrases
de Victor Hugo. Le procédé, déjà utilisé d'une façon à peu près semblable
dans ta Fiancée du timbalier, a donné de bons résultats. M"«^ Polack n'a pas
été très heureuse dans son interprétation de ce fragment. Il faut toutefois
lui savoir gré de son effort pour s'élever au grand style en exécutant l'air si
pathétique à'Alceste : Non, ce n'est pas un sacrifice; si elle travaille sa diction,
elle arrivera sans doute à le rendre avec le sentiment qu'il comporte. M"° de
Lespinasse écrivait, à propos de VOrpliée de Gluck : Cette musique, ces accents
attachent du charme à la douleur. C'est encore bien plus vrai pour Atceste.
Amédée Boutakel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie pastorale (Beethoveni. — Chœur de Cotinette à la Cour
(Grétry). — Chœur de Blanche de Provence (Chembiai). — Chœur des Nymphes de Psy-
cM (A. Thomas). — Ouverture inédite (Mozart). — Suite pour orchestre, op. 49 (Saint-
Saéns). — Adoramus te (Corsi). — Vere laitguores nostros (Lotti). Sanctus (Lottii. — Ou-
verture de Freijschiitz (Weber).
Châtelet, concert Colonne : Symphonie en si mineur (Schubert). — 1" audition d'Ado-
nis (Théodore Duboisi. — Africa, pour piano et orchestre (Saint-Saëns), par SI"'° Roger-
Miclos. — Symphonie en ré mineur (César Franck). — Scène du Venusboi'g de TannUiu-
ser (Wagnen.
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux : 4° Symphonie, en si bémol (Beethoven). — (lon-
certo pour piano et orchestre (Sauer), exécuté par l'auteur. — Le Rouet d'Omphnle (Saint-
Saëns). — Scluihérazade (Rimsky-KorsakotT;. — Invitation à la Valse (Weber).
NOUVELLES 3DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (21 novembre). — La Monnaie veut
rattraper le temps perdu. Coup sur coup, après la reprise de Werther, elle
nous a donné celles du Tannhiiuser et de Louise. Celle du Tannhiiuscr, préparée
de longue main par la direction, qui avait mis son amour-propre à l'entourer
de soins extraordinaires, a été un véritable événement. Les wagnériens les
plus déterminés ont été unanimes à la considérer comme la plus « bayreu-
thienne » que nous ayons eue encore à la Monnaie, avec une foule de détails
mis en lumière, musicalement et scéniquement, et une compréhension aussi
fidèle que possible du caractère de l'œuvre. L'effort était vraiment artistique,
et le résultat a été vraiment intéressant. M. Imbart s'est montré un Tannbàu-
ser plein de flamme dans la faute comme dans l'expiation. M"" Paquot une
Elisabeth d'une grâce expressive charmante, M"= Litvinne une Vénus impo-
LE MENESTREL
375
santé et souple, et M. Albers un Wolfram d'une remarquable distinction.
Orchestre excelleni, sous la direction de M. Sylvain Dupuis, et gros succès.
Succès aussi pour la reprise de Louise, qui a reparu avec la distribution de
l'année dernière, en ce qui concerne trois des rôles principaux, M'i^s Friche
et Dhasty et M. Dalmorès, et nouvelle seulement en ce qui concerne le rôle
du père, que M. Seguin avait « créé » ici de si magistrale façon; M. Albers,
qui n'a ni la voix, ni le tempérament de son devancier, se contente d'y appor-
ter, à défaut d'ampleur et de puissance, son habileté de chanteur et de
comédien. Les p -tits rôles ne sont pas tous fort bien tenus, mais l'ensemble
a gardé la couleur que l'orchestre contribue à donner à l'œuvre si pittoresque
de M. Gustave Charpentier. L. S.
— On doit donner au Théàtre-Royal d'Anvers, en janvier prochain, la pre-
mière représentation d'un opéra-comique en trois actes, le Sire Ducomou,
dont le livret, dû à MM. Paul Rouget et A. Gounin, a été mis en musique
par M°"' M. Mathyssens.
. — On vient d'inaugurer à Vienne un « café chantant supérieur (UiberbreUl) »,
comme l'Allemagne en possède déjà plusieurs. A Vienne, on a consacré à
cette institution peu artistique un théâtre qui porte ce titre long et préten-
tieux : Théâtre jeune- Viennois au « Cher Augustin ». Ce « cher Augustin »
(lieber Axigiisiiii) était un chanteur ambulant viennois du « bon vieux temps »,
qui est resté populaire et en quelque sorte légendaire. IMalgré la grande va-
riété du programme, qui offrait des œuvres délicates à côté d'une camelote
innommable, et malgré quelques numéros d'une obscénité effroyable que la
censure n'aurait pas tolérés dans la Babel des bords de la Seine, le « nouveau
théâtre » n'a obtenu qu 'un succès fort douteux.
- On annonce de Vienne que IVt. Goldmark a terminé la partition de son
opéra Goet: de Bertichingen, sur des paroles imitées du drame de Gœthe, et
que cette œuvre sera jouée à l'Opéra impérial au mois de février prochain.
— L'Opéra-Royal de Berlin organise un festival Mozart, qui aura lieu entre
le 20 et le 23 novembre. On jouera les principales œuvres lyriques et sym-
phoniques du maître. On commencera par la Messe eu ut mineur, qui n'a
encore jamais été exécutée à Berlin.
— Le préfet de police de Berlin a nommé un expert musical, en la per-
sonne de M. Joseph Sucher, compositeur et ancien chef d'orchestre de l'Opéra-
Royal de Berlin, pour donner son avis sur les œuvres musicales qui pourront
être exécutées en public à certains jours fériés. On sait qu'en Prusse il n'est
pas permis d'exécuter publiquement d'œuvres musicales autres que religieuses
ou du moins très sérieuses, pendant une dizaine de jours par an désignés
spécialement comme jours de fête officiels. Inutile de dire que les intéressés
protestaient souvent contre les décisions de la préfecture de police trouvant
que certaines compositions n'étaient pas suffisamment sérieuses pour être
exécutées pendant lesdits jours fériés. Dans l'espèce, les décisions à prendre
peuvent, en effet, être assez difficiles et exiger un Salomon musical. La
Symphonie pastorale de Beethoven est-elle sérieuse, dans le sens du règle-
ment prussien? Évidemment non; mais quel inconvénient présenterait son
exécution publique la veille de la Pentecôte, jour férié en Prusse?
— L'Opéra-Royal de Budapest traverse en ce moment une crise assez grave.
Le directeur, M. Meszaros, qui devait quitter l'Opéra seulement en avril 19i)2,
a reçu son congé définitif et est remplacé provisoirement par M. Raoul Ma-
der, chef d'orchestre du théâtre. On cherche un nouveau directeur, mais il
sera difficile de trouver un artiste compétent qui consentira à prendre la
responsabilité de la direction de l'Opéra, étant données les diÊScultés admi-
nistratives qui l'entravent continuellement.
— L'opéra de M. Edouard Mascheroni, Lorenza, paroles de M. L. lUica,
vient d'être joué avec un succès marqué à l'Opéra de Cologne. C'est sa pre-
mière représeiltation en langue allemande, et les critiques d'outre-Rbin pen-
sent que l'œuvre fera son chemin sur les théâtres lyriques d'Allemagne.
— Dépêche de notre correspondant de Varsovie : « Triomphe éclatant de
Werther, avec le baryton Battistini acclamé. Lettre suit pour les détails. » On
sait que c'était le premier essai de la nouvelle version écrite pour baryton
par M. Massenet.
— Revenons sur la séance d'inauguration de la Philharmonique de Var-
sovie, qui a eu lieu le 5 novembre. La nouvelle salle, vaste et très élégante,
peut contenir 2.000 auditeurs. L'orchestre, excellent, composé de 76 artistes,
était dirigé par MM. Mlynarski et Prohazka. Le programme de ce concert,
auquel prenait part M. Paderewski, dont le triomphe a été éclatant, compre-
nait six numéros, tous de compositeurs polonais, MM. Zelenski, Stojowski,
Paderewski, Noskowski, puis Moniusko et Chopin. Une très belle sympho-
nie de M. Noskowski a produit le plus grand effet, de même qu'une cantate
de M. Zelenski, chantée par M. Grabczewski et deux chœurs réunis des
sociétés chorales de Varsovie et de Lodz. La nouvelle Philharmonique, qui
a pour président le baron Kronenberg, musicien distingué, pour vice-prési-
dent le prince Lubomirski et pour administrateur M. Rajchmanu, a engagé
pour ses prochains concerts plusieurs artistes célèbres, entre autres M'"' Gemma
Bellincioni, MM. Sarasate et Gonsolo.
— De Varsovie encore : Le succès du festival organisé en l'honneur de
Ch.-M. Widor, vendredi dernier, a été très grand. C'était le second des
grands concerts d'inauguration de la nouvelle salle des concerts. Sous la
direction de notre compatriote, l'orchestre de la Société philharmonique a
admirablement rendu sa 3= Symphonie, la suite de Conte d'avril, l'Ouverture
espagnole; puis le maître organiste s'est assis au clavier du grand orgue et a
fait entendre sa cinquième symphonie pour orgue seul et la Passacaglia de
Bach. Les deux mille auditeurs qui se pressaient dans l'élégante salle ont
fait fête à M. Ch.-M. Widor, qui a dû prolonger la séance en ajoutant h la
demande générale plusieurs pièces non inscrites au programme.
— A'enise devra à Richard Wagner et à son influence posthume un embel-
lissement appréciable. On sait que l'église Sainte-Marie-de-la-Piété, sur le
quai des Esclavons, manque encore de façade principale. Richard Wagner
avait souvent dit au riche banquier Fiorentini, de Venise, que c'était une
honte que les Vénitiens n'aient pas trouvé depuis deux siècles l'argent néces-
saire à la construction de la façade d'une église située à deux pas de la place
Saint-Marc et qui est visitée par tous les étrangers. Richard Wagner y allait
presque chaque semaiue, car il admirait fort le tableau de Morelto da Brescia,
le Christ chez le Pharisien, qui s'y trouve, et aimait â le voir aussi souvent que
possible. Or, le banquier Fiorentini vient de mourir et a légué deux millions
de francs à la ville de Venise, à charge par elle de construire enfin la façade
de l'église Sainte-Marie et de verser le reste de cette somme à l'assistance
publique. Les architectes de la ville discutent déjà le programme de la
construction et un concours sera probablement ouvert. Le problème â résou-
dre est assez difficile, car il faut donner du jour au tableau de Moretto et aux
fresques de Tiepolo qui ornent la voûte de l'église. Le plan original de la
façade devra être modifié à cause de ces deux chefs-d'œuvre de la peinture.
— Dépêche de Milan : « Hier soir, reprise triomphale de CendriUon, au
Théâtre -Lyrique. Ovations et rappels sans fin pour tous. »
— On a exécuté avec succès à Milan, à l'Institut des Filles de la Provi-
dence, une cantate biblique sous ce titre : Sinite paruulos, dont l'auteur est le
maestro PieU-o Corio.
— Les anecdotes sur Bellini pleuvent en Italie, à propos de son centenaire,
et son collaborateur Felice Romani y trouve souvent sa place. En voici une
qu'un journal raconte en ces termes, d'après le livre que la veuve même de
Romani a consacré à la mémoire de son mari. Elle est relative au Pirate,
dont la représentation allait avoir lieu à la Scala de Milan ; — « Bellini avait
dans le geste quelque chose de provincial; son costume était quelque peu
négligé. Le jour de la dernière répétition d'orchestre du Pirate, le composi-
teur, le poète et quelques amis se trouvèrent réunis dans un restaurant. Bel-
lini était fébrile, il avait des éclats de joie, il embrassait Romani, l'appelait
son bienfaiteur. Et Romani, souriant, lui disait : « Est-ce que tu vas aller
diriger ton opéra avec ce vêtement? » Bellini resta un peu confus: son poète
avait raison, mais comment faire ? Il était désormais trop tard pour y pour-
voir. Romani, continuant la plaisanterie, l'engagea, toujours en riant, à ôter
son vêtement et à essayer le sien à lui. Romani. Celui-ci lui allait à mer-
veille. Et voici que le lendemain Bellini reçoit un costume complet, que Ro-
mani avait fait faire, pour le compte de Romani, sur la mesure de Romani.
Et, le soir, le public ne soupçonna pas, tandis qu'il acclamait le musicien,
que si celui-ci avait revêtu de belles notes les vers du poète, le poète avait
revêtu de beaux habits le corps du maestro. »
— Toujour.-; à propos du centenaire. On ne connaissait, disait-on, jusqu'ici,
d'autres portraits de Bellini que des miniatures. Mais voici qu'on écrit de
Venise que M. Gabriel Fantoni, ancien notaire, auteur d'une Storia unioersale
del canto, collectionneur émérite de toutes sortes de curiosités et d'objets
d'art, possède un portrait du compositeur à l'huile, sur toile, en grand ovale,
exécuté à Milan par un élève d'Appiani, après le succès de la Norma. Ce
portrait aurait été reconnu comme unique par le vieil ami fraternel de Bel-
lini, Francesco Florimo, ancien archiviste du Conservatoire de Naples.
— ■ On annonce d'Italie que le fameux compositeur Pietro Platania, direc-
teur du Conservatoire de Naples, serait sur le point de donner sa démis ion
de ce poste important. M. Platania, né en 1828, est âgé aujourd'hui de 73 ans,
et c'est son grand âge qui le pousserait à prendre cette détermination.
— On inaugurera à Gènes, pour la prochaine saison de carême, un nou-
veau théâtre situé dans la rue du Vingt-Septembre et qui portera le nom de
théâtre Verdi.
— La section musicale du Cercle artistique de Palerme a ouvert un con-
cours pour la composition d'une « Danse fantastique » pour instruments à
cordes, harpe (et harmonium ad libitum). Le prix est de 300 francs, et le
concours sera clos le 28 février 1902.
— On nous écrit de Lisbonne que les études de la Terre iJroniise, le bel
oratorio de M. Massenet, se poursuivent avec la plus grande activité à la
Société de chant, sous l'habile direction de M. Alberto Sarti. Les soli de
l'œuvre sont confiés à M""* De Leonor Marques da Costa (soprano), à
MM. D. Vasco da Camara (ténor) et José Pinto da Cunha (baryton). L'or-
chestre comprendra 70 exécutants.
— On vient de donner, au Strand-Théâtre de Londres, une nouvelle comé-
die musicale intitulée Lune de miel chinoise, dont les auteurs sont MM. G.
Daucepour les paroles et Howard Talbot, pour la musique. Cet ouvrage qui,
tant pour le livret que pour la musique, a des analogies assez étroites avec le
fameux Mikado, a reçu néanmoins du public un accueil favorable.
— Il parait que M. Grau, le fameux manager américain, a découvert un
cuanteur d'une voix superbe. C'est un domestique du fameux restaurant
Delmonioo, à New-York, d'origine belge, qui se nomme Guillaume Duchesne.
Il doit débuter dans Lohengriii.
376
LE MÉNESTREL
— Câble de San-Francisco. Samedi dernier a eu lieu la première de Manon,
de Massenet, avec M°" Sibyl Sanderson, qui revenait pour la première fois
dans sa ville natale qu'elle avait quitté tout enfant. Depuis longtemps, la
curiosité était éveillée autour de cet événement et s'était tradui'e par une
superbe location d'avance. Le soir de la représentation, il ne restait plus une
seule placo à louer, même debout. La recette a dépassé 70.000 francs. L'en-
tbousiasme du public a été indescriptible.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le conseil supérieur du Conservatoire s'est réuni jeudi au ministère des
beaux-arts scu.'; la présidence de M. Roujon, directeur des beaux-arts, en
réunion plénière Après lecture du rapport annuel, par M. Th. Dubois, on a
procédé au vote tendant à la présentation au ministre d'un professeur d'o-
péra-comique en remplacement de M. Lhérie, nommé professeur d'opéra. Le
conseil a décidé de présenter en première ligne M. Berlin, le très distingué
artiste de l'Opéra-Comique, actuellement régisseur de ce théâtre, et en seconde
ligne MM. Morlet et Herbert.
— Encore le Cirque des Champs-Elysées ! La solution de cette affaire,
contrecarrée par une sorte de génie malfaisant, s'éloigne à mesure qu'on
semble être plus près du but. Par une lettre datée de Milan, 16 novembre,
et adressée au préfet de la Seine, M. Léon Leoncavallo déclare que, « par
suite des modifications qui sont survenues dans l'état des choses depuis la
demande en concession », son entreprise d' Opéra international aux Champs-
Elysées ne pourra être réalisée dans les délais qu'il avait escomptés tout
d'abord. Les modifications rendues indispensables par le remaniement de son
premier projet et le temps nécessaire pour réunir les éléments artistiques
dignes d'une scène qu'il ambitionne de faire une des premières du monde,
no lui permettront de s'engager définitivement que le 31 janvier 1902. Le
conseil municipal a donc étudié l'affaire à nouveau et notifié ensuite aux
intéressés qu'on leur donnait, pour verser les fonds, un délai de huit jours.
Telle est la marche justement adoptée par le conseil municipal, tout le
monde étant d'accord pour reconnaître que les Champs-Elysées ne peuvent
rester plus longtemps dans cette situation lamentable.
— Le jour même où M. Eugène Morand triomphait pour sa part avec la
première représentation de Grisélidis à l'Opéra-Comique, il lui arrivait l'beu-
reuse nouvelle de sa nomination au poste de conservateur du dépôt des
marbres de l'Etat. C'est que M. Eugène Morand n'est pas seulement l'auteur
dramatique de grande valeur qu'on sait, mais qu'il est en même temps un
artiste de haut goût et de fine érudition. Voilà, comme dit le Figaro, un heureux
jour pour lui, et il pourra le marquer d'un « double caillou de marbre blanc ».
— Et M. Eugène Morand a encore la religion du souvenir. Voici les jolis
vers qu'il adressait à M"" Bréval à la suite de la représentation de Grisélidis
et où il rappelle avec attendrissement la mémoire de son si regretté et si
charmant collaborateur Armand Silvestre:
IN JIE.MORIAM
A Mademoiselle BrévaU
Dans cette ombre lointaine où sont les morts, peut-être
S'éveille-t-il, celui qui n'eût pas dii mourir.
Et s'il rouvre les yeux, c'est pour vous voir paraître,
Et s'il déjoint les mains, c'est pour vous applaudir.
Mais du Maître qui fut mon maître et mon ami.
Si les doigts restent joints et les paupières closes,
0 vous, du moins, parmi ces lilas et ces roses.
Respirez l'âme en fleur du poète endormi.
Eugène Moband.
— Une bonne précaution par les temps de grippe que nous traversons.
M. Albert Carré vient de distribuer eu double les rôles de Grisélidis aux ar-
tistes suivants :
Le marquit
Le diable
Grisélidis
MM. Bourbon.
AUard.
M"" Garden.
de Craponne.
Grandjcan.
— Heureuse et bonne nouvelle encore pour l'Opéra-Comique : M""' Sigrid
Arnoldson vient de signer avec M. Albert Carré uu traité d'après lequel la
renommée diva donnera une série de représentations à l'Opéra-Comique au
mois d'avril prochain. La rentrée à Paris de M™« Arnoldson sera certaine-
ment un des événements de la saison musicale.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
Manon; le soir, Lakmé, la sœur de Jocrisse.
— La matinée organisée, à l'Opéra-Comique, par M. Albert Carré, pour le
bénéfice Taskin, est fixée au samedi 14 décembre. Les théâtres nationaux et
les principaux artistes des théâtres de Paris apporteront leur concours. La
Comédie-Française donnera la Visite de noces avec M"= Bartet; M""' Sarah
Bernhardt et M. Coquelinjouerout les Précieuses ridicules; dans les intermèdes
paraîtront M"« Lucienne Bréval, MM. Delmas et Coquelin cadet: l'Opéra-
Comique sera représenté par M. Fugère et M'" Tiphaine dans le Violoneux
d'Oflenbach; la Théodorini, la célèbre cantatrice roumaine, a promis de
venir tout exprès à Paris pour chanter, à l'occasion de ce bénéfice, le
deuxième acte de la Navarraise ; M''^^^ Louise et Blanche Mante, ainsi que le
corps de ballet de l'Opéra-Comique, prêteront également leur concours à cette
représentation, dont le programme se complétera encore d'autres attractions.
Le prix des places est ainsi fixé : baignoires, loges de balcon, fauteuils de
balcon, fauteuils d'orchestre, la place, 20 francs. Avant-scènes et loges de
face du 2' étage, la place, 12 francs. Loges de côté du 2= étage, la place,
10 francs. Toutes les autres places au tarif ordinaire.
— Au théâtre Sarah-Bernhardt la seconde matinée de Phèdre, avec la
musique de Massenet, a obtenu uu tel succès que M""" Sarab Bernhardt a
décidé de redonner, soit en spectacle diurne, soit en soirée, une série de
leprésentationsde la belle tragédie de Racine.
— Bien que fort au courant de tout ce qui se passait, ces temps derniers, à
la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, on a rtù re-
marquer la discrétion avec laquelle nous nous sommes tonus à l'écart de
tous ces incidents et de tous ces papotages. Aujourd'hui il nous faut bien
cependant indiquer la suite naturelle qu'ont eue ces événements, c'est-à-dire
la démission de l'agent général, M. Victor Souchon. Paix à ses cendres, dont il
est d'ailleurs bien capable de renaître un jour comme le phénix qu'il se croit.
— Vendredi dernier, en l'église Saint-Eustacbe, l'Association des artistes
musiciens a célébré, selon sa coutume, la fête de Sainte-Cécile, par une
magistrale exécution delà belle Messe solennelle d'Ambroise Thomas, sous la
direction de M. Messager, les soli étant chantés par MM. Carbonne et
Vieuille. L'œuvre de si grande tenue et de style si noble a causé une véri-
table émotion. A l'offertoire, une délicieuse Prière du maître pour violon a
été exécutée avec un grand charme par l'excellent violoniste M. Edouard
Nadaud. L'orgue était tenu par M. Henri Dallier. Bref, toute une séance
émue de saine et probe musique.
— Du Gaulois : « La musique de la garde. Si l'on en croit le bruit de cer-
taines démissions imminentes des principaux solistes, la musique de la garde
ne serait pas loin de se désorganiser. Ces messieurs, qui sont des artistes
pour la plupart, se p'aignent à juste titre d'être traités depuis quelque temps
comme des conscrits; presque tous sont mariés et logent en ville: or, il est
bien évident que les appointements, qui varient de 90 francs à 200 francs par
mois, les obligent à chercher ailleurs, c'est-à-dire à lOpéra et à l'Opéra-
Comique, le complément de ces mensualités insuffisantes. Mis en demeure
d'opter, ils préfèrent conserver leurs postes dans les théâtres, car il faut d'a-
bord vivre. — Telle est la situation, elle est fâcheuse : si on la laisse s'aggra-
ver, les solistes partiront, et, devenue semblable à n'importe quelle musique
régimenlaire, la musique de la garde perdra sa réputation européenne. Il y
a une solution ; il importe de la chercher. Que diable, avec des musiciens, il
est pourtant aisé d'obtenir... l'accord parfait! »
— La matinée donnée mercredi dernier par M""-' Marche-i en l'honneur
de M. Saint-Saëns offrait d'autant plus d'intérêt qu'elle faisait entendre cer-
taines compositions du maître qui étaient presque oubliées. L'exécution du
programmi était confiée àM"«s Louise Ormsby, May Lyvan, Claudia Hocken-
hull, Marguerite Claire, Lucie Lenoir, Ellen Yaw, Amélie Molitor et un joli
chœur de femmes, toutes élèves de l'école Marcbesi. A ce gentil bataillon
féminin se joignaient MM. Laffitte, de l'Opéra, Boyer, de l'Opéra-Comique, et
Hennebains. On a tout particulièrement applaudi la chanson de Scozzone
d'Ascanio (M"" Marguerite Claire), l'air d'Etienne Marcel et la jolie mélodie
Aimons-nous (M"« Lenoir). Vénus, duo (MM. Laffitte et Boyer), la Nuit, mor-
ceau exquis pour soprano, flûte solo et chœur (M"= Claire et M. Hennebains),
la Cloche (M"' Ormsby), les duos de femmes du Timbre d'argent et des Bar-
bares, l'air et trio de Phnjné (celui-ci bissé d'enthousiasme), et le quatuor
d'Henri VIII, magistralement chanté par M'"^^ Orsby et Lyvan et MM. LafBtte
et Boyer. Il va sans dire qu'on a fait triomphe à M. Saint-Saëns, qui accom-
pagnait lui-même ses œuvres au piano.
— .leudi dernier, à midi, en l'église Saint-Roch, a été célébré le mariage de
M"» Berthe Morris, fille du sympathique imprimeur des théâtres, avec
M. A. Mauclère, contrôleur de première classe à l'administration de l'armée,
sous-directeur du contrôle au ministère de la guerre. Brillant programme
sous la direction de M. Danbé : Marche de Lohengrin, par l'orgue, et le
remarquable quatuor de MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Pierre Des-
tombes; Pater iioster, de Niedermeyer, chanté par M. Noté, de l'Opéra; Médi-
tation, de Massenet, solo de violon, par M. Soudant; la romance de l'étoile
du Tannhduser; solo de violoncelle, par M. Destombes; 0 salutaris liostia, de
Saint-Saëns; Deus Abraham, de Théodore Dubois, par la maîtrise, sous la
direction de M. Landry; marche du Songe d'une nuit d'été, de Mendeissohn,
par l'orgue, tenu par M. Chapuis, et le quatuor sous la direction de M. Daubé.
NÉCROLOGIE
Le fameux colonel Mapleson, qui fut un des plus célèbres impresarii
d'il y a vingt ans et dont la lutte souvent heureuse au théâtre Majesly de
Londres, avec M"' Nilsson, contre Govent-Garden, avec M"= Patti (Gye étant
directeur), fit tant de bruit autrefois, vient de mourir à Londres dans un âge
avancé. Il eut une existence agitée de bien des façons, mais son activité ne
fut pas, en somme, inutile aux intérêts de l'art musical, et à ce titre nous lui
devons un dernier salut. L'homme était d'ailleurs courtois et d'une verve ad-
mirable, sans connaître jamais le découragement, même au milieu des pires
aventures.
Henri Heugel, directeur-gérant.
R. — IVPHIHEBIE CB&IX, RUB BERGERE, 20
S. — (Encre LorUlNl).
3688. — 67"=' A^^ÉE. — I\°48. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimaoehe 1" Décembre 1901.
(Les Bureaux, 2""", rue TiTienne, Paris, n-up)
f|«6 manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTR
Le HaméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le HuméPo : 0 îv. 30
Adresser khanco à M. Henri HEUGEL, directeur du MÉNESTnEL, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Pi.ino, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles {^0" article), Paul d'Estiiées. —
11. Semaine lliéâtrale ; premières représentations de la Maison et dç Hors la loi à rOdéon,
Paul-Émile Chevalier. — lit. Petites notes sans portée : le Diable à Paris, Raymond
BouYER. — IV. Les Chansons populaires des Alpes françaises (3^' et dernier article),
Julien Tiersot. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts
MUSIQUE DE CHANT
Mos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
IL PARTIT AU PRINTEMPS
-chanté par M"'= Lucienne Bréval dans Griséiidis, poème d'ARSiAND Silvestre et
Eugène Morand, musique de J. Massenet. — Suivra immédiatement : Rappelle-
toi, chanté par M. Maréchal dans le même opéra.
MUSIQUE DE PIANO
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Valse des Esprils, extraite de Griséiidis, conle lyrique de J. Massenet. — Suivra
immédiatement : la Chanson d'Avignon du même conte, transcrite pour piano
seul.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après Ibs mémoires les pins réceDls et des documents inédits
(Suite.)
II
feliles églises et grands salons. — Opinions hétéroclites. — Concerts de l'Union
Musicale. — L'Initiation à Beethoven. — Visile de M. de Trémont au maître
symphoniste. — Difficultés de l'entreprise. — Entrevue. — Beethoven chez lui.
— Voyage projeté à Paris. — L'ennemi de Napoléon. — Comment et quand
Beethoven fut joué à Paris. — Admiration mitigée de Delacroix — Définition
vraie et juste.
Certes, les Concerts populaires de Pasdeloup ont mérité à tous
égards la faveur dont ils ont joui auprès du grand public. Ils
ont fait connaître les œuvres sympîioniques de l'école alle-
mande, les beautés immortelles des Bach, des Haydn, des Mozart,
des Beethoven, des Mendelssohn; ils en ont surtout poursuivi la
vulgarisation, en les rendant accessibles aux bourses les plus
modestes. Mais ils onteu des précurseurs, à vrai dire plus timides
et surtout moins démocratiques, qui avaient réalisé depuis long-
temps une initiation, réservée jusqu'alors aux fidèles de petites
églises inabordables ou aux familiers de salons rigoureusement
fermés.
Donc, pendant la Restauration, la monarchie de .luillet, la
deuxième République et les premières années du second Empire,
des sociétés s'étaient constituées qui s'étaient donné pour mis-
sion de révéler à leurs associés ou adhérents les merveilles
inconnues de l'art musical étranger. Parmi ces sociétés, dont les
membres se recrutaient dans les milieux les plus distingués du
monde parisien, V Union Musicale était assurément l'une des plus
recherchées et des plus estimées. Elle donnait des concerts fort
suivis, où nous retrouvons Eugène Delacroix au nombre des
auditeurs les plus assidus.
Suivant une habitude, qu'interrompent parfois les maladies ou
les voyages, mais qu'il reprend toujours avec une visible satis-
faction, le grand peintre note, parmi ses impressions quotidiennes,
le souvenir des Concerts de l'Union Musicale. Celui du 17 mars 1849
mérite une mention particulière. Le programme comportait
l'audition d'une symphonie (laquelle ?) d'Haydn « admirable d'un
bout à l'autre, un chef-d'œuvre d'ordre et de grâce ». Des amis
ou des confrères du peintre, qui assistaient à cette séance, dis-
cutent le compositeur. Ghenavard, l'artiste que l'on sait, déclare
qu'Haydn a le « style comique » et « s'élève rarement jusqu'au
pathétique » ; S..., cet ami d'Eugène Delacroix, dont nous regret-
tons d'ignorer le nom, car il a parfois des idées plaisamment
hétéroclites. S... enchérit encore sur Ghenavard : il dit que
Mozart, comme Haydn, n'a pas mis de passion dans ses sympho-
nies, alors qu'elle déborde de son théâtre; il n'a jamais demandé
à celles-ci « qu'une récréation pour l'oreille ». C'est un peu le
reproche que nous avons entendu Delacroix adresser à Mozart,
et qui n'est peut-être pas dénué de fondement. Mais qui parle
aujourd'hui des opéras d'Haydn, alors que ses symphonies sont
encore très connues et très goûtées? Il est vrai que le même
M. S... oppose au stylo gracieux de Mozart et d'Haydn la manière
sombre et tourmentée de Beethoven, qui « n'a jamais pu faire de
théâtre ». Fidelio n'est pas cependant une composition négli-
geable, bien que Delacroix en ait trouvé l'ouverture « entortillée » .
Jusqu'alors, il est vrai, l'opéra de Beethoven n'avait trouvé
qu'un accueil assez peu encourageant auprès du public parisien.
De 1829 à 1830, Cuvillier-Fleury en résumait ainsi l'opinion ;
« Fidelio, opéra fort ennuyeux, assez mal chanté, si ce n'est par
Haitsinger et la charmante M""" Fisher ; les chœurs excellents » .
Plus tard, le beau talent de M°" Devrient le réconcilia un peu
avec l'œuvre de Beethoven. La cantatrice, au second acte, « a
enlevé la salle à la lettre ». Le finale, supérieurement traité,
arrache cet aveu à Cuvillier-Fleury : « C'est une admirable chose
qu'un tel ensemble et quand y domine une voix comme celle de
M"'" Devrient».
Toujours à l'Union Musicale, Delacroix applaudissait, le
17 mars 18b0, le grand morceau de Gluck : « Que de grâces!... »;
mais par quelle étrange maladresse l'avait-on fait suivre d'un
« petit air de ballet ridicule qu'on aurait dû laisser dans l'oubli
par respect pour la mémoire de Gluck? »
Ce fut encore aux concerts de t Union Musicale que notred ilet-
tante apprit, sinon à connaître, du moins à mieux comprendre
378
LE MÉNESTREL
le génie de Beethoven, qui étouffe — qu'on nous passe le mot —
dans les auditions intimes de salon. Mais Delacroix en avait
cependant conservé un certain esprit de résistance contre les
procédés du maitre, c'est-à-dire contre ce déchaînement de pas-
sions exaltéeset fougueuses qui vous entraine, comme il entraine
le compositeur lui-même, dans un torrent d'harmonies sublimes.
Avec ce tempérament quelque peu réactionnaire que nous avons
déjà signalé et que nous verrons s'accentuer par la suite, notre
journaliste, d'aucuns ont écrit journalier, n'admire donc Beethoven
qu'avec des restrictions, à l'exemple d'ailleurs de la plupart de
ses contemporains.
Ce n'était pas qu'un petit groupe de néophytes n'eût cherché
à imposer l'adoration sans réserves du dieu Beethoven.
Balzac, un des premiers qui avait fléchi le genou, écrit le
14 novembre 1837 :
« Hier je suis allé entendre la symphonie en ««mineur de Bee-
thoven. Beethoven est le seul homme qui me fasse connaître la
jalousie. J'aurais voulu être plutôt Beethoven que Rossini ou
Mozart. Il y a dans cet homme une puissance divine. Dans son
finale, il semble qu'un enchanteur vous enlève dans un monde
merveilleux... ]N on, l'esprit de l'écrivain ne donne pas de pareilles
jouissances, parce que ce que nous peignons est fini, déterminé,
et que ce que nous jette Beethoven est infini. »
Parmi les musiciens, Habeneck s'était employé corps et âme à
faire connaître et admirer le maitre allemand; mais il n'était
pas entré le premier en campagne. Ce fut au baron de Trémont,
s'il faut l'en croire, que doit revenir l'honneur d'une telle ini-
tiative (1).
Il n'est pas inutile de rappeler quelles circonstances la précé-
dèrent.
En 1809 M. de Trémont, auditeur au conseil d'État, dut
porter un travail à Napoléon qui résidait alors à Vienne. Il avait
sollicité ce voyage d'affaires, moins pour faire sa cour au grand
homme que pour se donner l'occasion d'entrer en relations
avec Beethoven, dont la musique l'avait en quelque sorte hyp-
notisé. Aussi avait-il demandé à Cherubini une lettre d'introduc-
tion auprès de l'auteur de la Sipnphonie héroïque. Mais Cherubini
s'était récusé : — Ce serait de grand cœur, s'il s'agissait d'Haydn ;
vous seriez le bien venu; mais Beethoven vous recevra fort
mal, c'est un ours mal léché.
Dans la bouche de Cherubini le propos était piquant. Trémont
se retourna vers Reicha, qui consentit de la meilleure grâce.
Ce n'est pas, lui dit le professeur, que je m'illusionne sur le
sort réservé à ma lettre de recommandation. Depuis que la
France s'est donné un maitre, Beethoven la déteste autant qu'il
exècre l'empereur, à telle enseigne qu'il s'est refusé à recevoir
Rode une seule fois pendant les huit jours que ce maître violo-
niste est resté à Vienne. Voulez-vous un autre exemple de cette
sauvagerie? Un jour que la seconde femme de l'empereur Fran-
çois Il avait fait prier Beethoven de passer dans la matinée chez
elle, le compositeur répondit qu'il n'en avait pas le temps et
qu'il se rendrait le lendemain seulement à cette invitation.
Si le maître était aussi peu prévenant pour la plus auguste de
ses compatriotes, comment accueillerait-il un simple chargé
d'affaires français, surtout au lendemain de l'entrée de l'armée
conquérante dans les murs de Vienne'? Trémont ne se rebuta
pas. Il voulut tenter l'aventure, bien que, le jour où il s'y décida,
il eût contre lui toutes les chances. Les sapeurs faisaient sauter,
par ordre de Napoléon, les remparts de la ville ; et précisément
la maison de Beethoven y touchait. Trémont se la fit indiquer
par des voisins. Or — nouveau contretemps — le compositeur,
qui changeait tous les jours de servante, n'en avait pas quand
le visiteur vint frapper à la porte. Celle-ci resta obstinément
close. Trémont, qui avait déjà sonné trois fois, allait se retirer,
quand un homme « fort laid » ouvrit brusquement et demanda,
non sans humeur, à l'étranger ce qu'il voulait.
(A suivre. ) Paul d'Estrées.
(1) MM. Barbedettc et Wilder ont publié dans te Ménestrel d'importantes études sur
Beethoven. — Le travail de M. Wilder est une œuvre yçistrale.
SEMAINE THÉÂTRALE
Odéon. La Maison, pièce en 3 actes de M. 'Georges Mitchell; Hors la loi, pièce
en 1 acte, en vers, de M. Lucien- Victor Meunier.
On a pleuré à l'Odéon et plus d'une belle madame a iù cueillir, avec
d'infinies précautions, au coin de son œil velouté, la petite larme intem-
pestive; onapleuré, signe indiscutable delà victoire remportée par In Mai-
son de M, Georges Mitchell, qui s'était déjà essayé au théâtre avec moins
de bonheur. Une action bien posée, logiquement et adroitement déve-
loppée, des personnages de réalité courante dont l'état psychologique
reste à la portée de tous, des situations intéressantes — le second
acte est, sous ce rapport, tout à fait supérieur — une langue simple
et précise qui, si elle ne donne pas à l'œuvre la tenue précieuse-
ment littéraire si en honneur aujourd'hui, lui garde cependant toute
sa sincérité et toute son émotion, tels sont les éléments qui font de
la pièce nouvelle ce que l'on appelait, il n'y a pas bien longtemps
encore, du « bon théâtre », de ce « bon théâtre » de compréhen-
sion et d'effet immédiats qu'on aimait tant et auquel on semble avoir
envie de revenir, à en juger par les applaudissements qui saluè-
rent mercredi dernier le nom du jeune auteur et qui n'étaient point
sans rappeler, toute proportion gardée, ceux qui saluèrent le nom
de M. Paul Hervieu le soir de la première de ï Énigme à la Comédie-
Française.
Et ce n'est point sans raison que M. Paul Hervieu est ici rap-
pelé, puisque c'est encore d'une énigme qu'il s'agit. Bonardeau a deux
petits-enfants qu'il adore également et il apprend que l'un d'eux n'est
point de son fils, sa bru ayant eu un amant. Lequel usurpe, involon-
tairement, une place à laquelle il n'a pas droit ? Et le problème se pose
plein d'anxiété et presque inextricable puisque la mère, interrogée, refuse
naturellement de parler. Elle n'entend pas que, par sa seule faute, l'im
des deux soit dépossédé. Tous deux sont égali'ment fruits de ses entrail-
les : ils sont bien ses enfants, à elle, et elle ne se reconnait pas le droit
d'en sacrifier un. Bonardeau, après s'être désespérément exaspéré à la
recherche de la vérité que des indices presque certains lui font entre-
voir, finit par rouvrir tout grands ses bras aux chers innocents qu'il
prit tant l'habitude d'aimer pareillement qu'il n'aura qu'à continuer tout
naturellement.
Pour ce petit drame très bourgeois, très prenant, l'Odéon a appelé ou
rappelé à lui M. Chelles et M""^ Berthe Bady. Le premier, avee ses qua-
lités, ou ses défauts, de brutalité et de rondeur un peu vulgaires — sa
sortie du premier acte n'est point sans nous choquer quelque peu — a
sohdement campé son bonhomme Bonardeau; la seconde, plutôt
entraînée au mélodrame et surtout aux œuvres d'exception maladive,
a prêté à Marianne, la mère coupable, beaucoup de sensibilité féminine
et d'adresse émue, tenant son public plus encore par ses jeux de phy-
sionomie et ses gestes de juste discrétion que par une diction et un
organe malheureusement défectueux. M"' Martineau est charmante en
petite gamine et MM. Dai'ras, Siblot, Céalis, Laguiche, M'"''^ Dehon et
Dm-an complètent un ensemble dont l'honorabilité est tout odéonienne.
Très honorable aussi, et sans rien de plus, l'interprétation de Hors ta
loi, l'acte en vers de M. Lucien- Victor Meunier, qui commençait le spec-
tacle et était joué par MM. Rameau, Decœur et M'" Bven. C'est un épi-
sode de la vie de Gondorcet, alors que, mis hors la loi et découvert dans
sa retraite de la rue Servandoni, il est obligé de s'enfuir pour ne point
faire condamner à la guillotine son amie, la vieille M™" Vernet, car la
loi des suspects vient d'être votée et elle est inexorable pour ceux qui
cachent des condamnés. Et si le vers de M. Lucieti-Victor Meunier,
sonnant surtout comme de la belle prose, n'est encore qu'honorable, du
moins sa pensée est noble et généreuse et ne manque pas de vibration ;
le fonds nous a paru en cette petite affaire, qui n'est point sans intérêt,
très supérieur à la forme. Paul-Emile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTEE
xxxiri
LE DIABLE A PARIS
n L. Fngh-e.
— Le Diable h Paris? Grands dieux ! Est-ce encore une caricature
inédite de la frénésie romantique que vous veuez d'exhumer, un nou-
(1) Voii- te Ménestrel- du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 2-2 et 29 septembre,
des 13, 20 et 27 octobre, des 3, 10, 17 et 24 novembre 1901.
LE MÉNESTREL
379
veau Berlioz échevelé d'après les bois d'un Gavarni, dont vous avez
oublié les Musiciens comiques et les Physionomies de chanteurs (i) dans la
série des peintres-mélomanes?
■ — Nenai. Je sors de la répétition générale de Grisélidis...
— Qu'entends-je? Un Massenet comique?
— Et pourquoi pas? L'artiste amoureux des oppositions captivantes
devait être séduit, avant de nous séduire, par cette espièglerie dansante
alternant avec le rêve familial et la légende aristocratique. Son conte
hjrirjue, issu d'un moyen-âgeux mystère, admet cet alliage prévu par nos
cathédrale^ et par la Préface de Cromwell. Et puis, ignorez-vous ses
antécédents en la comédie musicale? Sans parler de l'heureuse Manon,
de qui la 400' approche, ni de Werther mélancolique où l'auteur a mis
« toute son âme » et qui demeure son « chef-d'œuvre » au regard ému
des philosophes, sans parler de mainte page de ces deux poèmes qui
ont renouvelé la tradition de notre opéra-comique, oubliez-vous le rire
des belles filles dans Thaïs, l'entourage bohème de Sapho, les deux
sœurs de Cendrillon qui, dès 1896, avait une sœur plus poétique, appelée
Grisélidis..., tout ce petit monde qui gambade et ricane autour du rêve,
qui babille et scintille autour du songe, afin de corser la comédie lyri-
que, le roman musical ou l'enfantine féerie; et, surtout, le Portrait de
Manon, le délicieux Portrait de Manon, ce menu bijou qui vaut tant de
parures plus ambitieuses, sonnet supérieur à de plus longs poèmes!
Auriez-vous oublié la chanson de Monsieur Tiberge en ut majeur : « Dans
le puits où jadis logeait la Vérité », et tout le rôle du bonhomme souligné
par l'amusante palinodie des flûtes et des bois (ici le mot bois désigne
non plus des travaux de gravure, mais des instruments de musique, et
ce n'est point ma faute si la langue française est amphigourique ou si
l'argot des arts est fort pauvre...)- Donc, les bois, ou l'harmonie, si vous
préférez, commentait ironiquement la conversion diabolique du bon-
homme Tiberge. Et ce triangle, cet emploi du triangle qui jetait ses
étincelles sur l'innocent marivaudage...
— Déjà, dans un ironique duo de la sévère partition d'Henry YIII,
j'avais au passage noté cette irrévérence légih-e du triangle.
— Juste observation minutieuse! Massenet, qui est lui-même un
homme gai, qui a de beaux élans de belle humeur malgré l'atmosphère
de son élégie passionnée, et qui possède assez de personnalité pour se
complaire au génie des autres, ne manque jamais l'occasion de rendre
justice au merveilleux « dictionnaire » orchestral de son aine Camille
Saint-Saêns; mais, ici, je plaiderai contre lui-même : et malgré votre
observation qu'appuierait la sienne, je réclame la priorité pour cet ingé-
nieux cliquetis qui semble se moquer de nos candeurs avec l'accent
d'un pizzicato plus métallique. Donc, Monsieur Tiberge était un original :
Il prouvait de son mieux.
En dépit de la fable,
Que, quand il devient vieux,
L'ermite st' l'ait diable. . .
— Le poète de Namouna ne pourrait plus dire à sa mystérieuse Manon
Lescaut :
Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie. . .
— Citation galante ! Et ce petit chapitre inauguré par MonsieurTiberge,
qui fait de la comédie musicale à son insu, tout comme M. Jourdain
faisait de la prose, vous en trouverez le développement dans la mélo-
dieuse Grisélidis où, pourtant, le Diable ne s'est pas encore fait ermite...
Si, que dis-je, â la fin ! Mais si tard, après tant de ruses et d'entrechats !
— Cet attrayant badinage réveille tout le grave problème du comique
dans la musicpie : et le géant Fafner qui sort en rampant de son autre
est-il moins redoutable? Mais ne craignez-vous point que cet élément
sautillant ne vienne refroidir un peu l'émotion des parallèles tendresses?
On discutera « la beauté du Diable »...
— Ce n'est pas le compositeur ami des contrastes qui inventa ce per-
pétuel antagonisme entre l'enfer qui raille et la légende qui s'éplore...
L'antithèse est théâtrale. Si vous la trouvez trop heurtée, rappelez-vous
(pie le rôle, au Français, était l'apanage de Coquelin Cadet... Telle était
donc l'intention du regretté poète Armand Silvestre. Son Diable gaulois
héritait de notre moyen âge. La musicjue le commente à souhait. Ce
Don Juan crochu qui se trouve si bien « loin de sa femme » , quitte à
se raccorder ayec Madame Satan pour éprouver la Vertu, ce clown
infernal et « très bon enfant » est dans la tradition du vieux Diable
français des gargouilles moyen-àgeuses. Un de nos confrères le compare
adroitement aux « fous » qui récréaient la longue veillée féodale. Rap-
pelez-vous les Mystères et les Sotties narquoises. Évoquez l'An Mil, avec
la Fête des Fous et l'apothéose de l'Ane, parmi les clercs, en pleine
église... Massenet peintre a regardé nos imagiers de jadis : n'a-t-il pas
interrogé la grâce d'une Tanagra pour pénétrer la Grèce des Erimiyes ou.
Il) Amusantes séries lithographiées par Gavarni pour la neoue et GaseUe mvsicale
(Paris, 1844). — Cf. les ouvrages des Concourt et de M. Henri Beraldi.
la magie d'un coffret de l'Inde avant d'écrire le Roi de Lahore? Pugére ne
trahit donc point l'œuvre et l'auteur quand il ranime notre vieil opéra-
comique en le renouvelant. Chant syllabique, notes piquées, voix som-
brée, parlé grognon, gestes carnavalesques, travestissements orientaux,
déclamation pointue, capricante et bonasse sympathisent avec l'idylle
bouffonne du compositeur et le scherzo malin de l'orchestre. Et les boU .
reprennent de plus belle avec le triangle ; et le triangle s'adjoint parfois
le tambour de basque et les castagnettes, ou le glockenspiel quand l'évo-
cation renvoie ses échos avec un accent d'Esclar monde. Point d'italia-
nisme ou de wagnérisme. N'y cherchez pas, avant tout, le Méphisto-
plièlès de Gœthe et de Delacroix, l'Esprit que Berlioz et Gounod, que
Robert Schumann et Franz Liszt ont chanté (je ne connais pas, jusqu'à
présent, celui de Spohr ni le Mefistofele de l'Italien Boïto). Et M. Bou-
tarel devrait nous donner, sur l'Enfer musical (1 ), la monographie qu'il
a si parfaitement réussie pour « l'âme féminine » de Gretchen...(ï!). Le
Diable à Paris veut seulement nous prouver que notre musique française
peut concilier la franchise avec le savoir, cette pauvre musique fran-
çaise qui, si longtemps, a possédé l'inspiration sans la science et qui,
dorénavant, subit un mauvais sort tout contraire...
— J'irai voir Grisélidis.
(A suivre.) Rayjiond Bodyer.
LES CHANSONS POPULAIRES DES ALPES FRANÇAISES
(Suite.)
L'artiste trouve donc une satisfaction complète dans l'exécution d'une
telle entreprise, et nous verrons bientôt que l'érudit n'en a pas moins.
Il est évident que les chansons populaires ne peuvent nulle part être
mieux appréciées que dans leur milieu. Bien que celles des régions
alpestres ne se laissent pas aisément surprendre, — car les vallées
sont silencieuses, et ies montagnards chantent peu, — l'impor-
tance de leur rôle dans la vie locale n'a pas échappé â certains obser-
vateurs. Une femme dont le nom est célèbre dans les annales de
l'alpinisme. M"" d'Angeville, la première Française qui ait fait l'ascen-
sion du mont Blanc, contant son expédition, rapporte l'épisode suivant.
C'était le soir, aux Grands-Mulets ; deux caravanes s'étaient rencontrées ;
M"* d'Angeville eut l'idée de passer la soirée à donner un concert sur
le glacier. « Les guides se réunirent et entamèrent à pleine voix leurs
chants nationaux, une chanson en patois, et le Ranz des l'aches. Ils
furent interrompus brusquement par le bruit d'une avalanche tombant
des monts Maudits avec le fracas de la foudre... » Il y a évidemment
quelque dilettantisme dans ce récit, et pas mal de fantaisie. Le Ranz des
vaches, par exemple, jamais les guides de Chamonix ne l'entonnèrent,
aux Grands-Mulets ni ailleurs, par la raison'^que les Savoyards igno-
rèrent toujours ce chant, exclusivement helvétique. Mais admettons
qu'il s'agissait de simples chansons pastorales (les montagnes en sont
pleines) : une telle audition, première enquête sur la chanson popu-
laire des Alpes, ne dut-elle pas procurer à ceux qui y assistèrent des
impressions autrement vives que s'ils avaient lu les mêmes morceaux
sèchement notés dans un livre?
Il est certain que les Alpes forment une scène admirable sur laquelle
toiite manifestation d'art ressort merveilleusement. Je conçois très bien
l'effet que doit produire la Passion d'Oberammergau, effet certainement
du pour une plus grande part au milieu qu'aux mérites intrinsèques de
la représentation. La Savoie ni le Dauphiné ne nous offrent, il est vrai,
de spectacles semlilablement organisés ; et pourtant le hasard procure
parfois au voyageur des sensations inattendues. Qu'on veuille bien me
permettre encore de faire appel â mes souvenirs : le lecteur comprendra
qu'en les lui communiquant je ne cède pas au vain désir de l'occuper
de ma personne, mais qu'en lui décrivant les spectacles dont j'ai
été témoin, je cherche simplement à le placer lui-même dans le milieu
qui convient.
Les manœuvres du 14° corps d'armée en 1892 venaient de s'achever
dans la haute vallée de l'Arly, et les troupes, cantonnées dans les cha-
lets des montagnes, jouissaient avec délices d'un repos bienfaisant,
quand, au matin, une sonnerie se fit entendre, se répandant sur tout le
pays. Massés sur une éminence, clairons et tambours exécutaient le
Réveil en campagne. On sait que la musique de cette sonnerie régle-
(1) Nous parlions récemment de l'Orpliée de Gluck et du prologue de Françoise de
Bimini: n'allons-nous pas entendre bientôt ta Vision de Dante de M. Brunel et la Sym-
phonie de Liszt?
(2) La vraie Marguerite et l'interprétation de fume féminine d'après le Faust de Gœltie
(Ménestret, juillet-novembre 1900).
380
LK MENESTREL
mentaire, d'uu usage exceptionnel, et très développée, se compose de
deux mouvemcats. le premier calme, en style lié, le second en notes dé-
tachées, rapide et joyeux, tous deux alternant et se succédant l'un
l'autre à plusieurs reprises. Je parlais tout à 1 heure du Hanz des vaches :
on dirait -vraiment que l'auteur inconnu du Réceil en campagne a pris
pour son modèle cet air instrumental des bergers suisses, car la forme
en est toute pareille. Répétée par les échos les plus lointains, la claire
sonnerie des clairons prenait un charme indéfinissable. L'évocateur
solo de cor anglais, dans le Manfred de Schumann, no laisse pas à
l'audition une impression plus profonde : l'air militaire devenait un
chant de montagne de la plus pénétrante poésie.
Une autre fois, c'était à la Grande-Chartreuse. L'oflîce de Matines
présentait ce rare intérêt que le corps d'un Père, mort la veille, était
exposé devant l'autel, dans sa grande robe blanche, le visage couvert
du capuchon, étendu sur une planche, sans cercueil. Dans leurs stalles,
les Chartreux chantaient, impassibles. Parmi la monotonie de leur
longue et sèche psalmodie, une mélodie se dessina, à. la tonalité sombre,
au rythme bien accentué, qu'ils répétèrent plusieurs fois : elle me pro-
duisit un véritable effet d'épouvante ! Je la retrouvai plus tard dans les
livres de chant : c'était une hymne ambrosienne, d'un grand caractère
assurément, mais qui certes ne m'eût pas autant frappé eu toute autre
circonstance.
Quelle émotion tragique n'auraient pas causée les sombres complaintes
de Jean Renaud ou de Pernette si on les eût entendues en un milieu
analogue ? Et combien les chansons mélancoliques des bergères sont
mieux à leur place au milieu des prairies couronnées par les forêts
sombres, les rocs et les glaciers, que dans un cabinet d'étude ou dans
un salon parisien, accompagnées par le piano ?
Les habitants des régions alpestres ont l'esprit trop ouvert aux choses
de l'intelligence pour avoir dédaigné de cultiver ce fonds d'art et de
poésie. Ils ont fait encore mieux : l'on a retrouvé dans leurs vallées des
traces de manifestations plus compliquées de littérature locale. Je ne
veux pas parler ici de certaines productions semi-populaires, uoëls,
chansons d'actualité, etc., dont il a été conservé de nombreux échantil-
lons; mais voici quelque chose de plus caractéristique encore, et déplus
important. Par quel singulier phénomène se trouve-t-il que les monta-
gnes ont toujours été un théâtre favorable à l'exécution de certaines
œuvres scéniques, je ne saurais le dire. La Passion d'Oberammergau,
déjà nommée, est aujourd'hui célèbre par toute l'Europe. Or. il se trouve
que les régions les plus reculées de l'immense chaîne française ont eu,
en des temps très anciens, des représentations analogues, dont la tradi-
tion semble avoir duré fort longtemps. Le savant archiviste des Hautes-
Alpes, M. Paul Cuillaume, a découvert, dans plusieurs paroisses du
Briançonnais, des manuscrits de Mystères, dont certains, écrits en lan-
gue provençale du XV» siècle, portent les dates despremiéres années du
siècle suivant : l.o04, 1.^06. M. F. Truchet, de Saint-Jean-de-Maurienne,
a fait des trouvailles analogues dans son pays. Il a signalé notamment
la représentation d'un Mystère de t' Antéchrist et du Jugement à Modane,
en lo80, et celle d'un Mystère de la Vie de saint Martin â Saint-Martin-^
de-la-Porte, en lo6.3, cette dernière donnée en suite d'un vœu, pour
conjurer la peste (Ij. M. Guillaume a tiré de l'état des manuscrits l'ob-
servation suivante : « Certaines taches très caractéristiques prouvent
que la lecture du Mystère avait souvent lieu â l'étable, probablement
durant les longues soirées d'hiver. » C'était là en effet qu'on préparait
les représentations, habituellement données aux fêtes de Pâques.
Ces coutumes théâtrales furent tellement vivaccs qu'aujourd'hui en-
core elles ne sont pas entièrement tombées en désuétude. Il est vrai que
le répertoire s'est modifié, et que l'on ne joue plus de Mystères ; mais
chaque année, les jeunes gens des hauts villages du Queyras (Saint-
Veran, Molines). passent leur hiver â préparer une représentation théâ-
trale, qu'ils donnent pubUquement â cette même date des fêtes de
Pâques, première annonce du printemps ; et leur répertoire, pour n'être
plus ni local, m populaire, n'en est que plus relevé, car, en ces derniè-
res années, ces habitants de pays perdus n'ont pas craint de s'attaquer
à la représentation des comédies de Molière.
Mais revenons â nos chansons. Il faudra bien nous résigner â ne
bientôt plus les trouver que dans les livres, car, je le répète une fois de
plus, l'art populaire du temps passé se meurt. Soit dit en passant, et
(1) Ces deux auteurs ont pablié notamment les rééditions suivantes •
Paul Guillao.me, le Mi/slère de saint Euslaclw {liO',}: le Mmlùre il,' wi„l f „/;,„, • /
V-^«éM,506,;i.,on«/>e<ne.Pa„.;-Fi.on,„„«nTBL.x,/i;;;;^^:^^
A 17' «ecte, études analytiques sur les deux n.ystères mentionnés ci-dessus.
quelque regret qu'on ait do le voir disparaître, j'estime que le devoir
de ceux qui s'intéressent à ses manifestations n'est pas de prolonger
son existence : l'entreprise ne serait pas seulement impossible, mais
funeste. Il ne faut pas que l'étude des anciennes traditions populaires
soit un prétexte â la restauration d'un passé aboli. Le peuple, aujour-
d'hui, est entré dans une voie nouvelle, qui s'ouvre devant lui large-
ment : qu'il poursuive l'évolution commencée, et que personne ne cher-
che â le faire attarder au regret des choses accomplies. Nous, cependant,
les observateurs, artistes ou savants, nous faisons œuvre salutaire,
assurément, en cherchant à sauver les derniers vestiges de sa vie passée,
parce qu'il est bon de connaître l'homme à travers tous les âges, utile
de conserver à l'histoire les manifestations diverses de son génie ; mais
ce doit être là notre objectif unique.
L'art populaire, si humble qu'il soit, est incontestablement digne de
notre considération. Avec des dehors plus modestes, il est souvent plus
sincère et plus vivace que l'art des savants, qui si fréquemment s'égare
dans les artifices d'une vaine technique : il est, cela est manifeste, plus-
durable aussi, ayant traversé tant de siècles et survécu à tant de modes
successives. Sa place est donc marquée dans l'histoire générale do l'art.
Les annalistes d'autrefois ne jugaient digne de leur attention que les
faits les plus apparents et les hommes les plus considérables : longtemps
l'histoire des peuples fut uniquement celle des rois. Et, de même, les
premiers historiens de la musique n'ont voulu connaître que l'opéra.
Un Michelet est venu remettre les choses en place, faisant ressortir l'ac-
tion réelle du peuple dans l'accomplissement des faits : que désormais
les historiens de l'art en fassent autant et qu'ils apprennent à dégager
le rôle qu'a joué si efficacement le peuple dans la formation et l'évolu-
tion de la musique et de la poésie.
Julien Tiebsot.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La Société des concerts du Conservatoire a donné dimanche dernier, sous-
la direction de son nouveau chef, M. Georges Marty, la première séance de
sa soixante-quinzième année d'existence. Cette séance s'ouvrait par la Sym-
phonie pastorale (est-il utile d'ajouter : de Beethoven ?), dont l'exécution a
été excellente sous tous les rapports et d'une sûreté remarquable. M. Marty
a évidemment une sorte de parti pris de sobriété dans le geste dont je suis
loin de le blâmer, d'autant que cela ne l'empêche nullement d'avoir son per-
sonnel « dans la main », de lui inspirer confiance par la sûreté de sa direc-
tion, d'indiquer discrètement et habilement toutes les entrées, et surtout —
qualité devenue trop rare — de battre la mesure avec netteté et précision, de
façon qu'on ne puisse confondre le premier temps avec le quatrième, ou le
troisième avec le second. Dès les premières mesures, on a pu voir à quel
chef on avait affaire. Après la symphonie venaient trois chœurs délicieux cha-
cun en leur genre et qui ont été vivement applaudis pour leur jolie exécu-
tion : ceux de Colinelte à la cour de Grétry, de Blanche de Prooenee de
Gherubini, et le chœur des Nymphes de Psyché, d'Ambroise Thomas. Puis,
nous avions une Ouverture « inédite » de Mozart, entendue pour la première
fois. Cette ouverture, fort intéressante et d'une jolie couleur, était restée
jusqu'à ce jour entièrement inconnue. Elle a été retrouvée récemment au
Conservatoire par M. Wekeiiin, dans un lot de musique depuis longtemps
inexploré, sous la l'orme des seules parties d'orchestre, gravées, et portant
ce titre exact : « Ouverture à grand orchestre, par Mozart. Prix, 9 francs. A
Paris, à l'imprimerie du Conservatoire, Faubourg Poissonnière, n" 132 ». On
suppose que cette ouverture date de l'époque du voyage de Mozart à Paris
en 1778, époque où il écrivit pour l'Opéra le ballet des Petits Riens et pour le
Concert spirituel deux symphonies, un Miserere et quelques autres morceaux.
Comment est-elle parvenue, quinze ans après, au Magasin de musique du
Conservatoire, comment celui-ci l'a-t-il publié sans chercher pourtant à la
faire connaître? C'est ce que je ne me charge pas d'expliquer. Elle est conçue
dans la forme classique, c'est-à-dire qu'elle comprend simplement une courte
introduction précédant l'allegro, où l'on sent en quelque sorte l'influence
d'Haydn. Fort agréable d'ailleurs, elle est écrite, chose rare chez Mozart à
cette époque, pour orchestre complet, moins leç seconds cors. Elle a été
entendue avec un véritable plaisir. La suite d'orchestre de M. Saint-Saêns,
qui lui succédait sur le programme, a obtenu un succès éclatant. Elle com-
prend cinq morceaux: Prélude, Sarabande, Gavotte, Romance, Finale. La Gavotte,
très originale, très curieuse et très charmante, a été bissée d'enthousiasme,
et le finale, d'une étonnante vivacité et où les violons ont à faire, a été
applaudi vigoureusement. Après trois autres chœurs, ceux-ci a capello, de
Corsi et de Lotti, le concert s'est terminé par l'ouverture du Freisclriitz de
Weber, dite par l'orchestre avec un feu, un entrain et un éclat superbes. Et
celte ouverture était elle-même à peine terminée que la salle entière (à
laquelle, bien entendu, s'est joint l'orchestre) a fait au nouveau chef une
véritable ovation, en l'applaudissant personnellement à trois reprises. Cette
séance est d'un bon augure pour l'avenir. A. P.
— Concerts-Colonne. — La musique de la Symplionie fantastique est essen-
tiellement française et révolutionnaire. Sentimentale par son introduction
LE MENESTREL
381
dont le thème fut écrit à douze ans par Berlioz sur des paroles de Florian :
d'un caractère absolu de grâce affectueuse et d'élégance mondaine dans la
scène du bal : empanacbée et sarcaslique à la mode de 1830 avec son Sabbat
et son Dies irœ ; d'un pathétique horrible et burlesque, par sa Marche au
supplice, cette œuvre mêle encore, avec une supériorité de poésie et d'art
digne de Beethoven, les voix calmes de la nature aux orages des passions
agitées. M. Colonne n'ayant voulu accorder aucun bis, les plus enthousiastes
de ses auditeurs ont protesté par des cris de « Vive Berlioz » et ont réclamé
tumultueusement une réaudition immédiate de la marche funèbre avant le
Veimsberg de Wagner, qui terminait le concert. Berlioz vieillard aimait Saint-
Saëns enfant. L'enfant, devenu maître à son tour, a écrit, eu 1891, Africa,
fantaisie pour piano et orchestre. M™ Roger-Miclos a fait preuve, dans l'exécu-
tion de cet ouvrage, de beaucoup d'expérience et d'une technique merveil-
leusement apte à tirer parti des effets que l'auteur a ménagés. Si le début de
Tandante, une seule mesure, a laissé à désirer, celui du finale a été posé
d'une main délicate el légère, pourrait-on dire, si toutes les deux n'y étaient
nécessaires. Partout la sonorité a été excellente avec des pianissimo d'un
velouté exquis, le style bien approprié et les traits maintenus dans la demi-
teinte requise pour conserver à l'ensemble le caractère un peu rêveur, voilé
même, de certains chants mauresques dont l'auteur semble avoir volontiers
accueilli l'influence. Le succès a été très vif. La symphonie en si mineur de
Schubert a causé aussi une excellente impression. Elle était suivie de la pre-
mière audition du poème symplionique de M. Théodore Dubois dont voici
le titre et le programme : Adonis. L Mort d'Adonis (Douleur d'Aphrodite).
II. Déploration des nymphes. III. Héveil d'Adonis (Renouveau de la vie — le
Printemps). Adonis est le dieu phénicien Thammuz contre lequel a tonné
Ezéchiel ; il eut pour mère Myrrha qui fut changée en arbre, et c'est de cet
arbre que sortit Adonis. Adopté par les Hellènes, il fut oublié par Homère,
mais Hésiode et Sapho l'ont chanté. C'est elle qui a créé le vers dit adonique,
dont le type est bien connu des musiciens. Ce vers termine en effet la strophe
de l'hymne à saint Jean-Baptiste qui a fourni les notes de la gamme :
Ut queant la.xis lesonare libris
il/tra gestorum famali luoriim
Solve poUuLi tabii reatum,
Sancte Johannes.
Le culte d'Adonis était célébré à Eleusis au solstice d'été. Il consistait en
fêtes joyeuses et funèbres. Les femmes et les jeunes filles semaient dans des
corbeilles des graines à germination rapide, orge, blé, laitue, et l'on apportait
ces offrandes éphémères du dieu symbole du printemps, dont le sang avait
fait pousser les roses et les pleurs l'anémone. De là l'expression proverbiale
appliquée aux choses d'une existence bàtive et passagère: Cela durera autant
que les jardins d'Adonis. L'ouvrage de M. Théodore Dubois est d'un beau
sentiment, d'une facture simple et distinguée et d'une orchestration parfois
d'un grand charme, comme le comporlait le sujet. L'efflorescence mélodique y
demeure discrète et distinguée sans viser à de gros effets. Cette musique est,
avant tout, gracieuse et féminine. Elle ne devait être que cela.
AjlÉDÉE BOUTAIIEL.
— Concerts-Lamoureux. — L'ordre chronologique dans lequel ces concerts
font défiler devant leurs auditeurs les symphonies de Beethoven nous a pro-
curé le plaisir de réenlendre la quatrième symphonie du maître, qu'on exé-
cute trop rarement. L'adagio à lui seul cependant devrait suffire à lui assurer
une place plus stable dans les programmes de nos concerts, et la dernière
partie aussi est marquée de la griffe du lion. Excellemment interprétée, la
symphonie a été vivement applaudie. — Deux œuvres symphoniques à
programme ont suivi. L'une était le Rouet d'Omphale de M. Saint-Saëns, œuvre
lumineuse et charmante que nous n'avons qu'à saluer au passage ; l'autre la
Schéhérazade de M. Rimsky-Korsakof, qui sa propose de condenser en qua-
rante minutes do musique les fameux récits grâce auxquels la sultane a pu
amuser son farouche mari pendant mille et nue nuits consécutives. Heureu-
sement ce programme n'est, comme on sait, qu'un prétexte pour nous placer
devant une espèce de kaléidoscope musical ; des mélodies orientales y com-
posent, en passant par les plus originales combinaisons orchestrales qu'on
puisse imaginer, des mosaïques chatoyantes et fort agréables.,., à entendre.
L'orchestre y a remporté un triomphe mérité. — Un ancien élève de Liszt,
un véritable et non pas un de ceux que le maître appelait plaisamment ses
« quasi-élèves », M. Emile Sauer, s'est fait entendre dans un concerto pour
piano de sa façon. M. Sauer a quitté en 1884, croyons-nous, son incompa-
rable maître ; mais nous avons retrouvé dans son mécanisme à toute épreuve
et dans sa virtuosité de bon aloi les admirables traditions de l'école de Liszt.
Le succès de M. Sauer comme exécutant a été des plus justifiés; comme
compositeur, l'artiste a été moins heureux. Son concerto manque d'originalité
et est vraiment trop « vieux jeu » ; l'instrument concertant y prend la
parole et la garde tout le temps sans accorder à l'orchestre sa part légitime
dans la conversation. Dans la Cavaline, on assiste même à un monologue du
pianiste à peine interrompu par quelques interjections de l'orchestre. En
jouant une œuvre de Liszt, M. Sauer nous eût causé un plaisir bien plus
vif. — Le concert a clôturé par la transcription de l'Invitation à la Valse de
Weber, que M. Weingartner a tenté d'orchestrer après Berlioz et qu il a
accompagnée d'un véritable plaidoyer qui ne nous a pas convaincu ; nous ne
voyons pas l'utilité de cette « transposition d'art », comme disait Théophile
Gauthier. Le pastel délicat de Weber ne gagne vraiment pas à être dénaturé
par la pléthore de couleurs orchestrales dont on a gonflé ses contours;
quelques petits changements au dessin original paraissent également fort
sujets à caution. Le romantisme délicieux de l'auteur du Freisclnitz est rem-
placé là par une maestria regrettable de virtuose ; c'est le plus clair résultat
de cette transposition. L'bonnéte et puérile impartialité nous oblige cepen-
dant à constater que le tripatouillage de M. Weingartner a beaucoup plu à la
grande majorité du public. 0. Berggruen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie postorale (Beethoven). — Chœur de Colinette à la Cour
(Grétry). — Chœorde Blanche de Proience (Chei-ubini). — Chœur des Nymphes de PsycM
(A. Thomas). — Ouverture inédite (Mozart). — Suite pour orchestre, op. 49 (Saint-Saëns).
— Adcramus te (Corai). — "Vere languores nostros (Lotti). — Sanetus (Lolli). — Ouverture
du Freiscliiitz (Weber).
Châtelet, concert Colonne : Cinquième symphonie, en ré mineur (César Francis). — Le
Rêve d'Eisa de Loliengrin (Wagner), chanté par M"» Rose Caron. — Ouverture des Bar-
bares (C. Saint-Saëns). — .4ir de la Damnation de Faust (Berlioz), par M"" Rose Caron. —
Préludes de l'Ourtjgan [A. Bruneau).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux : Cinquième symphonie, m ut mineur (Beetho-
ven). — Mélodies (de Saint-Quentin), chantées par 51"" Vicq. — Concerto pour deux vio-
lons (Bach), par MM. Sechiari et Soudant. — Ouverture de Tannhauser (Wagner). — Air
des Noces de Figaro (Mozart), par M"' Vicq. — Le Songe d'une nuit d'été (Mendelssohn) .
— Jeudi dernier, au Nouveau-Théâtre, inauguration de la cinquième
année des Concerts-Colonne. Le programme explicatif de la séance nous
faisait connaître les idées déterminantes qui régleront cette fois le cours de
la saison. « M. Colonne se propose de passer en revue la musique vocale et
instrumentale, en exécutant des morcoiux typiques qui résument en quelque
sorte le caractère essentiel de chacun des genres, tels que l'ouverture, la
sonate, le lied, etc., sans distinction d'école ni de nationalité, dans le passé
comme dans le présent. Pour atteindre ce but et donner à ses dix séances
une physionomie spéciale, il a résolu d'aHopter pour chacune d'elles une
forme unique; c'est ainsi qu'elles se succéderont dans l'ordre suivant : i" et
6' concerts : soli vocaux et instrumentaux; 2« et 1'^, duos; 3' et 8'=, trios;
4= et 9», quatuors, 5= et 10=, quintettes, toujours pour voix ou instruments.
En outre, quelques numéros d'orchestre serviront d'entrée, d'intermède ou
de conclusion; là encore on s'efforcera de produire concurremment des ouvrages
anciens et modernes, en se conformant autant que possible à l'ordre chro-
nologique et en adoptant de préférence pour chaque auteur un de ses ouvrages
caractéristiques. Ce sera comme une excursion rapide à travers l'histoire de
la musique du XVII» au XX» siècle. » Pour justifier ce programme, le pre-
mier concert nous faisait entendre eu effet plusieurs solistes. Après une
ouverture de Purcell : Fête pour le jour de Sainte Cécile, intéressante et vrai-
ment curieuse dans sa forme archaïque, nous avons eu M. Léon Salzédo, ce
gentil adolescent qui, on se le rappelle, a remporté dans la même journée,
aux derniers concours du Conservatoire, les deux premiers prix de harpe et
de piano. Il a exécuté d'abord sur le piano, assez médiocrement, l'étude en
ut i mineur de Chopin, d'une façon brillante et avec éclat la 11° Eapsodie de
Liszt. Puis il est revenu, à la fin du concert, jouer sur la harpe le Caprice de
M. Pierné qui lui avait valu son premier prix. Son succès a été très vif.
M. Emile Cazeneuve a chanté avec style l'air admirable des Abencérages, de
Chorubini, et le Chant d'amour de l'^ Yalhjrie. M. Oliveira s'est fait ensuite
très vigoureusement et très justement applaudir pour sa très remarquable
exécution d'une Gavotte et Prélude de Bach pour violon seul; mais, avec tout
le respect que l'on doit au grand nom de Bach, j'émettrai l'avis qu'un accom-
pagnement de piano, fait habilement et avec la discrétion voulue, est indis-
pensable à des compositions de ce genre, le violon ne pouvant décidément
se suffire à lui-même. A plus forte raison en dirai-je autant du Printemps, la
sonate de Vivaldi fort habilement jouée sur la flûte par M. Blanquart, ce
dernier instrument plus encore que le violon réclamant impérieusement un
soutien. Applaudissements aussi pour M. Forest, qui a délicieusement exé-
cuté le solo de violon du Menuet du Bourgeois gentilhomme de Lully, et pour
une cantatrice norvégienne, M"' Hildur Fjord, qui nous a fait entendre trois
mélodies de Grieg.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le comité berlinois du monument de Richard Wagner ayant laissé la
décision définitive à l'empereur Guillaume II, celui-ci a choisi le projet do
M. Eherlein qui avait obtenu le premier prix, mais il a ordonné certaines
modifications indiquées dans une esquisse dessinée par lui-même. La presse
berlinoise n'est pas très contente du projet Eberlein. Elle prétend que le
monument sera bien banal.
— M. Richard Strauss vient d'introduire à l'Opéra Royal de Berlin un nou-
vel arrangement de Don .Juan, basé sur l'excellente traduction allemande qu'on
doit au défunt chef d'orchestre wagnérien Hermann Levi. M. Strauss accom-
pagnait en personne au piano les récitatifs; ce retour au bon vieux temps de
Mozart a produit un bon efi'et. Malheureusement, les solistes n'étaient pas
tous à la hauteur de leur lâche; donna Anna et donna EIvîre laissaient no-
tamment beaucoup à désirer.
— Un des anciens familiers de Bismarck, l'ambassadeur Robert do Keu-
dell, vient de publier ses mémoires, où il s'occupe surtout du prince Bis-
marck et de sa femme. Bismarck était grand amateur de musique et, sans
avoir fait d'études, il chantait agréablement, d'une jolie voix de basse. Sa
382
LE MENESTREL
femme était bonne pianiste, et dans les premières années de leur mariage
Bismarck aimait beaucoup l'entendre jouer. Parmi les grands musiciens
il appréciait Bach, mais n'aimait réellement que Beethoven, qu'il appelait
« Beethchen ». se servant ainsi d'un tendre diminutif allemand. Il avait
surtout un faible pour les sonates op. '21, n'^ l et 57: mais il les connaissait
toutes et ies reconnaissait même dès les premières mesures. Mozart n'avait
aucune prise sur lui ; il avait l'habitude de dire : «. La musique de Mozart ne
m'impressionne pas ; celle de Beethoven convient beaucoup plus à mon système
nerveux. » Il détestait les concerts à. cause de l'argent qu'il y fallait débour-
ser et de la place étroite qu'on y devait occuper, entouré de voisins, k La
musique devrait être donnée comme l'amour « disait souvent Bismarck.
Excellente théorie pour les amateurs, mais que les professionnels goûteraient
moins.
— La caisse de retraites de l'Opéra Impérial de Vienne, qui se trouve dans
une situation financière assez précaire, organise plusieurs solennités musi-
cales dont le produit est destiné à lui jrocurer des ressources. Parmi ces
solennités figure une exécution de la Marie- Magdeleine de Massenet. La com-
tesse de ICielmannsegg, femme du statthalter de Vienne, qui est à la tète du
comité, invitera le mailre français à venir diriger en personne son œuvre au
mois de mars prochain et on espère qu'il acceptera l'invitation, L'Opéra
Impérial profitera de sa présence pour jouer Manon et Werther, deux œuvres
qui ont droit de cité au répertoire et n'ont jamais quitté l'affiche depuis le
jour ovi on les a données pour la première fois.
— Une nouvelle symphonie de M. Gustave Mabler, la quatrième, vient
d'être exécutée aux concerts Kaim, de Munich, soua la direction de l'auteur.
Dans la quatrième partie est intercalé un solo pour soprano sur des paroles
empruntées à une célèbre collection de chansons populaires d'Allemagne.
C'est aussi un hymne à la joie, mais d'un autre genre que celui de Beetho-
ven; le poème débute par les paroles : « Nous jouissons des joies célestes ».
Les amateurs i conservateurs » dans les loges et aux fauteuils de l'orchestre
n'ont pas beaucoup goûté la nouvelle symphonie et ils sont restés froids,
tandis que la jeunesse du paradis applaudissait à tout rompre. L'orchestre
des concerts Kaim va commencer une tournée en Allemagne sous la direc-
tion de M. Weingartner et jouera partout cette quatrième symphonie de»
M. llabler ; nous serons alors fixés sur le vox popidi d'Allemagne.
— Les Anglais, grâce à l'étonnante humanité et aux procédés pleins de
noblesse qu'ils déploient dans leur guerre contre les Boers, continuent de
s'attirer les sympathies générales. A preuve, le petit fait qui vient de se
produire en Autriche, à Innsbruck, où une jeune artiste, miss Mary Halton,
annoncée comme devant jouer le rôle principal de Son Toy, allait être,
parait-il, le prétexte et l'objet d'une formidable manifestation antianglaise.
Le directeur du théâtre, M. Lasca, un peu effrayé de cette perspective, s'est
TU obligé de se présenter devant le public et de lui adresser le petit discours
que voici : — « On m'apprend qu'une partie des spectateurs a l'intention de
manifester contre miss Mary Halton, parce qu'elle chante quelques airs en
anglais. Je me permets de porter à votre connaissance que miss Halton n'e.=;t
pas Anglaise, mais fille de la libre Amérique. Vous auriez tort de rendre
cette jeune artiste responsable de ce que la langue anglaise est la langue
officielle des États-Unis, et je vous supplie de ne pas manifester contre elle. »
Et miss Halton fut alors applaudie avec fureur.,., parce qu'elle était Amé-
ricaine.
— On annonce officieusement, comme nous l'avons fait entrevoir, que la paix
est conclue entre Bayreulh et le théâtre du Prince-Régent de Munich. A Bay-
reuth on ne jouera ni en 1903 ni en I90-i, et pendant ces deux années le théâtre
wagnérien de Munich pourra représenter l'Anneau du Nibelung dans sa tota-
lité. En dehors de cette concession, M. Siegfried Wagner a promis au théâtre
de Munich la primeur du nouvel opéra qu'il est en train d'écrire et qui sera
joué vers la Noël de 1902. Un journal allemand qui reproduit cette nouvelle
fait remarquer que les droits d'auteur de Munich valent infiniment mieux
que le déficit accoutumé de Bayreuth et que le cycle des Nibelungen rapportera
beaucoup d'argent à Bayreuth... quand il sera joué à Munich.
— Le Théàtre-Royal de Munich vient de jouer avec beaucoup de succès un
opéra inédit intitulé la nouvelle Mam'zdte, paroles de M, Frédéric Leber
musique de M. Joseph M. Weber, premier violon de l'orchestre de ce théâtre.
— L'orchestre Kaim, de Munich, vient d'être engagé pour une tournée de
trente concerts aux Etats-Unis sous la direction de M. Félix Weingartner.
— Le Manque de feu (Die Feuersnoth), l'opéra en un acte de M. Richard
Strauss dont on a tant parlé, vient d'être joué à l'Opéra Royal de Dresde et a
remporté un très grand succès. Le livret, dû à M. Ernest de Wolzogen, est
tiré d'une vieille légende hollandaise que l'auteur a transplantée en Bavière;
les paroles sont écrites en patois bavarois, que les Saxons comprennent fort
peu. M. de Scbuch a dirigé en personne l'œuvre de son confrère, et le bary-
ton Scheidemantel a été remarquable dans le rôle du sorcier qui prive une
ville du feu et de la lumière jusqu'au moment où la plus belle fille de l'en-
droit 0 couronne sa flamme », comme on disait autrefois. La nouvelle œuvre
avait excité une grande curiosité; une partie de la salle était occupée par
des directeurs d'opéra, critiques musicaux et journalistes de tous les pays
d'Allemagne et d'Autriche.
— On vientd'inaugurerle21 novembre dernier, date anniversaire de la mort
de Rubinstein, une chapelle orthodoxe construite au-dessus de son tombeau
au cimetière de Saint-Pétersbourg. Les admirateurs russes du mailre ont
fourni les fonds nécessaires. Dans la chapelle a été placé on buste de
Rubinstein, don du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, que l'artiste avait
dirigé.
— On vient de célébrer avec éclat, à Saint-Pétersbourg, le 130= anni-
versaire de la naissance du célèbre compositeur Bortniansky, qui est l'une
des gloires musicales de la Russie. Remarqué dès l'âge de sept ans pour
sa jolie voix, il fut confié par l'impératrice Elisabeth aux soins de Galuppi,
maitre de la musique impériale. Lorsque Galuppi quitta la Russie en 17(18,
l'impératrice Catherine envoya l'élève rejoindre son maitre à Venise pour
y terminer son éducation. De Venise, et sur les conseils de Galuppi lui-
même, Bortniansky alla étudier à Bologne, à Rome et à Naples. Pendant
les onze années qu'il passa ainsi en Italie, il commença à écrire uu assez
grand nombre de compositions : musique d'église, sonates de clavecin, piè-
ces diverses, etc. De retour en Russie en 1779, il fut bientôt nommé direc-
teur du chœur des chantres qui, en 1796 seulement, reçut le titre de « cha-
pelle impériale ». Il en conserva la direction jusqu'à sa mort, c'est-à-dire
pendant près d'un demi-siècle, et c'est alors qu'il acquit la juste célébrité
qui s'attache à son nom et qui le fit surnommer le Palestrina de la Russie.
K Dans tout ce qu'il avait produit jusqu'à son retour en Russie, dit Fétis, il
s'était inspiré de la musique italienne de son temps; ce ne fut qu'à Saint-
Pétersbourg que son génie se révéla dans ce qui constituait son originalité.
Le chœur qu'il était appelé à diriger avait été organisé sous le rogne du tsar
Alexis Mikailovitch; mais, quoique déjà ancien, il laissait beaucoup à désirer
pour la qualité des voix et pour le fini de l'exécution. Bortniansky fit venir
des chanteurs de l'Ukraine et des diverses provinces de l'empire, choisissant
les voix les plus belles, et les dirigeant par degrés vers une exécution par-
faite dont on ne prévoyait pas même la possibilité avant lui. C'est par les
soins de cet artiste remarquable que la chapelle impériale de Russie est par-
venue à l'excellence qui est aujourd'hui l'objet de l'admiration de tous les
artistes étrangers. » C'est pour le chœur admirable, formé et dirigé par lui
avec un si grand sens artistique, que Bortniansky écrivit de si belles et si
nombreuses compositions : -iS psaumes complets à 4 et 8 parties, dont les
inspirations et le caractère sont d'une originalité saisissante, une Messe grec-
que à 3 parties, beaucoup de pièces diverses et, entre aulres, une suite de
morceaux appelés Chants des Séraphins et qui, a dit un critique, méritent leur
titre, tellement ils sont empreints d'une lumineuse splendeur et revêtent,
dans leur grandeur tranquille, un caractère d'auguste et paisible sérénité.
Tel est le grand artiste à la mémoire duquel ses compatriotes viennent de
rendre un hommage légitime, l'artiste auquel la chapelle impériale doit sa
réorganisation, son complet développement et la perfection d'une exécution
sans rivale et sans analogue dans aucun pays, le compositeur qui, par ses
œuvres, a porté la musique religieuse en Russie à son plus haut point de
splendeur. A, P.
— Une scène comique s'est produite dernièrement au théâtre de Roveredo
(Tyrolj. Selon la mauvaise habitude italienne, le public de cette ville qui est
presque exclusivement composé d'Italiens ne cesse de causer et de rire pen-
dant les représentations théâtrales, comme cela arrive à Milan et à Rome.
Or, le théâtre de Roveredo avait préparé une reprise très soignée de
Tannhduser, et le chef d'orchestre, M. Tango, était indigné de constater que
le public se souciait de la musique comme une carpe d'une orange et ne
discontinuait pas de s'amuser bruyamment. Pendant un passage de l'air
d'Elisabeth chanté pianissimo on entendit subitement une jeune voix perçante
dire : « Ma chère, je vous présente mon fiancé ». Et le chef d'orchesire de
crier sans cesser de battre la mesure : « Enchanté, Monsieur, do faire
votre connaissance ». L'ell'et de ces paroles fut immédiat; un grand silence
se fit et Elisabeth put terminer son air sans encombre. Mais à la représen-
tation suivante le public prit sa revanche et les commérages recommencèrent
de plus belle. Naturan expellas frustra...
— De Genève : M'"^ Jeanne Raunay a donné dans la salle du Conservatoire
une audition de lieder de Schumann, Schubert, Duparc, Delibes et Berlioz :1e
public genevois, qui l'entendait pour la première fois, a prodigué ses accla-
mations à l'éminente artiste. Au même concert se sont fait applaudirM. Louis
Rey, violon solo de l'orchestre de Genève, et M. Jemain, pianiste, professeur
au Conservatoire de Lyon, qui ont intei-prété avec ampleur et style la sonate
de César Franck. M. Jemain s'est aussi produit comme compositeur dans
une romance pour le violon et plusieurs pièces de piano qui ont été fort
goûtées.
— C'est le 16 novembre qu'a eu lieu à Milan, dans la nouvelle salle à
laquelle on a donné le nom de salon Perosi (ancienne église délia Pace), la
première exécution de Mosé,iia. nouvelle œuvre de don Lcrenzo Perosi, écrite
par lui non plus sur un tex(e latin tiré des Écritures, mais sur un livret 'de
MM. Cameroni et Groci. Ce n'est plus un oratorio, mais un véritable drame
lyrique, dont le pathétique et la passion sont loin d'être exclus, et qui parait
avoir produit sur ses auditeurs une impression considérable. En réalité, le
succès a été très grand. Nous reviendrons sur ce sujet.
— On vient de publier le programme du prochain festival musical de
Sheffield, qui offrira plusieurs œuvres nouvelles : une cantate lirée de la
légende du roi Arthur, intitulée Garcth, par M, Coward; une autre cantate,
Meg Blane, par M. Coleridge Taylor, et la Reine de Saha, de M. Goldmark, en
forme d'oratorio. Le lord chambellan, qui exerce en Angleterre les fonctions
de censeur, a, en effet, interdit la représentation scénique de cette œuvre
parce que son sujet est tiré de la bible et n'est autorisé que sous forme d'o-
LE MENESTREL
383
ratorio. Une mésaventure pareille est arrivée, on se le rappelle, au Sainson et
Dalila de M. Saint-Saëns.
— De New- York : La feuille des abonnements pour la « opéra seasou »,
qui ouvre le 25 décembre, vient d'être close. Les représentalions seront au
nombre de quarante-quatre. Le répertoire comprend l'Elisire d'Amore, avec
MP" Sembrich ; la Navairaise, avec M""^ Galvé ; Manon, avec M"» Sanderson ;
un Ballo in Maschera, avec M™» Ternina, ainsi que l'Otelh de Verdi, Eroe Lean-
dro, de Mancinellit la Tosca, de Puccini, et Manru. de Paderewski. On parle
aussi d'organiser un « cycle Verdi » et de monter Thaïs, si Sibyl Sander-
son consent à prolonger son engagement.
— Une troupe américaine, dirigée par MM. Klaiv et Erbenger, vient de
donner sur un des théâtres de Londres une série de représentations très
fructueuses d'une grande machine à grand spectacle, intitulée la Belle et la
Bête, qui nécessite uu matériel scénique dont on va cumprendre l'importance.
Pour ramener à New-York non seulement leur personnel, mais le matériel
en question, les deux managers ont dii noliser un navire à eux exclusivement
réservé. Sur ce navire on a chargé 78 caisses de costumes, 100 caisses d'ar-
mes, 269 caisses d'accessoires de toutes sortes, et 208 caisses contenant
28.000 cristaux qui forment l'ossature d'un immense palais féerique. Le tout
sans préjudice de la garde-robe et des bagages particuliers des acteurs et des
danseuses qui composent le personnel de la troupe.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est hier samedi qu'a eu lieu, au théâtre du Ghâtelet, l'exécution de la
Vision de Dante, de M. Raoul Brunel, l'œuvre couronnée au dernier concours
musical de la ville de Paris. La Vision de Dante est un grand poème sympho-
nique pour soli, chœurs et orchestre, paroles de MM. Eugène et Edouard
Adenis, qui met en action la Divine Comédie avec ses trois parties, l'Enfer, le
Purgatoire et le Paradis, précédée d'un prologue choral et terminée par un
épilogue. Les interprètes étaient M""= Jeanne Raunay (Béatrice, Francesca, la
Sirène), M. Rousselière (Dante), M. Paul Daraux (Virgile), et M. David (Paolo).
L'orchestre et les chœurs, comprenant 2S0 exécutants, étaient ceux des con-
certs Lamoureux, dirigés par M. Camille Ghevillard. Le crédit affecté par la
Ville à l'exécution a été porté, en raison de l'importance de l'œuvre et du
personnel nombreux qu'elle nécessitait, à 12.000 francs, y compris la prime
de 3.000 francs attribuée à M. Brunel. Nous rendrons compte dimanche pro-
chain de cette séance intéressante.
— Les représentations de Grisélidis se sont continuées, toute cette semaine,
excessivement brillantes devant les salles combles qu'on peut supposer. Pour
les recettes on parle de « maxima » qui n'ont pas encore été atteints. L'œuvre
et ses remarquables interprètes (M"= Bréval, MM. Fugère, Maréchal et
Bufranne, un quatuor de grand choix) voient leur succès grandir encore à
chaque représentation. Les prochaînes soirées sont fixées aux mardi 3 ,
jeudi 5, vendredi 6, lundi 9, mercredi 11 et vendredi 13 décembre.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Gomique : en matinée.
Mignon; le soir, Carmen. — Demain lundi, pour les « abonnements de
famille », Mireille.
— M. Albert Garré va organiser à l'Opéra-Gomique une série de confé-
rences musicales sous le titre de « la Littérature et la Musique », dans les-
quelles sera passée en revue toute l'histoire du drame lyrique en France
depuis sa création jusqu'au commencement duXIX'siècle. M. Vincentd'Indy
parlera des « Sujets d'opéras chez LuUi, Destouches et Rameau »; M André
Hallays, de a Beaumarchais »; M. Ghantavoine, de « Sedaine »; M. L. de
Fourcaud, de «Jean-Jacques Rousseau et des Bouffons »; M. Fiérens-Gevaert
traitera successivement des « Librettistes de Gluck et des librettistes de
Grétry ». Les meilleurs artistes de l'Opéra-Gomique se feront entendre au
cours de ces séances, dont la première aura lieu au commencement de jan-
vier, avec le concours de M™s Raunay et Thiéry.
— M. Albert Carré a reçu un opéra en un acte et deux tableaux de
M. Benedictus : la Sonate du Clair de Lune. Cette œuvre met en scène une
très poignante aventure d'amour dont Beethoven fut le héros il y aura un
siècle ces jours-ci. L'amoureuse est la fameuse Guicciardi, à qui l'admirable
sonate est dédiée et dont le maitre fut passionnément épris. Le livret est de
M">= Judith Gautier.
— M. Camille Saint-Saèns a quitté Paris hier soir, se rendant à Cannes.
Après un séjour d'une quinzaine sur la Gôte d'Azur, l'auteur des Barbares
se dirigera vers l'Egypte, où il compte hiverner jusqu'au beaux jours. Il rap-
portera de là-bas, entièrement achevée, la partition destinée aux arènes de
Béziers. Attention, Gailhard ! Il y a peut-être là encore une bonne aubaine
pour l'Opéra. Pourquoi ne pas dépouiller Béziers, comme il a été fait pour
Orange? Barbarisons et rebarbarisons.
— Et voici M. Jean de Reszké qui parle. Quel malheur, et comme il est
plus agréable de l'entendre chanter! : « Siegfried est une si belle chose, dit-il
dans une interwiew prise par le Figaro, Richard Wagner a écrit d'une façon
si limpide, si merveilleuse, qu'il n'y a qu'à le suivre ponctuellement pour être
dans la vérité. En Allemagne, la sévérité de la prononciation des interprètes
ne traduit pas toujours exactement la nuance désirée par le maitre. 'Voyez -
vous, il faut savoir parler les trois langues, allemand, français et itahen pour
bien saisir l'harmonie du son. La déclamation en Allemagne est faite sou-
vent au détriment de la phrase exprimée; or, la déclamation lyrique doit
fréquemment s'assouplir au contact du chant et les notes gutturales céder la
place à une prononciation plus douce, etc., etc. » On croirait entendre
M. Victor Maurel.
— Celui-ci d'ailleurs prend immédiatement sa revanche dans le même
journal, où il abat courageusement ses trois colonnes pour reprendre la théo-
rie qui lui est chère, à propos du professorat, à savoir qu'on ne peut faire de
bons chanteurs sans connaître ài'ond... l'anatomie. C'est pour cela que le Con-
servatoire ne peut plus fournir de grands artistes comme lui, Victor Maurel.
Une classe de chirurgie s'impose. Tout cela est bien amusant. Où M. Victor
Maurel prend-il qu'on ne produit plus de chanteurs au Conservatoire? Nous
voyons au contraire nos théâtres peuplés d'artistes excellents qui en sortent.
Certes, les sujets de tout premier ordre, sont rares là comme dans tout autre
ordre d'idées. Et on ne compte guère qu'un Faure et qu'un Duprez dans tout
un siècle, comme on n'y compte qu'un Hugo ou qu'un Delacroix. Mais quels
ont été les résultats de l'enseignement même de M. Maurel? Car il a professé.
Peut-il nous faire connaître les noms de ses illustres élèves? Et lui-même,
après avoir sondé tous les mystères de l'anatomie, qu'a-t-il bien fait de sa pro-
pre voix, qui n'a jamais passé pour bien limpide ni bien puissante?
— Au déjeuner qui fut offert le 23 novembre par l'Association des artistes
dramatiques à ceux de ses membres nouvellement promus dans l'ordre <le la
Légion d'honneur (deux croix d'ofQcier pour Faure et Albert Carré, une de
che-^alier pour Victor Gapoul), Coquelin, le président de l'Association, prit en
ces termes la parole :
... Je ne dirai qu'un mot de chacun d'eux. De vous d'abord, mon cher Carré, qui,
permettez-moi de vous le rappeler, avez été un peu mon enfant. Vous avez fait une admi-
rable cai-rière de directeur-artiste; vous servez avec un goût savant le mouvement musi-
cal moderne. Continuez, jusqu'à ce que vous soyez appelé, peut-être, à quelque autre grand
devoir, où plus que jamais je vous suivrai de mes vœux. A l'avenir et à la santé de
notre ami Carré. — A ta santé aussi, mon clier Victor. Cette première nomination a
été bien tardive, mais tu avais quitté Paris au moment où, démolissant le dernier pré-
jugé qui restait encore contre les artistes dramatiques, on leur ouvrait enfin leur rang
dans la Légion d'Honneur! Aujourd'hui, comme Carré, tu serais officier. IHais tu es très
jeune encore puisque tu as le même âge que moi, ton camarade de promotion au Conser-
vatoire. C'était Ider, n'est-ce pas? Et cela viendra si ta vie va logiquement vers ses desti-
nées. Mes amis, buvons à l'artiste délicieux, au camarade exquis, à cet entant toujours
chéri des dames. A la santé et à l'avenir de notre cher Victor Capoul.
Et toi, mon grand, mou cher Faure, que j'ai gardé pou'' le dernier. Tous la comprennent
et tous la partagent inon émotion en levant notre verre en ton honneur! Il n'est point
d'éloge assez grand, assez haut pour toi. Mais rassure-toi; je n'inquiéterai point ta mo-
destie. Tu me permettras seulement de me rappeler un mot qui me tut dit d'un grand
artiste par plusieurs grands artistes. Ces grands artistes s'appelaient Samson, Régnier,
Bouffé, Arnal, ainsi que Numa, qui me redisait la pensée du grand Potier. Le grand artiste
s'appelait Talma. Je leur demandais avec une curiosité passionnée ce qu'il avait de si
extraordinaire et tous me répondaient la même chose : il avait tontes les perfections. Ce
mot, mon cher Faure, nous te l'appliquons tous. Nous saluons en toi le plus parfait artiste
lyrique qui ait existé, pour la plus grande gloire de l'art français, et nous buvons, avec
ton cher flls Maurice, à ton bonheur et à ta santé.
— Du Figaro : « L'idée de notre collaborateur Saint Georges de Bouhéiier
fait son chemin. Plusieurs comités, en dehors de celui de Paris, viennent de
se constituer pour recueillir les adhésions à la fête du Panthéon (centenaire
de Victor Hugo). Ils ont leur siège central à Bourges. Tous ces comités ont
demandé qu'à la fête du Panthéon soit jointe une cérémonie populaire, et ils
ont pensé à celle des Muses du peuple de Gustave Charpentier. M. Saint-
Georges de Bouhéiier, qui a transmis ces vœux au célèbre compositeur, a
reçu de lui une lettre d'acceptation complète :
â5 novembre.
Bien cher ami,
L'auteur de la Vie héroïque des poètes et des artisans devait tout naturellement penser
à associer les travailleurs aux artistes pour fêter le centenaire du poète des Misérables.
Je souscris de grand cœur à votre proposition.
En ajoutant la fête des Muses du Peuple — pour la première fois réunies — à la céré-
monie grandiose que le comité des jeunes poètes a décidé, sur votre initiative, de célébrer
au Panthéon le 20 février, vous donnerez aux fêtes projetées une signification plus tendre-
ment fraternelle; vous montrerez — et c'est bien là, n'est-ce pas, votre intention? — que
les jeunes poètes désireraient s'unir d'une façon plus particulièrement intime avec le
peuple de la France afin d'honorer le héros prodigieux qui a, toute sa vie, combattu pour
lui.
Le geste à la fois ingénu et grave de l'ouvrière escortée du peuple et des artistes, n'est-
ce pas celui qu'aurait agréé avec joie le poète de la Bonté?
Aussi si à première vue j'accepte avec bonheur de collaborer, le cas échéant, à l'apo-
théose de Victor Hugo, c'est parce que je m'imagine comme vous que nous agirions ainsi
selon son esprit et sa tradition.
Maintenant, qu'est-ce que les organisateurs du centenaire penseront de l'idée d'adjoindre
les Muses du peuple à votre projet, d'ailleurs si émouvant, du pèlerinage des poètes du
monde au tombeau de Victor Hugo?
Dans tous les cas, je ne puis que remercier les comités d'avoir pensé à m'associer à la
manifeslalion préparée en l'honneur de l'un de nos plus grands ancêtres spirituels !
Fraternellement vôtre
Gustave Ch/Uipebtjeb.
Constituer pour le centenaire .une fête de toutes les Muses du Peuple, c'est-
à-dire faire déléguer par chaque province en même temps que des poètes, des
représentants de ses corporations, quel magnifique appoint pour le triomphe
d'Hugo! »
— On sait que M. Edouard Grieg a écrit pour le drame fameux de son
compatriote Ibsen, Peer Gynt, toute une partie musicale très importante,
dont nous ne connaissons que des fragments d'une suite d'orchestre exécutée
' dans nos concerts. Or, Peer Gynt va être joué au Nouveau-Théâtre, le 16 dé-
384
LE MÉNESTREL
cembre, par les soins de M. Lugné-Poé, et la musique écrite à son intention
sera exécutée alors dans son intégralité par l'orchestre et sous la direction
de M. Chevillard. Ce sera là, à tous égards, un spectacle intéressant qui ne
manquera pas d'attirer l'attention.
— Le jugement des morceaux pour musique d'harmonie présentés au
3' concours de composition ouvert par l'Association des jurés orphéoniques,
vient d'être rendu. Le 1" prix a été remporté par M. Paul Villers, chef de
musique au 4* régiment d'infanterie coloniale à Toulon, pour sa partition —
sans titre — ayant pour épigraphe : « Une pensée de La Bruyère ». Le 2° prix
a été attribué, à l'unanimité, à la partition intitulée : Scènes villageoises, com-
posée par M. E. Gaudoii, chef de musique au 1S2« d'infanterie à Epinal. Une
mention avec diplôme a été accordée à la partition ayant pour titre : Après-
midi d'un jour de fête, kermesse flamande, dont l'auteur ne sera connu que s'il
en fait la demande. Le jury était composé de MM. Emile Pessard, président,
Danbé, Bureau, Gastinel, Guilbaut, Georges Hùe, Kaiser, Gabriel Parés,
Schmidt, Georges Sporck et Turbao.
— M. le ministre du commerce vient d'accorder à M. Louis Pister l'auto-
risation de continuer, dans une serre du Cours-la-Reine, ses grands Concerts
populaires, interrompus au Grand-Palais par la température. Ces matinées
musicales reprendront vers le 20 décembre.
— ■ L'assemblée générale et la distribution des prix de l'Orphelinat des Arts
ont eu lieu à l'Hémicycle des Beaux-Arts, sous la présidence de M. Benja-
min Constant. Assistaient à cette cérémonie M"'^'' Poilpot, Scalini, vice-pré-
sidentes, Krauss, Roger Marx, Ulmann, Rachel Boyer, Paul Bilhaut, Lucas,
Damain, Roty, Jules Chéret, Marni, Franceschi, Nadar, Chaix, Benjamin
Constant, M. Dalou, M"= Dalou, M. Poilpot, M. Chaix. Le prix d'hon-
neur a été décerné à M"" J. Courtioux. Parmi les lauréates le plus souvent
nommées, citons M"^^ Lioti, Mauly, Gauthier, Feyen-Perrin, Jacou, Olaria,
Aub^rt, Perrier, Bertal, Battaille, Jalabert, Noël, Dubroca, Dupic, Léonie Dau-
bray, Lecerf, J. France. Quatre certificats d'études et un brevet élémentaire
ont été obtenus; 1.685 francs de livrets de caisse d'épargne ont été distribués.
— Dimanche prochain, 8 décembre, à 4 heures et demie, aura lieu à la
Bodinière une conférence sur l'Arménie, /es chants nationaux et populaires, par
M. Julien Tiersot, avec audition musicale par M. Léon Eghiasarian, M™^ Pa-
lasara et Chevalier. Mélodies arméniennes harmonisées par MM. Ernest
Reyer, Bourgault-Ducoudray, ICosatchenko, Georges Marty, Julien Tier-
sot, etc.
— M. Alexandre Guilmant vient de donner sa démission d'organiste du
grand orgue de la Trinité, poste qu'il occupait depuis trente ans.
— On annonce comme très prochaine, au Grand-Théâtre de Lille, la pre-
mière représentation de Marie-Claire ; ce drame en quatre actes et six tableaux,
tiré du roman de mœurs lilloises d'Alphonse Gapon, comporte une impor-
tante et pittoresque partie musicale due à M. Ratez, directeur du Conser-
vatoire.
— De Rennes : Le premier concert Garboni avait attiré un nombreux pu-
blic, qui a prodigué ses chaleureux applaudissements à M""^^ Darloff, Kryza-
nowska et à M. Grouanne, interprétant, outre de belles pages classiques, des
œuvres de MM. Massenet, Th. Dubois, Henri Maréchal, F. de la Tombelle,
Pierné, etc., dirigées avec autorité par M. Carboni.
— De Besançon : Beaucoup de succès pour M°"! Lemay-Samsou, qui se fait
applaudir dans l'air de Louise de Charpentier, Pensée d'automne et l'ariette de
Werther de Massenet. L'excellente cantatrice avait récolté autant de bravos
quelques jours auparavant à Montbéliard, avec le même programme.
— De Saint-Quentin : Très productif concert de charité, au cours duquel
on fait très grand succès à M"= Juliette Toutain dans Source enchantée et
Dan^e rustique de Théodore Dubois et à M"' M. Rousseau dans Myrto de
Delibes.
— Au théàtie de Nevers, brillant concert donné par l'Union chorale. Parmi
les artistes qui prêtaient leur concours, citons l'excellente pianiste M"»Com-
brisson, qui ^ joué Source capricieuse de L. Filliaux-Tiger, M"^ Augier, qui a
chanté l'air û' Bérodiade, et M. Duperrat, la Charité de Faure.
— Soirées et Concerts. — A l'Institut Hudy, JI. Eugène de Solenière a inau-
guré la sixième année de ses Études-Conférences musicales en étudiant délicatement
les I Musiciens du sentiment r et, en particulier, feu Benjamin Godard. A cùté de Made-
moiselle Magdeleine Godard et de M"" Roger-Miclos, l'assistance a fait fête à la toute char-
mante M"" Revel, premier prix du Conservatoire de 1901, qui a dit l'air du Tasse avec un
charme plein d'émotion. Et les bravos ont redoublé pour les jolies Chansons des Mois. r. b.
— L'Union des Employés du commerce de commission et d'exportation vient de donner un
fort joli concert au cours duquel on a fort applaudi M"" M.-L. Rolland dans l'air des clo-
chettes de Lakmé et, avec M. Rigaux, dans le duo d'Hamlel et aussi W' Gilberte, dans
Tes Yeux, d'Estéban Marti. — Charmante matinée au Cercle de lÉtoileet nombre d'applau-
dissements pour M. Casabonne, dans Élégie, de Massenet, et l'air de Sigurd, de Reyer,
pour M. Ferval, dans l'air à'Hérodiade, de Massenet, et Eternel cantique, d'Estéban Marti,
pour M. StoU, dans l'air du tambour-major du Ca:id, d'A. Thomas, pour M"" J. Dyt dans
Menuet à'Exaudet, de Wekerlin, et pour M"" J. Leclerc, dans Myrto, de Delibes.
NÉCROLOGIE
Nous ne saurions laisser partir sans lui adresser un dernier adieu
l'homme de bien dont la mort a été annoncée cette semaine. M. Ernest
Lamy, qui vient de disparaître à l'âge de 80 ans, grand amateur de musique,
s'est trouvé, sans être musicien lui-même, mêlé, par sa générosité, au mou-
vement musical de ces trente dernières années. Simple employé d'une mai-
son de banque dans sa jeunesse, il prélevait sur ses maigres appointements
les ressources nécessaires à son entrée au parterre du Théâtre-Italien, de
1 Opéra ou de l'Opéra-ComiquB. Plus tard, devenu, par son travail et son
intelligence, associé d'agent de change, il amassa une fortune considérable,
et de cette fortune il faisait le plus noble usage. Depuis lo.ngtemps retiré des
affaires, il s'intéressait à toutes les choses intellectuelles, et jamais on ne le
vit fi occupé que depuis qu'il n'avait plus rien à faire. On le rencontrait
partout, dans les théâtres, à l'Opéra, au Conservatoire, aux séances de l'Ins-
titut, aux cours de la Sorbonne et du Collège de France, à l'école du Louvre,
dans tous les endroits enfin où il y avait quelque chose à apprendre et à
connaître: et ce beau vieillard, à la barbe et aux cheveux blancs, haut de
taille, droit comme un chêne, était toujours aimable, toujours souriant, tou-
jours accueillant. Mais il ne se contentait pas d'aimer l'art, il prétendait lui
venir en aide d'une façon intelligente. Sociétaire perpétuel de l'Association
des artistes musiciens, il ne nous en apportait pas moins chaque année sa
cotisation, qu'il avait fixée lui-même à '200 francs. A la Société des composi-
teurs il nous offrait, presque chaque année aussi, un prix pour nos concours,
et ce prix était tantôt de 200, tantôt de 300, tantôt de SOO francs. Je puis même
rapporter à ce propos un fait intéressant. H avait, il y a une dizaine d'an-
nées, mis à notre disposition une somme de 500 francs, en spécifiant que
cette somme constituerait un prix qui serait accordé à une scène lyrique avec
accompagnement d'orchestre. Le concours fut ouvert, et le prix fut décerné
à un jeune artiste qui avait le désir de prendre part au concours de Rome,
mais, détail douloureux, qui se trouvait dans l'impossibilité de le faire, faute
des quelques ressources indispensables. Or, les 500 francs de la Société des
compositeurs vinrent juste à point pour lui : grâce à eux il put se présenter
au concours de l'Institut, et d'emblée il remporta le grand prix de Rome.
Celui-là, que je ne crois pas nécessaire de nommer ici, mais qui d'ailleurs ne
s'en cache nullement, gardera certainement un bon souvenir de l'excellent
homme que fut Ernest Lamy, ami de l'art, ami des artistes, et qui a passé
une partie de sa vie, employé une partie de sa fortune à être utile à l'un et
aux autres. A. P.
— Une dépêche de Luchon nous apprend la mort très regrettable de
M. Edouard Broustet, compositeur et chef d'orchestre distingué. Il avait
soixante-cinq ans à peine. Ce l'ut un des élèves privilégiés de Litolfl', avec
lequel il donna de nombreux concerts dans presque toutes les capitales de
l'Europe. On a de lui plusieurs compositions pour piano qui resteront sur
bien des pupitres.
— M. Victor Roger vient d'avoir la douleur de perdre son père, décédé à
Montpellier à l'dge de 90 ans. M. Victor Roger père était le doyen des pro-
fesseurs de piano de Montpellier, où il enseignait depuis plus de soixante ans.
Ancien élève et lauréat du Conservatoire national de musique, il avait fait
ses études sous la direction de Carafa et fut le condisciple et l'ami d'Am-
broise Thomas.
— A Munich vient de mourir, à l'âge de 62 ans, le compositeur Joseph de
Rheinberger. Il était né à Vaduz et par conséquent un des rares « sujets »
du prince de Liechtenstein, qui n'en compte que 10.000 à peine. A l'âge
de sept ans il fut nommé organiste (!) dans sa ville natale, capilale de la prin-
cipauté; à huit ans il faisait exécuter une messe de sa composition! Il se
rendit ensuite au Conservatoire de Munich et en 1839, à l'âge de vingt ans,
y était nommé professeur d'orgue et de composition, place qu'il conserva
jusqu'à sa mort. Pendant quatorze ans Rheinberger a dirigé la Société
d'oratorios à Munich, et en 1877 il fut nommé kapellmeister de, la musique
d'église royale. Son baaage artisiique est considérable : il a écrit les opéras
les Sept corbeaux et la Fille du gardien de la tour; la musique de scène pour le
drame le Mage thaumaturge, de Calderon, les ballades pour soli et chœurs
de Wittekind, la Journée de mai, Clairette d'Eberstein,Christophore, Monlfort, etc. ;
la cantate l'Étoile de Bethléem, des symphonies, parmi lesquelles une grande
intitulée Wallensteiti , des morceaux très nombreux pour l'orgue, le piano, la
musique de chambre, des Ueder et des chœurs pour orphéons. Le nombre de
ses élèves est très grand; plusieurs d'entre eux ont déjà acquis une certaine
notoriété.
— A Berlin est mort, à l'âge de 74 ans, le compositeur Martin Blummer,
l'ancien directeur de la fameuse société chorale Singacademie, de Berlin, dont
il fut membre pendant plus de cinquante ans. Blummer était un « conserva-
teur » musical, mais il faut dire à son honneur qu'il n'a jamais éloigné de
S93 programmes la musique moderne. Ses oratorios Abraham et la Chute de
Jérusalem ont été exécutés avec succès; il laisse encore plusieurs autres com-
positions de valeur.
— A Berlin est mort aussi, à l'âge de 64 ans, le compositeur Henri Urban. Il
avait été un violoniste assez réputé et avait fait exécuter plusieurs œuvres,
parmi lesquelles une symphonie intitulée Printemps, deux ouvertures : Fiesqus
et Schéhérirada, un concerto et plusieurs morceaux pour violon. Pendant
longtemps il fut professeur de composition et critique musical.
Henri Heugel, directeur-gérant.
R. — IMPRIBIEBIE <
. — (Kncn LorOleux).
Dimanelie 8 Décembre 1901.
3689. - èT" mm. - I\°49. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaui, 2 "", nu Tiriflime, Paris, n- m>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.'
LE
Le HaméPo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL., Directeur
Iieîlamépo: Ofp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du MÉNESinEL, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
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Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. ■- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIEE-TEXTE
l. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (41^ article), Paul d'ëstrées. —
II. Bulletin théâtral : première représentation de 5amïe-Ga/eWe au Vaudeville, P.-É. C. —
m. Petites notes sans portée: l'Enfer musical,RAïMONnBouïER. — IV. Richard Wagner,
Liszt et Cosima, 0. Berggroen. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et .nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
VALSE DES ESPRITS
extraite de Grisélidis, conle lyrique de J. Massenet. — Suivra immédiatement :
la Chanson d'Avignon du même conte, transcrite pour piano seul.
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés a la musique de chant
RZek4oi chanté par M. Maréchal dans Gr^séiidis, poème d'ARMAND Sil.estre
ft Eu Le Morand, musique de J. Massenet. - Suivra immédiatement :( 0«.-
t!rr,ir,k chanté dans le même conte par M"e Bréval et M. Dlwanne.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1902
Voir à la S= page du journal.
L'iUT MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
â'après les iiiénioires les plus récents et des ûocinnents inédits
(Suite.)
II (suite)
— Est-ce à monsieur Beethoven que j'ai l'honneur de parler?
fil courtoisement Trémont dans sa langue maternelle.
— Oui, répliqua le maître du logis en allemand, mais je vous
préviens que j'entends très mal le français.
_ Je n'entends guère mieux l'allemand, mais je dois vous
dire que j'ai là pour vous une lettre de M. Reicha.
Beethoven la prit sans dire mot et fit entrer son interlocuteur.
La maison de celui que ïaine appelait, au diner Magny, une
« des quatre cariatides de l'humanité » — les trois autres
étaient Shakespeare, Dante et Michel-Ange — cette maison,
dis-je, était le dernier des taudis. Elle se composait de deux
pièces: la première, avec une alcôve fermée, était la chambre a
coucher, la seconde le salon qui servait en même temps de cabi-
net de toilette. On se serait cru dans cet atelier du fdnlre qu a
chanté si plaisamment Désaugiers. Partout des flaques d'eau sur
le plancher ; dans un coin un piano délabré, couvert de papier
à musique gris de poussière; sur une table de noyer maculée
d'encre s'éparpillaient des plumes à moitié brisées. Des chaises
et des fauteuils en paille, boiteux pour la plupart, étaient chargés
d'assiettes contenant les reliefs du repas de la veille.
Trémont ne fut pas peu surpris, après le portrait qu'on lui ,
avait fait de l'homme, que Beethoven lui offrit un siège et l'acca-
blât de questions. Il lui demanda son âge, quel uniforme il por-
tait (il était en petite tenue), le but de son voyage, s'il était mu-
sicien et combien de temps il devait séjourner à Vienne. Tous
deux mirent le plus louable effort à se comprendre. L'entretien
dura près d'une heure, et le plus farouche des misanthropes
engagea JTj^éniojnt-à— t!PJi<"iio — 'F-f^-"— * j ■ ^— "^ 77
" tration nouvelle de cette thèse bien connue que les caractères
les plus opposés sont quelquefois ceux qui finissent par se mettre
le plus vite d'accord.
L'illustre symphoniste reçut donc fréquemment son jeune visi-
teur et daigna même improviser pour lui une et deux heures de
suite. En dépit d'un jeu incorrect et d'un doigte fautif, 1 était
très entraînant. La servante (il en avait enfin trouve une) avait
pour consigne de ne pas ouvrir pendant le cours de ces séances,
ou de répondre aux importuns que son maître travail ait. Des
musiciens ne voulurent jamais croire à cette condescendance du
compositeur : il fallut que Trémont leur montrât un billet de
Beethoven, billet qui en témoignait et que son heureux posses-
seur avait fait encadrer.
Les improvisations du maître étaient très inégales. Tantôt elles
se produisaient sous forme de chants d'une harmonie franche et
orandiose, féconde en effets imprévus qui donnaient a Trémont
« les plus vives émotions musicales ». Tantôt elles étaient pé-
nibles, traînantes, embarrassées : Beethoven plaquait^ ^sur son
piano de furieux accords, puis il se levait en disant: 1 mspira-
tionne vient pas ; peut-être serai-je plus heureux dans quelques
jours. Et la conversation s'engageait sur un tout autre terram
que la musique. Beethoven parlait volontiers de Shakespeare,
son idole, et dans un langage presque drolatique. Ce n était pas
qu'il fût plaisant: il était trop taciturne pour viser aux traits
d'esprit. Mais il était instruit; et son humeur chagrine s echap- .
pait en boutades généreuses rappelant celles de Jean-Jacques
Rousseau, dont il avait également l'humeur paradoxale: au
demeurant, très original et fort amateur de la contradiction. _
Il aurait voulu connaître la France: il s'était promis de venir
entendre à Paris les symphonies de Mozart ; mais il avait renonce
à ses projets après la proclamation de l'Empire. Trémont s ef-
força d'avoir raison d'une telle résistance:
_ Et les frais de déplacement? objecta Beethoven.
_ Je repars pour la- France et je vous emmène avec moi : ]e
386
LE MÉNESTREL
voyage seul, et j'ai une chambre à vous oifrir. Il vous en coû-
tera à peine cinquante florins pour votre retour.
— J"y réfléchirai ; c'est bien tentant!
Cependant il ne se décidait pas; il craignait d'être assiégé de
visites et d'invitations.
— Tous n'aurez qu'à refuser.
— Mais les Parisiens diront que je suis un ours.
— Que vous importe?
Beethoven, persuadé, accepta les propositions de son nouvel
ami. Mais celui-ci dut partir presque aussitôt pour la Moravie.
Quand il revint dans la capitale de l'Autriche, — c'était quatre
mois après le traité de Vienne, — il retrouva Beethoven dans
les mêmes dispositions. Mais il avait compté sans les caprices
despotiques de l'administration, qui l'envoya bruscfuement en
Croatie. Il y était depuis un an quand un nouveau décret, non
moins imprévu, lui fit regagner immédiatement la France oià
l'attendait la préfecture de l'Aveyron. Il n'eut même pas le temps
de repasser par Vienne pour y prendre Beethoven. N'importe;
le maître allemand qui, par parenthèse, ne connut jamais notre
pays, dut penser que certains Français étaient d'effrontés gascons.
Si nous avons raconté cet épisode, généralement ignoré, de la
vie de Beethoven, épisode dont nous laissons d'ailleurs toute la
responsabilité à Trémont, nous ne demanderons pas à cet admi-
rateur passionné du grand musicien la biographie de son héros.
Le peu qu'il en rapporte est déjà connu. Sauf quelques lignes
sur les amours malheureuses du compositeur et sur le procès
en revendication de sa particule nobiliaire, dont ce fier républi-
cain était si singulièrement entiché, nous ne voyons guère dans
la notice de Trémont d'autre détail intéressant qu'une nouvelle
anecdote sur le fameux voyage en France resté à l'état de projet.
L'homme et l'artiste y trouvent également leur place.
Sans doute Beethoven abhorrait le tyran chez Napoléon ; mais
il lui reconnaissait une intelligence supérieure, à laquelle il ren-
daitjxQjnvplontaire hommage.
Ie2ï5^ ''"^■'"'' ^^^-^^°*- '^-Pereur, pour pèu-qu.t
— Soyez sans inquiétude : l'exemple de Gherubini ne vou=
prouve-t-il pas toute l'indifférence de Napoléon pour la musique?
Cette réplique chiffonna légèrement l'irréconciliable ennemi
de Empereur; U eût été fier de savoir que le despote, soucie"
de le connaître, l'eût appelé aux Tuileries
C'est donc comme hôte et comme ami de Beethoven que le
baron de Trémont se glorifie d'avoir révélé à la France le in e
du conipositeur qu'il avait jadis oublié à Vienne. Il en imfos
pretend-i la musique de chambre aux quatuors d'instrume i-
tistes qu .1 avait formés; mais elle n'était pas aussi inconnue
dans notre pays qu'il veut bien le dire, puisque M-e Gava^gZc
entendait sa sœur jouer du Beethoven en 4797 ' ^
Quoi qu'il en soit, si le baron de Trémont fut des premiers à
propager lesœuvres du maître, si le savant Habeneck y IZZl
toutes ses forces et toute sa volonté, n'oublions pas que plu î
ard du temps de Delacroix, fidèles à leur programme, S ^
sociétés musicales, VUnion, la Sainte-Céaie fnent connaître à
leur clientèle les grandes compositions de Beethoven
suLts Ma"? ' ?'•'''' ?''''™^^ '°°°^ ''-' ^^«^riction ses
sulfrages la symphonie en la. Il reproche aux autres leur « con-
ta:S;é'dans";;;e"tf "i' "' ''''' ^°'^^^^'^^' " "^^^S- ^'^*--"e
de ravatl! .1? des mêmes motifs ». Mais, quelle somme
et tr?s choaulnt , n'? '" ' '" "'' '''''^'' '''' ^^^^1-
et très choquants I > Delacroix s'en est rendu compte en exa-
mmanUes manuscrits du compositeur, aussi raturés que ceux de
Il n'épargne pas cependant son admiration à des fragments
de te le ou telle œuvre, « l'andante de la Symphonie herbue ^
que 1 auteur afaitde plus tragique et de plus sublime... la s;m!
Slrif :.''""' '' '°"«"^^ '' •^'^^^^•••' l'^'^--^^^ -vertlTe
preïérés'"'"' '"'' '" "''' " '''"'''' '""J""^^^ ^ ^^« deux maîtres
« ...Qu'est-ce que les modernes ont à mettre à côté des Mozart
et des Cimarosa?... El en supposant que Beethoven, Rossini et
Weber, les derniers venus, ne vieillissent pas à leur tour, faut-il
que nous ne les admirions qp.i'en négligeant les sublimes maîtres
qui non seulement sont aussi puissants qu'eux, mais encore ont
été leurs modèles et les ont menés où nous les voyons... »
Delacroix écrivait ceci en 1846; et Grenier, un de ses élèves,
faisait cette judicieuse remarque, en 1847, que Beethoven,
misanthrope exaspéré, mais créateur d'un pittoresque ignoré des
autres compositeurs, avait des traits de ressemblance avec Dela-
croix comme « sauvage contemplateur de la nature humaine ».
Jamais peut-être définition plus juste ne fut donnée des mérites
comparatifs du peintre et du musicien.
(A suivre.) Paul d'Estrées.
BULLETIN THEATRAL
Vaudeville. Sainte-Galette, pièce en 3 actes de M. Albin Valabrègue.
M. Albin Valabrègue est, nul ne l'ignore, homme d'infiniment d'es-
prit et si l'équipée, dans laquelle il vient de se lancer assez inconsidé-
rément au Vaudeville, est loin de réussir autant qu'il devait s'y atten-
dre, du moins, grâce aux « mots » dont il s'est montré facilement
prodigue, ne lui enlèvera-t-elle presque rien de son universelle renom-
mée.
Sainte-Galette s'essaie à fustiger d'importance la bourgeoisie qu'hyp-
notise les gros monceaux d'or. Cela voulait être moral, satirique et phi-
losophique, mais la vulgaire pitrerie qui a envahi au moins deux des
trois actes — le premier ne manque ni de charme ni d'agrément — a
tout gâté; les espérances de l'auteur, comme la joie des spectateurs,
s'effondrent sous une disparate invraisemblable. Peut-être la bouffonnerie,
si elle eût été plus drôlatiguement traitée, eût pu faire fortune à Cluny
où l'on rit encore aux tableaux qui finissent par d'incompréhensibles
volées de gifles; au Vaudeville, on est de tenue, et le public n'y admet
sur les joues des Jjuablement et posément données, qu'elles s'abattent
de^alX '^V'"^ r !" ^^""«"'1«"« t^is^art^rdr wlLfe«e!fu coui-s
desquels s agitent des fantoches déguisés qui se donnent infiniment de
mal pour faire rater un mariage ridicule afin d'en faire aboutir
qui ne lest guère moins. Il y a lâ des rapins de Montmartre, l
S urf:ni,f "'^' -^-.^---^ de contrebande, un marseillais
Gnv ont .','''"' ""'' '° '^"''"°^^°' ^ ^^ "^^^^^^ de Saint-
(-uy ont 1 air de vouloir nous donner une bonne leçon. Les pauvres '
débute d^';' "^'"f"'"'' ' '"I"^"^ on a adjoint M-Joissant, qui
d'il t i "°° quelconque en un rôle quelconque, ne semblé pas
d efforts très convaincus. MM. Tarride, Gildès, Lérand et M-Daynes-
llZtntTr"' f T'' '' ^'"^ '■^"^^'^'^^ 5"^ de fantaisie, aident
cependant a supporter la soirée. p _g q
PETITES NOTES SANS PORTÉE'"
XXXIV
L'ENFER MUSICAL
A Monsieur Paul d'Estrées.
- Puisque le journal d'un peintre et la voix de l'enfer sont à l'ordre
tiZ: n r""' '^"' J' ""'"' '°''' ^°' y^"^ "'' mystérieuses lignes
de notre Delacroix, transcrites à votre intention : « L'admirable sympho-
me quejava,s oubUée... Se rappeler, dans l'avant-dernier morceau, la
gueule de l enfer enlr ouverte pendant une mesure ou deux. „ m Quel
est, selon vous le chef-d'œuvre innomé qui provoque cette rémini
1 aT/,";- r '™°* "' '''''''' "ï"' '^°'^P=^-" ^^ '^«»''^-' la magie de
1 Art a l idéalisation par le Souvenir ?
- Evidemment ce n'est point la Symphonie fantastique de notre Ber-
déni't dlT'"""?- J''^°'' '^' '' prestigieux satauique, et si musicale en
depit des gloses littéraires ou trop pittoresques! Un jour, nous étudie-
des 3 20 et 27 octobre, des 3, 10, 17 et 24 novembre, du 1" décembre 1901
LE MÉNESTREL
387
l'ons la musicalité de ce poète-musicien, la place incomparable, en l'his-
toire de la symphonie, de ce virtuose de l'orchestre, de ce régénérateur
de notre art. Mais si pour la première fois, grâce à lui, la symphonie
française triomphe de sa rivale germanique, c'est qu'entre le 1807 de
Weber et le 1830 de Berhoz, il y a Beethoven... Et Beethoven, ce géant
de la symphonie, n'est-il pas le maitre qu'il faut invoquer ici pour
comprendre une allusion qui vous hante? Dans V avant-demie)- morceau,
la gueule de l'enfer entr'ouverte : évidemment encore, ce n'est pas tel
menuet d'Haydn ou de Mozart... Et Delacroix a méconnu Berlioz...
— Alors?
— C'est Beethoven qui s'impose ! Je cherche parmi les neuf Immor-
telles... L' avant-dernier morceau d'une admirable sijmpho7iie, et l'enfer qui
s'entr' ouvre : mais c'est de la farouche et novatrice Ut mineur qu'il
s'agit, de son scherzo terrible où Berlioz déjà nommé semblait deviner
les cauchemars du Faust et les terreurs du Brocken ! Le voici le vrai
Beethoven, le génie du siècle que Delacroi.x ne trouvait pas toujours
triste et trop long, celui qui bouleversait Hoffmann et que l'orchestre
Lamoureux vient de ressusciter dans sa gloire ! Le voici, l'au-delà sinis-
tre ou gracieux du rêve, les basses nocturnes et pesantes qui s'éteignent
dans le matinal sourire de la flûte, avant le crescendo d'immortelle
aurore !
— Gluclï, déjà, le grand Gluck, n'avait-il point traversé l'enfer?
— Oui, l'enfer païen, les Enfers, qu'il interroge comme un mélodieux
Virgile, les Furies vengeresses et leurs danses lugubres, le ïartare pro-
fond et les divinités du Styx. Dans son Orphée, interrogez le stagnant
prélude en la mineur avant l'essor de la harpe et le chant du poète,
avant les non/ formidables qui décidèrent de la conversion musicale du
nerveux Jean- Jacques...
— A Gluck le rameau d'or de Virgile ! Mais l'Enfer chrétien, de la
Divina Commedia jusqu'au Second Faust? Et quel plus noble sujet pour
la musique, architecture du songe et voix de l'àme? Son seul défaut,
c'est de paraître écrasant pour le musicien. Ses tourbillons enflammés
l'emportent comme une épave plaintive. Sa rouge clameur fait pâlir les
feux de son orchestre. Le pressentiment demem-e plus tragique que le
résultat le plus beau... Mais le romantisme lui-même tout entier, qui
fut une névrose sublime, apparaît comme une émanation de l'enfer.
Une senteur de soufre a troublé le voluptueux parfum de ses créations.
Et les hallucinations étranges qui ont tourmenté ses artistes, depuis les
,u.nd 1 "•""'■ J-' j^.gj i, „„ i„„d«, là aimai [«loul :
^"r: uLEi S . u. »„p,s,i.>u. I... »» F..A •■ 11 «■««-
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?.T.?irSt i ". moi.. ..mll..te d... M,n<l.l.»h. ,«
r.::c^^?..î;"~=«'- '•'"--••'•*"•* '■"-
« un ouvrage admirable, épique, grandiose, malgré quelques formules
vieillies... ».
— Plusieurs musiciens ne partagent que la fin de cette opinion.
— Nous allons bien voir ! Mais personne n'osera contester l'intérêt
de découvrir le Dante après Faust, d'apprécier cette nouvelle trilogie
instrumentale qui n'est une symphonie que de nom : poème sympho-
nique, au contraire, en trois chants, où la tragédie rêvée de l'enfer se
dresse sur le seuil, alors que, dans Faust, le scherzo cinglant de Méphis-
tophélès sert de conclusion pour parodier les aspirations précédentes
avant la brève efilorescence du chceur mystique. Franz Liszt a toujours
décrit d'après les poètes. On pourrait le surnommer le Gustave Doré de
l'art orchestral. L'enfer est le triomphe de la musique littéraire.
— Mais quand le Poète peint l'enfer, il peint la vie : c'est un poète
qui l'aflirme. Symbolique vérité, qu'a fort bien sentie l'intelligent Raoul
Brunel dont nous venons d'écouter la Vision dantesque...
— Écouter une vision ! N'est-ce pas tout le programme de la musique
romantique? Et décidément, un volume ne suffirait pas à contenir
l'enfer musical.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
loup
RICHARD WAGNER, LISZT ET COSIMA
Z:; avancées pour feu notre italianisme? En tous cas, la provmce a
îr:^^^:irS«;^^s .Angers, trouve ce dermer
brûlant; et Louis de Romain, qui a donné
L'intéressante publication des lettres de Franz Liszt à la princesse
Caroline de Sayn-Wittgenstein que La Mara a entreprise (1), et dont
nous avons déjà parlé plusieurs fois, en est arrivée à cette année '1872
qui joue un si grand rôle dans la vie de Richard Wagner. C'est en effet
en cet an de grâce que le maitre a pu poser la première pierre du
théâtre de Bayreuth et ri;'aliser enfin la grande tâche de sa vie. A cette
époque, Liszt n'avait pas encore revu sa fille Cosima depuis son mariage
avec "Wagner; son divorce avec Hans de Bùlow l'avait profondément
irrité, — il était déjà l'abbé Liszt et ses croyances catholiques ne pou-
vaient admettre cette aventure. Or, on avait dit dans les journaux
allemands que Wagner n'avait pas invité son beau-père aux fêtes de
Bayreuth. Pour prouver à la princesse qu'on avait calomnié son gen-
dre, en cette occasion comme en tant d;,arâreSçvy?ây)i|3(aîyâfl^a¥^^^
donnons les traductions absolument naeies. vva„
Mon srand et cher ami, v,v ;■,
de supporter cela, comme cous -;- ^û "W^;';;^^^^ j, ^, ^is : viens! - Tu es entré
néanmoins manquer de t'm.iter. E «^"^J^f^^'^^'^ij.^ie jamais pu adresser l'apostrophe
dans ma vie comme le plus grand ^'"^^^ ^^^^^^ ' ^, „e suis pas entré dans ton
intime d'ami. Tu ''- .^^P-,f^;^ ' f ,t I a\ toi, c'est\on être le plus intime, né à
intimité autant que to, dans a «"™°^-^,^ ' ^ ^^ ^ésir ardent de te savoir aussi en
je me trouve à présent un. "^ ^""^^f ^^j.,; p'^ ^ter si peu pour toi! Combien ne
l as pu devenir ^^ J^ ^'^Xt.Z ^i^^^ - le te dis par cela mé.ne : vtens
t^'^i'^arTci u te ret^uves! Sois béni et aimé, quelle que soit ta deeiston!
chez toi, car ici lu ^^^ ^.^.^ ^^.^ _
Richard.
Bayreuth, 18 mai 1872.
■ dve r iszt qui était parfaitement décidé à ne pas aller a
A cette missive, Liszt qui c grandement, sur-
Bayreuth a repondu P-- U-és marqués
rîrrplpondirqu'i se manifestent dans chaque page de sa
correspondance avec la princesse:
-"'-^^*r;;:r;:::;eu. te remercier en paroles. Mais ^espère
Profondément ému par '\'™'^', /„,,ds qui m'enchaînent au loin disparaîtront
ardemment que toutes les °-^res, eus é a q^ ^^^,^^^^^^ ^^^^.^^ ^„„ ,,
et que nous nous '■''™'-™"=,f ™ ^',„en dans . la seconde vie supérieure par laquelle tu
iuséparable f -^ ^ ^f^ ^—^1 à toi^ seul .. Dans ceci ie vois .a gr.ce du ciel !
Stutusire^- mon amour tout entier!
20 mai 72, 'Weimar.
• .^ =, naissance et pour la fête de Bayreuth,
Pour l'an'^i-f«'^^'-^^'l^,."^:^;'S^de a visite de Liszt. Complétons
Wagner reçut donc '^'f^'^'^'J^^X^^^ Liszt écrivit à la princesse
cette courte ^o^^f^^^^^^^^eÏ uin, 1 sujet de l'incident de Bay-
quelques semaines plus tara, it -i j '
: Camille Clievillard.
(1) Dans to sympnome «pre. ^.....>-..-, --- •
llJt, dans Uarmmie et Mélodia de Saint-Saens, page 163.
388
LE MÉNESTREL
reuth (rappelons que dans sa correspondance avec la princesse le
maître s'est toujours servi de la langue française! :
..;0n verse toujours du côté où Ton penche — Dieu me pardonnera de verser du coté
de la miséricorde, en implorant la sienne et en m'y abandonnant tout entier...
On sait que « toutes les ombres, tous les égards qui enchaînaient »
Liszt ont vite disparu après sa première entrevue avec ses enfants, en
septembre 1872. C'est à Bayreuth qu'il repose à présent comme Wagner,
et dans la chapelle du cimetière qui abrite son tombeau on peut lire sur
la pierre tumulaire l'épitaphe qu'il avait rédigée lui-même dès 1869,
dans une lettre écrite de Rome à la princesse Wittgenstein, épitaphe
empruntée au psalmiste et qui caractérise si complètement le pieux
musicien : Et habitabunt recti ciim vullu tuo!
0. Beivggruen.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Le programme de la dernière séance'n'a oflert qu'une
seule œuvre de musique absolue : la symphonie en ré mineur de César
Franck, une des dernières compositions du maître, qui le caractérise complè-
tement et dont l'éloge n'est plus à faire. Dans une de ces excellentes notices
que les concerts Colonne doivent depuis longtemps à l'érudition et au sens
ci'itique de notre collaborateur et ami Charles Malherbe, nous trouvons
l'observation très juste que la France peut victorieusement opposer, dans le
domaine de la symphonie, les noms de Saint-Saèns et de César Franck à
ceux de Brahms et de Bruckner, c'est-à-dire aux deux symphonistes les
plus remarquables d'outre-Rhin dans la seconde moitié du XIX« siècle.
Nous regrettons qu'Antoine Bruckner soit si peu connu en Frarrce: il serait
intéressant d'entendre, par exemple, sa Symphonii- romanlique immédiatement
après la symphonie de César Franck, pour se rendre compte des tendances
analogues des deux œuvres, malgré les différences énormes de leur concep-
tion, de leur style et de leurs moyens. — Le reste du programme se ratta-
chait à l'art lyrique. On a entendu d'abord le prologue de la plus récente
œuvre dramatique de Saint-Saëns, mais sans la voix du récitant, que l'auteur
a supprimée en soudant les parties purement orchestrales par une seule tenue
de trompette. Le prologue des Barbares, devenu ainsi un simple prélude, ne
possède pas moins de charme sous ce nouvel aspect et il a été vivement
applaudi. La dernière œuvre lyrique de M. Bruneau a suivi et tous les pré-
ininterrompue, ces morceaux ont, pour ainsi dire, formé par la variété de
leur sentiment et par leur développement orchestral, comme les quatre parties
d'une symphonie classique ; le leitmotiv principal, qui revient si souvent sous
ses transformations subtiles, a soutenu ce semblant d'unité. — La séance
offrait encore un intermède vocal : MmeRose Caron chantait d'abord un frag-
ment de Lohengrin et ensuite la romance de Marguerite de la Damnation de
Faust. L'artiste a triomphé dans ces deux morceaux, même dans le fragment
de Berlioz, dont la tessiture ne lui est guère favorable, et a été rappelée à
plusieurs reprises. 0. Berggruen.
— Concerls-Lamoureux. — Bien des chefs d'orchestre ne paraissent pas se
rendre compte exactement des conditions requises pour une interprétation
irréprochable des œuvres de Beethoven, et tout spécialement de la Sympho-
nie en ut mineur. Ils usent sans préparation suffisante des procèdes du
lemjio rubato, cherchent l'effet par l'exaspération des sonorités, déséquilibrent
l'instrumentation pour entraîner le public à la suite d'une trompette, d'un
trombone ou d'un cor émergeant de l'orchestre, comme ferait la tête hideuse
d'un serpent s'élevant tout à coup au-dessus de la flore des prairies. Sans
méconnaître les qualités sérieuses dont M. Chevillard a fait preuve et
qui lui ont valu un véritable succès, je suis bien obligé de penser que
l'exécution trois fois acclamée de la Symphonie en ut mineur a laissé
quelque chose à désirer. L'ensemble manque de perspective musicale, c'est-
à-dire que chaque morceau, et dans chaque morceau chaque fragment,
semble trop envisagé pour lui-même, indépendamment de toute idée dé
cohésion d'ensemble. Les imperfections de détail abondent : ici (début
du l" allegro) les altos, répondant aux seconds violons et recevant la répli-
que des premiers, produisent une solution de continuité qui brise le fll mé-
lodique; là (premières mesures de l'andante), le mouvement, pris trop
vite, oblige immédiatement à ralentir pour arriver, avec une allure possible,
au chant nouveau des instruments à vent; plus loin (commencement du second
allegro appelé improprement scherzo), le ralentissement mal ménagé est dur
et raide parce que le procédé simpliste adopté à cet endroit pour indiquer les
temps ne représente aucunement la figuration harmonique ; enfin, la fan-
fare du finale est prise trop rapidement afin d'éviter l'inconvénient redouté
de n'obtenir à cet endroit qu'un son grêle et sans amplitude; il en résulte un
ralentissement fâcheux à l'endroit du motif célèbre des cors. Ces défauts
n'ont pas empêché l'assistance de fêter l'œuvre et le chef d'orchestre par trois
ovations prolongées. C'était justifié, car, outre qu'il faut toujours acclamer
Beethoven comme le plus inimitable des maîtres, M. Chevillard avait fait
preuve de grandes qualités sous le rapport du brio, de la verve entraînante
et même parfois de la netteté du rendu (partie des contrebasses du scherzo.
jeux de timbre avant la modulation en la bémol...). — Les fragments mélo-
dramatiques du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn ont paru froids malgré
la grâce d'une forme partout irréprochable, excepté dans la trop fameuse
marche nuptiale. — L'ouverture de Tannhiiuser était jetée au milieu du con-
cert entre l'admirable concerto de Bach pour deux violons, que MM. Secbiari
et Soudantont rendu en artistes consciencieux et délicats, et l'air de Suzanne
des Noces de Figaro que M"' Gaetane Vicq a chanté gracieusement. Deux mé-
lodies de M. a. de Saint-Quentin n'ont pas été appréciées très favorablement.
La cantatrice les a dites pourtant avec un certain charme, mais le genre
adopté par l'auteur, récitation neutre et monotone sur un joli fond instru-
mental, n'est pas fait pour s'imposer, ni même pour séduire beaucoup. Le
rythme, âme de la musique des temps modernes, en est trop systématique-
ment écarté. Amédke Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Symphionie en sot mineur, n" 1 (Méhul). — Ave Vcruni (Mozarti. —
Citant Étc(iiaque (Beetiioven). — Ouverture de Le .Tour de fête (Beethoven). — Cliœurdes
Chasseurs d'Euryantïw (Weber). — La Ckevriérc, chœur de femmes (Massenett, poésie
de M. Edouard Noël, solo par M"° 'i^an Gelder. — Symphonie de la Rrformation, n' 5
(Mendelssohn).
Cbâtelet, concert Colonne : Symphohie en ré mineur (César Franck). — Air d'Alceste
(Gluck), par" M"" Rose Caron. — Symphonie italienne (Mendelssohn). — Scène de la
Terrasse, de Salammbô (Reyer), par M""' Rose Caron et Julie Cahun. — Rédemption
(César Franck).
Nouveau-Théâtre, concert Lamoureux: Symplnyiiie pastorale (Beethoven). — Fragments
de la Statue (Reyer), par M"" Jeanne Raunay. — La Vi.iion de Dante, piélude du Pai'a-
dis (Brunel). — Valse de Méphisto (Liszt). — Monologue à'Aleesle (Gluck), par M'"' Jeanne
Raunay. — Le Songe d'une nuit d'été (Mendelssohn).
— Le deuxième concert de la Nouvelle Société philharmonique a été un gros
succès, tant au point de vue de la composition du programme que de sa
remarquable interprétation. La sonate en ;■(• mineur de Brahms a valu de
vifs et mérités applaudissements à MM. Eugène Ysaye et Harold Bauer, qui
l'ont exécutée avec une superbe largeur de style, de même que l'incompara-
ble sonate en ut mineur de Beethoven, poème admirable qui. il faut le dire,
laisse loin derrière lui l'œuvre de Brahms, malgré la valeur incontestable de
celle-ci. Les deux virtuoses se sont fait ensuite acclamer séparément et légi-
timement, M. Harold Bauer en jouant le Carnaval de Schumanu. M. Ysaye
en exécutant la noble Romance en sol majeur de Beethoven, et une Sara-
bande, Double et Bourrée de J.-S. Bach, qui nous fait renouveler l'observa-
tion faite par nous précédemment qu'un accompagnement discret de piano
nous semble indispensable à des compositions de ce genre. La grâce et le
charme de cette soirée sont dus à une jeune cantatrice, M"'= Thérèse Bebr,
encore inconnue à Paris, et qui nous a dit d'une fa(;on exquise toute une
série de lieder et de mélodies de Schubert, Schumanu, Brahms, Tschaï-
ii.u,vaK:,, ^o.^^u, i^otor Comelius, G^iordanl et même Salvator Rcoa. Son auccès
a élé complet.
— C'est l'autre samedi qu'a eu lieu au Cbâtelet, sous la direction de M. Ca-
mille Chevillard, l'audition de la Vision de Dante, -poème symphonique en trois
parties, avec prologue et épilogue, écrit par M. Raoul Brunel sur un livret
de MM. Eugène et Edouard Adenis et couronné au dernier concours de la
ville de Paris. Les solî étaient confiés à la belle et bien chantante M°>« Jeanne
Raunay, à J\1M. Rousselière et David, qui, tous trois, se sont fait très juste-
ment applaudir, de même que l'orchestre et les chœurs. L'œuvre de M. Raoul
Brunel, très fouillée, très travaillée, a été accueillie avec faveur par le
public.
NOXJA^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (S décembre) :
Les répétitions du Crépuscule des Dieux absorbent tous les efforts du per-
sonnel de la Monnaie, que la préparation, extraordinairement compliquée et
ardue, de ce colossal ouvrage met littéralement sur les dents. C'est un véri-
table calice d'amertume, qu'il faut boire coûte que coule. Et la direction
piquée au jeu et sentant combien la partie à jouer est lourde et importante
pour elle, met tout son amour-propre à s'en tirer le plus galamment possible,
sans rechigner à la besogne, et veut faire les choses tout à fait bien, de façon
à contenter les wagnéristes les plus difficiles. Le Crépuscule sera donné, en
efl'et, intégralement, sans coupures ; celles-ci seraient d'ailleurs ou insigni-
fiantes, ou illogiques; aussi, la représentation de l'œuvre durera-t-elle bien
au delà des limites ordinaires. On commencera à sept heures, peut-être avant
même, et l'on finira à une heure du matin! Pour bien faire, il faudra s'y
prendre eu plusieurs fois ; le premier acte, qui dure deux heures, pourrait à
lui seul former un spectacle. Et déjà l'on songe â occuper les entr'actes,
comme en Allemagne, par des exercices gastronomiques et réparateurs indis-
pensables. On comprend que, jusqu'à cette sensationnelle première, le reste
du répertoire sera nécessairement un peu négligé. Il n'a été possible de
donner, ces jours derniers, qu'une reprise, peu palpitante, de la Fille du régi-
ment, avec la spirituelle et toujours aimable M""= Landouzy; et il n'y en aura
plus d'autres d'ici au Crépuscule des Dieux, qui passera vers le IS. — La
Monnaie avait compté pouvoir donner une couple de représentations de la
Valkijrie, avec le concours de M. Van Rooy, l'admirable baryton de Bayreuth;
par malheur, M. Van Rooy, indisposé, n'a pu venir; et c'a été un long tra-
vail perdu. L'artiste devait chanter, par la même occasion, au concert Ysaye,
LE MÉNESTREL
389
dimanche passé; il a été remplacé par une cantatrice, M»« Behr, absolument
médiocre, et par un jeune violoniste russe, M. PelschnikoiT, qui a joué le
concerto de Tschaïkowsky et des morceaux divers avec une virtuosité, une
pureté de son et une distinction de sentiment absolument remarquables. On
a aussi entendu, à ce concert, une nouveauté symphonique extrêmement
curieuse : dos Variations — innombrables — d'un compositeur anglais, décou-
vert par M. Ysaye à Londres, M. Ed. Elgar: celui-ci, s'inspirant de ses amis
et connaissances, a fait de ces variations une suite de petits poèmes caracté-
ristiques dépeignant le caractère et les allures des personnages auxquels il les
a dédiés; Fidée est originale et l'exécution tout à fait ingénieuse, pleine
d'esprit, avec une instrumentation merveilleuse de souplesse et de coloris.
L'orchestre de M. Ysaye a détaillé à ravir l'œuvre de M. Elgar, — un nom à
retenir.
A Anvers a eu lieu, samedi dernier, au Théâtre-Lyrique flamand, la pre-
mière représentation de la Fiancée de la mer {De Bruid der zee), l'opéra nou-
veau de M. Jan Blockx, l'heureux compositeur de Princesse d'auberge et de
Thyl Uylenspiegel. Le livret de l'œuvre nouvelle est de M. Nestor de Tière, le
librettiste flamand de Princesse d'auberge, et le sujet, cette fois encore, est tout
imprégné des mœurs et du caractère populaires, très typiques et très locaux,
de la Flandre, ou, pour parler plus exactement, de la Néerlande. Sujet pas-
sionnel, dramatique, — un peu mélodramatique même, — mettant aux
prises, dans un cadre pittoresque, les sentiments du cœur les plus humains,
i'amour et la jalousie, avec la violence et la naïveté des âmes simples et
sincères. La scène se passe sur une plage de pauvres pécheurs. Kerline a juré
un amour étemel à Arrie. Celui-ci part en Islande pour gagner l'argent
nécessaire au futur ménage: mais il périt dans les flots. Kerline repousse les
propositions d'un autre pécheur, Kerdée, malgré les supplications et les
menaces de son père et de sa mère, et la jalousie d'une rivale, Djovita, qui
aime Iverdée et repousse à son tour l'amour d'un troisième larron, Morik.
Pour se débarrasser de Keriine, Djovita feint cependant de céder à Morik,
qu'elle associe à ses projets de vengeance, et poursuit la malheureuse de sa
haine et de sa perhdie au point de la rendre folle et de la déterminer enfin à
se jeter à la mer pour rejoindre son fiancé dans la mort. L'émotion et l'in-
térêt dramatique ne manquent pas, on le voit, à ce sombre poème, qui rap-
pelle l'histoire légendaire de Héro et Léandre, et que la verve et la vigueur de
M. Blockx colorent puissamment, avec la justesse d'expression et le mouve- "
ment qui ont fait la fortune de ses précédentes partitions. D'accord avec la
pensée du librettiste, dont le poème constitue en quelque sorte la transposi-
tion scénique d'une vieille ballade germanique, les Deux enfants du roi, racon-
tant les exploits d'une sirène qui attire les malheureux mortels au fond des
abimes, le compositeur a fait de cette ballade la trame essentielle de son
œuvre: et il y a ajouté encore la saveur d'autres mélodies cararl(iri«tinnpQ
crnpruntées an fVJL-û,:,. n„^^,^A ^„ ;„„„;_.;— : -i.-_niôme avec une rîre
connaissance du style populaire, dont sa musique porte, tout entière, l'em-
preinte si curieusement. Le premier acte de la Fiancée de la mer, admirable-
ment Cl établi », très « chantant », et d'une allure très franche, est peut-être
le meilleur des trois; un duo d'amour et un ensemble d'un bel effet le ter-
minent aTec éclat. Le second a moins de cohésion en sa diversité de scènes
parmi lesquelles le souflle de l'auteur s'éparpille un peu: mais le drame se
noue, et la scène finale, où Kerline, folle, croit entendre la voix de son fiancé
qui l'appelle, est vraiment émouvante. Au troisième, il faut noter surtout la
bénédiction de la mer, dont le caractère calme et religieux se mêle à la pas-
sion déchaînée des héros, pour finir dans un alléluia imposant. L'interpréta-
tion, plus convaincue que parfaite, n'a pas empêché l'œuvre d'obtenir un
succès très chaleureux et très bruyant, marqué par de nombreuses ovations
faites aux auteurs, appelés sur la scène après le deuxième acte. Un public
d'élite se pressait dans la salle ; beaucoup de Bruxellois avaient fait expressé-
ment le voyage d'Anvers, notamment la plupart des confrères en musique
de M. Blockx, accourus pour l'applaudir, et les directeurs du théâtre de la
Monnaie, qui, dès à présent, songent à monter l'œuvre, en français, l'an
prochain. L. b.
— Un journal bavarois vient de donner des détails curieux sur les relations
financières du roi Louis U et de Kichard Wagner. Celui-ci avait emprunté
au roi cent mille marcs pour couvrir en partie le déficit de Bayreuth, et avait
cédé au souverain, comme compensation, le droit de faire jouer Parsifal à
Munich après les premières représentations de Bayreuth. Or, Wagner ne
pouvait se consoler d'avoir ainsi abandonné Parsifal, et le 1"='' octobre 1880
le roi reçut de son ami une lettre contristée dans laquelle le maitre lui annon-
çait qu'il irait en Amérique en 1881 pour y gagner dans des concerts une forte
somme d'argent qu'on lui offrait. L'intention de Wagner était de rendre au
roi la somme de cent mille marcs et de dégager ainsi Parsifal, car il désirait
qu'on ne put jouer cette œuvre ailleurs qu'à Bayreuth. Quinze jours plus tard,
le 15 octobre 1880, l'intendance des théâtres royaux de Munich reçut du châ-
teau de Linderhof l'ordre royal suivant :
Pour favoriser les grandes visées du maitre Richard Wagner, j'ai pris la résolution
de mettre à la disposition de l'entreprise de Bayreuth, à partir de 18S2 et toutes les an-
nées suivantes, l'orchestre et les chœurs de mon théâtre de la Cour pendant deux mois.
Quant au choix des mois les plus convenables et pour la question du remboursement des
frais mon intendant général baron de Perfall et mon secrétaire de cabinet, le conseiller
de ministère de Buerkel, devront s'entendre avec la société du patronat de Bayreuth et
me présenter à ce sujet un rapport détaillé.
J'ordonne, en outre, que toutes les conventions antérieures concernant les représenta-
tions de Parsifal à Munich soient considérées comme nulles et non avenues.
Cet ordre royal avait donc rendu Parsifal à Wagner. Le roi était doulou-
reusement impressionné par l'idée que celui-ci serait obligé d'aller, si fort
âgé, en Amérique pour dégager sa dernière œuvre, qu'il considérait, non sans
raison, comme la partie la plus importante de l'héritage qu'il laisserait à sa
famille. Le roi partageait d'ailleurs, au point de vue purement artistique, les
idées de Wagner, auquel il écrivait en octobre 1880 qu'il désirait que le Bueh-
nenweihfestspiel sucré, (heilig) ne fût joué qu'à Bayreuth, afin qu'il ne perdît
rien de son caractère sur aucune autre scène profane (sic!). Ajoutons que la
somme prêtée par Louis II à Wagner pour le théâtre de Bavreuth est au-
jourd'hui presque entièrement restituée aux héritiers du roi;'on avait à cet
effet, retenu tous les droits d'auteur considérables dus par l'Opéra de Munich
aux héritiers de Wagner depuis sa mort. De part et d'autre les sommes
aujourd'hui s'égalisent à peu près.
— L'Opéra royal de Munich prépare un « cycle » des œuvres de jeunesse
de Richard Wagner. On jouera les Fées, la Défense d'aimer ou la Novice de
Palerme et Rienzi. La partition de la Défense .d'aimer avait été offerte par
Wagner au roi Louis II; cet opéra n'a été joué qu'une seule fois, à Magde-
bourg, en 1836.
— Bayreuth verra en 1902 une invasion d'artistes Scandinaves. M^e Cosima
Wagner a, en effet, engagé M'"» Gulbranson, le baryton Elmblad et le ténor
Hagerman.
— Un accord parfait s'est finalement établi entre les trois sociétés musi-
cales : la Société des amis de la musique de Vienne, la Société Czerny de
■Vienne, et la Société Liszt de Hambourg d'une part, et les parents de Brahms
d'autre part. Chacune de ces sociétés a reçu une somme relativement peu
importante eta reconnu les droits des héritiers, qui vont toucher la forte somme.
— M. Emile Sauer, le pianiste que nous avons entendu récemment aux
concerts Lamoureux, vient d'être nommé, par le ministre de l'instruction
publique d'Autriche, chef de la nouvelle classe de perfectionnement du piano
qu'on a fondée au Conservatoire de Vienne. Ou se rappelle que les pourpar-
lers engagés avec M. Sauer au sujet de sa nomination ont amené la démis-
sion des trois plus remarquables professeurs de piano du Conservatoire.
— Une affaire singulière est actuellement soumise à la commission d'ar-
bitrage de l'Association des artistes des théâtres allemands. Un chanteur qui
interprétait Guillaume Tell au théâtre de Mayence fut vivement applaudi après
sa grande scène et rappelé, mais ne voulut pas pour cela sortir de sa lo-'e,
malgré l'ordre formel du régisseur d'aller se montrer au public impatient!
Le lendemain l'artiste reçut un de ces avis d'amende (Strafzettel) qui sont
d'usage dans les théâtres d'outre-Rhin. La somme était assez forte et l'artiste,
au lieu de payer, a porté l'affaire devant la commission d'^jhter-surtœ-pTïmTr-'
en effet inadmissible qu'un réaisseiir nil le rlimi d. ■'i"l'.^-«ipport avec leur
service au théâtre.
— Les grands théâtres italiens préparent leur importante saison d'hiver,
qui, comme on sait, commence à la San Stefano, le 26 décembre. Ils
publient déjà leur cartellone. Voici le tableau de la troupe de la Scala de
Milan : W^"^ Irma Baseggio, Jane Bathori, Elisa Bruno, Rosa CalHgaris-
Marty, Europa Dal Corso, Teresa Ferraris, Adélaïde Kozakowski, Bianca
La vin, Elvira Magliulu, Amelia Milazzo, Soria Parisotto, Amelia Pinto,
Adèle Ponzano, Onoria Popovici, Bruna Properzi, Rosina Storchio, Eugenia
Tomsen. Giuseppina Elffreduzzi ; MM. Giuliano Biel, Enrico Caruso, Lodo-
vico Contini. Emilie Cossira, Antonio Magini Coletti, Enrico Nani, Costan-
tino Nicolay, Carlo Ragni, Arcangelo Rossi, Mario Roussel, Mario
Sammarco, Michèle Wigley. Chef d'orchestre : Arturo Toscanini. Entre
autres œuvres du répertoire: il Trovatore, la Valkyrie,Euryanthe,LindadiCha-
mounix, HaenselelGretel et Germania, opéra inédit de M. Alberto Franchetti.
Au cours de la saison, quelques exécutions du Requiem de Verdi.
Voici maintenant le personnel du théâtre San Carlo de Naples : M^^ Gemma
Bellincioni, Regina Pinkert, De Macchi, Jacoby et Giacchetti ; MM. Enrico
Caruso, De Lucia, Vignas, ténors ; Ancona, Bucalo, barytons ; Scarneo,
basse. Le chef d'orchestre est M. Mascheroui. Au répertoire : l'Elisire d'amore,
Manon, laNavarraise, Lohengrin, les Pécheurs de perles, (n Bo/ième (Leoncavallo),
Don Juan, Fedora, Mefistofele et Lorenza (Mascheroni).
Et voici la composition de la troupe du théâtre Costanzi de Rome :
]y[mes Emma Carelli, Emma Leonardi, Giacomini, Regina Pinkert, Pasini-
Vitale, Tavella, Kavini ; MM. Antonio Tasca, Enrico Caruso, Ventura,
Alessandro Bonci, Marcolin, Baradel, Nannetti, Pessina, Angelini-Fornari,
Mu^noz, Galli et Bordogni. Chef d'orchestre : M. Edoardo Vitale. Répertoire :
la Favorite, les Maîtres Chanteurs, la Bohème, (Puccini), * Puritani, il Trillodel
Diavolo, Tosca, Iris. Dans la seconde quinzaine d'avril, à l'occasion de la réu-
nion du congrès historique, on donnera quatre exécutions de Mosè de don
Lorenzo Perosi.
Au Théâtre-Lyrique de Milan a eu lieu, le 25 novembre, la première
représentation de Chopin, opéra en quatre actes, livret de M. Angiolo Orvieto,
musique « arrangée » par M. Giacomo Oreflce sur des mélodies de Chopin.
« Entre dans la cuisine du grand pianiste-compositeur Frédéric Chopin, dit
le Monda arlistico, prends le Nocturne op. 15, n» 1, et forme-s-en un air, la
Mazurka op. S6, n" 2, et fais-en un chœur, la BarcaroUe op. 60 et tiro-s-en
un prélude à un air de soprano construit avec la Grande Fantaisie op. 13,
ensuite la Berceuse op. 57 que tu arrangeras de façon à en faire un duo, puis
le Cracoviak du Nocturne op. 9, n» 2, que tu transformeras eu chœur, puis
tripote bien le tout et sers chaud le premier acte de l'opéra, renouvelle trois
fois l'opération avec d'autres ingrédients, et tu auras cuisiné les quatre actes
390
LE MENESTREL
de l'opéra intitulé Chopin. » Tel est, en effet, le procédé employé par M. Ore-
fice, procédé qui semble avoir réussi, car le public a fait bon accueil à
l'œuvre qui lui était ainsi présentée. L'ouvrage comprend quatre actes ou
tableaux : Noël, le premier, l'adolescence de Chopin et son premier amour
pour Stella, l'enfant ingénue: le second, l'Avril, essor de l'artiste vers la
conquête de la gloire dans l'amour passionné de Flora; le troisième, la Tem-
pête, à Majorque, dans un milieu mystique et mélancolique, avec l'épisode
de la gentille jeune fille victime de la mer: enfin le dernier, l'Automne, qui
représente la En de Chopin, assailli par ses souvenirs et mourant entre les
bras d'Elie, son ami, et de Stella, son premier amour. Le ténor Borgatti a
obtenu un succès éclatant dans sa personnification de Chopin; il avait une
partenaire excellente en la personne de M""' Cesira Ferrani, qui a partagé
son succès.
— La saison d'automne du Théâtre-Lyrique international de Milan vient
de se terminer sur deux superbes représentations de la Sapho de Massenet,
avec l'émouvante Bellincioni, qu'on y a acclamée.
— On a annoncé, dit un journal italien, qu'Arrigo Boito se disposait à
passer l'hiver sur la rive douce de Sirmione, dont il ne veut plus s'éloigner
qu'il n'ait terminé son Néron. Mais ses déclarations rencontrent quelques
sceptiques, et parmi eux un ami très intime de Boito, M. Ricordi, lequel,
écrit il Resta del Carlino, affirme mélancoliquement que Néron sera un opéra
posthume de l'auteur de Mefistofele.
— A Rome, M. Nasi, ministre de l'instruction publique, répondant favo-
rablement à une requête déjà ancienne de l'Académie de Sainte-Cécile, vient
d'établir un fonds de 9.000 francs pour la création d'un pensionnat d'élèves
musiciens comme il en existe déjà pour les élèves peintres, sculpteurs et
architectes.
— Le conseil communal de Rome a voté à l'unanimité, dans une de ses
dernières séances, l'ordre du jour suivant : — « Le conseil, dans le désir de
fêter le quatre-vingtième anniversaire de la naissance d'une des plus grandes
illustrations universelles de l'art, Adélaïde Ristori, décide que, le 29 jan-
vier 1902, toutes les directions des écoles dépendant de la commune seront
invitées à tenir dans leurs locaux spéciaux une conférence pour rappeler aux
élèves les vertus et le génie de cette grande figure vivante que l'art et la
patrie réunissent eu une fin unique. »
— Aux récentes élections qui ont eu lieu à Naples pour le renouvellement
de la municipalité de cette ville, M. Nicolà d'Arienzo, professeur de compo-
sition au Conservatoire, a été nommé conseiller communal.
— Tp ii-nyajl nue M.yaletta a publié sur Bellinidans la Niiova Antologia et
que je connaisse parmi ceux dont l'auteur de Norma et de la Somiambula a
été l'objet de la part de ses compatriotes. C'est une sorte à'essay à la manière
anglaise, à la fois bref et substantiel, rapide et complet, qui fait connaître
tout ensemble l'homme et l'artiste, et qui, sans entrer, faute d'espace, dans
une critique de détail et dans une analyse minutieuse des œuvres, n'en carac-
térise pas moins le génie du compositeur d'une façon appréciable et solide.
Le récit est net, vivant, intéressant, ne s'égare pas dans les broussailles, et
met le lecteur au fait de toute l'existence morale et artistique de Bellini,
qu'il peut connaître à fond après la lecture de ces trente pages bien remplies.
M. Valetta, qui a le talent difficile et rare de résumer les faits en peu d'es-
pace, a donné là un pendant à l'excellente notice qu'il avait déjà consacrée
à Donizetti, notice d'autant plus précieuse qu'il n'existait sur l'auteur de
Lucie et de Don Pasquak que le livre bien însufEsant de l'avocat Cicconetti et
les deux piètres petits volumes de M. Edoardo Verzino. A. P.
— Un fiasco comme on en voit rarement vient de se produire à Modène
à la représentation d'un opéra nouveau, Ordinanza, paroles de M. Alfredo Tes-
tnni, musique de M. Délia Noce. Le public, très nombreux, s'est montré
tellement irrité de la mauvaise qualité du poème, de la musique et de l'exé-
cution, qu'à moitié de l'œuvre il n'a pas voulu en enteudre davantage et a
fait baisser le rideau. La chute était complète, irrémédiable. Si l'on songe,
dit un journal, que M. Testoni est modénais et poète distingué, que M. Délia
Noce, modénais aussi, est connu par d'intéressantes compositions et qu'il
jouit auprès de ses concitoyens d'une grande estime pour son beau talent et
sa vaste culture, le résultat désastreux obtenu par l'œuvre nouvelle ne peut
faire moins que de surprendre.
— Plus heureux a été un autre opéra. Céleste, représenté à San Miniato et
dont la musique a pour auteur le jeune compositeur Franscesco Pisani, élève,
dit-on, de M. Mascagni et directeur de la musique municipale et du Cercle
philharmonique de cette ville.
— On a donné à Madrid la première représentation d'une zarzuela en un
acte, el Début de la Ramirez, paroles de M. Merino, musique de MM. Torre-
grosa et Quinito.
— Au théâtre des Novedades de Madrid, apparition d'une zarzuela nouvelle
en un acte, los Timplaos, paroles de MM. Eusebio Blasco et Fernandez Shaw,
musique de Gimenez.
— Ib et la petite Christine est le titre d'un opéra-comique en trois actes qui
vient d'être représenté avec succès au Savoy-Théâtre de Londres. Le livret a
été tiré par M. Basil Hood d'un conte danois d'Andersen, la musique a pour
auteur un jeune artiste italien, M. Franco Leoni.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministre des beaux-arts vient d'adresser aux préfets une circulaire
au sujet de l'accord intervenu entre le syndicat de la Société des auteurs
compositeurs et éditeurs de musique et les sociétés orphéoniques.
Cet accord, intervenu à la suite d'une proposition de loi due à l'initiative
de M. Gaillard, sénateur de l'Oise, est ainsi réglé par le ministre :
I. — Exécutions publiques données par les Sociétés musicales elles-mêmes.
Seront considérés comme recette indirecte :
1" Les souscriptions à un ou plusieurs concerts par des personnes étrangères à la société
musicale, ainsi que les souscriptions à plus de deux places par concert par des membres
de ladite société ;
2" Le prix des billets d'une tombola ;
3" Le montant d'une quête, sauf dans le cas où elle serait faite au proût unique et
exclusif d'une œuvre publique de bienfaisance ;
4'' Le produit d'un vestiaire, si le droit est supérieur à 50 centimes;
5° Le produit de la vente d'un programme.
Au contraire, ne seront pas considérées comme recelte indirecte :
\° Les cotisations des membres actifs ou honoraires ;
2° Les subventions accordées aux sociétés par l'État, les départements ou les communes.
II. — Exécutions publiqiies organisées avec le concours des Sociétés musicales ou des musi-
ques militaires, par les municipalités ou par une collectivité agissant dans un Imt uni-
que et exclusif de bienfaisance publique ou d'utilité publique.
Seront considérées comme recette indirecte, indépendamment des cinq cas prévus au
paragraphe précédent :
!• La location des chaises, si le concert a lieu sur une place ou dans un jardin public,
2« La location d'une salle à une société musicale, faite par une municipalité ou par
un tiers.
Au contraire, ne seront pas considérées comme recette indirecte : les subventions accor-
dées ou les souscriptions recueillies à l'occasion des concours, kermesses ou fêtes locales,
à la condition que ces subventions ou souscriptions ne donnent droit à aucune entrée.
Le ministre, en résumé, ne touche pas à l'accord de 189i, qui demeure le
règlement fondamental en la matière. Il a voulu simplement donner à cet
accord une interprétation à la fois plus précise et plus libérale : plus précise,
puisqu'elle prévient des conflits qui auraient pu s'élever; plus libérale, en ce
qu'elle donne satisfaction aux réclamations des municipalités et assure plus
d'indépendance aux sociétés musicales.
— M. Emile Berlin, le dévoué régisseur général del'Opéra-Comique, vient
d'être nommé par le ministre des beaux-arts, sur l'avis du conseil des
études, qui l'avait proposé en première ligne, professeur d'opéra-comique au
Conservatoire, en remplacement de M. Lhérie. C'est là un excellent choix,
M. Berlin, qui fut un excellent artiste, ayant de la scène une expérience
consommée.
— Coup de théâtre à la Gomédie-P'rançaise. Par arrêté du ministre
M. Lucien Guitry y a été nommé directeur de la scène aux côtés de l'admi-
nistrateur général, M. Jules Claretie. On aurait pu croire que là-dessus les
sociétaires allaient furieusement grincer des dents en voyant appelé à les
dominer simplement un de leurs pairs, qui, après tout, n'est pas supérieur à
quelques-uns d'entre eux. Il n'en a rien été, et tout s'est passé le mieux du
monde. Chacun a rentré ses griffes, et M. Guitry a pu opérer devant une
assemblée de moutons. Qu'est-ce qui peut bien couver là-dessous ? M. Lavedan
s'est empressé de rendre son Marquis de Priola, violemment enlevé à M. Cla-
retie, et voilà l'œuvre lancée en pleines répétitions. Mais comme tous ces
gens-là, associés dans une œuvre commune, doivent s'aimer entre eux 1 0
comédie, comédie bien française !
— Dans le rapport sur le budget des beaux-arts, qui vient d'être distribué aux
députés et qui contient plus d'une page intéressante — nous aurons l'occasion d'y
revenir — M. Couyba propose la création d'un « Théâtre du peuple », établi au
Chàtelet : les places seraient à un prix très bas, et les quatre théâtres subven-
tionnés y joueraient tour à tour chaque semaine, les autres jours étant réser-
vés à des conférences de gens célèbres, à des concerts de grandes Sociétés
musicales, à la musique légère et à la chanson. Puis le rapporteur, s'étant
aperçu après coup que la province était oubliée dans son projet, ce qui ne lui
paraît pas juste, puisque la province participe au paiement des subventions
il a l'intention, lorsqu'il développera son rapport, d'ajouter un post-scriptum
à sa proposition. Il y prévoiera l'organisation de voyages des différents
éléments du Théâtre du peuple, et, pour faire face aux dépenses occa-
sionnées, présentera une combinaison d'après laquelle la ville qui ferait la
demande supporterait un tiers des frais, les deux autres tiers étant imputés
au département et à l'Etat. Tout ça, c'est des beaux rêves, dont la réalisation
parait difficile. Et qu'en penseraient les contribuables, qui ne sont pas tous
mélomanes ou amis des belles-lettres ?
— Dans ce même rapport, et avec plus d'à-propos, M. Couyba signale le
danger permanent auquel sont exposés les artistes de l'Opéra-Gomique en ce
petit espace que leur a réservé l'architecte Bernier sur une scène trop exiguë
et dans les minuscules dépendances de cette scène. Il fait remarquer avec juste
raison qu'en cas de sinistre les malheureux n'auraient [pour s'échapper que
deux petites portes qu'il compare à des « trous de souris » et que dans leur
affolement ils n'auraient qu'à venir s'écraser contre le mur du fond ou contre
le rideau de fer qui sépare la scène de la salle. Prophétie vraiment terrifiante I
Subsidiairement, il indique aussi les dommages que cause cette exiguïté à
l'administration du théâtre, en l'obligeant à d'incessants transbordements de
LE MENESTREL
391
décors d'un point de Paris à un autre, puisqu'on ne peut pas les remiser au
théâtre même, faute de place. Alors ? Alors il faut avoir le courage de faire
ce qu'on n'a pas su faire dès l'abord, reconnaître ses erreurs et faire l'acqui-
sition au plus vite de tout l'immeuble sur le boulevard, pendant que les appar-
tements y sont presque tous à louer. L'économie du projet est parfaitement
indiquée par l'un des rédacteurs du Figaro et on peut s'en tirer à assez bon
compte. Qu'on marche vite et qu'on n'attende pas le sinistre irréparable,
comme il est arrivé déjà pour l'ancienne salle, malgré tous les avertisse-
ments.
— Demain lundi, début à l'Opéra, dans Roméo et Juliette, de M"* Bessie
Abott, jeune américaine, qui depuis un an, nous disent les gazettes, travaille
sous la direction même de M. Gailliard. Nous en aurions préféré une autre.
Le même soir la charmante M""' Carrère remplira le rôle et le maillot du
page Stefauo.
— Le ténor Alvarez s'embarquera cette semaine à destination de l'Amé-
rique, où il va chanter, entre autres rôles, Manon aux côtés de Sibyl Sanderson
et la Navarraise avec M"» Galvé, Il dit adieu à l'Opéra, à Gailhard et à ses
pompes, sans esprit de retour, à ce qu'on assure. Voilà un départ qui, après
celui de M"" Bréval, la triomphante Grisélidis de rOpéra-Gomique,va rehaus-
ser encore et singulièrement le prestige de notre première scène.
— Avec Grisélidis l'Opéra-Comique a réalisé dernièrement la plus forte re-
cette qu'il ait jamais encaissée : 9.716 fr. 50! D'ailleurs, depuis le commen-
cement des représentations de cette œuvre charmante, il n'y a jamais eu de
recette au- dessous de 9.000 francs sauf pour les soirées qui comportaient
un « service de presse ».
— M. Albert Carré a réuni cette semaine à l'Opéra-Comique les titulaires
de la caisse des retraites qu'il a fondée dans son théâtre, c'est-à-dire tous
les artistes de l'orchestre et des chœurs et le personnel technique de la scène,
afin de Jes présenter à M. Dislère, président de section au Conseil d'Etat, qui,
avec un très grand dévouement, a bien voulu accepter la présidence du
comité de l'œuvre des pensions de l'Opéra-Comique. Puis il leur a annoncé
une bonne nouvelle. Sur sa demande, appuyée en haut lieu par M. Dislère,
une loterie vient d'être autorisée au profit de la caisse des retraites du per-
sonnel de rOpéra-Comique. Elle se composera de lots en nature. Les dons
affluent. Le Président de la République s'est inscrit le premier, les maisons
Erard, Pleyel, Alexandre, les plus grands peintres, sculpteurs et graveurs,
les premières maisons du commerce parisien dont l'Opéra-Comique est le
théâtre préféré, les principaux éditeurs de musique et enfin les direc-
teurs des grands journaux de Paris ont tous promis leur concours au direc-
teur de rOpéra-Gomigue, qui, déjà, a réuni à cette heure ,'l7'\(iftt" uDioi,-pŒf
1.000. La lr,tor;= -- "::;',;-H„K aura îieû'vers le ÏJO décembre prochain et
100 billets. L émission des billets auia iieu vei»
le tirage de la loterie le 3i mai 1902.
_ Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée,
Carmen ; le soir, Mireille.
Demain lundi, en matinée, à l'Opéra-Comique, grande fête septentrio-
na'i; donn e par l'Association amicale des Enfants du Nord et du Pas-de-
Calais (La BetLrave) au bénéfice des œuvres de bienfaisance ^e ces deux
,r .Intnt, iu DO^ramme : Ros6 e( Cote, de itfonsigny ; un ballet médit
flTZsnZle:Cn.ent des roses; le Couronnement delà Muse, deM. Gus
de M. massenei, patoisant ouvrier mineur Jules Mousseron; la
r. drrjhéonisls e'valncLnes; la Légende de Jean de Calais, par
Tlttl DorcLin due par M. Coquehn aîné; la Ckanson de Cadet-Roussel,
^: M Henri Malo, dite par M. Raphaël Duflos. Grand intermède compose
diefet de fragments d'œuvres, plusieurs inédites, d'écnvains et de com-
d œuvres et ueio interprétées par des artistes septentrionaux, entre
!:t"4rmotr^^^^^^
visite la terre (inédite).
M Adrien Bernheim, commissaire du gouvernement près les théâtres
subventionnés, qui fait en ce moment partie du comité d'organisation de a
matinée orgausee au bénéfice de la famille Taskin, y a pris 1 idée de fonder
un société de secours, basée sur les mêmes ressources, qm pourrai servir
des ndemnités de plus on moins d'importance à tous les gens de théâtre
après quarante ans de service. M. Bernheim mûrit son projet et en donnera
bientôt les détails.
_ Voilà que ca craque aux Variétés I Nous voulons parier du praticable qui
vient de s'y effondrer en pleines répétitions de la revue, entraînant dans sa
Ihute quelques pauvres artistes sortant de l'aventure plus ou moins endom-
magés Nous n'entrerons pas dans les détails de cet accident, que tous les
iournaux ont déjà donnés avec l'abondance coutumière. Le juge d'instruction
lemercier est chargé de tirer au clair les responsabilités. On nena pas
moins repris à toute vapeur les étades de la revue, avec les remplaçants
nécessaires. Faut que l'train passe !
- Gomme nous le pensions bien, voilà le théâtre des Bouffes-Parisiens
revenu à ses premières amours, c'est-à-dire à l'opérette, et pour cette opéra-
tion il a appelé à la rescousse M. Viètor Silvestre, un professionnel du
eenr'e un habitué des hauts et des bas, qui n'a pas encore fait ses preuves
dans ces quatre murs. Les Bouffes, le berceau d'Offenbachl A vous la pose,
ô Varney, 6 Roger I
— On annonce que c'est M. Charles Quef qui est nommé organiste du
grand orgue de l'église de la Trinité, en remplacement de M. Alexandre
Guilmant, qui, comme nous l'avons t'ait connaître, s'est démis de cet emploi.
— M"" Marcella Pregi est, en ce moment, en tournée en Allemagne, Hol-
lande et Belgique où ses récitals de musique classique et moderne obtien -
nent, partout, un très grand succès. Mozart, Caldara, Rameau, Gluck,
Grétry figurent sur ses intéressants programmes, à côté des reconstitutions
de Wekerlin et de Périlhou (Margoton, la légende de Saint-Nicolas, etc.), et
d'œuvres modernes {Aubade champêtre de Paul Puget, Nell de Périlhou, etc.),
et chaque morceau interprété avec style et goût vaut à la jeune cantatrice
des bravos et des bis très mérités.
— On sait les beaux tumultes du Grand-Théâtre de Marseille, les intrigues
et les cabales qui ont emporté la direction Vizentinl, lequel, avec un beau
courage', s'était mis à la besogne et tentait d'apporter un peu de lustre à
cette importante scène autrefois prospère. Le pauvre en a été réduit à donner
sa démission, mais le théâtre, profitant de l'impulsion donnée, poursuit ses
destinées sous la conduite de M. Marins Boyer, adjoint au maire et président
des abattoirs de la Ville. C'est ainsi que les représentations de Sapho, où
éclatèrent d'abord des scandales retentissants, continuent à présent triom-
phales pour l'œuvre de Massenet et ses remarquables interprètes M™' Bré-
jean-Gravière et le ténor Cornubert. M. Vizentini avait semé, un autre ré-
colte. C'est l'éternel sic vos non vobis.
— Aux termes d'un arrêté pris par le maire de Lille, un concours sur
titres est ouvert pour l'obtention de l'emploi d'un professeur de classe supé-
rieure de piano pour les jeunes filles, en remplacement de M. Pagnien, dé-
missionnaire. Le budget du Conservatoire fixe à huit cents francs le traite-
ment annuel du professeur. IjOs candidats auront jusqu'au IS décembre pour
faire valoir leurs titres. Les demandes seront reçues à la mairie jusqu'à cette
date; elles devront être accompagnées de pièces justificatives, telles que
diplômes, attestations et références, permettant de fournir sur la carrière
musicale des postulants tous les renseignements les plus détaillés. Lss can-
didats devront justifier de leur nationalité française. L'entrée en fonctions du
professeur aura lieu le 1" janvier 1902.
— Strasbourg : L'Alsace musicale vient d'acclamer Raoul Pugno, A Stras-
bourg d'abord, ensuite à Mulhouse, il a littéralement fanatisé le public. Sa
traduction du concerto en ut mineur de Beethoven était, dans toute sa pureté,
un modèle de vraie beauté classique; tout exemplaire aussi son exécution
du Nocturne en fa dièse et de la Polonaise en mi bémol de Chopin, celle^de
Pu Jno rdXsé"anc; tenante; promettre d'accepter un nouvel engagemenFpour
not"re prochaine saison classique. Entre temps, il reviendra ici pour donn i
seulnn ricital, à la grande joie de nos pianistes et de tout notre mondée mu-
sical ,
«nrarrs ET CONCERTS - A la reprise fort brillante des Coneeris pour Tous (4- année) ,
.rrnd uTc pour fi e,.*r* Zint-Nicolas, de Périlhou, et la Bonde des Mo,sson-
grand succès pou J'jj». ^^ jiiramont-Tréogate et ses enfants, ainsi que pour \ous
neurs de J. J^"-;' J^^ *^ ZtaW,, accompagné à la harpe par ce dernier an baryton
Gab:rerLC"-DT;;tfsaWe M." R. trés^10U thé musical a^^^^
r;::U™tsdei'cx,oise ™..de ^:-^:^t;r; t"?^ ™^b:û^t
To^nir;:: dt IXc. - Preniiére matinée de lasalson cbe.MjLafa.^^
H'imn<i,-tant=ifra2mentsdnCid, de Massenet, chantés par M» L.-l.,iïi Aipn- r.
'r^rr, \Î w" afs^M-. B. (Avec ces lleur.,P.uMn), M- Cb.-H, (les Chasseresses
Tw!;» Mibef " "ipb B, de rire de Manon, Massenet), M. J.-P. (VoUà pour.uo.
de Sylma, ^ff''Jf ^;'P [^ ^^ g. „;, d'Orpftce, Glnck). - Matinée très rens-
'Vria'X Ho h o' M" de Tailhardat a tait entendre une partie de ses élèves de
'^^:r:<l:::Z-mt^L,e.S,^e, .a char^ame Légende de Francis Tbo.e,
qui accompagnera son œuvre.
r„,™. FT LEÇONS - Indépendamment de ses leçons particulières et de sa participa-
_ Cours ei Le^.ons in p ^^^^^ ^.^^^ ^^^^^ , ^^ ^^-^-^^ ^e-
'■""^ '"^TZ I i.:X a;e le en ouf de m'. Jnles Algier, pour la musique de scène. -
rPaurôrroi:!, de >:: comédie-Française, a repris ses cours et leçons de déclamation
dramatique, 46, rue Singer.
NÉCROLOGIE
A Berlin est mort, à l'âge de 69 ans, le ^;^^^°^'Xlt'Ztm''Zn
fik de l'ancien chef d'orchestre de l'Opéra royal, Henri Dorn En lSb9, Doin
! lit éé nommé professeur de piano au Conservatoire ™ya je -siqu
Beriin- il a été aussi directeur de plusieurs orphéons. On lui doit plus de
cen composi tions : morceaux pour piano, chœurs et oratorios. .
Henri Heugel, directeur-gérant.
3t)2
LE MENESTREL
Solxante-liiiltlèmo année d© piilblicatlon
PRIMES 1902 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE !«' DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CllA^'T ou pour le PIAIVO et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHAXT et I»1A!\'0.
C xi A. PS T d" MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
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Exécutée à Sainl-Euslailie.
Partition chant et piano in-8«.
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NOUVEAU RECUEIL (20 SUJIÉROS)
Deux Ions : Leitre A, iL-nor. — Leltre B, baryton.
Recueil chant et piano in-8o.
RETNALDO HAHN
PASTORALE DE NOËL
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(Avec le livret-texte)
Partition chant et piano in-S".
A. PÉBILHOU
Chants de France (10 numéros)
ANCIENNES CHANSONS
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Trois Sonnets, (recueil raisin)
Ou à l'un des quatre premiers Recueils de Mélodies de J. Massenet
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L, Dauphin (2(1 n°'), un volume relié in-8», avec illustrations en couleur d'ADRIEN KIARIE
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THÉODORE DUBOIS
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ROMAN MUSICAL EN 4 ACTES
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LE PETIT FAUST
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Partition piano seul in-S".
TOlumes in-S» des CLASSIQUES-MARMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à luQ des
T.».Tviiarri._T.TU-'.TF.UR reproduction des manuscrits autographes des principaus pianistes- compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire des
LJLÎJL.ICH. de Vienne, ou OLIVIER MÈTRA et STRAUSS, de Paris.
MPRESITM A EUE SEULE LES PRIMES DE PLWO El DE CHA«I RÉms, POUR LES SEULS AROIÉS A L'
ÈlâlOl,
CJoaate lyx-
Ii'OPÉHfl-GOlVIJQUE
cïue en S aotes et viix r»rolosxi.e
POÈME DE
ARMAND SILVESTRE & EU&ÈNE MORAND
MUSIQUE DE
J. MASSENET
(3^ Mode)
THEATRE
It'OPÉHfl-COIWIQOE
des prio.es se règ.e selon fel^L'/Treyo"":/, """"^ '""""' '"'"^ '^^ départements ..e .a pH.ie si J-^lTr» Zltï.-'lX:: .-Éirr^er " ^^77' ""
L.-.„C.o,.™i^„.e,ap..P,a„„e.™eve..-Ce,,.,,Piao„eU„^
CHANT pnuniTiniin n,.. "
^"Moaea'a,onnen.ent:JoJlT^eletousles,- . , «^ÛNDITIONS D'ABONNE««ENT AU « MÉNESTREL
Scènes, Mélodies, KomaZ" paTaita^.'de aulnrne ?'^^°'°'''=^^"^''^^'""^ ■
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complet, 52 morceaux de chant et.de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prî,„„ ■•
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On souscrit iri"t-ch'"a';;;'e moi'' '"lef st "" """f ' T ^' ^ " ''""''■
Adresser franm nn 1 „ , " "«raeros de chaque année forment collection.
"--^^^er^ra^co un hon sur la poste a M. Henh. HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 Uis, rue Vivienne.
iHPRniEniE CEsrnAi.E
i DE FEH. — lUPRIHERl]
, RUE BERGÈRE, 20 PARIS.— (Eacn Lorflleo^.
Dimanche IS Décembre 1901.
3690. - 67" ANNEE. - M" 50. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureani, 2 '^, me Tirienne, Paris, n- m»)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL-
lie Hamépo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
IieKaméFo: Ofr. 30
Adresser franco à M. Hsnw HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6b, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEITE
I. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (42= article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : premières représentations de Nelly Rozier aux Nouveautés et de
la Revue des Variétés, Paul-Kmile Chev.a.lier; reprise du Maître de Forges à la Porte-
Saint-Martin, 0. Bn. — 111. Petites notes sans portée : Pourquoi Mendelssohn a-t-il
vieilli ? Raymond Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses
et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de ckant recevront, avec le numéro de ce jour :
RAPPELLE-TOI
chanté par M. Maréchal dans Griséiidis, conte lyrique d'ARMAND Silvestre et
Eugène Morand, musique de J. Massenet. — Suivra immédiatement : l'Oiselet
est tombé du nid, chanté dans le même conte par M"'Bréval et M. Dufranne.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
la Chanson d'Avignon, extraite de Griséiidis, conte lyrique de J. Massenet,
transcrite pour piano seul. — Suivra immédiatement (avec le !"■ numéro de
notre 68"^ année de publication) : les Oiseaux, n" 1 des scènes mignonnes Au
jardin de Théodore Dubois.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1902
Voir à la S" page du journal.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et d
III
La main de Weber. — Apprécialian d'E. Delacroix sur Weber. — De l'influence de
la digestion sur les sensations musicales. — Une machine à vapeur orchestrion.
— Le tripatouillage du Freyschûtz et le comte Tyskiewicz. — Plaidoyer d'E. Dela-
croix pour Rossini. — Télépathie picturo-musicale, — Rossini « penucone ». —
La fin de l'inlluence rossinienne.
Nous trouvons dans les souvenirs du colonel de Siickow,
publiés par la Bévue hebdomadaire (I) sous le titre de Fragments de
ma vie, une page curieuse consacrée à Weber. L'officier wurtem-
bergeois, qui avait rencontré vers 1808, à Stuttgart, le jeune
compositeur, en fait le plus pompeux éloge. Il le présente comme
(1) Revue hebdomadaire, 15 décembre 1900.
le plus modeste des hommes et comme le plus sympathique
des camarades; car Weber fréquentait volontiers les cercles
militaires, et les officiers aimaient se grouper autour du piano
où le jeune maître improvisait des « compositions exquises
qu'on retrouverait certainement dans son œuvre ». Et Sùckow
ajoutait : « Il était né pour être musicien ou plutôt pianiste. Je
n'ai plus jamais revu de main aussi longue que la sienne. Plus
d'une fois, en s'amusant, il prenait deux octaves entières, ou
peu s'en faut, entre ses doigts interminables ».
Eugène Delacroix ne tient pas Weber en moindre estime. Il
le range toutefois parmi les DU minores de la musique, mais à
côté de Beethoven et de Rossini. Il faut lire ce qu'il écrit de l'ou-
verture et du finale à'Obéron donnés au Concert 5am(e-Cecife (1852):
« Ce fantastique d'un des plus dignes successeurs de Mozart a
le mérite de venir après celui du maître divin et les formes en
sont plus récentes : ça n'a pas encore été aussi pillé et rebattu
par tous les musiciens depuis soixante ans. »
On mozardisait alors comme on luacjnérise aujourd'hui.
Mais les soirées se suivent et ne se ressemblent pas : à un
autre concert de Sainte-Cécile, pendant une exécution de Pre-
ciosa, notre dilettante « a dormi tout le temps » . Il s'excuse sur
une... digestion difficile. La chaleur et la brioche ont « para
lysé son âme immortelle ».
Un pot-pourri du Freyschûtz a reçu d'Eugène Delacroix un plus
favorable accueil. C'était pendant le cours d'un voyage en Alle-
magne. Le peintre-touriste assistait, le 24 juillet 1850, à la fête
du grand-duc de Nassau, et la musique du régiment prussien
qui donnait à Ems ce pot-pourri du Freyschiits s'en tira le mieux
du monde.
Mais je m'imagine la nervosité du grand artiste, s'il avait dû
entendre cette partition telle que l'exécuta un marchand de
machines à vapeur devant le prince de Joinville, de passage à
Philadelphie. Cet industriel avait imaginé toute une série d'ins-
truments, une manière d'orgue oi^i le souffle humain était rem-
placé par la vapeur : un robinet tenait lieu de chef d'orchestre.
C'était simplement effroyable.
On sait d'ailleurs les nombreux avatars par lesquels dut passer
à Paris, avant d'y trouver sa forme définitive, ce « Freyschûtz
allemand » dont" Guvillier-Fleury avait déjà trouvé, en 1829,
la musique si délicieuse et si originale. Pacini et Berlioz en
avaient honnêtement réalisé la reconstitution et leur œuvre
commune allait être jouée intégralement à l'Académie royale de
Musique en 1843, quand Pillet, le directeur, s'avisa que ses
auteurs n'avaient pas suffisamment travaillé au plaisir de MM. les
abonnés. Sans même en aviser le librettiste et le compositeur,
on allongea le ballet et on mutila l'opéra de manière à finir
pour minuit. Pacini et Berlioz, indignés, protestèrent et refusè-
rent d'assister à la première représentation. Mais le comte
Tyskiev^ricz,. un des meilleurs critiques musicaux du temps, ne
3914.
LE MÉNESTREL
se contenta pas de cette démonstration platonique : il courut
chez le commissaire de police pour réclamer son argent ou
l'exécution réelle du Freyschiitz. Naturellement, l'administra-
tion fit la sourde oreille, et le spectateur exigea que le magistrat
dressât procès-verbaL- Les journaux furent informés- du conflit,,
mais aucun n'en parla. Le comte' évoijua l'affaire devant les tri-
bunaux, et R'oqueplan déclarait, dans un diner chez le dbcteur
Véron, que, s'il n'eût tenu qu'à lui,, les juges eussent été invités
avenir entendre à l'Opéra ce Freysehiilz ainsi tripatouillé : san^^nul
doute' ils eussent dormi, et le plaideur aurait gagna- son procès.
Nous sommes étonné que DeDacroix n'ait pas rappelé cette
petite cause célèbre, qui se plaida de son temps et qui depuis
fut suivie de tant d'autres contestations du même genre : Fau-
teur d'un Anglais à Paris, lui, ne l'a pas oubliée. A.u reste, Dela-
croix se soucie peu de l'anecdote; il se préoccupe d'abord de
son moi, il en analyse minutieusement les sensations souvent
complexes : c'est un Montaigne, moins profond sans doute que
l'auteur des Essais, mais moins pédant aussi et surtout plus
convaincu. Ses opinions générales ne varient guère, même dans
un espace de trente ans.
Rossini sera toujours pour lui l'expression la plus saisissante
de l'agrément, de la grâce, de l'esprit poussés à l'outrance ; mal-
heureusement, cette exubérance chez ses disciples est insup-
portable; et Delacroix, tout en reconnaissant que le génie du
ma-itre ne le sauve pas du numiérisme, se voit obligé de le défen-
dre contre « les croque-notes de la princesse », qui ne jurent
que par Mozart, sans plus le comprendre que Rossini : ils igno-
rent le feu sacré, la force vitale qui échauffent et font vibrer
l'àme des grands compositeurs ; ils n'admirent dans Mozart que
sa « régularité ». La pédagogie musicale n'est guère plus indul-
gente pour Rossini.. Golet, le professeur du Gonservatoirej qui est
en même temps compositeur, donne aussi son coup de pied au
maître : il lui reproche de «. n'être pas assez savant ».
Qiuant à Delacroix, il se garde de ces jugements passionnés
qui s'attaquaient à Rossini dans sa grandeur et le frappèrent
jusque dans sa décadence. En avril 1824, il reconnaît bien n'avoir
pris qu'un médiocre plaisir à la représentation de ce Tancrede,
qui l'avait si fort charmé en septembre 1822 — il l'avait déjà
entendu deux fois — mais en 1855 il conservait encore un tel
souvenir d'Otello qu'il donnait à cette impression rétrospective
l'autorité de sa science professicfnnelle : il habillait en quelque
sorte de couleurs des croquis pris à une représentation d'Otello
et datant peut-être de trente années ; chapitre inédit et curieux
de l'histoire de la lélépathie picturo-musicale. En 1853, Delacroix
avait déjà noté dans son Journal, k propos de Sémiramis, un autre
exemple des rapports entre la peinture et la musique. Il avait
remarqué « un décor incomparable sur papier », invention éco-
nomique qui, depuis, a fait rapidement son chemin en Italie. La
partition lui a laissé des sensations tout autres, mais qu'il ana/-
lyse avec une subtilité pleine de charme. Sa mémoire, dit-il,
n'a retenu que les pages « sublimes » qui abondent dans cette
« délicieuse musique » ; elle les « fond en un ensemble » parfait,
tandis qu'à la représentation « les remplissages, les fins prévues,
les habitudes de talent du maître refroidissent l'impression. Ohl
Sémiramis, oh! entrée des prêtres pour couronner NiciasI... »
Et le dilettante, qui ne peut jamais dépouiller le vieil homme,
c'est-à-dire le peintre, compare Rossini avec Rubens, détachant
d'un groupe de figures médiocres un personnage principal admi-
rable.
C'est bien la critique que Delacroix ne cesse de formuler
contre l'inégalité du compositeur et qu'il fortifie encore de ce
corollaire non moins judicieux : chez Rossini l'Italien l'emporte,
c'est-à-dire l'ornement domine l'expression. Toutefois Delacroix
loue Guillaume Tell sans la moindre restriction et dans cette
langue imagée qui trahit le romantique :
ic Rossini a peint à grands traits des paysages dans lesquels on
sent l'air des montagnes ou plutôt cette mélancolie que donnent
à l'àme- les grands spectacles de la nature ; et sur ce fonds il a
jeté les hommes avec leurs passions, et partout de la grâce et de
l'éloguence. »
Quelle n'eût pas été l'indignation du maître coloriste s'il eût
appris que, dans ce même Guillaume Tell, sur la volonté formelle
d'Albert et de M"' Noblet, Rossini avait dû remplacer un grand
air par un « pas noble » expressément écrit pour ces danseurs?
Delacroix, ne nous- intéresse pas moins dans- le récit de ses
relations avec le maestro, relations qui paraissent avoir été plus
, fréquentes et plus intimes à partir de 1835. Quelques années au-
paravant, il témoignait peu d'indulgence pour les faiblesses du
musicien qui ne s'était pas désintéressé aussi absolument qu'on
voulait bien le prétendre des compétitions professionnelles. Il
i était alors à, Flbrence, où il se mourait d'ennui : « Il crève de ja-
lousie, écrit Delacroix, pour les succès des moindres musiciens ».
Et Chenavard, qui est toujours bien documenté, affirme à son con-
frère qu'on traitait déjà Rossini de perruccone en 1828.
Le ton de notre mémorialiste change en 1856. Il est allé rendre
visite le 10 janvier au compositeur, et il s'écrie :. «. J'aime à la-
voir, cet homme rare ; il n'est plus le Rossini moqueur d'autre -
fois; je l'entoure avec plaisir d'une certaine auréole... » En
mai 1857 il cite les paroles mêmes du maître, tout différent de
ce perruccone « crevant de jalousie » que nous présente son cari-
caturiste :
« J'entrevois autre chose que je ne ferai pas. Si je trouvais un
jeune homme de génie, je pourrais le mettre sur une voie toute
nouvelle et le pauvre Rossini serait éteint tout à fait. »
Non certes, il ne l'eût jamais été, et il ne le sera jamais. Des
pages marquées au coin du génie défendront sa mémoire contre
l'abandon et l'oubli. Il en sera de lui comme il en était déjà il
y a plus de cinquante ans, lorsque Delacroix écrivait :
« Le stupide public abandonne aujourd'hui Rossini pour Gluck,
comme il a abandonné autrefois Gluck pour Rossini. »
M suivre. ] Paul d'Estrées.
SEMAINE THEATRALE
Nouveautés. Nflly Rozirr. pièce en 3 actes, de MM. P. Bilhaud et M. Henne-
quin. — VARiÉrÉs. La Revue ck-s Variétés, reTue en 3 actes et 8 tableaux, de
MM. P. Gavault et A. Véty. — Nouveau-Cirque. Le Petit Poucet.
C'est mieux qu'un vaudeville sans couplets, cette Nelly Rozier que les
Nouveautés viennent de donner avec succès, c'est un très bon vaude-
ville qui s'est judicieusement garé des défauts du genre en se rappro-
chant le plus possible de la comédie ; c'est preste, pimpant, de toujours
excellente compagnie, sans rien d'outrancîer ni d'inadmissible, avec une
idée originale, — et ceci, par le temps qui court, est loin d'être qualité
négligeable.
Nelly Rozier, lâchée par Albert Lebrunois, dépitée du manque de
procédés et peut-être jalouse, pour surveiller le volage et le punir en
l'empêchant, dorénavant, de tromper sa femme — car il est marié, le
traître — Nelly Rozier ne trouve rîen de mieux que d'entrer, comme
femme de chambre, au service de M"'" Lebrunois. Ah! la fiue mouche,
comme elle sait, au moment opportun, venir rappeler monsieur à ses
devoirs et comme elle amène bien madame, toute popotte et bourgeoise,
à user de séductions qui enlèveront au coureur l'idée d'aller chercher
ailleurs ce qu'il trouvera maintenant chez lui. Il y a là, surtout, un
second acte qui est non seulement charmant, mais encore construit
avec une adresse tout à fait plaisante par des auteurs qui sont maîtres
de leur métier.
Nelly Rosier est fort bien jouée par la troupe des Nouveautés, dans
une note gaie mais correcte, absolument juste. Nelly, c'est M"'= Cassive,
toujours toute blonde et de plus en plus comédienne, et Lebrunois c'est
le gesticulant Germain , embelli de petites moustaches du dernier
galant. A complimenter aussi M"'' Burty, charmante de simplicité en
M""' Lebrunois, M. Torin, désopilant en potache vicieux, M. Golombey,
M. 'Victor Henry et M"° Dickson.
Les Variétés viennent, semble-t-il, de mettre dans le mille et la Veine
qui sert de commère à la revue a, une fois de plus, porté chance au
théâtre. Il est juste de dire que personne n'a rien négligé pour que la
réussite tut complète, les auteurs, MM. Gavault et Vély, qui so sont mis
en frais d'esprit et d'invention pour faire huit tableaux fort amusants,
encore qu'il y ait là un abus de personnalités dont l'effet sera perdu
devant le gros public, le directeur, qui s'est montre fastueux et de goût
sûr (à signaler, surtout, le merveilleux décor de M. Ronsin qui sert de
LE MÉNESTREL
395
cadre au défilé des lumières), et les interprètes, qui ont donné avec
ent]-ain, grâce et belle humeur.
Vous ne pensez pas que l'on va vous raconter l'intrigue de la Revue
des Variétés, d'autant qu'en y réfléchissant on s'aperçoit vite que les
auteurs ont totalement omis d'essayer de relier les scènes entre elles ;
on vous dira simplement quels furent ceux et celles qui mirent la salle
en joie et cela sera, nous l'espérons, très suffisant pour vous donner
l'excellente idée d'y aller voir.
Pl tout seigneur, tout honneur. Saluez donc Albert Brasseur, le roi
de la revue, grime des plus étonnants et pince-sans-rire gigantesque;
peut-on imaginer rien de plus épiquement drôle que ses idiots cou-
plets des « Jambes en caoutchouc », de plus caricatural que son Napo-
léon 1"' et de plus carnavalesquement fantaisiste que sa « bonne de
M. Duquesnel »? Puis voici M"'^ Lavallière, s'afflrmant toujours de
gamine originalité et trouvant, une fois de plus, des effets nouveaux,
qu'elle soit le tout jeune fils Rostand ou le Trottin chahutant; M""* Sau-
lier et Lanthenay, l'une et l'autre chanteuses et diseuses de fort agréable
talent; M. Max-Dearly, subtilisé au café-concert et qui gagne ses lettres
de grande naturalisation théâtrale en enlevant de verve ses couplets du
Jockey et du Vieux Beau; M'>"= Méaly, commère de galbe endiablé;
M. Guy, violoniste et comédien; M. Prince, adroit en très aimable
M. Claretie; M. André Simon, compère d'indéniable rondeur; M"' La-
combe, plaisamment délurée en Santos-Dumont n° 7 et en Gléo ;
MM. Emile Petit et Demay, de métier sur; M"' Brésil, toute séduisante
en Fleur et en Marquis; enfin, pour terminer cette longue nomencla-
ture, M""* de Rycke, Renée Desprez, Debeyre, Paule Delys et Dorlhac,
marchant avec autant de bravoure que de rayonnante impudeur à la
tète du bataillon dit des jolies femmes, et le qualificatif, cotte fois, n'a
rien de trop exagéré.
Au Nouveau-Cirque, étrennes pour les enfants sous forme d'un Petit
Poucet qui fera leur joie avec son gros ogre, son roi rouquin, l'excellent
Foottit, suivi de son inséparable Chocolat, le Protocole, et surtout son
petit bonhomme aux cailloux. Ils retrouveront là, mis en action, le
conte aimé et leurs menottes menues applaudiront aux péripéties du
gentil drame, tandis que leurs parents se laisseront Charmer par les
décors de M. Lemeunier, la forêt et la mare aux grenouilles principale-
ment, qui, par une innovation heureuse, descendent des plafonds et se
replient, sur la piste, les unes sur les autres. C'est fort ingénieux, très
pratique et d'un joli effet. Paul-Emile Chevalier.
Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Reprise du Maître de Forges,
pièce en cinq actes de M. Georges Ohnet.
Il serait injuste de dire que le MaUre de Forges a vieilli depuis sa
première représentation au Gymnase, en 1883 ; mais la pièce marque
déjà l'époque du premier septennat de Jules Grévy qui l'a vue naître,
comme Mademoiselle de la Seiglière et le Gendre de M. Poirier résument
les courants sociaux des temps passés dans lesquels ces piil'ces évoluent.
Ce qui n'a pas bougé, c'est la solide charpente du Maitre de Forges; ses
situations nettes et fortes n'ont pas perdu non plus leur action sur le
public. Ceci s'est manifesté clairement à la reprise de la pièce, malgré
toutes les défaillances de la distrihution, qui était loin d'égaler celle du
Gymnase en 1883. M™' Hading pouvait àla rigueur produire aux vétérans
de la première, — dont nous sommes, hélas ! — l'illusion de ne pas
avoir changé, mais dans le rôle du maitre de Forges M. Duqnesne
avait tout contre lui : âge, physique et débit ingrats, ainsi que le sou-
venir de ce pauvre Damala, son prédécesseur, qui au contraire avait
tout eu pour lui. Les autres rôles étaient plus ou moins bien remplis,
plutôt moins bien. Si les scènes à effet ont tout de même porté, elles ne
le doivent donc qu'à leur propre mérite. 0. Bi\.
PETITES NOTES SANS PORTEE'
XXXV
POURQUOI MENDELSSOHN A-T-IL VIEILLI?
à Gustave Robert.
— Moi aussi, j'étais au Châtelet pour applaudir la Vision de Dante et
l'elfort lyrique de Raoul Brunel qui, dans le suave Purgatoire principa-
lement, a manifesté de belles aspirations schumanniennes. Est-ce la
voix généreuse de Paul Daraux? Plus d'une fois Virgile m'a rappelé
Faust... Mais si nous avions le temps et l'espace de parcourir plus
avant l'Enfer musical, je vous signalerais beaucoup d'oublis...
'l) Voir le Méuestret du 14 juillet, des 18 et 25 aoiit, des 8, 15, 22 et 29 septembre,
des 13, 20 et 27 octobre, des 3, 10, 17 et 2'i novembre, des 1" et 8 décembre 1901.
— On ne peut tout savoir. Et ce que je sais le mieux, c'est que je ne
sais rien.
— Les Grecs et Victor Hugo l'avaient dit avant vous... Mais sans
remonter au Jugement dernier, jusqu'à Michel-Ange, qui fut l'illustra-
teur digne de Dante, vous n'avez nommé, parmi les musiciens contem-
porains, ni le noble Ambroise Thomas, ni le pauvre Godard, ni l'éclec-
tique Tschailiowsky, tous défunts; ni surtout, puissante peinture des
sonorités vengeresses, le Chasseur maudit de ce loyal César Franck, de
qui la symphonie tumultueuse en ré mineur a fait pâlir l'Italienne en
la majeur de Mendelssohn.
— Singulier parallèle, avouez-le! Quelle démonstration peut bien
nous fournir, pour l'histoire de la symphonie, ce 1889 en regard de ce
1830? Fatalement, par le seul progrès matériel de l'Art, la comparaison
devient écrasante. Mendelssohn pâlit. Et que penseriez-vous d'un
Plutarque moderne opposant l'artillerie d'un Bonaparte au canon
Maxim?
— Cela ne m'empêcherait nullement de rendre justice au génie de
Bonaparte : au contraire! Il y a, dans ce revirement du goût, autre
chose qu'un progrès d'orchestre. Si la foule, depuis les snobs jusqu'aux
étudiants, se croit le droit ou le devoir de chuter insolemment l'habile
Mendelssohn, ce n'est point parce que le fin rhéteur de l'Italienne a
négligé de recourir au leitmotiv ou de faire parier les trombones...
— Le succès ! Chose plus singulière encore! Il y a seulement dix ans,
quel original aurait osé soutenir que, dans un même concert, les bra-
vos seraient plus réservés pour Mendelssohn que pour Franck? Au-
jourd'hui, je le reconnais, cet original a l'air de s'appeler Tout le
monde... Tel est le « mystère des foules » ! Du reste, en dépit des
meneurs, qui poussent toujours vers de nouveaux destins le bon trou-
peau de Panurge, il semble que le vieux Mendelssohn se défend bien.
Hé I hé ! Voilà son nom sur deux programmes ; ici l'Italienne; là-bas,
le Songe. Passagère sans doute, son éclipse n'est que partielle, évi-
demment. Mais, en somme, pourquoi ne sommes-nous plus au temps
(plus éloigné, certes !) où l'Ecossaise paraissait supérieure même à la
Neuvième ?
— Le problème tout entier se cache sous le masque rieur de cette
boutade : répondre à votre question serait le résoudre. Un peu de phi-
losophie musicale, si le mot ne vous effraie point! Oui, Mendelssohn
est encore joué; mais on l'apprécie moins, on s'en excuse presque...
Pourquoi? me dites-vous. Mais, d'abord, vous demanderai-je, qu'est-
ce que Mendelssohn ?
— Mendelssohn, c'est bien simple ! C'est un délicieux fragment de
ma jeunesse... En son pur Nocturne renaît, avec une larme légère, le
souvenir de mes vingt ans.
— Ija critique allemande aurait le droit de vous appeler subjectif...
Mais parlons plus objectivement, si possible ! Mendelssohn est moins
un génie qu'un talent génial. A dix-sept ans il vous brosse magistra-
lement la longue ouverture du Songe d'une nuit d'été, morceau « tombé
du ciel i> (comme dit à propos un autre Félix Meritis (1), le charmant
Félix 'Weingartner), mais où l'âpre Richard 'Wagner perçoit moins
des elfes que des mouches... Ce caquetage divin, c'est tout Mendels-
sohn. Et ces mouches ont la perfection plastique, et tout « extérieure »,
de ces jolis insectes que le sage Van Huysum détaillait con amore sur
la pulpe trop métallique de ses beaux fruits. L'âme se tait sous la forme.
Sorte de Henri Heine musical, au dire même de sa lointaine admira-
trice, M""-' Camille Selden (2), Mendelssohn est un papillon trop vif pour
se brûler à la flamme. Son mérite propre, après Werther et Byron, est
d'être demeuré « très indépendant » et, quand tous pleuraient, « d'avoir
continué de sourire »... Compositeur, chef d'orchestre ou virtuose, il va
bon train, sans nuances mièvres : « Toujours en avant! Pas de faiblesses! »
Tel était l'axiome de ce délicat qui ne voulut pas être un sentimental.
Aurait-il pu le devenir? Savant, perlé, mondain, d'mie grande urbanité
musicale, les grands horizons lui sont interdits. Il aime la nature en
paysagiste, sans l'adorer dans ses profondeurs humaines, en poète.
Est-il classique, est-il romantique? II est lui-mime: élégant et fin. Ne
lui demandez pas l'impossible. Il interroge Bach pour la science et
Weber pour le pittoresque; mais la taille des géants ne tourmente point
ses veilles. « C'est Shakespeare en escarpins de bal », a-t-on dit. Mais,
dans une soirée, le génie même est tenu d'être aimable. Et son Nocturne
est celui de Stendhal où l'esprit rêve et disserte en un salon style Empire.
A travers les rideaux seulement, on devine les étoiles lointaines...
— J'ai compris. Sans métaphores, vous voulez dire qu'une époque
qui préfère l'expression nerveuse à la perfection des formes, doit suivre
il) Surnom que Robert Schumann donnait k Félix Mendelssohn. ^
(2) La Musujue en Allemagne, Memlelssolin (Paris, 1867). — Cf. La Sijmplionie après
Beethoven, par Félix Weingartner, traduction française de M"' Camille CheviUard (Paris,
Fischbacher, 1900), pages 14-18. ' ^
396
LE MÉNESTREL
plutôt la trace de Schumann qui pressentait si psychologiquement la
différence : « Mendelssoha, disait-il, aurait fort à m'appreudre : mais je
pourrais peut-être lui enseigner quelque chose... »
(A suivre.) R.wmond Bouyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le concert de dimauche dernier, au Conservatoire, s'ouvrait par une sym-
phonie en sol mineur de Méhul, que le programme inscrivait sous le nu-
méro 1. Des quatre symphonies dont j'ai eu l'occasion de parler dans mon
livre sur l'illustre maître, deux seulement furent publiées, avec une dédicace
à Regnault de Saint-Jean-d'Angély , et celle-ci est en effet la première.
Toutes lurent exécutées du vivant de l'auteur au Conservatoire, non pas à la
Société des concerts, qui n'existait pas alors, mais dans les concerts des
élèves qui prenaient le nom d'« exercices » et qui eurent lieu eu 1809 et en
1810. Répondant par un remerciement à un critique qui avait parlé des
deux premières avec éloges, Méhul disait que, fatigué des tracasseries du
théâtre, il avait voulu s'essayer dans un genre de composition tout à fait
indépendant. » Admirateur passionné d'Haydn, ajoutait-il, j'ai senti tous les
dangers de mon entreprise ; j'ai prévu l'accueil réservé que les amateurs
feraient à mes symphonies. Je compte en faire de nouvelles pour l'hiver
prochain, et je tacherai de les composer de manière à mériter voire estime,
et à accoutumer peu à peu le public à penser qu'un Français peut suivre de
loin Haydn et Mozart. » En réalité, la symphonie en sol mineur offre un
très véritable intérêt. Le premier allegro, où les thèmes sont heureusement
exposés, est bien vivant, bien en dehors, d'un rythme plein de franchise,
avec un orchestre nourri, où les réponses des instruments entre eux se font
avec la plus grande aisance. L'audante, dont la grâce mélodique laisse sou-
haiter peut-être un peu plus de nouveauté, n'en est pas moins fort aimable,
at la reprise du motif initial, avec les contrepoints des instruments à cordes,
est tout à fait intéressante et produit le meilleur effet. Le menuet est fort
aimable, et le finale, rapide, mouvementé, d'une couleur symphonique remar-
quable, n'est pas moins digne d'attention au point de vue de ses excellents
développements. Si nous étions eu Allemagne, l'exhumation, après tantôt un
siècle, d'une œuvre de ce genre due à un musicien célèbre surtout pour son
génie dramatique, n'aurait pas manqué d'exciter dans le public et parmi la
critique un vif mouvement de curiosité et d'intérêt. Chez nous, le public et
la critique gouailleuse restent indifférents devant un tel fait, et l'annonce de
l'exécution d'une symphonie de l'auteur de Joseph n'a produit aucune émo-
tion. Heureusement, l'exécution elle-même a été accueillie non seulement
avec respect, mais avec un véritable plaisir, et la réussite de cette tentative
peut nous faire espérer que la Société des concerts voudra bien enfin co nsentir
à nous faire entendre une des admirables ouvertures de Méhul. et aussi de Che-
rubini, si populaires de l'autre côté du Rhin. Justement, elle nous présentait,
dimanche, une ouverture de Beethoven, intitulée le Jour de fête, inscrite sur ses
programmes depuis plus de soixante ans, mais qu'onn'apasentenduedepuisplus
d'undemi-siècleetqui ne saurait rien ajouteràl'immortelle gloire de sonauteur.
A cette ouverture je préfère le beau Chant élégiimte du maitre, que les chœurs
ont exécuté d'une façon remarquable après l'Ace Yerum de Mozart, de même
qu'après le chœur des chasseurs d'Euryaiithe, de Weber, nous avons eu un
badinage charmant, la Chevrière, chœur de femmes avec solo, écrit précédem-
ment par M. Massenet, puis orchestré par lui expressément pour la Société .
C'est une page charmante, pleine de grâce et de délicatesse, empreinte d'un
rare sentiment pittoresque, et d'une fraîcheur d'inspiration délicieuse. Fort
bien chantée par M"' Van Gelder, dont la voix mélodieuse est conduite avec
grâce, 8t par le personnel féminin, cette aimable Chevrière, qui fera certaine-
ment son chemin dans le monde où l'on chante, a été applaudie avec autant
de chaleur que de justice. Le programme se terminait par la Symphonie de
la Réformation de Mendelssohn, dite par l'orchestre avec sa verve ordinaire.
A. P.
. — Concerts-Colonne. — M""» Rose Garon a été l'objet de sympathiques ova-
tions. Cet art de dire avec un style d'une distinction parfaite et un coloris
d'une exquise douceur, dans la plénitude chatoyante des sonorités, pénètre
l'âme et réveille l'imagination; c'est délicat, fluide et transparent : Qui me
donnera, colombes, vos ailes! M""" Caron, très belle en Salammbô, était admi-
rable en Brunehilde dans Sigurd. La musique de cette œuvre, digne de figurer
à côté des plus grandioses du répertoire de l'Obéra, a permis à la cantatrice
de déployer tous ses moyens; en ce sens elle doit à Reyer sa grande noto-
riété. Elle a chanté, après la cantîlène de Salammbô, l'air d'Ahtsle. Il y a
quelques jours, déjeunant chez un maître qui joint à la science musicale
une réputation de connaisseur en art, je fus pris à partie par un jeune com-
positeur de talent à cause des lignes que j'avais écrites sur l'interprétation
récente de cet air au Nouveau-Théâtre. Je profite de l'occasion qui m'est
ofl'erte pour expliquer mon point de vue. D'abord il y a des fautes dans pres-
que toutes les réductions piano et cbant. Par exemple, l'indication andante
doit toujours être placée au début des paroles : « Non, ee n'est point un sacri-
fice »; la rejeter deux mesures plus loin est un véritable non-sens que l'exa-
men de la partie de hautbois fait ressortir avec évidence. D'après l'opinion
de Berlioz, qui avait étudié très à fond les manuscrits de Gluck, les trois
mesures qui suivent le point d'orgue doivent être dites avec lenteur sur les
mots ; « 0 mes fils... r. Quant à l'exclamation : « Non, ce n'est point un sacri-
fice '■. elle tombe tout entière sur le mot sacrifice, et, dans ce mot, sur la
troisième syllabe, ce qui est prosodiquement très juste. Il faut donc dire cette
syllabe en mesure, sans presser, sans en rien dérober; le cœur de la période,
rythmique est là. On ne saurait trop le répéter, à cet endroit le mouvement
est andante et non moderato. Examinons maintenant la structure de l'air par
rapport à la situation dramatique. Il présente trois moments où le pathétique
se concentre, pour ainsi dire, dans l'oxclamalion que nous venons d'analyser.
D'abord la résolution d'Alceste so manifeste avec hauteur, sans mélange
d'attendrissement :
Ce jour dODt te privait la Parque impitoyable
Te sera rendu par l'ataour.
.Von.' ce n'est pas un sacrifice'
Ensuite, les regrets de l'épouse percent avec amertume, l'orchestre ajoute
des tierces à son dernier accord et fait un sfor:ando :
Il faut donc renoncer à régner sur ton âme,
Au plaisir de t'aimer, au bonheur de te voir.
Xon I ce n'fts/ jmr an sacrifice .'
Enfin, l'amour maternel se joint aux tourments de la femme, et c'est au
milieu des sanglots qu'Alceste répète pour la troisième fois son héroïque
mensonge :
Non ! ce n'est pas un sacrifice .'
Oh! elle sent bien que son sacrifice est le plus grand de tous, et Gluck a
donné à son air la forme la plus propre à faire ressortir cette triple nuance
du sentiment. Je voudrais donc une différence tranchée de diction et même
de mouvement, si c'est nécessaire, pour chacune des trois exclamations. Ni
M""» Polack, ni M°"= Caron ne chantent l'air à'Alceste conformément à ces
indications. Elles ont d'ailleurs des qualités que je ne saurais méconnaître.
— La Symphonie italienne de Mendelssohn, d'une écriture si élégante et d'une
tessiture symphonique si parfaite, contrastait sur le programme avec la Sym-
phonie en ré de César Franck. J'avoue préférer beaucoup à ce dernier ouvrage
ceux de moindre prétention de l'auteur, particulièrement le Morceau sympho-
nique de Rédemption, où se retrouve ce que l'on a nommé les voix angéliques
de Franck, c'est-à-dire l'accent simple, vrai, mystique, l'extase du chrétien
qui croit aux séraphins. Je ne puis terminer sans citer le nom de M"= Julie
Cahun, qui a rempli le rôle de Taanach pour donner la réplique à M"" Caron
dans la cautilène de Salammbô. Amédée Boutarel.
— Concerts-Lamoureux. — Deux œuvres arch; connues et fort populaires
ont ouvert et clôturé le programme de la dernière séance : la Symphonie
pastorale et la musique de Mendelssohn pour le Songe d'une nuit d'été. L'œuvre
de Beethoven, restée jeune et fraîche comme au premier jour de sa création,
a été accueillie avec enthousiasme; celle de Mendelssohn a paru quelque peu
fanée. Même la Marche nuptiale, jadis le complément obligatoire de tout
« beau » mariage, n'a obtenu qu'un faible succès d'estime. Ce n'était cepen-
dant pas la faute de l'exécution, car elle fut également impeccable pour les
deux œuvres; le génie avait simplement mis en évidence les limites du
talent. — On a aussi entendu le « prélude du Paradis o tiré de la Vision de
Dante, de M. Brunel, tout récemment exécutée pour la première fois. Déta-
chée de l'ouvrage, cette page est bien écourtée et n'offre pas d'éléments suf-
fisants pour une appréciation fondée; nous devons nous borner à constater
que l'auteur a traité l'orchestre avec beaucoup d'habileté sans que les eft'ets
qu'il en tire soient nouveaux, ou seulement frappants. — Bien plus forte a
été l'impression de la Valse de Méphistophélès, cette œuvre originale que Liszt
écrivit vers la fin de sa carrière artistique à Weimar et pour laquelle il s'était
inspiré d'un épisode du Faust de son compatriote Lenau. La légende de Faust
hanta l'imagination de l'artiste pendant presque toute sa vie, et sous ce rap-
port il était logé à U même enseigne que Gœthe. Après avoir composé entre
I8o3 et 1834 sa partition suggérée par le Faust de Gœthe, il s'occupa cinq
années plus tard de celui de Lenau. En 1880, déjà au déclin de son existence,
il écrivit une deuxième Méphisto-Walzer dédiée à Saint-Saëns, d'abord pour
piano, ensuite aussi pour orchestre; l'année suivante une troisième; eu 1883
une Mephisto-Pollia : et finalement en 1885, quelques mois avant sa mort, une
quatrième Valse de Méphistophélès, dont le manuscrit inédit est aujourd'hui
conservé au musée Liszt, de Weimar, Nous ne connaissons malheureusement
pas ce dernier morceau, mais parmi les autres la Valse de Méphistophélès, que
M. Chevillard nous a fait entendre, est certainement la plus remarquable,
sous tous les rapports. Inutile de relire le « programme »; le seul titre Danse
au cabaret villageois et la musique suffisent pour nous fixer sur la scène que
l'artiste a illustrée avec une fantaisie, une fougue et en même temps une
clarté à laquelle il a rarement atteint dans ses autres œuvres symphoniques
« à programme ». Exécutée avec un sentiment du rythme et des nuances
tout à fait remarquable, le sémillant morceau a littéralement enlevé l'audi-
toire. — Un l'ort bel intermède vocal a été fourni par M'"" Raunay, qui a
d'abord chanté la belle romance de Margyane de la Statue, de Reyer, et
ensuite le monologue i'Alaste, de Gluck, avec une véritable noblesse de style
et de diction. 0. Berggbuen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en sot ciiiieur, n" 1 tMébul,i. — Ave vcrum (Mozart). —
Chanl élégiaque (Beethoven). — Ouverture du Jour de fêle (Beethoven). — Chœur des
Chasseurs d'Euryanllie iWeber). — La Chevrière, chœur de femmes (Massenet), poésie
de M. Edouard Noël, solo : M'" Van Gelder. — Symphonie de la Réformalion, n" 5 (Men-
delssohn).
Chàtelet, concert Colonne : Symphonie en si bémol (Schumann). — Concerto en ut
mineur (Uozarti, par M. Risler. — Symphonie en sot mineur (Laloi. — Poème sympho-
nique pour piano et orchestre (Pierné), par M. Risler. — Marche funèbre du Crépuscule
des Dieux (Wagnerj.
LE MÉNESTREL
397
Nouveau-Théàti-e, conceit Lainoureux : 7" Symphonie, en ta (Beethoven). — Prélude
religieux (Paul Lacomhe). — Concerto (Beethoven), exécuté parM"''Chaigneau, MM. Hugo
Hermann et Hugo Becker. — Garden- Mélodie et Au bord d'une soitrce (Schumann), par
M. Hugo Hermann. — Concerto pour violoncelle (Saint-Saëns), par M. Hugo Becker. —
Chevaucliée des Vcdkyries (Wagner).
— La deuxième matinée Colonne au Nouveau-Théâtre était, selon le pro-
gramme général que nous avons fait connaître, surtout consacrée au genre
du duo, tant vocal qu'instrumental. Elle s'ouvrait par une bien jolie « Suite »
de Bach, que l'orchestre a dite d'une façon délicieuse, et que suivaient trois
duos de Schumann pour soprano et ténor, chantés d'après la traduction de
notre collaborateur Amédée Boutarelpar M°>» Jeanne Remacle et M. Georges
Dantu. M"»» Monteux-Barrière et M. Armand Forest ont exécuté ensuite avec
une rare distinction la jolie Suite op. 34 pour piano et violon de M. Emile
Bernard, puis MM. Paul Daraux et Emile Gazeneuve se sont fait vivement
applaudir en chantant d'une façon absolument remarquable le superbe duo
des Pécheurs de Perles. L'orchestre nous a fait entendre alors trois petites
pages exquises de Castor et Poilus, de Rameau (Tambourin, Menuet et Passe-
pied), après quoi est venue la surprise de la séance. Je veux parler d'une
pièce de Haesler (Ariette et variations) et d'une autre de Bruni {le Coucou),
exécutées en duo, sur la viole d'amour et la. . . contrebasse, par MM.Gasa-
desus et Nanny. Gela était simplement délicieux. J'ignore quel est l'auteur
de ces arrangements assez singuliers (Bruni, en particulier, n'a certainement
jamais écrit pour la viole d'amour), mais ils étaient si bien faits, et l'exécu-
tion des deux morceaux était si parfaite que MM. Casadesus et Nanny ont
obtenu le succès le plus complet et le plus bruyant. Le programme, trop sub-
stantiel peut-être, se complétait par le duo de Béatrice et Bénédict, de Berlioz,
joliment chanté par M"'i' Jeanne Remacle et M"= Barousse, par les Variations
à deux pianos de M. Saint-Saëns sur un thème de Beethoven, joliment exé-
cutées par MM. Alfred Gasella et Lazare Lévy, et l'exquis fragment des Scè/jfs
alsaciennes de M. Massenet: Sous les Tilleuls, joliment enlevé par l'orchestre.
A. P.
NOUVELLES DIA^ERSES
ÉTRANGER
M. Sonzogno, le célèbre éditeur milanais, vient d'ouvrir un concours
international avec un prix de cinquante mille francs pour un opéra en un
acte qui devra être représenté à Milan, au cours de la grande Exposition de
1904. Souhaitons au vaillant éditeur le même succès qu'il obtint avec son
premier concours et d'où sortit la fameuse Camileria rusticana.
— Le poète Gabriele d'Annunzio, qui ne parait pas avoir été très heureux
avec sa Francesca dci Rimini, représentée ces jours derniers sans grand succès
au théâtre Gostanzi de Rome, ne l'a pas été davantage avec son Ode à Bellini,
récitée par lui-même, à Rome aussi, à l'occasion du centenaire de l'auteur
de Norma. Le poète et le récitant semblent avoir fait, en une seule personne,
une impression assez fâcheuse. « La scène, dit un journal, est un grand salon ;
au fond, un buste assez réussi de Bellini, et sous le buste, ahiinél un superbe
cygne, avec, autour, huit pompiers en grand uniforme, beaux soldats, rigides.
L'ensemble, pour la lecture d'une ode, est assez nouveau... D'Annunzio
commence. Est-ce de la prose? Est-ce des vers? Le public saisit quelques
décasyllabes, et le son d'une rime arrive par instants à son oreille. D'Annunzio
cherche évidemment à ne point faire sentir le rythme; c'est un excès. L'autre
excès, l'ancien, qui était de chanter le vers avec une canlilène monotone, et
par cela très fâcheuse, pouvait se préférer par quelques-uns, quoique la
déclamation académique, emphatique, fût détestable. Mais l'annulation de la
musique du vers doit-elle être louée? La vérité est entre les deux excès... Et
puis, que fait Bellini parmi toutes ces images helléniques, le Bellini roman-
tique, le Bellini jeune de 1830? D'Annunzio a évoqué les théâtres siciliens,
parmi les cols riants, à l'aspect de la mer immense. Etaient-ce là les théâtres
de Bellini? Pouvaient-ils l'être? Aucun ne fut plus moderne que lui, plus
ignorant du destin antique, plus désireux d'interpréter musicalement son
siècle. C'est là qu'était le sujet d'une poésie en l'honneur de sa mémoire.
D'Annunzio en a choisi un autre, un sujet classique, solennel et majestueux.
Libre choix, devant lequel la critique se tait. La critique constate cependant
que le poème de d'Annunzio est superbement froid, tandis que l'art de Bel-
ni est débordant de passion. »
— Dépêche de Milan : « Hier soir, nouveau triomphe pour la Sapho de
Massenet et son admirable interprète la Bellincioni. Demain, pour la fer-
meture du Lyrique, dernière représentation de Cendrillon. Ce sera la quaran-
tième à Milan ».
— M. Luigi Mancinelli, le chef d'orchestre bien renommé, vient d'obte-
nir un brillant succès de compositeur en faisant exécuter sous sa direction,
au Théâtre Royal de Turin, une grande cantate biblique en deux parties,
Isuie, pour soli, chœurs et orchesire. L'œuvre avait paru pour la première fois,
en anglais, au festival de Norwich en 1887. Le public italien a acclamé l'au-
teur et ses interprètes. M"™ Karola et Bruno, MM. Gostantino et Bucalo.
— M. Sarasate et M""» Berthe Marx, qui ont entrepris une tournée artisti-
que en Italie, viennent d'obtenir un succès éclatant à Milan, dans un concert
donné au salon Perosi. Tous deux se sont fait applaudir séparément comme
solistes, mais ils se sont fait acclamer surtout en exécutant ensemble, avec le
talent qu'on leur connaît, la Sonate à Kreutzer de Beethoven et la Fie à'amcnm
de Raff.
— Une erreur de plume nous a fait attribuer à tort au Mondo artistico les
détails intéressants que nous avons reproduits au sujet de Chopin, l'opéra
représenté récemment au Théâtre-Lyrique de Milan. La vérité est que c'est
au Trovatore, et non à son confrère, que nous avons emprunté ces renseigne-
ments curieux.
— Plusieurs sociétés littéraires et artistiques de Biebrich, près Wiesbaden,
viennent d'organiser un festival dont le produit est destiné à l'apposition
d'une plaque commémorative sur la petite villa de Biebrich, que Richard
Wagner habita entre les mois de février et d'octobre 1862 et où il acheva
la musique des Maîtres Chanteurs, commencée, à Paris, à l'hôtel de l'ambas-
sade de Prusse, rue de Lille. C'est à Biebrich que le maitre, déjà quinqua-
génaire, exécuta ce fameux tour d'agilité qui consistait à se placer sur la
tête et à agiter les jambes en l'air, manière d'exprimer sa joie en voyant
arriver chez lui le ténor Schnorr de Carolsfeld, son premier Tristan. Ceci se
passait sur un balcon, et les amis qui se trouvaient chez le maitre, ainsi que
les passants, croyaient que celui-ci avait perdu la raison.
— M. Siegfried Wagner, qui vient de passer quelques jours à Berlin où il
a dirigé plusieurs fragments de ses opéras, n'a pu échapper, comme de juste,
à la persécution des reporters. L'un d'eux publie quelques communications
intéressantes. Le fils de Richard Wagner lui aurait dit que le vieux maître
a laissé une autobiographie très détaillée qui ne devra paraître qu'en 1913,
c'est-à-dire trente ans après sa mort. Si cette autobiographie est aussi inté-
ressante que le fragment déjà connu, qui ne dépasse malheureusement pas
les temps de jeunesse de l'artiste, les lecteurs de 1913 en auront pour leur
argent. Quant à ses propres travaux, M. Siegfried Wagner a confié au dit
reporter que son nouvel opéra est tiré d'une légende allemande et sera bien-
tôt terminé. Actuellement .M. Siegfried Wagner étudie trois autres sujets
tirés de la légende et de l'histoire d'Allemagne, qu'il se propose de traiter
successivement.
— M. Siegfried Wagner a d'autre part prononcé à Berlin un discours assez
significatif. C'était à un banquet organisé en son honneur : « Les Sociétés
Richard Wagner, a-t-il dit, ne doivent plus avoir comme but la propagation
de l'œuvre du maître, elles ne doivent plus exécuter des fragments de ses
œuvres dans les concerts; mais, au contraire, former comme une armée
pour combattre autour de Bayreuth contre l'inimitié et l'envie. Tout le monde
sait ce que cela veut dire. A leur dernière réunion à Bayreuth, les sociétés
Richard Wagner ont assez clairement exprimé leur volonté de lutter pour
Bayreuth. Je m'efforcerai toujours, quant à moi, de mériter la confiance dont
on m'honore et de porter avec honneur le nom du maître I » On croyait
cependant la paix conclue entre Munich et Bayreuth.
— Le théâtre de Hambourg annonce pour le 3 janvier la première repré-
sentation de Louise. Ce sera la première scène allemande qui jouera la belle,
œuvre de Charpentier, avant Berlin, I^eipzig, Cologne, Wiesbaden, Elberfeld,
Nuremberg, et autres villes qui suivront de près.
— Le monument de Beethoven à Vienne a accomplisa volte-face. La petite
opération a parfaitement réussi, et depuis quelques jours le maître jette
son regard méprisant sur la foule qui circule à ses pieds. « Beethoven, que
me veux-tu ? » doit dire plus d'un passant.
— M. Joseph Joachim vient de faire jouer à Berlin, par l'orchestre ducal
de Meiningen, une ouverture pour une comédie de Gozzi, qui a obtenu un
grand succès.
— L'Association des musiciens de Berlin {Berliner Tonkûnsllerverein), qui existe'
depuis cinquante-sept ans, vient d'englober deux autres associations musicales-
dont une société de bienfaisance et compte ainsi près de 600 membres. Dans
sa nouvelle formation, cette Société donnera aussi des concerts.
— La nouvelle société d'orchestre de Berlin, dirigée par M. Gustave Hol-
laender, vient déjouer avec beaucoup de succès une nouvelle œuvre sympho-
nique intitulée Suite arcadienne, de, M. Philipp Scharwenka.
— A Munich, les seigneurs et nobles dames du Brabant ont dernièrement
organisé une grève. Le nouveau chef de chant avait renvoyé un des plus
anciens et des plus populaires choristes de l'Opéra royal, et tous ses camarades
des deux sexes profitèrent d'une représentation de tohengrin 'pour déclarer,
quelques instants avant le commencement, qu'ils ne chanteraient pas si l'in-
tendance ne réintégrait immédiatement leur doyen, renvoyé sans aucun motif
valable. L'embarras du régisseur général était grand. Il fut obligé de s'adres-
ser à l'intendant, M. de Possart, qui promit de réengager le malheureux cho-
riste. La représentation de Lohengrin put alors avoir lieu, mais avec un retard
de trente-cinq minutes.
— Le théâtre National de Prague vient de jouer, avec beaucoup de succès,
un opéra en quatre actes intitulé : Au vieux lavoir, musique de M. Charles
Kovarovic.
— Voici le brillant tableau de la troupe du théâtre du Conservatoire, à
Saint-Pétersbourg, pour la prochaine saison de carnaval: soprani, M""i* Si-
grid Arnoldson, Olimpia Boronat, Salomea Krusceniska, Maria Ballières.
Luisa Tetrazzini ; mezso-soprani, Gesira Pagnoni, Vittoria Paganelli ; ténors,
MM. Francesco Marconi, Florencio Gostantino, Giuseppe Sala; barytons,'
398
LE MENESTREL
Matlia Battistini. Giuseppe Pacini, Vittorio Brambara, Romolo Dolcibene;
basses, Vittorio Arimondi, Camillo Fiegna, PietroGesari. Le chef d'orchestre
est M. Giovanni Zuccani.
— De Varsone : Werther en est à sa sixième représentation, salles combles
et succès énorme toujours croissant. Le remarquable baryton Battistini tou-
jours acclamé.
— Evénement tragique à Bucarest, au concert de la pianiste M"= Hélène
Louis. Cette jeune fille, qui comptait à peine dix-huit ans, avait été vivement
applaudie après un morceau brillamment interprété et était revenue sur l'es-
trade pour remercier le public. Elle s'inclina gracieusement, puis sortit un
revolver de sa poche et se tira une balle dans la tête devant les yeux du public
consterné. L'artiste n'est pas encore morte, mais son état est très grave. Le
motif de ce suicide est inconnu.
— Les journaux de Bruxelles constatent unanimement les succès extra-
ordinaires remportés par M'"'^ Clotilde Kleeberg, la première fois au Cercle
artistique et littéraire, dans une séance consacrée aux œuvres de Schumann,
où elle a partagé les bravos avec M''^ Marcella Pregi, la seconde fois au
Piano-Récital donné dans la grande salle de l'Harmonie royale.
— La Société des musiciens de Londres avait demandé aux compositeurs
anglais leurs œuvres nouvelles pour exécuter les meilleures. Le jury a choisi
sept œuvres envoyées par MM. Rutland Bougbton, Joseph Ilolbrooke,
Ralph Horner, H. A. Keyser, Colin Mac Alpin, Paul Stoeving et A. N.Wight.
Trois de ces jeunes compositeurs ont été formés en Angleterre, trois en Alle-
magne et un seul dans ces deux pays,
— Télégramme de Lisbonne : « L'exécution de la Terre promise de Massenet
sous la direction du maestre Sarti a eu le plus grand succès. Détails suivent
par lettre ».
— C'est en Amérique, le pays de l'excentricité, qu'on trouve la seule femme
qui soit cheffe d'une musique militaire. Elle a vingt ans, s'appelle miss Nellies
Miles et est née en Angleterre de parents américains. Son père fut naguère
chef de musique des grenadiers de la garde, sa mère est une pianiste fort
habile et — autre atavisme qui explique peut-être le côté militaire de sa voca-
tion — elle est cousine du général Nelson Miles, de l'armée anglaise. C'est
égal, les soldats qui sont sous les ordres d'un pareil chef ne doivent pas s'en-
nuyer. Moi, il me semble que j'aurais des distractions.
— Les Américains ont parfois l'excentricité macabre, et rien ne répugne aux
entrepreneurs pour exciter la curiosité du public. Le directeur d'un Music hall
de New-York n'a pas rougi de spéculer sur le crime lâche qui a coûté la vie
au président Mac-Kinley et qui a si justement ému non seulement l'Amérique,
mais le monde entier. II a fait exécuter et a exhibé devant ses spectateurs
un Czolgosz en cire, de grandeur naturelle : non content de cela il a engagé
le frère de l'assassin, qui, placé à coté de l'effigie de celui-ci, était chargé de
faire une conférence ad hoc. On a peine à choisir entre l'ignominie de l'un et
de l'autre. Toujours est-il que ce spectable immonde a eu, parait-il, un suc-
cès de scandale, à ce point que les autorités s'en sont émues et ont fini par
l'interdire.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les gazettes nous apprennent que les recettes des douze premières repré-
sentations des Barbares à l'Opéra ont dépassé le chiffre de 200.000 francs.
C'est fort coquet, puisque cela fait une moyenne de 16.666 fr. 66 c. par repré-
sentation. M. Gailhard dira que cela ne couvre pas ses frais, qu'il évalue à
plus 17.000 francs, mais en tout cas cela dépasse la moyenne de ses recettes
pendant le mois de novembre, puisqu'elle n'est que de 13.323 francs par
représentation. Yoici donc une œuvre française d'un illustre musicien qui
faitmontre de résistance et qu'un directeur avisé devrait soutenir detoutes ses
forces. M. Gailhard n'y parait pas songer, puisque dans huitjours il va donner
la « première» du Siej/'ri'eci deWagner et asséner ce coup de massue formidable
sur la nuque de la pauvre partition française qui ne demandait qu'à vivre.
Ce n'est pas là peut-être de la bonne administration ou du patriotisme bien
ardent.
— La représentation de Siegfried serai suivie d'un autre contretemps fâcheux.
Ce sera d'écarter pour longtemps du répertoire une autre œuvre française
qui était l'honneur de notre École, nous voulons parler du Sigurd de M. Ernest
Reyer, composé sur le même sujet que l'opéra de "Wagner. Mais M. Gailhard
se garde bien de prendre en considération de telles misères. Il est convenu
que le titan de Bayreutb doit tout écraser sur son passage et le directeur de
notre Opéra national y aide de tout son cœur.
— Puisque nous parlons de Siegfried, enregistrons que la répétition géné-
rale en sera donnée jeudi prochain, et la première représentation le lundi
d'après.
— On fait grand bruit autour des débuts à l'Opéra, dans Roméo et Juliette,
d'une jeune américaine, M"= Bessie Abott, qui, parait-il, réunit toutes les
qualités de la jeunesse, du charme et du talent. C'est à peine si quelques-
uns de nos confrères osent faire quelques réserves sur cet ensemble mer-
veilleux. Et tous sont d'accord pour saluer le lever d'une étoile rayonnante.
Soubailons-le comme eux. Une interwiew a déjà été prise à la jeune débu-
tante par M. Marcel Hutin. Nous en reproduisons un fragment suggestif
qui doime tous les renseignements nécessaires sur M'" Bessie Abott :
— Jladomoiselle, après votre brillant début, je voudrais simplement connaître vos
impressions.
— Oh 1 excellentes I J'avais tellement peur d'avoir peur ! Mais dès que j'ai entendu les
applaudissements je n'avais plus peur !
— C'est la première fois que vous paraissiez en scène?
— La première. Je ne sais même pas me maquiller.
— C'est moi qui la maquille et la poudre 1 s'exclame M. Gailhard.
— Vous êtes si gentil, vous ! remercie la jeune diva.
— Kacontez-moi donc comment vous êtes entrée à l'Opéra ! Où êtes-vous née, aux États-
Unis?
— Dans la campagne de New-York, en 1S79.
— Et vous avez, Mademoiselle, eu la vocation du chant de bonne heure ?
— Oh 1 oui. J'avais huit ans quand je suis allée pour la première fois avec maman au
Metropolitan-Opera-House : on chantait Roméo et Juliette. C'était tellement beau que j'ai
juré que moi aussi je chanterais Juliette.
— Vous avez pris des leçons ?
— Oui, chez M""" Assforter, une ancienne cantatrice. Depuis trois ans je viens à Paris
l'été, pendant les vacances?
— Mais comment êtes- vous arrivée jusqu'à M. Gailhard ?
— Par la protection de MM. Jean du Reszké et Coquelin, qui m'ayant, à deux années de
dislance, sur le paquebot, pendant la traversée, trouvé une jolie voix, m'ont encouragée
dans ma vocation. Alors j'ai étudié avec M. Kœnig, chef de chant à l'Opéra, qui m'a pré-
sentée à M. Gailhard ; et c'est Monsieur que voici qui a été assez bon pour me donner des
conseils et me faire débuter. Voilà.
Savourons surtout le passage où M. Gailhard s'affirme comme maquilleur
en chef de son théâtre. Heureux homme ! Tous les talents ! Le voilà à
présent qui poudre et coldcreamise les jeunes pensionnaires de sa maison!
Si après cela on n'augmente pas sa subvention, comme la propose le rap-
porteur du budget des beau.x-arts, M. Gouyba, c'est qu'il n'y a plus de
justice à la Chambre des députés.
— A rOpéra-Comique les représentations de Grisélidis sont toujours au
beau fixe. Mercredi dernier, à la dixième, la recette dépassait encore neuf
mille francs (sans le secours d'aucun abonnement; et celle de vendredi
s'annonçait comme devant être supérieure, par suite d'un chiffre de loca-
tion formidable. Demain lundi, c'est M. Luigini qui conduira l'orchestre,
en remplacement de M. Messager appelé à Monte-Carlo pour des représen-
tations de Madame Chrysanthème.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, la
Dame Blanche et le Légataire universel; le soir, Carmen. — Jeudi dernier on a
donné la 399'^ de Manon et hier samedi on a repris Louise interrompue un
moment pour la réfection des costumes.
— Jeudi prochain, au Conservatoire, à 2 heures 1/i, audition des envois
de Rome. Le programme ne comprend que des œuvres de M. Omer Letorey,
grand prix de 1895 :
1 . Première étude sijmphoniqiie.
2. L'Été, chœur (poésie de Victor Hugo).
3. Requiem, soli, chœurs, orchestre et orgue.
I. Requiem et Kyrie.
II. Domine Jesu Christe.
III. Sanctm et Benediclus.
IV. Agnus.
V. In Paradisum.
4. Deuxième étude symphonique.
— Nous avons parlé plusieurs fois de la Société Humbert de Romans, où
l'on donnait l'enseignement musical religieux et où, dans une superbe salle
de concerts, on préparait de véritables solennités musicales. Déjà des festivals
pour les œuvres de Théodore Dubois et de Bourgault-Ducoudray étaient an-
noncés, déjà on préparait pour la Noël la délicieuse Pastorale de la natitiiléde
Reynaldo Hahn sur le livret d'un ancien mystère du X'v''' siècle, d'Arnoul
Gréban, reconstitué par MM. de la Tourasse et Gailly de Taurines. Les répé-
titions étaient commencées, les décors commandés. Et voilà tout cela par
terre! La Société est en déconfiture et le pèreLavy, qui la présidait, tombé en
disgrâce et même envoyé en exil à Constantinople : « Le départ précipité du
P. Lavy, dit le Figaro, laisse la Société Humbert de Romans dans un embar-
ras facile à comprendre. L'achat du terrain et les constructions ont coûté
près de deux millions, sur lesquels on n'a encore payé que six cent mille francs.
Rien à craindre avec le P. Lavy, dont la présence équivalait à la plus solide
des garanties: mais, lui parti, que va-t-il advenir? Inutile d'insister sur le
mécontentement très légitime que causera son départ. Toutefois, s'il était
l'àme de la Société, il ne se trouvait point légalement engagé dans ses affaires.
Il y a quatre ans, le provincial de son ordre lui avait dit ; Faites ce que
vous voudrez, mais ne signez rieu. I^e P. Lavy n'a rien signé. » Ce qui
revient àdireque les créanciers peuvent o se fouiller ». Toutes les précautions
ont été bien prises : « Une fois de plus, comme nous écrit un de nos spirituels
correspondants, les religieux auront roulé les laïques ».
— L'homme de bien dont nous avons en récemment le regret d'annoncer
la mort, M. Ernest Lamy, ne pouvait manquer de continuer ses bienfaits
outre-tombe. Ainsi a-t-il fait, et en particulier les cinq associations formées
par le baron Taylor, et tout particulièrement l'Association des artistes musi-
ciens, bénéficient de sa libéralité. Par un article de son testament, M. Ernest
Lamy partage une somme de cinquante mille francs entre les cinq Associa-
tions de la façon suivante :
Aux Artistes musiciens 25.000 francs.
Aux Membres de l'enseignement IB.OOO —
Aux Artistes peintres, sculpteurs, etc 5.000 —
Aux Artistes dramatiques 3.000 —
Aux Inventeurs et artistes industriels 2.000 —
LE MENESTREL
399
Nous savons que ce n'est pas tout et, sans entrer dans de plus amples
détails, nous pouvons dire que la Société do chant classique (fondation Beau-
lieu), dont l'existence est si intimement liée à celle de l'Association des
artistes musiciens, reçoit, de son côté, une somme de 2.000 francs.
— Voici comment, à la représentation de Peer Gynt, les deux suites d'or-
chestre d'Edouard Grieg s'adaptent à l'œuvre d'Ibsen :
I. Chanson de Solveig (servant ici de prélude).
II. Halling ou danse du Hallingdal (bourrée norvégienne).
III. Prélude de l'acte II. Lamentation d'Ingrid.
IV et V. Dans la Halle du Roi des Montagnes.
VI et VII. La Mort d'Aase.
VIII. Chant du Matin (prélude de l'acte IV).
IX, X et XL Danse d'Anitra.
XII. Chanson de Solveig.
XIII et XIV. Retour de Peer Gynt (la Tempête).
XV. Chant de Solveig (chanté par M"» Hildur Fjord).
XVI. Ici Lugné-Poé intercalera probablement, pour suivre avec exactitude
la pensée d'Ibsen, le psaume villageois de la Pentecôte (Pâques aux Roses)
dont la musique, vraisemblablement, sera d'un jeune compositeur norvégien.
XVII. Berceuse de Solveig (chantée par M"" Hildur Fjord).
— M. Julien Tiersot dirige aujourd'hui le Concert populaire de Lille, qui
lui est entièrement consacré (conférence, exécution de chants populaires,
avec le concours de M'" Éléonore Blanc, et œuvres d'orchestre). Il fera une
autre conférence musicale demain lundi à Lyon, avec le concours des Chan-
teurs de Saint-Gervais. Il en fera une troisième samedi 21, à l'Odéou, sur les
« Noëls français », avec exécution de quelques-uns des noëls du nouveau
recueil qu'il vient de consacrer à ce genre particulier de la chanson française.
— J'ai à signaler une notice biographique fort intéressante que M.Georges
Guéroult vient de consacrer à l'excellent violoniste Sauzay, mort au commen-
cement de cette année : Eugène Sauzay, 1809-190! . Cette notice, publiée par les
soins de la famille et qui n'est point dans le commerce, retrace l'existence
artistique très active, très laborieuse, du remarquable virtuose et composi-
teur que fut Sauzay ; elle nous fait connaître certains détails jusqu'ici ignorés,
et elle nous apprend, entre autres choses, que Sauzay a laissé des Mémoires,
mémoires qui ne sauraient manquer d'être intéressants, écrits par un artiste
qui pendant soixante ans a été mêlé d'une façon étroite au mouvement musi-
cal de son pays, et dont la publication serait très souhaitable. La brochure
se termine par un catalogue très complet de l'œuvre de Sauzay, œuvre musi-
cal et littéraire, car on sait que Sauzay fut un lettré très fin, très délicat, qui
a laissé plusieurs ouvrages excellents, d'une forme très châtiée et d'un sen-
timent didactique remarquable. A. P.
— Notre confrère Edmond StouUig fait paraître, à la librairie OUendorff,
le vingt-sixième volume des Annales du Théâtre et de lamusique. On connaît la
réelle valeur de cette intéressante publication, et on sait la considération
dont elle jouit si justement dans le monde qui s'occupe des choses du
théâtre. Le volume de cette année s'ouvre par une spirituelle et mordante
préface, très vivante et très parisienne, de M. Lucien Muhlfeld: te Malaise du
Théâtre.
— Très réussie, la grande fête septentrionale organisée à l'Opéra-Comique
par l'Association amicale des enfants du Nord. Grande affluence et beau pro-
gramme : un prologue amusant d'Edouard Noël, les merveilleux orphéonistes
de Valenciennes, le délicieux divertissement des Rosali, composé pour la cir-
constance par M. Massenet et dansé à ravir par M'ie Chasles, la reconstitution
du vieil opérai de Monsigny Rose et Colas, la Partie de Piquet finement inter-
prétée par les artistes de la Comédie-Française, l'ouverture du Roi d'Ys
magnifiquement exécutée par la musique de la garde républicaine, la Muse
du peuple de Charpentier, enfin tout un intermède musical où figurait
entre autres M''^ Simounet, qui a chanté une nouvelle mélodie de Massenet
encore inédite, le Printemps visite la Terre, écrite sur de jolies paroles de
M"|= Jeanne Chaffotte. Nous allions oublier M. Coquelin (rien que cela!) qui
a lu une belle pièce de vers de M. Dorchain sur Jean de Calais. Très belle
recette, qui ira tout entière à des œuvres de bienfaisance.
— La Société populaire de musique donnera son premier concert à l'hôtel
des Sociétés savantes, le 19. décembre, à 8 h. 1/2 précises du soir, sous la
présidence de M. Gustave Charpentier et avec le concours de M"«!s Pauline
Smith, de l'Opéra-Comique, Wanda Landowska, de MM. Alfred Casella,
F. Santa Vicca, P. Fauchet, Morpain et Borgex. Location, rue La Bruyère, 8,
de -4 h. 1/2 à 6 h. 1/2 du soir, à partir du samedi 14, et le jour du concert, à
partir de 5 heures, aux Sociétés savantes.
— De Marseille : « Septième représentation de la Sapho de Massenet
toujours devant des salles combles et enthousiastes pour l'œuvre et ses
interprètes. M""» Bréjean-Gravière et le ténor Cornubert tout en tête ».
— Grand succès aux Concerts classiques de Marseille pour l'audition des
œuvres de M. Silvio Lazzari, qui dirigeait l'orchestre en personne. M"= Jenny
Passama lui prétait son concours pour l'audition de quelques lieds qui ont
beaucoup porté.
— Cours et Leçoms. — M" Camille Fourrier ouvre un cours d'ensemble vocal, tous
les lundis à 4 h. 1/2, à la salle Lemoine, 17, rue Pigalle. — M"' C. Baldo a repris chez
elle, 11, rue Barye, ses leçons de chant et ouvrira en janvier un cours de chant d'ensemble
classique et moderne. — Pour répondre à de nombreuses demandes, M"' Marie Rôze
ouvrira un cours de musique d'ensemble le lundi, de 8 à 11 heures du soir, 37 rue
Joubert.
— Soirées et Concerts. — Le public artiste et lettré, venu pour écouter les poésies de
Paul Bourgetaux deux derniers samedis de l'Odéon, a féïé comme il convient l'art délicat
et le sentiment profond avec lequel U"" Mathieu d'Ancy vient d'interpréter les Soirs d'été
mis en musique par Widor. R. B. — L'Alliance française vient de donner un fort joli
concert au cours duquel on a fait succès à deux excellentes élèves de M"" Vieuxtemps
M"" Tamisier et Méziane; la première a chanté l'air de Manon et la seconde l'air A'Héro-
diade. Beaucoup de bravos pour la société chorale Galin-Paris-Chevé dans le chœur de la
Perle du Brésil, de Félicien David, le solo confié à M"° Méry.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivieiine, HEUGEL et C'=, éditeurs-propriétaires.
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LE MÉNESTREL
Soixante-liuitièine année d.e publication
PRIMES 1902 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CIIA^'T ou pour le PIAKO et olTrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHA^'T et l'IAXO.
C H -A. T> T (1°' MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
À. THOMAS
MESSE SOLENNELLE
POUR SOLI ET CHŒUR
Exécutée à Saint-Eustache.
Partition chant et piano in-8°.
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5^' VOLUME DE MÉLODIES
NOUVEAU RECUEIL (20 XEMÉROS)
Deux Ions : Lettre A, lûnor. — Lettre B, barj'ton.
Recueil chant et piano in-S".
RETNÀLDO HÀHN
PASTORALE DE NOËL
FOUR SOLI ET GHŒDR
(Avec le livret-texte)
Partition chant et piano in-8<>.
À. PERMOIi
Chants de France (10 numéros)
ANCIENNES CHANSONS
et ERNEST REYER
Trois Sonnets, (recueil raisin)
Ou à l'un des quatre premiers Recueils de Mélodies de J. Massenet
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n°'), un -volume relié in-8°, avec illustrations en couleur d'ADRIEN MARIE
PIANO
(2= MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes
J. MÂSSENET
GRISÉLIDIS
CONTE LYRIQUE EN TROIS ACTES
THÉODORE DUBOIS
ADONIS
POÈME SYMPHONIQUE EN 3 PARTIES
Réduction piano 4 mains, par l'auteur.
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ou à l'un des volumes in-S- des CLASSIQUES-MaRMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENT!, CHOPIN, ou à lun des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes -compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire des
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne, ou OLIVIER MÉTRA et STRAUSS, de Paris.
RIPRÉSENTAST A EUE SECLE LES PRIES DE PIANO ET DE CHAI RÉDNIES, POUR lES SEULS ABOIES A L'ABOtilMEST COMPLET (3^ Mode)
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on nonTcl abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au MÉl^'ESTREl/ pour l'année 9903. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'UX ou de DEUX francs pour l'euToi franco dans les départements de la prime simple ou double. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés au Chanl pt^iivonl prendre la prime Piano el viccversa. - Ceux au Piano el au Chanl réunis ont seuls ilroil à la grande Prime. - Les abonnés au leile seul noni droil àaucunepriiiic.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEiVIEfiT AU « MÉNESTREL ' PIANu
', d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de chant : | 2' Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de piano
Fantaisies , Transcriptions , Danses , de quinzaine en quinzaine ; 1 Recueil
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger ; Frais de poste en sus.
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
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On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 uuméros de chaque année forment collection. -
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an : 30 francs, Paris
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(Les manufcrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
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MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Hamépo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Hknhi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6m, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Piovince.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. -- Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
L L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (43" article), Paul d'Estrées. —
II. Semaine théâtrale : premières représentations du Nuage, à la Comédie-Française, et
d.e V Inconnue, au Palais-Royal, Paul-Kmile Chevalier; reprise de fîété, au Vaudeville,
0. B.N. — III. Petites notes sans portée : une Exposition musicale, Raymond Bouter. —
IV. Le Tour de France en musique : les Chants populaires du Vivarais, Edmond Neu-
KO.MM. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CHANSON D'AVIGNON
extraite de Grisélidis, conte lyrique de J. Massenet, transcrite pour piano seul.
— Suivra immédiatement (avec le X"' numéro de notre 68" année de publi-
cation) : les Oiseaux, n" 1 des scènes mignonnes Au jardin de Théodore Dubois.
MUSIQUE DE CHANT
Nouspublierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
l'Oiselet est tombé du nid, chanté par M"= Bréval et M. Dl'Franne dans Grisélidis,
conte lyrique d'AnMAno Silvestre et Eijoène Morand, musique de J. Massenet.
— Suivra immédiatement : Ce qui dure, nouvelle mélodie de Théodoue
Dubois, poésie de Sully Pbudhomhe.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1902
Voir à la S" page des précédents numéros.
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
d'après les mémoires les pins récents et ûes flocnments inédits
(Suite.)
IV
Hoslilité de Delacroix contre Meyerbeer. — Le chaos des Huguenots. — L' » affreux «
Prophète. — La science exacte de Meyerbeer est la négation même du talent. —
Réclames de George Sand. — Comment Meyerbeer soigne sa publicité. — Boutades
de Delacroix contre Hugo, Berlioz et Schubert.
Un révérend père Cordelier à qui' un de ses pénitents, chape-
lier de son état, débitait l'interminable litanie de ses péchés ga-
lants, l'interrompit brusquement pour lui dire :
— Mais, mon fils, quand donc faites-vous des chapeaux?
A voir la place considérable réservée par Delacroix à la mu-
sique dans son Journal, on serait également tenté de demander
« quand il faisait ses tableaux » si l'on ne savait la somme prodi-
gieuse de travail qu'il a produite dans le cours de sa vie
artistique .
Mais, quelle que soit l'œuvre ou le musicien qui l'occupe, il
en revient toujours, dans ses discussions esthétiques, au génie
qui les inspire, à l'idéal qui en est la plus haute sanction. C'est
évidemment sous l'empire de cette double suggestion, à laquelle
il ne cesse d'obéir, qu'il écrit en février 1847 :
« Vu deux actes des Huguenots... Où est Mozart, où. est la grâce,
l'expression, l'énergie, l'inspiration et la science? Le bouffon et
le terrible? Il sort de cette musique tourmentée des efforts qui
surprennent, mais c'est l'éloquence d'un fiévreux, des heurts
suivis d'un chaos... »
Delacroix était, en effet, trop épris de Mozart pour aimer et
peut-être comprendre ce vigoureux tempérament dramatique
qu'était Meyerbeer, d'autant que les deux compositeurs n'ont
aucun point de ressemblance. Mais Delacroix poussait jusqu'à
l'injustice son antipathie pour Meyerbeer. A mesure que la per-
sonnalité de celui-ci s'affirme plus énergique et plus vibrante,
son Aristarque lui trouve une lourdeur et une vulgarité plus
caractérisées : « l'affreux Prophète, que son auteur croit sans
doute un progrès, est l'anéantissement de l'art » conclut rageu-
sement Delacroix.
Par contre, il a des trésors de bienveillance pour Robert le
Diable, que son imprégnation italienne devrait lui rendre parti-
culièrement agréable. Il y découvre chaque jour de nouvelles
beautés, et bientôt le peintre de l'école romantique laisse passer
l'oreille ; les costumes de Robert viennent d'être renouvelés : nulle
note d'art ne pouvait être plus sensible au cœur du révolution-
naire qui avait si activement coopéré à la renaissance du Moyen
Age.
Après cette déclaration de principes, n'est-il pas au moins
étrange que le peintre reproche au musicien sa préoccupation
du pittoresque, sa recherche de la couleur locale? Un jour, on
avait agité cette question à table chez Buloz, le directeur de la
Revue des Deux Mondes, et Meyerbeer y trouvait matière à des for-
mules qui frisaient tant soit peu le paradoxe. Il aiïïrmait que la
couleur locale « tenait à un je ne sais quoi qui n'est pas l'obser-
vation exacte des usages et des coutumes » , et il appuyait ses
théories de l'exemple de Schiller qui, sans avoir jamais vu la
Suisse, l'avait si merveilleusement décrite dans Guillaume Tell.
Ce soir-là, Delacroix reconnaissait la supériorité de Meyerbeer
sur ce même terrain. Mais il se déjugeait à quelques jours de là.
Il reprochait au musicien de trop s'attacher à la couleur locale
et « de s'être brouillé avec les grâces en cherchant à paraître
exact et savant ». Voilà la véritable cause de la lourdeur et de
la bizarrerie remarquée dans les Huguenots. Et le Prophète, « dont
il a peu entendu.et encore moins retenu », marque d'une étape
nouvelle cette marche vers la décadence.
Enfin, Delacroix, toujours fidèle à sa recherche de rapproche-
402
LE MÉNESTREL
ments ou d"analogies entre la plastique et l'art musical, remarque,
en même temps que la vulgarité croissante du compositeur,
« ses gros pieds et ses grosses mains ».
Il est d'ailleurs aussi peu bienveillant pour l'homme que pour
le musicien, malgré qu'il le fréquente assidûment. Il signale la
faiblesse bien connue de Meyerbeer pour la réclame. Et, s'auto-
risant d'une confidence du comte Grzymala, un grand amateur
de tableaux, il rapporte que le compositeur a payé fort cher à
George Sand des articles élogieux signés de l'illustre roman-
cier. Cependant Delacroix a cru devoir protester contre l'anec-
dote, bien qu'il sache pertinemment que « la pauvre femme »
est toujours besogneuse et qu'elle « écrit trop pour de l'argent ».
D'autre part, il est certain que Meyerbeer ne reculait devant
aucun sacrifice, malgré son esprit de lésine, pour « se faire une
bonne presse ». Aussi sommes-nous étonné que l'auteur des
Huguenots eût négligé d'envoyer, comme l'affirme M°>° G. Jaubert,
la loge qu'il avait promise pour une première à la belle Juliette,
l'amie d'Henri Heine. De ce jour-là le critique allemand, jouant
sur le nom même du compositeur, ne l'aurait plus appelé que
Monsieur l'Ours: ironie sans portée, car Meyerbeer était d'une
obséquiosité à rendre des points à l'ancien duc de Goislin,
« l'homme le plus poli de France ».
Il avait une telle soif de réclame qu'il n'eût pas hésité à faire
les frais de Robert le Diable le jour où l'influence du docteur
Korefi', ce charlatan viveur, lui avait ouvert les portes de
l'Opéra. Déjà Yéron avait réclamé du ministre une subvention
de quarante mille francs pour monter une pièce que lui impo-
sait, disait-il, un traité de son prédécesseur. Mais Meyerbeer eût
voulu que la valeur de sa musique eût seule décidé de son succès.
Cependant il trouvait le décor du quatrième acte trop mesquin.
— Je l'eusse payé de ma poche, prétendait-il.
— Oui, répliquait Roger de Beauvoir, comme Rossini, qui
vidait sa bourse quand tout le monde était là pour le voir.
Si Delacroix aimait peu Meyerbeer, il aimait moins encore
Berlioz. Il ne lui reconnaissait aucun talent : il l'eût volontiers
traité de barbare. Et, enveloppant dans la même réprobation
l'homme qu'il avait encensé autrefois et celui qu'on appelait
alors « le Delacroix de la musique », il écrivait: « Berlioz et
Hugo ne sont pas parvenus à abolir les lois éternelles de goût et
de logique qui régissent les arts. » Il avait même trouvé ce mot
pour définir le fracas de cuivres familier au compositeur :
— Les trompettes vous poursuivent dans Berlioz !
Il n'en prisait pas davantage les somnolents, ceux qu'il nom-
mait « les rêveurs ». Il avait pris « furieusement en grippe
Schubert », un autre romantique languissant, mélancolique,
toujours dans les nuages.
(A suivre. ) Paul d'Estrées.
SEMAINE THÉÂTRALE
Comédie-Française. Le Ntiaçie, comédie en '2 actes, de M. G. Guiches. — Palais-
BoYAL. L'Inconnue, pièce en 3 actes, de MM. P. Gavault et G. Berr.
Les soirées se suivent et ne se ressemblent guère, et, après celle toute
lumineusement expressive de l'Énigme, voici, à la Comédie-Française,
celle du Nuage de M. G. Guiches plutôt terne et nébuleuse. Deux actes
aussi, mais deux actes qui auraient gagné à n'en faire que tout juste un
seul. Chamailleries et bouderies de nouveaux mariés à propos du passé
de l'un et de l'autre : madame se refusant à pardonner à monsieur uue
liaison avec une mondaine sujette à caution qui, bien maladroitement et
assez grossièrement, vient braver monsieur le jour même du mariage;
monsieur reprochant à madame les faveurs qu'elle prodigua à un tiers
alors qu'elle était la lemme d'un autre, car elle est veuve. Madame, qui
s'est retirée chez ses parents [(sont-ce bien ses parents?), et qui ne sait
point au juste ce qu'elle veut, cède cependant aux sollicitations hâtives de
monsieur, et tout finit par le classique raccommodement. M'est avis,
cependant, que le nuage obscurcira plus d'une fois l'existence, s'annon-
çant bien éphémère, de ce couple de grise indécision.
Le Nuage, de lignes fuyantes, de caractères flous, de situations impré-
cises, d'intérêt trop mince, est, naturellement, joué avec crainte et hési-
tation par M"'- Marie Leconte et M. Henry Mayer dans les deux prin-
cipaux personnages. M'"'= Pierson, MM. Duflos, Laugier et M""= Sorel,.
dans des rôles secondaires, MM. Delaunay, Croué, Gavry, M"" Régnier,
Géniat et Faylis, dans d'inutiles et embarrassants comparses, complè-
tent la distribution.
Les sujets médicaux étant à l'ordre du jour, le Palais-Royal vient de
s'oll'rir le sien. Il va sans dire, étant donnée la maison, que c'est vers la
gaieté que nous entraine le cas pathologique choisi pai- MM. Paul
Gavault et Georges Berr. Il s'agit, cette fois, de laninésie partielle, ou
locale, déterminée dans les lobes du cerveau d'une dame Germaine
Bidoulet par une très forte émotion : un nègre qui l'embrasse un peu
rudement sur les boulevards. Fissure dans la case réservée à la mémoire
des noms propres; en sorte que Germaine, tombée évanouie dans les
bras d'un très bon jeune homme qui passait par là et la transporte
chez lui, ne peut dire ni son nom, ni d'où elle vient, ni où elle allait.
Et la voilà installée chez le bon jeune homme, qui a d'ailleurs la manie
de recueillir les gens sans asile et ne peut raisonnablement jeter dehors
la pauvre femme incapable de se guider dans Paris.
Avec ce point de départ d'original amusement, qui n'a rien, paraît-il,
d'impossible, MM. Gavault et Berr ont construit trois actes tout à fait
plaisants, d'esprit alerte, d'observation aimable, de rire convenable et ■
d'adroite complication scénique, jetant dans l'imbroglio la femme du
bon jeune homme qui demande le divorce, car elle prend la magnanimité
sauvéteuse de son mari pour du dévergondage, l'époux provincial et
l'amant goujat de Germaine, un ami-secrétaire d'un acabit très parti-
culier, et d'autres, encore, de silhouettes burlesques.
L'Inconnue, pièce heureuse, est heureusement jouée par M. Cooper,
que les Parisiens retrouvent toujours aussi jeune, aussi aimable et aussi
pimpant comédien (comme il embrasse bien, n'est-ce pas, madame!),
par M'"^ Cheirel, de vivante personnalité, pai' M. Lamy, sur de ses effets
de fin comique, et par il. Boisselot, qui semble faire revivre les épiques
traditions du vieux Palais-Royal. MM. Hamilton, Gorby, Francès,
jy[mcs Berthe Legrand, Aimée Samuel et Derville forment un cadre très
discret.
Paul-Émile Chevalier.
Vaudeville. Bébé, comédie en trois actes d'Emile de Na jac et Al fred Hennequin ;
1807, comédie en un acte de MM. Aderer et Ephraïm.
Bébé, qui fut un des plus grands succès du Gymnase, est déjà majeur
— son acte de naissance date en effet de 1877 — mais il a à peine vieilli,
et ses bonnes scènes ont produit à la reprise le même effet qu'à la pre-
mière. On a ri au Vaudeville comme jadis au Gymnase, pendant tout
le deuxième acte, qui est le meilleur, et la scène inénarrable dans la-
quelle on répète les articles du code en les chantant sur des airs d'o-
pérette a de nouveau provoqué un rire inextinguible. Il est vrai que la
distribution du Vaudeville ne laisse rien à désirer : M'"'= Daynes-Gras-
sot et MM. Gildés, Tarride et Baron fils, les principaux interprètes,
encadrent un ensemble presque parfait.
La soirée a commencé par une reprise de 1807. Cet agréable marivau-
dage, transplanté en plein premier Empire, a trouvé une bonne inter-
prétation et une mise en scène qui a du ravir les amateurs du mobilier,
des uniformes et des costumes de l'époque. O. Bn.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXXVI
UNE EXPOSITION MUSICALE
à Madame Victoria Fantin-Latour.
— Vos fleurs de rhétorique m'ont inspiré cette conclusion que notre
âge compliqué préfère l'expression vibrante à la forme sans tache :
n'est-ce pas en désaccord avec cette résurrection de la musique absolue,
de la musique pure, dont nous voulions être les prophètes en notre
pays, avec cette apparence de réaction classique, dont la vogue nou-
velle de Mozart serait le signe le plus certain?
— Mozart, parfaitement; mais pas Mendelssohn! Mozart, la poésie
vivante et le poète impeccable! Il n'y a point contradiction dans les
termes. Au demeurant, pure ou fiévreuse, qu'elle sympathise, â nos
grands concerts, avec l'histoire de la symphonie, ou qu'elle interroge
l'évolution du quatuor et do la sonate aux vendredis soirs de la Nouvelle
Société philharmonique et de la Scliola canlorum, cette renaissance musi-
It) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 22 et 29 septembre,
des 13, 20 et 27 octobre, des 3, 10, 17 et 24 novembre, des 1", 8 et 15 décembre 1901.
LE MÉNESTREL
403
cale est un fait. La tradition du Beau n'est plus un leit-motiv de raille-
ries faciles. On écoute Haydn et Bach; que dis-je? On les découvre...
Et Schubert, et Schumann, les romantiques héritiers de Mozart! Ina-
chevée ou fort inégale, telle de leurs symphonies nous enchante. Et
ceux qui crient bis pour les doctes envolées d'un César Franck ou les
suites d'orchestre passionnées d'un Lalo ne manquent jamais d'applau-
dir cette /'" Symphonie de Robert Schumann, cette Symphonie du Prin-
temps (bravo pour le surnom), mais d'un printemps sentimental et pres-
que triste, où le larghetto songeur â 3/8 en mi bémol a tant d'expression
contenue que les amoureux d'art et d'amour pourraient le définir poé-
tiquement : « mélancolique comme le bonheur... » Voilà l'inquiétude
avant-courrièi'e de nos troubles, et délicieuse en vérité, que ne saurait
nous proposer le Mendelssohn même parfait de la Grotte de Fingal :
jamais l'arabesque de son paysage orchestral n'aura de ces reflets qui
semblent des échos d e nos propres âmes. Schumann, dans sa compa-
raison, voyait juste...
. — Et vous, monsieur le documenté, qui, moins sentimental, esquis-
siez l'autre soir la monogi'aphie du triangle, oyez sa note babillarde à
travers l'essor du premier temps. Et cet emploi des trombones, que les
pédants proscrivent dans la symphonie, en dépit de Beethoven...
— Aussi bien les pédants de toutes les époques (j'en sais qui sont
d'hier et qui sont d'aujourd'hui) traitent-ils le pauvre Schumann de
« décadent » et loi recommandent, avec un historien de la musique (!),
de vouloir bien « allumer sa lanterne... »
— Je préfère la belle prophétie du baron Ernouf et de la Revue con-
temporaine de 1863, que nos programmes dominicaux invoquent souvent
sans les nommer : « Le succès des œuvres de Schumann nous parait inévi-
table; mais il peut être lent encore à se généraliser... Le propre des génies
vraiment originaux est de demeurer longtemps incompris... Schumann est
du nombre de ces talents qui, n'ayant fait aucune concession aux caprices
épMmères de la mode, en sont récompensés par une estime plus grande de
la postérité et rajeunissent au lieu de vieillir. »
— Ainsi soit-il! Et voilà de la saine critique! La vraie critique se
nourrit d'admiration. Or voici, justement, deux preuves de notre dire
au sujet de « l'illustre et malheureux maître de Zwickau ». Je viens de
recevoir une exquise et savante plaquette : La Vraie Marguebite et l'in-
terprétation musicale de l'Ame féminine d'après le « Faust » de Gœthe,
« vérité et poésie » comme dirait Gœthe, Wahrheit und Dichtung : vous
connaissez toutes ces pages, moins quelques-unes qui sont inédites;
c'est un « extrait » de notre journal, où le schumannien délicat qui
signe Amédée Boutarel rend justice au Faust du maître-compositeur
dont il a scrupuleusement traduit les Scènes familières ou célestes, tou-
jours profondes. Et l'immortelle Gretchen brille sur ce vrai « drame
musical » qui trouve enfin des pensées d'élite pour le comprendre. Mais
il est une autre âme schumannienne entre toutes et qui vient de consentir
à grouper l'idéal concret de ses rêves en une trop modeste exposition
de la rue Laffitte...
— Vous l'avez nommée, vous l'avez trahie : cette âme signe ici-bas
Fantin-Latour.
— J'avoue mon indiscrétion. Mais vous ne regTetterez pas votre visite
à l'ensemble de ses dessins originaux, chez Templaere, au milieu de la
vieille rue qui reste un musée malgré les menaces des architectes...
Permettez-moi cette citation, c'est mon tour : « L'auteur est ici lui-
môme, c'est-à-dire le romantique, épris souvent de mystère et de surna-
turel. De plus, l'accord de sa nature avec le sujet fait qu'il a réussi à
écrire un morceau qu'on peut à bon droit appeler classique... »
— Quel est l'Oiseau rare de la critique qui conseille ainsi nos petits
Siegfried ?
— Ne riez point. C'est Félix Weingartner parlant de Robert Schu-
mann. Mais il y a, dans la nature et dans l'art, de telles affinités que
le jugement qui s'applique à l'Ouverture de Manfred définit aussi nette-
ment la sensibilité d'un peintre traduisant aux yeux ce que lui dit la
musique. Vous savez apprécier sa « musique peinte » et ses « lithogra-
phies musicales » : or, vos regards saisiront d'emblée, sur le vif, la
parenté singulière entre ses dessins, qui sont des tableaux privés de
couleur, et ses lithographies, qui ne sont que des dessins tirés à plu-
sieurs exemplaires. Dessins et lithographies de Fantin-Latour sont des
« esquisses de peintre » ou des répliques châtiées de ses imaginations
favorites. Les uns et les autres composent un œuvre parallèle â l'œuvre
du peintre. Par son procédé môme de report lithographique, toute litlio-
graphie est d'abord un dessin crayonné sur le papier végétal : et quand
le dessin se trouve e.xcellent, l'artiste le sauve au lieu de l'évaporer sur
la pierre. Ce détail technique était urgent pour comprendre la signifi-
cation de ces dessins originaux et leur facture très spéciale. A eux seuls,
ils expriment les phases d'une belle vie courageuse et la carrière d'un
coloriste, partagé toujours entre le songe mélodieux et l'intimité. Leur
clair-obscur illumine la psychologie d'un peintre : la musique est dans
son art ce que l'amour est dans la vie des poètes. En la moindre variante
du dessinateur comme dans le moindre lied de son musicien de prédilec-
tion, vous retrouvez
L'accord d'un grand talent et d'wn beau caractère...
— Passionné de Schumann, j'irai voir les dessins de Fantin-Latour.
(A suivre.) Raymond Bouter.
LE TOUR DE FRANCE EN MUSIQUE
(Suite.)
X-ie "Vlir£»,ra.ls et le "VelEiy
I
LES CHANTS POPULAIRES DU VIVARAIS
Le Vivarais, auquel étaient liées les destinées du Velay, appartenait
autrefois au Languedoc. Mais tant d'affinités unissaient ces pays au
Lyonnais, sous beaucoup de rapports, et notamment au point de vue
musical, que nous n'hésitons pas, quoique nous écartant de plus en
plus de notre itinéraire primitif, à leur donner place à cet endroit.
Le Vivarais a eu la bonne fortune de trouver son historien musical,
désigné entre tous, en la personne d'un de ses enfants, M. Vincent
d'Indy. Chargé par le comité de l'Ardéche pour l'Exposition de 1900 de
publier un recueil des chants populaires du pays d'origine de ce dépar-
tement, l'auteur de Fervaal s'est acquitté de sa tâche avec une dévo-
tion toute filiale, au service de laquelle il ne dédaigna point de mettre
sa haute autorité en la matière (1).
Il serait à souhaiter que toutes nos provinces aient eu pareille au-
baine. Il en résulterait une histoire de la musique nationale comme
aucun pays n'en possède. En attendant, contentons-nous du Vivarais,
modèle du genre.
Après quelques considérations sur la conception poétique et musi-
cale « qui est le fond de notre chant populaire » en France, « avec, par-
fois, de radicales modifications, suivant les milieux dans lesquels elle est
transportée », et quelques indications sur les chants particuliers au
Vivarais, lesquels, contrairement à la règle traditionnelle, affectent peu
franchement le mode majeur, l'auteur, entre d'emblée dans son sujet
par une série de Chamons de Mai.
Ces Chansons de Mai sont, à vrai dire, des Chansons de quête, débitées,
le dernier soir d'avril, par des entants, et même par des jeunes gens et
des jeunes filles, qui vont de porte en porte recueillir des dons en
nature, victuailles modestes destinées aux repas qui suivront la prome-
nade de la « Mayo » , ou reine de Mai, et la.plantation du Mai. Quelques-mies
de ces pièces, toutes d'un type musical unique, seraient dignes, en rai-
son de leur poésie, de prendre place, comme Nom entrons dans ce joli
mois, et surtout le Rossignolel du bois, parmi les chansons d'amour. Les
autres se bornent â l'exposé de leur objet : Mettes ta main dans la cor-
beille aux fromages; De cliaque main un petit fromage, — Mettes la main à
la poche; De chaque main un sou ou deux, — avec la salutation ou la ma-
lédiction finale, suivant la générosité des donatem's.
Aux Chansons de Mai succèdent les Chansons anecdotiques et satyriques,
dont la plus intéressante est la Complainte de la Pernette. C'est l'une des
plus vieilles chansons de France, une chanson romane, dont on ne
constate l'existence que dans certaines régions de l'Est, depuis la
Franche-Comté jusqu'à la Provence, en passant par le Forez, le Velay,
le Vivarais et le Dauphiné. Le plateau central peut, selon M. d'Indy,
se glorifier de lui avoir donné le jour, et c'est dans le Vivarais qu'on en
trouve la version primitive, pure de tout alliage. On y découvre, par
superposition, des formules de l'ancienne liturgie catholique, et les
pensées qu'elle exprime sont d'une naïveté tout originelle. Il n'est pas
un Ardéchois dont le cœur ne tressaille en entendant :
La Pernèto se lévo,
Tra la la la la la la la la la,
La Pernèto se lèvo
Tréis ouras d'avan dzou.
Fialan sa coulougneto,
Tra la la la la la la la la la,
Fialan sa coulougneto
Amai soun péti tou,
Tsasqué tou que n'en viro,
Tra la la la la la la la la la,
Tsasqué tour que n'en viro,
Faï un sospir d'amou.
La Pernette se lève,
Tra la la la la la la la la la,
La Pernette se lève
Trois iieur's avant le jour.
Prenant sa quenouillelte,
Ti-a la la la la la la la la la.
Prenant sa quenouillette,
Avec son petit tour,
A chaque tour qui vire,
Tra la la la la la la la la la ;
A chaque tour qui vire,
Fait un soupir d'amour.
(1) Ctiansons populaires du Vioamis, par Vjn'Cest d'Indï.
Par
A. Durand et llls
404
LE MÉNESTREL
Sa mère s'iuquiète : Pernette, qu'aves-vous?... Aves-vous mal de léte?...
Je n'ai pas mal de tête, mais bien le mal d'amour... Ne pleure pas, Pernette:
nous te marierons avec le fils d'un prince, ou l'aine d'un baron. — Je n'en
veux pas, d'un prince, ni du fils d'un baron; je veux mon ami Pierre, qui
est dans la prison.
Ce parti n'est pas fait pour contenter la mère de la Pernèto : — Tu
n'auras pas ton Pierre, nous le pendolerons, lui dit-elle, en courroux.
Alors, la fille, en pleurs :
— Si vous pendoulès Piéro, pendoulés nous tau dàous... Au tçami dé Siin
Pièro (au chemin de Saint-Pierre) eintérés nous toudôous... Couvres Pièro
de rosas, E mé de toute flous (de toutes fleurs) ;... Au mitan de la piiro,
plantarés ouna erôous (au milieu de la pierre, plantez une croix).
E lous passans que pâssan,
Tra la la la la la la la la la,
E lous passans que passan
S'y mettran à dgénous,
Disan : — Que Diéou pardonne,
Tra la la la la la la la la la,
Disan : — Que Diéou pardonne
Lous pàoures amoôourous.
Les Chansons satyriques, qui viennent après, se rapportent générale-
ment à des bergères, échappant par des moyens peu délicats, mais
honorables pour leur pudeur, au moine, au « monsieur », au chasseur,
ou s'abandonnant sans mystère au fils du seigneur, au beau capitaine
ou au soldat de Champagne, tout en gardant la fleur de leur âme pour
le doux berger, compagnon de leur enfance.
Celui-ci a aussi son répertoire, et du mélange de ces deux cœurs
naïfs est née la pastourelle, qui a sa véritable patrie dans la région
méridionale au miheu de laquelle se creuse la vallée du Rhône. La
pastourelle, traînante et rêveuse, convient merveilleusement à l'état
d'esprit dans lequel se laissent bercer les petits pâtres abandonnés à la
seule compagnie de leurs moutons, depuis l'aube jusqu'au crépuscule.
La pastourelle, c'est la brise qui passe, c'est le grillon qui chante, c'est
Yarzies, le feu-follet, qui danse. « Que de fois, dans les montagnes de
l'Ardéche, écrit M. d'Indy, ne me suis-je pas arrêté pour écouter ces
voix d'enfants, lentes et mélancoliques, soutenant longuement les sons
aigus et les notes finales de leurs agrestes mélodies, aux intonations
étranges, dont la fantaisie du chanteur modifie le rythme à l'infini. »
N'y a rien de si charmant que la bergère aux champs, chante le berger,
et sans cesse il lui débite le doux cantique d'amour: Les moutons vivent
d'herbe, les papillons, de fleu?'s,... les bergers, d'amour... Toujours heu-
reux, d'ailleurs, dans ses bonnes fortunes, le berger ! C'est Lisette, dont
les chants l'emmènent toujours dedans le vert feuillage... C'est Jeanneton,
gardant ses moutons dans la prairie, dans la plaine jolie, qui l'entraine
au cabaret, où elle se fait servir bouteille de vin blanc, pour elle et son
amant... Catherine, Marguerite ne sont pas plus rebelles. A en ci-oire la
chanson, le berger vauvarin coule des jours tissés d'or et de soie rose.
Mais il faut en rabattre, témoin cette pastourelle : La belle, si tu me dé-
laisses, cri d'un cœur ulcéré :
La belle, si tu me délaisses,
Je m'en irai servir le roi,
Je m'en irai servir Philippe,
J'en trouverai d'aussi belles que toi !
J'ai tant pleuré, versé de larmes,
Que les ruisseaux sont débordés :
Petits ruisseaux, grandes rivières,
Tous les moulins se son t mis à grand tra
Cette chanson, « d'une nature quasi épique et dont la musique ren-
ferme une expression tonale et harmonique vraiment particulière et
spécialement touchante », est presque une chanson de soldat. Elle
remonte, comme l'indique le premier couplet, au début du XVIIP siè-
cle, puisqu'il y est assez clairement question de la dernière guerre du
régne de Louis XIV pour la succession d'Espagne.
D'autres chants suivront, ceux-là tout à fait militaires, divisés en
trois groupes, dont le sujet se rapporte, de près ou de loin, à la vie du
soldat.
Ce sera d'abord l'histoire de la fille enrôlée ; en second lieu, le départ
pour le régiment et le retour au pays; enfin, les simples Chansons de
conscrits ou Chansons de marche.
Nous allons les passer en revue rapidement.
(A suiwe.) Edmond Nkukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — Le parallèle entre les symphonies de compositeurs
français et allemands que M. Colonne a entrepris depuis le début de la saison
a pour la première fois mis en rapport deux maîtres entre lesquels une cer-
taine pareuté artistique n'est pas méconnaissable. Edouard Lalu était un
délicat et un romantique comme Robert Schumann, son aine, et, malgré l'inter-
valle de plus de quarante années qui sépare les deux œuvres, l'afEnité entre
les deux artistes perce en maints passages de leurs symphonies. Elle eût
certainement été plus frappante encore si l'on avait opposé à la symphonie
de Lalo, l'œuvre de maturité d'un artiste en plein épanouissement de son
talent, non la symphonie en s; bémol de Schumann. mais une de ses trois
dernières, où l'inexpérience n'entrave plus l'essor de l'inspiration. Le largliello
de l'œuvre de Schumann, par exemple, si frais et éthéré qu'il soit, parait un
peu étriqué en comparaison de l'adagio de la symphonie de Lalo, dont l'élé-
vation de sentiment, l'ampleur des phrases et la facture captivante ont trans-
porté l'auditoire. Si tel fut le destin de Lalo de rester, avec sa belle symphonie
et son superbe Boi d'Ys l'homme tmius operis, il lui fut, par contre, donné de
conquérir dans l'histoire de la musique une place que maint compositeur de
musique à succès de son époque n'occupe pas, malgré un bagage artistique
bien plus encombrant. — Des applaudissements mérités sont allés à M. Risler
après le concerto en ut mineur de Mozart. Dans son interprétation, le musi-
cien a fait oublier le virtuose: c'est tout dire. La fine cadence de M. Reynaldo
Hahn, intercalée dans l'allégretto, y a fait bonne figure. — M. Risler a ensuite
joué avec le même talent, mais avec un succès moindre, un « poème sympho-
nique » inédit pour piano et orchestre de M. Gabriel Pierné. C'est une fleur
cryptogame de la musique dite « à programme », car sans notre ami
Charles Malherbe, l'excellent guide patenté des concerts Colonne, on ne sau-
rait pas que le poème symphonique de M. Pierné s'est inspiré de la belle
strophe qui figure dans les Chants du Crépuscule de Victor Hugo, et qui se
termine par ces vers :
Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Dans l'illustration musicale de cette strophe, le piano assume pour ainsi
dire un rôle de récitant sans qu'on puisse deviner quelles tristesses il nous
raconte; vers la Eu, l'orchestre entre vigoureusement en action et le Gloria
guerrier, entonné par les trompettes et souligné par quelques coups de canon
à la cantonade, devient intelligible, voire entraînant. La nouvelle œuvre,
qui ne dément pas pourtant le talent de son auteur, n'a pas trouvé un
accueil bien encourageant; elle a d'ailleurs été cruellement écrasée par une
page qui s'inspire également de la mort d'un héros : par la marche funèbre
du Crépuscule des Dieux. La loi des contrastes a sa raison d'être, même et sur-
tout dans la composition des programmes de concert. 0. Berggruen.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en la de Beethoven fut exécutée
pour la première fois le 8 décembre 1813, au bénéfice des blessés invalides
de la bataille de Hanau. Salieri, Spohr, Hummel, Mayseder et d'autres
notabilités s'étaient enrôlés dans l'orchestre pour participer à l'œuvre pa-
triotique. Beetlioven conduisait. L'ouvrage nouveau fut hautement acclamé.
Le second morceau était qualifié andanle; si le nom a changé, le mou-
vement et le caractère sont restés les mêmes : ce n'est pas là un alkgrelto.
L'orchestre de M. Chevillard en a soigné particulièrement la sonorité ; les
nuances douces ont été délicieuses. L'introduction du premier morceau a
conservé une raideur fâcheuse et la transition au six-huil a été manquée.
Certains chefs amènent avec un balancement exquis ce changement rythmi-
que. Le finale s'est déroulé avec une verve entraînante, surtout la péroraison,
écrite dans la forme d'une sorte de cadence colossale, formant un impétueux
crescendo. Cet effet, magistralement rendu, a électrisé l'assistance. D'un style
moins avancé que la symphonie, le concerto pour piano, violon et violon-
celle était intéressant surtout à cause de la rareté des exécutions qu'on lui
accorde. Ecrit en 1804-1803, il manque un peu de chaleur et de vibration;
le plan musical — deux morceaux très développés réunis par un largo de
quelques mesures seulement — n'en est pas extraordinairement séduisant.
Néanmoins, cette composition reste digne de Beethoven. M"" Thérèse Chai-
gneau a joué avec élégance la partie de piano. MM. Hugo Heermann et Hugo
Becker complétaient le trio instrumental. Chacun d'eux s'est fait entendre
ensuite séparément. M. Heermann peut trouver des rivau.x en ce qui con-
cerne l'ampleur du son, mais il reste parmi les plus grands artistes si l'on
envisage la pureté du jeu et du style, l'aisance de l'attaque, la justesse, l'ex-
cellence du phrasé, la sincérité de l'interprétation et la netteté absolue des
traits, même quand ils se prolongent en arabesques. Il a exécuté deux pièces
de Schumann qu'il ne faut pas chercher parmi les œuvres originales; ce sont
des arrangements qui portent pour titres : Mélodie du jardin et Au bord d'une
source. M. Becker avait choisi le concerto pour violoncelle de Saint-Saëns. Il
paraît posséder à fond la technique de son instrument aussi bien quand il
s'agit de chanter avec une belle qualité de son que dans les passages de vélo-
cité, toujours scabreux et sans grâce si l'exécutant n'est pas de premier
ordre. Le succès des deux virtuoses a été grand et légitime. Quoi encore ?
Un prélude religieux de Paul Lacombe, sans qualités bien saillantes.
AMlioÉE BOUTAREL.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Conservatoire : Relâche.
Châtelet, concert Colonne. — Symphonie en sol mineur (Lalo). — Concerto en sol
majeur (Beethoven), par M. Risler. — Mort de Brunnhilde du Crépuscule des Dicu.%
(Wagner), par M°" Adiny. — a) Poème symplionique (Pierné); b) Largo, tiré de la Sonate
op. 7 (Beethoven); c) Polonaise en mi majeur (Liszt), exécutés par M. Risler. — Ouverture
des Barbares (Saint-Saëns).
Nouveau-Théâtre, concert Liimoureux : 8" Symphonie, en fii (Beethoven). — 2» tableau
du Clianl de lu Cloche (V. d'Indy), chanté par M. Jean David et M"" de La Rouvière. —
Irlande (Holmes. — a) Chant élégiaque (Beethoven); bj Madrigal (G. Fauré), chantés par
M»- de La Rouvière et de La Mare, MM. Jean David et Gébelin. — Siegfried-Idgll
(Wagner). — Marche hongroise de la Damnation de Faust (Berlioz).
LE MÉNESTREL
405
NOUVELLES DIVET^SES
ÉTRANGER
Le conseil municipal de Milan vient d'organiser un référendum sur la
question de la subvention à accorder au théâtre de la Scala. Plus de
18.000 électeurs ont pris part au vote, plus de 11.000 ont voté contre. On croit
donc que la Scala restera fermée, car aucun imprésario ne risquera la partie
sans une subvention suffisante.
— En attendant, si elle a lieu, l'ouverture de la saison d'hiver à la
Scala, le théâtre Dal Verme inaugurera une grande et longue saison d'o-
péra et ballet, au cours de laquelle il donnera, avec Gioconda, le Barbier de
Séoiile, Faust et / Lombardi, deux opéras nouveaux : la Fala in prigionia, de
M. Rudolphe-Auguste Thomas, et il Natale, de M. Arturo Cadore. Le sujet
de la Fala in prigionia (la Fée prisonnière) est tirée d'une poésie allemande
traduite envers italiens par M. G. Macchi. Le livret et la musique sont l'œu-
vre de M. Rudolphe-Auguste Thomas, qui depuis trente-cinq ans est établi à
Milan, où il est très connu dans le commerce. Fils d'un musicien alle-
mand distingué qui, dégoûté des choses du théâtre, voulut en détourner son
fils, celui-ci fut par lui poussé dans le commerce, avec défense expresse de
s'occuper de musique. Le jeune homme dut donc faire en secret son éduca-
tion musicale, et, l'atavisme étant plus fort que tout, le voici aujourd'hui
décidé à .aborder la scène. La troupe du Dal Verme est ainsi composée :
Mmes Maria Alexandrovich, Emma Longhi, Paolina Moretti, Marta Morini,
Isabella Paoli, Maria Svetadé, Clotilde Verdi ; MM. Alfredo Gecchi, Nicolas
De Lewischi, Antonio Drovetto, Vittorio Formentin, Eugenio Grossi, Fran-
cesco Nicoletti, Nuuzio Rupisardi, Francesco Spangher.
— Reliefs du centenaire manqué de Bellini. Nous lisons dans le Mo)ido
artistico : a On conserve à l'Académie Sainte-Cécile, à Rome, une importante
relique de Bellini. C'est le masque qui a été pris sur son cadavre, le même
qui a servi au sculpteur Tassara, lequel l'a donné ensuite au professeur Bran-
zoli, qui lui-même l'a passé à l'Académie de Sainte-Cécile. Ce masque fut
pris sur le corps trente ans après la mort : la conservation en est pourtant
merveilleuse. On y remarque bien çà et là la trace de quelques boutons cada-
vériques, mais rien autre ne déforme le noble profil du grand disparu. L'Aca-
démie de Sainte-Cécile conserve aussi une vieille estampe : le portrait de la
Fumaroli, l'amie de Bellini, qu'il voulait et ne put épouser. Enfin, l'Académie
conserve encore le manuscrit original de la partition à orchestre de la. Norma,
acquis par l'Etat de ce Lanari qui était l'imprésario de la Scala lors de la
première représentation de la Norma à Milan en 18.31. Beaucoup de pages de
ce manuscrit, qui est en grand format d'album, ont été photographiées.
L'éditeur Ricordi publiera prochainement le livre de Giorgio Barini qui
contiendra toutes ces reproductions photographiques de musique, de lettres
et d'autres curiosités touchant l'insigne Catanais. »
— D'autre part, un autre journal, il Resta del Carlino, annonce la prochaine
publication sous ce titre : L'IdilUo di Casalbuttano, de toute une série de
lettres de Bellini adressées à la signora Giuditta Turini.
— Les hommages à Verdi continuent. Tandis que le concours ouvert à
Ferrare pour un buste du maître à placer dans le théâtre Communal a fait
décerner le prix à M. Gaetano Galvani, à Gagliari on vient d'inaugurer en
grande pompe sa statue, due au sculpteur Giuseppe Boero, qui a été placée
au milieu des fleurs, dans un vaste jardin situé prés de la gare.
— Bien que depuis quelques années les affaires théâtrales soient loin
d'être florissantes en Italie, on songe, dans un grand nombre de villes, à éle-
ver de nouveaux théâtres. Entre autres, à Vérone, il serait question de cons-
truire une salle de spectacle sur l'adorable piazza délie Erbe, si originale et si
caractéristique. Détruire l'harmonie exquise de cette place serait simplement
un acte de vandalisme, auquel il faut espérer qu'on ne donnera pas de suite.
Pourquoi, pendant qu'on y est, ne songerait-on pas aussi à la piazza Dante?
Ce ne serait pas plus criminel.
— Une conversation avec M. Siegfried Wagner, publiée par un journal
berlinois, a provoqué une communication ofBcielle fort intéressante que nous
trouvons dans un journal de Munich. On apprend qu'après la mort du roi
Louis II, qui avait rendu Parsifal à Richard Wagner, les héritiers du maître
ont passé avec le ministre MuUer, représentant de la maison royale de Ba-
vière, un contrat en vertu duquel l'Opéra Royal de Munich acquiert le droit
de jouer Parsifal à partir de l'année 1911, tandis que l'œuvre ne tombera dans
le domaine public qu'en 1913. L'Opéra de Munich compte faire usage de ce
droit et pourra jouer ainsi Parsifal au Théâtre du Prince-Régent deux ans
avant toutes les autres scènes.
— M. Paderewski, dont l'opéra de Manru a déjà conquis la plupart des
scènes lyriques d'outre-Rhin, va sans doute être » boycotté » en Allemagne.
Il vient de donner un concert à Posen et en a versé la recette considérable à
la caisse destinée à soulager les condamnés polonais du fameux procès poli-
tique de Wreschen. Les journaux prussiens ouvrent déjà une campagne
contre lui et demandent qu'on se souvienne de sa « démonstration anti-
prussienne » quand il se. produira dans le pays comme artiste. Heureu-
sement, M. Paderewski peut se passer de jouer eu Allemagne, voire d'y
être joué. L'affaire de Wreschen a eu encore une autre conséquence inat-
tendue. Le ténor Rothmiihl et M"" Lewinsky, de l'Opéra de Berlin, qui
devaient chanter le duo de la Valkyrie en langue allemande à un concert de
la Société philharmonique de Varsovie, ont été avisés otïiciellemeat que la
police de cette ville avait supprimé ce numéro pour éviter les troubles que
les paroles allemandes pourraient provoquer parmi les Polonais en suite de
l'affaire de Wreschen.
— Il s'est formé à Vienne une société qui organisera des soirées musicales
en l'honneur de Franz Schubert. Les œuvres du maitre seront seules admises
aux programmes de ces concerts. Les conférenciers traiteront de sa vie et de
son œuvre. Ces soirées musicales s'appelleront Schubertiades, comme jadis les
réunions des amis de Schubert pendant lesquelles le jeune artiste faisait
entendre ses compositions.
— L'ouverture de Phèdre, de Massenet, vient d'être exécutée pour la pre-
mière fois à Vienne. Excellemment jouée par l'orchestre philharmonique
sous la direction de M. Hellmesberger, l'œuvre de jeunesse du maitre a rem-
porté un grand succès.
— La collection de tableaux du défunt compositeur Godefroy de Preyer,
de Vienne, vient d'être vendue en bloc au sénateur Clark, de Washington.
Plusieurs belles pages de Rubens, de Van Dyck et du Titien quittent ainsi
l'Europe et il n'est pas probable qu'elles y reviennent jamais. Le prix de la
collection, petite mais choisie, est fort élevé; l'amateur américain l'a payée
1. 600.000 francs.
— La photographie forcée. Avis aux comédiens récalcitrants devant l'ob-
jectif. C'est de Berlin qu'on annonce le conflit original qui vient de se pro-
duire entre la direction du Lessingtheater et un de ses acteurs les plus aimés
du public, M. Franz Schœnfeld. Cet artiste ayant refusé de se laisser photo-
graphier pour un journal illustré, le directeur lui a infligé une amende de
vingt marks. C'est contre cette ingérence dans le droit de disposer librement
de sa personne que M. Schœnfeld a réagi. Il a intenté un procès à son direc-
teur en restitution des vingt marks d'amende et en reconnaissance du droit
de poser devant un appareil photographique quand bon lui semble. Dans le
monde artistique on s'intéresse énormément à cette question de photographie
laïque, gratuite et obligatoire.
— On sait quelle place énorme les musiciens allemands ont occupée en
Angleterre depuis Haendel jusqu'à nos jours, etcombieu est grand le nombre
de virtuoses et chanteurs allemands qui ont pris racine en ce pays. Or, les
artistes anglais viennent de prendre en Allemagne une revanche inattendue :
un jeune ténor, M. John Coates, vient de débuter à l'Opéra de Cologne et a
chanté en allemand Lohengrin et Roméo et Juliette avec un succès sans pareil.
Il parait que Bayreuth le guette déjà et lui a fait des propositions pour les pro-
chaines représentations.
— L'Opéra allemand de Prague a joué avec succès un opéra intitulé la Nuit
de noces de Bira, musique de M. Bogoumile Zepler. — D'autre part, un opéra
intitulé Manfrei, paroles et musique de M. Hans de Bronsart, vient d'être
joué avec beaucoup de succès à l'Opéra grand-ducal de Weimar. — Enfin,
le théâtre de Salzbourg a joué, toujours avec succès, un ballet inédit intitulé
Entre deum feux, scénario de M. Eugène Brûll, musique de M. Joseph Bayer.
Le compositeur, qui a dirigé en personne la première, a été fêté par le public.
— Le grand-duc de Hesse a félicité le vieux compositeur WendelinWeiss-
heimer, ancien ami de Richard Wagner, à l'occasion de la récente représen-
tation de son opéra Maitre Martin et ses compagnons. Cet acte de politesse a
soulevé une tempête d'indignation contre le grand-duc parmi les conserva-
teurs d'Allemagne, car M. Weissheimer a mis récemment en musique un
hymne chanté au dernier congrès des socialistes allemands.
— Un opéra intitulé le Veilleur de nuit, musique de M. Meyer-Stolzenau,
vient d'élre joué avec succès au théâtre de Kœnigsberg (Prusse).
— La première représentation du Cré^uscw/e rfesi)i>iM; de Wagner coïncidera
en quelque sorte, à la Monnaie de Bruxelles, avec celle de Siegfried à l'Opéra,
mais elle promet d'être plus longue. Voici la note que publie à ce sujet un
journal de Bruxelles: — «La représentation du Cré^«scufed6'sfliew:c commencera
à 6 heures précises. Le premier acte finira à 7 heures 36. Il y aura, tout au
moins à la première, un entr'acte d'une heure. Le deuxième commencera à
9 heures, pour finir à 10 heures; entr'acte d'une demi-heure; le troisième
acte commencera à 10 heures 30 pour finir à 11 heures 43. ■> Et le directeur
du buffet du théâtre annonce alors qu'on y pourra dîner entre les deux pre-
miers actes, en priant les amateurs de retenir leurs tables s'ils veulent s'en
assurer. On se croira à Bayreuth, quoi !
— De notre correspondant de Genève : Mouvement du théâtre. Werther, de
même que Mignon et Carmen, a ou la bonne fortune d'être interprété par
M'" Cécile Ketten, chanteuse impeccable et comédienne assez souple pour
s'identifier tour à tour avec Charlotte, avec la Carmencita, avec la poétique
héroïne de Gœthe et d'Ambroise Thomas. Très belles représentations aussi
de Lakmé, puis d'Hamlet, avec, dans le principal rôle, M. Huguet d'abord,
M. Simon du grand théâtre de Lyon, ensuite. Hérodiade, jouée d'une façon
supérieure, a dû quitter momentanément l'atBche par suite d'une indisposi-
tion de M"= Marcillac, contralto. A l'étude, Thais et Sapho. Dans cette der-
nière, nous reverrons M'" Demours, qui créa le rôle à Genève, il y a deux
ans. Emile Delphin.
— Il a été question à diverses reprises de l'installation à Madrid d'une
troupe d'opéra français. Par suite de divers obstacles, le projet jusqu'ici n'a-
vait pu aboutir. Il a été repris récemment par deux directeurs français, et
l'on assure que cette fois il a été mené â bonne fin. On annonce même que
406
LE MENESTREL
les fonctions de directeur artistique sont confiées à M. Paravey, l'ancien
directeur de FOpéra-Comique, celles de chef d'orchestre à M. "Warnots, et
que plusieurs artistes sont déjà engagés, parmi lesquels M. Saléza et M"'' Pack-
iiers.
— M. Arthur Chappell, qui a fondé et dirigé à Londres les concerts popu-
laires du lundi, connus à Londres sous le nom de Monday Pops, vient de
prendre sa retraite après 33 ans d'exercice et après avoir donné 1.332 con-
eerts. Plusieurs artistes de grand renom : M"» Albani et Clara Butt et
M. Paderewski, ont donné au vienx directeur une marque d'aftection en
prêtant leur concours à son concert d'adieu. Un vétéran du premier concert,
le célèbre baryton Santley, assistait à cette dernière soirée, mais n'y chantait
pas. La liste des artistes que le public de Londres a pu entendre aux Monday
Pops contient presque tous les noms retentissants de la seconde moitié du
SIXi* siècle.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Un nouveau concours musical est ouvert par la ville de Paris entre
tous les musiciens français. La date en est fixée au 1" décembre 1903. Les
compositions devront réaliser une œuvre musicale de grandes proportions et
âe haut style avec soli, chœurs et orchestre, sous la forme symphonique
eu dramatique. Si l'œuvre couronnée est de forme symphonique. l'auteur
recevra un prix de 10.000 francs et son œuvre sera exécutée par les soins
de la Ville de Pai-is dans les douze mois qui suivront la décision du jury.
Les frais de cette exécution ne devront pas dépasser 20.000 francs, et le
directeur du concert, choisi par la 'Ville, sera tenu de donner une seconde
audition publique de l'œuvre couronnée. Si l'œuvre couronnée est composée
dans la forme dramatique, l'auteur sera libre de choisir le mode d'exécution
qui lui semblera préférable ; s'il fixe son choix sur une exécution dans un
concert, sans décors ni mise en scène, il recevra 10.000 francs et la ville se
chargera dans les mêmes conditions que ci-dessus de faire exécuter son
œuvre ; si, au contraire, il choisit une scène lyrique avec costumes et mise
en scène, il recevra un prix de 5.000 francs et il sera attribué, à forfait, une
somme de 2.5.000 francs au directeur de théâtre chargé de représenter l'œu-
vre. Outre la représentation spécialement réservée à la 'Ville de Paris, ce
directeur devra assurer un minimum de six représentations publiques. Le
jury du jugement sera présidé par le préfet de la Seine et composé de seize
membres, dont quatre élus par les concurrents et neuf par le Conseil muni-
cipal. La partition devra être complètement orchestrée et une réduction pour
piano et chant sera fournie en un cahier séparé. La dépense globale inscrite
de ce chef au budget de la Ville est de 42.000 francs. — On remarquera que,
pour la première fois, le programme de ce concours envisage non pas seule-
ment l'audition, mais la possibilité de la représentation dU'œuvre couronnée
et prend les mesures nécessaires à cet eh'et. C'est un progrès et un complément
très heureux, dont on ne peut que féliciter les organisateurs du concours.
— Jeudi dernier a eu lieu, au Conservatoire, la séance annuelle d'audition
des envois de Rome. Elle était entièrement consacrée à M. Omer Letorey
grand prix de 189b, dont on exécutait les œuvres suivantes : 1. Première
étude symphonique; 2. J/Été, chœur (poésie de Victor Hugo); 3. Requiem
pour soli, chœurs, orchestre et orgue (Requiem et Kyrie; — Domine Jesu Cliriste •
— Sanctus et Benedictus; — Agnvs; — In Paradisum); 4. Deuxième étude sym-
phonique. La musique de IVl. Letorey est sage: on la voudrait un peu moins
sage, car elle manque un peu trop de fantaisie, d'inattendu et de diable au
corps. C'est surtout par l'invention qu'elle pèche, et il semble que le compo-
siteur se contente trop facilement de la première idée qui se présente à lui
— quand il s'en présente. Sous ce rapport, sa première Étude symphonique
est bien vide, bien nulle et incolore, et le rythme du dessin des violons, ce
rythme si familier à Mendelssohn, ne sufEt pas à lui donner le mouvement
et la vie qui lui manquent. De l'Élé de Victor Hugo M. Letorey a fait une
sorte de scène lyrique à trois voix avec chœur, dont le sentiment mélodique
est assez heureux, bien que manquant de nouveauté. Du ReqiUem c'est le n",')
qui a produit sur le public la meilleure impression : le Sanctus, dit par le
soprano et le ténor, soutenus par des arpèges de harpes, est d'une assez jolie
couleur, et s'enchaîne avec le Benediclus, chœur vigoureux sous lequel l'orchestre
déploie toute sa puissance de sonorité; c'est cet effet purement physique qui
a fait demander le bis de ce morceau, auquel je préfère, pour ma part, la cou-
leur douce de VArfnus qui vient ensuite. Mais dans tout cela on cherche en
vain un peu de nouveauté dans l'idée, un peu d'imprévu dans la forme, un
peu de piquant dans l'instrumentation; tout est pâle, gris, tranquille, sans
nerf et sans vigueur, sans saveur et sans parfum. La seconde Étude sympho-
nique, qui terminait le programme, me semble préférable à la première, bien
qu'elle manque aussi de plan et d'assise; mais l'orchestre oUre du moins un
certain intérêt, et le désir mélodique n'est pas toujours sans résultat. Les soli
de l'Été et du Requiem ont été fort bien chantés par M. Daraux, M. Gaston
Dubois et la toujours bien disante M"^ Éléonore Blanc. A. P.
— On vient d'arrêter ainsi, au Conservatoire, les dates des examens semes-
triels :
Jeudi 26 décembre, à 9 h. 1/2 du matin, solfège linstrumenlistesi, dictée, tbéorie.
Vendredi 27, à 1 heure du soir, solfège ichanteursi, dictée, théorie.
Vendredi 3 janvier, à 9 h. 1/2, classes de MM. Rougnon, Scliwarlz, Kaiser, Cuignache,
Sujol, M"' Hardouin, M"" Renirt, Marcou, Roy, M"" Meyer, Lbôte, M"" Seveno du
Minil.
Samedi 4, à 1 heure, classes de MM. Vernaelde, Anzende, Mangin, M"' Vinot.
Mardi 7, h une heure, classes de MM. Emile Pessard, Taudon, Lavigiiac, Xavier Leroux,
Ghapuis, Samuel Rousseau.
Mercredi 8, à dix heures, classes de MM. Desjardiiis, Brun.
Jeudi 9, à t heure, classes de MM. Melchissédec, Lhérie.
Vendredi 10, à 1 heure, classes de MM. Viseur, Laforge, Loëb, Cros-Sainl-Ange.
Lundi 13, à 1 heure, classes de MM. Lenepveu, Widor, Fauré.
Mardi 14, à 1 lieure, classes de MM. Isnardon, Berlin.
Mercredi 15, à 1 heure, classe de M. Guilmant.
Jeudi 16, à 1 heure, classes de MM. Hassehnans, Falkenberg, M"" CUené, Tarpet,
Trouillebert.
Vendredi 17, à 1 heure, classes de MM. Lefort, Berthelier, Rémy, Nadaud.
Jtardi 21, à 1 heure, classes de MM. Jlasson, Vergnel, Auguez, de Martini.
Mercredi 22, à 1 lieure, classes de MM. Crosli, Warot, Duvernoy. Dubulle.
Vendredi 24, à 10 heures, classes de MM. Berr, Silvain, de Féraudy, Leloir.
Samedi 25, à 1 h. 1/2, classes de MM. Le Bargy, Paul Mounet.
Lundi 27, à 10 heures, classes de MM. Diémer, de Bériot, Delabordc, Alphonse Duver-
noy, Marmontel.
Mardi 28, à 1 heure, classe de M. Vidal.
Mercredi 29, à 1 heure, classes de MM. Taffanel, Gillet, Turban, Bourdeau.
Jeudi 30, à 1 heure, classes de MM. Brémond, Mellet, Franquin, Allard.
Vendredi 31, à 1 heure, classe de M. Lefebvre.
— Au Conservatoire, le docteur Poyet, le laryngoscope si connu des artis-
tes, vient d'être nommé médecin titulaire. Voilà en bonnes mains le gosier
de nos futurs Talmas et Malibrans.
— Et voici déjà M. Jean de Reszké indisposé! Et voici déjà le fier Siegfried
de l'Opéra remis à une « date ultérieure », comme disent les communiqués
de la direction. Ceci nous permet de revenir sur une interwiew avant la let-
tre, prise à M. Gailhard par un rédacteur du Matin. Le directeur nous raconte
toutes les merveilles de sa mise en scène, il insiste sur le dragon monstrueux
qui est « effrayant à voir », sur le « bruissement des feuilles dans la forêt,
truc inédit », et il en vient enfin à l'Oiseau. Ici, nous lui laissons la parole :
— Très ingénieux, mon oiseau; j'ai réalisé le problème du plus lourd que l'air (!). II
vole de ses propres ailes et se maintient dans l'espace sans le secours du moindre fil de
fer.
— Nous avons vu cela à Texposition des jouets.
— Comment, s'écrie M. Gailhard avec indignation, ils ont exposé mon oiseau; je le leur
avais pourtant bien défendu.
— C'est peut-être un autre, observons-nous par esprit de conciliation.
— Non, non, ce ne peut être que le mien!
Pauvre chéri, on lui a pris son petit n'oiseau 1 Pleure pas, va, t'en auras
un autre pour ton jour de l'an.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée :
Mireille; le soir, Grisélidis. — Spectacles de Noël : mardi soir (réveillon),
Louise; mercredi, en matinée Grisélidis, le soir Mignon; jeudi, en matinée
Haensel et Gretel et la Fille du régiment, le soir Lakmé et la Sœur de Jocrisse.
— Mardi dernier, salle Erard, M. Antonin Marmontel a fait entendre en
matinée les élèves de sa classe du Conservatoire. Plusieurs d'entre elles ont
fait preuve d'un sens artistique très développé ; toutes exécutent avec des
qualités de musiciennes. On s'aperçoit bien vite que dans ces œuvres de carac-
tère si différent, de Bach, Beethoven, "Weber, Schumann, Chopin, Liszt,
'Wagner, Saint-Saëns et Pierné, le professeur a su inculquer à l'élève quel-
que chose de sa connaissance approfondie des styles. Une jeune fille que je
nomme parce qu'elle a quitté la classe avec un premier prix. M"» Schniizer,
a joué avec beaucoup de brillant un Scherzo, écrit pour orchestre, dont la
réduction au piano n'a pu se faire sans laisser subsister des passages d'une
grande difficulté. L'ouvrage est d'une allure originale, d'une belle facture,
chaleureux et entraînant. L'auteur est M. Antonin Marmontel. An. B.
— La direction de l'Opéra vient d'arrêter les dates des quatre grands bals
de la saison. Le premier aura lieu le samedi H janvier, le deuxième, samedi
2S janvier, le troisième, samedi gras, 8 février, le quatrième et dernier,
jeudi (mi-caréme) 6 mars.
— De Lyon : Louise vient enfin d'être soumise aux suffrages du public lyon-
nais. L'œuvre de Charpentier, si vivante, si colorée, si habile comme facture,
si savoureuse par endroits, a obtenu un éclatant succès. M. Tournié ne doit
pas regretter sa tardive initiative. Il a d'ailleurs donné à Louise un cadre
superbe et n'a rien négligé pour la présenter sous le meilleur aspect; les
décors ont produit un effet considérable, surtout celui du panorama de Paris,
vraiment saisissant en raison des dimensions de la scène lyonnaise. L'in-
terprétation est de tout premier ordre: M"" Tournié (Louise), vive et spiri-
tuelle dans les scènes du premier acte, a rendu avec passion les parties
dramatiques de l'œuvre; dans l'air si poétique du quatrième tableau elle
s'est révélée artiste consommée, d'une grande sûreté vocale et d'un excel-
lent style. M. Leprestre est un Julien plein de fougue et d'ardeur, très en
possession de son rôle. M. Beyle a réalisé une superbe création du person-
nage du Père et a su trouver dans la scène finale des accents émouvants.
M"" Bressler-Gianoli joue avec sobriété le rôle de la Mère, dans lequel elle
fait apprécier ses solides qualités vocales et sa juste déclamation. Citons
encore M"'* de Camilli, Mativa, Daubray et Tissot, MM. Hyacinthe (le noc-
tambule), Azéma (le chillonnier), Germain, Seurin, Forest, etc. M. Miranne
a obtenu de son orchestre des nuances fouillées, une grande souple-ise d'exé-
cution, et de la part des chœurs des ensembles très remarquables. Eu
somme, réussite complète, rappels chaleureux, Louise va donner à M. Tournié
tous loisirs pour monter Grisélidis, qui nous est annoncée. J. Jemain.
— De Lyon : M. Julien Tiersot a donné une conférence sur les Chansons
Populaires dans laquelle il a interprété lui-même une partie du programme.
Il a obtenu un succès d'enthousiasme avec le Retour du marin, Pierre et sa mie,
LE MENESTREL
407
et surtout le Pauvre Laboureur. Les chanteurs de Saint-Gervais, dirigés par
M. Gh. Bordes, prêtaient leur concours au même concert et ont finement
détaillé plusieurs chœurs et rondes. Voici la Saint-Jean, C'est le Vent frivolanl,
etc., puis de nombreuses pièces religieuses ou profanes. Enfin, M"= Ediat a
chanté avec goût et esprit la Bergère aux chatnps. Voici la Noël. etc. —
MM. Albert et César Geloso ont donné une séance de violon et piano fort
réussie. Au programme^ sonates de Beethoven, César Franck, Schumann, et
diverses pièces en solo; les deux excellents artistes ont été très appréciés.
— On sait que la ville de Lille se prépare à inaugurer prochainement un
monument élevé à la mémoire de Desrousseaux, son célèbre chansonnier
populaire. La Semaine musicale de Lille publie à ce sujet la note suivante : —
« Les auteurs et compositeurs qui auraient l'intention de présenter des can-
tates destinées à être exécutées à l'inauguration du monument Desrousseaux
sont priés de vouloir bien les envoyer avant le 1""' février au comité chargé
de les examiner et dont le siège est au Conservatoire de musique de Lille.
Les cantates devront être complètement terminées et orchestrées, soit pour
harmonie, soit pour fanfare, et comporter des chœurs écrits au moins à trois
parties. »
— On axlonné au théâtre municipal de Brest, le 30 novembre, la première
représentation d'un drame lyrique inédit en deux actes, Frella, paroles de
M. Dussoules, musique de M. Skilmans.Get ouvrage a été fort bien accueilli.
— SomÉES ET Concerts. — Jolie séance musicale, organisée par M. A. Trojelli, à l'Insti-
tution Sainte-Croix de Neuilly. Les chœurs et l'orchestre placés sous l'habile direction de
l'excellent professeur-compositeur ont été fort applaudis surtout dans Aubade et Anda-
louse du Cid, de Massenet, gavotte de Mignon et chœur des gardes-chasse du Songe d'une
nuit d'été, d'Ambroise Thomas. On a fait fête à M. Duehesne dans la prière du Cid et te
Crucifix de Faure, chantés avec M. Lambert des CiUeuls, ei aussi à l'exécution de la
Légende de Saint-Nicolas de Périlhou. — A Asnières, grande soirée musicale organisée
par M. de Félicis; gros effet pour M"" Gilberte dans Tes yeux, d'Esteban-Marti, et M"' de
Saint-Martial dans te Nil de Xavier Leroux, accompagnée par le violoncelle de 51. Dupuis.
Jolie première représenlation d'un acte inédit de M. Jules Gondoin, musique d'Esteban
Marti, fa i<?co/î de chant. — Chez M. René Brun, et sous sa direction, audition très réussie
(TÈce de Massenet avec soli, chœurs et quatuor. Parmi les interprètes, il faut signaler
particulièrement MM. Debay, Letourneur, Chazal, Martin et Sabot, M"" Chazal, Baudouin
et Boutan. Hue mention toute spéciale doit être réservée à !\I"" Jeanne Richard, qui a
détaillé avec un art exquis le rôle, à la fois si délicat et si complexe, d'Eve. — Soirée bril-
lante entre les plus brillantes au Cercle des armées de terre et de mer à laquelle on a
particnlièrement applaudi la charmante harpiste M"' Achard dans Source Capricieuse de
L. Filliaux-Tiger, M"" Lormont, très sympathique dans l'air si pénétrant de Griséliiis de
Massenet, et la Valse-Caprice de Rubinstein, brillamment colorée par M"« Marthe
Girod.
— Cours et Leçons. — M. Auguste Mercadier, officier d'Académie, lauréat de
l'Exposition universelle de 190O (solfège, harmonie, violoncelle, accompagnement), 70 rue
de Rivoli.
NÉCROLOGIE
Une bien triste nouTelle. Deux jours après la représentation dormée â
rOpéra-Comique, par les soins de M. Albert Carré, au bénéfice de la veuve
et des enfants de l'excellent artiste que fut Taskin, représentation qui fot
brillante et fructueuse, M"" Taskin succombait à une courte maladie et était
enlevée à l'affection de ses enfants. M»"* Taskin était atteinte d'une affectioa
cardiaque qui l'a emportée en peu de jours.
— Une artiste fort distinguée et d'un talent remarquable. M'"" du Wast-
Duprez, est morte cette semaine à Paris, à l'âge de 48 ans, à la suite d'une
longue et terrible maladie. Elle était un de nos professeurs de chant les pins
justement renommés, et elle joignait la pratique à la théorie, car elle chan-
tait avec un goût et un style des plus rares. Elle avait de qui tenir d'ailleurs,
étant la petite-fille de notre grand Duprez, auprès duquel elle avait fait son
éducation vocale. JM"" du VVast était la femme de M. Ulysse du "Wast, qui,
on se le rappelle, tint pendant plusieurs années l'emploi de ténor à l'Opéra-
Comique.
— A Vienne est mort, à l'âge de 62 ans, le compositeur et chef d'orchestre
Adolphe MuUer. Il avait commencé sa carrière de chef d'orchestre au théâtre
An der Wien en 1870 et il a écrit la musique de scène de beaucoup de pièces
jouées à ce théâtre. Il laisse des mélodies, chœurs et compositions de mu-
sique de chambre, ainsi que plusieurs opéras-comiques et opérettes : Henri
l'Orfèvre, Waldmeisters Brautfahrt, Van Dyck, le Fantôme, le Bhndin de Namur, etc.
Adolphe Millier était né à Vienne le 15 octobre 1839.
Henri HKvaEL, directeur-gérant.
Viennent de paraître :
Chez E. Fasquelle, Hors lu loi, pièce en 1 un acte, en vers, de M. Lucien-Victor Meu-
nier, représentée à l'Odéon (1 fr.) ; Cœur d'amant, roman contemporain d'AJexandre
Hepp (3 fr. 50) ; le Nuage, comédie en 2 actes, de M. G. Guiches, représentée à la Comédie-
Française (2 francs).
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Stoullig, avec une préface de Lucien Muhlfeld (3 fr. 50).
Chez Félix Alcan, Génération de la Voix et du Timbre, par le docteur A. Guillemin, avec
122 figures dans le texte (10 fr.i.
A la bibliothèque des « Annales Politiques et Littéraires », le 6'volume de Quarante ans
de Tliéâtre (les modernes), par Francisque Sarcey )3 fr. 50;,
Chez OUendorff, .Vos Artistes (portraits et biographies), par Jules Martin, couverture en
couleurs d'Albert Guillaume (3 fr. 50 c).
A la librairie Molière, la Ronde des blanches, par l'Ouvreuse (Willy), couverture en
couleurs de Lamy (3 fr. 50 c).
Chez Flammarion, la Musique en Banemiirl: et en ^uède au XÎX^ siècle, par Albert
Soubies (2 francs).
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(avec le livret-texte) Net. 8 »
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Noël. 4. Prière o »
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tion et parties séparées S »
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— Le Petit Jésus (i.'i. 3) S »
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cien anonyme) . . 3 7b
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B. MINÉ. Op, H- Jîecuei/ rfe IVocïs (30 numéros) 9 »
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408
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
J. L'Art musical et ses interprètes depuis deux siècles (44° article), Paul d'Esthées. --
IL Semaine théâtrale: première représentation de A/ada»ie Flirt à l'Athénée et du Puits
d'amour à Cluny, Paul-Émile Chevalier. — IIL Petites notes sans portée : les « Noëls
français >^ au théâtre, Raymond Bouyer. — IV. Le Concours international de Milan. —
V. Re\ue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concfris et nécrologie.
MUSIQUK DK CHANT
Nos abonnés à la miisique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
L'OISELET EST TOMBÉ DU NID
chanté par W^' Bréval et M. Dufranne dans Grisélidis, conte lyrique d'ARMAND
SiLVESTRE et Eugène Morand, musique de J. Massenet. — Suivra immédiate-
ment : Ce qui dvre, nouvelle mélodie de Théodore Djicois, poésie de Shlly
Peudhomhe.
MUSIQUli DU PIANO
Nuuspublieruuj dimanciie procliain, pour n.is abonnés à la musique de piano :
les Oiseaux, n"! des scènes mignonnes ^ujardtn, de Théodore Dubois. — Suivra
immédiatement : Marche gaie, d'ERNEST Reïer.
AVIS
Avec ce dernier numéro de notre 67' année de publi-
cation, nos abonnés recevront la TABLE DES MATIÈRES
pour l'année 1901 et aussi la liste de nos PRIMES GRA-
TUITES pour l'année 1902 qui va commencer (68"= année
du journal).
L'ART MUSICAL ET SES INTERPRÈTES
DEPUIS DEUX SIÈCLES
et i
(Suile.)
Fanatisme de Delacroix pour Clwpin. — Il lui doit son éducation musicale, ses
sympathies et ses aversions. — Opinion des contemporains sur Chopin. ^- Un mot
d'Auber. — Les entrevues de Nohant. — La longue agonie. — Une lettre navrante.
— Dernière saison de concert. — Le naturel de Quimper et les grandes dames au
lit du mourant. — La première du Prophète. — Terreur superstitieuse. — Orai-
son funèbre. — Souvenirs posthumes. — Apparitions. — Musique à brandebourgs.
On s'explique difficilement, après une telle sortie contre les
névrosés de la musique, le fanatisme de Delacroix pour un talent
dont la caractéristique était une excessive morbidesse, nous avons
nommé Chopin. C'esl aussi que le génial phtisique était l'ami
le plus cher d'Eugène Delacroix. Par moments, le Journal devient
un bulletin de la santé de Chopin ; nous y voyons poindre,
grandir, triompher l'implacable maladie qui devait emporter
une des plus belles organisations artistiques qu'ait produites le
XIX'^ siècle. L'inquiétude d'Eugène Delacroix suit la même pro-
gression ; et sa douleur, survivant à la perte de l'ami, semble
trouver une consolation dans le souvenir des gloires du virtuose.
Cette tendre alîection était, à vrai dire, une des formes de sa
reconnaissance. Delacroix devait son éducation musicale à Cho-
pin. 11 avait appris, grâce à lui, le mécanisme de l'harmonie, du
contrepoint et de la fugue, ce qu'il appelle « la logique pure en
musique ». Et ce docile élève s'écrie, dans l'effusion de sa gra-
titude : « La science démontrée par un homme comme Chopin est
l'art lui-même. » Les sympathies et les aversions de l'illustre
pianiste, ses idées, ses opinions, ses jugements trouvent comme
leur reflet dans l'esthétique de Delacroix.
Chopin, dit son disciple, borne son admiration à Mozart et à
Beethoven : encore fait-il pour celui-ci des réserves auxquelles
nous a depuis longtemps habitué Delacroix. « Le Trio de
Rodolphe (1), déclare-t-il, renferme des beautés sublimes à côté
de pitoyables vulgarités. » Et cette comparaison entre les deux
maîtres allemands : « Là où Beethoven est obscur et parait man-
quer d'unité, ce n'est pas une prétendue originalité un peu sau-
vage dont on lui fait honneur qui en est cause, c'est qu'il tourne
le dos à des principes éternels ; Mozart, jamais. »
Ailleurs, c'est une comparaison avec Haydn, comparaison qui
ne tourne pas à l'avantage du grand symphoniste. Chopin en
commente les derniers quatuors : « L'expérience, observe-t-il,
lui a donné cette perfection que nous admirons, tandis que chez
Mozart la science s'est trouvée tout de suite au niveau de l'inspi-
ration. »
En somme, l'auteur de Don Juan est l'unique idole de Chopin ;
et celui-ci lui ressemble si peu I C'est l'avis unanime de son
entourage ; et certains de ses amis vont même jusqu'à lui repro-
cher des réminiscences qui sentent trop la manière de Bellini.
Toutefois, Chopin est le moins charlatan des compositeurs. Il se
refuse à ces violences de tonalités qui cherchent à surprendre
les suffrages du public. Il n'admet pas la sonorité « comme une
source légitime de sensations ». Mais il sommeille aussi parfois,
comme le bon Homère. Son ami est bien obligé d'en convenir,
surtout après une audition de la symphonie en ut mineur de
Mozart : « Mon pauvre Chopin a des faiblesses. » Après tout,
c'est une défaillance bien possible en présence du maître des
maîtres.
Cette critique est peut-être la seule qu'ait jamais formulée
Delacroix contre le compositeur polonais. Au reste, celui-ci fut
littéralement encensé par ses contemporains. Nous citerons le
(1) Delacroix désigne pûus ce titr
l'archiduc Rodolphe.
le trio qui fut dédié, avec plusieurs autres pièces,
4dO
LE MÉNESTREL
mot de Trémonl, Lien qu'il prête aujourd'hui à rire : « Chopin,
disait-il, est le pianiste intime », entendant par là que les âmes
d'une sensibilité exquise pouvaient seules comprendre le génie
de l'artiste. Et cependant son style était l'originalité même :
— Monsieur Chopin, lui déclarait Auber, vous me reposez du
piano !
Delacroix, qui le connaissait déjà, ne s'était lié avec lui qu'en
1842, à Nohant, chez la grande châtelaine : « C'est, dit-il, un
hornme d'une distinction rare, le plus vrai artiste que j'aie ren-
contré. Il est de ceux en petit nombre qu'on peut admirer et
estimer. » Une seconde villégiature les ramène en 1846 chez
George Sand : « Chopin, s'écrie Delacroix, m'a joué du Beetho-
ven divinement bien ; cela vaut bien de l'esthétique . »
Ce fut à cette époque qu'Edouard Grenier (1) rencontra le pia-
niste chez M'"^ Sand. Il voit encore sa « figure pâle et tourmentée,
sans barbe, ombragée de cheveux bruns ». L'artiste cause avec
animation ; ses joues s'empourprent ; ses yeux brillent d'un éclat
fiévreux. Et George Sand s'approche aussitôt, toute émue ; comme
une mère attentive et même inquiète, elle pose sa main blanche
et fine sur le front de Chopin pour le calmer.
Balzac, allant rendre visite à George Sand en mars 1841 .
s'était pareillement rencontré chez elle avec l'artiste : « Il y est
toujours », remarque le romancier. L'auteur de François le Chatnpi
demeurait alors 16, rue Pigalle. Et Balzac, fidèle à ses procédés
d'écrivain, inventorie minutieusement le mobilier de son
confrère. Il signale entre autres richesses « un piano magnifique
et droit, carré, en palissandre » .
Mais l'heure cruelle approchait, l'heure où ces êtres supérieu-
rement doués, tout de nerfs, de sentiments et de larmes, ont
comme les affres de la mort, bien avant la fin même de leurs
souffrances. La légende veut qu'à la coupe où Musset but le
poison destructeur de son génie, Chopin puisa le germe de la
consomption qui l'enleva à la fleur de l'âge. Mais à quoi bon
déraisonner une fois de plus sur un sujet qui a peut-être plus
fatigué qu'intéressé tant de lecteurs? Nous ne voulons demander
à cette lente agonie que l'exemple consolant des amis qui entou-
rèrent de leur infatigable dévouement les dernières heures du
poitrinaire, et la touchante image, déjà évoquée en des tableaux
célèbres, des charmantes femmes dont le talent -et l'affection
prodiguèrent au désespéré leurs suprêmes caresses.
En 1847, Delacroix avait conservé une lueur d'espoir. Le
malade se trouvait bien du massage.
Mais en 1848 la phtisie avait reconquis le terrain si vaillam-
ment disputé : Delacroix va rendre deux visites consécutives à
son « bon petit Chopin », comme il l'appelle. Il n'est reçu qu'à
la seconde ; et il reste avec lui de neuf heures du soir à minuit.
Une accalmie permet au musicien de se faire entendre chez lui,
le 1='' juillet. Des amateurs jouent devant lui un de ses trios
qu'il reprend et qu'il « exécute de main de maître... il a été
divin ».
L'infortuné avait plus que jamais le pressentiment de sa fin
prochaine; une lettre qu'il écrivait le 18 août 1848, et qu'a
publiée en 1897 la revue polonaise VAteneum, donne, en style
mi-tragique et mi-burlesque, la note exacte d'un tel état
d'àme.
« Tous ceux avec qui j'étais si intimement liés sont morts pour
moi... Ennike lui-même, mon meilleur accordeur de pianos,
s'est noyé : il me faut donc renoncer à un instrument accordé
d'après mes habitudes. Moosell mort, et finies mes bottines
commodes. Encore quatre ou cinq qui iront rendre visite à saint
Pierre, et ce serait mieux pour moi d'aller ad patres... Je végète
et attends tranquillement l'hiver... Je suis devenu tellement
raisonnable que je pourrais entendre l'oratorio de Sowinski sans
crever sur-le-champ... Ce qui me reste, c'est un nez énorme et
le quatrième doigt qui manque d'exercice. »
(A suivre.) Paul d'Estrées.
(1) E. GitEmm.— Souvenirs lilldiaires : Lemerre, 189i.
SEMAINE THEATRALE
Athénée. Madame Flirt, comédie en 4 actes, de MM. Paul Gavault et Georges
Berr. — Théâtre Cluny. Le Puits d'Aiiiour, vaudeville-opérette en 3 actes,
de MM. Pierre Veber et L. Bannières, musique de M. Louis Gibaux.
MM. Paul Gavault et Georges Berr qui, il y a quelques jours à peine,
donnaient une fort aimable pièce au Palais-Royal, viennent de faire
représenter, à l'Athénée, une jolie comédie dramatique. Madame Flirt,
à laquelle le public a, très justement encore, fait l'accueil le plus
flatteur.
D'un point de départ qui n'a rien d'inédit en soi, une femme très
honnête qui se dévoue pour sauver une amie du déshonneur, les heureux
et adroits auteurs ont fait éclore quatre actes de détails amusants, de
fine analyse, de développements logiques, intéressants et d'émotion
souvent prenante. La part d'invention, de création, de leur comédie
réside en ceci que celle qui se sacrifie, Fernande, aime et est aimée du
propre beau-frère de la coupable, Marcelle ; il faudra donc que celui-ci
soit mis au courant de la vérité par Marcelle elle-même, Fernande
ne voulant en rien diminuer le douloureux sacrifice que son affection
lui impose; il faudra de plus que Marcelle laisse encore tout deviner
à son mari, pour éviter une brouille entre les deux frères, l'ainé refu-
sant à son cadet le droit de faire entrer dans la famille une femme dont
les aventures amoureuses sont le secret de tous, que ses allures de
jeune veuve très courtisée ont, d'ailleurs, fait surnommer Madame
Flirt.
Présentées simplement, avec une sobriété et une légèreté de touche
remarquables, ces deux scènes d'aveux, qui sont capitales et forment
les deux derniers actes, ont produit très bonne impression et ont décidé
d'un succès franc et spontané, que les deux premiers actes avaient
grandement préparé.
Madame Flirt est fort bien jouée, avec naturel et pittoresque, par la
troupe de l'Athénée et principalement par MM. Deval, Gauthier, qui
fait une plaisante et inattendue incursion dans les rôles comiques, Tré-
ville, BuUier, M"" Valdy, Duluc, Suzanne Demay, aux noms desquels
il faut encore adjoindre ceux de MM. Brun, Levesque, Dayle, Stacquet
et celui de M°"^ Ael.
A Cluuy, l'opérette annuelle me paraît diablement avoir fait long feu.
Nous voilà bien loin du temps où Varney, aidé du susnommé M. Ga-
vault et de M. de ;Cottens, faisait courir toute la rive droite au bou-
levard Saint-Germain avec son Papa de Fraiicine et autres amusantes
productions. Et pourtant il y avait M. Pierre "Veber en cette affaire
nouveUe; or, cette fois, M. Pierre Veber, dont le nom semblait
prometteur de gaité et d'esprit, s'est, en compagnie de M. Bannières,
complètement trompé en s'imaginant que les sentiers battus étaient
les meilleurs. Cela réussît quelquefois — et l'on ne saurait vous dire
pourquoi; mais lorsque cela rate, c'est pour tout de bon. Ce Puits d'A-
mour, dont les complications, aussi invraisemblables que banales, ont
peine à faire, de loin en loin, sourire d'un imperceptible bout de lèvres,
alors que sa seule excuse eût été de s'imposer par une extravagance ou-
trée, ce Puits d'Amour est accolé à une assez importante partition de
M. Louis Gibaux, nouveau venu, nous semble-t-îl, au théâtre et qu'il
serait téméraire de vouloir juger sur cet essai plutôt înorîginal, d'autant
qu'on lui a infligé un orchestre presque invraisemblable.
MM. Bouvière, Mercier, Arnould, Muffat. Gravier, Bardou, Villaret,
M""" Cuinet, Foucher, Bertry, Cardin, Favelli se défendent et chantent
comme ils et elles peuvent.
Pal'l-Kmile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
XXXVII
LES « NOELS FRANÇAIS » AU THliATRE
A Madame J. Tiersot.
— "Vous souvient-il, aux échos des réveillons tapageurs, d'un Nocturne
silencieux, exposé, jadis ou naguère, à l'un de nos deux Salons, d'une
Messe de Minuit, bleuâtre, moyen-àgeuse, aérienne, pâlie comme un
rêve, où les errants de la froide nuit de Noôl vont à Jésus qui les appelle
aux vitraux colorés de la cathédrale haute?
(1) Voir le Ménestrel du 14 juillet, des 18 et 25 août, des 8, 15, 22 et 29 septembre,
des 13, 20 et 27 octobre, des 3, 10, 17 et 24 novembre, des 1", 8, 15 et 22 décembre 1901.
LE MÉNESTREL
411
— Oui, l'œuvre élail profonde, une des plus prenantes du Salon. Le
souvenir s'empare des images muettes qui chantent obscurément comme
des âmes ou des mélodies. Et puisque je possède la cruelle mémoire
des dates et des noms, je vous dirai l'année et l'auteur. C'était en 1898,
à la Société Nationale; et le peintre signait: J. Wengel. Comme sa toile,
un peu schumannienne aussi, m'avait touché, je l'avais ambitieusement
surnommé le roi-mage des peintres de la nuit... « Et quels sont ceux qui
vont à Jésus en la froide nuit de Noël? » ajoutait l'épigraphe du P. Faber.
« Comme au temps de la naissance du Christ, les pauvres , les humbles,
les bergers, les déshérités de ce monde! »
— Votre mémoire est effrayante ! Mais ce décor immatériel, je l'évo-
quais vaguement au dernier samedi de l'Odéon, pendant la série des
Noéls français...
— Les Noëls au théâtre? A votre tour de m'interloquer !
— Quel événement plus natm-el? Voici la nuit où chacun, selon son
rêve, entonnera l'hymne à voix basse ou se faufilera dans la foule afin
de l'écouter à plein chœur ou à grand orchestre : mais il est d'autres
Noôls que ceux de Lesueur et de Berlioz, de Saint-Saëns et de Liszt, ou
d'Adolphe Adam; plus d'une province nous a transmis la foi naïve et
lointaine...
— Ah! les Nocls populaires, les Noëls bourguignons, bressans, poite-
vins, provençaux! Comme dans les rondes autour des feux de joie de
la Saint-Jean, n'y retrouvons-nous un écho transposé des vieux chants
druidiques et païens?
— Non pas ! Leur origine est non moins profane ; mais leur conver-
sion vous paraîtra plus récente. A part quelques exceptions, dont une
est conservée dans Rabelais, les couplets et refrains des Noéls sont des
chansons de ville, des binettes littéraires des XVIP et XVIII'^ siècles,
et dont on sait les auteurs. Ce sont des vaudevilles dévots : produit d'un
genre artificiel et lettré. Les bonnes rimes se marient à des airs connus ;
et l'air jure plus d'une fois avec la chanson...
— Comme vous voilà documenté ! Mon inquiétude s'accroit.
— Rassurez-vous ! Je n'ai eu qu'à retenir quelques bribes de l'aimable
et savante conférence de notre confrère Julien Tiersot. Le mieux informé
de nos folk-lorisles expose cordialement sa méthode : sans peine il dis -
tingue nos mélodies populaires, qu'il a notées sur le vif et qu'il sait
par cœur, des Noëls français dont il vient de publier un recueil; et,
s'autorisaut de l'exemple de M. Gaston Paris, il nous a chanté telle
vieille mélodie emperruquée du grand siècle qui, transformée dans son
allure, dans son rythme, est devenue le plus avenant des Ncèls pro-
vençaux : c'était la Chanson à boire de Sganarelle, la traditionnelle
chanson du Médecin malgré lui!
- Vous m'épouvantez, mais vous m'amusez!
— C'est l'essentiel. Et voilà comme on chante le Sauveur en France,
en cette douce France où l'esprit, lui non plus, ne perd jamais ses
droits... Telle métamorphose est savoureuse. Où le docte Lesueur per-
cevait une origine orientale, il n'y a qu'un refrain galant qui se travestit
en Noël. C'est tout à fait dans la tradition. Primitive encore, la musi-
que distinguait mal entre les genres. Ses cadences régulières s'appli-
quaient à tout. Et n'est-ce pas l'élève révolutionnaire de Lesueur, Hector
Berlioz, qui signalait, au temps du Floreiitin, la parenté singulière entre
l'hymne et la chanson à boire? Au siècle suivant, le profane s'introdui-
sait sans peur à l'église. Plus d'un Noël gracieux a pour auteur l'abbé
de cour.
Qui, le malin dévot et le soir idolâtre,
Déjeunait de l'autel et soupait du théâtre...
— Berlioz lui-même n'a-t-il point retenu toute sa vie, les larmes
aux yeux, tel ravissant pont-neuf de Dalayrac que lui chantèrent les
anges de sa première communion? Et le pseudo-Pierre Ducré qui
célébra si naïvement le Hepos de la Sainte-Famille et l'Enfance du Christ
aurait eu mauvaise grâce à condamner le passé... Ce passé m'apparait
un peu monotone, mais charmant.
— Les Noëls étaient parmi les plus jolies productions de cette musi-
que française que l'Italien Duni défendait si plaisamment contre Jean-
Jacques; et M. Tiersot vous citerait un petit adversaire du grand Gluck
qui regrettait l'absence de ces morceaux-là, dans ses tragédies lyriques!
Il y a toujours de bons Français pour déplorer l'exil des airs. Et rien de
nouveau... sous les cierges de la messe de minuit!
— Sans les chercher dans Gluck, je regrette de ne pas vous avoir
accompagné samedi pour écouter quelques vieux Noëls. Votre programme
me hante, avec ses échantillons du genre pastoral ou satirique, avec ses
Noëls provençaux ou bressans et ses couplets d'onction naïve ou de
n'étiez -vous là pour applaudir une vraie chanson populaire qui a toute
la candeur mélancolique d'un lied français! C'est une chanson de la
Saint-Jean, transformée pour dire aux bonnes gens : Voici la Noël! Elle
nous vient des provinces de l'Ouest. Et, profane encore ou divin, son
désir d'amour fait rêver :
Ne viendra-t-il pas?
La lune se lève...
Ne viendra-t-il pas?
La lune s'en va...
Et c'était charmant dans un théâtre, aux feux de la rampe, avec le
paravent dérobant le clavecin candide et le contraste de ces vieux airs
voltigeant sur de jeunes lèvres, dans le frou-frou des toilettes! Si grand
est l'attrait de la simplicité que nous le retrouvions dans les pastiches
mélodieux de nos plus rafiinés poètes, Gabriel Vicaire, Alphonse Dau-
det, et dans le Miracle de Notre-Dame de ce prestigieux Catulle Mendés
qui est le Massenet des rimes.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
LE CONCOURS SONZOGNO
PRIX DE 50.0ÛO FRANCS
Un dialogue entre l'Humble et la Mondaine est un vrai tableau de
Chardin. Le Prologue de la Crèche est le début d'une véritable « revue »
comtoise, où le Berger répond en patois au bel Ange qui parle en
français. Vieux Paris ou vieille province, le décor se devine. Mais que
Nous avons annoncé le concours international généreusement ouvert
par M. Edouard Sonzogno, le grand éditeur de Milan, pour la composi-
tion d'un opéra italien en un acte, avec un prix de cinquante mille ha-ncs
pour le vainqueur. Nous croyons devoir donner ici le texte exact et com-
plet du règlement intéressant de ce concours :
Le but de ce concours étant de tirer de l'obscurité ceux qui n'ont pas eu
encore les moyens de révéler leur talent dans le genre lyrique, ne seront
admis à y prendre part que les compositeurs débutants, et par conséquent
les ouvrages qui n'ont pas encore été représentés.
L'opéra devra être en un acte seulement, sans aucun changement de décor,
et pourra, comme sujet, appartenir à quelque genre que ce soit, aucun n'étant
e.Kclu. et, comme musique, à n'importe quelle école, tant italienne qu é-
trangère.
Il ne sera tenu aucun compte des partitions qui seraient écrites sur des
livrets de formes vieillies, littérairement insuffisants, privés d'intérêt drama-
tique ou dépourvus de théâtralité, et, par contre, l'excellence du livret, et
comme sujet et comme l'orme, sera, pour l'ouvrage présenté au concours, un
titre de spéciale valeur.
Cbaque concurrent devra présenter à V Établissement musical de l'éditeur
Edoardo Sonzogno, à Milan, la grande partition, nette et parfaitement intelli-
gible et complète de l'opéra, pour un orchestre normal (1), en même temps que
la réduction pour chant et piano et le livret, avant l'expiration du 3i jan-
vier 1903.
Tant la grande partition que la réduction et le livret y relatif devront por-
ter (si l'ouvrage a été écrit en langue étrangère) la traduction rythmique
italienne, appliquée à l'entière partie vocale de la musique.
De même, la grande partition, la réduction et le livret devront être présen-
tés sans nom d'auteur, mais porteront respectivement une épigraphe, qui
devra être répétée sur une enveloppe cachetée, renfermant le nom et l'adresse
du compositeur et le nom du librettiste.
Ceux des concurrents qui seront pris en considération pourront intervenir
à une ou plusieurs séances de la commission, à l'effet de faire entendre leur
œuvre.
Toutes les fois qu'elle le jugera opportun, la commission aura la faculté
de soumettre certains concurrents à un examen de composition à huis clos,
aBn de s'assurer qu'ils sont vraiment les auteurs des ouvrages aspirant au
prix.
La commission choisira, pour être admises à l'épreuve de la scène, trois
partitions, mais le jugement définitif pour l'attribution du prix ne sera pro-
noncé qu'après trois représentations de chacune des œuvres choisies, c'est-à-
dire après en avoir constaté l'effet scénique devant le public. La commission
prendra en particulière considération les ouvrages composés avec la plus
grande simplicité de moyens.
L'opéra primé restera entièrement la propriété de son auteur.
Les concurrents seront tenus de retirer leurs ouvrages à Milan: pour ce
retrait on n'accordera que quatre mois à partir de la proclamation de l'ou-
vrage récompensé, lesquels quatre mois expirés tant la grande partition que
la réduction pour chant et le livret seront offerts en don à une bibliothèque
musicale, sans qu'il puisse être fait exception pour aucun concurrent.
L'expérience scénique des ouvrages proposés pour le prix aura heu au
Théâtre-Lyrique International de Milan dans le cours de l'année 1904.
Les auteurs des ouvrages choisis pour la représentation pubhque devront
(1) On comprend l'orchestre normal constitué comme ci-après : Petite Flûte, .deux
Flûtes, deux Hautbois, Cor anglais, deux Clarinettes, deux Bassons, deux couples de
Cors chromatiques, deux Trompettes, trois Trorabones-lénors, Basse-Tuba, Harpe, Tim-
bales, Grosse Caisse et Batterie, 1"' Violons, 2" Violons, .\Uos, Violoncelles et Contre-
412
LE MÉNESTREL
assister aux répétitions de ces ouvrages, sans avoir droit à aucune indemnité
pour leurs dépenses.
Tous les frais pour la représentation des trois opéras seront enlièrement à
la charge de l'éditeur Edoardo Sonzogno.
On fera connaître en son temps le jury examinateur, qui sera composé
d'éminenis musiciens italiens et étrangers.
Ce jury aura exclusive et ample faculté de résoudre les questions alTérentes
au concours pour chaque cas non prévu dans le programme.
Miiaii, IS décmbre 1901.
Edoardo Sonzogno.
On remarquera la largeur de vues qui, sous tous les rapports, a pré-
sidé à l'élaboration de ce programme intéressant. On remarquera aussi
qu'en dehors du pri.'î opulent de oO.OOO francs décerné au vainqueur,
deux autres artistes trouveront d ce concours un avantage appréciable,
puisque, leurs ouvrages étant admis à l'épreuve suprême, ils seront
certains de voir ces ouvrages offerts an public et représentés au moins
trois fois. De sorte que le concours aura pour résultat final de mettre
en lumière les noms de trois compositeurs.
REVUE DES GRANDS- CONCERTS
Concerts Colonne. — La symphonie en lu! mineur, de Lalo, a obtenu l'ac-
cueil chaleureux que mérite son beau co'oris orchestral, l'heureux choix de
ses thèmes et l'attrait piquant de ses rythmes. Nous pouvons bien dire h'u-
reux choir, car plusieurs motifs de celle symphonie ont appartenu d'abord à
la partition de Fiesquc, opéra non représenté; on peut en retrouver des (ra-
ces dans un entr'acte, dans une scène de bal et dans un trio du .3= acte. Le
style de l'œuvre est rhapsodique plutôt que thématique. L'ingéniosité des
combinaisons sonores produit une sorte de fantasmagorie éblouissante au
milieu de laquelle se glissent, s'ébattent, s'immergent les mélodies princi-
pales. D'un caractère tout autre est l'ouverture dos Barbares de Saint Saëns;
on n'en peut guère comprendre la forme si l'on fait abstraction du drame
dont elle est le prologue; mais chacun des épisodes en est traité avec relief
et de telle sorte qu'il se classe dans la mémoire en éveillant la curiosité.
Gomme facture musicale et maestria d'écriture, c'est hautement intéressant.
M. Gabriel Pierné, lui aussi, écrit avec une remarquable aisance. Son poème
symphonique sans titre spécial, d'après une strophe des Chants du Crépus-
cule : Ceu-r ijui pieusement sont morts pour la patrie..., etc., est assez difQcile
à caraclériser. La partie de piano a-t-elle un rapport étroit au point de vue
idéal avec la poésie de Victor Hugo? Avons-nous dans l'orchestre des accords
funèbres et des chants d'apothéose? Je ne sais et, sous ce rapport, l'œuvre
me parait unpeu indécise, mais elle donne pleine satisfaction si on l'envisage
dans sa structure technique, dans l'habilelé de ses développements et dans
la graduation de ses effets. M.Ed.Risler a tenu le piano en artiste supérieur.
Il a donné une interprélation admirablement étudiée et sérieuse du concerto
en iol de Beethoven. Il a le style, le sentiment juste, la virtuosité, la netteté,
le coloris. Bien qu'il possède à fond l'art spécial du piano, il reste avant tout
musicien et ne sacrifie jamais, dans lebul d'obtenir un effet purement instru-
mental, ni un rythme, ni un mouvement, ni une forme mélodique. Il ne
considère pas le clavier comme une sorte de laminoir où toute musique doit
subir une violence en vue de permettre au pianiste de faire montre de ses
qualités personnelles; il joue l'ccuvre telle qu'elle est, en artiste respectueux
et expérimenté. On a beaucoup remarqué son jeu étincelant dans la belle
cadence d'Hans de Bulow et dans le passage prestigieux de la polonaise en mi
majeur de Liszt où les traits se multiplient avec une excessive volubilité. lia
joué aussi \e Largo de la sonate, op. 7, de Beethoven et a an ajouter au pro-
gramme une pièce délicieuse de Schuraann ; Au Soir. Amédéë Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — L'audition des symphonies de Beethoven dans
leur ordre chronologique s'est continuée dimanche dernier par une fort belle
interprétation de la huitième symphonie. Beethoven s'est montré encore une
autrefois au programme et sous un aspect fort diH'érent. Les solistes attitrés de
la Srola eantorum ont interprété son Chant ctégiaque pour quatuor vocal, piano
et quatuor à cordes (op. US), composé en 1814 sur les paroles d'un poète
resté inconnu, à l'occasion de la mort de la baronne Pasqualati, femme d'un
ami du maître. Ce morceau n'a élé publié qu'après la mort de Beethoven,
malgré la curieuse lettre comminatoire que celui-ci avait adressée le 12 sep-
tembre 1822 à son éditeur Haslinger : o L'élégie, le trio et l'opéra — sortez-
donc de cela! Autrement je ne ferai pas de cérémonies; vos droits sont péri-
més et seule ma générosité vous procure plus d'honoraires que vous ne m'en
<lonnez. » L'exécution de ce morceau, empreint d'une douce mélancolie, n'a
pas été parfaite; le piano brillait par son absence et le chant lui-même fut
troublé vers la fin par une intonation d'une justesse fort douteuse. Le même
quatuor vocal, dont tous les éléments ne sont pas d'une qualité égale, a
ensuite interprété un Madrigal inédit de M. G. Fauré sur des paroles d'Ar-
mand Silvestre. C'est le propre de ce genre de « bibelot de la musique de
la Renaissance » d'être chanté a capella; l'adjonction d'un accompagnement
par l'orchestre est donc sujette à beaucoup de réserves. Constatons cependant
que M. Fauré a donné à sou morceau une jolie tournure avec une poiute
d'émotion moderne qui ne lui messied pas et qui lui a valu un accueil très
favorable. Le soprano du quatuor et le ténor — son étoile — ont aussi exé-
cuté le tableau intitulé l'.tmour du Chant de la cloche, œuvre inléressante qui
a brillamment inauguré la carrière de M. Vincent d'Indy. La parlie orches-
trale a élé admirablement rendue et n'a pas contribué pour peu au succès de
l'œuvre. — Trois compositions symphoniques ofl'rant le contraste le plus
violent qu'on puisse imaginer, se mettant par cela même mutuellement en
valeur, ont complété le programme. A la crâne, fraîche etrulilante symphonie
Irlande, de M"" Holmes, qui a obtenu un beau succès, malgré la maladresse
provocante de quelques partisans trop emballés, succédait la Sicgfried-Idyil
de Wagner, cet admirable prélude de l'apaisement à Wahnfried . où les
illusions du maitre, selon son mot superbe, ont trouvé leur assouvisse-
ment. Impossible de reproduire avec plus de délicatesse et de clarté cette mer-
veilleuse broderie symphonique sur les motifs principaux de Siegfried. — l'œu-
vre que le maitre enfantait tandis que sa femme, de sou côlé, lui donnait un
jeune Siegfried en chair et en os. — Après cette douce évocation du l^hin et
des héros de l'épopée des Xibelungen, le concert s'est terminé par la fulgu-
rante transcription pour orchestre, par Ëerlioz, de la Marche de Rakoeiy. mi-
rage éblouissant de l'immense plaine des bords du Danube traversée par les
fringantes cohortes du grand capitaine hongrois. 0. Bergoruen.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie héroïque (Beethoven). — Noël de Piccolino (Giiiraud). —
Concerto pour violoncelle (Haydn), par M. Abbiate. — Prélude de Guendolinc (Cliabi-ier).
— Trois chœurs sans accompagnement (Sthumann). — Ouverture du Conaire (Berlioz).
Châtelet, concert Colonne : Ouverture de Léonore, n" 3 (Beethoven). — Concerto pour
piano en la mineur (Gr îeç:), par M. Raoul Pugno. — Symphonie en ut majeur, lîoma (G. Bi-
zet). — Variations symphoniques (César Franck), par M. Pugno. — Mort de Brunnlîilde
du Crépuscule des Dieux (Wagner), par M"" .\diny.
Nouveau -Théâtre, concert supplémentaire Lamoureux : Ouverture du Vaisseau-Fan-
tôme (Richard Wagner). — Deuxième partie de VEnfance du Christ (Hector Berlioz) : ie
réi:itant, M. .lean David. — 9" Symphonie avec chœurs (Beethoven) : soli, 51"" Lormont
et Jlelno, MM. Fedorow et Cliallet.
— Programme absolument délicieux, jeudi dernier, au concert Colonne du
Nouveau-Théâtre. Celui-ci était, selon ce que nous avons fait connaître, sur-
tout consacré aux trios, soit vocaux, soit instrumentaux. Il s'ouvrait par la
pimpante et charmante ouverture du Mariage secret, de Cimarosa. dite par
l'orchestre avec une délicatesse pleine d'élégance, que suivait l'admirable trio-
en sol mineur de "Weber, d'une beauté si resplendissante, exécuté magistra-
lement par iVIM. André Bloch, Georges Enesco et Abbiate, qui en ont fait
ressortir tout le charme nerveux et séduisant. Venait ensuite un joli trio pour
soprano, mezzo-soprano et ténor : Souffle des bois, écrit par M. Charles
Lefebvre sur une poésie de M. Ed. Guinaud,] composition élégante et très
harmonieuse, fort bien chanté par W'"' Jeanne Leclerc et Marguerite Béryza
et M. Dantu. Un des gros succès de la séance a été le délicieux concerto pour
orchestre, en ré majeur, de Haendel, œuvre vraiment exquise et d'une gtàce
enchanteresse, rendue avec tant de légèreté et d'élégance qu'il en a fallu
redire le second morceau. A signaler une jolie composition de M. Henri
Rabaud, Andante et Scherzo pour flûte, violon et piano, œuvre délicate et
distinguée, fort bleu dite par MM. Philippe Gaubert, Enesco et l'auteur et
dans laquelle les trois instruments concertent de la façon lapins heureuse. Et
après l'air et trio de la Plinjné de i\I. Saint-Saéos, où nous avons entendu
M"« Jeanne Leclerc et Mathieu d'Ancy et M. Dantu, la séance se terminait
par le trio en si majeur de Brahms, où de nouveau se sont fait vivement
applaudir MM. André Bloch, Enesco et Abbiate. ~ .A. P.
îvTOXJVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (26 décembre). — La « première » du
Crépuscu'e des Dieux en français a tenu toutes ses promesses; elle les a dépas-
sées même. La représentation, commencée à six heures, s'est terminée à
minuit et demi, et le programme des deux entr'actes, chacun d'une heure,
a élé rempli ponctuellement : on a soupe, pendant le premier, avec un entrain
extraordinaire; au foyer du théâtre et dans tous les restaurants d'alentour
toutes les tables avaient été retenues, et cette heure de repos bien gagné a
été une heure de liesse gastronomique rappelant les plus folles nuits du car-
naval bruxellois. Aussi ne trouverait-on plus à Bruxelles, à l'heure qu'il est,
un seul antiwagnérien. Tous ceux qui ont assisté à cette sensationnelle
soirée en sont revenus absolument convertis. Ils ne révent plus que repré-
sentations wagnériennes, — avec entr'actes et soupers, cela va sans dire,
comme à Bayreuth. Il y en a même beaucoup qui ont prolongé l'entr'acte
pendant toute la durée du deuxième acte, et plusieurs ne sont pas rentrés du
tout dans la salle... Ils ont promis de revenir une autre fois.
Quoi qu'il en soit, nolr'actes et soupers à part, la représentation a été vrai-
ment remarquable et a dépassé certainement l'attente des plus sceptiques.
Au prix d'un travail énorme, au milieu du train-lrain journalier du réper-
toire, la direction est arrivée à mettre cette œuvre colossale sur pied d'une
façon non seulement très supportable, mais môme tout à fait excellente dans
son ensemble et parfaite en plus d'un de ses cotés essentiels. Tant d'éléments
concourent à la réalisation d'une œuvre pareille : mise en scène compliquée
et dilEcullés d'exécution exceptionnelles, surtout à partir du deuxième acte !
Tout cela a été réalisé avec une rare vaillance, une ardeur sans égale et des
soins artistiques d'ordre sujérieur.
LE MÉNESTREL
413
Or, résultat inespéré pour tous, cette œuvre, qui faisait trembler les plus
audacieux, a paru, malgré sa longueur, la plus attachante, la plus vivante, la
plus mouvementée de la tétralogie. Le premier acte, qui, avec le deuxième,
passait pour le morceau indigeste du festin, est celui dont l'effet a été le plus
grand et qui a contribué surtout au succès! Et il est admirable, ea effet,
d'une variété d'expressions, d'une puissance de sentiment, de couleur, de
tendresse et de pathétique absolument merveilleuse; le deuxième est superbe
encore, avec des scènes très dramatiques; le troisième enfin, seul, a fatigué
un peu, jusqu'aux sublimes adieux de Brunehilde qui le couronnent et
l'achèvent dans un élan de lyrisme incomparable.
Telle est l'impression qui se dégage de l'œuvre, présentée pour la première
fois sur une scène de langue française. Et il est certain que le poème y est
pour une grande part. La sombre et sauvage théogonie sur laquelle Wagner
a bâti sa tétralogie des Kibelungen. après avoir dérouté un peu nos esprits
d'éducation latine par son apparente complication d'actions étranges, brutales
et criminelles, cette « noire tuerie », comme l'appelle le Sàr Peladan, s'éclaire
tout à coup, vers la En, d'une lumière inattendue. La troupe de bandits qui
s'entretuait devant nous depuis le Rhe'mrjold ayant été réduite à sa plus sim-
ple expression, nous n'avons plus en présence, quand commence le Crépuscule
des Dieux, qu'un nombre réduit de personnages, ceux qui ont. survécu aux
événements et ne vont pas tarder, du reste, à disparaître à leur tour dans la
suprême conflagration. Si bien que cet épisode final, que le public se repré-
sentait volontiers comme le ^,lus redoutable, est en réalité le plus compré-
hensible et le plus simple. Dégagé de ses interprétations symboliques et
philosophiques, dans la nudité de la légende primitive, il constitue en somme
un bon sujet de mélodrame, tels qu'en jouent tous les jours les scènes de
genre, avec un traître qui poursuit l'innocence et deu.x amoureux que ses noirs
desseins précipitent dans le malheur ; la seule différence ici, c'est que, si
nous voyons le vice puni, nous n'assistons pas à la récompense de la vertu,
et que tout le monde meurt, les bons comme les méchants. Les vrais mélos
sont plus encourageants.
Dans l'interprétation, M. Sylvain Dupuis mérite une niention spéciale; il
a été le bras et l'àme de cette entreprise si périlleuse et si ingrate, et son
orchestre, sous sa direction, a été au-dessus de tout éloge ; M"' Litvinne a
soutenu le rôle écrasant do Brunehilde de sa voix d'or et sa compréhension
infatigable; dans un rôle moindre, M"" Dhasly n'a pas été moins belle, dif-
féremment, par la façon saisissante dont elle a dit la scène de la valkyrie
Waltrante; M. Dalmorès a mis ses précieuses qualités de musicien et sa
claire diction au service du rôle assez niais de Siegfried; enfin, M"'= Friche,
MM. Alberç et Bourgeois, quoique manquant de physionomie et de voix, ne
gâtent rien. Il y a eu d'innombrables rappels et de chaudes ovations. Et ce
succès est d'autant plus significatif que la majorité du public était composée
de ce qu'on appelait naguère les profanes; les autres, ceux qui réclamaient
l'œuvre à grands cris, étaient généralement restés chez eux. Il est vrai qu'il
n'y a rien, pour eux, de bien qu'à Bayreuth.
Il serait injuste d'oublier, dans le grand tintamarre de cette représentation,
l'exécution digne et majestueuse que donnait la veille, au Conservatoire
royal, M. Gevaert, du Mesiie de Haendel. Il y a près de dix ans que l'œuvre
n'avait plus été entendue à Bruxelles. M. Gevaert nous l'a rendue dans toute
sa noblesse expressive, avec un orchestre toujours admirable et des chœurs
d'une irréprochable discipline. L. S.
— Le théâtre San Carlo de Naples ji du inaugurer sa saison d'hiver le
'21 décembre, la retardant galamment d'un jour pour ne pas la faire coïncider
avec la première représentation de notre compatriote, M"" Béjane, au San-
nazzaro. Le programme de la saison comprend : Lohengrin, les Pêcheurs de
perles, Manon (Massenet), l'Elisir d'amore, Mefistofele, Don Juan, Gioconda,
Fedora, la Bohème (Leoncavallo) et Loren;a (Mascheroni). La troupe est ainsi
composée : soprani et mezzo-soprani, M™^ Gemma Bellincioni, Regina
Pinkert. Maria De Macchi, Rina Giachetti, Rosita Jaco by, Margherita
Marchetti, Edvige Ghibaudo, Ernestina Cecchi, Rina et Rosa Garavaglia,
Margherita Cappella; ténors, MM. Fernando De Lucia, Enrico Caruso, Fran-
cesco Vignas, Franco Mannucci, Attilio Marini; barytons, Mario Ancona.
Emanuele Bucalo; 6;isses, Giovanni Scarneo, Oreste Carozzi, Costantino Thos,
Ettore Borelli. Le chef d'orchestre est M. Edoardo Mascheroni.
— Il parait que les architectes Italiens ne sont ni plus prudents ni plus
avisés que les nôtres, et qu'ils dépassent volontiers les devis préparés tt
dressés par eux. Ces dépassements prennent même parfois des proportions
fantastiques. C'est ainsi que d'une enquête officielle à laquelle on vient de
se livrer à Palerme, il résulte que le Politeama récemment construit a coûté
3 millions au lieu de 600.000 francs, chiffre fixé d'abord, et que le Grand-
Théâtre, pour lequel on avait arrêté les dépenses à 2.450.000 francs, n'est pas
revenu à moins de 7 millions !
— Nous avons annoncé qu'une statue de Verdi venait d'être élevée en Sar-
daigne, à Cagliari. Voici en quels termes cette statue a été remise à la ville
par les promoteurs de l'œuvre : — « A la ville de Cagliari nous remettons ce
monument de Giuseppe Verdi, élevé — nous, promoteurs — par la contribu-
tion de la citoyenneté et par l'œuvre d'un sculpteur cagliaritain. L'orgueil et
la reconnaissance sont le cadre naturel des monuments que chaque peuple
élève à ceux qui furent ses fils les plus grands, la légère fumée qui enveloppe
la flamme jaillissante du génie et en rend parfaite la majesté; ainsi un vaste
rideau de nuages ajoute à la beauté du soleil à son couchant. Ce monument,
élevé sur cette extrême terre d'Italie, signifie que jusqu'à elle continue à cou-
ler, par courants directs et robustes, le sentiment national. »
—Dans une série de très intéressants souvenirs sur Verdi publiés par M. F.
Fontana dans la Gazzetla musicale de Milan, l'auteur raconte qu'il a eu la bonne
fortune defeuilleterrécemmentun petitregistredanslequel se trouvaient trans-
crites, de la main même du maitre, toutes les minutes de ses lettres d'artiste,
d'homme d'affaires, d'agriculteur, voire... d'amoureux. Ce petit registre, sur
les pages duquel il avait marqué, depuis 1850, tout ce qui l'intéressait, l'ac-
compagnait toujours dans tous ses voyages, si longs fussent-ils, et il ne s'en
séparait jamais. Particulièrement, l'homme d'affaires y avait consigné, année
par année, mois par mois, jour par jour, selon les circonstances, la corres-
pondance, les formules de traités avec la maison Ricordi, les sommes reçues
d'elle, et pour l'agriculture les terrains achetés, les fermages, les conditions
de la main-d'œuvre, etc. Pour ce qui est de l'artiste, on y trouve un petit
document intéressant: c'est la liste des ouvrages sur lesquels Verdi avait jeté
les yeux comme pouvant lui procurer des sujets d'opéras. Cette liste n'avait
pas été dressée d'un seul coup, mais au contraire on voyait, par la différence
des encres employées, qu'elle avait été augmentée peu à peu, au fur et à
mesure des impressions ressenties par les lectures. La voici, telle quelle :
Le Roi Lear; Hamlet; la Tempête ; Gain (Byron) ; Le Roi s'amuse (V. Hugo);
Avola (Grillparzer) ; Kean (Damasl; Phèdre (Euripide-Racine) ; Aoutrage secret,
secrète vengeance {CaXàeron); jl(a(a (Chateaubriand); Inès de Castro (Gamma-
rano); Buondelmonte ; Marie-Jeanne (D'Ennery); Guzman /e J?on (drame espa-
gnol) : Giacomo di Yalcma (sujet à tirer de VHistoire de Sismondi, chap. XXX) :
^lî-ifi (à tirer des Annales de Tacite, livre IX): Marion Delorme (V.Hugo);
Ruy Blas (V. Hugo): Etnava. On voit que les sujets étaient variés, mais tou-
jours foncièrement dramatiques et pathétiques. Un seul pourtant a été em-
ployé par le compositeur, celui du Roi s'amuse, et l'on sait s'il a été fortuné
sous le titie de Rigoletlo. Mais des trois drames signalés de Shakespeare,
Verdi ne s'est servi d'aucun, tandis qu'il s'inspirait du grand poète pour, à la
fin de sa carrière, écrire Otello et Falslaff. Il n'importe ; la liste ci-dessus est
intéressante, en ce qu'elle nous montre bien l'état d'àme musical de
Verdi.
— La librairie Hoepli, à Milan, vient de publier, sous forme de manuels
et dans le. facile et léger format in-16, deux petits volumes qui sont à recom-
mander aux lecteurs familiers avec la langue italienne. L'un, intitulé Storia
del'a musica, est signé du nom de M. Alfredo Untersteiner, un artiste italien
(malgré l'assonance de son nom) depuis longtemps résidant en Allemagne.
C'est un excellent résumé, très clair, bien disposé, complet dans son petit
espace, et donnant au lecteur désireux de s'instruire tout ce qu'il a intérêt à
connaître en ce qui concerne l'ensemble de l'histoire de l'art. J'y ai remarqué
un jugement sur "Wagner qui se distingue, en peu de lignes, par sa justesse
et son impartialité, aussi éloigné de l'admiration fétichiste que du dénigre-
ment systématique. Je trouve seulement l'écrivain un peu plus dédaigneux
que de raison pour l'Espagne contemporaine. Il me semble que les Barbieri,
les .\rrieta, les Caballero et quelques autres mériteraient plus qu'un silence
un peu méprisant. Il n'importe, le petit volume de M. Untersteiner est à
recommander, et il serait à souhaiter que nous eussions son analogue en
France. Le second est un traité du mécanisme vocal qui a pour titre : il Canto
nel suo inéfcani'smo et pour auteur M. Paolo Guetta. Ce n'est point une méthode
de chaut, mais une étude physiologique de l'admirable instrument qu'est la
voix humaine, fertile en notions nécessaires aux jeunes chanteurs, qui leur
fait connaître dans tous leurs détails les facultés de l'organe vocal, et qui leur
donne des conseils excellents pour éviter les dangers auxquels celui-ci peut
être exposé par imprudence ou par ignorance. A. P.
— Un de nos confrères italiens nous apprend qu'à une des dernières repré-
sentations du théâtre Communal de Bologne, le chef d'orchestre, M. Mugnone,
a fait exécuter deux fragments symphoniques d'un tout jeune compositeur,
M. Jean de Hartutari, à peine âgé de quinze ans, qui n'est autre que le fils
de la brillante cantatrice M""^ Hariclée Dardée. L'un de ces morceaux a été
bissé.
— L'Opéra impérial de Vienne jouera prochainement un opéra inédit inti-
tulé l'Homme mort, paroles de Hans Sachs, musique de M. Joseph Forster.
Les paroles de cet opéra sont en effet tirées d'un divertissement de mardi-
gras (Fastnachtspiet), dû au célèbre maitre chanteur de Nuremberg.
— On vient de fêter à Vienne le soixantième anniversaire du compositeur
tchèque Anton Dvorak par un concert dans lequel ses œuvres ont été inter-
prétées par des artistes tchèques, sous la direction de M. Nedbal, l'excellent
alto du fameux quatuor tchèque. Le programme offrait quatre compositions
capitales de Dvorak : sa symphonie Dans le Nouveau-Monde, son concerto
pour violon, son ouverture Carnaval et sa Rapsodie en ré majeur, qu'on n'avait
pas encore entendue à Vienne. Le concert a obtenu un grand succès.
— Un compositeur qui n'y va pas de main morte. A Vienne, M. Henri
Melcer a donné un concert dans lequel il a fait entendre quatre pièces sym-
phoniques, deux concertos de piano et quelques paraphrases de lieder.
— Une œuvre posthume pour deux ténors, un baryton et chœurs, d'An-
toine Bruckner, intitulée le Cantique des cantiques, sera prochainement exécu-
tée à Vienne par l'orphéon des étudiants de l'Université. Cette œuvre présente
tant de difficultés pour les chœurs qu'on est obligé d'y ajouter un accompagne-
ment d'orchestre pour soutenir les voix. Il parait que cette composition est
admirable et digne du maitre.
— Un Requiem posthume du défunt compositeur François de Suppé vient
d'être exécuté à Vienne avec beaucoup de succès. L'auteur de tant d'opérettes
gaies élait doublé d'un musicien savant et sérieux; chaque page de son
414
LE MENESTREL
Requiem en fait preuve. Quelquefois cependant la muse comique se met à
réapparaître entre les pages : le Confulalis pour quatuor vocal d'hommes ferait
un numéro agréable pour les orphéons et i'AgnusDei rappelle la fameusemar-
che de l'opérette Falinitza. Pour un peu le public l'aurai t chanté avec les choeurs.
On n'a jamais vu tant de figures épanouies et tant d'yeux souriants aux mots
liturgiques : Qui lollis peccatn mundi. où la musique esquissait presque une
gigue joyeuse.
— Une opérette posthume de l'infortuné compositeur Charles Zeller, inti-
tulée le Sommelier, vient de remporter un grand succès au théâtre Raimund,
de Vienne.
— Malgré le grand cas que font de lui ses compatriotes, M. Richard Strauss
a peut-être tort de vouloir " corriger » Gluck. On écrit de Schwerin que
récemment a eu lieu, au théâtre grand-ducal, une représentation d'Iphigénie
en Tawride modifiée par ce jeune et hardi chef d'orchestre. Il a ajouté à l'œu-
vre, parait-iî, quelques courts intermèdes et un Irio dans le finale; de plus,
il a changé la place de quelques morceaux et en a « retouché » d'autres, « de
façon à faciliter les mouvements scéuiques », et on assure que l'impression
du public a été excellente. C'est parfait. Mais ici, à Paris, deux de nos théâ-
tres ont repris récemment Iphigénic en Tauricle. ils se sont contentés pour
cela de la version de Gluck lui-même, telle qu'elle avait été exécutée à l'Opéra
en 1779, lors de l'apparition du chef-d'œuvre écrit expressément par lui pour
la France, et le public s'est aussi montré satisfait. De tels tripatouillages nous
semblent aussi fâcheux qu'irrévérents lorsqu'ils s'exercent sur des œuvres de
génie, consacrées par l'universelle admiration.
— Le théâtre du faubourg Frédéric-'Wilhelm, de Berlin, vient de jouer avec
beaucoup de succès une opérette intitulée le Cosaque rouge, musique de M. Vic-
tor Hollaender.
— L'Opéra royal de Budapest est menacé d'une grève complète de l'or-
chestre et dés chœurs. Ces membres du théâtre ont, eu effet, présenté à
l'intendant un mémoire pour exposer leurs griefs; ils demandent surtout une
augmentation de leur modestes appointements et le droit à une retraite. Le
mémoire déclare, en terminant, que les musiciens et les choristes cesseront
leur travail Je 1'='" janvier 1902 s'ils n'ont pas reçu satisfaction avant ce jour.
— La grève des danseuses de l'Opéra royal de Budapest est terminée. Ces
dames ont obtenu gain de cause, leurs appointements ont été considérable-
ment augmentés.
— On nous écrit de Munich qu'on vient de retrouver dans la bibliothèque
provinciale d'Amberg (Bavière) une grande partie d'un manuscrit de Parsifal,
poème de Wolfram d'Eschenbach. Ce manuscrit précieux avait servi de cou-
verture à plusieurs livres sans valeur: il est un des plus anciens exemplaires
de Parsifal qu'on connaît.
— M. Humperdinck, l'auteur de Haenscl et Grtiel, travaille actuellement à
un opéra-comique dont le livret est une adaptation des Demoiselles de Saint-
Cyr, comédie d'Alexandre Dumas.
— L'Association des éditeurs de musique allemands à Leipzig vient
d'adresser au ministre de la guerre d'Allemagne et à ses collègues des états
confédérés de l'empire une circulaire pour demander, selon la nouvelle loi
sur les droits d'auteur qui entre en vigueur le 1"' janvier 1902, le renvoi, par
les musiques militaires, de toutes les compositions qui sont désormais pro-
tégées par la nouvelle loi et dont le nombre est très grand. Les musiques
militaires n'auront plus le droit de se servir de leurs anciens matériels.
— La Société Riedel, de Leipzig, a exhumé, dans un de ses concerts, la
Messe en ut mineur de Mozart, qui depuis cent ans, dit-on, n'avait pas vu
la lumière. Elle était restée incomplète, parait-il, et on assure que c'est
Aloys Schmito qui s'était chargé naguère de la mettre au point, ce qu'il fit
avec beaucoup de tact et d'intelligence.
— Un curieux procès en matière théâtrale vient d'être jugé en faveur du
public. Un amateur de Hambourg, qui avait loué deux places pour une repré-
sentation d'opéra, demandait la restitution de son argent parce qu'il était
impossible de voir la scène, étant assis sur l'une ou l'autre des places louées.
Après avoir constaté le fait, le tribunal de Hambourg a en effet condamné la
direction du théâtre à restituer le prix des places. Celle-ci a interjeté appel
en prétendant qu'elle n'était pas obligée de fournir des places permettant de
voir la scène (!J. Mais la Cour de Hambourg n'a pas admis ce moyen et a
ordonné une enquête sur le fait dont l'amateur se plaignait. La direction du
théâtre s'est alors désistée de son appel et a rendu l'argent. Ajoutons qu'en
Allemagne la question des chapeaux de femmes, qui pourrait fournir ma-
tière à des procès analogues, n'existe pas; les dames portant des chapeaux
ne sont admises que dans les loges particulières.
— La détention préventive accordée par les tribunaux d'outre-Rhin contre
les chanteurs suspectés de vouloir se soustraire à leurs engagements entre
dans l'usage courant. A Prague, le tribunal a ordonné la détention préven-
tive du ténor Marak, du Théâtre National, qui a signé un engagement avec
l'opéra de Francfort et qu'on soupçonne de vouloir quitter Prague avant la
fin de son traité. Ce tribunal a cependant déclaré que ce ténor serait mis en
liberté s'il pouvait fournir un cautionnement de dix mille francs. Doux pays
pour... les ténors!
— Le compositeur Auguste Bungert a remis à la direction de l'Opéra royal
de Dresde la partition de son opéra la Mort d'Vlijsse, qui clôture son cycle de
l'Odyssée. L'Opéra royal de Dresde, qui a eu la primeur de tout le cycle, en
jouera le dernier fragment au cours de l'automne 1902.
— On nous écrit de Riga que M""" Arnoldson, en route pour Saint-Péters-
bourg, y a donnné plusieurs représentations de Mignon, Lakmé et Roméo et
Miette, avec un succès énorme. Un service d'ordre très important était néces-
saire pour maintenir la foule qui se pressait devant le théâtre sans pouvoir
y trouver une place.
— Les lauriers de M. Paderewski comme compositeur d'opéra ne laissent
plus dormir les virtuoses. Voici qu'on annonce que l'Opéra de Genève va
jouer un opéra inédit intitulé Rymond. musique de M. Raoul de Koc-
zalski.
— A Monte-Carlo, signalons les charmantes représentations de Madame
Chrysanthème, données au théâtre de M. Coudert. La délicate partition de
M. Messager a remporté tous les suffrages. Elle était admirablement chantée
par M""! Garden, MM. Clément et Jacquin, tous trois de l'Opéra-Gomique. Le
compositeur conduisait lui-même l'orchestre à la « première ».
— Au théâtre Comique de Madrid, le 7 décembre, première représentation
de Chispita, o el Barrio de Maravillas, zarzuela, paroles de MM. Francos
Rodriguez et Jackson Veyan, musique de MM. Torregrosa et Valverde. On
dit que leur partition est la meilleure qu'aient écrite jusqu'ici ces deux com-
positeurs.
— On a déjà versé. beaucoup d'encre au sujet du fameux hymne uational
des Anglais: voici qu'on en va changer les paroles. Le texte de ce chant
national a été publié pour la première fois vers 1743 dans un recueil de mé-
lodies intitulé Barmunia Anglicana; on chantait alors God save onr Lord the
King. A l'avènement de la reine Victoria, on a changé ces paroles et on leur
a substitué le texte : God save our gracions Qveen. Après le couronnement du
nouveau roi Edouard VII, on va restituer le texte primitif, et les livres de
classe qu'on imprime actuellement contiennent déjà le nouveau texte ou plu-
tôt les anciennes paroles reconstituées.
— Un nouveau ballet, intitulé Gretna Green, vient d'être donné à l'Alham-
bra de Londres, où il a été très bien accueilli. L'auteur de la musique est
M. Byng.
— De New- York, par câble : La rentrée d'Alvarez, le ténor transfuge de
l'Opéra de Paris, a été fêtée parune salle enthousiaste et charmée. Il chantait
Roméo et va bientôt interpréter Manon et la Navarraise.
— M""' Nordica, la cantatrice bien connue, a entrepris une grande tournée
aux Etats-Unis, pendant laquelle elle donnera environ cent concerts. Elle
traversera de long en large le continent américain, nous dit un journal, mais,
ajoute-t-il, « dans un wagon qui est sa propriété, et tellement commode que,
de fait, elle n'éprouvera ni l'ennui ni la fatigue de ces continuels voyages »,
Mais, madame, vous allez simplement « épater » les milliardaires améri-
cains.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La grippe de M. Jean de Reszké persiste — grippe doublée de tracoma-
nie — si bien qu'on ne sait plus au juste quand pourra être donnée la pre-
mière représentation de Siegfried, remise « à une date ultérieure » selon le
cliché cher à l'administration de l'Opéra. Et comme le moment approche où
M. Jean de Reszké devra aller remplir les engagements qu'il a pris avec le
théâtre de Monte-Carlo — excellent climat pour la grippe — on peut se deman-
der si ce n'est pas tout bonnement M. Vaguet qui sera appelé à initier les
parisiens aux beautés de l'ouvrage wagnérien.
— Note importante du Figaro sur l'Opéra-Comique : Tranquillisons les
nombreux bambins du personnel de l'Opéra-Comique â qui M. Albert Carré
olïre tous les ans un superbe arbre de Noël. La fête habituelle aura lieu
demain lundi .30 décembre et les cadeaux attendus seront aussi beaux que
nombreux. Du reste, l'excellent directeur le peut, le succès semble désormais
attaché à son théâtre : mardi soir, Louise a réalisé une recette de 9.5.'j6fr.50,
et hier, la matinée de Grisélidis : S.S9G francs. M. le comte de Seebach, cham-
bellan de S. M. le roi de Saxe, intendant général des théâtres royaux, assis-
tait à cette matinée; il a vivement manifesté sa satisfaction. — Une autre
personne fort heureuse fut M'"^ Suzanne, le gentil Loys de Grisélidis, à qui
son directeur fit cadeau d'une superbe poupée. « Merci, m'sieu Carré 1 » s'est
écriée avec conviction l'artiste minuscule, pas intimidée pour un liard, du
reste. — Et puisque nous sommes à l'Opéra-Gomique, restons-y, la maison
est bonne. Dans le courant de janvier sera donnée la première représentation
de la Troupe Jolicœur, le nouvel ouvrage de M. Arthur Goquard, d'après une
nouvelle d'Henri Gain. C'est alors que M. Albert Carré donnera suite à un
projet longtemps caressé : la mise à l'étude de Péléas et Mélisande, de M. De-
bussy, sur le livret de Maeterlinck. Il y aura là un travail considérable, tant
par l'importance de l'œuvre que par le soin qu'elle exige, cela demandera de
nombreuses répétitions, une mise en scène longue, délicate et minutieuse, et
jusqu'ici le directeur de l'Opéra-Comique n'avait pu trouver le temps néces-
saire pour mener la chose à bien. Or, voilà qu'aujourd'hui l'énorme succès de
Grisélidis, la grande faveur dont jouit le répertoire courant, la représentation
prochaine de la Troupe Jolicœur, sur laquelle il compte beaucoup, bref, une
situation générale très prospère vont permettre à M. Albert Carré de s'atte-
ler en toute quiétude à la pièce de M. Debussy, qui demandera deux à trois
mois de répétitions. Ce travail de longue haleine est indispensable, non seu-
lement parce que l'œuvre est d'un jeune compositeur qui a déjà marqué
LE MENESTREL
415
supérieurement sa place dans le monde musical, mais encore parce qu'elle ne
comporte pas moins de quinze tableaux. L'interprétation de Péléas et Mélisande
est ainsi arrêtée :
Péléas MM. Jean Perler,
Golaud Dufranne,
Arkel Vieulle,
Un médecin Viguié,
Mélisande M»" Garden,
Geneviève Gerville-Réache.
Reste à distribuer un très important rôle d'enfant, pour lequel le directeur
de l'Opérà-Comique cherche un petit prodige, garçon ou fille, de onze à
douze ans.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche, à l'Opéra-Gomique : en mâtiné e, la
Basoche et Javottc: le soir, Manon, dont ce sera la quatre centième représen-
tation.
— M. Gustave Charpentier a quitté Paris cette semaine, se rendant à H am-
bourg pour les dernières répétitions de Louise, dont la première représentation
est annoncée pour le 3 janvier. Il devra ensuite faire un véritable tour d'Al-
lemagne pour suivre sa partition à Leipzig, à Berlin, à Cologne, à Wiesba-
den, à Elberfeld, à Nuremberg, à Heidelberg, etc., etc., où l'œuvre va être
représentée tour à tour.
— L'année 1902 va s'ouvrir par une tentative très importante de décentra-
lisation à Marseille. Le Grand-Théâtre de cette ville va donner eu effet, le ven-
dredi 3 janvier, la première représentation d'un grand ouvrage inédit, la
Belle au bois dormant, féerie lyrique en quatre actes et dix tableaux, paroles
de MM. Michel Carré et Paul Collin, musique de M. Charles Silver, dont le
rôle principal est confié à M""= Bréjean-Silver. La presse parisienne est invitée
à cette solennité. Ajoutons, puisqu'il est question de Marseille, que c'est
M. Joël Fabre, chanteur bien connu en province, qui est appelé à succéder à
M. Albert Vizentini comme directeur artistique du Grand-Théâtre.
— De Lyon : Le Conservatoire de musique a reçu son nouveau directeur.
M. Augustin Savard a été installé cette semaine à la tête dj notre école lyon-
naise de musique. Fils du célèbre professeur d'harmonie au Conservatoire
de Paris, lui-même pri.x d'harmonie et de fugue, grand Prix de Rome en
1886, M. Augustin Savard est un compositeur du plus grand mérite. On peut
citer de lui une Symphonie en trois parties, un quatuor à cordes, une ouver-
ture pour le Roi Lear, exécutée l'an dernier aux Concerts-Lamoureux. Les
qualités d'homme et d'artiste de M. Savard trouveront à Lyon de nombreu-
ses sympathies qui lui faciliteront, espérons- le, la lourde tâche qu'il a
assumée. J. J-
— Nous disions dimanche dernier le beau succès remporté par Louise au
Grand-Théâtre de Lyon. Cette semaine, nous devons encore enregistrer deux
nouvelles réussites pour l'œuvre de Charpentier : A Bordeaux d'abord, où le
directeur Frédéric Boyer a fait des 'merveilles de mise en scène. Ovations
répétées pour les interprètes. M"" Mary Boyer, remarquable dans le rôle de
Louise, M™» Hendrick, MM. Flachat et Artus. Le compositeur, réclamé par
toute la salle, dut paraître au troisième acte et à la fin de la représentation.
M. Domergue de La Chaussée dirigeait l'orchestre avec sa maîtrise accoutu-
mée. — Le second succès a été pour Montpellier, où, encore, le compositeur
a rencontré un accueil vraiment triomphal.
— On lit dans la Gironde, de Bordeaux : «. Nous avons été ravis de réentendre
M°"* Glotilde Kleeberg, l'exquise pianiste. Il n'y a plus à faire l'éloge de ce
talent si complet et si pur. M"" Kleeberg est des nôtres depuis longtemps, et
l'applaudir est pour les Bordelais une habitude qui leur est particulière-
ment agréable. Ils l'ont prouvé en ne se lassant pas de rappeler la grande
artiste, surtout dans le -i' concerto et les airs de ballet de Saint-Saëns, les
Abeilles, de Th. Dubois et Des Ailes de Godard, qu'elle a admirablement exé-
cutés. »
— De Renues : Le deuxième concert-Carboni a valu tout un succès au
baryton Durand dans un air de Grisélidis de M. Massenet et dans l'intermède
de la Nativité de M. Henri Maréchal ; l'orchestre s'est fait très applaudir dans
le Prélude des Barbares de M. Saint-Saëns, ainsi qu'avec de jolies pages de
MM. E.Lefèvre et G. Sporck. Parmi les solistes citons M"" Delcourt, har-
piste, et M. Montecchi, violoncelliste, qui ont soulevé l'enthousiasme d'un
public nombreux.
— Le Havre. — La Société Sainte-Cécile a donné, avec le plus grand succès,
son premier concert de la saison, dont le morceau de résistance était le heau
drame lyrique de M. Charles Lefebvre, Eloa, chanté d'une façon remarquable
par M"™ L... et M... et MM. Boucrel et Castrix, et qui a valu à l'auteur une
véritable ovation. Son triomphe a été complet, l'exécution, dirigée par
M. Cifolelli, ayant été excellente. Avec cette œuvre importante, le pro-
gramme comportait l'ouverture de Coriolan, de Beethoven, l'air à'Hérodiade,
de Massenet, et les Gars d'Irlande, d'Augusta Holmes, par M. Boucrel, le Nil,
de Xavier Leroux, par M"'' L..., le prélude à'Axel, d'Alexandre Georges, et
les Pâques citadines, d'André Caplet.
Soirées ET Concerts. — Intéressante audition d'élèves chez M"" Sénar. Les chœurs d'en-
fants et de jeunes iilles ont joliment chanté les adaptations que M. Maurice Bouchor a
faites pour ses exquis Contes de fées; on a remarqué, dans les solî, les voix de M""^ Le-
villy et Schaetzlé. M. Maurice Bouchor a eu gros succès avec une charmante causerie. —
La Congolaise vient de donner une agréable soirée ; le clou du programme a été la Timide
berceuse d'Esteban Marti, chantée par M"° de Lafory et accompagnée par l'auteur. — Au-
dition extrêmement brillante des élèves de M"" Colonne, salle Pleyel. Cela vous avait
toutes les alUires d'un charmant concert et on a vigoureusement applaudi, outre l'excel-
lent professeur, M"^^ .Jeannne N. (air du Cid, Massenet), Suzanne R. (air du livre et air
de la folie d'IIamlet, A. Thomas), Julie C. (air de Marie- Magdeteine, Jlassenet), .Alice V.
(Mijrto, Delibes), Gita de \V. {Si mes vers avaient des ailes, Hahn) et M. Georges Dantu
(air de Sapho, ilassenet). Le piano d'accompagnement était très bien tenu par M"° Ga-
brielle Donnay. — A l'Oratoire de Saint-Philippe de Néris, à Neuilly, messe de minuit en
musique au cours de laquelle W" JuHe Bressoles a fait entendre ses élèves, qui ont pro-
duit grande impression dans des Noëls de Weckerlin et de Julien Tiersot. — Très intéres-
sante audition des élèves de M"° de la Bonnetière, sous la présidence de M. Théodore
Dubois, qui a félicité le professeur et les exécutants. Le programme était entièrement con-
sacré aux œuvres de M. Théodore Dubois.
NÉCROLOGIE
Toute la presse, tout le Paris qui écrit et qui lit a été douloureusement
impressionné, mercredi dernier, par la nouvelle de la mort presque subite
d'un de nos maîtres, Henry Fouquier, critique pénétrant et sagace, chroni-
queur plein de grâce et de savoir, l'un des journalistes les plus éminents de
ce temps et, par-dessus tout, galant homme et écrivain de bonne compagnie —
cette dernière qualité devenant plus rare de jour en jour, avec les coutumes
de polémique sauvage qui se sont introduites dans la presse. Ce n'est pas ici,
la place nous manquerait, que nous pouvons rappeler les brillants états de
service du publiciste remarquable qui vient de disparaître d'une façon si
inattendue; mais nous pouvons du moins, et nous le faisons avec sincérité,
rendre l'hommage qu'il mérite à un écrivain d'un talent hors de pair et qui
fut, on peut le dire bien haut, l'honneur de notre profession. A. P.
— La semaine a été cruelle, et les deuils se sont accumulés en ces derniers
jours. Nous avons à annoncer la mort de M"* Emmanuel Chabrier, la veuve
du brillant compositeur d'Espana, de Gwendoline et du Roi malgré lui, et celle
de M"" Samuel Rousseau, femme de l'excellent professeur au Conservatoire,
l'auteur de Meroioig et de la Cloclie du Rhin. M""" Samuel Rousseau n'était
âgée que de 4o ans.
— On annonce de Londres la mort de l'organiste Edwiu Barnes, qui cumu-
lait, à l'église de la Trinité, ces fonctions avec celles de maître de chapelle,
et qui fut pendant quarante-cinq ans professeur de musique à l'Institut des
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